Les Nouvelles d'Archimède 62

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l e s n o u v e l l e s d la revue culturelle de l’Université Lille 1 Archimède JAN FÉV MAR # 6 2 2013 Sénèque, La Brièveté de la vie « Ce n'est pas que nous disposions de peu de temps c'est plutôt que nous en perdons beaucoup » À propos du nucléaire La Méditerranée Rendez-vous d’Archimède Une fenêtre suffit 24°3'55''N - 5°3'23''E Expositions Dissonances Film documentaire

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Les Nouvelles d'Archimède Revue culturelle de l'Université Lille 1

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Page 1: Les Nouvelles d'Archimède 62

l e s n o u v e l l e s

dla revue culturelle de l’Université Lille 1

’ A r c h i m è d eJ A NF É VMAR

# 6 2

2013Sénèque, La Brièveté de la vie

« Ce n'est pas que nous disposions de peu de temps c'est plutôt que nous en perdons beaucoup »

À propos du nucléaire La Méditerranée

Rendez-vous d’Archimède

Une fenêtre suffit24°3'55''N - 5°3'23''E

Expositions

DissonancesFilm documentaire

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L ’opinion publique a, dans les dernières décennies, exercé une critique vigoureuse contre les universités. Elles ne remplissent plus, a-t-on dit, la place qui leur est assignée dans

la vie intellectuelle de la nation 1. En 1932, le mathématicien et physicien allemand, Hermann Weyl, dresse un constat sur l’université allemande qui pourrait s’appliquer à la France d’aujourd’hui. Lors de la conférence inaugurale 2012 des Universités Lille 3 et Lille 1, dont est issue cette citation, Jacques Bouveresse, professeur émérite au Collège de France, a développé le thème « L’université, la démocratie, la science et le débat public ». En revisitant l’histoire, de ses origines au XIIIème siècle, d’une université « corporation des maîtres et des étudiants », passant par l’ « Université de France » instituée par l’Empire et englobant l’ensemble des formations sur un modèle mili-taire, il a exploré la difficile question de l’autonomie vis-à-vis de la tutelle d’abord religieuse, puis politique, et la tension entre la prétention à l’universalité et la spéciali-sation des connaissances. L’université française ne peut faire référence, contrairement à ses homologues anglo-saxonnes, à une tradition établie gage de stabilité. Doit-elle pour autant subir la critique rapportée par Hermann Weyl ?

L’Université actuelle tend à pencher majoritairement du côté de la spécialisation des connaissances, féconde à court terme. Deux conférences organisées lors de cette ren-trée ont montré qu’elle peut aussi offrir une réflexion plus large qui s’inscrit dans la nécessaire recherche d’universalité. Cédric Villani 2 nous a rappelé, en s’appuyant sur les réflexions d'Henri Poincaré 3, le lien qui existe entre recherche et créativité. Il a revisité une démarche où une découverte peut survenir fortuitement après un long travail stérile, où le résultat s’élabore dans l’échange et la controverse et où l’erreur même doit être acceptée et reconnue pour être féconde, c’est-à-dire dépasser le cadre théorique admis jusqu’alors. Alain Aspect 4, quant à lui, dans la présentation de ses tra-vaux sur la nature corpusculaire ou ondulatoire de la lumière, a montré la nécessité du lien entre théorie - expérimentation et comment l’approche expérimentale implique curiosité et ingéniosité.

Les « Nouvelles d’Archimède » se dotent de deux nouvelles rubriques « Vie de l’université » et « Sciences en société » pour mieux rendre compte de cette richesse d’événements et de débats.

Au niveau national, les travaux des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche 5, qui se sont déroulées récemment, ont souvent révélé une vision « instru-mentaliste de la science » 6, de l’université et de la recherche qui s’intéresse de façon quasi exclusive aux retombées économiques et sociales à court terme. Heureusement, le thème « pour une société de la connaissance », qui remplace avantageusement « l'éco-nomie de la connaissance », a été développé par le rapporteur final. Il a souligné le rôle des universités dans la construction de la culture, de la citoyenneté et de la démocratie. Quand les contours d’une nouvelle loi sur les universités sont en train de se dessiner, le rappel de cette mission essentielle qui s’appuie, comme la démarche de l’artiste, sur la recherche de la connaissance pour elle-même et contribue à la compréhension du monde est un signe encourageant quand, par ailleurs, le soutien à la politique culturelle est en retrait.

Une rentrée universitaire très riche…

L’équipe

Jacques LESCUYER directeur Delphine POIRETTE responsable de la communicationEdith DELBARGEchargée des éditions et communicationJulien LAPASSET graphiste - webmestreAudrey BOSqUETTEassistante aux éditionsMourad SEBBATchargé des initiatives culturellesMartine DELATTREassistante initiatives culturellesDominique HACHE responsable administratifAngebi ALUwANGA assistant administratifFathéa CHERGUIsecrétaire de directionSophie BRAUNchargée du Patrimoine scientifiqueBrigitte FLAMANDchargée d'accueilJacques SIGNABOUrégisseur techniqueJoëlle MAVETresponsable café culture

Jean-Philippe CASSARVice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture et du Patrimoine Scientifique

1 Hermann Weyl, Zu David Hilberts siebzigstem Geburtstag, Die Naturwissenschaften, 20, 57-58 (1932), p. 347.

2 Conférence « La meilleure et la pire des erreurs de Poincaré » organisée par le Laboratoire Paul Painlevé (UMR CNRS / Université Lille 1) en partenariat avec la Société Mathématique de France.

3 Henri Poincaré, Science et méthode, 1908.

4 Conférence « From Einstein to Wheeler : wave particle duality for a single photon » donnée dans le cadre de la conférence inaugurale du LABEX CEMPI associant mathématique et physique fondamentale.

5 http://www.assises-esr.fr/les-assises

6 Jacques Bouveresse, Bertrand Russell, La science, la démocratie et la « poursuite de la vérité », Revue Agone, n° 44, 2010, p. 73-106.

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LNA#62 / édito

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LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE

Directeur de la publication : Philippe ROLLETDirecteur de la rédaction : Jean-Philippe CASSAR

Comité de rédaction : Bertrand BOCQUET

Alain CAMBIERJean-Paul DELAHAYERémi FRANCKOWIAK

Jacques LESCUYERBernard MAITTERichard SOBEL

Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTEEdith DELBARGEJulien LAPASSET

Impression : Imprimerie DelezenneISSN : 1254 - 9185

Retrouvez le détail de nos manifestations dans notre programme trimestriel et sur notre site Internet : culture.univ-lille1.fr

En couverture :

Exposition 24°3'55''N - 5°3'23''E © Ammar Bouras

À propos du nucléaire

4 Fukushima, notre Tchernobyl par Christophe Sabouret5-6 Nucléaire et bonne santé par Xavier Marchandise7-8 À quand la transition énergétique ? par Bernard Laponche9-10 Fukushima : au-delà du pacte de l’ignorance par Thierry Ribault

La Méditerranée

11-12 La Méditerranée et l’Atlantique : de l’invasion de l’Europe du Nord aux débuts de la présence des États-Unis en Méditerranée (1776-1815) par Silvia Marzagalli13-14 Penser le monde : les échanges de savoirs philosophiques entre les deux rives de la Méditerranée au Moyen Age par Mohamed Deaif

Rubriques

15 Vie de l’université : Cédric Villani, Henri Poincaré et la pensée mathématique par Caterina Calgaro16-17 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye18-19 Mémoires de sciences : Nim, le jeu d’allumettes qui met le feu aux poudres ! par Lisa Rougetet20-21 Repenser la politique : Repenser la notion de civilisation : un enjeu scientifique et politique par Charles Capet22-23 Chroniques d’économie politique : Crise et fin du travail par Richard Sobel24-25 Sciences en société : Les boutiques de sciences comme outils pour les sciences en société par Bertrand Bocquet

Au programme

26-27 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « À propos du nucléaire » et « La Méditerranée » 28 Rencontres culturelles de sens : Vers une culture de sens au service des Droits fondamentaux29 Exposition : Une fenêtre suffit… Installations vidéos de Shirin Neshat et Raedah Sa'adeh30-31 Soirée « À propos du nucléaire » : Exposition : 24°3'55''N - 5°3'23''E - installation vidéo d’Ammar Bouras Projection : Dissonances d’Alain Saulière et Thierry Ribault

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sommaire / LNA#62

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Les gens qui ne vécurent pas dans la commune ukrainienne de Narodytchi après 1986, soit 25 ans avant l’accident

mortel et de gravité « 7 » de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima, étaient-ils en bonne santé ? Depuis quelques années, des gens sont revenus s’installer à Narodytchi, située à moins de 40 km de la centrale ukrainienne de Tchernobyl responsable du premier accident nucléaire de gravité « 7 » jamais enregistré. Narodytchi est située dans un périmètre où il est en principe interdit de revenir et ce périmètre, au Japon, a été fixé à 20 km de la centrale de Fukushima-I. Un million de morts dans le monde sont imputés à la catas-trophe de Tchernobyl, 20 000 morts au Japon sont dus au raz-de-marée qui a suivi le tremblement de terre et qui a précédé la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011, et cet accident gravissime a consisté en la fusion de trois cœurs de réacteurs nucléaires. En Ukraine, en 1986, ce furent 80 000 « liquidateurs » et, depuis, 5 000 personnes en permanence employées à « sécuriser » le site et résidant à Slavoutych et, aujourd’hui, la construction d’un deuxième « sarcophage ». Au Japon, c’est l’absence de tunnel visant à empêcher, sous la centrale, que les cœurs fondus ne contaminent les nappes phréatiques, trois coriums dont on est sans nouvelles et la menace de pire. Tandis que l’état de santé des habitants du département éponyme de la centrale japonaise accidentée avant mars 2011 est jugé bon, les habitants de Narodytchi souffrent aujourd’hui de maladies graves.

On estime qu’à la suite de la catastrophe de Fukushima-I 20 % des isotopes rejetés dans l’atmosphère au Japon, entre le 11 mars 2011 et la mi-juillet de la même année, ont été déposés sur le territoire japonais, tandis que les 80 % res-tants sont partis dans l’océan, une note du mois d’octobre 2011 de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) français précisant qu’ « une pollution significative de l’eau de mer sur le littoral proche de la centrale accidentée pourrait persister dans le temps ». La quantité de césium 137 – le césium 137 est un isotope radioactif pendant 30 ans et sa contamination disparaît au bout de 200 à 300 ans – rejetée à Fukushima correspond à quelque 40 % des rejets de Tchernobyl. Dans la même note précitée, l’IRSN ajou-tait que : « Les organismes benthiques [ceux vivant près des fonds marins] ainsi que les poissons au sommet de la chaîne alimentaires » étaient, dans la durée, les plus sensibles à la pollution au césium. L’accident nucléaire de Fukushima, toutefois, n’est pas terminé. Il faudra plusieurs années pour approcher les réacteurs accidentés, et plusieurs autres décennies pour « démanteler » le site, lequel comprend une

piscine de refroidissement de combustibles nucléaires chan-celante dans un des pays les plus sismiques au monde. À Fukushima, en outre, à la différence de Tchernobyl, ce n’est pas un réacteur qui a été accidenté mais trois – dont on ne connaît pas, qui plus est, l’état.

Deux millions de personnes, qui se trouvaient dans le dé-partement de Fukushima au moment de la catastrophe, seront interrogées pour évaluer leur état de santé et les doses qu’elles ont reçues. Les 210 000 personnes évacuées seront soumises à des bilans médicaux spécifiques, biologiques et psychologiques et les enfants des quelque 20 000 femmes qui étaient enceintes alors feront l’objet d’un suivi particulier afin de détecter des anomalies génétiques et congénitales. Enfin, les 360 000 enfants vivant dans le département passeront des échographies de la thyroïde, tous les deux ans, jusqu’à leurs 20 ans, puis tous les cinq ans. Toutefois, contre l’évidence de la pollution marine et de celle, non moins importante et non moins stoppée que la première, du sol et du sous-sol de Fukushima-I, puis des terres environnantes, certaines éloignées de plusieurs centaines de kilomètres, l’exploitant de Fukushima-I aussi bien que l’État, les médias officiels et le monde académique japonais continuent de nier. En outre, et sans parler des milliers de morts attestés parmi les ouvriers du nucléaire au Japon par le passé, est plus général et plus international encore le déni des effets négatifs sur la santé des doses dites « faibles » – soit au-dessous de 100 mSv –, tout comme après Tchernobyl, non loin d’où, là où des taux de radioactivité comparables à ceux de Narodytchi s’observent, en Biélorussie, on vient de démarrer la construction d’une centrale nucléaire. Telle est peut-être la première leçon de Fukushima.

Fukushima, notre Tchernobyl

Historien, spécialiste du Japon, ingénieur d’étude au CNRS

Par Christophe SABOURET

En conférence le 5 février

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cycle à propos du nucléaire / LNA#62 LNA#62 / cycle à propos du nucléaire

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Le médecin nucléaire administre aux patients qui lui sont adressés des isotopes radioactifs artificiels pour aider au

diagnostic ou appliquer un traitement. Historiquement, la médecine nucléaire s’est imposée avec l’iode 131 pour carac-tériser et traiter hyperthyroïdies et cancers thyroïdiens.

Évolution scintigraphique de la fixation de l’iode au cours de traitements successifs par iode 131 d’un cancer de la thyroïde métastasé aux poumons.

Cette utilisation thérapeutique du rayonnement b- de l’131I est une radiothérapie interne vectorisée (par l’iode vers la thyroïde). Le rayonnement b- peu pénétrant de l’iode 131 délivre aux cellules une exposition suffisante pour les tuer. Il agit ici par effet déterministe des rayonnements ionisants : nul sous un seuil donné, fatal au-dessus. L’indication persiste, elle n’est pas automatique. Aujourd’hui, d’autres molécules ciblant un tissu ou une lésion spécifique sont marquées par un radionucléide émetteur b-, ainsi la mIBG-131I pour des tumeurs surrénales, les 89Sr ou 153Sm-phosphates pour cer-taines métastases osseuses, l’90Y-anticorps monoclonaux pour certains lymphomes, les 90Y-microsphères injectées au cours d’une artériographie sélective dans le flux exclusif d’une tumeur hépatique inopérable, etc. Les émetteurs a (211At, 212Bi, 223Ra, 226Th) constituent un développement encore plus prometteur vu la portée strictement intra-cellulaire du rayonnement.

La fonction diagnostique est bien plus répandue. En scinti-graphie, les radionucléides sont détectés à travers les tissus avec sensibilité et précision pour obtenir une image de leur répartition ; on utilise donc classiquement des émetteurs g

et en particulier, pour des raisons pratiques, le 99mTc, élément-fils du 99Mo produit dans des réacteurs particuliers, peu nombreux et anciens. De nombreuses molécules vectrices peuvent être ainsi marquées, pour observer les pathologies d’organes spécifiques du traceur.Parmi les détecteurs, la g-caméra de Anger (cristaux scin-tillants de NaI et photomultiplicateurs) reste le plus courant, souvent tomoscintigraphique et associée à un scanner X pour correction d’atténuation et repérage anatomique des f ixations anormales du radiotraceur. Dans certaines applications, les performances de nouveaux détecteurs à semi-conducteurs (type Cd-Zn-Te) ont changé la donne en améliorant nettement la résolution spatiale des examens : tomoscintigraphie myocardique au 201Tl, détection per-opératoire du ganglion sentinelle dans le cancer du sein.Enfin, la TEP, Tomographie à Émission de Positons (couplée au scanner) a apporté des résultats spectaculaires par la détection en coïncidence de positons. Ce développement s’est accompagné de celui d’émetteurs b+ (18F, 38Rb, 124I) et de divers vecteurs adaptés dont le plus utilisé est le FDG (fluoro-désoxy-glucose), traceur des lésions hypermétabo-liques.Les applications de la médecine nucléaire sont toujours courantes en endocrinologie, pathologies ostéo-articulaires et cardiologie, rapidement évolutives en cancérologie, très attendues en neuropsychiatrie (Parkinson et démences dont l’Alzheimer), présentes partout y compris en pédiatrie.

La médecine nucléaire diagnostique utilise d’infinitésimales quantités de radiotraceur qui suivent leur destinée sans l’influencer ni engendrer de réaction immuno-allergique (y compris à l’iode). Aucun effet déterministe n’est observé aux activités diagnostiques utilisées. La question est celle d’effets probabilistes dits sans seuil, et en particulier de cancers induits. Lors du débat sur l’industrie nucléaire, les affrontements ont mis en avant bien des simplismes, parfois sous le couvert honorable du principe de précaution. C’est oublier quelques données.La première tient à la permanence de la radioactivité natu-relle. En nous-mêmes, 8 000 atomes radioactifs craquent chaque seconde. Nos légumes reçoivent, tout comme le tabac que nous fumons, des engrais qui leur apportent du polonium 210. Nous nous baignons dans l’eau de mer à 15 becquerels par litre. À Clermont-Ferrand, l’exposition est trois fois supérieure à celle de Paris. En Corse du

Nucléaire et bonne santé

Professeur émérite à la Faculté de Médecine de l’Université Lille 2Expert du Groupe Permanent Médical de l’Autorité de Sûreté Nucléaire

Médecin nucléaire à l’Hôpital Privé de Villeneuve d’Ascq

Par Xavier MARCHANDISE

En conférence le 5 mars

cycle à propos du nucléaire / LNA#62

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Sud, le 222Rn (gaz émetteur a, comme l’uranium, le polo-nium et le radium dont il est issu) s’y respire plus goulûment qu’ailleurs. Mais comment expliquer la « bonne santé » des populations côtières du Kerala, dont les rivages de l’Océan Indien sont extrêmement riches en thorium, mais qui ne développent ni plus de cancers ni plus d’anomalies géné-tiques que des populations comparables ?Parce que l’homme s’est adapté au cours de l’évolution. Depuis le Big Bang, la radioactivité naturelle qui en est issue a largement décru, il nous reste bien les trois grandes familles d’uranium et de thorium incluant polonium, radium et radon. Mais il y a quelques millions et milliers d’années, c’était autre chose et ceux de nos ancêtres qui ont pu survivre à l’exposition radioactive ambiante ont été sélectionnés par la mise en place de mécanismes bien plus subtils qu’un trait de règle.

Oui, mais dira-t-on, le naturel est naturel, alors que ce qu’on maîtrise mal, c’est la radioactivité artificielle. Les phénomènes sont qualitativement identiques ; ce qui les différencie, c’est l’échelle de grandeur : concentrations et surtout débits, parfois très supérieurs avec la radioactivité artificielle, favorisant les cassures double-brin de l’ADN plus difficilement réparables. Mais les mécanismes de défense patiemment élaborés dans les grands maelstroms nucléaires préhistoriques valent pour tous les cas. Et la bactérie Deino-coccus radiodurans, plus habile que notre organisme dans la gestion des dangers menaçant ses deux chromosomes, sur-vivrait sans doute à l’holocauste nucléaire.Autre idée traditionnelle : tous les risques s’additionnent, jamais d’oubli ou de pardon. Or, beaucoup d’arguments récents invitent à plus de prudence et moins d’intransi-geance. Pour s’opposer aux agressions ionisantes, la cellule a organisé sa défense en plusieurs lignes :

- correction machinale de 2 à 3 lésions mono-brin d’ADN par seconde et d’une double brin par minute,- en cas d’agression soutenue, augmentation réflexe de la

production d’anti-oxydants intercepteurs,- si nécessaire, la P53 cellulaire, « gardienne du génome »,

intervient pour décider du sabordage de la cellule,- si le taux de suicide devient excessif, et malgré des lé-

sions double-brin, la cellule s’engage prudemment dans leur correction,- au-delà d’une espérance satisfaisante de correction ad inte-

grum, la cellule se maintient au combat mais renonce à sa descendance, et sa mort, si elle est générale, conduit aux ef-fets déterministes, forme ultime de préservation de la lignée.

Clairement, la cellule minimise ainsi le risque d’une descen-dance génétiquement altérée et à la viabilité incertaine (les défenses immunitaires intervenant encore par les lympho-cytes T).

Qu’après une surexposition, même minime, les moyens raffinés de biologie moléculaire puissent détecter la trace de ces combats de tranchée ne signifie pas que l’anomalie observée soit fatale. On espère par ailleurs que les signaux moléculaires ainsi activés seront bientôt assez spécifiques pour signer a posteriori l’origine radio-induite d’un clone de cellules anormales, résolvant ainsi nombre de problèmes de responsabilité. De même, la biologie moléculaire per-mettrait de mieux cerner les hyper-radiosensibilités indivi-duelles mises en évidence in vitro, en relation possible avec les familles à risque élevé de cancer.Dans tous les cas, on ne peut continuer à extrapoler à epsilon les conséquences d’une exposition comme le fait la relation linéaire sans seuil, et affirmer ainsi qu’un cancer est statisti-quement créé pour 4 000 patients ayant bénéficié d’un examen de médecine nucléaire. Et nombre de contraintes sous lesquelles travaillent déjà les services de médecine nucléaire sont risibles, ainsi celle de devoir rejeter moins de 10 Bq par litre aux égouts, valeur impossible à détecter et inférieure à celle de l’eau de mer naturelle.Bien entendu, le médecin nucléaire ne surexpose pas inutile-ment ses patients, et sa pratique doit être contrôlée par une Autorité indiscutée. Mais il ne faudrait pas, pour limiter des risques hypothétiques, réduire l’accès à la médecine nucléaire alors que les patients sont face aux risques connus, démontrés, tangibles de leur maladie.

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cycle à propos du nucléaire / LNA#62 LNA#62 / cycle à propos du nucléaire

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Les produits énergétiques que nous consommons sont issus de sources d’énergie existant dans la nature, ou

énergies primaires, qui appartiennent à deux grandes familles : les sources d’énergie de stock, extraites de la croûte terrestre, et les sources d’énergies de flux, les éner-gies renouvelables. En 2008, la consommation mondiale d’énergies primaires était de 12,2 milliards de TEP (tonne équivalent pétrole), se partageant en 87 % d’énergies de stock (dont 33 % pétrole, 27 % charbon, 21 % gaz naturel, 6 % uranium) et 13 % d’énergies de flux (10 % biomasse, 3 % hydraulique, éolien, solaire, géothermie).

Cette consommation est soumise à de multiples contraintes. Limite des réserves des énergies de stock : sur la base de la consommation annuelle actuelle, les réserves sont de deux à trois siècles pour le charbon, de quelques dizaines d’années pour le pétrole, de l’ordre du demi-siècle ou un peu plus pour le gaz naturel, de quelques dizaines d’années pour l’uranium. Contrainte géopolitique : les plus grandes réserves de pétrole se situent au Moyen-Orient, zone fragile, objet des convoitises et des rivalités des grandes puissances pouvant aller jusqu’au conflit. Atteintes à l’environnement,

la santé et la vie humaines : pollution de l’air et de l’eau, accidents graves (marées noires, catastrophes nucléaires, explosions dans les mines de charbon), émissions de gaz à effet de serre (CO2, méthane), déchets radioactifs. Sans parler des connivences et compromissions avec des régimes douteux, voire exécrables, afin de se procurer les matières premières énergétiques, moteurs mais aussi drogues d’une civilisation énergivore et gaspilleuse.

La vision d’une consommation mondiale d’énergie masque la réalité des inégalités entre les pays et entre les riches et les pauvres. Pour 2008, la consommation d’énergie primaire rapportée au nombre d’habitants était de 7,5 TEP pour les États-Unis, 3,6 TEP pour l’Union européenne, 1,6 TEP pour la Chine et 0,5 TEP pour l’Inde et l’Afrique subsaharienne.

Il est parfaitement légitime et souhaitable, pour l’ensemble de l’humanité, que les pays émergents et les pays pauvres connaissent un développement correspondant aux besoins de leur population. La Chine en tête, ce développement se fait actuellement en reproduisant, sous des contraintes fortes, le type de civilisation et de système énergétique des pays les plus riches. Ceux-ci (Australie, Canada, États-Unis,

À quand la transition énergétique ? *

Polytechnicien, docteur ès sciences en physique des réacteurs nucléaires, expert en politiques de l’énergie et de maîtrise de

l’énergie, membre de l’association Global Chance

Par Bernard LAPONCHE

En conférence le 19 mars

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cycle à propos du nucléaire / LNA#62

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Europe des Quinze, Japon, Nouvelle-Zélande) représentent 13 % de la population mondiale et 40 % de la consom-mation mondiale d’énergie primaire, et leur consommation annuelle moyenne par habitant est de 5,3 TEP.

Au nom de quoi le reste de la planète n’aspirerait-il pas à atteindre progressivement ce même niveau de consom-mation ? Alors, en supposant même que les pays riches stabilisent la leur, on arriverait, quelque part dans le XXIème siècle, à une population d’environ 9 milliards, chacun consommant 5,3 TEP, soit une consommation mondiale de 48 milliards de TEP. Au vu des 12 milliards d’aujourd’hui et des contraintes que nous connaissons déjà, c’est impossible : il nous faudrait quatre planètes Terre !

Depuis le début de la révolution industrielle, les systèmes énergétiques ont été conçus et développés suivant le prin-cipe d’une production d’énergie toujours croissante, soutien indispensable à la croissance économique. Le nouveau paradigme énergétique est fondé sur le fait que l’on peut, en agissant sur les facteurs de la consommation, obtenir la satisfaction des services énergétiques (confort, déplace-ment, production) avec des consommations d’énergie très inférieures. Les actions sur la demande deviennent alors au moins aussi importantes que les actions sur l’offre : construc-tion bioclimatique, rénovation énergétique des bâtiments existants, développement des modes de déplacement doux, des transports collectifs et du train, appareils électroména-gers et audiovisuels plus efficaces, moteurs électriques plus performants, etc. L’expérience acquise dans les pays européens occidentaux, les travaux pionniers des économistes de Grenoble 1, le scénario Noé 2, le scénario négaWatt 3 et son triptyque (sobriété énergétique, efficacité énergétique, éner-gies renouvelables) et de nombreux scénarios européens et mondiaux [Amory Lovins 4, José Goldemberg 5], montrent qu’il est parfaitement possible de réduire considérablement la consommation d’énergie dans les pays industrialisés et de remplacer progressivement les énergies de stock par des

1 B. Château et B. Lapillonne, www.enerdata.net

2 B. Dessus, Énergie, un défi planétaire, éd. Belin et www.global-chance.org

3 T. Salomon et www.negawatt.org

4 A. Lovins, Stratégies énergétiques planétaires : les faits, les débats, les options, éd. Bourgois et Rocky Mountain Institute, www.rmi.org

5 J. Goldemberg, Énergie pour un monde vivable, ministère de la Coopération, 1990 et World Energy Assessment (www.undp.org/energy/activities/wea).

énergies de flux qui devraient couvrir les besoins à l’horizon d’un demi-siècle.

Les pays riches peuvent et doivent réduire rapidement leur consommation d’énergie par la sobriété et l’efficacité éner-gétiques, et l’assurer de façon croissante avec des énergies de flux renouvelables. Les pays émergents et les pays en développement pourront alors augmenter la leur sur la base de ce modèle plus sobre, plus efficace, dont le volet de l’offre sera également fondé sur une utilisation croissante des énergies de flux.

Le nouveau paradigme de la transition énergétique ne porte pas seulement sur des aspects techniques et écono-miques, voire de comportement, mais plus profondément sur la conception même des systèmes énergétiques. Le système centralisé et pyramidal laisse la place à une économie énergétique où le local, à l’échelle des territoires, devient prépondérant puisque c’est absolument partout (pays riches et pays pauvres, villes et milieu rural) que l’on peut déve-lopper économies d’énergie et énergies renouvelables. Et c’est d’ailleurs dans cette application locale des deux démarches, imbriquées et complémentaires, que va se réaliser la véritable transition énergétique qui sera également sociale et politique. D’un système pyramidal du producteur au consommateur (qui n’a qu’à payer sa facture), on pas-sera à un système bâti sur le citoyen responsable, acteur majeur de la transition énergétique, substituant un réseau horizontal et interactif au réseau de haut en bas du para-digme traditionnel.

* Article paru dans Libération le 8 avril 2011.

http://www.liberation.fr/monde/01012330436-a-quand-la-transition-energetiqueToute reproduction de cet article est soumise à l’autorisation de Libération.

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cycle à propos du nucléaire / LNA#62 LNA#62 / cycle à propos du nucléaire

Page 9: Les Nouvelles d'Archimède 62

Entretien à l ’occasion du prix reçu pour son f ilm Dissonances (réalisé par Alain Saulière et Thierry Ribault, Ateliers du passeur et CNRS Images, 2010) au Festival du film de chercheur de Nancy en juin 2012. Le film sera projeté à l’Espace Culture le 6 mars.

En quoi le 11 mars 2011 révèle-t-il des mutations de la société japonaise bien antérieures à la catastrophe (confiance dans l’État ébranlée ; constitutions de groupes de résistance, de dissonance ; crise de l’État-providence à la japonaise, etc.) ?

La catastrophe du 11 mars 2011 a dévoilé un changement profond dans la société japonaise qui était en gestation. Loin de tout citoyennisme, il existe au Japon, comme en d’autres parties du monde, des gens qui ne cherchent plus à transformer l’État, ni à en assumer ou exécuter les fonc-tions de manière décentralisée et diffuse, mais construisent, hors de tout service commandé, à l’écart, depuis un certain temps déjà, des poches de résistance et de dissonance, afin de « décoloniser le monde vécu et se réapproprier leur vie quotidienne », comme le dit Takuro Higuchi, un des per-sonnages du film Dissonances, tourné en 2009 et 2010. Depuis le désastre de Fukushima, l’existence de ces hommes et femmes a été bouleversée. En mars 2012, nous avons publié, Nadine Ribault et moi-même, un livre intitulé Les Sanctuaires de l’abîme - Chronique du désastre de Fukushima 1, dans lequel est relaté notamment l’engagement d’une de ces voix « dissonantes » dans la protection des populations contre les radiations. Cette voix est celle de Wataru Iwata, compositeur de la musique du film Dissonances, qui, en juillet 2011, a ouvert la première station du réseau autonome de mesure de la radioactivité à Fukushima.

Le 11 mars 2011, quand est survenu l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi, dépassant en gravité celui de Tcher-nobyl et de Three Mile Island – les divers protagonistes de Dissonances sont devenus, avec d’autres, des acteurs majeurs de l’intense période de panique qui a suivi. Ils ont fait ce que l’État se montrait incapable de faire : organiser l’aide pour les populations frappées par le désastre, tenter de convaincre les gens de quitter les zones dangereuses, mettre en place les départs et aider à refaire sa vie ailleurs et, pour la grande majorité qui n’a pas pu, ou pas voulu quitter les

1 Éd. de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2012. http://www.bldd.fr/Store/ProductDetail.asp?Editeur=NUI&action=search&ShowNew=False&pagenumber=2&CodeEAN13=9782910386405

terres contaminées, mettre en place un contrôle autonome de la radiation afin d’informer chacun et de décider des protocoles de suivi et de soins à venir, définir les termes d’une « nouvelle vie ». Certains d’entre eux ont aussi été, dès avril 2011, à l’origine des plus importantes manifesta-tions anti-nucléaires que le pays a connu depuis plusieurs décennies.

Ces Japonais-là ne font plus confiance à l’État, avec ses mal-versations chroniques, ses collusions avec les nucléaristes, ses tricheries et incompétences notoires, un État tout juste bon à jouer les officines chargées de légitimer et d’organiser le renflouement des faillites qui se succèdent, dont celle de TEPCO, à coup de bons du Trésor et de hausse de la taxe sur la consommation. Un État dont les compromissions mafieuses ont été mises au grand jour, une fois encore.

La défiance japonaise vis-à-vis de l’État ne relève pas d’une simple bouffée d’anarchisme bon teint. Elle renvoie à l’ex-pression de l’instinct de survie face à un État dont le jeune Hegel disait, en 1796, « tout État traite nécessairement des hommes libres comme des rouages, et cela il ne le doit pas ; il faut donc qu’il disparaisse ».

La crise face au nucléaire amène à repenser la situation des travailleurs de cette filière mais aussi celle, plus générale, des autres secteurs. Comment ?

Concrètement, la dite « crise » n’amène en rien à repenser la situation des travailleurs du nucléaire. Après avoir embauché à tout va des intérimaires issus des bas-fonds de la société japonaise, par l’entremise de la mafia et de la sous-traitance en cascade allant jusqu’à 7 ou 8 niveaux, TEPCO oriente actuellement ses embauches vers une main d’œuvre plus jeune, en bonne santé, soigneusement sélectionnée sur des critères de bonne hygiène (bonne diète, non-fumeurs, absence d’alcool), l’objectif étant de faire tourner le plus vite possible cette main-d’œuvre résistante. Une telle quête de l’athlète du nucléaire est confirmée par des épidémiologistes ayant travaillé sur la santé des travailleurs du secteur en France : plus on diminue les autres risques de cancer en présélection-nant une main-d’œuvre robuste, moins les conséquences sanitaires de la radioactivité sont visibles. Par ailleurs, les fuites du réacteur n°1 de Fukushima Daiichi, mesurées au 27 juin, indiquaient des débits de dose de l’ordre de 10 300 millisieverts par heure à la sortie du bâtiment 1. Avec un tel débit, plus aucun travailleur ne

Fukushima : au-delà du pacte de l’ignorance

Chercheur au CNRS, à la Maison franco-japonaise, UMIFRE 19 CNRS-MAEE et au Clersé - Université Lille 1

Par Thierry RIBAULT

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peut approcher sans mourir de manière quasi immédiate et seules les technologies robotiques permettent d’accéder au site. « Au bout de 6 minutes apparaissent des vomissements et un transport d’urgence s’impose », indique un laconique communiqué de presse daté du 28 juin qui ne mentionne pas le nombre de travailleurs concernés.

Votre film va à la rencontre d’étudiants, de travailleurs précaires, d’artistes et de sans-abri. En quoi ces voix dis-sonantes définissent-elles de nouvelles harmonies, de nou-velles façons d’être et d’être ensemble ?

Pour les associationistes et autres convivialistes, il n’y a pas de bonheur sans commun. Pour moi, il n’y a pas de commun sans la voix de l’individu : c’est la leçon de la démocratie radicale selon R.W. Emerson. L’expérience du film Dissonances m’a beaucoup appris sur ce qu’est la démocratie et sur ce qu’elle n’est pas. Le film témoigne de la prise de confiance en elles-mêmes qu’acquièrent les personnes – y compris les chercheurs – lorsqu’elles se mettent en conversation. La dissonance ne relève pas tant de la dissolution de l’harmonie ou de la manifestation de la volonté de la détruire que du conflit sur le contenu même de l’harmonie. C’est en ce sens que la dissonance fonde l’harmonie, tout comme le dissensus fonde la démocratie.

Les protagonistes de Dissonances heurtent la conscience pour transporter la perception de la réalité d’une dimension à une autre. Il s’agit pour eux de passer d’une conversation automatique à une conversation effective, actuelle. Les disso-nances se situent dans un intervalle où, plutôt que de la préfigurer, elles appellent l’harmonie dans laquelle elles vont se résoudre. C’est pourquoi elles méritent notre intérêt : les dissonances fondent en effet l’à-venir. Elles participent du foisonnement fondateur des nouvelles harmonies, et c’est dans ce moment que rien ou presque n’est harmonique au sens courant. C’est dans ce foisonnement chaotique que la démocratie se fonde et existe. Parce que nous existons.

Quel est, selon vous, le rôle des sciences humaines et sociales face aux nouvelles exigences de transparence, de sécurité, de développement durable et de débat démocratique, particuliè-rement aiguës dans le processus de production de l’énergie nucléaire ?

Les sciences humaines et sociales doivent mettre au grand jour la stratégie de confusion, de mise en secret et en doute

qu’un certain nombre d’acteurs – politiques, bureaucrates et scientifiques eux-mêmes – déploient actuellement. Il faut rendre compte des mécanismes de production de l’ignorance desquels participent ces acteurs et leurs discours. À Fukushima, nous sommes face à un processus de décrédibilisation et de délégitimisation de la science appelant les populations à prendre part à la « culture pratique radiologique » et à faire de chacun l’acteur de sa propre protection. Le pacte de l’ignorance enjoint à chacun de devenir « partie prenante » de sa propre destruction, le tout dans un élan démagogique – on parle de « responsabilisation » –, d’où sont évincées les vérités scientifiques établies devenues relatives, incertaines et discutables. Ce populisme nucléaire et le radionégation-nisme qui le sous-tend – c’est-à-dire la négation des effets des radiations sur les formes de vie –, fondent l’irrédentisme National-Nucléariste qui sévit actuellement.

En générant du doute là où il n’y en a pas – par exemple sur la nocivité des rayonnements « faibles » –, de l’incertitude là où il n’y en a pas – par exemple en niant l’ampleur des retombées de radionucléides là où toutes les preuves de ces retombées sont établies –, en générant du secret au prétexte de ne pas paniquer les populations, les producteurs d’igno-rance rendent la science inopérante. Les gens finissent par se dire que la science n’est pas humaine et préfèrent se tourner vers des croyances. En créant un schisme entre les données, le savoir, la connaissance d’un côté et l’humain de l’autre, toutes les conditions d’une soumission durable sont ras-semblées. Cette soumission à la colonisation nucléaire, et à la technocaste qui la mène, consiste à faire passer pour inévitables, voire désirables, la contamination et sa sœur jumelle, la décontamination, par un détournement en profon-deur du principe selon lequel la vie serait plus forte que la mort.

L’administration du désastre de Fukushima n’échappant pas au constat établi en son temps au sujet de Tchernobyl, selon lequel tous les risques sont acceptables quand on fait en sorte de ne pas laisser à ceux qui les prennent l’occasion de les refuser, la responsabilité des sciences humaines et sociales consiste à rendre compte de l’injustice fondamen-tale que constitue le fait de faire courir des risques vitaux à une partie de la population, et à remonter aux causes des désastres. L’ignorance ne peut pas fonder la justice. Les sciences humaines et sociales ne peuvent plus se conten-ter d’être des rites d’agonie ni de dresser des inventaires après décès.

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Après avoir représenté pendant des siècles le cœur de l’économie européenne, l’espace méditerranéen est

marginalisé, à partir du XVIème siècle, par la mise en valeur des Amériques et la pénétration européenne en Asie d’une part, par la mainmise des capitaines et des marchands de l’Europe du Nord dans les échanges méditerranéens les plus lucratifs d’autre part. Fernand Braudel avait parlé, à ce propos, d’une véritable « invasion de la Méditerranée » par les Anglais et les Hollandais dès la fin du XVIème siècle, avant que les Scandinaves n’intègrent à leur tour les routes méditerranéennes au XVIIIème siècle. Des chercheurs comme Molly Greene ont suggéré plus récemment un tableau plus nuancé, qui laisse encore des espaces de ma-nœuvre aux acteurs méditerranéens, mais il est indéniable que l’essor du monde atlantique sonne le glas de la préémi-nence de la Mer Intérieure dans l’économie-monde euro-péenne, et marque le début de la subordination d’une partie de ses ressources aux capitaux et aux intérêts des pays de la façade atlantique.

Parmi ceux-ci, les États-Unis arrivent tardivement et de manière discrète. Leur pavillon se fraie un chemin dans les trafics méditerranéens au lendemain de leur indépendance, proclamée en 1776 et reconnue en 1783. Certes, les capitaines américains connaissaient déjà le bassin occidental de la Méditerranée, où ils venaient vendre les produits de leur pêche et du riz à l’époque coloniale, avant de se rendre en Angleterre pour y acheter une cargaison de retour com-posée de produits manufacturés. John McCusker a souligné par ailleurs l’importance que l’Europe du Sud jouait pour l’équilibre de la balance de commerce des colonies nord-américaines. Mais la perte du statut colonial comporte deux conséquences majeures. D’un côté, les navires nord-américains ne bénéficient plus de la protection jusque-là offerte par la Grande-Bretagne, notamment face à la course barbaresque. Les conditions de la présence de navires des États-Unis en Méditerranée doivent donc être entièrement négociées. De l’autre côté, une fois sortis de l’Empire britannique, les Américains sont pénalisés par la législation anglaise qui leur interdit de se rendre dans un port de l’Empire avec une cargaison chargée dans un pays tiers, rendant

de facto impossible le circuit traditionnel qui, des ports méditerranéens, amenait les navires nord-américains vers les Îles britanniques avec une cargaison de produits méditer-ranéens. Avant de trouver de nouvelles solutions sur le plan strictement commercial – elles passeront par la recherche de profits dans les services de transports inter-méditerranéens – les capitaines américains doivent apprendre à louvoyer entre corsaires barbaresques, navires de guerre européens et concurrence commerciale. Les guerres de la Révolution et du Premier Empire représentent une chance pour les Américains, car la neutralité des États-Unis offrit alors des occasions particulièrement intéressantes de profit.

Sur le plan diplomatique, domaine dans lequel les diri-geants des États-Unis, à peine sortis de leur statut colonial, n’avaient aucune expérience, il s’agissait avant tout d’assurer la paix avec les États barbaresques, qui s’en étaient pris aux navires et aux équipages nord-américains dès la fin de la guerre d’indépendance américaine. Si un traité de paix a été ratifié avec le Maroc dès 1786, il faut attendre le milieu des années 1790 pour que les traités avec les régences d’Alger, de Tripoli et de Tunis garantissent véritablement la sécurité de navires américains en Méditerranée face à la course barbaresque. Une centaine de marins américains avait été réduite en captivité avant ces traités, et le risque de capture avait amené les négociants à préférer d’autres pavillons que le pavillon américain pour assurer le transport maritime.

Parallèlement à l’établissement des traités de paix avec les États barbaresques, obtenus souvent par l’intermédiation d’autres puissances européennes, les États-Unis créent un système consulaire dans les principaux ports médi-terranéens : une vingtaine de postes consulaires sont ainsi ouverts entre 1790 (Marseille) et 1815. Les consuls jouent un rôle majeur de protection pour le commerce et la navi-gation nationale, offrant aide et assistance aux capitaines. Ce faisant, ils contribuent à accélérer la rotation des navires, leur évitant des frais et des coûts supplémentaires, et aug-mentant par là les profits des armateurs et des négociants intéressés aux expéditions.

La Méditerranée et l’Atlantique : de l’invasion de l’Europe du Nord aux débuts de la présence des États-Unis en Méditerranée (1776-1815)

Professeur d’histoire moderne à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, directrice du Centre de la

Méditerranée Moderne et Contemporaine, membre senior de l'Institut Universitaire de France

Par Silvia MARZAGALLI

En conférence le 12 février

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La demande en Méditerranée, notamment en produits coloniaux antillais, est alors très forte, puisque les voies d’approvisionnement traditionnelles – assurées pour l’essentiel par la France – ont été bouleversées par une série d’événe-ments. Entre 1791 et 1794 se succèdent la révolte des esclaves à Saint-Domingue (l’actuelle Haïti) et l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises (1794) – qui fournissaient avant la Révolution la moitié du sucre consommé en Europe et la quasi-totalité du café –, ainsi que la guerre qui oppose la France révolutionnaire à la Grande-Bretagne depuis 1793. Les négociants américains sont très bien placés pour approvisionner l’Europe en produits coloniaux, brouillant l’origine de ceux-ci et ouvrant ainsi leur marché en dehors des circuits impériaux classiques. Orientée à la hausse, la navigation américaine en Méditerranée subit une nouvelle phase de stagnation lors de la guerre qui oppose Tripoli et les États-Unis (1801-1805), mais reprend aussitôt après avec vigueur.

Outre le commerce d’import-export entre les ports améri-cains et l’Atlantique, la sécurisation progressive des conditions de navigation des bâtiments américains fait en sorte que, au moment où la guerre franco-britannique se joue de plus en plus sur le plan économique (blocus continental napoléonien, blocus des ports français par les Britanniques), la flotte de commerce américaine est amenée à profiter pleinement de la demande méditerranéenne en transporteurs neutres. En effet, les navires des belligérants risquent la capture par la Marine ou les corsaires ennemis – la propriété ennemie étant considérée de bonne prise par le droit international – alors que les neutres peuvent circuler entre les ports des uns et des autres, avec une latitude variable, dont les bornes sont fixées par chacun des belligérants. Si la cargaison appartient à un neutre (qui souvent ne sert que de prête-nom) et si l’on respecte les obligations faites par moments aux navires neutres d’éviter un trajet direct entre deux ports ennemis, les circulations restent possibles. C’est une véritable manne pour les capitaines des pays neutres, qui profitent d’une demande en services de transport qu’ils sont désormais les seuls à pouvoir assurer dans des conditions compétitives : les risques, et avec eux le taux d’assurance, sont en effet nettement plus élevés pour les navires marchands des bel-ligérants, ce qui signifie qu’il revient moins cher de faire transporter les marchandises par des neutres.

C’est ainsi que le nombre de navires nord-américains qui circulent en Méditerranée est multiplié par quatre ou par

cinq entre l’époque coloniale et l’année 1807. Les Américains profitent alors de la disparition progressive des autres marines neutres face à la mainmise de Napoléon sur le continent européen. Ces navires ne se limitent pas à assurer des relations entre les États-Unis (et, par-delà, les Antilles) et la Méditerranée, mais servent de transporteurs à l’inté-rieur de la Méditerranée, où ils naviguent parfois une ou deux années de port en port, avant de repasser le détroit de Gibraltar.

Cette rente de situation se heurte à des difficultés croissantes à partir de 1808 – sous l’effet de l’embargo proclamé par le Président américain Jefferson – et se tarit au moment du conflit anglo-américain (1812-1815). Mais ces années influencent de manière durable la vision que les États-Unis se font de la Méditerranée. La guerre contre Tripoli a marqué les débuts de la présence navale américaine dans la Mer Intérieure : elle sera suivie par la mise en place de bases amé-ricaines (Port Mahon, puis La Spezia) avant d’en arriver à la Sixième Flotte. Les relations avec la rive sud, caractérisées dès le départ par une grande difficulté des dirigeants amé-ricains à en saisir les logiques de fonctionnement, restent problématiques même après la ratification des traités de paix. Les Américains sont parmi ceux qui soutiennent le plus, dans les années qui suivent le Congrès de Vienne, une intervention internationale armée contre les États barba-resques. Sur le plan économique, enfin, ces années ont permis de confirmer l’intérêt de l’espace méditerranéen pour le commerce et la navigation nord-américains ; même si les conditions spécifiques qui ont provoqué une forte croissance pendant les conflits européens disparaissent après 1815, des relations stables ont été tissées avec les plus grands ports. Elles préparent la voie, entre autres, à l’organisation lucra-tive du transport des dizaines de milliers de migrants qui, quelques décennies plus tard, iront chercher aux États-Unis des conditions de vie ou de survie que le monde méditerra-néen ne semble plus pouvoir leur assurer.

Bibliographie :

- James A. Field, From Gibraltar to the Middle East. America and the Mediterranean World, 1776-1882, Chicago, Imprint Publication, 1991.- Frank Lambert, The Barbary Wars. American Independencein the Atlantic World, New York, Hill & Wang, 2005.- Silvia Marzagalli, « Les États-Unis en Méditerranée. Modalités et enjeux d’une nouvelle présence atlantique dans la Mer intérieure », Revue d’histoire maritime, n° 13 (2011), p. 71-100.

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La vie intellectuelle en Orient de la conquête d’Alexandre au Bayt al Hikma

Depuis la conquête d’Alexandre le Grand, des écoles ont répandu le savoir grec partout en Égypte, en Mésopotamie et en Perse ; tel est l’exemple de l’école l’Alexandrie d’avant et d’après Plotin, des écoles de Palestine, d’Antioche ainsi que les écoles d’Irak, de Perse et de Khorasan. Plusieurs écoles syriaques ont traduit et conservé la pensée grecque et per-sane, cela est vrai pour Édesse, Antioche, Nisibe et Harran. Cependant, ces écoles s’intéressaient plus particulièrement à la théologie. Selon Al-Shahrastâni 1, la rencontre de l’Islam avec la pensée grecque se fait au départ à partir de Platon et Pythagore. Aristote a été découvert un siècle après la traduction des œuvres de la pensée platonicienne 2. Les premières traductions concernaient la théologie, les sciences de la nature et les mathématiques. Le grand mouvement de traduction en arabe est impulsé par les califes abbassides et a commencé, selon Ibn al Nadim, par un rêve 3. Le calife Al-Mamoun, qui régna entre 813 et 833, aurait rencontré Aristote et aurait échangé avec lui sur la raison. Cependant, et au-delà du rêve, ce sont bien des raisons politiques et idéologiques qui motivaient la passion des Abbassides pour l’œuvre grecque, il fallait contrer l’opposition chiite appuyée de références au mazdakisme et au manichéisme perse. Al Mamoun fonde alors Bayt Al Hikma qui sera l’institution responsable de la traduction du savoir de la Grèce, de la Perse et de l’Inde. Un homme joua un rôle clef dans ce mouvement : Hunayn ibn Ishaq (808/873). Arabe chrétien, il était aussi de culture byzantine et persane. Formé en syriaque, puis en persan, il maîtrisait le grec. Il s’établit à Bagdad à partir de 826, et se consacre à la traduction du

1 Al-Shahrastâni (1086-1153), auteur du livre Al Milal wa Nihal.

2 M.A Al-Jabri, La raison arabe (en arabe), 4ème édition, 1991, Casablanca, Maroc, p. 221.

3 Ibn Al Nadim, Fihrist, Index, p. 243. Mort en 995 ou 998.

savoir grec en syriaque mais aussi en arabe. Nommé responsable de la traduction, il produit une œuvre impressionnante de traduction dans les domaines de la médecine, de la pharmacie, de l’astronomie, des mathématiques, de la philosophie et des sciences occultes. Il crée une terminologie scientifique arabe 4. Un autre exemple est celui d’Al Kindi : de famille arabe aristocratique et fortunée, il s’entoure de traducteurs chrétiens. C’est ainsi qu’est traduite pour lui la célèbre Théologie dite d’Aristote par Abdo-al Masih Al Himsi, puis la Géographie de Ptolémée et une partie de la Métaphysique d’Aristote. Sa doctrine philosophique le lie directement, selon H. Corbin, à Jean Philippon et à certains autres néo-platoniciens d’Athènes. La distinction que fait Al Kindi, par exemple, entre substances premières et substances secondes ou sa distinction entre vérité rationnelle et vérité révélée sont des traits communs des philosophes néoplatoniciens tels que Proclus 5. Al Kindi se trouve influencé aussi bien par La Théologie dite d’Aristote que par Alexandre d’Aph-rodise, dont le commentaire sur le livre De Anima lui inspire la quadruple division de l’intellect qui sera à la base de nom-breux apports des philosophes musulmans et chrétiens. Parmi ces précurseurs, on peut citer aussi Al Fârâbî (872-950) qui a reçu le surnom de Magister Secundus (Aristote étant le Magister Primus). Pour lui, la sagesse avait commencé en Mésopotamie chez les Chaldéens avant d’être transférée en Égypte, puis en Grèce, et elle devait revenir à son foyer d’origine. Son œuvre est dans la continuité du savoir grec : l’Accord entre les doctrines des deux sages, Platon et Aristote, le Traité sur l’objet des différents livres de la Métaphysique d’Aristote, l’Analyse des dialogues de Platon, Introduction à la philosophie d’Aristote, le Traité de Scientiis...

4 D. Urvoy, Les penseurs libres dans l’Islam classique, éd. Albin Michel, 1996, p. 67-92.

5 H. Corbin, Histoire de la philosophie islamique, 2ème édition, éd. Gallimard, 1986, p. 221-223.

Penser le monde : les échanges de savoirs philosophiques entre les deux rives de la Méditerranée au Moyen Age

Enseignant-chercheur en sociologiePar Mohamed DEAIF

En conférence le 26 mars

Les échanges de savoirs philosophiques entre les deux rives de la Méditerranée ont duré des siècles, et n’ont jamais été interrompus. Cependant, l’histoire officielle de la philosophie se veut européenne, chrétienne et d’essence grecque et reconnaît plus le voyage entamé par la philosophie de la Grèce antique vers l’Europe que le voyage mené par cette même philosophie vers l’Orient. Des études récentes montrent que la transmission des savoirs gréco-arabes à l’Europe au Moyen Age a provoqué ce que certains aiment appeler « l’acculturation philosophique » de l’Occident chrétien du XIIème siècle, qui a ouvert la voie vers la Renaissance.

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Le voyage de la philosophie gréco-arabe de Tolède à Paris

R. de Sauvetât, archevêque français de Tolède vers 1126-1151, est un acteur clef du mouvement de traduction du savoir gréco-arabe en latin : Aristote, Al Fârâbî, Avicenne, Al Ghazali et Ibn Gibirol. Parmi les illustres traducteurs, on peut citer Dominicus Gundissalinus, Ibn Daoud (Aven-death, Avendaut) et un certain Jean d’Espagne, sans oublier Gérard de Crémone (1114-1187) qui s’est installé à Tolède, a appris l’arabe et a traduit plus de soixante-dix ouvrages dont les Seconds analytiques, De natuarli auditi (physique), De caelo et mundo, De generatione et corruptione et les Météores. On lui doit aussi le Liber de Causis, ainsi que nombre d’ouvrages en sciences. Selon E. Gilson, ce sont les traductions, à Tolède, des œuvres des philosophes arabes et juifs qui ont eu l’influence la plus immédiate et la plus profonde. D’Avicenne, la Logique par Johannes Hispanus, puis la Physique (Sufficientia), le De caelo et mundo, le traité de l’ âme (Liber sextus naturalium) et la Métaphysique par Dominicus Gundissalinus. On doit aux mêmes hommes la Logique, Physique et Métaphysique de Ghazali (Algazel) et le Fons vitae d’Ibn Gebirol (Avencebrol). Gérard de Crémone traduit aussi Al Kindi 6, De Quinque Essentiis, De Somno et visione, De intellectu. Al Kindi était un esprit universel, on connaît de lui, par exemple, un traité « sur les cinq corps platoniciens ». Jérôme Cardan, dans son livre de Subtilitate, dit de lui qu’il fut l’une des douze figures intellectuelles de l’histoire humaine qui eurent le plus d’inf luence 7. Ces traductions auront, selon Gilson, « une influence profonde, durable et relativement homogène ». Les premiers écrits traduits étaient principalement et fortement néoplatoniciens, « même dans le cas du Liber de Causis, c’était du néoplato-nisme à peu près pur de Proclus et Plotin » 8. Ces premiers écrits sont empreints d’idées d’Al Fârâbî, d’Avicenne et d’Al Ghazali, on parle quelquefois d’un avicennisme latin 9 de la fin du XIIème siècle. De même, le traité De scientiis d’Al Fârâbî a eu une influence sur la théorie de la classification des sciences dans la scolastique occidentale 10. Cependant, à l’université de Paris, où enseignent Guillaume d’Auxerre et Philippe de Grèce, la tension est perceptible. Ceux-ci sont confrontés aux idées d’Aristote, d’Avicenne et d’Averroès. Roger Bacon et Albert le Grand citent Averroès dès les

6 E. Gilson, La philosophie au Moyen Âge, éd. Payot, 1999, p. 388.

7 H. Corbin, p. 224.

8 E. Gilson, p. 389.

9 E. Gilson, p. 389-392.

10 H. Corbin, p. 227.

années 1240-1250, c’est aussi le cas de Saint Bonaventure : « la grande époque de la théologie et la philosophie scolas-tiques commence alors ; elle coïncide avec l’effort des pen-seurs chrétiens pour canaliser le flot gréco-arabe, ou pour l’endiguer » 11. Dès 1215, l’université de Paris interdit des textes de la Métaphysique d’Aristote et, à partir de 1231, le pape Grégoire IX interdit à nouveau l’enseignement d’Aris-tote. Quant à Albert le Grand, il introduit la science gréco-arabe en Occident, tout en démontrant de manière détaillée pourquoi les latins en avaient un besoin pressant tout en l’ignorant. « C’est l’édifice entier de la science occi-dentale qu’il fallait à ses yeux réformer » 12. Pour Kurt Flash, Albert le Grand, par ses déclarations de sympathie dans ses premiers écrits envers certaines des idées d’Averroès, a rendu service à l’œuvre du penseur arabe. « Albert ne voulait pas défendre le statut quo intellectuel contre Averroès, il voulait changer la situation de la philosophie en Occident, il vou-lait élargir et changer le savoir des Latini. Chaque homme aimant la vérité, disait-il, doit être d’accord avec la théorie des péripatéticiens sur l’intellect possible » 13. Toujours selon K. Flash, Dietrich de Freiberg joua un rôle clef dans le lien entre Averroès - Albert - Maître Eckhart, c’était un posi-tionnement philosophique qui essayait de construire une concordance entre Aristote, Averroès et Saint Augustin. Cela étant, c’est bien Averroès qui est, sans conteste, le phi-losophe arabe qui a eu le plus d’influence sur ces siècles de débat, « c’est par lui que les médiévaux ont eu accès aux interprétations antérieures, qu’elles soient grecques, arabes ou andalouses, néo aristotéliciennes ou néo platoniciennes ; c’est à le lire que s’est constitué le réseau médiéval des ques-tions posées au texte aristotélicien ; c’est à le méditer que s’est déployé celui des réponses, des fontes ou des recommen-cements » 14. Certains pensent que l’averroïsme a été, en terre chrétienne, à l’origine d’une scission progressive entre foi et raison et de l’apparition de la pensée laïque indépen-dante 15. Les recherches menées par K. Flash sur le père de la mystique allemande Maître Eckhart, et qui mettent en lumière la profonde influence doctrinale d’Averroès sur la philosophie allemande si chère à un Heidegger, démontrent, il est vrai, que certains défenseurs d’une Europe chrétienne d’essence grecque auront à revoir leurs certitudes.

11 E. Gilson, p. 398.

12 Kurt Flash, D’Averroès à Maître Eckhart : les sources arabes de la mystique alle-mande, éd. Vrin, 2008, p. 58.

13 K. Flash, p. 76.

14 A. de Libera, Averroès : L’ intelligence et la pensée sur de anima, éd. Flammarion, Paris, 1998, p. 13.

15 E. Fricaud in Averroès et l’averroïsme (XII-XV siècle), Presses Universitaires de Lyon, 2005, p. 189.

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vie de l'université / LNA#62 LNA#62 / cycle la méditerranée

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En direction de ces jeunes, Villani affirme que les scientifiques et les mathématiciens sont des éléments

indispensables au progrès de toute société, même si leurs contributions restent souvent invisibles aux yeux de tous. À ceux qui pensent que le métier de scientifique est difficile et peu valorisant, malgré les longues études nécessaires, il répond que c’est un métier utile et intellectuellement stimulant, où l’on est sûr de trouver du travail, puisqu'en France il y a actuellement un déficit de 50 000 ingénieurs.

Villani a choisi de communiquer sa passion pour la recherche et les mathématiques à travers la présentation de l’œuvre d’Henri Poincaré, dont on célèbre cette année le centenaire de la mort. À la question « Comment réfléchit un mathéma-ticien ? », Poincaré répondait : « La pensée n’est qu’un éclair au milieu d’une nuit ; mais c’est cet éclair qui est tout ». Villani ajoute que le monde est comme un océan rempli de grands mystères, avec quelques îlots de connaissances qui permettent de faire progresser les technologies.

Dans l’ouvrage Science et Méthode, Poincaré illustre le rôle de l’intuition dans le raisonnement mathématique par l’épisode célèbre du marchepied. Dans cet exemple personnel, il montre comment un long et ardu travail, qui pourrait se révéler stérile, peut avancer grâce à une découverte survenant fortuitement au cours d’une illumination soudaine. Villani affirme également que, bien qu’un raisonnement mathéma-tique soit parfaitement vérifiable, car fait d’étapes simples qui s’enchaînent logiquement les unes après les autres, le cerveau humain, donc celui d’un mathématicien aussi, a besoin de comprendre en terme d’idées, d’images, d’analogies, d’émotions, de rapports et de relations.

Henri Poincaré, meilleur mathématicien de son époque, personnage public et homme très cultivé, était aussi un être humain sujet à des erreurs. Son erreur la plus célèbre et la plus glorieuse est celle qui concerne le mouvement des astres et la stabilité du système solaire. Le problème posé à l’époque était de savoir si les petites perturbations in-trinsèques au mouvement des planètes pourraient, un jour, provoquer une collision entre des planètes, ou si une main divine empêche cela, comme l’affirmait Newton. Laplace, Lagrange et Gauss avaient prouvé que le système solaire restera

stable pendant au moins un million d’années, mais le mathématicien veut toujours aller plus loin.

En 1889, lors d’un concours lancé par le roi Oscar II de Suède, Poincaré montre dans un premier temps qu’un système très simple, formé de trois corps dont un de masse presque nulle, est un système stable et, grâce à ce mémoire, il reçoit le prix du concours. Mais, à la publication de l’article dans la revue scientifique Acta Mathematica, le mathématicien relecteur trouve des erreurs dans le raisonnement de Poincaré. Afin de compléter sa démonstration parfois intuitive, Poincaré retravaille sur le problème et il découvre une erreur de taille qui fait s’effondrer tout son raisonnement, conduisant à une conclusion à l’opposé de sa première affirmation : Poincaré met en évidence un mécanisme d’instabilité du système solaire, avec des trajectoires imprédictibles sur des grands temps, à cause de toutes petites erreurs sur la condition ini-tiale. Ce sera la naissance de la théorie du chaos, très popu-laire quand on pense à « l’effet papillon », et la naissance de la théorie des systèmes dynamiques, champ dans lequel travaillent encore des centaines de scientifiques à travers le monde.

Une belle illustration de la vision de la recherche que Cédric Villani propose dans son livre, Théorème vivant 1 : « Le cycle de la recherche mathématique est comme un tunnel noir qui caractérise le début d’un projet de recherche ; après le noir vient une petite lueur fragile et puis, si tout va bien, on démêle le fil et c’est l’arrivée au grand jour. Souvent cette phase survient d’un seul coup, mais parfois c’est une autre histoire… ».

Retrouvez cette conférence sur le site lille1tv.univ-lille1.fr.

1 Éd. Grasset, Paris, 2012.

Cédric Villani, Henri Poincaréet la pensée mathématique

Maître de conférences en mathématiques, Université Lille 1

Par Caterina CALGARO

Cédric Villani (médaille Fields 2010) s’est adressé à un auditoire de 1200 personnes, dont 900 lycéens et élèves de classes préparatoires, dans le cadre d’une conférence qui a eu lieu à Lille le 19 septembre dernier.

vie de l'université / LNA#62

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Professeur à l’Université Lille 1 *

ParadoxesRubrique de divertissements mathématiquespour ceux qui aiment se prendre la tête

* Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille,UMR CNRS 8022, Bât. M3 extension

LE PARADOXE PRÉCÉDENT : LES FILES DE VOITURES

Une section d’autoroute d’une longueur de 18 km possède deux voies R (pour rapide) et L (pour lente). Les voitures ne changent pas de file. La voie L avance à 18 km/h (5 m par seconde). Les voitures sur la voie L sont séparées de 5 m et donc, en un point donné de la voie L, il passe une voiture chaque seconde. Une voiture engagée sur L y reste 1 heure avant d’arriver à l’extrémité de la section. À chaque instant, il y a donc 3600 voitures sur la voie lente L. La voie rapide R avance à 72 km/h (20 m par seconde). Les voitures sur la voie R sont espacées de 10 m et, donc, en un point donné de la voie R, il passe 2 voitures par seconde. Une voiture engagée sur R y reste 15 minutes. Puisque la section mesure 18 km, à chaque instant, il y a 1800 voitures sur la voie R. Il résulte aussi de ces données qu’une voiture sur la voie R double 3 voitures de L par seconde et qu’une voiture sur la voie L est doublée 3 fois toutes les 2 secondes.

Je suis dans une voiture sur cette autoroute, les yeux bandés. On m’indique qu’il se produit un dépassement et on me pose les questions : Quelle est la probabilité P1 que je sois dans une voiture qui double ? Quelle est la probabilité P2 que je sois dans une voiture doublée ?Bien évidemment, on suppose que je ne peux pas percevoir la vitesse de la voiture dans laquelle je suis. Je veux mettre toutes les chances de mon côté. Je réfléchis soigneusement. Trois raisonnements sont possibles.

Raisonnement 1. La réponse aux questions Q1 et Q2 ne dépend pas des données précises du problème car, à chaque dépassement qui se produit, il y a une voiture dépassée et une voiture qui dépasse : j’ai donc autant de chance d’être dans l’une ou l’autre. La réponse est P1 = P2 = 1/2.

Raisonnement 2. Sur les 18 kilomètres de la section d’auto-route, il y a 3600 voitures lentes et 1800 voitures rapides. J’ai donc 2 chances sur trois d’être dans une voiture lente et 1 chance sur trois d’être dans une voiture rapide. Si je suis dans une voiture lente, je suis dépassé, si je suis dans une voiture rapide, je dépasse. Sans information particulière, j’ai donc deux fois plus de chances d’être dans une voiture

Par Jean-Paul DELAHAYE

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. Notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une solution au paradoxe proposé, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture ou à l’adresse électronique [email protected]).

qui est dépassée que dans une voiture qui dépasse, et les réponses sont donc P1 = 1/3 et P2 = 2/3.

Raisonnement 3. À l’entrée de la section d’autoroute concernée, il passe une voiture lente par seconde et deux voitures rapides par seconde (c’est le cas en fait en chaque point du tronçon). En se présentant à l’entrée de cette section d’autoroute, une voiture ne sait pas quelle est la voie rapide et quelle est la voie lente. Les voitures se disposent donc au hasard et une voiture se retrouve donc 2 fois plus souvent sur la voie rapide que sur la voie lente. J’ai donc deux fois plus de chances d’être dans une voiture qui dépasse que dans une voiture qui est dépassée. Les réponses sont donc P1 = 2/3 et P2 = 1/3.

C’est ennuyeux, les trois raisonnements aboutissent à trois conclusions différentes. Comment se sortir du paradoxe ?

SolutionMerci à Jef van Staeyen qui m’a fait parvenir une solution et des détails subtils sur l’analyse de la situation et sur la façon dont on doit envisager ce type de problèmes. Merci aussi à Nicolas Vaneecloo, Virginie Delsart, Jean-Jacques Devulder et Jean-Pierre Bondue qui m'ont fait parvenir des solutions ou des arguments intéressants permet-tant d'analyser le paradoxe

Le paradoxe est un peu semblable au célèbre paradoxe de Bertrand.(voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Bertrand)

Les données ne fixent pas assez précisément le problème pour que la situation se modélise de manière certaine et qu’une probabilité déterminée puisse être déduite.En complétant les données, c’est-à-dire en précisant le problème, on peut se retrouver dans chacun des trois cas envisagés. D’autres modèles que ceux que je propose ici sont aussi envisageables.

A - On organise le pari de la manière suivante. Les organi-sateurs me placent dans une voiture choisie au hasard qui va emprunter la section. Ils me bandent les yeux et, à un moment du parcours avant qu’il soit envisageable que ma

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voiture quitte la section (c’est-à-dire durant les 15 minutes qui suivent l’entrée sur la section), ils m’interrogent. C’est clairement le troisième modèle qui est bon. J’ai donc deux chances sur trois d’être dans une voiture qui dépasse.

B - On survole (en hélicoptère par exemple) la section d’au-toroute. Les organisateurs choisissent une voiture au hasard uniformément sur la section concernée, c’est-à-dire sans en favoriser aucune parmi celles qui sont sur la section à l’instant du choix. Ils me déposent dedans puis, dès qu’un dépassement se produit, ils me demandent si je suis dans la voiture dépassée ou dans celle qui dépasse. Cette fois, le raisonnement 2 s’applique et j’ai donc deux chances sur trois d’être dépassé.

C - On survole la section d’autoroute. Les organisateurs repèrent un dépassement en train de se produire au hasard. Ils choisissent au hasard l’une des voitures impliquées. Ils me déposent dedans et m’interrogent. Dans ce cas, bien sûr, c’est le raisonnement 1 qui est valable.

Entre ces trois façons d’organiser le pari, on notera que seule la première semble raisonnable. Les autres font intervenir des dispositifs difficiles à réaliser ou relevant carrément de la science-fiction. Au total, il semble donc que le raisonne-ment 3 est le mieux adapté. Je dois donc parier que je suis dans la voiture qui dépasse. Insistons cependant sur le fait que cette solution, que je trouve préférable, ne l’est qu’après avoir complété l’énoncé et qu’elle n’était donc pas inévitable et peut très légitimement être encore discutée.

NOUVEAU PARADOXE : LA LONGUEUR DES FLEUVES

Julien adore les paris et les chiffres. Durant le cours de géographie, il s’ennuie et propose à son voisin Pierre de parier sur les nombres que va mentionner le professeur qui est en train d’expliquer les réseaux hydrographiques ter-restres. Julien propose à Alain de miser vingt euros sur les neuf prochains nombres qui seront mentionnés (des longueurs de fleuves ou de rivières). Julien dit à Pierre :

- « On ne considérera que le premier chiffre significatif des longueurs des cours d’eau mentionnés. Je prends le paquet des trois premiers chiffres A = {1, 2, 3} et je te laisse le pa-quet des six autres chiffres B = {4, 5, 6, 7, 8, 9}. Celui qui, dans les neuf nombres qui vont venir, aura le plus souvent un premier chiffre dans son paquet gagnera et recevra donc vingt euros de l’autre. Si les longueurs mentionnées sont par exemple 243 km, 876 km, 1222 km, 92 km, 4330 km, 982 km, 3445 km, 2122 km, 832 km, dont les premiers chiffres sont 2, 8, 1, 9, 4, 9, 3, 2, 8, tu auras gagné, puisqu’il y a cinq chiffres du paquet B et quatre du paquet A ».

Alain est enchanté, il va certainement gagner les vingt euros car, ayant en sa faveur le paquet B de 6 chiffres alors que Julien n’en a que 3 dans le paquet A, il a toutes les chances de gagner.

C’est une illusion et Julien – qui est un rusé parieur – a, en réalité, une probabilité de gagner égale à 73,77 %.

Cela semble paradoxal. Saurez-vous expliquer et justifier ce 73,77 % ?

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Qui a regardé au moins une fois dans sa vie l’émission télévisée Fort Boyard a déjà entendu parler d’une version

simplifiée du jeu de Nim ! C’est l’épreuve dite « des bâton-nets » en salle du conseil. Elle date de 1995, est composée de 20 bâtonnets et oppose deux joueurs. À tour de rôle, ceux-ci peuvent enlever un, deux ou trois bâtonnets et celui qui prend le dernier perd. Cette version « misère » (le dernier à jouer perd) et simplifiée (elle ne présente qu’un seul tas de bâtonnets) remonte au XVIème siècle et aux premières récréations mathématiques 1. La version « normale » déclare vainqueur le joueur qui prend le (ou les) dernier(s) bâtonnet(s). La résolu-tion mathématique complète du jeu de Nim est due à Charles Leonard Bouton (1869 - 1922) qui, au début du XXème siècle, publie un article 2 où il propose une discussion autour d’un jeu d’un grand intérêt, « en raison de sa complexité apparente mais de sa théorie mathématique extrêmement simple et complète » 3. Le jeu de Nim se joue comme suit : trois tas contenant chacun un nombre quelconque d’objets, par exemple… des boutons…, sont disposés sur une table 4. Deux joueurs s’affrontent : ils sélectionnent à tour de rôle une pile et choi-sissent d’y retirer un bouton, deux boutons ou le tas complet. Le premier qui retire le (ou les) dernier(s) bouton(s) remporte la partie. Ce jeu appartient à la catégorie des jeux combi-natoires, jeux qui opposent deux joueurs jouant alternative-ment, dans lesquels il n’y a pas de hasard, où l’information est complète (c’est-à-dire que les deux joueurs ont accès aux mêmes informations en même temps) et où le gagnant est souvent déterminé par le dernier coup (ce n’est pas le cas du jeu de Go, qui comptabilise un nombre final de points). Des jeux classiques (Échecs ou Dames), des jeux traditionnels

1 Pour plus de détails sur les premières occurrences du jeu de Nim, cf. Rougetet Lisa, « Les multiples ancêtres du jeu de Nim », Pour la Science, n° 420, octobre 2012, pp. 80-84.

2 Bouton Charles Leonard, « Nim, A Game with a Complete Mathematical Theory », The Annals of Mathematics, 2nd Ser., Vol. 3, n° 1/4, (1901-1902), pp. 35-39.

3 Bouton, 1901, p. 35 : « […] on account of its seeming complexity, and its extremely simple and complete mathematical theory ».

4 Nous aurions également pu disposer sur la table – comme le suggère le titre – des allumettes, mais jouer avec le feu peut nuire gravement à la santé !

africains (l’Awélé) et certains jeux modernes (l’Othello, le Hex ou le Puissance 4) sont des jeux combinatoires où il est possible, par un calcul judicieux, de déterminer l’issue de la partie, voire même de dégager une stratégie gagnante. C’est là tout l’intérêt de la théorie des jeux combinatoires : résoudre le jeu au sens de prédire à chaque position de la partie quelle en sera l’issue (victoire, défaite ou nul) et expliciter la stratégie du joueur en position de force.

1901 : première mathématisation d’une stratégie pour gagner au jeu de Nim

Pour exposer rigoureusement sa théorie, Bouton introduit la notion de safe combination. Pour déterminer si une position de Nim est une « combinaison sûre », on écrit tout d’abord en binaire les nombres correspondant au nombre de boutons dans chaque pile. Ces équivalents obtenus, on les place sur trois lignes horizontales de manière à aligner les chiffres des unités dans la même colonne. On additionne ensuite les chiffres de chaque colonne ; le résultat de cette somme est appelé la Nim-somme ; si toutes les sommes des colonnes sont égales à 2 ou à 0, les trois tas forment une safe combina-tion. En reprenant l’exemple donné par Bouton, la position 9, 5, 12 est une safe combination. En effet, 9 = 1 × 8 + 0 × 4 + 0 × 2 + 1 × 1, son écriture binaire sera donc 1001. De même, 5 = 1 × 4 + 0 × 2 + 1 × 1 d’où 101 en binaire et 12 = 1 × 8 + 1 × 4 + 0 × 2 + 0 × 1, soit 1100. La Nim-somme devient :

1 0 0 1 1 0 11 1 0 02 2 0 2

Bouton remarque qu’étant donnés deux nombres quel-conques le troisième à prendre pour former une safe combi-nation est toujours précisément déterminé. S’ensuivent deux théorèmes :- Si le joueur A laisse une safe combination sur la table, B ne peut laisser une safe combination après avoir joué.- Si A laisse une safe combination sur la table, et que B dimi-nue une des piles, A pourra toujours diminuer une des deux autres piles et laisser une safe combination.Bouton prouve rigoureusement ces deux théorèmes en expli-

Nim, le jeu d’allumettes qui met le feu aux poudres !

Doctorante en histoire des mathématiques, Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille (LIFL, UMR 8022), Université Lille 1, Membre associé

au laboratoire Sciences, Sociétés, Cultures dans leurs Évolutions

Par Lisa ROUGETET

Le jeu de Nim apparaît pour la première fois sous cette appellation dans l’article de 1901 d’un dénommé Charles Leonard Bouton, mathématicien d’Harvard peu reconnu de son vivant. Cet article suscitera énormément d’intérêt au sein de la collectivité mathématique (aux États-Unis et en Allemagne) et déclenchera la naissance de la théorie des jeux combinatoires.

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quant que le passage d’une configuration à une autre entraîne nécessairement une modification d’un 0 ou d’un 2 en 1 ou vice-versa dans la Nim-somme et qu’ainsi on ne peut obte-nir deux safe combinations consécutives. Celui pour qui ces résultats sont connus et qui est capable d’effectuer quelques conversions simples en binaire ne peut que remporter systé-matiquement la partie face à un novice 5. À bon entendeur…

Succession de mathématisations indépendantes qui aboutissent…

Peu après la parution de l’article en 1901, de nombreuses modif ications du jeu de Nim voient le jour. La pre-mière, publiée en 1907 6, est due au néerlandais Willem Abraham Wythoff (1865 - 1939), mathématicien en théorie des nombres. Les propriétés mathématiques utilisées pour résoudre cette modification diffèrent de celles exposées par Bouton, et justifient l’introduction d’une variante du Nim. Wythoff en présente les nouvelles règles : les deux joueurs ont face à eux deux piles contenant chacune un nombre arbi-traire de jetons. Les joueurs en prennent alternativement un nombre quelconque dans l’une des deux piles ou en prennent le même nombre dans les deux tas. Le gagnant est celui qui prend le ou les dernier(s) jeton(s). Cette variante se rencontre

encore assez fréquemment dans la littérature moderne sous le nom de « Wythoff’s Queens » : de nombreuses recherches sont encore me-nées sur ce jeu. La confi-guration diffère légèrement car les deux joueurs doivent maintenant déplacer alter-

nativement une Reine, initialement située sur une case quel-conque d’un damier, vers la case située en bas à gauche. La Reine ne peut être déplacée que vers l’ouest, le sud ou le sud-ouest (en diagonale) d’autant de cases voulues.

Cette version de plateau est analogue à la version présentée par Wythoff, les coordonnées de la Reine représentant le nombre

de jetons dans chacun des deux tas (le déplacement en diagonale correspondant à un retrait du même nombre de jetons dans les deux tas). La stratégie gagnante est néanmoins plus a isée à comprendre dans le cas du Wythoff’s Queens : il s’agit d’atteindre les cases rouges

– qui représentent ici les safe combinations –, afin de

5 La résolution du Nim faisant appel à des calculs en binaire, il fut l’un des premiers jeux à être programmé sur ordinateur : le Nimatron, machine conçue exclusivement pour jouer au Nim, fut élaborée en 1940 et exposée au Westin-ghouse Building of the New York World’s Fair où il remporta 90 000 parties sur plus de 100 000 jouées.

6 Wythoff Willem Abraham, « A Modification of the Game of Nim », Nieuw Archief voor Wiskunde, 2e Reeks VI, (1905 - 1907), pp. 199-202.

ne laisser à l’adversaire que la possibilité d’atteindre une case bleue, ce qui l’empêche d’atteindre la case finale gagnante.

En 1910, Eliakim Hastings Moore (1863 - 1932), mathé-maticien à l’Université de Chicago, président de la Mathema-tical American Society, homme au parcours remarquable 7, classé n° 1 du « top ten » des hommes scientifiques américains de l’année 1903 8 (!), publie un article 9 dans lequel il propose une généralisation du Nim de Bouton : le Nimk. Deux joueurs, A et B, sont face à un assortiment d’objets, et le dis-tributeur sépare comme il le désire les objets en un nombre quelconque de piles (supérieur à 1). Les joueurs tirent ensuite des objets à tour de rôle – B commence si A a réparti les objets – ; le gagnant est celui qui prend le ou les dernier(s) objet(s). À chaque tirage, le joueur prend le nombre d’objets qu’il veut d’une seule pile ou bien il prend ce qu’il veut dans un nombre quelconque de piles, sans excéder k piles. k est donc le nombre maximal de piles desquelles un joueur peut tirer des jetons. La preuve que donne Moore, pour résoudre cette variante, est extrêmement concise mais claire et rigou-reuse et constitue un pas vers l’abstraction que connaîtra plus tard la théorie des jeux combinatoires. Il généralise le Nim de Bouton et donne alors un véritable coup de pouce à l’histoire de la résolution des jeux en lui apportant une consistance mathématique jusqu’alors quasi-inexistante (le Nim et ses variantes antérieures tenaient plus d’une amusette que d’un jeu à analyser rigoureusement).

... à un théorème général de la théorie des jeux combinatoires

Les modifications exposées ci-dessus (il y en eut d’autres) montrent l’aspect assez chaotique de la mise en place de la théorie des jeux combinatoires au début du XXème siècle ; les raisonnements se font au coup par coup, mais la multiplication de variantes, qui rend nécessaire une théorie, a probablement contribué à la généralisation formulée rigoureusement par le théorème de Sprague-Grundy, énoncé indépendamment en 1935 par l’Allemand Roland Sprague (1894 - 1967) et en 1939 par le Britannique Patrick Michael Grundy (1917 - 1959). Ce théorème s’applique à tout jeu impartial fini, i.e. tout jeu combinatoire fini dans lequel les coups permis sont identiques pour les deux joueurs ; il stipule que chaque position d’un tel jeu se ramène à une simple position du Nim de Bouton. Un simple jeu avait engendré une théorie mathé-matique… que devraient assimiler, au cours de leurs pénibles entraînements, les concurrents de Fort-Boyard…

7 Pour un article détaillé sur le travail scientifique de Moore, cf. Bliss Gilbert Ames, « The scientific work of Eliakim Hastings Moore », Bulletin of the Ameri-can Mathematical Society, Vol. 40, n° 7, 1934, pp. 501-514.

8 Parshall Karen Hunger, « Eliakim Hastings Moore and the Founding of a Mathematical Community in America, 1892-1902 », Annals of Science, Vol. 41, 1984, p. 326, note 48.

9 Moore Eliakim Hastings, « A generalization of the game called Nim », The Annals of Mathematics, 2nd Ser., Vol. 11, n° 3, avril 1910, pp. 93-94.

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Civilisation et « dépli du sens »12

La méthode d’exposition est reprise dans chacun des cha-pitres. Il s’agit de proposer une généalogie précise, qui prend les traits d’une philologie raisonnée 3, des grands concepts impliqués. Les auteurs de la tradition philosophique sont ensuite mobilisés, soit pour la substance de leurs arguments, soit au détour d’une note en guise d’invitation à poursuivre. Enfin, sur la base de cette approche mêlant philologie, histoire et philosophie, émerge la thèse. On peut dire que la civilisation apparaît comme étant à la fois le processus et le résultat du « dépli du sens 4 », entendu comme archè transcendantal qui commence et commande l’apparition de toute civilisation.

Dépasser le dogmatisme ethnocentrique et le relativisme des valeurs

Le passage de « l’immanitas à l’humanitas 5 », i.e. le procès de civilisation, n’est pas seulement dû à la contingence, au temps, au progrès, en un mot à l’Histoire. Empruntant à Adorno et Horkheimer l’idée de « l’introversion du sacrifice », et à Nietzsche celle de « dressage » et de « spiritualisation des désirs », l’argumentation soutient que « l’humanité n’émerge du magma informe de l’état de nature qu’au cou-teau 6 » : toute culture porte en elle une part de cruauté.

1 Alain Cambier, Qu’est-ce qu’une civilisation ?, Paris, éd. Vrin, coll. Chemins philosophiques, 2012, 128 p.

2 p. 63.

3 Sont ainsi philologiquement travaillées des notions telles que culture, acculturation, civilisation, civilité, mœurs, tradition, progrès, Kultur, Bildung, éthos.

4 L’expression « dépli du sens », si elle n’est présente que deux fois dans un para-graphe central de l’ouvrage (p. 72), semble néanmoins concentrer et condenser, comme sa condition schématique originaire de possibilité, le procès de civilisation.

5 p. 7.

6 p. 27.

Mais si l’homme est un « animal educandum 7 », reste alors à retracer la genèse et à faire l’archéologie du passage de la culture à la civilisation. S’appuyant sur Montesquieu (postulant des constantes universelles d’un esprit du genre humain) et Lévi-Strauss (mettant empiriquement au jour des homologies structurales et des lois de l’esprit), l’analyse dévoile que, malgré la diversité des civilisations, il est néan-moins possible, sinon nécessaire, voire salvateur, de penser des archétypes généraux ou des schèmes fondamentaux, « dont les types de cultures ne seraient que la stylisation 8 ». La singularité d’une culture ne serait ni le fruit du hasard (relativisme culturel naïf), ni l’effet de la réalisation de l’es-prit du monde dans un peuple donné.

La « diffraction créatrice » des schèmes universels de la condition humaine

Entre ces deux extrêmes, « il y aurait bien un fonds commun de l ’humanité entendue comme grammaire pure des rapports sociaux humains que chaque civilisation a à expri-mer de manière stylisée. Chaque civilisation serait donc la contextualisation de ce fonds commun de schèmes trans-cendantaux objectifs de la vie sociale 9 ». Au XVIIIème siècle, opposant notamment Herder et la Kultur propre au génie national à Mirabeau forgeant le néologisme « civilisation » qui renferme l’universalisme abstrait des Lumières, l’auteur regrette que si Kultur « a le mérite d’induire la reconnais-sance de la diversité culturelle », elle implique ce faisant « de renoncer à toute conception normativiste universelle 10 ». La mise au jour d’invariants normatifs qui ressortissent du « dépli du sens » permet de comprendre que « l’esprit ob-jectif de l’humanité ne se dresse qu’à travers l’arc-en-ciel des

7 p. 9.

8 pp. 67-68.

9 p. 69.

10 p. 19.

Repenser la notion de civilisation : un enjeu scientifique et politique

Professeur de philosophie, doctorant à l’Université Lille 3 (UMR « Savoirs, Textes, Langage »)

Par Charles CAPET

Dans Qu’est-ce qu’une civilisation ? 1, Alain Cambier entreprend un parcours en quatre chapitres des entrelacs historiques et conceptuels qui ont forgé la notion de civilisation. L’auteur interroge les conditions de l’être civilisé, les relations entre civilisation et progrès, la question de la pluralité des civilisations, pour conclure sur l’idée que la civilisation repose sur une « culture syncrétique 2 » dans laquelle l’acculturation n’est pas le résultat de la coutume entendue comme imprégnation passive dans le sujet de règles écrites et d’usages non écrits, mais plutôt le fruit d’un procès réflexif et créatif qui prend la forme d’un principium individuationis causant autant la personnalité de l’homme civilisé que, de proche en proche, celle de la civilisation de laquelle celui-ci participe en même temps qu’il la vivifie.

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repenser la politique / LNA#62 LNA#62 / repenser la politique

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civilisations particulières qui en assurent la réfraction 11 ». C’est grâce à Frege et Popper qu’est proposée l’hypothèse hardie d’un « objectivisme sémantique 12 » soutenant que les pensées sont davantage découvertes qu’inventées par l’homme. Entre la réalité empirique d’un côté et le monde des représentations humaines de l’autre semble se tenir un « troisième royaume », « le monde des contenus objectifs de pensée 13 ».

La dénégation de l’altérité et ses effets pervers

Chercher à penser ces invariants normatifs universels de la civilisation ne revient en aucun cas à « substantifier 14 » la notion de civilisation, ce que fait Huntington dans ses thèses polémologiques et mortifères. Le Choc des civilisations représente cet ouvrage qui cherche à « retrouver une essence ultime » des phénomènes de civilisation, qui les réduit à devenir « des systèmes inertiaux, incapables de connaître une dynamique interne de transformation. La question des libertés [y] est marginalisée pour faire une place détermi-nante à l’appartenance civilisationnelle, présentée comme un destin à assumer 15 ». Cette conception de la civilisa-tion exacerbe les « exclusivismes identitaires » qui font de l’autre un ennemi potentiel au sein d’une identité culturelle imaginaire et régionale. Il ne s’agit plus de s’opposer seule-ment à l’autre en tant qu’il n’appartient pas à notre culture, c’est également à l’intérieur de nous-mêmes qu’il s’agirait de pourchasser l’autre, « l’autre de nous plutôt que l’autre que nous. Cette attitude conduit donc nécessairement à un appauvrissement culturel et au nihilisme 16 ».

Une politique des civilisations

En réaction à ce déni de l’autre interdisant de facto le « dépli du sens », « l’enjeu de la civilisation » est compris non seule-ment comme « la reconnaissance de cette réalité supérieure de l’esprit », mais également comme « la reconnaissance des domaines divers et relativement autonomes de cette réalité qui correspondent à l’autonomie des divers secteurs de la vie humaine, comme la politique, l’économie, la morale, la religion, l’art, et aux invariants spécifiques qui les carac-

11 p. 73.

12 Ibidem.

13 p. 71.

14 p. 61.

15 Ibid.

16 Ibid.

térisent 17 ». Bien plus, Alain Cambier, relisant Michel Freitag 18, se déclare en faveur d’une « politique du fait civi-lisationnel », contre l’hégémonie du mode « opérationnel-décisionnel » qui dirige la reproduction des rapports sociaux dans notre histoire contemporaine, où « l’économisme généralisé et le technocratisme 19 » apparaissent comme les moteurs « des dispositifs de canalisation et de standardi-sation des comportements, par la priorité accordée à une gestion opérationnelle qui mise sur le déclenchement de réactions prévisibles et fonctionnelles 20 ». Cette politique de civilisation souhaitée garantit « le dépli du sens » à travers la position de trois grands axes normatifs : une éthique de la responsabilité, une ontologie de la normativité et une esthé-tique transcendantale de l’identité 21.

Le fait civilisationnel comme expérience de l’identité différenciée du genre humain

Dans Qu’est-ce qu’une civilisation ?, le propre d’une politique de civilisation serait à la fois de révéler à chacun la mise en forme symbolique d’une expérience de vie partagée et de procurer à tous « un sentiment d’identité différenciée du genre humain 22 », grâce auquel chaque civilisation reconnaît « la part d’altérité constitutive de sa propre identité cultu-relle », car « l’identité d’une civilisation n’est jamais identité simple, mais identité de l’identité et de la différence : c’est en ce sens qu’une civilisation est bien vivante 23 ». Ce n’est qu’au prix d’une telle politique que les civilisations peuvent apparaître comme « les points de résistance qui peuvent faire échec à la globalisation, quand celle-ci équivaut plutôt à une démondéisation de l’homme 24 ».

17 p. 71.

18 Chez Vrin, les ouvrages de la collection « Chemins philosophiques » s’achèvent sur deux commentaires de deux textes cités substantiellement. Ici, le commentaire « La civilisation comme tragédie de la culture ? » répond aux quelques pages de Simmel tirées de Le concept et la tragédie de la culture ; le commentaire « Pour une politique de civilisation » reprend pour partie un entretien de Michel Freitag publié dans L’ impasse de la globalisation, et permet au lecteur de découvrir ce phi-losophe québécois d’origine suisse décédé en 2009.

19 p. 123.

20 pp. 122-123.

21 p. 123 et ss.

22 p. 126.

23 pp. 61-62.

24 pp. 124-125.

repenser la politique / LNA#62

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Les sociétés salariales au risque du néolibéralisme

Dans les sociétés modernes, l’activité productive est centrale dans la fabrication du lien social et dans la construction des identités individuelles et collectives. Inscrite dans un ordre économique dominé par le capitalisme, cette centralité s’or-ganise principalement autour de la figure du travail salarié. Or, n’avoir que son travail à vendre pour vivre ne constitue pas en soi une situation viable et marque au contraire la fragilité socio-économique intrinsèque du travailleur. Depuis les premières conquêtes ouvrières, l’affirmation du monde du travail est passée par la consolidation de la condition salariale, laquelle, fruit des luttes sociales, transforme progressivement les « sociétés de travail » en « sociétés salariales ». Cette consolidation s’appuie sur des institutions collectives – droit social, conventions collectives, protection sociale, services publics – que font fonctionner, dans une large mesure, les acteurs du rapport salarial (représentants du capital et du travail) sous l’égide de l’État « social », et non pas « providence », comme on le qualifie improprement.

Il serait extrêmement réducteur de dire que la « société sala-riale » humanise le capitalisme, voire « achète » une paix sociale. Le monde du travail a conquis un espace d’affirma-tion politique dans lequel, pour le plus grand nombre, la seule citoyenneté qui vaille est celle qui prend concrètement appui sur l’emploi adossé aux institutions collectives du salariat. La « société salariale » n’est pas simplement cet état glorieux, mais révolu, du monde du travail, à l’abri des armistices de classes, des compromis fordistes et des États-nation à régu-lation keynésienne. Certes, l’extension du salariat consolidé comportait bien des limites, mais l’avancée sociale et poli-tique était considérable et sans précédent historique pour le monde du travail. Du coup, il est permis d’avoir une lecture politique de la crise actuelle de la « société salariale », qui serait moins la marque d’une prétendue inadaptation à « la nouvelle donne économique mondiale » que l’effet progressif de la contre-offensive néolibérale, dont l’objectif est d’affaiblir le pouvoir du monde du travail en laminant les institutions collectives sur lesquelles prend appui son affirmation antica-pitaliste. Pour mieux éclairer, à moyen terme, les enjeux des mutations en cours, on peut au moins dégager trois grands scénarios de reconfiguration possible.

Le scénario libéral, dual et assistanciel

Dans ce scénario, le travail salarié reste la forme dominante, mais s’organise essentiellement sur le mode de la précari-sation et de la flexibilisation de l’emploi. Enfin libéré des « carcans » institutionnels, plus en phase avec la moder-nité économique, le travailleur flexible serait incité à gérer sa propre carrière en se concevant doublement comme une sorte de prestataire de service qui rentabilise son « capital humain », et comme une sorte d’épargnant rentier qui, par un vertueux effort de prévoyance, prend en charge sa propre protection sociale. Derrière ce mythe néolibéral, la réalité est fort différente. En contexte capitaliste, la dérégulation renvoie toujours le travailleur à la précarité intrinsèque de son existence. De fait, la condition salariale se segmente, voire s’atomise. À la limite, on peut imaginer qu’un noyau dur de salariés, ceux dont le système économique a le plus besoin, conserve sous forme privatisée des « avantages » équivalents, voire supérieurs, à ceux obtenus aujourd’hui encore par la grande majorité des salariés. Pour les autres se dessinerait une constellation de « statuts » allant du plus au moins précaire, articulés à des formes grises ou noires de travail complémentaire. Ce scénario peut fort bien s’ac-commoder d’un filet « assistanciel » de sécurité minimum, consistant en une protection sociale au rabais gérée par un État soucieux non plus d’asseoir la citoyenneté sur un statut social mais simplement de garantir la « paix civile » du capitalisme. Ce filet pourrait se voir complété par une allo-cation universelle « libérale ». Ce scénario est présenté ici de manière caricaturale. Mais, au vu des tendances actuelles, il n’a rien d’impossible et ne manquerait pas de poser crûment une question aujourd’hui émergente : comment une majorité de membres de notre société démocratique pourraient-ils continuer à vivre concrètement leur citoyenneté tout en étant relégués dans des situations de précarité sociale ?

Le scénario « utopiste »

Le travail y est dénoncé comme ayant fondamentalement partie liée avec le développement du capitalisme duquel il n’y a rien de libérateur à attendre : contre le travail salarié, il faut valoriser d’autres activités, plus autonomes et sources d’épanouissement. Bien évidemment, il ne s’agit pas de

Crise et fin du travail

Maître de conférences en économie, Clersé / Université Lille 1

Par Richard SOBEL

Nous vivons dans des « sociétés de travail » et même dans de telles sociétés, frappées par les crises économiques et écologiques actuelles, « la fin du travail » n’est pas pour demain. En revanche, ce qui se dessine progressivement, c’est la fin de cette figure émancipatrice des sociétés de travail, la « société salariale ».

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chroniques d'économie politique / LNA#62 LNA#62 / chroniques d'économie politique

Page 23: Les Nouvelles d'Archimède 62

valoriser la « pleine activité » au sens libéral du terme, eu-phémisme de la précarité 1. Pour autant, défendre l’emploi n’est qu’une solution à courte vue : c’est « la société de tra-vail » et pas simplement sa forme salariale qui est en crise. Or, qu’est-ce qui « enferme » dans le « travail » et oblige à y chercher l’intégration et l’identité, si ce n’est le lien travail-production-revenu ? Du coup, pour sortir de la domination capitaliste du travail productif, il faut briser ce lien. C’est la version « solidaire » de l’allocation universelle 2. Son objectif n’est pas la constitution d’un filet de sécurité minimal pour les perdants du « tout marché », mais une socialisation de la production. Une partie du PIB étant distribuée sous forme d’allocation universelle, chacun serait libre de travailler ou pas, de mener une vie pluriactive. Reste la question de savoir comment organiser concrètement la participation de chacun à la production collective. On ne peut que demeurer dans l’incantation, faute d’une réf lexion stratégique et réaliste sur le rapport de forces sociales sur lequel bâtir cette société « libérée » du travail, et fondée sur le libre choix d’activités épanouissantes.

Les scénarios « travaillistes »

Est-on condamné à renvoyer dos-à-dos les deux scénarios précédents et à s’arc-bouter sur la défense de l’existant ? Pour l’heure, sans doute, oui. Pour autant, il ne s’agit pas de faire le « gros dos » en attendant le retour de Trente Glorieuses. Certes, les sociétés salariales étaient imparfaites, mais leurs acquis ont progressivement constitué, pour le plus grand nombre, une forme d’émancipation sans précé-dent. Nombreux sont ceux, à gauche, qui estiment que la défense des acquis salariaux constitue la base en deçà de laquelle tout modèle d’intégration par le travail ne pourrait être que régressif 3. En forme de boutade, on peut parler de « travaillisme » à propos de cette défense de la centralité du travail et de son organisation salariale collective. D’un point de vue stratégique, cette défense est considérée comme le seul moyen d’amener le patronat à envisager des mutations de l’appareil productif qui partent du travail et non de la valo-

1 Dans Métamorphoses du travail, quête du sens (Galilée, 1988), André Gorz a été le premier à fustiger ce développement des « petits boulots », promesse certaine d’une « société de serviteurs ».

2 Vers un revenu minimum inconditionnel ?, La revue du M.A.U.S.S. semestrielle, n° 7, 1er semestre 1996.

3 Robert Castel, L’ insécurité sociale, éd. du Seuil, 2003

risation du capital et de sa logique financière aujourd’hui dominante. Même lorsqu’elle part de « bonnes intentions », cette stratégie défensive risque d’être dangereuse : elle situe l’action politique et syndicale en dehors du processus global de transformation en ne pesant finalement que sur les secteurs où le changement peut être négocié, alors que le segment déjà précarisé du salariat échappe à toute régulation. En cela, elle constitue le parfait pendant du scénario libéral : elle trouverait, dans le noyau dur des salariés protégés, le ter-ritoire privilégié d’un simulacre, réduit, de société salariale.

À l’inverse, que pourrait être un scénario travailliste offensif ? Il cherche à concilier les transformations du travail avec l’accès, pour chaque membre de la société, à un emploi salarié et donc à un statut social. Bref, pour un tel scénario, c’est dans l’emploi que se dépassera, à moyen terme, la crise actuelle… de l’emploi. Dans un contexte de moyen terme, où devrait continuer à dominer la centralité du travail sous domination capitaliste, sortir par le haut de la crise des sociétés salariales ne peut se faire qu’en défendant et en étendant les mécanismes collectifs de la solidarité salariale 4. En attendant d’ « en finir avec le capitalisme » et autres incantations utopistes sur la « fin du travail contraint », on a encore rien trouvé de mieux que l’extension des « sociétés salariales » pour construire concrètement l’émancipation du monde du travail. C’est une telle voie qui devra inspirer la construction d’une véritable Europe sociale. À l’évidence, on n’en prend pas le chemin.

4 Bernard Friot, Puissances du salariat, éd. La Dispute, 2012.

chroniques d'économie politique / LNA#62

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Les relations entre sciences et société sont actuellement soumises à des contradictions qui les placent sur un

spectre allant du rejet pur et simple de la science à une tech-nophilie aveugle. Néanmoins, une demande de la société se fait de plus en plus clairement entendre. Certains débor-dements technoscientifiques récents, mais aussi le besoin croissant de démocratie participative de citoyens maintenus à l’écart de la recherche institutionnelle, en sont les raisons principales. Il devient urgent de questionner l’articulation des sciences non seulement entre elles mais aussi avec les savoirs « profanes » et la société civile. La difficulté de conception de recherches à la fois transdisciplinaires et ouvertes à d'autres partenaires s’explique par de nombreuses lacunes : trop peu de réflexions sur le choix des disciplines à impliquer pour des recherches globales, insuffisance de méthodologie pour le dialogue transdisciplinaire, pertinence peu convaincante des évaluations rendant difficile la capitalisation des bonnes pratiques, manque d’outils pour forger des savoirs partagés, peu de reconnaissance des lieux d’expérimentation, absence de guide éthique, etc. Pourtant, il apparaît nécessaire de mieux articuler les domaines de la recherche scientifique et les enjeux sociétaux et environnementaux à l’ensemble des connaissances acquises et accessibles, qui croît de manière hyperbolique : pour cela, il faut penser un chaînon entre le champ de la science et celui de la société. Cette médiation apparaît comme fondamentale pour répondre aux questions sociétales, tout autant que pour forger de nouvelles formes de connaissances et de nouvelles méthodes pour faire entrer les sciences en société. Cette hypothèse doit être sérieusement envisagée ; il est à gager qu’un effort véritable de recherche en ce domaine fera émerger des solutions originales qui ré-enchanteront les sciences et les sociétés dans leurs évolu-tions communes.

Les expériences de co-construction de savoirs transdisci-plinaires et de recherches participatives entre chercheurs et citoyens se développent activement au travers d’expériences institutionnelles ou associatives : 1 - les programmes participatifs régionaux PICRI 1, ASOSC 2 et Chercheurs-Citoyens 3 réunissent des acteurs de la recherche institutionnelle et d’organisations de la société civile à but non-lucratif ;

1 Partenariat Institutions-Citoyens pour la Recherche et l’Innovation, Île de France.

2 Appropriation SOciale des Sciences, Bretagne.

3 Région Nord-Pas de Calais.

2 - les projets du réseau REPERE 4 du Ministère de l’écologie permettent de mutualiser des connaissances, par exemple en recherche agronomique 5 ; 3 - les jurys citoyens – importés d’Europe du Nord et des États-Unis et mis en œuvre en France en juin 2009 lors de la révision des lois de bioéthique – sont une forme de parti-cipation de la société civile aux orientations de la recherche scientifique et technologique ; 4 - le phénomène des amateurs de sciences (Pro-Am) est en pleine mutation, notamment avec l’émergence des techno-logies de l’information et de la communication 6.

L’université, au carrefour de la recherche, de l’enseignement, de la valorisation économique et de la diffusion des savoirs, est particulièrement bien positionnée pour répondre à ces interrogations. Plusieurs outils existent pour développer et stimuler les recherches transdisciplinaires. L’une des struc-tures les plus intéressantes est la boutique de sciences. Ce concept se développe dans les années 70 aux Pays-Bas, pays pionnier qui comporte toujours un nombre de boutiques important. En France, lors des assises de la recherche de 1982, des chercheurs s’interrogent sur la responsabilité sociale des sciences. Cette même année, la FNBSA 7 est créée et six premières boutiques ouvrent en 1982, dont une à Lille initiée par l’ALIAS 8. L’histoire française est assez courte puisqu'aucune boutique ne réussit à perdurer au-delà de la fin des années 1980. La comparaison avec les boutiques hol-landaises permet d’identifier plusieurs raisons à cet échec : prise en compte de demandes individuelles, proximité trop forte avec les CCSTI 9, non implication des étudiants dans les projets.

Il existe aujourd’hui une centaine de boutiques dans le monde. L’Europe du Nord apparaît motrice dans cette démarche. En France, quelques boutiques commencent à réap-

4 Réseau d’Échange et de Projets sur le Pilotage de la Recherche et l’Expertise.

5 Brochure « Visions paysannes de la recherche dans le contexte de la sélection parti-cipative : comment co-construire et mutualiser les connaissances sur les plantes ? », éd. PEUV, 2011.

6 Revue Alliage, Amateurs ?, Université de Nice, n° 69, octobre 2011.

7 Fondation Nationale des Boutiques de Sciences et Assimilés.

8 Association Lilloise d’Information et d’Animation Scientifique et culturelle.

9 Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle.

Les boutiques de sciences comme outils pour les sciences en société

Professeur à l’Université Lille 1Par Bertrand BOCQUET

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sciences en société / LNA#62 LNA#62 / sciences en société

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paraître (ENS Cachan 10 ou à Grenoble 11). La boutique de sciences n’a rien de commun avec une quelconque échoppe commerciale. C’est une structure de rencontres, de conseils et de définition d’une recherche émanant d’une demande de la société qui dépasse la simple demande d’expertise. Elle analyse les usages et s’intéresse à l’utilité sociale des sciences et des technologies. C’est, pour la société civile, un moyen d’accès aux connaissances, aux recherches scientifiques et aux technologies. C’est, pour les chercheurs, un lieu de dialogue direct avec la société civile, qui a un besoin crois-sant de recherches propres. C’est un outil démocratique de production de connaissances scientifiques, à l’interface de groupes de citoyens (associations à but non lucratif, ONG, collectifs, syndicats, etc.) et d’institutions scientifiques (univer-sités, instituts et organismes de recherche). Les résultats des recherches produites dans ce cadre sont publiés dans des archives ouvertes, contribuant à la mutualisation des biens communs des savoirs.

Une telle dynamique doit pouvoir être suscitée et déve-loppée auprès des partenaires de la société civile de la région Nord-Pas de Calais. Pour inscrire une boutique de sciences dans l’institution universitaire et son territoire, un travail de promotion est nécessaire. Il convient de recenser les canaux de diffusion d’informations, d’élaborer les modalités d’animation d’une « bourse de compétences » (laboratoires, chercheurs), de mettre en place un comité de pilotage qui comprenne l’ensemble des parties prenantes (chercheurs, étudiants, associations, structures de recherche, collectivités locales). Il convient aussi de finaliser un plan de finance-ment des activités en sachant que les besoins budgétaires, pour ce genre de structures, restent très modestes en com-paraison des investissements attribués aux plateformes de recherche ou aux structures de valorisation économique.

La boutique de sciences envisagée pour la région aurait plusieurs missions et objectifs : 1 - En amont, la boutique traite les demandes issues de la société civile en mettant en place un comité de pilotage mixte ;2 – Puis, elle reformule ou traduit les besoins exprimés par les associations demandeuses en question de recherche ; 3 - Une fois les questions énoncées, elle met en relation les projets de recherche avec un étudiant et un encadrant 12. Il est donc impératif de recenser, dans un premier temps, les offres de stages LMD 13 susceptibles d’accueillir les sujets proposés par la boutique. Ce montage permet à la fois de mettre en valeur le travail de l’étudiant et de développer son appétence pour un travail de recherche.

10 http://boutiquedessciences.free.fr/pmwiki/

11 http://www.adreca.org/

12 Le succès des boutiques aux Pays-Bas réside, en grande partie, dans l’implication des cursus universitaires et des étudiants lors de projets ou pour les stages.

13 Licence-Master-Doctorat.

Dans le terreau actuel des sciences participatives, la bou-tique de sciences pourrait avoir des retombées inattendues, comme l’émergence de nouvelles questions de recherche, de projets, de nouveaux programmes et de nouvelles filières, grâce à l’exploration des questionnements de la société civile dans le cadre des projets mis en œuvre. Une boutique pourrait être aussi un centre de ressources pour aider au portage de projets de plus grande envergure : programme « Chercheurs-Citoyens » du Conseil Régional, « Innova-tion et Société » de l’ANR 14 ou « Sciences in Society » de la Commission européenne. La boutique de sciences, utile pour les citoyens, doit l’être aussi pour les chercheurs, à l’intérieur de l’université. L’activité scientifique et tech-nologique étant très abondante, il devient difficile pour un chercheur de suivre l’actualité des recherches, dès lors que le champ d’observation sort de sa spécialité. Par consé-quent, les équipes de recherche elles-mêmes pourraient être intéressées à formuler, par l’intermédiaire de la boutique de sciences, des demandes auprès de spécialistes de disciplines différentes, voire orthogonales (éthique ou santé-environne-mentale). Elles bénéficieraient ainsi de réponses de qualité s’appuyant sur une méthodologie développée par la boutique de sciences.

Enfin, la boutique devrait s’insérer activement dans le réseau international des boutiques de sciences, « Living Knowledge 15 ». Déjà, lors de sa 5ème Conférence à Bonn, il a été question de créer un réseau national. Nous espérons pouvoir présenter l’état d’avancement de nos travaux lors de la 6ème conférence qui se déroulera à Copenhague en 2014.

L’expérience des boutiques de sciences montre que la dis-tinction entre les sciences humaines et sociales et les sciences de la nature est moins rigide dans ce type de structure que dans les institutions scientifiques. En effet, nature et société sont associées dans une transdisciplinarité « en situation », pour apporter des solutions. Cette association représente une expérience très enrichissante pour les chercheurs, mais aussi pour les étudiants (interdisciplinarité, dialogue et partenariats avec des « usagers »). La boutique de sciences, dans une région où se développent les expériences de démocratie participative, pourrait avoir un rôle d’expertise sur les processus parti-cipatifs liés aux questions scientifiques en promouvant, par exemple, les Conventions de Citoyens prônées par l’association pour une Fondation Sciences Citoyennes (FSC) qui en propose une forme très aboutie 16.

14 Agence Nationale de la Recherche.

15 http://www.livingknowledge.org/livingknowledge/

16 http://sciencescitoyennes.org/projet-de-loi-concernant-les-conventions-de-citoyens/

sciences en société / LNA#62

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nucléaire en cardiologie, en cancé-rologie, en endocrinologie...Nous reviendrons aux données fonda-mentales en matière de santé : Quels sont les effets établis ? Qu’y a-t-il derrière l ’absence d’effet visible ? Qu’éclairent les avancées récentes de la recherche ? Comment évoluent les normes et les pratiques médicales ?

Cf article p. 5-6

 Transition énergétique et géopo-litique du nucléaire Mardi 19 mars à 18h30 Par Bernard Laponche, Polytechni-cien, docteur ès sciences en physique des réacteurs nucléaires, expert en politiques de l’énergie et de maîtrise de l’énergie, membre de l’association Global Chance. Animée par Sylvie Larrière, Responsable filière « Journa-liste et Scientifique », École supérieure de Journalisme de Lille.

La poursuite des modes de consom-mation d’énergie actuels, basés à près de 90 % sur les sources d’énergie de stock (pétrole, charbon, gaz naturel, uranium) se heurte à des contraintes majeures : limitation des ressources, accroissement des prix, atteintes à l’environnement et à la santé... La transition énergétique qui s’impose à chaque pays et territoire repose sur la sobriété et l’efficacité énergétiques ainsi que la substitution des énergies de stock par les énergies de flux, renouvelables. Dans ce contexte, la production de chaleur puis d’électricité par l’utili-sation de réacteurs nucléaires, qui ne représente aujourd’hui qu’une faible

part de la production énergétique mondiale, ne saurait constituer une solution viable et acceptable pour le futur.

Cf article p. 7-8

À SUIVRE :

 Journée d’études Sciences, technologie, démocratie Mardi 2 avril 2013 Entrée libre sur inscription : T/ 03 20 43 69 09 M/ [email protected]

La réalité nucléaire dans toutes ses dimensions interpelle la question cen-trale de la démocratie et du débat public face aux choix technologiques. Cette journée de clôture du cycle proposera de débattre sur ce thème central.

Comité scientifique : Jean-Philippe Cassar, Frédéric Dumont, Bruno Duriez, Rémi Franckowiak, Gautier Goormachtigh, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Hervé Vautrelle, Alain Vienne.

Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/

www.culture.univ-lille1.fr

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

 Fukushima, quelles leçons ?Mardi 5 février à 18h30Par Christophe Sabouret, Historien, spécialiste du Japon, ingénieur d’étude au CNRS. Animée par Bernadette Tillard, Professeure en sociologie, Clersé, Université Lille 1.

Si l’on connaît l’état de santé, plutôt bon, des habitants du département ja-ponais de Fukushima avant l’accident nucléaire du 11 mars 2011, on ignore celui, avant leur venue, des personnes revenues s’installer dans des régions contaminées de la centrale accidentée de Tchernobyl et qui souffrent au-jourd’hui de graves maladies. Dans les deux situations aujourd’hui, des taux de radioactivité comparables sur place s’observent. En outre, les mêmes dénis à propos notamment des radiations in-ternes s’y observent. Telle est peut-être la première leçon de Fukushima.

Cf article p. 4

 Nucléaire et bonne santé Mardi 5 mars à 18h30 Par Xavier Marchandise, Professeur émérite à la Faculté de Médecine de l’Université Lille 2, expert du Groupe Permanent Médical de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, médecin nucléaire à l’Hôpital Privé de Villeneuve d’Ascq. Animée par Bertrand Bocquet, Pro-fesseur en physique appliquée, IEMN - IUT, Université Lille 1.

Le nucléaire n’est guère en odeur de santé actuellement malgré les applications vitales de la médecine

cycle À PROPOS DU NUCLÉAIREOctobre 2012 - avril 2013Espace Culture

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LNA#62 / au programme / réflexion-débat

Page 27: Les Nouvelles d'Archimède 62

l’Europe du Nord dans les échanges méditerranéens d’autre part. Au len-demain de leur indépendance, les États-Unis se creusent à leur tour une place dans la Mer intérieure. La communication retrace cette difficile entrée en jeu d’un nouvel acteur dans les échanges qui relient la Méditerra-née à l’Atlantique.

Cf article p. 11-12

u La Méditerranée, creuset de sciences et de techniquesMardi 12 mars à 18h30Par Bruno Jacomy, Directeur scienti-fique du Musée des Confluences, Lyon. Animée par Bernard Maitte, Profes-seur émérite, Université Lille 1.

La Méditerranée est en soi un monde. Une mer entourée de peuples qui n’ont cessé de se rencontrer. Ces échanges ont notamment permis à des cultures de dé-velopper leurs sciences, leurs techniques.Certes, ce sont les Arabes qui, au cours de l’expansion de l’Islam, ont permis aux Européens de la Renaissance de redécouvrir la science grecque, les techniques alexandrines, mais leur rôle s’est révélé bien plus riche, en rassem-blant dans un même creuset l’apport de l’Inde et de la Chine, ainsi que leurs propres innovations.

u Penser le monde : les échanges de savoirs philosophiques entre les deux rives de la Méditerranée au Moyen AgeMardi 26 mars à 18h30Par Mohamed Deaif, Enseignant-chercheur en sociologie.

Animée par Edmond Mazet, Profes-seur émérite, Université Lille 3.

Deux temps sont à distinguer : le mouvement de traduction de l’héri-tage grec en syriaque puis en arabe entamé dès le VIIIème siècle à Damas. La pensée d’Aristote, de Platon révo-lutionne la philosophie arabe. Le second est occidental, perceptible dès le XIème siècle, et concerne le grand mouvement de traduction de la philo-sophie gréco-arabe en latin. L’impul-sion d’idées transforme l’Occident et annonce déjà la « Renaissance ».

Cf article p. 13-14

À SUIVRE :

u Journée d’études élaborée avec l’Institut du Monde ArabeLes mouvements arabes deux ans après Mardi 30 avril 2013Entrée libre sur inscription : T/ 03 20 43 69 09 M/ [email protected]

Cette journée de clôture du cycle revien-dra sur la situation des sociétés que les mouvements arabes ont bouleversées.

Dans le cadre de la phase de préfiguration de l’antenne de l’Institut du Monde Arabe en Ré-gion Nord-Pas de Calais menée en partenariat avec l’IMA, la Région Nord-Pas de Calais, la ville de Roubaix et la ville de Tourcoing

Comité scientifique : Jean-Philippe Cassar, Frédé-ric Dumont, Bruno Duriez, Rémi Franckowiak, Gautier Goormachtigh, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Patrick Picouet, Hervé Vautrelle.

Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/

www.culture.univ-lille1.fr

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

u Venise, centre de médiation entre l’Est et l’Ouest au Moyen AgeMardi 29 janvier à 18h30 Par Jean-Claude Hocquet, Historien, directeur de recherche émérite CNRS. Animée par Constantin Bobas, Direc-teur du Département d’études romanes, slaves et orientales, Université Lille 3.

Venise occupe une position géographique remarquable, au fond de l’Adriatique et au débouché du Pô. La situation historique n’est pas moins favorable, elle naît au contact des deux empires Carolingien et Byzantin. Pour mieux résister à la politique expansionniste des empereurs d’Occident, elle se place sous la protection de l’empire Byzantin à qui elle apporte une aide navale. En échange, elle reçoit d’importants privi-lèges commerciaux.

u La Méditerranée et l’Atlantique : de l’invasion de l’Europe du Nord aux débuts de la présence des États- Unis en Méditerranée (1776-1815) Mardi 12 février à 18h30Par Sylvia Marzagalli, Professeur d’histoire moderne, directrice du Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine, Université de Nice-Sophia Antipolis. Animée par Gabriel Galvez-Behar (sous réserve), Maître de conférences en histoire contempo-raine, Université Lille 3.

L’espace méditerranéen semble mar-ginalisé, à partir du XVIème siècle, par l’essor du monde atlantique d’une part, la mainmise des marchands de

au programme / réflexion-débat / LNA#62

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au programme / exposition / LNA#62 LNA#62 / au programme / initiatives culturelles

Le nucléaire militaire

Les liens entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire sont nombreux. Ces « Rencontres de sens » s’adossent au thème des « Rendez-vous d’Archi-mède », « À propos du nucléaire », en traitant de la question de la défense nucléaire.L’actualité au niveau international pointe la frustration et le ressentiment des puissances non nucléaires qui veulent se doter d’un arsenal nucléaire potentiellement offensif et donc extrê-ment dangereux.Mais la dissuasion nucléaire prônée par les pays qui possèdent « légalement » l’arme nucléaire est-elle « légitime » ?Les différentes conférences internatio-nales sur le Traité de Non Prolifération des armes nucléaires (TNP) n’indiquent en rien la volonté des participants de changer réellement de politique. Pour pouvoir renoncer à l’arme atomique, les pays historiquement en sa possession ne peuvent se passer d’une vaste mobi-

lisation de leurs citoyens. Pourquoi la France ne donnerait-elle pas l’exemple ?Dans le cadre des DESC (Droits Éco-nomiques Sociaux et Culturels), « Ren-contres de sens » donne la parole au Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) qui cherche à promou-voir la non-violence par la réflexion, l’action et la formation pour une société de justice et de paix.

u Pour une France sans armes nucléaires Mardi 22 janvier à 18h30 Par Jean-Marie Muller, Philosophe, écrivain *, porte-parole du MAN, directeur des études à l’Institut de recherche sur la Résolution Non-Violente des Conflits.

« Immorale, irréaliste, dangereuse et coûteuse, la dissuasion nucléaire demeure un sujet tabou en France. Depuis plusieurs mois, une campagne citoyenne pour le désarmement nucléaire unilatéral de la France soutenue par de nombreuses person-nalités veut provoquer un vrai débat dans notre société ».* Parmi ses nombreux ouvrages : Les Français peuvent-ils vouloir renoncer à l’arme nucléaire ?, éd. du MAN, 2010.

En partenariat avec le MAN de Lille.

u Rencontres d’engagements asso-ciatifs Mardi 19 février à 18h30 Animafac et « Rencontres de sens » vous invitent, dans le cadre de leur partenariat, à échanger sur le thème de l’engagement.

Au programme : Présentation des as-sociations Lilloises du réseau Animafac autour d’un jeu coopératif suivie du Jeu de l’engagement « Chacun son asso » et débriefing-débat.Un apéro-tchatche clôturera la soiréeInscriptions préalables des étudiants à ces rencontres auprès : - d’Animafac pour les associations : [email protected] - de l’Espace Culture pour les étu-diants : [email protected] (places limitées)En partenariat avec Animafac.

Réseau national d’associations étudiantes visant à promouvoir l’engagement associatif et à accompagner les bénévoles étudiants dans la réalisation de leur projet.

u La souveraineté alimentaire Conférence : lundi 18 mars à 18h30Exposition : du 11 au 23 mars 2013

La souveraineté alimentaire est une condition primordiale de recul de la faim. C’est un droit, pour chaque pays, de définir ses règles alimentaires et agricoles. Les actions engagées dans cette voie sont des facteurs de dévelop-pement durable pour toute la planète.

Rencontres culturelles de sens 2012-2013

Vers une culture de sens au service des Droits fondamentauxCoordinateurs : Jean-Pierre Macrez et Daniel Poisson

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L'Espace Culture de Lille 1 et le FR AC Nord-Pas de Calais proposent pour cette exposition ces deux artistes vidéastes dont les œuvres appartiennent respec-tivement aux collections : H+F Collection & 49 Nord 6 Est - FRAC Lorraine.

Le FRAC Nord-Pas de Calais bénéficie du soutien du ministère de la Culture et de la Communication/Direction générale de la création artistique, de la Direction régionale des affaires culturelles Nord-Pas de Calais, du Conseil Régional Nord-Pas de Calais, de Dunkerque Grand Littoral/Communauté urbaine, de la Ville de Dunkerque, des Conseils Généraux du Nord et du Pas-de-Calais et du Rectorat de l’Académie de Lille.

Une fenêtre suffit…Installations vidéos de Shirin Neshat et Raedah Sa'adehDu 15 janvier au 22 février

Shirin Neshat, The Last Word, 2003, Production Still © Shirin Neshat - Photo : Larry Barns - Courtesy Gladstone Gallery, New York

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Avec le FRAC Nord-Pas de CalaisVernissage : mardi 15 janvier à 18h30Entrée libre

Source de lumière, d’image, de communication, ce que nous montre une fenêtre n’est pas toujours visible ou ne

l’est que partiellement. Aussi participe-t-elle d’un double jeu, entre exhibition et dissimulation, servant de tremplin pour l’imaginaire ou la revendication.

Les deux vidéos de Shirin Neshat et Raedah Sa’adeh sont deux fenêtres ouvertes sur la condition féminine au Moyen-Orient. Ces deux artistes nous invitent à nous introduire dans leurs regards... à entendre leurs voix. Cha-cune à leur manière, l’une par la métaphore, l’autre par le récit, elles nous racontent leurs histoires, leurs vécus, leurs ressentis, leurs constats.

La première, Shirin Neshat est iranienne et travaille aux États-Unis. Dans sa vidéo de 2003, The Last Word (Le dernier mot), une femme subit un interrogatoire dans les sous-sols d’un bâtiment et prononce les vers du poème La fenêtre de Furough Farrokhzâd 1. Elle le récite inlassablement comme seule réponse à l’oppresseur masculin, comme seul moyen d’échapper à ce dernier...

La seconde, Raedah Sa’adeh est palestinienne et travaille en Israël. Dans Vacuum, elle convie à la fois soumission et ré-volte. Elle se met en scène passant un aspirateur dans le désert. Ce geste sisyphéen interroge les notions d’identité et de genre, dénonce le statut des femmes palestiniennes en particulier.

1 Furough Farrokhzad (1934-1967) est une des poétesses contemporaines majeures en Iran.

au programme / exposition / LNA#62

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24°3'55''N - 5°3'23''EInstallation vidéo d’Ammar BourasDU 6 MARS AU 3 MAI

Ammar Bourras est un artiste engagé, dans le double sens du terme. Il est engagé, lui et son art, dans l’histoire de sa culture.

Il s’engage et, de sa terre à lui, parle aux autres, à l’humanité.

« L’artiste Ammar Bouras se penche cette fois-ci sur les frontières. Toutes les frontières. (…) le vidéaste expérimental élabore une installation frappante : deux écrans se faisant face dont l’un projette la tentative de franchir une haie d’un paisible et florissant jardin et en face la tentative de traverser les barbelés entourant le site des essais nucléaires français In Ekker, dans l’Extrême Sud algérien.

Le titre de cette installation reproduit les coordonnées GPS du point zéro des explosions nucléaires de In Ekker.

« Je suis parti de l’idée des frontières et des fronts, comme l’illustration des limites et des lignes entre les individus et l’Autre, l’étranger, la mort ou la vérité. L’idée que nous avons tous besoin de l’autre comme d’un miroir, et non comme le mouroir de nos mémoires communes en fin de compte. Se libérer, passer les frontières et sortir des sépara-tions réelles ou imaginaires », explique Ammar Bouras (…) ».

Adlène Meddi dans El Watan le 18.05.12 à l’occasion de sa résidence de création au Favril dans le nord de la France.

Ce projet à été réalisé avec l'aide de l'Association La Chambre d'eau (Le Favril - France), Objet Direct (Marseille) et le quotidien El Watan (Algérie).

Entrée libre

SOIRÉE « À PROPOS DU NUCLÉAIRE »Mercredi 6 mars

Photographe de presse à l’origine, Ammar Bouras a acquis au fil de son métier une expérience intime du médium complexe qu’est la photographie. Elle est d’abord instrument d’enregistrement, au sens presque primaire et brutal du terme. Parfois, un constat amer. Mais si Ammar se sert des possi-bilités de l’appareil, ce n’est pas à des fins esthétisantes ni documen-taires : dans son travail, la tech-nique se fond avec l’expression. Dans cette vidéo consacrée aux essais nucléaires au Sahara, l'ar-tiste semble ne faire que défiler côte à côte les images de deux mondes, celui de l'implosion nucléaire et de la destruction de la Nature et celui du pay-sage façonné par le travail des hommes, ceux-ci n’apparais-sant que dans les traces de leur action. L’œuvre d’Ammar Bouras est donc un travail de mémoire où mémoire individuelle et mémoire collective viennent parfois s’entre-choquer tout en se développant en toute autonomie.

18h30 : Vernissage de l’installation « 24°3'55''N - 5°3'23''E » d’Ammar Bouras

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LNA#62 / au programme / exposition

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Dès 2009, dans le cadre de ses recherches, Thierry Ribault cherche à savoir comment les « jeunes » Japonais inventent des manières de vivre face

à l’épreuve de la crise, dont la dimension économique n’est que la surface des choses. Accompagné d’Alain Saulière, il mène des entretiens filmés auprès d’étu-diants, travailleurs précaires, artistes et sans-abri ayant souhaité s’affirmer en choisissant un autre mode de vie.

Un documentaire centré autour de cinq protagonistes s’opposant au carcan sociétal qu’on voudrait leur imposer :Kota s’oppose à la destruction d’un dortoir vieux d’un siècle qui est le seul lieu où il peut vivre. Masaya Inoue et Kyohei Ogawa, licenciés par l’université, ont fondé Union Extasy, un syndicat de travailleurs précaires. Ils ont dressé leur campement au cœur de l’Université de Kyoto depuis deux ans. Dans le village de tentes du parc de Yoyogi à Tokyo, Tetsuo Ogawa anime des ateliers de peinture avec les sans-abri. À Koenji, quartier de la contre-culture de Tokyo, Hajime Matsumoto veut faire de la ville un lieu où avoir du plaisir sans argent. Chacune de ces dissonances nous parle de ce qui demande à se résoudre dans le Japon contemporain.

« Le 11 mars 2011, quand est survenu le désastre de Fukushima, dépassant en gra-vité celui de Tchernobyl et de Three Mile Island, les divers protagonistes filmés dans Dissonances sont devenus, avec d’autres, des acteurs majeurs de l’ intense période de panique qui a suivi. Ils ont fait ce que l’État se montrait incapable de faire : organi-ser l’aide pour les populations frappées par le désastre, tenter de convaincre les gens de quitter les zones dangereuses, mettre en place les départs, aider à refaire sa vie ailleurs et – pour la grande majorité qui n’a pas pu ou pas voulu quitter les terres concernées – mettre en place un contrôle autonome de la radiation, afin d’ informer chacun, de décider des protocoles de suivi et de soins à venir et de définir les termes d’une nouvelle vie. Depuis le désastre de Fukushima, l’existence de ces hommes et femmes a été bouleversée. »

Thierry Ribault

Entrée gratuite sur réservation

Thierry Ribault est chercheur au CNRS (économiste de formation) à la Maison franco-japonaise de Tokyo et travaille, depuis fin 2008, sur les voies et les voix alternatives de la « jeunesse » japonaise. Il est co-auteur, avec Nadine Ribault, du livre Les sanctuaires de l’abîme – Chronique du désastre de Fukushima 1.

1 Éd. de l’Encyclopédies des Nuisances, Paris, 2012.

19h30 : Film documentaire DISSONANCES En présence d’Alain Saulière et Thierry Ribault

La soirée se clôturera autour d'un pot.

Prix du Festival du Film de Chercheur, Nancy 2012

Réalisation : Alain Saulière et Thierry RibaultProduction : les Ateliers du passeur2010 | Durée : 50 mn

au programme / projection / LNA#62

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L’ ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’Université Lille 1.

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Espace Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’AscqDu lundi au jeudi de 9h30 à 18h et le vendredi de 9h30 à 13h45Café : du lundi au jeudi de 9h45 à 17h45 et le vendredi de 9h45 à 13h45

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59Mail : [email protected] Internet : http://culture.univ-lille1.fr

Du 15 janv. au 22 fév Exposition « Une fenêtre suffit… » de Shirin Neshat et Raedah Sa’adehVernissage le 15 janvier à 18h30

Mardi 22 janvier 18h30 Rencontre culturelle de sens : Pour une France sans armes nucléaires par Jean-Marie Muller

Mercredi 23 janvier 19h Concert d’Ictus - « Ursonate » de Kurt Schwitters *

Mardi 29 janvier 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Venise, centre de médiation entre l’Est et l’Ouest au Moyen Age » par Jean-Claude Hocquet

Mercredi 30 janvier 18h30 Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Mardi 5 février 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Fukushima, quelles leçons ? » par Christophe Sabouret

Mercredi 6 février Séances de courts métrages avec le Tati Roulant *11h30 - 12h30 - 17h15 - 18h15

Mardi 12 février 18h30Rendez-vous d’Archimède : « La Méditerranée et l’Atlantique : de l’invasion de l’Europe du Nord aux débuts de la présence des États-Unis en Méditerranée (1776-1815) » par Sylvia Marzagalli

Mercredi 13 février 19h Théâtre « Les Oranges » d’Aziz Chouaki *

Mardi 19 février 18h30 Rencontre culturelle de sens : Rencontres d’engagements associatifs

Mercredi 27 février 18h30 Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Mardi 5 mars 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Nucléaire et bonne santé »par Xavier Marchandise

Mercredi 6 mars 18h30Soirée « À propos du nucléaire »Vernissage de l’installation « 24°3’55’’N - 5°3’23’’E » d’Ammar Bouras (visible jusqu’au 3 mai)

19h30 Film documentaire « Dissonances » d’Alain Saulière et Thierry Ribault *

Mardi 12 mars 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « La Méditerranée, creuset de sciences et de techniques » par Bruno Jacomy

Lundi 18 mars 18h30 Rencontre culturelle de sens : La souveraineté alimentaire

Les 19 et 20 mars Valse des livres en partenariat avec Radio Campus

Mardi 19 mars 18h30 Rendez-vous d’Archimède : « Transition énergétique et géopolitique du nucléaire » par Bernard Laponche

Mardi 26 mars 18h30Rendez-vous d’Archimède : « Penser le monde : les échanges de savoirs philosophiques entre les deux rives de la Méditerranée au Moyen Age » par Mohamed Deaif

Mercredi 27 mars 18h30 Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Mardi 2 avril 9h Journée d’études : Cycle « À propos du nucléaire »« Sciences, technologie, démocratie »

Mercredi 3 avril 19h Concert : Didier Aschour + Muzzix *