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Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe
siècle
Olivier Raveux
Éditeur : CNRS ÉditionsAnnée d'édition : 1998Date de mise en ligne : 30 septembre 2013Collection : Patrimoine de la MéditerranéeISBN électronique : 9782271078377
http://books.openedition.org
Édition impriméeISBN : 9782271055590Nombre de pages : 383
Référence électroniqueRAVEUX, Olivier. Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe siècle. Nouvelle édition [en ligne].Paris : CNRS Éditions, 1998 (généré le 01 juillet 2016). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs/3794>. ISBN : 9782271078377.
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© CNRS Éditions, 1998Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Au cours du XIXe siècle, une industrie de la métallurgie et de la construction mécanique
puissante, atypique et diversifiée s’implante à Marseille. Après de remarquables résultats entre
1830 et 1860 elle va s’effrondrer durant le dernier tiers du siècle et se limiter aux travaux liés à la
navigation à vapeur.
Comment une branche aussi exigeante en capitaux et en compétences a-t-elle pu se développer
dans une ville longtemps désignée comme un exemple de retards industriels et techniques ?
Quelles sont les raisons de l’échec de ce secteur à partir du milieu des années 1860 ?
Cette analyse sectorielle marseillaise s’intègre dans un double cadre de lecture : le cadre national
français et l’appartenance à un ensemble économique nord-méditerranéen dont on perçoit
aujourd’hui la complexité et la diversité. Ville des métaux et de la vapeur au XIXe siècle. Marseille
constitue un exemple emblématique de la vitalité industrielle du Sud de l’Europe et un cas de
développement original pendant la première industrialisation.
OLIVIER RAVEUX
Docteur en histoire, Olivier Raveux est chargé de cours à l'École nationale supérieure des
arts et métiers de Cluny. Membre associé de I'UMR TELEMME au CNRS, il poursuit
actuellement des recherches sur la croissance et les processus d'industrialisation dans la
Méditerranée du XIXe siècle.
1
SOMMAIRE
Abréviations utilisées
PréfaceDenis Woronoff
IntroductionUne relecture de l’industrialisation nord-méditerranéenneLe renouveau de l’histoire industrielle marseillaiseLes spécificités de la métallurgie nord-méditerranéenneLes priorités de l’analyse et la question des sourcesLe cadre géographique et la chronologie
Première partie. Les héritages
Chapitre premier. L’économie marseillaise sous la RestaurationLA DYNAMIQUE COMMERCIALEUNE CROISSANCE INDUSTRIELLE ENCORE FAIBLEUNE VOLONTÉ DE CHANGEMENT
Chapitre II. La découverte de la modernité techniqueL’APPARITION D’UNE DEMANDE DE BIENS D’ÉQUIPEMENTL’ARRIVÉE DES PREMIÈRES MACHINES À VAPEUR FIXESUNE LACUNE IMPORTANTE : LA NAVIGATION À VAPEUR
Chapitre III. Le dynamisme de l’artisanatL’INDUSTRIE DU PLOMBLE TRAVAIL DU CUIVRELE TRAVAIL DU FERLA CONSTRUCTION DE MÉCANIQUES
Conclusion de la première partie. Entre l’archaïsme des structures et la dynamique humaine
Deuxième partie. La montée en puissance (1831-1846)
Chapitre IV. Les facteurs du démarrageL’ESSOR INDUSTRIEL MARSEILLAISLE DÉVELOPPEMENT DE LA NAVIGATION À VAPEURL’EQUIPEMENT DES LIGNES DE CHEMINS DE FERLA MISE EN PLACE D’INFRASTRUCTURES MODERNESLA DEMANDE : UN FACTEUR NÉCESSAIRE MAIS NON SUFFISANT
Chapitre V. Les hommesLES ENTREPRENEURS LOCAUXLES OUVRIERS QUALIFIÉS ET LEUR FORMATIONLES INGÉNIEURS BRITANNIQUES
2
Chapitre VI. Les entreprisesDÉMOGRAPHIE DES ENTREPRISESL’EVOLUTION DES FORMES JURIDIQUES ET DES CAPITAUXL’APPARITION D’UN QUARTIER DE LA MÉTALLURGIE ET DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUE
Chapitre VII. Techniques et types de productionLES MACHINES FIXES ET AUXILIAIRES : UN APPRENTISSAGE RAPIDELES MACHINES MARINESUNE DÉPENDANCE MARQUÉE POUR LA CONSTRUCTION DE LOCOMOTIVESLA MÉTALLURGIE DE BASE
Chapitre VIII. Les marchésLES DÉBOUCHÉS LOCAUXUNE FAIBLE INTÉGRATION À L’ESPACE NATIONALL’IMPORTANCE CROISSANTE DES MARCHÉS MÉDITERRANÉENSLA NÉCESSITÉ DE TRAVAILLER AVEC LES FONTES ET LES FERS ANGLAISCOMPOSER AVEC LA POLITIQUE DOUANIERE DE L’ETAT FRANÇAIS
Conclusion de la deuxième partie. Marseille, pionnière d’une industrie de pointe enméditerranée
Troisième partie. L’apogée (1846-1865)
Chapitre IX. Crise et renouvellementsLA CRISE DE 1847-1851 ET SES RÉPERCUSSIONSLA RESTRUCTURATION DE LA MÉCANIQUE MARINEUNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’INGÉNIEURS ET D’OUVRIERS QUALIFIÉSLES DIFFICULTÉS DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUE POUR L’INDUSTRIEUNE NOUVELLE REDISTRIBUTION DES ENTREPRISES AU SEIN DE L’ESPACE MARSEILLAIS
Chapitre X. L’essor de l’industrie du plombLA RAPIDE CONSTITUTION DU SECTEURAPPROVISIONNEMENTS, DÉBOUCHÉS ET STRUCTURES DE PRODUCTIONLES DIFFICULTÉS DU DÉBUT DES ANNÉES 1860
Chapitre XI. L’expansion de la métallurgie des fers et des fontesLES FORGES DE LA CAPELETTEUNE PLÉIADE D’ENTREPRISES DYNAMIQUESLES DÉBUTS DIFFICILES DE LA SIDÉRURGIE MARSEILLAISE
Chapitre XII. Un secteur prépondérant : la mécanique marineUNE CONJONCTURE FAVORABLEDES ENTREPRISES PLUS NOMBREUSESASSIMILER ET PRODUIRE DES INNOVATIONSUNE FORTE CROISSANCE
3
Conclusion de la troisième partie. Le fragile succès d’une industrie renouvelée
Quatrième partie. Le déclin (1865-1890)
Chapitre XIII. Les difficultés de l’industrie du plombUN PROBLÈME D’APPROVISIONNEMENT EN MATIÈRES PREMIÈRESMOINS D’ENTREPRISES MAIS TOUJOURS DES INNOVATIONSDES DÉBOUCHÉS DE PLUS EN PLUS RESTREINTS
Chapitre XIV. La crise de la métallurgie des fers et des fontesL’EFFONDREMENT DE LA MÉTALLURGIE DES FERS ET FONTESLA RÉSISTANCE DES HAUTS FOURNEAUX DE SAINT-LOUIS
Chapitre XV. Un secteur au double visage : la construction mécaniqueLES DIFFICULTÉS DE LA MÉCANIQUE POUR L’INDUSTRIEUN MARCHÉ PORTEUR : LES COMMANDES MARINESLE DYNAMISME DES ATELIERS DE MÉCANIQUE MARINELA CROISSANCE DES MARCHÉS
Conclusion de la quatrième partie. La spécialisation d’une industrie en perte de vitesse
Conclusion
Annexes
Sources et orientation bibliographique
Index des noms de personnes et de sociétés
4
Abréviations utilisées
Centres d’archives
1 ACCM Archives de la chambre de commerce de Marseille
2 ACA Archives communales d’Aix-en-Provence
3 ACL Archives communales de Lourmarin
4 ACM Archives communales de Marseille
5 ADBdR Archives départementales des Bouches-du-Rhône
6 AFB Académie François Bourdon (Le Creusot)
7 AM Académie de Marseille
8 AMT Archives de la IIIe région maritime (Toulon)
9 AN Archives nationales
10 CNAM Conservatoire nationale des arts et métiers (Paris)
11 EMP École des mines de Paris
Périodiques
12 ADM Annales des Mines
13 ASIMF Annales des Sciences et de l’Industrie du midi de la France
14 BSE Bulletin de la société d’encouragement pour l’industrie nationale
15 BSSIM Bulletin de la société scientifique et industrielle de Marseille
16 CRSICM Compte rendu de la situation industrielle et commerciale de Marseille
17 CRTCCM Compte rendu des travaux de la chambre de commerce de Marseille
18 HER Economie History Review
19 JEEH Journal of European Economie History
20 JEH Journal of Economie History
21 MPCE Minutes of Proceedings of the Institution of Civil Engineers
5
22 PH Provence historique
23 RDDM Revue des Deux Mondes
24 RHI Revista de Historia Industrial
25 SIM Statistique de l’industrie minérale
26 RTSSM Répertoire des travaux de la société de statistique de Marseille
27 SM Le Sémaphore de Marseille
Ouvrages
28 ECM JULLIANY J., Essai sur le commerce de Marseille, Marseille, 1842, 3 vol.
29 EDBdR MASSON P. (dir.), Encyclopédie départementale des Bouches-du-Rhône, Marseille-Paris,
1914-1937, 16 vol.
30 GIR GIRAUD H., « La navigation à vapeur attachée aux divers ports français et au port de
Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de
géographie (Marseille, 1898), Marseille, 1898.
31 MIN BERTEAUT S., Marseille et les intérêts nationaux qui se rattachent à son port, Marseille, 1845,
2 vol.
32 MLV Résumé du manuscrit de Joseph Vence (Musée du Vieux La Ciotat).
33 SBdR VILLENEUVE (COMTE DE), Statistique du département des Bouches-du-Rhône, Marseille-
Paris, 1821-1834, 4 vol et 1 atlas.
34 SF Statistique de la France ; tome II : Midi oriental, Paris, 1848
6
Préface
Denis Woronoff
1 Voici une thèse, au sens plein du terme. II y a eu une révolution industrielle à Marseille,
nous dit Olivier Raveux. Elle a été précoce – démarrant dès les années 1830 – intense et
fondée sur les industries métallurgiques et mécaniques. La ville et ses environs se sont
imposés pendant trente ans comme un des pôles industriels majeurs – avec Barcelone et
Gêne – du bassin occidental de la Méditerranée. Cette vision radicale s’inscrit dans un
courant historiographique de plus en plus vigoureux qui avait commencé à contester
l’image complaisante d’une ville réduite à son port et d’un port cantonné dans des
fonctions d’entrepôt. A partir des années 1890, la mémoire du lieu avait oublié cette
réussite. Les représentations dominantes n’accordaient de pouvoir d’entraînement
qu’aux industries agro-alimentaires et au capital négociant. Ce livre nous parle de
locomotives et de machines marines, de techniciens et d’artisans. La rupture
intellectuelle est d’autant plus forte que bon nombre d’historiens français en sont venus,
depuis une quinzaine d’années, à abandonner le concept même de révolution industrielle,
s’agissant de la France, au profit de celui d’industrialisation graduelle. Certains insistent
sur le rôle fondateur de la proto-industrie textile. D’autres ont montré que le bois comme
combustible et l’hydraulique comme énergie mécanique ont été, longtemps dans le XIXe
siècle, les moyens de cette industrialisation « à la française ». Chacun convient enfin que
la proximité des matières premières et du combustible minéral facilite le développement.
D’où le paradoxe de Marseille, revisitée par Olivier Raveux : la ville et sa région
contredisent point par point cette grille d’analyse.
2 On lira la démonstration précise de l’auteur qui présente la genèse, l’apogée et le déclin
des industries métallurgiques et mécaniques de Marseille, en insistant sur le rôle capital
des années 1840. Retenons ici simplement quelques acquis, parmi les plus neufs. Dresser
la liste des handicaps – « ce qui manque à Marseille » : l’énergie hydraulique, le charbon,
les techniciens… –, c’est faire fausse route. D’abord, le déficit devient un atout, lorsque,
par exemple, la vapeur est la seule énergie possible. Surtout c’est méconnaître des
chances et des capacités : les horizons internationaux d’échanges d’une ville au
croisement de plusieurs espaces, un humus d’artisans du bois et du métal qui ont
7
accumulé des compétences utiles pour les professions de la mécanique, des élites
soucieuses d’innovation et de formation techniques.
3 Il ne s’agit pas de construire une légende dorée après avoir dénoncé une légende noire.
Par rapport à d’autres métropoles de la zone méridionale, Marseille accuse des retards,
ses entrepreneurs sont prudents, voire timorés. Le tout-vapeur qui s’impose au début des
années 1830 est une conquête récente ; en matière de machines à vapeur, Carthagène ou
Séville avaient précédé le port français de plusieurs dizaines d’années. Mais la force de ce
dernier sera, de la Monarchie de Juillet à la fin du Second Empire, de savoir bien adapter
les produits aux marchés. D’abord, cette industrie mécanique répondra à la demande
locale des activités agroalimentaires – minoteries, huileries – et gardera une spécialité
dans ce domaine. Puis, elle se distinguera longtemps, dans l’aire méditerranéenne, pour la
qualité de ses machines marines. En se concentrant sur des fabrications à haute valeur
ajoutée, les Marseillais minimisaient en partie le handicap d’avoir à acheter la matière
première ou de la fabriquer eux-mêmes, à coût élevé. Les techniciens locaux avaient
appris a construire des machines en réparant et en copiant les équipements importés.
Faisant de nécessité vertu, ils ont acquis une réputation de fabricants de machines
robustes, peu coûteuses, économiques d’emploi tant en eau qu’en combustible.
4 Marseille, ville ouverte. La ville et sa région ont su attirer les techniciens dont elles
avaient besoin. La figure emblématique de Philip Taylor condense l’histoire du groupe
nombreux des techniciens britanniques venus acclimater les inventions d’outre-Manche
et, pour certains, créer des entreprises. Cet espace d’initiatives et d’approvisionnement
s’articule à l’espace commercial, celui du bassin occidental de la Méditerranée, où les
entreprises françaises ont trouvé, trente ou quarante durant leur meilleur débouché.
Autre échelle, celle du littoral qui associe La Seyne, La Ciotat et la métropole phocéenne.
La ville même loge l’industrie, d’abord dans son quartier Sud-Est, puis de façon plus
difficile. Cet emboîtement de territoires, la localité, au sens fort du terme, des industries
évoquent deux démarches actuelles de recherche, même si Olivier Raveux ne les
revendiquent pas. Celle d’abord du patrimoine industriel, attentif aux implantations et à
leurs conséquences, celle aussi d’une approche de l’industrialisation qui refuse de
considérer le cadre national comme un postulat. On reconnaîtra volontiers que, dans
l’histoire de la Méditerranée, les villes et leur zone d’influence sont des cadres plus
pertinents d’étude. Mais la force de ce livre est de tenir les deux bouts de la chaîne,
Marseille en Méditerranée, Marseille en France aussi. L’essor de l’industrie phocéenne est
doublement conditionné par la situation dans l’espace et la politique de la Nation. La
protection douanière a été un élément de sa réussite. La faiblesse des communications
internes a d’autre part retardé l’unification du marché, mettant ainsi la métallurgie
marseillaise à l’abri de concurrents redoutables, comme les Stéphanois. La disparition de
ces facteurs favorables, dans les années 1860, pourrait bien expliquer l’effacement puis
l’oubli de ce beau printemps de l’industrialisation.
8
AUTEUR
DENIS WORONOFF
Professeur d’histoire moderne à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
9
Introduction
1 En 1873, l’État français publie les résultats de la grande enquête de statistique industrielle
menée sur l’ensemble du territoire entre 1861 et 1865. Sous la rubrique « métallurgie », le
département des Bouches-du-Rhône est classé au premier rang1. Associer la région
marseillaise à l’industrie métallurgique peut paraître surprenant. Cela relève même du
paradoxe si l’on suit les grilles de lecture utilisées généralement pour étudier le
développement industriel européen et français du XIXe siècle. Secteur emblématique de
l’industrialisation avec le textile, la métallurgie est associée aux régions du nord-ouest de
l’Europe, au Centre et à la Lorraine pour la France. L’économie marseillaise est d’abord
perçue comme commerciale et n’est reconnue comme industrielle que par la filière des
corps gras et des productions alimentaires. Le paradoxe n’est en fait qu’apparent. La
métallurgie marseillaise du XIXe siècle est très différente de celle de l’Europe du nord-
ouest. Dans les Bouches-du-Rhône, la production de fonte brute a peu compté. D’autres
activités ont dominé : la construction mécanique, la métallurgie de deuxième fusion et le
traitement des non-ferreux. Cette métallurgie, atypique et diversifiée, a véritablement été
une des grandes branches du développement industriel marseillais. Étudier l’industrie
métallurgique et mécanique marseillaise du siècle passé est donc une recherche sur un
pilier « oublié » de l’industrialisation régionale.
2 Le premier objectif de ce travail est d’analyser les structures et le poids réel de ce secteur
industriel phocéen du XIXe siècle. La seconde finalité est d’offrir un exemple d’un secteur
à forte technologie dans le sud de l’Europe et du dynamisme d’une région
méditerranéenne durant la Révolution industrielle. Sur cette base, deux interrogations
majeures se sont imposées : comment une branche aussi exigeante en compétences et
capitaux a-t-elle pu s’implanter et fonctionner dans une zone longtemps désignée comme
un exemple de retards industriels et techniques ? Quels ont été les facteurs d’ancrage puis
d’échec de ce secteur dans une ville fort peu marquée aujourd’hui par son passé
métallurgique ? Répondre à ces deux questions permet de comprendre le cas marseillais,
de le situer dans les ensembles français, européen et méditerranéen.
10
Une relecture de l’industrialisation nord-méditerranéenne
3 Ce travail s’inscrit dans la nouvelle approche de l’histoire industrielle du nord de la
Méditerranée. Ce mouvement a eu pour principale origine la remise en cause de la
géographie et des modèles d’industrialisation de l’Europe du XIXe siècle. Jusqu’à la fin des
années 1970, la tendance était de partager l’Europe en deux zones bien distinctes. À côté
d’une Europe du nord incarnant tous les aspects de la modernité économique végétait
une Europe du sud archaïque, aux composantes essentiellement agricoles. Les modèles
d’analyse fondés sur le schéma de développement anglo-saxon ont longtemps contribué à
masquer la complexité et la diversité des processus européens d’industrialisation, à
fortifier des idées reçues dont la permanence s’est avérée préjudiciable pour l’histoire
industrielle méditerranéenne. L’historiographie de l’industrie marseillaise a beaucoup
souffert de cette erreur d’appréciation. Le résultat le plus direct a été la négation pure et
simple du phénomène d’industrialisation de la région. Les explications tenaient
essentiellement en deux points. Marseille n’avait pu s’industrialiser car le département
des Bouches-du-Rhône ne renfermait dans son sous-sol ni fer ni houille. La région était de
plus insérée dans le bassin méditerranéen, un espace dont la principale caractéristique
était l’impossibilité d’assimiler les nouveautés techniques de la révolution industrielle.
4 Malgré une longue persistance, la vision d’une Méditerranée du XIXe siècle sans industries
est aujourd’hui largement périmée. Le mouvement de relecture a commencé dans les
années 1960 et les interrogations nées de la crise des années 1970 l’ont considérablement
renforcé. Les pays et les régions, les grandes et les petites entreprises ont été
différemment touchés par la dépression qui frappait les tissus industriels. Les anciens
secteurs moteurs de l’industrialisation des pays du nord-ouest de l’Europe (la sidérurgie,
les industries du charbon et du textile) rencontraient de grandes difficultés alors que des
branches moins prestigieuses et les petites entreprises offraient une bien meilleure
résistance. La recherche a su tirer profit de cette double constatation. Le résultat logique
de ces nouvelles données était la remise en question des analyses fondées sur les modèles
anglo-saxons. Les critiques sur la notion d’irréversibilité du phénomène
d’industrialisation et la mise en évidence de structures économiques originales faisaient
apparaître le problème des développements masqués et oubliés2. La recherche s’est alors
efforcée d’identifier et de comprendre les différentes formes de croissance économique
dans l’ensemble de l’Europe du XIXe siècle.
5 Depuis trente ans, les multiples travaux menés par les historiens italiens, espagnols et
grecs ont fait apparaître un événement majeur. Durant le XIXe siècle, de nombreuses
régions sud-européennes ont connu un démarrage relativement précoce dans les secteurs
de la métallurgie3. Les chercheurs italiens ont, dès le début des années 1960, mis au jour
l’importance de ces branches industrielles à Turin, Milan, Naples et Gênes et ceci dès la
période pré-unitaire. Des monographies régionales ont été publiées à un rythme soutenu
jusqu’au début des années 1970, moment de l’entrée en scène de la recherche espagnole.
Avec Jordi Nadal, l’Espagne redécouvrait, elle aussi, l’importance de son passé
métallurgique. A l’étude de régions traditionnellement évoquées pour traiter l’histoire de
la métallurgie espagnole (le Pays basque et les Asturies) était adjointe celle de centres
dont le dynamisme avait été sous-estimé ou oublié (Malaga, Séville et, surtout,
Barcelone). La recherche hellénique suivait le mouvement au cours des années 1980. Les
11
travaux de Christina Agriantoni et de Donald Quattaert révélaient que les villes du Pirée,
de Salonique et d’Hermoupolis avaient connu, dans la seconde moitié du XIXe siècle, une
importante croissance dans les secteurs de la construction mécanique et du traitement
des non-ferreux.
6 Le renouveau d’attention à l’égard du mouvement d’industrialisation nord-
méditerranéen est donc bien avancé mais s’avère encore insuffisant. Les zones d’ombre
demeurent importantes. Les travaux se situent le plus souvent dans des cadres régionaux
et nationaux. Il reste à faire de nombreuses études sectorielles, à inscrire ces histoires
dans un cadre géographique et chronologique plus étendu afin de donner à l’ensemble
une assise théorique permettant des comparaisons avec d’autres zones. Ce n’est qu’à ce
prix que le renouveau de l’historiographie industrielle méditerranéenne trouvera un
véritable écho hors de la communauté scientifique des régions sud-européennes.
Le renouveau de l’histoire industrielle marseillaise
7 Par rapport à l’Italie, l’Espagne ou la Grèce, la France accuse un important retard. Le
mouvement de relecture ne s’y est amorcé que dans les années 1970, période au cours de
laquelle la Marseille industrielle retrouve ses lettres de noblesse sous l’impulsion des
travaux de Louis Pierrein. Certaines idées reçues vont toutefois persister car une
chronologie erronée de l’industrialisation phocéenne s’est imposée. Pour Louis Pierrein,
son démarrage ne se situe que sous la première décennie du second Empire4. Une partie
entière de l’histoire économique phocéenne, celle de la première moitié du XIXe siècle, se
trouve ainsi gommée. L’importance des activités commerciales dans le développement
industriel de la ville a amené les historiens à s’intéresser aux secteurs de production
utilisant les matières premières coloniales. L’accent était mis sur les branches
traditionnelles (raffinage du sucre, huilerie, minoterie, fabrication des tuiles et des
briques…).
8 Depuis quelques années, l’historiographie de l’industrie marseillaise connaît un
important renouveau. Une série d’interrogations remet en cause le schéma d’analyse
traditionnel. Les travaux pionniers de Gérard Chastagnaret, Michel Lescure et Marcel
Roncayolo ont ouvert de nouvelles pistes pour la recherche. Michel Lescure s’est penché
sur le dynamisme des créations de sociétés industrielles de la première moitié du XIXe
siècle. Contrairement à ce qui était admis, les négociants et les armateurs n’ont pas
constitué les principales forces d’impulsion de l’industrialisation phocéenne5. Le rôle des
petits industriels et des artisans a été primordial dans la formation des entreprises.
D’après le nombre de créations de sociétés dans les années 1830-1840, Marseille n’a pas
manqué la première vague d’industrialisation. « Les faits tendent à confirmer que la
croissance économique qui eut lieu à Marseille après 1860 marquait une seconde phase
dans le processus d’industrialisation plutôt qu’un point de démarrage6. » Marcel
Roncayolo a étudié l’imaginaire industriel marseillais dans sa réflexion globale sur
l’économie de la ville durant l’ensemble de la période contemporaine. L’imaginaire de la
première moitié du XIXe siècle est révélateur d’une industrialisation dont le démarrage est
antérieur à la période du second Empire7. Enfin, Gérard Chastagnaret a remis à l’honneur
l’importance du travail marseillais des minerais et métaux non-ferreux. Les Phocéens ont
su compenser l’absence de minerais dans le sous-sol provençal par leur capacité à
s’insérer dans des circuits commerciaux8. Ces recherches conduisent à trois constats :
l’industrialisation marseillaise prend naissance dès la période de la monarchie de Juillet,
12
l’absence de ressources minérales n’est pas une fatalité et le rôle du marchand-négociant
marseillais omnipotent n’est qu’un mythe. L’exposition de l’hiver 1991-1992 « Splendeurs
et ombres d’un grand siècle industriel », présentée au musée d’Histoire de Marseille,
constitue l’acte de reconnaissance de cette « nouvelle » histoire industrielle marseillaise.
Le colloque « Histoire industrielle de la Provence », organisé en mai 1996 par l’UMR
TELEMME et la récente parution de l’ouvrage Vapeur et révolution industrielle à Marseille9
ont permis de réactualiser une partie des connaissances et de comprendre, à l’heure où
paraissent enfin de grands travaux de synthèse sur l’histoire industrielle française10, la
profonde originalité de la région marseillaise face au modèle général de développement
observé pour l’Hexagone. Cet ensemble de travaux doit être considéré comme un point de
départ, une invitation à entreprendre les recherches nécessaires à la compréhension d’un
phénomène d’industrialisation qui reste le parent pauvre de l’historiographie industrielle
française.
Les spécificités de la métallurgie nord-méditerranéenne
9 Dans cet ouvrage, les regards se tourneront régulièrement vers une dizaine de villes du
sud de l’Europe : Gênes, Turin, Milan et Naples pour l’Italie, Barcelone, Séville, Malaga et
Valence pour l’Espagne, Le Pirée et Hermoupolis pour la Grèce. L’énumération des villes,
plutôt que celle des pays, est volontaire. L’analyse des industries méditerranéennes à
l’échelle nationale dilue trop souvent les dynamismes urbains ou régionaux. L’objectif
visé est un élargissement géographique de la problématique, la définition d’un cadre de
référence cohérent. Le choix d’une comparaison méditerranéenne rejoint en effet le cœur
même de notre démarche scientifique. Une des questions de départ était de déterminer
un cadre général d’analyse. A quel ensemble appartient la métallurgie marseillaise du XIXe
siècle ? Le nord ou le sud de l’Europe ? L’économie marseillaise s’insère sans nul doute
dans l’espace français. 11 ne s’agit pas ici de minimiser les relations que la cité phocéenne
entretient avec les différentes régions de l’Hexagone et le pouvoir central. Ce dernier, par
sa politique industrielle et douanière, détermine dans une large mesure les règles de
fonctionnement de l’industrie et des activités commerciales marseillaises. Néanmoins,
par ses rythmes et ses structures, la métallurgie phocéenne s’inscrit dans un ensemble
méditerranéen dont on perçoit aujourd’hui la richesse. Le développement de cette
branche à Marseille n’est pas un cas isolé dans le sud de l’Europe. De Séville à Salonique,
des fonderies et ateliers de mécanique se sont multipliés au cours des deux derniers tiers
du XIXe siècle.
10 Les chronologies de développement et les destins de ces industries ont été divers.
Certaines, en se renouvelant, ont perduré bien au-delà du XIXe siècle, d’autres, à l’image
de celle de Marseille, se sont effondrées. Beaucoup ont souffert d’une occultation liée à
une position géographique propice à l’oubli et à une dévalorisation de la transformation
des métaux face à la puissance des hauts fourneaux dans l’imaginaire collectif. Malgré
leurs différences, les régions du sud de l’Europe possèdent des caractéristiques communes
et partagent des problèmes similaires dans les domaines de la métallurgie et de la
construction mécanique. Les métallurgies méditerranéennes ont dû trouver des réponses
aux difficultés posées par l’assimilation de technologies importées et ne pouvaient
connaître la réussite qu’en adaptant les techniques nord-européennes à des ressources et
à des besoins proprement méditerranéens. Pour naître et se développer, la métallurgie et
13
la construction mécanique du sud de l’Europe devaient offrir des biens d’équipement
ajustés à la demande des trois secteurs leaders de l’industrialisation méditerranéenne (le
textile, les industries secondaires et la navigation à vapeur). Elles devaient gérer, selon les
cas, le manque de charbon, l’absence de minerais, parfois les deux, ainsi que l’incapacité
de produire une fonte susceptible de concurrencer par son prix celle des maîtres de
forges britanniques. Enfin, l’importance des différentes régions métallurgiques
méditerranéennes ne peut se mesurer par la production de fonte brute. De Séville à
Salonique, la métallurgie de deuxième fusion des fers et des fontes, le travail des non-
ferreux et la construction mécanique sont les éléments de base du secteur. Ces
constatations indiquent clairement que l’industrie métallurgique marseillaise appartenait
à un ensemble fondamentalement distinct de celui du nord de l’Europe. Il était donc
difficile d’analyser cette industrie dans un cadre conceptuel et théorique nord-européen,
où cette dernière était condamnée à être décrite par ce qu’elle n’était pas plutôt que
parce qu’elle était réellement. La perspective méditerranéenne n’est pas une
revendication du droit à la différence mais un constat d’originalité de l’objet.
Les priorités de l’analyse et la question des sources
11 L’ampleur de la période étudiée et l’importance de la métallurgie marseillaise
interdisaient une approche en profondeur de la totalité des sujets. Ce travail comporte
donc des limites. Certaines procèdent de la volonté de ne pas aborder des questions déjà
bien défrichées. D’autres sont liées à un problème de documentation. L’absence d’archives
sur certains thèmes et sur le dernier tiers du siècle nous a fermé ou restreint plusieurs
directions de recherche. Les limites portent essentiellement sur trois domaines. L’histoire
des ouvriers ne pouvait pas être présentée car elle appelait une recherche spécifique dans
le cadre d’une problématique autonome. De plus, des recherches de qualité ont déjà été
menées au cours des années 1970. Les travaux de Jacques Estrangin, William H. Sewell et
Lucien Gaillard11 ont accordé une place relativement importante aux travailleurs
spécialisés dans les activités métallurgiques et mécaniques. Deux autres thèmes faisaient
également partie de nos priorités : les sociétés et les capitaux. La consultation des
sources, souvent lacunaires, a débouché sur un constat plutôt amer : la démographie des
entreprises, les capitaux mobilisés dans le secteur métallurgique marseillais et l’identité
des actionnaires de la majorité des sociétés nous échappent en grande partie. Les actes de
formation des grandes entreprises ont été régulièrement dressés sous seing privé. De
même, les archives d’entreprises sont presque inexistantes. Seules celles de la Société des
forges et chantiers de la Méditerranée ont survécu aux vicissitudes du temps, mais
l’analyse de cet unique corpus était irréalisable pour un chercheur isolé12. L’histoire
juridique et financière des sociétés est pourtant essentielle. Elle sera donc abordée même
si le corpus est restreint.
12 Le choix des grands axes de l’étude a été guidé par la volonté d’ancrer la recherche sur
des thèmes essentiels à la compréhension du sujet : le rôle de l’État et des institutions
locales dans les processus de croissance industrielle, la mise au point d’une production
moderne et variée, les problèmes de transfert d’une technologie de pointe, la formation
d’une classe de techniciens autochtones, l’approvisionnement en combustibles et en
matières premières ainsi que la recherche et le contrôle des marchés. Opérant dans ces
nombreuses directions, cinq points importants se sont détachés et ont ainsi retenu notre
attention : les hommes, les entreprises, la technique, les productions et les marchés.
14
13 Une des grandes difficultés de la recherche a été la collecte de données quantitatives et la
constitution de séries chiffrées sur la longue durée. Le dépouillement des enquêtes
industrielles locales et nationales a permis d’établir des séries sur la production des
métaux. Mais ces séries, sauf en de rares exceptions, ne couvrent qu’une partie du XIXe
siècle. Souvent, elles ne peuvent être dressées qu’à partir du second Empire. Dans le
domaine de l’industrie de la construction mécanique, le flou est total. Pour la période
1831-1860, aucun corpus n’a pu per.
Le cadre géographique et la chronologie
14 Marseille constitue le point central des recherches, mais il était également indispensable
d’inclure les entreprises localisées à La Ciotat et à La Seyne-sur-Mer. Ces deux autres
centres sont indissociablement liés à Marseille. Les grands entrepreneurs des années 1840
ouvrent indifféremment des ateliers à Marseille, à La Ciotat et à La Seyne-sur-Mer. Ces
hommes créent ainsi entre les trois localités une interdépendance qui se maintient au
cours du siècle. Si le choix de l’espace n’a pas posé de problèmes majeurs, il n’en a pas été
de même pour le cadre chronologique. Il était facile d’assigner à cette étude un point de
départ précis. Pour Marseille, comme pour le reste de la France, l’année 1815 est une
année cruciale aussi bien d’un point de vue politique qu’économique. La reconstruction
des réseaux commerciaux et la volonté de rattraper les retards industriels marquent les
débuts de nouvelles orientations économiques. Le choix de la borne finale a été plus
difficile et demande des explications. Pourquoi 1890 ? Après cette date s’ouvre une mettre
l’établissement de séries de productions annuelles, en valeur comme en volume. Pour le
dernier tiers du siècle, quelques chiffres sont disponibles mais restent nettement
insuffisants. L’étude de l’histoire de la métallurgie marseillaise, surtout pour la première
moitié du XIXe siècle, souffre donc d’une carence importante de données chiffrées. Les
sources disponibles ont fortement déterminé la manière de traiter les quatre périodes de
l’histoire de la métallurgie marseillaise. Si les chiffres manquent pour la première moitié
du siècle, on dispose en revanche d’un nombre considérable de documents sur la vie des
entreprises, les hommes qui les dirigent et les problèmes techniques. Pour le demi-siècle
suivant, les données statistiques permettent de comprendre l’évolution des valeurs et des
volumes des productions, des effectifs ouvriers, de la quantité des matières premières
importées et travaillées, mais les autres types de sources font souvent défaut. Si les
raisons expliquant l’évolution générale des divers indicateurs sont connues, il manque les
exemples permettant de saisir le fonctionnement des entreprises.
15 Le dernier obstacle a été celui d’un manque de sources pour traiter la dernière partie de
notre travail. L’abondante documentation de la première moitié du siècle fait place à un
corpus lacunaire pour les années 1850-1870 et très restreint pour le dernier tiers du
siècle. Seul un panorama très général du déclin de l’industrie métallurgique et mécanique
marseillaise a été présenté. Ce regrettable effondrement documentaire est en lui-même
révélateur : la vitalité de l’industrie métallurgique marseillaise peut se mesurer aux
volumes d’archives qui lui sont consacrés. nouvelle histoire dont les éléments principaux
se rapportent à la seconde révolution industrielle, période que Marseille n’a pas su
négocier avec succès13. Dans les années 1880-1890, la généralisation de l’emploi de l’acier,
l’apparition de l’électricité comme source énergétique et le démarrage, à l’extrême fin du
siècle, de l’industrie automobile ont considérablement modifié les données. L’histoire
industrielle marseillaise devient celle d’une inaptitude à s’adapter aux profonds
15
changements qui s’opèrent dans de nombreuses régions françaises. L’échec trouve certes
ses racines dans le XIXe siècle, mais il est surtout le fruit de la mauvaise adaptation de
l’industrie phocéenne aux nouvelles logiques de fonctionnement.
16 L’histoire de l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise devait être présentée de
manière chronologique. Elle ne peut être comprise que par l’analyse successive des
différentes étapes de son évolution. Si nous avions opté pour une présentation
thématique, les changements de nature, les moments de crise et l’importance des
générations auraient manqué de lisibilité. Les quatre périodes de l’évolution générale
s’articulent autour de trois dates clés : 1831, 1846 et le milieu des années 1860. Le demi-
siècle précédant la monarchie de Juillet est celui des préparatifs. La métallurgie et la
mécanique n’existent que sous une forme artisanale. Les modifications sont peu
nombreuses mais forment un ensemble de départ qui est parfois prometteur. L’année
1831 constitue la première rupture importante. Avec l’apparition de la navigation à
vapeur et du premier atelier de construction mécanique, elle marque l’entrée véritable de
Marseille dans l’ère de la vapeur. Une place toute particulière a été accordée aux années
1831-1846. C’est au cours de cette période que la ville entre dans sa première phase
d’industrialisation. Il s’agit ici d’étudier la nature et les modalités des relations entre ce
développement économique et l’apparition puis la croissance de l’industrie métallurgique
et mécanique. L’année 1846 est le début d’une autre phase. Jusqu’au milieu des années
1860, la métallurgie marseillaise subit une série de changements profonds. La gamme des
productions s’élargit et les applications des nouvelles techniques se multiplient. Même si
l’on peut déceler des éléments d’une grave fragilité, cette période est véritablement celle
de l’âge d’or de la métallurgie marseillaise. Faut-il voir dans cette réussite une suite
logique du mouvement qui s’est amorcé au cours de la période précédente ? Ce succès est-
il durable ? Le milieu des années 1860 amène rapidement la réponse. Les premières
grandes difficultés apparaissent. Jusqu’à la fin des années 1880, les faillites d’entreprises,
les pertes de marchés et l’abandon de nombreuses productions s’accumulent. En 1890, la
métallurgie est devenue un secteur industriel marginal où seuls les travaux liés à la
navigation à vapeur restent importants. Cette dernière partie invite à s’interroger sur les
raisons de la spécialisation forcée de cette industrie marseillaise dans des activités
fondamentalement différentes de celles du secteur à ses origines et qui correspondent
plus étroitement à l’imaginaire économique phocéen.
17 L’histoire de l’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction mécanique est
celle d’une réussite de moyenne durée. L’échec final ne doit pourtant pas masquer
l’importance et l’originalité d’un mouvement qui a une valeur exemplaire à double titre.
Cette histoire est un parfait révélateur du dynamisme industriel des régions du nord de la
Méditerranée dans un secteur de pointe et de la vigueur d’une métallurgie basée sur la
transformation des métaux au cours du XIXe siècle. Comme Barcelone et Gênes, Marseille
a été une ville du fer et de la vapeur durant la première révolution industrielle.
16
NOTES
1. Statistique de la France, Paris, t. XIX, p. 1873, p. 787.
2. CHASTAGNARET G., « La Méditerranée ou l’industrialisation masquée », Alliages, n° 24-25, 1995, p.
295-306.
3. Cf. bibliographie.
4. PIERREIN L., Industries traditionnelles du port de Marseille : le cycle des sucres et des oléagineux,
1870-1968, Marseille, 1975, p. 32.
5. LESCURE M., « Companies and Manufacturers of the First Period of Industrialisation of
Marseilles » dans JOBERT P., MOSS M. (dir.), The Birth and Death of Companies : an Historical Perspective
, New Jersey, 1990, p. 105-120.
6. Ibid., p. 117.
7. RONCAYOLO M., L’Imaginaire de Marseille : port, ville et pôle, Marseille, 1990. Cette idée est déjà
présente dans sa thèse avec la notion de rapidité du mouvement (cf. Les Grammaires d’une ville.
Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Paris, 1996, p. 142).
8. CHASTAGNARET G., « Marsella en la economia internacional del plomo », RHI, n° 1, 1992, p. 11-38.
9. DAUMALIN X., COURDURIÉ M., Vapeur et révolution industrielle à Marseille, Marseille, 1997.
10. Cf., en bibliographie, les ouvrages de D. Woronoff et de M. Levy-Leboyer.
11. Cf. bibliographie.
12. Plus de 500 mètres de documents rien que pour la série 137 AQ des Archives nationales.
13. Cf. CHASTAGNARET G., TÉMIME E., « L’âge d’or de l’industrie à Marseille » dans Marseille au XIXe
siècle, Paris-Marseille, 1991, p. 109-113.
17
Première partie. Les héritages
18
Chapitre premier. L’économiemarseillaise sous la Restauration
1 Depuis toujours, la santé de l’économie marseillaise est liée aux activités du port. Celles-ci
étaient florissantes au cours du XVIIIe siècle. Les années 1790 avaient été moins heureuses.
Les guerres des débuts de la période révolutionnaire avaient plongé le négoce dans un
profond marasme. La tentative d’asphyxie de l’économie britannique menée par
Napoléon au moyen du blocus continental et le blocus de la Méditerranée par la flotte
anglaise avaient aggravé une situation déjà désastreuse. L’accès au port de Marseille était
verrouillé. Les approvisionnements en matières premières ou en objets manufacturés, la
redistribution de denrées importées s’effectuaient avec les pires difficultés. Aussi, c’est
avec joie que Marseille accueille, en 1814, la nouvelle de l’effondrement de l’Empire.
2 Cette période mouvementée a considérablement modifié le visage du grand port
provençal. Au début de la Restauration, Marseille « apparaît nettement et plus que jamais
sous le triple aspect industriel, royaliste et catholique1 ». Industrielle, la ville l’est
devenue un peu malgré elle, à cause de l’effondrement de ses activités commerciales. Seul
l’établissement de nouvelles fabrications pouvait remédier à l’absence de produits
habituellement importés. En revanche, c’est avec détermination que ses habitants se sont
rangés dans le camp des ultras. Avec le massacre des mamelouks par la population sur le
cours Gouffé, Marseille liquide son passé napoléonien dès le retour des Bourbons. Le
monde du négoce tourne le dos à un régime responsable de la décomposition du
commerce maritime. À l’heure du bilan, une question se pose. Les Marseillais sont-ils
capables de sortir leur économie de l’enlisement afin de retrouver la prospérité du XVIIIe
siècle ? Dès 1815, l’hésitation est profonde sur la marche à suivre. La réussite passe-t-elle
par le rétablissement du système économique prérévolutionnaire ou, au contraire, par la
transformation des contraintes de la période impériale en dynamiques industrielles ?
LA DYNAMIQUE COMMERCIALE
3 Malgré les espérances placées dans le retour à une stabilité propice aux échanges, la
reconstitution des réseaux commerciaux marseillais s’effectue timidement durant les
premières années de la Restauration. La principale difficulté est le problème du choix du
19
statut du port. Les milieux économiques avaient rapidement opté pour un retour de la
franchise, mais la redéfinition des espaces commerciaux et l’apparition de nouveaux
secteurs industriels sont devenues des réalités incontournables. Les Marseillais doivent
repenser leur système portuaire à la lumière des deux processus enclenchés sous
l’Empire : les liens importants tissés avec l’espace national et le développement d’une
industrie restée jusque-là sans grande envergure. Les milieux d’affaires de la ville
comprennent qu’un simple retour au passé est devenu utopique. L’avenir réside dans le
régime de l’entrepôt, décrété pour le port par l’ordonnance de novembre 1817.
La reconstruction des réseaux commerciaux
4 Sur cette nouvelle base, les affaires reprennent mais lentement. La crise persiste dans une
ville « …mal à l’aise dans deux schémas opposés, l’un qui est étroitement national, l’autre
plus ancien, qui est celui d’une vocation purement maritime2 ». La véritable reprise,
malgré de nombreux problèmes douaniers qui gênent le bon fonctionnement du régime
de l’entrepôt, n’intervient qu’au cours de la première moitié des années 1820 et, surtout,
à l’extrême fin de la Restauration, période durant laquelle Marseille fait son choix et cesse
véritablement de se retourner sur son passé. Le dynamisme commercial peut s’installer.
Le port attire de plus en plus les peaux, les cotons. Il retrouve et amplifie sa grande
spécialité : la distribution de denrées alimentaires. Déjà, certaines réussites industrielles
apparaissent. La minoterie commence à se moderniser avec les travaux occasionnés par
l’arrivée massive des blés de Russie. Ces matières premières, travaillées dans des moulins
à vapeur grâce au système de l’entrepôt fictif, sont exportées par la suite vers de
nombreux pays méditerranéens. Bientôt, les importations sans cesse croissantes de
sucres bruts et de graines oléagineuses exotiques apporteront les modifications aptes à
susciter un véritable développement industriel.
5 Le bilan des activités commerciales marseillaises de la Restauration montre, avant tout, la
réinsertion de la ville dans son espace naturel d’échanges : la Méditerranée. En 1830,
Marseille effectue la majeure partie de ses transactions commerciales dans le bassin
méditerranéen. Plus des deux tiers du tonnage des marchandises gérées par le port
proviennent des relations maritimes que la ville entretient avec les différentes régions de
cet espace, essentiellement celles des rives nord3. Il ne s’agit pas d’une nouveauté. La ville
reconstruit simplement une des bases de son commerce de la période prérévolutionnaire.
En une quinzaine d’années, les lignes et les réseaux d’échanges se sont constitués ou
reconstitués de manière durable entre Marseille et les différents centres du bassin
méditerranéen. Dans le domaine de l’exportation de produits manufacturés, les liens les
plus forts sont ceux qui ont été tissés avec l’Espagne et l’Italie. Pour l’essentiel, il ne s’agit
que d’objets de fabrication française. Les Marseillais arrivent néanmoins à tirer profit de
l’installation de secteurs manufacturiers qui ont commencé à donner à leur port une
petite fonction industrielle. Quelques produits mis en œuvre sur place commencent à
trouver des débouchés méditerranéens. Ainsi, les farines de blé, les peaux tannées, les
sucres raffinés et quelques produits métallurgiques s’exportent en quantités parfois
importantes dans les royaumes italiens, en Espagne et en Égypte4.
20
La place des minerais et des métaux
6 Dans le mouvement général du commerce marseillais, la métallurgie occupe une place
restreinte. Entre 1815 et 1825, les négociants phocéens importent et exportent
relativement peu de minerais ou de métaux. Ces marchés retiennent toutefois l’attention
des hommes d’affaires de la région. Le port est le lieu de passage naturel des produits
métallurgiques d’exportation de la région stéphanoise5. En 1817, la chambre de commerce
de Marseille épaule celle de Saint-Étienne dans la lutte contre les maîtres de forges
français responsables de l’établissement des droits de douanes exorbitants sur les fers
étrangers. L’économie marseillaise soutient logiquement les centres qui lui fournissent
les éléments de son commerce. L’institution consulaire phocéenne intervient auprès du
ministère de l’Intérieur pour demander l’abaissement des taxes sur les fers importés en
signalant que les fabricants de la ville de Saint-Etienne « sont réduits à ne pouvoir
employer que des fers, dont les propriétaires, à couvert de toute concurrence, élèvent le
prix à leur gré sans aucune proportion avec ceux que l’on peut mettre aux ouvrages qui
sortent de leurs fabriques6 ». En 1829, lors de l’enquête préparatoire du gouvernement
pour la révision des tarifs douaniers, les négociants marseillais réitèrent leurs
observations : « Les négociants de Marseille demandèrent […] que le droit sur
l’importation des fontes en gueuses fût réduit à l’ancien taux de 2 francs 20 centimes les
100 kilos, décime compris ; le droit était alors de 9 francs 90 centimes. Cette réduction
aurait eu pour résultat une diminution de 20 % environ du prix des fontes et de 10 % sur
celui des fers7. » Le combat contre les producteurs français de fonte s’est installé. Il
deviendra une constante lors des deux décennies suivantes.
7 Un important changement s’opère entre 1825 et 1830. L’absence des matières premières
et produits métallurgiques dans les mouvements commerciaux est en passe d’être
comblée. Même si les minerais et les métaux comptent peu dans le volume global des
transactions, la ville détient une part non négligeable des relations entre la France et les
nations étrangères dans le domaine des métaux. Avec 91,1 % des plombs bruts, 39,9 % des
plombs épurés et 24 % des cuivres, le commerce des non-ferreux connaît même une
importance marquée. Les fabricants de grenailles, de tuyaux et d’alun s’approvisionnent
dans des proportions croissantes en Espagne. Ce commerce est une vieille tradition
marseillaise8. Il commence à retrouver un second souffle dans les années 1820 avec les
plombs d’Andalousie, amenés à Marseille sous l’influence d’un afrancesado réfugié dans la
ville, Luis Figueroa. Cet homme d’affaires est l’un des premiers à « avoir compris les
opportunités offertes par la situation de Marseille : la ville est au confluent de deux
marchés, français et méditerranéen, touchés par les progrès des usages industriels et
urbains du plomb9 ». Marseille ne fixe pas encore ce type de marchandises par des
travaux permettant d’adjoindre une valeur avant réexportation. Sur les marchés des
métaux, la ville reste essentiellement une place de transit. En 1830, l’industrie
métallurgique phocéenne en est à ses balbutiements, mais le dynamisme du commerce a
déjà jeté les bases du fonctionnement ultérieur de ce secteur. Les réseaux
d’approvisionnement nord-européens en fer et en fonte (Angleterre, Suède, Allemagne),
en métaux non-ferreux italiens et espagnols et ceux des réexportations dans le bassin
méditerranéen sont en place. Dans les années 1820, une poignée d’artisans marseillais
s’est même lancée dans la fabrication et l’exportation de produits métallurgiques. La
grenaille de plomb, les cercles de barrique, les clous et les ustensiles domestiques en fer
forgé partent de Marseille vers l’Italie, l’Espagne ou les Barbaresques10. Même si les
21
quantités sont minimes, la voie est tracée. Il reste encore à la ville à donner de l’ampleur
et de la vigueur à ces routes maritimes crées ou retrouvées. La stabilisation des routes
commerciales et l’avance que prendra Marseille, dans les années 1830, sur les autres villes
méditerranéennes dans le secteur de production de biens d’équipement permettront
d’allonger la liste des produits. Pour l’heure, le développement industriel, même s’il
paraît prometteur, est encore faible. Il n’a pas engendré d’effets d’entraînements
susceptibles de pousser à la création d’un secteur métallurgique moderne.
UNE CROISSANCE INDUSTRIELLE ENCORE FAIBLE
8 Il est difficile d’évaluer les niveaux de la production industrielle marseillaise à la fin de
l’Empire. Une seule certitude : la période révolutionnaire est marquée par un
effondrement important. Dans son Encyclopédie départementale, Paul Masson estime que
cette valeur a diminué des trois quarts entre 1789 et 1813. La production annuelle serait
passée de 50 à près de 11,5 millions de francs11. Les difficultés de l’industrie marseillaise
sous la Révolution et l’Empire ont toutefois été moindres que celles rencontrées par les
activités commerciales. Durant les dures années de la dépression, la bonne résistance du
secteur secondaire a pu préserver les emplois grâce à un recentrage vers les débouchés
intérieurs.
L’industrie marseillaise sous l’Empire
9 Si les conséquences des guerres et des blocus de la période 1789-1815 ont été désastreuses
pour les activités commerciales, elles ont été parfois bénéfiques pour les secteurs de
production. Elles ont eu en effet le mérite de provoquer un important changement.
L’industrie, très artisanale et disposant de faibles capitaux, n’avait guère évolué durant
l’ensemble du XVIIIe siècle. À la veille de la Révolution, les nouvelles fabrications étaient
rares, l’archaïsme des structures de production marqué. L’industrie marseillaise avait
besoin d’un bouleversement pour se lancer dans une série de modifications. Ce
bouleversement allait venir des conditions économiques créées par la guerre. Durant la
période du blocus, l’économie marseillaise était confrontée à un problème aigu. Il lui
fallait trouver des produits de substitution aux matières premières, aux denrées
coloniales et aux produits manufacturés habituellement importés. Les tentatives ont été
nombreuses (essais de fabrication de l’alun artificiel, du raffinage du sucre de betterave…
). Certaines initiatives se sont soldées par des échecs. D’autres, en revanche, ont été
couronnées de succès et sont promises à un bel avenir.
10 La production de la soude artificielle est incontestablement la plus grande réussite.
Importée traditionnellement d’Espagne et d’Italie, la soude végétale ne parvenait plus
jusqu’au port de Marseille. Son absence paralysait la vie économique phocéenne. La soude
était en effet un des éléments essentiels à la fabrication du savon. La ville dut trouver des
solutions de remplacement. En 1804-1810, avec le soutien du gouvernement impérial, les
premières usines de fabrication de soude artificielle selon le procédé mis au point par
Leblanc en 1789 s’établissent à Marseille et dans sa banlieue, à Septèmes-les-Vallons12. Les
implantations de manufactures de produits chimiques se succèdent avec rapidité et
provoquent certains changements en aval.
« C’est alors que s’ouvrirent les fabriques de soude factice, d’acide sulfurique,d’alun, de sels de soude et de plusieurs autres produits chimiques. Cette nouvelle
22
branche d’industrie donna une plus grande activité aux savonneries. Les tanneriesprofitèrent aussi des recherches chimiques sur le tanin et améliorèrent leursprocédés. »
11 En 1813, avec 72,5 % de la valeur totale des productions manufacturières de la ville, la
fabrication de produits chimiques et celle des savons forment l’essentiel de l’industrie
marseillaise13.
L’évolution sous la Restauration
12 Dès la fin du règne de Louis XVIII, Marseille a récupéré l’essentiel de ses anciennes
fabrications. Il faut désormais y ajouter les nouvelles, nées sous l’Empire, qui continuent
de se développer. Par ordre d’importance en valeur de production et en dynamisme, trois
secteurs dominent l’industrie locale en 1830 : la chimie, le textile et les industries agro-
alimentaires14.
13 La savonnerie a retrouvé dès la fin de l’Empire son importance passée. Elle reste la
première des activités productives. En 1830, les 43 usines de la ville fournissent du travail
à 700 ouvriers15. L’utilisation de la vapeur dans les procédés de fabrication s’est
généralisée. Les pionniers avaient été, au cours des années 1808-1810, les frères Gède à La
Ciotat et les Girard à Marseille, dans une fabrique montée sur les ruines de l’abbaye Saint-
Victor16. A côté de la savonnerie, la fabrication de produits chimiques continue de se
développer17. En s’appuyant sur les marchés locaux et, dans une moindre mesure, sur le
débouché intérieur de la verrerie, l’industrie de la soude progresse de manière
conséquente. Sa production atteint 20 000 tonnes en 1822. En amont, les effets
d’entraînement sont importants. La production de 1822 a nécessité l’emploi de 13 300
tonnes de sel marin. Avec une telle demande, les salines se sont développées autour de
l’étang de Berre. Quatorze établissements sont en activité à la fin des années 1820.
Environ 1 200 ouvriers y travaillent.
14 Les industries alimentaires sont dominées par le raffinage du sucre, qui s’affirme comme
une industrie prometteuse dès le début des années 1820. En 1823, l’industrie française
adopte les procédés anglais de cuisson sous pression atmosphérique en employant la
vapeur comme véhicule de la chaleur, en remplacement de l’action directe des flammes
sur les cuves. L’appareil Howard, repensé par le mécanicien marseillais Elzéard Degrand,
est introduit pour la première fois en France dans la raffinerie marseillaise des frères
Reybaud18. Une seconde innovation, l’adoption des filtres mis au point par l’Anglais Philip
Taylor, améliore encore les produits. Désormais, avec l’application de ces nouveaux
procédés, « les sucres raffinés de Marseille peuvent rivaliser avec les plus belles qualités
sorties des raffineries de France ». En 1829, les dix-sept établissements phocéens et leurs
600 ouvriers traitent plus de 10 000 tonnes de sucre brut. Outre le traitement des sucres,
de nouvelles productions liées à l’alimentaire s’établissent sous la Restauration,
principalement dans le secteur des blés. Depuis 1818, des moulins à vapeur travaillent les
blés admis sous le régime de l’entrepôt et livrent des farines à l’exportation. Ces progrès
restent encore limités. Gênés par le système de l’échelle mobile décrété par Decazes, les
Marseillais sont bloqués pour les approvisionnements et ne peuvent donner l’ampleur
désirée à cette industrie. L’archaïsme des structures et des équipements domine encore.
Pour les deux minoteries à vapeur fonctionnant à Marseille en 1829, on compte 40
moulins à eau et 22 à vent. Les blés ont surtout donné naissance à la fabrication de
nouveaux produits (pâtes d’Italie, viande de pâte, vermicelles, macaronis…). Vers 1830, les
23
Bouches-du-Rhône produisent 788 tonnes de pâtes. Près de 15 % de cette production est
exporté pour une moitié à l’étranger, pour l’autre dans les colonies. La ville possède
également quelques fabriques d’amidon, qui trouvent leurs débouchés sur le marché local
et intérieur. Ces manufactures travaillent principalement les blés importés de Sicile
« lorsque l’entrée est permise ».
15 L’industrie textile est le dernier secteur d’importance, essentiellement par le nombre de
travailleurs qu’elle emploie. En 1829, le comte de Villeneuve annonce un chiffre proche de
2 500. Les premières modernisations des procédés de production ont été l’œuvre
d’entrepreneurs aixois. En 1790, Viollier installe dans sa fabrique les premières machines
à carder et à filer du département19. La même année, Paillasson fonde l’usine qui va
recevoir en 1811 la première machine à vapeur installée dans les Bouches-du-Rhône20.
Sous la Restauration, le développement de cette industrie est encore timide et s’effectue
sans véritable renouvellement de l’appareil productif. Certains secteurs comme celui de la
fabrication des bonnets de Tunis, dominé par la personnalité d’Alexis Rostand,
appartiennent encore à la forme du domestic System : 2 000 ouvrières travaillent les
produits textiles à domicile et non dans le cadre de l’usine. Dans le département,
Marseille reste un peu à la traîne non seulement dans le domaine technique mais aussi
par le petit nombre de ses usines et de leurs effectifs ouvriers. Dans les spécialités les plus
importantes, la teinture et la filature du coton, la cité phocéenne est surclassée par Aix-
en-Provence et La Ciotat. Malgré son retard, cette industrie vient de naître. Les espoirs de
développements futurs des entreprises textiles sont une constante de l’imaginaire
industriel marseillais de la fin des années 1820. Les milieux intellectuels et économiques
de la ville pensent que la région pourra connaître une révolution industrielle sur le
modèle britannique, incarnée par la réussite du port de Liverpool21. Le textile en sera
donc le moteur.
Le bilan
16 Un progrès industriel est donc apparu à Marseille et dans sa région. Il est encore limité,
mais les résultats ne doivent pas être négligés. Le produit brut des manufactures du
département approche 200 millions de francs en 1829, soit quatre fois le chiffre de 1789.
Cette première croissance de la Restauration se base sur le dynamisme de petites
entreprises fondées par des ouvriers, des artisans ou de modestes industriels22. Ces
hommes disposent de peu de capitaux et ne peuvent encore lancer une véritable
modernisation industrielle. Les biens d’équipements modernes représentent pour eux des
investissements trop importants. La relative faiblesse des débouchés ne justifie pas une
profonde modification des structures de production. Seuls les armateurs et négociants
peuvent provoquer, par une dynamique commerciale et un apport de capitaux, un
changement d’échelle des marchés rendant nécessaire la modernisation du tissu
industriel marseillais. Les marchands ne représentent qu’un peu moins de 10 % des
actionnaires connus des sociétés industrielles en 1820-1825.
17 À ce facteur interne de blocage du développement industriel il faut ajouter un obstacle
extérieur à la ville : la politique douanière de l’État français. Marseille est en marge des
intérêts économiques de son cadre national d’appartenance. La politique protectionniste
imposée par les agriculteurs, les maîtres de forges et les industriels travaillant les
matières premières nationales dessert la logique de fonctionnement de l’industrie et du
commerce marseillais. Il faudra attendre la première moitié des années 1830 pour que
24
soient réunies toutes les conditions permettant aux négociants et aux artisans de la ville
d’investir de manière massive dans la fonction industrielle de leur port. Mais si Marseille
reste une ville peu développée par rapport aux autres grandes régions économiques
françaises et à de nombreuses autres villes nord-méditerranéennes (Barcelone, Séville,
Milan…), la situation est déjà remarquable au niveau des mentalités. Sous l’Empire et la
Restauration, les milieux économiques de la ville ont pris conscience de la nécessité d’une
modernisation de leur industrie.
UNE VOLONTÉ DE CHANGEMENT
18 Pour les milieux intellectuels, politiques et économiques marseillais de la Restauration,
l’essor industriel est devenu une priorité. Les années sombres de l’Empire ont montré la
fragilité du commerce et la nécessité de développer d’autres activités. L’exemple du
développement industriel britannique s’impose petit à petit comme une référence, une
voie dans laquelle la cité phocéenne doit s’engager23. Sous la Restauration, l’industrie
marseillaise est encore majoritairement artisanale. Au début des années 1820, la grande
entreprise, la présence de la machine à vapeur dans les usines et les procédés modernes
de fabrication sont encore très rares. Seules les applications des nouvelles technologies et
les volontés d’innovation peuvent entraîner un changement de nature des différents
secteurs industriels de la ville. Ces changements ne sont toutefois possibles qu’à deux
conditions. Les marchés des entreprises marseillaises doivent croître jusqu’à provoquer
une modification des échelles de production pouvant pousser à la modernisation d’un
appareil productif devenu insuffisant. Une prise de conscience et un changement de
mentalité doivent s’opérer parallèlement chez les entrepreneurs souvent hésitants face à
l’achat de biens d’équipement. Si le véritable mouvement de croissance des productions
ne voit le jour que sous la monarchie de Juillet, le changement de mentalité et la volonté
de modernisation s’installent dès la Restauration dans les milieux intellectuels et
politiques de la ville. La ville s’inscrit dans un mouvement qui touche plusieurs régions
françaises. Avec des organismes tels que la société d’encouragement pour l’industrie
nationale, fondée en 1802 par Jean-Antoine Chaptal, et le Conservatoire des arts et
métiers, où est déposé un échantillon de machines et mécaniques modernes, l’État
français de la Restauration s’efforce avec grande volonté de combler les retards
techniques accumulés sur l’industrie britannique. « Le phénomène n’est pas limité à une
branche ou une région, il est une affaire nationale…24 ». Des concours avec primes sont
établis pour inciter à la recherche dans tous les domaines industriels. Depuis les débuts de
l’Empire, Paris est le lieu de grandes expositions industrielles au cours desquelles les
entrepreneurs de l’ensemble du territoire viennent présenter les produits et observer les
améliorations techniques survenues dans leurs secteurs.
Le rôle de la société de statistique et du comte de Villeneuve
19 À Marseille, la force de ce mouvement est essentiellement incarnée par le triangle formé
par la préfecture, la mairie et la société de statistique. Les trois principaux fondateurs de
cette dernière, en 1827, sont Jules Julliany, Augustin Fabre et le comte de Villeneuve25.
Cette société, qui va perpétuer jusqu’à la fin du second Empire l’œuvre du comte décédé
en 1829, est le pivot des actions menées pour faire comprendre la nécessité de développer
une industrie puissante et moderne. Elle obtient les faveurs des pouvoirs publics.
25
L’institution est déclarée d’utilité publique en 1832. Lieu d’expression reconnu, la société
propage ses idées par des conférences et des écrits. Les études et comptes rendus de
séances sont publiés dans les Répertoires des travaux de la société de statistique de Marseille.
Dès 1830, elle fait paraître un second périodique, d’une tonalité plus technique et
s’intéressant de près aux problèmes de la métallurgie et de la mécanique : les Annales des
Sciences et de l’Industrie du Midi de la France. Au sein de cette association, le rôle du préfet
des Bouches-du-Rhône, le comte Christophe de Villeneuve Bargemont, est capital. La cité
phocéenne a la chance de posséder entre 1815 et 1848 une administration préfectorale de
tout premier ordre. Outre le comte de Villeneuve, les préfets Thomas et Delacoste se
révèlent d’excellents administrateurs dans les domaines économiques.
20 Le comte de Villeneuve entraîne dans son sillage un groupe d’intellectuels issus
principalement des milieux administratifs et politiques de la ville. Ces Marseillais de
souche ou d’adoption vont multiplier les actions en faveur du développement
économique phocéen, d’abord individuellement, à partir de leurs postes de travail, puis
collectivement au sein d’organismes qu’ils animent, comme la société de statistique ou
l’académie de Marseille. Pour ces hommes habités d’une foi saint-simonienne et se
sentant investis d’une véritable mission, le but est simple : développer l’industrie
marseillaise au nom d’un progrès considéré comme source de richesses économiques et, à
un degré moindre, sociales. Ils entendent pousser l’industrie vers le modernisme
technique et scientifique et appellent à une mobilisation générale des Marseillais.
Un objectif majeur : favoriser le progrès technique
21 Le premier objectif est de favoriser l’accès aux connaissances techniques, de développer
leurs applications dans les entreprises. Dès 1779, un négociant marseillais, Pierre Conte,
avait déjà souligné l’importance de l’utilisation des mécaniques modernes dans les divers
processus de production :
« La méchanique, aidée de la physique, a produit des machines de tous les genrespour féconder ou augmenter les produits de l’agriculture, et pour animer oufaciliter les arts […] C’est avec son secours que l’industrie prépare la farine, foule lesétoffes, extrait l’huile des végétaux, dessèche les marais, ouvre la terre pour obtenirles récoltes abondantes, ou pour en arracher les métaux ou les minerais qu’ellerenferme26. »
22 Peu favorisé par les guerres de la Révolution et de l’Empire, le discours de Pierre Conte ne
va trouver des échos qu’une trentaine d’années plus tard. Timide sous l’Empire et le règne
de Louis XVIII, la volonté de propagation des techniques modernes prend une importance
accrue au début des années 1820. Le comte de Villeneuve multiplie les décrets
préfectoraux pour encourager les applications d’innovations dans les domaines
industriels. Il s’adresse au maire, le marquis de Montgrand, afin d’être aidé dans certaines
de ses actions. Pour développer la présence marseillaise dans les concours de la société
d’encouragement, il sollicite le secours du premier magistrat de la ville :
« Je ne saurais trop vous recommander, Monsieur, de faire donner toute la publicitépossible à ces programmes ; il suffira, je pense, pour exciter votre zèle à cet égard,de vous annoncer que vous seconderez par là les vues de la sociétéd’encouragement et les intentions particulières de son Excellence le ministre del’Intérieur qui compte également sur le concours de vos moyens27. »
23 La même année, toujours pour le même destinataire, le secrétaire général de la
préfecture, le baron d’Urre, demande, sur les ordres de son supérieur, de faire une large
26
publicité pour le cinquième volume des brevets d’invention qui viennent de tomber dans
le domaine public :
« Je n’ai pas besoin d’insister sur l’utilité de cet ouvrage pour vous engager àdonner la plus grande publicité à cet avis [l’avis de dépôt], m’en rapportant à cetégard sur vos soins et votre zèle accoutumé dans l’exécution des mesures dugouvernement, qui tendent au progrès et au perfectionnement des arts utiles28 ».
24 Ce type d’action est régulièrement effectué par les hommes de la préfecture. L’annonce,
en 1825, de l’avis de dépôt du huitième volume est particulièrement intéressant. Le comte
de Villeneuve et le baron d’Urre sélectionnent un échantillon de brevets susceptibles
d’intéresser les Marseillais29. On peut y retrouver la volonté de modernisation
industrielle. Sur les trente-deux brevets sélectionnés, cinq touchent à la machine à
vapeur ou à l’usage de la vapeur dans les procédés de fabrication, dix à divers types de
mécaniques, trois à l’industrie métallurgique et un à la préparation des combustibles
végétaux. Enfin, le préfet agit par les nominations. Quand le comte de Villeneuve choisit
les membres du jury chargé de prononcer l’admission des produits manufacturés à
l’Exposition de Paris de 1824, il tient à y faire figurer Elzéard Degrand, un mécanicien apte
à sélectionner les innovations dignes d’intérêt.
Une foi inébranlable dans les progrès de la science
25 Les actions sont également dirigées vers les progrès de la science. Les pouvoirs publics
ont très tôt compris l’intérêt de l’application des découvertes scientifiques dans les
procédés de la production industrielle. Progrès, science et développement sont pensés
comme inextricablement liés. Les industries doivent veiller à appliquer régulièrement les
apports des découvertes scientifiques :
« Il faut et il faut absolument que leur procédé de fabrication soit perpétuellementprogressif. La loi du progrès est, en industrie, aussi vraie, aussi bien établie, quel’est en physique la loi de la pesanteur… Au milieu du mouvement universel deprogression, ceux qui restent stationnaires se trouvent placés comme s’ils avaientreculé […] Le progrès, tel est donc le résultat nécessaire de la libre fabrication ; leprogrès, tel est la loi qu’on ne peut enfreindre sans perdre tous les biens auxquelson tenait30. »
26 Des cours publics de chimie et de physique sont créés au Collège royal en 1820 par la
municipalité de Marseille. Le professeur Péclet est chargé de les dispenser. On peut déjà y
noter la présence d’industriels31. Péclet est un homme de valeur. Outre les prix et les
attributions qu’il se voit attribuer, c’est un membre essentiel du jury local des grandes
expositions parisiennes. Ses compétences lui permettent de désigner les entrepreneurs
marseillais méritoires. Ses efforts, portés sur la propagation des idées scientifiques et
leurs applications dans l’industrie, sont d’autant plus importants qu’ils ont déjà montré
leurs effets bénéfiques dans la fabrication des produits chimiques, branche la plus
moderne de l’industrie marseillaise. Hippolyte de Villeneuve cite en exemple l’esprit de
collaboration des entrepreneurs de l’industrie de la soude « qui se sont mutuellement
permis de visiter leurs ateliers32 ».
27 Le préfet et le maire tiennent enfin à s’assurer le soutien de courroies de transmission
efficaces. « Le département et les villes principales, en dotant des académies, leur
imposent l’obligation d’employer les fonds qu’ils allouent à des travaux d’utilité publique
et en encouragements aux sciences, lettres et arts. Une partie est donc destinée et
employée à faciliter les progrès de l’industrie, dans des concours ouverts sur des sujets
27
propres à mettre en lumière des procédés de fabrication et les perfectionnements fondés
sur le progrès des sciences. » Les autorités locales et les sociétés savantes du département
comme les académies d’Aix et de Marseille distribuent ainsi primes et médailles aux
entrepreneurs et aux scientifiques capables d’innover, récompensent les publications
importantes « dont l’industrie locale a pu tirer profit ». A la fin des années 1820, ce rôle
joué par les sociétés savantes est pris en charge par la société de statistique de Marseille :
« Une tâche glorieuse lui a été offerte : exciter parmi les fabricants et lesmanufacturiers une louable émulation et seconder par là l’élan du génie industriel,c’était évidemment être utile au pays. Dès lors notre société entre dans cette voie,elle a institué des prix d’émulation, elle a distribué des médailles, des mentionshonorables aux hommes qui avaient importé à Marseille une nouvelle industrie ouamélioré les fabrications, les manufactures déjà existantes33. »
Un mouvement méditerranéen
28 Ces actions menées pour susciter un changement de mentalité chez les entrepreneurs ne
sont pas uniques dans le sud de l’Europe. Marseille n’est pas pionnière. Toutes les régions
nord-méditerranéennes ayant connu un développement industriel sont passées par une
phase semblable. Des différences existent toutefois. La première est d’ordre
chronologique, la seconde relève du niveau d’intensité de ces mouvements différents
aussi bien dans leur fonctionnement que dans leur composition. Il n’y a pas ici de modèle
proprement méditerranéen.
29 Dès la fin du XVIIIe siècle, avec l’aide d’un ingénieur de Tenerife, Agustin de Béthancourt,
l’État espagnol a monté le Gabinete de Màquinas del Buen Retiro à Madrid destiné à montrer
aux industriels ibériques les machines et mécaniques modernes34. Sur le modèle
madrilène, la chambre de commerce de Barcelone ouvre, en 1804, une exposition
permanente à la Llotja35. Quatre années plus tard, Francesc Santpons, constructeur durant
la même période des premières machines à vapeur catalanes dont une à double effet,
fonde des cours pratiques de mécanique. L’initiative est bloquée à cause des guerres
napoléoniennes36. La reprise d’une formation technique ne se fera qu’en 1832, quand les
écoles de la chambre de commerce mettent sur pied la chaire de mécanique théorique-
pratique sous la direction d’Hilaire Bordege37. Même si la Catalogne tarde à mettre en
place un véritable secteur de construction mécanique, ses actions du début du siècle sont
d’une remarquable précocité. À Paris, le Conservatoire des arts et métiers ne monte son
dépôt d’exposition de machines qu’en 1819. La formation de techniciens dans un cadre
institutionnalisé est, par exemple, absente de la région marseillaise avant 1843, date de la
création de l’école des arts et métiers d’Aix-en-Provence.
30 Pour les royaumes italiens, le duché de Milan, encore sous domination autrichienne, est
l’exemple le plus achevé de la volonté de bouleverser les mentalités des entrepreneurs
industriels. Milan s’appuie d’abord sur deux sociétés d’encouragement. La première a été
fondée en 1807 et compte trois sections au cours des années 1840 (économique, technique
et médicale). La seconde, la Caisse d’encouragement des arts et métiers, est créée en 1838
« dans l’intention de favoriser toujours plus l’industrie nationale38 ». Avec 430 sociétaires
dès sa première année d’existence et des distributions de médailles pour tous les
industriels améliorant les procédés de fabrication39, la société acquiert dès ses débuts une
importance marquée. Elle prend le relais du gouvernement qui, en 1817, avait instauré les
premières récompenses annuelles40. Les membres de la société s’activent en faveur du
progrès économique et technique. Ils publient dans un grand nombre de journaux et leurs
28
articles se multiplient dans des périodiques de renom (Annali Universali di Statistica, Il
Crepùscolo et Il Politecnico). Il est remarquable de noter l’intérêt précoce que portent les
ingénieurs, les industriels, et les hommes d’affaires milanais ou d’origine étrangère à
cette institution. Les plus grands entrepreneurs de la ville (le comte Lambertenghi, le
prince Soresina, les frères Kramer ou Enrico Mylius) adhèrent à la société et dispensent
des cours gratuits de technique et de chimie industrielle à l’instar des Mechanic’s Institutes
de Leeds ou de Newcastle du début des années 1820. Dans les années 1830, le
gouvernement du duché de Milan a fondé, comme à Madrid et Barcelone, un cabinet
technique où sont exposées les machines utilisées dans les usines françaises et
britanniques et entend développer un enseignement technique, qui s’organise
rapidement41. Les autres États italiens s’engagent également dans cette voie. Naples
organise sa première exposition industrielle en 1818, Turin en 182942. Entre 1832 et 1836,
des organismes officiels de statistiques s’établissent dans ces mêmes villes. Le progrès
peut être observé, quantifié43. Les publications fleurissent dans le royaume des Deux-
Siciles44.
31 Dans le sud de l’Europe, la Grèce est le pays qui entre le plus lentement dans ce type
d’action. Les raisons de ce retard sont simples. Le processus de développement industriel
s’y opère avec un décalage chronologique et une intensité moindre. Certaines régions
espagnoles ou italiennes ont connu une industrialisation favorisée par un héritage
matériel important en s’appuyant sur un groupe d’hommes déjà sensible à la notion de
modernité industrielle. Le cas de la Grèce est fondamentalement différent. En 1837, le
gouvernement hellénique fonde l’École polytechnique, qui dispense des cours aux
artisans afin de favoriser le développement industriel du pays. La première loi
d’encouragement à l’industrie est promulguée la même année45. Au cours des années
1830-1840, l’établissement d’une exposition périodique est même décidé46. L’idée reste
longtemps en gestation. La première exposition nationale industrielle se déroulera à
Athènes en 185947. Elle devient quadriennale et reçoit au cours des années 1870 un local
grandiose, le Palais des Expositions, financé par le mécène Evangheli Zappa48. La lente
maturation du projet montre que la Grèce n’est pas prête à accepter le changement. Le
tissu industriel est presque inexistant jusqu’au début des années 1860, moment où les
premiers signes de développement apparaissent. L’État grec s’occupe en premier lieu de
développer le commerce et la navigation49. Le pays balkanique connaît en effet une
originalité marquée. Son industrie, contrairement à celle des autres pays nord-
méditerranéens, a été créée ex nihilo. Il ne s’agit donc pas d’un changement mais d’une
véritable création de mentalité industrielle. Avant 1860, la classe des entrepreneurs est
encore très limitée en nombre et en qualité. Les actions menées par les différents
gouvernements ne trouvaient donc aucun point d’appui pour provoquer une volonté de
modernisation industrielle.
32 La différence entre Marseille et ces régions méditerranéennes repose surtout sur
l’absence d’expositions temporaires ou permanentes en Provence. En ce domaine, la
première initiative marseillaise n’aura lieu qu’en 1838 et ne débouche sur rien de concret.
En 1845, une nouvelle tentative est lancée. Joseph Loubon, adjoint au maire de Marseille,
présente le projet aux membres de la société de statistique :
« Pourquoi ne formerait-on pas un Muséum d’histoire industrielle ? Là devrait êtremis et placé par ordre tout ce que l’art a créé, tout ce que les manufactures et lesfabriques ont enfanté, tout ce que l’industrie produit. Là seraient déposés desmodèles de toutes les machines, levier obligé de la plupart des manufactures. Cecabinet serait un monument digne de notre siècle50. »
29
33 Ce projet n’aboutira pas sans que l’on puisse en découvrir les raisons exactes. Les
industriels se sont peut-être montrés réticents à offrir l’argent. Le remarquable dépôt du
Conservatoire des arts et métiers et les nombreuses expositions industrielles parisiennes
permettent aux entrepreneurs marseillais de s’informer sur les différents types de
machines et de mécaniques en fonctionnement en France et en Grande-Bretagne. Pour
l’acquisition de connaissances techniques, Marseille peut s’appuyer sur les travaux
effectués dans la capitale et dans d’autres régions françaises. A l’inverse, Barcelone,
Milan, Turin et Naples sont respectivement les villes industrielles les plus avancées de
l’Espagne, du duché de Lombardie-Vénétie, et des royaumes de Piémont-Sardaigne et des
Deux-Siciles. Ces différents centres bénéficient donc d’importants soutiens de la part de
leur gouvernement, qui voient dans leur développement une opportunité aussi bien
économique que politique. Les lieux d’exposition sont des vitrines de la modernité
industrielle. Ils constituent également un élément de prestige pour des États soucieux de
montrer leur intérêt pour le progrès.
***
34 La prospérité de l’économie marseillaise sous la Restauration relève de deux logiques bien
différentes. Elle se fonde aussi bien sur la reconquête de sa puissance commerciale du
XVIIIe siècle que sur le développement de nouvelles bases d’activité. Les modifications
provoquées par les deux dynamiques sont toutefois peu profondes et les résultats, très
ambigus. Le mouvement industriel né des opportunités de la période impériale n’est pas
susceptible d’amorcer une véritable croissance ou de transformer les structures de
production, qui restent traditionnelles et parfois même archaïques. La vitalité
commerciale est réelle mais peu prometteuse dans plusieurs domaines. L’omniprésence
de la marine à voile a ici une valeur exemplaire. Marseille ne reçoit ses deux premiers
vapeurs qu’en 1831. Les Espagnols, les Sardes, les Napolitains et surtout les Britanniques
ont déjà compris depuis longtemps que ce type de navigation représente l’avenir aussi
bien sur les fleuves que sur les mers.
NOTES
1. BOUDIN E., Histoire de Marseille, Paris-Marseille, 1852, p. 569.
2. DÉMIER F., « Nation, marché et développement dans la France de la Restauration », thèse de
doctorat d’État, Paris X-Nanterre, 1991, t. III, p. 2179. Pour le système douanier du port et les
problèmes du régime de l’entrepôt, cf. t. III, p. 2178-2181.
3. 70,7 %, ibid., p. 174-175 (sauf indication les données de ce chapitre sont extraites du t. IV de la
SBdR et du t. VIII de l’EDBdR).
4. LAUTARD L., Mémoire sur les questions de déterminer le moyen le plus efficace pour procurer au
commerce les avantages nécessaires, Marseille, 1824, p. 94-95
5. AN F 12 2529.
6. Ibid.
30
7. ECM, t. III, p. 372.
8. CHASTAGNARET G., « Marsella… », op. cit., p. 11-38.
9. CHASTAGNARET G., « De Marseille à Madrid, du plomb à la noblesse et au pouvoir d’État : la
construction de la fortune de la casa Figueroa », Cahiers de la Méditerranée, n° 46-47, 1993, p. 126.
10. L’Hermès marseillais ou guide des étrangers à Marseille, Marseille, 1826, p. 260.
11. EDBdR, t. VIII, p. 65 et ACM 22 F 1.
12. ADBdR XIV M 10/3.
13. Plus de huit millions de francs (ACM 22 F 1).
14. Cf. LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 109 et 118.
15. BOSQ P., Marseille et le Midi à l’Exposition universelle de 1878, Paris, 1879, p. 15
16. AM, GÈDE FRÈRES, Mémoire sur l’emploi de la vapeur de l’eau bouillante dans la fabrication du savon,
1812, p. 3 et DESCLOSIERES G., Vie et inventions de Philippe Girard, Paris, s. d. p. 32-33.
17. Cf. CHAPTAL J., De l’industrie française, Paris, 1819, t. II, p. 36-112 et DUPIN C, Forces productives de
la France…, Paris, t. II, p. 45.
18. VILLENEUVE H. de, « Des appareils pour évaporer les dissolutions de sucre à l’abri de la pression
atmosphérique et du procédé nouveau inventé par M. Degrand », ASIMF, t. III, 1834, p. 329-334.
19. ACA 24 F et SBdR, t. IV, p. 591-592 et 668.
20. ACM 23 F 31. L’usine compte plus de 8 000 broches en 1812, CHAPTAL J. A., De l’industrie
française…, op. cit., t. II, p. 12.
21. JULLIANY J., Discours sur Marseille, ville manufacturière et sur les filatures de coton, Marseille, 1828,
p. 5.
22. Ils sont fondateurs, pour les deux tiers, des sociétés industrielles de la première moitié des
années 1820, LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 114.
23. JULLIANY J., Discours sur Marseille…, op. cit., p. 16.
24. DÉMIER F., Nation, marché…, op. cit., t. III, p. 1980.
25. Jules Julliany (1802-1862), commerçant et homme de lettres marseillais proche de Michel
Chevalier. Augustin Fabre (1797-1870), avocat marseillais (biographies des trois personnages dans
EDBdR, t. XI, 1914, p. 190-192, 278-279 et 543-544).
26. CONTE P., Vues utiles à l’économie publique à l’établissement de diverses manufactures et à
l’augmentation du commerce de la Provence et de Marseille, s. 1., s. d., 1779, p. 8.
27. Recueil administratif, année 1823, Marseille, 1823 ; bulletin n° 8, lettre du 4 mars 1823.
28. Ibid., année 1823, bulletin n° 40, lettre du 1er décembre 1823.
29. « Nous signalerons ceux qui ont paru plus directement approprié à nos localités », ibid., année
1825, bulletin n° 24, lettre du 31 mars 1825.
30. VILLENEUVE H. de, « Sur quelques préjugés des industriels », ASIMF, t. I, 1832, p. 10-11.
31. SBdR, t. I, p. 548.
32. VILLENEUVE H. DE, « Sur quelques préjugés… », art. cit., p. 10-11.
33. « Rapport fait par M. J. Loubon, adjoint au maire, pour l’institution à Marseille d’une
exposition périodique des produits manufacturés des fabriques des Bouches-du-Rhône », RTSSM,
t. IX, 1846, p. 74-75.
34. NADAL J., El fracaso de la Revoluciôn industrial en España, 1814-1913, Barcelone, 1975, p. 123-124.
35. GARRABOU R., Enginyers industrials, modernitzaciô econômia i burgesia a Catalunya, 1850-inicis del
segle XX, Barcelone, 1982, p. 23.
36. Ibid., p. 23.
37. NADAL J., Moler. tejer v fundir. Estudios de historia industrial, Barcelone, 1992, p. 143.
38. « Tableau de l’industrie milanaise », RTSSM, t. IX, 1846, p. 441.
39. DALMASSO E., Milan, capitale économique de l’Italie, Gap, 1971, p. 130.
40. ROMANI M., Storia economica d’Italia nel secolo XIX, Milan, t. I, 1968, p. 15.
41. ZANINELLI S., « Attività manufattura lombarda nel 1840 », Archivio Storico Lomhardo, 1963.
31
42. De Rosa L., lniziativa e capitale straniero nell’industria metalmeccànica del Mezzogiorno, 1840-1904,
Naples, 1968, p. 6.
43. ROMANI M, Storia economica…, op. cit., p. 161-162.
44. La revue la plus importante : Il Progresso (Naples, 1832-1846).
45. PANAYATOPOULOS V., « La révolution industrielle et la Grèce, 1832-1871 », Études Balkaniques,
1977, n° 3, p. 92.
46. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur la Grèce, Athènes, 1867, p. 103-104.
47. Cf. MORAITINIS P., La Grèce telle qu ‘elle est, Paris, 1877, p. 344 et BURNOUF E., « La Grèce et la
Turquie en 1875 », RDDM, septembre 1875, p. 44.
48. Ibid., p. 344
49. MANSOLAS A., La Grèce à l’Exposition universelle de Paris en 1878, Paris, 1878, 2e éd., p. 55.
50. « Rapport fait par M. J. Loubon… », art. cit., p. 76 et ACM 22 F 7, Société de statistique de
Marseille. Séance du 3 juillet 1845.
32
Chapitre II. La découverte de lamodernité technique
1 Entre 1780 et 1830, la vapeur trouve de nouveaux domaines d’utilisation et son emploi
commence à se généraliser. Le mouvement a d’abord été lancé en Grande-Bretagne pour
s’étendre par la suite à l’Europe continentale. La nouvelle source d’énergie, jusqu’alors
essentiellement réservée à l’élévation des eaux de galeries de mines, s’emploie désormais
dans la grande majorité des secteurs industriels et connaît ses premières applications
dans la navigation et les chemins de fer. Plus globalement, un nouveau système technique
apparaît, fondé sur les machines à vapeur, le charbon, le fer et la fonte. Il commence à se
substituer à l’ancien, reposant sur les énergies naturelles et la force motrice animale. Par
ailleurs, la croissance industrielle qui s’opère avec rapidité en Grande-Bretagne et avec
une plus grande timidité en France provoque un développement de la demande de biens
d’équipement. Le changement d’échelle des fabrications nécessite la mise en place de
nouvelles structures productives. Les machines deviennent plus nombreuses dans les
ateliers et sont généralement construites en fer ou en fonte, contrairement aux
« mécaniques » en bois du XVIIIe siècle. Ces deux caractéristiques poussent à l’émergence
d’une industrie moderne de la métallurgie et de la construction mécanique, dont les plus
grands symboles sont l’atelier de Soho pour l’Angleterre et celui de Chaillot pour la
France.
2 L’industrie phocéenne reçoit ses premiers appareils à vapeur et commence à renouveler
une partie de son matériel de production dès l’Empire. En 1831, le grand port provençal
accueille ses deux premiers navires à vapeur. Le mouvement évoqué plus haut touche
donc Marseille dès le premier tiers du XIXe siècle. Il faut toutefois se demander si la ville
est en marge ou au cœur de ce mouvement. Les changements sont-ils assez profonds pour
rendre obsolètes les systèmes traditionnels de production industrielle, permettre à la
navigation à vapeur de s’implanter véritablement et entraîner l’apparition d’une
industrie métallurgique et mécanique moderne ?
33
L’APPARITION D’UNE DEMANDE DE BIENSD’ÉQUIPEMENT
3 Sous la Restauration, les techniques de production de l’industrie marseillaise sont à forte
dominante traditionnelle. Les sources énergétiques et les procédés de fabrication utilisés
sous l’Ancien Régime n’ont guère changé, tout comme la physionomie générale des biens
d’équipement. L’homme et l’animal, l’eau et le vent constituent les principales forces
motrices employées dans les ateliers. Dans les mines de lignite, jusqu’aux années 1830, les
procédés d’extraction restent d’une extrême simplicité1. On utilise des manèges mus par
des chevaux ou des ânes dans les filatures de coton et dans les fabriques de pâtes2. Parfois
même, ces manèges « sont suppléés par des cabestans mus à bras d’homme3 ».
L’archaïsme des équipements est encore plus marqué pour les huileries. Dans ce secteur,
la force de l’homme est majoritairement employée. Les presses à vis sont actionnées par
les ouvriers à l’aide d’un long bâton. La seule innovation notable dans cette industrie est
le remplacement progressif, sous la Restauration, de l’homme par le cheval4. Dans toutes
ces activités, la faiblesse de la demande dissuade toute volonté de modernisation. Au sein
de cet ensemble industriel marseillais, marqué par la médiocrité, quelques secteurs
enregistrent toutefois certaines modifications.
Les premières modifications du système technique
4 Sous l’Empire, poussée par la nécessité d’approvisionner la savonnerie, l’industrie
chimique et ses secteurs annexes avaient dû abandonner leurs anciens procédés de
fabrication à cause du blocus maritime. Les fabricants de soude avaient opté pour de
nouvelles techniques de production (la soude artificielle). Les salines adoptaient
parallèlement des machines atmosphériques afin d’augmenter leur productivité. Ces deux
industries avaient montré la voie. Le mouvement gagne en intensité sous la Restauration.
L’apparition de nouvelles industries et la croissance de certaines activités plus anciennes
entraînent des changements, essentiellement à partir des années 1820. Ces modifications
sont d’autant plus nécessaires que les composantes classiques du système de production
marseillais posent d’énormes problèmes quand la nécessité apparaît de passer à un stade
de fabrication soutenu et régulier. L’exemple de la minoterie est significatif. Les débits
des principales rivières de la région sont souvent insuffisants et même inexistants durant
les mois d’été. Quand la production change d’échelle et commence, à la fin des années
1810, à traiter de grosses quantités de blés, il lui faut obligatoirement utiliser la vapeur,
seule source d’énergie capable d’actionner les meules durant la totalité de l’année. Le
projet d’établissement du moulin à vapeur d’Armand et des frères Barlatier est suivi en
1818 avec la plus grande attention. « Ce secours sera réellement précieux, en raison de
l’extrême sécheresse dont nous sommes affligés depuis plus de deux ans »5. Les
propriétaires de minoteries à vapeur sont les premiers à prêcher pour l’utilisation des
machines à vapeur dans leur propre secteur, mais aussi dans les autres domaines
industriels :
« Ce puissant moteur a besoin d’être connu dans le Midi. En donnant le goût à seshabitants, c’est préparer l’établissement d’usines dont ils manquent et dontl’absence est un si grand mal. En aucune contrée de la France, il n’est plus impératifde familiariser ces machines que dans un pays sec et aride où aucun cours d’eau nevient prêter son appui à l’industrie. »6
34
5 Entre 1818 et 1825, trois moulins marseillais sont équipés de machines à vapeur.
6 L’industrie textile est le second secteur qui doit faire face à la fois aux problèmes posés
par une production en hausse et à un système technique traditionnel inadapté aux
besoins locaux. Localisée dans le triangle Aix-Marseille-La Ciotat, cette branche
d’activités s’est développée dès la fin de l’Empire et s’équipe au cours de la Restauration
en machines et mécaniques permettant de faire face à la nécessité d’accroître les
rendements. Amorcée sous l’Empire, l’installation des mulle-jennies, des jeannettes et
jennies se développe dans les années 1820, mais lentement. Comme pour l’industrie de la
minoterie, des entreprises du textile font l’acquisition de machines à vapeur. Entre 1811
et 1827, trois appareils – peut-être cinq – sont installés dans des teintureries ou des
filatures. Ces deux exemples portent certes sur des modifications importantes, mais ils
restent exceptionnels et ne sont nullement révélateurs d’une arrivée en force de la
machine à vapeur dans l’ensemble industriel marseillais. La cité phocéenne participe dans
une faible mesure au mouvement général de modernisation qui touche alors plusieurs
régions françaises. La Restauration n’est pour Marseille ni l’heure de la machine à vapeur
ni celle de la mulle-jenny. Toutefois, dans d’autres composantes du système productif
marseillais, des efforts ont été engagés dans le domaine des biens d’équipement. Ils n’ont
pas le prestige de l’introduction de la machine à vapeur, mais ne doivent pas être sous-
estimés. Les nouveautés portent essentiellement sur deux domaines : les chaudières
calorifères, les cuves et chaudrons.
Les biens d’équipement dominants
7 Sous la Restauration, les cuves et les chaudrons sont abondamment employés par
plusieurs industries marseillaises. Ces équipements se retrouvent dans le raffinage du
soufre et du sucre. La savonnerie en emploie le plus grand nombre. Ces cuves de cuisson
sont désignées sous le nom de chaudières, mais il s’agit en fait de gros chaudrons de
cuivre où les flammes attaquent directement la paroi pour cuire le contenu. En 1830, les
43 savonneries de la ville possèdent 208 chaudières d’un poids moyen de 100 quintaux de
cuivre7. L’usage de cuves dont la partie inférieure est en fonte ou en tôle de fer ne semble
pas s’être développé.
8 Les informations disponibles sur le nombre et la fonction des chaudières à vapeur
utilisées par l’industrie marseillaise avant 1830 sont peu nombreuses. Les chaudières
calorifères ont d’abord servi à la fabrication de produits chimiques. Les dix fabriques de
soude marseillaises de 1819 en possèdent 38. La même année, six nouvelles sont en
construction8. La production d’acide sulfurique et celle des sucres raffinés demandent
également l’utilisation de chaudières calorifères. L’acide sulfurique prend naissance dans
les chambres de plomb grâce à l’injection de vapeur, et un processus du même type est
mis en œuvre pour l’obtention de la fleur de soufre. La savonnerie a suivi dès la fin des
années 1810, grâce à l’exemple offert par les frères Gède à La Ciotat et les Girard à Saint-
Victor. Les années 1820 voient l’apparition de ce type d’appareil dans le raffinage des
sucres. L’utilisation de la vapeur améliorant nettement la qualité des productions, le
nombre des chaudières employées par cette branche est certainement important. Au
total, l’usage de ces appareils semble avoir été assez répandu à Marseille dès la fin de la
Restauration. L’inquiétude du comte de Villeneuve, quand le ministre du Commerce
songe en 1828 à classer les chaudières calorifères dans les mêmes dispositions
d’autorisation que les machines à vapeur, sous-entend une utilisation massive de ces
35
chaudières « qui sont aujourd’hui employées à la fabrication du sucre de betteraves, à la
teinture, à l’extraction de la soude, à la filature de soie, de branches d’industries fort
importantes qu’on risquerait peut-être d’entraver sans aucun avantage réel pour la
sûreté publique9 ».
Les brevets d’invention
9 Le souci de moderniser l’appareil productif se mesure aussi par l’étude des importations
et des dépôts de brevets d’invention. Les premières importations intéressantes
apparaissent à la fin de l’Empire essentiellement sous l’impulsion Elzéard Degrand10. Ce
mécanicien multiplie les achats dans des domaines très variés. En 1810, il importe le
brevet d’une machine à rayer les papiers, d’autres pour des mécaniques afin de pulvériser
les bois de teinture, de raser et de crépir les peaux. L’année suivante, Degrand fait
l’acquisition de brevets pour une presse à imprimer et pour un laminoir combiné avec
une fonderie.
10 Après le temps des importations vient celui des dépôts de brevets, signe d’une implication
plus grande de l’artisanat local. Ces inventions de mécaniciens marseillais ne sont
désignées que par de très courts libellés. Difficile donc de juger de la qualité de leurs
travaux. On peut toutefois penser qu’il s’agit pour l’essentiel de modifications de détails
ou d’ajustements à des particularismes locaux. Cette conclusion n’est pas une sous-
estimation mais plutôt un constat de l’importance des modifications de détails, bien
connue pour l’histoire des techniques. Elle souligne également les limites des
connaissances de ces hommes. Un exemple significatif est offert par le modèle de
chaudière calorifère élaboré par Elzéard Degrand pour la cuisson des sirops de sucre dans
les opérations de raffinage. L’appareil est en tout point identique à celui mis au point par
les Britanniques quelques années auparavant. La seule nouveauté, celle qui permet la
prise du brevet, est l’invention d’un système qui permet à la chaudière d’être basculée
pour la récolte des sirops11. Les réalisations techniques relèvent donc plus du savoir-faire
de praticiens que de réflexions scientifiques originales. La croissance de la demande de
biens de production est encore modeste et ne peut donc avoir que de faibles
répercussions sur l’industrie métallurgique et mécanique locale. Les machines, les
mécaniques et les pièces de métaux, surtout quand elles sont en fer ou en fonte, sont
encore fournies par les entreprises parisiennes et celles du Centre de la France. Marseille
a toutefois pris contact avec la vapeur par l’utilisation de chaudières calorifères et de
quelques machines à vapeur.
L’ARRIVÉE DES PREMIÈRES MACHINES À VAPEURFIXES
11 La machine à vapeur symbolise au mieux la modernité technique. A Marseille, la première
tentative d’installation est ancienne. Datant de la période pré-révolutionnaire, elle est
même très précoce. L’usage de la vapeur comme force motrice industrielle est encore rare
à cette époque, même en Grande-Bretagne. L’initiative en revient à Pierre Conte et se
développe quelques années avant la Révolution. À la fin des années 1770, l’académie de
Marseille publie le mémoire d’un dénommé Bernard concernant l’importante richesse de
la Provence en charbon12. Pierre Conte partage les vues de l’auteur et voit dans ce
charbon la future source d’énergie de l’industrie marseillaise. En 1779, il projette
36
l’installation de six moulins à farine au Pharo13. Les meules devaient être actionnées par
une roue hydraulique, alimentée en eau de mer par une pompe à feu. Le projet est
important. La machine atmosphérique, à balancier et dont le cylindre a un diamètre de 40
pouces, est du type « Newcomen ». Le prix de l’appareil est élevé. Posée, la machine
revient à 18 950 livres. Les frais annuels de fonctionnement sont estimés à plus de 30 000
livres. Près de la moitié de la somme doit servir à l’approvisionnement en combustible
minéral. Pour des raisons obscures, l’entreprise n’aboutit pas malgré la construction des
bâtiments sur la plage du Pharo. On peut penser que l’homme d’affaires a eu des
difficultés à trouver les capitaux nécessaires à la réalisation de son projet. Pierre Conte
devait trouver des partenaires financiers pour réunir les 40 000 livres destinées à la
formation du capital de la société. Les risques ont sans doute dissuadé les actionnaires
potentiels. Les difficultés techniques que posaient l’installation de la machine et, surtout,
son fonctionnement avec de l’eau de mer rendaient l’opération hasardeuse14. Plus de
vingt années de silence suivent cette première tentative.
Les premières installations sous le Consulat et l’Empire
12 Il faut attendre les toutes premières années du XIXe siècle pour que les premières
machines atmosphériques apparaissent dans les Bouches-du-Rhône. Sous le Consulat et
l’Empire, des appareils d’épuisement type Newcomen sont installés dans des salines du
pourtour de l’étang de Berre. La Compagnie de Rassuen s’est lancée depuis 1801 dans
d’importants travaux pour extraire le sel des eaux de l’étang de Valduc. « C’est cette
compagnie qui la première a établi une pompe à feu dans le département des Bouches-du-
Rhône, et même dans toute la ci-devant Provence15 ». Mis en service en 1804, l’appareil
permet l’accélération du processus d’évaporation. Une seconde machine d’épuisement est
installée en 1806 pour l’exploitation des salines de l’étang de Citis16. Il faut attendre
encore cinq années pour que la première machine à vapeur motrice arrive dans le
département. Elle n’est toujours pas installée à Marseille, mais plus au nord, à Aix-en-
Provence, dans la filature de coton de Paillasson. Cette machine, à basse pression et d’une
force de huit chevaux, a été fabriquée dans les ateliers Martin, à Paris17.
13 À Marseille, le premier spécimen n’arrive qu’en 1818, année durant laquelle les frères
Barlatier et Pierre-Charles Armand installent un appareil à basse pression de huit
chevaux afin d’actionner les meules de leur minoterie située dans le faubourg du Bon
Pasteur18. A l’instar de l’initiative de Pierre Conte, l’opération est ambitieuse. Le moulin
doit traiter 225 hectolitres de blé par jour et fournir ainsi en farine l’équivalent du tiers
de la consommation de la ville19. Face à un tel investissement, les propriétaires exigent
des garanties des pouvoirs locaux en essayant d’obtenir « l’assurance qu’on ne
permettrait, pendant dix années dans la commune de Marseille, la construction d’aucun
établissement de ce genre autre que le leur ; la concession gratuite de trois deniers d’eau
de l’aqueduc public […] et enfin, qu’un peseur commissionné par la commune fût attaché
à leur établissement20 ». La Mairie de Marseille accepte les trois requêtes, mais le
ministère de l’Intérieur lui ordonne de n’accorder que la concession gratuite de l’eau. En
novembre 1819, une année seulement après sa mise en route, l’usine ferme ses portes.
Quelques mois avant, l’entreprise, en proie à de grandes difficultés, avait passé un contrat
avec le syndicat des boulangers et la mairie de Marseille pour augmenter le prix de la
mouture des charges de blé. Le préfet suspend la décision, ne pouvant accepter que
l’augmentation soit à la charge des consommateurs. Les propriétaires du moulin se
37
retournent en justice contre la Mairie de Marseille pour le non-respect du contrat établi.
L’affaire dure près de dix ans. Entre-temps, le moulin à vapeur n’a pas pu reprendre ses
activités et ne les reprendra jamais.
Le retard marseillais face aux villes nord-méditerranéennes
14 Dans le bassin méditerranéen, d’autres villes ont devancé la cité phocéenne dans
l’application de la vapeur à des usages industriels. L’Italie a déjà connu plusieurs
réussites. À Turin, les premiers essais sur l’emploi de la vapeur sont menés en 180721. Ils
débouchent sur des initiatives plus audacieuses quelques années plus tard, mais celles-ci
n’ont pas lieu dans le Piémont. A Milan, en 1815, le comte Lambertenghi utilise la vapeur
pour sa filature de soie22. Dans le royaume des Deux-Siciles, l’abbé Giuseppe Conti est
parvenu à réaliser un prototype de machine d’épuisement dans la première moitié des
années 182023.
15 L’Espagne fait mieux. Au début du XIXe siècle, elle s’est déjà imposée comme le principal
utilisateur d’appareils à vapeur dans le nord de la Méditerranée. Plusieurs villes ibériques
se sont dotées de machines à vapeur dès la fin du XVIIIe siècle. Carthagène et La Carraca,
respectivement en 1773 et 1785, ont reçu les deux premières unités24. Il s’agit de pompes à
feu, à pression atmosphérique. Entre 1790 et 1799, les mines de mercure d’Almaden
s’équipent d’une machine à vapeur simple effet pour l’exhaure des eaux. Cet appareil
aurait été construit par Agustin de Béthancourt, l’homme qui avait dérobé à James Watt
le secret de la fabrication de sa machine à vapeur en observant les installations d’Albion
Mills25. Mais ce sont surtout les villes de l’extrême sud de l’Espagne qui se révèlent à la
tête du progrès dans l’introduction de l’énergie vapeur. En 1800, Cadix compte cinq
machines à vapeur double effet. Deux d’entre elles ont directement été fournies, en 1789,
par l’entreprise Boulton & Watt26. Les trois autres ont été vendues par le constructeur
« pirate » John Wilkinson27. Séville a suivi le mouvement. La tannerie du Britannique
Nathan Wetherell s’équipe d’une machine double effet d’une puissance de huit chevaux
en 179528. A l’orée du XIXe siècle, la situation de la basse Andalousie est remarquable non
seulement pour le bassin méditerranéen mais aussi pour l’ensemble de l’Europe
continentale. L’Espagne se distingue également par ses initiatives dans la construction de
machines à vapeur. En 1805, à Barcelone, Francesc Santpons, directeur de section de la
Reial Acadèmia de Ciènces Naturals i Arts, fabrique trois machines à vapeur dont une de
petite puissance installée dans la filature de Jacint Ramon et destinée à amener l’eau pour
les roues hydrauliques actionnant des métiers à tisser29. Face à l’impressionnant tableau
espagnol, Marseille accuse un retard certain.
Le timide démarrage des années 1820
16 Les industriels phocéens achètent relativement peu de machines sous la Restauration.
L’écart entre Marseille et les villes espagnoles se réduit toutefois de manière progressive.
Après l’apparition des premières machines en 1804-1811 et la fondation de la minoterie à
vapeur du faubourg du Bon Pasteur en 1818, les documents font apparaître cinq nouvelles
installations de machines à vapeur dans les Bouches-du-Rhône30. La première d’entre elles
a eu lieu à La Ciotat, les trois suivantes à Marseille, la dernière de nouveau aux abords de
l’étang de Berre : une machine à basse pression pour la filature de coton de Laurent Masse
en 1824 ; une anglaise en 1825 d’une force de 20 chevaux pour la minoterie des frères
38
Barré ; une, la même année, sortie des ateliers de Chaillot pour la minoterie d’Emmanuel
Marliani ; une, en 1827, d’origine et d’utilisation inconnues, à basse pression et d’une
force de douze chevaux ; la dernière, enfin, en 1830, de dix chevaux installée pour
l’épuisement des mines de lignite de la concession des Martigues31. Au moins huit
machines ont donc fonctionné dans le département sous la Restauration. Trois autres
installations d’appareils sont signalées par d’autres documents. Les services de la
préfecture font état de deux demandes d’autorisation à Marseille en 1824 et 1827. La
première concerne une teinturerie rue Sylvabelle. La seconde demande est formulée par
Paillasson, pour sa filature de coton d’Aix, afin de remplacer sa « vieille machine à feu et à
basse pression de huit chevaux par une machine d’une force doublée et à haute pression32
». Paul Masson a également noté la présence, en 1819, d’un appareil moteur dans une
filature de soie de Brest à Roquevaire33. Aucun document n’est venu confirmer
l’installation effective de ces trois machines. Comme les autres régions du sud de
l’Europe, la Provence n’est pas encore prête pour l’adoption massive de l’énergie vapeur.
Les cas de l’Andalousie et de la Catalogne sont révélateurs de cette « immaturité »
économique.
17 À Séville, les installations des premières machines à usage industriel et l’apparition de la
navigation à vapeur ont suscité quelques initiatives en amont. Des industriels misent sur
la modernisation continue des entreprises andalouses. En 1818, Juan Wetherell, fils du
tanneur anglais installé depuis longtemps dans le sud de l’Espagne, forme avec deux
associés britanniques une société pour la fabrication de pièces de fer coulé et de cuivre
laminé, pour la réparation des chaudières et des machines motrices34. Cette entreprise ne
connaît pas de succès. Après 1800, le nombre de machines à vapeur fonctionnant en
Andalousie augmente peu. À Barcelone, la fabrication et l’installation de machines
restent, après les travaux de Santpons, inexistantes jusqu’aux années 1830. La
modernisation des entreprises par l’adoption de nouveaux biens d’équipement ne
commence qu’en 1832, date de l’installation d’un appareil à vapeur de trente chevaux
dans l’usine textile de Bonaplata35. La construction de machines ne semble avoir débuté
qu’en 1837 avec les travaux effectués par les ateliers d’El Nuevo Vulcano, filiale de la
Compañia Catalana de Navegación36. Durant le premier tiers du XIXe siècle, les marchés sont
alors trop étroits pour rentabiliser le remplacement des biens de production
traditionnels. La même situation se retrouve dans le royaume de Piémont-Sardaigne.
C’est seulement en 1840 que les premières machines à vapeur piémontaises sortent des
ateliers des frères Benech, deux anciens élèves de l’école de Châlons-sur-Marne37. À
Marseille, le niveau de développement industriel de la ville n’exige pas encore
d’importants investissements dans des moyens de production modernes. L’énergie
hydraulique, éolienne et même les manèges à traction animale suffisent à la fabrication
des huiles ou des farines. Les entrepreneurs sont peu favorables à la modernisation,
d’autant que dans les années 1820 « l’investissement dans la machine à vapeur représente
une valeur qui peut varier de 10 à près de 30 % de la valeur de l’entreprise38 ». Seule la
minoterie, grâce au système de l’entrepôt, et le secteur du textile ont connu un essor
suffisant pour justifier l’application de la machine à vapeur. Pour le reste, il s’agit de cas
isolés. Le moment de l’adoption systématique de l’énergie vapeur n’est pas encore venu.
Pourtant, même si elle est peu importante, la présence de ces machines est déterminante
pour la future industrie de construction mécanique de la ville. L’acquisition de la
technologie de la vapeur par les artisans marseillais est facilitée par la présence de ces
unités. Les machinistes, les forgerons et les chaudronniers ont à portée de main ces
39
machines dont ils peuvent observer les moindres détails. Ces hommes pourront mettre en
pratique le schéma classique d’apprentissage : réparation de pièces défectueuses, copies
de machines de plus en plus élaborées et, enfin, apports personnels dans des
constructions originales.
UNE LACUNE IMPORTANTE : LA NAVIGATION ÀVAPEUR
18 Si Marseille a rattrapé son retard sur ses voisines méditerranéennes dans le domaine de
l’importation de machines à vapeur industrielles, l’application de cette technologie aux
moyens de transport reste absente en Provence sous la Restauration. Si la situation est
compréhensible pour les chemins de fer – les voies ferrées sont encore inexistantes en
Europe méditerranéenne –, celle de la navigation à vapeur est, en revanche, des plus
préoccupantes.
Une nouvelle fois, un profond retard
19 Au cours des années 1820, la chambre de commerce avait envisagé l’achat de
remorqueurs à vapeur pour lutter contre l’encombrement du Vieux-Port. La première
tentative date de septembre 1827 quand le sieur Plantin, homme d’affaires résidant à
Marseille, soumet à l’approbation de la chambre de commerce un projet d’établissement
dans le port d’un service de remorqueurs à vapeur au nom d’une compagnie anonyme
dont il est l’agent39. Cette compagnie s’engage à mettre en service au moins deux bateaux
munis de machines d’au moins 40 chevaux. La chambre approuve rapidement le projet
mais, sans que l’on puisse en connaître les raisons, celui-ci ne prendra pas forme. En 1829,
deux nouveaux projets de navigation à vapeur font leur apparition. Ils sont plus
ambitieux puisque la haute mer est maintenant visée. La première initiative est celle des
frères Aynard, deux Lyonnais qui ont acquis une bonne expérience dans la navigation sur
la Saône et le Rhône40. Associés à des négociants marseillais, les Salavy, ils pensent établir
un important service de lignes en Méditerranée41. L’entreprise ne prit jamais l’ampleur
désirée par les promoteurs du projet. L’offre paraissait pourtant alléchante. La chambre
de commerce de Marseille était même disposée à y placer des fonds, mais le ministre
Saint Cricq s’y était opposé en expliquant que les capitaux dont elle disposait n’avaient
pas à « être employés dans une spéculation de particuliers, quel qu’en soit le but42 ». Un
seul navire fut finalement affecté à la compagnie en 1831. Le second projet, mené par
André Ferrier & cie, connaît encore moins de réussite et ne débouche sur aucune
réalisation.
20 Face à la nécessité d’engager d’importantes sommes d’argent, les armateurs marseillais
hésitent. L’investissement pour faire l’acquisition d’un vapeur, même de seconde main,
est encore très lourd. Le Real Ferdinando, navire italien mis en vente en août 1827, est
estimé à 25 0000 francs43. La chambre de commerce de Marseille se charge d’annoncer la
nouvelle, mais aucune société de navigation ne manifeste un intérêt pour l’acheter. A
l’apport initial, déjà dissuasif, engendré par l’achat de navires, il faut ajouter les frais de
réparation et surtout de fonctionnement. La crainte des armateurs marseillais d’investir
dans des lignes de navigation à vapeur se mesure aisément. Les comptes d’exploitation
des deux vapeurs de la Compagnie Bazin qui effectuent la liaison entre Marseille et les
ports italiens à partir de 1831 révèlent que les dépenses s’élèvent à plus de 11 0000 francs
40
pour le second trimestre 1831 (seize voyages aller-retour)44. Les achats de combustible
représentent plus du tiers de la somme45. Durant les quinze années de la Restauration,
aucun bateau à vapeur ne sera attaché au port de Marseille. La ville se contente de
regarder les remarquables progrès effectués par Gênes, Naples et Séville.
L’avance des ports italiens et espagnols
21 Si le sud de l’Espagne a montré la voie dans l’introduction des machines fixes, ce sont les
États italiens qui vont initier le sud de l’Europe à la navigation à vapeur. Le premier
vapeur utilisé par un pays méditerranéen est toutefois sévillan. Son utilité est d’une
importance limitée puisqu’il ne sert qu’à la navigation fluviale. La Compañía de Navegación
del Guadalquivir en est le propriétaire. Ce navire, le Real Fernando, effectue des voyages
entre Séville et Cadix à partir de juin 181746. Parmi les directeurs de la compagnie on
retrouve Nathan Wetherell, l’industriel anglais qui avait équipé vingt ans plus tôt sa
tannerie de Séville d’une machine à vapeur. Le Britannique, encore en relations avec de
nombreux entrepreneurs de sa nationalité, est chargé de l’achat de l’appareil moteur en
Angleterre, peut-être à la société Gregg & Hodson de Manchester47. La navigation à
vapeur sur le Guadalquivir connaît un franc succès. Sur la même ligne, la Compañia de
Navegación del Guadalquivir lance, en 1818, un autre navire, l’Infante don Carlos propulsé par
une machine de vingt chevaux, et cinq années plus tard, un troisième (l’Hernán Cortés)48.
Une seconde compagnie de navigation a même été créée en 1823. Dans ce domaine de la
navigation fluviale, le duché de Lombardie-Vénétie a rapidement suivi l’exemple. En 1819,
l’Eridano est mis en service par un groupe d’hommes d’affaires milanais pour relier Venise
à Pavie49. Tout au début des années, la société du britannique Allen effectue la liaison
entre Venise et Trieste, au moyen d’un petit vapeur, le Carolina.
22 L’établissement des premières lignes de navigation à vapeur de haute mer s’effectue
parallèlement. Le premier bateau de ce type à prendre son service en Méditerranée est le
Ferdinando I. Attaché au port de Naples et muni d’une machine de 50 chevaux, le navire
effectue son premier voyage en 1818. Il a été construit, coque et machine, en Angleterre50.
L’idée venait de Pierre Andriel, un capitaine au long cours montpelliérain, qui avait
trouvé le soutien du roi Ferdinand Ier et de l’aristocratie napolitaine. Le royaume des
Deux-Siciles développe sa flotte dans les années 1820. Le roi subventionne la société
Paccheti a Vapore delle Due Sicile qui se constitue à Naples en 1823. Cette société n’exploite
au départ qu’un seul bâtiment, le Real Ferdinano. Deux années plus tard, elle trouve des
actionnaires à Marseille et arme deux autres navires, le Francesco I et le Columbo. Avec ses
nouveaux moyens, cette société met sur pied la première ligne régulière reliant le port
phocéen à Naples, Livourne et Gênes51. La même année, toujours dans la même ville, se
fonde la première société italienne de navigation avec des capitaux entièrement privés, la
Sicard, Benucci e Pizzardi. Le royaume de Piémont-Sardaigne suit le mouvement avec
notamment, en 1830, la création d’une importante société de navigation à vapeur, la
Società Sarda52. Entre-temps, l’Espagne est entrée dans la navigation de haute mer. En
1825, la Compañia de Navegación del Guadalquivir relie Cadix à Barcelone avec le Reina Amalia53.
23 À la fin des années 1820, une grande partie des ports sud-européens possèdent au moins
un navire à vapeur. Le port de Marseille est en retard. Quelques hommes d’affaires
phocéens ont investi des fonds dans l’affaire italienne du Real Ferdinando en 182554, mais la
situation n’évolue pas. À la différence des États italiens, les armateurs locaux ne peuvent
41
pas compter sur un soutien financier de l’État. L’absence de compagnies de navigation à
vapeur à Marseille se répercute sur les types de production des chantiers de la région.
Ceux de Marseille ou des environs ne construisent pas de navires à vapeur avant 1836. Les
Espagnols et surtout les Italiens ont déjà acquis en ce domaine une certaine expérience.
Le premier navire à vapeur fabriqué dans le bassin méditerranéen est le Real Fernando. La
coque est l’œuvre des chantiers sévillans de Los Remedios de Triana. L’appareil est
britannique. Il est amené en Andalousie en 1816 avec un ingénieur anglais, Smith, chargé
de son installation55. Malgré cette réussite, les chantiers navals espagnols cessent de
construire des vapeurs pendant une vingtaine d’années. L’expérience italienne est plus
complète et plus durable. À Naples, la construction du Ferdinando I, en 1817, est une
double nouveauté. Il s’agit du premier vapeur italien et méditerranéen de haute mer. Les
progrès vont se poursuivre dans le royaume des Deux-Siciles. En 1834, les chantiers
napolitains de Castellamare sont capables de construire trois corvettes à vapeur avec des
machines anglaises de 300 chevaux. Les chantiers génois se montrent aussi entreprenants
et s’affirment en 1830 comme le principal centre de construction de navires à vapeur avec
La Seyne, dans le Var. En une dizaine d’années, ils ont monté plusieurs machines
anglaises sur des coques sorties de leurs ateliers56. La première réalisation est l’Eridano57.
Effectuée en 1819, cette construction est également précoce. Ce navire muni de roues à
aubes, réalisé dans les chantiers de Foce, a été conçu par des constructeurs génois avec
l’aide de techniciens britanniques délégués en Italie par l’entreprise de Boulton & Watt.
En 1830, les chantiers de Recco construisent trois navires à vapeur. D’autres chantiers
italiens vont rapidement se lancer dans ce type de production. À Venise, on réalise le
Carlo Felice, vapeur acquis par le royaume de Piémont-Sardaigne en 1829.
Le dynamisme des chantiers voisins de La Seyne
24 Si des chantiers de constructions navales pour la navigation à vapeur n’ont pas pu
s’établir à Marseille, la Provence a déjà connu une réussite en ce domaine avec les
chantiers varois de La Seyne. Créés en 1818 par l’Américain Edward Church, ils ont
commencé la construction de navires à vapeur dès leur première année de
fonctionnement avec la réalisation d’un petit bateau de 50 chevaux, le Triton, chargé de
relier Le Havre à Honfleur58. Aidée de trois collaborateurs britanniques (Barnes et les
frères Evans), l’entreprise de La Seyne acquiert sous la Restauration une réputation
grandissante dans le secteur de la navigation fluviale. « C’est grâce à Church que les
acquisitions de la technique américaine, la plus développée alors en matière de bateaux à
vapeur, vont pénétrer en France59 ». Les commandes affluent sous l’influence de Church,
qui a joué un grand rôle dans l’établissement des compagnies de navigation sur la Saône
et le Rhône. En 1829, les chantiers prennent de l’ampleur et sont capables de construire
simultanément quatre vapeurs de 50 chevaux destinés à la Compagnie de navigation sur
le Rhône60. L’entreprise d’Edward Church se borne à fabriquer les coques. Comme en Italie
et en Espagne, les machines sont anglaises. Elles sont principalement fournies par la firme
londonienne Barnes & Miller61. Le port de Marseille ne possède ses premiers vapeurs
qu’au tout début de la monarchie de Juillet. En 1830, les Bazin, négociants d’origine suisse,
décident de créer une ligne de navigation à vapeur à destination de l’Italie. La réalisation
des deux navires ne peut être assumée par les chantiers marseillais ou ciotadins. Elle est
confiée aux chantiers d’Edward Church. D’étroites relations s’établissent ainsi entre
Marseille et La Seyne pour la navigation à vapeur.
42
***
25 Marseille participe de manière marginale au mouvement d’apprentissage de la modernité
technologique qui touche pourtant d’une façon sensible plusieurs villes de l’espace
méditerranéen. Les résultats sont médiocres dans l’industrie. Ils se cantonnent dans de
modestes proportions, ne modifient guère la physionomie générale des activités et des
structures de production mais ont toutefois le mérite d’exister. Par son apparition si
tardive, la navigation à vapeur pose un problème plus important. Bien avant les
armateurs phocéens, des Italiens et des Espagnols se sont lancés dans l’aventure de la
vapeur. Le port de Marseille risque de perdre sa domination commerciale en
Méditerranée. Au total, cet ensemble de modifications technologiques n’est pas
susceptible d’entraîner des effets en amont. L’industrie de la métallurgie et de la
construction mécanique ne peut se développer sur des bases si limitées. Il n’est pourtant
pas sûr que la situation soit l’amorce d’un retard irréversible. La lenteur des maturations
et l’indigence des marchés peuvent expliquer la timidité des initiatives marseillaises.
NOTES
1. EDBdR, t. IX, 1914, p. 23 et AN F 14 3829.
2. SBdR, t. IV, p. 608 et 762.
3. Ibid.
4. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 55.
5. Le Moniteur universel, 10 novembre 1818.
6. ACCM MP 3011.
7. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 15.
8. ADBdR 6 M 27.
9. ACCM MP 3621.
10. SBdR, t. IV, p. 808-809.
11. VILLENEUVE H. DE, « Des appareils… », art. cit.
12. BERNARD, « Les avantages et les inconvénients de l’emploi de charbon de pierre… », dans
Recueil de l’académie de Marseille, Marseille, 1779-1780.
13. CONTE P., Vues utiles…, op. cit.
14. En 1783, la Compagnie des moulins à vapeur de Nîmes, dirigée par l’abbé d’Arnal, met en
marche une minoterie à vapeur (Ballot C, L’Introduction du machinisme dans l’industrie française,
Paris, 1923 et Payen J., Capital et machine à vapeur au XVIIIe siècle, Paris, 1969, p. 122). La similitude
de l’objet et la formation d’une société au capital identique laissent à penser que l’abbé d’Arnal
connaissait le projet de Pierre Conte et s’en est fortement inspiré.
15. ADBdR VIII S 6/1.
16. Ibid., et 187 U 6, Acte n° 153.
17. ACM 23 F 31.
18. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 148.
19. Le Moniteur Universel, 10 novembre 1818.
43
20. Pour l’histoire du moulin Armand & Barlatier, cf. ACM 67 O 1.
21. MORANDI R., Storia della grande industria in Italia, Turin, 1966, p. 70-71.
22. CAIZZI B., L’economia lombarda durante la Restaurazione, Milan, 1972, p. 160.
23. Il reçoit pour cette fabrication une médaille d’or lors de l’Exposition de Naples en 1824 (cf. DE
ROSA L., Iniziativa e capitale…, op. cit., p. 14.
24. FERNANDEZ PEREZ J., GONZALEZ TASCON I., Descripcion de las màquinas del Real Gabinete, Madrid,
1991, p. 55 et sq.
25. Béthancourt avait été envoyé en Angleterre en 1789 par le Cabinet des machines de Madrid.
L’ingénieur de Tenerife, à son retour, a présenté ses observations à Paris. Les frères Périer ont pu
construire, grâce à ces renseignements la première machine Watt sur le continent (cf. PAYEN J.,
Capital et machine à vapeur au XVIIIe, Paris, p. 169 ; BOGLIUBOV A., Un hèroe espanol del progreso :
Agustin Béthancourt, Madrid, 1973 et NADAL J., El fracaso…, op. cit., p. 123).
26. Cf. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 55.
27. La firme Boulton & Watt détient un brevet d’exclusivité jusqu’en 1799. Les deux hommes
parviennent à faire respecter leurs droits en Grande-Bretagne. Le contrôle des ventes de copies à
l’étranger est beaucoup plus délicat.
28. TANN J., BRECKIN M.-J., « The International Diffusion of the Watt Engine, 1775-1825 », The
Economic History Review, 1979, p. 561.
29. GARRABOU R., Enginyers industrials…, op. cit., p. 23.
30. Pour les installations, cf. AN F 14 4233, ACM 23 F 31 et ADBdR XIV M 12/179.
31. ADBdR VII S 6/5.
32. ADBdR XIV M 12/179.
33. EDBdR, t. IX, p. 4.
34. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes de la industrializaciôn sevillana. Las primeras máquinas
de vapor (1780-1835) », dans Andalucia Contemporànea (siglos XIX y XX). Actas del I Congreso de Historia
de Andalucia, Cordoue, 1979, t. I, p. 16-17.
35. FIGUEROLA L., Estadistica de Barcelona en 1849, Barcelone, 1849, p. 162.
36. L’atelier possédait une machine de cinq chevaux de puissance, fabriquée par ses propres
soins. Elle portait l’inscription « La primera de España ». Cf. GARRABOU, Enginyers…, op. cit., p. 162 et
CABANA F., Fabriques i empresaris. Els protagonistes de la Revolució Industrial a Catalunya. I :
Metal.lurgics i quimics, Barcelone, 1992, p. 51.
37. GIULIO C. L, Guidizio délia R. Caméra di Agricultura e di Commercio di Torino e notizie sulla patria
industria, Turin, 1844, p. 385.
38. Une machine de dix chevaux coûte entre 30 et 35 000 francs, une de trente entre 50 et 55 000
francs. Cf. DÉMIER F., « Nation, marché… », op. cit., t. III, p. 1990-1991.
39. ACCM, Registre des délibérations de la CCM n° 20, Bureau du 25 septembre 1827.
40. RIVET F., La navigation à vapeur sur la Saône et le Rhône, 1783-1863, Paris, 1962, p. 91-95.
41. La société prévoyait l’utilisation de cinq bateaux à vapeur (cf. SM, 9 avril 1829).
42. ACCM MR 44628.
43. ACCM, Registre des délibérations de la CCM, n° 20, Bureau du 10 août 1827. Le prix d’un
appareil de 80 chevaux, transporté de Paris à Marseille et placé sur un navire, est de 130 000
francs (Service de paquebots à vapeur sur la Méditerranée, Marseille, 1829, p. 7).
44. PAYEN J., « La technologie de l’énergie vapeur en France dans la première moitié du XIXe
siècle », thèse de doctorat d’État, université Paris I, 1972, t. II, p. 74. En 1832, la consommation
journalière d’un navire de 160 chevaux est de 845 francs (BAUDE J. J., « La navigation à vapeur
dans la Méditerranée », Annales maritimes, 1832, p. 5).
45. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. 74.
46. Alvarez Pantoja M. J., « Los origenes… », art. cit., p. 10-11 et du même auteur Compañias de
navegaciôn y barcos de vapor a El Rio. El bajo Guadalquivir, Madrid, 1965.
44
47. Cf. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Nathan Wetherell, un industrial inglés en la Sevilla del antiguo
regimen », Moneda y Crédito, 1977, n° 143, p. 133-186.
48. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes… », art. cit., p. 12-13.
49. GROPALLO T., Navi a vapore ed armamenti italiani dall 1818 ai giorni nostri, Cuneo, 1958, p. 23.
50. Le Mémorial encyclopédique, n° 52, avril 1835, p. 210.
51. ALBERTI G., « La vita economica a Napoli nella prima metà dell’ottocento » dans Storia di Napoli,
Naples, t. IX p. 604 et EDBdR, t. IX, p. 32b.
52. Sauf précision, les renseignements pour Naples et Gênes sont extraits de « Nave » dans
Enciclopedia italiana di scienze, lettere ed arti, Rome, XIII, 1934, p. 365.
53. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes… », art. cit., p. 12.
54. MIN, t. II, p. 352.
55. ALAVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes… », art. cit.
56. MARCHESE U., L’industria ligure delle costruzioni navali dal 1816 al 1859, Turin, 1957, p. 35.
57. ABRATE M., L’industria siderurgica e meccanica in Piemonte dal 1831 al 1861, Turin, 1961, p. 188.
58. CONSTANT E., « Le département du Var sous le second Empire et au début de la Troisième
République », thèse de doctorat, université de Provence, 1977, t. I, p. 300-301.
59. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. 53.
60. Association Sillages, I : Les Pionniers, op. cit., p. 141.
61. CNAMS 92 et 96.
45
Chapitre III. Le dynamisme del’artisanat
1 Au tout début du XIXe siècle, la métallurgie est un secteur d’activité très marginal à
Marseille. La ville a un passé médiocre dans le travail des métaux et se trouve frappée par
des handicaps difficilement surmontables. Le sous-sol de la région est pauvre en minerais
et le bois nécessaire à la production de fonte est rare. Le débit des rivières est peu
important, voire inexistant durant les mois d’été. Il est incapable d’offrir une force
motrice suffisante aux forges ou martinets. Enfin et surtout, la demande en produits
métallurgiques reste très faible. Les divers types de métaux ont des niveaux d’importance
très différents. Depuis toujours, le fer et le cuivre se travaillent peu. Pour les produits
fabriqués à partir de ces métaux, Marseille se fournit à l’extérieur de son territoire, en
France ou à l’étranger. Seul le plomb a une histoire plus consistante. Il a donné naissance
à un commerce actif sous l’Ancien Régime. Une industrie de la grenaille est apparue à la
fin du XVIIe siècle et l’artisanat local est parvenu à acquérir en ce domaine un savoir-faire
reconnu. Si faible soit-elle, la métallurgie marseillaise existe. Ce n’est pas le cas de la
construction mécanique, absente à Marseille avant la première décennie du XIXe siècle,
même au niveau artisanal le plus élémentaire. Il faut attendre l’Empire pour trouver
mention des premiers mécaniciens et voir l’apparition d’une classe de machinistes,
artisans véritablement spécialisés dans la construction de « mécaniques » en bois.
2 Les changements intervenus dans l’industrie sous l’Empire et la Restauration n’ont pas
provoqué une demande suffisante en biens d’équipement pour entraîner une mutation de
l’artisanat métallurgique et mécanique. Cela ne signifie pas qu’il faille d’emblée conclure
à l’immobilisme. Aussi mince soit-elle, la métallurgie possède une dynamique propre dont
il est important d’apprécier les limites et les virtualités. Par ailleurs, même s’ils sont
modestes, les changements qui se sont opérés dans l’industrie suscitent des besoins et
sont donc un appel à l’apparition d’un premier artisanat spécialisé. Ce chapitre n’est donc
nullement l’étude d’un démarrage mais vise à voir comment des évolutions prometteuses
peuvent se poursuivre ou surgir dans des structures très traditionnelles.
46
L’INDUSTRIE DU PLOMB
3 En 1829, dans les Bouches-du-Rhône, l’artisanat du fer dépasse celui des non-ferreux par
la valeur de sa production1. Le chiffre est toutefois trompeur. Si l’on prend en
considération la valeur ajoutée par les travaux, il faut inverser l’ordre du classement. La
fabrication des produits en fer est le plus souvent basée sur l’assemblage de pièces
importées, déjà mises en forme. Pour les non-ferreux, le travail est plus complet. Les
opérations de fonte de métaux bruts fournissent une plus-value bien supérieure. Parmi
les non-ferreux, l’industrie du plomb occupe une place dominante, mais elle se
caractérise par des structures vieillissantes, un matériel traditionnel et un éventail de
fabrications limité. Le cas marseillais est un exemple significatif d’une situation qui
touche plus largement l’ensemble du sud de l’Europe. Durant le premier tiers du XIXe
siècle, l’industrie du plomb n’a connu que peu de modifications dans cet espace. Le
traitement des minerais ainsi que les opérations de deuxième fusion s’effectuent dans de
petits ateliers imperméables au changement technique. Seuls quelques entrepreneurs
andalous, poussés par la richesse du sous-sol espagnol, se sont lancés dans une initiative
d’importance. En 1822, des commerçants de Malaga montent une fonderie à Adra, près
d’Almeria, pour exploiter les galènes de la Sierra de Gador2. Les vieux fours castillans sont
rapidement remplacés par de nouveaux modèles de conception anglaise. En 1827, une
machine à vapeur est même installée dans les ateliers. Hors de cette zone, les activités de
type artisanal dominent.
Une vieille tradition
4 À la fin de l’Ancien Régime, le commerce du plomb a déjà une longue histoire à Marseille3.
Entre le dernier tiers du XVIIe siècle et la période révolutionnaire, la ville a occupé une
place importante dans la redistribution des plombs britanniques en Méditerranée. Les
guerres de la Révolution et de l’Empire ont constitué une période de rupture. Par manque
d’approvisionnement, Marseille perd en une trentaine d’années le contrôle de ce
commerce. Sous le règne de Louis XVIII, la ville n’est pas parvenue à retrouver la place
acquise sous l’Ancien Régime. Les Anglais se passent désormais d’intermédiaires. Ils
approvisionnent directement les pays méditerranéens tels que l’Italie ou la Turquie.
5 Lentement, les mutations du premier tiers du XIXe siècle vont toutefois permettre à
Marseille de constituer un secteur artisanal de fabrication de produits plombifères. Les
progrès de l’industrie et de l’urbanisme ont amené un usage croissant du plomb. Le métal
sert à la fabrication des tuyaux pour la distribution des eaux ou du gaz. Ce type
d’application à des usages domestiques ne va toutefois connaître qu’une expansion
limitée. L’utilisation du plomb subit progressivement la concurrence du cuivre. Au début
de la Restauration, le principal secteur de consommation de ce métal est l’industrie
chimique. Deux types de fabrication emploient des quantités croissantes de plomb : le
blanc de plomb et l’alun (produits liés à la coloration des textiles). Les effets
d’entraînement sur l’artisanat métallurgique sont pourtant minimes. L’industrie
métallurgique ne traite pas le minerai de plomb. Les tentatives d’exploitation de
gisements provençaux sont rares. Bien que soutenues par la perspective du marché
marseillais de l’industrie chimique, elles ne trouvent jamais de concrétisation. Les
négociants phocéens n’ont pas encore établi de réseaux commerciaux pouvant amener
47
vers leur port les minerais espagnols ou italiens. Les plombs bruts sont donc achetés en
France ou à l’étranger. Dans le secteur chimique, seule la fabrication de l’acide sulfurique
est susceptible de donner du travail aux ateliers locaux, qui ne pratiquent qu’une mise en
forme de produits semi-finis. Elle demande en effet l’emploi de nombreux tuyaux de
plomb.
Deux productions dominantes : les tuyaux et la grenaille
6 En 1828, la liste des produits en plomb issus des ateliers marseillais est longue (« ...tuyaux,
plomb de pêche, plomb coulé pour la marine, balles, lingots pour stampettes, plomb de
douane et autres emplois pour sceller les fers, contrepoids de balance... ») mais les
quantités fabriquées sont dérisoires. Dans cet ensemble, deux productions se distinguent :
les tuyaux et la grenaille. La fabrication de la grenaille, vieille de plus d’un siècle, reste la
principale activité de la petite métallurgie du plomb. Ce secteur est parvenu à effacer la
concurrence des producteurs montpelliérains. « Pendant quelque temps les fabricans de
Marseille ont livré leurs produits sans bénéfice pour obtenir ce résultat ». La confection
de la grenaille connaît peu de bouleversement sous la Restauration. Les procédés et les
niveaux de production n’évoluent guère jusqu’en 1829. A cette date, 4 000 quintaux de
grenaille sortent des ateliers. « Le département consomme environ un sixième des
produits ; le reste est expédié dans l’intérieur, en Corse, dans les Colonies et en Italie. »
7 La fabrication de tuyaux de plomb a débuté à Marseille dès les débuts de l’Empire sous
l’impulsion de Léonard Cavallier. L’entreprise acquiert rapidement une bonne réputation.
Elle est récompensée lors des expositions de l’industrie française de 1819 et 1823 pour sa
fabrication des tuyaux de plomb sans soudure. L’établissement a pris de l’ampleur. Ses
locaux deviennent trop étroits. En 1819, Léonard Cavallier transfère son usine du
boulevard du Muy vers le bas Canet4.
Le développement de la fin des années 1820
8 La situation de l’industrie marseillaise du plomb se modifie à l’extrême fin de la
Restauration. En seulement deux années, la fabrication de la grenaille connaît un essor
important. En 1829, les six ateliers ont une production annuelle totale de 4 000 quintaux.
En 1831, le chiffre a plus que triplé et passe à 14 000. Les exportations vers l’Italie se
développent. La Statistique explique ce développement par deux facteurs. Le premier
trouve son origine dans « ...le perfectionnement des procédés, qui a réduit à 2 francs 50
pour 100 kilos les frais de fabrications qui étaient autrefois beaucoup plus élevés ». La
documentation n’a pas permis de déterminer la nature de ces perfectionnements. La
seconde cause paraît bien plus importante. Les plombs importés de l’étranger sont
lourdement taxés à leur arrivée sur le territoire français. La loi d’avril 1816 impose cinq
francs de droits de douane par quintal pour les navires français, sept francs pour les
navires de pavillon étranger. Le problème est clairement énoncé par les fabricants
marseillais5. Les coûts de production s’en trouvent augmentés de manière notable. Les
marchés locaux et même nationaux, protégés de la concurrence étrangère, ont peu à
souffrir de la situation. Cela pose en revanche un obstacle majeur aux possibilités
d’exportations en Méditerranée. Avec un approvisionnement en matières premières aussi
coûteux, les Marseillais ne peuvent rivaliser avec leurs concurrents britanniques. En 1820,
une pétition des fabricants de grenailles et de plomb laminé révèle l’étendue du problème
48
causé par le tarif douanier : « [...] il présente [...] une augmentation d’environ 14 % sur la
valeur réelle des plombs. Il est donc bien évident que si le fabrican envoie les plombs
ouvrés à l’étranger, grevés de ces 14 % de plus, il ne peut soutenir la concurrence avec les
autres nations qui, dégagées de toute espèce de droit, peuvent donner à un prix inférieur
de ces 14 %6. » Dans cette lettre, les fabricants marseillais demandent le remboursement
des droits d’entrée des plombs étrangers et des primes à l’exportation. Ils essuient un
refus du Bureau du Commerce, qui doute de la réalité des exportations7. Leur requête ne
trouve une issue favorable que neuf années plus tard. En 1829, l’État « accorde une prime
de 5 francs 50 par quintal métrique à la sortie ».
9 Le traitement des minerais de plomb n’est pas encore établi à Marseille, mais les
productions grandissent et certaines activités font leur apparition. Néanmoins, le
laminage est presque inexistant avant l’établissement de la monarchie de Juillet. Charles
Duterreault semble avoir été le premier entrepreneur marseillais à s’orienter vers cette
spécialité en demandant l’autorisation d’ouverture d’un « atelier de fonte et de laminage
du plomb » rue Périer en 18208. L’absence de documents sur le fonctionnement de cet
atelier laisse supposer que l’entreprise n’a pas pratiqué ce type d’activités. Le témoignage
du comte de Villeneuve peut confirmer cette hypothèse. En 1829, le Préfet déclare en
effet qu’« aucun atelier de laminage n’est établi dans le département. Les feuilles de
plomb, de cuivre et de zinc sont tirées des départements de l’intérieur ». Il faut attendre
1830 pour que Fouilloux aîné, fondateur d’une fabrique de grenaille l’année précédente,
s’engage dans la fabrication de plomb laminé.
LE TRAVAIL DU CUIVRE
10 L’utilité de travailler le cuivre et les opportunités que cette activité peut offrir à
l’industrie locale ont été soulignées par Pierre Conte quelques années avant la
Révolution :
« Nous recevons dans nos ports les cuivres bruts de l’Afrique, de l’Espagne et duLevant. Ils sont transportés ailleurs pour y être affinés, tandis que la Suède et laHollande nous font passer du cuivre de rosete, en planche, pour notre usage et celuide nos voisins. Si l’art du laminage était introduit chez nous, nous aurions la facilitéde doubler nos vaisseaux en cuivre : cette précaution préviendrait les fraisinfructueux et réitérés de leur doublage en bois ; il les conserverait plus longtemps :cet usage favorise la marine anglaise, et nous ne pouvons l’imiter9. »
11 L’argumentation de Pierre Conte est solide. Les initiatives ont pourtant été peu
nombreuses. En 1813, à Marseille, l’artisanat du cuivre est réduit à sa plus simple
expression. Les travaux de chaudronnerie de la ville sont effectués par trois petits
ateliers. Ces hommes travaillent 4 240 kilos de vieux cuivres. La valeur brute de ces
fabrications s’élève à 26 900 francs10. L’extrême faiblesse de cette industrie à Marseille
s’explique par deux faits majeurs : l’absence de cours d’eau suffisant à faire fonctionner
des moulins hydrauliques et l’étroitesse des marchés.
Les martinets du département
12 Le travail du cuivre a connu un léger développement hors Marseille. Quatre martinets
sont en fonction dans les Bouches-du-Rhône sous l’Empire et durant les premières années
de la Restauration. Ils sont installés à Ventabren et Roquefavour, deux petits villages
49
situés à l’ouest d’Aix-en-Provence, ainsi qu’à Gémenos et Auriol, deux localités des
environs d’Aubagne. Le premier cité a été fondé sous le Directoire et appartient en 1820 à
un dénommé Jean-Baptiste Blanc11. Cet établissement disparaît sans doute au cours des
années 1820. Celui de Roquefavour a fonctionné de 1819 aux environs de 1835. Une
nouvelle fois, les documents sont rares et l’histoire de l’entreprise reste obscure. Le
troisième martinet, celui de Gémenos, existait avant la Révolution et appartient encore, à
la fin de la Restauration, à un noble, le marquis d’Albertas12. La date de fondation du
dernier établissement, celui d’Auriol, est inconnue. Dans les années 1820, il est dirigé par
Jean-Baptiste Robe13.
13 On pratique dans ces ateliers le forgeage du cuivre au moyen de marteaux mus par des
roues hydrauliques. Ils sont donc situés en bordure de rivière : les martinets de Gémenos
et d’Auriol sur l’Huveaune, ceux de Ventabren et de Roquefavour sur l’Arc. Ces
entreprises sont confrontées à deux difficultés. La première concerne les dispositions de
l’octroi de la ville de Marseille. En 1816, le propriétaire du martinet de Gémenos se plaint
de cette législation. Son entreprise travaille les vieux cuivres des chaudronniers phocéens
et les retourne après une mise en forme dans ses ateliers. Rentrant à Marseille, le cuivre
est frappé d’une taxe qui provoque un surcoût de production, jugé intolérable par les
propriétaires de martinets, et des inquiétudes pour les chaudronniers redoutant de
perdre un débouché pour les déchets de leurs ateliers14. Ces derniers demandent la
suppression de l’octroi pour les cuivres qui ont déjà été taxés à leur entrée à Marseille ou
que la taxe ne porte que sur le déficit du poids entre la quantité de vieux cuivres refondus
et les produits sortis des ateliers. À la suite d’une pétition, ce premier obstacle est levé. Le
directeur général des Douanes ordonne, en 1816, à la mairie de Marseille « de faire cesser
ces difficultés15 ». La seconde gêne est, en revanche, difficilement surmontable car elle est
liée aux irrégularités du climat méditerranéen. L’impossibilité de travailler de manière
continue frappe l’ensemble des martinets de la région. Le débit des rivières ne permet pas
d’actionner les roues hydrauliques toute l’année. En 1812, le martinet de Gémenos ne
peut travailler, par exemple, que deux mois par an.
Un véritable contraste entre productions et marchés
14 Les chiffres de production sont faibles. À la fin de la Restauration, les chaudronniers de
Marseille fondent seulement 300 quintaux de cuivre pour la fabrication de chaudrons et
de petites chaudières. En 1827, les deux martinets en activité ne traitent que 212 quintaux
de cuivre par an. On compte onze ouvriers à Auriol, six à Gémenos. L’équipement est
réduit au minimum : un fourneau pour chauffer le métal et un martinet pour le forger par
entreprise16. La production est composée de chaudrons et de petits bassins pour les
balances. Les seules grandes pièces fabriquées sont les fonds de chaudières pour la
fabrication du savon. En 1830, un seul établissement, celui d’Auriol, reste en fonction. Le
martinet de Roquefavour semble avoir cessé momentanément ses activités. En 1828, celui
de Gémenos a fermé ses portes et ses ouvriers ont été transférés à Auriol.
15 La métallurgie du cuivre s’est donc établie de manière peu convaincante à Marseille et
dans sa région entre 1815 et 1830. L’indigence de l’éventail des productions marque les
limites de cette branche. L’absence la plus importante est celle de la fabrication de
plaques laminées. La demande pour ce type de produits existe dans la région depuis le
XVIIe siècle et s’avère désormais importante. Les chantiers navals de Marseille et de La
Ciotat construisent en moyenne 15 vaisseaux par an en 1825 et 1830. En 1827, pour les
50
seuls chantiers de Marseille, plus de 10 000 planches de cuivre s’utilisent pour le doublage
des coques des navires. L’essentiel des planches de cuivre est alors importé d’Angleterre.
Plus que des limites techniques, le laminage étant une technique relativement simple, il
faut peut-être voir dans cette absence la réticence des entrepreneurs locaux à investir
d’importantes sommes dans ce type d’industrie et la difficulté de trouver des partenaires
financiers. Outre l’achat du laminoir, les entreprises doivent obligatoirement s’équiper
d’une machine à vapeur propre à entraîner de manière continue les installations des
ateliers. L’investissement est donc lourd et la possibilité de faire concurrence aux
producteurs français ou anglais, très aléatoire.
LE TRAVAIL DU FER
16 En 1815, contrairement à certaines régions du sud de l’Europe comme les provinces
basques, le Piémont ou la Ligurie, Marseille n’a aucune tradition sidérurgique. Le haut
prix du combustible, l’absence de minerai dans le sous-sol provençal et l’étroitesse des
marchés pour ce type de produits ont empêché, au cours du XVIIe siècle, la création de
hauts fourneaux. La métallurgie de deuxième fusion, même au niveau le plus artisanal, est
également absente.
Un secteur longtemps inexistant
17 L’idée de la création d’une métallurgie moderne à Marseille prend forme à la fin du XVIIIe
siècle. Une fois encore, il faut souligner le discours précurseur de Pierre Conte. Ce dernier
observe, dès 1779, l’intérêt de l’établissement qu’il se propose d’établir au Pharo. La
pompe à feu qu’il compte utiliser est susceptible d’offrir de grandes possibilités. Elle est la
mécanique « qui fera mouvoir facilement les marteaux de toutes grosseurs pour
l’extension du fer et du cuivre17 ». Pierre Conte souligne, comme il a pu le faire dans ses
observations sur le secteur du cuivre, l’existence d’un marché porteur à Marseille et dans
l’ensemble du bassin méditerranéen :
« Les Génois achètent dans tous les ports de la Méditerranée les vieux fers fondusou forgés pour les transporter en Italie ; ils nous les renvoient ensuite après avoirété mis en œuvre : nous payons à ces étrangers le prix de la main-d’œuvre, lebénéfice du travail, le double fret et les assurances, tandis que nous possédons lamatière première, l’intelligence pour l’exploitation, le charbon nécessaire pour cestravaux et que la méchanique nous offre les moyens de mettre en mouvement lessoufflets et les marteaux les plus lourds pour faciliter ces opérations. Pourquoiabandonner cette branche de l’industrie à nos voisins, dès que nos moyens sontsuffisants pour l’exploiter nous-mêmes ?18 »
18 La crise sévère qui frappe le département sous la période révolutionnaire empêche la
concrétisation de ce premier projet. Au début du XIXe siècle, le bilan de la métallurgie du
fer est médiocre. La statistique de 1809 ne recense qu’un seul forgeron19. Le seul type de
travail qui retient l’attention des pouvoirs publics est celui effectué par les marchands de
fer qui, sans patente, fondent et forgent de manière illégale des objets en fer de
provenances douteuses : « Il se commet fréquemment des vols d’effets en cuivre, fer,
plomb et autres métaux... D’après la notoriété publique, la plupart de ces objets sont
portés chez des marchands de vieux fers où ils sont dénaturés et fondus dans les forges
que ces revendeurs ont chez eux.20 » Cet approvisionnement par le vol est peut-être une
51
des conséquences de la pénurie provoquée par le blocus mené par les Anglais en
Méditerranée.
L’évolution de la fin de l’Empire à 1830
19 La situation évolue timidement à l’extrême fin de l’Empire, époque durant laquelle un
embryon d’artisanat du fer commence à se mettre en place. La statistique de 1813 est le
seul document disponible pour l’analyse du phénomène21. Malgré un important cortège
d’erreurs et d’omissions, l’enquête révèle la présence d’un ensemble d’établissements
inexistants quelques années auparavant. On peut compter deux ateliers de taillanderie,
onze de serrurerie, quatre clouteries, sept de coutellerie et un d’armurerie. Les 29
maîtres-artisans n’emploient que 26 ouvriers. La valeur de la production dépasse tout
juste 15 000 francs Sous la Restauration, un ensemble de fabrications qui existent déjà
prend un certain volume. Tout au long de la période, les créations d’ateliers travaillant le
fer se multiplient dans des domaines aussi variés que la taillanderie, la clouterie, la
serrurerie et la coutellerie. Les taillandiers fournissent les outils pour l’agriculture et la
grosse coutellerie (haches, faucilles...). Les couteliers sont toutefois les seuls fabricants de
produits en fer marseillais à posséder une petite réputation. Degrand en 1819 et Ladite en
1823 ont tous deux reçu une mention honorable pour les articles qu’ils ont présentés lors
des expositions nationales parisiennes. Par ailleurs, de nouvelles activités apparaissent.
Les forgeurs et forgerons produisent les essieux de voiture et les socs de charrue, et les
ferrailleurs refondent les vieux fers de la ville pour un usage local. Il semblerait même
qu’un atelier d’Aubagne, placé sur l’Huveaune, ait travaillé en 1819-1820 les fontes et les
ferrailles au moyen d’une forge et de deux marteaux22. L’esquisse d’un changement est
présent. Le fer commence à être fondu de manière plus fréquente. Cet essor, nettement
perceptible à la fin de la période, est essentiellement dû à la volonté des Marseillais de se
substituer aux fabricants du centre de la France qui assurent l’approvisionnement, en
Provence, de la majeure partie des produits métallurgiques en fer.
20 Le bilan de la fin du règne de Charles X contraste donc fortement avec celui de l’année
1813. En 1829, 180 ateliers et 400 artisans travaillent le fer dans les Bouches-du-Rhône
pour une production d’une valeur dépassant 1 500 000 francs La part occupée par
Marseille semble importante. Elle représente peut-être les deux tiers de la production du
département23. Néanmoins, bien que de réels progrès soient enregistrés, il faut relativiser
l’importance de ce développement. Les produits en fer ne reçoivent « qu’une sorte de
remaniement qui ne porte que sur l’assemblage, l’assortiment ou sur le conditionnement24 ». Marseille reste une ville où l’industrie du fer est de peu d’importance. Il n’existe
aucune fonderie moderne de deuxième fusion avant la fin des années 1820. Dès qu’une
masse de fer à travailler devient importante, les entrepreneurs locaux doivent
obligatoirement s’adresser à des fabriques de l’intérieur ou même parfois à l’étranger. Le
cas des ancres de navires, qui doivent être fondues et mises en forme en Avignon ou à
Gênes, est un exemple des plus significatifs.
21 Les documents ne permettent pas d’établir avec précision la chronologie et la liste des
premières fonderies de fer marseillaises qui ont accédé au stade industriel. Les archives
de la préfecture des Bouches-du-Rhône contiennent trois demandes d’autorisation
d’ouverture de ce type d’établissement dans le département avant 183025. Les trois
demandes sont effectuées pour Marseille. Les deux premières, déposées en 1826 et 1827,
reçoivent des réponses positives : Vial pour une fonderie de fer au creuset cours Gouffé,
52
et Duphot pour une fonderie de fer et de cuivre, située au nord de la ville et munie de
quatre fourneaux à réverbères. La troisième et dernière demande, celle de Pierre-Joseph
Baudoin pour la création d’une fonderie de fer également cours Gouffé, est refusée en
1829 pour des raisons de salubrité publique. Tout au début des années 1830, la fonderie
des frères Puy est en activité rue d’Aubagne, mais la nature des travaux opérés dans cet
établissement reste incertaine26. Il est impossible de savoir si ces établissements ont été
montés et si, comme leurs propriétaires le désiraient, ils ont pratiqué des travaux de
deuxième fusion avec des techniques et des équipements modernes. Seule certitude : un
seul établissement marseillais exerce ce type de travail en 1829-183027. Là encore, il est
difficile de connaître ce qui est mis en œuvre dans cette usine mis à part des pièces pour
chaudières. Il suscite néanmoins de nombreux espoirs :
« Cet établissement pourrait devenir très utile […] Il est toujours avantageux à uneville commerciale et qui peut se dire industrielle de posséder un établissement oùles acheteurs puissent faire confectionner sous leurs yeux les objets dont ils doiventse servir et donner à l’ouvrier les indications d’où dépendent les améliorations etles perfectionnements projetés. »
22 Un second établissement apparaît peut-être en 1832 avec l’ouverture d’une forge de
pièces de fer établie par François Denegon, un ancien forgeron28. La métallurgie de
deuxième fusion du fer tarde à décoller. Le préfet pousse à la création des fonderies de fer
et entend faciliter les autorisations d’ouverture :
« On voit que nous manquons de grands établissements pour la fonte et le laminagedes métaux, et cependant les nombreuses manufactures de la marine en emploientdes quantités très considérables, dont le prix de fabrique est augmenté de celui dutransport, qui devient très coûteux sur des matières aussi pesantes... »
23 Au début des années 1830, deux facteurs bloquent encore le développement de la
métallurgie de transformation des fers et des fontes : les compétences techniques des
Marseillais restent limitées et le prix des fontes est dissuasif. La politique protectionniste
des gouvernements de la Restauration a rendu les importations impossibles. Les pièces de
métaux continuent d’être achetées en majorité à des entreprises du centre de la France.
Les coûts de transport sont importants. Hippolyte de Villeneuve constate en 1830 que
« ...l’industrie provençale est tout entière arrêtée par le prix des fontes. Les fonderies
pour moulage ne peuvent être établies ici à cause de ce haut prix29 ». Enfin et surtout, la
faiblesse persistante des marchés n’incite pas encore les artisans à investir ou à
rechercher des capitaux pour se lancer dans des entreprises d’envergure. La Provence est
loin de connaître les améliorations qui se produisent en basse Andalousie et dans
certaines régions italiennes.
Les efforts de modernisation en Italie et en Espagne
24 Arrivés de Savoie en 1816, les Frèrejean ont introduit dans le Piémont le travail sur le
modèle anglais avec la houille dans des fours à réverbère30. Dans cette même région, le
procédé du puddlage est apparu au milieu des années 1820 en même temps que l’usage des
laminoirs pour étendre les fers31. D’autres zones, comme la Ligurie et la Lombardie,
imitent rapidement cette première initiative32. Dans le sud de l’Espagne, Manuel Agustín
Heredia procède à l’établissement d’une sidérurgie moderne pour exploiter les gisements
de fers magnétiques d’Ojen à la fin des années 1820. « Soucieux de développer sa
production et de comprimer les coûts par l’innovation33 », il s’appuie sur les compétences
d’un officier d’artillerie, Francisco de Elorza, qui a étudié l’industrie du fer en Angleterre,
53
en Belgique et dans le Hartz34. Sur le Rio Verde, près de Marbella, Heredia élève les
installations de La Concepción où l’on obtient la fonte au charbon végétal. Les fontes sont
affinées à la houille et laminées près de Malaga, dans l’usine La Constancia. L’entreprise
suscite des initiatives similaires. La même année, des hauts fourneaux, également
installés par Elorza, s’élèvent à proximité. Le Catalan Joan Giró a imité Heredia en créant
des installations identiques sur les mêmes sites (hauts fourneaux à Marbella et entreprise
d’affinage à Malaga35).
25 Les changements qui s’opèrent dans ces régions espagnoles et italiennes sont ponctuels et
dérisoires par rapport à ceux engagés à la même époque dans le nord de l’Europe.
Certains centres ont, de plus, bénéficié de circonstances politiques bien particulières.
Ainsi, le développement de la sidérurgie andalouse n’est permis que par les difficultés des
forges du nord de l’Espagne au cours des guerres carlistes. Il n’en reste pas moins que ces
modifications témoignent de la volonté de quelques entrepreneurs de vouloir amorcer un
processus de transfert des technologies modernes pour modifier les structures
traditionnelles de leur secteur.
LA CONSTRUCTION DE MÉCANIQUES
26 Au milieu des années 1820, l’industrie de la construction mécanique en est à ses premiers
balbutiements dans les Bouches-du-Rhône. On ne compte aucun atelier spécialisé dans la
fabrication de machines ou de mécaniques. La grande majorité des machines employées
par l’industrie marseillaise, que ce soit des appareils à vapeur ou des mécaniques en bois,
provient d’ateliers français, et plus généralement parisiens36. Toutefois, l’absence
d’entreprises spécialisées dans la construction de mécaniques dans la région et le recours
à l’importation ne signifient pas que tous les artisans marseillais soient restés inactifs en
ce domaine. Certains d’entre eux, même si cela n’est pas leur activité dominante, se sont
engagés dans des opérations de construction.
27 Les résultats de l’enquête nationale lancée par le ministère du Commerce en 1825 sur
l’équipement en machines de l’industrie française permettent de mettre en évidence les
activités embryonnaires des artisans-mécaniciens marseillais. Le conseil des
prud’hommes de Marseille, responsable de l’enquête au niveau local, confirme l’absence
de la fabrication de machines motrices, mais tient également à souligner que dans la ville
de Marseille « ... on construit, dans un autre genre, suivant les usages et les besoins
locaux, des machines pour le filage, le tissage des laines, soies et cotons, pour les
papeteries et pour une infinité d’établissements manufacturiers qui obtiennent leurs
produits industriels par des procédés mécaniques ». Cet ensemble de construction est
l’œuvre d’ouvriers qui se sont formés par la réparation puis la copie de mécaniques
importées37.
Une région peu attractive
28 Les ateliers de construction de mécaniques apparaissent à l’extrême fin de la
Restauration. La Statistique du comte de Villeneuve recense, pour 1829, huit ateliers de
machinistes (dont cinq sont patentés à Marseille) employant une quarantaine d’ouvriers.
Le type de mécaniques sorties de ces ateliers est encore très traditionnel et ne demande
que rarement l’utilisation de fer ou de cuivre. Pour l’essentiel, il s’agit de fabrication
d’engrenages, de poulies, marteaux et leviers à partir de pièces de chênes. Les
54
machinistes souffrent de la concurrence d’autres métiers qui pratiquent également la
construction de mécaniques : « ... Des menuisiers, des charpentiers et des charrons
perfectionnent, concurremment avec les machinistes proprement dits, les machines,
rouages et engins. » En 1829, la valeur de la production est dérisoire. Elle approche à
peine 200 000 francs Dans le monde des mécaniciens, rares sont les hommes qui se
distinguent par des capacités techniques autres que celles concernant le travail du bois.
La région possède toutefois certains personnages aux remarquables qualités, mais le
faible développement industriel du sud-est de la France provoque l’exode de ces talents
vers d’autres régions françaises. Le cas de Philippe Girard, originaire de Lourmarin
(Vaucluse), est ici particulièrement représentatif.
29 Philippe Girard, essentiellement connu pour ses travaux sur la filature mécanique du lin,
s’est intéressé de près à la machine à vapeur sous l’Empire. Aidé de ses frères Frédéric et
Camille, il remporte, en 1809, la médaille d’or d’un concours lancé par la société
d’encouragement38. Le but de ce concours était de présenter un modèle de machine à
vapeur économe en combustible « qui puisse exécuter le travail d’un fort cheval – élever
en douze heures six millions de livres à un pied – [...] et qui, dans cet espace de temps, ne
dépense que 6 francs 15 centimes39 ». L’appareil réalisé par les Girard est doté de deux
caractéristiques techniques nouvelles en France. Le système du balancier a été supprimé,
et le principe de la détente de la vapeur dans le même cylindre est utilisé pour réduire la
consommation de charbon40. La construction en grand de ce type d’appareil pose de
grandes difficultés à Philippe Girard41, mais l’entreprise démontre néanmoins ses qualités
de mécanicien. Suite à la réalisation de ce petit modèle de machine à vapeur, il songe soit
à fonder avec ses frères une fabrique de machines à vapeur soit à vendre son brevet à un
mécanicien expérimenté mais ses projets ne concernent pas la Provence. Philippe Girard
sait qu’il lui faut trouver des fonderies à proximité et des constructeurs suffisamment
compétents pour se lancer dans ce type de production42. Marseille et sa région n’offrent
aucune de ces deux conditions. Philippe Girard restera peu de temps dans la région
marseillaise, où il s’occupait, parallèlement à sa profession de savonnier, de divers
travaux de mécanique43. Il quitte la Provence en 1811 pour Paris puis, pour raisons
politiques, l’Autriche et la Pologne, pays dans lesquels il travaille dans des secteurs aussi
divers que les mines, la navigation et l’industrie textile. La Provence perd un mécanicien
de valeur mais n’avait pas, de toute manière, de réelles opportunités à lui offrir pour le
retenir. Son frère Frédéric continuera de travailler à Marseille. Il est vraisemblablement,
en 1818, le monteur de la machine de la première minoterie à vapeur marseillaise ; mais
meurt l’année suivante44. La mécanique marseillaise perd, une nouvelle fois, un homme
d’importance au moment même où les industries de la région commencent à s’équiper en
machines à vapeur.
Les premiers mécaniciens
30 Sous l’Empire, les hommes affectés à l’entretien et au fonctionnement des machines à
vapeur sont recrutés hors de la région. En 1806, les trois salariés de la pompe à feu de
l’étang de Citis viennent de départements éloignés : J.-F. Lenoir est natif de la Meurthe ; le
chauffeur, J.-B. Margela, est originaire de l’Ain ; Cartier était forgeron en Isère45. Sous la
Restauration, des Marseillais se sont formés pour construire des machines, mais leurs
capacités sont réduites. Seuls deux noms émergent : Michel Grand et Elzéard Degrand. Le
premier exerce ses activités sur les machines motrices. En 1827, il prend un brevet pour
55
une machine dénommée « balancier moteur » qui suscite l’admiration des milieux
locaux :
« Par une habile application des principes mécaniques les plus récents, cetinventeur est arrivé à produire une force initiale pouvant remplacer, avec la plusgrande économie, les moteurs les plus puis-sans employés jusqu’ici. On sent dequelle importance cette découverte peut devenir pour un département tel que lenôtre, où les chutes d’eaux sont rares et le combustible et les fourrages sont à desprix si élevés46. »
31 En fait, l’apport de cette invention est minime. Les documents révèlent l’absence de ce
type d’appareil dans les ateliers marseillais après le dépôt du brevet.
32 Le premier Marseillais à pouvoir véritablement prendre le nom de constructeur-
mécanicien est Elzéard Degrand. Ses origines et sa formation restent obscures. Sous
l’Empire, Degrand possédait une fabrique de clous et avait proposé à Philippe Girard, sans
succès, une association47. On le retrouve au cours des années 1820, période durant
laquelle il est déjà reconnu et bénéficie d’un réel prestige. Il possède l’estime du comte de
Villeneuve, qui le place comme spécialiste des questions techniques dans les jurys locaux
des expositions nationales et le choisit comme collaborateur pour la partie industrielle de
sa Statistique. Elzéard Degrand semble être le seul mécanicien marseillais capable de
réfléchir et d’innover dans le domaine de la vapeur. En 1820, il dépose un brevet pour un
modèle de « pompe à feu » et construit, en 1823, une chaudière calorifère pour l’industrie
du raffinage du sucre48. Ce type de chaudière est à la pointe de la technologie. Il s’agit
d’une copie de l’appareil mis au point par le Britannique Charles Edwards. Grâce au
travail d’Elzéard Degrand, la raffinerie des frères Reybaud est la première entreprise
française équipée de ce type de chaudière. L’appareil connaîtra une longue carrière et
sera même exporté. A Milan, dans les années 1840, une des deux raffineries de sucre de la
ville utilise la chaudière Degrand49. Au niveau national, ces succès demeurent modestes.
Ses inventions et ses constructions sont d’un niveau relativement médiocre, dans une
France de la Restauration qui voit les grands ateliers de constructions mécaniques
apparaître à Paris et à Mulhouse notamment. Les réalisations de Degrand témoignent
toutefois des qualifications techniques d’un homme dont les honnêtes compétences
restent inconnues de l’ensemble artisanal marseillais.
33 On observe dans l’industrie de la construction mécanique une grande médiocrité
d’ensemble. L’absence presque totale du travail des métaux et donc de la production
d’appareils à vapeur est le signe le plus manifeste de cette faiblesse. L’étroitesse des
effectifs d’un point de vue qualitatif comme quantitatif n’est en fait que le reflet du
niveau d’industrialisation de la région. En 1830, aucune entreprise marseillaise spécialisée
dans la construction ou la réparation d’appareils n’a encore été établie. En Provence,
seule la ville de Toulon est dotée d’un établissement de ce type. Grâce aux marchés créés
par la modernisation des équipements de l’arsenal, les cousins Peyruc ont fondé un
atelier de mécanique touchant à la réparation et à la construction de chaudières en
cuivre. Les deux hommes ont reçu leurs premières commandes en 182950.
***
34 En 1830, l’artisanat métallurgique et mécanique des Bouches-du-Rhône est surtout
concentré dans l’ouest du département autour de Marseille, Aix-en-Provence et Aubagne.
Si l’on exclut les résultats de l’hôtel des Monnaies de Marseille et des établissements dans
56
sa dépendance, la valeur totale de sa production ne représente que 2,33 % du produit
industriel des Bouches-du-Rhône en 1829. Ce qui domine avant tout, ce sont les
archaïsmes des structures, des équipements et des techniques de production. Mais
derrière cette médiocrité, derrière ce retard important se cachent plusieurs promesses.
La première est l’acquisition de compétences liées aux nouvelles productions. Certes,
Marseille ne produit pas de fonte, ne l’affine toujours pas. Elle ne fabrique pas de
machines à vapeur ou de chaudières motrices, ne lamine ni le cuivre ni le fer. La ville
connaît pourtant certaines réussites dignes d’intérêt. La métallurgie du cuivre et du fer
existe. Elle prépare doublement l’avenir. Les deux types d’activité jouent un rôle
pédagogique décisif pour la maîtrise des techniques métallurgiques modernes. Ensuite, le
fer et le cuivre servent à fabriquer les éléments essentiels des appareils à vapeur. Les
mécaniciens marseillais commencent d’ailleurs à apprivoiser cette nouvelle source
d’énergie en fabriquant des chaudières calorifères et en pratiquant divers travaux de
réparation sur les machines importées. Le second aspect est d’ordre financier. Le
développement de cet artisanat métallurgique marseillais et la croissance des commandes
ont permis l’accumulation d’un volume de capitaux certes modeste, mais suffisant pour
soutenir un premier investissement.
35 La dernière richesse concerne les hommes. Le développement de l’artisanat
métallurgique et mécanique sous la Restauration forme un nombre croissant d’artisans et
d’ouvriers aux techniques de travail des métaux et de la construction de machines. Un
groupe d’hommes rompus à ce type de travaux s’est constitué dans la ville et dans sa
proche région. Marseille s’est forgé en une quinzaine d’années un capital humain dans
lequel sa future industrie métallurgique trouvera un point d’appui. Aussi faibles que
soient leurs techniques, ces hommes ont acquis des compétences de base. La fabrication
de mécaniques en bois demande, comme pour celle d’appareils en fer, des connaissances
précises sur les forces de transmission, la résistance des matériaux ; il faut penser les
engrenages, les poulies, les courroies et les arbres, l’agencement général d’un système
moteur au sein des ateliers d’une entreprise. L’artisanat des métaux a également
développé des qualités qui deviendront précieuses. Les liens entre l’artisan de la petite
métallurgie et le mécanicien ou le fondeur sont étroits. Il faut le tour de main du serrurier
ou du taillandier pour ajuster une pièce de machine à vapeur, la précision d’un horloger
ou d’un machiniste pour aléser un cylindre, la compétence du chaudronnier ou du
forgeron pour fondre les métaux et les convertir en pièces de toutes formes. Quand
l’heure du développement d’une métallurgie moderne sonnera à Marseille, l’industrie
puisera dans ce réservoir pour trouver ses entrepreneurs, ses techniciens et ses ouvriers.
NOTES
1. Près de 1 500 000 francs pour le fer pour 1 190 000 francs pour les non-ferreux (sauf indication,
les informations de ce chapitre proviennent du t. IV de la SBdR).
2. Cf. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier dans l’économie espagnole au XIXe siècle », thèse de
doctorat d’État, université de Provence, 1985, t. I, p. 299-302.
57
3. CHASTAGNARET G., « Marsella... », art. cit., p. 12-15.
4. ACM 23 F 17.
5. ACCM MP 3611, Pétition des fabricans de grenailles et de plomb laminé, février 1820.
6. Ibid.
7. ACCM MP 3611, Lettre du ministre de l’Intérieur à la chambre de commerce de Marseille, 17
mai 1820.
8. ACM 23 F 17.
9. Pierre Conte voit dans la pompe à feu qu’il se propose d’installer en 1779 le moyen de laminer
les fers et les cuivres, CONTE P., Vues utiles..., op. cit., p. 32 et 35.
10. ACM 22 F 1.
11. AN F 14 4313.
12. EDBdR, t. VIII, p. 85.
13. AN F 14 4313.
14. ACCM MP 3611.
15. ACCM MP 3611.
16. ADBdR XIV M 10/8.
17. CONTE P., Vues utiles..., op. cit., p. 35.
18. Ibid., p. 29-30.
19. ACM 22 F 1.
20. ACM 24 F 13.
21. ACM 22 F 1.
22. EDBdR, t. VIII, p. 85.
23. Jules Julliany l’estime à environ un million de francs en 1830 (cf. ECM, t. III, p. 386).
24. L’Hermès marseillais..., op. cit., 1826, p. 260.
25. Pour les trois demandes, cf. ADBdR, XIV MEC 12/71.
26. En 1835, l’établissement est équipé de fourneaux à réverbère (ADBdR XIV MEC 12/71) mais
vers 1830, les annuaires professionnels classent cet atelier comme « fonderie de cloches » (cf.
Guide marseillais ou véritable indicateur marseillais, Marseille, 1830, 1831 et 1832).
27. ECM, t. III, p. 380 et SBdR, t. IV, p. 764.
28. ADBdR 548 U 3.
29. ADBdR VII S 6/5.
30. ABRATE M., L’industria siderurgica e meccànica in Piemonte dal 1831 al 1861, Turin, 1961, p. 103.
31. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude de l’acquisition des techniques sidérurgiques et
énergétiques anglaises par le Piémont et la Ligurie au XIXe siècle », dans L’Acquisition des
techniques par les pays non initiateurs, Paris, 1973, p. 465.
32. Mondella F., « Scienza e tecnica... », art. cit., p. 655.
33. Chastagnaret G., « Le secteur minier... », op. cit., t. I, p. 288.
34. NADAL J., El fracaso..., op. cit., p. 167.
35. Ibid., p. 168.
36. « Beaucoup de ces machines ont été construites à Paris ou dans d’autres villes du royaume
d’où on les fait arriver à Marseille. » ACM 23 F 31, Enquête du conseil des prud’hommes sur les
machines à vapeur du département des B-d-R. Rapport du 4 octobre 1825.
37. Ibid. : « C’est sur leurs modèles que nos ouvriers en construisent de nouvelles, les réparent ou
les approprient aux usages locaux. »
38. AML, 4 Z 10.
39. Ibid.
40. En Angleterre, Arthur Woolf travaille sur le principe de la double détente depuis 1803. Henry
Maudslay a supprimé le balancier depuis 1807 en adoptant la bielle articulée.
41. En 1811, la machine n’est toujours pas au point (ACL, 4 Z 10).
58
42. Ibid.
43. Philippe a procédé à quelques travaux comme la réparation de la machine d’épuisement, qui
avait été installée par la Compagnie de Rassuen dans les salines de l’étang de Valduc (ibid.).
44. ACL 4 Z 14.
45. ADBdR 187 U 6.
46. Le Messager de Marseille, avril 1828.
47. Philippe Girard avait inventé une machine à fabriquer les clous mais ne pouvait exploiter
directement cette invention, car Elzéard Degrand détenait le privilège de production. Girard
refusa l’association, ayant trop peu à gagner (ACL 4 Z 10).
48. DAUMALIN X., COURDURIÉ M., Vapeur et Révolution industrielle à Marseille, Marseille, CCIM, 1997, p.
62-64 et VILLENEUVE H. (DE), « Des appareils... », art. cit., p. 329-334.
49. « Tableau de l’industrie milanaise », RTSSM, t. IX, 1846, p. 499.
50. AGULHON M. (dir.), Histoire de Toulon, Toulouse, 1980, p. 215.
59
Conclusion de la première partie. Entrel’archaïsme des structures et ladynamique humaine
1 En 1830, contrairement à ce que l’on peut observer pour plusieurs régions
méditerranéennes, les prédispositions marseillaises permettant d’établir dans la ville une
industrie moderne de la métallurgie et de la construction mécanique sont présentes mais
dans des proportions limitées. Le système technique en place, solidement ancré, est
encore archaïque. Les minerais de toutes sortes font défaut, tout comme les gisements de
houille. Tous les éléments qui pourraient concourir à donner naissance à des marchés
potentiels sont encore absents, ou frappés par un état de croissance si faible qu’ils ne sont
pas susceptibles de provoquer des bouleversements suffisants. L’industrie a certes
progressé, mais d’une manière trop lente. Les premières commandes de biens
d’équipement (machines à vapeur, chaudières motrices et calorifères, pièces de métaux
en fer ou en cuivre) sont apparues. Elles sont néanmoins très irrégulières et représentent
un marché trop restreint. Les entreprises ont donc recours à l’extérieur pour
s’approvisionner. Dans le domaine des transports, aucune sollicitation n’est intervenue.
La navigation à vapeur est absente ou aux mains de compagnies étrangères. Le réseau
ferroviaire est inexistant. Dans ces deux domaines, les projets existants sont abstraits et
ne vont trouver une réalisation concrète qu’au cours de la monarchie de Juillet.
2 L’économie marseillaise possède toutefois plusieurs atouts. Sous la Restauration, les
mentalités ont changé. Les élites intellectuelles et les divers pouvoirs locaux ont compris
l’intérêt du développement industriel. Sous l’impulsion du comte de Villeneuve, ils
s’appliquent à le promouvoir. Un artisanat métallurgique s’est développé. Il a permis à
des hommes d’accumuler des capitaux, d’ouvrir les yeux sur les opportunités qu’offre le
travail des métaux. Des ouvriers ont pu se former dans les ateliers où ils pratiquent la
fonte et la mise en forme du plomb, du cuivre et du fer. En 1830, l’artisanat attend des
changements radicaux dans l’économie marseillaise, des initiatives propres à débloquer la
situation et à engendrer des opportunités dans le secteur de la métallurgie et de la
construction mécanique. Sa patience n’est guère sollicitée. L’année 1831 est le point de
départ d’un mouvement qui secoue Marseille en profondeur. La ville amorce sa révolution
industrielle.
60
Deuxième partie. La montée enpuissance (1831-1846)
61
Chapitre IV. Les facteurs du démarrage
1 Créer une fonderie ou un atelier mécanique suppose un investissement de départ
relativement lourd. Les entrepreneurs attendent généralement la constitution d’une
demande suffisamment forte et régulière avant de se lancer dans une initiative où le
risque financier est important. L’exemple de James Watt, auteur d’une remarquable
anticipation sur le marché des machines pour les exploitations minières, est
exceptionnel. Comme l’a montré le timide développement de la Restauration, l’industriel
marseillais est prudent. Il construit toujours sa réussite sur l’existence préalable de
marchés importants. Jusqu’en 1830, la demande marseillaise en produits métallurgiques
et en machines était faible. L’absence certaine de débouchés suffisants s’ajoutait donc à la
prudence locale dans le domaine des activités de fabrication pour dissuader toute
initiative de création de fonderies ou d’ateliers modernes de mécanique.
2 Le panorama change en profondeur avec la monarchie de Juillet. Marseille entame sa
révolution industrielle. Les productions s’accroissent avec rapidité. Les transports à
vapeur font leur apparition et se développent. Enfin, la ville se dote de nouvelles
infrastructures nécessitant de grands travaux. Ce triple mouvement permet-il de donner
naissance à une demande capable d’entraîner à son tour la création d’une industrie
moderne de la métallurgie et de la construction mécanique ? Même si la réponse est
affirmative, il faut également voir que la demande n’est qu’un élément du démarrage.
Marseille doit se montrer capable de mobiliser les capitaux et les compétences
nécessaires.
L’ESSOR INDUSTRIEL MARSEILLAIS
3 Marseille n’attend pas le second Empire pour connaître sa première période de croissance
industrielle. De récentes études dont celle de Michel Lescure démontrent de façon
incontestable que les deux décennies de la monarchie de Juillet constituent la phase
initiale de la révolution industrielle dans les Bouches-du-Rhône1. Les créations
d’entreprises sont nombreuses et composent un paysage industriel varié. En 1830, la
valeur de la production des industries marseillaises est d’un peu plus de 136 millions de
francs. En 1842, le chiffre dépasse les 190 millions, soit une augmentation de près de 40 %2
. En une quinzaine d’années seulement, les changements sont rapides, profonds et
62
durables. L’économie marseillaise offre l’exemple parfait d’un take-off selon les modèles
décrits par W.W. Rostow et A. Gerschenkron3. L’industrialisation est brutale et ne
s’apparente que faiblement aux composantes de la période précédente car il n’y a dans ce
mouvement aucune modification graduelle ou linéaire. Il n’y a pas de phase préalable de
proto-industrialisation. Les deux exemples les plus significatifs de cette absence de
filiation nous sont donnés par le textile et la savonnerie, les deux grands secteurs de la
Restauration qui auraient pu connaître une croissance sur des acquis de base importants.
4 La filature des cotons, branche préexistante qui offrait les plus sérieux espoirs de
développement, a fortement déçu. Ses activités ont périclité à cause de l’établissement
d’une législation douanière peu favorable à l’importation de matières premières. La
production s’effondre à partir de la fin des années 18204. L’industrie du savon connaît des
problèmes liés à la concurrence que les producteurs anglais et américains lui livrent à
l’exportation et doit se recentrer sur le marché national. Hormis ces industries en déclin,
le mouvement de croissance est général et de nouveaux secteurs de production sont
apparus. Une rapide analyse des trois secteurs moteurs de l’industrialisation marseillaise
(la minoterie, le raffinage du sucre et l’huilerie) permet de saisir l’ampleur des
changements et les répercussions sur la demande de biens de production.
Les grands secteurs de l’industrialisation
5 Malgré des problèmes de douanes non négligeables, la minoterie à vapeur, apparue sous
la Restauration, amorce une croissance marquée surtout à partir des années 1840. Les
négociants marseillais, notamment ceux d’origine grecque, parviennent à attirer des
quantités considérables de blés de la mer Noire. Dans la ville, en 1830, on ne compte
encore que deux établissements équipés de machines à vapeur mais trois nouvelles usines
apparaissent entre 1831 et 1835. Au total, six sont en activité en 18415, au moment où se
développent des industries annexes comme la semoulerie et la fabrication des pâtes
alimentaires.
6 L’industrie sucrière progresse également. Les importations marseillaises de sucres bruts
des colonies françaises doublent de 1826 à 1841 et représentent alors 32 % du total
français6. Cette croissance commerciale s’accompagne de créations d’entreprises ainsi que
d’une modernisation de l’appareil productif. En 1835, seules les raffineries de Grandval et
Reybaud fonctionnent au moyen de machines à vapeur. En 1845, le changement est
important. Onze nouveaux appareils moteurs ont été installés en l’espace de dix ans7.
7 Enfin, l’huilerie présente le même visage d’une croissance vigoureuse depuis que les
graines exotiques ont fait leur apparition sur les quais du vieux port. Ce secteur offre très
certainement l’exemple le plus remarquable de la progression de l’industrie locale sous la
monarchie de Juillet. Les quantités de graines de coton, de lin, de ravison et surtout de
sésame arrivent dans des proportions toujours plus considérables. Sous l’impulsion des
frères Régis, les arachides des côtes d’Afrique font leur apparition au début des années
1840. Le total des importations de graines oléagineuses passe de 1 050 tonnes en 1835 à
44 090 tonnes en 18508. Une seule entreprise fonctionne à l’aide de la vapeur en 18359.
Sept années plus tard, c’est le cas de 20 usines sur les 36 existantes10.
8 Cette croissance industrielle générale a des effets sur la demande de biens de production :
le besoin se fait sentir de s’équiper notamment en machines motrices propres à faire
fonctionner les installations avec de meilleurs rendements. Marseille présente en ce
63
domaine une forte originalité dans une France où « …les roues et les turbines ont assuré
la marche de la plupart des installations jusque vers 186011 ».
Le choix de la machine à vapeur
9 La machine à vapeur est adoptée à Marseille parce qu’elle répond à des contraintes
précises. Deux raisons principales expliquent le choix des entrepreneurs. La première
concerne la faiblesse du débit des rivières de la région. Cette lacune n’est compensée que
très partiellement par la mise en fonction du canal de Marseille en 1849. Comme il était
prévu, les eaux de la Durance offrent aux entreprises une puissance de 7 000 chevaux12.
Elles arrivent trop tard. Les entrepreneurs ont déjà fait leur choix. La machine
hydraulique restera longtemps marginale à Marseille13.
10 La seconde raison réside dans le fait que les coûts d’utilisation du combustible minéral
n’ont nullement pénalisé les entreprises de la région marseillaise. Les Bouches-du-Rhône
possèdent d’abord d’énormes ressources en lignite. On ne peut certes pas le transformer
en coke pour la métallurgie mais ces lignites, comme le note un élève ingénieur des Mines
en 1847, « …sont de très bonnes qualités !… Ils brûlent avec une très longue et très belle
flamme qui répand beaucoup de clarté : cette propriété la rend très propre au chauffage
des machines14 ». La houille, quant à elle, arrive facilement à Marseille et à un prix
relativement peu élevé. Les relations maritimes avec la Grande-Bretagne sont bonnes et
constituent le moyen de transport le moins onéreux de l’époque. L’approvisionnement
peut également être français. Les charbons du département voisin du Gard, provenant des
mines de La Grand’Combe, arrivent à un prix en nette diminution à partir de 1839,
moment de la mise en service de la première ligne de chemin de fer dans le Languedoc.
Trois étapes essentielles ont constitué l’histoire de l’utilisation des charbons dans les
usines marseillaises sous la monarchie de Juillet15. Dans un premier temps, entre 1835 et
1839, la présence des charbons britanniques, dont l’arrivée est facilitée par une
importante baisse des droits de douanes, constitue l’approvisionnement principal des
entreprises avec les houilles du bassin de Saint-Etienne et Givors16. À partir de 1841, la
houille de La Grand’Combe détrône celle qui était amenée des régions du Centre. Dès la
mise en service du dernier tronçon de la ligne Alais-Beaucaire, le prix du charbon gardois
livré à Marseille passe de 45 à 25 francs la tonne17. Les Phocéens ont alors le sentiment de
posséder leur « Pays de Galles »18. En 1847, les courtiers de Marseille notent que depuis
1843 une nouvelle phase s’est engagée. Ils ont pu observer « la substitution des lignites
aux charbons d’Alais dans presque toutes les raffineries et beaucoup d’huileries ».
L’approvisionnement devient donc essentiellement local et régional. Les charbons anglais
s’effacent. Ils ne représentent plus que 15 % de la consommation totale des Bouches-du-
Rhône en 184719.
11 Dans l’ensemble français et européen, le cas de l’industrie marseillaise est original. Les
divers foyers industriels de la première moitié du XIXe ont généralement opté pour des
sources énergétiques hydrauliques. Rares sont les régions à avoir choisi exclusivement la
machine à vapeur. Même pour le cas britannique, les historiens ont aujourd’hui tendance
à minimiser le rôle de la machine à vapeur au profit d’une revalorisation de l’énergie
hydraulique20. De même, dans le sud de l’Europe, de nombreuses régions ont longtemps
refusé l’emploi de la machine à vapeur. Le sous-sol étant dépourvu de charbon, leurs
entreprises ne pouvaient se permettre des dépenses trop élevées en combustible. Par son
faible coût de fonctionnement, l’énergie hydraulique constituait alors une excellente
64
alternative. En 1863, les déclarations de la commission industrielle de Turin sont
particulièrement explicites sur ce point : « La machine à vapeur ne peut pas être pour
nous l’instrument universel de force et de puissance qu’elle est pour les autres peuples…
Le cheval vapeur revient cinq fois plus cher que la force hydraulique21 » Au cours de la
première moitié du XIXe siècle, les installations de machines à vapeur dans les usines de
Lombardie restent exceptionnelles. Vers 1840, trois unités seulement fonctionnent dans
la région milanaise22. Dans le Piémont, on note également une utilisation massive de la
force hydraulique, notamment dans l’industrie lainière. L’application des nouvelles
technologies est représentée ici par l’emploi des turbines Fourneyron23. Ce privilège de
l’eau s’explique surtout par le fait que ces régions n’ont pas le même problème que
Marseille. L’eau est présente en quantité suffisante pour alimenter les roues et les
turbines. La Doire à Turin, le Ter ou le Llobregat en Catalogne fournissent une énergie
fiable et peu coûteuse. L’implantation des usines aux abords des cours d’eau marque
profondément la géographie des entreprises catalanes, lombardes ou piémontaises ainsi
que la structure de leurs équipements. A Turin, en 1862, l’industrie utilise 40 machines à
vapeur pour 100 machines hydrauliques24. Les centres industriels qui peuvent appuyer
leur croissance sur la machine à vapeur sont situés en bord de mer. Le cas du nord de la
Grèce dans le dernier tiers du siècle est exemplaire à cet égard. Les usines de la
Macédoine intérieure ont choisi l’énergie hydraulique alors que celles qui sont situées à
Salonique ont opté pour la vapeur grâce aux charbons étrangers qu’elles peuvent recevoir
à moindre coût par la mer25. La Catalogne offre le même cas de figure. Les installations
industrielles situées à l’intérieur des terres ont choisi l’énergie hydraulique alors que la
capitale possède un nombre important de machines à vapeur.
12 Le cas barcelonais présente des similitudes avec celui de Marseille. Cependant, à la
différence du cas phocéen, Barcelone a fait son choix plus par volonté que par nécessité.
Entre 1833 et 1860-1865, avec l’espoir de pouvoir s’approvisionner avec des charbons de
l’intérieur du pays (houille de San Joan de les Abadesses, lignites de Calaf), les
entrepreneurs barcelonais misent sur un développement fondé sur la machine à vapeur26.
Dans la seconde moitié du XIXe, les Catalans sont contraints de dresser un constat amer.
Les exploitations minières sont trop coûteuses et les gisements sont éloignés des sites
industriels. Les charbons sont de plus friables et supportent mal le voyage27. Si Barcelone
peut se replier sur les houilles britanniques, l’intérieur doit revenir sur ses positions.
L’énergie hydraulique finit par triompher sur le Llobregat. La Catalogne a surestimé ses
capacités à faire fonctionner son industrie avec la machine à vapeur.
Le rythme et la répartition sectorielle des installations d’appareils à
vapeur
13 Il est difficile de suivre avec exactitude les phases et les rythmes d’équipement des
entreprises marseillaises en machines à vapeur, chaudières motrices et calorifères. La
seule série complète en notre possession est celle dressée par les ingénieurs des Mines,
chargés dans les départements de la surveillance de la conformité des appareils à vapeur28
. Si ces deux séries de chiffres traduisent une progression marquée bien réelle, elles sous-
estiment de manière importante la réalité de la situation : « Les statistiques de l’industrie
minérale sont à la fois administratives et déclaratives. Elles sont administratives en ce
sens qu’elles n’admettent un fait, dans cette matière en principe soumise au contrôle de
l’État, que lorsque l’autorisation officielle a été donnée. Les chiffres, en particulier de
65
production et les valeurs, proviennent des déclarations des industriels. Sans doute doit-
on tenir compte d’une marge d’hésitation29. » Les entrepreneurs se méfient en effet des
enquêtes qu’ils associent trop souvent à un projet fiscal. Leurs déclarations ne reflètent
donc pas la réalité. Les chiffres collectés par les ingénieurs des Mines ne deviendront
véritablement fiables qu’au milieu des années 1860. Deux facteurs ont contribué à
améliorer les conditions d’enquête. A partir des années 1855-1856, le service des Mines
effectue un important travail de mise à jour auprès des établissements fonctionnant sans
autorisation30. Plus déterminant encore, la législation sur l’installation des appareils
s’assouplit de manière considérable. L’ordonnance de juin 1865 a transformé les
demandes d’autorisation en simples déclarations31.
14 Pour toutes ces raisons, les données rassemblées par les ingénieurs des Mines présentent
une vision erronée des rythmes d’installation de machines à vapeur et de chaudières dans
l’industrie des Bouches-du-Rhône pour la période 1835-1865. Les taux de croissance
particulièrement élevés du second Empire — entre 10 et 20 % par an — ne sont en fait que
le reflet des enquêtes de régularisation et de la déclaration systématique des appareils
par les entrepreneurs qui n’ont plus rien à redouter. Le nombre des installations doit
être, en fait, réparti de manière plus uniforme sur l’ensemble de la période en émettant
l’hypothèse que les taux de croissance les plus élevés correspondent à la période
1830-1846, phase initiale de l’équipement de l’industrie marseillaise32. Cette hypothèse est
étayée par la seule série de chiffres à peu près fiable : les données de la grande enquête de
statistique industrielle des années 1841-1845. Les industriels ont été rassurés par la
circulaire du 17 septembre 1839 « où il était fortement spécifié pour la sûreté des
déclarations que cette investigation est étrangère à toute vue fiscale33 ». Ils ont dans
l’ensemble fourni les renseignements demandés sans trop faire de difficultés. En
1843-1844, l’industrie marseillaise emploie au moins 90 machines à vapeur34. Au même
moment, les ingénieurs des Mines n’avaient recensé que 55 unités.
15 La caractéristique principale de l’équipement des entreprises marseillaises en machines à
vapeur est la profonde différence des affectations par secteurs par rapport à la moyenne
nationale. Vers 1850, 42,2 % de la puissance des appareils sont affectés en France aux
activités minières et métallurgiques et 29,5 % aux industries textiles35. Ce qui domine à
Marseille, dès 1835, c’est la minoterie, secteur qui emploie le plus de machines à vapeur (5
sur 14 unités36). En 1843-1844, sur les 80 machines recensées par l’enquête nationale, les
usines de graines oléagineuses (21 unités), la fabrication des produits chimiques (13), le
raffinage du sucre (12), la minoterie et ses industries annexes (9) en abritent le plus grand
nombre. Les quatre grandes branches industrielles marseillaises totalisent 68,75 % du
total. La mine et la métallurgie, tout comme le textile, ne représentent qu’une part très
faible de l’ensemble. Cette situation est le résultat d’une industrialisation phocéenne aux
composantes originales pour l’espace français.
16 Au total, le développement industriel de la région marseillaise a engendré l’émergence
d’une importante demande de biens d’équipement. Entre 1831 et 1846, plus d’une
centaine de machines et environ deux cents chaudières motrices et calorifères sont
commandées par les entreprises marseillaises. A ce chiffre déjà impressionnant, il faut
ajouter les besoins en cuves, chaudrons, tuyaux ou presses hydrauliques. L’ensemble de
ces biens d’équipement engendre en amont des travaux métallurgiques de deuxième
fusion. L’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction mécanique est
directement née de ces opportunités, mais le déterminisme ne joue pas ici de manière
évidente. La seule industrie mécanique et métallurgique locale réellement indispensable
66
est celle de la réparation, car l’attente de pièces pour réparer les machines est un obstacle
aux capacités productives des entreprises. Pour l’acquisition d’appareils à vapeur, les
entrepreneurs marseillais peuvent continuer de se satisfaire des achats effectués auprès
d’entreprises extérieures à la région.
LE DÉVELOPPEMENT DE LA NAVIGATION À VAPEUR
17 Le dynamisme des compagnies de navigation à vapeur des États italiens se poursuit en
Méditerranée après 1830. Aux navires de la société napolitaine Paccheti a Vapore delle Due
Sicile il faut désormais ajouter l’activité de la flotte sarde, forte de trois unités37. Symbole
de cette domination, les liaisons entre Marseille et Toulon, pendant les préparatifs de
l’aventure algérienne, ont été réalisées avec l’appui de deux vapeurs venus de Sardaigne38.
En Provence même, le port de Toulon s’affirme comme un dangereux adversaire puisque
la Compagnie Gérard relie le sud de la France à la Corse depuis 1830. Très rapidement,
l’Espagne entre en compétition. Les Catalans arment, en 1834, leur premier bateau à
vapeur, El Balear39. Marseille se devait donc de réagir sous peine de ne plus pouvoir
contrôler ses flux de passagers et marchandises. L’exemple italien a sans aucun doute
permis aux milieux économiques de la ville de Marseille de prendre conscience de leur
retard.
Le développement des compagnies marseillaises de navigation à
vapeur
18 En 1831, le port de Marseille voit enfin arriver ses deux premiers bateaux à vapeur : le
Henri IV et le Sully. La mise en service de ces unités est due aux cousins Bazin, qui ont
décidé de livrer une concurrence aux compagnies italiennes. A la fin de l’année 1831, le
port de Marseille n’est encore fréquenté que par six navires à vapeur. Trois sont
marseillais. Le Scipion, armé par les frères Aynard, est venu s’ajouter aux bâtiments des
Bazin. Les premiers temps de la vapeur sont difficiles. Le passage de la marine à voile à
celle à vapeur s’effectue très lentement. Les hésitations des milieux locaux sont fortes. Le
coût de fonctionnement et l’immobilisation d’une masse importante de capitaux effraient
encore armateurs et négociants. À cela s’ajoutent les décisions de l’État, souvent
contraires aux intérêts marseillais. En négligeant le transport des marchandises et en
refusant des subventions aux compagnies privées, les pouvoirs publics bloquent les
initiatives des milieux d’affaires de la ville. Marseille subit plusieurs déceptions. La
première concerne l’établissement d’une ligne que la conquête de l’Algérie avait laissé
espérer. L’État avait décidé que les services de l’administration des postes entre la
métropole et Alger seraient assurés par les navires de la marine royale. La chambre de
commerce de Marseille avait demandé, dès 1832, l’utilisation de son port et de sa flotte
« par contrat et moyennant une rétribution déterminée par l’adjudication40 ». L’État avait
refusé. Le port d’attache de la flotte serait Toulon. Le service débute en 1833. Marseille
était court-circuitée.
19 Les milieux d’affaires marseillais ne renoncent pas et se lancent dans une seconde
tentative en 1835. Il s’agit de la première grosse initiative locale. Cette année-là, un projet
est monté pour la constitution d’une Compagnie marseillaise de la Méditerranée pour la
navigation à vapeur. Le capital de la société est considérable (6 millions de francs)41.
L’entreprise est présidée par Alexis Rostand, ancien maire et président de la chambre de
67
commerce. Les quatre autres membres du conseil sont issus des milieux influents de la
ville (Jean Luce, Louis Benet, Jules Julliany, Alexandre Clapier). Le premier objet de la
société est de relier Marseille à Alger au moyen de trois vapeurs de 160 chevaux. Ce projet
ambitieux demande de lourds investissements. Il ne peut se réaliser financièrement sans
l’aide des pouvoirs publics. Les Marseillais essuient un refus. L’État refuse à la Compagnie
la subvention vitale d’un million et demi de francs42. L’affaire ne se réalise pas. En 1840, la
majeure partie de ces hommes montent un nouveau projet, cette fois pour des lignes
transatlantiques. Une nouvelle fois, l’État ne suit pas. La société méditerranéo-
transatlantique reste à l’état de projet43. Les pouvoirs publics désirent assumer la fonction
du service postal et inaugurent notamment en 1837 les lignes régulières vers le Levant
décidées par la loi de mars 1835. Quelques années plus tard, l’État prend également en
charge les services postaux vers l’Égypte et la Corse. Dans cette conjoncture peu
favorable, le développement de la navigation à vapeur privée marseillaise s’effectue dans
des proportions modestes jusqu’en 1846.
20 « L’Algérie et le Levant fermés, restait le cabotage sur les côtes de France, d’Italie et
d’Espagne44 ». En 1834-1835, deux nouveaux vapeurs sont attachés au port de Marseille.
L’entreprise est le fait d’hommes d’affaires étrangers à la ville de Marseille (Cartairade &
cie, de Paris). Leurs navires assurent le cabotage sur la Côte d’Azur et les côtes italiennes
jusqu’à Naples. La navigation à vapeur marseillaise prend une certaine importance au
cours de la seconde moitié des années 1830. En 1837, la Compagnie Thérond et celle des
frères Chancel créent des lignes vers le Languedoc. L’année suivante, la société Segur
frères & Louis Roujon établissent le même type de services. La compagnie de Théophile
Périer dessert l’Espagne en 1838. À partir de 1842, la compagnie André & Abeille rejoint le
groupe des armateurs assurant les liaisons avec l’Italie45. La flotte des vapeurs augmente
parallèlement à ce mouvement, mais les voiliers exercent encore une écrasante
domination.
21 Le grand tournant se produit en 1846. La maison Fraissinet étend ses activités vers
l’Espagne et le Portugal. La Compagnie des bateaux à vapeur du Levant, fondée l’année
précédente par Albert Rostand, lance ses trois navires vers les Échelles du bassin oriental
de la Méditerranée et concurrence ainsi les huit bateaux italiens et surtout les paquebots
postes de l’État français qui effectuent déjà ces liaisons. La même année, les Bazin
absorbent la compagnie de Théophile Périer et peuvent ainsi augmenter leurs prestations
à destination de Tripoli, Alexandrie et Beyrouth. Dans le domaine de la navigation à
vapeur, le port de Marseille rattrape petit à petit celui du Havre, qui reste encore le
premier46.
La constitution d’un marché important
22 La demande de navires et de machines marines pour les compagnies marseillaises se
développe donc fortement durant les années 1840. En 1841, 20 navires à vapeur
appartenant à des sociétés locales sont attachés au port de Marseille47. En 1846, d’après
les relevés des ingénieurs des Mines, le chiffre est passé à 52 unités munies de plus de 70
machines48. Le chiffre de vapeurs présents dans les Bouches-du-Rhône est en fait
beaucoup plus important car deux autres éléments doivent être pris en compte : la
navigation fluviale sur le Rhône et la flotte de l’État. La flotte des bateaux de navigation
fluviale est imposante même s’il s’agit de bâtiments de moindre puissance. Les diverses
compagnies utilisent 36 unités en 1846 pour le service reliant Arles à Lyon49. Plus
68
importante encore est la demande de l’État, qui s’est lancé dans une politique
d’équipement de la marine de guerre et du service postal. En 1842, 37 bâtiments à vapeur
sont en service dans la marine de guerre, 10 attendent leur lancement. La construction de
23 nouvelles unités a été programmée pour agrandir la flotte. Le service postal possède,
lui, 10 vapeurs. Plus d’une trentaine de nouveaux bâtiments sont donc en construction ou
programmés50. Ce marché de la marine royale fort de 110 navires et d’environ 200
machines motrices d’une puissance totale de 49 460 chevaux accompagnées de leurs
chaudières constitue un marché potentiel énorme pour les entreprises françaises51. Une
grande part de la flotte de l’État concerne directement les eaux méditerranéennes,
comme les paquebots-poste pour le Levant, l’Égypte ou la Corse. En 1845, 21 navires à
vapeur de l’État desservent le port de Marseille52. Au total, en 1846, 90 unités et plus de
150 machines marines sont présentes dans le port de Marseille. La ville est véritablement
entrée dans l’ère de la navigation à vapeur. Un marché considérable s’offre aux
entrepreneurs de la région s’ils parviennent à acquérir la technologie de la vapeur et à
concurrencer les Britanniques.
L’EQUIPEMENT DES LIGNES DE CHEMINS DE FER
23 La mise en service des premières lignes de chemins de fer dans le Gard et les Bouches-du-
Rhône s’effectue entre 1839 et 1848. Ces voies ferrées ont deux visées principales. Pour le
Gard, l’enjeu est d’offrir un accès à la Méditerranée au bassin houiller de La Grand’Combe
en le reliant au Rhône et, de là, par la navigation fluviale et maritime, à Marseille et
Toulon. L’objet de la ligne Marseille-Avignon est de faciliter l’augmentation des tonnages
de marchandises empruntant le couloir rhodanien. Les deux réalisations ont été l’œuvre
de Paulin Talabot, défenseur précoce du système de concessions des lignes ferroviaires
par l’État à des compagnies privées.
La mise en place des lignes du Gard et des Bouches-du-Rhône
24 La concession de la ligne de chemin de fer Alais-Beaucaire est obtenue en juin 183353.
Paulin Talabot, directeur des mines de la Grand’Combe et de l’exploitation de la ligne,
multiplie les contacts auprès des Davillier et de la maison Rothschild54. Avec ses appuis et
après une première initiative, une société en nom collectif par actions est constituée en
1837. Outre Paulin Talabot et sa famille, on trouve parmi les sociétaires les grands
hommes d’affaires marseillais dont beaucoup sont également impliqués dans le
développement de la navigation à vapeur. Certains d’entre eux sont proches de la maison
Rothschild (Jean Luce, Marc Fraissinet, Joseph Roux)55. Les bailleurs de fonds les plus
importants sont l’État (prêt de 6 millions de francs) et la maison Rothschild, qui investit la
même somme dans l’opération. La ligne Nîmes-Beaucaire est ouverte en juillet 1839, celle
de Nîmes à Alais en août 184056.
25 Les lignes du Gard achevées, Paulin Talabot et le groupe d’affaires marseillais qui l’avait
soutenu dans cette affaire57 se lancent dans la réalisation du tronçon Marseille-Avignon.
Après de nombreuses vicissitudes, la concession de la ligne est accordée à Paulin Talabot
en février 1843. La société est formée en avril de la même année. L’État apporte une
subvention de 32 millions et se charge de l’acquisition des terrains. Le capital est
considérable (20 millions de francs répartis en 40 000 actions). La maison Rothschild a été
69
sollicitée dès 183858. Elle participe de nouveau à l’opération en souscrivant pour 4 000
actions, soit deux millions de francs59.
Le marché des locomotives
26 Comme pour l’industrie et la navigation à vapeur, les marchés sont importants. La phase
initiale de développement suppose un premier approvisionnement massif. Entre 1839 et
1846, les compagnies chargées de l’exploitation des voies ferrées de l’Hérault, du Gard et
des Bouches-du-Rhône commandent 123 locomotives60. Uniquement pour le tronçon
reliant Marseille à Avignon, la compagnie de Paulin Talabot décide, en octobre 1843,
d’acheter au moins 30 locomotives. Le chiffre pouvait même être porté à 40 unités suivant
les besoins61. À ce chiffre, il faut ajouter le reste du matériel roulant (tenders, wagons,
essieux, roues). Pour la ligne Marseille-Avignon, le conseil de la compagnie vote, en
novembre 1843, une adjudication pour la fourniture de 1 000 essieux et de 2 000 roues
pour wagons62. Enfin, un autre type de commandes, d’une nature différente, apparaît
parallèlement : les rails. L’ensemble des marchés représente une somme importante de
travaux pour l’industrie mécanique, la sidérurgie et la métallurgie de deuxième fusion.
Les commandes peuvent même se poursuivre une fois la ligne Marseille-Avignon équipée
puisqu’en 1845, la compagnie émet le projet de construire un embranchement vers Aix.
L’année suivante, une enquête est ouverte pour un projet de ligne entre Marseille et
Toulon.
LA MISE EN PLACE D’INFRASTRUCTURESMODERNES
27 La grande période des travaux d’aménagements urbains et portuaires se situe à Marseille
sous le second Empire. Elle s’inscrit néanmoins dans une continuité. Au cours des années
1830-1840, de nombreuses actions ont été engagées afin de doter Marseille
d’infrastructures modernes. La construction du canal de Marseille, la réalisation de la
voie ferrée Marseille-Avignon, l’assainissement et l’agrandissement du port ont été, sous
la monarchie de Juillet, les trois plus importants travaux réalisés.
Le canal de Marseille
28 Après divers conflits entre Marseille et le département, la ville reçoit l’autorisation de
construire le canal à ses frais par la loi du 4 juillet 183863. Elle lance l’année suivante un
emprunt de dix millions de francs. Les travaux ont été engagés dès octobre 1838.
L’opération a nécessité un nombre élevé d’ouvrages d’art. Sur les 82 654 mètres entre la
prise de l’eau de la Durance et l’arrivée au nord de Marseille, à Saint-Antoine, pas moins
de 41 percées ou galeries et 16 ponts aqueducs ont été nécessaires64. Pour les réaliser, les
appareils à vapeur sont massivement utilisés. Une machine d’environ 80 chevaux est
employée au percement des souterrains du canal65. Pour l’aqueduc de Roquefavour,
l’ouvrage d’art majeur du trajet, « on dut créer un chemin de fer qui reliât les carrières au
pont aqueduc et établir en même temps sur les piles de puissantes machines pour
soulever et poser les plus fortes pierres66 ». La construction commence en 1839 et se
termine sept années plus tard. Les travaux ont demandé 15 400 mètres de rails pour le
chemin de fer et l’utilisation de sept machines à vapeur67. La plus puissante d’entre elles
70
soulève les blocs à une hauteur de 80 mètres68. La réalisation du souterrain des Taillades a
également nécessité de nombreux appareils à vapeur. La construction est rendue difficile
par les eaux qui ne cessent de s’écouler. L’épuisement se fait d’abord par des manèges à
bras. Les ingénieurs comprennent rapidement la nécessité d’utiliser la vapeur, seule force
capable d’évacuer rapidement les eaux. En 1840-1841, sept machines de six chevaux sont
installées. L’année suivante, un appareil d’environ 100 chevaux est mis en marche69.
Les aménagements portuaires
29 La seconde série de travaux concerne l’espace portuaire. Au début des années 1830, les
infrastructures du port de Marseille restent médiocres face à celles du Havre. Les eaux
renouvelées avec difficulté, l’encombrement des quais et du bassin, les problèmes de
déchargement des marchandises, de curage des fonds et l’absence d’un bassin de
carénage suffisamment grand constituent les principaux maux du port de Marseille. Avec
les années, le problème devient de plus en plus aigu, car l’accroissement du mouvement
maritime s’accélère dès les années 1830. En 1827, le port ne gère qu’un peu plus de
840 000 tonnes de marchandises. Ce chiffre est doublé en 1841 et atteint plus de deux
millions de tonnes trois années plus tard70. Les travaux réalisés sous la monarchie de
Juillet vont être importants. Le bassin de carénage est construit dans les années 1830 à
l’ouest du quai de Rive-Neuve. Il est équipé de machines à épuisement en 1836, de
plusieurs grues et d’une nouvelle machine à mater. A partir du début des années 1840, on
s’occupe « de la réparation du vaste bassin de la ville et de son élargissement71 ». Pour
l’assainissement du port, on installe une machine à vapeur en remplacement des
« maries-salopes »72. L’aménagement le plus important est celui d’un port annexe. Après
de longues discussions sur la localisation — on hésite longtemps entre les quartiers des
Catalans, d’Endoume et de La Joliette —, la construction d’un bassin spécialement destiné
à accueillir les bâtiments à vapeur est décidée en 1842. Il sera réalisé au nord de ce qui
sera désormais le Vieux-Port.
La construction des lignes de chemins de fer
30 À tous ces grands travaux, il faut enfin ajouter ceux occasionnées par l’établissement de
la voie ferrée entre Marseille et Avignon. Comme celle du canal, la construction de la
ligne a demandé des percées et des ouvrages d’art le long des 122 kilomètres de voies : le
tunnel de la Nerthe, le viaduc de Saint-Chamas et celui de Tarascon, long de 591 mètres et
au tablier de fonte, destiné à relier le réseau du Gard à celui des Bouches-du-Rhône par
Beaucaire73. Les appareils à vapeur ont été également employés en grand nombre. Il est
délicat d’évaluer les équipements nécessaires à ces travaux, mais plusieurs exemples
permettent d’en souligner l’ampleur. Une adjudication est votée par le conseil de la
compagnie en 1844 pour l’achat de six pompes d’épuisement destinées à la construction
du souterrain de la Nerthe74. Paulin Talabot a demandé l’autorisation d’établissement de
trois machines à vapeur en 1845-184675. Une de ces machines est destinée au service des
briqueteries de la compagnie. L’usage des deux autres, employées au domaine de la
Féline, n’est pas mentionné. En 1845, les travaux de fondation du Viaduc entre Tarascon
et Beaucaire demande « l’emploi de machines à vapeur pour le pilotage et le dragage76 ».
71
LA DEMANDE : UN FACTEUR NÉCESSAIRE MAIS NONSUFFISANT
31 À Marseille, entre 1831 et 1846, la croissance industrielle, la multiplication des grands
travaux d’infrastructures, l’apparition de la navigation à vapeur et des chemins de fer ont
provoqué une utilisation massive des appareils à vapeur et des produits métallurgiques
en fer et en fonte. Aucune autre région de l’Europe du sud n’a connu une telle conjugaison
d’éléments propres à constituer une demande en biens d’équipement aussi importante.
Cette demande est un préalable nécessaire à la naissance de l’industrie métallurgique et
mécanique. Néanmoins, celle-ci ne constitue pas une condition suffisante. Dans le sud de
l’Europe, les cas pour le démontrer sont particulièrement nombreux.
Les effets de l’industrialisation dans les pays du sud de l’Europe
32 Au cours du XIXe siècle, plusieurs centres nord-méditerranéens ont connu une croissance
industrielle génératrice d’importantes commandes de biens d’équipement. Pour les
installations de machines à vapeur, Barcelone et la Grèce offrent ici des exemples
particulièrement significatifs. La Catalogne a connu un démarrage industriel
particulièrement vigoureux entre 1833 et 1860. À la différence de Marseille, il s’effectue
principalement sous l’impulsion du secteur textile77. En 1833, Josep Bonaplata installe, à
Barcelone, une machine à vapeur dans son entreprise textile. Entre 1836 et 1840, 33
appareils sont installés dans les usines de la province78. Huit années plus tard, la ville en
compte 69, la province 135 pour une puissance totale de 2 414 chevaux79. Avec deux
centres principaux, Le Pirée et Hermoupolis, la Grèce suit le mouvement avec un décalage
chronologique d’une trentaine d’années. Les deux ports participent activement à
l’émergence d’un secteur industriel qui prend un essor important. Comme à Marseille, les
secteurs de l’alimentaire et des huiles dominent largement80. Le pays possède une
vingtaine d’établissements à vapeur en 186781. Ce chiffre est multiplié par sept en huit
années seulement82. Il culmine à 220 en 1900.
33 Ces chiffres reflètent l’ampleur des marchés de biens de production apparus en
Catalogne, au Pirée et à Hermoupolis lors de ces phases initiales de développement. Les
opportunités de créer un secteur de la métallurgie et de la construction mécanique dans
ces deux régions étaient donc importantes. Des entreprises de mécanique sont nées à
Barcelone, au Pirée et à Hermoupolis mais se sont développées tardivement, longtemps
après la phase initiale d’industrialisation. Elles ont rencontré au départ de grandes
difficultés et n’ont obtenu qu’une part réduite des commandes adressées par les
entreprises des différents secteurs industriels. Entre 1833 et 1848, sur les 130 machines à
vapeur installées en Catalogne dont l’origine est connue, les ateliers de Barcelone et de sa
région n’en ont fabriqué que douze, soit à peine plus de 9 %83. En Grèce, la situation est
identique. Les constructeurs locaux bénéficient de quelques commandes, mais les divers
industriels continuent de s’adresser à des constructeurs français et britanniques84. À
Hermoupolis, en 1881, les six minoteries à vapeur en fonction ont été équipées et
installées par des constructeurs français85.
72
Un constat identique pour les chemins de fer et la navigation à
vapeur
34 Ce qui a été observé sur les répercussions de la croissance industrielle est également vrai
pour celles engendrées par l’établissement des voies ferrées. L’échec de l’entreprise de
Taylor & Prandi à Gênes est révélateur de la difficulté d’obtenir les commandes. Cette
société a été créée en 1845 avec l’aide financière du gouvernement sarde pour les travaux
de réparation des locomotives de la ligne Turin-Gênes. Philip Taylor voit plus grand et
espère non seulement réparer mais aussi construire les machines. Les ateliers sont
organisés en conséquence mais l’Azienda delle Strate Ferrate refuse de passer ses
commandes à l’entreprise génoise et s’adresse à l’industrie britannique86. Les travaux
confiés par l’État ne sont plus proportionnels aux dimensions de l’entreprise et aux
capitaux qui y ont été investis. Déçu, Philip Taylor abandonne la société 185187. On peut
dresser le même constat pour les entreprises catalanes. La Maquinista Terrestre y Maritima,
société barcelonaise, essaie, au début des années 1860, de se lancer dans la construction
de locomotives. Elle offre ses services à la Compañía del Ferrocarril Zaragoza-Barcelona, en
1863, et à l’Empresa del ferrocarril de Tardienta, l’année suivante88. Les marchés lui
échappent et sont également confiés à des constructeurs étrangers. L’entreprise devra
encore atteindre vingt ans pour se lancer dans la construction de locomotives en séries. A
l’image de la Maquinista Terrestre y Maritima, les entreprises espagnoles ne vont bénéficier
que dans une faible mesure des commandes des compagnies ferroviaires non seulement
dans le domaine du matériel roulant mais aussi dans celui, considérable, des rails. Les
hauts fourneaux, fondés sur les espérances provoquées par la construction des lignes, ne
parviennent pas à obtenir les marchés des compagnies ferroviaires. Celles-ci sont
exigeantes et ne peuvent se permettre d’attendre l’établissement d’une sidérurgie
nationale capable de répondre à leurs besoins. Les commandes sont adressées à des
entreprises étrangères. « Seule l’importation pouvait fournir le matériel nécessaire dans
des conditions de délais et de coûts acceptables par les compagnies89. »
35 Cette difficulté à mettre en adéquation, au niveau local, la demande et l’offre se retrouve
enfin dans le domaine de la navigation à vapeur. L’Espagne, l’Italie et la Grèce sont des
pays qui ont tous connu, dans les deux derniers tiers du XIXe, une grande période de
croissance de leur flotte de vapeurs commerciaux et militaires. Là encore, les contrats
passés avec les constructeurs français et anglais resteront longtemps les plus nombreux.
Pratiquement tous les navires qui ont été construits par les chantiers de la côte ligure
entre 1819 et 1859 sont équipés de machines étrangères. Seuls deux bâtiments ont reçu
des appareils fabriqués localement90. En Espagne, jusqu’aux années 1880, les chantiers
navals, les ateliers de mécanique et les entreprises métallurgiques doivent se contenter
de maigres travaux. Les sociétés britanniques et françaises fournissent l’essentiel des
coques et des machines. Avant 1860, les chantiers catalans n’ont construit que huit
navires à vapeur dont deux seulement étaient équipés de machines motrices fabriquées à
Barcelone91.
***
36 Les demandes de machines et de produits métallurgiques des compagnies ferroviaires, de
navigation à vapeur et des industriels n’ont donc pas automatiquement provoqué le
73
développement d’entreprises prenant en charge, au niveau local, l’ensemble de ces
fabrications. Les raisons expliquant les échecs ou semi-échecs seront analysées plus loin.
Il faut ici simplement constater qu’il n’existe aucun déterminisme. La réunion de
plusieurs autres facteurs s’avère nécessaire. A Marseille, outre la demande, quatre autres
conditions doivent être réunies pour permettre l’émergence et l’enracinement d’un
secteur de la métallurgie et de la construction mécanique. Il faut d’abord trouver des
entrepreneurs locaux ou extérieurs prêts à prendre des initiatives dans cette branche.
Marseille peut aisément remplir cette condition. Les trois autres posent plus de
difficultés. Pour connaître une croissance, le secteur doit faire appel à l’extérieur aussi
bien pour le financement de grandes sociétés que pour l’obtention des marchés. Très vite,
les entrepreneurs devront raisonner sur des réseaux. Ensuite, Marseille doit importer une
technologie et parvenir à la maîtriser pour devenir autonome. Elle doit enfin s’assurer le
concours de l’État pour faciliter les initiatives au moyen d’actions indirectes
(autorisations d’installation, privilèges, législation douanière adaptée au secteur en
formation) ou d’interventions directes (cautionnement d’emprunts, prêts de capitaux à
des taux avantageux).
NOTES
1. LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 105-120.
2. ECM, t. III, p. 391-392.
3. Cf. GERSCHENKRON A., Economie Backwardness in Historical Perspective, Cambridge, 1962 et Rostow
W. W., Les Etapes de la croissance économique, Paris, 1963. Ces grilles d’analyse ont été et sont
fortement critiquées (cf. COCHET F., HENRY G. M., Les Révolutions industrielles. Processus historiques.
Développements économiques, Paris, 1995 ; LOUAT A., SERVAT J.-M., Histoire de l’industrie française
jusqu’en 1945 : une industrialisation sans révolution, Paris, 1995 et WORONOFF D., Histoire de l’industrie
en France du XVIe siècle à nos jours , Paris, 1994). Il ne s’agit pas de relancer le débat entre
gradualistes et partisans de la rupture. Nous avons simplement utilisé la grille de lecture la plus
propre à appréhender le développement industriel marseillais : « The more backward a country’s
economy, the more likely was its industrialization to start discontinously as a sudden great spurt
proceeding at a relatively high rate of growth of manufacturing output » ( GERSCHENKRON A., Economic
Backwardness…, op. cit., p. 353).
4. De 179 tonnes en 1821 à 150 en 1830 et 60 en 1848 (cf. ACM 22 F 3, et AN C 947).
5. ECM, t. III, p. 157.
6. Ibid., p. 218-219.
7. SF, p. 211.
8. DAUMALIN X., Marseille et l’ouest africain, l’outre-mer des industriels (1841-1956), Marseille, 1992, p.
38.
9. AN F 14 4233.
10. ECM, t. III, p. 303.
11. WORONOFF D., Histoire de l’industrie…, op. cit., p. 204.
12. MIN, t. II, p. 369.
13. RONCAYOLO M., L’imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 36.
74
14. EMP J 1847 (114).
15. Cette chronologie s’appuie sur la note de février 1847 remise à la chambre de commerce de
Marseille par Dupasquier, un courtier de commerce (ACCM MP 352).
16. Marseille importe 562 quintaux de houilles britanniques en 1831, 196 000 en 1837 et près de
400 000 en 1841. Le droit d’importation de ces houilles est relativement faible : 30 centimes les
100 kilos par navire français, 80 par bâtiments étrangers en 1837 (ibid. et ECM, t. III, p. 33-34).
17. Cf. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes et l’industrialisation internationale dans la première
moitié du XIXe siècle, Paris, 1964, p. 319.
18. SM, 24 juillet 1839.
19. SIM, 1847.
20. Cf. VON TUNZELMANN G. N., Steam Power and British Industrialization to 1860, Oxford, 1978.
21. Déclaration du Major Porro dans GABERT P., Turin, ville industrielle, Paris, 1964, p. 86.
22. CAIZZI B., L’economia lombarda…, op. cit., p. 161.
23. CASTRONOVO V., L’industria laniera in Piemonte nel secolo XIX, Turin, 1965, p. 251-252.
24. GABERT P., Turin…, op. cit., p. 86.
25. QUATTARET D., « Les premières fumées d’usines : 1880-1914 » dans VEINSTEIN G. (dir.), Salonique
(1850-1914) : le réveil des Balkans, Paris, 1992, p. 182-183.
26. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 86.
27. Ibid., p. 90.
28. Cf. annexe 1 in fine.
29. GILLE B., Les Sources statistiques de l’histoire de France, Paris, 1964, p. 174.
30. Cf., par exemple, le travail de régularisation mené par Sentis, ingénieur des Mines, pour les
usines métallurgiques des Bouches-du-Rhône à partir de 1858 (AN F 14 4313).
31. SIM, 1865. La crainte des explosions des appareils s’efface. Les progrès de la
thermodynamique ont permis la construction d’appareils plus sûrs.
32. Les chiffres énoncés pour les Bouches-du-Rhône concernent en fait la région marseillaise.
L’arrondissement d’Arles ne possède aucune machine à vapeur en 1843-1844 (cf. SF, p. 211).
33. GILLE B., Les Sources…, op. cit., p. 200-201.
34. Pour les Bouches-du-Rhône, l’enquête a été menée en 1843-1844 (ACM 22 F 5). Elle recense 80
machines à vapeur, mais il manque les appareils de plusieurs fonderies et ateliers de mécanique
(probablement quatre ou cinq appareils ; cf. ECM, t. III, p. 380-385 et ADBdR XIV M 12/179), celles
de quatre minoteries marseillaises (l’enquête n’en recense que deux) ainsi qu’une ou deux
machines d’épuisement pour des mines.
35. LANDES D. S., L’Europe technicienne ou le Prométhée libéré. Révolution technique et libre essor
industriel en Europe occidentale de 1750 à nos jours, Paris, 1975, p. 252.
36. AN F 14 4233.
37. GIR, p. 73.
38. Ibid., p. 70.
39. EDBdR, t. IX, p. 356.
40. GIR, p. 71.
41. SM, 19 et 21 mars 1835.
42. GUIRAL P., Marseille et l’Algérie, 1830-1841, Gap, 1956, p. 123.
43. Cf. BARAK M., « Intérêts régionaux, haute banque parisienne et pouvoir d’État », Revue
historique, 1974, p. 331-372.
44. GIR, p. 76.
45. Pour toutes ces compagnies, cf. Bois P., Armements marseillais. Compagnies de navigation à vapeur
(1831-1988), Marseille, 1988, p. 60-62
46. EDBdR, t. IX, p. 355.
47. SIM, 1841.
75
48. Ibid., 1846.
49. Ibid., 1846.
50. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 372.
51. Ibid.
52. MIN, t. II, p. 361.
53. ERNOUF BARON (D’), Paulin Talabot, Paris, 1886, p. 33.
54. GILLE B., La Banque et le crédit en France de 1815 à 1848, Paris, 1959, p. 207.
55. ERNOUF BARON (D’), Paulin Talabot…, op. cit., p. 35-36. Une première société, au capital de 6,5
millions de francs, a été formée en 1833. C’est dans la seconde, fondée en 1837 et au capital de 16
millions de francs, que l’on relève les noms de Jean Luce, de Marc Fraissinet et de Joseph Roux
(Roux de Fraissinet & cie à partir de 1837), correspondant de la maison Rothschild à Marseille.
56. Le Moniteur industriel, 22 juillet 1840 ; ERNOUF BARON (D’), Paulin Talabot…, op. cit., p. 45.
57. ADBdR 548 U 4.
58. GILLE B., Histoire de la maison Rothschild, t. I : Des origines à 1848, Genève, 1965, p. 267.
59. Ibid.
60. SIM, 1839-1846.
61. AN 77 AQ 44.
62. Ibid.
63. RONCAYOLO M., L’Imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 25.
64. ECM, t. III, p. 421.
65. AN F 14 3829.
66. GLEIZES A., « Notice sur les travaux exécutés pour la dérivation des eaux de la Durance
amenées à Marseille » dans Mémoire de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Toulouse, t.
III, 1847, p. 50.
67. Ibid., p. 57.
68. ECM, t. III, p. 382.
69. Cf. JASMIN C, « Le chemin de fer d’Avignon à Marseille, 1840-1852 : nouvelles questions »,
Marseille, n° 169, 1994, p. 22-31.
70. MASSON P., « Le Vieux-Port et le commerce de Marseille jusqu’en 1840 », dans Études sur
Marseille et la Provence…, op. cit., p. 65.
71. EMP, J 1842 (80).
72. ECM, t. III, p. 429.
73. EDBdR, t. IX, p. 737.
74. AN 77 AQ 44.
75. ADBdR, XIV M 12/179.
76. JASMIN C, « Le chemin de fer… », op. cit., p. 30.
77. En 1848, les entreprises du secteur du coton emploient les deux tiers des machines à vapeur.
Cf. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 298.
78. ILLAS Y VIDAL J., Memoria sobre losperjuicios que occasionaria en España… la adopción del sistema del
libre cambio, Barcelone, 1849, p. 50.
79. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 288.
80. On compte 35 minoteries et 10 moulins à huiles actionnés par la vapeur en 1875 (MANSOLAS A.,
Renseignements statistiques sur les établissements industriels à vapeur en Grèce, Athènes, 1876, p.
14-19).
81. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur la Grèce, op. cit., p. 101.
82. Sauf indication, cf. AGRIANTONI C., « Les débuts de l’industrialisation en Grèce (les années
1870-1880) », thèse de doctorat, Paris X, 1984, « Ville et industrialisation en Grèce au XIXe siècle :
l’industrialisation dans une seule ville », Villes en parallèle, 1986, n° 9.
83. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 291.
76
84. Reports from Her Majesty’s Consuls on the Manufactures, Commerce of their Consulatr Districts,
Londres, 1874, p. 1370.
85. Document communiqué par Mme Christine Agriantoni.
86. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 196.
87. Ibid., p. 194.
88. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 148.
89. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier… », op. cit., t. II, p. 349.
90. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit., p. 12.
91. NADAL J., MALUQUER DE MOTES J., SUDRIA C., CABANA F., Historia económica de la Catalunya
contemporània, segle XIX, Indústria, transports i finances, Barcelone, 1991, vol. III, p. 320.
77
Chapitre V. Les hommes
1 Au début des années 1970, les travaux de Paul Bairoch ont attiré l’attention sur le rôle
majeur des artisans dans la constitution des secteurs représentatifs de l’industrialisation
de la première moitié du XIXe siècle 1. Les apports de l’artisanat – réservoir humain,
technique et financier – ne sont certes pas l’unique facteur de formation des industries
« modernes ». Ils restent toutefois un facteur préalable déterminant surtout dans les
secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique. La transformation des artisans
et des ouvriers de la petite métallurgie en fondeurs et en mécaniciens modernes a été
mise en évidence par les études fondatrices de A. Musson et d’E. Robinson pour la région
de Manchester2 et de Maurice Daumas pour la France 3. Le phénomène est aujourd’hui
bien connu. La faiblesse des liens entre la technologie et la science, surtout dans le
premier tiers du XIXe siècle, et la nature relativement peu complexe des techniques
employées dans la métallurgie et l’industrie de la construction mécanique permettent à
un artisanat traditionnel d’opérer sa mutation sans trop de difficultés par la pratique et
l’adoption graduelle des procédés techniques modernes4. L’un des héritages les plus
marquants dont dispose Marseille dans le domaine métallurgique est un artisanat
nombreux, rompu au travail du fer et surtout des non-ferreux. La ville peut-elle exploiter
cette situation à l’instar du nord-ouest de l’Europe ? Devra-t-elle aussi faire appel à des
savoirs extérieurs pour des techniques qui deviennent de plus en plus perfectionnées ?
LES ENTREPRENEURS LOCAUX
2 Vers 1830, les artisans marseillais de la petite métallurgie, avec leurs effectifs, leur savoir-
faire et les capitaux dont ils peuvent disposer, forment un important vivier. Dans ce
groupe, les industries de la métallurgie et de la construction mécanique vont trouver des
dirigeants, des techniciens et une main-d’œuvre aux compétences techniques solides
pour assurer leur mutation. Le premier exemple est observé en Provence dès la fin des
années 1820. En 1829, l’arsenal de Toulon décide de créer dans son enceinte un atelier de
réparation pour ses appareils à vapeur. La plupart des futurs ouvriers mécaniciens sont
recrutés au sein même de l’arsenal dans les ateliers de la petite métallurgie (forgerons,
fondeurs, chaudronniers…)5. La ville de Marseille connaît également ce même processus
au cours des années 1830. Beaucoup d’artisans s’orientent alors vers les nouveaux
secteurs métallurgiques en formation.
78
Des hommes principalement issus de l’artisanat local
3 Il est difficile de savoir si ces hommes sont de purs locaux ou des français d’autres
régions, attirés à Marseille par les opportunités qui s’offrent à eux. L’intégralité des
carrières professionnelles et l’origine géographique des fondeurs et mécaniciens
marseillais de la monarchie de Juillet sont difficilement repérables. Quelques cas peuvent
toutefois être étudiés. Jean-Baptiste Gautier est né à Marseille en 1805, tout comme
Etienne Chambovet en 18116. Jean-Baptiste Falguière, en revanche, est originaire du Tarn7
. En fait, l’origine a peu d’importance. On peut considérer la majeure partie de ces
artisans comme autochtones. Lorsqu’ils créent des fonderies ou des entreprises de
mécanique, ces hommes ont déjà un long vécu professionnel phocéen. Les secteurs de
provenance des entrepreneurs des années 1830-1840 sont multiples, mais certaines
professions de l’artisanat métallurgique ont joué un rôle crucial. C’est le cas, par exemple,
de la chaudronnerie. En 1843-1844, tous les propriétaires d’ateliers spécialisés dans la
réparation et la construction de chaudières à vapeur dont l’origine est connue (Prosper
Azémar, Jean-Baptiste Gautier et Saint-Joannis8) sont d’anciens chaudronniers marseillais9. Les forgerons ont été parmi les premiers et les plus nombreux à se lancer dans les
nouveaux secteurs métallurgiques et mécaniques. Martiny père et fils, Jean-Baptiste
Falguière et François Denegon ont tous exercé cette profession. La fonderie artisanale est
également un réservoir important puisqu’elle est la branche d’activité d’origine de
Barthélémy, de Pierre-Joseph Baudoin, d’Antoine Ferreol et des frères Puy, tous
fondateurs d’établissements durant la monarchie de Juillet. À des degrés divers, tous les
métiers de la petite métallurgie ont été concernés. Etienne Chambovet était serrurier
avant de se lancer dans la construction mécanique10, Capel a débuté comme tourneur sur
métaux. Les exemples de ce type peuvent être multipliés.
4 L’artisanat de la métallurgie a donc donné l’essentiel des dirigeants de fonderies et
d’ateliers de mécanique de la période, mais d’autres secteurs de l’économie marseillaise
ont fourni plus exceptionnellement quelques entrepreneurs et non des moindres.
Barthélémy Granier était déjà en rapport avec les métaux, mais d’une manière indirecte
puisqu’il exerçait la profession de marchand de fer avant de devenir industriel de la
métallurgie. Jean Briqueler, futur propriétaire de fonderies à Septèmes-les-Vallons,
exerce la profession de négociant au début des années 1840. Georges Danré était, lui,
directeur des usines à gaz de la Compagnie du Midi dans les années 1830 avant de se
lancer dans la production des fers. Le dernier cas est très certainement le plus
exceptionnel. Louis Benet n’est, au tout début des années 1840, qu’un petit industriel du
textile à La Ciotat11. Il n’a aucune compétence métallurgique. Il sera pourtant un des plus
grands entrepreneurs de la période. Homme remarquablement entreprenant et
clairvoyant, il palliera ses lacunes techniques en prenant soin de s’entourer de personnes
compétentes.
Un milieu d’autodidactes
5 Parmi les entrepreneurs issus des milieux locaux, pratiquement aucun n’a suivi de
formation technique théorique. La seule exception est celle de Pons Peyruc puisque cet
industriel a été formé à l’École centrale des arts et manufactures avant d’installer sa
première usine à La Seyne-sur-Mer12. Il faut toutefois souligner l’origine artisanale de sa
79
famille (chaudronnier du Cantal) qui a peut-être influencé le choix de ses activités. Avec
une décennie de décalage, le cas marseillais se calque donc sur le mouvement général
français décrit par Maurice Daumas dans les années 197013.
6 Les modalités et les étapes de la transformation de ces artisans locaux en fondeurs et
mécaniciens restent obscures. Elles s’insèrent toutefois dans un cadre bien connu. Pour le
secteur de la fonderie de deuxième fusion, les techniques relatives à la fonte des métaux
ne posent guère de difficultés. Les divers types de connaissances nécessaires à la pratique
de ces opérations sont déjà en grandes parties maîtrisés par l’artisanat de la petite
métallurgie. Les modifications peuvent donc se faire graduellement en s’appuyant sur les
acquis du passé. Les techniques du moulage de pièces de métaux sont plus délicates à
acquérir, mais offrent l’avantage de n’exiger aucune compétence scientifique particulière.
Pour la mécanique, le problème est radicalement différent, car les caractéristiques
techniques de la vapeur sont totalement ignorées de l’artisanat de l’Ancien Régime. Elles
nécessitent une adaptation totale et complexe. Les artisans marseillais suivent cependant
un mouvement lancé depuis un demi-siècle. La technique voyageant avec les hommes, la
possibilité d’acquérir des connaissances au moyen d’apports externes est une solution
efficace pour résoudre ce problème. Les entreprises doivent passer par un processus
classique dont le déroulement s’articule autour de trois phases. Dans un premier temps,
les activités se bornent à des travaux de réparation qui permettent de saisir le
fonctionnement global des appareils. Les copies suivent et débouchent enfin sur des
constructions pensées par les producteurs.
7 Dès la fin de la Restauration, il paraît certain que plusieurs artisans marseillais ont
travaillé sur des appareils à vapeur avant de fonder leurs entreprises. Les industriels
locaux qui possédaient machines et chaudières ne pouvaient attendre de leurs
fournisseurs parisiens ou britanniques les pièces de rechange trop longtemps sans mettre
en danger le rythme de leur production. Ils se sont donc sûrement adressés aux
chaudronniers, fondeurs et forgerons locaux pour effectuer les travaux d’entretien,
réparer ou changer les pièces défectueuses dans des délais plus rapides. La carrière
professionnelle de Jean-Baptiste Falguière en offre un bon exemple. Dans les années 1820,
l’ancien forgeron a été recruté comme contremaître dans le moulin à vapeur d’Emmanuel
Marliani14. Il a donc pu observer avec attention les mécanismes d’une machine à vapeur et
pratiquer certains travaux d’entretien et de réparations avant d’ouvrir son atelier de
mécanique en 1831. Hippolyte de Villeneuve l’a présenté comme un autodidacte
remarquable, capable de fabriquer ses outils et sa première machine sans aucun modèle
de référence sous les yeux15. Brillant, Falguière l’était très certainement. Villeneuve a
toutefois forcé le trait puisque ses activités professionnelles lui ont déjà permis
d’observer des modèles. De plus, il semble impossible qu’il ait pu lui-même fabriquer en
totalité ses outils. Les machines d’alésage pour la réalisation des cylindres, par exemple,
sont d’une trop grande complexité pour un artisan qui commence à se lancer dans ce type
de fabrication. Au début des années 1830, la technologie de fabrication des machines-
outils n’est maîtrisée que par des techniciens britanniques et une poignée de
constructeurs français chevronnés. Jean-Baptiste Falguière possède en outre, dès le début
des années 1830, des appareils à vapeur pour le fonctionnement de ses ateliers
commandés à l’industrie mécanique parisienne16.
80
Une situation originale dans le cadre sud-européen
8 Le cas de démarrage de l’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction
mécanique n’est ni neuf ni différent de ceux de nombreuses régions françaises ou
britanniques. En revanche, il présente un visage original dans l’espace nord-
méditerranéen. Dans ce cadre géographique, les régions qui se sont appuyées en grande
partie sur des entrepreneurs d’origine locale ou nationale et sur d’anciens artisans sont
peu nombreuses. Dans les divers États italiens, en Espagne et en Grèce, même si quelques
carrières professionnelles peuvent faire penser aux trajectoires des artisans marseillais17,
les entrepreneurs étrangers jouent un rôle prépondérant au cours de la phase initiale de
développement. La seule ville à offrir une situation identique à celle de Marseille est
Barcelone. Dans les années 1830-1840, le patronat de l’industrie métallurgique et
mécanique de la cité catalane, alors dans sa première phase de croissance, est composé en
presque totalité de personnages locaux. A la différence du cas marseillais, les hommes les
plus importants ne proviennent pas du milieu artisanal mais d’un secteur industriel bien
précis, le coton. À l’origine des entreprises de mécanique ou des fonderies (La Barcelonesa,
El Nuevo Vulcano, La Maquinista Terrestre y Maritima…) se retrouvent les grands noms d’une
l’industrie cotonnière alors en pleine expansion (Valentí Esparó, Lluis Perrenod, Salvador
Bonaplata y Corriol, Nicolas Tous y Soler, Joan Güell…)18. À Barcelone, « la preocupación de
los algodoneros, pioneros de la mecanizaciôn, por las construcciones mecánicas es obsesiva19 ».
LES OUVRIERS QUALIFIÉS ET LEUR FORMATION
9 Les milieux économiques marseillais ont pu fournir une classe d’entrepreneurs capable de
relever le défi constitué par l’installation d’une industrie métallurgique et mécanique
moderne. Cependant, un obstacle est rapidement apparu : les ouvriers manquent. Les
fonderies et les ateliers de mécanique installés dans une région à vocation métallurgique
récente connaissent des difficultés pour se constituer une main-d’œuvre de qualité
suffisante. Dans les années 1830, l’industrie marseillaise ne peut trouver dans sa propre
région les salariés dont elle a besoin. La situation est logique. La formation de base
d’ouvrier qualifié s’effectue par un apprentissage de longue durée comportant un
enseignement théorique et, surtout, une pratique en atelier.
Un enseignement technique longtemps inexistant
10 L’enseignement technique dans les Bouches-du-Rhône est presque inexistant sous la
Restauration et sous la monarchie de Juillet. Cette situation provoque l’inquiétude de
nombreuses personnalités et n’échappe pas à Jules Julliany : « Il est essentiel […] de
donner un vaste et sérieux développement à l’enseignement professionnel non seulement
pour les classes ouvrières mais encore pour les enfants de la bourgeoisie20. » Outre
l’enseignement professionnel, l’implantation dans la ville d’un lieu de culture technique
ainsi que des manifestations régulières pour encourager le développement industriel de
la région sont fortement demandées. La constitution, sur le modèle parisien, d’un
conservatoire des arts et métiers où seraient exposés des modèles de machines et
mécaniques est réclamée, tout comme l’établissement d’une exposition périodique des
produits de l’industrie21. L’ingénieur des Mines Chambovet veut développer dans la masse
81
des ouvriers et des artisans la lecture des ouvrages classiques portant sur la mécanique et
lutte contre des blocages particulièrement absurdes : « Si nos municipaux avaient le bon
esprit d’ouvrir la bibliothèque les jours fériés et le dimanche, vous iriez y consulter les
excellents traités de Trégold, de Poncelet, de Bélidor, de Christian de Borgnis, l’histoire de
la vapeur par Montgeny, le grand ouvrage d’Arago sur les machines…22 ». La plupart de
ces idées ne seront pas suivies de réalisation. Seules les expositions verront le jour, mais
sous le second Empire. À Marseille, le seul projet d’envergure dans lequel s’engagent les
milieux d’affaires et industriels est celui de la création d’une école des arts et métiers
dans les Bouches-du-Rhône.
La création de l’école des arts et métiers d’Aix-en-Provence
11 L’État et tous les acteurs de la vie économique et politique du département trouvent leurs
intérêts dans cette création. Aix-en-Provence, localité prévue pour installer l’école,
espère redorer un blason terni par la perte de ses fonctions politiques de la période
d’Ancien Régime. L’État crée un centre de formation d’une grande utilité pour son arsenal
de Toulon. Les entrepreneurs de la région auront près d’eux un réservoir de qualité,
susceptible de leur fournir contremaîtres et ouvriers qualifiés.
12 Au début des années 1840, les collectivités locales et la chambre de commerce de
Marseille promettent de dégager des fonds importants. Les conseils généraux des
Bouches-du-Rhône et du Var, les conseils municipaux de Marseille et d’Aix-en-Provence
et la chambre de commerce se sont engagés à fournir les 250 000 francs nécessaires à
l’installation de l’école23. Le gouvernement est sensible à un effort qui le dispense des frais
d’installation. Avec l’appui d’Adolphe Thiers, la coalition obtient, contre la ville de Nîmes
et surtout celle de Toulouse, la préférence des députés et celle de la chambre des pairs. La
ville d’Aix-en-Provence a fourni le local, dont la valeur est de plus de 50 0000 francs24. Les
entreprises métallurgiques marseillaises prêtent elles aussi leur concours en acceptant les
élèves de l’école dans leurs ateliers pour les initier à la pratique25. Le chantier de La
Ciotat, plus grande société de la région, offre ses services sans restrictions. Il est disposé à
accueillir, avec la Marine de l’État, les élèves durant l’ensemble de leur seconde année26.
13 On ne sait comment les entreprises ont véritablement collaboré avec l’école. Une seule
certitude : les répercussions de cette création sur la formation d’une main-d’œuvre
qualifiée sont faibles pour la période de la monarchie de Juillet. Il faudra plusieurs années
pour que les premiers effets bénéfiques puissent jouer en faveur des entreprises et de la
marine. Pour son établissement et son développement, l’industrie métallurgique et
mécanique marseillaise a dû s’appuyer sur d’autres forces.
L’appel à des forces externes
14 Dès les années 1835-1846, avec la croissance du nombre des fonderies de deuxième fusion
et des ateliers de mécanique, les besoins en main-d’œuvre et en contremaîtres se font de
plus en plus pressants. Pour la seule ville de Marseille, on ne compte que 170 ouvriers
mécaniciens ou fondeurs en 183827. Quatre années plus tard, les effectifs ont pris une
dimension considérable. Près de 500 salariés travaillent dans les fonderies de deuxième
fusion, 700 dans les ateliers de mécanique28. En 1846, les ateliers de Louis Benet, situés à
Marseille, à La Ciotat et à La Seyne, rassemblent 1 000 ouvriers à eux seuls. Les
entrepreneurs marseillais font très tôt le constat du manque d’une main-d’œuvre à
82
niveau de qualification suffisant. « Nos ateliers sont naissants et nos ouvriers peu habiles
encore29 », écrit Louis Benet en 1837. Les entreprises marseillaises sont obligées de
chercher dans diverses régions françaises les ouvriers qui font défaut. Pour ses ateliers,
Louis Benet fait d’abord appel aux frères Schneider, qui comptent parmi les soutiens
financiers de sa société, afin d’obtenir de bons mouleurs. Les établissements du Creusot
ne peuvent lui fournir les hommes demandés :
« Ce serait avec le plus grand plaisir que nous vous adresserions deux mouleurs dechoix si nous en avions seulement quelques uns sur lesquels on puisse compter maismalheureusement nous n’en sommes pas là […] C’est essentiellement à Paris qu’il ya une pépinière de bons mouleurs30. »
15 Sur cette indication des frères Schneider, les salariés des fonderies de Louis Benet sont
recrutés dans des établissements de Rouen ou de Paris31. Ce recours aux ouvriers du nord
de la France se poursuit jusqu’à la fin du règne de Louis-Philippe. En 1846, le personnel
qualifié de la métallurgie est particulièrement atypique dans le monde ouvrier
marseillais. Ces hommes ont le plus haut taux d’alphabétisation (86 % d’entre eux savent
lire et écrire). Ils offrent, en revanche, avec un chiffre de 37 %, le plus faible taux de
naissance marseillaise32.
16 L’absence de l’enseignement technique dans les Bouches-du-Rhône, tardivement
compensée par l’ouverture de l’école des arts et métiers d’Aix et le recours au
recrutement d’ouvriers français ne signifient pourtant pas que l’industrie métallurgique
et mécanique marseillaise n’a pas su trouver de solutions pour combler ses lacunes en
matière technique et humaine. Plusieurs documents montrent au contraire que la main-
d’œuvre locale a réalisé d’énormes progrès. Dès 1839, Philip Taylor, propriétaire du plus
important atelier marseillais de construction mécanique, peut écrire :
« Pour assurer le succès de la navigation à vapeur, des ateliers de constructionsmécaniques et des ouvriers habiles dans cette partie sont des objets de toutenécessité et c’est avec un vif plaisir que nous voyons la réussite complète de leurformation à Marseille. L’expérience nous prouve que les constructions les plusdifficiles en mécanique peuvent être parfaitement exécutées par les gens du payss’ils sont bien dirigés33. »
17 La formation des ouvriers au sein des ateliers s’est opérée d’une manière assez rapide.
Preuve de cette réussite, les mécaniciens locaux formés par Philip Taylor sont recrutés à
prix d’or par les entreprises sud-européennes34. Ce succès, l’industrie marseillaise le doit
à plusieurs dizaines d’hommes qui ont franchi la Manche et traversé la France pour
s’établir, temporairement ou définitivement, en Provence. Les contremaîtres et
techniciens britanniques, présents en nombre important dans les entreprises
marseillaises, ont encadré la main-d’œuvre locale. Au cœur des ateliers, ils ont contribué
à opérer le transfert de la technologie britannique. Le cas marseillais n’est en rien
original. Les divers centres industriels nord-méditerranéens ont été confrontés au même
type de problèmes et ont élaboré des solutions similaires. Deux différences notables
apparaissent toutefois. Les contingents de techniciens britanniques n’ont pas été de la
même importance et, dès l’apparition du secteur de la métallurgie et de la construction
mécanique en Italie et en Grèce, la formation au sein des ateliers revêt une forme
institutionnelle.
83
Les initiatives menées dans le sud de l’Europe
18 Dans les royaumes italiens, l’État intervient directement pour faciliter la création de
centres d’apprentissage technique. Au début des années 1840, une école de mécanique est
fondée dans les ateliers de Pietrarsa, situés près de Naples, pour former les mécaniciens
du royaume des Deux-Siciles35. La formation s’est avérée efficace. En 1848, la marine
napolitaine n’utilise que des mécaniciens de bord autochtones36. Une initiative similaire
est menée dans le royaume de Piémont-Sardaigne, durant la même période, à Gênes. En
novembre 1846, l’État sarde a autorisé la création, à l’instigation de la chambre de
commerce, d’une école professionnelle technique du soir pour les adultes37. La même
année, son gouvernement a directement financé, toujours à Gênes, la constitution d’Il
Meccanico afin que cette entreprise puisse initier les jeunes locaux à la mécanique marine
et ferroviaire38. Un contrat a été passé avec les deux dirigeants de l’établissement,
Fortunato Prandi et Philip Taylor39. Les ouvriers des ateliers doivent être aux trois quarts
des autochtones et l’entreprise s’engage, chaque année, à former une vingtaine d’élèves
directement sélectionnés et envoyés par le gouvernement. L’enjeu est alors important. Le
gouvernement doit faciliter le remplacement des Britanniques, qui forment l’essentiel de
l’encadrement mécanique de la marine royale40. En 1853, l’État sarde continue son action
en fondant à Busalla, sur la ligne de chemin de fer Gênes-Alexandrie, une école chargée
de former chauffeurs et mécaniciens41.
19 La Grèce manifeste également le souci de créer un enseignement technique performant
dès les débuts de son industrialisation. La charge en revient aux entreprises privées. Dans
les années 1860, la Société hellénique de navigation à Vapeur, implantée au cœur des
Cyclades à Hermoupolis (île de Syros), prend chaque année une vingtaine d’apprentis en
formation42. Ces hommes passent des concours et reçoivent un brevet. Leur formation
n’est pas gratuite car les mécaniciens formés sont rares et donc précieux. Ils signent un
contrat les obligeant à rester au moins cinq années dans l’entreprise après l’obtention de
leur diplôme43. Enfin, des initiatives ont également été menées en Espagne. L’État, par le
décret du 22 mai 1850, a fondé une académie d’enseignement pour les ingénieurs-
mécaniciens et les mécaniciens au sein de l’arsenal du Ferrol afin de procéder à une
substitution progressive des Britanniques par des autochtones44. En Catalogne, les actions
se sont en revanche inscrites dans la durée et le succès. Le mouvement est, cette fois, pris
en charge par les institutions locales. En 1814, l’Escuela de Maquinaria est créée dans la
capitale catalane par la chambre de commerce45. De 1826 à 1840, sous l’impulsion de José
et Luis Hubert, elle poursuit ses activités de manière intense et donnera des hommes de la
valeur de Nicolas Tous y Mirapeix, futur directeur de la Barcelonesa et de la Maquinista
Terrestre y Maritima46. Dans les années 1840, des cours de pratique industrielle sont donnés
par des techniciens étrangers attirés à Barcelone « a peso de oro »47. Ce recours à des
étrangers se retrouve dans le cas marseillais.
LES INGÉNIEURS BRITANNIQUES
20 Dans le processus de formation d’une main-d’œuvre locale, le rôle des techniciens
britanniques a été primordial. Au cours du premier tiers du XIXe siècle, les techniciens
étrangers implantés en Méditerranée sont encore peu nombreux et n’exercent que
rarement leurs activités dans les secteurs de la métallurgie et de la construction
84
mécanique. Leur présence ne s’affirme qu’avec les débuts du développement industriel
des régions nord-méditerranéennes, à partir du milieu des années 1830. De Séville à
Salonique, les techniciens anglais et écossais apparaissent alors et participent activement
aux phases de démarrage des industries métallurgiques et mécaniques. Les premiers cas
sont andalous et napolitains. La dernière vague d’arrivée, de la fin des années 1850 aux
années 1870, sera grecque48. Sur l’ensemble de la période, tous les grands foyers
d’industrialisation du sud de l’Europe ont vu l’installation d’ingénieurs et de
contremaîtres britanniques spécialisés dans la mécanique et la métallurgie : les frères
Westermann, Philip Taylor et Thomas Robertson à Gênes et dans sa région ; John Smith,
Thomas Guppy et John Pattison dans la région napolitaine ; les trois frères Alexander,
Joseph White et Kent à Barcelone ; Bartle et Morris à Valence ; Thomas Williams, Charles
Murphy, Thomas Vickers et White en Andalousie ; Smith à Hermoupolis et John Mac
Dowall au Pirée. Au cours de leur carrière, quelques techniciens ont travaillé
successivement ou en même temps dans plusieurs régions. C’est le cas de Philip Taylor (à
Marseille et à Gênes), de Joseph White (à Barcelone et à Séville) et peut-être des frères
Alexander (à Barcelone et à Valence). Quantitativement et qualitativement, le
mouvement est d’une importance considérable. De toutes les villes concernées, Marseille
a très certainement utilisé le plus grand nombre de techniciens britanniques. Les
documents manquent pour dresser la biographie de tous les ingénieurs anglais installés
en Provence entre 1830 et 1846. En revanche, les renseignements abondent pour deux
d’entre eux (Philip Taylor et John Barnes) et d’autres permettent de présenter quelques-
uns de leurs compatriotes.
Leur carrière en Grande-Bretagne
21 Philip Taylor a un parcours des plus surprenants. Rien ne le prédispose à travailler dans
la métallurgie. Né à Norwich en 1786, il y travaille comme pharmacien après avoir fait ses
études de médecine. Ce n’est qu’à l’âge de 29 ans qu’il décide de réorienter sa vie. Peu
passionné par sa profession médicale, il déménage et rejoint son frère John, ingénieur des
Mines et propriétaire d’une fabrique de produits chimiques à Stratford, près de Londres.
C’est dans cet établissement qu’il acquiert ses compétences techniques ainsi qu’une
grande curiosité pour tout ce qui touche aux sciences et à l’industrie. Cette ouverture
d’esprit naît des relations entretenues avec d’éminents personnages issus de milieux
divers. A Londres, grâce à ses relations familiales et à la notoriété qu’il commence à
acquérir, Philip Taylor fréquente aussi bien les grands inventeurs de l’époque (John
Macadam, Henry Maudslay, Marc et Isambard Brunei, George Stephenson…) que les
milieux intellectuels (David Ricardo, Jean-Baptiste Say, Louis-Joseph Gay-Lussac, François
Arago, Wilhem Humbolt). Rapidement, il se lance dans la recherche scientifique et
technique et dépose une multitude de brevets. Son attention se porte sur des domaines
aussi variés que la fabrication du gaz d’éclairage, la fabrication du fer par le procédé hot
blast (récupération du gaz des gueulards du four pour réchauffer l’air comburant), la force
de la vapeur et son application à haute pression dans les processus d’évaporation,
l’invention d’une chaudière spécifique au raffinage du sucre et, surtout, la mise au point
d’une machine à vapeur horizontale qui fait de lui le précurseur en la matière. Il en
dépose le brevet à Londres en 1824. « Par un simple changement de position du cylindre,
ce système a presque fait une révolution dans l’emploi des moteurs à vapeur49. » La
machine à vapeur horizontale offre les avantages de la simplicité et de la solidité, mais
l’usage de ce type d’appareil ne s’impose réellement qu’à la fin des années 1830 avec le
85
développement des locomotives. L’Exposition de Paris de 1855 lui rendra hommage pour
cette innovation50. En 1821, il travaille avec Brunei et devient un des directeurs de la
Thames Tunnel Company. Quatre ans plus tard, l’inventeur devient entrepreneur. Avec John
Martineau, Philip Taylor fonde un atelier de construction d’appareils à vapeur. Il livre ses
premières machines à des manufactures londoniennes ainsi que des chaudières et des
appareils de navigation à Marc Seguin, qui travaille depuis peu pour une compagnie de
navigation à vapeur sur le Rhône51. La même année, il entre en relation avec la British Iron
Company, avec laquelle il entame une étroite collaboration.
22 L’itinéraire de John Barnes est beaucoup plus classique. Né à Newcastle en 1798, il a
grandi dans les milieux de la minéro-métallurgie. Depuis cinq générations, la famille
Barnes donne des experts en charbon d’une qualité reconnue dans le nord de
l’Angleterre. Son père, Thomas Barnes, a entretenu une importante correspondance avec
Matthew Boulton et James Watt sur les possibilités offertes par la vapeur. John Barnes est
d’ailleurs le filleul de Watt. Agé de quinze ans, il fait son apprentissage dans les célèbres
ateliers de Soho. En 1815, il part pour l’Université d’Édimbourg avec des lettres
d’introduction fournies par son parrain. En Écosse, grâce aux orientations scientifiques de
son université fortement représentative de cette société néo-calviniste à haut degré
d’alphabétisation, il se bâtit une solide formation scientifique. Sa carrière professionnelle
commence réellement au début des années 1820. Après avoir refusé un poste d’ingénieur
au Mexique, il trouve les capitaux pour fonder en 1822, avec Joseph Miller, une entreprise
de construction d’appareils pour la navigation. Barnes et Miller font partie des
précurseurs dans la construction de machines marines en Angleterre. Leur réputation
grandit rapidement : « Ils utilisent la vapeur avec détente, usage encore peu répandu dans
les applications marines. C’est à ce principe, combiné avec une amélioration des
proportions des appareils et de la qualité de l’usinage, que doit être attribué le succès que
la maison obtint en Angleterre et sur le continent, plus spécialement en France52. » Les
deux associés se séparent en 1835. John Barnes s’établit à Londres. Il y reçoit les
commandes de Normand, un industriel français propriétaire d’un chantier de
construction navale au Havre. L’ingénieur anglais conçoit les plans des machines et les
fait construire dans l’établissement des Horseley Iron Works, près de Birmingham. Les
machines construites par John Barnes à Londres puis à Birmingham actionnaient un
système perfectionné de roues à pales articulées. Entre 1841 et 1843, Barnes, associé à
Normand, offre à Frédéric Sauvage les moyens matériels pour la mise au point de son
procédé d’hélice propulsive. Par son rôle joué dans les deux grands moyens de propulsion
marine qui coexistent dans les années 1840, John Barnes est un des plus remarquables
ingénieurs dans la construction d’appareils pour la navigation.
23 Les deux derniers techniciens dont on peut cerner la carrière dans leur pays d’origine
sont Charles Hamond et Peter Walker. Charles Hamond a collaboré aux premiers pas de la
navigation à vapeur en Angleterre. Il a travaillé à la construction de navires pour la Royal
Navy dans les ateliers d’Henry Bell et a directement participé à la construction du
Ferdinando I, premier bateau à vapeur à naviguer en Méditerranée Ses compétences ne se
bornent pas à l’élaboration de machines marines. L’appareil qu’il construit et installe
dans les mines du Vigan, dans le Gard, force l’admiration des ingénieurs français. D’une
puissance de 80 chevaux, cette machine peut fonctionner à simple ou à double effet et
permet ainsi de réaliser une grande économie de combustible. La Direction des Mines
tient à la présenter dans ses Annales. Le Mémorial encyclopédique dépeint Charles Hamond
comme un homme « qui joint à toutes les connaissances théoriques et pratiques d’un
86
fabricant expérimenté, celles du constructeur naval et de l’ingénieur civil53. » Peter
Walker, lui, est spécialisé dans la construction des machines locomotives. Ingénieur dans
les ateliers de Robert Stephenson, il a travaillé à l’équipement de la ligne Liverpool-
Manchester au début des années 1830. Pour les autres ingénieurs anglais qui vont
s’installer dans la région (John et James Jeffery, les frères Evans, le gendre et les trois fils
de Philip Taylor, John Riddings, Hume, Unsworth, West, un second Walker et F. Kenny…),
nous n’avons trouvé aucun document français se rapportant à leur vie en Grande-
Bretagne. Tous sont arrivés avec ou dans le sillage de John Barnes et Philip Taylor. Ils
travaillent avec ou pour eux. Ils se révéleront capables de former les ouvriers
provençaux, de diriger des ateliers, de fonder des entreprises. La confiance que les deux
grands ingénieurs leur accordent est le signe de leurs qualités et compétences.
Les raisons d’une présence
24 La motivation des techniciens anglais qui acceptent de s’expatrier est simple : ils veulent
faire fortune. Les hauts salaires versés par les entrepreneurs de régions qui cherchent à
se moderniser et la création de marchés dans des zones pauvres en fonderies ou en
établissements mécaniques offrent de grandes possibilités. Marseille n’est pas une
exception dans le sud de l’Europe. En dirigeant des ateliers ou en créant des entreprises
sur les rives du nord de la Méditerranée, les Britanniques peuvent gagner des sommes
parfois considérables. Quand, au début des années 1840, Manuel Agustin Heredia essaie de
recruter en Angleterre un ouvrier spécialisé dans le moulage des pièces de métaux pour
sa fonderie d’Andalousie, il tient à préciser que le technicien sera traité avec la meilleure
des considérations54. Le terme a ici une double signification : l’une, financière, l’autre
honorifique. Outre l’argent, les Britanniques sont également attirés par la possibilité
d’acquérir un prestige, une reconnaissance bien plus importante que chez eux, où ils se
trouvent noyés dans la masse des techniciens de leur rang. Pour l’application de son
procédé hot blast dans les fonderies piémontaises et pour son aide dans la fondation, au
cours des années 1840, d’une grande entreprise de construction mécanique à Gênes,
Philip Taylor est nommé membre de l’ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare par le roi de
Piémont-Sardaigne. En France, John Barnes reçoit la croix de la Légion d’honneur pour
l’exécution d’un navire de navigation mixte, le Carlemagne. Taylor obtient à titre
posthume la même distinction pour l’ensemble de son action en Provence.
25 Pour parvenir à leurs fins, ces ingénieurs britanniques doivent trouver une zone d’avenir
à la dimension de leurs ambitions. S’ils se présentent sur les côtes provençales à partir de
1830, c’est avant tout parce que Marseille est devenue une ville particulièrement
attractive par la croissance conjuguée de son industrie et de son commerce. Leur faible
présence sous la Restauration n’est que le reflet de transformations économiques encore
trop timides. Si les changements commencent à produire leurs effets entre 1830 et 1835,
la situation marseillaise n’offre pas encore toutes les garanties de réussite. Charles
Hamond quitte la Provence dès sa première désillusion. Son départ est provoqué par
l’avortement du projet de constitution de la Compagnie marseillaise de la Méditerranée
pour la navigation à vapeur. Louis Benet devait fournir les bâtiments de la flotte, Charles
Hamond était chargé de la construction des machines à vapeur. L’État avait refusé
d’accorder à la compagnie la subvention postale de 1 500 000 francs.
26 À partir de 1835, la situation devient plus favorable. Le mouvement d’industrialisation
marseillais est lancé. L’existence des marchés régionaux stimulent la création
87
d’entreprises métallurgiques et mécaniques. Les entrepreneurs marseillais ont très
rapidement essayé d’attirer des ingénieurs britanniques. Comme partout en France, la
fascination à l’égard de l’Angleterre est totale. En 1828, un abonné du Sémaphore de
Marseille voit dans la Grande-Bretagne la nation qui est « parvenue à rendre son sol
fertile, à posséder toutes les industries, à faire tous les commerces, à couvrir les mers de
ses vaisseaux, à rendre les nations ses tributaires… à devenir enfin la plus grande, la plus
forte, la plus riche et la première de toutes les nations55. » Marseille aspire à devenir le
« Liverpool français56 ». Dans ce contexte, l’ingénieur anglais jouit d’une réputation sans
égale.
Le mécanisme des arrivées
27 Les mécanismes d’arrivée sont difficilement explicables. Les documents manquent trop
souvent. Les divers cas observés en Italie, en Espagne et à Marseille relèvent de deux
logiques parallèles. Certaines installations s’inscrivent dans une logique d’appel
économique. John Pattison est envoyé à Naples par son patron, Robert Stephenson,
chargé au début des années 1840 de l’équipement des lignes ferroviaires de la région. Les
frères Alexander sont installés à Paris comme constructeurs-mécaniciens dans les années
1840. Une grande partie de leur production (29 machines à vapeur) est exportée vers la
Catalogne57. Leur implantation à Barcelone, en 1849, n’est donc que le fruit d’une logique
de marchés, de liens qui se resserrent avec leur clientèle. La seconde grande cause de
départ est liée aux échecs que connaissent certains ingénieurs en Grande-Bretagne.
Thomas Guppy quitte Bristol pour Naples en décembre 1849 à la suite d’un conflit
financier et des conséquences morales qu’il a entraînées.
28 Pour ces hommes, un départ de Grande-Bretagne ne signifie pas automatiquement une
arrivée en Méditerranée. Des contacts et des liens entre le nord et le sud de l’Europe
étaient nécessaires pour favoriser l’installation de ces techniciens. Plusieurs facteurs vont
contribuer à favoriser le transfert de ces ingénieurs. L’un des plus efficaces est l’existence
d’industriels italiens et espagnols d’origine anglaise comme Guglielmo Robinson à Naples
ou Juan Wetherell à Séville58. En raison de leurs attaches avec l’Angleterre, ils ont eu la
possibilité de promouvoir l’intérêt d’une installation en Méditerranée, mais l’impact de
leur action est mal connu et reste difficile à mesurer. Les relations qui s’établissent lors
des exportations de machines britanniques paraissent jouer un rôle essentiel. En premier
lieu, ce facteur explique la présence importante et relativement précoce d’ouvriers
qualifiés anglais qui se sont laissé « acheter » lors de l’installation de machines vendues
par les constructeurs britanniques aux entreprises méditerranéennes. Le phénomène
avait atteint une telle importance que les sociétés anglaises majoraient leurs prix de
vente de 5 à 20 % afin de compenser la perte d’hommes qu’elles avaient formés59. Là
encore, le phénomène reste délicat à appréhender. Une certitude néanmoins : si certains
constructeurs anglais perdent des ouvriers lors de ces ventes, d’autres, en revanche,
raffermissent leurs liens avec les entrepreneurs méditerranéens. Des réseaux se créent et
facilitent le transfert des ingénieurs britanniques vers le sud de l’Europe. Un bel exemple
nous est fourni par les rapports entre Manuel Agustin Heredia et Benjamin Hick,
mécanicien anglais de Bolton. Celui-ci vend des machines et de la technologie à Manuel
Agustin Heredia, qui a besoin d’hommes compétents pour la bonne marche de ses usines.
Il ne peut les trouver que dans le nord de l’Europe. Benjamin Hick fait parfois les
88
recherches pour son client et lui envoie notamment un mouleur au début des années 184060.
29 Seulement deux cas d’arrivée à Marseille sont relativement bien fournis en documents.
Les itinéraires de Philip Taylor et de John Barnes s’insèrent dans un des modèles que nous
venons de décrire : celui de l’échec. La différence entre les deux arrivées est que John
Barnes quitte l’Angleterre directement pour la région marseillaise. L’itinéraire
géographique de Philip Taylor est plus complexe, parsemé d’étapes. Impliqué dans la
ruine de la British Iron Company, il a quitté l’Angleterre et se rend à Paris au milieu des
années 1820. II fait breveter son procédé hot blast en France, mais la validité lui en est
contestée par Nielson et Mac Intosh. Elle ne sera établie qu’en 1832, après la date
d’expiration du brevet. En 1825, il crée avec John Martineau une entreprise de
construction de machines horizontales près de Paris. Ils en fabriquent quelques modèles,
mais le marché est relativement limité. Son intégration dans les milieux industriels
parisiens semble s’effectuer rapidement. En tant que constructeur de machines, Philip
Taylor participe aux travaux de la Commission libre chargée d’examiner les problèmes de
tarifs douaniers de l’industrie française du coton en 1829. Il collabore avec diverses
revues dans lesquelles il rédige quelques articles à la fin des années 1820 (notamment
pour L’Industriel et le Bulletin de la société d’encouragement). Au début des années 1830, ses
affaires sont toutes vouées à l’échec. À Paris, Philip Taylor est en panne d’avenir. Il
collabore durant quelques mois de l’année 1832 à l’installation de son procédé hot blast
dans le processus de la production de fonte dans les hauts fourneaux de La Voulte,
détenus par Louis Frèrejean61. L’opération est un franc succès puisque la consommation
de coke est diminuée de 40 %. Elle ne connaît toutefois pas de suite. Philip Taylor est alors
à la recherche d’opportunités. Il a probablement été amené à Marseille par Emmanuel
Marliani, industriel phocéen propriétaire d’une minoterie à vapeur située place
Castellane. Le Marseillais a décidé de s’agrandir, de moderniser son entreprise et vient à
plusieurs reprises dans la capitale pour acheter des appareils à vapeur fabriquées dans les
ateliers des frères Périer à Chaillot. Marliani connaît peut-être Taylor de nom. Par la
qualité de ses travaux sur les procédés de raffinage du sucre, le Britannique a
indirectement participé au développement industriel marseillais. On peut supposer que
c’est lors du second séjour d’Emmanuel Marliani à Paris, en 1834, que les deux hommes se
rencontrent puisqu’on les retrouve, la même année, associés à Marseille dans la même
affaire. Philip Taylor monte les installations de l’usine de l’industriel phocéen au Rouet. Il
comprend rapidement les énormes possibilités offertes par le dynamisme commercial de
la ville. Il songe d’abord à investir dans l’industrie de la minoterie mais renonce par peur
de la politique ultra-protectionniste du gouvernement français. Il se réoriente dans une
branche qui est plus de sa compétence. Pour un homme de cette qualité, l’avenir est dans
la construction mécanique.
30 Les causes de l’arrivée de John Barnes à La Ciotat sont mieux connues. Quand Louis Benet
se lance dans la construction de locomotives et de machines marines, à la fin des années
1830, il est à la recherche d’ingénieurs de haut niveau. Robert Stephenson, alors en
relation avec James de Rothschild et Paulin Talabot qui désirent s’engager dans la
construction du chemin de fer reliant Marseille à Avignon, passe à La Ciotat en 1838 et
promet à Benet l’envoi de techniciens britanniques. L’industriel provençal trouvera
entre-temps un contremaître français, Louis Sangnier, mais celui-ci le quitte en 1841 pour
prendre la direction technique des ateliers du chemin de fer Paris-Orléans62. Robert
Stephenson se charge de lui trouver un remplaçant et conseille à John Barnes de se
89
rendre en Provence pour diriger les ateliers de La Ciotat. Le Britannique, malgré l’aide de
ses amis, n’a pu obtenir, dans son pays, les commandes de l’État. Il a abandonné la
construction de machines et a exercé un temps l’arbitrage technique. Désœuvré, John
Barnes accepte la proposition et commence par quelques collaborations ponctuelles
durant la première moitié des années 1840. En décembre 1844, il s’installe définitivement
à La Ciotat63. Un facteur a très certainement déterminé son choix. John Barnes connaît
déjà les chantiers provençaux. Avec Joseph Miller, il avait construit des machines marines
pour les ateliers de Church à La Seyne64. Pour expliquer les autres cas d’implantation à
Marseille, on peut penser que l’installation de Philip Taylor à Marseille a
vraisemblablement favorisé l’arrivée d’un bon nombre de ses compatriotes. Son
envergure et ses relations lui permettent de faire connaître le dynamisme industriel
marseillais en Angleterre.
***
31 Marseille a su trouver en son sein un riche capital humain. L’artisanat local a donné aux
secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique la majeure partie de ses
entrepreneurs au cours des années 1830. Très rapidement, la ville attire, par les
opportunités nées d’un développement industriel soutenu, un nombre important de
techniciens de haut niveau, essentiellement venus de Grande-Bretagne. Marseille a
parfaitement su exploiter les deux voies possibles pour la constitution d’un vivier de
compétences qui est aussi un vivier d’entrepreneurs.
32 À partir de 1840, même si la formation locale donne surtout des ouvriers qualifiés et
l’ouverture sur l’Angleterre des ingénieurs, les deux filières continuent de se combiner et
de se nourrir mutuellement pour donner un résultat exceptionnel : le problème des
compétences techniques n’est pas un goulot d’étranglement et la cité phocéenne
commence à devenir un pôle de référence technique dans le secteur de la métallurgie et
de la construction mécanique.
NOTES
1. BAIROCH P., « Histoire des techniques et problématique du démarrage économique », dans L
‘Acquisition des techniques par les pays non initiateurs, Paris, 1973, p. 168-180.
2. MUSSON A., ROBINSON E., « The Origins of Engineering in Lancashire », JEH, XX, 1960.
3. DAUMAS M., « Les mécaniciens autodidactes français et l’acquisition des techniques
britanniques », dans L’Acquisition des techniques…, p. cit., p. 301-334.
4. La métallurgie est « restée jusqu’au milieu du XIXe siècle une pratique plutôt qu’une science » (
CARON F., Le Résistible Déclin des sociétés industrielles, Paris, 1985, p. 61).
5. AGULHON M. (dir.), Histoire de Toulon, op. cit., p. 215.
6. ADBdR, Tables décennales, Marseille, naissances, 1802-1812, t. I (A à O).
7. Information aimablement communiquée par X. Daumalin.
8. ACM 22 F 5.
90
9. Seule la profession d’origine du quatrième, Louis Longuelanne, n’a pu être retrouvée. Pour les
origines professionnelles des fondeurs et mécaniciens marseillais : Guide marseillais (1816-1835),
Le Nouveau Guide marseillais (1836-1837), Le Cicérone marseillais (1838-1848) et Le Nouvel Indicateur
marseillais (1844).
10. SOIRON J. B., L’Industrie huilière à Marseille, en France et à l’étranger, Marseille, 1905, p. 8.
11. Pour les activités de Benet avant 1833, cf. sa biographie dans EDBdR, t. XI, p. 69.
12. CONSTANT E., « Le département du Var… », op. cit., t. I, p. 292.
13. Cf. le processus de formation d’une classe de mécaniciens autodidactes dans la France des
années 1820 (DAUMAS M., « Les mécaniciens autodidactes… », art. cit., p. 302 et 307).
14. BERTEUT S., « Marseille d’hier… », art. cit., p. 301. L’auteur fait vraisemblablement allusion à
l’usine de Marliani, mise en fonction en 1824.
15. VILLENEUVE H. (DE), « Falguière, fabricant de machines à vapeur », RTSSM, t. II, 1838, p. 487 et
« Rapport sur les travaux du jury… », art. cit., p. 287.
16. ADBdR XIV M 14/1.
17. Cf., par exemple, l’itinéraire des frères Orlando, propriétaires de chantiers navals à Gênes
puis à Livourne, qui ont commencé à travailler dans le petit atelier de mécanique que leur père
possédait à Palerme (ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 199).
18. Cf. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 143-144.
19. Ibid., p. 144.
20. ECM, t. III, p. 396.
21. Ibid., p. 400.
22. CHAMBOVET FILS, « De l’industrie mécanique en général et de celle de Provence en
particulier », RTSSM, t. IX, 1846, p. 128-129.
23. Le Moniteur universel, 25 avril 1843.
24. Résumé par ordre de matières des délibérations et des vœux du conseil général des Bouches-du-Rhône,
Marseille, Session de 1840, p. 196.
25. ECM, t. III, p. 399.
26. Ibid.
27. « Statistique des établissements commerciaux, manufacturiers et industriels de Marseille,
dressée en juin 1838 », RTSSM, t. II, 1838, p. 230-249.
28. ECM, t. III, p. 392.
29. AN F 12 2554.
30. AFB, copies de lettres Schneider & cie, t. I, Lettre du 23 janvier 1837 à Louis Benet & cie.
31. « Les besoins de Marseille […] sont très grands et ses ressources presque nulles ; nous
pourrions citer une grande fonderie obligée d’aller chercher à Rouen ou à Paris, en les séduisant
par des salaires exorbitants, des ouvriers que la localité lui refuse » (ECM, t. III, p. 383).
32. SEWELL W. H., « La classe ouvrière de Marseille sous la Seconde République : structure sociale
et comportement politique », Le Mouvement social, n° 76, 1971, p. 27-63.
33. ACCM MP 3611.
34. Ibid.
35. MONDELLA F., « Scienza e tecnica… », art. cit., p. 650.
36. « Nave », art. cit., p. 375.
37. CASTRONOVO V. (dir.), Storia deU’Ansaldo. I : Le origini, Rome-Bari, 1994, p. 14
38. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 190.
39. DORIA M., « Le stratégie e l’evoluzione dell’Ansaldo », dans CASTRONOVO V. (dir.), Storia
dell’Ansaldo…, op. cit., p. 78.
40. « Nave », art. cit., p. 375.
41. MERGER M., « L’industrie italienne des locomotives, reflet d’une industrialisation tardive et
difficile (1850-1914) », Histoire, Economie et société, 1989, n° 3, p. 118.
91
42. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur la Grèce, op. cit., p. 108.
43. Ibid.
44. MANIDIER H., « La marine militaire d’Espagne », Revue maritime et coloniale, XXVI, p. 419 et
COURTIER LOZANO A. dans La organizacián industrial de los arsenales del estado en el ultimo tercio del siglo
XIX, Universidad de Santiago de Compostella, 1994, p. 8.
45. DEL CASTILLO A., La Maquinista Terrestre y Maritima, personaje historico (1855-1955), Barcelone,
1955, p. 20.
46. Ibid., p. 21.
47. ILLASSY VIDAL J., Memoria…, op. cit., p. 50.
48. Pour ce sous-chapitre, sauf indication, cf. RAVEUX O., « El papel de los técnicos ingleses en la
industria metalûrgica y mecánica del norte del Mediterráneo (1835-1875) : una primera
aproximaciôn », RHI, 1994, p. 143-161 et « Les ingénieurs anglais de la Provence maritime sous la
monarchie de Juillet », PH, 1994, fasc. 177, p. 301-220.
49. ARMNGAUD AINÉ, Traité théorique et pratique des machines à vapeur, Paris, t. I, 1861, p. 499.
50. Visite à l’Exposition de Paris de 1855, Paris, 1856, p. 224.
51. FAREY J., A Treatise on the Steam Engine, historical, practical and descriptive, Londres, 1827, p. 87 ;
NICHOLSON J., Le Mécanicien anglais ou la description pratique des arts mécaniques de la Grande-Bretagne,
Paris, 1842, p. 96 et PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. III, p. 68, 69 et 89.
52. AUGUSTIN-NORMAND P., La Genèse de l’hélice propulsive, Paris, 1962, p. 70.
53. Le Mémorial encyclopédique, op. cit., p. 210.
54. PILLING P. W., ANDERSON B. L., « Spanish Entrepreneurs and British Technology in early XIXth
Century Andalucia », JEEH, volume XIX, n° 1, 1990, p. 60.
55. SM, 20 novembre 1828. On retrouve la même attitude en Espagne, en Italie ou en Grèce, où la
ville du Pirée est qualifiée de « Manchester grec ».
56. JULLANY J., Discours sur Marseille…, op. cit.
57. FIGUEROAL L., Estadistica…, op. cit., p. 291.
58. Robinson est un officier de la marine du royaume des Deux-Siciles. Il est le fondateur des
ateliers de Pietrarsa (Cf. ALBERTI G., « La vita economica a Napoli nella prima metà
dell’Ottocento » dans Storia di Napoli, t. IX, Naples, 1972, p. 624. Le père de Wetherell, Nathan,
possédait à la fin du XVIIIe siècle une tannerie à Séville. Il avait été l’un des premiers importateurs
en Europe continentale des machines de Watt (cf. chapitre 11).
59. BABBGE C, On the Economy of the Manufactures, Londres, 1835, p. 371.
60. PILLING P. W., ANDERSON B. L., « Spanish Entrepreneurs… », art. cit., p. 60.
61. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…. op. cit., p. 335 et 340.
62. « Rapport fait par M. Le Châtelier au nom du Comité des arts mécaniques sur les travaux de
M. Sangnier », BSE, 1852, p. 741-743 et 744-745.
63. MLV, 7 décembre 1844.
64. 64. GIR, p. 70.
92
Chapitre VI. Les entreprises
1 Les artisans marseillais de la métallurgie ont démontré leur vitalité au cours de la
Restauration. Dans des ateliers disséminés aux alentours du port, ils ont accumulé des
capitaux par le développement de leurs activités. Ces hommes souhaitent profiter des
opportunités engendrées par le renouvellement et la transformation du matériel de
production de l’industrie locale. Cette vitalité est-elle une base pour que ce secteur puisse
se transformer en industrie moderne et connaître la croissance ? Cela semble douteux à
double titre.
2 Le premier obstacle concerne les fonds nécessaires à la création de sociétés.
L’autofinancement est généralement la règle dans l’artisanat. Cette pratique est certes
capable d’offrir des capitaux, mais les artisans ne peuvent participer, en propre ou avec
leur famille, qu’à la formation d’entreprises de taille modeste. La situation est différente
pour les projets qui demandent de lourds investissements. Dans ce cas, l’artisan ne
détient pas les fonds nécessaires. Il doit trouver des partenaires financiers hors du cadre
familial.
3 Le problème du passage de l’artisanat à une industrie se pose aussi en termes spatiaux. Le
maillage du centre-ville, espace traditionnellement occupé par l’artisanat, se prête mal
aux agrandissements. Les entreprises métallurgiques modernes ne peuvent s’implanter
dans des quartiers trop peuplés car la population rejette ce type d’usines étroitement
surveillées par des pouvoirs publics soucieux de la salubrité en milieu urbain. Les
entrepreneurs doivent donc composer avec ces impératifs financiers et urbanistiques
pour donner naissance à un secteur industriel atypique pour Marseille.
DÉMOGRAPHIE DES ENTREPRISES
4 Sous la Restauration, le secteur marseillais de la métallurgie du fer et de la construction
mécanique était réduit à une seule petite fonderie, vraisemblablement celle des frères
Puy. Les premières créations ont lieu au tout début des années 1830. Elles accompagnent
d’emblée le mouvement général de l’industrialisation de la ville. Le rythme des fondations
s’articule autour de quatre périodes nettement distinctes au cours des années 1831-1846.
93
Le rythme des créations
5 Dès la première moitié des années 1830, les formations de sociétés métallurgiques et
mécaniques sont importantes à la fois en nombre et en qualité. En 1831, Jean-Baptiste
Falguière fonde un atelier de construction de biens d’équipement rue Périer. Dès les
premières années de fonctionnement, cette usine livre à l’industrie des produits variés
dont la fabrication est nouvelle à Marseille (machines à vapeur, chaudières calorifères et
presses hydrauliques). L’année 1832 voit l’apparition des fonderies de deuxième fusion
traitant les fers et les fontes importés de Grande-Bretagne et du centre de la France. Les
usines de Louis Benet et de Pierre-Joseph Baudoin, situées à Menpenti, sont des créations
stricto sensu1. Celle des frères Puy procède d’une reconversion d’activités2. Déjà présents
sous la Restauration, ces artisans fondeurs spécialisés dans la fabrication de cloches
réorientent leurs activités en réponse à la demande croissante de pièces de métaux
moulés. A ses débuts, l’entreprise des frères Puy est étroitement liée à celle de Jean-
Baptiste Falguière. Elle lui fournit les pièces de fonte et de cuivre nécessaires à la
fabrication des appareils à vapeur. Un jeu de stimulations entre les créations d’ateliers de
construction mécanique et celles de fonderies de deuxième fusion se met alors en place.
En 1834-1835, quatre nouvelles entreprises de réparation et de construction de machines
et de mécaniques s’établissent dans la ville. En 1834, Louis Longuelanne et Gustave
Finaud, Étienne Chambovet et Dominique Demange ouvrent deux ateliers3. L’année
suivante, Gustave Finaud, qui a cessé sa collaboration avec Louis Longuelanne, forme, rue
Périer, son propre atelier « de fonderie et d’ajustage de mécanique »4 alors que le
Britannique Philip Taylor ouvre les portes de son usine sur le cours Gouffé5. Ces quatre
nouveaux établissements exercent des activités multiples. Les marchés sont encore
étroits et imposent une diversification des travaux. Tous les ateliers de mécanique créés
durant cette période pratiquent, selon la demande, des travaux de construction, de
réparation et de métallurgie de deuxième fusion.
6 La phase suivante, entre 1836 et 1838, est marquée par un profond ralentissement dans le
rythme des créations. L’économie marseillaise est touchée en 1837 par une crise
commerciale relativement importante6. Le marasme bloque les initiatives industrielles et
commerciales. Les faillites apparaissent. Le secteur de la métallurgie et de la construction
est touché. En 1837, la société de Gustave Finaud, qui accuse un lourd passif de 128 500
francs, est mise en liquidation7. Durant ces trois années, les créations d’entreprises dans
le secteur du travail des métaux sont rares. De plus, elles ne concernent pas la métallurgie
du fer mais celle du cuivre. En 1838, Antoine Ferreol et Jean-Jacques Clavel se sont
associés pour donner de l’ampleur au petit atelier auparavant détenu par le premier cité8.
Avec seulement deux créations, le secteur de la mécanique est également touché. Ces
deux fondations, œuvres du même entrepreneur, vont toutefois faire date dans l’histoire
de la métallurgie marseillaise. En 1835-1836, Louis Benet installe deux nouvelles
entreprises. Après la métallurgie de deuxième fusion, le Ciotadin se lance dans la
construction de navires à vapeur et la mécanique marine. La première usine est fondée
durant l’automne 1835 à l’est de Marseille, sur les quais du port de La Ciotat. La seconde
entreprise est installée à Marseille même, dans le quartier des Catalans au sud du port, et
entre en activité en 1836. Ces deux usines vont rapidement occuper le premier rang dans
le domaine de la réparation et de la construction de machines mobiles.
94
7 À partir de 1839, la crise passée, les créations reprennent à un rythme soutenu.
L’industrialisation de la ville se poursuit alors que la navigation à vapeur se développe
véritablement. Les grands travaux visant à doter Marseille et sa région d’infrastructures
modernes donnent leur plein effet. Les différentes demandes de biens d’équipement
commencent à se cumuler. Jusqu’en 1846, les fondations d’entreprises se multiplient.
Dans la métallurgie du fer, les créations sont particulièrement nombreuses. En 1839,
Granier et Dussart fondent une usine de production de fer galvanisé9. L’année suivante,
l’Anglais John Riddings installe une fonderie spécialisée dans la fabrication de pièces
moulées de fer et de fonte sur le cours Gouffé10. Il est rapidement imité par les frères Vial
et Georges Danré en 1841. Le mouvement touche aussi le secteur de la mécanique. Entre
1840 et 1843, on ne compte pas moins de cinq créations d’importance. La première est due
à Dominique Demange qui a interrompu sa collaboration avec Etienne Chambovet pour
s’établir à son compte11. Une seule usine se livre directement à la fabrication de machines
à vapeur, celle de Peter Walker, spécialisée dans l’équipement des établissements
industriels12. Les autres créations concernent surtout la construction de chaudières et de
pièces en cuivre pour les appareils à vapeur. Ces deux types d’activités sont étroitement
liés dans les quatre entreprises qui naissent durant la période : celles de Gautier, Azémar,
Saint-Joannis et Longuelanne, d’anciens chaudronniers reconvertis dans ces nouveaux
créneaux porteurs13.
8 Enfin, entre 1843 et 1846, Marseille connaît une véritable explosion des créations
d’entreprises dans les secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique. Ces
fondations touchant à l’ensemble des secteurs d’activités sont toutefois d’une importance
minime. Les grandes entreprises sont déjà en place. Les nouveaux ateliers sont de petite
taille et leur durée de vie est généralement courte. L’atelier de Harry John, spécialisé dans
le moulage de pièces de métaux, ne semble avoir fonctionné qu’une seule année14. En fait,
seules trois initiatives d’envergure apparaissent alors. La première est la fondation, en
1844, par Jean-François Cabanis et Salles d’une fonderie produisant du fer par puddlage
de riblons15. Elle disparaît rapidement, très certainement victime de coûts de production
trop élevés. Les deux autres sont l’entreprise de fabrication de chaudières de Lejeune et la
fonderie de Liautaud et Fournel, fondées en 184616. Au-delà de leurs inégalités
d’importance, les entreprises démontrent, par leur présence, la vitalité de ces nouveaux
secteurs industriels à Marseille durant les dernières années de la monarchie de Juillet. En
1846, le Cicérone marseillais recense 28 fonderies traitant le fer, la fonte et le cuivre à
Marseille17. Le secteur de la mécanique est fort d’un contingent de seize entreprises18. On
recensait seulement sept ateliers en 183819, neuf en 184320.
9 En une quinzaine d’années seulement, Marseille et sa région se sont donc dotées d’un
tissu d’entreprises dense et varié. Ce mouvement est d’autant plus remarquable que rien
n’existait en 1830. Les entrepreneurs locaux et britanniques ont su tirer profit d’une
demande potentielle. Certains secteurs restent toutefois en marge et d’autres sont
totalement absents. Presque toutes les créations relèvent des secteurs de la métallurgie
de deuxième fusion et surtout de la construction mécanique. La fabrication de produits
laminés ou de grosses pièces de forges est encore inconnue. La métallurgie des métaux
non-ferreux évolue de manière très modeste. Seuls quelques petits ateliers traitant le
cuivre, le plomb ou l’étain apparaissent. Plusieurs de ces initiatives sont éphémères21.
L’industrie du plomb est toujours dominée par la fabrication de la grenaille. Entre 1840 et
1846, une seule création est enregistrée22. Le traitement des minerais reste presque
complètement en marge du mouvement. Marseille ne comptait en 1830 aucune entreprise
95
spécialisée dans le traitement de minerais, qu’ils soient ferreux ou non-ferreux. Entre
1831 et 1846, une seule usine de ce type est créée, celle de Jean Briqueler à Septèmes-les-
Vallons en 1844, spécialisée dans le traitement de l’antimoine23.
Un phénomène inséré dans un mouvement sud-européen
10 L’importance et la rapidité des changements intervenus à Marseille se retrouvent dans
différents centres industriels du sud de l’Europe. Plusieurs villes ou régions italiennes,
grecques ou espagnoles ont connu, parfois avec un décalage chronologique, le même
processus au cours de leur phase initiale d’industrialisation. Comme à Marseille, tout se
joue en une vingtaine d’années. Les cas de Barcelone, du Pirée et du Royaume de Piémont-
Sardaigne sont particulièrement significatifs.
11 À Barcelone, la phase d’apparition et de grand développement des entreprises se déroule
sur la période comprise entre la première moitié des années 1830 – les deux premières
entreprises, El Nuevo Vulcano et les ateliers de Luis Perrenod, ont été fondées en 1833-1835
– et la première moitié des années 1850, moment de l’arrivée des frères Alexander et de la
constitution de la Maquinista Terrestre y Maritima24. En 1841, 1 067 ouvriers travaillent dans
l’industrie de la mécanique et de la métallurgie25. Huit années plus tard, la cité catalane
possède dix-huit entreprises spécialisées dans la construction mécanique, six fonderies et
quatre usines mêlant les deux types d’activités26. À la fin des années 1850, le nombre des
ateliers de mécanique est passé à 28, celui des fonderies de fer et cuivre à sept27. Les cas
de Gênes de Turin sont en tout point identiques. Les premières entreprises importantes
apparaissent également au début des années 1830 : fonderie des frères Balleydier à
Sampierdarena en 1832, atelier de construction de chaudières Decker à Turin en 1834… Le
mouvement se poursuit avec vigueur dans les années 184028. De 1844 à 1861, les
établissements mécaniques de Turin et de Gênes passent de 15 à 2629. Le nombre des
salariés qui y travaillent est multiplié par six et culmine à 7 755. En 1862, vingt fonderies
de plus de dix ouvriers sont localisées à Turin30. L’industrie métallurgique et mécanique
du Pirée évolue, entre le milieu des années 1870 et le tournant du siècle, avec la même
tendance, même si le démarrage est plus lent. Après la décennie d’attente qui suit
l’installation de la première entreprise31, les créations se multiplient durant la période
1873-1885. En 1900, à Athènes et au Pirée, quinze ateliers de construction et de réparation
d’appareils à vapeur, trois chantiers navals, trois fonderies et six usines de fabrication de
machines hydrauliques sont en fonction32.
12 Comme pour le cas marseillais, l’industrialisation de ces régions du sud de l’Europe a
engendré des effets en amont. La croissance de la demande en biens d’équipement a créé
des opportunités. La rapide présentation de ces exemples démontre que dans plusieurs
régions méditerranéennes les entrepreneurs n’ont manqué dans le domaine de la
métallurgie et de la construction mécanique ni de dynamisme ni de capitaux. Ils ont su
faire preuve d’esprit d’initiative et ont trouvé les fonds nécessaires à l’établissement
d’une branche longtemps jugée comme la plus coûteuse et la plus difficile à former.
96
L’EVOLUTION DES FORMES JURIDIQUES ET DESCAPITAUX
13 Si l’étude des formes juridiques des entreprises de la métallurgie et de la construction
mécanique créées sous la monarchie de Juillet ne pose guère de difficultés, celle des
capitaux et des hommes qui les ont drainés vers ces secteurs s’avère particulièrement
délicate. L’essentiel des actes de création ou de modification de sociétés n’a pas été versé
dans les fonds d’archives du tribunal de commerce de Marseille33. Beaucoup d’entre eux
ont été dressés sous seing privé. Le nom du notaire n’y figure pas toujours. La recherche
dans les fonds des études notariales a donc été contrariée par cette difficulté majeure. Les
identités d’une bonne partie des partenaires des sociétés en nom collectif ou en
commandite par actions restent inconnues. Le tableau ne peut être que grossier mais
quelques grandes lignes émergent toutefois nettement.
Les petites entreprises : le modèle de la société en nom collectif
14 Le rôle omnipotent du marchand-négociant dans le processus d’industrialisation de la
région marseillaise est un mythe de plus en plus remis en question. L’étude de Michel
Lescure sur la profession d’origine des partenaires actifs de sociétés industrielles
phocéennes de la première moitié du XIXe a bien montré que la participation de ces
hommes au mouvement des créations d’entreprises est relativement limitée. L’action des
industriels, des artisans et des ouvriers est en revanche largement sous-estimée. Ces trois
groupes ont activement contribué à la constitution du tissu industriel marseillais.
L’histoire de l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise s’insère pleinement dans
ce cadre général d’analyse. Il apparaît clairement que, dans un premier temps,
l’installation de cette branche d’activités procède d’une croissance organique importante.
Dans sa phase initiale, le secteur a lui-même financé en grande partie sa mutation à partir
de la structure artisanale dynamique mise en place sous la Restauration et aux débuts de
la monarchie de Juillet. Dans les années 1830-1840, la présence massive d’anciens artisans
du travail des métaux dans le patronat de l’industrie métallurgique et mécanique et dans
le groupe des partenaires actifs des sociétés est le signe manifeste de cet autofinancement34. Beaucoup d’artisans ont été attentifs aux développements de nouveaux marchés et
sont disposés à réinvestir dans de nouvelles opérations les capitaux accumulés. Ces
capitaux sont toutefois limités. Il reste à déterminer de quelle manière ces hommes ont
pu fonder des entreprises par l’immobilisation d’un capital estimé comme relativement
important dans ce secteur.
15 À l’origine de la création d’un grand nombre d’entreprises métallurgiques et mécaniques,
on trouve un apport modeste de capitaux individuels ou familiaux. Les formes juridiques
des créations de sociétés sont révélatrices de ce phénomène. Entre 1820 et 1852, le type
dominant de l’industrie marseillaise est celui de la société en nom collectif, forme qui
regroupe 60 % du total de formation d’entreprises industrielles, loin devant les sociétés
en commandite simple ou par actions qui ne représentent chacune qu’un total de 20 % de
l’ensemble35. L’industrie de la métallurgie et de la construction mécanique n’échappe pas
à cette règle. Les sociétés en nom collectif de ces deux secteurs associent un nombre
réduit de personnages étroitement liés entre eux. Le ou les fondateurs affichent la
volonté de garder le contrôle de l’entreprise dans un cadre réduit, le plus souvent
97
familial. La confiance joue ici un rôle déterminant puisque les associés sont responsables
des dettes de l’entreprise sur leurs biens personnels36. L’entreprise est généralement
fondée par deux personnes avec des capitaux peu importants37. On retrouve ce cas de
figure tout au long de la période, avec des exemples comme la formation de la société de
G. Finaud en 183538, celles de Laugier et Gardon en 1837, de Ferreol et Clavel en 1838, de
Pierre-Joseph Baudoin et Jean Baptiste, de Barthélémy Granier et Alfred Dussard en 1840,
de Cavallier fils et Guieu en 1845, de Nicolas Fournel et César Liautaud l’année suivante. Il
est rare de trouver plus de deux partenaires dans une affaire. Lorsque le cas se présente,
c’est dans le cadre familial que l’on trouve la majorité des fondateurs. Louis Benet
s’assure la présence de son frère Toussaint et de son cousin Antoine lors de la formation
de sa société en 1836. Trois des quatre personnes à l’origine de la formation de la société
Lajarije & Legros en 1840 font partie de la même famille. Ce n’est souvent que par une
augmentation du nombre des partenaires que les fondateurs d’entreprises trouvent les
capitaux nécessaires à la croissance de leurs sociétés. La volonté de prendre de l’ampleur
entraîne de nouvelles associations. Le Britannique John Riddings a créé sa fonderie en
1840. Il est l’unique gérant et le principal bailleur de fonds de la société. Quelques années
plus tard, ses affaires progressant, il s’associe avec deux compatriotes, John et James
Jeffery, qui lui permettent d’asseoir financièrement sa croissance par une augmentation
de capital. Cette difficulté à réunir des sommes suffisamment importantes pour fonder
des sociétés est contournée par l’association de plusieurs artisans mettant en commun
leurs capitaux. Ces sociétés sont appelées à n’avoir qu’une existence limitée. Les profits
amassés lors des premières années de fonctionnement permettent un nouvel
investissement pour de nouvelles créations d’entreprises. Après quelques années de
fonctionnement, il n’est pas rare de voir les collaborations s’interrompre. Un des deux
actionnaires quitte la société pour fonder sa propre entreprise grâce à l’argent accumulé
dans la première affaire. Les cas sont nombreux, surtout au cours des années 1830 et au
début des années 1840. Parmi les plus significatifs, on peut citer les exemples de Louis
Longuelanne et Gustave Finaud en 1835, de Dominique Demange et d’Etienne Chambovet
à la fin des années 1830, de Pierre-Joseph Baudoin et de Jean Baptiste en 1842.
16 Les capitaux familiaux et individuels sont modestes mais s’avèrent généralement
suffisants à la fondation de la majorité des petites entreprises. A Marseille, sous la
monarchie de Juillet, les fonderies et les ateliers de mécanique emploient généralement
peu d’ouvriers. Le chiffre de 100 salariés est rarement dépassé39. Les équipements sont au
départ peu importants. Les investissements lourds, comme l’achat d’une machine à
vapeur, sont décidés avec la plus grande prudence. Si quelques entrepreneurs achètent
leur appareil à vapeur dès l’installation de l’usine, ces machines sont toujours d’une faible
puissance. En 1835, la force développée par l’appareil des ateliers de Gustave Finaud est
de deux chevaux, tout comme celui utilisé par Dominique Demange en 184240. Les
propriétaires d’entreprises, jouant sur l’autofinancement, attendent d’avoir amassé assez
de profits pour immobiliser des capitaux plus importants. Ce fait explique qu’une part
non négligeable des usines fonctionne assez longtemps sans le secours de la vapeur.
L’argent est rare. Il est prioritairement affecté aux fonds de roulement de la société.
L’entreprise de galvanisation du fer et de la fonte d’Alfred Dussart et de Barthélémy
Granier, créée en 1839, n’a toujours pas d’appareils à vapeur en 1843, tout comme celle
des frères Puy, qui utilise encore la traction animale (trois chevaux et des mulets) dix
années après sa mise en route. Cavaillier ne possède que trois chaudières41. Toussaint
Maurel achète une machine à vapeur pour sa fonderie de cuivre dix ans après la création
de son entreprise42.
98
17 Les capitaux des artisans et des petits industriels ont donc permis l’apparition des
secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique à Marseille durant les années
1830-1840, mais cet autofinancement connaît des limites. Il permet certes la création
d’entreprises de petite et moyenne envergure, mais n’offre pas de possibilités de créer de
grands ateliers de production nécessitant l’immobilisation d’un important fonds social.
Le passage à la société en commandite simple ou par actions
18 Le problème des capitaux se pose avec le changement d’échelle des entreprises soit dans
le cadre d’une production accrue, soit dans celui de la sidérurgie ou de la fabrication de
machines marines et locomotives. Au-delà d’un certain seuil de développement,
l’autofinancement ne suffit plus. La formation d’une société à fonds importants entraîne,
pour les entrepreneurs, une double nécessité. Ceux-ci doivent modifier le statut juridique
de leur affaire et s’insérer dans des réseaux susceptibles de drainer des capitaux.
19 Les entrepreneurs de la métallurgie et de la construction mécanique font appel à de
grands investisseurs marseillais ou français dans le cadre d’une société en commandite
simple ou par actions, seule formule disponible pour minimiser les risques encourus par
les partenaires financiers43. En 1841, Charles Aune essaie de former une société en
commandite pour « l’établissement et l’exploitation de hauts fourneaux, forges et feux
d’affineries dans le Royaume de Naples. » Le fonds social qui doit être rassemblé est de
800 000 francs divisés en 160 actions44. Le fondateur de l’entreprise parvient à trouver un
nombre suffisant d’actionnaires et à constituer ainsi le capital de la société mais celle-ci
ne débouchera sur aucune réalisation concrète45. Nous ne savons pas si le capital a été
déboursé ou si les actionnaires ont provoqué une rapide dissolution de la société, à cause
des difficultés engendrées par une implantation à l’étranger. En 1843, la tentative de
constitution de la société en commandite par actions Narcisse Mille & cie, au capital de
350 000 francs, chargée d’exploiter, dans la commune de Marseille, une tôlerie et un ou
plusieurs hauts fourneaux connaît une fin malheureuse puisque le capital n’est même pas
réuni46. Les projets doivent être solides. L’hésitation est souvent de mise face à des
tentatives ambitieuses. Les fondateurs d’entreprises cherchent parfois désespérément des
commanditaires pour leurs sociétés. Sous la monarchie de Juillet, certaines initiatives ont
toutefois abouti. Les deux plus importantes ont été menées par Philip Taylor et Louis
Benet.
20 Il est particulièrement délicat de suivre les activités de Philip Taylor et de trouver
l’identité de ses partenaires financiers. Les actes de ses sociétés antérieurs à 1847 n’ont pu
être retrouvés. Seules quelques pistes peuvent être avancées. Emmanuel Marliani,
l’ancien employeur du Britannique, a très certainement joué un rôle prépondérant dans
la fondation de l’atelier de Menpenti en 1835. Philip Taylor achète en effet la
« campagne » sur laquelle il dresse ses installations grâce au concours financier du
minotier47. Ce type d’association entre un industriel et un ancien salarié désireux de
fonder sa propre affaire est répandu, mais cette aide est très certainement insuffisante.
Emmanuel Marliani n’a pas la capacité d’apporter seul les fonds suffisants pour un
établissement qui prend rapidement une grande ampleur. Deux années seulement après
sa fondation, l’entreprise du Britannique est déjà dotée d’un équipement imposant48. De
plus, à partir de 1840, Philip Taylor se lance dans une série d’achats de terrains destinés à
agrandir ses installations49. Le nom et l’importance de la participation des autres
commanditaires de la société sont inconnus. Les hypothèses ne manquent pas. Philip
99
Taylor a peut-être trouvé des appuis auprès de son frère John, industriel en Grande-
Bretagne, ou des cousins Bazin, hommes d’affaires marseillais qui ont repris le moulin à
vapeur de Marliani. Les liens unissant Taylor et les Bazin seront forts par la suite. Ces
derniers participeront pour 10 % du capital dans la formation, en 1853, de la société de
Philip Taylor, la Compagnie des Forges et chantiers du Midi, ancêtre de la Société des
forges et chantiers de la Méditerranée50.
L’histoire exemplaire des sociétés de Louis Benet
21 Si l’évolution des sociétés de Philip Taylor reste assez obscure pour la période 1835-1847,
celle des affaires de Louis Benet peut, en revanche, être suivie avec beaucoup moins de
difficultés. L’histoire des diverses sociétés du grand entrepreneur ciotadin est révélatrice
des importants moyens financiers qu’il faut réunir pour prendre de l’ampleur. Louis
Benet va utiliser des réseaux sans cesse élargis et successivement toutes les formes
juridiques existantes pour faire croître ses affaires.
22 Le démarrage est modeste. Sa première entreprise, l’usine de Menpenti, est fondée en
1833 sur la base d’une association avec les frères Falque, industriels du bâtiment, et avec
Martiny père et fils, d’anciens forgerons qui se sont sans doute plus directement occupés
de l’aspect technique de l’affaire51. La société est créée en nom collectif pour une durée de
seize mois. C’est au milieu des années 1830 que ses affaires vont prendre un véritable
essor. En 1835, Louis Benet fait partie du groupe de Marseillais qui se lancent dans la
tentative de constitution de la Compagnie marseillaise de la Méditerranée pour la
navigation à vapeur52. L’affaire est un échec mais lui permet néanmoins de resserrer ses
liens avec les milieux d’affaires les plus importants de la ville et notamment avec trois
hommes dont les rôles seront déterminants par la suite : Jean Luce, Jacques Fraissinet et
Joseph Roux. Louis Benet est perçu comme un homme compétent. La bonne marche de sa
fonderie de Menpenti et sa réussite dans le domaine du textile ont démontré ses capacités
et plaide largement en sa faveur. Son projet de fondation d’un grand atelier de
construction de navires à vapeur date du début des années 1830 au retour d’un voyage en
Angleterre durant lequel il a pu visiter des chantiers navals53. L’idée prend une forme
véritablement concrète au printemps 183554. Le réseau de relations que Louis Benet et son
père ont su tisser dans ses différentes affaires et au sein de la chambre de commerce55 va
lui permettre de concrétiser ses ambitions.
23 Après 1835, le développement des moyens de transport modernes dans la région incite les
milieux financiers marseillais à s’intéresser de près à la création d’un grand atelier de
mécanique susceptible de répondre aux besoins locaux qui vont aller en grandissant. Le
noyau d’hommes ayant participé à la création des premières compagnies de navigation à
vapeur et à la formation de la Compagnie du chemin de fer Alais-Beaucaire56 s’intéresse à
l’affaire de Louis Benet et lui accorde un important soutien financier lors de la création de
la société de La Ciotat en mars 1836. Son frère Toussaint fait partie des cinq actionnaires.
Hors famille, le trio composé de Jean Luce, de Jacques Fraissinet et de Joseph Roux
apporte 40 % du capital qui, s’élève à 300 000 francs57. Les capitaux engagés s’avèrent très
vite insuffisants. Une nouvelle société en commandite simple est créée en décembre de la
même année. Le capital est porté à 450 000 francs58. Louis Benet engage 75 000 francs dans
l’affaire. Ses commanditaires habituels lui fournissent une bonne partie de la somme. On
note la présence de nouveaux venus dans l’affaire : le cousin de Louis Benet, Antoine,
ainsi que les frères Schneider. Ces derniers voient dans cette création la possibilité de
100
débouchés pour les tôles et les pièces de forge qu’ils fabriquent dans leurs usines du
Creusot :
« Vous savez aussi qu’en entrant dans la société, j’ai toujours indiqué que c’étaituniquement dans l’intention de fournir un débouché de plus au Creusot, soit pour lafourniture de tôles, soit pour toutes pièces de forges et fonderies dont nous devionsavoir la préférence59. »
24 Ce soutien des milieux d’affaires locaux et des frères Schneider permet à la société
d’acquérir rapidement un équipement important. Louis Benet commence en 1838 la
construction d’une cale de halage pour la réparation des navires à vapeur et possède plus
d’une trentaine de machines-outils. La plupart de ces appareils (tours à chariot et à
pointes, appareils à aléser et à percer) sont commandés aux grands constructeurs
britanniques de l’époque (Fox, Sharp & Roberts, Nasmyth)60. Ils sont amenés par bateaux à
La Ciotat durant l’année 183761. En cette fin des années 1830, le développement du projet
de construction de la ligne de chemin de fer Marseille-Avignon inspire à Louis Benet et au
même groupe d’hommes d’affaires une tentative encore plus audacieuse. En 1839, Louis
Benet se lance dans la formation d’une société au capital de 900 000 francs, pouvant être
porté à 1 350 000 francs, dont l’objet est : « l’exploitation de l’atelier de construction de
machines établi à La Ciotat… ; l’établissement à Marseille d’un atelier de réparation pour
les machines marines et autres ; la construction de machines locomotives ; la
construction de navires de toutes dimensions avec ou sans machines à vapeur62 ».
25 Une fois de plus, on retrouve les mêmes personnages à ses côtés, principalement Jean
Luce et Joseph Roux. Les frères Schneider, ne croyant pas à la réussite de la nouvelle
société, ne suivent pas mais le groupe d’affaires marseillais qui soutient Louis Benet a
réussi un tour de force pour trouver des appuis financiers63. Luce et Roux ont convaincu
Paulin Talabot et James de Rothschild d’investir dans l’entreprise. Pour Louis Benet, les
répercussions sont énormes. Il dispose désormais de capitaux considérables. Le fonds
social de la société est multiplié par deux64. Cet apport financier lui permet l’installation
d’un atelier particulièrement bien équipé. En 1841, on peut recenser la présence dans la
seule usine de La Ciotat de deux machines à vapeur d’une puissance totale de 20 chevaux,
de cinq grands tours dont un à chariot de neuf mètres pour les opérations d’alésage, de
trois grandes grues destinées au montage des appareils et d’un chemin de fer reliant les
différents ateliers entre eux65. Louis Benet trouve, enfin, la possibilité d’intégrer un
réseau de décideurs capable de lui remplir ses carnets de commandes. Grâce aux relations
de Paulin Talabot, il va bénéficier de la collaboration technique de Robert Stephenson, le
père de la locomotive, qui a passé un contrat d’équipement avec la Compagnie du chemin
de fer Marseille-Avignon66. Parallèlement, Louis Benet développe sa fonderie de
Menpenti. Réorganisée en décembre 18 3 667, la société passe en 1840 dans les mains de
son cousin. Le capital est porté à 210 000 francs pour satisfaire les nouveaux besoins en
biens de production. En 1843, enfin, Louis Benet développe les activités de son chantier de
construction et de réparation des Catalans. Il s’associe avec les cousins Henri et Pons
Peyruc, fondateurs de deux ateliers de constructions mécaniques dans le Var dont le plus
ancien, celui du Mourillon à Toulon, devient en partie propriété du Ciotadin68. L’alliance
est stratégique. Louis Benet vise les marchés de la Marine et de l’administration des
postes.
26 Au total, le chemin parcouru entre 1832 et 1846 est immense. Louis Benet est à la tête de
cinq ateliers regroupant près de 2 000 ouvriers : une fonderie et un atelier de
construction et réparation d’appareils à vapeur à Marseille ; un chantier de construction
101
navale et un atelier de fabrication de machines marines et locomotives à La Ciotat ; et
enfin une entreprise de mécanique à Toulon.
Le bilan
27 Trois traits fondamentaux caractérisent l’histoire des investissements dans l’industrie de
la métallurgie et de la construction mécanique de la région marseillaise.
L’autofinancement a été important dans la première phase de développement et va rester
prépondérant dans la création des petites et moyennes entreprises jusqu’à la fin de la
monarchie de Juillet. Progressivement, les augmentations de capital se font avec les
apports de banques locales (ceux de Roux de Fraissinet & Compagnie pour la société de
Louis Benet, par exemple). Les grandes banques, notamment la Banque de Marseille69,
n’ont joué aucun rôle dans les fondations d’entreprises. En revanche, plus tardivement,
elles interviennent de manière non négligeable en ouvrant des crédits commerciaux aux
sociétés victimes de difficultés conjoncturelles70. L’État n’est jamais intervenu pour
faciliter, de quelque manière que ce soit, l’établissement des entreprises. Sur ce dernier
point, l’exemple marseillais est similaire à celui présenté par la Catalogne, une région qui
a pu compter sur les investissements du riche patronat textile. Il diverge toutefois
fortement des cas italiens ou grecs. Dans ces deux pays, l’Etat a joué un rôle prépondérant
dans la formation des entreprises les plus importantes. À Gênes, le gouvernement de
Piémont-Sardaigne prête, en 1845, un million de lires sur quinze ans sans intérêts à
Fortunato Prandi afin qu’il puisse fonder les ateliers d’Il Meccanico71 (future Ansaldo).
L’entreprise est, de plus, exemptée de droits de douanes sur les fers étrangers qu’elle
travaille et ne paie qu’une taxe insignifiante (1 % ad valorem) sur les machines achetées en
Grande-Bretagne72. Au Pirée, l’État se porte garant de Vassiliadis afin qu’il puisse
contracter, en 1861, l’emprunt nécessaire à la construction de ses ateliers métallurgiques
et de construction d’appareils à vapeur73. L’usine sera détruite par un incendie en 1868.
Une fois encore, l’État aide l’entrepreneur pour la reconstruction des installations74. La
situation des entreprises marseillaises est radicalement différente de celles des royaumes
italiens ou de la Grèce. Marseille ne connaît rien de tel car elle est comprise dans un
ensemble où l’industrie métallurgique et mécanique est bien développée dans plusieurs
régions (le Centre, le nord, l’est et la région parisienne). L’État ne voit aucune nécessité à
favoriser à tout prix le développement de ce secteur à Marseille. Les ateliers formés à
Gênes ou au Pirée sont en revanche les premières grandes initiatives dans des pays
dépourvus d’industrie métallurgique et mécanique. Les États concernés voient dans ces
créations une nécessité politique. Elles sont, par leur modernité, un élément de prestige
nécessaire au rayonnement des régimes.
L’APPARITION D’UN QUARTIER DE LA MÉTALLURGIEET DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUE
28 Sous la monarchie de Juillet, le développement économique a profondément modifié le
visage de Marseille. L’apparition du secteur métallurgique et mécanique joue un rôle
majeur dans ce processus de transformation d’une ville d’Ancien Régime en cité
industrielle. La dissémination des entreprises basées le long des cours d’eaux sur
l’ensemble de l’est du département des Bouches-du-Rhône et le regroupement dans le
vieux centre de Marseille font alors place à une concentration sur deux pôles originaux et
102
fondamentalement différents : La Ciotat et le sud-est de Marseille. À l’image du Creusot et
toutes proportions gardées, le développement des chantiers de Louis Benet ont fait de La
Ciotat une véritable Town Company. À partir de 1836, la ville et la population, alors de
dimensions très modestes75, vont s’étendre en complète corrélation avec la croissance de
l’entreprise selon un mécanisme bien connu. La situation marseillaise, en revanche, est
beaucoup plus complexe. L’apparition des fonderies et des ateliers de mécanique doit
s’intégrer dans un espace urbain profondément marqué par son passé. Cet héritage est
souvent peu conforme aux logiques économiques et juridiques d’implantation qui pèsent
sur ces entreprises.
Les problèmes posés par l’installation des fonderies
29 L’artisanat métallurgique marseillais s’était développé sous la Restauration dans le centre
de la ville, le long de quelques artères situées à proximité du Vieux-Port. Les artisans
fondeurs sont principalement localisés rue Coutellerie et Grand’rue, les fabricants de
plomb en grenailles, rue Pierre-qui-Rage et les chaudronniers, armuriers et couteliers,
rue Négrel ou rue des Fabres76. Les installations d’usines modernes de construction
mécanique et surtout de transformation des métaux ne pouvaient conserver les
implantations de la période précédente pour deux raisons. Ces nouveaux ateliers de
dimensions souvent importantes peuvent difficilement s’insérer dans des rues étroites et
sinueuses. De plus, l’État français a légiféré sous l’Empire afin de surveiller ce type
d’établissement particulièrement nuisible et redouté par les populations. Les lois des 21
avril et 15 octobre 1810 rendent nécessaire une installation éloignée des quartiers habités
du centre de la ville.
30 Le comité de salubrité surveille avec la plus grande attention les demandes d’installations
de fonderies de deuxième fusion et n’accorde les autorisations qu’avec la plus grande
parcimonie. En 1827, Duphot doit obtenir l’appui de la préfecture, qui voit dans cette
installation une nécessité économique de grande importance. Le préfet juge en effet que
ce type d’établissement « manque à Marseille et paraîtrait promettre d’assez grands
avantages à cette ville sous le rapport du commerce et de ses fabriques77 ». Deux années
plus tard, la demande de Pierre-Joseph Baudoin est rejetée78. Pour les entreprises de la
construction mécanique, le problème est moins épineux mais les réticences sont encore
importantes. La population marseillaise reste longtemps effrayée par la machine à
vapeur. En 1846, Chambort, membre de la société de statistique de Marseille, rappelle
l’époque récente où « l’aspect d’une chaudière à vapeur inspirait l’effroi79 ». Le temps où
les femmes se signaient en croisant le contremaître du premier moulin à vapeur, Jean-
Baptiste Falguière, – « elles croyaient ainsi exorciser le diable qui seul pouvait, disaient-
elles, faire de la farine avec du feu80 » – est certes révolu. L’Église a apporté son concours
en bénissant les machines à vapeur81 et leur nombre croissant habitue les Marseillais à
leur présence. La peur de l’explosion des chaudières demeurera toutefois importante
malgré les progrès effectués dans le domaine de la mécanique qui rendent ces frayeurs
souvent injustifiées. En 1855, avec un goût du morbide assez prononcé, le député
provençal Louis Reybaud dresse encore un portrait pour le moins sombre des machines à
vapeur : « Quand on les oublie, un bruit sinistre rappelle inopinément leur puissance : il
s’agit de victimes écrasées ou brûlées à petit feu, de membres brisés, de crânes ouverts82
. »
103
31 Les oppositions de la population aux installations de machines demeurent nombreuses
dans les années 1830, surtout quand elles touchent les établissements métallurgiques.
L’industrie métallurgique et mécanique doit donc prendre ses quartiers dans la proche
banlieue. La question d’une implantation au nord, au sud ou à l’est de la ville ne se pose
pas vraiment. Plusieurs quartiers du nord de la ville sont bien trop peuplés. Ils sont de
plus accrochés à des collines dont les pentes rendent le transport par charriot vers le port
particulièrement difficile. Vers l’est, les installations d’entreprises deviennent
impossibles à cause de la poussée d’urbanisation que connaît cette zone dès la fin de la
Restauration83. La banlieue sud-est s’offre donc comme unique solution d’implantation.
En 1830, les habitations s’arrêtent à la place Castellane84. Au-delà s’étendent des plaines
propices aux installations industrielles.
Un choix par défaut : la localisation dans les quartiers du sud-est
32 Les trois premières demandes d’autorisation de fonderies de fer, en 1826, 1827 et 182985,
concernent des implantations relativement éloignées du centre. Les choix des
entrepreneurs, Duphot, Vial (?) et Baudoin, sont diamétralement opposés. Le premier a
choisi le nord, extra muros. alors que les deux autres ont opté pour l’extrême sud-est de la
ville, le long du cours Gouffé. Ces trois demandes ne débouchent pas sur des réalisations
concrètes sur le terrain mais le choix du lieu où va se développer l’industrie marseillaise
de la métallurgie et de la construction mécanique est déjà fixé. C’est en effet dans les
quartiers du Rouet et de Menpenti, autour du cours Gouffé et de la place Castellane que
les établissements de ce secteur apparaissent.
33 Presque tous les ateliers de mécanique sont regroupés dans ces deux quartiers. La
majeure partie d’entre eux est située sur la place Castellane et le long de cinq artères
situées principalement au nord de cette zone (Vieux et Grand Chemin de Rome, rue Périer86), et à l’est (rue Friedland et cours Gouffé87). Pour le reste, les choix respectent l’esprit
d’éloignement du centre vers le sud, même s’ils se rapprochent du centre de la ville. Deux
entreprises, celles de Joseph Mouren et de Jean-Baptiste Falguière, sont implantées rue
Périer88. Seuls cinq ateliers relativement importants sont encore situés dans le centre.
Pour trois d’entre eux (ceux d’Azémar, Longuelanne et Saint-Joannis), il s’agit de cas de
transformation d’ateliers d’artisans chaudronniers en usines de mécanique. Ils
conservent leur situation rue des Fabres et boulevard des Dames sans avoir demandé
l’autorisation d’exercice pour leurs nouvelles activités. Le quatrième, une des usines de
Louis Benet, est situé au quartier des Catalans, au sud du Vieux-port. La spécificité de son
activité explique le choix. Annexe d’un chantier naval, l’atelier répare les machines
marines. Certains chefs d’entreprise ne se résignent pas à quitter le centre et refusent
donc de se plier aux exigences de la législation même lors d’un déménagement. Jean-
Baptiste Gautier transforme son atelier de chaudronnerie en entreprise spécialisée dans
la construction et la réparation de chaudières au tournant des années 1840. Il quitte la rue
des Fabres, mais reste dans le centre de la ville en choisissant la rue Fortia89.
34 Les fonderies de deuxième fusion de fer ou de cuivre suivent massivement les ateliers de
la construction mécanique, dont elles dépendent étroitement. John Riddings installe sa
fonderie de métaux sur le cours Gouffé à côté de l’atelier de Philip Taylor, usine avec
laquelle il entretient une étroite collaboration90. Le principe est identique pour Georges
Danré, qui crée sa fonderie sur le chemin du Rouet au début des années 1840. La fonderie
de fer des frères Puy, située rue d’Aubagne au début des années 1830, est transférée par
104
ses propriétaires chemin Saint-Giniez afin de se rapprocher de ces principaux clients et
de disposer d’un espace plus important91. Néanmoins, une partie non négligeable des
fonderies échappe à l’implantation dans les quartiers de Menpenti et du Rouet. Comme
pour le secteur de la construction et de la réparation d’appareils à vapeur, quelques
entreprises de deuxième fusion restent encore implantées dans le centre. Plusieurs
établissements nés de la transformation de petits ateliers d’artisans des années 1820-1840
demeurent dans les vieilles artères de l’artisanat métallurgique en évitant de demander
une autorisation d’installation pour leurs nouvelles activités. C’est le cas notamment des
entreprises de Gritty (rue des Fabres) et de Ferreol et Clavel (rue Breteuil)92. Mais, dans la
plupart des cas, ces fonderies sont de très petits établissements. Parmi les entreprises de
moyenne ou grande importance, une seule fonderie n’est pas située dans la banlieue sud
de la ville. Cabanis et Salles ont préféré l’est avec une installation dans le quartier Saint-
Just.
35 L’installation dans les quartiers du sud-est de la ville ne présente en fait qu’un seul
inconvénient mais celui-ci est de taille : la communication avec les différents centres
économiques de la ville et de la région s’effectue avec difficultés.
« Le charbon de Fuveau ne peut atteindre Menpenti et Saint-Lazare qu’enempruntant les voies centrales, notamment les étroits corridors de la rue Noailleset de la rue de l’Arbre, car les boulevards circulaires sont impraticables à la tractionanimale, à cause de leur formidable inclinaison ; il en est de même des matièrespremières débarquées au Vieux-port. Le charroi destiné aux faubourgs du sud-estdoit donc gagner ceux-ci par le cours Saint-Louis, la rue et le boulevard de Romejusqu’au grand chemin de Toulon récemment élargi à 14 mètres93. »
36 Regroupée dans un périmètre relativement restreint, l’industrie métallurgique et
mécanique marseillaise s’affiche avec force dans le paysage urbain. La localisation à
Menpenti et au Rouet trouve pleinement sa justification car, souvent poussées par les
mêmes contraintes, beaucoup d’usines d’autres secteurs industriels nées dans les années
1830-1840 s’installent, elles aussi, dans les quartiers du sud de la ville.
***
37 Les vieilles structures de l’artisanat marseillais ne sont pas effacées du paysage urbain
mais la visibilité d’une branche moderne de la métallurgie et de la construction
mécanique est désormais pleinement assurée. Elle l’est d’abord par la création de
plusieurs dizaines d’entreprises et d’ateliers de mécanique qui accèdent au niveau de la
petite industrie et de deux sociétés importantes, y compris à l’échelle nationale du
secteur. Les Phocéens ont pleinement conscience de l’existence d’une industrie qui
imprime sa marque dans la cité. Avec l’apparition d’un véritable quartier métallurgique,
cette visibilité relève aussi de la topographie urbaine. À la fin des années 1840, une partie
de la ville est dominée par la présence massive et concentrée de fonderies de fer, de fonte
et de cuivre, d’ateliers de construction mécanique. Le sud-est de la ville est alors
synonyme de métallurgie. Ville du savon, de l’huile, des produites chimiques, des blés et
des sucres, Marseille est devenue aussi une ville du fer et de la vapeur.
105
NOTES
1. ADBdR 548 U 3 et XIV MEC 12/71 ; VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… » op. cit., p. 287.
2. VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art cit., p. 287.
3. Ibid.
4. ADBdR 548 U 3.
5. AN 71 Mi 22.
6. AN F 12 4476.
7. ADBdR, XIV M 10/8.
8. ADBdR 548 U 3.
9. Le premier acte de la société est déposé en 1840 (ADBdR 548 U 4), mais l’entreprise fonctionne
depuis l’automne 1839 (SM, 9 octobre 1839). La galvanisation consiste à plonger les fers dans un
bain de zinc pour les préserver de l’oxydation.
10. BENET J. M., Le Cicérone marseillais, 1841, p. 306 et ECM, t. III, p. 381.
11. BLANC P., Le Nouvel Indicateur marseillais, Marseille, 1840, p. 103.
12. ACM 22 F 5.
13. Ibid.
14. Cet établissement n’est signalé qu’en 1844 (cf. Nouvel Indicateur marseillais, année 1844).
15. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement d’une usine à fer, quartier Saint-Just à Marseille, Marseille,
1844.
16. ADBdR XIV M 12/179 et 548 U 5, 1846.
17. Propriétaires des 28 fonderies : Barthélemy frères, Baudoin, Benet, Bonniot, Capel, Carie et
Benoit, Cas cadet, Danré, Deluy, Escoffier, Ferreol et Clavel, Gritty, Imbert, Baptiste, Lavigne,
Martin, Toussaint Maurel, Nel, Lazare Olive, Porte, Puy frères, Querel, Reboul, Riddings, Jeffery
frères, Robert, Sabatier, Siran et Vial fils (BENET J. M., Le Cicérone marseillais, 1846, p. 209).
18. Celles d’Azémar, Benet, Demange, Falguière, Gautier, Giroud, Long, Longuelanne, Marcel,
Mouren, Saint-Joannis, Taylor, et Truphême (ibid., p. 183 et 218). À ces treize ateliers, il faut
ajouter celui de Walker, absent du guide en 1846, mais qui est en fonctionnement, ainsi que ceux
de Lejeune et de Fournel & Liautaud, créés en cours d’année.
19. « Statistique des établissements… », art. cit., p. 230-249 et ECM, t. III, p. 385.
20. ACM 22 F 5.
21. La société Laugier & Gardon est constituée en 1837 pour la fabrication des tuyaux de plomb et
d’étain (ADBdR 548 U 3). Aucun document n’a permis de révéler le fonctionnement de cette
usine.
22. BENET J. M., Le Cicérone…, op. cit., année 1845, p. 221.
23. AN F 14 4313.
24. Cf. NADAL J., MALUQUER de Motes J., SURDRIA C, CABANA F., Historià economica de la Catalunya…, op.
cit., vol. III, p. 160.
25. ILLAS Y VIDAL J, Memoria sobre los perjuicios..., op cit., p. 51.
26. Ibid., p. 71.
27. DEFONTAINE J., L’Espagne au XIXe siècle, Paris, 1860, p. 134.
28. Parmi les créations les plus importantes : l’entreprise des frères Benech, en 1840, et de l’
Istituto Meccanico del Belvedee, en 1842, à Turin, des ateliers Westermann, de Taylor & Prandi, en
1846, aux environs de Gênes (pour plus de détails, cf. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit.).
29. Ibid., p. 201.
106
30. GABERT P., Turin…, op. cit., p. 84.
31. Celle de Vassiliadis en 1861, cumulant les travaux mécaniques et de fonderie de deuxième
fusion (cf. LAMARRE C, MARQUIS DE QUEUX DE SAINT-HILAIRE, La Grèce à l’Exposition universelle de 1878,
Paris, 1878, p. 254).
32. Société biotechnique hellénique, La Grèce industrielle et commerciale en 1900, Athènes, 1900, t. II,
p. 8-11 et 41-45.
33. ADBdR série 548 U.
34. LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 114.
35. Ibid., p. 109.
36. Pour les différentes formes juridiques des sociétés industrielles de la première moitié du XIXe
siècle, cf. VERLEY P., Entreprises et entrepreneurs du XVIIe siècle au milieu du XXe siècle, Paris, 1994, p.
97-100.
37. Capital de 12 000 francs pour la fonderie Ferreol & Clavel, 16 000 pour la société Lajarrije &
Legros et Baudoin & Baptiste, 22 000 pour Cavaillier fils & Guieu… (ADBdR 548 U 3 et 4). Pour
l’ensemble des sociétés métallurgiques et mécaniques de la période 1830-1846, il est exceptionnel
que le capital dépasse la somme de 100 000 francs.
38. Pour les formations de sociétés, cf. ADBdR, 548 U 3, 4 et 5.
39. Pour la période 1831-1846, seules six ou sept entreprises ont dépassé ce seuil : les fonderies
Danré, Benet et peut-être celle de Riddings ; les ateliers de mécanique de Taylor, Falguière et
Benêt (ADBdR, XIV M 6/2 ; ACM 22 F 5 ; ECM, t. III, p. 379-385 et SF, p. 52-53).
40. ADBdR XIV M 12/179.
41. Ibid., XIV M 6/2.
42. Ibid., XIV MEC 12/71.
43. Les commanditaires ne sont ici responsables qu’à hauteur des capitaux investis.
44. ADBdR 548 U 4.
45. La société est dissoute en 1843.
46. ADBdR, 548 U 4.
47. AN 71 MI 22, Société des forges et chantiers de la Méditerranée, Notice…, op. cit., p. 37.
48. Le Temps, 25 septembre 1837.
49. ADBdR 364 E 615.
50. ADBdR 548 U 6.
51. Ibid., 548 U 3.
52. Cf. chapitre IV.
53. Bulletin démocratique des Bouches-du-Rhône, n° 39, 1er mai 1886.
54. MLV, 31 mai 1835.
55. Benet a été membre de la chambre de commerce de Marseille de 1835 à 1837 ( TEISSIER O.,
Inventaire des archives modernes de la chambre de commerce de Marseille, Marseille, t. II, 1882, p. 356).
56. Cf. chapitre IV.
57. ADBdR 548 U 3, Acte de formation de la société Louis Benet & Cie, 23 mars 1836).
58. Ibid., 548 U 26, 1882, acte n° 13. L’acte de décembre 1836, contrairement au précédent,
concerne l’ensemble des ateliers de Louis Benet, à Marseille et à La Ciotat.
59. AFB, Registres de copies de lettres envoyées par Schneider & Cie, t. IV, Lettre du 25 juillet
1838 à Louis Benet & Cie.
60. ADBdR, 364 E, Annexe de l’acte n° 285, Inventaire général des outils de l’atelier Louis Benet &
Cie, 31 décembre 1838.
61. MLV, 1er décembre 1838.
62. ADBdR 364 E 615.
63. Sur les motifs du refus des frères Schneider, cf. AFB, Registres de copies de lettres envoyées
par Schneider & Cie, t. IV, Lettre du 25 juillet 1838 à Louis Benet & Cie.
107
64. Le capital passe de 450 000 à 900 000 francs.
65. ECM, t. III, p. 382.
66. AN 77 AQ 44 et SM, 1-2 mai 1844.
67. ADBdR 548 U 26.
68. Ibid., 548 U 4.
69. Succursale de la Banque de France fondée en septembre 1835.
70. Ouverture d’une ligne de crédit de 475 000 francs pour Louis Benet & Cie et de 2 millions de
francs pour Figueroa & Cie en 1848 (ADBdR 354 E 313).
71. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude de l’acquisition… », op. cit., p. 464.
72. GIORDANO F., Industriel del ferro in Italia, Turin, 1864, p. 316.
73. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 353.
74. Ibid., p. 316.
75. La Ciotat ne compte que 6 000 habitants en 1835 ( GARCIN E., Dictionnaire historique et
topographique de la Provence ancienne et moderne, Draguignan, 1835, t. II, p. 353).
76. Cf. L’Hermès marseillais.., op. cit., p. 268-270 et CHARDON, Nouveau Guide marseillais…, années
1825-1830.
77. ADBdR XIV M 12/71.
78. Baudoin n’obtient l’autorisation qu’en 1833 (ibid., XIV M 12/71).
79. RTSSM, t. IX, 1846, p. 142.
80. BERTEUAT S., « Marseille d’hier… », art. cit., p. 301.
81. L’archevêque d’Aix bénit notamment la machine placée dans les mines du Rocher bleu
(« Rapport de M. de Montluisant sur l’inauguration de la machine à vapeur à épuisement destinée
à l’exploitation des mines de lignite du rocher bleu », RTSSM, t. VII, 1843, p. 65) et, en janvier
1848, l’évêque de Marseille fait de même avec les locomotives reliant Marseille à Avignon (
LOMBARD A., Voyage historique et littéraire de Marseille à Avignon sur la voie de fer, Marseille, 1850, p.
2).
82. Cité dans BOUCHER-CAVALLO F., Au siècle de la vapeur. Guide Écomusée de la communauté Le Creusot-
Montceau, Le Creusot, 1992, p. 46.
83. RAMBERT G., Marseille, la formation d’une grande cité moderne, Marseille, 1934, p. 275-277.
84. Ibid, p. 278-291.
85. ADBdR XIV M 12/71.
86. Rue Aldebert depuis 1855.
87. BENET J. M., Le Cicérone marseillais…, op. cit., année 1846, p. 218.
88. Ibid.
89. CHARDON, Nouveau Guide marseillais…, op. cit., année 1830, p. 199 et BENET J. M., Le Cicérone
marseillais…, op. cit., année 1839, p. 156.
90. 90. ECM, t. III, p. 380.
91. CHARDON, Nouveau Guide marseillais…, op. cit., année 1830, p. 230 et ADBdR XIV M 12/71.
92. BENET J. M., Le Cicérone marseillais…, op. cit., année 1842, p. 176 et année 1843, p. 187.
93. RAMBERT G., Marseille, la formation…, op. cit., p. 289.
108
Chapitre VII. Techniques et types deproduction
1 Sous la monarchie de Juillet, les métallurgistes et mécaniciens marseillais se sont heurtés
à une difficulté technique majeure : celle de la mise en place d’une production variée et
de qualité. La demande locale en produits métallurgiques est d’une extrême diversité.
L’éventail des besoins va de la simple pièce de fonte à la locomotive. Afin de s’assurer des
commandes suffisantes, les entreprises ne peuvent se contenter d’un seul créneau. La
régularité des marchés laisse à désirer et le nombre des sociétés qui doivent se partager
les débouchés est sans cesse croissant. L’ensemble de ces données a amené l’artisanat
métallurgique de la Restauration à se transformer en un secteur polyvalent de
fabrications dont certaines ont une forte valeur technologique.
2 Le savoir-faire des artisans a souvent constitué une base de départ suffisante pour établir
de nouvelles productions. C’est généralement le cas des biens d’équipement pour les
usines. Les machines et chaudières acquises par l’industrie marseillaise sous la
Restauration ont servi d’objets d’étude et de modèles pour les premières réalisations.
L’acquisition des compétences techniques de base a été facilitée par la faiblesse des
connaissances scientifiques nécessaires en ce domaine et par l’absence d’innovations
majeures au cours des années 1830-1840. Il en est tout autrement pour les appareils
moteurs utilisés par la navigation et les chemins de fer. La technologie est ici d’une
grande complexité, même pour un mécanicien rompu à la production d’appareils pour
l’industrie. Elle est également en évolution constante, ce qui ne facilite guère le
rattrapage du retard. Un important transfert de technologie doit s’opérer. L’industrie
métallurgique et mécanique marseillaise est donc confronté à un véritable défi. Il est
nécessaire de s’interroger sur la nature et les modalités du processus de mise en place
d’un éventail de productions adapté à la variété de la demande et sur la capacité des
entreprises à acquérir une technologie de pointe dans un secteur industriel où les
Britanniques règnent encore sans partage.
109
LES MACHINES FIXES ET AUXILIAIRES : UNAPPRENTISSAGE RAPIDE
3 En 1831, Jean-Baptiste Falguière, un ancien forgeron originaire du Tarn installé à
Marseille depuis une dizaine d’années, se lance dans la fabrication en série d’appareils à
vapeur. La première machine entièrement conçue et réalisée par Falguière, une petite
machine d’un cheval destinée à une chocolaterie1, est également la première fabriquée
dans les Bouches-du-Rhône. L’apparition de ce type de fabrication est brutale. Elle ne fait
suite à aucune phase préparatoire. Le premier atelier de mécanique phocéen est d’emblée
un établissement de construction. Marseille présente en ce domaine une originalité
marquée par rapport à l’ensemble des pays du sud de l’Europe.
Le processus des premières constructions dans le sud de l’Europe
4 Dans le sud de l’Europe, les premières réalisations de machines sont le résultat d’une
progression dont la phase initiale consiste à assimiler la technologie par des travaux de
réparations. Ces opérations permettent de comprendre le fonctionnement d’appareils
dont les éléments sont examinés avec soin lors des changements de pièces. En Catalogne,
la société El Nuevo Vulcano fabrique son premier appareil moteur en 1837 2. La machine
n’est pas destinée à la vente mais doit fournir la force motrice à l’entreprise qui
commence la production en série d’appareils moteurs seulement quelques années plus
tard. Entre temps, la société catalane doit passer par une période transitoire fondée sur
les travaux de réparation de machines et de changement de chaudières3. La construction
de machines à vapeur ne débute réellement qu’au cours de la seconde moitié des années
1840, période durant laquelle El Nuevo Vulcano devient le principal atelier mécanique
espagnol4. Dans les années 1860, la première société grecque de travaux mécaniques pour
l’industrie, celle de Vassiliadis au Pirée, passe également par une phase de travaux de
réparation avant de devenir un atelier de construction5. À Turin, à partir de 1834, on
assiste à la création d’ateliers de construction de chaudières, à l’image de ceux fondés par
les frères Decker spécialisés dans la production d’appareils pour le filage de la soie6. Il faut
attendre les années 1840 pour qu’apparaisse la première entreprise de construction de
machines à vapeur, celle des frères Benech7. Enfin, le processus est analogue à Naples. La
société de Zino & Henry, fondée au début des années 1830, commence par réparer des
machines importées de l’étranger pour les entreprises du secteur textile. Dans un second
temps, l’atelier copie les appareils français et anglais. En 1838, ayant assimilé les
caractéristiques techniques de ce type de réalisations, il devient un véritable
établissement de construction mécanique8.
5 La seconde grande différence réside dans l’origine des promoteurs de ces premières
fabrications. A Marseille, dès son démarrage, la construction des machines est assurée par
des locaux (Falguière, Longuelanne et Finaud, Demange et Chambovet…9). L’apport
britannique ne commence qu’en 1835 avec l’ouverture de l’atelier de Philip Taylor. À
Turin, Barcelone ou au Pirée, l’apport extérieur est dès le départ déterminant. Les
techniciens français et surtout britanniques assument les premières constructions de
machines. Les frères Benech, initiateurs du mouvement dans le royaume de Piémont-
Sardaigne, viennent directement de France. En Grèce, le rôle de John Mac Dowall a été
décisif. Il a dirigé les ateliers de Vassiliadis au Pirée lors de ses premières années de
110
fonctionnement et fonde, en 1874, la seconde société grecque de construction de
machines à vapeur10. À Barcelone, dans les années 1830, les ateliers d’El Nuevo Vulcano sont
pris charge par des techniciens britanniques (White puis Kent, à la fin des années 184011).
Vers 1850, les trois frères Alexander – mécaniciens écossais qui avaient d’abord travaillé à
Paris et peut-être à Valence – s’installent dans la capitale catalane et deviennent les
principaux constructeurs espagnols de machines à vapeur12.
Les caractéristiques techniques des machines fixes construites à
Marseille
6 Aucun document n’a permis de mettre en lumière comment Jean-Baptiste Falguière a
préparé son initiative. La seule certitude est que le mécanicien marseillais s’est déjà
familiarisé avec les appareils à vapeur avant de fonder ses ateliers. Contremaître du
moulin à vapeur fondé par Marliani sous la Restauration, il avait très certainement
assumé les charges de réparation et d’entretien de la machine. Sa première réalisation est
d’une conception simple. Il s’agit d’une machine à cylindre vertical, à balancier et basse
pression. Elle reste le principal type de construction effectuée dans les ateliers marseillais
jusqu’en 183713. Cette machine lourde et volumineuse est d’une technologie archaïque. À
la fin de la décennie, les progrès réalisés par les mécaniciens phocéens permettent la
fabrication de nouveaux types d’appareils. Encore une fois, le mérite en revient à Jean-
Baptiste Falguière. L’entrepreneur marseillais construit vers 1837-1838 des machines avec
un procédé qui « permet d’abandonner complètement le parallélogramme des machines à
vapeur dont l’exécution est si délicate et l’étendue si embarrassante14 ». La
transformation du mouvement linéaire alterné en mouvement de rotation continu est
assurée par le piston qui agit de manière directe. Dans cette réalisation, la tige du piston
est une traverse guidée de haut en bas par une glissière et porte à son bout un couple
bielle-manivelle chargé de faire tourner l’arbre de transmission. L’abandon du système du
balancier offre un triple avantage. Pour le constructeur, la valeur-travail est augmentée
alors que le prix des matières premières est réduit. Pour l’industriel qui achète ce type de
machine, l’avantage est également important. La suppression de l’imposant
parallélogramme entraîne un gain de place substantiel ainsi qu’une réduction des frais de
réparation, car les points de ruptures de transmission de la force sont réduits de moitié.
Cette technique s’accompagne de l’adoption de la haute pression15. La marche régulière
de l’engin est améliorée et la suppression du condenseur, inventé par James Watt pour
éviter le refroidissement des cylindres des machines à basse pression, entraîne de
nouveau un gain de place et une économie de matières premières. Le seul désavantage est
une consommation de combustible quelque peu accrue mais cet inconvénient est
compensé par une diminution de la quantité d’eau nécessaire au fonctionnement16,
élément non négligeable dans une région où le manque d’eau est un souci permanent. La
machine verticale à action directe et à haute pression va rester durant une trentaine
d’années le type dominant d’appareils utilisés par les usines marseillaises.
7 Dans la typologie des appareils construits par les mécaniciens marseillais sous la
monarchie de Juillet, un seul point important reste obscur. Afin d’abaisser de manière
notable les coûts de production, l’industrie française adopte massivement, dès la
Restauration, la machine à double expansion mise au point par Arthur Woolf en
Angleterre17. L’utilisation de ce modèle permet de réduire la consommation de charbons
de manière importante18. Les documents consultés n’ont pas permis de déceler la
111
présence de machines à double expansion à Marseille entre 1830 et 1846. Les
caractéristiques données pour les machines sont succinctes et ne permettent pas
d’élucider le problème. Deux indices laissent toutefois penser en leur possible utilisation.
D’abord, comme tous les entrepreneurs français, les industriels phocéens étaient
favorables à l’emploi de machines favorisant l’économie de charbon. Ensuite, la
généralisation, dès 1835-1836, de la haute pression dans les usines marseillaises laisse
également entrevoir la possible adoption de ce type d’appareils. L’utilisation de la haute
pression est en effet nécessaire pour les machines Woolf puisque ces appareils utilisent la
détente de la vapeur pour actionner le piston du deuxième cylindre. La fabrication des
machines compound à Marseille dès la monarchie de Juillet est donc concevable, puisque la
réalisation d’un double cylindre et de son système de distribution de vapeur ne pose pas
de difficultés insurmontables pour des mécaniciens qui ont déjà atteint une certaine
maturité technique.
8 L’industrie mécanique marseillaise ne se limite pas à l’introduction d’une technologie
externe. Les mécaniciens travaillent à l’amélioration des machines et déposent des
brevets. Certains sont pour le moins fantaisistes. En 1839, Pierre Méjean présente un
nouveau système de transformation du mouvement oscillatoire du balancier. La seule
originalité de son appareil est l’adjonction d’un second balancier couplé au premier par
deux bielles !19. Les inventions de Louis Benet et de Charles Lakeman sur l’amélioration de
la marche des machines et les économies de combustibles sont en revanche de véritables
brevets d’invention, même si les apports sont encore modestes20. Le travail le plus
intéressant est celui de Dominique Girard, un mécanicien travaillant dans les ateliers de
Philip Taylor, concernant un modèle de machine à vapeur. Nous ignorons les
caractéristiques techniques de cet appareil mais elles doivent certainement être de
qualité puisque son directeur tient à acheter le brevet un mois après21.
9 Étroitement liée à celle des machines à vapeur, l’étude de la fabrication des chaudières et
de leurs divers types n’offre qu’un intérêt limité. On observe le schéma classique de
l’utilisation progressive, au début des années 1830, des tôles de fer et de fonte au
détriment des pièces de cuivre. Ces chaudières, à haute pression sont quasiment toutes du
même modèle. Elles sont cylindriques et horizontales. Ce type de fabrication est le plus
adapté à la marche des machines de faible puissance, caractéristique dominante des
appareils utilisés par l’industrie marseillaise.
10 La construction des machines et des chaudières ne procède pas principalement d’une
technologie de pointe. Il ne faut pas voir ici une incapacité des mécaniciens marseillais à
assimiler les nouveautés. Une innovation technique n’a de sens que si elle répond à de
réels besoins. La machine à vapeur horizontale n’apparaît pas dans les équipements des
usines marseillaises avant la Seconde République. Il ne s’agit nullement d’un retard
puisque Philip Taylor, dont l’atelier fonctionne depuis 1835, est l’inventeur de ce type
d’appareil. La machine horizontale ne convient pas au fonctionnement des ateliers
marseillais. Ces dernières préfèrent l’utilisation de machines verticales qui « conviennent
surtout aux ateliers… où l’on emploie des arbres de transmission fixés vers le plafond, et
qui distribuent le mouvement aux différents établis22 ». La relative simplicité des
machines utilisées est en accord avec un système technique en place qui donne entière
satisfaction. Les trois grands secteurs industriels phocéens (la minoterie, l’huilerie et le
raffinage du sucre) ont besoin d’appareils de puissance relativement faible, d’une grande
solidité et d’une consommation réduite en eau et, dans une moindre mesure, en
combustible.
112
11 Le seul domaine dans lequel la technique échappe aux mécaniciens marseillais est celui de
la construction des machines utilisées pour l’exhaure des eaux de galeries des mines.
Certes, les constructeurs marseillais fabriquent des appareils d’épuisement, mais ceux-ci
sont de faible puissance23. Le problème se pose pour des machines de plus grandes
dimensions qui sont souvent demandées à effet variable afin de proportionner la
consommation de combustible à l’effet produit. Ainsi, en 1840, la construction de la
machine d’épuisement des mines du Rocher bleu ne peut être assurée par des
entrepreneurs locaux24. Le cahier des charges laisse entrevoir toute la difficulté de la
réalisation. La machine, type Cornouailles de 140 chevaux, doit sortir trois mètres cubes
d’eau par minute d’une profondeur de 128 mètres en ne donnant pas plus de dix coups
par minute. La consommation de lignite est clairement définie : 65 à 75 quintaux par jour
quand la machine tourne à dix coups par minute, 20 quintaux à un demi-coup par minute25. Philip Taylor accepte le marché mais n’est pas capable de construire l’appareil. Il
concède la fabrication à son frère John dont l’usine est établie au Pays-de-Galles26. Les
constructeurs belges et britanniques sont alors les seuls à pouvoir réaliser des machines
de ce type.
La construction des machines auxiliaires
12 La modernisation des équipements industriels ne se limite pas à l’utilisation de la
machine à vapeur. À l’image des presses hydrauliques pour broyer les graines
oléagineuses, les machines auxiliaires jouent également un rôle déterminant dans
l’industrialisation marseillaise. Les demandes de brevets d’invention déposées à Marseille
montrent le dynamisme des mécaniciens qui se lancent dans l’amélioration technique de
ce matériel de production27. Cette vitalité a rapidement débouché sur une remarquable
réussite dans le grand secteur de l’industrialisation marseillaise de la monarchie de
Juillet : l’huilerie.
13 Marseille a grandement participé aux améliorations techniques dans ce secteur et
devient, dès les années 1830, le pôle français de modernisation des systèmes de presses.
En pleine expansion, l’industrie des huiles cherche à augmenter ses tonnages de
production et à améliorer sa productivité. Ces deux facteurs sont porteurs d’opportunités.
Le travail de recherche sur les presses débouche rapidement sur des améliorations
considérables. Des mécaniciens locaux, Etienne Chambovet et l’incontournable Jean-
Baptiste Falguière, ont effectué l’essentiel des travaux de perfectionnement dès les
années 1830.
14 Etienne Chambovet commence, durant la période de construction des premières
huileries, à améliorer les systèmes utilisés sous la Restauration pour la trituration des
olives28. Il poursuit quelques années plus tard avec la mise au point d’une presse
hydraulique dont le diamètre des pistons est de 160 mm et qui exerce une pression de 160
kilos par centimètre carré29. Jean-Baptiste Falguière s’engage à son tour dans les
recherches et augmente les résultats obtenus par Etienne Chambovet. En un peu plus
d’une dizaine d’années, il dépose cinq brevets pour ce type d’appareils30. La presse à
régulateur automatique et à refoulement alternatif qu’il met au point à la fin des années
1840 possède un piston dont le diamètre a été doublé. La pression de l’appareil est portée
à 210 kilos par centimètre carré31. Le progrès est remarquable. Le système technique des
huileries est en place pour presque un demi-siècle non seulement à Marseille mais aussi
sur le territoire français. La dénomination de ces presses, baptisées « marseillaises »,
113
consacre la qualité des travaux effectués par les mécaniciens de la ville. En 1877, Louis
Figuier peut observer que le modèle de machines mis au point par Falguière est encore
utilisé dans beaucoup d’huileries françaises32.
LES MACHINES MARINES
15 L’avance des États italiens et de l’Espagne dans l’utilisation et la construction de navires à
vapeur pouvait donner à croire que l’Andalousie, Gênes ou Naples parviendraient, bien
avant Marseille, à fabriquer les premières machines marines en Méditerranée. Les
Phocéens sont à la traîne au tournant des années 1830. L’apprentissage d’une technologie
complexe pose de nombreuses difficultés.
Les premières réalisations
16 Comme pour la production de machines industrielles, la fabrication d’appareils marins
apparaît de manière soudaine. En 1836, Jean-Baptiste Falguière, décidément l’homme de
toutes les premières marseillaises, fabrique dans ses ateliers une machine marine33. Cette
nouveauté revêt un caractère tout à fait exceptionnel. Contrairement à ceux de La Seyne
dans le Var, les chantiers navals de Marseille et de sa région n’ont jamais été confrontés
aux problèmes posés la vapeur avant cette date. Les navires construits dans les Bouches-
du-Rhône n’étaient que de simples voiliers en bois. La réalisation de Jean-Baptiste
Falguière paraît donc remarquable. Dans le sud de l’Europe, seule la ville de Barcelone
présente peut-être un cas de construction aussi précoce. En 1837, les ateliers d’El Nuevo
Vulcano fabriquent une machine de faible puissance qui aurait été affectée à un petit
navire en bois34. Si l’information est exacte, son importance doit être toutefois fortement
nuancée. Cette construction reste isolée. Barcelone ne parvient à fabriquer intégralement
son premier vapeur qu’en 184935. Il faut également nuancer la valeur et la précocité des
travaux effectués par Jean-Baptiste Falguière. La machine, très certainement destinée à la
navigation fluviale, est à balancier et de faible puissance (12 chevaux). Elle se rapproche
donc fortement du type d’appareils à usage industriel que l’entrepreneur marseillais
fabrique depuis le début des années 1830. De plus, cette première construction ne
constitue pas un démarrage pour une production en série. C’est en 1842 où une nouvelle
machine marine sortira des ateliers de Falguière36. Il est donc légitime de s’interroger sur
la réussite de ces premiers essais. Les machines n’ont vraisemblablement pas donné
entière satisfaction.
L’apprentissage par le montage d’appareils
17 Le véritable démarrage de la construction de machines marines a lieu à Marseille, dans le
quartier des Catalans, et dans les chantiers navals de La Ciotat. Le schéma de
l’apprentissage de la technologie est classique. Les deux ateliers de Louis Benet ont relevé
le défi technique en suivant trois phases qui leur permettaient l’assimilation d’une
technologie complexe : l’assemblage de coques fabriquées sur place et de machines
importées, la réparation de chaudières et machines et, finalement, la construction de ces
mêmes appareils. Ce processus s’effectue dans des conditions bien particulières. À la
grande différence de ce qui s’est produit dans le domaine de la construction de machines
114
à usages industriels, l’apport externe va être prépondérant. Ici, tout s’est fait avec l’aide
des techniciens britanniques.
18 En mai 1835, Louis Benet décide de se lancer dans la fabrication de bateaux à vapeur37. Le
problème le plus immédiat est son ignorance des techniques propres à ce type de
construction. Les besoins sont grands. Les chantiers de La Ciotat doivent utiliser des
compétences et un outillage importés. L’affaire s’engage de la pire des façons. Au moment
où il fonde son entreprise, Louis Benet perd Charles Hamond, l’ingénieur Britannique qui
devait diriger les ateliers38. Dans un premier temps, l’entrepreneur provençal parvient à
trouver un palliatif en s’appuyant sur des ressources régionales. Louis Benet bénéficie de
l’expérience des chantiers de La Seyne qui étaient parvenus à lancer plusieurs vapeurs
depuis la Restauration grâce aux compétences de ses deux ingénieurs britanniques,
Charles et Henry Evans. Les deux hommes ont un long passé professionnel dans la
construction de navires à vapeur. Ils ont été, sous la Restauration, des collaborateurs de
l’Américain Edward Church et travaillent, au milieu des années 1830, dans ces mêmes
chantiers de La Seyne repris par Mathieu, directeur d’une compagnie de navigation
fluviale sur le Rhône39. Louis Benet engage temporairement l’un des frères Evans40 afin de
procéder au montage de ses navires à vapeur. La première construction, à La Ciotat, est
celle du Phocéen, un navire dont la conception est identique à celle du Sphinx, grand
vapeur français construit en 1830. La coque du bateau est en bois doublé de cuivre. La
machine, à deux balanciers latéraux, est placée aussi bas que possible afin d’assurer une
bonne stabilité à l’ensemble. La coque du bateau a été construite par Joseph Vence, vieil
architecte des chantiers ciotadins. La machine qui doit être placée à son bord, un appareil
double de 120 chevaux d’un poids total de presque 115 tonnes et d’une valeur de 110 000
francs, est l’œuvre de la firme Miller & Ravenhill41. Durant le mois de mars 1836, la
machine est placée sur la coque par Evans et un mécanicien dépêché par les constructeurs
britanniques. Le navire est mis à l’eau le 10 avril devant une foule considérable, dont 250
personnalités amenées spécialement par vapeur de Marseille42.
19 Son travail fini à La Ciotat, Evans est envoyé aux chantiers des Catalans, où il doit monter
des machines sur les coques des deux nouveaux navires construits par Louis Benet, le
Rhône et l’Hérault. Les deux navires sont lancés en 1837 alors qu’un quatrième (le Phénicien
) est en chantier à La Ciotat. Les constructions rencontrent de nombreuses difficultés. Aux
chantiers des Catalans, la mise à l’eau du Rhône est proche de la catastrophe. Planté au
milieu de la rampe de lancement après avoir été tiré par un vapeur, il reste une nuit
entière à la merci du mistral qui peut le retourner43. L’année suivante, l’embarquement
des chaudières du Phénicien tourne au drame. La chaîne de la grande grue casse et un des
appareils s’écrase sur le pont du navire en touchant plusieurs ouvriers44. Malgré les
difficultés rencontrées, les ateliers de Benet commencent à acquérir les techniques de
base de la construction des navires à vapeur et les techniciens de l’entreprise ont pu
observer dans les moindres détails les machines britanniques placées à bord des
bâtiments45.
20 Les réalisations des chantiers de La Ciotat et des Catalans n’ont alors aucun caractère
novateur en Méditerranée. La construction des navires à vapeur a commencé tôt dans le
sud de l’Espagne et dans plusieurs royaumes italiens. La région marseillaise arrive
tardivement dans le mouvement, tout comme la Catalogne et la Grèce. À Barcelone, en
août 1836, les ateliers d’El Nuevo Vulcano lancent, pour l’État, un navire de guerre (El Delfin
), le premier vapeur réalisé par des chantiers catalans46. En 1837, Georges Tompazis
115
construit dans l’arsenal de Poros deux navires à vapeur pour la marine de guerre
hellénique47.
21 En 1838, une nouvelle phase s’engage pour les entreprises de Louis Benet. Les chantiers
des Catalans se cantonnent désormais dans des travaux de réparation ou de construction
mécanique. Ils réalisent leur dernier navire à vapeur, le Saumon. Ceux de La Ciotat
étendent leurs activités en se lançant dans la réparation des appareils marins48. La même
année, Louis Benet se lance dans une réalisation plus ambitieuse avec la mise en chantier
d’un navire à vapeur en fer commandé par une compagnie de navigation sur le Rhône. La
construction de la coque du bateau et le montage de la machine, fabriquée cette fois dans
les ateliers d’Edward Bury de Liverpool49, ne s’effectuent pas sans problèmes. Les travaux
durent en effet un peu plus de neuf mois. Clark, l’ingénieur anglais qui dirige le chantier,
est congédié avant terme50. L’entreprise connaît finalement une réussite des plus
moyennes. Le navire « n’a pas donné les résultats auxquels on s’attendait. Les machines
ont paru faibles, proportionnellement aux dimensions du navire51 ».
La construction en série des machines marines
22 Vers 1840, l’entreprise de Louis Benet s’engage dans une phase plus délicate : devenir un
constructeur de machines marines. Ce projet est inscrit dès 1839 dans l’acte de formation
de la société Louis Benet & cie. Les actionnaires avaient alors pris des garanties en
précisant que le gérant de l’établissement « devait s’assurer par un traité le concours de
l’un des principaux constructeurs de machine marines d’Angleterre…52 ». L’affaire est
longue à se dessiner d’autant que Louis Benet doit désormais se passer des services des
frères Evans, tous deux décédés, l’un en 1838 et l’autre en 183953. La situation ne se
débloque qu’au début des années 1840. Au prix d’un important sacrifice financier, Louis
Benet est parvenu à s’attacher les services d’un technicien britannique qui va assurer la
prospérité des chantiers navals de La Ciotat durant une dizaine d’années : John Barnes. Sa
première participation n’est que ponctuelle mais s’avère déjà d’une importance
considérable. En 1841, sous sa direction, les ateliers entreprennent la construction de leur
première machine marine, celle du Phocéen II. L’appareil à balancier, d’un poids de
presque 116 tonnes, est composé de deux machines de 70 chevaux chacune. Les trois
générateurs de vapeur, construits en tôle de fer, sont à basse pression54. Cette première
construction détermine le type de fabrication des ateliers pour cinq années.
23 Sur ce prototype, l’apprentissage des ouvriers, bien encadrés par des contremaîtres
britanniques, s’effectue dans de bonnes conditions. Mis à part l’Ajaccio et l’Oronte, tous les
navires construits à La Ciotat entre 1841 et 1846 sont munis de machines fabriquées sur
place55. Avec la réalisation du Phocéen II, les ateliers de La Ciotat ont fait leurs preuves. Les
commandes affluent. L’établissement a été modernisé. En 1842, « … L’atelier de montage,
renfermant trois grandes grues, est assez vaste pour monter à la fois quatre grands
appareils de navigation maritime56 ». Le mouvement des machines-outils, des marteaux et
martinets sont donnés par quatre machines à vapeur57. Sur cette base, Louis Benet se
lance dans la fabrication de machines de fortes dimensions qui vont atteindre 220
chevaux. John Barnes, même s’il ne réside pas à La Ciotat, est souvent présent et participe
à la construction des appareils. Le Britannique tente même l’application de nouveautés
technologiques. Pour faciliter la distribution de la vapeur dans les cylindres, Barnes
applique en 1844 le système Legendre (tiroir d’admission glissant sur le couvercle). Seul
116
Parkin, en Amérique, et Harvey, en Grande-Bretagne, étaient parvenus avant lui à réussir
la construction d’appareils de ce type58.
L’atelier de La Ciotat : une entreprise à la pointe de la technologie
24 À partir de 1843, la navigation à vapeur fait de gros progrès en France. Les chaudières
tubulaires remplacent les anciens modèles prismatiques59. Les machines sont allégées et
simplifiées, l’usage des coques en fer pour les navires de haute mer et les appareils à
cylindre oscillant apparaissent60. L’atelier de La Ciotat essaie d’adopter avec rapidité ces
différentes innovations. En 1844, les chantiers fabriquent le Narval, premier bateau de
guerre de la marine royale muni d’une coque en fer61. Pour cette réalisation, l’État a
dépêché à La Ciotat Stanislas Dupuy de Lôme, jeune ingénieur du génie maritime en poste
à l’arsenal de Toulon62. La réalisation s’avère de qualité, à la plus grande satisfaction du
prince de Joinville63. Dans le secteur purement mécanique, les nouveautés techniques se
rapprochent de celles adoptées pour la construction de machines à usages industriels.
L’entreprise cherche à réduire le poids et le volume des machines et des chaudières. Sous
l’impulsion de John Barnes, qui s’installe définitivement en Provence à la fin de l’année
184464, le système du balancier est abandonné en 1845 avec la construction de l’appareil
du Philippe-Auguste. Les deux machines verticales, d’une puissance totale de 180 chevaux,
sont à action directe. Les pistons du cylindre entraînent directement l’arbre de rotation
par un jeu de bielle-manivelle65. L’encombrant parallélogramme peut laisser place à de la
marchandise. Dans le même temps, l’usage de chaudières tubulaires fait son apparition
grâce à la mise au point d’appareils évaporatoires permettant de traiter l’eau de mer et
d’éviter ainsi les dépôts de sel qui pourraient boucher les tubes des générateurs66.
L’utilisation de ce nouveau type de chaudières entraîne également un gain de place sur le
navire, mais son atout le plus important est d’assurer une meilleure distribution de
vapeur. La surface de chauffe des chaudières, augmentée de manière notable, assure un
meilleur rendement des machine. Le travail sur les chaudières tubulaires ne se borne pas
à l’application de ces nouveautés techniques. Louis Benêt travaille également à leur
amélioration. En avril 1846, il dépose, en association avec les cousins Peyruc, un brevet
pour la pose des tubes pour chaudières à vapeur. Le système « permet d’éviter la rupture
des tubes ou une pose imparfaite lors de leur martelage alors qu’ils sont déjà refroidis67 ».
25 Dans ce domaine de la mécanique marine, deux points divergent du schéma général de
modernisation des appareils industriels. La première différence réside dans l’usage de la
basse pression et le maintien du système du condenseur. Ces deux caractéristiques
techniques restent la règle sur toute la période. L’utilisation de la haute pression pose en
effet le problème de la marche continue en cas de défaillance de la machine. « En marine,
il ne faut jamais courir le risque d’être complètement arrêté ; mieux vaut marcher mal
que pas du tout, et c’est ce que la haute pression ne permet pas68. » Elle amène de plus une
consommation accrue de charbon qui réduit la place des marchandises dans la cale des
navires. Le problème est équivalent pour le maintien du condenseur sous les cylindres. Il
est lui aussi plus économique en combustible et, contrairement à la situation rencontrée
dans le domaine industriel, le problème de l’eau ne se pose pas pour la navigation à
vapeur69.
26 Le seul secteur véritablement neuf auquel l’atelier de La Ciotat ne participe pas est la
construction de machines à cylindre oscillant, qui présentent l’avantage de supprimer
une articulation sur le couple bielle-manivelle. Ce type d’appareils apparaît tardivement à
117
La Ciotat, en 1846. Deux principales raisons expliquent le retard en ce domaine. La
première cause est liée à la fragilité de ces machines qui sont alors le sujet de nombreuses
critiques. Peut-être John Barnes, comme bon nombre de techniciens français, redoute-t-il
l’« usure trop rapide des tourillons qui supportent le cylindre mobile70 ». La seconde
explication – qui est très certainement la principale – réside dans l’incapacité pour
l’atelier de fabriquer ces machines. Les premiers appareils à cylindre oscillant, ceux de l’
Oronte et du Mérovée, ont été commandés aux ateliers des frères Schneider, au Creusot.
François Bourdon, ingénieur de l’entreprise bourguignonne, est dépêché de Saône-et-
Loire pour assurer l’assemblage des machines sur les deux navires71. Ces deux modèles
serviront de base pour les fabrications ultérieures.
Les débuts de Philip Taylor dans la construction de machines
marines
27 En 1845, un second constructeur de machines marines apparaît à Marseille. Dans ses
ateliers de Menpenti, Philip Taylor se bornait depuis 1837, dans le domaine maritime, à la
réparation des machines ou à la construction de chaudières. Au milieu des années 1840, le
Britannique décide de voir plus grand. En 1845, il rachète le chantier seynois de Lombard,
successeur de Mathieu et Church72, et se lance dans la construction de navires à vapeur.
La division des tâches entre ses différentes unités est clairement définie. Les chantiers
navals de La Seyne réalisent les coques des navires et les ateliers de Menpenti
construisent les chaudières, réparent des machines73. L’histoire des entreprises de Philip
Taylor n’est en rien comparable à celle de Louis Benet. Taylor n’est pas un novice dans la
construction mécanique pour la navigation. Il a déjà construit des machines marines vers
1825-1826 et s’est intéressé à la conception des propulseurs de navires puisqu’il a pris, en
1838, une patente pour la fabrication d’un système de roues à aubes74. L’entrepreneur
anglais a donc des atouts considérables, d’autant qu’il parvient à attirer dans ses
entreprises certains de ses compatriotes jusqu’alors en poste dans les ateliers de Benet à
La Ciotat75. En 1846, il lance le Languedoc et le Ville de Marseille, deux paquebots à coque en
fer munis de roues à aubes actionnées par des machines de 320 chevaux. Ces machines ne
sont pas encore fabriquées par les ateliers de Menpenti, qui ne réalisent que les
chaudières. La situation va durer peu de temps. La même année, Philip Taylor reçoit de la
marine de guerre la commande d’une machine de 200 chevaux76.
La situation dans le sud de l’Europe
28 Pour Barcelone, Gênes, Naples et Le Pirée, le processus d’apparition et de développement
des chantiers navals et des sociétés de construction de machines marines s’effectue selon
des modalités semblables à celles de Marseille. Il est toutefois plus lent et n’atteint jamais
les proportions du cas marseillais. Malgré leur précocité dans la construction des
premiers vapeurs, les entreprises de construction de machines marines tardent à prendre
un véritable essor dans les divers États sud-européens. Cette lenteur ne doit pas être
imputée à une impossibilité d’assimiler la technologie britannique, mais plutôt à des
coûts de production trop élevés pour que les ateliers puissent obtenir des marchés. Avant
1860, la majeure partie des navires italiens, espagnols et grecs sont équipés de machines
étrangères dont l’importation freine le développement des ateliers nationaux. L’exemple
des chantiers de Foce est significatif. Ces chantiers ont produit sept vapeurs avant
118
l’unification italienne. Un seul d’entre eux, le Luni, est équipé de machines fabriquées
dans l’entreprise77. Sans commandes, les entrepreneurs sont réticents à investir les
sommes nécessaires à l’installation d’ateliers modernes capables de produire à grande
échelle.
29 Dans ce cadre général difficile, certaines entreprises parviennent toutefois à acquérir la
technologie de la mécanique marine, le plus souvent grâce à des techniciens britanniques
et avec l’aide de l’État, qui leur adresse quelques commandes. En Ligurie, des chaudières
marines sont construites au cours des années 184078. En 1855, les frères Orlando ont
réalisé les machines du Sicilia79. C’est le premier navire marchand de haute mer en fer
construit dans des chantiers de la péninsule. Luigi Orlando est capable de fabriquer dès
1858 des machines marines à cylindre oscillant80. Les ingénieurs et contremaîtres
britanniques sont nombreux dans les chantiers italiens. Les ateliers d’Il Meccanico sont
dirigés par Philip Taylor entre 1846 et 1851. À Naples, les Britanniques sont à l’œuvre
depuis le milieu des années 183081 et ont fait de Pietrarsa un grand centre de mécanique.
En 1850, la production de machines marines italiennes a débuté dans cet atelier82.
L’entreprise napolitaine produit durant la décennie qui précède l’unification des
machines de 500 et parfois 1 000 chevaux83.
30 L’Espagne présente les même caractéristiques. À Barcelone, les ateliers d’El Nuevo Vulcano,
créés en 1833 et filiale d’une compagnie de navigation à vapeur, ont d’abord travaillé à
réparer les navires de leur maison mère. Leurs activités se sont étendues à des travaux
extérieurs à partir de 1842-1843. Ils changent, en 1844, les chaudières du Peninsular, du
Mallorquin et de La Villa de Madrid, trois navires de guerre espagnols84 et livrent, en 1849,
les chaudières du premier vapeur intégralement construit à Barcelone85. Les ateliers de
constructions mécaniques de Valentí Esparó sont agrandis au milieu des années 1840
pour fabriquer des machines de grande puissance et réalisent celles d’El Remolcador.
Comme à Marseille, à Gênes ou à Naples, la présence anglaise est déterminante. Les
ateliers d’El Nuevo Vulcano « foren anglesos o britànics de balt a baix en un primer moment86 ».
La réalisation des deux premiers bateaux à vapeur (El Primer Català en 1846 et El Barcelonés
deux années plus tard) est l’œuvre de Josep Vieta, dans les chantiers de Blanes, avec l’aide
de techniciens britanniques87.
31 Le premier navire à vapeur intégralement réalisé en Catalogne est construit sous les
ordres de Joseph White88. A partir du début des années 1850, l’entreprise des frères
Alexander, nouvellement installée dans la capitale catalane, se spécialise dans la
construction d’appareils pour la navigation et livre notamment les machines d’El Victoria,
un transatlantique destiné à relier Barcelone à La Havane89.
32 En Grèce, les constructions de la fin des années 1830 restent longtemps sans suite. Il faut
attendre le début des années 1850 pour voir apparaître de nouvelles initiatives. À
Hermoupolis (île de Syros), dans les Cyclades, les chantiers d’Euripide réalisent, en 1853,
le premier vapeur construit en Grèce90. La machine anglaise de faible puissance (20
chevaux) est montée sur la coque par des techniciens britanniques. Dans les années 1860,
les ouvriers des ateliers de la Compagnie hellénique de navigation à vapeur (fondée en
1857) font leur apprentissage dans la réparation des machines marines et la construction
de chaudières. Dans la première moitié des années 1870, cette entreprise est capable de
fabriquer des vapeurs coques et machines91. En 1878, elle expose ses produits à
l’Exposition universelle de Paris et démontre, notamment par la réalisation d’une
machine à quatre cylindres couplés, qu’elle s’est hissée à la hauteur des meilleurs ateliers
européens92. Là encore, les ingénieurs britanniques sont à la base de l’acquisition des
119
techniques et des premières réalisations. John Mac Dowall, le technicien à l’origine du
développement de la production des machines à vapeur fixes en Grèce, a travaillé à la
formation des ateliers de la Compagnie hellénique93. Dans cette société, en 1867, sur les 13
contremaîtres et ingénieurs qui dirigent les ateliers 12 sont britanniques94. Le directeur à
la fin des années 1850, Smith, est toujours en poste en 187495. Le cas grec est un peu
exceptionnel par la qualité des résultats obtenus. Il est beaucoup plus tardif, mais
témoigne néanmoins de la pérennité d’un système de transfert de technologie qui a fait
ses preuves.
33 Malgré un retard manifeste au début des années 1830 par rapport à ses rivales
méditerranéennes, Marseille parvient à se doter d’une industrie de mécanique marine
performante en surmontant les difficultés techniques avec rapidité et en se dotant de
structures de production susceptibles de lui offrir des marchés. La réussite est exemplaire
et s’opère loin de tous liens de dépendance par rapport aux grandes entreprises
britanniques qui dominent ce secteur en Europe et en Méditerranée, aussi bien par leurs
compétences technologiques que par leurs possibilités d’obtenir des prix de vente qui
restent relativement bas. La situation est radicalement différente dans le domaine des
locomotives.
UNE DÉPENDANCE MARQUÉE POUR LACONSTRUCTION DE LOCOMOTIVES
34 Si, par rapport à bon nombre de régions françaises, la construction des machines marines
et celles destinées à l’industrie débutent avec retard dans la région marseillaise, la
fabrication des machines locomotives connaît en revanche une naissance précoce.
L’industrie mécanique marseillaise ne s’inscrit pourtant pas dans le mouvement général
d’indépendance de l’industrie française de construction de machines ferroviaires face à sa
rivale britannique. Les ateliers de La Ciotat, premier établissement provençal à fabriquer
des locomotives, sont étroitement dépendants d’une entreprise anglaise, celle de Robert
Stephenson, pour établir et poursuivre sa production. Le processus d’assimilation de la
technologie se déroule donc selon un schéma fondamentalement différent de celui
observé pour les machines marines.
L’œuvre de Louis Benet
35 En France, la fabrication en série des locomotives, après les premiers essais de Marc
Seguin en 1828-182996, n’a commencé qu’en 1837-1838 dans les usines de Périer, Edwards,
Chaper & cie de Chaillot (Paris) et dans les ateliers des frères Schneider, au Creusot. Ces
premières fabrications sont des copies de machines Stephenson type Planet (02097) pour la
ligne Saint-Étienne-Lyon et Pattentee (111) pour celle reliant Paris à Versailles. Vers 1840,
rares sont les entreprises françaises à pouvoir proposer leurs services aux diverses
compagnies de chemins de fer de l’Hexagone.
36 Dans la région marseillaise, l’idée de cette nouvelle activité vient à Louis Benet à la fin des
années 1830 avec la construction de la ligne Alais-Beaucaire et le projet de constitution
d’un tronçon Marseille-Avignon. La fabrication des locomotives débute avec difficulté à
La Ciotat. L’entreprise doit faire face à deux principaux obstacles. Le premier concerne
l’obtention des commandes. Le second, plus important encore, est d’ordre technique. En
120
1838, les ateliers de La Ciotat n’ont fabriqué aucune machine à vapeur, qu’elle soit
destinée à la navigation fluviale ou maritime, ou même à l’industrie. Louis Benet n’a donc
aucune expérience en la matière. Le Ciotadin n’est toutefois pas sans atouts. Il peut, pour
gagner des marchés, compter sur l’appui des hommes d’affaires marseillais engagés dans
les opérations ferroviaires du sud-est de la France qui ont entraîné dans leur sillage les
Talabot et la maison Rothschild98. Pour l’acquisition de la technologie de fabrication des
locomotives, les liens qui unissent Paulin Talabot à Robert Stephenson99 peuvent lui
permettre de résoudre les difficultés. Le propriétaire de la firme de Newcastle est alors
l’homme phare dans le domaine de la construction de locomotives.
37 Fort de ces possibilités, Louis Benet décide de se lancer dans l’aventure. Les Ateliers de
constructions de machines à vapeur de La Ciotat, société constituée grâce aux apports
financiers des hommes d’affaires marseillais et des frères Talabot, prévoit, outre la mise
en place d’un atelier de fabrication de machines marines, l’installation d’une unité
affectée à la construction de machines locomotives. Les problèmes techniques sont
clairement définis dans l’acte constitutif de la société :
« La base de la fabrication des machines dans l’atelier de La Ciotat seral’introduction des meilleures méthodes anglaises. Pour arriver à ce résultat, legérant [Louis Benet] devra traiter avec M. Robert Stephenson et de manière que cethabile ingénieur se charge de diriger la construction des locomotives à La Ciotatdans les mêmes conditions et avec les mêmes soins que dans l’atelier de Newcastlequi porte son nom100. »
38 En 1843, ces conditions sont de nouveau exposées dans le contrat triangulaire passé entre
Robert Stephenson, Louis Benet et la compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon101. Les ateliers sont mis en place au cours des années 1839-1840 avec l’aide de plusieurs
ingénieurs et contremaîtres envoyés par Stephenson de Newcastle102. La production est
peut-être lancée dès l’année suivante. La réussite et l’importance de l’atelier étonnent au
point que Calla, lors de son rapport de 1842 présenté devant le Comité des arts
mécaniques, ne peut imaginer que l’entrepreneur ciotadin est français et prend Louis
Benet pour un Anglais (il le nomme Bennett)103.
Caractéristiques techniques des machines locomotives
39 Les locomotives construites durant les années 1841-1842 sont du dernier modèle
d’appareil mis au point par Robert Stephenson à la fin des années 1830 (modèle Pattentee).
Les caractéristiques techniques d’une de ces machines présentée comme construite à La
Ciotat posent toutefois problème. En 1852, Louis Le Châtelier rédige un rapport au Comité
des arts mécaniques sur les travaux de Louis Sangnier, contremaître dans les ateliers de
La Ciotat entre 1837 et 1841104. En 1840, Sangnier, alors en poste dans l’usine de Louis
Benet, aurait réalisé son premier modèle de machine locomotive. Cette locomotive, à
chaudière tubulaire et à six roues libres (type 210), présente des caractéristiques
techniques exceptionnelles pour l’époque :
« Cette locomotive est munie de quatre roues porteuses placées à l’avant, et de deuxroues motrices sur l’arrière. Ces roues sont fixées sur leurs essieux respectifs etportent sur les tourillons les boîtes à graisses et les ressorts de suspension. Ladisposition de l’essieu des roues motrices avec les longerons et les ressorts desuspension en dessous de la boîte à graisse permet… d’augmenter le diamètre desroues motrices et de rendre par ce moyen, la locomotive propre au service desconvois à grande vitesse105. »
121
40 Cette machine possède les mêmes dispositions que la Rear Driver mise au point en
1845-1846 par Robert Stephenson106. Cette sorte de locomotives « n’a pratiquement jamais
été employée sur les lignes françaises. La seule exception est formée par une série de six
machines acquises en 1846 par la Compagnie du Lyon-Marseille, certainement pour la
section Avignon-Marseille…107 ». On peut donc penser que cette machine est en fait un
prototype réalisé dans les ateliers de La Ciotat. Mais si Louis Sangnier a pu participer à sa
construction, il reste toutefois inconcevable, vu la complexité de la technologie employée,
qu’il en ait été le concepteur. La piste la plus vraisemblable reste celle d’une manipulation
visant à déposséder, au début des années 1850, Thomas Russel Crampton de la paternité
des locomotives à grande vitesse (essieu moteur à l’arrière de la machine) au profit du
mécanicien français. L’enjeu de cette paternité est, à l’époque, important. Une locomotive
fabriquée en France sur le modèle mis au point par Crampton rapporte à l’ingénieur
britannique la somme de 2 500 francs par unité, soit à peu près 5 % de la valeur de l’engin108. Avec l’aide de Louis Le Châtelier et de la société d’encouragement pour l’industrie
nationale, Sangnier a vraisemblablement essayé d’obtenir le brevet des Rear Driver en
spoliant l’ingénieur britannique de ses droits.
41 Les caractéristiques techniques des machines construites à La Ciotat évoluent dans la
première moitié des années 1840. Des appareils type Pattentee, on passe à la fabrication de
la nouvelle génération de locomotives mise au point par Robert Stephenson en 1841, les
long boilers (111). Comme leur nom l’indique, ces dernières ont pour caractéristiques
l’utilisation de longues chaudières chargées d’augmenter la surface de chauffe et donc le
rendement calorifique des machines109. La puissance des machines peut être augmentée
sans accroître la consommation de charbon. Par ses liens avec la firme de Newcastle,
l’atelier de La Ciotat reste à la pointe du progrès technique et se pose, dans les années
1840, comme un des centres majeurs de la technologie des locomotives en France.
L’association avec les Stephenson et l’appui des actionnaires de la Compagnie du chemin
de fer Marseille-Avignon lui permettent d’éliminer toute concurrence au niveau local.
Philip Taylor, qui se lance à la fin des années 1840 dans ce type d’industrie à Gênes, avait
les possibilités techniques pour suivre l’exemple de Louis Benet à Marseille. Les réseaux
pour l’obtention des marchés lui manquent toutefois. Sans eux, il sait qu’il court en ce
domaine vers une faillite certaine.
Des initiatives de même type en Italie
42 En sept années seulement, l’atelier de La Ciotat connaît donc une réussite prestigieuse,
mais la région marseillaise n’est pas le seul centre industriel sud-européen à prendre des
initiatives dans la fabrication des locomotives. Si, en Espagne, il faut attendre le milieu
des années 1880 pour voir apparaître les premières locomotives de fabrication locale110,
plusieurs entreprises italiennes ont, comme en Provence, surmonté les difficultés
technologiques et se sont engagées dans ce type de construction. En 1857, cinq ateliers de
la péninsule produisent ou ont déjà produit des locomotives111. Deux autres, basés à
Milan, sont spécialisés dans les travaux de réparation112. Ils n’ont pas tous le même statut.
Certains d’entre eux sont des entreprises privées (les ateliers de Guppy & Pattison à
Naples), d’autres ont été directement fondés par l’État (ceux de Pietrarsa à Naples), les
derniers, enfin, appartiennent à des compagnies ferroviaires (les deux ateliers milanais
de la ligne Milan-Treviglio). Là encore et sur le modèle des ateliers de La Ciotat, le
transfert de technologie s’est effectué avec des techniciens britanniques. À Gênes, Philip
122
Taylor a formé les techniciens sardes d’Il Meccanico entre 1846 et 1851 avec plusieurs de
ses compatriotes113. Dans le royaume de Naples, trois techniciens britanniques (John
Pattison, Thomas Robertson et Smith) mettent en place, dans les années 1840, les ateliers
de constructions et s’occupent de la formation des ouvriers mécaniciens de l’Officina della
ferrovia Bayard et, surtout, des ateliers de Pietrarsa114. L’exemple napolitain se calque sur
l’action entreprise par Louis Benet. Les premières locomotives sont fabriquées sur des
modèles Stephenson avec des ingénieurs anglais venus des ateliers de Newcastle et avec
des pièces importées de Grande-Bretagne115. Les constructeurs transalpins parviennent
ainsi à obtenir certains marchés, souvent par la volonté des différents États car le coût de
revient de la fabrication d’une locomotive italienne est encore relativement élevé. Les
ateliers de Pietrarsa ont fabriqué vingt locomotives Stephenson avant l’unification, dont
sept durant la période 1845-1847116. L’Ansaldo en livre treize dans la seconde moitié des
années 1850 alors que l’atelier de Vérone en construit deux pour un tronçon de ligne
Venise-Milan117.
43 Dans tous les secteurs de la mécanique, l’histoire des entreprises sud-européennes
démontre que les problèmes techniques pouvaient être surmontés. Le développement des
affaires de Louis Benet est l’exemple le plus achevé de ce rattrapage de retard du monde
nord-méditerranéen. En cinq années (1836-1841), sur une base relativement limitée, un
entrepreneur de cette zone est parvenu à se lancer dans la fabrication en série de tous les
grands types de moteurs à vapeur. Ces formidables progrès ont eu des effets
d’entraînement. La métallurgie sud-européenne, pour survivre, devait se plier aux
nouvelles exigences technologiques afin de pouvoir répondre aux besoins d’un de ses
principaux clients.
LA MÉTALLURGIE DE BASE
44 Avec la poussée de la demande en produits métallurgiques finis ou semi-finis engendrée
par la croissance de l’industrie mécanique, la nécessité de produire de la fonte dans les
Bouches-du-Rhône est unanimement ressentie par ses entrepreneurs au début des années
1840. Plusieurs tentatives d’implantation d’usines sidérurgiques sont menées dans la
région :
« Cet état de choses […] n’a échappé à aucun esprit judicieux que la ville renferme :aussi y a-t-il toujours quelque projet métallurgique en l’air ; tantôt c’est un hautfourneau avec le minerai et l’anthracite du département du Var ; tantôt c’est unhaut fourneau à l’extrémité des Bouches-du-Rhône, avec les lignites ; une autre foisencore c’est aux confins du département du Var que l’on veut marier la fougèrecarbonisée et les racines de pins dans un haut fourneau avec le minerai que l’on atrouvé sur place, et que l’on mélange avec celui de l’île d’Elbe ; puis c’est un hautfourneau au centre de la ville, encore avec le minerai de l’île d’Elbe et avec le cokede La Grand’Combe ou tout autre…118 »
45 Deux de ces initiatives, ont été sérieusement amorcées mais ne débouchent pas sur des
réalisations effectives. En 1843, un dénommé Narcisse Mille essaie de former une société
chargée d’exploiter « dans la commune de Marseille un ou plusieurs hauts fourneaux
pour la fabrication de fonte de fer au moyen du minerai de l’île d’Elbe119 ». Le capital de la
société, relativement important (350 000 francs répartis en 700 actions), n’est pas
rassemblé. La tentative reste à l’état de projet, preuve que les milieux d’affaires et
industriels marseillais sont encore peu enclins à croire au possible développement de la
production de fonte dans le département. Le même constat peut être dressé pour l’action
123
de Jean-François Cabanis, qui pense en 1844 que l’établissement d’un haut fourneau à
Marseille est possible120. Cet entrepreneur a effectivement fondé une entreprise
sidérurgique, mais en Corse. Son sentiment de départ sur les possibilités marseillaises
était trop optimiste121. La sidérurgie n’est toutefois pas totalement absente dans le sud-est
de la France sous la monarchie de Juillet. Des entreprises apparaissent ou se développent
dans les départements du Gard, de la Corse, du Vaucluse et du Var122. Les Bouches-du-
Rhône restent à l’écart du mouvement, car les industriels marseillais n’ont pas pu trouver
de solutions pour pallier les difficultés dues au manque de minerais de fer et de houille
dans leur sous-sol. L’absence de la sidérurgie ne doit pas pour autant donner l’image
d’une ville de Marseille dépourvue d’industrie métallurgique. En une quinzaine d’années,
le travail des métaux en deuxième fusion s’installe et se développe grâce aux relations
que cette activité entretient avec l’industrie de la construction mécanique.
Les types de productions
46 La naissance de l’industrie mécanique à Marseille entraîne directement l’établissement
des premières fonderies. Entre 1832 et 1835, cinq entreprises sont créées. L’éventail des
productions est alors limité. Les ateliers se bornent à produire des pièces moulées pour
les constructeurs marseillais. On ne produit ni fer ni tôles.
47 Sur cette base, la situation évolue peu jusqu’aux années 1839-1840. Marseille n’a que sept
véritables ateliers de fonderies en 1838. Ils sont de taille modeste et n’emploient au total
qu’une centaine d’ouvriers123. Le changement de décennie apporte deux nouveautés. En
1839, Granier et Dussard entreprennent la production de fer galvanisé. L’opération est
précoce. Le procédé de galvanisation vient tout juste d’être mis au point par le Français
Sorel et l’Anglais Crawford. Vers 1840, le procédé du puddlage fait également son
apparition à Marseille. La ville commence à produire les fers pour ses entreprises de
construction mécanique. La première fonderie à mettre en pratique le puddlage à
Marseille est très certainement celle de John Riddings. Depuis 1840, l’entreprise travaille
des pièces moulées de fer et de fonte pour l’usine de Philip Taylor124. Elle est imitée en
1844 par l’entreprise de Cabanis et Salles, qui se lancent également dans la production de
fers puddlés à partir de la récupération des vieilles fontes locales auparavant revendues
aux usines d’Alais, de Saint-Etienne, de la Riviera génoise125.
L’élan des années 1840
48 À partir de 1842, la modernisation du tissu industriel marseillais et la naissance de la
construction de machines marines et de matériel ferroviaire accélèrent l’extension de la
gamme des productions. Les travaux des ateliers de mécanique augmentent dans des
proportions considérables. Les effets se répercutent en amont. Les fonderies marseillaises
reçoivent de nombreuses commandes, gagnent en ampleur, étendent l’éventail et les
niveaux de leurs productions. Avec l’apparition de la fabrication des navires à vapeur, la
fonderie Benet, à Menpenti, réalise des pièces de machines marines. Les ateliers des
Catalans sont équipés d’un atelier de chaudronnerie et d’un martinet pour la forge de
pièces métaux de dimensions plus importantes126. Grâce à ses appuis marseillais au sein
de la Compagnie du chemin de fer Marseille-Avignon127, Louis Benet y fabrique, dès 1843,
des wagons, des roues, des essieux et des caisses à eau.
124
49 Les équipements des fonderies sont généralement médiocres. Si la plus grande d’entre
elles, celle des Benet à Menpenti, possède cinq fourneaux Wilkinson permettant de
mettre en fusion 24 tonnes de fonte128, la majeure partie des entreprises de deuxième
fusion de fer et de fonte se contente d’un strict minimum. La fonderie des frères Puy ne
possède qu’une forge et trois fourneaux en 1843-1844. Cabanis et Salles n’ont que deux
fours à réverbère (un pour le puddlage, l’autre pour réchauffer) et deux petits marteaux
pour la forge de pièces de petites dimensions. On ne recense que deux forges, un fourneau
et un four dans l’entreprise de Granier et Dussard. Le seul signe véritable de modernité
dans les divers ateliers est l’adoption massive des machines à vapeur pour actionner les
marteaux et martinets et surtout la soufflerie de l’air chaud dans les fourneaux afin de
faciliter la fusion et d’économiser le combustible. En 1839, Saint-Joannis et Girod
déposent un brevet d’invention pour un soufflet de forge cylindrique en fer à double
effet. Durant la première moitié des années 1840, les fonderies marseillaises s’équipent en
machines pour la soufflerie : celle de Danré en 1841 et de Blanc en 1844. Le nombre des
ouvriers est modeste, à l’image des équipements employés. En 1842-1844, parmi les cinq
fonderies les plus importantes, seules celles des Benet et de Danré emploient chacune
plus d’une centaine de salariés. La majorité des fonderies occupe quelques dizaines
d’hommes : une trentaine pour l’entreprise des frères Puy, le double pour celle de Granier
et Dussard.
50 Le développement de la métallurgie de deuxième fusion du fer et des fontes est donc
moins important que celui de la construction mécanique. Les commandes de pièces sont
supérieures aux productions des fonderies marseillaises, qui ont un éventail de
fabrication encore peu étendu. Beaucoup de produits ne sont pas encore fabriqués à
Marseille. Les tôles et les tubes de fer, les pièces de forge de grandes dimensions sont
encore achetées en France ou à l’étranger, principalement en Angleterre. Benet et Peyruc,
aux Catalans, utilisent par exemple des tôles de fer de l’Isère pour la fabrication des
chaudières129. Le volume de production des fers reste donc peu important130. Les
techniques et les équipements employés sont souvent rudimentaires. Cette industrie s’est
toutefois implantée de manière durable et a déjà assimilé quelques éléments
technologiques de la métallurgie moderne.
Le secteur des non-ferreux
51 Dans la métallurgie des non-ferreux, les progrès enregistrés sont peu nombreux. La
structure des entreprises traitant le plomb et le cuivre reste artisanale. Dans le domaine
du plomb, la principale production est toujours celle de la grenaille. La fabrication des
tuyaux et de laminés est la seule nouveauté enregistrée dans ce secteur131. En mai et
septembre 1837, Jean-Baptiste Falguière dépose un brevet pour fabriquer les tuyaux de
plomb132. En cinq années, trois autres établissements sont créés. Leur chiffre d’affaires est
alors de 700 000 francs133. L’entreprise la plus importante et la plus dynamique de ce
secteur est celle de Cavallier fils, auteur, avec son père, de plusieurs innovations
techniques sous la Restauration134. En 1844, elle emploie 17 ouvriers135. La même année,
Cavallier présente à l’exposition industrielle de Paris un alliage de plomb et d’arsenic.
52 Les activités des fonderies de cuivre sont plus difficiles à saisir à cause de la rareté des
documents. Le martinet de Roquefavour continue ses activités durant les années 1830136.
Dans ce secteur, le nombre des entreprises s’accroît régulièrement sous la monarchie de
Juillet grâce à l’essor de la construction mécanique et navale, qui emploient des quantités
125
importantes de cuivre (valves, robinetterie, tuyauterie, doublage des coques de navires…).
Elles restent toutefois artisanales, et n’apparaissent que rarement dans les statistiques car
elles n’emploient jamais plus de dix ouvriers.
***
53 Dans les années 1830-1840, la région marseillaise a pris une nette avance dans la
construction mécanique sur les autres centres industriels sud-européens grâce à
l’acquisition de techniques de production complexes et variées. Cette prépondérance
dans le secteur des machines ne trouve, en amont, que des répercussions limitées. La
métallurgie phocéenne est même parfois distancée par ses voisines italiennes ou
espagnoles. L’Andalousie s’est affirmée, dans les années 1840, comme un grand centre de
traitement du plomb137. Les deux usines d’affinage de Malaga, avec leurs 1200 ouvriers,
produisent, en 1845, 4 000 à 5 000 tonnes de fer en barres138. La Catalogne voit ses
fonderies se multiplier et la société El Veterano Cabeza de Hierro allume ses premiers hauts
fourneaux en 1844 à Camprodón139. La métallurgie génoise traite annuellement 4 500
tonnes de minerai de fer de l’île d’Elbe et travaille dans des proportions croissantes des
fontes et des fers importés de Grande-Bretagne140. En Lombardie, enfin, la sidérurgie se
modernise en adoptant les fours anglais à section circulaire qui remplacent les anciennes
installations à la « bergamesque »141. L’ensemble n’est pas d’une grande importance mais,
contrairement à ce qu’il est possible d’observer pour Marseille, le mouvement a le mérite
d’être lancé.
54 En Méditerranée l’établissement d’une métallurgie rassemblant l’ensemble des activités
du secteur est difficile non pour des raisons de technologie, mais à cause du prix de
revient des divers types de fabrication. Pour ces régions, il est encore impossible de lutter
contre les entreprises britanniques. À Marseille, le développement des activités de
deuxième fusion est donc le fruit d’une extension du secteur métallurgique vers l’amont.
Ce qui guide ce secteur, c’est avant tout la construction mécanique, qui s’affirme comme
l’élément moteur de l’ensemble. Des effets d’entraînements sont apparus mais ils sont
réduits et n’ont pas encore donné lieu à un véritable bouleversement. Selon les branches
d’activités, les conditions des marchés et le niveau d’importance des prix de revient des
productions interviennent de manières différentes.
NOTES
1. VILLENEUVE H. (de), « Rapport… », art. cit., p. 287 et « Falguière… », art. cit., p. 487.
2. CABANA F., Fàbriques i empresaris…, op. cit., p. 50-51.
3. En 1844, l’entreprise a fait des travaux de réparation pour plus d’une vingtaine d’entreprises
catalanes (Navegacon y Industria, Memoria leida por el administrador de esta sociedad en Junta General
de socios y accionistas del 31 de marzo de 1845, Barcelone, 1845, p. 3).
4. Cette société a peut-être réalisé, entre 1845 et 1848, la totalité des 12 machines de fabrication
autochtone en activité en Catalogne en 1848 (FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 291).
126
5. MORAÏTINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 316.
6. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 178.
7. GIULIO C. I., Giudizio délia R. Camera…, op. cit., p. 385.
8. Zino & Henry ont alors construit leur première machine à vapeur pour leurs propres ateliers
(De Rosa L., Iniziativa e capitale straniero…, op. cit., p. 4).
9. VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art. cit., p. 287.
10. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur les établissements…, op. cit., p. 25 et Reports from Her
Majesty’s Consuls on the Manufactures, Commerce of their Consulat-Districts, Londres, 1874, IV, p. 1370.
11. CADAL F., Fàbriques i empresaris…, op. cit., p. 51 et 62.
12. NADAL J., MALUQUER DE MOTES J., SUDRIA C, CABANA F., Historià economica de la Catalunya
contemporània ; segle XIX, indùstria, transports i finances, Barcelone, vol. III, 1991, p. 174.
13. SOIRON J. B., L’huilerie à Marseille…, op. cit., p. 11.
14. VILLENEUVE H. (DE), « Falguière… », art. cit., p. 487.
15. Entre 1833 et 1846, parmi les demandes d’autorisation de machines précisant les
caractéristiques techniques, seules six demandes concernent des appareils à basse pression dont
deux seulement à partir de 1840 (cf. ADBdR XIV MEC 12/179).
16. MONTCHOISY BARON (DE), Cours pratique et théorique de machines à vapeur, Paris, 1892, p. 22.
17. Figuier L., Les Merveilles de la science, Paris, 1867, p. 106-107 et PAYEN J., « La technologie des
machines à vapeur en France de 1800 à 1850 » dans L’Acquisition des techniques par les pays non-
initiateurs, Paris, 1973, p. 390.
18. La vapeur donne son effet sur le piston d’un premier cylindre. En se détendant dans un
deuxième cylindre, la même quantité de vapeur est de nouveau utilisée pour actionner un
nouveau piston.
19. ADBdR XIV M 6/2.
20. Ibid., XIV M 15/2, 1842 et 1844.
21. Ibid., année 1839.
22. Les huileries marseillaises utilisent, en 1850, 266 presses verticales pour seulement 35 presses
horizontales (SAPET T., « Statistiques des huileries et des usines à gaz de la commune de
Marseille », RTSSM, t. XVII, 1853, p. 87-89).
23. Jean-Baptiste Falguière livre, par exemple, une machine d’épuisement de 15 chevaux aux
mines du Rocher bleu dans la seconde moitié des années 1830 (AN F 14 3829). Le terrain avait été
préparé par Longuelanne et Finaud, fabricants de pompes d’irrigation pour les terres de
Gardanne (VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art. cit., p. 287).
24. Diday, « Notice sur la machine d’épuisement des mines du Rocher bleu (Bouches-du-Rhône) »,
ADM, 4e série, 1842, t. II, p. 6.
25. EMPJ 1842 (80).
26. Ibid. et DIDAY, « Notice sur la machine… », art. cit.
27. On peut compter plus d’une vingtaine de brevets demandés pour la période 1839-1846
(ADBdR XIV M 15/2).
28. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 55.
29. SOIRON J. B., L’huilerie à Marseille…, op. cit., p. 8 et DE MUIZON F., L’industrie huilière marseillaise,
1825-1971 : le pouvoir des huiliers, Marseille, 1981, p. 18.
30. ADBdR XIV M 15/2.
31. DE MUIZON, L’Industrie huilière…, op. cit., p. 18.
32. FIGUIER L., Les Merveilles de l’industrie, Paris, t. IV, 1877, p. 615.
33. ECM, t. III, p. 384.
34. GARRABOU R., Enginyers industrials…, op. cit., p. 162.
35. CABANA F., Fabriques i empresaris…, op. cit., p. 62.
36. ECM, t. III, p. 384.
127
37. MLV, 31 mai 1835.
38. Charles Hamond devait construire, en 1835, les machines des navires de la Compagnie
Marseillaise de la Méditerranée. L’entreprise ayant échoué, l’Anglais s’orienta vers la direction
technique des ateliers de La Ciotat. La création de ces ateliers traînait trop. Hamond accepta de
travailler pour une compagnie de navigation à vapeur du Danube (AMT 2 A 3/48).
39. Association Sillages, I : Les Pionniers, La Seyne, 1994, p. 49.
40. MLV, 28 avril 1836. On ne sait pas s’il s’agit de Charles ou d’Henry.
41. CNAM, S 173.
42. MLV, 10 avril 1836.
43. ACM, 39 II.
44. MLV, 18 février 1838.
45. À peu près à la même époque, les mécaniciens de l’arsenal de Toulon démontent les appareils
qu’ils reçoivent de Grande-Bretagne pour en observer le fonctionnement (DUBREUIL J.-P., « Les
Transformations de la marine française en Méditerranée (1830-1860) », thèse de doctorat,
université de Nice, 1975, p. 379).
46. DEL CASTILLO A., La Maquinista Terrestre y Maritima, personaje histórico (1855-1955), Barcelone,
1955, p. 27.
47. HADZIIHOSSIF C, « Constructions navales et constructions de navires en Grèce » dans Navigation
et gens de mer en Méditerranée de la préhistoire à nos jours, Aix-en-Provence, 1980, p. 125.
48. MLV, 22 janvier 1838.
49. CAMPAIGNAC A. E., De l’état actuel de la navigation par la vapeur et des améliorations dont les navires
et appareils à vapeur sont susceptibles, Paris, 1842, t. II, p. 183-184.
50. MLV, 9 et 30 novembre 1838.
51. CAMPAIGNAC A. E., De l’état actuel de la navigation…, op. cit., t. II, p. 183-184.
52. ADBdR 364 E 615.
53. BAUDOIN L., Histoire générale de la Seyne-sur-mer, académie du Var, 1965, p. 801.
54. ADBdR P 6 bis 41B.
55. MLV, 20 septembre 1843 et 19 septembre 1846.
56. « Rapport fait par M. Calla au nom du Comité des arts mécaniques sur plusieurs
établissements affectés à la construction de grandes machines à vapeur et des machines
locomotives », BSE, 1842, p. 477.
57. Ibid.
58. ARMENGAUD AÎNÉ, Publication industrielle des machines, outils et appareils les plus perfectionnés et les
plus récents, Paris, t. IV, 1844, p. 159.
59. Le foyer de combustion est placé dans la chaudière.
60. FIGUIER L., Les Merveilles de la science…, op. cit., p. 224-225.
61. ADBdR 1 M 1092.
62. MLV, 2 août 1843. Stanislas Dupuy de Lôme est parti en mission d’étude en Grande-Bretagne
au début des années 1840. Il a visité de nombreux chantiers navals britanniques pour parfaire ses
connaissances et rédige à partir de ses observations un ouvrage longtemps resté une référence en
la matière (Dupuy de Lomé S., Mémoire sur la construction des bâtiments en fer adressé à M. le Ministre
de la Marine et des Colonies, Paris, 1844).
63. SM, 6 décembre 1844.
64. MLV, 7 décembre 1844.
65. ADBdR P 6 bis 48B.
66. BONNEFOUX P. (de), Paris E., Dictionnaire de marine à voiles et à vapeur, Paris, t. II, s. d., p. 430.
67. ARMENGAUD frères, Le Génie industriel, Paris, t. II, 1851, p. 301-302.
68. BONNEFOUX P. (de), Paris E., Dictionnaire…, op. cit., p. 440.
69. MONTCHOISY BARON (DE), Cours pratique…, op. cit., p. 22-23.
128
70. FIGUIER L., Les Merveilles de la science…, op. cit., p. 259.
71. MLV, 19 septembre 1846.
72. Cf. Association Sillages, I : Les Pionniers…, op. cit., p. 49 et 51.
73. NOYON N., Statistique du département du Var, Draguignan, 1846, p. 644-645.
74. COTTE M., Innovation et transfert de technologies, le cas des entreprises de Marc Seguin (France
1815-1835), thèse de doctorat, EHESS, 1995, t. II, p. 459-549 et ARMENGAUD AÎNÉ, Publication
industrielle…, op. cit., t. III, 1843, p. 434.
75. Cf. l’exemple de l’ingénieur West (MLV, 2 et 16 décembre 1844).
76. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine française… », op. cit., p. 627-628.
77. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit., p. 17.
78. MONDELLA F., « Scienza e tecnica… », art. cit., p. 650.
79. « Nave », art. cit., p. 365.
80. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 199.
81. Louis Benet souligne, en 1836, qu’il existe déjà à Naples des ateliers de mécanique marine
formés par des techniciens anglais (AN F 12 2554).
82. Relazione della commissione per le industrie meccaniche e navali, Rome, 1855, p. 16.
83. Cf. DE ROSA L., Iniziative e capitale…, op. cit., p. 130.
84. Navegacion y Industria, Memoria leida…, op. cit., 31 de marzo de 1845, p. 3.
85. CABANA F., Fabriques i empresaris…, op. cit., p. 62.
86. Ibid., p. 48.
87. Pascual i Domenech P., « La modernització dels mitjans de transport a Catalunya del segle XIX
» dans NADAL J., MALUQUER DE MOTES J., SUDRIA C, CABANA F., Historia economica…, op. cit., p. 320.
88. Ibid. p. 62.
89. CABANA F., Fàbriques i empresaris…, op. cit., p. 58.
90. KRINOS D., « Chantiers et forges de Syra au XIXe siècle », Naftiki Hellas, 1954, n° 252, p. 12.
91. KARDASSIS V., « Les chantiers navals… », art. cit., p. 436 et MANSOLAS A., Renseignements
statistiques sur les établissements industriels…, op. cit., p. 25.
92. MANSOLAS A., La Grèce à l’Exposition universelle de Paris, Athènes, 1878, p. 44.
93. YIANNAKOPOULOS T., Les Pâtes grecques, Athènes, 1875, p. 51.
94. MANSOLAS A., Renseignements statistiques…, op. cit., p. 108.
95. KARDASSIS V., « Les chantiers navals… », art. cit., p. 436.
96. Cf. CROUZET F., « Essor, déclin et renaissance de l’industrie française des locomotives,
1838-1894 », Revue d’Histoire économique et sociale, LV, 1977, p. 121.
97. Le premier chiffre représente le nombre d’essieux porteurs à l’avant de la machine ; le second
le nombre d’essieux moteurs ; le dernier, le nombre d’essieux porteurs à l’arrière.
98. Joseph Ricard, Théophile Périer, Charles et Auguste Bazin, et surtout Jean Luce et Joseph
Roux (Roux Fraissinet & Cie). Cf. également chapitre VI.
99. GILLE B., Recherche sur la formation de la grande entreprise capitaliste, Paris, 1959, p. 101.
100. ADBdR 364 E 615 et SM, 8 février 1839.
101. AN 77 AQ 44.
102. « Rapport fait par M. Calla… », op. cit., p. 478-479 et GILLE B., Histoire de la maison Rothschild,
Genève, 1965, t. I, p. 384.
103. « Rapport fait par M. Calla… », art. cit., p. 479.
104. « Rapport fait par M. Louis Le Châtelier, au nom du Comité des arts mécaniques, sur les
travaux de M. Sangnier, chefs des ateliers du chemin de fer de Paris à Lyon, relatifs à la
construction des machines », BSE, vol. LI, 1852, p. 741-743.
105. « Description de locomotive de M. Sangnier », BSE, LI, 1852, p. 744-745 et pl. 1236.
106. WARREN J. G. H., A Century of Locomotive Building by Robert Stephenson and Co, 1823-1923,
Newcastle, 1923, p. 373.
129
107. PAYEN J., La machine locomotive en France des origines au milieu du XIXe siècle, Lyon, 1988, p. 171.
108. Ibid., p. 179-180.
109. DAUMAS M., Histoire générale des techniques, t. III, 1968, p. 392-393.
110. La Fundició Primitiva Valenciana puis la Maquinista Terrestre y Maritima ont livré les deux
premières machines espagnoles (ALONSO-VIGUERA J. M., La ingeniera industrial…, op. cit., p. 132-133).
111. L’Ansaldo de Gênes ; la Pietrarsa et la Guppy & Pattison de Naples ; les ateliers de Vérone (cf.
Merger M., « L’industrie italienne de locomotives, reflet d’une industrialisation tardive et difficile
(1850-1914) », Histoire, Économie et société, 1989, n° 3, p. 338-339 et AMBRICO G., « Note
sull’ubicazione e sulle vicende storiche delle officine meccaniche e fonderie in Napoli », Economia
e Storia, XII, 1965, p. 541).
112. FRATTINI G., Storia e statistica dell’industria manufatturiera in Lombardia, Milan, 1856, p. 161.
113. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 189-192.
114. AMBRICO G., « Note sull’ubicazione… », art. cit., p. 541.
115. MONDELLA F., « Scienza e tecnica… », art. cit., p. 650.
116. CHIURELLO S., L’officina locomotive…. op. cit.
117. MERGER M., « L’industrie italienne… », art. cit., p. 338-339.
118. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement d’une usine à fer…, op. cit., p. 2.
119. ADBdR 548 U 4.
120. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement…, op. cit., p. 11-13.
121. Usine à fer de Toga fondée par Cabanis avec Paul Droust de la Gironière, négociant de Bastia,
en 1841 (cf. CAMPOCASSO P. J., « Histoire de l’usine à fer de Toga (1842-1885) », mémoire de
maîtrise, université de Provence, 1995, p. 35-38).
122. Cf. LOCCI J. P., Fonderies et fondeurs. Histoire des établissements métallurgiques en Vaucluse aux XIXe
et XXe siècles, Avignon, 1988, p. 123-184 ; CONSTANT E., « Le Département du Var… », op. cit., t. I, p.
324-325 et CAMPOCASSO P. J., « Histoire de l’usine à fer de Toga… », op. cit.
123. « Statistique des établissements… », art. cit.
124. ECM, t. III, p. 380.
125. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement d’une usine à fer…, op. cit., p. 5-8.
126. « Rapport fait par M. Calla… », art. cit., p. 479.
127. Louis Benet n’ayant aucune expérience en la matière, la fabrication devait être l’œuvre
entière de la fonderie de Fourchambault mais sur décision du conseil, la société lui passe
commande de la moitié du marché (AN 77 AQ 44).
128. Pour les équipements et les effectifs ouvriers des entreprises cf. ADBdR XIV M 6/2, ACM 22 F
5, SF, p. 51 et ADBdR XIV M 12/179.
129. ACM 22 F 5.
130. Cf. annexe 3.
131. SIM, année 1835.
132. ADBdR XIV M 15/2.
133. ECM, t. III, p. 392.
134. Cf. chapitre III.
135. ADBdR XIV M 6/2.
136. SIM, année 1835 et AN F 14 4313.
137. Pour les usines à plomb du sud de l’Espagne dans les années 1840, cf. EMP, J 1850 (132).
138. BLOCK M., L’Espagne en 1850 ; tableau de ses progrès les plus récents, Paris, 1851, p. 162.
139. NADAL J., Moler…, op. cit.
140. Pour l’industrie métallurgique de la côte ligure, cf. EMP, M 1842 (311).
141. DALMASSO E., Milan, capitale économique de l’Italie, Gap, 1971, p. 136.
130
Chapitre VIII. Les marchés
1 Dès son apparition, la métallurgie marseillaise part à la conquête des débouchés locaux.
L’adéquation entre l’offre des entreprises et la demande provoquée par la croissance
conjuguée des secteurs industriels de la ville, de la navigation à vapeur et des grands
travaux d’infrastructures menés dans la région présente plusieurs difficultés. Au début
des années 1830, les marchés sont détenus par des entreprises parisiennes et étrangères.
Les productions des fonderies et des ateliers de mécanique de la région marseillaise sont
rapidement de qualité. Reste à surmonter le problème de la compétitivité des entreprises.
La question prend une importance accrue dans la seconde moitié des années 1830. Les
entrepreneurs phocéens se lancent alors dans la conquête des débouchés méditerranéens
où ils doivent affronter la concurrence britannique.
2 Pour parvenir à ses fins, l’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction
mécanique doit résoudre ses problèmes d’approvisionnement. Elle ne traite pas de
minerais, ne produit pas de fonte brute ou de machines-outils. Les entreprises se trouvent
dans l’obligation d’acheter leurs matières premières et leurs biens de production dans des
zones souvent éloignées et maîtrisent donc difficilement un facteur qui détermine en
grande partie le coût et la qualité de leurs productions. Pour s’assurer des débouchés
réguliers aussi bien au niveau local qu’à l’étranger, les sociétés doivent également
s’appuyer sur des réseaux aussi bien pour stabiliser ou conquérir des marchés que pour
gérer avec efficacité achats en matières premières et biens de production. La pérennité du
secteur dépend donc de la capacité des entrepreneurs à structurer de manière cohérente
des espaces de fonctionnement et à nouer des relations avec des hommes ou des sociétés
susceptibles de leur fournir des commandes.
LES DÉBOUCHÉS LOCAUX
3 Dans le secteur de la mécanique industrielle, les constructeurs marseillais ont des
concurrents potentiels redoutables. Les entreprises parisiennes sont plus anciennes et
détiennent déjà d’importants marchés qui leur permettent d’effectuer des économies
d’échelle. L’industrie mécanique britannique est capable de proposer des produits à des
prix défiant toute concurrence car elle possède un avantage supplémentaire : les matières
premières nécessaires à la fabrication des appareils à vapeur sont beaucoup moins
131
onéreuses en Grande-Bretagne qu’en France. La concurrence étrangère peut être
facilement réduite à néant. Les barrières douanières françaises sont d’une réelle
efficacité. Depuis la Restauration, les machines importées sont taxées 30 % ad valorem à
l’entrée sur le territoire. La protection est accentuée au cours des années 1840. Le
gouvernement de la monarchie de Juillet fixe le droit d’entrée des machines britanniques
proportionnellement au prix des matériaux utilisés pour leur réalisation1. Placée dans des
conditions favorables, l’économie française est parvenue à s’assurer son propre
approvisionnement. Dès 1838, les 8/9 des machines et les 9/10 des chaudières des usines
de l’Hexagone sont de fabrication nationale2. En France, la fourniture de biens
d’équipement pour l’industrie relève donc de la concurrence intérieure.
Des appareils pour l’industrie
4 En 1835, d’après un recensement effectué par les ingénieurs des Mines, l’industrie des
Bouches-du-Rhône ne possède que trois machines à vapeur britanniques sur les 14 en
fonctionnement3. Depuis le Consulat, l’industrie marseillaise s’est essentiellement
approvisionnée en France, auprès des grands ateliers parisiens (Aitken & Steel, Edwards,
Martin…). Les mécaniciens locaux commencent à se substituer aux fournisseurs de la
capitale au début des années 1830 et les détrônent dès 1835-1836.
5 Plusieurs facteurs expliquent cette réussite. Les entrepreneurs marseillais ont su obtenir
les marchés locaux en adaptant leurs productions aux besoins et ont acquis dans les trois
grands secteurs du démarrage industriel de la ville une avance technique qui est pour eux
un indéniable élément de prospérité. L’avantage de la proximité joue ensuite un rôle
primordial. Pour les autres industriels de la ville, la présence d’ateliers de mécanique à
Marseille même est une garantie de rapidité pour les travaux d’entretien et de réparation.
Les liens qui unissent les mécaniciens et les entrepeneurs des autres secteurs sont
également importants. Bon nombre de constructeurs ont travaillé comme techniciens
dans des usines avant de fonder leurs établissements. Falguière était contremaître d’une
minoterie à vapeur sous la Restauration tout comme Taylor au début des années 1830. Les
liens sont certainement restés très forts entre ces hommes et leurs anciens employeurs.
Dernier point enfin, l’insuffisance du réseau de communication français rend les envois
lointains particulièrement coûteux et morcelle les marchés au profit des entreprises
locales. Ce facteur est déterminant. Il permet aux constructeurs marseillais d’être à l’abri
de la concurrence nationale.
6 Les commandes marseillaises constituent l’essentiel des marchés. Le rôle joué par les
villes voisines est faible. Seules les villes d’Aix, de La Ciotat et de Septèmes adressent
quelques commandes avec l’apparition d’un petit développement industriel. Il est difficile
d’établir avec précision les quantités et la valeur de la production de chaudières et de
machines à vapeur. Les chiffres sont rares. La seule entreprise dont il est possible de
cerner les activités est celle de Jean-Baptiste Falguière. Sous la monarchie de Juillet, ce
dernier est le principal mécanicien travaillant pour l’industrie. Entre 1831 et 1842,
Falguière a livré près de 35 machines et plus d’une cinquantaine de chaudières4. Les
entreprises de Marseille et de sa proche région reçoivent plus de 85 % du total de ces
appareils. L’ancien forgeron a donc fourni à lui seul entre le tiers et la moitié des
machines et chaudières utilisées dans les Bouches-du-Rhône durant les années 1830 et le
début des années 1840. Pour le reste, les renseignements sont minces5. Aucun document
ne permet de cerner la quantité ou la valeur des productions des autres ateliers. Certaines
132
indications révèlent toutefois l’ampleur de la production dans les années 1840. En 1843 ou
1844, les ateliers de Louis Benet et des cousins Peyruc, situés aux Catalans, ont produit
pour l’industrie quatre machines à vapeur ainsi que 32 chaudières cylindriques pesant
chacune trois tonnes6. La capacité de production de cette entreprise est largement
supérieure à celle de l’établissement de Jean-Baptiste Falguière durant la période
précédente. Le problème de sources se retrouve pour le secteur de production des
machines hydrauliques et auxiliaires. Là encore, l’entreprise de Falguière est la seule pour
laquelle les indications existent. Entre 1835 et 1842, l’usine de la rue Périer a construit 94
presses hydrauliques7. Pour les autres entreprises se livrant à ce type de fabrication, les
informations sont trop fragmentaires pour avoir une quelconque signification.
Le marché des métaux
7 La métallurgie de deuxième fusion peut apparaître et se développer à Marseille grâce à la
présence de deux facteurs favorables. Le premier est l’arrivée, à partir de 1840, des
charbons du bassin d’Alais8. Le second, plus important, est la croissance des ateliers de
mécanique qui trouvent avantage à pouvoir commander sur place des pièces de métaux
souvent délicates à réaliser et dont elles peuvent surveiller l’exécution. Les fonderies
travaillent pour elles seules et doivent subir les aléas de leur développement. Le marché
local a ici une importance presque exclusive. Le bilan de l’entreprise d’Etienne
Chambovet dressé en juillet 1843 démontre bien la situation9. Le mécanicien marseillais
reçoit ses pièces de métaux de la plupart des principales fonderies de la ville (Benet fils de
Xavier & cie, Puy frères, Danré, Ménard & Liancourt, Deluy, Baudoin, Saint-Joannis…).
8 Même si les chiffres donnés par les ingénieurs des Mines sont quelque peu sous-évalués10,
ils permettent de suivre le mouvement général d’augmentation de la production. En
volume, la production des fonderies de fer marseillaises est d’un très faible niveau dans
les années 1830. En 1834, les trois établissements existants, ceux de Benet, des frères Puy
et de Pierre-Joseph Baudoin, n’ont livré que 2 050 tonnes de pièces moulées de fontes et
fers. En 1841, la quantité a doublé. La valeur créée par ce secteur passe de 54 054 francs en
1834 à 111 880 francs en 184111. La production reste toutefois modeste. Le véritable
décollage n’intervient qu’en 1842-1843 avec l’accélération de la modernisation du tissu
industriel marseillais et le développement de la mécanique appliquée aux moyens de
transport modernes. Les fonderies voient leurs carnets de commandes se remplir,
gagnent en ampleur et étendent l’éventail de leurs productions (wagons, roues, essieux,
caisses à eaux et peut-être des rails12). Certaines nouveautés techniques comme le
procédé du puddlage ont fait leur apparition. L’industrie marseillaise commence à
produire les fers qu’elle utilise. Les quantités fabriquées semblent néanmoins faibles.
Entre 1841 et 1846, la valeur créée par les établissements de deuxième fusion est
multipliée par trois. Au milieu des années 1840, certaines entreprises affichent des
chiffres d’affaires annuels déjà importants : 350 000 francs pour l’entreprise de Granier et
Dussard et celle des Benêt à Menpenti, 256 000 pour la fonderie de John Riddings13.
9 Le secteur des non-ferreux connaît un développement beaucoup plus médiocre sur
l’ensemble de la période. Le martinet d’Auriol continue à produire les cuves et les
chaudières pour l’industrie des produits chimiques. Le marché local est le seul débouché
de cette entreprise, mais il reste toujours aussi limité. La valeur créée par le travail du
martinet n’est que de 34 000 francs en 183514. Dans ce secteur du traitement des cuivres,
le reste des activités ainsi que les niveaux de production restent inconnus. Les demandes
133
d’autorisation d’ouverture de fonderies de cuivre sont nombreuses sous la monarchie de
Juillet, mais il ne s’agit que d’ateliers de chaudronnerie employant très peu d’ouvriers.
Dans le traitement des plombs, les nouvelles fabrications (tuyaux et produits laminés)
tardent à prendre un véritable essor. Les entreprises marseillaises n’élaborent que pour
30 000 francs de tuyaux en 1835. Il semble que la situation n’ait guère changé durant la
décennie qui suit d’autant que le cuivre tend à supplanter le plomb dans ces divers types
de fabrication. Là encore, les chiffres manquent pour suivre l’évolution de la production
jusqu’en 1846 mais les documents se rapportant à ce secteur d’activités ne montrent
aucune modification notable. En fait, une seule société émerge quelque peu du lot : celle
de Cavallier fils. En 1844, cette entreprise compte 17 ouvriers, travaille 70 tonnes de
plomb et cumule les activités puisqu’elle fabrique, outre les tubes et tuyaux, de la
grenaille15. Ce type de production s’est montré dynamique durant les années 1830. Les
fabriques ont augmenté leur chiffre d’affaire (700 000 francs de valeur en 1842 contre
200 000 en 1829). Elles semblent avoir marqué le pas par la suite.
Les appareils à vapeur pour la navigation
10 Avant 1836, les compagnies marseillaises de navigation à vapeur faisaient fabriquer leurs
navires dans les chantiers de La Seyne-sur-Mer. Les machines étaient importées de
Grande-Bretagne, principalement des ateliers londoniens. La situation était alors logique
puisqu’aucune entreprise de la région n’était capable de réaliser ce type d’appareils. À
partir de 1841, dès la fabrication de la première machine marine par les ateliers de La
Ciotat, une modification radicale s’opère. Les appareils britanniques disparaissent du
marché en faveur de ceux sortis des entreprises locales.
11 Pratiquement toutes les compagnies marseillaises désirant accroître leur flotte ont
adressé des commandes à Louis Benet, pour les coques comme pour les machines. Entre
1836 et 1846, la moitié des vapeurs lancés par les chantiers de La Ciotat et ceux des
Catalans, à Marseille, rejoint la flotte des compagnies locales. Pour ces unités, les ateliers
ont livré dix machines et plus d’une dizaine de Chaudières16. Louis Benet a pu compter sur
le réseau d’hommes d’affaires qui le soutient depuis ses débuts (Jean Luce, Joseph Roux…),
mais aussi sur les bonnes relations qu’il entretient avec certains armateurs comme
Théophile Périer, membre comme lui de la chambre de commerce au milieu des années
1830 et actionnaire de sa société17. L’entreprise de Philip Taylor répond également à ce
cas de figure. Le Britannique compte sur les débouchés locaux et se lance, en 1845-1846,
dans la construction de vapeurs grâce aux à la compagnie André & Auguste Abeille18.
12 Le reste des commandes obtenues auprès de sociétés privées émane des compagnies de
navigation sur le Rhône. Elles sont peu nombreuses. Benet est parvenu à obtenir quelques
commandes mais il n’a que très partiellement accès à ce marché. Trois unités seulement
(le Saumon, le Vésuve et La Grand’Combe) sont construites dans les ateliers des Catalans et
de La Ciotat. Les compagnies de navigation sur le Rhône travaillent traditionnellement
avec les chantiers navals de La Seyne. Les liens entre l’établissement varois et ces sociétés
de navigation sont parfois très étroits. Ainsi, dans les années 1830, le propriétaire des
chantiers de La Seyne, Mathieu, est également propriétaire d’une société de navigation à
vapeur sur le Rhône.
13 Le dernier type de commandes concerne la marine de l’État. Elles sont plus difficiles à
obtenir. Durant les années 1830, deux facteurs essentiels empêchent les ateliers de la
région d’acquérir des marchés. Le ministère de la Marine choisit de se passer de
134
l’industrie privée française. Lors de la constitution de sa flotte méditerranéenne, l’État
confie les travaux de construction des coques de navires aux arsenaux de Rochefort,
Brest, Cherbourg et Lorient et importe les machines marines d’Angleterre. En 1835, le
ministère de la Marine a dépêché en Grande-Bretagne le savant Gay-Lussac et Fauveau, un
ingénieur du génie maritime, pour passer des contrats avec les principaux constructeurs
anglais (Maudsley & Field et Miller & Ravenhill de Londres, Bury de Liverpool…)19. Les
commandes obtenues par l’industrie française sont rares avant 1840 et ne concernent
jamais l’industrie marseillaise. Les maigres travaux confiés à des établissements privés
s’adressent principalement à deux entreprises, celle de François Cavé à Paris, et celle des
Schneider au Creusot. Louis Benet a bien essayé de faire jouer ses relations en 1838 afin
d’obtenir quelques marchés. Les Schneider, alors actionnaires de sa société, interviennent
auprès du ministère pour que les pouvoirs publics décident de lui adresser quelques
marchés pour la navigation postale20. L’entreprise est un échec. Philip Taylor connaît de
bien meilleurs résultats. Les paquebots de l’administration des postes prenant leur départ
de Marseille doivent subir régulièrement des réparations. Sous peine d’une trop longue
immobilisation, les navires ne peuvent se permettre d’attendre les pièces et appareils de
rechange envoyés de Grande-Bretagne. En 1837, la marine royale traite avec Philip Taylor
pour le marché de réparation des appareils des paquebots postes du Levant21. Un premier
pas est fait.
14 La situation évolue de manière favorable à partir de 1840. Pour des raisons de sécurité
nationale, l’État ne peut pas continuer de traiter avec une nation étrangère pour la
construction des appareils des navires de l’administration des postes et surtout de la
marine de guerre. Il doit de plus faire face aux critiques de l’ensemble des mécaniciens
français qui trouvent inconcevable que les bénéficiaires de marchés nécessaires à la
croissance de l’industrie nationale soient attribués à des constructeurs étrangers. Les
travaux effectués par Philip Taylor ont donné pleines satisfactions aussi bien en termes
de qualité qu’en termes de délais22. Après Taylor vient le tour de Louis Benet. Les ateliers
de La Ciotat sont visités par le préfet maritime et le ministre des Travaux publics durant
l’automne 1842. Les deux hommes ont décidé qu’il fallait leur « donner les
encouragements dont ils sont dignes23 ». En 1842-1843, Louis Benet peut faire ses preuves
avec la réalisation de cinq navires pour l’administration des postes. Au début de l’année
1844, le ministre de la Marine, le préfet maritime de Toulon et le Conseil du port décident
de confier aux ateliers de Philip Taylor et de Louis Benet la construction de machines et
chaudières de forte puissance malgré la vive opposition de Bonard, directeur des
constructions navales à l’arsenal24. La même année, un gros bâtiment de guerre, le Narval,
est commandé, coque et appareil moteur, aux ateliers de La Ciotat. Louis Benet obtient
également des contrats pour plusieurs machines ou chaudières devant être construites
indépendamment des coques25. Philip Taylor n’est pas en reste. Ses relations avec
l’arsenal s’intensifient à partir de 1846 quand le Britannique se lance dans la construction
de vapeurs à La Seyne. Cette année-là, les ateliers de Menpenti travaillent à la
construction d’une chaudière de 450 chevaux et d’une machine de 200 chevaux26. Le
mouvement est largement amorcé. L’industrie marseillaise de la mécanique marine
trouvera désormais dans les commandes de l’État une source de travaux d’une valeur
considérable.
135
Les locomotives
15 Le marché des locomotives est lui aussi fortement marqué par la domination du niveau
local. Il constitue toutefois un cas particulier. Contrairement à ce qui a pu être observé
dans le domaine des appareils pour l’industrie et la navigation, les entreprises locales ne
bénéficient pas de facteurs favorables. La législation douanière et les problèmes
technologiques font que l’industrie britannique reste difficile à concurrencer dans ce
secteur.
16 À la fin des années 1830, l’industrie britannique, entreprise des Stephenson en tête,
écrase les marchés européens. Sa suprématie technique est incontestée. L’utilisation de
matières premières dont les prix sont peu élevés et les économies d’échelle d’un secteur
fortement spécialisé lui permettent de réduire à néant la concurrence étrangère. Les
constructeurs de l’Hexagone souffrent de plus de l’attitude de l’État français. En mars
1837, le gouvernement a en effet décidé de faciliter les admissions de locomotives
britanniques en abaissant les taxes douanières27 et d’équiper ses propres lignes de
machines importées28. Malgré le soutien du groupe d’hommes d’affaires marseillais qui a
participé à la création de son entreprise et que l’on retrouve dans les compagnies des
chemins de fer du Gard et de Marseille à Avignon, Louis Benet se trouve donc confronté à
deux difficultés majeures.
17 Au tout début de l’entreprise, rien n’est encore joué. La décision d’attribution des
commandes pour les lignes du Gard ne peut se faire sans l’accord de deux des principaux
actionnaires, Paulin Talabot et James de Rothschild. Ce dernier a visité les ateliers de La
Ciotat en septembre 1838 alors qu’il voyageait vers Rome29. Il doute des capacités des
chantiers, hésite à investir dans l’entreprise, d’autant que les droits d’entrée sur les
locomotives étrangères ont été baissés de moitié depuis quelques mois. Les frères
Schneider, partenaires financiers de la société depuis 1836, décident de ne pas suivre
l’entrepreneur cio-tadin. Les industriels de Saône-et-Loire mettent alors en garde Louis
Benet des dangers à se lancer dans une telle aventure :
« Je sais que la construction de locomotives laisse en Angleterre d’assez beauxrésultats en raison de l’importance des commandes qui pleuvent dans ce pays, maisje ne suis pas assuré qu’il en sera de même chez nous… Nous avons entrepris cegenre de construction il y a quelques mois, et pour avoir les ordres [decommandes], il nous a fallu faire un rabais assez considérable sur celui auquelreviennent les machines venant d’Angleterre. En sorte que, tout compte fait, jecrois que nous aurons du mal à mettre les bouts ensemble surtout pour lespremières… Aurons-nous des commandes pour nous alimenter ? C’est ce quej’ignore et que je n’ose à peine espérer, parce que chacun va se disputer cettenouvelle industrie30. »
18 Sur les avis de ses relais marseillais, James de Rothschild se lance quand même dans
l’entreprise, mais il ne place que 40 000 francs dans l’affaire31. L’atelier de Louis Benet
devra d’abord faire ses preuves en effectuant quelques unités pour les lignes du Gard.
L’essentiel des locomotives sera commandé aux ateliers de Stephenson à Newcastle. En
1842, un peu plus de 250 ouvriers sont affectés à la construction des locomotives dans les
ateliers de La Ciotat. Les capacités productives de l’établissement sont largement
supérieures aux travaux effectués pour la Compagnie des Chemins de fer du Gard. Les
chroniqueurs locaux soulignent alors l’importance des problèmes rencontrés par
l’établissement32. À la suite de l’attribution de la concession, les travaux pour
l’équipement de la ligne Marseille-Avignon sont lancés et tirent l’atelier d’une situation
136
précaire. Les hommes d’affaires marseillais qui soutiennent Louis Benet parviennent à
faire établir par contrat triangulaire entre la Compagnie du chemin de fer de Marseille à
Avignon, Robert Stephenson et l’entrepreneur ciotadin un premier marché. L’accord
porte sur la réalisation d’au moins trente locomotives. Quinze d’entre elles doivent sortir
des ateliers de Newcastle. Les autres seront construites dans les établissements de La
Ciotat sous la direction de Robert Stephenson33. Ce type de contrat est original. Pour
obtenir ce marché, l’entrepreneur britannique doit opérer un transfert de sa technologie
et permettre à un concurrent de se développer. Par ses appuis, Louis Benet parvient ainsi
à surmonter les problèmes de l’acquisition des marchés et de l’assimilation d’une
technique complexe.
19 Il est particulièrement délicat d’évaluer le nombre d’unités livrées par les ateliers de La
Ciotat entre 1841 et 1846. Pour les lignes du Languedoc, Louis Benet semble avoir réalisé
neuf machines (trois pour la ligne Alais-Beaucaire en 1841, six en 1843-1844 pour les
lignes Nîmes-Montpellier et Nîmes-Beaucaire34). Les constructions effectuées pour la ligne
Marseille-Avignon ont été la principale source de travail de la période. Les
renseignements sont maigres. Au printemps 1845, les ateliers ont terminé et livré cinq
unités35. L’année suivante, six machines sont en construction36. En 1845, lors d’un voyage
dans le midi de la France, Jobart, directeur du Musée de l’industrie belge, « compte une
vingtaine de locomotives en construction, pour le chemin de fer de Marseille à Avignon37
». Un chiffre identique est avancé par Sébastien Berteaut la même année38. On peut
pourtant douter de l’exactitude de telles informations qui placent Fatelier de Louis Benêt
parmi les trois plus grands constructeurs français de cette période. Les auteurs
confondent très certainement le nombre des machines en commande entre 1844 et 1846
et la capacité productive de l’établissement puisque durant cette période les ingénieurs
des Mines dénombrent la construction de 21 locomotives françaises affectées à la ligne
Marseille-Avignon39.
20 Jusqu’en 1846, Louis Benet bénéficie donc de marchés lui permettant de faire fonctionner
son atelier de construction de locomotives, mais la question de l’avenir se pose
rapidement. De tous les marchés, celui des locomotives est très certainement le moins
stable. La réussite des années 1841-1846 ne préfigure aucune garantie pour le futur. Les
locomotives ont une grande longévité. La fin de l’équipement de la ligne Marseille-
Avignon posera inévitablement le problème de la conquête de nouveaux marchés.
L’équipement pour les grands travaux
21 Le dernier grand marché local concerne les grands travaux d’équipement menés sous la
monarchie de Juillet. Louis Benet a travaillé pour le port de Marseille, mais sa
participation reste limitée à quelques opérations ponctuelles qui, de plus, ne sont pas
toujours couronnées de succès40. Le principal bénéficiaire de ce type de débouchés est
Philip Taylor. Ce dernier obtient la plupart des commandes de machines nécessaires aux
travaux d’aménagement de l’espace portuaire ou à la réalisation du Canal de Marseille
(fourniture de grues pour le port et de matériel pour le bassin de carénage)41. Sa
prédominance s’explique aisément. Ses compétences techniques sont en ce domaine
uniques dans la région, surtout au cours des années 1830. Lui seul est capable de fabriquer
des machines de grande puissances à l’image de celle réalisée pour la construction de
l’aqueduc de Roquefavour42. Les quantités de machines et la valeur de la production de
cette spécialité des ateliers de Philip Taylor sont totalement inconnues. L’absence de
137
documents au niveau régional et la forte puissance de ces machines laisse à penser que les
achats effectués auprès d’entrepreneurs de Grande-Bretagne ou d’autres régions
françaises devaient être importants.
UNE FAIBLE INTÉGRATION À L’ESPACE NATIONAL
22 Les opportunités offertes par le développement industriel de la région marseillaise
expliquent en grande partie la prépondérance des débouchés locaux. Ces derniers
s’avèrent toutefois assez vite insuffisants. Le secteur de la construction mécanique et de
la métallurgie de deuxième fusion connaît une croissance vigoureuse au cours des années
1840. Pour l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise, l’adéquation entre la
capacité de production et les commandes obtenues pose des problèmes de plus en plus
importants. Les ventes de machines et de pièces de métaux à Marseille et dans sa région
ne suffisent plus à assurer le bon fonctionnement du secteur.
23 Dès 1839, Philip Taylor souligne l’insuffisance du marché local, qui ne parvient plus à lui
procurer les travaux nécessaires à la marche de son entreprise43. L’explication des
difficultés rencontrées par les entrepreneurs marseillais ne réside pas dans une
quelconque baisse de la demande puisque les années 1840 sont, bien au contraire, celles
d’une remarquable croissance des équipements pour les usines et les compagnies de
navigation à vapeur44. La raison est en fait totalement interne au secteur. Le nombre des
entreprises a augmenté dans des proportions considérables. Certaines sociétés ont acquis
d’énormes capacités de production. Les ateliers de La Ciotat peuvent produire
annuellement cinq à six millions de francs de machines et de navires45. L’essor de
l’industrie métallurgique marseillaise dépasse très largement la croissance des marchés
locaux. Si ce secteur veut poursuivre son essor ou même simplement trouver l’aliment
nécessaire au maintien de son niveau de production, il doit obtenir des marchés hors d’un
cadre régional devenu trop étroit. La question de l’extension des marchés pose une série
de difficultés. La plus importante concerne le coût des transports, qui augmente les prix
de vente de manière considérable et rend ainsi les entreprises marseillaises peu
compétitives dès qu’il s’agit d’obtenir des contrats loin de Marseille.
Des marchés très restreints
24 Sous la monarchie de Juillet, quelques établissements phocéens parviennent à vendre
leurs produits dans des régions éloignées du département. Demange vend au début des
années 1840 une machine pour fabriquer les tuyaux de plomb à un fondeur de Lyon46.
Granier et Dussard trouvent la majeure partie de leurs débouchés en Franche-Comté47.
Ces exemples font toutefois figure d’exceptions. Ils ne concernent que quelques marchés
isolés ou des produits bien spécifiques comme les machines de calibrage ou le fer
galvanisé. Pour l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise, la prépondérance des
marchés locaux s’exerce sans partage. L’intégration dans l’ensemble national est faible. Le
marché intérieur est encore inaccessible avant la mise en place du réseau ferroviaire
français. L’héritage de la structure spatiale de l’économie d’Ancien Régime est pesant. Le
cloisonnement des espaces reste donc une constante importante de l’économie du pays.
Les industriels marseillais ont su tirer profit de ce morcellement des marchés pour
acquérir les débouchés de la région. À l’inverse, dans le cas d’une extension hors du cadre
régional, l’avantage se transforme en inconvénient. Le prix des transports de
138
marchandises entre Marseille et les autres régions françaises est élevé et freine toute
ambition nationale. En 1846, aucune ligne ferroviaire n’est établie dans les Bouches-du-
Rhône. Cette situation enlève tout espoir aux métallurgistes et mécaniciens marseillais,
qui se trouvent dans l’impossibilité d’être compétitifs loin de leur région d’action
traditionnelle. La chambre de commerce de Marseille intervient régulièrement dans les
années 1840 pour tenter de faire pression sur les sociétés de roulage afin qu’elles cessent
d’appliquer des tarifs jugés insupportables par les entrepreneurs marseillais dans le cadre
de leurs expéditions48. Les résultats obtenus semblent avoir été insignifiants.
L’exemple des locomotives
25 L’exemple offert par l’atelier de La Ciotat est particulièrement significatif de cette
incapacité à trouver des débouchés dans des régions éloignées du sud-est de la France. En
1843, Louis Benet répond à deux appels d’offre de compagnies ferroviaires de la région
désirant équiper les lignes Nîmes-Montpellier et Nîmes-Beaucaire. Le premier marché est
composé de six locomotives avec leurs tenders et des pièces de rechange, le second de
trois machines avec les mêmes conditions49. Toutes les grandes entreprises françaises (les
ateliers Schneider du Creusot, ceux de Koechlin de Mulhouse, d’Halette d’Arras, de
Buddicom de Rouen et de Cavé de Paris) soumissionnent aux côtés de l’entrepreneur
ciotadin. Louis Benet présente un devis de 48 000 francs par unité pour les locomotives de
la ligne Nîmes-Montpellier et une facture totale de 188 000 francs pour le second marché.
Il propose les plus bas prix et enlève les deux marchés avec les ateliers du Creusot qui ont
présenté un devis identique. L’entreprise provençale parvient donc à s’imposer dans le
sud-est de la France en faisant jeu égal avec une des plus grandes sociétés françaises. La
situation devient différente hors de la région. La même année, l’entreprise de La Ciotat
répond à un autre appel d’offres lancé cette fois par la Compagnie des chemins de fer du
nord concernant l’équipement de la voie reliant Lille au royaume de Belgique50. Le
constructeur mulhousien, Koechlin, emporte le marché avec un devis de 117 000 francs.
Louis Benet est cette fois bon dernier avec une proposition de 188 000 francs, soit 35 % de
plus. La différence est la conséquence du prix du transport des machines. À partir de la
fin de l’année 1843, Louis Benet cesse de soumissionner pour des marchés concernant des
lignes ferroviaires situées hors du sud-est de la France.
26 Au total, les débouchés des entrepreneurs marseillais sur le territoire français sont d’une
grande faiblesse. Des machines et des pièces de métaux se vendent certes sur la Côte
d’Azur ou en Algérie51. Il ne s’agit toutefois que de quelques opérations ponctuelles
s’effectuant de plus dans des conditions particulières. Les deux zones citées restent
proches de la région marseillaise. Les entrepreneurs phocéens profitent ici de la
possibilité d’acheminer les produits par voie maritime, le moyen de transport le moins
onéreux de l’époque. Les fondeurs et mécaniciens marseillais prennent rapidement
conscience que l’extension des marchés ne peut s’effectuer que dans le cadre des
exportations. De manière précoce, ils cherchent donc à vendre leurs produits dans le
bassin méditerranéen et plus particulièrement dans les pays des rives Nord avec lesquels
Marseille entretient des relations fortes et déjà anciennes.
139
L’IMPORTANCE CROISSANTE DES MARCHÉSMÉDITERRANÉENS
27 Sous la Restauration, les exportations marseillaises de produits métallurgiques étaient
presque inexistantes. Seuls les plombs en grenaille et quelques cercles de barriques
partaient pour les pays méditerranéens, essentiellement vers l’Espagne et les États
italiens. La période de la monarchie de Juillet va apporter de profonds changements. Les
entreprises marseillaises effectuent des percées sur les marchés méditerranéens. Dans les
années 1840, la grande majorité des établissements du secteur travaillent, à des degrés
divers, pour l’exportation.
Un précurseur : Louis Benet
28 Les métallurgistes et mécaniciens marseillais visent très tôt les marchés méditerranéens.
Jusqu’au début des années 1840, ces débouchés ne sont essentiellement perçus que
comme un travail d’appoint. Le premier entrepreneur à porter une attention à ces
marchés est Louis Benet. Avant même de se lancer dans la fabrication des appareils à
vapeur, l’industriel de La Ciotat déclare en 1833 : « Marseille pourrait fournir aux pays qui
entourent la Méditerranée une bonne partie de leurs besoins en machines à vapeur et
autres mécaniques »52… Le type de marchés visés par Louis Benet se précise dans la
seconde moitié des années 1830. Les ateliers de La Ciotat sont alors en fonctionnement et
sont destinés à se spécialiser dans la fabrication d’appareils pour la navigation à vapeur.
« La Méditerranée est et sera la mer des bateaux à vapeur. Tous les pays qui labordent sont encore sans expérience dans les arts mécaniques ; tous sonttributaires de l’Angleterre pour leurs besoins. Le port de Marseille, qui lesapprovisionne en articles manufacturés de tout genre, est mis de côté lorsqu’ils’agit pour eux de machines. Ils vont acheter en Angleterre, et ils transportent àgrands frais, ces mêmes machines que les faciles relations qu’ils ont avec Marseilleleur feraient prendre dans ce port, s’ils y trouvaient des vendeurs…53 »
29 Quelques années plus tard, alors que les ateliers de La Ciotat se lancent dans la
construction des locomotives, Louis Benet et ses principaux associés espèrent une
conquête des futurs marchés italiens. Joseph Roux compte sur le poids de la maison
Rothschild pour obtenir les commandes de locomotives que vont engendrer les
constructions des lignes Florence-Livourne et Gênes-Turin54. D’autres entrepreneurs
suivent le mouvement. Philip Taylor entend « rivaliser avec les mécaniciens anglais » et
« soutenir la concurrence contre eux sur les côtes d’Italie55 ». Le Britannique l’a déjà fait
en partie. Depuis 1836, il « livre(nt)… en Italie des machines de force moyenne pour les
diverses branches de l’industrie56 ». À partir de 1840, avec la croissance soutenue du
secteur, les marchés méditerranéens sont regardés avec plus d’attention.
Les exportations vers l’est et le sud de la Méditerranée
30 Les fondeurs marseillais exportent des plombs en grenaille dans le sud-est de la
Méditerranée. Ces ventes sont traditionnelles depuis le XVIIe siècle. Elles connaissent une
recrudescence à partir de la fin des années 1830. Le plomb en grenaille est principalement
destiné au royaume de Grèce et surtout à la Turquie, pays qui reçoit près du tiers des
exportations marseillaises de plombs ouvrés en 184157. Les ventes de machines, de
140
mécaniques et de navires à vapeur sont beaucoup moins importantes, mais les
constructeurs marseillais nouent plusieurs contacts et parviennent à obtenir quelques
commandes. En 1836, le premier vapeur construit par les chantiers de Louis Benet à La
Ciotat est vendu au Grand Turc58. Quatre années plus tard, Jean-Baptiste Falguière équipe
entièrement une minoterie de Constantinople, avec notamment deux machines à vapeur
d’une puissance totale de 60 chevaux59.
31 Les rives du sud de la Méditerranée offrent une situation globalement similaire. Les
exportations marseillaises vers ces régions existent mais sont encore peu nombreuses.
Déjà présents sous la Restauration, les envois de plombs en grenailles vers les États
barbaresques se poursuivent. Ils se maintiennent encore à un niveau modeste. Les
exportations de mécaniques apparaissent. Les ateliers d’Étienne Chambovet livrent
plusieurs moulins à épuisement pour la régence de Tunis60 et les ateliers des Catalans de
Louis Benet et des cousins Peyruc, spécialisés dans la fabrication de chaudières,
travaillent pour l’Égypte61. Ces deux zones du bassin méditerranéen ne représentent
qu’une part minime des ventes effectuées hors du territoire national. Les marchés du sud-
est de l’Europe et des pays du sud de la Méditerranée ne sont pas encore développés. La
demande est en revanche d’une importance croissante dans la zone nord-ouest du bassin
méditerranéen.
Les États italiens, des partenaires privilégiés
32 En Espagne et dans les États italiens, deux pays sur la voie de la modernisation
économique et demandeurs de biens d’équipement, les marchés sont plus importants. Les
fondeurs et mécaniciens marseillais connaissent néanmoins peu de succès en Espagne.
Seule la Catalogne leur commande quelques travaux. Vers 1840, pour la ville de
Barcelone, Étienne Chambovet fournit les machines de l’hôtel des Monnaies tandis que
Dominique Demange construit les équipements d’une fabrique de bougies62. À ces
exceptions près, les Catalans s’approvisionnent principalement auprès des entreprises
britanniques et parisiennes63.
33 L’indigence des débouchés espagnols contraste fortement avec la valeur des commandes
italiennes. Les États italiens constituent le grand marché d’exportation de l’industrie
métallurgique marseillaise. Pratiquement tous les types de produits fabriqués par les
fondeurs et mécaniciens phocéens partent vers l’Italie sous la monarchie de Juillet. Les
pièces moulées de fonte et de fer destinées à la confection ou à la réparation d’appareils à
vapeur sont exportées par l’entreprise des frères Puy64. Des presses hydrauliques sont
confectionnées par Étienne Chambovet pour des entreprises palermitaines65. Philip
Taylor s’est assuré en Lombardie une bonne part des marchés de chaudières pour les
huileries, les distilleries et les fabriques de chandelles66. Il exporte des machines à vapeur
pour les usines des divers États italiens depuis 1836 au moins67. Dans le domaine de la
mécanique marine, les premières commandes apparaissent au même moment. Les
constructeurs marseillais s’attaquent à un marché qui est, depuis les années 1820, une
véritable chasse-gardée britannique68. Dès la seconde moitié des années 1830, Philip
Taylor traite avec des compagnies de navigation italiennes pour des travaux de
réparation sur machines et chaudières69. En 1844, Louis Benet réalise à La Ciotat deux
bateaux munis de machines de 220 chevaux pour le compte de la Compagnie des Deux-
Siciles70. Deux années plus tard, c’est la compagnie sarde Rubattino qui demande ses
services pour la réalisation du San Giorgio71. Les ateliers de La Ciotat ont de plus livré une
141
locomotive destinée à la ligne Naples-Castellamare en 184072. Cette exportation est
toutefois atypique puisqu’il s’agit vraisemblablement d’un prototype mis au point par
Stephenson.
Les réseaux de ventes
34 Il est difficile de déterminer les modalités d’obtention de ces commandes
méditerranéennes. Seuls quelques éléments explicatifs peuvent être avancés. La chambre
de commerce de Marseille collecte les informations et renseigne les industriels locaux sur
les marchés susceptibles d’intéresser les secteurs métallurgiques et mécaniques73. Par
ailleurs, les entrepreneurs ont très certainement bénéficié de réseaux qui ont facilité leur
insertion dans les milieux industriels et commerciaux étrangers en s’appuyant sur les
actions développées par des hommes d’affaires tel que Jean Luce74. Seul le cas de Philip
Taylor, à partir de quelques exemples, peut être étudié. Le Britannique s’est déjà fait un
nom en Italie avant d’exporter des appareils à vapeur. Son procédé hot blast a été adopté
avec succès par la sidérurgie piémontaise au début des années 183075. Ce facteur a très
certainement joué en sa faveur. Le principal point d’appui de ses débouchés italiens est la
constitution d’un réseau de mandataires chargés de trouver des marchés et d’assurer ses
intérêts sur place. A Gênes, il gère ses contrats avec la Compagnie des bateaux à vapeur
sardes grâce à Giovanni Maria Cabella, un négociant de la ville76. Il lui a déjà donné
pouvoir en 1839 « …de, pour lui et en son nom, faire tous les traités et accords avec le
gouvernement de Sardaigne relativement aux fournitures et réparations de machines à
vapeur et autres à faire…77 ». Philip Taylor a vraisemblablement utilisé ce système dans
les autres régions italiennes où ses exportations étaient importantes, comme en
Lombardie.
35 Il est également difficile de chiffrer avec précision en valeur comme en quantité les
exportations marseillaises vers les pays méditerranéens. Les données détaillées sur les
sorties de marchandises du port de Marseille sont rares et ne précisent pas si les produits
sont de fabrication marseillaise. Il reste toutefois certain que les constructeurs et
fondeurs marseillais ont directement participé à la croissance de ces exportations,
spécialement vers les États italiens. En 1832, le total des exportations de machines du port
de Marseille vers l’Espagne et les États italiens (moins le royaume de Piémont-Sardaigne
et la Lombardie-Vénétie, dont les chiffres sont inconnus78) dépasse à peine 100 000 francs.
En six années, le chiffre est multiplié par six et atteint 646 670 francs. Marseille participe
dans une large mesure au total des exportations françaises, qui reste encore faible79. En
1845, le total des exportations de machines et mécaniques dépasse largement le million
de francs80. Pour Marseille, la Méditerranée se substitue à l’espace national.
36 Le cas marseillais est original en France, mais aussi dans le sud de l’Europe. Les
entreprises métallurgiques et mécaniques italiennes ou espagnoles ont toujours dû se
contenter des marchés régionaux ou nationaux. Seul le cas de l’industrie grecque
présente quelques similitudes. Dès sa formation, l’industrie mécanique du Pirée exporte
des produits métallurgiques et des machines. L’atelier de Vassiliadis entretient, au début
des années 1860, des relations soutenues avec différentes villes de l’Empire ottoman
(Constantinople, Smyrne et Alexandrie), notamment par la livraison de charrues81.
L’entreprise piréote de John Mac Dowall et les forges d’Hermoupolis dans les Cyclades
suivent dix années plus tard en exportant des appareils à vapeur, des chaînes et des
ancres en Turquie et dans divers pays de l’Europe de l’Est82.
142
La richesse du sous-sol méditerranéen
37 Le bassin méditerranéen est perçu comme une zone de débouchés pour les produits des
secteurs métallurgiques, mais il est également regardé comme une zone
d’approvisionnement en minerais et métaux non-ferreux. Les richesses minières de
plusieurs régions italiennes suscitent très tôt la convoitise des Marseillais. C’est le cas
notamment de la Toscane, dont le sous-sol regorge de minerais d’antimoine, de fer, de
plomb argentifère et de cuivre83. À Septèmes, une fonderie d’antimoine est créée en 1844
par Jean Briqueler84. L’usine traite les minerais venus de Toscane, des environs d’Orbitello
dans les basses Maremmes. Marseille commence même à s’intéresser à des projets
d’implantation sur le territoire italien. En 1841, Charles Aune essaie de fonder une société
chargée d’exploiter des hauts fourneaux et des forges dans le royaume de Naples85. La
tentative est un échec mais témoigne de la volonté phocéenne d’utiliser la richesse
minérale de la péninsule italienne.
38 En Espagne, les négociants marseillais s’intéressent de près aux plombs et aux minerais
de plomb. Ils suivent avec attention la législation douanière en ce domaine86. Les plombs
d’Andalousie arrivent en proportion croissante à Marseille en provenance des ports
d’Adra et d’Almeria87. Les importations, comprises entre 5 000 et 6 600 tonnes durant la
période 1832-1840, augmentent fortement à partir de 1843. Avec l’apparition d’une
nouvelle zone de production – la Sierra de Carthagène remplace celle de Gador – et
l’effacement progressif des Britanniques sur les marchés internationaux88, les deux
grandes maisons de commerce spécialisées dans ce type d’opérations (la société de
Figueroa et celle des Guerrero, des Espagnols installés à Marseille) parviennent à drainer
en Provence de grosses quantités de plombs89. Les 10 000 tonnes sont dépassées en 184490.
En 1846, ce sont près de 16 000 tonnes de plombs ibériques qui arrivent sur les quais du
port de Marseille91. La même année, le chiffre total des importations françaises est de
20 504 tonnes, dont 17 215 venues d’Espagne92. Le port de Marseille reçoit donc 78 % des
plombs entrant dans l’Hexagone. Les premières initiatives marseillaises pour traiter les
minerais espagnols sont menées en Espagne même. En 1843, dans la région de
Carthagène, la société Isidore Brun & cie a monté les installations de la San Isidoro93.
Bientôt, les usines de traitement des minerais de plomb vont apparaître à Marseille
même.
LA NÉCESSITÉ DE TRAVAILLER AVEC LES FONTES ETLES FERS ANGLAIS
39 Sous la monarchie de Juillet, l’industrie métallurgique marseillaise connaît un problème
majeur, celui de ses approvisionnements en fontes et fers. Ce secteur, sans cesse en quête
de matières premières peu coûteuses, doit gérer une situation très défavorable. Aucun
haut fourneau n’a été allumé aussi bien à Marseille que dans le département. Vers 1830, la
ville doit donc s’approvisionner auprès de zones relativement éloignées. Le prix de la
fonte est particulièrement élevé à Marseille car à la cherté du produit s’ajoute le surplus
de coût causé par l’acheminement par voie terrestre ou fluviale d’une marchandise
lourde.
143
L’espoir déçu d’un approvisionnement dans la région
40 La ville croit un moment pouvoir résoudre le problème au cours des années 1830. Les
fondeurs et les mécaniciens marseillais nourrissent l’espérance durant une décennie, de
pouvoir travailler à proximité de foyers de production de fontes et de houilles, à l’instar
du modèle britannique. Ces espoirs sont liés aux initiatives qui se développent dans les
départements voisins du Vaucluse et du Gard. Les hauts fourneaux d’Alais commencent
leur production en 183194. Au début des années 1830, Hippolyte de Villeneuve voit d’un
œil favorable le projet de création de hauts fourneaux à Velleron, dans le Vaucluse, qui
permettrait selon lui « d’alimenter toute la partie méridionale du pays à des prix
inférieurs à ceux de l’Isère95 ». Toujours dans le Vaucluse, un projet similaire est mené
avec l’exploitation des minières de fer de Rustrel, près d’Apt, au début des années 1840.
Les espoirs se déplacent vers la Corse dans la première moitié des années 1840, quand les
hauts fourneaux de Toga commencent à exporter des fontes vers le continent96. La
déception sera à la hauteur des espoirs placés dans le développement sidérurgique de ces
départements. Les hauts fourneaux du sud de la France fournissent des fontes d’une
qualité médiocre et à un prix relativement élevé. Ainsi, les fontes d’Alais sont chères (50
francs la tonne). Elles sont cassantes et ne peuvent donc être utilisées avec succès par les
fonderies marseillaises97. Dans la première moitié des années 1830, les Marseillais ont
également fait appel à la sidérurgie toscane, plus proche par l’avantage du transport
maritime que les entreprises du centre de la France. Des produits des hauts fourneaux de
Follonica sont envoyés à Marseille afin que les entreprises puissent les essayer. L’échec
est immédiat, la fonte « ayant été jugée impropre à une deuxième fusion, n’a pu être
vendue comme fonte de forge à un prix voisin de 18 francs les 100 kilos98 ».
41 Pour les fondeurs et mécaniciens marseillais, l’espoir de s’approvisionner localement
prend fin. Deux choix s’offrent alors à eux : travailler les métaux livrés par les entreprises
du centre de la France ou utiliser les matières premières importées. Dans le cadre d’un
travail pour l’exportation, ce choix n’existe même plus. Les importations de fers et de
fontes sont devenues une nécessité. Afin de pouvoir rivaliser avec les ateliers
britanniques sur les marchés méditerranéens, les entrepreneurs marseillais doivent
proposer des prix de ventes équivalents. Puisque les matières premières françaises sont
trop coûteuses, les fondeurs et mécaniciens sont condamnés à lutter contre leurs rivaux
de Grande-Bretagne avec leurs propres armes en utilisant leurs fontes afin de réduire le
coût des matières premières.
Le problème du coût des fers et de l’achat des machines-outils
42 Pour les fers, la situation est encore plus préoccupante. Si Marseille s’est lancée dans ce
type de fabrication depuis le début des années 1840, le volume des productions est faible.
Dans l’ensemble du sud-est de la France, la situation est identique. Seule la création de la
société Mourié & cie, à Fréjus, en 1844, qui produit des fers par la méthode catalane,
permet d’améliorer la situation99. Les entrepreneurs marseillais comme Philip Taylor
deviennent clients, mais les niveaux de production de la société varoise sont encore bas.
L’usine ne traite mensuellement que 50 tonnes de minerai de fer de l’île d’Elbe100. Le prix
de ces fers pose également problème. L’utilisation du charbon de bois du massif de
l’Esterel alourdit de manière importante les coûts de production. Dans le cadre d’un
travail à l’exportation, on retrouve ici, comme pour les fontes, le problème du prix des
144
fers en lingots ou des tôles en fer. Pour le remplacement des chaudières d’un navire de
160 chevaux, la différence du prix de revient des fers et des tôles de fer nécessaires à sa
réalisation – soit 50 tonnes de métaux – est de 27 000 francs en faveur de l’industrie
britannique101. En 1840-1841, le prix de revient d’un cheval-vapeur pour un appareil de
navigation est de 1 800 francs pour une entreprise française. En Angleterre, la somme
atteint seulement 1 300 francs chez Fawcett102. Comme pour la fonte brute, les
entrepreneurs marseillais sont donc dans l’obligation de faire appel à l’industrie
britannique pour leurs approvisionnements en fers dans le cadre des travaux pour
l’exportation.
43 L’Angleterre est également une zone d’échange privilégiée et irremplaçable pour l’achat
des machines-outils. Même si, en france, des progrès remarquables ont été effectués,
l’industrie britannique reste inégalable dans la construction de ce type d’appareils.
L’enjeu est ici important. L’utilisation du matériel de production d’outre-Manche assure
une parfaite exécution des machines, notamment des cylindres. Les constructeurs de
Grande-Bretagne produisent des chariots d’alésage dotés de fraises à stries très fines ainsi
que des appareils de mesure précis au millième de pouce. Pour une parfaite exécution des
appareils, les machines-outils des deux plus grands ateliers marseillais, ceux de Benet et
Taylor, ont été importées de Grande-Bretagne. En 1839-1840, près de 400 000 francs de
mécaniques anglaises arrivent à Marseille chaque année103. Il s’agit principalement de
machines-outils.
COMPOSER AVEC LA POLITIQUE DOUANIERE DEL’ETAT FRANÇAIS
44 Entre 1815 et 1830, l’État français s’est efforcé de constituer et d’assurer l’unification du
marché national. La politique mise en place durant cette période a pour objet de
superposer espace économique et espace politique de la nation. Ce marché doit, de plus,
être protégé de la concurrence étrangère. Sous la pression de la majeure partie des forces
économiques du pays (les propriétaires terriens, les maîtres de forges, les entrepreneurs
du textile…), les ministères successifs de la Restauration s’emploient à mettre sur pied
une politique douanière ultra-protectionniste qui réserve le jeu de la libre concurrence
sur le sol national aux seules entreprises françaises104. Les gouvernements de la
monarchie de Juillet ont essayé d’assouplir le cadre très rigide de la période précédente
dès les années 1830. Le problème reste toutefois entier pour les entrepreneurs phocéens.
Les fondeurs et les mécaniciens sont durement touchés. Le fait douanier revêt pour eux
une importance capitale aussi bien pour leurs approvisionnements en matières premières
et en machines-outils que pour leurs exportations en Méditerranée. La compétitivité du
secteur sur les marchés locaux et surtout étrangers dépend de la capacité des
entrepreneurs à composer avec cette difficulté majeure.
Un problème insoluble : la politique douanière de l’État
45 La politique douanière de la Restauration a essentiellement pour objet d’annuler la
concurrence anglaise qui effraie, non sans raison, les industriels français. Par les lois de
1816, 1820, et 1822, l’État a fixé les cadres de la protection des industries nationales. La
sidérurgie est un des secteurs les plus protégés. À la fin des années 1820, les fontes et les
fers étrangers entrant en France sont très lourdement taxés, souvent à plus de 100 % de
145
leur valeur105. Certaines importations, comme celles des tubes en fer, sont purement
prohibées106. Tout est fait pour protéger la sidérurgie française alors même qu’elle souffre
d’une double incapacité. Elle ne peut soutenir la concurrence des prix face aux
producteurs anglais favorisés par le faible coût des matières premières et ne produit
qu’une fonte de mauvaise qualité, inutilisable par les fonderies françaises107.
46 La pression exercée par les grands propriétaires terriens et les industriels ne se relâche
pas après la Révolution de 1830. Le nouveau régime doit maintenir les cadres de la
politique douanière fixée sous la Restauration. Toutefois, le gouvernement de Louis-
Philippe, poussé par le parti du Mouvement, affiche rapidement la volonté d’assouplir le
système des tarifs douaniers. En 1832, le comte d’Argout, alors ministre du Commerce,
déclare qu’il veut dégager du régime de protection « tout ce qui est inutile, vexatoire ou
exorbitant108 ». Les modifications ne s’effectuent cependant que sur des points de détail.
En 1842, face au grand développement des lignes de chemins de fer, on songe à un traité
de libre-échange bilatéral avec la Belgique. L’initiative a été prise par les dirigeants de
compagnies ferroviaires qui essaient de trouver un remède à la faiblesse de la production
sidérurgique française. Soutenues en grande partie par le ministère du Commerce, les
discussions s’engagent et sont même sur le point d’aboutir. L’affaire échoue finalement
sous la pression des sidérurgistes français. Depuis 1839-1840, les maîtres de forges se sont
rassemblés dans un puissant syndicat de défense, le Comité des intérêts métallurgiques,
destiné à bloquer les possibles réformes109. Chaque tentative de modification de la
politique douanière est vouée à l’échec.
47 Les hommes du gouvernement sont conscients de l’importance des industries de
mécanique et de fonderie de deuxième fusion. Il s’agit d’un secteur essentiel pour la
modernisation et l’autonomie technologique de l’ensemble industriel français. Les
différents ministres tentent à plusieurs reprises de modifier les tarifs des droits d’entrées
des fers et des fontes. Ils se heurtent toujours au puissant groupe de pression des maîtres
de forges. Seules deux séries de lois votées en juillet 1836 sur l’initiative du ministre du
Commerce Hippolyte Passy, un libéral convaincu, parviennent à être arrachées110. La
situation s’en trouve très légèrement améliorée. Le poids minimum de chaque masse
autorisé à l’entrée passe de 400 à 25 kilos. Cette décision permet ainsi d’éviter aux
fondeurs le surplus de travail causé par la mise en fusion d’une quantité de fonte souvent
supérieure à celle réellement nécessaire à la majorité des opérations. Les droits sont
abaissés. Malgré ces nouvelles lois, les tarifs protecteurs restent de 70 % pour les fontes et
de 110 % pour les fers fabriqués au charbon. Sous la monarchie de Juillet, tout comme
leurs homologues de la région parisienne ou du nord de la France, les fondeurs et
mécaniciens marseillais doivent donc subir la loi des maîtres de forges français, souvent
incapables de répondre à leurs besoins.
48 La politique économique française diverge des intérêts du secteur métallurgique
marseillais. L’État français verrouille son territoire alors que les fondeurs et les
mécaniciens phocéens considèrent globalement ces frontières comme une gêne
insupportable et souhaitent leur élimination afin de pouvoir travailler des fontes d’une
qualité suffisante. Au problème de qualité s’ajoute celui du prix des fontes. Si les fondeurs
marseillais peuvent préserver leurs marchés locaux sans difficulté, la situation est
totalement différente dans le cadre d’une lutte avec les Britanniques et les Belges pour
l’obtention de marchés en Méditerranée. Les sommes acquittées pour utiliser les produits
anglais augmentent les prix de vente des machines et pièces de métaux ouvrés dans des
proportions considérables.
146
49 Ce problème du coût des matières premières et d’une protection équitable accordée aux
secteurs de la sidérurgie, de la métallurgie de deuxième fusion et de la construction
mécanique est omniprésent dans les discours des milieux industriels des pays nord-
méditerranéens. Le problème se pose de manière encore plus aiguë pour ces régions.
Depuis 1830, la France est parvenue à se doter d’un tissu d’industries nombreuses,
variées, approvisionnées en machines et produits métallurgiques par les usines de la
nation. Les gouvernements espagnols, italiens ou grecs ont, eux, la charge de faciliter un
processus d’industrialisation encore à ses débuts. Les entrepreneurs de tous les secteurs
souhaitent pouvoir s’approvisionner en biens d’équipement peu onéreux. Comment
favoriser une industrialisation à moindre coût en soutenant la création et le
développement d’une métallurgie et d’une industrie mécanique peu compétitives face
aux entreprises étrangères ? Le problème semble insoluble. Cette impasse explique en
grande partie les difficultés de certaines régions nord-méditerranéennes à maintenir ou à
développer certains types de production de machines ou de produits métallurgiques. Lors
des phases initiales d’industrialisation, ce problème a été géré de manières différentes par
les divers États sud-européens. La seule constante a été le choix d’une modernisation de
l’appareil productif au coût le moins élevé. Que ce soit en Grèce, en Italie ou en Espagne,
les droits d’entrée sur les machines ont longtemps été nuls ou très bas111. La question des
fers et des fontes a donné lieu, en revanche, à l’établissement de politiques radicalement
différentes.
50 À Milan, au cours des années 1830-1840, on a pris la décision de sacrifier la sidérurgie des
provinces de Brescia, Bergame et Côme, trop archaïque et trop coûteuse. Le royaume de
Piémont-Sardaigne s’est engagé au même moment dans la même voie. Les hauts
fourneaux piémontais souffrent de deux problèmes majeurs : la cherté du combustible et
l’éloignement de la mer. Le prix des transports, des combustibles importés de la côte vers
Turin et sa région, ou des minerais des vallées alpines vers le littoral, alourdit
considérablement les frais de fonctionnement d’entreprises déjà peu concurrentielles. Le
protectionnisme établi sous la Restauration en faveur de la sidérurgie nationale vole en
éclats avec la convention de libre-échange signée entre le gouvernement sarde et la
Grande-Bretagne en 1841112. Les tarifs douaniers pesant sur les minerais de fer, les
produits métallurgiques semi-finis ou finis sont diminués en moyenne de 50 % entre 1830
et 1851113. Les gouvernements des États italiens respectent donc un certain équilibre. Si
les marchés nationaux sont ouverts à la concurrence étrangère, les mécaniciens et
fondeurs sardes et lombards trouvent une compensation partielle en pouvant
s’approvisionner en métaux importés faiblement taxés.
51 De son côté, l’Espagne a choisi de taxer lourdement les fers étrangers entrant sur son sol.
Une solution pour le moins contradictoire puisque, parallèlement, le gouvernement laisse
entrer les machines étrangères au moyen d’une politique douanière permissive surtout
depuis la promulgation des lois d’août 1842 par la Direction générale des douanes114. Les
forges sont soutenues alors que l’industrie de la construction mécanique, le principal
débouché, doit s’effacer devant la concurrence étrangère115. En Catalogne, les voix
s’élèvent :
« La France[…] peut produire les défenses contre les industries analogues des autrespays, au moyen de prohibitions sévères et de hauts droits sur les importations et deprimes accordés aux exportateurs. Les fonderies et les ateliers de constructionsmécaniques espagnols ont besoin de 80 % de capital en plus par rapport aux Anglaiset souffrent d’une charge de 200 % sur le fer forgé, de 80 % sur le coulé et de 4 à500 % sur le charbon116. »
147
52 La situation ne se débloque pas dans les années 1850 et s’ancre ainsi dans la longue durée.
L’abaissement des droits d’entrée sur les fers de 1862 a été peu important et n’a pas donc
pas entraîné de modifications. Les mécaniciens catalans continuent de dénoncer l’absence
d’équité du système douanier qui permet notamment aux sociétés de chemins de fer
d’acheter leur matériel presque exclusivement à l’étranger117. Les tarifs appliqués aux fers
importés causent la ruine des entreprises de mécanique sans pour autant développer une
industrie nationale du fer compétitive118. À Marseille, les propos sont similaires dans les
années 1830-1840. Même si l’industrie métallurgique et mécanique, contrairement à celle
de Barcelone, a pu compter sur la politique douanière de l’État pour préserver son
marché local, les entrepreneurs et les penseurs économiques de la ville s’efforcent de
montrer les contradictions d’une gestion trop politique des frontières économiques.
Les réactions marseillaises
53 La politique douanière de l’État français est jugée avec dureté à Marseille. La réussite de
l’industrie mécanique et de la métallurgie de deuxième fusion, est le signe évident de la
modernité industrielle et technologique du pays et peut permettre à la nation de se placer
à la hauteur de sa voisine britannique. Chez les entrepreneurs marseillais, les premières
traces de mécontentement apparaissent dans la seconde moitié des années 1830. Dans
une lettre adressée aux conseils de l’agriculture, des manufactures et du commerce en
1837, Louis Benet s’insurge contre l’action d’une administration qui « paralyse notre
bonne volonté119 ». Pour l’entrepreneur de La Ciotat le problème se pose en ces termes :
« Malgré les droits élevés, l’industrie française et surtout celle du littoral, trouventavantage à tirer de l’étranger les fontes et les fers qu’elles emploient. Laconséquence naturelle de cet état de choses est que la réexportation des piècesfabriquées est impossible à cause de la concurrence que font à nos produits lesAnglais qui obtiennent chez eux ces matières premières au tiers de ce qu’ellescoûtent en France120. »
54 Philip Taylor tient, lui, à mettre en garde l’État contre ses agissements. Pour le
Britannique, le prix des fontes est la principale cause de la perte des plus beaux fleurons
de l’industrie française121. La faillite du plus célèbre atelier de mécanique, celui de
Chaillot, à Paris, doit faire réfléchir le gouvernement sur les effets néfastes de sa politique
douanière. L’établissement parisien a été victime du prix élevé des matières premières
françaises qu’il utilisait122.
55 La question de l’importation des fontes britanniques anime les débats et tient une place
importante dans les discours économiques marseillais des années 1840. Après les affaires
des droits d’entrée sur les blés et parallèlement au combat pour les sucres, les métaux
constituent un nouveau combat pour les personnalités locales. Pour Jules Julliany, la
baisse des droits d’importation frappant les fers et les fontes étrangers est une nécessité
évidente. Le Provençal comprend les motivations et les intérêts des sidérurgistes français.
Il réclame simplement une répartition plus juste des avantages accordés aux divers
secteurs industriels français123. Louis Reybaud s’en prend plus directement à l’État et
dénonce son incapacité à comprendre qu’il favorise, par le soutien qu’il apporte aux
maîtres de forges français, la médiocrité dans le processus de modernisation de
l’industrie de la construction mécanique124.
56 À partir de 1840, les partisans du libre-échange s’affirment avec de plus en plus de
vigueur à Marseille. Ils décident de se structurer. après Bordeaux, l’Association
148
marseillaise du libre-échange, est créée en 1846125. L’année suivante, Frédéric Bastiat,
chantre du libéralisme tel que le défend l’école de Manchester en Angleterre, vient à
Marseille pour faire un discours. Le public l’ovationne. La ville de Marseille se présente
donc aux avant-postes du combat en faveur du libre-échange mais, si les idées libérales
sont répandues à Marseille, ce sont avant tout des idées d’intellectuels. Dans les milieux
industriels, la situation est bien plus contrastée. Le Britannique Philip Taylor peut certes
être rangé parmi les adeptes du libéralisme en matière économique. Dans ses écrits, on ne
trouve aucune demande ni même une seule allusion à une quelconque protection contre
les constructeurs étrangers. Il est même, signe évident de son attachement à cette
doctrine, vice-président du banquet offert par les milieux économiques sardes en
l’honneur de Richard Cobden126. Dans le monde de la métallurgie marseillaise, Philip
Taylor fait figure d’exception. Il est bien le seul à afficher une telle conviction. Tous les
autres fondeurs et mécaniciens marseillais demandent la liberté de pouvoir travailler des
fontes et des fers étrangers, mais ils sont également les premiers à demander le maintien
d’une politique protectionniste dans le domaine des importations de machines
britanniques. La dureté des réalités économiques les empêche d’être des partisans du
libre-échange. Cette conception des échanges prônée par les Britanniques n’est qu’un
élément d’une politique économique leur permettant d’ouvrir les marchés étrangers à
leurs productions. Les fondeurs et mécaniciens marseillais suivent le même pragmatisme.
Comment pourraient-ils accepter la redoutable concurrence anglaise alors que l’État peut
leur accorder une protection efficace ?
57 Dans une lettre adressée au ministre du Commerce en 1837, Louis Benet souhaite le
maintien des tarifs protecteurs pour les machines marines de plus de 160 chevaux que le
gouvernement songe à réviser127. Il reconnaît les vertus du protectionnisme : « Il est
admis en principe que la protection doit accompagner une industrie jusqu’à ce qu’elle ait
assez grandi et soit devenue assez forte pour lutter avec la concurrence étrangère. Il nous
est démontré que sans la protection du droit de 33 %, nos produits ne peuvent affronter la
concurrence de ceux des ateliers anglais. » Louis Benet fait alors la démonstration de
l’importance du système protecteur français. Pour un constructeur français, le coût total
des fontes et des fers employés à la construction d’une machine marine de 160 chevaux
est de 99 225 francs. Les grands ateliers britanniques affectent à l’achat des matières
premières 42 875 francs, soit moins de la moitié. Seuls les droits de douanes payés à
l’importation permettent de rétablir quelque peu la situation sur les marchés étrangers
qui reste, selon l’entrepreneur de La Ciotat, toujours favorable aux Anglais. Les droits
s’élèvent à 46 200 francs. Il reste donc toujours un avantage de 10 150 francs aux
constructeurs d’outre-Manche.
Les actions des entrepreneurs marseillais
58 Face aux problèmes liés à la politique protectionniste de l’État, les métallurgistes
marseillais ne réagissent pas avant le milieu des années 1830. La première explication est
relativement simple. Au début du règne de Louis-Philippe, ils étaient trop peu nombreux
pour constituer un groupe de pression dont la voix serait entendue. La seconde raison est
que cette industrie ne travaille à ses débuts que pour les entreprises locales et ne se sent
donc que peu concernée par des problèmes de compétitivité sur les marchés extérieurs.
C’est donc seulement à partir de 1835 que les actions pour lutter contre les tarifs
douaniers se développent. Elles sont de quatre types. La première solution est la création
d’entreprises. Si globalement, la politique protectionniste de l’État a été une gêne pour la
149
métallurgie marseillaise, elle a entraîné toutefois certains aspects positifs. Pour ne plus
être entièrement dépendants, les entrepreneurs marseillais ont créé de nouvelles
fabrications. À la fin des années 1830, une seule société française fabrique du fer
galvanisé. Il s’agit de la société Sorel, à Paris128. Sans concurrence, le secteur étant neuf en
France, cette entreprise pratique des prix prohibitifs. En 1839, Barthelemy Granier et
Alfred Dussard fondent à Marseille une entreprise qui se lance dans le même type de
fabrication129. À partir de 1842-1843, la production des fers par le procédé du puddlage
apparaît dans les ateliers de Cabanis et Salles et ceux du britannique John Riddings. Les
créations sont peu nombreuses et ne prennent pas encore l’étendue désirée. Elles
démontrent toutefois le souci marseillais d’accéder à une certaine autonomie dans les
approvisionnements en éliminant des dépendances qui aggravent les prix de revient des
productions.
59 Le second type de réaction est original. Puisque le passage de la frontière pose des
difficultés, celle-ci va être contournée. Les machines marseillaises vendues à l’étranger ne
sont pas construites en Provence, mais à l’étranger. Même s’il fait figure d’exception – un
seul entrepreneur marseillais s’est livré à cette pratique –, le cas est particulièrement
intéressant. Philip Taylor utilise son réseau britannique pour court-circuiter les
problèmes des tarifs douaniers. L’ingénieur anglais dessine les plans des appareils en
Provence puis les envoie en Grande-Bretagne où ils sont exécutés en pièces détachées. Ces
pièces sont ensuite acheminées directement par bateaux d’Angleterre sur les lieux de
vente – il s’agit le plus souvent de clients italiens – où les ouvriers qualifiés de l’entreprise
marseillaise sont dépêchés afin de les assembler130. Ce système n’est qu’un palliatif et ne
peut en fait durer pour deux raisons. Philip Taylor se fait débaucher les ouvriers qualifiés
qu’il envoie dans les pays étrangers pour monter les appareils à vapeur131. La formation
d’ouvriers compétents est longue et coûteuse. Le préjudice subi est donc important. Le
second problème est d’ordre social. Paternaliste, ayant bonne réputation auprès de ses
ouvriers, Philip Taylor ne désire pas licencier une grande partie de ses employés132.
60 Le troisième type de réaction s’exerce au niveau de la technologie. Pour le choix des
caractéristiques techniques des machines qu’ils construisent, les mécaniciens
britanniques et français sont fortement tributaires des matières premières. « Les moteurs
changent selon la nationalité des constructeurs : les Anglais font des machines fixes très
lourdes, demandant un poids énorme de métal et beaucoup de maçonnerie… les Français
cherchent des modèles à forme légère et à faible volume133. » Les constructeurs français
cherchent à économiser la masse des métaux employés dans la fabrication des appareils à
vapeur. L’industrie marseillaise s’insère ici totalement dans le mouvement général de
l’Hexagone. Les actions menées par les entrepreneurs provençaux ont donc un but
prioritaire dès la fin des années 1830 : réduire le poids des machines afin d’alléger les
coûts de production et de pouvoir ainsi rivaliser avec les produits britanniques. Avec le
temps, cette politique va prendre une importance croissante, essentiellement dans le
domaine de la construction de machines marines. L’économie des fontes et des fers
employés à la construction des machines détermine à Marseille les types de
constructions. Dans le secteur industriel, les machines à haute pression, sans condenseur
et sans balancier dominent. Le point le plus intéressant est celui de la mécanique marine.
La croissance de la fabrication d’appareils pour la navigation à vapeur s’explique par le
fait « que le poids des machines augmente avec le nombre de chevaux mais à un taux
décroissant au-delà d’un certain seuil, compris entre 30 et 80 chevaux134 ». Dans les coûts
de production, la construction de machines de grande puissance fait diminuer la valeur
150
des matières premières au profit de la valeur-travail135. Le premier appareil fabriqué par
John Barnes et Louis Benet à La Ciotat, celui du Phocéen II, pèse pratiquement le même
poids que celui fabriqué par Miller & Ravenhill pour le Phocéen alors que sa puissance est
supérieure de 20 chevaux. L’atelier de La Ciotat produit déjà des machines plus légères
que ses concurrents britanniques. Au début des années 1840, une machine Fawcett
(Liverpool) d’une puissance de 120 chevaux pèse 103 695 kilos, soit plus de 864 kilos par
cheval136. En cinq années seulement (1841-1846), les ateliers de construction de Louis
Benet ont fait des progrès considérables. Par rapport au premier type de fabrication
réalisé en 1841, l’appareil moteur de la nouvelle génération de navires fabriquée à partir
de 1846 voit son poids réduit de près de 15 % alors que la puissance totale des machines
est augmentée. Il fallait 828 kilos de métaux par cheval dans la construction d’une
machine marine en 1841. Le chiffre tombe à 549 en 1846. Dans le domaine de la
construction des chaudières, le mouvement est encore plus spectaculaire, avec l’adoption
des chaudières tubulaires. Le poids des chaudières est diminué de 25 %. Le prix de revient
d’un cheval est passé de 1428 francs en 1841 à 969 en 184 5137. L’industrie marseillaise peut
donc rivaliser plus facilement avec l’industrie britannique sur les marchés
méditerranéens. Cette possibilité de réduire l’importance des matières premières dans le
secteur de la mécanique marine va être déterminante pour l’avenir de l’ensemble du
secteur métallurgique. Elle stimule constamment l’innovation et invite à la spécialisation
sur un créneau particulier.
61 La dernière action a été très largement utilisée sous la monarchie de Juillet. Les
entrepreneurs marseillais ont constamment fait appel à l’État pour lui demander une
aide. Il ne s’agit pas de demander la liberté totale d’importer les produits métallurgiques
anglais sans acquitter des droits de douanes. Les gouvernements successifs de la
monarchie de Juillet subissent bien trop de pression des maîtres de forges pour accorder
cette facilité aux fondeurs et mécaniciens marseillais et français. La revendication
s’exerce sur les exportations. Il faut au moins débloquer la situation afin de rendre les
entrepreneurs compétitifs sur les marchés internationaux. Trois types de demandes sont
formulées : le système des admissions temporaires138, celui des drawbacks139 et
l’attribution de primes à l’exportation140. Pour les métallurgistes marseillais, ces
demandes sont d’autant plus justifiées qu’elles n’enlèvent aucun marché aux autres
secteurs industriels français :
« La production nationale n’en éprouverait aucun dommage. Pour une fouled’objets, les fers et les tôles de France ne peuvent être employés. Il faut, de toutenécessité, recourir à la production étrangère. Alors qu’arrive-t-il ? Ou nosmécaniciens emploient des produits de l’étranger en acquittant des droits trèsélevés, et alors ils ne peuvent confectionner leurs machines aux mêmes prix que lesAnglais, ou bien ils font venir de l’Angleterre les objets tout confectionnés, et lepays est appauvri d’une somme considérable qui aurait été dépensée en main-d’œuvre si l’on avait permis l’emploi des matières premières que la France ne peutfournir dans des qualités et des prix convenables. Les maîtres de forges eux-mêmesperdent tous les débouchés que procurait, aux produits qu’ils peuvent fournir,l’activité de nos ateliers141. »
62 Pour tenter de faire aboutir ces demandes, les constructeurs et les fondeurs marseillais
s’appuient sur toutes les forces économiques et politiques de la ville. La préfecture des
Bouches-du-Rhône, la mairie de Marseille et la chambre de commerce n’ont jamais
ménagé leurs efforts pour soutenir le secteur métallurgique de la ville. Cette dernière se
montre particulièrement active. Les demandes de soutien pour les entrepreneurs de la
ville se multiplient au cours des années 1830-1840142.
151
Les premiers assouplissements
63 Sous la monarchie de Juillet, les modifications de la politique douanière de l’État français
sont peu nombreuses. Elles touchent essentiellement deux secteurs : les industries
travaillant à l’équipement des lignes de chemins de fer et de la navigation à vapeur. Pour
la construction des locomotives, la législation devient protectionniste au cours des
années 1840. Les entreprises françaises prennent ainsi possession des marchés. Ces
mesures douanières ne changent guère la situation des marchés pour les chantiers de La
Ciotat. L’étroitesse des relations que Louis Benet entretient avec les compagnies
ferroviaires du sud-est de la France a permis l’établissement de contrats originaux qui
sortent l’entreprise du libre jeu de la concurrence. L’amélioration du système douanier a
des répercussions beaucoup plus importantes dans le secteur de la mécanique marine.
L’adoption de ce changement par la chambre des députés a été facilitée par les enjeux
maritimes et politiques de la question. Soutenir les fondeurs et les mécaniciens
travaillant dans les domaines de la construction navale et des machines pour la
navigation favorise l’autonomie de la France dans le secteur clé de la marine de guerre et
raffermit la présence de la flotte commerciale française en Méditerranée. L’évolution est
hésitante et contradictoire à ses débuts. Elle s’opère pleinement au cours de la première
moitié des années 1840.
64 En mai 1839, un premier pas important est fait. Les droits d’entrée des fontes étrangères
employées à la fabrication des machines à vapeur sont restitués aux constructeurs si
l’appareil, d’une force de 100 chevaux ou plus, est placé à bord d’un navire destiné à la
navigation internationale. L’avantage est annulé l’année suivante. En 1840, la chambre
des députés admet en franchise les machines étrangères de plus de 100 chevaux143.
L’Union des constructeurs de machines, formée en mai de la même année pour lutter
contre cette décision, « entame une campagne auprès des commissions parlementaires et
des services administratifs144 ». Les mécaniciens français obtiennent gain de cause. Un
système de primes compensatoires est mis en place. Lors des adjudications de 1840 pour
équiper les paquebots du service postal en Méditerranée et sur l’Atlantique, les
constructeurs français enlèvent la plupart des marchés (39 appareils sur 53)145. Le
mouvement est lancé et complété quelques années plus tard par une nouvelle loi. En 1843,
« les tôles, les cornières et les autres pièces en fer destinées à être employées à la
construction des bateaux en fer et des chaudières pour les machines à vapeur pourront
être importées en franchise de droits, à charge par les importateurs de réexporter les
objets fabriqués dans un délai de six mois146 ».
65 Ces modifications douanières ne tardent pas à produire leurs effets pour le plus grand
bonheur des deux grands constructeurs marseillais, Louis Benet et Philip Taylor. Le
premier peut se lancer dans la construction de machines marines dans des conditions
particulièrement favorables. Le haut prix de revient de sa première réalisation –
l’appareil du Phocéen II d’une valeur de 200 000 francs – est atténué par l’obtention d’une
prime de 52 000 francs147. En 1845, Louis Benet reçoit 57 600 francs de primes pour la
réalisation des appareils du Philippe-Auguste, près de 49 000 pour ceux de l’Hellespont
l’année suivante (chaque fois le tiers du prix des machines)148. Avec les répercussions des
lois du début des années 1840 et les progrès techniques de ce secteur, le prix de revient
des machines marines construites dans les ateliers provençaux baisse de manière notable
au cours des années 1843-1846 et peut ainsi concurrencer ses rivaux britanniques sur les
152
marchés étrangers. Les nouvelles lois permettent également le développement de la
construction des navires à coque en fer. Philip Taylor utilise pour la construction de la
coque de son premier vapeur des métaux importés de Grande-Bretagne149. Pour les
chaudières, l’effet est similaire. L’ingénieur britannique emploie, avec la loi de 1843, des
fers et des tôles de fer britanniques (19 768 kilos) pour la réalisation des générateurs du
même navire, le Ville de Marseille.
66 En revanche, aucune modification n’apparaît pour la construction d’appareils à vapeur et
des pièces de métaux destinés à l’industrie. Au début des années 1840, les industriels
marseillais espèrent un moment une amélioration. En 1842, il est question d’étendre à
tous les types de machines destinées à l’exportation la loi qui accorde une prime de 33 %
aux machines marines placées sur les bateaux de navigation internationale150. Le projet
n’est pas voté. Le seul changement portant sur ce secteur concerne, en 1841, les fers
laminés importés en France pour être galvanisés puis réexportés à l’étranger151.
L’industrie marseillaise n’est pas concernée. L’entreprise de Granier et Dussard n’a ses
marchés qu’en France, en Franche-Comté. Les fondeurs et mécaniciens marseillais ne
pourront donc compter sur une quelconque aide de l’État dans le secteur de construction
des appareils à vapeur fixes et des presses hydrauliques. La lutte avec les Britanniques sur
les marchés étrangers devient impossible.
***
67 L’industrie métallurgique marseillaise fonctionne sur trois espaces. L’essentiel des
débouchés se trouve sur place. Le bassin méditerranéen doit assurer le complément des
ventes, proposer des possibilités d’expansion et permettre un approvisionnement en non-
ferreux. La Grande-Bretagne est le point essentiel des achats de matières premières et de
machines-outils. Pour tirer pleinement profit de ce fonctionnement sur ces trois zones,
Marseille ne manque pas d’atouts. Son marché local est protégé de l’étranger par la
législation douanière et des autres ateliers français par le prix élevé des transports
terrestres. La présence de la mer offre une garantie de transports peu coûteux à
l’importation comme à l’exportation. Malgré ces avantages, les problèmes sont énormes.
Si le prix de la main-d’œuvre est identique à Marseille et en Grande-Bretagne152, le prix
des matières premières est, en revanche, beaucoup plus élevé en Provence. Les fontes
françaises sont chères. Les anglaises le deviennent par les taxes qui les frappent quand
elles entrent en France. L’absence de spécialisation des ateliers engendre en outre des
frais d’organisation et de fonctionnement importants. Ce problème des fers et des fontes
devient de plus en plus aigu au cours des années 1840, au moment où la lutte pour la
conquête des marchés s’intensifie en Méditerranée. Les constructeurs anglais, touchés
par une crise depuis 1842, abaissent leurs prix de manière considérable153. La nécessité de
travailler des métaux bruts importés n’est pas une contrainte exclusivement marseillaise.
Avec des coûts de production trop importants, la sidérurgie sud-européenne ne peut
fournir des matières premières bon marché aux fonderies et aux ateliers de mécanique
italiens ou espagnols. La Grèce est enfermée dans une situation extrême. Le pays étant
dépourvu de hauts fourneaux, les fonderies doivent impérativement travailler des fontes
étrangères. L’industrie métallurgique marseillaise est avant tout née des besoins locaux,
mais le problème des débouchés extérieures se pose rapidement. L’obtention de marchés
étrangers d’approvisionnements ou de ventes devient une nécessité de survie pour les
entrepreneurs marseillais dès le début des années 1840. Se pose alors le problème des
153
tarifs douaniers. Par la gestion des frontières dans les domaines économiques, l’État
détient en partie les clés de la réussite ou de l’échec d’un secteur qui a misé sur la
diversité de ses espaces de fonctionnement.
68 La politique douanière française détermine donc dans une large mesure les choix de
production des entrepreneurs marseillais ainsi que la répartition géographique de leurs
débouchés. Pour les biens de production industriels, l’industrie marseillaise de la
construction mécanique doit se contenter du marché local sans pouvoir espérer accroître
ses exportations – qui étaient pourtant prometteuses – vers les pays étrangers. Dans les
domaines de la construction navale et de machines marines, en revanche, tous les espoirs
sont permis. Les mesures prises par les gouvernements constituent une incitation de
premier ordre pour les entreprises de ce secteur. La mécanique marine s’annonce déjà
comme la grande branche de la métallurgie marseillaise de transformation.
NOTES
1. Ordonnance du 3 septembre 1844 et loi du 9 juin 1845 (cf. LEVY-LEBOYER M., Les Banques
européennes…, op. cit., p. 397).
2. « Nombre des machines à vapeur utilisées en France », RTSSM, t. VIII, 1843, p. 133.
3. AN F 14 4233.
4. ECM, t. III, p. 384 et « Falguière… », art. cit., p. 487.
5. On sait, par exemple, que Chambovet et Demange vendent des machines à des huileries de la
région (ADBdR 533 U 317). Depuis 1836 au moins, Philip Taylor « livre(nt) à la ville… des machines
de force moyenne pour les diverses branches de l’industrie » (cf. AMT 2 A 3/48).
6. ACM 22 F 5.
7. Ibid.
8. L’approvisionnement en coke de Saint-Etienne à six francs le quintal rendait les travaux de
moulage de pièces de fonte trop coûteux ; cf. VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art. cit., p. 287.
9. ADBdR 533 U 317.
10. Une quantité relativement importante de pièces de métaux est directement fabriquée dans
les ateliers de mécanique et échappe ainsi aux enquêtes des ingénieurs des Mines.
11. SIM, 1833-1846. Cf. annexe 3.
12. ADBdR XIV M 6/2.
13. SF, p. 50-52.
14. SIM, 1835.
15. ADBdR XIV M 6/2.
16. MLV, 1836-1846 et ADBdR, P 6 bis.
17. LABARRE P., « Les premiers vapeurs inscrits au port de Marseille (1831-1848) », Marseille, 1938,
document dactylographié, p. 72.
18. Association Sillages, i : Les Pionniers, op. cit., p. 144.
19. PAYEN J., « La technologie de l’énergie vapeur… », op. cit., t. II, p. 168.
20. AFB, Registre des copies de lettres envoyées par Schneider & cie, 13 juillet 1837.
21. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine française… », op. cit., p. 454.
22. Ibid., p. 454.
154
23. AMT 2 A 3/103.
24. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine… », op. cit., p. 455-456.
25. Ibid., p. 656-660.
26. AMT 1 G 4131 et 1 G 1 27.
27. Les locomotives étaient auparavant rangées dans le groupe des machines à vapeur et
devaient acquitter un droit de 30 % ad valorem. En mars 1837, elles sont déclassées. Le droit
d’entrée est porté à 15 % (ACCM MR 1461). L’Union des constructeurs, fondée en 1840, doit lutter
quatre ans pour obtenir l’abrogation de cette loi (cf. PAYEN J., La Machine locomotive…, op. cit., p.
132).
28. Cf., par exemple, les équipements de la ligne Montpellier-Sète. (LEVY-LEBOYER M., Les Banques
européennes…, op. cit., p. 383.)
29. SM, 25 septembre 1838.
30. AFB, Registre des copies de lettres Schneider & cie, Lettre à Louis Benet, 25 juillet 1838.
31. ADBdR 364 E 615.
32. MASSE E. M., Mémoire historique et statistique sur La Ciotat, Marseille, 1842, p. 206.
33. AN 77 AQ 44 et SM, 1-2 mai 1844.
34. SIM, 1843-1844 ; Le Moniteur industriel, 5 novembre 1843 ; Comptes rendus des travaux du Comité
des constructeurs de machines (été 1843-été 1845), Paris, 1845 et CALLA F., « Rapport fait par M.
Calla… », art. cit., p. 479. Les données pour l’année 1841 ne sont peut-être pas fiables. Il faut se
rappeler que Calla prend Louis Benet pour un Britannique.
35. AN 77 AQ 44.
36. Société des chemins de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 28 avril 1845 ; Rapport
du conseil d’administration ; Rapport de l’ingénieur en chef, Marseille, 1845, p. 16.
37. SM, 16 janvier 1847.
38. « On travaille simultanément à la confection de 20 locomobiles » (MIN, t. II, p. 375).
39. SIM, 1844-1846. La compagnie ne semble pas avoir traité avec d’autres constructeurs avant fin
1846, date de l’arrivée des machines construites par Koechlin (cf. EMP, M 1851 (482).
40. ACCM, Délibérations de la CCM ; Registre 35, 1836, f° 193-195.
41. Ibid., Registre 36, f° 159-160.
42. ECM, t. III, p. 382.
43. ACCM MP 3611.
44. Cf. annexe 1.
45. MIN, t. II, p. 375. Les ateliers ont été montés pour une fabrication annuelle de 800 chevaux de
machines marines (appareils pour environ quatre navires) (BAUDE J.-J., « Les côtes de Provence »,
RDDM, 1847, p. 821).
46. Ibid., p. 385.
47. ACM 22 F 5.
48. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port de commerce : Marseille », dans Bibliothèque de la révolution
de 1848. Etudes sous la direction d’E. Labrousse. Aspects de la crise et de la dépression de l’économie
française au milieu du XIXe siécle, La Roche-sur-Yon, 1956, p. 204.
49. Le Moniteur industriel, 5 novembre 1843 et Comptes rendus des travaux du Comité des constructeurs
de machines (été 1843-été 1845), Paris, 1845, adjudication du 20 octobre 1843.
50. Le Moniteur industriel, 5 novembre 1843.
51. Cf., par exemple, les exportations de Falguière et des frères Puy (ACM 22 F 5).
52. ACCM MP 3610.
53. AN F 12 2554.
54. GILLE B., Histoire de la maison Rothschild, op. cit., t. I, p. 384.
55. ACCM MP 3611.
56. AMT 2 A 3/48.
155
57. Ibid., t. III, p. 387. Le total des exportations est de 380 tonnes.
58. Le Phocéen (cf. MLV, 21 août 1836).
59. ECM, t. III, p. 384.
60. Ibid, p. 383.
61. ACM 22 F 5.
62. ECM, t. III, p. 383 et 385.
63. Cf. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 291.
64. ACM 22 F 5.
65. ECM, t. III, p. 383.
66. CAIZZI B., L’economia lombarda…, op. cit., p. 164.
67. Cf. infra.
68. La firme Boulton & Watt a vendu notamment 19 navires à vapeur et 42 appareils en
Méditerranée entre 1820 et 1839, 22 et 43 entre 1840 et 1853 (cf. LEVY-LEBOYER M., Les Banques
européennes…, op. cit., p. 381).
69. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit., p. 15 et 26.
70. Le Miseno et le Palinuro (cf. chapitre VII).
71. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit.
72. CALLA F., « Rapport fait par M. Calla… », art. cit., p. 479.
73. La chambre reçoit notamment des copies de lettres adressées par les commandants des
stations navales en Méditerranée contenant les informations qui peuvent intéresser les
industriels marseillais (cf., par exemple, la lettre du commandant de la station française des côtes
d’Italie au préfet maritime de Toulon (17 avril 1842) sur l’achat à l’étranger et la demande de
construction en Italie, par le gouvernement pontifical, de quatre remorqueurs à vapeur, ACCM
MQ 55).
74. Outre sa participation aux sociétés de chemins de fer et à l’entreprise de Benet, Luce s’occupe
de commerce des blés entre Marseille et le royaume des Deux-Siciles (cf. PALA C, « Marseille et le
royaume des Deux-Siciles de 1830 à 1848 », DES, université de Provence, 1966, p. 167).
75. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 103-104.
76. ADBdR 364 E 620.
77. ADBdR 364 E 615.
78. Ces lacunes sont préjudiciables car Philip Taylor exporte beaucoup vers ces deux États.
79. Exportations françaises de machines et de mécaniques : 1838, 3 980 607 francs ; 1839, 3224 ;
1840, 3 974 343 (Le Moniteur universel, 1er juillet 1840).
80. Estimation à partir des données des quatre premiers mois de l’année (Annales commerciales,
1845, t. I, p. 276).
81. MORAÏTINIS P. A., La Grèce…, op. cit., p. 316.
82. Ibid., p. 317 et Reports from Her Majesty’s Consuls on the Manufactures, Commerce of their Consular
Districts, Londres, 1874, part IV, p. 1370.
83. ECM, t. II, p. 150. Pour la richesse minière de la Toscane, cf. HAUPT T., Delle miniere e dellaa lora
industria in Toscana, Florence, 1847 et EMP M 1842 (309).
84. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb dans les Bouches-du-Rhône », BSS1M, 1857, p. 407.
85. ADBdR 548 U 5.
86. Les droits d’entrée sur les minerais ont été abaissés en janvier 1843 (ACCM MP 3411).
87. ECM, t. II, p. 190.
88. « Inglaterra siguió siendo, hasta principios de los años 1860, el primer pro-ductor mundial, pero el saldo
positivo de su comercio exterior de plomo disminuyó netamente a partir de los años 40, dejando espacio
libre, incluso fuera del Mediterráneo, para el plomo español », CHASTAGNARET G., « Marsella… », art. cit.,
p. 25-26.
156
89. Luis Figueroa a notamment obtenu d’importantes commandes de plomb de l’arsenal de la
Marine à Toulon (ADBdR 364 E 626).
90. JALABERT E., « Marseille et l’Espagne sous la monarchie censitaire », DES, université de
Provence, 1958, p. 183-184.
91. Ibid.
92. AN F 12 2514.
93. L’usine passera, quelques années plus tard, dans les mains d’un autre marseillais, Hilarion
Roux (cf. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier… », op. cit., t. II, p. 516 et 755).
94. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 338-339.
95. AN F 14 4489.
96. Les quantités de fontes exportées restent faibles et l’on peut vraisemblablement douter de
leur qualité (cf. CAMPOCASSO P. J., « Histoire de l’usine à fer… », op. cit., annexes).
97. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 338-339.
98. GARELLA N., « Mémoire sur la fabrication de la fonte et du fer en Toscane », ADM, 1839, p. 76.
99. CONSTANT E., Le Département du Var…, op. cit., t. I, p. 324.
100. Ibid.
101. ACCM MP 3611.
102. Enquête pour le traité de commerce avec l’Angleterre, t. II : Industrie métallurgique, Paris, 1860, p.
394-395.
103. 398 230 francs en 1839, 394 561 l’année suivante (ECM, t. II, p. 33-34).
104. DÉMIER F., Nation marché…, op. cit., t. III, p. 2551-2583.
105. AMÉ L., Étude sur les tarifs de douanes et sur les traités de commerce, Paris, 1876, p. 147.
106. Ibid, t. I, p. 277.
107. Cf., par exemple, la Pétition adressée par les fondeurs de Paris à Son Excellence le ministre du
Commerce et des Manufactures, 17 février 1829.
108. « Douanes » dans Larousse P., Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, p. 1144.
109. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 380.
110. ECM, t. III, p. 377 et Viguier P., La Monarchie de Juillet, Paris, 1976, p. 38.
111. Pour la Grèce, cf. les travaux de Christina Agriantoni cités en bibliographie ; pour le
royaume de Piémont-Sardaigne et la Lombardie-Vénétie, cf. GIORDANO F., Industriel del ferro in Italia
, Turin, 1864, p. 9-10 ; pour la Catalogne, cf. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 302.
112. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude de l’acquisition… », op. cit., p. 461.
113. EMP, M 1842 (311) et ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 100.
114. DEL CASELLO A., La Maquinista Terrestre y Maritima…, op. cit., p. 40.
115. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 302.
116. ILLAS Y VIDAL J., Memoria…, op. cit., p. 70-71.
117. Cf. chapitre IV.
118. Cf. Información sobre el derecho diferencial de bandera y sobre los de aduanas exigibles a los hierros,
el carbon de piedra y los algodones…, Madrid, 1867, t. II, p. 177-179.
119. AN F 12 2554.
120. ACCM MP 3611.
121. Ibid.
122. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…. op. cit., p. 347-348.
123. ECM, t. III, p. 372.
124. SM, 9 mars 1839.
125. Luce en est le président. On retrouve dans cette association les plus grandes personnalités
politiques et économiques de la ville (SM, 15-16 novembre 1846).
126. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude… », art. cit., p. 470.
127. AN F 12 2554.
157
128. SM, 9 octobre 1839.
129. Ibid. et « Médailles industrielles », RTSSM, t. VIII, 1845, p. 549.
130. ACCM MP 3611.
131. Ibid.
132. « …un sentiment d’amour propre nous fait naturellement désirer de pouvoir exécuter nos
commandes à Marseille… », ibid. Pour le paternalisme de Philip Taylor, cf. Raveux O., « Les
ingénieurs anglais… », art. cit., p. 301-320.
133. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 380.
134. Ibid.
135. Deux machines de respectivement 220 et 450 chevaux construites par les Schneider au
Creusot en 1842 reviennent à 1 440 francs/cheval pour la première, 880 pour la seconde (ibid., p.
380).
136. ARMENGAUD Aîné, Publication industrielle des machines…, op. cit., t. II, 1842, p. 222.
137. Le prix des machines du Phocéen est estimé par les douanes à 200 000 francs. Celles du
Philippe-Auguste à 174 363 francs.
138. Les entreprises marseillaises peuvent importer des métaux et minerais libres de droits, à
charge de les réexporter à l’étranger après transformation en machines ou métaux ouvrés.
139. Même système que précédemment, sauf que les entrepreneurs paient les droits dès
réception des matières premières et ne sont remboursés qu’après les réexportations.
140. Les entreprises paient les droits de douanes mais reçoivent une prime à l’exportation s’ils
fournissent un certificat de vente à l’étranger ou, dans le cas de la navigation à vapeur, si la
machine est placée sur un bateau destiné à la navigation internationale.
141. ECM, t. III, p. 373-374.
142. Cf. ACCM MP 3610 et 3611 ; ADBdR 1 M 1092.
143. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 382-383.
144. Ibid.
145. Ibid.
146. ACCM MP 3611, Ordonnance royale du 28 mai 1843.
147. Ibid.
148. ADBdR P 6 bis, 49 A.
149. 50 tonnes de fonte, 21 de fer, 3 400 tonnes de cuivre jaune et 850 tonnes de cuivre rouge (ibid
.).
150. ECM, t. III, p. 373.
151. Compte rendu des travaux du Comité…, op. cit., n° 3, août 1843, p. 87
152. « Ils ne sont pas plus élevés en France qu’à l’étranger » (ACCM MP 3611).
153. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 394-395.
158
Conclusion de la deuxième partie.Marseille, pionnière d’une industrie depointe en méditerranée
1 L’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction mécanique s’est constituée
et s’est développée en une quinzaine d’années seulement. La demande locale était forte.
L’industrialisation de nombreux secteurs de production, nouveaux ou anciens, a été
rapide. La navigation à vapeur, en retard lors de la précédente période, est enfin apparue
et s’affirme dans les années 1840. La demande d’appareils pour les grands travaux
d’infrastructures est venue s’ajouter aux deux précédemment citées. La conjoncture était
favorable à l’installation d’entreprises susceptibles de proposer des machines et divers
produits métallurgiques à l’ensemble de ces secteurs. Le relatif cloisonnement des régions
françaises et la politique douanière protectionniste de l’État français laissaient le champ
libre à des initiatives locales. Les artisans, les contremaîtres et les petits industriels ont su
trouver des capitaux, s’associer à des techniciens britanniques pour fonder des
entreprises, assimiler une technologie moderne complexe. Les ateliers de construction
mécanique se sont implantés et ont pris de l’ampleur. La gamme des productions est
remarquablement étendue. De la machine à vapeur fixe à la locomotive, l’industrie
marseillaise fabrique tous les types d’appareils à vapeur. La métallurgie de deuxième
fusion s’est développée dans des proportions plus modestes. Au début de l’année 1846, on
ne fabrique à Marseille ni fonte, ni tôles, ni tubes en fer. Le travail des métaux et minerais
non-ferreux n’a pas connu de grandes modifications. Le puddlage s’est toutefois implanté
et les mécaniciens locaux peuvent faire confectionner sur place les pièces de métaux qui
leur sont nécessaires.
2 Le tableau général est donc brillant mais les premiers points sombres apparaissent
rapidement. La capacité productive de cet ensemble industriel dépasse la demande locale.
La majeure partie des grandes entreprises et quelques sociétés de moyenne importance
tentent de trouver dans diverses régions nord-méditerranéennes des débouchés
complémentaires. Cette quête est un moment gênée par la politique douanière de l’État
français, qui taxe durement les fers et les fontes importés principalement de Grande-
Bretagne. Les problèmes de coûts des matières premières, cruciaux dans le cadre d’une
lutte avec les entrepreneurs britanniques ou belges, ne sont résolus que partiellement
159
avec notamment les lois des années 1840 sur les appareils à vapeur et les métaux destinés
à la construction de navires pour la navigation internationale. Avec ces lacunes et cette
nouvelle conjoncture, l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise doit affronter
les changements liés à une nouvelle phase de son histoire.
3 Le cas marseillais s’inscrit dans un ensemble plus large. Entre 1830 et 1875, les foyers
d’apparition et de développement d’industries métallurgiques et mécaniques se sont
multipliés sur les rives du sud de l’Europe. Ce processus de création a été
particulièrement rapide. Le royaume de Piémont-Sardaine, celui des Deux-Siciles, le
duché de Lombardie-Vénétie, la Catalogne, l’Andalousie, la ville du Pirée et celle
d’Hermoupolis ont vu, en une vingtaine ou une trentaine d’années selon les cas, se
succéder les fondations d’entreprises. Le mouvement des démarrages s’étale sur
l’ensemble du deuxième tiers du XIXe siècle. Les différences de chronologie sont parfois
importantes. La Catalogne enregistre ses premiers succès dès la seconde moitié des
années 1830 alors que la Grèce doit attendre la fin des années 1860.
4 Marseille est pionnière en Méditerranée. Aucune autre industrie métallurgique et
mécanique des régions sud-européennes n’atteindra de manière aussi forte et aussi
précoce les résultats obtenus par les entrepreneurs phocéens. En Italie, en Espagne ou en
Grèce, les résultats des entreprises n’ont pas toujours été à la mesure des espoirs qui
avaient été placés en elles. De nombreuses entreprises de mécanique, conçues pour la
construction, assurent leur existence au moyen de travaux de réparation. Si les
entrepreneurs et les capitaux sont présents et si la technologie a pu être bien assimilée, le
problème des débouchés a posé d’énormes difficultés. La demande en machines et en
produits métallurgiques est pourtant relativement forte dans ces régions. Les entreprises
n’ont pas pu en bénéficier suffisamment pour s’assurer un développement continu et
soutenu. La politique douanière a constamment gêné la croissance de la métallurgie et de
la construction mécanique. Il était en fait difficile de mettre en adéquation l’offre d’un
secteur national de biens de production encore peu compétitif, au rythme de croissance
relativement lent, avec la demande des autres industries et des compagnies ferroviaires
ou maritimes qui devaient faire face à des impératifs de rapidité et de faibles coûts
d’installation.
160
Troisième partie. L’apogée(1846-1865)
161
Chapitre IX. Crise et renouvellements
1 Malgré quelques originalités par rapport aux autres centres industriels français, Marseille
n’échappe pas à la dépression qui s’installe à la fin des années 18401. Le commerce et la
grande majorité des secteurs industriels sont durement touchés. La croissance des années
1831-1846 est arrêtée net. À partir de 1847, une période difficile s’ouvre pour l’économie
marseillaise, et notamment pour les entreprises métallurgiques et mécaniques. Certaines
difficultés sont internes au secteur et la crise n’est que le révélateur de problèmes déjà
anciens. Le cas de l’obstacle douanier pour le bon fonctionnement de la mécanique
industrielle est exemplaire. Toutes les entreprises doivent néanmoins affronter un
problème majeur qui ne s’était jamais posé auparavant : la forte restriction des débouchés
locaux. La crise teste donc la solidité d’un secteur nouvellement installé et peut agir de
plusieurs manières. Elle peut constituer un accident conjoncturel mais aussi induire de
profonds changements. Au-delà de la dépression, il est donc nécessaire de s’intéresser aux
différents aspects du (re)construction en prêtant attention aux nouvelles initiatives
financières et humaines, au renouvellement des générations et à l’affirmation de
l’implantation du secteur dans l’espace urbain. À partir des effets de la crise, Marseille
peut profiter des remises en cause et des opportunités pour assurer l’épanouissement de
cette branche industrielle.
LA CRISE DE 1847-1851 ET SES RÉPERCUSSIONS
2 À partir des années 1847-1848, les entreprises marseillaises du secteur de la métallurgie et
de la construction mécanique rencontrent de grandes difficultés pour trouver des
marchés et conserver leurs effectifs ouvriers. Les conséquences finales de la dépression
diffèrent selon les sociétés mais les stratégies de résistance ont été identiques.
Une crise violente et profonde
3 Durant cette période, tous les entrepreneurs soulignent la forte diminution des contrats
passés avec l’industrie privée. Amédée Armand, par exemple, a perdu les commandes de
ses principaux clients et notamment de l’entreprise Schneider, du Creusot, à laquelle il
vendait des tubes en fer pour chaudières2. Plusieurs entreprises ont été contraintes de
déposer leur bilan : Unsworth (1847) pour les fondeurs, Prosper Azémar (1848), Édouard
162
Hesse (1848) et Walker & Hume (1850) pour les mécaniciens3. La cohorte des ouvriers mis
au chômage atteint son maximum en 1850. Plusieurs grandes entreprises ont dû procéder
à des licenciements parfois importants (les ateliers de La Ciotat et de Philip Taylor, les
fonderies de Luis Figueroa et des Benet…)4.
4 Les entrepreneurs ont cherché des solutions. Elles sont peu nombreuses. Les hommes
politiques sont sollicités afin d’obtenir des commandes de l’État. L’attitude d’Amédée
Armand, propriétaire de mines mais aussi des forges de La Capelette, qui s’adresse en
mars 1848 à Émile Ollivier, alors commissaire de la République dans le sud de la France,
est un bon exemple de ce type de démarche qui se généralise :
« J’ai fait tous mes efforts jusqu’à ce jour pour continuer à donner du travail à tousmes ouvriers habituels… mais pour ne pas voir arriver le moment où je seraisobligé, faute de travail, d’en réduire le nombre, j’ai besoin, citoyen Commissaire,que, dans les circonstances actuelles, vous ayez la bonté de me faire remettre unelettre de recommandation pressante auprès du préfet maritime de Toulon, en lepriant de vouloir me donner les ordres nécessaires pour que l’administration de laMarine me donne le plus de travail possible pour entretenir mes ouvriers tant duRocher bleu que de La Capelette…5. »
5 Ce type d’actions est parfois couronné de succès. Pour les entrepreneurs, l’important est
de savoir trouver des réseaux susceptibles de leur offrir des contrats avec l’État. Pour
avoir su le faire, la société de Philip Taylor passe la crise sans trop d’encombre. Les
ateliers du Britannique doivent en effet leur survie aux commandes adressées
directement ou indirectement par la marine d’État. À la fin des années 1840, le curage de
la petite rade de Toulon représente pour lui une véritable aubaine. Les sommes engagées
par les pouvoirs publics sont colossales. Les travaux d’approfondissement de la rade sont
évalués à 8 400 000 francs lors de l’adjudication de 18466. Baptistin Auban, président de la
chambre de commerce de Toulon, emporte le marché et crée une société avec les Bazin
afin de mener à bien l’entreprise. La construction des navires nécessaires aux travaux a
été confiée à Philip Taylor, dont le fils fait très vraisemblablement partie de la société
Auban & Bazin. Robert Taylor représente en effet, en 1847, la société chargée des travaux
lors de la convention additionnelle au traité de 1846. Entre 1847 et 1851, les
établissements de Philip Taylor fournissent « tout le matériel de curage de la petite
rade », soit cinq dragues de 30 chevaux, dix bateaux porteurs d’une puissance totale de
650 chevaux, un remorqueur et une gabare7. Les coques ont été fabriquées à La Seyne, les
machines sont sorties des ateliers de Menpenti. Les travaux effectués pour la marine ne se
bornent pas au curage de la petite rade. L’entreprise de Philip Taylor effectue également
d’importantes réparations mécaniques sur les navires de la flotte basée à Toulon. La
majorité des 32 bâtiments sur lesquels l’atelier a effectué des travaux entre 1847 et 1851
sont des unités de la marine de guerre8.
6 Il faut attendre l’année 1851 pour voir s’amorcer la reprise. Les effectifs des entreprises
augmentent. Au cours de l’année, Philip Taylor embauche plus d’une centaine d’ouvriers
à Menpenti et Louis Benet, aux Catalans, 1509. La crise a toutefois laissé des marques. La
métallurgie marseillaise sort profondément modifiée d’une période qui ne doit pas être
regardée comme une simple parenthèse dans la grande phase de croissance des années
1831-1865. Les conséquences de la crise sur le niveau général de la demande ont été
importantes. Certaines sociétés n’ont pu surmonter ce moment particulièrement difficile.
163
Les difficultés des ateliers de La Ciotat durant la crise
7 Dès 1846, la situation de l’entreprise de Louis Benet est devenue délicate dans le secteur
de la construction de locomotives. La phase d’équipement de la ligne Marseille-Avignon
prend fin et la conquête des dernières commandes s’avère difficile. L’entreprise ciotadine
doit faire face à une concurrence qui s’intensifie entre les constructeurs français. Dans
cette lutte pour la conquête des marchés, trois grandes entreprises françaises sont sorties
gagnantes. Par des économies d’échelle particulièrement importantes, la société des
frères Schneider (Le Creusot), celle de Derosne, Cail & cie (Paris) et surtout
l’établissement d’André Koechlin à Mulhouse10 proposent des prix de plus en plus bas sur
lesquels les petites et moyennes entreprises du secteur ne peuvent s’aligner. Louis Benet,
qui ne pouvait obtenir des marchés hors de la région, se voit détrôné sur son propre
terrain. En mars 1848, 22 locomotives destinées à être mises en service sur la ligne
Marseille-Avignon sont en construction11. Aucune commande n’a été adressée aux ateliers
ciotadins. Deux grands constructeurs français (Derosnes, Cail & cie et André Kœchlin &
cie) ont enlevé plus de la moitié du marché (14 unités). Le reste est confié à la firme de
Stephenson.
8 Quelques commandes ne suffiraient toutefois pas à Louis Benet pour qu’il puisse espérer
maintenir ses activités dans la construction de locomotives, d’autant que les débouchés
potentiels disparaissent. Avec la crise qui touche durement le secteur ferroviaire, la
Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon se trouve placée dans une position
précaire dès 1848. Les Rothschild ont pris leurs distances. Fin 1847, sollicité pour obtenir
un emprunt, James de Rothschild refuse d’être associé à l’opération12. L’année suivante,
alors que la compagnie est sur le point d’être placée sous séquestre, la maison Rothschild
demande « la restitution de 600 000 francs de rentes prêtées pour opérer son
cautionnement auprès de l’État13 ». Face à de telles difficultés, la compagnie doit se
résoudre à suspendre ses travaux en mars 1848 : « La crise redoutable qui pèse encore
d’une manière si funeste sur notre pays a fait s’évanouir les ressources les mieux
assurées ; force a donc été de suspendre les travaux et d’attendre, pour les reprendre, des
circonstances plus favorables14. » Celles-ci seront longues à venir et rien ne laisse
présager une quelconque amélioration de la situation pour Louis Benet. En matière de
matériel roulant, la Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon s’engage dans
une politique d’autonomie partielle. La crise pousse à une gestion plus rigoureuse. Les
actionnaires de la société ont décidé de se passer des services des ateliers de La Ciotat.
Pour le remplacement, les réparations de machines défectueuses et la construction de
nouvelles unités, la compagnie établit, en Arles, des ateliers de réparation et de
fabrication chargés de gérer, en partie seulement au départ, le parc des locomotives de la
ligne15. La construction de l’établissement d’Arles est achevée durant le premier semestre
1847. Deux premières locomotives sont construites la même année16. En 1848, cinq
constructions sont programmées17. L’aventure de la fabrication des locomotives prend fin
dans la région marseillaise.
9 Dans le domaine des travaux pour la navigation, qui constituait le gros de l’activité des
ateliers de La Ciotat, la situation se dégrade également, même si le phénomène est un peu
plus tardif. Trois navires, avec leurs machines, ont été construits en 1848. C’est la
dernière année durant laquelle les travaux suffisent à maintenir les effectifs ouvriers. La
situation se modifie dès la seconde moitié de l’année 1848. Les commandes deviennent
164
rares. Au cours de la période 1849-1850, les chantiers de La Ciotat ne lancent qu’un seul
bâtiment par an18. Les armateurs locaux ont cessé de passer des commandes. La
conjoncture commerciale n’est plus propice à l’agrandissement ou à la modernisation des
flottes. L’entreprise cherche les moyens de sa survie dans des travaux destinés à
l’exportation. En 1850-1851, trois navires sont réalisés dont deux petits vapeurs pour des
États italiens (un bateau-porte en fer pour l’arsenal de Gênes et le San Pio pour les États
romains19). Les travaux restent insuffisants et ce malgré l’aide de l’État, qui adresse à
l’atelier de La Ciotat quelques commandes de machines pour ses paquebots ou pour des
bateaux de guerre20.
La fin de Louis Benet & cie
10 Dès 1848, l’entrepreneur de La Ciotat se retrouve sans ressources. En mai 1848, Louis
Benet, déjà en proie à d’énormes difficultés de trésorerie, a sollicité un crédit commercial
de 475 000 francs auprès de la Banque de Marseille21. Le président du conseil général de la
banque est Joseph Roux, principal actionnaire et directeur de Roux de Fraissinet & cie, un
des hommes qui a participé à la formation de toutes les entreprises de Louis Benet. Outre
des hypothèques sur ses biens personnels et ses sociétés, Benet doit céder, à titre de
garantie, 150 000 francs d’actions de la société fondée avec les cousins Peyruc qui
exploitent deux établissements, un à Marseille, aux Catalans, l’autre à Toulon dans le
quartier du Mourillon22. Le même mois, il doit revendre une de ses plus importantes
créances à la Banque de Marseille23. Ces actions ne suffiront pas.
11 En 1850, Louis Benet obtient un moratoire pour honorer ses dettes mais doit licencier un
grand nombre d’ouvriers. Cette même année, les chantiers de La Ciotat doivent être
provisoirement fermés faute de commandes24. Déjà préoccupante, la situation devient
critique au cours du premier semestre 1851. La crise a eu raison de la Banque de
Marseille, un des principaux supports financiers de Louis Benet & cie. L’institution
bancaire phocéenne est alors transformée en succursale de la Banque de France25. Elle se
montre désormais beaucoup moins compréhensive. Les crédits sont fermés à Louis Benet
qui ne peut plus bénéficier de l’appui de Joseph Roux26. L’entreprise survit tant bien que
mal au cours du premier semestre 1851. La fin est toutefois inéluctable. Louis Benet doit
se résoudre à vendre.
LA RESTRUCTURATION DE LA MÉCANIQUE MARINE
12 La fin de la société Louis Benet & cie préfigure des changements importants dans le milieu
des dirigeants d’entreprises marseillaises. Jusqu’à la crise, les différents secteurs
économiques étaient restés entre les mains d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs
locaux. Les apports financiers externes avaient certes été nombreux mais il ne s’agissait
que d’opérations de participation dans la constitution des fonds sociaux. Les Marseillais
gardaient le contrôle de leurs sociétés. Dès la fin des années 1840 et jusqu’à la fin des
années 1850, la situation évolue profondément. Les secteurs de la banque, des ports et de
la navigation passent rapidement entre les mains d’hommes d’affaires et d’industriels
extérieurs à la région27. Dans le secteur de la métallurgie, le premier établissement
d’importance à subir cette évolution est celui des chantiers de La Ciotat. En 1851, les
établissements de Louis Benet deviennent propriété des Messageries nationales. Cessant
d’exister pour elle-même, la société est intégrée dont un groupe dont le siège social est à
165
Paris. La gestion des chantiers navals de La Ciotat échappe aux milieux locaux. Cet
exemple d’intégration verticale menée par les Messageries nationales traduit l’insertion
des secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique dans un processus en cours
de généralisation.
Naissance et essor des Messageries maritimes
13 En 1851, l’État abandonne son rôle d’entrepreneur dans la navigation. Le déficit de
l’exploitation de ses lignes en Méditerranée l’amène à laisser le service postal vers le
Levant à une compagnie privée. Dès 1850, l’armateur marseillais Albert Rostand, dont la
compagnie de navigation concurrençait avec difficulté les lignes de l’État depuis 1845,
anticipe la décision et décide de saisir l’opportunité. Il se rend à Paris pour trouver des
partenaires financiers et y rencontre Ernest Simons, directeur des Messageries nationales
et a peu de mal à le convaincre des possibilités offertes par l’affaire28. Simons a bien saisi
que le système de transports par diligences est voué à une fin assez proche et fait
comprendre au conseil d’administration des Messageries nationales la rentabilité de
l’opération. Les tractations avec l’État s’engagent dès l’hiver 1851. En janvier 1852, la
Compagnie des messageries maritimes est définitivement fondée29. Divisé en 4 800
actions, le capital est de 24 millions de francs. Les hommes des Messageries nationales,
détenteurs de la moitié des actions, sont majoritaires. Albert Rostand ne possède que 180
actions. L’État apporte une importante aide financière. Une subvention annuelle de
300 000 francs pendant dix années suivie d’une diminution de 100 000 francs par an est
accordée pour faciliter le démarrage de l’entreprise. Afin d’honorer convenablement les
services existants, de les développer et de permettre une adaptation aux changements
techniques qui se multiplient durant cette période, la compagnie ne peut se contenter de
sa flotte de départ. Les navires, surtout les paquebots-poste construits à la fin des années
1830, sont déjà vieillissants. L’acquisition de nouveaux navires répondant aux nouvelles
nécessités commerciales est un impératif. Un programme de construction est décidé. Les
navires et leurs machines seront construits par la compagnie. À cette fin, les hommes des
messageries rachètent les chantiers de La Ciotat en 1851.
Le rachat des chantiers navals de La Ciotat
14 En 1850, les chantiers de Louis Benet, en proie aux difficultés causées par le manque de
commandes, avaient reçu la visite d’Ernest Simons et d’Albert Rostand30. Ces deux
hommes effectuent alors une première approche. L’affaire se précise lors de l’Exposition
universelle de Londres, en juin de l’année suivante. Simons et Rostand rencontrent de
nouveau Louis Benet lors d’une visite des docks de Londres31. L’affaire est conclue durant
l’été 1851. La société des Messageries a racheté les chantiers32. Elle s’attache en peu de
temps les services des hommes qui lui font défaut. Armand Béhic a accepté de s’occuper
de l’organisation de la compagnie à Marseille. La société se dote ainsi d’un homme de
valeur aux multiples compétences. Béhic a déjà dirigé une grande entreprise (les forges
de Vierzon) et l’État lui a confié la direction du contrôle et de la comptabilité du ministère
de la Marine depuis 184533. Pour la construction des machines marines, la nouvelle société
a pris soin de conserver John Barnes34. Pour occuper le poste de direction des
constructions navales, Simons et Rostand engagent Stanislas Dupuy de Lôme, ingénieur
du génie maritime jusqu’alors en poste à Toulon. La Compagnie des messageries
maritimes et ses chantiers réunissent alors les facteurs d’une grande prospérité : deux
166
établissements d’une parfaite complémentarité économique, un ensemble d’hommes
apportant de hautes compétences technologiques, de bonnes aptitudes à la gestion ainsi
que des possibilités d’utiliser les réseaux économiques et politiques dans lesquels ils sont
insérés.
15 À l’instigation de ses deux principaux actionnaires, Ernest Simons et Louis Revenaz,
l’action des hommes des Messageries maritimes ne va pas se borner, dans le domaine de
la métallurgie et de la construction navale, à la simple acquisition des chantiers de La
Ciotat. Les deux hommes voient loin et entendent se rendre maîtres d’un ensemble plus
puissant. Quatre années après le rachat de la société de Louis Benet, le groupe reprend la
deuxième grande entreprise de la région, la Société des forges et chantiers de la
Méditerranée.
La prise de contrôle de la Société des forges et chantiers de la
Méditerranée
16 La Société des forges et chantiers de la Méditerranée est née de la fusion de deux entités
préexistantes. La première a été formée en 1847 par Philip Taylor sous la raison sociale
Philip Taylor & cie. Elle regroupe l’atelier de mécanique établi à Menpenti en 1835 et le
chantier naval de La Seyne-sur-Mer racheté à Lombard en 1845. La seconde, la forge à
l’anglaise fondée en 1846 dans le quartier de La Capelette, est l’œuvre d’Amédée Armand.
Dès le démarrage de cette entreprise, Philip Taylor en est le principal commanditaire. Le
regroupement des deux établissements sous une même structure juridique s’opère en
1853. La formation de la société anonyme des forges et chantiers de la Méditerranée est
autorisée par le décret impérial du 29 janvier 1853 et « a pour objet l’exploitation
d’établissements à acquérir ou à créer pour la fabrication de la fonte, le forgeage et le
laminage du fer, la construction, la réparation et l’entretien des machines de toute
nature, les constructions navales en fer ou en bois, ainsi que de tous leurs accessoires35 ».
Le fonds social de la société est de cinq millions de francs répartis en 5 000 actions.
17 Cette société fonctionne peu de temps. Deux années seulement après sa fondation, elle est
mise en liquidation et placée sous la gestion provisoire d’une nouvelle société : Simons,
Revenaz, Béhic & cie. Les causes de la faillite de la société de Philip Taylor sont mal
connues. Seule la version donnée par Armand Béhic, lors de l’assemblée générale
extraordinaire de la nouvelle société du mois d’août 1856, permet de disposer de quelques
indices36. La première cause avancée par le nouveau directeur de l’entreprise concerne la
mauvaise utilisation des capitaux. Les immobilisations, que ce soient les acquisitions de
terrains ou les équipements, ont été trop importantes. La société se serait ainsi privée de
fonds de roulement. L’achat des matières premières et le paiement des personnels
s’effectuent de manière difficile : « Il est de toute évidence que le capital roulant de
1 248 000 francs laissé disponible par l’achat des usines ne pouvait suffire aux
améliorations à faire et à l’exécution des travaux courants. Les embarras financiers ne
tardèrent pas à se manifester37. » L’entreprise devait donc licencier du personnel ou
contracter des emprunts. La première solution a été utilisée. Au cours de l’année 1855, le
nombre des ouvriers employés par la société tombe de plus de 2 000 à 1 500 environ. La
deuxième explication tient, toujours selon Armand Béhic, à la stratégie menée par
l’entreprise pour conquérir des marchés. Pour obtenir d’importantes commandes, Philip
Taylor avait proposé des prix trop inférieurs aux prix réels du marché. Le Britannique
avait de plus accepté des délais de livraisons trop courts et donc générateurs
167
d’importantes pénalités financières. L’analyse présentée par Armand Béhic semble être
exacte. Philip Taylor a déjà commis le même type d’erreurs par le passé. Avec Il Meccanico,
à Gênes, les immobilisations en équipement et en terrains avait déjà absorbé le capital de
la société qu’il dirigeait avec Prandi. Taylor voyait grand, voulait produire des machines
de toutes sortes alors qu’une spécialisation s’imposait au sein d’un établissement aux
dimensions limitées. Les capacités de production étaient devenues supérieures aux
commandes qui lui étaient adressées et avaient conduit l’établissement à d’extrêmes
difficultés38.
18 En mai 1856, la société anonyme Nouvelle des forges et chantiers de la Méditerranée est
définitivement formée. Le capital de la société est augmenté de 2 500 000 francs39. Le
premier conseil d’administration est composé d’hommes extérieurs à la région,
principalement parisiens. Les trois principaux personnages des Messageries nationales
devenues avec l’Empire les Messageries impériales (Ernest Simons, Louis Revenaz et
Armand Béhic), en forment l’ossature. Ils ont pris soin de conserver, parmi les
administrateurs, Adolphe Marcuard, personnage de la haute finance parisienne, dont le
rôle sera déterminant par la suite pour l’obtention de marchés. Amédée Armand reste le
seul Marseillais de la société. Il a peu de poids dans le nouvel organigramme. Sous la
présidence d’Armand Béhic, l’entreprise prend un nouvel essor. La société rassemble près
de 2 500 ouvriers dès le printemps 1856. Cinq années plus tard, le nombre d’ouvriers est
passé à 4000. La valeur de la production a plus que triplé entre 1855 et 1866 (le chiffre
passe de 8 à 25 millions de francs40).
Un phénomène général
19 Un renouvellement de la classe dirigeante des entreprises, composée pour l’essentiel
d’hommes extérieurs à la ville, s’exerce donc dans les secteurs de la construction
mécanique marine et de la construction navale, mais d’autres branches d’activités sont
également touchées par le mouvement : la métallurgie de transformation avec
notamment le rôle des frères Marrel de Rive de Gier, la sidérurgie avec Jules Mirès et
Germain (futur fondateur du Crédit lyonnais) et l’industrie du plomb avec des industriels
parisiens comme Monnin-Jappy ou Jacquinot41. Au total, dans les conseils
d’administration des grandes entreprises de l’industrie métallurgique marseillaise, la
prédominance des locaux a disparu, ce qui suscite une vive polémique. Ces hommes
agissent-ils réellement pour le bien de l’économie locale ? Marseille peut-elle encore
gérer son avenir économique ? Alexandre Clapier, en 1863, exprime ses craintes à ce
sujet :
« Dans les dix dernières années qui viennent de s’écouler, le système decentralisation a pris pour Marseille des proportions jusqu’à ce jour inconnues.Marseille ne semble plus s’appartenir ! La plus riche partie de sa navigation àvapeur est concentrée entre les mains d’une compagnie dont le siège est à Paris ;c’est à Paris que siègent les administrations de ses chemins de fer, de ses docks etde son bassin de radoub ; sa banque, autrefois indépendante, n’est plus qu’unesuccursale de Paris ; son crédit foncier a été absorbé par le crédit foncier de Paris,l’éclairage de ses rues, la propriété des terrains qu’elle conquiert sur la merappartiennent à une compagnie parisienne42. »
20 L’impact du renouvellement de la classe des dirigeants d’entreprises a souvent été
assimilé par les Marseillais à une véritable catastrophe. Ces hommes extérieurs à la ville,
en gestionnaires avisés, se sont certes peu préoccupés de sauvegarder certaines
168
entreprises en difficulté. Ils ont toutefois développé certaines affaires en amenant leurs
réseaux économiques et politiques et permis d’augmenter de manière considérable le
nombre des ouvriers du secteur. Ils ont enfin mené des initiatives audacieuses
d’implantation, dont certaines ont rencontré le succès. Rares sont les auteurs des années
1850-1860 à admettre que l’intrusion massive de personnes extérieures à la ville dans
l’ensemble de l’économie phocéenne n’engendre pas que des situations négatives. Seul
Chaumelin, membre de la société de statistique, observe les avantages que Marseille peut
se procurer par le biais de la création des Hauts Fourneaux de Saint-Louis et des autres
opérations menées par Jules Mirès43. L’auteur voit dans l’entreprise de Jules Mirès le
moyen, pour les ateliers de mécanique de la région, de se fournir en fontes et fers bruts
en s’affranchissant des entreprises du nord de la France et d’offrir à la population locale
des emplois. Le problème n’est donc pas de porter une attention particulière à l’origine
des entrepreneurs ou hommes d’affaires qui détiennent les commandes de l’industrie
locale mais de savoir si leurs actions ont eu des répercussions positives pour la croissance
économique de la ville.
UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’INGÉNIEURS ETD’OUVRIERS QUALIFIÉS
21 Le renouvellement de la classe dirigeante n’est pas la seule modification qui s’opère dans
le secteur de la métallurgie et de la mécanique à partir de 1846. On peut également
observer un important changement d’hommes au sein des ateliers. Les années 1835-1846
avaient été marquées par l’importance des ingénieurs britanniques. Ces hommes avaient
apporté leurs compétences, formé les ouvriers locaux et développé les capacités
technologiques des grandes entreprises. Dès les années 1850, ils disparaissent. Les
fonderies et les ateliers de mécanique ne connaissent pourtant pas de difficulté
technologique majeure. Comment les entreprises marseillaises ont-elles pu se passer de
ces techniciens de manière aussi rapide alors qu’ils étaient indispensables quelques
années auparavant ?
La fin de la suprématie britannique à la direction des ateliers
22 Entre 1852 et 1855, les deux plus grands techniciens britanniques opérant dans la région
cessent leurs activités. John Barnes meurt le 25 novembre 185244. Philip Taylor a vendu sa
société. Il est âgé (69 ans en 1855) et doit faire face à de cruels problèmes familiaux. La
perte de quatre de ses huit enfants a gravement altéré sa santé45. Il se retire dans sa
propriété de Sainte-Marguerite. Plusieurs de leurs compatriotes ont déjà quitté les
ateliers marseillais au tout début des années 1850 ou suivent rapidement le mouvement.
C’est le cas notamment des contremaîtres Walker et Wauton à La Ciotat, en 185246. Si
certains se maintiennent en Provence de manière durable comme Riddings et Jeffery47,
c’est uniquement comme propriétaires de petites entreprises.
23 Sous la monarchie de Juillet, les grandes entreprises de mécanique dépensaient des
sommes considérables pour s’assurer le concours de ces ingénieurs britanniques qui
étaient seuls capables de leur permettre d’être à la pointe d’une technologie toujours en
évolution. La situation change à la fin des années 1840. Il ne sont plus indispensables. La
France est désormais capable de produire des ingénieurs de tout premier plan, sortant
principalement des grandes écoles. Pour la formation des ouvriers qualifiés, les écoles des
169
arts et métiers donnent de remarquables résultats. Le technicien de la première moitié du
XIXe siècle avait acquis ses connaissances par la pratique dans les ateliers. Ce temps est
maintenant révolu. La mécanique et la métallurgie deviennent des sciences à part entière.
Le fonctionnement des machines et les procédés de traitement des minerais et métaux
sont théorisés. Le suivi d’un enseignement scientifique est devenu indispensable.
24 À partir des années 1850, beaucoup d’entrepreneurs ou d’ingénieurs de la métallurgie et
de la construction mécanique de la région ont été formés dans les grandes écoles. Dans le
cas de la sidérurgie, le phénomène est particulièrement bien visible. Les deux principaux
techniciens des Hauts Fourneaux de Saint-Louis, Jordan et de Vathaire, ont été formés à
l’École des mines de Paris. L’industrie de la construction mécanique présente les mêmes
caractéristiques. Daniel Stapfer, fondateur d’une entreprise de construction d’appareils
pour la navigation, sort de l’École centrale des arts et manufactures48. Victor Deleacour,
chef des ateliers de mécanique de La Ciotat de 1852 à 1864, est passé par Polytechnique49.
Dans ce domaine de la mécanique marine, beaucoup de ces ingénieurs ont, de plus, acquis
une expérience de tout premier ordre en servant dans le génie maritime. Les grands
ateliers marseillais débauchent les ingénieurs compétents des arsenaux de l’État en
offrant des salaires attractifs. Les cursus des ingénieurs en chef des ateliers des deux plus
grandes sociétés de construction mécanique, la Société des forges et chantiers de la
Méditerranée et la Compagnie des messageries impériales, sont révélateurs de cette
situation. Victor Delacour et Octave Vésigné ont tous deux servi comme ingénieurs à
l’arsenal de Toulon avant de gagner l’atelier de construction mécanique de La Ciotat50.
Pour la Société des forges, le constat est identique. Lecointre, qui occupe le poste de
direction technique de l’atelier de Menpenti à partir de 1860, a également commencé par
travailler à l’arsenal de Toulon. Dans les années 1850, il était ingénieur de seconde classe
chargé de la section des machines à vapeur51.
Une formation technique efficace
25 Contrairement à la période précédente, la formation d’ouvriers qualifiés ou de chefs
d’ateliers se déroule dans des conditions favorables. Établi de manière institutionnelle
dans les années 1840, l’enseignement technique donne de bons résultats avec l’école des
arts et métiers d’Aix, qui acquiert un prestige dépassant largement le cadre régional. Elle
est, par exemple, choisie par les Schneider pour la formation de leurs futurs ingénieurs et
chefs d’ateliers. Une section spéciale avait été créée dans les écoles Schneider, au Creusot,
pour la préparation au concours d’admission52. La Compagnie des messageries impériales,
consultée durant la première moitié des années 1860 pour l’enquête nationale sur
l’enseignement professionnel, se félicite des succès obtenus par l’école aixoise. Les élèves
sortant de l’établissement sont compétents et constituent une ressource importante pour
les ateliers de La Ciotat53. Le seul grand reproche qui lui est fait est de ne pas fournir assez
d’ouvriers ajusteurs54.
26 Afin de parfaire leur formation et de rester en contact avec les progrès techniques, les
mécaniciens et les ingénieurs des grandes entreprises marseillaises se sont regroupés
dans le Cercle des mécaniciens français. Cette association a été fondée en 1844 avec un
objectif précis :
« Le but de ce cercle est de former un corps de mécaniciens instruits etexpérimentés. Il se propose de fournir à ses membres le moyen d’étendre et deperfectionner leur instruction générale et professionnelle, tant par l’étude des
170
ouvrages contenus dans leur bibliothèque que par des conférences sur tout ce qui serattache à la théorie, à la construction et à la conduite des machines55. »
27 Dans un premier temps, l’institution a un rayonnement des plus médiocres et s’adresse
prioritairement aux mécaniciens navigants. Elle s’étoffe au cours du second Empire et
compte plus de 200 membres en 1862. Le Cercle s’est doté d’un important local allée des
Capucines. Il reçoit en nombre croissant des ingénieurs mécaniciens, des chefs d’ateliers,
des contremaîtres, dessinateurs et même des entrepreneurs de premier plan comme
Édouard Hesse. On compte parmi les membres le plus célèbre ingénieur français, François
Bourdon, qui travaille à Marseille depuis le début des années 1850.
L’arrivée à Marseille d’un ingénieur atypique : François Bourdon
28 La trajectoire de François Bourdon ne s’inscrit pas dans le modèle général qui vient d’être
décrit. Elle mérite d’être présentée à part. François Bourdon possède les caractéristiques
de la plupart des ingénieurs de la période précédente. Il n’a reçu aucun enseignement
scientifique dans un cadre institutionnel, ce qui ne l’empêche pas d’être un des plus
grands mécaniciens français du deuxième tiers du XIXe siècle. C’est par la pratique, aussi
bien en France qu’à l’étranger, qu’il est parvenu à acquérir ses compétences, notamment
dans le domaine de la construction de machines marines. Au milieu des années 1830,
François Bourdon avait séjourné aux États-Unis pour étudier la navigation à vapeur sur
les grands fleuves américains et dans les ateliers Allaire de New York. Entre 1837 et 1852,
il s’était occupé, dans l’entreprise des Schneider, de la construction de navires pour les
compagnies de navigation sur le Rhône et des machines marines pour les premiers
transatlantiques à vapeur56.
29 Les raisons qui ont poussé Bourdon à quitter les ateliers du Creusot pour venir s’installer
à Marseille restent obscures. Pour Boutmy et Flachat, ses biographes du XIXe siècle,
François Bourdon a abandonné ses fonctions au sein des ateliers du Creusot pour un motif
purement professionnel. L’explication selon laquelle la construction navale tendait à
disparaître des activités de la grande firme de Saône-et-Loire est acceptable57, mais elle
n’est très certainement pas la seule. Selon Jacques Payen, il faut également y voir une
raison politique. François Bourdon s’était engagé dans la vie politique avec la révolution
de 184858 et « il paraît certain que les Schneider en ont pris ombrage, ainsi sans doute que
de son influence sur la population ouvrière de l’entreprise59 ».
30 L’arrivée de François Bourdon dans l’entreprise de Philip Taylor, en mai 1852, a été
facilitée par plusieurs éléments. Le Britannique a une grande renommée dans les milieux
des ingénieurs et ses convictions sociales ont très certainement séduit François Bourdon60
. On peut également penser que le salaire proposé par Philip Taylor devait être
intéressant. En dernier lieu, le prestige des ateliers provençaux dans le domaine de la
mécanique marine a sans doute joué. François Bourdon a pu lui-même le constater
puisqu’il est venu à La Ciotat à la fin des années 1840 pour monter des machines achetées
par Louis Benet aux usines du Creusot. L’atelier de Menpenti est un des plus importants
ateliers de mécanique marine en France depuis la fin des années 1840 et jouit d’une
importante reconnaissance grâce à la personnalité de son propriétaire, Philip Taylor.
L’arrivée de François Bourdon en Provence est sans conteste un facteur majeur de la
réussite de l’industrie marseillaise de la mécanique marine des années 1852-1865. Cette
recrue de choix va assurer à la Société des forges une prépondérance dans la technologie
des machines marines à l’échelle de la France et même de l’Europe.
171
LES DIFFICULTÉS DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUEPOUR L’INDUSTRIE
31 Le troisième changement majeur qui s’opère durant les années 1846-1865 est un fort
mouvement de spécialisation dans le secteur de la mécanique. Les ateliers marseillais et
ciotadins possédaient au début des années 1840 un large éventail de productions. De la
presse hydraulique à la locomotive, pratiquement tous les types de mécaniques étaient
fabriqués dans la région. Seules manquaient à l’appel les turbines hydrauliques car les
marchés étaient insignifiants en Provence. Aucun atelier ne se livrait à la production d’un
seul produit. Choisie par la majorité des entrepreneurs du secteur, cette absence de
spécialisation était justifiée avant la fin des années 1840. Elle était en accord avec les
structures des marchés d’une région en phase de démarrage industriel. Ces marchés
étaient très diversifiés et leur régularité, soumise à de fortes fluctuations, laissait à
désirer. Rares étaient les entreprises à pouvoir vivre sur un unique créneau de
production. Les entrepreneurs devaient donc s’adapter en conséquence.
32 Ce choix ne vaut plus pour les décennies suivantes. La région se désenclave. Le
développement du réseau de communication français place les sociétés marseillaises en
concurrence directe avec d’autres établissements de l’Hexagone. Afin d’être compétitives,
les entreprises phocéennes doivent produire à plus grande échelle. C’est seulement à ce
prix que les réductions de coûts de production peuvent s’opérer. Les entrepreneurs
mettent fin à plusieurs secteurs d’activité. Certains types de production deviennent
marginaux. L’exemple le plus significatif de ce mouvement est l’abandon de la
construction des locomotives. Les établissements se spécialisent principalement dans les
travaux pour la navigation à vapeur. En 1861, la chambre de commerce de Marseille
signale que les machines et chaudières à vapeur sorties des ateliers des constructeurs
marseillais sont principalement « …destinées au service de la navigation à vapeur61 ». Les
entreprises marseillaises travaillant pour l’industrie perdent de leur importance.
L’appauvrissement s’effectue en une décennie à peine.
La perte des marchés méditerranéens
33 La première difficulté rencontrée par les mécaniciens travaillant pour les usines est la
perte des débouchés extérieurs. Ces marchés d’appoint étaient relativement importants
sous la monarchie de Juillet. Les entrepreneurs avaient alors l’espoir de les développer
avec l’aide de l’État. Ils comptaient sur la mise en place d’une législation moins
draconienne afin de leur permettre d’affronter la concurrence britannique62. Les
gouvernements successifs des années 1850-1857 ont développé une politique
d’aménagement des tarifs douaniers afin de faciliter les exportations françaises
d’appareils à vapeur à usage industriel. En 1851, les fontes brutes étrangères sont admises
en franchise de droits lorsqu’elles sont employées à la fabrication de machines destinées à
l’exportation63. En 1855, la même disposition est appliquée aux cuivres laminés pour tous
les types d’appareils à vapeur. C’est le décret impérial d’octobre 1857 qui étend le
principe à tous les métaux étrangers employés, toujours dans le cadre d’une exportation,
à la fabrication de chaudières et de machines à vapeur. Ces changements de la législation
douanière sont certes importants mais bien trop tardifs pour les entreprises
marseillaises.
172
34 Les exportations ont disparu dès le début des années 1850. Les documents ne révèlent
aucun cas de vente de machine ou de mécanique industrielle à l’étranger au cours des
années 1850. Les mécaniciens marseillais, en partie par la faute de la législation douanière
encore insuffisamment favorable, ont perdu les marchés méditerranéens qu’il leur sera
bien difficile de reconquérir. Les entreprises britanniques restent omniprésentes tandis
que les sociétés italiennes ou espagnoles s’affirment. Ainsi, le développement des
entreprises de construction de machines industrielles est particulièrement bien visible en
Espagne et notamment à Barcelone, dont les appareils sont vendus dans de nombreuses
régions de la péninsule. Durant les années 1850, la Maquinista Terrestre y Marítima n’avait
construit que 25 machines à vapeur pour l’industrie. La production est plus que
quadruplée au cours de la décennie suivante64. L’entreprise des frères Alexander suit le
même mouvement, en travaillant pour les industries de Catalogne et pour celles de la
région de Valence. Du début des années 1850 à l’année 1882, plus d’un millier de machines
à vapeur sortent du deuxième grand atelier catalan65. Devant une telle situation sur les
marchés méditerranéens, les Marseillais doivent se rabattre impérativement sur les
débouchés locaux.
Naissance et développement d’une concurrence au niveau local
35 L’État n’est pas l’unique responsable des difficultés rencontrées par les ateliers marseillais
de mécanique industrielle. Sa prise en compte tardive des problèmes douaniers ne peut
suffire à expliquer le malaise de ce secteur. Au début des années 1840, au moins les trois
quarts des machines et mécaniques des usines de la région étaient fournis par des
entrepreneurs phocéens. Ce qui faisait vivre les entreprises marseillaises, c’étaient avant
tout les marchés locaux. Ce n’est plus le cas sous le second Empire. Les ateliers marseillais
ont de grandes difficultés à fonctionner à partir des ventes régionales. L’explication de ce
phénomène ne réside pas dans une quelconque baisse de la demande provoquée par la fin
de la première grande phase d’équipement de l’industrie marseillaise. Les données
collectées par les ingénieurs des Mines montrent que le nombre des appareils à vapeur
dans les usines des Bouches-du-Rhône a connu une forte croissance66. Le problème des
entreprises marseillaises s’explique par la perte de ces marchés. En 1862, les mécaniciens
phocéens n’ont construit que 44 % des machines à vapeur installées dans les usines du
département67. Entre 1861 et 1863, les valeurs de la production (machines et chaudières)
se cantonnent dans des proportions modestes, entre 1,8 et 2 millions de francs68. Une
grande partie des marchés est passée entre les mains d’autres entreprises françaises.
36 Cette concurrence faite à l’industrie phocéenne de mécanique industrielle s’affiche en
pleine lumière lors de l’exposition industrielle de Marseille de 186169. Sur les 71 exposants
de la sixième classe (machines à vapeur, hydrauliques et divers), la moitié seulement est
composée d’entrepreneurs de la ville. Les causes de cette concurrence sont nombreuses,
mais la principale réside certainement dans l’extension du réseau ferroviaire français
dont le bon fonctionnement assure la mise en place d’une « perpétuelle confrontation
entre les divers marchés régionaux70 ». Cette confrontation provoque une sélection parmi
les entreprises, dont certaines ne devaient leur survie qu’à l’absence de concurrence. Sous
la monarchie de Juillet, le problème de cherté des matières premières était secondaire
pour les débouchés locaux. Il devient désormais insurmontable. Les mécaniciens du
Centre, de Paris ou de Lyon ne pouvaient auparavant lutter contre leurs homologues
marseillais à cause du prix élevé de l’acheminement des machines. À partir de la seconde
173
moitié des années 1850, ils se permettent désormais d’effectuer des percées significatives
sur les marchés provençaux grâce à la baisse des tarifs de transport des marchandises. Il
faut regretter l’absence de données permettant de dresser un tableau comparatif des prix
de vente des machines et mécaniques des entreprises marseillaises, lyonnaises,
parisiennes et du Centre de la France. Il est toutefois certain que le problème du prix
élevé des fers et des fontes dans les Bouches-du-Rhône, qui s’est toujours présenté comme
un facteur défavorable pour les établissements phocéens, s’est posé avec plus d’acuité
durant cette période. Les entreprises marseillaises ne bénéficiaient pas de la proximité de
centres sidérurgiques leur permettant de trouver un approvisionnement en matières
premières à faible coût.
La situation au début des années 1860 : un secteur en perdition ?
37 L’étude des entreprises de construction mécanique marseillaises spécialisées dans les
travaux pour l’industrie est difficilement réalisable. Les documents concernant la
majorité des aspects de l’histoire des entreprises de ce secteur durant la période
1850-1865 sont rares. Seul un tableau général de ce secteur d’activités au début des
années 1860 peut être présenté. Plusieurs ateliers de mécanique des années 1831-1846 ont
fermé leurs portes ou ont réorienté leurs activités. L’entreprise de Chambovet a déposé
son bilan dès 1843. Celles de Démange et de Benet, aux Catalans, ont disparu des
annuaires professionnels au cours de la première moitié des années 185071, tout comme
celle des britanniques Walker & Hume à l’approche de 1860. L’attrait des opportunités
offertes par le développement de la navigation à vapeur a amené le principal mécanicien
de la période précédente, Jean-Baptiste Falguière, à délaisser la fabrication d’appareils à
vapeur pour l’industrie afin de travailler dans la mécanique marine.
38 Au début des années 1860, le secteur s’est considérablement appauvri. Trois entreprises
dominent l’ensemble72. Seule celle de François Lejeune a été fondée avant la crise. Cette
usine, située dans le quartier de Menpenti, est spécialisée dans la construction des
chaudières tubulaires, dont elle présente un modèle à l’exposition industrielle de
Marseille, en 186173. Les ateliers d’Édouard Hesse et de la société Joseph Funel & Etienne
Gouirand, respectivement fondés en 1849 au Rouet et 1855 sur le boulevard National,
produisent des machines à vapeur74. Ces trois entreprises sont d’une taille relativement
modeste. Le nombre total des employés ne dépasse pas 140 salariés en 1861 : 40 travaillent
pour Hesse, 45 pour Lejeune et 55 pour Funel & Gouirand75.
39 Lors de l’exposition industrielle de 1861, l’industrie de la construction mécanique
marseillaise présente un visage peu reluisant. Deux des principales entreprises du secteur
(Édouard Hesse et Funel & Gouirand) sont certes absentes de l’exposition mais leur
participation n’aurait que faiblement relevé le tableau. Les 36 exposants de la ville ne
présentent que trois machines à vapeur. La première, mise en exposition par Jules
Bailleux, n’a pas été fabriquée par ce mécanicien qui ne se livre qu’à la vente de matériel
d’occasion. Aucune caractéristique n’est donnée pour les autres, présentées par Laugier et
Gerbaldi. Il est donc difficile de dire si ces mécaniciens, généralement signalés comme des
réparateurs, ont fabriqué les appareils exposés. Seul François Lejeune présente un modèle
des chaudières tubulaires qu’il fabrique dans ses ateliers de Menpenti. Pour le reste, le
matériel se borne à des presses et pressoirs. La production diversifiée de la période de la
monarchie de Juillet a laissé la place à une étroite spécialisation dans la fabrication de
matériel auxiliaire pour les grands secteurs industriels de la ville. Cependant, même en ce
174
domaine, les constructeurs marseillais doivent progressivement faire face à une
concurrence extérieure qui se manifeste par l’implantation de maisons de représentant76.
En fait, seulement deux types d’ateliers résistent quelque peu à la décadence générale du
secteur : celui de la réparation des machines et de la construction de chaudières77. Pour
les achats de machines à vapeur, les industriels marseillais pouvaient se passer des
constructeurs locaux en ayant recours à des entreprises d’autres départements. Il était
beaucoup plus difficile de se passer des sociétés de réparation dont les interventions
permettaient d’éviter les ruptures de production.
UNE NOUVELLE REDISTRIBUTION DES ENTREPRISESAU SEIN DE L’ESPACE MARSEILLAIS
40 Le dernier aspect des changements qui touchent le secteur de la métallurgie et de la
construction mécanique durant les années 1846-1865 est d’ordre spatial. L’insertion des
entreprises dans l’espace urbain se modifie radicalement en peu de temps. Les quartiers
du sud-est de la ville avaient constitué le lieu privilégié des fonderies et des ateliers de
mécanique jusqu’en 1846. Cette primauté presque exclusive d’une seule zone s’efface sous
le second Empire pour laisser la place à une géographie plus complexe qui a dû tenir
compte de l’apparition de nouveaux paramètres. Le premier d’entre eux est la croissance
physique et démographique de la ville, particulièrement forte et rapide au cours des
années 1850-1870. Le deuxième est la création au nord de nouvelles infrastructures
portuaires spécialisées dans l’accueil des bâtiments à vapeur. Le dernier est l’application
plus rigoureuse de la vieille législation sur les établissements classés comme insalubres
qui oblige les usines considérées comme polluantes à s’éloigner des quartiers
d’habitation.
Une nouvelle zone de localisation : l’arrière des nouveaux ports
41 Si les quartiers de la place Castellane, de Menpenti, du Rouet et de La Capelette forment
toujours une importante zone d’implantation, cet espace est l’objet d’une profonde
transformation. Les fonderies restent nombreuses78 mais les ateliers de mécanique ont
presque disparu du secteur. Cette branche, qui se tourne de plus en plus vers les travaux
pour la navigation, part en quête de nouveaux territoires d’installation. La création des
nouveaux ports, commencée avec la réalisation du bassin de la Joliette, se poursuit tout
au long du second Empire avec la construction linéaire de nouvelles infrastructures vers
le nord. La constitution de cet espace portuaire a amené les entreprises de mécanique à
une localisation rationnelle fondée sur la proximité géographique avec leur clientèle. Les
implantations d’ateliers à l’arrière des nouveaux ports procèdent de deux mouvements
bien distincts. Le premier est constitué par l’installation d’usines nouvellement créées (les
établissements Bizard & Labarre, Prudhon, Granier, Fraissinet…). Le second est composé
de déplacements de sociétés déjà anciennes, désireuses de se rapprocher de leurs
principales sources de travail (les établissements de Falguière, de la Compagnie des
messageries impériales, de la Société des forges).
42 L’orientation des entreprises de mécanique vers la construction et la réparation
d’appareils marins joue pleinement dans ce mouvement. En 1864, sur les 24 ateliers
marseillais spécialisés dans la construction mécanique, près des deux tiers (15
entreprises) sont localisés à l’arrière des ports dans les quartiers de La Joliette, d’Arenc,
175
de Saint-Mauront du Canet et de La Villette. Les quartiers de Menpenti et des alentours de
la place Castellane ne possèdent plus que quatre ateliers, soit 16,5 % du total79. Les
fonderies de seconde et troisième fusions tentent de suivre progressivement le même
processus de transfert des localisations. Ce n’est pas le cas des usines à plomb qui
apparaissent en grand nombre au cours des années 1846-1853.
Une implantation éclatée : l’industrie du plomb
43 L’établissement des fonderies, des forges et hauts fourneaux est régi par les lois d’octobre
1810 et de janvier 1815. L’autorisation est accordée après enquête par le préfet.
L’implantation de l’usine doit obligatoirement s’effectuer à distance des habitations. Afin
de multiplier les instances de surveillance, le décret de mars 1852 donne pouvoir aux
maires d’annuler les autorisations d’établissement80. Cette obligation d’éloignement du
centre est bien visible avec l’établissement des premiers hauts fourneaux marseillais à
Saint-Louis, au nord de la ville. Elle s’impose à un autre secteur composé d’un plus grand
nombre d’entreprises : la métallurgie du plomb. Avec la complicité des milieux politiques
locaux, cette industrie se développe au milieu de quartiers dont la densité de population
augmente de manière notable. En 1846, Luis Figueroa avait établi son usine sur le chemin
du Rouet. L’établissement fonctionne durant de longues années sans aucune autorisation
et sans que les pouvoirs publics locaux interviennent. Les exemples de ce type peuvent
être multipliés. L’attitude des hommes politiques de la ville est souvent dénoncée par les
médecins : « La sympathie qui accueille toujours une nouvelle industrie, source de
richesse et de travail pour une localité, fait fermer les yeux sur les dangers inhérents à
l’industrie ou sur les infractions aux conditions imposées pour en écarter la nocivité81. »
44 La situation change dans la première moitié des années 1850. Le conseil d’hygiène et de
salubrité parvient à faire entendre sa voix et impose désormais l’obligation d’établir les
nouvelles usines à plomb loin des quartiers habités, notamment dans le sud de la ville.
Pour les usines, cette décision pose des problèmes. D’abord, pour l’implantation dans les
calanques du sud, le fait de posséder un site portuaire autonome n’est pas un avantage.
Les plombs continuent de passer par le centre de la ville afin d’y être pesés au bureau des
Douanes. Ensuite, une enquête de la société de statistique de Marseille révèle que le taux
de mortalité des usines à plomb situées en bordure de mer est bien plus élevé que celui
enregistré dans les établissements des Chartreux ou du Rouet. Les explications de Flavard,
médecin montpelliérain en visite à Marseille, sont les suivantes : les poussières aqueuses
et salines dues à la proximité de la mer « facilitent l’absorption, convertissent les
parcelles microscopiques de plomb en chlorure… et le sel formé, introduit dans le torrent
de la circulation, ne tarde pas à y manifester sa présence par des troubles spéciaux82 ». Il
faut ajouter à cette analyse, qui relève plus de l’intuition que de principes
scientifiquement établis, le facteur essentiel des déplacements des ouvriers. Les salariés
qui marchent pour se rendre à l’usine et pour rejoindre leurs demeures transpirent et
évacuent donc les particules de plomb. Ils retardent ainsi les effets du saturnisme. Les
ouvriers des usines à plomb situées en bord de mer ne peuvent bénéficier des bienfaits de
la transpiration. Les établissements sont si éloignés du centre ville (entre dix et quinze
kilomètres) qu’ils ont dû venir s’établir sur place, dans de petits corons situés aux abords
des usines.
45 Au total, la métallurgie ne marque pas l’espace urbain qui l’abrite. Par la multiplication de
ces sites d’implantation, ce secteur manque de lisibilité dans la ville. Le seul type
176
d’activité qui est concentré en un lieu précis est celui de la construction mécanique pour
la navigation à vapeur. Mais, placées à l’arrière des ports, les entreprises de cette branche
ne peuvent être représentatives d’une zone qui est le symbole de la grande activité
commerciale marseillaise. Le phénomène est original car, au début des années 1860,
jamais le secteur de la métallurgie et de la construction mécanique n’a été aussi
important.
***
46 Trois phénomènes majeurs caractérisent les mutations qui s’opèrent au sein de l’industrie
métallurgique marseillaise à partir de la grande crise de la fin des années 1840. Un
déséquilibre interne profond est apparu dans la construction mécanique. Le secteur de la
mécanique industrielle perd ses débouchés et s’atrophie rapidement alors que la
mécanique marine est sauvée par une intégration dans un grand groupe dont le contrôle
échappe aux entrepreneurs locaux. Un renouvellement de génération marque le groupe
des ingénieurs. La prépondérance britannique dans la direction des ateliers et la
formation des ouvriers s’efface devant la compétence des techniciens français et les bons
résultats de l’école des arts et métiers d’Aix. Enfin, la croissance globale du secteur
s’accompagne d’une moindre visibilité car la métallurgie marseillaise n’est plus aussi
concentrée. Désormais, ce secteur industriel n’a pas le monopole d’un quartier et ne peut
retrouver sa visibilité que si Marseille toute entière est perçue comme une ville
métallurgique. Cela implique un succès exceptionnel des branches qui constituent les
trois piliers de cette industrie au cours des années 1846-1865 : le travail des non-ferreux,
la métallurgie de base des fers et des fontes et la mécanique marine.
NOTES
1. La crise est globalement plus tardive dans la région marseillaise (cf. GUIRAL P., « Le cas d’un
grand port de commerce… », art. cit., p. 201-225).
2. ACCM MQ 22.
3. ADBdR 545 U 102.
4. Cf. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit.
5. ADBdR 1 M 1092.
6. AMT 2 A 4/1.
7. Rapport de l’ingénieur ordinaire de l’arrondissement de Toulon au sujet des travaux de curage
pour le port de La Seyne, Toulon, 22 avril 1853, Fonds DDE du Var en cours de classement aux
Archives départementales du Var (document communiqué par Yvan Kharaba).
8. Ibid.
9. Cf. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit., p. 220.
10. Vers 1860, André Kœchlin & cie détient 60 % du marché français des locomotives (STOSKOPF N.,
« André Kœchlin », dans Les patrons du second Empire. Alsace, Le Mans, 1994, p. 169).
11. Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 26 janvier 1848.
Rapport du conseil d’administration, Marseille, 1848, p. 57-58.
177
12. GILLE B., La Banque et le crédit…, op. cit., p. 113.
13. Ibid., p. 133.
14. Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 26 janvier 1848…, op.
cit., p. 4.
15. EMP M 1851 (482).
16. Ibid.
17. Compagnie du Chemin de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 26 janvier 1848…, op.
cit., p. 57-58.
18. MLV, années 1849-1850.
19. MLV, 10 et 28 octobre 1850, 19 avril 1851.
20. Les ateliers de La Ciotat effectuent pour l’État une machine à hélice de 140 chevaux en 1849
pour le Castiglione et une autre de 450 chevaux l’année suivante pour le Charlemagne (ADBdR XIV
M 10/8).
21. ADBdR 354 E 313.
22. Ibid., articles 5 et 9.
23. ADBdR 354 E 313, Transport de créance par Louis Benet & cie (La Ciotat) à la Banque de
Marseille de 58 333,33 francs due auxdits Louis Benet & cie par l’administration de la Marine pour
solde de 175 000 francs, prix d’une machine à vapeur.
24. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit., p. 219.
25. Décret du 27 avril 1848 (cf. EDBdR, t. IX, p. 928).
26. TRIPODI J. M., La Compagnie de navigation des messageries maritimes…. op. cit., p. 110-111.
27. Cf. RONCAYOLO M., L’Imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 111-120.
28. Pour cet aspect, cf. EDBdR, t. IX, p. 367.
29. Cf. BOIS P., Le Grand Siècle des messageries maritimes, Marseille, 1991, p. 16-18.
30. MLV, 14 septembre 1850.
31. Ibid., 16 juin 1851.
32. Ibid., 7 septembre 1851.
33. ROBERT A., COUGNY G., Dictionnaire des parlementaires français, Paris, t. I, 1889, p. 238.
34. MLV, 14 octobre 1850.
35. ADBdR XIV M 24/92.
36. ACCM MR 4422.
37. Ibid. et Rapport du conseil d’administration des Forges et chantiers de la Méditerranée… sur la
proposition d’une émission d’actions de 2 francs, Marseille, 1855, p. 8.
38. Cf. DORIA M., « Le strategie e l’evoluzione dell’Ansaldo » dans CASTRONOVO V. (dir.), Storia
dell’Ansaldo. I : Le origini, 1853-1882, Rome-Bari, 1994, p. 77-79.
39. ACCM MR 4422.
40. TURAN J., « Les forges et chantiers de la Méditerranée », dans Les Grandes Usines : études
industrielles en France et à l’étranger, Paris, 1867, t. III, p. 320.
41. Cf. chapitres X et XL.
42. CLAPIER A., Marseille, son passé, son présent, son avenir, Paris, 1863, p. 81 cité dans RONCAYOLO M.,
L’Imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 324.
43. CHAUMELIN M., Annales marseillaises, Marseille, 1857, p. 144.
44. Ibid., 25 novembre 1852.
45. Cf. « Taylor Philip », art. cit., p. 457.
46. MLV, 23 novembre 1852.
47. Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1865, p. 895.
48. Bouches-du-Rhône : dictionnaire, annuaire et album, Paris, 1901.
49. COMMANDANT LANFANT, Historique de la flotte des messageries maritimes, Dunkerque, 1979, p. 29.
50. « Désormais, le Génie Maritime règne en maître sur les chantiers de La Ciotat » (ibid.).
178
51. DUBREUIL J.-P., « Les Transformations de la marine… », op. cit., p. 671.
52. BEAUD C, « Eugène Schneider » dans JOBERT P. (dir.), Les Patrons du second Empire. Bourgogne, Le
Mans, 1991, p. 193.
53. Enquête sur l’enseignement professionnel ou recueil des dépositions faites en 1863 et 1864 devant la
commission de l’enseignement professionnel sous la présidence de Son Excellence M. Béhic, Paris, 1864, t.
II, p. 647.
54. Enquête. Traité de commerce avec l’Angleterre, t. II, Paris, 1860, p. 586.
55. Bulletin trimestriel du Cercle des mécaniciens français, n° 1, 1862, statuts constitutifs, art. 1.
56. Cf. BOUTMY G., FLACHAT E., Notices sur la vie et les travaux de François Bourdon, ancien ingénieur en
chef du Creusot, ancien ingénieur en chef des forges et chantiers de la Méditerranée, Paris, 1865, p. 6-11.
57. Ibid., p. 12.
58. François Bourdon est élu député républicain de la Saône-et-Loire aux élections d’avril 1848
(Sutet M., « François Bourdon », dans JOBERT P. (dir.), Les Patrons du second Empire. Bourgogne…, op.
cit., p. 136).
59. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. xlj.
60. En Angleterre, Philip Taylor recevait chez lui des personnages comme Arago et d’Humbolt
(« Taylor Philip », dans LEE S. (dir.), Dictionnary…, op. cit., p. 456).
61. CRSICM, 1861, p. 67.
62. Cf. chapitre VIII.
63. Pour les décrets, cf. ACCM MP 3611.
64. Cf. La Maquinista Terrestre v Maritima S. A., Escuela de Aprendizaje, n° 20, 1955, p. 5.
65. Cf. NADAL J., « La métallurgia », op. cit., vol. III, p. 174.
66. Les données des années 1850 sont incomplètes. Le rattrapage des machines non recensées
s’effectue à partir de la fin de la décennie. Les informations montrent que le nombre des
machines à vapeur a été multiplié par quatre entre 1850 et 1865 (114 appareils pour la première
date, 478 pour la seconde, SIM, 1850-1865). On peut légitimement estimer que le nombre a été
triplé.
67. Calcul d’après les données des CRSICM de 1862 (p. 109) et SIM, 1861-1862. En 1862, 48 machines
à vapeur (1536,5 chevaux de puissance soit 32 chevaux de moyenne par machine) ont été
installées dans les usines des Bouches-du-Rhône. Cette même année, l’industrie mécanique
marseillaise a produit pour 7000 chevaux de machines à vapeur dont « les 9/10e de ce travail sont
applicables à la marine à vapeur, les reste à l’industrie locale ». La production des mécaniciens
marseillais en faveur de l’industrie du département a donc été d’environ 700 chevaux, soit à peu
près 21 machines.
68. SIM, 1861, p. 67 et 1863, p. 115.
69. Exposition à Marseille des produits industriels et manufacturés, mai 1861, Marseille, 1861.
70. Cf. le chapitre de Pierre Léon « L’épanouissement d’un marché national », dans BRAUDEL F.,
LABROUSSE E. (dir.), Histoire économique et sociale…, op. cit., t. III, p. 275-304.
71. Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1850-1855.
72. Au cours des années 1850, à Menpenti, l’atelier de la Société des forges fabrique des appareils
à vapeur pour les huileries et les raffineries de sucre. Il semble que vers 1860, cette usine se soit
contentée de ses activités dans le domaine de la navigation.
73. Exposition à Marseille…, op. cit., p. 44.
74. ADBdR 548 U 7.
75. ADBdR XIV M 10/11.
76. Une des plus importantes est celle de Victor Coudert, représentant à Marseille de la maison A.
Poynot & cie, constructeur à Anzin et Montluçon spécialisé dans la fabrication d’appareils pour
distilleries, sucreries, huileries… (Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1865, p. 942-943).
179
77. L. Arnier, Cabannes & Dreysset, E. Capoduro, A. Chiousse, Gachet & Capitan, Girard, Guinier &
cie, Masson & Husson, F. Mouren, V. Pradau, M. Puget, S. Roque… (ADBdR 548 U 7 ; XIV MEC
12/180 et 181 ; Indicateur marseillais, 1846-1865).
78. On en compte encore une quinzaine en 1865 (Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1865, p.
893-895).
79. La liste de l’Indicateur comprend 43 mécaniciens (Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1864).
Ont été exclues les entreprises de réparations et celles travaillant le bois. Trois ateliers ont été
ajoutés. Deux ne sont pas signalés mais sont en activité (ceux de Prudhon et de la Société des
forges à Menpenti) ; le troisième (entreprise d’Emile Duclos) a été fondé en cours d’année.
80. MAURIN S. E., « Statistique spéciale. État social », RTSSM, t. XXVII, 1864, p. 144.
81. FLAVARD E., Lettres sur Marseille, Marseille, 1852, p. 127-128.
82. Ibid., p. 151.
180
Chapitre X. L’essor de l’industrie duplomb
1 La pauvreté du sous-sol provençal n’a pas constitué un obstacle insurmontable à la
formation d’une industrie de traitement des minerais et des métaux bruts dans la région
marseillaise. En s’insérant dans des réseaux commerciaux internationaux, en saisissant
les opportunités industrielles qui en découlent et en adaptant les procédés techniques
aux besoins locaux, aux caractéristiques des produits à traiter, Marseille est parvenue à
connaître de remarquables succès dans ce type d’activités.
2 À la fin des années 1840, Marseille a cessé d’être une simple place de transit dans le
domaine du plomb. La fonction commerciale de la ville se double désormais d’une
fonction industrielle. Le repli des producteurs britanniques sur leur propre marché dans
les années 1830-1840 a changé les conditions du négoce des non-ferreux1. La mise en
exploitation des gisements de la Sierra de Carthagène apporte une seconde modification
d’importance. Les quantités de plombs argentifères produites dans cette région du sud de
l’Espagne prennent des proportions considérables. Avant 1840, le chiffre s’élevait à 15 000
quintaux par an. En 1853, la production est de plus de 180 000 quintaux2. Les négociants et
les industriels marseillais espèrent fondre les minerais de plomb et traiter les plombs
argentifères ibériques. A la fin des années 1840, pour que cette espérance devienne une
réalité, l’industrie marseillaise du plomb doit subir de profondes transformations. Par la
structure de ses entreprises et ses faibles aptitudes technologiques, elle ne peut élargir
l’éventail de ses productions et connaître une croissance importante.
LA RAPIDE CONSTITUTION DU SECTEUR
3 L’industrie marseillaise du plomb connaît de profonds changements à partir de 1846.
L’action de Luis Figueroa, un afrancesado réfugié à Marseille depuis les débuts de la
Restauration, déclenche un mouvement qui prend rapidement une grande ampleur.
181
Le rôle initiateur de Luis Figueroa
4 « Trois maisons de commerce de Marseille se réunirent en 1847 sous la raison sociale
Figueroa & cie pour enlever à l’Angleterre une partie du commerce des plombs
argentifères dont l’Espagne produit de fortes quantités et doter la France d’un
établissement destiné à cette grande industrie3 ». Figueroa & cie et Guerrero & cie, les
deux grandes sociétés de négoce de la place de Marseille spécialisées, au cours des années
1840, dans le commerce des plombs espagnols se sont réunies dans cette opération. Elles
ont trouvé un solide appui financier en associant à leur affaire la banque marseillaise
Cucurny oncle & cie4. La société en nom collectif Figueroa & cie est initialement formée le
19 mars 1846 et reçoit dans le même temps l’autorisation d’établir un atelier pour la fonte
et le laminage du plomb5. Pour cause de moyens financiers insuffisants, elle est
reconstituée en mai 1847. Son capital est alors porté à 1,2 million de francs. L’entreprise
est précoce. « La fondation de la société industrielle précède de plus d’un an la
libéralisation de la législation espagnole sur les exportations de plombs argentifères6. »
Luis Figueroa a fait preuve d’une remarquable intuition en anticipant une décision
législative qui va faire sa richesse.
5 L’établissement a été monté « …sur le pied anglais », « en faisant venir d’Angleterre les
plus habiles ouvriers ». Il « …est le seul de ce genre en France7 ». La société s’est en effet
équipée sur le modèle des deux grandes fonderies de plomb du sud de l’Espagne de la
seconde moitié des années 1840, celle de Manuel Agustin Heredia à Adra (la San Andrés)
et celle du Britannique Thomas Williams située à Santa Lucia, aux environs de Carthagène8. Les fourneaux sont anglais et écossais, tout comme les chaudières du modèle mis au
point par Pattinson9 :
« Les chaudières à la Pattinson, que M. Figueroa père a eu le premier l’idéed’introduire à Marseille (on peut même dire en France), pour l’affinage parcristallisation des plombs pauvres qu’il recevait d’Espagne, ont été importéesd’Angleterre. Ce sont des chaudières en fonte, à section hémisphérique avecrebords et dont le fond et le pourtour sont chauffés par la flamme d’un foyerintérieur. »
6 La société souhaite exercer au départ, outre la désargentation des plombs, plusieurs
autres types d’activités : traiter les plombs bruts pour en obtenir des produits laminés,
des tuyaux, des litharges et du minium10. Sur ce dernier point, Luis Figueroa entend faire
une importante percée sur les marchés étrangers en concurrençant les entreprises
anglaises, notamment celles du Derbyshire :
« Notre pays n’est pas en possession du commerce d’exportation de la litharge oude minium. Ce sont les Anglais qui en ont le monopole et qui approvisionnent tousles marchés de l’Europe en produits de leur industrie. Grâce aux développementsdonnés à notre établissement fondé à Marseille sur une très vaste échelle, nous nedoutons pas de pouvoir entrer avec quelques succès en lice et d’amener sur la placede Marseille un très grand nombre des demandes en litharge et minium que lesautres États du continent portent sur les marchés anglais11. »
7 Pour parvenir à ses fins, l’Espagnol doit régler les problèmes des tarifs douaniers afin de
faire baisser ses coûts d’approvisionnement en matières premières. Les plombs bruts
étrangers sont taxés à leur entrée sur le territoire français. Luis Figueroa s’adresse en
1848 à la chambre de commerce de Marseille pour lui demander son aide. L’institution
consulaire doit obtenir du gouvernement un remboursement des plombs bruts quand ils
sont exportés par la suite sous forme de litharge et minium. Les doléances émises par la
182
chambre de commerce ont vraisemblablement eu un impact. Le 5 mars 1849, cinq mois
après la demande, l’Etat décrète « l’autorisation d’admission en franchise, à charge de
réexportation, des plombs bruts destinés à être convertis en litharge ou minium12. »
8 Malgré cette condition favorable, les débuts de l’entreprise sont difficiles. La gestion de
Luis Figueroa n’est pas en cause. Les difficultés sont liées à la mauvaise conjoncture
économique de la fin des années 1840. Comme pour l’ensemble des productions
marseillaises, la crise de 1848 a durement touché les activités métallurgiques. L’Espagnol
peut néanmoins compter sur de solides appuis à Marseille. Sa société est soutenue par
quelques-unes des plus grandes banques locales (Warrain & Decugis, Lauront & cie,
Lantelme aîné & cie, Roux de Fraissinet & cie…13). Ces dernières se portent garantes pour
l’emprunt de deux millions de francs que la société contracte en mars 1848 auprès de la
Banque de Marseille. Dès 1850, l’entreprise peut reprendre sa croissance et compte 270
ouvriers l’année suivante14.
La multiplication des créations d’entreprises
9 Le succès de cette première initiative menée par Luis Figueroa déclenche une série de
créations, d’autant que le gouvernement continue de libéraliser sa législation douanière
dans le domaine des plombs. En février 1851, les plombs bruts sont admis en franchise
temporaire15. Grâce à l’intervention de la chambre de commerce de Marseille, le délai
pour la réexportation est porté de trois à six mois en mars 185316. En six années
seulement, sept nouvelles usines se livrant au traitement des minerais ou de plombs
argentifères s’établissent à Marseille ou dans sa proche banlieue. En 1848, un
établissement est ouvert dans le quartier d’Arenc par Blanc et Blain. Il prend la suite d’un
atelier d’affinage de métaux précieux qui fonctionnait depuis les premières années de la
Restauration17. L’année suivante, un second est monté dans le quartier des Chartreux par
Lajarije et Legros18. Le quartier Saint-Louis, situé à l’extrême nord de la ville, accueille la
troisième usine en 1850, dirigée par Luce fils et Gustave Rozan19. En 1851-1852, trois
nouveaux établissements s’implantent à l’Escalette, à Septèmes-les-Vallons et au quartier
des Catalans, appartenant respectivement à Meynier20, à la Compagnie des usines
métallurgiques réunies21 et à Olivieri22. Enfin, deux années plus tard, Ignacio Figueroa, fils
de Luis décédé en 1853, installe une usine aux Goudes, à quelques kilomètres de l’Escalette23. Au cours de cette période, prenant fin dans la première moitié des années 1850,
pratiquement toutes les usines traitent à la fois les plombs et les galènes. Seul
l’établissement des Chartreux, à partir de 1856, réoriente ses activités vers des travaux de
deuxième fusion (laminage des plombs et des cuivres, production de tuyaux et de
grenaille) et abandonne la fabrication des plombs bruts et l’extraction de l’argent24.
APPROVISIONNEMENTS, DÉBOUCHÉS ETSTRUCTURES DE PRODUCTION
10 Le développement des quantités de minerais et de plombs bruts attirés dans les usines
marseillaises reste modeste durant la première moitié des années 1850. Entre 1853 et
1855, la valeur des importations des minerais et métaux varie entre 1,6 et 2,8 millions de
francs25. Le chemin parcouru par ce secteur est toutefois déjà important. En 1855, Louis
Barré, rédacteur d’un article sur le commerce des minerais à Marseille pour les Annales
des Mines, peut écrire : « L’importance des usines métallurgiques grandit d’année en
183
année à Marseille. Plusieurs fonderies traitent outre les plombs d’œuvre, les minerais de
cuivre, de plomb et d’antimoine, et déjà ces usines exercent une heureuse influence sur
l’industrie minérale des contrées voisines26. »
Un approvisionnement en pleine expansion
11 Le travail prend véritablement de l’ampleur en 1856. Les courbes de productions montent
en flèche. Des quantités considérables de plombs bruts et de minerais de plomb arrivent à
Marseille pour y subir les opérations de fonte et de coupellation. En 1856, pour la
première fois, la valeur des importations dépasse dix millions de francs. Les quatre
années suivantes forment, en valeur comme en quantités, la période maximale des
importations. La valeur totale des produits importés fluctue alors entre 20 et 25 millions
de francs27.
12 Sur l’ensemble de la période, les plombs destinés à être pattinsonnés sont uniquement de
provenance espagnole. La situation est différente avec les galènes argentifères. Dès le
départ, les sources d’approvisionnement en minerais se sont diversifiées. Les usines
marseillaises emploient bien sûr les galènes argentifères d’Espagne, mais aussi de
provenance française, comme celles extraites des mines du Fournel, situées à
l’Argentière-la-Bessée, dans le département des Hautes-Alpes. Après une tentative de
reprise malheureuse à fin des années 1840, le filon médiéval est exploité de manière
intense à partir de 185128. Les mines emploient alors jusqu’à 500 ouvriers. Les minerais
espagnols et français ne suffisent toutefois pas aux industriels et négociants phocéens,
qui décident de porter leurs actions à l’étranger, essentiellement dans le bassin
méditerranéen. Ils essaient d’attirer vers Marseille les minerais de Sardaigne tout comme
ceux du Piémont. En 1851, une société en commandite par actions au capital de 300 000
francs est formée « pour l’exploitation de huit mines de plombs argentifères situées en
Sardaigne29. » Quatre années plus tard, une autre société marseillaise fait l’acquisition des
mines de Tende, dans le royaume de Piémont-Sardaigne30. Elle est dirigée par deux
négociants de la ville, Charles Reinaud et Jacques Sénèque, et un ingénieur métallurgiste,
Marius Laugier, spécialisé dans l’industrie du plomb. À l’extrême fin de la période, les
premières opérations menées en Grèce apparaissent. En 1864, le banquier marseillais
Hilarion Roux, qui a commencé à s’intéresser au plomb au cours des années 1840 dans la
région de Carthagène31, forme avec un groupe d’hommes d’affaires de la région une
société en nom collectif au capital de 600 000 francs « …pour l’exploitation des scoriaux
de Grèce, leur acquisition, la fusion des scories, leur vente, et, en un mot, tout ce que
comprend une industrie métallurgique32 ». Les actions se portent également sur la rive
sud de la Méditerranée. Depuis 1851, l’Algérie est placée sous le régime national dans le
domaine des douanes. Les usines marseillaises importent donc des minerais algériens,
provenant essentiellement de la région du Constantinois33. Les initiatives pour contrôler
plus étroitement ce marché apparaissent rapidement. En 1853, le propriétaire des usines
de Septèmes, Jean Briqueler, s’associe avec Théodore Frisch, négociant et consul du
Danemark, pour exploiter les mines du mont Taya en Algérie, toujours dans le
Constantinois34. Jusqu’en 1860, le traitement des minerais reste toutefois très minoritaire
par rapport aux travaux effectués sur les plombs argentifères.
184
Les équipements et les productions
13 Les courbes des productions suivent celles des importations et s’envolent à partir de 1856.
17 519 quintaux de plombs marchands sortent des usines des Bouches-du-Rhône en 1853,
156 280 trois années plus tard et 359 755 en 1859. La progression de la production
d’argent est aussi fulgurante : 4 998 kilos en 1853, 19 300 en 1856, 41 000 en 185935. Afin de
parvenir à un tel accroissement, les propriétaires des divers établissements ont
massivement investi dans les équipements. En 1855, Louis Simonin peut recenser la
présence dans les usines à plomb marseillaises de sept machines à vapeur (81 chevaux de
puissance totale), de deux machines hydrauliques, de douze chaudières à vapeur, de six
moulins à broyer et de neuf blutoirs à litharge36. En 1853, les divers établissements
possèdent trois fours de grillage, neuf fours à manches et treize fours à réverbère37. Sept
années plus tard, les usines en possèdent respectivement huit, vingt-quatre et cinquante
et un38. Le nombre des ouvriers s’est parallèlement accru. Le chiffre double presque entre
1855 et 1859 – année phare des productions –pour culminer à plus de 70039. En 1858-1859,
la région marseillaise est devenue, en une dizaine d’années et avec sa seule industrie du
plomb et de ses dérivés, la principale zone française de production de non-ferreux. La
valeur de ces productions est de plus de 30 millions de francs et représente alors plus de
50 % du total national40. Environ 40 % de la production marseillaise de plombs marchands
est destinée à l’exportation. Jusqu’en 1871, les États-Unis importent annuellement 50 000
et parfois même 100 000 quintaux de plombs phocéens et sont ainsi les principaux clients
étrangers41. La majeure partie des plombs marchands est toutefois utilisée à Marseille
même.
14 La croissance des fonderies de plomb a entraîné dans son sillage le développement de
nombreuses autres activités. Parmi celles-ci, deux ont pris une importance marquée : la
fabrication de tuyaux et de produits laminés. Luis Figueroa avait, une fois de plus, montré
la voie en ajoutant à sa fonderie un atelier de laminage dont la production s’élève en 1850
à 30 000 quintaux (1 500 000 francs de valeur)42. Plusieurs établissements sont créés ou
prennent de l’ampleur au cours des années 1850. La société Bourdillat & cie, fondée en
août 1855, fabrique des tuyaux de plomb pour la distribution du gaz ou de l’eau des
fontaines. En 1861, la production de ces usines approche 2 400 000 francs (43 200
quintaux)43.
Un effet d’imitation : le travail du cuivre
15 Autre nouveauté, certaines usines se lancent dans le traitement des minerais de cuivre.
L’implantation de ce type d’activité à Marseille bénéficie des investissements engagés
dans l’industrie du plomb. Les équipements et les étapes du processus de traitement sont
globalement similaires. Le grillage du soufre des galènes argentifères se retrouve dans le
traitement des mattes de cuivre noir. Le principe est également identique pour les
opérations de fusion et de raffinage. En 1853-1854, des industriels et des négociants
espèrent un moment se lancer dans une production qui affranchirait Marseille de ses
traditionnelles importations britanniques en drainant les minerais méditerranéens vers
la Provence :
« Depuis longtemps la presque totalité des minerais de cuivre du bassinméditerranéen, y compris l’Algérie, était exportée en Angleterre et exploitée dans
185
les usines de Swansea. Le cuivre en lingot revenait ensuite en France pouralimenter nos ateliers44 ».
16 Jusqu’à cette date, cette branche de la métallurgie marseillaise était donc des plus
réduites. Deux entreprises d’envergure, celles de Septèmes-les-Vallons et de Port-de-
Bouc, commencent à traiter des minerais. À Marseille, l’initiative ne connaît pas de
réussite. L’usine de Septèmes ferme ses portes en 1855 par manque de rentabilité45. Si le
traitement des minerais est un échec, le travail du métal, en revanche, se développe.
Stimulé par le décret impérial de septembre 185646, le développement de la fabrication
des produits finis en cuivre s’amorce dans la seconde moitié des années 1850. Les cuivres
peuvent désormais être importés en franchise de droits quand ils sont destinés à servir au
doublage des carènes de navires. Les fonderies de deuxième fusion se multiplient entre
cette date et le milieu des années 1860. Une fois de plus, c’est l’usine du Rouet qui amorce
le mouvement en déposant, l’année du décret, une demande d’ouverture pour une
fonderie de cuivre47. On ne compte pas moins de onze nouvelles demandes pour Marseille
entre 1857 et 1865. Les ateliers sont nombreux mais de taille modeste. Les documents se
rapportant à leurs activités, à leurs marchés, sont hélas presque inexistants. En 1861, les
deux entreprises les plus importantes sont celles de Toussaint Maurel et de Brémond &
Sagne. Elles emploient respectivement 40 et 45 ouvriers48. Cette même année, une
nouvelle usine à cuivre relativement importante – le capital est de 200 000 francs – est
créée par les frères Deluy49 mais, là encore, les informations disponibles ne permettent
pas de connaître les activités de cette entreprise. Ce qui semble certain dans ce secteur de
la métallurgie du cuivre est que la majeure partie des activités concerne le travail du
métal. Le traitement des minerais est même extrêmement faible. Il est conçu comme une
opération d’appoint par deux fonderies de la ville (celle de Septèmes et celle de Figueroa
au Rouet)50. Seule la production d’argent aurait pu donner de l’ampleur à cette branche.
Les entrepreneurs ont des difficultés à drainer des minerais de cuivre avec une teneur en
argent assez importante. D’après les enquêtes des ingénieurs des Mines du département,
la production d’argent par l’affinage de cuivres bruts argentifères n’a lieu qu’en 186351.
Avec un total de 277 kilos, elle est dérisoire et ne permet donc pas d’offrir une rentabilité
suffisante à l’ensemble du secteur.
LES DIFFICULTÉS DU DÉBUT DES ANNÉES 1860
17 Les entraves au développement de l’industrie du plomb sont peu nombreuses dans les
années 1850. Quelques gênes sont toutefois présentes. Des manipulations inutiles de
marchandises au bureau des Douanes de Marseille accentuent les coûts de production52.
L’obtention de drawbacks soumis à de strictes obligations implique une logistique sans
faille pour les approvisionnements et les exportations53. Enfin, les prix trop élevés des
charbons sont signalés par les entrepreneurs de ce secteur. Les lignites ne suffisent pas à
la bonne marche des opérations. Les fondeurs du plomb doivent également utiliser des
cokes de l’usine à gaz de Marseille, des houilles britanniques et du bassin de la
Grand’Combe. Ces charbons sont plus chers et il faut leur ajouter le prix de transport,
notamment pour ceux provenant des mines du Gard, distantes de 191 kilomètres de
Marseille (cinq centimes par tonnes et par kilomètre54). Les établissements composent
avec ces contraintes qui ne remettent pas en cause la prospérité du secteur.
186
Un problème de débouchés extérieurs ?
18 La situation devient en revanche préoccupante au cours de la première moitié des années
1860, époque durant laquelle les véritables difficultés apparaissent. La chambre de
commerce de Marseille explique la situation par la diminution des débouchés extérieurs55
. Les trois principaux arguments avancés par l’institution consulaire pour expliquer le
fléchissement des activités sont justes. Les pays du nord de l’Europe, essentiellement
l’Allemagne et la Belgique, ont accru leur production de plomb. Ces pays importent donc
moins et deviennent même dangereux sur les marchés étrangers. L’Italie souhaite se
passer de l’intermédiaire marseillais et commence à acquérir une certaine indépendance.
Quatre fonderies ont été montées dans les anciens États sardes. La plus importante
d’entre elles, celle de Pertusola, située dans le golfe de La Spezia, traite à ses débuts 44 000
quintaux de minerais56. Enfin, et il s’agit selon la chambre de commerce de la principale
raison, les débuts de la guerre civile aux États-Unis ont fortement fait baisser les
exportations vers ce pays57.
La baisse des effectifs ouvriers
19 Une des conséquences de la diminution des productions à partir des années 1859-1860 est
la baisse parallèle du nombre de salariés employés dans le secteur. Le nombre d’ouvriers
travaillant dans les fonderies de plomb marseillaises passe de 525 à 254 entre 1855 et
1861. Dans les deux usines détenues par Ignacio Figueroa en 1855 et par Guilhem en 186058
, le mouvement est encore plus accentué. Le chiffre tombe de 218 ouvriers à 82. La baisse
des exportations est une raison valable pour expliquer les difficultés de l’industrie
marseillaise du plomb, mais la chambre de commerce de Marseille n’analyse que
partiellement la situation. Les exportations pour les États-Unis vont reprendre dès 186259.
Le principal facteur de ce début de crise est le retour des Anglais dans les circuits
commerciaux du plomb. Ce mouvement constitue alors la principale inquiétude des
industriels marseillais.
***
20 La période reste globalement celle d’une extraordinaire réussite. Les entrepreneurs
marseillais ont su profiter des opportunités commerciales apparues dans le secteur des
non-ferreux. Sans l’avantage de la proximité de gisements de minerais ou de houille, la
ville de Marseille est parvenue en quelques années seulement à se doter d’une industrie
puissante, au rayonnement national et même international. Les structures traditionnelles
de la Restauration et de la monarchie de Juillet ont fait place à des établissements qui
utilisent les techniques de production les plus modernes. Ces entreprises se montrent de
plus particulièrement dynamiques aussi bien dans leurs politiques d’approvisionnement
en matières premières que dans la quête des débouchés. Il reste aux négociants et aux
industriels à gérer ce succès rapide. Le temps est venu de pérenniser les structures
établies et les marchés en surmontant les difficultés de cette première moitié des années
1860. L’entreprise est délicate. Les fondeurs de plomb marseillais savent bien que le
retour des Britanniques sur les marchés internationaux ne s’inscrit en rien dans une
logique de courte durée.
187
NOTES
1. En matière de plomb, la Grande-Bretagne fonctionne en autosuffisance jusqu’à la fin des
années 1850 (cf. CHASTAGNARET G., « Conquista y dependencia… », art. cit., p. 183).
2. Cf. PETITGRAND E., « Construction des fours à traiter le minerai de plomb employés en
Espagne », Mémoires de la société centrale des ingénieurs civils, 1853, p. 34.
3. AN F 12 4932.
4. ADBdR 354 E 313 et CHASTAGNARET G., « Marsella… », art. cit., p. 26.
5. ADBdR XIV M 12/71.
6. CHASTAGNARET G., « De Marseille à Madrid… », art. cit., p. 129.
7. ACCM MP 3611 et AN F 12 4932.
8. Pour l’usine de San Andrés, cf. chapitre vu et EMP J 1850 (132), p. 80-94. Pour celle de Santa
Lucia, Ibid., p. 45.
9. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 416. Pour plus de détails sur le
pattinsonage, cf. GARÇON A.-F., « Les Métaux non-ferreux en France aux XVIIIe et XIXe siècles.
Ruptures, blocages, évolutions au sein des systèmes techniques », thèse de doctorat, EHESS, 1995,
t. II, p. 636-643.
10. La litharge est un oxyde de plomb obtenu en coupellant les plombs dans des fours à
réverbères. Elle est employée dans l’industrie de la verrerie, dans celle de la poterie, dans les
huileries et pour la fabrication du minium. Le minium est également employé dans l’industrie de
la poterie mais aussi pour la fabrication du cristal et surtout de peintures.
11. ACCM MP 3611.
12. ACCM MP 3610.
13. ADBdR 354 E 313.
14. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit., p. 220.
15. ACCM MP 3610.
16. Ibid.
17. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407.
18. La société change de mains deux fois dans les années 1850. Moreau en devient propriétaire en
1852 (AN F 14 4313). En 1856, Malenchini en fait l’acquisition (SIMONIN L., « Notice sur les usines à
plomb… », art. cit., p. 407).
19. Ibid. Gustave Rozan était déjà un industriel. Il a commencé dans les affaires en exploitant une
verrerie. Le capital de la société Luce fils & Gustave Rozan est de 200 000 francs (cf. biographie de
Gustave Rozan dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD É., Les Patrons du second Empire. Marseille…, op. cit
., à paraître en 1998).
20. Gautier en devient propriétaire dans la première moitié des années 1850 (ibid.).
21. La société de J. Briqueler, fondée en 1844 et qui s’occupait jusqu’alors de traiter les minerais
d’antimoine italien, étend ses activités. Vers 1854, l’usine travaille annuellement 200 tonnes de
minerais d’antimoine importés des mines toscanes d’Orbitello (AN F 12 2514). L’usine a changé
plusieurs fois de mains. En mai 1853, une nouvelle société, la Schnell, Frisch & Cie, est chargée de
son exploitation. Schnell et Frisch cèdent la place à Monnin-Japy et Jacquinot en 1855 (nouvelle
raison sociale F. Jacquinot & Cie). L’usine, enfin, est acquise en 1857, par une société polonaise
(Chamski & Cie) (ADBdR 548 U 7).
22. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407.
23. Ibid.
188
24. ACCM MP 3611.
25. Valeur des importations : 1 800 000 francs en 1853, 2 700 000 francs en 1854, 1 631 000 francs
en 1855 (SIM, 1853-1855).
26. BARRÉ L., « Le commerce des minerais à Marseille en 1855 », ADM, 1856, t. I, p. 94.
27. Cf. annexe 4.
28. Pour l’histoire des mines de l’Argentière-la-Bessée, cf. CCSTI de l’Argentière-la-Bessée, Les
mines d’argent des gorges du Fournel, Briançon, 1994, EMP J 1850 (129) et M 1854 (482).
29. ADBdR 548 U 6.
30. Emiles & cie. Cette société connaît de nombreux déboires. Elle est mise en liquidation en
février 1860 (ADBdR 548 U 7 et 8).
31. Hilarion Roux, entrepreneur particulièrement dynamique, aura un rayon d’action très étendu
dans les affaires métallurgiques en Europe, en Afrique mais aussi en Amérique centrale (cf.
ADBdR 548 U 8).
32. ADBdR 548 U 9.
33. MASSIA A., « Les industries métallurgiques à Marseille sous le Second Empire », mémoire de
maîtrise, université de Provence, 1974, p. 129.
34. ADBdR 548 U 6.
35. Cf. annexes 4 et 5 in fine.
36. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 419. Seule l’usine de Saint-Louis
utilise la force hydraulique en empruntant l’eau au canal de Marseille.
37. Les fours de grillages servent à débarrasser les galènes argentifères du soufre qu’elles
contiennent et donnent le plomb d’œuvre. Les fours à manche sont utilisés pour la fusion. Les
fours à réverbère sont destinés à affiner les plombs avant de pratiquer le pattinsonage (ibid.).
38. SIM, 1853 et 1860.
39. Ibid., 1855 et 1859.
40. La valeur de la production marseillaise est de 30 806 200 francs (dont 30 773 700 pour les
plombs marchands et l’argent) en 1858, 31 912 965 (dont 31 879 620) l’année suivante. La valeur
totale de la production française de non-ferreux est de 58 847 280 francs en 1858, 60 601 925
l’année suivante (SIM, 1858-1859).
41. Cf. CHASTAGNARET G., « De Marseille à Madrid… », art. cit., p. 129.
42. « Rapport sur la situation de l’industrie à Marseille », RTSSM, t. XVI, 1852, p. 140-141.
43. SAPET T., « Notes sur les produits de l’industrie marseillaise », RTSSM, 1864, p. 332-333.
44. CRTCCM, 1853-1854, p. 27.
45. Simonin L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407. L’atelier appartenait à la
Compagnie des usines métallurgiques réunies de Septèmes-les-Vallons.
46. ACCM MP 3611.
47. ADBdR XIV M 12/71 et AN F 14 4313.
48. ADBdR XIV M 10/11.
49. ADBdR 548 U 9.
50. Une troisième usine fondée par Escalle et de Longperrier en 1854 à Port-de-Bouc ; (cf. EMP J
18602 737) travaille des pyrites de cuivre et des cuivres bruts d’Algérie, d’Espagne et d’Italie ainsi
que des mattes noires de Turquie. La production, durant la période 1861-1865, évolue entre 3 000
et 5500 quintaux. Elle s’effondre en 1865 (120 quintaux seulement) sans que l’on puisse en
connaître les raisons (SIM, 1861-1865).
51. SIM, 1863.
52. La pesée des exportations se fait au bureau des douanes, qui est distant d’un kilomètre de la
gare (cf. Enquête. Traité de commerce avec l’Angleterre, t. II : Industrie métallurgique, Paris, Imp.
Impériale, 1860, p. 232 et suivantes).
53. Les fondeurs n’obtiennent les drawbacks que si l’acheminement des plombs se fait par bateaux
français ou portant pavillon du pays de destination (Ibid.).
189
54. Cf. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 413.
55. CRSICM, 1861, p. 50-51.
56. Luzzato G., L’economia italiana dal 1861 al 1914, Milan, 1963, t. I, p. 154-155.
57. CRSICM, 1861, p. 50.
58. Guilhem crée, en 1860, une société d’un million de francs pour exploiter les usines du Rouet
et des Goudes (ADBdR 548 U 8). Ignacio Figueroa reste propriétaire des établissements.
59. La CCM précise en 1862 que des envois considérables ont été dirigés vers les États-Unis « où
les nécessités de la guerre ont créé des besoins exceptionnels » (CRSICM, 1862, p. 96).
190
Chapitre XI. L’expansion de lamétallurgie des fers et des fontes
1 Sous la monarchie de Juillet, la gamme des productions de produits intermédiaires (fers
bruts, semi-finis et finis) était relativement limitée dans la région marseillaise. Depuis
1840 environ, quelques entreprises se livraient au puddlage de fontes, à la galvanisation
du fer et au moulage de pièces de machines. Les quantités produites demeuraient faibles
et de nombreuses fabrications restaient absentes. Pour les tôles, cornières, tubes et
grosses pièces de forge, les ateliers provençaux se fournissaient exclusivement auprès
d’entreprises anglaises, parisiennes ou du Centre de la France. Deux problèmes
difficilement surmontables se dressent devant les entreprises phocéennes qui souhaitent
s’orienter vers ce type de productions : les coûts élevés de fabrication et la faiblesse de la
demande. Les entreprises liées à la navigation ont des besoins encore limités. Les effets
d’entraînements sont donc peu importants. Le travail des fontes et des fers bruts est
rendu difficile à cause des approvisionnements coûteux en matières premières. La
législation douanière protectionniste et la compétitivité médiocre de la sidérurgie
française empêchent les métallurgistes marseillais de se lancer dans ce secteur
d’activités.
2 La fin des années 1840 apporte une modification notable à cette situation. Les ateliers de
mécanique et les chantiers navals marseillais mettent en pratique, à grande échelle, les
améliorations techniques des années 1830-1840 qui ont donné une grande ampleur au
marché. L’utilisation croissante des carènes en fer pour les navires à vapeur crée une
importante demande en tôles et cornières. Le développement de la fabrication des
chaudières tubulaires et du réseau de distribution du gaz dans les villes du département
joue un rôle identique pour les tubes et les tuyaux. Enfin, l’apparition d’un nouveau
système de propulsion dans la marine, l’hélice, nécessite la fabrication de pièces de forge
de grandes dimensions travaillées à l’aide de marteaux-pilons. Les entrepreneurs locaux
ou extérieurs ne sont pas restés longtemps insensibles aux opportunités offertes par la
croissance de ces demandes. Les fonderies trouvent des possibilités de débouchés et les
forges peuvent apparaître. Néanmoins, si le problème de la demande s’efface, celui des
coûts de production reste entier. Comment des forges ou des tôleries peuvent-elles être
compétitives en fonctionnant avec des fontes dont le prix est élevé ? La métallurgie
191
marseillaise croit un moment détenir la solution par une extension verticale de ses
activités.
LES FORGES DE LA CAPELETTE
3 Dans le domaine des forges, une première tentative a été menée sans succès en 18451 La
seconde initiative, lancée l’année suivante, débouche sur une réalisation. Amédée Armand
établit une usine de production de tubes, de tôles et de pièces de forge dans le quartier de
La Capelette.
Naissance et essor des forges de la Capelette
4 Amédée Armand est un des grands industriels de la ville depuis le début des années 18302.
Il a commencé sa carrière dans l’exploitation de mines avant d’exercer diverses activités
de négoce, notamment en Italie. En 1846, Amédée Armand étend ses affaires, se lance
dans la métallurgie et dépose sa demande d’autorisation d’établissement3. La société, en
commandite par actions, est constituée en janvier de l’année suivante avec pour objet « la
fabrication du fer par l’affinage de la fonte et le traitement des riblons, celle des grosses
pièces de forge à l’aide des marteaux-pilons et des tôles et fers au moyen de laminoirs, et
la fabrication de tubes en fer pour chaudières…4 ». Amédée Armand s’est associé avec
Raymond Soudry, l’ancien directeur de l’usine à gaz d’Aix. Deux principaux
commanditaires ont apporté les fonds nécessaires. Un seul d’entre eux est connu : Philip
Taylor. Le Britannique a compris tous les bénéfices qu’il pouvait retirer d’un tel
établissement. Avec cette usine, l’atelier mécanique de Menpenti et les chantiers navals
de La Seyne, Taylor contrôle la fabrication de toutes les pièces et appareils nécessaires à
la confection des navires à vapeur. Le capital de départ est de 400 000 francs. Il est porté
en juillet de la même année à un million de francs. L’usine fonctionne à partir de mai 18465.
5 Durant les deux premières années de fonctionnement, seule la production de tubes pour
chaudières tubulaires est assurée. Il s’agit là d’une grande nouveauté car si le Français
Seguin est l’inventeur des chaudières tubulaires, les Britanniques restent longtemps les
seuls producteurs de tubes pour ce type d’appareils. En France, jusqu’à la fin des années
1850, la fabrication des tubes est l’apanage de seulement trois entreprises. Avec les forges
de la Capelette, les entreprises de Gaudillot à La Briche et de Boutterilain à Paris se livrent
à ce type de fabrication6. Il faut attendre l’année 1850 pour voir apparaître, en petites
quantités, la fabrication des fers à riblon. La production de fers bruts est destinée à la
vente de fers en barres mais aussi, et avant tout, à l’obtention de fer de qualité supérieure
pour la production des tuyaux de grande résistance pour les conduits de machines.
L’entreprise utilise un traitement original des fers au sortir des fours à puddler7.
L’opération « s’effectue par un procédé nouvellement importé d’Angleterre8 ». Il s’agit
certainement du procédé Russel dont Armand a acquis le brevet d’exploitation pour la
France9, mais aucun renseignement n’a pu être trouvé sur l’originalité de cette méthode.
L’activité de l’entreprise reste encore faible cette année-là. Avec une centaine d’ouvriers,
l’usine produit 10 000 quintaux de fers pour une valeur de 1 600 000 francs10.
6 La crise a durement touché le secteur français de la construction mécanique. Amédée
Armand peut néanmoins compter sur le soutien du gouvernement et du ministre de la
Marine qui a tout intérêt à protéger l’entreprise d’une faillite. Celle-ci aurait eu de graves
192
répercussions sur le plan militaire11. Le ministre de la Marine, avait décidé d’adopter la
chaudière tubulaire pour ses bâtiments. Une circulaire avait été lancée au milieu des
années 1840 à tous les mécaniciens pour les pousser à créer une usine de tubes en fer
pour les appareils à vapeur. Placée dans une conjoncture politique instable, la marine
française se trouvait totalement subordonnée à l’industrie britannique, qui était la seule à
fabriquer ce type de produits jusqu’à la création de l’usine de La Capelette. L’entreprise
marseillaise possède donc une grande importance politique et militaire. Amédée Armand
réclame et obtient des dérogations pour des aides à l’exportation, des admissions en
franchise de métaux pour satisfaire au moindre coût les demandes de ses clients. Il signe
d’importants contrats avec la marine de guerre12. Le Marseillais a trouvé un ensemble de
solutions qui permet à son entreprise de passer la crise des années 1846-1851 sans
dommage majeur. La période difficile du démarrage laisse rapidement la place à plusieurs
années de grande prospérité.
L’intégration dans la Société des forges et chantiers de la
Méditerranée
7 En 1853, les forges de La Capelette sont absorbées par un groupe plus important. Cette
intégration est la conséquence directe des liens étroits qui unissent Amédée Armand et
Philip Taylor. Depuis 1846, le Britannique était le principal client et le premier
commanditaire de la société. L’atelier mécanique de Menpenti, les chantiers navals de La
Seyne et l’usine d’Amédée Armand sont rassemblés au sein de la Société des forges et
chantiers de la Méditerranée. Armand reste présent dans l’affaire. Il est un des principaux
actionnaires de la nouvelle société. Philip Taylor décide de donner une grande extension
à l’usine. Les ateliers sont modernisés. Pour la fabrication des fers et leur conversion en
produits finis, l’établissement est doté d’importants moyens : quatorze fours à puddler,
quatorze fours à réchauffer, un four à tôle, quinze feux de forge, trois fours à chauffer et
deux marteaux-pilons de respectivement deux et sept tonnes13. La production de fers
bruts et finis augmente de manière régulière. La quantité produite qui avoisinait les
70 000 quintaux en 1852 atteint le chiffre de 100 000 deux années plus tard14. Le marché
est essentiellement local. L’entreprise trouve ses débouchés auprès des ateliers
marseillais et des chantiers navals ciotadins et seynois. Pour les tubes en fer, elle est à
l’abri de la concurrence. La société Boutterilain est trop éloignée et se contente des
marchés du nord et du Centre de la France. Les entreprises britanniques sont tenues en
échec par la législation douanière française. La protection accordée par le gouvernement
aux établissements de l’Hexagone est efficace. Jusqu’à la loi du 26 avril 1856, l’importation
des tubes étrangers est purement prohibée. La nouvelle loi impose 30 francs de taxe sur
100 kilos de tubes importés15. La taxe est lourde. L’avantage accordé aux entreprises
françaises reste entier. Interrogé en 1858 par la commission de révision des tarifs
douaniers, le directeur des forges de La Capelette ne demande pas d’augmentation des
droits. Il les estime suffisants16. En 1855, la Société des forges change de mains. Les
hommes des Messageries impériales président désormais à la destinée de l’établissement.
La période maximale d’activité est atteinte en 1856-1857, avec une production record de
près de 163 500 quintaux17. L’usine compte alors plus de 400 salariés18. Le conseil
d’administration décide dans un premier temps de poursuivre l’œuvre d’Amédée Armand
et de Philip Taylor. Une nouvelle extension de l’usine est décidée en 185719.
L’établissement a trouvé une bonne stabilité, mais la programmation d’agrandissement
n’est pas respectée.
193
Les difficultés de la fin de la période
8 Cette période de prospérité s’achève au bout de cinq années seulement. La conjoncture
est devenue peu favorable. Les difficultés apparaissent au début des années 1860.
L’équilibre trouvé par l’entreprise est remis en cause par un facteur externe. En 1862, le
périmètre de l’octroi de la ville de Marseille est modifié. L’usine doit désormais acquitter
un droit de quatre francs par tonne de houille amenée à l’usine. Le prix de fabrication des
fers augmente. Le conseil d’administration de la Société des forges, composé de
gestionnaires rigoureux, a décidé de donner la priorité aux prix de construction des
navires et des machines marines et suspend la production des tôles. Les tôles seront
achetées hors du groupe. Les commandes sont désormais adressées aux entreprises du
Creusot, de Terre-Noire, Saint-Chamond ou Rive-de-Gier, des sociétés capables d’obtenir
des coûts de production allégés par la proximité d’une sidérurgie performante et se
livrant à la fabrication de produits de qualité supérieure dont l’épaisseur peut aller
jusqu’à 30 millimètres20. En 1864, une grosse partie du matériel de l’entreprise est vendue
aux frères Marrel, de Rive-de-Gier, qui possèdent un établissement voisin21. L’usine
continue de fonctionner mais limite ses activités à la confection de tubes et de petites
pièces pour machines.
UNE PLÉIADE D’ENTREPRISES DYNAMIQUES
9 Les problèmes rencontrés par les forges de la Capelette n’affectent le niveau de
production des usines à fer marseillaises que durant quelques années22. Le secteur connaît
en effet un développement remarquable, surtout à partir de 1860. Il est délicat d’étudier
ce développement pris par l’industrie du fer à Marseille. La documentation sur les
entreprises est presque inexistante pour cette période. L’évolution générale du secteur ne
peut être aperçue qu’à partir des séries de la Statistique minérale. L’analyse reste donc
partielle. Les données collectées par les ingénieurs des Mines sont trop générales. Sous la
même rubrique, les différentes fabrications du secteur (tôles, tubes, pièces, chaînes…)
sont additionnées.
Une production en hausse
10 Depuis la fin de la crise, plusieurs autres entreprises ont été créées ou ont pris de
l’importance dans le secteur de production des fers en deuxième fusion. Entre 1850 et
1861, sept demandes d’autorisation d’établissements ont été déposées à la préfecture des
Bouches-du-Rhône. Deux d’entre elles concernent Aix, le reste la cité phocéenne23. Le
mouvement s’accélère au cours de la première moitié des années 1860. Les demandes
d’autorisation pour les usines à fer sont nombreuses (cinq pour la période 1862-1865). Ce
secteur est alors en pleine extension car à ces nouvelles entreprises s’ajoute le
développement d’entreprises plus anciennes. Après une période difficile, la production de
fers ouvrés connaît une courte phase de récupération et décolle véritablement au début
des années 1860 pour se stabiliser aux alentours des 50 000 quintaux durant les années
1863-1865. Deux entreprises dominent alors le secteur : la forge des frères Marrel et la
fonderie Benet.
194
L’usine des frères Marrel
11 Dans les années 1850, à proximité des forges de La Capelette s’est ouvert un deuxième
établissement d’importance : celui des frères Marrel, de Rive-de-Gier, où l’on forge des
grosses pièces à l’aide de marteaux-pilons. Les dossiers de demande d’autorisation de
cette entreprise n’ont pu être retrouvés24. Il est toutefois possible d’en retracer l’histoire.
Depuis la fin des années 1840, les frères Marrel sont parvenus à acquérir d’importants
marchés à Marseille dans le secteur des pièces de grosse forge25. Les chantiers navals de
La Ciotat sont un des principaux clients de la région. En 1852, les liens entre l’entreprise
de la Loire et les chantiers des Messageries impériales se resserrent. Cette année-là, les
frères Marrel se décident à créer une unité de production jumelle à Marseille même :
« Cette usine n’a été établie que pour forger les pièces de grosseur moyenne dont les
Messageries ont constamment besoin pour remplacer les pièces avariées. Ce n’est que
dans le but de rendre service aux Messageries impériales et d’attirer ainsi leurs
commandes que MM Marrel ont établi cette usine à la porte de Marseille26. » Seules les
pièces de très grosse forge ne sont pas produites dans l’usine de Marseille. « Le
combustible étant très cher vu le transport, il serait irrationnel de forger des pièces qui
exigent 10 à 15 tonnes de houille par tonne de fer27. » L’établissement compte près de 100
ouvriers en 186128 et prend une extension en 1864 avec le rachat du matériel de
l’établissement voisin de la Société des forges.
L’essor d’établissements plus anciens
12 Outre la forge des frères Marrel, l’enquête d’octobre 1861 recense à Marseille une dizaine
d’entreprises produisant des fers bruts et surtout semi-finis ou finis29. Les entreprises qui
assurent ces productions en pleine expansion ne sont pas uniquement les unités créées
dans les années 1850, mais celles fondées sous la monarchie de Juillet, et, plus
généralement avant 1846. C’est le cas de certaines entreprises qui ne sont pas spécialisées
dans ce seul type de production. On produit des pièces de fers dans de nombreux ateliers
de mécanique (établissement de Menpenti, usine de Lejeune, toujours à Menpenti,
entreprise de Falguière à Arenc, chantiers navals de La Ciotat30…). À ces ateliers de
mécanique s’occupant de produire des fers il faut ajouter huit entreprises entièrement
spécialisées dans la fabrication de fers bruts et le moulage en première ou deuxième
fusion.
13 Comme la forge des frères Marrel, les fonderies d’Escoffier et de la veuve Grognet31 sont
des créations des années 1850. Celle du Britannique Unsworth a été montée en 184732.
Toutes les autres entreprises sont nées avant les débuts de la crise des années 1846-1851.
Parmi les principales se trouve celle de Louis Benet, qui a repris la direction de la société
au début des années 185033. La petite fonderie du début des années 1830 a laissé place à
une entreprise importante qui compte plus de 400 ouvriers en 1861. Ayant cédé ses
chantiers de La Ciotat en 1851, Louis Benet a entièrement pu se consacrer au
développement de sa fonderie. Les types de production comme les marchés restent
inconnus. Le nombre d’ouvriers employés et l’augmentation du capital de la société en
1853 laissent à penser que la fonderie a gardé une part non négligeable des commandes
des chantiers navals de La Ciotat34.
195
14 Les autres grandes fonderies de la période précédente sont toujours en activité :
l’établissement des frères Puy, ceux de Riddings et Jeffery35, de Dussard36… Ces dernières
restent d’importance moyenne. Elles n’emploient jamais plus d’une centaine d’ouvriers.
En 1865, il semble qu’une quinzaine d’usines ou d’ateliers s’occupent à Marseille de la
production de fers bruts, semi-finis et finis37. Le marché est essentiellement local. Ces
entreprises travaillent pour les ateliers de mécanique de la ville, les chantiers navals de la
région ainsi que pour l’arsenal de Toulon38.
LES DÉBUTS DIFFICILES DE LA SIDÉRURGIEMARSEILLAISE
15 À l’avènement du second Empire, la Provence n’est pas une terre de sidérurgie. Les
quelques tentatives menées dans le Vaucluse ou le Var n’ont pas été couronnées de
succès. L’utilisation du charbon de bois amène des coûts de production trop élevés. Le
département des Bouches-du-Rhône est placé devant les mêmes difficultés. Une
sidérurgie ne peut s’installer à Marseille sans avoir résolu le problème du prix des
combustibles. C’est sans doute une des principales raisons qui a poussé la Société des
forges à renoncer à l’établissement de hauts fourneaux à Marseille39. Toujours dans la
première moitié des années 1850, une seconde société marseillaise, Nant aîné & cie, a
tenté d’établir une entreprise sidérurgique à Tarascon, à l’ouest du département40. La
constitution de cette société n’aboutit pas. Il semble que le fonds social de deux millions
de francs n’ait pas pu être réuni par les promoteurs de l’entreprise.
Les échecs dans le Var et le Vaucluse : l’impossible survie d’une
sidérurgie au bois
16 Les Hauts Fourneaux de Fréjus, qui traitaient depuis 1844 les minerais de fer de l’île d’Elbe
par la méthode catalane41, semblent avoir cessé de fonctionner en 1847. L’utilisation du
bois comme combustible rendait les coûts de production trop importants et empêchait
l’usine de s’assurer des marchés. En 1859, toujours dans la région de Fréjus, une nouvelle
réalisation est projetée42. Une société au capital de 900 000 francs entend traiter des
minerais italiens et espagnols avec une main-d’œuvre piémontaise43. Les actionnaires
pensaient pouvoir compter sur « …la clientèle voisine assurée de l’arsenal de Toulon et
des chantiers de La Seyne, sur les débouchés de l’Italie et sur ceux qu’ouvrirait le canal de
Suez44 ». Élaborée au cœur d’une mauvaise conjoncture pour la sidérurgie, l’initiative
reste à l’état de projet. Elle n’avait en fait que peu de chances de réussir. Les marchés sont
difficilement accessibles. À cause de l’utilisation du charbon de bois du massif de l’Estérel,
les prix des fontes auraient été peu compétitifs face à ceux proposés par les entreprises
du centre de la France ou de Grande-Bretagne. Les problèmes rencontrés par les hauts
fourneaux allumés dans le Vaucluse – ceux de Velleron, fondés en 1830 et ceux du Rustrel,
créés dans les années 184045 – sont du même type. Ici encore, l’utilisation du charbon de
bois augmente les coûts de production de manière notable. Ces problèmes de coûts sont,
de plus, aggravés par un approvisionnement difficile en minerais malgré la proximité de
gisements métallifères autour de Rustrel, Lagnes et Moirmoiron.
196
Des échecs similaires dans les Bouches-du-Rhône
17 Deux années après la tentative de Nant aîné & cie, une nouvelle tentative d’allumage de
hauts fourneaux est menée dans les Bouches-du-Rhône. Elles aboutissent cette fois à des
réalisations concrètes. Une première société a été créée en 1855 sous la raison sociale
Voulland père & cie gérée par Louis Voulland, un ingénieur des Mines de Montpellier et
Roger, un négociant marseillais46. Cette société est en nom collectif. Le capital de 700 000
francs peut être porté à un million par la volonté du gérant. L’objet de départ est
l’exploitation, en Espagne, des mines de fer La Fraternitad au lieu-dit La Cabeza (province
d’Almeria) et la transformation des minerais extraits en fonte et en fer après première
fusion. Un ingénieur, Rivière de la Souchère est dépêché sur place pour un examen
approfondi de la mine47. Il revient particulièrement convaincu de son voyage d’étude.
Ayant pris connaissance du rapport élogieux de l’expert, les actionnaires décident qu’« il
y a lieu de constituer définitivement la société »48. La société est modifiée l’année suivante
et prend la raison sociale Voulland, Roger & cie49. Le changement le plus important par
rapport à l’acte initial concerne le lieu de traitement des minerais. Peut-être pour des
problèmes de combustibles, ceux-ci ne seront plus traités sur place, à proximité de la
mine, mais à Cassis, petit port de pêche situé à vingt kilomètres à l’est de Marseille. Les
hauts fourneaux sont montés au cours de l’année 1856, dans le quartier du Bestouand.
L’autorisation administrative n’est accordée qu’en 185750. La société peut procéder à
l’allumage de son premier haut fourneau et à la mise en route de ses équipements51.
L’usine entend traiter presque exclusivement des minerais de fer de La Cabeza (près de La
Garrucha, en Espagne)52 et doit fonctionner avec de la houille et du coke, mais aussi grâce
aux charbons de bois importés de Corse et de Sardaigne. L’établissement doit être
composé de trois hauts fourneaux consommant chacun annuellement 9 000 tonnes de
minerais. Ces prévisions sont démesurées. L’usine de Cassis ne semble avoir fonctionné
qu’une seule année, en 1857. La Statistique de l’industrie minérale signale cette année-là la
production de 14 360 quintaux de rails au combustible végétal. Le prix moyen de vente est
élevé : 35,40 francs le quintal. L’entreprise ferme ses portes la même année, balayée par la
concurrence française et étrangère ainsi que par la mauvaise conjoncture de l’année, qui
touche essentiellement les commandes adressées à la sidérurgie.
Une fatalité nord-méditerranéenne ?
18 Ces difficultés d’implantation d’une sidérurgie durable en Provence s’inscrivent dans une
situation qui touche l’ensemble du monde nord-méditerranéen. Comme à Marseille, les
marchés de produits sidérurgiques augmentent dans plusieurs régions d’Espagne ou
d’Italie avec la croissance des réseaux ferroviaires et l’essor des industries mécaniques.
Néanmoins, les économies régionales les plus avancées de ces deux pays démontrent la
même incapacité à créer ou à maintenir des productions de fontes brutes. Les raisons de
cet échec sont simples. Certaines entreprises connaissent des difficultés pour se fournir
en coke métallurgique à bon marché, d’autres doivent fonctionner avec des minerais
importés. Parfois, comme à Marseille, les deux facteurs se conjuguent. Toutes doivent
faire face à des marchés fluctuants et à la concurrence britannique encouragée par une
législation douanière permissive. Ainsi, la réussite de la sidérurgie andalouse dans la
première moitié du XIXe siècle n’était due qu’à un concours de circonstances
particulièrement favorable. Les troubles politiques des années 1830 avaient favorisé le
197
succès de Manuel Heredia et de Joan Girô au détriment d’autres régions comme les
Asturies et le Pays basque53. Le retour à une certaine stabilité provoque d’ailleurs le déclin
de la sidérurgie andalouse, dont les coûts de production sont bien plus élevés que ceux
des entreprises basques ou asturiennes. Un des signes les plus évidents de cette
prépondérance des régions atlantiques de la péninsule ibérique est l’échec, au cours des
années 1860, de la Ramón Orozco y Cia. Cette société avait allumé quelques années
auparavant des hauts fourneaux au bois dans la province d’Almeria54.
19 Au milieu du siècle, La Catalogne tente également l’aventure55. Avec les travaux
ferroviaires et la réussite de grandes entreprises dans le secteur de la construction
mécanique (la Maquinista Terrestre y Maritima, El Nuevo Vulcano, Alexander Hermanos…
), cette région est alors le premier consommateur espagnol de produits métallurgiques.
Six hauts fourneaux sont allumés en un peu plus d’une décennie. Malgré des efforts pour
exploiter son sous-sol carbonifère qui offrait de riches espérances et l’établissement de
lignes ferroviaires pour amener les charbons sur les lieux de production, l’échec est une
fois de plus au rendez-vous. Les coûts de production restent élevés à cause du prix des
charbons. L’un des principaux problèmes est que les ressources sont médiocres.
L’extraction est de plus coûteuse et le prix du transport, lui aussi onéreux, vient s’ajouter
dans des proportions notables. La situation est aggravée par la réforme du ministre
Salaverria qui abaisse les taxes sur les fers étrangers entrant en Espagne. Les faillites et
fermetures se succèdent (Font, Alexander y Cia, la Ferreria Catalana…) et la métallurgie
catalane doit apprendre la modestie dans ses initiatives. La Herreria del Remedio, fondée
en 1861 par les frères Gerona dans le Poble Nou à Barcelone, fonctionne sur une méthode
plus conforme aux possibilités catalanes. L’entreprise traite des lingots étrangers et,
surtout, produit des fers bruts à partir de riblons. Cette solution se développe alors dans
le sud de l’Europe. Une initiative du même type apparaît également en Italie. En 1861, à
Savone, près de Gênes, la société Tardy & Benech se lance en effet dans le traitement des
vieux fers. L’implantation d’une sidérurgie traditionnelle, destinée à être confrontée à
une concurrence nationale ou étrangère, était impossible en Méditerranée.
Le pénible démarrage des Hauts Fourneaux de Marseille-Saint-Louis
20 Parallèlement au projet cassidain de Voulland, Roger & cie, une deuxième tentative de
création d’usine sidérurgique apparaît dans les Bouches-du-Rhône au milieu des années
1850. En 1855, une société chargée d’exploiter des hauts fourneaux à Marseille se
constitue. La société Mirès & cie n’a pas ses assises financières à Marseille, mais on
retrouve dans cette compagnie un des grands noms de la métallurgie locale. Le directeur
de l’entreprise est Jean Briqueler, l’homme des usines à plomb et à cuivre de Septèmes56.
Le projet s’intègre dans un ensemble beaucoup plus large. Il est né d’une double
opportunité offerte par les activités initiales de la société Mirès & cie. L’usine devait
utiliser les cokes de l’usine à gaz de Marseille, et accessoirement, ceux des mines de
Portes et Sénéchas, dans le Gard, deux entreprises dont la société Mirès & cie est
également propriétaire57. Les actionnaires sont ensuite certains de trouver un écoulement
facile de leurs productions à Marseille. L’entreprise est conçue pour fournir des fontes de
moulage et les transformer en deuxième fusion58. Le marché visé est important. Avec le
grand développement de la navigation à vapeur et la poursuite de l’industrialisation
marseillaise, la demande en pièces de fontes est importante. L’établissement est monté en
1855-1856 avec le plus grand soin et offre un visage séduisant. Chevalier et Coince, deux
198
élèves ingénieurs de l’École des mines de Paris qui visitent l’entreprise en 1859, tiennent à
le souligner : « Le tout est monté avec grand luxe ; la halle de coulée est superbe59. »
Quatre machines à vapeur d’une force totale de 140 chevaux sont installées dans l’usine
afin de fournir la force motrice aux installations et assurer la bonne marche de la
soufflerie60. La production est lancée en 1856. Les minerais traités sont importés de l’île
d’Elbe, d’Espagne (La Garrucha) et d’Algérie (région de Bône). La préférence va aux
minerais italiens, qui ont un rendement supérieur. Le pourcentage de fonte produite à
partir des minerais de l’île d’Elbe avoisine en effet 65 %. Les minerais provenant d’Algérie
et surtout d’Espagne donnent moins (respectivement 60 % et 47,70 %). L’entreprise traite
également des scories provenant des fours à réchauffer de la forge anglaise installée à la
Capelette depuis 1846-184761 et espère produire 11 000 tonnes de fontes brutes durant
l’année 185662. Ce résultat ne sera pas atteint avant 1863.
21 L’établissement commence à produire en marche continue en 1857 mais connaît, dès ses
débuts, de grandes difficultés. On renonce rapidement à utiliser les cokes de l’usine à gaz
de Marseille. Les premiers essais ont donné de mauvais résultats. Le charbon est impropre
à la production de fonte63. L’usine ne pourra donc en utiliser qu’une faible quantité,
qu’elle doit savamment doser pour permettre des économies sans mettre en péril la
qualité de la production. L’approvisionnement en coke se fera auprès des mines de Portes
et Sénéchas. Se pose alors le problème du prix des transports : « En présence du tarif
auquel la Compagnie des chemins de fer de la Méditerranée maintient les transports du
coke, ce combustible de Portes et Sénéchas vaudra au moins, rendu à l’usine, 60 francs la
tonne. Ce chiffre ne peut manquer d’influer notablement sur le prix de revient de la fonte64. » Les répercussions de cet échec ont en effet de lourdes conséquences. La proportion
du combustible dans les coûts de production est énorme65. Il faut plus de 1 500 tonnes de
coke pour obtenir 1 000 tonnes de fontes brutes et plus de 320 pour obtenir une tonne de
pièces moulées en deuxième fusion. La lecture des marchés a également été mauvaise. Au
cours de la seconde moitié des années 1850 et au début de la décennie suivante, la
politique douanière a été considérablement modifiée. En 1862, l’État a décrété
l’importation en franchise des fontes destinées à la réexportation après avoir été
converties en carènes pour navires, en machines et appareils de tous types66. A Marseille,
elle favorise désormais les fondeurs de deuxième fusion et pénalise les producteurs de
fonte. L’usine marche au ralenti. La grandeur des installations est disproportionnée par
rapport à la demande. Dès 1859, Coince et Chevalier portent à ce sujet un jugement sans
équivoque : « Tout démontre que l’argent qui a servi à l’établissement de cette usine n’a
point été épargné. Les bénéfices sont-ils bien grands ? Voilà ce qui est caché avec soin.
Qu’on nous permette d’en douter !67 » La production de pièces de fontes moulées est
faible. Deux cubilots suffisent. L’entreprise essaie de trouver de nouveaux débouchés et se
lance dans la fabrication d’obus et de boulets. À la fin des années 1850, les Hauts
Fourneaux de Marseille-Saint-Louis, fondés sur les mêmes principes et fonctionnant sur
la même logique que ceux de Cassis, paraissent condamnés à court terme.
L’essor des Hauts Fourneaux de Saint-Louis
22 En 1861, Jules Mirès, condamné à cinq années de prison pour escroqueries68, est remplacé
dans le conseil d’administration des sociétés qu’il a créées. Au cours de la première moitié
des années 1860, le conseil d’administration et de surveillance de la Société anonyme de
l’éclairage au gaz et des hauts Fourneaux de Marseille et des Mines de Portes et Sénéchas
199
repense entièrement l’entreprise. Les principaux actionnaires, issus de la haute finance
parisienne (Vautier, Germain, Darcy…) ont compris les erreurs d’appréciation commises
par Mirès. L’usine doit modifier sa production, trouver de nouveaux débouchés en se
spécialisant dans des créneaux où la concurrence est faible. Avec ses coûts de revient,
l’entreprise ne peut pas être compétitive. La fabrication de fontes moulées passe au
second plan69. Le prix de vente de ces fontes est de 35 francs le quintal à la fin des années
1850 et de 25 francs au début des années 1860. La moyenne nationale est très nettement
inférieure (23 francs en 1851-1860, 18,50 francs en 1861-1870)70. La direction décide de
porter les efforts sur la production de fontes d’affinage (fontes pures, grises, truitées,
blanches, rayonnées et rubanées) employées par les fabricants de fer de qualité
supérieure et d’acier au convertisseur Bessemer. La société fait l’acquisition d’un brevet
qui donne d’excellents résultats :
« Les fontes obtenues aux Hauts Fourneaux de Saint-Louis sont très belles etpeuvent rivaliser avec les meilleures fontes de Suède pour acier. Ce résultat a étéobtenu par un procédé tenu secret pour le moment mais qui, lorsqu’il sera connu,sera à coup sur très employé puisqu’il permet d’obtenir de très bonnes fontes mêmeavec des minerais médiocres et pyriteux. Ce procédé, je crois, consiste dansl’addition d’un désulfurant au mélange de minerais mais je n’ai pas pu avoir lemoindre renseignement à ce sujet. Il y a brevet71. »
23 En 1862, l’usine produit ses premières fontes manganésées. La fonte produite contient
alors 3 à 6 % de manganèse72. Deux années plus tard, la proportion de manganèse passe à
10 % (fonte spiegelseisen). La société a trouvé un marché qui lui est accessible. Les aciéries
françaises et britanniques sont alors tributaires des sidérurgistes allemands, uniques
fournisseurs de ce type de fontes. Paradoxalement, l’entreprise assure donc sa survie en
renonçant à conquérir les débouchés locaux. La production décolle à partir de 1862. Elle
triple en trois années (1862-1864). En 1863, un troisième haut fourneau est mis à feu. Deux
cents ouvriers sont employés dans les divers ateliers73. Sous la direction de Jordan, qui
prend ses fonctions vers 1862, l’établissement est alors bien lancé. En 1863, le capital de la
société est porté de 14 à 18 millions de francs. L’année suivante, un emprunt obligataire
est lancé74. L’entreprise entend désormais accroître le traitement de minerais algériens.
Dans ce but, elle s’attache les services de De Vathaire qui arrive à Marseille vers 1865. Son
expérience en la matière est grande. Dans les Hauts Fourneaux de Bessège, cet ingénieur a
réglé, pour la première fois en France, une marche de haut fourneau en minerai algérien
de Mokta-El-Hadid.
***
24 Au total, en une grosse décennie, la métallurgie marseillaise des fers et des fontes connaît
une croissance remarquable. Les productions sont diversifiées et atteignent des niveaux
parfois importants. Toutefois, de nombreux éléments qui ont favorisé cet essor relèvent
de facteurs conjoncturels. La concurrence reste sévère dans les différentes branches
d’activités de ce secteur. Comme le montrent les exemples des Hauts Fourneaux de Saint-
Louis et des forges de La Capelette, la réussite de la métallurgie marseillaise est
susceptible de s’inscrire dans la durée. Les entreprises doivent poursuivre leurs efforts
dans une double voie : le maintien d’une forte capacité technologique et la spécialisation
dans des créneaux où la concurrence nationale comme internationale est faible. Le succès
de l’industrie de la construction mécanique est là pour démontrer la validité de cette
stratégie.
200
NOTES
1. Jean Michel a déposé en janvier 1845 une demande d’autorisation pour « une forge de grosses
pièces » dans le petit Camas (ADBdR, XIV M 12/74). L’établissement n’a jamais fonctionné.
2. Cf. EDBdR, t. XI, p. 23-24.
3. AN F 14 4313.
4. ADBdR 548 U 5.
5. Ibid.
6. AMÉ L., Étude sur les tarifs douaniers…, op. cit., p. 277).
7. Remarque de deux élèves ingénieurs de l’École des mines de Paris lors d’une visite dans
l’établissement en 1859 (EMP J 1859 213).
8. EMP J 1847 (114).
9. DUBREUIL J.-P., « Les Transformations de la marine française… », op. cit., p. 457. Russel est alors
le principal constructeur anglais de tubes en fer pour appareils à vapeur.
10. « Rapport pour la situation de l’industrie en 1850 à Marseille… », RTSSM, t. XVI, p. 139-141.
11. Ibid.
12. Cf. ibid. ACCM, MP 3611 et ADBdR 1 M 1092.
13. AN F 14 4313.
14. Ibid.
15. AMÉ L., Étude sur les tarifs…, op. cit., t. I, p. 277.
16. AN F 12 6905.
17. Ibid.
18. MASSIA A., « Les industries métallurgiques… », op. cit., p. 69.
19. AN F 14 4313.
20. TURGAN J., « Les forges et chantiers de la Méditerranée », dans Les Grandes Usines : études
industrielles en France et à l’étranger, Paris, 1867, t. VII, p. 307-309.
21. MASSIA A., « Les industries métallurgiques… », op. cit., p. 33.
22. Cf. annexe 6 in fine.
23. ADBdR XIV M 12/71, 1850-1865.
24. La première mention de la forge de la Capelette dans les actes de société des frères Marrel
apparaît en décembre 1852 (cf. ADBdR 548 U 7).
25. EMP J 1847 (114).
26. EMP J 1859 (213).
27. Ibid.
28. ADBdR XIV M 10/11.
29. Ibid.
30. En 1864, une notice précise qu’« une partie importante… des travaux des ateliers de La Ciotat
consiste aujourd’hui dans les confections de pièces détachées de machines destinées à être
expédiées en rechange aux divers paquebots de la compagnie… ». (Enquête sur l’enseignement
professionnel…, op. cit., t. II, 1864, p. 645.)
31. ADBdR XIV M 12/71.
32. ADBdR XIV MEC 12/71.
33. ADBdR 548 U 26.
34. Ibid. Le capital passe de 210 000 à 300 000 francs.
35. La société a été réorganisée en février 1847 à la mort de John Jeffery (ADBdR 548 U 5).
201
36. Barthélémy Granier a quitté l’affaire en juin 1847 ( ibid.). Dussard s’associe avec Félix
Margalhan en mai 1860 (ADBdR 548 U 8).
37. La Statistique de l’industrie minérale recense 18 usines de ce type dans le département en 1865 (
SIM, 1865). Mis à part dans la région marseillaise et à Aix, nous n’avons pas trouvé trace d’autres
usines à fer dans les Bouches-du-Rhône.
38. CONSTANT E., « Le Département du Var… », op. cit., t. I, p. 147.
39. Les statuts de la Société des forges et chantiers du Midi prévoyaient « la possibilité de
fabriquer de la fonte » (La Société des forges et chantiers du Midi. Statuts, Paris, 1853, p. 3).
40. ADBdR 548 U 7.
41. Noyon, Statistique du département du Var, Draguignan, 1846, p. 649.
42. Cf. Le Var du 5 juin 1856 et Le Toulonnais du 14 juin 1859.
43. La société comptait établir 200 à 300 familles d’ouvriers qualifiés.
44. CONSTANT E., « Le Département du Var… », op. cit., p. 270.
45. LOCCI J.-P., Fonderies et fondeurs…, op. cit., p. 121-181.
46. Cf. ADBdR 548 U 7.
47. ADBdR 548 U 7.
48. Ibid.
49. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407.
50. ADBdR XIV MEC 12/71.
51. ADBdR XIV MEC 12/181.
52. SAUREL A., « Statistique de la commune de Cassis… », RTSSM, t. XX, 1856, p. 228.
53. Cf. CHASTAGNARET G., « Le Secteur minier… », op. cit., t. I, p. 70-71 et 287-290.
54. Pour l’histoire de la Ramôn Orozco y Cia, cf. SANCHEZ PICON A., La mine-ria del Levante Almeriense,
Almeria, 1983, p. 130-136.
55. Pour cette partie, cf. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 144-146.
56. AN F 14 4313.
57. EMP J 1859 (213), p. 238-239 et AN F 14 4313.
58. Notice sur les Hauts Fourneaux de Saint-Louis, Marseille, 1889, p. 4.
59. EMP J 1859 (213), p. 238.
60. ADBdR XIV MEC 12/181.
61. EMP J 1859 (213), p. 63-64.
62. AN F 14 4313.
63. EMP J 1859 (213), p. 238.
64. AN F 14 4313.
65. D’après le rapport prévisionnel de 1856, pour la production de fontes brutes, la valeur des
combustibles utilisés représente la moitié de la valeur totale (AN F 14 4313).
66. ACCM MP 3611, Décret impérial du 15 février 1862.
67. EMP J 1859 (213), p. 238.
68. CARVIN H., « La Marseille de Mirès », Marseille, n° 156, 1990, p. 31.
69. En 1859, l’entreprise produit 19 052 quintaux de fontes moulées en première fusion. L’année
suivante, la production tombe à 2358 quintaux. Ce type de fabrication est abandonné à partir de
1861 (SIM, 1859-1865 et EMP M 1863 (808), p. 1).
70. Moyennes 1851-1860 et 1861-1870 (SIM, 1851-1870).
71. Récit de visite de Famin, élève ingénieur de l’École des mines de Paris en 1862 (EMP J 1862
(255), p. 66). On découvre alors le rôle désulfurant du manganèse dans la fabrication de l’acier.
72. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5.
73. ADBdR XIV M 10/11.
74. Renseignement aimablement communiqué par Edmond Truffaut.
202
Chapitre XII. Un secteur prépondérant :la mécanique marine
1 En 1846, Louis Benet et Philip Taylor étaient les deux mécaniciens marseillais travaillant
dans la construction de machines marines. La construction mécanique pour la navigation
s’était développée de manière importante dans les années 1840. Les deux entrepreneurs
marseillais étaient parvenus à conquérir une bonne part des marchés locaux qui
connaissaient une augmentation constante. La croissance du secteur était toutefois gênée
par plusieurs obstacles : l’adaptation aux nouveautés technologiques était incomplète et
le problème du prix des matières premières aggravait notablement les coûts de
production. À partir de 1846, pour profiter de la croissance soutenue des marchés locaux,
français ou étrangers, les chantiers de La Ciotat et les ateliers de Menpenti doivent
impérativement régler ces deux problèmes pour rivaliser avec les sociétés britanniques.
L’essor du secteur ne peut accompagner celui des marchés qu’à cette seule condition.
UNE CONJONCTURE FAVORABLE
2 Sous le second Empire, la croissance de la navigation à vapeur marseillaise est telle que
l’on peut véritablement parler de triomphe. Au sein des sociétés d’armement, des
modifications importantes s’opèrent. Le temps des armateurs de type « artisanal »,
n’utilisant qu’un nombre limité de bâtiments, est maintenant révolu. En une quinzaine
d’années, les créations de sociétés de navigation à vapeur se multiplient. Le port de
Marseille, par le nombre des vapeurs qui lui étaient attachés, avait longtemps subi une
comparaison défavorable avec celui du Havre. Le rapport de force se modifie. La ville de
Marseille s’impose comme le plus important port de France et de Méditerranée. Elle se
classe, avec Liverpool et Hambourg, à la tête du continent européen.
Le dynamisme des armateurs marseillais
3 On trouve à l’origine des créations de sociétés de navigation à vapeur un nombre
important d’armateurs de la période précédente. Le phénomène est visible dans la
constitution de la plus grande des compagnies de la période, celle des Messageries
203
impériales, avec l’action d’Albert Rostand. La tendance générale est au regroupement afin
de disposer de grands moyens financiers et de se lancer ainsi dans des opérations de plus
grande envergure. Outre le rôle d’Albert Rostand, il faut souligner les actions des cousins
Bazin, les premiers à être entrés dans l’aventure de la navigation à vapeur au début des
années 1830, et celle de Théophile Périer, auteur en 1836 de la première commande de
navire à vapeur reçue par les chantiers navals de La Ciotat. Charles et Auguste Bazin
s’associent avec Théophile Périer en 1846. Le but de ce rapprochement est d’augmenter
les services de leurs flottes respectives vers les Échelles du Levant1. En 1852, la perte des
concessions et des subventions pour les lignes de l’Algérie leur pose cependant certaines
difficultés. Celles-ci sont néanmoins rapidement résolues. En janvier 1854, une fusion
s’opère avec la Compagnie générale de navigation à hélice, fondée deux années
auparavant par Léon Gay2. La nouvelle société (Bazin & Léon Gay), créée en commandite
par actions et au capital de cinq millions de francs, s’attache d’abord à développer les
services des anciennes compagnies : les lignes vers l’Orient méditerranéen et les liaisons
occidentales, en direction de Tanger, Gibraltar, Mogador et les Canaries. La société
s’ouvrira rapidement vers de nouveaux horizons en lançant des navires vers des
destinations beaucoup plus lointaines (l’Amérique et l’Extrême-Orient). Ce processus
d’extension par fusion de plusieurs sociétés se retrouve avec l’histoire des compagnies
dirigées par les Fraissinet. Les deux sociétés, fondées au cours des années 1830-1840 par
Marc Fraissinet3, avaient gagné en importance en absorbant l’armement Théron en 1843
et en créant des services vers la péninsule Ibérique. Au cours des années 1850, la
progression se poursuit. En 1853, les deux sociétés sont regroupées sous une nouvelle
raison sociale (Compagnie marseillaise de navigation à vapeur). Des lignes vers l’Italie et
l’Algérie sont créées.
4 Si l’extension des activités et la réorganisation juridique de sociétés d’armement déjà
anciennes constituent le cas le plus général, certaines créations de compagnies n’ont
aucun lien avec la période précédente. Ainsi, la formation de la société créée par Louis
Arnaud et les frères Touache en 1850 avec des capitaux marseillais, mais aussi lyonnais4,
est un exemple des plus significatifs d’une nouvelle tendance qui tend à s’affirmer,
surtout à la fin de la période. Dans les premiers temps, la compagnie effectue
principalement son service vers l’Algérie mais étend rapidement son champ d’action. En
1853, avec l’Avenir, elle lance vers le Brésil le premier service transatlantique marseillais
et prend, deux années plus tard, le nom de Compagnie de navigation mixte5. En 1856, les
navires de la compagnie atteignent la Chine. Le capital de la société est passé de 250 000 à
dix millions de francs en huit années seulement (1850-1858). D’autres nouvelles sociétés
privées, comme la Compagnie Paquet ou la Société générale de transports maritimes à
vapeur, sont apparues au cours de cette période, principalement dans la première moitié
des années 1860. De création tardive, elles ne jouent encore qu’un rôle limité. Ce
dynamisme des compagnies de navigation se traduit par une augmentation importante
du nombre de bateaux à vapeur attachés au port de Marseille. Entre 1847 et 1865, près de
130 unités ont été construites pour la navigation commerciale marseillaise. Le nombre
des bâtiments en service passe de 30 en 1850 à 116 en 1860, 201 en 18696.
5 La crise des années 1847-1851 passée, les sociétés de navigation à vapeur réorganisées ou
nouvellement créées augmentent et modernisent leurs flottes d’une manière
particulièrement marquée entre 1851 et 1856. Les principales compagnies marseillaises à
s’équiper ainsi sont la Compagnie Valéry (14 navires de 1847 à 1865), la compagnie Bazin
& Léon Gay (12 de 1847 à 1856), la Compagnie de navigation mixte (17 de 1852 à 1865) et la
204
Compagnie Fraissinet (18 de 1852 à 1865)7. La première de toutes, celle des Messageries
impériales, triple sa flotte en moins de dix ans. En 1851, elle commence ses activités avec
14 navires. En 1860, la flotte de la compagnie est forte de 54 unités8. Elle continue de
s’accroître lors des cinq années suivantes avec l’ouverture de nouveaux services vers
l’Amérique du sud (1860), l’Indochine (1862) et le Japon (1865). Au total, les Messageries
impériales arment 53 vapeurs entre 1852 et 18659. Le marché des machines et chaudières
pour la navigation commerciale marseillaise s’était développé à un rythme régulier mais
encore modeste sous la monarchie de Juillet. Sous le second Empire, les commandes ont
changé d’échelle. Les entreprises de mécanique peuvent désormais viser d’importantes
commandes en série, d’autant que la marine militaire apporte de grands compléments de
débouchés.
La modernisation de la marine de guerre française en Méditerranée
6 L’importance de la flotte de guerre britannique dans le bassin méditerranéen et son
incontestable suprématie ont fait réagir le ministère de la Marine. La France doit suivre
l’exemple de son voisin d’outre-Manche et combler de toute urgence son retard. Les
épisodes militaires du second Empire permettent à Napoléon III de prendre conscience de
l’infériorité de la flotte française. Le matériel naval disponible pour la guerre de Crimée
s’est vite avéré insuffisant10. L’Empire entend se donner les moyens de faire de la
Méditerranée ce « lac français », expression si souvent présente dans les discours mais
qui est encore si peu inscrite dans une réalité.
7 Stanislas Dupuy de Lôme, directeur des constructions navales du génie maritime, est
chargé, à partir de 1857 et jusqu’en 1869, de la transformation de la marine de guerre
française11. Le programme, remis à l’Empereur en 1857, prévoit une marine militaire forte
d’au moins 150 navires armés ainsi qu’une flotte de transport capable de faire voyager
une armée de 40 000 hommes et 12 000 chevaux12. Le coût total de l’opération est
d’environ 235 millions de francs. L’entreprise est rapidement mise en chantier. En une
douzaine d’années, le ministère fait construire une flotte moderne et puissante. D’après
les résultats d’une enquête de l’administration allemande, la flotte française de vapeurs
de guerre est estimée en 1871 à 362 bâtiments. Les appareils placés à bord de ces navires
totalisent une puissance de 91 338 chevaux13. Cet effort de modernisation est trop
important pour être assumé par les seuls arsenaux de l’État. Les équipements de l’arsenal
de Toulon sont vieillissants et les meilleurs éléments des ateliers sont débauchés par les
grandes entreprises françaises. La technologie imposée par le développement de
nouveaux systèmes de propulsion est des plus complexes. Le recours à des sociétés
privées apparaît comme une nécessité. La demande militaire crée donc pour les chantiers
de constructions navales et les ateliers de mécanique un très important marché. Pour des
raisons de défense nationale, les contrats sont réservés aux seules entreprises françaises.
Un phénomène similaire en Espagne et en Italie
8 Les autres pays du nord de la Méditerranée ont également suivi la voie de la
modernisation de leurs flottes de combat. L’Espagne et l’Italie se lancent dans la
transformation de leur marine de guerre au cours des années 1850-1860. En 1862, la jeune
marine royale italienne s’est déjà dotée d’une flotte de plus de 90 navires et d’une
cinquantaine de petites canonnières. Entre 1863 et 1865, l’effort est poursuivi avec l’achat
205
de puissants cuirassés14. A la fin des années 1860, l’Espagne possède une flotte de guerre
aussi importante et aussi récente. Les deux tiers des 91 navires mis en service ou en cours
de construction en 1868 ont été réalisés à partir de 185915. Tout au début des années 1870,
la marine turque, enfin, possède 91 vapeurs construits en majorité au cours de la
décennie précédente16. Pour des raisons qui touchent aussi bien à la technologie qu’à des
aspects plus étroitement économiques, ces divers États n’ont confié qu’une part minime
de leurs commandes à leurs industries nationales. Une grosse partie des réalisations est
donc accessible aux entreprises étrangères. L’industrie française affiche l’ambition de
conquérir ces marchés. Pour parvenir à ses fins, il lui faut toutefois se hisser à la hauteur
de sa rivale britannique dans les domaines de la technologie comme dans les coûts de
production.
9 La demande en navires et donc en machines et chaudières, qu’elle émane des compagnies
locales, de la marine française ou des pays riverains de la Méditerranée, a atteint des
proportions considérables dans les années 1850-1865. Celle des réparations va suivre
rapidement. La flotte de navires mise en service doit subir les travaux nécessaires à son
entretien : changement des tubes de chaudières et de toutes les autres pièces composant
les machines motrices.
La législation douanière : une aide déterminante
10 L’industrie française de la construction navale et de machines marines a connu certaines
difficultés pour s’épanouir sous la monarchie de Juillet. Un des problèmes les plus
importants concernait la politique douanière de l’État dans les domaines de
l’approvisionnement en matières premières et en produits semi-finis. Petit à petit, les
différents gouvernements ont pris conscience des effets négatifs de cette politique. Dès le
début des années 1840, le gouvernement français tente de favoriser l’essor de cette
branche industrielle. L’ordonnance royale de mai 1843 a constitué la première grande
faveur de l’État envers les constructeurs de navires en fer français et les mécaniciens
spécialisés dans la mécanique marine. Les fers étrangers nécessaires à la production des
carènes métalliques, des machines et chaudières sont admis sur le territoire national en
franchise de droits de douane. L’industrie française profite largement de cette loi qui lui
permet de s’assurer la majeure partie du marché national ainsi que quelques percées à
l’étranger, essentiellement auprès de plusieurs pays méditerranéens. Sous le second
Empire, le gouvernement décide, en corollaire du programme de modernisation de la
flotte de guerre de 1857, d’aller plus loin. Une série de lois complète et amplifie
l’ordonnance de 1843. Le cuivre laminé, pur ou allié, employé à la construction des
appareils à vapeur de tous types destinés à l’exportation est admis en franchise de droits
en janvier 185517. Cette franchise est étendue l’année suivante au zinc laminé en feuilles
pour le doublage des coques de navires. Le décret impérial du 17 octobre 1857 autorise les
ateliers mécaniques à recevoir en admission temporaire tous types de métaux (fontes,
fers en barres, tôles, acier et cuivre laminé) destinés à la fabrication de machines pour
l’exportation. Enfin, le décret de février 1862 autorise l’importation en franchise de droits
des fontes et fers réexportés après transformation en coque de navires et appareils
marins de tous types.
11 Durant une courte période, les avantages offerts par ces mesures sont atténués par celles
prises dans le cadre de la guerre de Crimée. Estimant qu’il fallait au plus vite accroître la
flotte commerciale, l’État admet provisoirement les navires étrangers avec un droit de
206
douane assez modeste (10 %). Les entreprises françaises supporteront assez bien le choc
car, parallèlement, l’importation en franchise temporaire de toutes les matières servant à
la construction des coques métalliques a permis de contrebalancer dans une large mesure
cette décision.
DES ENTREPRISES PLUS NOMBREUSES
12 Les opportunités offertes par le développement des commandes dans les domaines de la
construction de coques métalliques et d’appareils marins vont donner naissance, à
Marseille, à plusieurs entreprises. Les deux ateliers de construction de machines marines
de la monarchie de Juillet, ceux de La Ciotat et de Menpenti, restent les établissements les
plus importants. La différence entre les deux périodes est que le grand développement de
la navigation à vapeur à Marseille et en Méditerranée donne la possibilité d’exister et de
se développer à de nouvelles petites et moyennes entreprises.
La reconversion de Jean-Baptiste Falguière
13 Jean-Baptiste Falguière, le grand constructeur marseillais de machines à usages
industriels de la monarchie de Juillet, incarne parfaitement l’attrait du secteur de la
mécanique marine. Au début des années 1850, l’entrepreneur phocéen réoriente
totalement ses activités. La crise a durement touché sa société. Il comprend que la
construction de machines pour l’industrie ne lui permet plus de faire vivre son
entreprise. En août 1853, sous la raison sociale Falguière & cie, il fonde les Chantiers et
Ateliers marseillais avec divers petits actionnaires locaux18. La société, au capital de trois
millions de francs, a pour objet l’« établissement et l’exploitation d’un chantier de
construction de navires en fer et en bois et d’un grand atelier pour la fabrication et la
réparation des machines à vapeur et autres, la vente des objets confectionnés et tout ce
qui se rattache à cette industrie ainsi que l’essai d’une nouvelle machine marine dont M.
Falguière est l’inventeur19 ». Cette reconversion est facilitée par les connaissances
techniques de l’entrepreneur. Même si la production a été très épisodique, Jean-Baptiste
Falguière a déjà réalisé des machines marines en 1836 et 184220. Les documents sur les
activités de l’entreprise qui a fonctionné jusqu’à la mort du propriétaire, en novembre
1860, sont inexistants21. Pour les années 1850, seuls ont pu être repérés quelques marchés
obtenus auprès du ministère de la Marine pour l’arsenal de Toulon. Il s’agit de contrats
pour des machines à vapeur fixes de faible puissance et de quelques pièces en bronze
pour appareils22. La Société des forges et chantiers de la Méditerranée utilisera un court
moment les ateliers de Jean-Baptiste Falguière, après la mort de dernier. L’entreprise y
effectue des travaux de réparations. Les locaux seront définitivement abandonnés en 187123.
Une grande série de création d’ateliers dans les années 1850
14 Il est impossible de dresser un tableau complet de toutes les petites entreprises
marseillaises créées dans les années 1850 dans le domaine de la mécanique marine. Seules
sont connues celles qui ont atteint un certain niveau d’importance. On peut en recenser
six. En avril 1853, Félix Bizard et Pierre Labarre fondent une société « pour la confection
et la réparation des chaudières marines24 ». L’affaire se compose de deux usines. La
207
première est montée près de la porte Saint-Victor, au sud du Vieux-Port, la seconde, plus
importante, sur le chemin du Lazaret à La Joliette25. Cette dernière reçoit un équipement
complet durant les années 1855-185726. Dans ce même quartier de La Joliette, toujours au
milieu des années 1850, Jean Prudhon et Barthélémy Granier ont établi deux ateliers
spécialisés dans les chaudières marines27. Certaines compagnies de navigation ressentent
également le besoin de créer des ateliers au sein desquels les travaux de réparations sur
les appareils des navires de leur flotte peuvent être effectués. Les Messageries impériales
fondent un établissement de mécanique, à Marseille, à proximité de celui monté par la
société Fraissinet28. La Compagnie Fraissinet, dont la flotte augmentait de manière
importante, avait commencé par fonder un atelier pour la réparation des navires en 1857.
La décision d’étendre le champ des activités à la réparation et à la construction
mécanique date de 1861. L’établissement de mécanique est véritablement mis en marche
en 1863. Le prix des installations est supérieur à 520 000 francs29. Les premiers travaux de
l’atelier se limitent d’abord à la réparation de chaudières et de moteurs. La construction
d’appareil n’apparaît que dans la seconde moitié des années 1860. Le dernier atelier de
mécanique est fondé en 1864 par Émile Duclos30. La société est modeste au démarrage
(300 000 francs de capital). Son développement s’effectuera au cours de la période
suivante. Pour le reste des entreprises existantes, les documents font cruellement défaut.
Le poids de ces sociétés, de dimension beaucoup plus modeste, est toutefois peu
significatif dans l’ensemble du secteur. Elles ne se bornent souvent qu’à de simples
travaux de chaudronnerie et n’emploient jamais plus d’une dizaine d’ouvriers.
ASSIMILER ET PRODUIRE DES INNOVATIONS
15 La constitution des flottes des compagnies marseillaises de navigation s’est appuyée sur
de nouvelles caractéristiques essentiellement mises au point par les Britanniques. La
navigation à vapeur est marquée par une révolution technologique sans précédent au
cours de la période 1845-1860. Toutes les énergies ont été mobilisées pour réaliser des
navires d’une nouvelle génération. Afin de répondre aux impératifs imposés par
l’évolution de la marine aussi bien marchande que militaire, les bâtiments à vapeur
doivent désormais posséder des coques résistantes (utilisation du fer pour les carènes),
être plus rapides (alliée à la voile, l’hélice remplace les roues à aubes), porter des
quantités de marchandises de plus en plus considérables (augmentation de la jauge des
navires).
16 Parallèlement, les appareils moteurs de ces navires doivent subir une série de
modifications répondant à ces nouveaux besoins. Le volume des machines continue de
diminuer et laisse ainsi plus de place aux marchandises dans les cales. Les appareils
doivent être économes en combustible, d’une bonne commodité de service pour que les
navires puissent assurer de longues liaisons sans escale. Enfin, la puissance de ces engins
doit être de plus en plus importante. Une rotation suffisamment rapide des arbres de
transmission est nécessaire avec l’utilisation d’une propulsion par hélice. Sous peine de
voir leurs marchés passer aux mains de sociétés anglaises, les entreprises marseillaises se
devaient d’adopter les éléments de cette nouvelle technologie. Cette nécessité se retrouve
également pour la marine de guerre. L’adoption de l’hélice est même d’une importance
encore plus considérable. Un système de propulsion immergé rend les navires moins
vulnérables lors des affrontements. Désormais, pour les chantiers navals et les ateliers
marseillais de la construction mécanique, la fabrication des nouveaux types de navires, de
208
nouvelles machines est une des conditions à remplir pour l’obtention d’une bonne part
des marchés locaux et étrangers. Jusqu’au milieu des années 1840, les Phocéens ont dû se
mobiliser pour combler leur retard. Un nouvel effort leur est demandé. Les entreprises de
mécanique marine de la région marseillaise peuvent-elles de nouveau relever un défi
aussi important avec rapidité ?
Un nouveau type de propulsion : l’hélice
17 C’est en 1843 qu’a été réalisé, au Havre, le Napoléon, premier vapeur français muni d’une
hélice. Après son lancement, le bâtiment « fut envoyé à Marseille pour faire des études
comparatives entre la valeur de l’hélice et des roues à aubes31 ». Deux années plus tard,
affecté au service postal de la Corse, il retrouve Marseille et la Méditerranée et démontre
l’étendue de ses qualités. Les armateurs et négociants marseillais comprennent
rapidement les possibilités offertes par la navigation mixte (voiles et hélice combinées).
La première société à vouloir adopter ce nouveau type de propulsion est la Compagnie
Valéry. En 1845, une commande est passée aux chantiers navals de Louis Benet pour la
réalisation complète du Bonaparte, un navire non seulement muni d’une hélice mais aussi
d’une coque en fer. C’est une grande première en Europe continentale. L’initiative de
Valéry et Benet suit d’une année à peine le lancement du Great Britain de Brunei, premier
bâtiment au monde à rassembler ces deux caractéristiques32. Il n’y a rien de surprenant à
voir cette commande adressée à l’entreprise de La Ciotat. Le directeur des ateliers de
mécanique est alors John Barnes, l’homme qui a réalisé le Napoléon avec le concours du
Havrais Augustin Normand33.
18 Frédéric Sauvage était l’inventeur du système de propulsion par hélice34. Il avait déposé
son brevet en 1832 mais n’avait jamais pu démontrer les possibilités de son invention sur
un navire de gros gabarit. Augustin Normand, constructeur naval intéressé par ses
travaux, lui proposa un contrat d’association pour mettre au point l’invention35. Avec
John Barnes, il améliore le système. L’hélice de Frédéric Sauvage était constituée d’un
hélicoïde à une seule spire. Après quelques essais, le constructeur du Havre et l’ingénieur
britannique arrivent à la conclusion que l’hélice à plusieurs ailes donne de bien meilleurs
résultats. La conception de huit modèles successifs est nécessaire pour mettre
définitivement au point l’appareil de propulsion. La construction du Napoléon et de ses
machines peut être lancée et achevée en 184336. L’hélice est réalisée par Charles Nillus, un
mécanicien du Havre. John Barnes a conçu les machines et opère le montage de
l’ensemble. L’opération est un succès total. John Barnes a conservé les plans du Napoléon
et s’est même procuré ceux du Great Britain, navire pour lequel il rédige un compte-rendu
pour l’Institution of Civil Engineers de Londres37. Ces éléments facilitent la construction du
Bonaparte, amorcée en 1845 à La Ciotat et poursuivie en 1846. Le navire est mis à l’eau en
janvier 184738. La réalisation est une réussite. Cette construction confère une grande
réputation aux chantiers de La Ciotat. En 1846, Louis Benêt et John Barnes réalisent leur
seconde machine à chaudières tubulaires et à hélice pour un navire de la marine de
guerre française, le Salamandre39. La construction de ces premières machines à hélice ne
procède pas d’une simple copie des appareils du Napoléon et du Great Britain. John Barnes
s’est efforcé d’améliorer le système qu’il avait mis au point avec Augustin Normand. Louis
Benet dépose, en février 1846, un brevet pour un système très certainement inventé par
le Britannique « qui permet de conduire directement l’arbre de l’hélice quelle que soit la
hauteur de celui-ci relativement à la quille et à la vitesse de rotation40 ».
209
19 Par leur succès, les chantiers de La Ciotat s’attirent les faveurs du ministère de la Marine.
Plusieurs appareils à hélice sont construits pour des bâtiments de guerre41. Pour la
réalisation des machines du Charlemagne, John Barnes réussit une grande prouesse
technique. Pour la première fois en France, un appareil de navigation possède quatre
cylindres horizontaux, un système qui permet d’assurer une remarquable régularité de la
marche des machines. Les appareils moteurs et le système de propulsion conçus par John
Barnes font merveille. L’Ariel atteint la vitesse moyenne de 11,5 nœuds. Le rapport de la
commission chargée de vérifier la bonne marche des machines livrées par l’atelier
ciotadin est révélateur de la qualité de ses travaux :
« Les épreuves des machines de l’Ariel ont été très satisfaisantes. Le résultat peutêtre regardé comme un succès remarquable dont la commission s’est plu, àl’unanimité, à faire l’éloge au fabricant. Elle déclare que, d’après les renseignementsqu’elle possède, l’Ariel est certainement aujourd’hui le navire le plus rapide de laMéditerranée42. »
20 Au cours de cette période, la production de navires à hélice avec des vitesses de
déplacement de plus en plus importantes devient une préoccupation majeure. Les
entreprises marseillaises se doivent de suivre l’évolution de la demande des armateurs,
qui entendent assurer le plus de liaisons en un temps restreint. La tendance est imposée
par les négociants qui essaient de faire voyager une plus grande variété de denrées
périssables. À la fin des années 1850, les ateliers des Messageries impériales parviennent à
construire des paquebots approchant la vitesse de 13 nœuds. Un système d’engrenages de
transmission a été mis au point afin de multiplier la vitesse de rotation donnée par les
machines43. Au même moment, la Société des forges adopte ce modèle de machines et
travaille à son amélioration. La technologie de ce type d’appareil atteint son apogée en
1866 avec le lancement du Masr, un navire construit en vingt mois pour le compte du
vice-roi d’Égypte, qui atteint la vitesse de 14,5 nœuds44. Pour faire mieux, il faudra
attendre la généralisation de l’emploi de la haute pression et l’application du système
compound.
Des réussites majeures dans le domaine des machines marines : la
machine à pilon et l’appareil à cylindre oscillant
21 Avec l’adoption du système de propulsion par hélice, les machines à balancier mises au
point par James Watt disparaissent presque totalement. Ces appareils ne peuvent
imprimer la vitesse de rotation nécessaire aux hélices pour qu’elles soient véritablement
efficaces. La nécessité de construire des machines transmettant directement l’effet
moteur sur les arbres des hélices est désormais perçue de tous. Deux grands types de
machines se prêtent le mieux à ce type d’exercice : les appareils à pilon et ceux à cylindre
oscillant. Au cours des années 1850, les Messageries impériales et la Société des forges
s’attachent à en réaliser un grand nombre. La première catégorie de machines est une
nouveauté. A Marseille, sa réalisation restera longtemps l’apanage de l’atelier de
Menpenti. La production du second type d’appareil, les machines à cylindre oscillant,
s’est développée dans les chantiers de La Ciotat. Les premiers essais avaient été menés par
Louis Benêt dans la seconde moitié des années 1840. L’usine avait donc acquis une bonne
expérience en la matière.
22 Des appareils à transmission directe avaient déjà été construits dans les chantiers de La
Ciotat depuis 1845. Les premiers, ceux du Philippe-Auguste, n’avaient pas donné entière
210
satisfaction. Les tiges des pistons des deux machines avaient cassé45. Pour éviter ce
problème, les ingénieurs des ateliers de La Ciotat se décident à opter pour les machines à
cylindre oscillant. L’avantage de ce système : la suppression d’un point de rupture entre
la tige du piston et la bielle donnant le mouvement à l’arbre de l’hélice. L’appareil à
cylindre oscillant avait été critiqué dans les années 1840 car on craignait alors une usure
trop rapide des tourillons. La pratique avait démontré que les craintes de nombreux
mécaniciens, dont peut-être celles de John Barnes, n’étaient pas justifiées. Deux machines
oscillantes construites au Creusot par François Bourdon, qui travaille alors pour les frères
Schneider, avaient été placées sur des navires réalisés à La Ciotat en 1846-1847 (l’Oronte et
le Mérovée). Avec deux exemplaires sous les yeux, John Barnes peut se lancer dès 1846
dans la fabrication de ce type d’appareil. Le Salamandre, un navire de guerre affecté à
l’escadre de la Méditerranée, reçoit le premier modèle. Les réalisations se succèdent
jusqu’en 1861. La seule période de flottement se produit en 1852 lorsque, à la mort de
John Barnes, la famille de l’ingénieur refuse de donner aux Messageries impériales le
portefeuille de plans de l’ingénieur britannique46. Stanislas Dupuy de Lôme et Victor
Delacour doivent poursuivre les constructions qui étaient lancées. La valeur des
ingénieurs permet de surmonter les difficultés sans encombre malgré quelques
approximations de départ. Au cours des années 1850, les deux hommes améliorent même
le modèle de machines mis au point par John Barnes.
23 En 1852, les ateliers marseillais de la Société des forges et François Bourdon se lancent
dans la construction des machines à pilon, le deuxième grand type d’appareils marins de
la période. Le nom de ces moteurs provient de sa disposition calquée sur celle des
marteaux-pilons employés dans les forges. La société marseillaise est la première en
France et en Europe continentale à réaliser ce modèle d’appareil47. L’invention est d’une
importance considérable pour la navigation à vapeur de cette seconde moitié du XIXe
siècle. François Bourdon participe à la mise au point de l’appareil moteur marin, qui
s’impose à grande échelle à partir des années 1870 et qui devient « …universellement
répandu dans les années 188048 ». La précocité de l’usine de Menpenti en ce domaine
s’explique aisément. L’ingénieur des ateliers, François Bourdon, n’est autre que
l’inventeur, simultanément avec le britannique Nasmyth, du marteau-pilon. Le premier
modèle de machines pilons, réalisé entre 1852 et 1854, est destiné à des navires de
compagnies marseillaises. Beaucoup d’entre elles sont placées sur des navires de la
société Arnaud & Touache frères et sur plusieurs bâtiments de la Compagnie de Léon Gay.
La mise au point de ce type de machine vaut à François Bourdon de connaître, une fois
encore, les honneurs et les récompenses. Lors de l’Exposition de 1855, l’ingénieur est
décoré d’une médaille de première classe49. Une deuxième série de machines à pilon est
lancée quelques années plus tard sur deux navires de la Compagnie Fraissinet (Helvétie,
Provence et Normandie en 1855-1856)50. Une dernière est mise au point quelques années
plus tard avec deux machines pour des bateaux russes de 250 chevaux51. Le système de la
machine pilon est maintenant bien au point. L’innovation est d’importance, puisque ce
type d’appareil se prête remarquablement à l’emploi de l’expansion de la vapeur dans
plusieurs cylindres que l’on doit superposer52. C’est avec cette dernière série de
réalisations que François Bourdon va progressivement cesser ses activités. En avril 1860,
le grand ingénieur français est frappé d’une crise d’apoplexie qui paralyse son bras droit.
Avec courage, à plus de 64 ans, il apprend à écrire et à dessiner de la main gauche53. Son
action est devenue toutefois plus réduite. Le conseil d’administration de la Société des
forges décide de lui adjoindre Lecointre, un ancien ingénieur de la marine, afin de mener
à bien les travaux des ateliers54.
211
D’autres recherches dans l’amélioration de la marche des machines
24 D’autres innovations ont été effectuées par les ateliers marseillais et ciotadins,
principalement au cours des années 1853-1857 : les machines à bielle en retour, à éther et
vapeur combinés et, peut-être, les appareils compound. Dès la mise en route de ses
chantiers de La Seyne, Philip Taylor a tenu à être au niveau technique de son rival de La
Ciotat, Louis Benet55. Un ingénieur lyonnais, Du Tremblay, avait mis au point une machine
susceptible d’offrir de grandes économies de combustibles : « La solution proposée par M.
Du Tremblay consistait à se servir de la chaleur conservée par la vapeur d’eau à sa sortie
des cylindres pour vaporiser un liquide choisi parmi ceux qui passent à l’état gazeux à
une faible température, l’éther par exemple, et à faire agir à part cette seconde vapeur
sur un piston, dans les mêmes conditions que la vapeur d’eau56. » Le système a d’abord été
testé sur une machine fixe. La consommation de charbon des machines, avant
transformation, était d’environ 4,5 kilos par heure et par cheval. Le chiffre tombe à 1,5
après les modifications opérées sur l’appareil. Le nouveau système apportait donc un gain
de consommation considérable puisque celle-ci est divisée par trois. A Marseille, la
Compagnie de navigation mixte d’Arnaud et des frères Touache décide d’utiliser le
système et confie à Philip Taylor le soin de la réalisation des machines. Le navire, le Du
Tremblay, offre des résultats satisfaisants57. Les machines du France, navire appartenant à
la même compagnie, sont converties au même principe et plusieurs constructions sont
engagées. La nouveauté commence à intéresser les constructeurs britanniques58 mais
« l’innovation n’était pas exempte de dangers, en raison de l’inflammabilité de l’éther ».
L’incendie du France dans la rade de Bahia en 1856 confirme ce risque. Les machines à
éther et vapeur combinés sont aussitôt abandonnées.
25 Autre nouveauté technique : les machines à bielle en retour. Ce système a été
simultanément mis au point par Mazeline dans ses chantiers du Havre et Stanislas Dupuy
de Lôme à La Ciotat. Il portera le nom du dernier cité59. En 1855, les machines du Danube
inaugurent ce type de construction. Le poids des appareils est réduit de 30 %60. La
machine est couronnée d’un prix lors de l’Exposition universelle de Paris en 1855. Un tel
avantage ne pouvait laisser insensible les constructeurs, toujours à la recherche d’une
diminution des coûts de production. La machine à bielle en retour acquiert rapidement la
préférence des ateliers marseillais, ciotadins, seynois et toulonnais, mais sera très
rapidement abandonnée en faveur de la machine à pilon.
26 La dernière grande innovation de la période, celle des machines compound, est incertaine
à cause du caractère fragmentaire de la documentation. En 1856, selon Turgan, les forges
et chantiers de la Méditerranée reçoivent commande de l’appareil du Friedland pour la
marine impériale : « Ce puissant moteur, d’une force nominale de 950 chevaux, est à trois
cylindres ; la vapeur s’introduit dans le cylindre du milieu et se détend dans les deux
cylindres extrêmes ; on assure ainsi une économie notable de combustible que l’on
obtient avec une force active très régulière61. » Si cette réalisation a véritablement eu lieu
à cette date, la précocité de l’initiative de François Bourdon dans un domaine qui va
révolutionner la technologie de la navigation à vapeur mérite d’être soulignée. Les
premiers travaux français sur la machine compound ont longtemps été attribués au
Havrais Benjamin Normand, qui a réalisé son premier modèle en 186062. La Société des
forges se placerait dans le sillage des constructeurs britanniques car la réalisation de la
212
première machine compound, celle du vapeur à hélice le Brandon, a eu lieu en 1854 dans
l’établissement de John Elder, à Glasgow63.
27 Dès 1852, les ateliers de La Ciotat et de Menpenti avaient atteint une grande maturité
technique. Ils se plaçaient alors à la hauteur des grands ateliers britanniques64.
L’évolution des années 1850-1865 n’a fait que renforcer le mouvement. La recherche des
deux objectifs de la période précédente – l’allégement et la simplification des machines –
s’est poursuivie avec succès. De l’avis même des Britanniques, avec la réalisation des
appareils à vapeur et éther, des machines à pilon, le développement de la construction
des machines à cylindre oscillant et les possibles premiers pas dans la production de
machines compound, les deux ateliers sont à la pointe de la technologie des machines
marines en Europe65. Cette réussite technique explique en grande partie le nombre
considérable de marchés obtenus par les entreprises phocéennes dans le domaine de la
mécanique marine, qui emploient des effectifs ouvriers en croissance constante.
UNE FORTE CROISSANCE
28 Le secteur de la mécanique marine marseillaise connaît une croissance importante entre
1853 et 1865. Cet essor se mesure au moyen de plusieurs indicateurs, tous partiels et
parfois difficiles à interpréter.
L’essor des effectifs ouvriers
29 Il est difficile de connaître le nombre d’employés des ateliers spécialisés dans les travaux
de mécanique marine. Les chiffres manquent, notamment pour les petites et moyennes
entreprises. Pour les deux plus importantes, les chantiers de la Ciotat et la Société des
forges, ne sont souvent donnés que les effectifs totaux des entreprises, à savoir les
ouvriers employés à la construction et à la réparation de machines et chaudières mais
aussi ceux s’occupant de la réalisation des navires ou des travaux de fonderie. Un seul
relevé complet des ouvriers employés par la Société des forges est disponible. En mai
1856, les 2437 employés se répartissent pour moitié à Marseille, pour l’autre à La Seyne.
Au cours des années 1853-1865, l’effectif attaché aux travaux de construction d’appareils
à vapeur ne cesse d’augmenter. En 1861, l’atelier de Menpenti rassemble 864 ouvriers66. Le
cas de la Société des forges est un exemple parmi d’autres. Malgré l’absence de
documents précis, on peut observer l’augmentation massive des effectifs marseillais dans
le domaine de la mécanique marine au cours des années 1855-1865. Le relevé de la
situation industrielle de la région effectué en 1863 par la chambre de commerce de
Marseille démontre la prépondérance de ce secteur dans l’ensemble métallurgique de la
région :
« La Ciotat a occupé en 1863, tant pour la construction de machines et des coquesque pour la réparation du matériel naval des Messageries, 2 300 ouvriers. Leschantiers de La Seyne […] ont employé, pour la construction des coques seulement,2 700 ouvriers. Ces deux chiffres réunis à celui de 2 800 ouvriers, nombre d’ouvriersoccupés par les ateliers mécaniques de Marseille, donnent un total de 7 800 ouvriersqui ont été employés, en 1863, à la construction de machines et mécaniques, à celledes coques et aux besoins de la marine à vapeur67. »
213
Des valeurs de production en hausse constante
30 En 1863, la production du secteur de la construction navale et de la mécanique marine
dépasse 30 millions de francs. Deux années plus tard, en 1865, les 8300 ouvriers des divers
établissements portent ce chiffre à 34,5 millions de francs68. Dans la répartition des types
de fabrication, la part détenue par les travaux mécaniques connaît la plus forte
augmentation. Entre 1861 et 1865, la valeur des travaux de construction de machines
marines effectués par les ateliers marseillais et ciotadins passe de 6,5 à 9 millions de
francs, soit une augmentation de près de 40 %. En passant de 2 à 7,5 millions de francs, le
montant des réparations de ce type d’appareils a pratiquement quadruplé. Au total, le
chiffre global de production a presque doublé. Il atteint 16,5 millions de francs en 1865.
L’industrie de la mécanique marine s’est affirmée comme le principal secteur de la
métallurgie marseillaise. L’explication du succès tient dans la capacité des dirigeants
d’entreprises, tout au long de la période, à se placer à la pointe des applications des
nouveautés technologiques mais aussi à obtenir, conserver et développer des parts de
marchés dans les quatre grands débouchés qu’ils pouvaient viser par l’utilisation de
réseaux d’une grande efficacité.
Les marchés de la marine commerciale marseillaise
31 Les chantiers de La Ciotat ont obtenu d’importantes commandes de la part des
compagnies marseillaises. À la fin des années 1840, les armateurs continuent de placer
leur confiance en Louis Benet, qui a fait preuve de ses grandes capacités. Les chantiers
ciotadins trouvent leurs principaux marchés auprès de la compagnie des cousins Bazin et
surtout de celle de Valéry. Pour la première, Joseph Vence et John Barnes construisent le
Mérovée en 1847 et le Pharamond II en 1848, deux bâtiments qui effectuent leur service sur
l’Algérie. Pour la seconde, les deux hommes réalisent quatre paquebots coques et
machines : le Bonaparte (1847), le comte de Paris (1849), le Progrès (1850) et son jumeau, l’
Industrie (1851). A partir de 1852, avec le rachat par les hommes des Messageries, les
travaux des ateliers de La Ciotat se limitent aux commandes de la compagnie dont ils
dépendent. La Société des forges, dirigée par les mêmes hommes à partir de 1855,
travaille également pour les Messageries impériales. Entre 1857 et 1865, les chantiers
varois lancent douze paquebots pour la célèbre compagnie69. Toutes les machines de ces
navires ont été fabriquées à Marseille, dans l’atelier de Menpenti. Contrairement à ses
voisins de La Ciotat, la Société des forges travaille également pour des compagnies
concurrentes. L’entreprise bénéficie de l’action de Philip Taylor entre 1850 et 1855. Le
Britannique travaillait alors avec la plupart des grandes compagnies marseillaises de
navigation pour lesquelles il avait réalisé une vingtaine de paquebots70. A partir de 1856,
les commandes de compagnies marseillaises se poursuivent. La Société des forges exécute
des bâtiments pour la Compagnie Fraissinet, la société générale des transports maritimes
et surtout pour la société Touache & cie, compagnie pour laquelle elle lance neuf
paquebots entre 1856 et 186471.
32 Avec la loi d’octobre 1855, qui installe provisoirement une libre concurrence avec les
entreprises étrangères, certains marchés échappent aux constructeurs locaux. Les
commandes sont un peu moins nombreuses. Ce cadre législatif pose quelques difficultés
aux chantiers provençaux. Des commandes sont adressées par les Messageries impériales,
la Compagnie Fraissinet ou le port de Marseille à des constructeurs anglais et surtout
214
écossais (Mac Nabb, Caird et Thompson de Greenock72) qui se sont lancés, à l’instar de
François Bourdon et de la Société des forges dans la fabrication des machines à pilon73. Le
recours aux constructeurs britanniques procède de deux logiques différentes : les coûts et
la rapidité des livraisons. Le bas prix des navires est la raison qui pousse la Compagnie
Fraissinet ou le port de Marseille à s’équiper outre-Manche. Pour les Messageries
impériales, il s’agit essentiellement d’assurer la mise en service rapide d’un grand nombre
de bâtiments ne pouvant pas tous être construits dans ses propres chantiers pour des
raisons de capacité de production.
Les commandes de la marine d’État
33 À la tête de la Société des forges, Philip Taylor a su établir de solides liens avec les
ministères de la Marine et du Commerce. Ce sont principalement ces relations qui ont
permis directement ou indirectement à ses entreprises de passer la crise. Durant les
années 1847-1849, les commandes de l’arsenal de Toulon représentent la presque totalité
des travaux effectués par les chantiers de La Seyne. Taylor fabrique alors 16 petits navires
(transporteurs de vase et dragues) utilisés pour le curage de la rade de Toulon. À partir de
1848, il utilise Georges-Emmanuel de Beausobre comme mandataire général et spécial
auprès de l’administration pour la gestion des commandes de l’État. Durant la première
moitié des années 1850, les contrats signés sont nombreux et apportent une somme
considérable de travaux à l’entreprise du Britannique : « La marine impériale qui, jusqu’à
ce jour, apportait la plus grande réserve à traiter avec l’industrie privée, n’hésite pas à
nous confier les plus importantes commandes… La Seyne est considérée comme une
succursale de l’arsenal de Toulon74. »
34 Les successeurs de Taylor vont donner de l’ampleur à ces marchés. En février 1855, les
chantiers navals de La Seyne reçoivent commande de deux transports en fer avec leurs
machines pour les besoins de la guerre de Crimée. L’étroite collaboration entre la marine
militaire et la Société des forges est lancée. En dix ans, les chantiers de La Seyne vont
mettre à l’eau 46 navires de guerre pour l’État. Les appareils de tous les bâtiments ont été
fabriqués dans les ateliers de Menpenti. La Société des forges travaille également à la
fabrication de machines indépendantes. L’usine marseillaise livre ainsi, entre 1857 et
1865, 25 appareils moteurs pour des bâtiments réalisés dans les arsenaux de l’État. Le
total des constructions pour la marine militaire française s’élève à 34 700 chevaux75. La
majorité des grands navires de l’escadre militaire française est équipée de machines
fabriquées à Marseille. Par ces travaux, la Société des forges acquiert une reconnaissance
internationale, un prestige qui va lui amener des commandes de nombreuses marines
étrangères. En 1861, les ateliers de Menpenti livrent les machines de La Gloire, fleuron de
la marine de guerre française qui contribue à accroître sa notoriété76. Développant une
force motrice de 900 chevaux, l’appareil séduit par ses qualités et consacre le savoir-faire
de l’entreprise.
35 La réussite de la Société des forges sur les marchés d’État tient à ses fortes capacités
technologiques. Elle découle également des pouvoirs politiques et économiques détenus
par les principaux actionnaires de la société. Taylor connaissait personnellement Arago,
le ministre de la Marine sous la Seconde République77. Stanislas Dupuy de Lôme, l’homme
chargé par l’empereur, à partir de 1857, de la réorganisation de la flotte de guerre
française a été ingénieur conseil aux chantiers de La Ciotat pendant six ans (1852-1857)78.
Il n’a oublié ni les capacités des établissements provençaux ni les dirigeants des
215
Messageries. Le rôle d’Armand Béhic est tout aussi important. L’homme est si proche des
milieux gouvernementaux du second Empire qu’il finira par exercer des fonctions
ministérielles. L’obtention des marchés tient enfin à l’extraordinaire capacité de
production des ateliers de Menpenti. Un exemple suffit à le démontrer. En 1859, alors que
la marine de guerre a un besoin urgent de vingt canonnières, François Bourdon est
capable de construire en vingt-cinq jours toutes les machines à hélice de 20 chevaux avec
leurs chaudières tubulaires79.
La conquête des marchés étrangers
36 Les succès français sont un marchepied pour la conquête de débouchés extérieurs. Avant
leur reprise par les hommes des Messageries nationales, les chantiers de La Ciotat
travaillent pour des nations et des compagnies étrangères. Ce type de commandes
constitue une bonne partie de leurs travaux. Pendant la période de crise, Louis Benet a pu
résister quelques années grâce à ses marchés méditerranéens. En 1850, un projet de
construction d’un bateau à vapeur plat pour la navigation sur le Nil est lancé80. Pour la
compagnie sarde Rubattino, les chantiers construisent le San Giorgio en 1847. En octobre
1850, Louis Benet obtient deux contrats avec des États italiens : pour les États pontificaux,
la construction d’un petit vapeur ; pour le gouvernement sarde, la réalisation d’un
bateau-porte pour l’arsenal de Gênes. L’année suivante, les ateliers travaillent pour le
royaume des Deux-Siciles en réalisant une drague et un remorqueur à vapeur81. Les
exportations de navires, machines et chaudières disparaissent en 1852 avec la faillite de
Louis Benet. Les chantiers de La Ciotat intégrés dans les Messageries se bornent
désormais à travailler pour leur compagnie de navigation. La Société des forges prend
rapidement le relais. Les ateliers de Menpenti fabriquent des machines et des chaudières
pour des navires destinés à l’exportation vers l’Espagne. En 1852, deux bâtiments à
vapeur de commerce, le Tharsis et le Pelayo, sont construits par Philip Taylor pour la
navigation de commerce ibérique82. En 1864, les chantiers livrent à la marine militaire
espagnole un appareil de 2400 chevaux pour le P. Alfonso83. Trois années plus tard, ils
lancent la frégate cuirassée Numancia avec ses machines d’une puissance totale de 3 000
chevaux84. Ce navire est une commande d’une grande valeur. Deux ans de travaux ont été
nécessaires. Le Numancia est vendu 7 895 000 francs. L’Italie est également un bon client.
Quatre paquebots et leurs appareils sont construits pour la Compagnie Florio de Palerme
en 1862 et 186485. Entre 1861 et 1864, deux batteries cuirassées mues par des machines de
2 700 chevaux chacune et trois frégates cuirassées avec leurs machines (deux de 2 000
chevaux et une de 4500) sont livrées à la marine de guerre italienne86. Le sud de l’Europe
reste donc le lieu privilégié des exportations. Toutefois, en 1857, la Société des forges
commence à élargir sa clientèle étrangère en construisant notamment quatre paquebots
pour la Compagnie russe de navigation. Cette extension géographique ne se confirme
cependant qu’à partir du milieu des années 1860.
37 L’obtention des marchés passe par des propositions de prix à peu près équivalentes à celle
des constructeurs britanniques. Comme pour l’ensemble de la mécanique marine
française, les nouveautés technologiques appliquées par les ateliers marseillais et
ciotadins depuis le milieu des années 1840 ont permis aux constructeurs de la région de se
rapprocher de leurs concurrents britanniques. Les Britanniques proposent toujours des
prix plus bas mais l’écart s’est presque réduit de moitié (le désavantage des constructeurs
français passe de 38 à 20 %)87. Comme le montre une déclaration de Stanislas Dupuy de
216
Lôme, le problème du coût des matières premières nécessaires à la fabrication des
machines a presque été résolu en 1859 : « La principale cause de la différence de prix en
France et en Angleterre, à l’avantage de ce dernier pays, tient à ce qu’en Angleterre on
fabrique une plus grande quantité de machines qu’en France. Les prix des matières
premières, moins élevés en Angleterre qu’en France, sont pour quelque chose dans la
différence des prix de revient, mais non pour une importance aussi grande que la
répartition de l’ensemble des frais généraux sur une plus grande production dans un pays
que dans l’autre88. » Les chantiers navals britanniques continuent de détenir l’essentiel
des marchés de constructions navales et mécaniques en Méditerranée. La Société des
forges parvient toutefois à effectuer des percées significatives. Leur réputation est
prestigieuse et va en grandissant. Elle bénéficie, en outre, de l’avantage de la proximité
qui permet aux États ou compagnies privées ayant fait appel à la société marseillaise de
bénéficier dans de brefs délais de travaux de réparations. Enfin, en multipliant les
commandes, la Société des forges commence à réduire les frais généraux d’autant que les
contrats passés avec les marines militaires concernent souvent l’exécution de deux ou
trois navires jumeaux.
La faiblesse des rivaux méditerranéens
38 Ce succès à l’exportation en Méditerranée est également permis par les limites du
développement des industries de construction mécanique dans le reste du sud de
l’Europe. À la lumière des freins et blocages rencontrés par les industries italiennes et
espagnoles, les atouts des ateliers marseillais apparaissent de manière plus nette. La
réussite technologique et les conditions favorables pour un grand développement – de
vastes marchés générateurs d’économies d’échelle et une législation douanière
bienveillante – font défaut en Italie et dans la péninsule Ibérique.
39 En Espagne, depuis le tournant des années 1850, plusieurs entreprises fabriquent des
appareils pour la navigation à vapeur. La Portilla Hermanos & White de Séville et la
Maquinista Terrestre y Maritima de Barcelone se sont lancées dans la construction de
machines marines en série, notamment pour des navires de l’Armada. Entre 1858 et 1865,
neuf appareils sont réalisés par les deux entreprises89. Les chantiers de l’État ont
également suivi le chemin. En 1858, les arsenaux d’El Ferrol livrent la machine de la Santa
Teresa. Les appareils sont toutefois de petites dimensions. L’État ne s’adresse jamais à des
entreprises nationales pour des commandes de machines d’une puissance supérieure à
130 chevaux. Les marchés sont donc étroits, et ce secteur de l’industrie espagnole
éprouve de grandes difficultés à effectuer des économies d’échelle. L’État s’équipe en
navires à vapeur, mais la mutation de la marine marchande s’effectue encore lentement
malgré le développement de certaines compagnies comme la Bofill, Martorell y Cia et la
Hispano Inglesa au cours des années 1850. De plus, la législation douanière gêne la
conquête des marchés. Les droits sur les matières premières et les produits semi-finis
importés pour la réalisation des appareils sont plus élevés que ceux portant sur les
machines achetées à l’étranger. Les hommes de la Maquinista Terrestre y Maritima exposent
clairement cette difficulté lors de la grande enquête menée au début des années 1860 par
le gouvernement espagnol sur les effets des droits de douanes90. Tant que ce déséquilibre
existera, l’industrie espagnole de la construction mécanique ne pourra se développer :
« Le développement et la croissance des établissements de mécanique sont impossibles
tant que les droits d’importation sur les machines ne seront pas alignés sur ceux des fers
217
et des matières premières qui sont employés à leur construction. La situation actuelle
équivaut à avoir décrété la ruine des ateliers de mécanique ». Non seulement l’État ne
réduit pas l’écart des prix de vente entre les établissements espagnols et leurs
concurrents étrangers mais, de plus, il l’aggrave. La conséquence logique est l’absence de
commandes des compagnies privées de navigation pour les entreprises nationales de
construction mécanique.
40 Le constat d’une croissance limitée de l’industrie de mécanique marine est également
valable pour l’Italie. Il Meccanico, fondé à Gênes par Taylor et Prandi dans la seconde
moitié des années 1840 et repris par Giovanni Ansaldo, se développe grâce à ses appuis
gouvernementaux91. L’entreprise de la côte ligure essaie de se placer aux côtés des
ateliers napolitains de Pietrarsa, alors premier établissement de construction mécanique
de la péninsule italienne, capable de fabriquer dans les années 1850 des machines marines
de 500 et parfois 1 000 chevaux de puissance92. Ces deux entreprises éprouvent les pires
difficultés à se développer tant les conditions sont défavorables. La politique douanière
des différents États italiens puis, à partir de 1861, de l’Italie unifiée pénalise durement la
construction mécanique en faveur de la sidérurgie. Comme en Espagne, les matières
premières et les produits semi-finis italiens sont chers. Les mêmes produits importés de
l’étranger le deviennent par les lourdes taxes qui les frappent à l’entrée sur le sol
national. Le problème technologique se pose également avec acuité. Dans les années 1840,
les mécaniciens espagnols étaient parvenus à assimiler les grands principes techniques de
la construction de machines marines. À partir des années 1850, les progrès sont
incessants. Les grandes caractéristiques de la navigation à vapeur ont été profondément
modifiées avec l’utilisation des coques en fer et de l’hélice. L’effort demandé aux ateliers
espagnols ou italiens est trop grand. Les finances précaires des entreprises ne peuvent
répondre à cette nouvelle nécessité qui impose de lourds investissements. Dernier aspect
enfin, l’imaginaire. Un préjugé défavorable s’exerce contre les industries nationales,
surtout en Italie. À produit similaire et à prix égal, les acheteurs transalpins préfèrent
passer commande à l’étranger93. L’industrie marseillaise, détentrice ou initiatrice des
grands progrès techniques dans les domaines de la mécanique marine a tiré avantage de
ce facteur déterminant.
***
41 Durant la première décennie du second Empire, la mécanique marine est devenue le
grand secteur de la métallurgie de transformation marseillaise. C’est dans ce domaine que
cette industrie souffre le moins de ses problèmes d’approvisionnement en matières
premières et peut faire valoir ses meilleurs atouts. L’avance technologique des
entreprises et la dynamique des réseaux humains et financiers ne doivent pourtant pas
laisser à penser que l’avenir sera synonyme de prospérité. Les industriels marseillais le
savent bien. Le secteur est dépendant de facteurs qu’ils ne maîtrisent pas toujours. Parmi
ceux-ci, la législation douanière offre très certainement le plus d’inquiétudes. Le second
Empire a entamé depuis le début des années 1850 sa grande politique d’ouverture des
frontières. Pour l’heure, l’industrie mécanique et navale marseillaise est encore protégée
de la concurrence des entreprises londoniennes et surtout écossaises sur les marchés
nationaux. Pour combien de temps ?
218
NOTES
1. Pour l’histoire de cette compagnie, cf. BOIS P., Armements marseillais…, op. cit., p. 7 et 15.
2. Cf. « Léon Gay » dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second Empire…, op. cit.
3. Marc Fraissinet & cie et Marc Fraissinet Père & Fils (cf. EDBdR, t. IX, 1922, p. 375).
4. Louis Arnaud est commissionnaire à Marseille depuis une dizaine d’années d’une compagnie
lyonnaise de navigation sur le Rhône (cf. CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second
Empire…, op. cit.).
5. GIR, p. 88.
6. Le Port de Marseille à l’Exposition universelle de 1878, Marseille, 1878, p. 151.
7. Bois P., Armements marseillais…, op. cit., p. 10-12, 21-26, 70-74 et 255-258.
8. Enquête. Traité de commerce avec l’Angleterre…, op. cit., p. 574.
9. Ibid.
10. « Navires » dans LAROUSSE P., Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, t. XI, 2e partie,
1874, p. 882. L’escadre de guerre anglaise en Méditerranée est composée, à la fin des années 1850,
de 36 navires (CUCHENAL, CLARIGY, Les Budgets de la guerre et de la marine en France et en Angleterre,
Paris, 1860, p. 141).
11. CHATAIL M., « Dupuy de Lôme (1816-1885) », Les Amis du Vieux La Ciotat, 1985, p. 8.
12. LEDIEU A., Les Nouvelles Machines marines, Paris, Dunod, 1876,1.1, p. XCIII.
13. « Marine », dans LAROUSSE P., Grand dictionnaire universel…, op. cit., t. X, 2e partie, p. 1210.
14. LANESSAN J.-L. (DE), La Marine française au printemps de 1890, Paris, 1890, p. 94.
15. MANIDIER H., « État de la marine militaire d’Espagne », Revue maritime et coloniale, oct. 1869, p.
410-415.
16. « Marine », art. cit., p. 1210.
17. Pour tous les décrets, cf. ACCM MP 3611.
18. ADBdR 548 U 6.
19. DAUMALIN X., COURDURIÉ M., Vapeur et révolution industrielle…, op. cit., p. 172-177.
20. Cf. chapitre VIII.
21. Le mécanicien marseillais n’avait qu’un fils, Louis Augustin. Ce dernier ne reprend pas la
société et la liquide (ADBdR 364 E 673).
22. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine française… », op. cit., p. 630-633.
23. EDBdR, t. IX, p. 146.
24. ADBdR 548 U 6.
25. Cf. EDBdR, t. IX, p. 146.
26. ADBdR XIV MEC 12/180 et 181.
27. ADBdR 548 U 7, 548 U 8, XIV MEC 12/180 et 12/181.
28. Ibid. et Les Grandes Industries de Provence. Marseille et le Midi à l’Exposition de 1900, Marseille, 1900,
p. 12.
29. Histoire de la Compagnie Fraissinet, Marseille, 1976, p. 35.
30. ADBdR 548 U 9.
31. GIR, p. 82.
32. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale des techniques…, op. cit., t. III, p. 350.
33. FIGUIER L., Les Merveilles de la science…, op. cit., t. I, 1867, p. 245.
34. AUGUSTIN-NORMAND P., La Genèse de l’hélice propulsive, Paris, 1962.
35. Cf. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale des techniques…, op. cit., t. III, p. 347-348.
219
36. BARNES J., « Performance of Napoléon », MPCE, t. IV, p. 165.
37. BARNES J., « The Great Britain », MPCE, t. IV, p. 165 et 171.
38. MLV, janvier 1847.
39. DUBREUIL J.-P., « Les Transformations… », op. cit., p. 657-660.
40. Le Génie industriel, 1846, t. IX, p. 48, pl. 155.
41. ADBdR 1 M 1092.
42. Ibid.
43. Les machines de La Guyenne (1859), navire dont la vitesse de croisière est de 12,7 nœuds (cf.
CONIL J.-L., La Ciotat : de la voile à la turbine, Marseille, s. d., p. 2).
44. Cf. TURGAN J., « Les Forges et Chantiers… », art. cit., p. 311.
45. CONIL J.-L., La Ciotat…, op. cit., p. 2.
46. COMMANDANT LANFANT, Historique de la flotte des Messageries maritimes, Dunkerque, 1979, p. 29
47. Les premières réalisations ont été l’œuvre de l’Ecossais James Caird à Greenock en 1846 (cf.
AUGUSTIN-NORMAND P., Les Progrès des appareils propulsifs antérieurement à 1870, Le Havre, 1955, p. 13.
48. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale…, op. cit., t. IV, p. 34. La disposition pilon est encore
majoritairement utilisée de nos jours pour les moteurs marins diesel (ibid., p. 35).
49. EDBdR, t. VIII, p. 145.
50. Le premier type de machine « présente l’inconvénient de trop rapprocher les deux
vilebrequins, ce qui occasionne un mouvement de cisaille peu propice au fonctionnement doux et
sans choc » (LEDIEU A., Traité élémentaire…, op. cit., p. 611).
51. Ibid.
52. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale…, op. cit., t. IV, p. 34-35.
53. Pour la vie de François Bourdon, cf. BOUTMY G., FLACHAT E., « Notice sur la vie et les travaux de
François Bourdon… », art. cit.).
54. Société anonyme des forges et chantiers de la Méditerranée. Notice historique et description des
établissements, Paris, 1913, p. 4.
55. En 1846, par exemple, Philip Taylor délègue ses pouvoirs à Alfred Scipion Say pour l’achat des
brevets déposés par John Webster Cochran pour la France, la Grande-Bretagne, la Russie et la
Hollande (ADBdR 364 E 631).
56. Sauf précisions, les informations du paragraphe proviennent de GIR, p. 88-90.
57. Cf. Ville, Meissonier et Montet, Premier Voyage du navire à vapeurs combinées, le Du Tremblay,
entre Marseille et Alger, Marseille, 1853.
58. RENNIE G., « Combined Vapeur Engines and Boilers of the Du Tremblay Steamer », MPCE, t.
XVIII, p. 253.
59. PAYEN J., « La technologie de l’énergie vapeur… », op. cit., t. II, p. 165.
60. Ibid., p. 166.
61. TURGAN J., « Les Forges et chantiers… », art. cit., p. 314.
62. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale…, op. cit., t. IV, p. 76.
63. Ibid., p. 75.
64. Le Génie industriel, 1852, p. 347.
65. En 1860, Lindsay, armateur anglais membre de la chambre des communes, souligne par
exemple la qualité des travaux réalisés par les chantiers de La Ciotat (cf. Enquête sur la marine
marchande, Paris, Imp. Impériale, t. I, 1863, p. 540).
66. ADBdR XIV M 10/11.
67. CRSICM, 1863, p. 115.
68. Cf. annexe 10.
69. Société anonyme des forges et chantiers de la Méditerranée, Paris, 1900, p. 90.
70. Notamment pour les Bazin, Léon Gay et la Compagnie Fraissinet.
71. Société anonyme des forges…, op. cit., 1900, p. 93-94.
220
72. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. 43-45.
73. LEDIEU A., Traité élémentaire…, op. cit., p. 613.
74. Rapport du conseil d’administration des Forges et chantiers de la Méditerranée… sur la proposition
d’une émission d’actions de 2 500 000 francs, Marseille, 1855, p. 23.
75. Calcul d’après les listes de travaux effectués par la compagnie (Société anonyme des forges et
chantiers de la Méditerranée : notice historique, Paris, 1900, p. 79 et 86).
76. Ibid., p. 6.
77. CHATAIL M., « Dupuy de Lôme… », art. cit., p. 6.
78. Ibid., p. 7.
79. BOUTMY G., FLACHAT E., « Notice sur François Bourdon… », art. cit., p. 12.
80. MLV, janvier 1850.
81. Ibid., 3 mai 1851.
82. Association Sillages, I : Les Pionniers…, op. cit., p. 144.
83. Société anonyme des forges…, 1900, op. cit., p. 88.
84. Ibid., p. 81 et TURGAN J., « La Société des forges… », art. cit., p. 309.
85. Société anonyme des forges…, 1900, op. cit., p. 93.
86. Ibid., p. 82-83.
87. Enquête sur la marine marchande…, op. cit., p. 345-346.
88. Ibid., p. 395.
89. CABANA F., Fabriques i empresaris…, op. cit., p. 82 et COURTIER LOZANO A., La organizaciôn industrial
…, op. cit., p. 81.
90. Información sobre el derecho…, op. cit., t. I, p. 313-316.
91. Deux grands actionnaires de la société Ansaldo & cie, l’armateur Rubattino et le banquier
Brombini, sont proches de Cavour (Cf. DORIA M., « Le stratégie… », art. cit., p. 80-81).
92. DE ROSA L., Iniziativa e capitale straniero…, op. cit., p. 130.
93. Cf., par exemple, DORIA M., dans « Le stratégie… », art. cit., p. 82.
221
Conclusion de la troisième partie. Lefragile succès d’une industrierenouvelée
1 L’industrie métallurgique marseillaise connaît sa période d’apogée vers 1865. Les effectifs
ouvriers ont grandi comme les productions. De nouvelles activités sont apparues comme
le traitement des minerais de fer et de plomb, la fabrication des tôles. D’après l’enquête
nationale des années 1861-1865 cette extraordinaire réussite fait de la région marseillaise,
en association avec les entreprises de La Seyne, le premier centre métallurgique français.
Ce succès n’est rendu possible que par une législation douanière favorable mise au point
par un État soucieux de développer les secteurs clés de son économie et de sa puissance
militaire. Le marché national des machines à vapeur marines est protégé de la
concurrence étrangère, essentiellement anglaise et écossaise. Les débouchés extérieurs
sont accessibles par l’utilisation, en franchise de droits, de matières premières et de
produits semi-finis achetés principalement en Grande-Bretagne. Le seul avantage
douanier était toutefois loin de suffire pour atteindre un tel succès. Les industriels
marseillais et les hommes d’affaires extérieurs à la ville ont su bâtir leur réussite en
développant de fortes capacités technologiques et en s’insérant dans des courants
commerciaux générateurs d’opportunités industrielles. Les entreprises bénéficient en
outre de nombreux réseaux économiques et politiques leur permettant d’avoir accès à des
marchés importants en volume qu’ils soient du domaine militaire national ou de divers
pays méditerranéens ou encore de la marine marchande locale ou étrangère.
2 Derrière cette réussite apparaissent toutefois les premiers éléments d’une fragilité. Au
début des années 1860, pour des raisons d’économie dans les coûts de fabrication,
certaines productions comme celles des tôles sont abandonnées. Des changements
importants s’opèrent dans des circuits commerciaux qui avaient auparavant permis à
Marseille de constituer des industries sur des matières premières importées. Le cas de
l’industrie du plomb est exemplaire. La concurrence nationale s’affirme avec la
constitution d’un réseau de communication terrestre qui tend à gommer le
fractionnement des marchés au détriment des entreprises locales. Dès le milieu des
années 1860, l’industrie mécanique marseillaise se caractérise par une domination sans
partage du secteur lié à la navigation. En ce domaine, la ville a su tirer profit de marchés
222
abondants, notamment grâce à une remarquable adaptation technologique. Pour
pérenniser ce succès, les ateliers phocéens, toujours à la merci de la concurrence
britannique, doivent poursuivre leurs efforts dans ce domaine. Se pose également le
problème d’une survie à une retombée de cycle. Les entreprises ont connu un essor basé
sur des éléments en cours de modification. La législation douanière avait offert une
protection efficace. Les mesures établies par le traité de commerce franco-britannique de
1860 ne concernaient pas les secteurs de la construction navale. Souhaitant profiter du
libre jeu de la concurrence, les armateurs français font pression pour que les taxes
d’importation sur les navires et les machines soient abolies. En 1866, le gouvernement
français leur donne satisfaction.
223
Quatrième partie. Le déclin(1865-1890)
224
Chapitre XIII. Les difficultés del’industrie du plomb
1 Au cours des années 1860-1870, les grandes données du commerce international du plomb
se trouvent bouleversées. La géographie des circuits d’approvisionnement en matières
premières se modifie de manière notable. Avec la forte croissance de la demande de
produits en plomb émanant de ses industries et de son secteur du bâtiment, l’économie
britannique ne parvient plus à se satisfaire des richesses de son sous-sol depuis les années
1850. L’approvisionnement des usines du pays de Galles se fait avec difficulté. Pour
remédier à ce problème, des négociants et industriels d’outre-Manche partent en quête
de zones d’implantation susceptibles de leur fournir minerais et métaux. Ils parviennent à
leur fin en s’établissant dans le sud de l’Espagne d’où sont drainées les matières premières
recherchées. La part de la Grande-Bretagne dans les exportations espagnoles,
relativement peu importante jusqu’au début des années 1850, prend alors un essor
considérable. Elle atteint le chiffre de 47,2 % pour les années 1866-1875 avant de passer à
66,6 % au cours des cinq années suivantes1. La production de plomb des usines
britanniques peut alors suivre l’évolution de la demande nationale2. Les Américains
suivent rapidement l’exemple de la Grande-Bretagne en venant également
s’approvisionner en Espagne. Au cours de la décennie suivante, un changement des
échelles de production s’opère. L’offre mondiale de produits en plomb connaît une
croissance marquée. Les productions allemandes et américaines prennent leur envol et
viennent s’ajouter à celles des Britanniques, des Espagnols et des Français3. L’offre est
devenue trop importante par rapport à la consommation des principaux pays acheteurs,
qui se tasse dans le même temps. Une crise de surproduction s’installe. Les prix chutent à
partir de 1878. Les grands changements qui s’opèrent dans les circuits commerciaux du
plomb placent l’industrie marseillaise dans une situation inconfortable. Les
entrepreneurs phocéens doivent en effet résoudre des difficultés qui touchent aux deux
éléments qui ont assuré son succès au cours de la période précédente.
L’approvisionnement en plombs bruts et surtout en galènes argentifères devient un
problème récurrent pour les entreprises phocéennes et la concurrence accrue sur les
marchés extérieurs, méditerranéens surtout, restreint les débouchés du secteur. Se pose
alors la question d’une survie sur le seul marché national.
225
UN PROBLÈME D’APPROVISIONNEMENT ENMATIÈRES PREMIÈRES
2 Les signes annonciateurs de la dépression dans le secteur du plomb sont apparus durant
la première moitié des années 1860. Les entrepreneurs marseillais assistent, impuissants,
aux modifications qui s’opèrent au sein du marché international. En 1864, s’adressant à la
chambre de commerce de Marseille, ces industriels et négociants envisagent le proche
avenir du commerce européen des plombs de la manière suivante :
« Nous verrons dans peu de temps disparaître de nos marchés le plomb qui réunitles qualités les plus convenables pour nos fabrications […] Nous habituerons lesAnglais et surtout les Américains à aller chercher le plomb d’Espagne, non plusdans nos entrepôts du Havre et de Marseille mais sur les marchés espagnols4. »
3 Il ne faut pas voir dans cette déclaration une crainte exprimée sur un futur incertain. Le
mouvement est déjà amorcé. Les fondeurs de plombs marseillais sont lucides, pleinement
conscients que le contrôle du commerce des plombs commence à leur échapper et que le
mouvement semble irréversible. En premier lieu, les industriels phocéens éprouvent des
difficultés à s’approvisionner en matières premières espagnoles. « Les matières premières
manquent. L’Espagne ne peut en fournir assez5. »
La difficulté d’importer des métaux bruts
4 La première grande difficulté rencontrée par les fondeurs marseillais concerne donc les
achats en plombs et en galènes argentifères, les deux matières premières qui avaient
précédemment assuré la grandeur de l’industrie marseillaise des non-ferreux. Avec
l’approvisionnement direct des entreprises britanniques en Espagne, le port de Marseille
cesse d’être le centre de contrôle international du marché des plombs qui délaisse la
Méditerranée pour se recentrer vers l’Atlantique. Le signe le plus évident de ce
retournement de conjoncture est le repli d’Ignacio Figueroa, fils de Luis Figueroa, sur sa
terre natale, en 1860. L’Espagnol, dont l’activité de ses usines reposait presque
exclusivement sur le travail des matières premières espagnoles, délaisse Marseille pour
concentrer ses activités dans le sud de la péninsule Ibérique. Avec ce choix, il se
positionne au centre des nouveaux courants commerciaux du plomb. Les usines du Rouet
et des Goudes sont toujours en sa possession mais sont louées à un industriel local,
Guilhem6. La désargentation des plombs ne se fait plus dans ses usines du sud-est de la
France. Elle s’effectue désormais en Espagne, à Carthagène, dans l’usine San Ignacio que
l’Espagnol possède depuis plusieurs années.
5 Ces difficultés, apparues au début des années 1860, s’aggravent au cours des deux
décennies suivantes. Entre 1866 et 1880, les importations de plombs argentifères vont
diminuer de moitié par rapport à celles des années 1857-1859, période d’activité
maximale de ce secteur7. Outre le court-circuitage de l’axe Espagne-port de Marseille
mené par les Anglais et les Américains, d’autres facteurs contribuent à entraîner le déclin
des achats marseillais en Espagne. Au début des années 1870, le gouvernement espagnol a
instauré un droit de sortie de dix francs par tonne de plombs argentifères quittant le
territoire ibérique pour se diriger vers la France8. Ce problème de taxation douanière
durera pendant toute la décennie. Au prix d’âpres discussions, le gouvernement français
parvient toutefois à le régler lors du traité de commerce franco-espagnol de 1881 :
226
« La commission douanière, convaincue de la nécessité de soutenir une industrie àlaquelle la défense nationale est intéressée, n’hésita même pas à accorder àl’Espagne une concession sur le droit d’entrée des vins, en échange de lasuppression du droit de sortie dont étaient frappés les plombs argentifères9. »
6 La question des tarifs douaniers réglée, les plombs espagnols peuvent revenir sur les
quais des ports de Marseille et constituent de nouveau la principale source
d’approvisionnement des industriels marseillais. Néanmoins, malgré cette reprise, la
courbe générale des importations ne remonte que faiblement. Les entreprises locales
doivent en effet affronter de nouvelles difficultés avec les autres zones d’achats en
matières premières. Dans les années 1880, elles se trouvent confrontées à la perte de
l’approvisionnement transalpin. Sur le modèle de la législation espagnole du début des
années 1870, le royaume d’Italie accorde une protection douanière afin de soutenir le
développement de sa propre industrie. Celle-ci s’avère efficace. Le rapport Fraissinet sur
la situation du commerce des plombs à Marseille, présenté à la chambre de commerce en
1890, souligne la disparition des importations de plombs italiens : « Les plombs qui nous
venaient de ce côté ont été complètement détournés de notre port10. » Après cinq années
particulièrement difficiles (1876-1880), une remontée s’opère au cours de la décennie
suivante, et plus particulièrement à la fin des années 1880, grâce à une bonne reprise des
importations espagnoles, à un approvisionnement d’appoint en Algérie et, dans une
moindre mesure, en Grèce. Cette remontée ne doit cependant pas faire illusion quant à
l’état de la métallurgie marseillaise du plomb à la fin des années 1880. Les industriels
phocéens ne retrouveront jamais le niveau des importations de la fin des années 1850 qui
leur avait permis de faire de Marseille un des principaux centres européens de traitement
du plomb. Pour l’ensemble de la période, la situation s’est donc aggravée pour les
importations de plombs argentifères. Elle est devenue catastrophique pour les
approvisionnements en minerais.
La disparition des approvisionnements en galènes argentifères
7 Sur l’ensemble de la période 1865-1890, ce sont en effet les approvisionnements en
galènes argentifères qui ont été les plus durement touchés. Principalement d’origine
espagnole, ils atteignaient 200 000 quintaux en 1860. Dix années plus tard, le chiffre est
tombé à un peu plus de 8 00011. Les difficultés de se fournir sur le sol ibérique ont
durement touché l’industrie marseillaise du plomb. Après une remontée dans les années
1875-1883, grâce à l’utilisation de minerais des Hautes-Alpes, de Sardaigne, de Grèce et
surtout de l’Argentière en Ardèche12, ils disparaissent totalement à partir de 1885. Les
gouvernements sud-européens ont mis en œuvre de redoutables politiques douanières
pour limiter les sorties de minerais de plombs de leurs territoires. Ils entendent ainsi
favoriser l’essor des entreprises nationales. Le cas de l’État grec avec les gisements du
Laurium est particulièrement significatif. Au début des années 1870, le gouvernement
hellénique décide d’offrir le traitement des minerais de plomb du gisement à une
entreprise formée avec des capitaux nationaux et refuse à la société française dirigée par
le Marseillais Hilarion Roux l’exploitation des evcolades (minerais) du Laurium alors que
cette dernière avait obtenu des facilités d’installation au milieu des années 1860 pour le
traitement des scories, déchets des exploitations antérieures du gisement13.
8 Malgré toutes ces difficultés, l’industrie marseillaise du plomb ne s’avoue pas vaincue. Le
secteur garde un certain dynamisme afin de trouver de nouvelles sources
d’approvisionnement et de mettre au point des processus de production pouvant amener
227
une baisse notable des coûts de revient du traitement des matières premières. Les
entrepreneurs essaient de pallier ce problème des achats en Espagne en se montrant plus
compétitifs au sein d’un marché qui tend à la saturation.
MOINS D’ENTREPRISES MAIS TOUJOURS DESINNOVATIONS
9 De 1860 à la fin des années 1890, quatre ou cinq entreprises vont, selon les périodes,
assurer le traitement des plombs et des galènes argentifères à Marseille. Certains
établissements créés dans la période faste des années 1850 n’ont pas survécu aux
premières années de la crise. Ils ont fermé leurs portes ou réorienté leurs activités dès le
milieu des années 1860. C’est le cas notamment des usines des Chartreux et d’Arenc.
L’usine des Goudes connaît un sort similaire une décennie plus tard. Elle est fermée par
Ignacio Figueroa en mai 187714. L’usine du Rouet, le grand établissement de la période
précédente, n’a plus, au milieu des années 1870, « qu’une importance très médiocre15 ».
Elle ne désargente alors que de faibles quantités de plomb d’œuvre espagnol. Dans cet
établissement, « un seul détail est original ; c’est l’emploi de creusets en plombagine mais
l’usine ne fait là que profiter de l’expérience acquise en Allemagne dans ces dernières
années16 ». Les deux usines à posséder une réelle importance sont celles de Saint-Louis et
de la Madrague de Montredon. En 1877, elles comptent respectivement 180 et 77 ouvriers17.
L’usine de Saint-Louis
10 L’usine de Saint-Louis a participé au grand essor de l’industrie marseillaise du plomb
depuis l’année 1850, date de sa création. Gustave Rozan, propriétaire de l’établissement
depuis ses origines, tente avec Luce fils, au début des années 1870, de moderniser l’usine
avec la collaboration technique de son fils Léonce, ancien élève de l’École des mines de
Paris. La société entend être la première à appliquer le nouveau grand procédé d’affinage
des plombs argentifères qui va remplacer rapidement les méthodes habituellement
utilisées : le pattinsonage, apparu à Marseille à la fin des années 1840, le système
Laveyssière, un dérivé du premier et le procédé Moysan, mis au point au cours de la
décennie suivante, qui désargente les plombs avec l’aide du zinc18. Le tout nouveau
procédé utilise l’action oxydante de la vapeur d’eau qui, en s’échappant : « […] produit
dans la masse un bouleversement semblable à celui d’un liquide très dense en ébullition.
Cette agitation violente et continue est très favorable […] à la séparation du plomb et de
l’argent sous forme de cristaux pauvres et de plomb liquide enrichi19 ». Les essais ont lieu
en 1871 avec un premier appareil. L’opération est réussie. Ce nouveau procédé apporte
des gains de productivité notables ainsi qu’une diminution des coûts des opérations de
traitement des minerais. En 1872, trois nouveaux appareils sont installés dans les ateliers
de Saint-Louis. L’utilisation de la vapeur d’eau pour l’affinage des plombs se propage en
Espagne et en France. En 1872-1873, deux appareils de désargentation par l’action de la
vapeur sont introduits dans l’usine d’Hilarion Roux à Carthagène, deux dans
l’établissement de Figueroa, toujours à Carthagène, et quatre autres en France dans des
entreprises du Puy-de-Dôme et du Gard20.
11 Durant ces années, l’ingénieur Ernest Thomas-Payen découvre un nouveau système de
production : la natro-métallurgie, un procédé qui permet d’affiner les plombs
228
argentifères au moyen de la soude. Il a trouvé les fonds nécessaires à la mise au point de
son invention auprès de Gustave Rozan et de Luce fils, toujours à la recherche de procédés
de production plus économiques21. Le gain financier est des plus remarquables. Le coût du
travail de désargentation est diminué de 30 % par rapport à la méthode de Pattinson22.
L’usine de la Madrague de Montredon
12 Contrairement à l’établissement de Saint-Louis, la deuxième usine importante est une
création récente. Au milieu des années 1870, Hilarion Roux a fondé à la Madrague de
Montredon, au sud de la ville, un grand établissement en vue de traiter les minerais
extraits des gisements du Laurium. Roux est alors l’entrepreneur marseillais le plus
intéressé par l’utilisation de nouveaux procédés pour l’affinage des plombs et des galènes
argentifères23. L’homme d’affaires marseillais cherche à résoudre un problème technique
majeur. Il bute alors sur le travail des plombs grecs du Laurium, des plombs « […] que les
usines de Marseille se reconnaissent très souvent incapables de traiter, vu leur dureté24 ».
L’enjeu « a une importance capitale vu la quantité de plomb de Grèce importée en France25 ». En 1873, Hilarion Roux parvient à s’associer avec Thomas-Payen, qui quitte Rozan &
Luce fils en apportant son procédé26. Les capitaux investis dans l’opération sont
importants. Une usine d’essai est montée au Prado et travaille pendant plusieurs mois à
l’affinage des plombs durs de Grèce27. L’opération est un succès total. La décision est prise
de créer une usine à Montredon pour traiter par la natro-métallurgie et à grande échelle
les plombs extraits du Laurium. Pour alléger les coûts de production, l’entreprise se dote
d’un atelier de production de produits chimiques afin de fabriquer elle-même la soude
dont elle a besoin. Malgré ses succès dans le domaine des techniques, cette entreprise n’a
qu’une assez courte durée de vie. Elle disparaît vraisemblablement en 1883, victime,
comme la plupart des entreprises qui composent le secteur, de son incapacité à
s’approvisionner en matières premières. Il était difficile de lutter contre la volonté des
gouvernements grecs qui essaient de favoriser les entreprises nationales.
DES DÉBOUCHÉS DE PLUS EN PLUS RESTREINTS
13 Tout au long de la période 1865-1890, l’industrie marseillaise du plomb a rencontré des
problèmes pour s’approvisionner en matières premières. Ce n’était pas la seule difficulté
qu’elle devait affronter. Très rapidement, la question des débouchés s’est également
posée avec acuité.
La chute des productions
14 Malgré les efforts de modernisation entrepris par les deux plus grandes entreprises, les
volumes de production de l’industrie marseillaise du plomb subissent une forte baisse sur
l’ensemble de la période 1860-1890. La part de l’industrie marseillaise dans la production
totale française des non-ferreux s’effondre. Elle dépassait généralement les 50 % au cours
des années 1857-1859. Le chiffre atteint au maximum 27 % pour les années 1870 avec
généralement des proportions inférieures à 20 %28. Entre 1860 et 1890, les productions de
plombs marchands ont diminué de plus du tiers et celles d’argent, issues des opérations
de coupellation, de moitié29. Dans cette grande phase de dépression, la courbe des effectifs
ouvriers a suivi une tendance similaire. Les cinq usines marseillaises encore en activité en
229
1876 employaient 330 ouvriers. En 1885-1890, l’effectif total des quatre établissements
(ceux de la Madrague de Montredon, du Rouet, de Saint-Louis et de l’Escalette) se situe
entre 100 et 140 salariés30.
15 L’industrie du plomb connaît un dernier sursaut au cours des années 1888-1895 grâce à
une augmentation ponctuelle des débouchés locaux et extérieurs. À la fin des années
1880, Marseille voit se créer deux établissements qui consomment des quantités
appréciables de plomb d’œuvre : une usine de capsules, qui produit 50 millions d’unités
par an avec de l’étain et du plomb, et une fabrique de céruse31. Ce mouvement de reprise
est de courte durée. L’effondrement qui suit cette petite période est définitif. A l’extrême
fin du XIXe, une seule entreprise marseillaise, celle de l’Escalette, traite encore des plombs
et des galènes argentifères. La baisse des productions est en partie provoquée par le
problème des approvisionnements en matières premières. Elle s’explique aussi et surtout
par les exportations qui deviennent presque inexistantes. Or ces exportations avaient été
un des éléments prépondérants de la remarquable croissance de la fin des années 1850.
Des marchés extérieurs limités
16 Au cours des années 1860, les entreprises nationales ou étrangères installées en Espagne
gagnent d’importantes parts de marchés face à leurs rivaux marseillais32. Malgré une
forte baisse de leurs prix de vente, les entreprises phocéennes voient leurs exportations
diminuer. Durant cette période, ces dernières perdent une grosse partie des débouchés
américains, un marché qui leur avait apporté d’importants bénéfices. Au cours de la
décennie suivante, l’usine de Saint-Louis reste la seule entreprise à exporter ses produits
dans des proportions non négligeables, principalement vers les États-Unis et les pays
méditerranéens : « Les plombs raffinés vont aux États-Unis pour la plus grande partie. Le
reste est absorbé en parties à peu près égales par le marché intérieur et les marchés
méditerranéens33. »
17 Au total, les exportations sont peu importantes pour l’ensemble du secteur. Dans la
seconde moitié des années 1880, elles gagnent de nouvelles destinations : pays
d’Amérique du Sud, la Chine, le Japon, les Indes et surtout la Russie34. La première
destination est l’Italie, avec une moyenne annuelle de 16 093 quintaux entre 1886 et 188835. La géographie des exportations a changé, mais les quantités de plombs quittant le port
de Marseille sont toujours aussi faibles. Les fonderies de la ville sont concurrencées par
leurs rivales britanniques et les marchés méditerranéens sont devenus peu accessibles à
cause des politiques de développement des industries nationales menées par les États du
sud de l’Europe. La reprise des exportations au cours des années 1887-1888 et au début
des années 1890, période durant laquelle les usines marseillaises exportent, par exemple,
24 150 quintaux en Russie et 22 660 en Angleterre, est purement conjoncturelle. Les
raisons de ce redémarrage des exportations restent assez obscures. Désormais, de
manière générale, les industriels marseillais vivent surtout du marché national, dans une
proportion des deux tiers en 1890 selon le rapport remis par Fraissinet à la chambre de
commerce de Marseille36. Sur ce marché même, la concurrence devient sévère. L’industrie
marseillaise voit ses débouchés dans le nord de la France diminuer à cause du dynamisme
d’entreprises du Havre, de celle de Pontgibaud (Puy-de-Dôme) ou de Couèron (Loire-
Atlantique), qui traite les plombs argentifères des mines de Pontpéan37. Les usines
phocéennes se replient petit à petit sur des productions traditionnelles telles que la
fabrication de grenailles, de produits laminés et de tuyaux.
230
***
18 Touchée par une crise violente et profonde à partir du milieu des années 1860, l’industrie
marseillaise du plomb n’est pas parvenue à vaincre les difficultés qui s’aggravent au cours
des décennies suivantes. Les entreprises de la ville, malgré un effort particulièrement
marqué de modernisation des structures et des techniques de production, ne peuvent
surmonter les problèmes d’approvisionnement en métaux et galènes argentifères ainsi
que la perte d’une grande partie de leurs débouchés extérieurs. Malgré de nombreuses
tentatives pour construire de nouveaux réseaux d’exportations, le secteur manque
d’ouvertures. Il doit désormais se replier sur le territoire national, où la sévère
concurrence entre les différents centres régionaux de production met fin à son
importance passée. Marseille a perdu un de ses fleurons métallurgiques du second
Empire.
NOTES
1. CHASTAGNARET G., « Conquista y dependencia… », art. cit., p. 184.
2. La production britannique de plomb était de 73 000 tonnes en 1854. En 1875, Elle atteint 98 600
tonnes (cf. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier… », op. cit., t. II, p. 563).
3. La production allemande de plombs passe de 59 000 à 96 950 tonnes entre 1872 et 1882. Celle
des États-Unis progresse à un taux annuel de 17,8 % au cours de la même période.
4. ACCM MP 3611.
5. ADBdR XIV M 10/11.
6. En mai 1877, Ignacio Figueroa reprendra possession de l’usine détenue par la société Guilhem,
Mariand & Cie (EMP M 1878-1879 (998), p. 27).
7. Cf. annexe 4.
8. CRTCCM, 1890, p. 247.
9. Ibid., p. 248.
10. Ibid., p. 250.
11. Cf. annexe 6.
12. En 1880, les minerais espagnols ne représentent plus que 12,75 % des 74 540 quintaux
travaillés par les usines marseillaises (SIM, 1880). En 1877, les minerais traités par les deux
principales usines viennent de l’Argentière (EMP M 1878-1879 (998).
13. Cf. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 332-334. Pour plus de détails sur cette affaire, cf. Exposé
au Conseil des ministres sur la question des evcolades, Athènes, 1872.
14. EMP M 1878-1879 (998), p. 27. L’usine n’employait plus que 25 ouvriers.
15. EMP J 18766 (570), p. 1.
16. Ibid., p. 9.
17. EMP M 1878-1879 (998).
18. EMP J 18766 (570), p. 27.
19. ROZAN L. FILS, « Désargentation et raffinage du plomb au moyen de la vapeur d’eau dans
l’usine de MM. Luce fils et Rozan, à Saint-Louis-les-Marseille », ADM, 1873, t. VII, p. 161.
231
20. Ibid., p. 160.
21. THOMAS-PAYEN E., « Natro-métallurgie… », art. cit., p. 167.
22. Cf. EMP M 1878-1879 (998).
23. Au milieu des années 1860, Hilarion Roux a obtenu du gouvernement grec une concession
pour traiter les scories du Laurium. Il forme une société à Marseille la même année pour les
traiter. Les travaux de la société ont commencé en 1865 et mobiliseront rapidement 1 200
ouvriers (cf. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 332). Le Marseillais a également des intérêts dans
les plombs espagnols puisqu’il possède une fonderie à Carthagène (la San Isidoro, fondée par la
société marseillaise Isidore Brun & Cie en 1843) (EMP M 1878-1879 (998), p. 3).
24. EMP J 1876, p. 9.
25. Ibid. Une seconde société française a été montée pour exploiter des gisements du Laurium en
1873 (cf. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 338).
26. THOMAS-PAYEN E., « Natro-métallurgie… », art. cit., p. 167.
27. Ibid., p. 169.
28. SIM, 1857-1890.
29. Cf. annexe 7.
30. AN F 12 4486.
31. CRSICM, 1889, p. 121-122.
32. Ibid., 1868, p. 110.
33. EMP J 18731 (599), p. 94.
34. CRSICM, 1888, p. 125 et CRTCCM, 1890, p. 249.
35. CRSICM, 1888, p. 125.
36. CRTCCM, 1890, p. 249.
37. LAUNAY L. (DE), Statistique générale de la production de gîtes métallifères, Paris, 1893, p. 131
232
Chapitre XIV. La crise de la métallurgiedes fers et des fontes
1 Le travail des fers et des fontes a connu un fort développement au cours des années
1850-1865. Les fonderies ont toutefois rencontré certaines difficultés. Les problèmes
restent bien présents et s’aggravent même à partir de la seconde moitié des années 1860.
L’industrie métallurgique marseillaise ne parvient toujours pas à résoudre ses problèmes
de coûts de production à cause d’un approvisionnement en matières premières trop
onéreux et doit faire face à une sévère concurrence aussi bien française qu’étrangère. De
plus, la conjoncture est devenue défavorable. Une phase de renouvellement des produits
métallurgiques commence au milieu des années 1860. L’utilisation de l’acier, métal
offrant une meilleure résistance et une plus grande légèreté, s’impose dans le secteur de
production des tôles et dans celui de la fabrication de diverses pièces de machines. L’acier
doux tend à remplacer le fer. Coulé, il se substitue aux grosses pièces de forge. C’est dans
ce contexte difficile que les entreprises phocéennes luttent pour conserver leurs marchés
locaux et leurs débouchés extérieurs. Avec sa spécialisation du début des années 1860
dans un créneau de production relativement étroit, la sidérurgie marseillaise semble
s’être placée sur la bonne voie. Le secteur qui offrait à ses débuts le plus d’inquiétudes se
trouve paradoxalement le mieux placé pour se développer. Sa prospérité est toutefois
étroitement liée à l’absence d’une concurrence sérieuse et l’étroitesse de sa spécialisation
est un avantage qui peut rapidement devenir un inconvénient.
L’EFFONDREMENT DE LA MÉTALLURGIE DES FERS ETFONTES
2 Le nombre des fonderies marseillaises de deuxième fusion diminue de manière constante
entre 1865 et 1890. Deux entreprises dominent ce secteur durant l’ensemble de la
période : la fonderie Benet et la forge des frères Marrel.
233
Le faible dynamisme dans les créations d’entreprises
3 L’établissement le plus important de la période est la fonderie de la famille Benet, dirigée
par Louis Benet, le petit-fils du fondateur de l’usine. Cette société garde longtemps ses
caractéristiques des débuts du second Empire. Elle prend une véritable ampleur en 1881,
lorsque s’opèrent un changement de dénomination et une augmentation notable du
capital. Cette année-là sont créées les Fonderies de la Méditerranée, société anonyme au
capital de 2 200 000 francs avec pour objet la « fabrication de toutes pièces, ouvrées ou
non, en fonte de fer, cuivre et autres métaux… »1. Au sein de cette nouvelle société se
trouvent plusieurs personnages de grande envergure. Le président du conseil
d’administration, Ernest Biver, est un ingénieur civil belge qui a commencé sa carrière
provençale dans les mines de lignite. Il est accompagné de puissants banquiers, dont le
plus éminent est Victor Vaïsse, financier local qui siège également dans les conseils
d’administration des plus grandes sociétés de la ville comme la Compagnie des docks et
entrepôts et la société marseillaise de crédit2. L’entreprise de Benet emploie 400 ouvriers
dans la première moitié des années 1880 et travaille essentiellement pour la marine
marchande3.
4 La seconde grande entreprise appartient aux frères Marrel. Elle est établie dans le
quartier de la Capelette depuis le début des années 1850. Cet établissement fabrique des
pièces de forge et surtout des ancres et des chaînes pour les navires du port de Marseille.
Les frères Marrel ont modernisé les ateliers au début des années 1870. L’entreprise
possède alors six marteaux-pilons ainsi qu’une grande cisaille actionnée par une machine
à vapeur4. En 1866, les deux hommes ont fait l’acquisition d’un second établissement situé
à proximité, les forges de la Capelette. Le niveau d’activité de la forge est alors au plus
bas. Elle n’emploie plus que 220 ouvriers et l’entreprise qui la possède, la Société des
forges et chantiers de la Méditerranée, envisage de mettre fin à ses activités. Les frères
Marrel « se proposent d’aller s’établir dans l’usine5 ». Le conseil d’administration de la
Société des forges accepte la proposition et loue les locaux aux entrepreneurs de la Loire.
Le type d’activité de l’usine est changé. Les frères Marrel transforment l’atelier autrefois
spécialisé dans la fabrication de tubes et de tôles en fer en une forge de petites et
moyennes pièces de métaux.
5 Plusieurs petites entreprises, dont certaines trouvent leurs origines dans les années 1840,
complètent le tableau. Ce sont celles de Maurel, Thiebault, Puy, Montagne, Riddings et
Jeffery…6. La seule véritable création de la période est la fonderie Perrin, montée en 1880.
Les informations sur cette entreprise sont rares. Il semble qu’elle effectue divers travaux
de fonte et moulage, essentiellement pour les besoins de la navigation7. L’ensemble de ces
sociétés survit difficilement. Par rapport aux années 1847-1865, le secteur de la
métallurgie de deuxième fusion s’est considérablement appauvri.
L’agonie de la métallurgie des fers
6 Après la disparition, en 1862, de la production des tôles, la fabrication des tubes s’achève
également dans la région marseillaise avec la vente des forges de la Capelette aux frères
Marrel. La perte de ces deux importantes productions entraîne une baisse
particulièrement marquée des quantités de fers ouvrés produites par les établissements
du département8. Cet abandon de la production des fers par la Société des forges est
234
parfaitement révélateur de l’incapacité pour l’industrie marseillaise de transformation
des fers et des fontes de rivaliser avec les grandes entreprises françaises ou étrangères.
Pour une société spécialisée dans la construction navale, le maintien d’une forge
travaillant à des prix de revient prohibitifs est irréalisable. Les forges de la Capelette
étaient de toute manière condamnées à une fin certaine. L’apparition et le
développement des coques en acier qui se substituent aux coques en fer ne leur laissaient
que peu de chances de survie.
7 Les premières constructions de coques en acier par les chantiers de La Seyne ont lieu au
début des années 1860, certainement avec le Ramanieh9. Les tôles de fer ou d’acier pour les
navires sont achetées à de grandes entreprises du centre de la France (Rive-de-Gier,
Saint-Chamond et surtout Le Creusot), établissements capables de travailler avec des
coûts de production bien moindres et qui ont démontré leurs fortes capacités
technologiques10. Ils sont capables de fabriquer des tôles particulièrement résistantes.
Leurs plaques de blindage, posées sur des navires de guerre italiens et espagnols
construits par la Société des forges durant la première moitié des années 1860, ont assis
leur réputation. La frégate cuirassée espagnole Numancia, au blindage de 13 centimètres
d’épaisseur, « supporta une grêle de boulets de 150 kilos11 ». Le Regina Maria-Pia de la
marine italienne, au blindage creusotin de 12 centimètres d’épaisseur, est sorti de la
bataille navale de Lissa, remportée par la marine autrichienne, « sans autre avarie que des
marques de cinq centimètres de profondeur, empreintes des boulets ennemis12 ». Dans le
domaine de la marine de guerre, il est devenu impossible de fabriquer les tôles en
Provence. Aucune entreprise de la région ne peut penser rivaliser avec l’entreprise des
Schneider, aussi bien pour les coûts de fabrication que pour la qualité des produits
obtenus.
8 Pour survivre dans les secteurs d’activité qui leur restent, les sociétés marseillaises
doivent travailler le fer avec des matières premières moins coûteuses. Elles parviennent
progressivement à trouver un approvisionnement à prix raisonnable en utilisant les vieux
fers de la région, qui remplacent les massiaux puddlés des départements de la Loire et du
Gard. Cette solution permet de préserver les derniers lambeaux du secteur, mais la
médiocre qualité de ces métaux interdit la fabrication de tôles à des coûts compétitifs. En
1890, les ingénieurs des Mines ne recensent plus que 93 ouvriers affectés à la production
de fer ouvré dans les Bouches-du-Rhône13. Les forges de la Capelette en employaient 400 à
elles seules en 1856-1857.
Les difficultés du secteur des fontes moulées
9 Le secteur de fabrication des pièces de fontes moulées connaît également d’énormes
difficultés. À partir de 1869, la production marseillaise des fonderies de deuxième fusion
s’effondre14 et se limite essentiellement à la fabrication de chaînes, rivets et de quelques
pièces de machines. Là encore, ce n’est pas le niveau de la demande locale qui est en cause
mais l’impossibilité pour les entreprises marseillaises de travailler à des coûts
compétitifs. En 1873, les Bouches-du-Rhône sont classées au treizième rang des
producteurs de fontes moulées en deuxième et troisième fusions. La place du
département est stable depuis le début des années 1860, mais cette stabilité n’est
qu’apparente. Elle cache une baisse de production assez marquée. La valeur des
fabrications est alors de 2 000 000 de francs, soit une diminution de plus de 30 % par
rapport au milieu des années 186015. Bien que les données manquent, il semble que les
235
productions s’effondrent une nouvelle fois durant la seconde moitié des années 1880. Les
Fonderies de la Méditerranée doivent fermer leurs portes momentanément à partir de
décembre 1885. En 1888, les usines marseillaises produisent 3 060 quintaux de pièces de
forge et 2 500 de chaînes pour la navigation. Deux années plus tard, les chiffres tombent
respectivement à 970 et 1 440 quintaux16. En 1893, les sept fonderies marseillaises
n’emploient plus que 250 ouvriers17. Les 40 cubilots en fonctionnement livrent seulement
40 000 quintaux de pièces de fontes et de fers moulés18.
10 Une des principales causes évoquées par les fondeurs marseillais pour expliquer leurs
difficultés est la perte des marchés méditerranéens, et plus généralement italiens et
espagnols, à cause de la généralisation du trafic des pouvoirs d’introduction engendré par
le système des acquits-à-caution19 :
« Les fonderies de notre port, qui placées sur les bords de mer dans les meilleuresconditions pour importer des fontes étrangères et réexporter ensuite en franchisede droits des produits finis, ont vu depuis plusieurs années les travauxd’exportation auxquels elles se livraient complètement supprimés au profit desfondeurs du nord et des Ardennes, et cela par suite du trafic des acquits-à-caution20
. »
11 D’après les données présentées par les fondeurs marseillais, les entreprises des
départements du nord de la France ne peuvent rivaliser avec les établissements
marseillais pour les exportations en Méditerranée si le cadre de la législation douanière
est scrupuleusement respecté. Les fondeurs des départements du nord et des Ardennes
sont parvenus à retourner la situation à leur profit en trafiquant sur le système des
acquits-à-caution. Ils se munissent auprès du ministère du Commerce d’une autorisation
temporaire pour l’importation de métaux étrangers. Ils laissent ensuite leur pouvoir
d’introduction à des marchands ou à d’autres fondeurs de métaux de la région21. Ces
derniers importent et vendent sur le sol français des métaux qu’ils ont importés en
franchise de droits et adressent une partie du bénéfice aux fonderies titulaires des
pouvoirs d’introduction, lesquelles exportent dans le bassin méditerranéen par le port
d’Anvers des pièces ouvrées, fabriquées à partir de matières premières achetées en
Meurthe-et-Moselle, aux usines du groupe de Longwy22. Ces métaux ouvrés sont déclarés
aux douanes comme fabriqués à partir de fontes étrangères importées. Ce trafic permet
aux fondeurs des départements du nord et des Ardennes de récupérer 14,50 francs23. Le
prix de vente des fontes ouvrées des usines du nord à Gênes tombe à 80,90 francs, soit
14,10 francs de moins que leurs concurrents marseillais. Les fondeurs phocéens
n’obtiendront pas du ministère du Commerce l’obligation du convoyage jusqu’à l’usine
détentrice des pouvoirs d’introduction et la vérification, par les douanes, de la légalité
des opérations. L’État ferme les yeux sur le trafic des acquits-à-caution. Si les
entrepreneurs phocéens se plaignent de l’agissement des usines de ces départements du
nord, c’est avant tout parce qu’ils ne peuvent procéder de la même manière. L’utilisation
des fontes de Meurthe-et-Moselle n’est pas envisageable. Le prix du transport entre
Longwy et Marseille porterait sur des fontes non travaillées alors que les usines du nord
font voyager le métal ouvré, d’un poids inférieur à 10 à 15 %. La métallurgie marseillaise,
éloignée de centres sidérurgiques français pouvant lui vendre des fontes à bas prix, est
forcée d’utiliser, pour les travaux d’exportation, les fontes écossaises, moins chères que
celles produites par les hauts fourneaux du bassin de Longwy mais dont le prix subit le
coût du transport entre la Grande-Bretagne et Marseille.
12 Privée de marchés extérieurs, la métallurgie marseillaise essaie de survivre avec le
marché local mais, là encore, elle doit affronter la concurrence des usines du nord comme
236
le signale, de manière alarmante, l’administration locale en 188624. La chute des
productions empêche les économies d’échelle et augmente les frais généraux. L’industrie
marseillaise ne parvient pas à s’inscrire dans la tendance générale de baisse des prix de
vente des produits en fontes moulées. Il est certain que l’absence d’une sidérurgie
compétitive a durement pénalisé les entreprises marseillaises de seconde et troisième
fusion. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis n’ont jamais pu jouer le rôle souhaité par Jules
Mirès de leur création.
LA RÉSISTANCE DES HAUTS FOURNEAUX DE SAINT-LOUIS
13 Vouée à une mort certaine dès sa création, la société des Hauts Fourneaux de Saint-Louis
a su réagir durant la première moitié des années 1860 et trouver un secteur de production
porteur lui permettant d’assurer sa survie. Ce créneau est durant plusieurs années
synonyme de prospérité pour l’entreprise. Cette dernière a bénéficié de conditions
particulièrement favorables. La spécialisation dans la fabrication des alliages est
l’apanage d’un nombre très restreint d’entreprises en Europe. À partir des années 1870, ce
n’est plus le cas. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis se trouvent désormais confrontés à
la concurrence étrangère. Cette nouvelle difficulté est d’autant plus mal venue que la
sidérurgie française entre en crise au début des années 1880.
La poursuite d’une spécialisation
14 Tout au long de la période 1865-1890, l’entreprise sidérurgique marseillaise s’entoure de
techniciens compétents, continue son étroite spécialisation dans la fabrication d’alliages.
Le premier type de production en valeur comme en quantité est la fonte manganésée.
Sous la direction de Jordan, ancien élève puis professeur de métallurgie à l’École centrale
des arts et manufactures25, et d’Henri Marquisan, ingénieur formé dans le même
établissement et qui remplace Briqueler décédé en 187326, de nouveaux types de produits
sont expérimentés puis lancés dans des fabrications à grande échelle. En 1875, les Hauts
Fourneaux de Saint-Louis livrent des fontes manganésées à 75 %27. Cette prouesse
technique réalisée par l’entreprise provençale est récompensée l’année suivante par une
médaille d’or délivrée lors de l’Exposition universelle de Philadelphie28. Trois années plus
tard, la teneur passe à 87 %. L’usine produit alors des véritables fontes de manganèse29.
L’entreprise poursuit sa spécialisation dans la fabrication des alliages mais en s’orientant
vers de nouvelles directions. Au cours des années 1870, Jordan s’est livré à des recherches
sur les fontes riches en silicium30. Les résultats obtenus sont satisfaisants. Dès le milieu de
la décennie, l’entreprise diversifie son éventail de production de ferro-alliages en
proposant des ferro-siliciums. Le silicium est alors particulièrement recherché puisqu’il
permet de régénérer les fontes altérées ou brûlées. À la fin de la période, en 1886, se met
en place la fabrication des ferro-chromes, alliages essentiellement utilisés par la
sidérurgie moderne pour la fabrication de matériel de guerre (projectiles et blindages)31.
Sur cette base, la production connaît une phase globale de croissance jusqu’au milieu des
années 1870 avant de se stabiliser.
237
Le problème du coût des minerais
15 Au milieu des années 1870, la production diminue. Les usines françaises passent moins de
commandes. L’entreprise est touchée aussi dans ses approvisionnements car elle doit
faire face à une nette augmentation du prix des minerais en Méditerranée.
« Le marché des minerais méditerranéens s’est beaucoup élargi depuis une ou deuxannées, les maîtres de forges français, anglais, belges, allemands viennent s’yapprovisionner et des circonstances, qui ne pouvaient précédemment avoir d’effetsur le prix d’achat de nos matières premières, viennent maintenant exercer unegrande influence32 ».
16 Deux facteurs principaux en sont la cause. La première raison est l’arrivée des
sidérurgistes britanniques sur les marchés méditerranéens. La vague de grèves qui
touchent les mines du nord de l’Angleterre et le développement du procédé Bessemer en
Grande-Bretagne les poussent à s’approvisionner en minerais du sud de l’Espagne qui
présentent l’avantage de ne pas être phosphoreux. Les conséquences sont immédiates. La
demande devient de plus en plus importante et entraîne une augmentation du prix des
minerais. La fin des grèves ne change en rien la situation. Les sidérurgistes anglais se sont
solidement établis et continuent de livrer une concurrence à leurs homologues français
tout au long des années 187033. La seconde cause aggrave la situation. Les mines de Bilbao
ont dû cesser toute activité avec le développement de la guerre civile en Espagne. Privées
d’une importante zone d’approvisionnement en minerais les usines belges, anglaises et du
nord de la France se tournent vers la région de Carthagène qui, face à une telle demande,
augmente ces prix de manière notable. La hausse du prix des matières premières se
traduit par une sensible augmentation du prix de revient des fontes à la fabrication.
17 Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis parviennent à passer sans encombre les difficultés de
cette première moitié des années 1870. L’entreprise déclare qu’elle « a pu réaliser des
bénéfices satisfaisants grâce aux coûts élevés des produits métallurgiques34 ». La société
avait des marchés déjà anciens, une bonne réputation et avait surtout anticipé la hausse
du prix des minerais. Grâce à un fond de roulement suffisant, des approvisionnements
considérables en minerais avaient déjà été effectués. Cette ligne de conduite d’achats
anticycliques sera longtemps maintenue. La société doit posséder des fonds importants
pour stocker des minerais achetés lors de période de baisse des prix. Parallèlement à cette
politique, la société passe des conventions avec la Compagnie des minerais de fer
magnétique de Moka-El-Hadid pour s’assurer des approvisionnements à des prix réguliers35. L’usine voit toutefois sa production diminuer. Un premier haut fourneau est éteint en
1875. En 1877, la société est encore en bonne santé. Le chiffre d’affaires de l’année est de
24,5 millions de francs, le bénéfice net de 1,43 millions36.
La crise des années 1880
18 En 1882, les Hauts Fourneaux de Saint-Louis fabriquent les six dixièmes des ferro-
manganèses français37. C’est la dernière année de prospérité. Dès l’année suivante, les
productions chutent. Trois grandes difficultés touchent l’entreprise durant les années
1880. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis doivent d’abord faire face à une mauvaise
conjoncture. En 1882, la sidérurgie française entre dans une phase de crise assez longue38.
Dès l’année suivante, l’entreprise évoque le retournement d’une conjoncture globalement
238
favorable jusqu’alors : « Notre usine de Saint-Louis a donc, en 1883, supporté les effets de
la crise métallurgique qui, depuis, n’a fait que s’accentuer…39. »
19 Le deuxième problème est lié au système des acquits-à-caution. L’entreprise demande à la
chambre de commerce de Marseille une intervention en sa faveur auprès du ministère du
Commerce afin qu’elle puisse obtenir des pouvoirs publics « l’obligation du convoyage des
fontes étrangères entrées en admission temporaire jusqu’aux lieux de transformation et
l’obligation, pour ceux qui reçoivent ces fontes, de justifier de la corrélation des produits
importés et exportés ». Le but de cette demande est de lutter contre les importations de
fontes étrangères afin de permettre une plus importante utilisation des matières
premières françaises dans les fonderies de deuxième fusion.
20 Le troisième point est celui des transports. La chambre de commerce de Marseille
intervient à la fin des années 1880 auprès de la Compagnie du chemin de fer PLM pour
obtenir, en faveur des Hauts Fourneaux de Saint-Louis, une baisse du prix de transport
des fontes. La compagnie ferroviaire refuse, prétextant les réclamations des usines à
fonte de la Loire qui dénonçent les avantages indûment donnés aux usines sidérurgiques
du sud de la France40. La dernière difficulté concerne les débouchés nationaux. En 1887, le
ferro-silicium de fabrication étrangère est admis en franchise temporaire. Les entreprises
allemandes et américaines exportent désormais leurs alliages en France. Cette
concurrence étrangère prive la société marseillaise d’une bonne partie de ses débouchés
nationaux.
La chute des exportations
21 Les points qui viennent d’être évoqués concernent surtout le marché national ; or les
débouchés extérieurs ont une importance considérable pour l’entreprise marseillaise. Les
exportations de fontes manganésées ont permis à la société de maintenir son niveau
d’activité jusque dans les années 1880. De 1876 à 1885, les Hauts Fourneaux de Saint-Louis
exportent d’importantes quantités de fontes vers les États-Unis, en Russie, en Angleterre,
en Belgique et dans les pays germaniques41. La société observe en 1889 que « ce débouché
tend à se restreindre en raison de la création de fabrications indigènes42 ». Il ne s’agit pas
d’une simple tendance. Les marchés commencent à se restreindre. La production s’est
effondrée à partir de 1882, en grande partie par la perte des commandes étrangères. Les
États-Unis ont cessé d’être des clients importants pour devenir de redoutables
concurrents. L’Amérique « retourne aujourd’hui en Europe, à des prix réduits, les
produits pour lesquels elle était tributaire de Marseille il y a peu d’années43 ». Dès la fin
des années 1880, les marchés se limitent à l’espace national, les principaux clients de la
société sont localisés en France, dans le centre et dans l’Est44. L’usine fonctionne avec un
seul haut fourneau45. Les effectifs sont réduits de manière spectaculaire. En 1874, lors de
sa grande période de prospérité, l’entreprise employait 530 ouvriers46. On compte moins
d’une centaine de salariés en 188847. La remise en marche d’un second haut fourneau et le
volume de production de l’année 1890 ne constituent qu’une simple parenthèse.
L’entreprise se remet à produire des fontes moulées en première fusion pour le marché
local à des prix inférieurs à la moyenne nationale48. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis
travaillent alors vraisemblablement à perte. La fin est proche. Le prix élevé des matières
premières empêche de soutenir la concurrence avec les producteurs étrangers sur les
marchés français, d’autant que les droits sur les fontes importées de Belgique ont été
abaissés de 25 % au début des années 188049. Malgré l’existence d’un droit de douane de
239
3,50 francs par quintal, les sidérurgistes allemands obtiendront dans les années 1890 une
bonne part des marchés de l’est de la France50. L’entreprise de Saint-Louis fonctionne
encore durant une décennie avec des résultats de plus en plus médiocres. En 1903, un seul
haut fourneau est en activité. La société ne parvient plus à concurrencer le ferro-silicium
produit au four électrique en Grande-Bretagne et en Allemagne qui tend à remplacer celui
fabriqué au haut fourneau51. La dernière production a lieu en 1905. La sidérurgie disparaît
du département des Bouches-du-Rhône pour plusieurs décennies.
***
22 Éléments importants du dynamisme de la métallurgie marseillaise au cours de la période
précédente, les fonderies et hauts fourneaux connaissent une crise profonde, liée à leur
impossibilité de travailler à des coûts compétitifs. Le travail des fers et fontes en seconde
et troisième fusions ne bénéficie plus d’une conjoncture favorable et se trouve livré à une
concurrence qu’elle ne peut affronter. Le prix d’achat élevé des métaux bruts pénalise
trop les entreprises du secteur. La sidérurgie a mieux résisté par une spécialisation
élargie, une avance technologique notable et une large ouverture sur l’extérieur. Ces trois
facteurs l’ont rendue un moment moins vulnérable. L’apparition puis le développement
d’une concurrence fait ressortir sa faible compétitivité. Ce secteur ne parvient pas à
trouver une solution pour s’assurer des marchés suffisants et finit par succomber. La
métallurgie de base disparaît ainsi de l’avant-scène économique phocéenne ou se
cantonne désormais dans des activités marginales, le plus souvent en liaison avec la
construction navale.
NOTES
1. Cf. ADBdR 548 U 26.
2. Cf. « Victor Vaïsse » dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second Empire…, op. cit.
3. ADBdR XIV M 10/14.
4. ADBdR XIV M 14/2.
5. Ibid.
6. L’Indicateur marseillais, année 1880, p. 934
7. BOUIS A., Le Livre d’or de Marseille, de son commerce et de ses industries, 1906, Marseille, 1906, p.
258.
8. Cf. annexe 6.
9. Navire commandé par le vice-roi d’Egypte dont le tirant d’eau ne devait pas dépasser 65
centimètres (Société anonyme des forges…, 1913, op. cit., p. 5).
10. TURGAN J., « Les Forges et chantiers… », op. cit., p. 307-309.
11. Ibid., p. 309-310.
12. Ibid., p. 310.
13. SIM, 1890.
14. Cf. annexe 8.
15. 2 000 000 francs en 1873 contre 3 045 000 huit années auparavant (SIM, 1865 et 1873).
240
16. Ibid., 1888-1890.
17. JOANNE P., Dictionnaire géographique…, op. cit., p. 2510.
18. Ibid.
19. Le système des acquits-à-caution permet, depuis le décret de janvier 1870, aux entrepreneurs
d’entrer immédiatement en possession de marchandises importées sans avoir à donner la
destination et à avancer le montant des droits de douanes (pour cette question, SAY L. (dir.),
Dictionnaire des finances, Paris, 1894, t. I).
20. ACCM MP 3611, Pétition adressée à Monsieur Cyprien Fabre, Président de la CCM, février
1887. La lettre est signé par tous les fondeurs marseillais (Caillol, Marchai père & fils, Montagne,
Durbec, Barles & Ignac, Puy, Riddings, Perrin frères, Imasse et Jeffery).
21. Il est difficile de déterminer les avantages que ces derniers peuvent en retirer.
22. Ibid. En 1881, La Meurthe-et-Moselle est classée au premier rang de la sidérurgie française.
Elle produit 607 000 tonnes de fonte, soit 32 % de la production française (cf. LEVAINVILLE J.,
L’Industrie du fer en France, Paris, 1932, p. 96-109).
23. ACCM MP 3611.
24. ADBdR XIV M 10/14.
25. Notice sur les Hauts Fourneaux de Saint-Louis, Marseille, 1889, p. 4.
26. Ibid., p. 9 et Bouches-du-Rhône : dictionnaire, annuaire et album, Paris, 1901, p. 744.
27. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5.
28. Cf. VALTON F., Exposition universelle de 1876 à Philadelphie. Rapport sur le fer et l’acier, Paris, 1877.
29. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5.
30. Jordan a présenté le fruit de ses travaux à l’Académie des sciences de Paris en 1873
(renseignement aimablement fourni par Edmond Truffaut).
31. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5-6.
32. Société anonyme de l’éclairage au gaz et des hauts fourneaux et fonderies de Marseille et des mines de
Portes et Sénéchas. Assemblée générale annuelle du 20 juin 1874. Rapport du conseil d’administration et
extrait du procès verbal de séance, Paris, 1874, p. 7.
33. GILLE B., « Minerais algériens et sidérurgie métropolitaine. Espoirs et réalités (1845-1880) »,
Revue d’Histoire de la sidérurgie, t. I, 1960, p. 52.
34. Société anonyme de l’éclairage…, op. cit., p. 7.
35. Ibid., p. 15.
36. Société anonyme de l’éclairage…, Assemblée générale annuelle du 15 juin 1878, Paris, 1878.
37. SIM, 1881-1882.
38. Cf. MARKOVITCH T. J., « L’industrie française de 1789 à 1964 », Cahiers de l’ISE A, n° 173, 1966, p.
53.
39. ACCM MP 3611.
40. Ibid.
41. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 6.
42. Ibid.
43. CAMAU E., Marseille…, op. cit., p. 542.
44. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 6.
45. Après celui de 1875, un second haut fourneau a été éteint en 1883.
46. TEISSIER O., Histoire du commerce de Marseille (1855-1874), Paris, 1878, p. 147.
47. EDBdR, t. VIII, p. 181.
48. 8 390 quintaux à 20 francs en 1889 et surtout 36 460 quintaux en 1890 à 13,20 francs. La
moyenne nationale est de 14,25 francs pour la période 1881-1890 (SIM, 1889-1890).
49. ACCM MP 3611 et CRSICM, 1886 et 1883, p. 120.
50. CAMAU E., Marseille…, op. cit., p. 542.
51. CRSCCM, 1903, p. 282
241
Chapitre XV. Un secteur au doublevisage : la construction mécanique
1 Les années 1841-1857 ont constitué un tournant pour l’industrie mécanique marseillaise.
Les ateliers travaillant pour la navigation ont obtenu l’essentiel des marchés locaux et
sont parvenus à trouver des débouchés supplémentaires en exportant une partie de leur
production. La conquête de ces débouchés extérieurs a été grandement facilitée par une
législation douanière favorable. Les gouvernements de la monarchie de Juillet et du
second Empire ont établi un système de primes et d’admission de métaux en franchise de
droits dans le cadre de travaux destinés à l’exportation ou à la navigation internationale.
Ce secteur de la mécanique marine s’installe dans une phase de croissance, qui se
combine avec le dynamisme des armateurs locaux et le programme de modernisation de
la flotte de guerre française lancé en 1857. L’offre des entreprises marseillaises peut
accompagner les demandes locales, françaises et étrangères, qui connaissent une
augmentation forte et régulière. Le secteur de la mécanique industrielle est loin de
présenter la même situation. Il connaît un déclin marqué. Ne pouvant bénéficier
d’avantages douaniers, les ateliers travaillant pour les usines se voient privés
d’ouvertures vers l’extérieur. Seuls les marchés locaux leur sont encore accessibles. Mais
ces débouchés commencent à se restreindre. Le développement du réseau ferroviaire
français remet en cause leur prépondérance régionale. Les machines parisiennes ou
lyonnaises peuvent désormais voyager à moindres coûts et sont capables de concurrencer
celles sorties des ateliers marseillais, toujours pénalisés par le prix élevé des matières
premières.
2 En 1865, la dualité du secteur est bien ancrée mais elle ne paraît pas définitive. Avec les
nouvelles dispositions douanières décrétées par le gouvernement impérial dans le cadre
de la politique de libre-échange menée avec l’Angleterre, la situation se modifie
totalement. Les barrières douanières s’effacent et laissent l’industrie marseillaise de la
construction navale et de la mécanique marine sans protection face aux grandes
entreprises britanniques. L’avenir s’annonce périlleux. Jamais les entreprises phocéennes
ne s’étaient trouvées devant une situation aussi défavorable. En revanche, les entreprises
de mécanique industrielle reprennent espoir. Par la libéralisation du régime douanier,
elles pensent pouvoir régler leurs problèmes de coûts des matières premières en
important des fontes et fers britanniques faiblement taxés et, par là même, résister aux
242
concurrences française et étrangère sur les marchés locaux. La persistance de la dualité
du secteur et l’avenir des entreprises semblent donc dépendre en grande partie de la
législation douanière française.
LES DIFFICULTÉS DE LA MÉCANIQUE POURL’INDUSTRIE
Le problème de la demande locale
3 Les auteurs français des années 1860-1870 ont souvent présenté l’ensemble industriel
marseillais comme frileux face aux investissements et lui ont imputé l’entière
responsabilité du déclin des entreprises locales. Leur analyse s’appuyait sur un constat
d’ossification des systèmes techniques de production mis en place sous la monarchie de
Juillet. Louis Figuier dénonce notamment en 1873 « …l’entêtement des fabricants à ne pas
vouloir suivre le progrès de la science moderne1 ». L’auteur de cette analyse explique la
situation de la manière suivante : les processus de fabrication traditionnels et les
équipements, même s’ils étaient anciens, continuent de donner satisfaction et les
entrepreneurs ne voient pas la nécessité de les changer. Cette hypothèse est séduisante
par sa simplicité. Elle n’a toutefois jamais fait l’objet d’une quelconque étude pour
confirmation. Les ateliers de mécanique industrielle souffrent parfois du manque
d’entrain des entrepreneurs à moderniser leur matériel de production. La savonnerie
constitue un exemple significatif. Dès 1867, la visite de Julien Turgan dans l’usine
d’Honoré Arnavon témoigne de la réticence des entrepreneurs « à employer les moyens
que l’étude de la statique et de la mécanique a mis au secours de l’industrie2 ». Les
remarques sur l’archaïsme des biens de production sont valables dans ce secteur, mais
peut-on reproduire ce schéma pour l’ensemble industriel de la région ? La savonnerie
n’est plus depuis longtemps la principale branche industrielle marseillaise. Les
commandes des industries du raffinage du sucre, de l’huilerie, de la minoterie, des
produits chimiques et de la métallurgie forment depuis plusieurs décennies le principal
débouché des ateliers de mécanique industrielle. Par ailleurs, les séries statistiques des
ingénieurs des Mines sur les installations de machines et de chaudières dans les Bouches-
du-Rhône démontrent que la théorie de l’ossification des matériels de production est
fausse.
4 L’évolution générale du chiffre total des machines et générateurs à vapeur des usines du
département connaît une hausse nette et régulière. Entre 1865 et 1890, le nombre
d’appareils moteurs est multiplié par 2,9, celui des chaudières et récipients à vapeur par
2,73. Cette augmentation touche essentiellement la métallurgie, les usines de produits
chimiques, les briqueteries et tuileries ainsi que les industries alimentaires. Les secteurs
de la minoterie, de la semoulerie et des pâtes alimentaires connaissent même un grand
essor au cours du second Empire et durant les années 1870. Les créations d’entreprises
sont nombreuses et les ateliers nouvellement fondés doivent s’équiper4. La croissance des
biens de production installés dans ce type d’établissement continue même dans les
années 1880. Le nombre de machines utilisées par les industries alimentaires passent de
310 en 1879 à 365 en 1890, soit une augmentation de près de 20 % en dix ans. Le déclin de
la mécanique industrielle marseillaise s’explique donc autrement.
243
La concurrence des entreprises françaises et étrangères
5 Le problème des mécaniciens marseillais réside d’abord dans leur incapacité à s’assurer
une bonne part des marchés locaux. Amorcée sous le second Empire, la baisse du prix de
transport des marchandises par voie ferroviaire se poursuit5. Les entreprises marseillaises
se trouvent dans une position délicate face à la concurrence des sociétés françaises et
étrangères. Il est difficile d’observer la part des marchés détenue par les constructeurs
extérieurs à la région. À partir de 1865, la législation sur les autorisations d’installation
d’appareils à vapeur ne concerne plus que les chaudières et les récipients. Il est donc
impossible d’établir un panorama des provenances des machines installées dans les
usines des Bouches-du-Rhône. Quelques indices existent toutefois pour montrer l’âpreté
de la concurrence.
6 Le premier élément est la présence, à Marseille, de nombreux représentants de
constructeurs français et étrangers. Tout au long de la période 1865-1890, les installations
se multiplient6. Victor Coudert représente à Marseille la maison À. Poynot & cie, d’Anzin
et Montluçon, spécialisée dans la fabrication d’appareils pour distilleries, sucreries et
huileries. Un dépôt de W. Hawthorn & cie, établissement britannique constructeur de
machines, d’outils et de tubes en fer, s’installe rue Haxo dans les années 1860. Roussel, rue
Saint-Ferréol, est représentant d’Hermann La Chapelle et de Charles Glower, deux
constructeurs parisiens7. Pissarello et Musse, rue de la République, sont chargés des
ventes de matériel de Klein, Schanzin & Becker, de Frankenthal. D’autres maisons
d’importance comme celles de Brochier et Mannequin, représentent des firmes dont les
noms ne sont hélas pas connus8.
7 Le second indicateur est fourni par la provenance des générateurs à vapeur installés dans
les usines du département9. Un net constat se dégage : la prépondérance croissante des
constructeurs extérieurs à la région. Sous la monarchie de Juillet, le marché des
chaudières à vapeur était détenu en très grande partie par les mécaniciens locaux. La
situation a considérablement changé. Le marché des chaudières d’occasion s’est
développé et touche principalement le secteur des industries alimentaires. Une partie des
installations échappe donc totalement aux constructeurs marseillais. Le marché de
l’occasion n’est toutefois jamais majoritaire et se limite au quart de l’ensemble. Dans le
domaine des chaudières neuves, les constructeurs extérieurs à la région sont fortement
présents et pèsent presque autant que les locaux. Des ateliers de la Loire et de la région
parisienne (Imbert & cie de Saint-Chamond, Colombet & Merle de Rive-de-Gier, Hermann
La Chapelle et Belleville & cie de Paris) sont solidement représentés à Marseille et
détiennent une bonne part des marchés. Il faut enfin souligner la naissance d’une petite
industrie mécanique à Aix ou en Arles qui prive les mécaniciens marseillais d’une partie
de leurs débouchés traditionnels.
8 La situation est encore plus difficile dans le domaine des machines à vapeur et auxiliaires.
Là encore, les vingt-cinq années de la période sont marquées par un effondrement des
parts de marché détenues par les entreprises locales. En 1888, la chambre de commerce
de Marseille note la tendance marquée de l’industrie locale à faire venir de l’étranger ses
machines motrices et son outillage10. Le secteur de la minoterie en constitue un bon
exemple. Les industriels marseillais adoptent les moulins à cylindres à partir des années
188011. La transformation est tardive car le système a été mis au point en Hongrie depuis
plus de vingt ans12. Elle s’opère toutefois rapidement. D’après des renseignements fournis
244
par le syndicat des minotiers, les 114 minoteries du département utilisent, en 1890, 277
paires de meules pour 684 appareils à cylindres13. L’industrie locale ne peut lutter avec les
entreprises françaises ou étrangères engagées dans ce type de construction depuis près
de deux décennies. La mise en place du nouveau système technique de la minoterie
marseillaise est donc assurée par des constructeurs extérieurs à la région. Cette
prédominance s’exerce dans le domaine des machines auxiliaires, mais également pour
les machines motrices : « Plusieurs machines à vapeur sont venues d’Alsace et des
minoteries à cylindres sont venues d’Allemagne ou de Suisse, privant l’industrie locale
d’un gros chiffre de commande14. »
9 Privée de ses débouchés traditionnels, la construction mécanique ne parvient pas à
compenser ce manque par la conquête de marchés nouvellement créés ou ceux
habituellement détenus par des entreprises françaises ou étrangères. Dans l’industrie des
tuiles et des briques, les appareils moteurs ont également été réalisés hors de la région.
Les entreprises marseillaises se contentent de fournir des machines auxiliaires, comme
les cylindres pour le façonnage de l’argile15. Dans les mines, l’essentiel des appareils
provient d’Angleterre ou de Belgique, les deux grands spécialistes de ce type de matériel.
Ce mouvement d’achat à l’étranger est facilité par la nationalité des directeurs
d’établissements du secteur. Deux Belges sont à la tête des plus grandes sociétés de la
région. Ernest Biver gère les mines de Castellane depuis 1860 environ et Louis-Joseph
Gossiaux est chef d’exploitation des mines de Gardanne entre 1866 et le début du XXe
siècle16. Les entreprises spécialisées dans les biens d’équipements industriels doivent en
outre affronter la concurrence des grandes sociétés de mécanique marine, comme la
Société des forges ou Stapfer & Duclos, qui se rabattent sur le marché de l’industrie au
cours de périodes difficiles. Au total, en 1890, la construction mécanique pour l’industrie
est devenue un secteur très marginal de la métallurgie marseillaise.
Des entreprises de médiocre importance
10 La documentation sur les entreprises et leurs productions est rare. Il est à peine possible
de brosser un tableau général donnant les noms et les spécialités des établissements. La
période connaît un nombre élevé de faillites. Seize entreprises de mécanique industrielle
déposent leur bilan entre 1865 et 189017. Au milieu des années 1880, le secteur se compose
d’une douzaine d’entreprises. Elles emploient rarement plus d’une trentaine d’ouvriers.
Dans le domaine de la construction de chaudières, les autorisations d’installation pour la
période 1880-1883 montrent le rôle dominant de trois entreprises. Avec 18 réalisations, la
première en ce domaine est la société Lejeune & Menard frères. Les deux suivantes, Paget
& Lagier et Gourde & Bezer, ne totalisent chacune que cinq constructions. Une dizaine de
petits entrepreneurs complètent le tableau. Pour la fabrication des machines à vapeur, la
société Schumacher, Funel & cie semble être la plus importante. Cet atelier est spécialisé
dans les installations d’usines des grands secteurs industriels marseillais18. Il est difficile
de signaler d’autres entreprises d’importance. Le secteur se caractérise désormais par une
indigence qui contraste avec la vitalité des années 1830-1840. Les mécaniciens se sont
montrés impuissants à résoudre leurs problèmes de coûts de production. La mécanique
industrielle marseillaise s’engage dans la voie d’une double disparition, celle des
fabrications et celle des entreprises présentes dans cette seule filière.
245
UN MARCHÉ PORTEUR : LES COMMANDES MARINES
11 Le secteur de la construction mécanique pour la navigation s’inscrit dans un contexte
différent. Durant les années 1850, par d’incessants progrès technologiques, les entreprises
marseillaises sont parvenues à régler en grande partie le problème du coût des matières
premières. Leur réputation a grandi et les commandes se sont accumulées. D’importantes
productions en série ont pu être lancées entraînant ainsi une baisse des frais généraux de
fabrication par des économies d’échelle. La puissance de ce secteur est aussi favorisée par
un régime douanier favorable qui empêche toute concurrence étrangère sur le marché
français et permet même aux entreprises d’être compétitives sur les marchés extérieurs.
Contrairement aux établissements travaillant pour l’industrie, les ateliers de mécanique
marine peuvent importer en franchise de droits les fontes et fers étrangers. En 1866, un
changement brutal s’opère. Les grandes entreprises marseillaises doivent faire face à une
grande nouveauté : la concurrence dans le cadre du libre-échange. Le secteur est-il assez
performant pour se mesurer sans protection à son homologue britannique ?
Une période noire : 1866-1872
12 Poussé par les milieux du commerce et de l’armement, le gouvernement impérial permet
par la loi du 19 mai 1866 la libre admission en France des bâtiments à vapeur et de leurs
appareils construits à l’étranger19. Les conséquences de cette mesure, prise « sans autre
compensation que la faculté pour le constructeur français de recevoir de l’étranger, en
franchise de droits, les matières propres à ses travaux20 », ne se font guère attendre. Dès
la seconde moitié de l’année 1866, les armateurs marseillais passent majoritairement
leurs commandes en Grande-Bretagne, principalement auprès de chantiers écossais.
Favorisées par l’emploi de matières premières peu coûteuses et la production en plus
grandes séries, les entreprises d’outre-Manche sont désormais capables de proposer des
prix défiant toute concurrence. Plus de la moitié (56 %) des bâtiments neufs mis en
service entre 1867 et 1874 par les compagnies phocéennes de navigation de haute mer
sont construits dans des chantiers britanniques (Greenock, Glasgow, Aberdeen,
Sunderland, Dumbarton)21. Si l’on enlève les navires commandés par les Messageries
maritimes à leurs propres chantiers de La Ciotat, le chiffre atteint même 78,8 %22. Sur le
marché des vapeurs d’occasion, on peut observer la même domination. Toujours pour la
même période, 60 % des navires de seconde main ont été achetés à des sociétés de
navigation britanniques.
13 D’autres facteurs contribuent à aggraver la position précaire des entreprises
marseillaises. Les deux premiers concernent le volume global des commandes.
Parallèlement à la loi sur la libre admission des navires et appareils fabriqués à l’étranger,
l’État abolit la surtaxe des pavillons étrangers pour favoriser les échanges. Les armateurs
marseillais doivent supporter une concurrence accrue des marines étrangères. La
demande diminue. La flotte des navires de commerce continue d’augmenter mais son
rythme de croissance s’infléchit de manière notable. Entre 1860 et 1869, le nombre des
vapeurs des différentes compagnies avait presque doublé. Au cours des onze années
suivantes, la progression est d’environ 16 %23. Les commandes de l’État n’ont pas permis
de compenser les pertes subies dans le domaine de la marine marchande. Le grand
programme de modernisation de 1857 parvenu à son terme, le ministère de la Marine
246
restreint ses commandes24. Les conséquences de la guerre de 1870-1871 ont même
aggravé ce processus. L’État français doit réviser son budget et diminue une nouvelle fois
les crédits alloués à la construction de nouvelles unités25. La troisième difficulté est liée à
une augmentation des coûts de fabrication dans les travaux liés à l’exportation. Le décret
impérial de janvier 1870 applique aux entrées de fontes le régime de l’identique.
L’exemption des droits de douane ne porte plus sur l’intégralité du poids de métal
importé, mais seulement sur le poids final du produit destiné à l’exportation après
travaux26. Ce décret « …considère comme non exporté le déchet de fer, qui varie entre 10
et 12 % en moyenne ; et quand il s’agit de fer étranger, la douane fait payer les droits sur
ces déchets comme s’ils avaient été incorporés à des machines restées dans le pays27 ».
Dès 1872, la chambre de commerce de Marseille souligne que cette mesure « a éloigné les
commandes du marché étranger au profit de l’Angleterre28 ». Les répercussions négatives
du régime de l’identique sont évidentes mais elles sont certainement exagérées au regard
d’un passé récent douloureux. Le coût des coques et des machines marines s’était
« envolé » en 1871. Les prix des fers et du charbon avaient connu une forte augmentation
à cause d’une disette provoquée par la guerre. Les conséquences du conflit franco-
allemand éliminées, s’installe une lamentation calculée pour pousser le gouvernement à
agir en faveur de la construction navale française.
Le retour à une situation favorable : les lois de 1872 et de 1881
14 Le désastre provoqué par l’ensemble de ces lois sur l’industrie française inquiète le
gouvernement dès le début des années 1870. Ce dernier change complètement de
politique par rapport à l’Empire. La loi du 30 janvier 1872 rétablit une surtaxe
protectionniste de pavillon et, sauf quelques différences insignifiantes, reprend les tarifs
protecteurs inscrits dans les traités de 1860 pour l’admission des navires et des machines
de fabrication étrangère. L’aide du gouvernement n’est pas désintéressée. La décision
douanière de 1866, en sous-estimant la capacité de l’industrie nationale à résister à sa
rivale britannique, avait mis en péril les grandes entreprises du secteur de la construction
navale. L’État ne pouvait se permettre de nuire à une branche d’industrie qui intéressait
directement la puissance militaire de la France. La loi de 1872 est accueillie par les
constructeurs français « comme un acte de réparation et de salut29 ». Le rétablissement
des droits d’entrée permet de régler, au moins sur le marché national, le problème de
différence de prix entre les fers employés en France et ceux utilisés en Grande-Bretagne30.
Les affaires reprennent, mais d’une manière encore timide, comme le montre une note du
Préfet des Bouches-du-Rhône à la fin de l’année 1877 : « Les grands ateliers de
constructions mécaniques n’ont exécuté qu’un travail moyen31. » Si les entreprises
marseillaises se réapproprient progressivement les marchés locaux, le régime de
l’identique continue de poser des difficultés. Les marchés extérieurs, particulièrement
importants pour la Société des forges, restent encore peu accessibles. Il faut attendre
quelques années pour que le problème soit pris en compte par le gouvernement. En 1881,
l’État français adopte, notamment en matière de construction de coques de navires et de
machines marines, une législation résolument protectionniste. Pour la réalisation de
navires en fer ou en acier et de leurs machines, les constructeurs se voient attribuer une
prime de 60 francs par tonne de jauge brute et de 12 francs par quintal de métaux pour
les appareils moteurs32.
247
15 Les bénéfices de ces nouvelles dispositions sont immédiats, d’autant qu’elles coïncident
avec un cycle de redémarrage de la demande. Les armateurs marseillais se lancent, dès le
début des années 1880, dans le renouvellement et l’augmentation de leur flotte. La
croissance du nombre des vapeurs attachés au port de Marseille reprend. Entre 1880 et
1890, 55 nouvelles unités sont commandées, soit une augmentation d’au moins 25 %33.
Grâce au système de primes à la construction, les entreprises marseillaises sont de
nouveau compétitives et peuvent désormais défier la concurrence étrangère au niveau
local34. Les compagnies de navigation locales s’adressent de nouveau prioritairement aux
constructeurs de la région. À la fin des années 1880, la chambre peut observer le retour à
l’âge d’or de la première moitié des années 1860. Ce retour de la prospérité s’appuie sur
les marchés nationaux, mais aussi sur la bonne tenue de l’industrie marseillaise sur les
marchés étrangers :
« Nos grands ateliers ont exécuté un plein travail et nous constatons leur bonneattitude vis-à-vis de la concurrence internationale, puisque leurs travaux vont engrande partie à l’étranger… ». « Pendant 1888, l’activité a été très grande dans leschantiers de la région, alimentés soit par les commandes de l’État, soit par lesarmateurs particuliers qu’encourageait le relèvement notable du fret35. »
Un mouvement général dans le sud de l’Europe
16 À l’image de la France, l’Espagne et l’Italie s’engagent dans une politique protectionniste
destinée à favoriser l’essor des entreprises de construction mécanique et à moderniser
leurs marines de guerre. Le mouvement s’est amorcé dans la seconde moitié des années
1860, mais ne prend une grande vigueur que dans les années 1880, comme en France.
L’Italie s’engage la première dans cette voie. Une association des constructeurs de
machines, fondée à Rome en 1873, réclame une amélioration des conditions douanières,
notamment dans le domaine des importations de matières premières et de produits semi-
finis. Elle se heurte au groupe de pression des sidérurgistes, qui fait échouer les tentatives
de réformes demandées par les mécaniciens36. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le
gouvernement italien prend néanmoins conscience que la politique de soutien à
l’industrie sidérurgique nuit trop au développement du secteur de la mécanique37. Crispi
et le ministre de la Marine, Benedetto Brin, soulignent la nécessité d’avoir une marine
militaire forte, à la pointe de la technologie, dénoncent l’incapacité des arsenaux de l’État
à assumer la modernisation de la flotte de guerre et font l’apologie des entreprises
privées. Des commissions d’enquête parlementaires sur l’état de la marine marchande, la
situation des chantiers navals et des ateliers de mécanique sont constituées. À la lumière
des résultats de l’enquête sur la marine marchande de 1882-1883, l’État décide d’instituer,
comme en France, un système de primes à la construction, de confier la réalisation des
navires de guerre et de leurs machines à l’industrie privée nationale alors que ces
marchés étaient réservés jusque-là aux arsenaux militaires et aux entreprises étrangères38. Il s’agit alors du seul système susceptible d’obtenir l’accord des sidérurgistes, puisqu’il
ne touche pas aux taxes d’entrée pesant sur les métaux importés. Les commandes sont
importantes puisque l’État, par la loi de juillet 1877, a décidé parallèlement de moderniser
sa flotte de guerre39.
17 Sur les mêmes bases mais un peu plus tardivement, un mouvement analogue est lancé en
Espagne. En 1887, le gouvernement promulgue la Ley de Escuadra qui affecte 200 millions
de pesetas à la construction de navires de guerre40. Outre ses objectifs militaires, cette loi
vise un double but industriel : relancer l’activité des arsenaux et favoriser le
248
développement des ateliers privés de mécanique. Là encore, l’enjeu est du même ordre
puisqu’il s’agit de promouvoir la construction de machines sans enlever les avantages
douaniers consentis à de multiples secteurs industriels qui ont demandé une protection.
Comme à Marseille, les chantiers navals et les ateliers de mécanique de divers centres
industriels espagnols et italiens, notamment Barcelone et Gênes, vont bénéficier dans une
large mesure de cette politique volontariste de développement. Les entreprises
trouveront les appuis nécessaires à une croissance soutenue durant quelques années car
très rapidement se pose, pour les différents gouvernements, le problème de l’équilibre
budgétaire.
LE DYNAMISME DES ATELIERS DE MÉCANIQUEMARINE
18 Malgré les problèmes posés par une conjoncture qui manque de stabilité, l’industrie de la
construction mécanique pour la navigation est le principal secteur de la métallurgie
marseillaise au cours des années 1865-1890. Celle-ci se distingue encore par ses capacités
à engendrer ou suivre les grandes nouveautés techniques ainsi que par ses facultés à
obtenir d’importants marchés à l’étranger. Cette industrie a toutefois profondément
changé. Les entreprises spécialisées dans la construction d’appareils sont plus
nombreuses. Durant la période 1846-1865, deux grands établissements, les chantiers
navals de La Ciotat et la Société des forges, représentaient le secteur. Les autres sociétés
étaient de taille modeste et se limitaient aux divers travaux de réparation. Pour des
raisons d’économies d’échelle, elles ne pouvaient rivaliser avec les grands établissements
ni dans le domaine de la technologie ni dans celui des coûts de production. Le milieu des
années 1860 voit le développement de deux entreprises plus récentes, qui vont prendre
leur essor en se positionnant sur des marchés laissés libres par les ateliers de la Société
des forges.
Quatre entreprises dominantes
19 Les chantiers de La Ciotat et les ateliers de Menpenti restent les deux plus importantes
entreprises de la région dans le domaine de la mécanique marine. L’établissement
ciotadin continue de travailler de manière exclusive pour les Messageries maritimes.
Celui de la Société des forges effectue également des constructions pour cette compagnie,
mais ses travaux sont loin de former l’essentiel de ses activités. Un même noyau de
personnalités continue de composer les conseils d’administration des sociétés dont
dépendent les deux ateliers. Les liens demeurent donc importants. Il existe cependant
une grande différence entre les deux établissements. Si les chantiers de La Ciotat n’ont
pas à rechercher des débouchés, la Société des forges doit rester attentive aux conditions
du marché pour obtenir des gains de productivité et conserver ses positions sur les
marchés locaux et étrangers. Au cours de la période 1865-1890, ces deux entreprises
continuent leur croissance. L’emploi est un bon indicateur du mouvement. En presque
quatre décennies, les effectifs ouvriers ont plus que doublé41. En 1889-1890, les ateliers de
La Ciotat emploient 3 000 salariés42. Au milieu des années 1880, la Société des forges
donne du travail à 6 000 ouvriers dont plus de 1 200 dans l’établissement de Menpenti43.
L’atelier marseillais est doté d’un outillage complet et performant44. C’est en ce lieu que la
Société des forges construit « …tous les appareils pour les marines militaire et marchande
249
et les engins les plus divers : dragues, docks flottants, phares métalliques, pontons,
machines d’épuisement, appareils hydrauliques, machines-outils, moteurs à vapeur fixes
et locomobiles…45 ».
20 Deux autres sociétés, toutes deux créées à la fin de la période précédente, connaissent la
réussite. Habilement dirigé par l’ingénieur Lagrafel depuis 1863, l’atelier Fraissinet a
gagné en importance46. Dès le milieu des années 1860, 300 ouvriers travaillent à la
réparation des navires de la compagnie. En un peu plus d’une vingtaine d’années,
l’entreprise connaît une croissance soutenue. Créée dans les années 1850, elle s’était
d’abord bornée aux travaux de réparation de coques, principalement sur les navires de la
compagnie. Ses activités s’élargissent au milieu des années 1860. C’est alors
qu’apparaissent les premières mentions de constructions. L’apprentissage semble avoir
été particulièrement rapide puisque les ateliers Fraissinet reçoivent une médaille de
bronze à l’Exposition universelle de 1867 pour la présentation d’une machine à hélice47.
L’année suivante, plusieurs remorqueurs sont construits, coques et machines. En 1869, les
ateliers lancent leur premier paquebot, le Saint-Marc48, dont il réalisèrent les machines
d’une puissance de 300 chevaux. En 1871, une machine à hélice de 500 chevaux est
construite pour le Pei Ho49. L’entreprise commence à recevoir des commandes d’autres
compagnies et se lance avec succès dans une spécialisation susceptible de lui offrir des
marchés : la construction de chaudières aquatubulaires. En 1889 et 1890, 2 000 ouvriers
travaillent dans les ateliers Fraissinet de la Madrague50. Les effectifs talonnent alors ceux
des chantiers navals de La Ciotat.
21 Fondée en 1864, la société d’Émile Duclos connaît également un important
développement durant les années 1865-1890. Dans un premier temps, elle prend de
l’ampleur avec une spécialisation dans la fabrication de remorqueurs. L’arrivée de Daniel
Stapfer en 187551 donne une nouvelle orientation à l’établissement. Ingénieur sorti de
l’École centrale, Stapfer devient gérant de la société, réorganise les ateliers, modernise les
installations en introduisant l’emploi de riveteuses hydrauliques et surtout de marteaux-
pilons pour les opérations de forge52. L’entreprise s’oriente alors vers la fabrication de
machines auxiliaires. Là encore, la réussite est totale. Le modeste atelier du début des
années 1860 devient une entreprise moderne dont les produits sont réputés et même
exportés. En 1891, plus de 250 ouvriers sont employés. La valeur des productions atteint
725 000 francs53. D’autres ateliers ont également travaillé pour la navigation à vapeur. Ils
se bornent à quelques travaux de réparation et sont de moindre importance. Une seule
d’entre elles, la société Courtois & Denegon, se livre très ponctuellement à la construction
de machines motrices.
Le développement des machines à double puis triple expansion
22 Les ateliers marseillais continuent à assimiler et produire des innovations mais ils se
montrent moins brillants qu’au cours de la période précédente. Les entreprises ont su
toutefois trouver les ressources nécessaires pour rester à la pointe de la technologie, et
Marseille conserve sa position de pôle de référence en matière technique. Les ingénieurs
des ateliers marseillais des années 1865-1890 ne sont pas aussi remarquables que ne
l’étaient John Barnes ou François Bourdon. Ils possèdent néanmoins les compétences
nécessaires pour appliquer les progrès enregistrés dans les domaines de la mécanique
marine. Tous les ingénieurs chargés de la direction technique des ateliers ont suivi leur
formation au sein de grandes écoles (Polytechnique et École centrale)54. Le recrutement
250
des meilleurs éléments des arsenaux de l’État s’est poursuivi. Il touche même désormais
les postes de direction. À la fin des années 1880, E. Widmann, sous-directeur de la Société
des forges, est un ancien ingénieur de la Marine. Les nouveautés techniques sont toujours
rapidement adoptées par les ateliers provençaux. L’introduction de la machine compound,
qui ne prend son essor en Europe qu’au cours des années 1860, est ici révélatrice de la
volonté des entrepreneurs de proposer des réalisations à la pointe du progrès.
23 Une nouvelle fois, les ateliers marseillais de la Société des forges montrent la voie en ce
domaine. L’usine de Menpenti avait peut-être réalisé un premier appareil à double
expansion en 185655. Lecointre, successeur de François Bourdon, engage l’entreprise dans
la construction en série de machines compound en 1866. Dès l’année suivante, avec le Tage,
les chantiers de La Ciotat se lancent dans la fabrication des machines à double expansion
(type trois cylindres)56. Les liens entre les ateliers de Menpenti et ceux de La Ciotat ont
très certainement facilité l’opération. Outre les économies de combustibles qu’elle
procure, la machine compound offre un avantage prépondérant : le rapport poids/
puissance continue de diminuer. Les appareils antérieurs aux machines à double
expansion pesaient généralement plus de 250 kilos par cheval. Avec l’appareil compound,
le chiffre descend désormais en dessous des 200 kilos57. Ce gain est provoqué par la
suppression du système d’engrenage. Jusqu’alors, les machines ne dépassaient pas 35
tours par minute, vitesse de rotation nettement inférieure à celle que l’on voulait donner
à l’hélice. Les engrenages, multipliant la vitesse donnée par la machine, étaient donc
nécessaires. L’appareil compound produit un nombre de tours/minute suffisant pour
donner à l’hélice la vitesse de rotation voulue sans engrenages. Les ateliers de Fraissinet
semblent avoir emboîté le pas assez rapidement puisque Lagrafel est présenté comme un
des vulgarisateurs de la machine marine compound à Marseille dès la fin des années 186058.
La rapidité d’application des nouveautés technologiques s’observe également avec les
machines à triple expansion, mises au point par les Britanniques au cours des années
1880. En 1886, avec les machines du Portugal de 4 800 chevaux, Paul Risbec lance dans les
chantiers de La Ciotat la réalisation de ce type d’appareils59.
La mise au point de nouveaux types de chaudières et les progrès
dans le domaine des machines auxiliaires
24 Dans la technologie des générateurs de vapeur et des machines auxiliaires, les
établissements phocéens enregistrent de remarquables succès à partir d’inventions dont
ils sont les principaux initiateurs. Dans la seconde moitié des années 1860, les ateliers de
La Ciotat adoptent, parallèlement aux machines compound, les chaudières cylindriques,
tubulaires et à retour de flammes60. Les économies obtenues avec ce type de générateurs
sont importantes. Le poids de l’appareil est réduit de 17 % et la consommation de
charbon, de 20 %. Une des innovations majeures de la période est la mise au point des
chaudières aquatubulaires, dans les chantiers de Fraissinet, par les ingénieurs Lagrafel et
d’Allest en 1869, « qui ont servi de modèle aux innombrables systèmes analogues qui ont
surgi depuis cette époque61 ». Là encore, la consommation de charbon est sensiblement
réduite.
25 Les appareils servomoteurs sont également un secteur où les entreprises marseillaises
affichent un remarquable dynamisme. Le mécanisme servomoteur permet d’obtenir un
système de régulation automatique de la marche de la machine, dispensant ainsi
l’opérateur d’une intervention continue62. Mis au point par Jean-Jacques Farcot au cours
251
des années 1850, ce système est adapté en 1863 à la navigation pour faciliter la commande
des navires. Il sert également à conduire la rotation du treuil où s’enroulent les chaînes
conduisant le gouvernail. La société Stapfer & Duclos se spécialise dans la réalisation
d’appareils auxiliaires appliqués à la mise en train de gouvernails, de monte-escarbilles
pour les navires63. Ce système, breveté au nom de Stapfer64, va assurer la pérennité de
l’entreprise. Toujours dans le secteur des appareils servomoteurs, l’entreprise Stapfer &
Duclos se distingue également par la construction de pompes alimentaires à action
directe. Lors des Expositions universelles parisiennes de 1878 et 1889, la société
marseillaise est récompensée par trois médailles65. Le mécanisme d’un de ses appareils
attire les louanges des spécialistes de la technologie marine :
« Cette distribution de la vapeur est d’une telle régularité qu’elle permetd’imprimer à l’appareil les allures les plus lentes et de proportionner le débit à lavaporisation effectuée dans la chaudière. La consommation est très faible, parceque les espaces nuisibles sont très réduits et que le piston tiroir n’emploie que de lavapeur qui a déjà produit son effet sur le piston moteur66. »
26 Dans la production d’appareils servomoteurs, l’ingénieur Orsel, au sein des ateliers de la
Société des forges, gagnera également une grande réputation. La mise en train à vapeur
des machines marines qu’il met au point à la fin des années 1870 devient rapidement un
modèle de référence, présenté en exemple dans les grands manuels techniques de la
période.
LA CROISSANCE DES MARCHÉS
27 Il est difficile d’évaluer le montant des travaux de l’industrie marseillaise de mécanique
pour la navigation à vapeur ainsi que la liste des commandes obtenues par les différentes
entreprises. Les données permettant de saisir l’évolution de ce secteur sont rares et
présentent le défaut d’englober le plus souvent, sans faire de réelles distinctions de parts,
les constructions navales et les travaux de mécanique marine et industrielle. C’est le cas
des séries offertes par les travaux de la chambre de commerce67. Au cours des années
1865-1890, sont présentés dans une même enveloppe les résultats des chantiers navals de
La Ciotat, ceux de la Société des forges et de l’ensemble des ateliers de mécanique de la
ville de Marseille.
28 Malgré leur caractère global, ces chiffres sont un bon indicateur de l’évolution de
l’industrie de la construction mécanique pour la navigation. Sauf pour la période
exceptionnelle des années 1876-1881, le rythme d’activité de la construction navale est
parallèle à celui de la mécanique marine. La part des réalisations pour l’industrie est peu
gênante car elle est minime. Elle n’affecte donc que faiblement l’ensemble des valeurs de
production des entreprises de mécanique marine. Les données sont à peu près conformes
à la conjoncture générale française de la période. Les lois de 1866, entraînant la perte
d’une bonne partie des commandes de la marine marchande locale, touchent durement
les ateliers marseillais, ciotadins et seynois qui n’ont pu se replier sur les commandes de
l’État, elles aussi en baisse. En trois années seulement, la valeur des productions diminue
de près de 60 % et semble atteindre son niveau le plus bas vers 1873, avec un total de 11
millions de francs. Dans la seconde moitié des années 1870, avec une conjoncture plus
favorable pour les entreprises phocéennes, les marchés redeviennent nombreux et dès
1877, l’industrie marseillaise de la construction mécanique et navale retrouve son niveau
252
de l’année 1865. Les valeurs des productions se stabilisent jusqu’en 1890 entre 32 et 36
millions de francs.
Les commandes civiles
29 Les marchés des chantiers de La Ciotat sont entièrement liés aux activités des Messageries
maritimes qui arment 60 paquebots entre 1865 et 1890. Le chiffre est imposant mais
l’établissement ciotadin travaille de manière très irrégulière et connaît certaines
difficultés. Les commandes sont peu importantes durant la période 1876-1880 et ne
retrouvent un bon niveau qu’au cours de la décennie suivante68. La convention passée
entre la compagnie et l’État sur le réseau des lignes postales subventionnées donne un
nouvel essor à la flotte dans les années 1880 et, par là même, aux chantiers ciotadins69.
L’établissement lance sept navires en 1889. La loi de 1866 sur la libre admission des
navires et machines marines construits à l’étranger a durement frappé les entreprises de
la région marseillaise. Les marchés se font rares. Grâce à son réseau d’influence, la Société
des forges obtient toutefois une bonne série de commandes adressées par la société
générale des transports maritimes. Amédée Armand, un des actionnaires de l’entreprise,
est alors vice-président de cette compagnie de navigation70. Neufs paquebots chargés
d’amener en France les minerais de fer algériens de Mokta-El-Hadid sont commandés aux
chantiers de La Seyne. A partir de 1872, avec les nouvelles lois, les affaires reprennent. La
Société des forges, qui peut de nouveau aligner ses prix sur ceux de ses concurrents de
Grande-Bretagne, livre à la marine marchande locale un nombre élevé de bâtiments avec
leurs machines (sept navires pour la Compagnie générale transatlantique entre 1872 et
1881, 13 pour la Compagnie des chargeurs réunis entre 1872 et 1881, cinq pour Paquet &
cie entre 1872 et 1883…). Les Messageries maritimes, qui réservent habituellement ses
commandes pour ses chantiers de La Ciotat, s’adressent aussi aux ateliers de la Société des
forges mais de manière épisodique. Le rythme en devient plus soutenu à la fin des années
1880, quand les Messageries retrouvent un second souffle. Entre 1886 et 1889, les ateliers
de Menpenti fabriquent une dizaine d’appareils pour des paquebots construits à La Ciotat71. À un degré bien moindre, les ateliers de Duclos et des Fraissinet travaillent pour la
marine marchande locale. Le manque de documentation empêche d’évaluer leurs
marchés. Dans le domaine des appareils moteurs, les deux sociétés ont surtout construit
des machines marines pour des remorqueurs ou des vapeurs affectés à la navigation
fluviale. Elles ne peuvent rivaliser avec la Société des forges ni en technologie ni en
économies d’échelle. Vers 1870, dans ce type de réalisations, l’entreprise d’Émile Duclos
réalise cinq petites machines de neuf chevaux de puissance chacune et les ateliers
Fraissinet, quatre navires coques et machines72. Au cours de la même période, ces
derniers se lancent dans la construction d’appareils de plus grande puissance pour un
navire à hélice de leur propre compagnie, le Pei Ho73. Les ateliers marseillais trouvent
quelques débouchés auprès de compagnies de navigation extérieures à la région. C’est le
cas de la Société des forges, qui vend des paquebots à La Rochelle, Bordeaux ou au Havre74
. Ces débouchés sont toutefois ponctuels.
30 En revanche, les marchés étrangers ont une importance accrue pour les entreprises
marseillaises durant la période 1865-1890. Les commandes sont principalement le fait des
marines de guerre étrangères. Les ventes aux compagnies étrangères de navigation
marchande ou des commandes de nature civile pour des gouvernements sont plus
limitées et sont présentes dans certains secteurs bien particuliers. Depuis 1846, la Société
253
des forges s’est spécialisée dans la construction de matériel de dragage et de curage. Dans
la seconde moitié des années 1860, la société profite de sa compétence en la matière en
obtenant de gros marchés en Égypte auprès de la Compagnie universelle du canal de Suez.
La société doit certes sa réussite à son prestige mais aussi, et surtout, grâce au rôle
d’Edouard Dervieu75, associé des banquiers parisiens André et Marcuard, deux des
principaux actionnaires de l’entreprise. Marié à la fille de Kœnig Bey, tuteur de Saïd
Pacha, Dervieu était parvenu à s’attacher les faveurs de la cour égyptienne et a participé,
au début des années 1860, à la création de la Nile Navigation Company, entreprise de
halage dont les actions sont majoritairement détenues par Ismaïl Pacha76. Pour le
gouvernement égyptien, la Société des forges lance également deux paquebots complets
en 186677. D’autres établissements exportent une partie de leur production. L’entreprise
Stapfer & Duclos, qui s’est spécialisée dans la fabrication de remorqueurs en acier, obtient
de remarquables résultats. Ces remorqueurs sont exportés en Égypte pour équiper le
canal de Suez, dans différents ports de Grèce mais aussi à Constantinople, Naples et
Barcelone78.
Les ventes pour la marine militaire française
31 Entre 1868 et 1876, la fin du grand programme de rénovation de la marine militaire
française engagé en 1857 et les difficultés budgétaires rencontrées par l’État suite à la
guerre de 1870-1871 ont amené une réduction brutale du volume des commandes
adressées à l’industrie française et aux chantiers navals provençaux79. La Société des
forges ne réalise pour l’État que de petits bâtiments (canots à vapeur et canonnières de
puissance moyenne). Si la construction de navires militaires s’amennuise dans les
chantiers de La Seyne-sur-Mer, l’atelier mécanique de Menpenti parvient toutefois à
maintenir son niveau d’activité grâce à la construction de machines compound de grande
puissance pour les bâtiments de combat construits par l’arsenal de Toulon. En 1876, la
période difficile est passée. La marine modernise de nouveau sa flotte et la Société des
forges bénéficie de nombreux contrats (74 navires et 88 appareils moteurs entre 1876 et
189080).
32 À ces commandes il faut ajouter les appareils auxiliaires (chaudières, pompes centrifuges,
appareils distillatoires, compresseurs et détendeurs d’air…) dont il a été impossible
d’estimer la quantité comme la valeur. Mis à part les ateliers de La Ciotat, tous les grands
ateliers marseillais de mécanique marine travaillent pour l’État. La Société des forges
n’est en effet pas la seule à pouvoir bénéficier du renouveau des commandes de la marine
nationale. Le secteur dans son entier est désormais lié aux travaux qu’offre l’État. Dans les
années 1880, les ateliers Fraissinet travaillent à la remise à neuf de grands transporteurs
et de torpilleurs et livrent à la marine de guerre des chaudières qui sont placées « sur les
plus puissantes unités de combat de la marine française81 ». En 1890, pour ce type
d’appareil, l’établissement de la Madrague décroche un marché de 48 corps de chaudières
dont ils détiennent le brevet82. La société de Stapfer & Duclos n’est pas en reste. Elle reçoit
de la marine militaire de nombreuses commandes touchant essentiellement aux
gouvernails servomoteurs, treuils, cabestans et pompes d’alimentation en vapeur83. À la
fin des années 1880, ces deux entreprises vivent en grande partie au rythme des
commandes de l’État.
254
Les marchés des marines militaires étrangères
33 Dès le début des années 1860, la Société des forges s’était placée comme une des grandes
sociétés européennes dans la construction de bâtiments de guerre. Ce créneau continue
d’être exploité mais les ventes méditerranéennes de l’entreprise connaissent des
modifications. Contrairement à la période précédente, la marine militaire italienne ne
constitue plus un débouché important pour la Société des forges. La grande phase de
marchés de la période 1861-1864 est restée sans suite. Seules deux canonnières cuirassées
sont commandées en 1866. Cela s’explique d’abord par la fin de la grande phase
d’équipement des années 1850-1860. L’État transalpin marque une pause dans l’effort de
modernisation. D’importants problèmes budgétaires nécessitent une diminution des
dépenses publiques. La seconde raison est que le contexte a changé quand les commandes
reprennent à partir des années 1870. Les mesures prises par les différents gouvernements
en faveur de leurs industries nationales se sont avérées efficaces et s’exercent au
détriment des entreprises françaises et britanniques. À Gênes, les ateliers de l’Ansaldo se
développent grâce aux commandes de la marine royale. Les chantiers Orlando de
Livourne, qui n’avaient réalisé que dix-neuf navires entre 1866 et 1882, voient leurs
commandes augmenter. Entre 1882 et 1890, douze navires sont lancés84. Entre 1875 et
1881, l’entreprise ligure lance sept navires coques et machines85. Ces commandes
permettent à l’entreprise de se lancer dans des types de constructions nécessitant de
lourds investissements. En 1876, l’Ansaldo réalise sa première machine d’une puissance
supérieure à 500 chevaux pour la Staffetta, un aviso à hélice86.
34 En revanche, la marine militaire espagnole reste longtemps un client de premier ordre
pour la Société des forges. Entre 1874 et 1878, dix petites canonnières avec leurs machines
de 75 chevaux chacune et surtout six grosses unités de combat sont réalisées à Marseille
et à La Seyne. En Espagne, les effets de la politique menée en faveur du développement
des ateliers nationaux sont plus tardifs qu’en Italie. Entre 1859 et 1900, la Maquinista
Terrestre y Marítima a réalisé cinquante-neuf machines marines. La majorité d’entre elles,
surtout celles de grande puissance, répondent à des commandes militaires passées dans le
cadre de la Ley de Escuadra de 1887. Entre 1887 et 1892, l’entreprise barcelonaise construit
notamment dix croiseurs avec leurs machines d’une puissance totale de plus de 50 000
chevaux87. Ce n’est qu’à partir de cette fin des années 1880 que la Société des forges perd
définitivement ses positions sur le marché militaire espagnol. L’Égypte a constitué au
cours de l’extrême fin des années 1860 un marché aux effets anticycliques pour la société.
Ce pays a passé d’importants contrats au moment où l’entreprise doit faire face à la crise
liée à la loi de 1866. En 1868, la Société des forges commence ses livraisons par une
machine de 800 chevaux pour une corvette. L’année suivante, huit navires complets sont
lancés : une canonnière, deux corvettes cuirassées, cinq canots à vapeur et la grande
frégate Ibrahimiah, dont les machines atteignent la puissance record de 3 000 chevaux. Les
marines militaires ottomane et grecque s’adressent également à la grande entreprise
provençale afin de moderniser leur flotte. Pour la première, la Société des forges réalise
cinq canonnières et trois torpilleurs entre 1867 et 1884. Pour la Grèce, les commandes
sont encore plus considérables : dix-neuf navires dont trois cuirassés en dix ans
(1878-1888). Quelques commandes sont également adressées par la Bulgarie et la
Roumanie, mais restent limitées à quelques réalisations ponctuelles. La Société des forges
a su conquérir des contrats dans de nouvelles zones composées de pays cherchant à se
constituer une flotte de guerre moderne ex nihilo. Les commandes des marines militaires
255
chilienne, brésilienne, haïtienne, mexicaine et dominicaine apparaissent et se
développent essentiellement dans les années 1880. De nouvelles grandes puissances
militaires cherchent à moderniser leurs flottes dans les années 1880 avec l’acquisition de
croiseurs et de torpilleurs : la Russie et le Japon. Pour ces deux pays, la Société des forges
construit sept navires complets et cinq appareils moteurs entre 1879 et 1888. L’entreprise
vit désormais à l’échelle du monde.
***
35 L’industrie mécanique marseillaise était à ses débuts essentiellement orientée dans la
fabrication de biens d’équipement industriels. Les travaux pour la navigation occupaient
une place déjà importante mais minoritaire. Un demi-siècle plus tard, ce secteur présente
un visage radicalement différent. Peu compétitifs et ne pouvant compter sur des aides de
l’État, les ateliers travaillant pour l’industrie n’ont pu trouver les ressources pour
affronter la concurrence extérieure et sauvegarder ainsi leurs marchés. Beaucoup
d’entreprises disparaissent. Celles qui parviennent à se maintenir se limitent
généralement à de simples travaux de réparation. En revanche, les ateliers de la
mécanique marine ont su tirer profit d’opportunités toujours présentes. La métallurgie
marseillaise s’identifie désormais aux travaux pour la navigation. Cette identification
s’établit pour près d’un siècle et reste encore présente dans un imaginaire collectif qui ne
perd jamais de vue les richesses apportées par les activités maritimes.
NOTES
1. Cf. FIGUIER L., Les Merveilles de l’industrie, op. cit., t. I, p. 409.
2. TURGAN J., « La savonnerie Arnavon », dans Les Grandes Usines…, op. cit., t. II, 1861, p. 127.
3. Cf. annexe 1.
4. EDBdR, t. VIII, p. 140-149.
5. Cf., par exemple, PICARD A., Les Chemins de fer. Aperçu historique, Paris 1918.
6. L’indicateur marseillais, 1865-1885.
7. Ibid., 1875, p. 906.
8. Ibid., 1869, p. 839.
9. Calculs effectués d’après les 150 demandes d’autorisation d’installation de chaudières à
Marseille entre 1880 et 1883 (ADBdR XIV M 14/2).
10. CRSCCM, 1888, p. 150.
11. Les Grandes Industries de Provence…, Marseille, 1900, p. 108.
12. En 1859, l’ingénieur Andras Mechwart de la firme Ganz invente les cylindres en fonte
trempée pour écraser les grains. (BERGERON L., « Patrimoine industriel en Europe de l’est : une
visite en Hongrie », L ‘Archéologie industrielle en France, n° 26, juillet 1996, p. 43.
13. EDBdR, t. VIII, p. 180.
14. CRSICM, 1884, p. 156.
15. GRAND V., Le Midi industriel I : Les Usines Arnaud Etienne, Aix-en-Provence, 1878, p. 62-65.
256
16. TURGAN J., « Les charbonnages des Bouches-du-Rhône », dans Les Grandes Usines…, op. cit., t. III,
1863, p. 15 et Bouches-du-Rhône : dictionnaire, annuaire et album, Paris, 1901, p. 543.
17. ADBdR 545 U 102 et 103.
18. L’indicateur marseillais, 1879, p. 983.
19. Cf. AUDOUARD E., BARLATIER E., BRES L., Annuaire maritime…, op. cit., p. 350.
20. ACCM MR 4422.
21. Calcul effectué d’après les listes de navires dressées par P. BOIS dans Armements…, op. cit
22. Les Messageries maritimes ont fait construire 13 paquebots à leurs chantiers de La Ciotat
entre 1867 et 1874 (cf. BOIS P., Le Grand Siècle…, op. cit.).
23. En 1860, 116 vapeurs étaient attachés au port de Marseille, 201 en 1869 et 233 en 1880 (EDBdR,
t. IX, p. 320.
24. CRSICM, 1868, p. 130.
25. Ibid., 1871, p. 114-115.
26. Ibid., 1868, p. 130-131 et 1872, p. 110. Le système des introductions temporaires de métaux
étrangers est fortement atténué par la loi du 8 avril 1866 qui raccourcit à un mois et demi le délai
pour bénéficier du système des acquits-à-caution.
27. Note sur la marine marchande, Bordeaux, 1869, p. 27.
28. CRSICM, 1872, p. 112.
29. ACCM MR 4422.
30. CRSICM, 1874, p. 134.
31. AN F 12 4486.
32. CRTCCM, 1890, p. 235.
33. La flotte passe de 233 à 292 vapeurs entre les deux dates (cf. EDBdR., t. IX, p. 320). Il est
difficile d’établir le nombre de navires désarmés.
34. CRTCCM, 1890, p. 236.
35. CRSICM, 1887 et 1888, p. 143 et 149.
36. Cf. DE ROSA L., Iniziativa e capitale straniero…. op. cit., p. 278 et suivantes.
37. Les droits sur les fers étrangers ont été portés en 1878 de 24 à 42 % ad valorem (cf. LUZZATO G.,
L’economia italiana…, op. cit., t. I, p. 217).
38. Loi du 6 décembre 1885. Les primes sont importantes (17 francs par tonne pour les coques en
fer ou en acier, 2,50 francs par cheval pour les machines marines et 3,50 francs par quintal de
métaux pour les chaudières (BUCHARD H., Marines étrangères, Paris, 1891, p. 397).
39. Ibid., p. 344.
40. COURTIER LOZANO A., La organización industrial…, op. cit., p. 10.
41. Pour la situation au début des années 1860, cf. chapitre XII.
42. CRSICM, 1889-1890, p. 147 et 157.
43. ADBdR 1 M 1480.
44. Vers 1890, l’atelier possède 350 machines-outils actionnées par des machines d’une puissance
totale de 500 chevaux (cf. JOANNE P., Dictionnaire géographique…, op. cit., t. IV, p. 2 510).
45. Ibid.
46. Louis et Adolphe Fraissinet succèdent à leur père à la tête de l’entreprise en 1866.
47. CHIRAC A., Lettres d’un Marseillais sur l’exposition universelle de 1867 à Paris, Paris, 1868, p. 153-157.
48. BOIS P., Armements marseillais…, op. cit., p. 27.
49. ADBdR P 6 BIS 103 A.
50. CRSICM, 1889-1890.
51. Ateliers de constructions mécaniques Stapfer, Duclos et Compagnie, Paris, 1892, p. 1.
52. Ibid., p. 1-2.
53. CRSICM, 1891, p. 161.
257
54. Octave Vésigné et Paul Risbec pour les chantiers de La Ciotat, Daniel Stapfer pour Stapfer &
Duclos, Lagrafel pour l’atelier des Fraissinet, et Lecointre et Orsel pour la Société des forges.
55. Cf. chapitre XI.
56. CONIL J.-L., De la voile à la turbine, op. cit., p. 3.
57. DAYMARD M., Les Progrès récents de la navigation à vapeur, Paris, 1888, p. 13.
58. « Notice nécrologique de Lagrafel », BSSIM, 1900, p. 51-52.
59. Paul Risbec, polytechnicien, a succédé à Octave Vésigné en 1882 (CONIL J.-L., La Ciotat…, op. cit.,
p. 3).
60. LEDIEU A., Les Nouvelles Machines…, op. cit., p. CXLVII.
61. « Notice nécrologique de Lagrafel », art. cit., p. 51-52.
62. Cf. DAUMAS M. (dir.), Histoire des techniques, op. cit., t. IV, p. 16.
63. La Marine à l’Exposition universelle de 1878, Paris, 1879, p. 34-36.
64. L’Indicateur marseillais, 1879, p. 983.
65. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 221.
66. La Marine…, op. cit., p. 84-85 et pl. 82.
67. Cf. annexe 10.
68. BOIS P., Le Grand Siècle…, op. cit. (sauf indication, les données de cette sous-partie proviennent
de données élaborées à partir des listes de navires de cet ouvrage).
69. Ibid., p. 62-63.
70. Cf. « Amédée Armand » dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second Empire…, op.
cit.
71. Ibid., p. 91 et 97.
72. ADBdR P 6 bis 99 B à P 6 bis 103 B.
73. Un appareil de 500 chevaux pesant 283 tonnes (Ibid, P 6 bis 103 A).
74. Société des forges et chantiers de la Méditerranée…, 1900, op. cit., p. 92-93.
75. Dervieu a dirigé, entre 1843 et 1854, des agences de la Compagnie Bazin et des Messageries
maritimes) (LANDES D., Banquiers et Pachas. Finance internationale et impérialisme économique en
Égypte, Paris, 1993, p. 94).
76. Ibid., p. 138.
77. Ibid., p. 93.
78. Ateliers de constructions mécaniques Stapfer, Duclos et cie…, op. cit., p. 9.
79. CRSICM, 1868, p. 130.
80. Pour l’ensemble des marchés de la Société des forges, cf. Société des forges et chantiers de la
Méditerranée…. op. cit., 1900.
81. CRSICM, 1888, p. 156 ; 1890, p. 157 et « Notice nécrologique de Lagrafel », art. cit., p. 51-52.
82. CRSICM, 1890, p. 157 et JOANNE P., Dictionnaire…, op. cit., p. 2510.
83. Ibid.
84. GAZZO E., I cento anni dell’Ansaldo, 1853-1953, Gênes, 1953, p. 585.
85. DORIA M., « Le strategie… », art. cit., p. 95.
86. BASCAGNO E., « Le costruzioni navali », ibid., p. 220-221.
87. NADAL J., « La metallurgia »…, op. cit., vol. III, p. 177 et GARRABOU R., Enginyers industriah…, op. cit
., p. 190).
258
Conclusion de la quatrième partie. Laspécialisation d’une industrie en pertede vitesse
1 Entre 1865 et 1890, l’industrie métallurgique marseillaise connaît un véritable
effondrement. Les secteurs qui faisaient sa force sont touchés dès les années 1863-1866
par des crises violentes. Sur plusieurs points, la conjoncture s’est profondément modifiée.
Dans une France au sein de laquelle le libre-échange avec les autres nations s’impose et
où le décloisonnement des marchés régionaux s’accélère, les entreprises phocéennes se
trouvent confrontées à des difficultés insurmontables. Les explications des différents
échecs ne se trouvent ni dans une quelconque incapacité technique ni dans le manque de
dynamisme des entrepreneurs. Les marchés locaux sont perdus, principalement dans la
mécanique industrielle et la métallurgie de deuxième fusion. Les débouchés extérieurs
s’effacent. Ils ne permettent plus à l’industrie du plomb ou à la sidérurgie de maintenir
leurs niveaux d’activités. Les concurrences françaises et étrangères se sont installées et se
renforcent durablement dans la région. Pénalisées par des coûts de production élevés dûs
à des problèmes d’approvisionnements en matières premières bon marché, les
entreprises ne parviennent plus à offrir des prix compétitifs. Les pertes sectorielles ne
sont pas compensées par la création de nouvelles activités.
2 Seule l’industrie de la mécanique marine a pu poursuivre sa croissance malgré les aléas
d’une conjoncture fluctuante. En cette période difficile où la concurrence fait rage, ce
secteur est véritablement le seul qui puisse s’appuyer sur des facteurs favorables. C’est
d’abord une industrie d’assemblage au sein de laquelle la question du prix des matières
premières est atténuée par l’importance du prix de la main-d’œuvre et par les apports
d’une technologie qui diminue de manière continuelle le poids de métal nécessaire à la
réalisation des machines et des chaudières. Ensuite, excepté pour la période 1866-1872,
les avantages douaniers accordés par l’État facilitent l’obtention de marchés aussi bien au
niveau local que dans le cadre d’exportations. Contrairement à la mécanique industrielle,
technologie et avantages douaniers se combinent pour permettre à la production des
ateliers d’accompagner la demande. La mécanique marine marseillaise reste l’unique
point fort d’une histoire qui s’achève par une spécialisation d’un secteur qui va peu à peu
sombrer dans l’oubli.
259
3 La situation marseillaise n’est pas originale en Méditerranée. La Catalogne, Gênes et Le
Pirée connaissent le même processus de spécialisation de la métallurgie dans les travaux
pour la navigation à vapeur. Toutes ces régions étaient placées devant les mêmes
difficultés de coûts de production et ont trouvé des solutions identiques afin d’y
remédier. Reste qu’à la différence de Marseille, ces régions ont su garder un éventail de
production assez large. La mécanique industrielle se maintient et connaît même un
développement grâce aux mesures de protection accordées par l’État. Dans ce secteur de
production, le problème marseillais était marginal dans un ensemble français qui
possédait plusieurs régions spécialisées dans la construction de machines industrielles et
dont les entreprises étaient beaucoup plus compétitives.
260
Conclusion
1 Marseille est le symbole d’une ville méditerranéenne gagnée par la vapeur et le fer au
cours de la révolution industrielle. Une industrie de pointe, la métallurgie et la
construction mécanique, a su y trouver sa place et s’est même affirmée comme un des
éléments de base de la réussite économique phocéenne. Le succès de ce secteur s’inscrit
dans la moyenne durée. Pendant un demi-siècle, les entreprises marseillaises ont
démontré la vitalité de l’industrie méditerranéenne et la vigueur d’une branche
d’activités aux composantes originales. La métallurgie phocéenne décline fortement à
partir des années 1880, mais la fin de son importance ne doit pas occulter la réussite
d’hommes et d’entreprises durant plusieurs décennies.
2 L’histoire de l’industrie métallurgique marseillaise prend le contre-pied des facteurs
censés expliquer le retard industriel de l’Europe méditerranéenne. Les hommes, les
capitaux, les compétences technologiques et les marchés n’ont pas manqué. Les
entrepreneurs, locaux dans un premier temps puis extérieurs à la ville à partir de la fin
des années 1850, ont fait preuve d’un réel dynamisme. Ils ont d’abord fondé les
établissements en réinvestissant les capitaux accumulés dans l’artisanat ou dans d’autres
branches industrielles. Ils ont su, jusqu’aux années 1850, développer la totalité des
branches qui composent le secteur. Les banques et les grands financiers parisiens ont pris
le relais pour donner une ampleur importante au mouvement. Les problèmes
technologiques ont été également rapidement surmontés. Encore une fois et comme en
Europe continentale, tout s’est joué en deux temps. Grâce à la présence d’ingénieurs
venus de Grande-Bretagne qui ont choisi de mêler leur destinée à celle de la métallurgie
phocéenne, les techniques élémentaires de production et les premiers succès
technologiques ont été enregistrés entre 1835 et 1850. Par la suite, le succès du relais
français fait rapidement de Marseille un pôle de modernité dans le secteur européen de la
métallurgie et de la construction mécanique. La ville a su attirer les ingénieurs issus des
grandes écoles et du génie maritime.
3 Pour le dynamisme des entrepreneurs, pour la capacité à investir des fonds dans ce
secteur ou la volonté d’acquérir une technologie complexe, Marseille est emblématique
d’un mouvement plus large qui touche l’ensemble du sud de l’Europe. Même si les
modalités et les chronologies du mouvement sont parfois différentes, plusieurs régions
italiennes, espagnoles ou grecques, confrontées aux mêmes problèmes, ont connu le
développement de leurs industries métallurgiques et mécaniques sur des bases
261
globalement similaires. Marseille constitue néanmoins l’exemple le plus achevé, le plus
important de ce mouvement. Quels sont les éléments qui ont pu faire la différence et qui
peuvent expliquer la prépondérance marseillaise en ce domaine ?
4 Il est encore d’usage d’expliquer en partie l’échec supposé de l’industrie métallurgique
sud-européenne par le manque de marchés. Cette logique négative ne vaut pas pour
Marseille. Nous l’avons vu, la croissance conjuguée des demandes de biens d’équipement
dans les secteurs de l’industrie, de la navigation et des grands travaux d’infrastructure
permet à la métallurgie marseillaise de naître et de se développer rapidement. La
sollicitation par une forte demande n’est d’ailleurs pas une spécificité du grand port
provençal. Même si cela doit être étudié de manière approfondie, plusieurs régions sud-
européennes présentent la même situation dès le deuxième tiers du XIXe siècle. Le volume
de la demande en biens d’équipement est parfois même supérieur à celui observé pour
l’économie marseillaise, comme le démontre le cas de Barcelone au cours des années
1830-1840. Malgré l’existence de ces possibles débouchés, les entreprises métallurgiques
italiennes, espagnoles ou grecques marquent longtemps le pas et doivent attendre la fin
du siècle pour connaître un phénomène comparable à celui connu par les ateliers
marseillais des années 1831-1865. Les marchés leur échappent longtemps au profit
d’entreprises étrangères. Les commandes sont trop irrégulières et la législation
douanière, contrairement à celle menée par les gouvernements français, favorise les
sidérurgistes et les industriels du textile au détriment des mécaniciens et fondeurs de
deuxième fusion. Les fers et les fontes achetés à l’étranger sont proportionnellement
beaucoup plus lourdement taxés que les machines importées. Les gouvernements italiens,
espagnols et grecs subissent la pression des industriels des autres branches et ont décidé
de faciliter l’industrialisation générale du pays. L’équipement des entreprises doit se faire
à moindre coût et s’avère incompatible avec la protection de secteurs métallurgiques et
mécaniques travaillant, à leurs débuts, à des coûts prohibitifs et incapables de répondre à
des demandes dont les volumes fluctuent de manière trop marquée. Marseille n’a pas
connu ces difficultés. Le niveau d’industrialisation de la France permet aux
gouvernements de la monarchie de Juillet et du second Empire d’avoir une attitude bien
différente à l’égard de la construction mécanique et de la fonderie de deuxième fusion.
Durant la presque totalité de la période, ces deux secteurs reçoivent une protection
efficace. L’offre des entreprises phocéennes a donc pu accompagner une demande qui
croissait de manière continuelle, d’abord grâce au cloisonnement des marchés puis par
une législation douanière favorable qui les a presque toujours placées à l’abri de la
concurrence britannique. Moins que le niveau de la demande, ce qui a donc fait la
différence entre Marseille et les autres centres du nord de la Méditerranée, c’est que le
cadre politique français a permis à un territoire de mettre en place une offre pour
répondre aux sollicitations locales et même extérieures.
5 L’histoire de la métallurgie marseillaise au cours du XIXe siècle soulève également le
problème de la rapidité du processus d’industrialisation d’un secteur au cœur de la
révolution industrielle. Les changements ont été rapides et d’une ampleur considérable.
La naissance, la croissance et l’arrivée à maturité du secteur se déroulent sur une période
relativement brève. À peine plus de trois décennies ont été suffisantes pour passer du
néant à une industrie puissante autant du point de vue de sa production que par ses
effectifs et sa technologie. Ce phénomène est d’autant plus remarquable pour Marseille
que le secteur de la métallurgie ne constitue pas un cas marginal. D’autres branches
essentielles de l’économie phocéenne, comme le raffinage du sucre ou l’huilerie de
262
graines, ont connu un développement similaire dans l’intensité et la rapidité des
changements. Marseille connaît bel et bien une révolution industrielle, qui n’est pas sans
rappeler les modèles de développement décrits par W. W. Rostow et A. Gerschenkron,
même si les critères d’analyse de ces auteurs doivent être fortement nuancés et ne
correspondent pas toujours à des invariants. Comment interpréter cette situation dans le
modèle général français ? Il ne s’agit pas de contester le schéma général de
l’industrialisation française, désormais admis, caractérisé par une évolution linéaire
s’articulant autour de progressions graduelles sur plus d’un siècle. Il faut seulement y voir
un cas original qui permet de comprendre la complexité des variations régionales au sein
d’un ensemble qui présente une homogénéité certaine, mais dont certains éléments se
différencient d’une manière assez nette.
6 L’histoire de l’industrie métallurgique marseillaise amène enfin à prendre en compte le
problème des représentations. Comment un secteur aussi puissant au cours du XIXe siècle
a-t-il pu s’effacer de la mémoire collective phocéenne ? En 1890, la nouvelle configuration
du secteur, basé presque uniquement sur les travaux liés à la navigation, et les
composantes de l’économie de la région se combinent pour avoir de graves répercussions
sur l’imaginaire industriel de l’avant-Première Guerre mondiale et sur ses prolongements
dans la longue durée. L’industrie métallurgique marseillaise, qui a connu sa période de
gloire au cours de trois grandes décennies (1831-1865), sort des grands thèmes de
représentations de la ville au moment où elle disparaît de l’avant-scène. Son histoire ne
s’imprime pas dans l’imaginaire collectif marseillais et français. Désormais, il sera difficile
de se souvenir qu’une révolution industrielle a bel et bien eu lieu à Marseille dès le début
des années 1830 et que la métallurgie en était un des piliers. La représentation
économique de la ville se fonde sur les activités commerciales et les industries de
transformation de produits bruts, essentiellement coloniaux. Le passé industriel phocéen
est amputé d’un de ses éléments essentiels et se voit même offrir pour contre-exemple
des modèles méditerranéens qui avaient eu un rayonnement de même niveau : « Malgré
tout, si les Marseillais n’ont pas les qualités requises pour la grande industrie comme on
le voit à Barcelone, Marseille restera toujours une place de commerce de premier ordre1
. » Les Marseillais ont une importante responsabilité dans la constitution de ces idées
reçues. Dès 1895, Augustin Féraud, président de la chambre de commerce de Marseille,
fait démarrer l’industrialisation phocéenne en 1855 seulement et met l’accent sur le rôle
omnipotent du commerce2. Cette vision de l’histoire est provoquée par deux facteurs qui
se conjuguent. D’abord, l’échec a généré l’oubli. Marseille ne bénéficie pas, comme Turin,
Milan ou Barcelone, d’industries métallurgiques nées au cours du XIXe siècle et qui ont
survécu jusqu’à nos jours grâce à des adaptations et de profondes transformations.
Marseille se rapproche du cas du sud-est de l’Espagne, analysé par Jordi Nadal3. L’échec de
la métallurgie, qui s’était développée à Séville et Malaga durant le premier tiers du XIXe
siècle, a provoqué l’occultation rapide d’une histoire qui n’a été réhabilitée qu’au début
des années 1970. Le problème des représentations s’explique également par l’éloignement
et l’éclatement géographiques des grands sites de la construction navale de l’extrême fin
du XIXe siècle. Les trois grands chantiers ne sont pas situés à Marseille, mais à Port-de-
Bouc, à La Ciotat et dans le Var, à La Seyne-sur-Mer. Les ateliers marseillais de mécanique
liés à ces entreprises sont certes localisés dans la cité phocéenne mais à l’arrière des
ports, symboles de l’économie phocéenne. Ces établissements sont noyés dans le grand
nombre d’entreprises de toutes natures qui vivent directement, comme eux, des travaux
occasionnés par le commerce maritime.
263
7 Un travail sur la métallurgie méditerranéenne à travers le cas marseillais démontre que
l’étude des industries sud-européennes du XIXe siècle doit être poussée plus en avant afin
de saisir la complexité et l’originalité d’un mouvement trop longtemps sous-estimé. Si les
progrès enregistrés depuis une vingtaine d’années sont importants et permettent de
saisir quelques composantes de cette histoire grâce à des études sectorielles, régionales
ou nationales, le chantier reste immense. Il est aujourd’hui nécessaire de s’attacher à
analyser de manière globale et comparative le processus et les modalités des industries
du sud de l’Europe au cours du XIXe siècle en surmontant les idées reçues qui perdurent et
en essayant de l’insérer dans une perspective plus large.
8 Repenser l’histoire économique de ces pays dans une globalité permettrait de mieux saisir
des modèles de développement fondamentalement différents de ceux présentés par les
pays du nord de l’Europe. Loin d’être une revendication d’un droit à la différence, ces
recherches donneraient la possibilité d’appréhender la profonde originalité d’une zone
qui ne doit pas être perçue au moyen de grilles de lecture qui lui sont mal adaptées,
d’examiner avec un regard neuf les composantes des relations économiques entre le nord
et le sud de l’Europe au cours du XIXe siècle. Marseille, Barcelone, Gênes ou Le Pirée ont
alors développé de puissantes industries. Ces espaces appartiennent pleinement à la
géographie industrielle de l’Europe. Cette inscription est le résultat de combinaisons,
chaque fois originales, entre des dynamismes intrinsèques et des ouvertures qui ne
doivent pas être confondues avec des situations de dépendance. N’est-ce pas là,
profondément, l’une des clés majeures de réussites méditerranéennes repérables dans
d’autres secteurs, d’autres espaces et pour d’autres périodes de l’histoire contemporaine ?
NOTES
1. CAMBON V., La France au travail, Paris, 1914, t. III, p. 199.
2. « Le port de Marseille, qui n’a été, jusqu’en 1855 environ, que doté d’une activité commerciale,
a pu, depuis, créer une industrie très considérable » (CRTCCM, 1895).
3. NADAL J., « Industrialisation et désindustrialisation du sud-est espagnol, 1820-1890 » dans
L’Industrialisation en Europe au XIXe siècle, Paris, 1972, p. 201-212.
264
Annexes
Annexe 1 : machines, chaudières et récipients à vapeur de l’industrie des Bouches-du-Rhône(1839-1890)
265
Sources : SIM, 1839-1890.
Annexe 2 : répartition par secteurs industriels des machines à vapeur dans les arrondissementsd’Aix et de Marseille en 1843-1844
Sources : SF, p. 211 et 225-287.
266
Annexe 3 : élaboration du gros fer et de la fonte (moulage de pièces de métaux en deuxième fusion)à Marseille, 1833-1846 (valeur créée par les fonderies)
Sources : SIM, 1833-1846. Les chiffres sont ceux donnés pour l’ensemble des Bouches-du-Rhônemais, durant la période 1833-1846, seules les entreprises marseillaises effectuent ce type de travaux.La valeur créée est égale à la valeur de la production moins le coût des matières premières qui ont étéemployées. La série de la production en quintaux est une estimation à partir des données de 1834 etde 1847 (452 329 francs pour 16 850 quintaux métriques). La valeur créée par production de quintaln’a pratiquement pas changé entre les dates (26,367 francs en 1834 contre 26,844 francs en 1847).Nous avons choisi la valeur moyenne (26,605 francs) pour les calculs.
267
Annexe 4 : importations marseillaises de plombs et de galènes argentifères en quintaux et enfrancs (1856-1890)
Sources : SIM, 1856-1890.
268
Annexe 5 : production dans le département des Bouches-du-Rhône de plomb marchand et d’argent(1856-1890)
Sources : SIM, 1856-1890.
269
Annexe 6 : production de fer ouvré dans les usines des Bouches-du-Rhône (en quintaux)(1853-1890)
Sources : SIM, 1853-1890.
270
Annexe 7 : production de fonte brute des hauts fourneaux de Marseille (en quintaux) (1856-1890)
Sources : SIM, 1856-1890.
Annexe 8 : production de fonte moulée en deuxième fusion dans le département des Bouches-du-Rhône (en quintaux) (1847-1890)
271
Sources : SIM, 1847-1890. (La circulaire ministérielle de 1877 dispense les ingénieurs de relever lesdonnées.)
Annexe 9 : production de tôles dans les Bouches-du-Rhône (en quintaux) (1849-1862)
Sources : SIM, 1849-1863. (Pour la période 1849-1852, le relevé prend en compte les petits fers.)
272
Annexe 10 : valeur de la production en francs des ateliers de mécanique et de constructionsnavales de Marseille, La Ciotat et de la Société des forges et chantiers de la Méditerranée à LaSeyne (1865-1890)
Sources : CRSICM, 1865-1890. Les chiffres en italique sont des estimations. Pour ces années, lachambre de commerce de Marseille donne une fourchette de valeur. Le chiffre donné dans le tableaureprésente la valeur.
273
Sources et orientation bibliographique
Sources manuscrites
Archives nationales
C 947 : Enquête agricole et manufacturière de 1848.
F 12 2223 : Droits de douanes sur les fers (an X-1860).
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F 12 2500 : Lettres, pétitions, mémoires (1814-1862).
F 12 2513/14 : Traité de 1860 ; acier, cuivre, fers, fontes, machines, plomb… (1791-1860).
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mécaniques, importation et exportation (1824-61844).
F 12 2564/65 : Douanes, avis du comité consultatif (1834-1847). F 12 2615 A : Navigation intérieure
et maritime (1826-1866). F 12 4476 A et 4486 : Situation industrielle des Bouches-du-Rhône
(1830-1887).
F 12 4932 : Établissements insalubres et dangereux : Bouches-du-Rhône (1852-1901).
F 12 6905 : Ouvrages en matières diverses : tubes en fer, rail…, 1832-1890.
F 14 3829, 3869 et 3883 : Surveillance des usines : Bouches-du-Rhône (1819-1887).
F 14 4233 : Circulaires et états statistiques des appareils et bateaux à vapeur (1825-1897).
F 14 4313 : Les usines métallurgiques des Bouches-du-Rhône.
AQ k 2812 et 33 mi : Société des forges et chantiers de la Méditerranée.
71 MI 22 : Divers dont Société des forges et chantiers de la Méditerranée.
77 AQ : Compagnie des chemins de fer d’Avignon à Marseille.
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Sous-série 1 M. : Cabinet du préfet.
Sous-série 6 M : Papiers du comte de Villeneuve.
Sous-série 12 M : Statistiques.
274
Sous-série VII S : Mines et carrières.
Sous-série VIII S : Étangs et marais. Sous-série IX S : Chemins de fer.
Sous-série XII Q : Direction générale de l’enregistrement.
Sous-série XIV M : Industrie.
Sous-série P 6bis : Dossiers de francisation des navires.
Sous-série T : Enseignement.
Sous-série 187 U : Justice de paix.
Sous-série 545 U : Faillites de sociétés.
Sous-série 548 U : Actes de sociétés.
Sous-série 354 E : Étude Delanglade.
Sous-série 364 E : Étude Giraud.
Archives communales de Marseille
Sous-série 2 F : Industrie.
Sous-série 5 F : Commerce.
Sous-série O : Travaux publics, navigation, régime des eaux.
Sous-série 39 II : Fonds Fraissinet.
Archives communales d’Aix-en-Provence
Sous-série 2 F : Industrie.
Archives communales de Lourmarin
Sous-série Z : Fonds Philippe Girard.
Archives de la marine, Toulon
Série 2 A : Cabinet du préfet maritime.
Série G : Direction des constructions navales.
Archives de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille
Sous-série MK : Organisation industrielle, commerciale et professionnelle.
Sous-série MP : Équipement et production.
Sous-série MQ : Commerce international.
Sous-série MR : Voies et moyens de communications.
Registres des délibérations.
École des mines de Paris
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de Lombardie. »
M 1842 (309) : Bayle E., « Mémoire sur l’exploitation des mines en Toscane. »
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M 1842 (311) : Bertera M., « Mémoire sur les forges de Gênes. »
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M 1862 (785) : Famin R., « Mémoire sur les mines de lignites des Bouches-du-Rhône. »
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M 1874 (934) : Voisin H., « Mémoire sur les mines de fer de l’île d’Elbe. »
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M 1878-1879 (998) : Petitdidier J., « Usines à plomb des environs de Marseille. »
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la France. »
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NOTES
1. Ne sont cités ici que les articles et ouvrages essentiels. Sauf indication, le lieu d’édition est Paris.
2. Ne sont cités ici que les ouvrages et articles essentiels. Les autres références sont données en notes.
Sauf indication, le lieu d’édition est Paris.
284
Index des noms de personnes et desociétés
Aitken & Steel 173
Albertas (marquis d’) 65
Alexander frères 113, 118, 127, 145, 160, 230, 261
Allaire 227
Allen 56
Allest (d’) 332
André & Abeille 91, 177
André 336
Andriel P. 56
Ansaldo & cie 137, 166, 289, 337
Ansaldo G. 289
Arago F. 108, 114, 228, 286
Argout (comte d’) 196
Armand A. 214, 221, 223, 251-254
Armand P.-C. 45, 49
Arnal (abbé S. d’) 48-49
Arnaud & Touache frères 268, 279
Arnaud L. 268, 280
Arnavon H. 318
Arnier L. 234
Auban & Bazin 215
Auban B. 215
Aune C. 132, 191
Aynard frères 54, 90
Azémar P. 104, 125-126, 140, 214
285
Azienda delle strate ferrate 99
Bailleux J. 233
Balleydier frères 127
Banque de France 136
Banque de Marseille 136, 218, 241
Baptiste J. 125, 130
Barcelonesa (La) 107, 112
Barlatier frères 45, 49
Barles & Ignac 309
Barnes & Miller 58
Barnes (?) 58
Barnes J. 113, 115-117, 119-120, 154-157, 203, 220, 225, 275-278, 284, 330
Barnes T. 115
Barré frères 52
Barré L. 242
Barthélémy 104
Barthélémy frères 125
Bartle 113
Bastiat F. 200
Baudoin & Baptiste 129
Baudoin P.-J. 70, 104, 123, 125, 130, 138, 140, 175
Bazin & Gay 267-268
Bazin C. et A. 58, 90-91, 133, 162, 215, 267, 284
Beausobre G.-E. (de) 285
Béhic A. 220, 222-223, 286
Bélidor 108
Bell H. 116
Belleville & cie 320
Benech frères 53, 125, 145
Benet & cie 134, 136, 154, 218-219
Benet A. 130, 134
Benet fils de Xavier & cie 175, 214
Benet L. (petit-fils) 306
Benet L. 90, 104, 109-110, 120, 123-126, 130, 132-136, 138, 140, 147, 151-156, 158-159,
161-166, 168-169, 174-182, 184-187, 189, 194, 199, 201, 203, 205-206, 215-221, 228, 232, 255,
257, 266, 275-276, 278, 280, 283, 286, 306
Benet T. 130, 134
Benoît 125
Bernard 48
Berteaut S. 181
286
Bessemer H. 264, 313
Béthancourt A. (de) 39, 50-51
Biver E. 304, 321
Bizard & Labarre 237
Bizard F. 273
Blanc & Blain 241
Blanc J.-B. 65, 169
Bofill, Martorell y Cia 288
Bonaplata J. 52, 98
Bonaplata y Corriol S. 107
Bonard 179
Bonniot L. 125
Bordege H. 39
Borgnis C. (de) 108
Boulton & Watt 51, 57, 188
Boulton M. 115
Bourdillat & cie 245
Bourdon F. 157, 227-228, 278-281, 284, 286, 330, 331
Boutterilain 252-253
Brémond & Sagnes 246
Brin B. 327
Briqueler J. 104, 126, 191, 242, 244, 262, 311
British Iron Company 115, 119
Brochier 320
Brombini C. 289
Brun 1. & cie 192, 301
Brunei I. 114, 275
Brunei M. 114
Buddicom W. 185
Bury E. 154, 178
Cabanis & Salles 141
Cabanis J.-F. 125, 167-169, 202
Cabannes & Dreysset 234
Cabella G. M. 190
Caillol L. 309
Caird J. 279, 285
Calla E. 163, 181
Capel 104, 125
Capoduro E. 234
Carie A. 125
287
Cartairade & cie 91
Cartier 74
Cas cadet 125
Cavallier fils & Guieu 129-130
Cavallier fils 131, 170, 176
Cavallier L. 63
Cavé F. 178, 185
Cavour C. 289
Chambort 139
Chambovet E. 103-104, 123, 125, 130, 145, 150, 174-175, 187-188, 232
Chambovet fils 108
Chamsky & cie 242
Chancel frères 91
Chantiers et ateliers marseillais 272
Chaptal J.-A. 34
Chaumelin M. 224
Chevalier M. 35
Chiousse A. 234
Church E. 58, 120, 152, 157
Cie Bazin 55, 284, 335
Cie de navigation mixte 268, 280
Cie de navigation sur le Rhône 58
Cie de Rassuen 49, 74
Cie des bateaux à vapeur du Levant 91
Cie des bateaux à vapeur Sardes 189
Cie des chargeurs Réunis 335
Cie des chemins de fer de la Méditerranée 263
Cie des chemins de fer du Gard 180
Cie des chemins de fer du Nord 185
Cie des Deux-Siciles 189
Cie des docks et entrepôts de Marseille 306
Cie des minerais de fer magnétique de Moka-El-Hadid 313
Cie des moulins à vapeur de Nîmes 48
Cie des usines métallurgiques réunies 242
Cie du chemin de fer Alais-Beaucaire 134
Cie du chemin de fer de Marseille à Avignon 135, 162-164, 168, 180-181, 216-217
Cie du chemin de fer PLM 314
Cie du Midi 104
Cie Florio 287
Cie Fraissinet 268, 273-274, 279, 284
288
Cie Gay L. 279
Cie générale de navigation à hélice 267
Cie générale transatlantique 335
Cie Gérard 89
Cie marseillaise de la Méditerranée pour la navigation à vapeur 90, 117, 133, 152
Cie marseillaise de navigation à vapeur 268
Cie Paquet 268, 335
Cie Rubattino 189, 286
Cie russe de navigation 287
Cie Thérond 91
Cie universelle du canal de Suez 335
Cie Valéry 268, 275, 284
Cia Catalana de Navegacion 53
Cia de Navegacion del Guadalquivir 55-57
Cia del Ferrocarril Zaragoza-Barcelona 99
Clapier A. 90, 223
Clark 154
Clavel J.-J. 124-125
Cobden R. 200
Cochran J. W. 280
Coince 262-263
Colombet & Merle 320
Conte P. 36, 48-49, 64-65, 67
Conti G. (abbé) 50
Coudert V. 233, 320
Courtois & Denegon 330
Crampton T. R. 164
Crawford 168
Crédit foncier de Paris 223
Crédit lyonnais 223
Crispi F. 327
Cucurny oncle & cie 241
Danré G. 104, 125, 130, 141, 169, 175
Darcy 264
Davillier 93
Decazes E. 32
Decker frères 127, 145
Degrand E. 31, 37, 47, 69, 74-75
Delacoste C-A. 35
Delacour V. 225-226, 278
289
Deluy F. 125, 175
Deluy frères 246
Demange D. 123, 125-126, 130-131, 145, 174, 184, 188, 232
Denegon F. 70, 104
Derosnes, Cail & cie 216
Dervieu E. 335
Droust de la Gironière 167
Du Tremblay P. 280
Duclos E. 235, 274, 330, 335
Dupasquier 85
Duphot 70, 138, 140
Dupuy de Lôme S. 155-156, 221, 269, 278, 281, 286-287
Durbec 309
Dussard (ou dussart) A. 124, 131, 168-169, 176, 184, 202, 207, 257
Duterreault C. 64
Edwards C. 75
Edwards H. 173
Elder J. 281
Elorza F. (de) 71
Emiles & cie 243
Empresa del Ferrocarril de Tardienta 99
Escalle 246
Escoffier 125, 257
Esparó V. 107, 159
Euripide 160
Evans C. et H. 58, 116, 152-154
Fabre A. 35
Falguière & cie 272
Falguière J.-B. 103-106, 123, 126, 130, 139-140, 144-146, 149-151, 170, 174-175, 185, 187, 232,
235, 257, 272-273
Falque frères 133
Famin R. 264
Farcot J.-J. 332
Fauveau 178
Fawcett 194, 203
Ferdinand Ier 56
Ferreol & Clavel 129-130, 141
Ferreol A. 104, 124-125
Ferreria Catalana 261
Ferrier A. & cie 55
290
Figueroa & cie 136, 191, 239
Figueroa I. 242, 246, 248, 297, 301
Figueroa L. 28, 191, 214, 236, 239-242, 245, 297
Finaud G. 123-124, 130-131, 145, 149
Flachat E. 228
Flavard E. 238
Fonderies de la Méditerranée 306, 309
Font, Alexander y Cia 261
Fouilloux aîné 64
Fournel & Liautaud 126, 130
Fournel N. 125
Fourneyron B. 86
Fox 135
Fraissinet & cie 267
Fraissinet (maison) 91
Fraissinet A. 329, 331-332 335, 337
Fraissinet J. 133-134
Fraissinet L. 329, 331-332, 335, 337
Fraissinet M. 93, 267, 298, 304
Fraissinet (maison) 267
Fraissinet M. père & fils 267
Frèrejean 71
Frèrejean L. 119
Frisch T. 244
Fundició Primitiva Valenciana 165
Funel & Gouirand 233
Gachet & Capitan 234
Ganz 321
Gaudillot 252
Gauthier J.-B. 103-104, 125-126, 140
Gautier (?) 241
Gay L. 267, 284
Gay-Lussac L.-J. 114, 178
Gède frères 31, 46
Gerbaldi B. 233
Germain 223, 264
Gerona frères 261
Girard (?) 234
Girard C. 73
Girard D. 148
291
Girard F. 73-74
Girard frères 31, 46, 73
Girard P. 73-75
Girô J. 71, 260
Girod J. 169
Giroud 126
Glower C 320
Gossiaux L.-J. 321
Gourde & Bezer 322
Grand M. 74
Grandval J. 83
Granier & Dussard 130
Granier B. 104, 124, 131, 168-169, 176, 184, 202, 207, 235, 257, 273
Gregg & Hodson 56
Gritty J.-B. 125, 141
Grognet Veuve 257
Guëll J. 107
Guerreo 191
Guerrero & cie 239
Guilhem 248, 297
Guilhem, Mariand & cie 297
Guinier & cie 234
Guppy & Pattison 165
Guppy T. 118
Halette A. 185
Hamond C. 116-117, 152
Harry J. 125
Harvey 155
Hawthorn & cie 320
Heredia M. A. 71, 116, 119, 239, 260
Hermann La Chapelle 320
Herreria del Remedio 261
Hesse E. 214, 227, 233
Hick B. 119
Hispano Inglesa 288
Horseley Iron Works 115
Howard 31
Hubert J. et L. 112
Humbolt W. 114, 228
Hume 116
292
Imasse 309
Imbert & cie 320
Imbert 125
Ismaïl Pacha 336
Istituto Meccanico del Belvedere 127
Jacquinot & cie 242
Jacquinot F. 223, 242
Jeffery G. 307, 309
Jeffery James 116, 125, 130, 225, 257
Jeffery John 116, 125, 130, 257
Jobart 181
Joinville prince (de) 156
Jordan 225, 264, 311-312
Julliany J. 35, 69, 90, 107, 200
Kenny F. 116
Kent 113, 145
Klein, Schanzin & Becker 320
Kœchlin & cie 216
Kœchlin A. 181, 185, 216
Kœnig Bey 336
Kramer frères 40
Labarre P. 273
Ladite 69
Lagrafel 332
Lajarije & Legros 129-130, 241
Lakeman C. 147
Lambertenghi (comte) 40, 50
Lantelme aîné & cie 241
Laugier & Gardon 126, 130
Laugier J.-B. 233
Laugier M. 243
Lauront & cie 241
Laveyssière 300
Lavigne 125
Le Châtelier L. 163-164
Leblanc N. 30
Lecointre 226, 280, 331
Legendre 155
Lejeune & Menard frères 322
Lejeune F. 125-126, 233, 256
293
Lenoir J.-F. 74
Liautaud C. 125
Lindsay 282
Lombard 157, 221
Long H. 126
Longperrier (de) 246
Longuelanne L. 104, 123, 125-126, 130, 140, 145, 149
Loubon J. 41
Luce fils 301
Luce J. 90, 93, 133-134, 162, 177, 189, 200
Mac Dowall J. 113, 145, 160, 190
Mac Intosh 119
Mac Nabb 284
Macadam J. 114
Malenchini 241
Mannequin 320
Maquinista Terrestre y Marítima (La) 99, 107, 112, 127, 165, 230, 261, 288-289, 338
Marcel 126
Marchai père & fils 309
Marcuard 222, 336
Margalhan F. 257
Margela J.-B. 74
Marliani E. 52, 105-106, 120, 132-133, 146
Marquisan H. 311
Marrel frères 223, 254-257, 306-307
Martin 49, 173
Martin V. 125
Martineau J. 114, 119
Martiny père et fils 104, 133
Masse L. 52
Masson & Husson 234
Mathieu 152, 157, 177
Maudslay H. 73, 114
Maudsley & Field 179
Maurel T. 125, 131, 246, 307
Mazeline F. 281
Meccanico (II) 111, 137, 159, 165, 222, 289
Mechwaert A. 321
Méjean P. 147
Ménard & Liancourt 175
294
Messageries nationales, impériales et maritimes 219-222, 226, 235, 254, 256, 267-269, 273,
277-278, 283-284, 286, 324, 328, 335
Meynier 241
Michel J. 251
Mille & cie 132
Mille N. 167
Miller & Ravenhill 152, 178, 203
Miller J. 115, 120
Mirès & cie 262
Mirès J. 223-224, 263, 311
Monnin-Jappy 223, 242
Montagne J. 307, 309
Montgeny 108
Montgrand (marquis de) 36
Moreau 241
Morris 113
Mouren F. 234
Mouren J. 126, 140
Mourié & cie 194
Moysan 300
Murphy C. 113
Mylius E. 40
Nam aîné & cie 258-259
Nasmyth J. 135
Nel T. 125
Newcomen T. 49
Nielson J. 119
Nile Navigation Company 336
Nillus C. 276
Normand A. 115, 275-276
Normand B. 281
Nuevo Vulcano (El) 52, 107, 127, 144-145, 151, 153, 159, 261
Officina della Ferrovia Bayard 165
Olive L. 125
Olivieri 242
Ollivier E. 214
Orlando frères 106, 159, 337
Orlando L. 159
Orozco R. y Cía 261
Orsel 331, 333
295
Paccheti a Vapore delle Due Sicile 56, 89
Paget & Lagier 322
Paillasson L. 32, 49, 52
Parkin 155
Passy H. 196
Pattinson 239-240, 301
Pattison J. 113, 118, 165
Péclet 37
Périer frères 51, 120
Périer T. 91, 162, 177, 267
Périer, Edwards, Chaper & cie 161
Perrenod L. 107, 127
Perrin frères 307, 309
Peyruc cousins 76, 136, 156, 169, 174, 187, 218
Peyruc P. 104
Pietrarsa (ateliers de) 111, 118, 165, 289
Pissarello & Musse 320
Plantin 54
Poncelet J.-V. 108
Porro I. 86
Porte L. 125
Portilla Hermanos & White 288
Poynot A. & cie 233, 320
Pradau V. 234
Prandi F. 111, 136-137, 222, 289
Prudhon J. 235, 273
Puget M. 234
Puy frères 70, 104, 123, 125, 131, 141, 169, 175, 185, 188, 257
Puy M. 307, 309
Querel 125
Ramon J. 51
Reboul 125
Régis frères 83
Reinaud C. 243
Revenaz L. 221-222
Reybaud frères 31, 75, 83
Reybaud L. 139, 200
Ricard J. 162
Ricardo D. 114
Riddings H. 307, 309
296
Riddings J. 116, 124-125, 130, 141, 168, 176, 202, 225, 257
Risbec P. 331-332
Rivière de la Souchère 259
Robe J.-B. 65
Robert 125
Robertson T. 113, 165
Robinson G. 118
Roger 259
Roque S. 234
Rostand Albert 91, 219-220, 267
Rostand Alexis 32, 90
Rotschild (maison) 93-94, 162, 187, 216
Rotschild J. (de) 120, 135, 180, 216
Roujon L. 91
Roussel 320
Roux de Fraissinet & cie 93, 136, 162, 218, 241
Roux H. 192, 243, 299, 301
Roux J. 93, 133-135, 162, 177, 187, 218
Rozan G. & Luce fils 241, 301
Rozan G. 241, 300-301
Rozan L. 288
Russel 252
Sabatier 125
Saïd Pacha 336
Saint-Cricq 54
Saint-Joannis 104, 125-126, 140, 169, 175
Salaverria 261
Salavy 54
Salles 125, 168-169, 202
Sangnier L. 120, 163-164
Santpons F. 39, 51-52
Sauvage F. 115, 276
Say A. S. 280
Say J.-B. 114
Schneider 109-1 10, 134-135, 157, 161, 178, 180, 185, 203, 214, 216, 226-228, 278, 308
Schnell, Frisch & cie 242
Schumacher, Funel & cie 322
Seguin M. 114, 161, 252
Segur frères & L. Roujon 91
Sénèque J. 243
297
Sharp & Roberts 135
Sicard, Benucci e Pizzardi 56
Simonin L. 244
Simons E. 219-222
Simons, Revenaz, Béhic & cie 221
Siran 125
Smith 57, 113, 160, 165
Smith J. 113
Società Sarda 56
Société (ou compagnie) hellénique de navigation à vapeur 112, 160
Société des forges et chantiers de la Méditerranée 19, 133, 221-222, 226, 228, 233, 235,
253-254, 256, 258, 273, 277-282, 284-288, 307-308, 322, 325, 328-329, 331, 333-338
Société anonyme de l’éclairage au gaz et des hauts fourneaux de Marseille et des mines de
Portes et Sénéchas 263-264, 311
Société française des mines du Laurium 299
Société générale de transports maritimes à vapeur 268, 284
Société marseillaise de crédit 306
Société méditerranéo-transatlantique 91
Sorel 168, 201
Soresina (prince) 40
Soudry R. 251
Stapfer & Duclos 322, 331-332, 336-337
Stapfer D. 225, 330-332
Stephenson G. 114
Stephenson R. 116, 118, 120, 135, 161-165, 180-181, 189, 216
Talabot frères 162
Talabot P. 93-94, 97, 120, 135, 162, 180
Tardy & Benech 261
Taylor & cie 221
Taylor & Prandi 99, 127
Taylor E. 116
Taylor J. 114, 133, 149
Taylor Philip 31, 99, 110-114, 116-117, 119-121, 124, 126, 130, 132-133, 141, 145, 148-149,
157-159, 164-165, 168, 174, 177-179, 182-183, 187-190, 194, 199-200, 202, 206, 214-215,
221-222, 225, 228, 251-254, 266, 280, 284-287, 289
Taylor R. 116, 215
Thames Tunnel Company 114
Thiebault 307
Thiers A. 108
Thomas J. 35
298
Thomas-Payen E. 301
Thompson 284
Tompazis G. 153
Touache & cie 284
Touache frères 280
Tous y Mirapeix N. 112
Tous y Soler N. 107
Tregold T. 108
Truphême F. 126
Unsworth H. 116, 214, 257
Urre (Baron d’) 36-37
Vaïsse V. 306
Valéry 275
Vassiliadis G. 127, 137, 145, 190
Vathaire (de) 225, 265
Vautier 264
Vence J. 152, 284
Vésigné O. 226, 331-332
Veterano Cabeza de Hierro (El) 170
Vial 70, 140
Vial fils 125
Vial frères 125
Vickers T. 113
Vieta J. 159
Villeneuve H. (de) 38, 70, 106, 193
Villeneuve-Bargemont (comte C. de) 32, 35-37, 46, 64, 73, 75, 78
Viollier 32
Voulland L. 259
Voulland père & cie 259
Voulland, Roger & cie 259, 261
Walker & Hume 214, 232
Walker 116, 225
Walker P. 116, 125-126
Warrain & Decugis 241
Watt J. 50-51, 81, 115, 146, 277
Wauton 225
West 116
Westermann frères 113, 127
Wetherell J. 52, 118
Wetherell N. 51, 55, 118
299
White J. 113, 145, 160
Widmann E. 331
Wilkinson J. 51, 168
Williams T. 113, 241
Woolf A. 73, 147
Zappa E. 41
Zino & Henry 145
300