Nés à Minuit – Renaissance – Tome 1 –...
Transcript of Nés à Minuit – Renaissance – Tome 1 –...
Jedédiecelivreàtouscesmerveilleuxlecteursetàmesamis
quidéfendentmeslivressansrelâche:BettyHobbs,SusanetAllyBrittain,
ShawnaStringeretLuceroGuerrero.
UncoupdechapeauàNatashaBenway,lameilleurebibliothécairepourenfantsquisoit.
Enfin,ungrandmerciàmonéquipedechoc.Vousêtesgéniaux!
Lemonstre fonçaitdroit surDellaTsang.Mêmedans l’obscuritéde la ruelleéclairéepar
les seuls rayons de lune, elle aperçut ses crocs jaunis, ses griffes sales et ses redoutablescorneseffiléescommedeslames.Lacréatureluirappelaitunegargouillegéanteetdodue,maisàpartça,ellen’avaitpaslamoindreidéedecequec’était.
Pasunvampire,entoutcas.Cetrucétaitbeaucouptropmoche.Peut-être un loup-garou enragé. Elle en avait entendu parlermais n’en avait jamais
croisé.Elleessayadedistinguerlaconfigurationdelabête.Chaqueespèceenavaitunebien
précise, que les surnaturels avaient le don d’identifier. Sauf que le monstre se déplaçaitbeaucouptropvite.
Della était aumoins sûre d’une chose : il n’était pas venu en paix. Il avait les yeuxinjectésdesang,leregardmeurtrier.Sesintentionsnefaisaientaucundoute.
Elle avait le choix : se carapater ou se battre. Seuls les lâches fuient la bataille, serappela-t-elle, son cœurmartelant dans sa poitrine. Elle prit une profonde inspiration etajustalehautdesonpyjama–celuiavecdesSchtroumpfs–,prêteàaffronterlabête.
MonpyjamaSchtroumpfs?Qu’est-cequ’ellefabriquaitenpyjamadansuneruelleauclairdelune?Tandisquelesbrumesdesonespritsedissipaientunpeu,elleserenditcomptequ’elle
avaitunetroisièmeoption:seréveiller.
Cen’étaitqu’unrêve.Pourtant, le simple faitdese réveillerpouréchapperàcetaffrontement luiparaissait
lâche,orDellaTsangétaittoutsauf lâche.Ellese laissadonchapperpar lecauchemaretvitlemonstreseprécipitersurelle.Ill’atteindraitdansquelquessecondes.
Une.Deux.Trois.La bête énorme puait la mort. Arrivée à une trentaine de centimètres de Della, elle
bonditpar-dessuslajeunefilleet,danssonélan,setorditpourretomberderrièresondos.Della n’eut pas le temps de faire volte-face. La créature lui sauta sur les épaules, et lavampiresentitunedouleurcuisanteàlabasedesanuque,commesiunegriffeouuncroclui avait brisé la colonne vertébrale. Elle leva le bras et attrapa la peau étonnammentmoelleusedelachose,puistiradetoutessesforcespoursedébarrasserdumonstre.
–Dégage,grostaspuant!Unbruitsourdlaréveillapourdebon.Elleseredressa,enpanique,etvitsonoreiller–
l’objetsidouxqu’elleavaitprispourlegrostaspuant–àmoitiéencastrédansleplâtredesonmur.
Rectificatif:lemurdesesparents.Elleétaità lamaisonpour leweek-end– l’école leur imposaitderentrerchezeuxde
tempsentemps.Àlamaison.Cetteidéerestacoincéedanssonespritcommeunearêteentraversdela
gorge.Ellen’étaitpluschezelle,ici.ShadowFallsétaitdevenusonfoyer,cetinternatquetout
lemondeprenaitpouruncentrederéinsertionpouradolescentsendifficultémaisqui,enréalité,accueillaitdejeunessurnaturelsetleurapprenaitàvivreavecleursdons.
Kylie,Miranda,toussesamis…c’étaienteux,safamille,àprésent.Dellaparcourutduregardsachambredegamine.Cettepiècetrufféedesouvenirs luirappelait toutcequ’elleavaitperdu.
Ellereportasonattentionsurl’oreilleràmoitiécoincédanslemur.Etmerde!Ellesemorditlalèvreenessayantdetrouverunmoyend’expliquerçaàsesparents.Puisellepivotaetaperçutlacoiffeusedisposéecontrelemurd’enface.Ellen’avaitqu’à
réaménagersachambrepourdissimulerletrou,etletourseraitjoué.Quandelleretournalatêteversl’oreiller,elleperçutunevivedouleuràlabasedesanuque.Pileàl’endroitoùcettesaletédemonstrel’avaitgrifféeoumordue,danssoncauchemar.
Ellesemassadoucement,etsentitquelquechosedelégèrementgluant.Enexaminantsesdoigts,elleaperçutunetracedesang.Hein?
Entâtonnant,ellecompritqu’ungrosboutonavaitpointépendantlanuit.C’étaitsansdoutecequiavaitcausécerêvecomplètementfou.L’odeurdesonpropresangluirappelaqu’elle ne s’était pas alimentée depuis deux jours, mais il n’aurait pas été prudentd’apporterunepochedesangchezsesparents.
Ladernière foisqu’elleétait revenue là, elleavait surpris samèreen trainde fouillerdanssesaffaires.
– Pardon, lui avait dit cette dernière d’un air penaud. Je voulais m’assurer que tun’avaispasrapportéde…Jemefaisdusoucipourtasœur,tucomprends.
–Ahbon?Tunet’enfaispluspourmoi?avaitdemandéDella.Celanel’avaitpaschiffonnéeplusqueçaquesamèrecroiequ’ellesedroguait.Cequi
lui avait faitmal, ç’avait été de constater qu’elle ne s’inquiétait plus pour elle.Della étaitsortie de la pièce avant que samère ait le temps de répondre. Si elle avait menti, Dellal’auraitperçuàsonrythmecardiaque.
Refoulantcepassédésagréable,ellepritunmouchoirenpapiersursatabledenuitettamponnadoucementsanuquepourarrêter lesaignement.Auboutdequelquesminutes,elle le jetaà lapoubelle,récupéra l’oreillerdans lemuretdéplaça lacoiffeusedefaçonàdissimulersonpetitaccidentdecauchemar.
Ellereculad’unpasetadmira lerésultatavecunsoupirdesoulagement.Sesparentsneserendraientpascomptedel’astuce–ou,dumoins,pastoutdesuite.Sonpèrefiniraitsansdoutepardécouvrir letrou.Alors ilappelleraitDellapourluifairepartdel’immensedéception qu’elle lui avait causée, une fois de plus. Autant repousser l’instant de cedésagréablecoupdefil.
Encroisantsonrefletdanslemiroir,elleeutunerévélation.Elleétaitpeut-êtrecapabled’affronter des monstres – dans la vraie vie comme dans ses rêves – mais, à la simpleperspective de faire face à ses parents, de voir leur dépit quand ils la regardaient, elleredevenaitunepetitefilleapeurée.
Ils avaient perçu chacun des petits changements qui l’avaient affectée depuis qu’elleavait été transformée en vampire comme un acte de rébellion. Ils la prenaient pour uneadolescente grincheuse et égoïste, sans doute droguée, peut-être même enceinte, etmanifestementdécidéeàfairedeleurvieunenfer.Pourtant,ellepréféraitqu’ilscroientcelaplutôtqued’apprendrelavérité.
Ellesedemandaitparfoissiellen’auraitpasmieuxfaitdesimulersamort–lasolutiondefacilitéquechoisissaientlaplupartdesadolescentsdanssoncas.Celaauraitétéhorriblede perdre sa famille,mais après tout, n’était-ce pas ce qui était en train de se passer detoutefaçon?Ilsdevenaientdeplusenplusdistants.Ilsneluiparlaientpresqueplus.Quantà la serrer dans leur bras, ça remontait à une éternité. Ils luimanquaient tellement que,parfois,elleavaitenviedeleurhurlerquecen’étaitpassafaute.Ellen’avaitpasdemandéàdevenirvampire.
–Qu’est-cequetufais?demandaunevoixfluettederrièreelle.Della sursauta. Normalement, avec son ouïe surdéveloppée, elle entendait sa petite
sœurseretournerdanssonsommeil.Commentcettedernièreavait-ellepuseglisserdanssachambresansqu’elles’enrendecompte?
–Rien,rien,ditDella.Ettoi?Qu’est-cequetufaisdebout?– Tu faisais du bruit, répondit Marla avant d’écarquiller les yeux. Tu as déplacé ta
coiffeuse!Dellajetaunregardaumeuble.–Oui.Jen’arrivaispasàdormir,alorsj’enaiprofitépour…changerunpeuladéco.–Maisc’estsuperlourd,cetruc!–Jemangemescinqfruitsetlégumesparjour.Ilfautcroirequeçamarche.Marlafronçalessourcils.–Pourtant,tun’aspresquerienavaléaudîner.Mamans’inquiètepourtoi.Cen’estpasvrai,pensaDella.Marlainspectalapièceuninstant.–D’ailleurs,tuluiasdemandél’autorisationderéaménagertachambre?–Qu’est-cequeçapeutluifaire?–Jen’ensaisrien,maistuauraispeut-êtremieuxfaitdeluienparleravant,répondit
Marlaenhaussantlesépaules.Dellasemorditlalèvre.Avantsamétamorphose,elleauraitsansdoutedemandél’avis
de sa mère, même pour quelque chose d’aussi trivial que ça. C’était sans doute un desavantagesdeShadowFalls.HolidayetBurnettdirigeaientl’écoled’unemainferme,maisilslaissaient suffisamment de liberté à leurs étudiants pour que ces derniers volent de leurspropres ailes – ou se ramassent par terre. Jusque-là,Della ne s’était pas ramassée. Enfin,pas tropviolemment.Aucoursdes sixderniersmois, elleavait commencéàapprécier sonindépendance.
Marla s’approcha doucement d’elle. Sa chemise de nuit rose ne lui arrivait qu’à mi-cuisse,etDellaserenditcomptequesasœuravaitchangé.Elleavaitbeaucoupgrandiet,àquatorzeans, elle avait perdu son côtépetite fille. Ses longs cheveuxnoirs étaient encoreplus foncés que ceuxdeDella.Des deux sœurs, c’était celle qui ressemblait le plus à leurpère,avecsestraitsasiatiques.
Papadoitêtrecontent,seditDella.–Tuvasbien?demandaMarla.AvantqueDellanedevinesonintention,sasœurtenditlamainverselleetlatoucha.
Elleeutunmouvementderecul,maisMarlalaretintparlebras.–Oui,çava.–Pourtant,tuesgelée,rétorquaMarlaavecunepetitemoue.Jenetereconnaisplus.
Tuastoutletempsl’airgrincheuse.
C’estparcequej’aifaim!–Jet’assurequejevaisbien.Allez,tuferaismieuxdeterecoucher.Marlanebougeapasd’unpouce.–Jeveuxretrouvermagrandesœurd’avant.Della sentit soudain ses paupières la piquer. Parfois, elle aussi se prenait à regretter
cettefille-là.–Ilesttard,souffla-t-elleencillantpourchassercemomentdefaiblesse.EllepleuraitrarementàShadowFalls,maischezsesparents,leslarmesluimontaient
facilementauxyeux.Était-ceparcequ’ellesesentaitplushumainequandelleétaitdanssafamille?Ouparceque,aucontraire,elleavaitl’impressiond’êtrelemonstrequesesparentsverraientenelles’ilsapprenaientlavérité?
– Papa se fait beaucoup de souci pour toi, tu sais, reprit Marla. J’ai entendus lesparentsdiscuter,l’autrejour.Papadisaitquetuluirappelaissonfrère.Apparemment,ilestdevenufroidetcompliqué,puisilestmort.Tunevaspasmourir,hein?
DellasurmontasesémotionspourseconcentrersurcequeMarlavenaitderévéler.–Papan’ajamaiseudefrère.– Si. Moi non plus, je ne le savais pas. J’ai demandé à maman, depuis, et elle m’a
confirmé que papa avait eu un frère jumeau, mais qu’il était mort dans un accident devoiture.
–Pourquoiest-cequ’iln’enparlejamais?fitDella.–Tuconnaispapa,iln’aimepasparlerdecequiluifaitdelapeine.Ilneparleplusde
toi,nonplus.LecœurdeDellaseserra.EllesavaitbienqueMarlan’avaitpasditçaparméchanceté,
maiscelan’empêchapascesparolesdel’atteindrecommeunpoignardbienaiguisé.Elleeutenviedeseroulerenboulepourpleurercommeunedégonflée.
Saufquec’étaitimpossible.Lesvampiresn’étaientpasdesdégonflés.
Deuxheuresplustard,lesoleiln’étaittoujourspaslevé.Dellaregardaitleplafonddesachambre,latêteposéesurl’oreillerquil’avaitattaquéedanssonrêve.Iln’étaitpasrarequ’ellen’arrivepasàdormir,maiscettefois,soninsomnien’étaitpasduequ’àseshabitudesnocturnesdevampire.Sanuqueluifaisaitmal.Elledécidadenepasyfaireattention.Ellen’allaitquandmêmepasselaisserabattreparunvulgairebouton.
Elleserappelaundictonquerépétaitsouventsamère:«Lesgiflesetlescoupscausentdesplaiesetdesbosses,maislesmotsnesauraientmefairesouffrir.»
Dellaignoraitoùsamèreavaitdégottéceproverbedébile,maiselleavaittoutfaux.«Tuconnaispapa,iln’aimepasparlerdecequiluifaitdelapeine.Ilneparleplusde
toi,nonplus.»Cesmots-làluiavaientbrisélecœur.Tandisque lanuit suivait lentement soncours,Della repensaàcequ’avaitditMarla.
«Papadisaitquetuluirappelaissonfrère.Apparemment,ilestdevenufroidetcompliqué,
puisilestmort.»Ces phrases lui trottaient dans la tête comme si elles détenaient un secret vital.
Soudain, Della se redressa quand elle comprit. Son père avait-il utilisé « froid » de façonlittérale, ou dans le sens de « distant » ? Était-il possible que son oncle ait été… unvampire?Avait-ilsimulésapropremortpourépargneràsafamillel’horriblevérité?
LeV-1,levirusduvampirisme,setransmettaitparmilesmembresd’unemêmefamille.Della savait déjà que son cousin Chan était un vampire. Sauf que ce dernier aimait fairecavalierseuletdéfierleslois,cequinefacilitaitpasleursrelations.
Le frère jumeau de son père, en revanche… S’il ressemblait à son père, ce serait unhommesévèremaisjuste,respectueuxdesrèglesaupointd’enêtreunpeurigide.Ceseraittoutsaufunhors-la-loi.S’ilressemblaitàsonpère,évidemment…
Leproblème,c’estqu’ellen’avaitaucunmoyendeselanceràsarecherche.Sonpèreneluidonneraitaucuneinformation,pasplusquesamère.QuantàMarla,elle luiavaitdéjàsûrementdittoutcequ’ellesavait.
Des questions commençaient à se bousculer dans sa tête. Comment s’appelait-il ?Oùvivait-ilquandilavaitdisparu?Ilavaitpeut-êtrevraimenttrouvélamortdansunaccidentdevoiture…
Soudain,uneimagelointaineluirevintenmémoire–celled’ungrosalbumphoto.Sonpèrel’avaitsortiquelquesannéesauparavantpourleurmontrerunportraitdesonarrière-grand-mère. Della en revit la couverture de cuir et se rappela que son père l’avait rangédanssonbureau,danslemeubleoùilenfermaitsesbouteillesd’alcool.
L’album s’y trouvait-il toujours ? Contiendrait-il une photo du jumeau de son père ?Unephotoavecsonnomécritdessous,peut-être?Dellaseleva,lespoingsserrés.Ilfallaitqu’elleenaitlecœurnet.Uncoupd’œilàl’horlogeluiappritqu’iln’étaitquequatreheuresdumatin.Elleavaittoutletempsd’allervoir.
Elleprituneprofondeinspirationpuissortitdesachambreetdescenditl’escalierpoursefaufilerjusqu’aubureaudesonpère.C’étaitsapièceàlui,sonsanctuaire.Sonpèreétaitunhommetrèssecret.
Ellehésitauninstantetdéglutit,émue.Ellen’aimaitguèrel’idéed’entrerpareffractiondanscetendroitinterdit,maisellenevoyaitpasd’autremoyend’obtenirdesréponsesàsesquestions.
Elletournalapoignéedelaporteetentra.Aussitôtelleperçutl’odeurdesonpère–unmélange caractéristique d’eau de toilette et de thé aux épices bien particulières, avec unsoupçondubrandydont il s’accordaitunverre ledimancheaprèsdîner.Dessouvenirs luirevinrent demoments passés ensemble, dans cette pièce, tous les deux. Il l’avait aidée àfairesesexercicesdemaths,assiseàsongrandbureau.Illuiavaitapprisàjouerauxéchecset luiavait transmissonamourdu jeu.Une foisparsemaine,aumoins, il l’invitaitàvenirdisputerunepartieavec lui.Engénéral, il labattaitàplate couturemais,àuneoudeux
reprises,elleavaiteul’impressionqu’illalaissaitgagner,pourluifaireplaisir.Ilétaitpeut-êtrestrictaupointd’enêtrecoincé,mais il l’aimait.Quiauraitcruquesonamourseraitsifragile?
Àprésent,iln’étaitplusquestiondejeuxoudecomplicitéentrepèreetfille.Maispeut-être que, avec un peu de chance, elle pourrait retrouver une nouvelle figure paternelle.Quelqu’un qui comprendrait les difficultés auxquelles elle était confrontée. Un oncle quiéprouverait peut-être de l’affection pour elle, alors même que son propre père lui avaittournéledos.
Elle s’agenouilla devant le bar. Si ses souvenirs étaient exacts, l’album se trouvait aufond, derrière le brandy. Elle sortit la bouteille dumeuble et tendit le bras à l’intérieur.Quandsesdoigtsrencontrèrentlasurfacedouceduvieuxcuir,soncœurs’emballa.
Ellesaisitlegrosvolume,s’assitentailleuretl’ouvrit,maisilfaisaittropsombre.Elleserappela que son père gardait une lampe de poche dans un tiroir, en cas de panne decourant.Elleserelevadoncets’approchadubureau.
Elletrouvalalampesansmal,maiscequ’elledécouvritalorsluicoupalesouffle:unephotod’elleetdesonpère,priselorsd’untournoid’échecs,etquiavaitlongtempstrônésurunedes étagèresde lapièce, avaitdisparu.Della se retournavers lemeuble enquestion,aussividequesonproprecœur.
Plusdéterminéequejamaisàretrouversononcle,elleretournas’asseoir.Ellecalal’albumphotosursesgenouxetallumalalampedepoche.Lesclichésétaient
sivieux,sidélavés,qu’illuifallaitparfoisplisserlesyeuxpourdistinguerdequiils’agissait.Certainespagescontenaientdesphotosdelafamilledesamère.Ellefeuilleta l’album
lentement,avecunsoininfini,croisantparfoisdesvisagesquiluiparaissaientétrangementfamiliers,alorsmêmequ’ellenelesreconnaissaitpas.Danslacourbed’unmentonoud’unejoue,ellevoyaitunpeudesesparents–unpeud’elle-même.
Elleétaitpresquearrivéeàlafindel’albumlorsqu’elleaperçutunephotodesagrand-mèreencompagniedesonpèreetd’unautregarçonquiluiressemblaittraitpourtrait.Ellesoulevalefilmprotecteuretretiratoutdoucementlaphoto.Lepapierenétaitsifinqu’elleavaitpeurdeladéchirer.Elleretintsonsoufflejusqu’àl’avoircomplètementdécollée,toutenpriantpourqu’ilfigureuneinscriptionaudos.Lorsque,enfin,elleretournalecliché,soncœur cessa de battre un instant. « Feng et Chao Tsang avec leurmère,Houston. » Chaoétait leprénomdesonpère.Fengdevaitdoncêtreceluidesononcle.S’ilétaitréellementdevenuvampire,ilsetrouvaitpeut-êtreencoredanslesparages.ÀHoustonou,dumoins,auxÉtats-Unis.
Elle glissa la photo dans la poche de son pyjama. Alors qu’elle s’apprêtait à rangerl’album,elleremarquaunautreclichécoincédanslacouverture.Enleretirant,ellevitqu’ils’agissaitd’ungrouped’enfants,deuxgarçonsetdeuxfilles.L’imageétaitunpeufloue,maisDella crut reconnaître son père en compagnie de son frère jumeau. L’une des deux filles
ressemblaitàsatante.Malheureusement,iln’yavaitriend’inscritaudosdecettephoto-là.Dellalarangeadansl’album,replaçacelui-ciaufonddumeuble,ets’apprêtaitàremettrelabouteilleàsaplacequandquelqu’unallumalalumièredanslebureau.
–Merde!souffla-t-elle.C’était la deuxième fois de la nuit que quelqu’un arrivait dans son dos sans qu’elle
l’entende ! Où était passée son ouïe ultra fine ? Elle se retourna en espérant que ce soitencoreMarla–maisensedoutantqu’ellen’auraitsansdoutepascettechance.
Sonpèrelatoisait,furieux.–Alorscommeça,tuenesréduiteàvolerlebrandydetonpère?Sa colère, sonaccusation…elle auraitpu supporter tout ça,mais c’était ladéception
qu’ellelutdanssonregardquiluidonnaenviedesejeterparlafenêtre.Plusquetout,elleauraitvoulupartirloindeluietdelaviequ’elleaimaitautrefoisetqu’elleavaitperdue.
Aulieudecela,ellefitcequiluivenaitnaturellementfaceàsesparents.Elleserelevaet laissa son père imaginer les pires horreurs à son sujet. C’était toujours mieux que lavérité.
–Turentrestôt,fitremarquerBurnett.Ils’étaitapprochéenlavoyantfranchirleportaildeShadowFalls,tandisquesamère
redémarrait la voiture. Elle ne lui avait pas décroché unmot de tout le trajet. Enmêmetemps,laconversationquiavaitprécédésondépartn’avaitpasétéparticulièrementjoviale.Riendenouveauàcela.
–Oui,dit-elle.Elle n’avait pas envie de parler. Ou, du moins, elle n’avait pas envie de lui parler.
Burnett n’était pas seulement le directeur de Shadow Falls, il faisait également partie del’URF–l’UnitéderecherchedeFallen,ledépartementduFBIquis’occupaitdessurnaturels.Dellaaurait aiméy travailler, elleaussi.Elle étaitpersuadéequ’elle seraitdouéepour ça.Elleavaitdéjàparticipéàuneenquêtedel’URFetattendaitimpatiemmentqu’unenouvelleoccasionseprésente.EllepréféraitdoncéviterdeparaîtrevulnérableauxyeuxdeBurnett.Par ailleurs, elle savait qui elle avait besoin – et envie –de voir en cet instantprécis : uncertainmétamorphe qui avait le chic pour toujours trouver lemot juste. Sauf qu’il n’étaitsansdoutepasencorerentré.
– Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Burnett en pressant le pas pour rester à sahauteur.
–Rien.Elle se moquait complètement que son rythme cardiaque trahisse sonmensonge. De
toute façon, son cœur était trop brisé pour révéler quoi que ce soit. C’était dumoins sonimpression.
–Della,arrête-toiunesecondeetdis-moicequinevapas, insistaBurnett surun tonautoritaire.
–Pourquoifaire?rétorqua-t-elle,irritée.Aprèsavoirjouélagentillefilletoutleweek-end,ellen’avaitvraimentpaslapatience
d’essuyeruninterrogatoireenrègle.Soudain,Holiday, l’autre directrice de l’école – qui était aussi la femmede Burnett –
s’approchaensedandinantdoucement,leventrearrondiparleurfuturenfant.–Qu’est-cequisepasse?–Rien.Jeveuxretrouvermonbungalow,c’esttout.–Tuesenavance,ajoutaHoliday.–Quoi ? C’est un crime de rentrer en avance ? Vous voulez que je reparte et que je
reviennedansquatreheures?Çapeutsefaire,voussavez.– Non. Ce que nous voulons, c’est que tu nous racontes ce qui te chiffonne, articula
Burnettd’unairexaspéré.–Jenesuispaschiffonnée,marmonnaDellaenhaussantlesépaules.–Alorspourquoitupleures?demandaHoliday.Jepleure?Elles’essuyalajoued’unemain.–C’estuneallergie,bredouilla-t-elle.Burnettpoussaungrondementexcédé.–Nenousmens…–Onsecalme!intervintHolidayenposantunemainsurlebrasdesonmari.Ce simple geste suffit à faire fondre le vampire, pourtant super endurci. Certes, le
contact d’une fée était naturellement apaisant et persuasif,mais Della pensait que c’étaitsurtoutl’amourdeBurnettpourHolidayquilefaisaitréagirainsi.
–Toutvabien,insistaDella.Elle grinça des dents en voyant l’expression douce et compatissante de Holiday. Elle
détestaitqu’onlaregardecommeça.–N’empêche, repritHoliday. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais que tu peux
comptersurmoi.Elleposagentimentlamainsurl’épauledeDella.Lachaleurcalmeetrassurantedela
féeparvintàtempérerunpeulesémotionsdelajeunefille,maispasassez.Rienn’auraitsulesapaisercomplètement.
–Merci,souffla-t-elle.Puis elle tourna les talons et partit en courant avant que Burnett ne décide de
contredire son épouse – avant qu’il ne voie l’étenduedes faiblesses deDella et qu’il ne lajugeincapabled’enquêterpourl’URF.
–N’oubliepasquenoussommeslàsituas…Lesparolesd’Holidaysefondirentdansl’airtandisqueDellafonçaitdroitdevantelle.La seule chosedontelleavaitbesoin, c’étaitqu’on la laisse tranquille.Elle couraitde
plusenplusvite,etcelalui fouettait lesangdesentirsespiedsdécollerdusoldeplusen
plus longtemps. Elle volait presque, mais n’accéléra pas davantage. Cela la défoulait defrapperlesoldetoutessesforces,mêmesi,avecchaqueenjambée,satêtel’élançaitunpeuplus.Cen’étaitriencomparéàlasouffrancedesoncœur.
Enarrivantàlafourchequimenaitàsonbungalow,elledécidadenepasyretournertout de suite. Elle n’avait pas encore fini d’évacuer les émotions qui la secouaient. Elledéposa son sacàdosaupiedd’unarbre et fonçaà traversbois vers lenord, écartant lesbranchesd’arbresursonpassage.
Elle atteignit rapidement la clôture et faillit la franchir, mais cela déclencheraitl’alarme,etBurnettnetarderaitpasàrappliquer.Ellepiquadoncàl’estetfitletourdelapropriétéàdeuxreprises.Elles’apprêtaitàregagnerlafourcheoùelleavait laissésonsacquandelleentenditquelquechose.Unbruitdepas.Quelqu’unfonçaitdroitsurelle.
Elleéprouvauneminusculepépitedesoulagementàsavoirquesonouïe fonctionnaitde nouveau, puis se concentra sur la source du son. Les arbres l’empêchaient de voir quiapprochait, aussi leva-t-elle légèrement le nez au vent. À son odeur, elle identifia qu’ils’agissaitd’unvampire,pourtantellenereconnutaucundesrésidentsdeShadowFalls.
Avait-elleaffaireàunintrus?Unrenégatvenusemerlesembrouilles?Biendécidéeàdéfendre cet endroit qui était désormais son seul foyer, Della sentit ses canines pointer.L’idéed’affronteruneordurequin’avaitrienàfairelàluiarrachaunfrisson.Dansl’humeuroùelleétait,ceseraitunvraiplaisirdebotterletraindequelqu’un–surtoutsiellen’avaitpasàsesentircoupableaprès.
Soudain les pas ralentirent. Le vampire inconnu avait-il entendu Della ? L’avait-ilsentie?Quandlebruits’estompa,Dellacompritqu’ons’éloignaitd’elle.Elleavaitdoncvujuste.
–C’estça, cours,qu’onrigoleunpeu,marmonna-t-elle.Çanevapasm’empêcherdet’attraper!
Alors elle passa en mode vampire et s’envola au-dessus des arbres pour localiser saproie.Sicourirmobilisaitsesmuscles,volerfaisaitappelàunautregenred’énergie.C’étaitsoncorpstoutentierquisetendaitpourallerdel’avant.
Lesolsebrouillasoussesyeux,tantelleallaitvite.Brusquement,elleserenditcomptequel’intruss’étaitarrêté,sansdoutepoursemettre
à couvert. Il est bête, ou quoi ? N’avait-il pas compris qu’elle était vampire, elle aussi, etqu’ellepourraitdonclesentir?Elleallaseposerdansuneclairièreprèsdulac.L’odeurdufuyardindiquaitqu’ilsetrouvaittoutprès,justeàl’oréedubois.
Della se dit que Burnett allait sans doute débouler d’une seconde à l’autre. L’intrusavaitdûsauterpar-dessuslaclôtureetdéclencherl’alarme.
Elleespéraitseulementqu’elleattraperaitcetteordurelapremière–ou,encoremieux,qu’elle aurait complètementmaîtrisé la situation le tempsque ledirecteur arrive.Cela lui
prouveraitqu’ellen’étaitpaslâche,mêmes’ill’avaitvuepleurer.Burnettverraitbienqu’elleétaitdignedel’assisterdanssesenquêtes.
–Jesenstonodeurd’ici!Montre-toi,çatefaciliteralavie,lança-t-elle,magnanime.Oualors,resteoùtuesetlaisse-moileplaisirdevenirt’attraperparlapeauducul.
Elles’approchadesarbres,prêteàbondir.Elle crut entendre une brindille craquer et s’avança vivement, aux aguets. À chaque
pas, le parfum du vampire devenait plus familier. Il ne faisait peut-être pas partie despensionnaires de Shadow Falls,mais ce n’était pas la première fois qu’elle le rencontrait.Elle reconnaissait sa signature olfactive. Une soudaine méfiance s’empara d’elle – ladésagréableimpressionque,lapremièrefoisqu’elleavaitcroisécevampire,çanes’étaitpasbienpassédutout.
Lachairdepoulelagagnaetsamigrainel’élançadeplusbelle.Pourtant,ellecontinuaàavancerjusqu’àapercevoirungrosbuissontouffu.Soninstinctluisoufflaitquel’intrussetrouvait là.Quelquepeuébranléepar sa réactionnégativeà l’odeurduvampire, elleprituneprofondeinspiration,laissantàBurnettunedernièreoccasiond’intervenir.
Puis elle se rendit compte que cette hésitation pouvait passer pour un instant defaiblesse,etfonçatêtebaisséeavecungrondementgrave.Sonattaqueneprovoquapaslemoindremouvementdanslebuisson.Enrevanche,ellevitquelquechosedebleuaccrochéauxronces.Unechemise.Cescélératavaitenlevésachemisepourl’envoyersurunefaussepiste?
Oui,etsaruseavait fonctionné.Della leva la têtepour flairerdenouveausonodeur.Ellelaperçutaumomentoùelleentenditsavoix,justederrièreelle.
–C’estmoiquetucherches?
Dellafitvolte-faceetsentitsescaniness’allongerdeplusbelle.Àquelquespassetenaitun
garçonauxcheveuxbrunsetauxyeuxverttrèspâle,vêtud’unjeanetd’untee-shirtblanc,surlequelmanquaitsansdoutelachemisebleueaccrochéedanslesbuissons.Dellaeffleuradu regard le fin coton blanc tendu sur un torsemusclé et de larges épaules. Puis elle serappelaàl’ordreetl’affrontaduregard.
Son odeur indiquait clairement qu’il s’agissait d’un vampire, pourtant ses canines nes’étaientpasallongéesetsesyeuxn’avaientpaschangédecouleur.Elleexaminadoncsonfrontpourliresaconfiguration.Pasdedoute,c’étaitbienunvampire.Elleremarquaqueluiaussil’observaitavecattention,maisilnesemblaitpasêtresurladéfensive.
Iln’avaitdoncpaspeurd’elle,cetimbécile?–Tun’asrienàfaireàShadowFalls,déclara-t-ellebrusquement.Ilhaussaunsourcilmoqueur.–Ahbon?Tucrois?Exaspérée par l’arrogance de ce type, elle bondit, plaqua une main sur son torse
musclé,etlerepoussaviolemment.Siviolemmentqu’iltombasurlesfesses,l’airchoqué.Dellainclinalatêtesurlecôté,satisfaite.–Oui,jecrois.Ilserelevad’ungestevifetdécolladusolpourvenirseposeràquelquescentimètres
d’elle.
–Pascommode,lacrevette,commenta-t-ilensepenchantsurelle.Il n’avait pas froid aux yeux. Ou alors, il était vraiment débile. Certes, il faisait une
bonnetêtedeplusqu’elle,maisilenfallaitdavantagepourl’intimider.Elle voulut le repousserdenouveau,histoirede le lui prouver,mais il intercepta son
gesteet lui saisit lespoignets fermement.Della tentadese libérermais il tintbon.Ellevitsesyeuxseteinterd’oretsescaninespointerlégèrement.
Bon.Ilavaitenfincomprisqu’elleneplaisantaitpas.–Lâche-moi!gronda-t-elle.Commeiltardaitàobéir,ellepassaàl’attaque.Ellelançasongenoudroitendirection
de son entrejambe. D’unemain, il para le coup, comme elle l’avait espéré. Elle préféraitéviterd’entrer en contactavec lesparties intimesdesautres, et surtoutdes inconnus.Elleattrapaauvolsonbrasgaucheetl’envoyavalseràaumoinscinqmètresdusol.Malgrésasurprise, il parvint à retomber sur ses pieds, les canines entièrement sorties et les yeuxcouleurd’or.
–Qu’est-cequetuessaiesdeprouver,exactement?demanda-t-ilens’approchantd’ellesanslamoindretracedepeur.
Quej’ail’étoffed’unagentdel’URF.–Quelesminablescommetoin’ontrienàfairedansl’enceintedeShadowFalls.Enéquilibresurlapointedespieds,ellesetenaitprêteàbondirdenouveau.Saufque,
cettefois,ellenecomptaitpasretenirsescoups.–Della,arrête!lançaunevoixqu’ellereconnutaussitôt.–Tuenasmis,dutemps,dit-elleenseretournantversBurnett,raviequ’ill’aitvueen
action.J’aitrouvécetypequirôdaitdanslaforêt.–Est-cequetut’esdonnélapeinedeluidemanders’ilavait ledroitd’être ici? lança
Burnettd’unevoixfroide.–Plusoumoins.Oh, merde ! Della grimaça quand elle comprit qu’elle avait sans doute commis une
gaffe.Burnetttoisal’autrevampire.–Ettoi?Est-cequetut’esdonnélapeinedeluidirequetuavaisledroitd’êtreici?L’inconnuétaitdoncunenouvellerecrue?Dellas’abstintdeposer laquestion,c’était
laseuleexplicationlogique.–Alors?insistaBurnett.–Plusoumoins,réponditl’ordureenhaussantlesépaules.Burnettpoussaunsoupirexaspéré.–Danscecas,onvadirequec’estplusoumoinsvotrefauteàtouslesdeux,gronda-t-
il.Maintenant, est-ce que je peux compter sur vous pour rester bien sages, ou est-ce qu’ilvousfautunbaby-sitter?railla-t-ilenlestoisanttouràtour.
Dellafronçalessourcils.Ellen’allaitpasporterlechapeautouteseule.–Tuauraisdûmedirequ’ilyavaitunnouveau,lança-t-elleensoutenantleregarddu
directeur.–Jet’enauraisparlésitunet’étaispasenfuieencourant,rétorquaBurnett.Puis,sansunmotdeplus,ils’envola.Della se tourna vers l’autre vampire, prête à lui présenter des excuses à contrecœur,
maisellerepensaàladésagréableimpressiondedéjà-vuqu’elleavaitressentie.Elleinspiraprofondémentet,denouveau,reconnutsasignatureolfactive.Elleavaitdéjàcroisécetype.Maisoù?Etsurtout,pourquoiétait-elleinstinctivementaussiméfianteàsonégard?
Elle faillit lui demander s’ils s’étaient déjà rencontrés, puis se ravisa. Elle n’avait pastrèsenviedediscuteraveccemecalorsque,uneminuteauparavant,ellenepensaitqu’àluibotterletrain.Sansriendire,elletournalestalonsetpritladirectiondesonbungalow.
–Enchantéd’avoirfaittaconnaissance!lançal’insolent.Elleneralentitmêmepasl’allure.Pourtouteréponse,ellelevalamaindroiteetluifit
undoigtd’honneur.L’éclatderiredecesaletypelafitenragerdeplusbelle.
Della se coucha aussitôt rentrée. Elle avait encore le cœur lourd après son court
passage chez sesparents.Contre touteattente, elleparvintà s’endormir. Il fallut l’arrivéedeKylieetdeMirandapourlaréveiller.Sesdeuxamiestambourinaientàsaporte,commesiellesignoraienttoutducycledesommeildesvampires,cespestes.Pourtant,Delladevaitbienadmettrequ’elleétaitpresséede lesvoir.Tantqu’ellepouvaitcompter sur sesamies,ellesemoquaitbiendecequepouvaientpensersesparents.Pasvrai?
–J’arrive!lança-t-ellequandlesfillessemirentàtambourinerdeplusbelle.Aussitôtqu’elle leurouvrit laporte, elles se ruèrent surellepour la serrerdans leurs
bras.Elleauraitvoululeurrappelerqu’elleétaitallergiqueauxcâlins,maisellesecontentade lever les yeux au ciel en attendant qu’elles aient fini leur cirque.À vrai dire, çane luidéplaisaitplusautant,touscesdébordementsd’affection.
–Pourquoitunenousaspasappelées?demandaKylie,l’airinquiet.Cette jolie blonde était un caméléon – un être surnaturel hyper rare qui pouvait
prendre la formede toutes les autres espèces, et donc accéder à leurs facultés.Comme sicela ne suffisait pas, Kylie était une protectrice, ce qui voulait dire que, si quelqu’un osaitattaquer une personne qui lui était chère, ses pouvoirs devenaient tout simplementphénoménaux.
–Parcequemontéléphonen’avaitplusdebatterieetquej’avaisoubliémonchargeur,expliquaDella.
–Tuestoujourssuperorganisée,d’habitude,fitremarquerMiranda.La jeune sorcière avait raison. Cela ne ressemblait pas à Della d’oublier ce genre de
choses.Queluiarrivait-il?Celafaisaitdéjàunesemainequ’ellenesesentaitpasdansson
assiette.Ellesepassaunemainsurlanuqueeteffleuraleboutonquiavaitcausésondrôledecauchemar.Ilétaitpresqueentièrementrésorbé.
Soudainelleserenditcomptequesesdeuxamiesladévisageaient.–Quoi?fit-elleengrimaçant.Vousn’allezquandmêmepasmefaireunscandaleparce
que,pourunefois,j’aioubliémonchargeur!–Onsefaisaitdusouci,c’esttout,sedéfenditKylieavecunsoupir.Çanes’estpastrop
malpassé?–Est-cequ’ilst’ontfaitpasseruntestdegrossesse?s’enquitMiranda.–Non,réponditDella.Mais,sivousvoulezquejevousracontetout,ilvamefalloirun
Cocalight.Etvotreweek-endàvous,ilétaitcomment?demanda-t-elleensedirigeantverslacuisine.
–Moiaussi,j’aibesoind’unCoca,renchéritMiranda.Sérieusement,mamèreestlapiredes mégères magiques. Elle n’a pas arrêté de me parler de la fille de sa copine, qui aremportétouslesconcoursdesorcelleriewiccane.Commesij’enavaisquelquechoseàfaire,de ces stupides concours ! Franchement, qu’est-ce que ça peutme faire que cette pouffesachechangerunesauterelleenluciole?Jesuisbiencontented’êtredyslexique.
Della referma la porte du frigo et entendit le cœur de la sorcière battre un peu plusvite, trahissant sonmensonge. Elle crispa lesmâchoires et résista à la tentation de serrerune cannette dans son poing jusqu’à la faire exploser. Cela la mettait en rage de voirMirandasisoucieusedefaireplaisiràsamère.Elleauraitaiméquesonamieaitlecrandedireàcettevipèred’allers’empalersursonbalai.
Della étaitmêmeprêteàaller le luidire elle-même.Ellequi souffraitdedécevoir sesparents parce qu’ils ignoraient qu’elle était vampire et qu’ils ne la comprenaient pas, elleimaginaitqueçadevaitêtreencorepirepourMiranda:samère la trouvaitnulleentouteconnaissancedecause.Àchaqueréunionaveclesparents,DellaavaitépiélesconversationsentreMirandaetsamèreet,plusd’unefois,elleavaiteuenvied’allerplantersescaninesdevampiredanslesfessesdecettesaletédesorcière.
Nevoyait-ellepasqueMirandaavaitbesoindesonsoutien?Siontenaitcomptedeladyslexiedelajeunefille,ellefaisaitdesprogrèsremarquablesdanslamaîtrisedesamagie.Celafaisaitpresqueunmoisqu’ellen’avaitchangépersonneenkangourououenputoisparerreur.PourMiranda,c’étaitunbeaurecord.
DellatenditunCocaàKylie.–Ettoi?Tonweek-end?–Pastropmal,réponditKylieenouvrantsacannette.Dans le silencequi suivit,Della entendit lebruitdesbullesqui éclataientdoucement.
Bizarrement, elle avait commencé à associer ce son pétillant à ces conversations entrecopinesquinemanquaient jamaisde l’apaiser.C’étaitdevenusapetitemusiqueantistress.
La preuve sonore qu’elle avait des amies qui tenaient à elle – même si elles n’avaienttoujourspascomprisqu’elleaimaitdormirlejouretpréféraitéviterlescâlins.
–Tuasditàtamèrequetupouvaisterendreinvisible?demandaMirandaàKylie.Cettedernièreavaitfiniparavoueràsamèrequ’ellen’étaitqu’enpartiehumaine,mais
elleneluiavaitpasencorefaitlerécitdetoussesdonssurnaturels.–Non,j’aipeurqueçalafasseflipper,réponditKylie.Ilfautyallerdoucement,comme
quandonexpliqueàunenfantcommentonfaitlesbébés.Dellaéclataderire.– J’ai vuundocumentaire sur l’accouchement,une fois.C’étaitunpeucommequand
onpasseàcôtéd’unaccident:onneveutpasregarder,maisonnepeutpass’enempêcher.EllepassaunecannetteàMirandapuisouvritlasienne.Bercéeparledouxpétillement
des bulles, elle s’assit à la table de la cuisine, aussitôt imitée par ses deux amies. Cesconférences arrosées auCoca light étaient devenues leur rituel.Un rituel sur lequelDellacomptaitbienplusqu’ellen’auraitvoulu.Elles’étaitsincèrementattachéeàsescolocataires,cequipouvaitserévélerdangereux.Aprèstout,sisespropresparentsétaient capablesdeluitournerledos,sescopinesl’étaientsansdouteaussi.
– Vous m’avez manqué, les filles, dit Kylie en faisant tourner sa cannette entre sesmains.
–Nous,peut-être,maispasLucas,déclaraMirandaensedandinantsursachaise.Cette petite danse malicieuse était le signe que la sorcière avait un potin juteux à
raconter.Cependant,malgrécecôtéunpeucommère,DellafaisaitentièrementconfianceàMiranda.Lestroisamiesavaientconcluunpacte:toutcequisedisaitàlatablerondeduCocalightdemeuraitstrictementsecret.
– Samère a accepté que Lucas vienne chez elle, ajoutaMiranda en ponctuant cetterévélationd’unpetitcouinement.
DellasetournaversKylie.–C’estvrai?Est-cequ’ellet’aforcéeàlirequinzemilleprospectussurlacontraception
avantqu’ilarrive?– Non. Un seul, répondit Kylie avec un grand sourire. Saviez-vous que seulement
quinze pour cent desmères adolescentes finissent le lycée ? Et que leurs enfants courentbeaucoupplusderisquesque lamoyenned’avoirdemauvais résultatsà l’école,de lâcherleurs étudesen coursde route,de tombermaladeoude finir enprison?Aumoins, cettefois,cen’étaitpaslemoded’emploidescapotes,conclut-elleensouriantdeplusbelle.
Ellespartirentd’unmêmeéclatderire,cequileurarrivaitsouventàcettetable.–Est-cequ’ellevousaautorisésàsortir?Genrepourallerdînerenamoureux?– Non, ma mère nous a emmenés au restaurant, puis Lucas et moi sommes montés
discuterdansmachambre.–Discuter,discuter…lataquinaDellaavecunclind’œil.
Kylie et Lucas étaientun vrai couple, dans le sensoù ils avaient franchi le pas.Kylien’enparlait jamais,àpartunefoisoùelles’étaitcontentéededirequec’étaitmerveilleux.Della comprenait qu’elle n’ait pas envie de s’étendre sur le sujet. Franchement, le sexe,c’était…compliqué.Etunpeugênant.
Etparfoismerveilleux.L’espaced’uneseconde,ellerepensaàsonex,Lee.PuiselleserappelaqueleschosesavaientbienfaillitourneraumerveilleuxavecSteve,lemétamorpheau charme insupportable. Heureusement, elle s’était ressaisie avant de s’engager sur ceterrainglissant.
–Bon,asseztournéautourdupot,raconte-noustonweek-end,ditMirandaàDella.Cettedernièrefronçalessourcils.Ellen’aimaitpasébruitersespetitsmalheurs.Certes,
c’était toujours salutaire, au final, mais cela lui donnait également la désagréableimpressiond’êtreunepleurnicheuseingrateenverssesparents,alorsquesonpèreluiavaittoujoursenseignélaplusgrandeloyauté.
Elle repensa au cliché qu’elle avait trouvé dans le vieil album photo. Alors elle sesouvintdesonsacàdos,qu’elleavaitoubliéaupieddel’arbre.
–Merde!lança-t-elleenselevantd’unbond.–Qu’est-cequ’ilya?demandaKylie.–J’ailaissémonsacaubordduchemin.–Non,intervintMiranda.Ilétaitsousleporche,alorsjel’airentréetjel’aiposésurle
canapé.–Ah.Burnettadûletrouveret…Soudain, une idée frappaDella. Et si ce n’était pas Burnett ? Et si c’était le vampire
suspectqu’elleavaitcroisé?Ilnesavaitpasdansquelbungalowellehabitait,maisilavaitpeut-êtresuivisatrace.
Avait-ilfouillédanssesaffaires?Cetteéventualitélamitdansunecolèrenoire–etpasseulementparcequecetypeavaitpeut-êtrevusessoutiens-gorgerembourrés.Sijamaiscetodieux personnage avait abîmé sa photo… Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’être aussi peusoigneuseetde laisser sonsacdehors?Elledevaitvraimentêtredansunsaleétatquandelleétaitrentrée.
–Qu’est-cequit’arrive?insistaKylie,quiavaitdevinésonhumeur.Affolée, Della sauta par-dessus la table de la cuisine et fonça dans le salon pour
attrapersonsac.–IlyaunnouveauàShadowFalls.C’estpeut-êtreluiquiarapportémonsac.–Oui,Lucasm’aditqu’ilétaitarrivésamedi, justeaprèsnotredépart,annonçaKylie.
C’estunvampire.–C’estunsalecon,oui!grondaDella.–Pourquoitudisça?demandaMiranda.Sic’estbienluiquit’arapportétonsac,c’est
plutôtgentil,non?
– Oui, et si ça se trouve, il s’est amusé à regarder ce qu’il y avait dedans, rétorquaDella.
Elle ne comprenait pas que ses amies restent aussi calmes. Elles n’auraientcertainement pas aimé qu’un inconnu mette le nez dans leurs sous-vêtements et leurspyjamasridicules!
Elleapprochalesacdesonvisageetrenifla.–Ohnon!Ilestimprégnédesonodeur!–Tul’asdéjàrencontré?s’enquitKylie.–Oui.Burnettavaitomisdem’annoncerqu’onavaitunnouveaupensionnaire.Quand
j’aicroisécetype,jel’aiprispourunintrus…–Oups!fitMirandaenriant.Tuluiasbottélesfesses?–JevenaisàpeinedecommencerquandBurnettestarrivé.–Ilestmignon?repritMiranda.Sijedisça,c’estjustepourleplaisirdesyeux,hein…
ajouta-t-elleenriantdenouveau.–Jevousl’aidéjàdit,c’estunsaletype.Aussitôt–etbienmalgréelle–,l’imagedunouveauentee-shirtblancmoulants’imposa
àsonesprit.Elleouvritsonsacàdosetycherchalaphotodesagrand-mèreavecsonpèreetsonfrèrejumeau.
–Toutcecirqueausujetdetonsac…ceneseraitpasunprétextepouréviterdenousparlerdetonweek-end,parhasard?demandaMiranda.
–Non,réponditDella.Jeveuxjustem’assurerque…Elledépliasonpyjama,aumilieuduquelelleavaitrangélapetiteenveloppeblanche,
maiscelle-cines’y trouvaitplus.Paniquée,Dellacommençaàsortirsesaffairespêle-mêle.Puiselleretournalesacetlesecoua,dansl’espoirquelaphototombeparterre.Envain.Lesacétaitvide.Paslamoindreenveloppeblanche!
–Ohnon!gémit-elle.Écœurée, elle se rendit compte qu’elle avait peut-être perdu la seule photo que son
pèregardaitdesonfrère.C’étaitimpossible!Sonpèrelatueraits’ilapprenaitcela.Non,mêmepas,luisoufflaunepetitevoix.Ilseraitencoreplusdéçu,c’esttout.–Cen’estpaspossible,murmura-t-elle.–Dequoituparles,enfin?s’inquiétaKylie.–C’estluiquil’aprise.Maispourquoi?–C’estluiquiaprisquoi?insistaKylie.Della ne répondit pas. Il fallait qu’elle retrouve ce salaud et la photo qu’il lui avait
volée.Ellesortitentrombe.Elles’envolaet,quelquessecondesplustard,serenditcomptequ’ellen’étaitpasseule.
Kylies’étaittransforméeenvampireetfusaitàsoncôté.–Qu’est-cequ’ilt’apiqué?demanda-t-elle,lescheveuxfouettésparlevent.
–Unephoto,réponditDellatoutenscrutantlesolàlarecherchedecesalevoleur.Unvieuxclichéquiappartientàmonpère.Jetejure,s’ill’a,neserait-cequ’écorné,jevaisle…
–Pourquoiest-cequ’ilt’auraitpriscettephoto?–Jen’ensaisrienmaisjecomptebienl’apprendre.Ilvaudraitpeut-êtremieuxpourtoi
quetunet’enmêlespasparceque,s’illefaut,jesuisprêteàluibotterleculpourobtenirdesexplications.
–Tunevasquandmêmepas…–Onparie?rétorquaDella.Aumêmeinstant,elleaperçutlenouveauentrelesarbresetpassaenmodeattaque.
LenouveaulevalesyeuxunefractiondesecondeavantquelespiedsdeDellatouchentle
sol.Elleatterritàdeuxmètresdelui,etKylie,toujourssoucieusedemaintenirlapaix,vintseplacerentreeux.
–Oùestmaphoto?grondaDella.Elle serrait et desserrait les poings, penchée sur le côtépour voir le voleurmalgré la
présencedesonamie.Le nouveau se concentra un instant sur cette dernière pour lire sa configuration.
Commeelleavaitprisuneformevampire,ilnesemblapass’inquiéter.Pendantuninstant,Della espéra que ce salaud allait s’en prendre à elle, histoire que Kylie passe en modeprotectrice.Avecellesdeux,ilrecevraitladérouilléedesavie.
IlreportasonattentionsurDella.–Çaalors, c’est le retourde laSchtroumpfette ! railla-t-il.Aumoins, tun’aspasdes
personnagesdeDisneysurtesculottes.C’estdéjàça…LesangdeDellasemitàbouillir.– Quoi ? Tu prends ton pied à fouiller dans les sous-vêtements des filles, espèce de
pervers?gronda-t-elled’unevoixrauqueetmenaçante.Elles’avançaverslui,maisKylienelalaissaitpaspasser.–Oùestmaphoto?insista-t-elle.Ilavaitintérêtàmontrerpatteblanche,ouelleallaitsortirlesgriffes.
Kylie lui jetaun regardpar-dessus sonépauleet levaunemaincommepour lui fairesignede se calmer. Sauf queDellanepouvait pas se calmer.Ce salaud lui avait piqué laphotode sonpère. Le fait qu’elle-même l’ait prise sans l’autorisationpaternelle était sansimportance.
– Tu veux parler de ça ? demanda le nouveau en sortant l’enveloppe de la pochearrièredesonjean.
Dellalasaisitd’ungestevif.–Pourquoitumel’asprise?demanda-t-elle.Elles’assuraquelaphotoétaitintacteetsoupira,étourdiedesoulagement.–Jevenaisjustementtelarapporter,dit-il.Quandj’aitrouvétonsacàdos,j’airegardé
dedanspoursavoiràquiilappartenaitetjel’aidéposésousleporchedetonbungalow.Cen’estqu’enrepartantque j’aivu l’enveloppeaupiedde l’arbre.Elleadûtomberparterrequandj’aiouverttonsac.
–Menteur,lança-t-elle.Pourtant son rythme cardiaque était resté stable, comme s’il disait la vérité. Elle
contournaKylied’unbond.–Doucement,intervintcettedernièreenvenantsereplacerentreDellaetlenouveau.
Tuasrécupérétaphoto,etj’aiécoutésonpouls:ilestsincère.Dellaavaiteu lamêmeimpression,pourtantellerestaitpersuadéequequelquechose
clochait.–Comment tu as fait pour savoir que c’étaitmon sac si tun’as pas vu la photo avec
monnomdefamilledessus?Etd’ailleurs,commentest-cequetuconnaismonprénom?IlsouritàKylieavantderegarderDellaenfronçantlessourcils.–J’aientenduM.Jamest’appelerDella.Etpuis,tamèreacousuuneétiquetteavecton
nomàl’intérieurdetonsac–sansdoutejusteaprèsyavoirsoigneusementpliétonpyjamaSchtroumpfs.
Dellacrispalesmâchoiresmaisgardalesilence.Cen’étaitpourtantpas l’enviequi luimanquaitdepassersaragesurceclown.Elleneserappelaitpasavoirvu l’étiquetteavecson nom dessus, mais c’était bien le genre de sa mère – du moins à l’époque où elle sesouciaitdeDella.Ellesepromitdevérifierunefoisrentréeaubungalow.
–Viens,ditKylie.Tuasretrouvécequetuvoulais.Cen’étaitpastoutàfaitvrai.Dellavoulaitunebonnebagarre.EllecontournaKyliede
nouveauetvintsepostertoutprèsdujeunehommepourlerenifler.–Ons’estdéjàrencontrés?demanda-t-elle.Ilmit lesmains dans les poches de son jean et reporta le poids de son corps sur ses
talons.–Tuasdéjàoublié?Jesuis letypeàquituascherchédesembrouillesdanslaforêt,
toutàl’heure.
–Jesaisbien,andouille!Jevoulaisdireavantça.Ilpritunelongueinspiration,commepouridentifierl’odeurdeDella.–Non,jenepensepas.Son rythme cardiaque demeurait calme et ne trahissait pas demensonge, cependant
Della avait entendu parler de vampires qui savaientmaîtriser leur pouls. Par ailleurs, lesmythomanes pathologiques ne se rendaient même pas compte qu’ils mentaient. Ce typeaurait très bien pu en être un, avec son arrogance et ses yeux verts si pâles qu’ils enparaissaientirréels.
Elle rangea l’enveloppe dans la poche arrière de son jean puis lui tourna le dos ets’adressaàKylie.
–Tuasraison,laissonsceguignolplantélà.–Queldommage,railla-t-il.Çacommençaitjustementàdevenirintéressant.Dellaluijetaunregardblasépar-dessussonépaule.–Intéressant?J’aimeraisautantmeregarderpousserlesonglesdepiedquepasserdu
tempsavectoi.Iléclataderire,cequilafitenragerdeplusbelle.Elleémitungrondementsourd.–Viens,Della,onyva,soufflaKylieenluitouchantdoucementlebras.Puis sa gentillesse naturelle semanifesta une fois de plus. Elle adressaun sourire au
nouveauetajouta:–BienvenueàShadowFalls.Jem’appelleKylie.Della leva les yeux au ciel. Pourquoi son amie se sentait-elle obligée d’être toujours
aussiaimable?–KylieGalen ? s’enquit le nouveau en écarquillant les yeux, admiratif. J’ai beaucoup
entenduparlerdetoi.–Ilnefautpascroiretoutcequiseraconte,bredouillaKylie,unpeugênée.–Jem’appelleChaseTallman.Detouteévidence,ilespéraitimpressionnerKylie.Ilallamêmejusqu’àbomberletorse
commeunoiseauenpleineparadenuptiale.Continue comme ça,monpote, tu risques de te retrouver avec un loup-garou furieux aux
trousses.Della se feraitunplaisirdeprêtermain-forteàLucas s’ildécidaitdebotter leculà…ChaseTallman.Ellemémorisacenomdanssabanquededonnéesmentale–maispasdanslacatégorie«amis»–puistournalestalonsets’envola.
Cetypeneluiplaisaitpasdutout.Ilneluiinspiraitpasconfiance.Elle se promit de rester sur ses gardes jusqu’à ce qu’elle ait déterminé où elle l’avait
déjàcroiséetpourquoiilluiavaitmentiàcesujet.
–Jedétestequevousmelaissiezenplancommeça,seplaignitMirandaquandDellaetKylierevinrentaubungalow.J’auraisvouluveniravecvous,moi!
Dellapoussaunsoupirexaspéré.Cen’étaitquandmêmepassafautesilessorcièresnesavaientpasvoler.
–Tuauraisvouluqu’onteportesurnotredos?–Etpourquoipas,d’abord?ronchonnalapetitesorcière.Jeratetoujourslesmeilleurs
moments.– Franchement, tu n’as rien raté du tout. Ce type est un pervers aux yeux verts qui
aimefouillerdanslesaffairesdesfilles,grondaDellaenseprécipitantverssonsac.Le nouveau n’avait pas menti, il y avait bien une étiquette à son nom cousue à
l’intérieur. Merde ! Elle qui aurait tant aimé prendre ce salaud en flagrant délit demensonge.Elle retournadans lacuisine, lança l’enveloppesur la tableet se laissa tombersursachaised’unairrenfrogné.
–Cachetajoie,commentaMiranda.DellalavitjeterunregardinterrogateuràKylie,quihaussalesépaules.–C’estbizarre,pourtant,repritlasorcière,j’aientendudirequ’ilétaitsuperbeau.Pas
aussi beau que Perry, évidemment, mais quand même… (Elle adressa un nouveau coupd’œilàKylieensouriant.)Alorsc’estvrai?Ilestmignon?
–Jedoisavouerqu’ilestplutôtpasmal,bredouillaKylie,maisçaneveutpasdirequecen’estpasunpervers.
–Enmêmetemps,touslesmecssontdespervers,non?fitremarquerMiranda.–Cen’estpasseulementça,intervintDella.Ilyauntrucquicloche,chezlui.Etpuis,
sonodeur…Jelareconnais.Jenesaispasd’où,maisj’aiuneimpressiontrèsdésagréable.–Peut-êtrequesonodeurterappellequelqu’und’autre,suggéraKylie.Dellasecoualatête.–Tunediraispasçasituavaiscomplètementdéveloppétonodoratdevampire.Une
foisqu’onaidentifiéunesignatureolfactive,onnel’oublieplus.Etpuis,s’ilsepassequelquechose de marquant au moment où tu fais la connaissance de quelqu’un, ça laisse uneempreinteémotionnelle.
–Waouh,soufflaKylie.Lucasm’adéjàparléd’untruccommeçachezlesloups-garous.–Cen’est pas aussi fort chez les garous, rétorquaDella. Je sais bienque ce sontdes
loups,maisc’estencoreplusintensechezlesvampiresparcequ’onnepassepasnotretempsàfourrernotrenezpartout.
–Çaalors,lesvampiressontlesmeilleursdumonde,raillaMiranda.Étonnant.Della lui jetaun regardqui lui signifiait qu’ellepouvait aller se faire voir enenfer, et
sanstraîner.Mirandaricana,malicieuse.Clairement,Dellaneluiavaitpasfaitpeur.–Quelgenred’émotionas-tuéprouvéenreconnaissantsonodeur?demandaKylie.Ellerevints’asseoiràlatable,imitéeparMiranda.
–J’aieuuneimpressiondedanger,avouaDellaensortantlaphotodesonenveloppe.Sonpèreetsononcleseressemblaientvraimentcommedeuxgouttesd’eau.–Cen’est pas forcément undanger désagréable, intervintMiranda. Peut-être qu’il te
plaît,maisqueçat’inquièteàcausedecequeturessenspourSteve.–JeneressensriendutoutpourSteve,râla-t-elle.Aussitôt,soncœursemitàbattreplusfort.Peut-êtrequ’elleressentaitquelquechose,
mais cela ne voulait pas dire qu’elle allait se laisser entraîner dans cette histoire. Elledéglutitetreportasonattentionsurlecliché.
–Maisbiensûr,rétorquaMiranda.–Oh,arrêtederacontern’importequoi!Kylielevalesdeuxmainsengested’apaisement.–Qu’est-cequit’arrive,Della?–Riendutout,grommela-t-elle.–Jenetecroispas,persistaKylie.Tuestouteronchonne.–Jesuistoujoursronchonne!rétorquaDella.–Oui,maislà,tuesparticulièrementarrogante,renchéritMiranda.–Neconfondspasarroganceetassurance,corrigeaDella.Pourtant,sesamiesnesemblaientpasconvaincues.–Qu’est-cequis’estpasséceweek-end?demandaKylie.Della ressentit une vague d’émotion soudaine, qu’elle s’efforça de refouler. Elle ne
voulaitpassemettreàpleurnichercommeunegamine.Puis,unefoisqu’ellesefutressaisie,elle leur raconta sonweek-endd’une voixmonotone. Elle évoqua son cauchemar, le trouqu’elleavait faitdanslemuret lesrévélationsdeMarlasur lefaitquesonpèreneparlaitplusjamaisd’elle.Elleleurappritqu’elleavaitpeut-êtreunonclevampire,maisellegardalemeilleurpourlafin:sonintrusiondanslebureaudesonpère,quil’avaitplusoumoinsaccuséed’êtreunealcooliquedoubléed’unevoleuse.
Kylie l’observait en silence, une inquiétude sincère dans ses yeux bleu pâle. Quant àMiranda,ellel’écoutaitd’unairpeinéet,lesmainsjointes,faisaittournersespetitsdoigts–sontichabituel.
–Jesuisvraimentdésolée,soufflaKylie.–Pourquoi?Cen’estpastafaute,lançaDellaenessayantdedédramatiserlasituation.–Jepourraispeut-être t’aider, intervintMiranda.Jepourrais jeterunsortà tonpère.
Unebonnemycosedespieds…ouailleurs.Jesuissuperforteenmycoses.Ilyavaituntypedansmonancienneécole,ilfaisaitpartiedel’équipedefootet…
–Jeneveuxpassavoir!Laisselespiedsdemonpèreendehorsdeça.Lespieds,etlereste…
–Jedisaisçapourt’aider,protestaMiranda.
–C’estgentil,maisçan’aideraitpasàgrand-chose,repritDella,pluscalmement.Jenepeuxpasvraimentluienvouloir.Aumomentoùilestarrivé,j’avaissabouteilledebrandyàlamain.
–Pourquoituneluiaspasditlavérité,toutsimplement?demandaKylieavecleplusgrandsérieux,compatissante.
Le cœur de Della se serra. L’inquiétude sincère de Kylie et la suggestion farfelue deMiranda d’attaquer son père à coups de sorts dégoûtants étaient deux des raisons pourlesquelleselleadoraitsesamies.Ellestenaientàelleets’ensouciaient.Toutlemondeavaitbesoindesesentirsoutenudelasorte.Dellaétaittellementheureusedelesavoirtrouvées!Elle sentit son nez la picoter mais parvint à ravaler ses larmes. Elle tendit la main versl’enveloppe. Elle trouvait cela réconfortant de se dire qu’elle avait peut-être un onclecapabledelacomprendre,oumêmedel’aimer.
– Tu aurais pu lui dire queMarla avaitmentionné son frère et que tu étais curieused’ensavoirplus,poursuivitKylie.Peut-êtrequ’ilt’auraitracontécequis’étaitpassé.
–Ça sevoitque tuneconnaispasmonpère…Non,Marla l’aentenduparlerde sonfrère avec ma mère, et c’est à elle qu’elle est allée poser la question. Mon père ignoresûrementqueMarlaestaucourant,etjeneveuxsurtoutpasqu’ilsefâchecontreelle.Iladéjàperduunedesesfilles…
–Tuassansdouteraison,soufflaKylie.–N’empêchequ’ilaétévachementduravectoi,grommelaMiranda.–C’estvrai,concédaDella,maissij’avaisréellementfaitcedontilm’aaccusée,ç’aurait
étéjustifié.–Ouais,saufquetun’avaisrienfait,insistaMiranda.–Jesaisbien,maisj’avaisl’airpriseenflagrantdélitet jen’avaisaucunmoyendeme
défendre.Ilnemerestaitplusqu’àm’écraser.–Cen’estvraimentpascool,commentaMiranda.Jesuisbiencontentedenepasavoir
àcachermanaturesurnaturelleàmesparents.Çan’empêchepastamèredetepourrirlavie,pensaDella.Cependant,ellesegardabien
d’exprimercetteréflexionàvoixhaute.CommentHolidayluiavait-elleprésentélachose?«Toutcequitepasseparlatêten’a
pas forcément besoin de franchir tes lèvres », avait dit la fée un jour. Elle lui avaitégalement révélé qu’une équipe de scientifiques surnaturels envisageaient d’étudier lesvampiresafindeprouverqu’illeurmanquaitlefiltrementalempêchantdeparleràtortetàtravers. Della ne savait toujours pas si la directrice du centre était sérieuse ou si elle lataquinait.
DanslamesureoùHolidayétaitmariéeàBurnett,unvampireconnupoursatendanceàdirecequ’ilpensaitsanssecensurer,DellasoupçonnaitqueHolidayluiavaitditlavérité.
Pour être tout à fait honnête, Della devait bien reconnaître qu’elle n’avait jamais ététrèsdouéepoursetaire.
Elle s’était fait renvoyer de son école maternelle pour avoir comparé sa maîtresse àYoda–enplusgrosse,plusmocheetplusmalodorante.Évidemment,cetincidentavaiteulieuun jouroù lamaîtresse luiavaitdemandépourquoi,avecunnomcommeTsang,ellen’avaitpaslestraitsplusasiatiquesquecela.Àl’époque,Dellaétaitterriblementcomplexéepar le fait denepas ressemblerdavantageà ses cousinesplus typées – surtoutqu’elleneressemblaitpasnonplusàsamère,uneblondecentpourcentaméricaine.
Kyliesepenchaenavantpourregarderlaphotodeplusprès.–TuasdemandéàBurnetts’ilpouvaitt’aideràretrouverlatracedetononcle?Dellaprituneprofondeinspiration.–Non.Jeneveuxpasmêlerl’URFàcela.–Pourquoi?Tuaspeurquetononclesoitunhors-la-loi?s’enquitKylie,l’airinquiet.–Non,çam’étonnerait.Monpèreest trèsàchevalsur lesprincipeset lesrèglements,
alorssisonfrèreluiressemble…Parcontre,s’ilnes’estpasdéclaré,çam’embêteraitdeluiattirerdesennuis.
–Burnett n’a pasdénoncémongrand-père etma tante quand il les adécouverts, fitremarquerKylie.
– C’est uniquement parce que ce sont des caméléons. Sinon, en tant quemembre del’URF,ilauraitétéobligédelessignalerauxautorités.Ilm’aconfiéqueçafaisaitpartiedesesdevoirsquandilm’aposédesquestionsausujetdemoncousinChan.
–Bon,maisalors,commentallons-nousfairepourleretrouver?demandaKylie.Ce «nous » émutprofondémentDella.C’était ça, les amies, quand l’uned’entre elles
était en difficulté, elles se serraient les coudes. Ce qui n’était pas normal, en revanche,c’étaient les élans sentimentaux que ressentait Della ces derniers temps. Qu’est-ce quiclochait,chezelle?
Elle s’efforça de se ressaisir – avec un peu plus de succès, cette fois – et se racla lagorge.
–JepensaisdemanderuncoupdepouceàDerek.Tum’asditqu’ilavaitdéjàtravaillépourundétectiveprivé,etjesaisqu’ilt’aaidéeàcomprendrequelquestrucsausujetdetesfantômes.
–Excellenteidée!lançaKylie.Iljouaitaubasketaveclesautres,toutàl’heure,quandonestvenuestechercher.Peut-êtrequ’ilsysontencore.
–On est vraiment obligées ? soupiraMiranda. Je veux dire, il n’y a rien de pire qued’êtreforcéederegarderunepoignéedebeauxmecsenpleineffort.Ilfaitchaud,enplus;certains risquent d’être torse nu. Certes, je suis sûre qu’aucun d’entre eux n’arrive à lachevilledePerry,maisbon…c’estjustepourleplaisirdesyeux,conclut-elleavecunsouriremalicieux.
Lestroisamieséclatèrentderireetsortirentdelacuisine,maisDellarevintsursespaspour prendre la photo, au cas où Derek aurait besoin de la voir. En la remettant dansl’enveloppe, elle perçut l’odeur de ce sale pervers de Chase Tallman. De nouveau,l’impressiondedangerqu’elleassociaitàsasignatureolfactivelafrappa.Elleserembrunit;il fallait vraiment qu’elle retrouve dans quel contexte elle l’avait rencontré, et le plus tôtseraitlemieux.
–Jevousavaisbienditquecertainsseraient torsenu,murmuraMirandaendonnantunpetitcoupdecoudeàDella.
On était en octobre, pourtant l’été semblait s’attarder. À quatorze heures, un chaudsoleil brillait sur le terrain de basket. Sansmême y réfléchir, Della chercha du regard untorseenparticulierparmilesjoueurs.CeluideSteve,lemétamorpheaucharmeirrésistible.
Elle le trouva au moment même où le regard de ce dernier croisait le sien. Il avaitgardésontee-shirtmaiscelui-ci,trempédesueur,luicollaitàlapeau.Sescheveuxétaientmouillés, eux aussi, ce qui les rendait plus sombres et les faisait boucler légèrement. Leballon à lamain, il souriait àDella. Elle sentit son cœur s’emballer et lutta de toutes sesforcespournepasémettredephéromones.
–Oh!Kylieavaitraison,leperversestsupermignon,chuchotaMiranda.Pasétonnantqu’ilt’aittapésurlesnerfs.
Paniquée,Della cherchaChase du regard et le trouva – sans son tee-shirt. Son torseparaissait plus large et plusmusclé que dans son souvenir. Elle déglutit et se rappela cequ’avaitditMirandaausujetduplaisirdesyeux.Ellerassemblasoncourageetchassacettepensée traîtresse de son cerveaudétraqué. Il ne fallait pas qu’elle laisse voir à quel pointelle appréciait son… absence de tee-shirt. Aussitôt, elle comprit qu’il était trop tard. Sonregards’étaitattardéunefractiondesecondedetrop,etils’enétaitaperçu.Lepoingposésurlahanche,illatoisait,amusé.Etmerde!Avait-ilentendularemarquedeMiranda?
– Ça alors, voilà la Schtroumpfette ! lança-t-il en se passant une main dans lescheveux.
Aumêmemoment,leballondebasketleheurtaàlatempe.Tout le monde éclata de rire. Même Della. Surtout Della. Elle jeta un coup d’œil à
Steve et lui sourit, reconnaissante. C’est alors que Chase fit volte-face en poussant ungrondementmenaçant.
Dellaredressalesépaules,prêteàintervenir,maisellen’eneutpasletemps.Avantmême
que Chase ait pu faire un pas vers Steve, Derek et Lucas, le copain de Kylie, vinrents’interposerentrelesdeuxgarçons.
–Règlenuméroun:pasdebagarresurleterrain,ditLucas.Àlamoindreembrouille,onrisquetousd’êtreprivésdebasketpendantunesemaine.
Plusdiplomate,Dereks’approchadeChaseetposaunemainsursonépaule.–Ilnel’apasfaitexprès,souffla-t-il.DellasavaitpertinemmentqueSteveavaittrèsbienvisé,maisellesetut.Chasehaussa les épaulespour échapper au contactdudemi-Fae, qui avait sûrement
cherché à apaiser les tensions. De fait, le vampire semblait un peu calmé, mais cela nel’empêchapasdetoiserStevefroidement.Lemétamorphesoutintsonregardsanscilleret,l’espaced’uninstant,Dellaeutpeurqu’ilssesautentàlagorge.Stevesauraitsedéfendre,làn’étaitpas leproblème–Della l’avaitdéjàvuenaction–,maisellenevoulaitpasqu’ils’attiredesennuisàcaused’elle.
–Etsionarrêtaitlematch?suggéraLucas.Della remarqua qu’il observait Kylie d’un air affamé. Ces deux-là étaient tellement
amoureuxqu’ilsnepouvaientpaséchangerunregardsanssourirebêtement.C’étaitunedesraisonspourlesquellesDellapréféraitgarderlatêtefroide:vampireset
souriresniaisnefaisaientpasbonménage.
Lucasallarécupérersontee-shirtsurunbancavantdereportersonattentionsurKylie.–Çateditqu’onaillesepromener?–Oui,maisd’abord,ilfautquejeparleàDerek.–Ahbon?Dequoi?demandaLucasavecunepointedejalousie.–C’estDella qui a besoin d’un coup demain.On se retrouve devant le bureau dans
cinqminutes?–OK.Les sourcils légèrement froncés, il se pencha néanmoins pour embrasser Kylie. Della
détournalatête–justeàtempspourvoirMirandaetPerryenpleineaction.–Onpourraits’embrasser,nousaussi,etleurmontrercomments’yprendre,murmura
unevoixchaudeàsonoreille.Ellen’avaitpasentenduSteveapprocher.Ilyavaitvraimentquelquechosequiclochait
avecsonouïe.Elle fit volte-face et le regarda droit dans les yeux. Il se tenait si près d’elle que son
odeur l’enveloppait entièrement.Ellene voyait plus que ses iris noisette aux refletsdorés.Ensepenchantimperceptiblement,elleperçutsonsoufflesurseslèvres.
Sonpremierinstinctfutdeselaisserfaire–delelaisserl’embrasseretdeluirendresonbaiser,histoirededonnerunebonne leçonà ces amateurs.Elle eutdespapillonsdans leventreensesouvenantàquelpointcelapouvaitêtrebon.Lapremière foisqu’ils s’étaientembrassés, c’était au coursd’une enquêtepour l’URF.Malgré les bonnes résolutionsde lajeunefille,celas’était reproduitplusieurs foisdepuis.Ellemettaitcesrechutesàrépétitionsurlecomptedel’étrangeélectricitéquicrépitaitentreeuxchaquefoisqu’ilss’approchaientl’un de l’autre. Steve l’étudiait patiemment, et elle envisagea de lui lancer une repartiecinglantepourluifaireregretterdesuggérerqu’ilss’embrassentalorsqu’ilsn’étaientpas…ensemble. Puis elle se rappela qu’il avait lancé le ballon sur la tête du pervers anti-Schtroumpfs. Steve ne méritait pas de se faire rembarrer méchamment. Au contraire, ilméritaitsûrementunbaiser,maislemomentétaitmalchoisi.Peut-êtrequ’elles’acquitteraitdesadettequandilsseraientseuls.
Ellereculad’unpas.–Salut,Steve.–Salut,dit-ilensepenchantverselle.Tuvasbien?–Oui.Pourquoitumedemandesça?–Lenouveau…Qu’est-cequ’ilafaitpourtemettreenrogne?–Oh,rien…riend’important.Stevefronçalessourcils.–C’estquoi,cettehistoiredeSchtroumpfette?Engénéral,ellenementaitjamaisàStevemais,bizarrement,ellen’avaitaucuneenvie
deluirévélerqu’elleétaitl’heureusepropriétaired’unpyjamaSchtroumpfs.
–J’aicruqu’ilétaitentréàShadowFallspareffraction,etonafaillisebattre.Enrelevantlatête,ellevitqueleperverslesobservait,Steveetelle.– C’estmarrant, rétorqua Steve sans pourtant paraître amusé. À la façon dont tu le
matais,onn’auraitpasditquevousaviezfaillivousbattre.Della semordit la lèvrepour se retenirdesourire.ElleauraitdûrougirqueSteve lui
rappellesonintérêtbienvisiblepourlephysiquedupervers–defait,elleétaitgênéequeçase soit remarqué –, mais elle était surtout flattée qu’il tienne suffisamment à elle pours’agacerd’unsimpleregard.
Ellefitbasculerlepoidsdesoncorpssursestalonsetlevalesyeuxverslui.–Serais-tu jaloux,parhasard?Pourtant,onnesortpasensemble, toietmoi.Onest
justeamis,alors…Elleluijetauncoupd’œilfaussementinnocent.Steveesquissaundemi-sourireetavançad’unpas.L’airsemitàcrépiterautourd’eux.
Ils se tenaient à peine à un centimètre l’un de l’autre. Cette fois, Della, consciente de lamagiequiémanaitdeSteve,refusadereculer.Celafaisaitdessemainesqu’ilsjouaientàcepetit jeu,s’amusantàsetaquineretàsechaufferchaquefoisqu’ilssevoyaient.Dellaétaituneadversaireàlahauteur.
–C’estvrai,onestjusteamis,maislesamis,çasertaussiàs’éviterdefairedesyeuxdeguimauveàdespetitsnouveauxdontonnesaitriendutout.
Desyeuxdeguimauve?Ellesemorditlajouepournepasrigoler.– Je ne vois pas du tout de quoi tu parles. Tu as dû avoir une hallucination, les
vampires ne savent pas ce que c’est que la guimauve. Peut-être qu’un peu de sueur t’esttombédansl’œil?
Elle leva lamainetessuyaunegoutte imaginairesursa tempe.Dèsqu’elle touchasapeau,lecœurdumétamorphes’emballa,etDelladuts’efforcerdecontrôlerlesbattementsdusien.
Steve lui saisit le poignet et dessinaunpetit cœur à l’intérieur, juste au-dessus de saveine.
–Pourtant,tuparaissurlepointdefondre,mademoiselleNitouche.Ellefaillitéclaterderirepuisseretint,soudainconscientequ’ilsn’étaientpasseulsmais
entourésd’autressurnaturelscurieuxet,pourcertains,dotésd’uneouïehyperfine.Cepetitjeudélicieusementagaçant,elletenaitànelejouerqu’enprivé.Qu’est-cequiluiavaitprisdeletaquinerainsienpublic?Elleavaitmissoncerveausur«pause»,ouquoi?
Ellereculad’unpasetremarquaqueDereks’éloignait.C’étaitpourtantluiqu’elleétaitvenuevoirafindeluiparlerdesononcle.
–Ondiscuteraplustard,lança-t-elleàSteve.IlfautquejeparleàDerek.–Dequoi?demandaStevecommes’ilavaitledroitdesavoir.Dereks’engageaitdéjàsurlechemin.
–Euh…ilfautvraimentquej’yaille.Àplus!Ellejetaunbrefcoupd’œilàsesdeuxamies,quiétaientoccupéesàfairelesyeuxdoux
àleurschérisrespectifs,etdécidadenepaslesattendrepourrattraperDerek.Elles’élançaderrière luietarrivaàsahauteuralorsqu’il tournaitendirectiondeson
bungalow.–Derek!Elle s’efforça de se défaire de l’excitation joyeuse que sa rencontre avec Steve avait
laisséedanssonsillage.Cetypeavaitvraimentlechicpourlamettredanstoussesétats.Ledemi-Faesetournaverselle.–Oui?–Euh…Tuasuneminute?Ilfronçalessourcils.–Justeuneminute,alors.Jedoisretrouverquelqu’un.Tuasbesoindequelquechose?Était-ce Jenny qu’il allait retrouver ? Probablement. À croire que tout lemonde était
amoureux–ou sur lepointde ledevenir.Tout lemonde, sauf elle.Cequ’il y avait entreSteveet ellen’étaitqu’uneattirancepassagère.Eneffet, il faudraitbienqu’elle finisseparpasser,puisqueDellaenavaitdécidéainsi.
EllelevalesyeuxversDerek.–Je…Commentformulersarequête?Elleseforçaàcracherlemorceau,conscientequ’il lui
étaitterriblementdifficilededemanderdel’aideàquiquecesoit.–Voilà, je cherchequelqu’unqui adisparudepuis longtemps, et jeme suisdit que…
Enfin,j’espéraisquetupourraismeprêtertestalentsdeprivé.–Mesquoi?–Testalentsd’enquêteur,expliqua-t-elle.Jesaisqu’ilt’estarrivédecollaboreravecun
détectiveprivé,alorsj’aimeraisquetum’aides.–Quiest-cequeturecherches?–Mononcle.–Celafaitcombiendetempsqu’iladisparu?Dellafitunrapidecalcul.–Environdix-neufans.–Quoi?s’écriaDerek,bouchebée.– Mon père avait un frère jumeau dont il ne nous a jamais parlé. J’ai appris son
existence seulement ce week-end. Apparemment, il aurait été tué dans un accident devoiture.
Dereksemblaitabasourdi.–Maiss’ilestmort,pourquoitu…
– Je me dis qu’il a peut-être fait croire à sa famille qu’il était mort parce qu’il étaitdevenuvampire.Çaarrivesouvent.
–Maistuessûrequ’ilétaitvampire?–Non,maislevirussetransmetauxmembresd’unemêmefamille.Ceseraitdoncassez
logique.Tunetrouvespas?–Pasvraiment,non.Entermesdeprobabilités,ilyacinquantefoisplusderisquesqu’il
aitététuédansunaccidentdevoitureplutôtquechangéenvampire.Etpuis,levirusn’estpas toujours héréditaire ; ça ne concerne qu’environ trente pour cent des vampires.Justement,onenparlait,Chrisetmoi.
– Je sais,mais j’ai aussiun cousinvampire.Ça compte,non?Etma sœura entendumonpèredirequesonfrèreétaitdevenufroidpeudetempsavantdemourir.
–Ilétaitdevenufroid?Physiquement?s’enquitDerek,quicommençaitseulementàlaprendreausérieux.
–Jen’ensaisrien.C’estmasœurquiasurprisuneconversationentremonpèreetmamère et quime l’a racontée. J’espérais que tupourraismener tapetite enquête, voir si tudénichesdesinfosàsonsujet.
Derekfitlagrimace,etDellaeutpeurqu’ilrefuse.–S’ilteplaît,lança-t-elle.Ellequiavaithorreurdedemanderquoiquecesoit…Derekpoussaungrossoupir.– Jeveuxbien tenter le coup,mais c’est long,dix-neufans.Engénéral, je commence
parcherchersurInternet,maislà,jenerisquepasdetrouvergrand-chose.Ilsetutuninstantetparutréfléchir.–Maisattends,pourquoitunedemandespasàBurnett?Jesuissûrqu’ilpourrait…–J’aimeraisautantéviterdemêlerBurnettàcettehistoire,dumoinsjusqu’àcequej’aie
lacertitudequemononclesesoitbiendéclaré.Derekfronçalessourcils.–Pourquoi?Tuaspeurquecesoitunrenégat?–Çam’étonnerait,maisjenevoudraispasluicollerl’URFauxtrousses,dansledoute.Derekhochalatêtepuisconsultasamontre,visiblementpressé.–Est-cequetupeuxmedonnersonnom,sadatedenaissanceetladatedesamort?–Euh…pasladateprécisedesamort,mais j’aiunephoto,réponditDellaensortant
l’enveloppedesapochearrière.Derekl’arrêtad’ungeste.–Je…j’airendez-vousavecJenny.Est-cequetupeuxscannerlaphotoetmel’envoyer
parmailaveclerestedes infos?N’hésitepasàmepréciserd’autresdétailsquipourraientm’êtreutiles–oùilvivait,parexemple,ous’ilavaitdéménagé…Jeneteprometsrien,maisjevaisfairedemonmieux.
Unfolespoirs’emparadeDella.–D’accord.Jem’ymetsdèsquejerentrechezmoi.Derek tourna les talons,mais Della était tellement bouleversée par la possibilité que
sononclesoitvivantqu’ellesaisitDerekparlebrasetleserragentiment.–Merci!Aussitôt, elle se rendit compte de la bizarrerie de la situation, car ce genre de geste
affectueuxneluiressemblaitpasdutout.–Jet’enprie,marmonna-t-ilenluijetantunregardétrange.Pourunefois,ellenes’enformalisapas.Le faitqu’ellepuissepeut-êtreretrouverune
figure paternelle capable de comprendre la vie qu’elle menait à présent… c’était toutsimplementincroyable!
Peut-être qu’alors elle pourrait cesser de pleurer la perte de sa famille – et de sa vied’avant.
Cesoir-là,Dellaneparvintpasàtrouverlesommeil.Elleauraitdûêtreépuisée,étantdonné qu’elle avait passé la nuit précédente à siffler le brandy de son père, d’après sesparents,etquesesamies l’avaient réveilléeaprèsseulementuneheuredesieste.Pourtantellenecessaitdepenseràlapossibilitéquesononclesoitencoreenvie.Ellesortitlaphotodesonenveloppeetlacontemplalonguement.Sonpèreetluiseressemblaientcommedeuxgouttesd’eau.Cedevaientêtredevraisjumeaux.
Ellesedemandasilerespectdecethommelacombleraitautantqueceluidesonpère.Illuivintsoudainàl’espritquesoncousinChansavaitpeut-êtrequelquechoseausujet
de leur oncle. Sa mère lui en avait peut-être parlé, elle. Della se leva et attrapa sontéléphone,sanssepréoccuperdel’heuretardive.Chanétaitunvampirequivivaitenmargedelasociétédessurnaturels;ilnecherchaitpasàcalquersonrythmeetseshabitudessurceuxdeshumains.
Aprèsplusieurssonneries,Dellatombasurlerépondeur.–Salut,c’estDella.J’aiunequestionàteposer.Est-cequetupourraismerappeler?Elle raccrochaet retournasecoucherengardantson téléphoneà lamain.Ellepassa
une heure à regarder l’écran en silence. Chan lui avait laissé un message une semaineauparavant,maisellen’avaitpasrépondutoutdesuiteetn’yavaitpluspenséparlasuite.Finalement,elledécidad’allerfaireuntour.Peut-êtreque,sielleépuisaitcomplètementsesforces,elleparviendraitàs’endormir.
Elleenfilaun jeanetuntee-shirtpuis,aucasoùellecroiseraitSteve,passaà lasalledebainspoursebrosserlescheveuxetserincerlabouche.
Après avoir glissé son téléphone dans sa poche arrière, elle ouvrit la fenêtre et sortitdans la nuit fraîche. La lune n’était qu’unmince croissant argenté, encore bas. Quelquesnuagessepromenaientlentementdanslecielnoir,commepourattirersonattention.Dellacourut jusqu’à l’orée du bois, levant de temps en temps les yeux pour voir si un certain
oiseau la surveillait depuis les branchages. Elle ralentit pour s’assurer que son ouïefonctionnaitcorrectement.
Elle perçut quelques cris aigus, le bruissement de plumes agitées dans un nid. Descriquets chantaient sous un buisson et, à une vingtaine demètres d’elle, un lapin ou unopossums’avançaitdansl’herbehaute.Elleentendaitparfaitement.Pourtant,ellenevoyaittoujourspasl’oiseauqu’ellecherchait.D’ordinaire,Stevesechangeaitenfauconpèlerin–leplusrapidedetous.
Della se remit en mouvement, esquivant vivement les branches basses, heureuse defrapper le sol de ses pieds pour libérer un peu de l’énergie qui bouillonnait en elle. Ellerepensaàsa rencontreavecChase,cematin-là,puis le revit sur le terraindebasket, sanssontee-shirt.
Elleinspiralonguementpours’assurerqueceperversanti-Schtroumpfsn’étaitpasdansles parages et neperçut que les parfumsde lanature – l’odeurde l’automne, de la terrehumide et des feuilles qui, lentement, perdaient leur couleur verte pour revêtir des tonsd’ocre,dejauneetderouge.Labeautédecettepalettecachaitpourtantunevéritéunpeutriste:l’automneétaitlasaisondelamort.
Dellafitdeuxfoisletourdelapropriété,laclôtureàsadroitemarquantleslimitesdeShadowFalls. Son cœur battait à un rythme soutenu, puissant et régulier. Elle perçut denouvellesodeurs…desanimauxsauvages.Uncerfpassanonloin,évoluantgracieusemententre les arbres au son étouffé de ses sabots. Puis elle sentit la présence d’un oiseau etentenditunbattementd’ailesau-dessusdesatête.Enlevantlesyeux,ellevitlesrayonsdelunesereflétersurleplumaged’unfaucon.
Était-ceSteve?Elles’arrêtaetregardalerapacedécrireuncercleavantdeseposerdansunarbre.–Tum’espionnes?lança-t-ellesansgrandeconviction.Mêmeenplissantlespaupières,elledistinguaitàpeinel’oiseau.–Jesaisquec’esttoi,alorsmontre-toi.Elleentenditlevolatileagitersesailes.Était-ilencolère?Le cerf se rapprochait lentement d’elle, mais elle n’y fit pas attention et resta
concentrée sur Steve, qui était perché sur sa branche. Puis, prenant son élan, elle bonditdansl’arbreàsontour.Steves’éloignaàgrandsbattementsd’ailes,commes’ilmenaçaitdes’envoler.
–Oh,çava,arrêtedefairesemblant,râla-t-elle.Voyantqu’ilnereprenaitpassaformehumaine,ellerepensaàleurdernièrerencontre.
Ellel’avaitlaisséenplanalorsqu’illuiréclamaitunbaiser.–Écoute,ilfallaitvraimentquejeparleàDerek.Jenevoulaispastefâcher.L’oiseaubaissalatêteetémitunpetitbruitsourd.–Jesuisdésoléesij’aiétégrossière.Cen’étaitpasmonintention.
Toujoursaucuneréaction.–Tum’en veuxparceque j’ai refuséde t’embrasser ? Je te l’ai pourtantdéjàdit : ce
n’estpasmongenre,surtoutenpublic.Etpuis,onn’estmêmepasensemble,toietmoi…Lefauconinclinalatêtesurlecôté.–Nemeregardepascommeça.C’estvraiqu’ons’estdéjàembrassés,mais…Disonsque
situn’étaispasaussidoué,jeneseraismêmepastentéederenouvelerl’expérience.Soudain,elleentenditunbruitaupieddel’arbre.–Alors,commeça,tuasdéjàbécotécepiaf?Dellabaissalesyeuxverslecerf,quivenaitdeparleraveclavoixde…Oh,merde!Les
rayonsdeluneéclairaientjusteassezl’animalpourqu’ellevoiedepetitesbulleséclatertoutautourdelui.Uninstantplustard,Stevesetenaitàsaplace.
Dellaseretournaversl’oiseau.–Quies-tu?Lefauconsecontentadecrierd’unairmécontent.– Je suis à peu près sûr que c’est juste un oiseau.Mais, d’après ce que j’ai entendu,
votrerelationestplutôtintime.Tudevraispeut-êtreluitrouverunnom.Elle poussa un grognement, honteuse de s’être fait duper par un bête volatile, puis
sautadesabranche.Àlasecondeoùsespiedstouchèrentlesol,Stevel’attiracontrelui.Sesmains s’adaptaient parfaitement à la courbe de sa taille, en un geste à la fois ferme ettendre.Pourquoilecontactdecegarçonétait-ilsirassurant?
–Donctuasuneliaisonsecrèteaveccepiaf…reprit-ilavecunelueuramuséedansleregard.
Sescheveuxchâtainsétaient légèrementébouriffésetbouclaientunpeu. Ilportaituntee-shirtmarronclairetunjeandélavé–etillesportaitplutôtbien.
Della posa les mains à plat sur la poitrine de Steve avec la ferme intention de lerepousser,mais la chaleur de son corps sous ses paumes eut vite fait de chasser sa gêne.Ellen’avaitplusqu’uneenvie:caressersontorselargeetvirilpuisl’attraperparlecoupourluivolerunbaiser.
L’expression rieusede son regard et sonparfumépicé, si spécial, eurent raisonde sacolère. Elle était incapable de rester fâchée contre lui bien longtemps,même quand il semoquait d’elle. Surtout qu’il ne se moquait pas méchamment. Il la taquinait d’une façonaffectueusequiluiréchauffaitlecœur.
Tropbeaupourêtrevrai,sedit-elle.Steveétaittropgentil.C’étaitsuspect.–Net’avisepasderigoler,gronda-t-elle.Elleauraitvoulufeindrelacolère,maisn’yparvintmêmepas.–Jen’ypeuxrien,jesuisheureuxquandjesuisavectoi,lança-t-il.Jenevoulaispasme
coucher,aucasoùtudécidesdevenirmevoir.J’aiétébieninspiré.–Cen’estpaspourvenirtevoirquejesuissortie,rétorqua-t-elle.
Cependant,lesparolesdeSteverésonnaientdanssonesprit.«Jesuisheureuxquandjesuisavectoi.»Unebonnedosedeguimauvebiensucréel’atteignitenpleincœur.
Soncœurquibattaitdeplusenplusfort,commeceluid’unementeuse.–Jesuissortiecourirparcequejen’arrivaispasàdormir.Celaavaitlemérited’êtrevrai,mêmesielleavaitpenséàSteveaumomentdequitter
sonbungalow.Elleavaitespérélecroiser,etcen’étaitpaslapremièrefois–loindelà.Elles’adonnaitàcespetitesescapadesnocturnesaumoinstroisfoisparsemaineet,dansquatre-vingt-dixpourcentdescas,ellefinissaitpartombersurSteve.Oh,merde!Ilfallaitvraimentqu’ellecessedetropcomptersurlui.
IlsepenchadoucementetappuyasonfrontcontreceluideDella.–Jenetecroispas.–Tuesimpossible,dit-elle.–Ettoi,tuesmagnifique,rétorqua-t-il.Qu’est-cequetudisaisexactement,ausujetde
cetoiseausidoué?Elleluijetaunregardnoir.–Nemecherchepastrop.–Jesuisobligédetechercherdepuisledébut,dit-ilsuruntonredevenusérieux.Sije
n’avaispaspersévéréunpeu,tunedaigneraismêmepasm’adresserlaparole.–Encoremaintenant,jepréféreraiséviterdeteparlerenpublic,grommela-t-elle.– Peut-être,mais tu viens d’admettre que tu appréciaismes baisers,murmura-t-il en
effleurantseslèvres.Ellesereculaunpeu.– J’ai admis que j’appréciais les baisers de l’oiseau, corrigea-t-elle en souriantmalgré
elle.Elleaussiétaitheureusequandelleétaitaveclui,etelleserendaitbiencompteàquel
pointc’étaitdangereux.– Jem’en souviendrai la prochaine fois que jememétamorphoserai. Est-ce que tu as
unepréférencepouruneespèced’oiseauxenparticulier?Alorsill’embrassa,doucement,tendrement,etellesesentitfondre.Elleselaissasubjuguerpendantquelquessecondes,peut-êtremêmeuneminute,avant
des’écarterunpeu.Lesoufflecourt,elleposaunemainsursontorsepour l’empêcherderecommencer.
–Onnedevraitpas…–Pourquoipas?–Parceque…Jenesuispasprêteà…–Àt’embarquerdansunehistoiresérieuse,conclut-ilenfronçantlessourcils.Jesais,tu
me l’as répété au moins une dizaine de fois. Je ne t’en demande pas tant, Della. Ici,maintenant,iln’yariendesérieux.Justetoietmoi…etquelquesbaisers.
–Oui,maisonsaittrèsbienoùçarisquedenousmener,etjenesuispasprêtepourçanonplus.
Elle détourna la tête, en partie parce qu’elle était gênée d’avouer cela, et en partieparcequ’elleavaitcruentendrequelquechosedanslaforêt.
Steveluicaressadoucementlajoueetlaforçaàleregarderdenouveau.–Écoute,j’aimebeaucoupt’embrasser,etsic’esttoutcequetupeuxm’accorderpourle
moment,alorsjem’encontenterai.Jusqu’àcequetutesentesprête…–Maispeut-êtrequejeneseraijamaisprêteetquetuperdstontempsavecmoi!Illaserratoutcontrelui.–Jepenseavoirlesmoyensdetefairechangerd’avis.–Ahoui?Tutecroisvraimentsidouéqueça?–Jenelecroispas,jelesais,répondit-ilenriantdoucement.C’estunpetitoiseauqui
mel’adit.Elleluidonnaunpetitcoupdepoingdanslescôtes.C’estalorsqu’elleentenditdenouveauunbruit.Ellefitvolte-faceetlevalenezjusteà
tempspourpercevoirl’odeurd’unautrevampire–ainsiquel’odeurdusang.Beaucoupdesang.
–Qu’est-cequ’ilya?demandaStevelorsqu’ilcompritqu’elleavaitflairéundanger.
–Unvampire,murmura-t-elleeninspirantprofondément.Elle s’attendait à reconnaître l’odeur de Chase, ce salaud qui l’avait traitée de
Schtroumpfette,maiscen’étaitpaslui.Elledistinguaitnettementladifférence,alorsmêmequel’airétaitsaturédel’arômeépicédusangfrais.Dusanghumain,Bnégatif…ainsiqu’unautregroupe.
Dellasentitsesyeuxdevenirplussensiblesàlamoindrelumière.Elle leva la tête,mais vit à peine le vampire qui les survolait. Elle hésita à le suivre
mais,avantd’avoireuletempsdesedécider,ellereconnutuneautreodeurfamilière.Elle s’écartadeSteveaumomentmêmeoùBurnettatterrissaitàcôtéd’eux. Ilportait
en toutetpour toutun jean,et ses cheveuxétaientébouriffés.Ce typeétait taillé toutenmuscles.
–Vousallezbien?demanda-t-il.–Oui,répondirentSteveetDellaenmêmetemps.–Quelqu’unasautépar-dessuslaclôturenord,ajoutaBurnettenleurjetantunregard
suspicieux.–Jesais,ditDellaens’appliquantànepastropregardersontorsenu.Ledirecteurducentreavaitbeauêtrevieux–enfin,tropvieuxpourelle–,ilauraitpu
tournerdespubspourCocalight.
–Jel’aientenduetsenti,reprit-elle.Ilnousestpasséjusteau-dessus.Jepensequ’ilestparti.
–Ouais,fitBurnett.Tuasidentifiélesodeurs?–Oui.Unvampireetdeuxgroupessanguinsdifférents.Burnettcrispalesmâchoires.–Dusanghumain?Dellahochalatête.Ilpoussaungrondement.–Qu’est-cequevousfaitesdeboutàcetteheure-ci,touslesdeux?Dellatressaillitlégèrement.–Jen’arrivaispasàdormir.C’étaitlavérité,aussisoncœurnes’emballa-t-ilpas.BurnettsetournaversSteve.–Euh…Lecœurdu jeunehommeaccéléraunpeu, commes’il s’apprêtait àmentir. Il jetaun
coupd’œilàDella.–J’espéraisqu’ellen’arriveraitpasàdormir.Dellalefusilladuregard,maisilsecontentadehausserlesépaules.Burnettpoussaun
longsoupir.Aumêmemoment,sontéléphonesonnaetillesortitdesapoche.–Zut,fit-ilenvoyantquil’appelait.Ilsedétournaavantdedécrocher.–AgentJames.Autondesavoix,Dellacompritqu’ils’agissaitd’unappelofficiel.Elletenditl’oreille.–NousavonsretrouvédeuxcorpsauxabordsdelavilledeFallen.Ondiraitquec’estl’œuvre
d’unvampire.–Oh,merde!râlaBurnett. Ilestsansdoutepassépar ici.Oùêtes-vousexactement?
OK,j’arrive.IlraccrochaetsetournaversDellaetSteve.–Tuveuxquejevienneavectoi?demanda-t-elle.Àl’idéed’accompagnerBurnett lorsd’unevraiemission,unedécharged’adrénaline la
parcourut.Ellerêvaitdefairecemétier.Elleétaitpersuadéequ’elleétaitfaitepourça.– Non, reste ici et monte la garde. Réveille Lucas, Derek et Perry pour qu’ils te
rejoignent,enrenfort.Appelez-moiàlamoindrealerte.Entendu?–Maisj’aisenti l’odeurduvampire,protesta-t-elle,déçue.Jepourraistedires’ils’agit
delamêmepersonneoupas.Burnettsoupira.–Çarisqued’êtreassezmoche,Della.
–Ilenfautpluspourmefairepeur.–Bon,d’accord,ditBurnettavantdesetournerversSteve.Vachercherlesautres,vous
organiserezdespatrouilles.Steveacquiesça.–Della,retrouve-moidevantleportail.Ilfautquej’aillemettreuntee-shirt.Burnetts’envola,etDellas’apprêtaitàl’imiterquandStevelaretintparlebras.–Faisattentionàtoi,souffla-t-il.Della vit de l’inquiétude dans son regard. Avant qu’elle ait le temps d’anticiper son
geste,ilsepenchasurelleetl’embrassa.Elleselaissafaireunesecondeavantdes’écarter.Elle était profondément touchée qu’il se fasse du souci pour elle,mais cela ne faisait queconfirmercequ’ellesoupçonnaitdéjà:cettepetitehistoireentreeuxavaitdéjàtropduré.
Ellehochabrièvement la têteet s’esquiva.Ellen’étaitqu’àdeuxmètresdu solquandelle reconnut une autre odeur familière. Celle de Chase. Elle l’aperçut entre les arbres.Depuis combien de temps était-il caché là ? Les avait-il espionnés, Steve et elle ? Elle futtentée d’aller lui demander des explications, mais elle savait que Burnett ne luipardonneraitpaslemoindreretard.ElledépassadoncChaseetgagnaleportail.
Cependant,ellesepromitque,àsonretour,elleauraitunepetiteconversationaveccesalepervers.Uneconversationmusclée.
Della s’étaitpersuadéequ’elle tiendrait le choc.Ellen’étaitplusunegamine.Le sangne ladérangeaitpas.Aucontraire, ça luidonnait faim.Lorsqu’elle vomitpour la secondefois,ellesedemandacommentelleavaitpusetromperàcepoint.
Mais lesangsuruncadavren’étaitpasde lanourriture.Celadevenaitquelquechosedelaid,d’écœurant.Unepreuvedemortviolente.Uneatrocité.
Della sentit unemain se poser sur son épaule. Il y avait vraiment quelque chose quiclochaitavecsonouïe.Ellefitvolte-faceengrondant,furieused’avoirétésurprisedansunmomentdefaiblesse,maissetutenreconnaissantBurnett.
Elleavait fui le lieuducrime, sous lepont,pourvenir se cacherderrièreunbouquetd’arbres.Apparemment,elles’étaitmalcachée.
–Jevaisbien,dit-elleenhaussantlesépaulespouréchapperàsoncontact.J’aimangétropdebonbonsetdetrucsdanscegenrequandj’étaischezmesparents,c’esttout.
Ilarquaunsourcilpour lui indiquerqu’ilavaitentendu lesbattements révélateursdeson cœur.Pourtant, quandelle croisa son regard, ellen’y vit quede la sympathie, cequiréveillasacolère.
–Jevaisbien,jetedis!cria-t-elle.Ilsepenchaversellepourquepersonned’autrenel’entende.–Pendant toutemapremière annéeà l’URF, je vomissais chaque fois qu’il y avaitun
casdecegenre,dit-ild’unevoixbassemaissincère.Pourêtrehonnête,situn’avaispasété
malade,jemeseraisinquiété.Ces paroles réconfortantes lui piquèrent le nez et les paupières, mais elle refusa de
laisser couler ses larmes. Elle revit malgré elle la scène du crime. Les deux victimes, unhomme et une femme, avaient été arrachées à leur voiture et égorgées, les yeux encoreouverts dans une expressiond’horreur pure. Et tout ce sang… Ils en étaient littéralementcouverts. Elle n’osait pas imaginer ce qu’ils avaient dû ressentir tandis que leur vies’échappait.
–Comment…Quiabienpufaireunechosepareille?Burnettpoussaunprofondsoupir.–Çapourraitêtreunvampirerécemmenttransforméquin’avaitpersonnepourl’aider
à surmonter sa faim. Mais on pourrait aussi avoir affaire à un individu qui méprise leshumains.
Dellainspiralonguementpourrefoulersanausée.–Noussommesdesmonstres,souffla-t-elle.Ellen’avaitpaseul’intentiond’exprimercettepenséeàvoixhaute.– Non, nous sommes des vampires, corrigea Burnett. Nous ne sommes pas plus
monstrueuxqued’autres–humainsinclus.Lebienetlemalnedépendentpasdesespèces.Nel’oubliejamais.
Elle cilla, agacée d’avoir exprimé de tels doutes face à celui qu’elle cherchait àimpressionnerplusquetoutautre.
Burnett lui posa de nouveauunemain sur l’épaule et serra gentiment. Elle hocha latêteavantdedétournerleregard.
–Est-ceque tuas repérésa signatureolfactive?Ouest-cequec’était tropcontaminépartoutlereste?demanda-t-il,commes’ilavaitcomprissonbesoindeparlerd’autrechose.
Dellajetauncoupd’œilendirectiondupontavantderegarderBurnett.Lesrayonsdelune se reflétaient sur ses cheveux noirs. Elle percevait toujours une lueur de sympathiedanssesyeuxsombres,maisilétaitredevenul’agentdel’URFqueriennepouvaitébranler.
– Je n’en suis pas absolument sûre, à cause de l’odeur du sang des victimes,mais jecroisbienquec’estlemêmevampirequeceluiquiestpasséàShadowFalls.Jereconnaissasignatureolfactive.
Burnetthaussalesépaules.–Jesuisdésoléedet’avoirfaitvenir…–Non, il ne faut pas, Burnett. Je ne regrette pas d’être venue, au contraire. Je veux
fairepartiede l’URF. Je suis certaineque j’en suis capable.Tuasdit toi-mêmequ’il fallaits’accrocher,audébut.
–Oui,maisilyadesmoyensplusfacilesdegagnersavie,tusais.–Jem’enfous,quecesoitfacile!s’écria-t-elle,sincère.Cequejeveux,c’estmenerdes
enquêtes,coincerdescriminels…
Burnetthaussaunsourcil.–Tuessûrequ’ilnes’agitpasplutôtdechercherlabagarre?–J’avouequeçanemedéplaîtpas,concéda-t-elleavecunepetitegrimacemalicieuse,
dansl’espoirdedétendrel’atmosphère.– C’est ce quim’inquiète, Della, rétorqua Burnett avec un sérieux qui effaça le demi-
sourirede la jeune fille.Tusais tedéfendre, j’en suisbienconscient,mais tu risquesde teretrouverfaceàdestypesbienplusfortsetbienplusdangereuxquetoi.Avecuneattitudecommelatienne,c’estuncoupàfinircommenosvictimes,là.Cen’estpasparcequetuesprête à en découdre que tu peux forcément faire un bon agent. Il vaut mieux savoirreconnaître et éviter les bagarres que tu ne peux pas gagner. Dans ces cas-là, mettre safiertédecôtéestunequalitéprécieuse–unequalitéquitefaitencoredéfaut.
Dellarelevalementonetréprimasonenviedecorrigerl’opiniondeBurnettàsonsujet.–Jevaisapprendre,dit-elle.–Jel’espèrebien,rétorqua-t-ilentournantlestalons.Ellelerattrapaparlebras.– Je veux vous aider à arrêter ce vampire meurtrier. Je veux leur rendre justice…
souffla-t-elleendésignantlepont.–Onvavoir,soupiraBurnett.–S’ilteplaît.–J’aidit:onvavoir.Detoutefaçon,l’enquêtenecommenceraréellementquequand
onauralerapportd’autopsie.Surce,ils’éloignapourallerrejoindrel’équipedel’URF.«Unequalitéquitefaitencore
défaut. »Cesparoles résonnaientdans l’espritdeDella commeunegifle cuisante.Burnettnelacroyaitpascapabledefaireunbonagentdel’URF.
Ellecomptaitbienluiprouverqu’ilavaittort.Pour commencer, elle allait se forcer à affronter la scène du crime. Elle avança
doucement, se promettant de ne pas vomir. Il avait peut-être fallu un an à Burnett pours’endurcir,maisellenecéderaitplusjamaisàcettefaiblesse.
Elle lui prouverait qu’elle avait l’étoffe d’un agent. Puis elle coincerait le salaud quiavaitcommiscecrime.
Ilétaitpresquequatreheuresdumatinquandelleregagnasonbungalow.Assiseà latabledelacuisine,Kylieformaitundrôledetableauavecsachemisedenuitblanchequisedétachaitdansl’obscurité.Seslongscheveuxblondsluitombaientlibrementsurlesépauleset,àenjugerparl’expressiondesonvisage,elleauraitpusetrouveraumilieud’unescènedignedeL’ExorcisteoudeVendredi13.Oualors,c’était l’imaginationdeDellaqui lui jouaitdestoursparcequ’ellevenaitd’êtreconfrontéeàlamort…pourdevrai.
–Çava,Kylie?Sonamiecilla.
–Oui.Jen’arrivaispasàdormir,c’esttout.Cen’étaitvisiblementpastout.Àtouslescoups,Kylieavaitdelacompagnie–legenre
decompagniequeDellanesupportaitpasbien.–Est-cequ’onestseules?demanda-t-elle.Kyliehaussalesépaulesenguisederéponse,etDellaneputréprimerungémissement.
Parmisesnombreuxpouvoirsdecaméléon,Kylieavait la facultédecommuniqueravec lesfantômes. Heureusement que c’était sameilleure amie, sinonDella l’aurait déjàmise à laporte – elle et les spectres qui lui collaient si souvent aux basques. Sauf qu’il était toutsimplementimpossibled’envouloiràKylieoud’êtreméchantavecelle.Ç’auraitétécommefrapperunchiotaffaméetàlapatteblessée.Etpuis,siquelqu’unavaitunjourlemauvaisgoûtd’êtreméchantenversKylie,Dellaluibotteraitleculplusvitequesonombre.
–Réponds-moi,s’ilteplaît.Est-cequ’onestseules?–Là,toutdesuite,oui,soufflaKylieavecunpetitsouriredésolé.–Tuveuxdirequequelqu’unvientdes’éclipser?–Quelqu’uns’amuseàjoueràcache-cacheavecmoi.–Çaal’airmarrant,présentécommeça.– Ouais, sauf que ça ne l’est pas, rétorqua Kylie en fronçant les sourcils. Il ou elle
n’arrêtepasdemepasserau-dessusdelatêtesansriendire,tropvitepourquejedistinguesestraits.Holidaydiraitquec’estunsigne,ajouta-t-elleavecunepetitegrimace.Quiest-cequejeconnaisquifuseàtoutealluresansjamaisralentir?
ElleinclinalatêteetdésignaDelladudoigt.–Désolée,cen’étaitpasmoi,jenesuispasmorte.– Je sais.Ceque je voulaisdire, c’est quemonnouveau fantômeest sansdoute celui
d’unvampire.–Génial.Nousvoilàhantéesparunvampiremortetfurax.Kylieserenfrogna.–Jen’aipasditqu’ilouelleétaitencolère.– Ah bon ? Le fantôme n’est pas en colère ? demanda Della en s’approchant de la
table.–Si,maisjenel’avaispasdit,réponditKylieavecunsouriremalicieux.Dellalevalesyeuxauciel.– Sérieux, tu traînes trop avec Miranda ; tu commences à réfléchir avec la même
logiquetordue.–J’aimebiensalogiquetordue,avouaKylie.Della aussi,mais elle n’était pas d’humeur à l’admettre. Elle jeta un coup d’œil à la
portedesachambre,tentéed’allerseréfugiersoussacouettepourtoutoublier.Puiselleseretourna vers Kylie et vers la chaise vide en face d’elle. Pourquoi ne pas en profiter pourpasserunpeudetempsavecsameilleureamie?
Elle s’assitdoncetposa les coudes sur la tableen s’efforçantde relâcher sesépaules,quiavaienttendanceàsecrisper.
–Qu’est-cequis’estpassé?demandaKylie.L’estomacdeDellasenoua.–J’étaissortiefaireuntourparcequejen’arrivaispasàdormir,etunvampireinconnu
estpasséau-dessusdeShadowFalls.J’aieuletempsdesentirsasignatureolfactiveavantqueBurnettarrive,alors,quandl’URFl’aappelé,jel’aiaccompagné.
Ellesemorditlalèvre.Illuiétaitdouloureuxd’endiredavantage.–Pourquoil’URFavaitbesoindeBurnett?Della hésita un instant, puis comprit que si elle voulait vraiment faire cemétier, elle
allaitdevoirs’habitueràenaffronterlesduresréalités.Orellevoulaitexercercemétierplusquetout.
–DeuxpersonnesontététuéesauxabordsdeFallen.Kylielaregardaavecempathie.–Est-cequel’unedesvictimesétaitvampire?Dellacompritque sonamie sedemandait si le fantômequi luiavait renduvisiteétait
l’und’eux.–Non,c’étaientdeuxhumains.Elle s’était approchéeducarnagepourenêtreabsolument sûre,même si celan’avait
pasétéfacile.–Enrevanche,c’estunvampirequilesatués,seforça-t-elleàajouter.Kyliefronçalessourcils.–Est-cequeBurnettsoupçonneunebandederenégats?– Jen’en sais rien,mais jenepensepasqu’ils aientdéjàdes suspects. Il fautd’abord
faireuneautopsie.Évidemment,ilsvontorganiseruncoderouge.Cela signifiait que l’URF allait déguiser ce crime en accident pour que le reste du
mondenesoupçonnepasl’existencedessurnaturels.– Ça devait être horrible à voir, commenta Kylie, l’air sincèrement inquiète pour son
amie.–Non,çava,mentitDella.Mais,aussitôt,soncœurseserraetlesouffleluimanqua.–Enfin,si,c’étaithorrible,avoua-t-elle.–Jesuisdésolée,ditKylieenposantunemainsurlasienne.TuveuxunCocalight?Dellafaillitacceptermaissecoualatêteavecunsoupir.–Non,merci.Ilfautquejedorme.Elle retira sa main de celle de Kylie. Elle ressentit immédiatement une désagréable
impressiondemanqueetfuttentéederéclameruncâlinàsonamie–undeceslongscâlinsquiparvenaientàatténuerlespiresmigraines.Maisellen’étaitpasfaibleàcepoint-là.
Elleselevaetsedirigeaverslaportedesachambre.–Tupourraispeut-être t’accorderunegrassematinée,demain? lançaKyliedansson
dos.Dellaseretournaverssonamieenréfléchissantàcettesuggestion.Puiselleserappela
queBurnettnelaconsidéraitpascommeunerecruevalablepourl’URF.–Non,çavaaller.Il fallait absolument qu’elle arrive à convaincre le directeur de Shadow Falls qu’elle
étaitcapabled’encaisser lesscènesdecrime, laviolenceet lesnuitssanssommeilquecelaimpliquait.Elledevaitluimontrerqu’elleavaitl’étoffed’unagent.
Elleouvritlaportedesachambre.–Merci,dit-elleavantdefranchirleseuil.–Mercipourquoi?demandaKylie.–Jenesaispas.Pouravoirétéréveilléequandjesuisrentrée.Kyliesourit.–Danscecas,c’estlefantômequ’ilfautremercier.–Euh…sansfaçon,grommela-t-elle.Elleparcourut lapièceduregard, sansbiensavoircequ’ellecherchait.Ellenevoyait
pas les fantômesmais, parfois, quandKylie luidisait qu’il y enavaitundans lesparages,elleressentaitundésagréablefrisson.Uneimpressionqu’elleassociaitàlamort.
Et, naturellement, aux anges de la mort, ces créatures qui jugeaient les âmes dessurnaturelsetquilespunissaientpourleursfautes,sansdélaietsanspitié.Dellaavaitdéjàcommistantdefautes…
Elleserenditcomptequ’elleavaitlesyeuxdanslevidedepuisuninstantetsetournaverssonamie.
–Tonvampirefantôme…ilestparti,hein?–Oui,confirmaKylie.–Bon.Tantmieux.Dellarentradanssachambre,oùellepourraitenfinréfléchirseule.Dumoinsl’espérait-
elle.Elles’immobilisa,essayantdedéterminersi le fantômesetrouvaitdans lapièce,maisellen’eutpasd’impressionparticulière.
Aussitôtqu’elleselaissatombersursonlit,elleoubliacomplètementlevisiteurdeKylieetrepensaàlascèneatrocequ’elleavaitvueunpeuplustôt.Desimagesaussisinistresqueprécisesluirevinrentenmémoire.
La jeune femme paraissait à peine plus âgée qu’elle, et le jeune homme quil’accompagnaitétaitsansdoutesoncopain.Onauraitditqu’ilsétaientvenussegarerlà,auclair de lune, pour s’embrasser et s’enivrer de caresses. Puis ils avaient été attaqués etavaient tenté de s’enfuir à pied. Un jeune couple brutalement arraché à un momentd’intimité…Finalement,ilvalaitpeut-êtremieuxqu’ellepenseaufantôme.
Les paroles de Burnett résonnèrent dans son esprit. « Nous ne sommes pas plusmonstrueuxqued’autres.»Ilavaitbeaudire,Dellaavaitl’impressionquesoncœursaignait.C’était un vampire qui avait commis ce crime atroce. Elle avait honte pour son espèce –honted’avoirbesoindesangpoursenourrir.
Pas monstrueux… Tu parles ! Elle aurait déjà dit la vérité à ses parents si elle necraignaitpasque,justement,ilslaprennentpouruneaffreuseaberrationdelanature.Sanscette peur viscérale, elle ferait peut-être encore partie de sa famille ; elle serait encore lafilleadoréedesonpère.Aulieudecela,elleseretrouvaitcondamnéeàleurrendrevisitedetempsentemps–etàmesurertoutcequ’elleavaitperdu.Ellen’avaitpasd’autrechoixquedeles laissercroirequ’ellesedroguaitetqu’elleenétaitréduiteàleurvolerdel’alcoolendouce.
Elle tenta de chasser l’image du jeune couple allongé sur la terre humide, la gorgemutilée par des morsures sauvages et répétées, les yeux écarquillés dans une expressiond’horreursansvie.Elleeutbeauessayer,ellen’yparvintpas.
–Noussommesdesmonstres,murmura-t-elledanslachambresilencieuse–et,avecunpeudechance,videdetoutfantôme.
Elle sentitdes larmes rouler le longde ses joueset les cueillitd’ungeste rageur.Elleespéraitquesondésirdecoincerlesalaudassoiffédesangquiavaittuécesinnocentsetsondésirdeleluifairepayercompenseraitquelquepeusanaturemonstrueuse.
–Jet’aurai,saleordure,gronda-t-elle.Ellesepromitdenejamaisoublier l’odeurducoupable.Tôtoutard,ellecroiseraitsa
routeànouveau.–Etcejour-là,conclut-elleàvoixhaute,jeprendraiunmalinplaisiràtebotterlecul,
quoiqu’endiseBurnett.
–Della?Une voix grave s’invita dans son rêve et résonna dans sa tête. Elle reconnut ce rêve.
Elle se trouvait dans une ruelle sombre, vêtue de son pyjama Schtroumpfs. L’affreusecréatureàtêtedegargouillegéantesetenaitàdeuxmètresd’elleàpeine.ElletoisaitDelladesesyeuxrougesàlalueurmaléfique.Sesintentionsétaientclairementannoncéesparlabavequicoulaitaucoindesesbabines.
Queluivoulaitdonccetteespècedegrosmachinmocheetbaveux?–Della?Çava?Cette fois, la voix résonna de derrière les poubelles.Dommage, c’était précisément là
queDellaavaitl’intentiond’envoyervalsersonadversaire,quisemitàcourirverselle.Ellesetendit,prêteàriposter,ettoutdevintpluscohérent.–Della!Lavoixnesetrouvaitplusderrièrelespoubelles,maisdel’autrecôtéduvoilenoir–du
côté de la vraie vie, là où les gargouilles animées n’existaient sans doute pas et où les
monstresn’étaientautresquedesvampires.Elle se ressaisit complètement quand elle sentit une main se poser sur son front.
Instinctivement–etavantmêmed’avoirouvertlesyeux–ellesaisitlepoignetdel’intrusetlerepoussa.
Alors,malgré l’obscurité, elle reconnut la silhouette dumétamorphe qui se tenait là,penchésurelle.
–Qu’est-cequetufaisici?demanda-t-elleenluilâchantlepoignet.Stevefronçalessourcils.–J’aifrappéàlavitrepuis,commetuneréagissaispas,jemesuisinquiété.–Ettuasdécidéqueçatedonnaitledroitdet’introduiredansmachambre,rétorqua-
t-elle,énervée.Surtout, elle se trouvait confrontée à la preuve que son ouïe était réellement
détraquée.Celadevenaitvraimentpréoccupant.– Je voulais m’assurer que tu allais bien. D’habitude, j’ai à peine le temps de
m’approcher du bungalow que tu es déjà réveillée. Là, j’ai frappé pendant une bonnedizainedesecondes,ettun’asmêmepasbougé.Tuessûrequetutesensbien?
Iltenditlamainpourlaposersursonfront,maisellel’écarta,agacée.–Nemetouchepas.–Jeveuxjusteprendretatempérature, insista-t-ilenjoignantlegesteàlaparole.Ça
m’aparubizarre,toutàl’heure.Ellefuttentéedelerepousserdenouveau,maisellesavaitbienqu’ilauraitétéinjuste
des’enprendreàStevealorsquecequilamettaitenrogne,c’étaientsonrêvebizarreetsesproblèmesd’audition.
–Jeterappellequejesuisunvampire.Pardéfinition,jesuisàtempératureambiante.Stevefitunegrimacetoutenluicaressanttendrementlefront.–Justement,c’estçaquiestbizarre.Tun’espasaussi…euh, froidequetu ledevrais.
Tuaspeut-êtredelafièvre.–Mais non, ça va, dit-elle en s’asseyantdans son lit. Jen’ai presquepasdormi, c’est
tout.Elle jetauncoupd’œilendirectionde la fenêtre.Le soleiln’avaitpasencore fait son
apparition,maislepetitcoindecielqu’ellevoyaitcommençaitàrosir.–Quelleheureest-il?–Cinqheuresetdemie.Elleselaissaretombersursonoreiller.–Çaveutdirequej’aieudroitàpresquesoixanteminutesdesommeil.–Désoléde t’avoir réveillée.J’étaisvraiment inquiet.Je t’avaisdemandédem’appeler
etj’étaissansnouvelles,alors…–Quandest-cequetum’asdemandédet’appeler?
Elle inclina la tête et plissa les yeux.Assis sur son lit, Steve avait l’air frais et dispos.Della détestait les gens qui étaient en formedès lematin. Elle essayade se rappeler leurprécédenteconversation,quandBurnettluiavaitditdelerejoindreprèsduportail.
–Tunem’asjamaisdemandédet’appeler,marmonna-t-elle.–Si,danslepetitmotquejet’ailaissé.Jetedisaisdemefairesignedèsquetuserais
rentrée.–Quelpetitmot?Ilsepenchaverselleetdégageaunboutdepapiercoincésoussonépaule.–Tut’esendormiedessus.Aprèstondépart,jen’étaispasrassuré,alorsjesuispasséet
je t’aidéposécemessage.Jen’aiquasimentpas fermé l’œil,moinonplus.Jemeréveillaistouteslesdixminutespourregardermontéléphone.J’avaispeurqu’ilsesoitpasséquelquechosedegrave.
Ça,onpouvait ledire,eneffet.Deuxinnocentsavaientététués,etDellas’étaitrenducomptequeBurnettnel’estimaitpascapabledefairepartiedel’URF.
L’imagedesdeuxvictimess’imposaàsonesprit,etelleeutl’impressionquesapoitrines’emplissaitdesirop.Unsiropépaisetcollant.Pourtantiln’yavaitriendedouxoudesucrélà-dedans.Elleneressentaitqu’unetristessepesantepourcesdeuxamoureux.
– Bref, j’ai craqué et j’ai fini par venir voir si tout allait bien, conclut Steve. Je doisrepartirdansdixminutes.
Il s’était sincèrement inquiété. Il devait déjà repartir ? Della avait dumal à suivre lecoursdesespensées.Onétaitlundi.Iln’allaitpasjouerlesdocteurslelundi,d’habitude.Cen’était pas vraiment un jeu, d’ailleurs. Tandis queDella rêvait d’entrer dans les rangs del’URF,Steveaspiraitàdevenirmédecin.Comme iln’existaitpasde formationreconnueenmédecine du surnaturel, les jeunes gens qui souhaitaient suivre cette voie devaientdécrocher un diplôme de vétérinaire ou de médecin traditionnel en plus de suivre unapprentissage auprès d’un surnaturel. Steve essayait de prendre de l’avance en passantquelquesheuresparsemainedanslecabinetduseulmédecinsurnatureldelaville.
–Jen’aipasvutonpetitmot.J’étais…j’étaisépuisée.Illuicaressadoucementl’avant-bras.–Tuessûrequeçava?–Oui.Ilsouritd’unairmalicieux.–TuesmignonneavectonpyjamaSchtroumpfs.Ah!Jelesavais,ilesttrèsbienmonpyjamaSchtroumpfs.Nonmais!Aussitôt,ellesemauditd’avoirpenséàcettesaletédevampirepervers.–D’ailleurs,sijamaislenouveaualamauvaiseidéed’enreparler,jemeferaiunplaisir
deluidonnerunebonneleçon.Pourquoipensait-ilà…?
Steveajustalecoldesonhautdepyjamaetsepenchaverselle.– Je suis le seul à avoir le droit de te taquiner au sujet de ce que tu portes pour
dormir…oudecequetuneportespas,ajouta-t-ilavecunsouriremalicieux.Alorsill’embrassa.Elle avait la ferme intention de le repoussermais, aumoment où les lèvres de Steve
effleurèrentlessiennes,ehbien…ellenefitriendutout.N’était-cepourtantpascommeçaquetoutavaitcommencéaucoursdeleurmission?ElleavaitlaisséStevel’embrasseralorsqu’elleétaitcouchée,etuninstantplustard,leursvêtementsavaientdisparu.
Si, c’était effectivement ce qui s’était passé, et elle n’avait aucune envie que cela sereproduise.Elleposalamainàplatsur le torse de Steve et le repoussa fermement. Pas méchamment, mais… Au mêmemoment, il fit glisser sa paume ouverte sous son haut de pyjama et le long de sa taille.Aprèstout,ellepouvaitpeut-êtreattendreunpeu.Ilsuffisaitqu’ellel’arrêteavantqueleursvêtementssevolatilisent…
Alorsqu’ellecommençaità ressentirundélicieuxpicotementsur sapeau, il se recula,l’airperplexe,leslèvreslégèrementhumides.
–Est-cequetuastesrègles?Elleécarquillalesyeux,choquée,etluidonnaunetapedanslapoitrine.–Hé!Çanesefaitpas,deposercettequestionàunefille!Etpuis,si tucroyaisque
j’allais…–Non,attends ! lança-t-il en riant. Jenevoulaispas…Jedemandais ça en tantque
médecin,pasentantquepetitami.–Tun’espasmonpetitami.–Maisbiensûr…Oh,merde!Était-il,defait,sonpetitami?Lasituationavait-elledérapéaupointqu’il
puisseseconsidérercommetel?–Sérieusement,Della,est-cequetuastesrègles?Ellefronçalessourcils.–Tun’espasmédecinnonplus,jetesignale.Ilsecoualatête,commes’ilavaitaffaireàunegaminebutée.– Écoute, ça arrive que les vampires de sexe féminin aient un peu de fièvre pendant
leursrègles,etjetetrouveunpeupluschaudequed’habitude.C’esttout.Denouveau,ilposalamainsursonfront.–Cen’estrien–justelemanquedesommeil,dit-elle.Puis elle repensa aumal de tête qui la poursuivait depuis la veille et à son ouïe qui
partaitensucette.Peut-êtreavait-elleunrhume,ouuntrucdecegenre.–Est-cequetuastesrègles,Della?
Elle hocha la tête en soupirant. Ce n’était pas tout à fait vrai – elles ne devaientcommencer que deux ou trois jours plus tard. Della se demanda si le syndromeprémenstruelpouvaitavoirunimpactsursonaudition.
Elle se redressa et regarda Steve, tranquillement assis sur son lit comme si c’était lachoselaplusnaturelledumonde.
–Tuasditquetudevaispartirbientôt…Oùest-cequetuvas?–JevaisaiderleDrWhitman.–Mais…onestlundi.–Jesais,maisWhitmanademandéàHolidaysijepouvaisl’assisterquatrejoursaulieu
de troisetdormir surplace.Lamoitiédesaclientèlevit lanuit, tucomprends. Ilyaunepetitechambreàlacliniquequejepourraiutiliser.(Ilétudiasonvisageuninstant.)J’allaisteledire,hiersoir,quandtut’esenvoléepourallerjouerlesagentsdel’URF.
Cen’étaitpasunjeu,pensa-t-elle.–Mais…etlescours?s’enquit-elle.Cela lachiffonnaitdesedirequeSteveneseraitpasdans lesparages, lanuit,quand
elle sortirait courir pour s’éclaircir les idées. Et elle n’aimait pas du tout que cela lachiffonne. Elle ne voulait dépendre de personne ; c’était le début des ennuis. Cependant,elle devait bien admettre que depuis queMiranda et Kylie passaient le plus clair de leurtempsavecPerryetLucas,elleenétaitvenueàcomptersurStevedeplusenplussouvent.
Ellen’envoulaitpasàsesamies…Enfin,pasvraiment.Ellesecomportaitexactementdelamêmefaçonàl’époqueoùellesortaitavecLee.
–Lescoursnedevraientpasposerdeproblème,expliquaSteve.J’airéussilesexamensd’entréeauxuniversitésavantd’arriveràShadowFalls.
–Malinetmodesteàlafois,railla-t-elledansl’espoirdecachersonémoi.Pourtant,soncœurbattaitlachamadeàl’idéequ’ils’enaille.– Grosse maligne toi-même ! lança-t-il en souriant. Holiday me fera passer un test
chaque vendredi pour prouver que j’ai bien suivi le programme. Comme ça, mon dossierseraimpeccablequandjepostuleraiàlafac.
Il se tut un instant et lui caressa tendrement la joue, repoussant une mèche decheveux.
–Jevaistemanquer?Ellepinçaleslèvres.Avait-illudanssespensées?–Non,mentit-elle.Ilfitlagrimace.– En tout cas, toi, tu vasmemanquer.Mais on se verra le vendredi et leweek-end.
Évidemment,si tuarrêtaisde fairecommes’iln’yavait rienentrenousetquetuacceptaisqu’onsemontreenpublic,onpourraitpasserencoreplusdetempsensemble.Jeneseraispasobligéd’attendrelemilieudelanuitoulepetitmatinpourtevolerunbaiser.
Ilsepenchasurellecommepourl’embrasser,maisellelevaunemainetposalesdoigtssurseslèvres.
–Ilesttard.Jeferaisbiendem’habiller.–Vas-y,jet’enprie,ditSteve.Ils’allongeasurledos,lesmainsderrièrelatête,commes’ils’apprêtaitàassisteràun
spectacle. Cette position mettait en valeur ses biceps et ses pectoraux – et il le savaitsûrement.IlluidécochacesourireincroyablementsexydontilavaitlesecretetquidonnaitàDellaenviedeluibotterlesfesses.
–Dehors!lança-t-elle.Ilseredressa.–Seulementsitumedonnesunbaiserd’adieu.–Non!Tuesvraimentincorrigible,grommela-t-elleenagitantsonindex.Sansoublier
présomptueux,arrogant…–Balance-moilespiresadjectifssiçatefaitplaisir; jenepartiraipasavantd’avoireu
monbaiser.–…etinsupportable!conclut-elleentresesdents.Tusaisquejepourraist’attraper,te
fairetournerau-dessusdematêtecommeunbâtondemajoretteettejeterparlafenêtre.Non?
–Tupourrais…maisjesaisquetuneleferaspas,mabelle.Enferetdamnation!Comment se faisait-ilqu’il la connaisseaussibien?Quandavait-
ellecommisl’erreurdeseconfieràlui?Delelaisservoirquielleétaitvraiment?Il se pencha et l’embrassa. Elle recula bien vite, mais c’était déjà trop. Finalement,
c’étaitunebonnechosequ’ilpasseleplusclairdesasemaineàlaclinique.Dellaéprouvaitlebesoindemettreunpeudedistanceentreeux–decalmerlejeu.
–Onseverravendredi,maispromets-moidem’appeler.–Jenefaisjamaisdepromesses,rétorqua-t-elle.Puis,voyantl’expressionsurlevisagedeSteve,elledéglutit,lagorgenouée.–Maisj’essaierai,ajouta-t-elledansunsouffle.J’essaieraid’éviter,plutôt,corrigea-t-elleintérieurement.Ilfallaitvraimentqu’ellemette
unfreinàsessentimentsavantqu’ilsnel’entraînentsurunterrainglissant.Il se levaet sedirigeavers la fenêtre.Avantdesortir, il lui jetaunregardpar-dessus
sonépaule.–Méfie-toidunouveauvamp.Ilnem’inspirepasconfiance.Àmoinonplus,pensa-t-elle,maisellegardalesilence.
Le menton posé sur les genoux, Della regardait la fenêtre ouverte et s’efforçait de
penser à autre chose qu’à ce fichu métamorphe qui la mettait dans tous ses états. Uncourant d’air glacial s’insinua dans sa chambre, et elle frissonna. En se levant pour allerfermerlafenêtre,elleserenditcompted’unechoseétrange:elleavaitfroid.
Depuis qu’elle était devenue vampire, elle sentait les changements de température,maisilsnel’affectaientpas.EllerepensaàcequeluiavaitditSteve.Peut-êtreavait-elledelafièvre.Unemainposéesurlefront,elles’approchadelafenêtre,justeàtempspourvoirDerekquisuivaitSteveduregard.
Génial. Le demi-Fae allait croire que Steve et elle avaient fait des cochonneriesensemble. Derek tourna la tête vers elle avec un sourire malicieux et s’avança. Elle futtentée de lui fermer la fenêtre au nez en le saluant d’un doigt d’honneur, mais elle sesouvintqu’elleluiavaitdemandédel’aidepourretrouversononcle.Était-celaraisondesavisite?Avait-ildénichédesinformations?Ellesortitd’unbondetallaàsarencontre.
–Onnecouchepasensemble,Steveetmoi,annonça-t-elled’entréedejeu,histoirequeleschosessoientclaires.
–Franchement,vousfaitescequevousvoulez,jem’enfiche,rétorquaDerekenlevantlesyeuxauciel.
Puisilreportasonattentionsurelleetremarquasonpyjama.–Sympas,lesSchtroumpfs,gloussa-t-il.– Oh, c’est bon, soupira-t-elle. Je sais bien que lesmecs fantasment sur les nuisettes
sexy,maisfigure-toiqu’onpréfèreporterdestrucsconfortables,alors ilvafalloirtefaireàcetteidée!
– Tu veux dire que je vais devoir faire le deuil de mes fantasmes ? railla-t-il en segrattantlementon.
Ellesecoualatête,agacée,etsescheveuxnoirsluibalayèrentlevisage.–Est-cequetuportesdesstringsoudeladentellequigrattepourdormir,toi?–Euh…non.–Ehbienlesfemmesnonplus.Situn’aimespasl’effetfildentaireentrelesfesses,iln’y
apasderaisonquenous,onapprécie.Pasvrai?–Euh… je…bredouilla-t-il. Jeneparlais pasde ça.C’est juste que jenem’attendais
pasàcequ’unvampiresoitfandepetitsbonshommesbleus.–Etpourquoipas,d’abord?J’aimebienlesgensdetouteslescouleursetdetoutesles
espèces.Mêmetoi,jet’aimebien–laplupartdutemps.Derekeutl’airunpeusurpris.–TuesaucourantquelesSchtroumpfsn’existentpasvraiment?–Mais oui ! rétorqua-t-elle. Etmaintenant, toi, tu es au courant que les femmes ne
dormentpas forcémentennuisette sexy. Iln’ya riendemalàporterunpyjamaavecdesSchtroumpfsdessus.
Steveavaitmêmeditqu’ill’aimaitbien,sonpyjamaSchtroumpfs.Derekeutladélicatessederougir.–OK,faisonscommesijen’avaisriendit.
Della avait bien conscience que sa réaction était exagérée, surtout que Derek étaitsûrementvenupourl’aider.
–Désolée.Jen’aiquasimentpasdormidelanuit.Etpuis,ilfallaitserendreàl’évidence,laremarquedunouveauausujetdesonpyjama
l’avaitprofondémentvexée–bienplusqu’ellen’auraitdû.–Tuastrouvéquelquechoseausujetdemononcle?demanda-t-elle.–Oui.C’estpourçaquejevienstevoir.
–Qu’est-cequetuasdécouvert?demandaDella,pleined’espoir.
Sisononcleétaitencoreenvie…Derekhaussalesépaules,commes’ilsavaitqu’elleseraitdéçueparsaréponse.– Pas grand-chose… juste une mention dans la rubrique nécrologique d’un vieux
journaldontlesarchivessontdisponiblessurInternet.J’aiimprimélapage,ajouta-t-ilenluitendantune feuilledepapier.Çane veutpasdirequ’il est réellementmort, évidemment,maisc’estundébut.JevaiscontinueràenquêtersurleNetpourvoirsi jeretrouvelenomdulycéeoùilallait.S’ilyadesréunionsdesanciensélèves,peut-êtrequequelqu’unauraquelquechoseàm’apprendre.
Dellaluipritlepapierdesmainsenfronçantlessourcils.–Jeneconnaispaslenomdesonlycée,maisjevaismerenseigner.–Jeneveuxpastefairedepeine,maisnoschancesderetrouverdesinfosvalablessont
minces.Çafaittellementlongtemps…Elleneditrienmaisneputcachersadéception.–Oh,est-cequejepeuxtedemanderunservice,enéchange?Ellen’étaitpasvraimentenpositionderefuser,maisellenevoyaitpasbienenquoi il
pouvaitavoirbesoind’elle.–Qu’est-cequetuveux?–Ehbien…j’espéraisquetupourraisêtreunpeuplussympaavecJenny.
Derek avait donc vraiment un faible pour Jenny. Ce n’était pas qu’une histoirepassagère.
–Commentça?Jen’aipasétéméchanteavecelle.D’une manière générale, elle ne s’embarrassait pas de politesses inutiles envers ses
petits camarades de Shadow Falls, mais Kylie avait pris Jenny sous son aile et semblaitl’apprécier,aussiDellaavait-ellefaituneffortpoursemontreràpeuprèsaimableavecelle.
–Jen’aipasditquetuétaisméchanteavecelle.Jet’aidemandésitupouvaisêtreunpeuplussympa.Cen’estpastoutàfaitlamêmechose.
–Sijenesuispasméchante,c’estquejesuissympa,grommelaDella.Derekplissalesyeux,l’airagacé.–Écoute,Jennyn’estpastrès…àl’aise,encemoment.Quandellevousvoittoutesles
trois,Kylie,Mirandaettoi,ellesesentunpeumiseàl’écart.–Miseàl’écart?Kyliepasselavoirrégulièrementetdéjeuneavecellepresquetousles
jours.–Oui,maispastoi,niMiranda.–Normal,c’estlatabledescaméléons,crétin.Ilfronçalessourcils.–Iln’yapasassezdecaméléonsàShadowFallspouroccupertouteunetable!Jenny
aimerait s’intégrer et elle semble t’admirer. Je ne comprends pas bien pourquoi,mais elletrouvequetuescool.
–C’estparcequejesuiscool,rétorquaDella.–Oui,ehbientupourraispeut-êtreêtresympaavecelle,enplusd’êtrecool.Ellepoussaungrossoupir.–OK,jevaisessayer.–Merci.Demoncôté,jevaiscontinueràmerenseignerausujetdetononcle.Tiens-moi
aucourantsituretrouveslenomdulycéequ’ilfréquentait.Della suivit le demi-Faedes yeux tandis qu’il s’éloignait. Puis elle jetaun regard à la
noticenécrologiquequ’il lui avait remise.Ellene savait pas encore comment elle allait s’yprendre pour obtenir des informations concernant le lycée de son oncle – ou pour semontrerplussympaavecJenny.Ellen’avaitriencontrecettefille,maisellen’éprouvaitpaslebesoindesefairedenouvellesamies.KylieetMirandaluisuffisaientlargement.
Elletournalestalonsetrentradanssachambre.Alorsqu’elles’apprêtaitàrefermerlafenêtre,ellereconnutuneodeurfamilière.
Chase.Satanévamp!Ellepoussaungrondement,lenezauvent.Elleserappelaavoirperçu
saprésencetandisqu’elleallaitrejoindreBurnettdevantleportail.Peut-êtrequ’ilnefaisaitquepasserprèsdesonbungalowpourallerprendresonpetitdéjeuner–oupeut-êtreque,
pouruneraisonmystérieuse, ilgardaitunœilsurelle.Dansuncascommedansl’autre, ilfallaitqu’elleenaitlecœurnet.
Cinqminutesplustard,elleétaithabillée,lafeuilledepapiertoujourspliéeàlamain.Ellen’avaitpasencoreosélirelanécrologiedesononcle.Soudainonfrappaàsaporte.
–Oui?lança-t-elle.Kyliepassalatêteàl’intérieur,l’airinquiète.–Çava,Della?–Oui.Pourquoitumedemandesça?–Pourplusieursraisons,réponditKylie.Déjà,tuesici,cequiveutdirequetun’espas
alléeàlaréuniondesvampires.–J’aichoisidedormirunpeupluslongtemps,commetumel’avaissuggéré,rétorqua-t-
elleenhaussantlesépaules.EllesegardabiendedireàsonamiequeStevel’avaitréveilléeouque,aprèslascène
decrimequ’elleavaitvue,l’idéedeboiredusangluiretournaitl’estomac.–Jevoisça.Tutesensmieux?Lesouvenirdesdeuxcadavres,ainsiquede ladéceptionque luiavaitcauséeBurnett
enl’écartantdel’enquête,luirevintenmémoire.–Çavaaller.Kylieluisouritgentiment.–C’estDerekquejeviensdevoirpartir?–Oui. Ila trouvéunenoticenécrologiquecorrespondantàmononcle, réponditDella
enluimontrantlepapierplié.–Çaveutdirequ’ilestvraimentmort?–Pasforcément.Çaveutjustedirequesafamillelecroyaitmort.–Jevois…murmuraKylieensemordillantlalèvre.Detouteévidence,quelquechoselatracassait,maisquoi?ElleavaitditàDellaqu’elleavaitplusieursraisonsdesefairedusoucipourelle.–Ilyaautrechosequit’inquiète?demanda-t-elle.Kyliehésitauninstantavantderépondre.–Oui…C’estàproposdufantôme.Voilàquis’annonçaitmal.–Raconte-moi.–Tutesouviens?Jet’aiditquec’étaitsansdouteunvampire.–Oui.–J’ensuisquasimentsûre.Ilnes’estpasencoreentièrementmanifesté,mais…Letruc,
c’estquejenepensepasqu’ilviennemevoir,moi.Iln’estpasentrédansmachambre.–Oùest-cequ’ilva,alors?s’enquitDella.
Elle avait une petite idée de la réponse mais elle ne pouvait s’empêcher d’espérerqu’ellesetrompait.
–Danslatienne,réponditKylieaprèsunenouvellehésitation.– Oh, non ! Je n’ai aucune envie d’avoir un fantôme dans les pattes ! Dis-lui d’aller
squatterailleurs!Kyliesoupira.–Malheureusement, ce n’est pas aussi simple que ça. Et puis, en général, quand un
esprit semontre, c’est qu’il a une bonne raison. Je… Enfin, voilà, jeme disais que c’étaitpeut-êtretononcle.
L’estomacdeDellasenoua.–Pourquoi?–Jen’ensuispassûre,hein…C’estjusteque…tut’eslancéeàsarecherche,ettoutle
mondelecroitmort,alors…–Non!J’aibesoinqu’ilsoitvivant!s’écriaDella.C’estseulementàcetinstantqu’ellecompritàquelpointelleavaitbesoind’unefamille
–mêmed’uneseulepersonne,pourvuquecelle-cinelaconsidèrepascommeunmonstre.–Non,répéta-t-elleensecouantlatête.Cen’estpaslui.Kylieacquiesça,mêmesiellenesemblaitpasconvaincue.–Je…jevaisretrouverLucaspourunpetitdéjeunerpique-nique,etMirandaestàune
réunionduconseildessorcières.Jesuisdésolée,ducoup,tuteretrouvestouteseule.–Cen’estpasgrave,ditDella,préoccupéeparcettehistoiredefantôme.Kylieluisouritettournalestalons,maisDellalarappela.–Attends!Iln’estpasdanslapièce,là?Lefantôme?–Non, réponditKylie, l’air inquiète.Tues sûrequeçava?MêmeMiranda se faitdu
soucipourtoi.–Jet’assurequejevaisbien.Delladétestaitqu’ons’apitoiesursonsort.Toutcequ’ellevoulait,c’étaitéchapperaux
fantômes – et retrouver son oncle, vivant. C’était la raison pour laquelle elle n’avait pasencoreosélirelanécrologie.
Desimagesdelaveilleluirevinrentenmémoire.–Allez,file!dit-elleàKylie.Quand la porte se referma derrière son amie, Della observa un instant le bungalow
vide.Puiselle rangea la feuilledepapierdans sapocheetdécidad’affronterdesœufsauplatgluantsetdubacontropcuitavantdefairefaceàl’éventualitéquesononclesoitmort.
Dellatraversalacantinequirésonnaitdubruitdesvoix.Elles’apprêtaitàrejoindrelesautresvampiresquiavaientesquivéleurréunionmatinalequandelleaperçutJenny,seuleàunetable.Alorsellesaisitunplateauetallas’asseoiràcôtédelajeunefille.
–Salut,lança-t-elle.
Puis elle jetaun coupd’œil à sonassiette. Les jaunesd’œuf flottaientdansunemaretranslucide,etsonbaconétait,commeprévu,carbonisé.Beurk.Ellen’avaitaucuneenviedemangerça.
–Salut!réponditJennyd’unairenjoué,avecunsouriredanssesyeuxverts.Delladut se retenirde faire lagrimace. Il étaitbeaucoup trop tôtpouraffronter tant
d’énergiepositive,maiselleavaitunedetteenversDerek.– Est-ce que tu as vu Kylie, cematin ? demanda Jenny, sans doute pour combler le
silence.–Oui,elleestalléepique-niqueravecLucas.Cequivoulaitdirequ’ilsétaiententraindesebécoterousepeloterquelquepartdans
la forêt.QuoiqueKyliene fûtpasdugenreàse laisserdéshabillerdans lesbois.Elleétaitbeaucoup trop maligne pour ça. C’était un coup à récolter des piqûres d’insectes à desendroitsvraimentpaspratiques.
–C’estmignon.réponditJenny,latêteailleurs.Dellasuivitsonregardetvitqu’elleobservaitlatabledesFaes,etplusparticulièrement
l’endroitoùDerekétaitassis.Aumêmemoment,cedernieréclataderire,sansdouteparceque sa voisine – une nouvelle – avait dit quelque chose de drôle. Il ne donnait pasl’impressiondeflirteravecelle,pourtantDellavitunelueurdedéceptiondansleregarddeJenny.
–Commentçasepasse,avecDerek?demanda-t-elleenplantantsafourchettedanssesœufsgluants.
–IlnesepasseriendutoutavecDerek,sedéfenditJenny.– Ah bon ? Je croyais que vous étiez ensemble. Tu as couché avec lui quand tu es
arrivéeici,non?–Non ! lança Jenny en rougissant.On a dormi dans lemême lit,mais on n’a pas…
enfin,onn’arienfait.Onestamis,c’esttout.Lecœurde la jeune filleponctuacettephrased’un légersursaut.Cen’étaitdoncpas
unmensonge,mêmesicen’étaitcertainementpasl’entièrevérité.– Ça neme regarde pas,mais j’ai l’impression qu’il aimerait bien devenir plus qu’un
ami.DellavitquelebacondeJennyétaitàpeinecuit,pilecommeellel’aimait.Sonestomac
gronda.–Oui,ilmel’aplusoumoinsfaitcomprendre,avouaJenny.Dellan’arrivaitpasàdétachersonregarddubaconpresquecru.–Tunefinispastonassiette?demanda-t-elle.–Non,jepréfèrelaviandecuite,réponditJennyavecunegrimace.–Jet’échangemonbaconcramécontreletien.
JennypoussasonplateauversDella,quiseservitdeboncœur.Aprèsunebouchée,elledemanda:
– Alors, comme ça, notre ami demi-Fae ne te plaît pas ? Pourtant, Kylie étaitintarissableàsonsujet.
–Ouais,jesais,marmonnaJenny.Sonbelentrains’étaitenvolé,etDellacompritqu’elleavaitmalinterprétésesparoles.–Non,attends…Jedisaisjusteque,àunmoment,elleletrouvaitcraquant.C’esttout.Jennydéplaçasesœufsduboutdesafourchette.–Oui,j’aicrucomprendrequ’elleavaitlonguementhésitéentreLucasetDerek.Dellaperçutunecertainetristessedanslavoixdelajeunefille.–Maistusaisaussique,maintenant,Lucasetellesonttrèsamoureux.Pasvrai?Jennyhochalatêtemaisnesemblaitpasconvaincue.–Est-cequec’estpourçaquetugardestesdistancesavecDerek?Parcequetuaspeur
decequ’ilapuyavoirentreKylieetlui?–Non,réponditJenny,maissoncœurs’emballa.Dellaluijetaunregardencoin.–Jenecomprendspaspourquoilesgenss’obstinentàmementir.–OK,jel’admets,çamefaitunpeupeur.J’aimebeaucoupKylieet jenevoudraispas
queçacréedesennuissionsortaitensemble,Dereketmoi.–Discutes-enavecelle,luiconseillaDellaenmordantdanssatranchedebacon.Jesuis
sûrequ’ellevatediredefoncer.Derekestuntypebien–sionaimesongenre.JennyobservalatabledesFaesuninstantencoreavantdereportersonattentionsur
Della.–Ilt’ademandédevenirmeparler.Pasvrai?–Non.Cetteréponselaissaunarrière-goûtdésagréabledanslabouchedeDella.–Enfin,ilnem’apasdemandédeteparlerdelui,corrigea-t-elle.–Alorsdequoivoulait-ilquetumeparles?Troptard,Dellaavaitmislespiedsdansleplat.Ellemâchalonguementlerestedeson
baconavantderépondre:–Ilnem’apasdemandédeteparler.–Etc’esttoiquimetraitaisdementeuse!s’écriaJennyenhaussantunsourcil.SonregardvertrappelaàDellaceluideChase.–Dis-moilavérité,repritlejeunecaméléon.Della hésita à être complètement honnête et se rendit compte qu’elle n’avait pas
vraimentmenti.–Jet’assurequ’ilnem’apasdemandédeteparler.
Parleretêtresympa,cen’étaitpasexactementlamêmechose,aprèstout,maisJennynesemblaitpassatisfaite.Oh,etpuiszut.
–Ilm’ajustedemandéd’êtresympaavectoi,avoua-t-elle.Jennysevoûtalégèrement.–C’estpourçaquetuesvenuet’asseoiràcôtédemoi.–Non.Enfin,si,maisçaneveutpasdirequejenet’appréciepas.–Netefatiguepas.Jesuisuncaméléon,çatefaitpeur.–Pourquoi tudis ça ?Kylieaussi estun caméléon, et c’estmameilleureamie. Jeme
fichecomplètementdesavoircequetues.Jennycroisasonregard.–Alorspourquoies-tuaussi…distante?–Parceque…jesuiscommeça,c’esttout.Cen’estpasfacilepourmoidemefairede
nouveauxamis.Jennydésignadumentonlacantinebondée.–Toutlemondemeregardecommesij’étaisunebêtecurieuse.–Cen’estpasvrai.Pastoutlemonde.Qu’est-cequetuveux…ilyadesconspartout,
mêmeici.Endisantcela,DellaaperçutChase.Ilfallaitvraimentqu’elledemandedesexplications
àcesaletype.Aumêmeinstant,ilsetournaverselle.Avait-ilépiéleurconversation?ElleattaqualasecondetranchedebacondeJenny,quigardaitlesyeuxrivéssursonassiette.
–Tun’esvraimentpasbien,ici?demandaDelladansunmurmure.–Jenemesenspasàmaplace.Enmêmetemps,jenemesentaispasàmaplacenon
plusquandj’habitaischezmesparents,réponditJennyd’unevoixtremblanted’émotion.Cesparolesrésonnèrentdans l’espritdeDellaavantde l’atteindreenpleincœur.Elle
savaitcequec’était,desefairel’effetd’uneétrangèredanssapropremaison.C’étaitunpeucommesiquelqu’unavaitattaquélesfondationsdesonexistenceàgrandscoupsdemassue.Celal’avaitbrisée.
–Çavas’arrangeravecletemps,souffla-t-elle,pleined’empathie.Onn’estpassimal,àShadowFalls.
–Jen’aipasditqu’onétaitmal;j’aiditquejenemesentaispasàmaplace!s’écrialajeunefille,lesyeuxbrillantsdelarmes.Ilfautquej’yaille,ajouta-t-elleenselevant.
Della la suivit du regard tandis qu’elle s’éloignait. Avant de franchir le seuil, Jennydevintbrusquementinvisible,arrachantdescrisdesurpriseàceuxquiavaientassistéàcela.Cettefacultéqu’avaientlescaméléons–etquiétaitaussirarequelescaméléonseux-mêmes–effrayaitencorepasmaldesurnaturels.
Dellapoussaunsoupir,déçue.Ellen’étaitpassûrequesatentatived’êtresympaavecJennyaitétéunsuccès.Ellesoupçonnaitplutôt l’inverse.Quelqu’uns’arrêtaàsahauteur,etlefaitqu’ellen’aitrienentenduachevadeluimettrelemoraldansleschaussettes.
– Je t’ai demandéd’êtreplus sympaavec elle, pasde la fairepleurer, grondaDerek.Qu’est-cequetuluiasdit?
Della poussa un profond soupir et leva les yeux vers lui. Les Faes avaient le don depercevoir les émotions des autres. Avait-elle blessé Jenny par ses paroles ? Cela n’avaitpourtant pas été son intention, au contraire. Elle comprenait bien lemalaise de la jeunefille.«Jenemesenspasàmaplace.Enmêmetemps,jenemesentaispasàmaplacenonplusquandj’habitaischezmesparents.»
– Je n’ai pas…Enfin, tout ce que j’ai…Oh, et puismerde. Je t’avais prévenu que jen’étaispasdouéepourêtresympa.
Dereksortitàgrandspas,commes’ilcomptaitrattraperJenny,etDellajetalatranchedebaconentaméesursonplateau.Celaluifaisaitmalaucœurd’imaginerlasouffranceducaméléon. Enfin, elle n’avait pas vraiment besoin de l’imaginer. Sa propre famille, lespersonnes surquielleavait crupouvoir compteren toute circonstance, luiavait tourné ledos.Avecunhaussementd’épaules,elledécidaqu’elleavaitdéjàassezd’ennuiscommeça.Ellen’avaitvraimentpasbesoindesepréoccuperdeceuxdesautres.
C’étaitprécisémentpourçaqu’elleévitaitsoigneusementdesemontrertropsympa!–N’oubliepasdeveniràl’Heurepourfaireconnaissance,lançaquelqu’unàcôtéd’elle.Encoreunepersonnequ’ellen’avaitpasentendueapprocher.Maisqu’est-cequim’arrive,
sérieux?Della leva les yeux vers Chris, le vampire qui s’occupait de cette animation censée
encourager les représentants des différentes espèces de surnaturels à se rencontrer. Lesnoms étaient tirés au sort, sauf si quelqu’un faisait undonde sang, auquel cas il avait ledroitdechoisiravecquiilpassaituneheure.
Le grand vampire blond au look de surfeur californien la toisait avec un sourirenarquois.Dellaeutl’impressiondesetrouverfaceàunchatquivenaitd’avalerunesouris.Biendodue,lasouris.
– Pourquoi ? demanda-t-elle à cet arrogant spécimen qui se prenait pour un beaugosse.
–Pourquoi?Parcequ’ilestinscritdanslerèglementquelesvampiresdoiventassisteràcette animation. Après tout, c’est grâce à cela qu’on a du sang frais tous les jours, je tesignale,grossemaligne.
Elleconnaissait lerèglement,maispersonnenes’était jamaisdonné lapeinedepunirceuxquiesquivaientcetteactivité.Parailleurs,elledécelaitdanslesyeuxbleusduvampireunelueurmalicieuse,commes’illuicachaitquelquechose.
Oh,merde!Quelqu’unavait-ilpayéleprixdusangpourpasseruneheureavecelle?
–Lacuriositéestunvilaindéfaut,marmonnaDella.
Deboutaumilieudesescamarades,elleessayaitdenepas faireattentionà la légèremigrainequipointait.ElleavaitenvisagédeséchercetteactivitédébileetavaitmêmeprislechemindesboisafindesedégourdirlesjambesetdelirelanoticenécrologiquequeluiavaitremiseDerek.Ellesemoquaitbiend’enfreindrelerèglement.Pourtant,auderniermoment,elleavaittournélestalonspourrevenirverslacantine.
Tantpispourlesvilainsdéfauts.Pour que Chris vienne lui rappeler que sa présence était obligatoire, il fallait que
quelqu’un ait demandé à passer une heure avec elle. C’était la seule explication logique.Mais qui ? Steven’était pas à ShadowFalls.Chase ?Dellane voyait pas bienpourquoi ilauraitfaitunetellerequête.C’étaitellequiavaitdesexplicationsmuscléesàluidemander,etelledoutaitqueChaseanticipecetaffrontementavecplaisir–oumêmequ’ilsachequ’ellecomptait l’affronter. C’était quand même très bizarre qu’il ait pris la photo de son oncledanssonsac.Dellaavaitdumalàcroirequelaphotosoittoutsimplementtombéeparterre–surtoutqu’elleétaitpersuadéed’avoirdéjàcroisécesaletype.
Soudain elle entendit deux personnes approcher dans son dos. Ses oreilles s’étaientdoncremisesàfonctionner…Ellereconnutmêmedequiils’agissait.
–Coucou,ditKylieenarrivantàsahauteur.Mirandavintseplaceràsagauche.
Dellajetauncoupd’œilàKylie.–Alors,cepique-nique?–Sympa,réponditKylie.EllenedonnaitjamaisbeaucoupdedétailsausujetdesarelationavecLucas.–Ilestcensémerejoindreici,ajouta-t-elleenregardantautourd’elle.– Tu as vu Perry ? demandaMiranda en rejetant par-dessus son épaule ses cheveux
blondsagrémentésdemèchesroses,vertesetnoires.Dellanecomprenaitpasbien leschoixcapillairesdesonamie,maiscela faisaitpartie
desonstyle–ettémoignaitsansdoutedesondésirdenepaspasserinaperçue.– Non, répondit Della après une seconde de réflexion. Et je ne me souviens pas de
l’avoirvuaupetitdéjeuner.Est-cequetuasréussià jeterdessortspendanttaréuniondesorcières?
–Non,soupiraMirandaenlevantlesyeuxauciel.Onnepassepasnotretempsàjeterdessorts,tusais.
–Pourquoipas?Sij’avaisuntelpouvoir,jenemepriveraispasdem’enservir.Mirandasecoualatête.–Notredeviseestdenepascauserdetort.–Cen’estpasdrôle…–Encoreheureuxquetunesoispasunesorcière,rétorquaMiranda.Avecuneattitude
pareille,tut’attireraisunsacrékarma…–Quoi?Qu’est-cequ’ellea,monattitude?– Ça suffit, vous deux, soyez un peu plus sympas, intervint Kylie en leur jetant une
regardsévère.–Désolée,jenesuispasdouéepourça,grommelaDellaenrepensantàJenny.Elle chercha cette dernière du regard mais ne la vit pas. En revanche, elle aperçut
Chasequisetenaitàl’écart,tournéverslaforêt,commes’ilaspiraitàydisparaître.CommesiluinonplusnesesentaitpasàsaplaceàShadowFalls.Dellasesouvenaittrèsbiendesapremière semaine. Elle aurait été complètement perdue sans Kylie et Miranda.Brusquement,Chasetournalatêteetsesyeuxs’arrêtèrentsurDella.
Ellefronçalessourcils.Ilsourit.Mirandadonnaunpetitcoupd’épauleàDella.–Jecroisqu’ilt’aimebien.–Ilauraittort,lançaDellaavantdesedétourner.–Pourquoidonc?demandaPerryens’approchant.Ilpassaunbrasautourde la tailledeMiranda.C’était systématique : lemétamorphe
nepouvaitpasresterdeuxsecondesàcôtédelapetitesorcièresanslaserrercontrelui.
–Ilal’airplutôtsympa,repritPerry.Évidemment,Steverisquedeluifairelapeaus’ilcommenceàt’aimerunpeutrop.
–Steven’estpasmon…DellasetutquandMirandasedressasurlapointedespiedspourembrasserPerry.–Ilssontmignons,non?murmuraKylieàsonoreille.Dellasetournaverssonamieetlevalesyeuxaucield’unairexaspéré,commelefaisait
toutletempsMiranda.Kyliegloussa.La vampire allait ouvrir la bouche pour dire qu’elle s’en allait quand Chris prit la
parole.Sacuriositéréveillée,elleprituneprofondeinspirationetsetournaverslepodium.–Bienvenueàtous,lança-t-il.Ce type se prenait pour un présentateur télé. Étant donné qu’il venait de Californie,
Della se demandait s’il avait tenté une carrière d’acteur. Il avait clairement le look et lavanitéqu’ilfallait.
–Voyonsvoir…quiestnotrepremiercandidat?Dellaretintsonsouffleenespérants’êtretrompée.Pourvuquecenesoitpasmoi!Pourvu
quecenesoitpasmoi!Chrisparcourutl’assembléeduregard…ets’arrêtasurDella.Etmerde!Il plongea la main dans son chapeau débile et en tira un morceau de papier, qu’il
déplia avec une lenteur toute théâtrale, sansmême y jeter un coup d’œil. C’était évidentqu’il savait déjà ce qu’il allait annoncer. Il sourit un instant, comme pour faire durer lesuspense.
Dellaavaitenviedel’attraperparlesoreillesetdelesecouerjusqu’àcequ’ilcrachelemorceau.
Enfin,ilseraclalagorge.–DellaTsang.Moi,ChrisWhitmore, jem’engageàpayerparundondesangafinde
passeruneheureentacompagnie.Chris ? Della en resta bouche bée. Tous les regards étaient braqués sur elle, et l’on
entendaitdes«oh»etdes«ah»unpeupartout.–Çavachier,fitremarquerPerry.–Qu’est-cequivachier?demandaLucasenvenantseposteràcôtédeKylie.–Chrisvientdepromettredepayerunepintedesangpourpouvoirpasseruneheure
avecDella,expliquaMiranda.LucassetournaversDella.–Çanem’étonnepas. Il a toujours euunpetit faiblepour toi, alorsmaintenant que
StevepasseleplusclairdesontempschezleDrWhitman…–C’estunpeufourbe,non?commentaPerry.–Enmêmetemps,c’estunvampire…rétorquaLucas.
Kylieluidonnauncoupdecoudedanslescôtes,etilpoussaungrognementavantdejeterunregardàDella.
–Désolé.Dansd’autres circonstances, elle lui aurait balancéune repartie bien sentie,mais elle
ne trouva rien à dire. Elle était trop sonnée. Certes, elle se souvenait qu’il y avait eu destensionsentreSteveetChrisàunmomentdonné,etlarumeurracontaitquec’étaitàcaused’elle,maisellen’yavaitpasvraimentcru.
–JeveuxbiendonnerdeuxpintespourpassercetteheureavecDella, lançaunevoixforte.
Dellatournavivementlatête.C’étaitChase.Elleretintsonsouffleetcrispalespoings.ChrischerchaChasedesyeuxet, lorsqu’il letrouva,sonexpressionsedurcit.Sesyeux
bleussemirentàluirelégèrement.–Peut-êtrequed’oùtuviens,lesvampiresboiventlesangd’autresvampires,maisicice
n’estpaslecas.Dellaenrestabouchebée.Cettehistoireallaitmalfinir.– Je ne parlais pas de donnermon propre sang, se défendit Chase. J’ai des réserves
avecmoi.Avantd’arriver ici, j’aipassépasmalde temps tout seul. J’aiapprisàne jamaismedéplacersansquelquesrationsd’avance.
–Çanechangerien,rétorquaChris.Cetteanimationn’estpasuneventeauxenchères.– Je croyais qu’elle servait, entre autres, à constituer une banque du sang pour les
vampiresdeShadowFalls.Plusvousenrécoltez,mieuxc’est,non?Àmoinsquetun’aiespasbesoindesangpourvivre?
LesyeuxdeChrissefirentencoreplusbrillants.–Bon,d’accord.– Ohmerde ! Steve va devoir tuer deux rivaux au lieu d’un,maintenant, commenta
Perry.–Çava?soufflaKylieàl’oreilledeDella.–Pastrop,non.Cettehistoireestridicule.–Jeprometsdedonnertroispintesdesang!lançaKylie.Tous les regards se braquèrent sur elle, y compris celui de Della. Elle aurait dû se
douterquesonamievoleraitàsonsecours.–Quatre!renchéritChase.–Cinq,ditKylietoutenjetantunregardnoiraunouveau.Chrisricanad’unairmoqueur,maisPeter,quis’occupaitdecetteanimationaveclui,se
raclalagorge.–Euh,tun’aspasledroitdedonnercinqpintesdesang.C’esttrop,objecta-t-il.
–Jeneseraipaslaseuleàcontribuer,expliquaKylieavantderéfléchiruninstant.IlyauraaussiMiranda,Lucas,Perryet…
–Çanefaitquequatrepintes,intervintChase.Kyliejetaunregardautourd’elle,commesiellecherchaituncinquièmecandidatprêtà
prendreladéfensedeDella.–EtDerek,conclut-elled’unairconfiant.Derekécarquillalesyeux.Dellan’auraitpasétéétonnéequ’ilrefuse.Plusieurssecondes
s’écoulèrentdansunsilencepesant sansqu’ildise rien,puis il croisa le regarddeDellaethochalentementlatête.
–Jesuispartant.J’offreunepintedemonsang,affirma-t-il.–Etmoiaussi,ajoutaunepetitevoixderrièrelui.DellasursautaenreconnaissantJenny.Ellecroyaitpourtantavoirblessé la jeune fille
aupetitdéjeuner.Certes,ellenel’avaitpasfaitexprès,maisJennyn’avaitaucunmoyendelesavoir.
Commepersonneneprenaitlaparole,lejeunecaméléonredressalesépaulesd’unairdécidé.
–Monsangvautbienceluid’unautre.ChrissetournaversChase.–Tudéclaresforfait?Tous lesregardssebraquèrentsur lenouveau,curieuxdedécouvrircombiendelitres
desangcedernieravaitenréserve.–Je l’avoue, j’aiperdu,déclara-t-il.Aumoins,onauradequoisenourrirpendantun
boutdetemps.Ilsouritlentement,sûrdelui,commesic’étaitlerésultatqu’ilvisaitdepuisledébut.–D’ailleurs,Chris…pour info, c’est commeçaqu’on s’yprendpouranimerunevraie
banquedusang.Alors il tourna les talonset s’éloigna, lesmainsdans lespoches, commes’il venaitde
remporterunevictoireetnond’essuyerunéchec.Dellalesuivitduregard,interloquée.N’avait-ilrenchériquepourrenflouerlesréserves
desangdeShadowFalls?– Bon. Reprenons le tirage au sort, annonça Chris en plongeant la main dans son
chapeau.KyliesepenchaversDella.–Jenesaispassionagagnéousions’estfaitavoir.–Moinonplus,grommelaDellaentresesdents.Désolée.– Il ne faut pas. C’était pour la bonne cause. Et puis, je ne voulais pas que tu te
retrouvesforcéedefairequelquechosequitemettaitaussimalàl’aise.–Merci,soufflaDella.
Toute cette histoire lui avait donné le vertige. Pas seulement le fait que Chaserenchérissesurl’offredeChris,maisaussil’interventiondeKylieetdesautres.
Jennys’approchad’eux.–Oùest-cequejedoisallerpourdonnermonsang?–Jet’yemmèneraicetaprès-midi,réponditKylieavecungrandsourire.Dellacroisaleregarddelajeunefille.–Merci.–Jet’enprie,soufflaJenny.Aussitôt, Della se sentit coupable. Elle n’avait pas mérité tant de gentillesse. Elle
contempla en silence le petit cercle qui l’entourait – tous ces gens qui avaient accepté defairedondeleursangafindeluiéviterdepasseruneheuredésagréable.
C’étaient de vrais amis – tous. Elle avait longtemps cru ne pouvoir compter que surKylieetMirandamaiselles’étaittrompée.Ilsavaientétéplusieursàprendresadéfense,etellesavaitdéjàquesil’und’entreeuxavaitbesoindesonaideunjour,ellen’hésiteraitpasuneseconde.
Brusquement,ellesentitsonnezetsesyeuxpicoter.Ellecillaàplusieursreprisespourrefouler ses larmes. Elle était vraiment malade, c’était obligé. Elle ne voyait pas d’autreraisonàcetteémotivitésoudaine.
LibéréedelacorvéedecetteHeurepourfaireconnaissance,Delladécidaderetournerà son bungalow pour lire la nécrologie de son oncle et, peut-être, faire une petite siesteavantledébutdescours.
Elle fut tentéedepasser la journéeau lit– surtoutquesonmalde têtene laquittaitpas–maisellenevoulaitpasqueBurnett laprennepourunepauvrepetitechosefragile,alorsellesebottamentalementlesfesses.
Tandisqu’ellesetrouvaitdéjààmi-chemin,quelquechose l’arrêta.Unbruitcristallin,commeceluid’unedouche.Ou,plutôt,unecascade.Étaient-celeschutesd’eau,cetendroitétrangeetquelquepeueffrayantquiavaitdonnésonnomàShadowFalls?Onracontaitquec’était làqueserassemblaient lesangesdelamort– lesespritsqui jugeaient lesâmesdessurnaturels.
Dellainclinalatêtesurlecôté.Celanepouvaitpasêtrelacascade.Mêmesonouïedevampiren’étaitpascapabledel’entendreàunetelledistance.
Elle décida d’en avoir le cœur net et s’engagea dans la forêt, guidée par ce sonmélodieuxqui luiparutsoudain trèsapaisant.Elle laissaderrièreelle la lumièredoréedusoleil et gagna l’obscurité du bois. L’air embaumait d’un parfum de terre humide, et lesfeuillesdesarbres faisaientdanserdesombressur lesolmeuble.C’étaitunebelle journée,pourtant il faisait presque froid à l’abri de la futaie. En levant la tête, Della reconnut lescouleursdel’automne:rouge,orangeetbrundoré.Lescouleursdelamort…
Elle avançait à pas feutrés, comme attirée par le bruissement liquide. Au bout dequelquesminutes,ellecompritquec’étaitbienversleschutesd’eauqu’ellesedirigeait.
Elle n’y était allée qu’une seule fois. Kylie les avait suppliées, Miranda et elle, del’accompagner. Elles avaient commencé par refuser puis, voyant que Kylie s’apprêtait à yallerseule,ellesavaienteudesremordsetl’avaientsuivie.
Dellas’immobilisabrusquement.Qu’est-cequ’il luiprenaitdevenir là?Elleavaitunetrouillebleuedecetendroit.
D’habitude,entoutcas.Ce jour-là, la peur avait cédé la place à la curiosité. Les talons de ses bottes noires
fermement plantés dans la terre meuble, elle réfléchit aux raisons qui la poussaient àavancer.C’était le territoiredesangesde lamort.Larumeurvoulaitqu’ilsdansentsur lesparois rocheuses, derrière les chutes d’eau. Elle n’avait aucune envie de les voir – ou desubirleurjugement.
Dellaétaitàpeuprèssûreden’avoirpascommisdecrimesassezgravespourquelesangeslabrûlentvive–cequi,d’aprèsMiranda,pouvaitréellementarriver–maisellesavaitaussi que son âme n’était pas blanche comme neige. Le matin même, son manque dedélicatesseavaitfaitpleurerJenny.Ellesesentaitd’autantplusmalquelajeunefilleavaitensuitefaitdondesonsangpourluivenirenaide.
Un frisson glacial lui parcourut l’échine. Elle aurait sûrement eu intérêt à rebrousserchemin.Mais, aumêmemoment, le son se fit plus intense, commeunemélodie lointaine.Delladécidadecontinuerencoreunpeu.Ellepourraittoujourss’arrêteravantd’arriveràlacascade.
Elleseremitdoncenmarche,presqueeffrayéedenepasressentirlamoindrepeur.C’étaitvraimentétrange.Soudainpresséed’enfinir,ellesemitàcourirsivitequelepaysagesebrouillaautour
d’elle. Légèrement essoufflée, elle sentait ses cheveux lui fouetter le visage avec force,pourtantelleneralentitpas.Elleguettaitlemalaisequiluiintimeraitdenepass’approcherdavantage.
Elleneressentitriendetel.Ellen’avaitmêmepasbesoinderéfléchiràladirectionàprendre,ellesecontentaitde
suivrecesoncristallinetpresquehypnotique.Enfinelles’arrêtaauborddel’eau.Unrideaubouillonnant de vingt mètres de haut tombait tout droit de la falaise, projetant de finesgouttelettessurlesrochersetlavégétationalentour.
Étrangement,alorsquelaforêtavaitrevêtusescouleursd’automne,touticidemeuraitvert – même le parfum de l’air évoquait la fraîcheur du printemps, de la vie, durenouveau…
Les rayons du soleil filtraient entre les branches et faisaient briller les gouttes d’eaucomme autant de guirlandes deNoël. On se serait cru au cœur d’un conte de fées. D’un
paysdesmerveillescomplètementirréel.Dellaserappelaitclairements’êtretenueaumêmeendroitquelquesmoisauparavant,
terrifiée.Oùétaitpasséecetteterreur?Était-ce ainsi que Kylie voyait cet endroit ? Pourquoi cette expérience était-elle si
différentedelaprécédente?Qu’est-cequecelasignifiait?Celaavait-ilmêmeunsens?Della brûlait d’envie d’entrer dans l’eau et de passer derrière le rideaude la cascade
pourmieuxs’imprégnerdeslieux,maisquelquechosel’enempêcha.Pasencore,etpeut-êtrejamais,murmuraquelquechosedanssonesprit.
Aussitôt,ellesedemandad’oùsortaitcettevoix.Ellesesentaitlégèrementinsultéeparcetteintrusion.
–Pourquoipasmaintenant?Etpourquoijamais?lança-t-elleàvoixhaute.Aussi fouquecelapuisseparaître,elleaurait juréquequelqu’unl’écoutait.Maisqui?
Commeriennipersonneneluirépondait,elleinsista.–Quiestlà?Toujours pas de réponse. C’est alors qu’elle le ressentit, ce malaise qui lui faisait
comprendrequ’ellen’étaitpas labienvenue.Elle reculad’unpas, rattrapéepar la terreurqu’elleavaitéprouvée lapremière fois.Ellenepercevaitplusriende labeautédes lieux–seulement cette vive hostilité. Alors qu’elle s’apprêtait à tourner les talons, elle entenditquelque chose. Le bruit sec d’une brindille qui se casse. Quelqu’un – ou quelque chose –s’approchaitdanssondos.
Unedouleurcuisanteexplosasoussoncrâne,commesionl’avaitfrappée…Elletombaàgenoux,etsavisions’obscurcit.Ladernièrechosequ’elledistinguafutune
silhouettebrumeusequidansaitderrièrelacascade.
Uneodeurépouvantableluisoulevalecœur.
–Ellerevientàelle?demandaunevoixlointaine.DellareconnutHoliday.Elle sentit unemain passer sous son nez, et la puanteur atroce s’intensifia. Avec un
grondement,ellesaisitlepoignetducoupableetl’éloignaautantquepossible.Cen’estqu’àcemoment-làqu’elleouvritlesyeux–etqu’elleaperçutlagoussed’ailfendueendeux.
ElleaperçutégalementSteve.–C’estmoi,dit-il.–Çapue,cetruc!cria-t-elleenluisecouantlepoignetjusqu’àcequelagoussed’aillui
échappedesmains.Illaregardaitd’unairinquiet.–L’ailagitsurlesvampirescommedessels,expliqua-t-il.Tuvoudraisbienéviterdeme
casserlepoignet?Elle le relâcha et tenta de saisir la situation. Elle aurait voulu comprendre pourquoi
ellesetrouvait…làoùellesetrouvait,etcommentelleyétaitarrivée.– Qu’est-ce qui s’est passé ? lança une voix grave qui résonna dans son cerveau
endolori.Pirequelemaldecrâne…lemaldecerveau.
En tournant la tête, elle vitBurnett, postéàquelquesmètresde la table sur laquelleelleétaitallongée.
Génial ! Elle qui tenait tant àprouver sa force et sa valeur audirecteur…ellen’étaitmême pas capable de répondre à sa question. Elle n’avait aucune idée de ce qui s’étaitpassé.
–Heureusementquetun’asrien!s’écriaHolidayens’approchantaussivitequele luipermettaitsongrosventre.
–Qu’est-cequis’estpassé?répétaBurnett.Dellacilla tandisqu’ellecherchaitquoirépondre.Elleavait lesmots« jenesaispas»
sur le bout de la langue,mais elle se doutait bien que Burnett n’apprécierait guère cetteréponse.
Leproblème,c’estqu’ellen’enavaitpasdemeilleure.–Je…euh…Dessouvenirsluirevinrentparbribes.Elleavaitprévuderentreràsonbungalowmais
s’étaitretrouvéeà…Ellefitminedeseredresseret,aussitôt,Steves’approchapourl’aider,maisellelerepoussa.Ellesavaitencores’asseoirtouteseulecommeunegrande.Nonmais.
Ellepassalesjambespar-dessusleborddelatableetjetauncoupd’œilautourd’elle.Outrelapuanteurdel’ailetleparfumépicédeSteve,elleperçutuneodeur…animale.
Sur un mur, un poster représentait deux chatons mignons qui couraient après unpapillon.
Denouveau,ellecroisaleregardsoucieuxdeSteve.Elle se trouvait au cabinet du vétérinaire, qui servait également de clinique pour les
surnaturels. Cela répondait donc à l’une de ses questions. Il ne lui restait plus qu’àdécouvrircequ’ellefaisaitlà.
Burnett se racla la gorge en la toisant avec autorité, comme s’il attendait qu’elle sedécideàparler.Ilnesemblaitpasvraimentd’humeurpatiente.
– Je suis alléeme promener et j’ai fini par arriver à la cascade, dit-elle au prix d’uneffort.
Elleserappelaitquec’étaitlebruitdel’eauquiavaitguidésespas,maiselledécidadetairecedétail.Ellenevoulaitpaspasserpourunefolle.
–Je…J’allaisrepartirquandj’aientenduquelquechose–ouquelqu’un–derrièremoi.–Çaexpliqueraitlabossequetuasàl’arrièredelatête,intervintSteve.Quelqu’unt’a
frappée.DellaadressaunregardinterrogateuràHoliday.–Est-cequeçapourraitêtreuncoupdesangesdelamort?Laféefronçalessourcils.–Jenevoispaspourquoilesangest’auraientattaquée.
–Parcequ’ilsnevoulaientpasdemoiprèsdeleurcascade,parcequecesontdesalesbêtes,parcequeleurmamanlesahabillésn’importecommentetqueçalesmetenrogne…Jen’ensaisrien,moi!
Elle eut un nouveau haut-le-cœur quand l’odeur de l’ail tombé à terre parvint à sesnarines.
–Jenepensepasquelesangesdelamortensoientresponsables,ditBurnett.L’alarmes’estdéclenchéeàpeuprèsaumêmemoment.
Holidays’appuyalégèrementcontresonmari.–C’étaitpeut-êtrejustequelqu’unquiétaitcurieuxdevoirleschutesd’eauetquiapris
peurquandDellaestarrivée.–Cen’estpasuneexcusepourluidonneruncoupsurlatête!s’écriaSteved’unevoix
étranglée.Burnettsetournaversluiavecunegrimace.–Est-cequetupourraisnousdébarrasserdecettegoussed’ail,s’ilteplaît?StevehochalatêteavantdeseretournerversDella.–Net’approcheplusdelacascade.Ellelefusilladuregard.C’étaitdéjàbiensuffisantd’avoirBurnettetHolidaysurledos,
ellen’avaitpasbesoinqueSteveluidonnedesordresenplus.Ilsn’étaientpasencouple.Lemétamorpheramassalagoussed’ailetsortitdelapièce.
Holidays’approchadesadémarchedecanard.–Heureusementquej’étaisenroutepourlacascade.Sinon,tuseraispeut-êtreencore
là-bas,inconsciente.C’étaitdoncHolidayquil’avaittrouvée.– Je ne comprends pas pourquoi quelqu’un s’amuserait à entrer par effraction à
ShadowFallsjustepourleplaisirdemedonneruncoupsurlatête.Etpuisc’estquoi,ceslâchesquiattaquentpar-derrière,d’abord?lança-t-elle,soudainfurieuse.Ilsnepouvaientpasm’affronteràlaloyale?
– Peut-être que ça a quelque chose à voir avec lemeurtre du jeune couple, suggéraBurnett.Tuasperçusasignatureolfactive,doncilapusentirlatienneaussi.Est-cequetuasreconnul’odeurdetonagresseur?
Dellatentadesesouvenir.–Non…Elle se demanda si son odorat faisait des siennes, comme son ouïe. Puisqu’elle se
trouvait chez lemédecin, elle aurait peut-être eu intérêt àmentionner cet agaçantdétail,maiselledécidadetenirsalangue.
–Jecroisque…j’étaistropimpressionnéeparleschutesd’eau.Cen’étaitpasunmensonge.
Burnett hocha la tête d’un air compréhensif. Della, en revanche, n’était pas dupe.Quelquechoseclochaitchezelle.
– Mais… si c’est le meurtrier qui m’a attaquée, pourquoi s’est-il contenté dem’assommer?Onavudequoiilétaitcapable.
Elleréprimaunfrissonenrevoyantl’imageducoupleégorgé.– Peut-être que les anges de lamort t’ont sauvé la vie en chassant l’intrus, intervint
Holiday.Elleavaitlararefacultédecommuniqueraveclesesprits–etdoncaveclesangesdela
mort.ElleposagentimentlamainsurlebrasdeDella.Lecontactdelaféesuffitàapaiserla
paniquequimenaçaitdelasubmerger–etqueHolidayavaitsansdouteperçue.Gênéeparsaproprefaiblesse,Dellalarepoussadoucement.–Çava,merci.–Tudoisêtresecouée,soufflaHoliday.Secouée?Furieuse,oui!–Jet’assurequeçava,marmonna-t-elle.Çairaitencoremieuxunefoisqu’elleauraitattrapélesalaudquiavaitoséluifaireça.Burnettjetauncoupd’œilàsafemme.–Silesangesdelamortsonteffectivementvenusàsonsecours,tucroisqu’onpourrait
leurdemanderdesrenseignementsausujetdesonagresseur?L’idée de chercher à entrer en contact avec ces créatures arracha un autre frisson à
Della.–Àmonavis,ilvautmieuxnepaslesdéranger,intervint-elle.Sicesonteuxquim’ont
faitça,ilsrisquentdevouloirterminercequ’ilsontcommencé.Holidaysecoualatête.–Jenepensepasquecesoientlesangesdelamortquit’aientfaitça,Della.Celadit,
ajouta-t-elle en se tournant vers Burnett, ce n’est pas comme si je pouvais décrocher letéléphoneetleurposerlaquestion.
Burnettserembrunit.–Pourtant,çaleurestarrivédet’envoyerdesmessagesetdesvisions.–Oui,quandçaleurparaîtnécessaire.Honnêtement,jenesuispasleurinterlocutrice
préféréeàShadowFalls.–Kylie,soufflaBurnett.Jevaisluienparlerdèsmonretour.Steverevintdanslapièce,accompagnéduDrWhitman.–Bonjour,lançacedernier.Il portait une blouse blanche – ainsi qu’une odeur d’anesthésiant et de chien. La
clinique vétérinaire n’était donc pas qu’une couverture pour le centre de médecinesurnaturelle.Della auraitpu ledevinerplus tôt si elle avait remarqué lebocaldebiscuits
pour chiens posé sur le comptoir. Elle inspecta discrètement la configurationdumédecin.Mi-Fae,mi-humain.
Cederniers’adressaàHoliday.–Toutvabien?Nousavonsrendez-vouslasemaineprochaine,n’est-cepas?CefutBurnettquirépondit.–Oui,nousseronslàsansfaute,docteur.Della trouvait cela étrange de voir ce grand méchant vampire dans le rôle du mari
protecteur.Celadit,elleavaitdéjàpuconstaterqueBurnettn’étaitpasvraimentungrandméchant.Vraimentpas,même.
–EtDella,ellevas’enremettre?demandaHolidayenladésignant.–Oui, cette jeune demoiselle va vite s’en remettre, lança lemédecin en s’approchant
d’elle.Illuisoulevadoucementlementonpourlaregarderdanslesyeux.Malgrésesparoles
rassurantes,ilsemblaitpréoccupé.–Tuasun léger traumatismecrânien, cequi est fort inhabituelpourunvampire. Le
virus…–J’aiunvirus?l’interrompitDellaenpensantqu’ilallaitpeut-êtreluirévélerlacause
desestroublesdel’ouïe.–Levirusdesvampires,expliquaSteve.–Oh,fitDella.–LeV-1renforcelesvaisseauxsanguins,repritlemédecin.Ilguérissentplusvitequela
normale,cequiévite laformationd’ecchymoses,etdoncdestraumatismesvisibles,commelesbosses.
–Maisalors,pourquoij’enaiune?LeDrWhitmansortitdesapocheunepetitelampeàl’aidedelaquelleilexaminases
pupilles.–Ilsetrouvequ’ilyauneexception,marmonna-t-ilenfronçantlessourcils,maismoi-
même,jenel’aidécouvertqueparceque…–Parcequequoi?l’encourageaDella,agacéeparlafâcheusetendancedumédecinà
nepasfinirsesphrases.Sansrépondreàlaquestion,ilallaseposterderrièreelleetcommençaàtâtersoncuir
chevelu.Elletressaillitlorsqu’iltouchaunendroitsensible,maiss’efforçaden’enrienlaisserparaître.
–Çafaitmalquandj’appuielà?demandalemédecin.–Pasvraiment,mentit-elle.–Si,çafaitmal,rectifiaBurnettsuruntoncassant.Dellaavaitpresqueoubliéquecedétecteurdemensongesurpattessetrouvaitdansla
pièce.
Lemédecincontinuaàl’examiner.–Oui,c’estunebellebosse,et…–Etquoi…?marmonnaDella,deplusenplusagacée.–J’avaisraison,conclutlemédecin.–Àquelpropos?demanda-t-elleencroisantsonregardnoisette.–Dans lederniernumérodeMédecine surnaturelle,paruhier, il yavaitunarticlequi
parlaitd’unpointfaible,àuncentimètrederrièrel’oreilledroite.Encausantunchocàcetendroitprécis, il estpossibledeprovoquerunehémorragie cérébrale chezun sujet infectéparlevirus.Cen’estpasdangereuxaupointdelaisserdesséquellesdurables,maisçapeutfaireperdreconnaissance.
–Cequiestdéjàbienassezdangereux,intervintBurnett.–Cettehistoirenemeplaîtpasdutout,grondaSteve,leslèvrespincées.– C’est quand même une drôle de coïncidence, fit remarquer le Dr Whitman en se
grattantlementon.–Commentça?–J’ailucettethéoriehieretj’envoislapreuvephysiqueaujourd’hui.C’estcommesi…–Vouscroyezquequelqu’unauraitpulirelemêmearticleets’eninspirerpouragresser
Della ? intervint Burnett, clairement excédé par lamanie dumédecin, lui aussi. Pourquoipublieruntrucpareil,d’ailleurs?Pourleplaisirdedivulguernotrepointfaibleaurestedumonde?
– Il s’agit d’une revuemédicale qui relaie les dernières études endate, se défendit lemédecin.Évidemment, jen’ai aucunmoyende savoir si c’était intentionnelou… justeunecoïncidence.
–Jenecroispasauxcoïncidences,rétorquaBurnett.Dellan’ycroyaitpasnonplus,maislesgensquilisaientdesrevuesmédicalesn’étaient
pasdugenreàallerassommerdesjeunesfillesdanslaforêt.Si?Ellen’ycomprenaitplusrien.
Celadit,ellenecomprenaitpasgrand-choseàsavieengénéraldepuisquesonvirusavaitétéactivé.Elleauraitdéjàdûêtrehabituéeàtoutecettefolie,maislaseulehabitudequ’ellesemblaitavoirprise,c’étaitcelledetoujourssupplantersesadversaires.Celal’irritaitprofondément qu’un inconnu l’ait mise K-O alors qu’elle cherchait à prouver à Burnettqu’elleavaitl’étoffed’unagentdel’URF.
Ellesepromitdemettrelamainsurcelâcheetdeluifairepayer.Ellesepritàespérerqu’ils’agissaiteffectivementdumeurtrier.Sarevanchen’enseraitqueplusdouce.
Quelques minutes plus tard, alors que le Dr Whitman venait de mesurer sa tensionartérielleetdeluirecommanderdesereposerpendantquelquesjours,quelqu’unfrappaàlaporte.
Unefilled’environdix-septanspassalatêteàl’intérieur.Sescheveuxblondsbouclaientlégèrementsursesépaules,etsesgrandsyeuxbleusseposèrentimmédiatementsurSteve.Sonvisages’illuminad’ungrandsourire.
–Notrepatienteadelavisite.Sesamiessontvenueslavoir.(Ellejetauncoupd’œilàDella,etsonsourires’évanouit.)Oh,etpapa,MmeLedbetterestvenueavecsonchat.Jelesaiinstallésdanslasallenuméro2.
–J’arrive,ditlemédecin.Lajeunefillereculad’unpas,etDellaaperçutMirandaetKyliequisetenaientderrière
elle.Lapetitesorcière,toujoursimpatiente,sefaufilaàl’intérieuretseprécipitasurDella.–Tuvasbien?demanda-t-elle.Sesgrandsyeuxvertsétaientbrillantsdelarmes.–Oui,çava,larassuraDella.Elledétestait passerpourunepetite chose fragile échouée sur la tabled’unmédecin,
dansunepiècequisentaitl’ailetlechien.Mirandapoussaungrossoupirdesoulagement.–Lucasnousaditqu’ilavaitvuBurnettteporterjusqu’àlavoiturepourt’emmenerà
laclinique.Oncommençaitàpaniquer,Kylieetmoi.–Ellevas’enremettre,intervintHoliday.–Ons’estinquiétées,renchéritKylieens’adressantàladirectrice.Pourquoitunenous
aspasappelées?–J’allaisjustementlefaire;jepréféraisattendrelediagnostic.–Maisj’auraispu…aider.Kylievoulaitdirequ’elleauraitpuutilisersestalentsdeguérisseuse.Leseulproblème,
c’étaitquechaquefoisqu’elletentaitdeguérirquelqu’un,ellesemettaitàbriller.–Cen’étaitpasnécessaire.Jevaisbien.– Et puis, un coup sur la tête, c’est toujours délicat, ajoutaHoliday.Mon instinctme
dictaitdel’emmenerchezlemédecin.–Toninstinctaexagéré,jevaisbien,insistaDella.En levant lesyeux,elleremarquaque lapetiteblonde–detouteévidence, la filledu
médecin–setenaittoujoursdansl’encadrementdelaporte.SonregardétaitrivésurSteve.Dellaobservasaconfiguration:elleétaitmi-fée,mi-métamorphe–etellepolluait lapiècedesesphéromones.L’estomacdeDellasenoua.CettefilleavaitdoncunfaiblepourSteve.
Dellan’avaitrienàdire.Aprèstout,ilsn’étaientpasencouple.Etpourtant…– Tout ce qui compte, c’est que tu ailles bien, dit Steve sur un ton un peu trop
affectueuxàsongoût.Il ne faisait pas du tout attention à la petite blonde, pourtant cette dernière ne
cherchaitpasàdissimulersonintérêt.Kylies’approchadeDellaetluipritgentimentlamain.
–Nemefaisplusjamaisdefrayeurspareilles!Qu’est-cequis’estpassé?–Et si on sortait de cette pièce qui empeste l’ail et qu’onparlait de tout çadehors ?
suggéraBurnettensedirigeantverslaporte.Toussuivirentsonexemple,commedebonspetitssoldats,etDellase laissaglisserde
latable.Avantmêmequ’elleaiteuletempsdeposerlespiedsparterre,Stevevintluiprendre
lebras,commes’ilavaitpeurqu’elletombe.–Arrête!râla-t-elleàvoixbasse.–Quoi?–Jen’aimepasqu’onmetraitecommeunepauvrepetitechosefragile.–Jetetraitecommequelqu’unàquijetiens,c’esttout,répliqua-t-ildansunmurmure.
Appelle-moiquandtuserasrentrée.Illuicaressadoucementl’avant-bras,etelleeneutunpetitpincementaucœur.Elle hocha la tête, puis grimaça malgré elle quand elle se rendit compte que Steve
allaitresterlà,aveclablondeauxphéromones.
DeretourdansleparkingdeShadowFalls,DellasubitunnouveaucâlindelapartdeMiranda avant de regarder ses deux amies s’éloigner en direction de leur bungalow. Elles’attendait presque à ce que Burnett et Holiday lui passent un savon pour avoir osé serendre seule à la cascade mais, surtout, elle voulait demander à Burnett s’il y avait dunouveauausujetdel’enquête.
–Tuasbesoindetereposer,ditHolidayaprèsunlongsilence.–Non,çava.–Non,çanevapas,insistaHoliday.Vatereposer.Jepasseraid’iciuneheureoudeux.
Ilfautqu’onparletouteslesdeux.Ettupourrasmefairelamorale…–Mais…–Nediscutepas,grondaBurnett.Dellapoussaunsoupirexaspéré.–Est-cequ’onareçulesrésultatsdel’autopsie?demanda-t-elle.–Pasencore.–Appelle-moiquandtulesauras,s’ilteplaît.–Net’occupepasdeçapourlemoment,rétorquaBurnett.Faiscequet’aditHoliday
etvatereposer.–Jefaistoujourspartiedel’enquête,hein?demanda-t-elle.Pourtouteréponse,Burnettgrondadeplusbelle.Comprenantqu’ilétaitplussagedesetaire,Dellatournalestalonsetpritladirection
de son bungalow. Cependant, une fois hors de vue des deux directeurs, elle dirigea son
regardverslesbois.Sielleretournaitàlacascade,yretrouverait-ellelasignatureolfactivedesonagresseur?Ilétaitsansdoutetroptard.
Maispeut-êtrepas.Au souvenir de la terreur qu’elle avait ressentie quelques secondes avant d’être
assommée,sonestomacsenoua.Cen’étaitpasl’intrusquiluiavaitinspirécettepeur–ellen’avaitpassentisaprésence–maisleschutesd’eauelles-mêmes.Lesangesdelamortetcequ’ilsreprésentaient,lejugementultime.Lefaitd’êtreexaminéeàlaloupeetlapidéepoursespéchés.
Biendécidéeànepaslaisserlapeurdictersaconduite,Dellas’engageadanslaforêt.De nouveau, la sensation de n’être pas la bienvenue la prit aux tripes, mais elle
s’interditderalentirlepas.Lesangesdelamortallaientdevoirs’accommoderdesaprésence,ettantpispoureux
s’ilsn’étaientpascontents.Outantpispourelle,sic’étaienteuxquil’avaientattaquée…Undétaillachiffonnait:quandelles’étaitdirigéeverslacascadelematin,c’étaitparce
qu’elle s’était sentie attirée. Au début, elle n’avait pas éprouvé la moindre crainte. Aucontraire,elleavaiteu l’impressiondesetrouverdansunendroitparadisiaque–pasdansunrepairesinistreinfestéd’angesvengeurs.
Enfin,elleentradanslaclairière,s’immobilisaetinspiraprofondément.Lefracasdelacascaderésonnaitunpeutropfortàsesoreilles,commepourladissuaderd’approcher.Lesarbres semblaient alourdis par le poids de l’humidité ambiante. Des ombres menaçantesbalayaientlesol.
Repoussant la terreur qui lui remontait l’échine comme une armée d’araignées, ellerelevalatêteetinspiradenouveaudansl’espoirdepercevoirunesignatureolfactive.
Seul leparfumde laterrehumideflottaitdans l’air,mais ilsuffisaitquequelqu’unaittouchéquelque chosepourque sonodeurpersisteplus longtemps.Della s’approchadoncdes arbres les plus proches pour en renifler les branches – en vain. Soudain, son regards’arrêtasurungroscaillou,par terre.N’était-cepasprécisément l’endroitoùelleavaitétéattaquée ? Se pouvait-il que ce soit l’arme du crime ? Elle ramassa la pierre et la reniflalonguement.
Aussitôt,sagorgesenouasousl’effetd’uneragefolle.Elle jeta lecaillouparterreet,avecungrondementfurieux,s’élançaàlapoursuiteducoupable.
Cachée derrière une remise, non loin des bâtiments de l’école, Della consultait son
téléphonetouteslesdeuxminutes.Holidayneluiavaitpasditàquelleheureellecomptaitpasserlavoir,maisDellasavaitqu’elleavaitintérêtàêtrederetouràsonbungalowquandla directrice viendrait frapper. Si elle n’était pas en train de se reposer sagement, elledevraitendécoudre.
Orcen’étaitpasaveclaféequ’ellevoulaitendécoudre.Delàoùellesetenait,ellevoyaitlessallesdeclassemaisneparvenaitpasàsentirs’il
setrouvaitàl’intérieur.Lescoursn’allaientpastarderàprendrefin.Siellenelevoyaitpas,alorselledevrait…Soudain,laported’unedessalless’ouvrit,etlenouveauvampirefutlepremieràensortir.Enlevoyant,Dellasemitàbouillirderage.
Ils’éloignad’unpastranquilleendirectiondelaforêt.Tantmieux.Ellepréféraitfaireçaenprivé.Elleattenditquelesautresélèvessedispersentavantdes’élanceràsasuite.Était-il conscient de sa présence ? Sans doute. Puisqu’elle avait repéré son odeur, il
avaitsûrementperçulasienne.Elle s’en fichait complètement. Il était temps d’affronter ce sale fourbe. L’heure de la
bagarreétaitvenue,etlerésultatneseraitsansdoutepasbeauàvoir.Della aperçut, entre les troncs d’arbre, le tee-shirt vert pâle du vampire et son jean
délavé.Mais,aussitôtqu’ellefranchitl’oréedubois,elleserenditcomptequ’ilavaitdisparu.
Elle poussa un grondement sourd tandis que ses yeux commençaient à luire de colère.Levantlenez,elletentaderetrouversatrace.
–C’estmoiquetucherches?lançaunevoixau-dessusdesatête.Ellesursauta.Perchésurunebrancheàenvironquinzemètresdusol,Chasebalançait
lesjambesd’unairnonchalant–ouplutôtinsolent.Certes, il savait grimper aux arbres en un instant. Et alors ? Cela n’avait rien
d’exceptionnel.Soudainlesoleilsortitdederrièreunnuage,etDellacillauninstant.Quandsavision
s’ajusta,levampireavaitdenouveaudisparu.Àquoijouait-il,exactement?–Jevaisfinirpart’attraper,tusais,grommela-t-elleentresesdents.Etalors,tu…–Pasbesoindetefatiguer,jesuisjusteici,lança-t-ildederrièreunarbre.Ellebondit,prêteàluitordrelecou,maisils’étaitéclipséunefoisdeplus.–Derrière-toi,murmura-t-il,siprochequ’ellesentitsonsoufflesursanuque.Ellefitvolte-faceetlesaisitparlecol.–Arrête!siffla-t-elle,lespoingscrispéssurlecotondesontee-shirt.–Quoi?fit-ild’unairinnocent.Ilsetenaitsiprèsqu’ellevitsespupillessedilaterdanssesyeuxvertdejade.Ellel’attiraplusprèsd’ungestefurieux,aurisquededéchirersontee-shirt.–Jevaistefaireregretterdem’avoirattaquée.–Maisdequoituparles?demanda-t-il.–Oh,çava!J’aibiensentitonodeursurlapierre,prèsdelacascade.– Oui. M. James – enfin, Burnett – m’a demandé d’aller voir si je reconnaissais la
signatureolfactivedetonagresseurpendantqu’ilst’emmenaientchezlemédecin.Elleécouta lecœurduvampire,dont lesbattementsdemeuraientcalmeset réguliers.
CelanesignifiaitpasforcémentqueChasedisaitlavérité,maispourquoiseserait-ilamuséàmentiralorsqu’ilsuffisaitàDellad’allerdemanderconfirmationàBurnett?
Le jeune homme esquissa un lent sourire, comme s’il avait deviné qu’elle venait deparvenir à cette conclusion. Il se pencha vers elle, si près que son souffle fit voler sescheveux.
–Tuesmignonnequandtut’énerves.Ellelerepoussad’ungestebrusque.Il recula d’à peine deux centimètres. Elle sentait toujours sa présence, l’odeur de sa
peau…etellevoyaitunelueurd’amusementdanssonregard.–Elleestbienflippante,cettecascade,ajouta-t-il.Dellafaillitluidemanders’ilavaitperçuunesignatureolfactivesurlapierre,maiselle
seretint.Ellenevoulaitsurtoutpasluiêtreredevable.
Ça, jem’endoute, que tuas trouvé ça flippant. Les anges de lamort ont dû se régaler àjugertonâmedegroscrâneurpervers.Soudainellesesouvintdel’autreraisonpourlaquelleelleseméfiaitdecetype.
–Tum’assuivie,hiersoir?demanda-t-ellebrusquement.–Est-cequejet’aisuivie?répéta-t-il.Ellesentitsescaniness’allongerunpeu.–Jet’aiaperçuquandjesuisalléerejoindreBurnettpour…–…pourterendresurlelieuducrime?acheva-t-il.–Tuadmetsdoncquetuétaislà,rétorqua-t-elleenserrantlespoings.– Oui,mais pas parce que je te suivais. Je n’arrivais pas à dormir, alors je suis sorti
courir.Désolé,jen’avaispasl’intentiond’interrompretonpetitrendez-vousgalant.Il l’avait vue en compagnie de Steve. Elle gronda en montrant les dents au jeune
vampire.Ilsouritdeplusbelle,visiblementravidel’avoiragacée.Ellerésolutdoncdeneplusse
laisser atteindre par ses taquineries sournoises. Il fallait qu’elle le traite par le mépris,commes’iln’étaitqu’uninsecteinsignifiantjuchésurunbrind’herbe.
–Allez,salut,lança-t-elle.Ellesedétourna,etlestalonsdesesbottinesnoiress’enfoncèrentdanslaterremeuble.
Pauvrenaze,ajouta-t-elleintérieurement.–Hé,attends!cria-t-ilenluibarrantlechemin.Cetypeétaitd’unerapiditéhallucinante.PresqueautantqueBurnett.Della croisa les bras et le toisa d’un air menaçant. Pourtant il ne parut pas
impressionné. Il resta planté là, à la dévisager tranquillement. L’envoyer bouler d’unerepartie acerbe serait revenuà admettre qu’il lui tapait sur les nerfs, aussi supporta-t-ellesonregardensilencepourluiprouverquecelanel’affectaitpaslemoinsdumonde.
Pourtantellen’yétaitpasindifférente,cequil’agaçaitplusquetout.–Onnepourraitpasfairelapaix?demanda-t-ilauboutd’uninstant.–Jepensequ’onseraitplusdouéspourlaguerre,rétorqua-t-elle.Ilritdoucement.Ellen’avaitpourtantpaseul’intentiond’êtredrôle.Cetypeétaitpire
qu’unmoustique.Ellen’avaitqu’uneenvie:l’écraserentresespaumesavantdes’essuyerlesmainssursonjean.
Aulieudecela,ellelecontournaetrepritsonchemin.–Tuneveuxpasqu’onparle?insista-t-il,justederrièreelle.Pourquoifaire?Onn’arienàsedire.–Non,lança-t-ellesansralentir.Elle aurait voulu s’envoler etmettre autant de distance que possible entre eux,mais
celaauraittrahisonagacement.
–Allez,Della. J’étais prêt à faire dondemes réserves de sangpour t’éviter d’avoir àpasseruneheureavecl’autrevampireblond,là…
Elle s’arrêta et fit volte-face si brusquement qu’il lui rentra dedans. Il lui saisit lespoignetspourl’empêcherdeperdrel’équilibreetnelalâchapastoutdesuite.Emportésparleurélan,ilssecognèrentetellesentitsesseinssepressercontreletorsedujeunehomme.Vuleurtaillemodeste,celarelevaitdutourdeforce.Ellereculad’unpas.
–Jecroyaisquetuavaisfaitcedonpouraidernotrebanquedusang.Oualors,c’étaitjustepourmefaireenrager.
–Peut-êtrequ’ilyavaitunpeudestrois,dit-ilenhaussantlesépaules.–Pourquoi?demanda-t-elle.Sa curiosité l’avait emporté sur sa méfiance. Elle était presque sûre de l’avoir déjà
rencontréquelquepart.Sonodeurétaitinscritedanssamémoire,associéeàuneimpressiondedangerimminent.
–Pourquoiquoi?–Pourquoiest-cequetuvoulaisfaireundondesangpourpasseruneheureavecmoi?– Parce que je voulais qu’on parle, répondit-il simplement. Je crois qu’on n’a pas
démarrésurlebonpied,toietmoi.Dellainclinalatête,attentive.Soncœurbattaitlentement.– Je viens tout juste de débarquer et, crois-moi, cet endroit n’est pas exactement
accueillantpourlesnouveaux,poursuivit-il.Tueslaseulepersonneavecqui j’aiaccroché,jusqu’ici.
Quoi?Quandest-cequ’ona…– Tu as peut-être accroché, mais moi, pas du tout, je te signale, rétorqua-t-elle
sèchement.J’étaisplutôtpartiepourtebotterlecul.–Etpourtant,tunel’aspasfait,lança-t-ilensouriantdetoutessesdents.–UniquementparcequeBurnettestintervenu.–TuveuxdirequeBurnettt’aévitéunesévèrecorrection…Elleparvinttoutjusteàréprimerungrognementexaspéré.–Tusais,tuarriveraispeut-êtreàtefairedesamissitun’étaispasaussiarrogant.–Jenesuispasarrogant,jesuissûrdemoi.Jesaisbienqueçapeutprêteràconfusion,
desfois,maisçan’arienàvoir.Dellaeutlevaguesouvenird’avoirfaituneremarquesemblableàMiranda,maisellese
garda bien de mentionner ce détail. Le simple fait d’être d’accord avec ce sale type lamettaithorsd’elle.
–Oui,c’estça,lança-t-elleavantdetournerlestalons.–Qu’est-cequ’ilya?Tuaspeurquetoncopainmétamorphen’appréciepasdesavoir
qu’ontraîneensemble?
Cette fois, quandelle s’arrêtapour lui faire face, elle tendit lesbrasdevant ellepouréviter qu’il ne la touche. Sauf que son plan se retourna contre elle quand ses mainsrencontrèrentletorsesolidedujeunehomme.Lesbattementsdesoncœurrésonnaientsousses paumes, et elle sentait la force de sesmuscles sous sa peau fraîche de vampire. Ellereculaprécipitamment.
–Jen’aipeurderien,sedéfendit-elle.C’étaitunmensonge.Plusd’unechoseluiinspiraitdelacrainte:lesangesdelamort,
les fantômes, laperspectivedeperdreun jour lesgensqu’elleaimait, lesaraignéesquandelles étaient vraiment grosses et poilues… Mais elle espéra que Chase ne faisait pasattentionaurythmementeurdesoncœur.
–Tuveuxdirequevousn’êtespasensemble?reprit-ilenhaussantunsourcil.Aumêmemoment,Dellasentitvibrersontéléphonedanslapochearrièredesonjean.
Elle saisit cette excusepournepas répondre à cette question –pournepas y penser. Ensortant son portable, elle espéra voir s’afficher le numéro de Chan. Son cousin ne l’avaittoujours pas rappelée.Certes, elle avaitmis du temps à le contacter après avoir reçu sonmessage,maisilavaitbienpréciséquecen’étaitpasurgent.Peut-êtrevoulait-ilessayerdela convaincre de quitter Shadow Falls, une fois de plus. Il ne semblait pas comprendrequ’ellepréfèreétudierlàplutôtquedevivreàlarue,commelui–etellenecomprenaitpascommentilpouvaitpenserça.
Merde!pensa-t-elleenvoyantlenuméros’afficher.Cen’étaitpasChan.C’étaitHoliday.Elledevaitsetrouverdevantlebungalow,furieusequeDellan’aitpas
suivisesinstructions.Lajeunefillen’éprouvaitpaslemoindrebesoindesereposer.Celadit,ellen’avaitpasnonplusbesoindemettreBurnettetHolidayenrogne.
–Jedoisyaller,marmonna-t-elleavantdedécoller.–Onsecroiserabientôt!lançaChase.–C’estça,oui !Quand lespoulesaurontdescaninesqui s’allongentsous l’effetde la
colère!cria-t-ellesansralentir.Enparlantdecolère,elleallaitsansdouteessuyercelledeHoliday…puisdeBurnett
quandcettedernièreluiraconteraittout.
Della aperçut Holiday avant même d’atterrir. La fée rousse était assise au bord duperron et balançait lentement les pieds dans le vide.Une expressiond’immense tendressesurlevisage,ellesecaressait leventreenmurmurantdedoucesparolesàsonbébé.Dellaavaitfailliluienvoyeruntexto,maiscelaluiauraitprisautantdetempsquedereveniraubungalow.
Elle se posa juste devant les marches du perron. Holiday leva les yeux vers elle et,aussitôt,sonexpressionaffectueusesechangeaenunemouesévère.
–Tuétaiscenséetereposer,gronda-t-elle.
Dellas’assitàcôtédeHoliday.–Désolée…J’étaisencheminpourreveniriciquandj’aiéprouvélebesoinderetourner
àlacascadepourvoirsijepouvaisytrouverunindicequelconque.–Tuaséprouvélebesoindedésobéir?–Non,jevoulaisattraperlesalaudquim’aassommée.Holidaypoussaunsoupir.–Tuasperduconnaissance,Della.Lemédecinarecommandéquetutereposes.Jene
veuxpasquetupassestontempsàcourirpartout.DellasavaittrèsbienqueHolidaydisaitcelaparcequ’elles’inquiétaitpourelle,mais…–C’étaitimportant,tucomprends.Jen’aimepas…Sagorge senoua,etelle sentitdes larmes luipicoter lenez.Ravalantcette faiblesse,
elletentad’expliquercequ’elleressentait.– Je veux travailler pour l’URF, alors je me disais que, si j’arrivais à découvrir qui
m’avaitattaquée,Burnettverraitquejenesuispasqu’uneincapable.–Burnettneteprendpaspouruneincapable!s’écriaHoliday,surprise.–Si.Ilm’afaitcomprendrequejen’avaispasl’étoffed’unagentdel’URF.Holidayfitunepetitegrimace.–Jenecroispasque…Burnettabeaucoupderespectpourtoi,Della.– Pas assez pourm’encourager à rejoindre l’agence. Ilm’amêmedit qu’il y avait des
moyensplusfacilesdegagnersavie.Pourtant, ilsaittrèsbienquec’est lacarrièredont jerêve.
LeregarddeHolidays’adoucit.–Jenesuispassûrequ’ilaitréellementessayédetedécourager,mais,sic’estlecas,je
pensequec’estuniquementparcequec’estungrosmacho.Dellaécarquilla lesyeux,choquéeparcetaveubrutal.Elles’attendaitàceque la fée
prenneladéfensedesonmari.–C’estcequejemesuisditaussi.Toutça,c’estparcequejesuisunefille.Pasvrai?–Que leschosessoientclaires, j’aimecethommeplusque toutet ilauncœurenor,
mais le faitestqu’il semontreparticulièrementprotecteurenvers les femmes.D’ailleurs, sicebébéestunefille,onrisqued’assisteràdebellesprisesdetêteentresonpèreetelle,dèslanaissance.
–Cen’estpasjuste,grommelaDella.–Jesaisbien,maissi jepeuxtedonnerunconseil,ditHolidayenpointantson index
versDella, ilyaunequalité fondamentalequeBurnett recherchechezsesagents,etc’estl’obéissance.Situn’espascapabledesuivresesordres,alorsc’estsûrqu’ilneteferajamaisconfiance.C’estça,tonproblème,jeunefille.Tuasdelachancequejenel’aiepasappeléquandjesuisarrivéeicietquejenet’aipastrouvée.
Dellaaurait voulu sedéfendreenexpliquantque sondésirde retournerà la cascaden’était pas tant un acte de désobéissance qu’une nécessaire entorse à la règle, mais elledécidadesetaire.
–Jevaisessayerdecorrigerça,dit-elleaprèsunlongsilence.Aussitôtellesedemandasic’était lerésultatqueHolidayrecherchaitdepuis ledébut,
luifaireprendreconsciencedesespropresdéfauts.Laféeétaittrèsfortepourcegenredemanipulation–ouplutôt,d’encouragement.
Holidaysouritgentiment.– Super. Demon côté, je vais veiller à ce que son côté macho ne t’empêche pas de
poursuivretesrêves.–Merci,soufflaDella.Holidayposa lesmainsàplat sur seshancheset cambra ledos, cequimit envaleur
sonventrearrondi.–Maintenant que cette question est réglée, je voudrais qu’on parle un peude ce qui
s’estpassécheztesparentsceweek-end,puisdecequiestarrivéhiersoir.Dellareplialesjambesetpassalesbrasautourdesesgenoux.–Onestobligées?–Non,maisj’aimeraisbienquetuteconfiesàmoi,réponditHolidayentournantlatête
vers elle. Je sais que tu n’es pas du genre à raconter ta vie. Cela fait partie descaractéristiquesdesvampires,et jelerespecte.Crois-moi, jesuismariéeàuntypequicroitpouvoirrésoudretouslesproblèmesdumondeàluitoutseul.Pourtant,mêmemongrandméchant mari a appris que ce n’était pas une preuve de faiblesse de se reposer surquelqu’un de temps en temps. (Holiday leva la tête vers le ciel un instant.) Je ressens tadouleurd’ici,Della,etcelafaitpartiedemontravaild’essayerdet’aider.
L’espace d’une seconde, Della envisagea de parler de son oncle à Holiday, mais lapossibilitéqu’ilne soitpasdéclaréauprèsde l’URF l’enempêcha.SiHoliday rapportait cedétailàBurnett,ilsesentiraitobligédelesignaleràl’agence.
–Encequiconcernemesparents,riennepeutm’aider,soupira-t-elle.C’étaitaumoinsunsujetqu’ellepouvaitaborderaveclafée.–Qu’est-cequis’estpassé?–Oh,c’esttoujourslamêmechose.Commeilsnecomprennentpascequim’arrive,ils
croientque c’est purementde la rébelliondemapart. J’ai envisagéde leurdire la vérité,mais je penseque ce serait plusdur à accepterpour euxque cequ’ils soupçonnent en cemoment.Çamefaitmaldesavoirquejelesdéçoisàcepoint,soupira-t-elle,lecœurlourd.Desavoirque…quejeleurfaisdumal,ajouta-t-elleavantdesedétourner,lesyeuxpleinsdelarmes.J’ail’impressiondeneplusfairepartiedemaproprefamille.
Elles’essuyalesjouesd’ungestefurtif.
Holiday lui posadoucement lamain sur l’épaule, et la chaleurde ce contact l’apaisaaussitôt. Presque malgré elle, Della savoura cet instant. Pas étonnant que Burnett soittombéamoureuxdelafée.Holidayétaittoutsimplementmagique.
–Jesaiscombienilestdifficiledevivreavecuntelsecret.C’estparfaitementinjuste.Jesais aussi qu’il serait beaucoup plus simple de faire comme la plupart des vampires et desimulertapropremort.C’esttrèscourageuxdetapartdecontinueràvoirtafamille.Aussifouqueçapuisseparaître,j’aidéjàvudescasoùçafonctionnaitplutôtbien.
–Commentest-cequeçapeutfonctionneralorsqu’ilsmeprennentpourunementeusedroguéeetvoleuse?
Holidaypoussaunprofondsoupir.–Une fois que tu seras pleinement adulte et qu’ils verront que tu as trouvé ta place
danslasociété,ilssedirontquec’étaitjusteunephasemouvementéedetonadolescenceetquetuassurésoudrecesproblèmes.Tupourrasrenouerunerelationaffectueuseaveceux,alors que si tu avais suivi l’exemple de tant d’autres vampires, tu les aurais perdus pourtoujours.
–Rienne garantit que je ne vais pas les perdrede toute façon, grommelaDella. J’ail’impressionqu’ilsontdéjàcommencéàm’oublier.
Sonpèreneparlaitdéjàplusd’elle.– Ce n’est pas vrai, objecta Holiday. Ils t’aiment toujours. Sinon, ils ne se
préoccuperaientpasdecequetudeviens.Tamèrem’appelleaumoinsunefoisparsemainepourprendredetesnouvelles,tusais.
–Maispasmonpère.Dellaretintsonsouffledansl’espoirqueHolidaylacontredise,mêmesiellesedoutait
quec’étaitvain.–C’estunhomme.Leshommesontune façonbienàeuxde faire faceaux situations
compliquées.Ouais…enarrêtantd’aimer,toutsimplement.Bizarrement,DellarepensaàSteveetàla
filledumédecin.Steveallait-ill’oublier,luiaussi?Unlongsilences’installaentreelles.Dellaétaitétrangementémuequesamèreappelle
régulièrement…maispeut-êtren’était-ceque le soulagementde savoirqu’aumoinsundesesdeuxparentstenaitencoreàelle.
–Àproposdecequetuasvuhiersoir…repritHoliday.– Ça va, l’interrompit Della. Si je veux travailler pour l’URF, il va falloir que je
m’habitueàcegenredescène.Jesuissûrequejevaisyarriver.L’imagedesvictimesmutiléesavaitpresquecessédelahanter.– Bien sûr, mais rien ne t’oblige à affronter ça toute seule. Si tu tiens vraiment à
intégrerl’URF,tuvasaussidevoirt’habitueràcomptersurlesautres.Ilfaudraapprendreà
compenserlemalparlebien,sinonturisquesdeteperdredanstoutesleshorreursquetuverras.Cegenredechosepeutnoircirtonâmeettepriverdetoutejoie.
–Maplusgrandejoie,ceseraitd’attraperlesalaudquiafaitça,rétorquaDella.Aussitôt,ellerevitlejeunecoupleégorgé,etsoncœurseserra.Ilfallaitàtoutprixque
justicesoitfaite.– Je sais, soufflaHolidayen luiprenant lamain.Mais, avantde régler lesproblèmes
des autres, tu vas devoir mettre de l’ordre dans ta propre vie. J’ai l’impression que turecherchesquelquechose–quelquechosequi te tientàcœur–mais j’aiaussi l’impressionquetun’aspasencoreosételancerpourdebon.
LavéritédecesparolesatteignitDelladepleinfouet.Sononcle.Ellerecherchaitbeletbienquelquechose:unefamilledesubstitution.Pourtant,ellen’avaitpasencoreosélirelanoticenécrologique.Elledétournalatête,gênéequeHolidaydevinesifacilementcequilapréoccupait.
–Net’inquiètepas,jenevaispasteforceràmeraconterquoiquecesoit.Enrevanche,si je peuxme permettre de te donner un conseil : consacre-toi entièrement à cette quête,mais sans prendre de risques inutiles. Je te connais bien,Della. Il t’arrive d’agir avant deréfléchir.
– Mais non, je réfléchis vite, c’est tout, répliqua Della en souriant, dans l’espoir dedétendrel’atmosphère.
Holidaylevalesyeuxauciel.–C’estunedescaractéristiquescommunesauxvampires,maiscelafaitaussipartiede
ta personnalité,Della. Je ne connais personne qui ait autant de cran et de culot que toi.C’estquelquechoseque j’admire,mais j’aipeurquecela tecausedutortsi tun’espasunpeuprudente.
Dellahochalatête.–Jetâcheraid’ypenser.–Vraiment,insistaHoliday.Puis,avecunsoupir,elleseredressaetposaunemainsursonventre.–Est-cequelebébébougebeaucoup?demandaDella,désireusedechangerdesujet.–Iln’arrêtepas!Çavaêtreungrandimpatient,commesonpapa.Tuveuxlesentir?Dellahésita.–Çanetegênepas?–Pasdutout,réponditHolidayenprenantlamaindelajeunefillepourlaplacersur
sonventre.Aussitôt,Dellaperçutunelégèresecousse.–Oh!Ilvientdemedonneruncoup.C’estgénial,dit-elle,sincère.Ellen’imaginaitpasdutoutcequecelapouvaitfairedesentirunêtrehumaingrandir
ensoi.
– Bizarre, mais génial, reprit-elle en souriant à la directrice. Et tu es absolumenténorme.Tuessûrequ’iln’yenaqu’unetpasdeux?
–«Absolumenténorme»?répétaHolidayavecunegrimace.Jeteremercie.Dellasemorditlalèvre.–Pardon,jenevoulaispas…–T’inquiète!lançaHolidayenluidonnantunpetitcoupd’épaule.Tuasraison,jesuis
effectivementénorme.Etnon,cene sontpasdes jumeaux.En revanche, il sembleraitquecettebestiolesoitàdominantevampire.
– Tu es passée aux rayons X, ou un truc du genre ? Çamontre la configuration dubébé?
– Il existe une échographie spéciale qui peut le révéler, mais j’ai demandé à ne passavoir.Jeveuxavoirlasurprise.
–Maisalors,commenttusaisqu’ilauraunedominantevampire?– Il est très rare que les grossesses surnaturelles arrivent à terme. La période de
gestationdesvampirespeutvarierd’uncasàl’autre.Lebébépeutnaîtreauboutdequatreoucinqmois.Etvulatailledemonventre…
–Oh!Tuveuxdirequ’ilpourraitnaîtrebientôt?–Oui.–Tuaspeur?Del’accouchement,jeveuxdire.Encoursdebiologie,Dellaavaitvuundocumentairequil’avaittraumatisée.Onvoyait
tout,ycompris lemomentoù lebébésortait.Depuis,elleprenait lacontraception trèsausérieux.
Laféejetaunbrefcoupd’œilàsonventrearrondi.– Je mentirais si je disais que je n’appréhende pas du tout la naissance, mais c’est
surtoutpourlebébéquejem’inquiète.Elle ramena ses cheveux par-dessus son épaule et, soudain, tourna la tête pour
regarderderrièreelle,puissursadroite.UnpeucommeKyliequandellevoyait…–Qu’est-cequ’ilya?–Rien,réponditHoliday,maissoncœurtrahitsonmensonge.–C’estlefantôme?demandaDellaenramenantsesgenouxtoutcontresapoitrine.Holidaybraquasurellesonregardverttoutenfronçantlessourcils.–Oui.Commenttulesais?– Kyliem’a dit qu’un fantôme se baladait dans les parages. Elle pense que c’était un
vampire.Holidayhochalatête.–Jesuisd’accordavecelle.Ilsedéplacevraimenttrèsvite.Kylieavaitégalementsuggéréquec’étaitpeut-êtrel’oncledeDella.–Est-cequetuasvuàquoiilressemblait?
–Non,ilvatropvite,réponditHolidayenregardantdegaucheàdroite.Est-cequ’ilestentréencontactavecKylie?Ellesaitcequ’ilveut?
Dellasecoualatête.–Pasquejesache,maisellel’apeut-êtrerevudepuiscematin.–C’estbizarre,ditHoliday.–Quoidonc?–JenecomprendspaspourquoiilsemontreàlafoisàKylieetàmoi.Engénéral,les
fantômess’attachentàuneseulepersonne.Etpuis,iln’aaucuneraisondetraînericialorsqueKylieestencours.Çan’apasdesens.
Unfrissonremonta l’échinede la jeune fillequandelleserappelaceque luiavaitditKylie.Cettedernièresemblaitcroirequec’étaitDellaque le fantômecherchaitàcontacter,orellen’avaitvraimentpasenviequ’unspectreluicolleauxbasques.
Elleredressalesépaulesetjetauncoupd’œilautourd’elle.–Est-cequetupeuxluidemanderdedégager?–Non,cen’estpascommeçaqueçamarche.–Jemedoutaisquetuallaismerépondreuntrucdanscegenre…C’étaitpresquemotpourmotcequeluiavaitexpliquéKylie.Holidaysortitsontéléphonedesapocheetregardal’heure.–Zut.Ilfautquejeretourneàmonbureau.Jevaisêtreenretard;j’aiconvoquéPerry.Dellafronçalessourcils.–Pourquoi?Ilyaquelquechosequinevapas?Holidayhésitauninstant.– Non, pas vraiment, mais il faut que je file, dit-elle enfin avant de jeter un regard
sévère à la jeune fille. Quant à toi, va dormir un peu. Si j’apprends que tu es repartiegambader,tuaurasaffaireàBurnett.
Sur ce, elle tenta de se relever, encombrée par son gros ventre. Della sauta sur sespiedsetluitenditlamain.
–Arrêtedemenarguer,grommelalafée.Néanmoinselleacceptasonaide.Dellalaregardas’éloignerensedandinant,précédéeparsonventre.–Etlefantôme?lança-t-ellesoudain.–Oh,ildevraitmesuivre,ditHoliday.Lesfantômesnefréquententquelesgensquiont
lafacultédelesdétecter.Dellaespéraitdetoutcœurqu’elleavaitraison.Pourtant,enentrantdanslebungalow,
ellesentituncourantd’airfroidsursonbras,commesiquelqu’unétaitpasséprèsd’elleenvolant–unvampire,parexemple.Elles’immobilisaetregardaautourd’elle.Paslemoindrevampireenvue–pasmêmeunéclatdecouleurrenduflouparlavitesse.
Pourtant,ellegardaitladésagréableimpressiondenepasêtreseule.
–Merde,marmonna-t-elle.«Lesfantômesnefréquententquelesgensquiontlafacultédelesdétecter»,avaitdit
Holiday.Le simple faitde sentiruncourantd’air comptait-il comme la facultédedétecterunfantôme?Peut-êtren’était-cequesonimaginationquiluijouaitdestours.Soudainellesentit quelque chose vibrer contre sa hanche. Elle sursauta violemment avant decomprendrequec’étaitsontéléphone.
Soulagée, elle le sortit de sa poche en espérant que c’était Chan qui l’appelait enfin.Elleregardalenuméro.Cen’étaitpasChan.
–Pourquoitunem’aspasappelé?demandaStevedèsqu’elledécrocha.
–Je…j’aieudestrucsàfaire,j’étaisoccupée,réponditDella.Pourtant elle savait pertinemment que ce n’était pas entièrement vrai. Si elle n’avait
pasappeléSteve,c’étaitsurtoutparcequ’elleavaitpeur.Ellecraignaitdelaisseréchapperune remarque acerbe au sujet de la jolie petite blonde qui avait pollué la pièce de sesphéromones en folie tout en décochant à Steve un sourire digne d’une pub pour dudentifrice.
Della n’avait pas le droit d’être jalouse. Elle n’avait aucun droit sur Steve –certainement pas celui d’exiger qu’il garde ses distances avec les jolies blondes à fortepoitrinequinedemandaientqu’àlecroquertoutcru.
Elle eut beau essayer de s’en convaincre, cela n’aida pas beaucoup son affaire. Aucontraire, jusque-là, elle n’avait pas vraiment pensé aux seins rebondis de la fille dumédecin.
–Tropoccupéepourm’appeler?repritSteve,visiblementpiquéauvif.–Désolée,souffla-t-elle.Ellegagnasachambreetrefermalaportederrièreelleavantdese laissertombersur
sonlit.–Jevoulaisretourneràlacascadepourvoirsij’arrivaisàydétecterl’odeurdutaréqui
m’aassommée.
–LeDrWhitmant’avaitpourtantrecommandédetereposer.Ellelevalesyeuxauciel.– Je sais. Holidaym’a déjà fait lamorale, je n’ai pas besoin que tu en remettes une
couche.–Hé!râlaSteve.Jemefaisdusoucipourtoi,c’esttout.Enrelisanttondossieraprès
ton départ, le docteur a remarqué que ta température était plus élevée que la normale.C’étaitdéjàmonimpressioncematin,rappelle-toi.Bref,ilm’ademandésijet’avaisposélaquestionausujetde toncycle,et je luiaiditquetuavais tesrègles,effectivement,mais…Disonsqueçam’ainquiétédelevoirs’inquiéter.
Dellaseposaunemainsurlefront.Avait-elleréellementdelafièvre?–Surtout,çanemeplaîtpasdesavoirquequelqu’unt’aassomméedansl’enceintede
ShadowFalls.Est-cequeBurnettalamoindreidéedequic’était?–Non,pasquejesache.Ellefaillitluidirequ’elleavaitrepérél’odeurdeChasesurunepierredanslaclairière,
puiselleseravisa.Steveseméfiaitdéjàdunouveau,ellenevoulaitpasenrajouter.–Est-cequeçapourraitavoirunlienavecl’enquêtedel’URFetl’intrusquetuassenti
hiersoir?Ellefronçalessourcils.–D’aprèsBurnett,cen’estpasimpossible.–Est-cequ’ils’agitdujeunecoupleassassinédanssavoiture?Aussitôt,ellerevitlascènedelaveille.–Commenttusaisça?–Ilyavaitunarticledanslejournalausujetd’unaccidentdelaroute…Jemesuisdit
quec’étaitpeut-êtrelemêmemeurtre.Stevesetutunmoment.–Jen’aimevraimentpascettehistoire!reprit-ild’unevoixplusforte.Siçasetrouve,tu
asuncriminelauxtrousses.–Onn’a aucunepreuvede ça. Et puis, s’il décidede revenirm’attaquer, c’est lui qui
aurabesoind’unmédecin,cettefois.Un silence pesant s’installa entre eux.Della jeta un coup d’œil alentour et remarqua
quelaporteétaitentrouverte.Elleétaitpourtantsûredel’avoirferméeenarrivant.–Est-cequetulesasvues?Lesvictimes,jeveuxdire?demandaSteve.Elleinspiralonguementavantderépondre.–Oui.–Ohmerde.Jesuisdésolé,Della.Çadevaitêtrehorrible.–Oui,mais çam’a aussi prouvé que c’est vraiment ce que je veux faire dans la vie :
attraperlestaréscapablesdefairecegenredechosesetlesempêcherdenuire.–Jecomprends,maisçanemerassurepasbeaucoup.
Etmoi,çanemerassurepasbeaucoupquetupassestouttontempsavecl’autreblondasse.–Désolée,dit-elleaprèsunlongsilence.Elle chercha quelque chose d’autre à dire.Parle-moi un peu de la fille dumédecin. Tu
sais, cellequiaungros faiblepour toi.Elle semordit la languepour ravalercesparolesetchoisitunsujetplusneutre.
–TuvoistouslespatientsduDrWhitman?Mêmelesanimaux?demanda-t-elle.–Oui,dit-il.–Etçateplaît?Çateplaîtd’avoirunejolieblondedanslesparages?–Oui.LeDrWhitmanm’aconseillédefaireuneécolevétérinaire.Parmisescollègues
surnaturels, ceuxqui ont faitmédecineont beaucoupplusdemal à concilier lesdeux.Etpuis, il m’a proposé de travailler pour lui pendant mes études. En plus, j’aime bien lesanimaux.
Dellaneputs’empêcherdesedemandersilemédecinvoyaitenSteveunfuturgendreparfait.
– Tu n’es pas obligé de devenir vétérinaire. Il y a aussi des surnaturels dans leshôpitaux.Jelesais,parcequequandjesuisdevenuevampire,j’aicroiséuninfirmieretunmédecin.
–Oui,mais çan’arrivepas souventquedes surnaturels sepointentauxurgences.Ducoup,mes patients seraient quasiment tous humains. Évidemment, je pourrais ouvrirmonpropre cabinet,mais c’est compliqué à cause des histoires d’assurance. Jessiem’a dit queWhitmanetsonassociéenvisageaientd’embaucherunetroisièmepersonnedansunavenirproche.Avecunpeudechance,unefoismondiplômeenpoche,jen’auraimêmepasbesoindemefaireuneclientèle.
–Quic’est,Jessie?demanda-t-elle,mêmesiellesedoutaitdelaréponse.–LafilleduDrWhitman.Tul’ascroisée,jecrois.Unepetiteblondetrèssouriante.Ça,pourêtresouriante…–Oui.Jevois,dit-elle.Ellevoyaitmêmetrèsbien.Jessie,lapetiteblondesouriante,avaitdevantelleunevie
toutetracée,etSteveenfaisaitpartie.RestaitàsavoirsiDellaavaitenvied’êtrelegraindesabledanscesbeauxprojets.Ou
plutôtsiDellasouhaitaitprendrelerisquedevoirsoncœurréduitenlambeaux.
Uneheureplustard,alorsquel’après-midiétaitdéjàbienentamé,ellen’avaittoujourspasfermél’œil.Cen’étaitpourtantpasfauted’essayer.
Depuissaconversationtéléphoniqueavecuncertainmétamorphe,Dellan’arrêtaitpasdepenseràlafilledudocteur.
Blottiesoussacouette,elles’entraînaàsourirependantdelonguesminutes,maisellenefaisaitpaslepoidsàcôtédeJessie.
Quandellen’étaitpaspréoccupéeparça,ellepensaitaufantôme.Spectres,souriresetbeaudécolletésesuccédaientdanssonesprit,entrecoupésparfoisd’imagesdumeurtredelaveille.Dellaavait latêtequitournaitet lecœurquisaignaitdubesoinderendrejusticeaujeunecouple–entreautreschoses.
Il régnaitun froid inhabitueldanssachambre.Elle sepelotonnasoussacouette touten regardant leplafond.Unpetit insecte s’y était aventuré et sedéplaçait très lentement,commesiluiaussisouffraitdufroid.
Chaquefoisqu’unfantômevenaitvoirKylie,latempératuretombait.Dellaavait-elledelavisiteoudelafièvre?Ellechoisitdeconsidérerquec’étaitdelafièvre.Ellepréféraitavoiraffaireàunebonnegrippequ’àunfantôme.
LesparolesdeHoliday lui revinrentenmémoire : « J’aiaussi l’impressionque tun’aspasencoreosételancerpourdebon.»
Lanécrologiedesononcleétaittoujourspliéedanslapochedesonjean.Elleseredressapourl’ensortir.Denouveausonregards’arrêtasurlaporte.Elleétait
persuadéedel’avoirreferméeaprèslecoupdefildeSteve.Eninspectantlapiècedusolauplafond,ellemurmura:–C’esttoi?Tueslà?–Àquituparles?lançaunevoixdepuisleseuil.Dellasursautapuis,entournantlatête,elleaperçutKylieetMiranda.–Àpersonne,dit-elle.Mais,aussitôt,Kylielevalesyeuxauplafond,commesiellesavaientdelavisite.–Ilestlà?demandaDella,sansmêmechercheràdissimulersapeur.–Qu’est-cequiestlà?intervintMiranda.Kyliefronçalessourcils.–Non,ilestdéjàreparti.–Qu’est-cequiestdéjàreparti?insistaMiranda.–Unfantôme,réponditKylie.–Tuasencoreunfantôme?s’écrialapetitesorcièreenécarquillantlesyeux.–Jecroisbienquecelui-làn’estpasvenupourmevoirmoi.Bouchebée,MirandasetournaversDella.–Tuasunfantôme?Maiscommentc’estpossible?Tunesaispasparlerauxesprits!–Non,etjen’aipasenvied’apprendre,rétorquaDellaenjetantuncoupd’œilàKylie.
Qu’est-cequim’arrive?Kylievints’asseoirsurleborddulit.– Holiday m’a dit un jour que certains fantômes recèlent tellement d’énergie qu’ils
apparaissentmêmeàdesgensnormaux.–Sij’étaisnormale,çasesaurait,marmonnaDella.
–Normaleoupas,nous,ont’aime!lançaMirandaenselaissantrebondirsurlelit.Ilestparti,hein?ajouta-t-elleenregardantKylie.
CettedernièrehochalatêteavantdeseretournerversDella.–Tusaisquic’est?–Non,réponditDellaenremontantlesgenouxsouslementon.–Ilnet’estpasapparu?–Non.–Etilnet’apasparlé?–Nonplus.–Maisalors…commenttuassuqu’ilétaitlà?–Parcequ’ilfaisaitfroidet…etquej’aisentiquelquechosemefrôlerl’épaule.Oh,etje
suispresquesûrequ’ilaouvertlaportedemachambre.–Ahbon?fitKylie,étonnée.–Oui,confirmaDella.–Çam’étonne,repritKylieensecouantlatête.Engénéral,lesfantômesontjusteassez
deforcepourdéplacerdepetitsobjets,commeuntéléphoneportable,parexemple.–Alorscommenttuexpliquesquemaporteétaitouvertequandvousêtesarrivéesalors
quejel’avaisfermée?Kylieregardalaporteuninstantavecunelueurdedoutedanssesyeuxbleus.–Peut-êtrequetuascrulafermermaisquetut’estrompée.–Tuveuxdirequejesuisfolle?–Non,pasdutout!– Je n’ai pas rêvé, insista Della en se frottant les yeux. C’est n’importe quoi, cette
histoire.Etd’abord,pourquoiest-cequ’onnepeutpasenvoyerboulerunfantôme?Qu’est-cequ’ilsontdesispécial?
Mirandaritdoucement.–Ilssedisentsansdoutequelefaitd’êtremortleurdonnetouslesdroits.Çafaitpeut-
êtrepartieducontrat.Quisait?Peut-êtreque,unefoisqu’onestmort,onn’aplusbesoindeseplieraurèglement.Onfaitcequ’onveut,quandonveut.
–Jeneplaisantepas,grondaDella.Çanemeplaîtpasdutout,d’avoirunfantôme.–Oh, désolée, soupiraMiranda. Tu es encore plus grincheuse que d’habitude depuis
quetuasreçuuncoupsurlatête.–Tuneseraispeut-êtrepasMissBonneHumeursituavaisunfantômequitecolleaux
fesses!rétorquaDellaenmontrantlesdentsàlapetitesorcière.–Çasuffit,vousdeux,intervintKylie.Aumêmemoment,sontéléphonesonna.–C’estHoliday,dit-elleavantdedécrocher.Allô?
SanscesserdetoiserMiranda,Dellatenditl’oreillepourtenterdesaisircequedisaitlafée,maisenvain.Sonouïes’étaitencoremiseengrève.
– Oui, dit Kylie avant de jeter un coup d’œil à Della. Non, mais elle est couchée.D’accord,lança-t-elleavantderaccrocher.
–Ellevoulaitprendredemesnouvelles?demandaDella.–Oui.Elleaditquetudevaisresteraulit.Ellet’apporteratondîner.– Elle m’a raconté que tu étais retournée à la cascade alors que tu étais censée te
reposer,intervintMiranda.Qu’est-cequit’aprisd’allerlà-bas,detoutefaçon?Cetendroitesttellementflippant…Tuauraispucroiserunangedelamort!
CommeDellanerépondaitpas,Mirandaécarquillalesyeux.–Nemedispasquetuascroiséunangedelamort!s’écria-t-elle.– Non… pas vraiment,marmonnaDella. J’ai vu des ombres, c’est tout. Et puis, c’est
arrivéunefractiondesecondeavantquejemefasseassommer,alors…Siçasetrouve,j’airêvé.
C’étaitdumoinscedontelleessayaitdeseconvaincre.–Desombrescomment?insistaMiranda.Ellesressemblaientàdesmonstres,ouquoi?Della vit le regard de Kylie s’animer. Comme Holiday, elle avait la faculté de
communiqueraveclesangesdelamort.–Non,ditlavampire,seulementàdesombres.Puis,voyantquelasorcièren’étaitpassatisfaiteparcetteréponse,elledésignaKylie.–C’estàellequ’ilfautposerlaquestion!C’estellequiestsupercopineaveceux.–Cenesontpasdesmonstres, soufflacettedernière. Jediraisplutôtquece sontdes
entitésspirituelles.–Entoutcas,ilsmefichentlatrouille,grommelaMirandaenseretournantversDella.
Etjenecomprendstoujourspascequit’aprisd’allerlà-bas.–Lasecondefois,c’étaitpourretrouverlatracedemonagresseur,rétorquaDella.La
premièrefois,enrevanche…Jenesaispastroppourquoij’ysuisallée.Jemepromenaisetjemesuisretrouvéelà-bas.
–Oui, ehbien, si ça se reproduit, tu tournes les talons et tu te carapates, commentaMiranda.
–C’est ce que j’aurais fait si onnem’avait pas assommée,marmonnaDella avant des’adresseràKylie.Aufait,est-cequeBurnettt’ademandéd’allervoirsilesangesdelamortsavaientquim’avaitfrappée?
Kyliehochalatête.–J’ysuisalléeetj’aiposélaquestion,maisjen’aipasencoreobtenuderéponse.Peut-
êtrequ’ilsn’étaientpaslàquandtut’esfaitagresser.–Pourtant,j’aieul’impressiondelessentir,ditDella,unpeucommes’ilsvoulaientme
fairecomprendrequejen’étaispaslabienvenue.Jenesuispasentièrementsûrequecene
soientpaseuxquim’aientattaquée,conclut-elleenréprimantunfrisson.– Et pourtant, tu y es retournée, soupira Miranda en attrapant un oreiller pour
s’installerplusconfortablement.Moiquitecroyaisfutée…Dellaluiadressaunegrimace.–Jetel’aidéjàdit,jevoulaisychercherdesindicessurmonagresseur.–Etalors?Tuastrouvéquelquechose?demandaKylie.–J’aitrouvéChase.–Quoi?s’esclaffaKylie,bouchebée.Mirandaseredressa,lesyeuxécarquillés.– C’est Chase qui t’a assommée ? Pourtant j’avais l’impression que tu lui plaisais !
Burnettvaluiflanquerunesacréecorrectionpouravoirosétoucheràsachouchoute.–N’importequoi,jenesuispaslachouchoutedeBurnett!s’écriaDella.–Ahsi,ditMiranda.Dellajetauncoupd’œilàKylie,quihochalatête.Sielleétaitvraimentlapréféréedu
directeur, alors pourquoi voulait-il l’empêcher de rejoindre les rangs de l’URF ? Elle sepromitd’yréfléchirplustard.
–Non,quandj’aiditquej’avaistrouvéChase,c’estparcequej’aidétectésonodeur,àlacascade,maisilm’aexpliquéqueBurnettluiavaitdemandédevenirvoirs’iltrouvaitdesindices,luiaussi.
Kylieremontaungenoucontresapoitrineetposalementondessus.–TuasdemandéconfirmationàBurnett?–Non,maisçam’étonneraitqu’ilm’aitmentilà-dessusalorsquec’esttellementfacileà
vérifier.– Sauf si, justement, il a anticipé que tu ferais ce raisonnement, objectaMiranda en
croisantlesjambesentailleur.–Peut-être…DellacherchaunmoyendeposerlaquestionàBurnett.–C’estlanoticenécrologique?demandaKylieendésignantlafeuilledepapierposéeà
côtédeDella.–Oui.–Quellenoticenécrologique?fitMiranda.– Celle de mon oncle. Derek l’a trouvée dans un vieux journal, répondit Della en
repoussantsacouette.Ilfaisaitpresquetropchaud,àprésent.– Ce n’est pas juste. Pourquoi Kylie est toujours au courant de tout avant moi ?
grommelaMirandaavecunepetitemoue.Dellaluifitlagrimace.–ParcequetuestoujoursavecPerry,entraindetefairesucerleslobesdesoreilles.
–Hé!MirandajetasonoreilleràlafiguredeDella.Cette dernière l’attrapa à deux mains, énervée, et le tissu se déchira. Un nuage de
plumesjaillitjusqu’auplafondetretombalentement,commedelaneige.Miranda éclata de rire, aussitôt imitée parKylie. BientôtDella se joignit à elles, prise
d’unfourireinextinguible.Elles passèrent cinq bonnes minutes dans un état d’hilarité totale, à se jeter des
poignéesdeplumesàlafigure.Àlafin,ellesenavaientcoincéesdanslescheveuxetcolléesauvisage.Mirandaenretiramêmequelques-unesdesonsoutien-gorge.Quand,enfin,ellesrecouvrèrentleursérieux,Kylieretrouvalanécrologiesousunmonceaudeduvetblanc.
EllesetournaversDellad’unaircompatissant.–Tuveuxquejetelalise?Dellafaillitrefuser,depeurquesesamieslacroienttroplâchepouraffronterlavérité
seule.Ellesesentaitunpeucoupable,aussi.Enespérantquesononclesoitencoreenvie,c’était un peu comme si elle affirmait que sa famille d’adoption à Shadow Falls ne luisuffisaitpas.MaisellesavaitqueKylieetMirandalacomprenaientmieuxquepersonne.
–Oui,jeveuxbien.Maisd’abord,jecroisqu’ilvamefalloirunCocalight.Alorsqu’elles faisaientminedese lever, laportede lachambreclaquaviolemmentet
l’airdevintsoudainglacial.Lesplumessemirentàtourbillonnerdanslapièce.Delladéglutitàgrand-peine.–Tumeprendstoujourspourunefolle?demanda-t-elleàKylie.–Ohmerde,ditcettedernière.Cen’estpasbon,ça.
Lesplumesvoletèrentpendantquelquessecondes.Recroquevilléessurlelit,lestroisamies
nedirentpasunmot,terrifiées,jusqu’àcequelapièceseréchauffe.–Ilestparti?demandaMirandaenserrantsesgenouxdanssesbras,l’airpaniquée.Kyliehochalatête.Ellesselevèrentprudemmentetserendirentà lacuisine,oùelles
prirentchacuneunecannetteavantdes’attabler.Personnen’osaitparler,depeurquecelarappellelefantôme.
Auboutd’unmoment,Dellafinitpardemander:–Ilestrevenu?–Non,réponditKylieenfaisanttournersonCocaentresesmains.Tupensesquec’est
unhomme?–Jen’ensaisrien.Tuasditquec’étaitpeut-êtremononcle.– Ce n’était qu’une supposition. (Kylie se mordilla la lèvre un instant.) On devrait
appelerHoliday.–Non,fitDella.–Pourquoi?demandèrentKylieetMirandaàl’unisson.– Parce qu’elle voudrait savoir si on a une idée de l’identité du fantôme, et je serais
obligéedeluiparlerdemononcle.Saufques’ilesttoujoursvivantetqu’iln’estpasdéclaré,ellesesentiraitobligéedeledireàBurnett,et…
–EllenelediraitpasforcémentàBurnett,intervintKylie.
Dellafitlagrimace.– Ils sontmariés. Ilsnesecachentrien.Jepariequeturacontes toutcequi t’arriveà
Lucas.Kyliepoussaunlongsoupir.–Pasfaux,mais…–Iln’yapasde«mais»quitienne.D’habitude,c’esttoujourstoiquidisça.–Oui,mais…Kyliesetutuninstantetpinçaleslèvresavantdereprendre:–Cependant,Holidaysauraitsansdoutequoifairedanscettesituation.–Non, insistaDella.On a discuté tout à l’heure,Holiday etmoi. Elle avait senti que
j’étais à la recherche de quelque chose et elle m’a conseillé dem’y consacrer pleinementmaissansprendrederisquesinutiles,alorsc’estcequejecomptefaire.Tutesouviensdelafoisoùce taréenavaitaprès toi ?Tu t’enes sortie toute seule commeunegrande.L’unecommel’autre,quandvousavezeudesennuis,vouslesavezrégléssansdemanderd’aideàpersonne.
En croisant le regard de ses amies, elle vit qu’elles la comprenaient.Miranda se calacontreledossierdesachaise.
–C’estvrai.Desfois,onaenviedesedébrouillersoi-même.–D’accord,maisn’oublionspasleconseildeHolidayetévitonsdeprendredesrisques
inutiles,renchéritKylie.–Commentça?intervintDella.Vousnecomptezquandmêmepas…?–Necommencepasàrâler,lançaMiranda.Onformeuneéquipe,touteslestrois,que
çateplaiseounon.–Ellearaison,ditKylie.Onestlàpours’entraider.LecœurdeDellaseserrasouslecoupdel’émotion.–OK.Pasderisquesinutiles,souffla-t-elleenlevantsacannette.Lestroisamiestrinquèrent,etelleajouta:–Etàlavôtre,lescopines.Elle n’aimait pas passer pour une grande sentimentale, mais elle se rendait compte
qu’elleseraitperduesansKylieetMiranda.–Bon.Maintenant, ils’agitdesavoirsi tononcleestvivant,ditcettedernière. Ilnous
fautunpland’action.Ouais,jeseraiscomplètementperdue.– On va déjà commencer par lire sa notice nécrologique, décida Kylie, qui tenait la
feuilledepapieràlamain.Dellahochalatête.–Derekm’aaussi suggérédechercher lenomdu lycéeque fréquentaitmononcleau
momentdesamort.Jesuissûrequec’est lemêmequeceluidemonpère,mais il faudrait
quejedemandeconfirmationàmamère.Enfin,sielleacceptedemeparler.–Pourquoiest-cequ’ellerefuserait?fitMiranda.–Elleétaitfurieusequandellem’adéposée.Ellenem’apasdécrochéunmotdetoutle
trajet.L’estomacdeDellasenouaàcesouvenir.– Peut-être, mais c’est ta mère, objecta Miranda. Elle ne va pas rester fâchée très
longtemps.Dellahaussa les épaules.Elle aurait aimé le croire,mais…Soudainelle repensaà ce
que lui avait dit Holiday. Si sa mère appelait une fois par semaine, c’était parce qu’elletenaitencoreàelle,mêmesiellecachaitbiensonjeu.
–Tuveuxquejeteliseça?proposaKylieenagitantlanotice.– Tu es sûre qu’on ne risque rien ? demanda Della en refermant les mains sur sa
cannette,dont la fraîcheur lasurpritet lui rappelaqu’elleavaitpeut-êtrede la fièvre.J’ail’impressionquec’estlanécrologiequiaréveillélefantôme,toutàl’heure.
Kyliejetauncoupd’œilautourd’elleavantderépondre:–Là,toutdesuite,jenelevoispas.Àpeineavait-elleprononcécesmotsqu’uneplumeblanchetourbillonnalentementdu
plafondetvintseposeraucentredelatable.–Tuessûre?fitMiranda.
Ellespassèrentplusieursminutesàobserverlaplumeensilencepuis,commecelle-cine
bougeaitpas,Kyliefinitparprendrelaparole.–Jennym’aappeléedeuxfoispourprendredetesnouvelles,murmura-t-elle,commesi
elleavaitpeurqu’onlesépie.Jenesaispaspourquoi;j’ail’impressionqu’ellet’aimebien.Mirandas’esclaffa,etDella lui jetaunregardnoiravantdereportersonattentionsur
laplume.–Cequejevoulaisdire,c’estqu’ellesemblet’admirer,corrigeaKylie.–Lapauvre,siellesavait!lançaMirandaenriant.Oh,çava,jeplaisante,ajouta-t-elle
quandDellaluifitundoigtd’honneur.DellasetournaversKylieensoupirant.–Moiaussi,jel’aimebien.Ellemefaitunpeupenseràtoiquandtuesarrivéeici.–Jen’aipaschangé,rétorquaKylie.DellaetMirandafirentlagrimaceenmêmetemps.–Tuaschangéenbien,ditMiranda.Tuesplus…téméraire.–Cequiestunequalité,renchéritDella.Ellesseturentuninstant,absorbéesparlacontemplationdelaplumeimmobile.Enfin,
Kyliedéplialafeuille.–Vousêtesprêtes?DellaetMirandahochèrentlatête.
Kyliecommençadoncàlire:– « Feng Tsang nous a été arraché le 23 décembre. C’était un jeune homme
prometteur,quisavaitcequ’ilvoulaitfairedesavie.IlcomptaitdevenirmédecinetépouserJingChen, sonamourd’enfance.D’une loyauté sans faille, il avait choisiunevoiedont safamille était extrêmement fière. À présent son chemin l’entraîne vers d’autres horizons.Appréciédetouset…»
–Attends,intervintDella.Tupeuxrelireladernièrephrase?–«Àprésent,soncheminl’entraîneversd’autreshorizons.»Dellasecoualatête.–Vousnetrouvezpasçabizarre?–Commentça?demandaMiranda.–Cettehistoiredechemin, là.Rienneditqu’ilestmort.Çadonnel’impressionquela
personnequiarédigécettenoticesavaitqu’ilétaitencoreenvie.–Jenesuispassûrequ’onutiliseleterme«mort»danslesnécrologies,fitremarquer
Kylie.Çaparaîttellementbrutal…–Brutal?fitDella.Enquoic’estbrutaldedirequequelqu’unestmorts’ilestmort?–Ilmesemblequ’onemploieplutôtleverbe«décéder»,oudesmétaphoresdugenre
«rejoindresoncréateur».–Oui,maislà,ilsnedisentmêmepasqu’ilestdécédé,objectaDella.Lislasuite.Kylierepritsalecture.–«Appréciédetousetaimédebeaucoup,ilvaterriblementnousmanquer.Ilseratrès
regrettéparsafamille:sesparentsWeietXuiTsang,sessœursMiaoetBaoYuTsang…»–Maisnon!s’écriaDella.Monpèren’aqu’unesœur.–Jemecontentedelirecequiestécrit,rétorquaKylieenhaussantlesépaules.Dellaserappelalaphotodesquatreenfantsqu’elleavaitvuedansl’album.–Sitononcleétaitunvampire,alorspeut-êtrequetatanteaussi,suggéraMiranda.Était-cepossiblequ’elleaiteuunetantevampire?Dellaenavaitlevertige.Kyliebaissalatêteetpoursuivitsalecture.–«…ainsiquesonfrèrejumeau,ChaoTsang,dontilétaitinséparable.»Elles’interrompituninstantenfronçantlessourcils,commesielleavaitdevinéqueces
parolesétaientdouloureusesàentendre.–«Mêmes’ilnousaquittés, lapersonnequ’ilétaitdemeureàjamaisdansnoscœurs,
reprit-elle.UnserviceseratenuensonhonneurauRosemountFuneralHome.»–«Mêmes’ilnousaquittés»,répétaDella.C’estcommes’ilétaitparti,maisqu’ilétait
encorevivant.Kyliehaussalesépaules.– C’est peut-être juste une métaphore habituelle dans les notices nécrologiques. Ou
alors,c’estunecoïncidence.
DellarepensaàcequeBurnettluiavaitditausujetdescoïncidences:iln’ycroyaitpas.Desdizainesdequestionssebousculaientdanssonespritcommeautantdesouriseffrayées.Sononcleétait-ilréellementmort?Qu’était-ilarrivéàl’autresœurdesonpère?
Dellaavait-elleunetantedevenuevampire,elleaussi?C’étaitdeplusenplusfou!Lavoix de Kylie résonnait dans sa tête. « Son frère jumeau, Chao Tsang, dont il étaitinséparable.»
Sagorgesenouaquandelletentad’imaginercequeceseraitdeperdresasœur.Marlaluitapaitsurlesnerfs,parfois,maisDellaauraitremuécieletterrepourelle.Celaavaitdûêtreatrocepoursonpèred’êtreprivédesonjumeau,surtoutenpleineadolescence.Si,parlasuite,l’unedesessœursavaitdisparuàsontour…Sonchagrinavaitdûêtreimmense.Lefaitquesononcleetsa tantenesoientpeut-êtrepasmortsn’ychangeait rien.Ladouleurdudeuildemeuraitlamême.
La personne qui avait rédigé cette notice savait-elle que son oncle était en fait bienvivant?Dellapourrait-ellelaretrouver?
Elle prit la feuilledesmainsdeKylie et relut lanécrologie en silence.Quelque chosed’autrelachiffonnaitsansqu’elleparvienneàmettreledoigtdessus.
Le cœur serré par l’émotion, elle se rappela toutes les fois où elle avait envisagé defeindre sa propremort. Elle savait à présent qu’elle n’en serait jamais capable. Elle avaitbeausouffrirdevoirladéceptiondesesparents,ellecomprenaitlepointdevuedeHoliday.Lamort–réelleoufeinte–étaituneétaperadicaledontonnerevenaitpas.Ellepréféraitsubir lemépris de ses parents pendant quelques années plutôt que de ne plus jamais lesrevoir.
Denouveau,ellerelutlanécrologie,espérantydécelercequilagênaittant.Kylieportasacannetteàseslèvres.–IlfaudraquetudemandesàDereks’ilpeuttrouverdesinfossurtatante.Della hocha la tête sans détacher son regard de la feuille. Elle lut l’adresse de
l’entreprisedepompes funèbres. LeRosemountFuneralHome se trouvait àHouston.Dellan’enétaitpasabsolument sûre,mais il lui semblaitbienque,à l’époque, la famillede sonpèrehabitaità l’autreboutde laville.Pourquoisesgrands-parentsn’avaient-ilspaschoisiunfunérariumplusprochedechezeux?
RosemountFuneralHome…Soudain,ledéclic!–Çayest,jesais!s’écria-t-elle.–Qu’est-cequetusais?demandaMiranda.–LeRosemountFuneralHome,c’esteuxquiontorganiséleserviceàlamémoiredemon
cousinChan,quandilafaitcroirequ’ilétaitmort.Àtouslescoups,c’estuneentreprisequiaide les vampires à disparaître !Mon oncle est vivant, j’en suis sûre, affirma-t-elle avantd’inspirerprofondément,pleined’espoir.Ilamisenscènesapropremort,commeChan.
–Tunepeuxpasenêtreabsolumentcertaine,objectaMiranda.
Dellafermalesyeux.Lapetitesorcièreavaitraison.Illuifallaitdespreuves.–Maisalors, si tononcleestvivant,quiest le fantômequi te suitpartout?demanda
Kylie.Dellahaussalesépaules.–Peut-êtrequetutetrompes.Siçasetrouve,c’esttoiqu’ilsuitpartout.Oualors,c’est
uninconnuquinefaitquepasser.–Çam’étonnerait,murmuraKylie.Mirandasepenchaenavantetposauncoudesurlatable.–Bon.Admettonsquetuaiesraison.Sitoncousinaeffectivementfaitappelàlamême
entreprisequetononcle,çaméritequ’oncreuselaquestion.D’habitude,cesontlesfamillesdesdéfuntsqui s’occupentde ces formalités,maispeut-êtreque les vampiresontorganiséunréseaupourdisparaîtresanslaisserdetraces.
–Jenesaispas…Della tentait de réfléchir à un moyen d’obtenir ces informations. Si elle posait la
questionàHolidayouàBurnett, ils risqueraientdecroirequ’elleenvisageaitde feindresapropre mort. Par ailleurs, aucun des vampires de Shadow Falls n’avait eu besoin de cestratagème.Laplupartétaientnésavec levirusactif,cequivoulaitdireque leursparentsétaientdéjàtouslesdeuxvampiresquandilslesavaientconçus.
KylieregardaitMiranda,l’airpensif.–Cen’estpasbête,cequetudis,murmura-t-elleenfinavantdereprendrelafeuilleà
Della. Si Chan a organisé lui-même ses funérailles au même endroit que ton oncle, c’estpeut-être parce qu’il le connaît. Hé, mais attends ! s’écria-t-elle en écarquillant les yeux.C’estbienChanquit’apousséeàtemétamorphoserenvampire,pasvrai?Siçasetrouve,ton oncle a fait lamême chose pour Chan. Ça expliquerait comment il a eu l’adresse dufunérarium.
–Chann’avaitpasl’intentiondemetransformer.…–Jesaisbien,maispeut-êtrequ’ils’estproduitquelquechoseentreChanettononcle,
ditKylie.PlusDellaréfléchissaitauxremarquesdesesamies,plus lesquestionssemultipliaient
dans son esprit. Et la seule personne capable de lui apporter des réponses refusait dedécrocher son téléphone.Une fois de plus, elle sortit son portable de sa poche et appelaChan.
Aprèsplusieurssonneries,Dellatombasurlamessagerie.
–Tuvasmerappeler,oui?!grommela-t-elle,exaspérée,avantderaccrocher.Ellereposasontéléphoned’ungestebrusqueetattrapasacannette,qu’ellevidad’un
traitavantdel’écraserdanssamainetd’enfaireunepetitebouled’aluminium.Chanétait-ilfâchéqu’ellen’aitpastéléphonéplustôt?Pourtant,danslemessagequ’il
luiavaitlaissélasemaineprécédente,ilavaitbienpréciséquecen’étaitpasurgent.–Ouah!fitMirandaencontemplantlabouleantistressdeDella.Çafaitsérieusement
dureàcuire!Dellasemoquaitbiendesavoirdequoiçaavaitl’air.–Jeveuxdesréponses.–Justement,j’aiuneidée,intervintKylie.Mamèren’arrêtepasdemetannerpourque
jevous inviteàpasserunweek-endavecnous.Le funérariumn’estqu’àunequinzainedekilomètresdechezmoi.Onpourraityaller,pourvoirsic’est tenupardessurnaturels.Enplus,ceseraittropcooldevousavoiràlamaisonaumoinsunefoisavantquemamèrelavende.
Dellasepritàespérer.–Sic’esteffectivementtenupardessurnaturels,j’auraideuxmotsàleurdire.Kyliesemblasoudainhésiter.–N’oubliepascequ’aditHoliday:pasderisquesinutiles.
–Onn’aqu’àregardersurInternet!s’écriaDella.Elle se leva pour aller allumer l’ordinateur. En un clin d’œil, elle fut sur la page du
funérarium. Il y avait un onglet « rencontrer notre équipe », et on y voyait la photo dupropriétaire,undénomméTomasAyala,quiavaitl’airvieuxcommelemonde.
– Venez voir la tête du proprio, dit Della en se retournant vers ses amies, toujoursattablées.C’estunvieuxcroulant.Jenerisquerienàluirendreunepetitevisite.
–Bon,convintKylie.Resteàsavoirsitesparentsvontaccepterquetuviennespasserleweek-endchezmoi.
–Lesmiensserontd’accordsansproblème,lançaMiranda.Dellaserralepoingsursapetitebouled’aluminium,laréduisantencoreplus.–Peut-êtrequesijesuppliemamère…–Toi?Supplierquelqu’un?J’aimeraisbienvoirça!s’écriaMiranda.Dellamontralesdentsàlapetitesorcièreavantdes’adresseràKylie.–Jevaisluienparlerdemain.–Super,ditKylie.Super ? Pas vraiment, non. Della détestait devoir supplier. Elle n’aimait pas non plus
l’idée de devoir patienter jusqu’au week-end pour obtenir des réponses. Cependant, ellen’avaitpasvraimentlechoix.Aumoins,elleavaitunplan,cequiétaitmieuxquerien.
Holidayvintfrapperàleurporteversdix-heuresheures,munied’unplateaucontenantunverredesangetunboldebouillondepouleavecdespâtesenformed’étoile.Aussitôtentrée, la directrice ordonna à Della de retourner se mettre au lit. Heureusement, cettedernièreavaitnettoyélesdébrisdesonoreilleréventré.
Toutenserecouchant,ellegrommeladevaguesprotestations,maisc’étaitsurtoutpourcouvrir lesgrondementsdesonestomacvide.Ellenes’étaitpasrenducomptequ’elleétaitaffamée jusqu’à ce qu’elle sente l’odeur du sang frais. Adossée à trois oreillers, elle ensavourachaquegorgéemêmesi,àunmoment,elledutchasserdesonespritlesouvenirdujeunecoupleégorgé.
Elle savait bien, au fond, que le simple fait de boire du sang ne faisait pas d’elle unmonstre.C’étaittuerdesinnocentsquiétaitimmoral.Heureusement,grâceauxréservesdeShadowFalls,ellen’auraitjamaisbesoinderecouriràcela.Kylieluiavaitfaitremarquerunjour que les gens donnaient volontiers leur sang pour sauver des vies et que donner sonsangpournourrirdesvampires,c’étaitexactementpareil.
Kylieavaitvraimentlechicpourtrouverlesmots–desmotsquiremontaientencorelemoraldeDellamêmedesmoisplustard.
CommeHolidayne faisait pasminedepartir, ellemangeaaussi de la soupe.Celle-cin’était franchement pas bonne, pourtant Della éprouva une certaine nostalgie à voir lespetitesétoilesflotterdanslebouillon.Quandelleétaitpetite,samèreluicuisinaittoujoursdelasouped’étoilesquandelleétaitmalade.
Saufquecettefois,ellen’étaitpasmalade.Àmoinsque…–Çamefaitplaisirdetevoirmanger,ditHoliday.Ellesemblaitsurlepointd’ajouterquelquechose,maisseravisa.Laféeavaitledonde
déchiffrerlesémotionsdesautresmaiselleétaittoutbonnementincapablededissimulerlessiennes.
–Qu’est-cequ’ilya?demandaDella.–J’aidûappelertamèrepourlamettreaucourantdel’incidentdecematin.–Ohm…zut!Pourquoi?–Parcequecesonttesparents,réponditladirectrice.Jeneluiaipasditquetuavais
perduconnaissance.J’aisimplementracontéquetuétais tombéeetquetut’étaiscogné latête,puisjel’airassurée.
–Et…?Dellacraignaitdes’entendredirequesamères’enfichaitcomplètement.Holidayavait
eubeauluiapprendrequesamèreappelaitaumoinsunefoisparsemaine,elleserappelaitencore le silence déçu qui avait régné dans la voiture, la veille, tandis que sa mère laraccompagnaitàShadowFalls.
–Elleestinquiète.Ellevoudraitquetul’appelles.–Ilfautquejeluiparle,detoutefaçon,soupiraDella.–Ahbon?Àquelpropos?–Kylienousainvitéesàpasserleweek-endchezelle,Mirandaetmoi.Holidaysourit.–C’estsympa,maisilfaudraaussiendiscuteravecBurnett.–Pourquoi?demandaDella.– S’il croit que ton agresseur en avait contre toi personnellement, il risquedene pas
vouloirquetuquittesShadowFalls.–Ilnefautpasqu’ilsefassedusoucipourmoi.Ilnem’arriverarien.Enplus, jeserai
avecKylielaprotectrice.Quedemanderdeplus?Holidayhaussalesépaules.–Jesuisd’accordavectoi,maistudoisquandmêmeobtenirlapermissiondeBurnett.
Il était terrifié quand il est ressorti de la forêt en te portant dans ses bras. Je ne l’avaisjamaisvudansunétatpareil.
Dellalevalesyeuxauciel.–Jevaisbien,etjenerisquerairienchezKylie.– Peut-être que tu te sens bien maintenant, mais je te rappelle que tu as perdu
connaissance ce matin. Et puis, le médecin m’a rappelée tout à l’heure pour savoir si tuavaistesrègles.Apparemment,tuavaisunpeudefièvrequandilt’aexaminée.Toncycleabiencommencé,n’est-cepas?
–Maisc’estpasvrai!Pourquoitoutlemondes’intéresseàmesrègles?Jen’aipasdroitàmonintimité?
–Ilnes’agitpasdetonintimité,Della,ils’agitdetasanté.– Ouais, soupira Della. Bref, la réponse est « oui », j’ai mes règles. Enfin, c’est tout
comme.–Qu’est-cequetuveuxdireparlà?–Ellesdevraientarriverd’unmomentàl’autre,c’esttout.Della n’allait certainement pas évoquer la possibilité qu’elle ait la grippe.Holiday ne
l’autoriseraitjamaisàallerchezKyliedanscesconditions.La directrice repartit peu de temps après, non sans lui avoir donné quelques
instructions : il fallait qu’elle appelle samère et qu’elle tâche de trouver le sommeil, et ilétait hors de question qu’elle sorte courir avant d’avoir dormi un peu. Comment Holidayétait-elleaucourantdesessortiesnocturnes?Mystère…Maislajeunefillesoupçonnaitlaféed’ensavoirbienplusqu’ellen’enlaissaitparaître.
Unefoisseuledanslesilencedesachambre,Dellaattrapasontéléphone,posésursatabledenuit.Elleavaitmalauventreàl’idéedeparleravecsamère.Commentallait-ellelaconvaincredel’autoriseràpasserleweek-endchezKylie?
Elleétaitencoreentraind’yréfléchir–envain–lorsqueleportablesonna.PourvuquecesoitChan!Raté.Elleallaitdevoiraffrontersamère,mêmesiellenesesentaitpasprête.
Soudain elle eut une idée, elle allait s’efforcer de se comporter comme avant, quandelle ne doutait pas de l’amour de sa mère et qu’elle savait exactement comment lapersuaderdelalaisserfairecequ’ellevoulait.Bref,quandellen’étaitpasencorevampire.
– Salut, maman ! lança-t-elle sur un ton faussement enjoué qui lui arracha unegrimace.
–Tuvasbien?–Oui,çava.Jet’assure.–Holidaym’aditquetut’étaiscognélatête.–Oh,cen’étaitpasgravedutout.Holidayestenceinte,elles’inquiètepourunrien,ces
dernierstemps.Jenesensmêmeplusl’endroitoùjemesuiscognée,mentit-elle.Elle se tâta doucement l’arrière de la tête et tressaillit en touchant la grosse bosse
douloureuse.–C’estvraiquetuasl’airenforme,ditsamère.Dellasefélicitaintérieurement.Siellecontinuaitàfairecommesitoutallaitbien,peut-
êtrequesamèrel’imiterait,etquetoutredeviendraitcommeavant–dumoinsensurface.Ceseraittoujoursmieuxquel’espècedeméfiancehostilequis’était installéeentreellescesdernierstemps.
–Oui, jesuisenpleineforme,renchérit-elleavantdesemordrela lèvre,hésitante.Jesuisdésolée,bredouilla-t-elleenfin.Pourcequis’estpasséceweek-end.
–Tuétaisentraindeteservirdansl’alcooldetonpère,c’estça?Aïe !Qu’est-ce qui lui avait pris d’ouvrir sa grande bouche ? Et comment répondre à
ça ?Avait-elle intérêt à plaider coupablepourun crimequ’ellen’avait pas commis ?Oui,celavalaitsansdoutemieux.Mais,auderniermoment,ellebredouilla:
–Non,jen’aipastouchéàsonprécieuxbrandy.Jeneferaisjamaisunechosepareille.Jevoulaisjuste…JepensaisàChanetjevoulaisvoirunephotodelui.Jemesuissouvenuequepaparangeaitsesalbumsderrièresesbouteilles.
Un longsilences’installa sur la ligne.Etmerde !Elleaurait vraimentmieux faitde setaire. À présent, sa mère allait sûrement mettre son nez dans les photos de sonmari etremarquerqu’ilenmanquaitune.
–Mais…pourquoi tune l’aspasditplus tôt?Pourquoi tun’aspasexpliquéçaà tonpère?
–Parcequ’ilm’atoutdesuiteaccusée.Ilétaittellement…Ilavaitl’airtellementdéçu.Çam’afaitmal.
Çaluifaisaittoujoursmal.–Tuauraisdûtedéfendre,soufflasamère.–Jetâcheraidem’ensouvenir.Dellaserenditcomptequelaconversationrisquaitdes’arrêterlà,orelleavaitencore
deuxchosesàdemanderàsamère.–Oh,maman,avantquej’oublie:est-ceque…est-cequetucroisquejepourraisaller
passerleweek-endchezunecopine?C’estKylie,macoloc,tul’asdéjàrencontrée.Ellenousainvitéeschezelle,Mirandaetmoi.Miranda,c’estmonautrecoloc.
–Etvousallezfairequoi,chezelle?demandasamère,aussitôtsuspicieuse.–Riendeparticulier,destrucsdefilles,unpeudedevoirs…Autrefois, sa mère tombait toujours dans le panneau des soirées studieuses entre
copines.ChaquefoisqueDellaallaitvoirLee,elleprenaitseslivresdeclasseetenouvraitaumoinsun,histoiredepouvoirdiresansmentirqu’ilsavaientpasséunpeudetempsaveclenezdansunbouquin.
–Vousnepouvezpasfaireçaàl’école?–Si,maisc’estmoinssympa.Samèresetutuninstant.–Est-cequejepourraisenparleravecsesparents?–Ohoui,jesuissûrequesamèreserad’accord.DumoinsDellal’espérait-elle.–Bon,danscecas…–Merci,ditDella,quis’empressadechangerdesujetpouréviterquesamèren’ait le
temps de se raviser. J’avais autre chose à te demander. On doit rédiger un devoir quimentionnelelieuoùnosparentsontétudié.Tutesouviensdulycéeoùpapaestallé?
–Oui,c’étaitKleinHigh.Etmoi?Tuneveuxpassavoirlenomdemonlycée?Cette question lui rappela l’époque où sa mère était un peu jalouse de la relation
privilégiéedeDellaavecsonpère.–Jem’ensouviens.TuesalléeàFreemontHigh.Tumel’asdit,unjour.Elle se rappela aussi l’époque où samère et elle discutaient beaucoup. Elle discutait
avecsesdeuxparents,àvraidire,maiselleserendaitcompteàprésentquesonpèren’avaitjamaisvraimentparlédesonpassé.Ilavaittoujoursététournéversl’avenir.
Denouveau,lesilence.– Jeme souviens d’une histoire que tum’avais racontée : toi et deux de tes copines,
vous aviez tentéde libérer les grenouilles du labopour leur éviter d’êtredisséquées,maisvousvousêtesfaitpincer.
Samèreritdoucement.–Çaalors!Jen’yavaispasrepensédepuislongtemps!s’écria-t-elleavantdepousser
unlongsoupir.Tumemanques,Della.De chaudes larmes lui piquèrent les paupières. Faisaient-elles toujours semblant, ou
était-cebienréel?–Toiaussi,tumemanques.Qu’est-cequ’elleracontait, là?Ladernièrechosedontelleavaitbesoin,c’étaitquesa
mèretentedelaconvaincrederevenirvivreàlamaison.–Mais jesuisbien, ici,net’inquiètepas,ajouta-t-elleens’essuyant la joue.Jet’envoie
untextoaveclenumérodeMmeGalen.D’accord?–D’accord.Dellaétaitsurlepointderaccrocherquandsamèrelança:–Della?–Oui?–Jesaisquetonpèreestduravectoi,mais…Vousêtestouslesdeuxdursavecmoi,corrigea-t-elleenrepensantàlafoisoùelleavait
trouvésamèreentraindefouillerdanssonsacparcequ’ellecraignaitqu’elleaitapportédeladrogueàlamaisonpourenrefourgueràsapetitesœur.Cependant,elletintsalangue.
–Maisquoi?demanda-t-elle.–Maisc’estparcequ’ilt’aime,Della.–Ouais,dit-elle.Unepartied’ellefaillitycroire.Enfin,presque.
Àvingtheures ce soir-là,Mirandaétaitpartie rejoindrePerry, etKylie avaitdonné le
numérodesamèreàDellaavantdes’éclipserpourallerretrouverLucas.Seuleetépuisée,Della éteignit la lumière et – étonnamment – parvint à s’endormir. Enfin, jusqu’à ce quequelquechoselaréveilleàquatreheuresdumatin.Maisquoi?Tremblante,elleramenales
piedssoussacouettepourréchauffersesorteilsgelés.Ellecommençaitàcomprendrecequil’avaittiréedesonsommeil,mêmesiellen’avaitpasdutoutenviedel’admettre.
Ellerestapelotonnéedanssonlit,déboussolée.Elle craignait que le fantôme soit là. Elle s’efforça de repousser cette idée, ce qui eut
pour seul résultat de lui rappeler d’autres images désagréables. Elle revit la jeune fillemutilée. Puis elle s’imagina en train de se battre contre un agresseur dissimulé par lesombres–etentraindeperdrelabataille.
Ellefuttentéederéveillersesamies,maissapeurdepasserpourunelâchel’emporta.Elleselevaensilence,enfilaunjeanetuntee-shirtàmancheslongues,puissautapar
la fenêtre. Elle n’enfreignait pas la consigne de Holiday puisqu’elle avait dormi plusieursheures. Le seul ennui, c’était qu’elle ne pouvait pas espérer croiser Steve. Aussitôt, ellerepensaàJessie,lafilledumédecin,etsemitàcourir.
Ellevoulaitsentirdenouveaul’impactdesespiedssurlesol,aussinedécolla-t-ellepascomplètement. Cela ne l’empêchait pas de courir à une vitesse folle. Le vent froid qui luigiflait le visage emportait avec lui tous ses petits malheurs. Elle avait une impression deliberté,d’évasion.Certes,celaneréglaitpassesproblèmes,maisc’étaitunrépitbienvenu.
IlneluifallutquequelquesminutespourfairedeuxfoisletourdeShadowFalls.Soncœurbattaitviteetfort,l’airfraisdecettenuitd’octobreluipicotaitlapeau,etellerespiraitàgrandesgoulées.
Elles’arrêtauninstantetsepenchaenavant,letempsderecouvrersonsouffle.Alorsqu’elleseredressait,ellevitunesilhouettesefondreentrelesarbres,justedel’autrecôtédelaclôture.SonpremierréflexefutdepenseràSteve.Malgrésaméfianceenvers lafilledumédecinetsonbesoindecalmerlejeuentreeux,ellesouritintérieurement.
Elle leva latêteet inspira longuementdans l’espoirdereconnaîtresonodeurmaisnesentit riendutout.Enrevanche,ellevit lasilhouetteremuerensilence.Cette fois,ellenepensaplusàSteve.
Elle inspira de nouveau et perçut les parfums de la forêt, des arbres aux feuillesroussiesetprêtesàtomber,maisriendeplus.
Sonodorat lui jouait-il des tours, lui aussi ?Heureusement, ses yeuxne l’avaientpasencore trahie. Elle ne distinguait pas le visage de l’inconnu,mais en voyait suffisammentpoursavoirqu’ils’agissaitd’unhomme.
Chase,peut-être?Elles’élançaverslaclôtureetrenifla.Envain.–Montre-toi!lança-t-elle,sanssavoirsielles’adressaitàunamiouàunennemi.Etsic’étaitlevampirequiavaittuélejeunecouple?Ousonagresseurdelacascade?
Ellesetenditet,l’espaced’uninstant,hésitaàfranchirlaclôture.MaisellesavaitquecelamettraitBurnettenrogne.
– Tu préfères te cacher commeun lâche ? cria-t-elle en agrippant le grillage à deuxmainsetenlesecouant.
L’inconnu s’enfonça dans la forêt puis, après une seconde d’arrêt, s’envola.Della eutjusteletempsdelereconnaître.
Sonallure.Sescheveuxnoirsetraides.Sesjambestoutesmaigres.
–Chan,attends!Ilfautquejeteparle!Maisilneralentitmêmepaset,quelquessecondesplustard,disparutentrelesarbres.–Appelle-moi!hurla-t-elle.Pourquoi s’était-il enfui en la voyant ? Et, surtout, pourquoi était-il venu jusque-là ?
Elle luiavaitditet répétéqueBurnettavait fait installerunealarme.Certes,Chanétaitàl’extérieurquandellel’avaitinterpellé,maisilauraitsansdoutefiniparfranchirlaclôture.Pourquoiserait-ilvenu,sicen’étaitpourluiparler?Ellen’ycomprenaitrien.
Àcet instant,elleentendit lebruissementd’unvampireenpleinvol.C’était sûrementpourçaqueChanavaitprislatangente.Elletournalatêteetinspira.Cettefois,sonodoratdaigna fonctionner. Elle allait faire regretter à Chase de l’avoir privée d’informationsprécieuses.
–Quic’est,Chan?demandalavoixgravedeceperversdanssondos.«Personne»,faillit-ellerépondre.Maisellesavaitaussiqu’ilétaitinutiledementir.–Moncousin,dit-elleenseretournant.J’aicrul’apercevoir,etpuisilestparti.Siçase
trouve,jemesuistrompée.Formulée ainsi, sa réponse n’était pas un mensonge, même si elle n’était pas
convaincuedecetteexplication.Chaselevalatêteetinspiraprofondément.Dellaretintsonsouffle,l’estomacnoué.
–Jeneperçoispasd’odeurparticulière,annonça-t-il.–Ouais…Commejetedisais,ilsepeutquejemesoistrompée.Denouveau,elleformulasonexplicationdefaçonàéviterdementir,maiselleneput
s’empêcher de regarder en direction de la forêt, soulagée que Chan ait disparu enemportantsonodeuraveclui.
–Tuasreconnusasignatureolfactive?demandaChase.–Non.Nulbesoindemaquillerlavérité,cettefois.Elleauraitdûs’inquiéterdesonincapacité
àsentirChanmais,enl’occurrence,celal’arrangeaitbien.Enrevanche,iln’allaitpasfalloirqueceladuretroplongtemps.Sonodoratetsonouïefaisaientpartiedesesmécanismesdedéfense.Elleenavaitbesoinpourtravaillerauseindel’URF.
–Tul’asvu?repritChase.Elleréprimaunegrimace.S’amusait-ilàlatester,pourvoirsiellementait?–Oui,maistrèsbrièvement.Etpuis,iln’étaitpasdansl’enceintedeShadowFalls.Bref,
ç’auraitpuêtren’importequi.Les yeux rivés sur la clôture, elle croisa les doigts pour que Chan ne revienne pas.
Qu’est-cequ’illuiavaitprisdedébarqueràShadowFalls?Certes,ellel’avaitappelé,maiselleneluiavaitjamaisdemandédevenir.
Elle sentit Chase s’approcher dans son dos. Elle aurait préféré qu’il s’en aille. Saprésencel’irritait,ainsiquesonodeur.Bizarrement,ellerepensaàleurdernièrerencontre.«Tuesmignonnequandtut’énerves.»Ellerestarésolumenttournéeverslaforêt.Auloin,elleentendaitlesanimauxduzoo.Unéléphant.Unlion.
Chase se rapprocha encore, jusqu’à ne se tenir qu’à quelques centimètres d’elle. Elleentenditsoncœurbattreunpeuplus fortque lanormale,etsonodeurse fitunpeuplusintense.
–Tuessûrequecen’estpaslevampirequiatuélejeunecouple,l’autresoir?Ellefitvolte-face,lespaupièresplissées,maisreculad’unpasquandellesetrouvatrop
prèsdelui.–Commentest-cequetusaisça,toi?–J’aideBurnettetl’URFàenquêtersurlemeurtre.IltravaillaitavecBurnett?Alorsqu’elleavaitditexplicitementaudirecteurdeShadow
Fallsqu’ellesouhaitaitl’assister?–Çam’étonnerait.Burnettteconnaîtàpeine.Etpuis,c’étaitsonenquêteàelle.Elles’yétaitdéjàinvestie.Elleavaitidentifiél’odeur
ducoupable.L’imagedesvictimeslahantaitdepuisdeuxjours.– Il faut croire que certains d’entre nous inspirent davantage confiance que d’autres,
rétorquaChase.
Elle lui jetaun regardnoir avantdedécoller. Il était presque cinqheures. SiBurnettn’étaitpasencoreréveillé,iln’allaitpastarderàl’être.
Della atterrit sur le perron du bungalowdeHoliday et Burnett. La porte s’ouvrit surBurnett, les cheveuxenbatailleet l’airendormi,vêtu seulementd’uncaleçon. Il tenaitunjeanàlamain,commes’ilavaiteul’intentiondes’habillermaisn’enavaitpaseuletemps.
–Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-ilsèchement,d’unevoixunpeuenrouée.Puis,d’ungestevif,ilenfilasonjean.–Est-cequetuasassociéChaseàl’enquêtedel’URF?Burnettsepassaunemainsurlevisage,commepourtenterdeseréveiller.–C’estpourmedemanderçaquetudébarquesàuneheurepareille?–Répondsàmaquestion.Ilsoupira.–Çanepouvaitpasattendreunpeu?Çaauraitpu,maiselleenavaitdécidéautrement.–Ilestpresquecinqheures.Jemesuisditquetuseraisdebout.Pourquoiturefusesde
répondreàmaquestion?Elle leva le menton d’un geste de défi, à la fois vexée et bien décidée à lui faire
comprendresonerreur.Elletenaitabsolumentàenquêtersurcemeurtre.Aprèsavoirvucedontcetaréétaitcapable,ellevoulaitcontribueràlecoffrer.
–Parcequ’ilesttroptôtpourrépondreàdesquestions,quellesqu’ellessoient.–Qu’est-cequisepasse?intervintHoliday,enrobedechambre,l’airtoutendormie.Dellan’avaiteuaucunscrupuleàréveillerBurnett,maisenvoyantHoliday,enceinteet
fatiguée,elleéprouvadesremords.–Désolée…J’aicroiséChase,toutàl’heure,etilm’aditqueBurnettluiavaitdemandé
departiciperàl’enquêtesurlemeurtrededimanchesoir.Orj’avaisdemandéàBurnettdem’associeràcetteenquête.Et,maintenant,ilrefusedemedirelavérité.
Holidaysetournaverssonmari,commesielleexigeaitqu’ilrépondeàcetteaccusation.–Tuétaismalade,grommela-t-il.– J’ai pris un coup sur la tête, nuance. Et puis, je vais bien, maintenant. Si je me
souviens bien, une fois, le médecin a dû venir jusqu’ici pour te remettre sur pieds parcequ’un fantôme t’avait botté le cul. Pourtant, personne ne t’a écarté de l’enquête que tumenaisàl’époque.
–Cen’estpasparcequetuveuxparticiperàuneinvestigationquejesuisobligédet’yassocier.Etc’estfaux,cefantômenem’avaitpasbottélecul.
–J’aiidentifiélasignatureolfactiveducoupable.–Chaseaussi.Ilétaitsorticourirquandl’intrusadéclenchél’alarme.– Je t’ai accompagné sur le lieu du crime. J’ai vu ce que ce vamp a fait subir à ses
victimes.Jet’aiditquejemesentaiscapabledet’aider.Enplus,tuconnaisàpeineChase.
Çanefaitmêmepasunesemainequ’ilestici,pourtanttuluifaisplusconfiancequ’àmoi?–Jen’aijamaisditquejenetefaisaispasconfiance,maisilacertainstalentsquifont
deluiunatoutdepoids.–Avoirunpénis,cen’estpasuntalent!–Pardon?!s’écriaBurnettenouvrantdegrandsyeux.– J’ai fait tout ce que tum’as dit de faire afin d’intégrer l’URF. Pourtant tu nem’as
associée qu’à une seule enquête. Une seule ! lança Della en s’efforçant de contrôler sonémotion.Chaque foisque tuasbesoind’aide, tu faisappelàLucasouàDerekau lieudemoi.Etmaintenant,Chase.Pourquoiest-cequetucherchesàmemettredesbâtonsdanslesroues?
BurnettsetournaversHoliday,commes’ilespéraitpouvoircomptersursonaide.Cettedernièregardalesilence,etDellarepensaàsesparolesdelaveille.–C’estparceque je suisune fille ? reprit-elle.Tu crois que jene suispas capablede
devenirunbonagent?Franchement,j’aipeut-êtremoinsdeforcebrutequelesmecs,maisjecompenseçaparmonintelligenceetmadétermination.
–Cen’estpasparcequetuesunefille,sedéfenditBurnett.Denouveau,ilsetournaversHoliday,quisegardabiendevoleràsonsecours.–Jet’assurequecen’estpaspourça!ajouta-t-ilunpeuplusfort.Della entendit son cœur s’emballer quelque peu. Ce n’était pas franchement un
mensonge,mais…–Alors,pourquoitonpoulsvientdes’accélérer?rétorqua-t-elle.Burnett jetaun regard implorant àHoliday,mais cettedernièrenedit rien.De toute
évidence, elle savait que Della avait raison. À plus d’une reprise, Burnett s’était montréinjusteenchoisissantundesgarçonsplutôtqueDellapourl’assisterdanssesenquêtes.
–Pourquoiest-cequetunemecroispascapablededevenirunbonagent?reprit-elle.Sicen’estpasparmachismepuretsimple,alorsexplique-moi.Dis-moicequ’il fautque jefassepourméritertonapprobation!
–Cen’estpas…C’estparceque jeneveuxpasqu’il t’arrivedesennuisouquetusoisblessée.
–Etjerisquedemeblesserplusfacilementqu’unmec?Burnettsepassaunemaindanslescheveuxensoupirant.–Mais non… Je tiens à toi, c’est tout. Je tiens à tousmes élèves, évidemment,mais
toi… Tu es spéciale. Peut-être que le fait que tu sois une fille entre un peu en ligne decompte,maiscen’estvraimentpasça,leproblème.Jetiensàtoi,c’esttout.
Cesparoles luiallèrentdroitaucœur.Émue,elleeutpresqueenviede le serrerdansses bras, mais ce n’était pas son affection qu’elle recherchait par-dessus tout. C’était sonrespect.
–Oui,maiscen’estpasjuste,souffla-t-elle.
–Tuestêtue,aussi,etj’avouequeçamefaitunpeupeur.Tonobstinationrisquedetejouer des tours, un jour. Je suis bien placé pour le savoir, j’étais exactement comme toi,quandj’étaisplusjeune.
Holidaysebalançadoucementsursestalons,unsouriresatisfaitauxlèvres.Delladéglutitpourravalersesémotions.Tout lemonde lui répétaitsanscessequ’elle
étaitlapréféréedeBurnett,maisellel’avaittoujourstrouvéparticulièrementexigeantavecelle.C’étaitpeut-êtresafaçonàluideluimontrerqu’il l’aimait,maisquandmême.Ilétaitduravecelle,etçaneluiplaisaitpasdutout!
–Jesuispasaussitêtuequetoi,loindelà.Etpuis,cen’estpasparcequetutiensàmoique tu as ledroit dem’empêcherd’accomplirmon rêve.Holiday tient à toi, que je sache.Pourtantellenet’apasdemandédedémissionnerdel’URF.
Burnett croisa les mains sur sa nuque et se massa doucement, ce qui fit jouer lesmusclespuissantsdesontorsenu.Holidayétaituneveinarde.Celadit,Burnettaussiavaitdelachance.
– Je te propose un compromis, dit-il. Tu essaies de te montrer moins têtue, et moi,j’essaiedememontrermoinsmacho.Çateconvient?
Dellahochalatête.–D’accord,maisjetiensàenquêtersurcemeurtre.Jen’arrêtepasderevoirl’imagede
lajeunefillequiaététuée.Jeveuxtrouverlesalaudquiluiafaitça.Burnettfronçalessourcils.–Ilyavaitdeuxvictimes,corrigea-t-il.–Jesais,maisc’estsurtoutlafillequim’amarquée.Laisse-moivousaider,s’ilteplaît.–Jevaisyréfléchir.Dellafaillitinsister,maisHolidayl’endissuadad’unsimpleregard.Elletournadoncles
talonsmais,avantdepartir,elles’arrêtauninstant.–Merci…Mercideteniràmoi.Mercipourlecompromis.Holidaysefrottalesmains,unsouriredanssesbeauxyeuxverts.–Ilmesemblequel’instantréclameuncâlin.Pasvous?–Non,çava,répondirentDellaetBurnettd’unemêmevoix.Ilséclatèrentderire,etBurnettposasagrandemainsur l’épauledela jeunefille.En
s’éloignant,ellesefitlaréflexionquec’étaitaumoinsaussiréconfortantqu’uncâlin.Quandellearrivaàproximitédesonbungalow, ilnerestaitplusquequelquesétoiles
danslecielsombre.L’aubeapprochant,lessonsd’unjournouveaucommençaientàretentir– le chant d’une bande de criquets, le froissement des ailes d’un oiseau qui s’apprêtait àprendre son envol. Della se sentait réchauffée par l’affection de Holiday et de Burnett –jusqu’aumomentoùcesaleperversdeChaseatterritjustesoussonnez.
–Alors,tumecrois,maintenant?lança-t-ilavecunsourirearrogant.Ellereculad’unpas,agacéequ’iloseseteniraussiprès.
–Cequejecrois,c’estquetuespirequ’unmoustiqueautourd’unepintedesang.–Oh,allez.Avouequetum’aimesbien,aufond.–N’importequoi.Tuescomplètementàcôtédelaplaque.Jenepeuxpast’encadrer!–Alors,donne-moiunechancedetefairechangerd’avis.Elleenrestabouchebée.–Pourquoi?–Parceque jesuisplutôtsympa,unefoisqu’onmeconnaît.Etpuis,onapasmalde
chosesencommun,toietmoi.Plusquetunecrois.–Ahbon?Onadeschosesencommun?Tuveuxdirequetoinonplus,tunepeuxpas
t’encadrer?Ilritdoucement,cequidévoilasesdentsblanches.–Tuvois,c’estjustementundenospointscommuns.– Je ne vois rien du tout, protesta-t-elle en s’efforçant de ne pas trop regarder sa
bouche.–Onatous lesdeuxdelarepartie,onesttous lesdeuxdesvampires,onesttous les
deuxobstinésetdursàcuire.Cecomplimentlapritparsurprise,sibienqu’ellenetrouvarienàrétorquer.Profitantdecetinstant,ils’approchad’elleetladétaillad’unregardcaressant,qu’elle
sentitpassersursapeaucommeunmurmure.–Etpuis,onesttouslesdeuxsuperbeaux,ajouta-t-ild’unevoixgrave.–Jenetetrouvepas…Elles’interrompitavantdementir,cequ’ilentendraitaussitôt,etsedépêchadetrouver
uneformulationneutre.– Tu te trouves beau. Ben voyons. Tu es tellement prétentieux, ça nem’étonne pas.
Quantàmoi,jeneme…Ilposaundoigtsurseslèvrespourlafairetaire.– Toi aussi, tu es super belle. Tu te balades avec cet air de dire « il ne faut pasme
chercher»qui,justement,donneenvied’allertechercher.–Jeteledéconseille,gronda-t-elleenécartantl’indexdeChase.Elledutseforceràlelâcheravantdelecasserendeux.Àquoijouait-il,exactement?
Etpourquoilelaissait-ellefaire?–Doucement,souffla-t-ilenfaisantminedeluitoucherlevisage.Ellereculaenlevantunemaindevantelle.– Fais-moi plaisir, laisse-moi tranquille. Sinon, je me verrai dans l’obligation de te
réduire en bouillie comme un moustique, lança-t-elle en frappant dans ses mains. Je tepréviens,jen’hésiteraipas.
Unenouvellemigrainesemanifestapendantlecoursdemaths,etpeudetempsaprès,Della sentit que ses règles commençaient. À l’interclasse, elle retourna au bungalow pour
aller chercher ses tampons. Sur le chemin, elle repensa à la possible visite de Chan, cematin-là.Sonimaginationluiavait-ellejouédestours?Etsic’étaitbienluiqu’elleavaitvu,pourquoiavait-ildécidédeveniràShadowFalls?Celaluiarrivaitsouventmais,engénéral,ill’appelaitd’abordpourl’avertir.Or,cettefois,iln’avaitmêmepasréponduàsonmessage.Était-ceparcequ’ilétaittropoccupé?Parcequ’ilavaitdesennuis?Etpuis,s’ilétaitvenulavoir, alors pourquoi s’était-il enfui à son approche ? L’esprit en ébullition, elle sortit sontéléphone de sa poche afin de réécouter le message qu’il lui avait laissé la semaineprécédente.
«Salut,Della…J’appelaisjustecommeça,parcequeçafaitlongtempsquejen’aipaseudetesnouvelles.Tun’enas toujourspasmarredecetteprison?Tunepréféreraispasplutôt venir t’éclater avecmoi ?Enfinbref, riend’importantdemoncôté,mais si tu as letemps,appelle-moi.»
Ellefitunenouvelletentative,maistombadirectementsursamessagerie.Soudain, elle se rappela que, quelquesmois plus tôt, Chan lui avait envoyéun texto
depuis le téléphone d’un copain. Furieuse de ne pas y avoir pensé avant, elle parcourutl’historiquedesonportableetretrouvalenuméroenquestion.
Auboutdedeuxsonneries,unevoixgraverépondit.–Allô?–Salut, jem’appelleDellaTsang. Je suis la cousinedeChanHon.C’estbienKevinà
l’appareil?–JeneconnaispersonnedunomdeChanHon.C’était un mensonge. Elle l’entendait de là où elle était. Et puis, il n’avait pas nié
s’appelerKevin.–Jesuissacousinevampire,insistaDella.TuesbienKevinMiller?Chanautiliséton
téléphonepourmejoindreunefois.Ilyeutunlongsilenceauboutdelaligne.–C’esttoiquifréquentescetteespèced’académieauTexas,c’estça?J’étaisavecChan
quandtuesdevenuevampireetqu’ils’estoccupédetoi.T’esàmoitiéblanche,non?Ildisaitcelacommesic’étaitunreproche.Pourtant,avecunnomcommeKevinMiller,
elledoutaitfortqu’ilsoitcentpourcentchinois.–Voilà,c’estmoi.J’aiessayédecontacterChan,maisilnerépondpas.–IlestpartivivreauTexas.C’étaitdoncbienluiqu’elleavaitvucematin-là.– Lui et quelques autres, ils sont allés rejoindre le gang du Sang Pourpre, près de
Houston,ajoutaKevin.Della réprima un grognement. Chan faisait partie d’un gang ? Jusque-là, il s’était
toujourstenuàl’écartdecesbandesorganiséesquirisquaientdeluiattirerdesennuis.
Della n’avait jamais entendu parler du Sang Pourpre. Tous les gangs n’étaient pascomposés de criminels, mais c’était le cas de la plupart d’entre eux. Alors, avec un nompareil…
–Est-cequetusaisoùilssontinstallés,exactement?demanda-t-elle.C’étaitpeut-être laraisonpour laquelleChanavaitessayéde lacontacter, lasemaine
précédente.Elles’envoulaitterriblementdenepasl’avoirrappeléplustôt.Elleauraitpeut-êtreréussiàledissuaderdefaireunebêtise.
–Non,jefaisdéjàpartied’ungang,alorsjen’aipasfaitattention.–Est-cequetupourraisterenseigner?Jet’enseraissuperreconnaissante.Aussitôt elle se rendit compte de la bêtise de cette remarque. Les vampires se
moquaientbiendelagratitudedesautres–surtoutlesmembresdegangs.Kevinricanaauboutdufil.–Qu’est-cequej’ygagne,moi,àparttareconnaissance?Toutn’étaitpeut-êtrepasencoreperdu.–C’esttoujoursutiledeconnaîtrequelqu’unquitedoitunefaveur,non?Situpasses
auTexas…–Defait,jevaissouventauTexas,dit-ilaprèsunehésitation.–Danscecas,jepourraispeut-êtret’êtreutile.–Tuesaucourantquelesfaveurs,çapeutdevenirdevraiesgalères,fit-ilremarquer.–Oui.Sic’étaitleprixàpayerpourretrouverChan,alorstantpis.Kevinpoussaunlongsoupir.–Jevaisvoircequejepeuxfaire.–Merci.Elleraccrocha,plusperplexequejamais.SiChanétaitvenuàShadowFallspendantla
nuit,c’étaitsûrementpourluiparler.Alors,pourquoirefusait-ildeprendresesappels?Peut-être qu’il avait perdu son téléphone, ou qu’il avait dû résilier son abonnement
fauted’argent.Quellequesoitlaraisondesonsilence,ilfallaitqueDellaleretrouve.Maiscomment?
Mercredimatin,quandtoutlemondeserassembladevantlacantinepourl’Heurepourfaireconnaissance,Dellaétaitétonnammentreposée.Elleavaitbiendormi,lesimagesdelajeune fille égorgée ne s’imposaient plus si souvent à elle, et elle n’avait pas vu voleter deplumeni ressentide froidétrange.Elleavait finipar sepersuaderquec’était en faitKyliequelefantômeavaitcherchéàcontacter.Aprèstout,c’étaitlecaméléonquiavaitlafacultédecommuniqueraveclesesprits.
Peut-êtrequ’elleprenaitsesrêvespourdesréalités,maistantquerienneviendrait ladétromper,ellecontinueraitàlecroire.
Chrismontalesquelquesmarchesjusqu’aupodium,sonstupidechapeauàlamain.
–Pourunefois,nousn’avonspasderequêtesparticulières,annonça-t-il.Personnen’asouhaitéfairededondesang.Étonnant,ajouta-t-ilenjetantunregardmauvaisàChase.
Ce dernier resta de marbre, comme s’il se moquait complètement de ce que pouvaitpenser Chris. Étant donné qu’ils étaient tous les deux des vampires, on aurait pu croirequ’ilsauraientfaitlapaixdepuisl’incidentdulundi.
PuisDellaserappelaquec’étaitunpeupourlesmêmesraisonsqueChasecroyaitavoirbeaucoupdechosesencommunavecelle,orc’étaitcomplètementfaux.
Levampireblondseraclalagorge,puissortitdesonchapeaudeuxsacsdetoile,danslesquels il se mit à piocher tour à tour de petits morceaux de papier. Della se tendit enattendantleverdict.Soixanteminutes,çapouvaitserévélertrèslongquandonétaitcoincéavecunnaze.Chrisrelevalatêteetcroisasonregard.
Ilpoussaunlongsoupir,commepourménagerlesuspense.–Della,tuvaspassercetteheureavecJennyYates,notrenouveaucaméléon.Dellasedétenditaussitôt.Ellen’avaitpaseu l’occasiondediscuteravecJennydepuis
quecettedernièreavait faitdond’unepintedesonsangpour luiéviterdedevoirsubir lacompagniedeChase.
Tandisqu’ellesedirigeaitverslajeunefille,Dereks’approchad’elle.–Soissympa,d’accord?murmura-t-il.Elle lui jetaunregardagacé.Ellecommençaitàenavoirmarrequetout lemonde la
prennepourunemalpolie.–Quoi?Tuveuxdirequejen’aipasledroitdeboiretoutsonsangavantdelarefiler
auxgarouspourqu’ilspuissentsefairelesdentsdessus?Mêmepasdrôle…Dereksecoualatête.–Tusaistrèsbiencequejeveuxdire.La veille, elle avait passé un long moment avec lui, à lui exposer ce qu’elle avait
découvert au sujet de son oncle et de sa tante. Si elle voulait qu’il l’aide, elle n’avait pasintérêtàl’envoyerboulertropméchamment,maisellenepouvaitpass’enempêcher.
–Oui, je sais, souffla-t-elle.Tumeprendspourunegarcequi s’amuseà fairepleurerlesgensjustepourleplaisird’êtreméchante.
ElletournalestalonsetallarejoindreJennyens’efforçantdenepasselaisseratteindreparcequelesautrespensaientd’elle.Ellerepensaaudictondesamère:«Lesgiflesetlescoupscausentdesplaiesetdesbosses,maislesmotsnesauraientmefairesouffrir.»
Samèreavaitvraimenttoutfaux.Lesmotspouvaientfairetrèsmal.–TucroisqueDerekl’afaitexprès?demandaJennyquandDellaarrivaàsahauteur.–Qu’ilafaitquoiexprès?–Nousforceràpasseruneheureensemble.–Non.Tun’aspaseudechance,c’esttout,rétorquaDella.Elles’éloignadelacantine,toujourspiquéeauvifparlesparolesdeDerek.
Jennyhaussaunsourcil,maisluiemboîtalepas.–Çava,Della?demanda-t-elleauboutd’unlongsilence.–Oui,çava.Tuveuxqu’onailleàmonbungalow?–D’accord, acquiesça Jenny avant de jeter un bref coup d’œil en direction deDerek.
Qu’est-cequ’ilt’adit,avantquetuviennesversmoi?–Ilvoulaitquejesoissympaavectoi.Jennyfitunepetitegrimace.–Jenecomprendspaspourquoiilsecroitobligédemeprotégercommeça.–C’estparcequ’ilt’aimebien,expliquaDella.Etparcequ’ilcroitquejesuisunesalegarcemalpolie.Ellesarrivèrentaucheminquimenaitaubungalow.L’airmatinalétaitfraisetvivifiant.
Jennydonnauncoupdepieddansungroscaillou,quirebonditdanslesbuissons.–Steve t’aimebien,pourtant ilnepassepasson tempsàdemanderauxautresd’être
sympaavectoi.–JenesuispasiciparcequeDerekmel’ademandé,tusais.Soudain,DellasaisitpleinementcequeJennyvenaitdedire.Elles’immobilisa.–CommenttusaisqueStevem’aimebien?Jennyhaussalesépaules.– Tout le monde le sait, c’est évident. Rien que la façon dont il te regarde… Il a
toujours l’aircomplètementfasciné.J’airemarquéquedèsqu’ilentendlesondetavoix, iloublietoutleresteetiltecherchedesyeux.C’esttropmignon.
Dellapoussaunlongsoupir.Elleauraitbienaiménepastrouverçatropmignon,elleaussi.
–Çan’apasl’airdetefaireplaisir,commentaJenny.Ilneteplaîtpas?–EtDerek,ilneteplaîtpas?rétorquaDella,dansl’espoirquelajeunefillesaisissele
messageetcessedeluiposerdesquestionstroppersonnelles.–Si,maisçamefaitunpeupeur.Dellanes’attendaitpasàuneréponseaussifranche.Ellesetrouvapriseaudépourvu.–Moi,c’estpareil,souffla-t-elle.–Etmoiquicroyaisquetun’avaispeurderien!lançaJenny.Aussitôt, Della regretta son aveu, mais il était trop tard. Elles étaient arrivées au
bungalow,etDellas’assitaubordduperron.–Tuvois,jenesuispasaussidureetsanscœurquetulecroyais,marmonna-t-elle.–Tueshumaine,c’esttout.Enfin,non,pashumaine,mais…normale,quoi.Dellafitlamoue.–C’estnul,lanormalité.J’aimeraisêtreexceptionnelle,pouvoirêtrefièredemoi.ProuveràBurnettquejemérited’intégrerl’URF.
– Moi, j’aimerais bien être normale, au contraire, dit Jenny en s’asseyant à côté deDella. Ça me ferait des vacances que les gens arrêtent de me regarder comme une bêtecurieuse.
–Tufiniraspart’yhabituer.RegardeKylie,çaneladérangeplus.Jesaisbienquec’estsuperpénibleaudébut,maisonnechoisitnisanaturenisonapparence.
– Tu préférerais être autre chose que vampire ? demanda Jenny en fronçant lessourcils.
–Jeneparlaispaspourmoi,réponditDella.Cen’étaitpastoutàfaitvrai.Combiendefoisavait-ellesouhaitéressemblerdavantage
àsonpère,sedisantqu’ilseraitplusfierd’elle?Etcen’étaitqu’unepartieduproblème.–Ouais,fitJenny,visiblementpeuconvaincue.Della poussa un petit grognement. Puis, sans bien savoir pourquoi, elle décida de se
justifier.–Jeneveuxpasêtrefaibleet jeneveuxdépendredepersonne.Jeveuxêtrecapable
demedébrouillertouteseule,maiscen’estpastoujoursfacile.Elle se tut un instant. Le vent agita les branches d’un érable argenté, et quelques
feuillestombèrentausol.–C’estdur,parfois,d’êtreéloignéedemesparents–et jeneparlepasde ladistance
géographique,ajouta-t-elle.Unenouvellebourrasquefitvoleterdesfeuillesmortes.– Derekm’a dit qu’il t’aidait à retrouver un oncle et une tante. C’est pour ça que tu
recherchesleurtrace?Della fit lagrimaceà l’idéequeDerekaitparlédecettehistoire,maisaprès tout,elle
n’avaitpasvraimentledroitdeseplaindre.–Enpartie,maisgardeçapourtoi,s’ilteplaît.– Bien sûr, ne t’inquiète pas, la rassura Jenny avant de marquer une courte pause.
Qu’est-cequetucomptesfaire,situlesretrouves?Allervivreaveceux?–Non,maisceseraitchouetted’avoirdelafamillecapabledemecomprendre.–Oui,j’imagine…Dellan’ignoraitpasquelasituationdemeuraitcompliquéeentreJennyetsesparents.
Elleavaitdécidémentpasmaldechosesencommunaveccecaméléon.Auboutd’unlongmoment,Jennyrompitlesilence.–Derekm’aembrassée.Dellatournalatêteverselle,soulagéeparcechangementdeconversation.–Et…?–Etquoi?fitJenny.– Un baiser n’est jamais juste un baiser. Il y a toujours une histoire qui va avec.
Raconte!Est-cequetu l’asgiflé?Est-cequ’ilamis la langue?Est-cequeçat’adonnéla
chairdepoule?Est-cequeças’estarrêtélà?Jennysouritdetoutessesdents.–Jecroyaisqueçanesefaisaitpas,deracontercegenrededétails.–Maissi,çasefait!rétorquaDellaenriant.Etnet’inquiètepas,jenerépéterairienà
personne.Promis.Jennyhésitauninstant.–Jeluiaiditqu’iln’auraitpasdûfaireça,aprèscoup.Maissurlemoment,jen’aipas
protesté.Ilfautcroirequeçanem’apasdéplu,ajouta-t-elleavecunsoupir.Aumomentoùil m’a embrassée, c’était comme si… tout avait changé. Tout est devenu tellement plusbeau!
Della avait déjà entendu une description similaire, après que Derek avait embrasséKylie,maisJennyn’avaitpasbesoindesavoirça.
–Siçat’aplu,pourquoituluiasditqu’iln’auraitpasdû?–Jene saispas…C’estbizarre. Jen’arrêtepasdemedemander si c’étaitmieuxavec
Kylie.Siçase trouve, ilnes’intéresseàmoiqueparceque jesuisuncaméléon,moiaussi.Saufquemoi,jen’aipasdetalentparticulier.
–Pourquoituneluiposespaslaquestion?–Ilvacroirequejesuisjalouse.Dellan’avaitaucunmalàcomprendreleproblème.C’étaitprécisément laraisonpour
laquelleellen’avaitpasparléàStevedelafilledumédecin.–Est-cequetuesjalouse?–Non.Enfin,peut-êtreunpeu,maisjesaisquec’estdébile.Pareil,pensaDella.Ilauraitétéstupidedesapartd’êtrejalouse,surtoutqu’ellen’avait
aucundroitsurSteve.Jennyrepoussaunemèchedecheveuxbrunsquiluitombaitdevantlesyeux.–JesuisàpeuprèscertainequeKylien’éprouveplusrienpourDerek,mais jenesais
passi,pourlui,c’estvraimentfini.–Tudevraisluienparler,etàKylieaussi.Jesuissûrequ’ellepourraitt’aideràyvoir
plusclair.–Jecroisqueçameferaittoutdrôle,répliquaJennyavecunegrimace.Dellas’allongeasurleventreetbalançalespiedsenl’air.–Parfois,ilfautosersesecouerlespucesetaffronterlesdifficultés.Saufquechaquefoisqu’elleavaitenvisagédedemanderàStevecequ’iléprouvaitpour
Jessie,ellesedégonflait.–Qu’est-cequetucomptesfaireausujetdeChase?Dellaécarquillalesyeux.–Commentça?
–Ehbien…ilafaitundondesangpourpasserdutempsavectoi,etiln’arrêtepasdeteregarderquandtunefaispasattention.Cen’estpasaussimignonqueSteve,maisc’estclairqu’ilaunfaiblepourtoi.
– S’il a fait un don de sang, c’était uniquement pour faire monter les enchères etrenflouernosréserves.Etpuis,cen’estpasvrai,ilnemeregardepas.
–Iln’apasessayédet’embrasser?insistaJenny.–Non.Ils’étaitcontentédeluidirequ’elleétaitsuperbelleetdeposerundoigtsurseslèvres,
maiss’ilavaitfaitça,c’étaitsûrementdansl’uniquebutdeluitapersurlesnerfs.D’ailleurs,çaavaitfonctionnéàmerveille.
–Ilnemeplaîtpas,cetype,ajouta-t-elle.–ParcequetupensesàSteve?s’enquitJenny.–Jenel’aimepas,c’esttout.Ellen’avaitpasenvied’entrerdans lesdétails etd’expliquerque l’odeurdeChase lui
était familière–etencoremoinsd’avouerqu’elle le trouvait…attirant,ouqu’elleavaitététroubléeaucontactdesonindexsurseslèvres.Non,çan’auraitserviàriendes’attarderlà-dessus.
–Tuasraisondeteméfier,ditJenny.AussitôtDellaseredressa,alertéeparletondesavoix.–Pourquoi?Tuesaucourantdequelquechose?Jennysemorditlalèvremaisneréponditpas.–Qu’est-cequetusaissurlui,Jenny?Crachelemorceau,sinonjet’étrangle!Ellequis’étaitjuréd’êtresympa…
–S’ilteplaît,ditDella.
Jennyfronçalessourcils.–Seulementsitumeprometsdenerienrépéteràpersonne.–Motusetbouchecousue.–Ilm’arrived’allermepromener.Jenesorspasdel’enceintedeShadowFalls,maisje
doisquandmêmemefairediscrèteparcequemonfrèren’aimepasquejesortetouteseulede nuit. Pourtant je ne prends pas de risque. Je me balade dans la forêt pour réfléchirtranquille,c’esttout.
–C’estbizarre.Jevaiscourirquasimenttouteslesnuits,maisjenet’aijamaisvue.–C’estnormal.Jemerendsinvisible,histoired’êtresûrequ’onmefichelapaix.Jet’ai
aperçue,unefois,maistuespasséetropvitepourquejepuissememontrer.Della repliaune jambeetentourasongenoudesesbrasen frissonnant.Aussitôt,elle
plissa lespaupières et jetaun regardalentourmais, heureusement,ne vit pas lamoindreplumed’oie.EllereportasonattentionsurJenny.
–Qu’est-cequeChasevientfairedanscettehistoire?–Je l’aivuàdeuxreprises,enpleinenuit.Unefois, je l’aisurprisen traindediscuter
avecquelqu’un…quelqu’unquisetrouvaitdel’autrecôtédelaclôture.Ilsparlaientàvoixbasse;çaavaitl’airtrèsmystérieux.
Dellaavait justementcruapercevoirChanprèsdelagrille.Sepouvait-ilqueChaseetlui se connaissent ? Peut-être était-ce comme ça que Della avait croisé Chase, ce quiexpliqueraitqu’ellesesouviennedesonodeur.
–Letypeàquiilparlait,est-cequ’ilétaitasiatique?demanda-t-elle.–Jenel’aipasvu.Chasesetenaitdevantlui.Dellas’efforçaderéfléchir.–C’étaitquand?Danslanuitdelundiàmardi?–Non,c’étaitcettenuit.Même si ce n’était pas le même soir, c’était beaucoup trop proche pour être une
coïncidence. Mais cela n’expliquait pas ce que Chan fabriquait avec Chase. Et puis, si cedernierconnaissaitsoncousin,pourquoineleluiavait-ilpasdit?
– Donc, tu n’as pas vu à qui il parlait mais tu les as entendus. De quoi est-ce qu’ilsdiscutaient?
–Jen’ensaisrien.Jemesuiséloignéeavantd’êtretentéedelesespionner.Burnettm’adit et répété que c’était contraire à l’éthique des caméléons de se servir de son invisibilitépourcegenredechose.Enrevanche,j’airemarquéqueChasepassaitsontempsàregarderpar-dessussonépaule,commes’ilavaitpeurqu’on les surprenne.C’est surtoutçaquim’aparulouche:onauraitditqu’ilavaitpeurdesefaireprendreenflagrantdélitdequelquechose.
Après les cours, Della retourna se coucher, en proie à une légère migraine et à desérieuxdoutesquantàsacapacitéàrésoudrelesmystèresquilapréoccupaient.Ellen’avaitrien appris de nouveau au sujet de son oncle ; elle ignorait complètement qui l’avaitassomméeetpourquoi;Burnettn’avaittoujourspasacceptéofficiellementqu’elleparticipeàl’enquête;soncousinrestaitinjoignablemais,apparemment,rendaitdesvisitesnocturnesàChase,leperversanti-Schtroumpfs.
Ellen’étaitpasencorealléedemanderdescomptesàcedernier.Avantcela,ellevoulaitparleràChan.Laprochaine foisqu’elleaccuseraitChase,elle
tenait à être sûre de son coup. Il lui fallait donc des preuves de ce qu’elle avançait. SiseulementChanpouvaitlarappeler!
Elleenvoulaitpresqueautantàsoncousinqu’àcettetêteàclaquesdeChase.Elleluienvoulaitdeluicausertantd’inquiétude.SiChanfaisaitdéjàpartied’ungang,ilétaitfortpossible qu’on lui ait interdit de la contacter. Elle avait entendu dire que certains gangsobligeaient leurs membres à couper les ponts avec leur ancienne vie. Était-ce le cas deChan?Elleespéraitdetoutcœurqu’iln’étaitpasallégrossirlesrangsdesrenégatspursetdurs.Cesderniersvivaientdansl’illégalitélaplustotaleetnesegênaientpaspourboirelesangdeshumainsàlaveine.Chanétait-ilcapabled’unechosepareille?
Fermant les yeux, elle repensa au dévouement avec lequel il s’était occupé d’elle auplus fort de sa transformation. Il ne quittait son chevet que quand samère ou quelqu’un
d’autrevenaitlavoir.Mêmequandelleavaitétéhospitalisée,ilétaitvenuluirendrevisite,alorsqu’ilauraitpul’abandonneràsontristesort.Livréeàelle-même,elleauraitpeut-êtrefini par tuer pour se nourrir. Il n’était pas rare que les nouveaux vampires se laissentemporterparleursoif.
Chan ne l’avait jamais abandonnée. C’était quelqu’un de foncièrement bon. Il avaitpeut-êtredécidéde fairepartied’ungang,mais iln’aurait jamaischoisidesemêleràunebandedebrutesmeurtrières.
Unefoisdeplus,ellesereprochadenepas l’avoirrappeléplus tôt.Elleregrettaitdes’êtresipeuimpliquéedanssavie.Celafaisaitd’elleunemauvaisecousine–enplusd’unesalegarcemalpolie.
Pasmauvaise aupoint de croireChan capabledemeurtre, cependant. L’imagede lajeunemortes’imposaàsonesprit,maisellelarefoulapourseconcentrersursoncousin.
–Appelle-moi,Chan, je t’ensupplie,murmura-t-elle,commes’il risquaitde l’entendreparmagie.
Aumêmemoment,sontéléphonesonna.Dellasursautaetlesaisitd’ungestevif,maiscen’étaitpasChan.
–Salut,maman,lança-t-elleens’efforçantdeparaîtreenjouée.–Bonsoir,Della.J’aiparléàMmeGalenetjen’aiaucuneobjectionàcequetupassesle
week-endlà-bas,mais…n’enparlepasàtonpère.Dellafaillitdemanderpourquoi,maiselleconnaissaitdéjàlaréponse.Sonpèreaurait
refusé,justepourleprincipe,puisqu’ilcroyaitqu’elleluiavaitvolédubrandy.–Merci,souffla-t-elle.Puis,soucieusedenepasrestersurcelégermalaise,elledemanda:–Tuaspasséunebonnejournée?–Oui,merci.Brusquement,sacuriositél’emporta.–Maman,est-cequejepeuxteposerunequestion?–Euh…oui.–Commentçasefaitquepapaneparlejamaisdesonenfance?Pourquoinenousa-t-iljamaisditqu’ilavaitperduunfrèreetunesœur?–Envoilàunedrôledequestion,commentasamère.–Jesais,reconnutDella.C’estjustequejetrouveçabizarre.Toi,parexemple,tum’as
souventracontédeshistoiresdulycée,maispapa,jamais.Tuparlesmêmedetonfrèrequiestmortd’uncancer,ajouta-t-elledansunélandebravoure.
–Tonpère…Disonsqu’iln’apaseuuneenfancefacile.Au sonde savoix,Della sentitque samèreavaitdéjà l’impressionde trahir sonmari
parcetaveupourtantsivague.–Commentça?demanda-t-elletimidement.
Aumêmemoment,elleentenditdubruitauboutdelaligneetreconnutlavoixdesonpère.
–Ilfautquej’yaille,murmurasamèreavantderaccrocher.LatonalitérésonnadanslecœurdeDella,lancinante.Cette conversation ne lui avait rien appris de nouveau. Elle n’avait servi qu’à la
déprimerdavantage.Samèresesentaitobligéedesecacherpourl’appeler.Della ne voulait pas rester là, à s’apitoyer sur son sort. Aussi résolut-elle d’aller voir
Burnettpourluidemanderlapermissiondepasserleweek-endchezKylie.Avecunpeudechance,ceseraitunesimpleformalité.
SaufqueDellan’avaitjamaisdechance–mêmeunpeu.–Pourquoituneveuxpasquej’yaille?insista-t-elle.Mêmemamèreestd’accord!EllejetaunregardimplorantàHoliday,puisàBurnett.Laféereculad’unpas,poursignifierqu’ellepréféraitnepassemêlerdecettehistoire.
Pourquoi refusait-elle de prendre la défense de Della alors que Burnett se montraittellementinjuste?Ilneluiavaitmêmepaslaisséletempsdeformulersarequêtejusqu’aubout.
–Jeterappellequetuespeut-êtrelacibled’unassassin,jeunefille.– N’importe quoi ! Si ce type avait voulu me tuer, ce serait déjà fait. J’étais
inconsciente!Iln’auraiteuaucunmalàm’achever.Tunecroispas?Unelueurd’agacementpassadanslesyeuxduvampire.–Comme l’a déjà ditHoliday, il est possible que les anges de lamort l’aient fait fuir
avantqu’iln’enaiteuletemps.–Tuparles !Moi, jemedemande si ce ne sont pas eux quim’ont attaquée. Et puis,
franchement,situcroyaisquemonagresseurétaitlevampirequiatuélejeunecouple,tuauraisdéjàsonnélebranle-basdecombat.
Àenjugerparl’expressiondeBurnett,elleavaitvujuste.–Jen’aijamaisditquejecroyaisça,j’aiditquec’étaitunepossibilité.–Demêmequ’il estpossiblequ’unastéroïdepercute laTerredemainetqu’onmeure
tous,rétorqua-t-elle.–Jesuisresponsabledetasécurité!s’écriaBurnett.Orjenepeuxpasveillersurtoisi
tuvaspasserleweek-endailleurs.–MaisjeseraiavecMirandaetKylie!C’estuneprotectrice,jeterappelle.Ellen’aurait
aucunmalàenvoyerboulerunastéroïdes’ils’approchaitunpeutropdemoi.CommeBurnettgardaitsonairbuté,Delladécidadeneplusprendredegantsetdelui
livrerlefonddesapensée.C’étaitunargumentqu’elleavaitdéjàutilisé,maisellen’enavaitpasdemeilleur.
–Jesaiscequitechiffonne.C’estlefaitqu’onsoitdesfilles.C’estça?Sic’étaitLucas,Derek et Perry qui t’avaient demandéd’aller passer leweek-end loin de ShadowFalls, tu
auraisacceptésanshésiter.Tun’esvraimentqu’ungrosmacho!Etc’estaussipourçaquetuneveuxpasmelaisserenquêtersurlemeurtredujeunecouple!
–Non,c’estfaux!criaBurnettavantdejeterunregardàHoliday,commepourlaprierd’intervenir.
Cettedernièreneditrien,cequisignifiaitsansdoutequ’elleétaitd’accordavecDella.–Tuveuxdirequejepeuxaiderl’URF?demanda-t-elle.Puisqu’ilétaitdéjàfurieux,ellen’avaitplusrienàperdre.–L’enquêten’apasprogressédepuisladernièrefoisqu’onenaparlé.–Çanerépondpasàmaquestion,rétorquaDella.Manifestement,legrandméchantvampiren’aimaitpasqu’onluimettelenezdansses
vilainspetitsdéfauts.–Tun’esqu’unetêtedemulequiabesoind’apprendreàrespecterl’autorité!gronda-
t-il.–Jerespecterail’autoritéquandl’autoritémerespectera!BurnettsetournaversHoliday.–Disquelquechose,enfin!Laféehaussalesépaules.–Vousaveztouslesdeuxdesargumentsvalides.–Maisellerefused’entendreraison!râlaBurnett,deplusenplusfurieux.–Et elle te reprocheexactement lamêmechose, répliquaHolidayavec leplusgrand
calme.BurnettetDellaétaientbienloindel’affectionchaleureusedeleurdernièrerencontre.
Ilsavaientdéjàreprisleursbonnesvieilleshabitudes,quiconsistaientàsechamailler.Dellan’allaitpasselaisserintimider.–Situarrivesàmejurer,sansquetoncœurtetrahisse,quetuinterdiraisàLucasouà
Chased’allerpasserleweek-endailleursdanslesmêmesconditions,alorsjeteprometsdemetaire.
Burnett n’essayamême pas de relever le défi. Il n’essayamême pas dementir. Dellan’eut donc pas besoin de se taire. Après une longue tirade enflammée, agrémentée dequelques coups de pouce de la part de Holiday, le directeur de Shadow Falls finit paraccepterqu’elleaillechezKylie.
TandisqueDellaregagnaitsonbungalow,elleserenditcomptequ’ils’étaitbiengardéde mentionner l’enquête en cours. Elle faillit revenir sur ses pas, puis décida qu’il valaitmieuxattendreunpeupourreveniràlacharge.
Ce samedi, elle allait pouvoir se rendre au funérarium auquel Chan et son oncleavaient fait appel pourmettre en scène leur décès. Elle en profiterait également pour serenseignerunpeuausujetduSangPourpre.Après tout, si lepropriétairedes lieuxaidait
lesvampiresàdisparaître,ilétaitprobablequ’ilconnaisselesgangsdelarégion.Peut-êtremêmequelevieilhommeavaitgardélecontactavecChan.
Cependant,mêmesielleapprenaitoùseréunissaitlegang,ellenepourraitsansdoutepass’yrendre.Celareviendraitàprendreunrisqueinutile,orelleavaitdonnésaparoleàHoliday.
Ellepoussaunprofondsoupir.Elleaviseraitunefoisqu’elleensauraitplus.Encouragée par sa petite victoire sur Burnett, elle décida de ne pas en rester là et
d’aller rendre visite à Derek. Elle lui avait donné le nom du lycée qu’avait fréquenté sonpère,etilluiavaitpromisdepoursuivresesrecherches.
Avecunpeudechance,ilauraitquelquesréponsesàluiapporter,mêmes’ilnefaisaitqueconfirmerquesononcleetsatanteétaientencoreenvie.
Saufqu’ellen’avaittoujourspasdechance.Derekn’avaitriendécouvert–oupresque.IlavaitréussiàcontacterunancienélèvedeKleinHighquisedisaitprêtà luivendresonalbumdepromo,avec lesnomset lesphotosde toussescamaradesdeclasse.Dellaavaitévidemment accepté de sacrifier ses cinquante dollars d’argent de poche pour la bonnecause, et Derek avait donc contacté le type en question pour lui dire qu’il était prêt àconclure l’affaire. Mais, à ce moment-là, le vendeur avait fait mine d’hésiter, sans doutepourfairemonterleprix.
Dellanevoyaitpasbienl’utilitéd’unalbumdepromo,vuqu’elleavaitdéjàunephotodesononcle,maisDerekluiavaitexpliquéquecelaleurpermettraitdesefaireuneidéedesescentresd’intérêtainsiquedesesfréquentations.D’aprèslui,ceseraitunebonnesourced’indices.Saufquecen’étaientpasdesindicesqueDellavoulait,c’étaientdesréponses.
Chanserait sansdoutecapablede luiapporterces réponses.Deretouraubungalow,elle se coucha et posa son téléphone sur la table de nuit puis l’observa fixement, commepourl’encourageràsonner.
Ellefaillitsauterauplafondlorsque,justement,ilsonna.Lecœurbattantàtoutrompre,ellel’attrapaetregardalenuméro.ToujourspasChan.Steve.Ill’avaitdéjàappeléelaveille,etelleavaitdûfaireuneffortsurhumainpourne
paslebombarderdequestionsausujetdeJessie,lajolieblonde.Ellenevoulaitsurtoutpassecomportercommeunepetitecopinejalouse.
Elleregardasontéléphoneuninstantavantdecéder.–Salut,dit-elle.–Della!J’aicruquetun’allaispasdécrocher.–Désolée…j’étaisoccupée.Occupéeàmedemandersi,ouiounon,j’avaisenviededécrocher.–Toutvabien?–Oui,çava.Ettoi?
Tut’amusesbienavecJessie?–Tumemanques,dit-il.Touteslesnuits,jemeréveilleetjepenseàtoi.Maispaspendantlajournée,quandJessieestlàpourtetenircompagnie.Ellesemorditles
lèvrespourgardercesréflexionspourelle.–Désolée,murmura-t-elle.–Ilnefautpas!J’aimebienpenseràtoi.Ellefermalesyeux.–Cen’estpasbonpourtasanté.Ilfautquetudormes.Ellen’étaitpasexactementlamieuxplacéepourdonnercegenredeconseil.Ilyeutunbrefsilencesurlaligne,puisStevedemanda:–Çanet’arrivejamaisdepenseràmoi?Àtouteslesfoisoùons’estembrassés.Àcelles
oùonafailli…–Si,parfois,répondit-elleprécipitammentpourl’empêcherd’endireplus.–Àquoitupenses,exactement?–Arrête!lança-t-elle.–Quej’arrêtequoi?–Ondiraitquetuvasfinirparfairel’amouràtontéléphone.Iléclataderire.–Cen’estpasvraimentmonintention,non!Dellasourit.ElleadoraitleriredeSteve.Elleétaitheureusedesavoirqu’ellelefaisait
rire.Est-cequeJessielefaisaitrireaussi?–Jenesaispas,moi.Quandtuprendstavoixgraveetsexy,commeça…–Tutrouvesquej’aiunevoixsexy?–Arrêtedeparlerdesexe!râla-t-elle.–C’esttoiquiascommencé,jetesignale.–Danscecas,c’estaussimoiquiarrête,voilà.–J’aijusteunedernièrequestion,plaida-t-il.Après,jemetais.Promis.–OK,souffla-t-elle.Elle savait d’expérience que Steve ne lâchait pas facilement prise. Parfois, il tenait
davantage du vampire que du métamorphe. Il était encore plus obstiné qu’elle et, aussibizarrequecelapuisseparaître,c’étaitquelquechosequ’elleadmiraitchezlui.
–Tuasdéjàfaitl’amourpartéléphone?–Non.Parcontre,j’aivuçadansunfilm,unefois.–Ahbon?Quelgenredefilm?demanda-t-il,intrigué.–Net’emballepas.C’étaitjusteunecomédieromantique.–Mouais…Etilsfaisaientcomment?–Ahnon!Tuavaisditunequestion.
– Bon, d’accord, fit-il en riant. Oh, je repense à un truc. Tum’as dit que tu voulaisparleràDerekmaistunem’aspasexpliquépourquoi.Qu’est-cequ’ilt’arrive?
Ellen’avaitpasracontéàStevecequ’elleavaitdécouvertaucoursduweek-endparcequ’ellen’étaitpassûred’avoirintérêtàlefairemais,brusquement,elleeutenviedetoutluidire.
–Je…jecroisquej’aiunonclevampire.Etpeut-êtremêmeunetante.–Quoi?Maiscomment…Qu’est-cequitefaitcroireça?Alorselleluiparladesaconversationavecsasœur,delaphotoqu’elleavaittrouvéeet
de la notice nécrologique que Derek avait dénichée dans les archives du journal et quimentionnaitunetantedontelleignoraittoutjusque-là.
–Ehben…sifflaSteve.Qu’est-ceque tuvas faire,maintenant?Tuvasdemanderdel’aideàBurnett?
–Non.Siçasetrouve,mononcleetmatantenesontpasdéclarés.Jenevoudraispasleurattirerd’ennuis.
–Oui,maisalorscesontpeut-êtredesrenégats.– Pas forcément. Il y a plein de vampires qui ne font pas confiance à l’URF. Les
vampires non listés ne sont pas tous des hors-la-loi. Regardemon cousin, Chan. C’est untypebien.Unpeuanticonformiste,c’esttout.
–Jesais.Jem’inquiète,c’esttout.Moiaussi,jem’inquiète…àproposdetoietdeJessie.–Ilnefautpas.Jesaismedébrouiller.BrusquementlesrésidusdelacolèrequeluiavaitinspiréeBurnettrefirentsurface.–Etpourquoi tu t’inquiètes,d’abord?Est-cequec’estparceque jesuisune fille?Tu
mecroisfaible?–Non.C’estparceque…quandungarçontientàunefilleautantquejetiensàtoi,ila
tendanceàsemontrerprotecteur.–Alorsarrêtedetenirautantàmoi!lança-t-elleensemassantlatempe.–Troptard…rétorquaSteve.Est-cequejepeuxfairequelquechose?ajouta-t-ilaprès
unbrefsilence.–Non,çavaaller.Elleavaitdéjàacceptél’aidedeKylieetdeMiranda.Celafaisaitdéjàdeuxpersonnesà
qui elle risquait d’attirer des ennuis si tout ne se passait pas comme prévu. Elle n’avaitvraimentpasbesoind’enajouterunetroisième.
–Tuessûre?–Certaine.Avecunpeudechance,samedi,elleauraitdéjàquelquesréponsesàsesquestions.Auboutdelaligne,elleentenditquelqu’unfrapperàlaportedeSteve.–Attendsuneseconde,dit-il.C’estJessie.
Jessievenaitfrapperàlaportedesachambre?Pourquoifaire?Dellaenavaitunepetiteidée.Lespoingsserrés,elletenditl’oreille.– Je vais l’installer dans la salle numéro 2, annonça une voix féminine dégoulinante
d’adoration.–J’arrive,lançaSteve.–Tuferaispeut-êtrebiendemettreuntee-shirt,d’abord.Sinon,ellerisqued’avoirune
crisecardiaque,lapauvre,minaudaJessie.Dellapoussaungrondement.EllesavaitexactementàquoiSteveressemblaittorsenu.
Encetinstant,sonaversionpourlafilledumédecinmontad’uncranoudeux.Ouquinze.–Remarque,aumoins,ellemourraitheureuse,ajoutacettedernière.Steveéclataderire.–Net’enfaispas,jenecomptaispasyallertorsenu.JessiesavaitdoncfaitrireSteve,elleaussi.Etellesavaitflirtercommepersonne.Cette
pouffe faisait du charme à son…à Steve, qui ne s’en rendaitmêmepas compte. Àmoinsque…
–Della?Désolé,ilfautquej’yaille,onauneurgence,maisilmetarded’êtreàdemainpourtevoir.Ilfautqu’onparle.
–Dequoi?demanda-t-elle.–Denous.–Pourquoi?– Je suisdésolé, il fautvraimentque j’yaille.On sevoitaprès-demain,d’accord?Tu
pourrasm’endireplussurcefilmoùilsfontl’amourautéléphone.Dellapoussaunnouveaugrondement,etSteveéclataderire.Cen’estqu’aprèsavoirraccrochéqu’elleserenditcompted’unechose:elleavaitoublié
de lui dire qu’elle ne restait pas à Shadow Falls ceweek-end. Il ne serait sans doute pascontentmais,aprèstout,cen’étaitquejustice.Elle-mêmen’étaitpasfranchementraviedesavoirqu’iljouaitaudocteuravecJessie.
Qu’est-ce qui valaitmieux ?Demander lapermissiond’abord ?Oudemanderpardonaprès coup ? Ces questions se bousculaient dans l’esprit de Della et égratignaient saconscience.
Jeudimatin,alorsque lescoursavaientdéjàcommencé,elle restaitassisedevant sonordinateur, habillée de noir, fascinée par le visage qu’affichait son écran. Lorraine Bakeravaitde longscheveuxchâtainsbouclés,unsourireresplendissantetdegrandsyeuxvertslumineux.
Degrandsyeuxvertsàprésentprivésdevie.Della n’avait pas réussi à trouver le sommeil après sa conversation avec Steve. Elle
s’étaitdoncrelevéeetavaitsurfésurInternetdansl’espoirdetrouverquelquechosed’assezsoporifiquepourl’endormir.Aulieudeça,elleétaittombéesurunarticledujournallocal
quiparlaitdeLorraine–uneétudiantededix-neufansàl’avenirprometteur,tuéedansuntragiqueaccidentdevoiture.
Sauf queDella connaissait la vérité – et que la vérité était bien pire. Lorraine et sonfiancéavaientétébrutalementassassinésparunvampire.
L’enterrementdelajeunefilleavaitlieucematin-là.Dellanecomprenaitpascequilapoussaitàvouloiryassister,maiselleytenaitabsolument.
Elle imaginait déjà la longue liste d’arguments que lui servirait Burnett pour l’endissuader–etsavaitd’avancequ’elleferaitlasourdeoreille.
Demanderlapermissionoudemanderpardon?Ellejetauncoupd’œilàsontéléphone.Ilétaittempsqu’elleprenneunedécision.
–Est-cequeBurnettest là?demandaDellaenpassant latêteà l’intérieurdubureaude
Holiday.–Non,ilaétéappeléenmissionpourlajournée.–Unemissionpourl’URF?CommeHolidayhochaitlatête,Dellaentradanslapièce.–Est-cequec’estausujetdumeurtredel’autresoir?Ellesentaitdéjàsacolèrebouillonneràl’idéequ’ilsoitpartienquêtersansmêmeluien
parler.–Non,ils’agitd’uneaffaireàDallas.Holiday se leva de son fauteuil, le ventre en premier. Della avait l’impression qu’il
s’arrondissaitàvued’œil.Soudain elle remarquaqueHolidayportait une robenoire alors que,d’habitude, elle
choisissaittoujoursdescouleursvives.–Quelquechosenevapas?demandalaféeenvoyantDellafroncerlessourcils.–Non,non.C’estjusteque…tueshabilléeennoir.–Oui.Jevaisàunenterrement.Moiaussi.–L’enterrementdequi?s’enquitDella.Holidayprituneexpressionsoucieuse.
–Tunedevraispasêtreencours?Dellacompritsur-le-champ.–Tuvasàl’enterrementdeLorraineBaker.C’estça?Holidays’appuyacontresonbureauenhochantlatête.– Ellem’a renduune petite visitemais nem’a pas encore parlé. Jeme suis dit qu’en
allantàsonenterrement,jepourraispeut-êtrel’aider.–L’aideràquoi?Qu’est-cequ’elleveut?–Jenesaispas,maisengénéral, si les fantômessemanifestent,c’estparcequ’ilsont
quelque chose à demander. Cela dit, surtout dans les cas demort violente, il arrive quel’espritaitseulementbesoinqu’onlerassureavantdepouvoirpasserdel’autrecôté.
–Peut-êtrequeLorraineensaitplusquenousausujetdutueur.Peut-êtrequ’elleveutt’aideràcoincercetaré.
–Cen’estpasimpossible,eneffet,admitHoliday.Dellahésitauninstant.–Jeveuxveniravectoi.Holidayramenasescheveuxdevantsonépauleetlesentortillad’ungestepensif.–Jenesuispassûrequecesoitconformeauprotocolequ’unagent…– Jeme contrefiche du protocole. Écoute, pour tout te dire, j’étais prête à y aller en
douce,sansprévenirpersonne,maisj’aichangéd’avisauderniermoment.C’estpourçaquejesuisvenue;jevoulaisessayerdeconvaincreBurnettdemedonnerl’autorisation.Jesuistombée sur l’article du journal qui parlait de l’enterrement de Lorraine et… je tiens à yassister.
–Jesaisqueçaadûêtretraumatisantdevoirlascèneducrime,mais…– Il fautque j’yaille.S’il teplaît,Holiday. Jene saispaspourquoi,mais j’aivraiment
besoind’yallerpourluidirequejesuisdésolée.Nem’enempêchepas,s’ilteplaît.–Désolée?Della…cen’étaitpastafaute,souffladoucementHoliday.–Jesais,mais…c’étaitunvampire,etjevoudraispouvoirarrangerleschoses.Tout en disant cela, Della se rendit compte que c’était impossible. Rien ne pourrait
ramenerLorraineàlavie.Pourtant,elleavaitl’intimeconvictionqu’elledevaitserendreàcetenterrement.
L’airétaittellementchargédechagrinqueDellaavaitdumalàrespirer.Mêmesiellene connaissait pas personnellement la victime, elle était prise à la gorge par un profondsentimentdedeuil.
Des hommes en costume sombre disposaient des bouquets et des couronnes de fleursautour du cercueil. Le parfum capiteux était presque écœurant et, bien que les pétalessoient encore frais et colorés, Della distinguait déjà l’odeur de leur mort imminente. Elletrouvaitcettecoutumetristementironique.
Holidayetelleétaiententréesdans l’églisedixminutesauparavantetavaientpris lesdernièresplacessurlebancdufond.Pourtant, lesgenscontinuaientd’arriver,sibienqu’illeur fallut se serrer les uns contre les autres. Della avait l’impression d’étouffer,mais ellesavait trèsbienquecelavenaitautantde l’atmosphèredumomentquede la fouleautourd’elle.
Desémotionsdetoutessortesfusaientdanssonesprit,tropnombreuses.Pourtantl’uned’elless’imposait,terriblementinconfortable.Enpensantàl’innocentevictimeétenduedanslecercueil,ellesesentaitcoupable…coupabled’êtrevampire.
La rumeurde la foule résonnait sous lavoûtede l’église.De touteévidence,Lorraineétaittrèsaiméedesafamilleetdesesamis.
Dellaécoutaitlesbribesdeconversations.Certainspleuraient,d’autressecontentaientdepousserdediscretssoupirspourtantlourdsdechagrin.D’autresencoreévoquaientleurssouvenirsdeLorraine:«Elleadoraitlaglaceàlamentheavecdescopeauxdechocolat.»« Elle détestait les maths. » « Parfois, quand elle riait vraiment fort, ça faisait un petitgrognementtropmignon.»
C’était un peu comme si, en rappelant ces petites choses insignifiantes en soi, ilsespéraientgarderLorraineenvie.
–Elleestlà?murmuraDellaàl’oreilledeHoliday.Laperspectivequ’unfantômehanteleslieuxauraitdûl’effrayermais,pourunefois,ça
nelagênaitpas.Aucontraire,siHolidayparvenaitàglanerdesindicesausujetdutueur,celaaideraitDellaàcoincercesalaud.Ellenedemandaitpasmieux.
– Non, chuchota Holiday. Par contre, je sens la présence d’un autre esprit. Ça nem’étonneraitpasquecesoitceluiquisuitKylie. Ilpassetropvitepourqueje levoie.C’estunvampire,j’ensuissûre.
Della ferma les yeuxun instant. Elle n’avait aucune envie de croire qu’il s’agissait dufantôme de son oncle ou de sa tante, mais elle devait bien reconnaître que c’était uneexplicationplausible.
–J’espéraisvraimentqueLorrainesemanifesterait,ajoutaHoliday.–Situlavois,demande-luicequ’ellesaitausujetdesontueur.Dellaseredressaetobservalafoulerassembléedansl’église.Sonregards’arrêtasurle
cercueil.Plusieurspersonness’enétaientapprochéesetéchangeaientdescommentaires.–Elleest ravissante,ditunedameàsavoisine.Onnediraitpasqu’elleaétémutilée
dansunhorribleaccident.Ravissante?!Elleestmorte!L’image de Lorraine s’imposa à l’esprit de Della. Bizarrement, elle revoyait en
particulierlesdoigtsdelajeunefemme,dégouttantdesang.Elleréprimaunfrisson.–Çava?demandaHoliday,quiavaitsansdouteperçusesémotions.–Oui,mentit-elle.
Laféeposaunemainsurlasienneet,aussitôt,l’atmosphèreluiparutmoinspesante.Lesbribesdeconversationsrésonnaienttoujoursautourd’elles:«C’esttroptriste!Elle
avaittoutelaviedevantelle.Tusavaisqu’ellevenaitd’adopterunpetitchien?»Della fermalesyeux.Qu’est-cequi l’avaitpousséeàvenir là?Enquoiest-cequecela
aideraitlajeunemorteousonfiancé?Enquoiest-cequecelaferaitavancerl’enquête?Enrien.Dellacompritque,sielleétaitvenue,c’étaitpourapaisersapropreculpabilité.«Cen’estpaspourlesmortsquel’onorganisecescérémonies;c’estpourlesvivants.»
Son père lui avait expliqué cela quand elle l’avait supplié de ne pas l’obliger à aller àl’enterrement de Chan. Elle avait redouté de voir sa tante pleurer, ou le moment où lecercueil renfermant le corpsde son cousin serait enseveli. Peut-être espérait-ellequ’enn’yassistant pas elle pourrait faire comme si Chann’était pasmort. Évidemment, à l’époque,elleignoraitqu’ilétaitbeletbienvivant.
L’unedespersonnesquisetenaientprèsducercueilétouffaunsanglot.– Est-ce que tu vas à l’enterrement de Jake, demain ? demanda une jeune fille à sa
voisine.Les deux amies étaient assises deux rangs devantDella, et leur dialogue formait une
petitemusique,sorted’hommageàcettejeuneviecueillietroptôt.Dellatenditl’oreille.– Probablement, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander si tout ça serait
arrivésiPhillipn’avaitpasdisparu.–ElleaimaitsincèrementJake.–Pasautantqu’elleaimaitPhillip,àmonavis.–Phillipluiabrisélecœurquandill’aquittée.Lorraineavaitdonceudespeinesdecœur,commetoutlemonde.–Aumoins,Jakeetellesontmortsenmêmetemps.Enquoiest-cequec’estmieux?pensaDella.Ellenevoulaitmêmepasimaginerl’atrocité
desesderniersmoments,laterreurqueLorraineavaitdûressentir,tantpoursonfiancéquepourelle.
Soudain les haut-parleurs commencèrent à diffuser de lamusique. Le pasteur prit laparole et évoqua Lorraine, son amour de la vie, son désir d’aider les autres. Dixminutesplus tard, tout le monde se leva pour se diriger vers le cercueil. Della faillit s’éloigner àcontre-courantdelafoule,maiselleserenditcomptequecelapourraitêtremalvu,aussiseravisa-t-elle.
Elle se promit de ne pas regarder, se disant que ce n’était pas nécessaire. Pourtant,arrivéeàhauteurdu cercueil, elleneput s’empêcherde jeterun coupd’œil à cette jeunefemmetropimmobile,vêtued’uneroberose,etdontseulslescheveuxchâtainsn’évoquaientpas lamort.Sesmains–nettoyéesdusangqueDellavoyait toujoursdansses souvenirs–étaientcroiséessursapoitrine,etonnevoyaitplusqu’elleavaitétéégorgée.
Dellas’arrêtajusteassezlongtempspourfaireunepromesse.
Jevaisattraperlesalaudquit’afaitça.Jevaiscoincercemonstre.Alorsqu’elles’apprêtaitàtournerlestalons,uneminusculeplumevintseposersurla
jouedelajeunemorte.Onauraitpresqueditunelarme.Dellafuttentéedelaretirer,maisne put se résoudre à toucher le corps. Elle suivit donc le reste de l’assemblée et sortit del’église.
–Tunel’aspasvuedutout?demanda-t-elleàHolidayunefoisdanslavoiture.–Non,maispeut-êtrequ’ellereviendramevoir.Parfois…Elle fut interrompue par la sonnerie de son téléphone. Voyant qui l’appelait, elle
décrocha.–Toutvabien?Della tendit l’oreille, en vain. Son ouïe la trahissait de nouveau, aussi s’efforça-t-elle
d’étudierlesexpressionsdelafée.Visiblement,lesnouvellesn’étaientpasbonnes.–Onseralàdansdeuxminutes,ditHoliday.Installe-ledanslasallederéunionetdis-
luiquesafilleestàsonbungalowetquetuvaslacherchersur-le-champ.HolidayraccrochaetsetournaversDellad’unairinquiet.–Qu’est-cequ’ilya?Une de ses amies avait-elle des ennuis avec ses parents ? Tout n’était pas toujours
idylliquechezKylieetMiranda.ChezJennynonplus,d’ailleurs.Holidaypinçaleslèvres.–TonpèreestàShadowFalls,Della.D’aprèsHayden,ilesttrèsencolère.Ilditquetu
as pris quelque chose qui lui appartenait le week-end dernier et il veut absolument lerécupérer.
Dellasentitsoncœurseserreretsonestomacsenouer.Holidayluijetaunregardinterrogateur.–Est-cequetusaisdequoiilparle?
Dellasedépêchadepasseraubungalowpourrécupérer leclichédesonpère,qu’elle
rangea soigneusement dans une nouvelle enveloppe avant de retourner au bureau. Ellen’avait pas exactement menti à Holiday, mais s’était contentée de lui dire qu’elle avaitemporté une vieille photo de famille. De toute évidence, la fée aurait aimé obtenirdavantage d’explications,maisDella n’avait rien ajouté. Elle avait passé le reste du trajettournéeverslavitreensilence,assourdieparladouleurquihurlaitdanssoncœur.
Alorsqu’elles’approchaitdelasallederéunion,sesmainssemirentàtrembleràl’idéededevoiraffrontersonpère–ouplutôtladéceptionqu’ellenemanqueraitpasdeliredanssesyeux.Ellesesouvenaitencoreduregardqu’illuiavaitjetéquandill’avaitsurprisedanssonbureau.L’accusationqu’illuiavaitlancéeàlafigurerésonnaitencoreàsesoreilles.
Arrivée devant le bâtiment principal, elle monta les marches du perron, puiss’immobilisauninstant.Qu’allait-ellebienpouvoir luidire?Ellenepouvaitpas luiavouer
queMarlaavaitsurprisuneconversationconcernantsonfrèrejumeau.Ilseraitfurieux,etilétaithorsdequestionqu’ellemettesasœurdanslepétrin.Elleaimaitautantysauterelle-mêmeàpieds joints.Après tout, sesparents la croyaientdedans jusqu’aucoudepuisdéjàdesmois.
Ellesedécidaenfinàpousserlaporte, l’espritencombrédemillequestions.Commentsonpèreavait-ildécouvertquelaphotoavaitdisparu?Regardait-ilsouventsonalbumdefamille ? Soudain Della repensa à la conversation téléphonique qu’elle avait eue avec samère,aucoursdelaquelleelleluiavaitditqu’ellen’avaitjamaischerchéàboirelebrandydesonpèremaisqu’ellevoulaitvoirunephotodeChan.Certes,cen’étaitpastoutàfaitlavérité,maisçan’enétaitpasloin.
Samèreavaitdûlerépéteràsonpère,quiavaitressortil’albumpourvérifierqu’iln’ymanquait rien. Elle l’imaginait sansmal en train de tourner les pages d’un geste rageur,certain que sa fille l’avait volé. Ironie du sort, elle était effectivement coupable du crimedontill’accusait,cettefois.
Elleentradans lasallederéunion, l’estomacnoué.Sonpèreétaitassisauboutde latable, faceà laporte. Il fronça les sourcils en l’apercevant.Elleavaitbeau s’attendreà cegenred’accueil,celafaisaittoujoursaussimal.
Avant,lesyeuxdesonpèresouriaientavecamourenlavoyant.Àprésent,ellen’avaitdroitqu’àdesgrimacessévères.
Où était passé tout son amour ? Était-il déjàmort et oublié ?Ce n’est pas ma faute,papa.J’aicontractéunvirus.Jenel’aipasfaitexprès.
Elleinspiraprofondément,tremblante.Il laconsidéraitavecunmélangedecolèreetdedéception.Àchoisir,ellepréférait la
colère.Ildésignal’envelopped’unindextendu.–J’oseespérerquec’estmaphoto.Elles’approchaetdéposaleclichésurlatable.Elleavaitdumalàparler,tantsagorge
étaitnouée.–Je…jesuistombéedessusparhasard.Enlavoyant,j’aieul’impressionque…tuavais
unfrèrejumeau.J’étaiscurieuse.–Tun’avaispasledroitdefouillerdansmesaffaires.Pourquoi tumedétestes,papa?Elles’efforçaderavaler les larmesqui luipiquaient les
paupières.–Jesuisdésolée,souffla-t-elle.Ellesavaitbienqu’ilétaitinutiledediscuter.– Tu as expliqué à tamère que tu n’avais pas touché àmon alcool, reprit son père.
Pourquoitunem’asriendit,àmoi?–Tuavaisl’airtellementfâché.J’aieupeurquetunemecroiespas.–Qu’est-cequetucherchais,exactement?demanda-t-ilsuruntonagressif.
Sa mère lui avait sans doute raconté leur conversation, aussi répéta-t-elle le mêmemensonge.
–JepensaisàChanetjemesuisditquetuavaispeut-êtreunephotodelui.Sonpèreseleva.–Chanestmort.Laisse-letranquille.Non, justement, pensaDella. Et peut-être que son oncle était encore vivant, lui aussi.
Elle regarda son père s’éloigner. La dernière fois qu’il l’avait serrée dans ses bras, c’étaitjusteaprèssatransformation.
–Papa?Il s’arrêta et lui jeta un bref regard par-dessus son épaule. L’espace d’une seconde –
d’unbattementdecœur–,ellecrutvoirdanssesyeuxdelatristesse,desregretspourtoutcequ’ilsavaientperdu.
–Quoi?fit-il.Elles’avançaverslui,désireusedeseréfugierdanslachaleurprotectricedesesbraset
desavoirqu’ilneladétestaitpas.Mais,avantqu’ellen’arriveàsahauteur, il l’arrêtad’ungeste.Ellecrutquesoncœur
allaitsedéchirer.Ellepritunelongueinspirationetseforçaàdéglutir.Àdéfautd’uncâlin,ellepourrait
peut-êtreobtenirdesréponses.–C’estbientonfrèrejumeau,surlaphoto?Il serra les lèvres d’un air pincé. Elle crut qu’il allait partir sans même daigner
répondre,maisilfinitparlancer:–Jesuisvenurécupérerunbienquim’appartenait,pasrépondreàtesquestions.–Pourquoitunenousasjamaisparlédelui?insista-t-elle.–Àquoibonréveillerdepéniblessouvenirs?Ilyadeschosesqu’ilvautmieuxoublier.Moi,parexemple,pensaDella.Ilseremitenmouvement.–Jet’aimetoujours,lança-t-elle.Ilralentitpendantuneseconde,peut-êtredeux,puiss’éloignasansseretourner.Sans
riendire. Ilne l’aimaitplus.Ellen’étaitdéjàplusqu’unpéniblesouvenirqu’ilvalaitmieuxoublier.
–Della!Tuesprête?lançaKylie.Miranda et elle vinrent rejoindreDella juste après la findes coursdu vendredi.Kylie
avait l’air particulièrement enjouée. Depuis qu’elle sortait avec Lucas, elle souriait tout letemps.
–Mamèreaditqu’elleseraitlàversseizeheures.–Oui,j’aifaitmonsacettout,maisj’aiunedernièrechoseàrégleravantdepartir.
Si seulement elle n’avait eu qu’une seule petite chose à régler ! Della se sentaitécartelée. Elle était revenue de l’enterrement de Lorraine plus décidée que jamais àconvaincre Burnett qu’elle était digne de l’URF. Puis, de l’entretien avec son père, plusdécidéequejamaisàretrouversononcleetsatante.Maispourcela,ilfallaitqu’ellearriveàcontacterChan–et,aupassage,lepersuaderdequittersongang.EtpuisilyavaitSteve.
–Quoi?Qu’est-cequetuasàrégler?demandaMiranda.Lapetitesorcièrenesupportaitpaslesénigmes.Laveilleausoir,quandBurnettavait
convoqué Della dans son bureau, elle avait piqué une crise jusqu’à ce que Della leurexpliquecequ’illuivoulait.Elleleuravaitdoncracontéqu’elleétaitalléeàl’enterrementdeLorraineetqueçan’avaitpaspluaudirecteurducentre.
L’avertissement du vampire résonnait encore à ses oreilles. « Un agent se doit demaintenir une certaine distance émotionnelle lors d’une enquête. » Elle tâcherait de s’ensouvenirunefoisqu’elleauraitrecollélesmorceauxdesoncœurbrisé.
BurnettluiavaitégalementdemandépourquoisonpèreétaitvenuàShadowFalls.Elleluiavaitdonnélamêmeréponsequ’àHoliday:elleavaitprisunevieillephotodeluiavecses frères et sœurs, et il s’en était rendu compte. Contrairement à Miranda, Holiday etBurnett savaient se montrer discrets. Ils se doutaient certainement que c’était pluscompliquéqueçamais,aumoins,ilsrespectaientlavieprivéedeDella.
Miranda allait devoir apprendre ce que cela signifiait, surtout que Della n’avait pasvraimentdesecretspoursesdeuxmeilleuresamies.Elle leuravaitmêmeparlédelavisitedesonpère.
–Qu’est-cequ’ilpeutbienyavoirdeplusimportantquenotrepetitweek-end?repritMiranda.
Non,décidément,cettesacréesorcièrenelâchaitjamaislemorceau.Dellapoussaungrondementsourdetfaillitrétorquerqueçaneregardaitqu’elle,mais
elleseravisa.Mirandaneluiavaitrienfait.C’étaitcettesituationquiluimettaitlesnerfsàvif.Et,de tous lesproblèmesqui lapréoccupaient cesderniers temps, il yenavaitunquiréclamaitsonattentionimmédiate.Steve.
Ilétaitvenuencourscematin-là,commeprévu.SachantqueDellanevoulaitpasquetout le monde les croie en couple, il avait bien pris soin de ne pas se montrer tropaffectueux, mais chaque fois qu’elle avait croisé son regard au cours de la journée, ellel’avait surprisen trainde l’observeravecunsourirecharmeuraux lèvres.Elleauraitpariésonsoutien-gorgepréféréqu’ilpensaità leursbaisers–ouàcequecela feraitd’allerplusloin.
Franchement,quandil ladévoraitdesyeuxainsi,elleavaitdumalàréfléchiràautrechose, elle aussi. À croire que son esprit avait choisi d’oublier le reste de ses soucis en serepassantenbouclelefilmdeleursderniersbaisers–etdescaressesdeSteve.
Ellen’avaitpourtantpasbesoindeça,surtoutenpleincoursdemaths,alorsquetoutlemonderisquaitdesentirsesphéromones.
Celaneluifaisaitpasplaisird’annonceràStevequ’ellepartaitpourleweek-end,maiselle tenait à lemettreau courant.Celan’aurait vraimentpas étépolidemettre les voilessansleprévenir.Dellan’étaitpeut-êtrepastoujourstrèssympa,maiselleessayaitaumoinsdenepasêtrefranchementgrossière.Enfin,laplupartdutemps.
Mirandaseraclalagorge,laramenantàlaréalité–etàsonproblèmedumoment,quiconcernaitunepetitesorcièrebeaucouptropcurieuse.
–Jen’enaipaspourlongtemps,grommela-t-elle.–D’accord,maisqu’est-cequetuvasfaire?répétaMiranda,agacée.Dellafaillits’autoriserunepetiteentorseàlapolitesse.–IlfautquejeparleàSteve!Voilà!Tuescontente?cria-t-elle.–Tuvois,cen’étaitpassidifficile,commentaMirandaavantd’écarquillerlesyeux.Hé,
attends!Dequoituvasluiparler?Delafilledumédecin?Kylietentadelafairetaired’uncoupdecoudedanslescôtes.Dellafronçalessourcils.–Pourquoi?Qu’est-cequevoussavezausujetdelafilledumédecin?–Oh,rien,fitMirandaenprenantunairinnocent.Riendutout.Néanmoins,elleseréfugiaderrièreKylie,commesiellecraignaitqueDellaneluisaute
àlagorge.Ellen’avaitpeut-êtrepastortdeseméfier.–Crachelemorceau!criaDellaensemassantlatempe.Samigrainesemblaitempirer.Kyliepoussaunsoupirdésolé.– C’est vrai… On ne sait rien du tout, dit-elle en forçant Miranda à sortir de sa
cachette. Écoute, elle n’arrêtait pas de regarder Steve, alors on a eu l’impression qu’ellel’aimaitbien,c’esttout.
Sesamiesneluiapprenaientriendenouveau,maiscelafaisaittoutdrôleàDelladesedirequ’ellesaussiavaientremarqué.
–Je…Ilfautquej’yaille.Jeseraideretourpourseizeheures.Surce,ellepartitàlarecherchedeSteve.Ellenesavaitnioùilétaitnicequ’elleallait
pouvoir luidire–àpart l’informerqu’elleneseraitpas làduweek-end.Enrevanche,ellereconnaissaitbienladouleurcuisantequiluivrillait lecœur.Elleluirappelaitcruellementcellequ’elleavaitressentieaprèsledépartdesonpère,laveille.
Della se rendit au bungalow de Steve. Au lieu de frapper à la porte, elle fit le tour et
regardapar la fenêtrede sa chambre.Lecœur serré, elle l’observapendantun instant. Ilétait tranquillement allongé sur son lit. Son tee-shirt était posé sur le coinde sa table denuit. La peau dorée de son torse invitait aux caresses. Lesmuscles de ses bras et de sesépaules rappelaient àDella combien c’était réconfortantde s’appuyer contre lui. Son jeandélavé lui allait parfaitement, pas trop serré,mais assez ajusté pour souligner ses jambespuissantes.
Ellen’avaitqu’uneenvie,ouvrircette fenêtreetallers’étendreàcôtéde lui.Lesentirtout contre elle, de tout son long. Elle aurait voulu oublier ses problèmes et se sentirrevivre…sesentiraimée.
Cequ’elleéprouvaitpourSteven’étaitpasqu’unebêteattirancephysique.Quandelleétait avec lui, elle se sentait normale – sexy, même –, et elle adorait ça. Un sourire auxlèvres,elles’autorisaàapprécierlespectaclependantencorequelquessecondes.
Soudainellerepensaàleurconversationtéléphonique,cellequiavaitétéinterrompueparJessie.Celane luiplaisaitpasdutoutdesedirequ’ellen’étaitpas laseuleàavoirvuStevetorsenu.Lajalousiequiluivrillalecœurnefitqueconfirmersescraintes:elleétaitentraindetomberamoureusedubeaumétamorpheallongésurcelit.Allait-elleréellements’aventurer sur cette pente savonneuse ? N’avait-elle pas encore compris que l’amourfinissaittoujoursparladécevoir?
C’estalorsqueStevel’aperçut.Ilesquissaunsourireterriblementsexy,puisselevad’unbondpourvenirouvrirlafenêtre.
–J’espéraisbienquetupasserais,dit-ilenluifaisantsigned’entrer.Dellahésitaàluidemanderdesortir;ellenevoulaitpasquequelqu’unlavoieentrer
dans sa chambre et que des rumeurs circulent à leur sujet. Cela dit, Derek avait déjà vuStevesortirdesachambreàelle.Certes,iln’étaitpasdugenreàcolporterdesragots,maisd’aprèsJenny,toutlemondeétaitdéjàaucourantqu’ilsetramaitquelquechoseentreeuxdeux.
Quelquechose,maisquoi?criasoncœuraumomentoùelleprit lamainqueSteveluitendait. Le contact de sa paume chaude et douce suffit à faire courir un picotementélectrique tout le long de son corps. C’était presque douloureux, pourtant elle en voulaitdavantage.
Elle retint son souffle. Allait-elle laisser cette histoire se poursuivre ou, au contraire,allait-ellelatuerdansl’œufavantque…avantqu’ilnesoittroptard?
Ilestpeut-êtredéjàtroptard,murmuraunepetitevoixdanssonesprit.Steve l’aida à enjamber la fenêtre, et elle n’eut pas le cœur à lui rappeler qu’elle y
arrivaittrèsbientouteseule.Àpeinesespiedsavaient-ilstouchélesolqu’ill’attiracontreluietl’embrassa.Elle posa les mains sur son torse pour le repousser, mais n’en eut ni l’envie ni le
courage.Aulieudecela,elleselaissafaire,commechaquefois.Àlaréflexion,ellecroyaitbienn’avoir jamais refusé lemoindre de ses baisers. Face à lui, elle était faible.Avait-elletortdenepasdétesterça?
Seslèvresavaientunlégergoûtdementhe–ungoûtdeSteve.Etelleadoraitça.Lentement,ilfitglissersalanguecontrelasienne.Ellesentitsesbrasfortsautourdesa
tailletandisqu’illaserraittendrement.C’étaitl’endroitqu’ellepréféraitaumonde.Elle s’autorisa à s’appuyer contre lui,mais très légèrement, et seulement pendant un
brefinstant.Depuis qu’elle était devenue vampire, elle s’était juré de ne plus jamais dépendre de
personne,quecesoitdesesparents,deLeeoudesesanciensamis.Pourtant,quandStevelatenaitdanssesbras,ellen’étaitplusaussisûredesonchoix.
–Tum’asmanqué,dit-ilens’écartantunpeu.Toiaussi, tum’asmanqué.Elleneput se résoudreàprononcer cesquelquesmots.En
relevantlatête,elleremarquaqu’ilavaitlespupillesdilatées.Ellesentaitsonsoufflechaudsursajoue.
Elledéglutitpéniblementet cherchaunmoyende lui annoncerqu’ellepartait –ainsiqu’uneraisonlégitimedel’interrogerausujetdeJessie.
Il sepenchasurelle commepour l’embrasserdenouveau,maiselleposadeuxdoigtssurseslèvres.
–Steve,je…Ilfautqueje…Ilfautqu’onparle.Ilsourit.– Je sais. Mes parents viennent demain soir, et j’aimerais que tu viennes dîner avec
nous.Ilsvoudraientterencontrer.Hein?! Sesparents voulaient la rencontrer ?Un soudainmalaise lui vrilla les tempes
quandellerepensaàsarelationavecLee.Ellesavaitpertinemmentqu’ellen’avaitpasfaitbonneimpressionàsesparents.
–Pourquoi?–Pourquoiquoi?–Pourquoiest-cequetesparentsveulentmerencontrer?–Parcequejeleuraiparlédetoietqu’ilssontcurieux.Jepensequ’ilsontcomprisque
tucomptaisbeaucouppourmoi.Jecomptebeaucoup?Ellesecoualatête.–Cen’estpasunebonneidée.–Pourquoitudisça?Parceque,sijerencontretesparents,c’estfini,jedeviensofficiellementtapetitecopine.Et
puis,siçasetrouve,jenevaispasleurplaire.–Parcequejenesuispaslàceweek-end.Ellepuisaunmaigreréconfortdanslefaitque,aumoins,elleneluimentaitpas.Ilfronçalessourcils.–Pourtant,onn’estpasobligésderetournercheznous.Pascettesemaine.–Jesais.JevaischezKylie,avecMiranda.C’estpourçaquejesuisvenuetevoir.–Mesparentsn’ontquasiment jamais l’occasiondepasser.Tunepeuxpasallerchez
Kylieuneautrefois?–Non,je…Enfait,jevaisaussienprofiterpourfaireuntouràl’entreprisedepompes
funèbres où se sont tenues les funérailles de mon oncle. Je me suis rendu compte quec’étaient aussi eux qui s’étaient occupés de mon cousin Chan. Peut-être qu’ils pourrontm’apprendrequelquechoseausujetdemononcleetdematante.
Stevepinçaleslèvres,l’airdéçu.–Commentsais-tutoutça?–Grâceàlanécrologie.CellequeDerekaretrouvéeenligne.Tuterappelles?–Oui,mais tu nem’avais pas parlé de cette histoire de pompes funèbres – ni de tes
projets pour leweek-end, grommela-t-il en plissant les paupières. Tu parles d’aller poserdesquestionsdansunendroitquiaidedesvampiresàmettreenscèneleurpropremort…Cen’estpassansdanger,tusais.Est-cequeBurnettestd’accord?
–Ilestd’accordpourquej’aillepasserleweek-endchezKylie,quiestuneprotectrice.Steven’avaitpasbesoindesavoirquec’étaituniquementgrâceàl’influencedeHoliday
qu’elleavaitobtenul’autorisationdeBurnett–ouquelesdeuxdirecteursignoraienttoutdesonpetitprojet.
Stevesemitàarpenterlapièceavantderevenirseplanterdevantelle.–Cettehistoirenemeplaîtpasdutout,Della.–Net’enfaispaspourmoi.Elle voyait bien que son inquiétude était sincère,mais elle savait d’expérience que, si
quelqu’un tenait à elle, elle finissait toujours par en payer le prix. Lee et son père lui enavaientdonnélapreuve.
Elle croisa le regard de Steve. Les mâchoires crispées, il semblait profondémentcontrarié–bienplusqu’ellenel’auraitcru.
–Pourquoitunem’aspasparlédeçaplustôt?–Depuisquandest-cequej’aibesoindetapermissionpour…–Jen’aipasditquetuavaisbesoindemapermission,je…–Jesais,intervint-elle.Écoute,je…Elletentadecalmerletorrentd’émotionsquibouillonnaitsoussoncrâne,maisentrele
meurtre,l’enterrementdeLorraine,lavisitesurprisedesonpèreetlapossibilitéqueChanfassedésormaispartied’ungang,elleavaitlesnerfsàvif.
– Je comptaismentionner tout çaau téléphone, l’autre fois,mais…Jessieadébarquédanstachambreet…
–Quoi?fit-il,étonnéparl’irritationdanslavoixdeDella.–Onétaitentraindediscuter,etellenousainterrompus,expliquaDellaens’efforçant
demuselersacolère.Alorsquetuétaistorsenu.D’ailleurs,ellenes’estpasgênéepourfaireuncommentaireàce
sujet!Aumêmeinstant,DellasedemandasiJessieavaitdevinéqu’ilétaitautéléphoneavecellequandelleavaitfrappéàsaporte.Avait-ellefaitexprèsdeflirteravecluihautetfort,afindesemerlapagailleentreeux?Sic’étaitvrai,alorsc’étaitencorepire.
Steve la dévisageait bizarrement, comme s’il essayait de comprendre le tour qu’avaitpriscetteconversation.
–Unepatientevenaitd’arriverenurgence.Çan’avaitriendepersonnel,expliqua-t-il.–Tuasraison;tun’asrienfaitdemal,soufflaDellaenespérantquec’étaitbienlecas.
Çanefaitrien.Elletournalatêteverslafenêtre,presséedepartiravantdedirequelquechosequ’elle
regretteraitensuite.Quelquechosecomme:«Oublie l’idéedemeprésenterà tesparents.Ça n’arrivera pas. Et puis, de toute façon, je suis sûre qu’ils préféreraient la fille dumédecin.»
–Écoute,j’étaisjustevenueteprévenirquejepassaisleweek-endchezKylie.Samèrevaarriverd’unmomentàl’autre.Ilfautquej’yaille.
–Maisenfin,Della!Qu’est-cequiteprend?TuesfâchéeparcequejetravaillechezleDrWhitman?Ils’agitdemesétudes,demacarrière.C’estimportantpourmoi.
–Demêmequec’estimportantpourmoideretrouvermafamille.Elles’approchadelafenêtre.–Attends,dit-ilenlaretenantparlebras.Ellecomprit,autondesavoix,qu’ils’efforçaitderesterpatient.–Pourquoifaire?râla-t-elle.EllevitunelueurdecolèrepasserdanslesyeuxdeSteve.–Jen’arrivepasàcroirequetunem’aiesrienditplustôt,lança-t-ilsèchement.– Peut-être que si toi, tu m’avais dit plus tôt que tes parents venaient, j’aurais pu
t’avertirquejeneseraispaslà.Saufque,mêmesij’étaisrestéeici,j’auraisrefusé,detoutefaçon.Steve lâcha le bras de Della et croisa les mains sur la nuque. Ses yeux prirent une
doucecouleurambrée.–Ilnes’agitpasseulementdeça.Cettehistoiredetepointerdansunfunérariumpour
poserdesquestionsausujetdetononcle…Etpuis,ilparaîtquetuesalléeàl’enterrementdelafillequiaététuée.Entreçaetlefaitquetuasdemandél’aidedeDerekavantmêmedemeparlerdetononcle…Tunemeracontesrien,Della!Tunemefaispasconfiance?
–Si jenet’aipasracontétoutça,c’estparcequejen’enaipaseul’occasion.Tuétaisoccupé.
–J’avaisraison:tuesfâchéeparcequejetravailleavecleDrWhitman.C’estça?Non.Monproblème,cen’estpasledocteur,c’estsafille.–Toutcequejeveuxdire,c’estquetun’étaispaslà.–Oh,arrête,Della.J’étaisicidimanchetoutelajournéeetlundimatin.Ons’estvusà
lacliniqueetons’estparléautéléphonequasimenttouslessoirs.Ils’interrompitetlevalesyeuxauplafondenpoussantungrondementsourd.–Çarecommence,reprit-ilensondantsonregard.Chaquefoisqu’onserapprocheun
peutrop,tufaismarchearrière.Tuveuxbienm’expliquerpourquoi?La gorge de Della se noua. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais les mots se
dérobèrentàelle.Soudain son téléphone sonna. Elle le sortit de sa poche, soulagéedeneplus avoir à
regarder l’expressiondouloureusedeSteve.C’étaitKyliequi l’appelait. Ilétait seizeheurescinq.Sesamiesl’attendaient.
–Ilfautquej’yaille,murmura-t-elle.–C’estça,vas-y!lançaSteve.Ellepassaunejambeparlafenêtreetjetaunregardenarrière.
–Désolée.Puiselles’envolaavantqu’ilnevoiesesyeuxs’emplirdelarmes.Pourquoi éprouvait-elle le besoin de s’excuser ? Parce qu’elle l’avait repoussé ? Parce
qu’ellen’avaitpasenviedelerepousser?Parcequ’elleallaitpasserleweek-endchezKylie?Parcequ’ellen’avaitpasvoulurencontrersesparents?Parcequ’elleavaitpeurdel’amour?Ilyavaitvraimentquelquechosequinetournaitpasrond,chezelle!
–Çava?luidemandaKylieauboutd’unedemi-heurederoute.–Oui,mentitDella.Elleexpliqueraitpeut-êtrecequis’étaitpasséàsesdeuxamies,maisplustard.Àvrai
dire,ellen’étaitmêmepassûredelecomprendreelle-même.Saseulecertitude,c’étaitqueSteveetelleavaienteuleurpremièredispute.Illeurétaitdéjàarrivédeseprendrelatêtepar lepassé,mais jamaiscommeça.Cette fois,elleavait l’impressionque…que toutétaitpeut-êtrefinientreeux.
–C’estàcausedetonpèreoudeSteve?insistaKylie.–Jetedisqueçava,luiassuraDella.EllesedemandasilacuriositémaladivedeMirandanecommençaitpasàdéteindresur
lecaméléon.Kylienevoyait-ellepasqu’ellen’avaitpasenvied’enparler?Quec’étaittropdouloureux?
L’espèce de boule oppressante qui s’était logée dans sa poitrine lui rappelait, sansgrandesubtilité,pourquoiellen’auraitjamaisdûselaisserentraînerdanscettehistoireavecSteve–etpourquoiilvalaitmieuxymettreunfreintoutdesuite.
C’était sans doute une bonne chose qu’ils se soient fâchés, finalement. Aussitôt, soncœurseserra.Ellenevoulaitpasqueçaseterminedéjà.Pourtant,ellenevoulaitpasnonplus que les choses avancent trop vite. Elle ne voulait pas rencontrer ses parents, ni selaisseralleràcomptersurlui.
Elle serra lespoings, étourdieetendoloriepar lesdoutesqui sebousculaientdans satête.
Ravalantleslarmesquiluipiquaientlenezetlespaupières,ellejetauncoupd’œilversMiranda, assise à l’avant. Cette dernière bavardait gaiement avec la mère de Kylie, luiexposant tout ce qu’elle savait sur les sorcières. Cela ne faisait pas longtemps que MmeGalenétaitaucourantdestalentssurnaturelsdesafille–oudel’existencedessurnaturels,d’ailleurs–et,clairement,ellen’étaitpasencoretoutàfaithabituéeaunouveaumodedeviedeKylie.
–Onnepassepasnotretempsàsebaladersurdesbalais,expliquaitMiranda.C’estdeshistoiresdebonnesfemmes,toutça.Lapremièrerègledessorcières,c’estdenefairedemalàpersonne.Évidemment,ilyenatoujourspourdésobéir,maisdisonsquepourcellesquisefontpincer…ehbien, lerésultatn’estpas joliàvoir.Dans lepiredescas,onrisquedesefairecramerlesfessesparlesangesdelamort.
LamèredeKylie jetauncoupd’œildanslerétroviseur,etDellarencontrasonregardvert. C’était la sixième fois qu’elle surprenait Mme Galen en train de l’observer avec uneexpressionméfiante.Avait-elleditoufaitquelquechosepourméritercela?
Soudain,ellecomprit.–Est-cequetamèresaitquejesuisvampire?murmura-t-elleàl’oreilledeKylie.Ellelutlaréponsesurlevisagedecettedernièreavantmêmequ’elleouvrelabouche.–Ellem’aposélaquestiondebutenblanc,j’étaisobligéedeluidire.J’espèrequeçane
t’ennuiepas.–Génial,marmonnaDella.Elleapeurdemoi,maintenant.–Maisnon,larassuraKylie.Elleabesoind’unpeudetempspoursefaireàl’idée,c’est
tout. Je suis plutôt fière d’elle, je dois dire. Je craignais un peu qu’elle révoque toninvitation.
Aussitôt,Kylieserenditcomptedesagaffeetsemorditlalèvre.–Toutvabiensepasser,jetelepromets,reprit-elleàlahâte.Rappelle-toi,audébut,
moiaussi,j’étaisméfiante.Oui,parcequejesuisunmonstre.Parcequelesgensdemonespècesenourrissentdusang
desautres.–Mamèrefaitdesefforts.Donne-luiunechance,ajoutaKylie.Dellapoussaunlongsoupirchargéd’émotions.–Tuessûrequ’ellenevapasvenirmeplanterunpieudans lecœurpendantque je
dors?Kylieritdoucement.–Certaine.Parcontre,ilsepeutqu’elleprenneunbainàl’ailavantd’allersecoucher.Puis,voyantqueDellanesemblaitpastrouverceladrôle,elledemanda:–Tut’esdisputéeavecSteve?Dellasavaittrèsbienqu’ilétaitinutiledelenier.Ellefinissaittoujourspardirelavérité
àsesamies,detoutefaçon.–Oui.–Ilétaitfâchéquetuviennespasserleweek-endchezmoi?– Ilétait fâchépourpleinderaisons,murmuraDella, lesyeuxrivéssur lesarbresqui
défilaientau-dehors.–Quelgenrederaisons?Dellatournalatêteet,unefoisdeplus,croisaleregardinsistantdeMmeGalen.–Onenparleratoutàl’heure.D’accord?–D’accord,fitKylieenluiprenantgentimentlamain.Elleavaitdûsechangerenfée.Soncontactétaitmerveilleusementapaisant.LadouleurquipesaitsurlapoitrinedeDelladisparut,etellesedétenditunpeu.Mais,
aussitôt, une nouvelle angoisse l’étreignit quand elle pensa à Chan. Avait-il réellement
rejoint les rangs d’un gang ? Était-il en contact avec Chase ? Il fallait absolument qu’elledémêletoutecettehistoire,etvite.
–Ohnon!soufflaKylie.–Qu’est-cequ’ilya?Sansunmot,KylielevaunemainetattrapaquelquechosedanslescheveuxdeDella.
Illuifallutunesecondepourcomprendrecequec’était.Unepetiteplume.Oh,merde!Lefantômeétaitderetour.Elledéglutit,lagorgenouée.–Jerestepersuadéequec’esttoiouHolidayqu’ilchercheàcontacter,chuchota-t-elle.
Ilétaitàl’enterrementdeLorraineavecnous.– Justement, dit Kylie. Chaque fois que je l’ai vu, c’était devant ta chambre, et je ne
pensepasqueHolidayaitsentisaprésencequandtun’étaispasavecelle.Jesuispresquesûrequec’esttononcle,oupeut-êtretatante.
Commepour confirmer sesdires, deuxpetitesplumes voletèrent sous lenezdeDellaavantdeseposersursesgenoux.Sesgenouxàelle,pasceuxdeKylie.
Ellelesbalayad’ungeste.N’avait-ellepasdéjàassezd’ennuiscommeça?
Ce fichu fantôme refusait toujours de se montrer, mais Kylie affirma qu’il était dans la
voitureavecellespendantquasimenttoutletrajet.MmeGalenn’arrêtaitpasdemonterlechauffage tout en se plaignant de cet automne déjà si froid. À environ dix kilomètres dechezKylie,latempératureredevintagréableetlerestajusqu’àcequ’ellesarrivent.
– Est-ce que ça veut dire qu’il ne sait pas où on est ? demandaDella tandis qu’ellessortaientdelavoiture.
–Désolée.Unefoisqu’unfantômes’attacheàquelqu’un,c’estcommes’ilavaitunGPSintégré.S’ilveuttetrouver,iltetrouve.
–C’estunpeucommed’êtresuivieparundétraqué,engros,soupiraDella.–Unpeu,oui,admitKylie.Désolée.–Oh!J’adorevotremaison!s’écriaMirandaensetournantversMmeGalen.Elles’élançadansl’alléeensautillant.Tout en admirant la belle villa à étage, Della semassa doucement la tempe. Elle se
renditcomptequec’étaitdevenuunehabitude,cesderniers temps.Sonmalde tête, légermaispersistant,nelaquittaitjamais.
– Merci, dit Mme Galen. Je l’ai mise en vente mais, jusqu’à présent, je n’ai pas eubeaucoupdechance.JesaisqueKylien’apasenviequejedéménage,ajouta-t-elleenjetantuncoupd’œilàsafille,maismaintenantquejevisseule,jen’aipasbesoindetantd’espace.
– Oh, ça ne me dérange pas que tu déménages, intervint Kylie. C’est juste que… lamaisonvamemanquer,c’esttout.
Dellaessayad’imaginercequ’elleressentiraitsisesparentsvendaient l’endroitoùelleavait grandi. Cela lui ferait certainement de la peine, mais pas autant que de perdrel’amourdeceuxquiyvivaient.Depuislavisitedesonpère,elleavaitvraimentl’impressiond’unimmensegâchis.L’espaced’uneseconde,ellesedemandasicelan’auraitpasétéplusfacile de leur faire croire qu’elle était morte. Mais, aussitôt, elle sentit renaître le minceespoirqu’elleaitunonclevampire–etpeut-êtremêmeunetante.
Elles’engageadansl’alléesouslesoleilrasant.Àl’ouest,lecielavaitprisdescouleursocre et roses tandis que, à l’est, la nuit gagnait du terrain.Une rafale de vent secoua lesbranchesdesarbres,dontquelquesfeuillessedétachèrent.Dellaneputs’empêcherd’yvoiruneressemblanceavecdesplumes.
EllesepenchaversKylie.– En général, il faut combien de temps à un fantôme pour semontrer réellement et
expliquercequ’ilveut?–Çadépenddesfantômes,réponditKylie.Della poussa un soupir. Elle n’était pas franchement patiente, mais peut-être qu’elle
n’aurait pas besoin d’attendre trop longtemps. Avec un peu de chance, leur petiteexpéditionaufunérariumluiapporteraitdesréponsesetferaitlalumièresurcettesituation.Elle leva lesyeuxvers leciel,aussi sombrequesonhumeur.Unpeudeclarténepourraitpasluifairedemal.
Dumoins l’espérait-elle. Si jamais elle attirait des ennuis à Kylie ou àMiranda – ou,pire,s’illeurarrivaitmalheur–,elleneselepardonneraitpas.
Uneheureplustard,Miranda,DellaetKylieétaientinstalléesdanslecanapé,occupéesàchercherunbonfilmsurNetflixaprèss’êtrefaitlivrerunepizza.
Della avait réussi à en avaler une part. Elle essayait de calmer son appréhension ausujetdeleurexpéditiondulendemain,maisenvain.
ElleallachercherunCocadanslacuisinepourchasserlegoûtdupepperoni.Elleavaitbuungrandverredesangaudéjeuneretn’auraitdoncpasbesoindesenourriravantsonretour à Shadow Falls. Elle tenait absolument à éviter que la mère de Kylie assiste à cespectacle–etlaregardeavecdégoût.
CommesiDellal’avaitinvoquéeparcettepensée,MmeGalenentradanslacuisineparl’autreporte.Elles’immobilisaenapercevantDella.
–Oh.Euh…tuasbesoindequelquechose?bredouilla-t-elle.Dellafutpeinéedevoirdelapeurdanssesyeux.Unepinteoudeuxdevotresang,faillit-
elle répondre. Après tout, c’était sûrement le genre de discours auquel Mme Galens’attendaitdelapartd’unevampire.Malgrécela,elles’efforçaderesteraimableetdedirelavérité.
–J’étaisjustevenuemechercherunecannette.–Ellessontenbasdufrigo,danslebac,indiquaMmeGalentoutenrestantplantéesur
leseuil.Della prit un Coca light avant de se retourner vers la mère de Kylie, qui semblait
toujoursterrifiée.–Jenevousveuxaucunmal,voussavez,dit-ellepresquemalgréelle.MmeGalenrougit,gênée.–Jesuisdésolée.Jenesuispastrèsdouéepourcachermesémotions,hein?–Pasvraiment,non,lançaDellaenouvrantsacannette.Aussitôtelleregrettasesparolesunpeuabruptes.–Mais je comprends bien que ce soit difficile à accepter, ajouta-t-elle en écoutant le
pétillement des bulles. J’apprécie beaucoup que vous me fassiez suffisamment confiancepourm’inviterici.
Surce,ellerepritladirectiondusalon.–Tamamanal’airtrèsgentille,ditMmeGalendoucement.Della se retourna. Si la mère de Kylie était prête à faire un effort pour détendre
l’atmosphère,alorselleaussi.–Merci.Etmercid’avoiracceptédeluiparler.MmeGalentripotaitnerveusementl’ourletdesonchemisier.–Ellen’estpasaucourant,hein?Quetuesunevampire,jeveuxdire.Dellatressaillit.–Rassurez-moi,vousneluiavezriendit?–Non!Biensûrquenon!Burnettm’abienfaitcomprendrequejenedevaisparlerde
tout ça à personne sans lui avoir d’abord demandé son accord. Je… j’étais simplementcurieuse.
–Àproposdequoi?demandaDella.–Decommentçasepasse.Tut’esfaitmordreparunautrevampire?–Non. Ça arrive,mais c’est rare. Il y a aussi des vampires qui naissent avec le virus
actif, c’est-à-direque lesdeuxparentsétaientdéjàvampiresaumomentde la conception.Mais leplussouvent, il fautqu’unporteurduvirusentreencontactavecunvampireactifparuneplaieouverte.C’estcequis’estpassédansmoncas.
– Comment peut-on savoir si on est porteur ? s’enquit Mme Galen d’un air craintif,commesielleavaitpeurd’êtreatteinte.
–Onnelepeutpas.Celadit,d’aprèslesstatistiquesdel’URF,levirustouchemoinsdeunpourcentdelapopulation.Vousn’avezpasdesouciàvousfaire.
Mme Galen hocha la tête, l’air un peu gênée de nouveau. Pourtant, c’est avec unsourirechaleureuxqu’elledit:
–Çafaitvraimentdetoiquelqu’undespécial,alors.
–Sionveut,répliquaDella.Ellen’étaitpasentièrementsûredetrouvercelaflatteur.Cestatuthorsducommunlui
avaitcoûtésafamille,savied’avant…Etpourtant…silamèredeKylieétaitcapabled’acceptercetteréalité,pourquoipasles
parentsdeDella?Peut-êtreque,unjour,ellepourraitleuravouerlavérité.MmeGalens’approchad’elleetposaunemainsursonépaule,commepourluiprouver
qu’ellen’avaitpluspeurd’elle.Della remarquaqu’elle tremblait légèrement,maiscegestelatouchaprofondément–siprofondémentquesoncœurseserra.
–KylietienténormémentàtoietàMiranda.Ellem’aracontéquevousl’aviezacceptéesans réserve, dès le début, alors que les autres se méfiaient d’elle. Je vous suis trèsreconnaissante,àtouteslesdeux.
–EtKylieatoujoursétélàquandj’avaisbesoind’elle.MmeGalen fitminedevouloir laprendredanssesbras,aussiDellarecula-t-elled’un
pas.Ellenevoulaitpasvoirl’expressionchoquéedelamèredeKyliequandellesentiraitsatempératureanormalementfroide.
–MercipourleCoca.Etmercid’essayerdem’accepter.–Lefrigoestàtoi.N’hésitepasàteservir.QuandDellarevintdanslesalon,Kylielevalesyeuxverselled’unairsoucieux.–Toutvabien?–Oui.Mevoilàrassurée.Jen’aipluspeurquetamèremeplanteunpieudanslecœur
cettenuit.– Elle aurait toujours pu essayer, je ne l’aurais pas laissée faire. Non mais ! s’écria
Mirandaenriant.– Je t’avaisditque ça sepasseraitbien, renchéritKylie.Mamèrea sespetitsdéfauts,
commetoutlemonde,maiselleestchouette.–Tuasdelachance,soufflaDellaens’asseyantàcôtédeKylie.Mirandasepenchaenavantpourluiadresserunclind’œil.–Tuveuxdireparcequ’ellealesdeuxmeilleuresamiesdumonde?–Maisnon,râlaDellaenlevantlesyeuxauciel.Parcequesamèreestsupercool.Elle repensa au regard que son père lui avait jeté quand elle avait voulu le prendre
danssesbras.Ilnel’accepteraitjamais.Elleseraitbiennaïved’espérerlecontraire.–Oui,c’estvrai,renchéritMiranda.Elleestsuper.– J’ai de la chance de vous avoir, elle et vous, résuma Kylie en souriant. Çame fait
tellementplaisirquevoussoyezici!Maintenant,vousfaitesvraimentpartiedemavie.Ellepritlesmainsdesesdeuxamiesetlesserragentiment.–Çamériteuncâlin!s’écriaMirandaenselevantd’unbond.
Elle vint se planter face àDella etKylie et se penchapour les prendredans ses brastouteslesdeux.Dellapoussaunsoupir,maistoléracegestesansprotester.Pourêtretoutàfait honnête, elle devait admettre que ces effusions lui semblaient de moins en moinsdésagréables. Le lien qui l’unissait à ses amies lui paraissait un peu plus précieux chaquejour. Le cœur serré par une vive émotion, elle repensa au danger qu’elle risquait de leurfairecourirenlesentraînantdanssaquête.
–Voussavezquoi,lesfilles?dit-elleens’écartantdoucement.Jecroisqu’ilvautmieuxquej’ailleaufunérariumtouteseule,demain.Ceseraplus…
–Non,lancèrentKylieetMirandad’unemêmevoix.Kyliefronçalessourcils.– Tu as promis à Holiday que tu ne prendrais pas de risque inutile. Certes, cette
expéditionnemesemblepasdangereuseensoi,maisjetrouveraisimprudentquetuyaillestoute seule.Ça voudrait dire que tun’as pas tenu ta promesse. Imagine qu’il se passe untrucdedingue.Ceneseraitpaslapremièrefois.
C’étaitprécisémentpourçaqueDellaauraitpréférénepasymêlersesamies.– Je me dis que le vieil hommeme donnera plus volontiers des informations à moi,
puisquejesuisvampire.–Jepeuxmetransformerenvampirepourl’occasion,déclaralecaméléon.–Oui,maissiondébarqueàdeux,ilvapeut-êtresesentirmenacé.J’aimeraisautanty
allerseule.–Non,lançaKyliedenouveau,avectoutel’autoritédesonstatutdeprotectrice.Pourtantmêmecedonextraordinairenelarendaitpasinvulnérable.QuantàMiranda,
ellenesavaitpassedéfendre.Etpuis,si jamaisDellasefaisaitpincer,elleauraitaffaireàBurnett,etellerefusaitd’attirercegenred’ennuisàsesamies.
Ellepoussaunsoupiragacé.–Écoutez,j’yaibienréfléchi.Ilyadeuxcasdefigurepossibles.Silevieilhommeal’air
de vouloir répondre àmes questions, tantmieux. Sinon, je lui dirai que je veuxorganisermespropres funéraillesafinde faire croireàma familleque je suismorte.S’il accepte,onauraaumoinslacertitudequec’estbienluiquis’estoccupédufauxenterrementdeChan–et,peut-être,deceluidemononcle.Ceseraitdéjàunindice.
–Ilesthorsdequestionquetuyaillesseule,rétorquaMiranda.–J’aiuneidée!intervintKylieavecunsourire.Tun’asqu’àdonnerl’impressionquetu
es seule. Jeme rendrai invisible, etMirandame tiendra lamain.Comme ça, personnenesauraqu’onestlà.Encasdeproblème,jepourraistedéfendre,etMiranda…(Kylies’efforçade trouver un moyen d’inclure la petite sorcière dans ce plan machiavélique.) Mirandapourraleschangerenkangourous,conclut-elleavecungrandsourire.
–C’est facile, jen’ai qu’à remuer lepetit doigt, commenta cettedernière en levant lamain.
–Çapourraitmarcher,ditDella,songeuse.Pluselleyréfléchissait,plusceplanluiplaisait.Siellesemontraitprudenteetévitait
de s’attirer des ennuis, personne ne saurait jamais que Kylie et Miranda l’avaientaccompagnée.Elleallaitfairedesonmieuxpouréviterlesembrouilles.
–Oualors, jepourrais leurdonnerdegrosboutonspurulents,repritMiranda.Etunebonnegrossedémangeaisonoùvoussavez.Çadevraitlescalmer.
Della éclata de rire presque malgré elle. Elle avait vraiment eu de la chance de lestrouver,cesdeux-là.
–Soisprudente sur la route ! cria lamèredeKyliedepuis lesmarchesduperron tandis
quelestroisamiesmontaientdanslavoiture.Prudenceavanttout, seditDellaens’installantà l’arrière.LeplandeKylieavaitbeau
paraître solide, elle n’avait pas pu s’empêcher d’imaginer toutes sortes de scénarioscatastrophe.
MirandapritplaceàcôtédeKylie.Elleavaitréclaméleprivilègedemonterdevant,laveille, juste avantqu’elles se couchent.Elles s’étaientblottiesdans le grand lit deKylie etavaient longuementdiscutéde lavieetdesgarçons.Kylieavaitessayéde lui tirer lesversdunezausujetdesadisputeavecSteve,maisDellaavaitesquivé lachose.C’étaitencoretropdouloureux,ellenevoulaitpass’aventurersurcecheminseméderonces.
Ellen’avaitpasbiendormi,préoccupéeàlafoisparleursécuritéetparseshistoiresdecœur–sansparlerdecesfichuesplumesd’oie.
Heureusement,ellen’enavaitvuaucunedepuisleurarrivéechezKylie.Elleavaitdoncpassélanuitàréfléchiràleurexpéditionenessayantdeseconvaincrequ’iln’yavaitriendedangereux à aller poser quelques questions à un gentil vieux monsieur dont le métierconsistaitàmaquillerlesmorts.
–Etamusez-vousbien!ajoutaMmeGalenenlesregardantdémarrer.Un vieuxmonsieur quimaquille desmorts. C’est clair qu’on va s’éclater ! Della lui fit au
revoirde lamain.Levieuxétait sansdouteunvampire,cequivoulaitdireque leschoses
pourraient se corser si ses questions lui déplaisaient. Enmême temps, il aidait les jeunesvampsàorganiserleurnouvellevie:ilnedevaitpasêtrebienméchant.
–Appelez-moiunefoisquevousserezenville!s’époumonaMmeGalen.Lesfillesluiavaientditqu’ellesallaientfairedushopping,etKylie,quidétestaitmentir,
avait insisté pour qu’elles mettent les pieds dans au moins une boutique. C’était bien legenredeKyliedes’inquiéterdecegenrededétail.
Tandisqu’elless’engageaientdanslarue,Mirandaentral’adressedufunérariumdansle GPS. La petite sorcière dyslexique dut s’y reprendre à plusieurs reprises. Soit elle setrompaitdansl’orthographedunomdelarue,soitelleinversaitleschiffres.PourtantDellasegardabienderâleroudedemanderàMirandadeluipassercefichuGPS.SonamieétaitaussicomplexéeparsadyslexiequeDellal’étaitparsatempératurecorporelle.
Elle attendit donc patiemment que l’opération soit terminée pour passer en revue lesdétailsdeleurplan.
–Onn’auraqu’à segarer àuneoudeux ruesdu funérariumet finir le trajet àpied.Kylie,tunepeuxpasouvrirlesportesquandtuesinvisible.Jemetrompe?
–Non,tuasraison.–Bon,danscecas,resteztoutprèsdemoi.Jeveuxpouvoirmeconcentrersurlevieil
hommeetlesquestionsquej’aiàluiposer.–Net’inquiètepas,ontesuivradeprès.Quelquesminutesplustard,leGPSleurannonçaqu’ellesétaientarrivéesàdestination.
Kyliepassadevantl’entreprisedepompesfunèbresetallasegarerunpeuplusloin.Lorsqu’elles sortirent de la voiture, Della remarqua que l’air était vif malgré le beau
soleilautomnal.Avait-elleencoredelafièvre?Cerhumecommençaitàs’éterniser…Kylieallaseposterderrièrelavoitureetjetaunregardalentourpours’assurerqu’elle
pouvaitdisparaîtresanscrainte.Della l’imita, par précaution.Une voiture passa à une rue de là, et quelques piétons
marchaientsurletrottoird’enface,maispersonnenesetrouvaitassezprèspourremarquerquoiquecesoit.
–C’estparti?demandaKylieensetournantversDella.Elle hocha la tête, le cœur battant à tout rompre. Dans quelques minutes, elle
obtiendraitpeut-êtredesréponsesausujetdesononcleetdesatante.KyliepritlamaindeMiranda.–Tuesprête?–Ouais,réponditlasorcièreenagitantlepetitdoigt.Jemesuisentraînéeàlancerdes
démangeaisonssauvages.Aumêmeinstant,ellesdisparurent.Dellaprit ladirectiondu funérarium.Burnettavait insistépourqueKylien’abusepas
de son pouvoir d’invisibilité, aussi ne s’en servait-elle pas souvent. Della trouvait cela
étrangedesedirequesesdeuxamiesluiemboîtaient lepasalorsqu’ellenepouvaitni lesvoir, ni les sentir, ni les entendre. Elle leva le nez et inspira profondément. Non,décidément, elle ne percevait pas leur odeur. Enmême temps, ses sens étaient tellementcapricieux, depuis quelques jours… Elle fut tentée de leur dire quelque chose, pour serassurer,maisellesemaîtrisa.
Elle ne cessait de se répéter que tout irait bien. Après tout, elle voulait juste poserquelquesquestions.
Pourtant elle demeurait tendue comme un arc. Un peu plus loin, elle aperçut deuxhommesd’allurepeuavenante traverser la rue.Malgré ladistance, elle sentit leur regards’attarder sur elle. Elle inspira profondément, soulagée de constater que son odoratfonctionnait.
–Cesontjustedeshumains,murmura-t-elleàKylieetMiranda.Arrivéssurletrottoir,lesdeuxhommessedirigèrentverselle.L’und’entreeuxvacillait
légèrement,commes’ilétaitsaoul.Dellasedécalasurlecôtédefaçonàleséviter,toutenjetantunrapidecoupd’œilà leurconfiguration,histoired’êtresûre.C’étaientdevulgaireshumains–littéralement.Ellecrispalesmâchoireslorsqu’ilsladéshabillèrentdesyeuxmaissecontentademarchersurlapelousedubas-côtépourgardersesdistances.
Peineperdue.Lesdeuxaffreuxvinrentsemettreentraversdesonchemin.–Salut,poupée!Çatediraitdetefaireunpeud’argentdepoche?lançal’und’euxen
faisantunepetitedanseobscène.Dellarésistaàlatentationd’attrapercesaletypeparsaqueue-de-chevalcrasseuseet
delefairetournerau-dessusdesatêteavantdel’expédierdel’autrecôtédelarue.Ellesebornaàlecontourneretàpoursuivresaroute.
Tuvois,Burnett?Jesaisparfaitementmecontrôler.Jenecherchepastoujourslabagarre.–Nefaispasattentionàeux,souffla-t-elleàKylie,aucasoùsoninstinctprotecteurse
seraitréveillé.Lesdeuxivrogneslancèrentquelquesremarquesdésobligeantesmaisnefirentpasmine
delasuivre–oudelatoucher.Heureusement,carunepuanteuravinéepersistaitdansleursillage.
Dellapassadevantuneépiceriequivendaitdel’alcooletdevantunprêteursurgagesavant d’arriver au funérarium. Le bâtiment de briques blanches avait l’air bien fatigué, etl’enseigne qui indiquait Rosemount Funeral Home aurait eu besoin d’un bon coup depeinture.En jetantun regardpar-dessus sonépaule,Della se fit la réflexionquec’était lequartiertoutentierquiavaitbesoind’unravalement.
Elle se souvint que son père s’étaitmontré trèsmécontent du choix de sa sœur pourl’enterrementdeChan.Saufquecen’étaitpeut-êtrepasellequiavaitchoisi.Dellaignoraittoutdelamarcheàsuivrepourunvampirequidécidaitdedisparaître.
Avecunpeudechance,elleensauraitdavantagedansquelquesminutesàpeine.EllepoussalaporteetlatintouverteuninstantpourqueKylieetMirandapuissententreràsasuite.
L’odeur qui régnait à l’intérieur lui piqua les narines. Sans doute le formaldéhydeutilisépourlaconservationdescorps.Elleinspiraprudemmentdansl’espoird’identifierlespersonnesprésentes,maislapuanteurétaittropforte.
Etsic’étaitfaitexprès?Ellebalayacetteidéeetinspectaleslieux.L’éclairage tamisé donnait une teinte grise et terne à l’ensemble, le parquet était
franchementusé,etunvasedefleursblanchesfanéestrônaitsurlecomptoir.Dellaseraiditmalgrétousseseffortspournepasselaisserimpressionner.Elleétaità
larecherched’unvieuxvampire,oriln’yavaitpasdevieuxvampireenvue.L’endroitétaitdésert.
Elle pivota lentement et remarqua deux portes derrière le comptoir. Y avait-ilquelqu’undansl’unedecespièces?Descadavres,sûrement,pensa-t-elleavecunfrisson.Elleseremémoralacérémonieenl’honneurdeLorraine.Ellen’avaitpasoubliésapromessederetrouverl’assassindelajeunefemme,mais…
–Puis-jevousaider?lançaunevoixagacéedanssondos.Dellafaillitsursauter.Merde!Pourquoine l’avait-ellepasentenduapprocher?Sonouïe faisaitdes siennes,
unefoisdeplus.Elletentademasquersapaniqueavantdeseretourner.Unesilhouettesedessinaitdansl’encadrementd’unedesportes.Etquellesilhouette!
Legéant–unvampire–n’avaitriend’unvieuxcroulant.Avecsescheveuxnoirsetsapeau mate, il lui faisait un peu penser à Burnett, en un peu plus âgé mais pas moinsmenaçant.
Elleremarquaqu’il inspectaitsaconfiguration.Puisilhaussaunsourcilavecundemi-sourire,commes’ilétaitcontentdelavoir.L’estomacdelajeunefillesenouaunpeuplus.
–Bonjour.Jecherchelepropriétairedeslieux.–Vousl’aveztrouvé.–Oh.Jecroyais…LesiteInternet…–Monbeau-pèreestmortrécemment,déclaralevampiresanslamoindreémotion.–Ah.Euh,danscecas…oui,vouspouvezm’aider.Son cœur battait la chamade. Il était temps de prendre une décision : poser les
questionsquil’intéressaientoufairesemblantdevouloirdisparaître?–Je…Lesfunéraillesdemoncousinonteulieuici.–Ahbon?Cetypenesemblaitpasd’humeurbavarde.–Moncousinn’étaitpasvraimentmort,ajouta-t-elle.
Legéanthochalatête.–Et j’imagine que vous aimeriez suivre son exemple.Cela fait combiende temps que
vousêtesvampire?–J’aienvisagédesimulermapropremort,eneffet.Heureusement,c’était lavérité.Enrevanche,elles’abstintderépondreàsadeuxième
question.–J’aiaussiunoncledontlesfunéraillessesonttenuesici,ilyadeceladesannées.–Levirusdoitêtrepuissantdansvotrefamille,fitremarquerlevampire.–J’espéraislesretrouver.Est-cequevous…gardezunetracedevosanciensclients?–Moi, pas vraiment. En revanche,monbeau-père – paix à son âmede vieil imbécile
philanthrope–étaitdugenreàconserverlesdossiersdetoutlemonde,répondit-ilavecunsourire méprisant. Évidemment, cette entreprise ne lui appartient plus. Les règles ontchangé.
–Est-cequevousaveztoujourssesvieuxdossiers?–Vousavezdelachance,jen’aipasencoreeuletempsdetoutbazarder.Mais,comme
je vous le disais, les choses ont changé depuis que j’ai pris les rênes de la société. Je nepropose pas mes services gratuitement. Je donne aux vampires fraîchement activés unechance de commencer une nouvelle vie. En échange, j’exige d’eux qu’ils me consacrentquelques années – à moi-même ou à l’un de mes clients. On a toujours besoin dedomestiques.
–Dedomestiques?répétaDella.Le terme « esclaves » lui paraissait plus approprié.Ouplutôt, n’était-ce pas ce qu’on
appelaitautrefoisleservage?Levampireladétaillaitaveclamêmeinsistancequelesdeuxivrognesunpeuplustôt.
Celaluidonnaunepetiteidéedugenredeservicesqu’ilattendaitdeses«domestiques».–Siçavousintéresse,nouspourrionsallerdansmonbureaupourdiscuterdestermes
ducontrat,dit-ilenluifaisantsignedelesuivre.–Ilyauncontrat?demanda-t-ellesansbouger.Elledoutaitqu’ilsoitbienprudentd’obéiràcetype,pourtantelleavaitbesoindevoir
cesdossiers.Elleallaitdevoirprendreunedécision,etvite.– Oui, bien sûr. Nous faisons bien attention de ne pas enfreindre les lois. Ça nous
attirerait des ennuis. Vous êtes nouvelle, donc vous l’ignorez sûrement,mais il existe uneorganisationofficiellequis’occuped’homologuerlessurnaturels–unebanded’imbécilesquicroitquenousavonsbesoind’êtresurveillésetrégulés.
Justement,ilsetrouvequej’aidecesimbéciles.–Vraiment?fit-ellepournepasmentir.En revanche, elle se ferait un plaisir de lui attirer des ennuis. Aussitôt qu’elle serait
sortiedelà,elleappelleraitBurnettpourlemettreaucourantdecettepetiteentreprisede
pompessinistres.Elleseferaitproprementenguirlander,certes,maiselleavaitlacertitudequelejeuenvalaitlachandelle.
Elle sentit quelqu’un s’approcher dans son dos et, à en juger par les pas pesants dunouveauvenu,cen’étaitniKylieniMiranda.
–EtsinousfaisionscequedemandeM.Anthony,hein?grondaunevoixgrave.Della sentitunegrossemain seposer sur sonépauleet lapousser sansménagement.
Elle commençait à soupçonner que la signature du fameux contrat était plus ou moinsobligatoire.
Elleavançaavecunelenteurdélibérée,enespérantqueKylieetMirandaluiemboîtentlepas,maislagrossebrutelapoussadenouveau,aussisuivit-elleM.Anthony.
Ill’entraînadansunimmensebureau,quicontenaitplusieursarmoiresmétalliques.– C’est là que se trouve la paperasse de votre beau-père ? demanda Della en les
désignantdumenton.–Précisément,répondit-ilenluiadressantunsourirepar-dessussonépaule.Sivousle
permettez,jevaisvousexpliquercommentçamarche.Illuifitsignedeprendreplacesurunechaisedotéed’accoudoirs.–Etsivousmelaissiezjeteruncoupd’œilaudossierdemoncousinetdemononcle,
histoirequejedécideenconnaissancedecause?Ils’assitsurlecoindubureauenriantdoucement.– Vous êtes têtue. Heureusement, j’ai plusieurs clients qui apprécient que leurs
domestiquesaientducaractère.Ça,pouravoirducaractère…–Asseyez-vous,ordonna-t-il.Elleréfléchituninstant.Avait-ellequelquechoseàgagnerenobéissantàcesaletype?
Cela valait le coupd’essayer.Elleprit doncplace sur la chaise et sentit quelque chosedecollantsoussonbras.Unelongueurdegrosrubanadhésifpendaitdel’accoudoir,commesiquelqu’unyavaitétéattaché.
Elles’efforçademasquerlapeurquiluinouaitleventreavantdeleverlesyeuxverslevampire.
–Etmaintenant?Elle remarqua, derrière lui, plusieurs rouleaux d’adhésif posés sur l’une des étagères.
Visiblement,ilaimaitbienscotcherlesgens.Ilselevaetsortitd’untiroirundocumentqu’illuitendit.–Lecontratesttrèssimple.Ilduredeuxans,etvousvousengagezànetravaillerque
pour le tuteur que je choisis pour vous. C’est lui qui décide de votre titre et de vosobligations,enfonctiondeses…exigences.
Lafaçondontilprononçacederniermotluidonnalachairdepoule.–Etsicequ’ilmedemandedefairenemeplaîtpas?
–Sivouschoisissezdenepasvousacquitterdevosobligations,votretuteurtâcheradevouspersuaderquec’estdansvotreintérêt.
–Enmefrappant,parexemple?Ilarquaunsourcil.–Votretuteuratouteautoritésurvous,unpeucommeunparent.Iln’aaucuneraison
devouspunirsivousluiobéissez.Benvoyons…–Vousêtesnouvelle.Jesuissûrquevousavezdéjàcomprisàquelpointilestdifficile
deseprocurerdusang.Avez-vousdéjàtué?Ilposacettequestionfroidement,commepourlachoquer.Ellechoisitdoncdenepas
répondreetdeluilaissercroirelepire.–Jevois,reprit-il.Vousavezbesoind’aide,mademoiselle…–Tsang.–Vousêtesasiatique?demanda-t-ilenl’examinantd’unairsurpris.–Métisse,répondit-elleenréprimantunegrimace.–J’aibeaucoupdeclientsquiapprécientlesAsiatiques.Cetteremarque,faitesuruntondétaché,faillitluidonnerunhaut-le-cœur.Ellecrispa
lespoingssifortqu’ellesentitsesonglesmordrelapeaudesespaumes.–Pourleurloyauté,évidemment,ajoutaM.Anthony.Ilavaitaumoinsraisonlà-dessus,elleétaitloyale–enversBurnettetl’URF–etellese
feraitunplaisirdecoffrercesalaud.–D’aprèslesstatistiques,sivousrefusezqu’onvousaide,vousrisquezdetueraumoins
dix personnes dans les six prochains mois. Ce n’est pas votre faute, vous ne pouvez pascontrôler votre faim.Évidemment, ce chiffre supposeque vous surviviezpendant sixmois.Voyez-vous, il existe d’autres surnaturels, comme les loups-garous, par exemple. Cesderniersadorentchasserlesnouveauxvampires.
Dellasavaitpertinemmentqu’ilracontaitn’importequoi.Ellesedemandasi,sansl’aidedeChanetdeShadowFalls,elleserait tombéedans lesgriffesdecepervers.Combiendenouveauxvampiresavait-ilréduitsenesclavage?Elleenavaitlevertige.
Ilsortitunstylodesapocheetleluitendit.– Il vous suffit de signer au bas de la page. Ensuite nous pourrons commencer à
cherchercesfameuxdossiersquivousintéressenttantetàorganiservosfunérailles.Voyantqu’elleneréagissaitpas,ilinsista.– Croyez-moi, si vos parents savaient ce que vous êtes devenue, ils vous seraient
reconnaissantsdedisparaîtredeleurvie.Ilspréféreraientsûrementnepasvousvoircommeça.
Elle fitminede lire lecontrat toutencherchantunmoyendesesortirdecemauvaispas.
–Deuxans…C’estlong,quandmême.– Ce n’est rien du tout, voyons ! Cela fait longtemps que je travaille sur ce principe
dansmonautre entreprise. Il arrive très souventque lesdomestiques choisissentde resterauprèsdeleurtuteuraprèslafindeleurcontrat.Unefoisaccoutumésàleursexigences,ilsenviennentàapprécierlefaitd’êtrebiennourrisetensécurité.Ilyapire,commesituation.
Biensûr.JesuiscertainequelesesclavagistesduXIXesiècledisaientlamêmechose.Ellesecoualatête.–Jesuisdésolée,maisj’aimeraisvoirlesdossiersavantdeprendreunedécision.Lagrossebrutequisetenaitderrièreelleposaunemainsursonépaule.–JevousdéconseilledecontrarierM.Anthony.Iln’estpastrèssympathiquequandon
lecontrarie.Surce,ilentrepritdeluibroyerl’épaule,deplusenplusfort.Ladouleurétaitpresque
insupportable.–Est-cebiennécessaire?demandaDellasansdesserrerlesdents.Elleessayadenepasmontrersonsoulagement lorsque labrute larelâcha.Aumême
moment,ellevitM.Anthonyattraperunrouleaud’adhésif.Il avait l’air bien solide,mais est-ceque cela suffirait à immobiliser un vampire ? Elle
n’avaitaucuneenviedefaireletest.Ellelaissatomberlestyloparterre.– Oups ! lança-t-elle en se penchant pour le ramasser. Jem’en occupe, ajouta-t-elle
dansunmurmureàl’attentiondeKylie.–Qu’est-cequevousvenezdedire?demandaM.Anthony.Elleselevad’unbond.Aussitôt labruteluisaisit lepoignetmais,sansunehésitation,
Dellafitvolte-faceetluiplantalestylodansl’avant-bras.Ilhurladedouleur.M.Anthony,armédesonrouleaudeScotch,sautapar-dessuslebureau.Ilcommença
à dérouler l’adhésif, mais Della lui planta son pied dans la figure. Il partit en arrière etheurta lebureau.Dellasourit, fièredesoncoup…jusqu’àcequelaportes’ouvresurtroisautresvampirestoutaussiimposants.
–Çavadevenirintéressant,grommelaDella.Kylieapparutdanstoutesasplendeur.Sesyeux,sescheveuxetmêmesapeauluisaient
sous l’effet du pouvoir qui l’animait. Elle agrippa l’un des trois gorilles et le lança sur lesdeuxautrescommesic’étaitunebouledebowling.
L’und’entreeuxserelevaaussitôt,lesyeuxvertsdefurie,etmontralescrocs.Della s’apprêtait à venir en aide à Kylie lorsque M. Anthony reprit conscience et
l’attaqua.Elleesquivasoncoupdepoingetripostaenluiplantantunpieddanslescôtes.Kylie étaitpartout à la fois.Elle frappait,mordait et griffait les trois autres vampires,
quinecomprenaientpascequileurarrivait.DellarestaconcentréesurM.Anthony.
–Maisvousêtesquoi,enfin?!hurlal’undestroisgorilles.–Votrepirecauchemar!rétorquaKyliesansralentir.–Hé!Regardezceque j’ai trouvé! lança lagrossebrute,quiavait toujourssonstylo
plantédanslebras.DellanevoulaitpassedétournerdeM.Anthonymais,enentendantMirandacouiner
deterreur,elleneputs’enempêcher.Cesalaudtenaitlasorcièreàlagorge.Dellacrutquesoncœurallaitexploserderage.
Sescaniness’allongèrent,etellesentitlerugissementdeKylieautantqu’ellel’entendit.–Sil’uned’entrevousosebouger,jebriselanuquedevotrecopine.Allez-y,faites-moi
plaisir…
Dellacompritàsonairbutéqu’ilnebluffaitpas.Iln’hésiteraitpasàtuerMiranda.
Elle échangea un bref coup d’œil avec Kylie. D’un commun accord, elles levèrent lesdeuxmainscommepourserendre.Lagorgenouéesousl’effetdelapanique,Dellatentaderéfléchiràunesolution.
ElleseretournaversMiranda.Alorsqu’elles’attendaitàvoirdelaterreursurlevisagede la petite sorcière, elle remarqua que cette dernière gardait les yeux baissés, l’airparfaitement calme. En suivant son regard, Della vit qu’elle remuait discrètement le petitdoigtdesamaindroite.
Le tempsqu’elle comprenneceque la sorcièrecomptait faire, les cinqvampires superbaraquésquisetrouvaientdans lapièceétaientdevenusdegroskangourous.L’air trèsencolère,maissurtoutcomplètementéberlués.
Cequiétaitunebonnechose.Celaleurdonnaitl’avantage,àKylieetelle.Lekangourouqui,jusque-là,tenaitMirandaparlagorge,semitàagitersespetitsbras
tropcourts,commepourlarattraper.Dellabonditetluidécochauncoupdepiedenpleinmuseau.L’animalvacillasursesgrossespattesavantdes’écroulercommeunemasse.
Sansperdreune seconde,Della fitvolte-facepouraiderKylie.Ce futavecunepointededéceptionqu’ellevitcettedernièredeboutaumilieudequatrekangourousinconscients.
–Toutlemondevabien?demandaKyliedesavoixgravedeprotectrice.–Oui,réponditDellaavantdesetournerversMiranda.
Cettedernièreavaitlesbrascroisésdansuneposturedéfensive,l’airpaniquée.–Çava,Miranda?Lasorcièrehochalatête.–Jenepensaispasdireçaunjour,maistunousassauvélavie!s’écriaDellaenriant.Miranda redressa la tête, et son expression terrifiée céda peu à peu la place à un
sourireravi.–C’estvrai,ça!Jevousaisauvélavie!Au même moment, le kangourou qui avait un stylo planté dans le bras reprit
connaissanceetbonditsursespattes.Dellas’empressadeluidonneruncoupdepoingenplein sur son vilainmuseau rose. Puis, lorsqu’il retombaà terre, elle désigna les rouleauxd’adhésifsurl’étagère.
–Jepensequ’ilesttempsd’emballercesmessieurs.Ellejetalekangourouquigisaitàsespiedssurlapilequ’avaitforméeKylie.C’étaitun
peuhumiliantquesonamieaitmaîtriséquatrekangourouspendantqu’ellesebattaitavecunseuld’entreeuxmais,aprèstout,Kylieétaituneprotectrice.Dellaavaitquandmêmedequoiêtrefière.
KylieattrapaquatrerouleauxdeScotchetenlançadeuxàDella.Chacuned’ellescollal’extrémité de son ruban à l’un desmarsupiaux, puis elles décrivirent des cercles en sensinverse tout autour d’eux, jusqu’à obtenir une grosse boule d’environ deux mètres dediamètre. Quand elles arrivèrent au bout de leurs rouleaux,Miranda leur en lança deuxautresàchacune.
–C’étaitbienaimableàeuxdenouslaisserleurScotch,vousnetrouvezpas?dit-elleensouriant.
Della jetauncoupd’œilà lachaiseoùelles’étaitassise.Elleneputs’empêcherdesedemandercequ’ilétaitadvenududernierjeunevampirequiétaitentrédanscettepièce.
–Tropaimable,eneffet.Elles utilisèrent l’intégralité des huit rouleaux. Quand elles eurent fini, on ne voyait
plusgrand-chosedeskangourous,àpartunmuseauquidépassait.Quandilscommencèrentàs’agiter,Mirandaadressaunsouriremalicieuxàsesamies.–Ilssontsûremententraind’essayerdesegratterlesfesses.Jeleuraiaussijetéunsort
dedémangeaison.Dellaneputs’empêcherd’éclaterderire.Aussitôtqu’elleeutrecouvrésonsérieux,elle
sortitsontéléphonedesapoche.–Ilfautquej’appelleBurnett.– J’allais dire la même chose, intervint Kylie, mais qu’est-ce que tu vas lui raconter,
exactement?Tucomptesluiparlerdetononcleetdetatante?Dellahésita.–Tuasraison.Jeferaisbiendecommencerparchercherleurdossier.
Elle sedépêchadoncd’ouvrir lesdifférents tiroirs.Dèsqu’elleeut retrouvéChan,ellepassaàlalettreT,pour«Tsang».
Soudainelles’arrêta,undossierintitulé«FengTsang»entrelesdoigts.–C’estmononcle, souffla-t-elle toutencontinuantàparcourir le tiroir.Aucune trace
dematante,parcontre,ajouta-t-elle.Ellesortitledossieretenlutjusteassezpourêtresûrequ’ils’agissaitbiendesononcle.
Iln’étaitpasmort.Ilavaitorganisésespropresfunéraillesunefoisdevenuvampire.Une vague d’émotion inattendue la prit à la gorge. Elle avait un oncle vampire. À
moinsquecenesoitunonclefantôme…– Ça commence à s’agiter, là-dedans, fit remarquer Kylie en désignant la boule de
kangourous.–Jesais.Voicicequejevouspropose.JevaisraconterunepartiedelavéritéàBurnett.
Jevais luidireque j’étaisvenue icidans l’espoird’obtenirdesnouvellesdeChan.Cen’estpasunmensonge,ilneserendracomptederien.
Ellecherchasonnumérodanssonrépertoire.Mais,avantqu’elleaitpul’appeler,unfracasretentitdanslaboutique,suividebruits
depas,commesiplusieurspersonnessedirigeaientverslebureau.–Merde!lançaDella.Elleposalesdossierssurlachaise,parcourued’unpicotementétrangeàl’approchedu
danger.Ellebonditverslaporte,maisKylieyfutavantelle.Elle inspira profondément, prête à se battre. Soudain trois silhouettes entrèrent en
trombe,etDellaeutjusteletempsdereconnaîtrelepremierdesnouveauxvenus.Sapeurs’évanouitfaceaumétamorpheauxbeauxyeuxbruns.EllelutunsoulagementintensesurlevisagedeSteve,aussitôtsuivid’unecolèrenoire.
Ils’immobilisa,imitéparPerryetLucas.Lestroisamisavaientl’airabsolumentfurieux.–Qu’est-cequevousfaiteslà?demandaDella.–C’est quoi, ce truc ? fit Perry endésignant la boulede kangourous qui s’agitait par
terre.–Oh, justeunepoignéedemarsupiaux,réponditMirandaens’approchantdelui.J’ai
sauvéDella etKylie en transformant ces salespervers, expliqua-t-elle enposant lesmainssurletorsedujeunehomme.
– Je t’avais prévenueque çapouvait êtredangereux, grondaSteve sans quitterDelladesyeux.
–Etjet’avaisditqu’onsedébrouillerait,rétorquaDellaenfronçantlessourcils.Onn’arien,toutvabien.
– Et puis, on a attrapé un salaud, renchérit Miranda, l’air ravie. Un vrai salaud, enplus.
–Vousn’auriezpasdûvouslancerdansunehistoirepareilletoutesseules,lançaLucas,lesyeuxencoreorangesouslecoupdelafureur.
Kylieluiposaunemainsurlebras.– On n’avait pas l’intention d’arrêter qui que ce soit en venant ici. On ne pensait
vraimentpasqueceseraitdangereux.Maisçane fait rien.Cequicompte,c’estqu’ons’ensoitsortiesindemnes.
–Ilauraitpuvousarriverquelquechose,rétorquaLucas.Pourquoiest-cequevousnenousavezriendit?Ons’enseraitoccupés.
DellajetaunregardcourroucéàSteve.Qu’est-cequ’illeuravaitraconté,exactement?Ilavaitdûtoutleurdireoupresque,pourqu’ilsdébarquentcommeça.
–C’étaituneidéestupide,repritLucas.Soudain, Della repensa à l’attitude misogyne de Burnett, ce qui ne manqua pas de
réveillersacolère.–Ahbon?Etenquoic’étaitstupide?Pourquoiest-cequ’ondevraitforcémentcrierau
secours et vousdemander votre aideau lieude sedébrouiller commedesgrandes ?C’estparcequ’onestdesfilles,c’estça?Vouscroyezquelefaitd’avoirunpénisentrelesjambesvousrendsupérieurs?
Perryéclataderire.–Cen’estpasunehistoiredepénis,maisdeforcephysique.–Ahouais?Etàtonavis,quiestleplusfortdenousdeux?hurlaDella.Perryritdeplusbelle,commes’ilne laprenaitpasausérieux.Cecrâneurétaitpeut-
être capable de se changer en dragon géant ou de soulever une voiture plus facilementqu’elle,maiselleétaitbienplusrapide.
–Etpuis,laforce,çanefaitpastout,intervintMirandaentoisantsoncopaind’unairsévère.Jenesuispeut-êtrepastrèsforte,etpourtant,c’estmoiquiairégléleproblème.
–Çaauraitpumaltourner,insistaLucasenjetantunregardhostileàDella.Elleleluirenditsansciller.LucassetournaversKylie,commes’ilespéraitqu’elleprennesadéfense.–Vousauriezpuêtreblessées.–C’estvrai,onauraitpu,admitKylied’unevoixcalmeetassurée.Demêmequevous
risquez de vous faire blesser chaque fois que vous partez en mission pour le Conseil desmétamorphes.
– Ces missions n’ont rien à voir avec ça, rétorqua Lucas en désignant la boule dekangourousquigigotaitfurieusement.Onauraitétéplusàmêmed’affrontercettesituation.
Kylierelevalementond’unairdedéfi.–Çanemefaitpasplaisirdetedireça,maisjecroisqueDellaaraison,déclara-t-elle
entoisantlestroisgarçonstouràtour.Vousêtespersuadésque,parcequ’onestdesfilles,onest forcémentdepetiteschoses faibleset fragiles.Ehbienc’est faux.Etpuis,onn’avait
pasl’intentiondesemettreendanger.Onétaitjustevenuespourposerquelquesquestionsàunvieuxvampirequiavaitlaréputationd’aiderlesgensdesonespèce.Onnesavaitpasqu’onallaittombersuruntraficd’esclaves.
–Quoi?!Dutraficd’esclaves?s’écriaPerry.Mirandahochafièrementlatête.– Toujours est-il qu’on s’est très bien débrouillées, reprit Kylie. Je diraismême qu’on
s’enest sortiesavecclasse,ajouta-t-elleendésignant leskangourous scotchés.Si, avecça,vous osez nous dire qu’on n’est pas capables de se défendre, je ne sais pas ce qu’il vousfaut!
– Il ne s’agit pas d’être capable ou non ! gronda Steve.On s’inquiète de ce qui peutvous arriver, c’est tout ! Évidemment, toi, lança-t-il en pointant un doigt accusateur versDella, tu préfères encore te mettre dans des situations impossibles que de risquer qu’ons’attacheàtoi.C’esttapiretrouille!
Surce,ilsortitencoupdevent.Della rougit, gênée que Steve ait osé balancer un truc aussi personnel devant leurs
amis.Lepire,c’estqu’ellenepouvaitpasnier.Entreunebagarreavecunebanded’affreuxetlerisquedesefairebriserlecœur,ellechoisissaitlabagarresanshésiteruneseconde.
Kylierepritlaparolesuruntonautoritaire.–Bon.Onétaitsurlepointd’appelerBurnettpourqu’ilprennelasuitedesopérations.
Il est fort probable qu’il ne soit pas très content, alors vous feriezmieux de vous éclipserdiscrètement.
Lucas poussa un soupir agacé mais, quand Kylie le toisa du regard en désignant laporte,ilsortitsansprotester.Perryjetauncoupd’œilpenaudàMirandaavantdelesuivre.
–Quellebandedemachos!râlaDella,furieuse,lecœurserré.–D’aprèsHoliday,ilsn’ypeuventrien,c’estinscritdansleursgènes,fitremarquerKylie.
Ilscroientqueleurmissionsurterre,c’estdenousprotégerdudanger.Évidemment,çaneveutpasdirequ’onestobligéesd’apprécieroudeselaisserfaire.
–Moi non plus, ça neme plaît pas, intervintMiranda avant demarquer une pause.Non, en fait, ce n’est pas vrai, reprit-elle avec un souriremalicieux. J’adore quand Perrys’inquiètepourmoi.Est-cequeçafaitdemoiunepetitechosefragile?
–Maisnon,larassuraKylie.Moiaussi,j’aimebiensavoirqueLucasestlàpourmoi.Cequejedéteste,c’estquandilsecomportecommesij’étaisincapabledemedébrouillertouteseule.
LesdeuxamiessetournèrentversDella,commesiellesattendaientsonopinion,maiscelle-ci se contenta de hocher la tête. « Tu préfères encore temettre dans des situationsimpossiblesquederisquerqu’ons’attacheàtoi.C’esttapiretrouille!»LesparolesdeSteverésonnaientencoresoussoncrâneetdanssoncœur.Malgréelle,ellenepouvaits’empêcherd’espérer que si Steve s’inquiétait tant pour elle, alors tout n’était peut-être pas perdu.
Soudain une autre vérité inconfortable la heurta de plein fouet. Comme Miranda, elleaimait bien que son copain se montre protecteur mais, contrairement à ses amies, elleconsidéraitbeletbiencelacommeunefaiblesse.Unefaillequ’illuifallaitcombler.
Kyliejetauncoupd’œilauxkangourousenboule,quinecessaientderemuer.–Tuferaisbiend’appelerBurnettavantqu’ilsneselibèrent.–Ilspeuventtoujoursessayer,grommelaDella.Elle commença à chercher dans son répertoire le numéro du directeur mais
s’interrompitbrusquement.–Etsivouspartiez,vousaussi?Jeluidiraiquej’étaisvenuetouteseule.Kyliefitunepetitegrimace.–Tucroisvraimentqu’ilnevapasflairerlemensonge?Le caméléonavait raison.Della auraitpu sedéfendre contredeuxde ces types,mais
pascontrecinq.–Etpuis,commenttuvasluiexpliquerqu’ilssoientchangésenkangourous?renchérit
Miranda.Dellasourit.–Jemedisaisquetuauraispulesrameneràleurétatnormal,maismaintenantquej’y
pense,sil’und’entreeuxdécidederacontercequis’estpassé…Dellasetutuninstantetregardalesperverspoilusquis’agitaientsousleurScotch.–N’empêche.Ilvaêtrefurieux,etçam’embêtedevousmêleràcettehistoire.–Oh,ilnepourrapasêtreplusfurieuxquelafoisoùjel’aichangé,lui,enkangourou,
fitremarquerMiranda.–Etpuis,onaattrapédessalaudssansmêmerécolteruneseuleégratignure,renchérit
Kylie.Ildevraitêtrecontentpournous.
Kylie se trompait. Burnett n’avait pas l’air content du tout lorsqu’il répondit autéléphone.Commeprévu,Della lui expliqua qu’elle était venue chercher des informationsausujetdeChanetqu’elleavaitdécouvert,parhasard,uneorganisationqui réduisait lesnouveauxvampiresen servage.Commeellene faisaitquedissimuler certainsdétails, ilnedétectapasdemensongedanssesparoles.
Il secalma légèrementquandelle luiassuraqu’ellesallaientbien.ToutenrestantenligneavecDella,ilutilisaletéléphonedesonbureaupourappelerdesrenfortsauprèsdelacellule locale de l’URF. Ces derniers seraient sur les lieux cinq minutes plus tard, et lui-mêmepromitd’êtrelàdanslademi-heure.Unedemi-heurepourvenirdeShadowFalls?Ilétaitvraimentsuperrapide…
Aprèsavoirraccroché,Dellasedépêchad’allercacherledossierconcernantsononcledans lavoituredeKylie.Ellevenaitde refermer le coffre lorsqu’un fauconpèlerin seposasurletoit.
–Lesrenfortsdel’URFnedevraientpastarderàarriver.Tuferaisbiendedégagersituneveuxpast’attirerdesennuis.
L’oiseau tourna la tête de gauche à droite, comme pour s’assurer qu’il n’y avaitpersonneenvue,puisdesbullesmagiqueséclatèrentautourdelui.
–Jemefichepasmaldem’attirerdesennuis,lançaSteveavantdesauterdutoitdelavoiture.
Dellasecoualatête.–Peut-être,maisjeneveuxpasenêtrelacause,alorsva-t’en.Ilfermalesyeuxunbrefinstant.– Écoute… je suis désolé, d’accord ? J’ai mal réagi hier, et tout à l’heure dans ce
bureau…C’est justeque…jem’inquiètepourtoi,souffla-t-ilavecunefranchisequiluialladroitaucœur.
–Jevaisbien,regarde.Jen’airiendutout.–Alorspourquoitusaignes?–Jenesaignepas,rétorqua-t-elle.–Si,tusaignesdunez.Steveutilisaundespansdesachemisepourl’essuyerdoucement.Quandilrecula,ellevitunetacherougeetportaunemainàsonvisage.–Pourtantjenemesouviensmêmepasd’avoirreçuuncoup.–Çanem’étonnepas.Tuétais sansdoute tropoccupéeà faireen sortequ’iln’arrive
rien àKylie et àMiranda, souffla-t-il en lui caressant gentiment la joue.Tunem’en veuxplus?
Cegestesisimplel’émutprofondément.–Cen’estpasmoiquiétaisencolère,fit-elleremarquer.–Jesais,etcen’estpas toinonplusquiassérieusementperdu lespédaleshier.Si je
suisvenuaujourd’hui,c’estuniquementparceque…j’avais troppeurqu’il t’arrivequelquechose,etçamefaisaitmaldemedirequej’avaisétévacheavectoi.
Delladéglutit,lagorgenouéeparl’émotion.–Jenepeuxrientepromettre,Steve.–Onverrabien,répliqua-t-ilensouriant.Ilcroyaitpouvoirlafairechangerd’avis,etelleespéraitpresquequ’ilavaitraison.–Tuastrouvédesinfossurtoncousinettononcle?–Oui.Mononcleabienétéchangéenvampire.–Tusaiscommenttuvast’yprendrepourlerechercher?–Non,pasencore,maisaumoins,j’enailapreuve,maintenant.C’étaitunbondébut.Dellan’abandonneraitpastantqu’ellen’auraitpaslesréponsesà
toutessesquestions,etlapremièred’entreellesconcernaitsatante.–Comptesurmoipourt’aider,soufflaSteve.
Il se pencha vers elle et l’embrassa sur la joue – un baiser doux, léger. Elle cilla etfermalesyeux.Elleaurait tantvoulus’appuyercontre lui,sentirsesbrasautourd’elle,saforce…
Pourtant,quandilserecula,cefutavecunairsoucieux.–Ondiraitquetuasencoredelatempérature.Ilfitminedeluitoucherlefront,maisellel’enempêcha.–J’aipeut-êtreunrhumeouuntrucdugenre.Va-t’enavantquejetelerefile.–Unrhume?–Vas-y,insista-t-elle.–Bon,maistum’appellesdèsquetupeux,d’accord?Elle acquiesça, et il reprit sa forme d’oiseau. Puis elle repartit en direction du
funérarium pour ne pas laisser Kylie et Miranda seules trop longtemps avec leurskangourousenboule.
Alors qu’elle s’apprêtait à pousser la porte, deux grosses voitures noires s’arrêtèrentdansuncrissementdepneus.Sixagentsde l’URFen sortirentetencerclèrentDella.Deuxvampires,unloup-garou,unsorcieretdeuxmétamorphes.
Deuxd’entreeux luiagrippèrent lesbraspour l’immobiliser.Génial. Après avoir régléleurcompteauxméchants,voilàqu’ellesefaisaitagresserparlesgentils.
–Lâchez-moi!gronda-t-elle.C’estmoiquiaidonnél’alerte.L’undesmétamorphesseplantadevantelleengrimaçant.Iltenditlebrasetsaisitune
poignéedesescheveuxavantdeluitirerlatêteenarrière.– Tu n’as le droit de l’ouvrir que si on t’adresse la parole, lança-t-il sur un ton
menaçant.Avant de réfléchir à la sagesse de ce geste, Della envoya un coup de genou dans
l’entrejambedecesaletype.
Lesagentsdel’URFsecalmèrentaussitôtqueDellaleureutindiquésonnometrépétaque
c’étaitellequiavaitappeléBurnett.Enfin, ils secalmèrent tous, saufceluiàquielleavaitbroyé l’entrejambe. Dès qu’il fut capable de se tenir droit, il s’approcha d’elle, un poingserré,l’autrerefermésursespartiesendolories.Lalouve-garou–laseulefemmedugroupe–s’interposa.
–Pousse-toi,grondalemétamorphe.LalouvejetaunregardàDellapar-dessussonépaule,commesiellehésitaità laisser
soncollèguepassersesnerfssurlajeunefille,maisellefinitparsecouerlatête.– Elle fait partie des étudiants de Burnett James. La dernière fois qu’un agent s’est
accrochéavecl’und’entreeux,ils’estretrouvéaffectéàunbureaudansuntroupauméduMontana.C’estcequetuveux?
–J’enairienà…–Unproblème?lançaBurnettenatterrissantàcôtéd’eux.–Cettepestem’aagressé!s’écrialemétamorphe.Enquelquesmotsbien choisis,DelladonnaàBurnett sa versionde l’incident.Quand
celui-ci se tournavers legaroupour luidemander confirmation, la jeune femmehocha latête.Lesyeuxduvampiredevinrent rougesde ragede cequecesagentsaientosé traiterDellacommeunesuspectehostile,alorsqu’illesavaitinformésdelasituationendétail.
Malheureusement, il réserva un peu de sa colère pour Della,Miranda et Kylie. Troisminutes plus tard, il leur ordonna de s’asseoir sur le canapé du bureau et promit de lesétrangler si elles remuaient le petit doigt. Il n’en dit pas davantage, ne leur posa pas lamoindre question. Lui et les six autres agents formèrent un cercle autour des kangourousscotchés,l’aircomplètementabasourdis.
–C’est quoi, cet animal ?demanda l’und’entre euxenmontrantdudoigt lemuseauquidépassait.
Lalouve-garousepenchaenavant.–Ondirait…–Unkangourou,ditBurnettenjetantuncoupd’œilàMiranda.Cette dernière lui sourit, ravie, mais se rembrunit en voyant l’expression pincée de
Burnett.–Pourquoiilestsifâché?–C’estunréflexe,chezlui,unpeucommedebattredescils,réponditKylie.Burnetttoisalecaméléond’unairsévère.–Net’enfaispas,ilfinittoujoursparsecalmer,ajoutatranquillementKylie.–J’espèrequetuasraison,murmuraDella.Elleobservait l’équipede l’URFen sedisant que,un jour, ce serait sonmétier.Enfin,
pas forcément de découvrir une boule de kangourous, mais d’enquêter sur des affairessurnaturelles. Appréhender des salauds. Elle était fière d’avoir contribué à coincer M.Anthony et d’avoir mis fin à son entreprise d’esclavage organisé. Burnett y verrait-il unargument en sa faveur pour de prochaines enquêtes ? Ou l’accuserait-il d’avoir fait unegrossebêtiseenvenantlà?ConnaissantBurnett,ceseraitsûrementlasecondeéventualité.
Les agents essayaient de décider s’il valait mieux rendre aux vampires leur formenormaleavantdelesdéscotcher.Dellanequittaitpasdesyeuxlaseulefemmedugroupe.Elle semblait aussi compétente que les hommes, mais encore plus dure qu’eux. Elle neportait pas la moindre trace demaquillage, pas le moindre bijou, et ses cheveux étaientcoupéscourt.Commesielleessayaitdemasquersaféminité.
Fallait-il en passer par là si on voulait travailler pour l’URF ? Se refuser lamoindrecoquetterie et adopter une attitude glaciale ? Est-ce que tous les hommes de l’URFpartageaientl’opiniondeBurnett,obligeantlesfemmesdel’agenceàs’endurciràoutrancepournepaspasserpourdesfaibles?
Burnettetlesorciers’approchèrentducanapé.–Pitié,Miranda,dis-moiquetuescapabledelesrameneràleurétatnormal.Ellehochalatête.–Quelgenredesortas-tuutilisé?demandalesorcier.Magiedusang?Potion?–Euh…magiedupetitdoigt,bredouillaMiranda.J’aidûimproviser.L’agentseretournaversBurnett,l’airmécontent.
– Elle ment. Seule une grande prêtresse serait capable d’effectuer une quintupletransfigurationsanslamoindrepréparation.
–Qu’est-cequivousditquecen’estpasunegrandeprêtresse?lançaDella,furieuse.Elle dut semordre la langue pour ne pas ponctuer sa phrase d’un « connard » bien
mérité.Commentosait-ildouterdestalentsdeMiranda,alorsqu’ilenavait lapreuvesouslesyeux?
–Jenesuispasuneprêtresse,soufflaMiranda,têtebasse,toutenposantunemainsurlebrasdeDella.Parcontremamèreenétaitune,jusqu’àcequ’ellesedésiste.
Burnettlaregardad’unairsévère.–Est-cequetuasmentiausujetdusort?Dellatenditl’oreillepourécouterlerythmecardiaquedeMiranda–plusparcequ’elle
doutaitdesonouïequedesonamie.–Non,réponditlapetitesorcièresansquesoncœurtrahisselemoindremensonge.L’agentbredouilla:–Maiscen’estpas…–Vousl’avezentenduecommemoi,ditBurnettenletoisant.Pourtantlesorciernesemblaitpasconvaincu.–Mais…Unsortcommecelui-làrequiertdespouvoirstoutàfaitextraordinaires.–Raison de plus pour ne pas lamettre en colère en la traitant dementeuse ! lança
Della,furieuse.Elleaparfoisdumalàsecontrôler.Vousn’avezqu’àdemanderàBurnett.Burnett poussa un grondement sourd et fit signe à l’agent de s’éloigner avant de
s’adresseràMiranda.–Commentest-cequetuasréussiuncouppareil?–Jen’ensaisrien,répondit-elleenhaussantlesépaules,sesgrandsyeuxvertsbrillants
delarmes.IlsmenaçaientDellaetKylie,alorsj’aipaniqué.Dellasentitunedrôledechaleurenvahirsapoitrine.Kyliesepenchapourprendrela
maindeMiranda.–Tuasétégéniale.Jesuissuperfièredetoi.–Moiaussi,ajoutaDella.–Çamériteuncâlin,non?ditMirandaenleurtendantlesbras.–Ahnon!Cen’estpaslemoment,râlaBurnett.Tuessûrequetupeuxleurredonner
leuraspectnormal?–Certaine.Enfin,presque.–C’estpasvrai ! soupira-t-ilensepassantunemainsur levisage.Écoute,concentre-
toi,faisdetonmieux.Jedoutequenotreprisonsoitconçuepourdétenirdeskangourous.
Dixminutes plus tard, Burnett et les six autres agentsmenottaient les cinq vampiresafin de les escorter jusqu’au fourgon qui les conduirait en prison. Ils auraient droit à unprocès enbonne etdue forme, évidemment,mais lespreuvesque l’URFavait découvertes
aussi bien dans le bureau que dans le téléphone de M. Anthony étaient franchementaccablantes.
Mirandan’avaiteuaucunmalàannulersonsort,etlestroisamiesavaientassistéàlasuitedesopérations,sagementassisessurleurcanapé.
Le fourgon avait dû arriver, car les agents firent signe aux vampires de sortir dubureau.
Lesorciernecessaitdejeterdescoupsd’œilàMiranda.Dellan’arrivaitpasàsavoirsic’était parce qu’il était impressionné ou parce qu’il avait peur d’elle mais, dans un cascommedansl’autre,l’egodeMirandas’entrouvaitflatté.
–Oups!s’écriaMirandaenriant.–Qu’est-cequ’ilya?demandèrentKylieetDellaenmêmetemps.– Je trouvais qu’ilsmarchaient bizarrement, et je viens deme rendre compte que j’ai
oubliéd’annulermonsortdedémangeaisonintime.–Ahzut!pouffaDella.Lestroisamieséclatèrentderire.Leurhilariténedurapas.Burnettrevintdanslapièceetseplantadevantelles.–Voustrois.Vousmedevezdesexplications.–C’estmafaute,déclaraDella.Jelesaiquasimentforcéesàm’aider.Ellesnevoulaient
pasvenir,audébut.C’étaitunmensongeéhonté,maisellesedevaitd’essayer.–Cen’estpasvrai!intervintKylieenlevantlenezdesontéléphone,oùellesemblait
consultersesmails.–Pasvraidu tout, confirmaMiranda.Si tuveuxpunirquelqu’un, c’estnous trois,ou
personne.Della jetaunregardcourroucéà lapetitesorcière.Pourquoi incitait-elleBurnettà les
punir?–Pourquivousvousprenez?LesDrôlesdedames?– C’est vrai qu’on leur ressemble un peu ! Vous ne trouvez pas ? fit Miranda en
souriant.–Quellesdrôlesdedames?demandaKylie.–DansCharlie’sAngels!C’estunfilmadaptéd’unevieillesérie,expliquaMirandaavant
desetournerversDella.Toi,tuesLucyLiu,moi, jesuisDrewBarrymore,etKylie,c’est lablonde,là…CameronTruc.C’estquoi,sonnomdefamille,déjà?
–Ça suffit ! hurlaBurnett. Est-ce que vous avez lamoindre idéede ce qui aurait puvousarriver?
–Oui, dit Kylie,mais ce n’était pas du tout la situation à laquelle on s’attendait. Cen’estpasnotrefaute.
– À quoi est-ce que vous vous attendiez, exactement, en venant dans un endroitpareil?
–Àrencontrer lemonsieurqu’onvoitsurcettephoto,TomasAyala,réponditKylieenluitendantsontéléphone.Lesitedufunérariumleprésentetoujourscommelepropriétairedeslieux.Onn’avaitaucunmoyendesavoirqu’ilétaitmortetquesonsalauddebeau-filsavaitprislarelève.
Burnettjetauncoupd’œilàl’écrandutéléphone,sanspourautantseradoucir.–Iln’empêchequevousvousêtesrenduessciemmentdansunétablissementtenupar
desvampiresnondéclarés.–Etalors?Qu’est-cequ’ilyademalàça? fitDella.Dansunan,onaura fininotre
scolaritéetondevraquitterShadowFallspourallervivredanslevraimonde–unmondeoù tout le monde n’est pas forcément déclaré ! Qu’est-ce que tu attends de nous,exactement ? Qu’on reste enfermées chez nous pour le restant de nos jours ? C’est toutl’intérêtdeShadowFalls,denousapprendreàsurvivredanslemondeextérieur.Tuasl’aird’oublier que non seulement on a survécumais que, en plus, on a appréhendé une bellebanded’escrocs.
–Tuauraisdûmefairepartdetescraintesausujetdetoncousin,ditBurnett.Dellasecoualatête.–Ladernière foisque j’aimentionné sonnom, tum’asdemandé sonâge. Je sais très
bienpourquoi:s’ilavaitdix-huitansouplus,tuseraisobligédeledénonceràl’URFpourqu’ilfiguresurlalistedesrenégatspotentiels.
Burnettpinçaleslèvres.–S’ilestadulte,alorsildoitsesignalerauxautorités.C’estlaloi.–Onestbiend’accord…dansunmondeidéal.Leproblème,c’estqu’onnevitpasdans
unmondeparfait.– Je suis au courant, figure-toi ! grondaBurnett.C’estprécisémentpour çaque jene
veuxpasquevousvousamusiezàallerfourrervotrenezdansdesaffairesquirisquentdeserévélerdangereuses.
Dellaselevad’unbond.–Écoute,jesaisquetut’inquiètespournousetquetutiensànousprotéger,maislà,tu
dépasses les bornes ! Tu n’es pas aussi dur avec les garçons. Tu nous prends pour desfaiblardes,alorsmêmequ’ont’afournilapreuveducontraire!
Burnettserralesdentssifortqu’ellevitlesmusclesdesamâchoiresecrisper,maisellevit aussi dans son regard une lueur de compréhension. Elle n’avait pas encore vaincu lemachismeduvampire,maisellevenaitderemportercettebataille.BelleperformancefaceàunetêtedemulecommeBurnett.
Ilpoussaunlongsoupir.–Bon.JevaisvousraccompagneràShadowFalls.
–Non,ditDella.Onpasseleweek-endchezKylie.Tunousasdonnétonaccord.Lesyeuxduvampiresemirentàluirelégèrement,maisilneprotestapas.–OK,maispromettez-moid’êtreprudentes.–Promis,juré!s’écriaDellaensouriant.Merci,Burnett.KylieetMirandaselevèrentàleurtour.Ellesavaientatteintlaportedubureau,quandBurnettlesrappela.– Vous avez fait du beau boulot, les filles. Ce type, là, Craig Anthony, cela fait des
années qu’il est dans le collimateur de l’URF,mais on n’avait jamais réussi à faire le lienentreluietsesdiversesopérations.
Les trois amies se retournèrent, surprises. Clairement, il en coûtait à Burnett de leurfaire un aveu pareil, d’admettre que trois jeunes filles avaient résolu une enquête surlaquelledesagentsdel’URFs’arrachaientlescheveuxdepuisdesannées.Pourtant,ilavaiteulecouragedeleleurdire.
–Merci,répétaDella.–Oh,jet’adore!s’écriaMiranda.Elleseprécipitasurluietleserradanssesbras.Burnettseraidit,maislalaissafaire.–Soyezprudentes,insista-t-ilunefoisqueMirandal’eutlâché.Ellesétaientsurlepointdesortirquandillança:–Della?Jepeuxteparleruneseconde?Merde!Ellequis’étaitcruetiréed’affaire…–Biensûr,dit-elleenfaisantsigneàsesamiesd’yaller.–J’aiobtenudesinformationssurlejeunecoupleassassiné.Dèstonretour,jevoudrais
quetupoursuivescertainespistes.Dellahochalatête,unsourireauxlèvres.– Merci. J’apprécie beaucoup. Est-ce que tu veux que je rentre à Shadow Falls dès
maintenant?–Non,çapeutattendredemainsoir.Elle resta plantée là, souriante. En une journée, elle avait non seulement reçu la
preuvequesononcleétaitunvampire,maiségalementregagnélaconfiancedeBurnett.–Tupeuxyaller,dit-il.Ellehochalatêteetsortit,maisseretournaunefoisdanslecouloir.–Encoremerci.QuandDellamontadans lavoiture, elle remarquaqu’il se tenait sur le trottoir et les
surveillaitcommeunpèredefamilleanxieux.Aupremier feu rouge,Miranda, qui s’était assise à l’arrière, sepenchaentre lesdeux
siègesavant.–Vousn’auriezpasd’autressalestypesdanslemêmegenreàcoffrer?Jecroisquej’ai
pris goût à la chasse aux salauds. Vous avez vu la tête du sorcier quand je lui ai dit que
j’avaistransformécescinqvampiresd’uncoup?Iln’enrevenaitpas!J’aiassuré,pasvrai?–Carrément!Tuasétégéniale,lançaDellaensouriantàlapetitesorcière.Elleavaitbienméritédesavourersonheuredegloire.–Tamèreauraitétésuperfièredetoi,renchéritKylie.–Tum’étonnes !ditMiranda, toutsourires.Si seulement j’étaiscapablede faireaussi
bienlorsdescompétitionsdemagie!Tandis que Kylie leur proposait d’aller faire un tour au centre commercial, Della
repensaàl’enquêtedel’URFetàlasecondechancequeBurnettvenaitdeluiaccorder.UnechancederendrejusticeàLorraine.
–Tiens,ditKylieenluitendantunmouchoir,latirantdesarêverie.–Quoi?Pourquoitumedonnesça?–Tusaignesdunez.AvantqueDellaaiteuletempsdes’essuyer,deuxpetitesplumesvinrentsecollersur
salèvresupérieure.Quand elle les retira, elles étaient imbibées de sang. Le résultat était parfaitement
flippant.Unfrissonluiremontal’échine.Au même moment, Kylie freina brusquement. La voiture dérapa un peu avant de
s’immobiliser.–Qu’est-cequ’ilya?demandaDella,surprise.Ellenevoyaitrienquijustifiecetteréaction.–Lefantôme!bredouillaKylie,l’airpaniquée.–Tul’asvu?– Je l’ai écrasé, soufflaKylie en semordant la lèvre. Jedéteste ça,même s’il est déjà
mort.Les trois amies se retournèrent pour regarder derrière elles. La rue était déserte.
Évidemment.Unevoiturebleues’approcha,aussiKylieredémarra-t-elle,mêmesisesmainstremblaientencore.
–Tuaseuletempsdelevoir?demandaDella.–Pasvraiment.Jenesauraispastediresic’étaitunhommeouunefemme.J’aisurtout
remarquésescheveux.–Sescheveux?–Oui.Ilsétaientnoirsetraides,trèsbrillants.–Commedescheveuxd’Asiatique?Kyliehochalatête.–Jesuisdésolée,Della,maisc’estsansdoutetononcleoutatante.Della se tourna vers la vitre, sans pourtant voir les magasins qui filaient au-dehors.
Était-ellestupidederessentirlebesoindefaireledeuildequelqu’unqu’elleneconnaissait
mêmepas?–Commentfaut-ils’yprendrepourfaireparlerlefantôme?–Çanemarchepascommeça.Lesfantômesnecommuniquentques’ilsenontenvie.
Engénéral, onpeut leurparler quandon sent leurprésence,mais le tienne reste jamaisassezlongtemps.
–Engros,jen’aiaucunmoyendesavoirquic’estoucequ’ilveut.–Engros,oui,soufflaKylie.Désolée.
Cesoir-là,DellaseretrouvablottieentreKylieetMirandadanslegrandlitdeKylie.
Après leur aventure au funérarium, elles étaient passées dans un centre commercial,histoiredenepasavoiràmentiràMmeGalen.Cettedernièrelesavaitemmenéesdîneraurestaurant,etDellaavaitcommandédelasoupeàl’oignon,sonplathumainpréféré.Entredeuxbouchées,MmeGalenavaitbombardéMirandaetDelladequestionsausujetdeleursparents.Sesintentionsn’étaientpasmauvaises,maislefaitdeparlerdesesparentsetdesasœurlaissaitàDellaunarrière-goûtamerquigâchaitleplaisirdecerepas.
– Je suis étonnée que tamère n’ait pas appelé pour prendre de tes nouvelles. Elle amonnuméro,pourtant.
Dellan’étaitpassurprise,elle.Aprèsledîner,MmeGalens’étaitretiréedanssachambre.–Désoléepourl’interrogatoire,murmuraKylie.–Touslesparentssontcommeça,renchéritMiranda.–Jesais.Cen’estpasgrave,mentitDella.Elles allèrent se chercher une cannette dans le frigo et s’installèrent sous la couette
pourregarderunfilm.ElleschoisirentCommentse faire larguerendix leçons,untitredontDellaauraitpus’inspirer.Saufqu’ellen’avaitpasexactementenviedese faire larguer.Aucontraire.
Elles éteignirent la lumièrepeuaprès vingt-troisheures,mais aucuned’entre ellesnesemblait capable de trouver le sommeil, ce qui n’était guère étonnant après la journéequ’ellesavaientpassée.
Della regardait fixement le ventilateur au plafond, l’esprit agité parmille questions –ainsiquepar cette fichuemigrainequine laquittaitplus.Commentallait-elle s’yprendrepour retrouver Chan ? Il pourrait peut-être lui apprendre quelque chose au sujet de sononcleetdesatante.Etpuis,elleavaitbesoindesavoirs’ilallaitbien.Elleavaitrappelésonami, KevinMiller,mais il n’avait pas décroché. Elle lui avait laissé unmessage lui disantqu’elleétaitàHoustonetluidemandants’ilensavaitdavantageausujetdugangduSangPourpre.Iln’avaitpasencoredonnédenouvelles.
Della jetauncoupd’œilendirectiondelafenêtre.Etsiellepartaità larechercheduSangPourpre?Ellen’auraitqu’àsuivresonodoratpourdétecterd’autresvampires.Mêmeunindividuisolésauraitlarenseignersurlegang.Saufque,enfaisantcela,elletrahiraitlapromesse qu’elle avait faite à Holiday. C’était une chose d’aller poser des questions à ungentil petit vieux ; c’en était une autre de se lancer sur les traces d’un gangdont elle nesavaitrienoupresque.
Cela valait-il le coup de décevoir Holiday ? De mettre Burnett en rogne alors qu’ilvenaitdelaréintégreràl’enquêtesurlemeurtredeLorraine?Aussitôt,ellerevitl’imagedela jeunefemmeallongéedanssoncercueil, sipâle…simorte.Elle frissonnaetremonta lacouettesoussonmentonpourluttercontrelefroidsoudain,toutens’efforçantdepenseràautrechose.
Malheureusement, ce qui lui vint à l’esprit fut le souvenir de Chan, de la gentillesseavec laquelle il l’avait aidée après sa transformation. Dire qu’elle n’avait même pas étéfichuederépondreàsonmessage…Peut-êtrequecelavalaitlecoupd’encourirlacolèredeHolidayetdeBurnettsicelaluipermettaitderetrouversoncousin.Sauf que, cette fois, elle irait seule. Elle ne voulait pas mêler Kylie et Miranda à cettehistoire.
Ellefermalesyeuxetécoutalerythmecardiaquedesesamies.Ellesnedormaientpasencore.Elleallaitdevoirpatienter.
SoudainMirandaremua,poussaungrossoupiretseredressa.–Lesfilles,jepeuxvousposerunequestion?Dellacillaquandlapetitesorcièreallumalalampedechevet.–Siondisaitnon,est-cequeçat’arrêterait?Kylieluidonnauncoupdecoude.–Jeplaisantais,sedéfenditDella.–Tupeuxnousdemandertoutcequetuveux,ditKylie.Lasorcièrereplialesgenouxsoussonmenton.–C’estcomment?
– De quoi tu parles ? s’enquit Della, même si elle avait bien peur de connaître laréponse.
–Dusexe,soufflaMiranda.C’étaitbiencequ’ellecraignait.–Pitié,pasça!soupira-t-elleenlaissantretombersonavant-brassursesyeux.CelaluivalutunnouveaucoupdecoudedelapartdeKylie.–J’aiuntiroirpleindedépliants,situveux,ditcettedernière.–Non,cen’estpasçaquim’intéresse.Jeveuxquevousmeracontiezcommentc’est.Dellas’assitdanslelit.–C’estfacile.Ilsuffitdesemettreàpoiletd’insérerl’appendiceAdansl’ouvertureB.Kylieritdoucement,maisMirandapoussaunpetitgrognement.–Jesuissérieuse.Jesensquelebonmomentapprocheetj’aimeraisêtreprête.–Qu’est-cequetuveuxsavoir,exactement?demandaKylie.–Est-cequec’estvraiqueçafaitmal,audébut?–Lapremièrefois,oui,réponditKylie.Miranda se tourna vers Della, comme si elle attendait confirmation de sa part. Della
hochalatête.–Est-cequeçavalaitlecoup?–Oui,ditKyliesanshésiter.C’estgénial…àlafoisromantiqueetexcitant.Jemesens
tellementprochedelui,danscesmoments-là!Bon,j’admetsquec’étaitunpeugênant,audébut. D’ailleurs, ça l’est toujours, des fois, ajouta-t-elle avec un sourire malicieux. Je nepeuxpasm’empêcherderougirchaquefoisqu’ilmevoittoutenue,maisenmêmetemps,jetrouveçaparfaitementnaturel.Pourmoi,c’estleplusbeaumoyend’exprimernotreamour,maisc’estaussiparcequej’aiattendud’êtresûrequec’étaitlebon.
«Est-ceque ça valait le coup? »Cettequestion résonnaitdans l’esprit deDella.EllesavaitqueMirandavoudraitentendresonopinion.C’étaitunequestionqu’elles’étaitposéerécemment–etàlaquelleellen’avaitpasencoretrouvéderéponse.
Mirandasetournaverselle.Une émotion soudaine lui serra la poitrine. Elle avait tout donné à Lee, son ex,
pourtantill’avaitabandonnée.Moinsdetroismoisaprèsleurrupture,ilétaitdéjàfiancéàuneautre.Commentpouvait-elleconsidérerquecelaavaitvalulapeined’offrirsoncœuretsoncorpsàuntypepareil?
–Non,çanevalaitpaslecoup,avoua-t-elle.Attention,jenedispasquetunedoispascoucher avec Perry. Je pense juste que, comme Kylie, tu devrais attendre d’être sûre quec’estlebon.
–Justement,jecroisbienquec’estlui,soufflaMiranda.Jel’aime.–J’aimaisLeede toutmoncœur, tusais.Jeneprétendspasqu’ilne fautavoirqu’un
seulpartenaireouqu’ilfautattendrelemariage…Jepensejustequ’ilfautêtrecertaineque
l’hommequetuaschoisinerisquepasdetelaissertomberenunclind’œil.J’ail’impressionqueLeenetenaitpasàmoiautantque je tenaisà lui, et çamemetencoreencolère. Jeme sens trahie.Si jepouvaisrevenir en arrière, je ne referais pas la même erreur, conclut-elle, la voix tremblanted’émotion.
Kylie posaunemain sur son bras, etDella devina, à la douce chaleur de ce contact,quelecaméléons’étaitchangéenféepourlaconsoler.
–Holidaym’a dit un peu lamême chose, un jour, dit Kylie. Ellem’a raconté qu’elleavait eu pas mal de partenaires et que certains de ses souvenirs étaient comme destatouagesdontelleauraitbienaimésedéfaire.Dellaaraison,ilfautquetusoiscertainedenepasavoirde regrets,mêmesiPerryet toi finissezparvous séparer–ceque jenevoussouhaitepas,évidemment.
– Comment est-ce que je peux savoir que je ne vais pas le regretter ? demandaMiranda.
–Je…j’étaissûredemoi,maissituressenslebesoindenousposerlaquestion,çaveutsansdoutedirequetun’espastoutàfaitprête,murmuraKylie.
– Ce n’est pas exactement ce que j’avais envie d’entendre, soupira Miranda en selaissantretombersursonoreiller.
–Désolée.J’auraismieuxfaitdelafermer,marmonnaDella.–Non!Tum’asréponduhonnêtement.J’apprécie.–Ilyadesfoisoùçafaitmald’entendrelavérité.Elle ne pensait pas seulement à Lee en disant cela,mais également à sa famille, ses
parents,sononcleetsatante,soncousindontelleétaitsansnouvelles.–Ouais,fitKylie.Heureusement,lesamies,c’estlàpourça.
Della se redressa en entendant le petit bruit sourd. Elle ne dormait pas encore, trop
occupéeàpeserlepouretlecontred’uneexpéditionàlarecherchedugang.Toutdoucement,elleselevaetattrapasontéléphoneavantd’allers’enfermerdansla
salledebains.Unbrefcoupd’œilàsonécranluiappritqu’ilétaitdeuxheuresdumatin.Elle regarda le numéro en espérant que ce serait Chan ou, à défaut, Kevin Miller.
C’étaitKevin.–Allô?fit-elle,pleined’espoir.–Della?–Oui,c’estmoi.–Kevinàl’appareil.–Jesais.TuasretrouvéChan?–Tuesoù?–ÀHouston.Jetel’aiditdansmonmessage.
Ilétaithorsdequestionqu’elleluidonnel’adressedeKylie.ElledoutaitfortqueMmeGalensupporteplusd’unvampiresoussontoit.
–C’estgrand,Houston.Tuesdansquelcoin?–Pourquoitumedemandesça?–Jesuislà,moiaussi,et…j’aidesnouvelles.–Quellesnouvelles?–Jepréfèret’enparlerdevivevoix.–Pourquoi?–Tuveuxsavoircequej’aiàtedireoupas?gronda-t-il.Etmerde !Elle repensaà sa transformation.Chanavait veillé surelle, luipassantun
gantdetoilettefraissurlefrontenluirépétantqu’ellenepouvaitpasmourir.Elleluidevaitbiença.
–Oùest-cequetuveuxqu’onseretrouve?
Della atterrit dans le parc que Kevin avait mentionné, au nord-ouest de la ville. Cen’était qu’à une quinzaine de kilomètres de chez Kylie, mais elle était un peu en retard.MirandaavaitremuédanssonsommeilquandDellaétaitretournéedanslachambrepours’habiller,aussiavait-elleattenduquelapetitesorcièreserendormecomplètement.
Il faisait très sombre dans le parc, dont les pins dissimulaient le mince croissant delune. Della inspira longuementmais ne détecta pas d’odeur particulière. Elle inspecta lesenvirons tout en se répétant samission : obtenir des informations au sujet de Chan et secarapater envitesse.Avecunpeude chance,Kylie etMirandane sauraient jamaisqu’elles’étaitéclipsée–pasplusqueHolidayetBurnett.
Ellesortitsontéléphonedesapochepourregarderl’heure.Kevinétait-ildéjàreparti?Elletenditl’oreille,maislanuitétaitsilencieuse.Beaucouptropsilencieuse.
–Tuenasmis,dutemps,lançaunevoixquirésonnadansl’obscuritéderrièreelle.Ellesursauta.Sonouïe l’avaitdenouveau trahie.Envenant,elleavaitprévude faire
un tourduparc afinde repérer les lieuxmais, commeelle avait prisdu retard, elle avaitdécidédesefieràsessens.
C’étaituneerreurquiallaitpeut-êtreluicoûtercher.Elleaffectaunairblaséavantdefairevolte-face.Lestalonsdesesbottess’enfoncèrent
danslaterremeublesouslafinecouched’aiguillesdepins.Elleplissalespaupièresmaisnevitqu’unbouquetd’arbresquisemblaientsurveillerleslieuxcommedessentinelles.
Si elle ne redoublait pas de prudence, elle risquait fort de tomber dansunpiège – àmoins qu’il ne soit déjà trop tard. Elle comptaitminimumhuit pins autourd’elle, de quoiabriterunebandederenégatsprêtsàluisauterdessus.
Elle renifla de nouveau et ne perçut qu’une seule signature.Oserait-elle se fier à sessens?
Non.
Ellesetendit,surladéfensive.Soudain le craquement sec d’une brindille retentit dans l’obscurité. La lune sortit de
derrièreunnuageetéclairadoucementlesolcouvertd’aiguillesdepin.Dellaperçutunnouveaubruitdepas,trèsdiscret.Heureusement,levampirequis’avançaverselleétaitseul.Blondauxyeuxclairs,illui
rappelaitunpeuChris,enpluspetit.Ilnedevaitpasfaireplusd’unmètresoixante-quinzeetétaitplutôtfluet.Ellen’auraitaucunmalàlemaîtrisers’illefallait.
Elleremarquaqu’ill’examinait,luiaussi.Ilyavaitdeforteschancespourqu’illasous-estime.Elleétaitplusfortequ’ellen’enavaitl’air.
–Jesupposequetunetesouvienspasdemoi,lança-t-il.Elleinspiralonguementet,cettefois,reconnutsonodeur.–Vaguement.Cedevaitêtrejusteaprèsmatransformation.–Oui, dit-il sans la quitter des yeux. Chan t’avait amenée chezmoi. Tu étais encore
danslesvapes.Ill’examinadenouveaumaisd’unefaçondifférente…masculine.Merde!S’était-ellemalcomportéelapremièrefoisqu’ilss’étaientrencontrés?Ils’approchaunpeu.–Jenesuisplusdanslesvapes,dit-elleenrelevantlementon.–Détends-toi,jenesuispasvenuchercherlesembrouilles.–Ouais,fit-elle,peuconvaincue.TuesvenumedonnerdesnouvellesdeChan.Tusais
oùilest?Ilbaissalesyeuxetdonnauncoupdepieddansunemotte.Undouxparfumdeterre
meubleparvintauxnarinesdeDella.Au loin,unoiseaupoussauncriaiguetsolitairequiparut rebondir contre les troncsd’arbres.Uncourantd’air frais souleva lebasde son tee-shirtàmancheslonguesetlafitfrissonner.
–C’estlaraisonpourlaquellejet’aifaitvenir,dit-il.–Commentça?–Jesavaisquetunemecroiraispas.Moi-même,jen’aipasvouluycroire,audébut.–Croirequoi?demanda-t-elle,l’estomacnouéparunmauvaispressentiment.–Jesavaisquetuauraisbesoindelevoirpour…–Pourquoi?gronda-t-elleenfaisantunpasverslui.Ilne reculapas,necillapas.Aucontraire, il la regardadroitdans lesyeuxavecune
sincéritéempreintedecompassion.–Chanestmort.–Non!soufflaDella.Jel’aivu,l’autresoir.–C’estimpossible.Ilestmortdepuisdixjours.Jet’aiappeléedèsquejel’aisu.–Non!répéta-t-elle.Je…
Unedouleurcuisanteluilacéralecœur.Quelquechoseluieffleuralajoue.Ellelevalamaind’ungestevif,croyantattraperunmoustique.Mais,quandelleouvritlepoing,ellevituneplumeblancheaucreuxdesapaume.
Illuidevintsoudaindifficilederespirer.Chanétaitmort.Ilétaitparti.Elle l’avait laissé tomber. Il luiétaitvenuenaidequandelleavaitbesoinde lui,mais
elle,ellel’avaitabandonné.
–Jesavaisquetunemecroiraispas,alors je leuraidemandéde l’exhumer,ditKevinen
tournant les talons.Enfin,si tuveux levoir,ajouta-t-ilens’arrêtantpour laregarderpar-dessussonépaule.
Non,jeneveuxpaslevoir.Pourtant,elleluiemboîtalepas.Peut-êtrepoursepunir,oupeut-êtreparcequ’elleavaitbesoindeseconvaincre.
EllesuivitKevin jusqu’àuneclairière,unpeuplus loin.Lesrayonsde luneéclairaientune toile cirée qui recouvrait quelque chose – quelque chose qui ressemblait à un corps.C’estalorsqueDellaremarqualafossecreuséejusteàcôté.
Soncœurseserraetsavisionsebrouilla.Kevinsepenchapourretirerlatoilecirée.Dellas’attendaitàrespirerlapuanteurâcredelamort,maisellenesentitriendutout,
pasmêmel’odeurdeChan.Elles’attendaitaussiàvoiruncorpsboursouflésousl’effetdeladécomposition,peut-êtremêmeuneblessurequi lui indiquerait commentChanétaitmort.Ellesetrompait.
Ellecillapourchasserleslarmesquil’aveuglaient.C’étaitbienChanqu’elleavaitsouslesyeux.JusteChan,niboursouflénidécomposé,sanslamoindreégratignure.Chanquinerespiraitplus,levisageetlesvêtementsmaculésdeterrenoire.
Chan…mort.
–Comment…Qui luia faitça?Qu’est-cequis’estpassé?bredouilla-t-elled’unevoixétrangléeparl’émotion.
–Personneneluiarienfait,réponditKevin.IlnesesentaitpasdanssonassiettequandilestpartipourleTexas.Lesmembresdugangm’ontditqu’ilétaittombémalade,puisqu’ilavaitcommencéàavoirdesplaquesbizarressurledos.Etpuis,ilyaunedizainedejours,ilestmort.C’estcomplètementdingue.Lesvampiresnetombentpresquejamaismalades.
–Maiscomment…?Elleneputfinirsaphrase.– Ce sont les autresmembres du Sang Pourpre qui l’ont enterré ici. Ils savaient qu’il
avaitsimulésamortaprèssatransformation,doncilssesontditqu’iln’yavaitpersonneàprévenir.
LagorgedeDellasenoua,etsoncœurseserradeplusbelle.Channesesentaitpasbien quand il l’avait contactée, mais elle n’avait pas pris la peine de répondre à sonmessage.Cousineindigne!
Soudain une image s’invita dans son esprit : Lorraine, immaculée dans son cercueil.Elle tombaàgenouxet commençaàessuyer levisagedeChan, secouéedegros sanglots.Elle se fichait complètementqueKevin lavoiedanscetétatet la croie faible.Elleavait lecœurbrisé.
Quand Burnett arriva, elle avait cessé de pleurer mais se tenait toujours à côté deChan. Elle avait demandé à Kevin de la laisser seule, avant d’appeler Burnett pour luiannoncerqu’elleavaitretrouvésoncousin–mort.EllevoulaitqueChansoitenterrédanslatombe marquée à son nom, là où ses parents croyaient avoir confié leur fils à la terrepresquedeuxansauparavant.
Burnett piquerait sans doute une colère et lui interdirait peut-être de travailler pourl’URFà tout jamais,mais ellen’arrivaitpasà s’en inquiéter.Elle avait laissé tomberChanalors qu’il avait besoin d’elle. Elle lui devait bien de s’assurer que son corps repose où ill’avaitvoulu.
Burnettseposaàcôtéd’elleensilence,s’agenouillaetposaunemainsursonépaule.–Qu’est-cequis’estpassé?demanda-t-ild’unevoixcalme.Ilnesemblaitpasencolère.Justeinquiet.IlfallutàDellaquelquessecondespourravalerseslarmesetoserparler.–Ilétaitvenuvivreici.Ilavaitrejointungang,leSangPourpre.Sesamisontditqu’il
étaittombémaladeetqu’ilétaitmort.Commeça…Ellesetutuninstant,tremblante.–D’aprèseux,çafaitdéjàdixjours,maiscen’estpaspossible.Iln’apasl’air…Onne
diraitpasqu’ilestmortdepuisdixjours.Et puis, elle l’avait aperçu à Shadow Falls, de l’autre côté du grillage. Se pouvait-il
que…?
–Cen’estpasimpossible,Della.LevirusV-1ralentitladécompositionducorps.Ilpeutsepasserdeuxsemainesentièresavantqu’onenvoielespremierssymptômes.Quoiqu’ilensoit, jevaisdemanderuneautopsie.Si la causede samortest suspecte, je ferai toutmonpossiblepourcoincerleresponsable.Fais-moiconfiance.
Dellafonditenlarmes.–Ilavaitessayédemejoindre!Ilm’alaisséunmessageilyaenvirondeuxsemaines,
maisjenel’aipasrappelé.– Tu n’avais aucun moyen de savoir ce qui allait se passer, dit Burnett avant de se
relever.Viens,jeteramèneàShadowFalls.Holidaysefaitdusoucipourtoi.Elleseremitdebout,maishésita.–Non,je…KylieetMirandanesaventpasoùjesuis.– Je vais les appeler pour les mettre au courant, ne t’en fais pas. L’équipe qui va
s’occuperdetoncousinnevapastarderàarriver.Ilfautquetoutsoitrégléavantl’aube.DellasetournaversChan,conscientequ’elleleregardaitpourladernièrefoisetqu’elle
neverraitplusjamaissonsourireencoin,gentimentmoqueuretmalicieux.Pourtant, quand elle emboîta le pas à Burnett, elle s’aperçut qu’elle avait tort. Posté
derrièreunarbre,Chanlaregardait.Iln’étaitpasseul.Quelqu’unsetenaitàcôtédelui,àmoitiédissimulé.Chanluifitunsignedelamain,unsouriretristeauxlèvres.Dellaralentit.
Désolée,Chan.Jesuisvraimentdésolée…–Çava?luidemandaBurnett.–Oui,j’aicru…Quandelleseretourna,Chanavaitdisparu.–Qu’est-cequetuascru?J’aicruvoirunfantôme.–Rien.Jesuisfatiguée,c’esttout.Sauf qu’elle n’était pas fatiguée du tout. Elle voyait des fantômes. Comment était-ce
possible?
Àdixheures le lendemainmatin,Dellaétaitderetourdanssonbungalow,assiseà latablede lacuisine.Ellen’avaitpas fermé l’œilde lanuitetavait l’impressiondemouriràpetit feu. Le simple fait de respirer lui était douloureux. Elle avait téléphoné à Kylie et àMiranda un peu plus tôt et leur avait promis de tout leur expliquer à leur retour. MmeGalenlesraccompagneraitaprèsledéjeuner,cequilaissaitàDellaquelquesheurespourseprépareràracontercequ’elleavaitvu.
Elle avait également eu le tempsd’apprendre queSteve était retourné au cabinet duvétérinaire laveille, cequiexpliquaitpourquoiellene l’avait trouvénullepart.C’est Jessiequidoitêtrecontente…
Holiday avait passé plusieurs heures avec elle, à lui prendre la main pour laréconforter,maissoncontactn’étaitpasaussiapaisantqued’habitude.Elleavaitelle-même
reconnuqueladouleurdudeuilrésistaitauxdonsdesfées.Dellan’étaitpascertainedelasourcedesadouleur.Était-celedeuiloulaculpabilité?Holidayavaitdûlesentircarellerépétaplusieursfoisàlajeunefillequecen’étaitpas
safautesiChanétaitmort.Sauf queDella n’était pas convaincue. Steve et leDrWhitman auraient peut-être pu
fairequelquechosepoursauverChan.Oualors,elleauraitpudemanderàKylied’exercersestalentsdeguérisseuse.Mais,pourcela,ilauraitfalluqu’ellelerappelle.
Si seulement !Pourquoi est-cequ’ellene lui avaitpas téléphonéaussitôtqu’elleavaitreçusonmessage?
Elle faillit confier à Holiday qu’elle avait aperçu Chan près de la clôture de ShadowFalls, puis cette nuit-là, à Houston, mais au dernier moment elle se ravisa. Elle allaitd’abordconsulterKylie.Lefaitqu’ellesoitdésormaiscapabledevoirdesfantômesauraitdûlafairemourirdetrouille,maiselleétaittropoccupéeàsenoyerdanssonchagrin.
Jenny passa la voir après le départ de Holiday. Elle voulut entrer, offrir sescondoléancesàDella,maiscettedernièrerefusa.
–J’aibesoind’êtreunpeuseule.Lecaméléonhochalatête,l’airpeiné,ettournalestalons.AussitôtDellas’envoulutdel’avoircongédiéecommeça.–Jenny!Lajeunefillefitvolte-face,commesielleespéraitqueDellaaitchangéd’avis.Cen’était
paslecas,maisellepouvaitaumoinssemontrerpolie.–Mercipourtacompréhension.JennysouritetremontalesmarchesduperronencourantpourvenirserrerDelladans
sesbras.–Jesaisbienque jenesuispasaussicoolqueKylie,mais jeteconsidèrecommemon
amie.Jen’imaginemêmepascequetutraversesencemoment,maisjeveuxquetusachesque jesuis làsi tuasbesoindemoi.J’aimeraispouvoirmechangerenféepoureffacerunpeudetapeine,maisc’estquelquechosequejenemaîtrisepasencore.
–Merci.C’estgentil,maisjevaisbien.Della n’eut même pas besoin de se forcer. Elle appréciait beaucoup Jenny. La vue
brouilléeparleslarmes,elleregardalajeunefilles’éloigner.Puis,enfinseule,elleretournas’asseoiràlatabledelacuisine.Elles’étaitrepassélemessagedeChanunebonnedizainedefois,etchaqueécouteluifaisaitunpeuplusmalquelaprécédente.
Lesyeuxrivés sur son téléphone,ellehésitaitàappelerSteve.Elle luienavait fait lapromesse,laveille,maiselleavaitpeurdefondreenlarmesdèsqu’elleentendraitlesondesavoix.Elleavaitassezpleurécommeça.
Elleauraitvoulupouvoirs’ouvrirlapoitrinepourenarracherladouleurquil’étouffait.Elleaurait voulu remonter le fildu tempset réparer toutes ses erreurs.AppelerChan,ne
pas coucher avec Lee, faire en sorte que son père l’aime assez pour ne pas l’abandonnercommeça.
Elle entendit des bruits de pas s’approcher du bungalow. Steve était-il revenu aprèsavoirapprislanouvelle?Elleauraittellementvoululevoir!
Ellehumal’air.Cen’étaitpasSteve.L’odeurdeChaseluichatouillalesnarines,toujoursétrangementfamilière.Ellen’avait
vraiment pas envie d’avoir affaire à lui. Soudain elle se rappela sa théorie selon laquelleChaseétait sortienpleinenuitpouraller s’entreteniravecChan.Elle s’était trompée,unefoisdeplus.
Levampirefrappaàlaporte.Qu’est-cequ’ilvenaitfairelà?–Va-t’en!cria-t-elle,têtebasse,lesyeuxrivéssursesmainscroisées.Elleentendaitlegazs’échapperdelacannettedeCocalightqu’elleavaitouverte,puis
oubliédeboire.Lesonsemblaitfaireéchoauxémotionsquis’échappaientdesoncœur.Elle entendit la porte du bungalow s’ouvrir et le vampire brun faire quelques pas à
l’intérieur.–J’aidit…–Jesais,jenesuispassourd.Alors, seulement, elle redressa la tête. Il se tenait devant elle, les bras croisés, sur la
défensive.Etpourtant,tuesentrémalgrémonavertissement.C’étaitcequil’exaspéraitlepluschez
cemec.–Dégage!gronda-t-elle.Ellen’avaitvraimentpaslatêteàaffrontercepervers.–Jesuisaucourant,pourtoncousin.Jevoulaisjustetedireque…jesuisdésolé.LecœurdeDellaseserra.–Çayest,tul’asdit.Maintenant,dégage.Aucontraire,ils’avançaencore.– Ce n’est pas bon pour toi de rester plantée là, à ruminer. Tu as besoin de sortir,
d’allercourir,detedépenser.Çaaideà…Enfin,çaaide.–Commentoses-tumediredequoij’aibesoin?hurla-t-elle.C’était presque agréable de pouvoir diriger sa rage contre une autre cible que soi-
même.–Crois-moi,jesais,souffla-t-ilavantdemarquerunepause.Jesaiscequetu…–Cequejequoi?Net’avisesurtoutpasdemedirequetusaiscequejeressens!Tu
n’enaspaslamoindreidée.Tunemeconnaispas.Tun’esqu’un…Un vampire taré et menteur, que j’ai déjà rencontré quelque part même si je ne m’en
souvienspas.–Dégage!hurla-t-elleenmontrantlesdents.
Ilnebougeapasd’unpouce.Allait-elledevoirlejeteràlaportemanumilitari?–Écoute, j’ai perdu toutema famille d’un coup.Monpère,mamère etma sœur. Le
même jour.Tout cequ’ilme restait, c’étaitmon chien,Baxter.Crois-moi, je sais ceque turessens.Etjesaisaussiqueresterassiselààteconsumerdechagrinneteferaaucunbien.Laseulechosequiaide,c’estdebouger,desefatiguer.Viens,onvacourir.
Elle le regarda, immobile, tout en réfléchissant à ce qu’il venait de lui dire. Il avaitperdutoutesafamille.Etsic’étaitunmensonge?
Non,ellenepensaitpas.–Nemeforcepasàtetraînerdehors,reprit-il.–Tun’yarriveraispas,rétorqua-t-elle.–Oh, si ! lança-t-il avecundemi-sourire, commesi l’idéede relever cedéfi l’amusait.
Allez,viens.Jeteprometsqueçavatefairedubien.Elleravalasonorgueil.–OK,souffla-t-elle.Elledécollad’unbondets’élançadehors,maisChaselatalonnaitdeprès.Audébut,ellesecontentadecouriretdefrapperlesoldetoutessesforces.Puisellese
poussaàallerdeplusenplusvite,jusqu’às’envolercomplètement.Elleétaitconscientedebrûleruneénergiefolleàfuseràunevitessepareille,maiselleneralentitpas.Chasen’avaitsans doute pas eu l’intention de la provoquer, pourtant cela tourna très vite à la course.Chaquefoisqu’elleledépassaitunpeu,ilaccéléraitetreprenaitlatête.Delladéchaînasesémotionstumultueusespournepasselaisserdistancer.
Pourtant,rienn’yfaisait.Chaquefoisqu’elleprenaitunpeud’avance,illarattrapait,etchaque fois il lui jetait un petit coup d’œil en la doublant, comme pour l’agacer.Évidemment,ellerefusaitdes’avouervaincue.
Cetypeétaitunevraiefusée!OnauraitditBurnett.IlslongeaientlaclôturedeShadowFallset,trèsvite,Dellaperditlecomptedunombre
detoursqu’ilsavaienteffectués.Ellevoyaitàpeine l’imagebrouilléede lacimedesarbresau-dessous d’eux. Elle ne savait même pas depuis combien de temps ils volaient ainsi.Pourtant,ellecontinuaitsansréfléchiret,peuàpeu,ladouleurquiluivrillaitlecœur,faitedechagrinetdeculpabilité,finitpars’estomper.
CettesaletédeChaseavaitraison.Celafaisaitvraimentdubien.Combien de temps tiendrait-elle ainsi, à puiser dans ses forces, à se pousser à
l’extrême?Aussilongtempsqu’iltiendra,lui,sejura-t-elle.Pourtant,cinqminutesplustard,elledutdéclarerforfait.Elleralentitpourallerseposerauborddulac.Sonatterrissagenefutpasdesplusgracieux.Elleperditl’équilibreetroulaausol.
Avantqu’elles’immobilisecomplètement,Chase lasaisitpar lebraset laremitsursespieds.
–Çava,articula-t-ellepéniblement.
Ellesepenchaenavant,lesmainssurlesgenoux,toutenprenantdegrandesgouléesd’air. Quand, enfin, elle recouvra son souffle, son estomac se souleva. Incapable de seretenir,ellevomit.EnpleinsurlespiedsdeChase.
Pouruneraisoninexplicable,elletrouvacelahilarant.Elles’essuyalaboucheetlenezavantdeseredresser.L’expressiondeChase,quicontemplaitsesbottessouillées,rendit lachoseencoreplusdrôle.Ellecommençaàrirecommeunefolle.
–C’estdégoûtant,râla-t-il.Pourtant,quandil releva la tête,ce futavecune lueuramuséedanssesyeuxvertset
unsourireauxlèvres.–Çavamieux?demanda-t-il,sincère.–Oui,admit-elle.Cela ne voulait pas dire qu’elle l’appréciait ou qu’elle lui faisait confiance, mais elle
devaitbienreconnaîtrequ’ilavaitraison.Ilentrepritdenettoyerseschaussuressurlestouffesd’herbealentour.Quandileutfini,
ilseretournaverselle.– Cours comme ça deux fois par jour, jusqu’à en vomir. C’est le seul remède qu’il te
faut,encemoment.Brusquementelleretrouvasonsérieuxenrepensantàcequ’il luiavaitditausujetde
safamille.–Qu’est-cequis’estpassé?demanda-t-elleavantd’avoireuletempsd’hésiter.– Quand on tire un peu trop sur la corde, ça arrive qu’on perde son petit déjeuner,
expliqua-t-ilavecunsourire forcé.Toi, tuasdécidédedéposer le tienàmespieds.Enfin,surmespieds.
–Non,jeparlaisdetafamille,corrigea-t-elle.Ellelesoupçonnaitd’avoirtrèsbiencompris,maisdenepasvouloirendiscuter.C’était quelque chose qu’elle pouvait comprendre. Elle-même avait une boîte de
Pandorepleinedesecretsdouloureux.Enmêmetemps,s’ilnevoulaitpasqu’elleluiposedequestions,pourquoiluiavait-ilrévélécettehistoire?
Pourlaconvaincred’allercourir,certes,maispourquoi?Qu’est-cequeçapouvaitbienluifairequ’elleaillebienoumal?Çan’avaitpasdesens.
–Jetel’aidéjàdit:ilssontmorts,grommela-t-ilenregardantendirectiondulac.–Oui,maiscomment?–JetelediraisiturefaistrentetoursdeShadowFallsavecmoi.–C’estbon,oublie,souffla-t-elle.Ellen’auraitpasdûinsister.Nonseulementelledevaitrespectersavieprivée,maiselle
préférait également ne pas trop en savoir sur son compte. C’était de cette façon quecommençaientlesamitiés,lesrelations.DellarepensaàJenny.Elleauraitpréférégardersesdistances, mais le caméléon et elle s’étaient rapprochés malgré tout. Elle avait même
acceptéqueJennylaprennedanssesbras.Ellen’avaitpasdeplacedanssaviepourunepersonnedeplus.Surtoutpasquelqu’unenquiellen’avaitpasconfiancedutout.
Brusquement, un bruit d’eau vive parvint à ses oreilles. Elle se tourna vers la forêt.Était-ce la source du lac qu’elle entendait ou… la cascade ? C’était impossible. Elle setrouvaittroploin.
–Ilfautquejeretourneaubungalow,déclara-t-elleavantdes’élancerencourant.–Pourquoifaire?Posertesfessessurunechaiseetruminertonmalheur?Furieusequ’iloseréduiresonchagrinàuncapricedegamineboudeuse,elle fitdemi-
touretrevintversluienmontrantlesdents.Il ne cilla même pas. Clairement, il n’avait pas peur d’elle. Cela dit, elle n’était pas
intimidéenonplus.–Non,ilfautquej’yretourneparcequeKylieetMirandanevontpastarderàrentrer,
gronda-t-elle.–Bon,c’estbien.Tuneseraspasseule.Qu’est-cequeçapouvaitluifaire?Pourquoiest-cequ’ils’inquiétaitpourelle?Elleletoisaensilenceunlongmoment,commesielleespéraitpercerleparadoxequ’il
représentait. Sauf qu’elle ne perça riendu tout. La seule chosedont elle était consciente,c’était son odeur. De nouveau, elle eut cette impression de déjà-vu liée à un souvenir deterreurpure.Ilfallaitvraimentqu’elledécouvreoùelleavaitcroisécepervers,etpourquoisoninstinctluicriaitqu’ilmijotaitquelquechose.
–Tuveuxressortircourir,cesoir?demanda-t-il.–Non.Pas avec toi. D’où est-ce que je te connais ? Qui est-ce que tu allais retrouver près de la
clôtureenpleinenuit?Toutescesquestionssebousculaientsur leboutdesa langue,maiselleavaitdéjàposélaplupartsansobtenirderéponse,alorsàquoibon?Ellesepromitdecontinuer à mener son enquête de son côté. Tôt ou tard, elle aurait le fin mot de cettehistoire.
–Allez,onpourrarefairelacourse,insista-t-il.Disonstroisheuresdumatin?–Pourquoi?– Parce que, comme je te l’ai déjà expliqué, tu as besoinde te dépenser pour… faire
face.–Oui,maispourquoitutepréoccupesdemoi?Il se balança légèrement en arrière, en équilibre sur ses talons, les mains dans les
poches.–Tun’aspasencorecompris?Moiquitecroyaisfutée.–Comprisquoi?Allait-ilenfinsedécideràluidirelavérité?–Quejet’aimebien,DellaTsang.
–Pourtant,jenesuispasfranchementaimable.Ilsourit.–C’estvraiquetunemefacilitespaslatâche.
En sortant de la forêt, Della aperçut Steve assis sur les marches du perron de son
bungalow. Il se levaetvintverselleen lavoyant.Elledevinaà l’expressiondesonvisagequ’ilavaitapprislanouvelle.
L’espace d’une seconde, d’une brève seconde, elle s’en voulut d’être allée courir avecChase.Pourtant,ellen’avaitrienfaitdemal.Chaseavaitpeut-êtreunfaiblepourelle,maisellel’avaitenvoyébalader.
DèsqueStevearrivaàsaportée,ill’attiradanssesbras.Elles’appuyacontrelui,toutenespérantquepersonnenelesvoie.– Je croyais que tu étais déjà retourné chez leDrWhitman, dit-elle en s’écartant un
peu.Elle eut juste le temps de sentir un effluve de parfum féminin. À croire qu’une fille
s’était frottée à Steve.Ça alors… Della avait une petite idée de l’identité de la pouffe enquestion.Elles’empressad’écrasersajalousiecommeunvulgairemoustique.Ellen’avaitpasbesoindeçaenplusdureste.Etpuis,peut-êtrequeJessieavaitsimplementeffleuréStevesanslefaireexprès.Cetteexplicationluiconvenaitparfaitement.
– Oui mais j’avais l’intention de repasser ici pour te voir dans l’après-midi. Et puis,quandjet’aiappelée,tun’aspasrépondu,alors…
–Jen’aipasentendutoncoupdefil.
Ellemitlamaindanssapochepourensortirsontéléphone,maisilnes’ytrouvaitpas.Merde!
–J’aidûoubliermonportableici.Pourtant,ellenesortaitjamaissans,c’étaitdevenuunréflexe.– Bref, comme tu ne répondais pas, j’ai appelé Kylie. Elle m’a raconté ce qui s’était
passé.(Ilrelevalégèrementlementonetlaregardadanslesyeux.)Pourquoitunem’aspasfaitsigne?Jeseraisvenusur-le-champ.
Ellevitdeladéceptiondanssonregard.Elleétaitdécidémenttrèsfortepourdécevoirlesgens.Steve,sesparents…Chan.
–Je…jesavaisque,sij’entendaistavoix,j’allaismemettreàpleurer.Pourquoi Steve faisait-il ressortir ses faiblesses comme ça ? Elle n’aimait pas cela du
tout.Commepour confirmer ses paroles, des larmes lui brûlèrent les paupières. Elle entra
danslebungalow,etSteveluiemboîtalepas,siprèsqu’ellesentitlachaleurdesoncorpscontresahanche.
Unefoisqu’elleeutrefermélaporte,illapritdanssesbrasdenouveau.–Peut-êtreque,justement,tuasbesoindepleurer.–Non,marmonna-t-elle en s’écartantde lui et en s’essuyant les joues. J’ai déjà assez
pleurécommeça.Etpuis,çanefaitpasavancerleschoses.Elles’approchadelatablepourvoirsisontéléphones’ytrouvait.Iln’étaitnullepart.
Elle l’avait sans doute perdu pendant qu’elle volait comme une furie en compagnie deChase.
Ses parents allaient la tuer si elle ne le retrouvait pas. Quoique… non. Ils secontenteraientd’afficherleurdéception,unefoisdeplus.
Stevefronçalessourcils.–Raconte-moicequis’estpassé.Soudainelle se renditcomptequeson téléphoneétait ledernierdeses soucis.Elle le
chercheraitplustardet,sielleneletrouvaitpas,tantpis.Elleallas’asseoirdanslecanapé.Lesgroscoussinspoussèrentunsoupirtristesousle
poidsdesoncorps.Oupeut-êtreétait-ceellequitrouvaittouttriste.Steve s’installaàcôtéd’elleetpassaunbrasautourde sesépaules.Denouveau,elle
sentitleparfumdeJessie.Allait-elleperdreSteve?Dellaenvoyaboulercette idéeet lemitaucourantdesévénementsde lanuitpassée.
Malgréelle,lorsqu’elleévoqualemomentoùelleavaitvuChan,levisagecouvertdeterre,quelqueslarmesroulèrentsursesjoues.
– Je tenais tellement à retrouvermon oncle etma tante que j’ai fini par négliger laseulevraiefamillevampirequej’avais.Commentest-cequej’aipuêtreaussibête?
Stevelaserragentimentcontrelui.
–D’abord,cen’estpasvraique tuasnégligéChan.Tum’assouventrépétéque tu lesuppliais de venir à Shadow Falls mais qu’il refusait. Ce n’est pas ta faute, Della. Tu asessayédel’aider.Aprèstout,danssonmessage,ilt’avaitbienditquecen’étaitpasurgent.Etpuis, c’estnormalque tu cherches tononcle.C’est le jumeaude tonpère, c’estnaturelquetuaiesbesoindeterapprocherdelui.Ceseraitunpeucommerenoueravectonpère.
Ilavaitraison.Ellevoulaitretrouversononclepourcomblerlevidelaisséparsonpère,maiscelan’excusaitpastout.
– Ça n’aurait pas dû devenir plus important que Chan àmes yeux. J’aurais pu fairedavantage d’efforts pour le convaincre de venir ici. J’aurais pu le rappeler plus tôt. Cinqminutes!Ilauraitsuffidecinqminutes!
Stevecommençaàluicaresserlescheveuxd’ungesteapaisant.–Cen’estpastafaute.–Pourtant,c’estl’impressionquej’ai.–Oui,parcequetutenaisàChanetquetuesencolèrequ’ilsoitmort.C’estmarrant,
la culpabilité. En général, quand on est coupable, on a tendance à rejeter la faute surquelqu’un d’autre, par contre on se reproche souvent des choses dont on n’est pasresponsable.
Dellaposalatêtecontrel’épauledeSteveetécoutasoncœurbattrelentement.Bientôtunautre son rythmé luiparvintdudehors.Quelqu’un s’approchaitdubungalow.Lespasralentirentuninstantavantdereprendre.Dellarenifladiscrètement.
Etmerde!C’étaitChase.Une seconde plus tard, il frappa à la porte. Della se leva pour aller ouvrir, prête à
l’envoyerbaladeretinquiètedelaréactiondeSteve.–Oui?Chaseluijetaunbrefcoupd’œilavantderegarderpar-dessussonépaule,endirection
deSteve. Il nedevait pas être surprisde le trouver ; il avait sûrement senti sonodeur enapprochant. Était-il venu précisément pour semer la pagaille entre eux ? Elle sentait queSteveladétaillait,tendu.
–Salut,lançaChaseaumétamorphe.–Salut,répliquaSteve,l’airdedire:«Vamourir.»ChasereportasonattentionsurDella.–J’espèrequelemomentn’estpastropmalchoisi.Elleplissalespaupièresd’unairmenaçant,maisilneparutmêmepasleremarquer.– Tu as fait tomber ça près du lac, tout à l’heure, ajouta-t-il en lui tendant son
téléphone.–Merci.Elles’autorisaunesecondedesoulagement,maiscelanedurapas.L’hostilitéentreles
deuxgarçonsrendaitl’atmosphèreintenable.Elleattrapasonportableetrefermalaporte.
Elle se retournaetvitSteve, lesmainscrispées sur sesgenoux, l’airdéçu.Une foisdeplus.
Immobile,elleécoutalespasdeChase,quis’éloignait.–Tuétaisaveclui?demandaSteveenselevant.–Jesuisalléecourir.–Aveclui?Ellefaillitrépondre«non»,maisrefusadementir.Aprèstout,ellen’avaitrienfaitde
mal.–Oui.Ilaapprislanouvelle,alorsilm’aemmenéecourirpourquejemedépense.On
afaitplusieursfoisletourdeShadowFalls.–Alorscommeça,vousêtespotes,maintenant?LesyeuxdeSteveavaientprisdesrefletsdorés,témoinsdesamauvaisehumeur.–Non,onn’estpaspotes,rétorquaDellasèchement.Stevebaissa la tête, comme s’il avait trouvéquelque chosede fascinant par terre.Au
boutd’uninstant,ilaffrontaleregarddeDella.–Jemesuisdépêchéderevenir icienmedisantque tuauraispeut-êtrebesoind’une
épaulesurlaquellepleurer,maistuenavaisdéjàtrouvéune.–Çan’arienàvoir,souffla-t-elle.Ilsoupira.–Pourreprendretesmotsdetoutàl’heure,c’estpourtantl’impressionquej’ai.Chasea
unfaiblepourtoi,insistaStevesuruntonaccusateur.Commesic’étaitsafaute!–Onest justeallés courir.Onn’apasdûparlerplusde troisminutes. Ilne s’est rien
passé!–Nememenspas.–Jenetemenspas!Cette réaction agressive ne ressemblait vraiment pas à Steve. Pourquoi paraissait-il
tellementpersuadéqu’elleavait commisune faute?Soudain,elle comprit. Il luiavait lui-même fourni la réponse. «Engénéral, quandonest coupable,ona tendanceà rejeter lafautesurquelqu’und’autre.»
–EtJessieaunfaiblepourtoi.Jemetrompe?Steve pinça les lèvres. Aussitôt, le cœur de Della se serra. De quoi était-il coupable,
exactement?Ilfermalesyeux,l’espaced’uneseconde.–Jeluiaitditqu’ilnesepasseraitjamaisrienentrenous.–Tuluiasditçaavantouaprèsquevousvousêtesembrassés?Della lesavaitdepuis ledébut,cen’étaitniunhasardniunaccidentsi letee-shirtde
SteveempestaitleparfumdeJessie.Elles’étaittrouvéedanssesbras,avaitpeut-êtremême
appuyésa têtecontresonépaule,à l’endroitqueDellaaimait tant.Elleeut impressionderevivrelemêmedéchirementquequandelleavaitperduLee.
Stevesepassaunemainsurlevisage,commepoureffacersafaute.Dellasentitsadouleurredoubleretsenourrirdesondeuil.– Tu sais quoi ? dit-elle en secouant la tête. Je n’ai vraiment pas besoin de ce genre
d’histoireencemoment.J’aidéjàbienassezdeproblèmescommeça.Va-t’en,s’ilteplaît.–Della, je suisdésolé.C’est ellequim’aembrassé. Jen’aipas…Jen’auraispasdû…
Oh,etpuismerde!soupira-t-il.Jem’enveuxvraiment,Della.Elle sentait bien que ses remords étaient sincères, pourtant cela ne l’apaisait pas. Au
contraire.–Pourquoitut’enveux?Tun’asrienàtereprocher.Cen’estpascommesionsortait
ensemble,toietmoi.Elleferaitbiendenepasoubliercedétail,elleaussi.Combiendefoiss’était-ellerépété
qu’elledevaitmettreunfreinàcettehistoire?Voilàquiétaitchosefaite.–Jen’aiaucuneraisondet’envouloir.Onn’estpasuncouple,ajouta-t-elle.Aumêmemoment,elleentenditdesbruitsdepasetdevoixauloin.–MirandaetKyliearrivent.Ilesttempsquetupartes.–Non,ilfautqu’onparle.–Impossible.Va-t’en,s’ilteplaît.Jen’aivraimentpaslatêteàça.Ilrestaplantédevantelle,àlaregarder.–S’ilteplaît,Steve.–Della…Jenevoulaispas…Jeneveuxpasgâchercequ’ona,toietmoi.Elleserralespoings,exaspérée.–Onn’ariendutout,Steve!Iln’yajamaisrieneuentrenous.Ellevitde ladéceptiondans son regard,une foisdeplus, et se rendit compteàquel
pointelledétestaitdécevoirtoutlemonde.Chan,sesparents,Steve…Sagorgesenoua.–Va-t’en.
KylieetMirandaarrivèrentdeuxminutesaprèsledépartdeSteve.Dellalesattendaità
latabledelacuisine,avectroiscannettesdeCocalight.Sesamiesluiinfligèrentdescâlinsde condoléances avant de s’installer pour écouter le récit de la nuit précédente. Dellan’avait absolument aucune envie de raconter la scène du parc une fois de plus,mais elleavaitpromisdesexplicationsà sesamies, etelle comptaitbien tenirparole.Tantpis si çafaisaitmal.
ElleleurparladucoupdefilqueluiavaitpasséKevinMilleràdeuxheuresdumatineteutàpeine la forced’évoquer lemomentoùelleavaitvu le corpsdeChan.En revanche,ellenementionnapascequis’étaitpasséavecSteve.Ellesesentaitunpeubêtedelaisserunerupture–surtoutunerupturequin’enétaitpasvraimentune–l’affecteralorsquesoncousinvenaitdemourir.
Pourtant,ellen’arrivaitpasàsedéfairedecetteimpressiondedéchirement,commesielleavaitperduunepersonnedeplus.ElleavaitbeauseraisonnerenserépétantqueSteveneluiavaitjamaisappartenu,rienn’yfaisait.
–Est-cequetul’asrevu?demandaKylie.Dellahésita,nesachantpassisonamieparlaitdeSteveoudeChan.–Quiça?– Chan. Est-ce que tu as reçu d’autres plumes ? Ce serait logique que ce soit lui, le
fantôme,non?–Oui, tuasraison.Je l’aivudeuxfois, trèsnettement.Lapremière,c’étaitprèsde la
clôture,l’autresoir,etlaseconde,c’étaitjusteavantqueBurnettmeraccompagneici,cettenuit.
Mirandaécarquillalesyeux.–Tuasvuunfantôme?C’estsuperrare,pourunvampire,non?–C’estraremaisçaarrive.Burnettenvoit,detempsentemps,expliquaKylieavantde
setournerversDella.Chanaosésemontrer,maisest-cequ’ilt’aditcequ’ilvoulait?Dellasecoualatête.–Non.Iln’estpasrestéplusd’uneseconde.Ilyavaitquelqu’unaveclui.Etill’avaitregardéeavecunetelletristesse…–Peut-êtrequ’ilvoulaitjustetedireadieu,suggéraMiranda.Çanechangerienaucôté
flippantdel’affaire,remarque.–Net’inquiètepas,soufflaKylieenprenantgentimentlamaindeDella.Ilyadefortes
chancespourqu’ilaitquelquechosedeprécisàtedire.Iln’apasessayédeparlerdutout?Dellasecoualatête.–Ilveutsansdoutemereprocherdel’avoirlaissétomber.Ceseraitdouloureuxàentendre,maisc’était lavéritépureet simple.Elleneméritait
pasmieux.–Non.Çam’étonnerait,ditKylie.Tunel’aspaslaissétomber.–C’estcequetoutlemondemerépète,maisj’aidumalàlecroire.–Ilnet’estpasvenuàl’idéequetoutlemondeavaitraison?intervintMirandad’une
voixferme.DellaTsangn’ajamaislaissétomberpersonne,jetesignale!Regarde-nous,toietmoi.Onn’arrêtepasdesechamailler,etjesaistrèsbienqu’ilyadesmomentsoùtuasenviedem’étrangler,pourtanttuestoujourslàquandj’aibesoindetoi,mêmequandjetesaoule!C’estprécisémentpourçaquejet’aime!
Lapetitesorcièreavaitlesyeuxbrillantsdelarmes.–Merci,soufflaDella,tellementémuequ’elleavaitdumalàrespirer.Ellen’étaitpourtantpasconvaincuequeChansoitdumêmeavis.–Peut-êtrequ’ilconnaissaittononcleetqu’ilvoulaittedonnerdesrenseignementssur
lui,repritMirandaens’essuyantlesjoues.
–Cen’estpasimpossible,renchéritKylie.Est-cequetuasparlédetoutçaàHoliday?– Non. Je ne lui ai même pas dit que j’avais ressenti la présence d’un fantôme. Pas
encore.–Ellepourraitt’aider,tusais,fitremarquerKylie.Elleal’habitudedesesprits.–Jesais,maisj’ensuisencoreàdigérerlamortdeChan.–Jecomprends.Jemerappelleàquelpointc’étaitdurquandj’aiperduNana.J’aicru
quej’allaismourir.– Je n’ai encore jamais fait cette expérience,mais j’imagine à quel point ça doit être
douloureux,intervintMiranda.Jeveuxquetusachesqu’onestlàpourtoietjeteprometsmême de ne pas m’énerver si tu fais ta peste. Je t’accorde un droit-de-balancer-des-vacheries.
–Undroit-de-vacheries?répétaDella.Cette idéesaugrenue faillit la faire rire,et l’émotionqui luivrillait lapoitrines’apaisa
unpeu.–Exactement,réponditMirandasuruntonsolennel.–Oh ! Je t’ai rapporté le dossier de ton oncle, s’écria Kylie en le sortant de son sac,
poséaupiedde sachaise.Est-ceque tuaseu le tempsd’enparleràDerek?Çapourraitl’aiderdanssesrecherches.
–Non,pasencore.J’étaistropoccupéeàrompreavecSteve.Dellaouvritledossier,maiscesimplegesteréveillasaculpabilitéd’avoirnégligéChan
pourselancerdanscettequête.–Tuasl’airépuisée,fitremarquerKylie.Tuasdormiunpeu?–Non,pasencore,répétaDella.Samigrainelancinantenelalâchaittoujourspas.Elleétaitvraimentdansunsaleétat.
Savien’étaitqu’unvastedésastre.Sonpèreladétestait;elles’étaitprisuncoupsurlatêtesanssavoirsielledevaitcelaàunassassinouàunangedelamort;SteveavaitembrasséJessie;soncousinétaitmort,etellevoyaitdesfantômes.Qu’est-cequipouvaitluiarriverdepire?
Elleeutlaréponseàcettequestionlelundiaprès-midi.Burnettl’avaitappeléepourlaconvoquerdans sonbureau. Il commençapar lui apprendre que l’autopsiedeChanavaitétérepousséeetqu’il faudraitattendreunesemaineavantqu’ilpuisseêtreenterrédanslatombequiportaitsonnom.
–Pourquoic’estaussilong?demanda-t-elle,peinéedesavoirquelecorpsdeChansetrouvaitdansunemorgueglaciale.
– Parce qu’il n’y a aucune raison de croire à un homicide. Son cas n’est donc pasprioritaire.
Dellahochalatête.
–J’aimeraisêtreprésente,souffla-t-elle.–Lorsdel’autopsie?demandaBurnett,surpris.–Non.Pourl’enterrement.Ilpoussaunsoupiragacé.–Ilauralieuenpleinenuit,etceseratrèsrapide.–Jem’enfiche.Jeneveuxpasqu’ilsoittoutseul.Ellen’avaitpasrevulefantômedeChan.Peut-êtrequ’ilavaitfiniparpasserdel’autre
côté, mais quoi qu’il en soit, elle tenait à accompagner son corps jusqu’à sa dernièredemeure.EllerepensaauxfunéraillesdeLorraineetà lafoulequisepressaitdansl’églisece jour-là. Tous ces gens étaient venus pour témoigner leur amour à la jeune disparue.Dellanesupportaitpasl’idéequesoncousinsoitmisenterresanspersonnepourlepleurer.
Burnettl’observaitd’unairsceptique,etellesutimmédiatementcequ’ilallaitdire.–Avec toutceque tu traversesdepuisquelques jours, tunecroispasqu’il seraitplus
sagedeteretirerdel’enquête?–Non!N’essaiemêmepasdeteservirdecetteexcusepourmemettresurlatouche.Illevaunemain,toutenfronçantlessourcils.–Jemedisaissimplementquetuenbavaisdéjàassezcommeça.Il avait raison, elle avait l’impression de mourir à petit feu, mais ce n’était pas en
restantànerienfairequ’ellesesortiraitdelà.– Au contraire.Non seulement j’ai toujours envie d’enquêter sur cemeurtremais, en
plus,j’aibesoindem’occuperl’espritpournepastroppenseràmoncousin.Ainsiqu’àlahainequeluivouaitsonpèreetlafindesonhistoireavecSteve.–S’ilteplaît,Burnett,reprit-elle.Ons’estsuperbiendébrouilléesaufunérarium,avec
KylieetMiranda.–C’estvrai,mais jenesuistoujourspasconvaincuquec’étaitunebonneidéedevous
rendrelà-bastoutesseules.–Etpourtant,onaappréhendécesaletypesansproblème.EnvoyantBurnettsevoûterlégèrement,ellecompritqu’elleavaitgagné.–Bon.D’accord.Dans ce cas, tu vas commencer à enquêter dès ce soir. J’ai reçudes
informationsàproposd’unbaroùseretrouventlesmembresd’unganglocal.JeveuxqueChaseettoialliez…
– Chase ? répéta Della, en proie à une soudaine panique. Je dois faire équipe avecChase?
Burnetthochalatête.–Pourquoi?Çateposeunproblème?–Peut-être…Oui, elle avaitun sérieuxproblèmeavecChase.Elle avait bien comprisque,quand il
étaitvenu luirapportersontéléphone,c’étaitavec l’intentiondesemer lazizanie.Lepire,
c’estqu’ilavaitréussi.Certes,cen’étaitpas la fauteduvampiresiSteveavaitdécidéd’échangerde lasalive
avec Jessie,maisDellaenvoulait toujoursàChasepour le rôlequ’il avait jouédans cettehistoire.Elleétait tellementencolèrequ’elleavait évitédecroiser son regardpendant lesdeux coursqu’ils avaient en commun.Elle avait bien senti qu’il l’observait avec insistance,maiselleavaitrefusédeluiaccorderlemoindrecoupd’œil.
Et puis, l’incident du téléphone n’était qu’une partie du problème. Il y avait aussi sacertituded’avoirdéjàcroiséChase,ainsiquecequeluiavaitrévéléJenny.Dellaavaitfailliconfier àBurnett queChase était allé rencontrer quelqu’unprèsde la clôture à aumoinsdeuxreprises,maiselles’étaitsouvenuqueJennyluiavaitdemandédegarderlesecret.
–OK.Raconte-moi.Quelestleproblème?repritBurnett.Ellenepouvaitpasluimentir,maisilétaittoujourspossibled’esquiverlavérité.–PourquoinepasenvoyerLucasàsaplace?Burnettfronçalessourcils.–Tupréfèresfaireéquipeavecunloup-garouplutôtqu’avecunautrevampire?C’est
bizarre.–Non,c’estnormal.JeconnaisbienLucas; jeluifaisconfiance.Etpuis,çafaitpartie
delamissiondeShadowFallsd’enseignerauxdifférentesespècesàtravaillerensemble.Pasvrai?
Burnetts’adossaàsonfauteuil,quigrinçasoussonpoids.–Jevoisbienquetun’aimespasChase.Pourquoi?demanda-t-ildirectement,comme
pourl’empêcherdesedéfiler.
Heureusement,Dellaavaitdelaressourcequandils’agissaitdecontournerlavérité.
–J’ail’impressionqu’ilcachebeaucoupdesecrets.–Quelgenredesecrets?s’enquitBurnett.–Sijelesavais,ceneseraientpasdessecrets.Beaucoupderessource.–Chaseadéjàcommencéàenquêtersurcemeurtre,commentaBurnettenfronçantles
sourcils.Della se pencha en avant. Burnett n’était pas le seul à avoir le droit de poser des
questionsgênantes.– Pourquoi est-ce que tu lui fais confiance ? Ça fait à peine une semaine qu’il est à
ShadowFalls,et tu l’asdéjàrecruté.Çane teressemblepas.Tu leconnaissaisavantqu’ilarrive?
–Non.Della tendit l’oreille pour écouter le rythme cardiaque de Burnett, mais son ouïe ne
fonctionnaitpas.Celacommençaitréellementàl’inquiéter.–Jetel’aidéjàdit,repritBurnett.J’aitoutdesuiteétéimpressionnéparsescapacités.–Quellescapacités?Dellaavaitremarquél’extraordinairevitessedeChase,mais…–Toutes,réponditBurnettd’unairrenfrogné.
Elle avait l’impression qu’il lui cachait quelque chose, mais si elle insistait trop, ilrisquaitdel’écarterdel’enquêteunefoisdeplus.
Ilsepenchaenavantetposalescoudessursonbureau.–Situnetesenspasàl’aise…–Çavaaller,intervint-elleavantqu’ilpuissefinirsaphrase.–Situneluifaispasconfiance…–Lemeilleurmoyend’apprendreà lui faireconfiance,c’estde travailleravec lui.Pas
vrai?ElleattenditlaréactiondeBurnett,l’estomacnoué,maisilsecontentadeladévisager
en silencependantun longmoment. Elle voyait bienqu’il hésitait à la laisser enquêter etellesentaitqu’ilrisquaitdenepastrancherensafaveur.
–Jeveuxcoincercetaré,ajouta-t-elle.C’estlamoindredeschoses.Burnettparutsoucieux.–Della, ilyaunetendancedonttoutagentdoitseméfier.C’estunechosedevouloir
quejusticesoitfaite,maisilnefautpastomberdanslepiègedesesentirresponsablepourtouteslesatrocitésqu’onvoit.Ilarrivequedesenquêtesn’aboutissentjamais,quedesgensmeurent–ycomprisdesproches,commetoncousinChan.Jesaisquetutesenscoupable,mais…
–Jesaistrèsbienquecen’estpasmafautes’ilestmort.–Etpourtant,tutesenscoupable.Jemetrompe?insistaBurnett.Voilàunequestionqu’ellenepouvaitpasesquiver.–Si j’avais réponduà son coupde fil ouque je l’avais rappeléplus tôt, les choses se
seraient peut-être passées autrement. Mais la mort de Chan n’a rien à voir avec monimplicationdanscetteenquête.
–Lesémotionsd’unagentpeuventaffectersonjugement.–Jesuistoutàfaitcapabledetravaillersurcemeurtre,Burnett.Il posa les mains à plat sur son bureau. Un rayon de soleil s’infiltra par la fenêtre,
donnantdesrefletsbleutésàsescheveuxnoirs.SansquitterDelladuregard,ilattrapaunstylo,qu’ilfitroulerentresesdoigts.
–Quandj’avaisquatorzeans,j’étaisamoureuxd’unefillemi-humaine,mi-fée.Onallaitsouventnagerensembledanslelac.
Il s’interrompitun instantet reposa le stylo, commesi ses souvenirs le ramenaientenarrière.
–Unaprès-midi, ellem’a appelépourmeproposerd’allermebaigner avec elle, saufquej’avaisdéjàpromisàuncopaind’allercouriraveclui.Elleestquandmêmealléeaulac,avecd’autresamis–etelles’estnoyée.J’aieubeaucoupdemalàm’enremettre.Pendantaumoinsunan,jemesuisreprochésamort.Sij’avaisétélà,j’auraispeut-êtrepulasauver,
tu comprends. Il m’a fallu très longtemps pour accepter le fait que, parfois, des choseshorriblessurviennentsansquecesoitlafautedepersonne.
Dellasoutintsonregard.– Je vais sans doute arriver à la même conclusion, mais pour ça, j’ai besoin de
m’occuperl’esprit.Encontribuantàcoincerunassassin,parexemple.– OK. Tu feras donc équipe avec Chase pour cette enquête, mais ne me fais pas
regrettermadécision.–Jetelepromets.Burnettluisouritgentiment.–Le tempsestnotreamidansces cas-là, tu sais.Maisenattendant,ne soispas trop
dure avec toi-même. Cela ne sert à rien de s’alourdir le cœur en portant en soi toute ladouleurdumonde.
Ellehochalatête.Elleensentaitjustementlepoidssursapoitrine.–J’aipresquel’impressiond’entendreHoliday,fit-elleremarquer.–Ilfautcroirequ’elleauneinfluencepositivesurmoi,avoua-t-il.Sonexpressionsoucieuses’adoucitlégèrement.C’est ça, l’amour, pensaDella.Burnett etHolidayétaient toujours fous l’unde l’autre,
tout comme Kylie et Lucas, ou Miranda et Perry. Même ses parents semblaient toujoursheureuxensemble.Serait-elledenouveaucapabledetomberamoureuseunjour?
Dellaseconcentrasurl’enquête.–Est-cequevoussoupçonnezlegangdevampiresd’êtreresponsabledumeurtre?–Onn’apasencoredepistesûre,dit-il.Lerapportd’autopsieestunpeucurieux.Le
tueur s’estnourrides victimes,mais avecuneviolenceextrême, cequi semblerait indiquerqu’il ait eu un motif autre que la faim. Il était en colère. Le jeune homme était plussauvagementmutiléquelajeunefemme.
–Tupensesquelevampirelesconnaissait?–C’estpossible,mais lapiste laplusprobable reste celled’unvampire récentquin’a
passusemaîtriser.–Tudis«il»…Commenttusaisquec’étaitunmâle?– En général, les mâles se montrent moins violents envers leurs victimes de sexe
féminin.Etpuis,latailledesmorsuressuggèreunemâchoired’homme.Onaaussiretrouvéuncheveu.LestestsADNsontencoreencours,maisilétaitbrunetcourt.
–Çapourraitjusteêtreuncheveuatterrilàparhasard.–Çapourrait,maisc’estpeuprobable.Ilyavaitdestracesdesangprovenantdesdeux
victimesdessus,déclaraBurnettsuruntondétaché.Dellafrissonna.–Notresuspectestdoncunvampiremâleaveclescheveuxbrunsetcourts.
–Etsansdoutetransformédepuispeu,conclutBurnettavantd’hésiteruninstant.Onsedisait queChase et toi pourriez traîner dans ce fameuxbar, faire unpeu connaissanceavec lesmembresdugang local.Vous arriverezpeut-être à glaner quelques infos, et puisvousaveztouslesdeuxperçul’odeurdutueur,donc,s’ilsemontre,voussaurezl’identifier.Cequim’inquiète,dansceplan,c’estquesivousavezmémorisésasignatureolfactive,ilestfortpossiblequ’ilreconnaisseaussilavôtre.
– Çam’étonnerait. J’y ai déjà réfléchi : il était en train de s’enfuir, ses sens n’étaientsansdoutepasenalerte.Sij’aisentisonodeur,c’estuniquementparcequejesavaisqu’unintrusavaitfranchilaclôture.
– Peut-être, mais j’insiste pour que vous vous teniez sur vos gardes. Et je tiensabsolument à ce que tu restes aux côtés de Chase en toute circonstance, ajouta-t-il enpointantunindexautoritairedanssadirection.Situmedésobéis,tupeuxdireadieuàteschancesd’enquêterpourl’URFàl’avenir.Est-cequec’estclair?
C’étaitparfaitement clairet çane l’amusaitpasdu tout.Ellen’avait vraimentaucuneenvie de jouer les inséparables avec le pervers anti-Schtroumpfs, mais si c’était le prix àpayerpourcoffrerlemaladequiavaittuéLorraineetsonfiancé,alorsellejoueraitlejeu.
–Est-cequec’estclair,Della?–Limpide,répondit-elle.Que cela lui plaise ou non, elle faisait désormais équipe avec Chase. Elle ne put
s’empêcherdesedemandercequeSteveallaitpenserdecettenouvelle.Pourtant,ellen’avaitaucuneraisondesesoucierdeça.Leurdébutd’histoireétaitdéjà
fini.
Quand Della entra dans son bungalow,Miranda et Kylie était attablées devant troiscannettes de Coca light, ce qui voulait dire que l’une d’entre elles avait un problème àrégler.Ellerepensaàleurdiscussionduweek-end.Mirandaavait-elledécidédefranchirlepasavecPerry?Ou,aucontraire,yavait-ildel’eaudanslegaz?
–Qu’est-cequinevapas?demandaDellaenregardantlasorcière.Elleespéraitsincèrementquetoutallaitbienentreelleet lemétamorphe.Ladernière
foisqu’ilss’étaientséparés,Mirandaavaitpassédesjournéesentièresàpleurerenmangeantdelaglace.Dellaavaitcrudevenirfolle.
– C’est une intervention, expliqua Miranda en attrapant un bloc-notes et un stylo.Assieds-toi.
–Uneintervention?Maispourquoi?Mirandasoutintsonregardsansrépondre.–Pourmoi?s’écriaDella.Quoi?Vousvoulezquejefassepipisuruntestdegrossesse
oudedépistagededrogue,commechezmesparents?–Non,ilnes’agitpasdeça,réponditMirandaleplussérieusementdumonde.DellagrimaçaetsetournaversKylie,laplusraisonnabledesdeux.
–Qu’est-cequisepasse?–Mirandadramatiseunpeu,mais…Perry luiaditqueSteve luiaditquevousvous
étiezdisputés.–Etqueçaconcernaitlafillequ’onavuechezlevétérinaire,ajoutaMiranda.–Oh,c’estpasvrai ! râlaDellaense laissant tombersursachaise.Leconceptdevie
privée,çanevousditrien?– Il n’y a pas de vie privée qui tienne, rétorquaMiranda.On est tes deuxmeilleures
amies,onest censées tout se raconteret s’épauleren casdebesoin.Tunenousasmêmepasparlédetonproblème,alorsqu’onestlàpourça.Onvacommencerparfaireunelistedetoutcequipeutt’aider.J’aidéjànotéquelquesidées,conclut-elleentapotantsonbloc-notes.
Dellapoussaungrognement.–Franchement,là,toutdesuite,Steveestlecadetdemessoucis.C’étaitcequ’ellen’avaitcessédeserépéterdepuisqu’ilavaitquittécebungalow.Peut-
êtreque,àforce,elleparviendraitàs’enconvaincre.Certes,çanelapréoccupaitpasautantquelamortdeChanoulemeurtredeLorraineetdesonfiancé,maiselleavaitmalchaquefoisqu’elleypensait.
– C’est précisément pour ça qu’on s’inquiète, renchérit Kylie. Tu accumules les coupsdurs, ces derniers temps, entre l’enquête, ton père, Chan, ton oncle et ta tante, etmaintenantSteve.Onveutt’aider,c’esttout.
–C’estgentil,maisjenevoispascequevouspouvezfaire.Iln’yarienàfairedutout,marmonna-t-elle, le cœur lourd. Et puis, il valait sans doute mieux qu’on se sépare. Onn’était pas vraiment ensemble, de toute façon. Je ne voulais pas être en couple. Je necomprendsmêmepaspourquoij’ailaisséleschosesalleraussiloin.
–ParcequetutiensàSteve,toutsimplement,ditMiranda.Tuaslesyeuxquibrillentchaquefoisquetul’aperçois.Ilterendheureuse…Là,toutdesuite,tun’espasheureuse,par exemple. Ça fait une semaine que ton aura est super sombre. Elle est d’une couleurbizarre, en plus, une espèce de marron boueux. J’ai fait remarquer à Kylie que quelquechoseclochait,ilyadéjàquelquesjours,maisçaaencoreempirédepuis.
–Monauraesttoujourssombre.C’estnormalpourunvampire.C’esttoiquimel’asdit,non?
–Oui,maispasàcepoint.Là,franchement,c’estflippant.–Tun’asqu’àutilisertamagiepourmelarepeindred’uneautrecouleur.Peut-être que, au passage, la petite sorcière pourrait réparer son ouïe qui partait en
sucette.Dellaavait tentédepercevoirdes sons lointains sur lechemindubungalow,maisenvain.
–J’aimeraisbienêtrecapabledesoignertonaura,maismalheureusement,cen’estpaspossible.Iln’yaquetoiquipeuxarrangerça.Parcontre,onpeutt’aideràtrouverdesidées
– des trucs qui te rendent heureuse et qui, au passage, apaisent ton aura. Par exemple,poursuivitMirandaenlisantsesnotes,regarderunbeaucoucherdesoleil,faireunelonguepromenade dans les bois et, le meilleur de tous, observer les oiseaux. Je ne sais paspourquoi,lesoiseauxsontunexcellentmoyenderaviveruneaura.
Mirandarelevalatêtedesonpapier,l’airtrèsfièred’elle.Dellaluiarrachalafeuilleetlestylodesmains.– Tiens, moi aussi, j’ai quelques suggestions, dit-elle en écrivant à toute vitesse.
Retrouvermononcle etma tante, coincer un tueur fou, enterrermon cousin, oublier quemon père me déteste et que Steve me manque atrocement. Zut alors, ça ne va pas melaisserbeaucoupdetempslibrepourallerobserverdespiafs!
Dellajetalestylosurlatableetcouruts’enfermerdanssachambre.
Dixminutesplustard,onfrappaàlaporte.Dixlonguesminutes…C’étaitcequ’ilavaitfalluàDellapourserendrecomptequ’ellevenaitdepassersesnerfssursesamies.
– Oui ? dit-elle en s’adossant à sa tête de lit, prête à encaisser des reproches bienmérités.
Kylieentra,seule.–Çava?–Ouais.Paslapeinedetefatiguer,jesaisquej’aiétéodieuseavecnotresorcièrebien-
aimée. Je vais aller lui présenter mes excuses. Mais, franchement, moi, observer desoiseaux?!
Kylieritdoucement.–Personnellement, j’auraiscruqueceserait lecoucherdesoleilqui t’aurait faitpéter
un câble, dit Kylie avant de recouvrer son sérieux. Il n’empêche que Miranda s’inquiètevraimentausujetdetonaura.
Dellapoussaungrossoupir.–Lacouleurd’uneauraestcenséerefléterl’humeurdelapersonne,non?–Jecrois,réponditKylie.Jenesuispassûre,j’aiséchélecourssurlesauras.–Danscecas,cen’estpasétonnantquemonaurasoittoutesale…–Peut-être,maisMirandapensequ’uneauratrèssombrerisqued’attirerunenoirceur
encoreplus grande.Comme si lemal appelait lemal, tu vois ?C’est pour ça qu’elle veuttrouverunmoyendeteredonnerlesourire.
–Jeretrouverai lesourireunefoisquel’assassinseraderrièrelesverrousetqueChanseraenterrédanslatombequiportesonnom.
Kylies’assitsurleborddulit.–C’estpourçaqueBurnettt’avaitconvoquéedanssonbureau?– Oui. Il va falloir attendre une semaine avant qu’ils procèdent à l’autopsie, ce qui
retardel’enterrement.Parailleurs,jedoispartirenquêterdans…moinsd’uneheure.–Dansmoinsd’uneheure?Qu’est-cequetuvasfaire?
–Allerdansunbaroùlegangdevampiresducointraînesouvent.Oh,etjedoisfaireéquipeavecChase.Jesuisravie,grommela-t-elle.
–Ilneterevienttoujourspas?demandaKylieavecunepetitegrimace.–Non,soupiraDella.– Il est franchement beau gosse, fit remarquer Kylie sur un ton amusé. Est-ce que ce
petit détail aurait quelque chose à voir avec le fait que tu ne veuilles pas passer trop detempsaveclui?
Dellasecoualatête.–Non,ilnemeplaîtpasdutout.Aucontraire,il…ilm’énerve.Kyliehaussaunsourcil,unsourireauxlèvres.–Bon,d’accord,jeletrouvebeau,bredouillaDella.Maisçaneveutriendire.Jenele
trouvepas…Iln’estpas…–Cen’estpasSteve?suggéraKylie.–Voilà,soufflaDellamalgréelle.Auboutd’unesecondedesilence,Kyliedemanda:–PourquoitunenousaspasparlédetadisputeavecSteve?Dellahaussalesépaules.–Parcequej’ai l’impressiondepassermontempsàmeplaindre,depuisunesemaine.
Etpuis,çamefaitmald’enparler.–Maisonesttesmeilleuresamies.Onveutt’aider.–Jesais.–C’estvraimentfinientrevous?repritKylie.–Jecroisbien.Dellasemorditlalèvre,soudainprisedubesoindetoutraconter.– IlaembrasséJessie.Enfin, c’estplutôtellequi l’aembrassé,mais ilavait l’air super
coupable,cequiveutdirequeça luiaplu.Évidemment, je luienveuxàmort,mais…Letruc,c’estquevendredidernier,ilvoulaitmeprésenteràsesparents,etçam’afaitflipper.Jeneveuxpas rencontrer sesparents,moi !Jeneveuxpasquenotrehistoiredevienne…officielle,sionpeutappelerçaunehistoire.Alorspeut-êtrequecen’estpastrèshonnêtedemapartdevouloircontinuercommeça,sijenesaismêmepasoùçavanousmener.
–Est-cequ’ilt’aappelée,depuisvotredispute?demandaKylie.–Non,etçavautsansdoutemieux.Della n’avait pas cessé de consulter son téléphone. Chaque fois, elle se demandait si
c’étaitdusoulagementoudeladéceptionqu’elleéprouvaitenvoyantqueSteven’avaitpasessayédelacontacter.
Kylies’allongeasurledosetregardaleplafond.–Holidaym’aditunjourquelesfillesquiontdesrelationscompliquéesavecleurpère
trouvent toujours unmoyende reproduire lemême schémadans leur vie amoureuse.On
projette nos problèmesnon résolus sur les garçons qu’on rencontre.Audébut, je trouvaisqueçasentaitlapsychologiedecomptoir,maiscen’estpeut-êtrepasunecoïncidencesij’aienfinacceptémessentimentspourLucasaprèsavoirréglémesproblèmesavecmonbeau-père.
Dellas’allongeaàcôtédesonamie.–Tuveuxdirequejevaisdevoirmeréconcilieravecmonpère,sijeveuxespéreravoir
un mec un jour ? s’écria Della en se tapant le front. Il ne me reste plus qu’à devenirlesbienne…
–Désolée,jesuisdéjàprise,rétorquaKylieenriant.Soudain,lechatdeKylie,Socks,sautasurlelitetvintsefrotteràDellaenronronnant.
Lavampiresourit.–Ouais,toiettonsuperloup-garou…JecroisqueSocksn’approuvepascetterelation.
IlasansdoutepeurqueLucasluirefiledespuces.Kyliefronçalessourcilstoutencaressantlechat.–Lucasn’apasdepuces.Etpuis,d’abord,moi, j’approuvecetterelation,etc’est tout
cequicompte,ajouta-t-elleavecunsourireaffectueux.Jel’aimetellement!Mêmequandillui arrivede jouer lesmachos, commeau funérarium.Avec lui, jeme sens…comblée.Toiaussi,tuméritesderessentirça–detrouverquelqu’unavecquituesbien,toutsimplement.Quelqu’unquitefassefondred’uneseulecaresse,quiteregardecommesi tuétais laplusbellechosequ’ilaitjamaisvue,quiarriveàallégertoustesproblèmesrienqu’enteprenantdanssesbras.
–Peut-êtrequecen’estpaspourmoi,toutça,ditDellaenbaissantlesyeuxsurSocks.Peut-êtrequejesuisdestinéeàdevenirunevieilledamesolitaireetentouréedechats.
Pourtant,ellenepouvaits’empêcherdepenseràcequ’elleressentaitquandelleétaitavecSteve.Aucunfélinnepourraitremplacerça.
–Jen’ycroispasuneseuleseconde,répliquaKylie.Avectouteslesgalèresquit’arriventen cemoment, ce n’est pas très étonnant que tu aies flippé. Si rien de tout ça ne t’étaittombédessus, tun’auraispeut-êtrepaspaniquéquandSteveaproposéde teprésenter àsesparents.
–Peut-être,maisçanechangerienaufaitqu’ilaembrasséJessieetqueçaluiaplu.–Est-cequ’ilt’aditqueçaluiavaitplu?demandaKylie.Parcequej’aibienvulafaçon
dontilteregarde,etçam’étonneraitqu’ilprenneduplaisiràenembrasseruneautre.–Non,ilnel’apasdit,maisc’estévidentqu’ilaapprécié.C’estunmec.Kyliefitlagrimace.–Cen’estpas faux.Mais j’aiquandmêmel’impressionquetucherchesdesraisonsde
t’éloignerdelui.Tunecroispasquetonproblème,c’estjustementquetut’esrenducomptequetutenaisvraimentàluietqueçatefaitpeur?
Dellaouvritlabouchepourprotester,maislesmotsrefusèrentdefranchirseslèvres.
–N’empêche.Çamemethorsdemoiqu’ilaitembrassécettepouffe,mêmesic’estellequi a commencé, grommela-t-elle avant de se relever, soucieuse de changer de sujet. Jeferais bien d’aller voir Miranda pour lui présenter mes excuses. Contrairement à lavengeance,cen’estpasunplatquisemangefroid.
Kyliesourit.–ElleestpartieretrouverPerry.–Ah.Tantmieux.J’espèrequetoutvabienentreeux.Elle espérait entraîner la conversation vers une autre histoire de cœur que la sienne,
mais Kylie pinça les lèvres, comme si elle avait vu clair dans son jeu. Cette fille étaitdécidémentbeaucouptropmaligne.
– Écoute, c’est parfaitement naturel que tu sois en colère. Crois-moi, je parle enconnaissance de cause. Mais ça ne veut pas forcément dire que tout est fini entre vous.RegardeLucasetmoi,ouMirandaetPerry.Onaeudespassagesdifficiles,nousaussi,maisons’enestsortis.Attention,jenedispasçapourdéfendreSteve,hein.C’esttonintérêtàtoiquimepréoccupe.Sijepeuxtedonnerunconseil,accorde-luiuneautrechance.Net’avouepasvaincueaussifacilement.
Dellatournalatêteetvitleréveilsurlatabledenuit.–Merde!Ilfautquej’yaille.
–Onpourraitaumoinsdiscuter,ditChasedansunmurmureàpeineaudible.L’ouïedeDellafonctionnait,c’étaitdéjàça.–Discuterdequoi?Elle avait bien deux ou trois questions à lui poser, mais ce n’était ni le lieu ni le
moment.Della leva les yeux en regrettant que ce ne soit pas quelqu’un d’autre assis en face
d’elle.Elles’envoulaitd’apprécierautantlacarruredesesépaules,sonassuranceeffrontéeou la ligne virile de sa mâchoire, qui prouvait qu’il n’était déjà plus un adolescent. Ilss’étaient retrouvés devant le portail de Shadow Falls et avaient volé jusqu’à cette vieillemaisonabandonnéeaubeaumilieudelaforêt, transforméeenbaràglobulespar legangdu coin. L’endroit manquait de charme, mais il s’y trouvait au moins six vampires.Apparemment,l’affaireétaitrentablegrâceauxdifférentsgangsétablisdanslarégion.
Della survola la pièce du regard avant de reprendre une gorgée du sang que Chaseavait commandé pour elle. C’était du A positif et il n’était pas vraiment frais, mais ellen’avaitpaseuletempsdedîneretc’étaitmieuxquerien.
– Jene saispas.Onpourraitparlerdu tempsqu’il fait, desderniers résultats sportifsou,pourquoipas,delaraisonpourlaquelletum’enveuxtant,déclara-t-il,sansprendrelapeinedechuchoter,cettefois.
– J’ai cru comprendre qu’il allait pleuvoir demain, fit-elle remarquer sur un tonsarcastique.
Chaseéclataderire.Della jetauncoupd’œilàdeuxvampires installésà l’autreboutde lapièce.Attablés
devant une bouteille de whisky dont ils ajoutaient de généreuses doses à leur sang, ilsn’avaient pas l’air commodes. L’un d’eux était blond, l’autre était brun mais avait lescheveuxlongs,attachésenqueue-de-cheval.
Pendantunbonquartd’heure,DellaetChaseavaienteudroitàdesregardshostiles,aussi bien de la part des autres clients que du serveur, mais plus personne ne faisaitattention à eux, à présent. Cependant Della demeurait sur ses gardes. Elle n’avait pas lechoix : son odorat n’était toujours pas opérationnel. Elle en était donc réduite à essayerd’identifierleursuspectàsonapparence–sescheveuxbrunsetcourts,samined’assassin…
–Allez,Della.Dis-moicequejet’aifait.Elle le fusilla du regard avec toute l’amabilité d’une vipère en plein syndrome
prémenstruel,mais tint sa langue. Ils étaient venus pour enquêter, pas pour régler leurscomptes.
–C’estmarrant,jenepensaispasquetuétaisdugenretimideetréservé,insistaChasepourlaprovoquer.
Ellenefaisaitpasfranchementpartiedeceuxquicroientquelesilenceestd’or.Aprèstout,ilspouvaientdiscuter,tantqu’ilsn’ébruitaientpaslaraisondeleurprésence.
–TuasfaitexprèsdemerapportermontéléphonealorsqueSteveétaitlà.Chasepinçaleslèvrescommes’ilréfléchissait.–Peut-être.Dellahaussaunsourcil.–Bon,d’accord,probablement.Jemesuisditqueçaneluiferaitpasdemaldesavoir
qu’ilavaitdelaconcurrence.Vendredisoir,aprèstondépart,ilareçutroiscoupsdefildelamêmefille.Jen’aipaspum’empêcherderemarquerqu’elle lui faisaitducharme.Jenesaispascequisepasseentrevous,maisçanem’apasparutrèssain,commesituation.
Della sentit son cœur faire un plongeon. Jessie avait appelé Steve ? Non, ce n’étaitvraimentpas lemomentdese laisserabattreparcettehistoire.Elle jetaunregard froidàChase.
–Cenesontpastesaffaires.Tun’auraispasdûécoutersesconversations.–Peut-être,maisjechoisisd’enfairemonaffaire.Jetel’aidéjàdit:jet’aimebien.J’ai
l’impressionquecequ’ilyaentrenouspourraitaboutiràquelquechosedechouette,alorsjetiensàveillersurtoi.
–Jen’aipasbesoinquetuveillessurmoi!Etpuis,pourqueçamèneàquelquechose,ilfaudraitquelesentimentsoitréciproque.
–Jesaisquetum’aimesbien.Tun’osespasencorel’admettre,c’esttout.Ilvapeut-êtretefalloirunpeudetempspourt’habitueràmoi.Jesuiscommecesbièresétrangèresetunpeuexotiques,conclut-ilavecunsourirearrogant.
Ellefrissonnamalgréelle–ets’envoulutaussitôt.–Jen’aimepaslabière.Nilabièreni…–Pourtant,tueslà.–C’estuniquementparceque…Elles’interrompitavantd’ébruiterleurmission.–Jeconnaisunedouzainedepersonnesavecquijepréféreraisdiscuterencemoment.– Seulement une douzaine ? Tu veux bien me donner leurs noms ? Comme ça, je
pourraimedébarrasserd’eux.Elleluimontralescrocs.Iléclataderireetportasonverredesangàseslèvres,sanslaquitterduregard.–Commentçavaavec…avectoncousin?demanda-t-il,soudainsérieux.Ellerepensaàcequ’il luiavaitracontéausujetdesaproprefamille.C’étaitsûrement
inventédetoutespièces.–Ettoi?Commentçavaavectafamille?lança-t-ellesuruntonaccusateur.Ellevitquelquechosedanssesyeux…delacolèremêléedechagrin.–Cen’étaitpasunmensonge?reprit-elle.–Non.Ilsurveillalapiècerapidementtoutenreniflant.–Tuassentiquelquechose?Iltournalatêteverselled’ungestevif,presquetroprapide.–Non.Ettoi?Ilétaithorsdequestionqu’elleluiavouequesonodoratnefonctionnaitpas.Elleleva
lenezetprituneinspiration.–Non.Enrevanche,elleentenditquelqu’uns’approcherd’unpaslourdetsepréparaàavoir
de lacompagnie–etpeut-êtremêmedesennuis.Undesdeuxtypesquibuvaientdusangauwhiskyvints’asseoiràcôtéd’elle.
–Salut,beauté,lança-t-ilensepenchantverselle.
–Vousêtesnouveauxdanslecoin,touslesdeux.
Della s’écarta un peu. Le vampire ne devait pas avoir plus d’une vingtaine d’années,maisilsemblaitavoireulaviedure.IldétaillaDelladespiedsàlatêteavantdesetournerversChase.
–Puisquetun’aspasl’aird’êtresongenre,jemesuisditquej’allaistentermachance.Cesalaudavaitépiéleurconversation.Enmêmetemps,ellenes’étaitpasgênéepour
lesespionner,sonpoteetlui.Leurshistoiresdematchsdefootnel’avaientpasfranchementcaptivée.
–C’est justeunepetitedisputed’amoureux, rétorquaChased’unevoixgrave.Elleestavecmoi.
– C’est vrai, ça ? demanda le type en se tournant vers Della. Tu sais, poulette, audébut,j’aicruquetutravaillaisici.Entantqueprofessionnelle,tuvois.
Ceperversvisqueuxinsinuait-ilqu’elleressemblaitàuneprostituée?–Premièrement,jenetravaillepasici,deuxièmement,jenem’appellepas«poulette»,
et troisièmement, si jedevaisêtre la petite amiedequelqu’un, je serais effectivement aveclui,dit-elleendésignantChase.
Puis,envoyantlesourirenarquoisdecedernier,elles’empressad’ajouter:–Saufquejenesuisavecpersonne.
–Dommage,commentalevampireàmoitiésaoul.Moi,jenesuispascommecesbièresexotiquesauxquellesilfauts’habituer.Jesuisdélicieuxdèslapremièregorgée,lança-t-ilendévoilantdescaninesquiavaientbesoind’unboncoupdedentifrice.
Dellaréprimaunegrimacequandellecompritsonsous-entenduécœurant.Elle s’écarta davantage, ce qui n’empêcha pas le vampire de passer un bras sur le
dossierdesachaiseetdeluicaresserlescheveux.Elleaussiauraitbienaiméjoueraveclescheveux de ce type. Plus précisément, elle avait très envie de l’attraper par sa queue-de-chevaletdel’envoyervoleràtraverslapièce.
–Vousvenezd’où,touslesdeux?demanda-t-il.IleffleuralecoudeDella,quifrissonnadedégoût.Ellehésitaàcasserlesdoigtsdecetype.Ellepourraitfacilementluisaisirlamainetlui
brisertouteslesphalangesavantqu’ilaiteuletempsdecrier«maman».Enmêmetemps,elleespéraitpouvoirglanerquelquesinformations.
–JeviensdeCalifornie,etelleestdeHouston,réponditChase.–DeCalifornie?Qu’est-cequetuesvenufaireici?repritQueue-de-cheval.Ilinclinalatête,commes’ilguettaitunmensonge.Dellatenditl’oreilleàsontourmais
neperçutpaslemoindrebattementaccélérédecœur.–Mamèreestvenuevivreici.Le pervers parut satisfait de cette réponse, pourtant Chase avait dit à Della que sa
mèreétaitmorte.L’ouïede la jeunefille fonctionnaitbienàcemoment-làet iln’avaitpassemblé mentir. En revanche il avait brièvement regardé sur sa gauche au moment derépondre au vampire à moitié saoul. Della avait lu quelque part que c’était typique dequelqu’unquinedisaitpaslavérité.
Elle avait eu raison de ne pas faire confiance à Chase. Elle rangea cette informationdansuncoindesamémoirepourseconcentrersur leproblèmedumoment.Unproblèmequidevenaitdeplusenplusenvahissant.Leperversavaitglissésamainsouslecoldutee-shirtdeDellaets’aventuraitàluicaresserlanuque.
Elle remua une épaule comme pour se débarrasser d’un insecte, en espérant que levampiresaisisselemessage.
Peineperdue.Chases’aperçutdelamanœuvreet,aussitôt,sesyeuxsemirentàluiresousl’effetdela
colère. Della lui jeta un regard d’avertissement. Elle tenait à s’occuper de ce sale vicieuxelle-même.
–Jecherchequelqu’un,déclara-t-elleens’efforçantdenepasse laisserdéconcentrer.Çanefaitpaslongtempsquesonvirusestactivé.Ilalescheveuxbrunsetcourts.
–C’est l’undesdouzemecsquetupréféreraisàceminable?demanda levampireendésignantChase,maissansluiaccorderuncoupd’œil.
Heureusement, car Della vit qu’il avait sorti les crocs et que ses yeux émettaient unelueurinquiétante.
–Oui.Là,toutdesuite,jepréféreraisêtreaveclui.C’étaitlavérité,aprèstout,elleauraitpréférésetrouverfaceautaréquiavaitassassiné
Lorraine.Elleauraitaiméqu’ilsoitlàetqu’illaprovoque,qu’illuidonneunebonneexcusepourqu’elleluirentredanslelardavantdelelivreràBurnett.
Levampirehochalatête.–J’aientendudirequ’ilyavaitunnouveaudanslecoin,lasemainedernière.Legang
desVeinardsvoulaitlerecruter.Tout en parlant, il glissa ses doigts un peu plus loin sous son tee-shirt, jusqu’à son
omoplate. Elle frémit, écœurée, mais elle était prête à supporter ça pour obtenir desréponses.
–Etoùest-cequ’onpeuttrouverlesVeinardsenquestion?– Je n’en sais rien. Je ne fais pas partie d’un gang. Je n’ai pas besoin de ça ; jeme
débrouille très bien tout seul. Évidemment, il y a des jours où j’apprécie un peu decompagnie,surtoutunepetitebeautécommetoi.
Ilrapprochasachaiseetrefermasamainmoitesursonépaule.Ellen’éprouvaitpluslebesoindeluicasserlesdoigts.Ellesecontenteraitdeluitordrelecou.
– Est-ce que vous connaissez certains des membres du gang ? demanda-t-elle sansdesserrerlesdents.
– Non. Ça fait seulement une semaine que je vis ici. Mais j’en ai vu un ou deux quitraînaientdanslecoin.
–Est-cequ’ilyenadanslebarcesoir?chuchota-t-elle.– Aucune idée. Depuis que tu es entrée, toute jeune, toute fraîche, je n’ai pas fait
attentionàgrand-chosed’autre,dit-ilavecunsourirelubrique.–Vousnevoudriezpasjeteruncoupd’œilauxclientspourvoirsivousenreconnaissez
un?Au lieu de répondre, il passa les doigts sous la bretelle de son soutien-gorge. Elle
s’efforçade cacher ses caninesdeplus enplus saillantes,mais vit queChase tremblait derage.
Qu’est-cequi lemettaitdans cet état ?Cen’était pas ses sous-vêtements à lui que ceperverstripotait.
–Allez,quoi…S’ilvousplaît,plaida-t-elleenessayantdebattredescils.Ilparcourutlapièceduregard,toutenfaisantjouersesdoigtssouslabretelledeson
soutien-gorge.Àchaquemouvement, il serapprochaitunpeuplusde lanaissancedesonsein–etdumomentoùDellacraqueraitetluibotteraitlesfesses.
–Non, jenereconnaispersonne,déclaratranquillementQueue-de-chevalavantdeseretournerverselle.Etsionallaitfaireuntourdehors?
–Etsivousmedisiezplutôtcequevoussavezsurcepetitnouveau?répliqua-t-elleenluttantpourparlerd’unevoixdouce.Est-cequ’ilalescheveuxbrunsetcourts?
–Tunepréfèrespasqu’onparleplustard?Ungrondementsourdetsinistreretentitdel’autrecôtédelatable.–Moi,jepréféreraisquetuôtestessalespattesd’elle.Chasesepenchavers levampire, lescrocsentièrementsortis, lesyeuxsi luisantsqu’il
auraitfalludeslunettesdesoleilpourleregarderenface.L’espace d’une seconde, le pervers recula, ébloui, mais il ne parut pas plus
impressionnéqueça.Graveerreurdesapart.–Disdonc,monpote,jen’aipasentendulapouletteseplaindre,alorsferme-la.Cefutlagoutted’eauquifitdéborderlevase–etquirisquaitdefairecoulerdusang.–Jevousaidéjàditquejenem’appelaispas«poulette»!hurlaDella.Ellesaisitlebrasduvampireetletorditviolemmentdanssondos.Ilpoussaungrognementdedouleurettentadesedéfendredesamainlibre,maiselle
accentua la pressionpour faire comprendre à ce taré que, aumoindre gestemalheureux,sonbraspendouilleraitàunangleincongru.Etelleferaitensortequecesoitunanglebienmoche.Certeslesvampiresguérissaientvite,maiselleavaitentendudirequ’unefracture,çafaisaitquandmêmeunmaldechien.
Leperverstournalatêtepourluijeterunregardmauvais,qu’ellesoutintsansciller.Puiselleseconcentrasurlerestedubar.Touslesautresclientslesobservaientdansun
silence hostile. Elle avait comme l’impression que ce n’était pas contre Queue-de-chevalqu’ils enavaient.Chaseetellepouvaient facilement sedéfendrecontrequatreagresseurs,mais si tous les vampiresprésentsdécidaientde lesattaquerenmême temps, elle risquaitfortdetesterelle-mêmesathéoriedelafracture.Ilfallaitqu’ilssesortentdelà,etvite.Ellejeta un coup d’œil à Chase puis désigna la porte d’un geste presque imperceptible. Ellerelâchalebrasdusalaudet,aussitôt, fonçavers lasortie,persuadéequeChaselasuivraitsanstraîner.
Ellesetrompait.Elles’arrêtajusteavantdefranchirleseuil.Chase se leva tranquillement de sa chaisemais ne fit pasmine de s’éloigner de leur
table. Au contraire, il défiait Queue-de-cheval du regard tout en adoptant une posturehostile qui semblait appeler à la bagarre. Della ne comprenait pas à quoi il jouait. Nevoyait-ilpasquetoutlemondeletoisaitméchamment?
Neserendait-ilpascomptequ’ilsnefaisaientpaslepoids?–Viens!lança-t-elle.Aussitôtellecompritsonerreur.–Tu obéis toujours aux ordres de ta pute ? demanda le vampire àChase tout en se
frottantlebras.
–Quiest-cequetuviensdetraiterdepute?rétorquaChaseenserrantlespoings.Dellasetendit,prêteàsebattre,maisavantqu’elleaitpufaireunpasenavant,Chase
avaitplaqué lesalaudcontreunmur…à l’autreboutdubar.Ellene l’avaitmêmepasvubouger!Cetypeétaitvraimentd’unevitessehallucinante!
Il tenait Queue-de-cheval par la gorge, si haut que les pieds de ce dernier sebalançaientà trentecentimètresdusol. Iln’essayaitmêmepasdesedéfendre.Àen jugerpar la couleur de son visage, il manquait d’air et avait compris que, au moindre fauxmouvement,ilseferaitbroyerlatrachée.
–Présente-luitesexcuses,ordonnaChase.– Si vous cassez quelque chose, c’est vous qui payez les réparations ! cria le serveur,
accoudéaubar.Etsivousvoulezvousentretuer,allezfaireçadehors.Onseferaunplaisirdevenirprendrelesparissurlevainqueur.
Chaseneparutmêmepasl’avoirentendu.–J’exigequetuluiprésentestesexcuses!Levisageduvampireavaitprisuneteinterougefoncé.Ilremualeslèvresmaisaucun
sonn’ensortit.–Jen’airienentendu.Essaieencore,grondaChase.L’amideQueue-de-cheval se leva.Della fonça vers luimais, avantqu’elle arrive à sa
hauteur,ilavaitlancéunetableendirectiondeChase.Sansmêmeunregardenarrière,cedernierl’attrapaauvoletlamaintintenl’airsans
effortapparent.–Assis!cria-t-il.Il gardait les yeux rivés sur Queue-de-cheval, mais cela ne faisait aucun doute qu’il
s’adressaitaupotedecelui-ci.Dellaobservalesautresclientspourévaluerd’oùviendraitlaprochaineoffensivemais,
bizarrement, personne ne semblait vouloir intervenir. Ils profitaient du spectacle, toutsimplement.
Chasereposalatable,doucement,sanslacasser.Puisilparcourutlapièceduregard.–J’aidit:assis!Levampireblondrestadebout,visiblementindécis.–J’aiunemaindelibre,l’avertitChasesuruntonmenaçant,alorsposetonculsurune
chaise, ou je t’attrape et je t’étrangle à côté de ton pote. Et si l’un d’entre vous s’avised’imiterceguignol,jeluiferaisubirlemêmesortaussitôtquej’enauraifiniaveccesdeux-là.
Levampireserassitensoupirant.–Detoutefaçon,ilmegonfle,cemec.Leserveuretlesautresclientséclatèrentderire.
En revanche, cette plaisanterie ne suffit pas à dériderChase. Il reporta son attentionsurQueue-de-cheval,quiavaitlevisagecramoisietlesyeuxexorbités.
–Alors,cesexcuses?Àmoinsquetunepréfèresquejetetordelecou…Le typeémitunsonétranglé.Chaseparut s’en satisfaire. Il lâchaprise,et levampire
s’écroulaausol.Il se mit à tousser et à se masser la gorge, tandis que Chase l’observait en silence,
commes’ilvoulaitlaisserunechanceàceminabledesereleverpourreprendrelabagarre.Puis,voyantquel’autrerestaitprostré,àessayerderecouvrersonsouffle,Chasesedirigeaverslaporte.Lentement,tranquillement,sûrquepersonnen’oseraitl’attaquer.
Ils’arrêtaàcôtédeDellaet,d’ungeste,l’invitaàleprécéder.Sauf qu’elle n’avait aucune envie d’obéir à ses ordres. Elle lui fit signe de passer le
premier.Illevalesyeuxauciel,maissortitsansprotester.Tandisqu’elletournaitlestalonspour
lesuivre,elleentenditquelqu’unmarmonner:–Jenesaispasquel typede sang ilboit, cegamin,mais j’enveuxbienunepintedu
même!Della sortit dans l’air frais de cette soirée d’octobre. Il faisait déjà nuit noire,mais la
lune presque pleine éclairait la forêt d’une lueur argentée. La jeune fille inspecta lesenvironsdubar,àl’affûtdumoindredanger,maisellenevitqu’uncoupleappuyéaumurdelavieillemaison,àmoitiédévêtu.
EllesedétournaetobservaledoslargedeChase,quimarchaitdevantelle.Ellen’avaitaucuneenvied’êtreimpressionnéeparcemec,mais…Merde,alors!ElleaussiauraitbienbuunepintedecequidonnaittantdeforceàChase.
Dixminutesplus tard, ilscouraientà touteallure.Elle tentaitderesteràsahauteur,maisilaccéléraitsanscesse.
–Suis-moisitupeux,luiavait-illancéunefoisqu’ilsétaientsortisdubar.Il n’y avait qu’une seule chose que Della détestait plus que de relever un défi en
sachantqu’elleallaitperdre,c’étaitdenepaslereleverdutout.Ellefrappait lesoldesespiedsàunrythmeeffréné, lesyeuxrivéssurChasequinesemblaitpas fournir lemoindreeffort. Bientôt il s’envola, et Della s’élança après lui, même si cela lui demandait uneconcentrationtellequ’elleenavaitmalauventre.
Sansralentir,Chasetournalatêteverselle,commepourvoirsielleallaitbien.Voyantqu’elleavaitdumalàgarderlerythme,ilpiquaverslesolenesquivantlesarbres.Ilatterritendouceur,àpeineessoufflé,etsurveillaladescentedeDella.
Elleheurta la terremeuble avecunbruit sourd,maisparvint à garder l’équilibre.Enrevanche, ses poumons semblaient incapables de lui fournir assez d’oxygène. Comme lapremière fois qu’ils avaient couru ensemble, elle sentit son estomac se révolter. Elle eut àpeineletempsdesetournerverslesbuissonspourvomir.
Lorsqu’elleseredressaens’essuyantlabouche,Chasesetenaitàcôtéd’elle.–Aumoins,cettefois,cen’étaitpassurmeschaussures.Elle le fusilla du regard. Elle n’avait pas pour habitude de se rendre malade en
courant.Ouplutôt,d’habitude,ellenecouraitpasjusqu’às’enrendremalade.–OK,jel’admets,tuesplusrapidequemoi,lança-t-ellesuruntonacerbe.Paslapeine
d’enremettreunecouche.Safiertévenaitdeprendreuncoup.–Jen’essaiepasd’enremettreunecouche.L’espace d’une brève seconde, elle vit quelque chose comme de l’inquiétude dans ses
yeuxverts.–Çafaitdubiendecourir.Allez,viens.Jet’assurequeçaaide,reprit-ilendécollantde
nouveau.Cettefoisellerefusadelesuivre.Au bout d’une quinzaine de mètres, il s’en aperçut et fit demi-tour pour revenir se
planterdevantelle.–Allez,netedégonflepas.Ellenerelevamêmepascettepique.–Çaaideàquoi?Ilhésitaavantderépondre.–Àfairefaceaudeuil.–Çava,jefaisface.C’étaitlavérité.Enseconcentrantsurl’enquêtequipermettraitdecoincerl’assassinde
Lorraine,ellepensaitmoinsàsonchagrin.–Passibienqueça.Il s’éloigna d’un pas vif. Elle se dépêcha de le rattraper, et ilsmarchèrent en silence
pendantdelonguesminutes.–Tuesprêteàrepartir?demanda-t-ilenfin.–Pouralleroù?ÀlarecherchedugangdesVeinards?–Non,prêteàrecommenceràcourir,corrigea-t-il.Notremissionestfiniepourcesoir.–Quoi?Mais…– Quelqu’un va prévenir les Veinards qu’on s’intéresse à eux. Ils seront là demain,
quandonreviendra.–Qu’est-cequitefaitdirequequelqu’unvalesprévenir?–Parcequecegenrededébitdeboissonesttoujoursaffiliéàungang.Ilsontbesoinde
protection,tucomprends.Etpuis,çaleurpermetd’avoiruneclientèlestable.–Commentçasefaitquetuensachesautantsurlesgangsetlesbarsàglobules?Cela avait-il quelque chose à voir avec les circonstances dans lesquelles elle l’avait
rencontré ? Avait-il fait partie du gang qui était en pleine bagarre quand elle avait revu
Chanpourlapremièrefois?–J’aipassépasmaldetempsàlarueavantd’arriveràShadowFalls.–Combiendetemps?Quelâgeavais-tuquandtonvirusaétéactivé?demanda-t-elle
ens’arrêtantpourattendresaréponse.Ilfitencorequelquespasavantdeseretournerverselle.–J’avaisquatorzeans.Iltournalestalonsetsemitàcourir,maisdoucement,cettefois.Ellel’imita.–Commenttuasfaitpoursurvivre?Déjàlesmusclesdesesjambesprotestaient.– Voilà ce que je te propose, on fait la course jusqu’à Shadow Falls. Si tu gagnes, je
répondsàtaquestion.Son cœur battit plus fort sous le coup de la tentation,mais elle refusa demordre à
l’hameçon.–J’aidéjàreconnuquetuétaisplusrapidequemoi.Ils’arrêta.–Onfaitlacourse,etjerépondsàtaquestionpourterécompenserd’avoiressayé.Ellen’aimaitpaslesprixdeconsolation.–Peut-êtrequejem’enfiche,enfait,lança-t-elle.Ellemouraitd’enviedesavoir lavérité,maiscela l’irritaitplusquetoutd’éprouverde
l’intérêtpourcetype.–Non,tunet’enfichespas.Tunem’auraispasposélaquestion,sinon.Dellaréfléchitàunmoyenderetournerlasituationàsonavantage.–Voilàcequemoi,jetepropose.Onfaitlacourse,etenéchange,tumedisoùons’est
rencontréslapremièrefois.Etcettefois,nemeracontepasdebobards.Ilcilla.–Jenevoispasdequoituparles.–Moi,jepensequesi,rétorqua-t-elleensoutenantsonregard.–Tun’entendspasmonrythmecardiaque?Jedislavérité.–Tuoubliesunechose : j’étais làquand tuas racontéànotrepote leperversque ta
mèreétaitvenuevivreicialorsquetum’asditquetesparentsétaientmorts.Tuasmentiàl’und’entrenoussansquetoncœurtetrahisse.
Chasesemblaitprisenfaute.–Jemensquandjen’aipasd’autrechoix.–Ouquandçat’arrange.Oupeut-êtrequetuesunmythomanequineserendpascomptequ’ilinventedeshistoires.– Si seulement c’était aussi simple. Il m’a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour
arriveràcontrôlermonrythmecardiaque.
Ellerepensaauticqu’elleavaitremarquédans lebar.Ellevintseplacer justedevantluipourétudiersonvisagemais,enmêmetemps,inclinalatêtesurlecôtépourqu’ilcroiequ’elleécoutaitsoncœur.
–Est-cequetamèrevitici?–Jet’aidéjàditquemesparentsétaientmorts,répondit-ilenlaregardantdroitdans
lesyeux.–Oùest-cequ’ons’estrencontrés?lança-t-elleavantderetenirsonsouffle.–Jenepensepasqu’onsesoitcroisésavantmonarrivéeàShadowFalls.Ilnecillamêmepas,maissonsourcilgaucheremua.Était-cesuffisantpourconsidérer
qu’ilmentait?Ets’ilmentait,pourquoi?Queluicachait-il?Ilseremitenmarche,etelleluiemboîtalepastoutenréfléchissant.Auboutdequelquesminutes,Chaserompitlesilence.–Tun’auraispasdûlaissercetypetetoucher.Commeellenedisaitrien,ilseplantadevantelleetcommençaàmarcheràreculons.–Ilrépondaitàmesquestions,lui,aumoins,objecta-t-elle.–Moiaussi,j’auraispulefaireparler.Elleredressalementon.–J’endoute.Tun’espasvraimentsongenre.LeriredeChase la surprit, tant il semblait francet spontané.Elle repensaà la façon
dontilavaitgérélasituationdanslebar.Celal’agaçaitvraimentd’êtreaussiimpressionnéeparcetype–parcementeur.
–Prêteàcourir?Il croyait peut-être qu’ils avaient conclu une espèce de pacte,mais il n’en était rien.
Dellane comptait pas lâcher l’affaire. Elle se rappela ce que lui avait dit Jenny.Qui étaitcettemystérieusepersonnequeChaseallait retrouveren secret, enpleinenuit,prèsde lagrilledeShadowFalls?
–S’ilteplaît,justeunpetitsprint,insista-t-il.–J’aiassezcourupourcesoir,dit-elle.Ils’entraînaitpourlesjeuxOlympiques,ouquoi?EllelecontournaetpritladirectiondeShadowFalls.–Allez,quoi!Çateferadubien,plaida-t-ilenmarchantàsescôtés.–Cequimeferaitdubien,ceseraitdeconnaîtrelavérité.Ellesentaitsaprésencetoutprèsd’elle,tropprès,commes’ilsétaientdevieuxamis.Ilsmarchèrentensilencependantun longmoment.Lanuit semblaitparticulièrement
calme.Seullebruitdeleurspassurletapisdefeuillesmortesrésonnaitdoucement.Ilsétaientpresquearrivés,lorsqueChaserepritlaparole.
–Mon père étaitmédecin ; il avait un petit avion, qu’il pilotait lui-même.Un jour, ils’estécrasé.Onétaittousàbord.
Della sonda son regard. Rien n’indiquait qu’il mentait, au contraire, son visage étaitempreintdetristesse.
– J’ai été grièvementblessé,mais j’ai survécu. J’étais le seul. Le type quim’a secouruétaitunvampire.C’estcommeçaquemonvirusaétéactivé.
–Etilt’arecueilli?–Oui.–C’étaitunrenégat?Elle tentaitdedéceler laraisondesavenueàShadowFalls.S’était-il infiltréà l’école
pourlecompted’uneorganisationrebelleoud’ungang?Pourpouvoirespionnerl’URF?Ilneseraitpaslepremieràtenterlecoup.– Ça dépend de ce que tu entends par là. C’est un type bien, même s’il n’est pas
déclaré.IlyavaitbienquelquechosequeDellapouvaitcomprendre…C’étaitexactementpour
cetteraisonqu’elleavaitévitédeparlerdeChanàBurnettetqu’ellerefusaitdementionnerl’existencedesononcleoudesatante.
–Maisalors…pourquoituesvenuàShadowFalls?–J’enaientenduparler,çaavaitl’airintéressant.Aussitôt,lapupilledesonœilgauchesedilatalégèrement.Ilétaitdoncvenupouruneraisonprécise,maislaquelle?Dellafaillitluidirequ’ellene
lecroyaitpas,maiselledécidad’utilisersacapacitéàdétecterlesmensongesdeChasepouren apprendre davantage. Il finirait peut-être par se retrouver coincé et obligé de toutavouer.
Soudain,elleaperçutlaclôturedeShadowFalls.Ellesortitsontéléphonedesapochepour prévenir Burnett qu’ils arrivaient et se rendit compte qu’elle avait manqué deuxappels.
Deuxpersonnesdifférentes,etaucunen’avait laissédemessage.Ellene reconnutpastoutdesuitelepremiernuméro,puissesouvintquec’étaitceluideKevin,l’amideChan.Ledeuilqu’ellecroyaitavoirécartépourl’instantluirevintenpleinefigure.
Queluivoulaitcetype?«Tuesaucourantquelesfaveurs,çapeutdevenirdevraiesgalères.»Orelleluidevaitunefaveur.
Quandellevitledeuxièmenuméro,soncœurcessadebattreuninstant.Steve.Elle refoula toutes ces émotions turbulentes et s’apprêta à appeler Burnett.Mais son
téléphonesonna.C’étaitjustementledirecteurdeShadowFalls.–Onestlà,prèsdelaclôturenord,dit-elleendécrochant.–Toutvabien?demanda-t-ild’unevoixsèche,tendue.–Oui.
–Dansmonbureau.Toutdesuite,lança-t-il.Oh,misère!Qu’était-ilencorearrivé?–OK,onarrive.–Non,Della.C’esttoiquejeveuxvoirpourl’instant.JecontacteraiChasequandj’aurai
besoindelui,déclaraBurnettavantderaccrocher.Chase la regardait, les sourcils froncés. Il avaitmanifestementécouté la conversation.
Soudainellesedemandaquiavaitdesennuis–elle,oulevampireanti-Schtroumpfs?
BurnettsetenaitsousleporchedubureauquandDellaarriva.Elleatterritjusteenbasdes
marchesduperronmais,aulieudelaregarder,ilinclinalatêteethumal’aircommepours’assurerqu’ilsétaientseuls.
Quand, enfin, il reporta son attention sur elle, ce ne fut pas avec l’expression sévèrequ’elle commençait à connaître un peu trop bien. Elle se prit donc à soupçonner que cen’étaitpasellequiétaitsurlasellette,maisChase.
–Commentças’estpassé?demandaBurnettenlafaisantentrerdanslebureau.Ildésignaunechaiseet, tandisqu’elles’asseyait, il se laissa tomberdansson fauteuil.
Son bureau avait beau être un truc monstrueux en acajou massif, il semblait tout petitquandBurnetts’installaitderrière.
Dellacommençaàraconterlesdétailsdelasoirée,maisill’arrêtad’ungeste.– Je suis déjà au courantde ça. J’avaisun autre agent sur place, ilm’adéjà fait son
rapport.Dellafronçalessourcils.–Tunenousfaisaispasconfiance?Burnetttapadupoingsurlebureau.– Ne commence pas avec ça. C’est la procédure habituelle d’envoyer un agent en
renfortquanddejeunesrecruesquimanquentd’expériencesontenmission.
Cettehistoiredemanqued’expérienceluirestaentraversdelagorge,maiselleneditrien.
–Ceque je veux savoir, c’est comment ça s’est passé entreChase et toi.Tu teméfiestoujoursdelui?
–Je…Elle repensa à la façon dont il avait pris sa défense quand le sale pervers l’avait
insultée.–Pourquoi?demanda-t-elleencroisantleregarddeBurnett.–Répondsàmaquestion,s’ilteplaît.Elledutréfléchirquelquessecondespourêtresûredesessentiments.–Oui,jesuistoujoursméfiante,maispasautantqu’avant.–Etpourtant,tuneveuxtoujourspasm’expliquercequitechiffonnechezcegarçon?Denouveau,Dellapritquelquessecondespourrépondre.ElleavaitpromisàJennyde
nepasrévélercequ’elleluiavaitdit,maisàpartça…–J’aireconnusonodeurlapremièrefoisquejel’aicroiséici.Jenesaispasoùj’aipule
rencontreravant,maisj’ail’impressionquec’étaitdansdescirconstanceseffrayantes.–Ettun’aspascrubondem’avertirplustôt?lançaBurnett.–Jevoulaisd’abordêtresûredenepasmetromper,expliquaDellaenredressant les
épaules.–Etalors?Ellehésita,chosequedétestaitBurnett.–Della,est-cequetuluifaisconfiance?Ouiounon?–Pasentièrement,maisjen’arrivepasàmerappeleroùjel’airencontré.–Est-cequetuluienasparlédirectement?–Oui,maisilmeditqu’onnes’étaitjamaisvusavantqu’ilarriveici.–Etpourtant,tun’espasconvaincue…Burnettposalesmainsàplatsursonbureauetsepenchaenavant,lestraitstirés.–Tun’aspasécoutésoncœur?–Ilarrivequelecœurmente.C’esttoiquimel’asappris.Brusquement,ellecompritqueBurnettaussi soupçonnaitChasedesavoirmentir sans
sefaireprendre.Sinon,ceseraitàluiqu’ilposeraittoutescesquestions.Franchement,elleaurait bien aimé savoir où on pouvait apprendre à contrôler son rythme cardiaque. Celadevaitêtrebienpratique,surtoutpourunagentdel’URF.
Burnettcroisalesmains.– Est-ce que tu t’es sentie en danger au cours de cettemission ? Est-ce que tu as eu
l’impressionqueChaseallaittefairedumaloutetrahir?Della réfléchit, mais se souvint surtout de la colère de Chase quand l’autre vampire
avaitprislalibertédeposerlesmainssurelle.
–Non.–Malgréça,tuneluifaispasconfiance.– Pas entièrement, non, dit-elle, sincère, avant de contre-attaquer. Toi non plus,
d’ailleurs.Qu’est-cequiachangé?–Jen’aipas…–Toutàl’heure,tutefiaisentièrementàlui,etmaintenant…tuasdesdoutes.Burnettdécroisalesmains.–Si je t’ai convoquée ici, c’estparcequependantquevousétiezenmission, j’aieu la
preuvequecertainesdesinfosqu’ilm’avaitfourniesétaient…bancales.Burnettetellepartageaientdonclesmêmessoupçons.–Ilm’aracontéquesesparentsétaientmortsdansunaccidentd’avionquandilavait
quatorzeans,etquec’étaitàcemoment-làqu’ilétaitdevenuvampire.–Oui,j’aieuconfirmationdecesfaits,ditBurnett.Dellan’imaginaitmêmepasl’horreurquelejeuneChaseavaitdûtraverseràl’époque,
entreledeuildesafamilleetsatransformation.Celan’excusaitpastout,maiscegenredetragédiepouvaitexpliquerqu’unepersonnesaineetnormaleperdetoutenotiondubienetdumal.
–Alorsqu’est-cequiétaitbancal,exactement?demanda-t-elle.–L’endroitoùilhabitaitavantdevenirici.Desrenseignementsdebase.– Il m’a dit qu’il venait de Californie, dit Della avant d’insister : quels autres
renseignements?Elle repensa à l’homme qui avait secouru, puis recueilli Chase – un vampire non
homologué.Sic’étaitlàcequ’ilcachait,ellenepouvaitpasvraimentluienvouloir.–Jevaismenermapetiteenquête,réponditBurnett.C’étaitsafaçonà luidefairecomprendreàDellaqu’ellen’avaitpasàsemêlerdeça.
Ellehésitauninstant.–Tusais…cen’estpasparcequ’iltecachedeschosesqu’ilestforcémentmauvais.Ila
peut-êtredebonnesraisonsdenepasvouloirtoutdévoiler.Elleétaitbienplacéepourlesavoir.Burnettfronçalessourcils.–Tuasraison,mais jepréfèrem’assurerquesessecretsnerisquentpasdecauserdu
tortàl’écoleouàl’URF.Malheureusement,jesaisaussiquequandlesgenscachentquelquechose,c’estrarementinnocent.Tuluifaisconfiance,oupas?répéta-t-ilensepenchantverselle.Pourquoies-tuaussiindéciseàsonsujet?
« Je sais que tu m’aimes bien. Tu n’oses pas encore l’admettre, c’est tout. » En serappelantcesparoles,ellerevitlesouriresexydeChase.
–Je…jenesaispas.Jeneluifaispasautantconfiancequ’àLucasouàDerekou…àSteve,maisjenepensepasqu’ilsoitfoncièrementmauvais.
Cettevéritéluilaissaundrôled’arrière-goût.– Bon, fit Burnett en tapant sur le bureau. Tiens-moi au courant si tu en apprends
davantage,d’accord?Leurentretienétaitterminé.Dellaselevadesachaise.–Est-cequ’onadesnouvellesdel’autopsiedeChan?–Non,pasencore.Désolé.Elle hocha la tête, le cœur lourd, et tourna les talons. Alors qu’elle s’apprêtait à
franchirleseuil,lavoixgravedeBurnettrésonnadanssondos.–Tuasfaitdubeautravail,cesoir,Della.Entreçaetl’arrestationdeCraigAnthony,je
suisfierdetoi.Sansseretourner,ellemurmura:–Merci.Unejoiebienvenueluiréchauffalecœur,etelles’accrochadetoutessesforcesàcette
émotionpositive.Elleallaitenavoirbesoinpourluttercontrelesgalèresquinecessaientdes’accumuler.
Alorsqu’elledescendaitlesmarchesduperron,sontéléphoneluiindiquaqu’elleavaitreçuuntexto.SansdouteSteve.Lesgalèrespouvaientcommencer.
Surlechemindesonbungalow,Dellasetrouvaentouréed’unprofondsilence.Lanuitétaitétrangementcalme,cequilamitenétatd’alerte.Ellesortitsontéléphonedesapoche.Elles’étaittrompée.Cen’étaitpasStevequiluiavaitenvoyéunmessage.C’étaitKevin,l’amideChan.
«Appelle-moi.»Elleluitéléphonaaussitôtmaistombasursaboîtevocale.–Qu’est-cequisepasse?C’estDella.Àpeineeut-elleraccrochéqu’uncourantd’airglacialluidonnalachairdepoule.Desnuagespassèrentdevant la lune,privant lechemindesa lumièreargentée.Della
n’arrivaitpasàdécidercequ’elletrouvaitleplusflippant,cettelueurmétallique,l’obscuritéétouffantequil’avaitremplacée,oulefroidsilencequirégnaitautourd’elle.
Brusquement,ellesentituneprésence.Ellelevalenezauvent,maissonodoratrefusade fonctionner.Elle sonda la forêt alentour et aperçut les yeuxdorésd’unopossum.Saufquecen’étaitpaslaprésenced’unanimalquil’avaitalertée.
EllerepensaaufantômedeChan,etaussitôtsoncœurseserra.Était-celui?Elleavaitcruqu’ilétaitpassédel’autrecôté,maispeut-êtres’était-elletrompée.
–Chan?C’esttoi?Leventfroidsemblaaspirersaquestionetlaréduireausilence.Lesnuagess’écartèrentsuffisammentpourqu’elleaperçoivelechemin.Elleentenditun
légerbruissementau-dessusdesatêteetlevalesyeux,espérantpresquevoirunepluiedeplumes.Maiscefutunefeuillemortequiluitombasurlenez.
Chanavait-iltroquélesplumespourlesfeuilles?Ouvoyait-elleunsignelàoùiln’yenavaitpas?
–Situeslà,jetiensàtedirequejesuisdésolée.Jenevoulaispastelaissertomber.La lune se dégagea complètement, et Della perçut un bruit de pas dans l’obscurité
derrièreelle.Chan?Lesfantômesfaisaient-ilsdubruitenmarchant?Unepeursoudainelafitfrissonner,et
elledutluttercontrel’enviedes’enfuiràtoutesjambes.Mêmemort,Chanrestaitsoncousin–uncousinqu’elleavaitlaissétomber.
Elle tourna les talonset sursautaenapercevant la silhouettequi la suivait. Incapabled’identifierl’inconnuàsonodeur,ellesentitsescaniness’allongersousl’effetdelapanique.
–N’aiepaspeur.C’estmoi,soufflaunevoixdouce.–Jenny!Ilnefautpasfairecegenredeblagueàunvampire!J’auraispuattaquer…– Désolée, dit Jenny sans s’approcher davantage. Je ne voulais pas… t’interrompre,
ajouta-t-elleenjetantuncoupd’œilnerveuxautourd’elle.Ilyaunfantôme,là?–Est-cequetusenslaprésenced’unfantôme?demandaDella.SavoixfitéchoautremblementquirésonnaitdanscelledeJenny.–Non, j’en serais bien incapable, expliqua Jenny,mais tu parlais à… ton cousin. Tu
perçoislaprésencedesesprits?–Non.Pasvraiment.Elle n’en était pas sûre elle-même. Elle avait vu Chanmais ne l’avait pas réellement
senti.Entoutcas,pasdelafaçondontKyliesentaitlesfantômes.–Iln’yaquenousdeuxici?Tuescertaine?demandaJenny.–Oui.C’étaitdumoinscequ’elleavaitenviedecroire.–Bon,soufflaJennyens’approchantd’elle.Est-cequeDerekt’aappelée?–Non.Pourquoi?Dellaseremitenmarche.Ellen’aimaitguèrel’admettre,maiselleétaitplutôtcontente
denepasêtreseule.–Ilarécupéréleyearbookdontvousaviezparlé.Ilyalesphotosdetesdeuxtantes,de
tononcleetdetonpèrededans.Un vague espoir gonfla la poitrine de Della. Elle allait peut-être retrouver une vraie
famille,aprèstout.Ellesortitsontéléphonedesapoche.– Derek est déjà chez toi. Avec Kylie. Seul avec Kylie, marmonna Jenny sur un ton
accusateur.J’aivuMirandasortirdubungalowavecPerryunpeuplustôt.Impatientedevoircefameuxyearbook,Dellarangeasontéléphoneetpressalepas.Ce
n’estqu’auboutdequelquesmètresqu’elleserenditcomptequeJennynelasuivaitpas.–Tuviens?lança-t-ellepar-dessussonépaule.
–Non,marmonnaJennyendéplaçantdesfeuillesmortesduboutdesachaussure.Della comprit ce qui se passait dans la tête du caméléon. Elle revint vers elle en
soupirant.–Écoute,Jenny.DereketKyliesontseulementamis,maintenant.–Tun’ensaisrien.–Biensûrquesi !Kylieest folleamoureusedeLucas.Ellen’iraitpas fairedesbêtises
avecDerek.Quantàlui, ils’estcomplètementremisdeleurhistoire.Tuesaucourantquelesvampiressententlesphéromonesdesautres,pasvrai?Fais-moiconfiance,Derekn’émetpas de phéromones du tout quand il est avec Kylie. Par contre, quand tu es dans lesparages,çadevientirrespirable.
Dumoinsétait-celecasquandsonodoratfonctionnait.–Peut-être,maisiladmireKylie.–Et alors ?C’est uneprotectrice.Moi aussi, je l’admire.Çane veut pasdire que j’en
pincepourelle.–Elleest tellementgéniale…Jenefaispas lepoids,grommelaJennyavecunemoue
chagrine.–C’estcequej’essaiedetedire:tun’aspasàessayerdefairelepoids.Vousn’êtespas
enconcurrence,Kylieettoi.Soudainelleeutuneidée.–Tunemecroiraspastantquetunel’auraspasvudetespropresyeux,pasvrai?–Tantjen’auraipasvuquoi?–KylieetDerekensemble,entraindediscutergentiment,sansrienfairedemal.Viens,
rends-toiinvisibleetdonne-moilamain.–Je…Jenecroispasquecesoitunebonneidée.–Pourquoi?Tuseraisfixée,aumoins.–Oui,mais…Jenesaispassijesuiscapabledetefairedisparaître.Jenesuispasaussi
douéequeKylie.Etpuis,Burnettm’ainterditd’espionnerlesgens.–Ilnes’agitpasdelesespionner,maisdeterassurer.Nuance.–Burnetts’estmontrétrèsclair.Larègle,c’estque…– Parfois il est nécessaire de ne pas obéir trop scrupuleusement. D’ailleurs en toute
rigueur,tun’esmêmepascenséetepromenercommeça,jetesignale.–Oui,mais…–Etcen’estqu’enessayantdemerendreinvisiblequetusaurassituenescapableou
pas.Jenny ne dit rien,mais Della vit qu’elle était tentée par ce plan. Cette fille avait du
cran.C’étaitpeut-êtrepourçaqueDellalatrouvaitsympathique.–Çasetente,non?dit-elleenprenantlamainducaméléon.Allez,essaie.
–C’estgénial!Unpeuflippant,maisgénial,soufflaDella.
Ellesentaitsonproprecorpsmaisnesevoyaitpas.EllenevoyaitpasnonplusJenny.Debout sous le porche du bungalow, elles regardaient Kylie et Derek par la fenêtre. CesderniersdiscutaientdelamèredeDerek.
–Chut,fitJennyenluiserrantlamainunpeuplusfort.KylieproposaquelquechoseàboireàDerek,et ilsallèrent s’installerà la tablede la
cuisine.–Tuveuxquej’appelleBurnettpoursavoiràquelleheureDelladevraitrentrer?–Non,c’estbon.Jevaisattendreencoreunpeu,maissiellen’arrivepas,jeluilaisserai
l’albumetonparlerademainmatin.Malheureusement,iln’yapasgrand-chosedenouveaulà-dedans,maispeut-êtrequeçavanousouvrirdenouvellespistes.
Kyliehochalatête.–Etsinon,commentçavaavecJenny?CettedernièrecrispalamainsurcelledeDella.Lavampireeutsoudainpeurquesabonneidéeluiexploseàlafigure.Ellenesefaisait
aucun souci au sujet de Kylie et de Derek, mais… Et s’il disait quelque chose que Jennyn’aimeraitpasentendre?Merde!LarègledeBurnettavaitpeut-êtredubon,aprèstout.
–Toutdoucement,réponditDerek,l’airdéçu.–Tuluiasparlé?Tuluiasditcequeturessentais?demandaKylie.Dellasedétenditunpeu.–Sionveut…Jel’aiembrassée.–Cen’estpaspareil.Sielleteplaîtvraiment,ilfautquetuluienparles.–Peut-être,maisjenevoudraispasl’effrayerenétanttropdirect.– Moi, je crois que c’est toi qui as peur, rétorqua Kylie. Comme dirait Della, fais-toi
violenceetsors-toileculdesronces!–Oh,ellemecite!s’écriaDellaenriant.–Chut,fitJenny.–Qu’est-cequejepeuxluidire?demandaDerek.–Jenesaispas,moi.Pourquoitunecommencespasparluirévélercequeturessens?
suggéraKylie avant demarquer unepause. Tiens, dis-moi : qu’est-ce que tu ressens pourelle?
–Ellemeplaît. Beaucoup. Jeperçois ses émotions bienplus clairement que celles den’importequid’autre.Même là, toutdesuite, je sens saprésenceet jedevinequ’ellen’estpastrèsàl’aise,qu’elledoutedequelquechose.
–Arrêtededouter,soufflaDella.–J’aimeraisbien,figure-toi,rétorquaJenny.Etpuis, ilsnepeuventpasnousentendre
quandonestinvisibles,alorscen’estpaslapeinedechuchoter.–Jesais,maisjeveuxsuivrecequ’ilsdisent.Dereksecoualatêted’unairpensif.
–Elleestdouceet,enmêmetemps,elleaunsacrécaractère.J’admirelecouragedontellefaitpreuvedepuisqu’elleestarrivée,mêmesitoutlemondeoupresquelaregardedetraversparcequ’elleestcaméléon.
Dereksetutuninstantavantdepoursuivre.– Elle est super belle mais elle ne semble même pas s’en rendre compte. Elle est
innocente, et pourtant elle n’aspire qu’à découvrir de nouvelles expériences. Elle estintelligenteetellen’hésitepasàlaramenerdetempsentemps,dit-ilensouriant.Etpuis,j’adorelafaçondontellevoitlavie.J’aimeraisêtrelàpour…partagertoutescesnouvellesexpériencesavecelleet…etm’assurerqu’ilneluiarriverien.
–C’esttropmignon!soufflaJennyd’unairattendri.Della eut l’impression d’entendre Miranda quand elle leur parlait de Perry. Elle se
demanda si Jenny était consciente que certaines des expériences auxquelles Derek faisaitallusionétaientsansdouteinterditesauxmoinsdedix-huitans.Maiscen’étaitqu’undétail.Jennyavaitraison.Derekétaitadorable.
Dellan’étaitpeut-êtrepasprêteàselancerdanscegenrederomance,maiselledevaitbienadmettrequecelaavaitdebonscôtés.Peut-êtremêmequ’unjour,unefoisquesavieseraitredevenueàpeuprèsnormale,ellepourraits’autoriserceluxe.
–Ondiraitqu’iltientvraimentàmoi,repritJenny.– Je te l’avais dit ! Maintenant, est-ce que je peux aller lui parler et récupérer ce
yearbookquim’acoûtéunmoisd’argentdepoche?
Àvingt-deuxheures,Dellaétaitcouchéeetfeuilletaitl’album.ElleavaitregardétouteslesphotosdesTsang,mais étaitparticulièrement fascinéepar cellesde sa tanteetde sononcledisparus.Avantdepartir,Derekavaitnoté lesnomsdespersonnesquecesderniersavaient fréquentées. Il comptait les contacter grâce à Facebook pour essayer d’obtenirdavantaged’informations.
– C’est impressionnant, le nombre d’enquêtes qui sont résolues grâce aux réseauxsociaux,quecesoitparlapoliceoupardesdétectivesprivés,avait-ildit.
–Jepeuxlefaire,situn’aspasletemps,avaitrépliquéDella,quicommençaitàavoirmauvaiseconsciencedetantcomptersurlui.
–Si tuveux,mais il fautruserquandtuformulestesquestions,sinonturisquesdetefaireclaquerdesportesaunez.
Elleavaitdoncfiniparlelaissers’enoccuper.Aprèstout,elleavaitdéjàfortàfairedesoncôté.
Son téléphone lui annonça qu’elle avait unmessage, ce qui lui rappela qu’elle avaitreçuuntextopendantqu’ellediscutaitavecDerek.Elleavaitjustejetéuncoupd’œil–etvuquec’étaitdelapartdeSteve.Ellen’avaitdoncpaslulemessage.Ellen’enavaitpasenvie.Elleavaitpeurde se laisser submergerpar le chagrinparcequ’il luimanquait – etpar la
rage de savoir qu’il avait non seulement embrassé Jessie, mais aussi passé du temps autéléphoneavecelle.Àtroisreprises!
Elletournaunepagedel’albumetpoussaungrossoupir.Non,ellen’étaitclairementpasprêteàaffronterSteve.Peut-êtreque,dansunanoudeux,çairaitmieux.Elleenfouitlatêtedanssonoreilleravecungrognementsourdavantdeseconcentrersurleyearbook.
Unephotoduclubdedébatattirasonattention.Ilyavaittropdemondepourquelesnomssoientnotés,maisellereconnaissait l’undesgarçons,sanssavoirs’ils’agissaitdesonpèreoudesononcle.Duboutdudoigt,elletraçalescontoursdecevisagefamilier,ensedemandant si elle éprouverait pour son oncle le même attachement qu’elle avait euautrefoispoursonpère.
Non.Un attachement qu’elle avait toujours. C’était lui qui avait cessé de l’aimer, pasl’inverse.
Ellefermalesyeux,lagorgenouée.Soudain,elleravalasapeineenentendantquelqu’unapprocherdubungalow.Merde!
Etsic’étaitSteve?Ellehumal’air,maisenvain.Soncœurbonditdanssapoitrine.Ellen’étaitvraimentpasprêteàfairefaceàSteve.
Dellatenditl’oreille.LadémarcheétaittroplégèrepourquecesoitSteve.
Onauraitdit…Laportedubungalows’ouvrit.–Coucou!Ilyaquelqu’un?–Oui!lançaDella.Elle se leva et sortit de sa chambre. Elle n’avait pas encore présenté ses excuses à la
petitesorcière.–Salut,ditMirandaenlavoyant.Ellenesemblaitpasfâchée,aussiDellaenvisagea-t-elledesetaire,maiselleluidevait
biença.–Jesuisdésolée…pourmaréactiondetoutàl’heure.J’aiétéodieuse.–Carrément,maiscen’estpasgrave,lançaMiranda.Jetel’aidit,jesuisprêteàpasser
l’éponge sur tes vacheries étant donné toutes les galères que tu te traînes en cemoment.Maisattention,situnet’espascalméed’icideuxsemaines,jedégainemonpetitdoigt.
Sijenemesuispascalmée?!Dellasemorditlajouepournepass’énerver.–C’estgentil,maisiln’empêchequejesuisdésolée.–J’acceptetesexcuses,déclaraMirandaensouriant.Kylieestlà?–Non,elleestalléefaireunepromenadeauclairdeluneavecLucas.Mirandaouvrit le frigoeten sortitdeuxcannettes.Elleen tendituneàDella touten
l’observantattentivement.
Dellareconnutcetteexpression:lapetitesorcièreexaminaitsonaura.–Qu’est-cequetuvois?demanda-t-elle.–Tonauraesttoujoursdangereusementsombre.MirandaouvritsacannettemaisnequittapasDelladesyeux,l’airinquiète.–Qu’est-cequis’estpasséentreSteveettoi?demanda-t-elleauboutd’unmoment.–Jessiel’aembrassé.Celane l’amusaitpasdu toutde raconter cettehistoire, surtoutpour la seconde fois,
maissiMirandaapprenaitqu’elleenavaitparléàKylieetpasàelle,elleétaitsusceptibledese vexer. Cela risquait de mener à une attaque du petit doigt, ce qui pouvait se révélerdangereux.
–Attends,là.Ilt’alarguéepoursortiravecelle?–Non.Ons’estdisputésetjeluiaiditquej’avaisdéjàsuffisammentd’ennuiscommeça.Certes, elle n’avait pas lu le texto qu’il venait de lui envoyer. Peut-être qu’il lui
apprenaitqu’ilétaitdésormaisfouamoureuxdeJessie,maiselleendoutait.–Est-cequ’ils’estexcusé,pourlebisou?demandaMiranda.–Oui,mais…–Maistuesquandmêmefurieusecontrelui,conclutlasorcièreàsaplace.Dellasetassasursachaise.–Ouais.Pourtantonn’étaitmêmepasensemble,luietmoi.–Mais si ! Évidemment que vous étiez ensemble. Vous évitiez de le crier sur tous les
toits,c’esttout.Dellaauraitvoulupouvoirlenier,maiselleenfutincapable.Mirandabutunegorgée.–Tu le crois, quand il tedit que c’est Jessie qui l’a embrassé et pas l’inverse ?Ou tu
pensesqu’ilt’amenti?–Non,jelecrois.Cen’estpasça,leproblème.–Leproblème,c’estqueçatefaitmal,devinaMiranda.Dellasoupira.–Peut-être…Oui,tuasraison,çafaitsupermal.Miranda hocha la tête d’un air compréhensif. Pendant un longmoment, elles burent
leur Coca en silence, tranquillement. La petite sorcière enroulait une mèche de cheveuxrosesautourdesondoigt,pensive.Soudainelleécarquillalesyeux.
–J’aiuneidée!Bon,tuvasmeprendrepourunefolle,mais…–Maisvuquejeteprendsdéjàpourunefolle,tun’asrienàperdre.Dis-moitout.–ÇaamarchépourPerryetmoi,quandilm’envoulaitd’avoirembrasséJacob.Mirandamarquaunepause,histoiredeménagerlesuspense.–IlaembrasséMandy,onaeuunegrossedispute,puisons’estpardonné.Etvoilà!Dellan’étaitpassûredecomprendrecequesuggéraitsonamie.
–Quoi?Tuveuxquej’embrassePerry?–Mais non ! Pas Perry ! Par contre, si tu embrasses quelqu’un d’autre que Steve, ça
t’aideraàoubliertacolère.Dellalevalesyeuxauciel.–Écoute,Miranda,jesaisbienquelesmaths,cen’estpastonpointfort,maistuessans
douteaucourantquecen’estpasenfaisantunebêtisequ’onenrattrapeuneautre.–Pourquoipas, si çapermetde régler leproblème?Tu tiens vraiment àSteve, je le
sais. Et il t’aime beaucoup. Alors va embrasser quelqu’un d’autre. Le nouveau, là, Chase,parexemple!Tuvaslevoir,tuluifaisungrosbisoubientorride,etletourestjoué.Vousserez à égalité, Steve et toi, et vous pourrez tourner la page. Ton aura retrouvera unecouleurnormale,ettoutlemondeseracontent.C’estçaouallerobserverlesoiseaux.Àtoidevoir.
Dellaneputs’empêcherderire.–Désolée.Jesaisque tuessaiesdem’aider,mais jecroisbienquec’est lepireconseil
quej’aiejamaisentendu.–Quoi?Observerlesoiseaux?–Non!EmbrasserChase!
Lelendemain,Dellapritsoind’éviterChasependanttoutelamatinée.Jusqu’àceque,
àl’heuredudéjeuner,ill’interceptealorsqu’ellegagnaitlacantineencompagniedeKylie,MirandaetJenny.Ils’approchad’ellesetlapritparlebras.
–Tuveuxbienm’accorderuneminute?Ill’entraînaverslaforêttoutencriantàsesamies:–Allez-y,ellevousrejoint!LepremierréflexedeDellafutdeselibérer,maisellefutchoquéedesentiràquelpoint
lamaindeChaseluiparaissaitfroide.Safièvren’étaitdoncpasretombée?Sonmaldetêteétaitpassé,aussis’était-ellecrueguérie.Enfin,àl’exceptiondesonodorat.
C’est alors qu’une idée la heurta de plein fouet. Chan était mort d’une maladiesoudaine.Etsi…?
Çanevapas,non?Ellen’étaitpasentraindemourir;c’était justeunpetitrhumederiendutout.D’aprèsKevin,Chanétaitvraimentmalenpoint.Cen’étaitpaslecasdeDella,etellen’étaitpashypocondriaque.
Elle refoula ces réflexions absurdes et jeta un coup d’œil à ses amies. Miranda luiadressa un grand sourire, auquel elle répondit par un regard courroucé. Elle savait trèsbiencequelapetitesorcièreavaitentête,mais iln’étaitpasquestionqu’elleembrassecetarrogantpersonnage.Jamaisdelavie!
Pourtant,sansbiensavoirpourquoi,elleselaissaentraînerverslaforêt.–Qu’est-cequetuveux?lança-t-ellelorsqu’ilsatteignirentlespremiersarbres.–J’aitroisquestions.D’abord,àquelleheureest-cequ’onseretrouve,cesoir?
–IlmesemblequeBurnettnousadonnérendez-vousàvingtheuresdevantlebureau.Questionsuivante.
–Àtonavis,commentçasefaitqueledirecteurducentreaitsoudainperduconfianceenmoi?
–Questionsuivante.Dellan’avaitaucuneenviedeparlerdelaméfiancedeBurnettàl’égarddeChase–ou
desonmanquedeméfianceàelle.Ellen’enrevenaittoujourspasd’avoirplusoumoinsprisladéfensedecetypefaceàBurnett.
– Ilm’a convoqué dans son bureau hier soir etm’a fait subir un interrogatoire d’uneheure.
–Ilvafalloirt’yhabituer,ilfaitçaàtoutlemonde.–J’aidumalàlecroire.Est-cequ’ilt’aposédesquestionssurmoi?L’espaced’uneseconde,ellefaillit luiavouerqueBurnettlesoupçonnaitd’avoirmenti
surcertaineschoses.Elleouvritlabouchepourparler…puisseravisa.LesyeuxdeChasesemirentàluirelégèrement.–Qu’est-cequisepasse,Della?–C’estàBurnettqu’ilfautposercettequestion.D’ailleurs,tudevrais.–Jedevraisquoi?–Allerluiparler.Iln’estpas…Jesaisqu’ilal’airdur,commeça,maisengénéralilest
juste.Aumoinssoixantepourcentdutemps.–Tuluiracontestout,toi?demanda-t-ild’unairsoupçonneux.Non,jeneluiaipasparlédemononcle.–Presque.Aumêmemoment,lebruitdelacascaderésonnaàsesoreilles.–Tuentendsça?–Quoidonc?fitChase.–Rien,dit-elle,furieusecontreelle-même.Ellebaissalesyeuxetcommençaàtaperdupiedsurlesolfroid.–C’esttoutcequetuavaisàmedemanderoutuveuxautrechose?– C’est dangereux, de me poser une question pareille, rétorqua-t-il d’une voix
charmeuse.Elleluijetaunregardnoirtoutencroisantlesbras.–Mesamiesm’attendent.–Tumedonnestonnuméro?dit-ilensortantsontéléphonedesapoche.Commeça,
la prochaine fois que j’aurai quelque chose à te demander, je t’appellerai et tu pourrascontinueràfairesemblantdenepasvoirquej’existe.
–Je…–Tuaspassélamatinéeàm’éviter,Della.Jel’aibienremarqué.
Elletapadupiedunpeuplusfort,unpeuhonteused’avoirétépriseenflagrantdélitdegaminerie.Pourtantellen’avaitpasvraimentlechoix.Chaseavaitclairementmanifestésonintérêtpourelle,etellenevoulaitsurtoutpasl’encouragerdanscettevoie.
–Tonnuméro,Della,insista-t-il.Ilsemblaitperdrepatienceet,quandillevalesyeuxverselle,ellevitdelapeinedans
sonregard.Elles’envoulutaussitôt–etfaillitpaniquerquandelles’enrenditcompte.–Allez,donne-moitonnuméro,qu’onenfinisse.Ellecéda.Aprèstout, ilvalaitmieuxrecevoiruncoupdefildesapartquedesefaire
traînerjusquedanslaforêt.–Merci,dit-il.Jet’appelleraitoutàl’heure,commeçatuauraslemienaussi.Jeneveuxpasdu tien, faillit-elle rétorquer.Maiselle se tut. Ils travaillaientensemble,
elle aurait peut-être besoin de le contacter. Elle aurait préféré savoir ce qu’ilmijotait – àsupposerqu’ilmijotâteffectivementquelquechose.
Alors qu’elle s’apprêtait à tourner les talons, il lui caressa la joue pour écarter unemèchedecheveux.
Ellerepoussasamaind’unetapevive.Iléclataderire,maisrecouvravitesonsérieux.–Çava,toi,sinon?demanda-t-ilenmettantlesmainsdanslespoches.–Commentça?Avait-ilremarquéqu’elleavaitdelafièvre?Ilhésitauninstant.–Jevoulaisdire…aveclamortdetoncousin,expliqua-t-il,l’airsincère.–Çava,souffla-t-elledoucement.Elle aurait préféré qu’il arrête de se montrer trop gentil. Cela lui aurait évité de se
montrertropméchanteàsontour.Ellenesavaitpascommentluifairecomprendrequ’ilnel’intéressait pas sans jouer les garces hautaines. En même temps, il n’était pas obligéd’insisterautant.
Elleneluifaisaitpasconfiance,pourtantelleavaitprissadéfensefaceàBurnett.Ellene l’aimaitpas,pourtantelleressentaitde lasympathiepour luiparcequ’ilavait
perdusafamille.Elle savaitqu’il leur cachaitdes choses,àBurnettetàelle,maisenmême tempselle
avaitelleaussisespetitssecrets.Où l’avait-elle croisé la première fois ? Pourquoi lui avait-il menti à ce sujet ? Mais
d’ailleurs, était-elle sûre qu’ilmentait ? Peut-être qu’elle avait perçu son odeur sans qu’ilidentifielasienne.Cen’étaitpasimpossible.
Etpuis,tuasvucedontilétaitcapableetçat’impressionnebeaucoup,murmuraunepetitevoixdans sa tête. Elle s’efforçade la faire taire, en admettant que ses sentimentspour ce
garçon étaient nuancés, noir et blanc, comme le yin et le yang. Sauf que le noir était entraindevireraugris.
Celanevoulaitpasdirequ’ilyavaitquoiquecesoitderomantiqueentreeux.«Vaembrasserquelqu’und’autre.Lenouveau,là,Chase,parexemple!Tuvaslevoir,
tuluifaisungrosbisoubientorride,etletourestjoué.»Ungrosbisoubientorride.Elleobservales lèvresdeChaseensedemandantcequeça
feraitde…Oh,merde!Pourquoifallait-ilqu’ellepenseàça,justementàcemomentprécis?Soudain elle se rendit compte qu’ils étaient plantés là depuis une minute, chacun
regardantbêtementlabouchedel’autrecommedansunecomédieromantiqueàlanoix.–Ilfautquej’yaille.Elletournalestalons,maisàpeineavait-ellefaitquelquespasqu’elleentenditlavoix
deChasedanssondos.–Àcesoir!Elle y décela une certaine impatience et crut deviner que ce n’était pas dû qu’à
l’enquête.Ellefaillitluicrierdenepassefaired’illusions,maisseravisa.Elleleluiavaitdéjàdit.
Ellesel’étaitrépétéàelle-mêmeaussi,aucasoù.Elle partit en courant rejoindre ses trois amies qui l’attendaient avec une curiosité
évidente.Naturellement,cefutMirandaquiposalaquestion.–Alors?Tul’asfait?–Maisnon!gronda-t-elle.–Jetel’avaisbiendit,soufflaKylieenregardantlasorcière.Dellasetournaverslesdeuxcaméléons.– Elle vous a fait part du super conseil qu’elle m’a donné ? Franchement, où est-ce
qu’ellevachercherdesidéespareilles?–Hé!Jelatrouvetrèsbien,monidée,protestaMiranda.– Je peux comprendre que ça fonctionne, intervint Jenny d’une voix douce.Mais, en
mêmetemps,c’estrisqué.ImaginezqueDellaaimeunpeutropembrasserChase…–Impossible,ditDella.Çan’arriverapas,parceque…parcequeçan’arriverapas.Elle jeta un coup d’œil aux deux caméléons en espérant qu’elles ne s’étaient pas
transforméesenvampirespourl’occasion.Sinon,ellesauraiententendusoncœurbattreunpeuplusfort.
–Pourtantilestfranchementcanon,fitremarquerKylieavecunsouriretaquin.Malheureusement,Dellan’étaitpasd’humeuràplaisanter.–Tun’asqu’àallerl’embrasser,toi,puisquetuletrouvessibeau!–Nonmerci, j’ai trouvé l’hommedemes rêves, rétorquaKylieavecunbref regarden
directiondeJenny.
–Sijeproposaisça,c’estparcequeçaamarchépourPerryetmoi,commentaMiranda.Çavautpeut-êtrelecoupd’essayer,non?
Dellalevalesyeuxauciel.– Ouais. J’essaierai quand les poules auront des appareils dentaires. Maintenant, si
vous voulez bien, j’aimerais qu’on arrête de parler de Chase. Ça me donne des idéesbizarres.
– Oh ! Quel genre d’idées bizarres ? demanda Miranda en ouvrant de grands yeuxmalicieux.
Dellapoussaungrondement,maisaumêmemomentsontéléphonesonna.SansdouteChasequiappelaitpourluilaissersonnuméro.Ellesortitleportabledesapoche.
Cen’étaitpasChase.–Quic’est?s’enquitMiranda.–Personne,rétorquaDella.Cettesacréesorcièreétaitdécidémentbientropcurieuse.–Ça,çaveutdirequec’estSteve,conclutMiranda.Della lui montra les dents avant de s’éloigner d’un pas vif. Elle aurait aimé laisser
derrièreellesesennuis,Steve,Chaseetsesamiesindiscrètes.Puissontéléphoneluiannonçaqu’elleavaitunnouveaumessagevocal,etellecomprit
que,tôtoutard,illuifaudraitaffronterSteve.Maiscomment?
« C’est impressionnant, le nombre d’enquêtes qui sont résolues grâce aux réseauxsociaux.»
Elle passa tout son cours de littérature – le dernier de la journée – à réfléchir à cequ’avaitditDerek.Cen’étaitpeut-êtrequ’unerusedesonespritpourladivertirdetoussesautresproblèmes,maiscelaavaitportésesfruits.Ellevenaitd’avoiruneidée.
Facebook,mevoilà.Ellen’avaitpeut-êtrepas la finessenécessairepour faireparler lesancienscamarades
declassedesonpèreetdesesoncleettantes,maisellen’auraitaucunproblèmeavecdesfilles de son âge. Peut-être que, avec un peu de chance, elle parviendrait à glaner desinformations utiles au sujet de Lorraine. Cela ne lamènerait peut-être à rien,mais ça nepourraitpasluifairedemald’essayer.
Unefoisdeplus,ellesetrompait.Plus elle en apprenait sur Lorraine, plus c’était douloureux. C’était une jeune fille
saine, généreuse et pleine de vie qui avait été sauvagement assassinée, et le gâchis luiparaissaitimmense.
Della avait commencépar rechercher tout cequ’ellepouvait au sujetdeLorraine surFacebook et Twitter, ainsi que dans les journaux de la région. Elle avait découvert queLorraineavaitfaitunstagededanseàNewYorkaucoursdel’été.ElleavaitmêmeaperçuquelquestweetsavecdesphotosduchiotqueLorraineavaitadopté.C’étaitundecespetits
machinsaveclemuseautoutécraséetdesoreillesdémesurées.Unepauvrebestiolesilaidequeseulesamamanpourraitl’aimer.
Dumoinsjusqu’àcequelabestioleenquestionsoittransforméeenvampire,chuchotaunepetitevoixcyniquedanssatête.
Rejetant cette pensée désagréable, Della contacta six personnes qui connaissaientLorraine. Heureusement, les gens sont toujours contents d’avoir de nouveaux amis surFacebook.Deuxheuresplustard,Dellaétait«amie»avecquatredescopinesdeclassedeLorraine.
Elleleurenvoyaunmessage,enexpliquantqu’elleavaitrencontréLorraineàNewYorket qu’elle venait seulement d’apprendre la nouvelle de sa mort. Le seul risque qu’ellecourait,c’étaitquel’unedecesfillesaitfaitlemêmestagededansequeLorraine,maiscelanesemblaitpasêtrelecas.
Trois d’entre elles lui répondirent dans l’heure qui suivit, et Della entama desconversationssimultanées.Trèsvite,elleeuttroisversionsdifférentesdesderniers joursdeLorraine,etétaitaucourantaussibiendelacouleurpréféréedelajeunefemmequedeladisputequ’elleavaiteueavecsamèrelesoirdesamort.
Malheureusement,parmitoutescesinformations,ellenevoyaitpasdepisteutile.–Qu’est-cequetufais?demandaKylieenentrantdanslebungalow.–Jefaisdesrecherchespourmonenquête.–Ausujetducoupleassassiné?–Oui.Della se demanda une fois de plus pourquoi sa curiosité se portait exclusivement sur
Lorraineetpassursonpetitami.Ellesesentaitpeut-êtreplusconcernéeparcequec’étaitunefille,toutsimplement.
–Tuviensdîner?repritKylie.–Non,j’aidusangdanslefrigo.–OK.Mais si tun’aspasenviede rester toute seule,onvaallerauborddu lacpour
fairegrillerdesChamallowssurunfeudecamp.–C’estgentil,maisjesorsenmission,cesoir.Ellevitdel’inquiétudedanslesyeuxbleusdeKylie.– J’aimeraisbienqueBurnettm’autoriseà t’accompagner. Jepourrais tedéfendre,en
casdebesoin.Dellasecoualatête.–Tuasbeauêtreprotectrice,çanefaitpasdetoiunagent.–Pourtantons’estbiendébrouilléesaufunérarium,ditKylieentournantlestalons.–C’estvrai!Dellasouritetluifitaurevoirdelamainavantdeseconcentrersursonécran.
Lindsey, l’une des trois copines de Lorraine, venait enfin d’écrire quelque chosed’intéressant.
«Quand j’ai entenduparlerde l’accident, je te jure,mapremière réaction, ç’a étédemedirequec’étaituncoupdePhillip.Ilauraittrèsbienpulessuivreetlesforceràsortirdelaroute.»
Pas vraiment…àmoins que ce ne soit un vampire, pensaDella. Elle se rappelait avoirentendudeuxfillesparlerdudénomméPhillipà l’enterrementdeLorraine.C’étaitsonex.Elles’empressaderépondre.
«Oui,j’aientendudirequ’ilss’étaientséparés,maisjen’avaispasl’impressionqu’ilétaitméchant.Si?
–Pasaudébut,maisàpartirdumomentoùilacommencéàjouerdanscegroupe,là,ilestpartiensucette.Jenesaispassic’étaitparcequ’ilsedroguaitouquoi…»
Tiens donc. Le Phillip en question avait donc rejoint un groupe. Et il était parti ensucette.Devenirvampirepouvaitavoircegenred’effet secondaire.Dellahésitaun instant,lesmainsau-dessusduclavier.Puisellefinitpardemanderauxtroisjeunesfilles:«C’étaitquoi,lenomdefamilledePhillip,déjà?J’aioublié.»
Unefoisdeplus,cefutLindseyquiréponditlapremière.«Lance.–Ahoui,c’estvrai,écrivitDella.Etsongroupe,ils’appelaitcomment?Tulesasdéjà
vusjouer?»Le temps qu’elle pose la même question aux deux autres filles, Lindsey avait déjà
répondu.« Non, je ne les ai jamais vus. Ils n’arrêtaient pas de changer le nom du groupe.
D’ailleurs, ils ont fini par se séparer, mais, aux dernières nouvelles, ils s’appelaient SangPourpre.»
SangPourpre?C’était lenomdugangqueChanétaitvenurejoindre.Undésagréablefrissonparcourutl’échinedeDella.Sepouvait-ilquecenesoitqu’unecoïncidence?ElleserappelacequeBurnettluiavaitditausujetdescoïncidences:iln’ycroyaitpas.
Elle agita les doigts au-dessus de son clavier, cherchant un moyen d’en apprendredavantagesanséveillerlessoupçonsdestroisfilles.
« Je n’ai jamais compris ce que Lorraine lui trouvait, à ce type. J’ai vu une fois unephotodelui.Iln’étaitmêmepasbeau.Ilavaitlescheveuxroux,non?»
Personne ne répondit pendant plusieursminutes puis, finalement, Lindsey se dévouadenouveau.
«Non,ilétaitbrun.Moi,jeletrouvaisplutôtsexy.Ilavaituntatouagedanslecou.Uncrâne.»
Soudain, Della vit l’heure qu’il était. Merde ! Elle n’avait pas le temps de creuserdavantage. Il fallait qu’elle aille retrouver Chase devant le bureau de Burnett. Elle
envisageadefairepartdesesdécouvertesàcedernier,maisseravisabienvite.Ilrisquaitdelui reprocher sonmanquededistanceémotionnelleavec la jeunemorteetde lui rappelerque les meurtres commis par des vampires n’avaient souvent aucun lien avec la victime.Saufquel’exdelavictimeenquestionétaitpeut-êtreunvampire.
«Ilfautquej’yaille»,écrivit-elleauxtroisfillesavantdesortir.Ellesepromitdefaireunerecherchesur legroupederockqui s’appelaitSangPourpredès son retour.Soudain,ellesesouvintqueKevin, lecopaindeChan,connaissaitcertainsdesmembresdugang. Ilpourraitpeut-êtrelarenseignerausujetdufameuxPhillipLance.
Soninstinctluidisaitquec’étaitunepistebienténue,maiscelan’allaitpasl’empêcherdelasuivrejusqu’aubout.
Lesconversationsetleséclatsderirequirésonnaientdepuisl’intérieurdubarseturentlorsqueChaseetDellaatterrirentdevant lavieillemaison.Dellaaperçutuncoupleenlacécontreuntroncd’arbre,nonloin.Desamants?Ouunepauvrefillequivendaitsoncorps?Cetteidéelafitfrémir.
–Legangestlà,l’informaChasedansunmurmure.Ellehochalatête.–Resteprèsdemoi.Elleréponditparunegrimace,maisluiemboîtalepas.Lapièceluiparutplussombre
que la veille, comme si les vampires présents en avaient noirci l’atmosphère.Tant d’aurasmalades,pensa-t-elleeninspirantlonguement,maissonodoratrefusadecoopérer.
–Ilyaunetablelibre,là,ditChasetranquillement.Dellasentitvingtpairesd’yeuxdanssondos.Sileschosestournaientmal,Chaseetelle
risquaient de finir six pieds sous terre. Un courant d’air froid la fit frissonnermalgré sonpull,maiscen’étaitpaslemomentdes’inquiéterdesafièvre.
Leserveur–lemêmequelaveille–s’approchad’eux.–Qu’est-cequivousferaitplaisir,cesoir?J’aiduBpositif.Çasemarietrèsbienavec
undoigtdewhisky.–Onvajusteprendreunverredesang,déclaraDella.Ilsallaientavoirbesoindeleursréflexess’ilsvoulaientsurvivreàcettenuit.Le serveurhocha la têtepuis s’éloigna.Della jetaun coupd’œil aux autres clients et
découvritquetousn’étaientpasdesvampires.Ilyavaitaussiunepoignéedeloups-garousetdesorciers.Ilsn’avaientdoncpasseulementaffaireaugang.
Soudain,ellereconnuttroisdesquatrepersonnesassisesàunetablenonloin.C’étaientdesagentsdel’URF,dontlafemmequiétaitvenuecoffrerleskangourousàHouston.Dellan’enavaitidentifiéquequatre,maiscen’étaientsansdoutepaslesseuls.
Ellenesavaitpassielledevaitsesentirrassuréeouvexéeparleurprésencemais,aprèsun nouveau coup d’œil aux individus louches qui les entouraient, elle se dit que Burnettavaitbienfaitdeleurenvoyerdesrenforts.
–Çava?demandaChase.–Super.Une serveuse – une jeune vampire – leur apporta deux verres de sang. Elle détailla
Chasede latêteauxpieds,puissepassa la languesur les lèvresd’unairgourmand.Il luidécochaungrandsourire.End’autrescirconstances,ilsauraientsûrementterminélasoiréecontre un tronc d’arbre, derrière le bar. Cela dit, Chase ne semblait pas avoir besoin depayer pour ce genre d’aventure, et Della doutait que les charmes de la serveuse soientgratuits.
–Jecroisquetuluiplais,dit-elleunefoisquelajeunefemmesefutéloignée.–Cen’estpasmongenre,rétorquaChaseenlevantlesyeuxverselle.–Ahbon?C’estquoi,tongenre?Ellesemauditaussitôtpourcettequestionstupide.–J’aime lesdéfis…apparemment, répondit-ilavec l’ombred’unsouriredans sesyeux
verts.Jepréfèrelescheveuxbruns,etj’apprécielesfillesquiosentdirecequ’ellespensent.Lestêtesdemulenemefontpaspeur,aucontraire.Unebonnedisputedetempsentemps,çafouettelesang,etc’esttoujoursagréabledeseréconcilieraprèscoup.
Voilà pourquoi elle regrettait sa question. C’était elle qui avait lancé ce sujet, c’étaitdoncàelled’ymettreunterme.
–Ilyapleindefillescommeça,tun’auraspasdemalàtrouver.– Jen’en suispas si sûr,dit-il en faisant tourner sonverreentre sespaumes.Et toi ?
Quelgenredemecteplaît?–Jen’aipasdegenreprécis,bafouilla-t-elleenseconcentrantsursonsang.–Menteuse.Ellerelevalesyeuxverslui.–Tunemeconnaispas,alorsarrêtedefairesemblant.–Tuaimes les cheveuxbruns.Tu recherchesquelqu’unde fort, suffisammentpour te
tenirtêtemaispastropbuténonplus.Grandetmusclé,plutôtbeaugosse.–Décidément,tuasunegodelatailleduTexas,railla-t-elle.–C’étaitSteve,quejedécrivais,maismerci,rétorquaChaseavecungrandsourire.Ellepoussaungrondementsourd,maisChaseneparutpasimpressionné.–Jesuissansdouteunpeutroptêtupourtoi,ajouta-t-il.–Pourlecoup,jesuisd’accord.–Maistuarriveraispeut-êtreàmeconvaincredefaireuneffort.Elle leva lesyeuxauciel.Aumêmemoment,uncoupleentradans lebar.Chase jeta
un coup d’œil nonchalant par-dessus son épaule, mais Della remarqua qu’il se crispaitlégèrement. Il commença à lui parler de tous les endroits qu’il avait visités – la France,l’Allemagne, la Chine… – et Della comprit qu’il soupçonnait quelqu’un d’espionner leurconversation.
Elle l’écouta donc avec un intérêt sincère et, un instant, oublia d’étudier son visagepourvoirs’ilmentaitounon.
–C’estgrand,laChine.Tuesalléoù,exactement?demanda-t-elleenseconcentrantsursonœilgauche.
–Shanghai,Pékin,Wuhan,répondit-il.Ilsemblaitdirelavérité.–Ettuyesrestélongtemps?–Pastrop,maisj’ysuisallédeuxfois.Il jeta un bref coup d’œil sur sa droite, comme pour attirer l’attention de Della sur
quelquechose.Cen’estqu’alorsqu’elleentenditquelqu’unapprocher.Ungrand typed’unevingtained’années, avec le crâne rasé,des tatouagespartoutet
assez de piercings pour qu’un aimant de frigo lui colle à la figure, s’arrêta à côté de leurtable.
–J’aicrucomprendrequetut’intéressaisàl’undemesfrères?lança-t-ilens’adressantàDella.
Il devait donc s’agir du chef du gang des Veinards. Elle se demanda si cet honneurrevenaitautomatiquementauvampirequiavait leplusdepiercings.Elleencomptaithuitrienquesursonvisage.
–C’estvrai,répondit-elle.Elles’efforçadenepastropregarderl’anneauquipendaitaunezdecetype,maisne
puts’empêcherd’yvoirunatoutpotentielencasdebagarre.–J’aientendudirequevousaviezunenouvellerecrue,unvamprécemmentactivé.Le
garçonquejerecherchealescheveuxbrunsetcourts.–Qu’est-cequetuluiveux?demandaletatouéd’unevoixbrusque.Elleavaitlechoixentrementirouembellirlavérité.–Ons’estcroisésbrièvement,expliqua-t-elle.Cen’étaitpasfaux,levampireluiétaitpasséjusteau-dessusdelatête.–Maisilnet’apasditsonnom?C’estbizarre,non?–Oh,pasvraiment,intervintChase.Ellel’arencontréjusteaprèssatransformation,il
étaitencoreàcôtédelaplaque.Tusaiscequec’est,lespremièresquarante-huitheures…M.Piercingnesemblaitpasconvaincu.–Jecroyaisquec’étaittacopine.Ilparaîtquetuasfailliétranglerunnazehierparce
qu’ilavaitoséposerlamainsurelle.Chasehaussalesépaules.– J’essaie de la persuader de sortir avec moi. Pour le moment, elle pense à ce type
qu’elleacroisélorsd’unefollenuit.Ellecroitquec’estledestinquil’amissursaroute.Moi,jedisquec’estdesconneries,maisbon…
Nonmaisoh?!Chasevenaitdelatraiterdepouffequisetapeunmecàmoitiéfousansmêmesavoir comment il s’appelle. Iln’auraitpaspu inventerunmensongeunpeumoinsinsultant?
– À mon avis, poursuivit Chase, quand elle reverra ce type, elle comprendra qu’elleseraitvachementmieuxavecmoi.
Letatouéletoisauninstantavantdedemander:–Çatediraitderejoindrenosrangs?–Cen’estpasmongenredejouerlesgroupies,intervintDella.– C’était à ton copain que je parlais, lança le chef du gang en se tournant vers elle.
Celadit, si tu es aussi facile que ce qu’il raconte, ondevrait pouvoir te trouveruneplaceparminous.
Ellepoussaungrondement.–Hé!fitChase,l’aircontrarié.Pourtant,ilnepouvaits’enprendrequ’àlui-même.– Elle nem’amême pas laissé la toucher, ajouta-t-il. C’est aussi pour ça que je suis
curieuxderetrouvercetype,pourvoircequ’iladeplusquemoi.Le tatoué parut satisfait par cette explication. Della ne savait pas si elle devait s’en
réjouirousemettreencolère.–Etmoi,jesuiscurieuxdevoirsituesvraimentaussifortetrapidequecequetoutle
monderaconte,rétorqualeleader.Chasesecalacontreledossierdesachaise.–Jeteproposeunmarché:tunousprésentestonpetitnouveau,etonsefaitunpetit
matchamicaldansuneruellesombre,toietmoi.–Etsionselefaisaittoutdesuite,cepetitmatch?M.Piercingmontra les crocs, etDella comprit que lematch en questionn’aurait rien
d’amical.Çaallaitmalfinir,cettehistoire.
Dellajetaunbrefcoupd’œilauxagentsdel’URF.Aumoins,ilsn’étaientpasseuls.
–Non, fit Chase d’un air détendu,même si ses yeux luisaient légèrement. Je préfèremonidée.
– Pasmoi, reprit le chef du gang. Qu’est-ce qu’il faut faire pour temettre d’humeurbagarreuse?Toucheràtapetitepute,là?
–Non,grondaDella.C’estmoiqueçamettraitd’humeurbagarreuse.Ettuprendraislerisquedetefairebotterleculparunefille.C’estça,quetuveux?
Elle soutint son regard et sortit les crocs. Ellen’aimait pas se faire traiterdepute, etelledétestaitencoreplusqu’onlacroieincapabledesedéfendretouteseule.
– Je ne veux pas d’embrouilles, Luis ! cria le serveur. Tu ne m’as toujours pasremboursépourlesdégâtsdeladernièrefois.
Letatouéfitundoigtd’honneuraubarmanavantdeseretournerversChase.–Jecomprendspourquoielleteplaît.Elleaducranetelleestpasmaldutout.–Je t’aiproposéunmarché, rétorquaChasesuruntoncassant.Tunousamènes ton
petitnouveau,puisons’expliquedehors,toietmoi.OK?– Faut voir. Je vais passer quelques coups de fil pourm’assurer que ça intéressema
nouvellerecruederetrouversonamourd’unsoir,déclaraLuisavantdes’adresseràDella.Tu sais,mabelle, s’il sortait tout justede sa transformation, il y ade fortes chancespourqu’ilnesesouviennemêmepasdetoi.Tuessûrequeçanevapasbrisertonpetitcœur?
–J’espèrequenon,répondit-elleaussicalmementqu’elleleput.Le chefdugangalla s’accouderaubar, etChase reprit leur conversationau sujetde
ses voyages. Il s’interrompit quand le téléphone de Della l’avertit qu’elle avait reçu unmessage.Ellelutletexto.
C’étaitBurnett,quiécrivait:«Sorteztoutdesuitedubar!»EllemontraleportableàChase.Ilserenfrognamais,quandelleselevadetable,il lasuivitsansprotester.Ducoinde
l’œil,ellevitquelesagentsdel’URFlesobservaient.Qu’est-cequisepassait?–Oùvousallez,commeça?criaLuisdepuislebar.–Onrevient.J’aijustebesoindefairelavidange,ditChase.–Ettuasbesoinquetacopinetelatienne?lançaundesclients.Toutlemondedanslebaréclataderire.Dellasalualafouled’undoigtd’honneur.Ilssortirentdanslanuitnoire,etChaseallaseposteràl’oréedubois,derrièrelavieille
maison.Là,ilhumal’airpours’assurerqu’ilsétaientseuls.Unefoissatisfait,ilsetournaverselle.–Qu’est-cequisepasse?C’estquoi,cettehistoire?–Aucuneidée,mais,engénéral,Burnettnefaitriensansraison.– Il ne peut pas nous envoyer en mission pour ensuite nous dire de tout arrêter !
protestaChase.–C’estpourtantcequ’ilvientdefaire,et…Chaseluiposaundoigtsurleslèvrespourlafairetaireet,toutendésignantlesarbres,
l’attiraàl’ombredelabâtisse.Dellarenifla,maisenvain.Enrevanche,quandelletenditl’oreille,elleperçutdesvoix
quiapprochaientdepuisdeuxdirectionsdifférentes.Impossibledesecacher!Ilspouvaientprendrelafuite,maisilétaitpeut-êtredéjàtroptard.
Ellevitquatrehommessortirdelaforêtsursagauche,puisdeuxautressursadroite.Ilsavaientlenezenl’air,cequivoulaitsansdoutedirequ’ilsavaientrepéréleurodeur–etqu’ilétaittroptardpourfuir.Laseulesolutionpoursetirerdecemauvaispas,c’étaitdenepassefaireremarquer.Etpourça…
Elle fitvolte-face,passa lesbrasautourducoudeChaseet l’embrassa.Ungrosbisoubientorride.Seslèvresétaientfroidesmaisdouces.Ilavaitunlégergoûtdementhe,commes’il s’était brossé les dents peude temps auparavant. Très vite, elle oublia la raisonde cebaiser.
Aprèsunehésitationd’unefractiondeseconde,Chaselapritdanssesbras.Ilpassalesmainsaucreuxdesataillepuisremontadoucement.Sanscessersescaresses,illafitpivoterdefaçonàtournerledosauxvampiresquiapprochaient.
Dellalesentenditrire,etl’und’entreeuxdéclara:
–Ellesnechômentpas,lesputes,ici.Uneragevive lui réchauffa lapoitrine,aussitôt remplacéeparundésirbrûlantqui se
propageacommeunincendie.Elleserenditcomptequ’elleavaitposélesmainssurletorsede Chase, et la sensation de son corpsmusclé sous ses paumes fit battre son cœur à unrythme affolé. Il lui caressa lentement le dos, puis fit glisser sesmains de chaque côté eneffleurantsesseins, toutdoucement,avantdepasser lepoucesurundeses tétonsdurcis.EllefaillitgémirdeplaisiretperçutunmurmuresourddanslagorgedeChase.
Cen’étaitqu’une ruse, ellenedevaitpas l’oublier.Pourtantellene contrôlaitpas sesréactionsaucontactdeChase,desesmainsetdesongrandcorpsfermecontrelesien.
Arrête!Çasuffit!Elletentadeluttercontrelapassionquilaréchauffaitdel’intérieur.Les quelquesneuronesde son cerveauqui n’étaient pas complètement enivrés par ce
baiserluifirentpasserlemessagequelesvampiress’étaientéloignés.Ilsvenaientdetournerau coin de la maison quand Chase se recula. Elle croisa son regard et vit que ses yeuxluisaientfranchement.Était-cedûaudanger,ouàleurbaiser?
–Ouah,souffla-t-il,horsd’haleine.Voilàquirépondàmaquestion.Unevoixretentitauloin.Sansunmotdeplus,ChasepritlamaindeDellaetpartiten
courant.Brusquementsespiedsdécollèrentdusoletill’entraînadanslesairsàsasuite.Cela dit, elle avait l’impression de ne plus toucher terre depuis qu’elle avait posé les
lèvressurlessiennes.Heureusement,saconsciencedudangerrepritledessusetlapassionqui l’avait saisie, même violente, fut balayée par le vent. Ce baiser avait été une trèsmauvaiseidée.
Ils venaient à peine de gagner la forêt, quand ils entendirent la voix du leader,beaucouptropproche.
–Oùest-cequ’ilssontpassés?Chaseaccéléra,sanslâcherlamaindeDella.Elleessayaderesteràsahauteuraulieu
de se laisser entraîner comme un poidsmort,mais elle n’était tout simplement pas assezrapide.
Lesvampiress’étaientélancésàleurpoursuite,aussiChasesemit-ilàzigzaguerentreles arbres afin de les semer. Pourtant elle entendait toujours leurs voix derrière eux.Soudain,Chase laprit àbras le corps et, la tenant contre lui, accéléraencore. LavuedeDellasebrouilla.Ellenesavaitmêmeplusoùétaitlecieletoùétaitlaterre.Chasefusaitàunevitessequ’ellen’auraitjamaiscruepossible.
Un vent mordant lui picotait la peau tandis qu’ils fendaient l’air glacial, et elle dutcachersonvisagecontrelapoitrinedeChasepourempêchersesyeuxdelabrûler.
Elle avait peut-être perdu ses sens de vampire, mais si près de lui, elle sentit denouveausonodeurmâleetépicée,ceparfumquil’avaitenivréealorsqu’ilss’embrassaient,merveilleusementfraisetpropre.Ilavaitdûsedoucheravantdevenirlarejoindre.
Soudain, elle eut l’impression qu’il penchait la tête vers elle et appuyait ses lèvrescontresatempe.
– Je vais faire une boucle pour m’assurer qu’ils ne puissent pas suivre notre tracejusqu’àShadowFalls,murmura-t-ilàsonoreille.
Elleneditrien.Celan’appelaitpasderéponse,detoutefaçon.Uneminute plus tard – ou peut-être deux, ou cinq, elle avait perdu toute notion du
temps –, Chase atterrit tout en la gardant serrée contre lui. Le cœur de Della battait lachamade, àmoins que ce ne soit celui deChase qu’elle sentait. Elle ouvrit les yeux et vitqu’ilsétaientprèsd’unétang.Pasn’importelequel:c’étaitlelacdeShadowFalls.
Chaselevalatêtepourhumerl’airets’assurerquepersonnenelesavaitsuivis.Alors,seulement, il croisa son regard. Ses yeux verts luisaient doucement, et il semblaitparticulièrement fier de lui. Il y avait de quoi. Où avait-il appris à voler à une vitessepareille?
–Çava?demanda-t-il.Ellehochalatêteetdéglutitavantdepouvoirparler.–Tupeuxmelâcher,maintenant.Il la reposa lentement par terre, mais au lieu d’ôter les mains de sa taille, il l’attira
contreluietl’embrassa.Doucement.Tendrement.Cebaiserétaitdifférentdupremier.Ilétaitencoremeilleur.Ilavaitungoûtdedanger,ungoûtnouveau…ungoûtd’interdit.C’estparcequ’il est interdit, justement ! Elle se bottamentalement les fesses et s’écarta
vivement.Elleposalesdeuxmainsàplatsursontorseetlepoussasifortqu’ilentombaàlarenverse.
–Arrête,gronda-t-elle.–C’esttoiquiascommencé,jetesignale,rétorqua-t-ilensouriant.Commentosait-ilsourire,alorsque…?–C’étaituniquementpourqu’ilscroientque…–Qu’onétaitsurlepointdes’arrachernosvêtements.–…pourqu’ilsnecroientpasque…Elle entendit la voix de Miranda résonner dans sa tête. « Va embrasser quelqu’un
d’autre.Lenouveau,là,Chase,parexemple!»–C’étaituniquementparceque…Parce qu’une chipie de sorcière m’a jeté un sort ! Non, c’était injuste, Miranda n’aurait
jamais fait une chose pareille. Et puis elle n’en avait même pas eu besoin, il avait suffiqu’elle lui souffle cette idée de génie pour semer la pagaille. Et quelle pagaille ! Dellan’avaitaucuneenvied’apprécierlesbaisersdeChase,d’envouloirdavantage…C’estdécidé,jevaislatuer.
Elletournalestalonsets’éloigna,maisChaselasuivit.Elleentendaitsespasrésonnerdanslanuit.
–Ilfautqu’onparle,Della.–Non,lança-t-elletoutenlongeantlelac.Elle n’était même pas sûre d’avoir pris la direction de son bungalow, tant elle était
déboussolée.–Net’enfuispascommeça!lança-t-ilsuruntonaccusateur.–Jenem’enfuispas,jemarchetranquillement,rétorqua-t-elle.–Della!Va-t’en, je ne veux plus te voir, pensa-t-elle enbaissant les yeuxpour éviter de croiser
sonregard.Saufque,unesecondeplustard,ellefonçadroitdansuntorsemusclé.Ilétaitvraimenttroprapide!Sansréfléchir,ellelepoussadetoutessesforceset,unefoisdeplus,iltombasurlesfesses.
C’estalorsqu’elleentenditlespasdeChasedanssondos.Maisalors,s’ilétaitderrièreelle…quiest-cequ’ellevenaitdeflanquerparterre?
–Qu’est-cequiteprend,Della?demandaBurnettenserelevant,lesyeuxbrillantsdecolère.
Elleledévisagea,muette.Ilfronçalessourcilsetreniflarapidement.Ohnon!Ilavaitdûsentirsesphéromones.Elle aurait tellement voulu pouvoir prétendre que ce baiser ne lui avait rien fait du
tout ! Prétendre que c’était juste un coup de folie passager, dû au danger auquel ilsvenaientd’échapper.
Saufqu’ellenepouvaitpaslenier,elleavaitaimécebaiser.–Qu’est-cequinevapas?insistaBurnett.–Rien…Jenet’aipasreconnu,c’esttout.–Commentça?C’estabsurde!–C’estparceque…EllesentitChases’arrêteràsahauteur.Parcequej’étaiscomplètementdéboussoléeparunbaisertorride.Parcequemessenssesont
faitlamalle.Elle prit une profonde inspiration pour se calmer et oublier ce fichu baiser. Il était
tempsdeseressaisiretdeseconcentrersurl’enquête.–Parcequejesuisencolère.Pourquoitunousasfaitévacuerlebar?– Le coup de fil que le chef du gang a passé après vous avoir parlé, c’était pour
rameuterlerestedesestroupes.Ilvoulaitvousfairelapeau.–Commenttusaisça?demandaChase.Ilsetenaitsiprèsd’ellequesahanchefrôlaitlasienne.–Ilavaitd’autresagentsdanslebar,réponditDellasansquitterBurnettdesyeux.
Elle n’était pas encore prête à affronter le regard de Chase. Elle avait besoin dequelquessecondespouroublierleurbaiser.Malheureusement,lesouvenirdecetinstantfitsortirsesgriffesets’accrochasauvagement.LegoûtdeChase.Sonodeur.Sescaresses.Seslèvres…
–Quoi?fitChase.Etvousn’avezpascrubondem’enparler?Nil’unnil’autre?–Jenesavaispas,ditDella.Jem’ensuisrenducomptequandonestentrésdanslebar
etquejelesaireconnus.Elle lui jeta un bref coup d’œil,mais détourna aussitôt la tête quand elle vit que ses
lèvresétaientencorehumides.–Pourquoitunenousaspasprévenus?lançaChaseàBurnettsuruntonaccusateur.Ledirecteurnerelevapasl’insolencedecettequestion.– Je n’envoie jamais de nouveaux agents en mission sans m’assurer qu’ils ont des
renforts,aucasoùçatournemal,répondit-illepluscalmementdumonde.–Jem’enseraistrèsbiensortitoutseul,rétorquaChase.Dellan’aimaitpasluidonnerraison,maiselleavaiteul’occasiondevoircedontilétait
capableetelleétaitàpeuprès sûrequ’iln’exagéraitpas. Ilétait super fort, il savaitvolercommepersonne,ilembrassaitsuperbien…
–Peut-être,ditBurnett,maisj’aipréférénepasprendrederisque.Cequicompte,c’estquenousayonsappréhendénotre suspect. Lenouveaumembredugang,un certainBillyJennings, est arrivé environ deux secondes après votre départ. Le leader lui a posé desquestionsausujetdesarencontreavecDella,ajoutaBurnettensetournantverselle.Ilestrepartidubarencompagniedeseulementdeuxautresvampires,doncmesagents lesontsuivis.Jeviensd’apprendrequ’ilsavaientréussiàl’attraper.Ilssontentraindeleconduireà…
Dellacessad’écouter.Ilsavaientarrêtélesuspect!Unimmensesoulagements’emparad’elle.Onl’acoincé,Lorraine !Ellene savaitpaspourquoielle s’adressaità la jeunemortecomme si cette dernière pouvait l’entendre, mais c’était plus fort qu’elle. On a coincé lesalaudquit’afaitça!
– Je vais vous demander de m’accompagner afin de confirmer que c’est bien sasignatureolfactivequevousavezidentifiéelesoirdumeurtre.
Une panique sourde envahit peu à peu Della. Si son odorat restait aux abonnésabsents, commentallait-elle savoir si c’étaitbien lui lecoupable? Ilétaithorsdequestionqu’elle avoue à Burnett qu’elle n’était pas en pleine possession de sesmoyens quand elleavaitacceptécettemission.Illaréduiraitenmiettes.
Peut-êtrepasellepersonnellement,maissacarrièredansl’URF.
Burnettouvrituneporte et fit signeàDella et àChased’entrerdansunepetite sallegriseettriste.L’undesmursétaitpercéd’unegrandevitrequidonnaitsurlapiècevoisine.Iln’yavaitpersonneàl’intérieur.
–Ilsvontyfaireentrerlesuspectd’iciquelquesminutes,indiquaBurnett.Vouspourrezlevoir,maisilnevousverrapas,etlesystèmed’aérationdevraitvouspermettred’identifiersonodeur.
Normalement,pensaDella.–Jerevienstoutdesuite,ditBurnett.Il sortit,et lebruitde laportequi se refermaitderrière lui jouasur lesnerfsdeDella
commesurdescordestroptendues.–Çava?demandaChase,quisemblaitpercevoirsonangoisse.Ellehochalatêteettentadefairetairelespenséesquigrésillaientsoussoncrâne.Elle
inhalaprofondémentpourvoirsi,parchance,sonodoratétaitrevenu,maisenvain.Ellenepercevaitmêmepasl’odeurdeChase.
Desbruitsattirèrentsonattentionverslapièceattenante.Unagentdel’URF–lalouve-garou–fitentrerunjeunehommeetluiordonnades’asseoir.Delladutserappelerquecen’était pas n’importe quel jeune homme. Il s’agissait de Billy Jennings, le vampire accuséd’avoirsauvagementassassinéLorraineetsonpetitami.
Dellainspiradenouveau.Toujoursrien.Sonestomacsenoua.Elle examina le visage deBilly. Alors qu’ils étaient dans le bar avecChase, elle avait
tenté d’identifier de potentiels tueurs parmi les clients,mais il ne lui serait jamais venu àl’esprit de soupçonner Billy Jennings. Certes, il avait les cheveux bruns et courts, mais ilparaissait plus jeune qu’elle et aurait tout à fait eu sa place dans l’orchestre de jazz dulycée.Ellel’imaginaitsansmalàlatrompetteouàlaclarinette.
Ilrespiraitl’innocence,avecsesjouesrosesdepremierdelaclasse.Iln’avaitsansdoutejamais bu la moindre bière et ne semblait pas du genre à planter les dents dans unejugulairepoursegoinfrerdesang.
DellasentitleregarddeChasepesersurelleetdevinalaquestionqu’ils’apprêtaitàluiposer.
Sadécisionétaitprise,ellenementiraitpas.Elleenétaitincapable.Ellen’auraitpeut-être pas le cran d’avouer à Burnett que ses sens partaient en sucette, mais elle n’oseraitjamaisfairecondamnerquelqu’unsansêtreabsolumentsûred’elle.
–Alors?demandaChase.Elle se retourna vers Billy. Il semblait effrayé. Terrifié. Elle se souvenait encore de la
semaine qui avait suivi sa transformation. Arrachée à sa vie d’avant, elle venait d’êtretransforméeenmonstreetsefaisaithorreur.
Innocent,innocent,innocent,luirépétaitsonespritenboucle.Malgré le froid qui régnait dans la pièce, elle eut soudain l’impression d’étouffer,
comme si lesmurs se refermaient sur elle. Elle entendait son sang battre follement à sestempesetfutprisedevertige.Ilfallaitqu’ellesortedelà.
Elle tourna les talons et, laissant la petite pièce grise derrière elle, longea le couloirjusqu’àuneporte qui donnait sur l’extérieur.Cen’est qu’une fois dans le parking, sous laluneetlesétoiles,qu’elles’autorisaàrespirer.
–Ducalme,Della.Détends-toi,ditChaseenposantlesmainssursesépaules.Soncontactluiparutfroidetpourtantréconfortant.Ellefuttentéedes’appuyercontre
lui,puisellerepensaàleurbaiser.–Çavaaller,souffla-t-il.–Non,çanevapasallerdutout,rétorqua-t-elleensecouantlatête.Jenepeuxpas…
Mon…Jenesaispassic’estlui.Jen’ensuispassûre.Soudainellecompritqu’ellen’avaitpasbesoind’enêtresûre.EllefitfaceàChase.–Toiaussi,tuavaisperçulasignatureolfactivedutueur.Est-cequec’estlui?Aprèsuninstantd’hésitation,ilhochalatête.–Oui.Pourtant,malgrél’obscurité,ellevitunticnerveuxagitersonsourcilgauche.–Tumens,déclara-t-elle.Toinonplus,tun’espassûr.–Jenesuispascertainàcentpourcent,maisçamesuffit.Innocent,innocent,innocent.Cemotrecommençaàtournerenboucledanssonesprit.–Tunepeuxpascondamnercegaminsitun’espasabsolumentsûrdetoi!–Della,réfléchisuneminute,dit-ilenluiprenantlesépaules.Écoute,reprit-ilunefois
qu’elle eut levé les yeux vers lui. Il correspond à la description du tueur et il a unmotifvalable. L’URF va faire un test ADN avant de le condamner. Si ce n’est pas lui, il seradisculpé,toutsimplement.
–Peut-être,maisenattendantlesrésultats,ilvaêtretraitécommeuncriminel,etilvacroirequ’ilaeffectivementtuéce jeunecoupleparcequ’iln’asûrementaucunsouvenirdesespremiersjoursdevampire.
Sapoitrineseserralorsqu’ellerepensaauxtestsqu’elleavaitelle-mêmesubisdansceslocaux,afinqu’ondéterminesielleavaittuéquelqu’unaprèssatransformation.Ellen’avaitjamaiséprouvéunteldégoûtdesoiquecejour-là.
Billyressentait-illamêmechoseencemoment?–Cen’est pas juste, dit-elle en essayant d’empêcher sa voixde trembler.Onnepeut
pasl’accusersionn’estpascertainsquec’estlui.–Ceseraitencorepiresionlelaissaitrepartiretqu’ilserévélaitcoupable.Crois-moi,si
onlerelâche,ilvadisparaîtredanslanature,mêmes’ilestinnocent.Legangnevapaslereprendremaintenant qu’il a attiré l’attentionde l’URF.Enplus, les statistiques indiquentqu’un vampire qui tue pour se nourrir juste après sa transformation a deux fois plus dechancesderecommenceràtuer.
–Tun’ensaisrien.–Si,çaaétéprouvé.Crois-moi.
–Prouvéparqui?Etcomment?D’oùtusorstousceschiffres,d’abord?–Laisse tomber, çanechange rien, rétorqua-t-il, lesmâchoires serrées, commes’il en
avaittropdit.Saufqu’il se trompait.Cela changeait tout –pour les victimes, Lorraineet Jake, ainsi
quepourBilly.ChasepritlementondeDellapourlaforceràleregarder.–Della, jesuispersuadéquec’estbiensasignatureolfactiveque j’aiperçue lesoirdu
meurtre.Fais-moiconfiance.–Non.Tum’asditquetun’enétaispassûràcentpourcent.– Personne n’est jamais sûr à cent pour cent ! râla-t-il, l’air excédé. Écoute, s’il est
innocent,toutcequ’ilrisque,c’estdepasserunejournéedeplusdansunecellule.Maiss’ilestcoupable,lelaisserfilerrisquedecoûterd’autresvies.Tutiensvraimentàavoirçasurlaconscience?
Dellarevitl’imagedeLorraineetdeJake,sauvagementégorgés.Enversquidevait-ellefairepreuvedeloyauté?Enverslesmortsouenversungaminterrifiéquin’avaitpeut-êtrerienfaitdemal?
Innocent,innocent,innocent.
–Jenesuispassûre,ditDellaàBurnettdixminutesplustard.Ilsétaientderetourdanslapetitepiècegrise,etledirecteurlesavaitfaitasseoir.Della
seconcentraitsurChaseetBurnettpouréviterderegarderBilly,del’autrecôtédelavitre.Burnett n’avait pas l’air content, et Chase non plus. Elle ne comprenait toujours pas
pourquoicedernierétaitsicontrarié.Burnettposalescoudessurlatableetsepenchaverselle.–Jecroyaisquetuavaisidentifiésonodeur.–Moiaussi, je le croyais,mais…Ilyaquelquechosequi cloche. Je… je suisdésolée,
maisjenesuispassûrequecesoitlui.–Jesaisquec’estdur,Della,repritBurnettplusdoucement,maissicesoitluiqui…Innocent,innocent,innocent.–C’est justementpourçaquec’estdur, intervint-elle.Si j’étaiscertainequecesoit lui,
ceseraitfacile,mais…jenepeuxpas.Burnettpoussaunprofondsoupirets’adressaàChase.–Dis-moiquetuasunebonnenouvelleàm’apprendre,s’ilteplaît.–C’estlui,affirmaChaseenhochantlatête.Della le vit ciller rapidement.Malgré elle, elle jeta un regard endirectiondeBilly. Il
avaitlesyeuxbrillantsdelarmesetl’airanéanti.Elleselevabrusquement–sibrusquementquesachaiseserenversa.
Innocent,innocent,innocent.
–Chaseneteditpastoutelavérité,Burnett.Luinonplus,iln’estpassûr.Onnepeutpascondamnercepauvregaminsanspreuve.
Ellesavaittrèsbiencequecelafaisaitd’êtretraitécommeunassassin.Ladouleuretlahonteétaientintolérables.
BurnettsetournaversChase,l’airchoqué.–Est-cequec’estvrai?–Non.L’assuranceaveclaquelleChaserépondit,sonculotestomaquèrentDella.–Regarde-le,enfin!s’écria-t-elleendésignantlavitredudoigt.Cen’estqu’ungamin!
Tuvasluifairesubiruntrucpareilalorsquetun’esmêmepassûrdetoi?Chaseneluiaccordamêmepasuncoupd’œil.IlrestatournéversBurnett.–C’estlui,lecoupable.
Aussitôt que Burnett arrêta la voiture devant le portail de Shadow Falls, elle sortit en
courant.–Della!cria-t-il.Ellehésitaàfairelasourdeoreillemais,connaissantBurnett,ellesavaitqu’ilviendrait
lachercherdetoutefaçon.Elles’arrêtaetfitvolte-face,àtempspourvoirBurnettrenvoyerChaseàsonbungalow.
Personnellement,ellel’auraitbienenvoyéaudiable.SurtoutsiBillyJenningsétaitinnocent.Oui, mais s’il est coupable ? Elle avait envisagé cette possibilité, naturellement, mais soninstinctetsestripesluidisaientlecontraire–ainsiquecettepetitevoixinsistante.
–Désolé,j’aifaitcequimesemblaitjuste,ditChaseenpassantàcôtéd’elle.Elleluijetaunregardhostile.Ilmentait.Commentcelapouvait-ilêtrejuste?Burnett arriva à sa hauteur et lui fit signe de le suivre jusqu’au bureau.Génial ! Elle
allaitsefaireremonterlesbretelles,enprime.Ellen’étaitvraimentpasd’humeur.Elle avait besoin d’être seule. Il était plus d’une heure du matin, et tous ses ennuis
s’entrechoquaient dans sa tête. Elle avait embrassé ce pervers de Chase – pire, elle avaitaimé ça. Elle redoutait secrètement d’avoir attrapé le virus qui avait tué son cousin. Elleavaitperdusessenssuperaiguisésdevampire.Etellen’avaitpasréussiàempêcherquelavied’unjeunehommesansdouteinnocentsoitcomplètementruinée.
Holiday les attendait sous le porche du bureau. À en juger par l’expression de sonvisage,Burnettl’avaitappeléepourlamettreaucourantdecequis’étaitpassé.
–Jesaiscombienc’étaitdur,dit-elleàDellaunefoisquecelle-cisefutinstalléesurlecanapé.
La fée s’assit à côté d’elle, unemain posée sur son ventre, qui grossissait de jour enjour.Burnetts’appuyacontrelebureau.Ilsemblaitcontrarié,maispasautantqueDella.EtcertainementpasautantqueBilly.Elleimaginaitsansmalcequ’ildevaittraverser,lepauvre.
–Leplusdur,c’estqu’ilcroitChasesurparoleaulieudem’écouter! lança-t-elletouten fusillant Burnett du regard. Pourtant, il sait très bien que Chase n’est pas tout à faithonnête.
–Jenelecroispassurparole,intervintBurnett.–Pourtant,Billyesttoujoursenfermé.–Oui,parcequec’estleprincipalsuspectdansuneaffairedemeurtre.– Ha ! Et moi qui croyais qu’on était innocent jusqu’à preuve du contraire, dans ce
pays!–J’aidit«suspect»,Della.Onnel’aencoreaccuséderien.–Ça revientaumême !Vous legardezenfermédans sa cellule ! Il sait trèsbienque
vouslecroyezcoupabled’unmeurtreet,commeilnesesouvientderien,ildoitcommencerà le croire lui-même. Il vient de comprendre qu’il était désormais un vampire et il seconsidèresansdoutecommeunmonstre.Vousn’allezfairequeleconforter!
Burnettfronçalessourcils.–Qu’est-ilarrivéàlajeunefillequiestvenuemesupplierd’enquêtersurcemeurtreily
a quelques jours parce qu’elle tenait absolument à ce que justice soit faite ? Tu esmêmealléeàl’enterrementd’unedesvictimes.Tudisaisvouloircoincerlesalaudquiluiafaitça,etmaintenant…
–Rienn’achangé!cria-t-elle.C’esttoujoursvrai,jeveuxquejusticesoitfaite,etsic’estBilly lecoupable,alorscoffrez-le,maispourlemoment,vousn’avezaucunepreuvecontrelui.Chaset’amenti,iln’estpassûrdelui,pasplusquemoi.
HolidayposaunemainsurlebrasdeDella.–Neperdonspasnotrecalme,souffla-t-elle.Dellasedétenditlégèrementàsoncontact,maiscen’étaitpassuffisant.Innocent,innocent,innocent.BurnettsepassaunemainsurlevisageavantderegarderDella.–MêmesansletémoignagedeChase,j’auraisdétenulesuspectjusqu’àcequ’onaitles
résultatsdutestADN.– S’il est innocent, il souffre pour rien, objecta Della avant de marquer une pause.
Pourquoi tu n’as pas examiné l’empreinte de ses dents, comme tu l’as fait avant dem’amenerici?Çapermettraitaumoinsd’accélérerleprocessus.
Burnetttressaillit,commesicesouvenirétaitaussipéniblepourluiquepourelle.–Lesvictimesétaienttropamochéespourqu’onpuissepréleveruneempreintevalable,
expliqua-t-ilavantdepousserunprofondsoupir.Écoute,Della,mêmesicegaminn’arienfait demal, il a choisi de faire partie d’un gang de renégats. Une bonne frayeur lui serapeut-êtresalutaire.
Dellasentitl’émotionluinouerlagorge.–Cequetuviensdediremontrebienquetuesnéaveclevirusactif.Tun’aspasidée
decequ’onressentpendantetaprèslatransformation.–Jesaisque…–Non,tun’ensaisriendutout.Tun’asjamaiseul’impressiondevoirunmonstreente
regardantdanslaglace.Jesuissûrequelaplupartdesvampiresquivontgrossirlesrangsdesgangs le fontpouréviterdecommettreuncrimeplutôtquepour jouer leshors-la-loi.Chanm’a dit que les gangs promettaient du sang frais à tous leursmembres et qu’ils netuaientqu’encasd’extrêmenécessité.
–J’ensuisconscient,Della,maismonboulot…–Tonboulot,c’estd’aideràfairerégnerlajustice,orjenesuispassûrequetadécision
decesoiraitététrèsjusteenversBilly.–Pourquoies-tusisûrequ’ilestinnocent?demandaBurnett.Elleréfléchitun instant.Elle-mêmes’étaitposé laquestion,sansy trouverderéponse
satisfaisante.–Jenesaispas,c’estmoninstinctquimeledit.Moninstinct,etcettefichuepetitevoixdansmatête.Dellatressaillitquandl’imagedujeunecouplemutilés’imposaàelle,unefoisdeplus.EllesetournaversHoliday.–Est-cequeLorraineestrevenuetevoir?Tupourraispeut-être luidemandersic’est
Billyquil’atuée.Laféesecoualatête.–Jenel’aipasrevue.Jenesaispassic’estparcequ’elleestpasséedel’autrecôtéou
parcequ’ellen’estpasencoreprêteàcommuniquer.–Est-ceque l’enquêtesepoursuit?demandaDellaàBurnett.Est-cequ’onad’autres
pistes?–Non,répondit-il.Moi,si.Elle repensaàceque luiavaitapprisLindsey, l’amiedeLorrainequi luiavait
parléduSangPourpresurFacebook.–Apparemment,certainesamiesdeLorrainesoupçonnentsonex-petitcopain.Burnettladévisageacommesielleavaitperdulatête.–Letueurétaitunvampire.–Jesais,maispeut-êtreque…
–Onn’enquêtepassurdes«peut-être».Onsuitdespistesfiables,commeonvientdelefairecesoir.
–Maisiljouaitdansungroupequi…–Çasuffit,Della!Elleserralesmâchoires.Burnettavaitdécidédenepasl’écouter.Ilneluirestaitdonc
plusqu’àparleràKevin.–Jepeuxyaller?demanda-t-elle.BurnettfronçalessourcilsetsetournaversHoliday.–Ilesttard,fitremarquercettedernièreensecaressantleventre.–OK,ditBurnett.Onenreparlerademain.Dellasepromitque,lelendemain,elleensauraitdavantageausujetdePhillipLance.
Qu’elleauraitunepistefiablequiluipermettraitd’innocenterBillyJennings.
Àmi-chemin de son bungalow, Della sortit son téléphone de sa poche et envoya untextoàKevin.
«T’esttoujoursàHouston?Fautquejetevoie.»Elles’arrêtaetfermalesyeuxuninstant.Leverrait-il?Yrépondrait-il?Elleseremitenmarcheetaperçutlapetiteicônequiluidisaitqu’elleavaitunmessage
vocal.DelapartdeSteve.Ellesemordit lalèvreet,peut-êtreparcequ’elleétaitdéjàsubmergéed’émotions,elle
s’autorisaàl’écouter.«Jesaisquetun’aspasenviedemeparler,maisjetenaisàtedirequejesuisdésolé.
Ce baiser… ce n’était pasmon idée,mais je serais furieux si quelqu’un t’avait embrassée.Alors,s’ilteplaît,mets-toiencolère,dis-moiquetum’enveux.Jel’aimérité,mais…Jetiensàtoi,Della!Jem’enfiche,decettefille.C’esttoi,quejeveux.Appelle-moi,s’ilteplaît.»
Soncœurseserra.Elleauraitdonnén’importequoipouravoirSteveàsoncôtéencetinstant–pourqu’illaserredanssesbrasetl’aideàtrouverdusensàtoutecettefolie.
Ledoigtsurlatouche«rappeler»,ellehésita.Quepourrait-ellebienluidire?Àcetinstant,sontéléphoneannonçaunnouveautexto.C’étaitKevin.«Me voir pour quoi ?Me demander une autre faveur ? Tu vas finir par y laisser ta
chemise…outaculotte.»Ilponctuaitcemessaged’unsmiley.Avecunpeudechance,ilplaisantait.Aprèstout,
elles’étaitdéjàfaittraiterdeprostituéeàdeuxreprises…Ellenelaisseraitjamaiscetypelatoucher,maisellen’étaitpasobligéedeleluidire.
«Haha!T’esoù?–Prèsdetonécole.Qu’est-cequit’arrange?»Dellaenvisageade sauterpar-dessus laclôturepouraller le rejoindrequelquepartà
Fallen, mais Burnett piquerait une crise. Soudain, elle eut une idée. Pourquoi ne pas
s’inspirerdeChaseetdesesrencontressecrètes?TantqueKevinnetouchaitpaslagrille,ils ne risquaient rien. À quoi bon enfreindre la règle quand on pouvait la contournergentiment?
ElleindiquaàKevinl’endroitexactoùlaretrouver.«N’essaiesurtoutpasdetoucheroudesauterlaclôture.»
Dixminutesplus tard,elleattendaità l’endroitoù leruisseaupassait sous legrillage.
Assise sur un tronc d’arbre, les genoux repliés contre sa poitrine, elle frissonnait, les brascouvertsdechairdepoule,cequivoulaitsansdoutedirequesatempératureétaittoujourstrop élevée. L’air résonnait de bruits nocturnes, un chœur d’insectes, de grenouilles et depetitsrongeursquisefaufilaientsouslesbuissons.
Seuleetdésœuvrée,ellesortitsontéléphonedesapocheetpassasestextosenrevue.Ilyenavaitunqu’ellen’avaitpaslu,delapartdeSteve.
«Tumemanques.»Luiaussiluimanquait.Épuisée,ellefermalesyeuxetposalefrontsursesgenoux.Elle
imagina son visage, son sourire. La douceur de ses baisers, qui prenaient peu à peu del’intensitéjusqu’àdevenirterriblementenivrants.
Elle avait mauvaise conscience d’avoir embrassé Chase, même si elle l’avait faituniquement pour sauver leur mission – et leur peau. À moins que ce n’ait été l’idéelumineusedelapetitesorcièrequiavaitfaitsoncheminetl’avaitcontaminée.
Soudain elle se rendit compte qu’elle n’en voulait plus autant à Steve pour… s’êtrelaissé faire quand Jessie l’avait embrassé. C’était toujours douloureux d’y penser, mais sacolère avait disparu.Celane lui importaitmêmeplusde savoir s’il avait apprécié ou pas.Aprèstout,elleavaitaimélesbaisersdeChase.
Mirandaaurait-elleeuraison?Non,impossible!Onneréparaitpasunebêtiseparuneautrebêtise.Pourtant,ensemettantà laplacedeSteve,Dellaavaitcomprisqu’unbaisernesignifiaitpasqu’ilnetenaitplusàelle,ouqu’ilrisquaitderecommencer.
Elle-mêmesavaitquecequis’étaitpasséavecChasenesereproduiraitpas.Jamais.Elleenavaitlacertitude.ElleseredressaetcomposaunmessagepourSteve.«Onendiscuteceweek-end,d’accord?»Illuifallutplusdetempspoursedécideràl’envoyerquepourl’écrire.Trentesecondesplustard,elleavaituneréponse.«D’accord.Tumemanques.»Soncœurseserra.Ilétaitréveilléàcôtédesontéléphone,dansl’espoirqu’elleluifasse
signe.Ellerepensaàladouleurqu’elleavaitluedanssonregardpendantleurdispute.«Toiaussi,tumemanques.»Aussitôt,unautremessageluiparvint.
« Tu veux qu’on parle maintenant ? Je peux appeler Burnett et rentrer à ShadowFalls.»
Elle fut prise de panique, et pas seulement parce qu’elle attendait la visite de Kevin.Elle n’était pas encore prête à affronter Steve. Allait-elle lui parler de ce qui s’était passéavec Chase ? Allait-elle accepter que ce qu’il y avait entre eux devienne… officiel ? Non,clairement,ellen’étaitpasencoreprête.
«Non.Ceweek-end,c’estmieux.–OK.»Elleentenditunbruit lointainetrangeasontéléphonetouten inclinant la têtesur le
côté. Il s’agissait de bruits de pas légers qui s’approchaient d’elle de l’autre côté de laclôture.Elleinspira,dansl’espoirdereconnaîtrel’odeurdeKevin,maisenvain.
Soudainlesautresbruitsdelaforêtcessèrent.Lesanimauxetlesinsectesseturent,etmêmelesarbresparurents’immobiliserdansl’obscurité.
CedevaitêtreKevinmais,peudésireusedesefaireassommerdenouveau,elleallasecacherderrièreuntroncpourguetterlenouveauvenusansêtrevue.
Della vit Kevin s’avancer entre les buissons, le nez en l’air, comme s’il cherchait à
distinguersonodeur.–Jesuislà,dit-elleens’approchantdelaclôture.Ils’arrêtaetlevalesmainscommepourlesposersurlegrillage.–Stop!Netouchepasça,c’estdangereux.Ilreculad’unpasetmitlesmainsdanssespoches.–C’estdoncvraiqu’ilyadesalarmespartoutautourduterrain?–J’enaibienpeur.–Etsionpasseau-dessusenvolant?–Onlesdéclencheaussi.–C’estunevraieprison!Jenepourraisjamaisvivreici.–C’est pour empêcher des intrus d’entrer par effraction, pas pour nous empêcher de
sortir.–Maisbiensûr.Dellafronçalessourcils.– Écoute, si je t’ai fait venir, c’était parce que j’espérais que tu pourrais m’aider. Je
cherchequelqu’unqui,apparemment,faitpartiedugangduSangPourpre.–Pourquoi?demanda-t-il.–C’estl’exd’unefillequej’aicroisée.
Riennel’obligeaitàpréciserquelafilleenquestionétaitmorte.–Jenelesaipastousrencontrés,tusais.Jen’aipasséqu’unjouroudeuxaveceux.– Il s’appelle Phillip Lance, il estmusicien. Il a les cheveux bruns et courts, avec un
crânetatouédanslecou.–Çanevapasm’attirerdesennuis,cettehistoire?–Non,net’inquiètepas.–Etqu’est-cequej’ygagne,moi?demanda-t-ilensouriant.–J’auraiunedetteenverstoi.–Tuasdéjàunedetteenversmoi,jetesignale.–Ceseraunegrossedette.Ilhaussalesépaules.–Jenesaispaspourquoi,mais je t’aimebien,dit-ilavantdemarquerunehésitation,
accompagnéed’unsoupir.IlyabienunPhillipdanslegang.Jeneconnaispassonnomdefamilleetjenesaispass’ilestmusicien,maisilalescheveuxbrunsetuntatouagedanslecou.
Cedevaitêtrelui.–Merci,dit-elleensouriant,pleined’espoir.Ilneluirestaitplusqu’àobtenirunedernièreinformation.–Est-cequetusaisoùilstraînent?Histoirequejepuisseallerlevoir?–Non,là,tum’endemandestrop,lançaKevinenlevantlesmains.–S’ilteplaît.Elle détestait supplier d’habitude, mais comme c’était pour aider Billy, cela la
dérangeaitbeaucoupmoins.Kevinhésitauninstant.– Jene saurais pas tedire où ils habitent,mais ils vont souvent auHotStuff, un bar
tenupardessurnaturelsaunorddeHouston.–Jeconnais.Chanm’yadéjàemmenée.C’était juste après sa transformation, donc ses souvenirs étaient franchement
lacunaires,maiselleétaitàpeuprèssûreque,s’illefallait,ellesauraitretrouverlelieu.–Situpassesunpeudetempslà-bas,tuesquasimentsûredecroiserundesvampsdu
SangPourpre.–Merci,souffla-t-elle.Illadétailladespiedsàlatête,avecunelueurd’intérêtdanssesyeuxbleus.–Tuasuncopain?demanda-t-ilenfin.–Oui.C’estenpercevant lerythmerégulierdesoncœurqu’ellecompritquec’était lavérité.
Steveétaitsoncopain.Ellenesavaitpasencorecommentleschosesévolueraientaprèsleurconversationduweek-end,mais…
–Dommage,fitKevin.Etsinon,tuaspufaireenterrerChancommetuvoulais?– Non, pas encore. L’URF veut procéder à une autopsie pour confirmer la cause du
décès.–Ilsontraison.Onm’aditquec’étaitflippant,cequiluiestarrivé.Était-celemêmevirusquiluidonnaitlafièvreetlaprivaitdesonodorat?–Est-ceque…Enfin,c’étaitcomment,exactement?–IlnesesentaitdéjàpastrèsbienquandilestpartiduTexas,maissespotesdugang
m’ont dit que son état avait empiré, puis qu’il avait commencé à avoir des espèces deplaquessurlapeau.
Dellaprituneprofonde inspiration, quelquepeu soulagée.Ellen’avait rien remarquédecegenre.
Kevinsecoualatête.–Tusais,c’estlapremièrefoisquej’entendsparlerd’unvampirequimeurtdemaladie.
J’ai perdu pas mal d’amis à cause de rivalités entre gangs, mais je ne pensais pas qu’onpouvaittombermalades.
–Ilyadesvirusquipeuventnousatteindre,ditDella.Elle-mêmeseremettaittout justed’uneespècedegrippe.Enfin,elleseraitpleinement
remisequandsonodoratdaigneraitfonctionnerdenouveau.–Oui,maiscesontdepetitsrhumesderiendutout,riendemortel.Là,je…Kevins’interrompitetlevalenezauvent.–Quelqu’unapproche.Àplustard!Etildétala.Dellarenifla,envain.C’estalorsqu’elleentenditunlégersifflement.Quelqu’unvenait
depasseràgrandevitesse.Elleneconnaissaitquedeuxpersonnesquisedéplaçaientavecunetellerapidité.C’étaitsoitBurnett,soitChase.
Cedernierseposaàcôtéd’elleethumal’air.–Quic’était?–Quelqu’unavecquij’avaisbesoindediscuter,réponditDella.Chasedétournalatête.–Pourquoidonnerrendez-vousàquelqu’unenpleinenuit?–Çaneteregardepas.Ellecommençaàs’éloignermaisfitdemi-tourpresqueaussitôt.Riennel’empêchaitde
luirévélercequ’ellesavaitsanstrahirlaconfiancedeJenny.–Àmoinsque toi, tuneveuillesmedireavecqui tuavais rendez-vous, ici, enpleine
nuit.Chaseécarquillalesyeux.–Jenevoispasdequoituparles,dit-il.Unticagitasonsourcilgauche.
–Tumens.–Commentest-cequetu…?demanda-t-il,surpris,avantdepousserunsoupir.OK,je
l’avoue,c’étaitunvieilami.Cettefois,riendanssonvisagenedémentitsesparoles.–Pourquoitulevoisencachette?–Parcequ’iln’estpasdéclaré,dit-il,visiblementsincère.Ellehochalatête.–Àtontour,reprit-il.Qu’est-cequetufaisicienpleinenuit?Ilsemblaitinquiet.Pourquoi?–Disonsque j’essaiede rattraper le coupaprès tabêtisedece soir, répondit-elle. J’ai
uneautrepiste,pourl’enquête.Ilinclinalatêtesurlecôté,commepourmieuxécoutersoncœur.–Cen’estpasfauxmaisc’estvague,fit-ilremarquer.–Tuneméritespasmieux.TuasmentiàBurnettausujetdeBilly.–Non.Jesuispersuadéquecetypeestcoupableetjesuisquasimentsûrquec’estson
odeurquej’aiperçuelesoirdumeurtre.J’aiditcequejecroyaisêtrelavérité.–Ehbien,moi,jecroisqueBillyestinnocent,rétorquaDella.Chasegardalesilence.–Jem’envais,lança-t-elleentournantlestalons.Ellen’avaitfaitquequelquespasquandillarappela.–Attends!Elle s’arrêta, sans pour autant se retourner. Malgré tous ses efforts, elle repensa au
baiser–àcequ’elleavaitressentidanssesbras.–Qu’est-cequetuveux?–Discuter.–Riendecequetupourraisdirenem’intéresse.Elleavaitgagnélesarbreslorsqu’illança:–Etsijetedisaisd’oùjeteconnais?C’était sans doute le seul argument susceptible de la retenir. Elle ralentit jusqu’à ce
qu’ellel’entendearriveràsahauteur.Ilsmarchèrentquelquesinstantsensilence.–J’attendstesexplications,dit-elleenfin.–Jetediraisituacceptesdefairelacourse.–Non,lança-t-elleenseremettantenmarche.J’enaimarredejoueràtonpetitjeu.– Ce n’est pas un jeu. On fait la course, juste une fois. Avoue que tu aimerais bien
savoir.Elle étudia son visage et n’y vit pas l’ombre d’un mensonge. L’idée de céder à ce
chantageluirépugnait,maisilavaitpiquésacuriosité.
Ilvintseposterenfaced’elle,siprèsqu’ellesentitsonparfum.Ellerepensaaumomentoùill’avaitserréecontreluipourvoleràtouteallure.
–JusteuntourdeShadowFalls,plaida-t-il.Après,siturépondsàunequestion,jetediraitout.
Ellereculad’unpas.–D’abord,c’étaitjusteunecourse,maintenantc’estunecourseetunequestion…–C’estunequestion facile, répliqua-t-ilenserapprochant.Jevoudrais savoir siça t’a
plu,quandons’estembrassés.J’ail’impressionqueoui.Moi,entoutcas,j’aiadoré.Ellerelevalementond’ungestededéfi,enregrettantdenepassavoirmentir.–Tuembrassesbien,maisçaneveutriendiredutout,déclara-t-elle.–Çapourraitvouloirdirequej’ailedroitderecommencer,suggéra-t-ilavecunsourire
encoin.–Vamourir.Sonsourires’effaça.–Tul’aimesvraiment,tonmétamorphe,hein?–Tuavaisditunequestion,pasdeux.–Unequestion,etonfaitlacourse.Surce,ildécolla.Della envisageadenepas le suivredu tout,mais elle voulait vraiment savoir où elle
l’avait rencontré. Aussi s’élança-t-elle à son tour. Quand elle s’approcha de Chase, ilaccéléraencore.Elle l’imita,maispasaupointdeserendremalade.Deuxfois,c’étaitdéjàbeaucouptrop.
Quand ilcompritqu’ellen’avaitpas l’intentionderepousserses limites, il ralentitet–auplusgrandétonnementdeDella– il tintparole.Aprèsun tourducamp, il seposaausol,etelleatterritàcôtédelui,essouffléemaispastrop.
–Tuauraispuaccélérerunpeu,commenta-t-ilenétudiantsonvisage.–Ilesttard.–C’estvrai,concéda-t-il.LetéléphonedeDellaluiannonçaqu’elleavaituntexto.Pensantquec’étaitSteve,elle
n’yfitpasattention.EllenevoulaitpasliresonmessageniyrépondredevantChase.–Allez,crachelemorceau.Oùest-cequ’ons’estrencontrés?Chaseallas’asseoirsurletroncd’arbreoùDellaavaitattenduKevinetluifitsignedele
rejoindre.–Dis-moi,insista-t-elle.–Çavaprendreunpeudetemps.Assieds-toi.Elleobéit,enprenantsoindemettreunpeudedistanceentreeux.–Voilà,jesuisassise,râla-t-elle,àboutdepatience.Maintenant,parle!
–JefaisaispartiedesLames.
Les Lames ? Della sentit son estomac se nouer, et la cicatrice du coup de couteau qu’elleavaitreçuserappelaàsonbonsouvenir.LesLames,commeleSangPourpre,étaitlenomd’un gang de hors-la-loi. Steve et elle avaient enquêté pour savoir si c’étaient eux quiexigeaient de leurs nouvelles recrues qu’ils tuent des humains en guise de rite initiatique.C’était bien eux et, au cours de leur mission, Della avait reçu un coup de couteau quil’auraitsansdoutetuéesiSteveneluiavaitpasprocurédusangàtemps.
–Tuesunrenégat,souffla-t-ellesuruntonaccusateurtoutens’écartantunpeuplus.–Non,je…Sij’airejointlegang,c’étaitpourunebonneraison.–Commentça?Ilpoussaunlongsoupir.–Sijeteledis,tumeprometsdenepaslerépéter?MêmepasàBurnett?–Jeneprometsriendutout.Siçametquiquecesoitendanger,jeseraiobligéed’en
parler.–Personnen’estendanger,affirmaChase.Mamissionconsistaitàinfiltrerlegangpour
rechercherquelqu’un.JetravaillaispourlecompteduConseildesvampires.–Etc’estcensémerassurer,ça?C’estunebandedehors-la-loiqui refusedeseplier
auxrèglesdel’URF!
–Maisnon.LeConseiln’estpastoujoursd’accordavecl’URF,maisçanefaitpasd’euxdescriminelspourautant.
Soudainellerepensaàundétaildésagréable–etpersonnel.–LesLamesontessayédemetuer,ettulesauraislaissésfaire…–Non!s’écriaChase.Aucontraire,c’estmoiquilesaiempêchésdevoussuivre,cesoir-
là.L’incendiequeSteveadéclenchélesaralentis,maisçan’auraitpassuffiàlesarrêter.Dellaledévisageait,bouchebée.Ilnesemblaitpasmentir,etpourtant…– Qu’est-ce que tu fais ici, alors ? Le Conseil des vampires essaie-t-il de faire fermer
ShadowFalls?–Non,ilstrouventqueHolidayetBurnettfontdutrèsbontravail.–Maisalors…pourquoituesvenu?Ilhésitauninstant.–Jesuistoujoursàlarecherchedequelqu’un.–Dequi?–Jenepeuxpasteledire.–Si tu trouves cettepersonne,est-ceque tuvas lui fairedumal?demanda-t-elleen
sondantsonregardvertclair.–Non,aucontraire.Monbutestdeluivenirenaide.Ilsemblaitparfaitementsincère.–Cettepersonne…elleestici?insistaDella.–Çanonplus,jenepeuxpasteledire.Ilseredressaunpeu,unemainposéesursacuisse.–Pourquoitumeracontestoutça?demandabrusquementDella.Ellevitl’expressiondesonvisagechanger.–N’essaiepasdemementir,Chase.Ilserralepoing.–Parcequ’ilyadeforteschancespourquetudécouvreslavérité,detoutefaçon.–Commentça?–Jenepeuxpast’enrévélerdavantage,souffla-t-ilensecouantlatête.Unemèchedecheveuxbrunsretombasursonfront,etelleserralepoingpourrésister
àlatentationdelarepousser.Elleémitunsoupiragacé.Avait-elleréellementpromisqu’elleneparleraitpasdeçaà
Burnett?Elle avait besoin d’en savoir plus afin de décider si cela méritait qu’elle alerte le
directeur.–Pourquoias-tudemandéàfairepartiedel’URF?– Je n’ai rien demandé du tout. C’est Burnett qui est venu me voir parce qu’il était
impressionnéparmaforceetparmavitesse,et jemesuisditque jepourraisvousaiderà
coincerletueur.– Sauf que tu t’es trompé là-dessus. Ils détiennentBilly à cause de toi, alors qu’il est
innocent.– Ce n’est pas seulement à cause demoi, Della. Réfléchis.Burnett seméfie demoi. Il
auraitdéjàrelâchécegamins’ilnelecroyaitpascoupable,luiaussi.–Vousvoustrompez,touslesdeux.Chasesepenchaverselle,sibienquesonépauleeffleuracelledelajeunefille.–OK,admettonsquej’aiefaituneerreur.Donne-moiunechancedelaréparer.Dis-moi
quiesttonsuspectnuméroun,etjet’aideraiàenquêtersurlui.–Pourquoiest-ceque jedevrais teconfierquoiquecesoit?râla-t-elleensedécalant
unpeu.Ellen’aimaitpaslesentiraussiprèsd’elle.Ilfronçalessourcils,l’airoffensé.–Jeviensdetedirelavérité.Çanetesuffitpas?– Justement, tuviens seulementdemedire lavérité,alorsque tumemensdepuis le
début.–Tuesdure,soupira-t-ilensecouantlatête.–Jesuisfranche,cequetuauraisdûêtredepuisledébut.Elle se leva et s’essuya les fesses pour en faire tomber les bouts d’écorce avant de
s’éloigner.–Della?QuelquechosedanslavoixdeChaselaforçaàseretourner.Ilsetenait justederrièreelle,siprèsque leurssoufflessemêlèrent, luirappelant leur
baiser.–Continueàcourir,d’accord?Uneoudeuxfoisparjour.C’était vraiment une obsession, chez lui. Enmême temps, ce devait être enivrant de
savoirvoleràunevitessepareille.Ellereculalégèrementetinclinalatête.Ceconseilavaitdesalluresd’adieux.
–Tut’envas?demanda-t-elle.– Je n’ai pas le choix, répondit-il avec, dans le regard, l’ombre d’un sourire qui
n’atteignitpasseslèvres.Ilfautcroirequemoinonplus,jenetefaispasconfiance.TuvastoutraconteràBurnett.
Ellen’avaitencoreriendécidéàcesujet.– J’hésite encore,mais tu as raison sur le principe. Je fais passerShadowFalls avant
toi.Ilritdoucement.–C’estvraiquetuesfranche.–Tudevraisessayer,unjour,rétorqua-t-elle.
–C’estjustementcequejeviensdefaire,maislerésultatn’estpastrèsconcluant.Ilsoutintsonregardpendantquelquessecondesavantdepoursuivre.–Net’inquiètepas,cen’estpastafaute.Il lui caressa doucement la joue pour repousser une mèche de cheveux. Elle faillit
écartersamain,maisseretint.– Il a de la chance, Steve, souffla-t-il avec, dans le regard, quelque chose qui
ressemblaitétrangementàdesregrets.Avant qu’elle ait pu deviner son intention, il l’embrassa,mais ce baiser était différent
desprécédents.Cen’étaitpasuneétreintetorrideetexigeante.C’étaitunaurevoir,simpleetdoux.PuisChasetournalestalons.Dellasuivitduregardseslargesépaules, jusqu’àcequ’il
disparaisseentrelesarbres.Ce type ne lui avait jamais inspiré confiance, alors pourquoi avait-ellemal de le voir
partir?Pourquoiéprouvait-ellel’enviedelerappeler?Peut-êtreparceque,étrangement,ellel’aimaitbien.C’étaitundrôledesentiment,fait
d’admiration et de… quelque chose d’indéfinissable. Elle était certaine d’une chose, enrevanche,celan’avaitrienàvoiraveccequ’elleressentaitpourSteve.Peut-êtreétait-cedelasympathiepourcegarçonquiavaitperdusa famillesi jeune?Oude lareconnaissancepourlamanièredontill’avaitprotégéelorsdeleurmission?
Àmoinsque…Oh,etpuiszut!Celaneservaitàriendetropyréfléchir.Ilétaitparti,detoute façon, et leurs chemins s’étaient croisés trop brièvement pour qu’elle en soitinfluencée.
Enparlantdechemin…Soudain, elle se rendit compte que, en s’éloignant, il avait repris la direction de son
bungalow. Avait-il réellement l’intention de quitter Shadow Falls, ou avait-il menti dansl’espoirderécolterundernierbaiser?
Ceperversenétaitcertainementcapable.Dellasortitsontéléphonepourregarderlemessagequ’elleavaitreçuunpeuplustôt.
C’étaitKevin.Ellerappelaaussitôt,etilréponditaprèsdeuxsonneries.–Allô?–C’estmoi,Della.–Commenttu…Savoixluiparvenaitparbribes,commesisaconnexionétaitmauvaise.–Jet’entendstrèsmal.Rappelle-moiquandtuaurasduréseau, lança-t-elleavantde
raccrocher.
L’espritencoretoutembrouilléparsadiscussionavecChase,elles’apprêtaàrentreraubungalow, mais aumêmemoment, quelque chose lui effleura la joue. Elle leva la main,pensantattraperunefeuillemorte,maissesdoigtsserefermèrentsuruneplume.
Ellelalaissatomberausolet,aussitôt,l’airdelanuitsefitglacial.Pivotantlentement,Della sonda la forêt dans l’espoir d’y apercevoir le fantôme d’un jeune homme brun etmince.
Rien.Cen’étaitpeut-êtrepasChanquiluienvoyaitcesplumes.Ellelevalesyeuxversleciel
noir,oùscintillaientquelquesétoiles.La lune,qui seraitpleinedansdeux jours,paraissaitlourde.UnenouvelleplumepassadevantlevisagedeDellaendécrivantunelentespiraleavantd’allerseposeràsespieds.
Chanétait-ilencore là?Maispourquoi?Voulait-il luidirequelquechoseausujetdutueurdeLorraine?Aprèstout,ilsavaientfaitpartiedumêmegang,touslesdeux.
–Qu’est-cequetuveux?cria-t-ellefaceauventfroid.Arrêtedem’envoyerdesplumesdébilesetdis-moicequetuveux!
IlétaitplusdetroisheuresdumatinlorsqueDellaregagnasonbungalow.Malgrésonimmensefatigue,elledormitàpeine.EllenecessaitdepenseràChan,desefairedusoucipour Billy et de se demander comment elle allait s’y prendre pour enquêter sur PhillipLance.Parailleurs,ellenepouvaits’empêcherdepenseràChase.Était-ilvraimentparti?Etpourquoiest-cequecelal’affectaitautant?
Quand, enfin, le soleil s’invitadans sa chambre, elle fut tentéede se réfugier sous sacouette. Elle se cacha les yeux en grimaçant. Son mal de tête était revenu. Cependant,ayant raté la réunionmatinale quotidiennedes vampires depuis déjà plus d’une semaine,elleseforçaàse leveretàs’habiller.Enrevanche,ellen’eutpas la forcedesebrosser lescheveux et se contenta de les attacher à l’aide d’une pince. Elle ressemblait vaguement àuneGorgone,maistantpis.Personnen’oseraitluifairederemarque.
Elleserendità laclairièreoù lesvampiresseretrouvaient.Sescamaradesse tenaientprès des tables où étaient disposées des rations de sang. Leurs bavardages ravivèrent samigraineet,lorsqueChriss’approcha,elleeutl’impressionquesespasrésonnaientsoussoncrâne.
–Tuasunesalegueulecematin,dit-ilens’arrêtantàsahauteur.Bon, quelqu’un avait osé lui faire une remarque. Tant pis. Elle était trop occupée à
chercher Chase des yeux pour faire attention à Chris. Elle se contenta de luimontrer lesdents.
Levampireblondéclataderire.Elleluijetaunregardencoinquilefitricanerdeplusbelle,maisilrecouvrabrusquementsonsérieuxenvoyantBurnettatterriràcôtédelui.Ledirecteurétaitnettementplusmenaçantqu’elle.
–Viens,onvafaireuntour,gronda-t-il.
DellaattenditqueChrisdisequelquechosequand,soudain,ellecompritquec’étaitàellequeBurnetts’adressait.Oh,merde.Quoi,encore?
Avant même qu’ils soient hors de portée des autres vampires, Della avait une petiteidéedelaréponse.
–Est-cequetuasvuChaseaprèsêtresortiedubureau,hiersoir?demandaBurnett.Elleavaitbiendeviné–cequinel’avançaitpasbeaucoup.–Oui.Il était temps de prendre une décision. Allait-elle tout avouer à Burnett ? Sans bien
comprendrepourquoi,elleressentaitunecertaineloyautéenverscesaleperversdeChase,etcesentimentluipesaitsurlecœur.
–Est-cequ’ilt’aprévenuequ’ilcomptaitquitterShadowFalls?–Plusoumoins.–Ettun’aspascrubondem’eninformer?–Jen’étaispassûrequ’ildiselavérité.Jepensaisletrouvericicematin.Burnettfronçalessourcils,l’airinquiet.–Est-cequ’ilt’aditoùilallait?–Non.–Qu’est-cequ’ilt’adit?insistaBurnett.C’étaitunequestiondirecte,àlaquelleellenepouvaitpassedérober.–Ilm’aavouéoùons’étaitrencontrés.IlfaisaitpartiedugangdesLamesquandSteve
etmoil’avonsinfiltré.CommeBurnettneréagissaitpasàcettenouvelle,elledécidadeluirévélercequiferait
sansdoutel’effetd’unebombe.–Ilm’aaussiconfiéqu’iltravaillaitpourleConseildesvampires.–J’étaisaucourant,déclaraBurnett.Dellaouvritdegrandsyeuxavantdeluiretournersaquestion.–Ettun’aspascrubondem’eninformer?–C’estdifférent.–Oui,jevoisbien.Tuattendsdemoiquejeteracontetoutcequejesais,alorsquetoi,
tugardestespetitssecretspourtoi.– Tu nem’as pas exactement raconté tout ce que tu savais, je te signale, gronda-t-il
avantdesepasserunemainsurlevisage.–Jecomptaisteprévenirdèsquej’auraiseuconfirmationqu’ilétaitparti.–Oui,unefoisqu’ilauraitététroptardpourréagir,rétorqua-t-il.Dellanetrouvarienàrépondreàcela.–Commenta-t-ilfaitpourpartirsansdéclencherl’alarme?– Il m’a appelé aumilieu de la nuit pour me dire qu’un vieil ami à lui avait besoin
d’aide.Jel’aicru,mais…commejememéfiaisdelui,jel’aifaitsuivre.
–Ahbon?Maisalors,tun’aspasperdusatrace.Oùestleproblème?demandaDella.–Justement,si,onaperdusatrace.–Ilfautdirequ’ilestrapide.Burnetthochalatête.–Quand je suis passé à sonbungalow cematin, j’ai vuqu’il avait emporté toutes ses
affaires,déclara-t-ilavantdemarquerunepause.Ilnet’arienditd’autre?–Si.Apparemment,ilétaitàlarecherchedequelqu’un.–Quiça?–Iln’apasvoulumelerévéler,maispuisqu’ilestparti,j’imaginequ’iln’apastrouvésa
cibleici.–Maisalors,pourquoiest-ilrestéaussilongtemps?Etpourquoia-t-ilacceptédenous
aiderconcernantlemeurtredujeunecouple?–Jeluiaiposélamêmequestion,figure-toi.Ilm’aréponduquec’étaittoiquiluiavais
proposéd’enquêteretque,comme il étaitplutôtdoué, il avait voulu se rendreutile.C’estpeut-êtrepourçaqu’ilestresté.
–Tupensesqu’ilt’aditlavérité,ouqu’ilavaitd’autresraisonsd’êtreici?Elleréfléchitquelquessecondes.–Jen’ensuispassûreàcentpourcent,maisj’auraistendanceàlecroire,répondit-elle
ensemassantlatempe.Cettedouleursourdeetlancinantenevoulaitpaslalâcher.QuandellerelevalesyeuxversBurnett,elleremarquaqu’illaregardaitbizarrement.–Quoi?fit-elle.–Chrisaraison,tun’aspasl’airenforme.Tuessûrequeçava?–Cen’estpasexactementcequeChrisadit.Ilm’afaitremarquerquej’avaisunesale
gueule,répliqua-t-elleensouriant.Burnetthaussaunsourcil.–Holidaymetannepourquejesurveillemonlangage.D’aprèselle,lesétudiantsdisent
de plus en plus de gros mots, surtout les vampires. Elle pense que j’ai une mauvaiseinfluencesurvous.
IltoisaDellad’unairaccusateur.–Ohbenmince,alors ! s’écria-t-elle,amuséequecegrosbalèzesesoit fait reprendre
par sa femmeparcequ’ilparlaitmal.Détends-toi ! Je teprometsque je feraiattentionenprésencedeHoliday,enchaîna-t-ellecommeilnesedéridaitpas.D’ailleurs,commentva-t-elle?
– Un peu comme toi. Elle a l’air fatiguée, épuisée, même. Sauf qu’elle a une bonneraison,elle.Alorsquetoi…
–Jenesuispasenceinte,sic’estcequetuveuxsavoir.–Jeneveuxsurtoutpassavoir!rétorqua-t-il,horrifié.
–Jen’aiquasimentpasdormidelanuit.Çairamieuxdemain,dit-elle.Brusquement,l’imagedeBillys’invitadanssonesprit.–JevaiscertainementmieuxquecepauvreBilly.–Ça,c’estévident.LesrésultatsdutestADNsontarrivés.–Etalors?Dellamouraitd’enviede l’entendredirequ’elle avait eu raison.Elle avait bienmérité
cela.CeseraitlemomentidéalpourluiparlerdePhillipLance.– Le cheveu qu’on a retrouvé sur le lieu du crime appartient bien à Billy. Il a été
officiellementinculpéàcinqheurescematin.–Non!Cen’estpaspossible!Jene…–C’est lui, le coupable,Della, soufflaBurnett enposantunemain sur sonépaule. Je
sais que tu n’as pas envie d’y croire et, si ça peut te consoler, je t’assure que nous nousmontreronsclémentsenverslui.Ilvenaitdesubirsatransformationetnesecontrôlaitsansdoutepas.Celadit, ilvaquandmêmepasserunpetitmomentenprison.Avecunpeudechance,dansquelquesannées,onpourraleréhabiliter.
–Maisj’aiunautre…– C’est fini, Della. Le rapport est formel. Je dois aller finaliser la paperasse en
préparation de sa condamnation. Maintenant, va prendre ton petit déjeuner. Si tu estoujoursfatiguéeaprèsavoirmangé,retournetecoucheretneviensencoursquecetaprès-midi.
– Tu ne comprends pas ! insista Della. J’ai essayé de te le dire, mais tu refuses dem’écouter.Jecroisquej’aitrouvéunautresuspect.
–Non,c’esttoiquirefusesdem’écouter.LetestADNestpositif.L’affaireestclose,dit-ilnonsansunecertainedouceur.Danscemétier,cequ’ilyadeplusdifficile,aprèslefaitdevoir les victimes, c’est d’appréhender les coupables, surtout quand ce sont de jeunesvampiresencoredéboussolésparleurtransformation.Jesaisàquelpointçafaitch…euh,çafaitmaldeserendrecomptequedesgensbienpeuventcommettredescrimesatroces.
La gorge nouée, Della tenta d’accepter la vérité, mais cette fichue petite voixrecommençaàretentirdanssatête,enrythmeaveclesélancementsdesamigraine.
Innocent,innocent,innocent.
Au lieu de se rendre à l’Heure pour faire connaissance, Della retourna à son bungalow
pour faireune recherche Internet surBilly Jennings.Ellene s’était pas trompée : il faisaitbien partie de l’orchestre de jazz du lycée – ainsi que du club d’échecs. Il avait eu lesfélicitationspendanttoutesascolarité.C’étaitungeekabsolu.Iln’essayaitmêmepasd’avoirl’air cool. Comment un type aussi droit avait-il pu assassiner Lorraine et Jake aussisauvagement?
DécouragéedesesentiraussiimpuissanteàaiderBilly,elleéteignitsonordinateuretserenditàsoncoursdesciences, lepremierdela journée.Maisàpeines’était-elleassisequesamigraines’intensifia.Elleavaitl’impressionquesesyeuxallaientluisortirdelatête.
Le professeur, M. Yates – qui était également le frère de Jenny –, commença à leurexpliquerlefonctionnementdestéléphonesportablesetdesréseauxsatellites.
Dellas’enfichaitéperdument.Samigrainel’empêchaitdeseconcentrersurquoiquecesoit,àpartBilly.Du jourau lendemain, ilétaitpassédustatutde trompettistedu lycéeàceluid’assassin.
– Il y en a une à deux ou trois kilomètres d’ici, dit Perry, d’une voix qui parutétrangementdistanteàDella.Jen’aijamaisderéseauquandj’ypasse.
SoudainletéléphonedeM.Yatessonna.–Aumoins,onalapreuvequeShadowFallsn’estpasunezonemuette,plaisanta-t-il
avantderépondre.
PuisilsetournaversDellad’unairpresqueagressif.–Innocent,lança-t-ilsuruntoncaverneux.Innocent!–Quoi?demandaDella.Puis elle cilla et se rendit compte que M. Yates ne la regardait pas. Il parlait au
téléphone, le plus calmement du monde. Qu’est-ce qui venait de lui arriver ? Avait-ellerêvé?
Elle cilla de nouveau, l’esprit plus embrumé que jamais. Autour d’elle, l’atmosphèreavaitchangé.Ilfaisaitnuit,etellesentaitunepuissanteodeurdeterrehumide.Elletournala tête, s’attendant à voir la salle de classe,mais elle se trouvait aumilieu des bois. Lesarbres immenses semblaient la toiser.Enbaissant les yeuxvers sesmains, elle aperçutundiamant–unebaguedefiançaillesàsonannulairegauche.Hein?!
Elle ne reconnaissaitmême plus sesmains. C’était comme si on l’avait arrachée à saréalité. Plus rienn’avaitde sens. Plus rienn’avait d’importance, àpart retirer cette fichuebague ! Elle essayade l’enlever,mais elle avait lesmains couvertes de sang – de plus enplusdesang.Pourtant,c’était labaguequi lapréoccupaitplusquetout.Elletentaitdelaretirer,maismalgré toussesefforts,elleneparvenaitpasàbouger.Elleavait l’impressiond’êtreparalyséeou…morte.
Soncœurbonditdans sapoitrine.Elle étaitbienvivante.L’odeurde terre s’évanouit,maispas lesangqui luisouillait lesmains.Ellesentait ledossierdesachaiseenbois.Ellevoulutserelever,maisc’estalorsquelesangdisparut.
Puislabague.Elleretintsonsouffle.–Della?Della?Elle entendait quelqu’un l’appeler, très loin,mais elle s’en fichait complètement. Elle
examinaitsesmains,ledosetlapaume.Quevenait-ildesepasser?Elle ferma les yeux. Innocent, innocent, innocent. Lesmots résonnaient dans la classe
commesitoutlemondelesrépétaitenchœur.Pourtant,quandellerouvritlesyeux,ellevitquesescamaradesl’observaient,muets.
–Della?Della!Denouveau,quelqu’unditsonnom,etcettefoisellereconnutlavoixdeM.Yates.Elle se força à tourner la tête vers lui. Il ladévisageait, interdit.C’est alors qu’elle se
rendit compteque tout lemonde la regardait comme si elle était folle. Ils n’avaient peut-êtrepastort.
–Della?répétaM.Yates.–Oui,souffla-t-elle,aprèsavoirmontrélesdentsàtouscescurieux.–Toutvabien?demanda-t-ilens’approchantdesatable.Non,jesuisentraindedevenirdingue.
Ellehochalatête.–Tum’asentendu?Ne sachant quoi répondre, elle le regarda en silence, et il finit par comprendre le
message.–Holidayveuttevoirdanssonbureau.Toutdesuite.Tremblante, elle rassembla ses affaires et sortit de la classe. Elle allait demander à
Holidayd’appeler leshommesenblouseblancheparcequ’elleétaitquasimentsûred’avoirperdu les pédales. Si cela continuait comme ça, elle allait finir en camisole de force dansunecellulecapitonnée.
Heureusement, le temps qu’elle arrive au bureau, elle avait décidé que ce sort nel’attiraitpasplusqueça.
Holidayselevaenlavoyantentrer,l’airinquiète.–Qu’est-cequisepasse?demandaDella,aussitôtpaniquée.Elles’imaginalepire–etpasunehistoiredebaguedefiançaillesensanglantée.Était-il
arrivéquelquechoseàsafamille?Holiday lui fit signe de s’asseoir,mais elle resta debout aumilieu de la pièce, encore
sonnée.–Qu’est-cequisepasse?répéta-t-elle.– Lorraine Baker est passéeme voir cematin. Elle n’est pas restée longtemps, dit la
directriceenserasseyantetensecaressantleventre.–Etalors?Della essaya de se persuader que c’était une bonne nouvelle. Peut-être que la jeune
morte allait leur en apprendre davantage sur ce qui lui était arrivé – peut-êtremême dequoiinnocenterBilly.
– Quand j’ai essayé de la convaincre deme parler, elle m’a dit qu’elle était déjà encontactavecquelqu’un,maisquecettepersonnenel’écoutaitpas.
Dellatentaderéfléchir.–C’estfaux.Kylieesttoujoursattentiveauxfantômesquifontappelàelle.Est-ceque
tuluiasdemandésiLorraineluiavaitparlé?Holiday ramena ses cheveux par-dessus son épaule et les enroula lentement, l’air
soucieuse.–Cen’estpasKyliequ’elleaessayédecontacter.C’esttoi.Finalement,c’étaitpeut-êtreunebonneidéedes’asseoir.Dellaselaissatomberdansle
canapé,quipoussaunsoupircommepourprotestersoussonpoids.Pourtant,c’étaitplutôtellequiavaitdesraisonsdeseplaindre.
–Maisjesuisunevampire,bredouilla-t-elle.Soudainunesueurfroideluicouladansledosquandelleserenditcomptequ’elleétait
déjà entrée en contact avec un fantôme. Celui de Chan.Mais Kylie l’avait rassurée en lui
disantquecen’étaitpasrarequ’unfantômes’attacheàunepersonnenormales’ilsavaienteudeslienstrèsfortsdesonvivant.Elleavaitcruquec’étaitsoncas,mêmesisanormalitéétaittouterelative.
–Lesvampiresneparlentpasauxesprits,ajouta-t-elle.–Oui,c’estceque jecroyais,moiaussi,maisBurnettenestcapable…etmaintenant,
toi. Je t’avoue que je ne comprends pas bien. Je pensais que, comme on ne connaît pasvraiment lesancêtresdeBurnett, ildescendaitpeut-êtred’unetribuamérindienne,d’oùsaconnexionaveclacascadeetlemondedesesprits.
–Jesuischinoise,pas…– Seulement du côté de ton père, intervint Holiday. Je me suis inscrite sur le site
Ancestry.compourenapprendredavantageausujetdeBurnett,et,avantdeteconvoquerici,j’aifaitunepetiterechercheenutilisantlenomdejeunefilledetamère.
–Etalors?–Çan’ariendonné,réponditHoliday.Elles soupirèrent en même temps, mais Della soupçonnait que Holiday exprimait sa
déception,alorsqu’elle-mêmeétaitsoulagée.Ellen’avaitaucuneenviedesedécouvrirunelignéed’ancêtresliésauxesprits.
– On s’occupera de ça plus tard, reprit Holiday. Ce qui compte, pour l’instant, c’estd’aiderLorraine.Qu’est-cequ’ellet’adit?
–Riendutout!Jenel’aimêmepasvue.Elleadûteraconter…Soudainellerepensaàlapetitevoixquinecessaitderésonnerdanssatête.–Quoi?fitHoliday.–Ça faitunmomentque j’entendsunevoix. Je croyaisque…J’avais l’impressionque
c’étaientjustemespensées,tuvois,commequandunechansontetrottedanslatête.–Qu’est-cequ’elletedit,cettevoix?–Ellemerépètetoujourslemêmemot:«Innocent.»Dellacrutquesoncerveauallaitdisjoncterquandellecompritqu’elleétaitbeletbien
encontactavecdeuxfantômes,maiselledécidaderemettresacrisedenerfsàplustard.–Lorraineessaiesansdoutedemedirequecen’estpasBilly,letueur.C’estsûrement
lui,l’innocentenquestion.Holidaypinçaleslèvres.–Burnettm’aditqueletestADNétaitaccablant.Ils’estjustementrenduauxlocauxde
l’URFpourprésenterlesrésultatsdel’enquêteetcondamnerBilly.–Commeça?Enunejournée?demandaDellaenécarquillantlesyeux.Holidayhochalatête.–Qu’est-ilarrivéàcettebonnevieilletraditionquiassureàchacununprocèséquitable,
dansuntribunal,avecunavocatetunjury?
–Cen’estpascommeçaqueçafonctionneàl’URF.Quandunsuspectest inculpé,lesenquêteursprésentent l’affaire àunpaneld’anciens, et la sentenceestprononcéedans lafoulée.Lamauvaisenouvelle,c’estqu’ilestquasimentimpossibledefaireappelunefoisquelasentenceestédictée.
–Alorsilfautlesarrêteravantqu’ilnesoittroptard.Della sortit son téléphone de sa poche et, en baissant les yeux sur ses mains, elle
repensaàlavisionqu’elleavaiteueenclasse.–Labague!s’écria-t-elle.–Quellebague?demandaHoliday.–Pendantlecoursdescience,j’ai…Elle hésita, de peur queHoliday la prenne pour une folle, puis elle se rassura en se
disantque cegenrede chosearrivait souventàKylie.Certes, ellen’avait aucuneenviedemarcherdansses tracesquand il s’agissaitdeparlerauxesprits,maiselles’en inquiéteraitunautrejour.
–J’aieuunevisionoù…–Raconte-moi,l’encourageaHoliday.–Ehbien,mesmainsétaientcouvertesdesang,et jeportaisunebaguedefiançailles,
avecundiamant.Je…Ellemerépugnait.J’essayaisdelaretirer,maisjen’yarrivaispas.Holidayseleva,unemainposéesursonventre.–Tu crois que ça veut dire quelque chose ? demandaDella. Tupenses que Lorraine
essaiedemeparler?– Ça veut toujours dire quelque chose. Le problème, c’est de comprendre quoi. Les
morts sont assez nuls quand il s’agit de s’expliquer, déclara la fée en attrapant son sac àmainpenduaudosdesonfauteuil.Viens,neperdonspasdetemps.
–Oùva-t-on?–OnvavoirBurnett.Tuasraison,ilfautabsolumentlesarrêteravantqu’ilnesoittrop
tard.–Pourquoionn’appellepas?suggéraDellaensaisissantsontéléphone.–Parceque.J’aimecethommeplusquetout,maisilestincapabled’entendreraisonau
téléphone.Déjàqu’iln’estpastrèsfortpourçadevivevoix…Entoutcas,pasquandilestsûrd’avoirraison.OrilestpersuadéqueBillyestcoupable.
–Qu’est-cequ’onvafaire?demandaDellaenemboîtantlepasàHoliday.–Onvaleconvaincrequ’ilsetrompe.–Oui,maiscomment?–Ça,onyréfléchiraenroute.
Elleseurentbeausecreuser latête,ellesn’avaienttoujourspaslamoindreidéedece
qu’ellesallaientdireàBurnett.Celanelesempêchapasdedéboulercommedesfuriesdansleslocauxdel’URF.Enfin,Delladéboulacommeunefurie.Holiday,vêtued’unerobejaune
vifàmancheslonguesquisoulignaitsonventrearrondi,sedandinaitlentement.Dellasefitla réflexion qu’elle ressemblait à un gros canard.Un canardmagnifique avec de sublimescheveuxroux.Silasituationn’avaitpasétéaussigrave,elleauraittrouvécelatrèsdrôle.
–Bonjour,monsieurAdkins, lançaHolidayengratifiant l’hommeassisà l’accueild’unchaleureuxsourire.Ilfautquejeparleàmonmari.
M. Adkins ne se donna pas la peine de sourire, sans doute parce que d’après saconfiguration,c’étaitunloup-garou.
–Jesuisdésolé.M.Jamesestenréunionaveclecomitédejustice.–C’estimportant,insistaHolidayenl’implorantduregard.–Pasplusimportantqueleurréunion.Holidaytenditlamainverslegarou,quireculavivement.–Lesféesnesontpascenséesuserdeleurinfluencedanscebâtiment.Holiday jeta un bref coup d’œil à Della, puis au couloir qui menait à l’arrière de
l’immeuble. La jeune fille n’en était pas absolument sûre,mais il lui semblait bien que ladirectriceluifaisaitsignedefoncer.
Ellen’hésitapasuneseconde.–Voyons,monsieurAdkins,vousnevoudriezpasvousattirerlesfoudresdeBurnetten
refusantdel’avertirquesafemme–enceinte–demandeàlevoirdetouteurgence,déclaraHolidaypourdétournerl’attentiondugarou.
Toutens’éloignant,Dellal’entenditrétorquer:–Jesuisdésolé,maislarègle,c’estlarègle.Ellecessadelesécouterpourseconcentrersurlesvoixquiluiparvenaientdepuisune
salleauboutducouloir.Malheureusement,celles-cifurentcouvertesparleshurlementsdugarou,quiluicriait
de s’arrêter. Elle semit donc à courir et, consciente qu’il la suivait, elle poussa la doubleporteavecunpeutropd’élan.Lesbattantsheurtèrent lemur,et l’und’euxsedétachadesesgonds.
Oups.D’unrapidecoupd’œil,ellecomptaquatorzepersonnesprésentesdanslapièce–que
deshommes.Ellesutqu’ellesetrouvaitaubonendroitquandelleaperçutBurnett.Pasuneseulefemme!Ellesavaitbienquel’URFétaitunrepairedemachos,maisquandmême…
Treizedecesmessieursselevèrentbrusquement.Elle reconnut également le seul quidemeuraassis.C’étaitBilly.Épaules voûtées, tête
basse, il contemplait sesmains croisées d’un air désespéré, comme si plus personne ne sesouciaitdelui.
Saufquec’était faux.Dellasesouciaitde lui.Burnettaussi. Il suffisaitqu’elle lui fasseentendreraison.
Elleentenditlavoixessouffléed’Adkinsdanssondos.
–Veuillezm’excuser.Jelafaissortirimmédiatement.–Non,ditBurnett.Jem’enoccupe.Elleestinoffensive.Au cas où ce sale cabot ne croirait pas Burnett, Della fit volte-face et luimontra ses
canines.Commeilfaisaitunpasverselle,ellegronda:–Touche-moietjeteferairegretterdenepasavoirétécastréquandtun’étaisencore
qu’unchiot.Burnettseraclalagorge.– Je disais donc qu’elle est inoffensive, même si elle n’en a pas l’air, déclara-t-il en
jetantunregardmenaçantàlajeunefille.Della,cen’estvraimentpaslemoment.–Si,justement,c’estlemomentoujamais!lançaunevoixdansleurdos.Holiday.Dellaneputqu’admirersontiming.Burnett écarquilla les yeux en voyant sa femme approcher. Il se tourna vers les
membres du comité avant de reporter son attention sur Holiday, qui s’avançaittranquillementverslecentredelapiècedesadémarchedecanard.
–Vousaveztouseul’occasionderencontrermonépouse,jecrois,marmonna-t-il.–Oui,grommelal’undeshommesd’unairmécontent.Burnettluijetaunregardhostile.–Quelquechosenevapas?demanda-t-ilàHoliday,visiblementinquiet.Ilsemblaitprêtàaccourirverselle,craignantsansdoutequ’ilyaitunproblèmeavecle
bébé.–Eneffet.BillyJenningsestinnocent.Burnettpoussaunsoupirdesoulagementet,aumêmemoment,Billyredressalatête.Il
semblait perdu et accablémais, dans ses yeux brillants de larmes, Della vit une étincelled’espoir.
– Et comment êtes-vous arrivée à cette conclusion ? demanda un des membres ducomité,unvampireblond.
–LorraineBakerelle-mêmeclamesoninnocence,déclarafièrementHoliday.–J’étaissûrquecen’étaitpasmoi!s’écriaBilly.Jeleuraiditquejenepensaispasêtre
capabled’unechosepareille,maiscommemessouvenirsétaientflous…–Vousdevezfaireerreur,madame,intervintunvampireâgéàl’allurepincée.Lorraine
Bakerestlenomd’unedesvictimes.Jenevoispascommentelleauraitpuledéfendre.–Mafemmesetromperarement,ditBurnettenredressantlesépaules.Ellealedonde
communiqueraveclesesprits.DellafutsurprisequeBurnettn’aitjamaismentionnécefaitàsescollèguesdel’URF.Puiselle compritpourquoi.Lesdouzeautresagentsprésentseurent l’air choquéspar
cetterévélation.Ou,plutôt,effrayés.
Quellebandedenazes!Certes, les fantômeslui fichaient latrouille,maisellenefaisaitpas partie d’un panel de juges super importants au sein de l’URF. Elle trouvait celaétonnant que cesmessieurs, qui se permettaient de décider qui était innocent et qui étaitcoupable, soient terroriséspar la simplementiondesespritsetdesangesqui jugeaient lesâmesdecesderniers.
Unsorcierfinitparprendrelaparole,s’adressantàBurnett.– Vous espérez nous convaincre que la parole de votre épouse, qui est enceinte
jusqu’aux yeux, vaut mieux qu’un test ADN ? Il est pourtant bien connu que le QI desfemmesdiminuependantlagrossesse.
Burnettfitfaceausorcier,maisHolidayledevança.– C’est amusant, déclara-t-elle d’une voix glaciale. Il paraît aussi que ça nous rend
extrêmement agressives. Quant àmon QI diminué de femme enceinte, je suis à peu prèssûrequ’ildépasselevôtre.
–Etdeloin,renchéritBurnettenfusillantlesorcierduregard.J’ajouteraisqueHolidaym’aaidéàrésoudredenombreusesenquêtes,avantoupendantsagrossesse.
Vas-y,Burnett!Dellaétait trèsémuepar l’ardeuravec laquelle ildéfendait sa femme.Ellen’avaitjamaisrienvud’aussiromantique.
–Donc,simonépousenousditqueLorraineBakerclamel’innocencedeBillyJennings,jerecommandequel’onrouvrel’enquêtesurcemeurtre.
IlsetournaversHoliday.–Quet’a-t-elledit,exactement?Oh,merde,pensaDella.Ilneluirestaitplusqu’àavouerqu’ellejouaitlaconfidentedes
mortsmalgréelle.Elles’avançad’unpas.–Cen’estpasàHolidayqueLorraineBakeraparlé.C’estàmoi.–Çasuffit!s’écriaunFaeauxcheveuxroux.Vousêtesunevampire.Noussavonstous
trèsbienquelesespritsnecommuniquentpasaveclesgensdevotreespèce.C’estridicule!–Jesuisassezd’accord,dit-elle.Burnett n’avait donc pas non plus révélé ses propres talents à cette bande de vieux
schnocks.Dellan’avaitaucunmalàlecomprendre.– Je ne comprends pas comment c’est possible. Peut-être qu’elle s’est attachée àmoi
parcequej’étaisprésentesurleslieuxducrime,toutsimplement,dit-elle.Elleespéraitdetoutcœurquec’étaitlecas.Unloup-garouauxtempesgrisonnantessecoualatête.–Nousn’allonsquandmêmepaslaissercettevampiredétraquéeexonéreruncriminel!–Dellan’estpasdétraquée!s’écriaBurnett,enmêmetempsqueHoliday.Leur soutien sans faille réchauffa le cœurdeDella.Puis cela lui rappelaqueBillyne
pouvaitcompterquesureuxpourledéfendre.Etencore,elleétaitbienconscienteque,s’il
retrouvait sa liberté, ce serait surtout grâce à Lorraine. Elle n’en eut que davantage derespectpourlajeunemorte.
Burnettsetournaverselle.–Est-cequetuasdespreuvesànousapporter?Ellelutsursonvisageunmélanged’espoiretdesévérité.Cen’étaitpourtantpasluiquiavaitleplusàespérer–nileplusàperdre.Lecœurde
Della se serra quand elle croisa le regarddeBilly, qui l’observait, bouche bée. Elle auraitsacrifiésonsoutien-gorgepréférépourlamoindrepreuvetangible.
Malheureusement,ellen’enavaitaucune.
–Jesuisdésolée,je…bredouillaDella,l’estomacnoué.
Soudain la voix de Lorraine retentit dans sa tête, et un courant d’air froid lui descenditl’échine.Labaguedefiançailles.
–Labaguedefiançailles,répéta-t-elle,enespérantquec’étaitlabonneréponse.–Quellebaguedefiançailles?demandalesorcier.–C’estridicule!s’esclaffaunmétamorphe.– Peut-être pas, dit un vampire en s’approchant de Burnett. J’ai reçu un coup de
téléphonedelafamilleBakercematin.Jusqu’ici,jenevoyaispasl’intérêtd’enparler,maislesparentsde lavictimeonttrouvéunebaguequin’appartenaitpasà leurfille,parmi leseffetspersonnelsquenous leuravonsremis.Enfin,plusprécisément, labagueenquestionne lui appartenait plus. C’était un cadeau de son ex-fiancé,mais elle la lui avait rendueaprès leur séparation. Ils ne comprenaient pas comment ce bijou s’était retrouvé ennotrepossession. J’ai relu le rapport : apparemment, la jeune fille la portait à sondoigt quandelleestdécédée.
Dellapoussaunsoupirdesoulagement.–L’exdeLorraines’appellePhillipLance,déclara-t-elle.Jesuispresquesûrequ’il fait
partiedugangduSangPourpre. J’ai entendudirequ’ils fréquentaient souventunbaraunorddeHouston,leHotStuff.
– Je l’ai rencontré, je crois ! intervint Billy, d’une voix pleine d’espoir. J’étais auHotStuff,justement.J’hésitaisàrejoindrelegang,mais…Jenemesouviensplustrèsbiendecequis’estpasséensuite,mamémoireesttoutembrouillée.Jesaisjusteque,àunmoment,j’aidiscutéavecuncertainPhillip.Ilmesemblemêmequ’ons’estbattus.
–CequiexpliqueraitlaprésencedevotreADNsurlelieuducrime,commentaleloup-garouet qui semblaitdiriger le comité.Nousallonsdevoir rouvrir l’enquête, ajouta-t-il enregardantsescollèguesavantde toiserBurnett.Jedoisdireque jesuisextrêmementdéçuparlafaçondontelleaétémenéejusqu’ici.
Burnettnecillamêmepas.–Laseulechosequimedéçoit,monsieur,c’estqu’uninnocentaitfailliêtrecondamné
parnotrefaute,précisémentparcequenousétionstroppressésdeconclurel’enquête.C’estladéterminationdecettejeunefillequiapermisderéparercetteerreur,poursuivitBurnetten désignant Della. Permettez-moi de vous présenter Della Tsang, l’agent qui nous aégalement permis d’appréhender Craig Anthony, il y a de cela quelques jours. Jusqu’àprésent,elleatoujoursfourniuntravailexemplaire.
–Eneffet,approuvaleloup-garou.Nousnemanqueronspasdefaireappelàellepourdefuturesenquêtes.
Dellaavaitenviedesourire,maisellecontintsajoiefaceàl’austèregarou.Cederniertournalatêteverslaportedelasalle.–Àprésent,siMlleTsangetvotre…délicieuseépouseveulentbiennousexcuser,nous
devons clore cette réunion. Leur présence, quoique fort charmante, nous empêche depoursuivre.
–Nousnevousdérangeronspaspluslongtemps,ditHolidayenadressantunclind’œilàBurnett.
Puis,bizarrement,sonregardfutattiréversleplafond.Alors que Della s’apprêtait à sortir, Billy lui sourit, reconnaissant. Une fois qu’elles
furentsorties,ellesetournaversHoliday.–Ilfautêtrediplôméendébilitéprofondepourpostuleràcecomité?Holidayéclataderire.–Iln’yamêmepasuneseulefemmedanslelot!repritDella.–Quisait?Tuparviendraspeut-êtreàchangerçaunjour,ditHoliday.–C’esttentant,entoutcas.Leurspas résonnaientsur lemarbreducouloir.Dellasemassa la tempe.Sonmalde
têtene la lâchaitpas,maiselleétait tropheureusepoury faireattention.Ellevenaitplusoumoinsdesevoiroffriruneplaceauseindel’URF.
–Ons’enestpasmalsorties,pasvrai?– Pas mal du tout, surtout pour une vamp détraquée et une femme enceinte au QI
diminué!renchéritHolidayenriant.
Soudainelleportaunemainàsonventreengrimaçant.–Aïe!Sionenjugeparcecoupdepied,jediraisquemonbébéestd’accord.Une fois qu’elles furent arrivées à la voiture, Holiday déverrouilla les portières, puis
marquaunepause.–TuterendscomptequetuviensdesauverBilly?–Cen’estpasmoi,c’estLorrainequil’asauvé.Tout enmontant dans la voiture, Della repensa à la silhouette qu’elle avait aperçue
derrièrelefantômedeChan.Était-ceLorrainequ’elleavaitvue,cettenuit-là?Ellesemorditlalèvre.–S’ilteplaît,dis-moiqu’ellevas’enaller,maintenant.–Elleestdéjàpartie,luiassuraHolidayavecunsourireangélique.Jel’aivuesurvoler
lecomitédejustice.Elleestenpaix,grâceàtoi.La fée s’assit tant bien que mal derrière le volant, puis recula son siège. Après un
instantderéflexion,ellesetournaversDella.– Chan était présent, lui aussi. Enfin, je pense que c’était lui. Un jeune homme tout
minceauxtraitsasiatiques.Iln’apassuiviLorrainequandelleestpartie.Delladéglutit.–Tul’asvu?– Oui, répondit Holiday en fronçant les sourcils. Pourtant, il ne cherchait pas à me
contacter.Ilsetenaitàcôtédetoi.Est-cequ’ilt’aparlé?–Non,maisjel’aidéjàvu,avouaDella.Ellefermalesyeuxl’espaced’uneseconde.–Depuiscombiendetempses-tuconscientedesaprésence?demandaHoliday.–Depuisqu’ilestmort,jecrois.Audébut,Kylielesentaitpasserprèsdenous,maisne
le voyait pas. J’ai commencé à le sentir, moi aussi, et puis… Il s’estmis àme lancer desplumes.
–Desplumes?répétaHoliday.–Çaadémarréunjouroùj’aidéchiréunoreillersanslefaireexprèsetoùlesplumes
ontvoletépartoutdansmachambre.Mais,aprèsça, j’ai commencéà recevoirdesplumesalorsquejemetrouvaisdanslaforêt,ouenvoiture.
–Est-cequelesplumesontunesignificationparticulièrepourChan?–Non,jenecroispas.Pourquoi?– En général, les fantômes essaient de nous faire comprendre quelque chose. Ils
utilisentdesindices,mêmes’ilsnesontpastoujourstrèsclairs.Dellasecoualatête.–Pourquoiçam’arriveàmoi,toutça?Jesuisunevampire!–Jenepeuxpasterépondre,mapuce,soufflaHoliday.Toutcequejesais,c’estquetu
n’es pas la seule. Burnett aussi ressent la présence des esprits. Et puis, ce n’est pas une
malédiction,aucontraire.Lapreuve,çat’apermisd’innocenterBillyetd’identifierletueurdeLorraineetdesoncopain.
Holidaydémarralavoitureet,pendantquelquesminutes,Dellaréfléchitensilence.–Est-cequeChant’aparlé?demanda-t-elleenfin.Est-cequ’ilm’envoulaitdenepas
l’avoirrappelé?– Il nem’a rien dit, mais…mais j’ai ressenti ses émotions, avoua Holiday après une
seconded’hésitation.Iln’étaitpasencolèredutout.Ilsefaisaitdusoucipourtoi,Della,etje ne te cache pas que çam’inquiète. Il faut que tu lui parles, ajouta-t-elle en soupirant.Parfois,lesmortsontbesoindenotreassistance,commeLorraine,maisilarriveaussiqu’ilsinterviennentpouraider lesvivants.JecroisqueChanessaiedetemettreengardecontrequelquechosequil’angoisse.
TandisqueHoliday les reconduisaitàShadowFalls,Della sedemandaitcequeChanpouvaitbienavoiràluidire.Jusque-là,elleavaitcruque,faisantpartiedumêmegangquePhillipLance,ilcherchaituniquementàl’aiderdanssonenquête.Cependant,s’ilétaitrestéauprès d’elle alors que Lorraine passait de l’autre côté, c’était peut-être parce qu’il savaitquelquechoseausujetdesononcleetdesatante.MaisHolidayavaitparléd’unemiseengarde.Sononcleetsatanten’étaientcertainementpasdangereux.Àmoinsque…
Àmoinsqu’ilnes’agissed’autrechose.Le téléphonedeDella sonna.En le sortantde sapoche, elle vit que c’étaitKevinqui
cherchait à la joindre. Aussitôt elle repensa à ce qu’il lui avait appris sur la maladie deChan,etcelaréveillasesinquiétudesquantàcefichuvirusquinelalâchaitpas.Sepouvait-ilquecesoitsasantéquiangoisseChan?
Non.Kevin luiavaitditqueChann’allaitvraimentpasbienetqu’ilavaitdesplaquessurlapeau.Dellan’allaitpassimalqueça.Justeunpetitmaldetête.Sontéléphonesonnadenouveau.
Ellejetauncoupd’œilàHoliday.–Çat’ennuiesijeréponds?–Non,pasdutout.–Salut,mabelle,lançaKevinaussitôtqu’elledécrocha.Dellalevalesyeuxauciel,espérantqueHolidayn’entendepascequ’ildisait.–Jenet’entendaispas,hiersoir,expliqua-t-elle.Çan’arrêtaitpasdecouper.–JevoulaisteparlerdeChase,dit-il.Della jeta un bref regard àHoliday, qui conduisait d’unemain tout en se frottant le
ventredel’autre.–Commenttuleconnais?demanda-t-elle.–IlestpassévoirChan.–Quoi?fit-elle,lecœurbattant.
– Il est resté deux ou trois jours, juste avant que Chan parte pour le Texas. J’avaisidentifié sonodeur,mais je ne l’ai pas reconnu toutde suite quand je l’ai croiséhier soir.J’allaisfairedemi-tourpourenêtresûr,quandj’aisentiunautrevampiredanslesparages.Jen’étaispasleseulàtraînerprèsdelaclôture.
Della se fichait bien de savoir qui rôdait près de Shadow Falls. Ce qui l’intéressait,c’étaitdesavoirpourquoiChaseneluiavaitpasrévéléqu’ilconnaissaitChan.Queluiavait-ilcachéd’autre,cesalaud?
–Qu’est-cequ’illuivoulait,àChan?demanda-t-elle.Ellen’entenditpaslaréponsedeKevin,carlalignenecessaitdecouper.–Onnevapastarderàarriveràl’endroitoùlesignalnepassepas,l’avertitHoliday.– Écoute, je vais perdre le réseau. Je te rappelle, d’accord ? dit Della avant de
raccrocher.Furieuseetdéboussolée,ellerangealetéléphonedanssapoche.–Mauvaisesnouvelles?demandaHoliday,quiavaitsansdouteressentisesémotions.–Oui,soupiraDella.–Tuveuxm’enparler?–Chase connaissaitChan,mais il s’est bien gardédeme le dire.Holiday, il n’est pas
net,cetype.Holidaypoussaungémissementsourdetarrêtalavoituresurlebas-côté.Della tourna la tête vers elle, surprise, mais elle comprit aussitôt que cette réaction
n’avaitrienàvoiravecChase.Holidayavaitlestraitstirésetlamaincrispéesurlevolant.–Holiday?Çava?–Non,souffla-t-elleentresesdents.Lebébé…DellasortitsontéléphonepourappelerBurnett,maisiln’yavaitpasderéseau.Holiday poussa un grognement de douleur, qui fut suivi d’un bruit étrange. Sa robe
jaunes’assombritentresesjambes.–J’aiperduleseaux,gémit-elleenposantlefrontcontrelevolant.Ellesemblaitsouffriratrocement.–OK.Euh…Dellatentadegardersoncalme,malgrélapaniquequilaprenaitauxtripes.–Viens.Prendsmaplace,jevaisteconduirechezleDrWhitman.Holidayacquiesça,maiscefutauprixd’unimmenseeffortqu’ellerelâchalevolant.Della descendit de voiture,mais le temps qu’elle fasse le tour,Holiday était allongée
parterresurlebas-côté.–Holiday!criaDellaens’agenouillantauprèsd’elle.Parle-moi,dis-moiquelquechose.Laféelevaunemain.–Je…Lebébéarrive.–Jevaischercherdel’aide.
–Net’avisepasdemelaisserlà!hurlaHolidayenluiserrantlamainsifortqueDellacrutentendreunoscraquer.Situt’envas,jelancelesangesdelamortàtestrousses.
Holidayn’avaitpaspourhabitudedeproférercegenredemenace.L’heureétaitgrave.–Jenebougepas,soufflalavampire.De sa main libre, Holiday toucha son ventre, et c’est alors que Della vit le sang qui
tachaitledevantdesarobe.Sesyeux s’emplirentde larmes.Que sepassait-il ?Elle se souvenaitdudocumentaire
qu’elleavaitvusurl’accouchement.Ilyavaitdusang,maispasautantqueça.–Aide-moiàmontersurlabanquette!gémitHoliday.Della prit une profonde inspiration avant d’aller ouvrir la portière et de soulever
Holidayleplusdoucementpossiblepourl’installeràl’arrière.Aussitôtlaféepoussauncristrident.–Maculotte!hurla-t-elle.Retire-moimaculotte.–Tuessûrequetuneveuxpasquejet’emmènechezlemédecin?–Onn’apasletemps!Lebébéarrive!Dellapritsoncourageàdeuxmains–ainsiquelaculottedeHoliday.Unepetitemare
desangs’étaitdéjàforméeentresesjambes.Delladutfairetairesapanique.S’ilarrivaitquoiquecesoitàHolidayouaubébé,elles’envoudraittoutesavie.Cequi
nedureraitpasbienlongtemps,carBurnettlatueraitaussitôt.Holiday redressa la tête avec un grognement sourd. Della crut apercevoir la tête du
bébé.Si,cematin-là,quelqu’un luiavaitdemandéquelsétaientsesprojetspour la journée,
ellen’auraitjamaisimaginérépondre«aideruneféeàaccoucher».Pourtant,elleravalasatrouilleetattrapa le sacàmaindeHolidaypouren sortir legeldésinfectantqu’elleavaittoujoursavecelle.
–Qu’est-cequetufais?hurlaHolidayenvoyantDellas’enmettresurlesmains.– Ne t’inquiète pas, tout va bien, mentit-elle. J’ai vu une fois un reportage sur
l’accouchement.Elle essaya de paraître sûre d’elle, mais elle éprouvait autant d’assurance qu’une
fourmidécidantdefaireunepetitepromenadesurletrajetd’unmarathon.Holiday,tropoccupéeàtenterdetrouversonsouffle,secontentadehocherlatête.–Jevoislebébé,repritDella,cequiveutdirequetuvasdevoircommenceràpousser.
Dèsqu’ilestsorti,jeteconduisàlaclinique.Holiday se redressa, comme pour faire des abdominaux, et poussa un hurlement
perçant.LebébéglissasivitequeDellafaillitnepasl’attraperàtemps.–C’estunefille!s’écria-t-elle.Unepetitefillecouvertedesang,quiressemblaitàunchiottoutmouillé.Dellafutprise
depaniquequandelles’aperçutquelafillettenerespiraitpas.
Elle repensa au documentaire et, passant un doigt dans la bouche du bébé, elles’assura que rien ne l’encombrait. Puis elle lui posa une main sur la poitrine pour laretourneretluitapotergentimentledos.Unefois.Deuxfois.
–Respire!Lapetitefilleneréagitpas.–Oh,non!marmonnaDella.Elle remit le bébé sur le dos et lui massa tout doucement la poitrine avant de la
retournerunesecondefoisetdetapoterunpeuplusfort.Lebébésursauta,émitunesortedegargouillis,puisprituneinspiration.Dellarespira
àsontour.Ellenes’étaitmêmepasrenducomptequ’elleretenaitsonsouffle.Cen’estquequandlafillettesemitàpleurerqu’elleosaseredresseretregarderHoliday.
–Toutvabien!lança-t-elle.Sonsoulagementfutdecourtedurée.Holidayavaitperduconnaissance.–Oh,non!Holiday?Comme la fée ne répondait pas,Della se concentra pour percevoir les battements de
soncœur.Ilsétaientfaiblesetirréguliers,maiselleétaitbienvivante.Baissantlesyeux,elleaperçutlecordonombilicalquireliaitencorelamèreàl’enfant.
EnfouillantdanslesacdeHoliday,elleytrouvadufildentaire.Elleennouaunmorceauautour du cordon et, à l’aide d’un autre, le sectionna proprement. Holiday ne bougeaittoujourspas.Dellan’avaitpasdetempsàperdre.
Elleinstallalafillette,quihurlait,entresamèreetledossierdelabanquette,puisallaprendreplacederrièrelevolant.
Tandisqu’elleconduisaitàtouteallureendirectiondelaclinique,lesmainspoisseusesdusangdeHoliday,ellesesurpritàprieràvoixhaute.
–Écoute,Dieu, jeTeproposeunmarché. S’il Temanqueune âmepour remplirTonquotadelasemaine,prends-moi,maispasHoliday.Pitié,pasHoliday.
Assiseàl’accueildelacliniquevétérinaire,Dellasetordaitlesmainstoutentapantdupied par terre. Elle avait appelé Burnett aussitôt queWhitman et Steve avaient emmenéHolidayetlebébédansl’unedessallesàl’arrière.Quandilavaitdécrochéletéléphone,elleavait la gorge trop nouée pour expliquer quoi que ce soit. Elle avait à peine réussi àarticuler:
–Viensàlaclinique.–Holiday?–Oui.–Toutvabien?–Non.Pasbiendutout.PuiselleavaitappeléKylie,dont les talentsdeguérisseusepourraientpeut-êtreaider
Holiday.Elleavaitrépriméungrondemententombantsursonrépondeur.
–Holidayabesoindetoi.OnestchezleDrWhitman.Deuxminutesplustard,laportedelacliniques’ouvritsurBurnett,lestraitstirés.Della
ne cessait de repenser à la façon dont il avait défendu sa femme face aux grincheux ducomitédejustice.L’amourqu’iléprouvaitpourellefaisaittellementpartiedeluique,s’illaperdait,ceseraitcommedemourirunpeului-même.
Ilylaisseraitsoncœur.Les larmesqueDellaavait retenues jusque-là s’échappèrentenfinet roulèrent sur ses
joues. Burnett ne dit rien. Il avait compris la gravité de la situation en la voyant ainsi.Aussitôtilsedirigeaversl’arrièredelaclinique.
Dellaentenditdesvoixluiordonnerdesortir,maisellesavaitdéjàqu’iln’enferaitrien.BurnettnelaisseraitpasHolidayseule.Ilnel’abandonneraitjamais.
Dellareplialesgenouxsoussonmentonensanglotant.–Prends-moiàsaplace.Pitié,prends-moiàsaplace.–Della?EllereconnutlavoixdeSteve.Ellel’avaitaperçuenarrivant,maisilsn’avaientpaseu
letempsdeseparler.Ellerelevalatêteversluitoutens’essuyantlesyeux.–Ellesvontbien?–Lebébéestenbonnesanté.–EtHoliday?demanda-t-elled’unevoixétrangléeparl’angoisse.Stevecroisasonregardd’unairtriste,etellesanglotadeplusbelle.
–Elle n’a pas encore repris connaissance et elle a perdu beaucoup de sang, mais le
DrWhitmanvientdeluifaireunetransfusion.Ilespèrequeçaval’aider.–Ilespère?répéta-t-elled’unevoixtremblante.Ilnepeutpasfairemieuxqu’espérer?
Ilnefautpasqu’ellemeure!Cen’estpaspossible!Retournedireaudocteurqu’ilnedoitpaslalaissermourir!
Steves’assitàcôtéd’elleetpassaunbrasautourdesesépaules.Elleenfouit levisagedanssoncou.
–Tuasétéextraordinaire,Della.C’estgrâceàtoiqu’ellessontencoreenvie,touteslesdeux.Tesparentsontpeut-êtreraisondevouloirquetudeviennesmédecin.
–Non.C’étaithorrible.Siellemeurt,ceseramafaute.Oh,non!C’estmafaute!–Hé!Tusaistrèsbienquecen’estpasvrai,souffla-t-iltoutprèsdesonoreille.Etpuis,
Holidayestunebattante.Fais-luiunpeuconfiance.Dellaétouffaunsanglot.–Chut.Ellevas’ensortir,larassuraSteve.–Tun’ensaisrien!s’écria-t-elle.Elleétaittellementheureuseàl’idéed’avoircebébé!
Si ça se trouve, cettepetite filleneconnaîtra jamais samère…EtBurnett…Holiday, c’esttoutesavie.
Dellacachasonvisagecontre le torsedeStevepourqu’ilne lavoiepaspleurer,maiselleétaitincapabledecontrôlerlessanglotsquilasecouaient.
Ildéposaunbaisersurlesommetdesatêtetoutenluicaressantlescheveux.– Ilnenousresteplusqu’àespéreretàprierpourqueHolidayseréveille.Tu l’asdit
toi-même,elleestfolledejoieàl’idéed’accueillircebébéetelleaimeBurnettplusquetout.Ellenevapasselaisserabattre.Elleatropdechosesàvivre.
Dellafermalesyeux.Peuàpeu,sessanglotssecalmèrent,etelleselaissaenvelopperparlachaleurdesbrasdumétamorphe.
Ellen’avaitpasoubliéqu’ilsdevaientdiscuterdeleurspropresproblèmes,maiscelaluiparaissaittellementtrivial,comparéàl’étatdesantédeHoliday…Elleseremitàprierpourquelafées’ensorte.ElleavaitdéjàperduChan,ellenevoulaitpasperdreHolidayenplus.
Quand, enfin, leDrWhitman revint à l’accueil,Della aurait été incapable de dire s’ils’était écoulé dix minutes ou une demi-heure. Elle se redressa et, voyant le sourire dumédecin,sedétenditaussitôt.
–Toutvabien,déclaracedernier.Etc’estgrâceàtoi,Della.Ellecrutqu’elleallaits’évanouirdesoulagement,maisStevelasoutint.Aumêmemoment, laportede la clinique s’ouvrit etKylie entra en coupdevent, les
yeuxbrillants.–Oùest-elle?demanda-t-elledesavoixgravedeprotectrice.–Elleestdanslasalledufond,maisellevabien,maintenant,indiqualeDrWhitman.–Qu’est-cequis’estpassé?–Elleasubiunelégèreruptureduplacenta.–«Légère»?s’esclaffaDella.Lasituationneluiavaitpasparulégèredutout,surlecoup.–Attention,jeneprétendspasquesoncasn’étaitpassérieux,expliqualemédecin.Ce
que je voulais dire, c’est que, en cas de rupture sévère, le bébé n’aurait pas survécu, etHolidayauraitsansdoutefaitunehémorragie.Elleavaitdéjàperdubeaucoupdesang…
–Ilfautquejelavoie,intervintKylie.Jepeuxl’aider,jesuisguérisseuse.–ElleademandéàvoirDella,ditlemédecin.Vouspouvezyallertouteslesdeux,mais
nerestezpasplusdecinqminutes.Elleabesoindesereposer.Venez,jevaisvousmontreroù vous laver, ajouta-t-il avantde se tourner vers Steve.Est-ce que tupourrais prêteruntee-shirtàDella?
Cen’estqu’alorsquelajeunefilles’aperçutqu’elleportaitsurellelesangdeHoliday.Denouvelleslarmesluipiquèrentlespaupières.
StevemenaDellaetKylieauxtoilettes,puisleslaissaseulesuninstantavantdereveniravec un tee-shirt bleu marine, qu’il tendit à Della. Quand il ressortit, Kylie verrouilla laportederrièrelui.
–Çava,Della?demanda-t-elle.–Oui,mentitlavampire.
Elleretirasontee-shirtraidiparlesangséchéetenfilaceluideSteve.Lecotonenétaitdouxetfraiscontresapeau.Elleleportaàsonnez.IlétaitimprégnéduparfumdeSteve.
Celaluiavaitmanqué.Steveluiavaitmanqué.
QuandDella entra dans la pièce et vit Burnett avec sa petite fille dans les bras, elle
faillitfondreenlarmes.Holidayétaitencoretrèspâle,maisellesouriait.–Merci,dit-elleàDellaavantd’adresserunpetitsignedetêteàKylie.– On n’avait pas encore décidé quel deuxième prénom lui donner, alors on a choisi
Rose,commetoi,annonçaBurnett.–Tondeuxièmeprénom,c’estRose?s’esclaffaKylie.DellajetaunregardsévèreàsonamieavantdeseretournerversHoliday.– Pitié, ne faites pas ça. J’en veux àmes parents dem’avoir appelée comme ça. On
diraitunnomd’actriceporno!– Ce n’est pas vrai ! se défendit Burnett. Moi, j’aime bien. Je vous présente Hannah
RoseJames,nomméeen l’honneurde lasœurdeHolidayetde toi,Della.LeDrWhitmanm’aditque tu leuravais sauvé lavieà toutes lesdeux.Jevaisdevoirêtregentilavec toi,dorénavant.
– Ça, je le croirai quand je le verrai ! plaisanta Della dans l’espoir de détendrel’atmosphère.
–Quoi?C’esttoiquiasmislebébéaumonde?fitKylieenécarquillantlesyeux.Dellahochalatête.–Jen’aipasvraimenteulechoix.Holidaym’ainterditdelalaissertouteseuleletemps
d’allerchercherdel’aide.Ellem’amenacéedelancerlesangesdelamortàmestrousses.Toutlemondeéclataderire.–Désolée,ditHolidayavecunsouriremalicieux.–Ilnefautpas,soufflaDella.–Çaadûêtreuneexpérienceincroyable!lançaKylie.–Incroyable,c’est lemot,rétorquaDellaenregardant les jeunesparents.D’ailleurs je
vous préviens, si vous décidez d’en avoir un deuxième, je quitte cette ville. On ne m’yreprendrapasdeuxfois.Etpuis,pourmesdix-huitans,jem’offreuneligaturedestrompes.J’étaisbeaucouptropjeunepourvoirça.
Cettetiradefutaccueillieparunnouveléclatderirequiluiréchauffalecœur.Lebébégazouilladoucement,etBurnettbaissalesyeuxsurlaminusculecréaturequ’il
tenaitdanssesbras.Dellasentitsoncœurfondreenvoyanttantd’amourdansleregarddece grand méchant papa vampire. Elle se demanda si son père aussi l’aimait à ce pointquandelleétaitnée,maisrefoulabienviteces idéessombres.Elleobservacettepetitefillequi,malheureusement,seretrouvaitaffubléedesondeuxièmeprénom.
À présent qu’elle était toute propre, elle ressemblait davantage à une vraie petitepersonne qu’à un chiot toutmouillé. Unemagnifique petite personne,mi-féemi-vampire,avecunedominantevampire.Dellan’enfutpasétonnée.Cettepetitetenaitdesonpère.Defait,HannahRoseJameslemenaitdéjàparlepetitdoigt.
Littéralement.Elleavaitrefermélepoingsurl’auriculairedeBurnett,quiparaissait immensedansla
main de la petite. Elle avait d’épais cheveux noirs comme lui, mais combinés aux traitsdélicatsdesamère.
– Elle estmagnifique, dit Kylie avant de se tourner vers Holiday. Est-ce que je peuxt’offrirunpeud’énergieguérisseusepourt’aideràterétablir?
–C’estgentil,maisçava.–Laisse-lafaire,plaidaBurnett.Jeseraiplusrassuré.–Jevaisbien;jeneveuxpasqu’ellegaspillesesforcesàcausedemoi.–Jeterappellequ’ilyamoinsd’uneheure,tuétaisinconsciente,grondaBurnettavant
des’adresseràKylie.Vas-y.Jelatiendrais’illefaut.–Etgardeunpeud’énergiepourlebébéaussi,ajoutaDella.Ellerevitl’instantoùelleavaittenucettefragilepetitechosequirefusaitderespirer.Soudain, ses yeux s’emplirent de larmes. Des larmes de soulagement, certes,mais la
journéeavaitétéricheenévénements–etenmiracles.Billyavaitéchappéàlaprison,etHolidayetsafilleavaientsurvécu.Ellerepensaàlaprièrequ’elleavaitfaite:«Prends-moiàsaplace.»Ilsemblaitmême
queDieuaitdéjàremplisonquotad’âmespourlajournée.
Quelquesminutes plus tard, leDrWhitman les fit sortir, à l’exceptiondeBurnett. Lemédecin avait déclaré vouloir garder Holiday et sa fille en observation pendant quelquesjours, et Della aurait parié ses canines que Burnett ne quitterait pas leur chevet. ElleespéraitqueWhitmanétaitdenaturepatiente.
Alors qu’elles s’apprêtaient àpartir, Burnett demandaàKyliede raccompagnerDellaafinquecettedernière laisse lavoituredeHolidayà la clinique.Lecouffinde lapetite setrouvaitdanslecoffre.Ellesacquiescèrentetsortirentdanslecouloir.Stevelesattendaitàl’accueil,etDellarepensaàl’intenseréconfortqu’elleavaitressenti,blottiedanssesbras.
–JevaisramenerDellaàShadowFalls,annonça-t-il.Kylie jeta un regard interrogateur à Della, comme si elle s’attendait à ce que cette
dernièreproteste.Ellegardalesilence.Steveetelleavaientbesoindediscuter,mêmesiellenesavaitpasencorequoiluidire…ouquoinepasluidire.Ah,aufait,j’aiembrasséChase.Ou:Ah,aufait,jetepardonne.
Brusquement,ellerepensaàcequeluiavaitapprisKevinautéléphone,justeavantquelebébéarrive.EllefaillitretournerdanslachambredeHolidaypourprévenirBurnettque
ChaseconnaissaitChan,puiselleseravisa.Ç’auraitétéégoïste.Ilavaitméritédesavourerpleinementlanaissancedesafille,sansavoiràsepréoccuperd’autrechose.
Jeluidiraiplustard,décida-t-elle.–Tuviensavecmoi,ou…?demandaKylie.Tiréedesarêverie,Dellaregardalemétamorphequil’avaitrassuréeetréconfortéeau
momentoùelleenavaittantbesoin.–Non,je…Stevevameraccompagner,bredouilla-t-elle.EllevitdusoulagementdanslesyeuxdeSteve–etdelasurprisedansceuxdeKylie.–OK.Onseretrouveaubungalow.OnfêteraçaavecunCocalight.Dellasourit,puislaregardas’éloigner.
StevelafitmonterdansuneHondaCivicflambantneuve.Dellaneputs’empêcherde
sedemandersic’étaitcelledeJessie.Étaient-ilsdevenustellementprochesqu’elleluiprêtaitsavoiture?Illuifallutdixminutespouroserdirequelquechose.
–Elleestchouette,cettevoiture.–Merci.Cesontmesparentsquimel’ontoffertepourmonanniversaire.–Tonanniversaire?Ilhochalatêteensilence,etDelladéglutit,malàl’aise.–C’estpourçaqu’ilst’ontemmenédîner,vendredidernier?–Oui.Ellepoussaungrossoupir.–Jen’étaismêmepasaucourant…–Jesais.–Tuauraisdûmeledire,bredouilla-t-elleenregardantparlavitre.Ellenesupportaitpasl’idéedevoirsonairdéçu.–Tuavaisdéjàdesprojetspourleweek-end.Cen’estvraimentpasgrave,tusais.Pourtantellesesentaithorriblementbête.Ill’avaitinvitéeàallerdîneravecsesparents
àl’occasiondesonanniversaire,etelleavaitflippécommes’ill’avaitdemandéeenmariage.Au final, elle ne lui avait même pas souhaité un joyeux anniversaire. D’ailleurs elle n’enconnaissait toujours pas la date exacte. Elle était vraiment nulle, comme copine – enfin,comme«presquecopine».
–Et toi ?Tuconnais ladatedemonanniversaire?demanda-t-elleenosantenfin setournerverslui.
–Oui,c’estle18novembre.–Commenttulesais?–J’airegardétonpermistonconduire,unefois.Elleétaitvraimenttropnulle…–Jesuisdésolée,dit-elle.–Pourquoi?
– Parce que je ne savais même pas que c’était ton anniversaire et que je me suismontréeodieuse.
Etparcequej’aiembrasséChase.– Tu n’es pas odieuse, Della. Tu as la trouille, c’est tout. C’est bien compréhensible.
Plusieurs hommes t’ont déçue avantmoi, et je neme suis pasmontré à la hauteur. C’estplutôtmoiquidevraistedemanderpardonpour…pouravoirlaisséJessiem’embrasser.Jen’avaispaslemoraletj’étaisunpeufâché,maisçan’excuserien.Jesavaisqu’elleavaitunfaiblepourmoietjen’airienfaitpourladécourager.J’auraisdûluidiredèsledépartqu’ilnesepasseraitjamaisrien,mais…
–Maisc’étaitagréabled’avoirquelqu’unqui faisaitattentionà toialorsquemoi, je temaintenaisàdistance.Etpuis,moiaussi,jet’avaisdéçu.
Était-cel’unedesraisonspourlesquelleselleavaitembrasséChase?Peut-être…StevesegaradevantShadowFallsetsetournaverselle.– Peut-être, mais ce n’est pas une excuse pour faire n’importe quoi. Je m’en veux
terriblement.–Ilnefautpas.Alorspourquoisesentait-ellecoupable,elleaussi?–J’aifaituneerreur,Della,etjesuisassezgrandpourl’admettre.Elle examina ses bottes en silence. La moindre des choses, c’était de lui rendre la
politesse.–J’aiembrasséChase,avoua-t-elle.Voilà.C’étaitdit.Steveallaitpouvoirdirigersacolèrecontreelleaulieudes’envouloir.Ellenesavaitpasàquelleréactions’attendredesapartmais,commeilnedisaitrien,
ellecommençaàavoirpeur.–Tuvois,tun’aspasàtesentircoupable,ajouta-t-elleenlevantlesyeuxverslui.Au lieu de paraître soulagé, il semblait furieux. Le plan de Della n’avait pas
franchementfonctionnécommeprévu.–Est-cequetuasfaitçapourtevenger?demanda-t-ild’unevoixtendue.–Non…jenepensepas.Enfin,peut-êtreunpeu.C’estcompliqué,etjetementiraissi
jeprétendaisqueçanem’apastraversél’esprit.J’étaismal,tusais…Ellesetutuninstantetcherchaunmoyend’expliquerlesfaits.Elleoptapourlavérité.–C’estMirandaquim’asuggéréd’embrasserquelqu’und’autre.D’aprèselle,çadevait
m’aideràtepardonnerparcequeçaavaitfonctionnépourPerryetelle.–C’estdébile!–Jesais.C’estcequejeluiaidit.–Etpourtant,tuassuivisonconseil,repritSteve,l’airblessé.–Non.Cen’est pas comme ça que ça s’est passé. Enfin, peut-être qu’ellem’avaitmis
cetteidéeentête,maiscequiestarrivé,c’estquenousétionsenmission,Chaseetmoi.On
étaitdansunbarpleindevampiresetilfallaitqu’onsesortedelàavantquelesmembresd’ungangn’arrivent.Saufqu’ilsontététroprapides,alorsjemesuisditquec’étaitleseulmoyendepasserinaperçus…
Enjouantàlaprostituéeavecunclient.Stevesedétournauninstantetcontemplalesarbresquisebalançaientaugréduvent.
Della se fit la réflexion que cela illustrait sans doute les sentiments de Steve. À présentqu’ellesavaitcequ’ellevoulait,ilhésitait.
Elle était tellement nulle, comme « presque copine », qu’il devait se demander si ellesauraitjouerlejeupourdevrai.
–Est-cequeçaafonctionné?–Oui.Ilsn’ontpasfaitattentionànousetonaréussiàs’enfuir.– Non, je voulais dire… le plan de Miranda. Ça a marché ? demanda-t-il en la
regardant.Celaluifaisaitmaldel’admettre,mais…–Aussibizarrequeçapuisseparaître,jecroisqueoui.Steveprituneprofondeinspiration.–Et…çat’aplu?Unpeutrop.Ellefaillitmentir.–Sansdoutepasplusqueçanet’aplu,àtoi,d’embrasserJessie.Ellesavaitqu’ilavaitappréciécebaiser,mêmemalgrélui.Elle l’avaitdevinéàsonair
coupablequandilleluiavaitavoué.Ilsedétournadenouveau.–Tuauraispumentir,surcecoup-là.–Jesuisentraindedevenirunemaniaquedelavérité,plaisanta-t-elle.Peut-être en avait-elle assez que les autres lui mentent – son ex-petit copain ; ses
parents,quin’avaient jamaisdaigné luiparlerde sononcleetde sa tante ;Chase,qui luiavaitcachéqu’ilconnaissaitChan…
Etpourtant,malgrésacolère,elle-mêmecontinuaitàmentir.Ellen’avaittoujourspasavoué à ses parents qu’elle était une vampire. Ses raisons étaient certes compréhensibles,maiscelan’endemeuraitpasmoinsunmensonge.Etpuis,ellen’avaitrienditàBurnettausujetdesononcleetdesatante,etilyavaitdeforteschancespourqu’elleneluienparlejamais.Pourtant,àcetinstant,elleavaitenvied’êtreparfaitementhonnêteavecSteve.
–Jesuisdésolée.Jem’enveuxdel’avoirembrassé.Onétaitendanger,etlasituationétait très tendue,mais…maiscen’étaitpas toi.Aprèscoup…j’ai regrettéqueçan’aitpasététoi,conclut-elledansunsoupir.
Chaseétaitparti,detoutefaçon.–C’estexactementcequej’airessenti,moiaussi,ditSteve.Pendantquelquessecondes,ilssedévisagèrentensilence.
–Qu’est-cequeçasignifie?demanda-t-ilenfin.–Jesaisseulementcequej’aimeraisqueçasignifie,répondit-elle.J’aimeraisqu’onsoit
ensemble,maisenmêmetemps,j’ailatrouille.–Danscecas,onn’aqu’àyallerdoucement.Ellepritunelongueinspiration,lecœurgonfléd’espoiretdepeurmêlés.–Cen’estpascequ’onfaisaitjusqu’ici?Parceque…çan’apasététrèsconcluant.– Alors on ne se force pas à y aller doucement. On laisse les choses se faire
naturellement,repritSteve.Ellesemorditlalèvre.–Jen’étaismêmepasaucourantdetonanniversaire.Jenesaispassi jesuiscapable
de…d’êtreavectoipourdevrai.Tuméritessansdoutemieuxqueça.–Impossible.Iln’yariendemieuxquetoi.Ilsourit,etdespaillettesvertetordansèrentdanssesyeuxnoisette.Ilsepenchavers
elleet,luicaressantlescheveux,ilpassaunemainsursanuquepourl’attirerplusprès.–Tuesbelle,drôle,intelligente…Ellesentitsonsoufflesurseslèvrestantilsétaientproches.–Etbelle,reprit-il.Est-cequejet’aiditquetuétaisbelle?J’adoretevoirportermon
tee-shirt…Il l’embrassa, tout en faisant glisser samain le longde son cou. Elle frissonna, émue
parsescaresses,etsetenditverslui.Soudain, leur baiser doux et romantique se fit torride, impérieux. Le cœur battant à
toutrompre,lapeaubrûlante,Dellan’avaitqu’uneenvie:serapprocherencoredelui,maislelevierdevitesselesséparait.
Ellesefaufilapar-dessuspourseretrouverfaceàSteve,maisheurtalevolantavecsesfessesetdonnauncoupdeKlaxon.
Ils éclatèrent de rire et se baissèrent pour échapper aux regards des curieux. Stevereculasonsiègeetrabattitledossierpourluifairedelaplace.Ellesemitàcalifourchonsurlui, et il se redressa pour lui permettre de passer les jambes autour de sa taille. Cetteposition n’était pas très commode,mais terriblement sexy. Le cœur deDella s’emballa deplusbelle,etelleentenditceluideStevel’imiter.
Ellesereculaunpeu,lesyeuxrivéssurseslèvresencorehumides.–Tuterendscomptequec’estlemilieudelajournéeetqu’ilyapeut-êtredesgensqui
nousregardent?–Etalors?fit-ilenl’attirantplusprès.Il passa les mains sous son tee-shirt et reposa les paumes au creux de sa taille, si
chaudes,sirassurantes.Illesfitdoucementremonter,jusqu’àeffleurerlescôtésdesesseins.Ellemouraitd’enviedesentirsescaresses,là,partout…
Steveinterrompitleurbaiser,haletant,lesyeuxbrillantsd’émotionetdedésir.
Pourtantilsemblaitinquiet.–Qu’est-cequinevapas?demanda-t-elle.
–Tueschaudecommelabraise,Della.
–Toiaussi,souffla-t-elle.–Non,tunecomprendspas,dit-ilenretirantsamaindesoussontee-shirtpoursela
passersurlevisage.Tuessupersexy,évidemment,maiscen’estpascequejevoulaisdire.Tuesbrûlante,commesituavaistoujoursdelafièvre.Qu’est-cequit’arrive?
–Oh,euh…Jesuissûrequecen’estriendutout,bredouilla-t-elle,répétanttouthautcedontelleessayaitdeseconvaincredepuisdeuxsemaines.Jenesuispasaussifroidequed’habitude,c’esttout.
Elle ne voulait pas penser à ces histoires demaladie et savait exactement ce qu’il luifallaitpoursechangerlesidées.
EllesepenchaversStevepourl’embrasser,maisillevaunemainpourl’arrêter.–Cen’estpeut-êtrepasriendutout,Della.Situn’espasaussi froidequed’habitude,
çaveutprécisémentdirequetuasdelafièvre.Retournet’asseoiràtaplace,s’ilteplaît.–Pourquoi?–JeteramèneàlacliniquepourqueleDrWhitmant’examine.–Non,ditDellaenappuyantsonfrontcontreceluideSteve.–Maispourquoi?Ilsereculaafindepouvoirsondersonvisage.
–Parceque…Jevaisbien,etjeneveuxpasqueBurnettetHolidaysefassentdusoucipourmoi.Simatempératuren’estpasrevenueàlanormaledansquelquesjours,jeviendraià laclinique,d’accord?Enattendant, jevaisdemanderàKyliedemetransmettreunpeudesonénergiedeguérisseuse.
–Mêmelesguérisseursnepeuventpasfairedesmiracles,objecta-t-il,l’airdéçu.Quelssonttessymptômes?
Jen’aipasdeplaquessurlapeau.C’étaittoutcequicomptait,pasvrai?– Steve, je t’assure que je vais bien. Et puis, je te rappelle que Kylie a déjà réussi à
guérirlecancerdesonamie.Jesuissûrequ’ellesauramedébarrasserd’unpetitvirus.Elleparvintàserassurerelle-mêmeparcesparoles.Cependant,siellerévélaitàSteve
qu’elle craignait d’avoir lamêmemaladie queChan, il flipperait complètement, et elle nevoulaitpasfairefaceàunStevecomplètementflippé.
– Quels sont tes symptômes, répéta-t-il avec fermeté. Est-ce que tu as mal quelquepart?
– Non… J’ai eu un peu mal à la tête pendant quelques jours, mais c’est passé,maintenant.
Cen’étaitpasunvraimensonge.Elleatténuaitseulementlesfaits.–Quoid’autre?Ellen’avaitpaseul’intentiond’endireplus,maisSteveavaitludanssespensées.–Çaresteentrenous,d’accord?Illuijetaunregardimpatient.–Tuesassisesurmesgenouxetj’aiunemainsoustontee-shirt,luirappela-t-il.–C’esttontee-shirt,corrigea-t-elleensouriant.–Oui,bon…Cequejevoulaisdire,c’estquejeteposecettequestionparcequejesuis
tonpetitami,pastonmédecin.Ellesouritdeplusbelle.–Monpetitami,hein?Çameplaîtbien,det’entendredireça.L’expressionsévèredeSteves’adoucitquelquepeu.–Àmoiaussi.Maintenant,décris-moitessymptômes.Ellepouvaitpeut-êtreenrévélerunepartie.–Tumeprometsquetunerépéterasrienàpersonne?demanda-t-elleenluieffleurant
leslèvresduboutdesdoigts.Ellesétaienttellementdouces…–Oui,c’estpromis,céda-t-il.–Monouïeetmonodoratdevampiresefontlamalledetempsentemps.C’estsuper
bizarre.Steve se tendit, et sesbeauxyeuxbruns, qui luisaientdedésirun instantplus tôt, se
voilèrentd’inquiétude.
–Tucommencesàressembleràunmédecinplusqu’àunpetitcopain,l’avertit-elle.Ilpoussaungrognementagacé.–S’ilteplaît,Della,laisse-moiteconduirechezleDrWhitman.Jemesentiraitellement
mieuxquandilt’aurafaituneprisedesangett’auraexaminée.–Non. Pas tout de suite. J’irai dans quelques jours, quandHoliday et le bébé seront
sortisdelaclinique.–Mais…–Arrêted’enfairetoutunplat.Jevaisbien!Lesvampiresnetombaientpresquejamaismalades.Sauf que certains tombent malades et ne s’en remettent pas, lui souffla une voix qui
ressemblaitétrangementàcelledeChan.Aumêmemoment, Della entendit d’autres voix, bien réelles et ponctuées d’éclats de
rire.Steverelevalatêteetregardaparlavitre.Têtebasse,Dellaluijetauncoupd’œilàtraversseslongscheveux,enespérantqu’elle
setrompait.Quand,enfin,ilseretournaverselle,ellesemorditlalèvre.– Pitié, dis-moi que personne ne nous a vus nous embrasser dans ta voiture comme
deuxadosenchaleur.D’ungestedoux,ilrepoussalescheveuxquiluitombaientdevantlevisage.–Quandbienmême…ceseraitsigravequeça?–Combien?–Quoi?–Combiendepersonnesvais-jedevoirtuer?demanda-t-elle.Iljetauncoupd’œilalentour,unsouriremalicieuxauxlèvres.–Six.Non,sept.Ouhlà…huit.Enfin,beaucoup,quoi.Ellesesentitrougir.Depuiscombiendetempslesobservait-onainsi?–Jeferaispeut-êtrebiendedescendredetesgenoux.–Jenesaispas…dit-ilenhaussantunsourcil.Moi,jetrouvequetuesbien,là.Elles’écartaettentadepasserunejambepar-dessuslelevierdevitesse.–Sijeklaxonneavecmesfessesunedeuxièmefois,jevaismourirdehonte.LesouriredeSteves’évanouit,etellecompritàquoiilpensait.–Personnenevamourir,lerassura-t-elle.Illuipritdoucementlementonpourlaforceràleregarder.–Je tedonnedeux jours,Della.Dansdeux jours, si tunevienspasde toi-mêmeà la
clinique,jet’ytraînedeforce.
–Jesuisdésolée,maisc’étaittropdrôle!gloussaMirandaensortanttroisCocalightdufrigo.Etpuis,onnesavaitpasquec’étaitvous.Toutcequ’onvoyait,c’étaituncouplequisebécotait sur le siège avant d’une voiture qu’on ne reconnaissait pas, expliqua-t-elle enposantlescannettessurlatable.
–Ehbienmoi,jenetrouvepasçadrôle!grondaDella.Miranda,Kylie,PerryetcinqautresétudiantssetrouvaientdevantleportaildeShadow
FallsaumomentoùSteveetelles’étaientembrassés.Ellenecomprenaitpascommentelleavaitpunepas lesvoirquand ils s’étaientgarés,maisenmêmetemps,ellen’avaitd’yeuxquepoursonchauffeuràcemoment-là.
ElleétaitentièrementfocaliséesurSteve,sursesbaisers,sescaresses,cette impressionmerveilleusequ’il lacomprenait.Était-ceçaqui luidonnait l’impressiond’êtresi spécialeàsesyeux?Ill’acceptaittellequ’elleétait,sanslajuger–etiltenaitquandmêmeàelle.
–Net’énervepas.Aprèstout,c’étaitjusteunbisou,intervintKylie.Pourtant,Dellavoyaitbienquecettesituationl’amusaitbeaucoup.–Ça, jene saispas, renchéritMiranda. Il avaitunemain sous son tee-shirt, etonne
voyaitpascellesdeDella.Lavampirefusillalasorcièreduregard.–Tuvastetaire,oui!–Bon,parlonsd’autrechose,décidaKylie.Toutlemondeestsuperheureuxdesavoir
queHolidayetHannahvontbien.C’estgrâceàtoi,d’ailleurs.Etpuis,onestraviesquetutesoisréconciliéeavecSteve.
–Ça,c’estgrâceàmoi, fit remarquerMiranda.C’estmoiqui t’aiconseilléd’embrasserChase,etçaamarché.
–C’étaituneerreur,d’embrasserChase,grommelaDella.Aussitôt, elle se rappelaqu’elledevait téléphoneràKevinpour tenterd’apprendre ce
quecementeurarrogantvoulaitàChan,maiselleremitcelaàplustard.Pourl’instant,ellen’avaitpasenvied’ypenser.Kylieavaitraison:toutallaitbien,elleavaitgagnéledroitdesedétendreunpeu.Etcen’étaitpasunelégèremigrainequiallaitl’enempêcher.
–N’empêche,ç’aétéunesacréejournée!soufflaKylieenouvrantsacannette.Enplus,j’aisauvéBilly,pensaDellaenprenantunegorgée.Quandellerelevalesyeux,elleremarquaqueMirandal’observaitd’unairsoucieux.–Quoi?Lapetitesorcièreposasacannettesurlatable.–Tuesheureuse,mais…–Maisquoi?–Tonauraesttoujourstrèssombre.Encoreplusqu’hier.–Moi,jecroisquec’esttondétecteurd’auraquiestcassé.Mirandasecoualatête.–Demain,tuvasobserverlesoiseaux,ettantpissijedoistelesapportermoi-même.
À vingt heures, ce soir-là, il ne restait plus queDella à la table de la cuisine. Elle se
sentaitseule–etfranchementmalenpoint.Samigraineavaitempiréetl’élançaitàlafoisaux tempesetdans lanuque.Elleauraitpeut-êtredûaccepterqueSteve la raccompagne
chezleDrWhitman–ou,dumoins,demanderàKyliequ’elleluitransmetteunpeudesonénergieguérisseuseavantdepartir.
Ses deux meilleures amies l’avaient abandonnée plus d’une heure auparavant pourallerretrouverleurschérisrespectifs.Ellenepouvaitpasleurenvouloir.SiSteveavaitétéàShadowFalls,elleauraitpassélasoiréeaveclui.
Ellegardait lesyeuxrivéssurson téléphone,commesicelaallait le fairesonner.ElleavaitappeléKevinàdeuxreprises,dans l’espoirde terminer leurconversationausujetdeChase, mais elle était tombée sur son répondeur. Une question lui trottait dans la tête,obsédante. Pourquoi Chase lui avait-il caché qu’il connaissait Chan ? Qu’est-ce que celasignifiait?
Elle eut l’impression que les murs du bungalow gémissaient et que la températuretombait brusquement. Elle se frotta les bras tout en regardant autour d’elle. Chan était-ilvenulavoir?Ellen’auraitpasdûleredouter,etpourtantcetteidéelamettaitextrêmementmalàl’aise.Queluivoulaitsoncousin?Celaavait-ilunrapportavecChase?
Cedernierluiavaitditqu’ilétaitàlarecherchedequelqu’un.Était-ceunmensongedeplus?
Soudain,elle ressentitunpicotementdans lanuqueet tourna la tête.Elle s’attendaitpresqueàvoirquelqu’underrièreelle.
Lapièceétaitvide–àsesyeux,dumoins.–Chan?C’esttoi?murmura-t-elle.Silence.EllehésitaàtéléphoneràSteve,maisquandellel’avaitappeléunpeuplustôtdansla
soirée,illuiavaitditqu’ilsavaientplusieurspatientsàlacliniqueetqu’illuiferaitsignedèsqu’il aurait une minute. Évidemment, son esprit agité lui souffla qu’il était avec Jessie.Certes,Della faisait confiance à Steve,mais pas à la petite blonde souriante. Samigraines’intensifiaencore.
Lorsqu’unfrissonluiparcourutl’échine,elledécidad’allerprendreunedouchechaude.Elleserenditdanslasalledebainsetallumalejetd’eauavantdesedéshabiller.Lebruitdeladoucheluirappelaceluidelacascade.Dellatournalatêteetvitdesvolutesdebuéemonterdederrièrelerideau.Elleposauneserviettepropreàportéedemainpuis,toutensemassantlatempe,elleexaminasonrefletnudanslemiroir.C’estalorsqu’ellel’aperçut.
–Chan!Çanevapas,non?Sorsdelà!Affronter le fantôme de son cousin était déjà suffisamment flippant. L’affronter alors
qu’elleétaitnue,c’étaittrop.Ellesecachaderrièrelaservietteavantdesetournerverslui.Elles’attendaitpresqueàcequ’ilsoitparti,maisilsetenaittoujourslà,dansunnuagedebuée.
–Regardederrièretoi,dit-il.–Sorsdelà,répéta-t-elleens’enroulantdanssaserviette.
–Regardederrièretoi,insista-t-il.Étrangement,ilparaissaitencoreplusterrifiéqu’elle.Ellejetauncoupd’œilpar-dessussonépaulesansbiensavoiràquois’attendre.Toutce
qu’ellevit,ce futsonrefletdans lemiroir,ainsiqueceluidesoncousin,qui ladévisageaitd’unairtriste.
Elle lui fit facedenouveau,etcesimplemouvementsuffità l’étourdiruninstant.Elleagrippaleborddulavabopourgarderl’équilibre.
–Qu’est-cequejesuiscenséevoir?demanda-t-elleengrimaçant.Sansrépondre,illevaunbrasettenditl’index.Denouveau,elletournalatêtemaisne
vitriend’autrequ’euxdanslemiroir.Soudainl’imagedeChans’effaça,commehappéeparlenuagedevapeur.
Quandelleseretourna,ilavaitdisparu.Regardederrièretoi,Della!Elle ne savait pas ce qui était le pire, le voir ou entendre sa voix résonner sous son
crâne.Elleobéitmalgrétoutmais,unefoisdeplus,nedistinguaquesonreflet.–Qu’est-cequejesuiscenséevoir?Ladouleurquiluivrillaitlestempesetlanuquecommençaitàsepropagerlelongde
sesépaules.–Qu’est-cequejesuiscenséevoir,Chan?répéta-t-elle,impatiente.Seulunsilencedemortluirépondit.Ellen’entendaitmêmepluslebruitdeladouche.
Ellenes’entendaitplusrespirer.Ellecillaetétaitsurlepointdeseretourner,quanduneflèchesedessinasurlemiroir
embué.Ellesuivitlaflèchedesyeux…–Merde!Elle lâcha sa serviette, toutepeurd’êtrenuedevantun fantômeoubliée.Une terreur
nouvelles’étaitemparéed’elle.Soncœurs’emballaet ladouleurà ses tempesetdanssesépaulesdevint intolérable.
Deboutdanslasalledebainsembuée,elleseremémoralesparolesdeKevin.«Lesmembresdugangm’ontditqu’ilétait tombémalade,puisqu’ilavaitcommencéàavoirdesplaquesbizarresdansledos.Etpuis,ilestmort.»
Dellaexaminalesmarquesrougesquipartaientdesanuqueetdescendaientlelongdesonéchine.Ellesressemblaientunpeuàdesplumes.
Lavérités’imposaàelle.Ellesouffraitde lamêmemaladiequeChan–de lamaladiequil’avaittué.
La porte de sa salle de bains s’ouvrit. S’attendant à ce que ce soit Kylie ouMiranda,Dellasebaissapourrattrapersaserviette.
Illuifallutrassemblertoutesonénergiepourseredresser.Ellefutprisedevertigeetsavisionsebrouilla,maiselleseconcentrasurlaporte.Elleretintsonsouffleenvoyantqu’elles’étaittrompée.Cen’étaitniKylieniMiranda.
–Qu’est-cequetufichesici?
–Tum’asmenti!grondaDella,choquéedevoirChasedébarquerdanssasalledebains.
Tun’étaisàlarecherchedepersonne.–Si.C’étaittoiquejecherchais.Elledutfaireuneffortintensepourseconcentrermalgréladouleur.–TuconnaissaisChan,moncousin.–Oui.Voyantqu’illadétaillait,elleserappelaqu’elleétaitàpeinevêtued’uneserviette.–Va-t’en.–J’aiessayé,maisj’enétaisincapable.C’estterrible,d’avoiruneconscience.Queçate
plaiseounon,nousallonsdevenirtrèsliés,toietmoi.–Hein?Ellesecoualatête,maislemoindremouvementétaitunevraietorture.Denouveau,ill’observadelatêteauxpieds.–Çapourraitêtrepire.Tupourraisêtremoche.–Sorsdemasalledebains!Il obéit mais ne daigna pas refermer la porte derrière lui. Della s’appuya contre le
lavabo,prisedevertige.Elleavait l’impressionque lesnuagesdebuéeavaientenvahi soncerveau.Chaseétait-ilréellemententrédanslasalledebainsouavait-ellerêvé?Avait-elleégalementimaginélavisitedeChanetlesplaquesrougesdanssondos?
–Tiens, lançaChase en revenant dans la salle de bains, en chair et en os et le plusnaturellementdumonde.
Illuitenditdesvêtementsetsontéléphone.–Habille-toi.–Dégage!hurla-t-elle.Un froid intense la fit frissonner de l’intérieur. Elle tremblait comme une feuille, en
proieàunemigraineatroce.– Habille-toi, sinon ton métamorphe risque de faire la tronche en te voyant arriver
toutenueavecmoi.Ilnevapasêtrecontent,detoutefaçon,maisonn’aplusletempsdetrouverquelqu’und’autre,ajouta-t-il,commes’ilseparlaitàlui-même.
–Quoi?fit-elle.–Habille-toi!insista-t-il.–Pastantqueturestesdanslapièce.Sesdentss’entrechoquaienttellementelleavaitfroid.Chaseluitournaledos.–Allez,maintenant,habille-toi.Onn’apasdetempsàperdre.–Maispourquoi?gronda-t-elleenserrantlesmâchoires.Soudain,elleeutunedésagréableimpressiondedéjà-vu.Cen’étaitpaslapremièrefois
qu’elleressentaitcettedouleur,cefroidintense…Lapremièrefois,Chanétaitauprèsd’elle.Lesyeuxrivés sur le refletdeChasedans lemiroir,elle lâchasaservietteet tendit la
mainverssesvêtements.Soudain,ilseretournaetobservasoncorpsnu.Ellepoussaungrondement,etilsursauta,croisantsonregarddanslemiroir.–Désolé.Jecroyaisquetuavaisdéjàfini.Désolé, mon cul, oui ! Littéralement… Elle lui montra les dents et commença à
s’habiller.Chasecontinuaàl’observer.–Pourquoies-tuallévoirChan?demanda-t-elle.Elle parvint à enfiler son pantalon de jogging et son tee-shirt, au prix d’un immense
effort.Lemoindregesterelançaitsamigraine.Chasesaisitsontéléphone.–Ilesttempsd’appelertonmétamorphe.Unevivedouleurpartitde sanuqueet se répanditdans sondosquandelle tendit le
bras,maisellenevoulaitpasqueChasesèmeencorelapaniqueentreSteveetelle.Chaseluiprit lamain,et ladouleur redoubla.Ellen’eutpas la forcede sedégager.Sesgenouxcédèrent, et elle tomba contre lui. Il passa un bras autour de sa taille pour la retenir.Pourquoiluiparaissait-ilsichaud?
–Toutvabien, luimurmura-t-ilà l’oreilletoutenluicaressantdoucement ledos.Onvas’ensortir.
Saufqueçan’allaitpasdutout.Elleparvintàseredresseretàs’appuyercontrelelavabo,maissoncorpstoutentierla
faisait souffrir. Des muscles dont elle ignorait l’existence jusque-là se mirent à se crisperviolemment.Sesyeuxs’emplirentdelarmes.Ellereconnaissaitcessymptômes,c’étaientceuxdelamétamorphosed’humainàvampire.
–Salut,Steve,c’estChase,annonçacedernierautéléphone.DellacrutentendredelacolèredanslavoixdeSteve.Elletentadesaisirleportable,maisChasel’enempêchaenluiprenantlepoignet.Ses
gestesétaienttrèsdoux.Iln’avaitpasbesoind’userdelaforce,elleétaittropfaiblepoursedéfendre,maiselleluienvoulaitdesemontreraussitendreenverselle.
Ellebaissalatête.Lesimplefaitderespirerluifaisaitmal.–Tais-toietécoute-moi!lançaChaseautéléphone,furieux.Dellan’apasbeaucoupde
temps.Jevais l’emmeneraubungalowdeHoliday.Retrouve-nous là-bas. Je saiscommentlasauver,maisjevaisavoirbesoindetonaide.
Chaseraccrocha.–Qu’est-cequisepasse?demandaDellaenlevantlesyeuxverslui.–Tuterappellestamétamorphose?–Oui.Pourquoi?fit-elle,terrifiéequ’ilaitdevinécequ’elleressentait.– Il existe une faible proportion de vampires qui ont la chance – ou, plutôt, la
malchance–desubirunesecondemétamorphose.–C’estlapremièrefoisquej’entendsça,dit-elleensecouantlatête.–Normal,c’estsuperrare.Viens,dit-ilenlaprenantparlataille.–Non!Explique-moicequisepasse.–OK.Laversioncourte,c’estque,surlescentainesdefamillesporteusesduvirusV-1,il
yasixlignéesdontlesmembressontsusceptiblesderenaître.Elle tenta de réfléchir malgré la migraine qui tambourinait sous son crâne et les
plaquesquiluibrûlaientledosetlesépaules.–C’estcequiestarrivéàChan?Chasehochalatête.–C’esttafaute!l’accusaDella.Tunousasempoisonnés!–Non.Elleétaitjusteassezlucidepourremarquerqu’ilnecillaitpas.Disait-illavérité?Était-
elleenétatdejugerdeça?– Le problème, reprit-il, c’est que moins de trois pour cent de ceux qui renaissent
survivent à cette seconde transformation. Par contre, ceux qui s’en sortent voient leurs
pouvoirsdécuplés.Heureusement,unmédecinassociéauConseildesvampiresadécouvertunmoyend’augmenternoschancesdesurvie.
–Quelmoyen?–Ilfautselieràquelqu’unquiadéjàtraverséça.–Commentça?– En procédant à une transfusion complète. Tu profites des anticorps d’un survivant.
C’estunpeulemêmeprincipequ’unvaccin,saufque,dansnotrecas,lesdeuxvampiresseretrouventliésàjamais.C’estpresquecommes’ilsdevenaientuneseuleetmêmepersonne.On a déjà comparé cela à la relation que peuvent entretenir de vrais jumeaux – ou deuxâmessœurs,sitantestqueçaexiste.
Dellaledévisagea,lesyeuxécarquillés.–Tuesunsurvivant?–Oui.Heureusementqu’ons’aimebien,hein?–Cen’estpasvrai.Jetedéteste,grommela-t-elle.–Toncœurnesaitpasmentir,DellaTsang,murmura-t-ilensepenchantverselle.Bon,d’accord,elleneledétestaitpascomplètement,mais…–Jeneveuxpasmeretrouverliéeàtoi.Cettefois,soncœurgardasoncalme.Ellen’étaitpassûredevouloirselieràquiquece
soit,maissielledevaitchoisir,ceseraituncertainmétamorphe.Chasesoupira.–Honnêtement, jen’étaispasenchantéquand j’aiappris lanouvelle,maisonn’apas
vraimentlechoix.Allez,viens,dit-ilenluitendantlamain.Plusoncommenceravite,moinsonsouffrira.
–Commentça,«on»?Dequoiparlait-il?Ilnesemblaitpasavoirmal.–Enrecevanttonsang,jevaispartagertamétamorphose.Elletentaderéfléchir.Ilallaitsubirunechosepareilledesonpleingré?Cedevaitêtre
unmensonge.Ellerefusadesaisirlamainqu’illuitendait.–JevaisdemanderàKyliedem’aider.Jen’aipasbesoinque tu…Appelle-la,dit-elle
endésignantsontéléphone.–Lesguérisseursontbeauêtredoués,ilsnepeuventriendanscecas-là.Aucoursdes
cinqderniers siècles, lesquelques survivantsqui sont sortis indemnesdecetteépreuveontvu leur famillemourirdansd’atroces souffrances.Tupensesbienque,avec leurspouvoirsdécuplés, ils n’avaient aucun mal à faire venir des sorcières, des magiciens et desguérisseurs,maisenvain.
–Commentsais-tutoutça?Unecrampesoudaineluicoupalesouffle,etsesgenouxsedérobèrentsouselle.
–Jemesuis intéresséà laquestionaprèsavoirmoi-mêmesurvécu,expliqua-t-il en sepenchantpourlasoulever.Allez,ilesttemps.
Elleposalesmainssursontorse.–Jeneveuxpas.–Tupréfèresmourir?Il sortit de la salle de bains et du bungalow. Lorsqu’ils arrivèrent sous le porche, un
ventfraisjouadanslescheveuxdeDellaetlafitfrissonner.–Jenevaispeut-êtrepasmourir.Jefaispeut-êtrepartiedestroispourcentquiontde
lachance.C’estalorsqu’ellerepensaàsaprière.«Prends-moiàsaplace.»Dieun’avaitpeut-êtrepasrempliSonquota,aprèstout.–J’aimemieuxnepasparierlà-dessus,lançaChase.Sansmêmecourirpourprendresonélan,ildécolladusol.
Il volait à une vitesse folle tout en serrant Della contre lui comme si c’était un bien
précieux.Saufqu’ellen’étaitpassonbienàlui.Il atterritdevant lebungalowdeHolidayet entra comme s’il était chez lui. Il déposa
Della sur le canapé, près d’une table où était disposé tout un assortiment d’équipementmédical.Ilavaitpréparésavenue.
Une nouvelle décharge parcourut l’échine de Della, et elle eut l’impression que sacolonnevertébraleallaitsebriser.Ellecrispalesmâchoirespours’empêcherdepleurer.
Quand la douleur fut passée, elle prit une grande goulée d’air. Chase lui caressadoucementlefront.
–Pasdefaussepudeurentrenous.Jesaisàquelpointçafaitmal.Une seconde plus tard, il lui passa un gant de toilette humide sur le visage. La
tendresse de ses gestes lui rappela celle de Chan. C’était lui qui s’était occupé d’elle, lapremièrefois.Uneidéesoudainelafrappa.
–Çanemarchepas.–Qu’est-cequinemarchepas?demandaChase.–Tonlien,là.TuétaisavecChan,pourtanttun’aspasréussiàlesauver.Chasepinçaleslèvres.–Jeneluiaipasfaitdetransfusion.Lechagrinqu’elleéprouvaitpoursoncousinsemêlaàsadouleurphysique.–Tul’aslaissémourir?UnbreféclairdeculpabilitétraversaleregarddeChase.–Non.J’aiessayédelesauver,maisiln’étaitpascommetoi,dit-ilavantdesetourner
verslaported’unairimpatient.Ilfautcombiendetempspourvenirdelaclinique?Elleneréponditpas.
–Commentça,Chann’étaitpascommemoi?C’estmoncousin,onvientde lamêmelignée.
–Oui,maisilétaitfaible.Iln’avaitaucunedétermination,aucundésirdesebattre.Toi,tun’hésitespasàtesterteslimitesetàlesrepoussersitupeux.
–Cen’est pas vrai.Chan s’est battu pourmoi.C’est lui quim’a aidée à traversermapremièremétamorphosealorsqu’ilnemedevaitriendutout.Sanslui,jenesaispascequimeseraitarrivé.
–Jeneniepasquec’étaitquelqu’undebien.Jedisjustequ’ilétaitfaible.J’aiessayédel’emmener courir pour l’endurcir et le préparer à ce qui l’attendait,mais il n’amême pasvouluessayer.Ilestrestéprostrédanssoncoinets’estlaisségagnerparlamaladie.Mêmesijem’étaisliéàlui,seschancesdesurvieétaientminces,etj’aurais…
–Tuauraisquoi?demandaDelladansunsoufflepresqueinaudible.–Iln’auraitpassurvécu,etjen’auraispaspu…–Tun’auraispaspufairequoi?Etpuis,tun’ensaisrien,ils’enseraitpeut-êtretiré.Tu
n’asmêmepasessayé!–Jevoulaislesauver,maisjen’aipaspu,soupiraChase.LepoulsdeDellabattaitcontresestempes,etsoncœursetordaitdedouleur.–Jeneveuxpasdetonsang.Soudain, laportedubungalows’ouvrit si brusquementque labattantheurta lemur.
Della parvint à peine à redresser la tête pour voir Steve entrer dans la pièce. Il émit ungrondementmenaçantàl’encontredeChase,puisvints’agenouillerprèsd’elle.
Ellesentitsamainsursonfront.–Tuesbrûlante.Jet’emmènechezleDrWhitman,dit-ilenfaisantminedelasoulever.–Non.Repose-la,intervintChased’unevoixsévère.Steveseredressa.Saisied’uneviolentecrampe,Dellaseroulaenboule.Àtraversseslarmes,ellevitStevefoncersurChase.Desbulleséclatèrentautourdelui,
commes’ils’apprêtaitàsemétamorphoserenanimalféroce.MaisChaselerepoussabrutalementcontrelemur.–Écoute-moibienavantdetechangerenquelquechosequiseraincapablederéfléchir.
SituveuxqueDellasurvive,tuvasdevoirfaireexactementcequejetedis.Jesaisdequoijeparle. C’est la raison précise pour laquelle je suis venu à Shadow Falls, expliqua ChaseavantdejeterunregardàDellapar-dessussonépaule.Onn’aplusbeaucoupdetemps.
Plusbeaucoupdetemps.Plusbeaucoupdetemps.Dellafermalesyeuxet,quandellelesrouvrit,Chansetenaitdevantelleavec,surles
lèvres,cesourireencoinquin’appartenaitqu’àlui.Pourtant,cettefois,c’étaitdifférent.Cen’était pas lui qui était près d’elle, c’était elle qui était près de lui. De petits nuages lesdépassaientensilence.
Ce n’était pas si mal, finalement. La mort n’était pas aussi horrible que ça. Et puis,Holidayétaitenvie,elle.
Della avait dû perdre connaissance. Enfin, presque. Elle entendait Chase expliquer
quelquechoseàSteve,maiselleavait l’impressionqu’ils s’éloignaientpeuàpeud’elle.Oupeut-êtrequec’étaitellequipartaitàladérive.Elleselaissaentraîner,paisible.
Soudainquelque chose la réveilla –ou la ramenaauprèsd’eux.Elle sentit unebrèvepiqûreau creuxde chaque coude,puisune chaleurnouvelle se répanditdans l’unde sesbras.
Elle plissa les paupières, désireuse de retrouver quelque chose, sans savoir quoiexactement.
Soudain,celaluirevint.Ellevoulaitretournerdanscelieudelumièreetdecalme,cetendroitparcourudebriseslégèresoùelleavaitaperçuChan.
Elleavaitconscienced’êtreéloignéedeluiàprésent.Illuiavaitfaitsignedelamainàtraverslesnuages.Adieu.Illuidisaitadieu.Ellel’avaitsuppliéderester,denepaslalaisserseule,maissoudainellecomprit.Cen’étaitpasluiquipartait,c’étaitellequilequittait.
–Non,souffla-t-elle,inquiète.Elle avait conclu un marché avec Dieu. Sa vie contre celle de Holiday et du bébé.
Pourtant,quelquechosel’avaitrappeléesurterre.Lagravité,peut-être?Non,cen’étaitpasla gravité, mais deux silhouettes vêtues de longues toges. Tandis qu’elles laraccompagnaient, l’une d’entre elles, aux yeux d’un bleu très pâle, lui avait murmuréquelquechoseàl’oreille:
–Pasencore.C’estalorsqu’elleavaitentendulacascade.Lesangesdelamort.Brusquement,elleserenditcomptequ’ellen’avaitplusaussifroid.–Salut,toi.ElleouvritlesyeuxenentendantlavoixdeSteve.Agenouilléàcôtéd’elle,ils’assurait
quel’aiguillerestaitbienfixéeàsonbras.Sonfrontétaitbarréd’uneridesoucieuse.Elle cilla et, tandis qu’elle revenait à elle, prit peu à peu conscience d’une douleur
lancinantedans sapoitrine.Pourtant, celan’avaitplus rienàvoiravec l’atroce souffrancequ’elleavaitressentieplustôt.Cen’estqu’enapercevantlatransfusiondanssonbrasqu’elleserappelacequis’étaitpassé.
–Arrête!dit-elledansunsouffletoutenessayantd’arracherl’aiguille.– Non, dit Steve en lui saisissant le poignet. Chase a raison, Della. Tu es en train
d’assimilersesanticorps.Tafièvreadéjàcommencéàtomber.Ellesepassalalanguesurleslèvres.Ellesétaienttellementsèches.–Iladitque…jeseraisliéeàluipourtoujours.EnvoyantlagrimacedeSteve,ellecompritqueChaseluienavaitdéjàparlé.–Jenelepermettraipas,souffla-t-ilenpassantunemainsursonfrontmoitedesueur.Elleentenditungémissementet,tournantlatête,vitChaseallongésurlatablebasseà
côtéducanapé.Ilparaissaitinconscient.–Qu’est-cequisepasse?demanda-t-elle.– Il est en train de recevoir ton sang, donc il traverse lamême chose que toi, tout à
l’heure.LesyeuxrivéssurChase,elle levitcambrerledossouslecoupdeladouleur–desa
douleuràelle.Iln’auraitpasdû…–Ilfautarrêterça,insista-t-elleenfaisantunenouvelletentativepourretirerl’aiguille
desonbras.–Impossible,ditSteveenl’enempêchant.Chaseabienpréciséquesioninterrompait
leprocessus,ilenmourrait.Ildoitsubirçajusqu’auboutpoursurvivre.Dellafermalesyeux,maislesgémissementsdeChaseluirappelèrentlasouffrancequi
avaitparcourusoncorpspeudetempsauparavant.Deslarmesluibrûlèrentlespaupières.Pourquoiavait-ilfaitunechosepareille?
Elle peina à déglutir, tant elle avait la gorge sèche. Si Chase l’avait sauvée, elle,pourquoiavait-illaisséChanmourir?
Ilétaitfaible.ElleserappelalesparolesdeChase,maiscelanesuffitpasàapaisersapeine.
Steveluihumectaleslèvres,commes’ilavaitdevinéàquelpointelleavaitsoif.
– Tu as toujours de la fièvre, mais ça va déjà beaucoup mieux. Tu vas t’en sortir.Repose-toi.
Ilsetutuninstantetluidéposaunbaisersurlefront.–Jesuislà,jevaism’occuperdetoi.Jenebougepas.Maisalorsmêmequ’ildisaitcela,ellesentaitlesangdeChasecourirdanssesveines.Ilsétaientliésàjamais.
Uneodeurépouvantableluisoulevalecœur.Quelquechoseluieffleuralenezet,alors
qu’elletentaitdelerepousser,elleentenditunfracasimpressionnant.Elletentad’ouvrirlesyeux,maissespaupièresluisemblaientsèchesetirritées.Salangueétaitcolléeàsonpalais.
–Jevousavaisprévenusquel’ail,cen’étaitpasunebonneidée,ditquelqu’un.Jesuissûr qu’elle n’avait pas l’intention de vous faire tomber. Maintenant, sortez ce truc puantd’ici,s’ilvousplaît.
Ellereconnutcettevoix.Cen’étaitpasSteve.NiChase.Ellesesouvenaitdesesgémissementsdedouleur.Elleavaiteupeurqu’ilmeure.Cela
n’auraitvraimentpasétéjuste.Enfin,elleseforçaàouvrirlesyeuxetserenditcomptequ’ellen’étaitplusallongéesur
lecanapé,maisdansunlit.Elledutplisserlespaupièrespourdistingueroùellesetrouvait.C’étaitlachambredeHoliday.
Burnett était assis à sonchevet.Non loinde lui, quelquechose remuaitpar terre.Enlevantlatête,ellevitquec’était leDrWhitman.«Jesuissûrqu’ellen’avaitpasl’intentiondevousfairetomber.»C’étaitBurnettquiavaitditcela.
Avait-ellefrappélemédecin?Burnettsepenchaverselle.–Elleestréveillée,indiqua-t-ilàWhitman.Laissez-nous,s’ilvousplaît.– Vous êtes sûr que c’est sans danger ? demanda le médecin en se relevant
péniblement.–Certain,réponditBurnettsanslaquitterduregard.Dellapassalalanguesurseslèvresdesséchées.–OùestChase?–Iln’estpluslà,ditBurnettenfronçantlessourcils.Elle se redressa, lagorgenouéepar l’émotion. Ilétaitmortencherchantà la sauver.
Unchagrinprofond,immense,vintpesersursapoitrineetl’empêchaderespirer.–Ilestmort?Elleavaitl’impressionqu’onluiavaitarrachélecœur,laissantuntroubéantaucentre
desonêtre.–Non,ilestparti,expliquaBurnett.Ilvoulaitsansdouteéviterdemevoir.Sonchagrin semuaenune intense colère. Il l’avait quittée? Il lui avait sauvé la vie,
puisils’étaitcarapaté?Ilavaitosé?
Burnettapprochaunverred’eaudeseslèvres.–Tiens,tudoisavoirsoif.Elletenditlamain,maisilreculavivement.–Doucement,outurisquesdelecasser.Ellehaussalesépaulesetattrapaleverre,quivolaenéclats.–Zut,murmura-t-elleenconstatantlesdégâts.–Jet’avaisprévenue,grondaBurnettavecunegrimace.Nebougepas,jevaisnettoyer
ça,ajouta-t-ilenselevant.Ilapprochaunepoubelledulitet,à l’aided’uneserviette,ramassatouslesmorceaux
deverre.–Ilvatefalloirunpeudetempspourt’yhabituer,expliqua-t-ilenserasseyant.Illuipritlesmainsetlesinspectadoucement,maisellen’étaitpasblessée.Oualors,si
elles’étaitcoupée,elleavaitdéjàcicatrisé.–Pourm’habitueràquoi?Elleavaitlatêtedanslebrouillardetlecœurenlambeaux.–Àtesnouveauxpouvoirs.Elle ferma les yeux. Chase avait dit quelque chose dans ce genre,mais ses souvenirs
étaient trèsembrumés.Entempsnormal,elleauraitsautéde joieà l’idéed’avoirdesuperpouvoirs,maispascejour-là.
Celaluisemblaitsansimportance.Chaseétaitparti.Elles’assitdanslelit.Ellepouvaitpeut-êtreleretrouver.–Oùest-ilallé?–Quiça?Steve?–Non,Chase.Est-cequetusaisoùilest?–Non,ditBurnettenladévisageantd’unairétrange.–Quoi?fit-elle.–Rien,je…Ilyaquelquechose…Ellesecoualatête.–Tuveuxbienm’expliquer?Parcequejesuiscomplètementperdue,là.Burnettsepenchaenavantetposalescoudessursesgenoux.–Quand j’avaisquatorzeans, je suis tombémalade. Jeme tordaisdedouleur, c’était
horrible. J’aiperduconnaissance,etmesparentsadoptifsm’ontemmenéchez lemédecin.Ilsm’ontditquej’avaisfaillimourir.Quandjemesuisréveillé, j’avaisgagnéenforceetenvitesse.C’esttoutcedontjemesouviens.
Ilsetutuninstant,puisprituneprofondeinspirationavantdepoursuivre:–Touslesmédecinssurnaturelssontdéclarés,donc,dèsquel’URFaentenduparlerde
moncas,j’aireçulavisited’unagent.
Della secoua la tête. Les explications de Chase lui revenaient par bribes et, soudain,ellecompritcequeBurnettétaitentraindeluidire.
–Tuesunsurvivant.Ilhochalatête.–Mais…Pourquoi tun’as jamais riendit ? Je saisque tues super fortmais jene t’ai
jamaisvufaire…cequefaitChase,parexemple.– Toi non plus, tu ne dois pas révéler tes pouvoirs,Della. Les vampires – surtout les
renégats,maispasseulement–ontparfoisunementalitédevieuxcow-boys.Siquelqu’unsedistingueunpeutropparsarapiditéousonadresse,ilavitefaitdereprésenterundéfi.Unennemiàabattre,enquelquesorte.
Ilbaissalesyeuxetexaminasesmainscroisées.–RegardecequiestarrivéàChase.Quandilamontrédequoiilétaitcapableaubar,
le chefdugang l’aprovoquéenduel.Tespouvoirs sontunatout formidable,mais tuvasdevoirapprendreàlesdissimuleretànelesutiliserqu’encasd’extrêmeurgence.Ilnes’agitpasdefairesemblantd’êtrefaible,maisdenepastefaireremarquer.Sinon,turisquesdet’attirerdesennuis,ainsiqu’àtesproches.C’estencoreplusdifficileàgérerquedestalentsdeprotecteur,quisontconsidéréscommequelquechosed’honorable.Unvampirequiétalesespouvoirsdesurvivantseravucommeunindividuarrogantquimériteunebonneleçon.
Della ferma les yeux. Elle comprenait ce qu’il lui disait, mais ce n’était pas ce quil’inquiétaitpourl’instant.Elles’efforçadeserappelercequiluiétaitarrivé.
–TusavaisqueChaseétaitunsurvivant?Burnetthochalatête.–Jel’aivuvoler,lejourdesonarrivée–chosequ’ilneseseraitsansdoutepaspermise
dansunendroitmoinsprotégéqueShadowFalls.J’aiaussitôtcommencéàmerenseigneràsonsujet.J’avaispeurqu’ilsoitvenupouruneraisonpeuavouable,puisjemesuisditqu’ilcherchait uniquement à se faire recruter par l’URF. Je neme doutais pas qu’il était venupourtoi.
–Pourmoi?demanda-t-elled’unevoixéraillée.Alorsmême qu’elle posait cette question, elle se rappela que Chase lui avait dit être
venuàShadowFalls pour y chercher quelqu’un, avantde lui avouer que cette personne,c’étaitelle.
–Oui,réponditBurnett.Ilremplitunnouveauverred’eau,qu’iltenditàDella.–IlaexpliquéàStevequ’onl’avaitenvoyéicipourassurertasurvie.Elleattrapaleverreavecmilleprécautionsetbutunepetitegorgée.L’eauluibrûlala
langue,maiscen’étaitpasaussidouloureuxquelesidéesquisebousculaientdanssatête.Chaseavaitsouffertlemartyrepourlasauver,maisiln’enavaitpasfaitautantpourChan.
–Tucroisqu’ilauraitpuaidermoncousin?
–Peut-être,maisjenecroispasquecesoitsafautesiChanestmort,Della.ChaseaditàStevequeChanétaittropfaiblepoursupporterunesecondemétamorphose.Seschancesdesurvieauraientététrèsminces.C’esttoutnouveau,cettehistoiredetransfusion,alorsjen’yconnaispasgrand-chose,maiscen’estpasunremèdemiracle.Çaparaîtlogiquequeçanefonctionnequesilesdeuxvampiressontsuffisammentrésistants.
Le cœur de Della se serra. Elle ne savait pas si elle devait être reconnaissante oufurieuse–oulesdeux.
– Peut-être que Chase ne pouvait sauver qu’une personne, et qu’il a choisi celle quiavaitleplusdechancesdes’ensortir,repritBurnett.
Uneémotion familière lasaisità lagorge– laculpabilité.Elleavait survécualorsqueChanétaitmort.
–Laquestionquimepréoccupe leplus,c’estdesavoirquiaenvoyéChaseàShadowFalls,ajoutaBurnett.
Mon oncle et ma tante. C’était la seule explication possible. Peut-être que, une foisqu’elleauraiteuletempsd’yréfléchir,elleenparleraitàBurnett.Ilétaitencoretroptôt.
– Il y a de cela quelques années, on a appris qu’un médecin indépendant de l’URFfaisaitdesexpériencespouressayerd’améliorer leschancesdesurviedesvampirescommetoietmoi.Apparemment,ceseraithéréditaire,poursuivitBurnett.JemesuispenchésurlaquestionquandHolidayesttombéeenceinte,parcequeçarisquedeconcernernotreenfantunjour,maistoutcequej’aidéniché,c’étaientdesrapportsassezvagues.
–CommentvontHolidayetHannah,d’ailleurs?demandaDella.Ellesesentaitterriblementégoïstedenepasavoirpenséàellesplustôt.– Elles vont bien,merci. Elles sontmagnifiques, toutes les deux, dit Burnett avec un
sourire attendri. Je dois t’avouer une chose : j’en ai appris davantage sur notre conditionaujourd’huiqu’enplusieurssemainesderecherches.Jesuisdésoléquetuaiesdûtraverseruneépreuvepareille,maisçanousapermisd’amasserdeprécieuses informations.Siçasetrouve,tuassauvélaviedemafilledeuxfoisenunejournée,etjet’enseraiéternellementreconnaissant. Si Holiday n’avait pas autant tenu à l’appeler Hannah, je lui auraiségalementdonnétonpremierprénom.
Dellaluiadressaunsouriretremblantetrepritunegorgéed’eau.Aprèsquelquesminutesdesilence,Burnettrepritlaparole.–PhillipLanceaétéarrêté.IlaavouéavoirtuéLorraineetsonpetitami.Tuasfaitde
l’excellenttravail,Della.Jesuissûrquetuvasdevenirunagenthorspair.Ellehochalatêteettentaderetirerduplaisirdececompliment,maisenvain.Ellene
cessaitdepenseràChase.Ellefinitparposerlaquestionquil’inquiétaitpar-dessustout.–Qu’est-cequetusaisàproposdecettehistoiredelienentrelesvampirestransfusés?–Riendutout,malheureusement,réponditBurnettensoupirant.Jen’enavais jamais
entenduparleravantqueStevementionnecedétail.
Ilsetutuneminuteavantdedemander:–Pourquoi?Çatetracasse?Tessentimentsàl’égarddeChaseontchangé?–Non.Ellesentitsoncœurbondirdanssapoitrine,etsutqueBurnettl’avaitentendu.– Ilm’a sauvé lavie, s’empressa-t-elled’ajouter. Il a souffert lemartyrepourm’aider.
C’estnormalquejeluiensoisreconnaissante,non?–Oui,c’estnormal,ditBurnett.Pourtant,ilnesemblaitpasconvaincu.Elledéglutit,lagorgetoujourstrèssèche.– Il aurait dû essayer d’aider Chan, reprit-elle, les paupières brûlantes. Je me sens
supermaldesavoirqu’ilestmortparcequej’étaisunpeuplusrésistantequelui,alorsquec’estluiquis’estoccupédemoipendantmapremièretransformation.Cen’estvraimentpasjuste,conclut-elleenessuyantquelqueslarmes.
–Lavien’estpastoujoursjuste,ditBurnettenposantunemainsursonbras.Cequiestjuste,enrevanche,c’estquetusoiestoujoursparminous.D’ailleurs,ajouta-t-ilendésignantlaporte,ilyalàplusieurspersonnesquiseronttrèsheureusesdetesavoirenbonnesanté.ÇafaitdeuxjoursqueKylieetMirandan’ontpasbougédecebungalow.
–Deuxjours?J’aidormideuxjours?AussitôtellesedemandadepuiscombiendetempsChaseétaitparti,maisellepréféra
se taire. Elle ne voulait pas penser à lui,mais c’était plus fort qu’elle. Qu’est-ce que celasignifiait?Enadmettantquecelaaitunsens…
– Oui, répondit Burnett en hochant la tête. On commençait à se faire du souci.Maintenant… je sais qu’ils sont très impatients de te voir, mais est-ce que toi, tu te sensprête?
Non,pensa-t-elle,maisellehochalatête.Siç’avaitétéKylieouMirandaàsaplace,elleseraitdéjàfolled’inquiétude.
–Rappelle-toiqueSteveestaucourant,etqueledocteurauneidéeassezprécisedecequi s’estpassé,mais c’est tout. Je saisque tupartages toutavecKylie etMirandaet jenepeuxpas t’interdirequoiquece soit,maisdansce casprécis, je te conseilleraisdene rienleurdire.
Cacheruntrucpareilàsesdeuxmeilleuresamies?Horsdequestion!
Après avoir fait un brin de toilette, Della fit signe à Burnett d’ouvrir la porte de lachambre. Kylie se précipita à l’intérieur, l’air paniquée, Miranda sur les talons. Cettedernièreavaitleslarmesauxyeux,etPerrylasoutenait,unbraspasséautourdesataille.Steveentrapluslentement,suivideJennyetdeDerek.EllevitmêmeLucas,toutaufond.
Sesamis.Ellesefitlaréflexionqu’ellecommençaitàenavoirbeaucoup.Miranda,cedistributeurdecâlins,s’assitauborddulitettenditlesbrasàDella,mais
cettedernièrel’arrêtad’ungeste.
–Jevaisbien!Enlevantlesyeux,ellecroisaleregarddeSteve,quiluiadressaunclind’œil.Pourtant
ellecrutliredelapeursursonvisageetcompritaussitôtcequ’ilredoutait.Desbribesdeleurconversationluirevinrentenmémoire:«Iladitque…jeseraisliéeàluipourtoujours.–Jenelepermettraipas.»Steveavaitcherchéàlarassurer,maisildevaitsavoirqu’ilnepouvaitriencontreuntel
liendusang.Etpourtant, ilavaitquandmêmeprocédéà laperfusion.Chaseavaitmissaproprevieen jeuetavaitenduréd’atrocessouffrancespour lasauver,etStevel’avaitaidétoutensachantqu’ilrisquaitdelaperdre.
–Nenousrefaisplusjamaiscecoup-là!grondaMiranda.–Jevaisessayer,promitDellaavantdesetournerversKylie.Arrêtezd’avoirl’airaussi
inquiets.Jevaisbien,vraiment.– J’ai essayé de te guérir,mais ça n’a pasmarché, souffla Kylie, les yeux brillants de
larmes.Mesmainsrefusaientdeseréchauffer.Chaseavaitdoncditvrai,lesguérisseursnepouvaientrienpouraiderlesvampireslors
decettesecondetransformation.–Oui,maisçava,maintenant.Détendez-vous.–Ohpurée!C’esttropbien!Jesuissupersoulagée!piaillaMirandaenrebondissant
surlelit.–Qu’est-cequetunecomprendspasdans«détendez-vous»,Miranda!râlaDella.Lapetitesorcièrelevalesyeuxauciel.–Estime-toiheureusequetondroit-de-vacheriesn’aitpasencoreexpiré.–Sonquoi?demandaLucas.Dellasoupira.–Tonaura!repritMiranda.Elleestencoresombre,maisd’unecouleurnormalepour
unevampire.Ellen’estplustoutemoche.–Hé,c’estdeDellaqu’onparle.Iln’yariendemochechezelle,intervintSteve.Ils’approchadulitets’assitàcôtéd’elle,puistenditlamainetluisaisitlepoignetd’un
gestetrèsdoux,presquehésitant.Elleauraitaimépouvoirluidiredenepass’enfaire.Saufqu’elleenétaitincapable.Personne ne la contrôlait. Elle était libre de faire ses propres choix. Il ne fallait pas
qu’elleoubliecela.Elletournalamain,paumeverslehaut,etentremêlasesdoigtsàceuxdeSteve.Pourtant,soncœurluifaisaitmal.Chaseluimanquait.
Uneheureplustard,Dellaétaitderetourdanssonbungalow.Seuledanssachambre,ellefaisaitlescentpas,cequin’étaitpasfacileétantdonnél’exiguïtédelapièce.
Stevelesavaitraccompagnées,Kylie,Mirandaetelle.Puis,quandilavaitcomprisqueses deux amies ne les laisseraient pas seuls, il l’avait embrassée sur la joue et lui avaitdemandédel’appelerdèsqu’elleauraituneminute.
Ellenel’avaitpasencorefait.Ellesavaitqu’ilallaitluiposerlaquestion,luidemandersisessentimentspourChaseavaientchangé.Queluirépondrait-elle?Ilméritaitdesavoirlavérité,etpourtant…
Elle n’avait pas encore parlé à Kylie et àMiranda de ce qui s’était réellement passé.Della voyait bien qu’elles attendaient des explications – elles avaient même sorti le Cocalight –, mais elle avait joué la carte de la convalescente fatiguée et s’était isolée dans sachambre.
Cela faisait donc d’elle la pire des amies et des petites copines. Et alors ? Avec lameilleurevolontédumonde,elleauraitétébienincapabled’expliquerquelquechosequ’ellenecomprenaitpas–oudedirelavéritéalorsqu’ellel’ignoraitelle-même.
Liésàjamais?Qu’est-cequeçavoulaitdire,d’abord?Ellerefusaitdecroirequecelarevêtaitunesignificationparticulière.Et pourtant, elle n’avait cessé de penser à lui depuis qu’elle s’était réveillée. Ses
émotionsfaisaientdesloopingsdanstouslessens.Colère.Incompréhension.Gratitude.Toutceladirigéversuneseuleetmêmepersonne.Cette histoire de nouveaux pouvoirs l’agaçait presque autant que Chase. Presque.
Commentpouvait-elleévaluerenquoi ilsconsistaient, tantqu’ellene lesavaitpas testés?Etquandaurait-ellel’occasiondelestester?
Burnettallaitlasurveillerdeprèspours’assurerqu’ellenes’exposepasàdesdangersinutiles,commeChase.
Franchement,pluselleypensait,plusellecomprenaitcedernier.Àquoi luiservaientcessuperpouvoirstoutneufssiellen’avaitjamaisledroitdes’enservir?
Ou seulement en cas d’extrême urgence, comme l’avait dit Burnett. Qu’est-ce que tuappellesune«extrêmeurgence»,d’abord?
Dellaattrapasontéléphone.Samèreluiavaitlaisséunmessageenluidemandantdelarappeler,maisçanedevaitpasêtreuneextrêmeurgence,parcequeDellaneressentaitpaslebesoind’obéir.Àmoinsquecenesoitparcequ’ellenesavaitpasquoidireàsamère–pasplusqu’àtouslesautres.
Ellesavaittrèsbiencequ’elleauraitvouludire.Salut, maman. Tu savais que Chan était mort ? Enfin, la première fois, il n’était pas
vraimentmort, ilétait justedevenuunvampire,maiscettefois, ilestmortpourdebon.Etaufait,moiaussi,jesuisunevampire.Maisattention,pasjusteunebanalevampire,j’aidessuper
pouvoirssecrets.Ah,etpuis,ilsembleraitquejesoisliéeàjamaisàuntype,saufquejen’aipaslamoindre idée de ce que ça signifie. Bref, tu voudrais bienarrêter les conneries etmeparlerenfindufrèreetdelasœurdepapa?Ceuxquisontmorts?Parcequejesuisàpeuprèssûrequecesonteuxquim’ontenvoyéletypeàquijesuisliée.
Aucundoute,cemessageseraitaussibienaccueilliqu’unpetpendantlamesse.Della entendit quelqu’un s’approcher du bungalow et leva le nez dans l’espoir
d’identifieruneodeur.Pasn’importequelleodeur.EllevoulaitsentirChase.Maispourquoi,aujuste?Qu’attendait-elledelui?Des réponses, se dit-elle. Chase lui devait des explications, et pas seulement sur cette
histoiredeliendusang.Ellevoulaitsavoirquil’avaitenvoyésursestraces.Cen’étaitpasChase.ElleentenditDerekdemandersielleétaitlà,etMirandas’écrier:–Tucomptesluidireçamaintenant?Dellaouvritlaporte.–Medirequoi?KylieetMirandaseretournèrent,l’airinquiet.Derekentraetallas’asseoirsurlecanapé.–Dis-moi!insista-t-elle.C’estàproposdeChase,c’estça?–Non,réponditDerek.–Qu’est-cequec’est,alors?–Ilyadeuxjours,j’aienfintrouvéquelqu’unquiaacceptédemeparlerdetononcle
ettatante.–Etalors?–Tatanteestmorte.Dellal’entenditparfaitement,maisellerefusaitdel’admettre.–Elleapeut-êtrefaitsemblant,commemononcle.–Jenecroispas,ditDerek.–Pourquoi?Jesaisbienqu’ellen’apasétéenterréeparlemêmefunérarium,maisça
neveutriendire.Ilyenapeut-êtred’autresqui…–Elleaétéassassinée,Della.–Quoi?souffla-t-elle,estomaquée.Quelqu’unavaittuésatante?–Quand?Etcomment?demanda-t-elle.–Environunanaprèsl’accidentdevoituredanslequeltononcleadisparu.–Quil’atuée?Ellepensaàsonpère,auchagrinqu’ilavaitdûressentirenperdantd’abordsonfrère
jumeau,puissasœur.Ellecomprenaitmieuxpourquoiiln’aimaitpasparlerdesonpassé.–Est-cequelesalaudquiluiafaitçaaétéarrêté?insista-t-elle.
Dereksoutintsonregardd’unairtriste.– Quand j’ai découvert ça, je suis allé voir mon copain détective pour lui poser la
question.Ilapasmaldecontactsdanslemétier.Ils’interrompitetcroisalesmains.–Etalors?– Il a retrouvé le dossier. L’affaire a été classée. Ils n’ont jamais coincé le coupable,
fautedepreuves.–Ilsn’avaientmêmepasdesuspects?Rien?Quelqu’unatuélasœurdemonpèreet
n’amêmepasétéinquiété?Dereksemorditlalèvre.–Crachelemorceau!–Ilsavaientunsuspect.Unseul.Elleattenditqu’ilendiseplus,maiscommeilsetaisait,elleperditpatience.–Ilfautquejet’arrachelesmotsdelaboucheouquoi?C’étaitqui,cesuspect?Ilhésitauneseconde.–C’étaittonpère.Delladéglutitbruyamment.–Ilsontcruque…?Cen’estpaspossible.Monpèreneferaitjamais…– Je n’ai pas dit qu’il avait tué sa sœur, je te dis juste que c’était le seul suspect à
l’époque.Della se tourna vers Kylie et Miranda et vit de la compassion dans leur regard. La
petitesorcièreallaitsûrementessayerdeluiimposeruncâlin.–Cen’étaitpaslui!persifla-t-elle.Jevousdisquecen’estpaspossible!– On te croit, Della, souffla Kylie. Il n’empêche qu’on est désolées que tu aies dû
entendreunenouvellepareille,surtoutquetuviensàpeinedeteremettrede…Dellasortitencoupdeventpournepashurlerderage.Audébut,elleoubliadenepas
voler trop vite, puis elle ralentit suffisamment pour éviter que Burnett lui fasse desreproches. Elle fit sept fois le tour de Shadow Falls à vive allure, sansmême se fatiguer.Quandenfinelleseposa,ilrégnaitunsilencedemortautourd’elle.
Puissontéléphoneluiindiquaqu’elleavaitreçuuntexto.Elleretintsonsouffleenvoyantquic’était.Chase.«Jem’inquiètepourtoi.Ilfautqu’onparle.»–Sansblague!Elle commença à lui répondre, mais s’interrompit quand elle entendit et sentit
quelqu’unapprocher.Kylie atterrit à côté d’elle, avec Miranda perchée sur son dos. Della rangea son
téléphone.–Çava?demandaKylie.
–Non,çanevapas,avouaDellasansmêmechercheràmentir.–Tuveuxuncâlin?demandaMiranda.Della regarda lapetite sorcièreet imaginaunedizainede repartiesbienvaches,mais
quandelleouvritlabouche,cefutpourdire:–Oui.Jeveuxbien.Des larmes roulèrent sur ses joues. Une douleur qu’elle ne comprenaitmême pas lui
tordait le cœur. Sonpère avait été soupçonnéd’avoir assassiné sa propre sœur. Elle étaitliéeàuntypequ’elleconnaissaitàpeineetelleavaitbeauessayerdesepersuaderqueçanevoulaitriendire,lesconséquencesluiparaissaientdéjàlourdesdesens.
Coincée entre Kylie et Miranda, qui la serraient de toutes leurs forces, elle eut unerévélation. Elle était peut-être écrasée par le poids des questions qu’elle se posait et desdécisionsqu’elledevraitprendremais,enattendant,elleavaitlesdeuxmeilleuresamiesdumonde.
Tant qu’elle serait consciente de cette chance incroyable, elle survivrait. Et elletrouveraitlesréponsesàsesquestions.C’étaitobligé.
Aprèstout,elleétaitunesurvivante.
Remerciements
Àmonmari –monuniversetmon inspiration.Tum’aspermisdepoursuivreun rêvefouetaidéeàcroirequejepouvais l’attraper.Mercidetoutmoncœur.Merciégalementàmonéditrice,RoseHilliard,etàmonagent,KimLionetti–nousformonsunebelleéquipe,toutes les trois. Merci à mes assistantes, Kathleen Adey et Shawnna Perigo, sans qui jedérailleraisparfois.Jesaluebienbastousmesamisqui,auteurseuxaussi,ontpartagéavecmoi angoisses, prises de tête, crises de fous rires et longues balades. J’ai besoin de vouscommeDellaabesoindeKylieetdeMiranda.Merci,merciàtous!
DELAMÊMEAUTEURECHEZLEMÊMEÉDITEUR
Nésàminuit
Tome1:AttirancesTome2:SoupçonsTome3:Illusions
Tome4:FrémissementsTome5:Crépuscule
ÀPARAÎTRE
Nésàminuit–Renaissancetome2
TitreoriginalShadowFallsAfterDark–Reborn
©ChristieCraig,2014
PremièrepublicationenlangueoriginaleparSt.Martin’sPressen2014.
PubliéenaccordavecSt.Martin’sPress,LLC.
©ÉditionsMichelLafon,2015,pourlatraductionfrançaise118,avenueAchille-Peretti
CS70024–92521Neuilly-sur-SeineCedexwww.lire-en-serie.com
Designdecouverture:ElsieLyons-Photographiesdecouverture:personnage©InnervisionArt/Shutterstock.com-paysage©PeteRyan/GettyImages
ISBN:978-27499-2548-6
Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénale