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Pouvoirs et médiations de la statistique sur les médias informatisés : le cas des Cards
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8/10/2019 Pouvoirs et mdiations de la statistique sur les mdias informatiss : le cas des Cards
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UNIVERSITE DE PARIS IV-SORBONNE
Celsa
Ecole Des Hautes tudes En Sciences De Linformation Et De La Communication
MASTER 2meanne
Mention : Information et Communication
Spcialit : Mdias et Communication
Pouvoirs & mdiations de la statistique sur les mdias informatiss :lenjeu des Cards
Prpar sous la direction du Professeur Vronique RICHARD
Nom, Prnom : Hmery Simon
Promotion : 2013-2014Option : Mdias Informatiss et Stratgies de Communication
Soutenu le : 14.10.2014
Note du mmoire : 16
Mention : Trs Bien
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Remerciements
Je tiens tout particulirement remercier ma rapporteuse universitaire, Pergia
GKOUSKOU-GIANNAKOU, enseignante-chercheuse en Sciences de lInformation et
de la Communication, pour ses conseils de lectures toujours trs aviss et le suivi de
mes recherches, tout au long de lanne.
Je tiens aussi adresser des remerciements chaleureux Samuel GOTA,
doctorant Tlcom-ParisTech, pour la disponibilit permanente dont il a su faire
preuve ainsi que pour les conseils prodigus dans llaboration thorique de ce
mmoire.
Enfin, jadresse mes remerciements aux personnes qui mont encourag et soutenu
dans la dernire ligne droite : Annie, Camille, lise, Fred et Maxime.
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Table des matires
Remerciements..............................................................................................................3Introduction..................................................................................................................5
Chapitre I. Objets dHistoire & histoires dobjets : les cards saisies par les discours......15
A. Imaginer : des crits pris par la pense..................................................................151. Le regard institu................................................................................................................16
2. Une simple traduction de la complexit ?.....................................................................18
3. Des enjeux mtaphoriques distribus....................................................................................21
B. Construire : un tout plus que la somme des parties........................................231. Une esthtique graphique de linformation...........................................................................23
2. Des constructions cartographiques outilles.........................................................................26
3. Une ncessaire pense de la mdiation.................................................................................28C. Dconstruire : Une perspective transdisciplinaire...................................................311. La signification comme explication du monde...............................................................31
2. Une rgle du savoir.............................................................................................................33
3. Conclusions partielles..........................................................................................................37
Chapitre II. Une industrialisation entre appropriations et ruptures : Des cards en piles.38
A. Mmoire des formes : une card pavlovienne ...................................................391. Des jeux de synchronicit....................................................................................................39
2. Pour une mdiagnie de la card sur les mdias informatiss..........................................42
3. De la trace linstitution, un processus symbolique.............................................................45
B. Relativit et cartographie : linformation est-elle mathmatique ?..........................471. Pour une potique du temps et de lespace..........................................................................47
2. Un mdiateur textuel...........................................................................................................51
C. Un objet soluble dans une culture industrialise.....................................................551. Un discours rationalis, des effets de sens externaliss..........................................................55
2. Une allgorie de la culture-mosaque ............................................................................60
3. Conclusions partielles..........................................................................................................63
Chapitre III. La mise en place dun nouvel ordre cartographique : les cards , un objet
dinfluence..................................................................................................................65
A. Imaginaires sur les rseaux, une diaspora dinspiration cyberntique......................66
1. En finir avec la cration pure ........................................................................................662. Un ajustement (vraiment) programm ?..............................................................................71
B. De la pense rticulaire la financiarisation : un nouvel ordre cartographique ?.....761. Convergence et diffusion, une thmatique rcurrente sur les mdias informatiss..................77
2. Une liqufaction qui crerait des conversations ?.................................................................80
Conclusion..................................................................................................................83
Bibliographie...............................................................................................................88
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Introduction
Depuis quelques mois maintenant, de nombreux acteurs conomiques1, dont la
plupart uvrent dans le domaine du numrique, prsentent des contenus leurs
utilisateurs sous une forme particulire. Regroups sous le terme de Card , ils
dsignent un regroupement, un amoncellement de contenus textuels prsents sous des
formes et des modalits dexpression propres. Pourtant, chacun de ces acteurs
revendique et sapproprie lappellation, lui donnant son caractre polychrsique2. Card est un terme anglophone, qui peut tre traduit, la fois par Fiche , mais
aussi comme Carte , plus proche dun format dtermin (la carte de visite) quun
concept fort (la carte gographique). Slabore ainsi propos de cette forme une
interrogation. Si la Card savre proche de la carte , en quoi manifeste telle
une pense de la cartographie sur les mdias informatiss ?
Le point de vue qui nous intresse sur cette question est celui de limplication. En
effet, nous tenterons de comprendre comment les acteurs utilisent les composantesmatrielles, idologiques et symboliques de la pratique cartographique afin de
construire de limplication (Action par laquelle on attribue quelquun, un
certain rle []3). Rsoudre ce problme, cest aussi mettre jour les enjeux des
1 Google, Twitter, Tinder parmi les principaux, mais aussi dautres qui feront lobjet dun examen plus prcis dansnotre tude.
2 WRONA Adeline, Dans la mle : ce que la socit fait aux ides ,Acta fabula, mars 2009, vol. 10, no3,coll. Essais critiques . ( Du greckreistein, user , la polychrsie dsigne la multitude des appropriationspossibles auxquelles se prtent les ides et les reprsentations )
3 Dfinition de limplication, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2974689750;, consult le22 aot 2014.
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imaginaires et rapports de pouvoir qui structurent la fois les mdias informatiss
mais aussi la pratique cartographique, lui donnant une paisseur toute
contemporaine, de nature agiter les pratiques et susciter les croyances les plus folles.
Parmi celles-ci, une nouvelle forme, avenir du Web 4.
Ds lors, lambition du projet que nous poursuivons dans cette tude nest pas de
dcrire ce qui pourrait sapparenter une cartographie de la cartographie sur les
mdias informatiss. Nous poursuivons plutt la perspective dtablir et de
comprendre pourquoi, un moment de lhistoire, les acteurs ont tous pris une mme
direction symbolique, mettant en uvres des ressources humaines et logistiques afin
de parvenir la matrialisation dintentions. Nous tenterons alors de montrer que ces
acteurs travaillent une certaine conception du processus cartographique grce desdiscours, formes et conceptualisations de pratiques.
Afin de bien amener ce qui va se jouer plus aprs, il est ncessaire que nous posions
le cadre dans lequel se situe notre tude et les objets qui la composent, en particulier
les notions de carte, de mdias informatiss et de carte informatise . Ce recul
thorique nous permettra denvisager prcisment les enjeux dans lesquels le recours
la card sur les mdias informatiss est mobilis.
La carte est une mtaphore, sinon une mta-forme5. Elle sinscrit dans une
dimension symbolique, idologique et pragmatique qui la faite circuler dans les
espaces sociaux depuis les premires cartographies. son sujet, on pourrait dire que
cest un topos6 tant sa ralit renvoie des appropriations et des pratiques de
natures diffrentes. En cela, elle est un objet issu de la trivialit7 comme catgorie
danalyse cest--dire qui permet de penser que : les objets et les reprsentations
circulent et passent entre les mains et les esprits des hommes8. Elle a fait lobjet
depuis de nombreuses annes dune appropriation thorique majeure, dune porteinterdisciplinaire. De faon trs brute , on pourrait dire que la pratique
cartographique exige la rencontre entre le monde de la langue et celui de limage. Une
4 ADAMS Paul,Why Cards are the Future of the Web, http://insideintercom.io/why-cards-are-the-future-of-the-web/, consult le 30 aot 2014.
5 LABELLE Sarah et JEANNERET Yves, Le texte de rseau comme mta-forme , Universit de Thessalonique,2004.
6 JEANNERET Yves, Les harmoniques du Web : espaces dinscription et mmoire des pratiques ,Mdiation etInformation, janvier 2011, vol. 32, coll. LHarmattan , pp. 31-40.
7 JEANNERET Yves,Penser la trivialit, Lavoisier & Hermes-sciences., Paris, coll. Communication, mdiation etconstruits sociaux , 2008, vol.Volume 1, La vie triviale des tres culturels, 267 p.
8 Ibid., p. 1.p.14
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premire piste consiste alors considrer la carte comme technologie
intellectuelle , notion introduite par Stphane Mallarm9puis r-appropri par
lanthropologue Goody pour caractriser : Ces nouveaux moyens de communication
qui transforment la nature mme des processus de la connaissance10. La carte prend
alors un dtour fort et saffirme comme une vritable production, elle est issue dun
processus. Fatalement approprie par les logiques gographiques ses dbuts, son
origine tymologique dsigne selon que lon prenne lacceptation grecque (
karts : feuille de papyrus) ou latine (charta : papier, crit, livre), la description
du support dcriture. Seulement, on peut voir aussi dans le termePinax(Grec
Ancien) la possibilit de dsigner la table , qui se traduit alors par :
Une bibliothque gographique miniaturise, homogne, cohrente, matrisable par lil
et par la mmoire, o toute linformation disponible a t inscrite sous une forme
dsormais immuable, apte tre reproduite, diffuse, puis rectifie. La multiplicit des
sources se rsorbe en un artefact unique11
Apparat alors une liaison entre la pense de lcrit et une pense de lcran12
dveloppe par Anne-Marie Christin dans sa thorie sur lcriture. Selon lauteure,
lcrit nest plus une simple trace de pense prexistante mais bien un systme
dexpression propre qui gnre des formes de pouvoirs et des jeux dinterprtation
entre un lecteur et son support. Ainsi, une pense de lcran merge, laquelle
donne aux hommes la possibilit de dsigner darracher un support matriel son
seul statut dobjet peru pour le dsigner comme une surface sur laquelle vont venir
sinscrire des signes13. Ces signes tant la fois des reprsentations figuratives et des
signes dcriture, la perception fait de limage un prdcesseur lcrit par la
disposition spatiale des lments. Selon la perspective de Christin et de Jacob, cest le
rgimedefficacitqui prvaut dans lobjet carte, permettant en un regard de toucher
la fois le monde de la langue et celui de limage . De lhritage du termePinax,
9 SOUCHIER Emmanul et ROBERT Pascal, La carte, un mdia entre smiotique et politique. La carte aurivage des SIC ,Communication et langages, vol. 2008, no158, pp. 25-29.
10 GOODY Jack,La Raison graphique. La domestication de la pense sauvage,, ditions de Minuit., Paris, coll. leSens commun , 1979, 272 p.
11 JACOB Christian et BARATIN M., Lire pour crire : navigation alexandrine ,inLe pouvoir desbibliothques : la mmoire des livres en Occident, Albin Michel., 1996, pp. 47-83 ; cit dans JEANNERET Yveset FLON milie, La notion de schme organisateur, outil danalyse smio-pragmatique des crits dcran ,revue des interactions humaines mdiatises, 2010, vol. 11, no1.
12 CHRISTIN Anne-Marie,LImage crite ou la draison graphique, Flammarion., Paris, 1995.13 JEANNERET Yves et FLON milie, La notion de schme organisateur, outil danalyse smio-pragmatique descrits dcran ,op. cit.
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nous retenons aussi que la carte dsigne un objet de savoir dont les proprits
seraient rvles de faon spectaculaire lil humain. Cet enjeu nous fait
immdiatement basculer dans la possibilit de voir dans la carte un enjeu de pouvoir
vritable. Souchier parlera ainsi dune criture dmiurgique14 pour caractriser cet
objet tandis que Jeanneret voquera sa dimension mythique15. Dans ces deux
acceptations, on retrouve lide dune carte rvle aux yeux des utilisateurs, qui
cache pourtant les conditions ncessaires sa production, instituant de fait une
mmoire de loubli16 et faisant basculer notre objet dans une politique de linfra-
ordinaire17. Les enjeux font de notre objet de recherche un lieu privilgi o se joue
lnonciation ditoriale18. La card sinstitue comme une petite forme aux
grands desseins19
pour paraphraser un article de Candel, Jeanne-Perrier et Souchier.Il convient alors den dcrire lexistence sur les mdias informatiss.
Ainsi, lobjet card sur les mdias informatiss ne peut se penser sans la logique
dcrit dcran20 dvelopp par Emmanul Souchier et Yves Jeanneret. Utilise
pour caractriser ce qui se droule depuis le dbut de linformatique sur les crans, la
notion suppose par ailleurs une continuit entre les poques, les supports et les
pratiques. Nous nous plaons dans cette optique : comprendre les logiques de filiation
qui ont amen la Card sinstituer progressivement. Nous chercherons de fait penser notre objet, non en termes rupturistes , mais bien conserver une posture de
recherche afin de questionner ce qui se joue entre culture du texte et de lcran dans
le temps long. Nous chercherons de fait lanalogue, lhybride et la transformation, qui
construisent la Card sur les mdias informatiss plutt que de poser lhypothse
dune cration pure. La card est aujourdhui prsente dans un rgime discursif de
lordre de linnovation . Nous souhaitons prendre le contre-pied de ce point de vue
en faisant de notre objet une filiation plutt que dun schisme, ne niant pas la
14 SOUCHIER Emmanul, Voir le Web et deviner le monde. La cartographie au risque de lhistoire delcriture ,inTraces numriques. De la production linterprtation, CNRS ditions, 2013, pp. 207-228.
15 JEANNERET Yves, Les harmoniques du Web : espaces dinscription et mmoire des pratiques ,op. cit.16 SOUCHIER Emmanul, La mmoire de loubli : loge de lalination Pour une potique de linfra-ordinaire ,Communication et langages, vol. 2012, no172, pp. 3-19.
17 Ibid.18 SOUCHIER Emmanul, Limage du texte. Pour une thorie de lnonciation ditoriale ,Communication etlangages, 1998, vol. 154, no6, coll. Les Cahiers de mdiologie , pp. 137-145.
19 CANDEL Etienne, JEANNE-PERRIER Valrie et SOUCHIER Emmanul, Petites formes, grands desseinsDune grammaire des noncs ditoriaux la standardisation des critures ,inLconomie des critures sur leweb, Herms-Lavoisier, 2012, vol.volume 1 : Traces dusage dans un corpus de sites de tourisme, pp. 135-166.
20 JEANNERET Yves et SOUCHIER Emmanul, Pour une potique de lcrit dcran ,Xoana, 1999, vol. 6, pp.97-107.
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perspective socio-conomique des acteurs lorigine de ce format. Par ailleurs, ltude
dun logiciel nous convie penser ce dispositif comme agissant et structurant les
pratiques. Ainsi, on pourra avoir recours la notion darchitexte21 pour dcrire
comment cet acteur utilise lacceptation card dans une dimension oprante. Selon
les mots de Candel, les mdias informatiss sont des textes qui permettent et
conditionnent la production de texte22. Ces rapports entre le processus
cartographique et les mdias informatiss sur le Web nous font penser une
configuration sociotechnique , telle quelle fut dveloppe par Franck Rebillard:
Une modalit volutive dagencement social dune technologie rsultant des relations
entre groupes sociaux engags dans sa conception, son utilisation, et sa reprsentation et
(historiquement) structure par ses modalits antrieures comme par les logiques macro-
sociales environnant son dveloppement23.
Enfin, la carte informatise renvoie une description complexe, qui ncessite
denvisager le statut de la trace comme forme danalyse. Dveloppe particulirement
par les travaux de Louise Merzeau24dans le champ des SIC, elle nous permet de
convoquer les rapports structurant qui stablissent entre technologie et mmoire(s).
La notion de trace voque la rduction de faits symboliques une opration
physique25. Ensuite, ce terme est utile pour penser la visibilit dune chose
absente26, cest--dire les vnements, rflexions et changes qui ont pu conduire
son apparition . Quand la card se prsente comme un support vecteur de
conversation mais aussi de circulation, la notion de trace nous permet alors
dinterroger la conception de notre objet comme participatif et cherche ainsi
remonter lorigine de ce discours, pour en extraire certains enjeux communicationnels,
en particulier limmdiatet et la simultanit.
21 Ibid.22 CANDEL Etienne, Approche smiotique des mdias informatiss .23REBILLARD Franck,Le Web 2.0 en perspective : une analyse socio-conomique de lInternet, Paris,LHarmattan, coll. Question contemporaines / Les Industries de la Culture et de la communication .
24 MERZEAU Louise,Prsence numrique : traces, ditorialisation, mmoire | Louise Merzeau,http://merzeau.net/presence-numerique-2/, consult le 31 aot 2014.
25 JEANNERET Yves, Les harmoniques du Web : espaces dinscription et mmoire des pratiques ,op. cit.26 BARATS Christine, la recherche de la mmoire du web : sdiments, traces et temporalits des documentsen ligne ,inManuel danalyse du web en sciences humaines et sociales, Armand colin, coll. U Scienceshumaines et sociales , pp. 53-56.
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Positionnement thorique
Les travaux qui abordent la thmatique cartographique sont nombreux dans le
champ des Sciences de lInformation et de la Communication (SIC). Les rcents
travaux de Jean-Christophe Plantin sur la cartographie numrique27mais aussi ceux
dEmmanul Souchier sur lcriture cartographique28constitueront une base solide
pour notre tude. Si beaucoup de recherches sintressent au croisement entre
pratiques cartographiques et numriques sous langle de la trivialit, peu en revanche
traitent la logique dun processus cartographique comme possible mdiation
limplication. Cest dans cette optique que nous nous positionnons.
Nanmoins, notre recherche se placera au croisement de nombreuses disciplines. En
effet, les dimensions symboliques de notre objet seront observes grce la notion
dtre culturel29 dvelopp par Yves Jeanneret tandis que nous nous appuierons
sur Latour et son mobile immuable30 afin de comprendre les logiques
argumentaires qui peuvent le composer. Par ailleurs, nous chercherons mettre en
perspective la circulation selon certaines thories conomiques. Ainsi, les crits de
Scott Lash et Clia Lury31seront une aide prcieuse. De plus, si la card se
manifeste par une grammaire visuelle intense, alors elle doit tre pense dans ses
dimensions cognitives et logicielles. En la matire, les travaux de Jacques Bertin32
mais aussi de Lev Manovich33sur la tradition du panneau de contrle
reprsentent un clairage pertinent pour les besoins de notre analyse. Enfin, nous
dconstruirons les imaginaires qui composent les prtentions communicationnelles des
concepteurs. En consquence, lexamen de la pense cyberntique des cards sera
inscrit dans la ligne des travaux de Philippe Breton34et Patrice Flichy sur lutopie
des techniques35.
27 PLANTIN Jean-Christophe,La cartographie numrique, London, ISTE editions, coll. Systmes dinformation,web et informatique ubiquitaire , 2014, 176 p.
28 SOUCHIER Emmanul, Voir le Web et deviner le monde. La cartographie au risque de lhistoire delcriture ,op. cit.
29 JEANNERET Yves,Penser la trivialit,op. cit.30 LATOUR Bruno, Culture et technique. Les vues de lesprit ,Rseaux, vol. 5, no27, pp. 79-96.31 LASH Scott et LURY Celia,Global Culture Industry, Cambridge, coll. Polity Press , 2007.32 BERTIN Jacques,Smiologie graphique : les diagrammes, les rseaux, les cartes, Paris, Gauthier-Villars-Mouton,1967.
33 MANOVICHLev,The language of New Media, MIT Press, 2001.34 BRETON Philippe,Lutopie de la communication. Le mythe du village plantaire , Paris, La Dcouverte,coll. Essais , 1997.
35 FLICHY Patrice,Linnovation technique. Rcents dveloppements en sciences sociales. Vers une nouvelle thoriede linnovation, La Dcouverte, coll. Sciences et Socit , 2003.
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Problmatique et Hypothses
Aussi, la problmatique que nous avons souhait dvelopper se formule
simplement :
Dun point de vue communicationnel, quelles sont les conceptions du processus
cartographique portes par les acteurs lorigine des cards ?
Trois hypothses de recherche viennent soutenir ce questionnement :
Tout dabord, nous postulons une approche communicationnelle de la pratique
cartographique. Nous serions ainsi face des formes identifiables , lies la
construction de discours dans le temps autour de ce dernier. Cela aurait des
consquences sur les conditions de sa visibilit au sein des mdias informatiss et sur lactualit de cet objet.
Notre seconde hypothse sintresse aux mdiations qui sincarnent dans les objets
cards . Dpassant les postulats qui verraient dans cette forme une nouveaut36,
nous souhaitons avancer le fait que lutilisation de cards double loprativit
prtendue dun enjeu de pouvoir plus symbolique. Ainsi, les acteurs conomiques
revendiqueraient par l le droit dincarner un pouvoir plus large, celui dune
institution. Par voie de consquence, la card viendrait structurer une certainevision du monde.
Enfin, nous postulons que les fabricateurs des cards , utilisant les
composantes prcdemment dcrites, sinstaurent au sein dune conomie mdiatique
qui dplace peu peu les enjeux symboliques dun croisement entre savoirs et
technique vers le terrain des logiques marchandes.
Prsentation du corpus
Afin de rpondre de la manire la plus complte la problmatique et auxhypothses qui structurent notre travail, nous avons procd la ralisation de
plusieurs travaux dans la priode couvrant novembre 2013 fin-juin 2014. Nous axons
notre rflexion autour de 3 acteurs du numrique qui chacun ont utilis le terme
card pour dcrire leur dispositif , pris dans la dfinition quen a propos
Giorgio Agamben :
36 JEANNERET Yves,Y-a-t-il (vraiment) des technologies de linformation, 2011ed., Presses Universitaire duSeptentrion, coll. Les savoirs mieux , 200 p.
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Jappelle dispositif tout ce qui a la capacit de capturer, dorienter, de dterminer,
dintercepter, de modeler, de contrler et dassurer les gestes, les conduites, les opinions
et les discours des tres vivants (pas seulement les prisons, coles, confessions, usines
mais aussi philosophie, agriculture, cigarette, navigation, ordinateurs, tlphones
portables.)37
Le premier est Google et plus particulirement son application Google Now38, dont
la promesse se situe au niveauindividuel: une recommandation dinformations au
moment souhait. Le second acteur est Citia39, une entreprise dveloppant des
contenus partir de Cards , destination des acteurs conomiques (annonceurs,
agences de publicit). Plus particulirement, nous nous pencherons sur le cas dune
application dveloppe par cette entreprise : Snoop Lion Reincarnated40. Enfin, le
dernier acteur est LiveCode41, un logiciel dvelopp par RunRev42qui se situe dansune logique dapprentissage, permettant de crer dans un temps rduit des
applications Web. Ce logiciel sappuie sur une logique de card dans larchitecture
des applications et sinspire directement dHyperCard, un logiciel dvelopp par
Apple dans les annes 8043, qui utiliserait un langage de programmation proche du
langage naturel. Nous justifions ltude de ces trois acteurs par plusieurs
raisonnements successifs. Premirement, la richesse possible dans le fait dextraire de
chacun deux une prtention, un regard, qui mis en perspective avec les autres
donnera une argumentation non cantonne un seul acteur, vitant lexemplification
sur cet objet de recherche. Deuximement, nous voyons dans les logiques
dapprentissage (LiveCode), de mise disposition dinformation (Google Now) et de
contenus mdiatiques (Citia) la possibilit daborder et dcrire des proccupations
contemporaines qui donnent toute son importance aux cards . Enfin, ces trois
acteurs voluant dans le domaine des industries de la culture et de la communication,
nous discernons la possibilit dapporter ce dernier une catgorie danalyse
supplmentaire, les formes structurantes qui sy dploient.
Ainsi, notre corpus sest peu peu constitu dans trois directions :
37 AGAMBEN Giorgio,Quest-ce quun dispositif ?, Rivages poche, 2007.38 Page de prsentation de google Now, http://www.google.com/landing/now/, consult le 22 aot 2014.39 Page daccueil de lentreprise citia, https://citia.com/content/title/citia, consult le 22 aot 2014.40 Snoop Lions Reincarnated: Track Notes App (Citia), https://itunes.apple.com/us/app/snoop-lions-reincarnated-track/id609019118?mt=8, consult le 30 aot 2014.
41 Page daccueil du logiciel Livecode, http://livecode.com/, consult le 22 aot 2014.42 Prsentation de lentreprise RunRev, http://runrev.com/.43 Apple HyperCard, une des plus belles ides de linformatique, http://www.apple-collection.com/htmsysteme/hypercard.htm, consult le 22 aot 2014.
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La premire regroupe une vingtaine de discours dits descorte sur les
applications et logiciels cits ainsi que sur les cards . Nous retrouvons ainsi 5
articles sur Google Now, 4 articles sur Citia, 5 articles sur les Cards et 5 sur
lhritage dHyperCard (les articles sur LiveCode tant assez peu nombreux et peu
propices lanalyse). Ils ont t slectionns parmi une cinquantaine darticles selon
une segmentation visant une forte homognitintratextuelleet une forte
htrognitintertextuelle. Ces textes ont fait lobjet dune analyse de discours44via
la construction dune grille mettant successivement en valeur les cooccurrences de
termes, formules valorisantes, mises en tension et description particulire du
dispositif.
Puis, nous avons slectionn 30 captures dcran (10 par dispositif), que nouscaractrisons par en fonctionnement dans la mesure o les cards sont
prsentes sur celui-ci. Ces captures se sont droules selon un mode semi-automatique
dans le cadre dune utilisation personnelle. La nature particulire dutilisation de ce
dispositif est donc relativiser. Par ailleurs, les pratiques dutilisateurs ne
reprsentent pas la partie la plus essentielle de notre tude. Ces visuels ont fait lobjet
dune analyse de contenu rdige, visant comprendre la reprsentation de
lutilisateur dans le dispositif.Enfin, nous avons souhait ajouter cette tude les discours promotionnels des
acteurs la faveur de 5 captures dcran reprsentant tour tour, la page daccueil,
la prsentation du dispositif, les tutoriels daide au fonctionnement, un exemple
de fonctionnement ainsi quune prsentation de lentreprise. Nous avons aussi joint
ce corpus, les visuels prsents sur le packaging du logiciel HyperCard, lequel constitue
une forme de discours promotionnel, o la card tient une place toute particulire
et nous permet de prendre conscience des mutations et dplacements en jeu. Ces
lments ont fait lobjet dune analyse de discours, avec une emphase sur les
descriptions textuelles successives du dispositif, de lutilisateur, de lobjet card et
du concepteur. Nous avons conscience du caractre euphorique de ces discours, que
nous plaons dans le registre dune technologie . Ils ont nanmoins la valeur
dclairer les imaginaires luvre.
44CHARAUDEAU Patrick et MAINGUENEAU Dominique,Dictionnaire dAnalyse du Discours, Seuil, 2002.
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Dmarche mthodologique
Nous avons procd dans le cadre de cette tude une dmarche de type de celles
qui sont effectues en Sciences Humaines et Sociales (SHS). Plus prcisment, cest
une tude qui convoque la fois les projets issus de la smiotique Barthsienne45et la
socio-smiotique telle quelle est exprime chez Vern46.
Plan de ltude
La premire partie de notre mmoire vise comprendre comment lhistoricit des
discours autour du processus cartographique en est venue faire de ce dernier untre
culturelidentifiable, contribuant ainsi sa prgnance dans lactualit.
Puis, nous tenterons de dlier les mdiations luvre dans la massification dela production dobjets cartographiques. Mlant logiques anthropologiques,
mdiatiques et conomiques, la card cristalliserait la rationalit et le
synchronisme comme mouvements conjoints au sein des industries de la
communication.
Enfin, le dernier temps de notre raisonnement tentera, dans une vise critique, de
dnouer les prsupposs de circulation et de participation en jeu dans la pense des
Cards afin de souligner les rgimes intermdiatiques en cours. De grands
ensembles symboliques comme le savoir, on assisterait un dplacement progressif
vers la sphre marchande, au moyen dune mise au travail des utilisateurs des
cards .
45 BARTHES, Rhtorique de limage ,Communications, 1964, no4, pp. 40-51.46 VERON Eliseo, Il est l, je le vois, il me parle ,Communications, 1983, pp. 98-120.
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Chapitre I. Objets dHistoire & histoires
dobjets : les cards saisies par lesdiscours
La premire partie de notre tude se construit en trois temps distincts. Le premier
tentera de donner la notion de card , bien avant sa construction physique ,
une dimension imagine . Nous convoquerons la fois un regard anthropologique,
mais aussi une analyse de la technologie intellectuelle quelle reprsente, pour
enfin penser les mtaphores quelle suscite. Puis il sera temps de saisir la dimension
physique et pragmatique que la card requiert dans sa construction : des
donnes, des outils, des mdiations. Enfin, nous tenterons de prendre un peu de
hauteur, envisageant notre objet dans une perspective pluridisciplinaire. Nous
souhaitons ajouter en dernier point que la card ne peut se penser sans le recours
thorique la carte gographique dont elle convoque certaines prtentions et dont
ltude pralable dans de nombreux champs nous donnera de prcieux indices.
A. Imaginer : des crits pris par la pense
Tches, informations, donnes, lignes, relations La liste des pratiques
scripturaires lies au processus cartographique dcrites et l par les diffrents
genres dediscours(dordre scientifique et journalistique)permettent de dcrire,
caractriser et ainsi donner au lecteur-utilisateur une certaine ide de ce que revt
le corps cartographique.Notre but est de comprendre ce qui pourrait tre
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lorigine de ce foisonnement,nous posons lhypothse dune liaison entre les
expressions et les pratiques via une perspective anthropologique : le regard.
1. Le regard instituAinsi, il sagira de comprendre et darticuler les crits autour de la carte en tant
quobjet structurant de mmoire.
La card mergerait dun regard. De ce point de vue, elle est pense dans un
rapport son support dexpression. Bruno Latour, dans une perspective sociologique,
lintroduit comme support sinscrivant dans une double dynamique : support et objet
de connaissance :
Il ny a rien que lhomme soit capable de vraiment dominer: tout est tout de suite trop
grand ou trop petit pour lui, trop mlang ou compos de couches successives qui
dissimulent au regard ce quil voudrait observer. Si! Pourtant, une chose et une seule se
domine du regard: cest une feuille de papier tale sur une table ou punaise sur un mur.
Lhistoire des sciences et des techniques est pour une large part celle des ruses permettant
damener le monde sur cette surface de papier. Alors, oui, l'esprit le domine et le voit.
Rien ne peut se cacher, sobscurcir, se dissimuler47.
Cette observation peut marquer le point de dpart de notre rflexion. Dans cette
citation, on voit bien comment les lments sassemblent pour tenir dans unesurface 48et dterminent dans le mme temps un positionnement cognitif : si lon
peut compter la prsence dun phnomne alors on peut le comprendre. Cela amnera
bien entendu un certain nombre de controverses, parmi lesquelles le problme de
reprsentation de phnomnes que lon peut mesurer linverse de ceux qui ne le sont
pas49.Apparait alors une autre observation lie au regard, qui rside dans
lappariement entre des signes facilement apprhendables et un outil daide la
dcision.
Nous voyons de ce fait poindre des logiques liant les espaces de la nature (le
regard) et ceux de la technique (la carte). Et cest dans une perspective
anthropologique que nous allons tenter de lier ces complexes. Si la carte est un
agencement complexe de signes, elle nen reste pas moins un texte, une pratique de
lcriture (Souchier affirmera quant lui au dpart lhypothse dune rupture entre
47 LATOUR Bruno, Culture et technique. Les vues de lesprit ,op. cit.48 PLANTIN Jean-Christophe,La cartographie numrique,op. cit.49 Ibid.
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ces objets, lcriture tant lie selon lui la langue, ce qui nest en rien le cas de la
cartographie50). Comment le regard et lcriture se sont-ils mls de manire
fabriquer des espaces de sens ? Dans son ouvrage de rfrence :le geste et la parole,
Leroi-Gouhran situe lhomme dans une histoire des espces et pose lhypothse dun
individu, qui en dveloppant au fil des millnaires sa stature et en adoptant une
position releve aurait alors libr ses mains, permettant la prhension51. Et de l
serait venu lapparition des processus de communication connus actuellement : loue,
le regard, le toucher, la parole. travers la vision de Leroi-Gouhran, la cration
doutils rsulte dune ncessit dordre anthropologique. partir du moment o
lHomme libre ses mains, une cration de sens peut stablir entre ces dernires et
lil. Elle nat de signes visibles et produit une alliance entre matire et esprit.Lcriture est un exemple en particulier. Plus fondamentalement, les volutions
anthropologiques auraient fait natre des objets de culture fondamentaux. En
tmoignent ainsi lmergence dune croyance en la forme visuelle. Si lil capte trs
rapidement des informations, cest la matire visuelle qui emmne vers la
signification. Lcart par le signe cr du sens52. Les perspectives poses par Leroi-
Gouhran nous permettent ainsi de poser la carte, puisquelle est un outil (dont les
enjeux restent encore poser) comme :
Une geste intellectuelle qui slabore essentiellement autour des instruments matriels,
de la symbolique du processus et des relations tablies entre les diffrents univers que
composent ces pratiques smiotiques singulires53.
la suite de Leroi-Gouhran, Pascal Vernus, Egyptologue, dveloppera une thorie
autour de la comprhension des signes gyptiens au sein des temples. Selon lauteur,
lobjet prendrait un sens partir du moment o il acquiert une dimension iconique et
symbolique54. Ainsi, pour percevoir une signification dans la relation entre les signes,
le regard serait mobilis et manifesterait cette double dimension. Dabord, le
spectateur doit assimiler quil se trouve face une organisation de signes et non de
50 SOUCHIER Emmanul, Voir le Web et deviner le monde. La cartographie au risque de lhistoire delcriture ,op. cit.
51 LEROI-GOUHRAN Andr,Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964, vol.technique et Langage.52 SOUCHIER Emmanul, Transformations du Texte et de lcriture .53 SOUCHIER Emmanul, Voir le Web et deviner le monde. La cartographie au risque de lhistoire delcriture ,op. cit.
54 VERNUS PASCAL, Les critures de lgypte ancienne ,inHistoire de lcriture : de lidogramme aumultimdia, Flammarion., PARIS, 2001, pp. 46-65.
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simples motifs dcoratifs. Puis, une deuxime tape lui permet dassocier un univers
de reprsentation narratif et une organisation signifiante : voir la place de
hiroglyphes reprsentant une scne de guerre, une vritable criture de texte. cette
image et reprenant les mots de Jeanneret, les espaces de reprsentation jouent un rle
instituant pour :
la mobilisation des ides [] leur cration dans la communication ; le fait que le signe
crit (et non seulement sa mobilisation matrielle) produit du sens ; enfin la capacit
quont les inscriptions dinstituer un jeu permanent entre le point de vue dune scne
mimtique et celui dun texte lire55.
Cette citation nous permet de complter la prcdente. La card se comprend
dans une double-optique qui associe la modalit du faire celle du voir .Lexploitation du support servant la pratique cartographique donnerait lieu une
certaine conomie du regard : le rgir et aider la cration de sens.
Ainsi, les premiers lments danalyse, issus dun corpus de textes traitant plutt
de lhistoire de lcriture ont permis de mettre en avant les potentialits et
limportance du regard pouvant tre lorigine de processus que lon qualifiera de
cognitif .
2. Une simple traduction de la complexit ?
La seconde perspective dans laquelle nous souhaitons nous inscrire est celle qui
consiste penser la complexit dans les relations entre informations. Un regard
candide nous poussait dans un premier temps penser la carte comme un
amoncellement, un regroupement de donnes multiples issues de sources diffrentes.
Roger Brunet parlera quant lui de combinaisons de structures lmentaires56.
Quelle est la teneur vritable de ce cluster et en quoi sinscrit-il dans notre
hypothse ? Nous souhaitons ainsi poser ici les conditions dans lesquelles la carte
peut se voir ou non comme une technologie intellectuelle . Puis, dans un deuxime
temps, comprendre dans quelle mesure ce discours permet daccompagner le processus
cartographique dans sa gestation intellectuelle.
55 JEANNERET Yves et FLON milie, La notion de schme organisateur, outil danalyse smio-pragmatique descrits dcran ,op. cit.
56 BRUNET Roger,La carte, mode demploi, Fayard., Paris, 1987.
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Jack Goody sinscrit dans la ligne de Leroi-Gouhran en instituant une thorie sur
les effets cognitifs de lcriture liant les proprits matrielles a ses consquences. Il
formalisera ce travail sous le nom de raison graphique57 (par exemple lire un livre
ou utiliser un stylo naurait pas les mmes effets en termes de comprhension sur le
lecteur). Cette thorie serait ainsi matrialise dans certaines formes particulires de
lcriture : la liste, le tableau et le diagramme. Cest ce quil pose comme tant une
technologie intellectuelle . Trs vite, la carte a t prsente comme une
technologie de lintellect 58. Ds 1941, le gographe Arthur Robinson parlera le
premier de la carte au sens gographique et des effets cognitifs quelle suscitait en
tudiant, dans une logique mathmatique proche du modle de Wiener, la
rception du support chez les utilisateurs59
. Ses mthodes exprimentales, issuesdes sciences cognitives et de la psychologie le conduiront penser que leprocessus
cartographique devrait inclure ds le dbut ces effets, via les questions de
symbolisation et de design. Par la suite, partant dune comparaison entre Bell, Goody
et Lvy, Pascal Robert introduira sa propre dfinition de technologie
intellectuelle :
outil rgul de gestion du nombre (de la complexit) oprant une traduction par
enregistrement de lvnement en document grce lopration de conversion des
dimensions60.
Lauteur associe des logiques fonctionnelles et cognitives cet outil, tout en
excluant ses proprits externes , charges simplement dassurer une forme
dinterface avec le monde. Ainsi, il dtaillera plus tard les composantes internes dune
telle dfinition, applique cette fois la carte61:
Dans un premier temps, cettergulationdans le sens o un certain nombre doutils
assurent la card la fois une structure, une organisation et une cohrence.Lauteur associe alors la prgnance des outils aux modles que prendrait la carte,
opposant un modle symbolique un modle scientifique .
57 GOODY Jack,La Raison graphique. La domestication de la pense sauvage,,op. cit.58 JEANNERET Yves, Les harmoniques du Web : espaces dinscription et mmoire des pratiques ,op. cit.59 ROBINSON Arthur,The Look of Maps : an examination of Cartographic Design, ESRI Press, coll. Redlands ,1952.
60 ROBERT Pascal, Quest-ce quune technologie intellectuelle ? ,Communication et langages, trimestre 2000,no123, pp. 97-114.
61 ROBERT Pascal, La raison cartographique, entre paradoxe de la simultanit et technologieintellectuelle ,Communication et langages, vol. 2008, no158, pp. 31-41.
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Le second argument que pose Robert est la prtention de la carte dassurer un
transfert du rel[] de lordre de la surface et de la superficie, sur une autre surface,
rduite. . De ce point de vue, la carte gographique apparat comme prominente
mais ne permet pas par exemple de traiter du cas des cartesheuristiquesou cartes
mentales. Cest la suite de la dfinition qui permettra dajuster ce point de vue dans
le sens o la carte assume [] la traduction des vnements qui affleurent la
surface du monde par leurinscription-enregistrementsur un document, plus petit,
plus lger, transportable62. Cest cette dimension qui nous intresse tout
particulirement dans les formats que nous tudions.
Enfin, le dernier argument dvelopp par Robert fait tat de lavue synoptiqueet
de la multiplicit des objets qui peuplent la surface du monde ainsi dlimit []bref elle permet galement deffectuer une vritable gestion du nombre, au sens dune
gestion de la complexit.
Les hypothses fournies par Robert nous permettent dapprhender leprocessus
cartographique sous un nouveau jour, celui de la logique documentaire (ncessitant un
dispositif technique dans son laboration et le suivi de sa forme). Pour la premire
fois, on voit apparatre des logiques dimplicationpuisque Robert parle de la
possibilit dtre regarde en mme temps par plusieurs personnes . Cette assertionnous permet de mobiliser la notion dusager dun dispositif cartographique. De
plus, larticulation entre le support et son utilit est de nature dfinir ce quest le
processus cartographique puisque suivant les mots de Jeanneret, il ny a pas de
reprsentation de linformation pour soi mais pour lautre, car linformation est une
relation qui stablit entre un objet et un regard63. Dans cette optique, lauteur
amne un point de vue, des rcritures des adaptations en mme temps quil
imagine et se reprsente des comptences, des attentes et des interprtations de
lutilisateur . Le processus cartographique stablit dans cette optique. Ainsi, Jean-
Christophe Plantin dcrira le passage opr, de la carte topographique la carte
thmatique64. Cela constituera le point de dpart du langage moderne de la
cartographie thmatique65. la complexit des informations reprsentes sajoute
62 Ibid.63 JEANNERET Yves,Y-a-t-il (vraiment) des technologies de linformation,op. cit.64 la carte des vents dEdmund Halley en tant lillustration principale, visible surhttp://bit.ly/1qYz95v,consult le 22/08/2014
65 PLANTIN Jean-Christophe,La cartographie numrique,op. cit.
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http://bit.ly/1qYz95vhttp://bit.ly/1qYz95v -
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ainsi une complexit des noms et fonctions donnes aux visualisations
cartographiques. Cest tout lenjeu des mtaphores qui structurent et agitent les
pratiques.
3. Des enjeux mtaphoriques distribus
Pour dcrire leur art, lexpression science cartographique66 est employe chez
les gographes. Nous avons ds lors souhait comprendre comment les dimensions
mtaphoriques autour dun discours de scientificit pouvaient tre de nature jouer
des effets de sens diffrencis. Car la carte nest pas la reprsentation relle de ce
quelle prtend reprsenter. Elle est toujours introduite par le regard de son auteur
qui lui confre ses intentions. On assiste donc bien une dimension du processuscartographique qui sinscrit la fois dans la mtaphore de discours mais aussi
dinterface. Les mtaphores, souligne Jeanneret :
dsignent les objets, mais [] les masquent par le mme mouvement, puisquils ne nous
donnent percevoir le nouveau que dans lassimilation de lancien. Mais il serait bien
illusoire de penser que nous pourrions faire lconomie de la mtaphore pour qualifier les
objets nouveaux67
Les mtaphores actualisent les objets et les regroupent pour nous permettre de
comprendre quoi nous faisons rfrence. Elles induisent cependant des effets de sens
dans le discours et participent de ce fait la construction dune symbolique, jamais
cite, toujours prsente.
La card est une mtaphore dinterface. Elle conjugue la pense de lcran
de Christin mais aussi des influences du design graphique. Ainsi, les textes tudis
dans le cas des discours daccompagnement font rfrence de faon assez criante une
construction graphique (cest le cas notamment chez Google Cards et Citia, de faon
un peu moins prononce dans le cas de LiveCode). Certaines pratiques signifiantes
construisent alors le faire-carte68 des acteurs. La mtaphore69de linterface
66 JEANNERET Yves et FLON milie, La notion de schme organisateur, outil danalyse smio-pragmatique descrits dcran ,op. cit.
67 JEANNERET Yves,Y-a-t-il (vraiment) des technologies de linformation,op. cit., pp. 72-76.68 MITROPOLOU Eleni,Mdia, multimdia et interactivit : jeux de rles et enjeux smiotiques, Universit deFranche-Comt, 2007.
69 Une mtaphore est une figure de style qui consiste tymologiquement parlant voir quelque chose traversautre chose (Webdesign, sociale exprience des interfaces web)
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card sinscrit dans une forme de support matriel et invite convoquer certaines
formes de pratiques.
Parler de carte comme dune interface ncessite de poser les bases dune telleapproche. Ainsi, en informatique, le terme dinterface dsigne un dispositif permettant
des changes dinformation entre deux systmes70. Du point de vue des sciences de
linformation et de la communication, Guy Barrier aborde cette notion pour dsigner
lespace de reprsentation de linformation et du parcours dans linformation71 que
sont les pages-crans . On aurait une mtaphore qui ferait rfrence la fonction
incarne par la reprsentation graphique de linterface. Seulement, le corpus tudi
nous conduit considrer plus que des fonctions, des formes de mdiations entre des
dispositifs compltement diffrents. Il conviendra donc de dtailler ce que recouvreexactement la pense dune interface qui ferait carte en termes dingnierie
documentaire , mais aussi de pratique de communication. Ainsi, nous pourrions
tenter de dcrire les cartes prsentes dans le corpus grce aux proprits des
mtaphores dinterface dcrites par Pignier et Drouillat : Potique ; Mta-discursive
et argumentaires72 ; alimentant une relation entre les supports formels et matriels
du texte.
La premire partie de notre expos sur lhistoricit des discours et des controversesautour du terme de carte a permis de mettre jour diffrentes logiques cognitives
du processus cartographique, la fois par le regard, sous un imaginaire outill et dans
une composante mtaphorique. Ainsi, les regards dtermineraient et orienteraient
les processus cognitifs en direction de notre objet. Par ailleurs, ltude de la
complexit revisite sous le prisme des processus cartographiques nous a amen
dpasser le regard pour aboutir la notion de technologie intellectuelle , faisant
apparatre les composantes dimplication des individus dans le processus de
construction (transfert, vue synoptique, rgulation). Enfin, la confrontation entre
linterface et ses discours aura donn lieu a une approche fconde en termes de
fonctionnalits. Elle permettra par la suite de mettre en perspective les discours
daccompagnement dont notre card fait lobjet.
70 La notion dInterface ,inDictionnaire encyclopdique Larousse, 1979, .71 BARRIER Guy,Cybercontrles. Veille numrique et surveillance en ligne, Apoge, 2003.72 PIGNIER Nicole et DROUILLAT Benot,Le Webdesign, Sociale Experience des interfaces web, Herms-Lavoisier,2008.
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B. Construire : un tout plus que la somme des parties
Il nous faut maintenant aller plus avant dans la rflexion et aborder notre
processus en dur , avec une problmatique principale : Comment les formestextuelles (donnes) et logicielles (outils) lorigine du processus cartographique sur
les mdias informatiss permettent-elles dalimenter un imaginaire reconnaissable
de la carte ? Nous nous intresserons dans cette optique la raison statistique de
la cartographie. Puis, il sera temps daborder les outils par lesquels se matrialise le
texte cartographique en termes dimplications technicistes. Enfin, nous tenterons de
rconcilier ces deux approches par une ncessaire pense des mdiations luvre.
1. Une esthtique graphique de linformationNotre premire partie aborde la problmatique de la donne avec un angle
particulier, li lmergence dune raison statistique dans le domaine cartographique,
laquelle poussera le faire circuler sur des formats autres que gographique . Le
topos devient le lieu dun investissement smantique et la pratique cartographique
smancipe peu peu de ses aspirations premires. Ces dplacements oprent des
changements, en particulier, inscrire le savoir-pouvoir73 dans la reprsentation
graphique. Plusieurs influences se regroupent :Lorsque quen 1756, Joseph Priestley, historien reconverti en cartographe du
temps, sapproprie les concepts visuels de Thomas Jefferys propos de la
condensation de donnes historiques (A Chart of universal history), il a une vise
synoptique. Chez ce dernier, les donnes taient reprsentes dans un plan continu
que lil apprhendait dans son ensemble. Alors que les formes prcdentes attiraient
lattention sur le contenu historique dun espace temps donn, Jefferys les dirigea vers
les frontires temporelles des entits et vnements historiques74. Ce qui conduisit
visualiser sa reprsentation du temps comme une carte gographique plutt quune
matrice de lignes et de colonnes comme ctait le cas lpoque. Lapproche de
Jefferys a eu des consquences notables. Priestley, notamment, sinspirant de ses
travaux russit non seulement systmatiser le principe visant visualiser des
informations historiques mais aussi conceptualiser la chronographie dans une forme
73 JEANNERET Yves et FLON milie, La notion de schme organisateur, outil danalyse smio-pragmatique descrits dcran ,op. cit.
74ROSENBERG Daniel et GRAFTON Anthony,Cartographie du temps. Des frises chronologiques aux nouvellestimelines, Paris, Eyrolles, 2013.
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proche de lillustration scientifique. Lide de Priestley tait de toucher lesprit par le
biais du sens. Ce dplacement est important, il donnait le sentiment de voir lHistoire
en action75. En elles-mmes, ces cartes soulignaient le pouvoir de la graphique en
action, dans une dimension esthtique.
La science entre en action dans la chronologie et aprs Priestley, la plupart des
lecteurs accepteront lanalogie entre temps historique et espace mesur (autrement dit
entre chronographie et gographie), faisant de la carte un mdiateur textuel entre
lespace et le temps. Ces travaux furent adapts et au cours du XIX sicle, envisager
lHistoire sous la forme dune ligne du temps devint naturel. Dautres domaines
bnficirent de linfluence de Priestley. Ce fut le cas notamment du domaine des
statistiques graphiques. William Playfair, dans sonCommercial and political Atlas,reconnaissait les cartes historiques de Priestley comme anctres directs de ses courbes
et graphiques barres. La chronologie tait une science des dates, laccumulation
ainsi que le choix des donnes qui devaient apparatre taient donc de nature
quantitative. Plus important encore, on voit merger luniformit des chelles comme
caractristique courante. Cette notion dchelle permet aussi daffirmer une
comptence logistique dans la cartographie : le passage de lespace rel sa
reprsentation graphique. On opre ainsi une rduction mathmatique du monde.Cela est relativement important dans la mesure o partir du moment o
luniformit est donne, on peut alors projeter tous types de contenus, en particulier
de type statistique :
Ltude de la chronologie a t grandement facilite par lutilisation de lespace pour
reprsenter le temps, avec une ligne de longueur proportionnelle et de position correcte
pour la vie dun homme, de faon nous montrer les personnalits remarquables du pass
dans le temps et le lieu appropri76.
Les diffrentes transitions expliques ici permettent denvisager le processus de
cartographie comme une diffusion issue de sa grammaire graphique. On sapproprie,
grce au langage des logiques qui smancipent du simple complexe gographique
pour verser dans dautres objectifs. Symbole de la prgnance de cette grammaire
graphique, le critique littraire W.J.T Mitchell qui dclare que la forme spatiale est
la base perceptive de notre notion de temps, nous ne pouvons littralement pas
75 Ibid.76 Ibid., p. 76.
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exprimer le temps sans mdiation de lespace77. La chronologie et la gographie
prsentaient une structure commune : sources dinformations prcises et irrfutables
qui mettaient de lordre dans le chaos apparent des vnements78. Cette dclaration
est intressante tudier. Elle met en avant le caractre polysmique de la carte (au
sens de Bertin : un systme est polysmique quand la signification succde
lobservation et se dduit de lassemblage des signes. La signification est alors
personnalise et devient discutable79). Cest prcisment cette dimension qui amne
considrer la carte selon un point de vue, des effets de spatialisation, un jeu de
tracs.
Si lon largit cette perspective, on peut aussi parler desthtique de linformation.
Scott Lash80,mais aussi Gilles Lipovetsky81souligneront ainsi cette dimensionesthtique toute activit lie aux biens et services. Cela amnera Lev Manovitch
poser la question du projet esthtique de linformation sous le terme dinfo-
esthtique82. Ce paradigme ntant apparu selon lui que lorsque la socit a souhait :
extraire du sens de linformation, travailler avec linformation, produire de la
connaissance partir de linformation.
En cela, Manovitch se place en hritier dAuguste Comte et de la notion de
positivisme83. Des rminiscences de cette dernire notion pourraient tre prsentesdans une vision des donnes comme accs unique et objectif au rel sous la forme
de mouvements contemporains : Big Data et Open Data par exemple. Cette
perspective nous est transmise par des schmas qui souhaiteraient dmontrer
limprialisme des donnes sur les formes de savoir : en particulier le data
information knowledge84. Les donnes quantitatives seraient alors sources de toute
sagesse. Or, suivant les mots de Goeta, la valeur dune donne est purement
77 W.J.T Mitchell, Spatial FOrm in Litterature Toward a general Theory ,inThe Language of Images, W.J.TMitchel., University of Chicago Press, p. 274.
78ROSENBERG Daniel et GRAFTON Anthony,Cartographie du temps. Des frises chronologiques aux nouvellestimelines,op. cit., p. 152.
79 BERTIN Jacques,Smiologie graphique : les diagrammes, les rseaux, les cartes,op. cit.80 LASHScott, Reflexive Modernization: The Aesthetic Dimension ,Theory, Culture & Society, 1 fvrier 1993,vol. 10, no1, pp. 1-23.
81 LIPOVETSKYGilles et SERROYJean,Lesthtisation du monde. Vivre lge du capitalisme artiste, Gallimard,2013, 517 p.
82 MANOVICHLev,The Language of New Media, MIT Press, 2001, 404 p.83 Le positivisme chez Comte est la vision dune science qui parviendrait prdire les phnomnes par lanalyse desfaits, crant en cela une science quantitative. Le positivisme est reconnu comme tant lorigine de la sociologie.
84 BELLINGERGene, CASTRODurval et MILLSAnthony, Data, information, knowledge, and wisdom ,URL:http://www. systems-thinking. org/dikw/dikw. htm, 2004, p. 47.
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rhtorique85, une donne fausse reste une donne. Les diffrentes approches
envisages permettent de poser lhypothse dun processus cartographique, hritier
dun mouvement qui verrait dans la circulation de linformation la condition
ncessaire pour que la socit fonctionne. Plus important encore, il convient de
prciser ce qui est centre de la mesure dans le processus cartographique.
Ainsi, Michel Foucault parlera de naissance de lhomme dans les sciences
devenant ce quil faut penser et ce quil y a savoir86. Ici, on voit bien que
lmergence dune pense statistique na pu merger sans un changement de
perception. On est ainsi pass dexplication de faits de socit partir de faits divins
et mtaphysiques la prise en compte du facteur humain sans utiliser les
caractristiques prcdentes. Ce relativisme permet lmergence dune cartographiepropre certains corps de mtiers87.
2. Des constructions cartographiques outilles
Il nous faut maintenant aller plus loin en tentant de comprendre ce qui compose la
carte ontologiquement sur les mdias informatiss. Le logiciel a apport, grce ses
proprits formelles une part de circulation du sens de la carte. Ainsi, Dodge et
Kitchin insistent bien sur lusage de la carte comme vecteur de sens88. Cest
partir du moment o lindividu reconnat comme carte lassemblage techno-
smiotique qui vient dtre ralis que lobjet existe. La carte en tant quentit
ontologique nexisterait alors pas directement sous sa forme pure. On assisterait
uniquement des cartographies. ce propos, certains auteurs parleront de
chimres cartographiques89 pour expliquer le maillage entre diffrentes
technologies intellectuelles qui ont volu paralllement les unes aux autres pour
donner naissance une filiation entre mdias informatiss et cartographie. On pense
dans ce cas lutilisation conjointe et simultane des listes, cartes gographiques proprement parler, diagrammes, tableaux et graphes (exemple de Google Maps90).
85 GOTASamuel,Une petite histoire de louverture des donnes couter, http://coulisses-opendata.com/2014/06/16/une-petite-histoire-de-louverture-des-donnees-a-ecouter/, consult le 31 aot 2014.
86 BLANCGuillaume LE, Linvention de lhomme moderne. Une lecture de Michel Foucault ,Philosophie, 1 avril2011, vol. 109, no1, pp. 60-73.
87 Plantin pose ainsi ce relativisme comme explication lmergence dune carte des ingnieurs et dune cartedes mdecins .
88 DODGEMartin et KITCHINRob,Mapping Cyberspace, Taylor & Francis, 2003, 284 p.89 JEANNERET Yves, Les chimres cartographiques sur lInternet ,inTraces numriques. De la production linterprtation, CNRS Editions, 2013, .
90 Google Maps, https://www.google.fr/maps/, consult le 31 aot 2014.
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En consquence, on passerait alors indiffremment dun rgime de visualisation
lanalyse de linformation. Nous accderions lobjet reprsent et sa connaissance
immdiatement : selon les mots de Jeanneret, le savoir comme un voir91. On dit
alors que la card se distingue par son caractre phnomnologique . Cette
caractristique ne rvle pas de lobservable, mais dune vision socialement partage.
Elle est battue en brche par les historiens du travail cartographique, lesquels se
battent pour rendre lisible les partis pris, les rductions et modlisations dont a fait
lobjet le processus cartographique, luttant ainsi contre lobjectivit des
ralisations proposes.
Or, lutilisation massive de logiciels aux proprits dtermines et formelles, de
sites de projet et de pdagogie cartographiques et lattribution des dfinitions(cartographie, mapping, atlas) des objets de nature trs diverse donnent naissance
des productions de nature dceptive, en particulier du point de vue des cartographes.
Ainsi, lexemple de Google maps rvle que cet outil ne permet pas de voir des cartes
proprement parler, mais des photographies satellitaires. On distingue ainsi92:
- Le cadre-objet (espace du support qui structure lespace o sopre la communication) du ;
- Le cadre-logiciel (espace du systme dlimit par le cadre logiciel qui dlimite lui-mme une
zone daction sur la reprsentation).
Dans le cas des cartographies tudies au sein de notre corpus on voit un
enchevtrement de ces cadres cadre-objets (tour tour lespace du tlphone et de
lcran informatique) et des cadres logiciels (une application, une page-cran et un
architexte en reprsentation). Le travail grce lordinateur permet de faire
apparatre les mdiations (techniques lorsque lon peut zoomer sur des contenus,
statistiques mais aussi smiotiques) mais aussi de les faire disparatre.
La nature de ces objets, que les acteurs nomment cartographie , mapping ,
card sontsujets de mmoirede la forme carte et en mme temps apparaissent
comme des objets auxproprits nouvelles.Affranchis de la technique qui verrait
dans la carte un objet rgl , nous avons ainsi affaire des mta-formes93. Ce qui
explique les diffrences de vision entre un gographe qui verrait dans la carte un
91 JEANNERET Yves, Les harmoniques du Web : espaces dinscription et mmoire des pratiques ,op. cit.92 SOUCHIERE., Rapports de pouvoir et potique de lcrit lcran propos des moteurs de recherche surInternet , 1998.
93 LABELLE Sarah et JEANNERET Yves, Le texte de rseau comme mta-forme ,op. cit.
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construit et le journaliste qui la considrerait comme une image, aux modalits de
traitement cognitif diffrent. Toujours est-il que lon peut considrer que la carte
sinscrit dans une forme de communication participative. Elle repose sur la
production, la collecte et la mise en visibilit de production dinternautes94. Les
cards de Google ncessitent ainsi quun parcours de navigation soit pralablement
ralis afin que loutil accomplisse sa promesse.
Les conceptions technicistes lies la pratique cartographique nous amnent aussi
penser la reprsentation comme instrument daction. Lev Manovitch posera dans
cet objectif lide dune carte dinformation manipulable travers la mtaphore du
panneau de contrle95. lide de contrle vientparlutilisateur. Ainsi, la prise en
charge rsulterait dune tension entre un repre (venu de conventions mais aussi de lasituation de pratique dans laquelle se trouve lutilisateur) et des pratiques localises.
Lutilisateur chercherait par ce procd possder une prise sur son environnement
Les critures de la carte ont ainsi dvelopp avec linformatisation de lcriture un
rapport troit avec la prtention une immatrialit du signe96. Linterface
informatique convoque dans le mme instant le rel et les signes qui lui sont
associs , procdant de ce fait une conomie de la rflexion et du recul critique sur
les signes et leurs rapports aux rfrents. En consquence, la carte se pose dans uneprtention mdiatique : celle dtre neutre .
3. Une ncessaire pense de la mdiation
Comment est-il possible de dterminer si une pratique mdiatique est nouvelle ?
ce point du travail, il nous a t permis dobserver comment les regards, les outils
mais aussi les discours thoriques autour de lobjet carte permettaient de dfinir
non pas une forme reconnaissable mais unprocessusidentifiable. Or un objet nest
jamais compris dans sa forme pure mais sinscrit bien dans une dynamique culturelle,
en particulier dans le cas des crans. Ainsi, le support possderait des proprits
techniques capables dagir sur la construction des textes (architexte). Pour cette
raison, il est ncessaire de penser les mdiations luvre et les caractriser, de faon
94 SOUCHIER Emmanul, Voir le Web et deviner le monde. La cartographie au risque de lhistoire delcriture ,op. cit.
95 MANOVICHLev,The Language of New Media,op. cit.96 JEANNERET Yves,Y-a-t-il (vraiment) des technologies de linformation,op. cit., p. 23.
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dcrire ce qui se joue au niveau potique, cest--dire dans linvention et la cration
de formes dcriture de la carte.
La graphique des cartes a amen repenser progressivement cette notion mesure quelle investissait diffrents espaces de mdiation (numrique en particulier).
Tentons dlargir la perspective au niveau des mdiations de lengagement .
Jeanneret souligne ainsi une sortie du domaine topographique, pour sengager du
ct du social, de lthique, du cognitif97. Le corpus tudi fait tat dagencement
darchitextes aux perspectives varies. Par exemple, on peut voir lapparition de
cartes blanches (sous LiveCode par exemple). Par ailleurs, une mise en ordre sopre
dans la slection des contenus montrs lutilisateur de la carte. Cette
hirarchisation implique ce que Lev Manovitch appelle un double plan de laforme98. Ainsi, se dveloppe une relation la fois sur le plan logique (proprits de
traitement de la machine) mais aussi culturel (moyens dinterprtation des hommes et
codes partags).
La circulation de la notion a de telles consquences que, dsormais, on parle dune
carte que lon pense habite par des vertus. La mise en forme de donnes aurait le
pouvoir de rvler les ralits, de nature sociale, politique et idologiques. Ce qui fait
lobjet carte, cest aussi donc une prtention communicationnelle. Cest lexemple icides Cards de Google lesquelles prtendent pouvoir organiser grce au dispositif,
une forme dconomie comportementale absolue de la vie des individus.
lorigine de ces prtentions, une forme de rcriture qui synthtise sous un
rgime doptimisation, des donnes jusque-l prsentes sous des formes a priori
irrconciliables. Ce dernier se caractrise par trois composantes: miniaturisation,
homognisation smiotique, slection invisible mais essentielle des lments, lis des
reprsentations imaginaires, morales et politiques. Ainsi, lactivit cartographique sepenserait comme une lecture et non une criture99. Pour aller plus en prcision, la
mdiation dans le domaine cartographique fait la part belle au concept
dnonciation ditoriale , cest--dire aux conditions matrielles, humaines et
symboliques qui ont rendu possibles la cration de ces contenus. En cela, nous
rappelons limportance fondamentale de penser les crits dcran comme rsultant
97 JEANNERET Yves, Les harmoniques du Web : espaces dinscription et mmoire des pratiques ,op. cit.98 FRANCECULTURE,Lev Manovich, culture logiciel - Information - France Culture, coll. Place de la toile .99 SOUCHIER Emmanul, Voir le Web et deviner le monde. La cartographie au risque de lhistoire delcriture ,op. cit.
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dune opration de mmoire de loubli100(processus qui consiste enregistrer des
routines vitales, des langages, des procdures qui permettent la comprhension du
monde naturel et du monde que lhomme sest forg), caractristique du
fonctionnement des pratiques de communication.
Finalement, les espaces dinscription, de la pratique, de la communication et des
projections imaginaires ont permis de faire de cette forme mdiatique un tre
culturel dont lexistence, la base topologique, sagrmente de constructions
documentaires. Elles ncessitent dtre dconstruites afin de dterminer comment le
processus cartographique senrichit et se dveloppe. Retenons ainsi la dfinition de la
carte propose par Jeanneret :
La carte doit tre aborde comme une rcriture unifiante de documents de toute nature
appartenant des formes smiotiques, narratives et techniques multiples, des rgimes
discursifs htrognes et des intrts de connaissance diffrents101.
Seulement, cette discussion est de porte limite. En effet, dlimiter les contours
dune criture cartographique ne parat pas suffisant pour comprendre en quoi le
processus cartographique ainsi que ses pratiques sont capables de modifier notre
rapport au monde. Nous risquons ainsi de tomber dans une forme de collection
daccumulation dobjets disparates dans aucune autre perspective que celle derationaliser arbitrairement certains contenus.
La seconde partie de notre expos aura permise de mettre en valeur les
implications symboliques des circulations lorigine des pratiques technosmiotiques
ncessaires la matrialit du signe carte . laune de la thorie des crits
dcran et des conditions dmergence de la pense statistique, nous avons pu
mettre en valeur la faon dont le processus cartographique tait identifiable un
certain arsenal technosmiotique mis en uvre. Mlant des outils et des informationsdans une dynamique complexe , lhistoire des discours cartographiques nous
montre combien la pense de la mdiation est assez peu prsente chez les
fabricateurs , se limitant une pense de lutilisateur en termes de rception de
linformation.
100SOUCHIER Emmanul, La mmoire de loubli : loge de lalination Pour une potique de linfra-ordinaire ,op. cit.
101JEANNERET Yves et FLON milie, La notion de schme organisateur, outil danalyse smio-pragmatique descrits dcran ,op. cit.
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Cela nous conduit envisager dans une troisime partie une certaine forme de
dconstruction de la carte. Les nombreux discours qui construisent notre objet de
recherche tmoignent de son succs indniable dans de nombreux champs. Nous
posant dans la ligne des travaux de Gustavo Gomez sur lidentit102, nous souhaitons
alors comprendre comment sarticulent les proccupations intellectuelles associes
une demande de discours exprime dans les milieux mdiatiques, politiques,
acadmiques et dans le cadre de nos vies quotidiennes. De ce fait, nous nous plaons
au niveau des productions discursives sur la carte, qui auraient pu engendrer une
demande de recherche et de thorisation son sujet. Notre hypothse est ici
dapprhender les logiques sociales capables dinfluencer la manire de penser le
processus cartographique. Nous tenterons de mettre jour les objetstransdisciplinaires qui pourraient tre lorigine de la motivation thorique autour du
concept de carte et qui a amen modliser ses tentatives de conceptualisation. Il
sera ainsi question dtudier la question de la signification et la prtention de la
card la scientificit, dans sa dimension imaginante .
C. Dconstruire : Une perspective transdisciplinaire
La premire partie de ce travail nous conduit donc comprendre et analyser les
crits thoriques raliss sur la carte dun point de vuetransdisciplinaire.Ces derniers
corrleraient une certaine prgnance du processus cartographique dans les discours et
pratiques contemporains. Ainsi, nous voquons le casde la signification comme
pralable lactualit cartographique.
1. La signification comme explication du monde
En effet, ltude de diffrents crits thoriques issus de diffrents champs
(cartographie, sociologie, communication) mettent en avant la volont de trouver, dednouer, de rvler ce qui se cache derrire certains phnomnes sociaux. Il y aurait
un sens cach en chaque vnement ayant cours dans le social. Ltude de la
carte merge alors au croisement dinfluences distinctes qui envisagent la
signification comme nouvel pistm103 : Barthes et sa rthorique de limage104,
102GOMEZ-MEJIA Gustavo,De lindustrie culturelle aux fabriques de soi ? Enjeux identitaires des productionsculturelles sur le Web contemporain,Celsa, 499 p.
103FOUCAULTMichel,Les mots et les choses, Flammarion et Cie, 1966, 428 p.104BARTHES, Rhtorique de limage ,op. cit.
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Latour et les mobiles immuables105 dans le domaine de la sociologie, Am et la
pense du dcryptage106 dans le champ des SIC. Examinons ainsi comment la
signification envisage la carte travers deux cas particuliers. Dun ct, le
rapport entre pense de lusager et logiques de pouvoir et de lautre, le dcryptage
comme transparence rvle .
La pluralit des actants possibles dans lutilisation dune carte donne cette
dernire la possibilit dtre investie constamment par de nouveaux discours
dappropriation. La carte est transposable dans le temps. Intemporelle, elle peut
sans cesse revenir dans lactualit . Plantin parlera de la carte des ingnieurs
et des mdecins pendant que Latour dans saPetite sociologie des sciences
voquera la dlgation des actions dans les objets107. Les dispositifs humains commenon-humains sont susceptibles dexclure aussi bien quinclure des actants du
dispositif. Les acteurs en prsence sont dans un renouvellement constant.
En consquence, lon se dispute pour savoir dans quelle mesure les programmes
daction108 (dans le domaine de la sociologie en particulier) sont susceptibles davoir
des effets cognitifs sur la rception . Latour parlera ainsi de la carte comme
mobile immuable109 dans le sens o ellesert convaincredautres individus de
choses inhabituelles. De nouvelles logiques lies la pluralit des acteurs apparaissentconstamment et confrent la carte son actualit. Les enjeux changent alors, selon le
contexte dargumentation. Le journaliste aussi bien que le citoyen pourront convoquer
une forme similaire pour btir des argumentations et des rhtoriques aux objectifs
sensiblement diffrentes. On assiste ds lors une rfrence la carte vau-leau afin
dy faire un instrument de dmonstration dun savoir en place. Notre tude met bien
en avant ce programme dacteurs dans des rhtoriques traitant de lapprentissage
(LiveCode), du programme marketing (Citia) et de lconomie comportementale
(Google Now). Les enjeux dcrits nous donnent ainsi voir une signification permanente dans les discours qui vise faire parler les objets .
105LATOUR Bruno, Culture et technique. Les vues de lesprit ,op. cit.106AM Olivier, Les mdias saisis par le dcryptage . Diffusion ou diffusionnisme des SIC ? , Bordeaux, 2006.107LATOURBruno,Petites leons de sociologie des sciences, Seuil, 1996, 260 p.108AKRICHMadeleine, Les objets techniques et leurs utilisateurs. De la conception laction ,inMichel CALLONet Bruno LATOUR(ds.),Sociologie de la traduction : Textes fondateurs, Paris, Presses des Mines,coll. Sciences sociales , 2013, pp. 179-199.
109LATOUR Bruno, Culture et technique. Les vues de lesprit ,op. cit.
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Par ailleurs, la pense de lusage dveloppe par les diffrents auteurs fait tat de
la ncessit de construire lopinion des utilisateurs dans le dispositif cartographique.
On cartographie pour exprimer un point de vue, une opinion, un regard personnel
dans lapprhension de la ralit . Dans le domaine mdiatique, cela se manifeste
travers les crits sur le dcryptage et la transparence . De ce fait,
datajournalisme et fact-checking permettraient de lever le voile sur le
monde tel quil serait en vrit. Par ses caractristiques phnomnologiques la card
sinscrit dans cette logique. Constamment utilise dans les pratiques mdiatiques, elle
alimente une actualit des discours thoriques et des demandes sociales sur sa
pratique. Cette tendance nous donne voir la card dans un jeu de
rappropriations thoriques permanentes. Parce quelle fait de la technique sonmoteur principal, elle encourage dautant plus les diffrents champs sintresser sa
pratique, parmi lesquels la smiologie. La dimension mythique du processus
cartographique sera de fait alimente par des discours autour de la volont de faire-
signifier , cher au projet smiologique. Roland Barthes dfinissait son art comme la
reprsentation en surface de signes naturaliss110. Au sein de ce dernier, le mythe,
qui aurait pour condition de faire oublier les conditions de sa fabrication, soulignant
par l des enjeux de pouvoir ( toute mythologie est une smioclastie ). Un parallle
stablit donc entre smiologie et dcryptage pour traduire lvolution des discours
thoriques autour de la pratique cartographique. La card devient un rfrent dans
le discours et les pratiques. Elle cristallise une volont commune de faire-signifier .
Par consquent, la pense de lusage nous a permis de mettre jour une
actualit de la carte dans la vie quotidienne un niveau marginal, mais aussi
dans les allocutions mdiatiques, politiques un niveau plus prgnant. Cette
caractristique transdisciplinaire jouait la fois sur une tendance faire parler les
objets permanente, prsent dans de nombreux discours. Le regard analytiquedevient alors le centre de toute analyse, ncessaire ltablissement dun discours de
scientificit.
2. Une rgle du savoir
Nombreux sont les discours thoriques qui investissent la carte et la visualisent
comme une forme de scientificit. Ainsi, Plantin souligne que le courant scientifique
110BARTHESRoland,Mythologies, Ed. du Seuil, 2007, 275 p.
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maintient la volont de confrer une scientificit la carte111 quand Jeanneret
analyse cette scientificit en termes de jugements pistmologiques :
lhistoire scientifique des cartes, qui constitue en ralit un travail permanent pourexpliciter des partis pris, assumer des rductions et des modlisations, accompagner la
reprsentation visuelle des lments de distanciation qui, seuls, lui donnent sa
scientificit112.
Enfin Christian Jacob traduira la scientificit de la carte par le discours quelle
produit insistant sur le fait que : la mtaphore et la rhtorique sont omniprsentes
dans le discours cartographique113. Pose cette scientificit, nous nous questionnons
pour savoir comment et pourquoi ce besoin a merg ? Ainsi nous posons lhypothse
de la carte et la pratique cartographique qui sensuit, comme matre-mot .Dvelopp par Etienne Balibar, cette notion engage une description prcise : elle vient
boucher un trou, dans la pense, combler un vide. Au sens de Balibar, la fonction du
matre-mot est dordre logistique, cest un signifiant pratique114, dans le sens
o il ordonne un comportement rhtorique tout en faisant souffrir un autre terme
(dans le sens o il remplace ce terme).
Nous souhaitons dvelopper lhypothse que la carte en tant que matre-mot
engage la prtention une certaine scientificit de la carte. Cela, par une formedinjonction qui demande ce discours scientifique. Dautre part, il est aussi
intressant de se demander ce que ne demande pas la carte comme matre-mot.
On parlera alors de savoir pourquoi la notion de carte ne nous demande pas comment
sest tablit cette scientificit dans le discours ?
De ce fait, notre raisonnement premier tente dtablir les relations entre ce
signifiant pratique et une forme dinjonction au scientifique. Dans son trait
thologico-politique, Spinoza parle indirectement des usages en fonctionnement. Il ydveloppe la notion de connaissance rvle115, cest--dire la croyance immdiate
et spontane la connaissance, par les lectures de certains textes. Ceux-ci, par leur
dimension sacre feraient ainsi autorit et incluraient pour les lecteurs une forme
111PLANTIN Jean-Christophe,La cartographie numrique,op. cit.112JEANNERET Yves et FLON milie, La notion de schme organisateur, outil danalyse smio-pragmatique descrits dcran ,op. cit.
113JACOBChristian,LEmpire des cartes: approche thorique de la cartographie travers lhistoire, Editions AlbinMichel, 1992, 572 p.
114BALIBARtienne,Lieux et noms de la vrit, Editions de lAube, 1994, 228 p.115SPINOZABaruch,Trait thologico-politique, Flammarion, 1965, 380 p.
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dobissance, voire dobdience dans leur application directe. Le processus
cartographique, en ce quil entrane une forme de connaissance rvle et inclut
des logiques daction est donc tenu de fournir une scientificit sa pratique. Les effets
de croyance dans la rvlation de phnomne nous ont fait passer dans une forme de
relativisme dans lequel le messianisme scientifique et technique116 a succd un
monde de croyances religieuses ou de superstitions117. La question de la croyance
reste ici fondamentale, car le processus cartographique rvle dune exhibition de la
technique. Or cette dernire doit revtir les apparats dune forme de scientificit pour
saffirmer comme technique . En consquence, le processus cartographique circule
dans le corps social et demande produire des discours de nature scientifique sur les
techniques ncessaires son laboration afin daffirmer et dtre affirm comme formede scientificit. Cela conduit les acteurs au sein de notre corpus produire des
schmas affirmant leur bonne foi (exemple de Citia) mais aussi prtendre la carte
pour un vritable concept . De ce fait, on assiste des discours de type Keynote
dans lesquels Mathias Duarte, patron du Design chez Google promeut ses cards
comme vecteurs dun projet plus global : le material design118. On voit ici poindre
un lment important du processus cartographique et les problmatiques quil pose
la notion de concept . On constate ainsi, linstar dIsabelle Stengers, quune part
importante des sciences chappe la norme pistmologique. Les concepts voyagent
entre les disciplines au gr de rseaux dintrt et sinstituent en formes de rcits, de
fictions :
La fin vise par chaque controverse est la rptition du miracle qui fait que, contre toute
raison, la raison scientifique permet de juger la n