Lieux communs
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médialibre #110 — emi - 2014
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lieux—divers
Ticket Le luxe perd sonpour le 9-3 parisErasmus
lost in translation
médialibre, le magazine de l’emi-cfd
#110 - avril 2014 - 2€Regards européens sur la France
LIBERTÉÉGALITÉ
PRÉJUGÉ
médialibre #110 — emi - 2014
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médialibre #110 — emi - 2014
Q ue pensent les ressortissants des vingt-sept pays de l’Union européenne de la France et des Français ? Installés dans l’Hexagone depuis longtemps ou simplement de passage, comment nous voient-ils ? Leur regard a-t-il évolué ? Les clichés qu’ils apportent dans leur valise viennent-ils d’une idée toute faite transmise par leur culture ? L’image originelle perdure-t-elle ou est-elle provisoire ? Autant de questionsque nous nous sommes posées. Elles servent de fil rouge au 110e médialibre-Lieux communs, le journal-
école des stagiaires de l’École des métiers de l’information, promotion 2014.Vous les retrouverez tout au long des rubriques déclinées sur le site et dans le magazine papier : Regards (sur nos modes de vie), Découvertes (de ces lieux potentiels vecteurs de clichés) et Plaisirs (de l’art de vivre à la française). Des points de vue aussi multiples que variés, au moment où l’ensemble des citoyens de l’Union s’apprête à élire leurs députés au Parlement européen en mai 2014.Vingt-cinq journalistes multimédias, secrétaires de rédaction, graphistes et photojournalistes ont rencontré des Européens pour identifier, décortiquer, confirmer ou infirmer ces préjugés. De façon attractive et rigolote mais non dénuée de réflexion, sous forme d’interviews, de reportages et même d’un roman-photo !Nous avons conçu un journal papier et un site web riche de vidéos, de textes, de diaporamas sonores, de sons, d’infographies. Les deux supports sont complémentaires : le site* s’enrichit d’informations quotidiennes. Ils sont à mettre en regard du travail réalisé par une autre équipe de stagiaires de l’Emi-Cfd, Face à faces, consacré aux préjugés des Français sur leurs voisins européens.Cette aventure collégiale, inédite pour beaucoup d’entre nous, nous a appris à échanger, confronter, reformuler. Pour construire notre maison commune, celle du journalisme.
* Le site de Lieux communs : http://medialibre.info/lieux-communs
Le site de Face à Faces : http://medialibre.info/face-a-faces
Vous aVez dit
Directrice de la publicationMarie-Geneviève Lentaigne
Rédaction en chefFrançois LongérinasMarc MentréFidel NavamuelDominique Patte
Conseillers à la rédactionOlivier QuelierSabah Rahmani
Direction photoGilles CollignonLorenzo Virgili
Direction artistiqueMartine-Jeanne BillotÉmeric Thérond
PhotojournalistesDao BaconLionel BlancafortValérie DuboisArthur GauthierFrançoise LambertClément MahoudeauBertrand Tall
École des métiers de l’information (EMI-CFD)7, rue des Petites-Écuries 75010 ParisTél : +33(0)1 53 24 68 68 www.emi-cfd.com
ImpressionReprotechnique75003 Paris
médialibre #110, avril 2014Commission paritaire n° 65547ISSN 7-590-997Dépôt légal : 2e trimestre 2014
CouverturePhotos : Arthur Gauthier
Ce magazine a été conçu et réalisé par les promotions 2014 de journalistes rédacteurs multimédias, de secrétaires de rédaction multimédias, de graphistes bimédias et de photojournalistes de l’École des métiers de l’information.
Journalistes rédacteurs multimédiasPhilippe AlleaumeAgnès ColomboRossana Di VincenzoIsabelle DurantonClara LemaireSarah Rinaldo
Secrétairesde rédaction multimédiasHadrien Baer Élise Barry Anne Naudy Julien Pillé Thibault Monereau Claire Moulié Vincent Richard Awa Sissokho
Conception graphiqueAngélique Asselin de BeauvilleAdrien ChaconLaurence LefebvrePeggy Saugues
Rédactrice en chef Isabelle Duranton
éDito
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« préjugés » ?Texte : Isabelle Duranton
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6 regarDs
14 Découvertes
12 roman-photo
24 Décryptages
6 | Paroles d’Erasmus8 | « Le Français aime
défendre ses principes »9 | Les expatriés
cassent les clichés10 | L’école peut mieux faire11 | Les journalistes français
ont mauvaise presse
5 leçons d’amour
14 | Des berges de Seine à la Seine-Saint-Denis
17 | Paris-Paname
24 | La France se fait taper sur les Droits
4 Les sept péchés capiteux
Photo : Arthur Gauthier
Photo : Arthur Gauthier
Photo : Valérie Dubois
Photo : Valérie Dubois
Photo : Clément Mahoudeau
18 plaisirs
sommaire
18 | Ces ogres de Gaulois20 | Martin Parr met Paris en clichés21 | Le luxe à prix cassé22 | Un Bulgare aux accents français23 | La danseuse tombée des nues
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péchés capiteuxLes sept
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L eurs vins et leur gastronomie sont à nul autre pareil. Drapés dans leur orgueil immémorial, ils habitent sans conteste le plus beau pays du monde. Colériques,
ils râlent à la moindre contrariété parce que l’enfer, c’est forcément les autres. Ils ne rechignent pas à boire, mais au pourboire, leurs poches remplies d’oursins, ils sont avares. Envieux ? Pas pour un sou. L’exception culturelle, c’est la faute à Voltaire ! Gourmands, ils s’affalent, des orgies durant, autour de plats gargantuesques, se bâfrant des mets les plus repoussants qu’ils élèvent au rang de Grande Bouffe. De mœurs frivoles et libertines, ils se vautrent avec délectation dans la luxure la plus totale, en dignes rejetons du marquis de Sade. Vacanciers professionnels et grévistes patentés, ces fourbes travailleurs narguent avec paresse la flexibilité mondialisée à travers leurs doigts de pieds en éventail.Pour leurs vingt-sept voisins, les Français sont des pécheurs impénitents, les champions d’Europe du vice, une Marianne charnelle et dépravée, symbole de leur unité.
Texte : Philippe AlleaumePhotos : collectif
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RDGAS
PAROLES Kathrin, Miren et Ragnar résident
à la Cité internationale universitaire de Paris (14e) et nous racontent la France telle qu’ils la vivent.
Texte : Rossana Di Vincenzo et Clara LemairePhotos : Lionel Blancafort
Kathrin, Allemagne : « Avant, je n’avais aucun a priori sur la France »Assise sur les marches qui dominent l’immense pelouse de la Cité interna-tionale universitaire, Kathrin profite du soleil, la tête plongée dans un livre de droit. Après, elle rejoindra la biblio-thèque allemande pour étudier, encore. À 22 ans, elle a décidé de partir via le système Erasmus pour terminer son master tout en perfectionnant son fran-çais. « Je n’avais pas d’a priori avant d’arriver, j’étais juste un peu naïve en pensant que ça allait être facile », confie-t-elle. « La méthode française n’est pas du tout la même qu’en Allemagne. Chez nous, on fait beaucoup de cas pratiques, alors qu’ici tout est très théorique. Il y a beaucoup de dissertations que l’on doit écrire en deux parties avec des grands
1 et 2, des A et des B, mais personne ne nous explique comment faire. »Arrivée en janvier 2014, la jeune femme n’a pas encore réussi à se faire de véri-tables amis. « À l’université, je n’ai pas vraiment de relations avec les Français, raconte-t-elle, j’essaye de parler un peu avec eux, ils répondent à mes questions, mais pas plus que ça. » Pas très accueil-lants, les Français ? En tout cas, « ils sont bizarres », surtout dans le métro, après quelques verres, ou lorsque, dans le RER B, « personne n’explique pourquoi le train n’avance pas ». Mais l’étudiante a trouvé du réconfort avec la cuisine française : lapin à la moutarde, escargots, pâtisseries… autant de spé-cialités qui ont séduit Kathrin. « Un jour, alors que je faisais visiter ma chambre à ma sœur, elle me lance “mais d’où vient cette odeur ?” C’était le fromage dans mon placard ! »
Kathrin fait partie des 12 000 étudiants issus de
130 nationalités qui vivent dans les 40 maisons
et 5 800 chambres de la Cité universitaire.
d’erasMus
Interviews sonores de Amira et Emeli
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7Miren côtoie
les chercheurs, artistes et sportifs
présents sur les 34 hectares
du site.
Ragnar fait partie des 50 %
d’étudiants qui changent de maison au
cours de l’année pour favoriser
le brassage des nationalités.
Miren, Espagne : « Les Français font un peu gay »Elle s’agace encore lorsqu’elle raconte que des Français lui ont demandé de parler moins fort. Installée dans la salle commune de la Maison de l’Espagne, Miren parle sans détour de son expé-rience française en dégustant une crêpe, son mets favori. Plus d’une fois, on lui a reproché de ne pas être assez discrète : « On me dit tout le temps que je suis malpolie, mais c’est notre culture, on parle comme ça. »Depuis son arrivée à Paris, cette étudiante de 23 ans, originaire de San Sebastián, près de la frontière franco-espagnole, était loin d’imaginer se sentir aussi différente des Français. « En Espagne, nous avons des défauts, mais nous sommes beaucoup plus
accueillants », affirme-t-elle. Un ami, ayant fréquenté les bancs de l’univer-sité parisienne avant elle, l’avait même prévenue de la difficulté d’échanger avec les Français, si elle ne maîtrisait pas la langue. « La grammaire, c’est facile pour moi, mais la prononciation c’est impossible ! Je suis un peu frustrée, les Français ne viennent pas vers moi, et j’ai du mal à aller vers eux pour discuter, car je ne sais pas bien parler, c’est vraiment un problème. »Polis mais arrogants, avec un style très différent des Espagnols, Miren avoue qu’en plus « les Français ne sont pas du tout masculins dans leur manière de s’habiller ». Être un hipster à lunettes, ultra looké, n’est pas vraiment recom-mandé pour séduire une Espagnole. « Chez nous, la mode est pire, explique-t-elle en riant, mais les Français font un peu gays ! » Ça, c’est dit.
La Cité internationale universitaire a été créée après la Grande Guerre (1914-1918). Elle devait ainsi contribuer à l’entente entre les peuples en favorisant les amitiés entre les étudiants, les chercheurs et les artistes du monde entier.
Ragnar, Suède : « Six mois pour me sentir chez moi »« Avant mon arrivée à Paris, j’avais lu les messages des anciens étudiants Erasmus sur le site de mon univer-sité, en Suède. Ils se plaignaient tous de l’administration française et ils avaient raison ! » Étudiant suédois de 24 ans, Ragnar a vite compris que la bureaucratie était bien une spécialité made in France. Dans le parc de la Cité universitaire internationale, il explique son choix de venir faire sa quatrième année d’études d’architecture ici : c’est « surtout pour la ville, et c’est une opportunité pour moi de mieux parler le français ».Ragnar n’avait aucun a priori particulier sur la France avant d’arriver. Il avoue cependant avoir été surpris du très bon accueil des étudiants français dans son école même si, jusqu’à présent, il n’a pas noué les liens qu’il aurait aimés : « C’est de ma faute plus que de la leur, car mon français n’est pas encore assez bon, et eux ne parlent pas très bien anglais. C’est compliqué. » Inscrit à l’école d’architecture de Belleville depuis le mois d’août, il y suit huit à neuf cours par semestre, contre trois en Suède pour le même programme.« Il m’a fallu six mois pour me sen-tir chez moi. Avoir un compte en banque, un numéro de téléphone, au début, c’était très difficile. Mais vivre à la Cité U est une chance. » Installé dans la Maison du Canada, il a trouvé son équilibre, entouré de ses amis des quatre coins de l’Europe. Amoureux de culture française, Ragnar a déjà testé escargots, grenouilles et soupe à l’oi-gnon. Prochaine étape : l’andouillette. « J’ai entendu dire que c’était pas mau-vais », confie-t-il. « Et ça ne me choque pas, car en Suède on a des plats très bizarres aussi. L’une de nos spécialités, c’est le poisson pourri ! »
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Anna vit à Paris depuis trois ans. Sans langue de bois, cette diplomate suédoise de 36 ans pose un regard bienveillant mais critique sur notre pays.
Texte : Agnès ColomboPhoto : Valérie Dubois
Pour Anna, la diplomatie française
est marquée par un certain chauvinisme
et un esprit conservateur.
«le FranÇais aimedéFendre ses principes»
Aviez-vous des préjugés sur la France avant d’y habiter ?
J’ai appris le français au lycée et pendant ma forma-tion de diplomate. Pourtant, je n’ai jamais cultivé un grand intérêt pour la langue et la culture françaises. Avant de vivre en France, je ne m’étais jamais penchée sérieusement sur cette question.
Et sur les Français ?
Entre étrangers, nous plaisantons souvent sur l’arrogance des habitants de la « grande France ». Mais je me suis aperçue que ce poncif était applicable surtout à la capitale. Le rythme d’une grande métropole comme Paris ne permet pas beaucoup d’échanges. En province, les gens sont tout à fait agréables et accueillants. Même dans une ville comme Marseille, qui a mauvaise presse à l’étranger, les habitants sont plus sympas.
Quel est le revers de la médaille ?
Les Français sont méfiants vis-à-vis des idées nouvelles et partent avec un a priori négatif. À quel prix avez-vous accepté le mariage pour tous ! La même réforme est passée en Suède il y a dix ans, sans bruit. Lors de mon arrivée à Paris, j’habitais à côté des Invalides. Pendant les manifestations contre la réforme des retraites, les rues étaient bloquées une fois par semaine. J’ai passé mes six premiers mois de grossesse la tête à la fenêtre !
Manifester sa désapprobation et argumenter font-ils partie de la culture française ?
Oui, et les bistrots où on peut discuter jusqu’à pas d’heure favorisent ces échanges. Le Français aime partager son opinion et défendre ses principes jusqu’à la confrontation physique, parfois. Lorsque je discute avec mon mari (qui est français), je sens qu’il a besoin d’argumenter jusqu’au bout pour faire passer ses idées. La France n’est pas un pays « politiquement correct », par opposition à un État « parfait » comme en Suède. C’est ce côté irrespec-tueux que j’aime en France et chez le peuple français.
Vue de la Suède, quelle place occupe la France au plan diplomatique ?
Même si la France n’a plus le même poids qu’avant, les interventions et l’avis des dirigeants français comptent, et la diplomatie française reste incontournable en Europe et en Afrique. La France garde les stigmates de son passé colonialiste et conserve un lien presque affectif avec ses anciennes colonies. Un certain chauvinisme émane même parfois de gens haut placés, ce qui traduit un esprit conservateur.
Comment ce conservatisme s’illustre-t-il pour vous ?
Malgré les promesses régulières des gouvernements, la parité n’existe pas. Mon mari travaille dans un service du Quai d’Orsay, où il n’y a ni Noirs, ni Asiatiques, ni Maghrébins, et pas de femmes. Je pensais que la population française était plus accoutumée à l’immigration et aux brassages culturels du fait de son passé d’empire colonial.
La France n’est pas un pays
« politiquement correct »,
par opposition à un état « parfait »
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«
Boulot Les expatriéscassent les clichés
Fainéants et râleurs, les Français au travail ? Des étrangers travaillant en France jugent sur pièce et trouvent une bonne part d’injustice dans ces préjugés.
A rrogant, méprisant, ignorant, voire raciste » : Justyna dresse un tableau bien peu flatteur du salarié français. L’arrogance
est le principal obstacle qu’elle a ren-contré en travaillant avec des Français. Cette attitude se traduit par « leur capa-cité à énoncer leurs certitudes et une incapacité à admettre qu’ils ont tort ».Pour cette Polonaise de 36 ans, res-ponsable des relations clients dans une multinationale américaine basée à Paris, la désillusion des premiers temps s’explique aussi par de grandes attentes : ressortissante du bloc com-muniste, elle voyait dans la France et l’Ouest en général une promesse de « liberté totale ».Justyna n’avait pas vraiment de préju-gés sur les Français à son arrivée. En revanche, elle a souffert des clichés sur ses origines polonaises dans ses relations de travail. Elle s’est sentie progressivement plus à l’aise avec ses collègues français, qu’elle perçoit « plus ouverts et plus curieux qu’auparavant ».
Albin, lui, n’a pas eu de problème d’in-tégration. Pour ce Belge natif de Liège la langue française n’avait aucun secret. Mais il trouve un peu étrange de vou-voyer les collègues qu’il côtoie depuis trois ans. Professeur d’échecs en région parisienne, Albin voit dans la France « le paradis » : le jeu y est reconnu comme un sport. Il apprécie aussi le « côté organisé des Français », et, ô surprise, loue « l’ef-ficacité administrative des entreprises ».
Des préjugés improductifsAu travail, Albin a été surpris par l’ap-proche très « frontale » des Français. Pour eux, « une engueulade est le début de la résolution d’un problème alors qu’en Belgique, c’est un échec ». Un côté « râleur » qu’il explique par « une grande exigence ».Cette exigence, Roberto*, un Italien qui travaille depuis dix ans dans le secteur bancaire, en a une idée très précise. Ses multiples expériences professionnelles à l’étranger lui font trouver, côté fran-çais, un manque d’« empathie envers l’effort », une gestion « par la pression » plutôt qu’avec « de la compréhension ».
Parfois surprenante pour les étrangers, l’organisation professionnelle à la française a pour eux ses défauts mais aussi ses qualités.
Texte : Philippe AlleaumePhoto : Clément Mahoudeau
Roberto explique ce mode de manage-ment par le « système scolaire français fondé sur le sans-faute ». Dès lors, la supposée fainéantise française est bat-tue en brèche. C’est « un biais culturel qui ne se retrouve pas du côté profes-sionnel ». Le défaut des salariés fran-çais, c’est plutôt de ne pas toujours se comprendre. Un jour, au sortir d’une réunion, il demande à ses collaborateurs ce qu’ils ont retenu, il est alors surpris de voir s’exprimer quinze opinions diffé-rentes : « La langue française est pleine de subtilités, ce qui peut générer des malentendus ». Mais il reconnaît qu’elle permet aussi « de trouver des équilibres grâce à sa complexité ».Pour ces trois expatriés, les préjugés sont improductifs. Ils se fient avant tout à des individus, dont ils estiment qu’ils ne méritent pas la réputation parfois injuste qu’on leur fait.
* Le prénom a été modifié
« une engueulade est le début
de la résolution d’un problème
alors qu’en Belgique, c’est
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éDucation L’écoLe peut
MieuxFaire
A rtiste-photographe-plasticien autrichien, Arno Gisinger avait une bonne image de l’école en France. Mais ça, c’était avant de s’installer à Paris en 2001, avec son épouse
et leur fils Maxime. « À l’époque, je connaissais mal le système éducatif français, mais j’avais une perception très positive de la France sur le plan de la connaissance, et donc un a priori très favorable sur l’école. » Il découvre alors un modèle qui présente un grand avantage : « En France, on peut travailler et avoir des enfants, ce qui n’est pas si courant en Autriche. »Ce père de 50 ans, qui enseigne à l’université Paris-VIII (Seine-Saint-Denis), se réjouit de la qualité des cours. La scolarité de son fils, aujourd’hui en cinquième, se poursuit dans d’excellentes conditions : « J’ai de la chance, Maxime est très bon élève. Il aime l’école et, dans l’ensemble, a adoré ses professeurs. »
L’élève n’est plus au centre des préoccupationsMais cet enseignement le laisse parfois perplexe. Arno se rend compte, par exemple, que l’école peut vite négliger l’intérêt de l’enfant. « En France, on place rapidement les élèves dans des cases, et s’ils ne travaillent pas comme il faut, ils peuvent être éjectés du système. »Il réprouve aussi certaines méthodes. Le collège de son fils a ainsi mis le logiciel Pronote à disposition des parents : un programme qui permet de connaître les notes de l’enfant et de comparer son niveau à celui
L’un est autrichien, l’autre grec, mais tous deux pensent
que la France doit revoir sa copie en matière
d’enseignement et de pédagogie.
Texte : Hadrien BaerPhoto : Françoise Lambert
Arno Gisinger, ici avec son fils Maxime,
admet que l’école en France ne correspond pas exactement
à ce qu’il avait imaginé.
« Le système est structuré pour étouffer les vrais problèmes et acheter la paix sociale. »Yorgos charitakis
de ses camarades. « Quand j’ai vu ça, je n’en revenais pas. La représentation statistique et graphique des bons et des mauvais élèves, c’est une image terrible que je ne suis pas près d’oublier. »Avant de vivre à Paris, Yorgos Charitakis n’avait aucun préjugé, positif ou négatif, sur l’école de la République.Depuis 2010, ce Grec de 32 ans, éducateur de formation, enseigne l’allemand dans deux collèges, à Orly et à Alfortville (Val-de-Marne). Il porte un regard « très critique » sur l’Éducation nationale qui, selon lui, ne propose aucune vision à long terme : « Le système est structuré pour étouffer les vrais problèmes et acheter la paix sociale. Si un collégien arrive dans l’établissement avec un couteau, la direction préférera passer l’affaire sous silence parce que la promotion de ses membres dépendra de sa capacité à assurer la sécurité. » Yorgos déplore ainsi que l’élève ne soit plus « au centre des préoccupations ». Quant aux parents, « ils ne sont ni impliqués ni informés du parcours de leur enfant. Parfois, il m’arrive même de ne pas avoir d’interlocuteur dans les familles ». Pour lui, c’est sûr, l’école est bien le « miroir d’une société en crise ».
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Texte : Julien PilléPhotos : Lionel Blancafort
LesjournaListes franÇais ont
MAUVAISE PRESSEAnthony Jeffers et Andreas Jörger, commentateurs sur Eurosport en France,
portent un regard critique sur notre traitement de l’information.
S on accent anglais lui convient, n’en déplaise à certains compatriotes expatriés qui, selon lui, cherchent à le gommer. Anthony, 47 ans, barbe mi-rousse, mi-blanche, est grand et
mince. Andreas, de quelques mois son cadet, cheveu ras et clairsemé s’exprime sans accent ou si peu. Tous deux travaillent en France depuis plus d’une quinzaine d’années, aujourd’hui à Eurosport, chaîne diffusée dans toute l’Europe mais française.À l’âge de 15 ans, Andreas découvre les débats politiques à la télévision française à l’occasion d’un échange. Chez son correspondant, il essaie de comprendre ces hommes braillards et indisciplinés. « C’était très désagréable, désorganisé, un vrai bordel ! »
Au mieux chauvin, au pire racisteCette désorganisation, typique des Français pour les Allemands, Andreas la retrouve dans les relations entre la presse et le pouvoir. Free-lance, il fréquente les couloirs du palais de l’Élysée et assiste à des scènes surréalistes où, par exemple, des « journalistes piquent un sprint à la sortie du Conseil des ministres pour recueillir une information auprès de l’un d’entre eux ». En Allemagne, le droit de la presse impose aux ministères d’informer les journalistes. Pour obtenir une réponse officielle en France, « c’est la croix et la bannière ».Sur leur perception de la télévision française et du sacro-saint journal de 20 heures, Anthony et Andreas se rejoignent. Le « JT » ressemble plus à un magazine qu’à un bulletin d’information. Anthony ironise sur la présence
du chanteur Marc Lavoine au journal de France 2, invité à donner son avis sur l’actualité dans le monde. Impensable en Angleterre.Andreas, qui a aussi travaillé pour RFI, Euronews et Arte, évoque, lui, un journal « cinématographique », mais terriblement franco-français, dans lequel il faut parfois attendre vingt minutes avant d’être informé des difficultés rencontrées par Barack Obama pour faire voter son budget. Le journal en Allemagne est « mal filmé, mal monté, barbant, mais au final les téléspectateurs retiennent certainement plus l’information ».Ce parti pris français se retrouve enfin dans le traitement du sport. Sur un plateau télé en France, il n’y a pas d’intervenants étrangers contrairement à l’Angleterre où des consultants français sont présents si le match oppose l’Angleterre à la France. C’est la tradition : respecter l’équilibre.Quid d’un Thierry Roland ? Andreas n’avait jamais vu cela. Au mieux chauvin, au pire raciste, selon Anthony. « En Angleterre, il n’aurait jamais pu rester si longtemps à l’antenne » après ses insultes à l’encontre d’un arbitre, ou ses commentaires déplacés sur les joueurs marocains et coréens. « Chez nous, la philosophie et la tradition nous imposent l’impartialité. Tandis qu’ici, c’est le chauvinisme. »
Anthony Jeffers s’amuse du « faux sourire séducteur » de nos présentateurs, hérité de « la cour des rois de France ».
Andreas Jörger reproche à nos journalistes sportifs leurs excès de langage, inconcevables outre-Rhin.
Le « Jt » ressemble plus à un magazine qu’à un bulletin d’information
interviewssonores
de andreas Jörger
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OUVEn France, les préjugés sur le 93 ne prennent jamais
de vacances. Sans a priori, certains touristes européens franchissent le périph’.
DES BERGES DE SEINEà LA SEINE-SAINT-DENIS
Texte : Sarah RinaldoPhotos : Clément MahoudeauM arché de Saint-Denis. Eki,
accompagné de son amie francophone Dounia, déam-bule dans les artères d’un
des plus grands marchés d’Île-de-France. D’origine espagnole, Eki fait partie de ces touristes européens qui visitent la Seine-Saint-Denis. Il désire découvrir un autre visage de la France : « D’habitude, nous ne visitons que Paris. Aujourd’hui, nous souhaitons découvrir ses alen-tours. » Eki se déclare agréablement
surpris par la mixité de Saint-Denis : « En Espagne, l’intégration des étran-gers est plus difficile. Les Espagnols se moquent des individus qui parlent des langues étrangères. » Pour ce touriste, les Français se montrent plus tolérants que ses compatriotes : « Je ne sens pas de racisme ici, il y a des gens de diverses nationalités. Et je pense qu’ils vivent bien ensemble, non ? » À midi, le couple se dirige vers la basilique de Saint-Denis, le plus grand site touristique du 93.
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DES BERGES DE SEINEà LA SEINE-SAINT-DENIS
crédit photo
« en espagne, l’intégration des
étrangers est plus difficile »,
selon eki, touriste de passage
à saint-denis
Avant la visite des Puces de Saint-Ouen, Cassandra a marché depuis le quartier Latin jusqu’à la nécropole royale.
La jeune Blanka et ses parents Reka et Martin ont fait le déplacement depuis la Hongrie pour voir l’ancienne nécropole des rois de France, le seul site de ban-lieue qu’ils visiteront. Elle se souvient qu’au cours de ses précédents voyages à Paris, son préjugé sur la fierté des Français a volé en éclats : « Tous les échanges que j’ai eus avec les Français ont été très agréables. Les Parisiens m’ont paru serviables, ils ont porté mon sac de voyage et m’ont indiqué quel chemin prendre lorsque j’hésitais. »
La basilique avant la tour EiffelCependant, pour elle, le cliché selon lequel les Français ne pratiquent aucune autre langue que la leur se vérifie : « Lors de la visite de la basilique, toutes les indications étaient en français, et, pour les étrangers, c’est compliqué de comprendre l’histoire de ce lieu. » Dale et sa famille, nés en Irlande, ont, quant à eux, entendu parler de ce lieu mythique à l’époque où ils assistaient à la rencontre France-Irlande au Stade de France. Depuis, ils rêvaient de revenir à Saint-Denis : « Nous avons planifié de
visiter la basilique avant la tour Eiffel ! » Pour Darlene, la mère de Dale, c’est une « jolie petite ville ». Aux abords de la cathédrale, des touristes plus méfiants affichent un air suspicieux lorsqu’un Français tente une approche. Pour eux, le déplacement jusqu’à Saint-Denis se limitera à la visite du monument histo-rique. Une frontière invisible sépare ce lieu du marché situé quelques mètres plus loin. Cette démarcation ne surprend pas Peter Caine. D’origine anglaise, il habite Saint-Denis depuis trente ans. Il a fondé l’agence touristique Paris Walks qui propose des visites en anglais à Paris et à Saint-Denis pour les étrangers : « Je n’accompagne plus les Anglais en banlieue. À la sortie du métro, ils sont effrayés par la diversité ethnique. Ils ne
se sentent pas en sécurité. Vous rencon-trerez très peu d’Anglais en Seine-Saint-Denis. » D’après lui, ses compatriotes sont les seuls à se montrer si méfiants.Pour preuve, au second semestre 2013, le taux de fréquentation des Européens visitant la basilique de Saint-Denis est de 18 %, selon le comité départemental du tourisme de Seine-Saint-Denis. Le mar-ché aux puces de Saint-Ouen draine éga-lement de nombreux touristes étrangers tout au long de l’année, comme Erka et sa compagne Cassandra, un couple de Finlandais : « Nous en avions entendu
Peter Caine ne désespère pas de revoir ses compatriotes flâner dans sa ville de cœur.
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Les émeutes de 2005 en France vues par les médias européens
Le 27 octobre 2005, la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois (région parisienne),
après une course-poursuite avec la police, entraîne des violences urbaines qui gagnent de nombreuses banlieues
françaises. Les médias européens s’emparent de l’événement. Des
amalgames sont faits. Certains n’hésitant pas à parler d’échec de la politique
française d’intégration, voire de guerre civile. Après trois semaines de heurts,
l’état d’urgence décrété et plus de 10 000 véhicules incendiés, le calme revient.
Un peu moins de dix ans après, les touristes européens n’ont plus peur de la
banlieue française, bien au contraire.
Le brassage culturel du marché
de Saint-Denis séduit des Européens
qui veulent sortir du Paris carte postale.
« Les anglais sont effrayés par la diversité ethnique.
ils ne se sentent pas en sécurité. »peter caine, fondateur de l’agence
paris Walks
La famille de Blanka a découvert la basilique de Saint-Denis sur Internet.
parler et souhaitions aller à la rencontre des antiquaires et des artisans. »Pour répondre aux attentes de cette clientèle en quête d’authenticité, la ville de Saint-Ouen propose des balades organisées par des greeters – du verbe anglais greet (« accueillir »). Ces guides bénévoles font découvrir leur commune aux touristes. En 2013, ils ont organisé 41 balades et accueilli 111 visiteurs, dont 42 de l’Union européenne.
Casser l’image de la banlieue coupe-gorgeCe tourisme de proximité se structure peu à peu. Ainsi, en 2010, le départe-ment de la Seine-Saint-Denis a favo-risé le rapprochement des greeters du 93 avec ceux de l’association Parisien d’un jour. Clothilde Lassegue, chargée de communication et des relations presse au comité départemental de tourisme de Seine-Saint-Denis, explique le suc-cès des greeters du fait que la plupart des visiteurs européens attirés par la banlieue connaissent déjà la capitale. Contrairement aux Parisiens et aux Fran-çais, la barrière périphérique n’existe pas pour ces visiteurs. « Ils ont envie de sortir des sentiers battus », précise Clothilde Lassegue.
Dale Joseph Rowe s’installe à Montreuil en 2001. Depuis deux ans, cet artiste peintre écossais fait découvrir l’aspect culturel et artistique de sa commune à des groupes de touristes anglophones « séduits par l’idée de parcourir la ville avec le regard d’un habitant ». Dale débute toujours ses visites par le mar-ché de la Croix-de-Chavaux, « un lieu vivant, visuellement fort, représentatif du mélange des cultures qui caractérise la ville de Montreuil ».Ce tourisme alternatif, encore embryon-naire, est porté par des Français sou-cieux de casser l’image de la banlieue coupe-gorge. « À mon arrivée, je ne comprenais pas la différence entre être à Paris et être à Montreuil », confie l’ar-tiste peintre. Il en va de même pour les touristes internationaux et européens qu’il accompagne. « Ce sont les Français qui voient les limites, pas les étrangers. Ils n’ont aucune idée des préjugés que véhicule la banlieue. »
Eki forme avec Dounia un couple hispano-algérien. « En Espagne, les femmes voilées sont moins bien acceptées ».
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C haque année, Paris accueille plus de huit millions et demi de touristes, dont quatre millions et demi d’Européens*. Les Britanniques sont les plus représentés (1 037 412), suivis
par les Italiens (631 448), les Allemands (574 026) et les Espagnols (429 686). Viennent ensuite les Belges (294 607) et les Néerlandais (285 790).
Du cliché à la « réalité »Les ressortissants européens suivent un parcours classique. Le succès des icônes du patrimoine ne se dément pas : la cathédrale Notre-Dame est en tête du classement des sites touristiques les plus visités, au coude-à-coude avec le Sacré-Cœur et le Louvre. La tour Eiffel n’arrive qu’en quatrième position. Extra-muros, Disneyland Paris rafle la mise avec ses quinze millions de visiteurs par an. Certains Européens ne passent d’ailleurs même plus par la capitale. Si les Scandinaves ne font souvent qu’un passage, « attirés par les destinations plus ensoleillées », les autres Européens qui reviennent à Paris délaissent le circuit traditionnel. Hors Paris, les Espagnols apprécient particulièrement la visite des parcs d’attractions ; les Britanniques, eux, optent pour un tourisme orienté vers l’art de vivre et « le tourisme créatif » (la découverte du travail d’un artisan orfèvre par exemple). Quant aux Italiens, ils sont « les premiers à avoir des résidences secondaires parisiennes ».
panameLa plupart des touristes européens privilégient la visite de lieux emblématiques, mais certains aspirent à autre chose. Analyse de Thomas Deschamps, de l’office du tourisme de Paris.
Ces touristes veulent expérimenter l’idée qu’ils se font de la vie à Paris. Ils abandonnent les hôtels pour se tourner vers la location d’appartement. Ils s’essaient à la cuisine française, s’inscrivent à des ateliers pour découvrir la gastronomie et, pour les plus téméraires d’entre eux, font les courses au marché local ou se frottent au choix périlleux d’une bonne bouteille chez un caviste.
« La motivation principale, c’est la culture »Si la ville de Paris reste toujours prisée pour son caractère romantique, celui-ci est lié à « l’imaginaire de chacun ». Pour certains touristes, il s’incarne dans « un restaurant traditionnel avec des nappes à carreaux rouges et blancs » quand d’autres lui préfèrent « un hôtel grand luxe avec restaurant classé au guide Michelin ». Question de pouvoir d’achat mais aussi de références culturelles.Thomas Deschamps affirme cependant que « la motivation principale de la venue des Européens à Paris reste la culture ». Au début du xxe siècle, la capitale a abrité les plus grands artistes du Vieux Continent. Venir à Paris, c’est donc avant tout l’occasion de renouer avec un patrimoine culturel commun.
* Insee (nuits hôtelières des ressortissants européens, 2012).
Thomas Deschamps, responsable
de l’observatoire des statistiques
de l’office du tourisme de Paris.
Avril 2014.
Des touristes devant les Noces de Cana de Véronèse, au musée du Louvre. Avril 2014.
paris-
Texte : Philippe AlleaumePhotos : Dao Bacon
tourisme
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AILa cuisine française, c’est une histoire passionnelle. Savoureuse, répugnante, intrigante… L’excès n’est jamais loin. Bienvenue à la table des clichés.Photos : collectif
Le fromage fait tout digérer, sauf lui-même. James Joyce, irlande
C’est vrai que la France est coupée en deux. Il y a ceux qui préfèrent les tartines et ceux qui préfèrent les croissants.
romain Gary, né en lituanie
ces ogres de gaulois
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La jeunesse est une ivresse sans vin et la vieillesse un vin sans ivresse. proverbe allemand
Les footballeurs hésitent à commander des huîtres 3 zéro ou 4 zéro. philippe Geluck, Belgique
Ne mettez jamais en doute le courage des Français, ce sont eux qui ont découvert que les escargots étaient comestibles.
Doug larson, angleterre
Posez une grenouille sur une chaise en or, elle sautera à nouveau dans la mare.
proverbe néerlandais
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martin parr
La Maison européenne de la photographie présente les travaux de l’artiste britannique réalisés entre 2011 et 2013. Un regard ironique et non dénué de tendresse.
Texte : Awa SissokhoPhoto : Arthur Gauthier
Œ ufs durs au comptoir d’un café, gros plan sur une douzaine d’escar-gots froids : par l’exploi-
tation habile des stéréotypes, Martin Parr fixe des éléments désuets de l’archétype français dans des cadrages épurés. Et quand il se prête à l’exercice du portrait de Paris, le plus british des photographes le fait avec des couleurs criardes et un regard teinté d’humour anglais.
Parr est un habitué des scènes de la vie quotidienne, qu’il immortalise depuis quarante-cinq ans. Membre de l’agence Magnum, il a publié quatre-vingts livres
et présente à la Maison européenne de la photographie une soixantaine de clichés de Paris pris ces deux dernières années. Dans cette série, la frénésie pour les monuments le dispute à la
représentation grinçante du Salon de l’agriculture et de la Semaine de la mode.
Tours Eiffel en strass et plastiqueMartin Parr livre de la capitale une vision documentaire. Son esprit critique l’amène à consacrer une grande partie de son travail à l’événementiel, mais aussi au tourisme, qui sont selon lui des composantes essentielles de la ville.Kitsch des tours Eiffel en strass et plas-tique, engouement populaire pour Paris Plages ou pour le bal des pompiers du 14 Juillet, grand-messe des visites de musées, le photographe tourne en déri-sion l’absurdité du tourisme de masse et l’ennui des foules venues recevoir des stéréotypes comme d’autres l’hostie.Sa vision du tourisme condense les attentes et les préjugés que la plupart des visiteurs alimentent à l’égard de la France. Nourrir de madeleines des
Le photographe tourne en dérision l’absurdité du tourisme de masse
et l’ennui des foules
À l’exposition « Paris », les touristes passent, les clichés restent.
moineaux sur le parvis de Notre-Dame, aller déguster grenouilles et andouil-lettes dans un « restaurant typique »… En se conformant à l’image qu’ils ont des Parisiens, les touristes entretiennent leur propre part de rêve. À travers des situations grotesques ou absurdes, Paris redevient poétique.
Met paris en cLichés
« Paris », de Martin ParrDu 26 mars au 25 mai 2014Maison européenne de la photographie5/7, rue de Fourcy 75004 Paris Tél. : 01 44 78 75 00www.mep-fr.orgCatalogue Grand Paris, éd. Xavier Barral, 128 pages, 35 €
www.martinparr.com
photographie
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Le LuXe À prix casséParis est-elle encore la capitale du haut de gamme ? Tous les jours et surtout le dimanche, les touristes délaissent la Ville Lumière pour Serris (Seine-et-Marne) et La Vallée Village, devenue le temple du chic français low-cost.
5- La Vallée Village est accessible par RER A ou par la route, mais les tour-opérateurs et le « Chic Outlet shopping » proposent aussi des packages, en sus du transport, de services supplémentaires : minibus avec chauffeur, un repas dans un restaurant de La Vallée Village, des réductions, un porteur ou encore un billet combiné avec un musée parisien.
Texte : Isabelle Duranton et Françoise LambertPhotos : Françoise Lambert
1- À 38 kilomètres de Paris, La Vallée Village regroupe, dans un décor de village reconstitué, des boutiques de luxe pratiquant le déstockage des collections de l’année précédente. Ce concept, baptisé « Chic Outlet shopping », a été inventé en 1995 par l’américain Value Retail. Il se décline dans huit lieux en Europe ainsi qu’en Chine, à côté de Shanghai.
2- Cent vingt boutiques de luxe ou de prêt-à-porter haut de gamme, dont soixante-six enseignes françaises, se partagent les emplacements de part et d’autre d’une rue centrale à la propreté immaculée. Parmi les marques présentes qui assurent une réduction minimum de 30 % : les chaussures Heschung, Georges Rech, Longchamp, Givenchy, Baccarat, Carven, Lalique, Paul and Joe, Zadig et Voltaire.
3- Six millions et demi de visiteurs ont arpenté les rues de La Vallée Village en 2013, faisant d’elle la troisième destination touristique de l’Île-de-France,en dehors de Paris, après Disneyland et le château de Versailles.
4- Le centre commercial haut de gamme est fréquenté par une population aisée et très diverse. Cent quarante nationalités sont représentées, dont 23 % de ressortissants européens, principalement britanniques (17 %).
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auX accents FranÇaisArchitecte d’intérieur à Paris, Youriy Vodenitcharov nous raconte sa découverte de la culture française et son amour de la langue.
I l y avait un tel vacarme, c’était incroyable ! Nous étions le 14 juil-let ! » Parti de Sofia à 22 ans pour fuir le régime communiste, Youriy
Vodenitcharov a découvert la France au son des klaxons et des feux d’artifice. « Le premier jour, je me suis retrouvé place de la Bastille, le bruit était exté-nuant, j’avais mal à la tête. Le lendemain, il y avait une grève ! C’est comme ça que j’ai connu la France : beaucoup de vacarme, la fête et les grèves ! » Un véritable choc pour ce jeune homme venu de l’autre côté du rideau de fer et peu habitué au boucan des voitures.En 1986, il décide avec sa première épouse de quitter la Bulgarie, pour rejoindre la France après un périple en train à travers l’Europe. Le choix de Paris, ce réfugié politique le doit à sa femme franco-bulgare, à sa mère d’ori-gine russe, très francophile, et à son travail dans un hôtel sur la mer Noire auprès de touristes français : « Bizar-rement, personne ne voulait travailler avec eux. Ils avaient la réputation d’être des râleurs et de ne jamais laisser de
Texte : Rossana Di VincenzoPhoto : Dao Bacon
« il y a des expressions intraduisibles, l’humour
n’est pas le même, ça permet de voir d’autres
horizons. »
À son arrivée à Paris, les diplômes bulgares de Youriy
n’ont pas été reconnus. Aujourd’hui, il a une boutique
dans le 17e arrondissement.
pourboire », mais c’est surtout leur joie de vivre et leur convivialité qui le marquent à l’époque.
Cinq ans pour comprendre le Canard enchaînéYouriy ne parlait pas un mot de français à son arrivée, ce sont les associations et les cours du soir qui lui ont permis de s’intégrer et de trouver du travail. « Mes diplômes n’étaient pas reconnus, j’ai dû tout recommencer à zéro », repasser un BEP et un CAP de menuisier-ébéniste, puis des années plus tard, une formation d’architecte d’intérieur. Pour cet homme parlant déjà quatre langues, acquérir le français ne fut pas chose aisée. Grâce à la télévision, aux dictées de Bernard Pivot, aux soirées littéraires et aux journaux, il s’imprègne de cette nouvelle culture : « J’ai mis cinq ans avant de comprendre les articles du Canard enchaîné, les jeux de mots, l’hu-mour. Les mots étaient magnifiques, je cherchais leur sens dans le dictionnaire. Il y a des expressions intraduisibles,
les nuances, l’humour ne sont pas les mêmes, ça permet d’avoir une palette de cultures, de voir d’autres horizons. » Vingt-huit ans après, il a une belle maî-trise de la langue. « Je me sens français, sauf pour les erreurs de langage et l’ac-cent, mais je suis encore en décalage avec certains comportements. » Pas-ser à l’improviste chez des amis, dans la famille ou faire la fête de manière spontanée sont des habitudes dont il a dû se défaire. Malgré cela, Youriy se sent chez lui en France, et son image des Fran-çais a évolué au fil des années.« Vous comprenez mieux les choses quand vous vivez dans un pays. Les Français sont râleurs oui, mais ils sont perfectionnistes, ils sont râleurs mais ils savent faire la fête. Les défauts sont toujours là, mais ils deviennent petit à petit des excuses. »
«
Fine Bouche un Bulgare
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La danseusePatricia, espagnole, se produit avec le Crazy Horse depuis cinq ans. Elle attendait beaucoup de Paris mais a vite déchanté.
Texte : Philippe AlleaumePhotos : Clément Mahoudeau
pour patricia, la nudité n’est pas un problème,
sur scène, elle se sent « habillée
par les lumières »
De la scène du Crazy Horse
aux escaliers de Montmartre, Patricia affiche
la grâce de la danseuse.
N ahia Vigorosa ou « Femme vigoureusement désirée », c’est le nom de scène de Patricia, pétillante Espagnole de San Sebastián. Longs cheveux bouclés, robe bleue ajustée, chapeau de
paille, rien n’indique au premier coup d’œil que Patricia est danseuse au Crazy Horse, si ce n’est peut-être une certaine grâce dans ses mouvements.Ses débuts, elle les fait au parc d’attractions de PortAventura à Tarragone (Catalogne), puis se rend à un casting à Disneyland Paris. Elle décroche un contrat de six mois, apprend le français et l’anglais avec ses collègues. Pour elle, c’est « un rêve de petite fille » qui se réalise. Lors de la parade, elle incarne Pluto, Bourriquet, ou encore la princesse Jasmine.Elle découvre « le cabaret qui est une tradition française et que les Espagnols ne connaissent pas » en venant prendre des cours de danse dans la capitale. Le spectacle du Moulin Rouge la laisse sur sa faim mais elle « tombe amoureuse » du spectacle du Crazy Horse. Elle qui ne se voyait pas danser topless au départ change très vite de point de vue : « Les filles sont très féminines, très sensuelles, mais ce sont des danseuses. » Elle apprécie
dans les chorégraphies les emprunts à la danse classique et la mise en valeur de la beauté féminine mais également le fait que les filles sont aussi comédiennes.
Danser topless, un artAprès un an de casting, plus de 2 000 candidates auditionnées, elle est enfin sélectionnée. C’est « le destin » qui a guidé ses pas vers ce cabaret mythique, mais celle qui avait une image « magnifique de la Ville Lumière » est tombée des nues en y vivant : « Il pleut tout le temps, les gens sont désagréables, ça enlève un peu du rêve. » Elle déplore d’y retrouver une mentalité française assez fermée, où le contact est difficile et « où tout le monde râle ». En Espagne, « on est plus heureux, on parle à tout le monde sans qu’il y ait d’ambiguïté ».Malgré son désamour de Paris, elle mesure sa chance, car en Espagne, il existe beaucoup moins d’opportunités pour danser. La vision de la danse y est très traditionnelle bien que le regard des Ibères commence à changer depuis que le Crazy Horse a joué à Barcelone et à Madrid. Elle décrit la mentalité espagnole comme très macho : « Si une femme danse topless, c’est vulgaire, alors qu’en France, c’est perçu comme de l’art. » Cette différence de rapport au corps féminin, elle l’attribue au fait que les Français sont exposés très jeunes à la nudité des femmes à la télévision ou dans la publicité. Pour elle, la nudité n’est pas un problème, sur scène, elle se sent « habillée par les lumières ».Patricia, qui a joué le spectacle du Crazy Horse pendant trois ans à Las Vegas, aimerait retourner aux USA mais que ce soit à Paris ou ailleurs, l’important pour elle, c’est d’être une artiste, l’important c’est de danser.
tomBée Des nuescaBaret
droits de l'homme
P remière nation à avoir inscrit les « Droits de l’homme » dans sa constitution en 1789, la France mérite-t-elle pour autant d’être considérée comme leur patrie ? Ces
droits se sont constitués petit à petit dans l'Europe d'avant la Révolution française, notamment avec l'Habeas Corpus en Angleterre (1679), qui interdisait la détention arbitraire. La France n'en a donc pas la paternité. Pire, la France a violé les Droits de l'homme à plusieurs occasions au cours de son histoire - affaire Dreyfus (fin du xixe siècle) ou usage de la torture en Algérie (années 1960). Plus récemment, elle a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à de multiples reprises pour détention de mineurs dans un centre de rétention administrative (30 janvier 2012), expulsion d'habitants d’un camp de Roms sans proposition de relogement (17 octobre 2013), ou encore pour un cas de torture lors d'une garde à vue (28 juillet 1999).
Pour Dominique Guibert, vice-président de la Ligue des droits de l'homme (LDH), cette vision de la France sert de masque et de rempart universel : la France, en vertu de ce statut, serait immunisée a priori contre toute dérive. Certaines associations utilisent cette image pour souligner le caractère particulièrement scandaleux des atteintes aux droits en France. Mais la plupart préfèrent ne pas s’en servir. Pour le responsable associatif, « ce qui compte, c'est la loi, les conventions internationales, la Déclaration universelle… Le “pays des Droits de l'homme”, c’est de la phraséologie de journaliste ».
La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen s’affiche sur les murs de la station de métro Concorde, à Paris
L’image d’une France garante des libertés est altérée par de multiples condamnations et par un climat de xénophobie.Texte : Valérie Dubois et Vincent RichardPhoto : Clément Mahoudeau
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La France se Fait tapersur les Droits