Réflexions sur le Code noir, et dénonciation d'un crime affreux, commis à Saint-Domingue.
L'INDIVIDU DANS L LIBÉRALE DU TRAVAIL · dénonciation d’une pression importante subie par les...
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Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
L'INDIVIDU DANS L'ORGANISATION LIBÉRALE DU TRAVAIL:
LES STRATÉGIES DE RÉSISTANCES
FACE À L'ENRÔLEMENT DE LA SUBJECTIVITÉ.
TER Théorique ISAS 1
Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
SOMMAIRE
INTRODUCTION: 3
I/ L'ÉVOLUTION DE L'ORGANISATION ET DES FORMES DE CONTRÔLE DU TRAVAIL: 5
I.1/ Le fruit d'une longue évolution de l'organisation: 5
I.2/ L'évolution des objectifs et des moyens de contrôle: 8
II/ IL ÉTAIT UNE FOIS, DANS L'ORGANISATION LIBÉRALE DU TRAVAIL... 10
II.1/ Les transformations du nouvel esprit du capitalisme: 11
II.2/ La bureaucratie libérale: 14
II.3/ L'idéal type du manager: 17
III/ DOMINATIONS ET RÉSISTANCES EN ORGANISATION: 20
III.1/ Capacités au travail, personnalité et exploitation: 20
III.1.a/ L'exploitation des capacités au travail: 20
III.1.b/ « Usages » de la personnalité: 23
III.2/ Vers une nouvelle définition des figures de la domination: 27
III.3/ L'analyse stratégique et les stratégies de résistances: 29
IV/ LES CENTRES D'APPELS: USINES MODERNES ET TEMPLES DU MANAGEMENT: 32
IV.1/ Les centres d'appels: caractérisation d'un nouveau secteur d'emploi: 32
IV.2/ Une rationalisation extrême du travail: 37
IV.3/ Autonomie, responsabilité et contrôle: 39
CONCLUSION:
41
BIBLIOGRAPHIE: 43
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Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
INTRODUCTION:
En ce début du vingt et unième siècle, les conflits du travail semblent se baser de plus
en plus sur des revendications concernant les conditions de travail, et à travers cela, la
dénonciation d’une pression importante subie par les employés, d’un stress générateur de mal
être, voire d’un nombre important de maladies. Bien souvent au devant de la scène
médiatique, les centres d’appels parfois caractérisés d’usines modernes, ont été
particulièrement étudiés, quelque soit le point de vue, du fait de leurs pratiques managériales
« de pointe » et de leurs modes d’organisation libérale du travail. Autonomie, responsabilité,
flexibilité sont autant de mots venant, comme des idéologies, frapper nos pratiques
quotidiennes et notre lien au travail.
De nouvelles formes de domination semblent émerger, l’individu est soumis à une
multitude de contraintes difficiles à percevoir et à assumer. Un des concepts forts de l’analyse
de ces évolutions, celui que nous nous proposons d’étudier ici, est la notion d’enrôlement de
la subjectivité. Détournement des objectifs personnels de l’employé vers les objectifs de
l’entreprise, celuici semble novateur dans la forme de construction du monde qu’il propose et
dans la forme de domination qu’il représente.
Pour cela, nous commencerons par étudier l'évolution des formes d'organisation du
travail afin d'essayer d'en dégager un schéma directeur des mutations des objectifs de contrôle
et de rationalisation du travail. Ensuite, nous nous pencherons plus particulièrement sur
l'organisation libérale du travail par l'étude de « l'esprit du capitalisme », du concept de
bureaucratie libérale, et enfin par la présentation de la figure emblématique du manager. Notre
troisième partie sera le lieu où revenir sur les théories sociologiques les plus probantes pour
nous proposer un cadre d'analyse théorique. Nous essaierons ainsi de comprendre en quoi
l'évaluation des capacités au travail peut être source d'exploitation, notamment à travers la
valorisation de la personnalité, puis nous présenterons les nouvelles figures de la domination
pour enfin finir sur le concept d'analyse stratégique nous offrant un cadre conceptuel à
l'analyse des stratégies de résistances. Enfin, le quatrième temps de ce mémoire sera consacré
à pénétrer davantage dans l'analyse théorique du terrain que nous nous proposons d'étudier:
TER Théorique ISAS 3
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les centres d'appels. Nous verrons ainsi ce qu'est un centre d'appel et en quoi l'organisation du
travail y est particulièrement représentative de l'organisation libérale du travail.
A travers la présentation de tout ces éléments, nous comptons élaborer un cadre
théorique pour la définition et l'appréhension de notre problématique: les stratégies de
résistances face à l'enrôlement de la subjectivité...
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I/ L'ÉVOLUTION DE L'ORGANISATION ET DES FORMES DE CONTRÔLE DU TRAVAIL:
Cette première partie va être l'occasion pour nous d'essayer de comprendre le contexte
de l'organisation libérale du travail et ce qui la caractérise. Comprendre ce qui sous tend
l'organisation du travail aujourd'hui, c'est mieux comprendre la théorie et les grands préceptes
de ce qui régit les actions et les décisions entourant l'employé d'une entreprise libérale. De
nouvelles demandes sont faites, en accord avec ces nouveaux paradigmes; des
restructurations, de nouvelles contraintes de temps ou d'action,... Beaucoup d'effort ont ainsi
été faits depuis quelques années pour changer nos façons de travailler et de concevoir le
travail.
Afin de réussir à cerner l'organisation libérale du travail, nous commencerons par
étudier l'histoire de l'organisation scientifique du travail, depuis ses premières études à
aujourd'hui. Puis, nous essayerons de tracer un axe dans l'évolution des objectifs des contrôles
effectués sur l'employé, au nom de ces grands principes d'organisation.
I.1/ Le fruit d'une longue évolution de l'organisation:
Dans la revue sur les nouvelles organisations du travail de Caroline David et Sophie
Savereux1, nous pouvons repérer un nombre important de modèles d’organisation industrielle
du travail. Ces modèles, parfois anciens, restent cependant cruciaux dans leurs applications
(souvent nuancées) que l’on peut encore observer aujourd’hui. Ils ont marqué profondément
la manière de travailler, et par là même le quotidien de chacun, et sont appliqués actuellement
non seulement au secteur industriel, mais aussi dans le secteur des services ou même dans
certaines petites et moyennes entreprises, moins soumises aux rythmes cadencées des plus
grosses, mais cependant séduites par les principes sousjacents à ces modèles théoriques. Il ne
s’agira pas pour nous ici d’en parler en détails mais plutôt d’en brosser un rapide inventaire
nous permettant de mieux comprendre le cadre des mutations organisationnelles en train de
1 David Caroline, Savereux Sophie, les nouvelles organisations du travail, in Problèmes politiques et sociaux, n°867, Paris, La Documentation Française, 14 Décembre 2001.
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s’opérer.
Ainsi, nous commencerons par rappeler ici les grands paradigmes des deux premiers
modèles industriels appliqués et théorisés, le Taylorisme et le Fordisme. Le Taylorisme, mis
au point par Taylor au début du XX° siècle, met l’accent sur la séparation stricte entre les
tâches de conceptions, de contrôles et de production. Il repose de plus sur une rationalisation
poussée des processus et des postes de travail « qui conduit à une parcellisation des tâches et à
une déqualification du travail ouvrier »2. Le Fordisme, s’inspirant du Taylorisme, y ajoute
cependant trois notions clés : le travail à la chaîne, la standardisation des pièces et des
produits et des salaires élevés. Ford compte ainsi, par cette politique d’augmentation du
pouvoir d’achat des ouvriers, soutenir la demande et ainsi créer une production importante
répondant à une consommation de masse. Viennent ensuite deux modèles théorisés en
réaction à ces modèles parfois peu adaptés à la demande locale ou aux modes de production
particuliers, ce sont les modèles Woollardien et Sloanien. Woollard, ingénieur en chef chez
Morris, crée en effet une organisation reposant sur deux principes fondamentaux :
l’augmentation de la flexibilité par un renforcement de l’autonomie d’organisation des
salariés dans des équipes, ainsi que « la mécanisation et la synchronisation des
approvisionnements des stations de travail pour limiter les stocks et le nombre de
manoeuvres »3. Le modèle Sloanien, mis en place chez General Motors, repose quant à lui sur
des objectifs de volume et de diversité. Il différencie ainsi les produits en surface, par un
changement de couleur ou de forme de carrosserie par exemple, tout en gardant tout le reste
en commun. Enfin, il nous faut présenter deux modèles importants aujourd’hui,
conceptualisés au Japon et reposant sur les mêmes principes avec cependant quelques
différences primordiales. Le Toyotisme et le Hondisme s’articulent tous les deux autour du
concept du « juste à temps » où la production toute entière est assujettie à la demande en vue
de diminuer au maximum les stocks et le gaspillage. Malgré ce point commun, on peut voir
apparaître deux stratégies différentes inhérentes à ces modèles, le modèle Toyotien vise en
effet la réduction des coûts à volume constant tandis que le modèle Hondien est fondé sur
l’innovation et la flexibilité. Ces deux derniers modèles nous paraissent aujourd’hui cruciaux
dans les valeurs d’autonomie et de flexibilité souvent revendiquées dans les organisations
2 David Caroline, Savereux Sophie, les nouvelles organisations du travail, Op. Cit. , p.6.3 David Caroline, Savereux Sophie, les nouvelles organisations du travail, Ibid, p.11.
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d’entreprises.
En fixant ces bases théoriques des modèles productifs, nous disposons d’une vision
d’ensemble permettant l’analyse des mutations organisationnelles et de leurs enjeux. Il paraît
tout de même intéressant de rajouter que ces changements s’accompagnent souvent d’une
tentative d’intégration du travailleur aux valeurs de l’entreprise par l’exercice d’une
valorisation de la personne, de son esprit d’initiative et de ses capacités communicationnelles,
provoquant parfois un paradoxe important avec la pression exercée par la hiérarchie4. Toutes
ces mutations et ces pressions exercées sur le travailleur sont souvent accusées de nouvelles
exploitations, de génératrices de difficultés profondes,… Selon Caroline David et Sophie
Savereux, il s’agirait d’avantage de mutations inachevées et incomplètes provoquant des
contradictions entre des systèmes productifs traditionnels (tels le Taylorisme et le Fordisme)
et une demande forte d’autonomisation et de flexibilité. En d’autres termes il y aurait
inadéquation entre les demandes faites aux employés sur les rythmes, les objectifs de
productions… et la capacité réelle à produire due à la subsistance de modes d’organisation
inadaptés à cellesci.
I.2/ L'évolution des objectifs et des moyens de contrôle:
Nous pouvons voir tout au long de la longue évolution des modes d’organisation du
travail, qu’il existe des modifications importantes quant aux objectifs sous jacents à la mise en
place de protocoles, de scripts, de « mode d’emploi » du travail et de sa réalisation. Les
fondements de l’organisation scientifique du travail reposaient ainsi sur l’évident effort de
réduction des pertes de temps à travers l’élaboration de schéma d’action, de protocoles précis
où le bannissement du geste inutile était la règle recherchée. La séparation des tâches,
l’hyperspécialisation de chaque poste de travail, ou encore le cadençage imposé par la mise en
place du travail à la chaîne, entre autres mesures, ont toutes participées à cette volonté de
contrôle du geste, de rentabilisation extrême de la force de travail jusqu’à aboutir à une
fragmentation poussée du geste et à sa dépossession de la part du travailleur. Au cours du
4 Linhart Danièle, Linhart Robert, l’évolution et l’organisation du travail, in Kergoat Jacques, Boutier Josiane, Linhart Danièle, Jacot Henri, Le monde du travail, Paris, La Découverte, coll. L’état des savoirs, 1998, pp. 301308.
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temps et de l’apparition de nouveaux modèles managériaux, la rationalisation du travail a
lentement glissée de ce contrôle du geste, toujours énormément présent, à la tentative de
contrôle du « mental » .
Danièle et Robert Linhart5, dans leur article sur l’évolution et l’organisation du
travail, posent la question de l’investissement du travailleur dans l’entreprise par rapport au
contrôle social mis en place. Ainsi, d’après les auteurs, les entreprises aujourd’hui, malgré un
mode de fonctionnement très Taylorien, se sont « lancés dans une bataille identitaire pour
moderniser la tête des salariés » . C'estàdire forcer l’intériorisation des valeurs, de la culture
et des méthodes de raisonnement de l’entreprise. « Il s’agit de les obliger à se défaire des
solidarités de métier, de classe pour épouser les seules valeurs de l’entreprise » .
On voit ainsi l’évolution d’un contrôle du « geste » du travailleur vers un contrôle du
« mental » de celuici, de sa subjectivité. C’est ce qu’on appelle l’enrôlement de la
subjectivité de l’employé. Par cet technique, on essaie d’obtenir un investissement plus grand
du salarié, plus d’autonomie et plus de responsabilité vers les objectifs de l’entreprise. En
effet, convaincu du bien fondé de l’action de l’entreprise, l’employé s’investit bien davantage
dans son travail et dans la réalisation des objectifs imposés, comme s’il luttait pour son propre
bonheur. C’est bien à travers la recherche de cette motivation intrinsèque à chaque individu,
pour un bien être que l’on pourrait appeler externalisé, que les nouvelles théories
managériales s’illustrent le mieux dans le détournement de la subjectivité.
5 Linhart Danièle, Linhart Robert, l’évolution et l’organisation du travail, Op. Cit.
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II/ IL ÉTAIT UNE FOIS, DANS L'ORGANISATION LIBÉRALE DU TRAVAIL...
A travers cette partie, nous allons tenter de mieux cerner ce qu'est l'organisation
libérale du travail. En effet, nous venons de voir comment l'organisation du travail a évoluée
en nous intéressant particulièrement à l'évolution des objectifs de contrôle du travail et des
employés. Il nous est ainsi apparu l'évident effort de contrôle du geste, en vue d'un gain de
productivité important, tout au long du temps mais s'accompagnant plus récemment d'une
tentative de contrôle de la subjectivité de l'employé. On cherche ainsi à le faire adhérer à
l'image que l'entreprise à d'elle même, sa propre « subjectivité » . En effet, bien que réputée
rationnelle car fondée sur les sciences économiques, le fait que l'entreprise mette en avant une
image et promeuve des valeurs nous montre bien le caractère subjectif de celle ci. C'est
pourquoi, nous essayerons de donner ici les éléments les plus probants à la caractérisation de
l'organisation libérale du travail et de sa « subjectivité » à travers tout d'abord la notion
d'esprit du capitalisme avancée par Luc Boltanski et Eve Chiapello dans le nouvel esprit du
capitalisme6. Dans un second temps, nous nous attacherons à la théorie de la bureaucratie
libérale exposée par David Courpasson dans l'action contrainte7, afin d'apporter un autre point
de vue replaçant bien davantage cette forme d'organisation dans le champs de la domination.
Enfin, nous nous arrêterons sur un des personnages centraux de cette organisation, la figure
du « manager » .
II.1/ Les transformations du nouvel esprit du capitalisme:
Boltanski et Chiapello nous parle d'un esprit du capitalisme, idéologie justifiant celui
ci. En effet, son seul objectif étant une exigence d'accumulation illimitée du capital par des
6 Boltanski Luc, Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.7 Courpasson David, L'action contrainte, Organisations libérales et dominations, Paris, PUF, Coll. Sciences
Sociales et Société, 2000.
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moyens formellement pacifiques, il doit inévitablement avoir recours, pour survivre, à un
mécanisme capable de créer la motivation nécessaire à la coopération du plus grand nombre à
ce système. Car c'est en effet une condition primordiale à l'accumulation du capital que de
mobiliser beaucoup de personnes, dépossédées de la propriété du résultat de leur travail, mais
qui n'ont, à priori, aucune raison de participer et de s'investir dans ce processus puisque leurs
chances de profits restent des plus minces.
C'est donc ici qu'intervient l'esprit du capitalisme, idéologie justifiant l'engagement à
travers deux types de considérations: des considérations individuelles (donnant des motifs
pour s'engager dans l'entreprise capitaliste) et des considérations générales (c'est à dire en
quoi cet engagement peut servir le bien commun). Il a ainsi pu se doter de trois piliers
justificatifs centraux, souvent issus des sciences économiques: le progrès matériel, considéré
comme un critère de bien être social; l'efficacité et l'efficience dans la satisfaction des besoins;
un mode d'organisation favorable aux libertés politiques et aux régimes démocratiques. Il se
complète de plus, notamment vis à vis des cadres, des notions de sécurité et de participation à
l'entreprise, toutes deux répondant aux accusions d'injustice.
La thèse défendue ici est celle d'un nouvel esprit du capitalisme, en opposition avec le
capitalisme du dix neuvième siècle, mais aussi avec celui du début du vingtième qui perdura
jusqu'aux années soixante d'après les auteurs. Nous ne reviendrons pas ici sur ces notions et
nous cantonnerons à essayer de comprendre le plus finement possible les principales
caractéristiques de ce nouveau modèle issu d'une continuelle adaptation aux critiques
(notamment sociales et artistiques) lui permettant de perdurer au cours du temps, quelque soit
les reproches lui étant faits.
Ainsi, actuellement, l'objectif général reste d'obtenir la collaboration des salariés à la
réalisation du profit capitaliste, mais la voie n'est plus l'intégration collective et politique du
travailleur (notamment à travers la négociation syndicale, comme cela a pu être fait), mais
dans la recherche d'épanouissement de la personne en développant le culte de la performance
et l'exaltation de la mobilité. On retrouve ainsi des objectifs d'autonomie et de liberté
davantage prononcés, basés sur les pratiques du nouveau management, groupes de travail
semiautonomes et responsables de leurs actions. Parallèlement, se mettent en place des
pratiques recherchant la flexibilité auprès des employés (flexibilité interne) et des sous
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traitants ou prestataires de services (flexibilité externe). On observe ainsi le report du poids de
l'incertitude marchande sur ces deux catégories. Enfin, est mise en place également une
gestion concurrentielle du progrès social, c'est à dire que les entreprises cherchent à gérer le
social et à prendre en charge les « aspirations » et les « revendications » des employés.
Dans ce contexte, les changements du travail et de son organisation apparaissent
rapidement comme importants et profonds. Ils s'orientent autour de deux axes principaux: les
changements dans l'organisation du travail, et ceux du travail en soi.
Les changements prépondérants dans l'organisation du travail se divisent ainsi en
quatre grande partie:
✔ Une plus grande autonomie: augmentation des horaires libres, polyvalence,
formation permanente,...
✔ Des innovations d'organisation: le justeàtemps, les cercles de qualités, les
groupes autonomes et la diminution du nombre de niveaux hiérarchiques,...
✔ Très forte augmentation de l'importance de la sous traitance et de l'externalisation
de nombreuses fonctions,
✔ Une organisation en réseaux de petites entités de travail distinctes.
En parallèle, le travail, lui aussi, a subi de nombreuses modifications:
✔ Précarisation de l'emploi due notamment à une externalisation des emplois et au
développement des contrats dits précaires,
✔ Fragmentation et diversification des emplois,
✔ Dualisation du salariat entre une main d'oeuvre qualifiée et stable, et une main
d'oeuvre peu qualifiée, sous payée avec une précarité très élevée,
✔ Diminution de la protection des travailleurs,
✔ Des modifications liées à l'arrivée des modèles d'organisation japonais
(Toyotisme, Hondisme,...) se traduisant particulièrement par une charge de travail
accrue et par un développement de la polyvalence à salaire égal.
La plupart de ces modifications sont dues à la grande importance du management des
années quatre vingt dix et de ses préceptes. Ainsi, il a pour ambition d'éliminer en grande
partie les modèles d'entreprise antérieurs, c'est à dire principalement la bureaucratie et la
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planification rigide. Face à la concurrence et au changement toujours plus rapide des
technologies, il devient nécessaire à l'entreprise de savoir s'adapter, d'être flexible et inventive
et de savoir prendre de l'avance technologique sur ses concurrents. Ainsi, se développe le
concept d'entreprise « maigre », ayant perdue la plupart de ses échelons hiérarchiques,
travaillant en réseaux, sur la base de projets vers une plus grande satisfaction du client. Ces
entreprises doivent savoir apprendre, pour pouvoir s'adapter. Là se trouve la figure du
manager, animateur de petits groupes de travail où la confiance est de mise, s'appuyant sur des
expertises précises afin de garantir la performance technique.
S'opère en même temps un changement dans les formes de mobilisation, s'appuyant
maintenant sur l'idéal de libération de l'homme; créativité, réactivité et épanouissement
devenant ainsi les valeurs phares de ces discours. La nouvelle forme de justice valorise ceux
qui savent travailler, être mobile et s'adapter. Boltanski et Chiapello parlent ainsi d'un
nouveau sens de la justice: la « cité par projets » .
Le nom de la « cité par projets » vient de l'organisation par projets préconisée par les
manuels de management. Le projet est en effet l'occasion et le prétexte de la connexion en
réseaux. Il est ainsi comme un noeud de connexions actives capables de faire exister à un
moment donné, des objets ou des sujets. Le principe supérieur commun de la cité par projets
est par conséquent l'activité, au nom de laquelle on peut juger les actes et les personnes.
L'activité s'intègre ainsi à des projets où la connexion devient un état naturel entre les acteurs.
Les mots d'ordre sont donc se connecter, communiquer, se coordonner, s'ajuster aux autres et
faire confiance.
II.2/ La bureaucratie libérale:
Nous venons donc de voir comment Boltanski et Chiapello concevait cet esprit du
capitalisme si caractéristique de l'organisation libérale du travail. Il me paraissait important ici
d'ajouter le concept de bureaucratie libérale tel qu'énoncé par David Courpasson dans son
ouvrage, l'action contrainte8. Ainsi, pour lui, « les principes libéraux de la flexibilité et de la
décentralisation coexistent avec une grande rigidification des contraintes et des conduites » .
8 Courpasson, Op. Cit, pp. 273277.
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C'est pourquoi il se permet d'adosser les deux principes apparemment contradictoires de
bureaucratie et de libéralisme. Ce visage de l'organisation libérale du travail n'étant pas
présenté par Boltanski et nous paraissant probant dans notre étude, nous allons tenter ici
d'expliquer en quoi ce concept est intéressant dans l'analyse de la domination en entreprise.
Weber définit ainsi l'activité des bureaucraties comme « une action rationnelle en vue
d'une fin, légitimée par le caractère rigoureux et équitable de la règle officielle »9 . Pour
Courpasson, cette bureaucratie, armée de tous les outils économiques et gestionnaires, et donc
par l'imposition d'une règle immuable s'appliquant à tous, est indissociable de la domination
en organisation. Cette domination, selon Habermas, passe par la dépersonnalisation des
rapports organisationnels, c'est à dire par « la séparation entre les systèmes d'actions et les
structures de la personnalité »10 . Il s'agit donc d'arriver à un système complet et cohérent de
contraintes capables de limiter au maximum la liberté individuelle de mouvements dans
l'organisation. Cette organisation du pouvoir repose sur quatre exigences imposées à ceux qui
y sont soumis:
✔ L'exigence de respect des règles et des procédures: ainsi, une bureaucratie se
caractérise surtout par des procédures, des scripts de travail à respecter à la lettre.
C'est une source importante de la cohésion bureaucratique. L'arrivée du manager
(à la place du chef de service par exemple) marque ainsi l'importance de celles ci
du fait qu'il sera quant à lui jugé sur le bon respect de ces règles et procédures de
la part des ses « subordonnés » . Il personnifie localement cette exigence du fait
qu'il en est l'initiateur et qu'il sera jugé dessus.
✔ L'exigence de conformité: Courpasson, en s'inspirant du travail de Crozier nous dit
que « L'histoire du management des organisations peut être alors en quelque sorte
dépeinte comme celle de la succession de choix violents et souples de
gouvernement des personnes, dans l'optique de recherche de la conformité et de
l'obéissance qu'elle favorise » 11. Mais pour lui, l'originalité des organisations
libérales est d'utiliser également une coercition souple, s'éloignant ainsi du
principe d'une contrainte violente. Ainsi, la conformité passe par une multitude
9 ibid. p273.10 ibid. p274.11 Courpasson, Op. Cit., p 275
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d'outils permettant d'uniformiser les conduites individuelles en vue d'un contrôle
social plus efficace.
✔ L'exigence d'objectivation des relations de travail: cette objectivation passe
notamment par tout l'arsenal gestionnaire permettant de rendre « quantifiable »,
montrable et formalisable ces relations de travail. Par ce processus, celles ci
deviennent jugeables et jaugeables ou tout du moins les outils gestionnaires
permettentils l'acceptation de ces jugements en donnant l'impression d'une règle
s'appliquant à tous et étant connue de tous.
✔ L'exigence de dépersonnalisation des rapports de travail: et notamment des
rapports hiérarchiques. Il existe ainsi une centralisation accrue du contrôle des
actions individuelles due particulièrement à la peur de l'expression des logiques
personnelles dans l'organisation. Cela s'observe dans les logiques de mobilités ou
encore de la certification qualité. Malgré un discours plus proche de la
valorisation de la personne, l'interchangeabilité de cellesci reste une valeur
primordiale dans la recherche de cohésion et en même temps, de contrôle.
Il existe ainsi dans l'organisation libérale du travail une structure de commandement et
d'autorité très réelle et souvent, très classique. Celle ci est masquée, mais la différence reste
importante entre ceux qui doivent faire accepter les règles, les managers, et ceux qui doivent y
obéir, les exécutants. Comme nous allons le voir ensuite, le manager se place donc en position
de régulateur de l'organisation, son rôle est de supporter la responsabilité de faire accepter les
règles du jeu que d'autres ont édictées.
Nous voyons ainsi clairement l'évolution qui s'est produite pour arriver à cette
bureaucratie libérale, pouvant parfois paraître paradoxale tant ses sources de légitimation
semblent lointaines de la réalité vécue de l'organisation. La liberté revendiquée semble ainsi
se cacher dans les très minces espaces laissés libres de l'emprise d'un système de contrôle
puissant et omniprésent. Cependant, le fonctionnement en réseaux, le manque de visibilité des
détenteurs du pouvoir et l'externalisation de la responsabilité des actions (et surtout des
mauvais résultats) tendent à affirmer clairement les logiques de dominations mises en place au
sein des entreprises libérales. Courpasson nous parle ainsi d'un despotisme doux dans les
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organisations qui pourraient par conséquent être définies « comme une forme structurelle
alliant la décentralisation des certains pouvoirs (dont celui d'être responsable de ses actes et de
ses fautes) et la « souveraineté » d'un pouvoir central, délégué à de multiples collaborateurs
sélectionnés par les gouvernants grâce à des procédures productrices de conformité (la gestion
des « hauts potentiels » par exemple), sur la base de leurs propres normes et de leurs propres
intérêts. »12
II.3/ L'idéal type du manager:
La figure du manager me semble importante dans cette étude de par la position
particulière que celuici incarne dans la hiérarchie de l'organisation. Comme nous venons de
le voir dans la partie précédente, il joue les rôles de médiateur, de régulateur mais également
de représentant local de la direction. Cependant, sa fonction, autant que son rôle ou sa place
sont foncièrement ambivalents dans le fonctionnement de l'organisation libérale du travail.
Souvent interlocuteur unique des employés, il représente une direction lointaine et invisible,
mais est paradoxalement reconnu (notamment dans le cas des centres d'appels comme nous le
verrons dans le rapport empirique) comme un employé à part entière, solidaire du reste du
groupe de travail avec lequel il partage les pressions et les contraintes.
Nous trouvons dans l'ouvrage de Boltanski et Chiapello ce que nous pourrons
rapprocher le plus de cet idéal type, au sens Weberien, du manager à travers la définition de la
cité par projets et principalement à travers la figure du « grand » de la cité par projets. En
effet, être grand dans cette cité semble bien être capable de répondre à toutes les injonctions, à
correspondre à l'image de la personne la plus valorisée dans cette justice. Les auteurs, en
s'inspirant de la littérature managériale des années quatre vingt dix, définissent ainsi les
grands principes, les grands traits de caractères de cette personne emblématique de la cité par
projets. Mais qui mieux que la figure du manager (arrivée elle aussi dans les années quatre
vingt dix) peut incarner pleinement ce « grand », celui qui a su se hisser au sommet de cette
cité? De part sa place même il est celui qui se doit d'incarner cette cité, car il en est le coeur, le
moteur de toutes les modifications organisationnelles apportées. Par conséquent, définir le
12 Courpasson, Op. Cit., p285.
TER Théorique ISAS 15
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« grand » de la cité par projets revient bien à définir les différentes injonctions s'adressant au
manager afin de devenir un « bon » manager... apparaît donc cet idéaltype du manager, figure
représentant symboliquement le management actuel.
Dans le monde connexionniste ou réticulaire de la cité par projets, l'important est de
savoir être connecté, d'être en relation et de savoir gérer des réseaux vers la réalisation d'un
projet, occasion et but de ceuxci. Ainsi, il semble crucial pour le manager de posséder ces
diverses compétences relationnelles bien avant les compétences techniques que l'on pouvait
attendre lors du deuxième esprit du capitalisme d'après les auteurs. Le manager, à la
différence du chef des années soixante, doit donc savoir s'engager, s'impliquer et impliquer les
autres. Il est un guide, sa vision est l'avenir de l'entreprise ou de son service. Il doit posséder
l'intuition et le talent, mais aussi être flexible, adaptable et polyvalent tout en restant actif et
autonome. « Ce sont précisément cette adaptabilité et cette polyvalence qui le rendent
employable, c'est à dire, dans l'univers de l'entreprise, à même de s'insérer dans un nouveau
projet »13. Il sait aussi repérer et exploiter au maximum les bonnes sources d'information et
choisir ainsi les bonnes connexions, les réseaux les plus à même de répondre à son besoin
d'information ou de compétences requises dans le cadre de son projet. « C'est dire, dans la cité
par projets, qu'il n'est pas seulement celui qui sait s'engager, mais aussi celui qui est capable
d'engager les autres, de donner de l'implication, de rendre désirable le fait de le suivre, parce
qu'il inspire confiance, qu'il est charismatique, que sa vision produit de l'enthousiasme, toutes
qualités qui font de lui l'animateur d'une équipe qu'il ne dirige pas de façon autoritaire mais en
se mettant à l'écoute des autres, avec tolérance, en reconnaissant et en respectant les
différences »14.
Nous voyons bien ainsi se dessiner cet idéal type du manager comme une des
personnes centrales du nouvel esprit du capitalisme. Il se place bien, par ses compétences
relationnelles notamment, comme médiateur et régulateur (comme nous l'avons vu avec
Courpasson au chapitre précédent) de l'entreprise. Il convient peut être ici de s'arrêter
quelques temps sur cette figure du régulateur dont la place est particulièrement sensible dans
une organisation15. Il est en effet celui qui fait le va et vient entre la direction et l'organisation,
13 Boltanski, Chiapello, Op. Cit., p. 169.14 Boltanski, Chiapello, Ibid., p. 172.15 Quelques éléments de caractérisation de la figure du régulateur sont inspirés par le cours donné par Mr Le
Huu Khoa dans le cadre de son enseignement de théories sociologiques des rapports sociaux.
TER Théorique ISAS 16
Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
le canal d'informations pour le pouvoir. Son rôle est de rappeler à l'ordre, mais aussi de
proposer (et d'imposer également) de reconnaître l'intérêt collectif. Il est celui qui est capable
d'imposer une discipline collective, une démarche à suivre et des codes sociaux à respecter.
Mais l'élément le plus important dans cette figure du régulateur est bien son pouvoir de
sanction souvent indirect et discret, se différenciant ainsi d'une sanction plus hiérarchisée et
plus officielle. Il peut par exemple s'agir d'un dérapage de la parole, d'échanges conflictuels
ou encore d'une confrontation verbale plus directe. Il instaure ainsi un contrôle social sous
forme d'auto censure provoquée par son pouvoir de sanction latent. C'est à dire que par l'usage
de plusieurs masques, de plusieurs rôles, il crée une imprévisibilité de son comportement
pouvant aller de la sympathie, la diplomatie à la sanction. C'est cette imprévisibilité qui
devient la source de l'auto contrôle, et donc de son pouvoir de régulation.
Nous venons donc de voir comment définir l'organisation libérale du travail à travers
les études réalisées par Boltanski et Chiapello, et Courpasson. Nous avons ainsi pu
comprendre ce qu'est ce nouvel esprit du capitalisme imprégnant l'organisation. Puis,
Courpasson nous a montré le caractère bureaucratique encore très présent et ce qu'il
impliquait en termes de domination. Enfin, nous nous sommes arrêtés sur la « figure » du
manager, personne centrale de cette organisation et emblème du travailleur libéral. A l'aide de
la compréhension de ce contexte libéral de l'organisation, nous allons maintenant pouvoir
étudier plus finement les conséquences de celuici sur les relations et les réalisations
quotidiennes du travail en organisation.
TER Théorique ISAS 17
Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
III/ DOMINATIONS ET RÉSISTANCES EN ORGANISATION:
Pour nous permettre d'appréhender à leur juste valeur les débats autour de
l'organisation, et surtout autour du travailleur en organisation, nous commencerons ici par
revenir sur un certain nombre de concepts sociologiques traitant de l'exploitation, de la
domination et des formes de résistances à cette domination. Pour cela, nous commencerons
par parler de l'exploitation créée par les fondements même des formes de gestion des
« ressources humaines », aujourd'hui. Il nous faudra pour cela essayer d'entrer dans la
question de l'évaluation et des attentes sur les « qualités » et « compétences » de la personne,
puis sur la conception liée de la personnalité dans l'organisation libérale. Ensuite, nous
étendrons le sujet aux définitions des figures de la domination, nous donnant ainsi les outils
de lecture de la domination en organisation. Enfin, les formes de résistances possibles seront
abordées à travers les principes de l'analyse stratégique.
III.1/ Capacités au travail, personnalité et exploitation:
Cette partie sera principalement centrée autour des concepts de définition des capacités
au travail et de leurs utilisations, autant de la part du système dominant, dans la perspective
d'une domination, que par les employés, dans une valorisation paradoxale de leur personne.
III.1.a/ L'exploitation des capacités au travail:
Le texte de Danilo Martuccelli sur les trois logiques des capacités au travail: notes
sur l'exploitation16, nous éclaire davantage sur l'exploitation de la personne au travail par
l'évaluation et la reconnaissance (ou non) de certaines capacités de l'individu au travail.
L'auteur se propose ainsi de faire une analyse actuelle de l'exploitation au travail. Pour cela, il
commence par rappeler les trois principes sous jacents à toute analyse de l'exploitation:
premièrement, « la notion d'exploitation suppose qu'un acteur soit dans une situation qui
permet à quelqu'un d'autre (ou à d'autres) d'abuser de lui en lui infligeant un préjudice de
16 Martuccelli Danilo, les trois logiques des capacités au travail: notes sur l'exploitation, in colloque interdisciplinaire: la représentation de l'acteur au travail, CLERSE, 20, 21 novembre 2003.
TER Théorique ISAS 18
Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
nature avant tout économique »17; deuxièmement, l'exploitation créée par le capitalisme a
tendance à se faire de manière voilée, par des mécanismes invisibles; enfin, toute théorie de
l'exploitation renvoie forcément à des concepts de justice, et par conséquent à une
normativité.
Martuccelli s'applique ici à éclairer une forme d'exploitation basée sur la
reconnaissance ou non des capacités au travail. Il divise cellesci en trois catégories distinctes:
✔ Les qualifications: « la reconnaissance des qualifications, ou des capacités au
travail, passe par des compromis salariaux mais également par les certifications
scolaires en tant que condition sine qua non pour l'exercice d'une activité »18,
✔ Les compétences: permettent une gestion plus individuelle, notamment car celles
ci renvoient davantage aux capacités d'une personne bien plus qu'à des savoirs
faire certifiés. Ce sont plus des connaissances générales, et surtout des capacités
relationnelles qui sont prises en compte. « Au travers notamment des entretiens
individuels ou des bilans de compétences, les entreprises personnalisent les
carrières, obligeant les salariés à un effort constant de mobilisation, et ceci
d'autant plus que l'aune à laquelle ils seront jugés, les « compétences », apparaît
aussi floue que contraignante. »19,
✔ La « qualité » ou « l'élément humain »: « souligne des « capacités » associées de
manière inhérente et de manière indissociable aux traits « personnels » des
salariés (donc au sens strict du terme à des « modes d'être » plutôt qu'à des
« savoirêtre ») »20. La non reconnaissance de ces qualités humaines dans le travail
est source d'exploitation car elles permettent un gain pour l'employeur sans que
cellesci ne soient rémunérées. Cependant, ces qualités sont de plus en plus
demandées lors d'un recrutement. Il y a donc un double mouvement paradoxal de
reconnaissance de cellesci, tout en les dénigrant d'un point de vue salarial.
C'est principalement sur cette dernière catégorie de capacités que Martuccelli
concentre ici son analyse de l'exploitation. Il existe ainsi plusieurs critères inhérents à la
personne, attendus lors des recrutements. Nous pouvons par exemple citer l'ethos de classe, le
17 Martuccelli, Op. Cit., p. 2.18 Martuccelli, Ibid., p. 4.19 Martuccelli, Ibid., p. 4.20 Martuccelli, Ibid., p. 5.
TER Théorique ISAS 19
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sexe, la dimension ethnique, l'âge ou encore l'apparence physique.
Cette association importante d'une qualité de la personne à un poste précis sous tend le
piège d'une nouvelle forme d'aliénation, une trop grande identification de la personne à son
travail. Cette aliénation se décline ainsi en deux grands thèmes: le temps de travail n'a plus
vraiment de limite, étant donné la valorisation de l'élément humain; et « d'autre part, [...] ces
salariés risquent de connaître une exacerbation de leur expérience d'aliénation lorsqu'ils se
suridentifient aux stéréotypes qu'on leur attribue au travail »21. Les individus perdent donc la
possibilité de jouer avec leurs différents « rôles » identitaires: « puisqu'ils « font » ce qu'ils
« sont », ils doivent « être » ce qu'ils « font » »22.
Se pose ainsi la question d'une nouvelle forme de justice sociale. Il s'agit de
reconnaître, de valoriser et de rémunérer ces différences entre individus. Martuccelli évoque
deux voies traditionnelles pour contrer ce problème: la valorisation de ces compétences et,
dans le deuxième temps, une professionnalisation accrue de ces métiers à forte demande en
qualités humaines. Il n'y aurait ainsi pas d'autre solution que de transformer ces qualités en
compétences ou en qualifications. Mais ces deux approches portent le danger de prendre en
considération les préjugés associés à ces qualités afin de les faire rentrer dans l'un de ces
cadres.
Martuccelli, à travers son exploration de l'exploitation de l'élément humain, nous
propose ainsi une autre vision. « Dans la mesure où le travail exige de plus en plus de
capacités diverses, relationnelles et communicationnelles, cognitives et linguistiques, des
facteurs traditionnels de la sphère de la reproduction sociale (parfois dits de « socialisation »)
deviennent de véritables facteurs productifs »23. Ainsi, la reconnaissance de cet élément invite
à élargir les critères de jugement de ces qualités d'une personne. Il faut donc reconnaître la
valeur marchande de l'individu. « Dans ce dernier cas de figure, et de manière précise,
l'individu est un créateur de richesses parce qu'étant membre d'une collectivité, il est le
dépositaire d'une série de capacités, monnayable en tant qu'élément humain, au sein d'une
société donnée. »24. Or l'exploitation réside bien ici, car « il y a profit indu en quelque sorte
dès le départ, puisque le salarié est embauché d'emblée pour ce qu'il « est » (ses
21 Martuccelli, Op. Cit., p. 10.22 Martuccelli, Ibid., p. 11.23 Martuccelli, Op. Cit., p. 15.24 Martuccelli, Ibid., p. 16.
TER Théorique ISAS 20
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« qualités »). »25
III.1.b/ « Usages » de la personnalité:
A travers l'article d'Olivier Cousin26, que nous étudierons plus tard en détails, nous
pouvons relever une forme de valorisation paradoxale de la personne dans les centres
d'appels. En effet, le téléopérateur, face aux différentes pressions de son emploi, et à la
difficile reconnaissance professionnelle dans ce milieu, revendique souvent l'usage nécessaire
de sa « personnalité » dans le cadre de son emploi: « C'est un travail lié au qualités
personnelles. Il faut être réactif, savoir parler au téléphone, savoir gérer le stress. On zappe
tout le temps. Ce n'est pas un travail qui nous structure et nous rend nerveux ou instables,
mais c'est parce qu'on a des prédispositions qu'on fait ce travail. Les gens calmes et posés
réussissent moins bien. Ils ont une plus faible productivité. » dit un conseiller de clientèle cité
par Cousin27.
Olivier Cousin nous explique ainsi que le fait de valoriser cette facette de l'expérience
de travail, permet de donner un sens à celuici, le rendre montrable et en faire une expérience
constructive. On voit donc que dans ce secteur, peut demandeur en qualifications et en
compétences particulières, la valorisation d'une personnalité de téléopérateur enrichie
l'expérience de travail. Cet élément est particulièrement important lorsque l'on s'attache un
peu plus à comprendre le secteur: souvent premier emploi, sans réelles perspectives
d'évolution, le travail de téléopérateur est ainsi souvent considéré comme un tremplin vers un
« vrai » travail. Pouvoir changer une expérience difficile et « robotisante » en réelle
expérience constructive d'un projet, d'une trajectoire professionnelle suppose par conséquent
de réussir à la valoriser par rapport à des critères attendus sur le marché de l'emploi: savoir
travailler en équipe, gérer son stress, être fait pour le contact client,...
L'article de Martuccelli précédemment étudié nous amène une seconde lecture
complémentaire à celle d'Olivier Cousin. Si l'on se place en effet du point de vue de l'analyse
de l'exploitation, nous nous trouvons rapidement face à un double jeux où le téléopérateur
trouve sa valorisation où il est le moins reconnu dans le cadre de son emploi, où se situe une
forte source d'exploitation, sa personnalité, ou ses qualités humaines au sens de Martuccelli.
25 Martuccelli, Ibid., p. 17.26 Cousin Olivier, les ambivalences du travail, les salariés peu qualifiés dans les centres d’appels, in
Sociologie du travail, vol.44, n°4, 2002.27 Cousin Olivier, Op. Cit., p 512.
TER Théorique ISAS 21
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Afin d'approfondir davantage cette notion, un petit détour par la psychologie sociale
nous paraît probant. Dans son traité de la servitude libérale28, Jean Léon Beauvois tente
d'étudier les mécanismes psychologiques soustendant la soumission. Il présente ainsi une
psychologie « ordinaire » qui véhicule l'image d'un individu posé là comme une entité
singulière, autonome et autosuffisante et dont la pensée est un phénomène privé plutôt que
collectif. Mais, pour lui, cette psychologie est propre à nos sociétés et dépend fortement de la
culture du pays.
Il présente ainsi une image de l'individu propre au libéralisme démocratique,
caractérisée par des grands idéaux psychologiques:
✔ Internalité et personnologie: C'est dans l'individu luimême et dans sa
personnalité que se situe l'origine de ce qu'il fait et de ce qu'il lui arrive,
✔ Identité: C'est dans les significations de leurs comportements que se construit la
réalité stable des individus,
✔ Individualité: Chaque individu a une réalité propre, indépendante de toute
catégorie, de toute identité sociale,
✔ Différenciation individuelle: Chaque individu doit trouver une signification propre
à ses conduites,
✔ Autoaffirmation: Il importe que l'individu exhibe sa valeur, son excellence dans
les relations interpersonnelles,
✔ Autosuffisance: Les individus doivent chercher en euxmême la source de leurs
besoins et les possibilités qu'ils recèlent de satisfaire ces besoins.
D'après lui, ces traits constitue une grille d'évaluation des personnes sur leur « utilité
sociale » selon que les significations de leurs conduites en sont plus ou moins proches. Les
idéaux psychologiques, qui sont modelés dans les pratiques concrètes et par les rapports
sociaux de le réalité humaine très libérale dans laquelle nous vivons, correspondent donc aux
normes auxquelles doivent satisfaire les significations apprises de nos comportements.
JL Beauvois étudie ensuite le concept de soumission forcée, c'estàdire de savoir
comment un individu accepte de réaliser un acte qu'il n'a pas envie de faire. En fait, l’individu
en situation de soumission forcée, ressent l’acte qu’il va faire comme un acte problématique.
28 Beauvois Jean Léon, Traité de la servitude libérale: analyse de la soumission, Paris, éd. Dunod, 1994.
TER Théorique ISAS 22
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L’émission d’un acte problématique le met dans un état de tension que Festinger appelle l’état
de dissonance. Pour s’en sortir il doit modifier ses savoirs et ses évaluations d’origine. C’est
ce processus psychologique qui a pour effet de rendre le comportement moins problématique
qu’il ne l’était au moment de l’acceptation, que Festinger considère comme la réduction de la
dissonance, et que J.L. Beauvois (et R.V. Joule) définit par le terme de rationalisation. L’effet
de la rationalisation ayant pour résultat de rendre moins problématique un acte qui l’était au
vu des attitudes ou motivations préalables de l’individu qui accepte de réaliser cet acte qui en
est finalement le contraire, et par là même, la rationalisation a également pour effet de ne plus
faire apparaître le comportement de l’individu comme relevant d’une pure soumission.
Beauvois rajoute qu'il existe plusieurs conditions pour la réalisation de cette
soumission forcée. Tout d'abord, il faut que l'individu se sente engagé. Un des principaux
facteurs d'engagement est, pour lui, la déclaration de liberté qui est indispensable au
déclenchement du processus de rationalisation des comportements problématiques en ce
qu'elle engage l'individu dans son comportement de soumission. Ce paradoxe présente trois
aspects :
✔ Quasiment toutes les recherches attestent que les gens déclarés libres et pour
lesquels la liberté est une valeur fondamentale, sont finalement peu disposés à
profiter de cette liberté même lorsqu’on leur rappelle qu’ils peuvent quitter le
champ de l’expérimentation.
✔ La personne qui déclare les sujets libres est cellelà même qui attend leur
soumission, c’est donc une soumission librement consentie qui est demandée.
✔ Les sujets déclarés libres rationalisent certes leur comportement de soumission
(alors que les sujets déclarés non libres ne rationalisent pas ou peu), mais
n’éprouvent pas pour autant un sentiment de liberté; c’est donc la déclaration en
tant que telle "vous êtes libres" qui transforme la situation de soumission plus que
ses éventuelles retombées subjectives.
Ainsi, seuls les sujets engagés rationalisent leur comportement, et leur engagement
tient finalement à peu de chose puisqu’il suffit qu’ils aient été déclarés libres par celui dont le
rôle est de les voir se soumettre, ce qu’ils font.
Enfin, le dernier point que nous retiendrons de l'ouvrage de Beauvois, et peut être
TER Théorique ISAS 23
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l'essentiel pour ce qui nous concerne, est l'affirmation que l'exercice du pouvoir libéral en
appelle à la nature même des gens soumis. Il s’agit d’un mode de prescription légitimé par une
évocation de la nature psychologique même du soumis et de ses besoins (besoin
d’accomplissement), de son intelligence. Le pouvoir libéral propose à ceux qui ont le goût de
s’y insérer (de s’y soumettre), l’épanouissement individuel, l’autonomie, la culture de la
différence. Le chef libéral tient sa propre légitimité de prescripteur et d’évaluateur parce qu’il
représente mieux que ses subordonnés, un prototype d’homme accompli et "développé". A
travers leur « savoir être » les gens sont donc appelés à devenir des gens psychologiquement
bien, des gens à potentiels, désireux de se prendre en charge, de bâtir un projet personnel.
III.2/ Vers une nouvelle définition des figures de la domination:
L’article29 de Danilo Martuccelli présenté dans la Revue Française de Sociologie nous
semble particulièrement intéressant dans le paysage de la sociologie de la domination actuel.
En effet, il cherche à reposer la question des figures de la domination afin de prétendre à un
schéma plus actuel et plus proche de notre réalité sociale. Il pose ainsi deux grands axes
analytiques qui lui permettront de définir quatre idéauxtypes des expériences de la
domination.
Dans son premier axe analytique, il se charge de distinguer deux dimensions de la
domination à travers les notions de consentement et de contrainte. En effet, il ne faut pas
négliger aujourd’hui les compétences critiques de l’individu, sortant ainsi de son ignorance
des jeux de domination. Le consentement des dominés n’est plus aujourd’hui aussi clair
qu’avant. Les principes de l’imposition culturelle, telle qu’elle était envisagée, ne s’applique
plus aussi directement du fait de cette déchirure du voile de l’ignorance. Cependant, il nous
présente la deuxième dimension, plus actuelle d’après lui, c'estàdire la contrainte. Elle
émerge en opposition au consentement et peut se définir comme suit, au sens de Courpasson :
« La contrainte y est vue à la fois comme une limite d’action et comme un déterminant de
l’action. Elle diminue le champ des choix possibles, et en détermine partiellement le
contenu. »30 Pour Martuccelli, on observe aujourd’hui une prépondérance de la contrainte sur
29 Martuccelli Danilo, Figure de la domination, in Revue Française de sociologie, 453, 2004, pp. 469497.30 Courpasson, Op. Cit, p.24.
TER Théorique ISAS 24
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le consentement, c'estàdire « du primat des principes de l’intégration systémique sur ceux de
l’intégration sociale »31
Le second axe analytique repose quand à lui sur la distinction des inscriptions
subjectives de la domination : L’assujettissement et la responsabilisation. L’assujettissement
est le mécanisme assez classique d’assignation de l’individu comme sujet, c'estàdire dominé
et non acteur de sa propre vie. Mais aujourd’hui, dans les sociétés modernes occidentales, il a
de plus en plus fait appel à la responsabilité individuelle dans l’explication des situations
d’échec,… En d’autre termes, l’individu est contraint d’intérioriser sa situation d’échec
comme une faute personnelle, il devient responsable de tout ce qui lui arrive dans une logique
conséquentialiste où il est jugé sur ce qu’il a fait, n’a pas fait ou aurait du faire.
Au croisement de ces deux axes analytiques, nous pouvons trouver quatre idéaux types
d’expériences de la domination :
Consentement ContrainteAssujettissement Inculcation Implosion
Responsabilisation Injonction Dévolution
L’inculcation, figure la plus classique de la sociologie de la domination, repose sur la
manipulation des besoins dans le but de maintenir cette domination. Il s’agit d’un processus
de consentement inscrit sous forme d’assujettissement.
L’implosion, proche de l’aliénation, repose sur la transformation des problèmes
sociaux en problèmes psychologiques notamment à travers le sentiment d’impuissance.
Autrement dit, « c’est donc dans l’écart entre les contraintes subies et l’appel, impossible à
satisfaire, à devenir un sujet que réside en dernier ressort l’implosion de l’individu »32.
L’injonction, gardant l’idée d’une norme, cherche le consentement par l’appel à
l’individu en tant qu’acteur, et notamment de sa propre vie. L’exigence doit venir de soi. Il
existe quatre formes identifiées d’injonction : L’injonction à l’autonomie, l’injonction à
l’indépendance, l’injonction à la participation et enfin l’injonction à l’authenticité.
La dévolution, dernier idéal type, en rappelant l’existence d’une solidarité collective,
renvoie à la responsabilité des situations d’échec de l’individu. Il cause et se cause des torts et
doit donc assumer seul les conséquences de ses actes. Il se trouve contraint d’assumer sa vie.
Pour Martuccelli, la dévolution sert à masquer l’absence croissante de maîtrise des processus 31 Martuccelli Danilo, Figure de la domination, Op. Cit., p.476.32 Martuccelli Danilo, Figures de la domination, Op. Cit., p.482.
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sociaux de la part des dirigeants, ayant recours à une responsabilisation à outrance.
Ce texte est particulièrement intéressant dans l’inscription qu’il laisse entendre de
l’appartenance de l’enrôlement de la subjectivité au champ de la sociologie de la domination
comme une figure récente de celleci. Il l’identifie ainsi comme une injonction à la
participation, au croisement de la responsabilisation et du consentement. Cela se traduit dans
les faits par un effort constant de mobilisation du salarié, cherchant à orienter ou à motiver
celuici vers la réalisation des objectifs entrepreneuriaux. « La réalisation de soi s’identifie
ainsi avec le développement de l’organisation, afin d’obtenir à terme une reconnaissance qui
fera toujours défaut. »33
III.3/ L'analyse stratégique et les stratégies de résistances:
L’analyse stratégique, théorisée par Michel Crozier et Erhard Friedberg, repose sur
une analyse relationnelle des organisations, c'estàdire sur une analyse des réseaux de
relations et des stratégies employées par les acteurs internes à ces réseaux. En effet, les deux
auteurs mettent au centre de tout leur raisonnement l’idée d’Acteur à travers laquelle ils
affirment « que la conduite humaine ne saurait être assimilée en aucun cas au produit
mécanique de l’obéissance ou de la pression des données structurelles. Elle est toujours
l’expression et la mise en œuvre d’une liberté, si minime soit elle. »34 Cependant, pour
Crozier, l’acteur a une rationalité limitée par des contraintes extérieures, c'estàdire qu’il est
moins rationnel que Weber ne le dit, du fait d’un manque d’informations. Il fait ainsi le choix
le moins insatisfaisant possible dans le contexte de sa connaissance limitée du problème. Ces
choix, montrant ainsi que cet acteur est actif, sont appelés stratégies car ils ne sont pas
toujours le résultat de contraintes extérieures mais bien le fruit d’un calcul de la personne
visant à acquérir ou à conserver davantage de ressources (pouvant être un savoir, des
relations, une formation,…). C’est ce que l’acteur désire et qui lui permettra de se positionner
dans les jeux de pouvoirs internes à l’organisation qui représentent l’enjeu principal dans les
organisations. L’analyse stratégique a ainsi pour but de montrer cette structure informelle
33 Martuccelli Danilo, Figures de la domination, Op. Cit., p. 488.34 Crozier Michel, Friedberg Erhard, L’acteur et le système, les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil,
1977, p.39.
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basée sur ces tentatives d’acquisitions de ressources, pour plus de pouvoir, dans un monde
mouvant et inconnu en partie, ce qu’ils ont théorisé à travers les zones d’incertitudes.
Pour eux, le comportement de l’acteur a toujours un sens ; il est rationnel par rapport à
des opportunités et au contexte qui les définit ainsi que par rapport aux comportements des
autres acteurs. Ce comportement se caractérise toujours par deux aspects, un aspect offensif
pour améliorer sa situation, et un aspect défensif pour la conserver, qui sont les deux grandes
entrées de l’analyse stratégique.
Nous voyons par conséquent se dessiner le concept de stratégies de résistances. Il
s'agit effectivement pour l'acteur de répondre aux tentatives de contrôles et de diminution de
son espace de liberté. Acquérir du pouvoir, diminuer la visibilité de ses actions et de ses
comportements, deviennent donc rapidement des enjeux cruciaux de la vie en organisation.
Suivant Crozier et Friedberg, l'acteur cherche donc à acquérir ou conserver des ressources et
des espaces de pouvoir où il pourra mettre en place une réelle stratégie offensive ou défensive.
Il existe une multitude de formes de stratégies de résistances parmi lesquelles nous pouvons
citer les stratégies de freinage, de sabotage,... mais aussi de distanciation comme nous
pourrons le voir dans le rapport empirique.
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IV/ LES CENTRES D'APPELS: USINES MODERNES ET TEMPLES DU MANAGEMENT:
Au cours de cette partie, nous allons commencer à explorer davantage les centres
d'appels et particulièrement dans le point de vue de leur représentativité de formes
d'organisations libérales du travail. Il s'agira ainsi pour nous de dresser le paysage où se
déroule « l'action » de cette enquête afin de mieux en comprendre les tenants et les
aboutissants.
En premier lieu, nous définirons plus profondément ce qu'est un centre d'appel en
clarifiant son fonctionnement et en donnant une typologie des différents types existants. Puis,
les articles de Marie Buscatto et Olivier Cousin nous engageront plus avant dans la
compréhension des mécanismes de rationalisation mis en place dans ce secteur. Dans un
troisième temps nous regarderons les centres d'appels via l'article de Damien Cartron, en
comparant leur fonctionnement avec ceux d'un Mc Donald’s dans le but avoué de comprendre
les problématiques d'autonomie, de responsabilité et de contrôle interne à l'organisation.
IV.1/ Les centres d'appels: caractérisation d'un nouveau secteur d'emploi:
Pour décrire les centres d'appels et leurs fonctionnements, nous ferons appel à deux
articles de François Pichault35. Ces deux textes étant principalement orientés sur la gestion des
ressources humaines, nous utiliserons la description des centres d'appels en faisant partie. En
effet, l'analyse et la schématisation y étant faite semblent très pertinents.
Ainsi, François Pichault commence par nous éclairer sur la position particulière
adoptée par les entreprises gestionnaires de centres d'appels. En effet, ces entreprises sont
remarquables par la place d'intermédiation qu'elles occupent (cf. schéma cidessous). Nous
voyons clairement ainsi apparaître la place centrale de ces entreprises entre la société client
(donneuse d'ordres) et le consommateur final de cette première société. La société de centre
35 Pichault François et Zune Marc, Une figure de la déréglementation du marché du travail: le cas des centres d'appels, in la revue Management et Conjoncture sociale, n°580, 8/05/2000.Pichault François, Callcenters, hiérarchie virtuelle et gestion des ressources humaines, in Revue Française de Gestion, septembre/octobre 2000.
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d'appels tend ainsi à remplacer le lien entre la société client et le consommateur, créant par
conséquent cet espace de médiation. Sur ce schéma, nous voyons ainsi la relation 1 s'effacer
au profit des relations 2 et 3. Cette position est particulièrement critique dans le contexte
d'externalisation de la responsabilité comme nous avons pu le voir précédemment à travers
l'étude de l'ouvrage de Courpasson. La société client délègue ainsi son contact direct avec le
client, créant une zone « tampon » capable de supporter des contraintes plus importantes,
venant de la société client comme du client final, mais aussi des pressions du marché, ..., sans
nuire à son image propre.
LE RÔLE D'INTERMÉDIATION D'UN CALL CENTER
Call Center(fournisseur de service)
2 3
Société client Consommateurs(Industrie ou services) 1 finaux
C'est bien le développement des nouvelles technologies de l'information et de la
communication (NTIC) qui permit le fort essor de ce secteur. Il est ainsi complètement
imprégné par cette influence du progrès technique, se ressentant à divers échelons de
l'organisation. On voit par exemple, dès la définition des centres d'appels, assez répandue et
donnée dans le texte de Pichault, que: « Cette activité nouvelle consiste à tirer parti des
récents développements des technologies avancées de communication pour prendre en charge
une partie ou l'ensemble des relations téléphoniques d'entreprises donneuses d'ordres. »36
Les activités de ces centres d'appels peuvent varier fortement, mais sont
principalement concentrées dans le secteur de la banque, des assurances et des produits
technologiques. Il existe deux catégories majeures d'activité au sein des centres d'appels: les
appels entrants et sortants. En fonction du type d'activités, l'organisation d'un centre d'appels
est complètement différente: les appels sortants permettent une plus grande prévisibilité du 36 Pichault François, Une figure de la déréglementation au travail : le cas des centres d'appels, Op. Cit.
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temps et de la charge de travail tandis que les appels entrants, du fait qu'ils soient soumis aux
intentions et aux demandes des consommateurs, sont beaucoup plus imprévisibles. Il en
découle aussi, pour Pichault, deux types de comportement attendus pour les téléopérateurs: les
appels sortants nécessitent des techniques d'entretien orientées sur la vente ou la persuasion,
tandis que les appels entrants nécessitent de « l'aide, du support, de la prise en charge ou
encore du conseil »
IMPLICATIONS ORGANISATIONNELLES ET COMPORTEMENTALES DES TYPES D'APPELS TÉLÉPHONIQUES.
Appels entrants
(inbound)
Appels sortants
(outbound)
Implications organisationnelles
Imprévisibilité du volume des appels entrants et de leurs durées
Prévisibilité des plages de travail et du nombre d'appels
Comportements attendus du personnel
Aide, support, prise en charge, professionnalisme, tact, improvisation
Dynamisme, rapidité, conviction, vente
Une seconde distinction dans l'activité des centres d'appels repose sur la durée des
contrats d'après Pichault. Certains ont en effet une action limitée dans le temps tandis que
d'autres sont voués à devenir pérennes.
Au croisement des deux types de distinctions, nous pouvons retrouver, d'après l'auteur,
une série de variables dépendantes telles que les buts (quantitatifs ou qualitatifs), la sensibilité
des actions « qui renvoie au risque lié à la perte d'adhésion des consommateurs ou à
l'altération de l'image de marque du produit par l'utilisation de ce type de média, et qui varie
selon le public concerné par les produits/services et les objectifs poursuivis » ,et la
complexité des savoirfaire requis.
TYPOLOGIE DES ACTIONS TÉLÉPHONIQUES DANS LES CENTRES D'APPELS
Flexibilité organisationnelle
Forte Faible
Appels entrants (inbound) Appels sortants (outbound)
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TYPOLOGIE DES ACTIONS TÉLÉPHONIQUES DANS LES CENTRES D'APPELS
Flexibilité numérique
Forte
Actions à court terme
objectif qualitatif ou quantitatif
sensibilité moyenne
complexité faible ou moyenne
Ex.: campagnes d'information limitées, offres temporaires
objectif souvent quantitatif
sensibilité faible
complexité généralement faible
Ex.: téléventes, sondages d'opinion, prise de rendez vous
Faible Actions à long terme
objectif qualitatif
sensibilité forte
complexité moyenne ou forte
Ex.: numéro vert permanent, help desk informatique, direct banking, réservations de vols
objectif qualitatif ou quantitatif
sensibilité moyenne
complexité moyenne
Ex.: campagne de fidélisation ou de satisfaction clientèle
Pichault s'inspire des travaux de Atkinson (1985) et Boyer (1986) pour nous montrer
que le croisement de ces deux variables indépendantes, le type d'appels et la durée du contrat,
impliquent l'existence de deux types de flexibilité différents. Tout d'abord une flexibilité
organisationnelle, correspondant à la nécessité d'aménager les horaires et l'organisation du
travail, puis une flexibilité numérique afin de faire face aux importantes variations d'effectifs
requis dans le cadre de certaines activités.
Une troisième forme de flexibilité, n'apparaissant pas dans ce tableau, est mobilisée
pour expliquer l'utilisation de centre d'appels externes, la flexibilité fonctionnelle, qui permet
de se centrer sur ses activités de base pour une société client, en sous traitant les activités
périphériques, plus souvent source de coûts que de profit.
François Pichault s'efforce ensuite de caractériser le « métier » de téléopérateur:
✔ Un des éléments principaux, et on pourrait même dire fondateur de ce métier, est
l'importance des NTIC. En effet, le téléopérateur est soumis à « un système
informatique de routage automatique des appels en fonction du premier opérateur
libre pour le type d'appel reçu » . Celuici doit ainsi prendre le premier appel venu
en répondant grâce à l'appui d'un script qu'il doit suivre à la lettre. A la fin de
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l'appel, le système informatique lui donne immédiatement, ou après quelques
secondes suivant le type d'activité, un autre appel.
✔ Une forte division du travail, séparant les tâches de conception et d'exécution,
ainsi qu'un contrôle permanent de l'activité (comme nous le verrons dans les
parties suivantes), nous permettent de parler d'une véritable taylorisation du
travail.
✔ La formation du personnel varie fortement selon la catégorie visée. Lors de
contrats ponctuels, ce sont davantage les caractéristiques comportementales qui
sont favorisées lors du recrutement, tandis que sur des plus longs contrats, il
s'ensuivra une politique de formation beaucoup plus poussée que pour les
premiers.
✔ Une des caractéristique importantes des centres d'appels est la multiplication des
statuts présents sur un même lieu de travail. « Pour IDS Report (1997), environ un
tiers des centres d'appels n'emploieraient que du personnel interne, 50%
utiliseraient du personnel temporaire ou à temps partiel, mais seule une minorité
engagerait du personnel temporaire pour plus de 50% de sa force de travail. Une
étude effectuée par le bureau d'intérim Manpower (1997), rapporte quant à elle
que 66% des centres d'appels utilisent une combinaison d'employés permanents et
de travailleurs temporaires ou à durée déterminée. » .
IV.2/ Une rationalisation extrême du travail:
Les centres d’appels, ces entreprises chargées des services téléphoniques en tous
genres tels que service après vente, vente aux particuliers ou aux entreprises, services
techniques,… représentent un secteur en fort essor avec plus de 150 000 employés en 2000
déjà. Mais avant cet important nombre d’employés dans le secteur pendant leurs dix ans
d’existence seulement en France, c’est les conditions de travail et les modes d’organisation du
travail qui sont emblématiques de ce secteur au point de faire énormément parler d’eux dans
la presse.
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Ainsi, d’après Marie Buscatto37 et Olivier Cousin38, on peut tout d’abord observer une
rationalisation extrême du rythme et des conditions de travail. Un strict contrôle des temps
d’appels et de pauses se réalise par un système lié à l’outil téléphonique et informatique,
entièrement automatique, qui décroche automatiquement à la première sonnerie bien souvent,
et qui permet de se « loguer » à volonté pour l’employé, c'estàdire se déclarer prêt ou en
ligne,… Il doit ainsi déclarer à n’importe quel moment ce qu’il est en train de faire à la
seconde prêt. Ensuite, il y a une standardisation des dossiers et des modes opératoires (scripts)
restreignant l’initiative personnelle du téléopérateur lors de sa conversation téléphonique avec
le client. Les employés travaillent suivant des horaires très irréguliers (notamment dans les
hotlines 24/24H et 7/7J), susceptibles de changer à tout moment. Enfin, on retrouve ici aussi
une parcellisation très importante du travail, réparti sur plusieurs postes où le client sera
redirigé grâce, bien souvent, à un répondeur téléphonique redirigeant les appels vers
l’opérateur approprié.
Toujours d’après les articles de Buscatto et Cousin, nous pouvons observer comment
est mis en place un contrôle très pesant sur le salarié. Tout d’abord, il existe généralement un
chef de groupe, souvent pour quelques employés seulement, peu nombreux, toujours à
surveiller, écouter ou motiver. Celuici utilise un système d’écoute des conversations ayant
pour objectif un retour pédagogique rarement réalisé. Tout au long de la journée, le chef de
groupe, également appelé le superviseur, donne des objectifs par consignes énoncées minutes
après minutes auxquels sont ajoutés la présence d’un tableau où sont inscrits le nombre de
personnes en liste d’attente, le nombre d’appels pris, le temps moyen par appel,… Tenus de
respecter des temps moyens d'appels, le téléopérateur est soumis à un contrôle constant de son
activité. Selon Pichault39, cette visibilité par l'évaluation constante du travail est donc une
caractéristique majeure des centres d'appels (Stanworth, 1998), reposant sur deux formes de
contrôle: le soft quality control, où le superviseur suit les conversations de son équipe sans les
avertir dans le but d'apprécier les compétences comportementales des téléopérateurs, et le
hard quality control, contrôle effectué à posteriori à l'aide de statistiques éditées par les
systèmes informatiques.
37 Buscatto Marie, les centres d’appels, usines modernes ? Les rationalisations paradoxales de la relation téléphonique, Sociologie du travail, vol 44, n°1, 2002.
38 Cousin Olivier, les ambivalences du travail, les salariés peu qualifiés dans les centres d’appels, Op. Cit.39 Pichault François, Une figure de la déréglementation au travail : le cas des centres d'appels, Op. Cit.
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Nous voyons bien comment l’encadrement est serré autour de l’employé. Il a peu de
marge de manoeuvre et ne sait pas lorsqu’il est écouté ou non. Ainsi, à travers une
rationalisation extrême des tâches demandées et un contrôle strict des employés, les centres
d’appels paraissent en effet emblématiques de l'organisation libérale du travail.
IV.3/ Autonomie, responsabilité et contrôle:
Ici aussi, nous retrouvons, à travers les textes déjà cités, les caractéristiques de la
logique de la responsabilisation comme avaient pu les présenter Martuccelli. Il est en effet
demandé à l’employé de ces centres d’appels un autocontrôle échangé contre une certaine
liberté de mouvement. L’autonomie ainsi gagnée, dans l’autogestion du temps de pause
(soumis à des règles mais selon des modalités libres ; comme par exemple des pauses de cinq
minutes par heure, à prendre comme il le désire, en une fois ou une par heure.), dans la
confiance donnée sur la gestion des temps de « log »,… se contrebalance par un contrôle dont
le retour se fait à posteriori. C’est le cas de l’affichage des statistiques sur les temps de travail
en groupe et personnalisé, par exemple. On aperçoit bien ici la logique conséquentialiste, déjà
évoquée, où l’individu est responsabilisé sur les conséquences de ses actes et non sur leurs
causes.
Nous pouvons également parler d’une conjonction de contraintes au même titre que
Damien Cartron, dans son étude sur les Mc Donald’s40. Il évoque ainsi la combinaison de trois
types de contraintes s’accumulant dans un même mouvement de stimulation des employés. La
contrainte industrielle repose sur un type d’organisation ayant pour objectif la « régularité de
la production, grâce à des normes et des standards éventuellement matérialisés dans les
équipements »41. Cela s’exprime dans les centres d’appels à travers l’existence de scripts
précis, protocoles de l’entretien téléphonique, ainsi que par la forte partiellisation des tâches.
Ensuite, ils subissent également une contrainte de type marchand, liée à la demande, et
justifiée par la satisfaction du client. Et enfin, une contrainte dite domestique reposant sur la
relation aux partenaires/associés, jouant sur la responsabilité de donner plus de travail aux
autres au cas où l’employé concerné n’est pas suffisamment efficace. La combinaison de ses
40 Cartron Damien, S’engager au Mc Donald’s, Actes des IVèmes journées de sociologie du travail, pp. 101106.41 Cartron Damien, S’engager au Mc Donald’s, Op. Cit., p.102.
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trois contraintes, où se joue un effort de responsabilisation de l’employé par la hiérarchie,
reflète bien une méthode d’enrôlement de la subjectivité et de détournement des valeurs des
employés vers la culture de l’entreprise.
Cette étude sera pour nous le lieu d’approfondir ces notions, c'estàdire les modalités
et les effets de la mise en place de mode de gestion du travail tel que ceuxci. De plus, il paraît
intéressant de se poser la question de la réception de ces modes d’organisation. Danilo
Martuccelli parle en effet de la levée du voile cognitif et de son effet paradoxale sur
l’apparition de nouvelles formes d’adaptation. Comment l’employé arrivetil à trouver sa
place dans cet organisation ? Estil conscient de cet tentative d’enrôlement de sa subjectivité ?
Comment y réagitil ?
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CONCLUSION:
Nous venons donc de voir, au travers de ce mémoire en quoi l'organisation libérale du
travail, et notamment dans les call centers pouvait devenir un réel sujet de problématique.
Nous avons ainsi commencé par nous apercevoir, de part l'étude de l'évolution des formes
d'organisation du travail, comment s'était mis en place, au cours du temps, une tentative de
contrôle du « mental », de la subjectivité du travailleur en vue d'augmenter sa productivité,
mais également sa soumission à l'autorité. Dans un second temps, l'analyse de l'organisation
libérale nous a permis de mieux appréhender la réalité du quotidien de travail et ses concepts
sous jacents. Cette forme d'organisation présente ainsi, derrière un discours émancipateur et
des valeurs d'autonomie, de responsabilité, ..., une forme de domination très contraignante. Le
concept de bureaucratie libérale montre ainsi très bien ce paradoxe entre une
« dérigidification » de l'organisation du travail, malgré la persistance de tout un appareillage
de contrôle et de domination caractéristique des bureaucraties selon Weber. Cette partie a
aussi été l'occasion pour nous d'édifier un idéaltype de la figure du manager, représentant
emblématique de ces nouveaux managements. Cette figure semble en effet correspondre au
« grand » de la cité par projet tel qu'énoncé par Boltanski et Chiapello.
Les outils sociologiques nécessaires à cette étude ont été présentés dans le troisième
temps afin d'expliquer nos choix théoriques pour l'analyse des données recueillies. Nous
laisserons ainsi une grande place à l'acteur, en tant qu'être rationnel capable de mettre en place
des comportements stratégiques face aux divers mécanismes d'exploitation et de domination
prônés par l'organisation libérale du travail. Dans ce travail l'individu sera ainsi placé au
centre du débat, comme nous pourrons le voir dans le rapport empirique, du fait notamment
de la spécificité de la gestion très individualisée des relations dans l'organisation libérale.
Cette étude prend donc racines au croisement de la sociologie de la domination et de la
sociologie de l'organisation.
Enfin, le quatrième et dernier temps a été l'occasion pour nous d'expliciter ce en quoi
les centres d'appels pouvaient être considérés comme particulièrement représentatifs de ce
mode d'organisation et des nouveaux managements. A travers la présentation de ce secteur,
TER Théorique ISAS 36
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nous avons pu voir que la relative nouveauté de ce type d'emploi s'appuyant sur les Nouvelles
Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) avait permis la mise en place
d'un bon nombre de préceptes du management des années quatre vingt dix. Une très forte
rationalisation du travail associée à un important discours d'identification à l'entreprise, mais
aussi d'autonomie, de responsabilité, en d'autre terme de l'arsenal idéologique utilisé par le
management libéral, en font bien un emblème de cette organisation à tel point qu'ils ont
souvent été qualifiés d'usines modernes du tertiaire.
A travers le déroulement de ce rapport de TER théorique, notre objectif a été de
montrer l'importance de ce choix de problématique: les stratégies de résistances face à
l'enrôlement de la subjectivité. Celleci est donc pleinement au coeur de la sociologie du
travail par les appels divers qu'elle peut faire à la sociologie de l'organisation, de la
domination et à différents concepts tels que la servitude volontaire ou encore les stratégies de
résistances.
De cette problématique découleront les hypothèses qui seront déclinées dans le rapport
de TER Empirique. En effet, sans cette deuxième partie, le passage sur la réalité du terrain, ce
rapport semblerait sans objet. Il convient donc de réaliser un va et vient continuel entre les
deux rapports, entre théorie et pragmatisme afin d'arriver à cerner davantage cette question et
d'entrevoir les premières réponses à notre questionnement.
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BIBLIOGRAPHIE:
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