Mami Wata · 2011. 9. 20. · Mami Wata se place dans le genre fantastique avec son manoir hanté...
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Mami Wata
Un scénario de long-métrage de fiction de
Jocelyn Ismaël
Copyright : 00048594-4 Contact : [email protected] Site : jocelynismael.wordpress.com
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SOMMAIRE :
— SYNOPSIS — NOTE D’INTENTION — SCÉNARIO — SYNOPSIS DÉVELOPPÉ
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SYNOPSIS À dix années d’écart, deux chasseurs de gènes, l'un travaillant pour un laboratoire public, l'autre pour un privé, sont à la recherche d'un requin aux propriétés extraordinaires. Leur enquête les mène dans l'étrange manoir d'un mystérieux et riche collectionneur passionné de zoologie marine...
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NOTE D’INTENTION Mami Wata se place dans le genre fantastique avec son manoir hanté et sa créature mythique, mais mon objectif a été d’en détourner les codes, pour en réinventer l’univers et tenter de surprendre le spectateur en l’emmenant là où il ne s’y attend pas. Le procédé narratif s’articule en deux histoires parallèles décalées dans le temps dont chacune des découvertes de l’une nourrit l’aventure de l’autre, augmentant le suspens à chaque voile levé sur un nouveau mystère, et qui finissent par se rejoindre à la fin. Nous suivons deux approches d’une même enquête à dix ans d’écart où nos deux héros rencontrent une galerie de personnages atypiques et touchants, parfois abjects ou inquiétants, mais loin des stéréotypes habituels que leur fonction véhicule d’habitude dans le genre. Il s’agit néanmoins de raconter une histoire fantastique au sens classique du terme : c’est à dire organiser un glissement progressif mais inexorable de la réalité vers un univers cauchemardesque et fatal, glissement d’autant plus redoutable qu’il concerne deux scientifiques à l’esprit cartésien. Ainsi la majeure partie de l’action se joue dans un mystérieux manoir hanté, caché au cœur des landes, où une âme damnée entretient les aquariums et la collection océanographique de son défunt propriétaire. Là, nous irons au cœur des rêves et des ténèbres, jusque dans une crypte pleine d’aquariums où sommeille une créature qui vampirise sur le plan onirique puis physique. L’élément aquatique est prépondérant et omniprésent, vecteur formel et thématique s’il en est du rêve et des peurs ancestrales, et l’aquarium la tentative de sa maîtrise : élément tout à la fois rassurant et riche de vies, amniotique et absout de pesanteur, mais aussi élément sombre et inquiétant de la noyade et de l’horreur tapie dans les profondeurs. L’eau est ici le medium idéal du fantastique car il est insaisissable, en perpétuel mouvement et contient autant de merveilles à découvrir que de dangers inconnus à redouter.
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Ainsi la créature de cette histoire, Mami Wata, est empruntée au folklore haïtien. C’est une déesse de l’océan, une sirène à la frontière des continents et des mondes, de la civilisation et de la nature primitive, de la terre et de la mer, de l’Afrique et de l’Occident. Et dans notre histoire, elle devient une terrible malédiction, punition de la vanité des hommes qui pensent pouvoir capturer un dieu et s’en approprier le pouvoir. Mon objectif avec Mami Wata est d’offrir à un auteur réalisateur un terrain de jeu lui permettant de construire des ambiances étranges et inquiétantes, originales et atypiques. Mais c’est aussi le désir d’écrire un film fantastique classique qui raconte une intrigue s’adressant au plus grand nombre, avec du mystère et du suspens, de l’action et du spectaculaire. Voici quelques références qui ont accompagné mon écriture : Le film The Host de Joon-ho Bong pour l’art de réinventer le genre du film de monstre et d’emmener le spectateur là où il ne s’y attend pas, avec des personnages touchants et terriblement humains. Le film Shining de Stanley Kubrick pour la maestria dans le mélange entre le cauchemar et le réel et la contamination du présent par le passé. Le film Dark Water de Hideo Nakata pour sa vision esthétique et glaçante du revenant et surtout la gestion admirable de l’élément aquatique comme vecteur de la peur. La série Carnivàle (HBO) pour la galerie de monstres, le fantastique prégnant et la construction de deux histoires parallèles qui se rejoignent au climax. La bande dessinée (et non son adaptation au cinéma) La Ligue des Gentlemen Extraordinaires d’Alan Moore et Kevin O’Neill pour la réappropriation et la modernisation des mythes classiques de la littérature fantastique. Le jeu vidéo Bioshock (2K Games) pour le mélange des ambiances sous-marines gothiques et art déco, théâtre idéal et original de l’horreur génétique. Et bien d’autres auteurs : Lovecraft, H.G. Wells, Buzzati, Maupassant, Stephen King, Clive Barker, Tod Browning, Terence Fisher, Tim Burton, James Cameron, Peter Jackson, Guillermo del Toro, Mike Mignola...
Bonne lecture.
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SCENARIO
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1 EXT. NUIT. - INT. NUIT. MANOIR : COULOIRS - SALONS -
CRYPTE
Ouverture sur une vieille porte de bois massive : un
magnifique heurtoir en fer forgé représentant une tête de
poisson à la bouche béante trône au milieu de la porte.
La porte s’ouvre comme par enchantement : on avance
rapidement dans le manoir d’une pièce à l’autre
(TRAVELLING AVANT avec MENTIONS GÉNÉRIQUE).
Les premières pièces sont comme abandonnées (des draps
blancs couvrent les meubles, il n’y a pas ou presque pas
de lumière).
Plus on avance profondément dans le manoir, plus les
pièces semblent habitées, entretenues, et éclairées d’une
douce lumière orangée. La décoration est de style art déco
: de nombreux squelettes, animaux empaillés, trophées,
photos et dessins scientifiques illustrant le règne animal
(principalement aquatique), bibliothèques rayonnées de
vieux ouvrages, vitrines emplies de pierres et de fossiles
font ressembler l’endroit à un musée privé d’histoire
naturelle.
On entend le CHANT incroyablement perché d’une femme
soprano sur un VIEUX MAMBO (Gopher par Yma Sumac). Cette
musique est ponctuée par les SONS DE RAYURES d’un vinyle
sur un vieux tourne-disque.
On arrive devant une porte métallique (PAUSE DU
TRAVELLING). UNE MAIN D’HOMME ÂGÉ manucurée insère une
grande clef métallique dans la serrure et ouvre la porte.
REPRISE DU TRAVELLING : on avance dans un couloir sombre
et humide. La MUSIQUE DISPARAÎT peu à peu au profit du son
de CLAPOTIS de gouttes d’eau.
On descend des escaliers, le lambris fait place à la
pierre. On arrive dans la crypte : une immense cave voutée
pleine d’aquariums.
MENTION TITRE : MAMI WATA
On passe d’un aquarium à l’autre. Les premiers aquariums
sont sales et mal entretenus, certains vides, d’autres
envahis d’algues.
Le rythme des gouttes d’eau se mue en MUSIQUE
AFRO-CARIBÉENNE de plus en plus frénétique au fur et à
mesure que l’on découvre les différents aquariums :
Plus on avance, plus on découvre des aquariums grands et
beaux, certains d’eau douce, d’autres d’eau de mer, tous
habités de poissons, crustacés et diverses créatures
aquatiques aux formes et aux couleurs variées.
[.../...]
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[SUITE] 2.
Les aquariums du fond de la pièce sont immenses et pour la
plupart marins : là une raie passe devant nous, ici un
petit REQUIN ROSE (une cinquantaine de centimètres,
couleur étrangement rose scintillant de reflets bleus) se
faufile pour se cacher derrière des algues, aussitôt une
murène émerge brusquement d’une grotte de rochers comme
pour nous mordre en exhibant ses dents acérées, ailleurs
un crabe araignée dévore de la chair en putréfaction.
On voit une fissure d’une dizaine de centimètres sur la
paroi d’un aquarium. Une goutte d’eau glisse depuis la
fissure le long de la paroi, puis tombe...
2 INT. JOUR. TOILETTES DE LA STATION-SERVICE
... une goutte tombe dans un lavabo immaculé. Une autre
goutte coule depuis le robinet.
HECTOR (HORS CHAMP)
Salope...
Son de CHASSE D’EAU. HECTOR se regarde dans le miroir des
toilettes d’une station service : yeux noirs et perçants
bien que les globes injectés, quarantaine, visage fatigué,
rasé de près, cheveux bruns courts ébouriffés parsemés de
nombreux cheveux blancs, 1m90, carrure athlétique, costume
noir bien taillé, cravate rouge vif défaite et chemise
bleu électrique débraillée.
HECTOR
(à lui-même)
Bordel : c’est moi qui ai payé
cette putain de baraque...
Hector range le smart phone qu’il tient en main dans sa
poche de pantalon. On voit une alliance sur l’annulaire de
sa main gauche.
HECTOR
Quelle pute !
Un GROS MONSIEUR sort des WC derrière lui et le regarde
avec insistance en ajustant sa ceinture. Hector croise son
regard dans le miroir et se retourne vers lui :
HECTOR [suite]
(très agressif)
Quoi ?!
Le Gros Monsieur baisse les yeux et sort précipitamment.
HECTOR [suite]
(à lui-même)
Pas moyen d’être tranquille...
Hector fait couler l’eau dans le lavabo et s’asperge le
visage et les cheveux qu’il recoiffe vers l’arrière. Il
referme le robinet.
[.../...]
-
[SUITE] 3.
HECTOR [suite]
Allez Hector, c’est pas la fin du
monde. Reprends-toi.
Hector se CLAQUE les deux joues, referme le haut de sa
chemise, rajuste sa cravate.
HECTOR [suite]
Voilà.
Il se mire de trois-quarts gauche en ajustant sa veste,
puis de droite et se fait un clin d’œil dans le miroir
avec un léger sourire avant de sortir des toilettes.
Dans les toilettes désormais vides, on peut voir son
alliance posée à côté du lavabo dont le robinet continue
son goutte-à-goutte dans la vasque immaculée.
3 EXT. JOUR. STATION-SERVICE - AIRE D’AUTOROUTE
Les CLIENTS entrent et sortent de la station sous un
soleil de plomb. Une jolie JEUNE FEMME en robe légère
fleurie entre dans la station au moment où Hector en sort.
MENTION : AUTOROUTE DES DEUX MERS, AOÛT 2003
Hector lui tient la porte et s’écarte pour la laisser
entrer avec un grand sourire. Elle entre. Il sort, non
sans jeter un regard concupiscent sur le dandinement du
postérieur de la Jeune Femme.
Hector se dirige vers le parking, toujours le sourire aux
lèvres. Les yeux éblouis par le soleil, il sort de sa
poche intérieure des lunettes de soleil qu’il chausse.
Hector enclenche le BIP d’ouverture de sa voiture (berline
noire haut de gamme).
Tout en montant dans sa voiture, Hector regarde une
famille qui s’est installée pour pique-niquer sur l’aire
d’autoroute: les PARENTS sont attablés à une table en bois
où gisent une montagne de déchets, gobelets et papiers
gras.
Ils digèrent, presque inertes, pendant que deux gamins
d’une dizaine d’années vêtus de leur seul slip courent
autour d’eux et s’aspergent en RIANT à l’aide de fusils à
eau.
Hector ferme sa portière et allume son autoradio : on
entend le morceaux de MUSIQUE CLASSIQUE Aquarium du
Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns.
HECTOR
C’est quoi cette merde...
[.../...]
-
[SUITE] 4.
Il règle son autoradio, passant sur PLUSIEURS STATIONS
RADIOS puis s’arrête sur un ROCK ÉNERGIQUE (Killing In The
Name de Rage Against The Machine).
Hector MONTE LE SON À FOND en souriant : il secoue la tête
d’avant en arrière en rythme et DÉMARRE sa voiture.
Il met sa ceinture. Ses pneus CRISSENT sur le bitume
auréolé de chaleur. Sa voiture part en TROMBE sur la
bretelle qui rejoint l’autoroute.
4 INT. NUIT. LABO PUBLIC - BUREAU D’ANNE
Un gobelet en plastique vide. Son d’un BOUCHON DE
CHAMPAGNE qui saute. Le gobelet est rempli à ras bord du
liquide mousseux blanc qui déborde un peu puis se tasse en
liquide ambré.
MENTION : PARIS, JUIN 2013, 10 ANS PLUS TARD
Trois gobelets pleins de champagne sont entrechoqués pour
trinquer, off : RIRES, CRIS DE JOIE.
THÉA (H.C.)
Et de 500 !
Des listes interminables de séquences génétiques
(A-C-T-G-G-T-A-A-A- etc.) sur des bandes de papier, des
ordinateurs, certains éteints, d’autres allumés sur des
séquences biochimiques, une demi-douzaine de bureaux
séparés les uns des autres par des cloisons en plexiglas,
des piles de livres, des documents en vrac.
LÉO (H.C.)
Et encore un gène que les grands
labos n’auront pas, un !
RIRES (H.C.). Une main de femme vient punaiser une fiche
cartonnée sur laquelle on peut lire :
N 500 : GÈNE DE SYNTHÈSE DE LA SACCHARASE-ISOMALTASE,
suivi d’une modélisation d’une molécule complexe
organique.
APPLAUDISSEMENTS. La fiche est sur un mur couvert d’autres
fiches de couleurs variées et représentant toutes une
molécule organique.
ANNE recule pour admirer la 500ème fiche : femme d’une
quarantaine d’années, les cheveux courts, traits fatigués
mais regard vif et pétillant, 1m70, pantalon noir et pull
mauve, pas de bijoux, maquillage discret.
Elle sourit de toutes ses dents en se retournant vers ses
assistants qui APPLAUDISSENT :
[.../...]
-
[SUITE] 5.
LÉO (vingtaine d’années, blondinet mignon, habillé en
chemise débraillée et pantalon baggy) tient son gobelet de
champagne entre les dents pour applaudir.
Et THÉA, une femme d’une vingtaine d’années également, un
peu forte mais au visage extrêmement beau et doux, en jupe
et chemisier.
ANNE
Merci à vous deux aussi !
Elle pose son gobelet sur le bureau le plus proche et
écarte les bras en invitation à l’accolade.
Théa vient l’embrasser.
Léo pose lui aussi son verre de champagne puis s’invite à
l’accolade des deux femmes.
ANNE [suite]
On est les meilleurs !
THÉA
C’est toi la meilleure, Anne.
Léo hausse les sourcils avec un sourire de satisfaction
malicieux, tout en se serrant un peu plus contre les deux
femmes :
LÉO
Mmm... J’adore...
Théa le repousse sans méchanceté mais fermement :
THÉA
N’en profite pas toi.
Théa serre un peu plus fort Anne :
THÉA
Merci Anne... Merci pour tout...
Anne se dégage, un peu gênée.
Léo reprend son gobelet et le tend vers les deux femmes
côte-à-côte :
LÉO
À nous !
THÉA ET ANNE
À nous !
Ils boivent, RIENT. Anne remplit les gobelets même s’ils
ne sont pas complètement vides. Ils trinquent à nouveau.
Anne s’isole pour contempler son mur de fiches alors que
Léo fait le pitre pour amuser Théa.
[.../...]
-
[SUITE] 6.
Une main vient se poser sur l’épaule d’Anne : elle se
retourne :
ANNE
(au propriétaire de la main)
T’as vu ? 500 !
Devant elle se tient LE DIRECTEUR, très grand homme d’une
cinquantaine d’années, plutôt bel homme, costume pied de
poule haut de gamme, chevelure blanche sauvage mais
maitrisée, il porte un dossier dans sa main gauche.
Nullement soucieux de partager l’ambiance festive, il se
penche pour regarder la 500ème fiche de plus prêt.
DIRECTEUR
Qui est l’heureux élu ?
ANNE
(embarrassée)
Saccharase-isomaltase.
DIRECTEUR
Je vois ça, Anne, je vois ça...
Le Directeur fixe Anne en laissant échapper un SOUPIR
RÉPROBATEUR et secoue lentement la tête de droite à
gauche.
DIRECTEUR [suite]
On peut s’isoler deux minutes
dans ton bureau ?
Anne se dirige vers son bureau (petit espace de 10m2 isolé
du reste de la pièce par des parois vitrées) et y entre,
suivie de près par le Directeur qui referme la porte
derrière eux.
Ils restent debout. Le Directeur est immobile devant le
bureau. Il fixe Anne qui range avec une très légère
nervosité des documents sur son bureau tout en évitant
soigneusement de croiser son regard.
DIRECTEUR [suite]
(ferme mais calme)
Comment veux-tu que je te défende
là dessus Anne ?
Anne répond du tac au tac sans pour autant le regarder :
ANNE
Inutile de me défendre.
Il pouffe de mécontentement :
[.../...]
-
[SUITE] 7.
DIRECTEUR
Anne, je...
Cette fois, elle lui coupe la parole et le regarde droit
dans les yeux :
ANNE
Ni de m’accuser !
DIRECTEUR
(s’enflammant un peu)
Notre mission... Non ! TA mission
est de breveter un maximum de
gènes avant les grands
laboratoires pour qu’ils tombent
dans le domaine public ! Ce n’est
pas un jeu Anne, c’est une course
! Plus vite nous les faisons
tomber dans le domaine public,
moins vite les labos se
l’accaparent pour des futurs
médicaments hors de prix !
ANNE
Te fatigue pas avec ton laïus je
le connais par cœur.
DIRECTEUR
Tu ne peux pas perdre du temps
comme ça sur des maladies
orphelines... Parce que tu peux
leur faire confiance Anne ! Eux
ils ne vont pas perdre leur temps
là dessus ! Tout ce que tu fais
en t’intéressant à ce type de
gènes c’est leur laisser une
longueur d’avance dans la
privatisation du vivant.
Anne regarde Théa de l’autre côté de la vitre : elle rit
devant Léo qui mime un joueur d’accordéon avec une
modélisation de double hélice d’ADN.
ANNE
Je ne te demande pas un cours
d’éthique.
DIRECTEUR
Arrête, tu sais très bien ce que
je veux dire ! Tu n’as pas le
droit de faire passer l’intérêt
personnel avant l’intérêt
général, Anne, ça tu peux le
comprendre.
Le Directeur pointe un doigt accusateur en direction de
Théa en continuant de parler à Anne.
[.../...]
-
[SUITE] 8.
De son côté, Théa surprend ce geste alors que Léo continue
ses pitreries sans même réaliser que l’attention de Théa
est détournée.
DIRECTEUR [suite]
Surtout si ça implique un membre
de ton personnel !
Théa serre les dents et recentre son attention sur Léo qui
utilise deux modélisations moléculaires comme des bois de
cerf en grimaçant.
Anne détourne de nouveau le regard sur ses documents.
ANNE
Je ne vois pas de quoi tu parles.
Le Directeur émet un PETIT RIRE NERVEUX.
DIRECTEUR
Parce que tu crois vraiment que
ça va passer inaperçu ?! C’est
une coïncidence si ce gène là...
Il désigne le mur de fiches sans se retourner.
DIRECTEUR [suite]
... celui que tu viens de décoder
synthétise le type d’enzyme
responsable du diabète rare dont
souffre le petit frère de ta
collègue ?!
Anne baisse les yeux. Elle soupire. Elle regarde Théa à
travers la vitre puis fixe Le Directeur droit dans les
yeux. Anne regarde le dossier que Le Directeur tient sous
le bras. Elle le désigne avec un petit coup de tête :
ANNE
(hautaine)
C’est quoi ça ?
Comme s’il n’attendait que ça, il vient aussitôt se placer
à côté d’Anne et pose le dossier sur son bureau. On peut y
lire : DOSSIER 109, B&C 2003, H. ALBUMINE.
DIRECTEUR
Une bombe.
ANNE
C’était pour ça ton prêchi-prêcha
moralisateur ?! Pour me mettre la
pression et que j’accepte de
bosser sur ce gène ? C’est ça ?
Je suis la seule à décider de
l’orientation de mes
recherches...
[.../...]
-
[SUITE] 9.
DIRECTEUR
Regarde de quoi il s’agit avant
de pester...
Il lui ouvre le dossier. Anne parcourt le dossier feuille
après feuille (on aperçoit subrepticement le dessin du
Requin Rose). Anne a l’air tout d’abord dubitatif, puis
son intérêt croît en fébrilité au fur et à mesure qu’elle
feuillette le dossier 109.
ANNE
(plongée dans sa lecture)
Tu te rends compte des
implications de ce truc ?!
Il hoche la tête en signe positif.
ANNE [suite]
Tu crois vraiment un truc pareil
? C’est de la science-fiction !
D’où vient ce dossier ?
DIRECTEUR
Les archives du laboratoire
Bloche et Crique d’il y a dix
ans. Ne me demande pas comment
j’y ai eu accès tu vas encore me
traiter de queutard.
Anne lui fait une petite moue réprobatrice et désabusée
avant de replonger dans le dossier.
DIRECTEUR [suite]
Je ne sais pas si c’est de l’info
ou de l’intox mais ça mérite
enquête et ce labo n’a pas pour
habitude de s’intéresser à des
chimères.
ANNE
Si ce poisson existe et qu’il
possède bien un gène capable de
synthétiser cette molécule... Les
applications dans les maladies
dégénératives et le cancer
sont...
DIRECTEUR
(sourire de satisfaction)
Allez je te laisse digérer ça. Et
puis Anne, entre nous, c’est bien
beau de défendre la veuve et
l’orphelin, mais même un
organisme public comme le nôtre a
besoin d’autre chose que
d’autosatisfaction et d’onanisme
judéo-chrétien.
[.../...]
-
[SUITE] 10.
(sortant du bureau)
Alors finies les célébrations et
au boulot !
ANNE
(sans véhémence, blasée)
Fous le camp, salopard.
Anne JETTE son gobelet de champagne contre la porte vitrée
juste refermée par Le Directeur.
Puis elle s’assoit pour replonger dans la lecture
attentive du dossier.
Le liquide ambré dégouline le long de la paroi en
plexiglas.
5 EXT. JOUR. VOITURE D’HECTOR - FORÊT DES LANDES
Soleil de plomb. Une goutte de sueur coule le long du
front d’Hector. Il conduit sa voiture au cœur de la forêt
landaise sur une interminable départementale parfaitement
droite.
MENTION : FORÊT DES LANDES, AOUT 2003
AUTORADIO
...alors que le sinistre bilan
des morts chez les personnes
âgées pour cause de
déshydratation ne cesse de
s’alourdir. Les météorologues
tirent la sonnette d’alarme :
selon eux, l’Europe atteint des
records inégalés en cet été 2003.
Cette canicule ne serait que la
première manifestation des
dérèglements à venir conséquences
du réchauffement climatique. Car
il faut s’attendre dans les
prochaines décennies à des
sécheresses et des canicules de
ce type, mais aussi à une
généralisation des cyclones et
des tempêtes violentes, ainsi
qu’à des inondations dues aux
fortes crues et surtout à
l’élévation progressive du niveau
de la mer. Ainsi on peut
s’attendre à un nouveau type de
réfugiés : des réfugiés
climatiques venus de pays comme
le Bangladesh ou encore le...
Hector TAPOTE nerveusement contre les boutons à droite du
tableau de bord, il s’acharne en particulier sur celui de
la climatisation :
[.../...]
-
[SUITE] 11.
HECTOR
Saloperie !
SONNERIE DE TÉLÉPHONE. Hector COUPE LA RADIO et insère une
oreillette.
HECTOR [suite]
Salut Laurence. Comment va au
labo?
VOIX DE LAURENCE
T’es où Hector ?
HECTOR
Tu verrais ce coin paumé... Au
fin fond du trou du cul de... Je
ne sais pas vraiment où en
fait... En pleine forêt landaise
et en plein cagnard. Et sans
clim’ !
VOIX DE LAURENCE
Je viens de te défendre... le DRH
t’avait mis sur la liste du
prochain dégraissage.
HECTOR
Merde ! Le salaud ! Heu... Merci
Laurence, je....
VOIX DE LAURENCE
Inutile de te dire que tes
récents échecs n’ont pas pesé en
ta faveur au conseil
d’administration.
HECTOR
Attends, attends... Je... Je me
suis laissé distancer sur
quelques gènes, OK, mais là avec
celui-là je vais tout rattraper.
Je suis sur un coup énorme, là !
VOIX DE LAURENCE
Oui et bien justement, donne-moi
un peu de viande, histoire de les
faire patienter.
Hector SOUPIRE. Visiblement gêné.
VOIX DE LAURENCE [suite]
Je ne veux pas te piquer ce gène,
rassure toi. Je veux juste de
quoi retarder ton licenciement.
[.../...]
-
[SUITE] 12.
HECTOR
Carcharhinus Barbarosatus.
VOIX DE LAURENCE
Un requin ?
HECTOR
Oui. Très rare. Officiellement
disparu même. Il synthétise une
substance qui régénère les
cellules nerveuses. Si j’arrive à
trouver un spécimen, le labo va
se faire des couilles en or,
Laurence. Les applications sont
infinies pour les maladies
dégénératives.
VOIX DE LAURENCE
Et tu m’expliques pourquoi tu
chasses une espèce disparue de
requin au fin fond de la forêt ?
HECTOR
Là je t’en dirai pas trop non
plus.
VOIX DE LAURENCE
Hector...
HECTOR
Bon... Disons qu’un
collectionneur a peut-être un
spécimen vivant en aquarium.
C’est là-bas que je vais. Inutile
de me demander qui et où. Je t’ai
envoyé un dossier complet. Il
arrivera dans trois jours au plus
tard.
VOIX DE LAURENCE
C’est ta dernière chance Hector.
Mais si un labo public te
distance une fois de plus parce
que tu fais de la rétention
d’information, je ne pourrais
plus te défendre. Et puisque
tu...
HECTOR
Laurence ? Laurence ?
Hector quitte la route des yeux le temps de regarder
l’écran de son téléphone portable :
HECTOR [suite]
Et merde, plus de réseau, mais
quel trou ! C’est pas possible...
[.../...]
-
[SUITE] 13.
Au moment où Hector regarde de nouveau devant lui, il voit
un ENFANT au beau milieu de la route, à une cinquantaine
de mètres de la voiture qui roule à plus de 100 km/h :
l’Enfant a entre dix et quinze ans, grand pré ado habillé
en pantalon de velours trop grand et en tee-shirt rouge à
motif bleu, il regarde bêtement Hector lui foncer dessus.
Hector a tout juste le temps de donner un violent coup de
volant pour éviter l’Enfant qui ne bronche pas.
L’aile avant droite frôle le pantalon de l’Enfant.
La voiture part en tête à queue. Hector voit le paysage
vriller. Il FREINE. Les pneus CRISSENT.
Malgré la ceinture, le visage d’Hector vient violemment
HEURTER le volant.
La voiture tourne deux fois sur elle-même en laissant des
traces de gomme sur le bitume avant de s’immobiliser au
milieu de la route.
NOIR.
Hector ouvre les paupières, la tête écrasée contre son
volant. Il se redresse en GÉMISSANT. Son nez et sa bouche
sont couverts de sang.
Il porte sa main à son visage et GEINT de douleur. Il
TOUSSE ET CRACHE un peu de sang. Il se masse la mâchoire
endolorie.
Il regarde la route devant lui : rien. Il regarde alors
dans son rétroviseur : rien non plus.
HECTOR [suite]
Bordel...
Hector DÉCROCHE sa ceinture et pose la main sur
l’ouverture de sa portière.
Regardant alors sur sa gauche par la vitre conducteur, il
voit l’Enfant posté devant la portière, presque collé au
véhicule, qui le regarde, impassible : surpris, Hector
SURSAUTE comme un diable.
HECTOR [suite]
Putain le con !
Hector sort maladroitement de son véhicule alors que
l’Enfant s’écarte pour le laisser passer.
Encore sonné, Hector vacille, trébuche et TOMBE.
L’Enfant le regarde sans rien faire : il a les yeux
inexpressifs avec un léger strabisme et un vilain eczéma
au coin des lèvres. Le motif de son tee-shirt représente
une baleine dont le geyser projette un petit personnage.
[.../...]
-
[SUITE] 14.
Hector se relève en prenant appui sur sa voiture.
HECTOR [suite]
Ne m’aide pas surtout...
6 INT. NUIT. LABO PUBLIC - BUREAU D’ANNE
Une FEMME DE MÉNAGE ramasse les gobelets vides et les
jette dans la poubelle de son chariot. Elle traverse le
labo désert.
À l’exception du bureau d’Anne où cette dernière est
plongée dans la lecture du dossier 109. Une tasse de café
fume sur son bureau.
Elle regarde une vieille photo floue d’un grand aquarium
où nage le Requin Rose :
ANNE
(dans un souffle)
Carcharhinus Barbarosatus...
Anne prend la souris de son ordinateur en main et clique
sur une icône de logiciel pour ouvrir une BASE DE DONNÉES
ZOOLOGIQUE.
Elle tape CARCHARHINUS BARBAROSATUS dans la fenêtre de
recherche prévue à cet effet. Les termes RECHERCHE EN
COURS clignotent en même temps qu’une icône de panda en
animation flash se gratte la tête en boucle.
Anne boit une gorgée de son café. BIP SONORE. Elle regarde
son écran.
Le panda fait la grimace, on peut lire : CARCHARHINUS
BARBAROSATUS, PETIT REQUIN DE L’ATLANTIQUE EST, MER DES
SARGASSES, ESPÈCE DISPARUE DEPUIS LES ANNÉES 90.
ANNE [suite]
Merde... Ça commence bien.
Anne reprend la photo du Requin Rose du dossier et la
retourne. On peut y lire les inscriptions manuscrites
suivantes :
CARCHARHINUS BARBAROSATUS, COLLECTION PRIVÉE, MANOIR
BARBESSIAN, OCTOBRE 1995.
ANNE [suite]
Hum... Peut-être pas disparue
pour tout le monde...
-
15.
7 EXT. JOUR - CRÉPUSCULE. VOITURE D’HECTOR - FORÊT DES
LANDES
Hector conduit sur une route encore plus petite que la
précédente.
Il tient le volant d’une main et maintient un mouchoir en
papier sur son nez de l’autre. Sa voiture stoppe à un
croisement en fourche.
Hector retire le mouchoir de son nez et pivote le
rétroviseur vers lui : son nez est bleuté mais le sang a
coagulé.
Il jette son mouchoir plein de sang par la vitre ouverte
de sa voiture puis regarde vers le siège passager.
HECTOR
Et là ?
L’Enfant est assis sur le siège passager. Ils se
regardent. Un temps.
HECTOR [suite]
Alors ?
L’Enfant répond juste par un grand sourire qui laisse
apparaître une rangée de dents chaotique.
HECTOR [suite]
(mi amusé mi agacé)
Tu ne perds pas le nord toi.
Hector plonge sa main dans sa veste pour en sortir son
portefeuille. Il en extrait un billet de vingt euros qu’il
tend à l’Enfant.
Mais Hector retient le billet au moment où l’Enfant tend
la main pour le saisir entre le pouce et l’index.
HECTOR [suite]
C’est le dernier.
L’Enfant ne bronche pas. Hector soupire et lâche le
billet. L’Enfant enfourne le billet dans son pantalon.
Puis il lève le bras et désigne du doigt la branche droite
de la fourche.
La voiture s’enfonce dans les sous-bois de plus en plus
denses.
La route en goudron fait bientôt place à un chemin étroit
de terre et de sable.
Des ronces griffent la carrosserie de la voiture avec UN
CRISSEMENT DÉSAGRÉABLE.
[.../...]
-
[SUITE] 16.
HECTOR [suite]
Bordel, ma bagnole ! J’espère
pour toi que c’est bien là et que
je vais pas en plus m’ensabler
dans ce merdier.
Alors que la voiture continue de s’enfoncer plus avant
dans la forêt, l’Enfant se cure le nez sans vergogne puis
porte le fruit de sa recherche à sa bouche.
Hector qui surprend ce geste fait une grimace de dégout en
reportant son attention sur le chemin.
La voiture stoppe devant une double grille en fer forgé
rouillé. De part et d’autres de cette grille un haut mur
de pierre de trois mètres de haut s’enfonce dans les bois,
délimitant l’immense propriété.
HECTOR [suite]
T’es certain que c’est là ?
L’Enfant acquiesce en silence. Hector soupire et sort de
sa voiture. Il avance près de la grille derrière laquelle
le chemin continue dans les bois.
Perché sur la grille, UN MERLE semble fixer Hector de son
œil noir cerclé de jaune. L’oiseau lance son CRI D’ALARME
puis s’envole par dessus Hector qui le suit du regard.
Hector aperçoit une plaque en métal recouverte de lierre
rivetée sur le mur d’enceinte.
Il en écarte les feuilles et recule légèrement pour mieux
lire l’inscription patinée par le temps : MANOIR
BARBESSIAN.
Hector sourit. Il sort son portefeuille et en extirpe un
billet de cinquante euros qu’il tend en l’air :
HECTOR [suite]
T’as gagné le gros lot gamin.
Bien joué.
Hector se retourne : rien. La portière du passager est
ouverte mais plus aucune trace de l’Enfant.
HECTOR [suite]
Merde... Bof...
(rangeant le billet)
Tant pis pour toi après tout.
Hector ouvre les deux battants de la lourde grille qui
GRINCE.
Il regarde le soleil qui commence à disparaître derrière
les pins.
-
17.
La voiture passe entre les grilles. Le merle revient se
poser à sa place d’origine et suit la voiture du regard.
8 INT. JOUR - MATIN. BUREAU D’ANNE - LABO PUBLIC
Anne est assise devant son bureau au téléphone. Elle
griffonne nerveusement d’une main sur un calendrier (date
lisible : 10 JUILLET 2013) et tient son téléphone de
l’autre.
ANNE
(au téléphone)
Oui... Je sais... Je...
À l’extérieur du bureau, Théa frappe à la porte vitrée du
bureau d’Anne.
Anne lui fait un signe de la main pour lui faire
comprendre de patienter et continue sa discussion au
téléphone.
ANNE [suite]
(s’énerve)
Non ! J’ai dit pas touche à mes
assistants ! J’en ai rien à
foutre... J’assume tout.
Elle raccroche brutalement. Elle se prend la tête dans les
mains et SOUPIRE. Théa FRAPPE à nouveau.
Anne relève la tête, lui fait signe d’entrer et se force à
sourire.
THÉA
(entrant)
C’est à cause de moi, c’est ça ?
ANNE
(peu crédible)
Non Théa... Non non, des soucis
administratifs. Tu sais comment
ils sont... Tu veux ?
THÉA
J’ai fait les recherches que tu
m’avais demandées sur monsieur
Barbessian et je n’ai pas trouvé
grand chose.
ANNE
Pas grand chose c’est toujours
mieux que rien. Je t’écoute.
THÉA
Ben... Regarde ton courrier
électronique. Je t’ai envoyé le
peu de docs que j’ai trouvés.
[.../...]
-
[SUITE] 18.
Anne fait glisser sa souris, et regarde son écran
d’ordinateur.
THÉA [suite]
Apparemment c’est le riche
héritier d’une vieille famille
d’industriels.
Pendant que Théa parle, Anne continue de regarder son
ordinateur.
ANNE
Tu as trouvé ses coordonnées ?
THÉA
Non, malheureusement. J’ai juste
une vieille photo de son manoir.
Théa se penche par dessus l’épaule d’Anne pour désigner du
doigt un fichier sur l’écran.
THÉA [suite]
Ce Jpeg là. Regarde.
Anne DOUBLE CLIC sur le fichier : on voit la photo d’un
vaste manoir (imitation des manoirs anglais de style
Tudor) perdu au milieu d’un océan de pins, deux étages.
Une allée serpente jusqu’à l’entrée, encadrée par deux
statues de sirènes armées de trident, sensuelles et
lascives.
THÉA [suite]
Il l’a fait construire dans les
années 30.
ANNE
Dans les années 30 !? Mais il a
quel âge ce type ?
9 EXT. CRÉPUSCULE. DEVANT LE MANOIR
THÉA (OFF)
Ben ça non plus j’ai pas trouvé.
La voiture d’Hector arrive devant le manoir. La façade est
recouverte de beaucoup plus de lierre que sur la photo de
Théa.
THÉA (OFF) [suite]
Il est même peut-être mort.
Hector sort de sa voiture et contemple la façade du
manoir.
MENTION : MANOIR BARBESSIAN, AOÛT 2003
[.../...]
-
[SUITE] 19.
Aucune lumière derrière les fenêtres. L’une des deux
sirènes qui encadrent la porte a perdu sa tête, l’autre
son trident.
Hector vient devant la porte et se saisit du heurtoir à
tête de poisson puis FRAPPE TROIS COUPS.
Il contemple la façade et les alentours en attendant : le
lierre recouvre presque toute la façade, certaines pierres
sont lézardées, des mauvaises herbes envahissent les
graviers de l’allée.
Impatient, il FRAPPE de nouveau plusieurs coups un peu
plus forts que la première fois. Toujours rien.
HECTOR
Et merde, y’a personne là-dedans.
Encore une fausse piste. Foutu
marseillais qui m’a envoyé dans
ce trou !
Hector regarde son téléphone portable : aucun réseau.
Il va jusqu’à une fenêtre du rez-de-chaussée et se fraye
un chemin à travers les plantes du parterre.
Il se griffe la main et la veste sur un rosier.
HECTOR [suite]
Bordel...
Il arrive à la fenêtre et se colle contre la vitre pour
regarder dans le manoir.
Il voit une grande pièce visiblement abandonnée, des draps
blancs recouvrent les meubles.
Hector SOUPIRE de mécontentement.
Mais une silhouette passe subrepticement entre deux
meubles au fond de la pièce ! Aussitôt Hector FRAPPE
contre la vitre:
HECTOR [suite]
Hé ho, je vous ai vu ! Arrêtez
votre manège. Ouvrez-moi !
Hector sort maladroitement du parterre en trébuchant et
retourne devant la porte d’entrée qu’il essaie d’ouvrir.
À sa grande surprise, elle n’est pas fermée à clef. Il
l’entrouvre, passe la tête dans l’entrebâillement et dit :
HECTOR [suite]
Excusez-moi de vous importuner à
une heure aussi tardive mais...
Je suis à la recherche de
[...]
[.../...]
-
[SUITE] 20.
HECTOR [suite]
monsieur Barbessian. C’est bien
ici ? C’est... C’est encore
habité ou vous êtes un squatter ?
Hou hou. Je ne vous veux aucun
mal !
(à lui-même)
Merde. C’est quoi cette
embrouille! Un squatter au milieu
de la forêt, t’es con ou quoi...
N’importe quoi... Bon.
Hector regarde le ciel : le soleil se couche. Il entre
dans le manoir et referme la lourde porte derrière lui.
10 INT. NUIT. MANOIR : ENTRÉE - COULOIRS
L’entrée est très sombre. Hector tâtonne les murs en
cherchant dans l’obscurité.
Il trouve un vieil interrupteur en porcelaine sur le mur.
Il l’enclenche.
Les vieilles ampoules GRÉSILLENT en s’allumant, éclairant
les lieux d’une lumière orangée et chaude : l’entrée est
une grande salle donnant sur un escalier monumental qui
permet l’accès aux étages.
HECTOR
S’il vous plaît ? Il y a
quelqu’un?
Un léger ÉCHO fait résonner sa voix dans le vide. Il
regarde autour de lui : les meubles sont recouverts de
draps blancs.
Sur l’un des murs, une photo encadrée et poussiéreuse
attire l’attention d’Hector.
Il s’en approche, la décroche du mur et souffle dessus
pour faire s’envoler la poussière en un nuage éphémère: on
y voit un HOMME d’une cinquantaine d’année, petit (un
mètre soixante maximum) mais large d’épaules, jovial et
complètement chauve, mais pourvu d’une barbe brune
impressionnante ; il est habillé d’un short et d’un pull
marin. L’Homme pose à côté du COMMANDANT COUSTEAU à peu
près au même âge, le dépassant d’au moins trois têtes, son
sempiternel bonnet rouge vissé sur la tête. Ils sont sur
un port, la CALYPSO en arrière-plan.
HECTOR [suite]
Enchanté monsieur Barbessian.
On observe Hector. Il repose la photo. Il quitte l’entrée
et avance dans le manoir
Il allume les lumières les unes après les autres. Il
traverse ainsi plusieurs pièces et couloirs.
-
21.
11 INT. NUIT. MANOIR : PETIT SALON - COULOIR
Hector arrive dans ce qui ressemble à un petit salon.
Contrairement aux autres pièces, il n’y a pas de draps sur
les meubles.
L’une des issues du petit salon est un long couloir se
terminant par une porte métallique.
Hector passe son doigt sur une commode et constate
l’absence de poussière.
HECTOR
Hum...
Il regarde tout autour de lui et voit trois fauteuils
d’époque disposés autour d’un guéridon devant une
cheminée. Une panière de fruits est sur le guéridon (des
pommes, des oranges, bananes, kiwis).
Hector s’approche du guéridon, méfiant, regardant toujours
autour de lui.
Il prend une belle pomme rouge et jaune et la fait tourner
devant lui.
Sur le rebord de la cheminée se trouve une statuette de
bronze d’une vingtaine de centimètres de haut représentant
une sirène : elle est assise et tient un trident comme les
statues de pierre de l’entrée ; elle est également très
sensuelle, la poitrine opulente, mais lève son trident au
dessus d’elle avec la bouche ouverte comme criant,
carnassière et vindicative.
Hector remarque la statuette et s’en approche pour mieux
l’observer tout en croquant la pomme à pleines dents.
Il se fige soudain ! La statuette a la bouche fermée et
esquisse un sourire.
Hector crache le contenu de sa bouche avec une grimace de
dégout. Il regarde la pomme : elle est pourrie et
recouverte de moisissures.
Il la jette par terre nerveusement et regarde la panière :
les fruits sont tous pourris et moisis, deux BLATTES sont
au festin.
Hector regarde de nouveau la sirène : elle ne sourit pas,
sa bouche est ouverte comme auparavant.
HECTOR [suite]
Qu’est-ce que c’est que ce
merdier?!
[.../...]
-
[SUITE] 22.
Il se fige de nouveau, subitement, les yeux plein
d’effroi, et lève lentement les mains au ciel : le double
canon d’un fusil de chasse est collé contre sa nuque
(canons juxtaposés à 2 coups).
JONAS (H.C.)
En quoi peut-on vous être utile ?
Cette voix est celle d’un homme, douce mais ferme : il
parle lentement en articulant presque à l’excès avec un
rythme assez monotone.
HECTOR
Je... Pardon... Excusez-moi...
Je... J’ai frappé, j’ai appelé...
Personne n’a répondu... La porte
était ouverte... Et je pensais
que...
JONAS (H.C.)
Que voulez-vous ?
HECTOR
Je... Je suis à la recherche de
monsieur Barbessian... Je...
JONAS (H.C.)
Il est absent. Vous êtes là pour
lui dérober quelque chose ?
HECTOR
Non ! Non, je... Je ne suis pas
un voleur...
Le canon se décolle de sa nuque :
JONAS (H.C.)
Retournez-vous.
Hector se retourne et voit JONAS : homme d’une bonne
soixantaine d’années, grand et sec, habillé d’un pantalon
en velours beige et d’une veste en laine kaki.
Il regarde Hector de haut en bas tout en le maintenant en
joue de son fusil de chasse.
JONAS
Qui êtes-vous ?
HECTOR
Je m’appelle Hector. Je suis
chercheur pour Bloche et Crique,
le grand laboratoire
pharmaceutique...
Hector baisse lentement sa main jusqu’à sa poche de veste
pour en ressortir une carte bristol qu’il tend à Jonas :
[.../...]
-
[SUITE] 23.
HECTOR [suite]
... Vous connaissez forcément.
Nous sommes leader sur le marché
français.
Jonas regarde la carte sans la prendre :
JONAS
Jamais entendu parler.
HECTOR
(étonné de la réponse)
Vous avez forcément déjà pris un
de nos médicaments !?
Jonas baisse lentement le canon de son fusil :
JONAS
Je me méfie de la médecine, je me
soigne par les plantes.
Hector baisse les bras et sourit :
HECTOR
Ah mais nous avons aussi toute
une gamme de produits naturels
pour à peu près tous les types de
maladies.
JONAS
Je ne suis jamais malade.
HECTOR
Ah...
Hector regarde autour de lui, un peu gêné du silence qui
s’installe. Jonas, le fusil le long du corps, continue de
le fixer, impassible.
HECTOR [suite]
Et... Monsieur Barbessian ?
Vous... Vous croyez que je peux
l’attendre? Il revient quand ?
JONAS
Jamais.
HECTOR
Pardon ?
JONAS
Il est mort.
HECTOR
Merde !
[.../...]
-
[SUITE] 24.
JONAS
"Condoléances" serait plus
approprié à la circonstance.
HECTOR
Ah oui... Pardon, condoléances.
C’est embêtant ça...
JONAS
Certes.
SILENCE.
HECTOR
Mais... Sa collection ? Elle
existe toujours ? Son musée privé
?
JONAS
Oui.
HECTOR.
Ah bien. Et... Et vous croyez que
ce serait possible d’y jeter un
coup d’œil ?
Jonas scrute Hector de haut en bas comme une bête
curieuse.
HECTOR. [suite]
Pour mes recherches...
JONAS
Oui.
HECTOR
Bien bien, très bien.
Hector regarde Jonas, les yeux écarquillés dans
l’attente...
HECTOR [suite]
Et... Où est-ce ?
JONAS
Demain.
HECTOR
Pardon ?
JONAS
Nous verrons cela demain
monsieur. Pour l’instant il est
tard je vais vous montrer votre
chambre.
[.../...]
-
[SUITE] 25.
HECTOR
(un peu déçu mais content)
Ah... Mais appelez-moi Hector,
pas monsieur.
JONAS
Comme vous voulez monsieur
Hector. Suivez-moi.
Jonas invite Hector à le suivre, ils commencent à se
diriger vers la sortie de la pièce.
HECTOR
Serait-il possible de vous
emprunter un téléphone, mon
portable ne passe pas ici et il
faudrait que...
JONAS
Nous n’avons plus le téléphone.
Les câbles ont été coupés lors de
la dernière tempête.
HECTOR
Ah... Mince... Bon.. Pas grave ça
attendra... Et... Ce ne serait
pas trop abuser de vous demander
un petit quelque chose à manger.
Je... Je ne pensais pas que le
manoir était aussi éloigné de
tout et je n’ai rien prévu...
Alors je me suis permis de manger
l’un de vos fruits mais ils...
JONAS
Si vous n’aimez pas les fruits,
je vous apporterai une collation
dans votre chambre.
HECTOR
Si si j’aime les fruits... Mais
ceux là sont pourris...
JONAS
Ils ne sont pas pourris...
Monsieur Hector.
HECTOR
Mais si ! Regardez ils sont...
Hector se retourne vers la corbeille de fruit : les fruits
ne sont effectivement pas pourris.
HECTOR [suite]
Merde. Je...
[.../...]
-
[SUITE] 26.
JONAS
Quelque chose ne va pas Monsieur
Hector ?
HECTOR
(se masse les tempes)
Non non... Je... Ça doit être le
choc, j’ai eu un léger accident
de voiture avant de venir ici,
rien de bien méchant. Tout va
bien... Une bonne nuit de sommeil
me fera du bien.
Ils quittent la pièce.
12 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR
Une truite aux amandes est à moitié mangée dans une
assiette. L’assiette est sur un plateau, lui-même sur un
couvre-lit cramoisi aux motifs d’acanthes dorées. Sur le
plateau, il y a aussi le squelette d’une grappe de raisin
ainsi qu’une carafe de vin rouge presque vide.
Hector mire la robe du verre de vin rouge qu’il tient. Il
fait tournoyer le liquide avec souplesse avant de se
l’enfiler. Il SOUPIRE de plaisir.
Il est avachi sur un vieux lit à baldaquin à coté du
plateau des restes de son repas. Sa chambre est plutôt
petite mais richement décorée. En face du lit, au dessus
d’une cheminée, une reproduction du Radeau de la Méduse de
Géricault est accrochée.
Hector se lève pour regarder le tableau de plus près.
Il regarde son téléphone portable et constate l’absence de
réseau. Il se dirige vers la fenêtre.
Il voit sa voiture garée dans l’allée. La fenêtre de sa
chambre est au deuxième étage.
Un SON DE PAS MOUILLÉS attire son attention vers la porte
de sa chambre.
Il traverse la pièce et colle son oreille contre la porte
pour mieux entendre : FLOC, FLOC, FLOC... Les PAS se
rapprochent et semblent même s’arrêter devant sa porte.
Hector recule de quelques pas et scrute la poignée de la
porte, s’attendant à ce qu’elle bouge...
Mais elle ne bouge pas. En revanche, de l’eau glisse
lentement sous la porte et forme peu à peu une flaque
informe d’un mètre de diamètre.
Fasciné, Hector ne bouge pas, et se contente de regarder
la flaque qui s’agrandit toujours jusqu’à venir devant ses
pieds.
[.../...]
-
[SUITE] 27.
À l’instant même où l’eau vient toucher la semelle
d’Hector, la flaque se réduit aussitôt comme reculant sous
la porte dans un étrange BRUIT DE SUCCION ET DE SIPHON.
Alors qu’elle disparait sous la porte, Hector BONDIT comme
un diable POUR L’OUVRIR :
Il n’y a rien derrière la porte. Hector regarde à droite
et à gauche dans le long couloir vide : rien non plus. Il
SOUPIRE.
Il regarde de nouveau dans le couloir et secoue
négativement la tête de droite à gauche :
HECTOR
(à lui-même)
Va donc te coucher...
Alors qu’il REFERME la porte derrière lui, on voit
subrepticement dans le couloir des traces de pieds nus
humides sur le parquet.
Hector s’allonge sur le lit tout habillé. Il se masse les
tempes comme sous l’emprise d’un mal de tête.
Il regarde la porte. Puis se détend et ferme les yeux.
La flaque revient sous la porte. Hector dort. Elle s’étend
très rapidement.
Elle emplit très vite la totalité de la pièce. Ce n’est
plus une flaque mais une véritable inondation silencieuse.
Le niveau monte peu à peu dans la chambre.
L’eau arrive maintenant au niveau du lit et recouvre
Hector complètement.
13 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE INONDÉE
Hector est toujours sur le lit mais la pièce est emplie
d’eau.
Il ouvre les yeux, panique, HURLE en émettant des bulles.
Il se débat en se noyant, terrifié et incrédule.
14 INT. AUBE. BUREAU D’ANNE
Anne se réveille en suffoquant, comme si elle avait
partagé en rêve cette noyade.
Elle reprend ses esprits et voit qu’on lui tend une tasse
de café fumant. Elle s’étire et prend le café :
[.../...]
-
[SUITE] 28.
ANNE
Merci.
DIRECTEUR
Ça va ?
ANNE
Oui oui. Juste un cauchemar.
DIRECTEUR
T’as encore passé la nuit ici ?
Tant qu’à découcher, je
préfèrerais que tu viennes chez
moi...
Il passe tendrement sa main sur son épaule. Elle retire la
main du Directeur avec fermeté.
DIRECTEUR [suite]
T’aurais bien besoin de te
détendre en ce moment, tu m’as
l’air trop stressée.
Le Directeur regarde les papiers sur son bureau.
DIRECTEUR [suite]
Alors ? Ça avance ?
ANNE
Bof. L’espèce est officiellement
disparue. Sauf un spécimen chez
un collectionneur. Un riche
excentrique passionné de sciences
naturelles et surtout des milieux
aquatiques : Barbessian.
DIRECTEUR
Et bien il suffit de trouver ce
monsieur.
ANNE
Tout le problème est là.
Complètement insaisissable le
bonhomme, très secret voire
complètement paranoïaque,
impossible de trouver l’adresse
de ce foutu manoir. Ah... et
autre chose...
DIRECTEUR
Oui ?
ANNE
Faut que je vérifie des infos
importantes, j’ai besoin d’aller
à Monaco, au musée
océanographique.
[.../...]
-
[SUITE] 29.
DIRECTEUR
Hum... Encore des notes de frais,
c’est ça ?
ANNE
Je veux être sûre que ce n’est
pas un banal requin. Ce serait
dommage de chasser une chimère,
non ?
Il la regarde fixement. Elle soutient son regard :
ANNE [suite]
Tu le veux ou pas ton gène ?
Barbessian a collaboré avec
Monaco d’après ton dossier. Il
peut y avoir des infos
essentielles dans leurs archives.
DIRECTEUR
Soit. Mais sans frais. Je ne veux
pas non plus te payer un séjour
de bronzette méditerranéenne.
ANNE
Quelques jours me suffiront.
DIRECTEUR
Prends le temps qu’il faudra. Ça
ne te fera pas de mal de te
détendre un peu.
ANNE
Merci. Tu ne seras pas déçu.
DIRECTEUR
Je te fais confiance pour ça.
Trouve-nous le requin de ce
monsieur...
ANNE
Barbessian.
DIRECTEUR
Oui... Barbessian...
ANNE
Et l’auteur du dossier, tu n’as
aucune info sur lui, il pourrait
peut-être nous aider ?
Anne referme le dossier pour désigner du doigt le nom H.
ALBUMINE, écrit en bas à gauche de la couverture.
DIRECTEUR
Albumine ? Drôle de nom... Je
pensais qu’il s’agissait de la
protéine.
[.../...]
-
[SUITE] 30.
ANNE
Non non, ça a bien l’air d’être
le nom du type qui a constitué ce
dossier, tous les rapports sont
signés de ce nom.
DIRECTEUR
Albumine... Pas courant ça. Très
bien. Mais faut que je demande à
Laurence, c’est par elle que j’ai
eu ce dossier.
ANNE
(murmure)
Les marins ont une femme dans
chaque port, toi une chercheuse
dans chaque labo...
Le Directeur se dirige vers la fenêtre du bureau et en
ouvre les stores : la lumière de l’aube inonde la pièce.
DIRECTEUR
(contre-jour)
Oh ça va ta morale, et puis
honnêtement j’ai couché avec elle
uniquement pour avoir ce dossier.
Cette fois rien à voir avec mon
insatiable appétit sexuel.
ANNE
Tu me dégoutes.
DIRECTEUR
Moi aussi je t’aime, Anne. Pour
en revenir à nos moutons,
Laurence est en expédition en
pleine Amazonie en ce moment...
Difficilement joignable. Mais je
vais faire mon possible.
15 INT. JOUR. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR
Une SILHOUETTE EN CONTRE-JOUR tire les rideaux de la
chambre d’Hector.
ANNE (OFF)
Et bien dès que t’as du nouveau
sur ce monsieur Albumine,
préviens-moi, on a pas grand’
chose à se mettre sous la dent
là.
C’est Jonas. Il prend un plateau de petit déjeuner complet
posé sur la cheminée en dessous de la reproduction du
Géricault et le porte jusqu’au lit.
[.../...]
-
[SUITE] 31.
JONAS
Bonjour monsieur Hector.
La tête d’Hector est dissimulée sous les coussins, son
corps nu en sueur est à demi couvert pas les draps
froissés dans lesquels il semble complètement emmêlé. Il
est parfaitement immobile.
Jonas pose le plateau sur la table de chevet. Puis il se
penche sur Hector.
JONAS [suite]
Monsieur Hector ?
Jonas lui touche le bras du bout du doigt : Hector
SURSAUTE et CRIE, luttant contre les draps !
Hector regarde tout autour de lui, apeuré, puis voit Jonas
qui le fixe, sans émotion.
Hector CONTRÔLE SA RESPIRATION et remonte les draps pour
cacher sa nudité.
Jonas prend le plateau et le pose sur les genoux d’Hector
:
JONAS [suite]
Un mauvais rêve peut-être
monsieur Hector.
HECTOR
Oui... Je... Merci... Oui...
C’est ça... Un mauvais rêve...
Jonas prend les habits d’Hector épars au pied du lit et
les plie un à un dans ses bras.
HECTOR [suite]
Laissez... Je...
JONAS
Je vais m’occuper de votre
costume, il est tout froissé.
HECTOR
Mais je...
JONAS
Ne vous inquiétez pas, je me suis
permis de vous monter vos valises
vous aviez laissé votre véhicule
ouvert.
Hector constate la présence de ses bagages dans un coin de
la pièce : une grande valise de voyage, un sac à
ordinateur portable, ainsi qu’un petit attaché-case noir à
code.
[.../...]
-
[SUITE] 32.
HECTOR
Ah merci bien... C’est...
JONAS
Il est midi passé, je me suis
permis de vous réveiller pensant
que vous souhaiteriez commencer
vos recherches.
HECTOR
Midi passé ? Merde, je... Ah
parfait, vous avez bien fait.
Merci beaucoup.
JONAS
Vous avez fait beaucoup de bruit
hier soir Monsieur Hector.
HECTOR
Ah bon ? Désolé, je... je ne me
suis pas rendu compte...
JONAS
Oh non. Ne soyez pas désolé
Monsieur Hector, cela m’a rappelé
les jours anciens quand le manoir
était plein de vie et
d’animation.
Jonas sort. Hector regarde son petit-déjeuner : toast,
beurre, confiture, café, fruits, œuf sur le plat.
HECTOR
(souriant)
C’est mieux que l’hôtel ici...
Les restes du plateau du petit déjeuner gisent sur le lit.
La grande valise de voyage est ouverte.
Hector termine de s’habiller. Il prend l’attaché-case, le
met bien à plat sur le lit et entre un code pour l’ouvrir.
On y voit le kit du parfait petit biologiste naturaliste :
lamelles de verre, coupelles, boîtes de pétri, scalpels,
cotons-tiges, pinces chirurgicales, tubes de prélèvement
etc.
On frappe trois coups à sa porte : Jonas entre sans
attendre de réponse. Hector referme aussitôt son
attaché-case pour que Jonas n’en voie pas le contenu.
JONAS
Si vous voulez bien me suivre, je
vais vous emmener au grand salon,
où vous pourrez voir la plus
grande partie de la collection de
monsieur Barbessian.
[.../...]
-
[SUITE] 33.
HECTOR
Très bien... Je vous suis heu...
Comment vous appelez vous ?
16 INT. JOUR. MANOIR : COULOIR - GRAND SALON
Hector suit Jonas dans le couloir.
JONAS
Jonas, monsieur Hector.
Appelez-moi Jonas.
HECTOR
Très bien Jonas. Et arrêtez donc
vos "monsieur", Hector suffit.
Jonas ne répond pas. Ils traversent le dédale des couloirs
et escaliers du manoir.
Au passage, Hector constate que plusieurs pièces sont dans
un état de délabrement avancé.
JONAS
Veuillez excuser le mauvais état
du manoir monsieur Hector, mais
en dehors des communs et de
quelques chambres, je
n’entretiens plus que l’aile Est
du manoir, là où se trouve la
collection de monsieur
Barbessian.
HECTOR
Oui, je vous comprends, c’est
immense ici, surtout si vous y
vivez seul. Et...
Hector a le souffle coupé sur la fin de sa phrase alors
qu’il découvre le grand salon :
C’est une immense pièce ovale (environ trente mètres de
long, dix mètres de large et cinq mètres de haut)
richement aménagée de meubles anciens, fauteuils
confortables, tables en bois massif. Les murs sont
couverts de trophées marins pour la plupart, de vitrines
de fossiles, de photos, de dessins, de squelettes de
mammifères marins, etc. Un escalier métallique en
colimaçon dans le coin de la pièce mène à une bibliothèque
en coursive qui s’étend en étage tout autour du salon.
HECTOR [suite]
(souffle admiratif)
Waouh...
JONAS
Monsieur Barbessian a passé sa
vie entière à réunir cette
[...]
[.../...]
-
[SUITE] 34.
JONAS [suite]
collection. Et il a ramené
lui-même la plupart des spécimens
que vous pouvez admirer.
Hector sort un petit appareil photo numérique de sa poche.
HECTOR
Je... Je peux ?
JONAS
Prenez autant de photos que vous
le voulez. Mais ne dérangez ni
n’abimez rien s’il vous plaît, et
si vous vous intéressez aux
ouvrages de la bibliothèque,
merci de les replacer à l’endroit
où vous les avez pris après les
avoir consultés.
HECTOR
(ébahi par la collection)
Bien sûr Jonas... Bien sûr...
Jonas désigne un cordon qui pend dans un angle de la pièce
à coté d’un fauteuil.
JONAS
Si vous avez besoin de quoi que
ce soit vous pouvez me sonner
monsieur Hector.
Jonas sort de la pièce, laissant Hector à sa
contemplation.
Hector mitraille avec son petit appareil numérique tel
sujet, objet, dessin ou photo.
Il s’arrête devant un immense portrait peint de Barbessian
qui trône au milieu de l’un des murs : le portrait est un
gros plan criant de vérité, les couleurs sont à dominantes
vertes et bleues ; Barbessian y a un sourire d’ogre
entouré de son impressionnante barbe hirsute. Son regard
est pénétrant.
Hector en frissonne.
En dessous du portrait, sur un meuble en marqueterie se
trouve la maquette d’un grand bateau à moteur (style
Calypso, environ un mètre à l’échelle 1/40ème). Une petite
plaque en cuivre indique le nom du bateau devant la
maquette: LA RHODÉ.
Hector est sur la coursive et regarde les rayons de la
bibliothèque remplis de différents livres traitant presque
tous de biologie animale.
[.../...]
-
[SUITE] 35.
Hector s’arrête plus spécifiquement sur un rayonnage où
des JOURNAUX DE BORD sont classés par année.
Hector est en bas. Il scrute avec intérêt les multiples
dessins naturalistes de différents animaux aquatiques
encadrés sur l’un des murs. Ils sont tous datés (dans une
fourchette allant de 1940 à 1975) et signés de l’unique
lettre "B".
Hector s’arrête devant le dessin du Requin Rose :
HECTOR
Carcharhinus Barbarosatus... Te
voilà...
(lisant la date du dessin :)
Août 75...
Hector prend le dessin en photo. Il grimpe l’escalier
métallique quatre à quatre et va au rayonnage des journaux
de bord.
Son index parcourt les différentes tranches :
HECTOR
72... 73... 74... 75 !
Hector se saisit du journal de bord 1975 (le dernier de la
série).
Hector est en bas, assis dans un confortable fauteuil,
juste sous le portrait de Barbessian. Il commence à lire
le journal de bord.
C’est une très belle écriture manuscrite à la plume et à
l’encre bleue :
5 AOÛT 1975, 23H15. LATITUDE : 27.40 NORD. LONGITUDE :
65.53 OUEST. LA RHODÉ A QUITTE PORTO RICO CE MATIN...
HECTOR (VOIX INTÉRIEURE)
La Rhodé a quitté Porto Rico ce
matin. Le temps est exécrable,
impossible de mouiller l’ancre
dans cette zone...
17 INT. NUIT. RHODÉ : CABINE DU CAPITAINE
Une énorme MAIN musclée et calleuse écrit au stylo plume
sur le journal de bord :
BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE)
(voix chaude et caverneuse)
... Impossible de mouiller
l’ancre dans cette zone, nous
devrons attendre demain matin
pour commencer les recherches.
[.../...]
-
[SUITE] 36.
Barbessian est dans une toute petite cabine d’un navire
qui tangue énormément. LE TONNERRE GRONDE et les VAGUES
CLAQUENT contre la coque du navire (H.C.), dont le bois
travaille en CRAQUANT.
MENTION : MER DES SARGASSES, AOÛT 1975
En short et marcel trop petit pour sa bedaine, Barbessian
est d’une carrure impressionnante malgré sa petite taille,
râblé et poilu jusqu’aux épaules. Il écrit son journal de
bord, nullement incommodé par la houle furieuse, se
caressant sa barbe fournie de temps à autre.
BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE) [suite]
La folle de Port-au-Prince ne m’a
probablement raconté que des
âneries avec ses histoires de
requin sacré vaudou mais je ne
perds rien à essayer. J’ajouterai
un nouveau spécimen à ma
collection et peut-être même je
découvrirai une espèce jusque là
non répertoriée. Espérons juste
que la Rhodé va tenir le coup
dans cette tempête.
18 INT. JOUR. MANOIR : GRAND SALON
Hector regarde la maquette de la Rhodé juste à côté de
lui, puis le portrait de Barbessian, et reprend sa lecture
:
7 AOÛT 1975, 23H55. LATITUDE : 30.15 NORD. LONGITUDE :
67.22 OUEST. LE TEMPS EST MIRACULEUSEMENT PASSÉ AU CALME
PLAT DANS...
BARBESSIAN (OFF)
Le temps est miraculeusement
passé au calme plat dans la nuit
du six au sept. Nous avons
mouillé l’ancre. Et j’ai plongé
ce matin...
19 EXT. JOUR. OCÉAN ATLANTIQUE : MER DES SARGASSES
Barbessian nage dans l’océan en maillot de bain rouge et
panoplie de plongée classique (palmes, bouteille, masque,
ceinture avec lest de plomb, couteau à la cheville), un
harpon à air comprimé accroché dans le dos ainsi qu’un sac
de capture à la ceinture.
BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE)
J’ai plongé à l’aube dans ces
eaux calmes où prolifèrent les
algues. Et j’ai fait cette
rencontre extraordinaire que je
n’oublierai jamais de toute ma
vie de plongeur.
[.../...]
-
[SUITE] 37.
Barbessian descend de plus en plus profondément dans les
eaux turquoises pour atteindre un récif riche en grandes
algues mais pauvre en faune.
Il évolue avec naturel parmi ces algues, étrange poisson
barbu, chauve et bedonnant en slip de bain rouge vif.
Alors qu’il joue avec les tentacules d’une grosse anémone
qui se collent à sa main, son regard est soudain attiré
par le Requin Rose qui aussitôt apparu se faufile et
disparait derrière une anfractuosité rocheuse.
Barbessian donne d’énergiques coups de palmes pour le
poursuivre et file à son tour dans l’anfractuosité.
UNE OMBRE passe alors sur son dos : Barbessian se retourne
aussitôt mais son mouvement lui fait se COGNER la tête
contre la partie supérieure de la roche.
Un petit nuage rouge se dilue dans l’eau. Barbessian porte
sa main derrière sa tête et constate une égratignure à
l’arrière de son crâne chauve.
L’Ombre repasse sur lui. Barbessian se retourne de nouveau
vers la surface en dégainant son poignard de son étui de
cheville.
L’espace d’un instant, il croit voir une SILHOUETTE
FÉMININE dans le contre-jour aquatique.
Il secoue la tête et cligne des yeux derrière son masque
comme pour chasser cette vision : plus rien.
Barbessian regarde partout au dessus de lui : rien non
plus.
Il se retourne alors vers le récif et tombe nez à nez avec
le Requin Rose qui nage à à peine un mètre devant lui.
Fasciné, Barbessian admire les reflets bleutés qui irisent
la peau rosée de cet étrange petit Requin de cinquante
centimètres de long.
Il remet son poignard dans son étui et tend la main pour
venir caresser le Requin qui se laisse faire, docile.
BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE) [suite]
Il m’est impossible de décrire ce
que j’ai éprouvé au contact de ce
requin. Sa peau et la mienne
vibraient à l’unisson. Jamais je
n’avais ressenti quelque chose
d’aussi étrange.
Barbessian regarde sa main avec laquelle il vient de
caresser le Requin : un reflet bleuté identique à ceux du
Requin passe dans sa paume tel un petit éclair bleu
courant sous sa peau.
[.../...]
-
[SUITE] 38.
Le Requin est maintenant face à lui, à quelques
centimètres de son visage : ils se regardent dans les yeux
l’un de l’autre.
Barbessian attrape le sac de capture à sa ceinture et en
ouvre doucement l’entrée.
L’Ombre Humanoïde repasse sur lui mais il ne la voit pas,
entièrement absorbé par le Requin.
Barbessian place l’entrée du sac devant le Requin. Ce
dernier reste un instant devant, sans bouger, puis entre
doucement de son propre chef dans le filet que Barbessian
referme.
Entièrement concentré sur sa prise, Barbessian ne semble
pas entendre un CRI AQUATIQUE STRIDENT ainsi que l’Ombre
Humanoïde en contre-jour qui lui fonce dessus !
JONAS (OFF)
Un thé monsieur Hector ?
20 INT. JOUR. MANOIR : GRAND SALON
Hector quitte sa lecture pour regarder Jonas, juste à côté
de lui, portant un plateau avec une théière, une tasse,
une petite cruche de lait, un sucrier et une coupelle
emplie de gâteaux secs.
Hector se frotte les yeux comme s’il s’éveillait :
HECTOR
Heu... Oui merci...
Hector pose le journal de bord à côté de la maquette et
regarde avec intérêt Jonas servir le thé.
HECTOR [suite]
Cela fait longtemps que
Barbessian est mort, Jonas ?
JONAS
Un nuage de lait ?
Hector refuse d’un geste de la tête en levant la main.
JONAS [suite]
Je ne saurais trop dire monsieur
Hector, cela fait si longtemps
que je vis seul ici. Les jours
passent et se ressemblent. Sucre
?
HECTOR
Trois. Merci.
[.../...]
-
[SUITE] 39.
JONAS
J’ai dû en perdre la notion du
temps.
(met les trois sucres un à
un)
D’ailleurs cela est bien agréable
d’avoir de nouveau un peu de
compagnie. Et de sentir un peu de
vie dans ce manoir.
HECTOR
Mais pourquoi êtes vous resté ici
après la mort de Barbessian ?
JONAS
(touillant le thé)
Ce furent les dernières volontés
de monsieur Barbessian,
entretenir sa collection.
HECTOR
Je vois.
Jonas tend la tasse de thé à Hector qui la prend et la
hume avec l’air de quelqu’un qui sait reconnaître la
qualité.
Jonas tourne les talons, mais Hector l’interpelle :
HECTOR [suite]
Restez donc prendre un thé avec
moi.
JONAS
Je ne bois pas monsieur Hector.
HECTOR
Ah...
JONAS
Mais je peux vous tenir compagnie
si vous le désirez.
HECTOR
Heu... Oui... Par exemple.
Jonas s’assoie sur un fauteuil non loin d’Hector et le
regarde fixement.
HECTOR [suite]
Et vous avez toujours travaillé
ici, Jonas ?
JONAS
Aussi loin que je m’en souvienne,
oui. Mon père travaillait déjà
pour les parents de Monsieur
[...]
[.../...]
-
[SUITE] 40.
JONAS [suite]Barbessian. Il était leur
jardinier. À sa mort, j’ai pris
sa place et je suis devenu
l’homme à tout faire de la
famille Barbessian.
HECTOR
(buvant son thé)
Vous n’avez jamais quitté ce
manoir?
JONAS
Non, pas depuis sa construction.
Je gardais le manoir pendant les
expéditions de monsieur
Barbessian.
HECTOR
Fichtre.
JONAS
Ce n’est pas si terrible que ça.
Le manoir est agréable à vivre.
Et il y a des métiers bien plus
éreintants et mal payés.
HECTOR
Mais depuis sa mort, la solitude
ne vous pèse pas ?
JONAS
On s’habitue à tout.
Hector repose sa tasse de thé vide sur le plateau. Jonas
regarde le portrait de Barbessian :
JONAS [suite]
Et, étrangement, m’occuper de sa
collection, c’est comme prolonger
son séjour chez les vivants.
HECTOR
Oui je comprends. Mon père était
conservateur d’un musée de la
préhistoire. Mais bon, moi j’ai
préféré les petites bêtes et la
génétique. Il aurait voulu que je
prenne la suite mais je n’avais
pas la patience de dépoussiérer
toutes ces vieilleries. Disons
que j’ai toujours préféré les
choses vivantes aux choses
mortes.
Jonas se lève et prend le plateau :
[.../...]
-
[SUITE] 41.
JONAS
(regardant la collection)
Toutes ces choses "mortes" comme
vous dites, elles sont bien
vivantes pour moi.
HECTOR
Je ne voulais pas vous vexer.
JONAS
Vous ne me vexez pas, monsieur
Hector. Cela est appréciable de
discuter avec quelqu’un de vivant
depuis tout ce temps.
Jonas sort du grand salon.
HECTOR
(sourire de sympathie)
Je le prends comme un compliment
Jonas.
Hector s’étire, puis reprend le journal de bord de
Barbessian :
JAMAIS JE N’AVAIS RESSENTI QUELQUE CHOSE D’AUSSI ÉTRANGE.
À partir de là l’écriture de Barbessian change
sensiblement, moins linéaire et plus brouillonne :
10 AOÛT 1975, 21H47. LATITUDE : 29.25 NORD. LONGITUDE :
58.59 OUEST. CE CALME PLAT SUR CETTE MER D’ALGUES
M’EXASPERE, ET JE SUIS...
BARBESSIAN (OFF)
... et je suis fatigué. J’ai très
mal dormi. Les crampes et les
douleurs de ma jambe reviennent.
Nous rentrons. Je ne peux
m’empêcher d’aller visiter cet
étrange poisson. Une espèce de
requin non répertoriée jusque là.
J’en suis certain.
21 INT. NUIT. RHODÉ : CABINE DU CAPITAINE
Barbessian est dans sa cabine, habillé plus chaudement
qu’auparavant. Il écrit son journal de bord.
BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE)
Je l’ai nommé Carcharhinus
Barbarosatus. Carcharhinus car il
s’agit bien d’une variété de
requin, Barbarosatus pour sa
couleur et parce que c’est moi
qui l’ai découvert.
[.../...]
-
[SUITE] 42.
Barbessian regarde la paume de sa main, et la caresse,
l’air songeur... Puis il reprend l’écriture de son journal
de bord.
BARBESSIAN (VOIX INTÉRIEURE) [suite]
Dès que nous serons arrivés au
port je dois appeler Jonas pour
qu’il lui prépare sa nouvelle
demeure dans la crypte.
Sous la porte de la cabine, une petite flaque d’eau
s’étend peu à peu sans que Barbessian n’y prête attention.
22 INT. JOUR. MANOIR : GRAND SALON
Hector continue sa lecture du journal, il tourne la page :
JE LUI RESERVE MON PLUS BEL AQUARIUM.
BARBESSIAN (OFF)
Je lui réserve mon plus bel
aquarium.
À la suite de cette phrase, sur le journal qu’Hector
feuillette, quelques pages ont manifestement été arrachées
et il n’y a plus que des croquis d’installation
d’aquariums, et des dessins du Requin sous toutes les
coutures, encore et encore. On trouve aussi des esquisses
et brouillons de sirènes, parfois des phrases illisibles
au milieu desquelles reviennent souvent les seuls mots
compréhensibles : MAMI WATA. Enfin d’étranges signes, des
ratures, puis plus rien, les dernières pages sont vides.
Hector referme le journal.
JONAS (H.C.)
Ce fut sa dernière expédition...
Jonas prend le journal que lisait Hector et le feuillette
à son tour.
Il caresse avec un air nostalgique les croquis de l’une
des dernières pages.
JONAS
Monsieur Barbessian n’est jamais
reparti après.
HECTOR
Ah ?
Jonas referme le journal de bord d’un geste sec.
JONAS
Je vais le ranger si vous avez
terminé.
[.../...]
-
[SUITE] 43.
HECTOR
Oui oui.
Jonas monte lentement l’escalier en colimaçon et va
replacer religieusement le journal dans la bibliothèque.
En bas, Hector regarde fixement le dessin du Requin
accroché au mur :
HECTOR [suite]
Jonas ?
JONAS
Oui monsieur Hector ?
HECTOR
À la fin du journal, Barbessian
parle d’aquariums où il conserve
ses spécimens vivants... Est-ce
que...
JONAS
(le coupant)
Il n’y a plus d’aquariums.
HECTOR
Ah... c’est bien dommage... Et...
La crypte ? Je pourrai y jeter un
coup d’œil.
JONAS
(redescendant)
Non.
HECTOR
Ah mince... Pourquoi donc ?
JONAS
C’est trop dangereux. Elle est en
mauvais état avec l’humidité. Je
ne voudrais pas qu’il vous arrive
malheur.
HECTOR
Je ferai attention, c’est juste
pour...
JONAS
(le coupant)
N’insistez pas Monsieur Hector.
Pour votre bien, la crypte est
condamnée.
HECTOR
Bon.
Jonas sort de la pièce, laissant seul Hector qui se tourne
vers le portrait de Barbessian :
[.../...]
-
[SUITE] 44.
HECTOR [suite]
(au portrait)
Que me cachez-vous tous les deux
? Hein ?
23 EXT. JOUR. - INT. JOUR. MUSÉE OCÉANOGRAPHIQUE DE MONACO
Les vagues ÉCLATENT contre le rocher surplombé par
l’impressionnant bâtiment du musée monégasque.
MENTION : PRINCIPAUTÉ DE MONACO, JUILLET 2013
Anne est au milieu des TOURISTES dans la salle de la
baleine du musée océanographique de Monaco qu’elle
contemple visiblement pour passer le temps.
ANGELO (H.C.)
Anne ! Mia bella !
Anne se retourne pour embrasser ANGELO, rondouillard en
costard d’une cinquantaine d’année, le front ruisselant de
sueur et les cheveux gras, petites lunettes rondes
remontées sur un front dégarni avec une mèche ridicule
tentant vainement de cacher sa nudité crânienne, foulard
en soie violet noué autour du cou.
ANNE
Angelo ! Comment vas-tu depuis
tout ce temps ?
Il se recule pour mieux la voir.
ANGELO
Moins bien que toi, le temps t’a
épargné mia bella !
ANNE
Vil flatteur. Arrête où je vais
croire que tu te moques.
ANGELO
Mais non mais non, regarde moi,
les ravages du temps sont sans
pitié pour moi... alors que
toi... Tu es toujours aussi
appétissante. Tu as probablement
plus de chance que moi pour
séduire de jeunes éphèbes. Hi hi
! Mais trêve de plaisanteries, ce
ne sont probablement pas les jeux
de l’amour et du hasard qui
t’amènent sur notre rocher.
ANNE
J’aurais besoin d’accéder à vos
archives pour mes recherches. Tu
peux me faciliter ça ?
[.../...]
-
[SUITE] 45.
ANGELO
Ça risque de prendre du temps de
t’obtenir les autorisations mais
je peux sortir en mon nom tout ce
dont tu as besoin et te laisser
mon bureau. Et en plus je te
servirai le café.
Angelo regarde avec concupiscence le postérieur d’un JEUNE
TOURISTE moulé dans son pantalon blanc.
ANGELO [suite]
Des italiens bien serrés...
ANNE
Merci Angelo. Tu es un amour.
ANGELO
(séducteur)
Si seulement mia bella, si
seulement...
ANNE
Arrête ton char, Angelo, je sais
que tu n’as d’italien que le
prénom, garde tes simagrées pour
tes petits étudiants.
ANGELO
Bah, j’aurai essayé... Alors de
quoi as-tu besoin précisément ?
ANNE
Tout ce que tu peux trouver sur
un certain Barbessian, il aurait
collaboré avec Cousteau pendant
plusieurs années. Mais plutôt
dans le genre mécène et loup de
mer que biologiste ou
documentariste... Et aussi tout
ce que tu as sur un requin des
Sargasses aujourd’hui disparu :
Carcharhinus Barbarosatus dit
aussi Requin Rose.
ANGELO
Barbessian et Barbarosatus. Le
premier a découvert le second je
suppose.
ANNE
C’est probable.
ANGELO
Très bien ma chérie, je te trouve
ça dans la journée, je t’ouvre
mon bureau demain matin et
[...]
[.../...]
-
[SUITE] 46.
ANGELO [suite]
entre-temps tu dînes avec moi, et
plus si affinité...
ANNE
(amusée)
OK pour l’invitation, du moins la
première partie... Je vais aller
me promener et me baigner un peu
en attendant.
ANGELO
Profite mia bella, j’adore les
peaux un peu salées. À tout à
l’heure.
ANNE
À tout à l’heure vieux cochon.
24 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR
Hector est sur son lit, allongé sur le dos, il scrute une
tâche d’humidité au plafond, songeur.
L’appareil photo d’Hector est câblé à son ordinateur
portable, posé sur une chaise, sous le Géricault. On voit
sur l’écran les photos prises par Hector défiler au fur et
à mesure de leur téléchargement.
Les paupières d’Hector cillent puis se ferment.
Le défilement sur l’écran de son ordinateur s’arrête sur
celle du croquis du Requin Rose. L’écran est animé d’un
étrange bug l’espace d’un instant : l’image se tord comme
sous l’effet d’une distorsion numérique, ce qui a pour
effet d’animer brièvement la photo du schéma du Requin.
Hector RONFLE. Un son de PAS HUMIDES provient du couloir :
FLOC... FLOC... FLOC...
Une flaque d’eau apparait peu à peu se faufilant sous la
porte d’entrée : tout comme la première fois, la flaque
s’agrandit lentement mais surement inondant rapidement la
totalité de la pièce.
Hector dort toujours tout habillé sur son lit. Le niveau
de l’eau monte inexorablement. L’eau vient lécher Hector
puis le recouvre complètement.
25 INT. NUIT. - EXT. JOUR. MANOIR : CHAMBRE INONDÉE - OCÉAN
Hector est toujours sur le lit mais la pièce est emplie
d’eau. Il ouvre les yeux, nullement paniqué et se met à
évoluer en nageant dans la pièce entièrement inondée comme
si c’était parfaitement naturel. Il ne semble pas avoir
besoin de respirer.
[.../...]
-
[SUITE] 47.
Le Radeau de la Méduse et la truite à demi mangée de la
veille flottent dans la pièce.
Hector voit une lumière bleutée à travers la fenêtre. Il
nage jusqu’à cette dernière pour l’ouvrir.
Il passe par la fenêtre et découvre qu’il est comme au
fond de l’océan. Sa voiture est posée sur le fond de sable
blanc.
Il nage un peu puis se retourne pour admirer le paysage
invraisemblable :
Le manoir de Barbessian et la voiture d’Hector reposent
par 30 mètres de fond sur un lit immense de sable blanc
pur dans une eau azur et limpide.
Contrairement à la réalité les statues de sirènes qui
encadrent l’allée sont en parfait état, le lierre est
remplacé par des algues et les parterres sont fleuris de
coraux et d’anémones de mer.
Hector voit soudain le petit Requin Rose se faufiler
devant lui et nager rapidement vers la surface.
Hector le suit mais le Requin se place exactement dans
l’axe du soleil disparaissant au profit du contre-jour.
Hector continue néanmoins de monter vers la surface. UNE
SILHOUETTE FÉMININE passe alors dans le contre-jour entre
lui et la surface. Il la suit.
Il s’en approche sans pour autant discerner plus nettement
sa cible et tend la main pour venir en attraper la
cheville droite.
26 EXT. JOUR - EXT. SOLEIL COUCHANT. MÉDITERRANÉE - CRIQUE
Anne en maillot de bain nage en apnée à deux trois mètres
de la surface. Elle est subitement arrêtée dans l’élan de
sa nage, le pied droit comme coincé par quelque chose.
Elle panique et se débat un bref instant puis regarde plus
calmement son pied :
Il est coincé dans un morceau de filet de pêche lui-même
accroché à une roche couverte d’algues.
Anne prend le temps de dégager son pied, puis, donnant de
grands battements de jambes, remonte à la surface.
Elle émerge à la surface, INSPIRANT un grand bol d’air
bienvenu.
Encore ESSOUFLÉE, elle RIT et se laisse aller en arrière
en faisant la planche.
-
48.
On aperçoit une crique derrière laquelle le soleil se
couche alors qu’Anne revient lentement vers le rivage à la
brasse.
27 INT. NUIT. MANOIR : CHAMBRE D’HECTOR - COULOIRS -
ESCALIERS
Hector ouvre subitement de grands yeux écarquillés et
ASPIRE goulument une bouffée d’air comme si lui aussi
sortait d’une apnée. Son visage est ruisselant de sueur.
Il est sur son lit dans la même position que lorsqu’il
s’était endormi avant son rêve aquatique.
Il se lève, va à la fenêtre, et regarde sa voiture qui n’a
pas bougé devant la façade du manoir. La lune est grosse
et rouge.
La porte de sa chambre jusque là entrouverte SE REFERME
soudain.
Hector sursaute et se retourne. Il bondit vers la porte et
l’ouvre dans le même mouvement pour regarder dans le
couloir du manoir : rien.
Il s’apprête à refermer la porte quand il remarque
subitement quelque chose qui arrête son geste.
Hector retourne dans sa chambre sans fermer la porte et va
fouiller dans sa valise de laquelle il sort une petite
lampe torche (style Maglite).
Il revient à l’entrée du couloir et se penche pour
observer plus attentivement le sol en l’éclairant de sa
lampe torche:
Il voit des emp