Newmann Beckett
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Agrégée de Philosophie, ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, doctorante en Philosophie àl’Université Paris X Nanterre, Géraldine Sfez prépare une thèse sur la question de la mémoire et del’enregistrement dans l’art contemporain, sous la direction de Catherine Perret.
Bruce Nauman, Samuel Beckett
Le corps mis à l’épreuve de la répétition
Géraldine Sfez
Les premières vidéos de l’artiste américain Bruce Nauman se réfèrent
explicitement, ne serait-ce que par le titre de certaines d’entre elles, à la
façon dont le corps est mis en scène dans le théâtre de Samuel Beckett.
Corps désarticulés, déplacements malaisés : le corps dans les films deNauman, comme dans les pièces de Beckett, est un corps entravé qui répète
sans fin et sans but apparent les mêmes mouvements. Contraint de répéter
les mêmes gestes ou les mêmes sons, enfermé dans un espace souvent trop
étroit pour lui, le corps – celui de l’acteur ou du performeur – est
constamment mis à l’épreuve chez Nauman, comme chez Beckett. Le corps
du spectateur se trouve lui aussi tout autant malmené, mis à mal, par ces
effets de répétitions et de rétrécissement de l’espace. Pourtant, et là se tient
leur véritable paradoxe, ces œuvres ne contiennent en elles-mêmes rien
d’ouvertement ou de radicalement dérangeant : Nauman, dans ses vidéos
par exemple, ne fait rien d’autre que tourner en rond dans son atelier.
Comment expliquer alors ce sentiment de malaise, aussi indéfinissable
qu’évident, ressenti par le spectateur ? Pourquoi le fait de voir un même
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geste répété ou d’entendre inlassablement le même son provoque-t-il unesensation, presque physique, d’angoisse ? Si la répétition paraît si
inconfortable, pour l’acteur comme pour le spectateur, c’est qu’elle apparaît
en réalité comme le symptôme d’une double impossibilité : celle de
poursuivre l’action commencée et dans le même temps, celle de
l’interrompre. La répétition, en dissolvant notre rapport au temps, signale
donc en creux quelque chose comme une suspension du temps, une
mémoire enrayée, une attente sans objet. Chez Beckett comme chezNauman, la répétition est ainsi le signe d’un choc ou d’un trauma dont il
n’est pas explicitement question, mais qui menace constamment d’affleurer
ou de refaire surface. En croisant les analyses de Freud sur la compulsion de
répétition et celles développées par Walter Benjamin, dans L’Œuvre d’art à
l’époque de sa reproductibilité technique, sur une « esthétique du choc », il s’agira
de montrer de quelle façon les corps – tels que les filment et les mettent en
scène Beckett et Nauman – sont littéralement mis à l’épreuve de la
répétition.
Le corps mis à l’épreuve
Gestes mécaniques, démarches d’équilibriste, corps à demi enlisés ou
totalement invisibles : les posures du corps se déclinent sous de multiples
formes chez Beckett et Nauman. Le corps de l’acteur y est constamment
éprouvé qu’il soit mis en mouvement afin d’être déstabilisé ou épuisé, ou au
contraire immobilisé afin d’être surveillé. Ces mises en scènes apparaissent
comme autant d’expérimentations. Jusqu’à quel point le corps de l’acteur
peut-il se soumettre à la répétition ? À partir de quel moment un
mouvement perd-il tout sens à force d’être répété ?
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Déstabiliser le corpsÀ la fin des années soixante, Bruce Nauman réalise une série de films et de
vidéos dans son atelier. Son objet : lui-même, répétant indéfiniment le même
mouvement dans un périmètre donné, marqué au sol à l’aide de ruban
adhésif. Le caractère répétitif et minimal de ces actions – marcher, danser,
taper du pied1 – évoque la gestuelle beckettienne. Nauman, comme
beaucoup de plasticiens de sa génération, est en effet profondément marqué
par l’œuvre du dramaturge, par son traitement minimaliste de l’espace et dulangage. Ainsi dans Slow angle walk , sous-titré Beckett walk (1968), la démarche
cadencée de Nauman, qui consiste à se tenir sur une seule jambe, puis à
pivoter et basculer sur l’autre jambe, avant de recommencer la même
séquence de mouvements, rappelle-t-elle les notations de Beckett concernant
Molloy2, ou encore Watt – dont la démarche investit tous les points
cardinaux à la fois3. Comme les personnages de Beckett, Nauman n’avance
pas mais tourne en rond ; comme le protagoniste de L’Innommable, l’artiste nesuit pas de ligne droite mais un chemin zigzagant, une ligne brisée qui le
ramène inéluctablement à son point de départ4.
La réitération du même pas dans Slow angle walk , Beckett walk n’a pas la
fonction d’un exercice : Nauman ne s’entraîne pas, sa démarche n’est ni plus
souple, ni plus légère à la fin de la vidéo. La répétition souligne au contraire
toute l’absurdité et la complexité du mouvement. La camera, basculée sur le
côté, enregistre une heure durant ce piétinement ; le spectateur voit ainsi
Nauman arpenter à quatre-vingt-dix degrés la pièce de la même démarche
raide et saccadée. Le cadre restant fixe, Nauman est à plusieurs reprises
amené à sortir du champ ou à n’y entrer que partiellement, et le spectateur
n’a plus comme repères que le bruit du frottement produit par les bottes de
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l’artiste. La perception est donc radicalement perturbée par la caméra poséesur le côté, par le protocole compliqué de cette démarche, par ce corps trop
grand qui disparaît par intermittences de l’écran, annonçant une réflexion
commune à Nauman et Beckett sur l’absence et la disparition du corps dans
le dispositif scénique, ainsi que sur l’importance des sons.
Réduire le corps à un son
La pièce Trio du fantôme, écrite en 1975 par Beckett pour la télévision, estsignificative à cet égard puisque Beckett y met en scène une voix féminine
(V) et une silhouette masculine (S), autrement dit des acteurs « sans corps »,
des corps dématérialisés. Si la voix, comme la silhouette, permettent en
général de reconnaître des individus, ces éléments d’identification perdent
ici leur fonction dans la mesure où chacun se trouve dissocié du reste du
corps. Le spectateur ne sait d’ailleurs presque rien sur les deux personnages
désignés par des initiales, qui se rapportent moins à leurs noms qu’à leursconditions, (V) pour voix, (S) pour silhouette. Dans cette pièce, les corps sont
donc réduits à des formes ou des sons : Beckett y met en question la
représentation du corps de l’acteur et s’interroge sur la voix comme
substitut. Mais ce sont également le corps et les sens du spectateur qui se
trouvent questionnés en retour. Ainsi la voix (V) donne-t-elle ce mode
d’emploi au tout début de la pièce : « Ma voix doit être un murmure à peine
audible. Veuillez régler votre récepteur en conséquence. ( Pause ) Quoi qu’il
arrive, elle ne sera ni amplifiée, ni atténuée. »5 Trio du fantôme requiert un
effort d’accommodation constant de la part du spectateur ; il lui faut prêter
l’oreille, regarder de plus près, saisir ce qui se donne sous le mode de
l’imperceptible et de l’à peine audible. Les sens, et notamment l’ouïe, du
spectateur sont donc mis à rude épreuve.
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Quand Nauman, dans ses installations sonores ou visuelles, alterne effets
de raréfaction et de saturation, il soumet son public aux mêmes exigences. (Il
serait d’ailleurs presque plus exact de parler à son sujet d’attaques ou
d’agressions tant certaines de ses œuvres sonores s’avèrent insoutenables à
l’écoute.) En diffusant par exemple des paroles identiques mais selon des
intensités différentes, l’artiste rend ses paroles inaudibles ; en agrandissant
démesurément les lettres de son nom, il rend de la même façon celui-ciproprement illisible6. En jouant ainsi sur les seuils perceptifs, Nauman donne
à voir un objet ou à entendre un son sous une forme que nous ne lui
connaissons pas et sous laquelle il nous est quasiment impossible de
l’identifier.
Le corps pris au piège
L’inconfort ressenti par le spectateur face aux œuvres de Nauman tientautant à cette indétermination qu’au choix de ses motifs : gigantesques roues
auxquelles sont suspendues des chaises évoquant des instruments de supplice
ou encore espaces se resserrant inexorablement, les installations de Nauman
ne peuvent laisser indifférent le spectateur dont le corps se trouve parfois
littéralement pris au piège. Les couloirs conçus par l’artiste, par exemple,
peuvent devenir si exigus que le spectateur se voit contraint de rebrousser
chemin. De telles pièces provoquent une sensation d’angoisse au sens
étymologique du terme puisque le mot angoisse vient du latin angustus qui
signifie lieu étroit. Or l’impossibilité de se mouvoir, l’immobilité forcée sont
là encore des thèmes empruntés au théâtre de Beckett, que l’on songe au
personnage de Hamm cloué sur sa chaise roulante dans Fin de Partie, au duo
pris dans les sables d’Oh les beaux jours, ou encore aux trois personnages de
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Comédie, plantés dans des jarres. De la même manière que l’espace scéniquechez Beckett est un espace oppressant, les dispositifs de Nauman jouent sur
le resserrement des lieux : les acteurs de ses vidéos sont filmés en gros plan et
l’écran semble toujours trop étroit pour eux.
Les installations ou les vidéos de Nauman laissent ainsi planer une
incompréhension teintée d’angoisse. Celle-ci se trouve accentuée par le fait
que la pression, tout à la fois physique et psychologique, à laquelle estsoumise le spectateur paraît imposée par une main invisible, par un pouvoir
d’autant plus menaçant qu’il ne dit pas son nom. À travers ses pièces,
Nauman semble se demander : « À quel moment la pression exercée sur
nous devient-elle insupportable ? À quel moment passons-nous de l’état de
sujet à celui d’instrument ou de cible d’une parole ? »7 La violence, voire la
torture, se trouvent ainsi constamment associées à une forme de répétition et
de circularité à travers le montage en boucle de ses vidéos ou de ses
enregistrements sonores. De cette façon, la répétition apparaît comme un
instrument particulièrement efficace pour soumettre les corps puisque pour
rendre un corps docile, il ne suffit pas de le malmener, de le prendre au
piège, il faut encore lui faire répéter le même geste jusqu’à ce que celui-ci
soit intégré et comme automatisé8.
Epuiser les possibilités du langage
Cette brutalité exercée sur les corps se double, chez Nauman comme chez
Beckett, d’une réflexion sur le langage et sur les mécanismes
d’assujettissement qui s’exercent à travers lui. Quand les corps en sont
réduits au piétinement ou à l’immobilité, la parole se trouve en effet investie
d’une certaine dynamique, même si celle-ci s’avère, dans la plupart des cas,
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également circulaire. À l’image des corps, le langage est conçu comme unensemble d’éléments formels que l’on peut décomposer, isoler, associer,
répéter9. Comme le souligne Gilles Deleuze dans L’Épuisé 10, le langage se
trouve soumis dans l’œuvre de Beckett aux mêmes effets de combinatoire et
de dislocation que les mouvements du corps, à la même volonté d’épuiser ses
possibilités. Or de la même façon que la répétition d’un geste conduit à une
forme d’automatisation et de non-sens, la répétition continue d’un son ou
d’une proposition mène à une dissolution du sens.
Dresser les corps
Injonctions ou ordres péremptoires répétés, le langage a essentiellement
pour fonction chez Bruce Nauman d’activer le spectateur. À travers une
pièce comme « Pay attention, motherfuckers » (1973), l’artiste exerce une forme
de pouvoir en produisant une réaction d’obéissance quasi instinctive. Aucun
choix n’est laissé au spectateur, ni celui d’accepter, ni celui de refuser l’ordredonné. L’installation Get out of my mind, Get out of this room (1968) repose sur un
principe similaire : deux haut-parleurs dissimulés dans les murs d’une salle
vide s’adressent au visiteur qui entend quelques bruits de pas, puis deux
exclamations répétées inlassablement (« Get out of my mind, Get out of this
room »), sur un ton alternativement enjoué et menaçant. Le message intime
donc au spectateur l’ordre de sortir de la pièce ; prenant ainsi le contre-pied
de l’exigence classique de l’œuvre d’art qui requiert d’être contemplée,
l’œuvre invite le spectateur à la fuir. Ici encore, la voix est d’autant plus
comminatoire qu’elle est invisible et qu’elle joue sur différents registres de
tonalités, tantôt douce, tantôt inquiétante. Les voix-off jouent un rôle tout
aussi central et déstabilisant chez Beckett, qu’il s’agisse de la voix qui
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parvient du fond de la scène dans Pas ou de la voix féminine qui persécute lepersonnage de Dis Joe.
Les coups de sifflets qui scandent la pièce de Beckett intitulée Acte sans
parole 111 témoignent également de cette violence exercée depuis un point
aveugle sur les individus. Dans cette pièce en un acte, un mime obéit non
pas à des ordres verbaux, mais à de simples coups de sifflets. La pièce joue
sur le désir et la frustration et prend rapidement l’allure d’une séance detorture. Un personnage seul sur scène voit en effet, à intervalles réguliers,
une carafe remplie d’eau descendre du plafond mais ne parvient pas à la
saisir. Telle la bobine, évoquée par Freud, que l’enfant jette au loin avant de
la ramener à lui, l’objet ne cesse de disparaître, puis de réapparaître,
obligeant l’homme à s’épuiser dans son désir de s’en emparer. Quand la
carafe finit par frôler son visage à la fin de l’acte, le mime n’a plus la force de
l’attraper. La chorégraphie qui s’engage entre les mouvements de
l’accessoire et ceux de l’homme suggère qu’il n’y a aucune échappatoire
pour le personnage, condamné à ne jamais saisir ce qu’il convoite. Plus
violent encore que des mots, le son tranchant du coup de sifflet souligne
dans cette pièce le rapport d’automatisation auquel le corps se trouve livré12.
Dislocation du langage chez Beckett
Chez Beckett, l’ordre se révèle en effet d’autant plus exigeant qu’il s’exprime
sous une forme minimale, voire non langagière. Coups de projecteur dans
Comédie, coups de sifflet dans Acte sans parole 1, sons de percussion dans Quad ,
coups assénés par Molloy sur le crâne de sa mère, les personnages de Beckett
répondent dans toutes ces pièces à des signaux. Or Michel Foucault
démontre, dans Surveiller et punir , qu’un ordre pour être efficace n’a pas
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besoin d’être formulé explicitement et que le sujet obéissant n’est pas celuiqui se conforme aux ordres parce qu’il les comprend, mais celui dont le
corps répond adéquatement et presque instantanément aux signaux13. Cette
façon de diriger les corps au moyen de signes sonores ou lumineux
correspond par ailleurs à une préoccupation essentielle chez Beckett, celle
d’épuiser le langage. Cherchant à s’affranchir des mots, l’auteur se
concentre sur ce qui constitue finalement l’essence même de tout ordre : le
son, le rythme et la répétition.
Dans L’Epuisé , Gilles Deleuze distingue trois types de langues chez Beckett,
qui correspondent chacune à un épuisement progressif du langage : à la
langue des noms succède une langue des voix, puis une troisième faite de
hiatus et de trous. La première qu’il appelle Langue I est une «… langue
atomique, disjonctive, coupée, hachée, où l’énumération remplace les
propositions… » 14. Cette langue des noms n’est pourtant pas encore une
langue « épuisée ». Car, « si l’on espère ainsi épuiser le possible avec des mots, il
faut non moins avoir l’espoir d’épuiser les mots mêmes ; d’où la nécessité d’un autre
métalangage, d’une langue II qui n’est plus celle des noms, mais celle des voix. »15
Enfin,
Il y a une langue III qui ne rapporte plus le langage à des objetsénumérables et combinables, ni à des voix émettrices, mais à deslimites immanentes qui ne cessent de se déplacer, hiatus, trous ou
déchirures dont on ne se rendrait pas compte, les attribuant à la simplefatigue, s’ils ne grandissaient pas tout d’un coup de manière àaccueillir quelque chose qui vient du dehors ou d’ailleurs16.
Dans une lettre de 1937, Beckett explique
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[qu’] étant donné que nous ne pouvons éliminer le langage d’un seulcoup, nous devons au moins ne rien négliger de ce qui peutcontribuer à son discrédit. Y forer des trous, l’un après l’autre, jusqu’aumoment où ce qui est tapi derrière, que ce soit quelque chose ou riendu tout, se mette à suinter à travers17.
Dans les pièces de Beckett, le langage ne sert ni à dire quelque chose, ni à
communiquer, mais à faire apparaître en creux le dysfonctionnement même
du langage. En ce sens, parler sert avant tout à révéler la vacuité du langage
et à masquer, simultanément, l’impossibilité de se taire.
Ne pas se taire, parler jusqu’à l’épuisement
Le langage a donc chez Beckett une fonction presque essentiellement
négative : il sert en effet à ne pas se taire, à se donner l’illusion que les choses
continuent18. Les dialogues de sourds, sans queue ni tête, d’ En attendant Godot
ou de Fin de Partie en témoignent ; plus que de véritables dialogues, il s’agit
de monologues qui se croisent et qui parfois, très rarement et in extremis,parviennent à se nouer dans un dialogue. Le personnage de Willie, bien que
pratiquement muet, joue en cela un rôle essentiel dans Oh les beaux jours : il
permet en effet à Winnie de ne pas être seule et donc de pouvoir continuer à
parler. Parler est une façon pour Winnie, comme pour les autres, de
continuer19. Si les personnages chez Beckett parlent sans cesse, ce n’est donc
pas parce qu’ils ont quelque chose à dire, mais parce qu’ils ne peuvent rester
silencieux. Comme le note François Noudelmann, « le dialogue met donc enscène la lutte contre le silence, le processus d’amoindrissement qui grève
toute parole. »20 Dans Pas moi, Beckett met en scène une bouche face à un
auditeur immobile. La bouche prononce un monologue décousu et qui n’en
finit pas. Après avoir été « pratiquement muette… toute sa vie »21, elle se
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trouve prise dans un flot de paroles et devient littéralement « impossiblearrêter »22.
La répétition est constitutive de ce langage qui, malgré son épuisement ou
ce que Noudelmann appelle son « amoindrissement », ne parvient pas à
s’interrompre. Pris entre l’impossibilité de continuer une action ou un
dialogue qui n’ont plus de sens et l’impossibilité d’y mettre fin, les
personnages en sont réduits à reprendre les mêmes gestes, les mêmesphrases. Le début du deuxième acte d’ En attendant Godot , lorsque Vladimir se
met à chantonner une ballade, rend très clairement compte de ce motif de la
répétition23. Sans début ni fin, comme certaines comptines pour enfants,
cette chansonnette peut être reprise indéfiniment24. Au comique de
répétition vient ici se superposer une certaine angoisse. Comment mettre fin
à la répétition ? Comment définir les limites de ce qui se donne sous la forme
d’un jeu mais qui, précisément sans limites, sans règles, ne relève plus du
jeu ? Quand et comment mettre un terme à la partie en cours ? Chez
Beckett, les personnages jouent avec cette limite et la transgressent
constamment : jusqu’où ira la mascarade que Pozzo impose à Lucky ?
Jusqu’où mènera la partie qui se trame entre Hamm et Clov ? Face à ces
questions la comédie tourne court et le jeu laisse place à une forme de
malaise. La répétition, tout autant que ressort comique, est donc aussi le
signe d’un vertige face à quelque chose qui tourne en rond, qui se trouve
pris dans un cercle et dans une durée possiblement indéfinie. Au plaisir pris
à la répétition se substitue un déplaisir dû à une incertitude : quand et
comment cette répétition va-t-elle prendre fin25 ?
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Angoisse, compulsion de répétition et esthétique du choc.Les pièces de Nauman comme de Beckett sont presque toutes entières
construites autour de l’idée de répétition : répétition des mêmes gestes, des
mêmes mots et des mêmes motifs. Il convient toutefois de distinguer deux
formes de répétition : chez Nauman, la réitération signale une radicalisation,
une brutalité croissante exercée sur les corps ; chez Beckett, la répétition va
de pair avec une forme d’amoindrissement, de perte d’intensité, va
decrescendo26. Ces corps qui répètent, omniprésents chez Nauman et Beckett,
peuvent donc représenter aussi bien des corps assujettis pris dans des
processus de dressage que des corps désoeuvrés qui reproduisent les mêmes
gestes dans le seul but de continuer. Dans les deux cas, ce qui a lieu sur
scène semble ne pas avoir de début assignable. En ce sens, le spectateur a
toujours la sensation d’arriver en plein milieu. L’événement initial est
insituable, il s’agit d’un événement dont on ne peut se souvenir mais que
l’on peut tout juste reproduire et répéter.
Impossible mémoire et involution du temps.
Dans les pièces de Beckett, le motif de la répétition croise constamment celui
du souvenir. Les personnages tentent de se rappeler un passé proche ou
lointain, mais à chaque fois leurs efforts s’avèrent vains. Les souvenirs, au
mieux, se juxtaposent mais sans parvenir à s’articuler entre eux, c’est-à-dire
sans parvenir à former quelque chose comme une mémoire. Ce processusest particulièrement frappant dans La Dernière Bande (1958) où le protagoniste
dénommé Krapp, assis à sa table, met en marche et arrête un
magnétophone. Krapp écoute ainsi ses souvenirs enregistrés tout au long de
sa vie sous forme de journal ; pourtant ces instants mis bout à bout ne
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forment aucune continuité, rien qui puisse ressembler à une mémoire. Laseule façon pour Krapp de se remémorer le temps passé consiste à écouter
son magnétophone, mais ce passé qu’il cherche à ressaisir, en le répétant
sans fin, se dissout totalement, d’autant plus que la machine finit par
s’enrayer et que les bandes ne diffusent plus que des paroles
incompréhensibles. L’enregistrement conduit ici à une forme de
fragmentation et d’effacement.
Les vidéos de Nauman sont construites sur un modèle quelque peu
similaire, mais montées en boucle, sans début ni fin, elles impliquent
davantage une suspension, voire une involution du temps qu’une
fragmentation de celui-ci. Ces vidéos s’inspirent en cela des premiers films
non narratifs d’Andy Warhol que Nauman décrit ainsi :
Ces bandes continuent sans fin, on peut les regarder ou ne pas les
regarder. Une bande a peut-être déjà commencé, le spectateur entre,regarde un moment, puis il se peut qu’il reparte ; s’il revient huitheures plus tard, la bande passe toujours. […] Cette façon destructurer le temps me plaisait beaucoup27.
La structure du temps qu’implique la boucle est de fait très particulière
puisqu’elle conduit simultanément à une forme d’enroulement, de
suspension et de dissolution du temps. La répétition retient en quelque sorte
l’instant et fait ainsi obstacle à toute progression linéaire. Selon une
temporalité aux accents beckettiens, l’action ne se déroule pas mais se répète
sans fin, les choses finissent et durent à la fois, ou pour le dire autrement,
n’en finissent pas de finir. La répétition apparaît à la fois comme ce qui
empêche le temps de passer et la mémoire de se sédimenter. Le temps passe
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sans passer, les secondes se brisent les unes contre les autres sans constitueraucune continuité, comme l’explique le narrateur de L’Innommable :
C’est la fin qui est le pire, non, c’est le commencement qui est le pire,puis le milieu, puis la fin, à la fin c’est la fin qui est le pire, cette voixqui, c’est chaque instant qui est le pire, ça se passe dans le temps, lessecondes passent, les unes après les autres, saccadées, ça ne coulepas, elles ne passent pas, elles arrivent, pan, paf, pan, paf, vousrentrent dedans, rebondissent, ne bougent plus, quand on ne saitplus quoi dire on parle du temps, des secondes, il y en a qui les
ajoutent les unes aux autres pour en faire une vie, moi je ne peuxpas, chacune est la première, non, la seconde, ou la troisième, j’aitrois secondes, et encore, pas tous les jours28.
Répéter pour se tenir prêt
La façon dont fonctionne le principe de répétition dans les œuvres de
Beckett et Nauman peut être éclairée par l’analyse que donne Freud du
phénomène de compulsion de répétition dans Au-delà du principe de plaisir 29.
Ce processus se trouve selon lui étroitement lié à la question du trauma etdes névroses traumatiques. Partant de l’idée que l’économie des processus
psychiques est globalement régie par un principe de plaisir et que chaque
individu cherche toujours, en général, à substituer un état agréable à un état
pénible, Freud s’interroge sur ces cas dans lesquels un individu répète des
expériences déplaisantes. Dans les névroses traumatiques liées à un accident,
par exemple, le sujet peut ainsi rêver de façon répétée de celui-ci. Pourquoi
se soustraire au principe de plaisir et entrer si frontalement en conflit aveclui ? Freud est amené à postuler une tendance irrésistible à la répétition qui
s’affirme sans tenir compte du principe du plaisir, en se mettant au-dessus,
au-delà de lui. Les rêves, dans lesquels le sujet se trouve ramené à la situation
qui a causé le choc, ont en réalité « pour but de faire naître chez le sujet un
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état d’angoisse qui lui permette d’échapper à l’emprise de l’excitation qu’il asubie et dont l’absence a été la cause de la névrose traumatique. »30
L’angoisse suscitée par le rêve est donc une façon d’anticiper et de répondre
à l’événement traumatisant. Elle s’avère indispensable pour maîtriser autant
que possible la situation et ne pas se trouver débordé par celle-ci. En
répétant l’événement et en déclenchant lui-même le signal d’angoisse, le moi
cherche ainsi à se préparer au choc.
Comme il n’est plus possible d’empêcher l’envahissement del’appareil psychique par de grandes quantités d’excitations, il ne resteà l’organisme qu’une issue : s’efforcer de se rendre maître de cesexcitations, d’obtenir leur immobilisation psychique d’abord, leurdécharge progressive ensuite31.
La répétition dans sa double acception de recommencer mais aussi de se préparer
à, a donc entre autres pour fonction d’atténuer l’intensité du choc. Hamm et
Clov répètent ainsi tout au long de Fin de Partie le départ de Clov, départ
imminent quoique toujours différé. Toute la pièce est donc orientée vers
cette fin qui doit se produire, vers cette fin annoncée par Hamm dès le début
de la pièce : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir »32, et qui
pourtant n’advient pas puisque lorsque le rideau tombe, Clov se trouve
toujours à la même place33.
Définition de l’art par Nauman et « esthétique du choc » selon Walter
Benjamin.
Si les effets de répétition suscitent un sentiment de malaise chez Nauman et
Beckett, c’est sans doute parce qu’ils manifestent, en filigrane, l’existence
d’un choc initial, non représenté, mais constamment reproduit. L’impression
que quelque chose a eu lieu, et peut à tout moment se répéter, ou que
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quelque chose va arriver, maintient acteurs et spectateurs dans un étatd’attente angoissée34. Or le corps qui attend est un corps qui répète et,
inversement, le corps qui répète est un corps en suspens. Reprendre sans
cesse les mêmes postures ou les mêmes discours permet ainsi aux
personnages de canaliser l’intensité de cet événement qui menace à tout
instant de faire (ou refaire) surface. Il s’agit donc, à travers la répétition,
d’amortir le choc voire de l’anticiper en le produisant soi-même.
Le sentiment de perte ou d’abandon affleure constamment chez Beckett et
il est sans cesse évoqué par les personnages comme si le fait de le verbaliser
ou de le mimer pouvait le conjurer. La plupart des personnages redoutent la
solitude : Hamm vit dans la crainte de voir Clov le quitter, Winnie est
terrifiée à l’idée de ne plus voir Willie, Vladimir cherche à retenir Estragon.
Chez Beckett, les personnages s’épuisent littéralement en cela à continuer, à
répéter les mêmes mouvements et les mêmes phrases. Chez Nauman, les
personnages semblent, à l’inverse, toujours mettre la même énergie dans le
renouvellement de leurs gestes (comme par exemple dans la vidéo Double No
où un clown saute sans fin sur ses pieds en criant No, no, no35.)
Si l’idée d’épuisement est reprise par Nauman, elle l’est donc sur un mode
plus brutal, plus direct que chez Beckett. Nauman s’attache en effet tout
particulièrement à suggérer, à travers la répétition d’actions aussi anodines
que marcher en rond ou sauter sur place, des effets de choc et d’intensité36.
Son travail, on l’a vu, se soustrait délibérément au modèle de la
contemplation ou du recueillement, se rapprochant en cela de l’« esthétique
du choc » que Walter Benjamin analyse à propos du dadaïsme : « De
spectacle attrayant pour l’œil ou de sonorité séduisante pour l’oreille,
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l’œuvre d’art, avec le dadaïsme, se fit projectile. Le récepteur en étaitfrappé.»37 Le dadaïsme, selon Benjamin, ne fait par là qu’anticiper l’effet de
choc propre au cinéma. Celui-ci étant en effet :
La forme d’art qui correspond à la vie de plus en plus dangereuse àlaquelle doit faire face l’homme d’aujourd’hui. Le besoin de s’exposer àdes effets de choc est une adaptation des hommes aux périls qui les menacent. Lecinéma correspond à des modifications profondes de l’appareilperceptif, celles mêmes que vivent aujourd’hui, à l’échelle de la vie
privée, le premier passant venu dans une rue de grande ville, àl’échelle de l’histoire, n’importe quel citoyen d’un Etatcontemporain38.
Le cinéma, en assénant une série de coups au spectateur, lui apprend à
s’adapter à une société dont les rythmes s’accélèrent et dans laquelle les
dangers se multiplient. En opérant le passage d’une esthétique du
recueillement à une esthétique de la distraction, le cinéma donne au
spectateur la capacité de s’accoutumer aux chocs qui ponctuent la vie
moderne. Comme le résume Eric Michaud,
Benjamin esquissait ainsi par fragments une théorie générale de lafonction de l’art : si la frayeur que produit un choc résulte, commel’avait dit Freud, d’une “absence de préparation au danger”, et sidonc un choc peut être “atténué par un entraînement du sujet dansla maîtrise des stimuli ”, alors l’une des fonctions majeures de l’art estbien de préparer les hommes au danger en les entraînant à maîtriserles effets de stimuli négatifs toujours plus nombreux39.
Cette esthétique du choc, telle que la décrit Benjamin, entre singulièrement
en résonance avec la définition de l’art que propose Nauman dans un de ses
entretiens, dans lequel il dit s’inspirer du musicien de bi-bop, Lenny
Tristano. Ce pianiste, explique Nauman, ne jouait ni introduction ni final,
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mais simplement quelque chose de très intense pendant deux minutes, vingtminutes ou plus :
Dès le début j’ai essayé de voir si je pouvais réaliser quelque chosequi produirait cet effet. Un art qui surgirait comme ça tout d’uncoup. Un art qui agirait comme un coup de batte de base-ball enpleine face. Ou mieux, un art qui agirait comme un coup sur lanuque qu’on ne voit pas venir et qui vous étend. Une espèced’intensité qui ne s’expose pas au jugement et à l’appréciation40.
L’art, pour Nauman, consiste donc avant tout à rechercher de tels effets
d’intensité, soit directement à la façon d’« un coup de batte de base-ball en
pleine face », soit indirectement et sur un mode plus beckettien, en
multipliant les effets de répétition qui préparent et anticipent la déflagration
du choc.
Corps désarticulés, langue disjonctive, mémoire lacunaire : on se trouve
chez Nauman, comme chez Beckett, dans l’ordre du morcellement. Lescorps comme le langage, mais aussi la mémoire, y apparaissent sous une
forme éclatée et incomplète. Les gestes, les mots, les souvenirs s’épuisent
sans suggérer de continuité, les mouvements ne s’articulent pas les uns aux
autres, les sons se juxtaposent sans former de récit. Discontinues, répétitives,
les œuvres de l’écrivain comme celles du plasticien peuvent être relues ou
revues sans fin, et l’angoisse qui s’en dégage continuellement semble
précisément venir de cette structure en boucle. En mettant les corps àl’épreuve de la répétition, Beckett et Nauman produisent donc un sentiment
d’angoisse dont l’enjeu consiste à anticiper et à amortir les chocs. Chez
Beckett comme chez Nauman, la répétition est ainsi le signe d’un trauma
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dont il n’est pas explicitement question, mais qui affleure constamment, quimenace de surgir et de frapper par derrière, sans prévenir.
1 Voir Bruce Nauman, Slow angle walk (Beckett walk) (1968) ; Dance or exercise on the perimeter of a square (1967-1968) ; Stamping in the studio (1968).2 Samuel Beckett, Molloy, Paris, Éditions de Minuit, 1953, p. 97, « Je sortis de sous l’auvent
et me mis à me balancer lentement en avant, à travers les airs. La démarche du béquillard,cela a, cela devrait avoir, quelque chose d’exaltant. Car c’est une série de petits vols, à fleurde terre. On décolle, on atterrit, parmi la foule des ingambes, qui n’osent soulever un piedde terre avant d’y avoir cloué l’autre. Et il n’est jusqu’à leur course la plus joyeuse qui nesoit moins aérienne que mon clopinement. »3 Id., Watt , Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 31-32, « La méthode dont usait Watt pouravancer droit vers l’est, par exemple, consistait à tourner le buste autant que possible vers lenord et en même temps à lancer la jambe droite autant que possible vers le sud et puis àtourner le buste autant que possible vers le sud et en même temps à lancer la jambe gaucheautant que possible vers le nord […] et ainsi de suite, inlassablement, sans halte ni trêve,
jusqu’à ce qu’il arrivât à destination, et pût s’asseoir. »4 Id., L’Innommable, Paris, Editions de Minuit, 1953, p. 59-60, « J’avais déjà fait une bonnedizaine de pas, si on peut appeler ça des pas, non pas en ligne droite bien sûr, mais selon
une courbe fort prononcée, laquelle, sans peut-être me ramener précisément à mon pointde départ, semblait destinée à me le faire frôler de fort près, pour peu que je m’y maintinsse.
Je m’étais probablement empêtré dans une sorte de spirale renversée, je veux dire dont lesboucles, au lieu de prendre de plus en plus d’ampleur, devaient aller en rétrécissant, jusqu’àne plus pouvoir se poursuivre, vu l’espace d’espèce où j’étais censé me trouver. »5 S. Beckett, « Trio du fantôme », dans Quad et autres pièces pour la télévision, Paris, Éditions deMinuit, 1992, p. 21.6 Voir B. Nauman, My last name exaggerated fourteen times vertically (1967), néon.7 Jean-Charles Masséna, « Danse avec la loi » dans Bruce Nauman, Image/ texte 1966-1996 ,Paris, Centre Pompidou, 1997, p. 32.8 La répétition au sens théâtral ou chorégraphique procède d’ailleurs, sur un mode moinscoercitif, mais peut-être tout aussi rigoureux, de ce phénomène.9 Le langage se prête chez Nauman à toutes sortes de jeux de mots, palindromes et
anagrammes.10 Gilles Deleuze, « L’Épuisé », dans S. Beckett, Quad et autres pièces pour la télévision, Paris,Éditions de Minuit, 1992.11 Id., « Acte sans parole 1 » dans Comédie et Actes divers, Paris, Éditions de Minuit, 1972.12 Marie-Claude Hubert, Langage et corps fantasmé dans le théâtre des années cinquante. Ionesco,
Beckett, Adamov, Paris, José Corti, 1987, p. 119, « Ces stimuli extérieurs impérieux, quicommandent la parole ou les gestes des personnages et auxquels ces derniers répondentaveuglément, symbolisent l’aliénation des héros, soumis à des pulsions si fortes qu’ils nepeuvent se comporter que comme des automates. Le projecteur force F1, F2 et H à parler,
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à se souvenir, alors qu’ils n’aspirent qu’au silence. (…) Les voix off, comme les stimuli, ontune coloration persécutoire nettement marquée. Leurs ordres sont implacables, lepersonnage ne peut s’y dérober, pas plus que le délirant ne peut échapper aux injonctionsque lui donnent ses voix. »13 Michel Foucault, Surveiller et punir , Paris, Gallimard, 2008, p. 195, « Toute l’activité del’individu discipliné doit être scandée et soutenue par des injonctions dont l’efficace reposesur la brièveté et la clarté ; l’ordre n’a pas à être expliqué, ni même formulé ; il faut et ilsuffit qu’il déclenche le comportement voulu. Du maître de discipline à celui qui lui estsoumis, le rapport est de signalisation : il s’agit non de comprendre l’injonction mais depercevoir le signal, d’y réagir aussitôt, selon un code plus ou moins artificiel établi àl’avance. »14 Ibid., p. 66.15 Ibid. (je souligne).16 Ibid., p. 69-70 (je souligne).17 Ibid., S. Beckett cité par Deleuze, p. 70 (je souligne).18 S. Beckett, L’Innommable, op. cit., p. 98, « Moi je ne suis pas de ceux qui risquent dechanger de chanson. Je n’ai qu’à continuer, comme s’il y avait quelque chose à faire,quelque chose de commencé, quelque part où aller. Tout se ramène à une affaire deparoles, il ne faut pas l’oublier, je ne l’ai pas oublié. »19 S. Beckett, Oh les beaux jours, Paris, Editions de Minuit, 1963, p. 26-27, « De sorte que jepeux me dire à chaque moment, même lorsque tu ne réponds pas et n’entends peut-êtrerien, Winnie, il est des moments où tu te fais entendre, tu ne parles pas toute seule tout àfait, c’est-à-dire dans le désert, chose que je n’ai jamais pu supporter – à la longue. (Untemps) C’est ce qui me permet de continuer, de continuer à parler s’entend. »20 François Noudelmann, Beckett ou la scène du pire, Paris, Honoré Champion Editeur, 1998,
p. 65.21 S. Beckett, Oh les beaux jours suivi de Pas Moi , Paris, Éditions de Minuit, 1986, p. 87.22 Ibid. p. 89, « imaginez !... aucune idée de ce qu’elle raconte !... et ne peut arrêter…impossible arrêter… elle qui un instant d’avant… un instant !... rien pu sortir… pas unson… aucun son d’aucune sorte… la voilà qui ne peut arrêter… imaginez !... »23 S. Beckett, En attendant Godot , Paris, Éditions de Minuit, 1991, p. 80.24 On retrouve le même principe de circularité dans la pièce de Nauman, Clown Torture (1987) dans laquelle un clown répète sans fin la même histoire : « Pete and Repeat weresitting on a fence. Pete fell off. Who was left ? Repeat. Pete and Repeat were sitting on afence… »25 Ce principe est repris et poussé à son extrême par certaines installations vidéo deNauman. La répétition oscille, dans Clown Torture (1987) par exemple, entre le jeu d’enfantet la torture pure et simple.26 F. Noudelmann, op. cit, p. 20 : « Répéter, c’est aussi bien déployer que déliter. Deleuze asu trouver le mot qui règle ces répétitions : « épuiser » qui dit à la fois l’affaiblissement etl’exténuation. De fait la répétition peut à la fois se poursuivre à l’infini et se perdre à lamanière de l’écho. »27 Chris Decon, Entretien avec B. Nauman, « Décomposer, Décomposer sans cesse » dans
Bruce Nauman, Image/ texte 1966-1996 , op. cit., p. 99.28 S. Beckett, L’Innommable, op. cit., p. 222.29 S. Freud, « Au-delà du principe du plaisir » dans Essais de Psychanalyse, trad. S.
Jankélévitch, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1973.
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30 Ibid., p. 40.31 Ibid., p. 36.32 S. Beckett, Fin de Partie suivi de Acte sans parol es, Paris, Éditions de Minuit, 1957, p. 10.33 F. Noudelmann parle à ce propos d’une « fin inchoative, sans cesse ébauchée,abandonnée, reprise. », op. cit., p. 116.34 De là, le thème de l’attente sans véritable objet dans En attendant Godot , ou encore del’attente déçue ou court-circuitée par un retour au même dans les vidéos de Nauman.35 Voir B. Nauman, Double No (1988), installation vidéo.36 Voir Jean-Pierre Criqui, « Pour un Nauman » dans Un trou dans la vie. Essais sur l’art depuis1960, Paris, Desclée de Brouwer, « Arts & Esthétique », 2002.37 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » dansŒuvres, (trad. de M. Gandillac, R. Rochlitz, P. Rusch), Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, t.
3, 2000, p. 309.38 Ibid., (je souligne).39 Eric Michaud, Histoire de l’art. Une discipline à ses frontières, Paris, Hazan, 2005, p. 45.40 Joan Simon, Entretien avec B. Nauman, « Rompre le silence » dans Bruce Nauman, Image/ texte 1966-1996 , op. cit., p. 107.
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Bibliographie
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Paris, Éditions de Minuit, 1992.Beckett, Samuel, Acte sans parole 1, dans Comédie et Actes divers, Paris, Éditions
de Minuit, 1972.Beckett, Samuel, Oh les beaux jours, Paris, Éditions de Minuit, 1963.Beckett, Samuel, Oh les beaux jours, suivi de Pas Moi , Paris, Éditions de
Minuit, 1986.Beckett, Samuel, En attendant Godot , Paris, Éditions de Minuit, 1991.Beckett, Samuel, Fin de Partie, suivi de Acte sans paroles, Paris, Éditions de
Minuit, 1957.Benjamin, Walter, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique » dans Œuvres, (trad. M. Gandillac, R. Rochlitz, P. Rusch),Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, t. 3, 2000.
Criqui, Jean-Pierre, Un trou dans la vie. Essais sur l’art depuis 1960, Paris,Desclée de Brouwer, 2002.
Deleuze, Gilles L’Épuisé , dans Samuel Beckett, Quad et autres pièces pour latélévision, Paris, Éditions de Minuit, 1992.
Foucault, Michel, Surveiller et punir , Paris, Gallimard, 2008.Freud, Sigmund, « Au-delà du principe du plaisir » dans Essais de
Psychanalyse, trad. Sophie Jankélévitch, Paris, Petite BibliothèquePayot, 1973.
Hubert, Marie-Claude, Langage et corps fantasmé dans le théâtre des annéescinquante. Ionesco, Beckett, Adamov, Paris, José Corti, 1987.
Noudelmann, François, Beckett ou la scène du pire, Paris, Honoré ChampionÉditeur, 1998.
Michaud, Eric, Histoire de l’art. Une discipline à ses frontières, Paris, Hazan, 2005.Van Assche, Christine (sous la dir.), Bruce Nauman, Image/ texte 1966-1996 ,trad. Jean-Charles Masséra, Paris, Centre Pompidou, 1997.