MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la...

8
La mondialisation des systèmes alimentaires ne se limite pas aux échanges commerciaux ou aux influences culinaires. Phénomène multiséculaire, mais partiellement réversible, elle contribue de plus en plus à l’interpénétration des échelles géographiques : espaces locaux, nations, conti- nents, monde. Processus économique mais aussi culturel, politique, scientifique, juridique, elle transforme en profondeur les manières de produire ou de consommer, elle modifie le paysage des risques et complexifie les jeux d’acteurs. L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études et de prospective, vise à caractériser la phase de mondialisation actuelle, documenter les dynamiques à l’œuvre, envisager leur prolongement d’ici 2030 et identifier certai- nes ruptures déjà en germes. Au fil de six parties thématiques, cette note reprend les principaux enseignements de l’ouvrage issu de cet exercice 1 . ans les domaines agricoles, agroali- mentaires et alimentaires, la mondia- lisation joue en France un rôle croissant, parfois très visible, à l’instar des influences culinaires japonaises et américai- nes, ou de l’implantation de nouvelles cultu- res « exotiques » comme le sorgho. Elle a aussi des influences plus indirectes et souterraines : politiques de responsabilité sociale et environ- nementale des grandes multinationales, harmo- nisation des normes techniques et sanitaires, etc. Au-delà des processus économiques aux- quels elle est souvent réduite, la mondialisa- tion des systèmes alimentaires est aussi culturelle, sociale, politique, informationnelle, scientifique, juridique, etc. Nous la définissons ici comme l’ensemble des phénomènes, dans tous les domaines de la vie en société, concou- rant à l’accroissement des interdépendances entre les différents acteurs et situations du monde, et qui en cela tend à construire un sys- tème de dimension planétaire. La mondialisation n’est pas un phénomène récent, comme l’illustre l’importance des cultu- res dites « non natives » dans les productions nationales (figure 1) : nombre de produits aujourd’hui considérés comme traditionnels témoignent d’une acculturation de plants autrefois jugés exotiques (pomme de terre en Belgique, manioc en Afrique). La mondiali- sation est un processus multiséculaire qui se poursuit, se transforme, s’approfondit à cer- taines époques et s’atténue à d’autres. L’objectif du projet MOND’Alim était de caractériser la phase que nous connaissons actuellement, de documenter les dynamiques à l’œuvre, d’envisager leur prolongement d’ici 2030 et d’identifier un certain nombre de rup- tures déjà en germes. En nous appuyant sur un groupe d’une trentaine d’experts, réunis à neuf reprises entre octobre 2014 et novembre 2015, nous nous sommes intéressés aux muta- tions qui caractérisent la mondialisation des « systèmes alimentaires », entendus comme « la manière dont les hommes s’organisent Analyse CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE n° 100 - Mars 2017 LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la mondialisation des systèmes alimentaires D 1. Claquin P., Martin A., Deram C., Bidaud F., Delgoulet E., Gassie J., Hérault B., 2017, MOND’Alim 2030, panorama prospectif de la mondialisation des systèmes alimentaires, Paris, La Documentation fran- çaise. Figure 1 - Cultures non natives dans la production nationale, 2009-2011 Part dans la production nationale en tonnes (en %) absence de données Source : Khouri et al., 2016. © FNSP. Sciences Po - Atelier de cartographie, 2016

Transcript of MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la...

Page 1: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

La mondialisation des systèmes alimentaires ne se limite pas aux échanges commerciaux ou auxinfluences culinaires. Phénomène multiséculaire, mais partiellement réversible, elle contribuede plus en plus à l’interpénétration des échelles géographiques : espaces locaux, nations, conti-nents, monde. Processus économique mais aussi culturel, politique, scientifique, juridique, elletransforme en profondeur les manières de produire ou de consommer, elle modifie le paysagedes risques et complexifie les jeux d’acteurs. L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, pilotépar le Centre d’études et de prospective, vise à caractériser la phase de mondialisation actuelle,documenter les dynamiques à l’œuvre, envisager leur prolongement d’ici 2030 et identifier certai-nes ruptures déjà en germes. Au fil de six parties thématiques, cette note reprend les principauxenseignements de l’ouvrage issu de cet exercice1.

ans les domaines agricoles, agroali-mentaires et alimentaires, la mondia-lisation joue en France un rôle

croissant, parfois très visible, à l’instar desinfluences culinaires japonaises et américai-nes, ou de l’implantation de nouvelles cultu-res « exotiques » comme le sorgho. Elle a aussides influences plus indirectes et souterraines :politiques de responsabilité sociale et environ-nementale des grandes multinationales, harmo-nisation des normes techniques et sanitaires,etc. Au-delà des processus économiques aux-quels elle est souvent réduite, la mondialisa-tion des systèmes alimentaires est aussiculturelle, sociale, politique, informationnelle,scientifique, juridique, etc. Nous la définissonsici comme l’ensemble des phénomènes, danstous les domaines de la vie en société, concou-rant à l’accroissement des interdépendancesentre les différents acteurs et situations dumonde, et qui en cela tend à construire un sys-tème de dimension planétaire.

La mondialisation n’est pas un phénomènerécent, comme l’illustre l’importance des cultu-res dites « non natives » dans les productionsnationales (figure 1) : nombre de produitsaujourd’hui considérés comme traditionnelstémoignent d’une acculturation de plantsautrefois jugés exotiques (pomme de terre en

Belgique, manioc en Afrique). La mondiali-sation est un processus multiséculaire qui sepoursuit, se transforme, s’approfondit à cer-taines époques et s’atténue à d’autres.

L’objectif du projet MOND’Alim était decaractériser la phase que nous connaissonsactuellement, de documenter les dynamiquesà l’œuvre, d’envisager leur prolongement d’ici2030 et d’identifier un certain nombre de rup-tures déjà en germes. En nous appuyant surun groupe d’une trentaine d’experts, réunis à

neuf reprises entre octobre 2014 et novembre2015, nous nous sommes intéressés aux muta-tions qui caractérisent la mondialisation des« systèmes alimentaires », entendus comme« la manière dont les hommes s’organisent

Analyse CENTRE D’ÉTUDESET DE PROSPECTIVE—n° 100 - Mars 2017

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE

MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la mondialisationdes systèmes alimentaires

D

1. Claquin P., Martin A., Deram C., Bidaud F.,Delgoulet E., Gassie J., Hérault B., 2017, MOND’Alim2030, panorama prospectif de la mondialisation dessystèmes alimentaires, Paris, La Documentation fran-çaise.

Figure 1 - Cultures non natives dans la production nationale, 2009-2011

Part dans la productionnationale en tonnes (en %) absence

de donnéesSource :Khouri et al., 2016. ©

FN

SP. S

cien

ces

Po -

Atel

ier

de c

arto

grap

hie,

201

6

Page 2: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

2 n CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 100 - Mars 2017

dans l’espace et dans le temps pour obtenir etconsommer leur nourriture »2.

Six thématiques ont été dégagées, quistructurent l’ouvrage publié à la Documen-tation française ainsi que cette note : évolu-tions des conduites et des modèlesalimentaires ; dynamiques du commerceinternational ; internationalisation de larecherche, des bases de données et des inno-vations ; mondialisation des risques et desproblèmes publics ; acteurs publics et privésde la mondialisation ; enjeux et tendances enmatière de gouvernance.

1 - Les conduites alimentaires se globa-lisent autant qu’elles se diversifient

Actes quotidiens indispensables, les condui-tes alimentaires englobent les consommations(produits, quantités ingérées, etc.), les prati-ques (modes d’approvisionnement, normesculinaires, nombre de prises journalières, etc.)et les représentations (connaissances, valeurset images associées à l’alimentation). La mon-tée des couches moyennes, à l’échelle mon-diale, favorise les tendances à l’uniformisationde certains de ces aspects. L’urbanisation, ledéveloppement du salariat ou le vieillisse-ment des populations se traduisent aussi parla diffusion de pratiques communes et par laconcomitance d’évolutions, à l’instar de laréduction des temps consacrés à l’alimenta-tion, même si les rythmes peuvent varierselon les situations locales. Du fait des transi-tions nutritionnelles, les quantités moyennesconsommées par personne augmentent et lesgrands équilibres nutritionnels de la rationalimentaire tendent à converger au niveaumondial. L’industrialisation des systèmes ali-mentaires entraîne la diffusion à grandeéchelle de produits transformés « globaux »(ex : sodas) et la distanciation3 du consom-mateur vis-à-vis des denrées s’accroît (dis-tance géographique mais aussi cognitive etculturelle). Les alimentations particulières4

et leur revendication par des individus ou desgroupes, comme marqueur social, sont de plusen plus fréquentes : cette singularisation des

régimes alimentaires est une tendance glo-bale. Dans le même temps, on assiste à unepatrimonialisation de pratiques ou de produc-tions alimentaires, à des fins de protection(ex : classement par l’Unesco) ou économi-ques (ex : tourisme) : la confrontation desmodèles alimentaires entraîne aussi une miseen concurrence accrue des traditions et despatrimoines.

Simultanément, la mondialisation brasseles terroirs, diffuse les particularismes culi-naires, diversifie les cultures. Si l’augmen-tation de la consommation de produitsanimaux se généralise, elle se fait à des ryth-mes différents selon les pays (figure 2) et selondes trajectoires nutritionnelles variées. Lesproduits globaux, les mets et plats mondiali-sés (pizza, hamburger, etc.), sont réinterpré-tés et réappropriés5 au niveau local(ingrédients, préparation, mode de consom-mation). Dans certains pays, les modèlesalimentaires en construction sont une compo-sante forte de l’élaboration d’une identité natio-nale, dans d’autres, où ces modèles étaientconstitués de longue date, ils se transforment

voire s’érodent. La mondialisation des condui-tes alimentaires associe des tendances parta-gées à l’échelle planétaire et, dans le mêmetemps, crée des réactions, des métissages, desdifférenciations et des crispations.

Dans les prochaines années, des défis mon-diaux seront de plus en plus prégnants dansles conduites alimentaires. Déjà, les enjeuxnutritionnels se transforment, en particulierautour de la « faim cachée » (carences en vita-mines et minéraux par exemple) et despathologies d’origine alimentaire non trans-missibles (obésité, diabète de type 2, etc.).

Figure 2 - Calories animales etdisponibilités alimentaires :

de 1961-63 à 2009-11

250

01 500 2 000 2 500 3 000

500

750

1 000

Calories totales (kcal/personne/jour)

1 500

Cal

orie

s an

imal

es (k

cal/

pers

onne

/jou

r)

3 500 4 000

Bangladesh

Brésil

France

Allemagne

IndeIndonésie

Italie

JaponMexique

Nigéria

Pakistan

Espagne

États-Unis

Chine

Source : Combris P., d’après FAOSTAT

2. Malassis L., 1979, Économie agro-alimentaire (t.I).Économie de la consommation et de la productionagroalimentaire, Cujas, Paris.3. Bricas N., Lamine C., Casabianca F., 2013,« Agricultures et alimentations : des relations à repen-ser ? », Natures Sciences Sociétés, 21, pp 66-70.4. Fischler C. (dir.), 2013, Les alimentations particu-lières. Mangerons-nous encore ensemble demain ?,Odile Jacob.5. Sanchez S., 2008, « Frontières alimentaires et metstransfrontaliers : la pizza, questionnement d’unparadoxe », Anthropologie et Sociétés, vol. 32, n° 3,pp 197-212.6. Giddens A., 1994, Les conséquences de la moder-nité, L’Harmattan.

Figure 3 - Exemples d’actions locales, 1991-2015

Encadré 1 - Vers un mangeur glocalisé ?La mondialisation crée une ambivalence

pour les individus, entre ouverture aumonde et attachement à des spécificitésterritoriales. Si les comportements sontlocalisés géographiquement, ils sont éga-lement influencés à distance6. S’affirmeun mangeur de plus en plus « glocalisé »,à la fois enraciné dans le local et influencépar le global. Cette tendance est renfor-cée par des acteurs de la société civile,portant un regard global sur l’alimenta-tion et le consommateur, ainsi que par dessystèmes informationnels et normatifsétablis à l’échelle planétaire. Le dévelop-pement des outils numériques est une cléde la construction de ce mangeur plus exi-geant, plus politique, avec plusieurs ten-dances à l’œuvre : une expression facilitéedes préférences individuelles auprès d’ungrand nombre d’interlocuteurs ; de nou-velles formes d’action collective passantpar des vecteurs dématérialisés ; le renou-veau de l’économie et de la consomma-tion collaborative, etc.

Page 3: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 100 - Mars 2017 n 3

Plus largement, les tendances à la médicali-sation et à la diététisation de l’alimentationse renforceront. De nouvelles valeurs conti-nueront à se mondialiser et à influencer lesconduites alimentaires : la référence au« local » et à la « proximité » d’une part(figure 3), à l’environnement et au dévelop-pement durable d’autre part.

2 - Une dépendance accrue au commerceinternational mais pas de vaste marchéglobalisé

Le commerce international de produits agri-coles et alimentaires n’a cessé de progresserces dernières décennies : en volume, il a étémultiplié par sept en 50 ans. Ces quinze der-nières années ont vu son centre de gravitébasculer du Nord vers le Sud, de l’Atlantique(21 % du commerce intercontinental) vers lePacifique (32 %). Cette mutation de la géo-graphie des échanges (figure 4) est surtoutle fait d’un nombre encore limité de pays : leBrésil (devenu troisième exportateur mon-dial) et la Chine, véritable pôle attracteur pla-nétaire (10 % des importations mondialesenviron mais jusqu’à 60 % pour le soja).D’autres pays connaissent également desdynamiques notables : Argentine, Indonésie,Malaisie, Inde, Turquie, etc.

L’émergence de ces nouveaux géants necontrarie pas la tendance à la dispersion ducommerce international entre un nombre tou-jours plus important de pays : les vingt prin-cipaux importateurs représentaient, en 1960,environ 90 % du commerce mondial contremoins de 70 % aujourd’hui. Cette multipli-cation des flux se traduit par une diversifica-tion des produits échangés (figure 5). La partdes céréales et des produits tropicaux d’ex-portation (café, thé, cacao) a diminué, au pro-fit du complexe oléagineux (incluant huiles ettourteaux) et des produits considérés commepeu sensibles en termes sanitaire et d’appro-

visionnement (boissons non alcoolisées, pro-duits ultra-transformés, etc.). Ces derniers sontindirectement favorisés par le fait que les pou-voirs publics portent surtout attention aux pro-duits à risques (viande bovine) et aux « basesalimentaires » (blé, maïs, riz).

L’implication et le contrôle des pouvoirspublics sur le commerce alimentaire sont uneconstante, même si les outils changent :baisse limitée des droits de douane, haussesoutenue des mesures non tarifaires. Selonla Banque mondiale, ceci explique la faiblesserelative de ce que les experts appellent« l’intégration économique » : les prix agri-coles à l’intérieur des frontières sont encorelargement décorrélés des prix internationaux.Ce constat n’est pourtant pas un signe d’in-dépendance entre marchés domestiques etmondiaux. Porkka7 résume ainsi l’évolutionpassée : « en 50 ans, le monde est passé del’insuffisance alimentaire à une dépendancecroissante au commerce mondial ». En 2010-2011, 30 % de la population mondiale (20 %en 1990) vivait dans un pays important aumoins 20 % de sa consommation de céréales.Dans le même temps, du fait de la structu-

ration de chaînes globales de valeur, plus de20 % de la valeur des exportations agroali-mentaires d’un pays a été préalablementimportée. Plusieurs indices, et en premierlieu l’inégalité des dotations en facteurs deproduction (terres, eau, travailleurs, capital)laissent penser que cette tendance à unedépendance accrue au commerce internatio-nal se poursuivra d’ici 2030, en dépit duralentissement constaté actuellement, toussecteurs confondus.

3 - La consolidation et la ré-inventiondu paradigme agro-industriels’accompagne d’une mondialisationdes modèles alternatifs

Les innovations et les données sont plusmobiles que les biens, la terre et les hommes.Certaines sont au cœur des processus demondialisation des systèmes alimentaires,

7. Porkka M., Kummu M., Siebert S., Varis O., 2013,From Food Insufficiency towards Trade Dependency: AHistorical Analysis of Global Food Availability, PLoSONE, 8(12).

Figure 4 - Évolution des échanges intercontinentaux :une bascule vers l’Asie et le Pacifique

Afrique

Océanie

Am. duNord

Am. latineet Caraïbes

Asie

Europe

Afrique

Océanie

Am. duNord

Am. latineet Caraïbes

Asie

Europe

80

40

5inf. à 1

Valeur des échangesde produits agricoleset alimentairesaux prix de 2012-2013(en milliards de $)

2012-20131995-1996

Source : UN Comtrade, http://comtrade.un.org © F

NSP

. Sci

ence

s Po

- A

telie

r de

car

togr

aphi

e, 2

016

Figure 5 - Évolution du panier de biens à trois dates : 1970, 1990 et 2010 (à prix constants)

1970 1990 2010

Poissons,produits de la meret de l’aquaculture Sucres et dérivés

Produits tropicaux &plantes à parfum,aromatiques et médicinales Vins, spiritueux, etc.

Fruits, légumes et tubercules

Lait et dérivés, œufs

Viandes

Oléo-protéagineux et dérivés

Huiles et graisses

Boissons

Céréales et dérivés

3 % 2 %5 %

4 %5 %

15 %

16 %

19 %

18 %

5 %8 %

4%6 %5 %

5 %

6 %

17 %

14 %

15%

20 %

3 %6 %

7%

9 %

8 %

5 %

7 %

18 %

13 %

12%

14 %

3 %

5 %

Source : auteurs d’après les données FAOSTAT Note : commerce intra-communautaire inclus

Page 4: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

4 n CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 100 - Mars 2017

notamment les technologies de l’informationet de la communication (encadré 3). Parexemple, dans l’agroalimentaire, le marke-ting mobilise de plus en plus le big data, soustoutes les latitudes, pour toucher les consom-mateurs et personnaliser les publicités. Lespréférences des individus sont cernées pardes algorithmes traitant les traces de naviga-tion des internautes. Accompagnant la diffu-sion mondiale des smartphones et de l’accèsà Internet, ces techniques prédictives favori-seront la mondialisation des systèmes et descomportements alimentaires.

La mondialisation s’opère aussi par diffu-sion de technologies et d’équipements. Réputésmodernes et efficaces, ceux-ci sont produitsdans un foyer d’innovation (le plus souvent lesÉtats-Unis et l’Europe), et destinés à rempla-cer les dispositifs traditionnels dans le mondeentier. Ainsi, un tracteur importé prend laplace de la traction animale en Inde et le sojaOGM supplante la polyculture-élevage enArgentine. Cette globalisation technique, quipasse souvent par une artificialisation desconditions d’arrivée, s’accompagne toujoursd’une adaptation locale.

Ce processus diffusionniste s’appuie surun régime global d’innovation porté par lesbudgets des multinationales (figure 7), où lebrevet tient une place centrale et où les parte-nariats public-privé (PPP) deviennent lamodalité privilégiée de financement. Ce mode

dominant favorise certaines innovations plu-tôt que d’autres, avec de nombreux sentiersde dépendance et des verrouillages socio-tech-niques qui inhibent le développement desalternatives.

Au-delà de la circulation des innovationstechniques, une autre mondialisation, pluscentralisée, construit de véritables structu-res planétaires intégrées : systèmes d’infor-mation internationaux, plateformes destatistiques publiques et de données privées,programmes scientifiques, R&D globale desgrandes firmes associant centres de référencemondiaux et pôles régionaux, réseaux dechercheurs. Ce faisant, s’élabore une « ingé-nierie globale », portée par l’affirmation degrandes causes planétaires : « nourrir lemonde demain », « lutter contre la défores-tation », « ralentir l’épuisement des ressour-ces », « atténuer le changement climatique »,etc. À ces nouveaux problèmes publics mon-diaux, élaborés notamment par la commu-nauté scientifique, répondent de nouveauxparadigmes fédérateurs, eux-mêmes de plusen plus mondiaux (ex : bioéconomie).

En réaction, des contre-tendances s’affir-ment : revalorisation de l’autonomie paysanne,agricultures urbaines, défense des circuitsde proximité, etc. Si les outils numériquesaccélèrent la mondialisation, en permettantde communiquer à moindre coût, ils font aussicirculer les critiques adressées à cette mon-dialisation. Certaines de ces tendances se cris-tallisent dans de nouveaux paradigmesfédérateurs et se voulant universels, commel’agro-écologie. D’ici 2030, l’opposition entreces différents modèles laissera place à deshybridations, avec des convergences autour

Encadré 2 - Commodités et produitsdifférenciés : deux logiques opposées

Certains produits connaissent une diffé-renciation qui s’explique par des qualitésspécifiques recherchées par les grandesentreprises agro-alimentaires ou de la dis-tribution, ou encore par une logique derecettes. Dans le même temps, on assisteà une « commodification » de certainesmatières premières, un phénomène déjàancien (Aashish Velkar8 le fait remonter auXIXe siècle pour le blé) qui s’approfondit ets’étend à de nouveaux produits (poudre delait, huile de palme). La commodificationconsiste à ne retenir, pour un produitdonné, qu’un nombre limité d’attributs, par-tagés ou imposés à l’ensemble des acteurs,et permettant de définir un nombre égale-ment limité de standards ou grades. Cetteréduction de l’hétérogénéité permet lemélange des lots et, le cas échéant, l’éta-blissement de prix de référence partagés.Les conséquences de ces deux logiquessont différentes : la différenciation conduità une multiplication et une juxtapositionde flux, en concurrence parfois très limi-tée, et aux prix partiellement décorrélés,alors que la commodification permet unecorrélation accrue des évolutions de prixet une mise en concurrence des origines.

8. Velkar A., 2010, “ ‘Deep’ integration of 19th cen-tury grain markets: coordination and standardisationin a global value chain”, Economic History WorkingPapers, 145/10, London School of Economics andPolitical Science.

Encadré 3 - Agriculture de précision et relégitimation de la Révolution verte

Le terme « Révolution verte » désigne un projet de modernisation agricole reposant surdes transferts de technologie des États-Unis vers les pays de leur sphère d’influence, avecl’appui de grandes organisations philanthropiques. Elle transforme en profondeur les agri-cultures familiales, plus productives mais aussi plus dépendantes des intrants de synthèse.Aujourd’hui, ce modèle de développement est remis en question, notamment à cause deses impacts environnementaux.

La diffusion mondiale de ce paradigme dépendra donc, à l’avenir, de sa capacité à déga-ger de nouvelles pratiques de référence. Dans les années 1990, des paquets techniquesrénovés ont été mis au point. Parmi ceux-ci, l’agriculture de précision s’appuie sur le GPS,les capteurs embarqués et les outils d’aide à la décision pour apporter la juste dose d’en-grais ou de pesticides. Se profile, une agriculture connectée et robotisée associant fluxd’informations numériques et actions automatisées, dans le but d’optimiser, d’un point devue économique et environnemental, les interventions sur le vivant (figure 6).

Ces technologies peuvent-elles être adoptées par les petites fermes familiales, qui repré-sentent 99 % des exploitations dans le monde, comme l’ont été, dans l’après-guerre, lespaquets techniques de la première Révolution verte ? La compatibilité entre ces techno-logies et le maintien d’une petite agriculture familiale sera un des enjeux de 2030.

pulvérisateur roboculteurs surveillance à distance observationdes conditions sanitaires

actions prescrites par l’OAD information qui «remonte» vers l’outil d’aide à la décision (OAD)

Source : auteurs

satellite, cloud, drones

Figure 6 - L’agriculture connectée, une réalité de 2030

Figure 7 - Budgets de R&D, un ordrede grandeurs public-privé

Biotech, semences,produits sanitaires etphytosanitaires

AgroéquipementsAgroalimentairePublic

2 280

980 770

630 630 460 360

320 180 170 150

Nestlé Bayer Monsanto

Dupont USDA/ARS John Deere Pepsi Co

Pfizer CGIAR Limagrain CLAAS

En millions de dollars

Source : chiffres pour 2007, tirés de Fuglie et al., 2011,et des rapports financiers des entreprises

Page 5: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 100 - Mars 2017 n 5

de raisonnements communs, par exemple larecherche d’un meilleur bouclage des grandscycles (eau, carbone, azote) ou la préserva-tion de la biodiversité.

4 - Prise de conscience planétaire d’enjeuxglobaux et émergence de risquessystémiques

Influençant la mondialisation ou influen-cés par elle, de plus en plus de problèmes,d’abord identifiés au niveau local, sont pen-sés à l’échelle de la planète et énoncés commedes « défis pour le monde ». Par exemple, ladépendance aux roches phosphatées pose laquestion de l’épuisement, à l’horizon 2030,de cette ressource en phosphore, essentiel àla croissance des plantes et des animaux.L’état des sols du monde, substrat de la pro-duction agricole, fait aussi l’objet d’une atten-tion particulière dans le cadre des travauxdu groupe technique intergouvernementalsur les sols9 ou de l’initiative 4 pour 1 000.Il en va de même de l’érosion de la diversitégénétique et des services écosystémiques.Perçus comme des risques partagés, ceux-cifont l’objet d’une communication et de diag-nostics partagés au niveau mondial (figure 8),visant à interpeller et mobiliser les acteurs.La représentation globalisée de ces enjeux (car-tes, infographies), appuyée sur des travaux derecherche, souligne l’unicité des risques au-delà de la diversité des situations régionales.Elle met aussi l’accent sur les interdépendan-ces existantes et sur la glocalisation des ris-ques : action locale, mais effet global. Leurmultiplication entraîne une mise en concur-rence pour capter l’attention et les moyens, etpeser sur les agendas internationaux.

La mondialisation modifie les régimes derisques, par exemple en atténuant certainsd’entre eux par effet de mutualisation (rôledu commerce international en cas d’aléa cli-matique local). Mais elle conduit aussi àl’émergence de problèmes inédits, qui n’ontde sens qu’à l’échelle planétaire. L’émergenced’un système alimentaire mondial s’accompa-gne de risques « systémiques globaux » :effets à grande échelle consécutifs à la pro-pagation d’une rupture initialement circons-crite, concomitance d’événements localisés(par exemple accentuation d’une hausse desprix par des restrictions commerciales suc-cessives décidées par des États), concentra-tion des risques sur des acteurs clés, etc. Ceseffets de système rendent obsolètes les appro-ches trop sectorisées ou centrées sur unacteur. En particulier, des défis englobants,comme le changement climatique, question-nent certaines pratiques qui ont fait leurpreuve ces dernières décennies ainsi que noscapacités d’adaptation (figure 9).

La gouvernance mondiale des risques seconsolide. Cette dynamique est particuliè-rement marquée en santé animale, avec lamise en place d’une doctrine globale (OneHealth) et de nombreux instruments, profi-tant de la fluidité offerte par les technologiesde communication : bases de données parta-gées, structuration de réseaux de surveillanceet d’alerte, programmes de recherche, etc.Cependant, cette gouvernance est confrontéeà des tensions entre stratégies unilatérales

et gestion collective. Il en va de même pourles risques économiques : la stabilisation desprix domestiques est un objectif, souventprioritaire, qui peut se faire au détriment des

9. FAO, ITPS, 2015, Status of the World’s Soil Resources(SWSR). Main Report, Intergovernmental TechnicalPanel on Soils, Rome.

Figure 9 - Insécurité alimentaire etadaptation au changementclimatique à l’horizon 2050

ÉmissionsMÉD (RCP 4.5)

Adaptation

ÉLEVÉE

élevéebasse

AUCUNE

ÉmissionsMÉD (RCP 4.5)

Adaptation

vulnérabilité à l’insécurité alimentaire

Scénarios

Scénarios

AUJOURD’HUI

AUTOUR DE 2050 SANS ADAPTATION

AUTOUR DE 2050 AVEC ADAPTATION

Note : les scénarios d’émissions de GES (GIEC) sont des estimations pour la période 2041-2070.

Source : http://www.metoffice.gov.uk/food-insecurity-index/

Figure 8 - Limites planétaires par grands domaines de régulations biophysiques

chargeatmosphériqueen aérosols

Au-delà de la zone d’incertitude (risque élevé)

changement climatique

??

?

entités nouvelles

appauvrissement de la couche d’ozone

acidificationdes océans flux géochimiques

azotephosphore

prélèvements d’eau douce

changements d’usage des sols

intégrité de la biosphère

diversité fonctionnelle

diversité génétique

Sous la limite (espace de fonctionnement sûr)

Dans la zone d’incertitude (augmentation du risque) Niveau global des limites non quantité

Note : les limites planétaires se situent entre l’espace de fonctionnement sûr en vert et la zone d’incertitude en jaune. Pour chaque item, une variable quantitative est définie (ex : changement climatique et concentration atmosphé-rique de CO2 en ppm), ainsi que deux valeurs délimitant la zone d’incertitude.Le niveau actuel de la variable de contrôle est comparé à ces deux valeurs afin de déterminer la zone dans laquelle se situe chaque item.

Planet boundaries

Source : d’après Steffen et al., 2015. Reproduit avec la permission de l’AAAS

Encadré 4 - Les «risques émergents»

Les « risques émergents » sont des dan-gers identifiés depuis peu, porteurs d’in-certitudes quant à leurs effets sur la santé,l’environnement, ainsi qu’en matière d’ex-position (perturbateurs endocriniens,nanotechnologies, etc.). Ils sont des objetsde controverses scientifiques et de préoc-cupations sociétales.

Mobilisant surtout des acteurs des paysdéveloppés, ces « risques émergents »pourraient devenir un sujet majeur decollaboration scientifique mondiale d’ici2030 : en effet, ils interrogent les métho-des actuelles de détection, d’évaluationet de gestion, héritées de générationsantérieures de dangers. Ils sont égalementperçus comme de véritables problèmespolitiques, appelant l’intervention desautorités publiques, de plus en plus asso-ciées à des acteurs privés. Enfin, ces « ris-ques émergents » sont un défi pour lecommerce, un sujet de friction entre pro-tection sanitaire des populations et disci-plines commerciales internationales.

Page 6: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

6 n CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 100 - Mars 2017

intérêts commerciaux10. Si les progrès sontplus nombreux que les reculs, l’hypothèsed’un reflux de la coopération internationale,par perte de confiance ou accumulation detensions (notamment géopolitiques) n’est pasà exclure.

5 - Multiplication des acteurs, hybridationde leurs statuts, foisonnement de leursinteractions

La mondialisation des systèmes alimentai-res est aussi le résultat de volontés et de stra-tégies d’acteurs interconnectés, insérés dansun jeu complexe de relations de pouvoir : orga-nisations internationales, États, firmes multi-nationales, grandes ONG, fondations, etc.

Les préoccupations de sécurité alimentaireet de production agricole sont très ancien-nes. Aujourd’hui encore, elles sont des motifsd’action et des leviers d’influence pour lesorganisations internationales et les États.Les réflexions du groupe MOND’Alim ontconfirmé cette place essentielle des problé-matiques agricoles sur l’agenda internatio-nal, polarisées par la question alimentaire,notamment suite à la crise de 2007-2008. Siles « émergents » occupent désormais despositions stratégiques dans les échangesinternationaux agricoles, ils s’affirment ausside plus en plus sur la scène diplomatique.Leurs entreprises se positionnent dans lesclassements internationaux et ils peuventmiser sur l’excellence scientifique ou la coo-pération Sud-Sud (Brésil, Chine, Inde). CesÉtats revendiquent également un rôle plusimportant dans les relations multilatérales,que ce soit au sein des organisationsinternationales historiques ou en créant leurspropres institutions, pour mieux concurren-cer les positions des pays occidentaux.Demain, le nombre d’États avec lesquels ilfaudra compter continuera de croître et les

voies de leurs stratégies agricoles et alimen-taires se diversifieront.

L’influence des firmes dans la mondiali-sation alimentaire est également croissante.Leur capacité à structurer les chaînes globa-les de valeur ( à travers notamment des stan-dards et la mise en concurrence desterritoires) et à influencer les négociationsinternationales (expertise, lobbying, etc.) estune tendance lourde, renforcée par des effetsde concentration (figure 10), et ce même sileur implantation dans les pays en dévelop-pement est parfois encore limitée (figure 11).Dotées de moyens parfois supérieurs à ceuxde nombreux États, elles sont devenues par-ties prenantes de la gouvernance alimentairemondiale11. Ce pouvoir économique n’est pasrécent, mais il s’est renforcé et est devenuapparent, reconnu, légitimé par les acteurspublics traditionnels, par exemple dans lecadre de partenariats public-privé (encadré 6).

L’influence des grandes ONG se renforceégalement. De plus en plus actives, sollici-tées et institutionnalisées, elles sont confron-tées à des contradictions : porte-paroles duSud et des « petits » (paysans, consomma-teurs, etc.), dotées de capacités d’expertiseet de mobilisation reconnues, capables depeser sur les stratégies des organisationsinternationales, des nations et des firmesglobales, elles sont simultanément question-

nées sur leur indépendance et accusées defaire le jeu da la globalisation.

Enfin, on note l’implication croissante, dansles régulations mondiales, des territoires, eten particulier des métropoles (figure 3). Lespouvoirs métropolitains, forts de la massedes citoyens qu’ils représentent et de leurcentralité logistique, pèsent de plus en plusdans les systèmes alimentaires.

Au total, l’affirmation du « privé » (économi-que ou non) et ses implications croissantes auxcôtés du « public », rendent les limites entrecatégories d’acteurs de plus en plus floues etleurs partenariats de plus en plus instables.Tous interviennent au-delà de leur domaine

10. Gouel C., 2014, Trade policy coordination and foodprice volatility, CEPII Working Paper 2014-23.11. Basso O., 2015, Politique de la très grande entre-prise. Leadership et démocratie planétaire, PUF.12. Devin G., Placidi-Frot D., 2011, « Les évolutions del’ONU : concurrences et intégration », Critique inter-nationale, 4/2011, n° 53.13. Binet N., 2014, « Le rôle des entreprises et des fon-dations privées dans la gouvernance mondiale agri-cole et alimentaire », Mondes en développement, 165.

Figure 10 - Des producteurs agricoleset des consommateurs nombreuxpour des filières agroalimentaires

de plus en plus concentrées

Distributeurs

CONSOMMATEURSplus de 7 milliards

29 %

28 %

95 %

90 %

75 %

PRODUCTEURSplus de 600 millions

IndustriesagroalimentairesMarques

Négociants

Fournisseursd’intrants

négociantscéréales

agrochimie

semences

Part des 10 premièresentreprises (2011)

Source : ETC Group, 2013

Figure 11 - Implantations des établissements McDonald’s :une multinationale encore largement occidentale

Philipines

TaïwanHong-KongMacao

SingapourMalaysie

Afriquedu Sud

États-Unis14 350

Mexique

Brésil

Canada

France

All.1 477

Italie

R.-U.

Esp.

Chine2 142

IndeTurq. Japon

3 093

Coréedu

Sud

Russie

- 100 - 20 20 100 300 1 643

400100

25

1 000

Évolution entre 1999 et 2014 (en %) :

Nombre par pays :

La surfaceest proportionnelleau nombred’établissements

Source : McDonald’s, Financial Information Workbook, 2014,www.aboutmcdonalds.com

FNSP. Sciences Po - Atelier de cartographie, 2016©

Encadré 5 - Le partenariat public-privé,nouveau modèle de l’aide

au développement ?Le partenariat public-privé (PPP) se

développe tant au niveau des organisa-tions internationales que des agences decoopération gouvernementales, les entre-prises privées étant aujourd’hui les seu-les capables de pallier l’insuffisance desinvestissements publics12. Ce PPP reposefréquemment sur le modèle économiquedit de la « base de pyramide », selon lequelles multinationales peuvent réaliser desprofits importants en proposant massive-ment des produits adaptés aux nombreu-ses populations à faible revenu. Lesentreprises y trouvent un terrain d’appli-cation pour leurs politiques de responsa-bilité sociale et environnementale. Lesecteur associatif est souvent partie pre-nante de la démarche13. Nombres de PPP,en particulier ceux d’envergure multilaté-rale et macro-régionale, à l’image de GrowAfrica, bénéficient également de l’appuiet des financements des grandes fonda-tions privées.

Page 7: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 100 - Mars 2017 n 7

initial : entreprises participant à la définitionde politiques publiques, États portant desenjeux économiques dans leurs relations diplo-matiques, ONG certifiant les produits de cer-taines entreprises, etc. Ce mélange des rôlesaccentue les tensions, dans la mesure où cha-cun est susceptible d’être contesté, sur sa pro-pre spécificité, et fait de l’enjeu de légitimité(efficacité, représentativité, scientificité, etc.)une préoccupation partagée.

6 - Un multilatéralisme en crise etune gouvernance de plus en plushybride et fragmentée

S’il a fait preuve par le passé de sa capacitéà surmonter les blocages, le multilatéralismeest aujourd’hui fragilisé et de plus en plusconcurrencé. Ce principe de gouvernance, àvocation universelle, qui permet à chaque Étatmembre de faire valoir sa voix, est contournépar la prolifération d’accords de partenariatsbilatéraux, régionaux, voire méga-régionaux,composant une gouvernance éclatée dont lesaccords de l’OMC restent pourtant le soclecommun. De plus, élargie aux grands émer-gents, la « diplomatie de club » a été relancéepar le G20, suite aux crises financières et ali-mentaires de 2007-2008. Enfin, des initiati-ves hybrides ont émergé dans les années 2000et 2010, associant États et organisations inter-nationales, mais aussi ONG, collectivités loca-les et entreprises privées (Nouvelle alliancepour la sécurité alimentaire et la nutrition,

GACSA, etc.). Ainsi, pour un sujet tel que l’ave-nir de l’élevage, les lieux de discussion, decoopération et d’influence se sont notable-ment multipliés (figure 12).

Avec la multiplication des accords de parte-nariat économique, les États ont progressi-vement réduit les droits de douane. Le défi estdésormais celui de la convergence normativeen matières technique, sanitaire et phyto-sanitaire, mais aussi sociale et environnemen-tale. Afin de réduire les coûts de ces « barrièresnon tarifaires », les États ont la possibilitéd’harmoniser leurs normes ou bien d’enreconnaître mutuellement l’équivalence, touten protégeant celles qui reflètent des « préfé-rences collectives » jugées légitimes. Cette ten-sion entre facilitation du commerce etprotection de choix sociétaux plus ou moinsexplicités alimente la défiance croissante d’unepartie des opinions publiques contre cesaccords d’un nouveau genre (TTIP, CETA).

Cette « bataille » normative est aussi d’ini-tiative privée. Face aux demandes croissan-tes de garanties sanitaires et de durabilité,plusieurs dizaines de standards privés inter-nationaux ont vu le jour (par ex. GlobalGAP).Définies et promues par des coalitions d’ac-teurs globaux (entreprises privées, grandesONG), fédérées au sein d’initiatives telles queGFSI ou ISEAL, ces normes privées facilitentle contrôle des chaînes d’approvisionnementet contribuent à standardiser des produits etdes pratiques initialement différenciées. Cefaisant, elles influencent les rapports de force

Figure 12 - Espace d’influence en matière d’élevage

Pays-Bas (GRSB, IMS, LEAP)Suisse (IMS, LEAP, PMED)

IBA IMS LGA PMED LEAP GRSB

Canada (IMS, GRSB)

États-Unis(IMS, GRSB)

Mexique(IMS, GRSB)

Australie(IMS, GRSB)

Brésil(IMS, GRSB)

Canada (IMS, GRSB)

États-Unis(IMS, GRSB)

Brésil(IMS, GRSB)

Pays-Bas (GRSB, IMS, LEAP)Suisse (IMS, LEAP, PMED)

Australie(IMS, GRSB)

Mexique(IMS, GRSB)

Nouvelle-Zélande(GRSB, IMS, LEAP)

Irlande(IMS, LEAP, PMED)

France (IMS, LEAP, PMED)

Initiatives d’influence

Catégories

Projet de consensus

Organismes professionnelinternationaux

Membres (ou intégrant des membres)d’au moins une initiative d’influence

Membres (ou intégrant des membres)d’au moins une initiative « projetde consensus »

Membres d’initiatives dans les 3 catégories

1974IMS (Office International de la viande)

1976IBA (International Beef Alliance)

2012GRSB

2012LEAP (Livestock Environmental Assessment and Performance)

2012PMED (Programme mondial pour un élevage durable)

2012LGA (Livestock Global Alliance)

La récente multiplication des initiatives

Organisations d’éleveursActeurs de la filière*

* éleveurs, industriels, exportateurs, distributeurs

ÉtatsOrganisations internationalesONG

Les initiatives selon la nature de leurs membres

Source : compilation des auteursà partir du rapport CGAAER 2015

© FNSP. Sciences Po - Atelier de cartographie, 2016

(Global Roundtable for Sustainable Beef)

Encadré 6 - Vers un encadrementplus strict des activitésdes multinationales ?

Suite à la dérégulation des années 1980et 1990, les entreprises privées agricoleset agro-alimentaires ont largement béné-ficié de nouveaux terrains d’investisse-ment tirant parfois profit de faiblessesinstitutionnelles locales. En réponse, lavolonté d’encadrer plus strictement lesentreprises globales s’est fait jour et pour-rait se renforcer à l’avenir. Cette tendances’est manifestée notamment pour régulerles acquisitions foncières de grandeéchelle. Le groupe de travail inter-agen-ces GTIA (FAO, FIDA, CNUCED, Banquemondiale) a adopté, en 2011, les « Prin-cipes pour un investissement agricole res-ponsable », et le Comité pour la sécuritéalimentaire des « principes pour un inves-tissement responsable dans l’agricultureet les systèmes alimentaires », en 2014.Ces initiatives, comme celles visant àréguler la responsabilité sociale et environ-nementale des entreprises, constituentdes règles non contraignantes pour le sec-teur privé. Dans ce contexte, les appelsvisant à considérer les multinationalescomme des acteurs du droit international,au même titre que les États, se font deplus en plus nombreux, de même queceux promouvant un droit de la concur-rence permettant de pallier les faiblessesdes juridictions nationales faces à desentreprises au champ d’action global.

Page 8: MOND’Alim 2030 : un regard prospectif sur la …driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse...L’exercice de prospective MOND’Alim 2030, piloté par le Centre d’études

8 n CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 100 - Mars 2017

et la répartition de la valeur ajoutée au seindes filières (encadré 2).

Cette tendance à multiplier les sujets dedélibération et les arènes de discussion estune réponse aux nombreux défis adressésaux systèmes alimentaires mondiaux : vola-tilité, pauvreté, faim, emploi, environnement,logistique, changement climatique, etc. En lesregroupant sous une même bannière, les nou-veaux Objectifs du développement durabledes Nations unies (adoptés par 193 Étatsmembres en 2015), dessinent une feuille deroute partagée jusqu’en 2030. Avec 17 objec-tifs et 169 cibles, ils dévoilent aussi la myriadede thèmes à traiter et questionnent la capa-cité des États à pouvoir relever autant de défisà la fois, quand les résultats du précédentcadre (les Objectifs du Millénaire pour leDéveloppement), ont montré des résultatsmitigés pour une ambition pourtant moindre.

* **

Les développements qui précèdent permet-tent de distinguer deux grands processus demondialisation. En premier lieu, on observeune mondialisation par flux, circulation etdiffusion, qui concerne les hommes (migrants,touristes, chercheurs), les biens (produits ali-mentaires, semences, containers), mais aussides éléments immatériels. Les concepts deplats (couscous, hamburger), les paradigmes(« progrès agronomique », « bonne gestion desrisques », etc.) et les valeurs (durabilité, loca-lisme, santé) circulent également. Cetteintensification des flux utilise des canauxqu’elle contribue à renforcer : routes mariti-mes et lignes aériennes, Internet et réseaux

d’échange de données, etc. La massificationdes données et des circuits d’information est,à ce titre, particulièrement importante. Lesarènes de négociation internationales, les pro-tocoles normalisés en sont d’autres vecteurs.La mondialisation s’appuie sur ces infrastruc-tures, souvent méconnues, mais dont la maî-trise est un enjeu de pouvoir.

En second lieu, on abserve une mondiali-sation par globalisation : des acteurs commeDanone, Cargill, Bayer ou la Fondation Gatespèsent sur l’évolution des systèmes alimen-taires, en déployant des stratégies planétai-res déclinées au niveau local. La consolidationde grands programmes de recherche inter-nationaux et l’émergence de gouvernanceshybrides concourent à cette globalisation.Celle-ci transparaît aussi avec l’émergence,lente, d’une « société civile mondialisée ».L’échelle du globe est une référence de plusen plus explicite, par opportunité ou parnécessité (pour penser le changement clima-tique ou certaines épizooties). Dans ce cas,la mondialisation n’est plus seulement unesomme de flux désordonnés et dé-centralisés,mais la structuration consciente et organiséed’une sphère supérieure d’action.

Diffusion et globalisation : ces deux logi-ques concourent à l’émergence d’un systèmealimentaire mondialisé. Cette tendance lourdese maintiendra dans les prochaines années,même si le rejet de la mondialisation se faitde plus en plus sentir, dans certains milieux,et si des moteurs de son expansion passéeconnaissent une phase d’essoufflement, àl’instar du commerce international. Les indi-cateurs permettant d’établir des comparai-sons intersectorielles montrent que la« mondialisation alimentaire » est, d’un pointde vue économique, moins avancée que dansd’autres secteurs. La segmentation des chaî-nes de valeur ou l’importance des capitauxétrangers y sont par exemple moins dévelop-pées que dans le monde industriel. Les inno-vations semblent aussi s’y diffuser moins vite.

La mondialisation alimentaire est en revan-che plus poussée au plan politique. L’ali-mentation reste un marqueur culturel etidentitaire fort dans de nombreux pays, et unenjeu de sécurité et de stabilité politique etsociale pour d’autres. Elle est aussi liée à denombreux « problèmes publics » (santé-nutri-tion, climat, biodiversité, eau, sols, pauvreté,etc.) difficilement maîtrisables. Plus que d’au-tres, cette mondialisation alimentaire est doncsensible.

La mondialisation est source d’opportu-nités. Elle accélère la circulation des idées etdes innovations, elle permet de mieux man-ger (sécurisation des approvisionnements,diversification des apports, baisse des prix),de partager des solutions et d’expérimenterde nouveaux produits ou des techniques deculture ou d’élevage, d’accéder à d’autresmodèles alimentaires. Comme on l’a vu, ladiffusion des innovations et des conduitesalimentaires s’accompagne moins d’une uni-formisation que de ré-interprétations et

d’hybridations locales. Elle augmente, plutôtqu’elle ne diminue, les options accessiblesaux acteurs qui en ont les moyens. Elle atté-nue aussi certaines tensions locales. Lecommerce international mutualise certainsrisques, comme les aléas climatiques locali-sés, allège les pressions sur les ressourcesen eau ou en terre. Elle facilite aussi une meil-leure gestion d’autres risques (épizooties parexemple), à condition de disposer d’une gou-vernance efficace.

Dans le même temps, la mondialisationmenace certains systèmes sociaux et cultu-rels, qui peinent à exister dans cette mise enconcurrence des économies, des acteurs et desenjeux. La mondialisation a ses exclus, commeles petits producteurs incapables de s’alignersur les standards privés. Elle se traduit pardes verrouillages socio-techniques qui condui-sent à un appauvrissement agronomique glo-bal, à l’instar de la diversité cultivée qui adangereusement chuté ces cinquante derniè-res années. La mondialisation engendre aussides risques nouveaux : financiarisation, frau-des planétaires, concentration dans certainssecteurs, etc.

Au-delà de ses avantages et inconvénients,la mondialisation traduit la prise de conscien-ce d’une « communauté de destin » : le sen-timent que nous partageons une seule etmême planète. La construction d’enjeux poli-tiques globaux, appuyée sur une recherchemondialisée, contribue à cette consciencepartagée : lutte contre le changement clima-tique, déforestation, insécurité alimentaire,obésité, etc. Cette conscientisation d’une des-tinée planétaire n’efface cependant pas ladiversité des intérêts, la pluralité des percep-tions et des valeurs, la concurrence des légi-timités. Elle peut conduire autant à laconvergence des efforts qu’à la multiplica-tion de mesures unilatérales, à l’accumula-tion de tensions voire de conflits.

Pierre Claquin, Florent Bidaud,Elise Delgoulet, Claire Deram, Julia Gassie,

Bruno Hérault, Alexandre MartinCentre d’études et de prospective

Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la ForêtSecrétariat GénéralService de la statistique et de la prospectiveCentre d’études et de prospective3 rue Barbet de Jouy75349 PARIS 07 SPSites Internet : www.agreste.agriculture.gouv.fr

www.agriculture.gouv.fr

Directrice de la publication : Béatrice Sédillot

Rédacteur en chef : Bruno HéraultMel : [email protected]él. : 01 49 55 85 75

Composition : SSP BeauvaisDépôt légal : À parution © 2017

Figure 13 - Des niveaux de soutienà l’agriculture qui convergent

0

0,1

0,2

0,3

0,4

1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010 2014

Pays émergents(11 pays)

Pays développés(8 pays et UE28)

Le soutien à l’agriculture, tel que calculé par l’OCDE, est défini comme la valeur monétaire annuelle des transferts bruts à l’agriculture des consommateurs et des contribuables découlant des mesures d’aide à l’agriculture, quels que soient leurs objectifs ou leurs incidences économiques.

Source : Debar, Douillet, 2015 ; graphique mis à jourpar le CEP sur la base des données OCDE