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Matthieu Wibault
L’immigration africaine aux Etats-Unis depuis 1965
Mémoire de maîtrise dirigé par M. André Kaspi et Melle Hélène Harter
Centre de recherches d’histoire nord-américaine
Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Session de septembre 2005
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INTRODUCTION
« The story of Africans in America is not only the story of the slave ship ».1 Cette
réflexion empruntée à Laura J. Pires-Hester et qui visait à mettre en évidence les
caractéristiques propres de la diaspora capverdienne au sein de la population noire des
Etats-Unis, s’applique pleinement à notre étude. Celle-ci a en effet pris corps à la suite de
deux constats.
Le premier est celui d’une vision largement homogénéisée de la population noire
aux Etats-Unis. Tout porterait en effet à croire que les quelques 36 millions de Noirs que le
pays compte en 2005 ne seraient que les descendants d’esclaves arrachés à l’Afrique puis
débarqués sur le sol américain dès 1619. Or, et bien que l’immense majorité des noirs des
Etats-Unis représente la postérité de ces « immigrés involontaires » arrivés de force dans le
Nouveau Monde, l’immigration récente a modifié la structure ethnique de la communauté
noire du pays. L’arrivée d’Antillais et d’Africains au cours du XXe siècle, a eu un effet sur
la composition de la population noire aux Etats-Unis qui, de ce fait, ne peut plus être
appréhendée comme un groupe homogène ethniquement et culturellement. Aux côtés des
Noirs américains – dont les aïeux arrivèrent aux Etats-Unis au cours des XVIIe et XVIIIe
siècles - coexistent désormais d’autres populations noires, immigrés « volontaires », dont
certains sont devenus américains.
Les Noirs aux Etats-Unis, qu’ils soient nés sur le territoire américain, immigrants
antillais ou immigrants africains, forment donc un groupe dont l’hétérogénéité est bien
souvent ignorée. Une ignorance due tout autant à la méconnaissance des migrations
récentes de populations noires vers les Etats-Unis qu’à la volonté simplificatrice de 1 PIRES-HESTER, Laura J., The emergence of bilateral diaspora ethnicity among Cape Verdean-Americans, in OKPEWHO, Isidore, DAVIES Carole & MAZRUI Ali, « The African diaspora. African origins and new world identities », Bloomington, Indiana University Press, Chapitre 30, p. 486.
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catégoriser. Ainsi, l’administration américaine classe-t-elle les immigrés noirs en fonction
de critères raciaux (Black) et non ethniques.2 Pourtant, quels sont les points communs entre
un African American,3 le fils d’un immigré de Trinidad du début du siècle et un réfugié
Soudanais fraîchement débarqué de son pays en proie à la guerre civile ?
Le fait pour ces groupes tout à fait hétérogènes de posséder des caractéristiques
phénotypiques communes, les enferme aux yeux de la masse dans une catégorie
indistincte, celle des « Noirs » vivant aux Etats-Unis.
Ainsi, il nous apparaissait opportun de faire resurgir à travers cette étude, les
caractéristiques propres d’un groupe d’immigrés, les Africains, qui se sont installés sur le
territoire américain dans les quarante dernières années. Et ce, d’autant plus que
l’abondance des travaux dédiés à l’immigration en terre américaine, contraste avec le peu
d’intérêt suscité par l’étude de la population immigrée africaine aux Etats-Unis.
Etudier l’immigration, c’est évoquer une facette essentielle de l’histoire de la nation
américaine. L’Amérique fut et demeure une terre d’immigration. A ce titre, les ouvrages
consacrés au sujet n’ont eu de cesse de proliférer et continuent à faire florès. De là, mon
second constat : celui d’un champ faiblement investi par les sciences sociales.
Quelques universitaires américains, dans le sillon des Black Studies4 ont depuis le
début des années 1990 commencé à porter un intérêt à l’immigration africaine, mais en la
matière, beaucoup reste à faire, notamment en France. Plus qu’un désintéressement, le peu
d’études consacrées au sujet témoigne de la nouveauté de ce phénomène migratoire ainsi
que du poids relativement faible du nombre d’immigrants africains rapporté à l’ensemble
2 Kangbai Konaté définit en ces mots ce dernier terme : « dans la littérature américaine sur l’immigration des populations « noires », « ethnique » désigne la nationalité de même que l’identité des individus ». 3 Acception d’usage aux Etats-Unis pour désigner les Noirs américains en tant que groupe formé par les descendants d’esclaves africains. 4 Les départements d’études africaine américaines ou Black Studies sont nés au cours des années 1960 et 1970 de l’activisme de beaucoup d’étudiants noirs qui partageaient le sentiment que leur culture et intérêts n’étaient pas correctement valorisés dans les programmes universitaires traditionnels. Les African American Studies ou Black Studies représentent ainsi un vaste champ interdisciplinaire (littérature, religion, politique, histoire, sociologie) dédié à l’histoire et la culture de la diaspora noire (issue de l’esclavage) sur le continent américain. Bien qu’une grande part de l’intérêt des départements « d’études noires » se porte sur les Noirs américains, les Black Studies comportent toute sorte d’études en sciences sociales consacrées à la diaspora noire à travers le monde, des Caraïbes au Brésil. Ainsi, depuis peu, certains de ces départements se sont penchés sur l’étude de l’immigration africaine récente aux Etats-Unis. Par ailleurs, les centres d’études africaines (African Studies Center) s’intéressent de près, eux aussi, à l’immigration africaine vers les Etats-Unis (l’université du Kansas propose ainsi pour l’année 2005-2006 un séminaire intitulé « Identity, Voice & Community among New African Immigrants to Kansas »).
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des immigrants. Ainsi, selon le dernier recensement fédéral de l’année 2000,5 881 300
immigrés en provenance d’Afrique (foreign-born Africans) vivaient sur le territoire
américain. En guise de comparaison, 8 226 254 immigrés asiatiques (soit dix fois plus)
étaient recensés ainsi que 9 177 487 Mexicains. Au final, les Africains ne représentaient
que 2,8 % des 31 107 573 immigrés présents sur le sol américain.
Ces chiffres sans commune mesure cachent mal en réalité, une croissance
exponentielle de l’immigration africaine. Quasiment nul avant 1945, le mouvement
migratoire des Africains vers les Etats-Unis a connu un essor important après 1965 et s’est
accéléré depuis 1980. Selon les chiffres de l’INS,6 29 000 Africains ont émigré vers les
Etats-Unis de 1961 à 1970, 80 800 dans la décennie suivante, 176 900 entre 1981 et 1990
et enfin 354 900 de 1991 à 2000.
Ces données devront toutefois être manipulées avec une certaine prudence, dans le
cadre de cette étude. Alors qu’il est coutumier en France de faire le distinguo entre
immigrants africains et nord-africains, les statistiques qui nous proviennent des différentes
institutions américaines ont tendance à regrouper les migrants venant d’Afrique - dans son
acception large - sous une même catégorie. A nous, dans ces conditions, de recouper les
informations statistiques afin de chiffrer correctement les flux de populations d’Afrique
subsaharienne. En effet, précisons-le, notre étude se focalisera sur les migrations en
provenance des pays d’Afrique noire. Nous n’évoquerons pas ici le sort des immigrants
venus d’Egypte, de Libye et du Maghreb (Tunisie, Algérie, Maroc). Bien qu’appartenant
géographiquement au continent africain, ces pays se rattachent historiquement et
culturellement au monde arabo-musulman plus qu’à l’Afrique subsaharienne. Une étude de
l’immigration nord-africaine pourrait à elle seule faire l’objet d’une recherche scientifique.
L’Egypte et le Maroc sont notamment devenus de grands « pourvoyeurs » d’émigrants vers
le continent nord-américain ; mais nous laisserons à d’autres le soin de se pencher sur cette
question spécifique.
5 http://www.census.gov/population/www/cen2000/briefs.html 6 Immigration and Naturalization Service, soit le Service de l’immigration et de la naturalisation, rattaché en 2002 au tout nouveau département pour la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security), créé dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, afin de coordonner la lutte antiterroriste.
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Nous avons ainsi défini l’immigration africaine comme l’ensemble des immigrés
venant des pays d’Afrique subsaharienne. Il convient maintenant de définir ce terme
d’« immigré ».
Le bureau du recensement fait la distinction entre la population née hors des Etats-
Unis de parents étrangers, les foreign-born et ceux nés aux Etats-Unis, à Porto Rico ou
tout autre territoire américain, de même que les personnes nées à l’extérieur des Etats-
Unis, mais dont au moins l’un des parents est américain. Les « immigrés
africains » renvoie donc aux personnes nées sur le continent noir et qui se sont établies
aux Etats-Unis – réfugiés y compris - que ce soit de manière provisoire ou permanente,
qu’ils soient naturalisés ou clandestins. Au cours de cette étude, nous recourrons de
préférence au terme d’ « immigrants », à nos yeux plus neutre dans la langue française que
celui d’« immigrés », porteur d’une connotation négative.7
Les bornes chronologiques que nous nous sommes fixées s’étendent de 1965 à
2005. Elles se justifient à plus d’un titre. Tout d’abord, les années 1960 marquent en
Afrique, la fin d’un cycle, ou le début d’un nouveau. La colonisation du continent touche à
sa fin, la plupart des pays africains se sont démis de la tutelle exercée par les puissances
coloniales européennes et les « soleils des Indépendances »8 se profilent. Cette nouvelle ère
politique qui s’offre aux nations africaines entraîne des restructurations massives des
sociétés qui les composent. Ainsi, nous verrons tout au long de cette étude que
l’immigration constitue une variable qui fluctue au gré des transformations au sein des
sociétés africaines. Nous aurons l’occasion ultérieurement de voir quel a été l’impact de
cette évolution des sociétés africaines sur l’immigration de ses forces vives hors du
continent.
Par ailleurs, 1965 marque la date d’un changement de grande ampleur de la
politique américaine en matière d’immigration. A ce titre, il nous paraissait cohérent de
choisir cette année charnière comme borne de départ de notre étude. Le 3 octobre 1965, le
président démocrate Lyndon Baines Johnson signe en effet, au pied de la Statue de la
Liberté, le Hart-Celler Act qui supprime le système des quotas instauré par les lois de 1921
et 1924. Celles-ci visaient à limiter l’immigration des Asiatiques, Européens du Sud et de
7 La désignation française d’ « immigré » semble en effet connoter une extériorité durable alors que la notion d’immigrant contient en elle-même l’intégration à venir. 8 Expression malinké empruntée à Ahmadou Kourouma, qui évoque la nouvelle ère des Indépendances africaines.
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l’Est, par un système de sélection fondé sur les origines nationales. Nulle évocation à cette
époque des immigrants africains, en nombre infinitésimal. Pourtant la loi d’immigration de
1965 (Immigration and Nationality Act), qui renoue avec une tradition d’accueil, et les
dispositions qu’elle contient, va indéniablement contribuer à façonner l’immigration
africaine. Ce sera un des enjeux de ce mémoire que de jauger l’influence de cette nouvelle
législation, et de celles qui lui sont postérieures, sur la dynamique migratoire des Africains.
Nous étendrons notre champ de recherche jusqu’à une période qui nous est
immédiatement contemporaine. Conscient d’étudier un phénomène migratoire en pleine
expansion, nous veillerons à effectuer un véritable travail d’historien, une « histoire du
temps présent », une « histoire immédiate », tout en explorant d’autres sphères des sciences
humaines et sociales telles que la démographie, la géographie, la sociologie ou
l’anthropologie. Aussi, nous tâcherons d’éviter les écueils que peuvent constituer le
manque de recul et la déformation de témoignages.
Toutefois la récolte d’informations écrites aussi bien qu’orales auprès d’Africains
ayant vécu l’expérience migratoire vers les Etats-Unis pourra servir à étayer nos propos
voire à construire certaines réflexions. Par ailleurs, ma personnelle immersion dans une
communauté africaine de New York en janvier 20019 et les liens tissés avec des membres
de la diaspora à cette même période ainsi qu’en mars 2004 à Boston, New York et
Washington, constituent à mes yeux un élément de compréhension de la réalité quotidienne
de ces immigrés. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un travail de terrain car aucun
objectif scientifique précis n’avait été déterminé préalablement à ces voyages outre-
atlantique. Ainsi, s’il nous apparaît essentiel de mettre à profit, rétrospectivement, les
enseignements d’une telle immersion, nous ne fonderons pas nos hypothèses de travail sur
ces données particulières. Les connaissances empiriques ne nous apportent souvent qu’une
vision étriquée de la communauté africaine et amènent, si l’on n’y prête garde, à se
méprendre sur la réalité d’un groupe social extrêmement composite.
Nous bâtirons ainsi notre étude autour des sources écrites et de la bibliographie
collectées. Comme nous l’avons évoqué plus haut, la population immigrée africaine aux
Etats-Unis ne suscite que très peu d’intérêt de la part des sciences sociales en France. De
9 Il s’agit ici d’un séjour de trois semaines au sein de la communauté ivoirienne - dioula plus spécifiquement- de New York, résidant essentiellement dans les quartiers de Harlem (116e et 125e Rue) du Bronx et de Queensboro Bridge.
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ce point de vue, les travaux d’universitaires américains relatifs à la question, nous ont été
d’une valeur inestimable. Nous pouvons citer parmi d’autres les études d’Arthur Stoller,10
d’April Gordon11 ou d’Olúfúnké Mojubaolu,12universitaires reconnus des départements de
Black Studies, qui ont étudié ce phénomène migratoire spécifique. Tout aussi enrichissants
sont les ouvrages de Manthia Diawara13 ou Paul Stoller,14 dont l’intérêt pour le continent
noir les a poussés à ausculter la communauté africaine aux Etats-Unis, sous un œil
d’ethnographe plus que d’historien.
Nous avons par ailleurs enrichi notre palette bibliographique d’études portant sur
l’immigration, de manière plus générale, aux Etats-Unis ; cela afin de déceler les
caractéristiques spécifiques des mouvements migratoires postérieurs à 1965, de soulever
les enjeux posés par l’ouverture – contrôlée certes - des frontières, et d’étudier les liens
étroits entre législation et flux migratoires.
Nous nous sommes aussi appuyés sur des travaux consacrés à l’immigration
antillaise15 dans la mesure où ils nous renseignent sur les problèmes d’identité et de
relations intercommunautaires au sein de la communauté noire d’Amérique, tout comme
nous avons scruté d’un œil attentif les ouvrages relatifs aux problématiques spécifiques
soulevées par la diaspora africaine de par le monde.
Enfin, nous avons nécessairement eu recours à des manuels d’histoire africaine afin
de replacer dans leur contexte, la situation démographique, politique et économique des
candidats au départ.
10 ARTHUR, John A., Invisible sojourners – African Immigrant Diaspora in the United States -, Westport, Praeger, 2000, 201 p. 11 GORDON, April, « New Diaspora. African Immigration to the United States », in Journal of Third World Studies, 1998, n°15, pp.79-103. 12 MOJUBAOLU Olúfúnké Okome, The Antinomies of Globalization: Causes of Contemporary African Immigration to the United States of America. 13 Ce dernier est professeur de cinéma à l’Université de New York. D’origine africaine, il a beaucoup écrit sur les problèmes identitaires des africains aux Etats-Unis. 14 Paul Stoller est un anthropologue qui a séjourné pendant plusieurs années au Niger et de ce fait s’est intéressé lors de son retour aux Etats-Unis aux immigrants ouest-africains et plus spécifiquement aux vendeurs de rue de New York. 15 Ceux de Mary Waters notamment : WATERS, Mary, C., Black Identities: West Indian immigrant dreams and American realities, Cambridge, Harvard University Press, 2001, 413 p. WATERS, Mary C., Ethnic Options : Choosing Identities in America, Berkeley, University of California Press, 1990, 197 p.
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Notre travail de « quasi-défrichage » nous a par ailleurs obligé à recourir à tous les
supports de l’information, presse papier aussi bien que médias audiovisuels et ce, afin de
passer au tamis toute la documentation susceptible de nous éclairer. Il nous a mené de
l’I.N.A16 pour les sources audiovisuelles (documentaires liés le plus généralement aux
réfugiés africains) à la B.N.F17 pour les sources imprimées reproductibles. Nous nous
sommes notamment penchés sur les journaux américains, et plus particulièrement le New
York Times, qui évoque de plus en plus couramment la situation des immigrants africains, à
mesure que ceux-ci se font une place au cœur de la société américaine. Par la recherche
approfondie d’articles ayant trait à notre étude, nous avons ainsi pu collecter une masse
d’informations non négligeables dans les quotidiens américains ainsi qu’à travers
l’hebdomadaire Jeune Afrique L’Intelligent qui évoque couramment les réussites et
déboires des membres de la diaspora à travers le monde. Les éléments bibliographiques
complémentaires nous ont conduit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève18 (concernant
l’histoire de l’immigration en terre américaine) à la B.R.A19 (pour les périodiques
d’histoire africaine).
Toutefois, nous ne saurions minimiser l’apport incommensurable de l’Internet. Une
grande partie de nos sources proviennent en effet de « la toile », qu’il s’agisse des données
statistiques (mises en ligne par le Bureau du recensement américain ou par le Département
à la sécurité intérieure via la publication de son Office of Immigration Statistics, le
Yearbook of Immigration Statistics), d’articles de journaux en ligne ou de travaux
universitaires. Ajoutons à cela les sites Internet développés par les associations
communautaires africaines aux Etats-Unis et les forums d’immigrants africains, riches
d’histoires individuelles, de témoignages personnels mais aussi d’angoisses et de
problématiques collectives. La documentation ainsi amassée nous permettra d’apporter des
éléments de réponse aux interrogations qui guideront notre travail.
16 Institut National de l’Audiovisuel dont l’ensemble des archives des programmes français de radio et de télévision sont collectés et archivés à l’Inathèque de France, sur le site de la Bibliothèque Nationale de France. 17 Site François Mitterrand, Quai François Mauriac dans le 13° arrondissement de Paris. 18 Sise Place du Panthéon, la Bibliothèque Sainte-Geneviève possède un fonds encyclopédique riche de plus de 2,5 millions de documents. 19 La Bibliothèque de Recherches Africaines, située au Centre Malher (9, rue Malher 75181 Paris cedex 04) s’est constituée après le regroupement au sein d’une structure unique, de trois centres de recherches de l’Université Paris I consacrés à l’Afrique : le Centre de recherches africaines (CRA), le Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris (LAJP) et le Centre d’études juridiques et politiques du monde africain (CEJPMA).
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Alors que le nombre d’Africains s’installant aux Etats-Unis croît de manière
constante depuis quarante ans, il paraît inévitable d’aborder la question de l’origine même
de ce processus migratoire qui s’est amplifié à l’aube des années 1980. En postulant,
d’après la théorie néo-classique, que la migration constitue une réponse à des facteurs
négatifs de rejets (« push ») dans la zone de départ (Afrique) et à des facteurs positifs
d’attraction (« pull ») dans la zone d’arrivée (Etats-Unis), nous tenterons de mettre au jour
les déterminants historiques et socio-économiques de cette immigration transatlantique.
Nous essayerons par ce biais d’apporter une réponse à une énigme : pourquoi les
Africains, qui tendaient à émigrer vers les anciennes puissances coloniales d’Europe
(France, Grande-Bretagne et Portugal principalement) se sont-ils redirigés vers les Etats-
Unis à une période historique bien distincte ?
Puisque le phénomène migratoire ne cesse de s’amplifier, nous chercherons à savoir
quels sont les éléments, en Afrique, comme aux Etats-Unis, qui favorisent cette migration.
Par ailleurs, traiter de l’immigration africaine en terre américaine ne signifie pas
selon nous s’attarder sur les seuls flux migratoires. Il s’agit tout autant de comprendre ce
qui structure la communauté africaine aux Etats-Unis car c’est bien souvent cette
communauté qui sert de liant entre les candidats à l’émigration et la nouvelle société qu’ils
intègrent.
De par les attentes mutuelles de la société d’accueil et des immigrants, ainsi que des
stratégies d’adaptation et d’intégration de ces derniers, nous chercherons donc à savoir, à
travers cette recherche, si les Etats-Unis sont en passe de devenir la nouvelle Terre promise
des populations sorties d’Afrique.
A ces fins, nous retracerons dans un premier temps les grandes vagues
d’immigration et les périodes charnières, notamment dans le domaine législatif américain,
qui ont jalonné cet essor de l’immigration africaine aux Etats-Unis. Nous tenterons
parallèlement de cerner les motivations, plurielles, des immigrants afin de mettre en
lumière les fondements de cette nouvelle route migratoire.
Puis, nous ausculterons le groupe social que constituent les immigrants africains
installés aux Etats-Unis, afin d’en déceler les caractéristiques propres et profondes. Par le
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biais des statistiques, nous en tirerons une vision d’ensemble de la diaspora africaine en
même temps qu’un profil plus concret de l’immigrant et de son quotidien américain. Ce
travail achevé, nous serons plus en mesure de dire quel est le profil-type – si toutefois il en
existe un – de l’immigrant africain aux Etats-Unis.
Enfin, sans prophétiser le futur de ce mouvement migratoire, nous soulèverons les
problématiques que pose l’intégration de ces immigrants africains et essayerons de voir
comment s’est effectué jusqu’à présent leur ancrage dans la société américaine.
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PREMIERE PARTIE :
L’immigration africaine aux Etats-Unis : éléments
d’explication d’un phénomène migratoire nouveau
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Passée la traite océanique, interdite en 1807, il faut attendre les années 1860 pour
voir s’installer aux Etats-Unis les premiers immigrants volontaires d’Afrique
subsaharienne. Cependant, de 1860 aux années 1960, cette immigration sera toute
marginale alors que les Etats-Unis accueillent vers le tournant du siècle des millions
d’Européens. Entre 1870 et 1920, on estime à 20 millions le nombre d’immigrants du
Vieux continent à s’être établis en Amérique. Si elle n’est pas totalement inexistante,
l’immigration africaine n’est, quant à elle, que le fait d’une poignée d’individus.
L’Amérique, vaste continent d’immigration dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ne
constitue pas une terre d’accueil pour les Africains ; la fermeture des frontières
américaines aux populations non européennes, dans les années 1920, entérine cet état de
fait.
Afin de donner plus de relief aux vagues d’immigrations contemporaines en
provenance d’Afrique subsaharienne, nous allons aborder – bien que cela n’entre pas
directement dans le cadre chronologique de notre étude - la situation antérieure à 1965. Il
nous a en effet semblé nécessaire de sortir de l’ombre ces quelques immigrants africains,
les premiers à tenter leur chance en Amérique, puisqu’ils furent, d’une certaine manière,
les pionniers de l’immigration africaine moderne.
Nous verrons ensuite comment s’expliquent les différentes vagues d’immigration
africaine vers les Etats-Unis, au regard de la situation économique et politique des pays
d’origine des immigrants ainsi que de la législation américaine en matière d’immigration.
Enfin, dans un troisième chapitre, nous nous arrêterons un instant sur des
immigrants d’un type particulier, les réfugiés. A eux seuls, ils forment un pan important de
la communauté immigrée, dont la spécificité en tant qu’individus « chassés » de leur pays
répond au nouveau statut que l’administration américaine accorde après 1980 à ceux qui
doivent quitter leur pays contre leur gré. Ils forment un groupe d’une relative homogénéité
eu égard à leurs conditions d’installation sur le territoire américain et à la période de leur
venue aux Etats-Unis (après 1980). Il nous a semblé nécessaire d’évoquer leur parcours
migratoire dans un chapitre indépendant tant leur histoire diffère des autres groupes
d’immigrants.
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Chapitre 1 :
Les pionniers
I- Les Capverdiens, premiers immigrants africains
A) Les migrants de la première heure : une poignée de volontaires
Entre l’arrivée des premiers immigrants volontaires africains autour de 1860 et la
loi de 1965 qui constitue une des bornes chronologiques de cette étude, rares furent les
immigrants originaires d’Afrique à fouler le sol américain. Durant la deuxième moitié du
XIXe siècle, les colons blancs constituaient 90 % des nouveaux venus d’Afrique. Pour le
reste, on dénombre une trentaine d’Africains noirs par an, sans en connaître précisément le
pays d’origine, qui n’est pas indiqué dans les archives des services d’immigration. De 1900
à 1960, période pendant laquelle l’Afrique se trouvait sous le joug des puissances
coloniales européennes (au premier rang desquelles la France, la Grande-Bretagne,
l’Allemagne et le Portugal), environ 45 000 Africains immigrèrent vers les Etats-Unis.1La
moyenne pour l’ensemble de l’Afrique sur la période équivaut à 750 arrivées d’Africains
par an, dont une grande partie de colons blancs et de ressortissants du Maghreb. En
définitive, les Africains Noirs qui immigrèrent aux Etats-Unis de 1900 à 1960 constituaient
un flux migratoire insignifiant.
1 U.S Bureau of Citizenship and Immigration Services, Statistical Abstract of the United States, 2003. Immigration by Leading Country orRegion of Last Residence: 1901 to 2001.
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Décennie Nombre d'immigrants africains entrant aux Etats-Unis
1901-1910 7 400 1911-1920 8 400 1921-1930 6 300 1931-1940 1 800 1941-1950 7 400 1951-1960 14 100 1961-1970 29 000
Tableau 1 : L'immigration africaine de 1900 à 1970.
Source : U.S Bureau of Citizenship and Immigration Services. Statistical Abstract of the United States, 2003. Immigration by Leading Country or Region of Last Residence: 1901 to 2001.
Durant cette période, les mouvements de populations africaines s’effectuaient dans
les limites géographiques du continent noir, avec l’apparition notoire des premières
migrations de travail. Les migrations internationales sont ainsi restées extrêmement
minimes et l’on est en droit de penser que le continent américain constituait jusque tard
dans le XXe siècle une terre bien lointaine pour l’immense majorité des Africains.
Pourtant, certaines chroniques gardent la trace d’un voyage aller d’Afrique vers
l’Amérique.
Il en est ainsi d’un petit groupe issu de l’élite malgache qui trouva refuge aux Etats-
Unis après que les Français eurent envahi Madagascar en 1895 et exilé la reine
Ranavalona III deux ans plus tard. L’histoire voulut qu’Andy Razaf,2 l’un des plus brillants
compositeurs et paroliers américains de sa génération fut issu de ce cercle insignifiant de
« réfugiés » proches de la monarchie.
Au delà de cet épisode anecdotique, l’unique flux migratoire soutenu et demeuré
constant en provenance d’Afrique fut celui des travailleurs capverdiens.
2 De son vrai nom Andreamentania Paul Razafkeriefo (1895-1973), collabora notamment avec Thomas "Fats" Waller et fut l’auteur de chansons à succès telles que "Black and Blue", "Honeysuckle Rose", ou "Ain't Misbehavin'", reprises plus tard par des légendes de la musique américaine, parmi lesquelles Eubie Blake, Ella Fitzgerald ou Louis Armstrong…
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B) L’arrivée de pêcheurs capverdiens
Dans les années 1860, des hommes originaires du Cap-Vert, alors sous contrôle
portugais, tracèrent en effet leur voie vers la Nouvelle-Angleterre. Ils y étaient recrutés par
des capitaines américains qui cherchaient une main-d’œuvre de substitution en vue de
chasser la baleine. Les marins américains avaient en effet laissé tomber ce commerce
lorsque les profits commencèrent à décliner dans les années 1860, permettant ainsi à de
nombreux pêcheurs capverdiens d’obtenir un emploi de baleinier dans le Massachusetts.3
Souvent clandestine, cette émigration était considérée comme une échappatoire pour les
Capverdiens aussi bien que pour les autorités portugaises. L’archipel connaissait en effet
des périodes récurrentes de sécheresse et de famine. Celle de 1864-1866 aurait causé pas
moins de 30 000 morts.4 Les premiers émigrants quittèrent le Cap-Vert à la même période.
Moins de trente arrivèrent annuellement entre 1860 et 1867, mais le mouvement s’accéléra
au tournant du siècle. Entre 1911 et 1920, environ 10 000 Capverdiens se dirigèrent vers
New Bedford, dans le Massachusetts, qui contrôlait alors l’industrie baleinière de tout le
pays et était devenue de ce fait une ville prospère et développée.5
Les femmes prirent elles aussi part à cette migration transatlantique. Leur présence
est attestée en Nouvelle-Angleterre dès 1863. Elles arrivèrent le plus massivement à la fin
du XIXe siècle, représentant 28,6 % des immigrants pour la période 1860-1899. Elles
fournirent un contingent important de travailleurs dans l’industrie textile et dans la culture
de l’airelle canneberge. Ce fruit qui poussait dans les tourbières de Nouvelle-Angleterre
était alors vivement apprécié des marins locaux pour ses vertus protectrices contre le
scorbut. Lorsque la chasse à la baleine s’essouffla avant de disparaître, les marins
rejoignirent leurs épouses dans les marécages ou les filatures. D’autres Capverdiens
profitèrent de l’avènement du bateau à vapeur pour récupérer les vieilles goélettes des
marchands de Nouvelle-Angleterre. Ils les rachetaient afin de les recycler en cargos, très
3 HALTER, Marilyn, Between Race and Ethnicity : Cape Verdean American Immigrants, 1860-1965, Urbana, University of Illinois Press, 1993. 4 Selon les chiffres de Laura Pires Hester : PIRES-HESTER, Laura J., The emergence of bilateral diaspora ethnicity among Cape Verdean-americans, in OKPEWHO, Isidore, DAVIES Carole & MAZRUI Ali, « The African diaspora. African origins and new world identities », Bloomington, Indiana University Press, Chapitre 30, pp. 485-503. 5 Voir à ce sujet le site Internet du musée de la ville de New Bedford consacré à la baleine : www.whalehunting.com
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vite préposés au commerce entre New Bedford et Providence (dans le Rhode Island), aussi
bien qu’avec les îles de l’archipel capverdien. En 1892, un florissant commerce
transatlantique débuta, qui comprenait un transport de biens mais aussi de passagers entre
les deux rives de l’Atlantique. Cette immigration en pleine croissance au tournant du
siècle, fut stoppée par les lois restrictives de 1921 et 1924,6 qui fermaient les portes de
l’Amérique aux non européens. Entre 1860 et 1920, environ 20 000 Capverdiens avaient
néanmoins tracé leur voie vers la Nouvelle-Angleterre et fondé des communautés à New
Bedford et Fall River.
Décennie Nombre d'immigrants capverdiens entrant aux Etats-Unis
1860-1870 124 1871-1880 144 1881-1890 571 1891-1900 2 340 1901-1910 6 899 1911-1920 10 825 1921-1930 1 999
Tableau 2: L'immigration capverdienne aux Etats-Unis de 1860 à 1930.
Source : Historical Abstract of the United States.
Pendant plusieurs décennies, les Capverdiens représentèrent ainsi la plus importante communauté africaine aux Etats-Unis (à l’exception des Sud-africains blancs et des Egyptiens).
6 Connue sous le nom de Johnson-Reed Act, la loi d’immigration de 1924 réduisait l’immigration annuelle pour chaque pays à 2 % de la population de même origine nationale présente sur le territoire américain en 1890.
17
Photo 1: Les travailleurs capverdiens. Arrivée de nouveaux immigrants capverdiens à New Bedford (Massachusetts), le 5 octobre 1914. Les 155 passagers de ce navire étaient tous originaires de l’île de Fogo au Cap-Vert.
[Clifford W. Ashley, The New Bedford Whaling Museum].
Photo 2: Baleiniers capverdiens du Massachusetts, en 1904.
[Clifford W. Ashley, The New Bedford Whaling Museum].
18
C) Immigrants africains et Noirs américains : premiers contacts
Pendant la « Grande migration » - celle des Afro-américains des Etats ruraux du
Sud vers les cités industrielles du Nord - les Capverdiens entrèrent en contact avec les
Noirs américains, ce qui apparaît au niveau historique comme l’une des premières
cohabitations de fait entre Noirs africains immigrants et Noirs américains, fils de
l’Afrique, mais descendants d’esclaves. Les relations ne furent pas de la plus grande
quiétude. Les Noirs américains percevaient souvent les Capverdiens comme des
Portugais noirs (bravas) voire comme des Africains voulant se faire passer pour des
Portugais. Les deux groupes vivaient dans des quartiers bien distincts. Malgré tout, des
tensions liées aux différences culturelles, linguistiques et religieuses (les Capverdiens,
colonisés par les Portugais étaient de fervents catholiques) ainsi qu’aux problèmes de
définition identitaire ne manquèrent pas d’éclater, offrant ainsi aux bandes de jeunes
l’occasion de s’affronter.
A défaut d’un appui de la communauté noire américaine, les Capverdiens
pensaient pouvoir vivre en bonne harmonie avec les immigrants portugais. Mais ceux-
ci, bien que partageant les mêmes référents culturels, ne voyaient pas d’un bon œil
l’intégration de personnes de couleur noire dans leurs paroisses ou associations, de
crainte de subir par un effet contagieux, les foudres des racistes américains. Rejetés de
toute part, les Capverdiens s’intégrèrent tant bien que mal dans le Nord-est des Etats-
Unis.
Ces immigrants du XIXe - début XXe siècle comptent pour environ 90 % de
l’ensemble des capverdiens-américains qui vivent aujourd’hui aux Etats-Unis.
Finalement, « la diaspora capverdienne aux Etats-Unis équivaut peu ou prou au nombre
d’habitants aujourd’hui présents sur l’archipel, soit environ 300 000 personnes ».7 Bien
que relativement ancienne, cette diaspora a su peser de tout son poids dans l’orientation
qu’a pu prendre l’archipel au cours du siècle passé, notamment lors de l’accession à
l’indépendance, en 1975.
7 PIRES-HESTER, Laura J., The African diaspora. African origins... , op.cit., p.501.
19
Ces immigrants capverdiens constituent, nous l’avons dit, la seule communauté
noire africaine a s’être installée de manière constante aux Etats-Unis entre 1865 et 1965.
Ceci est en partie vrai. En partie seulement, si l’on estime que les étudiants africains
forment un groupe d’une cohérence telle que l’on puisse parler de communauté étudiante.
En effet, un petit nombre d’étudiants africains était aussi présent dans les
universités américaines dès la fin du XIXe siècle. Les Etats-Unis continuèrent de recevoir,
de manière croissante, des étudiants venus d’Afrique subsaharienne au XXe siècle. Il est
difficile de savoir si l’on peut à proprement parler d’immigration, puisque, dans un premier
temps, la plupart des étudiants venus parachever leur formation scolaire aux Etats-Unis
retournaient en Afrique. Cependant, nous le verrons, ces derniers envisagèrent de plus en
plus d’incorporer la société américaine une fois leurs études achevées. Nous sommes donc
ici amené à parler de ce flux migratoire d’un type un peu particulier, celui des étudiants
africains vers les Etats-Unis.
II- La venue d’étudiants africains
A) Les élites africaines en Amérique.
Les étudiants ont en effet cette particularité d’être des immigrants temporaires. Ce
ne sont pas les seuls à envisager un retour dans leur pays, mais leur séjour est
considérablement limité dans le temps, en comparaison de l’immigration liée au travail.
Les premiers étudiants Africains qui rejoignirent les universités américaines étaient
envoyés par les nombreuses missions chrétiennes enracinées en Afrique durant la période
coloniale. Bénéficiant généralement de bourses d’études, ils étaient dirigés vers les
universités historiquement noires telle la Lincoln University (Pennsylvanie). Cet envoi
d’étudiants africains vers les Etats-Unis, amorcé dès la fin du XIXe siècle et rendu possible
grâce au concours financier des fondations philanthropiques américaines8 (fondations Ford,
Carnegie, Rockefeller, pour ne citer que les plus célèbres), se poursuivit dans la première
moitié du XXe siècle. Ainsi, parallèlement au développement des études africanistes, des 8 DURPAIRE, François, Les Etats-Unis et la décolonisation de l’Afrique noire francophone (1945-1962), thèse de doctorat sous la direction de M. André Kaspi, Université Paris I.
20
liens s’établirent progressivement entre les centres universitaires noirs américains et les
jeunes diplômés africains au travers d’une politique d’échanges soutenue par le
département d’Etat américain.9 Beaucoup de ces étudiants fournirent par la suite une élite
aux Etats africains indépendants. Il en fut ainsi de Nnamdi Azikiwe, premier Président du
Nigéria indépendant et de Kwame Nkrumah, premier président de la Gold Coast - le
Ghana actuel - qui passèrent tous deux par les campus américains.
Le premier, Nnamdi Azikiwe (1904-1996) alla d’abord dans une école méthodiste à
Lagos (Nigéria), puis étudia à la Howard University (université noire de Washington D.C),
à la Columbia University (de New York), à la Lincoln University (université noire de
Pennsylvanie) et enfin à l’université de Pennsylvanie où il obtint un doctorat en
anthropologie. Le parcours de Francis Nwia Kofi Nkrumah (qui, en 1945, changea son
prénom en Kwame) comporte beaucoup de similitudes. Après avoir été professeur dans
une école catholique, puis étudiant au Séminaire Romain Catholique du Ghana, il se rendit
à la Lincoln University en 1935 puis à l’université de Pennsylvanie où il obtint notamment
une maîtrise de philosophie.
Ces deux exemples permettent de montrer l’importance des universités américaines
dans la formation de ceux qui allaient devenir les pères des indépendances africaines.10
Alors qu’au début de siècle, les étudiants les plus fortunés se rendaient de préférence en
Grande-Bretagne et en France - où les diplômes d’Oxford ou de la Sorbonne constituaient
le Graal suprême -, les universités américaines parvinrent, par le biais d’une telle
coopération, à tirer leur épingle du jeu sur le « marché universitaire » et attirer nombre de
ressortissants africains. Regroupés en associations, telles que l’A.S.A11 (Association des
Etudiants Africains), les étudiants africains présents aux Etats-Unis furent particulièrement
actifs politiquement. Ils jouèrent un rôle de premier plan dans le développement des idées
9 Ibid. 10 Parmi les nombreux étudiants africains formés dans les universités africaines américaines et qui ont joué un rôle de premier plan dans l’histoire politique récente du continent, on peut aussi citer les noms d’Hastings Kamazu Banda (qui deviendra président du Malawi), du zimbabwéen Ndabaningi Sitholé (un des leaders de la lutte de libération du Zimbabwe, mort en 2000 à Philadelphie), d’Eduardo Mondlane (premier président du Mozambique), ou encore du pédagogue ghanéen J.E Kwegyr Aggrey. 11 L’A.S.A vit le jour en 1941. Des étudiants venus de Gold Coast, d’Ouganda, du Nigeria se rassemblèrent autour de Kingsley Ozuomba Mbadiwe pour agir en tant que porte-parole du continent africain et dénoncer les méfaits du colonialisme. En 1942, Kwame Nkrumah fut élu président de l’association et raffermit le discours panafricain, faisant de la promotion de la culture noire une de ses priorités, notamment avec la création de l’Académie Africaine des Arts et de la Recherche qui comptait un millier de membre en 1945.
21
panafricaines12 et dans la lutte pour l’indépendance du continent. La vitalité de ces
étudiants, qui, à l’instar de leurs compatriotes des universités françaises et anglaises, se
tenaient informés des développements politiques traversant le continent africain, fut à
l’origine du All African Students Union of the Americas (AASUA), créé en 1953 dans le
but de favoriser une coopération plus étroite entre étudiants issus du continent noir. Une
fois les indépendances acquises, beaucoup de ceux formés aux Etats-Unis se firent un
devoir de contribuer au développement de leur pays. Plus prosaïquement, beaucoup
d’autres émirent le souhait de retrouver leur famille et de contribuer au bien être
économique de celles- ci. Ainsi, si certains se marièrent et purent construire leur vie aux
Etats-Unis, la plupart des étudiants africains retournèrent en Afrique à la fin de leurs
études.
B) Une communauté insignifiante
La communauté africaine établie en Amérique demeura numériquement
insignifiante puisque les étudiants s’empressaient de retourner dans leur pays une fois leur
parcours scolaire achevé et que l’immigration non européenne continuait d’être
drastiquement restreinte par la législation en vigueur. L’immigration estudiantine n’en
demeure pas moins l’unique constante de ce qui constitue à posteriori l’immigration
africaine au cours du XXe siècle. Nous verrons plus loin les tenants et les aboutissants de
cette immigration d’étudiants vers les Etats-Unis sur la période qui nous intéresse, 1965-
2005.
En effet, 1965 constitue rétrospectivement une date clef, et de manière plus
générale, la décennie 1960-1970, une période de transformations profondes aux Etats-Unis
- en matière législative - et en Afrique - au niveau politique. Ainsi, ce recadrage historique
nous a permis d’apprécier les relations migratoires entre Etats-Unis et Afrique lorsque
12 Comme l’a souligné George Padmore, originaire de Trinidad, l’un des acteurs et promoteur du mouvement panafricain : « Le panafricanisme différait du garveyisme en ce qu’il n’a jamais été conçu comme un mouvement pour le retour en Afrique, mais plutôt comme une dynamique philosophique et politique et comme un guide pour l’action des Africains en Afrique qui jetaient les fondements des organisations de libération nationale ». M’BOKOLO, Elikia, Afrique noire : Histoire et Civilisations. Tome II : XIXe et XXe siècles, Paris, Hatier, 1992, p.444.
22
interviennent ces changements d’envergure qui constituent, en amont, notre borne
chronologique.
A l’heure des indépendances africaines, les nouvelles délégations diplomatiques qui
furent accueillies à Washington constituaient avec les étudiants africains le gros de la
présence d’Afrique subsaharienne aux Etats-Unis. Etablis depuis plus longtemps et
véritablement enracinés, les immigrants capverdiens et leurs descendants appartenaient
déjà au groupe des hyphenated Americans.13 Cependant, la composition et la taille de la
communauté africaine commencèrent à changer dans les années 1970. Nous allons voir
dans le chapitre suivant les raisons de cette venue en plus grand nombre d’Africains aux
Etats-Unis après 1965. Elles sont à chercher tout autant dans les conditions économiques et
politiques des pays de départ que dans les facteurs extérieurs que constituent les
opportunités, notamment législatives, de pays susceptibles de recevoir les candidats à
l’émigration.
13 Ces Américains à « trait d’union ». Les personnes originaires du Cap-Vert se reconnaissaient alors, et dans une certaine mesure continuent de se reconnaître comme des Capverdian-Americans, à l’instar d’autres groupes aux allégeances multiples tels que les Italian-Americans ou les Greek-Americans.
23
Photo 3: Manifestations anti-coloniales d'étudiants africains aux Etats-Unis, 24 septembre 1960. [Photographs and Prints Division, Schomburg Center for Research in Black Culture].
Photo 4: Congrès annuel du All African Students Union of the Americas (AASUA), décembre 1958.
Photo 5: Affiche d’une conférence organisée par le All African Students Union, pour la défense de l’Afrique, 25 janvier 1959. [Schomburg Center for Research in Black Culture].
24
Chapitre 2 :
La croissance de l’immigration africaine : facteurs d’explication
Dès le début des années 1970, la teneur de l’immigration africaine se modifia
substantiellement, notamment d’un point de vue quantitatif. Entre 1961 et 1970, 28 954
Africains (Nord-africains inclus) furent admis sur le sol américain. Ce chiffre passa à
80 800 pour la décennie 1971-1980. Cet afflux d’immigrants africains – relatif en
comparaison de l’immigration asiatique et latino-américaine - est la résultante de plusieurs
facteurs. Ceux-ci sont à chercher dans la mauvaise conjoncture des pays de départ et dans
l’attraction soudaine pour les Etats-Unis. Il nous revient de détailler ces deux éléments, qui
une fois combinés, expliquent la poussée migratoire en provenance de l’Afrique vers les
Etats-Unis.
I- La recherche de nouvelles opportunités
Etudier le parcours migratoire d’un groupe quelconque appelle à s’intéresser aux
causes profondes du départ. Il n’est pas naturel d’abandonner son environnement sans
réelles motivations. Quitter son pays relève d’une démarche psychologique assortie de
considérations économiques, politiques et sociologiques. Nous allons ici évoquer la
difficile mais néanmoins nécessaire question des facteurs déterminant l’émigration
africaine. Difficile, car il existe presque autant de raisons de quitter son pays que de
travailleurs immigrés aux Etats-Unis. Il nous revient toutefois de mettre en avant les
mobiles susceptibles d’avoir poussé hors de chez eux de nombreux africains, afin
d’interpréter correctement la venue tardive de ces immigrants aux Etats-Unis.
25
A) Du problème d’expliquer la migration
Les théories des mouvements migratoires abondent et avec elles les explications de
l’émigration massive d’Africains hors du continent noir. La perspective classique pose la
migration comme une réponse à des facteurs négatifs de rejet (push) dans la zone de départ
et à des facteurs positifs d’attraction (pull) dans la zone d’arrivée.1Les tenants du push et
du pull mettent ainsi en avant un ensemble de déterminants non seulement économiques,
mais historiques, écologiques ou politiques comme facteurs d’explication du départ pour
l’étranger. En se référant à ce schéma, nous pouvons relever un certain nombre de facteurs
répulsifs qui ont pu contraindre ou inciter les Africains, pourtant issus de pays divers et
variés, au départ. Tout d’abord, la pauvreté générale de l’Afrique. Puis viennent en bonne
place, l’instabilité politique, les guerres civiles qui ont et continuent de ravager le
continent. Enfin des causes écologiques (l’extension des zones désertiques notamment),
démographiques (le formidable fossé qui sépare les pays du Nord des pays africains2) ou
proprement humaines (la persistance de maladies tropicales et les conditions sanitaires
inadéquates des pays touchés).
Cette approche classique de la migration est critiquable. Elle se borne en effet à
établir des facteurs répulsifs, qui du point de vue de l’immigration africaine, ne diffèrent
pas réellement d’autres groupes d’immigrants qui ont fait leur chemin vers les Etats-Unis :
dictatures, guerres civiles, pauvreté. Certains auteurs3 ont ainsi cherché, dans une approche
plus globaliste, à mettre en avant les mécanismes propres et profonds qui sont à l’origine
de l’émigration africaine. La « mondialisation » et le « nouvel ordre mondial » sont d’après
eux les véritables moteurs de la migration. Sans privilégier un modèle plutôt qu’un autre,
nous allons nous efforcer de déterminer les vrais mécanismes qui ont pu causer les
différentes vagues d’immigration africaine aux Etats-Unis.
1 LEE, Everett S., « A Theory of Migrations », in Demography, vol.3, n° 1, pp.47-57. 2 Le taux de fécondité des pays africains, quoiqu’en déclin commençant, demeure encore presque quadruple à celui de l’Europe. 3 Parmi d’autres: J.Takougang, P. Stoller et O. Mojubaolu (voir bibliographie).
26
B) Une instabilité économique et politique chronique
Au lendemain des indépendances, les nouveaux dirigeants africains portaient en
eux l’espoir de nations entières. L’indépendance devait être synonyme non seulement de
souveraineté politique et de liberté mais aussi d’amélioration de la vie économique et
sociale. En fait de liberté, les Africains, libérés du joug colonial récoltèrent la dictature
militaire et son corollaire, le parti unique. Alors que dans les années 1960, les étudiants et
les quelques immigrants temporaires présents aux Etats-Unis s’efforçaient de rentrer au
pays pour participer à la construction des nations africaines, les années 1970 furent le
temps des premiers désenchantements. Une des causes principales de l’immigration des
populations africaines réside ainsi dans l’émergence de dictatures sanglantes au lendemain
des indépendances. Que l’on pense à Mengistu en Ethiopie, Idi Amin Dada en Ouganda,
Jean Bedel Bokassa en Centrafrique, Macias Nguema en Guinée équatoriale. Sans aborder
le cas spécifique des réfugiés (ces derniers possèdent un statut particulier au regard de la
loi), que nous évoquerons au prochain chapitre, nous ne saurions sous-estimer le poids des
régimes autoritaires et souvent effroyables dans la prise de décision de beaucoup
d’Africains de quitter leur pays. Le déni de démocratie, l’absence de liberté d’expression et
les atteintes permanentes aux droits de l’homme eurent vite raison de l’optimisme relatif à
la formation de nouveaux Etats indépendants. Le parti unique, censé constituer la voix vers
une stabilisation politique et, in fine, un développement socio-économique fut synonyme
de pauvreté pour la plupart des africains qui ne profitèrent pas des ressources énergétiques
du continent, réservées aux dynasties locales ou qui entrèrent dans les profits des grandes
compagnies internationales.
Force est de constater que la situation économique n’a cessé de se dégrader dans de
nombreuses régions d’Afrique. En plus de l’incurie gouvernementale, les africains
expérimentèrent le clientélisme, la corruption et le népotisme de l’administration étatique.
Ainsi, la dégradation économique s’est bien souvent accompagnée d’une détérioration de
la situation politique (à moins que ce ne soit l’inverse). La combinaison de ces deux
facteurs poussa indubitablement de nombreux ressortissants africains à tenter leur chance
ailleurs ; et ce dès le début des années 1970.
27
S’il est indéniable que l’arbitraire du pouvoir constitue un puissant facteur de
répulsion, la notion de pauvreté est à manier avec prudence. Affirmer que la misère conduit
les Africains à chercher un mieux-être économique constitue une lapalissade bien souvent
énoncée. Les migrations de survie, indispensables dans l’Afrique rurale sahélienne,
toujours menacée par la famine faute de développement, s’effectuent en Afrique même, à
l’intérieur des frontières d’Etats souvent démunis, autoritaires ou impuissants. Les
populations les plus pauvres n’ont pas les moyens de sortir d’Afrique, sinon dans des
conditions extrêmes. A ces migrations du désespoir sont, il est vrai, venues s’ajouter les
migrations économiques de tous les citadins touchés par la crise. Mais toutes les
populations pauvres ne finissent pas par émigrer hors de leur frontière. Comme l’affirme
Georges Courade,4 « la pauvreté n’est pas un déterminant migratoire total ». En ce sens, la
théorie néo-classique qui prétend qu’un individu émigre d’après un choix économique
rationnel à la recherche de meilleures conditions de vie, est une tautologie.5
Ainsi, les immigrants africains qui ont choisi les Etats-Unis au cours des années
1970 connaissaient une pauvreté toute relative. Beaucoup étaient des étudiants ou des
travailleurs temporaires demeurés sur place grâce à la prolongation de leur visa. Leur
migration fut plus une migration « d’ambition » que de pauvreté. Le manque
d’opportunités, plutôt que l’indigence, est d’ailleurs bien souvent mis en avant par les
Africains émigrés aux Etats-Unis.
Nous verrons dans une deuxième partie que l’immigration africaine qui s’est
accentuée après 1980 est – si l’on excepte les réfugiés - composée en majorité de citadins
qualifiés, victimes de l’inadaptation du marché du travail et de l’offre de main-d’œuvre
croissante relative à l’exode rural et la démographie galopante des sociétés africaines. La
« saturation » progressive des villes en termes d’emplois aussi bien qu’en terme de gestion
urbaine contribue à alimenter le flot des travailleurs urbains vers l’étranger.
Au final, cette description des maux de l’Afrique contemporaine ne permet pas
d’appréhender les processus profonds qui ont conduit, à une époque donnée, un certain
nombre d’Africains à émigrer vers les Etats-Unis.
4 COURADE, Georges, « Des papiers et des hommes: l’épreuve des politiques d’endiguement », in Politique Africaine, n° 67, octobre 1997, pp.3-29. 5 Voir la récusation du modèle néo-classique dans: AMIN, Samir, « Migration in Contemporary Africa. A retrospective view » in BAKER, Jonathan & AINA, Tade Akin, The Migration experience in Africa, Uppsala, Nordiska Afikaninstitutet, 1995, pp.29-40.
28
C) Le poids de la mondialisation
Certains auteurs6 privilégient ainsi une approche plus globale du phénomène
migratoire. Selon eux, l’accroissement de l’immigration africaine aux Etats-Unis dans les
années 1980 et plus encore 1990 s’explique avant tout par l’entrée officielle de l’Afrique
noire dans la mondialisation. Cette vision globaliste voit ainsi dans la récente migration
africaine une conséquence inéluctable du nouvel ordre mondial, dicté par le libéralisme et
la mondialisation des échanges. Les Etats africains, et donc les populations, n’ont en effet
pas réellement bénéficié des avantages de la globalization. L’insertion à marche forcée du
continent dans la mondialisation économique n’a pas produit les effets bénéfiques
escomptés. Au contraire, les politiques d’ajustements structurels de la Banque Mondiale et
du FMI (Fonds Monétaire International),7 avec l’insistance mise sur les privatisations ont
eu des effets dévastateurs en Afrique subsaharienne. Destinés à rétablir les grands
déséquilibres macro-économiques (ce qui se traduit par la diminution des dépenses et une
augmentation des recettes de l’Etat), les programmes d’ajustement structurel ont privilégié
les critères économiques et financiers au détriment des critères sociaux et
environnementaux. Les effets sur les populations africaines furent immédiats. Ils se
manifestèrent par une diminution des dépenses de santé, d’éducation et de sécurité sociale.8
Dans ces conditions, l’émigration constitue une réponse à l’impuissance de l’Etat
devant les dégradations économiques et sociales. Et ce d’autant plus que l’ajustement
structurel a appauvri – parmi d’autres - les classes moyennes des villes, les plus aptes à
valoriser à l’étranger leur savoir-faire.
Plus tard, la dévaluation du franc CFA9 a affecté très fortement le pouvoir d’achat
des populations d’Afrique de l’Ouest francophone. Le 11 janvier 1994, sous la pression du
Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, les quatorze pays de la zone franc
dévaluèrent le CFA de 50 %. Cette mesure visant à relancer la compétitivité des nations 6 J. Takougang ou M. Okome P Stoller 7 Les deux institutions financières internationales (IFI), véritables acteurs de la mondialisation. 8 Des crises sanitaires effroyables frappent l’Afrique sans que les Etats ne puissent intervenir, faute de moyens. Ainsi, le paludisme tue de 1 à 2 millions de personnes par an sur le continent et 24,5 millions d’Africains seraient atteintes du sida. (chiffres empruntés à Ignacio Ramonet, « Un continent en mutation », in Le Monde Diplomatique, janvier 2005). 9 DEMBELE, Demba Moussa, « Mauvais comptes du franc CFA », in Le Monde diplomatique, juin 2004, p.19.
29
concernées atteignit brutalement les populations ouest-africaines qui du jour au lendemain
virent les prix à la consommation passer du simple au double. L’afflux d’Africains
francophones aux Etats-Unis à cette même période n’est certainement pas étranger à cette
dévaluation, bien que d’autres phénomènes entrent en ligne de compte.
Ainsi, un rapport de la CNUCED10 (la conférence des nations unies sur le
commerce et le développement), rendu public le 11 septembre 2001 indique que
« l’Afrique subsaharienne est plus pauvre qu’il y a vingt ans du fait de la diminution de
l’aide et de la dégradation des termes de l’échange,11 de l’accroissement de la dette12 et de
l’inefficacité des politiques d’ajustement ». L’immigration constituerait donc une réponse
des exclus des bienfaits de la mondialisation. Ceux-ci sont d’autant plus portés à rejoindre
le camp des « vainqueurs » que la mondialisation de l’économie s’est accompagnée d’une
internationalisation de l’information et d’une mobilité accrue des personnes.
D) La fermeture des routes migratoires traditionnelles
Ce mouvement de populations hors du continent, en raison des conditions citées
plus haut, est un phénomène nouveau dans l’histoire de l’Afrique. Exceptée la période de
la traite négrière, peu d’Africains avaient quitté le « berceau de l’humanité » avant le
milieu du XXe siècle. L’histoire de l’Afrique est surtout riche en déplacements à l’intérieur
du continent.13 Au XXe siècle, les migrations intra-africaines ont été caractérisées par un
mouvement des périphéries rurales vers les centres de production industrielle et les
gisements de minerais, demandeurs de main-d’oeuvre. La migration résultait d’une
inégalité des projets de développement économiques entre les centres urbains et les zones
rurales. Durant l’ère post-indépendante, les migrations à l’intérieur même du continent
africain connurent de fortes entraves. Les pays, nouvellement indépendants, tentèrent en
10 Rapport de la CNUCED sur l’Afrique : http://www.unctad.org/fr/docs/pogdsafricad1.fr.pdf 11 La chute des prix des matières premières (cacao, café, coton), principales exportations de beaucoup d’Etats africains et le renchérissement d’importations de produits manufacturés explique que les termes de l’échange des pays d’Afrique subsaharienne avec les pays du Nord se soient dégradés. 12 Le continent est passé du stade de l’endettement à celui du surendettement selon la CNUCED qui évaluait à 206 milliards de dollars la dette extérieure des pays d’Afrique subsaharienne. 13 Que l’on pense aux effets des guerres, des famines, du nomadisme pastoral et surtout du commerce transsaharien. Avant l’établissement des frontières coloniales subséquentes au Traité de Berlin de 1885, les peuples d’Afrique se déplaçaient de manière particulièrement libre sur le continent et ces migrations étaient principalement collectives (familles ou communautés).
30
effet de restreindre les migrations transfrontalières afin de préserver les emplois créés pour
leurs propres citoyens, notamment durant les périodes d’instabilité politique et de récession
économique. Avec la formation d’unions économiques régionales et continentales (telles
que la Commission Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ou le Bloc Economique
Est Africain), la libre circulation des biens, des services et des personnes fut un temps
réaffirmée. Mais au final, ces organisations économiques n’ont pas réussi à développer des
programmes soutenus, dans le domaine industriel, culturel et surtout économique ; en
conséquence de quoi beaucoup de jeunes africains et bien souvent les personnes les mieux
formées, commencèrent à lorgner vers l’extérieur du continent.
L’essor du mouvement migratoire des Africains vers les Etats-Unis a, quant à lui,
véritablement commencé à partir de 1965 et s’est accéléré après 1980. Certaines
explications peu probantes de cette immigration tardive pointent du doigt la difficulté pour
la majorité des Africains d’obtenir un visa ainsi que le prix trop élevé du billet d’avion
pour les candidats à l’immigration.14 Or, force est de constater que les immigrants
clandestins issus des pays les plus pauvres, parviennent à débourser des fortunes aux
« passeurs » afin d’atteindre le pays de leur choix. Il faut donc chercher ailleurs les raisons
du très faible nombre d’immigrants africains aux Etats-Unis avant 1965 et jusque dans les
années 1980.
La principale explication provient d’un fait historique : les Africains tendaient tout
simplement à émigrer vers les anciennes puissances coloniales européennes. Il ne faut pas
perdre de vue que la destination de l’immigration est fonction de l’histoire commune au
pays que l’on quitte et au pays d’accueil. Ainsi les Sénégalais, Ivoiriens, Nigériens et
autres Maliens se rendaient-ils dans l’ancienne puissance coloniale française. De même, les
Africains anglophones, rejetons de l’Empire britannique, s’installèrent de préférence en
Grande-Bretagne. Ce fut le cas de bon nombre de Nigérians, Ghanéens ou Kenyans. Quant
aux Angolais, Mozambicains et ressortissants de Guinée Bissau, leur parcours les mena
plutôt au Portugal, tandis que les Zaïrois et Rwandais immigrèrent en nombre vers la
Belgique. Ces trajectoires s’expliquent aisément par la proximité, réelle ou factice, que la
période coloniale avait fini par créer entre puissances coloniales et colonies ainsi que par le
facteur linguistique. L’adaptation est d’autant plus facilitée dans la société d’accueil que
14 UNGAR, Stanford J. Fresh Blood : The New American Immigrants, New York, Simon & Schuster, 1995, 233 p.
31
l’immigrant possède une bonne maîtrise de la langue locale. En somme, c’est à partir des
choix des puissances dominantes, bien souvent anciens pays colonisateurs, que se
construisent nombre de liens unissant pays d’émigration et pays d’immigration et que se
créent « les conditions qui font de l’émigration une des options de survie pour les
populations ». 15
L’immigration africaine en terre européenne fut facilitée par le boom économique
de l’après-guerre. L’euphorie des années 1950 et 1960, incita la majorité des pays
européens à faire venir sur leur sol une main-d’œuvre étrangère non-qualifiée pour occuper
des emplois que leurs nationaux dédaignaient. Ces travailleurs, dont beaucoup étaient issus
d’Afrique subsaharienne, devaient rentrer dans leur pays respectif lorsque leur présence ne
s’avérerait plus nécessaire. Ce fut rarement le cas lorsque la belle machine s’enraya. A
mesure que la situation économique se dégradait, consécutivement au premier choc
pétrolier de 1973, le recours à une main-d’œuvre étrangère se fit moins pressant. Vers le
milieu des années 1970, les pays européens, destinations traditionnelles des immigrants
africains, mirent ainsi un frein à l’immigration de masse. Les trois grands pays
d’immigration africaine qu’étaient la Grande-Bretagne, la France et le Portugal adoptèrent
des législations plus restrictives.16 Par ailleurs, d’autres pays européens, « secondaires » en
matière d’immigration africaine, tels que l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne rehaussèrent
eux aussi leurs barrières frontalières.
Dans ces conditions, dès la fin des années 1970, l’Amérique semble constituer pour
la jeunesse qualifiée africaine un nouvel Eden, en réaction aux fermetures des frontières
européennes et aux politiques répressives menées à l’encontre des immigrés en situation
irrégulière dans un certain nombre de pays de l’Union européenne. Témoin, cette remarque
d’un jeune vendeur ivoirien de New York,17 par ailleurs étudiant en sciences politiques et
donc au fait de la vie politique française : « Ah, mais Chirac, lui je l’adore ! Il est très fort.
15 SASSEN, Saskia, « Les migrations ne surgissent pas du néant », in Manière de voir, n° 62, mars-avril 2002. 16 En juillet 1974, la France décide de suspendre les flux migratoires de travailleurs immigrés. Seuls peuvent entrer comme étrangers permanents, les bénéficiaires du regroupement familial (convention européenne des droits de l’homme et principe du droit à vivre en famille), les travailleurs salariés de la Communauté et d’autres, si le préfet juge recevable leur venue au regard de leur qualification, de la situation de l’emploi et en l’absence de nationaux sur le marché de l’emploi. S’y ajoutent les régularisés, les commerçants et les visiteurs de plus de trois mois. Stagiaires, étudiants et demandeurs d’asile (convention de Genève de 1951) constituent les étrangers temporaires. 17 Relevée à Harlem lors d’une discussion, le 27/03/04.
32
Quand tu l’écoutes, on dirait que c’est l’ami des Africains mais pour obtenir un visa pour
la France, c’est même pas la peine... ». Plus tard : « Et Sarkozy, il va bien ? Il continue de
chasser les frères là-bas ? ». L’obtention d’un visa pour la France est devenue, depuis le
début des années 1980, une épreuve longue et pénible qui donne une image désastreuse de
la traditionnelle « terre d’accueil ». D’autant plus qu’un certain désenchantement des
africains immigrés en Europe commence à trouver un écho dans les pays de départ.18
Après les Trente Glorieuses, le manque d’opportunités en matière d’emplois, la
stigmatisation des immigrants dans la montée du chômage et les difficultés liées à
l’intégration19 ont contribué à rendre la France et les autres pays d’immigration africaine
en Europe, moins attrayants. Ceci ne signifie pas que le Vieux Continent n’attire plus
d’immigrants. Les faits nous prouvent le contraire.20 Mais « à la bourse des valeurs
migratoires (…) la France n’est plus une destination recherchée », à l’inverse des Etats-
Unis, de l’Afrique du Sud ou du Proche-Orient.21 Faut-il en conclure avec Manuel Ruben
N’Dongo22 que pour une très grande majorité des candidats à l’exode, la France et
l’Europe ne sont qu’une alternative aux Etats-Unis, principalement à cause de l’évolution
de la législation et de la fermeture des frontières » ?
La politique restrictive des pays européens, esquissée au début des années 1970
s’est en tout cas confirmée dans les années 1980, puis 1990. Elle alla surtout de paire avec
la mise en place d’une politique migratoire ouverte aux Etats-Unis, amorcée dès 1965 et la
loi Hart-Cellar. La contradiction évidente des législations européenne et américaine
amenèrent les Africains à reconsidérer leur itinéraire migratoire
18 A ce sujet, lire le roman sans concession de Fatou Diome : DIOME, Fatou, Le ventre de l’Atlantique, Anne Carrière, 2003, 295 p. 19 Le 23 novembre 2004, la Cour des Comptes publiait un rapport qui, dénonçant les politiques de l’immigration conduites depuis trente ans en France, mettait l’accent sur une intégration qu’on a laissé se faire d’elle-même, et incrimine le logement, l’école et l’emploi comme responsables de l’échec constaté. Intitulé L’accueil des immigrants et l’intégration des populations issues de l’immigration, ce rapport pointe du doigt l’incapacité des pouvoirs publics à s’adapter aux changements de l’immigration alors qu’elle passait, notamment, d’une immigration de main-d’œuvre (provisoire) à une immigration familiale (souvent définitive). 20 Taibou, une immigrante sans-papiers résume bien la situation : « Ici en France, c’est dur. Mais savoir à quel point c’est plus dur encore là-bas, il n’y a que nous qui pouvons décider si nous sommes mieux ici ou là-bas », in Le Monde 23 février 1997. 21 Enquête menée à Podor, petit village sénégalais, dans un pays avec lequel les liens historiques et migratoires sont pourtant restés très fort. Relevé dans : COURADE, Georges, « Des papiers et des hommes: l’épreuve des politiques d’endiguement », in Politique Africaine, n° 67, octobre 1997, pp.3-29. 22 RUBEN N’DONGO, Manuel, Regard sur l’immigration africaine en Europe : les dictatures africaines, causes et effets de l’immigration, Paris, Editions des Ecrivains, 1999, 236 p.
33
Photo 6: Conférence sur les privatisations en Côte d’Ivoire. Les programmes d’ajustements structurels de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, avec l’insistance mise sur les privatisations, ont eu des effets dévastateurs sur l’éducation, la santé et les affaires en Afrique. Ces politiques, auxquelles il convient d’ajouter la dévaluation de 50 % du Franc CFA dans l’Afrique de l’Ouest Francophone, ont alimenté le flot d’émigration et expliquent en grande partie l’augmentation du nombre d’immigrants africains vers les Etats-Unis dans les années 1980 et 1990. [Africaphotos.com].
Photo 7: Abidjan, Côte d'Ivoire. Les immigrants africains aux Etats-Unis sont, dans leur grande majorité, des citadins qui possèdent un bon niveau d’éducation. La plupart faisaient partie de la classe moyenne des capitales et grandes villes de leurs pays respectifs avant leur départ. Ils étaient ceux qui possédaient assez d’argent pour migrer vers un autre continent. Les très pauvres n’ont souvent pas les moyens d’émigrer, ou sinon des campagnes vers les villes ou vers des pays frontaliers pouvant être joints par bus ou train. [Africaphotos.com].
34
II- Les Etats-Unis, une destination de choix
En 1965, le président démocrate Lyndon Baines Johnson, parraina l’adoption d’une
loi sur l’immigration qui éliminait le système - si longtemps appliqué - des quotas selon
l’origine nationale. Par la suite, nombre d’aménagements législatifs jouèrent un rôle de
premier plan dans la stratégie migratoire de nombreux émigrants africains. Nous ne
pouvons faire l’économie de mesurer l’impact des lois d’immigration américaines sur
l’émigration africaine. Nous aborderons, dans un deuxième temps, les autres facteurs
d’attraction (pull factors) qui participent de la décision d’émigrer dans un pays donné.
A) A l’origine de la loi d’immigration de 1965
Le 3 octobre 1965, Lyndon B. Johnson apposa sa signature à la loi sur
l’immigration connue sous le nom de Hart-Cellar Act. Cette nouvelle législation mettait
ainsi fin à quarante années de pratiques restrictives en introduisant un nouveau principe
directeur : la complète égalité d’origine des immigrants. Plusieurs éléments peuvent aider à
comprendre cette réforme migratoire qui rouvrit les vannes à une immigration massive.
Tout d’abord, le système des quotas, fondé sur l’origine nationale et régi par la loi
de 1924 et de ses amendements ultérieurs, était devenu caduc. D’après Dominique
Daniel,23 « à partir de 1953, les Etats-Unis admettent d’avantage d’étrangers à titre
exceptionnel que d’immigrants dans le cadre des quotas ». Par ailleurs, ces quotas, qui
faisaient la part belle aux pays européens comme le Royaume-Uni ou l’Irlande, ne sont
plus remplis. Les demandes de visas de la part de ces pays se sont largement affaiblies. En
1965, le Congrès constate ainsi que « le système de l’origine nationale n’a pas réussi à
maintenir l’équilibre ethnique de la population américaine comme il était conçu pour le
faire… » .24
Par ailleurs, l’heure est à la revendication de droits égaux pour tous. Beaucoup de
groupes ethniques qui ont subi l’effet discriminatoire des lois des quotas (particulièrement
23 DANIEL, Dominique, L’immigration aux Etats-Unis, 1965-1995 : le poids de la réunification familiale, Paris, L’Harmattan, 1996, p.44. 24 Déclaration de Dean Rusk, Secrétaire d’Etat (« Controversy Over U.S Immigration Policy », Congressional Digest, mai 1965) citée par Dominique Daniel, ibid.
35
les populations d’Europe du Sud Est et d’Asie), expriment la volonté, à mesure qu’ils
s’organisent politiquement, de changer ce système inique. Depuis longtemps, certains
hommes politiques souhaitaient abolir les lois de quotas. En 1952, les partisans du statu
quo obtinrent de justesse le vote de la McCarran-Walter Immigration and Nationality Act
malgré la tentative du président Truman d’apposer son veto. Cette loi maintenait le
système hérité du Johnson-Reed Act de 1924, tout en modifiant légèrement la taille des
quotas d’admission. Mais le mouvement pour les droits civiques, comme le montre James
F. Hollifield,25 avait considérablement élevé la conscience politique du peuple américain
sur la question des préjugés, de la discrimination et des relations raciales en général. Cette
nouvelle conscience politique contribua fortement à changer la jurisprudence américaine,
transformant ainsi la politique d’immigration du pays.
Enfin, le contexte international et national du début des années 1960 fut propice à
une telle réforme. B. Chiswick26 soutient ainsi que sur le plan intérieur, la bonne santé
économique des Etats-Unis qui s’est maintenue tout au long des années 1960 a affaibli
l’opposition à l’immigration. Au niveau diplomatique, les Etats-Unis souhaitaient en outre
entretenir des relations amicales avec les nouveaux états d’Afrique et d’Asie, qu’une
politique d’immigration restrictive et discriminatoire ne pouvait qu’heurter.
Ainsi, la nouvelle loi d’immigration de 1965 s’inscrit-elle dans la lignée du
mouvement de réforme qui donna naissance au Civil Rights Act un an plus tôt.27 Rendue
possible par un contexte favorable, elle exprimait clairement la volonté d’être fondée sur
des principes plus justes. Voyons à présent le contenu de cette nouvelle législation afin de
comprendre en quoi elle fut liée au développement de l’immigration africaine.
B) Les clauses de la loi de 1965
L’adoption de la nouvelle loi fut un événement marquant de l’histoire américaine.
L’attribution des visas d’immigration devait désormais être purgée de toute discrimination
25 HOLLIFIELD, James F., L’immigration et l’Etat-nation à la recherche d’un modèle national, Paris, L’Harmattan, 1997, p.84. 26 CHISWICK, Barry R., The Gateway, US Immigration Issues and Policies, 1982, 476 p. 27 La loi sur les droits civiques, signée le 02 juillet 1964, rendait illégale toute forme de discrimination raciale, non seulement de la part des organismes publics, fédéraux ou locaux, mais aussi dans les relations commerciales et de travail.
36
fondée sur « la race, le sexe, la nationalité, le lieu de naissance ou de résidence ». Outre la
suppression du système des quotas nationaux, la loi Hart-Cellar instaurait pour la première
fois une limitation de l’immigration en provenance de l’Hémisphère Ouest (les continents
nord et sud américains) à 120 000 visas annuels avec obligation de présenter un certificat
de travail émis par le Département du Travail. Pour l’Hémisphère Est (le reste du monde),
le plafond était fixé à 170 000 visas, avec un maximum de 20 000 pour chaque pays. Une
fois ces seuils définis, l’attribution des visas devait s’effectuer en fonction de critères
professionnels et familiaux selon un système de sept catégories préférentielles
d’admission. L’abandon du système des quotas qui avait favorisé pendant des décennies
l’immigration européenne, permit aux Africains d’obtenir des visas afin de poursuivre leur
formation aux Etats-Unis, rejoindre des membres de la famille déjà installés ou même faire
valoir leur savoir-faire au niveau professionnel.
Les Africains candidats à l’expatriation pouvaient à partir de ce moment se faire
délivrer un visa en vertu de critères professionnels contenus dans les troisième (membres
des professions libérales, scientifiques et artistes de talents exceptionnels), sixième
(travailleurs qualifiés ou non-qualifiés dont l’économie américaine a besoin) et septième
préférences (réfugiés, mais nous verrons ultérieurement les procédures d’admissions
particulières de ces derniers, modifiées en 1980).
Mais la clause primordiale de la loi de 1965 est celle qui offre la possibilité aux
citoyens, ainsi qu’aux résidents permanents de soumettre des demandes de visas pour leur
famille proche, au titre de la réunification familiale. Ces visas devaient bénéficier d’après
la première catégorie préférentielle :
-aux fils et filles célibataires adultes de citoyens américains (à hauteur de 20 % du total
annuel de visas).
-aux conjoints et fils et filles célibataires de résidents permanents (20 % des visas à
l’origine mais 26 % depuis 1980) en vertu de la deuxième catégorie préférentielle.
-aux fils et filles mariés de citoyens américains (10 % des visas, quatrième catégorie
préférentielle).
-enfin aux frères et sœurs de citoyens américains (24 % des visas, cinquième catégorie
préférentielle).
Ainsi, une bonne part de l’immigration africaine contemporaine s’explique par
l’entrée en vigueur de cette clause. Les premiers immigrants africains ont en effet
37
largement profité de cette aubaine pour faire participer les membres de leur famille au
« rêve américain ». Depuis 1965, les nouveaux résidents permanents exploitèrent toutes les
possibilités offertes par le principe de la réunification familiale, à l’instar des Hispaniques
et des Asiatiques, bien que dans des proportions moins considérables. Il n’empêche, le
décuplement du nombre d’Africains vivant aux Etats-Unis depuis 1965 provient en bonne
part du processus de réunification. Cela passe par la mobilisation d’immenses réseaux
familiaux pour faire venir les proches (maris, femmes, frères, sœurs, enfants, parents) aux
Etats-Unis.
C) Les aménagements législatifs postérieurs
La loi de 1965 rendait aussi possible aux enfants nés sur le territoire américain de
parents ne bénéficiant pourtant pas de la résidence permanente, de remplir des demandes
de visas pour ces derniers afin qu’ils puissent être légalement admis aux Etats-Unis.
Pendant une décennie, beaucoup de femmes africaines enceintes entrèrent illégalement aux
Etats-Unis afin de donner naissance à un enfant grâce auquel les parents pouvaient utiliser
l’acte de naissance et ainsi postuler pour la citoyenneté. En 1976, la loi fut amendée afin
que les parents sans-papiers d’enfants nés sur le territoire américain ne puissent requérir la
citoyenneté avant les vingt ans de leur progéniture.
Durant les années 1970 et 1980, la question de l’immigration clandestine aux Etats-
Unis attira l’attention tant du gouvernement fédéral que des médias et de l’opinion
publique américaine. Le Congrès décida de réformer la législation devant le
mécontentement populaire, provenant notamment d’Etats comme la Californie où les
immigrés clandestins venus d’Amérique Centrale et du Mexique se comptaient par
milliers. En 1986 fut votée l’Immigration Reform and Control Act (IRCA) destinée à
mettre un frein à l’immigration illégale. Pour cela, la réforme prévoyait de faire vérifier
aux employeurs le statut légal des candidats à l’embauche et de sanctionner les
contrevenants qui recourraient à la main-d’œuvre clandestine. Elle prévoyait aussi
d’accorder l’amnistie aux étrangers résidant illégalement aux Etats-Unis sans interruption
depuis janvier 1982 au moins, en vue de l’obtention du statut de résident permanent.
Quelque 3 millions de clandestins, dont 2,2 millions de Mexicains, bénéficièrent de la
38
mesure et intégrèrent au grand jour la société américaine. Cette réforme législative rendit
ainsi possible à de nombreux Africains sans papiers (environ 31 000 d’après diverses
estimations) de rentrer dans la légalité en devenant résidents permanents. Pour des raisons
économiques, beaucoup étaient en effet arrivés sans permis de travail sur le territoire
américain avant 1986. Ils comptaient se perdre dans la masse, compte tenu de l’étendue du
pays et de sa population. Taillables et corvéables à merci, ils savaient pouvoir compter sur
certains employeurs pour les embaucher, ou alors vivre comme beaucoup de ouest-
africains à New York, du commerce de rue. La nouvelle législation modifia donc
considérablement la donne. Outre «l’effet d’appel »28 qu’une telle mesure fut susceptible
de créer et l’ancrage de ces immigrants au statut précaire dans la société américaine,
l’I.R.C.A allait gonfler les effectifs africains aux Etats-Unis d’une manière peut-être moins
attendue. Tout ces nouveaux immigrants régularisés pouvaient désormais faire jouer à
plein le principe de la réunification familiale, déclenchant mécaniquement une sorte d’effet
« boule de neige » : une fois rentrés dans la légalité, les immigrants africains n’hésitèrent
pas à parrainer la venue de proches en vertu de la réunification familiale.
Enfin l’Immigration Act de 1990, instaurant une réforme radicale du système
d’immigration, contenait deux provisions majeures qui eurent un impact significatif sur
l’immigration africaine. Bien que les trois quarts des visas restèrent attribués à la
réunification familiale (donc proportionnelle presque mathématiquement aux groupes
d’immigrants les plus nombreux), la loi augmentait le nombre de places réservées aux
immigrants à titre professionnel. Surtout, afin de promouvoir la diversité parmi les
immigrants admis, elle instaurait un programme dit de « diversification » au bénéfice des
pays défavorisés par les lois antérieures. Pour corriger l’absence de certaines nationalités,
le Département d’Etat recourut à un système de loterie, délivrant la fameuse « green card »
- carte de résidant permanent - au hasard d’un tirage informatique.
Si l’Immigration Act ne remplit pas les objectifs escomptés dans la lutte contre
l’immigration clandestine, elle permit de redynamiser le mouvement migratoire de
l’Afrique vers les Etats-Unis. Les médias ne manquèrent pas de souligner la part belle
offerte aux candidats issus des pays africains, pourvus d’un bon bagage intellectuel ou
28 Terme employé par le chef du Parti Populaire espagnol, dénonçant la régularisation de 700 000 étrangers sans-papiers en février 2005. L’argument consiste à montrer que la régularisation des immigrés clandestins a un effet incitatif sur d’autres candidats à l’immigration, plus prompts à entrer clandestinement dans un pays, s’ils savent que celui-ci finit par régulariser sur le tas les sans-papiers.
39
professionnel. Ainsi, pour l’année 1995, environ 37 % des ces visas de diversification
furent attribuées à l’Afrique.29 Le revers de la médaille de ce système en apparence
généreux est sans doute qu’il nourrit les frustrations et, de là, les filières clandestines. Les
loteries attirent en effet chaque année environ 11 millions de candidats dans le monde pour
une moyenne de 50 000 places. Il va sans dire que les déçus sont plus nombreux que les
élus.
D) Le pouvoir d’attraction du « rêve américain »
L’attrait législatif ne peut à lui seul expliquer le choix de l’émigrant en faveur des
Etats-Unis. L’un des critères décisifs, comme nous l’avons évoqué précédemment, est la
présence de proches sur place. Ces derniers peuvent, s’ils sont résidents permanents,
parrainer la venue d’un tiers. Dans le cas contraire, les proches parents et les amis
demeurent susceptibles de faciliter l’accueil et l’intégration dans la nouvelle société.
Toutefois, d’autres mobiles président à la décision de tenter sa chance dans ce pays
plutôt qu’ailleurs. Il convient ici de considérer un facteur de première importance : le poids
d’attraction, en terme de représentation, des Etats-Unis. Cet attrait revêt deux formes bien
distinctes. Une très pragmatique : les opportunités financières qu’offre le plus riche pays de
la planète. L’autre, moins prosaïque : la part symbolique du mythe américain et de
l’American way of life, rendu contagieux par la diffusion de la culture américaine à travers
le monde.
Les richesses économiques des Etats-Unis sont tout sauf mythiques. Les
opportunités en terme d’emplois et de salaires disponibles outre-atlantique sont
difficilement comparables avec les réalités africaines. En 2004, le PIB par habitant des
Etats-Unis s’élevait à 36 128 dollars par an contre 460 en moyenne pour l’Afrique
subsaharienne.30 Comme toute population d’immigrants, les Africains opèrent le calcul de
la rentabilité en termes financiers de la migration. Mais plus que la richesse économique du
pays, les immigrants africains, comme beaucoup avant eux, sont « magnétisés » par la
possibilité de prospérer dans ce pays « de lait et de miel ». Il ne suffit pas d’atteindre un
29 GORDON, April, « New Diaspora. African Immigration to the United States », in Journal of Third World Studies, 1998, n°15, pp.79-103. 30 BONIFACE, Pascal (dir.), L’année stratégique 2005, Paris, Armand Colin, 2004, 585 p.
40
pays riche, encore faut-il être en mesure de tirer profit de ses richesses. L’Amérique a, de
ce point de vue, toujours exercé une part de fascination aux quatre coins du monde depuis
sa découverte. Le mythe de la terre promise continue de fonctionner à plein. De plus, le
souvenir perdure des réussites fulgurantes de self made men qui, à l’image d’un John
Davison Rockefeller à la fin du XIXe siècle, parvinrent à partir de rien à bâtir de véritables
empires. La libre entreprise, érigée en symbole du modèle américain correspond en outre
assez bien à l’esprit d’entreprise de beaucoup d’immigrés – pas nécessairement Africains -
animés par un désir de prospérer dans leur nouvel espace géographique. Comme l’affirme
Esther Benbassa,31 le modèle américain « puise son énergie dans un rêve, ce « rêve
américain » que les immigrés ont en tête avant même de partir, et dans une culture
américaine que ceux-ci ont plus de facilité à assimiler que celle d’une Europe dotée de
traditions ancrées, d’un patrimoine imposant et de codes figés laissant peu de place à
l’illusion d’une réussite possible ».
La culture américaine s’est en effet répandue sur les cinq continents au cours du
XXe siècle et cette diffusion a participé de la fascination que beaucoup de candidats à
l’immigration ont pour les Etats-Unis. Le soft power américain32 a permis de gagner
l’adhésion d’une foule de citoyens du monde au modèle de vie nord-américain, à sa culture
et à ses valeurs.
L’Afrique n’a pas échappé à ce phénomène de globalisation culturelle. La
fascination pour la culture populaire américaine et plus spécifiquement noire américaine,
existe depuis que les médias (magazines, radio, télévision) ont commencé à poindre dans
les métropoles africaines. Elle est particulièrement forte dans les anciennes colonies
britanniques puisque les Etats-Unis proposent un référent culturel relativement proche de
celui du colonisateur agrémenté du mythe du « pays de cocagne ». Dans les années 1970,
James Brown pouvait ainsi déclarer à des millions de téléspectateurs ghanéens : « Vous
commencez en bas, vous montez jusqu’en haut. C’est comme ça l’Amérique ! ». 33
31 BENBASSA, Esther, « Un passeport pour l’immigration », in Libération, mardi 30 novembre 2004, pp.35-36. 32 Terme inventé par l’expert en relations internationales Joseph Nye. A l’opposé du « hard power » qui consiste à utiliser des moyens économiques et militaires pour imposer sa volonté aux autres, le « soft power » parvient au même résultat par l’attraction, l’influence. Le soft power américain réside ainsi dans ses valeurs (liberté, démocratie, droits de l’homme), son système universitaire et sa culture, répandue aux quatre coins du globe. 33 Récit d’un étudiant afro-américain ayant longuement séjourné à Accra au début des années 1970, déconcerté par la perception que les Africains avaient de l’Amérique. Cité par : MARTIN, D., « Images de la diaspora noire », in Politique Africaine, n°15, octobre 1984.
41
Toutefois l’Afrique francophone ne fut pas épargnée par la propagation de la
culture américaine. Manthia Diawara, professeur de cinéma à l’Université de New York,
ne fait pas secret du culte que lui et ses amis d’enfance guinéens vouaient à Shaft (alias
Richard Roundtree), le célèbre détective noir du film de Gordon Parks et plus
généralement aux héros noirs des films de la blaxploitation.34 Grâce à la mondialisation de
la culture et de l’information, la jeunesse africaine adopte de plus en plus aisément les
codes culturels des plus éminents ambassadeurs de la pop culture (noire)-américaine. A ce
sujet, Kangbai Konaté35 relève une anecdote tout à fait significative. Celle d’une mère
noire américaine, soucieuse de transmettre à ses enfants l’héritage culturel et linguistique
de son mari africain et qui, en vacances au Nigeria, prit conscience de la diffusion
fantastique de la culture américaine en Afrique : Finalement, « la jeunesse nigériane
ressemble de plus en plus dans son style vestimentaire, ses goûts musicaux prononcés pour
le hip hop et une certaine gestuelle, à la jeunesse américaine. Je me suis demandée si nous
autres Américains Noirs n’étions pas en train d’essayer de nous africaniser, tandis que
l’Afrique, tout au moins une partie de la jeunesse africaine, n’était pas en train de
s’américaniser, en absorbant une culture populaire que nous véhiculons à travers le monde.
Cela ne finit pas de me surprendre ! ».
Relevé sur un forum de discussion communautaire,36 l’expérience d’une jeune
africaine vivant aux Etats-Unis est tout aussi frappant : Etonnée de s’être fait accostée lors
de ces vacances dans son Bamako natal (et francophone) par un « What’s up girl ? », cet
internaute dépeint la jeunesse urbaine malienne, plus prompte à porter baggy jeans et
chaussures « Timberland » montantes que le traditionnel boubou, à manger au
« Mcdonald’s lointain plutôt qu’au bon « tiga dégé » de tantie » (sic). Et d’enchaîner sur
l’influence des chanteurs Noirs américains sur l’attitude et le vocabulaire des jeunes
citadins africains.37 Cet exposé de faits ne prétend pas rendre compte d’une
américanisation généralisée de la jeunesse africaine. Il permet tout au plus de montrer que
les sociétés africaines ne sont pas restées imperméables à la formidable diffusion de la
culture américaine. L’attrait des Africains pour les Etats-Unis s’explique aussi en partie par 34 DIAWARA, Manthia, In search of Africa, Cambridge, Harvard University Press, 288 p. 35 KANGBAI, Konaté, La place et l’utilisation de l’Afrique dans le processus identitaire des Noirs américains : discours interprétatif et négociation culturelle, thèse de doctorat de l’EHESS, Paris, 2002. 36Une jeunesse ouest-africaine ou américaine ? posté par Ledi sur http://bamanet.net/courrier/news_news.php 37 Les jeunes africains, notamment anglophones, intègrent de plus en plus à leur vocabulaire le slang (l’argot) des rappeurs noirs américains.
42
l’exportation de cette culture de masse qui rend le modèle de vie américain séduisant.38 Par
ailleurs, la profusion d’informations circulant sur l’Internet (notamment via le U.S
Information Services) rapproche les Africains de l’Amérique dans les consciences, si ce
n’est sur les cartes et permet aux candidats à l’émigration de trouver aisément les
informations nécessaires en vue d’une installation outre-atlantique.
Enfin, pour en finir avec cette attirance des Africains pour l’Amérique, nous
pourrions évoquer le rôle non négligeable que jouent les émigrés. Ceux qui reviennent du
« rêve américain » ou qui continuent de profiter d’une nation regorgeant de richesses, font
des envieux tout autant que des émules en Afrique. « La réussite des uns favorise
l’initiative des autres » pourrait-on dire. Ce d’autant plus que l’immigré fait montre d’une
grande pudeur lorsqu’il s’agit d’évoquer les conditions d’existence difficiles aux Etats-
Unis. L’échec est difficilement compréhensible pour les personnes demeurées en Afrique
et il est plus facile d’évoquer les bienfaits de l’Amérique que de s’apitoyer sur un sort que
tout le monde envie par ailleurs. Ainsi, il semble que les immigrés aient tendance à ne pas
dévoiler la partie sombre du tableau alors qu’ils ne sont pas avares de louanges sur leur
pays d’accueil. Ike Oguine, montre bien dans son roman39 Le Conte du Squatter,
comment son miséreux « Oncle Happiness », lors de ces retours temporaires au Nigeria,
dépeint à ses neveux cette contrée magique où « l’on peut acheter du pain et une voiture
dans le même magasin » avant de conclure au terme de son panégyrique : « L’Amérique,
c’est une terre bénie de Dieu ». L’auteur évoque aussi le statut particulier conféré à
l’immigré dont tout le monde suppose qu’il a réussi et pour qui les demandes en mariage
abondent tant il paraît à l’abri de soucis financiers. Ainsi, qu’ils aient fait fortune ou non en
Amérique, les émigrés africains, par l’image même qu’ils renvoient – parfois bien
38 Sans vouloir digresser, il est intéressant de noter que les jeunes d’origine africaine qui vivent en France, tendent à s’identifier à leurs lointains cousins d’Amérique, notamment à travers le sentiment de partager une même culture du ghetto. Les réussites de Noirs américains dans le monde du sport, de la musique ou du cinéma font bien souvent office de modèle à suivre pour tout un pan de la jeunesse urbaine française, preuve s’il en est que la culture populaire (noire-)américaine fascine bien au-delà du hood (quartier) noir américain. 39 OGUINE, Ike, Le conte du squatteur, Paris, Actes Sud, 2005, pp-16-17. Comme bon nombre de romans, Le Conte du squatter, œuvre d’un jeune auteur nigérian, comporte une forte teneur autobiographique. Ainsi, s’il ne s’agit que d’un roman de fiction, il nous semble révéler de manière assez juste la vision que peuvent porter les Africains sur leurs compatriotes installés aux Etats-Unis. D’autres auteurs comme Fatou Diome (Le ventre de l’Atlantique, Anne Carrière, Paris, 2003, 295 p.) évoquent les mêmes fantasmes de richesse dont les immigrés sont l’objet. Ces derniers sont, de ce fait, condamnés au succès…ou à feindre celui-ci.
43
involontairement - à ceux restés au pays, nous paraissent être les meilleurs promoteurs de
l’immigration en terre américaine.
Photo 8: Signature du Hart-Cellar Act. De manière symbolique, le président américain Lyndon Baines Johnson signe la nouvelle loi sur l'immigration - Hart-Cellar Act - au pied de la statue de la Liberté, le 3 octobre 1965. La nouvelle législation met fin aux quotas nationaux et permet à tout individu d’immigrer aux Etats-Unis selon ses compétences, indépendamment de sa couleur de peau et de son pays d’origine. Cette réforme législative permit ainsi aux Africains de se tourner vers l’Amérique, notamment lorsque les frontières européennes commencèrent à se fermer dans les années 1970.
[http://www.dartmouth.edu/~hist32/History/20th%20Century%20-20post%20WWIIhtm].
44
Photo 9: Les effets des nouvelles politiques migratoires. Des immigrants illégaux font la queue devant des bureaux de l’INS (Immigration and Naturalization Service) le 30 avril 2001, afin de bénéficier des dispositions du Legal Immigration and Family Equity Act (LIFE) entré en vigueur le 21 décembre 2000 et qui permit à environ 640 000 sans-papiers de faire une demande de visa depuis les Etats-Unis, sans avoir à retourner dans leur pays d’origine. [Associated Press, 30 avril 2001].
45
Chapitre 3 :
Des immigrants d’un type nouveau : les réfugiés
Traiter du cas des réfugiés dans une partie distincte revient à affirmer la spécificité
de ce groupe d’immigrants. La frontière est pourtant ténue entre immigration et refuge
politique. Bien souvent d’ailleurs, les raisons politiques du départ sont occultées par
l’ampleur du phénomène migratoire dans un pays comme les Etats-Unis.
Il est d’usage aujourd’hui de distinguer les migrations « économiques », motivées
essentiellement par des raisons financières (en particulier par la volonté d’améliorer ses
conditions de vie), et celles qui ont, au contraire, des causes essentiellement politiques.
Pourtant, si la distinction est utile et nécessaire, les deux types de migration sont souvent
liés et se recoupent au moins partiellement. La décision d’émigrer émane fréquemment de
considérations à la fois économiques et politiques, sans que l’on puisse dire lequel des
deux facteurs prévaut.
Cependant, dans le cadre de notre étude, il nous a paru plus judicieux d’isoler les
réfugiés des autres migrants car à la différence des émigrés économiques, les réfugiés n’ont
pas quitté leur pays par libre choix, mais pour échapper à une persécution ou à un danger
en raison de leurs opinions politiques, religieuses ou de leur appartenance à une minorité
menacée. Leur migration relève plus d’un relogement contraint que d’une quelconque
initiative personnelle. L’arrivée de réfugiés africains aux Etats-Unis est par ailleurs un
phénomène récent qui débute dans les années 1980 et qui constitue une vague nouvelle
d’immigration africaine d’une relative cohérence spatio-temporelle.
Ainsi, nous allons tout d’abord voir ce qui a impulsé cette nouvelle vague
migratoire avant d’observer de plus près les conditions d’arrivée et d’adaptation de
populations le plus souvent rurales et démunies à une société hyper sophistiquée comme
les Etats-Unis.
46
I- Le Refugee Act de 1980 : une nouvelle place pour les réfugiés africains
A) La redéfinition du statut de réfugié
Dans le monde occidental, les Etats-Unis ont toujours représenté le pays
d’immigration par excellence. Le pays où règne la prospérité, ouvert aux sans-logis, aux
masses pauvres, fatiguées et qui brûlent de goûter à la liberté.1 Pourtant, le réalisme
qu’imposent les décisions politiques a mis à mal cette utopie. Les Etats-Unis ont accueilli
les apatrides et réfugiés au cours du XXe siècle, avec plus de parcimonie que ne le clamait
Emma Lazarus.
Jusqu’en 1965, la législation américaine ne faisait d’ailleurs pas de distinction entre
immigrants et réfugiés puisque cette dernière catégorie n’existait pas. Il n’y avait que des
immigrants.2 C’est seulement en fonction des objectifs de la guerre froide que commença à
être définie une politique spécifique à l’égard des réfugiés.3 Tout en ouvrant dorénavant le
pays à l’immigration sans contingentement « ethnique », la loi de 1965 prévoyait une
provision de 17 400 visas pour les réfugiés politiques. Jusqu’en 1980, la fuite d’un Etat
communiste (à domination ou occupation communiste) ou depuis un pays du Moyen-
Orient était une justification suffisante pour avoir droit à ce statut. La politique
d’immigration américaine concernant les réfugiés fut ainsi longtemps dominée par les
stratégies et les questions relatives à la guerre froide. Ce ne fut qu’en 1980 que le Refugee
Act permit l’accueil de réfugiés politiques en dehors de la loi-cadre d’immigration de 1965.
Par l’adoption de cette nouvelle loi, les Etats-Unis se ralliaient tardivement aux
dispositions de la Convention de Genève de 1951, par laquelle les Nations Unies avaient
défini le statut de réfugié et les obligations des pays membres. Le Refugee Act éliminait
1 Ainsi que l’évoque le poème d’Emma Lazarus intitulé The New Colossus, inscrit symboliquement sur le piédestal de la statue de la Liberté. 2 Ainsi, les nombreux juifs allemands admis aux Etats-Unis en 1933 le furent en qualité d’immigrants, dans le cadre de la politique d’immigration et de ses quotas, et non de réfugiés. 3 Le premier accueil de réfugiés cubains de la révolution castriste en 1959 est l’exemple type du rapport étroit qui s’établit entre politique étrangère et volonté d’accueil. Depuis lors, les lois circonstancielles se sont multipliées. Voir à ce sujet les travaux de Virginia Dominguez sur le traitement que les Etats-Unis réservèrent aux réfugiés cubains d’un côté et haïtiens de l’autre : DOMINGUEZ Virginia, « Terre d’asile : deux poids deux mesures », in DANIEL, Dominique & DESCHAMPS, Bénédicte, L’immigration aux Etats-Unis de 1607 à nos jours, Paris, Ellipses, 1998, p.124.
47
ainsi les préférences géographiques et idéologiques qui prédominaient jusque-là, et mit
l’accent sur l’idée que le fait de persécution lui-même, et non plus le pays de provenance,
détermine le droit au statut de réfugié.
Le Refugee Act de 1980, voté à la fin du mandat de Jimmy Carter, dissociait enfin
la notion de réfugié du contexte de la guerre froide. Bien que l’administration Reagan
continuât de privilégier l’accès du territoire aux réfugiés de pays communistes, la nouvelle
loi fut maintenue et permit l’accès aux Etats-Unis à de nouvelles cohortes de personnes
déplacées qui, soit requéraient individuellement l’accueil américain, soit se trouvaient
collectivement en quête d’un pays d’asile. Parmi ces nouveaux réfugiés figurent depuis
1980 un bon nombre d’individus originaires d’Afrique subsaharienne.
B) En Afrique, des réfugiés toujours plus nombreux
En effet, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, le continent
africain ne fut pas épargné au cours des cinquante dernières années par les conflits en tout
genre. L’Afrique comptait en 2002 entre un quart et un tiers des réfugiés recensés sur la
planète chaque année4 – abstraction faite des « déplacés » qui n’ont pas franchi de frontière
internationale –, résultat des guerres civiles qui ravagent le continent et des restaurations
autoritaires dans bien des pays. Les populations africaines sont familières des expulsions
massives. Ainsi, à la suite des accrochages frontaliers entre l’Erythrée et l’Ethiopie en
1998, près de 50 000 Erythréens furent expulsés d’Ethiopie. Les réfugiés se comptent
encore par dizaines de milliers, notamment autour de la région des grands lacs (Soudan,
Ouganda, Burundi, Congo..).
Mais alors que réfugiés et candidats à l’exil sont des plus nombreux sur le continent
noir, peu de pays africains leur viennent en aide. Au cours des années récentes, seuls le
Botswana, le Burundi et la Tanzanie ont engagé des procédures de naturalisation de
déplacés des pays voisins chassés par les guerres civiles.5 Par ailleurs, les pays africains
qui jouissaient jusqu’il y a peu d’une tradition d’accueil (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria,
Zaïre, etc..) sont eux-mêmes en crise et manifestent leurs sentiments xénophobes,
4 PEROUSE DE MONTCLOS, Marc-Antoine, « Réfugiés, exodes et politique », in Politique Africaine, n° 85, mars 2002, pp.5-15. 5 Ibid.
48
expulsent sans ménagement les étrangers (ou massacrent hors caméra) et ferment leurs
frontières. Dans ces conditions, le problème des réfugiés africains est des plus inquiétant.
Les pays occidentaux se prévalant d’une tradition d’accueil, invitent chaque année nombre
de ces déplacés à trouver refuge sur leur sol. Ainsi, en 2003, la France a accordé le statut
de réfugié à 4 314 africains (en majorité congolais) expulsés de leur pays6 ou dont les
craintes de persécutions ont été jugées réelles.
C) L’accueil de réfugiés africains aux Etats-Unis, un phénomène en pleine expansion
Aux Etats-Unis, le peu d’attention portée par les médias américains aux immigrants
africains se tourne vers les réfugiés. Nous serions - ainsi que la population américaine - en
droit de penser que ces derniers constituent une large part de l’immigration en provenance
d’Afrique. Il n’en est rien. Les réfugiés ne représentent en réalité qu’une petite part de la
communauté immigrée africaine.
Durant la décennie 1970-1980, seuls 2 991 Africains obtinrent un statut de résident
permanent en qualité de demandeur d’asile ou de réfugié ; mais comme nous l’avons dit
plus haut, cette notion est encore des plus floues à cette époque. Il faut attendre 1980 et le
Refugee Act, pour voir les premières arrivées massives de réfugiés en provenance
d’Afrique. Pourtant, rares furent les Africains à bénéficier de la nouvelle législation dans la
décennie qui suit son entrée en vigueur.
Au début des années 1980, les Ethiopiens fuyant la dictature sanguinaire du
président Mengistu, formèrent les premiers véritables contingents de réfugiés à être relogés
aux Etats-Unis. De manière pas tout à fait anodine, ces réfugiés étaient victimes d’un
régime dictatorial de type marxiste instauré par le général Mengistu, après l’éviction de
l’empereur Hailé Sélassié en septembre 1974. Entre autres éléments à charge contre le
régime éthiopien, Mengistu avait reçu l’aide de Cuba dans sa guerre contre les rebelles
indépendantistes du Front populaire de libération de l’Erythrée et du Front populaire de
libération du Tigré (province du nord du pays également en lutte pour son indépendance).
Durant la décennie 1980-1990, ces populations éthiopiennes représentent ainsi la majorité
des quelques 26 000 Africains auxquels les Etats-Unis ont donné refuge.
6 http://www.insee.fr (sources de l’OFPRA).
49
L’arrivée de réfugiés africains s’accéléra très nettement lors de la décennie
suivante. De 1990 à 2001, ils étaient 101 000 à être accueillis aux Etats-Unis,7 sur un total
de 1 150 000 réfugiés, dont la majorité fuyaient.. les conflits européens.
Parmi ceux-là, on dénombre 40 000 Somaliens, près de 21 000 Ethiopiens et pas
loin de 19 000 Soudanais. En 2001, sur les 69 000 réfugiés réinstallés aux Etats-Unis,
19 070 venaient d’Afrique, soit environ 28 % de l’ensemble des réfugiés admis. L’origine
de ces derniers ne varie alors guère des années précédentes : 31 % sont originaires du
Soudan, 26 % de Somalie, 18 % du Liberia et 11 % de la Sierra Leone, autant de pays
frappés par des conflits ethniques plus horribles les uns que les autres.
Année Nombre de réfugiés africains admis aux Etats-Unis
Nombre total de réfugiés admis au Etats-Unis
Part des Africains dans l’ensemble des réfugiés
1990 3 494 122 326 2,86% 1991 4 424 112 811 3,92% 1992 5 491 132 173 4,15% 1993 6 969 119 482 5,83% 1994 5 856 112 682 5,20% 1995 4 779 99 490 4,80% 1996 7 512 75 693 9,92% 1997 6 069 70 085 8,66% 1998 6 662 76 554 8,70% 1999 13 038 85 006 15,34% 2000 17 549 72 515 24,20% 2001 18 979 68 426 27,74% 2002 2 367 26 317 10,02% 2003 10 717 28 455 37,66% 2004 29 125 52 868 55,10%
Tableau 3: Nombre de réfugiés africains admis aux Etats-Unis en comparaison de l'ensemble des réfugiés, 1990-2004.
Source :U.S Department of State, Bureau of Population, Refugees and Migration.
7 Tous les chiffres cités ci-après proviennent du Bureau of Population, Refugees and Migration, rattaché au Département d’Etat américain : http://www.state.gov/p/prm/
50
0
20 000
40 000
60 000
80 000
100 000
120 000
140 000
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
Ensemble des réfugiésadmis aux Etats-UnisRéfugiés africains admisaux Etats-Unis
Graphique 1 : Part des réfugiés africains dans l'ensemble des réfugiés admis aux Etats-Unis, 1990-2004.
Source: US Department of State, Bureau of Population, Refugees and Migration.
Depuis 1980, ce sont au final plus de 169 000 réfugiés africains qui ont été admis
aux USA au titre d’une installation permanente8 (ce qui au passage signifie que la majorité
des immigrants africains sont rentrés avec d’autres visas). Les plus gros contingents de
réfugiés relogés sur le continent nord-américain sont Somaliens (environ 45 000) et
Ethiopiens (plus de 38 000). Moins nombreux sont les réfugiés Soudanais, Libériens,
Congolais, Rwandais, Sierra Léonais et Angolais. Dans les années récentes, l’origine des
réfugiés s’est terriblement diversifiée. Peu de pays africains peuvent en effet se targuer de
garantir une complète sécurité à leurs minorités – religieuses, ethniques, voir sexuelles -.
Ainsi, des cas plus ou moins isolés d’immigrants obtiennent le statut de réfugiés. En 2003,
les africains ayant trouvé refuge aux Etats-Unis étaient issus de 24 pays différents (dont le
Togo ou la Côte d’Ivoire).
Les attaques du 11 septembre ont joué un impact certain sur les programmes
d’admission des réfugiés après 2001. Depuis cette date plusieurs modifications ont été
8 Refugee Admissions Program for Africa, US Department of State: http://www.state.gov/g/prm/rls/fs/2005/28213.htm
51
apportées aux procédures d’admission et les plafonds9 pour 2002 ont été fixés quelques
semaines après les attentats de New York et Washington, dans un climat de repli national
et de méfiance vis à vis de l’extérieur. Cela se traduit pour les années 2002 et 2003 (voir
tableau 3) par une baisse importante du nombre de réfugiés accueillis (26 317 en 2002
contre 68 426 en 2001), bien que le numerus clausus (ceiling) ait été fixé à 70 000 pour ces
deux années-ci.
Exceptée l’année 2002, marquée par une conjoncture bien particulière, les Africains
représentent une part de plus en plus importante de l’ensemble des admissions de réfugiés
depuis vingt ans. Alors qu’en 1990, ils ne formaient que 3 % de l’ensemble des réfugiés,
en 2004 ils représentaient plus de la moitié (55%) des individus exilés aux Etats-Unis
(graphique 1). Tant en valeur absolue que relative, le nombre de réfugiés africains admis
aux USA est ainsi en pleine croissance. Le programme d’admission pour l’année 2005
prévoit ainsi un maximum de 20 000 personnes originaires des pays africains (sur un total
de 70 000 admissions, soit la part la plus importante de celles-ci, environ 30 %),10 contre
800 en 1980.
II- Des campagnes africaines aux métropoles américaines : le « parcours du réfugié ».
Les procédures d’admission et d’accueil des réfugiés aux Etats-Unis diffèrent
profondément du système français, bien que la définition du terme lui-même soit conforme
de part et d’autre de l’Atlantique à la Charte des Nations Unies. Les données statistiques ne
permettent pas de se figurer correctement la venue en Amérique de ces quelque 170 000
réfugiés africains entre 1980 et 2005. Il nous a semblé utile de retracer ce que peut être le
parcours ordinaire d’un réfugié africain vers les Etats-Unis afin de bien exposer tous les
tenants et aboutissants d’un processus long et complexe.
9 Chaque année, le Département d’Etat prépare un rapport au Congrès concernant la proposition d’admission de réfugiés ; ensuite, le Président des Etats-Unis délibère avec le Congrès et établit ainsi une proposition de quotas d’admissions de réfugiés selon les différentes régions géographiques. 10 Toutefois les plafonds ne sont pas toujours atteints et les visas non délivrés ne sont pas additionnés à l’année fiscale suivante.
52
A) Les programmes de réinstallation aux Etats-Unis
Afin d’éviter de refouler des demandeurs d’asile, les Etats-Unis ont élaboré un système de
quotas de réfugiés et préfèrent aller eux-mêmes « puiser à la source plutôt que de devoir
trier sur le tas les candidats arrivés par leurs propres moyens jusqu’aux portes de
l’Amérique ».11 La procédure revient quasiment à accorder le statut de réfugié
– « estampillé » HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) - dans le pays de départ. Cette
méthode de sélection n’est pas spécifiquement américaine. Les Etats-Unis font partie des
dix pays traditionnels12 de réinstallation de réfugiés, « solution durable » promue par le
HCR lorsque « la situation individuelle des réfugiés est périlleuse ou qu’il existe d’autres
bonnes raisons de les aider à quitter leur région ». Ainsi, aidés par les institutions
internationales, les Etats-Unis tentent chaque année de cerner les populations dans
l’urgence la plus absolue afin de leur fournir un espoir de réinstallation sur le sol
américain. Les services d’immigration concernés trient de la manière suivante les candidats
proposés selon trois classes.
Les prioritaires 1 (Priority One), sont les réfugiés dont le HCR – ou
occasionnellement le Département d’Etat américain à travers ses ambassades – estime
qu’ils ont besoin d’une réinstallation urgente. Cette catégorie inclut ainsi les populations en
danger immédiat dans leur pays, pour des raisons de persécutions, de danger physique ou
sanitaire. En Afrique, il en fut ainsi des Somaliens en 1992. Bien que le statut P-1 ait
traditionnellement été accordé à des individus, les Etats-Unis commencent à en faire
bénéficier des groupes de population aux origines et à l’histoire commune. Ainsi, certains
Libériens de Côte d’Ivoire ont bénéficié de la première priorité en 2004, suite à la guerre
civile qui divise depuis 2001 l’ancien fleuron de la « Françafrique ».
La deuxième priorité (Priority Two) concerne les groupes de réfugiés de pays
ciblés, que le Département d’Etat en consultation avec les organisations non
11 PEROUSE DE MONTCLOS, Marc-Antoine, « Réfugiés, exodes et politique », in Politique Africaine, n° 85, mars 2002, p.8. 12 Outre les Etats-Unis, les neuf autres pays de réinstallation sont : l’Australie, le Canada, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède et la Suisse.
53
gouvernementales, le HCR et le Bureau de l’Immigration et de la Citoyenneté (CIS,
Bureau of Citizenship and Immigration Services) juge dans une situation qui nécessite une
réinstallation à l’étranger.
Ainsi, 13 000 réfugiés somaliens d’ethnie Bantou ont bénéficié d’un tel programme
en 2003, après que les Etats-Unis aient reconnu quatre ans plus tôt leur état de persécution
dans leur pays.13 Lorsque la Somalie entra en guerre civile en 1991, les Bantous devinrent
en effet la cible de milices hostiles et furent obligés de fuir - ainsi que 130 000 autres
Somaliens - vers le camp de Dadaab, au nord du Kenya où ils continuèrent à être traités
comme des citoyens de seconde zone et furent l’objet de multiples persécutions. Avec
l’aide du HCR, les Etats-Unis mirent ainsi en place l’un des plus impressionnant projet de
réinstallation d’une population à l’étranger. 13 000 Somaliens, à hauteur de 200 par mois,
furent exilés outre-atlantique.
De la même manière, près de 4 000 jeunes réfugiés soudanais bénéficièrent en 2001
d’une réinstallation loin du camp de réfugié de Kakuma, au Kenya. Connus sous le nom de
« Lost Boys », ces jeunes hommes, pour la plupart d’ethnie Dinka ou Nuer, font partie des
quelque 17 000 enfants séparés de leurs parents au plus fort de la guerre soudanaise (en
1988) et qui avaient trouvé refuge en Ethiopie après avoir marché des centaines de
kilomètres. D’après une suggestion de la Haute Commission des Nations Unies pour les
Réfugiés, les Etats-Unis acceptèrent une réinstallation massive de ces orphelins sur leur
territoire, aidés en cela par l’Office International des Migrations, les ONG et les
organisations caritatives américaines.
Enfin, la troisième priorité (Priority Three) regroupe les réfugiés acceptés au titre
de la réunification familiale ; la partie du programme consacrée à la réunification des
familles s’applique aux conjoints, aux enfants non mariés âgés de moins de 21 ans et aux
parents des personnes qui ont été admises en qualité de réfugiés ou demandeurs d’asile.
Les Burundais, Libériens, Soudanais, Zaïrois étaient ainsi éligibles à cette catégorie en
1997. Huit ans plus tard, la situation internationale ayant évolué, les Congolais, Erythréens,
Ethiopiens, Libériens, Congolais, Rwandais, Somaliens et autres Soudanais pouvaient
espérer bénéficier de cette troisième priorité.
13 Saïd Aït-Hatrit -- 12 000 réfugiés Bantou aux Etats-Unis – [en ligne] –[référence du 15/04/05]—Accès : < http://www.afrik.com/article5909.html>
54
Ainsi, les Etats-Unis gèrent des flux de population considérables au travers des
programmes de réinstallation de réfugiés, bien qu’en 2004 le nombre d’admissions soit
deux fois moins important qu’en 1993 (un plafond de 70 000 réfugiés contre 142 000 en
1993, au plus fort de la guerre des Balkans).
B) La prise en charge des réfugiés
Pour mener à bien cette difficile mission de réinstallation, les Etats-Unis travaillent
en collaboration avec d’autres organisations gouvernementales, internationales (UNHCR,
OIM) et ONG afin d’aider et de guider les réfugiés dans leur nouvel environnement.
Dans un premier temps, les modalités d’admission des réfugiés sont coordonnées
par les différents services des ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et d’Accra
(Ghana) qui gèrent la plus grande partie de l’Afrique subsaharienne. Certains réfugiés,
soudanais notamment, relèvent de l’ambassade du Caire, en charge de l’Afrique du Nord.
La sélection des groupes prioritaires se fait en partenariat avec le Haut Commissariat des
Nations Unies pour les Réfugiés, le ministère de la Santé et des services sociaux ainsi que
des organisations non gouvernementales.
S’ensuit alors une prise en charge des réfugiés sélectionnés (ne serait-ce qu’au
niveau sanitaire et psychologique) et ce, dès les camps gérés par le HCR où vivent entassés
des milliers d’individus dans des conditions précaires. Il arrive par ailleurs qu’un travail de
mise en condition à la vie américaine soit entrepris afin de rendre plus facile l’adaptation
des réfugiés provenant souvent de régions rurales reculées.
Ainsi, les 13 000 Bantous en attente d’une réinstallation pour l’Amérique, doivent
tour à tour suivre un « séminaire de formation à la vie occidentale ». Cinq jours durant, des
professionnels de l’OIM les initient à la vie aux Etats-Unis, leur apprenant les bases de
l’anglais ou l’utilisation de lave-linge, micro-ondes et autres réfrigérateurs.
Le documentaire de Philippe Levasseur, Un charter pour les étoiles,14 est de ce
point de vue tout à fait stupéfiant. On y découvre l’adaptation incroyable à laquelle bon
nombre de réfugiés africains originaires de régions coupées du monde doivent faire preuve,
14 LEVASSEUR, Philippe, Un charter pour les étoiles, France, Elephant & Cie, 2004, 52 minutes.
55
lorsque des gestes de la vie quotidienne en apparence des plus simples (allumer la lumière,
ouvrir une porte, se servir d’un téléphone ou des toilettes) ne sont pas acquis pour une
majorité. La formation comprend en outre des leçons sommaires sur les lois et coutumes
américaines (interdiction de frapper sa femme, interdiction de l’excision ou du mariage
avant dix-huit ans), sur la gestion d’un budget ou sur les modalités de l’American way of
life (mettre les couverts à table, se présenter en anglais, délaisser le pagne pour les habits
occidentaux ainsi que l’a intériorisé un élève zélé : « l’Amérique, c’est en pantalon ! »15). Il
faut essayer d’imaginer la mesure du dépaysement pour un certain nombre de réfugiés
africains, pas uniquement Bantous.
Le documentaire Lost Boys of Sudan16 montre à peu de chose près les mêmes
difficultés liées au long apprentissage de la vie occidentale et l’entrée fracassante dans la
modernité. Pour beaucoup de réfugiés soudanais, dès la montée dans l’avion qui les
emmène vers un nouveau monde inconnu, tout est objet de découverte, à commencer par
les aliments servis sur le plateau-repas. L’acclimatation des réfugiés africains est
incontestablement plus complexe que pour beaucoup d’autres groupes de réfugiés tant le
fossé est immense entre la vie rurale africaine et la vie urbaine américaine. Le
dépaysement est des plus brutal, au sens propre comme au figuré, comme l’exprime un
Soudanais Nuer décrivant ses premières impressions à son arrivée à l’aéroport de Sioux
Falls (Dakota du Sud) : « C’est quoi ça ! Je me suis écrié.. parce qu’il y avait du blanc, du
blanc partout sur les arbres, les maisons. Je ne voyais pas d’herbe, je ne voyais pas bien les
arbres. Je me demandais ce qu’il leur était arrivé. Alors, le gars qui est venu nous chercher
à l’aéroport a dit : « Ca s’appelle de la neige ». On était émerveillé (Ohhhh ! Ouaaaaaa !
Magnifique). Et alors on nous a apporté de gros manteaux et j’ai demandé : « Qu’est-ce
qu’on fait avec ça ? » Ils m’ont dit : « Dehors, il fait très froid, il faut porter ce manteau.
J’ai dit OK, mais je n’étais pas très sûr de la nécessité. Quand je suis sorti dehors, je me
suis dit qu’en effet ça faisait un gros changement. C’est le premier changement que j’ai
remarqué quand je suis arrivé ici ».17
15 Ibid. 16 MYLAN, Megan & SHENK, Jon, Lost Boys of Sudan, Actual films and principe productions in association with American Documentary, Inc & ITVS Docurama, POV, 2003, 87 minutes. 17 Témoignage recueillit dans: HOLTZMAN, Jon, Nuer Journeys, Nuer Lives : Sudanese Refugees in Minnesota, Boston, Allyn & Bacon, 2000, p.56.
56
La prise en charge des réfugiés continue bien heureusement à leur arrivée aux
Etats-Unis. De nombreuses ONG impliquées dans les programmes de réinstallation
(Voluntary Agencies ou Volag)18 et financées par le département d’Etat les accueille et leur
procure l’aide la plus nécessaire pendant 30 jours (le logement, la nourriture, l’accès aux
services sociaux, à travers le Reception and Placement Grant). Par la suite, le travail de ces
organisations consiste à guider les réfugiés lors de leurs démarches administratives, leurs
recherches de travail ou leurs inscriptions universitaires. Démarre alors pour les réfugiés
une nouvelle vie dans un nouveau monde.
C) Refaire sa vie aux Etats-Unis
Bien que bénéficiant du support de nombreuses organisations caritatives
(notamment religieuses), les réfugiés africains, une fois relogés aux Etats-Unis, n’en ont
pas fini avec les épreuves difficiles. Le défi de leur adaptation dans une société nouvelle et
inconnue est immense. Ce temps d’acclimatation correspond bien souvent à une période
post-traumatique, tous ayant connu les affres de la guerre et des persécutions. Beaucoup
ont laissé des membres de leur famille (morts ou vivants) au pays et arrivent dans un relatif
isolement. Après avoir passé pour la plupart de longues années dans des camps de réfugiés
onusiens surpeuplés et aux conditions de vie difficiles, ils se retrouvent sans famille voire
sans nouvelle de leurs proches. Un revirement à quatre-vingt-dix degrés pour des individus
habitués à la vie en communauté. Ce d’autant plus que leurs compagnons de route ne sont
pas toujours réinstallés dans la même ville.
Les agences en charge du relogement tentent en effet de disperser dans un
maximum de localités les réfugiés issus d’un même pays, afin d’éviter le scénario cubain.19
Bien souvent, le choix de la ville d’établissement est fonction des disponibilités d’accueil
ou correspond aux besoins de main-d’œuvre de l’économie américaine. Les réfugiés
commencent ainsi très rapidement à travailler dans les secteurs où les emplois sous
18 Parmi ces organisations charitables, en majorité religieuses ou locales, les plus actives sont l’International Rescue Committee (IRC), l’US Conference of Catholic Bishops (USCCB), la Luther Immigrant Aid Society (LIRS) ou l’Ethiopian Community Development Center (ECDC), toutes liées au United States Refugees Program (USRP). 19 Après la prise de pouvoir des communistes sur l’île, les réfugiés cubains s’installèrent massivement à Miami, modifiant substantiellement la composition ethnique et le visage même de la ville.
57
qualifiés sont restés vacants. Ainsi les Libériens de Tucson (Arizona) sont nombreux à
débuter dans l’hôtellerie tout comme les Soudanais de Houston en tant qu’ouvriers non
qualifiés dans les industries texanes.
Pourtant, malgré la politique du gouvernement en matière de relogement, les
réfugiés africains opèrent rapidement une deuxième migration, un phénomène qui
s’observe dans bien d’autres groupes de réfugiés. En tant qu’immigrants légaux, ces
derniers ont reçu un statut de résident permanent et sont donc autorisés à se déplacer
librement, à l’instar de n’importe quel Américain. Après quelques mois dans leur nouvel
environnement, beaucoup choisissent ainsi de rejoindre leurs proches, cherchent sous
d’autres cieux un travail mieux rémunéré ou une inscription à l’université.
Ceci explique pourquoi les réfugiés Somaliens sont concentrés autour de Columbus
(Ohio), les Soudanais d’ethnie Nuer aux environs de Minneapolis et Saint-Paul
(Minnesota), ceux d’ethnie Dinka vers Omaha (dans le Nebraska) et les Libériens à Staten
Island (New York).
Pourtant, même rassemblés, l’adaptation des réfugiés varie d’une personne à une
autre. Parfois, au sein de la même famille, certains membres semblent avoir retrouvé une
nouvelle vie tandis que d’autres gardent leur esprit en Afrique. Ainsi, Abkow Edow, un
réfugié Bantou affirme : « Je ne veux pas retourner en Somalie, pas question. Je ne rêve
pas du tout de ça ! »20, tandis qu’un de ses compatriotes se lamente ainsi : « Quand j’étais à
Kakuma [camp de réfugié au Kenya], la nuit, je rêvais d’Amérique et maintenant que j’y
suis, avec toutes ces choses autour de moi, quand je ferme les yeux, je pense…à
Kakuma…à ceux que j’ai laissé derrière moi avec la faim au ventre ».21Enfin, certains
réfugiés n’acceptent pas leur nouveau statut qui les confine au bas de l’échelle sociale.
Ceux qui avaient des qualifications et des emplois qualifiés dans leurs pays ressentent de la
colère et de la frustration dans leur nouvel environnement où leur expérience passée ne
compte pas et où les travaux qu’on leur propose ne correspondent pas à leur qualification
réelle. Témoin cet Erythréen, passé par le Soudan et réinstallé à Philadelphie : « Tout d’un
coup, on te dit qu’il faut partir. C’est tout. Tu es un réfugié et tu n’es pas préparé. Avant
20 HAMILTON, William L., « Hard-Won Life in U.S. For Refugees From Africa », in New York Times, 5 juillet 2004. 21 LEVASSEUR, Philippe, Un charter pour les étoiles, France, Elephant & Cie, 2004, 52 minutes.
58
j’avais un métier, je travaillais huit heures par jour, j’étais un homme occupé, je voyageais
beaucoup. Soudain, pouf ! Je suis devenu un réfugié ».22
Beaucoup d’Africains réinstallés en Amérique émettent ainsi le désir de retourner
sur le continent noir, à cause d’un mal-être généralisé, d’une perte complète de repères
mais aussi parfois d’un sentiment de culpabilité d’avoir trouvé refuge dans un sanctuaire
que tout le monde ne peut atteindre. Les Etats-Unis pourraient s’apparenter à une sorte de
paradis mais les horreurs de la guerre hantent généralement longtemps les rescapés qui
doivent reconstruire une nouvelle vie, tout en faisant le deuil de leur passé et de leurs
proches. Le changement social résultant de telles trajectoires se décline aussi bien sous
l’angle du déracinement culturel et de la recomposition identitaire que de la délocalisation
géographique ou de la cristallisation des consciences politiques.
Tous les réfugiés ne réagissent pas de la même manière devant leur nouvelle
situation. Si certains désirent ardemment quitter ce rêve américain qui n’en est pas un,
beaucoup font preuve d’une grande résilience, témoignent d’un fort esprit d’entraide et
parviennent même à gravir rapidement les échelons de la société. De nombreux réseaux
destinés à fournir des services aux nouveaux membres de la communauté se mettent en
place et beaucoup d’associations de réfugiés continuent à œuvrer pour ramener la paix
dans leur pays.
Ainsi, le parcours du réfugié africain en terre américaine ne se résume pas à un
passage de l’enfer au paradis. Tous ont conscience de la chance qui leur a été offerte
d’échapper à la guerre et aux souffrances qu’elle porte en elle. Cependant, réfugiés aux
Etats-Unis, ils ne peuvent faire table rase de leur passé africain et ont souvent beaucoup de
mal à s’accoutumer à leur nouvel environnement géographique et social.
22 The Historical Society of Pennsylvania, African immigrant experience: http://www.hsp.org/default.aspx?id=174
59
Photo 10 : Une nouvelle vie pour les réfugiés. Famille de réfugiés libériens, réinstallés en 2003 à Tacoma Park (Maryland) et réunis après sept ans de séparation. [Associated Press].
Photo 11: Réfugiée Bantoue. Nurto Talaso cuisine dans son nouvel appartement de Phoenix (Arizona) avec son fils Abdulwahab Hassan Muse sous le bras. Elle fait partie des quelque 13 000 réfugiés somaliens d’ethnie bantoue (descendants d’esclaves enlevés au Mozambique et en Tanzanie pour travailler en Somalie) ayant pu bénéficier d’une réinstallation aux Etats-Unis à la suite d’un accord passé en 1999 avec le gouvernement somalien. Pour beaucoup de réfugiés africains, l’adaptation à la vie « moderne » se révèle parfois rien moins que compliquée. [Associated Press].
61
Chapitre 4 :
Une nouvelle visibilité au sein de la société américaine
La croissance exponentielle de l’immigration africaine depuis 1965 n’est pas un
phénomène éclatant aux yeux de la population américaine. Comment pourrait-il l’être
lorsqu’on à l’esprit le formidable boom de l’immigration asiatique et latino-américaine au
cours de la même période. En 1960, 75 % des immigrants étaient encore originaires
d’Europe. Les Asiatiques et Latinos représentaient respectivement 5,1 et 9,4 % des
immigrants.
Mais la loi de 1965 qui permit l’ouverture des portes américaines aux populations
du tiers-monde, impulsa une poussée vertigineuse de l’immigration en provenance de ces
deux continents. Ainsi, d’après les chiffres du dernier recensement national de l’an 2000,
51 % des personnes nées à l’étranger étaient Latino-américaines (soit 14,5 millions) et
25,5 % Asiatiques (soit 7,2 millions). L’Europe et le Canada représentant quasiment un
autre 20 % des immigrants (5,1 millions), la part des Africains dans l’immigration globale
paraît bien maigre. Et elle l’est.
Toutefois, la communauté africaine n’est plus tout aussi dérisoire qu’en 1965, voire
1980. Les évaluations les plus sérieuses estiment qu’en 2005, le nombre d’immigrants
issus de l’Afrique subsaharienne approche le million. Ainsi, dans les proportions qui sont
les siennes, l’immigration africaine a connu au cours de la période récente une croissance
constante et continue. Voyons d’où sont originaires ces immigrants et comment ils
recomposent les communautés locales dans lesquelles ils s’établissent.
62
Distribution de la population étrangère présente sur le territoire américain selon
la région d'origine, 2000.
3%
35%
6%16%
26%
3%
1%
10%
CanadaAmérique centraleAmérique du SudEuropeAsieAfrique OcéanieCaraïbes
Graphique 2 : Distribution de la population étrangère présente aux Etats-Unis en 2000.
Source : Census Bureau.
63
I- La croissance de la communauté africaine
A) Des estimations variées
Au cours de la dernière décennie du XXe siècle, les Etats-Unis ont enregistré la plus
forte vague d’immigration de leur histoire. Les chiffres du recensement de l’an 2000
révèlent que sur une population totale de 281,4 millions d’Américains, 31,1 millions sont
nés à l’étranger ou ont des parents nés à l’étranger1 (soit près de 11 % de la population
américaine). Le même recensement rapporte qu’entre 600 000 et 840 000 personnes sont
nées sur le continent africain. Parmi elles, 117 000 à 263 000 seraient d’origine nord-
africaine. Ainsi, les recenseurs de l’administration américaine évaluent entre 511 000 et
746 000 le nombre de personnes présentes aux Etats-Unis issues de l’Afrique
subsaharienne.
Toutefois cette photographie de l’immigration aux Etats-Unis n’est pas d’une
netteté absolue. Les estimations officielles du Bureau du Recensement ne sont en effet qu’à
moitié fiables. Beaucoup d’africains – sans papier ou même en règle – échappent aux
recenseurs de l’administration américaine.
Ainsi, en 1990, le recensement chiffrait à 2 287 le nombre de Sénégalais installés
sur le territoire national, alors qu’à la même date, de nombreuses études faisaient état
d’environ 10 000 Sénégalais pour la seule ville de New York. Beaucoup de militants
associatifs africains estiment ainsi que le Bureau du Recensement sous-estime de manière
considérable leur nombre aux Etats-Unis. La raison en est simple. Comme pour les autres
immigrants, les Africains entrés illégalement dans le pays sont réticents à participer au
recensement et pour la plupart évitent de faire appel aux services de l’Etat (services de
santé notamment).
Il convient donc de manier avec beaucoup de prudence les chiffres de
l’administration américaine. Ils sont d’ailleurs si peu vraisemblables qu’ils ne collent pas
avec ceux mêmes des services d’immigration. Ainsi, entre 1986 et 2002, plus de 107 000
Nigérians furent admis aux Etats-Unis en qualité d’immigrants. Pourtant le recensement de
l’an 2000 évalue le nombre de ressortissants de ce pays quelque part entre 37 000 et
136 000. La fourchette pourtant extrêmement large semble sous-estimer de manière notoire 1 U.S Census Bureau, Profile of the Foreign-Born Population of the United States: 2000.
64
la présence de ces immigrants nigérians. Les statistiques du bureau du recensement font
état par ailleurs de quelques 127 000 Ghanéens, 114 000 Sud-africains et 112 000
Ethiopiens. Mais les études détaillées des services d’immigration donnent des résultats
différents.
Ainsi l’Institut de politique migratoire (The Migration Policy Institute)2 chiffre à
633 200 le nombre d’immigrants subsahariens (avec 135 000 Nigérians, 69 500 Ethiopiens,
65 600 Ghanéens, 63 500 Sud-africains et 21 000 Sierra Léonais). John Logan et Glenn
Deane du Lewis Mumford Center for Comparative Urban and Regional Research, de
l’Université d’Albany (Etat de New York)3 proposent pour leur part le chiffre de 537 096
immigrants originaires d’Afrique subsaharienne.
Nous voyons ainsi la difficulté de compter précisément les immigrants africains,
difficulté aggravée par la recrudescence des immigrants clandestins, particulièrement
nombreux dans certaines communautés. (parmi les Sénégalais, Gambiens, et Ivoiriens en
particulier). Ainsi, en 2002, d’après l’USCIS (U.S Citizenship and Immigration Services)4
environ 3 000 Sénégalais franchirent les portes des Etats-Unis en qualité de commerçants
(business visitors) et 5 800 avec un visa touristique. Sans être trop suspicieux, nous
pouvons affirmer qu’une grande partie de ces migrants supposés temporaires, a disparu
dans la nature et ne figure dans aucune statistique.
D’après le recoupement de nos informations, nous pensons qu’au moins 800 000
personnes sont aujourd’hui d’ascendance africaine récente aux Etats-Unis. Cela ne nous en
dit pas beaucoup sur ces immigrants. Nous avons tenté d’en savoir plus sur leurs origines
géographiques. Là encore, les données sont parfois contradictoires, mais de grandes
tendances ressortent.
2 http://www.migrationpolicy.org 3 John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm> 4 http://www.uscis.gov/graphics/
65
B) Des immigrants d’horizons divers
S’il est commode de ranger tous ces immigrants dans une catégorie « Afrique », il
ne faut pas perdre de vue leur spécificité à chacun. Nous avons souhaité établir quatre sous
divisions, traduisant selon nous une plus grande cohérence géographique et culturelle, afin
de bien cerner les régions de départ de ces immigrants. Il ressort ainsi de nos calculs5 que
les immigrants ouest-africains6 forment le groupe le plus important. Ils représentent
environ 44 % des Africains nés à l’étranger. Viennent ensuite les Africains de l’Est7 qui
constituent un tiers (33 %) de l’immigration en provenance d’Afrique, puis les Sud-
africains,8 qui comptent pour environ 9 % de l’immigration africaine et les Centrafricains,9
un peu plus de 3 %. (voir tableau ci-dessous).
Au niveau national, les immigrants venus du Nigeria sont les plus nombreux à avoir
immigré sur la période 1980-2001, mais quatre des huit nations les plus « pourvoyeuses »
d’immigrants se trouvent dans la corne Est de l’Afrique : l’Ethiopie, la Somalie, le Soudan
et le Kenya. Plus de 20 % des immigrants africains en 2000 venaient de ces seuls pays.
Les immigrants d’Afrique francophones ne sont encore qu’une minorité. Leur
migration a été plus tardive. Elle a débuté dans les années 1980 avec les Sénégalais mais a
réellement pris de l’ampleur dans les années 1990.
Enfin, si la grande majorité de ces immigrants est noire, beaucoup de Sud-africains
qui ont quitté leur pays pour les Etats-Unis sont Blancs. De même, une petite fraction
d’immigrés en provenance d’Afrique de l’Est sont d’origine asiatique (Indiens la plupart
du temps).10
5 Chiffres du Bureau du Recensement, American Community Survey, 2002. 6 Dans ce groupe sont rangés les pays suivant: Bénin, Burkina-Faso, Cap-Vert, Côte-d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo. 7 Dans ce groupe sont rangés les pays suivant : Burundi, Comores, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Mozambique, Rwanda, Somalie, Soudan, Ouganda, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe. 8 Dans ce groupe sont rangés les pays suivant : Botswana, Lesotho, Namibie, Afrique du Sud et Swaziland. 9 Dans ce groupe sont rangés les pays suivant : Angola, Cameroun, République Centrafricaine, Tchad, Congo, République Démocratique du Congo, Guinée Equatoriale, Gabon, Sao Tomé et Principe. 10 DJAMBA, YANYI K., « African Immigrants in the United States : A socio-demographic profile in comparison to Native Blacks », in Journal of Asian and African Studies, vol. 34, n° 2, mai 1999, pp. 210-215.
66
Région d'origine Nombre d'immigrants Afrique de l'Ouest 357 360
Afrique de l'Est 263 415 Afrique centrale 23 993 Afrique australe 71 883
Autres (non classés) 92 501 Tableau 4 : Origine régionale des immigrants africains, 2002.
Source : U.S Census Bureau, American Community Survey, 2002.
Origine régionale des immigrants africains, 2002.
357 360 44%
263 415 33%
23 993 3%
71 883 9%
92 501 11%
Afrique de l'OuestAfrique de l'EstAfrique centraleAfrique australeAutres (non classés)
Graphique 3 : Origine régionale des immigrants africains, 2002.
Source : U.S Census Bureau, American Community Survey, 2002.
67
Graphique 4 : Nombre d’immigrants admis aux Etats-Unis à partir d’une sélection de pays d’origine, 1989-2002.
Source : Census Bureau.
C) Une immigration récente
L’immigration africaine s’est brusquement accélérée au milieu des années 1990.
Phénomène marginal dans les années 1980, elle représentait 5,8 % de l’immigration
globale en 1996; et 6,2 % en 2004.
La majorité des Africains présents sur le territoire américain ont migré après 1990.
56,6 % ont immigré durant la seule décennie 1990-2000, tandis que 26 % sont arrivés entre
1980 et 1989 et seulement 18 % avant 1980. En 1997, le Bureau du Recensement estimait
que 2,2 % des immigrants aux Etats-Unis (foreign-born) étaient nés en Afrique, plus de 2
fois le pourcentage de 1987. En 2000, ce taux était de 2,8%.
68
L'immigration africaine en rapport à l'immigration globale, 1986-2004
0200 000400 000600 000800 000
1 000 0001 200 0001 400 0001 600 0001 800 0002 000 000
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
Immigration totaleImmigration africaine
Graphique 5 et Tableau 5: L’immigration africaine en rapport à l’immigration globale, 1986-2004.
Source : Historical Yearbook of Immigration Statistics, 2004.
Année Immigrants originaires d'Afrique subsaharienne admis légalement
aux Etats-Unis
Immigration totale aux Etats-Unis
Part de l'immigration africaine dans l'immigration
totale
1986 13 329 601 708 2,20% 1987 13 233 601 516 2,20% 1988 14 651 643 025 2,28% 1989 19 886 1 090 924 1,82% 1990 29 780 1 536 483 1,93% 1991 28 118 1 827 167 1,54% 1992 21 285 973 977 2,18% 1993 22 181 904 292 2,45% 1994 21 567 804 416 2,68% 1995 34 027 720 461 4,72% 1996 43 380 915 900 4,74% 1997 39 350 798 378 4,93% 1998 32 248 660 477 4,88% 1999 28 205 646 568 4,36% 2000 35 247 849 807 4,15% 2001 42 253 1 064 318 3,97% 2002 50 265 1 063 732 4,72% 2003 40 989 705 827 5,80% 2004 59 341 946 142 6,27%
69
Immigration africaine de 1986 à 2003
0
10 000
20 000
30 000
40 000
50 000
60 000
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
Années
Nom
bre
d'im
mig
rant
s lé
gale
men
t adm
is
Graphique 6 : Nombre d'immigrants africains légalement admis aux Etats-Unis, 1986-2003.
Source : Historical Yearbook of Immigration Statistics, 2004.
D’une manière générale, l’immigration africaine ne cesse de croître depuis 1965.
En 1970, le Bureau du Recensement faisait état de 61 463 Africains vivant aux Etats-Unis.
En 1980, ils étaient 193 723, soit une augmentation de trois fois leur nombre. En 1990, les
Africains étaient 363 819 et en 2000 environ 600 000, soit dix fois plus que trente ans
auparavant.
II- De l’Alaska au Wyoming : une communauté disséminée sur l’ensemble du territoire américain
A) Des ports d’arrivée multiples
L’histoire de l’immigration aux Etats-Unis s’est longtemps confondue avec celle
d’Ellis Island. Cette petite île dans la baie de New York constituait en effet le point de
passage quasi-obligatoire des immigrants venus par bateaux du Vieux Continent. La
révolution des transports a changé la donne et Ellis Island est devenu un musée de
70
l’immigration, preuve que les trajectoires migratoires ont bien évolué. Les chiffres de
l’INS montrent combien les ports d’arrivée des immigrants sont multiples et variés.
L’étude approfondie des données pour la période 1980-199311 révèle ainsi que
41 % des Africains admis légalement aux Etats-Unis entrèrent sur le territoire américain
par sept points de passage différents. 20 % des immigrants arrivèrent par New York. Les
autres portes d’entrée principales étaient alors Los Angeles, Washington D.C, Dallas,
Houston, Newark et San Francisco. Mais une foultitude d’itinéraires bis peut être retracés.
Les réfugiés réinstallés aux Etats-Unis foulent pour la première fois le sol américain
sur les tarmacs de Minneapolis, Salt Lake City ou San Diego, en fonction de l’Etat qui les
accueille. Par ailleurs, les clandestins ont inventé de nouvelles routes migratoires. Si la
plupart arrivent aux Etats-Unis par voie aérienne, munis d’un visa touristique, certains
n’hésitent plus à franchir illégalement la frontière canadienne voir à séjourner au Mexique
avant de traverser le Rio Grande, à l’instar de nombreux centraméricains. Il arrive en effet
que les patrouilles de police à la frontière (border patrols) prennent occasionnellement
dans leurs filets des poignées d’immigrants clandestins africains, originaires pour la plupart
du Nigeria ou d’Ethiopie.
Pour ceux qui ont obtenu une carte de séjour, l’arrivée sur le sol américain est plus
classique. Elle s’effectue bien souvent au sein des aéroports internationaux des villes dans
lesquels ils escomptent s’établir. Le choix de celles-ci dépend de nombreux facteurs que
nous allons décrire ci-après.
B) Des métropolitains à tous les confins du territoire américain
Bien que les Africains se soient installés en grand nombre - conformément aux
autres immigrants - dans les principaux centres urbains américains, leur présence ne se
limite pas aux seules métropoles telles que New York, Chicago ou Los Angeles. On les
retrouve dans les cinquante Etats que comptent les Etats-Unis, y compris en Alaska. A la
différence des immigrants noirs antillais (en majorité Jamaïcains),12 ils se sont dispersés à
11 U.S. Immigration and Naturalization Service, Immigrant Tape Files, 1980-1993. 12 Les immigrants d’origine caribéenne sont très clairement concentrés dans les grandes métropoles de la côte Est. Six sur dix vivent ainsi dans trois métropoles : Fort Lauderdale, Miami (en Floride) et New York (600 000 personnes pour cette seule ville).
71
travers tout le pays. Seul un immigrant d’Afrique subsaharienne sur quatre vit dans une des
dix premières métropoles américaines. Les familles africaines ont pris pied aux quatre
coins de l’espace géographique américain, de la Louisiane au Maine et d’Hawaï à Porto
Rico.
Au niveau quantitatif, l’Etat de New York concentre la plus grosse population
d’origine africaine, suivi de la Californie, du Texas et du Maryland. Ces quatre Etats
comptent tout de même 40 % des immigrants africains. Cependant, relativement à la
population des Etats, le District de Columbia, le Maryland et le Rhode Island ont les taux
les plus élevés d’immigrés d’Afrique. La conurbation qui s’étend de Boston à Washington
et la Californie sont sur la carte américaine les principaux foyers d’établissement de ces
derniers. En cela, nous pouvons penser qu’ils recherchent les métropoles réputées les plus
dynamiques des Etats-Unis. Ils maintiennent toutefois une forte représentation au Texas
(52 000), en Georgie (34 500) et en Virginie (29 000). Leur dispersion géographique les a
aussi menés vers des lieux où il n’y avait qu’une toute petite communauté noire de manière
générale. Selon le recensement de 2000, les Etats qui dénombrent le moins d’Africains
sont le Montana (184), le Wyoming (261), l’Alaska (369) et le Vermont (511).
S’ils sont disséminés à travers les Etats-Unis, les immigrants africains n’en
demeurent pas moins des citadins. Environ 95 % habitent dans une métropole, 5 %
seulement en zone rurale. D’après les résultats du recensement de l’an 2000, analysés par
le Migration Policy Institute, 44 % des comtés américains n’avaient pas d’immigrants
africains en 2000. Seulement 138 des 3141 comtés recensaient plus de 1000 Africains sur
leur territoire. 23 comtés (soit moins de 1 %) accueillaient plus de 10 000 Africains. Par
ailleurs, tous les comtés avec plus de 500 Africains se situaient dans les grandes régions
urbaines, le nord-est (de la Pennsylvanie au Maine) possédant la plus grande concentration
d’immigrants africains. Comme la plupart des immigrants, les Africains s’établissent dans
un premier temps là où leurs compatriotes les ont précédés et ont établi les bases d’une
solide communauté. Le choix de la première installation se fait en fonction du lieu où
famille et amis ont pris racines. Parallèlement, au même titre que les opportunités
économiques, la présence d’une communauté nationale ou ethnique dans une certaine
localité rentre en ligne de compte, jusqu’à ce que des agglomérations deviennent plus ou
moins incidemment les destinations « traditionnelles », pour ainsi dire « naturelles » de
certains immigrants africains.
72
Graphique 7 : Etats de résidence des immigrants africains en 2000 selon leur origine géographique.
Source : Migration Policy Institute.
73
Ainsi, l’Etat de New York abrite 17 % des Africains de l’Ouest, 13 notamment une
importante communauté francophone. Le Maryland avec 11 % de l’ensemble des ouest-
africains arrive en deuxième position. « Paradoxalement », les immigrants est-africains ont
choisi…l’ouest américain. Ainsi, 15 % d’entre eux ont posé leurs valises en Californie.
10 autres pourcent ont choisi le Minnesota comme lieu de résidence, en particulier un
nombre important de réfugiés des conflits qui frappent l’Afrique orientale (Soudanais,
Somaliens…).
De la même manière, 16 % des Centrafricains (entendu ici, non les ressortissants de
la république centrafricaine mais les immigrants venus du bassin d’Afrique centrale,
notamment des Congolais et Camerounais) résident dans le Maryland et 9,5 % en
Californie. Quant aux immigrants d’Afrique australe, on les retrouve avant tout en
Californie (22 %) et en Floride (9,4 %).
C) A chaque communauté, sa localité
La prédominance démographique des ouest-africains est très claire dans les
métropoles les plus « prisées » de la population émigrée (voir le « top ten » ci dessous).
Ils représentent 53 % des immigrants africains à Washington, 69 % à New York, 48 % à
Atlanta, 60 % à Boston, 61 % à Houston, 58 % à Chicago et 53 % à Philadelphie. Les
immigrants d’Afrique orientale ne constituent une majorité qu’à Minneapolis (61 %). Les
deux groupes sont au coude à coude à Dallas (environ 40 % chacun) et à Los Angeles –
Long Beach (37 %).14
Parmi ces villes, Washington et New York sont les deux principaux point d’ancrage
de la population africaine, notamment en provenance d’Afrique de l’Ouest. Les Nigérians
et Ghanéens y demeurent les plus nombreux. Selon le recensement de l’an 2000, un quart
des ressortissants du Ghana – qui au passage forment la deuxième communauté nationale
africaine - résident à New York. Viennent ensuite le New Jersey (avec 11 %), le Maryland
13 Chiffres du Migration Police Institute, 2000. 14 D’après les statistiques de John R. Logan and Glenn Deane: John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm>
74
(10 %) et la Virginie (9 %). Toutefois, depuis les années 1980, les populations
francophones (Sénégalais, Maliens, Ivoiriens, et autres) ont des taux de concentration
considérables dans ces deux villes et marquent les capitales économiques et politiques
américaines de leur extraordinaire vitalité.
Attirés par les opportunités commerciales, quelques Sénégalais ont posé leurs
valises à New York au tout début des années 1980, créant un embryon de communauté
propice à une immigration plus fournie. En 2002, environ 30 % des Sénégalais immigrés
aux Etats-Unis se trouvaient dans la « Big Apple ». Les pionniers sénégalais ont été rejoints
à partir du milieu des années 1980 par bon nombre d’immigrants francophones des pays
voisins : Maliens, Nigériens, Guinéens et Ivoiriens en particulier. La débâcle des
économies de la zone C.F.A après la dévaluation de cette devise africaine en 1994, a mis
un coup d’accélérateur à la migration des francophones vers les Etats-Unis et beaucoup ont
choisi New York et Washington comme pied à terre. Les métropoles de la côte Est
accueillent ainsi la majorité des immigrants ouest-africains francophones.
De la même manière, beaucoup de Nigérians demeurent dans les métropoles de la
façade atlantique mais ils sont encore plus nombreux dans les Etats de la Sun Belt. On les
retrouve ainsi en Californie, en Georgie, en Floride et surtout au Texas. 21 000 Nigérians
(soit 15,5 % de la communauté immigrée aux Etats-Unis) y résident en effet. Une
destination pas réellement fortuite lorsque l’on sait que l’industrie du pétrole prospère dans
cet Etat du Sud et que le Nigeria compte parmi les grands pays exportateurs de pétrole.15
Nous sommes en droit de penser que bon nombre de Nigérians installés au Texas
possèdent une expertise certaine dans le domaine pétrolier.
Au fil des années et des flux migratoires, Houston est ainsi devenue une ville de
première importance dans les échanges avec l’Afrique. Plus de mille entreprises de la ville
font du commerce avec le continent noir et parmi elles, une soixantaine ont établi des
filiales dans des pays africains.16 L’activité de la région texane – ainsi qu’un climat
15 En 2004, 14 % du pétrole importé par les Etats-Unis provenait des pays producteurs d’Afrique de l’Ouest (Nigeria mais aussi Angola et Guinée Bissau majoritairement). Cela eut pour effet d’attirer les géants pétroliers américains tels Exxon Mobil ou Chevron Texaco dans les bassins pétrolifères d’Afrique. L’administration américaine souhaite d’ailleurs faire passer l’approvisionnement à partir de l’Afrique de 15 à 25 % d’ici 2015. 16 Simon Romero -- Energy of Africa Draws the Eyes of Houston – [en ligne] – [référence du 13/07/05] – Accès: <http://urbanplanet.org/forums/lofiversion/index.php/t670.html>
75
attrayant - n’a eu de cesse d’attirer des immigrants Nigérians vers Dallas, Houston ou
Austin.
Plus au Nord du pays, les villes jumelles de Minneapolis et Saint-Paul possèdent la
plus grande communauté immigrée de Somaliens. On estime leur nombre à 15 000 et à
environ 30 000 pour l’ensemble du Minnesota. Ici encore, cette concentration
exceptionnelle ne doit rien au hasard. Beaucoup sont des réfugiés ayant bénéficié de
programmes de réinstallation aux Etats-Unis. Arrivés directement des camps de réfugiés
d’Afrique de l’Est, leur installation dans le Minnesota s’est faite selon le bon vouloir et les
disponibilités de l’administration chargée de les reloger. A cette communauté d’origine
s’est greffée une seconde vague de Somaliens (possiblement réfugiés eux aussi), attirés par
les emplois disponibles, les possibilités de mener à bien des études ou tout simplement la
présence de proches. Ceux-ci participent ainsi d’une seconde migration à partir d’Etats tels
que le Texas, la Virginie ou la Californie. Entre 1990 et 2000, l’agglomération de
Minneapolis – Saint Paul a ainsi vu sa population africaine croître de 628 %, représentant
pas moins de 15 % de la communauté noire.
D’autres villes « de réfugiés » sont nées. Comme nous l’avons souligné dans notre
première partie (chapitre 3), les Somaliens ont aussi implanté une forte communauté à
Columbus (Ohio), les Soudanais à Kansas City (Kansas) ou à Omaha (Nebraska), les
Libériens à Staten Island (New York) ou Philadelphie (Pennsylvanie), les Ethiopiens à Los
Angeles. (17 % des 120 000 Ethiopiens recensés en 2000 vit dans le Golden State).
Quant à Washington D.C, capitale des Etats-Unis et siège de nombreuses
organisations internationales (la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International..), la
ville a attiré depuis longtemps bon nombre de diplomates africains. Elle continue de
recevoir une immigration africaine particulièrement qualifiée au service des ambassades
africaines et d’agences internationales présentes dans la capitale fédérale.
76
Tableau 6: Métropoles américaines accueillant le plus grand nombre d’immigrants africains.
Source: John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm>
D’après les données du recensement de l’an 2000, la concentration géographique
des Africains arrivés entre 1990 et 2000 est nettement supérieure à celle des Africains qui
arrivèrent dans les décennies antérieures.17 Cela suggère que le rassemblement d’une
majorité d’immigrants dans les grandes métropoles américaines n’est qu’un phénomène
temporaire. Tout comme les autres populations d’immigrés, les Africains tendent à se
disperser dans d’autres localités lorsqu’ils prennent connaissance des diverses opportunités
qui s’offrent à eux dans des villes de taille moyenne, ou dans des espaces géographiques
particulièrement dynamiques.
Une communauté nigérienne est ainsi étrangement établie à Greensboro (Caroline
du Nord). Paul Stoller,18qui a interrogé nombre de Nigériens, croit en connaître la raison.
Un vendeur de rue aurait voyagé de New York vers le Sud, et devant le succès de son
activité commerçante dans cette ville, se serait décidé à y rester. Le bouche à oreille fit le
reste du travail, chacun relayant la nouvelle que « dans le bush » existait une ville
regorgeant d’activités.
17 WILSON, Jim, US in Focus, African-born Residents of the United States (Migration Policy Institute), 1er Août 2003. 18 STOLLER, Paul, Jaguar: a story of Africans in America, Chicago, University of Chicago Press, 1999, 213 p.
Nombre d'immigrés africains
Pourcentage dans la population noire
Pourcentage dans la population totale
Croissance de la population africaine
(en %) 1990 2000 1990 2000 1990 2000 1990 - 2000 Washington D.C 32 248 80 281 3,0 6,1 0,8 1,6 148,9 New York 31 532 73 851 1,6 3,4 0,4 0,8 134,2 Atlanta 8 919 34 302 1,2 2,9 0,3 0,8 284,6 Minneapolis-Saint-Paul 3 788 27 592 4,3 15,4 0,1 0,9 628,4 Los Angeles-Long Beach 16 826 25 829 1,8 2,7 0,2 0,3 53,5 Boston 11 989 24 231 6,0 9,8 0,4 0,7 102,1 Houston 9 882 22 638 1,6 3,1 0,3 0,5 129,1 Chicago 8 738 19 438 0,6 1,2 0,1 0,2 122,5 Dallas 7 373 19 134 1,8 3,6 0,3 0,5 159,5 Philadelphie 5 098 16 344 0,6 1,6 0,1 0,3 220,6
77
Les opportunités se déclinent aussi en terme universitaire ; beaucoup de jeunes se
réinstallent dans les métropoles offrant des possibilités d’éducation à la mesure de leurs
attentes.19
La mobilité géographique peut enfin être synonyme de mobilité sociale. Après dix
ans passés à New York, un immigré ivoirien nous explique qu’il a « économisé assez
d’argent » pour s’installer dans une petite ville résidentielle du New Jersey. « C’est pas
trop loin du boulot et pour la famille, c’est mieux… Maintenant que je vais avoir un enfant,
je préfère habiter dans un coin plus tranquille. Je n’ai pas envie de rester toute ma vie à
Harlem ».20
Nous émettons ainsi l’hypothèse que la concentration des Africains dans certaines
métropoles répond à un besoin des immigrants de prendre appui sur une communauté
préexistante afin de se lancer dans un environnement social et culturel inconnu. Cependant,
une fois appris les rouages de la société, beaucoup de foyers tentent d’échapper à leur
environnement. Nous allons développer ces questions dans le prochain chapitre.
19 Voir le cas du jeune Peter dans le documentaire Lost Boys of Sudan (op.cit.) quittant Houston pour le Minnesota en vue d’y trouver « la formation qui [me] convient ». 20 Entretien par email mené le 16/01/05.
78
Photo 12 : Femmes originaires d’Afrique de l’Est. Les immigrants est-africains représentent 24 % de la communauté africaine installée aux Etats-Unis. Les Kenyans, avec une population estimée à 56 000 immigrants constituent la deuxième plus grosse communauté est-africaine, juste derrière les Ethiopiens. Ici, la photo montre les membres d’un club d’investissement de femmes kenyanes, à Philadelphie.[The Balch Institute Collections].
Photo 13 : Sénégalais de New York. Les immigrants africains, comme beaucoup d’autres communautés, ont tendance à se regrouper entre eux. Ils s’établissent en général dans des quartiers ou des villes, déjà peuplées de compatriotes qui se sont installés avant eux. Il n’y a pas loin de 100 000 africains dans l’Etat de New York, ce qui représente plus de 11 % de la population totale africaine aux Etats-Unis. Les premiers vendeurs sénégalais arrivèrent à New York au tout début des années 1980, bientôt rejoints par nombre de leurs compatriotes. La ville compte aujourd’hui la plus grande représentation sénégalaise du pays, plus d’un tiers de la population totale des immigrants sénégalais. Ces hommes, photographiés sur la 116e rue d’Harlem – baptisée Little Sénégal - célèbrent la victoire du Sénégal contre la France lors du match d’ouverture de la Coupe du Monde 2002. [Associated Press, 31 mai 2002].
79
Photo 14: Immigrants éthiopiens.
Les Ethiopiens constituent la troisième plus importante communauté nationale originaire d’Afrique subsaharienne présente aux Etats-Unis. Selon le Bureau du Recensement, elle comptait environ 112 000 membres en 2000. Bien qu’ils aient migré dans de nombreuses villes à travers les Etats-Unis, la plus grosse concentration d’Ethiopiens (17 %) se situe en Californie. Beaucoup de ces immigrants sont des réfugiés qui ont fui le régime marxiste du président Mengistu Haile Mariam entre 1980 et 1991. [ African Immigrant Folklife Project]
Photo 15 : La communauté nigériane. Selon le Bureau du Recensement, il y avait 135 000 personnes originaires du Nigeria aux Etats-Unis en 2000. Les associations estiment que leur nombre réel serait deux à trois fois plus élevé. Environ 21 000 Nigérians vivent au Texas. New York, le Maryland et la Californie suivent en tant que destinations privilégiées. [Bill Farrington, photographe indépendant].
80
Chapitre 5 : Le foyer africain dans un environnement américain
La famille est plus qu’une institution en Afrique. Elle est à la base de toute vie
sociale. La plupart des Africains vivent dans des foyers qui incluent non seulement la
famille nucléaire (la mère, le père et les enfants) mais aussi d’autres membres de la famille
élargie (les grands-parents, tantes, oncles, cousins, etc..). Les habitations des différents
membres d’une même lignée sont bien souvent regroupées – particulièrement en milieu
rural - sur un terrain commun (concession) et la vie quotidienne ne se conçoit pas en
dehors du cadre familial.
L’immigration eut dès lors un impact majeur sur le modèle familial. Qu’en est-il
advenu du foyer africain ? Les rapports familiaux ont-ils été bouleversés par
l’américanisation des structures familiales ? Nous tenterons de répondre à ces questions en
nous plongeant à l’intérieur des ménages immigrés aux Etats-Unis.
Après avoir scanné la communauté africaine d’Amérique dans son ensemble afin de
découvrir où les différents itinéraires migratoires ont mené ses membres, nous allons
resserrer notre champ de vision sur les foyers africains au niveau local. Nous étudierons
tout d’abord les caractéristiques socio-économiques des ménages africains et leur
localisation au sein de l’espace urbain américain. Puis nous observerons la forme que
prend le foyer africain aux Etats-Unis, avant de montrer en quoi l’évolution de la structure
familiale, qui plus est dans un espace étranger, a engendré de nouveaux rapports familiaux.
I- Caractéristiques socio-économiques des ménages africains
A) Des quartiers communautaires Dans toute vague d’immigration, un phénomène reste immuable, la tendance qu’ont
les membres d’un groupe ethnique ou national à s’insérer dans un lieu où des pionniers ont
établi une tête de pont. Les Africains ne dérogent pas à la règle. Comme nous l’avons vu
81
précédemment, ils s’établissent dans les villes possédant une large concentration
d’immigrants africains ou d’autres minorités ethniques. Par ailleurs, ils emménagent plus
souvent que jamais dans des quartiers modestes, dans un premier temps tout du moins.
Autre élément caractéristique, ces quartiers sont en général fréquentés par d’autres
immigrés et plus vraisemblablement encore par des Afro-Américains.
En guise d’exemple, il est symptomatique de voir les nouveaux immigrants de New
York s’installer dans les quartiers traditionnellement noirs américains. Ainsi, d’après une
récente enquête du Center for Urban Research1 concernant le remodelage - lié à
l’immigration - du paysage ethnique de Brooklyn, les Africains tendent à se loger dans le
quartier de Bedford-Stuyvesant (déjà à très grande majorité noire) de la même manière que
les nouveaux immigrants russes ou ukrainiens emménagent dans les environs de Brighton
Beach (quartier russophone de Brooklyn).
Les immigrants africains s’établissent bien souvent dans les quartiers où ils
possèdent de la famille ou des amis. Si ce n’est pas le cas, la présence d’Africains
contribue à les rassurer. La « famille africaine » les incite donc à prendre pied dans des
zones urbaines déjà fortement pourvues d’immigrants de la même communauté. Ils savent
pouvoir bénéficier du soutien de celle-ci par le biais des réseaux préalablement constitués
et des relations interpersonnelles. Ils attendent ainsi de leur entourage proche (voisins,
amis, famille et communauté de manière générale) qu’ils facilitent leur ajustement à un
environnement inconnu.
Les ressources financières disponibles (prêts, secours d’urgence ou dons provenant
des organisations communautaires bénévoles) sont tout aussi importantes. D’après une
enquête de John Arthur2 auprès d’environ huit cent Africains, la majorité des immigrants
sont entrés aux Etats-Unis avec moins de 300 dollars en poche. Seuls 7 % des sondés
possédaient un plus gros pécule. Nous pouvons douter de la fiabilité de ces résultats ; il
n’empêche, ils témoignent du fait que beaucoup d’immigrants n’ont pas de grosse fortune
au moment de leur installation aux Etats-Unis. Ceci est d’autant plus vrai dans le cas des
immigrants clandestins. Ces derniers arrivent presque sans le sou après avoir déboursé
leurs économies pour financer leur voyage. Mais ils savent pouvoir compter sur de
1 Enquête rapportée par le New York Daily News, 25 janvier 2005. 2 ARTHUR, John A., Invisible sojourners –African Immigrant Diaspora in the United States-, Westport, Praeger, 2000, p.29.
82
véritables réseaux informels de solidarité (non mafieux). Ainsi, dès l’aéroport
J.F.Kennedy, les vendeurs de rue de New York grimpent dans un taxi conduit par un des
leurs, qui les guide directement vers d’autres concitoyens. Paul Stoller, qui a observé de
son oeil d’ethnographe l’arrivée des Africains francophones dans les années 1990 explique
ainsi : « Le village africain le plus connu à New York est l’hôtel Park View aux
intersections de la 5ème Avenue et de la 110ème rue à Harlem. Les immigrants d’Afrique
occidentale qui arrivent à New York passent presque tous par là quand ils n’ont pas de
famille pour les accueillir. Ils l’appellent Le Cent Dix ».3 Dès le lendemain, le commerce
de rue peut démarrer et l’immigrant épargner en vue d’un relogement, généralement avec
d’autres compatriotes, dans des immeubles délabrés des environs.
Ainsi ces chaînes d’entraide ont fini par créer des quartiers communautaires
typiquement africains. La 116e rue de New York, investie par les Sénégalais vers la fin des
années 1980, devenue un fort point d’ancrage des immigrants ouest-africains (maliens,
ivoiriens, burkinabés..) a même été rebaptisée Little Senegal. Une toponymie tout à fait
inédite qui s'adjoint aux Little Italy, Chinatown ou Spanish Harlem. A New York toujours,
les Ghanéens se sont installés massivement dans le Bronx, représentant le troisième
« pourvoyeur » d’immigrants de ce borough tandis que de nombreux réfugiés libériens se
sont appropriés le quartier de Staten Island et que les Congolais y ont préféré le Queens.
Quant aux Nigérians, ils se regroupent autour de Flatlands et Canarsie à Brooklyn.
A Philadelphie, beaucoup de Sierra Léonais cohabitent avec les Libériens et
Ethiopiens au Sud-ouest de la ville. Les Kenyans ont fait de Norristown leur sanctuaire, et
les Erythréens sont légions à Lansdale. La plupart des Somaliens, fortement concentrés à
Minneapolis, se sont regroupés autour de Cedar Avenue, allant jusqu’à recréer un « petit
Mogadiscio ».
Ces quartiers ethniques, marque de fabrique du communautarisme à l’américaine,
attirent d’autant plus les nouveaux arrivants que des services, commerces, lieux de culte ou
community centers, sont là pour faciliter leur adaptation. Cette proximité de prestations,
qui répond aux attentes premières des immigrants, favorise d’une part l’établissement des
nouveaux membres de la diaspora, d’autre part le repli communautaire dans la mesure où
la mobilité vers l’extérieur s’en trouve réduite. Nul besoin de parcourir la ville pour trouver
3 STOLLER, Paul, Money has no smell : the Africanization of NYC, Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 153.
83
les services adéquats, les produits alimentaires traditionnels ou encore les salles de prière.
La communauté vit repliée sur elle-même.
B) Communautarisme ou ségrégation sociale ?
Cependant, d’après John Logan et Glenn Deane,4 les immigrants africains ont
plutôt tendance, comparativement aux autres immigrés (et notamment aux caribéens), à
vivre dans des quartiers mixtes. Cela s’explique par leur grande mobilité géographique une
fois qu’ils se sont insérés dans la société américaine. Cela va aussi de pair avec leur
mobilité sociale ascendante plutôt rapide (nous aborderons ce sujet au prochain chapitre).
Les Africains vivent ainsi en moyenne dans des quartiers où il y a plus de Blancs
que de Noirs, bien que leur « exposition »5 à la population noire soit passée de 23,3 % à
28,3 % de 1990 à 2000.6 Toutefois, l’étude de John Logan et Glenn Deane révèle malgré
elle que cette mixité (supérieure à celle des Noirs américains et des immigrants antillais)
correspond à la mixité des villes dans lesquelles les Africains s’établissent. En effet, leur
« exposition » aux populations blanches n’est que de 17 % à New York en 2000, signe
d’une très forte ségrégation spatiale. Elle est en revanche de 59 % à Minneapolis – Saint
Paul, agglomération du Middle West à grande majorité blanche (environ 65 % de Blancs
contre 15 % de Noirs d’après les chiffres des municipalités).
Par ailleurs, selon la même étude, les quartiers où s’établissent les immigrants
africains sont – en moyenne - d’une plus grande mixité sociale que ceux des Noirs
américains ou des immigrants caribéens. Ces quartiers possèdent en effet une forte
concentration de personnes diplômés : 29,3 % des habitants y ont fait des études
supérieures. Un taux équivalent à celui de la moyenne des Blancs et presque deux fois
supérieur à celui des Noirs américains (17,5 %). En outre, le revenu médian par ménage y
était en moyenne de 45 567 dollars en 2000 (contre 41 328 dollars pour les immigrants
caribéens et 35 679 pour les Noirs américains), ce qui nous permet d’affirmer que les
Africains vivent en moyenne dans des voisinages de classe moyenne et non dans des
4 John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm> 5 Entendue comme le pourcentage de Blancs dans les quartiers où vivent les Africains. 6 Ibid.
84
quartiers populaires comme nous pourrions avoir tendance à le penser. De fortes disparités
se font cependant jour.
A chaque ville correspond une immigration africaine bien particulière et le niveau
d’éducation relevé dans les quartiers résidentiels des immigrants en est la preuve. La
moyenne des Africains résidant à Atlanta, Los Angeles, Houston, Chicago ou Dallas vit
dans des quartiers où le niveau d’éducation est supérieur à la moyenne des Blancs. Au
contraire, il est très bas à Philadelphie et surtout à New York. Enfin, avec un taux de 40 %
de diplômés de l’enseignement supérieur, les quartiers résidentiels des Africains de
Washington correspondent bien à l’extrême qualification des immigrants d’Afrique qui
travaillent dans cette ville.
Les revenus médians des foyers varient d’ailleurs presque du simple au double
entre New York et Washington (voir tableau ci-dessous). Pour l’ensemble des ménages
africain, le chiffre est passé de 35 041 dollars en 1990 à 42 900 dollars en 2000, ce qui est
nettement supérieur à la médiane des Noirs américains (elle se situait à 29 251 dollars en
1990 et 33 790 dollars en 2000), mais aussi bien en dessous de celle des Blancs et des
Asiatiques (respectivement de 53 000 et 62 000 dollars en 2000).
Revenu médian par foyer
(en dollars) Propriétaires de leur
logement (en %) Diplômés de l'enseignement
supérieur (en %) 1990 2000 1990 2000 1990 2000
Washington D.C 55 784 57 143 47,00% 50,40% 37,50% 39,50% New York 40 145 35 243 24,30% 24,20% 22,70% 20,30%
Atlanta 43 049 48 614 45,10% 49,80% 30,00% 30,50% Minneapolis-Saint Paul 36 321 37 679 46,40% 44,00% 31,20% 27,90%
Los Angeles-Long Beach 49 075 47 009 41,90% 42,90% 26,90% 29,80% Boston 43 138 42 925 37,90% 40,20% 27,30% 28,20%
Houston 41 298 46 531 39,20% 48,80% 30,90% 30,90% Chicago 40 700 45 509 41,00% 47,40% 30,70% 34,30% Dallas 45 671 49 347 38,20% 43,60% 35,00% 33,10%
Philadelphie 43 811 41 647 60,20% 60,70% 25,40% 23,10%
Tableau 7: Caractéristiques socio-économiques des immigrants africains dans les dix métropoles où ils se sont le plus massivement établis.
Source : John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm>
85
II- La recomposition du foyer africain Il n’est pas chose aisée que d’envisager la vie des ménages africains par le biais de
seules données socio-économiques. Nous venons d’étudier ce que l’environnement social
des foyers africains donne à voir; nous allons maintenant franchir le pas de la porte pour
comprendre, de l’intérieur, comment sont reconstitués les ménages africains aux Etats-Unis
et voir ensuite de quelle manière ont évolué les rapports familiaux.
A) A nouvelle démographie, nouveaux foyers
Aux Etats-Unis, les familles africaines sont bien plus réduites qu’elles ne le seraient
en Afrique. L’une des explications de la taille restreinte des foyers vient du processus
migratoire en lui-même. L’immigration africaine en terre américaine est avant tout
masculine. On observe ainsi une importante disproportion entre le nombre d’hommes et de
femmes d’origine africaine entrés aux Etats-Unis entre 1965 et 2005.
D’après les études sociodémographiques de Yanyi K. Djamba,7 les groupes
d’immigrants africains ont toujours été composés d’une majorité d’hommes, ce qui
constitue une particularité au regard de l’histoire de l’immigration en terre américaine. Il
est en effet un fait, souvent passé inaperçu, que l’immigration aux Etats-Unis est dominée
par les femmes depuis 1930. Cette situation ne se retrouve dans aucun autre grand pays
d’accueil et remet en cause l’image stéréotype de l’immigrant mâle, jeune, actif.
Seulement, cette prééminence de la gente féminine ne se vérifie pas chez les Africains.
Les travaux de Rita J. Simon8 nous enseignent en effet que « les pays en
provenance desquels plus de 50 % des migrants sont des femmes ne constituent pas un
échantillon limité et ce phénomène n’a pas été spécifique à un période donnée (…). Les
pays dont le nombre d’émigrantes est inférieur à 50 % se trouvent en Afrique et au Moyen-
Orient ».
Cette surreprésentation masculine dans la population immigrée africaine s’explique
en partie par le fait qu’en Afrique, les hommes ont la charge de la famille et contrôlent bien 7 DJAMBA, YANYI K., «African Immigrants in the United States : A Socio-Demographic Profile in Comparison to Native Blacks», in Journal of Asian and African Studies, vol. 34, n° 2, mai 1999, pp. 210-215. 8 SIMON, Rita James, Women’s movements in America : their successes, disappointments, and aspirations, New York, Praeger, 1991, p.163-164.
86
souvent les ressources financières. Il paraît alors difficile pour une femme d’émigrer de son
propre chef. Le coût de la migration pour la majorité des femmes africaines représente un
rempart inaccessible. De plus, le caractère récent du mouvement migratoire en provenance
d’Afrique favorise, comme c’est souvent le cas, l’immigration des hommes. Ces derniers
représentent finalement 58 % de la communauté africaine.9 Mais déjà, les femmes
africaines semblent vouloir rattraper leur retard.
En effet, les ratios hommes/femmes se modifient sensiblement depuis l’an 2000,
bien que cette évolution diffère grandement en fonction des nationalités. Les communautés
nationales établies depuis longtemps, tels que les Nigérians, sont ainsi en mesure de
trouver très prochainement une parité entre hommes et femmes. Ceci est dû au poids de la
réunification familiale qui profite en premier lieu aux femmes d’expatriés. Au bout d’un
certain temps, les compagnes d’émigrés sont habilitées à rejoindre leur mari si celui-ci a
obtenu une carte de résident permanent. Au contraire, les groupes les plus récents, comme
les Maliens sont très massivement masculins. A la nouveauté de leur parcours migratoire
vers les Etats-Unis s’ajoute le poids des mentalités.
En Afrique de l’Ouest, selon les termes de Sylvianne Diouf, « le rôle traditionnel
des femmes était de rester à la maison et d’attendre patiemment que le mari, émigré,
envoie de l’argent pour nourrir la famille ».10 La chercheuse au Schomburg Center for
Research in Black Culture de New York explique la récente venue de femmes autonomes,
notamment en provenance d’Afrique de l’Ouest, par la dévaluation du Franc CFA. La perte
de pouvoir d’achat des habitants des anciennes colonies françaises aurait forcé beaucoup
de femmes à rechercher des opportunités à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis.
Dans la société patriarcale africaine, il reste difficile pour une femme non mariée
de partir à l’étranger tenter sa chance. Ainsi, dans les années 1980, « quand une femme
seule obtenait un visa pour les Etats-Unis, c’était un gros scandale » admet Tinder
Bocoum, consul général du Sénégal à New York ; « mais en période de crise économique,
personne ne se soucie de savoir si c’est l’homme ou la femme qui rapporte de l’argent à la
maison ».11 Beaucoup de mères, épouses ou célibataires ont ainsi pris l’initiative d’émigrer
9 U.S. Bureau of the Census, 2000, "Broad Age Groups of the Foreign-born Population by Region of Birth and Gender, 1997." http://www.census.gov/population/socdemo/foreign/98/tab10-1D.pdf 10 DAFF, Marieme, Women Taking Their Places in African Immigration, New York, Inter Press Services, 9 Août 2002. 11 Ibid.
87
seules aux Etats-Unis au cours des dix dernières années, jusqu’à acquérir l’approbation
tacite d’une grande part de la société civile africaine. Ces femmes sont devenues
extrêmement mobiles, parcourant les Etats-Unis à la recherche de marchés pour vendre
leurs objets d’arts africains et se réapprovisionnant en Afrique dès que nécessaire.
Toutefois, le nombre d’hommes reste bien supérieur. Depuis 1965, ils sont même
de plus en plus nombreux à venir seuls tenter leur chance aux Etats-Unis. Depuis le début
des années 1980, le nombre d’immigrants africains noirs12 mariés tourne autour de 50 %.
(49 % en 1980, 51 % en 1990). Ce taux plutôt bas reflète à notre humble avis la volonté de
ces immigrés de s’assurer une certaine sécurité économique avant de construire une
famille.
Par ailleurs, beaucoup de travailleurs indépendants (vendeurs de rue, chauffeurs de
taxi, manutentionnaires) vivent leur expérience migratoire sans leur famille, restée au pays.
Leur aventure américaine peut être passagère et ne correspondre qu’à la période nécessaire
pour thésauriser un maximum, avant de rentrer au pays. D’autres sont entrés aux Etats-
Unis de manière illégale et attendent de mettre à jour leur situation pour pouvoir faire venir
femmes et enfants.
Ainsi, le foyer africain aux Etats-Unis ne correspond pas forcément au schéma
« couple + enfants ». Les célibataires sont extrêmement nombreux, en particulier parmi les
jeunes générations qui privilégient leur réussite économique avant de se consacrer à fonder
une famille. Toutefois, beaucoup de travailleurs solitaires recréent de véritables foyers
avec d’autres membres de sexe identique, issus de la même communauté ethnique ou
nationale. Ainsi, ils s’installent à trois, quatre (voire plus) dans un appartement, le plus
généralement au cœur des quartiers les moins onéreux - qui s’avèrent aussi être les
quartiers les plus pauvres et plus violents – afin de rentabiliser au maximum leur séjour
américain et d’envoyer le plus d’argent possible à la famille restée sur place. Ces
immigrants proviennent en effet de cultures qui placent la solidarité familiale au cœur des
relations sociales. L’allégeance à la famille prime souvent sur les désirs personnels et il
s’agit pour eux de dépenser le strict minimum de leur maigre salaire afin de subvenir aux
besoins des femmes et enfants laissés derrière eux. En plus du gain économique, la
12 Car il les distingue des africains blancs, c’est-à-dire les Egyptiens, Maghrébins et sud-africains blancs.
88
communauté familiale (de confrères/concitoyens) qu’ils reforment, leur permet de rompre
avec leur terrible isolement et de retrouver les spécificités des liens familiaux africains.
De la même manière, la communauté joue un rôle de premier plan pour certains
réfugiés, chassés de leur pays, sans famille ni amis et complètement déracinés. Les jeunes
hommes du Sud Soudan (Lost Boys) qui bénéficièrent d’une réinstallation aux Etats-Unis
recréèrent clairement de véritables entités familiales (qui ont d’ailleurs souvent pris forme
lors des longues années passées en communauté dans le camp de réfugié de Kakuma, au
Kenya). Plutôt que de vivre isolés dans un appartement, nombre d’entre eux mirent leurs
biens et revenus en commun et expérimentèrent les joies de la collocation (celle-ci pouvant
compter jusqu’à dix membres).
En somme, l’immigration africaine n’est pas une immigration typiquement
familiale comme pouvaient l’être les migrations en provenance d’Europe, au début du
siècle. Beaucoup d’individus quittent leur pays seuls, et même s’ils sont rejoints plus tard
par d’autres membres de leur entourage, les structures familiales s’en trouvent
profondément modifiées.
B) De la famille élargie à la famille nucléaire
L’unité familiale en Afrique correspond à la famille élargie. L’immigration aux
Etats-Unis a substantiellement modifié ce modèle. Il est rare de voir la structure familiale
africaine fonctionner aux Etats-Unis.
L’immigration a eu un impact certain sur la composition des ménages africains.
Tout d’abord, les immigrants qui fondent une famille aux Etats-Unis ajustent la taille de
leur foyer. En raison du coût élevé de la vie, notamment de l’éducation et des dimensions
des logements, le taux de fécondité des femmes africaines diminue drastiquement une fois
aux Etats-Unis. D’après John Arthur,13 les couples aux Etats-Unis ont « trois, quatre
enfants, rarement plus ». Cela demeure bien au-dessus de la moyenne nationale américaine
mais reste un strict minimum en Afrique où l’on attend des femmes (même actives)
qu’elles mettent au monde cinq ou six enfants en moyenne. Le passage à la famille
13 ARTHUR, John A., Invisible sojourners – African Immigrant Diaspora in the United States -, Westport, Praeger, 2000, 115 p.
89
nucléaire implique de profondes modifications pour les couples. Ils doivent notamment
apprendre à gérer seuls l’éducation de leurs enfants, rôle auquel participent généralement
les grands-parents, oncles, tantes, frères et sœurs en Afrique. L’absence de famille élargie
est particulièrement ressentie par les femmes qui ne peuvent plus compter sur l’aide des
autres femmes du foyer – sans parler des domestiques, fréquents un peu partout en Afrique
et à divers échelons de la société – pour effectuer les travaux ménagers.
Beaucoup d’immigrants ont ainsi du mal à s’accoutumer au nouveau cadre de vie
familial : « La proximité familiale qu’on avait en Erythrée me manque. Je suis proche de
mes frères et sœurs ici, mais avec nos boulots et nos emplois du temps bien occupés, c’est
dur de conserver des relations aussi proches qu’en Afrique. Ma famille me manque. Bien
sûr, la chose qui me manque le plus c’est ma mère »14 convient un Erythréen de
Philadelphie. Des propos qui trouvent un écho chez ce jeune Guinéen : « Ce qui me
manque le plus de la Guinée, c’est la présence de la famille élargie. Au pays, je me sens
sûr. Mes enfants sont en sécurité, tout comme ma femme. Que je sois là ou pas, il y aura
toujours quelqu’un qui prendra soin d’eux. En Amérique, je n’ai plus cette assurance ».15
En effet, lorsque l’immigrant arrive accompagné, c’est dans la plupart des cas de
son épouse et de ses enfants. Il est rare que les parents rejoignent le groupe et qu’on les
retrouve au sein des foyers d’immigrants. Ainsi, le foyer africain ne s’agrandit que lorsque
des membres de la famille élargie rejoignent les Etats-Unis par le biais du regroupement
familial. L’aide accordée par les « parrains » est de première importance pour l’adaptation
des nouveaux venus. Cependant, passée la période d’autonomisation, la nouvelle
génération d’immigrants (constituée la plupart du temps des frères et sœurs) s’attache à
trouver un nouveau logement. Ce temps de « maturation » du nouvel immigré n’est pas une
donnée invariable. Il arrive que la cohabitation fraternelle s’éternise. Mais la structure
familiale élargie n’est plus la norme et les membres d’une même famille tendent
généralement à se scinder en plusieurs foyers.
Comme nous l’avons entrevu plus haut, l’absence sur place d’une famille élargie
est comblée par les liens intenses créés entre membres du même groupe national ou
ethnique. Cette famille de substitution tient la même place que la famille biologique. Elle
14The Historical Society of Pennsylvania, African immigrant experience: http://www.hsp.org/default.aspx?id=174 15 Ibid.
90
est porteuse de conseils (notamment pour les jeunes et leur éducation), est amenée à jouer
un rôle de médiateur lors de conflits domestiques et fournit un soutien moral et financier en
temps de crise. Ainsi, les vendeurs de rue de New York ont-ils pris l’habitude de créer une
caisse commune, servant à l’un des membres en cas de vol de ses marchandises ou de
problèmes de santé (le coût des services de santé étant difficilement supportable pour un
seul homme en cas de grave problème). Dans le pire des cas, lorsqu’un membre de la
communauté décède, l’aide financière de la communauté permet à la famille du défunt de
rapatrier le corps au pays. La « famille communautaire » prend aussi part aux événements
plus joyeux tels que les mariages, baptêmes ou remises de diplômes.
C) De nouveaux rapports familiaux (le statut des femmes, la place des aînés et l’éducation des plus jeunes)
L’immigration est un processus qui ne manque pas de modifier les rôles
qu’occupent traditionnellement les hommes, les femmes, les enfants, les aînés, dans la
famille africaine. L’installation aux Etats-Unis à la fois resserre les liens au sein de la
famille, refuge rassurant face à un monde extérieur difficile à comprendre, parfois hostile,
et la met en péril en bousculant les rôles traditionnels.
Le premier bouleversement des cadres familiaux tient dans la nouvelle place
occupée par les femmes au sein des ménages. La plupart d’entre elles exercent en effet une
profession16 et les salaires qu’elles perçoivent sont bien supérieurs à ce qu’ils peuvent être
dans leurs pays respectifs. Elles acquièrent donc plus d’autonomie et le mode de vie
familial s’en trouve parfois bouleversé.
Un immigrant éthiopien décrit « l’ampleur » du changement : « En Ethiopie, la
femme doit s’occuper de la maison. Ici, je cuisine pour mes enfants, je lave leurs
vêtements, les habille. C’est moi qui les amène à l’école et ma femme vient les rechercher.
Généralement, en Afrique, un homme ne fait pas ça ».
L’indépendance économique de la gente féminine ne manque pas de se répercuter
sur le foyer africain : « Les femmes n’ont plus peur de demander le divorce si elles ne sont
pas satisfaites du fonctionnement de leur couple. Elles peuvent subvenir à leurs besoins et 16 Selon April Gordon, en 1997, 55 % des femmes immigrées avaient un emploi. Nous pensons que ce taux est encore plus élevé en 2005. GORDON, April, « New Diaspora. African Immigration to the United States », in Journal of Third World Studies, 1998, n°15, p.98.
91
elles savent que généralement, les candidats à un deuxième mariage se battent sur le pas de
leur porte »17 déclare un Sénégalais résigné. Ainsi, d’après Sylviane Diouf, « lorsque leur
épouse les rejoint, certains hommes ne les laissent pas prendre un travail, de peur qu’elles
prennent goût à cette nouvelle autonomie et puisse un jour les quitter ». Rachid Bouchareb,
le réalisateur du film Little Senegal, dépeint parfaitement la vie d’une immigrante
condamnée à vivre recluse dans un étroit appartement, préposée aux tâches ménagères et à
l’attente de son mari.18 « Certains hommes vont jusqu’à enfermer leur femme lorsqu’ils
partent au travail » confirme Sylviane Diouf.
Parmi les immigrants africains, aux mentalités parfois très conservatrices quant à la
place des femmes dans la société, « certains hommes ont brisé de gros tabous, comme
cuisiner ou nettoyer... Ils semblent avoir réalisé qu’ils ne pouvaient plus attendre de leur
épouse qu’elles préparent à manger le soir après 12 ou 14 heures de travail; Alors, ils ont
appris à prendre part aux tâches ménagères quotidiennes » analyse Kane, un immigrant
sénégalais.
L’autre modification d’envergure au sein du système familial concerne la place des
aînés. En Afrique, le sens de la hiérarchie et le respect accordé aux Anciens constitue l’une
des valeurs sacrées du modèle familial.
Comme nous pouvions l’imaginer pour une population de nouveaux immigrants, la
part des personnes âgées est très faible. Seuls 2,6 % des Africains qui ont migré vers les
Etats-Unis ont plus de 65 ans. Ceci constitue le pourcentage le plus faible de tous les
groupes d’immigrants. Les immigrants africains sont des individus en pleine force de l’âge,
prêts à travailler. Plus de 70 % ont entre 25 et 54 ans, seulement 13 % ont moins de 17
ans.19 De plus, puisqu’elle se perpétue, la population immigrante africaine demeure très
jeune. Les personnes âgées sont souvent des réfugiés qui ont bénéficié d’une réinstallation
aux Etats-Unis avec le reste de leur famille. Puisque la plupart des Africains expriment le
17 ARTHUR, John, Invisible…op.cit. 18 S’il s’agit d’une fiction et non d’un documentaire, le réalisateur s’est attaché à ancrer son film dans la réalité de la communauté africaine d’Harlem. Pour cela, il s’est immergé pendant de longs mois aux alentours de la 116e rue, au cœur du quartier rebaptisé Little Senegal. Ce film constitue ainsi un support digne d’intérêt dans la représentation qu’il offre de la communauté ouest-africaine de New York. 19 U.S. Bureau of the Census, 2000, "Broad Age Groups of the Foreign-born Population by Region of Birth and Gender, 1997." http://www.census.gov/population/socdemo/foreign/98/tab10-1D.pdf
92
souhait de retourner dans leur pays natal dès que la possibilité s’offre à eux, la proportion
des seniors dans la communauté n’est pas en mesure de s’accroître dans un futur proche.
Les Africains les plus âgés, ou qui immigrent tardivement ont ainsi plus de mal à se
faire à la société américaine et n’y trouvent pas leur place. Un immigrant nigérian qui tenta
infructueusement de faire venir sa mère aux Etats-Unis témoigne : « Ma mère resta ici un
an, c’est tout.. parce qu’elle n’aimait pas. Elle se sentait trop isolée. Au pays, les gens
rentrent et sortent de chez toi, s’arrêtent pour dire bonjour, repartent ».20
En Afrique, il est établi que les familles prennent en charge les personnes âgées. La
situation aux Etats-Unis diffère dans la mesure où la majorité des hommes et des femmes
travaillent et que la famille nucléaire a remplacé la famille élargie. Les aînés ne trouvent
donc plus leur place au sein du foyer, un choc pour la plupart. « Je ne pense pas que je
pourrais être une personne âgée dans ce pays » affirme un immigrant kenyan. « J’aime la
révérence que les jeunes ont pour les personnes âgées au pays, le respect accordé par la
communauté. Tu termines ta vie de manière plus douce et sereine.. pas comme ici où tu
dois te soucier du Medicaid21 quand tu as de la fièvre, et du coût de la vie. Je ne pourrais
pas vieillir ici ».22
Enfin, l’éducation des enfants dans la société américaine appelle à une réadaptation
des parents africains. Leur première inquiétude est de voir leur progéniture perdre les
valeurs et traits de la culture africaine. Ils s’évertuent ainsi à ralentir au maximum
l’américanisation des plus jeunes. Une immigrante de Charlotte (Caroline du Nord)
s’inquiète : « Les valeurs que nous avons apportées d’Afrique avec nous constituent notre
planche de survie en Amérique. Nos enfants qui copient la mode de la culture urbaine, sont
en train de se séparer de nous, leurs parents ».23
Un des palliatifs utilisé par les parents contre la « perte de repères » de leurs
enfants, consiste à les envoyer dans des programmes d’éducation africaine. Ces cultural
schools accueillent les jeunes immigrants après l’école ou lors de cours d’été. La
génération née aux Etats-Unis apprend par ce biais les fondamentaux de la culture africaine 20 The Historical Society of Pennsylvania, African..op.cit. 21 Programme fédéral d’assurance maladie pour les personnes sans ressources. 22 The Historical Society of Pennsylvania, African..op.cit. 23 ARTHUR, John A., Invisible sojourners –African Immigrant Diaspora in the United States-, Westport, Praeger, 2000, p.115.
93
(histoire, langues vivantes) ainsi que les valeurs et traditions de leurs pays d’origine. Il
arrive aussi que les plus fortunés, provenant de sociétés pacifiées, envoient leurs enfants
dans leur pays pour des « cours intensifs » dédiés à la culture locale. Plus radicaux, certains
décident de les « rapatrier » en Afrique durant leur prime enfance, ou lorsqu’ils considèrent
que ces derniers prennent « un mauvais chemin ». « Nous pensons que c’est aussi un bien
meilleur environnement pour nos enfants » explique une jeune mère sénégalaise de New
York qui a envoyé son enfant à Dakar dès l’âge de six mois. Le coût élevé de l’éducation
et des besoins de l’enfant aux Etats-Unis ainsi que les difficultés des emplois du temps
rentrent pour beaucoup en ligne de compte. En Afrique, les enfants sont élevés par les
grands-parents et viennent temporairement aux Etats-Unis pour les vacances et
définitivement lorsqu’ils sont plus âgés. (Pour certains cela équivaut à l’âge universitaire).
Beaucoup de rencontres communautaires sont aussi l’occasion pour les parents
d’exposer leurs enfants à la culture africaine et au modèle d’éducation africain. Lorsque
l’autorité semble leur échapper, ils tendent à les conduire vers des jeunes de la même
communauté, qu’ils devinent moins nuisibles. Tous partagent le sentiment que la société
américaine, ses valeurs et son système éducatif sont responsables des comportements
déviants et violents d’une partie de la jeunesse. C’est pourquoi les immigrants s’efforcent
d’accompagner leurs enfants vers les éléments culturels spécifiquement africains.24
Toutefois la crainte de l’environnement extérieur conduit la plupart des adultes à
rehausser leur degré de vigilance. Les adolescents voient ainsi leurs sorties strictement
encadrées et ne profitent pas de la même liberté de mouvement que leurs amis du même
âge. Un père éthiopien exprime ses craintes, partagées par beaucoup de parents : « J’ai
peur qu’ils aient des ennuis. Alors j’essaye de parer à toute chose, mais je ne sais pas ce
qu’il peut se passer dans le futur. On s’est mis d’accord pour qu’ils reviennent directement
à la maison après l’école. S’ils veulent aller quelque part, je les y emmène et je les
24 Les films africains, par exemple, permettent aux parents d’apprendre à leurs enfants « américanisés » ce qu’est la société africaine, la vie africaine et les maux qui traversent le continent. Des sujets sensibles tels que les conflits ethnico-religieux qui opposent chrétiens, musulmans, animistes ou encore le « clash » entre modernité et traditionalisme. Mais beaucoup de parents se raccrochent à ces films pour l’éducation de leurs enfants, par le biais de petites nuances culturelles disséminées ci et là, telles que la tradition dans certaines cultures africaines d’abaisser la tête lors d’une conversation avec ses parents en signe de déférence ou la fessée comme une forme acceptée de discipline.
94
ramène ». Pour les enfants qui ont vécu en Afrique, la liberté qui était la leur est alors une
période révolue.
Les parents adaptent donc leur modèle d’éducation en fonction de leur nouvel
environnement social ; ils doivent aussi adapter certaines de leur méthodes : les punissions
corporelles qui sont des plus courantes en Afrique ont mené certains immigrants devant la
justice américaine.
Photo 16 : La transmission du patrimoine. Lors d’un pique-nique somalien en Virginie, une adolescente applique du henné sur les mains d’une jeune enfant afin de l’initier à sa culture d’origine. La préservation de l’héritage culturel africain semble être un élément de première importance pour les immigrants qui font de grands efforts pour familiariser les enfants et adolescents à leur culture nationale, une culture lointaine et proche à la fois. Les jeunes générations préfèrent souvent se fondre dans la société américaine afin d’être bien acceptés par leurs pairs, mettant ainsi de côté leurs spécificités. En grandissant toutefois, ils tendent souvent à acquérir plus de confiance en eux et à revendiquer leur héritage africain.
[African Immigrant Folklife Project]
95
Photo 17: La nouvelle génération. De jeunes Erythréens discutent dans un centre communautaire. Pour les jeunes générations nées en Afrique, la vie en Amérique rime avec libertés et restrictions. Les parents, qui craignent le fléau de la violence et les mauvaises fréquentations (les jeunes noirs américains en particulier) en viennent souvent à restreindre les activités de leurs enfants ainsi que leurs sorties. Ces derniers n’ont plus la liberté qui était la leur dans leur voisinage africain, où tout le monde se connaît et veille sur les enfants d’autrui et où le taux de criminalité est plutôt bas, comparé à celui de la plupart des grandes métropoles américaines. Mais certains voient les avantages de l’environnement urbain américain, où ils ne sont plus sans cesse surveillés par le quartier (la famille, les amis), ce qui leur procure un sentiment de profonde liberté une fois hors de chez eux. [The Historical Society of Pennsylvania].
Photo 18: La nouvelle place des femmes. La plupart des femmes africaines exercent une profession aux Etats-Unis, ce qui entraîne une redistribution des rôles dans le couple. Par ailleurs, l’indépendance économique qu’elles acquièrent est à l’origine de nombreuses tensions, certains hommes ne supportant pas de voir leur épouse s’émanciper. [The Historical Society of Pennsylvania].
96
Chapitre 6 : Du chauffeur de taxi au chef navigateur de la Nasa, une immigration de
travailleurs A ne pas y prendre garde, il est facile de se fourvoyer complètement sur la réalité
de l’immigration africaine outre-atlantique. Nous nous laisserions aisément convaincre que
les Africains occupent aux Etats-Unis (comme en France) les emplois sous qualifiés du bas
de l’échelle sociale. Les chauffeurs de taxi de New York ne sont-ils pas Africains ou
Haïtiens ? Aux yeux de beaucoup, l’immigrant africain est, presque par définition, pauvre.
Or, les Africains occupent aux Etats-Unis une grande variété d’emplois – et des
plus qualifiés – et au final s’en sortent plutôt bien au niveau économique. Des vendeurs de
statuaires africaines à Philadelphie aux ingénieurs de San Francisco, des coiffeuses
d’Atlanta aux universitaires de Boston, nous allons tenter d’exposer la gamme d’activités
professionnelles tenues par les immigrants. Nous pourrons ainsi supputer du statut social
qu’ils occupent au sein de la société américaine.
I- Une immigration qualifiée
A) L’élite étudiante africaine
La poursuite des études constitue un facteur souvent déterminant dans le choix des
immigrants de quitter l’Afrique pour l’Amérique. Harvard, Yale, Columbia, Stanford sont
autant de noms devenus symboles du prestige universel des universités américaines.
L’émigration estudiantine répond en partie aux difficultés des Etats africains à
assumer les coûts de l’enseignement supérieur garantissant la formation de leurs cadres.
Tout comme la fin des études primaires est pour de nombreux jeunes Africains ruraux
l’occasion d’un déplacement vers la ville, la fin des études secondaires en amène beaucoup
à considérer la poursuite de leurs études hors du territoire national, principalement vers
l’Europe ou l’Amérique du Nord.
97
La plupart des pays africains ont poursuivi un effort de scolarisation et
d’alphabétisation après la décolonisation afin d’élever le niveau littéraire d’une majorité.
Cependant, bien que des universités aient été mises sur pied, elles ne proposent guère de
formations qui s’étendent au delà du deuxième cycle. Pour les étudiants désireux de
poursuivre leur éducation, l’étranger demeure la meilleure réponse à leurs attentes. Comme
dans le cas de l’immigration de travail, les causes de l’émigration d’étudiants africains sont
donc à la fois internes et externes. Internes, car les carences du système éducatif sont trop
grandes, le système scolaire manque de moyens pour mener à bien sa mission. Externes, de
par la formidable attraction des centres universitaires occidentaux.
Tout d’abord, les universités américaines ou étrangères en général, proposent des
cursus qui dans bien des cas n’existent pas dans les pays délaissés. Mais la raison
principale de l’attrait pour l’étranger tient au prestige des établissements supérieurs. Les
jeunes africains qui en ont les moyens, entreprennent ainsi de façon quasi-automatique de
poursuivre leurs études en Europe, au Canada ou aux Etats-Unis, ce qui constitue souvent
une sorte de rite de consécration des futures élites. La formation dispensée aux Etats-Unis
garantit en effet l’accession à un statut social reconnu. A l’instar des pères fondateurs des
Etats africains, dont nous avons évoqué les parcours plus haut (chapitre 2), les élites de bon
nombre de pays africains continuent de recevoir une formation à l’étranger.
Pourtant, les coûts faramineux que constituent les droits d’inscription dans les
universités américaines jouent un rôle fortement prohibitif pour une bonne part des
Africains avides de suivre une formation hors de leur pays. Beaucoup continuent donc de
se tourner vers l’Europe (notamment la Grande-Bretagne et la France1), mais nul doute que
les universités américaines sont les plus convoitées.
Quoi qu’il en soit, l’étudiant qui immigre fait partie des « happy few » qui ont la
chance de pouvoir bénéficier d’une formation supérieure, aux Etats-Unis de surcroît. En
2004, le nombre d’étudiants originaires d’Afrique subsaharienne inscrits dans les
universités américaines était ainsi estimé à 32 000.2 La plupart venaient du Kenya et
du Nigeria et en grande partie d’Afrique noire anglophone, le facteur linguistique, encore
plus que pour les migrations de travail, jouant un rôle de première importance. Bien que
1 Toutefois, les délivrances de visas étudiants sont de plus en plus réglementées en France et beaucoup de jeunes Africains francophones et francophiles se tournent de plus en plus vers le Canada (en plus des Etats-Unis). 2 Open Doors Online. Institute of International Education. http://www.opendoors.iienetwork.org/
98
considérés comme résidents temporaires, il est fort à parier que la plupart de ces étudiants
demeureront aux Etats-Unis à la fin de leurs parcours universitaire. Beaucoup tentent en
effet de s’insérer tant bien que mal dans la société américaine, utilisant leur visa étudiant
comme un tremplin vers le rêve américain.
La plupart se tournent alors vers des filières où la main-d’œuvre est recherchée,
dans l’espoir d’être parrainés par une entreprise à la sortie de leur formation. Ainsi,
seulement 5 % des étudiants africains poursuivent des études de lettres. Les autres
privilégient les disciplines (majors) « professionnalisantes ». 21 % se sont spécialisés dans
le commerce (les MBA - Master of Business Administration - sont ainsi très à la mode),
14 % dans l’ingénierie, 8,4 % dans les mathématiques et sciences informatiques et autant
dans la physique et les sciences de la vie.3 En règle générale, eu égard au fort
investissement financier qu’ils ont consenti pour venir étudier aux Etats-Unis, les étudiants
africains concentrent leur attention sur les filières susceptibles de leur offrir les meilleures
opportunités en terme d’emplois et de salaires. Ce d’autant plus, qu’au sein du système
familial africain, les bénéfices de l’expérience migratoire ne reviennent pas au simple
immigrant mais à sa famille élargie. Les attentes portées sur les épaules de l’étudiant-
immigrant sont extrêmement lourdes et on attend souvent de lui qu’il subvienne
économiquement à une partie de la famille demeurée au pays, lorsqu’il aura décroché un
travail. 4
B) Les immigrants les plus instruits des Etats-Unis
Toutefois, la majorité des immigrants Africains n’ont pas obtenu leurs diplômes
universitaires aux Etats-Unis mais bien en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient ou en
Asie. Nous touchons là du doigt deux des caractéristiques principales des immigrants
africains.
3 Ibid. 4 Ainsi, le choix du bénéficiaire d’un visa au compte du regroupement familial se porte de manière pragmatique vers celui dont les chances de réussite paraissent les plus élevées et qui pourra, à son tour, sponsoriser la venue d’un autre membre de la famille. En d’autres termes, il est convenu que les plus diplômés, ceux qui ont bon espoir de pouvoir poursuivre des études supérieures dans les universités américaines, sont les premiers bénéficiaires d’un ticket d’entrée pour les Etats-Unis. On attend par la suite de celui-ci qu’il parraine un autre membre de la communauté (un processus en perpétuel recommencement).
99
Tout d’abord, ils sont généralement rodés aux migrations internationales. Une
grande partie d’entre eux sont venus aux Etats-Unis via l’Europe, le Moyen-Orient, les
Caraïbes ou un pays d’Afrique de première migration. Les travailleurs Nigérians sont ainsi
passés par la Grande-Bretagne avant de s’installer outre-atlantique. De même, les
Sénégalais ont souvent vécu de longues années en France, en Italie (et à vrai dire, dans tous
les pays européens) avant de traverser l’Atlantique. Pour beaucoup, leur première
expérience migratoire fut l’occasion de poursuivre des études, de se former
intellectuellement ou d’acquérir une expérience dans un domaine particulier.
Ceci explique l’autre caractéristique, révélée par de nombreuses études,5 de la
communauté africaine des Etats-Unis : Les immigrants venus d’Afrique forment l’un des
groupes les plus qualifiés de la nation. Un rapport du Bureau du Recensement de 19906
indiquait ainsi que « près de 90 % des immigrants africains détenaient une formation
équivalente ou supérieure au secondaire, contre 76 % parmi les immigrants asiatiques et
46 % pour les centraméricains ». Les conclusions d’une enquête plus récente7 montrent que
près de la moitié (49 %) ont un niveau de qualification équivalent ou supérieur à trois
années d’études supérieures contre 23 % pour les Américains de naissance. En 2000,
d’après John Logan et Glenn Deane,8 les Africains immigrés aux Etats-Unis avaient
derrière eux 14 années d’étude contre environ 10 pour les Hispaniques (voir tableau 8).
D’une manière générale, le niveau d’éducation des Africains noirs était supérieur
aux Africains Blancs (Sud-africains et Nord-africains) et à toutes les autres composantes
ethniques de la nation américaine. Enfin, selon le Bureau du Recensement,9 en 2000, parmi
la population étrangère, 94,9 % des immigrants originaires d’Afrique avaient un niveau
d’éducation égale ou supérieure à l’enseignement secondaire (completed high school or
more education). Ce taux n’était que de 81,3 % pour les Européens et tombait à 33,8 %
pour les Mexicains.
5 DODOO, F. Nii-Amoo, Assimilation differences among Africans in America in Social Forces, n°76 (2), 1997, pp.527-546 ou BUTCHER, Kristin, « Black immigrants in the United States: A comparison with natives blacks and other immigrants » in Industrial and Labor Relations Review, n°47 (2),1994, pp.265-284. 6 LAPHAM, Susan, The Foreign-Born Population in the United States, 1990. 7 DJAMBA, YANYI K., « African Immigrants in the United States : A Socio-Demographic Profile in Comparison to Native Blacks », in Journal of Asian and African Studies, vol. 34, n° 2, mai 1999, p. 212. 8 John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm> 9 Profile of the Foreign-Born Population in the United States, 2000. U.S. Census Bureau, 2001, Table 14-1 D.
100
C) Une immigration de « cerveaux »
Ainsi, l’immigration africaine, contrairement à ce que l’on pourrait penser, est pour
une grande part constituée de travailleurs compétents et chevronnés et non de migrants
incultes et miséreux. La plupart des immigrants présents aux Etats-Unis sont des citadins
qualifiés qui ont choisi l’expatriation plutôt que de subir le chômage, les bas salaires ou les
problèmes d’ordre politique. Les motivations des « cerveaux » africains de faire valoir
leurs compétences aux Etats-Unis sont le résultat combiné de facteurs économiques,
politiques, sociaux, culturels et personnels (dont l’impact varie de pays à pays et
d’individus à individus) (voir schéma 1 ci-dessous).
Cette fuite des cerveaux est généralement un processus qui débute avec celle des
étudiants. Comme nous l’avons dit plus haut, beaucoup de ceux qui ont été formés aux
Etats-Unis tentent de rester sur place et un nombre important de ceux formés en Europe et
ailleurs dans le monde s’exilent aux Etats-Unis, où ils comptent trouver des emploi à la
hauteur de leurs attentes, comme l’explique cet étudiant malien : « Au Mali, après six ans
d’études et avec un diplôme d’ingénieur agricole, je ne trouvais pas de travail. Mes études
ont été financées par l’Etat malien et j’ai été obligé de m’exiler aux Etats-Unis. Ici, j’ai
passé un Master en informatique, et à présent, je fais un travail qui me plaît, et où je suis
bien payé. Ce pays est vraiment la terre des possibles ».10
Les Etats africains supportent ainsi la majeure partie de la formation de leurs
étudiants et ne profitent pas de leurs compétences, ce qui fait dire à Philippe Emeagwali,
un ingénieur en informatique reconnu : « Le budget éducatif africain n’est rien d’autre
qu’un complément au budget éducatif américain. De manière générale, l’Afrique assiste les
pays les plus fortunés dans leur développement, ce qui rend les pays riches plus riches
encore, et les pays pauvres plus pauvres ».11
10 BOTTI, Nicolas, « Voyage dans la diaspora », in Jeune Afrique L’intelligent, 7 novembre 2000. 11 Philip Emeagwali -- How Do We Reverse the Brain Drain?—[en ligne] –[référence du 14/02/05]—Accès:< http://emeagwali.com/speeches/brain-drain/to-brain-gain/reverse-brain-drain-from-africa.html>
101
Beaucoup d’autres chercheurs, informaticiens, médecins et personnels hautement
qualifiés ont quitté l’Afrique une fois au sommet de leur compétence, privés de
perspectives évolutives (notamment salariales) dans leur pays.
En conséquence, en 1995, on dénombrait 38 000 scientifiques et ingénieurs
originaires d’Afrique noire dans les secteurs américains de la recherche et du
développement.12 Pour plus des deux tiers, ceux-ci provenaient de cinq pays : le Nigeria
(25 %), l’Afrique du Sud (15 %), l’Ethiopie, le Ghana et le Kenya (environ 10 % chacun).
Ce chiffre mineur à l’échelle des USA représentait 5 % des effectifs des chercheurs et
ingénieurs utilisés dans les mêmes secteurs en Afrique noire (180 000 personnes). Cheick
Modibo Diarra est devenu le symbole de ce brain drain13 vers les Etats-Unis. Réputé dans
la communauté scientifique internationale, cet astrophysicien d’origine malienne fut chef
navigateur du Jet Propulsion Laboratory de la Nasa et responsable de la stratégie de
navigation de la sonde Pathfinder. Nous pourrions citer beaucoup d’autres noms de
professionnels africains qui ont fait parler d’eux aux Etats-Unis, du camerounais Jacques
Bonjawo, chef de programme chez Microsoft et proche collaborateur de Bill Gates au
nigérian Philipp Emeagwali qui a été capable de faire communiquer des milliers
d’ordinateurs et qui a hérité du surnom de « father of the internet ».
Mais l’élément le plus impressionnant de ce brain drain tient dans l’exil des
médecins. Selon un rapport du PNUD,14 au moins 60 % des médecins formés au Ghana
dans les années 1980 ont quitté ce pays, la plupart pour les Etats-Unis, ce qui est d’autant
plus frappant lorsqu’on connaît les besoins des Africains en services sociaux et notamment
de santé. Les médecins nigérians sont eux aussi des plus nombreux à avoir choisi
l’Amérique. L’Association des Médecins Nigérians aux Etats-Unis compte plus de 2000
membres. Conséquence de cet exode, il n’y avait en 2004 plus que 19 médecins pour
100 000 habitants au Nigeria (et 7 en Zambie) alors que le ratio était alors de 267 médecins
pour 100 000 personnes aux Etats-Unis.15
12 Joachim Emmanuel Goma Thethet -- Contribution des Africains de la Diaspora au Panafricanisme (du milieu du XIXè siècle au début du XXIè siècle) – [en ligne] --[référence du 15/04/05] – Accès : <http://www.codesria.org/Archives/ga10/papers_ga10_12/Diaspora_Thethet.htm> 13 Ce terme a été inventé par la British Royal Society en 1962, pour décrire la migration des scientifiques et ingénieurs britanniques vers les Etats-Unis. Le « brain drain » ou « fuite des cerveaux » se produit, dit-on, lorsqu’un pays perd sa main-d’œuvre qualifiée en raison de l’émigration. 14 Programme des Nations Unies pour le Développement. 15 Selon l’Union Africaine, les pays en voie de développement dépensent ainsi 500 millions de dollars chaque année pour former des travailleurs de santé qui migrent par la suite en Occident. Pour compenser le manque
102
Toutefois, la fuite des compétences ne concerne pas seulement les intellectuels et
les travailleurs qualifiés. Les sportifs, artistes (peintres, musiciens, acteurs..) et bien
d’autres groupes sociaux encore, ont quitté l’Afrique pour les Etats-Unis. Ainsi, les clubs
de la NBA (National Basket-ball Association) attirent vers eux les basketteurs africains les
plus talentueux (tout comme les footballeurs noirs sont recrutés très tôt par les clubs de
football européens). Le nombre de pensionnaires africains dans le championnat
professionnel de Basket nord-américain est passé de 18 en 1993 à 81 en 2005.16 De ces
recrutements parfois sauvages17 sont nés des légendes du Basket comme Hakeem
Olajuwon, la star nigériane des Houston Rockets ou Dikembe Mutombo, le géant congolais
qui évolue dans le même club. Attirés par les avantages financiers et le calme des Etats-
Unis, nombre de sportifs africains optent pour la nationalité américaine. Ainsi, Bernard
Lagat, vice-champion olympique du 1500 mètres à Athènes, annonçait fin 2004 qu’il
renonçait à sa nationalité kenyane pour devenir citoyen américain.
Dans le monde de la musique, ils sont tout aussi nombreux à s’établir en Amérique.
Prenons pour exemple la chanteuse béninoise de renommée internationale Angélique
Kidjo, installée à New York depuis 1998 ; un chemin qu’a suivi King Mensah, le roi de la
musique togolaise.
Enfin, peintres et sculpteurs tels que l’éthiopienne Julie Mehretu s’exilent
massivement sur le continent nord-américain - où leur travail a enfin des chances d’être
reconnu18 - de même que de nombreux auteurs africains, parmi lesquels le poète et
romancier congolais Alain Mabanckou19 ou le prix Nobel de Littérature nigérian Wole
Soyinka.20
d’effectifs qualifiés, ces mêmes pays consacrent chaque année environ 4 milliards de dollars à l’emploi d’environ 100 000 expatriés non africains. 16 http://www.seed-academy.org/senegal_NBA.php 80 résident en réalité aux Etats-Unis. Le 81ème, le sénégalais Pape Sow évolue au sein de l’équipe des Toronto Raptors (l’unique équipe canadienne participant à la Ligue Nord-américaine de Basketball). 17 Comme dans le football européen, des agents négocient des visas avec des recruteurs (scouting). Le « marché » qu’opèrent ces derniers prend parfois des formes scandaleuses : de jeunes adolescents, promis à un avenir fantastique, se retrouvent livrés à eux-mêmes lorsqu’ils ne se montrent pas à la hauteur des espérances des clubs. 18 L’exposition itinérante « Africa Remix » consacrée à l’art contemporain africain montre, à travers les biographies des protagonistes, à quel point il est difficile de vivre de l’art en Afrique et combien l’expatriation en Europe ou aux Etats-Unis est une nécessité pour les artistes africains. 19 Lauréat du prix de la Société des Poètes Français en 1995 et du Grand Prix littéraire de l’Afrique noire en 1998, Alain Mabanckou a d’abord été invité aux Etats-Unis comme écrivain en résidence en 2002 avant
103
Ainsi l’Afrique est dans une situation paradoxale du point de vue des compétences
nécessaires à son développement. Le continent souffre d’une pénurie des cadres de haut
niveau, mais dans le même temps dispose à l’extérieur, dans les grands pays industriels du
Nord d’une foule de travailleurs hautement qualifiés. De nombreuses régions du continent
africain souffrent actuellement d’une pénurie de ressources humaines que l’on peut mettre
en partie sur le compte des départs massifs ces dernières années, des cadres et travailleurs
diplômés vers les pays occidentaux, parmi lesquels les Etats-Unis. Nous verrons toutefois
dans notre dernier chapitre (troisième partie) comment les « cerveaux africains » de la
diaspora américaine tentent de venir en aide à leur continent.
Schéma 1: Principaux facteurs de l'exode des cerveaux : un cercle vicieux.
d’accepter un poste de Professeur de littératures francophones à l’Université du Michigan-Ann Arbor, poste qu’il occupe jusqu’à ce jour. 20 Le nigérian Wole Soyinka à été professeur invité dans de nombreux établissements et a longtemps enseigné à l’University Emory. Son œuvre, qui inclut des pièces de théâtre, des romans et des poèmes est aujourd’hui enseignée dans les universités américaines.
104
Photo 19 : Des cerveaux en fuite. Le nigérian Wole Soyinka (à droite), prix Nobel de Littérature en 1986 et le malien Cheikh Modibo Diarra (à gauche), chef de projets à la Nasa, sont tous deux installés aux Etats-Unis. Ils symbolisent dans leurs domaines respectifs – les arts et les lettres pour le premier, la science pour le second - l’exode des cerveaux africains vers les Etats-Unis. [Associated Press].
105
II- Des statuts sociaux extrêmes
A) Des travailleurs inégaux face à l’emploi
Bien qu’il y ait, selon Joseph Takougang,21 plus de 100 000 travailleurs africains
qualifiés (PTK, Professionals, Technical and Kindred) aux Etats-Unis, beaucoup
d’immigrants détiennent des emplois requérant un niveau d’étude limité. Les activités
professionnelles et statuts sociaux des Africains outre-atlantique sont des plus divers.
En 2000, d’après le Bureau du Recensement, 33 % des femmes africaines (contre
32 % pour les femmes américaines) et 38 % des hommes africains (contre 28 % pour les
hommes américains), détenaient des emplois hautement qualifiés. On retrouve ainsi des
Africains parmi les avocats, notaires, professeurs d’université (en particulier au sein des
départements de Black Studies), chercheurs, physiciens, ingénieurs, comptables, cadres
supérieurs et même chefs d’entreprise.
Les immigrants africains sont ainsi, dans leur majorité, des professionnels, des
cadres et des techniciens. Le flot accru de ces travailleurs qualifiés durant les dix dernières
années a été provoqué par deux composants de la « Loi sur l’immigration » de 1990 :
l’introduction d’un programme de diversité et un accroissement des visas de travail.
Le programme de diversité a octroyé des visas connus sous le nom de « loterie » ou
« diversité » à des personnes venant de pays sous-représentés dans les flux d’immigration
américains. Ces visas, censés diversifier l’immigration et ayant donc des exigences de
sélection minimales, ont été utilisés par les travailleurs qualifiés africains pour émigrer aux
Etats-Unis. Ainsi, entre 1990 et 2000, 55 % des visas délivrés aux immigrants africains
étaient des visas de diversité et 28 % des visas de travail. Seulement 13 % des immigrants
africains sont rentrés avec des visas relatifs à la réunification familiale et 4 % en tant que
réfugiés.22
Cette élite africaine est particulièrement performante aux Etats-Unis ; ceci explique
pourquoi à peu près un tiers des Africains gagnaient plus de 50 000 dollars par an en 2000.
Cette même année toutefois, le revenu annuel médian des foyers africains s’élevait à
21 TAKOUGANG, Joseph, Recent African...op.cit. 22 Statistical Yearbook of Immigration Statistics.
106
42 900 dollars, la moyenne nationale s’établissant à 49 075 dollars.23 Cela dénote de
l’hétérogénéité des salaires et donc des emplois occupés. En tant que groupe le plus
qualifié de la nation, les Africains devraient être employés dans les secteurs qualifiés les
mieux rémunérés. Or, en 2000, 17 % occupaient des emplois d’ouvriers ou de
manutentionnaires. Il serait fallacieux de n’évoquer que les Africains qui réussissent – car
ils sont nombreux – sans faire apparaître les zones d’ombres.
Pour beaucoup d’immigrants en effet, les diplômes qu’ils ont obtenus en Afrique ne
sont pas reconnus aux Etats-Unis. Ils doivent alors recommencer une formation sur place
ou accepter des travaux sans commune mesure avec leurs qualifications. « C’est quand
même dégradant quand vous arrivez ici et que vous vous rendez compte que toute la
formation que vous avez reçue auparavant n’a pas de valeur. C’est un choc. Il faut
recommencer tout à zéro » résume un travailleur social de Philadelphie.24 Ainsi, pour
pouvoir payer leurs études (très onéreuses), ces personnes qualifiées s’en remettent souvent
à des « petits boulots ». Ils travaillent comme chauffeurs de taxi, vendeurs, agents de
sécurité, gardiens de parking ou encore aides-soignants. Dans ces conditions, certaines
élites des sociétés africaines se retrouvent vite au plus bas de l’échelle sociale et cette chute
dans les abîmes de la société américaine constitue un choc pour beaucoup : « C’est
vraiment dur. J’ai fini mon université, j’ai mon doctorat en poche. Je suis venu voir
comment c’était aux Etats-Unis et je me retrouve à vendre des livres dans la rue »
témoigne un bouquiniste malien d’Harlem.25 L’inadaptation des diplômes et des postes
proposés est souvent aggravée par le manque d’expérience en Amérique des travailleurs
africains, bien que certains aient acquis une expertise significative dans leurs pays ou en
Europe. Enfin, même si cela demeure délicat à jauger, nous sommes en droit de penser que
certains sont victimes de discriminations raciales, ce qui peut se traduire par des postes à
responsabilité limitée, des salaires plus bas ou tout simplement des refus d’embauche.
23 John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm> 24 DIOUF, Sylvianne, In motion.., op.cit. 25 Radio France Internationale (RFI), collection « L’Afrique à New York », le 07/12/2002, de 14h40 à 15h00. « Suivez mon regard », présenté par Caroline Paré.
107
Population Nés à
l'étranger (foreign born)
Nombre d'années d'études
Revenu médian
par foyer
Taux de chômage
Pourcentage vivant en
dessous du seuil de pauvreté
1990
Noirs Américains 28 034 275 1,80%
11,70 29 251 12,50% 32,80%
Afro-Caraïbéens 924 693 72,40%
12,10 42 927 9,40% 17,80%
Africains 229 488 72,10%
14,30 35 041 8,50% 24,70%
Blancs (non hispaniques) 188 013 404 3,90%
12,90 47 481 4,70% 11,30%
Noirs (non hispaniques) 29 188 456 4,70%
11,70 29 850 12,30% 32,30%
Hispaniques 21 836 851 42,70%
10,20 35 041 9,90% 27,00%
Asiatiques 6 977 447 67,50%
13,10 54 508 5,00% 15,90% 2000
Noirs Américains 33 048 095 2,20%
12,40 33 790 11,20% 30,40%
Afro-Caraïbéens 1 542 895 68,30%
12,60 43 650 8,70% 18,80%
Africains 612 548 78,50%
14,00 42 900 7,30% 22,10%
Blancs (non hispaniques) 194 433 424 4,20%
13,50 53 000 4,00% 11,20%
Noirs (non hispaniques) 35 203 538 6,40%
12,50 34 300 11,00% 29,70%
Hispaniques 35 241 468 40,90%
10,50 38 500 8,80% 26,00%
Asiatiques 10 050 579 66,50%
13,90 62 000 4,60% 13,90%
Tableau 8: Caractéristiques socio-économiques des immigrants africains en comparaison des autres groupes ethniques, d’après le recensement de l’an 2000.
Source : John Logan, Glenn Deane -- Black Diversity in Metropolitan America – [en ligne]—[référence du 14 /12/05] – Accès: http://mumford1.dyndns.org/cen2000/BlackWhite/BlackDiversityReport/black-diversity01.htm>
Toutefois, le problème de l’emploi se pose de façon encore plus aigue pour les
immigrants sans papiers (undocumented). A côté de l’immigration qualifiée qui rêve
d’ascension sociale, prospère une immigration illégale qui lutte pour survivre.
108
B) Le travail du clandestin
Un nombre croissant d’Africains viennent aux Etats-Unis munis d’un visa
temporaire et prolongent de manière indéterminée leur séjour ; d’autres arrivent avec un
visa touristique26 en poche et se perdent dans la jungle urbaine américaine. Selon Kim
Nichols, directice d’African Services Committee, qui aide à diriger les nouveaux arrivants
vers les services adéquats, le nombre de clandestins écrase celui des immigrants en
situation régulière, à New York du moins. « Il faut multiplier le chiffre par quatre ». Le
plus souvent, ces travailleurs sans-papiers parviennent à trouver un emploi dans le secteur
informel, où l’on ferme les yeux sur l’absence d’un permis de travail.
Bien que l’IRCA (Immigration Reform and Control Act) de 1986, destinée à lutter
contre ce fléau, fût votée en 1986, les Africains sont plus nombreux chaque année à tenter
l’expérience américaine clandestinement. Condamnés à travailler dans la rue – ou pour des
employeurs peu scrupuleux27 -, ils tentent pourtant de passer inaperçus. Pour cela, ils
évitent les services sociaux, ont recours aux charlatans ou aux remèdes traditionnels plutôt
qu’aux hôpitaux publics, rechignent à prendre des cours d’anglais, payent en liquidités et
gardent un œil vigilant sur les agents de l’immigration. Pourtant, dans les faits, les cas de
reconduites à la frontière (deportation) se font plutôt rares. Lorsque la journaliste de Radio
France Internationale interroge un clandestin : « Et la green card ? » celui-ci répond « non,
on contrôle pas ici, si tu n’as pas de papier c’est pas grave ». Une réflexion qui corrobore
un entretien avec un vendeur malien de vêtements streetwear en plein cœur de Manhattan
qui affirmait qu’ « ici, la différence avec Paris c’est que tu ne te fais pas contrôler. La
NYPD (la police new yorkaise) m’a arrêté une fois dans Central Park parce que j’étais en
train d’uriner et c’est interdit… ils m’ont demandé où j’habitais ; je leur ai répondu « dans
le Bronx » et ils m’ont juste dit de plus revenir trop souvent sur Manhattan ».28 La carte
d’identité n’existant pas (..encore29) aux Etats-Unis, les clandestins sont dans une
26 Toutefois, l’obtention d’un tel visa n’est pas chose aisée pour un Africain. Il lui faut obtenir de l’ambassade américaine du pays de départ un visa de touriste – qu’on peut lui refuser – et présenter un billet aller-retour, ce qui représente une fortune pour beaucoup. 27 Et il existe de vrais réseaux pour les contacter. 28 Discussion avec un vendeur malien à Manhattan, le 24/03/04. 29 Les attentats du 11 septembre 2001 ont ouvert le débat sur la nécessité d’une carte d’identité mais les défenseurs des libertés civiles y sont farouchement opposés.
109
apparente tranquillité tant qu’ils ne se font pas remarquer des services de police. En réalité,
subsister sans permis de travail n’est pas donné à tout le monde.
Pour ce faire, certains conduisent eux aussi des taxis. Alors que les immigrants qui
ont un permis de travail se retrouvent dans les Medallion cab,30 (les taxis qui ont une
licence), les sans-papiers eux, conduisent des gypsy cabs, pas tout le temps réglementés.
D’autres travaillent dans les commerces africains ou dans les restaurants (plongeurs), sont
vendeurs ou vigiles. Mais la grande majorité vit du commerce de rue.
C’est en effet la culture du commerce dans certaines ethnies d’Afrique de l’Ouest
qui pousse beaucoup d’hommes à quitter l’Afrique pour venir grossir le flot des
marchands, flot qui déferle avec les beaux jours sur les avenues commerçantes des
métropoles américaines. A New York, Washington, Philadelphie ou Chicago, la grande
majorité vient de tout l’Ouest africain, ce qui explique aussi pourquoi la masse des aliens
(les immigrants illégaux) provient de cette région. Chez les Africains musulmans
d’Afrique de l’Ouest, le commerce représente en effet une profession honorable, structurée
par d’importants réseaux et dont les pratiques commerciales demeurent guidées par le
Coran. La religion joue ainsi un rôle central dans leur activité commerciale, régie par un
cadre de procédures dont la violation entraîne le bannissement de la communauté.
L’entraide est louée plus que l’esprit de concurrence et lorsqu’un nouveau vendeur arrive
sur le marché, ses compatriotes lui offrent une « place » informelle. (Paul Soller).31
A New York, la division des tâches est stricte et chaque communauté d’immigrants
a sa spécialité. Ainsi, de manière générale, les Maliens vendent des tissus africains, les
Gambiens des perles et des objets en terre, les Nigériens des tee-shirts, sweats et couvre-
chefs en tous genres, tandis que les Sénégalais vendent des statuettes africaines et des
lunettes de soleil. Les vendeurs d’art africain (statuaires, masques..) pullulent autour du
MoMA (Museum of Modern Art) alors qu’à Canal Street on retrouve des vendeurs de
casquettes et de vêtements. La plus grosse concentration demeure cependant à Harlem.
30 Selon la Commission de régulation des taxis de la ville de New York, les Medallion cabs (de couleur jaunes et qui disposent d’une licence) peuvent légalement prendre des clients où ils se trouvent. Au contraire des gypsy cabs, autorisés dans les rues (sortes de voiture limousines) mais qui doivent répondre à une demande radio pour un service. A Harlem et dans le Bronx toutefois, les gypsy cabs prennent souvent des passagers à bord, en violation directe d’une ordonnance de la ville peu appliquée. 31 STOLLER, Paul, Money has no smell : the Africanization of NYC, Chicago, University of Chicago Press, 2002, 222 p.
110
Selon certains « Harlemites », cités par le New York Times,32 les vendeurs de rues
pouvaient être aux environs d’un millier le long de la 125e rue les week end ensoleillés,
avant que le maire de la ville ne décide de les disperser à cause des plaintes des
boutiquiers.
Beaucoup de commerçants de rue se contentent de travailler dur, d’économiser un
maximum leurs (maigres) revenus et après quelques années reviennent au pays, ayant
acquis le statut d’hommes riches et respectés. Cependant, les séjours s’éternisent dans bien
des cas. Certains undocumented restent ainsi des années sans retourner dans leurs pays où
ils ont laissé une famille, car ils savent pertinemment qu’ils risquent d’être interdits du
territoire s’ils quittent les Etats-Unis. Leur famille perdrait une source vitale de revenus.
« Si j’avais pu choisir ma vie, je ne serais pas venu aux Etats-Unis. Cela représente un
énorme sacrifice de vivre loin de son pays et de sa famille. Mais maintenant, beaucoup de
gens dépendent de l’argent que je leur renvoie, donc je n’ai pas d’autres choix que de rester
ici pour subvenir aux besoins des miens. C’est une vie de solitude que je mène. (…) On est
ici en Amérique, pour essayer de vivre convenablement. On doit faire cela pour prendre
soin de nos familles au pays. L’argent n’a pas d’odeur ».33
Une minorité toutefois envisage un séjour à long terme aux Etats-Unis. Pour cela,
ils recherchent activement les « papers », c’est-à-dire un permis de travail en bonne et due
forme de l’Immigration and Naturalization Service puis un statut de résident. Pour ce faire,
certains contractent des mariages de complaisance, d’autres requièrent l’asile politique et
doivent pour cela faire preuve – avec un peu d’imagination parfois – de leurs persécutions.
D’une manière générale, les immigrants clandestins qui régularisent leur situation
utilisent leurs profits pour ouvrir leur propre « petite entreprise », que ce soit des
restaurants, boutiques de vêtements, telle « Karta Textil » sur la très commerçante 125e rue
de Harlem ou autre. De ce fait, les immigrants africains ont acquis la réputation d’être de
fins entrepreneurs.
32 ROZHON, Tracie, « TURF; Grit and Glory in South Harlem », in New York Times, 16 mars 2000. 33 STOLLER, Paul, Money has no smel..op.cit. Interview de l’auteur avec El Hadj Harouna Souley, un vendeur nigérien.
111
C) Un vif esprit d’entreprise
L’immigrant Bawol Bawol du Sénégal, le Dioula de Côte d’Ivoire, le Igbo du
Nigeria ont un sens inné des affaires. Comme tant d’Africains, ils parviennent à se faire
une place dans les secteurs de la restauration, de la coiffure, de l’habillement, du transport
et de l’alimentation. L’esprit d’entreprise des Africains correspond parfaitement à
l’économie américaine reposant sur un marché libre. Il n’est toutefois pas né aux Etats-
Unis. En Afrique, le secteur public est si faible et l’espace occupé par le secteur privé
tellement restreint que l’économie informelle est particulièrement dynamique, laissant de
la place aux hommes et aux femmes pour devenir de véritables entrepreneurs.
Ainsi, les immigrants africains aux Etats-Unis ont ouvert de nombreux commerces
dans les centres urbains où ils ont pris pied. A Harlem, les échoppes africaines se sont
multipliées à une vitesse phénoménale depuis le début des années 1990. Les immigrants
ouest-africains possèdent de nombreux commerces autour des 116e et 125e rue. On y
trouve des restaurants africains, des salons de coiffure et de tressage (tenues par les
sénégalaises, réputées expertes dans cet art), des marchands de produits africains, des
tailleurs et tout ce qui rend la vie de l’immigrant plus facile. Khadija Sow, qui a ouvert son
propre restaurant dans le quartier de Bedford-Stuyvesant à Brooklyn explique ainsi ce qui
l’a poussée à ouvrir son commerce : « Au début je cuisinais des petits plats pour les
hommes de mon bâtiment en échange de quelques dollars et puis par le bouche à oreille,
ma clientèle s’est élargie. (…) La cuisine traditionnelle que nous proposons est très
recherchée parmi les célibataires africains qui ont été élevé la plupart du temps avec l’idée
que la place d’un homme n’est pas dans une cuisine. Ils ne savent pas même cuire un œuf,
et donc commandent tous les jours des repas dans les restaurants comme le mien (…) Ma
clientèle est masculine à 70 % ! ».34
A Washington, les restaurants sont éthiopiens, tout comme la population africaine
de la ville. Dans le quartier de Adams Morgan, on en trouve plus d’une douzaine (The Red
34 DAFF, Marieme, Women Taking Their Places in African Immigration, New York, Inter Press Services, 9 Août 2002.
112
Sea, Meskerem, Fasika) ainsi que des snacks ouest-africains. Les Ethiopiens ont aussi
prospéré en ouvrant des boulangeries ou des épiceries traditionnelles.
A Philadelphie, selon Sylvianne Diouf, les femmes africaines détiennent plus de
vingt salons de coiffure, très prisés par les Noirs américains. Ces salons représentent d’une
part une activité lucrative pour les propriétaires mais aussi un formidable accès à l’emploi
pour les nouvelles immigrantes qui ne maîtrisent pas bien l’anglais.
Ainsi, ces entrepreneurs africains ont su répondre à la demande de la communauté,
restée très attachée à son patrimoine et à son mode de vie africain. Toutefois, l’activité
commerciale des Africains ne se limite pas aux seuls produits du continent. A New York,
des immigrants ont ouvert des cybercafés, des centres de télécommunication, des
quincailleries, papeteries et magasins d’électronique. Ils ont établi des commerces qui
profitent à toute la population, plus généralement aux Noirs américains avec qui ils
cohabitent. Ces derniers ont d’ailleurs vu avec une certaine aigreur l’éclosion de
commerces africains en un temps record alors qu’ils ont toujours manifesté de la difficulté
à ouvrir des affaires dans leur propre quartier.
Si les Africains ont réussi à établir tant de « business » dans des lieux où les prêts
bancaires sont difficiles à obtenir, c’est aussi en partie parce qu’ils s’en remettent à la
solidarité du groupe pour apporter un capital d’investissement. En plus de l’apport
personnel, la famille, les amis, les compatriotes et coreligionnaires apportent –
gratuitement - leurs contributions financière. De plus, les tontines35 et autres caisses
communes sont fréquentes en Afrique et parmi les immigrants qui peuvent ainsi avoir
accès à un capital en dehors du système bancaire.
D’après le recensement de l’an 2000, le nombre d’immigrants d’origine africaine a
presque triplé durant les années 1990. Diverses estimations placent entre 600 et 800 000 le
nombre d’individus qui auraient des racines récentes en Afrique. Dans le paysage ethnique
américain, les immigrants africains n’ont peut-être pas acquis la même visibilité que les
nouveaux immigrants chinois ou indiens. Il reste difficile pour la population américaine de
distinguer un Afro-Américain d’un immigrant africain. Toutefois, le paysage urbain, avec
35 Les tontines sont des associations de personnes versant de l'argent à une caisse commune qui le distribue à tour de rôle aux membres de l'association. En Afrique, elles peuvent prendre le nom d’esusu ou d’ekoub.
113
la multiplication des commerces africains, a été marqué de l’empreinte de ces nouveaux
immigrants. Nous allons maintenant tenter de voir comment les Africains, en tant que
groupe, ont interféré dans l’espace social et politique américain. Ce sera le thème de notre
troisième partie.
114
Photo 20: Un vif esprit d'entreprise. Les rues des grandes villes américaines sont marquées du sceau de l’immigration africaine. Pour beaucoup d’Américains, les mosquées, églises, restaurants ou magasins africains constituent le signe le plus visible de l’afflux de populations africaines. Les immigrants d’Afrique de l’Ouest en particulier, se sont révélés être de formidables entrepreneurs et ont ouvert commerces et services en tout genre. Ici, le « Senegalese Fashion Center », à Brooklyn.[New York Times, 21 février 2005].
Photo 21 : Un taxi et des diplômes. A New York, Philadelphie ou Chicago, les immigrants africains représentent environ 10 % des chauffeurs de taxi. Beaucoup de ces derniers ont en réalité des diplômes d’études supérieures mais n’ont pas de permis de travail ou ont été incapables de trouver un emploi à la mesure de leurs compétences du fait de la non reconnaissance des diplômes africains. Tout en conduisant la nuit, certains suivent des formations universitaires en parallèle afin de réajuster leurs qualifications. [The Balch Institute Collections ].
116
En février 1999, l’assassinat d’un jeune vendeur de rue guinéen par la police New-
yorkaise braqua un instant les projecteurs sur la communauté africaine vivant aux Etats-
Unis. Cet événement tragique révéla aux yeux de tous, la spécificité de cette communauté
trop souvent amalgamée aux Afro-américains. Le grand public découvrait ce qu’était la vie
d’un immigrant noir africain dans la cité new-yorkaise et la profonde altérité de tout un pan
de la population noire des Etats-Unis. Si l’immigration africaine est devenue, depuis les
années 1980, un phénomène migratoire statistiquement incontestable, elle ne semblait pas
– jusqu’à une date récente – avoir marqué de son empreinte le paysage social américain et
les esprits du vulgum pecus.
Pourtant, lentement mais sûrement, les immigrants africains sortent de l’ombre
façonnée par les quelque 35 millions de Noirs américains que comptent les Etats-Unis et
expriment avec grande vigueur leur identité propre.
Nous avons traité précédemment de la visibilité nouvelle des immigrants africains
dans la société américaine, acquise par leur poids démographique croissant; nous allons
maintenant nous attarder sur leur visibilité au sein de l’espace social, politique et culturel.
Dans le cadre du multiculturalisme américain, le poids réel des communautés immigrées
ne se mesure pas qu’en termes strictement démographiques ou statistiques. Il se mesure
aussi à l’aune de leur implication et de leur influence sur la vie et l’évolution de la société
elle-même.
Nous verrons donc dans cette dernière partie comment s’opère l’intégration des
immigrants africains aux Etats-Unis, quels vecteurs favorisent ou retardent leur entrée de
plain-pied dans la société américaine ainsi que l’implication des membres de la diaspora
africaine dans l’espace social, culturel et politique américain. Nous examinerons ensuite
les relations ambiguës entretenues entre les immigrés et la population afro-américaine ainsi
que la manière dont les Africains redéfinissent leur identité à l’intérieur de la société
américaine. Cela nous permettra d’appréhender au mieux la place qui est la leur au sein
d’une communauté nationale américaine pluriethnique. Enfin, nous nous attarderons sur les
attaches qui continuent de lier les émigrés à leur continent d’origine avant d’explorer les
stratégies à moyen et long terme des immigrants africains, manière pour nous de cerner au
plus près les allégeances multiples de ces populations tiraillées entre deux continents que
tout semble opposer.
117
Chapitre 7 : Un pied en Afrique, un pied en Amérique…
I- Des réseaux communautaires actifs
A) La sociabilité africaine au quotidien
D’une manière générale, la sociabilité des Africains aux Etats-Unis revêt les formes
coutumières des pays dont ces immigrants sont issus. Partager un thé, un café, un repas ;
célébrer une union, un baptême ou participer à un enterrement. De telles célébrations
prennent d’autant plus de signification aux Etats-Unis qu’elles permettent à ceux qui vivent
loin de chez eux de préserver un certain héritage culturel et de maintenir la communauté
soudée.
Les Africains des classes aisées, bien souvent installés depuis plus longtemps, ont
quant à eux tendance à assimiler les modes de sociabilité typiquement américains. Ils
organisent des pique-niques dans les parcs publics, vont se baigner en famille ou même
faire du ski. Certaines familles célèbrent les fêtes américaines comme Thanksgiving avec
leurs amis,1 qu’ils soient africains ou non.
Au niveau local, les Africains aiment à se retrouver entre membres de la diaspora.
Dans bien des quartiers, l’épicerie du coin s’est substituée à l’arbre à palabres. On y parle
politique, écoute de la musique traditionnelle et recrée un semblant d’atmosphère africaine.
Dans les métropoles américaines où les immigrants sont les plus nombreux (voir chapitre
4), ces épiceries pleines de condiments africains ont fleuri dans les quartiers où réside la
communauté africaine. Les familles vont s’y servir en ingrédients culinaires. Pour les
autres, les épiceries tenues par les Asiatiques (Sud-coréens notamment) proposent une
gamme de produits qui complètent les achats de supermarchés. Les magasins de vidéo et
1 Cas de la famille Sharif, de Tanzanie qui vit à Philadelphie. The Historical Society of Pennsylvania, African immigrant experience. http://www.hsp.org/default.aspx?id=174
118
de musique africaines constituent également des points de rencontre pour les membres de
la diaspora, tout autant que les salons de coiffure (particulièrement pour les femmes), les
boites de nuits (pour les jeunes…notamment) ou les restaurants tenus par des africains.
« Quand je vais à La Marmite (restaurant ouest-africain d’Harlem), ça me rappelle le
pays » témoigne un immigrant ivoirien de New York.2 La majorité des immigrants
rapporte partager le plus gros de leur temps libre avec les membres de leur communauté
d’origine, et plus spécifiquement de la même aire géographique, linguistique et culturelle,
laissant peu de place aux relations avec les autres composantes ethniques de la société
américaine. « Mes amis viennent du Nigeria, du Ghana, du Cameroun ou encore de la Côte
d’Ivoire » explique ainsi une sénégalaise de 38 ans, fonctionnaire internationale. « C’est
très important de se retrouver entre Africains. On parle politique, on mange ensemble ».3
Cependant, nous ne pouvons pas généraliser ce propos. Les contacts avec les membres de
la société d’accueil diffèrent suivant le nombre d’années passées aux Etats-Unis et la
situation professionnelle et sociale des immigrants en question.
Au-delà de la sociabilité au quotidien, les immigrants ont créé un large éventail
d’associations qui regroupent les membres de la diaspora selon des critères professionnels,
nationaux, régionaux, culturels ou panafricains.
B) Des associations africaines nombreuses et actives
Les associations africaines se sont multipliées avec l’arrivée en nombre croissant de
ressortissants du continent noir depuis les années 1970. La plupart de ces associations ont
pour vocation de développer l’entraide entre immigrants et plus particulièrement l’accueil
des nouveaux arrivants, mais aussi de rassembler les membres de la diaspora autour de
divers projets d’aide aux pays dont les membres sont originaires. Elles fournissent un
soutien économique, psychologique, culturel et politique aux ressortissants africains, dans
une société nouvelle et parfois effrayante. Formées aussi bien dans les écoles,
l’administration que dans les entreprises, ces associations reposent sur une base nationale
ou régionale le plus généralement. Ainsi, selon une jeune chef d’entreprise camerounaise, 2 Entretien par email le 07/01/04. 3 BOTTI, Nicolas, « Voyage dans la diaspora », in Jeune Afrique L’intelligent, 7 novembre 2000.
119
il existait en 2000 une trentaine d’associations uniquement camerounaises pour environ
10 000 ressortissants de ce pays. « Ce sont des associations actives qui participent
beaucoup au développement du pays ».4 Leur préoccupation première semble plutôt
d’apporter un soutien local. « Les gens pensent d’abord à leur village, leur ethnie, leur
pays, avant de penser à l’Afrique ». Le tracé arbitraire des frontières africaines par le
colonisateur ayant divisé des groupes ethnoculturels identiques en plusieurs pays, il n’est
pas rare de voir se reformer à l’extérieur du continent des organisations sur une base
ethnique plutôt que nationale. L’association Badenya (fraternité) fait ainsi le lien entre les
immigrants maliens et ivoiriens d’ethnie dioula de Washington.
D’autres organisations sont dédiées à la préservation des traditions socioculturelles.
Tel est le cas de nombreux groupes de « mascarade » nigérians ou ghanéens qui organisent
des soirées dansantes et cérémonies rituelles – agrémentées de libations aux ancêtres et
d’un symbolisme accessible aux seuls initiés -, non seulement dans un but festif mais aussi
pour mettre en avant les réussites de ses membres, accueillir les nouveaux immigrants ou
porter le deuil des défunts. Ces associations à vocation culturelle qui se proposent de
rassembler les immigrants autour d’un héritage culturel commun, d’une langue et de
traditions partagées, mettent souvent en avant, elles aussi, le caractère ethnique d’un
groupe. Ainsi en est-il de la Yoruba Society à New York, réservée aux Nigérians d’ethnie
Yoruba.5 De tels groupements ethnoculturels aspirent à mettre en avant la richesse d’un
patrimoine à préserver et pour ce faire, à transmettre aux jeunes générations en proie à une
américanisation rapide.
La base nationale et ethnique de la plupart des associations diasporiques ne manque
pas de recréer par moment, de manière inévitable, les clivages ethnico-religieux des Etats
africains que ses membres ont délaissés. Sans compter que certaines organisations ont une
vocation clairement politique et luttent depuis les Etats-Unis pour une cause singulière.
Beaucoup de réfugiés soudanais d’ethnie Dinka, évincés de leur pays par la guerre entre le
gouvernement islamique du nord et le sud chrétien, ont longtemps participé6 plus ou moins
officiellement aux activités politiques du SPLA (Sudan People’s Liberation Army) de feu
4 Ibid. 5 Ethnie du Sud-Ouest nigérian qui représente près d’un quart de la population du pays. 6 Un accord de paix a été signé le 9 janvier 2005 à Nairobi, mettant fin à vingt-et-une années d’un conflit qui aurait fait au moins 1,5 million de morts et quatre millions de réfugiés.
120
John Garang7. D’autres organisations essayent au contraire de reformer les liens nationaux
mis à mal par une guerre civile ou un conflit ethnique. Il semble même que ce soit plutôt la
règle. Les Libériens ont leur United Liberian Association, les Sierra Léonais leur United
Sierra Leoneans for Peace and Development, alors que les Soudanais de Philadelphie ont
créé le Sudanese Union of Philadelphia. Pour les immigrants d’un même pays, autant
clivés qu’ils soient par des origines sociales ou ethniques différentes, les parentés sont
sûrement plus faciles à déceler que les dissemblances une fois plongés dans la société
américaine. Surtout, comme nous avons pu le souligner dans notre deuxième chapitre,
beaucoup d’Africains ont émigré en réponse à une situation conflictuelle dont ils ont
souffert. La plupart ont ainsi une aversion pour les dirigeants africains accusés d’être à
l’origine8 de ces conflits qui déchirent leurs pays et nul doute que leurs premières
intentions une fois aux Etats-Unis, sont plus portées à ressouder les liens nationaux qu’à
re-déterrer la hache de guerre. L’unité nationale façonnée ainsi évite de transposer les
conflits africains en terre américaine. Ceci constitue un effet tout à fait unique de la
migration vers l’étranger. La vie aux Etats-Unis lie des ressortissants d’un même pays qui
ne se seraient probablement jamais rencontrés chez eux, du fait de barrières politiques,
religieuses, culturelles ou sociales.
L’expérience migratoire accentue aussi les contacts entre différentes communautés
nationales (qui pourtant à l’origine, ne se sentent pas plus de parenté qu’un Portugais et un
Néerlandais). En effet, grâce à l’initiative de certains leaders, les associations créées par les
immigrants tentent d’élargir leur public au-delà du cercle national. Des groupes
panafricains émergent ici ou là, parallèlement au sentiment tardif que les Africains ont
d’appartenir à un continent homogène, à une même entité.9 Plus généralement, une
association à vocation continentale tente de chapeauter la multitude de groupements
7 Le très charismatique leader du SPLA s’est tué dans un accident d’avion survenu trois semaines après sa nomination au poste de vice-président du Soudan dans le cadre de l’accord de paix de Nairobi. 8 Selon une étude de la BBC menée dans dix pays d’Afrique subsaharienne auprès de 7 500 personnes, 90 % des Africains sont fiers de leur continent, moins de leurs leaders. Intitulée le pouls de l’Afrique, cette enquête dresse un tableau contrasté du continent noir. Si les populations ont une bonne image d’elles-mêmes, affirmant que les Africains sont des gens « pacifiques, amicaux et riches en ressources naturelles », il n’en va pas de même pour leurs gouvernants. Seuls trois pays (le Kenya, le Rwanda et le Ghana) pensent majoritairement du bien de leurs dirigeants. Cette étude révèle par ailleurs que l’attachement des Africains à leur continent trouve ses limites. 73 % des Nigérians, 70 % des Ivoiriens et 66 % des Ghanéens souhaiteraient émigrer, principalement vers…les Etats-Unis. 9 Le continent africain est tout sauf homogène, les Africains en ont bien conscience. Cependant, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, l’africanité est une notion que l’immigré intériorise, sinon conçoit une fois aux Etats-Unis.
121
ethniques, religieux ou nationaux. Les Africains ont pris conscience que leur influence
serait d’autant plus grande dans la communauté qu’ils useraient d’une seule et même voix.
A Omaha, dans le Nebraska, le All African People Organizations réunit des membres
d’une douzaine de nationalités, tandis qu’une multitude de pays sont représentés au sein du
United African Congress de New York ainsi qu’à la Coalition of African Communities de
Philadelphie. Ces associations « plénières » oeuvrent en facilitant l’accès de leurs membres
aux services sociaux et de santé, collaborant avec les organisations afro-américaines. Elles
contribuent autant que possible à modifier l’image trop souvent stéréotypée que les médias
donnent de l’Afrique et par delà, des Africains, en organisant expositions, conférences ou
en célébrant ostensiblement les fêtes nationales.
C) Communauté africaines, traditions américaines
De ce point de vue, les Africains ont adopté la tradition américaine des défilés, lors
des fêtes nationales. Chaque 27 septembre, les Nigérians de New York se rassemblent
désormais pour célébrer l’indépendance de leur pays. Le défilé est l’occasion pour de
multiples groupes nigérians – tels que « le groupe culturel des petits Ibos », « le Conseil
régional de la jeunesse musulmane nigériane », « le club des supporters du Nigeria », « le
groupe de théâtre et culturel Uyi-Edo » - de se rassembler pour une célébration nationale, à
la fois culturelle et sociale. De même, depuis le milieu des années 1990, le 28 Juillet a
officiellement été déclaré Cheick Amadou Bamba Day.10 Ce jour là, hommes et femmes
mourides de tout âge défilent en costume traditionnel sur la Cinquième Avenue, au cours
de ce qui est devenu l’une des plus grandes célébrations « nationalo-religieuses » africaines
aux Etats-Unis.
Le défilé constitue ainsi une manière de marquer la présence de la communauté et
d’affirmer son poids dans la nation d’accueil. Les communautés les plus massives, comme
les Nigérians ou les Ethiopiens ont pris conscience de la nécessité d’occuper le devant de
la scène – sociale et culturelle dans un premier temps – afin d’espérer agrémenter un jour 10 Ahmadou Bamba (1855-1927) fonda la confrérie mouride à la fin du XIXe siècle et en demeure le maître spirituel. Le mouridisme, qui a bâti sa fortune sur l’exploitation intensive de l’arachide, est une importante confrérie musulmane soufie située au Sénégal et en Gambie. L’importance donnée au travail a permis à la confrérie de bien s’implanter économiquement en Afrique et également, par une large représentation, à Paris et à New York. L’argent envoyé par la diaspora vers les marabouts fut à l’origine de la création de la ville Sainte de Touba, îlot de prospérité dans un Sénégal en déliquescence.
122
de leurs épices le salad bowl11 américain. Les Africains importent ainsi leurs coutumes
dans la plus pure tradition du pluralisme culturel américain, comme beaucoup d’autres
immigrants avant eux. Du reste, ces manifestations sociales et culturelles auxquelles les
membres de la communauté prennent part ont un impact certainement plus décisif sur la
visibilité des Africains que les effectifs en eux mêmes. Ainsi une radio américaine12
évoquait en novembre 2003 le coming-out des immigrants africains, alors que ceux-ci
investissaient massivement le Convention Center de Washington afin d’y organiser le
premier concours international « Miss Africa ». Ces manifestations sont pour les Africains
une formidable occasion de sortir de l’ombre en investissant les grandes artères des
métropoles ; une occasion aussi de faire parler d’eux de manière positive grâce à l’écho de
ces manifestations dans les médias ; un moyen en somme de montrer au reste de la société
américaine qu’ils sont bel et bien une nouvelle réalité du paysage social et culturel.
D) Le nouveau rôle des institutions religieuses
La religion constitue un autre puissant promoteur de lien social pour la grande
majorité des membres de la diaspora. Dans bien des contrées d’Afrique, l’activité
religieuse est un élément primordial de la vie quotidienne. Les immigrants perpétuent
- pour ne pas dire exacerbent - ces pratiques religieuses lorsqu’ils s’installent aux Etats-
Unis. Les années récentes ont de ce fait vu le nombre d’institutions religieuses exploser.
Au fur et à mesure de leur installation sur le territoire américain, les communautés
africaines ont mis en commun leurs ressources afin de louer, acheter ou construire des
lieux de prières, de la chambre la plus étroite au plus imposant édifice. La diversité de la
communauté africaine transparaît étonnamment lorsque l’on évoque les pratiques
religieuses des membres de la diaspora et les lieux de culte que ceux-ci se sont taillés sur
mesure.
11 L’image du melting-pot fréquemment utilisé jusque dans les années 1970 pour décrire la société américaine ne correspond plus à la réalité de l’Amérique contemporaine ; On parle désormais plus volontiers de salad bowl ; les groupes ethniques conservent leur différences pour former une mosaïque de communautés. 12 Voice of America, en ligne sur http://www.voanews.com
123
Ainsi, à Los Angeles et Washington D.C où vit une forte communauté éthiopienne,
des églises coptes éthiopiennes sont apparues dans le paysage urbain.13 Les immigrants
protestants ont fait montre, eux aussi, d’un dynamisme intense pour mettre sur pied, aux
quatre coins des Etats-Unis, des églises africaines. Si beaucoup d’entre eux continuent de
se rendre dans les temples américains pour prier, ils privilégient de plus en plus les Eglises
« nationales ». Beaucoup d’Eglises ghanéennes, nigérianes, kenyanes ou libériennes se
sont enracinées sur le territoire américain. Dans la seule ville de New York, on en compte
au moins 110. Certaines dénominations sont nées en Afrique et ont été importées par les
immigrants aux Etats-Unis. La Redeemed Christian Church of God, une Eglise
pentecôtiste basée au Nigeria et qui a beaucoup de fidèles, a ainsi établi 14 annexes à New
York et la Presbyterian Church of Ghana, quatre. Les Eglises pentecôtistes jouent un rôle
particulièrement important dans la communauté libérienne et attirent de nombreux
immigrants de différentes dénominations. Elles essayent de plus en plus de séduire les non
Africains sans se couper de la base des fidèles.
La vitalité des Eglises protestantes africaines est d’une certaine manière révélatrice
de la « révolution religieuse » en cours sur le continent africain. Outre la progression de
l’islam, les Eglises réformées gagnent du terrain aux dépens de l’Eglise catholique. Les
catholiques demeurent cependant nombreux chez les immigrants, qu’ils soient
Camerounais, Congolais, Capverdiens ou Togolais. Mais c’est la prolifération des
mosquées qui a le plus transformé le paysage religieux des Africains aux Etats-Unis.
Les musulmans nigérians ont été les premiers à en ouvrir à Chicago, Miami,
Houston, Dallas et Washington D.C. Cependant, l’augmentation du nombre de mosquées
africaines est majoritairement due à la présence en hausse constante d’immigrants ouest-
africains francophones : Sénégalais, Maliens, Ivoiriens, Guinéens, Burkinabé et
Gambiens.14 Ces dernières années, dans la seule ville de New York, ils ont ainsi établi plus
13 Il existait bien avant de nombreuses églises coptes égyptiennes ayant suivi l’émigration massive d’égyptiens vers les Etats-Unis dans les années 1970. Cependant, le rite copte éthiopien diffère du rite copte égyptien. Les éthiopiens, convertis au christianisme au IVe siècle, placés sous l’obédience du patriarche d’Alexandrie et dirigés par l’ « Abouna », un évêque égyptien - et ce jusqu’en 1959 -, proposent aujourd’hui une liturgie différente de celle des coptes égyptiens, au point que certains théologiens récuse le terme de « copte éthiopien ». 14 Anglophones. Enserrée dans la bouche du Sénégal, la Gambie, est une ancienne colonie britannique de langue anglaise qui compte environ 1 million d’habitants, à 85 % musulmans.
124
de vingt mosquées, qui, à la différence des centres de prières nigérians, se veulent
panafricaines.
En plus de leur fonction première d’institutions religieuses, ces mosquées ouest-
africaines s’évertuent à répondre aux besoins de la communauté immigrée, et servent bien
souvent de salle de réunions, de centre communautaire, d’école coranique voire de centre
d’orientation pour les nouveaux immigrants. Ainsi, le Jamhiyatut Tahaawun Islamic
Center, sis dans le Bronx, fut à l’origine créé par une association de chauffeurs de taxis et
continue d’attirer tous les vendredis, des dizaines de membres de cette corporation.15 Outre
l’aspect religieux, de nombreux services (dont une cantine, un jardin d’enfants et une
école..) y sont proposés, donnant aux immigrants une prestation utile ainsi qu’un lieu de
sociabilité, notamment pour des familles nouvellement installées, en manque de repères et
de contacts.
La « communauté de croyants » (musulmans, catholiques ou protestants), joue ainsi
un rôle de première importance dans l’intégration des nouveaux immigrants quelque peu
égarés dans leur nouvelle société d’accueil. Les réfugiés bénéficient souvent de l’aide de la
communauté religieuse environnante, qui les soutient dans leurs démarches
administratives, leur installation matérielle ou de quelconques autres manières. Une jeune
immigrante kenyane arrivée en 1995 aux Etats-Unis témoigne du rôle non marginal de la
communauté religieuse : « Quand je suis arrivée aux Etats-Unis, je n’avais pas d’argent
pour acheter des livres afin de poursuivre mes études, je n’avais pas de voiture.. La
première assistance que j’ai reçue a été celle de l’Eglise ».
La pratique religieuse des immigrants est un phénomène intéressant à observer. A
l’église, l’expérience migratoire est présente jusque dans les sermons. Les fidèles sont
invités à prier pour les familles restées au pays dans un grand dénuement, pour les âmes
des victimes de la guerre civile ou encore pour les « frères et sœurs » des camps de
réfugiés, en attente d’un jour meilleur. Parmi les prêches relevés, celui tout à fait édifiant
prononcé par le diacre nigérian de l’Eglise Apostolique du Christ à Philadelphie. (Christ
Apostolic Church). Il nous renseigne sur les préoccupations parfois extrêmement
15 http://www2.nynewday.com/news/local/bronx/ny-mosque,0,716462.story?coll=nyc-bronx-utility
125
prosaïques de l’assemblée des fidèles : « Que Dieu nous délivre de la culture de cette terre.
Qu’il vienne en aide aux immigrants qui rencontrent des difficultés liées aux problèmes de
langue, d’accent, de couleur de peau et de visas ».16 L’office religieux permet aussi
d’associer à travers la prière, les proches restés en Afrique. Ainsi le pasteur de la Ghanaian
Community Church de Philadelphie appelle à prier « pour le Ghana, et pour le succès des
prochaines élections. Prions pour nos enfants, élevés en Amérique ».17 L’exacerbation de
la foi, phénomène observé chez bon nombre d’immigrants, est sans nul doute liée aux
difficultés de ces derniers à trouver des repères stables dans un pays étranger et pour le
moins étrange. Ike Oguine,18 décrivant la renaissance religieuse d’un de ses compatriotes
nigérian aux Etats-Unis, a cette phrase tout à fait étourdissante : « Au Nigeria, Andrew
était déjà très pratiquant, mais je constatai une nouvelle férocité dans sa foi, que je mis sur
le compte de l’Amérique : ce christianisme néo-gandhien à la ferveur nouvelle et sans
compromis était sa manière de se défendre contre cette nation aux plaisirs faciles, infinis et
potentiellement néfastes, du hamburger jusqu’au sexe anal ».
Si beaucoup d’immigrants redoublent leur pratique religieuse aux Etats-Unis, la
vitalité du culte protestant parmi les immigrants africains est aussi la conséquence de la
recrudescence des Eglises charismatiques à travers l’Afrique. Ces dernières se sont
développées à la faveur de l’activité missionnaire des Eglises américaines sur le continent.
Comme nous l’expliquent Stephen Smith et Antoine Glaser, « pour bien des raisons, tant
prosaïques que théologiques, le protestantisme américain capte mieux que d’autres cultes
les signaux de détresse émanant du continent africain : à cause du grand nombre de ses
chapelles, qui représentent chacune une « antenne » particulière ; d’une ferveur
missionnaire sans équivalent dans le monde développé ; du prestige et des moyens uniques
des Etats-Unis ; du relais qu’y assure la communauté afro-américaine ».19 Ainsi,
l’Amérique est devenue au cours des années récentes la « Nouvelle Jérusalem » des
Africains born again, ces chrétiens convertis, « nés à nouveau ». Pas étonnant dans ces
conditions d’observer le dynamisme des Eglises africaines réformées sur le sol américain.
16 The Historical Society of Pennsylvania, African immigrant experience. http://www.hsp.org/default.aspx?id=174 17 Ibid. 18 OGUINE, Ike, Le conte du squatteur, Paris, Actes Sud, 2005, p.69. 19 GLASER, Antoine & SMITH, Stephen, Comment la France a perdu l’Afrique, Paris, Calmann-Lévy, 2005, p.255.
126
Il ressort finalement de nos recherches que la religion continue de façonner, et de
manière encore plus prégnante, la vie quotidienne des Africains aux Etats-Unis. Elle
permet de relier entre eux – fidèle à son étymologie - des immigrants disloqués dans la
société américaine. Par ailleurs, la pratique du culte – quel qu’il soit - semble apporter un
réconfort spirituel et moral à des personnes fragilisées du fait du déracinement. Pour
d’autres, comme les réfugiés, qui ont traversé des épisodes tragiques et se retrouvent
parfois sans parents, la religion apparaît comme une sorte de thérapie dans laquelle ils vont
puiser des ressources nécessaires pour affronter un quotidien ardu.
Plus que des lieux de prière, les édifices religieux garantissent par bien des
manières l’équilibre des immigrants dans leur nouvelle société et sont la base de réseaux
africains solidement établis.
Photo 22 : Une pluralité de cultes. Qu’ils soient chrétiens ou musulmans, les immigrants africains font preuve d’une extraordinaire vitalité religieuse. Ici, un rassemblement du National African Religion Congress, tenu le 08 août 2003 à Philadelphie. [Associated Press].
127
II- Une participation limitée à la vie du pays
Pour les immigrants africains, comme pour les autres populations immigrées aux
Etats-Unis, se pose la question de leur rapport à la culture américaine. Les communautés
africaines ont le choix entre l’assimilation à la culture dominante W.A.S.P (White Anglo-
Saxon Protestant) ou la formation d’une enclave dont les valeurs, croyances et normes sont
susceptibles d’être ou non en accord avec celle-là. A cet égard, la participation ou non-
participation des immigrants africains dans les affaires politiques et sociales des Etats-Unis
constitue une jauge de leur degré d’intégration – terme que nous référons aux registres
socioculturels et politiques - dans leur nouvelle société d’accueil. Plusieurs facteurs,
d’ordres sociaux, économiques et culturels peuvent expliquer le peu d’intégration des
immigrants africains. Nous pouvons nous demander si cela constitue un phénomène qui
leur est spécifique, ou si ce n’est qu’un effet du communautarisme anglo-saxon permettant
à chaque groupe ethnique de cohabiter au sein de la nation américaine sans renoncer à ses
propres valeurs et traditions socioculturelles ?
A) La barrière linguistique
La capacité d’interaction et d’intégration des immigrants africains au reste de la
société américaine dépend de multiples facteurs dont l’un des plus évidents tient dans le
niveau de maîtrise de la langue anglaise. La connaissance de cette langue influe
énormément sur les réseaux sociaux que les immigrants sont susceptibles de se créer aux
Etats-Unis. Etre apte à parler anglais facilite la prise de contact avec les membres de la
société d’accueil. Les lacunes dans ce domaine constituent au contraire une barrière parfois
infranchissable pour l’immigrant. Outre le problème communicationnel au quotidien, la
difficulté à s’exprimer dans la langue véhiculaire freine les ardeurs des immigrants à aller à
la rencontre de membres issus d’autres communautés. Comme nous l’avons vu dans notre
deuxième chapitre, les émigrants tracent bien souvent leur voie vers des pays de proximité
culturelle et linguistique. Il n’est donc pas étonnant de noter que parmi les quatre plus
grands pays « pourvoyeurs » d’immigrants africains au cours de la période 1980-2000,
seule l’Ethiopie n’a pas vécu sous la férule britannique aux XVIIIe et XIXe siècles. Le
128
Nigeria, l’Afrique du Sud et le Ghana ont, quant à eux, l’anglais en partage avec les Etats-
Unis, héritage de l’empire britannique – à deux périodes historiques il est vrai éloignées -.
Si une multitude de parlers locaux et autres dialectes agrémentent la toile
linguistique des pays cités, leurs ressortissants sont censés avoir une connaissance avancée
de l’anglais, pratiqué au quotidien dans leurs pays d’origine ou enseigné dès le plus jeune
âge dans les écoles. L’adaptation des immigrants anglophones apparaît facilitée par ce
« plus » linguistique, notamment lors des recherches d’emplois. Nombre d’immigrants
soulignent en effet la difficulté de faire valoir leurs compétences du fait de leur faiblesse
linguistique.
L’intégration semble donc d’autant plus compliquée pour les francophones ou
lusophones, comme le révèle ce témoignage : « La barrière de la langue pose un problème
quand on arrive. Les gens pensent que tu n’as pas d’éducation parce que tu ne parles pas
anglais couramment ».20 Les travailleurs indépendants rencontrent eux aussi ce problème,
révélé au contact de la clientèle. En effet, les vendeurs de rue francophones, sans grand
bagage scolaire, subissent la concurrence des Ghanéens et Gambiens, plus à même d’attirer
les chalands vers leurs emplacements et d’établir des contacts fructueux.
Interrogé par une journaliste de Radio France Internationale21 sur ses conditions
d’existence à New York, Abdoulaye Kébé, un jeune clandestin sénégalais résume en
quelques mots la pratique linguistique de la plupart des immigrants francophones :
« Partout on doit parler anglais ici ! Mais entre Maliens, Sénégalais, Ivoiriens, Burkinabés
on en profite pour parler français.. maintenant si nous ne sommes qu’entre Sénégalais on
parle en wolof ». L’ajustement linguistique dont font preuve ces immigrants est un
phénomène tout à fait passionnant à étudier. Ainsi les Africains francophones de New
York utilisent rien moins que trois langues dans leurs relations de proximité. Voici le
témoignage d’un immigrant ivoirien d’ethnie dioula : « Entre nous, nous parlons dioula,
mais français avec les autres ivoiriens bétés ou baoulés,22 et avec les Sénégalais et Maliens
20 SECK, Yérim, « Maliens de tous les pays », in Jeune Afrique L’intelligent, 30 mai 2004. 21 Radio France Internationale (RFI), collection « L’Afrique à New York », le 07/12/2002, de 14h40 à 15h00. « Suivez mon regard », présenté par Caroline Paré. 22 Il n’existe pas de langue véhiculaire spécifiquement ivoirienne mais une multitude de parlers relatifs aux quelques 60 ethnies que compte le pays. Le dioula bénéficie d’une stature particulière car c’est la langue du commerce. Cependant, seul le français permet d’unir linguistiquement les différentes communautés ethniques. Les pays d’Afrique francophone rencontrent pratiquement tous ce problème : les personnes issues de groupes linguistiques différents doivent parler en français pour se comprendre. Quelques exceptions sont à noter : Madagascar et les Comores possèdent leur propre langue nationale et le Sénégal dispose quasiment de
129
du quartier. Par contre, pour le travail et avec les services administratifs, nous sommes bien
obligés de parler anglais ».23 On l’aura compris, les immigrants s’attachent à leurs langues
coutumières et ce, même lorsqu’ils ont acquis une bonne expertise de la langue anglaise.
Pour les autres, les femmes au foyer notamment, l’impossibilité de parler anglais va de pair
avec un certain isolement du reste de la société : Le peu de connaissance de l’anglais
favorise le repli sur la communauté ; la vie en communauté ralentit l’apprentissage de la
langue véhiculaire, ce qui en soi retarde l’adaptation à la société américaine. Les
immigrants francophones ont toutefois rapidement pris conscience de la nécessité de parler
correctement la langue du pays et beaucoup sont devenus adeptes des cours du soir.
Cependant, même les Africains anglophones rencontrent des difficultés à se faire
comprendre dans leur pays d’accueil, notamment en raison de leur accent. Une kenyane en
atteste : « Finalement, les enfants ont appris un anglais beaucoup moins formel ici que
celui qu’ils connaissaient au Kenya. Là-bas nous parlons un anglais britannique ».24 Par
ailleurs, de Lagos à Nairobi, plus que la « langue de Shakespeare », les métropolitains
parlent la « langue de la rue », une sorte de pidgin (mélange d’anglais et de parlers locaux)
à multiples variantes. Ike Oguine, d’origine nigériane, reconnaît avoir eu un mal fou à
adresser de nouveau la parole aux jeunes Américaines, après que sa première tentative
d’approche eut lamentablement échoué du fait de son accent. Ainsi, il « réalise maintenant
avec le recul, que les efforts souvent hilarants de mes compatriotes immigrés pour imiter
l’accent américain n’avaient rien à voir avec de l’affectation ; c’était une question de
survie : pour beaucoup d’oreilles américaines, un accent étranger est repoussant comme
une mauvaise odeur ».25 Ainsi, il n’est pas rare d’entendre certains immigrants récents
tenter de copier le parler populaire noir américain ou le slang (l’argot) des jeunes citadins,
avec plus ou moins de brio. Les plus jeunes générations, nées aux Etats-Unis ou jeunes
adultes immigrés, adoptent complètement le vocabulaire du ghetto noir dans un effort
d’identification assumée. Cependant, la grande majorité des immigrants africains rejettent
la sienne par l’intermédiaire du wolof que 90 % des sénégalais peuvent parler et qui a pris la place du français comme principale langue véhiculaire du pays. 23 Entretien par email, le 07/01/04. 24 Rob Seto -- City church embraces African immigrants – [en ligne] – [référence du 28/08/05] – Accès : <http://www.poughkeepsiejournal.com/projects/cultures/lo082803s3.shtml> 25 OGUINE, Ike, Le conte du squatteur, Paris, Actes Sud, 2005, 274 p.
130
catégoriquement le parler noir américain et cultivent malicieusement leur accent afin de
bien se démarquer de la communauté afro-américaine aux yeux du reste de la population.
Les études de deux étudiants de l’université de New York sur la pratique
linguistique des Ethiopiens26 de la ville, mettent par ailleurs en avant le rôle de la
communauté dans l’apprentissage de la langue anglaise. L’absence d’une forte
communauté linguistique dans l’entourage des immigrants renforcerait en effet leurs
tentatives de préservation de leur langue maternelle par un effort constant de dialoguer en
amharique. D’un autre côté, vivre au contact permanent d’une importante communauté
éthiopienne entraverait l’apprentissage d’un « anglais standard » par l’emploi continu
d’expressions familières et argotiques le plus souvent extraites du lexique noir américain.
Ceci nous conduit naturellement à poser la question de l’implication de la communauté
immigrante dans l’intégration des immigrants africains.
B) Le primat de la vie communautaire
Comme nous l’avons vu dans notre première sous-partie, les Africains ont tendance
à restreindre leurs réseaux sociaux aux autres groupes d’immigrants (africains en grande
majorité, au mieux antillais), en plus des quelque rares associations panafricaines
regroupant les diasporas africaines - récentes et anciennes - établies sur le continent
américain. D’après les enseignements de nos recherches, les associations formées avec les
autres Africains constituent un puissant support à la vitalité économique et psychologique
des immigrants. Grâce à ces associations, il nous a semblé évident que les immigrants se
sentent capables de s’agripper de manière tenace à leurs institutions culturelles, évitant
ainsi toute forme d’assimilation et de pleine participation à la société américaine. Ainsi ils
n’expriment pas outre mesure le besoin de rentrer en contact avec d’autres groupes
« ethniques ». Les relations se limitent le plus souvent au cadre strictement économique
voire aux rapports de travail. Les mariages mixtes sont d’ailleurs bien rares, même si nous
26 The Language of Identity: Ethiopian Communities in New York City. http://www.nyu.edu/classes/blake.map2001/ethiopia.html
131
avons pu relever quelques cas de relations engageant des immigrants venus sans famille et
des femmes noires américaines.27
Au contraire, les liens intracommunautaires sont d’une vigueur tout à fait
exceptionnelle. L’historienne Sylvianne Diouf va jusqu’à affirmer que « la solidarité
constitue la pierre angulaire de l’expérience des immigrants africains28 ». Ces derniers
basent leur confiance en premier lieu sur leurs propres réseaux afin d’atteindre sans
encombre, leurs objectifs en terre américaine ».29 Les « chaînes de recrutement » (hiring
chains), facilitent l’accès des nouveaux arrivants au marché du travail. A Atlanta et
Washington, par exemple, nombre d’Ethiopiens cooptés par leurs compatriotes, débutent
leur activité salariée dans les parkings de la ville. La bienveillance de la communauté ne
s’arrête pas là. Ses membres sont prêts à rassembler de l’argent lorsqu’un immigrant est en
détresse financière, pour libérer sous caution l’un des leurs s’il est arrêté ou pour rapatrier
le corps d’un défunt30 au pays. L’union dont font preuves les Africains ne les incite pas à
rechercher de l’aide ou établir des contacts hors du « cocon communautaire » une fois leurs
bagages posés aux Etats-Unis. En outre, les associations qu’ils ont formées depuis leur
arrivée ne sont que rarement destinées à aider les immigrants s’affranchir de leur culture
pour prendre racine aux Etats-Unis. Elles sont au contraire bien souvent consacrées à la
préservation d’une culture africaine et de ce fait maintiennent les immigrants dans une
enclave identitaire. Cette « aliénation culturelle » permet aux immigrants de préserver leur
héritage et leur identité ethnique mais les coupe indéniablement du reste de la société et de
la culture américaine. Nous pensons donc que les liens étroits que les immigrants forgent à
l’intérieur de leur communauté, retardent, sinon entravent leur intégration sociale et
culturelle à la société américaine
27 Le livre de Paul Stoller « Money Has No Smell » évoque la misère sexuelle des vendeurs de rue qui ont émigré seuls aux Etats-Unis. Menant une existence isolée dans les quartiers noirs, certains ont noué des relations éphémères avec des femmes afro-américaines. D’autres, moins nombreux, se sont mariés – sans arrières pensées - et ont construit une famille. Encore plus rares semblent être les unions de femmes africaines et de citoyens américains (pour tout dire, nous n’en avons jamais rencontré d’exemples). 28 DIOUF, Sylvianne, op.cit.. 29 Les immigrants ne s’en cachent pas, la plupart sont venus exploiter les richesses du pays, et ont pour ambition de rentrer chez eux une fois cette tâche achevée (cf. chapitre 9). Les rencontres extracommunautaires ne font donc pas partie de leurs premiers soucis. 30 Il est d’ailleurs significatif de noter que les immigrants décédés aux Etats-Unis sont quasi-systématiquement enterrés en Afrique, après que leur corps eut été rapatrié dans leur pays d’origine.
132
Bien entendu, il est nécessaire de répéter que ces affirmations portent sur une
observation globale et non sur des cas particuliers. Les relations hors de la communauté
africaine dépendent de l’emploi occupé par l’immigrant, de son statut social, de la durée de
son séjour américain, mais aussi de la présence d’une forte communauté africaine dans son
entourage. Sans préjuger du fait que cela soit ou non une bonne chose, nous avons en effet
pu remarquer que l’acculturation était d’autant plus rapide que l’immigrant se trouvait isolé
d’autres membres de sa communauté d’origine.
Pour autant, la préservation de la culture et des valeurs africaines est-elle
nécessairement synonyme d’un défaut d’intégration ? Le pluralisme culturel - né d’un
modèle de « société plurielle » ébauché dès le XVIIIe siècle par les défenseurs de la
tolérance religieuse - est une des caractéristiques de la société américaine. La nation
américaine - nation d’immigrants dans son essence même – tolère sans coup férir de
multiples allégeances. Les immigrants africains reproduisent rien moins qu’un schéma de
vie communautaire – qui, vu du prisme français pourrait sembler constituer un rejet des
valeurs de la société américaine – mille fois suivi par les groupes d’immigrants des
décennies et siècles passés. Le regroupement des populations immigrées en fonction de
leur appartenance ethnique a toujours existé et n’est pas incompatible avec le civisme que
l’on attend des immigrants. Les lobbies ethniques représentent d’ailleurs l’exemple même
de cette forme exacerbée de double allégeance. Il faut donc chercher à savoir quelle place
occupe la communauté africaine dans son ensemble, dans les choix qui président à la
destinée du pays.
C) Une difficile entrée en politique
Contrairement à d’autres groupes d’immigrés, les Africains ont jusqu’à présent eu
du mal à s’insérer dans le domaine politique américain. Les raisons en sont simples et
complexes à la fois. Tout d’abord, l’immigration africaine aux Etats-Unis est un
phénomène récent qui, nous l’avons vu, a pris une relative ampleur au début des années
1980. On ne peut donc pas comparer l’entrée en politique des Africains avec celle d’autres
immigrants noirs arrivés bien plus tôt au cours du XXe siècle (nous pensons ici aux
immigrants des Caraïbes). Les deuxièmes et troisièmes générations ont eu le temps de
133
s’immiscer dans le jeu politique, emboîtant le pas des Noirs américains dans leur long
combat pour l’égalité civique.31
D’autre part, les premiers Africains à avoir bénéficié de la nouvelle législation en
matière d’immigration (arrivés dans les décennies 1960 et 1970) avaient pour objectif de se
former aux Etats-Unis ou de n’y rester qu’une courte période avant de rejoindre leurs pays
nouvellement indépendants (voir chapitre 1). Leur bref séjour aux Etats-Unis ne leur
permettait pas de s’impliquer franchement dans la politique américaine, ce d’autant plus
qu’ils suivaient de très près l’activité et l’évolution politique de leur pays d’origine.
Beaucoup d’immigrants venus après 1980 ont continué d’affirmer leur volonté de
retourner en Afrique une fois « à l’abri » économiquement. Ce désir de retour aux sources,
fortement perceptible chez certaines populations d’immigrants,32 constitue sûrement un
élément d’explication du peu d’intérêt politique manifesté par les Africains. Si dans les
faits, beaucoup d’entre eux finissent par rester aux Etats-Unis, leur attention demeure
portée en priorité vers l’avancement des sociétés africaines plus que vers celui de la nation
américaine; ce d’autant plus que les préoccupations étasuniennes sur des sujets aussi divers
que le système de santé, la politique économique à suivre ou les questions de mœurs,
peuvent paraître futiles en comparaison des maux africains.
Bien que ces décisions (particulièrement en matière d’immigration) puissent avoir
une influence directe sur la vie quotidienne des immigrants africains, ceux-ci, envisageant
souvent leur séjour en Amérique comme un phénomène temporaire, préfèrent investir leurs
énergies dans les luttes politiques et sociales de leurs pays d’origines, plus pressantes et
louables à leurs yeux. Le peu de manifestations qu’ils organisent s’articulent généralement
autour de problèmes politiques spécifiques à leurs pays (voir chapitre 9).
Il semble d’autre part, que ce désintérêt apparent des Africains pour la politique
intérieure américaine reflète le peu d’attention que la classe politique américaine leur ait
jamais porté. L’électorat africain a longtemps été insignifiant en raison du choix exprimé
par les immigrants de rentrer en Afrique. Cependant, les vagues d’immigration les plus
récentes, celles des décennies 1980 et 1990, ont fini par constituer - au fil des
naturalisations - un bloc électoral africain s’interrogeant toujours en 2005 sur le fait
31 L’ancien secrétaire d’Etat de George W. Bush, Colin Powell est ainsi le fils d’un immigré jamaïcain. 32 Ainsi, les travailleurs portugais émigrés en France ont longtemps mis à profit leurs économies afin de se construire un patrimoine au Portugal et prendre le chemin du retour une fois la retraite sonnée.
134
qu’« un nombre croissant de personnes, qui arrivent aux Etats-Unis, pour la plupart déjà
qualifiés, anglophones et respectueux des lois américaines, n’attirent toujours qu’une si
maigre attention des administrations successives, dont celle de George W. Bush ».33
L’évocation de la population immigrée d’Afrique par les ténors politiques américains, n’est
en effet que très exceptionnelle et le cas échéant, elle sert – indirectement - à mettre en
avant les actions que l’administration entreprend sur le continent noir, dans la lutte contre
le Sida, pour le rétablissement de la paix des régions en guerre ou la promotion de la
démocratie. « Quid des centaines de milliers d’Africains qui vivent dans ce pays et y
élèvent leurs enfants ? ».34 La représentativité des immigrants africains, bien mal assurée,
ne les incite donc pas à porter une attention particulière au débat politique américain dont
ils se sentent exclus. Ce sentiment va de pair avec une défiance avérée d’une frange de la
communauté immigrée envers la classe dirigeante, eu égard à leurs expériences africaines
souvent désastreuses des milieux politiques malhonnêtes et corrompus.
Toutefois, si à l’échelle nationale, la plupart des immigrants africains font preuve
d’une certaine réticence à s’engager en politique, les voix de membres de la diaspora se
font de plus en plus entendre au niveau local. Les immigrants africains dont les enfants
sont élevés en Amérique investissent les conseils scolaires et les élections locales sont
l’occasion d’un débat d’idées auquel ils contribuent plus volontiers qu’il y a vingt ans.
Après les attentats du 11 septembre 2001, beaucoup d’Africains musulmans sont sortis de
leur torpeur pour dénoncer les mesures jugées discriminatoires à l’égard de leur
communauté religieuse et de la stigmatisation dont ils (et leurs coreligionnaires arabes plus
certainement) se sentaient victimes. Le temps aidant, les Africains ont pris conscience de
l’impérieuse nécessité de s’organiser politiquement.
Ce besoin s’est fait sentir avec d’autant plus d’acuité à la suite d’événements
tragiques. Il en fut ainsi après la mort d’Ousmane Zongo, jeune Burkinabé de 22 ans tué
par la police New-yorkaise le 22 mai 2003. Lors de son enterrement à Harlem, l’imam
Souleimane Konaté rappela ainsi à la foule composée d’immigrants ouest africains, la
nécessité de s’organiser afin d’éviter d’autres « bavures », « sinon nous serons toujours des
victimes. […] Avant, nous craignions les criminels. Aujourd’hui, deux de nos compatriotes
33 Tokunbo Awoshakin -- George Bush And African Immigrants : What’s The Deal ? – [en ligne] – [référence du 11/03 2005] –Accès: <http://www.nigeriavillagesquare1.com/Articles/Guest/2004/12/george-bush-and-african-immigrants.html> 34 Ibid.
135
ont été tués par la police ».35 Les ondes de choc provoquées par de telles injustices ont fait
prendre conscience à la communauté africaine qu’elle ne pouvait plus vivre en marge de la
société et devait s’affirmer sur la scène politique américaine pour faire valoir ses droits et
cesser d’être vulnérable.
Bien qu’aidée par certaines figures politiques noires américaines, la communauté
africaine n’a pas su établir un front uni qui lui aurait permis de mieux représenter le petit
million de résidents d’ascendance africaine récente et d’en être le porte-voix officiel. Les
immigrants asiatiques peuvent en effet compter sur le Congressional Asian Pacific
American Caucus, les immigrants hispaniques s’en remettre au Congressional Hispanic
Caucus, les immigrants africains n’ont de représentation nationale que par le biais du Black
Caucus noir américain, trop éloigné des problématiques liées à l’immigration récente36.
Les données du problème sont probablement en train de changer à mesure que la
diaspora africaine se regroupe autour de leaders, jusqu’alors inexistants ou inaudibles,
prêts à porter les doléances de la communauté vers les plus hautes sphères politiques. La
réticence des immigrants africains à entrer dans la vie politique américaine pourrait aussi
être infléchie par la fulgurante ascension de Barak Obama, élu sénateur de l’Illinois dans
un raz de marée électoral (70 % des voix) le 02 décembre 2004. Ce dernier, à qui l’on
promet une fructueuse carrière politique, est devenu le troisième sénateur noir de l’histoire
des Etats-Unis. De manière encore plus symbolique pour les Africains, il est le fils d’un
immigrant kenyan37 et d’une Américaine blanche. A en croire les médias de la diaspora,
très loquaces à son égard durant la campagne sénatoriale de 2004, Obama représente un
nouvel espoir pour l’Afrique. D’aucuns le considèrent comme le nouvel « ambassadeur de
tous les nouveaux immigrants d’Afrique qui ont fait des Etats-Unis leur foyer ».38 La ferme
volonté qu’il affiche de lutter contre la pandémie du sida ou plus récemment sa
35 Référence à l’assassinat un an plus tôt d’Amadou Diallo, jeune guinéen inoffensif, dans les rues de New York : Saying Goodbye To Ousmane Zongo, Associated Press, 2003. http://cbsnewyork.com/topstories/topstoriesny_story_157220045.html 36 Ainsi, celui-ci est resté silencieux devant la nouvelle loi sur la santé qui requiert désormais des immigrants de montrer patte blanche lors d’une visite à l’hôpital afin de prétendre à un remboursement dans les cas d’urgence. Au contraire, les représentants des autres communautés immigrées se sont insurgés. 37 Son grand-père, converti à l’islam, fut domestique à l’époque colonial ; son père grandit dans un village kenyan avant de poursuivre ses études à l’Université d’Hawaï puis à Harvard. Un parcours somme toute identifiable à celui de nombreux immigrants africains. Barak Obama, considéré comme l’étoile montante du parti démocrate a quant à lui passé sa jeunesse entre Hawaï et l’Indonésie avant de poursuivre des études en sciences politiques à l’Université Columbia puis des études de droit à Harvard où il fut le premier Noir américain président de la prestigieuse Harvard Law Review. 38 VESELY, Milan, The African.., op. cit. (traduction libre).
136
détermination à mobiliser la communauté internationale au sujet du Darfour en
témoignerait. Mais le poids du symbole, celle d’un fils d’immigrant ayant grimpé tous les
échelons de la société, prend probablement le pas sur sa supposée politique africaine.
Obama bénéficie au final d’un assez large assentiment au sein de la communauté africaine
et afro-américaine grâce à l’image politique volontariste et sociale qu’il dégage. Nous
avons bon droit de penser que le halo des projecteurs qui entoure sa personne est en mesure
de sensibiliser la communauté africaine aux enjeux politiques américains.
A mesure que la société américaine se diversifie, une nouvelle garde politique
prend ainsi les devants de la scène.39 Le peu d’intérêt que la communauté africaine a porté
à la vie politique nationale durant ses quarante dernières années, n’a rien d’inéluctable. Il
est en partie, à notre humble avis, le reflet d’une inadéquation entre ces immigrants et la
classe politique censée les représenter. L’immigration africaine paraît trop récente pour que
la communauté africaine puisse jouir d’une représentation fournie aux plus hautes strates
de la société. Mais, les deuxième voire troisième générations, nées sur le sol américain et
citoyens de plein droit, offrent l’espoir d’être les prochains porte-parole de la communauté.
D) Un apport social et culturel indéniable
Pour être tout à fait complet sur l’intégration des Africains aux Etats-Unis, il nous a
semblé nécessaire d’évoquer les divers apports de la diaspora africaine à une culture
américaine déjà grandement composite, façonnée par des siècles d’immigration et reflet
d’une société bigarrée. Il serait en effet injuste et imprécis de ne retenir que la mise en
retrait volontaire d’une partie de la communauté africaine du reste de la société d’accueil.
Les contacts et les échanges sont aussi d’ordre culturel et dans ce domaine, Africains et
Américains cohabitent de manière plutôt symbiotique, les uns empruntant – avec
parcimonie - certains aspects de la culture des autres. Bien entendu, la culture africaine n’a
pas atteint le grand public américain et ce sont les immigrants africains qui intègrent le
39 Durant la campagne pour les élections présidentielle de 2004, Teresa Heinz-Kerry a suscité beaucoup d’attention de la part des immigrants africains, tout du moins des médias « afro-centrés ». Si elle ne fait probablement pas parti des figures politiques à grand avenir, l’épouse du candidat démocrate vaincu, John Forbes Kerry, est elle aussi liée à l’Afrique – bien que blanche - puisqu’elle a grandi au Mozambique. Lors de ses nombreuses prises de positions durant la campagne présidentielle, elle fit souvent référence au continent africain et notamment à l’impérieuse nécessité de mettre fin aux régimes despotiques.
137
plus les éléments culturels de leurs voisins américains, plutôt que l’inverse. Toutefois, leur
contribution au dynamisme de la société américaine a pris, au delà de l’aspect purement
économique (que nous avons vu au chapitre précédent) des formes variées.
En premier lieu, les immigrants participent à la vie sociale des quartiers dans
lesquels ils se trouvent ; ils ont apporté de la vitalité à des zones malfamées, au point de
bénéficier d’une image positive aux yeux des « locaux ». La renaissance de plusieurs
blocks d’Harlem est ainsi largement imputée à la venue d’immigrants ouest-africains qui
ont rouvert commerces, restaurants, services en tout genre et lieux de culte dans un quartier
que l’on pensait condamné à la pauvreté, la drogue et la criminalité dans les années 1980.
Les chauffeurs de taxi sont retournés dans des quartiers « coupe-gorge » et la réhabilitation
du Sud d’Harlem est telle que les prix des loyers flambent à mesure qu’une nouvelle
population de « bobos » (bourgeois bohêmes) réinvestit les lieux. Les fonctionnaires
municipaux et les leaders religieux n’ont de cesse de faire l’éloge de ces groupes
d’immigrants, tandis que beaucoup de résidents du quartier continuent de partager la
perplexité de Charlie Saunders sur les habitudes des nouveaux venus : « Ils sont toujours
regroupés entre eux et on ne sait pas de quoi ils parlent ».40 C’est là tout le paradoxe de la
communauté africaine, qui intervient dans la vie de la cité, sans donner l’impression de se
mélanger.
Pourtant, un grand nombre d’associations religieuses africaines outrepassent leur
mission cultuelle et s’associent à la vie sociale locale et ce, sans exclusive. « Nos
programmes visent l’ensemble de la communauté, pas les musulmans uniquement, ou les
chrétiens uniquement et c’est pourquoi la mosquée a une bonne image dans le quartier »
explique le recteur d’une mosquée africaine dans le Bronx,41 se félicitant de n’avoir subi
aucune représailles après les attentats du 11 septembre.
D’ailleurs, diverses organisations nationales ont levé des fonds après cette date pour
les victimes de la tragédie. La mobilisation « Africans for America », lancée par les
immigrants sierra léonais (Sierra Leone United Descendants Association) aurait ainsi
40 ROZHON, Tracie, « TURF; Grit and Glory in South Harlem », in New York Times, 16 mars 2000. 41 Cheick Moussa Drameh, cité dans : Vera Haller -- A Mosque In The Bronx Reaches Out - [en ligne] – [référence du 19/07/05] – Accès :<http://www2.nynewsday.com/news/local/bronx/ny-mosque,0,716462.story?coll=nyc-bronx-utility>
138
permis de collecter plus de mille dollars dans la seule ville de Kansas City, signe évident
de solidarité et de proximité avec les membres de la nation américaine, quels qu’ils soient.
Au niveau culturel, au-delà de l’afrocentrisme (et son art de vivre africain, voir
chapitre 8) de façade, apanage des Noirs américains, la présence des Africains a enrichi la
danse et les traditions musicales afro-américaines. Les musiciens et chanteurs africains qui
effectuaient leur tournée dans les seuls pays européens (où résident leurs compatriotes)
sont désormais très demandés aux Etats-Unis. Ils se doivent en effet de satisfaire les
attentes de la communauté africaine d’Amérique et commencent à toucher un public plus
vaste de non africains.42 Dans les grandes métropoles américaines, les griots ont même
suivi le flot des immigrants et voyagent à travers le pays pour chanter lors de mariages ou
baptêmes.
Certains artistes africains ont par ailleurs ouvert des écoles de danse aux Etats-Unis,
tandis que d’autres enseignent la musique africaine dans des centres culturels. Des
designers issus de la diaspora se sont fait un nom hors de la communauté africaine tels le
nigérian Moshwood,43qui possède des magasins à New York et l’ivoirien Thony Anyiam,
installé à Langley Park (Maryland). Forts de leurs compétences acquises en Afrique, de
leur héritage culturel et de leur créativité, ces stylistes ont adapté le pagne et le boubou à la
mode américaine, de sorte qu’ils sont devenus très en vogue parmi le public afro-
américain. Reste la diversité apportée en matière culinaire (de part la multiplication des
restaurants africains), artistique (grâce aux très nombreux créateurs d’arts spécifiquement
africains ou d’arts contemporains présents aux Etats-Unis, ou grâce à la diffusion des films
de Nollywood44 au-delà de la sphère immigrée), mais aussi linguistique : Il suffit de
42 A ce sujet, lire , KELEFA, Sanneh, « Afro-Pop Duo Unexpectedly on the Rise », in New York Times, 11 Août 2005. Article consacré à la tournée promotionnel du groupe Amadou & Mariam ainsi qu’à l’engouement du public américain (et pas seulement d’origine africaine) pour la musique des deux chanteurs de Bamako. 43 www.afrikanspirit.com 44 Les films nigérians, surnommés « Nollywood » acquièrent une incroyable popularité au sein d’une communauté africaine grandissante. Six ans après avoir pénétré le marché américain, les films produits au Nigeria constituent une industrie multimillionnaire prolifique qui trouve des débouchés aux Etats-Unis. Bethels Agomah, un vendeur de films africains qui a vu ses ventes passer de 100 à 10 000 à l’année en trois ans croit cependant savoir que « 80 % de [s]es clients sont non-africains », ce qui témoigne d’une audience acquise dans les autres communautés (bien que certains experts en cinéma demeurent circonspects à ce sujet devant l’accent mis dans de tels films sur les pouvoirs surnaturels et la sorcellerie, par trop éloignés de la culture occidentale..). D’ailleurs, il est frappant que de nombreux films commercialisés aux Etats-Unis, issus de cette industrie « nollywoodienne », mettent en scène la vie quotidienne des immigrants ou les déboires du nouvel arrivant africain confronté à une société complètement inconnue (tels les derniers films à la mode, This America ou Missing America.
139
déambuler dans Harlem, tendre l’oreille et jeter un coup d’œil sur les enseignes pour se
rendre compte du poids nouveau de la langue française45 dans les quartiers d’immigration
francophone. A Minneapolis, c’est le Somali46 qui est devenu l’une des langues les plus
parlées dans les écoles publiques avec l’espagnol et le Hmong.47 Ainsi, l’immigration
africaine a enrichi le patrimoine linguistique américain, à moins qu’elle n’ait contribué à la
formation d’une « Babel » moderne. Tout cela dépend en effet de la conception que tout un
chacun se fait de l’immigration.48
Ce qui semble plus sûr, c’est que la présence de ces immigrants tend à apporter une
nouvelle perspective aux problématiques d’un continent maudit. Les immigrants africains
avec l’aide d’Afro-Américains qui partagent une authentique « conscience africaine »49 ont
créé de nouveaux médias dédiés à l’Afrique, à sa diaspora en terre américaine ou à la
communauté panafricaine avec la ferme intention d’éclairer le public américain d’une
nouvelle lumière. Le visage de l’Afrique véhiculé par les télévisions occidentales a
toujours profondément dérangé les immigrants, d’où leur volonté de diffuser tout au
contraire les images d’un continent jeune, créatif et dynamique sans pour autant ignorer les
réalités les plus alarmantes. « Les téléspectateurs américains ne voient de l’Afrique que ses
tragédies ; ils ne sont jamais exposés aux aspects positifs du continent, sa musique, sa
culture. Nous nous sommes demandés pourquoi ne pas arrêter un peu avec ça et montrer
l’Afrique vivante » peut-on lire sur la page d’accueil du site d’Africa Channel.50
45 Le français serait ainsi devenu la deuxième langue parlée à Harlem, détrônant l’espagnol que pratiquent les nombreux portoricains. 46 Le Somali est une langue couchitique parlée certes en Somalie mais aussi par les populations orientales de Djibouti, du Kenya et d’Ethiopie. 47 Langue apparentée au Chinois, parlée par le peuple Hmong qui se trouve à cheval sur les régions montagneuses du Sud de la Chine et du Nord du Vietnam et du Laos. Traquée par les armées laotienne et vietnamienne pour avoir aidé les Américains lors de la guerre du Vietnam, une partie de la population Hmong vit encore cachée dans la jungle tandis que beaucoup ont trouvé refuge dans de nombreux pays occidentaux dont les Etats-Unis. 48 Le débat existe plus que jamais entre détracteurs et défenseurs de l’immigration, particulièrement autour de la place de la culture dominante wasp au sein de la nation américaine telle qu’elle se construit. La controverse est alimentée par l’ampleur de l’immigration hispanique mais les termes du problèmes sont les mêmes avec l’immigration africaine. 49 Citons parmi d’autres Andrew Young, l’ancien maire d’Atlanta et ancien ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies ou l’acteur Danny Glover. 50 www.theafricachannel.com. Africa Channel (dont les studios sont à North Hollywood) a été fondée par James Makawa, un ancien correspondant pour NBC News né au Zimbabwe.
140
Par le biais de ces médias ou d’émissions telles que « Spotlight on Africa »51 (coup
de projecteur sur l’Afrique) diffusées sur les grandes chaînes publiques, les journalistes
africains aux Etats-Unis et sur le continent noir apportent ainsi à leur audience une
perspective qui selon eux fait souvent défaut dans les médias américains. Nous sommes
ainsi en droit de penser que la présence d’une communauté noire africaine contribue à
modifier, même de façon imperceptible, la vision souvent caricaturale que la population
américaine a de l’Afrique.
51 Programme télévisé hebdomadaire né en 2000 - décliné en 2003 en programme radio du même nom - diffusé sur PBS (Public Broadcasting System). Dans cette émission, la présentatrice Linord Rachel Moudou, jeune ivoirienne installée depuis plus dix ans aux Etats-Unis, défend l’image d’une Afrique authentique, culturellement riche et dynamique.
141
Photo 23 : Barack Obama. Le sénateur de l’Illinois, fils d’un immigrant kenyan, joue du bongo à l’African Fest de Chicago, le 5 septembre 2004. Il représente l’espoir de beaucoup d’immigrants africains de voir leurs problématiques prises en compte. [ David Katz. Obama for Illinois.http://www.obamaforillinois.com].
Photo 24 : Une école de danse africaine. Les immigrants africains ont ouvert de nombreuses écoles de danses et de musiques africaines aux Etats-Unis. Leur présence contribue indéniablement à l’enrichissement culturel de la « nation-monde » américaine. [Associated Press].
142
Chapitre 8 : Une minorité dans la minorité
Aux Etats-Unis, les immigrants africains constituent une minorité à plusieurs
égards. En tant qu’immigrants, ils font partie de la minorité étrangère (foreign-born
population), estimée à 33 millions de personnes en 2002. En tant que personnes « de
couleurs », l’administration et la population les rangent par ailleurs dans la minorité noire
(Black people) constitutive de la nation américaine depuis 1619 et l’arrivée des premiers
esclaves africains.1Toutefois, à l’intérieur même de cette communauté noire américaine,
les Africains forment un groupe extrêmement minoritaire (ils représentent un peu moins de
3 % des quelques 36 millions d’Américains noirs que compte le pays), appréhendé comme
tel par les Afro-Américains mais dont la singularité peine à transparaître aux yeux du reste
de la population blanche.
L’accumulation de ces étiquettes minoritaires constitue-t-elle une gageure pour les
immigrants africains ? Comment gèrent-ils leurs identités multiples aux Etats-Unis et leurs
rapports avec les autres Noirs du pays ? Autant de questions autour de l’identité des
immigrants et de leurs relations avec les différentes communautés de la société d’accueil,
auxquelles nous allons tenter de répondre.
Pour cela, nous allons nous attarder sur la redéfinition de l’identité des immigrants
africains dans une société à majorité blanche, marquée par une longue histoire d’exclusion
raciale, avant d’évoquer la délicate rencontre de ces immigrants avec leurs lointains
cousins d’Amérique.
1 La première cargaison d’esclaves noirs (ils étaient 20) fut débarquée d’un navire hollandais en 1619 à Jamestown (en Virginie).
143
I- La difficile définition d’une nouvelle identité
A) Un nouveau rapport à l’Afrique
En Afrique, la nationalité, l’ethnicité, la religion, la classe sociale et le genre sont
autant de marqueurs identificatoires. L’adaptation à la société américaine oblige pourtant
les immigrants africains à repenser continuellement leur identité propre et souvent à
l’élargir. Ainsi, d’après les témoignages de beaucoup d’entre eux, le premier remodelage
identitaire qu’ils doivent négocier, concerne leur rapport à l’Afrique, à leur africanité.
Tandis que dans la vie des immigrants africains, l’identité ethnique ou nationale
revêt une importance prépondérante, leur seule présence en Amérique éveille en eux le
sentiment d’appartenir à un continent uni. Pourtant, le continent Africain est beaucoup plus
hétérogène qu’on le laisse à penser, et si certains traits culturels traversent les frontières
régionales, un paysan guinéen francophone musulman n’a pas beaucoup de caractéristiques
communes avec un médecin sud-africain anglophone et protestant. Une fois aux Etats-
Unis, beaucoup d’immigrants ont peu de choses en partage, si ce n’est leur affiliation
géographique à l’Afrique. A priori, il n’est donc pas acquis que l’africanité puisse être un
sentiment assez fort pour mettre en relation les membres de diverses communautés
nationales. Pourtant cette identité africaine rejaillit aux Etats-Unis chez beaucoup
d’immigrants, tandis qu’une « communauté africaine », factice - tant est grande la diversité
du continent2 - s’impose dans les esprits (dans les faits, nous avons vu au chapitre
précédent que les Africains se regroupaient d’abord en fonction de leur aire géographique
ou culturelle, plus rarement sur une base continentale). Ainsi, Sylvianne Diouf a interrogé
les immigrants de New York afin de voir comment ils s’identifiaient : « En général, ils
disent d’abord qu’ils sont africains, puis membre d’un groupe national ».3 Ceci peut
sembler banal mais cette identité africaine n’a pas beaucoup de pertinence en Afrique où la
nationalité et l’appartenance ethnique prévalent. Ainsi, nous pouvons penser qu’un
immigrant nigérian conçoit son identité en premier lieu sur une base ethnico-religieuse et
2 Il n’y a à priori pas plus de pertinence à parler de « communauté africaine » que de communauté européenne ou asiatique. Les immigrés chinois et japonais sont bel et bien considérés comme Asiatiques mais forment-ils pour autant une communauté homogène ? Il en est de même pour les Africains. 3 DIOUF, Sylvianne, In motion..op.cit.
144
se reconnaît avant tout comme Haoussa4, Ibo ou Yoruba5 - selon - dans son pays. Aux
Etats-Unis, ce même immigrant, rentrant en contact avec des personnes qui ignorent bien
souvent la diversité du continent africain6 se présentera bien plus probablement comme
Africain, puis Nigérian, et non comme Haoussa, Ibo ou Yoruba, bien que cette identité soit
a priori la plus profonde.7
Si la construction de l’identité se fait en fonction du regard des autres, nul doute
que les immigrants africains redéfinissent leur propre identité. Africains aux yeux des noirs
américains, il leur arrive de s’identifier en tant que « Noir », conformément aux attentes de
la société américaine ou en tant que « réfugiés » lorsqu’ils entrent en contact avec les
services sociaux. Aucune de ces identités n’est vraiment pertinente dans leurs pays
respectifs. C’est pourquoi nous pensons que cet attachement à l’Afrique, d’immigrants
sans réelle identité continentale, leur permet non seulement de se rattacher à un héritage
commun, mais aussi d’affirmer leur spécificité à l’égard des Noirs américains.
En effet, être « Africain » signifie avoir un continent, appartenir à un pays
spécifique, posséder sa propre culture, parler d’autres langues, être l’héritier d’une longue
histoire. Cette volonté de mettre en valeur une identité spécifiquement africaine constitue
très probablement un moyen de se défaire du carcan identificatoire dans lesquels on tente
de les enfermer : celui de « Noir ».
4 Musulmans du Nord du pays. 5 Ethnies présentes respectivement à l’Est et à l’Ouest du pays. 6 Il ne s’agit pas ici de jeter la pierre aux américains. Plutôt de montrer que face à un interlocuteur non africain (« profane » en quelque sorte), évoquer son identité ethnique n’est pas judicieux. A l’inverse, se dire Africain permet de se distinguer des autres Noirs du pays. 7 Le cas de Santino, jeune réfugié soudanais d’ethnie Dinka, relogé à Houston (Texas) est à cet égard tout à fait symptomatique. Issu d’un pays longtemps déchiré entre le Nord arabo-musulman et le Sud chrétien, profondément impliqué dans cette guerre dont lui et les siens ont été victimes, il ne cesse de revendiquer son appartenance à la tribu Dinka. Pourtant, lorsqu’au sortir d’une épicerie, il croise un Afro-américain, interpellé par un homme « si Noir », qui lui demande si il est Africain : -Yes, from Sudan -Where that ? -Sudan, in Eastern Africa -Never met a brother like you before.. Cet exemple n’a pas pour objet d’affirmer que ce jeune soudanais se sente tout d’un coup Africain; toutefois, il est bien obligé d’adapter la présentation qu’il offre de lui-même en fonction de ses interlocuteurs. Face à ce Noir américain, il se dit Soudanais, mais face à un autre Soudanais, il se dira Dinka et face à un Blanc, il se dira Africain.
145
B) Le poids du facteur racial aux Etats-Unis
Beaucoup d’immigrants africains expriment en effet le malaise qu’ils ressentent
d’être identifiés en des termes strictement raciaux. L’administration américaine, lors des
recensements, les regroupent ainsi dans la catégorie des « Blacks »,8 groupe sans réelle
homogénéité qui repose sur une simple appartenance raciale. Le premier Etat américain à
avoir opéré la distinction entre Noirs américains et immigrants africains a été le
Minnesota,9 au moment du lancement de son programme de santé pour lutter contre le sida
et ce, pour des raisons sanitaires10 plus que par souci éthique de rendre aux deux
communautés leurs spécificités.
Les immigrants s’aperçoivent vite que ce qui est vrai au niveau administratif l’est
aussi pour la majorité de la population américaine. Les Blancs et les autres composantes
ethniques de la société ne font pas de différence entre la diaspora africaine pluriséculaire et
les immigrant récents. Malgré leurs profondes différences, culturelles mais aussi
physiques,11 leur couleur de peau suffit à les regrouper parmi les « Blacks ». Rarement les
médias mettent en exergue la spécificité des immigrants africains sinon lors d’incidents
tragiques12 tels que l’assassinat d’Amadou Diallo ou lorsqu’il s’agit d’évoquer les cas
8 Une part importante de Nord Africains et de personnes blanches d’Afrique subsaharienne, d’origine sud-africaine et zimbabwéenne sont quant à elle considérés comme « White Africans ». 9 http://news.minnesota.publicradio.org/features/2003/05/09_galballye_aidseducation./ 10Les immigrants africains font en effet partie des groupes particulièrement touchés par le Sida. Les autorités sanitaires pensent que la plupart des contaminations sont intervenues aux Etats-Unis car le Service de l’Immigration et de la Naturalisation fait passer des tests de séropositivité aux immigrants potentiels. La surexposition des populations d’origine africaine serait alors dû au manque de messages de prévention et d’éducation à propos des dangers du VIH des immigrants africains avant leur entrée sur le territoire américain. 11 Les relations interraciales (forcées ou volontaires) existent depuis trois siècle, malgré les lois contre le métissage durant la période de l’esclavage et l’interdiction des relations sexuelles entre Noirs et Blancs du temps de la ségrégation. La population noire américaine a donc subi des métissages de toute nature, l’exemple même en étant le golfeur Tiger Woods qui s’est lui-même déclaré Cablinasian, soit un mélange de Caucasien, de Noir, d’Amérindien, et d’Asiatique. De ce fait, les populations noires américaines ont en général un teint plus clair - « brown » - que les populations africaines. 12 De la même manière que les New Yorkais ont reconnu la spécificité des immigrants antillais après leur implication dans les plus violents incidents raciaux de la ville dans les années 1980 et 1990, dont notamment la tuerie d’Howard Beach, le boycott des épiciers coréens ou encore les émeutes de Crown Heights. (voir WATERS, Mary, C., Black Identities: West Indian immigrant dreams and American realities, Cambridge, Harvard University Press, 2001, 413 p.).
146
d’excision (qui ressurgissent de temps en temps, notamment dans la communauté
somalienne). Ces derniers sont donc souvent assimilés aux autres Noirs du pays et pour
tout dire, leur visibilité au sein de l’appareil médiatique se résume à de trop rares fait-
divers tels que la naissance d’octuplés d’origine nigériane au Texas, en mars 1998.
Pour beaucoup d’Africains, cette réduction de leur identité à des caractéristiques
purement raciales s’apparente à un déni de leur origine et de leur culture, qui constitue
l’élément le plus important de leur personnalité. Ils rejettent ainsi cette étiquette que l’on
tente de leur coller à la peau et qui ne reflète pas leur véritable identité : « J’avais une
identité avant de venir ici et je ne suis pas disposé à en changer pour coller à la réalité de ce
pays qui est basée sur le racisme. Dire que je suis juste « noir » ne dit rien de qui je suis. Je
n’ai vraiment pas envie de me soumettre à des règles que je trouve dans le fond,
profondément racistes », s’indigne un immigrant malien.13
La plupart des immigrants n’ont pas eu à affronter le problème de races en ces
termes en Afrique et l’ajustement à une société marquée par une longue histoire
d’exclusion raciale ne va pas de soi. Dans tous les pays africains cohabitent pourtant des
populations autochtones et allogènes (certaines, immigrées depuis fort longtemps) et les
relations ne sont pas toujours empreintes du plus grand pacifisme.14 Si des tensions existent
bel et bien, elles ne sont pas directement liées à une opposition formellement raciale. Elles
sont plutôt la résultante d’un ressentiment hérité de l’époque coloniale (en témoigne le vote
du Parlement zimbabwéens d’une loi qui autorise l’expropriation des fermiers blancs sans
dédommagement),15 lié à une fracture économique entre Noirs Africains et étrangers.16
Seule l’Afrique du Sud offre, dans la période récente, l’exemple d’une société
juridiquement ségréguée sur une base raciale, avec la mise en place par le Parti national de
13 DIOUF, Sylviane, In motion..op.cit. 14 A l’automne 2004, l’exemple des « Blancs » chassés de Côte-d'Ivoire en est la preuve. 15 Cette loi, votée le 06 avril 2000 dans le cadre de la réforme agraire en cours, laissait à l’ancienne puissance coloniale britannique le soin de s’occuper de ces fermiers évincés. Le président Robert Mugabe est allé jusqu’à lancer une campagne d’occupation des terres de ces 100 000 anciens colons (qui représentaient 1 % de la population mais possédaient encore 70 % des terres cultivables du pays) par les vétérans de la guerre d’Indépendance. 16 Dans beaucoup de pays africains en effet, les étrangers occupent une position sociale élevée : les ressortissants du sous-continent Indien constituent une élite plus fortunée que la moyenne en Tanzanie ou à Madagascar, les Libanais ont prospéré grâce au commerce en Afrique de l’Ouest, etc….
147
Daniel F. Malan d’une politique d’Apartheid.17 Amorcée en 1948, la stricte séparation
raciale demeura le système social de relations intercommunautaires jusqu’en 1991.
Hormis les immigrants sud-africains qui ont souffert d’un système d’exclusion
raciale jusqu’à peu, il semble que les immigrants africains ne soient pas issus de sociétés
où la race soit un facteur identificatoire. En fait, beaucoup ne se sont probablement jamais
pensés en tant que « Noirs » avant leur venue aux Etats-Unis (à moins qu’ils aient transité
dans des pays occidentaux et donc déjà expérimenté les relations interraciales dans une
société à majorité blanche).
Au contraire, les Noirs américains portent bien souvent en eux le poids des années
d’esclavage et de ségrégation raciale. Les exclus de la réussite économique et sociale
continuent de se considérer comme victimes de la discrimination voire du racisme
américain. Certains courants afro-américains répandent avec toujours autant de vigueur
leur vision dualiste de la société américaine. Le poids du facteur racial, héritage de
l’histoire noire américaine, marque à juste titre l’identité de la communauté afro-
américaine. Elle attendait ainsi naturellement des nouveaux immigrés noirs de peau, qu’ils
s’identifient à leur groupe et participent à leurs combats (luttes contre les discriminations
raciales ou pour le pouvoir noir, selon la tendance). Comme l’exprime un avocat noir
américain : « Il n’existe pas de sens de solidarité culturelle entre les Africains Américains
et les Africains. (…) Les Africains n’ont pas cette conscience raciale que nous portons
profondément en nous »18. En effet, les immigrants soulignent avec insistance l’extrême
polarisation des Noirs américains sur les problèmes de race. Le poids du facteur ethnique
semble même pour certains moins lourd à porter que dans d’autres sociétés et les Africains
installés dans les métropoles densément peuplées de Noirs américains, manifestent leur
satisfaction de pouvoir se fondre dans la population noire. Ceci est très clair pour ceux qui
ont vécu dans des pays d’Europe ou du Moyen-Orient ethniquement plus homogènes. Un
17 La doctrine de l’apartheid, qui se donne comme objectif et légitimation « le développement parallèle et séparé des races », postule au départ une séparation territoriale systématique entre les différents groupes ethniques. C’est donc beaucoup plus qu’une ségrégation de fait qui a toujours plus ou moins existé en Afrique du Sud, comme dans d’autres pays africains, eu égard à la complexité de l’histoire coloniale et à la diversité sociologique du pays. C’est aussi une doctrine très différente du principe « séparé mais égal » (Separate but Equal) « officialisé » par la Cour suprême américaine dans l’arrêt « Plessy contre Ferguson » qui donna une base légale – jusqu’en 1954 - à la ségrégation pratiquée dans les Etats du Sud des Etats-Unis. 18KANGBAI, Konaté, La place et l’utilisation de l’Afrique dans le processus identitaire des Noirs américains : discours interprétatif et négociation culturelle, thèse de doctorat de l’EHESS, Paris, 2002.
148
réfugié du sud Soudan exprime les choses en ces termes : « L’Amérique, c’est bien mieux
que n’importe quel autre pays du monde. Ma couleur ici n’est pas importante, comparé à
ce que je ressentais au Soudan ou en Egypte ».19
Beaucoup d’immigrants affirment pourtant être victimes de discriminations, mais à
la grande différence des Noirs américains, ils ne perçoivent pas le racisme comme un
phénomène envahissant. Venant de sociétés où ils représentent la majorité de la population,
ils tendent à voir la discrimination raciale comme un obstacle plus ou moins temporaire,
surmontable à force de travail et d’éducation. En contraste, comme le souligne Mary
Waters, pour les Africains Américains « le préjugé […] semble permanent, en fait
institutionnalisé ».20
L’une des ambiguïtés de la population noire immigrée tient au fait qu’elle semble
vouloir vivre dans un certain anonymat et pour ce faire, se dissoudre discrètement dans la
masse afro-américaine, mais d’un autre côté rejette l’étiquette de « Noir » qui revient à nier
sa spécificité en tant que groupe d’immigrants et surtout la rapproche d’une identité
(africaine-) américaine à laquelle elle tente d’échapper.
C) Affirmation d’une identité immigrante ou rejet d’une identité américaine ?
L’étude de Mary Waters21 sur l’insertion des immigrants antillais dans la société
américaine met clairement en évidence la volonté de ces nouveaux « blacks » de se
démarquer de la population noire américaine. Selon elle, en raison du statut des Africains
Américains au sein de la société américaine, les immigrants noirs tendent à résister à la
culture américaine et maintiennent ainsi précautionneusement leur identité et culture
(antillaise dans le cadre de l’étude, mais qui s’applique parfaitement à la population
africaine). Devenir Américains reviendrait en effet pour ces derniers à devenir noirs
américains. Comme l’exprime Princess Kanwai, une jeune nigériane de 16 ans : « J’aime
montrer que suis différente des Noirs américains. Je veux que les gens sachent que je viens
du Nigeria donc j’aime bien amener de la nourriture nigériane à l’école pour montrer que
19 The Historical Society of Pennsylvania, African immigrant..op.cit. 20 WATERS, Mary, C., Black Identities: West Indian immigrant dreams and American realities, Cambridge, Harvard University Press, 2001, 413 p. 21 Ibid.
149
je suis différente ».22 Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les immigrants exagèrent
leur africanité par souci de distanciation ou par simple fierté culturelle et identitaire.
Toutefois, certains comportements manifestent indéniablement la volonté de
préservation d’un statut d’immigré plutôt que d’une « américanisation » qui les confinerait
encore un peu plus parmi les Noirs américains. Ainsi certains immigrés entretiennent
précieusement leur accent afin de faire comprendre qu’ils viennent d’ailleurs, qu’ils ne
sont pas Afro-Américains.23 Un jeune Sénégalais évoque, soulagé, le fait « qu’avec un nom
comme le mien, personne ne peut me confondre avec mes frères Noirs ! ».24
Ce social distancing est très mal ressenti par la population noire américaine qui voit
– parfois à juste titre - dans l’insistance des immigrants africains à mettre en valeur leurs
spécificités, un subterfuge qu’ils utilisent pour ne pas être associés à leur communauté et
aux préjugés dont ils sont victimes. Ainsi, Dennis Archer, l’ancien maire de Détroit
manifeste en ces termes l’amertume de sa communauté : « Il arrive que certaines personnes
qui viennent de la « Terre Mère » (Motherland) adoptent une attitude aristocratique à notre
égard qui dégoûte un Noir essayant juste d’avoir de meilleures relations ».25 Toutefois,
cette distance que les Africains estiment nécessaire de placer entre eux et les Noirs
américains ne correspond pas forcément à de l’hostilité, ni même à de l’arrogance.
Conscients de l’image négative dont souffrent les Noirs dans la société américaine, les
immigrants africains emploient, de manière pragmatique, des stratégies en vue d’échapper
à la catégorisation imposée aux Noirs par la société américaine. Et ce d’autant plus qu’ils
croient savoir bénéficier d’un a priori favorable au sein de la population blanche.
22 WATSON, Mary Ann, Africans in America : The Unfolding of Ethnic Identity, http://www.africamigrations.com/video/ 23 Mary Waters évoque ainsi l’histoire cocasse d’une jeune américaine d’origine antillaise et qui demande à sa mère de l’aider à se créer un accent crédible avant d’aller passer des entretiens d’embauche. 24 KANGBAI, Konate, La place et l’utilisation…op.cit. 25 DIOUF, Sylvianne, In Motion..op.cit.
150
D) Relations avec la société blanche
La combativité des immigrants africains et leur volonté de réussir n’échappent pas
aux détenteurs du pouvoir économique. Selon Bryce-Laporte,26 leur ardeur au travail les
rapproche de l’éthique protestante - chère à Max Weber - tant valorisée aux Etats-Unis et
dont l’un des éléments fondamentaux est l’idée que les individus sont récompensés selon
les efforts qu’ils consacrent au travail. En outre, les Africains sont perçus comme des gens
respectueux des lois de leur pays d’accueil et bénéficient d’une meilleure image que les
Noirs américains, supposés plus rétifs et manquant d’éthique professionnelle. « Les
Africains ont une meilleure formation, ils sont venus ici pour travailler et gagner de
l’argent. Ils sont plus accommodants et ne représentent pas une menace »27 souligne
l’historienne Sylvianne Diouf. Nous retrouvons ici l’image du « bon immigré » - antithèse
du Noir Américain - qui n’a pas peur de courber l’échine et vit dans une discrétion
appréciée. Cependant, comme tout groupe d’immigrants, les Africains ne sont pas à l’abri
des tentations nativistes d’une minorité d’Américains.
Les tensions apparaissent le plus clairement dans les petites villes non préparées à
recevoir de fortes communautés d’immigrés que dans les grandes métropoles urbaines où
se regroupent pourtant une majorité d’immigrants. Les réfugiés cristallisent ainsi beaucoup
des oppositions à l’immigration venue d’Afrique. Ils sont en effet relogés, selon les
disponibilités des centres d’accueil, aussi bien dans des métropoles comme Los Angeles,
Houston ou Philadelphie que dans des petites villes de moins de 20 000 habitants du
Minnesota ou du Kansas. Cette nouvelle population étrangère paraît d’autant plus visible
que les réfugiés arrivent généralement à plusieurs familles ou en groupes relativement
conséquents. La mauvaise conduite d’un membre de la communauté apporte son lot de
stigmatisations et de récupérations politiques des partisans de la fermeture des frontières
ainsi que de militants franchement racistes.28
26 BRYCE-LAPORTE, R.S, « Black Immigrants », in ROSE, P.I, Through differents eyes : Black and White Perspective in American Race Relations, Oxford University Press, New York, 1973. 27 ROBERTS, Sam, « More Africans Enter U.S Than in Days of Slavery », in New York Times, 21 février 2005. 28 Lire à ce sujet : Dan Cvijanovic – North Dakotans : Stand Up and Oppose Further African Immigration – [en ligne] – [référence du 04/03/05] – Accès :<http://www.nationalvanguard.org/story.php?id=3143>; article qui fait suite à l’accusation de viol porté contre un jeune réfugié soudanais (Lost Boy) dans la ville de Fargo, North Dakota. Cet état qui, en 1990, était encore peuplé à 95 % de chrétiens blancs (selon les chiffres du Centre de population de l’Etat) a accueilli un grand nombre de réfugiés, notamment du Vietnam et d’Afrique.
151
Le regroupement communautaire inhérent aux groupes d’immigrés (africains,
comme asiatiques et latino-américains) a ainsi conduit les réfugiés somaliens à s’établir
massivement à Lewiston, une cité ouvrière blanche du Sud du Maine. D’abord installés à
Atlanta par le gouvernement fédéral, un grand nombre de ces réfugiés se laissèrent
convaincre par des membres de leur communauté, des opportunités de cette ville de 36 000
habitants réputée plus sûre et moins chère. Entre 2001 et 2002, environ 1000 réfugiés
somaliens posèrent au final leurs valises à Lewiston, déclenchant une vague de
protestations, relayées par la plus haute autorité. Bien que citoyens américains pour
certains, le choix de leur libre établissement fut contesté par le maire de la ville, Laurier T.
Raymond, sous forme d’une lettre envoyée aux pionniers somaliens : « Merci de faire
passer le mot : Nous avons été submergés et avons répondu vaillamment. Maintenant nous
avons besoin d’un peu de temps et d’espace pour respirer. Notre ville est au bord du
gouffre financièrement, physiquement et émotionnellement ».29
Par ailleurs, la question de l’immigration illégale fait irruption dans le débat
politique national avec de plus en plus de prégnance. En Californie, le vote du référendum
« Save Our State »30 sonne ainsi comme un cri d’alarme à destination du Congrès, afin de
régler le problème sérieux de l’immigration illégale et des dépenses qu’elle engendre. Les
Africains ne sont pas les premiers ni les seuls visés, bien entendu, mais l’augmentation des
« sans-papiers », dans l’Etat de New York notamment, constitue un sujet de polémique de
plus en plus brûlant.
Une frange de la population réagit ainsi de manière compulsive devant ce « flot de réfugiés » tandis que d’autres annoncent « la fin du paradis que nous avions créé »… 29 DIOUF, Sylvianne, In Motion..op.cit. 30 Officiellement nommée « Proposition 187 », puis habilement rebaptisée « SOS : Save Our State » par ses promoteurs, la proposition de loi soumise par référendum aux électeurs de Californie visait, outre à mettre un terme à l’immigration clandestine, à réduire les dépenses publiques de l’Etat de Californie dont bénéficiaient les illégaux.
152
Photo 25 : Du rejet au soutien. Les immigrants africains ne sont pas épargnés par les réflexes xénophobes d’une partie de la population américaine. Les réfugiés somaliens ont notamment semé la panique dans la petite ville de Lewiston (Maine), à 97 % blanche, où ils se sont établis depuis Atlanta. Cette manifestation pacifique de soutien aux nouveaux immigrants, répond aux cagoules du Ku Klux Klan et autres drapeaux du IIIe Reich, arborés quelques jours plus tôt par les militants de la World Church of the Creator (une organisation xénophobe prônant la suprématie de la race blanche), courroucés par la venue massive d’Africains dans leur localité. [Associated Press].
153
Photo 26 : La définition d’une double identité. Beaucoup d’expatriés africains témoignent de la difficulté de se construire une identité à l’extérieur de chez eux. Philippe Wamba, auteur américano-zaïrois évoque « l’épuisement identitaire » de ses pairs en ces termes : « Etre citoyen de deux mondes totalement asymétriques signifie parfois n’appartenir vraiment à aucun des deux ». Sur la photo, une femme somalienne de Minneapolis défile le 1er mai 2002, lors d’une manifestation contre ce que les organisateurs qualifient de « traitement inique de la communauté musulmane » après les attentats 11 septembre 2001. [Eric Miller, Associated Press].
154
II- Noirs Africains contre Noirs Américains ?
Les relations tumultueuses que Noirs Américains et immigrants africains
entretiennent sont fréquemment mises en avant - au point d’en exagérer la portée - lorsque
sont évoquées les rencontres entre les deux communautés issues de la diaspora africaine. Si
les contacts intercommunautaires sont parfois houleux et les préjugés tenaces, les relations
au quotidien paraissent plutôt cordiales dans une grande majorité de cas. Cette mise en
évidence des différends plutôt que des convergences peut paraître excessive. Toutefois, il
n’y a pas grand intérêt à évoquer les rapports courtois d’individus à individus. Nous allons
plutôt chercher à faire ressortir les pierres d’achoppement que rencontrent les immigrés
africains lorsqu’ils tentent d’entrer en contact avec les Noirs « natifs » américains, afin de
déceler les malentendus persistants entre les deux communautés. En tentant de découvrir
ce qui provoque l’hostilité d’une minorité d’Afro-Américains vis-à-vis de ces nouveaux
« blacks » et les préjugés que les deux communautés se renvoient, nous pourrons ainsi
mieux comprendre pourquoi la fusion de ces nouveaux immigrants dans la communauté
noire américaine ne coule pas de source.
A) Le poids du passé, un héritage difficile à partager
La première incompréhension perceptible entre Afro-Américains et immigrants
africains tient, comme nous l’avons entrevu dans notre première sous-partie, à la différence
de conception que les deux communautés se font du facteur racial. Ce profond décalage
pose de suite une question d’une ampleur toute autre, celle de l’héritage commun aux « fils
et filles de l’Afrique » tenus éloignés pendant plus de deux siècles.1 Aux yeux de
nombreux observateurs non avisés, les origines ancestrales communes à ces deux diasporas
africaines devraient à elles seules garantir l’unité des descendants d’esclaves africains et de
leurs congénères récemment immigrés. Or c’est ignorer que l’histoire douloureuse de la
traite négrière constitue plus un facteur de divisions qu’un gage de fraternité.
1 Le commerce triangulaire est aboli par le Congrès américain le 1er janvier 1808, mais dans les faits, l’importation clandestine d’esclaves subsistera un demi siècle durant.
155
Les Noirs américains traînent un passé lourd de souffrances. La rupture avec le
continent africain s’est faite dans la douleur de l’arrachement à la terre mère et certains
Noirs aux idées radicales assimilent, par un calcul plus que douteux, les nouveaux
immigrés africains aux descendants de ceux qui ont vendu leurs ancêtres.2 D’où la rancœur
(contenue dans le fameux « you sold us ») que beaucoup d’immigrants africains disent
ressentir de la part de quelques Afro-Américains tentant de maintenir une distance entre les
deux communautés, scindées à un moment de leur histoire. Le rejet dont les Africains
affirment être victimes ne se manifeste pas forcément par une animosité incommensurable
à leur égard. Il prend parfois des aspects pernicieux, notamment autour de la définition
d’« Africain Américain »3, terme à géométrie variable dans son interprétation. Plus qu’une
simple controverse lexicale, la signification exacte du qualificatif et l’usage qu’il en est
fait, révèle les problèmes de définition identitaire de la communauté noire américaine
depuis que sont arrivés de nombreux Noirs d’origine étrangère.
Ainsi le républicain noir Alan Keyes, en course contre Barack Obama pour le poste
de sénateur de l’Illinois, mit en doute le fait qu’Obama puisse se déclarer Africain
Américain. Dans une interview à la chaîne ABC, il déclara : « Barack et moi appartenons à
la même race, nous avons les mêmes caractéristiques physiques, mais nous n’avons pas le
même héritage. Mes ancêtres ont subi l’esclavage dans ce pays. Ma conscience et ma
personnalité ont été modelées par le combat profondément douloureux que j’ai mené pour
accepter cet héritage », suggérant ainsi que son rival ne ressentait pas la douleur de
beaucoup d’ « African Americans » parce que ses ancêtres n’avaient pas souffert de
l’esclavage.4 Dans une allégorie douteuse, Keyes alla jusqu’à déclarer plus tard que les
2 Le commerce triangulaire n’aurait en effet jamais été possible sans la participation de roitelets africains qui, en échange de camelotes venues d’Europe, vendaient aux négriers des captifs souvent arrachés à l’intérieur du continent. 3 Qualificatif qui a supplanté « Noir » dans le discours politique et culturel du pays. La désignation de la communauté noire a en effet beaucoup évolué au cours du siècle, passant de Negro à Black dans les années 1960, puis d’Afro-American à African-American. Ces deux dernières acceptions soulignent clairement l’origine africaine de la communauté. 4 Allusion on ne peut plus clientéliste (destinée à accaparer les voix de l’électorat noir) au fait qu’ Obama, comme nous l’avons dit plus haut (cf. chapitre 7) est le fils d’un kenyan immigré dans la deuxième partie du XXe siècle.
156
positions pro-choice5 d’Obama contrevenaient aux principes de la Déclaration
d’Indépendance et que de ce fait, Obama « adoptait la position de l’esclavagiste ».6
L’épineuse question de savoir ce qu’est un « Africain Américain » concerne avec
d’autant plus de force les immigrants du continent noir que beaucoup se considèrent et se
définissent d’abord comme Africains puis – du fait qu’ils résident en Amérique et, pour
certains, soient naturalisés - Américains. Ainsi, grande fut la surprise du Docteur
Abdulaziz Kamus, d’origine éthiopienne, lorsqu’il proposa à ses collègues médecins,
cherchant à sensibiliser les Noirs aux dangers du cancer de la prostate, que l’on se penche
sur le cas des immigrés africains. Il se vit signifier de manière on ne peut plus froide que la
campagne était réservée aux Africains Américains :
« Mais je suis Africain et je suis un citoyen américain ; cela ne fait-il pas de moi un
Africain Américain ? » s’est exclamé dans la plus grande consternation cet homme qui
défend l’intérêt des immigrés africains aux Etats-Unis. « Non, non, non, justement pas »,
lui a-t-on répondu ».7
La conclusion que le docteur Kamus tira de cette expérience douloureuse
s’applique à l’ensemble des immigrants africains du pays : « D’après le recensement, je
suis Africain Américain ; quand je me promène dans la rue, les Blancs me considèrent
comme tel. Pourtant les Africains Américains me disent « vous n’êtes pas des nôtres. Alors
je me demande comment, dans ce pays, je peux me définir ». Hors le poids d’un passé
lointain mal « digéré », comment expliquer la volonté de la part des Afro-Américains de
maintenir leurs « cousins d’Afrique » à l’écart de leur groupe, de tracer une frontière
infranchissable entre les deux communautés ?
Beaucoup d’Africains assimilent l’attitude des autres Noirs à de l’arrogance, à un
complexe de supériorité, l’Afrique étant considéré « comme un continent de sauvage ». Si
cette attitude peut exister, nous pensons que l’hostilité à l’égard des nouveaux immigrants
d’Afrique trouve des explications dans l’histoire récente de la population noire américaine.
5 Désignation des militants en faveur du droit à l’avortement, par opposition aux pro-life, opposés à l’interruption volontaire de grossesse. Obama, qui se range dans la première catégorie, avait en effet voté contre un projet de loi qui proposait d’interdire certains avortements tardifs. 6 « I would still be picking cotton if the country’s moral principles had not been shaped by the Declaration of Independence (...) M. Obama has broken and rejected those principles: he has taken the slaveholder’s position » . 7 Extrait d’un article du New York Times: SWARN, Rachel, « “African-American” Becomes A Term for Debate », in New York Times, 29 août 2004.
157
La communauté afro-américaine du pays craint en effet, de manière évidente, que
les immigrés africains ne profitent des opportunités gagnées de haute lutte lors de la
révolution des droits civiques. Après avoir subi la servitude, la ségrégation raciale et les
lois de « Jim Crow », les Noirs américains voient avec une certaine appréhension la venue
de ces nouveaux immigrants : « Nous avons tellement souffert que nous sommes épuisés,
et l’immigration apparaît comme un nouvel obstacle à franchir. Les gens se demandent :
« Est-ce que je vais devoir me battre contre ces immigrés pour atteindre mon rêve ? Et mes
enfants aussi ? ».8
Les immigrants africains mais aussi antillais, se sont engouffrés dans l’espace
social créé par le mouvement pour les droits civiques. Contrairement aux Afro-Américains,
ils sont arrivés aux Etats-Unis comme des individus cherchant à atteindre la liberté et le
rêve américain, tenant pour acquis les privilèges obtenus à la suite d’années de luttes. Ils ne
voient pas pourquoi ils devraient continuer à se battre pour consolider ces droits parce
qu’ils veulent utiliser l’espace déjà acquis pour emprunter la voix de l’ascension sociale et
de la mobilité individuelle. Les Afro-Américains vivent mal la venue de ces nouveaux
Noirs qui, d’une certaine manière, « usurpent » leurs avantages difficilement conquis.
« Après tout, ce sont les luttes menées par les nôtres qui ont permis la mise en place de ces
mesures dont les Africains et d’autres peuvent bénéficier. Je sais que certains d’entre eux
ont pris la place des Noirs américains » s’indigne une Afro-Américaine.9
D’après différentes enquêtes,10 il s’avère en effet que la majorité des bénéficiaires
des politiques d’affirmative action11 ne sont pas les descendants d’esclaves à qui cette
mesure réparatrice était destinée, mais les récents immigrants noirs (qu’ils viennent
d’Afrique ou des Caraïbes). A Harvard - la très prestigieuse université du Massachusetts -,
la discrimination positive ne profiterait pas aux Noirs américains les plus nécessiteux mais
plutôt à des Noirs issus des classes moyennes et supérieures dont une large part est
8 Ibid. 9 KANGBAI, Konaté, La place et l’utilisation...op.cit. 10 JOHNSON, Jason B., « Shades of gray in black enrollment. Immigrants’rising numbers a concern to some activists » in San Francisco Chronicle, 22 février 2005. 11 Les programmes de discriminations positives (affirmative action) furent initialisés dans le sillage de la lutte pour les droits civiques des années 1960, avec pour but d’aider les Africains Américains a surmonté l’héritage de l’esclavage et les années de ségrégation et de discriminations dans un grand nombre de secteurs dont l’éducation.
158
constituée d’immigrants.12 En tant que Noirs, les nouveaux immigrants peuvent par ailleurs
obtenir des contrats préférentiels avec le gouvernement, destinés à l’origine aux Noirs
américains. Ces derniers se sentent d’autant plus floués que les Africains affichent une
bonne réussite socio-économique. Ce succès relatif des immigrants, malgré les handicaps
liés à leur situation de départ (moins bonne maîtrise de la langue, manque de réseaux,
connaissance approximative des rouages de la société…) renvoie à n’en pas douter les
Afro-Américains face aux raisons de leurs propres difficultés économiques et sociales.
B) La réussite des uns, reflet de l’échec des autres ?
L’arrivée de ces immigrants africains met incontestablement à mal la population
noire du pays la plus vulnérable socialement et économiquement. Une grande part du
problème provient de la nouvelle concurrence que représentent les immigrants Africains
sur le marché du travail. Les travailleurs Noirs américains voient d’un mauvais œil
l’arrivée massive de cette main-d’œuvre docile voire zélée, qui ne prend jamais part aux
luttes sociales dans le monde du travail et susceptible à tout moment de leur prendre leur
emploi. Ce constat est d’autant plus vrai pour les travailleurs du bas de l’échelle sociale.
Un jeune livreur de pizza ivoirien exprime en ces mots le ressenti de certains Afro-
Américains : « Les Noirs sont franchement antipathiques. Ils nous font comprendre qu’on
n’est pas chez nous et qu’on leur prend leur boulot ».13 Les tensions d’ordre économique
font surgir ci ou là des controverses à l’échelon local. Ainsi, en 1994, les commerçants
noirs américains d’Harlem (réunis au sein du Harlem Business Establishment)
convainquirent le maire Rudolph Giuliani de la nécessité de disperser des artères
commerciales telles que la 125e rue, les vendeurs de rue illégaux de plus en plus nombreux.
La présence de ces camelots sur les trottoirs d’Harlem devenait en effet néfaste pour le
12 D’après les conclusions de chercheurs des Université de Princeton et de Pennsylvanie qui ont étudié les résultats des étudiants issus des minorités dans une trentaine d’universités (parmi lesquelles Berkeley, Columbia, Yale et Duke). Ils ont trouvé que 41 % des étudiants noirs s’identifiaient comme immigrants, fils d’immigrants ou métis (mixed race). 13 KANGBAI, Konate, La place et l’utilisation..op.cit.
159
commerce des boutiquiers. Ceux-ci n’hésitèrent pas à rappeler outre l’irrégularité des étals,
celle des immigrants.14
Les Afro-Américains appréhendent ainsi souvent les immigrants comme de
nouveaux challengers, d’autant plus redoutables qu’ils acceptent tous types d’emplois et au
final, en tant que groupe, obtiennent de meilleurs résultats socio-économiques. Ainsi, en
2000, le revenu médian par foyer africain était de 42 900 dollars, alors qu’il atteignait
péniblement les 33 800 dollars chez les Noirs américains. Eric Foner, historien à
l’université Columbia de New York, n’en est pas étonné : « Traditionnellement, les
nouveaux immigrants ont toujours doublé les Noirs nés aux Etats-Unis. Il se pourrait bien
que les immigrants africains le fassent eux aussi ».15
Devant la réussite des immigrants noirs (Africains mais majoritairement Caribéens
à l’époque), l’historien Thomas Sowell16 prétendait ainsi dès 1978 avoir la preuve que
l’échec des Africains Américains dans le monde du travail (taux de chômage élevé et
revenus inférieurs à la moyenne nationale) n’avait pas pour cause les discriminations mais
plutôt les « traditions culturelles » de ces derniers. Il semble ainsi que l’image de l’Africain
travailleur aux yeux de la société blanche, favorise la critique à l’égard des Noirs
américains qui seraient responsables (car fainéants, assistés et plaintifs) de leur conditions
d’existence peu enviables.
Comme un écho à ces propos souvent tenus, les Black Americans reprochent
souvent aux Africains de se rabaisser à des tâches jugées indignes. Derrière les camelots ou
chauffeurs de taxi se cachent souvent des universitaires, diplômés, qui n’exercent pas un
travail à la mesure de leurs connaissances. D’où le reproche adressé aux immigrés africains
de travailler trop pour des salaires ridicules, d’accepter tous types de travail et de s’asseoir
sur leur dignité. Il y a ici, semble-t-il un énorme hiatus entre la misère économique dans
laquelle peuvent se trouver certains Noirs américains au sein de la société américaine
d’abondance et les Africains fraîchement arrivés aux Etats-Unis, qui ont connu un
14 Cette controverse fut à l’origine de la création d’un marché africain en plein air, le Malcom Shabazz Market au détour de la 116e rue, dans un lieu relativement isolé et peu fréquenté par les touristes et les habitants du quartier. Ainsi mis à l’écart, les vendeurs de rue africains ne représentaient plus une menace pour le commerce des « locaux ». 15 ROBERTS, Sam, « More Africans Enter U.S Than in Days of Slavery », in New York Times, 21 février 2005. 16 SOWELL, Thomas, « Three Black Histories », in Essays and Data on American Ethnic Groups, The Urban Institute, 1978, pp.41-48. Thomas Sowell lui-même est un Afro-Américain, ce qui rend sa critique d’autant plus éloquente.
160
dénuement économique certainement plus pressant, et sans commune mesure. Les
Africains et les Noirs américains ont tout bonnement une réalité différente. « Pour
beaucoup d’entre nous qui venons ici, souvent en situation d’étudiants ou illégale, les petits
boulots sont là pour assister, soit en vue de se payer des études, soit pour assister la famille
restée au pays. Tous les moyens sont bons pour arriver à nos fins, soit pour prévenir tout
problème, soit pour financer les études et assister la famille au pays ».17A l’arrivée des
premiers Africains dans les quartiers noirs paupérisés, les Afro-Américains ont souvent
regardé avec une certaine condescendance ces nouveaux venus qui travaillaient d’arrache-
pied et « faisaient les boulots que les gens ne voulaient pas faire ».
Un immigrant africain avance sa version des faits : « Il faut aussi critiquer la
mentalité d’assistés des Noirs américains ! Ils ne veulent pas travailler, ils dépendent des
aides sociales, du welfare, et quand ils voient des Africains venus d’autres pays, d’un autre
continent, avec l’image stéréotypée véhiculée par la télévision… et que ces gens-là
réussissent, ont des belles voitures, ils sont jaloux, c’est ça qu’on nous reproche ».18
Ce genre de critiques et de conflits plus ou moins ouverts, où interfèrent les
paramètres de classe, met en situation logeurs et locataires, employeurs et employés,
commerçants et clients, comme le dépeint assez bien le film Little Senegal.19 Dans
beaucoup de quartiers, des programmes sont mis en oeuvre par les municipalités pour la
prévention et la résolution de ces conflits par la découverte mutuelle ; car semble-t-il, la
discorde prospère de l’incompréhension et de l’ignorance de l’autre groupe.
C) Une incompréhension mutuelle, des préjugés mutuels, une ignorance mutuelle
Les préjugés que se renvoient mutuellement Africains et Noirs américains sont
légions et on ne peut pas dire que les uns en soient plus avares que les autres.
Ainsi, beaucoup d’immigrants regrettent la vision tronquée de l’Afrique que portent les
Noirs américains. Les médias ont favorisé la diffusion de stéréotypes négatifs sur un
continent il est vrai peu épargné. Suivant le principe journalistique du « what makes news
17 Radio France Internationale (RFI), collection « L’Afrique à New York », le 07/12/2002, de 14h40 à 15h00. « Suivez mon regard », présenté par Caroline Paré. 18 Ibid. 19 BOUCHAREB, Rachid, Little Senegal, France/Allemagne/Algérie, Blaq Out, 2001, 93 minutes.
161
is bad news », ce sont les sujets tels que la guerre, la famine, la corruption ou le sida qui
occupent le peu de place réservée à l’Afrique sur les canaux d’information américains.
Sur les chaînes noires américaines telles que B.E.T (Black Entertainment
Television), les ONG appellent au don pour venir en aide, dans un élan compassionnel, à
des enfants faméliques, estropiés ou sidaïques (au choix). Et ce, à grand renfort d’images
pénibles et voyeuristes. Les immigrants ne se reconnaissent pas dans cette représentation
misérabiliste de l’Afrique tout comme ils récusent la vision d’un continent arriéré mais
exotique, que beaucoup d’Afro-Américains partagent : « La majeure partie des Afro-
Américains, comme des autres Américains, n’arrive pas à croire qu’il y a autre chose que
de la brousse en Afrique. Ils n’imaginent pas qu’on roule en voiture et qu’on y fait des
études. Ils sont persuadés que tout ce qu’on a appris et obtenu, on le doit aux Etats-Unis »,
se lamente une jeune diplômée malienne.20 Dans les classes moyennes et supérieures, les
relations entre Africains Américains et Africains restent en général courtoises « Ils ne vous
diront jamais que vous êtes inférieurs à eux. Ici, les gens pratiquent le politiquement
correct. Et tant que vous faites bien votre travail, il n’y a pas de souci d’intégration » selon
une femme camerounaise.21 Ainsi, les problèmes tendent à se concentrer dans les strates
inférieures de la société, là où le ressenti est le plus fort, face à cette immigration de
« vendeurs de montres »,22 terme empreint d’un certain mépris pour les menus travaux
exercés par les immigrants, pourtant accusés de voler les emplois de la population noire.
Un autre problème d’acceptation de ces nouveaux noirs est purement épidermique.
Alors qu’il a fallu des générations pour que les Noirs américains revendiquent leur
négritude et affirment la beauté de la race noire par le biais de slogans tels que « Black is
Beautiful », les canons de la beauté – notamment de la femme noire - demeurent orientés
vers le teint clair. La constatation de l’avantage d’être blanc semble par ailleurs s’imposer
à tous puisque le pendant de la formule énoncée plus haut est « White is might ». Le
problème racial existe au sein même de la communauté afro-américaine selon le degré de
noirceur. Certains talk shows relaient ainsi les propos déconcertants de Noirs clairs
exprimant leur mépris pour les Noirs trop foncés.23 Le réalisateur noir américain Spike Lee
20 KANGBAI, Konate, La place et l’utilisation..op.cit. 21 BOTTI, Nicolas, « Voyage dans la diaspora », in Jeune Afrique L’intelligent, 7 novembre 2000. 22 RFI..op.cit. 23 DURPAIRE François, La civilisation américaine, Paris, PUF, 2004, pp.61-63.
162
montre bien le poids des clivages purement épidermiques, dans son film Jungle Fever: 24
Drew (Lonette McKee), la femme de Flip Purify (Wesley Snipes) est rejetée voire
maltraitée par la communauté afro-américaine à cause de son teint trop blanc. En sens
inverse, les femmes à la peau foncée sont considérées comme trop « africaines » pour
plaire aux hommes.25 Dans ces conditions, les relations interethniques (dans la mesure où
l’on considère les Africains et les Noirs américains comme deux groupes distincts
ethniquement parlant) se révèlent rien moins que compliquées lorsque l’on sait que
traditionnellement, la peau claire et les cheveux fins sont préférés, au sein de la
communauté noire américaine, à la peau sombre et aux cheveux crépus. L’identification
par la peau permet ainsi toutes sortes de dérives : « Il y a quelque jours, un gardien afro-
américain travaillant dans ma résidence m’a refusé l’accès à mon appartement parce qu’il
ne voulait pas croire que j’habitais ici. J’étais trop noir de peau à ses yeux pour justifier
d’un tel statut social » témoigne un responsable marketing de Miami, originaire du
Congo.26 Cet état de fait, souvent dénoncé, perdure, comme le montre le documentaire de
Kathe Sandler, A question of Color (1993)27 qui conclut une énumération des différents
termes utilisés pour décrire la couleur de peau et la texture des cheveux28 par la comptine
« If you’re light, you’re all right… If you’re brown, stick around… If you’re black, get
back, get back, get back! ».29
Les Africains, en retour, ne sont pas en reste quant aux a priori qu’ils ont sur la
population noire américaine ; et ce, parfois bien avant leur expérience américaine. Megan
Mylan et Jon Shenk, réalisateurs d’un documentaire sur les jeunes réfugiés soudanais30 aux
Etats-Unis livrent ainsi une remarque significative de l’image extrêmement négative des
24 LEE, Spike, Jungle Fever, USA, 40 Acres & a Mule Production, 1991, 132 minutes. 25 Sur le problème « intra-racial » dans le cinéma noir, Anne Crémieux s’est intéressée aux films produits par des réalisateurs noirs américains afin de voir dans quelle mesure ils reproduisent le code des couleurs classique du cinéma hollywoodien selon lequel les bons ont la peau claire et les méchants ont la peau foncée, lorsque tous les protagonistes sont Afro-Américains. 26 BOTTI, Nicolas, Voyage dans la..op.cit. 27 SANDLER, Kathe, A Question of Color, USA, 56 minutes, 1993 28 Des mots qui forment toute une gamme de couleurs du plus clair au plus foncé : Ebony, coal back, skillet blonde, tar baby, redbone, brown-sugar, honey-pecan, lemon-color, j’en passe et des meilleurs. 29 A l’origine, un blues de Big Bill Broonzy, intitulé “Black, Brown and White”. Il écrivit ces rimes en 1947, déçu du peu d’avancée au niveau racial après la seconde guerre mondiale. 30 MYLAN, Megan & SHENK, Jon, Lost Boys of Sudan, Actual films and principe productions in association with American Documentary, Inc & ITVS Docurama, POV, 2003, 87 minutes.
163
Noirs américains, disséminée en Afrique (et plus vraisemblablement à travers le monde).
Préoccupés par leur réinstallation aux Etats-Unis, « une des premières choses que les Lost
Boys nous demandèrent fut : est-ce que c’est vrai que la plupart des Noirs aux Etats-Unis
sont en prison ». Dans ces conditions, il est facile de comprendre que beaucoup d’Africains
préfèrent ne pas trop se mêler aux Africains Américains qu’ils trouvent par ailleurs soit
« trop superficiels », soit « pas assez cultivés » et toujours « agressifs et violents ». Dans le
même documentaire, un réfugié soudanais se livre à une femme blanche des services
d’accueil : « Ici, les Noirs sont mauvais. Ce n’est pas du racisme, regardez ma peau, mais
on a tous été au moins une fois volés par des Noirs. Moi même, je me suis fait braquer ! ».
L’expérience propre à chaque immigré détermine plus que tout la vision qu’il porte
sur la population noire. Les Africains résidant à l’intérieur de quartiers noirs à l’abandon et
particulièrement violents prennent ainsi bien souvent garde de ne pas trop fréquenter de
« Blacks ». Il semble par ailleurs que les immigrés vivant dans des communautés africaines
repliées sur elles-mêmes, sans contacts autres que professionnels avec la communauté
Afro-américaine, perpétuent les stéréotypes généralisants, tandis que les immigrants qui
évoluent dans un milieu social plus élevé et cosmopolite tendent à réprouver l’image
négative de la population noire américaine. Ainsi un commerçant malien qui a ouvert
boutique dans un quartier d’une grande mixité sociale et raciale de Washington exprime sa
« joie » de connaître des Noirs américains : « Les frères Noirs sont intéressants. Ceux qui
viennent dans mon magasin sont très ouverts […] D’ailleurs je projette d’amener mes
voisins noirs en Afrique d’ici l’été 2002. Vous savez, je sais que beaucoup d’Africains
n’aiment pas les African Americans, mais il faut qu’on s’ouvre un peu. Qu’on les accepte !
Ils sont comme nous, il y en a des biens et d’autres qui sont moins bien ».31
La force du préjugé tient donc, comme dans beaucoup de cas à la méconnaissance
de l’autre. Confrontés à des scènes du ghetto noir américain et devant les terribles images
de violence et de désespoir de ces quartiers que rapporte la télévision, les immigrés du bas
de l’échelle sociale font « parfois montre de presque autant d’animosité envers [leurs]
cousins afro-américains que le plus raciste des Blancs. Aveuglé par la réussite, l’immigré
voudrait prendre un maximum de distance psychologique, à défaut d’une distance
physique, avec ces bas-fonds. Il rejette de manière catégorique toute identification avec
31 KANGBAI, Konaté, La place et l’utilisation..op.cit.
164
ceux qui, irrémédiablement, courent à leur perte, de la même manière qu’une famille peut
rejeter et dénoncer un de ses membres qui souffrirait d’alcoolisme ou de kleptomanie »32.
La cohésion des Noirs américains et des Noirs africains a semble-t-il été retardée
par la multitude de fausses idées qui circulent entre les deux diasporas africaines. Témoin,
ce message laissé par un jeune internaute américain d’origine africaine sur un site
communautaire : « Au Sénégal, le citoyen lambda voit les Etats-Unis comme un paradis.
Est-ce que ça l’est en réalité ? NON. En Amérique, le citoyen lambda assimile l’Afrique à
une immense jungle. En réalité, est-ce que ça l’est vraiment ? NON. Certaines fausses
idées que les Américains ont de l’Afrique font vraiment mal au cœur ; quant aux Africains,
ils ont une vision complètement erronée des Noirs américains. Pour empêcher tant
d’ignorances de se propager, il serait bon que les parents africains comme noirs américains
fassent un effort pour expliquer à leurs enfants la culture de l’autre. […] Arrêtons de nous
fier aux reportages de Discovery Channel and National Geographics car les médias comme
disait Malcom X ont le pouvoir de rendre le coupable innocent et l’innocent coupable ». 33
D) Les facteurs d’union
Ceci nous amène à évoquer les échanges fructueux entre les deux communautés,
étant entendu que certains membres des deux bords tentent de réaffirmer l’unicité des
Noirs américains et des Noirs africains.
La démarche de certains Afro-Américains d’aller à la rencontre de leurs cousins
africains prend des formes variées et parfois étranges aux yeux de ces derniers. Tout
comme ils déplorent l’image sans contraste d’une Afrique chaotique, tribale et sanguinaire,
les Africains trouvent inconcevable la vision romantique que certains Afro-américains
attachent à la terre de leurs ancêtres. L’art de vie afrocentriste34 pratiqué par un nombre
32 Ike Oguine analyse en ces termes les conseils prodigués par son cousin d’éviter ces gens « fainéants, malhonnêtes, débauchés, cupides », porteurs en un mot de tous les vices de l’humanité. 33 Traduction libre du message posté sur http://africaforum/forumdisplay.php3?forumid=5. 34 Le courant d’idées afrocentristes qui semblait, jusqu’à il y a une dixaine d’années, ne concerner que certains intellectuels et universitaires noirs de l’Afrique et de la diaspora, tend aujourd’hui à se populariser aux Etats-Unis. L’afrocentrisme aux Etats-Unis n’est donc plus simplement une idéologie présente au sein des très engagés départements d’African-American studies, véritables bastions politiques noirs aux EU, mais « un discours populaire pour ceux qui cherchent à honorer et à reproduire l’Afrique et son folklore en terre américaine » comme le définit Pauline Guedj. (GUEDJ, Pauline, « Des « Afro-asiatiques » et des Africains, Islam et afrocentrisme aux Etats-Unis », in Cahiers d’études africaines, 2003, n°172, pp.739-759).
165
croissant de Noirs américains déconcerte bien souvent les détenteurs d’une authentique
culture africaine. Sur les trottoirs d’Harlem, il n’est pas rare de trouver, sur les mêmes
étals, des cassettes vidéos consacrées au leader radical noir Louis Farrakhan, des ouvrages
sur Malcolm X ou Martin Luther King et des livres aux titres évocateurs tels que : The
African Answer, In search for Africa, Faraway drums. Le retour à l’Afrique, prôné dans les
années 1920 par Marcus Garvey35 et ses émules, semble avoir pris la forme d’un retour
spirituel au Motherland (la terre mère), prenant parfois des formes qui décontenancent les
Africains.
Si les Noirs américains, cherchant à renouer avec leur héritage africain, achètent
beaucoup d’apparats de traditions africaines, ils semblent pour la plupart être
profondément ignorants de la culture des immigrants. Ces derniers ne manquent pas de le
souligner mais les commerçants immigrés se réjouissent tout de même de l’aubaine
constituée par la demande nouvelle de produits africains, de l’African Black Soap (un
savon noir africain) au Kente cloth (un tissu traditionnel du Ghana). L’achat de ces objets
symboliques s’inscrit dans une réinterprétation mythique et simplificatrice du continent
africain qui va de pair avec la naissance de rituels afrocentristes comme la fête de
Kwanzaa,36 période de célébration de sept jours - entre Noël et le nouvel an - dédiée à la
réaffirmation des valeurs et de la culture africaine. Une réinterprétation imprégnée de
projections imaginaires, qui irrite les immigrants africains, à moins qu’elle ne les amuse.
Le lien historique qui lie les Noirs américains à l’Afrique amène ainsi certains
Afro-Américains à reconsidérer leurs relations avec les immigrants africains et avec le
continent noir d’une manière générale. De nombreux Afro-Américains s’intéressent de
près à l’histoire de la traite négrière et de l’esclavage. Dans une quête identitaire, certains
tentent de reconstituer leur arbre généalogique afin de connaître plus précisément la terre
de leurs ancêtres. Les progrès continus de la génétique ont d’une certaine manière
révolutionné la quête identitaire de ces Afro-Américains.37 Il leur est désormais possible
35 Marcus Garvey était un immigrant jamaïcain devenu aux Etats-Unis un des leaders du Black Nationalism. Il fonda une compagnie maritime (la Black Star Line) destinée à relier l’Amérique à l’Afrique et à servir au rapatriement de millions de Noirs américains vers leur terre originelle. 36 Kwanzaa signifie « les premiers fruits de la récolte » en swahili. Cette fête fut fondée en 1966. Elle n’attirait à ses débuts pas plus de 200 célébrants. Aujourd’hui, on estime à plus de 10 millions le nombre d’Afro-Américains qui célèbrent leur héritage africain. 37 HARMON, Amy, « Black Pine Hope on DNA to Fill Slavery’s Gaps in Family Trees », in New York Times, 25 juillet 2005.
166
d’effectuer un test dont le résultat, comparé avec des échantillons d’ethnies africaines,
permet d’entrevoir l’origine géographique de leurs aïeux. Ainsi, de petits groupes de Noirs
américains se rassemblent sur la base de leur appartenance « ethnique » africaine,38
cherchent des « cousins » au sein de la communauté immigrée et envisagent de voyager
vers leur nouvelle terre mère.39
Du côté des immigrés africains, les signes de rapprochements vers les autres Noirs
du pays prennent la forme d’une adoption de la culture populaire afro-américaine. Ce
phénomène touche bien souvent la deuxième génération d’immigrants qui ne partagent pas
systématiquement la vision de la société américaine de leurs parents. Cette seconde
génération, particulièrement celle qui vit dans des quartiers fortement ségrégués, tend à
s’identifier aux Noirs américains et à la culture qui reflète leur environnement (le ghetto
urbain). Alors que les jeunes d’origine africaine de la classe supérieure (dont les parents
ont les moyens d’envoyer dans les écoles privées ou internationales) résistent un tant soit
peu à l’américanisation, beaucoup d’Africains de la deuxième génération tendent à
s’assimiler aux Afro-Américains, à leur culture et à leurs combats. Ainsi, Akon, la
nouvelle coqueluche du hip hop américain, est issu de la deuxième génération de
l’immigration sénégalaise.40 La fusion des deux entités culturelles noires en une culture
réellement « africaine américaine » est un processus qui s’étend sur plusieurs générations,
mais d’ores et déjà, nous pouvons affirmer que la seconde génération – comme pour
l’immigration italienne ou irlandaise - s’intègre plus profondément à la société d’accueil,
en adoptant les valeurs et les traits culturels américains. Reste à savoir si l’américanisation
des immigrants africains qui, comme nous l’avons vu, passe souvent par l’adoption de la
culture afro-américaine, sera synonyme de mobilité sociale ascendante (comme c’est le cas
pour les autres immigrés qui assimilent la culture majoritaire, c’est-à-dire blanche) ou
38 Ces « retrouvailles » d’Afro-Américains pouvant tracer leurs origines dans une même aire géographique leur apparaît d’autant plus riche de sens que les négriers mettaient un point d’honneur à séparer les esclaves de la même ethnie afin de les empêcher de communiquer. 39 Cette nouvelle identité africaine semble véritable et profonde pour certains, comme l’atteste les paroles de Kwame Bandele, dont les tests ont fait remonter son origine au groupe Mendé, présent vers le Sierra Leone : « Il y a eu un massacre à la machette l’autre nuit. Ca va mal pour les miens »… 40 De son vrai nom Aliaune Thiam, Akon est né au Sénégal où il a grandi avant d’immigrer avec sa famille vers le New Jersey, à l’âge de sept ans. De manière encore plus révélatrice de l’américanisation des jeunes africains de la deuxième génération, il s’est tourné vers le hip hop durant son adolescence alors que son père, Mor Thiam était un légendaire joueur de djembé porté vers les musiques traditionnelles africaines.
167
descendante ?(dans la mesure où les Noirs demeurent au final un véritable contre-modèle
pour les immigrés en raison des stigmates dont ils sont porteurs).
Enfin, l’unité des Noirs américains et des Noirs africains semble s’opérer à mesure
que les immigrants s’aperçoivent que peu importe la manière dont ils s’identifient, ils
demeurent largement perçus par le reste de la société comme des Noirs. Les Africains
constatent de gré ou de force que, comme l’énonçait Frantz Fanon,41 « le Noir est
prédéterminé de l’extérieur ». En ce sens, l’assassinat d’Amadou Diallo en 1999 a fait
évoluer les immigrés sur la question raciale, notamment après l’acquittement des quatre
officiers de la police new yorkaise. A la suite de ce qu’il est convenu d’appeler une
« bavure », Manthia Diawara, professeur de cinéma émérite à l’Université de New York, a
mis en texte ce que beaucoup de Noirs africains comme lui avaient sur le cœur :
« Amadou Diallo était, comme beaucoup d’immigrants africains, culturellement différent
des Afro-Américains et avait même peut-être de forts préjugés contre eux. Mais Amadou
Diallo était aussi un homme Noir, et ce signe visuel suffit à prendre un Africain ou un
Antillais pour un Afro-Américain dans les rues de New York […] Ils ont abattu Amadou
Diallo comme un Noir (Black man), même si il appartenait à la tribu Peule de sa Guinée
natale. Il y a ici une leçon que nous devons tous apprendre. Les tragédies d’Abner
Louima42 et Amadou Diallo – deux immigrants soumis à la violence rituelle blanche
généralement réservée aux Afro-Américains – devraient suffire à éveiller les Africains et
Antillais aux problèmes de race en Amérique ».43
La cohésion des deux communautés s’est ainsi en partie effectuée sur les ruines des
illusions africaines quant à la société américaine. La solidarité affichée par les Noirs
américains, après les « mini-événements » que furent l’assassinat d’Amadou Diallo et
d’Ousmane Zongo, eurent un impact considérable dans le rapprochement des deux
communautés. En plus de la classe politique appelant à une véritable unité entre Noirs
américains et immigrants africains, la jeunesse urbaine se mobilisa ; témoins la chanson
« Diallo » de Wyclef Jean, lui-même immigrant – haïtien - en collaboration avec Youssou
41 FANON, Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Ed. du Seuil, 1975, 182 p. 42 Un Haïtien sauvagement violé par des officiers de police de New York. 43 Dans un éditorial qu’aucun journal n’avait alors souhaité publier, intitulé « Homeboy Cosmopolitan ».
168
N’Dour44 ou le projet « Hip Hop for Respect »45 des rappeurs Mos Def et Talib Kweli,
appelant à l’unité des deux communautés, malgré leur diversité toute relative.
D’une certaine manière, les immigrés africains souffrent d’un double préjugé dû à
leur statut de minorité dans une minorité. Minoritaires en tant qu’immigrés africains dans
la population noire des Etats-Unis qui se trouve être l’une des minorités les plus
stigmatisée au sein de la société américaine.
Bien qu’ils représentent moins de 1 % de la population américaine, la venue
d’immigrés africains est en passe de modifier la composition de la communauté afro-
américaine sur le long terme. Ceci constitue un élément d’explication de la crise identitaire
qui se joue au sein de la vieille diaspora africaine. Qui plus est, puisque la plupart de ces
immigrés ont un capital humain supérieur à la moyenne des Noirs américains, les Africains
affectent lentement mais sûrement la position relative de ces derniers sur le marché du
travail. De là naissent les ressentiments, jalousies, phénomènes de rejet et tensions que l’on
ne manque d’observer entre les deux communautés. Ainsi, au-delà des préjugés et des
mythes, les Africains comme les Afro-Américains ne paraissent pas s’intéresser outre
mesure à l’histoire, à la politique et aux peuples de l’autre, de sorte que les relations entre
les deux groupes n’ont pas évolué vers un dialogue fructueux au cours des cinquante
dernières années. Mais les choses sont probablement en train d’évoluer, les secondes
générations d’immigrants servant de pont entre les deux communautés.
44 « Diallo, Diallo/ Similar to Steve Biko…Diallo Diallo » : Le refrain de la chanson permet d’entrevoir à quel point la violence policière est mise sur le compte d’un racisme anti-Noir institutionnalisé, Amadou Diallo étant comparé à Steve Biko, martyr sud-africain du temps de l’Apartheid, animateur du mouvement « Conscience noire », assassiné par la police en 1977. 45 La chanson « One for Love » constituant un hommage au jeune guinéen tombé sous les balles de la police.
169
Photo 27 : Souligner les points communs. Les tensions entre Africains et Afro-Américains, provenant de l’amertume liée à la traite transatlantique aussi bien qu’aux différences culturelles et sociales ont souvent été exagérées ou présentées sous un faux jour. Le sujet est maintenant apparu dans la sphère académique, les universités organisant des conférences et des discussions dans l’espoir d’expliquer les différences et de souligner les points communs. Des manifestations sont aussi organisées afin d’aider les deux communautés à se rencontrer et ainsi laisser de côté les préjugés. Ici, la conseillère municipale noire américaine Jannie L. Blackwell prend part au premier festival annuel « Echoes of Africa », organisé à Philadelphie par des immigrants africains. [Bill Farrington].
Photo 28: Quand les Africains rapperont… La seconde génération de l’immigration africaine représente le meilleur espoir d’établir une passerelle entre Noirs américains et Noirs africains. Alors que les premiers immigrants africains tentent de se distinguer au maximum des Afro-Américains, la seconde génération s’identifie largement à la culture de ces derniers. Ici, le rappeur Akon, la valeur montante du hip hop américain, originaire du Sénégal. [Google Images].
170
Chapitre 9 :
Le maintien de liens ombilicaux avec l’Afrique
Un vieux proverbe iroquois dit : « Qui quitte son pays n’a plus de pays. Parce qu’il
a deux pays : son ancien pays et son nouveau pays » ; un constat approprié à la situation
ambivalente des immigrants africains en Amérique. S’ils ont quitté l’Afrique, ces derniers
demeurent, par bien des aspects, attachés à leur terre mère par des liens que nous qualifions
délibérément d’ombilicaux tant ils paraissent profonds et « naturels » ; attachés par des
liens familiaux ou amicaux, mais aussi « connectés » au continent grâce aux progrès du
demi-siècle écoulé en matière de télécommunications. Bien qu’ils aient construit une
nouvelle vie aux Etats-Unis, ils restent liés « technologiquement » mais surtout
émotionnellement, politiquement, spirituellement et financièrement à leur pays natal. La
vie et l’identité de ces immigrants africains s’étend au-delà des frontières nationales. Ils
sont de véritables transnationaux dans la mesure où leur migration mais aussi leurs
allégeances et leurs identités dépassent les limites de leur pays d’origine.
Nous allons tenter de montrer de quelle manière leur fidélité au continent africain
se manifeste, une fois émigrés aux Etats-Unis, puis de voir si leur migration prend l’aspect
d’un établissement définitif ou n’est qu’une étape dans un parcours qui les ramène en
Afrique.
171
I- Les immigrants, acteurs de développement du continent africain
A) Le poids des rétrotransferts
Si les émigrants africains privent le continent de beaucoup de cerveaux et de
personnel qualifié, un récent rapport du Bureau du recensement américain1 note qu’en
retour, il font profiter leurs compatriotes de leur relative prospérité. Chaque année, les
immigrants africains envoient ainsi plus d’un milliard de dollars à leurs familles et leurs
amis restés en Afrique. L’envoi de monnaie au pays (ou remittances) ne constitue pas un
phénomène spécifiquement africain. Il a touché à travers les époques de nombreuses
populations immigrées ayant gardé un lien familial ou amical avec leur pays d’origine et a
souvent concerné les premières générations d’immigrants (les liens s’érodant avec le
temps). Grâce au renouvellement perpétuel de l’immigration africaine depuis les années
1970, le phénomène garde une ampleur particulière.
Les transferts ont par ailleurs été facilités ces dernières années par la multiplication
des sociétés de transferts financiers, bien établies aux Etats-Unis, telles que Western
Union,2 MoneyGram, Travelex, PayPal ou encore Money Express – une entreprise
sénégalaise créée en 2002 -, toutes converties au transfert d’espèces de particulier à
particulier. Le service est simple puisqu’il suffit de se munir d’une pièce d’identité lors de
l’envoi et de la réception. En quelques minutes, un immigrant africain d’Atlanta peut faire
parvenir de l’argent liquide à un proche résidant à Accra. Eu égard au faible taux de
bancarisation en Afrique, ce modèle de transfert de fond jouit d’un grand succès chez les
immigrants africains, jadis plus prompts à recourir aux réseaux informels. Les immigrants
de retour au pays pour les vacances ou dans le cadre d’activités commerciales continuent
1 http://www.census.gov/ 2 Crée en 1851, sous le nom de New York and Mississipi Valley Printing Telegraph Company, la société spécialisée à ses débuts dans la transmission de télégrammes, est devenue une référence en Afrique. Elle fête ses dix ans de présence sur le continent où elle travaille dans 44 pays. Comme le proclame fièrement son site Internet « Western Union, c’est 200 000 agences à travers le monde, soit trois fois le nombre de McDonald’s, Burger King, Walmart, Kmart, Sears et Starbucks réunis ».
172
toutefois de servir d’intermédiaires, compte tenu des frais de commission relativement
élevés pratiqués par ces sociétés de transferts financiers.3
L’une des raisons majeures des migrations de travail des Africains vers les Etats-
Unis tient dans la volonté des émigrants de subvenir aux besoins des familles restées au
pays. Par conséquent, ces derniers sont déterminés à envoyer une partie, voire la majeure
partie de leur salaire à leurs proches (avec ou sans incitation particulière). Pour certaines
familles, sans l’argent des immigrés, l’insécurité alimentaire est une réalité permanente.4
Ces dons ne manquent pas de rappeler les liens extrêmement forts qui unissent les
immigrants africains et leur famille élargie, comme le souligne cette infirmière d’origine
ghanéenne : « Je ne suis rien sans ma famille et je ne pourrais jamais penser ne pas leur
fournir un support financier même lorsque c’est dur ici. J’envoie 250 dollars par mois, ce
qui est plus que ce que je gagnais là-bas ».5 Les immigrants africains opèrent constamment
un « grand écart », s’appuyant sur un pied pour avancer sur l’échelle de la mobilité sociale
en Amérique et maintenant l’autre en Afrique de par les contacts permanents entretenus
avec les familles et amis. Un immigrant mauritanien explique à sa manière la pérennité des
liens, en rien érodés par la distance et le temps : « Chez nous, tu n’existes pas en tant
qu’entité individuelle. Tu es une partie de l’unité familiale donc tu dois supporter les tiens
dès que tu le peux. Je veille à ce que ma petite sœur là-bas ait au moins assez de nourriture
à mettre sur la table et assez pour acheter des habits ».6 Un propos étayé par un
immigrant nigérian : « Ce qui est unique chez les Africains, c’est que la famille élargie
constitue quelque chose de vraiment, vraiment important. Si tu gagnes mille dollars ce
mois, tu vas essayer d’envoyer cinq cent dollars à la maison ».7
Il est difficile de porter une estimation précise du montant de ces transferts. Selon le
président Erythréen Issaias Afewerki, en 1996, entre 100 et 150 millions de dollars étaient
3 Si les banques et les sociétés de transferts financiers se réjouissent de ces transaction extrêmement lucratives, les détracteurs estiment quant à eux que les remittances représentent autant d’argent non réinjecté dans l’économie américaine et correspondent au final à un manque d’intégration. 4 Ce qui fait dire aux plus médisants qu’on comprend mieux, dans ces conditions, que la poste soit l’établissement public le mieux tenu dans de nombreux pays d’Afrique. A ce sujet, Ousmane Sembene a réalisé un film racontant les déboires d’un homme respectable qui reçoit, dans son village, un mandat de son frère parti travaillé à l’étranger. Ce long-métrage qui s’intitule Mandabi a été traduit du wolof au français par Le mandat. 5The Historical Society of Pennsylvania, African immigrant experience. http://www.hsp.org/default.aspx?id=174 6 Ibid. 7 Ibid.
173
renvoyés au pays par les expatriés africains, sous forme de dons ou d’investissements
financiers.8 Sylvianne Diouf estime qu’en 1999, les Nigérians de l’étranger rapatriaient 1,3
milliard de dollars, soit 3,7 % du PIB du pays tandis que dans le même temps, l’aide au
développement n’excédait pas 152 millions de dollars. Ainsi, d’après différentes
estimations, les émigrés africains des quatre coins du globe, enverraient plus de 3 milliards
de dollars vers le continent chaque année par le biais des réseaux officiels (banques) et 3
autres milliards via les réseaux informels (c’est-à-dire en majorité le don de personne à
personne).
Cette aide financière individuelle, certes bienvenue, prend toutefois des airs de
mise sous perfusion économique. On ne peut pas estimer dans les faits, que cet apport
monétaire permette de poser les bases d’un développement à long terme. Beaucoup
d’immigrants africains ont alors cherché des alternatives : certains ont choisi de monter des
petits commerces ou de véritables entreprises en Afrique, gérés par les membres de la
famille demeurés sur place; d’autres préfèrent parrainer la venue de nièces ou neveux pour
étudier aux Etats-Unis, sorte d’investissement à plus long terme ; D’autres encore,
notamment parmi les plus qualifiés, s’activent à lever des fonds pour des programmes
nationaux ou locaux, afin que l’argent récolté bénéficie à l’ensemble de la communauté.
B) Une aide infaillible au continent
Lorsqu’ils sont bien utilisés, les rapatriements de fonds (remittances) représentent
sûrement le lien le plus direct entre la migration et le développement des pays d’origine.
Les Mourides nous en offrent un exemple patent. De par leur mode de vie quasi ascétique
- ils vivent bien souvent dans des appartements miteux des quartiers les plus délabrés de
New York – et l’envoi incessant de devises vers les marabouts restés au Sénégal, ils ont
permis l’édification de la ville somptueuse de Touba. Grâce à une organisation hautement
hiérarchisée et des principes de vie communautaristes et solidaires, la confrérie a fini par
investir l’argent des expatriés dans les activités urbaines comme le transport et le
8 GORDON, April, « New Diaspora. African Immigration to the United States », in Journal of Third World Studies, 1998, n°15, pp.79-103.
174
commerce ou à venir en aide aux paysans dans leurs tâches quotidiennes (par le forage de
puits, etc..).9
Nombre de travailleurs qualifiés africains ont ainsi pris conscience de la nécessité
d’user de leurs devises mais surtout de leur potentiel pour mettre en place des programmes
d’aide au développement et de monter des structures (telles que le MIDA)10 afin d’offrir
aux populations africaines de véritables perspectives à long terme et non plus une simple
« aide alimentaire ». Aidés en ce sens par des organismes internationaux – en particulier
l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) - qui tentent de mettre à profit les
connaissances des membres de la diaspora, les professionnels africains ont redoublé
d’effort pour venir en aide au continent. La mauvaise conscience que beaucoup ont d’avoir
utilisé les deniers de l’Etat au cours de leur parcours scolaire avant d’exercer leur talent à
l’étranger, ainsi que la culpabilisation liée au fossé économique qui les sépare de la masse
de leur compatriotes africains, poussent inévitablement ces « cerveaux » à agir pour le
développement socio-économique de leur pays respectif ou du continent noir en général.
La solidarité africaine s’exprime à travers un axe que Sylvianne Diouf qualifie de
« triangulaire », car « il emprunte quasiment la vieille route du commerce triangulaire,
mais cette fois avec l’Afrique comme bénéficiaire ».11 Dans beaucoup de pays, les
communautés locales répertorient les besoins les plus pressants et font appel à la générosité
des associations d’expatriés pour contribuer à la formation du budget nécessaire. Des
milliers de projets à travers le continent sont ainsi financés par les immigrants et gérés par
la population locale. L’impact économique des émigrés sur leurs pays d’origine est
immense, au niveau familial, local ou national. Cependant, ces expatriés aux Etats-Unis
font plus que partager leurs ressources, ils partagent aussi leur temps et leur savoir-faire.
L’Association des Médecins Nigérians en Amérique, qui compte plus de 2000
membres en Amérique du Nord, envoie ainsi régulièrement des docteurs dans le cadre de
9 L’organisation pyramidale de la confrérie qui veut que les disciples versent une partie de leurs salaires ou de leurs gains au marabout – censé assurer assistance et solidarité envers ceux qui sont dans le besoin - suscite des réactions contrastées. La confrérie pallie indéniablement le déficit de l’Etat et promeut l’esprit de solidarité, mais certains détracteurs assimilent le travail des talibés (les disciples, dispersés à travers le monde) à de l’exploitation. 10 Lancé en 2001 à Libreville (Gabon), le MIDA, « Migrations pour le développement en Afrique », est selon sa propre définition, « un programme de renforcement des capacités visant à développer les synergies potentielles entre les profils des migrants africains et les besoins des pays, en facilitant le transfert des compétences et des ressources vitales de la diaspora africaine dans les pays d’origine ». http://iom.int/MIDA/ 11 DIOUF, Sylvianne, In Motion..op.cit.
175
missions de santé vers les zones les plus reculées - et donc vers les populations les moins
secourues - du Nigeria.12 Grâce aux facteurs positifs de la mondialisation (réduction des
distances géographiques par le biais des transports et nouvelles technologies), les
connaissances et compétences des expatriés qualifiés sont plus facilement mises au profit
du continent africain. Les réseaux créés par les professionnels en tout genre sont
disponibles sur l’Internet et les savoir-faire plus facilement transmis aux collègues
africains. Ainsi, Etienne Baranshamaje, un burundais travaillant pour la Banque Mondiale
à Washington D.C a poussé la logique jusqu’à fonder, en 1997, une université virtuelle
africaine sur la toile.13 D’un projet de la Banque Mondiale, cette initiative d’apprentissage
à distance s’est transformée en une organisation intergouvernementale respectée dont les
bureaux sont à Nairobi et qui compte 34 centres d’apprentissage - sortes de campus virtuels
équipés d’Internet, de Cd-roms et de cassettes vidéos - dans 19 pays africains. Ceci n’est
qu’un projet parmi tant d’autres mis en œuvre afin de réduire la fracture numérique et
technologique entre les pays développés et ceux du tiers-monde.
En 2004, il y aurait en effet entre 1,5 et 2,5 millions d’utilisateurs d’Internet en
Afrique subsaharienne (en excluant l’Afrique du Sud, dans une phase de développement
plus avancée), soit un utilisateur pour environ 250-400 personnes contre 1 à 15 dans le
reste du monde.14
Ainsi la diaspora africaine peut sembler constituer une aubaine pour les populations
africaines dans le besoin; le débat n’est toujours pas tranché quant à savoir si les coûts de
la fuite des compétences vers les Etats-Unis l’emportent sur les gains, ou inversement. Ce
qui est sûr, c’est que les « cerveaux » n’ont pas lésiné sur les moyens afin d’apporter au
continent noir de vraies perspectives de développement. Ceci contrebalance, en partie
seulement, certains des effets pervers du brain drain. Les immigrants africains participent
d’une autre manière aux avancées du continent : par leur implication politique à distance.
12 Voir le site de l’association : http://www.anpa.org 13 http://www.avu.org 14 chiffres de Sylvianne Diouf, In Motion..op.cit.
176
C) Les immigrants en politique intérieure africaine
Il est un fait que les Africains émigrés aux Etats-Unis, s’ils s’intéressent de très loin
à la politique américaine, suivent de près la politique africaine. Terrible paradoxe si l’on
considère la distance qui les sépare de leurs régions d’origine. Comment ces immigrants
restent-ils informés de la situation du continent et dans quelle mesure contribuent-ils à faire
évoluer des sociétés qu’ils ont quittées pour certains depuis des années ?
Pour comprendre l’implication des expatriés africains dans la vie politique du
continent, il faut tout d’abord examiner les moyens qu’ils utilisent pour s’informer. Sans
les progrès considérables de l’information et des télécommunications, nous pouvons douter
que ces mêmes immigrants aient pu porter une attention aussi soutenue aux événements
politiques qui secouent le continent africain.
En premier lieu, les immigrants s’informent des « nouvelles du pays » par la famille
et les amis qui n’ont pas émigré. Malgré un handicap communicationnel – les moyens de
communications étant plus rares en Afrique que partout ailleurs dans le monde -, les
expatriés africains gardent contact avec leurs proches en utilisant à profit les nouveaux
moyens de télécommunications. Les cartes téléphoniques à destination de l’Afrique se
vendent en grande quantité. Dans les principales villes et même les gros villages africains,
des centres de télécommunication qui fournissent le téléphone et le fax ont ouvert
boutique, parfois sous l’impulsion d’émigrés. Les cybercafés se développent aussi dans les
grands centres urbains et permettent à la population citadine de rester plus facilement en
contact avec les parents ou amis aux Etats-Unis. Les échanges prennent la forme de
communications instantanées - par le biais de logiciels tels que MSN -, de simples
courriels mais aussi, nous avons pu nous en apercevoir, de discussions sur les forums
africains.
La principale source d’information des émigrants vient donc des nouvelles qu’ils
reçoivent des proches du pays. Nous avons pu très clairement entrevoir ce phénomène dans
la communauté ivoirienne de New York. En 2001, en plein cœur de la première crise
politique qui a touché le pays, les immigrants appelaient quotidiennement au pays pour
prendre le pouls de la situation, avant d’échanger les nouvelles avec les autres membres de
la communauté et engager le débat sur les origines du déchirement national.
177
Si les immigrants, confrontés à la modernité occidentale et la pratique
démocratique, exercent une indéniable influence sur les familles restées sur place, en sens
inverse, ces dernières contribuent à façonner la position politique des communautés de la
diaspora. Cela est particulièrement vrai dans le cas des réfugiés politiques dont la
principale source d’informations provient des correspondants locaux que constitue le
proche entourage de ceux restés au pays.
Depuis peu, les communautés africaines aux Etats-Unis sont par ailleurs maintenus
au contact de l’Afrique par le biais de la télévision, de la radio et de l’Internet, privilège
que n’avaient pas les immigrants avant la fin des années 1990. Des programmes et stations
radios spécifiquement africaines telles Radio Tam Tam15 sont lentement apparus ces dix
dernières années. Ils sont diffusés dans les grosses métropoles américaines aussi bien en
anglais, français ou dans d’autres langues nationales et traitent des problèmes qui touchent
directement ou indirectement les immigrants. Parmi les sujets abordés, outre les
renseignements et services d’aide à la communauté aux Etats-Unis, l’actualité politique et
sociale africaine prend une place de choix. Sur le câble, les Africains peuvent désormais
regarder l’African Independent Television ou l’African Channel. Des émissions telles que
Spotlight on Africa se sont même invitées sur le service public (PBS); elles restent
cependant très exceptionnelles.
Sur l’Internet, de nombreux sites dédiés à la diaspora africaine aux Etats-Unis se
sont aussi créés, tels que « USAfricaOnline16 » ou « Africanevents.com », privilégiant les
nouvelles du continent pour le premier, les activités sociales et professionnelles de la
diaspora pour le second. La plupart de ces médias numériques donnent des nouvelles de
l’actualité africaine, des membres de la diaspora et mettent en place des forums, propices
aux débats d’idées, aux discussions multiples et variées sur des sujets tantôt sérieux tantôt
ludiques. L’engouement pour les blogs n’a pas épargné les membres de la communauté
africaine d’Amérique ; à l’instar d’un jeune congolais « young and real », les plus à l’aise
15 http://www.tamtamnet.com Radio Tam Tam, premier programme radiophonique à destination des immigrés africains aux Etats-Unis, a été fondé en 1999 par Mody Diagne, un sénégalais consultant en communication. 16 http://www.usafricaonline.com
178
avec les nouvelles technologies ont créé leur propre journal « intime » sur le net, où ils y
racontent leur épopée quotidienne en tant qu’Africains aux Etats-Unis.17
Enfin, des journaux papiers tels que The African Times, African Abroad, The
African, The African Observer, Afro-Heritage et The African Sun Times sont mis à
disposition de la population originaire d’Afrique des grandes métropoles américaines.
D’autres publications sont vouées à une communauté plus restreinte ; il en est ainsi de
Gaffat, un journal du Maryland de langue Amharique, destiné aux Ethiopiens ou Class,
magazine couvrant l’actualité sociale et culturelle des Nigérians du Texas.
Ainsi les immigrants ont de nombreux moyens de suivre l’actualité africaine et
demeurent, s’ils le veulent bien, au courant de l’évolution politique du continent et plus
particulièrement des pays qu’ils ont quitté. Réciproquement, beaucoup de radios et
journaux africains maintiennent des correspondants aux Etats-Unis. Leurs analyses
depuis New York, Houston ou Washington fournissent des informations précises à la
population africaine. Les gens de Dakar, Nairobi ou Lagos apprennent immédiatement les
événements qui affectent la communauté africaine des Etats-Unis. Ainsi les lien entre les
Africains du continent et la diaspora américaine demeurent constamment étroits. Ceci
explique pourquoi l’implication des expatriés en « politique intérieure africaine » n’a
jamais été démentie.
Les immigrants africains prennent en effet part à la vie politique de leurs pays
d’origine, notamment en récoltant des fonds pour soutenir un candidat18 ou un parti lors
des élections présidentielles, ou en maintenant la pression politique sur des dirigeants mal
élus. Les rares pays d’Afrique à pouvoir s’enorgueillir d’une vie politique véritablement
démocratique tentent de mettre sur pied des bureaux de vote lors des principales échéances
nationales, afin de permettre à leurs ressortissants de s’exprimer. Ainsi, les citoyens
sénégalais, de New York à Philadelphie, ont pris l’habitude de voter lors du scrutin
présidentiel de leur pays.
L’action politique se manifeste aussi par la création de groupes d’oppositions qui
n’ont pas toujours droit de citer dans les pays en question et par le recours aux 17 http://youngandreal.blogspot.com 18 Ainsi la star africaine du ballon rond, George Weah, en course pour l’élection présidentielle au Liberia, n’a pas hésité à intervenir en personne à Staten Island auprès des membres de la diaspora libérienne de New York afin de promouvoir son programme présidentiel et aussi récolter des fonds pour mener campagne. Lire à ce sujet: RICE, Andrew, « George Weah’s New Game », in New York Times, 21 août 2005, p. 24.
179
manifestations publiques afin d’attirer l’attention, si ce n’est des dirigeants américains, au
moins des médias, sur des problématiques nationales. Les immigrants africains qui ont
posé pied dans un pays garant de la liberté d’expression, se sentent souvent investis d’un
devoir de dénoncer ce que leurs compatriotes ne peuvent dénoncer et de porter l’attention
sur des situations injustes qui frappent tout ou partie de la population de leur pays de
naissance.
Pendant la guerre civile qui secouait leur pays, les citoyens libériens de Boston ont
par exemple organisé une grande marche en direction du gouvernement américain afin
qu’il use de son influence pour faire revenir la paix dans ce pays aux relations historiques
étroites avec les Etats-Unis (il a en effet été formé au XIXe siècle par les esclaves
affranchis venus d’Amérique du Nord). Les manifestations prennent parfois un caractère
d’appel unitaire à la paix, envoyé par les immigrants vers leurs compatriotes. Ce fut le cas
lorsque la situation dégénéra en Côte d’Ivoire. La communauté africaine aux Etats-Unis
essaye tant bien que mal de faire entendre sa voix afin de promouvoir l’avancement des
sociétés africaines, notamment au niveau démocratique.
Pourtant, le rôle de la diaspora prend parfois l’aspect d’une ingérence « extérieure »
dans les affaires politiques des pays laissés. Les Capverdiens, bien qu’immigrés de longue
date en Amérique, ont ainsi gardé depuis plus d’un siècle une forte influence politique
grâce à l’assistance financière qu’ils consentent envers leur pays, maintenu constamment
sous perfusion. De même, les réfugiés érythréens, protagonistes (plus ou moins actifs) de la
guerre d’indépendance qui a compté parmi les plus longues d’Afrique, exercent-ils une
forte influence sur les décisions politiques du pays. Engagés d’abord dans la lutte
nationaliste contre l’ « impérialisme » éthiopien, puis dans un combat plus complexe en
faveur d’une démocratisation du régime en place à Asmara, ils ont progressivement exigé
un droit de regard sur les activités du pouvoir érythréen, en échange de leur soutien
financier.
Ainsi les groupes d’immigration subsaharienne ont maintenu une interdépendance
– économique, culturelle et politique - avec le continent noir, fondatrice d’une nouvelle
communauté de destin. Bien que résidant à des milliers de kilomètres de l’Afrique, les
expatriés ont pérennisé leur appartenance à la société civile africaine, par les liens qu’ils
ont gardé avec le continent. Ils sont partie prenante de l’effort collectif consenti pour sortir
l’Afrique du sous-développement.
180
Photo 29 : Le soutien aux luttes nationales. Les immigrants africains, s’ils sont largement absents de la scène politique américaine, s’engagent activement dans les luttes politiques des pays dont ils sont issus. Ici, des immigrants camerounais manifestent à New York pour l’indépendance du Sud-Cameroun. [Bill Farrington].
Photo 30 : Rester en contact avec le pays.
« Je réalise à quel point cette expérience de quitter le Nigeria aurait été différente sans le téléphone. Il réduit la distance entre l’exilé et sa terre d’origine, et ravive en même temps la douleur de la séparation. Une lettre qui mettrait des semaines à arriver renvoie clairement à l’exilé son éloignement et l’encourage à accepter la séparation, mais lorsque cet éloignement se résume à un simple coup de fil, il prolonge l’étreinte du passé ». Extrait de Conte du Squatteur, d’Ike Oguine. [photo. AFP].
181
II- Quel futur pour ces immigrants ?
Comme l’affirme Thomas Sowell,19 « les migrations ne sont pas toujours des
réinstallations (resettlements) définitives. Elle peuvent durer de quelques mois à un an, de
quelques années à plusieurs générations ». Nous venons de voir que les immigrants
africains étaient profondément solidaires et attachés à leur continent. Cela nous oblige à
envisager une autre question : ce puissant lien se traduit-il par un retour des membres de la
diaspora d’Amérique en Afrique ? A quel type de migration correspond l’immigration
africaine aux Etats-Unis ?
A) Devenir ou non Américains…
Pour l’immigrant africain, devenir citoyen américain constitue l’aboutissement d’un
long parcours entamé au moment de l’entrée sur le territoire et qui culmine avec la
cérémonie de naturalisation. L’acquisition de la citoyenneté américaine représente bien
plus qu’un simple droit de vote aux élections locales et nationales. Elle implique une
transformation identitaire. Tout d’abord par la reconnaissance du fait que son propre
système de valeurs sera désormais façonné par les croyances et idéaux de la nation
américaine. Ensuite, par la transformation de sa propre identité nationale, l’immigrant
passant du statut d’« étranger » à celui d’« Américain ». Ainsi le passage à la citoyenneté
est un acte lourd de sens qui affecte profondément l’identité de tout un chacun et qui
demande un important temps de réflexion.
Pour ceux qui souhaitent se faire naturaliser, le parcours est long et prend des
formes diverses. Une multitude de chemins mènent les immigrants à la citoyenneté
américaine. Dans le cas des immigrants illégaux, le processus commence par la recherche
préalable d’un statut de résident permanent ; celui-ci s’acquiert généralement soit par le
mariage à une personne détenant une carte de résident permanent (d’origine africaine bien
souvent) ou à un citoyen américain (mariages « blancs » ou « authentiques »), soit par la
loterie (qui permet d’obtenir la fameuse green card, carte de résident permanent), soit par
une amnistie fédérale (comme cela fut le cas en 1986 grâce à l’IRCA – voir chapitre 2).
19 SOWELL, Thomas, Migrations and Cultures : A World View, New York, Basic Books, 1996, 516 p.
182
Pour les étudiants, considérés comme non-immigrants, le statut de résident
permanent s’acquiert grâce à la formation et la spécialisation - dans des domaines en
manque de main-d’oeuvre idéalement - puis le parrainage d’une entreprise. Une fois le
statut de résident permanent acquis, les immigrants doivent attendre de trois à cinq ans
pour faire une demande de naturalisation.
Une fois celle-ci effectuée, les conditions requises pour devenir citoyen américain
incluent une bonne maîtrise de la langue anglaise, une connaissance superficielle de
l’histoire américaine,20 des droits et des devoirs civiques incombant à chaque américain et
prêter un serment d’allégeance au drapeau.
Pour les immigrants, devenir américain est non seulement exigeant, mais aussi
coûteux : renoncer à la citoyenneté de sa nation de naissance est une véritable gageure pour
les ressortissants de pays qui ne reconnaissent pas la double citoyenneté. Cela explique
qu’une partie des Africains susceptibles d’être naturalisés, réfléchissent à deux fois avant
de réclamer la citoyenneté, tant recherchée par les autres groupes d’immigrants. Ce
d’autant plus qu’une fois les avantages de la naturalisation pris en compte, beaucoup
d’immigrants pensent que la citoyenneté n’effacera pas leur statut d’étranger que leur
couleur de peau impose. Un immigrant explique ainsi que « hormis les avantages
économiques à vivre dans ce pays, il n’y a pas d’avantage culturel lié à la naturalisation.
Ici, ma couleur de peau définit qui je suis et ce n’est pas le droit de vote qui va me
permettre une pleine intégration dans les affaires de ce pays. Donc pourquoi je devrais
renoncer à mon origine nationale seulement pour devenir un membre périphérique
marginalisé de cette société ? ».21
Ainsi, la plupart des immigrants africains se satisfont de leur statut de résidents
permanents. Ils préfèrent renouveler leur autorisation de séjour (alien registration
certificate) tous les dix ans, même lorsqu’ils sont susceptibles de devenir pleinement
20 Le test à passer pour acquérir la citoyenneté américaine n’a cessé d’évoluer au cours du XXe siècle. Depuis 1986, les entretiens menés par les agents du Service de l’Immigration et de la Naturalisation en vue de la naturalisation d’un candidat, contiennent des questions civiques et historiques telles que : -Quelles sont les couleurs de notre drapeau ? -Qu’est-ce que la Constitution ? -Combien de sénateurs siègent au Congrès ? -Quel président a mis fin à l’esclavage ? 21 ARTHUR, John A., Invisible sojourners –African Immigrant Diaspora in the United States-, Westport, Praeger, 2000, p.126.
183
citoyens. La place accordée à la citoyenneté semble donc tout à fait minime comparée aux
autres groupes d’immigrants - tels les Hispaniques ou Asiatiques - qui courent après la
naturalisation.
Le témoignage de cet Ivoirien arrivé par un heureux hasard aux Etats-Unis (celui-ci
ayant reçu son visa américain le même jour qu’un visa français) est tout à fait éloquent :
« On est venu ici pour travailler et pour survivre. Comme j’ai l’habitude de dire, il n’y a
pas d’Américain (comprenez qu’il n’existe que des immigrants venus exploiter les
richesses du pays). Un jour j’ai pris deux petits blancs, ils m’ont demandé : « est-ce que tu
as la green card, j’ai dit, oh ! et toi est ce que t’as la green card. Il m’a répondu « moi je
suis né ici, je suis citizen ». Je leur ai dit : « avant de venir ici on m’a dit que ces terres
appartenaient aux Indiens.. Est-ce que tu es Indien ? ». Il m’a regardé, j ai dit : « est-ce que
tu es Indien ? donc tu es juste venu comme moi, peut être avant, mais on est tous des
étrangers ici, tout le monde aime son pays ».
Pourtant, les chiffres contredisent en partie nombre d’affirmations d’immigrants
plus préoccupés par leur retour en Afrique que par l’obtention de la citoyenneté. Les
naturalisations se sont terriblement accélérées depuis le début des années 1990. De 12 268
en 1994, le nombre de naturalisations d’immigrants africains a doublé en dix ans, pour
atteindre 23 633 en 2003. L’acquisition de la citoyenneté n’est toutefois élevée que pour
les communautés nationales qui ont immigré le plus tôt. Ainsi, durant ces dix ans, environ
20 000 Ghanéens ont requis la nationalité américaine ; 28 116 Ethiopiens en ont fait de
même ainsi que 43 588 Nigérians, mais seulement 2 026 Sénégalais.
Tout dépend aussi du statut social des immigrants. Les réfugiés, chassés de leur
pays et accueillis par les Etats-Unis choisissent en majorité de prendre la nationalité
américaine, tandis que nombre de commerçants et autre « immigrants temporaires » ne se
posent pas la question de changer de nationalité. Enfin, il semble d’après les travaux de
John Arthur,22 que les immigrants les plus éduqués et les mieux établis financièrement
tendent plus que les autres à acquérir la citoyenneté américaine.
En 2000, le Bureau du Recensement23 estimait que 37 % des immigrants d’origine
africaine avaient été naturalisés, un chiffre au final dans la moyenne des autres groupes
d’immigrants. Est-ce que ces chiffres sont une indication de la volonté des Africains de
22 Ibid. 23 Census Bureau, Profile of the Foreign-Born Population, 2001, Table 7-1.
184
rester aux Etats-Unis, contrairement à ce qu’ils laissent entendre ? Pas nécessairement.
Beaucoup de nouveaux citoyens soulignent que cela leur permet de voyager plus
facilement, de ne plus avoir à quémander pour des visas. D’autres affirment qu’après le 11
septembre 2001, ils ne se sentent plus en sécurité en tant qu’étrangers. La citoyenneté
américaine qu’ils acquièrent ne les empêche pas d’envisager un retour en Afrique.
Années Naturalisations
d'immigrants d'origine africaine
Ensemble des naturalisations d'immigrants
Part des immigrants d'origine africaine dans l'ensemble des
naturalisations (en %) 1994 12 268 434 107 2,8% 1995 14 633 488 088 3,0% 1996 21 269 1 044 689 2,0% 1997 12 813 598 225 2,1% 1998 10 369 463 060 2,2% 1999 16 301 839 944 1,9% 2000 20 384 888 788 2,3% 2001 18 481 608 205 3,0% 2002 25 608 573 708 4,5% 2003 23 633 463 204 5,1%
Tableau 9 : Naturalisations des immigrants d’origine africaine.
Source : Yearbook of Immigration statistics, 2004.
B) L’espoir d’un retour en Afrique
S’il fallait dresser une typologie de l’immigrant africain aux Etats-Unis – chose
irréalisable car les origines sociales et culturelles mais aussi les parcours sont plus que
multiples - nous oserions le définir comme un immigrant de passage. Un étranger qui ne
cherche ni la naturalisation, ni l’intégration culturelle, plutôt un mieux être économique
pour lui et sa famille, ou bien acquérir une expertise et des compétences nécessaires dans la
perspective de lancer sa propre petite entreprise en Afrique Les gouvernements africains
ayant considérablement apaisé le climat – tendu jusque dans les années 1980 - avec les
expatriés et facilité le retour des compétences, beaucoup d’immigrants rapportent leur
capital financier et humain vers l’Afrique.
Le « retour au pays » constitue une question lancinante qui se pose aux immigrants
africains. Il est très clair que ceux des années 1960 et 1970 n’avaient cure d’obtenir la
nationalité américaine. Ils étaient au contraire pressés d’achever leur éducation aux
185
Etats-Unis pour participer à la construction des nouveaux Etats africains indépendants. Les
immigrants des années 1980 et 1990 montrent des ambitions beaucoup plus hétéroclites.
Les auteurs ayant étudié le rapport entre immigration africaine et naturalisations
dans les vingt dernières années divergent sur leurs conclusions.24 Notre recherche nous a
conduits à considérer l’envie de retourner en Afrique, comme un sentiment pas du tout
marginal parmi les immigrants. Une écoute attentive de leurs propos laisse à penser que
beaucoup rêvent d’Afrique plus que d’Amérique, malgré la conscience de la chance qu’ils
ont d’être établi dans un pays prospère leur offrant des opportunités inégalables. Ce désir
de retour témoigne de plusieurs aspirations.
La première tient dans la volonté d’aider les pays abandonnés. Comme par le passé,
les immigrants africains restent marqués par une forte allégeance à leur patrie et veulent
être des acteurs du développement de l’Afrique ; le retour n’est jamais nécessairement
synonyme de réussite, ni d’échec ou de manque d’intégration. Comme nous l’avons dit
plus haut, l’acquisition de la citoyenneté ne constitue pas un bon indicateur de la volonté
finale de l’immigrant. Le ghanéen Akotuahi25 est venu aux Etats-Unis peu formé et sans un
sou. Sa success story a fait de lui un homme marié, père de trois enfants, concessionnaire
automobile et propriétaire d’une maison. Devenu citoyen américain en 1996, il déclare :
« Je crois en ce pays, je crois dans les chances qu’il offre à chacun. J’ai appris comment
gagner de l’argent, comment faire du commerce ». Pourtant, il indique plus tard : « mon
rêve est de retourner un jour au Ghana et monter ma propre concession. Les Ghanéens ont
beaucoup à apprendre du capitalisme américain. Il faut qu’on leur apporte nos standards et
faire avancer le Ghana ».
Le retour dépasse aussi le clivage entre immigrants qualifiés et non-qualifiés. Les
premiers ont certes plus de compétences à faire-valoir pour aider leurs pays; cependant, les
Africains moins formés expriment une volonté tout aussi déterminée d’apporter leur pierre
à l’édifice. Ainsi en est-il de ce bouquiniste malien : « L’autre jour, j’ai croisé un Malien, il
m’a dit qu’il n’avait rien à perdre, que maintenant il ne voulait plus retourner au Mali. J’ai
dit : « mon frère, on doit retourner chez nous pour construire là-bas, parce que les gens
24 Alors que Morris estiment que seulement une petite proportion des Africains éligibles pour la citoyenneté font les démarches de naturalisation, Takougang estime que la deuxième génération d’Africains immigrés aux Etats-Unis recherchent en majorité à s’établir durablement aux Etats-Unis. 25 http://www.taemag/issues/articlesID.17105/article_detail.asp
186
d’ici, ils ont construit leur pays, alors nous aussi, on doit rentrer pour qu’un jour des gens
puissent immigrer chez nous et qu’on puisse dire que nous sommes puissants ».26
Cette envie de se rendre utile se mélange parfois avec la frustration d’être sous-
employé. Beaucoup d’immigrants diplômés occupent des emplois précaires du fait de la
non reconnaissance de leurs diplômes africains et déplorent le fait que leur bagage
universitaire ne soit pas mis à profit. Ceci n’explique pas tout. Même les diplomates
africains, qui jouissent d’une situation tout à fait confortable aux Etats-Unis pensent au
retour. Ainsi, Alain Sawa, responsable de l’association « Congo Sans Frontières » le
garantit : « Je compte bien rentrer chez moi, oui. Beaucoup d’opportunités se sont ouvertes
à nous intellectuels, qui avons étudié aux Etats-Unis ; chacun doit voir cette expérience
comme une phase transitoire pour nous permettre d’utiliser nos savoirs ici et de les
ramener au pays pour aider nos frères et sœurs. […] Dans mon enfance on avait des classes
de civisme, et nous Africains qui vivons à l’étranger, devons développer notre amour du
pays ; ce serait triste de pas mettre à profit notre expérience et notre savoir acquis ici au
profit du pays ». Il évoque ensuite un point qui nous semble essentiel, le tiraillement de
beaucoup d’Africains entre deux désirs contradictoires : « L’Amérique c’est l’Eldorado
[…] nos étudiants veulent aussi avoir un meilleur avenir mais ils souhaitent retourner un
jour dans leur pays pour aider la communauté si l’opportunité le permet ».
En clair, il semble que beaucoup d’Africains expérimentent une sorte de « conflit
de loyauté », ne sachant que choisir entre la terre mère africaine – ravagée par toute sorte
de maux mais pour qui ils éprouvent une étonnante fidélité - et la terre de « l’Oncle Sam »
– dont la culture et les mentalités effraient parfois mais qui s’avère être le pays de tous les
possibles -.
Pour d’autres, l’adaptation à la vie américaine constitue un facteur tellement
difficile à négocier que le retour en Afrique ne dépend que d’une chose : le retour de la
stabilité. Le choc culturel des immigrants de la période récente semble moins grand que
ceux de la génération précédente, mais comme le dit l’écrivain nigérian Ike Oguine dans
une interview : « les immigrants de la génération actuelle ont le sentiment de faire partie de
la culture occidentale, ils y ont été exposés à travers la télé, le cinéma, la musique, les
26 RFI, L’Afrique à New York.. op.cit.
187
livres, ils pensent qu’elle leur appartient...mais la réalité est assez différente ».27 Une
émigrée ougandaise évoque la déchirure que constitue l’immigration pour beaucoup
d’Africains, obligés de quitter - à cause de la guerre ou du manque d’argent - un
environnement qu’ils aiment profondément : « Il faut que les Américains comprennent
qu’on ne décide pas un jour de venir et puis hop le lendemain on est là. J’ai dû quitter mon
pays parce que je n’avais pas le choix ; quand je suis arrivée ici, pendant deux années, je
pleurais tous les matins tellement je me sentais mal loin de chez moi et des miens. Dès que
la situation le permettra, je rentrerai au pays ».28
Le fait même, pour les immigrants africains, d’entrevoir une possibilité de retour
sur les lieux de leur départ, constitue une différence profonde d’avec d’autres vagues
d’immigration, européennes ou asiatiques. L’Africain qui arrive aux Etats-Unis en 2000
n’a que peu de points communs avec l’Ukrainien débarquant à Ellis Island à l’aube du XXe
siècle. On peut en effet penser que les immigrants européens du début du siècle avaient
pris psychologiquement la décision de rompre avec leur passé ; la plupart des gens
venaient en famille et parfois par groupes de familles du même village. Pour eux, l’avenir
se construisait aux Etats-Unis.
Au contraire, les Africains sont venus aux Etats-Unis pour gagner de l’argent, avec
comme unique but la nécessité d’assister les familles ou de se faire un pécule suffisamment
confortable pour retourner vivre au pays. Dès l’aéroport, nombre d’immigrants africains
sont plongés dans une profonde solitude. Ils se retrouvent ensuite dans une société où,
contrairement à leur pays, l’individu prime sur la collectivité. Nombreux sont ceux qui
comptent les jours en attendant le retour. Comme l’explique Diagne Babou, un journaliste
sénégalais installé à New York, « les immigrants européens arrivaient en famille, en
groupe, ils étaient attendus, désirés et psychologiquement mieux aidés. Les Africains qui
ont immigré depuis quarante ans sont beaucoup moins attendus que les immigrés de la
Belle époque. La plupart du temps, ils constituent l’élite de leur société, on le voit dans les
ambassades, ce sont les gens qui ont les moyens de justifier un voyage à l’extérieur, et
27 Interview accordée au journal Le Monde, 13/05/2005, page culture. 28 WATSON, Mary Ann, Africans in America : The Unfolding of Ethnic Identity: http://www.africamigrations.com/video/
188
quand ils arrivent ils ressentent beaucoup de frustrations : on ne leur prête pas une attention
particulière, leurs diplômes ne sont pas reconnus et ils doivent souvent recommencer de
zéro ; ce ne sont vraiment pas les mêmes conditions ».29 La migration n’est toutefois pas
remise en cause par un simple vent de nostalgie.
Le retour s’effectue bien souvent au moment de la retraite ou quand l’épargne a
permis l’acquisition d’un domicile en Afrique. Ainsi, les immigrants africains investissent
majoritairement leur argent dans la construction d’une maison en Afrique plutôt qu’aux
Etats-Unis.30 En attendant le retour définitif, la nouvelle demeure profite à la famille ou est
mise en location.
D’autres familles attendent simplement de « lancer » leurs enfants, comme
l’affirme une immigrante ghanéenne : « nous attendons que nos enfants aient fini leur
scolarité. Quand ils n’auront plus besoin de nous, nous pourrons rentrer la tête tranquille au
Ghana. Mais j’espère qu’ils n’oublieront pas leurs origines ».31
Ainsi, le retour en Afrique traduit selon nous deux choses : tout d’abord un attachement
profond des Africains à leurs racines, leur pays et leur culture desquels ils sont restés
proches. Ensuite, un besoin de porter secours à un continent frappé par le sous-
développement. Devant le dénuement extrême de certaines régions africaines, il nous
semble que l’immigrant ne conçoit pas de finir sa vie dans la tranquillité américaine.
Comme nous l’avons répété, ces immigrants ne sont pas les plus à plaindre dans
leur pays respectifs. Ce ne sont pas les laissés pour compte de leurs sociétés. Pour
beaucoup, le retour sonne comme un cas de conscience, celui d’aider le continent à sortir
de la misère. Les travailleurs les plus aptes à partager leurs savoirs n’attendent d’ailleurs
pas leur retraite pour soutenir l’effort collectif.
C) L’aide au retour des hommes et des compétences
Le retour des cerveaux sur le continent est une des préoccupations premières de bon
nombre de gouvernements africains jusque là privés de leurs meilleurs éléments. Les pays
29 RFI, L’Afrique à New York..op.cit. 30 BERGER, Joseph, « American dream is a Ghana home. Mark of Immigrant success to the folks back in Accra », in New York Times, 21 août 2002. 31 WATSON, Mary Ann, Africans in America..op.cit.
189
africains, riches en expatriés qualifiés, ont pris la mesure du problème auxquels ils étaient
confrontés et ont commencé à mettre en place des structures d’aide au retour des
compétences.32
Le retour des professionnels africains a été facilité par des organismes comme
l’Office International des Migrations (OIM). Dans le contexte des conventions Lomé II, III
et IV, l’O.I.M a lancé en 1983 un programme de retour (volontaire) et de réintégration des
africains qualifiés (Return of Qualified African Nationals, R.Q.A.N). Grâce à lui, plus de
2000 nationaux africains hautement qualifiés et expérimentés se sont rapatriés dans 41
pays d’Afrique.
Interrogé sur le phénomène des retours de compétences, le Dr Titi Lola Banjoko, un
Nigérian à la tête d’AfricaRecruit33 - une initiative soutenue par le NEPAD (le Nouveau
Partenariat pour le Développement Africain) - se dit confiant : « Les recherches indiquent
qu’il y a un intérêt signifiant parmi la diaspora africaine pour retourner vivre et travailler
en Afrique. Ce qu’il a manqué jusqu’ici, ce sont les mécanismes pratiques pour donner un
petit coup de pouce à ces talents. On peut dire maintenant que les Africains sont passés du
stade où ils se lamentaient du brain drain à celui où ils font quelque chose pour en tirer
profit ».34
Cependant, pour atténuer le propos, il nous semble que le retour des compétences
n’est pas parvenu à une phase telle qu’il puisse contrebalancer la fuite des cerveaux.
Malgré les bonnes volontés des expatriés, les retours sont en effet retardés par le manque
de démocratie, la corruption des institutions et le peu d’espace de liberté, de paix et de
sécurité nécessaires au déploiement de l’initiative privée ; et pendant que certains
reviennent en Afrique, d’autres s’expatrient – et en plus grand nombre encore - vers
d’autres cieux.
Pourvus de leurs compétences, de leurs nouvelles idées et savoir-faire acquis aux
Etats-Unis, les migrants représentent tout de même un atout énorme pour le développement
de leur pays d’origine, dans des domaines aussi variés que l’éducation, les affaires sociales
ou la santé. Leur apport se situe aussi au niveau culturel et politique. Ils rapportent avec 32 Ainsi l’Afrique du Sud, par le réseau SANSA (South Africa Network of Skills Abroad) a tenté d’associer à distance la diaspora sud-africaine – en majorité immigrée aux Etats-Unis - au développement du pays. Le Nigeria et le Kenya ont eux aussi créé leurs réseaux diasporiques avec l’Association des Nigérians de l’étranger (ANA) et l’Association des Kenyans de l’étranger (AKA). 33 http://www.africarecruit.com 34 DIOUF, Sylvianne, In Motion..op.cit.
190
eux certaines valeurs américaines telles que la liberté (d’expression notamment) et la
démocratie. De manière indirecte, cette migration en forme d’aller-retour ouvre, y compris
pour les villages les plus reculés, une fenêtre sur le monde…occidental.
Une des conséquences moins tangible de l’immigration africaine aux Etats-Unis
réside dans la transformation des sociétés africaines par ces « forces extérieures » que sont
les émigrés. Ceux-ci doivent souvent supporter les reproches, notamment pour les jeunes
générations, d’être victimes d’une perte des valeurs et de la culture africaine, d’une
occidentalisation mal assumée. Il ne nous revient pas de dire si l’occidentalisation est une
bonne ou une mauvaise chose ; toutefois, - sans faire de l’ethnocentrisme mais tout en
évitant l’écueil du relativisme culturel - force est de constater que l’émigrant de retour
chez lui et qui a bénéficié d’une ouverture nouvelle lors de son séjour aux Etats-Unis est
plus prompt à prendre part aux combats contre certaines formes d’obscurantisme (comme
l’excision)35 et donc à être acteur positif de transformation des sociétés africaines.
35 Ainsi, dans le dernier film d’Ousmane Sembene, Moolade, le « légionnaire » de retour de France finit par être la proie de villageois courroucés par son opposition à la « culture locale ».
191
Photo 31: Quel futur pour les immigrants africains ? Beaucoup d’immigrants africains expriment leurs désirs de rentrer un jour « au pays ». S’ils ont conscience des formidables opportunités offertes par l’Amérique, ils souhaitent retrouver leur environnement culturel, social et familial et aider le continent à sortir du marasme. Ainsi, si certains immigrants acquièrent la nationalité américaine, leurs projets d’avenir demeurent tournés vers l’Afrique. Nous ne sommes pas en mesure de dire si leur volonté se traduira ou non par des faits. Toutefois, il semble acquis que la deuxième génération a trouvé sa place aux Etats-Unis et qu’à l’instar des autres groupes d’immigrants, elle tend à s’établir et à se fondre dans la société américaine.
192
CONCLUSION
« Pour la première fois, plus d’Africains arrivent aux Etats-Unis que durant la traite
des Noirs ». Tel est l’intitulé d’un récent article paru dans le New York Times,1 qui révèle
la relative ampleur prise par l’immigration africaine au cours des quinze dernières années.
Alors qu’en 1990, 30 000 immigrants d’Afrique subsaharienne étaient admis légalement
aux Etats-Unis, en 2004, ils furent 60 000 à entrer sur le territoire américain. Le nombre
d’étrangers d’origine subsaharienne présents aux Etats-Unis est passé de 360 000 à l’aube
des années 1990 à plus de 600 000 en 2000 et approche probablement le million en 2005.
Depuis 2000, ce sont 50 000 immigrants légaux qui arrivent en moyenne chaque année aux
Etats-Unis, sans compter les clandestins, toujours plus nombreux.
Ainsi, plus d’Africains sont arrivés aux Etats-Unis depuis le début des années 1990
qu’au cours des deux précédents siècles ou qu’aux « plus beaux » jours de l’esclavage et de
la traite négrière.2 Si le phénomène reste mineur face à l’immigration asiatique et sud-
américaine, il ne cesse de poser questions quant à sa soudaineté.
Pourtant, ce nouveau parcours migratoire ne fut pas tracé du jour au lendemain.
Depuis 1965, des Africains ont tenté leur chance aux Etats-Unis. La transformation
législative que constitue l’adoption du Hart-Cellar Act n’a certes pas été suivie d’un afflux
soudain et massif d’Africains, plutôt d’Asiatiques et d’Hispaniques. Toutefois, on ne peut
appréhender la poussée nouvelle de ces dernières années sans chercher à comprendre
1 ROBERTS, Sam, « More Africans Enter U.S Than in Days of Slavery », in New York Times, 21 février 2005. 2 Les historiens sont aujourd’hui à peu près tous d’accord pour estimer à environ 500 000 le nombre total des esclaves noirs introduits aux Etats-Unis, avec des pics annuels d’environ 30 000. Ce n’est qu’une petite partie de la douzaine (le chiffre est plus contesté) de millions d’Africains victimes de la traite négrière, débarqués pour la plupart aux Antilles et au Brésil.
193
comment elle fut rendue possible. La loi d’immigration de 1965 a constitué un préalable
sans lequel les immigrants africains n’auraient pu migrer dans les proportions que l’on
observe aujourd’hui.
Les aménagements législatifs ultérieurs permirent tous d’accélérer le mouvement
migratoire d’Afrique vers l’Amérique. Le Refugee Act de 1980 accorda une nouvelle place
aux réfugiés ; l’Immigration and Reform Control Act de 1986 permit la régularisation des
clandestins, tandis que l’Immigration Act de 1990 attira les travailleurs africains qualifiés
avec la création d’un programme de « diversification ».
L’immigration africaine, phénomène marginal en 1965, a donc été impulsée par la
législation américaine mais plus vraisemblablement encore par la fermeture des routes
migratoires traditionnellement empruntées par les Africains. Au beau milieu des années
1970, les pays d’accueil tels que la France et la Grande-Bretagne adoptèrent des mesures
restrictives en réponse à la crise économique de leur pays. De ce fait, les immigrants durent
s’adapter aux nouvelles données géostratégiques et chercher ailleurs les richesses qui
avaient décidément fui l’Afrique.
Les pionniers de cette immigration en terre américaine furent les étudiants des
années 1960 et 1970. Puis vinrent les réfugiés, éthiopiens en premier lieu, au tout début des
années 1980. Mais la réelle accélération de la tendance fut provoquée par l’arrivée massive
de travailleurs, dans les années 1980 et surtout 1990, après le passage de l’Immigration
Act.
Contrairement à une idée reçue, nous avons ainsi montré que l’immigration
africaine était constituée de personnes hautement qualifiées. Même derrière le chauffeur de
taxi se cache souvent un immigrant au bagage intellectuel supérieur à la moyenne. La
situation précaire dans laquelle se trouve certains « sans-papiers » les oblige à exercer des
menus travaux. Pourtant, une fois leur situation régularisée, ces immigrants gravissent de
manière inattendue les barreaux de l’échelle sociale. Le fait est que beaucoup possèdent
des qualifications acquises en Afrique ou lors d’étapes migratoires antérieures. Ainsi,
beaucoup d’immigrants sont des véritables transnationaux. La migration aux Etats-Unis
constitue une forme d’apothéose, après qu’ils se sont exercés en Europe, au Moyen-Orient
ou dans un pays africain de première migration. Ce ne sont donc pas les populations les
plus nécessiteuses d’Afrique qui émigrent vers les Etats-Unis, mais bien des personnes
194
formées qui ont une connaissance des migrations transnationales et ont la volonté propre
aux immigrants de réussir en tant qu’expatriés. Nombre d’Africains constituent bien
souvent ce qu’il est convenu d’appeler le brain drain, la fuite des cerveaux, plus que des
immigrants ruraux analphabètes comme certains auraient tort de le penser.
Les travailleurs plus « modestes » font preuve d’un fort esprit d’entreprise qui sied
parfaitement à la vitalité économique américaine.
En somme, malgré les déboires des immigrants clandestins, nous pouvons affirmer
que les Africains « réussissent » aux Etats-Unis. Cette réussite est d’après nous le meilleur
promoteur de l’immigration africaine actuelle. Les Etats-Unis sont devenus le pays à
atteindre, par tous les moyens (nous avons ainsi vu que des immigrants clandestins
tentaient la traversée du Rio Grande avec leurs compagnons d’infortune ukrainiens ou
mexicains) parce que l’Amérique est le pays des opportunités. Le Vieux Continent a perdu
de sa superbe aux yeux des Africains, notamment à cause des mesures répressives
employées contre les immigrés clandestins et par le sentiment que l’échelle de la mobilité
sociale est bloquée, alors que les Etats-Unis font preuve d’un dynamisme à toute épreuve
en matière économique et dans l’intégration des nouveaux immigrants. Cela n’empêche
pas les Africains de continuer à traverser désespérément la Méditerranée. Toutefois, pour
ceux qui en ont les moyens, l’Amérique est la destination privilégiée, le pays où les
richesses sont les plus nombreuses à exploiter.
Il manquait jusque dans les années 1980 un embryon de communauté qui puisse
favoriser la venue des immigrants. Or, nous avons vu dans nos deuxième et troisième
parties que la diaspora s’est considérablement organisée, structurée et qu’elle accueille les
nouveaux immigrants avec bienveillance. Différents groupes nationaux se sont éparpillés
sur tout le territoire américain, chaque communauté nationale ayant sa « capitale », New
York pour les Sénégalais, Minneapolis pour les Soudanais, Houston pour les Nigérians.
Ainsi, le terrible déracinement que constitue, pour l’immigrant, le fait de quitter son
pays est atténué par la présence d’une communauté sur place, qui l’aide dans ses
démarches au quotidien. C’est pourquoi nous pensons qu’une barrière a été franchie. Les
Africains n’ont plus l’appréhension d’aller en Amérique. Même les francophones, dont le
référent culturel est plus proche de la France que des Etats-Unis, se sont joints à l’aventure
américaine, en majorité après 1994 et les déboires du franc CFA. Tout comme les
Ethiopiens, Nigérians et Ghanéens, ils jouissent d’une bonne image au sein de la
195
population et parviennent à s’enrichir substantiellement (une richesse partagée avec le
continent). Les réseaux d’immigrants se sont lentement formés depuis 1965 et les Africains
ont su en profiter, à partir des années 1990, pour s’insérer dans une société attrayante et
effrayante à la fois.
Il ressort donc de cette étude que les Africains qui arrivent de plus en plus
massivement aux Etats-Unis constituent un groupe social que l’on pourrait définir – en
évitant toute généralisation - comme étant travailleur, entrepreneur et ingénieux. L’esprit
d’entreprise tant valorisé dans la culture américaine semble leur réussir au delà de toute
attente et la vitalité dont ils font preuve leur assure un assez large consensus dans l’opinion
publique américaine. A l’instar des autres groupes d’immigrants, ils sont motivés par un
désir partagé par tous d’améliorer leurs conditions matérielles et économiques peu
enviables en Afrique, de « réussir » en Amérique. Les Etats-Unis leur offrent des
opportunités que leurs pays respectifs tardent à procurer et que les pays européens ne
semblent plus en mesure d'égaler. L’éducation, souvent perçue comme un vecteur de
mobilité sociale, permet à une majorité d’entre eux de devenir très compétitifs sur le
marché du travail. Ainsi, un bon nombre d’Africains occupent des postes haut placés tant
dans le secteur public que privé.
Pour autant, leur implication dans la vie politique américaine reste timide. Leur
marginalité résonne comme un écho à leur absence d’implication dans les affaires de la
société américaine. Leur présence a cependant marqué le paysage urbain, avec la
multiplication des commerces et des bâtiments religieux africains. Elle a aussi remodelé la
composition de la population noire aux Etats-Unis, ce qui ne manque pas de créer des
tensions identitaires. Mais l’esprit associatif des immigrants s’accompagne plus souvent
que jamais de création de réseaux intracommunautaires peu ouverts sur l’extérieur. Les
membres de la diaspora tissent des liens, promeuvent l’entraide et la solidarité au sein de la
communauté et élargissent au maximum leurs groupes associatifs aux immigrés des
Caraïbes, plus rarement aux Afro-Américains. Peut-être pouvons-nous déceler dans cette
mise en retrait intentionnelle une des spécificités de ce groupe.
A la différence de bon nombre d’immigrants, les Africains n’envisagent pas, en
effet, de s’installer définitivement aux Etats-Unis. Pour la plupart, leur passage dans ce
pays n’est que provisoire. Même si dans les faits, beaucoup finiront sûrement leurs jours en
Amérique, les immigrés – y compris certains réfugiés chassés de leur nation - expriment le
196
souhait de retourner sur le continent africain dès lors que la situation politico-économique
le permettra.
En fait, la majorité de ces immigrants semblent avoir un pied dans leur pays
d’adoption, l’autre dans leur pays de cœur, maintenu par le biais de relations familiales
vigoureuses, des voyages vers la terre mère et des moyens de télécommunication inhérents
à notre époque. Comme on pouvait s’en douter, les deuxième et troisième générations sont
plus assimilées que leurs parents, bien que ces derniers s’efforcent de préserver intacts
l’héritage culturel et les valeurs africaines des plus jeunes. Par conséquent, si certains
immigrants issus des premières générations retourneront bien en Afrique, tout laisse à
penser que leurs progénitures se fondront avec plus ou moins d’aisance dans la nation
américaine, comme tant d’autres immigrés avant eux.
197
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INDEX Afewerki Issaias, 172 Affirmative action, 157 Akon, 166, 169 Angola, 30, 50 Anyiam Thony, 138 Atlanta, 73, 76, 84, 96, 131, 139, 151,
152, 171 Azikiwe Nnamdi, 20 Babou Diagne, 187 Bamba Amadou, 121 Bantou, 53, 57, 200 Baranshamaje Etienne, 175 Biko Steve, 168 Bokassa Jean-Bedel, 26 Bonjawo Jacques, 101 Boston, 6, 55, 71, 73, 76, 84, 96, 179,
206 Botswana, 47, 65 Bronx, 6, 82, 108, 109, 124, 137, 201 Brooklyn, 81, 82, 111, 114 Burkina-Faso, 123, 134 Burundi, 47, 65, 175 Bush George Walker,133, 134, 198, 201 Cameroun, 73, 123 Cap-Vert, 13, 15, 16, 18, 123, 179, 213 Carter Jimmy, 47 Charlotte, 92 Chicago, 70, 73, 76, 82, 84, 109, 114,
123, 141, 206 Columbus, 57, 75 Congo, 47, 50, 53, 65, 73, 102, 123, 162,
177 Côte d’Ivoire, 30, 33, 47, 50, 52, 64, 74,
111, 118, 120, 123, 128, 179, 211 Dada Idi Amin, 26 Dallas, 70, 73, 75, 76, 84, 123 Diallo Amadou, 135, 145, 167, 168 Diarra Modibo, 101, 104 Diawara Manthia, 7, 41, 167 Diouf Sylvianne, 86, 91, 112, 131, 143,
150, 173, 174, 175, 200 Ellis Island, 69, 187 Emeagwali Philipp, 101
Erythrée, 47, 48, 53, 57, 65, 82, 89, 95, 172
Ethiopie, 48, 49, 50, 53, 64, 75, 78, 79, 82, 112, 121, 130, 131, 178, 183, 194
Fall River, 16 Farrakhan Louis, 165 Gambie, 64, 109, 123, 128 Garang John, 120 Garvey Marcus, 165 Ghana, 20, 30, 47, 54, 64, 65, 73, 82,
101, 118, 120, 123, 125, 128, 165, 183, 185, 188, 194,197
Giuliani Rudolph, 158 Guinée, 74, 123 Guinée équatoriale, 26 Harlem, 6, 31, 77, 78, 82, 91, 106, 109,
110, 111, 118, 134, 137, 139, 158, 165, 197
Hart-Cellar Act, 5, 32, 34, 36, 43, 192, 211
Houston, 57, 70, 73, 74, 76, 77, 84, 102, 123, 144, 150, 178, 194, 201
Immigration Act, 38, 193 Immigration and Reform Control Act, 37,
193 Johnson Lyndon Baines, 5, 16, 34, 35, 43 Kansas City, 75, 138 Kenya, 53, 54, 57, 65, 88, 97, 101, 120,
129, 139, 189 Keyes Alan, 155 Kidjo Angélique, 102 King Martin Luther, 165 King Mensah, 102 Kwanzaa, 165 Lagat Bernard, 102 Laurier Raymond, 151 Lee Spike, 161 Lewiston, 151, 152 Liberia, 50, 52, 53, 57, 75, 82, 120 Little Senegal, 82, 91, 160, 202 Los Angeles-Long Beach, 70, 73, 75, 76,
84, 123, 150
209
Lost Boys of Sudan, 53, 55, 77, 88, 162, 163, 202
Louima Abner,167 Mabanckou Alain, 102 Malan Daniel F., 147 Malcolm X, 164, 165 Mali, 30, 74, 86, 109, 123, 128, 198 Mehretu Julie, 102 Mengistu Hailé Mariam, 26, 48, 79 Miami, 56, 70, 123, 162 Minneapolis, 57, 70, 73, 75, 76, 82, 83,
84, 139, 153, 194 Mos Def, 168 Moshwood, 138 Mutombo Dikembe, 102 Nations Unies, 46, 51, 53, 54, 101, 139 N’Dour Youssou, 168 New Bedford, 15, 16, 17, 211 New York, 6, 7, 8, 20, 30, 31, 38, 41, 51,
57, 63, 64, 69, 70, 71, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 90, 91, 93, 96, 102, 106, 108, 109, 110, 111, 112, 114, 118, 119, 121, 123, 128, 130, 135, 137, 138, 143, 150, 151, 156, 159, 160, 165, 167, 171, 173, 176, 178, 180, 181, 186, 187, 188, 192, 194, 197, 198, 200, 201, 202, 204, 205, 206, 207, 212
Newark, 70 Nguema Macias, 26 Nigeria, 20, 30, 41, 42, 47, 63, 64, 65, 70,
73, 74, 79, 97, 101, 111, 118, 119, 121, 123, 125, 128, 138, 148, 175, 180, 189, 194
Niger, 30, 74, 76, 109 Nkrumah Kwame, 20 Obama Barack, 135, 146, 161, 214 Oguine Ike, 42, 125, 129, 164, 180, 186 Olajuwon Hakeem, 102
Omaha, 57, 75, 121 Parks Gordon, 41 Philadelphie, 20, 57, 73, 75, 76, 78, 82,
84, 89, 96, 106, 109, 112, 114, 117, 120, 121, 124, 126, 150, 169, 178
Queens, 82 Razaf Andy, 14 Reagan Ronald, 47 Refugee Act, 46, 47, 48, 193, 213 Rwanda, 30, 50, 53 Saint-Paul, 57, 75, 76 Salt Lake City, 70 San Diego, 70 San Francisco, 70, 96, 157, 198 Sélassié Hailé, 48 Sénégal, 30, 63, 64, 65, 74, 78, 82, 86,
91, 99, 109, 111, 121, 123, 128, 149, 164, 166, 169, 173, 183, 194, 212
Sierra Leone, 49, 50, 64, 65, 82, 120, 137, 166
Sioux Falls, 55 Somalie, 49, 50, 52, 53, 57, 59, 65, 73,
75, 82, 139 Soudan, 3, 47, 49, 50, 53, 55, 57, 65, 73,
75, 88, 120, 144, 148, 194 Soyinka Wole, 102, 103, 104 Staten Island, 57, 75, 82, 178 Talib Kweli, 168 Tanzanie, 47, 59, 65, 117, 146 Togo, 50, 65, 123 Tucson, 57 Washington, 6, 20, 22, 51, 70, 71, 73, 74,
75, 76, 84, 109, 111, 119, 122, 123, 131, 163, 175, 178
Wyclef Jean, 167 Zaïre, 47 Zambie, 65, 101 Zongo Ousmane, 134, 135, 167
210
ANNEXES �
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Tableau 1 : L'immigration africaine de 1900 à 1970........................................................... 14 Tableau 2 : L'immigration capverdienne aux Etats-Unis de 1860 à 1930........................... 16 Photo 1 : Les travailleurs capverdiens…………………………………………………......17 Photo 2 : Baleiniers capverdiens du Massachusetts, en 1904.............................................. 17 Photo 3 : Manifestations anti-coloniales d'étudiants africains aux Etats-Unis.................... 23 Photo 4 : Congrès annuel du All African Students Union of the Americas. ........................ 23 Photo 5 : Affiche d’une conférence organisée par le All African Students Union ............. 23 Photo 6 : Conférence sur les privatisations en Côte d’Ivoire. ............................................. 33 Photo 7 : Abidjan, Côte d'Ivoire.. ........................................................................................ 33 Photo 8 : Signature du Hart-Cellar Act… ........................................................................... 43 Photo 9 : Les effets des nouvelles politiques migratoires. ................................................. 44 Tableau 3 : Nombre de réfugiés africains admis aux Etats-Unis en comparaison de
l'ensemble des réfugiés, 1990-2004............................................................................. 49 Graphique 1 : Part des réfugiés africains dans l'ensemble des réfugiés admis aux Etats-
Unis, 1990-2004. ......................................................................................................... 50 Photo 10 : Une nouvelle vie pour les réfugiés..................................................................... 59 Photo 11 : Réfugiée Bantoue. .............................................................................................. 59 Graphique 2 : Distribution de la population étrangère présente aux Etats-Unis…………..62 Tableau 4 : Origine régionale des immigrants africains, 2002............................................ 66 Graphique 3 : Origine régionale des immigrants africains, 2002........................................ 66 Graphique 4 : Nombre d’immigrants admis aux Etats-Unis à partir d’une sélection de pays
d’origine, 1989-2002. .................................................................................................. 67 Graphique 5 et Tableau 5 : L’immigration africaine en rapport à l’immigration globale,
1986-2004.................................................................................................................... 68 Graphique 6 : Nombre d'immigrants africains légalement admis aux Etats-Unis,
1986-2003.................................................................................................................... 69 Graphique 7 : Etats de résidence des immigrants africains en 2000 selon leur origine
géographique. .............................................................................................................. 72 Tableau 6 : Métropoles américaines accueillant le plus grand nombre d’immigrants
africains. ...................................................................................................................... 76 Photo 12 : Femmes originaires d’Afrique de l’Est………………………………………...78 Photo 13 : Sénégalais de New York. ................................................................................... 78 Photo 14 : Immigrants éthiopiens........................................................................................ 79 Photo 15 : La communauté nigériane. ................................................................................. 79 Tableau 7 : Caractéristiques socio-économiques des immigrants africains dans les dix
métropoles où ils se sont le plus massivement établis................................................. 84 Photo 16 : La transmission du patrimoine. .......................................................................... 94 Photo 17 : La nouvelle génération....................................................................................... 95 Photo 18 : La nouvelle place des femmes.. ......................................................................... 95 Schéma 1 : Principaux facteurs de l'exode des cerveaux : un cercle vicieux .................... 103
211
Photo 19 : Des cerveaux en fuite. ...................................................................................... 104 Tableau 8 : Caractéristiques socio-économiques des immigrants africains en comparaison
des autres groupes ethniques, d’après le recensement de l’an 2000.......................... 107 Photo 20 : Un vif esprit d'entreprise. ................................................................................. 114 Photo 21 : Un taxi et des diplômes. ................................................................................... 114 Photo 22 : Une pluralité de cultes. .................................................................................... 126 Photo 23 : Barack Obama.................................................................................................. 141 Photo 24 : Une école de danse africaine............................................................................ 141 Photo 25 : Du rejet au soutien. .......................................................................................... 152 Photo 26 : La définition d’une double identité. ................................................................. 153 Photo 27 : Souligner les points communs. ........................................................................ 169 Photo 28: Quand les Africains rapperont… ..................................................................... 169 Photo 29 : Le soutien aux luttes nationales. . ................................................................... 180 Photo 30 : Rester en contact avec le pays.......................................................................... 180 Tableau 9 : Naturalisation des immigrants d’origine africaine. ........................................ 184 Photo 31 : Quel futur pour les immigrants africains ?....................................................... 191 �
212
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ............................................................................................................... 2
PREMIERE PARTIE : L’immigration africaine aux Etats-Unis : éléments d’explication d’un phénomène migratoire nouveau....................................................... 11
Chapitre 1 : Les pionniers......................................................................................................... 13 I- Les Capverdiens, premiers immigrants africains ......................................................................... 13
A) Les migrants de la première heure : une poignée de volontaires ................................................. 13 B) L’arrivée de pêcheurs capverdiens ............................................................................................... 15 C) Immigrants africains et Noirs américains : premiers contacts...................................................... 18
II- La venue d’étudiants africains ...................................................................................................... 19 A) Les élites africaines en Amérique. ............................................................................................... 19 B) Une communauté insignifiante..................................................................................................... 21
Chapitre 2 : La croissance de l’immigration africaine : facteurs d’explication................... 24 I- La recherche de nouvelles opportunités......................................................................................... 24
A) Du problème d’expliquer la migration......................................................................................... 25 B) Une instabilité économique et politique chronique ...................................................................... 26 C) Le poids de la mondialisation....................................................................................................... 28
II- Les Etats-Unis, une destination de choix ...................................................................................... 34 A) A l’origine de la loi d’immigration de 1965 ................................................................................ 34 B) Les clauses de la loi de 1965........................................................................................................ 35 C) Les aménagements législatifs postérieurs .................................................................................... 37 D) Le pouvoir d’attraction du « rêve américain » ............................................................................. 39
Chapitre 3 : Des immigrants d’un type nouveau : les réfugiés .............................................. 45 I- Le Refugee Act de 1980 : une nouvelle place pour les réfugiés africains ..................................... 46
A) La redéfinition du statut de réfugié .............................................................................................. 46 B) En Afrique, des réfugiés toujours plus nombreux ........................................................................ 47 C) L’accueil de réfugiés africains aux Etats-Unis, un phénomène en pleine expansion ................... 48
II- Des campagnes africaines aux métropoles américaines : le « parcours du réfugié »................ 51 A) Les programmes de réinstallation aux Etats-Unis........................................................................ 52 B) La prise en charge des réfugiés .................................................................................................... 54 C) Refaire sa vie aux Etats-Unis ....................................................................................................... 56
SECONDE PARTIE : Radiographie de la communauté africaine aux Etats-Unis .... 60 Chapitre 4 : Une nouvelle visibilité au sein de la société américaine .................................... 61
I- La croissance de la communauté africaine .................................................................................... 63 A) Des estimations variées................................................................................................................ 63 B) Des immigrants d’horizons divers................................................................................................ 65 C) Une immigration récente.............................................................................................................. 67
II- De l’Alaska au Wyoming : une communauté disséminée sur l’ensemble du territoire américain .............................................................................................................................................. 69
A) Des ports d’arrivée multiples ....................................................................................................... 69 B) Des métropolitains à tous les confins du territoire américain....................................................... 70 C) A chaque communauté, sa localité ............................................................................................... 73
213
Chapitre 5 : Le foyer africain dans un environnement américain ........................................ 80 I- Caractéristiques socio-économiques des ménages africains ......................................................... 80
A) Des quartiers communautaires ..................................................................................................... 80 B) Communautarisme ou ségrégation sociale ? ................................................................................ 83
II- La recomposition du foyer africain............................................................................................... 85 A) A nouvelle démographie, nouveaux foyers.................................................................................. 85 B) De la famille élargie à la famille nucléaire................................................................................... 88 C) De nouveaux rapports familiaux (le statut des femmes, la place des aînés et l’éducation des plus jeunes) ............................................................................................................................................... 90
Chapitre 6 : Du chauffeur de taxi au chef navigateur de la Nasa, une immigration de travailleurs.................................................................................................................................. 96
I- Une immigration qualifiée............................................................................................................... 96 A) L’élite étudiante africaine ............................................................................................................ 96 B) Les immigrants les plus instruits des Etats-Unis.......................................................................... 98 C) Une immigration de « cerveaux » .............................................................................................. 100
II- Des statuts sociaux extrêmes........................................................................................................ 105 A) Des travailleurs inégaux face à l’emploi .................................................................................... 105 B) Le travail du clandestin .............................................................................................................. 108 C) Un vif esprit d’entreprise............................................................................................................ 111
TROISIEME PARTIE : L’intégration des Africains dans la société américaine ..... 115 Chapitre 7 : Un pied en Afrique, un pied en Amérique… ................................................... 117
I- Des réseaux communautaires actifs.............................................................................................. 117 A) La sociabilité africaine au quotidien .......................................................................................... 117 B) Des associations africaines nombreuses et actives ..................................................................... 118 C) Communauté africaines, traditions américaines......................................................................... 121 D) Le nouveau rôle des institutions religieuses............................................................................... 122
II- Une participation limitée à la vie du pays................................................................................... 127 A) La barrière linguistique .............................................................................................................. 127 B) Le primat de la vie communautaire............................................................................................ 130 C) Une difficile entrée en politique................................................................................................. 132 D) Un apport social et culturel indéniable....................................................................................... 136
Chapitre 8 : Une minorité dans la minorité........................................................................... 142 I- La difficile définition d’une nouvelle identité .............................................................................. 143
A) Un nouveau rapport à l’Afrique ................................................................................................. 143 B) Le poids du facteur racial aux Etats-Unis .................................................................................. 145 C) Affirmation d’une identité immigrante ou rejet d’une identité américaine ? ............................. 148 D) Relations avec la société blanche............................................................................................... 150
II- Noirs Africains contre Noirs Américains ?................................................................................. 154 A) Le poids du passé, un héritage difficile à partager ..................................................................... 154 B) La réussite des uns, reflet de l’échec des autres ? ...................................................................... 158 C) Une incompréhension mutuelle, des préjugés mutuels, une ignorance mutuelle ....................... 160 D) Les facteurs d’union................................................................................................................... 164
Chapitre 9 : Le maintien de liens ombilicaux avec l’Afrique .............................................. 170 I- Les immigrants, acteurs de développement du continent africain ............................................ 171
A) Le poids des rétrotransferts ........................................................................................................ 171 B) Une aide infaillible au continent ................................................................................................ 173 C) Les immigrants en politique intérieure africaine........................................................................ 176
II- Quel futur pour ces immigrants ? ............................................................................................... 181 A) Devenir ou non Américains… ................................................................................................... 181 B) L’espoir d’un retour en Afrique ................................................................................................. 184 C) L’aide au retour des hommes et des compétences...................................................................... 188
CONCLUSION ................................................................................................................ 192
214
SOURCES ........................................................................................................................ 197
BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................... 203
INDEX .............................................................................................................................. 208
ANNEXES ........................................................................................................................ 210
TABLE DES MATIERES .............................................................................................. 212 �
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