L'unification de l'Allemagne (1806-1871)
-
Upload
monarchomaque -
Category
Documents
-
view
1.300 -
download
0
description
Transcript of L'unification de l'Allemagne (1806-1871)
L’UNIFICATION DE L’ALLEMAGNE(1806-1871)par Scolaris Legisperitus
Table des matières
1. Problématique...……………………………………………………………...……2
2. La situation initiale : le Saint Empire………………………...……………5
3. Le nationalisme
3.1 Le nationalisme d’existence
3.1.1 L’intrusion française…………………………………………………..6
3.1.2 Le pangermanisme………………………………………………….....6
3.1.3 Le romantisme…………………………………………………….…..7
3.1.4 Le renouvellement de la pensée religieuse…………………………....8
3.1.5 L’impératif d’autosuffisance économique………………………….…9
3.2 Le nationalisme de puissance : le militarisme prussien…………..…...….……9
4. L’Empire en formation
4.1 La Confédération germanique : une non-solution…..……………………...….10
4.2 Le Zollverein : l’union douanière.………………………..……………………11
4.3 Le Printemps du peuple
4.3.1 La Burschenschaft…………………………………………………...12
4.3.2 Le Vormärz…………………………………………………………..13
4.3.3 Le Printemps allemand………………………………………………14
5. Le rôle de Bismarck
5.1 La vision politique bismarckienne……………………………………….……15
5.2 Les Guerres des Duchés, la Guerre austro-prussienne et la Confédération d’Allemagne du Nord………………………………………………………………16
5.3 La Guerre franco-prussienne et le nouvel Empire allemand……………….….17
6. Conclusion….…………………………………………………………..………...19
7. Bibliographie…………………………………….……………………..………....20
1
PROBLÉMATIQUE
L’histoire de l’Allemagne au XIXe siècle est une épopée passionnante. Après la défaite des
armées de Napoléon en 1815, l’Allemagne n’existait pas en tant que pays unifié. Les forces
vives du peuple allemand étaient dispersées en une multitude d’États régionaux
indépendants les uns des autres et orgueilleux de leurs particularismes. En l’espace d’un
demi-siècle, les Allemands, animés par un grandissant désir d’unité, vont surmonter les
clivages et réussir à se regrouper dans un État-nation. L’Empire allemand fondé en 1871
rassemblait plus de 40 millions de compatriotes germanophones sous un parlement
commun et une même constitution. Comment le nationalisme a-t-il concouru à la formation
d’un État rassemblant la nation allemande ?
Selon Constantin de Grunwald, auteur d’une biographie du chancelier Bismarck, la
réalisation de l’unité allemande est le produit d’un engrenage qui a pour point de départ la
supériorité de la Prusse à l’intérieur de l’aire germanique :
La grandeur prussienne était l’œuvre personnelle d’un seul homme, Frédéric II qui avait porté le coup décisif à l’ancienne répartition des forces en Allemagne par la conquête de la Silésie. Ses ancêtres avaient déjà inculqués à la caste des officiers et des hobereaux une discipline grâce auxquels la force prussienne avait pu représenter, pendant les guerres napoléoniennes, une pointe d’acier sur la massue de fer qui abattit le colosse1.
Ce rôle clé dans la défaite de Bonaparte aurait permis à la Prusse de se faire attribuer les
provinces rhénanes lors du congrès de Vienne, ce qui « n’avait fait que stimuler sa volonté
de puissance : les territoires du royaume, au lieu de constituer une masse compacte comme
en Autriche, étaient scindées en deux tronçons2 » que l’on voulu naturellement rattacher en
annexant le Hanovre. À cela l’auteur ajoute que « les dirigeants de la Prusse éprouvaient un
regret rétrospectif de ne pas avoir pu (ou ne pas avoir su) profiter de l’occasion 3 » de
prendre la tête de l’Allemagne lorsqu’une délégation du Parlement de Francfort l’a offert au
monarque prussien en 1848.
1 Constantin DE GRUNWALD, Bismarck, Paris, Albin Michel, 1949, p. 21.2 Ibid., p. 22.3 Ibidem.
2
Jacques Le Rider, dans un article paru dans la revue Le Point Références, affirme que le
nationalisme allemand a été porté par le mouvement romantique, lequel prend racine dans
le mécontentement provoqué par la domination politico-culturelle de la France :
Au fur et à mesure de la dégradation de la Révolution en Terreur et en césarisme, beaucoup de romantiques allemands défendront des positions conservatrices. À ces circonstances historiques qui conditionnent la culture politique du romantisme s’ajoute le fait qu’il s’inscrit dans la droite ligne du malaise face à l’hégémonie de la langue et de la culture française. Le nationalisme des romantiques allemands est d’abord une réaction à celui de la Révolution française et à l’impérialisme napoléonien4.
Les penseurs romantiques soutenaient que pour régénérer la société, il faut qu’il y ait
reconnaissance d’une communauté soudée par la conscience de son histoire et par un
sentiment religieux renouvelé5. Ainsi, par leurs écrits prolifiques, les romantiques auraient
popularisé l’idée d’un État-nation allemand et aidé les Allemands à prendre conscience
d’eux-mêmes.
Dans son livre portant sur le nationalisme allemand au XIXe siècle6, Pierre Ayçoberry
estime que l’unification de l’Allemagne est en partie due à la poussée démocratique des
masses qui, imprégnées de pangermanisme, désiraient être dirigées par un gouvernement
commun. D’autre part, l’auteur explique que la mutation de la pensée religieuse des
catholiques et des protestants a fait en sorte que les deux dénominations se sont rapprochées
(malgré des clivages encore avoués). Les théoriciens des deux côtés ont élaboré des
doctrines conservatrices se rejoignant sur l’idée d’un État germanique et chrétien.
Ayçoberry explique que s’élabora ainsi un consensus selon lequel « l’Allemagne nouvelle
doit s’inspirer de son glorieux passé, mais s’ouvrir aussi aux courants modernes. Ce
conservatisme intelligent va manifester sa vigueur et son influence dans les années
troubles7. »
4 Jacques LE RIDIER, « Aux sources du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 15.5 Ibid., p. 13.6 Pierre AYÇOBERRY, L’unité allemande, Paris, Presses universitaires de France, 1968, 127 p.7 Ibid., p. 63.
3
Dans sa biographie d’Otto Von Bismarck8, Volker Ullrich nous dresse un portrait détaillé
de la vie de l’homme qui unifia l’Allemagne. Ullrich décrit Bismarck comme étant le
principal architecte de l’unification, et le savoir-faire politico-diplomatique de cet homme
comme la cause de son succès. Au début de sa carrière, Bismarck se forgera une grande
affinité pour la diplomatie et subséquemment n’en deviendra qu’un des meilleurs
diplomates et stratèges de cette époque. Il ne fut pratiquement jamais pris au dépourvu
parce qu’il avait toujours un plan et qu’il analysait toutes les issues possibles.
L’auteur place l’emphase sur le fait qu’Otto Von Bismarck, grâce à un jeu politico-militaire
extraordinaire9, sut s’assurer la faveur de l’opinion populaire lui permettant de mettre ses
plans à exécution. Le règlement du conflit avec le Danemark redonna sa gloire à l’armée
prussienne qui, revigorée, obtint une victoire contre l’Autriche, victoire qui permit à
Bismarck de concrétiser la Confédération d’Allemagne du Nord. Après cela, il provoqua
une guerre avec la France, ce qui lui donna le momentum politique nécessaire pour rallier
les États du sud et proclamer le Deuxième Reich qui exclut l’Autriche (réglant ainsi
beaucoup de problèmes quant à la balance du pouvoir). Selon cet auteur, l’unification de
l’Allemagne doit donc être imputée principalement à l’habileté d’homme d’État d’Otto Von
Bismarck10.
D’après Otto Pflanze, auteur de Bismark and the Developement of Germany11, Bismarck est
à l’Allemagne ce que Lincoln est aux États-Unis. Similairement à Volker Ullrich, il avance
que Bismarck était un grand maître de l’art du « cabinet diplomacy ». Schnabel dit que «
Bismarck n’était pas du tout un homme d’idées nationalistes ou populaires, mais un homme
d’État et de raison d’État, l’homme de la pure staatsrason12. » Les motifs qui poussaient
Bismarck dans la voie unificatrice étaient principalement la quête d’une stabilité interne et
la domination prussienne. Pflanze mentionne également les facteurs qui étaient déjà
présents, sur lesquels Bismarck n’avait aucune influence. La politique prussienne, son
système militaire, l’idéalisation de l’État et de son pouvoir, tout ce développement avait
commencé bien avant Bismarck.
8 Volker ULRRICH, Bismarck – The Iron Chancellor, Londres, Haus Publishing, 2008, 166 p.9 Ibid., p. 64.10 Ibid., p. 111.11 Otto PFLANZE, Bismark and the Development of Germany – The period of unification, Princeton, Princeton University Press, 1963, 510 p.12 Ibid., p. 5.
4
L’auteur souligne aussi le point de vue allemand voulant que la nationalité soit plus
comprise comme une culture commune qu’une simple citoyenneté légale, point de vue
caractéristique du pangermanisme. Pflanze synthétise en disant que Bismarck a mis en
place un pouvoir politique combinant le nationalisme allemand, le militarisme prussien et
l’autoritarisme de la dynastie des Hohenzollern.
À la lumière de tous ces points de vue, nous posons l’hypothèse que le nationalisme
d’existence et le nationalisme de puissance ont concouru à la formation d’un État
rassemblant la nation allemande par des moyens économiques, militaires, culturels et
philosophiques. Dans un premier temps, les multiples principes du nationalisme furent
théorisés. Dans un second temps, lorsque ces théories eurent été suffisamment popularisées,
elles furent mises en application : on assista alors à la formation, par étapes, de l’État-
nation allemand. C’est cette unification de l’Allemagne en deux temps que nous allons
couvrir.
SITUATION INITIALE : LE SAINT EMPIRE
À la fin du XVIIIe siècle, le Saint Empire romain germanique était une mosaïque de
quelques 360 petits États indépendants qui s’ignoraient mutuellement. Ce vaste agglomérat,
s’il fut jamais vraiment un « empire », n’avait à cette époque pratiquement aucune unité
politique : la Diète d’Empire se réunissant à Ratisbonne en 1792 est négligée par neuf
dixièmes des participants potentiels, et ceux qui daignent se déplacer ne forment qu’un
congrès de diplomates sans pouvoir13. Ce territoire disloqué est le point de départ de notre
étude sur le nationalisme.
LE NATIONALISME
Le désir d’affirmation du peuple allemand suscita d’abord un nationalisme d’existence. Par
la suite, un nationalisme de puissance, plus conséquent, s’ajoutera à l’équation. Le
nationalisme d’existence conjugué avec le nationalisme de puissance conduiront à la
concrétisation des objectifs du pangermanisme.
13 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 8.5
Le nationalisme d’existence
L’intrusion française
Dans la foulée de la Révolution française, les troupes de la Convention envahissent la
Rhénanie, puis c’est presque toute l’Allemagne qui est placée, d’une façon ou d’une autre,
sous tutelle française. Entre 1795 et 1815, les armées françaises ont couvert toute l’Europe
et y ont exporté les idéaux de la Révolution. En bien des pays, le nationalisme est né à la
fois d’une réaction contre les forces d’occupation napoléoniennes et grâce aux idéaux
répandus par celles-ci14. Les défaites allemandes successives et l’abolition pure et simple du
Saint Empire romain germanique en 1806 révèle la faiblesse de cette structure. Durant
ces quelques années d’incertitude, on assiste à la naissance du sentiment national allemand.
Les bouleversements qui secouent la France et le choc de l’invasion amènent les Allemands
à réfléchir sur l’état de leur pays. Rapidement, des personnalités appellent au soulèvement
général contre l’occupant. Entre 1808 et 1812, quelques révoltes éclatent contre la
domination étrangère. Spontanées, sans coordination, sans revendications claires et sans
agenda précis, elles sont toutes rapidement étouffées. Seuls quelques théoriciens avaient
alors vraiment en tête l’idée d’un État-nation allemand, unifié et libre ; on se soulève
surtout pour protéger son particularisme15.
Pendant que les Allemands s’indignaient contre Napoléon Bonaparte, sa politique était en
train de leur rendre un immense service. En effet, il réorganise l’Allemagne en supprimant
de nombreuses séparations internes. Dès 1803, la carte des subdivisions est drastiquement
simplifiée : « moitié moins d’États en tout, six villes libres au lieu de cinquante-deux, deux
principautés ecclésiastiques au lieu de trente-quatre16. » Cela se fait au détriment des petits
États qui disparaissent au profit des moyens et grands États.
Le pangermanisme
La déroute des armées napoléoniennes revenant de la campagne de Russie en 1813 et les
préparatifs de guerre en Prusse voient fleurir toute une littérature patriotique. Dans son
14 Robert KOPP, « Les nationalismes sont nés du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 11.15 Pierre AYÇOBERRY, p. 19-20.16 Ibid., p. 12.
6
Catéchisme du soldat allemand, le pamphlétaire Ernst Moritz Arndt affirme : « Qu’on ne
parle plus d’Autriche et de Prusse, de Bavière et de Tyrol, de Saxe et de Westphalie, mais
d’Allemagne17 ! » Les chants patriotiques qu’il compose connaissent un énorme succès.
Dans son célèbre poème Quelle est la patrie de l’Allemand ? – Ce doit être l’Allemagne , il
incite ses compatriotes à l’insurrection en faisant référence à la bataille de Teutobourg où,
en l’an 9 de notre ère, les tribus germaniques coalisées ont anéanti trois légions romaines.
Finalement les troupes de Napoléon se retirent, puis celui-ci est définitivement battu à
Waterloo en 1815. En dix et parfois quinze ans d’occupation française, « les
particularismes ont été atténués, de vieilles élites renversées, des routines bousculées18. »
Le romantisme
Le romantisme est un mouvement intellectuel né en Europe occidentale au tournant du
XIXe siècle en réaction au rationalisme exacerbé des Lumières. Le romantisme cherche à
opérer un retour aux sources et aux traditions. Paradoxalement à cette exaltation du passé,
le romantisme se revendique de la modernité. Il se dresse notamment contre la société de
plus en plus matérialiste.
Les penseurs de ce courant espéraient que la condition humaine change fondamentalement,
« beaucoup de romantiques vivent dans l’adoration du peuple, comme Victor Hugo dans
Les Misérables. […] Cet amour du peuple entraîne les romantiques vers la défense des
droits des peuples19. » La mythologie qu’ils se construisent « les conduit à penser que les
peuples doivent décider eux-mêmes pour leur destin20. » Ainsi, dans son Discours à la
nation allemande publié en 1808, Johann Fichte, sentant l’identité germanique menacée par
la récente dissolution du Saint Empire et l’occupation française, « exhorte les Allemands à
se souvenir de leur langue et de leur passé21. » Par cet intérêt porté au peuple, le romantisme
encourage l’interrogation identitaire.
Entre 1805 et 1818, Clemens Brentano et Achim Von Arnim rassemblent en un recueil plus
de mille chants populaires allemands comprenant chansons épiques, balades de
troubadours, poèmes oraux, hymnes luthériens et catholiques. Leur démarche procède d’un 17 Ibid., p. 26.18 Ibid., p. 28.19 Robert KOPP, op. cit., p. 11.20 Ibidem.21 Ibidem.
7
nationalisme romantisme : ils souhaitent, par cette grande recension, rendre plus accessible
au peuple son patrimoine oral. Goethe juge que cet ouvrage colossal « devrait figurer dans
toutes les maisons où habitent des hommes au cœur frais22. »
Au même moment, les frères Jacob et Wilhelm Grimm réunissent les contes et légendes
allemandes dans divers volumes. C’est à eux que l’on doit, par exemple, Blanche-Neige et
les sept nains. Ludwig Tieck, considéré comme le père du romantisme allemand, rassembla
lui aussi des contes populaires dans ses écrits. Pour lui, « l’âme de l’Allemagne résidait
dans l’architecture gothique, dans la peinture de la Renaissance allemande et dans les récits
populaires23. » Ce répertoire de contes folkloriques l’influença dans la production d’œuvres
nouvelles, telles que Le Chat botté et Les Elfes. En remettant le folklore médiéval au goût
du jour, ces auteurs ressuscitèrent les racines de la culture germanique.
Le renouvèlement de la pensée religieuse
On assiste au milieu du XIXe siècle à une mutation de la pensée conservatrice religieuse
chez les protestants et les catholiques allemands. Cette évolution amena les deux groupes à
converger au plan intellectuel. Du côté protestant, la doctrine s’est renouvelée grâce aux
réflexions du philosophe et théoricien de science politique Friedrich Julius Stahl, luthérien
féru de droit ecclésiastique et omniprésent dans les synodes. Dans une série d’ouvrages
portant sur la relation entre la foi et le gouvernement civil, il argumente que « dans un État
imprégné d’esprit religieux il n’y a aucun inconvénient, au contraire, à ce que le pouvoir
[royal] soit balancé par une chambre élue ; la piété empêche le monarque de tourner en
despote, et les sujets à la critique irrespectueuse24. »
Du côté catholique, l’autoritarisme prussien a dissipé les illusions sur le rôle protecteur de
l’État, de sorte que le concept de liberté a perdu sa connotation péjorative. En Rhénanie, on
a dû lutter pour conserver le Code Civil contre la bureaucratie prussienne. Les Rhénans,
Badois et Hessois catholiques prennent goût à l’égalité juridique. Leur conservatisme
s’attend à ce que le gouvernement soit l’instrument de la justice et le défenseur des pauvres,
mais il comprend la nécessité d’une constitution équilibrant les champs d’action de chaque 22 Oriane JEANCOURT-GALIGNANI, « Le Cor enchanté de l’enfant de Brentano et Arnim », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 32.23 Charles LE BLANC, « Fantaisies sur l’art de Ludwig Tieck », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 20.24 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 61.
8
niveau et branche du gouvernement. Les théoriciens catholiques, qui envisagent la
possibilité que confession se retrouvent minoritaire dans un éventuel État national
allemand, tiennent à une clairvoyante répartition des pouvoirs. Puisque la Prusse est
protestante et dominatrice, il faudra l’équilibrer par un parlement national qui puisse la
contrecarrer, lorsque nécessaire25.
L’impératif d’autosuffisance économique
La période postnapoléonienne coïncide en Allemagne avec la Révolution industrielle.
Celle-ci s’y amorce assez durement, l’Allemagne se retrouve sans rempart économique face
au monde extérieur. Elle est littéralement envahie de produits manufacturés en provenance
de l’Angleterre qui a une longueur d’avance sur les autres pays européens dans le domaine
de l’industrialisation. « Très vite la jeune industrie de Saxe et de Rhénanie est tuée dans sa
fleur […] les entrepreneurs ruinés sont du coup et pour longtemps convertis au
protectionnisme26. »
L’agriculture se porte aussi très mal. L’application des réformes agraires provoque une
baisse des rendements. La disette de 1816-1817 suscite un hérissement de prohibitions.
L’absence de transport à longue distance empêche les régions ayant des surplus de
ravitailler les régions déficitaires. La mauvaise conjoncture des blés et des laines dans la
décennie 1820 ruine une grande part des propriétaires-vendeurs ruraux. S’impose ainsi le
besoin d’une meilleure organisation économique intérieure, et par là l’impératif de
l’autosuffisance économique de l’Allemagne.
Le nationalisme de puissance : le militarisme prussien
Le militarisme prussien a des origines très lointaines. La Prusse fut fondée au XIIIe siècle
par l’Ordre teutonique. Ces chevaliers germaniques revenus des croisades allèrent
guerroyer les derniers païens d’Europe aux abords de la mer Baltique, s’y établirent et y
fondèrent un État monastique27. Leur culture militaire se perpétua de génération en
génération, si bien que le comte de Mirabeau pouvait dire au XVIIIe siècle que « la Prusse
25 Ibid., p. 62.26 Ibid., p. 43.27 Thomas MADDEN et al., Les Croisades, Londres, Duncan Baird Publishers, 2004, p. 126-131.
9
n’est pas un État possédant une armée, mais une armée possédant un État28 » dans lequel
elle ne serait pour ainsi dire que stationnée. Frédéric le Grand, roi de Prusse entre 1740 et
1772, porta les effectifs de son armée à un niveau sans précédent. Il a déclaré que « le rôle
d'un soldat n'est pas de penser, mais d'obéir. Si mes soldats commençaient à penser, aucun
d'eux ne voudrait rester dans les rangs29. » Les généraux prussiens se vantaient que leurs
officiers étaient insurpassables, et les simples soldats étaient reconnus pour leur
extraordinaire discipline.
De Grunwald considère que, combiné à ce vieux militarisme prussien, « les doctrines
d’Hegel avaient donné une base philosophique au nationalisme prussien en exaltant l’État
comme ‘‘l’absolu sur terre, le divin réalisé’’. La Prusse était devenue, ainsi, la Terre
promise des patriotes, le champion prédestiné de la nation allemande30. » Ce nationalisme
de puissance prussien entrera en ligne de compte lorsque les hommes d’État considéreront
que le temps est venu d’unifier la patrie par le fer et par le feu.
L’EMPIRE EN FORMATION
La Confédération germanique : une non-solution
Avec le retour de la paix en Europe, on avait décidé de restaurer les monarchies dans leurs
royaumes respectifs. Au Congrès de Vienne, il fut convenu que les anciens territoires du
Saint Empire romain germanique soient réunis dans un ensemble souple, qu’on appela la
Confédération germanique. Les frontières de celle-ci « ne coïncident pas avec celle de ses
composants : ainsi, la Prusse orientale, la Posnanie, la Hongrie, l’Italie autrichienne sont
hors de ses compétences31. » Cela veut dire que la Prusse et l’Empire austro-hongrois ne
sont qu’à moitié dans ce pseudo-État. De plus, elle comprend des territoires dont les
habitants ne sont aucunement germaniques (les Tchèques de Bohême-Moravie, des
Polonais en Prusse occidentale). La situation qui est créée est assez incongrue.
28 Hans-Joachim HARDER, « Histoire de la Prusse (1600-1947) par Christopher Clark », Revue historique des armées, [En ligne], http://rha.revues.org/index7006.html (Page consultée le 27 novembre 2010)29 Cédric PERDEREAU et al., Soldats – De l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2008, p. 140.30 Constantin DE GRUNWALD, op. cit., p. 23.31 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 31.
10
Il s’agit d’une confédération au vrai sens du terme, c’est-à-dire une « union de plusieurs
États qui s'associent tout en conservant leur souveraineté32. » Il n’y a pratiquement aucun
pouvoir centralisé. L’armée confédérale n’est que la juxtaposition des corps d’armée des
différents royaumes. Le seul organe coordonnateur de la Confédération est une Diète
(Bundestag) sur le modèle du Saint Empire, sorte de parlement regroupant les délégués des
différents États. L’unanimité des voix est nécessaire pour les décisions importantes. La
Diète siège à Francfort.
Ayçoberry compare la Confédération germanique à une « société d’assurance mutuelle
contre les troubles intérieurs. Il est prévu qu’à la demande d’un souverain, ou même s’il est
empêché, la Diète pourra procéder à une ‘‘intervention’’ pour rétablir l’ordre chez lui, et si
jamais le souverain lui-même voulait s’écarter du droit chemin, il se verrait menacé d’une
“exécution confédérale”33. »
Le Zollverein : l’union douanière
Malgré les difficultés économiques évoquées précédemment, les Allemands tardent à se
serrer les coudes pour évincer la concurrence anglaise. Chaque État met en place des
mesures de défense locale et tente de gagner l’avantage. Pendant quinze ans se déroule une
confrontation économique en Allemagne. « La Prusse, dont le territoire barre beaucoup de
routes nord-sud, frappe toutes les marchandises en transit d’une taxe assez pesante34. » Les
autres États tentent répétitivement de déjouer la Prusse en se coalisant, mais à chaque fois
elle leur coupe l’herbe sous les pieds en proposant à quelques-uns d’entre eux une entente
avantageuse.
L’hégémonie douanière prussienne en vient à s’étendre sur presque toute l’Allemagne.
Simultanément, les nécessités pratiques viennent à bout de la zizanie. En 1834, 25 États
(peuplés de 26 millions d’habitants) unifient leur système douanier vers l’extérieur et
l’abolissent dans leurs relations réciproques. Cette union douanière porte le nom de
Zollverein. Ce nouveau régime économique est donc protectionniste vis-à-vis du reste de
l’Europe et libre-échangiste à l’intérieur de l’Allemagne.
32 Dictionnaire Micro Robert, Confédération, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1988, p. 253.33 Pierre AYÇOBERRY, op. cit., p. 31-32.34 Ibid., p. 44.
11
Rétrospectivement, on peut voir dans la création du Zollverein « une date capitale dans la
marche de l’Allemagne vers l’unité : les quinze années suivantes seront marquées par des
progrès économiques et une mentalité plus audacieuse, qui ne s’expliqueront que par les
attraits et les exigences d’un vaste marché commun35. » Entre 1835 et 1860, les grandes
villes allemandes sont reliées entre elles par un réseau ferroviaire. On commerce plus
efficacement, plus loin. Ce nouvel état de fait ne plaît pas à tout le monde, mais
globalement, l’Allemagne s’enrichit et se fortifie. Cette première expérience d’unité laisse
une bonne impression aux Allemands, qui réalisent ce qu’ils peuvent accomplir ensemble.
Le Printemps du peuple
La Burschenschaft
Il va sans dire que ceux qui rêvent d’un véritable État national sont insatisfaits de la
formule confédérative qu’ils souhaitent temporaire. Dans plusieurs villes universitaires
d’Allemagne, des camaraderies étudiantes (Burschenschaft) se forment sous la devise
« Honneur, Liberté, Patrie ». On y cultive la moralité, la foi et les souvenirs de la vieille
Allemagne. En octobre 1817, pour le troisième centenaire de la Réforme protestante, un
demi-millier d’étudiants se retrouvent au château de la Wartburg dans la forêt de Thuringe
pour chanter des hymnes patriotiques et fêter à la fois Martin Luther et Blücher (le
commandant de l’armée prussienne ayant défait Napoléon). On y jette les bases de la
« Burschenschaft générale d’Allemagne »36.
Au départ, les ambitions de ces étudiants sont floues. Des professeurs et des intellectuels se
chargent de leur donner une meilleure orientation idéologique. Les premiers germes de
radicalisme apparaissent rapidement. À Giessen en Hesse, le groupe des Inconditionnels
menés par le professeur Karl Follen appelle au renversement des trônes et à l’établissement
de la République unitaire par tous les moyens (incluant l’usage de la violence). Ils prônent
le tyrannicide en défense de la liberté. Il n’est pas étonnant que les autorités y voient une
menace à l’ordre public et brandissent le spectre de la révolution. La Burschenschaft est
immédiatement interdite et réprimée, mais elle continue de fonctionner de manière
35 Ibid., p. 46.36 Ibid., p. 34-35.
12
souterraine. À long terme, son influence politique sera considérable : la plupart des chefs du
mouvement national des années 1850-60 sont issus de la Burschenschaft37.
Le Vormärz
Dans la foulée du Congrès de Vienne, plusieurs États allemands (Hesse-Nassau, Bavière,
Bade, Wurtemberg) s’étaient dotés d’une constitution qui en faisait des monarchies
parlementaires : assemblée élue au suffrage censitaire et chambre haute intégrant les
anciens « nobles d’empire ». Les rois ou grands-ducs détiennent toujours le haut du pavé.
Pourtant, les députés ne se font pas attendre pour réclamer l’élargissement des libertés
civiles et économiques, l’abolition des restes de féodalité et même la cession de plus larges
pouvoirs à la Diète de Francfort38. Ainsi se constitue le Vormärz (l’« avant-mars »),
mouvement unificateur et démocratique qui marquera l’Allemagne du XIXe siècle.
Leurs souverains ignorent leurs revendications pendant une décennie, puis en 1830 les
révolutions étrangères raniment soudainement la vie politique. La crise économique
provoque des émeutes populaires, et les libéraux voient en l’insatisfaction de la population
un terreau fertile pour leurs idéaux. Des constitutions sont arrachées dans le Brunswick-
Lunebourg, en Hesse-Cassel et en Saxe. Au parlement du Bade, une motion réclamant une
Assemblée nationale allemande est déposée. Ce soubresaut n’est pas sans lendemain. En
mai 1832, 25 000 personnes se rendent au château de Hambach dans le sud de la Rhénanie
pour entendre des orateurs : « Il viendra un jour où, venus des Alpes, de la mer du Nord, du
Rhin, du Danube et de l’Elbe, les Allemands s’embrasseront comme des frères. Vive
l’Allemagne unie et libre39 ! » En cette occasion est hissé pour la première fois le drapeau
noir, rouge et or qui deviendra plus tard le drapeau national allemand.
L’enthousiasme est de courte durée. En juin, la Diète confédérale passe en mode
répression : les assemblées élues sont surveillées, la liberté de presse est suspendue.
Plusieurs en concluent qu’étant donné que l’unité de l’Allemagne ne peut se faire par
compromis avec les souverains, on la fera sans eux. L’année suivante, les étudiants de la
Burschenschaft (qui a survécu à 14 ans d’interdiction) effectuent un putsch raté à Francfort.
En 1834, Georg Büchner fomente sans succès un soulèvement des paysans hessois avec un
37 Ibidem.38 Ibid., p. 38.39 Ibid., p. 39.
13
libelle où il s’exclame « Paix aux chaumières, guerre aux palais40 ! » En 1835, l’agitation
s’est dissipée.
Le Printemps allemand
La maladie de la pomme de terre en 1845 et la mauvaise récolte de céréales en 1846
provoque une hausse des prix alimentaires, ruinant le pouvoir d’achat des ruraux. Les
impôts rentrent mal, et on spécule trop à la hausse à la bourse. Ayant besoin de faire un
emprunt, le roi de Prusse (Frédéric-Guillaume IV) convoque en avril 1847 une « Diète
unie » issue des différentes diètes prussiennes. Il la veut purement consultative : c’était s’y
méprendre. Les députés profitent de l’occasion pour rédiger une Pétition des Droits et
préciser la théorie de collaboration entre le roi et les élus. Le roi les renvoie, mais ne peut
empêcher l’émoi de se transporter dans l’Allemagne entière41.
En mars 1848, la nouvelle de la révolution parisienne est l’étincelle qui embrase presque
toutes les régions allemandes. Cependant, la contestation n’est pas coordonnée : pétitions
modérées et émeutes populaires s’entrecroisent. Dans la Forêt Noire, en Souabe et en
Franconie, des dizaines de milliers d’hommes protestent contre les droits féodaux. Cette
flambée de colère n’a pas de continuité : dès le temps des semailles, ils rentrent chez eux.
Un climat d’incertitude s’installe. À Berlin, des heurts se produisent entre la foule et la
troupe le 18 mars. Dans la nuit, des barricades se dressent et le lendemain on compte 200
artisans morts. Les dirigeants du parti libéral sentent qu’il est temps d’arracher des
concessions. Les souverains, pour apaiser la rue, font entrer des libéraux dans leurs
gouvernements, desserrent le contrôle de la presse et élargissent le droit de vote42.
51 activistes libéraux réunis à Heidelberg convoquent une assemblée préparatoire à
Francfort ; 574 députés s’y rendent début avril. De ce Pré-Parlement se dégage une majorité
de modérés qui décide qu’une assemblée nationale sera élue au suffrage universel indirect.
Ce Parlement est élu en mai dans la Paulskirche (Église St-Paul de Francfort). En même
temps que s’amorcent les délibérations, le révolutionnaire Friedrich Hecker mène une
révolte de quelque six mille hommes en Bade, les Polonais entrent en insurrection en
Posnanie, les Allemands du Schleswig-Holstein se soulèvent contre la monarchie danoise,
40 Ibid., p. 42.41 Ibid., p. 63-64.42 Ibid., p. 64-68.
14
et les Tchèques se rebellent contre la domination autrichienne. L’armée prussienne est trop
heureuse d’intervenir pour rétablir l’ordre43.
Durant l’été, la création d’« associations démocratiques » et de « comités constitutionnels »
se multiplie, les ouvriers continuent de manifester dans la rue. Face à eux, la noblesse se
réseaute en clubs et orchestre des démonstrations pour attiser le particularisme contre
Francfort. L’Arsenal de Berlin est pillé le 14 juin. En août, la guerre civile est latente. En
septembre, les masses rurales et citadines se lancent dans l’action violente. À Berlin, le
« Congrès des Démocrates » proclame sa solidarité avec les insurgés de Vienne. La
répression n’attend pas pour s’abattre. En mars 1849, dans un dernier espoir de sauver son
projet d’unité, la Diète de Francfort envoie des représentants proposer au monarque
prussien, Frédéric-Guillaume IV, de devenir le chef d’État d’un nouveau Reich. Ne pouvant
accepter de recevoir son titre et sa fonction de la main de simples parlementaires, celui-ci
rejette l’offre. Les derniers sursauts révolutionnaires sont écrasés par l’armée. Le printemps
allemand se termine par un échec cuisant. Reste que la société corporative est disparue dans
la tourmente44. Une chose est claire : les habitants de l’Allemagne ont démontrés leur
volonté d’union et de souveraineté populaire. Les gouvernants des décennies suivantes en
tiendront compte.
Le rôle de Bismarck
La vision politique bismarckienne
On peut croire que la vision politique d’Otto Von Bismarck est demeurée assez fixe tout au
long de sa carrière. On sait qu’en 1851, dans un dîner à l’exposition universelle de Londres
en compagnie de l’ambassadeur de Russie, après quelques rasades de vodka, Bismarck
s’exclama dans un élan de franchise brutale : « Prochainement, je vais arriver au pouvoir.
Je saisirai la première occasion pour déclarer la guerre à l’Autriche, pour dissoudre la
Confédération germanique, et pour donner à l’Allemagne son unité nationale sous direction
de la Prusse45. » C’est exactement ce qu’il fit deux décennies plus tard. Il jugeait que la
rivalité austro-prussienne était « la pierre angulaire du problème allemand46 », c’est
43 Ibid., p. 68-70.44 Ibid., p. 75-83.45 Constantin DE GRUNWALD, op. cit., p. 115.46 Ibid., p. 106.
15
pourquoi il était prêt à évincer l’Autriche par les moyens forts. La nouvelle Allemagne ne
pouvait pas contenir deux grandes puissances. Ou bien la Prusse ou bien l’Autriche devait
être écartée. Bismarck, en bon Prussien, décida que ce serait l’Autriche. Pour lui, c’était
faire d’une pierre deux coups que d’unir l’Allemagne sous l’égide de la Prusse. Les
germanophones, comblés de l’unification, n’auront pas à se plaindre de la suprématie
politico-économique de la Prusse, clé de voûte du futur système.
La Guerre des Duchés, la Guerre austro-prussienne,
puis la Confédération d’Allemagne du Nord
Trois guerres furent des catalyseurs dans l’avènement de l’empire unifié de Bismarck. La
première de celle-ci impliquait le Schleswig-Holstein, une double principauté
germanophone dans la péninsule du Jutland. Ces duchés relevant du Danemark étaient
majoritairement peuplés d’Allemands, mais une forte minorité danoise vivait au Schleswig
septentrional (au nord de Flensburg)47. Le Holstein était membre de la Confédération
germanique. Les pangermanistes désiraient l’intégration de ces territoires au futur État
national allemand et inversement les militants du panscandinavisme demandaient l’union
du Schleswig au Danemark. Cette annexion du Schleswig au Danemark fut officialisée en
186348. La Prusse et l’Autriche attaquèrent l’année suivante. Après la brève Guerre des
Duchés, le Danemark céda en 1865 le Schleswig à la Prusse et le Holstein à l’Autriche49.
Le problème danois ainsi réglé, l’étape suivante du plan bismarckien était d’écarter
l’Autriche. Il la provoqua en demandant que le Holstein soit intégré à un gouvernement
centralisé, une Confédération d’Allemagne du Nord. L’Autriche, indignée, demanda la
mobilisation des armées de la Confédération germanique contre les forces prussiennes. Les
Saxons acceptèrent d’intervenir quand les Prussiens occupèrent le Holstein50. Bismarck
avait protégé ses arrières en concluant une entente avec l’Italie, qui lui donnerait son appui
contre la reconnaissance de la souveraineté italienne sur le Tyrol du Sud (région
germanophone revendiquée par l’Autriche). La Prusse remporta la bataille décisive à
Sadowa (Bohême) en 1866. L’Autriche ne concéda aucun territoire, mais accepta que soit
47 « History of Schleswig », Encyclopædia Britannica, édition disque compact, 2002.48 « History of Denmark », Encyclopædia Britannica, édition disque compact, 2002.49 « Guerre des Duchés (1864) », Larousse, [En ligne] http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Duchés/117229 (Page consultée le 10 avril 2012).50 Volker ULRRICH, op. cit., p. 64.
16
dissoute la Confédération germanique. Dans ce tumulte, toutes les principautés allemandes
septentrionales furent intégrées plus ou moins volontairement à la Confédération
d’Allemagne du Nord51. Une proportion croissante d’Allemands vit en Bismarck la solution
à la question nationale allemande.
La Guerre franco-prussienne et le nouvel Empire allemand
Tous ces développements ne faisaient pas l’unanimité dans le reste de l’Europe. Bismarck y
vit une façon de mettre l’Allemagne sur la défensive de manière à pousser l’unification du
nord avec le sud. L’occasion se présentât lorsqu’un membre de la dynastie royale de Prusse
– les Hohenzollern – se posât en 1868 comme candidat à la succession du trône espagnol
vacant. Cela indisposait évidemment la France qui ne voulait pas se retrouver encerclée par
les Hohenzollern comme elle l’avait jadis été par les Habsbourg. Le but de Bismarck était
que la France déclare la guerre à la Prusse et que celle-ci apparaisse comme la victime52.
Lorsque les pressions diplomatiques françaises eurent convaincu les Espagnols de rejeter la
candidature des Hohenzollern, le gouvernement français exigea encore un communiqué de
désistement du roi de Prusse, lequel refusât sobrement d’ajouter à la controverse. Cette
information fut télégraphiée d’Ems (Rhénanie) à Bismarck et l’État-major prussien à
Berlin. Bismarck réécrit la dépêche d’Ems sans en changer le contenu mais en faisant
ressortir l’antagonisme vexatoire pour les opinions publiques françaises et allemandes, puis
la transmit à la presse internationale. La France déclara la guerre peu après53. Comme
l’avait prévu le chancelier, l’unanimité allemande se fit instantanément dans un
déchaînement d’enthousiasme. L’Allemagne avait été envahie un demi-siècle auparavant,
elle ne devait pas l’être cette fois-ci. Au parlement bavarois, le député Sepp s’écria que
« nous n’avons pas participé à la bataille de Leipzig, mais nous n’allons pas manquer la
nouvelle bataille des nations54 ! » et reçut un tonnerre d’applaudissements.
« L’union nationale avait été plébiscitée par cet élan incomparable qui avait entraîné
l’Allemagne entière au lendemain de la déclaration de guerre par la France. […] C’était le
51 Ibid., p. 65.52 Ibid., p. 74.53 Pierre MIQUEL, Les mensonges de l’Histoire, Paris, Éditions France Loisirs, p. 285-288.54 Constantin DE GRUNWALD, op. cit., p. 239.
17
roi de Prusse qui commandait en chef, en conformité avec les traités de 1866, les armées
accourues de tous les coins de la Germanie, et c’était l’état-major prussien […] qui
élaborait le plan des opérations stratégiques exécutées en commun : ainsi, pour la première
fois dans l’histoire, la combinaison politique rêvée par Bismarck se trouvait pleinement
réalisée55. » L’armée allemande, bien équipée en artillerie lourde mais mobile et
excellemment ravitaillée par réseau ferroviaire56, envahit le nord-est de la France après ses
victoires écrasantes à Metz et surtout Sedan où l’empereur Napoléon III fut capturé.
Bismarck imposa aux Français l’annexion de l’Alsace-Moselle. Le chancelier de fer
convoqua les États d’Allemagne méridionale : l’heure de l’unification était enfin venue. La
proclamation du Deuxième Reich dans la Salle des Glaces du palais de Versailles le 18
janvier 1871 représente pour Bismarck le couronnement de sa carrière politique57.
CONCLUSION
« Ce corps qui s’appelait et qui s’appelle encore Saint Empire romain n’est en aucune
manière ni saint, ni romain, ni empire58. » C’est avec ces mots que Voltaire se moquait de
cet immense espace morcelé qui n’avait d’empire que le nom. À l’aube du XIXe siècle, les
Allemands étaient terriblement désunis, et remédier à cette situation sera pour eux l’enjeu
55 Ibid., p. 247.56 Pierre MIQUEL, op. cit., p. 278-279.57 Volker ULRRICH, op. cit., p. 76-78.58 François Marie AROUET, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, Paris, Treuttel et Würtz, 1835, p. 121.
18
majeur de ce siècle-là. Il fallut attendre l’occupation française pour que soit introduite en
Allemagne l’idée d’État-nation. Napoléon Bonaparte donna le coup d’envoi au processus
d’unification en simplifiant radicalement la cartographie politique allemande.
Une fois mis en branle, le nationalisme d’existence et le nationalisme de puissance ont
concouru à la formation d’un État rassemblant la nation allemande par divers moyens.
L’exaltation du peuple et de la patrie par les Romantiques, puis la popularisation de l’idéal
d’un État national allemand par les théoriciens du pangermanisme ont jeté les bases
intellectuelles du projet d’union. Grâce au Zollverein qui a éliminé les barrières douanières
intérieures, les Allemands ont pris conscience de leur force potentielle commune. La
tradition militaire que la Prusse a héritée de ses ancêtres teutoniques lui a permis d’unifier
l’Allemagne par le haut. L’aboutissement de ce long processus doit être imputé au savoir-
faire d’Otto Von Bismarck. Habile calculateur, les événements se sont déroulés selon le
scénario qu’il avait prévu de longue date. L’empire qu’il a établi va perdurer pendant
cinquante ans au cours desquelles l’Allemagne vivra une prospérité sans précédent.
BIBLIOGRAPHIE
AROUET, François Marie. Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, Paris, Treuttel et Würtz, 1835, 486 p.
AYÇOBERRY, Pierre. L’unité allemande, Paris, Presses universitaires de France, 1968, 127 p.
DE GRUNWALD, Constantin. Bismarck, Paris, Albin Michel, 1949, 492 p.
Dictionnaire Micro Robert. Paris, Dictionnaires Le Robert, 1988, 1376 p.
19
MADDEN, Thomas, et al., Les Croisades, Londres, Duncan Baird Publishers, 2004, 224 p.
HARDER, Hans-Joachim. « Histoire de la Prusse (1600-1947) par Christopher Clark », Revue historique des armées, [En ligne], http://rha.revues.org/index7006.html (Page consultée le 27 novembre 2010).
JEANCOURT-GALIGNANI, Oriane. « Le Cor enchanté de l’enfant de Brentano et Arnim », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 32 sur 130.
KOPP, Robert. « Les nationalismes sont nés du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 11-12 sur 130.
LE BLANC, Charles. « Fantaisies sur l’art de Ludwig Tieck », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p. 20 sur 130.
LE RIDIER Jacques. « Aux sources du romantisme », Le Point Références, no 2, juillet-août 2010, p 13-15 sur 130.
MIQUEL, Pierre. Les mensonges de l’Histoire, Paris, Éditions France Loisirs, 392 p.
PERDEREAU, Cédric, et al. Soldats – De l’Antiquité à nos jours, Paris, Flammarion, 2008, 360 p.
PFLANZE, Otto. Bismark and the Development of Germany – The period of unification, Princeton, Princeton University Press, 1963, 510 p.
ULRRICH, Volker. Bismarck – The Iron Chancellor, Londres, Haus Publishing, 2008, 166 p.
20