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1 Comme toutes les révolutions industrielles précédentes, la croissance économique de la Chine s’est surtout réalisée par des coûts de production bas, d’un marché du travail permettant de faire pression sur les salariés et d’un afflux d’investisseurs. Et comme tous les pays industriels, des inégalités se creusent. DÉVELOPPEMENT INTERNE DE LA CHINE En Chine, la croissance économique s’est surtout déployée sur le long de la côte est. Notamment grâce à l’accès à la mer et à la prédominance de villes historiquement et économiquement importantes (Pékin, Shanghai, Canton, Hong Kong, Macau…). Les investisseurs très peu attirés par les régions centrales et occidentales commencent à y investir. « Go West » ordonne Pékin depuis une dizaine d’années. En effet, les capitalistes taïwanais, japonais ou encore américains commencent de plus en plus à délocaliser leurs usines vers le Grand Ouest. D’une part, parce qu’à Shenzhen comme ailleurs dans la région de Canton, les salaires sont de plus en plus élevés. Cette hausse est notamment due à la concurrence entre les entreprises de l’électronique et l’élévation du niveau de formation. Et d’autre part parce que le gouvernement chinois met tout en œuvre pour développer les régions très pauvres du Grand Ouest. La majeure partie des entreprises basées à l’est délocalisent vers les grandes villes comme celle de Xi’an, Chengdu, Wuhan… ces entreprises sont notamment attirées par la pauvreté, le nombre important de chômeurs et les étudiants des grandes villes. Depuis son ouverture en 1979, le gouvernement chinois a fermé de nombreuses entreprises d’État et la production agricole s’est écroulée. Grâce à ces différents facteurs, Pékin va pouvoir continuer à jouer sur des coûts de production bas. Dans le même temps elle profitera de la côte est pour pouvoir développer ses industries et exportations de produits à forte valeur ajoutée. Pour développer les régions peinées, le gouver- nement chinois a par ailleurs lancé de nombreux projets (d’une valeur de 1 700 milliards de yuans soit 207 millions d’euro) dont la construction de la ligne ferroviaire Qing-Zang, qui a permis le désenclavement du Tibet et également la réduction des coûts de transport. Pékin a également investi dans la recherche et le développement. Selon l’O.C.D.E. (Organisation pour la Coopération et le Développement Économique) la Chine y aurait augmenté ses dépenses de 18% par an entre 1995 et 2006. En 2010, la Chine s’est placée en deuxième position derrière les États-Unis avec 120 000 articles scientifiques publiés. D’après New Scientist, elle devrait même dépasser la première puissance mondiale d’ici à 2020. Nous verrons également plus tard son investissement dans les technologies vertes. Source : National Bureau of Statistics of China Centre d’Étude Économique La Lettre n°513, mardi 3 janvier 2012 Quand la Chine sempare du monde

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Comme toutes les révolutions industrielles précédentes, la croissance économique de la Chine s’est surtout réalisée par des coûts de production bas, d’un marché du travail permettant de faire pression sur les salariés et d’un afflux d’investisseurs. Et comme tous les pays industriels, des inégalités se creusent.

Développement Interne De la ChIne

En Chine, la croissance économique s’est surtout déployée sur le long de la côte est. Notamment grâce à l’accès à la mer et à la prédominance de villes historiquement et économiquement importantes (Pékin, Shanghai, Canton, Hong Kong, Macau…). Les investisseurs très peu attirés par les régions centrales et occidentales commencent à y investir. « Go West » ordonne Pékin depuis une dizaine d’années. En effet, les capitalistes taïwanais, japonais ou encore américains commencent de plus en plus à délocaliser leurs usines vers le Grand Ouest. D’une part, parce qu’à Shenzhen comme ailleurs dans la région de Canton, les salaires sont de plus en plus élevés. Cette hausse est notamment due à la concurrence entre les entreprises de l’électronique et l’élévation du niveau de formation. Et d’autre part parce que le gouvernement chinois met tout en œuvre pour développer les régions très pauvres du Grand Ouest. La majeure partie des entreprises basées à l’est délocalisent vers les grandes villes comme celle de Xi’an, Chengdu, Wuhan… ces entreprises sont notamment attirées par la pauvreté, le nombre important de chômeurs et les étudiants des grandes villes. Depuis son ouverture en 1979, le gouvernement chinois a fermé de nombreuses entreprises d’État et la production agricole s’est écroulée. Grâce à ces différents facteurs, Pékin va pouvoir continuer à jouer sur des coûts de production bas. Dans le même temps elle profitera de la côte est pour pouvoir développer ses industries et exportations de produits à forte valeur ajoutée.

Pour développer les régions peinées, le gouver- nement chinois a par ailleurs lancé de nombreux projets (d’une valeur de 1 700 milliards de yuans soit 207 millions d’euro) dont la construction de la ligne ferroviaire Qing-Zang, qui a permis le désenclavement du Tibet et également la réduction des coûts de transport. Pékin a également investi dans la recherche et le développement. Selon l’O.C.D.E. (Organisation pour la Coopération et le Développement Économique) la Chine y aurait augmenté ses dépenses de 18% par an entre 1995 et 2006. En 2010, la Chine s’est placée en deuxième position derrière les États-Unis avec 120 000 articles scientifiques publiés. D’après New Scientist, elle devrait même dépasser la première puissance mondiale d’ici à 2020. Nous verrons également plus tard son investissement dans les technologies vertes.

Source : National Bureau of Statistics of China

Centre d’Étude Économique

La Lettren°513, mardi 3 janvier 2012

Quand la Chine s’empare du monde

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L’infLuence internationaLe sur son déveLoppement

Grace à la politique de Deng XIAOPING à partir de 1978, la Chine s’est développée à une vitesse fulgurante. Deux politiques majeures ont été mises en œuvre : celle d’une croissance économique basée sur les exportations et celle sur l’accueil massif des investisseurs étrangers par l’intermédiaire des I.D.E.s ou Investissements Directs Étrangers.

Après 29 années d’autarcie, l’arrivée au pouvoir de Deng XIAOPING en 1978 marque un tournant dans l’économie chinoise. La Chine passe à une « économie sociale de marché ». Avec des coûts de production relativement bas, des pratiques anti-dumping et une sous-évaluation de sa monnaie locale, le nouvel atelier du monde engrange une croissance phénoménale par le biais des exportations. Sur ces huit dernières années, la Chine aura augmenté plus de 5 fois ses exportations. Le volume en moyenne de ses exportations a augmenté de 14% entre 1990 et 1999, et de 20,5% entre 2000 et 2008. La Chine représente en 2009 environ 9,6% des exportations mondiales (en prenant chaque membre de l’Union Européenne à part entière), contre 1,2% en 1983. Des études récentes mettent en évidence la diversité de ses exportations et la prédominance de la Chine dans certains secteurs d’activité au niveau mondial. Entre autres, la Chine représente 13% des exportations mondiales de produits manufacturés. Elle est par contre obsolète dans le commerce de produits agricoles ou miniers. Au sein des produits manufacturés la Chine réalise 33% des exportations mondiales de produits textiles alors qu’elle ne représente que 2% des exportations dans l’automobile. Par ailleurs, depuis les années 2000 la Chine est de plus en plus présente sur les marchés des produits de haute technologie. En 2008, la Chine a réalisé plus du quart des exportations en équipement de télécommunication mondiales. Nous verrons plus tard la réalité de cette production.

Le manque de capitaux étant une des principales contraintes au développement d’un pays pauvre, l’ouverture de la Chine aux IDEs a été un véritable levier pour son économie. Plus de 50% des exportations internationales faites par la Chine proviennent d’entreprises étrangères. En 2008, les IDEs entrants dépassent les 100 milliards de dollars (± 77 milliards d’euro). La Chine représente 30% des IDEs des pays en voie de développement. En 2002, elle a réussi à dépasser les États-Unis et devient le premier pays d’accueil. La plupart des IDEs entrants ont été mobilisés à partir des années 80 dans la création de joint-ventures contractuelles puis dès les années 90 dans des joint-ventures de participation. La coentreprise chinoise est devenue le moyen le plus utilisé pour investir en Chine. D’une part cela lui a permis d’accumuler des capitaux et d’éviter de voir fuir sa richesse à l’étranger et d’autre part cela détermine sa croissance spectaculaire ces 20 dernières années.

impLication de La chine dans Les pays non déveLoppés ou en voie de déveLoppement

La Chine a été pendant longtemps la première puissance mondiale avant que ne s’amorce la révolution industrielle en Europe. Avec le colonialisme sous les derniers empreurs de la dynastie Qing et le totalitarisme de Mao ZEDONG, la Chine s’est vue en quelques années devenir un pays sous développé. Après ses 30 dernières années de croissance elle est sur le point de devenir un pays développé. De par son histoire, la Chine est l’une des civilisations les plus aptes à comprendre les problèmes qui se posent actuellement aux pays en voie de développement. Par ailleurs, elle a également cerné les enjeux mondiaux que cela signifiait.

Source : douanes chinoises, Pékin

Source : CIA World Factbook, mars 2011

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Là où les pays occidentaux tardent à venir en aide aux pays en crise, la Chine se porte volontiers en sauveur. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont les alliés traditionnels de la Jamaïque, pourtant elle a trouvé en la Chine un nouveau partenaire. Avec une aide de 138 millions de dollars, l’Empire du Milieu est devenu le principal partenaire financier de la Jamaïque. Une aide que cette petite île des Caraïbes a chaleureusement accueillie.La Chine s’implique de plus en plus dans les affaires économiques, diplomatiques et militaires au niveau international, surtout en Afrique et en Amérique Latine. Et certains pays développés comme la Corée du Sud s’en inquiète. Le ministre sud-coréen de la Stratégie et des Finances avançait même de craindre que ces pays puissent suivre le modèle économique chinois. Certains économistes parlent du « consensus de Beijing » comme la mise en place d’un système parallèle en réponse au « consensus de Washington » néo-libéral, créé en 1989. Face à la remise en cause du modèle néo-libéral proposé par les États-Unis et à une monnaie européenne instable, il est dangereux pour les pays en voie de développement de n’avoir que deux devises. En créant des partenariats avec Pékin, ces derniers diversifient leurs actifs en devises et obtiennent une plus grande stabilité. Par ailleurs, pour le gouvernement chinois c’est le souhait d’étendre son influence qui se réalise. Au Pérou cela fait plus de quarante ans que des relations diplomatiques avec la Chine ont été nouées et que le pays a adhéré à la politique chinoise. Les deux pays s’entendent à élargir leur coopération bilatérale afin de travailler plus amplement ensemble et d’avoir une reconnaissance plus importante aux conseils des Nations-Unies. En 2010, la Chine est devenue le deuxième partenaire commercial du Pérou avec des échanges commerciaux estimés à 10 milliards de dollars.Le « Forum coopératif sino-africain » et le « forum coopératif sino-arabe » ont permis à la Chine de renforcer sa coopération avec les pays africains et arabes. La Chine a, par ailleurs, affiché ouvertement son soutien dans les mesures liées au développement des pays africains lors d’un sommet de l’ONU. Elle a également participé à une campagne d’aide de grande envergure pour subvenir aux pays victimes du tsunami dans l’océan Indien en 2004 et du tremblement de terre en Asie du Sud. Non seulement la Chine « investit » dans ces pays, mais elle entretient également ses relations. En 2005, elle accueille les représentants de nombreux pays en voie de développement, dont le Vietnam, le Cambodge, la Namibie ou encore la Guyane.En 2006, à travers divers sommets, dont celui de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et de l’Association des nations de l’Asie du Sud-

Est (ASEAN), les relations entre les pays en voie de développement et la Chine se sont renforcées. Tous ont convenu d’améliorer leur coopération et leur développement dans le but d’entretenir leur confiance mutuelle. Lors du 50ème anniversaire des relations diplomatiques sino-africaines, le gouvernement chinois a rendu visite à de nombreux pays, comme la Tanzanie, l’Egypte ou encore le Ghana et en a profité pour renforcer ses relations sous tous les aspects. Ainsi, le « Plan d’Action de Beijing » a été adopté par les représentants des 48 pays africains pour la période 2007-2009. La Chine tend à conforter ses relations internationales sans aucune limite et, par ailleurs, à imposer le yuan comme la monnaie subsidiaire au dollar américain et à l’euro. Cependant l’économie chinoise n’est pas encore assez stable et il lui faudra assurer ses arrières afin de pouvoir maintenir ses ambitions.

L’infLuence économique et poLitique de La chine sur Les économies occidentaLes

La Chine ne se cantonne pas qu’à ses stratégies vers les pays non-développés ou en voie de développement, elle est également présente sur la scène internationale. Rares sont les pays en voie de développement qui puissent se permettre d’asseoir leurs positions et d’influencer par la même occasion les pays riches. Or la Chine en fait partie.

Depuis l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 et la fin des quotas en 2005 puis 2008, le monde entier est inondé par les produits « made in China » mais en réalité que cela signifie t-il réellement ? Il est vrai que presque tous les produits de base sont fabriqués en Chine, mais au niveau des nouvelles technologies il n’en est pas de même. En effet, même si le « made in China » est inscrit sur chaque produit provenant de Chine, la réalité est bien différente. Prenons par exemple les produits d’Apple. Il est intéressant de noter que la compagnie de Cupertino se garde bien d’inscrire sur chacun de ses produits « Designed by Apple in California » suivi de « Assembled in China ». Car en effet, presque tous les produits technologiques de cette marque sont conceptualisés voir, pour certains composants de haute technologie, fabriqués en occident puis assemblés en Chine. Et cela est de même pour beaucoup de produits technologiques. D’une part, parce que la Chine a encore du retard sur les hautes technologies comme les semi-conducteurs et, d’autre part, parce que les compagnies étrangères préfèrent garder leurs secrets chez eux afin d’éviter de se faire copier. La Chine n’a encore fait aucune révolution dans les différents domaines scientifiques ou technologiques, elle est encore au stade de l’imitation (TGV, aérospatial, aéronautique, informatique…). Cependant et contrairement à ses confrères d’Asie (le Japon, Taiwan, Singapour,

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l’Inde, etc...) la Chine avance très vite. En quelques années elle aura rattrapé son retard et ne tardera pas à nous dépasser. Un autre aspect inquiétant d’après un rapport remis par la Commission Européenne en 2010 concerne le problème du commerce des métaux rares. La Chine détiendrait à elle seule 8 des 14 matières premières qualifiées de « critique » par l’Union Européenne. De plus, elle contrôlerait également 95% de la production mondiale de ces métaux. Or ces métaux « précieux » rentrent dans la composition des produits de haute technologie. C’est également sur les hautes technologies que se sont basées les économies occidentales afin de contrer les pays en voie de développement. La Chine a déjà commencer à réduire ses exportations ; elle jouera donc un rôle crucial dans les années à venir.Au niveau de la recherche scientifique et technologique, la Chine n’est pas en reste. Elle est le plus gros investisseur en recherche sur le développement durable. Grâce à son pouvoir sur les entreprises, Pékin a pu lever d’énormes fonds comme celui sur la recherche sur les technologies vertes d’une valeur de 168 millions d’euros. Par cette action, le gouvernement chinois aimerait dans quelques années créer un nouveau Détroit mais plus efficace et plus propre, ce qui lui permettrait également d’inverser son image négative de grand pollueur. Ce n’est pas uniquement par le développement durable que Pékin change les règles du jeu.

Avec la globalisation, l’État-nation n’est plus maître de l’économie, mais c’est l’économie de marché qui dirige les États. Or dans l’Empire du Milieu, c’est le gouvernement qui contrôle son économie. Chaque action politique du gouvernement chinois devient alors impor-tant pour les économies occidentales ; surtout quand on est troisième importateur mondial. Et même si les chinois sont pragmatiques, ils savent se faire entendre. Comme lors de la décision de Pékin de suspendre la visite de sa délégation agricole aux États-Unis en prétextant des marchandises de mauvaise qualité alors que la véritable raison était de répondre aux nombreuses plaintes anti-dumping faites par les États-Unis devant l’OMC. Or les Etats-Unis sont les premiers fournisseurs de soja en Chine. De plus, avec une dette souveraine détenue à 27% par la Chine, Washington perd de plus en plus d’influence sur Pékin. Auparavant c’était le Japon qui détenait la dette américaine, maintenant c’est

la Chine. Or avec le Japon, Washington pouvait exiger une réévaluation du yen dès 1971. Avec la Chine, il en va autrement. Car le yuan renminbi n’est pas une monnaie convertible et n’est pas appréciable sur les marchés mondiaux. C’est donc la banque centrale chinoise qui évalue la valeur du dollar en yuans. Indirectement c’est également elle qui va déterminer le prix des produits américains à exporter. En effet, en maintenant sa monnaie sous-évaluée, les produits chinois sont meilleur marché par rapport aux produits occidentaux. De plus, si l’on suit les prévisions du célèbre hebdomadaire anglais « The Economist », Pékin ne devrait pas changer de politique économique malgré les remaniements gouvernementaux prévus pour 2012. Rappelons également que la Chine s’est proposée d’ « aider » l’Union Européenne en rachetant la dette grecque et maintenant celle italienne. La Chine s’emparera t’elle du monde ?

☑ Pour en savoir plus :– MICHEL Serge et BEURET Michel, La Chinafrique. Pékin à la conquête du continent

noir, Grasset, 2008, 348 pages.– IZRAELEWICZ Erik, Quand la Chine change le monde, Grasset Paris, 2005, 304 pages.– LEMOINE Françoise, L’économie chinoise, La Découverte, 2003, 124 pages.

Source : Commision Européenne, juillet 2010

PublicationYuan Yuan Amy LeiKÉVIN DegrooteMichaël Cousin

Mise en pageMichaël Cousin

Prix : 4,50 €Royaume-Uni £4.00États-Unis 6.00$