MASTERE GENIE CIVIL EUROPEEN MODULE MAINTENANCE ...
Transcript of MASTERE GENIE CIVIL EUROPEEN MODULE MAINTENANCE ...
ECOLE NATIONALE DES PONTS ET CHAUSSEES
MASTERE GENIE CIVIL EUROPEEN
MODULE MAINTENANCE, PATHOLOGIE ET REPARATION DES CONSTRUCTIONS
(MPREP)
LA PROBLEMATIQUE DE LA
MAINTENANCE DES OUVRAGES
********
LES OUTILS DE GESTION
Bruno GODART
IFSTTAR
Février 2018
2
CONTEXTE ET PRINCIPES D’UN
SYSTEME DE GESTION DES PONTS
3
1 INTRODUCTION
Depuis de nombreuses années, les ponts situés sur les réseaux routiers majeurs sont soumis à une augmentation rapide du trafic (notamment le trafic poids-lourds), à une augmentation du poids des camions dont une partie non négligeable excède le poids autorisé, ainsi qu’aux conséquences indirectes de l’évolution du trafic comme l’accroissement du nombre de chocs de camions contre les appuis et les tabliers de ponts. En outre, dans de nombreux pays, l’utilisation intensive de fondants réduit la durabilité des structures en favorisant la corrosion des aciers et l’écaillage des bétons. La gestion des ouvrages d’art devient donc un enjeu important pour l’économie de tous les pays. Elle nécessite la conception d’un Système de Gestion des Ponts (SGP) qui a pour objectifs principaux, classés par ordre d’importance, de :
• garantir la sécurité des usagers et des tiers ;
• assurer un niveau de service donné (modulable en fonction des itinéraires) ;
• assurer la conservation du patrimoine à long terme. Un système de gestion des ponts se compose d’un ensemble de procédures destinées à assurer la maintenance adéquate de toutes les structures. Il inclut les méthodes, les modèles analytiques, les outils informatiques, les processus organisationnels, et les bases de données nécessaires à sa mise en oeuvre. Comme indiqué au chapitre 1, il agit généralement à deux niveaux : le niveau du « projet » ou niveau de l’ouvrage individuel où la gestion a un caractère essentiellement technique, et le niveau du réseau où la gestion du parc de ponts a davantage un caractère économique et politique. De fortes interactions existent nécessairement entre ces deux niveaux de gestion.
2 CONTEXTE DU SYSTÈME DE GESTION DES PONTS
Avant de mettre en œuvre un système de gestion des ponts, il convient d’examiner les éléments importants suivants :
• Un parc d’ouvrages est en général une collection d’objets uniques et distincts les uns des autres, même s’il est possible de discerner quelques familles d’ouvrages, notamment dans le domaine des ponts autoroutiers . Cette diversité pose des problèmes de gestion liés à la difficulté de déduire des lois globales de dégradation à partir de l’observation de cas particuliers. L’hétérogénéité du comportement des ponts explique en partie la difficulté de formuler des lois générales d’évolution des taux de dégradation en fonction du temps.
4
• Un SGP doit prendre en compte la typologie du parc car différents ponts individuels et diverses familles de ponts peuvent faire appel à des méthodes de gestion distinctes. Par exemple, des familles de ponts présentant une bonne robustesse peuvent demander moins d’inspection, d’auscultation et d’entretien, alors que des ponts exceptionnels, comme les grands ponts suspendus, peuvent nécessiter une gestion individualisée par rapport au reste du parc, ainsi qu’un plan de gestion spécifique.
• La durée de vie requise d’un pont joue un rôle critique dans sa gestion. Normalement, la durée de vie prescrite dépasse la centaine d’années, et la majorité des parcs d’ouvrages inclut maintenant une proportion croissante de vieux ponts. La gestion des ponts concerne donc plusieurs générations humaines, et ce fait pose indéniablement le problème de la continuité des approches socio-économiques avec le temps...
• Un SGP est dépendant de l’organisation administrative de la collectivité, et notamment de la distribution et de la qualification des personnels en place ; ceci est particulièrement vrai au niveau de la politique de surveillance et d’évaluation de l’état des ouvrages.
• Enfin certains ouvrages sont classés Monuments Historiques ou présentent une forte valeur architecturale, et leur gestion nécessite alors une approche différente des autres ouvrages du parc.
Figure 1: Corrosion de câbles de précontrainte
5
D’une manière générale, il apparaît qu’un effort budgétaire supplémentaire reste nécessaire si l’on veut pouvoir appliquer une maintenance préventive qui serait source d’économie à long terme. Une telle maintenance doit être conçue pour éviter ou différer des dépenses futures liées à des réparations lourdes consécutives à un défaut d’entretien comme, par exemple, le non renouvellement d’une chape d’étanchéité défectueuse sur un ouvrage en béton précontraint qui entraîne une corrosion des câbles de précontrainte (Figure 1).
3 BILAN DES SYSTÈMES EXISTANTS DE GESTION DES PONTS
Afin de produire une ossature d’un système de gestion des ponts du réseau routier européen, une enquête a été réalisée sur les SGP existants auprès d’une dizaine de pays européens et de quelques autres pays. L’objectif était d’identifier les meilleures caractéristiques des systèmes existant dans ces divers pays, et de spécifier les exigences d’un système de gestion des ponts qui puisse être élaborée de façon réaliste sans faire appel à des ressources financières excessives. Afin d’obtenir des informations sur les SGP en vigueur, un questionnaire a été élaboré et envoyé aux partenaires du projet BRIME, à d’autres pays européens, ainsi qu’à des pays hors de l’Europe connus pour être bien avancés en terme de gestion des ponts (Canada, Japon, USA). Les questionnaires ont été envoyés aux autorités nationales de chaque pays, à la ville de New York et au département des routes de l’état de Californie. Des réponses ont été reçues de la plupart des pays contactés.
3.1 Description globale des systèmes de gestion des ponts
Parmi les seize pays qui ont répondu à l’enquête, onze utilisent un système informatisé de gestion des ponts ; trois n’utilisent pas de SGP mais sont en train d’en développer un, et deux pays utilisent un système partiellement informatisé. Les âges des systèmes informatisés varient de 2 à 22 ans.
3.2 Documentation
Dans la plupart des pays, les procédures d’utilisation des SGP se trouvent dans divers documents comme les manuels de maintenance, les instructions de gestion et les manuels d’utilisation. En Slovénie, il n’y a ni manuel d’utilisation officiel, ni recommandations ; la documentation utilisable consiste en trois volumes d’un rapport d’un projet de recherche. Trois pays n’ont pas de documentation spéciale sur leur SGP. La plupart des pays utilisent leur SGP pour gérer les ponts du réseau national, c’est à dire les autoroutes et les routes nationales. Aucun SGP des pays interrogés n’est relié au système de gestion des routes. Néanmoins, le système norvégien a un lien automatique au système de gestion des routes pour la numérotation des routes et la localisation des ponts. En Suède, l’intégration des systèmes de gestion des ponts et des routes est en cours de discussion.
6
3.3 Base de données
Tous les pays, à l’exception du Royaume Uni et de la Slovénie utilisent un logiciel de base de données du commerce ; le plus répandu est ORACLE, bien que ACCESS, DELPHI, POWER BUILDER et le langage SQL (Structured Query Language) soient aussi utilisés. Presque tous les pays utilisent des systèmes basés sur WINDOWS. Dans la plupart des pays, les bases de données servent à gérer les structures à la fois localement et au niveau national. En Espagne et au Portugal, la base de données est principalement utilisée pour gérer les ponts au niveau du réseau, et en France, deux bases de données différentes sont utilisées pour gérer les ponts aux niveaux local et national. Les SGP sont utilisés aux différents niveaux qui interviennent dans la maintenance, à savoir les autorités nationales, régionales, départementales, ainsi que les agents chargés de la maintenance. En Norvège, en Suède et au Danemark, ils sont aussi utilisés par les consultants. La responsabilité de la maintenance se situe toujours au niveau national. Les informations sont mises à jour avec des fréquences différentes ; pour quelques pays, cela se fait quotidiennement, pour certains pays occasionnellement, et pour les autres de façon annuelle ou bi-annuelle. Les intervalles de temps dépendent des types de données et des SGP. Le nombre de champs de données varie énormément d’un système à l’autre ; par exemple, la base de données norvégienne contient 1288 champs et 147 tables différentes. La base finlandaise contient 250 champs. Dans certaines bases, l’utilisateur peut introduire ses propres champs.
3.4 État des ponts
Il existe 3 ou 4 niveaux d’inspection (courante, générale, détaillée et spéciale). Les résultats des inspections générales et détaillées sont habituellement stockés dans la base de données, et en Norvège, les résultats des mesures et des auscultations sont aussi enregistrés. En général, l’état est enregistré à la fois pour chaque élément du pont et pour l’ensemble du pont, sauf en Allemagne et en Irlande où l’état est stocké uniquement pour l’ensemble du pont, et le Royaume Uni où seul l’état des éléments est stocké. L’état est généralement évalué sur une échelle de 3 à 5 niveaux.
3.5 Autres informations enregistrées dans le SGP
La date, le type, le coût et la localisation des travaux de maintenance sont enregistrées dans tous les pays. En France, cela est enregistré pour les travaux de maintenance dont le coût dépasse plus de 300 kF (45,7 k€), et en Slovénie, le type et le coût sont enregistrés séparément. L’évaluation des indices d’état juste avant et après l’action de maintenance n’est réalisée que dans cinq pays.
7
3.6 Prévision
La plupart des pays ne font pas appel aux données sur l’état passé des ponts, ni à un modèle de dégradation pour prévoir l’état futur. Des exceptions existent cependant :
• La Finlande où des modèles probabilistes Markoviens sont employés au niveau du réseau, et des modèles déterministes au niveau du projet.
• La ville de New York, la Belgique et la Suède où les données sur l’état passé et des informations sur la dégradation des matériaux avec le temps sont utilisées.
• La Californie où les données sur l’état passé sont usitées.
• La France et la Slovénie où des indices d’état antérieur sont utilisés.
3.7 Coûts
La plupart des pays enregistrent les coûts de maintenance, de réparation, et parfois d’inspection dans leur SGP ; les pays qui font exceptions sont la Belgique, l’Allemagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie. Les SGP utilisés dans la plupart des pays ne calculent pas les conséquences financières des perturbations de trafic induites par les travaux de maintenance et par la gestion du trafic qui en découle. Au Royaume Uni, les coûts des délais de circulation sont calculés soit en utilisant le logiciel QUADRO, soit en utilisant des tables issues de ce logiciel. L’Irlande utilise aussi QUADRO, et la Suède a son propre modèle de calcul des coûts aux usagers.
3.8 Décisions sur la maintenance et la réparation
La plupart des pays n’utilisent pas les SGP informatisés pour prendre des décisions sur les actions de maintenance et de réparation à mener. Les pays qui font exception sont le Danemark qui utilise un programme de priorisation, la Suède qui emploie un module de planification pour étudier les stratégies possibles en association avec des coûts actualisés, la Finlande qui utilise un indice de réparation, et la Californie où des stratégies basées sur une minimisation des coûts sur le long terme et issues du système de gestion PONTIS sont employées. En Belgique, en France, en Allemagne et en Irlande, les décisions sont basées sur le jugement de l’ingénieur. Au Royaume Uni, les coûts tout au long du cycle de vie et l’analyse coûts-avantages sont utilisés. En Espagne, les décisions sont fondées sur le pourcentage du coût de réparation par rapport au coût de remplacement en prenant en compte les perturbations du trafic. La plupart des pays décident de la période à laquelle des travaux de maintenance sont à entreprendre sur la base d’inspections et du jugement de l’ingénieur. En Slovénie, la décision repose sur l’accroissement du flux de trafic et sur l’importance du pont dans la région. En Californie, elle est fondée sur la sécurité et une analyse des bénéfices économiques. (En général, la décision est davantage basée sur des exigences techniques que sur des exigences économiques).
8
La plupart des pays décident de l’option de maintenance à mettre en œuvre sur la base du jugement de l’ingénieur. Au Royaume Uni, cela dépend des solutions possibles, de l’évaluation du coût sur toute la durée de vie, du coût de gestion et de perturbation du trafic sur le réseau.
3.9 Priorisation
La Belgique, la Croatie, l’Allemagne, l’Irlande, la France, le Royaume Uni, la Norvège, le Portugal et la Slovénie ne possèdent pas, au sein de leur SGP, un module pour générer une stratégie de maintenance optimale (à coût minimal) assujettie à des contraintes telles que l’état de service minimal acceptable. Cependant, au Royaume Uni, un tel module est en cours de développement. Ce type de module existe au Danemark (pour la réparation), en Espagne, en Finlande, en Suède, à la ville de New York, et en Californie. Dans le processus d’optimisation, d’autres contraintes sont souvent appliquées comme le coût et la politique dans le cas du Royaume Uni et le coût minimal sur le long terme qui évite une défaillance dans le cas de la Californie. En Suède, le calcul des profits éventuellement réalisés suite à une action conduite au cours de l’année 1 est comparé au report de cette action dans 1, 2, 3 ou 5 ans. Le budget disponible et l’état du pont sont aussi des contraintes appliquées dans plusieurs pays. Le SGP utilisé en Croatie, France, Allemagne, Irlande, Royaume Uni, Norvège, Portugal et Slovénie ne produit pas de stratégie prioritaire de maintenance pour le parc de ponts lorsque le budget consacré à la maintenance est insuffisant. Cependant, la priorisation est appliquée en Belgique, Californie, Danemark, New York, Suède et Espagne, bien que pour le Danemark celle-ci ne soit appliquée que pour la réparation. Seuls le Danemark, la Suède et New York quantifient les conséquences économiques d’une stratégie de maintenance non optimale. Chaque pays fait appel à des critères différents pour la priorisation. Pour la plupart des pays, la responsabilité d’établissement des priorités de maintenance des ponts est prise au niveau national. Les exceptions sont la Norvège, la Finlande et la Suède où la responsabilité est prise au niveau local.
3.10 Contrôle Qualité
Pour tous les pays, il n’y a aucun contrôle qualité de la gestion des ponts, sauf pour la Finlande et la suède où quelques procédures internes sont appliquées.
3.11 Quelques données globales
A partir des réponses aux questionnaires, quelques données globales relatives à la gestion des ponts en Europe sont présentées dans le tableau 1.
9
3.12 Un SGP particulier : PONTIS
En ce qui concerne les Etats-Unis qui cherchent à résoudre le problème posé par l’étendue de leurs infrastructures dégradées, l’évaluation, la réparation et le renforcement des ponts constituent des préoccupations croissantes. En effet, selon les critères de la FHWA (Federal Highway Administration), environ un tiers des 570 000 ponts du réseau américain sont classés comme déficients et nécessitent une réhabilitation ou un remplacement. Le coût total du programme de remplacement et de réhabilitation des ponts est estimé à environ 70 milliards de dollars. Depuis une dizaine d’années, la FHWA a développé un logiciel dénommé PONTIS qui permet le choix de politiques d’optimisation des fonds au niveau du réseau en se basant sur une minimisation des coûts de cycle de vie sur le long terme, préconise des recommandations de maintenance au niveau de chaque ouvrage en effectuant une analyse coûts-bénéfices dont le bénéfice est calculé comme l’économie réalisée en intervenant immédiatement sur l’ouvrage par rapport à un report de l’intervention d’une ou plusieurs années. Actuellement, PONTIS est probablement le SGP le plus avancé ; il est utilisé par environ quarante états aux USA, avec des exceptions notables comme les états de New York et de Pennsylvanie. Un élément particulier de PONTIS est son approche statistique de l’évaluation de l’état des éléments de ponts, chaque élément d’un pont étant considéré comme un membre d’une famille d’éléments isolés de chacun des ponts. Le logiciel utilise une version simple de chaîne de Markov pour modéliser l’avancement de la dégradation, et des probabilités de transition sont appliquées pour modéliser le changement d’indice d’état de chaque élément. Selon des études menées par la Highways Agency [Das 1996], il apparaît que l’influence de défauts sur la fiabilité du pont est ignorée et que l’évaluation de la capacité portante n’est pas effectuée. En outre, les éléments de ponts sont considérés comme étant complètement indépendants, et des données globales obtenues à partir d’un grand nombre de ponts afin de déterminer des taux de dégradation d’éléments de ponts peuvent conduire à des résultats erronés si des facteurs spécifiques ou non documentés ne sont pas pris en compte. Une approche trop sophistiquée peut conduire à négliger de simples facteurs, ce qui peut avoir une influence profonde sur la gestion des ponts. L’enquête a fourni une vue de la situation actuelle en matière de gestion des ponts dans divers pays. Les sections suivantes (2.4 – 2.7) présentent quelques éléments importants d’un SGP, et la section 2.8 une architecture d’un SGP.
4 IMPORTANCE DE L’ÉVALUATION DE LA SÉCURITÉ
L’objectif premier d’un SGP est de garantir la sécurité des usagers. Certains ouvrages (comme les ponts en maçonnerie) présentent de telles réserves de sécurité qu’ils peuvent supporter des désordres importants sans que la sécurité des usagers puisse être mise en doute, et qu’une évaluation visuelle de leur état puisse servir de base pour leur gestion. Par contre, d’autres ouvrages nécessitent une approche plus formelle de leur sécurité, soit parce que des désordres internes ne peuvent être décelés par une inspection ou une simple auscultation (exemple de la corrosion de câbles de précontrainte internes au béton), soit parce que des désordres mineurs localisés dans une partie critique de la structure peuvent la mettre
10
en danger (exemple de la propagation d’une fissure de fatigue dans un assemblage métallique critique) ; pour ceux-ci, l’évaluation de leur capacité portante constitue un élément fondamental de leur gestion, et lorsque les hypothèses des calculs sont soumises à des aléas importants, une approche probabiliste de leur sécurité s’impose et les méthodes fiabilistes constituent alors une aide à la décision pour les ingénieurs [Cremona, 1996].
Tableau 1: Données globales sur la gestion des ponts dans quelques pays d’Europe montrant le rapport entre le coût de la maintenance annuelle
du patrimoine et sa valeur de remplacement.
Gestionnaire
Nombre de ponts
Maintenance :
coût annuel (MEuro)
Valeur de
Remplacement du patrimoine
(Meuro)
Ratio (%)
Belgique Routes de Wallonie
5 000
10
3 800
0.3
Finlande Réseau Routier
15 000
30
2 900
1.0
France Réseau routier
national
22 000
50
10 800
0.5
France Autoroutes concédées
6 000
23
4 100
0.6
Allemagne Réseau routier
national
34 600
318
30 000
1.0
Grande Bretagne
Réseau routier national
9 500
225
22 500
1.0
Irlande Réseau routier
national
> 1800
2.5
450
0.6
Norvège Réseau routier
17 000
37
6 000
0.6
Espagne Réseau routier
national
13 600
13
4 100
0.3
Suède Réseau routier
national
15 000
92
5 300
1.7
11
Les phases de la durée de vie en service d’un pont sont dictées en priorité par la perte de performance structurale, bien que la perte de niveau de service (par exemple, due à la défaillance de composants non structurels) puisse être aussi importante. Pendant toute sa durée de vie, un pont soumis à des réparations ou à des renforcements divers peut atteindre un niveau de service minimal acceptable (Figure 2), ce point correspond à la fin de sa durée de vie en service si aucune autre action de réhabilitation n’est conduite. La forme convexe de la courbe est due au processus de dégradation qui transfert les charges supportées par les zones détériorées vers les zones saines du pont ; ce transfert est généralement irréversible car les réparations ne permettent pas de restaurer l’état initial de contraintes dans la structure. Les objectifs d’une stratégie efficace de maintenance sont donc d’augmenter la durée de vie de service du pont à un coût minimal ; plus la durée de vie en service sans coûts de maintenance lourde sera longue, plus le pont pourra être considéré comme durable.
Figure 2: Performance d’un pont en fonction du temps (les sauts verticaux correspondent à des actions de maintenance). La performance peut être représentée par l’indice d’état ou la capacité portante.
5 CONCEPT DE CYCLE DE VIE
Le concept de coût du cycle de vie apparaît comme fondamental en matière de gestion. Le coût de la maintenance doit en effet prendre en compte non seulement les coûts initiaux, mais aussi les coûts futurs qui sont fonction de la stratégie de maintenance adoptée. Ainsi, si l’on effectue aujourd’hui une réparation provisoire à la place d’une réparation définitive, il sera nécessaire de procéder à des travaux conséquents plus tard.
Pont Non-durable
Pont durable
Niveau de sécurité minimal acceptable
Performance
Temps
Fin de la Durée de vie de service
12
Pour pouvoir appliquer cette notion de cycle de vie, les coûts et les bénéfices obtenus au cours du temps doivent pouvoir être évalués. La prise en compte du temps se fait par l’intermédiaire du taux d’actualisation qui mesure la préférence qu’a la collectivité pour le présent plutôt que pour le futur. La politique la plus rentable est celle qui maximise la différence entre les bénéfices et les coûts actualisés (les coûts intégrant les dépenses de maintenance effectuées par le gestionnaire et les couts sociaux supportés par la collectivité). S’il apparaît primordial de comparer différentes stratégies de maintenance sur la base des coûts de cycle de vie, il convient cependant de noter que cette approche a des limites :
• Pour pouvoir opérer cette comparaison, les coûts doivent donc être actualisés et le choix du coefficient d’actualisation à l’échelle du siècle constitue une réelle difficulté que l’on peut tenter de résoudre par un calcul en fourchette faisant intervenir plusieurs hypothèses sur la valeur de ce coefficient [Llanos 1992]. En fait, ce coefficient est essentiellement utilisé pour comparer la rentabilité de différents investissements d’infrastructures sur une période de 20 ou 30 ans, et il devrait être modifié pour la gestion de structures comme les ponts qui ont une durée de vie exigée de plus de 100 ans. Concernant la gestion des ponts sur le long terme, il est généralement admis que le taux d’actualisation devrait avoir une valeur raisonnablement faible, telle que 1 ou 2 % (Figure 3). L’utilisation d’un taux d’actualisation signifie qu’après quelques dizaines d’années, les coûts futurs deviennent assez rapidement négligeables par rapport aux coûts actuels. Le rapport de l’OCDE [OECD 1992] affirme que les coûts survenant dans un avenir lointain, par exemple au-delà de 50 ans, ne sont pas significatifs en termes de valeurs monétaires actuelles, et la tentation est alors grande en terme économique de différer les interventions lourdes. Mais, l’accumulation d’interventions différées peut entraîner à la longue une réhabilitation complète particulièrement onéreuse. Il est par conséquent indispensable de considérer les conséquences sur le long terme d’une stratégie de maintenance.
• Si l’utilisation de la notion de coût du cycle de vie peut s’avérer utile au niveau d’un ouvrage isolé, rien ne prouve que la somme des coûts de cycle de vie de chacun des ouvrages corresponde à un coût optimisé au niveau du parc ; c’est ainsi que l’application sans discernement de cette méthode peut conduire à une réparation simultanée d’un grand nombre d’ouvrages qui ne pourra être entreprise à la fois pour des raisons de gestion du trafic sur l’ensemble du réseau, pour des raisons de capacité d’absorption des travaux par les entreprises et les services gestionnaires, et pour de simples motifs budgétaires...
• La notion du coût de cycle de vie doit intégrer les coûts sociaux. A un niveau macro-économique, ces coûts sociaux peuvent être définis comme la perte de productivité d’une région par suite du mauvais fonctionnement de son réseau routier. A un niveau plus pragmatique, ils représentent les coûts de la gêne à l’usager, c’est-à-dire les pertes de temps dus au ralentissement de vitesse ou à la déviation d’itinéraire, la plus grande usure des véhicules, les risques
13
d’accident, etc. Tous ces coûts sociaux sont très difficiles à estimer avec un degré de précision suffisant.
Figure 3: Dépréciation d’ 1 EURO sur une longue période de temps en fonction de différents taux d’actualisation, compris entre 0 et 12 %. (Commentaire : afin qu’un pont conserve une valeur à 100 ans, le taux d’actualisation devrait être inférieur à 4 %)
6 ÉTABLISSEMENT DE PRIORITÉS
L’établissement des priorités est certainement une des phases les plus difficiles de la gestion. Les systèmes les plus simples sont généralement fondés sur le croisement d’un indice d’état et d’un indice stratégique (#) qui permet au minimum d’obtenir un ordre de priorité d’intervention par paquets d’ouvrages. Cette approche permet de détecter les ouvrages ou paquets d’ouvrages sur lesquels il convient d’intervenir en priorité et répond bien à ce que l’on pourrait qualifier de « politique de gestion de l’urgence ». Cette politique s’applique classiquement à des pays en voie de développement qui ont souvent un réseau dégradé, mais elle s’applique aussi à des collectivités de pays développés ayant négligé la maintenance de leurs ouvrages pendant de nombreuses années et qui sont confrontées à des réparations lourdes ou à des reconstructions d’une partie importante de leur parc. -------------------------- # L’indice stratégique peut intégrer des critères multiples, mais le classement qui repose sur la hiérarchie du réseau routier, le franchissement d’obstacles importants, la difficulté de déviation du trafic et le concept d’accès unique (à un village, une usine, etc.), a une influence importante sur l’indice.
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
1,2
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100
TEMPS (années)
Vale
ur (
EU
RO
)
i = 0%
i =
1%
i =
2%i = 3%
i = 4%i = 6%i = 8%i = 12%
0,37
0,1
4
0,05
14
Dans les pays où une maintenance a déjà été appliquée et où le parc est dans un état globalement satisfaisant, il devient alors possible d’établir des priorités sur la base d’une optimisation des moyens reposant sur une véritable approche socio-économique.
7 LE PROBLÈME DE LA PRÉVISION
Comme nous l’avons noté plus haut, il est impossible de bâtir des stratégies de maintenance si nous ne sommes pas capables de prévoir l’évolution des ouvrages dans l’avenir faute d’existence de procédures bien établies. Hors, le manque de connaissances rend très difficile l’établissement de pronostic sur le comportement futur d’un ouvrage et sur sa durée de vie résiduelle. La façon la plus simple pour effectuer une prévision est de la fonder sur une extrapolation de courbes d’évolution du suivi des ouvrages existants (approche de type globale). Néanmoins, pour certaines dégradations de matériaux comme la corrosion ou l’alcali-réaction, il paraît possible de bâtir des modèles de vieillissement sur la base d’une approche scientifique des lois de dégradation des matériaux ; mais, dans ce cas, la difficulté essentielle réside dans le passage des lois de dégradation du matériau aux lois d’évolution des désordres de la structure.
8 ARCHITECTURE D’UN SGP
Sur la base des considérations précédentes, un système de gestion des ponts qui soit capable de répondre aux divers objectifs des gestionnaires, doit être modulaire et incorporer au minimum les principaux modules suivants :
• Inventaire du patrimoine
• Connaissance et suivi de l’état des ponts et de leurs éléments
• Evaluation en terme de risques encourus par les usagers (y compris l’évaluation de la capacité portante)
• Gestion des restrictions d’exploitation et des passages de convois exceptionnels
• Evaluation des coûts des différentes stratégies de maintenance
• Prévision de l’évolution de l’état et des coûts selon différentes stratégies de maintenance
• Importance socio-économique du pont (évaluation des coûts indirects)
• Optimisation sous contraintes budgétaires
• Etablissement des priorités de maintenance
• Suivi budgétaire à court et à long terme La figure 2.4 schématise l’architecture d’un SGP avec ses principaux modules et les interactions existant entre ceux-ci. L’architecture prend en compte les deux niveaux de gestion (niveau du projet et niveau du réseau), et est organisée de façon à montrer les contributions de chaque sujet du projet BRIME (Sujets 1 à 6). Une discussion plus détaillée est présentée au chapitre 9.
15
Figure 4: Diagramme schématique de l’architecture d’un SGP indiquant
les principales interactions entre les divers modules.
16
9 CONCLUSIONS
L’objectif d’un SGP est de préserver le capital d’infrastructures en optimisant les coûts sur la durée de vie des ouvrages, tout en assurant la sécurité des usagers et en offrant une qualité de service suffisante. Il s’agit donc d’un problème d’optimisation sous contraintes multiples. Comme le mentionne Llanos [1992], une politique à court terme a des effets visibles à court terme ; elle permet d’améliorer l’état du patrimoine au bout de l’échéance fixée, mais cette politique a un coût par rapport à l’optimum économique qui demande une gestion à long terme. Outre la « révolution » dans l’esprit des financiers et des gestionnaires que cette politique de gestion à long terme suppose, celle-ci se heurte à un écueil technique qui est l’absence de modèles de prévision du comportement des ponts. Un autre écueil est la connaissance des coûts sociaux engendrés par la dégradation des ponts. Comme le remarque Yanev [1998], il est donc probable dans le futur que le jugement de l’ingénieur soit encore nécessaire pour prendre les décisions en matière de priorité et de choix de maintenance, et qu’une gestion informatisée des ponts ne soit là que pour fournir la grande quantité de données nécessaires à la gestion et pour éclairer les choix de l’ingénieur gestionnaire. C’est pourquoi, même si un SGP informatisé est en mesure d’établir une liste de priorités de maintenance, les résultats doivent être étudiés avec soin et les décisions prises en tenant compte de facteurs qui ne sont pas monétisables et qui ne peuvent donc être introduits dans le système informatique : il en est ainsi du jugement de l’ingénieur, mais aussi des données politiques, de l’aspect esthétique, ou du caractère prestigieux de l’ouvrage qui détermineront les contraintes de maintenance d’un parc de ponts.
10 RÉFÉRENCES
Cremona C. 1996. Optimisation de la fiabilité et de la maintenance des ouvrages d'art métalliques. Troisième conférence nationale sur l'intégrité des structures INSTRUC 3, Société Française des Mécaniciens, 27-28 novembre 1996.
Das P. 1996. Bridge management methodologies. - Recent advances in Bridge Engineering., Edited by J.R. Casas, F.W. Klaiber and A.R. Mari, CIMNE Barcelona, 1996.
Lauridsen J. et al 1998. Creating a Bridge Management System. Structural Engineering International, Vol 8, Number 3, pp 216-220, August 1998.
Llanos J. 1992. La maintenance des ponts, Approche économique. Presses de l’ENPC, 176 pages.
OECD 1992. La gestion des ouvrages d’art. Rapport de l’OCDE, 132 pages.
Yanev B. 1998. Bridge Management for New York City. Structural Engineering International, Vol 8, Number 3, pp 211-215, August 1998.
17
11 BIBLIOGRAPHIE
Calgaro J.A. et Lacroix R. 1997. Maintenance et réparation des ponts. Presses de l’ENPC, 1997, 666 pages.
ENPC 1994. Gestion des ouvrages d’art. Actes du colloque organisé par l’ENPC, Paris, 18-20 octobre 1994, Presses de l’ENPC, 596 pages.
Thomas Tefford 1998. The Management of Highway Structures. London 22-23 June 1998, The Institution of Civil Engineers and the UK Highway Agency.
18
LES OUTILS DE GESTION D’UN PARC D’OUVRAGES D’ART
B. GODART
(IFSTTAR)
1. - INTRODUCTION
La France compte un réseau routier d’environ 900 000 km sur lequel on évalue le nombre de
ponts de plus de 2m de portée à environ 240 000. Depuis la décentralisation de 1982, ce
réseau est géré par de multiples collectivités publiques, et la répartition des infrastructures
entre ces diverses collectivités est approximativement la suivante :
Priopriétaires Nombre de ponts
de longueur > 2m
Etat (DGITM – National) 12 000
Etat (autoroutes concédées - National) 8 500
Conseils Généraux (Département) 96 000
Collectivités locales (villes, communes,…) 115 000
SNCF (Hors ponts ferroviaires) 6 000
Total 237 500
Tableau 1 : Répartition des ponts routiers en fonction des propriétaires
Jusqu’en 1980, l’Etat français gérait l’essentiel des 230 000 ponts routiers du pays. En 1982,
une loi de décentralisation a transféré la responsabilité de la gestion des routes communales
aux villes et communes et la responsabilité des routes départementales aux Départements. Le
réseau de l’Etat est donc passé de la gestion d’environ 200 000 ponts à 23 000. En 2009, une
seconde loi de décentralisation a transféré 11 000 ponts de l’Etat vers les départements, et une
autre loi a privatisé les 6000 km d’autoroutes qui étaient auparavant gérées par des sociétés
publiques. Le paysage administratif français a donc considérablement changé au cours de ces
20 dernières années, et a eu des répercussions non négligeables sur la gestion des ponts
français.
La France a une longue tradition d’entretien de ses ponts, en témoigne l’existence de certains
ponts vieux de plus de 2000 ans dont le fameux Aqueduc du Gard près de Nîmes construit par
les Gallo-Romains entre 4à et 60 après JC (Fig. 1).
Au cours des 50 dernières années, la France a construit un réseau autoroutier qui atteint
maintenant 8000 km, dont 5000 km sont concédées à des sociétés à péage afin de pouvoir
faire face à l’accroissement considérable du trafic routier. En effet, la France est un pays
19
Figure 1 : Vue de l’Aqueduc du Gard près de Nîmes
carrefour au sein de l’Europe dans la mesure où transite sur son territoire un important trafic
de poids lourds entre L’Espagne, L’Italie, la Grande Bretagne, l’Allemagne et la Hollande
avec son important port de Rotterdam.
Maintenant que le réseau routier de la France, comme d’une manière plus générale ceux des
autres pays de l’Europe, a atteint un niveau de développement appréciable, la France
commence à être confrontée à un vieillissement de son réseau autoroutier et à une évolution
des conditions d’exploitation des ouvrages d’art qui posent de manière accrue le problème de
leur maintenance sur le long terme. La gestion des ouvrages d’art devient ainsi une
préoccupation partagée par les sociétés d’autoroutes un nombre croissant de collectivités
propriétaires de ces ouvrages, d’autant plus que ces derniers (ponts, tunnels et grands murs de
soutènement) constituent la partie la plus vulnérable des infrastructures [1], [2], [3].
Depuis de nombreuses années, les ponts situés sur les réseaux routiers majeurs sont soumis à
une augmentation rapide du trafic (notamment le trafic poids-lourds), à une augmentation du
poids des camions dont une partie non négligeable excède le poids autorisé, ainsi qu’aux
conséquences indirectes de l’évolution du trafic comme l’accroissement du nombre de chocs
de camions contre les appuis et les tabliers de ponts [4], [5]. Les tunnels, quant à eux, sont de
plus en plus concernés par des incendies provoqués par les poids-lourds (deux incendies
importants se sont déjà produits dans le tunnel sous la Manche, et un incendie dans le tunnel
sous le Mont-Blanc a fait une quarantaine de morts en 1999). Par ailleurs, l’utilisation
croissante de fondants réduit la durabilité des structures en favorisant la corrosion des aciers
et l’écaillage des bétons. Il n’est ainsi pas rare d’observer que certains ouvrages montrent des
signes importants de dégradation après seulement quelques décennies de service. Ces
désordres aboutissent à augmenter la fréquence des réparations et peuvent générer une baisse
de la capacité portante des ouvrages [6].
20
La gestion des ouvrages d’art devient donc un enjeu important pour l’économie de la France
et nécessite un Système de Gestion des Ouvrages d’Art (SGOA) qui a pour objectifs
principaux, classés par ordre d’importance, de :
• garantir la sécurité des usagers et des tiers ;
• assurer un niveau de service donné (modulable en fonction des itinéraires) ;
• assurer la conservation du patrimoine à long terme.
Dans le présent article, nous allons examiner les principaux outils nécessaires pour pouvoir
gérer un parc d’ouvrages d’art, en examinant d’abord les outils existants, puis en présentant
les méthodes en cours de développement
2. - LES OUTILS ACTUELS D’AIDE A LA GESTION DES OUVRAGES
D’ART
2.1 - L’outil méthodologique
C’est lui qui définit la méthodologie de gestion et qui détermine la façon dont les ouvrages
seront surveillés, évalués, entretenus, réparés, etc. Cette méthodologie dépend de
nombreux facteurs tels que :
• les objectifs fixés par le maître d’ouvrage
• l’organisation administrative des divers services du Maître d’ouvrage (ou du
gestionnaire) qui concourent à la gestion des ouvrages
• les moyens humains et financiers qui peuvent y être affectés
En France, l’outil méthodologique le plus abouti est celui développé depuis 1979 par la
Direction des Routes de l’Etat français, et qui est formalisé par l’Instruction Technique pour
la Surveillance et l’Entretien des Ouvrages d’Art (dite ITSEOA 1979) [7]. Cette instruction
technique qui s’adresse aux ponts, murs de soutènement, tunnels, grands déblais et remblais
date effectivement d’octobre 1979, et a été actualisée en décembre 1995 pour y introduire une
nouvelle opération d’évaluation visuelle rapide de l’état des ouvrages dénommée « IQOA »
(Image de la Qualité des Ouvrages d’Art) [8]. Cette instruction s’applique formellement au
patrimoine de l’Etat, mais dans la pratique elle inspire aussi la politique de gestion des
départements, des communes et des villes, ainsi que des sociétés de chemin de fer et de métro.
Cette instruction dont la genèse remonte au cycle d’études des ouvrages d’art qui avait eu lieu
en 1976 dans les DDE (Services opérationnels de l’Etat), et qui a largement bénéficié des
retombées de l’effondrement du pont en maçonnerie de la RN 10 sur la Loire à Tours en 1978
(pont Wilson), comporte une première partie qui fixe les modalités administratives de
maintenance, et une seconde partie qui comporte une vingtaine de fascicules techniques
traitant de la pathologie, de la surveillance et de la maintenance des divers types d’ouvrages
existants. Cette instruction est en cours de révision sur un certain nombre de points qui seront
abordés dans la suite de cet article.
Cette instruction intègre maintenant la méthode d’évaluation de l’état des ponts dénommée
IQOA et développée dans les années 1990. Cette dernière comporte un guide de visite IQOA
en subdivision, des procès-verbaux de visite, et surtout une trentaine de catalogues qui
21
recensent les pathologies que l’on peut rencontrer sur les divers types de ponts et de murs de
soutènement en indiquant pour chacun des désordres observés une cotation de gravité [8].
Cette méthode permet de classifier les ouvrages en cinq classes d’état apparent à laquelle
s’ajoute une mention S pour les problèmes de sécurité aux usagers ; ces classes sont les
suivantes :
◼ 1 ouvrage en bon état général
◼ 2 ouvrages présentant des désordres mineurs
◼ 2E : ouvrages présentant des désordres mineurs et nécessitant un entretien rapide pour
éviter que l’ouvrage ne tombe en classe 3
◼ 3 : ouvrages présentant des désordres majeurs
◼ 3U : ouvrages présentant des désordres majeurs et nécessitant une réparation urgente
Enfin, il est important de noter que d’autres outils méthodologiques existent comme la
méthode VSC (Visites Simplifiées Comparées) [9], la méthode des visites quantifiées pour les
ponts départementaux, la méthode départementale, la méthodologie utilisée par la SNCF, etc.
2.2 - L’outil informatique
L’outil informatique devient maintenant incontournable pour gérer les ouvrages et venir en
appui de l’outil méthodologique. Il doit encore être considéré comme un outil d’aide à la
gestion (et non de gestion) dans la mesure où les décisions et interventions humaines jouent
encore un rôle important en matière de gestion. Le logiciel d’aide à la gestion le plus courant
comporte les quelques modules de base suivants :
• L’inventaire des ouvrages ;
• La description des ouvrages ;
• Le suivi de leur état ;
• La programmation, le suivi et l’historique des actions de surveillance et des opérations
de maintenance (entretien courant, entretien spécialisé et réparation).
Ce type de logiciel permet d’acquérir, d’archiver et d’accéder aux diverses données sur les
ouvrages, ainsi que de les analyser pour en tirer des informations synthétiques (de type
indicateur de l’état de santé, coût total des réparations effectuées,…).
Le logiciel d’aide à la gestion exploite une base de données qui constitue un outil en elle-
même. Cette base comporte des données sur la constitution des ouvrages, des données sur leur
état, des données de trafic, et aussi des données économiques comme les coûts des
inspections, les coûts unitaires de réparation qui permettent de faire des estimations grossières
des interventions, etc.
Concernant les informations relatives aux ouvrages, cette base de données ne contient pas
l’ensemble d’un dossier d’ouvrage, mais plutôt une sélection de données spécifiques qui
suffisent en principe à répondre aux principales questions que se pose le gestionnaire et à
opérer une pré-programmation des travaux. Elle contient souvent quelques photos de
l’ouvrage qui sont souvent des photos permettant de reconnaître rapidement l’ouvrage (une
élévation, une vue par dessus de l’ouvrage,…) et de visualiser les désordres majeurs ainsi que
22
les désordres affectant les dispositifs de sécurité. Souvent, elle contient aussi un certain
nombre de plans constitués à l’aide du logiciel AUTOCAD ou des schémas type
correspondant au type de pont ou de mur auquel se rattache l’ouvrage considéré.
L’exploitation de cette base de données permet en général l’impression d’une fiche
descriptive permettant de visualiser rapidement l’ouvrage.
En ce qui concerne la vie de l’ouvrage, cette base de données ne contient pas en général la
totalité du contenu des rapports d’inspection détaillée ou la totalité des informations sur
l’histoire de l’ouvrage, mais là encore, un résumé des principaux évènements intervenus
durant la vie de l’ouvrage comme :
• le relevé des cotations par parties d’ouvrages suite aux contrôles annuels
• les conclusions des inspections détaillées :
o principaux désordres constatés
o état de l’ouvrage
o études et investigations à entreprendre
o actions d’entretien courant à mener
o travaux de réparation éventuels à entreprendre
• le suivi détaillé des visites et inspections, auscultations, évaluations
• le suivi des différentes interventions sur l’ouvrage (réparation, élargissement,
reconstruction,…)
L’outil informatique est capable de faire des tris pour ressortir des listes d’ouvrages ayant des
propriétés bien définis comme, par exemple, la liste des ponts interdits aux convois
exceptionnels ou la liste des ouvrages soumis à des actions particulières de surveillance telles
que la surveillance renforcée ou la haute surveillance. Il doit permettre de faire des recherches
multicritères pour pouvoir répondre à des questions du type :
-- quels sont les ponts qui sont classés 3U et qui nécessitent une réparation urgente ?
-- Quels sont les ponts dont l’indice d’état est supérieur à 2 et qui se trouvent sur tel
itinéraire ?
-- Quelles sont les actions de surveillance programmées sur une période donnée et utilisant un
moyen de visite donné ?
-- Quelle est la liste des chantiers programmés pour une période donnée ?
Il doit aussi permettre de faire des analyses statistiques sous forme d’histogrammes, de
camemberts pour l’ensemble des ouvrages du parc ou pour une sélection de ponts choisis. On
peut ainsi obtenir la répartition des ponts suivant leur cotation, leur matériau, leur âge, leur
surface, etc.
Parmi les logiciels d’aide à la gestion existant en France et aptes à répondre à la majeure
partie des points abordés dans ce chapitre, il est possible de lister de façon non exhaustive les
produits suivants : LAGORA (logiciel du SETRA permettant la gestion des ponts de l’Etat),
OASIS + OKAPI (Société TWS), SCANPRINT (Société ADVITAM), VSC (Réseau des
LPC), etc…
2.3 - L’outil de programmation
Nous avons souhaité isoler cet outil car il est au coeur du système, mais il convient de noter
qu’il est en fait partie intégrante des outils méthodologiques et informatiques.
23
La programmation permet de générer des actions de surveillance (contrôles annuels, visites,
inspections détaillées, inspections subaquatiques relatives à un ouvrage donné), et d’éditer un
planning annuel ou un planning sur plusieurs années de surveillance d’un parc d’ouvrages par
type d’ouvrage, par région, par moyen de visite, par sous-traitant, etc. La programmation
permet aussi de planifier les études et auscultations qui sont nécessaires à l’établissement du
diagnostic, et si possible du pronostic, cette étape étant indispensable avant de prendre des
décisions de travaux.
La programmation des travaux doit pouvoir se faire par ouvrage ou par type de travaux
(notion de regroupement d’ouvrages bénéficiant des mêmes travaux ou notion d’itinéraire…).
Elle doit permettre de gérer les marchés passés avec les entreprises de travaux.
7
6
5
4
3
2
1
1 2 3 4 5
Figure 2 : Exemple de hiérarchisation des priorités
Chaque maître d’ouvrage doit pouvoir définir ses propres enjeux socio-économiques. La
programmation des actions de maintenance se fait souvent de la façon la plus simple en
hiérarchisant les ouvrages sujets à intervention sur la base d’un croisement d’un indice de
priorité technique (urgence à intervenir) et d’un indice socio-économique (Fig. 2). L’indice
socio-économique reflète l’intérêt que présente, pour le maître d’ouvrage, chaque ouvrage
d’un point de vue stratégique, économique, social, historique, politique,… Pour bâtir cet
indice, un certain nombre de critères peuvent être retenus comme :
• La hiérarchisation du réseau routier
• Le trafic (notamment le trafic PL)
• Les dessertes de zones économiques ou touristiques
• les accès à des services de secours ou de santé
• la valeur patrimoniale de l’ouvrage
• les coûts de déviation
La construction de cet indice reste toutefois délicate car certains critères apparaissent
difficilement quantifiables (valeur d’un ouvrage classé monument historique, critère de nature
politique,…), et d’autres facteurs peuvent ponctuellement entrer en ligne de compte (par
exemple implantation de l’ouvrage en zone sismique ou en zone inondable).
Indice de priorité
socio-économique
Ouvrages de
priorité 1
Ouvrages de
priorité 2
Ouvrages de priorité 3 Ouvrages de priorité 4
Indice de priorité technique
24
3. - LES OUTILS D’INSPECTION EN DEVELOPPEMENT
Dans le domaine de l’inspection, nous retiendrons trois outils qui par leurs développement
sont venus aider ou améliorer l’inspecteur dans sa tâche.
3.1 La saisie graphique informatisée sur le terrain
La saisie graphique informatisée sur le terrain ; grâce à l’avènement des ordinateurs de terrain
de type tablette graphique, il est possible de d’enregistrer directement sur ordinateur les
désordres relevés sur ouvrage, pourvu que des plans informatisés de l’ouvrage aient été
introduits dans l’ordinateur préalablement à l’inspection, et qu’une liste exhaustive de défauts
ait été créée. Cette informatisation du travail permet d’éditer de façon « automatique » les
rapports d’inspection, d’autant plus que l’utilisation d’appareils photographiques numériques
permettent l’introduction rapide de photos de désordres dans le rapport. Il convient cependant
de noter que la qualité des photos numériques restent encore inférieure à celle des photos
argentiques, mais surtout que l’automatisme d’édition des rapports est en fait un semi-
automatisme dans la mesure où les conclusions et les préconisations du responsable de
l’inspection restent du domaine de l’avis du spécialiste et qu’il ne peut être automatisé (la
notion de système expert n’est assurément pas encore applicable dans le domaine de la
pathologie des ouvrages !). Deux exemples de développement de tels outils peuvent être cités
avec l’outil SCANPRINT de la société ADVITAM et l’outil de saisie automatique IQOA du
SETRA.
3.2 la cartographie de désordres à distance
La cartographie à distance des désordres présents sur une structure [10] (exemple du système
SCANSITES de la société SITES) peut être réalisée à l’aide d’un système d’inspection à
distance pour quantifier et suivre dans le temps avec une grande précision l’état de
dégradation des structures. C’est une technique qui a fait ses preuves depuis plusieurs années.
Ce système fait appel à une caméra équipée de capteurs CCD couleur et à un distancemètre
laser montés sur un trépied motorisé et pilotables selon les 3 directions. Il est couplé à un
logiciel de saisie, de traitement et de base de données. Il permet la saisie des défauts avec une
précision de l’ordre de 1 mm à 100 m et leur localisation. Il permet aussi de faire du suivi de
fissuration avec le temps par comparaison entre deux images ; grâce à la numérisation de ces
images, certains logiciels permettent de calculer des évolutions entre deux inspections : cela
se pratique notamment pour les allongements de fissures.
Cette technique est bien adaptée pour les grands ouvrages d’accès difficile comme les
aéroréfrigérants atmosphériques, les barrages, les piles de grande hauteur, etc.
3.3 L’utilisation de drones
Le recours à des moyens innovants d’accès aux ouvrages comme les hélicoptères, ou de
manière générale les drones, constitue un nouvel outil au service de l’inspection des ouvrages,
surtout pour les ouvrages d’accès difficile ou des ouvrages situés dans des environnements
contraignants. En effet, ces engins volants peuvent être équipés d’appareils photos ou de
caméra numérique qui permettent de balayer assez rapidement des surfaces de parement
importantes pour y repérer les désordres. Bénéficiant de l’expérience des sociétés de cinéma
qui utilisent les hélicoptères, ou dans un proche avenir de l’expérience des militaires qui
25
développent des drones pour effectuer diverses missions sur les champs de bataille, il est
possible que ces engins remplacent dans le futur un certain nombre de moyens d’accès ou un
certain nombre d’interventions humaines acrobatiques.
Plusieurs sociétés françaises développent des drones de diverses technologies pour
l’inspection des ouvrages ; on peut ainsi mentionner la société DIADES qui a inspecté en
2012 les piles de grande hauteur du viaduc de Millau. Le LCPC a choisi de développer son
propre drone qui est un hélicoptère (Fig. 3) ; en collaboration avec la société aéronautique
fabricant le drone, le LCPC a fortement amélioré la stabilisation en vol de façon à pouvoir
prendre des images les plus nettes possibles, la simplification du pilotage, l’autonomie en vol,
la géo-localisation par GPS du drone, et a créé une plateforme d’emport qui permet de monter
divers appareils d’auscultation et d’instrumentation de façon à pouvoir opérer des mesures sur
les ouvrages à distance. Bien que ces drones ne soient pas encore utilisées couramment pour
inspecter les ouvrages, ils commencent à rendre des services dans des domaines connexes
comme la détection de pollution dans des rivières, la reconnaissance de pentes instables dans
des versants montagneux difficilement accessibles, etc…
Figure 3 : Exemple du drone (hélicoptère) du LCPC en position d’inspection près de
l’âme inclinée d’un pont-caisson en béton précontraint (viaduc de Saint-Cloud).
3.4 Les inspections ciblées
3.4.1 - Objectifs des inspections ciblées
L’objectif des inspections ciblées est d’améliorer les procédures de gestion et de favoriser
l’entretien préventif des ponts en introduisant :
◼ une méthodologie d’analyse des vulnérabilités des structures de génie civil permettant
d’optimiser, en terme de fréquence d’inspection et de modes d’auscultation, la
surveillance des parties les plus sensibles
26
◼ un suivi à intervalles plus ou moins réguliers par des techniques de contrôle non
destructifs d’indicateurs de vieillissement représentatifs d’une perte de durabilité,
d’aptitude au service ou de capacité portante.
L'objectif des inspections ciblées est donc d'établir un bilan de santé (un check up) des
ouvrages avant l'apparition prévisible de désordres, comme par exemple l'apparition
d'armatures oxydées, dans le but de programmer les suites à donner :
◼ le planning des prochaines actions de surveillance, éventuellement inspections
détaillées et/ou inspections ciblées,
◼ la réalisation d'un traitement préventif.
Nous avions déjà fait évoluer en 1995 notre instruction technique sur la surveillance ITSEOA
en adaptant la fréquence des inspections détaillées à la robustesse des ouvrages, mais là nous
comptons aller plus loin en incorporant de l’auscultation au cours des inspections et en
modulant la fréquence des inspections aux résultats fournis par les mesures réalisées sur les
ouvrages. Il est évident que cette nouvelle politique nécessite une grande expérience de la
pathologie des ouvrages, une bonne connaissance de sa vitesse d’évolution dans le temps et
une confiance dans les méthodes d’auscultation et les laboratoires qui les appliquent. La mise
en place d’une telle politique ne peut donc se faire que pas à pas et en commençant par les
problèmes les plus simples.
3.4.2 Quelques principes
La première inspection ciblée pourrait intervenir au ¼ de la durée de vie prévue de l'ouvrage,
puis les inspections ciblées suivantes pourraient être définies en fonction du type de l'ouvrage,
de son exposition aux environnement agressifs et des résultats de la première intervention.
Les inspections ciblées ne pourront pas inclure l'ensemble des essais possibles pour chaque
type de structure; seul les essais les plus courants, de préférence non destructifs, ou semi
destructifs, devront être envisagés, dans le but de limiter la durée et le coût de ces
interventions. En outre, tous les ouvrages ne seront pas concernés, en particulier seront a
priori exclus :
◼ les ouvrages « à risques » faisant l'objet d'une étude spécifique tels que les buses
métalliques, les VIPP, les ouvrages affouillables,...
◼ les ouvrages présentant déjà des désordres significatifs (notés 3 et/ou 3U selon la
méthode IQOA),
◼ les ouvrages ayant fait l'objet récemment de travaux de réparation ou de confortement.
3.4.3 Exemple d’application à la durabilité des ponts en béton armé
A titre d’exemple, si l’on s’intéresse au problème de la durabilité du béton armé vis-à-vis de
la corrosion, on pourrait envisager pour un pont dalle :
- en milieu rural, des essais simples notamment des mesures d'enrobage, des profondeurs de
carbonatation,... programmés approximativement tous les 25 ans
- en atmosphère marine, des essais plus complets (au minimum réalisation de profils de
chlorures...), programmés selon des échéances plus resserrées (tous les 10, 15 ans par
exemple).
27
On pourrait définir 2 zones test, c'est à dire les 2 parties d'ouvrage représentatives où seront
réalisés les différents essais, avec par exemple, pour ce pont dalle :
◼ une pile située en bordure de la voie franchie, soumise en partie inférieure à des
projections d'eaux salées,
◼ l'intrados de la dalle pouvant être affecté selon la localisation par un brouillard salin
(au doit de la voie franchie), ou uniquement par la carbonatation sur les travée
adjacentes
Les essais à effectuer pourraient consister en des mesures des épaisseurs d'enrobages, des
mesures de profondeur de carbonatation, des profils de teneur en chlorures, voire des mesures
de potentiel d’électrode et des mesures de vitesse de corrosion.
L’interprétation de ces résultats d’essais permettraient de déterminer s’il est nécessaire
d’appliquer des traitements préventifs, comme par exemple l’application d'un revêtement de
surface. Le check up doit également permettre une conclusion simple, facilement exploitable,
avec par exemple la fourniture d’un indice de vieillissement qui pourrait être compris entre 0
et 1. Cet indice pourrait être comparé à un indice théorique (dépendant de l'age de l'ouvrage)
pour déterminer si le vieillissement est lent, normal, ou accéléré.
4 UN NOUVEL OUTIL EN DEVELOPPEMENT : L’ANALYSE DE
RISQUES APPLIQUEE A LA GESTION DES PONTS
4.1 Introduction
L'analyse de risque est un outil performant pour réaliser certains choix stratégiques lorsque
les moyens financiers du maître de l'ouvrage ne sont pas extensibles, par exemple, pour la
gestion d'un parc d'ouvrages existants. Dans les méthodes d'analyse de risques, plusieurs
catégories de risques sont identifiées:
◼ le risque d'effondrement de tout ou partie de la structure: c'est le risque le plus
important et le plus grave qui a des conséquences humaines, financières, écologiques,
etc. ;
◼ le risque de perte d'aptitude au service de l'infrastructure: l'ouvrage ne s'effondre pas
mais il est inutilisable sur une certaine durée, ce qui a des conséquences importantes
sur l'activité socio-économique d'une région;
◼ le risque financier sur le coût total du projet, sur sa durée de vie attendue du fait
d'aléas de chantier, d'une inadaptation aux besoins ultérieurs, ... ;
◼ le risque d'évolution de l'environnement extérieur.
En France, la première application de l’analyse des risques a été conduite en 2007 par C.
Cremona du LCPC (avec l’aide des CETE) sur les VIPP du réseau autoroutier concédé pour
le compte de l'Association des Sociétés Françaises d'Autoroutes (ASFA) [11], [12].
4.2 L’étude des VIPP de l’ASFA
4.2.1 La problématique des VIPP
28
Les VIPP (Figure 4) sont des Viaducs à travées Indépendantes à Poutres préfabriquées en
béton Précontraint par post-tension. Ce type de construction a été fortement utilisé après la
seconde guerre mondiale, dans les années 1955 à 1970, grâce à son absence de cintre et son
lancement de poutres préfabriquées qui permettait le franchissement d’obstacles non courants
et de hauteur raisonnable (10 à 25 m au-dessus du sol). Ces travées indépendantes étaient
utilisées dans une gamme de portée variant entre 30 et 50 m, voire exceptionnellement plus de
60 m (cas des ponts de Saint-Waast à Valenciennes et pont de l’Hippodrome à Lille construits
entre 1947 et 1951). De nos jours, cette technique n’est quasiment plus utilisée car elle est
fortement concurrencée par d’autres techniques de construction qui permettent de réaliser des
ouvrages hyperstatiques qui sont plus économiques et présentent une plus grande sécurité vis-
à-vis de la rupture.
Figure 4 : Exemple d’un VIPP (cas du pont de Merlebach)
L’enthousiasme qui régnait à l’époque de la construction des ouvrages de première génération
(années 1950), s’est traduit par une foi aveugle en la précontrainte totale (absence de
fissuration), et par une croyance en la parfaite étanchéité d’un béton comprimé, et il faut
attendre 1965 pour la mise en œuvre de chapes d’étanchéité de bonne qualité sur les VIPP.
Les défauts de conception concernent donc principalement des choix de dispositions
constructives ou de techniques inadaptés, et le choix de matériaux peu durables. Les défauts
d’exécution susceptibles de provoquer la corrosion des armatures de précontrainte se
rencontrent malheureusement assez fréquemment. Les deux principaux défauts responsables
de la corrosion sont la mauvaise mise en oeuvre de la chape d’étanchéité et la mauvaise
injection des conduits de précontrainte. A ces défauts s’ajoute la mauvaise réalisation des
cachetages aux abouts de poutres, des cachetages en extrados, et des cachetages de la
précontrainte transversale sur les rives de la dalle et des entretoises. Les cachetages aux
abouts des poutres sont particulièrement vulnérables car ils sont souvent arrosés par l’eau qui
passe à travers les joints de chaussées non étanches.
29
Enfin, l’absence d’une politique d’inspection des ouvrages d'art pendant les 30 années qui ont
suivi la fin de la seconde guerre mondiale, et la non réalisation des actions correctives qui
auraient dû être ensuite appliquées pour rétablir l’étanchéité des ouvrages constituent les deux
défauts majeurs de maintenance vis-à-vis de la corrosion.
Les rechargements abusifs de la chaussée effectués sans se soucier de l’état de la chape
d’étanchéité, la non remise en état des dispositifs d’évacuation des eaux (débouchage des
gargouilles obstruées), la non-intervention pour éviter que l’eau passant à travers les joints de
chaussées ne vienne couler sur les cachetages d’about, sont autant de défauts de maintenance
qui ont favorisé le développement de la corrosion des câbles. A cela s’ajoutent les conditions
d’exploitation des ouvrages qui ont engendré une utilisation croissante de sels de
déverglaçage qui ont pu accroître l’agressivité des eaux qui s’infiltrent au sein de la structure.
Une description détaillée des problèmes rencontrés dans la famille des VIPP et de leur mode
d'inspection et d'auscultation peut être trouvée dans les références [13] et [14].
C'est dans ce contexte que les différentes Sociétés Concessionnaires d'Autoroutes à péage
regroupés au sein de l'ASFA ont décidé en 2005 de lancer une consultation ayant pour objet
une étude sur la fiabilisation des connaissances des 116 VIPP de leur réseau autoroutier. Cette
étude devait permettre de mieux connaître la fiabilité des connaissances de ces ponts et
d'identifier l'aptitude de ces ouvrages à leur usage. Le LCPC a alors proposé d’appliquer une
démarche de type « Sûreté de Fonctionnement ». La Sûreté de Fonctionnement est une
activité d’ingénierie qualitative et quantitative. Initialement conçue pour les phases des projets
jusqu’à la mise en production, notamment dans le domaine du génie civil nucléaire, elle porte
sur l’identification des risques, leur qualification et leur quantification simplifiée en vue
d’énoncer des propositions de quantification détaillée des risques et de solutions correctives.
4.2.2. Les étapes de la sûreté de fonctionnement
Le schéma d’analyse de sûreté de fonctionnement proposé par le LCPC a été structurée en 4
étapes :
1. une Analyse Fonctionnelle Interne (AFI) qui a porté sur les aspects suivants :
− l'inventaire détaillé des ouvrages concernés comprenant notamment leurs caractéristiques
techniques
(date de construction, entreprise, bureau d'étude, dimensions, chape d'étanchéité…),
− la récupération des données des dossiers d'ouvrages(récolement et suivi, entretien et
réparations, rapports d'inspections détaillées, dates et principales conclusions, liste des
travaux, trafic supporté) et le recensement des éventuels modes d'exploitation exceptionnelle
de chacun des ouvrages (passage de convoi exceptionnel…),
− le recensement et analyse des réparations déjà réalisées (attelages, changement d'appuis…),
− l'analyse de l'environnement de l'ouvrage (agressivité, franchissement, accès, ambiance,
réseau environnant, agressivité, viabilité hivernale, fréquence et nature des produits de
déverglaçage…)
− l'analyse des matériaux constituants (béton, précontrainte, coulis, gaine…) et des méthodes
de construction,
30
− l'analyse des méthodes de calculs de l'époque( règlements, largeur circulable et roulable,
surcharge),
− l'inventaire et analyse des investigations réalisées ;
2. une Analyse Préliminaire de Risques (APR) visant à :
− définir des familles d’ouvrages en fonction de critères pertinents (construction, défaillance,
... ) à partir des données de recensement,
− identifier les carences et les problèmes propre à chaque ouvrage et chaque famille,
3. une Quantification des Risques (QR) ayant pour objectif de :
− contrôler par calcul simple, l'aptitude de la configuration actuelle des ouvrages aux modes
d'exploitation,
− définir les modes provisoires d'exploitation possibles du tablier défaillant en fonction des
défauts visibles probables (aucune exploitation, une seule voie VL ou PL, deux voies VL, PL
ou VL et PL) ;
4. une Analyse détaillée de la criticité pour :
− définir et proposer des investigations complémentaires nécessaires pour caractériser l'état de
chaque ouvrage et de chaque famille,
− définir une méthode d'évaluation de la capacité portante résiduelle et de la durée de vie
résiduelle dans différents modes d'exploitation permettant d'être assuré du passage de
l'ensemble du trafic ou des limitations de charges nécessaires.
4.2.3 Méthodologie et principaux résultats obtenus [11]
4.2.3.1 AFI :
Le recensement des données a été réalisé et organisé sur la base d’une fiche par ouvrage qui
permet le recensement de toutes les données nécessaires pour mener correctement les analyses
ultérieures. Les fiches sont informatisées, sous un format de type feuille Excel©, afin de
faciliter l’analyse multicritères de l’Analyse Préliminaire de Risques (APR). Sur l’ensemble
du réseau, 8 ouvrages ont d’ailleurs fait l'objet d'une fiche d'anomalie, car non conforme à la
typologie VIPP.
4.2.3.2 APR
L’analyse préliminaire de risques (APR) est une analyse déductive à partir des informations
disponibles dans les dossiers d’ouvrages qui permet d’avoir une visibilité sur les carences des
ouvrages et fournit une hiérarchisation des ouvrages en cinq classes notamment, permettant
de concentrer les analyses et investigations détaillées sur les ouvrages les plus sensibles. Elle
cherche d'une part à identifier les facteurs ou les événements susceptibles de réduire la
performance d'un ouvrage, et d'autre part de les créditer d'une note de gravité en fonction de
critères pré-établis.
Pour hiérarchiser les risques dans les VIPP, il a été proposé de considérer qu’un ouvrage
construit avec les règlements de charge et de calculs actuels, avec une conception moderne et
un hourdis général non précontraint, ne présente pas de risques particuliers, hors défaut de
conception ou d’exécution inhérent à tout ouvrage. Une conception n’impliquant aucun risque
particulier reçoit la note zéro. A partir de cet état de référence, tout facteur est en principe
31
évalué sur une échelle comportant 4 niveaux de critères allant de +1 à +4. Certains facteurs
ont une notation plus étendue ; c’est notamment le cas des facteurs « Etat de la précontrainte »
et « notation IQOA » qui présentent des niveaux plus étendus. Enfin, des améliorations
apportées sur l'ouvrage peuvent améliorer la performance de ces derniers, ce qui a conduit à
retenir des notes négatives.
L’analyse préliminaire de risques met en évidence les thèmes sensibles classiques, comme la
conception générale, l’exécution, l’exploitation et l’entretien, l’environnement. Il convient de
souligner que la résistance des ouvrages est directement déterminée par la précontrainte de
l’ouvrage, ce qui justifie un thème à part entière.
a) La conception générale
La Conception générale des VIPP de première génération est nettement moins satisfaisante
que la conception actuelle du fait de reprises de bétonnage longitudinales au droit des poutres,
de la faiblesse du ferraillage passif, d’âmes trop fines, et de l’absence de dallette de
continuité. La date de construction est par elle-même un critère important (première
génération, armatures susceptibles à la corrosion sous tension…). Dans le cadre de l'analyse
préliminaire de risques, les critères qualitatifs suivants ont été retenus pour caractériser la
conception générale d'un ouvrage :
− pont avec hourdis général ou hourdis intermédiaire,
− pont avec précontrainte transversale ou sans précontrainte transversale,
− présence ou non d’un ferraillage passif substantiel d’effort tranchant dans les poutres,
− présence ou non d’un ferraillage passif substantiel dans le hourdis,
− épaisseur de l’âme dans la section proche de l’appui à h/2,
− épaisseur de l’âme en section courante
− présence de dallette de continuité qui permettent d’éviter les infiltrations d’eau sur les
appuis intermédiaires,
− présence ou non d’entretoises intermédiaires,
− nombre de poutres (si l’ouvrage comporte peu de poutres, la faible redondance des poutres
porteuses augmente la gravité des conséquence pour l’ouvrage des désordres apparaissant sur
une poutre),
− qualité du recueil des eaux,
− piles-marteaux avec chevêtre précontraint,
− absence et / ou type d’étanchéité ; les premiers VIPP ont été réalisés sans étanchéité ou
seulement avec un renformis ciment (du fait de la compression de la dalle).
b) La Précontrainte
La précontrainte a fait l’objet de deux sous-thèmes d’analyse spécifiques. La corrosion des
câbles de précontrainte est en effet le souci premier sur les VIPP, comme pour tous les
ouvrages précontraints. Il faut pouvoir caractériser la bonne protection des câbles (étanchéité,
injection) ainsi que le risque de corrosion fissurante sous tension. La présence de câbles
relevés et ancrés dans le hourdis est une particularité dommageable pour la durabilité des
VIPP. L’époque de la précontrainte gouverne pour beaucoup le risque du fait de la nature de
l’acier utilisé (acier tréfilé ou non), des gaines, des produits d’injection, et des règlements.
b1) Le sous-thème Précontrainte initiale tient
compte des évolutions réglementaires, tant sur les charges routières à prendre en compte, que
sur le travail des matériaux, car elles influent sur la quantité de précontrainte mise en oeuvre
32
et donc sur le coefficient de sécurité réel de l’ouvrage. C'est pourquoi les critères suivants ont
été retenus :
− précontrainte calculée avant l’IP1 (1965), entre l’IP1 et le BPEL1983, après le BPEL 1983,
− pont construit avant le règlement de charge de 1960, entre 1960 et 1971 ou après 1971 (pour
la flexion locale).
b2) le sous-thème Etat de la précontrainte est caractérisé par les critères :
− état apparent de la précontrainte (non corrodée, peu corrodée, assez corrodée, très
corrodées) appréciée sur la zone la plus dégradée de l’ouvrage,
− injection des conduits (état de remplissage des conduits),
− état apparent du béton d’enrobage,
− gestion de l’étanchéité durant de la vie de l’ouvrage,
− présence ou non d’une dallette de continuité entre deux travées,
− utilisation ou non de sels de déverglaçage.
c) l'Entretien et l'Environnement
Ces derniers sont également caractérisés par des critères que la longueur de cet article ne
permet pas de détailler.
d) La note générale
la note générale de l’ouvrage est obtenue à partir des notes de gravité des facteurs identifiés
dans les paragraphes précédents, ceci avec un système de pondération. Suite à des tests
effectués sur une dizaine d’ouvrages, un choix de notes de pondération par thème a été
proposé et retenu, ce qui conduit à classer les ouvrages en 5 classes de risque (Tableau 2).
Classification des ponts Note
Absence de risque 0 to 20
Risque modéré 20 to 40
Risque plutôt élevé 40 to 60
Risque élevé 60 to 80
Risque très élevé 80 to 100
Table 2 : Classification des ponts selon le risque (APR)
Les ouvrages sont en majorité classés en classe de risque « modéré ».
4.2.3.3 QR
L’objectif est d’apprécier l’aptitude de la configuration actuelle et de configurations
dégradées des ouvrages et de les comparer au sein de leur famille. Pour ce faire, la méthode
utilisée doit être suffisamment riche pour décrire le fonctionnement de l’ouvrage, mais
cependant, la plus simple possible compte tenu des indications du cahier des charges. La
quantification de la criticité mécanique reposera donc sur des indicateurs simples permettant
d’évaluer l’aptitude au service (états limites de service) et la sécurité structurale (états limites
ultimes). Dans cet objectif, cette criticité est représentée par un indicateur de criticité de type
générique :
33
I = Résistance / Sollicitation
Cet indicateur est évalué pour un ouvrage exploité dans sa configuration d’origine, dans sa
situation actuelle puis avec une chaussée réduite. L’évolution des indicateurs est estimée pour
des situations dégradées (pertes de câbles de précontrainte supposées ou effectives selon le
recensement des données) ou pour des trafics limités en tonnage.
La méthodologie consiste, grâce à un calcul simplifié mais réaliste de l’ouvrage, d’approcher
le fonctionnement réel de l’ouvrage. Les effets des actions, fixes ou variables, sont approchés
le plus finement possible à partir de calculs par partie d’ouvrages (poutres, hourdis, piles
marteaux), de manière à garantir que le modèle simplifié approche le fonctionnement
complexe avec un écart inférieur à 10%.
Du fait de la complexité d’un ouvrage de type VIPP, un seul indicateur ne peut résumer le
fonctionnement de l’ouvrage. C’est pourquoi, il convient de rechercher les éléments
particuliers remarquables qui concourent tous ensemble à la sécurité structurale de l’ouvrage.
Il s’agit de la résistance du hourdis qui reçoit les charges routières, de la résistance des
poutres longitudinales porteuses, puis de la résistance des appuis. Pour les poutres, qui sont
isostatiques, on considère qu’une bonne évaluation de leur résistance, consiste à contrôler leur
résistance en flexion à mi-travée et leur résistance à l’effort tranchant sur appui.
Ces indicateurs ne peuvent évidemment, à eux seuls, traduire la capacité portante réelle de
l’ouvrage qui n’est accessible, pour un ouvrage complexe construit par phases et avec de la
précontrainte, que par un recalcul complet, poutre par poutre et à la condition de pouvoir
disposer d’informations réalistes sur la tension des armatures de précontrainte. Ils forment un
outil mis à la disposition d’un gestionnaire pour évaluer de manière grossière le niveau de
service intrinsèque de ses ouvrages, mais surtout pour pouvoir hiérarchiser le niveau de
service des ouvrages entre-eux afin de mettre en place une politique de gestion et de
maintenance du patrimoine homogène et pertinente.
Les indicateurs quantitatifs effectuent la comparaison des efforts résistants par rapport aux
efforts sollicitants. Plus l’indicateur est élevé, plus la partie d’ouvrage présente une résistance
importante eu égard à la situation de service examinée (type de charge, type de règlement,
conditions d’exploitation). L’évaluation des indicateurs procède de calculs comparant ainsi
les effets sollicitants qui ne dépendent que des conditions d’exploitation de l’ouvrage, aux
effets résistants qui ne dépendent que des caractéristiques de résistance intrinsèques des
matériaux constitutifs de l’ouvrage et de leur disposition dans l’ouvrage. Dans le cas des
structures précontraintes, l’effet résistant est très fortement lié à l’intégrité de la précontrainte
; or, l’accès à cette donnée fondamentale demeure très difficile. Les indicateurs évalués pour
différentes situations d’exploitation fournissent une appréciation de l’adéquation du
dimensionnement de la partie d’ouvrage considérée avec ces situations d’exploitation, pour
l’hypothèse d’une précontrainte intègre.
Les indicateurs proposés portent sur la flexion des poutres (ELS, ELU), l’effort tranchant des
poutres (ELS, ELU), la flexion des hourdis (ELS, ELU) et la flexion des piles marteaux (ELS,
ELU).
34
Les tableaux 4 et 5 fournissent la classification de l’état de l’ouvrage en fonction du
pourcentage de précontrainte nécessaire par rapport à la précontrainte initiale.
Etat du pont Niveau Indice % de Précontrainte
nécessaire / Préc. initiale
Robuste 1 I > 1.25 P < 90 %
Probablement conforme à une
conception moderne
2 1.15 < I < 1.25 90 % < p < 100 %
Probablement sous-dimensionné,
mais apte à supporter les charges
3 1.00 < I < 1.15 100 % < p < 115 %
Sous-dimensionné et probable-
ment pas capable de supporter les
charges réglementaires
4 0.85 < I < 1.00 115 % < p < 130 %
Sous-dimensionné et incapable de
supporter les charges
réglementaires
5 I < 0.85 p > 130 %
Tableau 4 : Classification de l’état de l’état de l’ouvrage en fonction du pourcentage de
précontrainte (ELU)
Etat du pont Niveau Indice % de Précontrainte
nécessaire / Préc. initiale
Conforme à un pont moderne et
ayant une bonne durabilité
1 I > 1.00 P < 100 %
Probablement sous-dimensionné
et pouvant présenté des désordres
réduisant sa durée de vie attendue
2 0,85 < I < 1.00 100 % < p < 115 %
Ayant un comportement
conduisant à une vie écourtée
3 I < 0.85 p > 115 %
Tableau 5 : Classification de l’état de l’état de l’ouvrage en fonction du pourcentage de
précontrainte (ELS)
L’indicateur global QR est défini pour la résistance des poutres vis a vis de la flexion et de
l’effort tranchant et pour celle du hourdis en retenant le maximum des différents coefficients
retenus. Un ouvrage est alors classé parmi les 5 donnés dans le Tableau 6.
Indice QR
1 Bon
2 Assez bon
3 Correct
4 Médiocre
5 Mauvais
Tableau 6 : Indicateur quantitatif global de risque d’un ouvrage
35
4.2.3.4 Analyse de criticité
L’indicateur qualitatif reflète globalement la susceptibilité à des risques potentiels ou avérés
de l’ouvrage et rend compte principalement de l’évaluation du risque de perte de
précontrainte. L’indicateur quantitatif reflète globalement l’état de santé mécanique en
supposant l’ouvrage sain. Pour le gestionnaire, il convient donc de croiser ces indicateurs
pour essayer d’évaluer l’état de santé mécanique compte tenu de l’état probable de la
précontrainte. Une matrice de prise de décision a donc été proposée et est illustrée dans le
Tableau 7.
Classe APR Classe QR
1 2 3 4 5
0-20 0 % 3 % 4 % 0 % 0 %
20-40 5 % 8 % 34 % 7 % 9 %
40-60 3 % 3 % 14 % 3 % 5 %
60-80 0 % 0 % 1 % 0 % 2 %
> 80 0 % 0 % 0 % 0 % 1 %
Tableau 7 : Pourcentages d’ouvrages appartenant à chaque couple (APR,QR).
A partir de ce tableau, il est alors possible de définir des classes de criticité globale destinées à
ébaucher une méthode de classement des ouvrages en affectant une note globale et unique à
chaque ouvrage. La note de criticité globale croise des informations sur l’état apparent de
l’ouvrage, caractérisé principalement par la note APR, et sur l’état théorique de l’ouvrage
caractérisé principalement par la note QR (tableau 8).
Criticité globale
A Pont en bon état
B Pont peu dégradé
C Pont dégradé
D Pont très dégradé
Tableau 8 : Criticité globale des VIPP
Il est important de noter que ce classement résulte d’une première analyse, s’appuyant sur une
exploitation des dossiers d’archives qui peuvent ne refléter que partiellement une réalité
(dossier d’archive incomplet, évolution de l’ouvrage insuffisamment retracée, informations
pertinentes non obligatoirement repérées lors du recueil de données, …), ainsi que sur une
estimation de la note QR qui repose sur des hypothèses et des calculs simplifiés.
L’analyse de la criticité permet ensuite de définir les actions qui seront entreprises sur chacun
des VIPP selon son classement. Ces actions peuvent consister en une surveillance normale, un
recalcul ou des investigations ciblées telles que définies dans le guide du LCPC sur
l’évaluation des VIPP [14] qui prévoit 3 niveaux d’investigations N1 à N3.
36
4.3 L’analyse des risques appliquée aux ouvrages de l’Etat
Fort du succès de cette expérience, le SETRA a donc proposé à la Direction des Routes de l’Etat de développer une méthodologie d'analyse de risques spécifique pour certains types d'ouvrages qualifiés de « sensibles » ; quatre familles d'ouvrages ont été identifiées comme à traiter en priorité:
◼ les viaducs à travées indépendantes à poutres précontraintes (VIPP) ;
◼ les buses métalliques;
◼ les massifs en Terre Armée; ◼ les ouvrages situés en site aquatique « affouillables ».
La méthode d’analyse du SETRA [15], [16] retient 3 facteurs qui sont l'aléa, la vulnérabilité
et de la gravité des conséquences.
◼ l'aléa est le phénomène à l'origine du risque. Il peut être de nature environnementale
(séisme), humaine (choc) ou interne (corrosion). Un aléa est caractérisé par sa
probabilité d'occurrence et son intensité ; pour les VIPP, la dégradation de la
précontrainte correspond à un aléa interne d'endommagement des matériaux. Sa
probabilité et son intensité seront qualifiées par une classe d'aléa.
◼ la vulnérabilité est la sensibilité d'un ouvrage à l'aléa étudié : pour les VIPP, elle
dépend de la conception initiale et du degré d'endommagement. Elle sera quantifiée
par un ratio entre la résistance structurelle et les sollicitations réglementaires. Ce ratio
constituera un indicateur de robustesse (l'inverse de la vulnérabilité). L'étude porte sur
différents scénarios d'exploitation de l'ouvrage par réduction des profils en travers et
par limitation des charges routières.
◼ la gravité s'apprécie généralement en fonction des conséquences humaines,
économiques et environnementales ; pour les VIPP, cet indicateur, est lié
principalement à la valeur socio-économique de l'ouvrage et des itinéraires supportés
et franchis. Le maître de l'ouvrage disposera ainsi d'une hiérarchisation de son
patrimoine lui permettant de traiter, en priorité, les ouvrages dont la probabilité de
défaillance est grande et présentant un grand intérêt stratégique.
5 LES OUTILS A CREER
La France ne dispose pas d’un règlement pour l’évaluation des ponts existants et les
ingénieurs des bureaux d’études se basent sur les règlements de conception et de calcul des
ponts neufs, en modifiant le cas échéant certains coefficients de sécurité comme celui affecté
au poids propre, pour pouvoir évaluer la capacité portante des structures. Il apparaît donc
nécessaire de créer un outil qui a une place prépondérante dans un SGOA : le règlement
d’évaluation de la sécurité des ouvrages.
L’objectif premier d’un SGOA est de garantir la sécurité des usagers. Certains ouvrages
(comme les ponts en maçonnerie) présentent de telles réserves de sécurité qu’ils peuvent
supporter des désordres importants sans que la sécurité des usagers puisse être mise en doute,
et qu’une évaluation visuelle de leur état puisse servir de base pour leur gestion. Par contre,
d’autres ouvrages nécessitent une approche plus formelle de leur sécurité, soit parce que des
désordres internes ne peuvent être décelés par une inspection ou une simple auscultation
(exemple de la corrosion de câbles de précontrainte internes au béton), soit parce que des
37
désordres mineurs localisés dans une partie critique de la structure peuvent la mettre en
danger (exemple de la propagation d’une fissure de fatigue dans un assemblage métallique
critique) ; pour ceux-ci, l’évaluation de leur capacité portante constitue un élément
fondamental de leur gestion, et lorsque les hypothèses des calculs sont soumises à des aléas
importants, une approche probabiliste de leur sécurité s’impose et les méthodes fiabilistes
constituent alors une aide à la décision en matière de gestion (voir par exemple les article de
C. CREMONA [17] et [18])
L’évaluation de la capacité portante des ponts est aussi requise dans les cas suivants :
• Lorsqu’un convoi exceptionnel souhaite emprunter un itinéraire donné
• Lorsque le pont est endommagé mécaniquement, dégradé, sujet à une réparation ou à une
adaptation
• Lorsqu’un pont est ancien, qu’il a été conçu avec d’anciens règlements de calculs ou
d’anciens règlements de charge et que l’on se pose la question de sa remise aux nouvelles
normes…
L’évaluation des ponts dans les divers pays est repose généralement sur une approche
déterministe ou semi-probabiliste (utilisation de coefficients partiels de sécurité). Dans ces
deux cas, les sollicitations sont déterminées par une analyse structurelle utilisant les
règlements de conception qui peuvent être amendés pour tenir compte des résultats
d’auscultation ou d’instrumentation. Mais ces méthodes sont souvent considérées comme
conservatrices, et une nouvelle approche prenant en compte les incertitudes sur les variables
commence à émerger : il s’agit de l’approche fiabiliste.
Dans le projet BRIME [19], cinq niveaux d’évaluation ont été proposés à l’image de ce qui
existe déjà en Grande Bretagne :
• Le niveau 0 correspond à un état de la structure qui n’a pas besoin d’une évaluation
formelle pour rentrer dans le système de gestion. La consultation des divers
documents relatifs à cet ouvrage ainsi que sa surveillance ont montré que la structure
ne pose aucun problème.
• Les niveaux 1 et 2 demandent à ce que la structure soit soumise à une évaluation
formelle en utilisant les documents disponibles pour déterminer les dimensions, les
détails structuraux et les propriétés des matériaux. On doit utiliser des règlements de
charge et des règles de calcul qui ont été développés spécifiquement pour l’évaluation.
La différence entre les deux niveaux réside dans le fait que le niveau 1 a recours à des
méthodes simples d’analyse structurale, alors que le niveau 2 utilise des méthodes plus
poussées. Sauf s’il existe des rapports d’inspection qui confirment la construction et
l’état du pont, ce dernier doit faire l’objet d’une visite pour mettre en œuvre
l’évaluation.
• Le niveau 3 fait appel à des méthodes d’auscultation, à des essais de chargements, à de
la topométrie,…
• Le niveau 4 permet un ajustement des coefficients partiels de sécurité.
38
• Le niveau 5 est une analyse fiabiliste complète avec calcul d’indice de fiabilité
(probabilité de ruine). Elle fait appel à des spécialistes de l’application de ces
techniques et ne concerne que les cas exceptionnels.
Cette méthodologie qui consiste à appliquer progressivement des techniques d’évaluation de
plus en plus sophistiquées pourrait vraisemblablement servir de support à un code
d’évaluation de la sécurité des structures existantes tel que le futur EUROCODE sur
l’évaluation des structures existantes qui est entrain d’être mis en chantier.
6. - CONCLUSION
L’objectif d’un SGOA est de préserver le capital d’infrastructures en optimisant les coûts sur
la durée de vie des ouvrages, tout en assurant la sécurité des usagers et en offrant une qualité
de service suffisante. Il s’agit donc d’un problème d’optimisation sous contraintes multiples.
Comme le mentionne J. LLANOS [20], une politique à court terme a des effets visibles à
court terme ; elle permet d’améliorer l’état du patrimoine au bout de l’échéance fixée, mais
cette politique a un coût par rapport à l’optimum économique qui demande une gestion à long
terme. Celle-ci se heurte a plusieurs écueils : un écueil technique qui est l’absence de modèles
de prévision du comportement des ponts, un écueil socio-économique qui est le manque de
visibilité à long terme des sociétés, et un troisième écueil qui est la méconnaissance des coûts
sociaux engendrés par la dégradation des ponts. Comme le remarque B. YANEV [21], il est
donc probable dans le futur que le jugement de l’ingénieur soit encore nécessaire pour prendre
les décisions en matière de priorité et de choix de maintenance, et qu’une gestion informatisée
des ponts ne soit là que pour fournir la grande quantité de données nécessaires à la gestion et
pour éclairer les choix de l’ingénieur gestionnaire.
Mais des progrès sont encore à réaliser dans le développement des outils d’aide à la gestion,
et le présent article a essayé d’en esquisser quelques voies possibles.
REFERENCES
[1] PIARC – Exigences socio-économiques et modifications des ponts. – Comité des Ponts
routiers (C11) de l'Association mondiale de la Route, 2001.
[2] OCDE - La gestion des ouvrages d'art .- 1992, 132 pages.
[3] ENPC - Gestion des ouvrages d'art , Actes du colloque organisé par l'ENPC, Paris, 18-20
octobre 1994, Presses de l'ENPC, 596 pages.
[4] The Management of Highway Structures. - Thomas Telford Conference, 22-23 June
1998, The Institution of Civil Engineers and the British Highway Agency.
39
[5] B. GODART – La gestion des ouvrages d'art dans les pays développés. – Annales des
Ponts et Chaussées, N° 90, juillet 1999, pp 12-18.
[6] Maintenance et réparation des ponts. - Sous la direction de JA CALGARO et R.
LACROIX, Presses de l'ENPC, 1997, 666 pages.
[7] Ministère des Transports - Instruction Technique pour la Surveillance et l'Entretien des
Ouvrages d'Art – 1 ère partie : dispositions applicables à tous les ouvrages - Direction des
Routes et de la Circulation Routière, 19 octobre 1979 (révisée le 26 décembre 1995, puis
révisée en décembre 2010)
[8] Y. ROBICHON, C. BINET, B. GODART. - « IQOA » : Evaluation de l'état des ponts
pour une meilleure politique de maintenance. - XX ème Congrès mondial de la route de
l'AIPCR, Montréal, 1995.
[9] LCPC – VSC – Méthode d’aide à la gestion de patrimoines. – Guide technique, Sept
2006, 120 pages.
[10] D. REITH et H. FIEVET - La cartographie à distance de l’état de dégradation d’une
structure. Méthodes d’évaluations Non destructives pour le génie civil. Colloque LCPC –
EDF – LMP – CDGA, Université de Bordeaux 1, Bordeaux, 8 et 9 novembre 2001.
[11] JL DABERT et C. CREMONA – Analyse de la criticité du patrimoine VIPP autoroutier.
– GC'2009, Association Française de Génie Civil, Paris 18 et 19 mars 2009.
[12] H. GUERARD - Les VIPP du réseau ASF / Recalculs d'ouvrages : les VIPP d'ASF.
Journées GC'2009, Association Française de Génie Civil ,18-19 mars 2009, Cachan.
[13] B. GODART - L'évaluation et la maintenance des viaducs à travées indépendantes à
poutres précontraintes (VIPP). Application des notions de fiabilité à la gestion des ouvrages
existants , sous la direction de C. Cremona, Presses de l'ENPC, 2003.
[14] LCPC, Viaduc à travées indépendantes à poutres précontraintes (VIPP). Guide
technique, 2001.
[15] Sétra, Analyse des risques appliquées aux ouvrages d'art sensibles, Rapport d'études
interne, février 2009.
[16] JC HYPPOLITE et J. BILLON – Analyse des risques appliquée aux buses métalliques.
– Bulletin Ouvrages d'Art n°61, Sétra, juillet 2009, pp. 26-33.
[17] AFGC - Application des notions de fiabilité à la gestion des ouvrages existants. - Sous
la direction de C. CREMONA, Presses de l'ENPC, 2003, 448 pages.
[18] C. CREMONA - Optimisation de la fiabilité et de la maintenance des ouvrages d'art
métalliques. - 3ème conférence nationale sur l'intégrité des structures INSTRUC 3, Société
Française des Mécaniciens, 27-28 novembre 1996.
40
[19] BRIME (BRIdge Management in Europe) – Reports on the internet site of the Transport
Research Laboratory ( http://www.trl.co.uk/brime/index.htm .) European RDT Transport , 4th
PCRD, 1998.
[20] J. LLANOS - La maintenance des ponts, Approche économique - Presses de l'ENPC,
1992, 176 pages.
[21] B. YANEV - Bridge Management for New York City. - Structural Engineering
International, Vol 8, Number 3, pp 211-215, August 1998.