NUMÉRO BEST OF BIBLIO PHARMACOLOGIE · Fletcher CV, Staskus K, Wietgrefe SW et al. Persistent...

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NUMÉRO BEST OF BIBLIO PHARMACOLOGIE Référence bibliographique Fletcher CV, Staskus K, Wietgrefe SW et al. Persistent HIV–1 replication is associated with lower antiretroviral drug concentrations in lymphatic tissues. Proc Natl Acad Sci U S A 2014;111(6):2307-12. 36 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXX - n° 1 - janvier-février 2015 Les concentrations d’antirétroviraux dans les tissus lymphatiques sont-elles prédictives d’une réplication virale persistante ? Contexte L’efficacité des médicaments antirétroviraux actuellement commer- cialisés pour obtenir un ARN-VIH plasmatique indétectable n’est plus à démontrer dès lors que l’adhésion des patients à ce traitement est satisfaisante. Cependant, la distribution des ARV dans les différents tissus et compartiments de l’organisme n’est pas uniforme, comme démontré au niveau du système nerveux central (SNC) ou de la sphère génitale féminine ou masculine (1, 2). De plus, même avec un traitement antirétroviral efficace, la restauration immunitaire reste souvent incomplète, avec un nombre de cellules T CD4 faible dans les cellules sanguines mononucléées (PBMC), les ganglions lymphatiques ou les tissus lymphoïdes du tube digestif (GALT). L’originalité de l’étude de Fletcher et al. est d’avoir analysé en parallèle les concentrations des médicaments antirétroviraux et la charge virale au niveau des PBMC et de différents tissus lymphoïdes. Méthodes La méthodologie de cette étude est résumée sur la diapositive 1. Douze patients infectés par le VIH, mais naïfs de traitement antirétroviral, ont été inclus dans cet essai clinique. Avant la mise sous traitement puis à M1, M3 et M6 après le début du traitement, des biopsies du ganglion inguinal, de l’iléon et du rectum ont été réalisées. Des prélèvements sanguins pour recueillir des PBMC ont été réalisés tous les mois. Les cellules mononucléées (MNC) des ganglions, iléon et rectum ont été isolées afin d’améliorer les quantifications intracellulaires et d’éviter les contaminations sanguines d’homogénats tissulaires. Les concen- trations intracellulaires des ARV ont été dosées par technique chromatographique associée à la spectométrie de masse (LC/MS/MS), y compris les dérivés phosphorylés des analogues nucléos(t)idiques, TFV-DP et FTC-TP. Résultats Les caractéristiques des patients sont résumées dans la diapositive 2. Les patients ont tous reçu un traitement antirétroviral à base d’une combinaison à dose fixe de ténofovir/ emtricitabine (TDF/FTC), et 6 d’entre eux ont reçu de l’efavirenz (EFV) ou un inhibiteur de protéase associé au ritonavir : atazanavir (ATVr) ou au darunavir (DRVr). Les concentrations plasmatiques des ARV mesurées 24 heures après une prise, à 3 mois de traitement (M3), sont dans la zone des concentrations attendues (diapositive 3). Les concentrations des 5 ARV dans les cellules des tissus lymphoïdes sont plus faibles que dans les PBMC, et la variabilité intra-patients inférieure à la variabilité inter-patients. À titre d’exemple, les concentrations intracellulaires des ARV dans les PBMC et les ganglions sont représentées dans la figure de la diapositive 3. On peut remarquer que la diffusion n’est pas homogène ; ainsi, les concentrations de FTC-TP sont plus élevées que celles de TFV-DP dans les PBMC et les ganglions. À l’inverse, elles sont plus faibles dans les cellules rectales ou iléales (résultats non montrés). Les concentrations d’ATV sont inférieures à la limite de quantification analytique et celles de darunavir très inférieures dans les ganglions par rapport aux PBMC. Comme résumé dans la diapositive 4, sur le plan virologique, tous les patients ont “néga- tivé” leur charge virale plasmatique après 6 mois de traitement, et 11 patients sur 12 avaient une charge virale < 50 copies/ml à M3. Les techniques d’hybridation in situ ont permis de localiser la persistance de la production de virions dans les tissus lymphoïdes, et l’hypothèse a été émise que les concentrations antirétrovirales étaient suboptimales dans ces réservoirs viraux. Après modélisation de la décroissance du pool viral, une corrélation négative significative a été mise en évidence avec les concentrations de TFV-DP (p = 0,0027) et d’efavirenz (p = 0,0023). Dr Anne-Marie Taburet (service de pharmacie, hôpital Bicêtre, hôpitaux universitaires, Paris Sud) Commentaire Cette étude a un certain nombre de limites : d’une part, le petit nombre de patients inclus, d’autre part, l’hétérogénéité des antirétro- viraux associés à la combinaison TDF/FTC. Elle confirme cependant que les concentrations de médicaments mesurées au niveau plas- matique ne sont pas prédictives des concen- trations intracellulaires mesurées au niveau des organes lymphoïdes, lieu de réplication virale. Ces premières données doivent ouvrir la recherche vers de nouvelles molécules ou vers des thérapeutiques ciblées utilisant les nanotechnologies, ayant une meilleure diffu- sion intracellulaire au niveau des organes lymphoïdes (3, 4). L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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NUMÉRO BEST OF BIBLIO

PHARMACOLOGIE

Référence bibliographique

Fletcher CV, Staskus K, Wietgrefe SW et al. Persistent HIV–1 replication is associated with lower antiretroviral drug concentrations in lymphatic tissues. Proc Natl Acad Sci U S A 2014;111(6):2307-12.

36 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXX - n° 1 - janvier-février 2015

Les concentrations d’antirétroviraux dans les tissus lymphatiques sont-elles prédictives d’une réplication virale persistante ?

ContexteL’effi cacité des médicaments antirétroviraux actuellement commer-cialisés pour obtenir un ARN-VIH plasmatique indétectable n’est plus à démontrer dès lors que l’adhésion des patients à ce traitement est satisfaisante. Cependant, la distribution des ARV dans les différents

tissus et compartiments de l’organisme n’est pas uniforme, comme démontré au niveau du système nerveux central (SNC) ou de la sphère génitale féminine ou masculine (1, 2). De plus, même avec un traitement antirétroviral effi cace, la restauration immunitaire reste souvent incomplète, avec un nombre de cellules T CD4 faible dans les cellules sanguines mononucléées (PBMC), les ganglions lymphatiques ou les tissus lymphoïdes du tube digestif (GALT). L’originalité de l’étude de Fletcher et al. est d’avoir analysé en parallèle les concentrations des médicaments antirétroviraux et la charge virale au niveau des PBMC et de différents tissus lymphoïdes.

MéthodesLa méthodologie de cette étude est résumée sur la diapositive 1. Douze patients infectés par le VIH, mais naïfs de traitement antirétroviral, ont été inclus dans cet essai clinique. Avant la mise sous traitement puis à M1, M3 et M6 après le début du traitement, des biopsies du ganglion inguinal, de l’iléon et du rectum ont été réalisées. Des prélèvements sanguins pour recueillir des PBMC ont été réalisés tous les mois. Les cellules mononucléées (MNC) des ganglions, iléon et rectum ont été isolées afi n d’améliorer les quantifi cations intracellulaires et d’éviter les contaminations sanguines d’homogénats tissulaires. Les concen-trations intracellulaires des ARV ont été dosées par technique chromatographique associée à la spectométrie de masse (LC/MS/MS), y compris les dérivés phosphorylés des analogues nucléos(t)idiques, TFV-DP et FTC-TP.

RésultatsLes caractéristiques des patients sont résumées dans la diapositive 2. Les patients ont tous reçu un traitement antirétroviral à base d’une combinaison à dose fi xe de ténofovir/emtricitabine (TDF/FTC), et 6 d’entre eux ont reçu de l’efavirenz (EFV) ou un inhibiteur de protéase associé au ritonavir : atazanavir (ATVr) ou au darunavir (DRVr). Les concentrations plasmatiques des ARV mesurées 24 heures après une prise, à 3 mois de traitement (M3), sont dans la zone des concentrations attendues (diapositive 3). Les concentrations des 5 ARV dans les cellules des tissus lymphoïdes sont plus faibles que dans les PBMC, et la variabilité intra-patients inférieure à la variabilité inter-patients. À titre d’exemple, les concentrations intracellulaires des ARV dans les PBMC et les ganglions sont représentées dans la fi gure de la diapositive 3. On peut remarquer que la diffusion n’est pas homogène ; ainsi, les concentrations de FTC-TP sont plus élevées que celles de TFV-DP dans les PBMC et les ganglions. À l’inverse, elles sont plus faibles dans les cellules rectales ou iléales (résultats non montrés). Les concentrations d’ATV sont inférieures à la limite de quantifi cation analytique et celles de darunavir très inférieures dans les ganglions par rapport aux PBMC.Comme résumé dans la diapositive 4, sur le plan virologique, tous les patients ont “néga-tivé” leur charge virale plasmatique après 6 mois de traitement, et 11 patients sur 12 avaient une charge virale < 50 copies/ml à M3. Les techniques d’hybridation in situ ont permis de localiser la persistance de la production de virions dans les tissus lymphoïdes, et l’hypothèse a été émise que les concentrations antirétrovirales étaient suboptimales dans ces réservoirs viraux. Après modélisation de la décroissance du pool viral, une corrélation négative signifi cative a été mise en évidence avec les concentrations de TFV-DP (p = 0,0027) et d’efavirenz (p = 0,0023).

Dr Anne-Marie Taburet(service de pharmacie, hôpital Bicêtre, hôpitaux universitaires, Paris Sud)

CommentaireCette étude a un certain nombre de limites : d’une part, le petit nombre de patients inclus, d’autre part, l’hétérogénéité des antirétro-viraux associés à la combinaison TDF/FTC. Elle confi rme cependant que les concentrations de médicaments mesurées au niveau plas-matique ne sont pas prédictives des concen-trations intracellulaires mesurées au niveau des organes lymphoïdes, lieu de réplication virale. Ces premières données doivent ouvrir la recherche vers de nouvelles molécules ou vers des thérapeutiques ciblées utilisant les nanotechnologies, ayant une meilleure diffu-sion intracellulaire au niveau des organes lymphoïdes (3, 4).

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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À retrouver sur le site www.edimark.fr

Diapositive 1.

Diapositive 3.

Diapositive 2.

Diapositive 4.

Pour en savoir plus

1. Eisfeld C, Reichelt D, Evers S, Husstedt I. CSF penetration by antiretroviral drugs. CNS Drugs 2013;27(1):31-55.

2. Taylor S, Davies S. Antiretroviral drug concentrations in the male and female genital tract: implications for the sexual transmission of HIV. Curr Opin HIV AIDS 2010;5(4):335-43.

3. Kovochich M, Marsden MD, Zack JA. Activation of latent HIV using drug-loaded nanoparticles. PLoS One 2011;6(4):e18270.

4. Parboosing R, Maguire GE, Govender P, Kruger HG. Nanotechnology and the treatment of HIV infection. Viruses 2012;4(4):488-520.