Migration en République démocratique du Congo :...

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Federal Office for Migration FOM Migration en République démocratique du Congo : Document thématique 2009 La migration des enfants de la rue : contexte, trajectoires de vie et impact en RDC Cee publicaon a été co-financée par l’Union européenne

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Federal Office for Migration FOM

Migration en République démocratique du Congo :

Document thématique 2009La migration des enfants de la rue :

contexte, trajectoires de vie etimpact en RDC

17 route des Morillons, 1211 Genève 19 SuisseTél : + 41 22 717 91 11 • Télécopie : +41 22 798 61 50

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Cette publication a été co-financée par l’Union européenne

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Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas les positions de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les appellations utilisées et la présentation des données dans le rapport n’impliquent pas l’expression d’opinion de la part de l’OIM concernant des faits tels que statut légal, pays, territoire, ville ou zone particulière, ou à propos de leurs autorités, ou de leurs frontières ou confins. Toute omission et erreur reste de la seule responsabilité de l’auteur.

Ce rapport est un document de travail et, par conséquent, il ne se conforme pas nécessairement aux directives de style adoptées par l’OIM.

L’OIM croit fermement que les migrations organisées, s’effectuant dans des conditions décentes, profitent à la fois aux migrants et à la société tout entière. En tant qu’organisme intergouvernemental, l’OIM collabore avec ses partenaires au sein de la communauté internationale afin de résoudre les problèmes pratiques de la migration, de mieux faire comprendre les questions de migration, d’encourager le développement économique et social grâce à la migration, et de promouvoir le respect effectif de la dignité humaine et le bien-être des migrants.

Ce document a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne, l’Office fédéral des migrations suisse (ODM) et la Coopération belge au développement. Les opinions exprimées ci-après sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Union européenne, de l’Office fédéral des migrations suisse (ODM) et de la Coopération belge au développement.

Editeur : Organisation internationale pour les migrations 17 route des Morillons 1211 Genève 19 Suisse Tél : + 41 22 717 91 11 Télécopie : +41 22 798 61 50 Courrier électronique : [email protected] Internet : http://www.iom.int

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La migration des enfants de la rue : contexte, trajectoires de vie et impact en République Démocratique du Congo

Papier préparé par

Prof. G. Ngoie Tshibambe

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Avant-propos Grâce au  soutien  financier de  l’Union européenne,  l’Office  fédéral des migrations  suisse  (ODM) et  la Coopération belge au développement, l’OIM met en œuvre le projet «  Migration en Afrique de l’Ouest et centrale : profils nationaux pour  le développement de politiques stratégiques » dans plusieurs pays d’Afrique  de  l’Ouest  et  centrale  (Côte  d’Ivoire,  Ghana, Mali, Mauritanie,  Niger,  Nigeria,  République démocratique  du  Congo  et  Sénégal),  afin  de  promouvoir  une  approche  politique  de  la  migration cohérente et dynamique, en appui à  la planification des politiques  stratégiques au niveau national et régional.  Les profils migratoires nationaux  sont un  résultat  fondamental de cette  recherche et de ce projet de renforcement  des  capacités.  Ils  constitueront  un  outil  politique  utile  pour  suivre  les  tendances migratoires et identifier les domaines nécessitant des développements politiques subséquents. Mais, en étant principalement un outil de suivi, les profils nationaux fournissent des lignes directrices limitées au type  de  politiques  pouvant  être  développées  dans  un  domaine  particulier  (i.e.  méthodologies  et approches politiques).  La série de documents thématiques traite cet aspect particulier en aidant les responsables politiques et les praticiens à définir les priorités d’action et les options politiques dans les domaines particulièrement pertinents dans  le contexte politique national. Sous  la direction et avec  l’appui des groupes de  travail techniques  nationaux  et  interministériels  (GTTN)  ainsi  que  des  sous‐groupes  de  travail  thématiques, établis dans chaque pays cible au cours du projet, trois documents thématiques ont été rédigés par des experts locaux pour chacun des pays concernés. Le but de ces documents est d’accroître les capacités de développement de politiques, par  l’identification des bonnes pratiques et en évaluant  les perspectives de développement politiques sur des éléments présentant un intérêt particulier pour le gouvernement.    Abye Makonnen      Frank Laczko  Représentant régional      Chef de la division recherche et publications  Mission à fonctions régionales    Siège de l’OIM Dakar, Sénégal        Genève, Suisse 

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Table des matières  Liste des abréviations………………………………………………………………………………………………………………………….3 Introduction............................................................................................................................................. 4 

1. La migration des enfants : contexte historique, continuités et discontinuités………………………………...9 2. Les déterminants et la perception de la migration des enfants........................................................ 11 

3. Le profil et les systèmes de la migration des enfants ....................................................................... 15 

4. La migration, les droits de l’enfant, et ses conséquences................................................................. 18 

4.1 Les droits de l’enfant à l’épreuve de la migration ...................................................................... 18 

4.2 Les conséquences de la migration sur les enfants ...................................................................... 19 

5. Les politiques alternatives face à la migration des enfants .............................................................. 21 

5.1 La politique du laisser‐faire et sa portée..................................................................................... 21 

5.2 Le renforcement des structures d’encadrement des enfants en RDC........................................ 21 

5.3 Le renforcement d’un cadre de coopération multilatérale ........................................................ 22 

Conclusion et recommandations........................................................................................................... 24 

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Liste des abréviations 

 

CDE  Convention relative aux droits de l’enfant 

CDF  Francs congolais (RDC) 

CEEAC  Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale 

CNEN  Conseil national de l’Enfant 

CNPE  Conseil  national  pour  la  protection,  la  promotion  et  le  bien‐être  de 

l’enfance et de la jeunesse  

DSCRP  Document de stratégie pour la croissance et la réduction de la pauvreté 

 

GECAMINES  Générale des carrières et des mines 

LIZADEEL   Ligue de  la  zone Afrique pour  la défense des droits des  enfants  et des 

élèves 

OMD  Objectifs du millénaire pour le développement 

ONATRA  Office national des transports 

RDC  République Démocratique du Congo 

SNCC  Société nationale des chemins de fer du Congo 

UA  Union africaine 

USD  Dollar américain (Etats‐Unis) 

 

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Introduction Justification

La  crise  socio‐économique  rampante qui  secoue  la République Démocratique du Congo  (RDC) 

entraîne des transformations sociales dont les effets ont des répercussions sur les structures familiales, les activités et  les pratiques sociales. Les répercussions sur  les structures familiales se manifestent par l’effritement du  rôle de  l’homme et de  l’autorité patriarcale au sein de certaines  familles, mettant au premier plan  la  femme/la mère qui  joue un  rôle  important dans  la  vie  et  la  survie de  la  famille  (De Boeck, 2004, p. 187). L’homme, sans emploi ou travailleur mal rémunéré, est mis dans une posture de faiblesse économique ; sa contribution, qui se réduit, en apports d’argent pour  la survie de  la  famille, entraîne le rééquilibrage des rapports de genre au bénéfice de la femme/mère. La distinction entre les « familles patrifocales » et les « familles matrifocales », ainsi que le dégage Dibwe dia Mwembo (2001), offre la lecture de cette réalité complexe : les familles patrifocales sont celles dans lesquelles le rôle de l’homme dans  la contribution  fonctionnelle et opérationnelle à  la vie du ménage est prédominant. Ce modèle de  famille, un héritage de  la tradition et de  la culture profonde du Congolais, est concurrencé par le modèle des familles matrifocales dans lesquelles la femme/mère, qu’elle soit mariée ou non, joue un rôle de plus en plus important dans l’entretien du ménage.  

Dans certaines familles, la crise socio‐économique est telle que celles‐ci s’effondrent : la vie et la survie des enfants deviennent problématiques. Le toit  familial n’est plus tellement  le toit abritant des enfants. Beaucoup d’enfants se retrouvent en rupture de contacts avec leur famille, sinon ils désertent le  foyer parental pour  se  retrouver dans  la  rue.  Les enfants de  la  rue ou  les enfants dans  la  rue,  les « shegue »,  traduisent  ce  phénomène  qui  se  généralise  dans  la  plupart  des  centres  urbains  en  RDC, comme partout ailleurs dans  les  sociétés postcoloniales. Ces enfants, à  la  fois  fragiles et matures,  se caractérisent par  le  fait qu’ils affrontent seuls  les aléas de  la vie dans  la rue, c’est‐à‐dire en dehors du toit familial. 

En ce qui concerne les répercussions des transformations induites de la crise sur les pratiques et les activités  sociales,  tout en  reconnaissant  les effets d’enchâssement des actions entre  les différents niveaux  et  sites,  les  pratiques  et  les  activités  sociales  se  composent  et  se  recomposent, mettant  au premier  plan  le  déclassement  des  normes  sociales,  le  contournement  des  règles  et  des  lois  et  la défaillance des institutions formelles aussi bien chez les agents publics que privés (Mbembe, 2004). Sur le plan politique, l’Etat fait profil bas et dans une sorte d’action par « la décharge » se désengage de ses responsabilités en n’étant pas capable de pourvoir en services nécessaires à la population. Sur le mode de  fonctionnement des  services publics,  l’informel prévaut  sur  le  formel.  Sur  le plan  économique,  la prédominance  de  l’informel  est  évidente  également.  La  prééminence  des  activités  de  l’économie informelle  est  relevée  par  exemple  dans  la  ville  de  Kinshasa.  Ainsi,  l’enquête  1‐2‐3  a  permis  de dénombrer,  pour  la  ville  de  Kinshasa,  538  200  unités  de  production  informelles  dans  les  branches marchandes,  avec  une  prédominance  du  commerce,  ce  secteur  représentant  63,2  %  des  unités  de production. Ces unités  informelles comptaient pour 692 800 emplois, soit 71 % de  l’emploi total de  la ville ; 62 % de ces emplois sont occupés par des femmes (INS, Enquête 1‐263, 2004; Mukoko, 2009 : 653‐664).  C’est  dire  que  la  plupart  des  ménages,  dans  la  ville  de  Kinshasa,  vivent  grâce  aux  revenus provenant des activités qui s’exercent dans le secteur informel et les femmes jouent un rôle de premier plan  sur  le  site  économique. Dans  la  ville de  Lubumbashi,  au  sud du  pays,  à  la  suite d’une  enquête menée auprès des ménages, on arrive presqu’au même constat sur  l’effondrement de  l’emploi dans  le secteur formel, la disparition du salaire dans la vie et la survie des ménages et l’importance des activités informelles sur  le  fond du rôle de plus en plus  important  joué par  la  femme. Nkuku et Rémon ont pu ainsi écrire : « L’emploi n’offre plus  les mêmes avantages qu’auparavant :  le salaire ne suffit plus pour couvrir les seules dépenses ordinaires d’un ménage moyen. A côté de l’effritement du niveau du salaire, un autre phénomène fait aujourd’hui surface, celui de la suspension de paiement ou de l’irrégularité des salaires. Interrogée à ce propos, la population de notre échantillon a donné les réponses suivantes : 22 

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%  reçoivent  leurs salaires mais    irrégulièrement  ; 12,7 % ont un salaire  régulier et 65,3 % vivent sans salaire, mais  de  leurs  activités  libérales »  (2006  :  61). Que  l’on  ne  se  prête  pas  à  la  confusion :  les activités libérales en RDC ne sont rien d’autre que l’expression des activités du secteur informel.  

Pour revenir à la situation des enfants de rue en RDC, la plupart des villes du pays connaissent ce phénomène. A Kinshasa,  la capitale, ce phénomène devient  le marqueur caractéristique de cette ville. Si,  comme  le dit bien Hebdige,  les  jeunes entrent dans  les  récits discursifs de  la modernité quand  ils posent  problème  (Hebdige  cité  par  Comaroffs,  2000 :  92),  de  même,  les  Shegue,  dont  la  visibilité sociologique  est  plus  qu’évidente,  sont  devenus  l’objet  de  préoccupation  sociale  et  d’inquiétude politique  dans  la  capitale  congolaise.  A  la  fois  acteurs  et  victimes,  instrumentalisés/courtisés  et représentations de tous les fantasmes pathologiques de la société congolaise, « makers and breakers », si on doit reprendre les termes utilisés par Honwana et de Boeck (2005), les Shegue de Kinshasa posent des problèmes de sécurité, de dépravation des mœurs et de reflet de  l’échec sociétal collectif dont  la honte que l’on éprouve à leur égard conduit les autorités politiques congolaises à cacher ce phénomène, surtout vis‐à‐vis des hôtes de marque étrangers en visite officielle en RDC (Geenen, 2009 : 351).   

Au‐delà des considérations sur l’instrumentalisation dont les enfants de la rue sont l’objet et des cauchemars que ces derniers font vivre aux uns et aux autres, bref à la société, que cela prenne la forme de la criminalité et de l’insécurité, il y a lieu de noter que dans les interstices de tout ce que sont et font les enfants de  la  rue et à  côté de  la  représentation que  l’on  s’en  fait,  ils déploient de  l’ingéniosité à travers des « manières de faire », selon  les termes de Michel de Certeau (1990). Ces manières de faire consistent  dans  le  déploiement  de  l’activité  (agency)  pour  conquérir  l’espace,  un  site  qu’ils  savent investir pour vivre et survivre. S’ils n’ont plus de toit familial, ils en font un de nouveau : c’est la rue, cet espace appartenant à  l’Etat. C’est dans cet espace qu’ils  font  leurs petites activités de commerce, de banditisme, mais aussi qu’ils produisent les normes qui régissent leur comportement. 

Kinshasa est une ville à vocation administrative,  industrielle et commerciale et elle a épuisé de produire des infrastructures publiques capables de s’occuper des enfants. Les enfants de la rue, à défaut de  s’adonner à des  travaux dans  les  carrières des mines  comme au Katanga,  se mettent à  conquérir d’autres espaces, a l’étranger. A l’évidence, la RDC n’est pas ce modèle de « société capitaliste (qui) fut plus ou moins  la seule à  faire de  l’enfance un site de reproduction culturelle consciente d’elle‐même, dispensant ces  jeunes de  l’obligation de travailler et  leur permettant de pénétrer  le monde raffiné de l’éducation » (Comaroffs, 2000 : 91). Les enfants de la rue déploient de l’ingéniosité dans la conquête du monde en migrant. Ils émigrent seuls et cette migration est d’abord interne. De plus en plus, elle devient internationale. Sur le plan interne, les enfants non accompagnés vivant dans les milieux ruraux quittent l’intérieur du pays pour rejoindre certains centres urbains du pays où  ils espèrent bien se débrouiller. Ainsi,  Kinshasa  ou  Lubumbashi  reçoivent,  à  la  suite  d’une  sorte  d’exode  rural,  des  enfants  non accompagnés qui gonflent  le nombre d’autres enfants qui  se  retrouvent déjà dans  la  rue. Sur  le plan international, les Shegue de Kinshasa prennent le chemin vers le Congo‐Brazzaville, voire vers le Gabon. La  direction  vers  l’Angola  a  fait  l’objet  de  plusieurs  analyses :  ce  pays  était  un  lieu  de  destination privilégié pour  la  recherche du diamant que  l’on pouvait y avoir ; des expressions  comme  les « Bana Lunda »  (‘‘les  enfants  de  Luunda’’)  ont  fait  flores  dans  la  littérature  (Sabakinu,  2001 :  127‐170 ;  de Boeck, 2001 : 171‐208). « Luunda »  représente  le nom d’une ethnie dont  les membres  se  retrouvent aussi  bien  en  RDC  qu’en  Angola ;  ce  terme  est  la métaphore  qui  représente  géographiquement  cet espace en Angola où les Congolais se rendent à la recherche du diamant (Sabakinu, 2001).  

Que ce soit sur le plan interne ou international, des enfants de la rue sont en mouvement mus par une même logique : ils migrent pour chercher à se débrouiller et travailler dans les centres urbains en RDC ou dans certaines villes dans les pays limitrophes de destination ; ils migrent aussi à la recherche des marchandises  qu’ils  peuvent  bien  revendre  en  RDC.  Des  fois,  ils  accompagnent  des  personnes adultes  handicapées  qui  traversent  vers  le  Congo‐Brazzaville.  Cette mobilité  qui  n’a  pas  encore  fait l’objet d’attention des chercheurs et des pouvoirs publics participe de pratiques hybrides de migration irrégulière, car encore « mineurs », ces enfants ne  font pas  l’objet de contrôle de  la part des services publics chargés de la migration aussi bien du côté de la RDC que de celui du Congo‐Brazzaville. Lorsque ces  enfants  se  présentent  aux  postes  frontaliers,  ils  ne  sont  pas  l’objet  d’attention  des  services  des migrations qui les laissent passer. Bien sûr, dans le cadre de la gestion des relations transfrontalières, les 

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habitants de Kinshasa bénéficient d’un  régime migratoire  spécial :  ils peuvent  se  rendre à Brazzaville sans visa, mais en étant détenteurs d’un laisser‐passer que l’on achète à l’équivalent de 5 USD pour un séjour ne dépassant pas deux semaines. La réciprocité s’applique également au bénéfice des habitants de Brazzaville lorsqu’ils veulent venir à Kinshasa. Ainsi, les shegue franchissent allégrement la frontière et  acquièrent  l’habitude  de  ces  va‐et‐vient,  développant  ainsi  la  capacité  de  savoir‐circuler  qui  les prédispose à ambitionner à l’avenir de migrer plus loin comme en Europe, en Amérique, voire au Japon. 

L’appétit vient en mangeant, dit‐on. L’appétit migratoire qui se développe chez les enfants de la rue devient si glouton que certains  jeunes se disent prêts à exploiter toute opportunité pour effectuer des voyages au‐delà du continent africain. Ce rêve ne peut être négligé et balayé d’un revers de main. Alors qu’en RDC, des campagnes ont été menées par des organisations non gouvernementales  locales soutenues  par  certains  gouvernements  de  l’Union  Européenne  (la  Belgique  et  la  France),  opération dénommée « Vanda na Mboka », une expression en Lingala, une  langue nationale dont  la signification est « Restez et Vivez au pays » (Bindungwa, 2008), le laxisme, sinon l’indifférence dont font montre les services  publics  de  la  RDC  en  laissant  les  enfants  de  la  rue  de  Kinshasa  se mouvoir  aisément  entre Kinshasa, Brazzaville et Libreville ne porte‐t‐il  les germes d’un développement de  la culture migratoire chez  cette  catégorie des enfants de  la  rue qui  font partie de  la  force d’avenir de  la RDC ? Alors que « l’immigration irrégulière figure parmi les priorités des agendas politiques des pays européens et (est) de plus en plus présente dans ceux des pays du continent africain » (Meier et Van Lidth de Jeude, 2008 : 9),  ne  convient‐il  pas  de  jeter  un  regard  sur  cette mobilité  des  enfants  de  la  rue,  une  pratique  qui deviendrait le terreau pour des comportements d’envergure susceptibles d’entretenir la dynamique de la migration irrégulière dont la RDC paraît être un pays pépinière ?  

Au niveau  interne en RDC, devant  le drame des enfants exploités, un  regain d’attention a été manifesté  par  les  services  publics  soutenus  par  certaines  organisations  non  gouvernementales  de manière à avoir des politiques publiques dans  le domaine de  la gestion de  la protection des droits de l’enfant congolais. C’est le cas de la lutte contre l’utilisation des enfants dans les carrières d’exploitation minière. Groupe One, une organisation non gouvernementale belge évoluant au Katanga a  lancé une opération  consistant  dans  l’identification  et  le  retrait  des  enfants  mineurs  de  toutes  les  carrières d’exploitation  artisanale  des minerais  en mettant  à  la  disposition  des  enfants  ainsi  désengagés  de l’argent  et  des  kits  scolaires  complets  (Chroniques  du  Katanga,  2009).  Dans  la même  province  du Katanga, le gouvernement provincial a ouvert un centre d’encadrement et de réinsertion des enfants de la rue de manière à leur assurer un cadre de vie tout en leur donnant la possibilité d’apprendre certains métiers  (www.katanganews.com).  A  Kinshasa,  des  opérations  de  coups  de  poing  ont  conduit  les autorités à récupérer les enfants de la rue, soit pour les amener dans des centres de formation militaire, soit  dans  des  centres  agricoles  à  l’intérieur  du  pays  (Geenen,  2009 :  352‐353).  Ces  mesures,  pour ostentatoires qu’elles sont, sont des demies mesures et ne savent du moins ne peuvent pas résoudre le fond du problème des enfants de  la  rue dans  le pays. Car, à  l’évidence,  il  s’avère que  les  institutions publiques en RDC ne semblent pas prendre la mesure des responsabilités qu’elles doivent assumer face aux droits des enfants. Et pourtant la RDC a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant par l’ordonnance‐loi n° 90/48 du 22 août 1990.  

Alors que  la Convention relative aux droits de  l’enfant (CDE) contient des dispositifs pertinents dont  les  idées clés sont entre autres ainsi  libellées, « les Etats parties s’engagent à respecter  les droits qui  sont  énoncés…  et  à  les  garantir  à  tout  enfant… ;  les  Etats  parties  prennent  toutes  les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé… ; dans toutes les décisions qui concernent les enfants, …  l’intérêt supérieur de  l’enfant doit être une considération primordiale… »  (art. 2 et 3 de  la CDE),  il convient de noter que  l’enfant  ‐ et surtout  l’enfant de  la  rue  ‐ en RDC ne  fait pas  l’objet des bénéfices de ses droits. L’œuvre de vulgarisation des droits de l’enfant et de la femme en RDC à laquelle s’adonne la Ligue de la zone Afrique pour la défense des droits des enfants et des élèves (LIZADEEL) ne rentre‐t‐elle pas dans  l’ambition de  couvrir  le déficit  criant des  souffrances de divers droits dont  les enfants sont objet ?   

Il  importe à ce niveau de donner une définition de  l’enfant de  la rue et de  la migration de cet enfant. L’enfant de la rue est un mineur d’âge qui pour des multiples raisons se retrouve en rupture des relations avec sa famille et passe sa vie dans la rue. Il est sans toit parental où il pourrait s’abriter. Il y a 

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des enfants nés sous un toit parental qui se retrouvent jetés dans la rue tout comme il y a des enfants nés dans la rue. Mondimo Abendje estime que le phénomène de l’enfance de la rue à Kinshasa comme dans d’autres villes de  la RDC est  la  traduction de  la délinquance  juvénile. Et  il écrit : « la plus grande fréquence d’apparition de  la délinquance se situe dans  la tranche de 10 à 21 ans. Cet  intervalle d’âge comprend deux classes à savoir, de 10 à 17 ans qui correspond à la puberté et à l’adolescence et 18 à 21 ans qui correspond à  la  jeunesse » (Mondimo Abendje, 2000). A  l’analyse,  il y a des mineurs parmi  les enfants de la rue et des jeunes majeurs, ceux ayant dépassé 18 ans.  

En ce qui concerne la migration des enfants de la rue ou non mais sans être accompagné, nous allons  définir  cette  notion  à  la  suite  de  Castaldo  et  al.  comme  le  déplacement  de  n’importe  quelle personne  appartenant  à  l’âge  de  la minorité  dans  la mesure  où  cette  personne migre  de manière autonome et à  la suite d’une décision prise  individuellement sans autorisation, ni être accompagné de ses parents ou tuteurs (2009 : 5). Il importe de noter qu’il est possible de trouver des occurrences de la migration des  enfants mineurs qui  se  fait  après une décision  prise par  les parents  (Hashim,  2005  et 2006), mais  ce  n’est  pas  l’objet  de  notre  étude.  Il  sied  de  noter  qu’ici,  nous  allons  nous  intéresser essentiellement à  la mobilité  internationale tant que cela relève de  l’initiative propre de  l’enfant de  la rue.  

Comme il sera relevé dans le premier point, le mouvement international des enfants est le reflet et  la  continuité  du mouvement  interne  auquel  les  enfants  se  sont  donnés  intensément  en  ce  pays depuis longtemps. Devant l’ampleur de la mobilité de ces enfants, il est important de prendre acte de la mesure  du  phénomène  de  cette migration.  Si  on  était  sous  d’autres  cieux  comme  en  Europe,  on parlerait aisément de la migration des enfants non accompagnés (voir le débat intéressant ouvert par le rapport cité de Meier et Van Lidth de Jeude, 2008). Mais en RDC, c’est depuis longtemps que ces enfants sont  seuls,  non  accompagnés,  car  abandonnés  et/ou  se  retrouvant  dans  la  rue. Alors  des  questions suivantes vont éclairer cette étude : qui sont‐ils et que  font‐ils  (garçons/filles) ? Pourquoi partent‐ils ? Comment procèdent‐ils pour partir ? Où vont‐ils ? Quels sont les défis que pose la migration des enfants de  la  rue ?  S’agit‐il  d’une  migration  régulière  ou  d’une  migration  irrégulière ?  Quelles  alternatives (économiques,  politiques,  sociales…)  peut‐on  envisager  pour  faire  face  à  ces  pratiques  de mobilité internationale des enfants à partir de Kinshasa ou d’autres points de départ en RDC ? 

 Objectifs de l’étude

 L’objectif général de cette étude est de décrire et d’analyser le phénomène de la migration des 

enfants  de  la  rue  de  Kinshasa  afin  de  proposer  des  solutions  alternatives.  Alors  que  dans  leur  ville d’origine,  les  enfants  de  la  rue  sont  déjà  abandonnés  par  leur  père  aussi  bien  biologique qu’institutionnel  (l’Etat et  ses  institutions),  la décision qu’ils prennent de migrer devient une volonté d’explorer d’autres horizons pour voir si cela peut aller mieux ailleurs. Il serait trop simple de considérer cette décision comme un drame tant ces enfants vivent au quotidien des drames. Ce n’est pas non plus une  expérience  trop productive d’avantages pour  les  enfants. Une perspective de  juste milieu  serait appropriée devant ce phénomène. 

De façon plus spécifique, l’étude vise à comprendre les raisons qui poussent les enfants de la rue à  tenter  l’aventure de  la migration, à  travers  la description du phénomène et des pratiques diverses pour réussir dans le savoir‐circuler et l’analyse de ses déterminants et conséquences.   

Nous introduirons une approche juridique, ce qui va nous conduire à voir comment au niveau de la sous‐région de l’Afrique centrale, il peut être envisagé la possibilité de produire des normes au niveau de  la Communauté Economique des Etats de  l’Afrique Centrale  (CEEAC) pour  renforcer  le cadre sous‐régional de la protection des droits des enfants. 

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Méthodologie

Cette  étude  a  été menée  essentiellement  dans  la  ville  de  Kinshasa,  un  point  de  départ  des enfants de la rue. Pendant deux mois (avril‐mai 2009), une petite équipe d’enquêteurs1 a travaillé dans la Commune de la Ngombe aux abords du Beach Ngobila pour s’entretenir avec des enfants de la rue qui se  débrouillent  et  qui  traversent  de  temps  à  autre  vers  Brazzaville.  Cent  enfants  ont  ainsi  été interviewés. Sur ce nombre, 11 ont été des fillettes de la rue. Par ailleurs, nous nous sommes entretenus avec dix hommes adultes, dont neuf qui ont des enfants qui vivent dans  la rue et un homme ayant un handicap physique. Ce dernier, en voyageant souvent entre Kinshasa et Brazzaville, utilise les enfants de la rue comme porteurs des bagages. La méthode de boule de neige a été appropriée pour nous orienter dans  le  ciblage  des  sujets  à  enquêter.  Par  ailleurs,  nous  avions  effectué  un  bref  séjour  au  Congo‐ Brazzaville de deux semaines (juillet 2009). Pendant ce temps, des entretiens semi‐structurés avec des collègues  travaillant  sur  les  questions  de migrations  à  l’Université  de  Brazzaville  et  l’observation  de terrain au port de Brazzaville ont permis de  fixer des  idées sur certains pans de ce phénomène. Cette approche qualitative du phénomène assise sur  l’utilisation des méthodes de collecte des  informations comme  l’entretien,  l’observation  et  les  récits de  vie  a  été  complétée par  l’analyse documentaire.  Le phénomène de l’enfant de la rue à Kinshasa fait l’objet d’une attention scientifique considérable par le nombre d’ouvrages publiés sur ce sujet mais moins sur l’angle de la migration (De Boeck, 2004). 

Cette  étude  ne  s’est  pas  faite  sans  difficultés  au  premier  rang  desquelles  il  sied  de  citer  les lacunes d’ordre quantitatif: obtenir des chiffres  fiables, précis et exhaustifs sur  la mobilité des enfants en mouvement de Kinshasa vers  le Congo‐Brazzaville est une gageure. L’administration des services de la migration  au  Beach Ngobila  à  Kinshasa  est  prompte  à  vendre  les  jetons  de  traversée  appelés  les « laisser‐passer », mais  ne  s’empresse  pas  de  prendre  et  garder  des  traces  sur  le mouvement  des personnes.     

 Structure du rapport  

Cette étude sera présentée en six points. Le premier point aborde  le contexte historique dans lequel  est  apparu  le  phénomène  de  la migration  des  enfants  de  la  rue  ainsi  que  les  continuités  et discontinuités qui  se profilent.  Le deuxième point analyse  les déterminants et  la perception de  cette migration. Dans  un  troisième moment,  il  sera  question  d’identifier  les  acteurs  et  les  systèmes  de  la migration  des  enfants.  Le  quatrième  point  utilise  l’approche  juridique  pour  présenter  les  droits  de l’enfant  face  aux  enjeux  de  la  migration  de  l’enfant.  Dans  le  point  suivant,  il  sera  analysé  les conséquences de  la migration des enfants par  rapport  au pays de départ  et  au pays de destination. Enfin, avant  la conclusion et les recommandations, nous présenterons  les politiques alternatives face à la migration des enfants. 

1  Cette  équipe  a  été  constituée  de  l’Assistant  Charles  Nkunda,  de  la  Bibliothèque  nationale  du  Congo,  de Mademoiselle Kasa Tumba, bibliothécaire et de M. Vincent Ejiba, tous de Kinshasa. 

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1. La migration des enfants : contexte historique, continuités et discontinuités  

Avant  la migration  internationale  des  enfants  de  la  rue  en  RDC,  il  a  été  observé  d’intenses mouvements  de  ces  enfants  sur  le  plan  interne.  C’est  à  partir  des  années  1980,  sous  la  deuxième République,  que  le  pays,  sous  les  fourches  caudines  des  programmes  d’ajustement  structurel,  entre dans  une  phase  de  déclin  économique.  Cette  phase  atteint  le  sommet  des  contradictions  dans  les années  1990  lorsque  le  régime  politique  a  des  difficultés  pour  bien  gérer  la  demande  populaire  de démocratie. Le forum de dialogue national appelé conférence nationale souveraine ne sait pas sortir un cadre  institutionnel  nouveau  pour  introduire  la  nouvelle  donne  démocratique  que  réclame  la population.  Cette  impasse  politique  a  des  répercussions  drastiques  sur  les  conditions  de  vie  de  la population. Des pillages de grande ampleur ont lieu sur l’ensemble du pays mettant à genou les activités économiques par ailleurs non performantes dans ce pays. Dans la fonction publique, les agents de l’Etat connaissent des longs mois de non paiement des salaires. Les grandes sociétés publiques comme l’Office national de Transports (Onatra dans le secteur de transport fluvial et lacustre), la Société nationale des chemins de fer du Congo (dans  le secteur ferroviaire) et les grandes sociétés du secteur privé sont aux arrêts, jetant au chômage un grand nombre, sinon tous leurs travailleurs. Dans la province du Katanga, les conflits  interethniques entretenus par  les hommes du pouvoir de Mobutu finissent par désarticuler le fonctionnement de la grande entreprise minière, la Générale des carrières et des mines (Gécamines). Et pourtant cette société fonctionnait en innervant beaucoup d’autres petites et moyennes entreprises locales. Une rébellion économique et monétaire a  lieu dans le pays :  il y a deux monnaies qui circulent créant deux espaces monétaires dans un même pays  (Kabuya et al., 1994 : 607‐616). La descente aux enfers économiques augmente la pauvreté des ménages congolais. 

Dans  ce  contexte,  certaines  familles  deviennent  incapables  de  pourvoir  aux  besoins  de  leurs enfants. Ces « temps de malheur », pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe (2001), se déroulent, en RDC/Zaïre,  sur un  fond de  la  violence. Comme  l’écrit  Sabakinu, « Dans  les  années  1985‐1996,  les violences sociales se généralisent progressivement à la fois dans les villes et dans les milieux ruraux. Les pillages de 1991 et de 1993 manifestent le chômage et la pauvreté qui affectent la masse des gens, mais vont rendre encore plus précaires  leurs conditions d’existence. De plus,  l’escroquerie de  la population kinoise  organisée  dans  le  cadre  des  opérations  Bindo  aggrave  la  pauvreté  et  la misère  qui  frappent indistinctement ceux qui ont étudié et les ouvriers. Même les solidarités familiales sont de plus en plus inefficaces. Nourrir sa famille devient un cauchemar, financer l’éducation des enfants est de plus en plus considéré comme un luxe. On comprend dès lors le processus d’émergence de stratégies de survie, qui ont l’allure de ‘sauve qui peut’ » (2001 : 133).   

Les  stratégies  de  survie  dans  un  «  sauve  qui  peut  »  généralisé  affranchit  les  gens  de  leurs responsabilités sociales. L’Etat congolais s’est déjà décomposé ;  les parents désistent  lentement face à leurs devoirs de s’occuper des enfants ; les enfants s’affranchissent de la position de receveurs, de ceux dont on doit s’occuper. Dans les années 1990, une sorte d’exode rural des enfants a été ainsi observé : quelques villes du pays attiraient les enfants qui quittaient ainsi les milieux ruraux. Mbuji Mayi, le chef‐lieu de  la province du Kasaï Oriental,  riche en diamant, attirait  les enfants qui  se  versaient dans des activités proliférant en étant liées au secteur diamantaire de cette ville ; Lubumbashi voyait les enfants quitter  le  Congo  profond  en  prenant  le  train  qui  reliait  les  deux  Kasaï  au  Katanga.  Kinshasa  était  le déversoir  recevant  les enfants venant de  l’intérieur. A bord des bateaux de  l’Onatra, des enfants non accompagnés se débrouillant, étaient des passagers les plus visibles dans le tronçon reliant l’intérieur du pays à Kinshasa.   

Les enfants de la rue qui deviennent une réalité marquant le paysage urbain à Kinshasa comme à  Lubumbashi  participent  ainsi  de  conséquences  de  l’exacerbation  de  la  crise  socio‐économique interminable  qui  frappe  le  Congo.  Nous  n’entrons  pas  dans  les  analyses  sur  les  conditions  de  la 

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production des enfants de la rue (De Boeck, 2004) ; mais ce qu’il sied de noter est le fait que ces enfants de  la rue apparaissent dans  les rues de  la ville de Kinshasa soit comme des rebuts (rejets) des familles urbaines  kinoises  fortement  secouées  par  la  crise,  soit  comme  des  rejetons  des milieux  ruraux  se trouvant à Kinshasa à la suite de l’exode rural. La présence des enfants dans la rue est liée de fois à des considérations  de  sorcellerie  dont  les  enfants  sont  accusés  (De  Boeck,  2004 :  183‐191).  Au  fur  et  à mesure  que  s’installe  la  crise,  les  enfants  de  la  rue manifestent  leur  ingéniosité pour  conquérir  leur espace de vie et de survie en adoptant une stylistique de soi qui en fait des sujets moraux distincts sur le champ social congolais. Ils s’adonnent à la « coop », un mot raccourci de la débrouille et de différentes pratiques et  transactions dont  l’effet est d’obtenir de  l’argent. Des musiciens  congolais ont  consacré quelques  chansons  à  ces  nouveaux  sujets.  C’est  le  cas  de  Papa Wemba  avec  une  chanson  sur  les « Shegue ».  L’orchestre Wenge Musica  de  J.B. Mpiana  chante  les  « Bana  Luunda ».    Voici  quelques strophes de la chanson « Bana Luunda », qui disent long sur le contexte de la crise au pays et le rôle de la mobilité comme portefeuille d’assurances pour faire face au «ça ne va pas au pays » : 

 « Kelasi tosala ba diplômes evanda ko na ndako ; Misala mizali te ba compagnies etonda ; A naga ne kende na ngai cantonnier na Luunda ; Bic ne ngai bêche na nga ; cahier na nga nde tamis ; de mon retour au pays ; na sepela  lolenge esi esengi ; na somba ndako na ngai ya kitoko ;  voiture  na  ngai  ya  talo ;  Biloko  ya  ndako ;  ainsi  va  la  vie, mikili  se  bongo »  [en français :  Nous  avons  étudié,  les  diplômes  chôment  dans  les  maisons ;  les  emplois manquent,  les  compagnies :  plus  de  place ;  que  je  parte  travailler  comme  cantonnier  à Luunda ; Mon bic, c’est ma bêche ; mon cahier, c’est mon tamis ; de mon retour au pays ; que  je m’amuse comme  il se doit ; que  j’achète une belle maison ; une voiture onéreuse ; un équipement de la maison ; ainsi va la vie, c’est comme ça le monde.]  Quelles sont les continuités et les discontinuités qui se lisent dans la migration des enfants de la 

rue en RDC ? Ces derniers ont envahi des  villes  congolaises en partie  selon  la dynamique de  l’exode rural.  Se mettant  sur  le pas des  aînés  sociaux  (les  adultes  congolais donc),  les enfants  se  sont mis  à élargir  leurs  horizons  en  empruntant  les  chemins  de  la migration  internationale.  C’est  le  sens  de  la référence dans  la chanson des « Bana Luunda » à Luanda, un espace en Angola qu’il  faut conquérir et duquel on peut  rapporter de  l’argent pour paraître et être  ici  au pays.  Si,  selon  la maxime  latine,  le théâtre corrige les mœurs en riant (castigat mores in rirendo), au Congo, la musique traduit l’imaginaire du Congolais et la réalité profonde du pays en faisant danser les gens : le rêve migratoire est devenu une réalité car les enfants de la rue se sont lancés dans la mobilité internationale. Du reste, dans la catégorie des  « Bana  Luunda »,  selon  les  informations  tirées  d’une  enquête  de  1995  et  ayant  porté  sur  100 personnes,  les données  fournissent des  indications selon  lesquelles 86 % étaient âgés de 15 à 30 ans. Ainsi, beaucoup de  ces enfants de  Luanda étaient des enfants. Par  la  suite,  les enfants de  la  rue ont cherché à conquérir Brazzaville, Libreville, voire même Bangui en République centrafricaine.  

Actuellement,  la migration  interne continue. Mais  la migration  internationale des enfants de  la rue  s’impose  de  plus  en  plus  comme  un modèle  qui  permette  de  faire  des  affaires  et  de  découvrir d’autres horizons pour élargir le cercle d’opportunités de la « coop ». Dans un entretien avec Zephira, un enfant de 15 ans,  il exprime ce modèle d’élargissement de  la  fenêtre d’opportunités en utilisant une maxime de  la culture africaine selon  laquelle « la poule qui ne va pas trop  loin de  la cour ne saura pas gratter  pour  avoir  quelques  grains ».  De  même  que  pour  la  migration  des  adultes  congolais,  on reconnaît la complexité des statuts des migrants, la diversité des routes migratoires et la multiplication des  pays  de  destination,  on  peut  dire  la même  chose  pour  la migration  internationale  des  enfants encore que ceci se vive en format réduit.  

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2. Les déterminants et la perception de la migration des enfants

Qu’est‐ce  qui  explique  la  migration  des  enfants  de  la  rue  de  Kinshasa  ou  d’autres  villes congolaises  vers  d’autres  pays  étrangers ?  La  réponse  qui  vient  instamment  serait  que  la  pauvreté rampante dans leur terroir pousse les enfants à chercher à « gratter » ailleurs la terre. Avant d’explorer les variables explicatives avancées par  les  sujets migrants eux‐mêmes,  il  sied de  reconnaître qu’il est important à ce cet égard de prendre en compte les points de vue des parents dont les enfants, ayant fui la maison, sont dans la rue. Pour les parents, les enfants de la rue qui migrent le font ainsi parce qu’ils n’ont plus rien à perdre ici ou ailleurs, ayant tout perdu en désertant le toit familial ici. Un tel point de vue est accompagné des considérations  liées à des effets  induits du monde  invisible. Selon ce point de vue, « les enfants de  la rue sont des sorciers. En se mettant à migrer sur  le plan  international,  ils fuient peut‐être les esprits des morts dont ils auraient déjà mangé la chair ici », selon Papa Kbaga (50 ans). 

Des  entretiens  avec  des  enfants  de  la  rue  eux‐mêmes,  il  ressort  qu’il  existe  plusieurs 

déterminants qui justifient leur mobilité. Dans le tableau n°1, nous donnons les assertions avancées par les  répondants ainsi que  la  fréquence des  réponses avant de  faire des  commentaires. Ce  tableau est reparti en fonction du sexe des sujets migrants. L’élément qui a reçu le plus de réponses est celui de la débrouillardise.  Ce  terme  est  bien  choisi  car  dans  les  pays  de  destination,  que  cela  soit  le  Congo‐Brazzaville  (République du Congo) ou  le Gabon, ce n’est pas  le secteur  formel d’emploi qu’entendent explorer les enfants migrants. Au contraire, ce sont les activités du secteur informel qui les intéressent. La  « coop »  qui  les  fait  vivre  ici  au  pays,  c’est  ce  qu’ils  cherchent  à  exploiter  également  là‐bas.  Le deuxième élément qui a le plus de fréquence de réponse est celui de la fuite de la pauvreté. Il est bien évident que vivre dans la rue est plus que précaire. Cette précarité est rendue encore plus invivable en RDC par les tracasseries et les aléas dont les enfants de la rue sont victimes. A Kinshasa, les opérations « ville propre » sont menées en ayant en vue de nettoyer  les espaces publics et de chasser  les enfants de  la  rue,  représentation de  tous  les maux de  la  société. Non  seulement,  les enfants de  la  rue  sont auteurs  de  l’insécurité  contre  les  citoyens,  mais  aussi  et  surtout,  eux‐mêmes  sont  victimes  de l’insécurité et des parents qui les ont chassés pour certains d’entre eux et des autorités qui les traquent souvent.  

 Tableau n°1 : Les déterminants de la mobilité des enfants 

                Sexe  Raisons de la  Mobilité 

 Sujets féminins 

  Sujets masculins 

  Total/N 

Recherche du travail  ‐  11,2 %  10 Fuir la pauvreté au pays (RDC)  ‐  22,4 %  20 Se débrouiller  54,3 %  30,3 %  33 

Papa Kalo, 60 ans, père de plusieurs enfants, mais dont dans la famille élargie il y a un enfant de la rue, a un point de vue sur la mobilité des enfants : « les enfants de  la rue m’interpellent souvent. Cela fait trop mal en tant que père de voir un enfant déserter  le  toit parental. C’est  la crise. C’est  la sorcellerie. C’est tout cela. Pourquoi ces enfants voyagent‐ils maintenant ? Ca, c’est une question délicate. Ils sont comme des oiseaux volant avec leurs propres ailes. Peut‐on empêcher un oiseau de voler ? Maintenant qu’ils sont dans la rue, ils vont là où bon leur semble. » 

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Chassé de la maison  18,6 %  11,2 %  12 Recruté par les Ouest‐africains  27,1 %  16,8 %  18 Explorer l’autre pays  ‐  7,8 %  7 N  11  89  100  La traite des enfants, même si elle ne fait pas partie des énoncés discursifs des officiels et des 

organisations non  gouvernementales  en RDC,  comme  il en est  le  cas en Afrique de  l’Ouest  (Hashim, 2006) n’en est pas moins une  réalité à  laquelle on doit attirer une attention.  Il sied de  relever que la traite  des  personnes  est  une  des  violations  les  plus  graves  des  droits  humains :  elle  désigne  «  le recrutement,  le  transport,  le  transfert,  l’hébergement ou  l’accueil de personnes, par  la menace ou  le recours  à  la  force  ou  à  d’autres  formes  de  contrainte,  par  enlèvement,  fraude,  tromperie,  abus d’avantages  pour  obtenir  le  consentement  d’une  personne  ayant  autorité  sur  une  autre  aux  fins d’exploitation  »  (tel  que  définie  par  l’article  3  du  Protocole  de  Palerme  du  15  novembre  2000). L’encadré  suivant  nous  introduit  dans  cet  épisode  de  la  traite  des  enfants  congolais  au  Congo‐Brazzaville. 

 Les enfants de  la rue ont été  interrogés sur cette question de  la traite. Pour eux,  ils ne croient 

pas  que  cette  traite  soit  pertinente  en  ce  qui  concerne  leur  cas.  Ils  se  disent  avoir  déjà  beaucoup souffert lorsqu’ils vivent dans la rue à Kinshasa pour qu’ils se laissent encore exploiter. Ce qui est perçu comme une exploitation  selon  la CDE ne  l’est pas  tellement ainsi pour  les enfants. Pas d’exploitation lorsqu’ils  travaillent  dans  des  conditions    dures,  l’essentiel  est  qu’ils  aient  une  rémunération.  A  la question  sur  l’éventuelle  exploitation  par  les  Ouest‐africains  qui  les  cherchent  pour  les  travaux domestiques, les enfants de la rue disent qu’ils sont tellement mobiles qu’ils n’ont pas de contrat ferme et qu’ils ne sont pas enfermés mêmes lorsqu’ils travaillent dans des foyers de personnes originaires de l’Afrique de l’Ouest.   

La  perception  de  la mobilité  des  enfants  de  la  rue  se  situe  à  trois  paliers.  Le  premier  palier représente le discours dominant, celui de l’Occident dont le socle de la pensée s’inspire du point de vue selon  lequel  l’enfant, un  être  fragile, doit  être protégé  et pris  en  charge. On ne peut pas penser un enfant mineur qui évolue en dehors d’un cadre familial ou un cadre institutionnel qui veille sur lui. Selon cette représentation,  la mobilité des enfants est perçue négativement ; elle augmente  la  fragilité dans laquelle  se  retrouve  déjà  l’enfant  qui,  dans  la  rue,  est  abandonné.  Selon  De  Boeck,  « les  visions classiques,  européennes  et  nord‐américaines,  du  statut  des  enfants  et  des  adolescents  considèrent ceux‐ci comme dépendants, non encore prêts à agir de façon responsable. Leur espace social est confiné 

La personne qui se prête à  l’entretien est un handicapé physique.  Il roule sur une chaise. Etant un commerçant, il fait des navettes entre Kinshasa et Brazzaville. Il utilise les enfants de la rue qui l’aident à transporter les marchandises d’un lieu à une autre dans on espace transnational.  En  substance,  son  récit  est  le  suivant :  « Les  enfants  qui  traversent  de  Kinshasa  à Brazzaville sont pour  la plupart des cas des enfants qui aident  les handicapés. La plupart des ces handicapés utilisent ces enfants sans l’accord de leurs parents directe ou indirecte. La majorité de ces enfants sont ceux que l’on retrouve ici au Beach (Ngobila) ; ils n’ont pas un niveau d’étude et passent la nuit à la belle étoile. Avoir un gros colis implique d’assumer beaucoup de dépenses à  la douane. Pour ce faire,  les handicapés utilisent ces enfants qui reçoivent 1000 FC pour  faire passer  les marchandises convoyées dans des petits colis. Les enfants  qui  vont  à Brazzaville  pour  toujours  sont  soit  appelés  par  les membres  de  leurs familles, soit encore ils constituent la main d’œuvre chez les Ndingari (les Ouest‐africains). Pour  cette  dernière  catégorie  d’enfants  travaillant  à Brazzaville  chez  les Ouest‐africains, ceux‐ci les recrutent en donnant des commissions à leurs frères ouest‐africains de Kinshasa pour leur trouver de la main d’œuvre enfantine. C’est vite fait souvent. »   

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à celui de la famille et de l’école. Les enfants qui ne s’intègrent pas dans ces cadres sont immédiatement perçus  comme  des  victimes  éventuelles,  ayant  besoin  de  secours »  (2004 :  182).  Cette  vision consumériste  de  l’enfant  dévalorise  ipso  facto  l’enfant  africain  marginalisé  et  conduit  ainsi  Cruise O’Brien  à  parler  de  « génération  perdue »  (1996).  Cette  vision  consumériste  couplée  à  l’hystérie sécuritaire dont s’inspirent les politiques des gouvernements européens ne peut que considérer comme dangereuse la mobilité des enfants de la rue.  

Cette représentation occidentale de  l’enfant et surtout de sa mobilité rejoint celle des parents des enfants de  la  rue,  c’est  le deuxième palier. Des parents vivent  comme une déception  le  fait que certains de leurs enfants aient fui la maison pour vivre dans la rue.  

Ce  point  de  vue  de M.  Kantu  n’est  pas  partagé  par  tous  les  parents,  surtout  ceux  dont  les 

enfants ont été soupçonnés de sorcellerie qui  les a jetés dans  la rue. Que de tels enfants migrent, cela laisse les parents indifférents. Au contraire, ils se réjouissent que la source de leur malheur s’éloigne de plus  en  plus  de  leurs  familles  dont  par  ailleurs  ils  ont  du mal  à  entretenir  tous  les  enfants  dans  le contexte de la crise rampante de Kinshasa.   

Le  troisième palier au niveau duquel nous allons nous placer pour donner  la perception de  la migration des enfants de la rue est celui qui donne la parole aux acteurs eux‐mêmes. Etant dans la rue, loin des familles, ils se sentent indépendants et sont devenus un peu plus libres. Il importe à ce niveau de faire la généalogie de l’expression shegue : on comprendra que la mobilité fait partie de leur nouvelle identité, de  leur nouvelle morale de  la vie qui a pour  socle  la  rue. L’analyse généalogique de ce mot devrait insister sur trois choses, selon Jens Bartelson (1995 : 7‐8) :  

« D’abord,  en  tant  que  méthode  historique,  la  généalogie  se  veut  être  une  histoire effective. Elle n’est pas l’histoire du passé ; elle est plutôt l’histoire du présent en termes de son passé. Appliquée à  l’analyse d’un mot, elle nous permet d’en comprendre  le contexte d’émergence et  les différentes configurations discursives dans  la  longue durée. Ensuite,  la généalogie doit être épisodique : elle ne veut pas décrire ou expliquer les âges passés ou les idées  dans  leur  totalité ;  elle  s’intéresse  à  des  épisodes  du  passé  qui  sont  cruciaux  à  la compréhension de ce qui est l’enjeu d’analyse au présent. Enfin, tout en étant épisodique, la généalogie se veut être exemplaire. Cet argument entend faire reposer la généalogie sur des exemples et selon Aristote, un exemple est ce qui est gouverné par  la multiplicité et l’excès des sens. Au cœur de la généalogie, se trouve la déconstruction devenant ainsi une stratégie  qui  s’adresse  elle‐même  à  questionner  ce  qui  est  pris  pour  certitude  et soumettant la référence et la signification des concepts à une critique interne. »  Quelle est alors  l’origine du terme shegue ? Recourons à De Boeck qui écrit : « Selon certaines 

sources, le mot shege ou chégué trouverait son origine dans l’arrivée à Kinshasa des enfants‐soldats de Kabila,  ressemblant à de petits  ‘rebelles’, de petits Che Guevara. Le mot, pourtant, est antérieur à  la prise  de  la  capitale.  Une  explication  plus  fréquente  est  que  shege  dérive  de  Schengen,  la  ville 

M.  Kantu  (49  ans),  un  agent  de  l’administration  judiciaire  à  Kinshasa,  nous  a raconté le calvaire qu’il a passé lorsque son enfant de 15 ans, ne revenant pas à la maison familiale, a été vu dans la rue à Kinshasa ; quelque temps, cet enfant a été vu à Brazzaville. Selon Kantu, « j’ai du me rendre moi‐même à Brazzaville ; j’ai localisé l’endroit où mon enfant se faisait voir en compagnie d’autres enfants de la  rue kinois  vivant à Brazzaville. On m’a même montré  la maison d’un Ouest‐africain  chez  qui  il  travaillait  souvent  pour  puiser  de  l’eau  et  faire  les  travaux domestiques. Il n’était pas facile de le retrouver mon enfant. Vers 7 heures, je me suis retrouvé sur le lieu et je me suis caché. J’ai vu l’enfant, mon enfant venir. J’ai pleuré en le voyant. Je suis sorti de ma cachette ; je l’ai appelé, le suppliant de ne pas fuir. Il est venu. On a causé et le même jour, il est rentré avec moi à Kinshasa. Actuellement, il étudie ; il va présenter les examens d’Etat ». 

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luxembourgeoise  où  l’Union  européenne  a  signé  un  traité  abolissant  ses  frontières  intérieures  et instaurant un espace unique accessible par un seul visa. Pour  les Bashege de Kinshasa,…  la  rue est  le territoire de  l’alternative, un autre espace Schengen » (2004 : 184). Cette déconstruction nous permet de dégager l’idée essentielle qui transpire dans les deux versions : c’est la capacité de bousculer l’ordre des  choses.  Che  Guevara  a  cherché  à  bousculer  l’ordre  impérialiste  tandis  que  la  vision  Schengen bouscule, du moins par rapport aux Etats de l’Union européenne les carcans d’un réalisme dépassé qui accorde trop d’importance à des frontières. Les enfants de la rue contestent la vision d’épanouissement de l’enfant dans le cadre familial. En conquérant l’espace, il bouscule des rigidités sociales. Il a déjà défié ses  parents,  il  défie  l’Etat  dans  la  rue  lorsqu’il  participe, même  dans  sa  position  de marginalisation, devenant un acteur stratégique, à des enjeux du pouvoir dans le marquage de l’espace (Geenen, 2009).  

La  migration  donne  aux  enfants  de  la  rue  de  prendre  conscience  des  perspectives  de démultiplication des fenêtres d’opportunités pour vivre et survivre. Cela leur donne de croire que « tout est  possible ».  Les  enfants  de  la  rue  en  mobilité  disent  avoir  trouvé  des  niches  d’affaires  de débrouillardise qu’ils peuvent  faire soit à Brazzaville soit à Kinshasa. Parmi eux, certains gardent de  la mobilité le goût d’aller encore plus  loin ;  il y a d’autres enfants qui reconnaissent qu’ils préfèrent vivre dans  leur pays, pour aider  leurs parents qui sont à Kinshasa. La migration est vue comme un marché qu’il faut visiter et sur le site duquel on peut faire des transactions. C’est dans ce sens que Abdou Ndao, à  la  suite d’une enquête auprès des enfants dans  certains pays de  l’Afrique de  l’Ouest  (Togo, Bénin, Ghana et Nigeria), arrive à écrire ce qui suit : « Des centaines d’enfants et de jeunes interrogés avec des outils, dans des espaces géographiques divers et vivant des conditions de travail différents, il émane de notre point de vue cette idée : les enfants en mobilité semblent assumer leur sort très dignement avec peu de plainte même si on connaît les souffrances vécues. Cet état de désenchantement, de manque de perspective  est  une  caractéristique  de  leur  cadre  de  vie ;  au  moins,  en  mouvement,  ils  ont  une perception d’eux‐mêmes plus valorisante. Les exemples ne manquent pas et semblent  illustrer  le  fait que ces processus de mobilités sont inscrits dans leur imaginaire et les souffrances postulées ou réelles, effectives ou potentielles, procèdent plus de notre vision personnalisée de  leurs conditions de travail » (Ndao, 2009). 

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3. Le profil et les systèmes de la migration des enfants

Qui sont  les enfants de  la rue ? Nous voulons élaborer  le profil de ces enfants. Sur  la base de l’échantillon de cent enfants, la distribution par sexe et par tranche d’âge va être dégagée de la manière suivante que dégage le tableau n°2. 

             Tableau n°2 Profil des enfants de la rue migrants 

                     Âge  Sexe               

 10‐14 

 15‐17 

 Total 

 Masculin 

 24,7 % 

 75,2 % 

 89 

 Féminin 

 27,2 % 

 72,7 % 

 11 

    N=              100 

                                                              Il y a une évidence à noter, c’est que ce sont les garçons que l’on trouve le plus dans les rues. Et 

ils  sont  aussi nombreux  à  tenter  l’aventure migratoire dans  cet  espace qu’ils  cherchent  à  conquérir, sinon à coloniser. Si les plus jeunes sont moins nombreux à voyager, ceci se justifie par la fragilité dans la précarité dont ils sont l’objet, mais aussi par le manque de vision et d’ambition du fait de leur très jeune âge. Plus ils grandissent, plus ils cherchent à voir et à faire des grandes choses. Dans le tableau n°3, nous voulons présenter  les données  sur  la  trajectoire d’éducation/formation que  les enfants de  la  rue ont vécu avant de se retrouver dans leur « monde nya nko » (un monde de la canaille, un monde sans lois).  

         Tableau n°3 : Trajectoire de formation/éducation des enfants de la rue Trajectoire                    Fréquence 

  Masculin                    Féminin ‐ Pas d’éducation ‐ Niveau primaire achevé ‐ Interruption au niveau du primaire ‐ Niveau de secondaire achevé ‐ Interruption au secondaire 

   47,1 %                          54.5 %    11,2 %                          18,1 %    28 %                              27,2 %              3,3 %                              ‐    10,1 %                            ‐ 

N=       89                                  11    

                                             Avant  de  faire  des  commentaires  sur  ce  tableau,  il  convient  de mentionner  que  le  système 

éducatif en RDC n’a pas des  capacités pour permettre  la  scolarisation de  tous  les enfants.  Le pays a adopté  la  ligne qui  fait de  l’éducation primaire obligatoire de manière à en favoriser  l’accès à tous  les enfants. Cette politique n’est qu’un vœu pieux car, à l’évidence, les résultats des progrès accomplis par rapport  au  deuxième Objectif  du Millénaire  pour  le  développement  (OMD)  sont  bien médiocres.  Ce constat est fait lorsqu’on lit le Profil migratoire national de la RDC :   

« La RDC n’a pas accompli de progrès tangibles en ce qui concerne le deuxième Objectif du Millénaire pour  le développement. Au rythme actuel, bon nombre d’indicateurs  liés à cet objectif ne  seront pas  satisfaits. D’après  le diagnostic  fait dans  le DSCRP,  le  taux brut de scolarisation dans  le primaire a connu une  forte  régression, soit 92 % en 1972 à 64 % en 2002. Dans  le secondaire, elle est estimée à 29 % en 2001/2002 contre 26 % entre 1977‐1978 avec un coefficient d’efficacité interne qui est de 36 %.  

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Ces  résultats  négatifs  sont  accompagnés  par  la  détérioration  du  taux  de  survie  scolaire     (25  %)  pendant  que  le  taux  d’achèvement  n’est  que  de  29  %  et  par  un  faible  niveau d’encadrement. Au niveau des inégalités des taux bruts de scolarisation selon le sexe, on les établit à 72 % pour les garçons et à 56 % pour les filles. En ce qui concerne le milieu de résidence, le taux d’admission  est de 71,6 % en milieu urbain et de 43,6 % en milieu  rural. Par  ailleurs,  le retard de scolarisation a atteint plus de 16 % de garçons contre 12 % de filles en 2001… Ces déficiences  tirent  leur  origine  de  l’inadéquation  du  système  éducatif  à  faire  face  aux besoins croissants de  la population, mais aussi des difficultés par  le manque des  revenus dont  souffrent  les  parents  vivant  dans  les  milieux  urbains  ou  ruraux »  (Ngoie  et  Lelu, 2009b).  Ces données permettent de reconnaître  la discrimination  interne dont souffrent  les enfants en 

RDC  en  rapport  avec  l’éducation. Beaucoup  d’enfants  sont  exclus  de  la  scolarisation  en  raison  de  la faiblesse des revenus dont disposent leurs parents, soit en raison de la localisation spatiale de leur lieu de  résidence. C’est  le  taux d’admission qui  situe  le différentiel d’accès  au  système  scolaire et  sur  ce registre  les milieux ruraux sont beaucoup plus défavorisés. Cette trajectoire sociologique aide à situer les conditions de la production de l’exclusion sociale des enfants de la scolarisation. Beaucoup d’enfants de la rue, pour autant qu’ils sont dans la rue, sont des déclassés du système scolaire. La discrimination entre garçons et  filles  se  reproduit dans  la  rue. C’est parmi  les  filles que  l’on  retrouve  le  taux  le plus élevé de non scolarisation.  Jetées  trop vite sur  la rue, elles n’ont pas pu étudier en  famille. Celles qui sont  dans  la  rue  n’ont  pas  non plus  étudié. Alors  que  chez  les  garçons,  ceux  qui  n’ont  reçu  aucune formation représentent 47,1 % de la population masculine, ce pourcentage est aussi élevé pour les filles (54,5 %). Ceux qui ont  interrompu  les études sans avoir achevé  le niveau de  l’enseignement primaire représentent également une portion  importante, soit 28 % chez  les garçons et seulement 18,1 % chez les filles.    

Qu’en  est‐il  du  système migratoire  des  enfants  de  la  rue ? Quelques mots  sur  la  notion  de système migratoire sont importants pour en préciser la signification. Pour Mabogunje (cité par de Hein, 2008 : 148), le système migratoire déroule l’enchâssement des espaces liés par des flux et des reflux de peuples, des biens, des services et de l’information qui tendent à faciliter divers échanges, y compris les migrations. Ce  système  renvoie  aux  itinéraires et aux espaces qui déroulent  les  activités migratoires. Nous  allons  ainsi présenter  les  itinéraires qu’empruntent  les  enfants de  la  rue  ainsi que  les pays de destination vers  lesquels  se dirigent ces enfants. Entre  la RDC et  le Congo‐Brazzaville,  la  frontière est fluviale : ainsi des enfants de  la rue prennent  le bateau qui relie  les deux capitales  les plus proches du monde.  Il y a également des enfants de  la rue prennent des petites embarcations (pirogues). Ceux qui prennent des bateaux passent par des voies  régulières  tandis que  ceux qui empruntent des pirogues utilisent des voies  irrégulières de migration. C’est à partir du port de Kinshasa  (Beach Ngobila) que se fait la traversée par la voie régulière car il faut détenir tous les papiers exigés de part et d’autre par les services de migration des deux pays. Ceux qui empruntent  les petites embarcations  (les pirogues) ne partent pas du port, mais leurs points de départ sont des multiples lieux logés le long du fleuve du côté de  la  RDC  qu’ils  quittent  à  tout  instant.  Comme  il  n’y  a  pas  de  garde‐côtes  de  part  et  d’autre,  la traversée est facilitée.   

    Tableau n°4 : Itinéraires de traversée vers le Congo‐Brazzaville 

                Traversée  par bateau 

Traversée  par pirogue 

Masculin  70%  30%  89 Féminin  90%  10%  11 

 La distinction entre la traversée régulière et la traversée irrégulière est difficile à trancher. Mais 

le premier critère est  la détention de papiers officiels autorisant  la traversée. Ceux qui ont des papiers 

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utilisent  le bateau. Ceux qui utilisent  la pirogue  sont  censés  traverser de manière  irrégulière. Dès  la traversée et  l’arrivée  au pays de destination,  le  caractère de  la  régularité et de  l’irrégularité devient difficile  à  saisir  car  la  durée  du  séjour,  rarement  respectée,  fait  que  beaucoup  d’enfants  de  la  rue tombent  dans  l’irrégularité.  S’ils  empruntent  le  bateau  pour  partir  vers  Brazzaville,  ils  prennent  la pirogue pour rentrer en RDC. Une autre voie empruntée est la voie routière. Celle‐ci est utilisée par des enfants de la rue lorsqu’à partir de Congo‐Brazzaville, ils veulent se diriger vers le Gabon.  

Enfin,  le  premier  pays  de  destination  est  le  Congo‐Brazzaville.  Ce  choix  est  favorisé  par  la distance : moins grande est la distance à traverser, moins, il y a des complications/difficultés à affronter. Le deuxième pays est le Gabon : dans l’échantillon interrogé, le nombre des sujets qui se sont rendus au Gabon est  infime  (2 %).  Il existe d’autres cas de  jeunes migrants qui vont dans d’autres pays comme l’Angola mais cela dépasse le groupe étudié ici. 

Par ailleurs,  il  importe de dégager  le profil des activités que  les enfants  font  lorsqu’ils sont en mobilité. Au Congo‐Brazzaville, les enfants kinois de la rue ont le choix entre plusieurs activités. C’est le cas  notamment  des  travaux  domestiques,  du  petit  commerce,  de  cireur,  de  porteur  ou  d’aide accompagnant  les personnes avec handicap.  Il y a une répartition par genre de ces activités. Ainsi,  les enfants de  la rue du genre féminin s’adonnent facilement aux travaux domestiques et font aussi  l’aide accompagnant  les personnes avec handicap tandis que  les enfants de  la rue (les garçons) passent d’un type d’activités à un autre sur toute la chaîne des activités. Les garçons ont également un monopole sur le  travail de cireur et de porteur. L’occupation presque masculine de  la  tâche de « porteur » pour  les enfants en migration de  la RDC présente un contraste avec  la situation observée en Afrique de  l’Ouest sur  le même  sujet. En Afrique de  l’Ouest,  les  filles mineures en migration  s’adonnent  aussi bien  aux travaux  domestiques,  au  petit  commerce  qu’au  travail  de  « porteur »  (Hashim,  2006).  Etant  plus nombreux que les filles sur le front migratoire, les garçons ont une visibilité plus grande et sont présents en faisant plusieurs activités. 

         Tableau n° 5 : Activités des enfants migrants dans le pays de destination 

Activités exercées   Sujets masculins  Sujets féminins Travaux domestiques  15 %  45 % Porteurs   25 %  ‐ Accompagnateurs   20 %  55 % Cireurs   24 %  ‐ Petit commerce  16 %  ‐ 

N      89  11 

                                                Les enfants de la rue sont‐ils des sujets actifs ou passifs de la migration ? Sont‐ils forcés à migrer 

par  leurs  parents  ou  prennent‐ils  la  décision  de  migrer  de  manière  autonome ?  Cette  question préoccupe les chercheurs. La vision des enfants en tant que « social pawns in extended kin relationships » (Hashim, 2006 : 27) dans le champ migratoire est trop étroite pour être appliquée dans la situation de la RDC. Dans ce pays,  la décision migratoire est prise de manière autonome par  les enfants de  la  rue eux‐mêmes  à  la  suite  des  informations  qu’ils  accumulent/obtiennent  dans  leur  vie  sur  la  rue.  Ils épargnent un peu d’argent qui leur permet de bouger. Lorsqu’ils migrent, ils ont des idées vagues sur ce qu’ils vont faire. Comme il ne s’agit pas de la migration de travail formel/classique, ils se jettent à l’eau dans  un  contexte  d’indétermination.  Des  récits  d’expérience  obtenus  auprès  des  enfants  qui  se débrouillent au niveau du Beach Ngobila,  il ressort que beaucoup (75 %) ont pris  la décision de migrer après avoir obtenu des informations sur un secteur dans lequel ils pourraient travailler. 

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4. La migration, les droits de l’enfant, et ses conséquences 4.1 Les droits de l’enfant à l’épreuve de la migration

Alors  que  « la  protection  et  l’aide  spéciales  de  l’enfant  de  la  part  de  l’Etat »  font  partie  des responsabilités  que  doivent  assumer  les  Etats  parties  à  la  Convention  relative  aux  droits  de  l’enfant (CDE)  des Nations  Unies,  en  RDC,  l’enfant  n’est  pas  l’objet  de  beaucoup  d’attention  de  la  part  des services  de  l’Etat. A  l’exemple,  l’enfant  de  la  rue  est  une  situation  « socio‐pathologique »  que  l’Etat congolais devrait relever tant qu’il se doit de remplir les responsabilités découlant de ses engagements internationaux.  

 

L’article 20 de la CDE dispose que :  

« 1.  Tout  enfant  qui  est  temporairement  ou  définitivement  privé  de  son  milieu familial, ou qui dans son propre  intérêt ne peut être  laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat.  2.  Les  Etats  parties  prévoient  pour  cet  enfant  une  protection  de  remplacement conforme à leur législation nationale. 3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir  la forme du placement dans  une  famille,  dans  la  kafalah  de  droit  islamique,  de  l’adoption  ou,  en  cas  de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre  ces  solutions,  il  est  dûment  tenu  compte  de  la  nécessité  d’une  certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. » 

Les autorités politico‐administratives de  la RDC savent que  la présence des enfants dans  la rue 

est une anomie et un défi aussi juridique : elle devient même un cauchemar politique et diplomatique. C’est pour cela qu’elles prennent le soin d’écarter les enfants de la rue loin de la visibilité et des yeux de certains hôtes de marque qui  sont en visite officielle en RDC. La  rue n’est pas un environnement qui puisse assurer l’épanouissement, « la survie et le développement de l’enfant » (article 6 de la CDE). Par ailleurs, et dans la suite de l’aide et protection spéciales dont doit bénéficier l’enfant, ce dernier ne peut pas  se  déplacer  seul  sans  être  accompagné  ou  pris  en  charge  par  un  tuteur.  Or,  à  l’évidence,  la circulation de l’enfant en RDC se fait normalement sans que cela ne préoccupe les services de l’Etat.  

Selon  l’article 11 de  la CDE, deux paragraphes  rappellent cette disposition qui est au cœur de notre recherche : 

« 1. Les Etats parties prennent des mesures pour  lutter contre  les déplacements et les non‐retours illicites d’enfants à l’étranger.    2.  A  cette  fin,  les  Etats  parties  favorisent  la  conclusion  d’accords  bilatéraux  ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants. »     

Le laxisme avec lequel les agents des services de migrations s’occupent des enfants de la rue en les laissant traverser allégrement les frontières devrait être rappelé et faire l’objet d’interpellation de la part de la société civile et des organisations non gouvernementales. Car participant des « déplacements illicites » dont parle la CDE en son article 11, la migration des enfants de la rue devrait faire l’objet d’une particulière  attention  si  on  ne  peut  pas  la  contrôler  ou  la  décourager  purement  et  simplement.  Par ailleurs, et en suivant les analyses de Meier et Van Lidth de Jeude (2008 : 28‐36) sur cette question, on ne peut pas faire défiler tous les dispositifs juridiques de la CDE dans la mesure où le constat de la faillite de l’Etat congolais (RDC) à les assurer est criant. Mais dans notre contexte, il convient de noter que les 

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agents de services publics de l’Etat ignorent même l’existence des stipulations juridiques concernant les enfants. Cette  indifférence publique ne fait qu’augmenter  le délaissement et  la marginalisation sociale dont les enfants sont victimes.      

 

4.2 Les conséquences de la migration sur les enfants

 Nous allons nous situer  ici à deux niveaux. Le premier niveau est celui des pays de destination 

tandis  que  le  deuxième  niveau  est  celui  du  pays  de  départ.  Par  apport  aux  pays  de  destination,  les conséquences de la mobilité peuvent se lire sur les questions sécuritaires que la présence des enfants de la rue ne manque de provoquer. La délinquance  juvénile est un mal partout où elle se manifeste. Elle entraîne  les germes de  la violence, du banditisme et de  la  criminalité. Habitués à de  telles pratiques dans les rues de Kinshasa où ils vivent, les enfants de la rue peuvent les exporter là où ils vont. Non pas que ces pratiques n’existent pas comme telles dans  les différentes villes africaines, mais  la circulation par mobilité des enfants de  la rue ne peut qu’en augmenter  la  fréquence. L’effet de contagion est un phénomène social important : la mode se transmet, la musique diffuse certaines valeurs ; la mobilité des enfants de la rue de la RDC peut aussi concourir à la contagion de cette « manière de faire » auprès des enfants de rue que l’on retrouve au Congo‐Brazzaville et au Gabon. Que ces derniers adoptent de telles manières, et voici la généralisation de la mobilité des enfants sur le continent africain.  

La mobilité des enfants  seuls/non accompagnés est  le  terreau de  la migration  irrégulière. Les conditions de la précarité sociale dans lesquelles vivent les enfants de rue en mouvement dans des pays de destination semblent conduire à la reproduction de l’image des villes africaines comme des espaces de misère et de marginalisation. Une telle image ne tend‐t‐elle pas à être plus reproduite à souhait par la vie et  la survie des enfants à  la marge de  la société où  ils essaient de  rechercher des opportunités pour avoir des moyens de survie avant de songer à rentrer dans leur pays ?    

Au niveau du pays de départ,  les conséquences ne sont pas négligeables. D’abord,  la rue ne se réduit pas  à  la  seule dimension du pays.  La  rue  acquiert une dimension  globalisée.  L’expression « le monde est un village planétaire » devient une certaine réalité qui se vit par le bas. Ce sont les enfants de la rue qui expérimentent à petits pas cette évidence. Cette rue est celle du pays ; mais elle est aussi celle des pays voisins que  l’on peut conquérir aisément. La démultiplication de  l’espace de vie et de survie 

Madame  G. Mut  (30  ans),  est  agent  de  la  Direction  Générale  des Migrations (DGM). Elle est affectée à  la DGM au Beach Ngobila à Kinshasa. Elle donne son point de vue sur  la question des enfants de  la rue qui traversent de Kinshasa à Brazzaville. « Oh! C’est  regrettable de  voir  les enfants de  la  rue  se déplacer de manière  permanente  entre  Kinshasa  et  Brazzaville.  Ici,  à  Kinshasa,  chacun cherche à survivre, et on n’a pas le temps de réfléchir sur certaines questions. Je suis attachée au guichet de vente et de contrôle des laisser‐passer. On n’a pas le temps  de  voir  l’âge  de  celui  qui  veut  traverser.  On  compte,  on  enregistre  et surtout, on veut avoir beaucoup d’argent avant  la clôture de  la  journée.  Ici, à  la DGM, on  travaille en  service  commandé. On n’a pas encore  reçu des directives concernant  des mesures  particulières  vis‐à‐vis  des  enfants  en  déplacement.  Ce phénomène  a  commencé  lorsque  l’on  autorisait  les  enfants  accompagnant  les personnes avec handicap à traverser sans problèmes. Et de fois, ils passaient sans payer  des  taxes  de  traversée.  Actuellement,  ils  payent ;  ils  doivent  avoir  les laisser‐passer. Il s’agit, pour notre service, des sources des revenus et des revenus qui entrent dans la caisse. Il semble qu’en RDC, les règles de droit sont aisément oubliées surtout s’il s’agit des questions non centrales comme celle des enfants de la rue. Le fait qu’ils sont dans la rue au loin d’avoir un toit familial et que l’Etat congolais n’y fait rien est déjà for regrettable. Ce n’est pas demain que l’on verra la DGM s’attaquer à cette question de la mobilité des enfants de la rue. »  

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des enfants de la rue pourrait jouer un rôle de facteur « pull », attirant des enfants déçus, abandonnés et/ou  rejetés par  leurs  familles. Les  rues de Kinshasa pourraient devenir désertes car vides d’enfants, tous,  sinon  la  plupart  ayant  décidé de migrer ;  alors  la  quête  de  la mobilité  deviendra  une  nouvelle valeur chez  les enfants comme du reste chez  les  jeunes et  les adultes de  la RDC qui ne rêvent que de voyager et de migrer vers d’autres cieux.  

Il y a des conséquences positives que l’on peut déceler tant que cela concerne les aptitudes des jeunes. En migrant eux‐mêmes, les enfants de la rue développent et maîtrisent la capacité dans le savoir circuler.  Ils explorent également des nouvelles opportunités d’affaires dans  le monde transnationalisé. Ce savoir‐circuler et ce savoir‐faire acquis par les enfants ne constituent un capital social qu’ils peuvent mettre à profit. 

Mais la précarité existentielle est déjà le lot quotidien qui se présente à l’horizon des enfants de la rue en RDC et à l’étranger, cet ailleurs incertain qu’ils entendent explorer alors qu’ici tout est déjà fini. Dans les pays de destination, les conditions de vie des enfants de la rue sont bien précaires. La plupart rapportent qu’ils dormaient dans la rue, dans des vérandas des magasins à côté des sentinelles ou dans des  hangars  abandonnés  des  marchés.  Ils  se  constituent  en  groupe,  selon  la  même  logique d’organisation de la vie à Kinshasa. Entre les membres des groupes, la solidarité est grande : ils mettent ensemble ce qu’ils gagnent et ils partagent ensemble la nourriture. Au demeurant, il faut noter que les enfants de  Kinshasa qui  se  rendent  à Brazzaville  arrivent  à  retrouver des membres de  leurs  familles (élargies) dans  la  capitale d’en  face ou des  amis  (des grands  frères) du quartier  chez qui  ils peuvent trouver un endroit pour passer la nuit.  

  Leur capacité d’adaptation a été accumulée dans  la mesure où  ils ont vécu et survécu dans  la 

rue à Kinshasa. Certains enfants rapportent avoir été maltraités par  les agents de services de  l’ordre à Brazzaville. D’autres ont été maltraités par des familles qui  les utilisaient pour des travaux de ménage. D’autres enfants rapportent avoir travaillé dans des conditions difficiles. C’est le cas selon le récit de cet enfant de 16 ans. 

Cet enfant a 16 ans, il a terminé en 2ème cycle d’orientation. Il se rend souvent à Brazzaville. Son récit est le suivant : « Mon père travaillait au chantier naval. Un jour, il a été révoqué de ses fonctions. J’ai abandonné les études par manque des frais scolaires… J’ai commencé ce travail de cireur des souliers. J’ai fait ma petite économie pendant trois mois et en octobre 2008,  j’ai traversé à Brazzaville. J’ai contacté un vieux, vivant avec handicap pour me  faciliter  la tâche. Celui‐ci m’a demandé 3000 FC et  j’ai traversé avec  lui comme son aide. A Brazzaville,  je ne connaissais  personne ;  je  suis  allé  avec  les  amis  dans  une maison  aménagée comme un dortoir où  je dormais moyennant 200 Francs CFA. J’ai continué avec mon activité de cirage… » 

« Pendant mon  séjour  à  Brazzaville,  je  travaillais  durement.  Toute  la  nuit,  on devrait emballer  le  lait caillé en vue de  le congeler  jusqu’au petit matin. Et à 10 heures, voir même à 9 heures,  la vente commence  jusqu’au soir. J’avais très peu de  temps  de  repos.  J’avais  beaucoup  souffert…  J’ai  quitté  Brazzaville  et maintenant,  je me  débrouille  ici  au  Beach  Ngobila. Mais  s’il  y  a  un  travail  à Brazzaville, j’y vais pour rentrer après le travail là‐bas. » 

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5. Les politiques alternatives face à la migration des enfants

Actuellement,  la mobilité des enfants de  la rue procède d’un contexte particulier en RDC, celui du  laisser‐faire.  Les  institutions  de  l’Etat  ne  sont  pas  capables  de  pourvoir  aux  exigences  mêmes minimales telles que le postule la Convention relative aux droits de l’enfant. 

5.1 La politique du laisser-faire et sa portée

Nous entendons ce mot laisser‐faire comme cette manière de faire qui dénote l’indifférence de l’Etat congolais vis‐à‐vis de ses engagements  internationaux et de ses responsabilités  internes  lorsqu’il s’agit de la gestion de la question de l’enfant. Le laisser‐faire s’accompagne de l’indifférence.  

C’est cette indifférence qui explique le fait que l’Etat a déjà abandonné ses responsabilités vis‐à‐vis des enfants. Qu’ils prolifèrent sur la rue est la manifestation de la faiblesse de l’Etat. Que les enfants de  la  rue  se mettent  à migrer,  à  la  recherche de  nouveaux  espaces  à  conquérir  dans  d’autres  Etats limitrophes dans une  sorte d’errance,  cela est  lié à  l’abandon dont ces enfants  sont  l’objet dans  leur propre pays.   Que cette errance semble porteuse d’un capital social pour  les enfants, cela est évident, mais  ne  peut  être  érigé  en  une  politique  publique  pertinente  pour  un  Etat  qui  soit  responsable  et efficace. La situation actuelle des enfants de la rue en mobilité est intenable sur le plan moral et sur le plan  juridique.  Les  enfants  et  les  jeunes  dans  une  nation  constituent  le  fer  de  lance  de  celle‐ci :  les sacrifier relève de  l’irresponsabilité. L’adhésion de  la RDC à  la CDE doit amener ce pays à retrouver  le bon sens politique et abandonner  l’indifférence qui sacrifie à coup sûr  les enfants et  les  jeunes de ce pays. L’expression de « génération sacrifiée », dont parle Cruise O’Brien  (1996), devrait être exclue de perspectives des enfants et des  jeunes dans ce pays. Aussi, ce pays doit‐il redynamiser  les  institutions chargées de l’encadrement et de la promotion des enfants. 

  5.2 Le renforcement des structures d’encadrement des enfants en RDC

La RDC dispose d’institutions chargées de  la gestion des enfants vulnérables. Cette gestion est prise  en  charge  respectivement  par  le Ministère  de  la  Justice,  le Ministère  des  Affaires  sociales  et Solidarité nationale et  le Ministère de  la Jeunesse et Sports. Le Ministère de  la Justice est le Garde des sceaux de  l’Etat et  à  cet égard,  il doit  veiller  à  la mise en œuvre des politiques publiques  tendant  à garantir les différents droits de l’enfant ainsi que cela est prescrit dans la CDE. Le Ministère des Affaires sociales  et  de  la  Solidarité  nationale  devrait  disposer  de  plus  des  moyens  humains,  matériels  et financiers de manière à renforcer ses  interventions pour  la protection et  l’aide spéciales à des enfants en détresse. Le Ministère de la Jeunesse et Sports ne peut pas se limiter au dernier aspect (les sports) de sa dénomination. La prise en charge de la jeunesse congolaise devrait être sa préoccupation constante. 

Au niveau de la production des normes juridiques régissant la question des enfants en RDC, qu’il suffise  de  rappeler  que  ce  pays  est  « expert »  car  il  existe  un  arsenal  des  dispositions  juridiques réglementant  la gestion de  la question de  l’enfant dans ce pays. A titre d’exemple,  l’arrêté ministériel ayant  le numéro CAB/2100/018/MJS/71 du 9  juin 1971 portant  réforme et  réorganisation du Comité national pour  la protection et  le bien‐être de  l’enfance et de  la jeunesse en RDC dispose en son article premier ce qui suit : « Il est créé en RDC un Conseil national pour la protection, la promotion et le bien‐être de l’enfance et de la jeunesse, en abrégé « C.N.P.E. ». L’article 5 de cet arrêté présente le but de ce comité,  entre  autres,  « assurer  les  conditions  de  développement  harmonieux  de  l’enfance  et  de  la jeunesse ; encourager toutes les initiatives et toutes les réalisations tant gouvernementales que privées afférentes  à  la  protection,  promotion  et  au  bien‐être  de  l’enfance  et  de  la  jeunesse ;  mener  des enquêtes  pouvant  permettre  la  détermination  de  causes  de  la  calamité  de  l’enfant ;  construire  des 

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centres d’accueil  (home de  jeunes) pour  y  abriter  les enfants  abandonnés ou défavorisés  afin de  les adapter,  les  rééduquer  ou  les  instruire,  etc. »  Un  acte  juridique  important  est  l’arrêté  n° Min.Aff.Soc/Cabmin/0004/2003  du  8  avril  2003  portant  création,  organisation  et  fonctionnement  du Conseil national de l’Enfant (CNEN). L’article 2 de cet arrêté dispose ce qui suit : « Le Conseil National de l’Enfant  a  pour mission  de :  1.  Veiller  à  la mise  en œuvre  de  la  politique  nationale  en matière  de protection, de survie, du développement et de la participation de l’enfant ; 2. Servir d’organe conseil au gouvernement ». 

Cette architecture juridique ne fonctionne pas au quotidien de manière à répondre aux attentes et  aux  défis.  Les  différentes  institutions  prévues  dans  la  gestion  des  questions  de  l’enfant  en  RDC fonctionnent à peine, sinon elles sont inexistantes. Comme l’écrivent à juste titre Meier et Van Lidth de Jeude, « le respect des droits de  l’enfant dépend surtout des ressources et de  la volonté des Etats qui doivent être à  la hauteur des besoins  (2008 : 124). En RDC, et  les  ressources publiques et  la volonté politique font cruellement défaut dans ce domaine. C’est à ce niveau que  le travail de  la société civile, des ONG et d’autres  acteurs pertinents dans  l’espace public doit être mené pour  créer une  synergie d’actions et des pressions en  faveur du gouvernement pour plus d’efficience dans  le développement institutionnel des structures devant promouvoir la protection et l’aide spéciale à l’enfance en RDC.     

Si  au  niveau  national,  les  initiatives  traînent,  dans  la  province  du  Katanga,  le  gouvernement provincial  a  inauguré  la  politique  de  l’encadrement  des  enfants  de  la  rue  en  aménageant  un  centre d’accueil, d’insertion et de formation de ces enfants : tâche gigantesque que celle de tenir comme dans un camp les enfants habitués à vivre dans la liberté absolue dans la rue. Après avoir inauguré ce centre, les  enfants  de  la  rue  de  Lubumbashi  ont  commencé  à  déserter  le  centre  pour  aller  chercher  à  se débrouiller en ville. Un enfant de la rue interrogé sur cette question dit ce qui suit : « Si on nous enferme dans ce centre, alors, qu’on nous fasse vivre comme en Europe. Qu’il y ait beaucoup à manger, que l’on mange le beurre et l’omelette. Qu’on nous donne de l’argent et des femmes. Nous, on veut de l’argent ». Ce message a été entendu car quelques temps après,  le gouvernement provincial a résolu d’utiliser  les enfants de la rue internés pour qu’ils travaillent dans une brigade d’assainissement de la ville, un travail devant  leur rapporter de  l’argent. Entre‐temps, des enfants d’autres provinces se sont précipités pour venir gonfler le nombre d’enfants de la rue dans la ville de Lubumbashi. 

5.3 Le renforcement d’un cadre de coopération multilatérale  

La RDC est un Etat membre de  l’Union africaine  (UA) et de  la Communauté économique des Etats de  l’Afrique centrale (CEEAC). Au niveau continental,  il existe  la Charte africaine des Droits et du Bien‐être de l’Enfant : celle‐ci est entrée en vigueur le 29 novembre 1999. Cette charte a été adoptée au cours de la 26ème Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’organisation de l’Unité africaine en  juillet  1990  et  ratifiée  par  la  RDC  (à  l’époque  le  Zaïre)  en  novembre  1991.  Tout  en  s’inspirant directement pour la majorité des dispositions de la CDE, la Charte africaine des Droits et du Bien‐être de l’Enfant  est  plus  complète  et  interprète  les  droits  de  l’enfant  dans  le  contexte  africain.  La  Charte consacre la primauté de l’intérêt de l’enfant (art. 4) et affirme « le droit de l’enfant à une protection et une assistance spéciales » pour  le cas de séparation avec  les parents  (art. 25‐1). Le principe de  l’unité familiale (art. 18 et 19), celui de non‐discrimination (art. 3),  les droits à  l’éducation (art. 11), à  la santé (art. 14) et la protection contre l’exploitation, les abus et les mauvais traitements (articles 15, 16, 27 et 29) y sont contenus et énoncés (Meier et al., 2008 : 40). 

Au niveau de  la CEEAC,  le Traité de 1983 portant création de celle‐ci, n’aborde pas  la question des enfants. Au contraire, ce Traité contient  le chapitre V consacré à  la  libre circulation,  résidence et droit  d’établissement.  Selon  l’article  40,  il  est  stipulé :  « 1.  Les  citoyens  des  Etats  membres  sont considérés  comme  des  ressortissants  de  la  Communauté.  En  conséquence,  les  Etats  membres conviennent,  conformément  aux  dispositions  du  Protocole  relatif  à  la  libre  circulation  et  au  droit d'établissement  des  personnes  joint  au  présent  Traité  en  tant  qu'Annexe  VII,  de  faciliter progressivement  les  formalités  relatives  à  leur  circulation  et  à  leur  établissement  à  l'intérieur  de  la Communauté. »  Il est ainsi utile de  renforcer  les dispositifs des Etats membres de  la CEEAC, qui  sont 

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tous  membres  de  l’Union  africaine,  de  manière  qu’ils  insèrent  dans  la  cadre  de  la  coopération multilatérale  sous‐régionale  des  instruments  juridiques  tendant  à  renforcer  les  attentes  juridiques pertinentes de la Charte africaine des Droits et du Bien‐être de l’Enfant.  

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Conclusion et recommandations  

La migration des enfants à partir de  la RDC est une réalité dont on n’a pas pris  la mesure. Ces enfants, pour  la plupart, sinon tous, sont de  la rue. Abandonnés par  leurs familles au pays,  ils migrent dans  le  cadre  de  la  recherche  de  l’élargissement  des  l’horizon  de  leur  vie  et  de  leur  survie. Dans  la perspective historique, cette migration des enfants s’est déroulée sous  la forme de  l’exode rural sur  le plan  interne. Cet exode rural a conduit  les enfants à quitter  les milieux ruraux, soit  l’intérieur du pays, vers certains centres urbains ayant une forte attractivité urbaine. C’est  le cas des villes de Kinshasa ou de Lubumbashi. Par  la  suite et de plus en plus,  récemment,  les enfants de  la  rue migrent  sur  le plan international.  Ils sont présents en Angola  (voir  les Bana Luunda), au Congo‐Brazzaville, en République centrafricaine, voire au Gabon.  

Les  déterminants  de  la  migration  internationale  des  enfants  de  la  rue  sont  complexes.  A l’analyse,  il  ressort que  le  terme « débrouillardise » est  le plus  considéré par  les  sujets migrants eux‐mêmes comme justifiant leur mobilité. Ils migrent pour chercher à se débrouiller ailleurs parce que chez eux,  la pauvreté et  la précarité dans  la rue entretiennent un calvaire pour eux. La « coop » qui  les fait vivre  ici  au  pays,  c’est  ce  qu’ils  cherchent  à  exploiter  également  là‐bas.  Quel  que  soit  le  pays  de destination qu’ils atteignent, ce n’est pas  le secteur formel d’emploi qu’entendent explorer  les enfants migrants, ils n’ont de toute manière des opportunités quasi inexistantes ici ; au contraire, ce sont sur les activités du secteur informel qu’ils se concentrent. 

Dans  la mobilité des enfants de  la  rue,  il nous a paru  intéressant de dégager  le profil de  ces enfants.  Selon  l’échantillon  de  notre  recherche,  entre  les  garçons  et  les  filles mineurs,  ce  sont  les garçons que l’on trouve le plus dans les rues. En ayant fait un découpage en âge de la minorité entre 10‐14 ans et 15‐17 ans, il s’est avéré que les plus jeunes (soit ceux ayant la tranche d’âge entre 10‐14 ans) sont moins nombreux à voyager, ceci se justifie par la fragilité dans la précarité dont ils sont l’objet, mais aussi par le manque de vision et d’ambition dans leur chef. Plus ils grandissent dans la rue (15‐17 ans), plus  ils  cherchent  à  voir  et  à  faire  des  grandes  choses. Dans  ce profil,  un  intérêt  a  été  porté  à  leur trajectoire  d’éducation/formation :  les  enfants  qui  se  retrouvent  sur  la  rue  présentent  une  forte proportion de ceux n’ayant eu aucune éducation/formation ; ceux ayant soit interrompu soit achevé  le niveau primaire occupent la deuxième place. Le système migratoire de ces enfants met en mouvement le territoire migratoire constitué de quelques pays limitrophes que l’on peut atteindre aisément.  

Les  conséquences  de  la migration  des  enfants mettent  en  jeu  les  questions  sécuritaires.  La délinquance juvénile est un mal quel que soit l’endroit où elle se manifeste : elle contient les germes de la violence, du banditisme et de la criminalité. Habitués à de telles pratiques dans  les rues de Kinshasa où  ils  vivent,  les  enfants  de  la  rue  peuvent  les  exporter  là  où  ils  vont.  Non  pas  que  ces  pratiques n’existent pas  comme  telles dans  les différentes  villes  africaines, mais  la  circulation par mobilité des enfants de la rue ne peut qu’en augmenter la fréquence. L’effet de contagion est un phénomène social important : la mode se transmet, la musique diffuse certaines valeurs ; la mobilité des enfants de la rue de  la RDC peut aussi concourir à  la contagion de cette « manière de  faire » auprès des enfants de rue que  l’on retrouve au Congo‐Brazzaville et au Gabon. Que ces derniers adoptent de telles manières, et voici  la généralisation de  la mobilité des enfants sur le continent africain. Ainsi, la mobilité des enfants seuls/non accompagnés est  le terreau de la migration  irrégulière. Les conditions de  la précarité sociale dans  lesquelles  vivent  les  enfants  de  rue  en  mouvement  dans  des  pays  de  destination  semblent conduire  à  la  reproduction  de  l’image  des  villes  africaines  comme  des  espaces  de  misère  et  de marginalisation des  gens.  En mouvement, des  enfants  augmentent  le degré de  leur  abandon  et  ceci devrait davantage éveiller la conscience publique pour plus de mesures de protection et d’aide spéciale pour cette catégorie fragile d’enfants.  

C’est  à  ce  niveau  que  des  recommandations  spécifiques  sont  adressées  à  tous  les  acteurs 

pertinents en RDC et dans la sous‐région. 1. Au gouvernement congolais, il est recommandé : 

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- Qu’il assume toutes ses responsabilités vis‐à‐vis de ses engagements internationaux en matière de la protection et de l’aide spéciales à apporter à l’enfant congolais ; 

- Qu’il rende effectif  le  fonctionnement de toutes  les  institutions et tous  les organes techniques pertinents qu’il a créés en vue d’assurer  la protection de  l’enfant et de  la  jeunesse en RDC. Le fonctionnement effectif de ces organes est lié à la mise à leur disposition des moyens financiers, matériels et humains  conséquents. Ces  institutions et  ces organes devraient  fonctionner non seulement dans la capitale, mais aussi à l’intérieur du pays, dans toutes les provinces.   2. Aux  organisations  non  gouvernementales  et  autres  acteurs  de  la  société  civile  en  RDC 

s’occupant des enfants :  - Qu’elles  s’intéressent davantage à  cette question de manière à  lever des options d’actions et 

des initiatives pour plus de respect et de promotion des droits de l’enfant en RDC.  - Que les ONG et les autres acteurs pertinents de la société civile de multiplier le jeu de lobbying 

auprès des  institutions publiques de manière à concourir à  la mise en place des  institutions et d’autres mécanismes prévus pour assurer la protection et l’aide spéciales à l’enfant. 3. Aux organismes humanitaires du système des Nations Unies, il est recommandé : 

- D’appuyer la diffusion des résultats de cette étude. Le manque d’études sur cette question a été relevé comme un obstacle dans la compréhension des violations des droits des enfants en RDC comme il est écrit dans un document de vulgarisation sur  les droits de  l’enfant et de  la femme de  la LIZADEEL : « En RDC,  il est difficile d’appréhender  la question des violations des droits de l’enfant et de  la femme faute d’étude globale y relative. Les études sectorielles portant sur  les violences sexuelles commises sur les enfants de la rue, sur les enfants en conflit avec la loi, sur l’utilisation  des  enfants  dans  les  conflits  armés,  …  ne  donnent  qu’une  vue  partielle  sur  les millions d’enfants, des femmes et des filles victimes de la discrimination, de la marginalisation et de la pauvreté » (2007 : 11) ; 

- De multiplier  les contacts et  les  initiatives pour augmenter  la conscience de  l’opinion publique en RDC sur les questions des droits de l’enfant ; 

- De  soutenir  les  initiatives  du  gouvernement  central  de manière  à  rendre  opérationnels  les différents organes et mécanismes prévus et à prévoir pour assurer  le  respect et  la promotion des droits de l’enfant en RDC.  

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Federal Office for Migration FOM

Migration au Sénégal :Document thématique 2009

Les transferts de fonds et de compétences des émigrés : enjeux socioéconomiques et

stratégie politique au Sénégal

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