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  • INSTITUT DE FORMATION EN ERGOTHERAPIE

    DE RENNES

    DEPASSER LOCCUPATIONNELPOUR QUE LACTE DEVIENNE

    THERAPEUTIQUE

    En vue de lobtention du Diplme dEtat dErgothrapeute

    ANDREOLI JulienJUIN 2000

  • REMERCIEMENTS

    Je tiens adresser mes remerciements toute lquipe de lunit intersectorielle dergothrapie du centre

    hospitalier Guillaume Rgnier pour laide et les connaissances quils mont transmises dans lapproche de mon futur mtier.

    Je remercie Mr PERSON, cadre ergothrapeute et Marie-Claude CONAN ergothrapeute, pour leur

    soutien ainsi que pour leurs connaissances pratiques et thoriques quils mont apports.

    Je remercie enfin Mr BERGES pour laide et la mthodologie quil ma amen dans la rdaction de ce travail

    crit de synthse.

  • RESUME

    En service psychiatrique, le rle attribu aux ateliers dergothrapie est souvent

    occupationnel. Jai donc essay danalyser ce quune activit pouvait avoir de thrapeutique en

    mappuyant sur trois hypothses :

    - Lactivit est thrapeutique si elle correspond des objectifs thrapeutiques.

    - Lactivit est thrapeutique si les moyens mis en uvres cadrent avec ces objectifs.

    - Lactivit est thrapeutique si son action peut tre value dans le temps.

    MOTS CLES

    PSYCHIATRIE

    OCCUPATIONNEL

    THERAPEUTIQUE

    ACTIVITE CUIR

  • De toute lhistoire de la psychiatrie, un seul mode de traitement a subsist : lergothrapie. Quand on occupe des

    malades mentaux, on leur fait du bien de toute faon .

    SIVADON Paul (interview),

    Nervure, 3, 8, 1990, p.23

  • SOMMAIRE

    INTRODUCTION p 1

    ERGOTHERAPIE ET PSYCHIATRIE : UN CONCEPT ANCIEN p 2

    I. HISTORIQUE DE LA PENSEE ERGOTHERAPIQUE EN PSYCHIATRIE P 2A. Les prcurseurs p 2B. Des annes 50 nos jours p 3C. Nouvelles modlisations p 4

    II. DIMENSION DE LERGOTHERAPIE EN PSYCHIATRIE p 4A. Phase prcoce p 5B. Phase de rmission p 5

    LACTE ET THEORIE DE LACTE EN ERGOTHERAPIE p 7

    I. LACTE : OUTIL THERAPEUTIQUE p 7A. Un outil p 7B. Des principes p 7C. Une motivation p 8

    II. DEMARCHE THERAPEUTIQUE ET HYPOTHESES DE TRAVAIL p 9

    METHODOLOGIE EN ERGOTHERAPIE p 11

    I. LACTE EST THERAPEUTIQUE SIL CORRESPOND A DES OBJECTIFS

    THERAPEUTIQUES p 11

    A. Roger, Pierre et Jacques p 11B. Relation entre objectifs des patients et ceux de lergothrapeute p 14

    II. LACTE EST THERAPEUTIQUE SI LES MOYENS MIS EN UVRE CADRENT

    AVEC LES OBJECTIFS p 14

    A. Notion de cadre thrapeutique p 14B. Dmarche utilise p 16C. Activit propose pour chacun des trois patients p 16

    III. LACTE EST THERAPEUTIQUE SI SON ACTION PEUT ETRE EVALUEE DANS

    LE TEMPS p 18

    A. Notion dvaluation en psychiatrie p 18B. Evaluation subjective p 18

    CONCLUSION p 20

    BIBLIOGRAPHIE

  • 1INTRODUCTION

    Le malade psychiatrique, trop souvent priv du faire par la pathologie, peut tre petit

    petit ramen cette notion importante pour sa gurison quest la reprise dactivit.

    Lunit dergothrapie du Centre Hospitalier Guillaume Rgnier (C.H.G.R), Rennes,

    propose aux patients diffrentes situations dactivits sinscrivant dans leur processus de soins. Les

    stratgies rducatives spcifiques lergothrapie vont sinscrire dans un processus plus global dfinit au

    sein du service dont dpend le patient. Latelier maroquinerie est lun des ateliers proposs par lunit

    dergothrapie.

    Sur ces bases thoriquement simples vient se greffer une ambigut, qui, de P. PINEL nos

    jours, na jamais cess de rejeter lergothrapie de technique thrapeutique une simple occupation

    pour patient dsuvr . Occupationnel est un mot souvent entendu et crit pour dsigner les activits

    que nous proposons.

    Ce travail va nous permettre de discuter de ce qui est essentiel pour quune situation

    dactivit soit dite thrapeutique et non occupationnelle.

    La premire partie nous re-situera la place de lergothrapie dans linstitution psychiatrique et

    la faon dont elle sest dveloppe. En deuxime point, nous verrons les principaux supports thoriques

    de nos actions en ce domaine, ainsi que trois hypothses que jai voulu dfinir mthodologiquement pour

    clarifier notre dmarche. Enfin jexposerai pour finir lapplication de ces trois hypothses une dmarche

    de soins ergothrapique.

  • 2PREMIERE PARTIE

    ERGOTHERAPIE ET PSYCHIATRIEUN CONCEPT ANCIEN

    I. HISTORIQUE DE LA PENSEE ERGOTHERAPIQUE ENPSYCHIATRIE

    A. LES PRECURSEURS

    Lergothrapie est une discipline qui sest initialement dveloppe dans le traitement des

    malades mentaux.

    1. P. PINEL

    Cest P.PINEL, mdecin psychiatre, qui introduit le traitement par le travail lhpital de la

    Salpetrire vers la fin du 18me sicle. Il prconise alors les exercices physiques et occupationnels dans

    lapproche de la maladie mentale et condamne vigoureusement les pratiques denchanement des malades.

    En effet, il avait remarqu une amlioration de ltat des patients pauvres qui devaient travailler pour

    survivre en comparaison la stagnation des patients riches qui ne travaillaient pas.

    M. FOUCAULT nous dcrit bien dans son Histoire de la folie lge classique lavantage que

    les groupes marginaux avaient travailler : pendant lactivit, ils sont moins dangereux que sils taient

    enferms et inactifs. Lactivit avait pour intrt de les rendre utiles, ce qui est une des premires tapes de

    la socialisation. Ce principe est une des bases qui a permis daboutir au travail thrapeutique.

    2. H. SIMON

    Cest seulement dans les annes 1920 que va apparatre une systmatisation du travail au sens

    thrapeutique. H. SIMON, mdecin allemand, va au-del de la notion de travail et rflchit sur lattitude

    des soignants face aux malades. Il observe quil y a plus de facteurs damlioration si les soignants

    sinvestissent et participent aux soins avec le malade. Il faut que le soignant soit impliqu dans le

    traitement du patient et donc quil connaisse les implications de ce quil va lui faire faire. De mme, la

    notion de responsabilisation du patient devient particulirement importante car H. SIMON y voit un

    moyen efficace de faire face lexclusion.

    Il va galement dcrire la maladie institutionnelle , cest dire les effets pervers de

    linstitutionnalisation des malades mentaux dus au poids du systme asilaire qui prime sur la maladie et le

  • 3malade. Il identifie trois maux dont le patient risque de souffrir : linaction, lambiance dfavorable de

    linstitution et le prjug dirresponsabilit. Ces trois problmes sont la base de cette maladie

    institutionnelle .

    3. ADOLPHE MEYER

    Paralllement H. SIMON, Adolphe MEYER, mdecin galement, jette les bases de la

    profession dergothrapeute. En 1922 il tablit que lhomme est un organisme biologique et psychologique

    en interaction constante avec son environnement social. Sa vision du travail thrapeutique avec le malade

    mental est particulirement globale, considrant quil doit permettre une radaptation de lindividu dans

    lenvironnement et que pour y russir le thrapeute doit prendre en compte la dimension bio-

    psychologique du malade.

    B. DES ANNEES 50 A NOS JOURS

    1. PAUL SIVADON

    Paul SIVADON introduit en 1958 la notion de travail potentiellement pathogne. Il explique

    que lactivit comme systme thrapeutique nest valable que si elle est matrise et incluse dans un

    processus thrapeutique dfini par des spcialistes. Si ces conditions ne sont pas respectes le travail risque

    de devenir pathogne. Il critique lexploitation du malade par linstitution et souhaite rintgrer un vrai

    processus de rducation.

    Il prconise la mise en place de petits groupes rpartis en ateliers, dont lhomognit nest

    pas ralise par rapport aux pathologies mais plutt par rapport au degr de sociabilit. Il propose

    galement dadapter lactivit aux besoins et au niveau de sociabilit des patients (plus celui-ci est bas et

    plus lactivit devra tre ludique et simple). Il intgre la notion de satisfaction et de motivation.

    Paul SIVADON considre le travail thrapeutique comme une sociothrapie cest dire

    comme la reprise de socialisation du patient. Lactivit va permettre de rentrer en relation avec le monde

    extrieur.

    Son ide principale fut de considrer que le travail thrapeutique fait appel aux capacits

    rsiduelles du patient, certaines apparentes, dautres caches et quil va falloir adapter lactivit ces

    capacits. Le travail ergothrapique sintresse aux capacits de lhomme malade et non uniquement ses

    incapacits et sa maladie.

    2. FRANCOIS TOSQUELLES

    Cest une vision holistique de lhomme qui est dcrit en 1967 par Franois TOSQUELLES

    dans Le travail thrapeutique lhpital psychiatrique . Il intgre les aspects sociaux, biologiques et

  • 4psychologiques dans la prise en charge du malade mental. Il dcrit la triade patient / soignants / activit

    en interaction les uns aux autres comme la base du processus thrapeutique. La situation dactivit va

    entraner des conflits, conflits dits socialisants car permettant la discussion. Lactivit devient dans ce cadre

    mdiatrice de la relation et donc thrapeutique.

    F. TOSQUELLES a mis alors en vidence la ncessit de prescrire lergothrapie en fonction

    des besoins vritables du patient, et non de systmatiser le recours cette discipline pour occuper le

    patient. Va alors simposer lobligation dtablir des valuations prcises et des plans de traitement

    ergothrapiques adapts.

    3. LE COURANT ANTIPSYCHIATRIQUE

    La psychiatrie des annes 70 vue lapparition dun courant extrme marquant rsolument

    une rupture avec les modles de la psychiatrie traditionnelle. Ce courant, appeler antipsychiatrique ,

    dnonce leffet pathogne de linstitution et reforme le systme jusqu ouvrir les hpitaux psychiatriques

    (notamment F. BASAGLIA Trieste en Italie). Le mouvement se base sur trois principaux postulats : le

    besoin fondamental de lhomme matriser son environnement, la survenue dune inadaptation si un

    obstacle empche la ralisation du premier postulat, et enfin, la capacit que lhomme a dinfluer sur sa

    sant par sa force de volont.

    C. NOUVELLES MODELISATIONS

    Actuellement, la pense ergothrapique, comme pour dautres professions, soriente vers des

    approches plurielles, notamment anglo-saxonnes, qui tentent de dfinir la pathologie psychiatrique

    travers la classification des handicaps de WOOD. Lergothrapeute doit y voir une occasion de

    dvelopper ses comptences dans le processus de radaptation de lindividu. Plus quune prise en charge,

    terme incluant une notion de portage, de poids (poids social, humain, conomique), lergothrapeute va

    pouvoir raliser un accompagnement thrapeutique, au sens o il va guider la personne souffrante et

    laccompagner dans son processus de radaptation.

    II. DIMENSION DE LERGOTHERAPIE ENPSYCHIATRIE

    Lergothrapeute travaillant en secteur psychiatrique participe la restructuration globale de

    la personnalit. Ce traitement va se dcomposer en deux phases distinctes : la phase prcoce,

    correspondant la gestion de la crise, et la phase de rmission des symptmes.

  • 5A. PHASE PRECOCE

    Cette priode va correspondre lentre du patient dans la structure de soins ainsi quaux

    premiers temps dhospitalisation. Les troubles du malade voluent en gnral depuis longtemps (sinon

    dans les premiers pisodes) et il a pu dj tre hospitalis. La crise conduisant cette hospitalisation est

    souvent le synonyme de violence (corporelle, verbale, para-verbale ou psychique), dpuisement et

    dincomprhension de lentourage.

    Durant cette priode, les symptmes vont sexprimer avec une grande intensit.

    Lhospitalisation transforme la personne en objet de soins, la dresponsabilisant, la dpossdant de faon

    passagre de son identit sociale. A ce stade, lergothrapeute va jouer un rle dvaluation et de

    diagnostic. Il va confronter de manire prcoce le malade la ralit en lui apportant une situation

    dactivit concrte. Cette activit va tre rvlatrice des symptmes de cette priode de crise qui pourront

    alors tre hirarchiss. De plus, lexpression des symptmes prdominants naura pas la mme intensit en

    situation dergothrapie que dans les services de soins, ce qui nous donne un excellent complment aux

    observations cliniques.

    Cette premire confrontation au rel va permettre de choisir lactivit la plus approprie.

    Lactivit, en rapport ltat du patient, entrane de fait une confrontation des lois et des exigences

    auxquelles il devra se tenir (principe de ralit et principe de frustration). Lactivit va jouer cette phase

    un rle de drivatif lexpression de la symptomatologie.

    B. PHASE DE REMISSION DES SYMPTOMES

    La diminution de la symptomatologie rend possible un vritable travail de fond. En effet, le

    patient devient ce moment plus rceptif aux stimulations du monde extrieur, son veil la ralit

    devient meilleur et le contact aux autres galement. Cette phase voit logiquement un ramnagement des

    traitements et donc de lergothrapie.

    Le travail que lon propose se dveloppe sur plusieurs points. Lergothrapie agit dabord

    comme une forme de psychothrapie, dans le sens o le travail est centr sur le patient et sur sa relation

    lui-mme et au monde extrieur par lintermdiaire de lactivit. La relation ergothrapeute / patient est

    mdiatise par lactivit.

    Ensuite, lactivit entreprise correspond pour le malade la re-mobilisation de toute sa

    personne. Cela exige de grer un investissement personnel trs important car lergothrapeute lui demande

    de participer activement. Nous faisons rentrer la personne dans lagir. Cest partir de cette notion dagir

    quune dynamique nouvelle va se crer. L o le patient tait dans le non-faire, le dsinvestissement, ou au

    contraire lhyperactivit maniaque, notre action loblige intgrer cette relation au faire . Le patient va

  • 6rentrer dans une nouvelle capacit daction o la symptomatologie est peu prsente ce qui est dautant plus

    valorisant.

    Enfin, lergothrapeute va devoir adapter de manire prcise lactivit en fonction de

    lvolution du patient, et ceci par une analyse prcise de ses besoins, de ses possibilits et de ses limites.

    Lergothrapeute est donc un intervenant sinscrivant parfaitement dans le projet thrapeutique global. Pour le

    patient, la phase de rmission est un moment important car cest une priode de reconstruction. Les principes sur lesquels va se

    drouler cette phase doivent tre parfaitement identifis et dfinis.

    Cest pourquoi, il est important que lergothrapeute puisse justifier de ses actes, en analysant sa mthodologie

    dans la prise en charge de cette personne. Cest maintenant ce dont nous allons pouvoir discuter.

  • 7DEUXIEME PARTIE

    LACTE ET THEORIE DE LACTE ENERGOTHERAPIE

    I. LACTIVITE, OUTIL THERAPEUTIQUE

    Lintrt de conceptualiser une dmarche thrapeutique ou de sattacher un modle de pense, ne rside pas

    tant dans le souci de codifier une action de soin en rapport une symptomatologie, que dans ladaptation de la rponse

    apporte au patient, dans sa proccupation quotidienne F. LECOMTE.1

    A. UN OUTIL

    Lactivit est un moyen thrapeutique spcifique lergothrapie. Elle permet dvaluer,

    damliorer les capacits et les comptences pour radapter la personne dans son environnement.

    Lanalyse de la mise en situation dactivit va permettre au thrapeute de dgager et cerner les

    composantes qui seront travailler avec le patient.

    On parlera alors dactivit thrapeutique car elle est oriente vers un but qui sintgre dans

    une stratgie thrapeutique plus globale.

    La thrapie par lacte permet au patient de devenir acteur de sa rducation. Lactivit

    produit une dynamique porteuse de la notion de ralit qui va alors permettre de modifier le regard que le

    patient peut avoir sur lui et / ou sur son environnement.

    Lactivit devient mdiatrice entre le patient et son environnement et le confronte au

    principe de ralit en mettant en avant ses difficults face aux situations relles.

    Pour A. LANG ETIENNE2, lergothrapie aide le corps [] ni renouer des liens avec

    lenvironnement et le matriser autant que faire ce peut ; elle est par-l, rvlatrice du rel et rencontre

    avec le monde concret [] .

    B. DES PRINCIPES

    Cependant, lactivit nest pas en elle-mme un moyen curatif, elle est simplement loutil de

    lergothrapie.

    1 LECOMTE F. Du concept thorique loutil thrapeutique - Journes Nationales dErgothrapie - Rennes, Le 21janvier 1988, p. 41-43.2 LANG ETIENNE A. Laction et ladhsion lexistence. Journal dErgothrapie, Masson, Paris, 1990, 12, 4, p. 196.

  • 8Lactivit ne peut tre thrapeutique, notamment en secteur psychiatrique, si nous autres

    thrapeutes, omettons dy inclure un certain nombre de principes. Ceux-ci sont parfaitement illustrs par

    Isabelle PIBAROT3 :

    Lactivit na de valeur thrapeutique que si elle est une pratique de la relation entresoignant et soign, entre les soignants et les soigns.

    Lactivit na de valeur curative que si elle permet la relation.

    Les activits sont les tmoins et les supports de ces relations.

    Lactivit prend son sens dans le contexte des relations qui se jouent dans et aveclenvironnement du malade.

    Il faut donc pour que lactivit porte en elle-mme une valeur thrapeutique, quelle se

    droule dans un contexte de relations suffisamment bonnes selon lexpression de D.W.

    WINNICOTT4.

    Bien sur, ces grands principes ne doivent pas tre le paravent de facilits dans la pratique

    quotidienne. Lactivit peut servir occuper comme on occupe une usine [] 5. Cest dire que, sous

    couvert dun but pseudo thrapeutique, lactivit peut permettre au thrapeute davoir la paix et dviter le

    dsordre dans latelier. Loccupation va alors paralyser le patient et lisoler dans son "faire" ou au contraire,

    entraner une hyperactivit nfaste (cest certainement une des grandes critiques de lergothrapie depuis le

    dbut du sicle).

    C. UNE MOTIVATION

    Enfin, il est intressant dintroduire galement ici la notion de motivation du patient.

    Quimporte que pour le patient, lactivit qui lui est propose ne soit quun moyen de ne pas errer dans les

    couloirs des services ou bien tourner en rond dans sa chambre, quimporte que lactivit soit vcue comme

    occupationnelle. Limportant, cest que le patient soit motiv, quil vienne de bon cur latelier, quil y

    trouve un espace o il va pouvoir sexprimer et peut tre spanouir.

    Nous ne pouvons esprer intgrer le patient dans un processus de soin si nous ne prenons

    pas en ligne de compte cette motivation.

    Cependant, si le thrapeute souhaite sinterroger sur cette motivation, il ne doit pas perdre de

    vue le double caractre du travail qui est selon linconscient collectif judo-chrtien une punition mais

    aussi un devoir. A. LANG ETIENNE cite la condamnation de la Bible : Tu gagneras ton pain la sueur

    3 PIBAROT I. Lactivit, outil thrapeutique. Quelques repres pour une rflexion sur lactivit comme outil thrapeutique. JournaldErgothrapie, Masson, Paris, 1982, 4, p. 28-29.4 PIBAROT I. Ibid.5 LANG ETIENNE A. Laction et ladhsion lexistence. Journal dErgothrapie, Masson, Paris, 1990, 12, 4, p. 196

  • 9de ton front 6 pour exprimer cette dualit qui va se ressentir dans le comportement de nos patients

    face lactivit. Le travail nest alors estim qu la valeur de son cot. Cot nergtique, temporel, spatial,

    financier ou encore psychologique, le cot de lactivit pour le patient sera le vritable facteur et baromtre

    de sa motivation. Lanalyse phnomnologique de laction va nous permettre daugmenter les bnfices

    par rapport aux cots. Alors et seulement alors, nous crerons une motivation forte chez nos patients.

    La motivation constitue cependant un mouvement perptuel, qui reste pour nous

    renouveler si nous voulons crer les conditions suffisamment bonnes, ncessaires notre dmarche

    ergothrapique.

    Pour conclure, je pense quil est important de faire un rcapitulatif des diffrentes notions

    apportes ci-dessus.

    Cest Isabelle PIBAROT7 qui nous donne ce rcapitulatif. Pour elle, lactivit est dite

    thrapeutique :

    Si le contexte dans lequel elle a lieu est suffisamment bon et quil ouvre un espace derelation.

    Si lactivit correspond aux dsirs du patient.

    Si elle ne reproduit pas le processus qui a conduit la personne la maladie.

    Si en fin de compte, elle permet une relation relle de soi lautre, de deux interlocuteursdiffrents.

    II. DEMARCHE THERAPEUTIQUE ET HYPOTHESES DETRAVAIL

    La dmarche thrapeutique constitue la suite des actions que nous allons mettre en place

    pour accompagner la personne malade dans son processus de radaptation. La mthodologie que lon doit

    appliquer reprsente la boucle de soins. Cette notion est particulirement importante pour envisager une

    progression dfinie et prcise des actes mens avec le patient.

    6 LANG ETIENNE A. Lactivit : le travail, le jeu, lart. Journal dErgothrapie, Masson, Paris, 1989, 11, 1, p. 29-30.7 PIBAROT I. Lactivit, outil thrapeutique. Quelques repres pour une rflexion sur lactivit comme outil thrapeutique. JournaldErgothrapie, Masson, Paris, 1982, 4, p. 28-29.

  • 10

    La boucle de soins se dcompose en 7 niveaux successifs que nous pouvons illustrer par le

    schma ci-dessous :

    Lanalyse de situation (valuation), reprsente la base de notre dmarche. Elle va permettre

    de dterminer les besoins de la personne. Ces besoins tablis, lergothrapeute en dgagera des objectifs,

    des moyens, un programme daction dont les rsultats seront valus par une deuxime analyse de

    situation qui r-enclenchera la boucle de soins. Le but et le contenu de notre intervention sont en eux

    mme vidents : favoriser la radaptation de la personne malade par une dmarche ergothrapique.

    Si les diffrents aspects thoriques de la notion dactivit comme outil thrapeutique ne

    peuvent pas toujours tre mis en pratique dans lexercice courant de lergothrapie en psychiatrie, cette

    notion de boucle de soins, en revanche, doit toujours tre applique. Jai donc pens que si lon veut

    montrer la spcificit de lactivit comme outil de thrapie, il pouvait tre intressant de reprendre cette

    dmarche et en dvelopper trois points prcis, savoir :

    Lactivit est thrapeutique si elle correspond des objectifs thrapeutiques.

    Lactivit est thrapeutique si les moyens mis en uvres cadrent avec cesobjectifs.

    Lactivit est thrapeutique si son action peut tre value dans le temps.

    Ce dcoupage me parait le plus propice pour dgager lintrt de lacte en psychiatrie et je

    vais donc maintenant illustrer ces trois hypothses en mappuyant sur lexprience de deux mois de stage,

    et plus particulirement sur le suivi de trois patients : Roger, Pierre et Jacques.

    1

    2

    3

    45

    6

    BOUCLE DESOINS

    1. Analyse de situation.2. Dtermination des besoins.3. Dtermination des buts.4. Dtermination du contenu.5. Dtermination des objectifs.6. Dtermination des moyens7. Dtermination dun programme

    7

  • 11

    TROISIEME PARTIE

    METHODOLOGIE EN ERGOTHERAPIE

    I. LACTE EST THERAPEUTIQUE SIL CORRESPOND ADES OBJECTIFS THERAPEUTIQUES

    A. ROGER, PIERRE ET JACQUES

    1. Prsentation des patients

    Roger

    Roger, 54 ans, est hospitalis en hospitalisation la demande dun tiers (HDT) depuis le dbut des annes

    90 suite une activit dlirante et hallucinatoire intense.

    Cest en 1965 quune schizophrnie dficitaire est diagnostique. A suivi une longue priode compose de

    multiples hospitalisations. Il vivait entre ces hospitalisations chez sa mre avec laquelle une relation fusionnelle nfaste est

    instaure.

    Depuis quelque temps, son rgime dhospitalisation a chang, passant de lHDT lhospitalisation libre

    (HL). Cependant tant donnez les possibilits de passages lacte, une menace dhospitalisation doffice (HO) est prsente.

    Son discours et son attitude en font un personnage considr comme trs pervers, avec des troubles du

    comportement sexuel, se positionnant souvent comme victime de sarcasmes auprs des soignants, attribuant tout chec autrui,

    etc.

    Ses centres dintrts semblent tre exclusivement les checs et le jazz (avec les thmes sexuels) autour desquels

    toute conversation est systmatiquement tourne.

    Enfin, Roger ne se sent pas malade et ne reconnat pas le caractre pathologique de ses problmes. En fait, ce

    sont les autres qui le pensent malade

    Pierre

    Pierre, 25 ans, clibataire, est hospitalis en HDT il y a un an pour tat dpressif svre avec tentative de

    suicide.

    Pierre est alcoolique depuis presque sept ans. A cette poque, il dcompense et doit cesser ses tudes de

    pharmacie. Il reprend par la suite un IUT quil ne peut galement finir, suite une priode dalcoolisation massive.

  • 12

    Il accomplit alors son service militaire, dserte au bout de 15 jours et fait sa premire T.S. Hospitalis 3 mois

    en hpital psychiatrique militaire, il est reform quelques temps aprs. Sensuit une priode de travail pendant laquelle il

    respectera jusquau bout son contrat.

    Il y a trois ans, il reprend un IUT, salcoolisant de faon massive tous les jours. Par la suite, se sont succds

    un sjour en post cure (il rompt le contrat rapidement) et plusieurs sjours de sevrage.

    Il y a un an, il est hospitalis 4 jours en HL pour tat dpressif et alcoolisme. Il part de son plein gr contre

    avis mdical et ralise sa deuxime T.S. (alcool, mdicaments et phlbotomie). Il est alors hospitalis en HDT.

    Dans le service, Pierre prsente un discours cohrent, expliquant ses checs par son mal tre, naimant pas son

    image, se trouvant obse. Auto-dprciation, dvalorisation et manque de confiance en soi signent le syndrome dpressif.

    On observe maintenant un mieux dans les relations et son discours est plus positif, moins dvalorisant.

    Son projet serait actuellement une reprise de travail et la recherche dun appartement.

    Jacques

    Jacques, jeune homme de 24 ans, est hospitalis depuis la mi-mars pour troubles du comportement,

    dsocialisation, mutisme et isolement.

    Cest vers lge de 15 ans que les troubles ont dbut. Il tait alors un lve brillant. On note cette poque,

    un repli et un mutisme importants. Sensuit une dsadaptation conduisant un chec scolaire. Il est alors rorient vers un

    CAP, quil obtient.

    Aprs ce CAP, il accomplit son service militaire qui se droule convenablement, du moins au dbut. Puis,

    rentr chez ses parents, on note une recrudescence des troubles. Depuis 6 mois, Jacques sisole de plus en plus dans sa

    chambre, senfermant cl, se montrant mutique et affichant un comportement trs opposant envers sa famille, etc.

    Ses parents le poussent alors lhospitalisation libre (H.L.)en secteur psychiatrique.

    Au dbut de lhospitalisation, Jacques se rvle trs opposant la prise en charge, niant sa pathologie (parlant

    de maladie des nerfs ). Lentretien est trs pauvre, restant constamment dans sa chambre, par moment la limite de la

    catatonie. Puis, au fur et mesure, il est devenu plus accessible, bien que nexprimant pas de sentiment (joie, fatigue, douleur,

    etc.), simposant des rgles de vie strictes, ne crant aucun lien avec dautres patients, se contentant dune coute passive.

    Cependant, depuis quelques jours, on assiste un retournement de situation, il est plus ouvert, verbalise ses

    projets, interpelle les gens, sintresse eux et de manire plus gnrale, sinscrit beaucoup plus dans la ralit.

    Il a, ce jour, un projet de retour une vie plus normale , passant par un sjour dans un centre de

    radaptation professionnelle et une reprise de formation professionnelle (suite au CAP).

    2. Objectifs pour les patients

    Jai trouv intressant de reporter ici les objectifs que les patients peuvent vouloir raliser par

    lintermdiaire de lactivit maroquinerie, ce quen fait ils esprent y trouver. Les objectifs cits ici sont le

  • 13

    fruit de nombreuses discussions entre ces trois patients et moi. Celles-ci mont permis de comprendre

    leurs motivations individuelles ainsi que le degr de ces dernires.

    Pour Roger, lactivit est essentiellement occupationnelle. Cest pour lui un drivatif qui lui

    permet de ne pas rester broyer du noir , de ne pas rester dans ses ides et penses. En poussant un

    peu la discussion, Roger ma finalement confi que lactivit lui permettait de se faire plaisir en crant des

    objets pour lui et pour les autres, quil avait appris une technique pas trop fatigante, quelle lui permettait

    de le cadrer et de lui viter dtre en situation de passage lacte.

    Pour Pierre, le discours est tout autre et reflte bien les capacits de regard critique sur lui-

    mme ainsi que sur lvolution de sa pathologie. Pour lui, lactivit est avant tout un moment de

    communication, de relation et de revalorisation. Elle lui permet galement de ne pas se retrouver au

    bistrot et est un bon drivatif son angoisse (ne pense plus au suicide).

    Pour Jacques, les objectifs quil attribuait lergothrapie se situaient sur un point

    occupationnel dans le sens o elle lui permet de ne pas rester dans sa chambre. Par la suite il a fini par

    exprimer quil y trouvait un apport sur le plan personnel et dans sa relation au monde. Il a parl dun

    sentiment de satisfaction vis--vis de sa production , de pouvoir apprendre une technique quil naurait jamais vu

    ailleurs , de pouvoir communiquer et de voir dautres personnes.

    3. Objectifs pour lergothrapeute

    Roger- Crer une cohrence, une construction.

    - Optimiser le contact relationnel.

    - Travailler lappropriation des objets crs, des dcisions et du rsultat de cette prise de

    dcision : responsabiliser.

    Pierre- Revaloriser, travailler limage de soi.

    - Travailler le relation au monde extrieur.

    - Favoriser la diminution de langoisse.

    - Inciter se rinscrire dans un projet de vie.

    Jacques- Re-dynamiser et revaloriser

    - Lutter contre lapragmatisme.

  • 14

    - Amener la confrontation au principe de ralit, la frustration.

    - Travailler la relation aux autres, lexpression et la communication.

    B. RELATION ENTRE LES OBJECTIFS DES PATIENTS ET LESNOTRES

    Cest la comparaison des objectifs des patients et des ntres, thrapeutes, que lon peut se

    poser une question : est-ce que lactivit que nous leur proposons est en adquation avec la perspective

    quils ont de leur traitement ?

    Les patients psychotiques, comme le sont Roger et Jacques, vont avoir de grandes difficults

    prendre conscience de leur pathologie. Bien sr, ils se rendent bien compte de leur angoisse et anxit,

    de leurs drles dides , mais rarement du caractre pathologique de leur tat. Ils ne sont donc pas dans

    une dynamique de soins qui leur permettrait de comprendre lintrt que peut leur apporter lergothrapie.

    A loppos, celui qui comprend trs bien ces intrts, cest Pierre, qui a pt mesurer ltendue

    des progrs raliss au sein de latelier. Le travail du cuir, ncessitant rigueur et prcision, lui a apport de

    nouvelles motivations, canalisant son angoisse et son mal tre en le re-dynamisant. Nos objectifs semblent

    alors tre justifis en se vrifiant dans la pratique.

    II. LACTE EST THERAPEUTIQUE SI LES MOYENS MISEN UVRE CADRENT AVEC LES OBJECTIFS

    A. NOTION DE CADRE THERAPEUTIQUE

    La notion de cadre thrapeutique est un concept cl des prises en charge psychiatriques. Il

    permet de crer un espace de relations suffisamment bon ncessaire au caractre thrapeutique de

    lactivit.

    Le cadre thrapeutique se compose de 3 lments principaux :

    La disposition de lespace de travail.

    Les horaires et rgles internes.

    La notion de prise en charge de groupe.

  • 15

    1. Disposition de lespace de travail

    Latelier de maroquinerie est une grande salle compose de trois espaces distincts : lespace

    de travail, lespace des machines et lespace de pause.

    Toute lactivit se droule pratiquement dans lespace de travail. Cet espace a t conu pour

    favoriser la relation et le travail de groupe. Il est compos de quatre sous-ensembles correspondant chacun

    un travail prcis : ltabli de pose des quincailleries, la table des dcoupes, la table de teinture et enfin les

    tables de travail (couture, finition, etc.).

    Leur disposition permet et oblige les dplacements dans la pice ce qui vite les situations

    disolement. Ce point fut labor pour optimiser les situations de communication et pour tenter de limiter

    la survenue dides dlirantes.

    2. Horaires et rgles internes

    Latelier fonctionne par demi-journes et se trouve en cela trs proche dune situation

    normale de travail. De mme, les rgles internes sont trs simples et sinscrivent dans la relation au monde

    social :

    Respect des horaires.

    Respect des personnes.

    Respects des lieux, du matriel et du travail dautrui.

    3. Une prise en charge de groupe

    La notion de groupe est un facteur intressant prendre en compte dans la prise en charge

    en secteur psychiatrique.

    Le groupe est porteur dune dynamique et incite la relation. On se rend compte quil est

    rvlateur des rsistances et blocages des patients mais aussi de leurs mcanismes de dfense, quil facilite

    la communication verbale et oblige se positionner dans le groupe. Enfin, il incite canaliser les ractions

    instinctives, les pulsions pour respecter le cadre thrapeutique tabli.

    4. Analyse du fonctionnement

    Si nous analysons le fonctionnement de latelier, nous pouvons mettre en vidence une

    action double tranchant. Ce cadre cre dune part un espace social de travail, bnfique car rpondant

    un objectif de socialisation et donc de radaptation, mais cre dautre part une situation aux effets pervers

    importants. Il induit en effet le risque dune institutionnalisation terme. Il cre une scurit qui protge la

    personne, mais qui galement ne la fait pas voluer. Par exemple, un paranoaque y serait parfaitement

  • 16

    laise, se plaant dans la matrise de lenvironnement et des situations qui lui seront proposes. Pour palier

    ce risque insidieux, lergothrapeute va donc devoir envisager lintrieur de ce cadre immuable de

    travail des situations dactivits diffrentes et varies, bien que bases sur la mme matire : le cuir. Cest

    seulement par ce cheminement que va pouvoir se drouler la relation thrapeutique car le patient pourra

    exprimer son jeu dans un conteste suffisamment bon.

    B. LA DEMARCHE UTILISEE A LATELIER CUIR

    Je vais parler ici des tapes de prise en charge dun patient arrivant latelier cuir. Cette

    dmarche va permettre dintgrer le nouveau patient dans latelier.

    Aprs une prsentation des lieux et description des principaux lments, matriels et

    matriaux, je propose au patient de raliser un objet simple, rapide raliser, demandant peu

    dinvestissement personnel et intgrant quelques-unes des techniques du travail du cuir, savoir la

    confection dun bracelet ou dun porte-serviette.

    Je ne dcrirais pas ici les tapes de fabrication en raison du peu dintrt que cela peut avoir

    pour le sujet discut.

    Cette premire approche, va permettre au patient de dcouvrir la matire, ses spcificits, sa

    richesse, sa texture, son odeur, etc. Exprience sensitive trs forte, le travail du cuir peut inclure des

    lments symboliques tout aussi importants. Synonyme de chaleur, de sensualit, de luxe comme de

    rusticit, de solidit, de beau enfin, le cuir reste un matriau riche de sens et de noblesse pour lhomme du

    21e sicle.

    Cette premire ralisation va galement permettre au patient de conforter ses motivations

    pour latelier. Il va dcouvrir lintrt du travail du cuir, les tapes mais aussi la rigueur ncessaire

    llaboration dun objet correctement fini.

    Lobjet finalis restera proprit du patient en tant que premier objet, il se trouve libre de

    lemporter gratuitement ou de le donner ou de le dtruire.

    Pour nous, thrapeutes, ce premier objet est une bonne occasion de juger des capacits du

    patient et dobserver son comportement face au principe de ralit quoffre lactivit.

    La tolrance lchec, la frustration, la gestion des temps, le respect des tapes, le respect

    du travail de groupe, les possibilits de passages lacte, les capacits relationnelles et de communication

    sont autant de points que lon peut observer en confrontant le nouvel arrivant une activit concrte.

    Par la suite, le patient peut raliser toutes sortes dobjets, soit pour lui, soit pour rpondre

    des commandes extrieures

  • 17

    C. UNE ACTIVITE POUR CHACUN

    Latelier cuir est le cadre commun de la prise en charge de Pierre, Jacques et Roger.

    Cependant ils ne ralisent pas les objets dans le mme but. Il est important, bien que lobjectif global reste

    le mme (amliorer la symptomatologie par lutilisation de lactivit), de ne pas oublier les objectifs

    spcifiques chacun dans lattribution de ces objets.

    Pour Roger, il faut sorienter dans la diversit afin de ne pas le laisser dans la scurit dune

    tche longtemps rpte, incluant alors peu de facteurs dchecs et de frustrations. Cependant, il faut que

    cette tche corresponde le plus possible ses dsirs. Roger, ayant tendance investir beaucoup lespace de

    travail et de communication par son discours productif, incisif, presque obsquieux par moments, doit tre

    bien cadr si on veut viter que son comportement retentisse ngativement sur le groupe.

    Lactivit dernirement propose fut la ralisation dune boite en cuir. Jai voulu inclure dans cette situation

    une notion de prise de responsabilit, car il venait den faire une et ma affirm tre tout fait capable den raliser une

    seconde tout seul. Bien sr, ds la premire tape (la dcoupe), la situation dchec sest rvle. Attribuant celle-ci au fait que

    lon ne lavait pas prvenu des prcautions prendre, il a voulu que je laide (la plus grosse partie) pour cette tche dlicate.

    Jai alors prfr insister pour quil le fasse tout seul mais en ma prsence sil le souhaitait.

    Il sest avr que toutes les tapes de la fabrication se sont droules de la mme manire,

    Roger narrivant pas se responsabiliser devant lchec. La notion de frustration et de confrontation au

    principe de ralit est un point dvelopper dans chacune des situations que nous allons lui proposer.

    Cette situation montre combien il faut tre prt rengager une prise en charge, et ce, de

    manire permanente, afin que notre action soit en parfaite congruence avec les symptmes exprims par le

    patient.

    Jacques sest tout dabord rvl particulirement impermable aux situations de

    communication que lergothrapeute et moi lui avons propos. Jai donc dcid de linscrire dans une prise

    en charge plus privilgie, cest dire de men occuper en priorit (avec laccord de lergothrapeute).

    Nous avons ralis ainsi plusieurs objets. Je lai beaucoup sollicit pour quil sinvestisse dans

    ce travail, ne le laissant pas spectateur de mes dcisions, lui demandant son avis, lobligeant se

    positionner et exprimer ses sentiments.

    La dernire ralisation fut un bel exemple de travail deux. Ctait une commande atypique, la fabrication

    dun tui de tlphone portable, pour laquelle il a fallut improviser, nayant comme seule indication que le dessin du contour

    sur une pice de cuir. Cest Jacques qui a le premier trouv les solutions adopter pour cette ralisation. Je dois dire que ce fut

    un travail agrable, intressant, rondement men et dmontrant lvolution positive de sa pathologie.

    Pierre, quant lui, est un habitu de latelier. Il choisit seul ses activits, restant

    essentiellement dans le choix dobjets commands. Il ma expliqu les raisons de ses choix. Pour lui,

    fabriquer des objets pour autrui lui permet de sinvestir et de ne pas bcler son travail. Il se sent utile et

    retrouve une place de travailleur dans la socit. Il se sent valoris.

  • 18

    Cette notion est importante et montre bien sa dtermination et son dsir de sortir du cadre

    hospitalier afin de se rinsrer socialement et conomiquement.

    Cependant, il faut noter que Pierre ralise les objets quil connat dj et ne cherche pas

    varier sa production. Lexplication est trs certainement cette peur de lchec qui serait le confronter ses

    angoisses.

    III. LACTE EST THERAPEUTIQUE SI SON ACTION PEUTETRE EVALUEE DANS LE TEMPS

    A. SPCIFICIT DE LEVALUATION EN PSYCHIATRIE

    Le bilan en psychiatrie permet surtout de faire le point sur une situation. Lergothrapeute va

    devoir valuer lexpression symptomatique de ltat de crise comme de ltat stabilis.

    Il devra observer et dcouvrir le sens des symptmes exprims. Le patient se voit interpell

    dans ce qui reste sain en lui, dans ses potentialits et ses ressources, et non dans lespace pathologique quil

    sest cr.

    Concrtement, cela se traduit par lvaluation travers une activit test (voir dmarche

    adopte latelier cuir), cest dire, prvue dans ce sens sans but thrapeutique particulier.

    Toutes les observations vont alors servir de bilan dentre , bilan complt bien entendu

    par un recueil de donnes sur les attentes de la personne, sa motivation, etc. Lensemble peut tre qualifi

    dvaluation formative. Celle-ci devra tre constamment rajuste.

    De mme, lvaluation de son ltat, des rsultats de la prise en charge, se fait en pratique

    normment sur des critres subjectifs de bien tre / mal tre, de recrudescence ou diminution de la

    symptomatique, de comportement adapt ou non, etc.

    Les synthses interdisciplinaires servent galement dans ce sens de bilan, permettant de

    mettre en commun des faits observs latelier avec dautres situations de vie.

    B. LEVALUATION SUBJECTIVE

    Je parle dvaluation subjective pour dsigner une question que se pose tout thrapeute au

    cours dune prise en charge : les rsultats obtenus sont-ils ceux attendus ?

    Or en psychiatrie, les rsultats ne sont pas toujours palpables et mesurables quantitativement,

    mais bien souvent apprcis subjectivement. Ctait mon propos dans le paragraphe prcdent. La

    psychiatrie nest pas une science juste, elle ne peut prtendre appliquer des thormes bien dfinis et

    vrifis de manire scientifique. Cependant, lapproche du thrapeute doit se faire sur lobservation de la

    rcurrence des troubles chez les personnes aux comportements inadapts. Le processus thrapeutique qui

  • 19

    sensuit est une pratique en constant remaniement, fonder sur le doute mais aussi sur la rflexion. Do

    limportance dune valuation, mme subjective, de lvolution des troubles.

    Jai donc pens quinterroger mes trois patients et comparer leurs rponses aux rsultats que

    nous avons observs, permettrait de comprendre limpact que peut avoir lactivit sur leur volution.

    Pour Roger, les rsultats quil a obtenus sont ceux quil attendait de lactivit. Il se trouve

    mieux cadr, mieux canalis et pense tre en mesure de grer mieux son angoisse et ses possibilits de

    passages lacte. Cependant ces rsultats sont le fruit de discussions aux cours desquelles jai pu induire,

    par mes interrogations et mes re-formulations, ce genre de rponse.

    Pour moi, il nest pas du tout vident que Roger soit aussi bien canalis que ce quil en dit.

    Toujours accaparant, il narrive pas prendre comme siennes ses dcisions et sa production. Ce qui

    intervient encore ici est le dcalage entre la ralit et sa vision des choses, du fait mme de sa pathologie. Il

    va falloir persvrer pour obtenir des rsultats plus concrets et peut-tre envisager une autre orientation

    thrapeutique.

    Chez Pierre, les rsultats obtenus au bout dun an dhospitalisation sont plutt positifs et

    refltent dautres proccupations que pour Roger. En effet, Pierre sait quil a besoin de cette

    hospitalisation sil dsire sen sortir et se rinsrer dans une vie socioprofessionnelle.

    Dans cette perspective, lactivit cuir, en lui apportant des situations de revalorisation et en

    lui permettant de souvrir au niveau relationnel (situations de communication), a induit une prise de

    responsabilit dans sa conduite addictive lalcool.

    Cependant, il est clair que la matrise de ses angoisses nest pas encore totale, car, de lui

    mme, il ma bien affirm quil ne comptait pas arrter de boire. Cela sinscrit malheureusement dans la

    logique de la pathologie addictive. Cest donc surtout vers cette voie quil va falloir sorienter pour la suite

    de la prise en charge, cest dire lexpression de ses angoisses.

    Jacques, quant lui, sest bien rendu compte des progrs quil a effectu travers lactivit

    que nous lui proposions. Il me la verbalis dans une des discussions que lon a eu sur son avenir et sur

    laprs hospitalisation . Pour lui, sinscrire dans une activit lui a normment apport aussi bien au

    niveau relationnel quau niveau personnel (apport ludique, occupationnel mais aussi intellectuel et

    dautosatisfaction).

    Le sens de ses paroles me pousse croire que Jacques faisait une grande diffrence entre ces

    deux niveaux. Pourtant, une satisfaction du point de vue relationnel devrait se retrouver incluse au niveau

    personnel. Jacques se trouve en fait encore dans le rejet et la non appropriation de la relation lautre.

    Mme si ce niveau sest amlior, ce nest que quantitatif et non forcement qualitatif.

    Malgr ce point, les objectifs de la prise en charge ont t relativement atteints, puisquil a pu

    tre orient vers un centre de radaptation professionnelle du fait de ses progrs.

  • 20

    CONCLUSION

    Si un patient arrive dans latelier avec une prescription dactivit occupationnelle, que vais-je

    tre amen faire ? Effectivement de loccupationnel ou bien profiter de cette prescription pour analyser

    les lments me permettant dinclure ce patient dans un processus thrapeutique propre notre activit ?

    Je pense que cest dans cette deuxime voie quil faut sinscrire pour permettre au patient de

    profiter pleinement de notre discipline et galement dmontrer les possibilits thrapeutiques quoffre

    lergothrapie.

    Pour cela, nous devons parfaitement matriser les outils permettant de concevoir une

    intervention cohrente qui sinscrit dans le projet individuel de la personne en souffrance psychique. La

    boucle thrapeutique est garante de cette cohrence car elle oblige une mthodologie prcise. Lanalyse

    de situation va nous permettre de poser des objectifs de travail, des moyens en adquation et une

    valuation terme. Lapplication de cette dmarche mthodologique et la notion de relation thrapeutique

    crant un espace suffisamment bon, va constituer le point nodal permettant de dpasser loccupationnel

    pour que lacte devienne thrapeutique.

  • BIBLIOGRAPHIE

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