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Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire résistante par des adolescents de 13 à 17 ans Mémoire Daisy Pelletier Maitrise en didactique Maitre ès arts (M.A.) Québec, Canada © Daisy Pelletier, 2017

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Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle

littéraire résistante par des adolescents de 13 à 17 ans

Mémoire

Daisy Pelletier

Maitrise en didactique

Maitre ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Daisy Pelletier, 2017

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Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle

littéraire résistante par des adolescents de 13 à 17 ans

Mémoire

Daisy Pelletier

Sous la direction de :

Érick Falardeau, directeur de recherche

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Résumé

Notre projet a comme objectif général d’étudier les facteurs cognitifs, textuels et

contextuels qui ont influencé la compréhension d’une nouvelle littéraire difficile

(Solidarité, d’Italo Calvino) par 44 adolescents de 13 à 17 ans. Pour collecter nos données,

nous avons rencontré individuellement ces adolescents et avons eu recours à la méthode de

la pensée à voix haute et à l’entretien semi-dirigé. Nous avons ensuite analysé nos données

en utilisant une méthode d’analyse de contenu. Nos principaux résultats se résument en

trois aspects. 1- Les connaissances des lecteurs sur le monde sont généralement favorables

à la compréhension d’un texte, à condition qu’elles interagissent avec un maximum

d’indices du texte et qu’elles ne contredisent aucun de ces indices. 2- Lorsque les

connaissances des lecteurs sur les textes sont trop rigides, elles peuvent nuire à la

compréhension des textes qui présentent une structure originale ou atypique. 3- Lorsqu’un

texte présente des difficultés trop importantes pour des lecteurs adolescents, l’aide d’un

intervenant peut s’avérer nécessaire pour diminuer le cout1 cognitif de la tâche de lecture et

ainsi permettre aux élèves de mieux réguler leur lecture (c’est-à-dire détecter leurs

incompréhensions et prendre des moyens efficaces pour y remédier). Ces résultats

convergent vers une même conclusion : la nécessité de poursuivre l’enseignement de la

lecture jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Pour ce faire, les enseignants doivent mettre

en place des pratiques qui favorisent le développement des stratégies d’autorégulation par

les élèves. Ils doivent aussi opter pour des textes dont la difficulté représente un défi pour

les élèves, sans toutefois être hors de leur portée.

1 Ce texte est conforme aux rectifications de l'orthographe.

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Table des matières

Résumé ................................................................................................................................... ii

Table des matières ............................................................................................................... iv Liste des tableaux ................................................................................................................ vii

Liste des figures ................................................................................................................. viii Liste des abréviations et des sigles ..................................................................................... ix

Remerciements ...................................................................................................................... x Introduction .......................................................................................................................... 1

PRÉSENTATION DE LA PROBLÉMATIQUE .................................... 3 CHAPITRE 1:1.1 Savoir lire : une nécessité .................................................................................................... 3 1.2 La lecture, de la petite enfance à l’âge adulte ................................................................... 4

1.2.1 Les premières années de l’apprentissage de la lecture .................................................... 4 1.2.2 La quatrième année : une année charnière ...................................................................... 5 1.2.3 Le dernier cycle du primaire : un continuum des tendances observées au cycle précédent ...................................................................................................................................... 7 1.2.4 Le « mur » de l’entrée au secondaire .............................................................................. 7 1.2.5 De la première à la cinquième secondaire : un écart grandissant entre les lecteurs efficaces et ceux en difficulté ...................................................................................................... 8 1.2.6 La lecture à l’âge adulte : un prolongement de la lecture à l’adolescence ...................... 9

1.3 Ce que l’on sait à propos des lecteurs efficaces et de ceux en difficulté à l’adolescence . 9 1.3.1 Des portraits de lecteurs adolescents ............................................................................ 10 1.3.2 Les structures et les processus du lecteur en contexte réel ........................................... 11

1.4 Problème et objectifs de recherche ................................................................................... 13 1.5 Pertinence sociale de s’intéresser aux capacités des adolescents en lecture et retombées didactiques envisageables ......................................................................................... 13

CHAPITRE 2: PRÉSENTATION DU CADRE THÉORIQUE ..................................... 15 2.1 Qu’est-ce que la compréhension? ..................................................................................... 15 2.2 Les niveaux de compréhension ......................................................................................... 15 2.3 La complexité de la lecture ................................................................................................ 16 2.4 Trois conceptions de la psychologie cognitive en lecture ............................................... 17 2.5 Le contexte socioculturel et son influence sur la compréhension .................................. 18

2.5.1 Le contexte de la classe ................................................................................................. 18 2.5.2 Le contexte de l’école ................................................................................................... 21 2.5.3 Le contexte socioéconomique ....................................................................................... 21 2.5.4 Le contexte familial ...................................................................................................... 22

2.6 La variable « lecteur » et son influence sur la compréhension ...................................... 23 2.6.1 La structure cognitive du lecteur ................................................................................... 24 2.6.2 La structure affective du lecteur .................................................................................... 25

2.7 La variable « texte » et son influence sur la compréhension .......................................... 26 2.7.1 Le genre de texte ........................................................................................................... 27 2.7.2 La structure du texte ...................................................................................................... 27 2.7.3 Le contenu du texte ....................................................................................................... 28 2.7.4 Le niveau de difficulté d’un texte ................................................................................. 28

2.8 La variable « contexte » et son influence sur la compréhension .................................... 30 2.8.1 Le contexte psychologique ........................................................................................... 31

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2.8.2 Le contexte social ......................................................................................................... 31 2.8.3 Le contexte physique .................................................................................................... 32

2.9 La motivation ..................................................................................................................... 33 2.9.1 Qu’est-ce que la motivation? ........................................................................................ 33 2.9.2 Les dispositions individuelles influençant la motivation .............................................. 33 2.9.3 Les facteurs associés au contexte d’apprentissage ........................................................ 34

2.10 Les standards de cohérence d’un lecteur ...................................................................... 36 2.11 Les processus de compréhension .................................................................................... 38

2.11.1 Les microprocessus ....................................................................................................... 38 2.11.2 Les processus d’intégration ........................................................................................... 39 2.11.3 Les macroprocessus ...................................................................................................... 39 2.11.4 Les processus d’élaboration .......................................................................................... 40 2.11.5 Les processus métacognitifs ......................................................................................... 40

2.12 L’interaction des processus ............................................................................................. 42 2.13 Distinction entre habileté et stratégie ............................................................................ 43 2.14 Retour sur l'objectif général et formulation des questions de recherche ................... 45

CHAPITRE 3: PRÉSENTATION DE LA DÉMARCHE DE RECHERCHE ............. 47 3.1 Au-delà du produit de la compréhension ......................................................................... 47 3.2 Le contexte de notre projet de recherche : une vue d’ensemble .................................... 48 3.3 Les caractéristiques de notre échantillon de convenance ............................................... 48 3.4 Le texte choisi ..................................................................................................................... 49

3.4.1 Un résumé du texte ....................................................................................................... 49 3.4.2 Notre interprétation de l'histoire ................................................................................... 49 3.4.3 Les difficultés de Solidarité .......................................................................................... 51 3.4.4 Des processus automatisés et stratégiques pour comprendre Solidarité ....................... 52 3.4.5 Le choix d’un texte résistant ......................................................................................... 55

3.5 Les procédures de collecte des données ........................................................................... 56 3.5.1 La méthode de la pensée à voix haute ........................................................................... 56 3.5.2 L’entretien semi-dirigé .................................................................................................. 60

3.6 L’analyse de contenu ......................................................................................................... 63 3.6.1 Lecture et analyse préliminaires ................................................................................... 63 3.6.2 Choix et définition des unités de classification ............................................................. 64 3.6.3 Le processus de catégorisation ...................................................................................... 67 3.6.4 Quantification et traitement statistique ......................................................................... 71

CHAPITRE 4: PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ................................................... 73 4.1 Présentation des trois profils de compréhension ............................................................. 73

4.1.1 Particularités des élèves appartenant au profil A .......................................................... 73 4.1.2 Particularités des élèves appartenant au profil B .......................................................... 75 4.1.3 Particularités des élèves appartenant au profil C .......................................................... 77 4.1.4 Synthèse des caractéristiques des trois profils de compréhension ................................ 78 4.1.5 Répartition des élèves de l’échantillon selon les trois profils ....................................... 79

4.2 Les facteurs ayant influencé la compréhension de Solidarité ......................................... 80 4.2.1 Les connaissances des lecteurs sur le monde et sur les textes ...................................... 81 4.2.2 Les spécificités du texte Solidarité ............................................................................... 85 4.2.3 Les interventions de l’intervieweur à la suite de la lecture du texte par les élèves ...... 89 4.2.4 La capacité des lecteurs à construire le sens global de l’histoire ................................ 102 4.2.5 La capacité des lecteurs à réguler leur lecture ............................................................ 106 4.2.6 Bilan des facteurs ayant influencé la compréhension de Solidarité ............................ 112

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CHAPITRE 5: INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS ............ 113 5.1 L'influence des connaissances du lecteur sur la construction de sa représentation d'une histoire .............................................................................................................................. 113

5.1.1 Les connaissances : un moyen de combler les « trous » laissés dans le texte par l’auteur ..................................................................................................................................... 113 5.1.2 Des connaissances au service de la compréhension d’un texte : à quelles conditions?

..................................................................................................................................... 115 5.2 L'influence des spécificités du texte sur la construction de la représentation d'une histoire par le lecteur ................................................................................................................. 116

5.2.1 Les spécificités du texte Solidarité : un frein à la régulation de la lecture ................. 116 5.2.2 Comment réduire le décalage entre les spécificités de certains textes littéraires et les connaissances génériques des élèves? ..................................................................................... 118

5.3 L'influence des interventions de l'intervieweur sur la construction de la représentation d'une histoire par le lecteur ............................................................................. 118

5.3.1 Les interventions de l’intervieweur : un moyen d’éveiller la conscience métacognitive des élèves et de favoriser leur engagement ............................................................................. 119 5.3.2 L’enseignant, un tremplin vers l’autorégulation ......................................................... 120

5.4 L’activation des processus de compréhension : une influence directe sur la qualité de la compréhension ....................................................................................................................... 121

5.4.1 L’activation des macroprocessus : une démarche sophistiquée mais efficiente ......... 122 5.4.2 Le cout cognitif de la relecture ................................................................................... 124 5.4.3 L’activation des processus de compréhension par les lecteurs : le résultat d’une interaction complexe ................................................................................................................ 126 5.4.4 Le rôle de l'enseignant pour favoriser le développement de la compétence en lecture

..................................................................................................................................... 126 5.5 Les apports de notre étude .............................................................................................. 127 5.6 Les limites de nos résultats .............................................................................................. 129

Conclusion ......................................................................................................................... 131

Annexe A: Texte Solidarité ............................................................................................... 134 Annexe B: Schéma d’entretien ........................................................................................ 137

Annexe C: Tableau de catégorisation du profil de l’élève ............................................ 139 Annexe D: Tableau de catégorisation des facteurs et des processus ............................ 140

Annexe E: Fiche de résultats pour le facteur FL1 – Connaissance du stéréotype de l’agent double .................................................................................................................... 141

Annexe F: Fiche de résultats pour le lien entre les facteurs étudiés et les processus de compréhension activés ...................................................................................................... 143

Annexe G: Profils de compréhension des élèves rencontrés ......................................... 144 Bibliographie ..................................................................................................................... 146

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Liste des tableaux

Tableau 1: Les changements de rôle du protagoniste dans Solidarité ........................... 53

Tableau 2: Avantages et limites de l’utilisation de la MPVH pour étudier les facteurs cognitifs, textuels et contextuels ayant influencé la compréhension de Solidarité ........ 60

Tableau 3: Avantages et limites du recours à l’entretien semi-dirigé pour étudier les facteurs cognitifs, textuels et contextuels ayant influencé la compréhension de Solidarité .............................................................................................................................. 63 Tableau 4: Première grille de codification – les facteurs cognitifs, textuels et contextuels à l’étude ........................................................................................................... 65 Tableau 5: Deuxième grille de codification – les processus de compréhension à l’étude .............................................................................................................................................. 66 Tableau 6: Troisième grille de codification – les indicateurs permettant de discriminer chacun des trois profils de compréhension ....................................................................... 67 Tableau 7: Ajout à la première grille de codification – les effets observés chez les élèves par rapport aux facteurs contextuels étudiés ........................................................ 69 Tableau 8: Ajouts à la deuxième grille de codification – tendances observées chez les élèves par rapport aux macroprocessus et aux processus métacognitifs ....................... 70 Tableau 9: Représentation du texte Solidarité par les élèves en fonction de leur profil de compréhension ............................................................................................................... 79

Tableau 10: Répartition des 44 élèves de l’échantillon selon les trois profils de compréhension .................................................................................................................... 80

Tableau 11: Les connaissances du lecteur ayant influencé positivement la compréhension de Solidarité selon les trois profils de compréhension .......................... 85

Tableau 12: Les spécificités de Solidarité ayant influencé négativement la compréhension des élèves selon les trois profils de compréhension ............................... 89

Tableau 13: Les interventions de l’intervieweur ayant influencé la compréhension de Solidarité selon les trois profils de compréhension ........................................................ 101

Tableau 14: Les processus de compréhension dont l’activation a influencé la compréhension de Solidarité selon les trois profils de compréhension ........................ 112

Tableau 15: Influence des facteurs identifiés sur la compréhension du texte Solidarité ............................................................................................................................................ 112

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Liste des figures

Figure 1: Les facteurs liés au contexte socioculturel de la lecture ................................. 23

Figure 2: Les facteurs liés à la variable « lecteur » qui influencent la compréhension en lecture ............................................................................................................................. 26

Figure 3: Les facteurs liés à la variable « texte » qui influencent la compréhension en lecture .................................................................................................................................. 30

Figure 4: Les facteurs liés à la variable « contexte » qui influencent la compréhension en lecture ............................................................................................................................. 32

Figure 5: Le lien entre l’interaction des variables « lecteur », « texte » et « contexte », les standards de cohérence et la motivation d’un lecteur ............................................... 38

Figure 6: Les cinq processus de compréhension d’un texte ............................................ 42 Figure 7: L’interaction des processus de compréhension en lecture ............................. 43

Figure 8: Les facteurs influençant la compréhension en lecture .................................... 45

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Liste des abréviations et des sigles

CCA : Conseil canadien sur l’apprentissage

MELS : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport

MÉQ : Ministère de l’Éducation du Québec

MPVH : Méthode de la pensée à voix haute

PISA : Programme international pour le suivi des acquis des élèves

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Remerciements

Je tiens à remercier plusieurs personnes, chacune d’elles ayant contribué à sa façon à

l’aboutissement de mon projet de maitrise.

Mes premiers remerciements vont à mon directeur de recherche, monsieur Érick Falardeau,

qui m’a toujours laissé entendre qu’il n’avait aucun doute quant à ma capacité à mener mon

projet de maitrise à terme. Il a lu et relu activement chacun des chapitres de mon mémoire,

m’amenant chaque fois à pousser mes réflexions plus loin, à raffiner mon analyse des

résultats, à rehausser mes standards d’excellence.

Je remercie également madame Pauline Sirois, qui m’a formulé de précieux commentaires

lors de l’évaluation de mon séminaire de maitrise, commentaires qui témoignaient d’une

représentation très juste de la réalité des lecteurs en difficulté. Par ses nombreuses

recommandations de lectures, elle m’a permis de découvrir le champ de la psychologie

cognitive, pour lequel j’ai développé un vif intérêt et qui allait devenir la pierre angulaire de

mon mémoire.

Je remercie aussi madame Hélène Makdissi, qui a accepté avec enthousiasme d’évaluer

mon mémoire de maitrise. Tout au long de mon parcours aux études de deuxième cycle,

elle s’est informée de l’avancement de mon projet, montrant un intérêt sincère pour mon

travail et m’encourageant à continuer d’avancer malgré les difficultés que je rencontrais.

Je remercie mon conjoint, Nicolas, qui m’a épaulée tout au long de l’avancement de mes

études supérieures et qui a accepté de me voir rivée à mon écran d’ordinateur les soirs de

semaine et les fins de semaine, conscient que ce zèle était nécessaire à l’atteinte de mes

objectifs.

Je remercie ma sœur jumelle, Cindy, qui a été ma complice pendant mon parcours aux

études de deuxième cycle et qui était parfaitement placée pour comprendre les embuches

que je rencontrais, elle qui menait aussi un projet de maitrise.

Je remercie mes parents, Yvon et Helen, qui ont toujours valorisé l’éducation et qui ont su

m’encourager dans la poursuite de mes études supérieures, un rêve qui était aussi le leur.

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Je remercie ma sœur Vicky et mon frère Andy qui, par leurs questions sur l’avancement de

mes études ou leurs commentaires humoristiques sur le temps que je mettais à achever mon

projet de maitrise, ont su me rappeler mon objectif – déposer ce mémoire! –, dont l’atteinte

était conditionnelle à un travail colossal.

Je remercie mes collègues du huitième étage de la tour des Sciences de l’éducation : Julie-

Christine, Jessica, Sylvie, Florent, Caroline, Kim, Anthony et Marie-Pierre pour leur écoute

et leurs conseils, eux qui vivaient ou avaient déjà vécu le parcours des études supérieures.

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Introduction

Préoccupée par les difficultés qu’éprouvent certains adolescents en lecture, nous avons

mené notre projet de maitrise dans le but d’alimenter notre réflexion sur les particularités et

les enjeux de la lecture à l’adolescence. Les expériences que nous avons vécues dans les

milieux scolaires à titre d’enseignante de français et d’adaptation scolaire au secondaire ont

en ce sens servi d’amorce à notre projet de maitrise, qui allait devenir une réelle quête de

sens par rapport à nos observations et à nos questionnements. Qu’est-ce qui distingue les

lecteurs efficaces de ceux en difficulté? Quelles sont les particularités des lecteurs

adolescents? Quelles pratiques d’enseignement de la lecture sont susceptibles de favoriser

la compréhension de l’écrit par des adolescents? Étant donné notre préoccupation pour les

enjeux réels liés à l’enseignement et à l’apprentissage de la lecture, nous avons rédigé ce

mémoire avec un grand souci d’articulation entre théorie et pratique.

Le chapitre un présente la problématique de la lecture à l’adolescence. Nous y abordons la

nécessité de savoir lire, présentons un panorama des particularités de la lecture scolaire à

différents moments du développement humain et dressons un portrait des lecteurs

adolescents. Le chapitre deux présente le cadre théorique sur lequel s’appuie notre analyse.

Nous y proposons une définition de la compréhension en lecture et présentons la

perspective cognitiviste dans laquelle s’inscrit notre conception de la lecture. Nous

discutons ensuite des différents facteurs influençant de près ou de loin la lecture : les

facteurs socioculturels, les facteurs liés au lecteur, au texte lu et au contexte de lecture, et

les processus activés pour comprendre un texte. Le chapitre trois présente notre démarche

de recherche. Nous y discutons des avantages et des limites liés à nos deux méthodes de

collecte des données. Nous expliquons ensuite notre méthode d’analyse des données en

présentant les différents outils qui nous ont permis de réaliser cette analyse. Le chapitre

quatre présente nos résultats de recherche. Nous présentons d’abord les trois profils de

compréhension sur lesquels est basée notre analyse des résultats. Nous discutons ensuite

des facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui ont influencé la compréhension du texte

Solidarité (Calvino, 2009), pour ensuite insister sur les principaux processus qui ont

influencé cette compréhension. Le chapitre cinq présente l’interprétation et la discussion

des résultats. Nous y regroupons les différents facteurs identifiés dans le chapitre précédent

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pour montrer en quoi leur influence positive ou négative sur la compréhension du texte lu

permet de mieux comprendre le modèle théorique que nous avons présenté au chapitre

deux. À la lumière de notre analyse, nous tentons aussi de dégager quelques pistes

d’interventions didactiques susceptibles de favoriser la compréhension en lecture au

secondaire. Notre mémoire se termine par une conclusion qui se veut à la fois une synthèse

du projet que nous avons mené, un rappel des limites de notre travail et une ouverture sur

de nouvelles pistes de recherche.

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3

PRÉSENTATION DE LA PROBLÉMATIQUE CHAPITRE 1:Ce chapitre présente la problématique liée à la compréhension de l'écrit à l'adolescence.

Nous abordons les principaux enjeux sociaux de la compétence en lecture et retraçons les

temps forts du parcours scolaire des lecteurs, de la petite enfance à l'âge adulte. Nous

rendons ensuite compte de l'état des connaissances sur les caractéristiques des différents

lecteurs. Nous tentons enfin de circonscrire le problème de recherche qui fonde la

pertinence de notre projet, avant de dégager les principaux objectifs et de souligner la

pertinence sociale de s'intéresser aux facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui

influencent la compréhension en lecture à l'adolescence.

1.1 Savoir lire : une nécessité

Non seulement la compétence à lire est-elle conditionnelle à la réussite scolaire, mais elle

est également essentielle à une participation active dans la société actuelle (Helder, Van

Leijenhorst, Beker, & van den Broek, 2013; van den Broek, 2012; van den Broek & White,

2012). Malgré cette évidente nécessité de savoir lire, près de la moitié des adultes canadiens

en âge de travailler – 16 ans et plus – possèdent un faible niveau de littératie, c’est-à-dire un

niveau inférieur à trois sur une échelle de un à cinq, ce qui correspond à un niveau

d'analphabétisme fonctionnel. Ils sont donc incapables d’intégrer l’information contenue

dans un texte long ou dense, d’intégrer de multiples renseignements ou de comprendre de

l’information mathématique présentée sous différentes formes, ce qui les empêche de

composer avec les exigences de la vie quotidienne et du travail dans une société complexe

et évoluée (CCA, 2008).

À l’adolescence, le profil de ces lecteurs en difficulté est déjà dessiné : ils ont de faibles

résultats scolaires, sont mal préparés aux études postsecondaires et au marché du travail, et

ont tendance à abandonner l’école (Salinger, 2007). Ceux que plusieurs auteurs anglo-

saxons désignent comme les Adolescent Struggling Readers peuvent difficilement acquérir

un niveau de littératie et des habiletés suffisantes pour profiter pleinement des possibilités

que leur offre l’école (Garbe, Holle, Weinhold, Meyer-Hamme, & Barton, 2010a), ce qui

entraine des répercussions sociales et économiques importantes lorsqu’ils atteignent l’âge

de travailler. Un faible niveau de littératie est notamment associé à des taux d’employabilité

et de rémunération plus faibles, à une plus grande dépendance aux transferts

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gouvernementaux, à des résultats de santé inférieurs2 et à un taux d’engagement

communautaire et de participation civique plus faible (CCA, 2008).

Une étude menée par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA)

en 2009 montre une relation claire entre le niveau de compétence en lecture à 15 ans et le

plus haut niveau de scolarité atteint 10 ans plus tard : « plus de la moitié des jeunes (54 %)

qui avaient obtenu des scores inférieurs au niveau trois à 15 ans n’avaient pas poursuivi

leurs études au-delà du secondaire à l’âge de 25 ans. » (Statistique Canada, 2010, para. 5)

Ces importantes conséquences d’une faible maitrise de la compétence à lire montrent à quel

point l’enseignement de la lecture tout au long de la scolarité doit être pris au sérieux. Afin

de bien comprendre le contexte dans lequel émergent les difficultés en lecture, il faut

remonter à la petite enfance.

1.2 La lecture, de la petite enfance à l’âge adulte

Le parcours scolaire des lecteurs est marqué par différents jalons, de l'émergence de la

lecture jusqu'à la l'âge adulte, en passant par certains moments charnières comme la

quatrième année primaire et l'entrée au secondaire.

1.2.1 Les premières années de l’apprentissage de la lecture

De l’émergence de la lecture jusqu’à ce que les enfants aient huit ou neuf ans, leur

motivation pour la lecture est essentiellement intrinsèque : ils lisent pour apprendre à lire,

pour satisfaire leur curiosité ou par intérêt personnel (Anderson Swan, 2004). À la

maternelle, ils sont pour la plupart des lecteurs en émergence : ils prennent plaisir à écouter

des histoires ou à reconnaitre certains mots, mais n’ont pour la majorité pas encore

découvert le principe alphabétique, qu’ils découvriront en première année, alors qu’ils

deviennent des apprentis lecteurs capables de lire des mots nouveaux (Giasson, 2011). À la

fin de la première année ou en deuxième année, les enfants sont nombreux à être considérés

comme des lecteurs débutants, c’est-à-dire capables de lire et de comprendre des textes,

mais encore hésitants dans la reconnaissance de plusieurs mots, qu’ils doivent décoder

(Giasson, 2011). Cette lourde tâche d'identification des mots abordée dans les débuts de la 2 Les résultats de santé font référence à la probabilité de contracter des maladies, au délai de guérison et au cout du traitement (CCA, 2008).

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scolarisation devra constamment être soutenue par le développement des habiletés

d'inférence3, qui permettent notamment au lecteur d'utiliser ses connaissances (sur le monde

et sur la syntaxe de la langue) et le contexte d'une histoire pour résoudre des problèmes liés

à la présence de mots qu'il ne connait pas (Makdissi, Boisclair, Blais-Bergeron, Sanchez, &

Darveau, 2010).

Au cours des deux premières années du primaire, plusieurs enfants ont une image très

positive d’eux-mêmes comme lecteurs, peu importe leur niveau d’habileté : « ces enfants

n’ont pas intériorisé l’importance du succès scolaire et n’ont pas tendance à se dévaluer

s’ils ne réussissent pas à l’école. » (Giasson, 2011, p. 212) Bien qu’ils aient une image

positive d’eux-mêmes, ceux dont les habiletés en lecture sont plus limitées dans les

premières années de l’apprentissage de la lecture sont davantage à risque d’éprouver des

difficultés dans les années subséquentes (van den Broek, 2012; van den Broek, Mouw, &

Kraal, 2016).

Au cours de la période qui chevauche habituellement la deuxième et la troisième année, les

enfants deviennent des lecteurs en transition, c’est-à-dire qu’ils possèdent un répertoire

élargi de mots dont la reconnaissance orthographique rapide permet de consacrer davantage

d’énergie cognitive pour comprendre des textes (Giasson, 2011; Sirois & Boisclair, 2007).

C’est à ce même moment que certains enfants commencent à modifier leur image d’eux-

mêmes à la suite de difficultés en lecture et qu’ils tentent de cacher leur problème. Une fois

formée, cette image tend à rester constante puisque les enfants se comportent de façon à lui

correspondre (Giasson, 2011).

1.2.2 La quatrième année : une année charnière

Si des recherches montrent que la motivation intrinsèque (c’est-à-dire faire quelque chose

par intérêt, pour le plaisir ou la satisfaction qu’on en retire) à lire tend à diminuer tout au

long de la scolarité, cette baisse apparait plus marquée à partir de la quatrième année du

3 Il existe plusieurs types d'inférences, celles-ci pouvant être basées sur le texte (inférences logiques) ou sur les connaissances et schémas du lecteur (inférences pragmatiques) (Giasson, 2007). Dans tous les cas, la génération d'inférences nécessite d'aller au-delà de ce qui est écrit mot pour mot dans un texte (Giasson, 2007). Les habiletés d'inférences d'un lecteur sont à la base même de la représentation d'un texte que construit le lecteur (Makdissi et al., 2010).

Page 17: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

6

primaire (Guthrie, 2008) et chez les élèves en difficulté (Guthrie & Davis, 2003). Le climat

de classe, qui est déterminé par le but que poursuivent les élèves et l’enseignant (Kaplan,

Middleton, Urdan, & Midgley, 2002), peut en partie expliquer la diminution de la

motivation observée chez les lecteurs de 9 ou 10 ans. À partir de la quatrième année du

primaire, ce climat a davantage tendance à être orienté vers un but de performance – lire

pour faire un travail ou pour obtenir une bonne note – que vers un but d’apprentissage – lire

pour comprendre un texte en profondeur et pour développer ses habiletés de lecteur

(Douglass & Guthrie, 2008). La lecture perd alors peu à peu son caractère ludique au profit

de pratiques plus formelles comme le recours au questionnaire, qui évalue le produit de la

compréhension et non la façon dont les élèves s’y prennent pour comprendre un texte

(McNamara, Jacovina, & Allen, 2016). Dans le cadre des évaluations en lecture, les

questions d'inférences occupent une place de plus en plus importante, ce qui peut expliquer

que la quatrième année soit aussi difficile pour plusieurs lecteurs (Giasson, 2007). Bien

qu’il puisse affecter tous les lecteurs, un climat de classe orienté vers un but de

performance est particulièrement problématique pour les lecteurs en difficulté (Anderson

Swan, 2004), qui doivent surmonter un défi double : lire des textes et répondre

correctement à des questions portant sur ces textes, dont la complexité s'accroit.

Cette difficulté croissante des textes à lire influence aussi la motivation intrinsèque en

lecture : un texte trop difficile peut démotiver certains lecteurs (Schunk & Bursuck, 2016).

À partir de la quatrième année primaire, les textes à lire à l’école sont de plus en plus

difficiles (Giasson, 2011) et les textes courants occupent une place de plus en plus

importante comparativement aux textes narratifs (Sweet & Snow, 2003). La grande variété

de textes courants oblige les lecteurs à être flexibles dans leur utilisation des stratégies de

compréhension (Helder et al., 2013). Lorsque l’écart entre les habiletés des élèves en

lecture et ce qu’ils doivent lire est trop grand, leur perception d’efficacité personnelle en

lecture (c’est-à-dire leur niveau de confiance en leur capacité d’accomplir des tâches liées à

la lecture) diminue (Guthrie & Klauda, 2016). Par conséquent, ils sont moins motivés

intrinsèquement à lire (Schunk & Bursuck, 2016) et éprouvent plus de difficultés à réussir

en lecture.

Page 18: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

7

1.2.3 Le dernier cycle du primaire : un continuum des tendances observées au cycle précédent

En cinquième et sixième année, les tendances observées à partir de la quatrième année se

poursuivent, le climat de performance ayant souvent préséance sur le climat

d’apprentissage et les textes à lire étant de plus en plus complexes (Guthrie, 2008). Les

trajectoires des enfants éprouvant des difficultés sont alors difficiles à modifier si les

interventions qui leur sont destinées ne changent pas (Giasson, 2011). À la fin du primaire,

la capacité des élèves à inférer n'atteint pas sa pleine maturité, ce qui justifie la poursuite du

travail en ce sens dans les années subséquentes (Giasson, 2007). Par ailleurs, il semble que

la motivation à lire des enfants qui réussissent bien en lecture soit relativement stable,

contrairement à celle des lecteurs faibles, qui tend à diminuer (Giasson, 2011). Des élèves

dont les habiletés en lecture sont élevées peuvent toutefois être démotivés à lire, notamment

s’ils aiment lire seulement lorsqu’ils choisissent eux-mêmes leurs livres. Globalement, les

élèves qui sont peu motivés à lire sont tout de même à risque d’éprouver des difficultés en

lecture (Guthrie & Klauda, 2016).

1.2.4 Le « mur » de l’entrée au secondaire

À l’adolescence, le soutien à l’autonomie, qui se traduit par la possibilité offerte aux élèves

de faire des choix, tend à diminuer (Fillman & Guthrie, 2008). Alors qu’ils ont un besoin

grandissant de se sentir autonomes pour définir leur identité, les adolescents ont

généralement peu de contrôle sur le choix des livres à lire ou des activités liées à la lecture

dans le cadre scolaire (Hailey Reed, Lemonnier Schallert, Beth, & Woodruff, 2004;

Anderson Swan, 2004). Giasson (2011) souligne à ce sujet que « l’écart entre ce que les

élèves aiment lire et ce que l’école leur offre s’accroît au cours de la scolarité » (p. 214). Le

peu d’autonomie dont bénéficient les adolescents par rapport aux activités liées à la lecture

scolaire contraste avec la liberté dont ils disposent en lecture à l’extérieur de l’école, où ils

peuvent lire ce qu’ils veulent et quand ils le veulent. Lorsqu’ils ne bénéficient pas d’une

latitude suffisante en ce qui concerne les choix relatifs à la lecture, certains adolescents

rompent leur lien avec la lecture scolaire, ce qui modifie leur identité en tant que lecteur et

leur motivation intrinsèque à lire (Hailey Reed et al., 2004). Par conséquent, leurs

performances en lecture, qui sont liées à cette motivation (Wigfield, Gladstone, & Turci,

2016), sont aussi affectées.

Page 19: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

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Par ailleurs, les tendances observées depuis la quatrième année du primaire – un climat de

classe souvent orienté vers un but de performance et des textes à lire de plus en plus

difficiles – s’amplifient au secondaire. La complexité grandissante des textes à lire s’étend

désormais à toutes les disciplines (Biancarosa & Snow, 2006; Davidson, 2008). En ce sens,

le Programme de formation de l’école québécoise semble attribuer une lourde

responsabilité aux lecteurs adolescents : « C’est à l’élève qu’il revient de mobiliser, dans

toutes les autres disciplines, les apprentissages qu’il effectue en français, notamment en ce

qui a trait à la lecture, dont le rôle est capital. » (MÉQ, 2006, p. 95)

Malgré que la compétence à lire soit transdisciplinaire, plusieurs enseignants – toutes

disciplines confondues – ne sont pas convaincus du rôle significatif qu’ils ont à jouer dans

le développement de la littératie chez leurs élèves (Davidson, 2008; Buehl, 2007), ou à tout

le moins ne savent pas de quelle façon enseigner à leurs élèves comment comprendre un

texte (Giasson, 2011). Par conséquent, ils se concentrent sur les contenus à enseigner et non

sur la façon de lire efficacement (Davidson, 2008; Van Grunderbeeck, Théorêt, Chouinard,

& Cartier, 2004). Pourtant, les besoins des adolescents qui entrent au secondaire semblent

bien réels puisqu’ils sont nombreux dont les processus4 de haut niveau (par exemple,

utiliser ses connaissances pour déduire une information qui n'est pas explicitement

mentionnée dans un texte) et les connaissances nécessaires pour comprendre des textes sont

lacunaires (van den Broek & Kremer, 2000). Les élèves dont les habiletés de haut niveau en

lecture ne sont pas suffisamment maitrisées prennent du retard dans plusieurs disciplines

parce qu’ils éprouvent de la difficulté à lire pour apprendre (Salinger, 2007).

1.2.5 De la première à la cinquième secondaire : un écart grandissant entre les lecteurs efficaces et ceux en difficulté

Entre la première et la cinquième secondaire, on observe un accroissement majeur de

l’écart séparant les lecteurs efficaces de ceux en difficulté (Garbe, Holle, Weinhold, Meyer-

Hamme, & Barton, 2010b). La croissance de cet écart peut notamment s’expliquer par les

facteurs dont il a été question précédemment : la complexité des textes à lire dans toutes les

disciplines, la déresponsabilisation de plusieurs enseignants vis-à-vis de l’enseignement de

4 Les processus de compréhension sont des opérations cognitives qui permettent au lecteur de comprendre un texte. Il en sera question dans la section 2.11 du prochain chapitre.

Page 20: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

9

la littératie et le climat de classe orienté vers un but de performance. Alors que les lecteurs

forts parviennent à surmonter les défis qui leur sont proposés en lecture et vivent des

réussites qui nourrissent leur motivation, les lecteurs faibles vivent exactement le contraire :

Students who constantly experience failure in reading will avoid reading tasks as far as possible. A negative reading motivation results in refusing to read which in turn leads to a lack of reading skills. This deficiency nourishes the anticipation that one will be unable to understand the assigned text, which in its turn leads to a new attempt at avoidance and blocks the further development of competences. (Garbe et al., 2010b, p. 31)

Cette dynamique correspond à ce que certains chercheurs (voir par exemple Giasson, 2011)

appellent le cycle de l’échec en lecture.

1.2.6 La lecture à l’âge adulte : un prolongement de la lecture à l’adolescence

Le développement prototypique de la compétence à lire observé par Garbe et al. (2010b)

chez les lecteurs efficaces et chez les lecteurs en difficulté montre que l’écart qui se creuse

entre ces deux groupes au fil des années du secondaire demeure relativement stable à l’âge

adulte. L’adolescence constitue par conséquent une période charnière pour l’apprentissage

de la lecture, dans la mesure où elle représente en quelque sorte la dernière occasion pour

les enseignants de former des lecteurs compétents, autonomes et capables de surmonter les

défis que propose la société actuelle. Nous adhérons donc au point de vue des auteurs qui

plaident pour la poursuite de l’enseignement de la compréhension en lecture au secondaire

(voir par exemple Conley, 2009; Davidson, 2008; Buehl, 2007), dans toutes les disciplines :

« The philosophy that it is too late to make a difference by the time a student reaches the

upper grades and that all that we can do is simply help them “get through” the assigned

work, is no longer viable. » (Hammond Stoughton, 2008, p. 89) Afin d’identifier les

besoins des adolescents qui éprouvent des difficultés en lecture, nous comparerons leur

portrait à celui des lecteurs efficaces, tel que le suggèrent Garbe et al. (2010b).

1.3 Ce que l’on sait à propos des lecteurs efficaces et de ceux en difficulté à l’adolescence

Les lecteurs efficaces se distinguent à plusieurs égards de ceux qui éprouvent des difficultés

à l’adolescence. Nous faisons le point sur l'état des connaissances en ce qui concerne les

particularités de ces différents lecteurs. Nous exposons ensuite les principaux résultats

Page 21: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

10

d'une étude menée par Goigoux (2000), qui a analysé ce que font les lecteurs en difficulté

pour comprendre un texte.

1.3.1 Des portraits de lecteurs adolescents

Dans la littérature anglo-saxonne, des auteurs ont comparé les lecteurs adolescents efficaces

à ceux en difficulté. Du côté francophone, Giasson (2011) a mis en évidence plusieurs

caractéristiques de ces deux groupes de lecteurs. Même si elles réfèrent aux lecteurs enfants

(12 ans et moins), plusieurs de ces caractéristiques sont transposables à l’adolescence. Les

lecteurs efficaces ont des habiletés élevées en décodage, en vocabulaire et en fluidité

(Carnine & Grossen, 2008). Avant leur lecture, ils activent leurs connaissances antérieures

et sont motivés à lire, tentent de se faire une idée générale du texte et se donnent des

intentions de lecture (Garbe et al., 2010b). Selon leurs intentions de lecture, ils sont

capables de choisir des stratégies de lecture appropriées (van den Broek et al., 2016).

Pendant leur lecture, ces lecteurs efficaces mobilisent plusieurs stratégies, dont la création

de liens avec leurs connaissances antérieures, la formulation de questions, la visualisation,

la génération d’inférences, la sélection des informations importantes et la synthèse (Buehl,

2007; Garbe et al., 2010b). Ils adaptent également leur lecture au degré de difficulté du

texte, modulant leur vitesse et choisissant le type de lecture approprié (balayage, survol,

lecture rapide, lecture analytique, révision, etc.) en fonction du but poursuivi (Garbe et al.,

2010b; Helder et al., 2013). Ils s’autorégulent en activant leurs processus métacognitifs, par

exemple en mettant en relation leur compréhension en cours de lecture avec leurs attentes

(Garbe et al., 2010b). Ils savent quand ils comprennent et quand ils ne comprennent pas ce

qu’ils lisent, et savent quelles stratégies utiliser pour résoudre leurs problèmes de

compréhension (Giasson, 2011). Pour remédier à leurs incompréhensions, ils disposent

d’un répertoire de stratégies (Hammond Stoughton, 2008). Après leur lecture, les lecteurs

efficaces font le bilan de ce qu’ils ont lu de façon formelle ou informelle (Garbe et al.,

2010b).

Le portrait des lecteurs adolescents en difficulté est tout autre. De façon générale, ils sont

peu motivés à lire et ont peu confiance en leurs habiletés à répondre aux exigences scolaires

(Garbe et al., 2010b). Ils sont pour la plupart incapables d’identifier les causes de leurs

difficultés. Ils lisent peu et entretiennent une attitude négative par rapport à la lecture. Ils

Page 22: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

11

ont parfois une conception erronée de ce qu’implique comprendre un texte. À titre

d’exemple, certains adolescents en difficulté pensent que la signification d’un texte est

littéralement indiquée dans le texte; ils sont peu conscients de l’engagement cognitif que

nécessite la construction de la représentation cohérente d’un texte. Les lecteurs en

difficultés éprouvent généralement de la difficulté à choisir le type de lecture approprié (par

exemple survoler un texte ou en faire une lecture analytique) en fonction du but poursuivi

et des difficultés du texte et disposent souvent d’une quantité limitée de ces types de

lecture. Ils parviennent plus difficilement que les lecteurs efficaces à analyser les indices

essentiels à la compréhension d’un texte (van den Broek et al., 2016). Ils connaissent moins

de stratégies et y recourent moins que les lecteurs efficaces (Garbe et al., 2010b). Les

lecteurs en difficulté recourent difficilement à des stratégies d’autorégulation : ils

mobilisent surtout des stratégies simples et surestiment leurs habiletés en compréhension

(Garbe et al., 2010b). Ils ne savent souvent pas quelles stratégies utiliser pour résoudre

leurs problèmes de compréhension : « [Ils] continuent souvent à lire longtemps après avoir

perdu le fil du texte. » (Giasson, 2011, p. 268) Les lecteurs en difficulté ont également

tendance à lire plus lentement et ont besoin de fournir un effort cognitif plus grand que les

lecteurs efficaces pour accomplir une même tâche (Reynolds, Cho, & Hutchison, 2016).

Bien que ces portraits des lecteurs adolescents efficaces et en difficulté constituent des

références incontournables pour comprendre ce qu’implique la lecture de textes à

l’adolescence, ils ne montrent pas concrètement comment se manifestent les structures d’un

lecteur (par exemple, ses connaissances) et ses processus (c’est-à-dire tout ce qu’il fait pour

comprendre) en contexte réel.

1.3.2 Les structures et les processus du lecteur en contexte réel

Un volet d’une étude de Goigoux (2000) a permis d’observer la manifestation des

structures et processus lorsque des élèves lisent un texte. Des entretiens cliniques menés

auprès de 48 élèves ont permis « [d’] analyser la manière dont les élèves comprenaient [un]

texte, les connaissances déclaratives dont ils disposaient sur l’activité de lecture, les

procédures et les stratégies qu’ils pouvaient mobiliser » (p. 63-64). Les résultats indiquent

que les élèves en difficulté présentent deux déficiences communes en lecture. La première

est leur représentation erronée ou incomplète de ce qu'est la lecture. Goigoux (2000)

Page 23: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

12

précise à ce sujet que les lecteurs en difficulté ayant participé à son étude sont nombreux à

ne pas reconnaitre la lecture comme une activité nécessitant de chercher à comprendre au

fil du texte, de mémoriser les principales informations et d'aller au-delà des mots qui sont

explicités dans le texte. La deuxième déficience commune aux lecteurs en difficulté ayant

participé à l'étude de Goigoux (2000) est leur faible conscience de leurs propres procédures

de lecture et des moyens qui peuvent être utilisés pour mieux comprendre un texte, par

exemple ralentir sa lecture dans un passage difficile, s'arrêter de lire pour faire le bilan de sa

compréhension et revenir en arrière. En dépit des éclairages qu'apportent ces constats, il

reste que les caractéristiques de l’échantillon ayant participé à l'étude de Goigoux (2000) –

élèves de SEGPA, c’est-à-dire évoluant dans les sections d’enseignement général et

professionnel adapté, dont 97 % étaient issus de la catégorie socioculturelle la plus

défavorisée – ne permettent pas de généraliser les résultats. Par ailleurs, le texte que

Goigoux a utilisé dans le cadre de son étude était très bref (180 mots); il semblait bien

cadrer dans les intérêts des élèves et son niveau de difficulté était adapté à leurs

compétences. Il ne s'agissait donc pas d'un texte résistant au sens où l'entend Tauveron

(1999), soit « [un texte] qui ne se [laisse] pas résumer aisément [ou] [un texte] qui ne [livre]

pas [son] sens symbolique aisément » (p. 18). En ce sens, il est possible que les lecteurs qui

tentent de comprendre un texte ne se comportent pas de la même façon selon le défi que la

compréhension de ce texte représente pour eux.

Goigoux (2000) représente à notre connaissance un des rares auteurs francophones à avoir

analysé de manière qualitative les performances et les difficultés des adolescents en lecture

au cours des deux dernières décennies. Du côté anglo-saxon, c’est moins la rareté des

recherches menées sur l’enseignement et l’apprentissage de la lecture à l’adolescence que

leur disproportion en comparaison avec les travaux ciblant les jeunes lecteurs qui retient

l’attention. De plus, les recherches menées relativement à la lecture sont beaucoup plus

nombreuses à s’être intéressées aux processus de base qu’aux processus de haut niveau

activés pour comprendre des textes (Helder et al., 2013). C'est sur la base de ces « trous »

dans les connaissances que nous entendons mener notre étude.

Page 24: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

13

1.4 Problème et objectifs de recherche

L’activité de lecture des adolescents en contexte réel doit être étudiée auprès d'une

population diversifiée sur le plan des habiletés afin de mieux comprendre ce qui distingue

les lecteurs efficaces de ceux qui éprouvent des difficultés. De surcroit, cette activité de

lecture doit être étudiée à partir d'un texte dont la longueur représente minimalement ce que

les adolescents sont susceptibles de lire en contexte scolaire. Aussi nous apparait-il

pertinent d'étudier l'activité de lecture des adolescents à partir d'un texte résistant afin de

mieux comprendre ce que font les lecteurs lorsqu'ils ne comprennent pas ce qu'ils lisent.

L’objectif général de notre projet est le suivant : étudier les facteurs cognitifs, textuels et

contextuels influençant la compréhension d’une nouvelle littéraire résistante par des

adolescents de 13 à 17 ans. Plus précisément, il s’agit :

1- d’identifier les facteurs cognitifs, textuels et contextuels ayant influencé la

compréhension de la nouvelle littéraire Solidarité (Calvino, 2009);

2- de montrer de quelle façon ces facteurs ont influencé l’activation des processus de

compréhension par les lecteurs;

3- d’identifier les principaux processus dont l’activation a influencé positivement ou

négativement la qualité de la compréhension du texte.

1.5 Pertinence sociale de s’intéresser aux capacités des adolescents en lecture et retombées didactiques envisageables

L’étude des facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension

d’une nouvelle littéraire résistante par des adolescents nous permettra de mieux

comprendre les difficultés qu’éprouvent certains d’entre eux lorsqu’ils lisent des textes

scolaires qui représentent un défi pour eux. Plus précisément, nous nous intéresserons à la

relation entre ce que les lecteurs font pour comprendre un texte (leurs processus de

compréhension) et la qualité de leur compréhension (le produit de leur compréhension)

(McNamara et al., 2016). Certes, les facteurs qui seront identifiés ne seront pas

généralisables, mais ils auront à tout le moins le mérite d’émerger d’un contexte de lecture

réel (la lecture d'une nouvelle littéraire résistante de 720 mots) impliquant des lecteurs

québécois.

Page 25: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

14

Au-delà de l’importance de poursuivre l’enseignement de la lecture tout au long de la

scolarité secondaire que nous souhaitons réitérer par notre recherche, nous espérons que

nos observations permettront de mieux cibler les facteurs cognitifs, textuels et contextuels

sur lesquels les enseignants ont un certain pouvoir d'action. Nous souhaitons aussi que

notre projet oriente les enseignants désireux de contribuer au développement des processus

de compréhension chez les élèves, notamment les processus métacognitifs, qui permettent

la régulation de l’activité de lecture (par exemple la détection des incompréhensions et la

prise de moyens pour y remédier).

Page 26: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

15

CHAPITRE 2: PRÉSENTATION DU CADRE THÉORIQUE Ce chapitre présente le cadre théorique sur lequel s'appuiera notre analyse. Après avoir

défini la compréhension en lecture et montré sa complexité, nous présentons la perspective

cognitiviste qui servira d'ancrage à notre modèle de la compréhension en lecture. Nous

exposons ensuite les facteurs qui influencent la lecture : les facteurs socioculturels, les

facteurs liés au lecteur, les facteurs textuels et les facteurs liés au contexte immédiat dans

lequel se déroule la lecture. Puis, nous présentons deux variables qui sont influencées par

l'interaction du lecteur, du texte et du contexte de lecture : la motivation à lire et les

standards de cohérence. Enfin, nous définissons les différents processus activés pour

comprendre un texte, montrons leur interaction et clarifions en quoi ils se distinguent des

stratégies. À la toute fin du chapitre, nous revenons brièvement sur notre objectif général de

recherche et formulons les questions de recherche qui en découlent.

2.1 Qu’est-ce que la compréhension?

Pour comprendre un texte, un lecteur doit parvenir à une représentation mentale cohérente

de ce texte, c'est-à-dire qu'il doit établir des liens entre les idées du texte (Zwaan & Singer,

2003), de façon à ce qu'elles se tiennent logiquement. Cette représentation mentale est

construite par la combinaison d'informations explicites (que le lecteur prélève directement

dans le texte) et implicites (que le lecteur déduit en utilisant ses connaissances personnelles

pour « lire entre les lignes ») (Giasson, 2011). Au fil de la lecture, la représentation mentale

d'un texte par un lecteur évolue : les liens qui unissent les différentes informations intégrées

se modifient, ce qui implique une réorganisation globale des informations (Zwaan &

Singer, 2003). Ainsi peut-on qualifier la représentation mentale d'un texte par un lecteur de

dynamique (Giasson, 2011).

Pour comprendre comment interagissent les informations explicites et implicites du texte

avec les connaissances d’un lecteur, il faut examiner de plus près les différents niveaux de

compréhension.

2.2 Les niveaux de compréhension

Les élèves peuvent manifester différents niveaux de compréhension allant d’une

compréhension de base à une compréhension fine du texte (Giasson, 2011). Plusieurs

Page 27: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

16

auteurs (voir par exemple McNamara et al., 2016) font référence à trois niveaux de

compréhension : la compréhension littérale (surface representation), la compréhension

inférentielle (text representation) et la compréhension critique (situation model).

La compréhension littérale provient de l’information donnée précisément dans le texte

(Giasson, 2011). Elle inclut le traitement des mots et de leur relation (McNamara et al.,

2016). La compréhension inférentielle exige quant à elle que le lecteur fasse des liens qui

ne sont pas donnés explicitement par l’auteur entre les différentes parties du texte (Giasson,

2011). Seules les inférences (c’est-à-dire les liens établis par le lecteur) nécessaires pour

établir la cohérence locale ou globale d’un texte font partie de la compréhension

inférentielle (van Dijk & Kintsch, 1983). Pour faire le rappel d’un texte, par exemple, une

compréhension inférentielle est généralement suffisante (Kintsch, 1994). La compréhension

critique implique qu’un lecteur fasse des liens entre les propos de l’auteur – explicites et

implicites – et sa propre conception du monde (Giasson, 2011). Dans une telle optique, les

connaissances générales et les expériences spécifiques sont les fondements de

l’interprétation d’un texte, qui s’apparente à ce que nous désignons ici comme la

compréhension critique (van Dijk & Kintsch, 1983). Pour répondre à des questions de

compréhension difficiles impliquant le raisonnement ou la résolution de problèmes, par

exemple, une compréhension critique est généralement nécessaire (Graesser, Millis, &

Zwaan, 1997; McNamara et al., 2016). Puisque les lecteurs n’ont pas tous les mêmes

connaissances, ils ne partagent pas nécessairement la même compréhension critique d’un

texte (Kintsch, 1994). Pour atteindre les deuxième et troisième niveaux de compréhension

que nous venons de présenter, un lecteur doit fournir des efforts relativement importants et

activer des processus de compréhension complexes (McNamara et al., 2016) – il sera

question de ces opérations cognitives dans la section 2.11.

2.3 La complexité de la lecture

La compréhension comporte plusieurs facettes : la reconnaissance des mots et de leur

signification (qui peut souvent être déduite en contexte), l’activation de connaissances

antérieures pertinentes, la génération d’inférences et la réparation des pertes de

compréhension (Giasson, 2011). Si certains auteurs sont d’avis que comprendre un texte

n’est pas plus complexe que les autres actions humaines impliquant le langage (Van Dijk &

Page 28: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

17

Kintsch, 1983), d’autres précisent que la lecture est l’une des activités cognitives humaines

les plus complexes (van den Broek & Kremer, 2000). L'acquisition des connaissances et

des habiletés nécessaires pour comprendre un texte s'échelonne d'ailleurs sur plusieurs

années, contrairement à l'acquisition des habiletés nécessaires pour reconnaitre des mots,

qui se réalise souvent dans un intervalle de temps assez court (Catts, 2009). Les différentes

théories de la lecture rendent compte de sa complexité. Selon leur façon d’appréhender la

lecture, les théoriciens proposent des modèles de lecture s’inscrivant dans l’une ou l’autre

des trois conceptions de la psychologie cognitive en lecture définies par Fijalkow (2000).

2.4 Trois conceptions de la psychologie cognitive en lecture

Fijalkow (2000) présente trois conceptions cognitivistes de la lecture-écriture : la

conception fonctionnaliste – dont le modèle de référence est la « machine à lire » –, la

conception génétique constructiviste – qui se réfère au modèle du sujet actif – et la

conception socioconstructiviste – qui a pour modèle de référence le sujet actif en contexte.

À l’instar de Fijalkow (2000), nous croyons que la conception socioconstructiviste est la

seule en mesure de couvrir le champ de la psychologie cognitive de la lecture-

écriture : « La psychologie socioconstructiviste, par son souci de prendre en compte tant le

sujet que l’école, offre des perspectives plus larges que les deux premières conceptions et

apparaît dès lors comme plus heuristique. » (p. 101) Étant donné notre volonté de

comprendre l’ensemble des variables susceptibles d’avoir un effet dynamisant sur l’activité

cognitive du lecteur – incluant les variables de la vie sociale –, nous retiendrons la

conception socioconstructiviste de la psychologie cognitive pour étudier les facteurs

cognitifs, textuels et contextuels qui interviennent lorsque des adolescents tentent de

comprendre un texte littéraire résistant. Dans les sections qui suivent, nous présenterons les

facteurs qui influencent la compréhension en partant des plus généraux pour aller vers les

plus particuliers. Pour ce faire, nous discuterons d’abord des facteurs socioculturels qui

influencent la lecture. Ensuite, nous nous intéresserons aux variables immédiates de la

lecture : le lecteur, le texte et le contexte.

Page 29: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

18

2.5 Le contexte socioculturel et son influence sur la compréhension

Plusieurs facteurs propres au contexte socioculturel influencent la compréhension (Learned

& Birr Moje, 2016). Ces facteurs sont liés aux contextes de la classe et de l’école ainsi

qu’aux contextes socioéconomique et familial (Giasson, 2011). Le contexte socioculturel

dont il est ici question se distingue du contexte social immédiat dans lequel prend place la

lecture, ce dernier correspondant aux interventions de l’enseignant ou des pairs pendant la

lecture. Il sera question du contexte social dans la section 2.8.2.

2.5.1 Le contexte de la classe

Le contexte de la classe influence les résultats des élèves en lecture (Allington & Gabriel,

2016). Les facteurs liés au contexte de la classe qui peuvent influencer la compréhension en

lecture sont, par exemple, le type d’enseignement dispensé, le temps accordé à la lecture en

classe, les pratiques de regroupement et les ressources matérielles (Giasson, 2011; Irwin,

2007). Nous présentons dans les pages suivantes chacune de ces variables, auxquelles nous

ajoutons le climat de la classe.

Le climat de la classe

Le climat de la classe – tel qu’il a été défini au chapitre précédent – influence de façon

importante la façon dont les élèves abordent la lecture (Anderson Swan, 2004). Lorsque la

structure d’une classe est orientée vers un but de performance, les pratiques qu’elle met en

place accentuent les différences entre les habiletés et les résultats des élèves en lecture. Ces

derniers sont alors plus enclins à percevoir que faire mieux que les autres ou obtenir

la « bonne réponse » constituent les principales préoccupations en classe (Kaplan et al.,

2002). Un tel climat de classe est la plupart du temps peu propice aux discussions par

rapport aux problèmes complexes que posent les textes à lire et il est peu favorable à la

formulation de multiples interprétations des textes par les élèves (Allington & Gabriel,

2016).

À l’opposé, Kaplan et al. (2002) soulignent qu’une structure de classe orientée vers un

climat d’apprentissage met l’accent sur l’importance du développement intellectuel, ce qui

montre aux élèves que la qualité du travail et la compréhension sont les principales

préoccupations dans la classe. Ces auteurs précisent qu’une classe peut adopter une

Page 30: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

19

structure à buts multiples, et que les pratiques enseignantes orientées vers un but de

performance n’excluent pas la possibilité que des élèves éprouvent du plaisir. Tout dépend

de leur perception : deux élèves peuvent interpréter de façons différentes une même

pratique enseignante, le premier décidant de poursuivre un but de performance et le

deuxième un but d’apprentissage.

Le type d’enseignement dispensé

Si le milieu scolaire a peu tendance à remettre en question l’enseignement lui-même pour

expliquer les problèmes de compréhension, la compétence à enseigner la compréhension est

pourtant un important facteur de réussite après les habiletés en lecture (Giasson, 2011). Les

recherches des dernières années montrent toutefois que la compréhension en lecture est peu

enseignée en classe (Giasson, 2011), et peu d’évaluations sérieuses ont à ce jour permis de

s’assurer que les enseignants recouraient à des pratiques éprouvées par la recherche pour

enseigner la lecture (Davidson, 2008). Pour améliorer la compréhension des élèves en

lecture, une intervention éprouvée consiste à enseigner des stratégies de lecture : « il faut

amener les élèves à s’engager activement dans le processus de lecture en leur montrant

comment le faire, c’est-à-dire en leur enseignant les stratégies cognitives et métacognitives

de compréhension pour qu’ils deviennent des apprenants stratégiques. » (MELS, 2012, p.

51) À l’instar d’Almasi et Hart (2011), nous sommes toutefois consciente qu’un tel

enseignement ne sera efficace que s’il respecte rigoureusement certaines conditions : 1- cet

enseignement doit être réalisé dans un contexte de lecture authentique; 2- il doit être orienté

vers l’élève plutôt que vers les stratégies et 3- il doit permettre un réinvestissement des

stratégies enseignées. De plus, des recherches récentes tendent à montrer que

l’enseignement des stratégies n’est pas efficace s’il n’est pas combiné à d’autres pratiques

favorisant la motivation à lire : « Because efforts focused primarily on building skills and

instructing about strategies have failed to improve student’s performance and narrow

academic gaps in achievement, some researchers have begun to explore how children’s

motivation to read relates to reading comprehension. » (Wigfield et al., 2016) En ce sens,

nous croyons fortement que la prise en compte des aspects affectifs et cognitifs de la lecture

est impérative pour permettre le développement des habiletés des adolescents en

compréhension de l’écrit.

Page 31: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

20

Le temps accordé à la lecture en classe

Comme le rapportent Fumel et Trosseille (2011) : « La fréquence à laquelle les élèves lisent

est fortement corrélée à leurs résultats en compréhension de l’écrit. » (p. 66) Si le pouvoir

d’action des enseignants sur le temps que leurs élèves consacrent à la lecture en dehors de

la classe peut sembler limité, le pouvoir de ces enseignants sur le temps alloué à la lecture

en classe est plutôt important. Ce temps consacré à la lecture en classe nous apparait

particulièrement signifiant pour les lecteurs en difficulté, qui ont tendance à lire moins

souvent parce qu’ils sont moins motivés, ce qui freine l’enrichissement de leur vocabulaire

et l’amélioration de leurs facultés de compréhension comparativement aux lecteurs plus

compétents (Fumel & Trosseille, 2011).

Les pratiques de regroupement

Lorsqu’ils ont la possibilité d’interagir entre eux ou avec leur enseignant, les élèves sont

davantage outillés pour comprendre un texte (Irwin, 2007; Giasson, 2011). Garbe, Gross,

Holle et Weinhold (2010c) précisent que les interactions doivent permettre aux lecteurs

éprouvant des difficultés d’exprimer leurs problèmes ou leurs incompréhensions de lecture

sans avoir peur de l’humiliation. Ils ajoutent que les dialogues enseignants-élèves axés sur

une approche cognitive sont particulièrement efficaces – l’influence des interactions avec

un enseignant ou avec des pairs sur la compréhension en lecture sera davantage discutée

dans la section 2.8.2, alors qu’il sera question du contexte social immédiat dans lequel se

déroule la lecture. En plus du soutien cognitif qu’elle représente pour la compréhension de

l’écrit, la collaboration procure également des bienfaits affectifs aux lecteurs,

particulièrement à l’adolescence (Guthrie & Davis, 2003) – nous reviendrons sur cet aspect

dans la section 2.9.3, alors qu’il sera question de motivation.

Les ressources matérielles

Les textes lus en classe influencent les résultats des élèves en lecture (Allington & Gabriel,

2016). Fumel et Trosseille (2011) insistent sur l’importance de la variété du matériel : « Les

élèves qui ont des lectures variées obtiennent de bons scores en compréhension de l’écrit.

Ils sont plus performants que les élèves dont les habitudes de lecture sont uniformes. » (p.

66) Offrir aux élèves une diversité de matériel à lire est d’autant plus nécessaire à

Page 32: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

21

l’adolescence que les élèves perçoivent une diminution des occasions de lire des textes

diversifiés en classe à partir de la quatrième année du primaire et pour les années

subséquentes (Guthrie & Davis, 2003). En ayant accès à une variété de matériel à lire, les

élèves peuvent plus facilement découvrir des livres qui correspondent à leurs gouts (Irwin,

2007).

2.5.2 Le contexte de l’école

Le contexte de l’école influence lui aussi l’apprentissage de la lecture. Il peut s’agir du

climat général de l’école, de la volonté de l’ensemble du personnel d’assurer la réussite des

élèves ou de l’organisation des services et des politiques mises en place par l’école pour

aider les élèves en difficulté (Giasson, 2011). Lorsqu’un lecteur est identifié comme étant

en difficulté, le contexte scolaire peut à la fois l’aider ou lui nuire, dépendamment des

mesures mises en place, de la façon dont elles le sont et de leur perception par le lecteur

(Learned & Birr Moje, 2016). Garbe, Gross, Holle et Weinhold (2010d) identifient

l’implication des enseignants et le support des directions comme un élément clé afin

d’améliorer les pratiques enseignantes liées à la littératie au secondaire. Les auteurs

précisent que la collaboration entre administrateurs et enseignants est essentielle pour que

des programmes visant l’amélioration de la littératie soient implantés. Ils ajoutent que, pour

mettre en place de tels programmes, les enseignants doivent être préoccupés par le

développement de la compétence en lecture des adolescents, et qu’une formation continue

doit leur être dispensée.

2.5.3 Le contexte socioéconomique

Le contexte socioéconomique est lié à la réussite en lecture, notamment parce qu’il

influence la valeur accordée par un élève à la lecture (Irwin, 2007; Giasson, 2011). Giasson

(2011) identifie deux types de mesures devant être distingués lorsqu’il est question de

l’influence des milieux socioéconomiques sur la lecture : les mesures distales, qui

considèrent la profession, le revenu et la scolarité des parents, et les mesures proximales,

qui correspondent au comportement des parents. L’auteure précise que ces deux types de

mesures sont liés au rendement des enfants en lecture.

Page 33: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

22

2.5.4 Le contexte familial

Le contexte familial est particulièrement important dans l’apprentissage de la lecture des

enfants, qui arrivent à l’école avec des capacités et une conception de la lecture qui sont

tributaires du milieu familial dans lequel ils évoluent (Giasson, 2011). À l’adolescence, le

contexte familial continue d’exercer une influence sur la réussite en lecture : « Adolescents

who [experience] less cognitively enriched and emotionally supportive home environments

[exhibite] more school behavior problems, which [are] related to lower reading » (Keegan

Eamon, 2002, p. 69). Parmi les facteurs familiaux qui influencent la réussite des enfants en

lecture, Bhattacharya (2010) identifie le revenu familial, les ressources disponibles en

littératie, la scolarité des parents et les pratiques parentales. Selon la perspective adoptée –

psychosociale ou socioculturelle –, la relation entre la pauvreté et la réussite en lecture

diffère quelque peu :

The psychosocial perspective states that family income is predictive of reading achievement and that poverty has an adverse effect on reading achievement. Conversely, the sociocultural perspective asserts that lower reading achievement is not necessarily due to household poverty but rather is often due to a paucity of in-home literacy experiences. (Bhattacharya, 2010, p. 135)

Bien que nous endossions le point de vue selon lequel les expériences en littératie vécues

par des enfants sont davantage déterminantes de leur réussite en lecture que le revenu de

leurs parents, nous reconnaissons du même souffle que l’accès au matériel à lire est une

condition sine qua non pour que des parents puissent faire vivre à leurs enfants des

expériences de littératie stimulantes. À ce sujet, Irwin (2007) mentionne qu’au cours de

l’été, les élèves issus de milieux défavorisés perdent davantage d’acquis que ceux issus de

milieux mieux nantis, possiblement à cause de leur accès plus difficile aux livres.

La figure suivante regroupe les facteurs liés au contexte socioculturel influençant la lecture

dont nous avons discuté au cours des pages précédentes.

Page 34: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

23

Figure 1: Les facteurs liés au contexte socioculturel de la lecture

Dans les pages qui suivent, il sera question des trois variables influençant directement l’acte

de lecture : la variable « lecteur », la variable « texte » et la variable « contexte ». Nous

tenterons de montrer de quelle façon les facteurs liés à chacune de ces variables peuvent

favoriser ou entraver la compréhension en lecture.

2.6 La variable « lecteur » et son influence sur la compréhension

Les lecteurs présentent tous des caractéristiques individuelles qui influencent leur

compréhension (Giasson, 2011). Nous présenterons ici les caractéristiques que Giasson

désigne comme les « structures cognitive et affective » du lecteur, c’est-à-dire « ce que le

lecteur est » de façon générale.

Page 35: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

24

2.6.1 La structure cognitive du lecteur

La capacité de la mémoire de travail et son accès

Aussi appelée mémoire à court terme, la mémoire de travail permet à un lecteur de retenir

temporairement un certain nombre d’informations nécessaires pour comprendre un texte.

Elle est contrainte par sa capacité limitée – les informations ne peuvent y être toutes

emmagasinées – et par ses conditions d’accès – une information ne peut être récupérée que

si elle est liée à la nouvelle information traitée (van Dijk & Kintsch, 1983). La capacité de

la mémoire de travail et son accès varient d’un individu à l’autre et influencent les habiletés

en compréhension (van den Broek et al., 2016; Prat, Seo, & Yamasaki, 2016). Un accès

difficile à la mémoire de travail peut nuire à la compréhension au même titre que sa faible

capacité (Kintsch & van Dijk, 1978). Lorsqu’une information est traitée de façon

inconsciente, elle n’est pas emmagasinée dans la mémoire à court terme (van Dijk &

Kintsch, 1983). C’est ce qui explique que l’automatisation des processus de bas niveau par

un lecteur lui permette de consacrer ses ressources attentionnelles à l’activation de

processus plus complexes (Prat et al., 2016; van den Broek, 2012; van Dijk & Kintsch,

1983). Par exemple, un lecteur dont le processus de décodage des mots est automatisé peut

davantage consacrer ses ressources attentionnelles à la génération d’inférences, processus

de haut niveau qui se produit lorsqu’un lecteur ajoute de l’information au contenu explicite

d’un texte pour le comprendre (Giasson, 2011).

Les connaissances sur la langue et sur le monde

Les connaissances sont indispensables à la compréhension : « Comprehension simply

cannot occur when nothing is already “known”, because then there is nothing to which the

reader can link the “new.” » (Irwin, 2007, p. 142) Les lecteurs utilisent les connaissances

qu’ils ont en mémoire pour comprendre et interpréter de nouvelles informations (Kendeou

& O’Brien, 2016). Ces connaissances font donc partie du filtre à travers lequel les lecteurs

perçoivent le monde (Kintsch, 1988). Giasson (2011) distingue les connaissances sur la

langue et les connaissances sur le monde. Elle classe les connaissances sur la langue en

quatre types : phonologiques, syntaxiques, sémantiques et pragmatiques. Quant aux

connaissances sur le monde, l’auteure affirme qu’elles « correspondent aux schémas que le

lecteur a élaborés et accumulés tout au long de sa vie » (p. 9). Ces schémas peuvent prendre

Page 36: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

25

la forme d’un concept ou d’un réseau de concepts à propos d’un objet, d’une idée, d’un

phénomène, etc. (Irwin, 2007). À l’intérieur de ce réseau, les connaissances entretiennent

entre elles des liens pouvant être plus ou moins forts (Kintsch, 1988). Plus ces liens sont

forts, plus l’accès aux connaissances est facile (Kendeou & O’Brien, 2016). Pour établir la

cohérence d’un texte, un lecteur doit accéder à ses connaissances et ainsi générer des

inférences afin de combler les vides laissés dans le texte par un auteur (van den Broek,

2012). L’étendue et la pertinence des connaissances d’un lecteur influencent donc sa

compréhension d’un texte (van den Broek et al., 2016; Helder et al., 2013). Par exemple,

des connaissances erronées peuvent nuire à l’acquisition de nouvelles connaissances parce

qu’elles mènent souvent à la génération d’inférences incorrectes (Kendeou & O’Brien,

2016).

2.6.2 La structure affective du lecteur

L’attitude générale par rapport à la lecture

Giasson (2011) distingue l’attitude par rapport à la lecture, qui renvoie au sentiment positif

éprouvé en lisant, et la motivation à lire, liée à la décision de lire. Puisque l’attitude par

rapport à la lecture influence la motivation à lire (Giasson, 2011), elle peut favoriser la

compréhension ou lui nuire. Un lecteur ayant une attitude positive envers la lecture sera

plus enclin à lire, ce qui favorisera sa compréhension : « dans presque tous les pays, les

élèves qui prennent le plus de plaisir à lire obtiennent des scores nettement supérieurs à

ceux qui en prennent moins. » (Fumel & Trosseille, 2011, p. 65)

L’image de soi en tant que lecteur

L’attitude par rapport à la lecture est fortement liée à l’image de soi en tant que lecteur. La

perception qu’un lecteur a de lui-même reflète généralement les expériences de lecture

positives ou négatives qu’il a vécues et les rétroactions gratifiantes ou peu gratifiantes qu’il

a reçues par rapport à ses performances en lecture (Garbe et al., 2010b). Une fois formée,

cette image représente un obstacle majeur pour les lecteurs en difficulté, qui sont moins

enclins à s’engager dans la lecture, ce qui nuit à leurs performances en lecture (Fumel &

Trosseille, 2011).

Page 37: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

26

Les centres d’intérêt

Un intérêt pour le matériel à lire favorise la motivation : « Les élèves sont plus motivés à

lire lorsque le texte porte sur un sujet qui les intéresse. L’intérêt pour le livre peut faire la

différence entre poursuivre la lecture ou l’abandonner. » (Giasson, 2011, p. 213) Lorsqu’un

lecteur est désintéressé par un texte, le temps qu’il investit pour lire ce texte peut se traduire

par un impact non significatif, voire même négatif sur ses habiletés en lecture parce que son

engagement est de moindre qualité (Allington & Gabriel, 2016). Dans le cas des textes

courants, Clinton et van den Broek (2012) soulignent que l’intérêt pour un sujet favorise

non seulement le rappel du texte, mais aussi l’apprentissage à partir de ce texte. Même

lorsque le matériel à lire est difficile, l’élève intéressé par le sujet ou le thème abordé dans

un texte est plus motivé à lire, ce qui favorise sa compréhension (Irwin, 2007).

La figure suivante regroupe les facteurs liés à la variable « lecteur » qui influencent la

compréhension en lecture et que nous avons présentés dans la section 2.6.

Figure 2: Les facteurs liés à la variable « lecteur » qui influencent la compréhension en lecture

2.7 La variable « texte » et son influence sur la compréhension

Pour comprendre un texte, un lecteur doit être capable d’activer des processus de

compréhension. Si l’écart entre les habiletés d’un lecteur et celles requises pour lire un

Page 38: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

27

texte en particulier est trop grand, la compréhension de ce texte peut être compromise

(Irwin, 2007) parce que le lecteur ne parviendra pas à activer les processus nécessaires à la

compréhension ou parce qu’il ne le fera pas efficacement. Van den Broek, Bohn-Gettler,

Kendeou, Carlson et White (2011) identifient ainsi les caractéristiques d’un texte qui

influencent les processus activés par un lecteur pour le comprendre : le genre du texte, sa

structure, son contenu et son niveau de difficulté.

2.7.1 Le genre de texte

Chartrand (2008) définit le genre comme « un ensemble de textes oraux ou écrits qui

possèdent des caractéristiques conventionnelles relativement stables » (p. 11). Ces

caractéristiques permettent aux membres d’une même culture de reconnaitre qu’un texte

appartient à un genre ou à un autre : roman, poème, article de vulgarisation scientifique,

lettre d’opinion, etc. La reconnaissance des caractéristiques génériques d’un texte influence

l’activation des processus de compréhension du lecteur (Helder et al., 2013). La nouvelle

littéraire, par exemple, est un genre qui implique de se laisser prendre au jeu dès le départ :

« “l’erreur” de compréhension initiale et la nécessaire rectification finale font partie du

projet d’écriture du texte » (Langlade, 2002, p. 50). Le lecteur qui connait et reconnait ce

genre sera plus enclin à accepter de ne pas tout comprendre dès le début du texte; il pourra

aussi être à l’affut des pièges posés par l’auteur. Les genres de textes sont donc des

médiateurs de la lecture : par leur structure et leur contenu, ils déterminent le pacte de

lecture (Canvat, 1999), c’est-à-dire la façon dont un lecteur aborde sa lecture.

2.7.2 La structure du texte

La structure du texte réfère à la façon dont l’auteur a organisé les idées dans un texte. Cette

structure peut être simple (canonique) ou plus complexe (Giasson, 2011). Un lecteur qui

connait la structure typique d’un genre de texte en particulier peut recourir à cette

connaissance afin de mieux comprendre un texte : « chaque texte possèderait une

organisation globale typique […], dont la (re)connaissance jouerait un rôle fondamental

dans les processus […] de compréhension des textes » (Canvat, 1999, p. 105). Par

conséquent, nous sommes d’avis qu’un texte dont la structure globale est atypique (par

exemple une histoire qui commence dans le vif de l’action, sans aucune contextualisation

des actions et des personnages) peut représenter une difficulté pour un lecteur, d’autant plus

Page 39: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

28

si ses connaissances sur les textes sont rigides (par exemple s’il croit qu’un texte narratif

doit nécessairement présenter une situation initiale au début du récit).

2.7.3 Le contenu du texte

Le contenu du texte fait référence aux concepts, aux connaissances et au vocabulaire que

l’auteur a décidé de transmettre (Giasson, 2011). Van den Broek (2012) considère le

vocabulaire comme le point d’attache entre le texte et les connaissances du lecteur. Il

précise que les individus dont le vocabulaire est plus développé ont tendance à mieux

comprendre les textes. La compréhension d’un texte peut être compromise si un auteur y

introduit un repère culturel (c’est-à-dire un indice – coutume, code de vie, expérience, etc. –

qui fonde les principes, les normes et les valeurs démocratiques partagés par les membres

d’une société) ne faisant pas l’unanimité ou n’étant pas connu par tous les lecteurs (Irwin,

2007). Ceux-ci peuvent alors rejeter le repère culturel ou ne pas le saisir, ce qui est

susceptible de nuire à leur compréhension.

2.7.4 Le niveau de difficulté d’un texte

C’est à la fois sur la base de la structure et du contenu d’un texte qu’il est possible d’en

évaluer le niveau de difficulté. Ce niveau de difficulté n’est pas absolu, en ce sens où il est

tributaire du lectorat auquel il est destiné – un même texte peut être difficile pour un lecteur

et facile pour un autre (Allington & Gabriel, 2016). Plusieurs formules permettent de

calculer le caractère compréhensible (readability) d’un texte. Elles considèrent la plupart du

temps le pourcentage de mots difficiles (complexité sémantique) et le nombre moyen de

mots par phrase (complexité syntaxique) (Irwin, 2007). Les résultats varient toutefois d’une

formule à l’autre, c’est pourquoi il nous apparait préférable d’évaluer la difficulté d’un

texte en tenant compte de critères qualitatifs plutôt que par l'intermédiaire de chiffres. Il

s’agit alors, comme le suggère Irwin (2007), de considérer les indices présents dans un

texte et susceptibles d’être récupérés par un lecteur qui tente de comprendre ce texte.

Afin d’évaluer la clarté de ces indices et leur compatibilité avec les connaissances d’un

lecteur (processability of reading material), Irwin (2007) propose 17 questions recouvrant

la variété des processus cognitifs activés pour comprendre un texte. En voici quelques

exemples : est-ce que les liens de cause à effet sont clairs? Est-ce que la chronologie des

Page 40: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

29

évènements est claire? Est-ce que les pronoms sont clairs? Est-ce que les descriptions sont

suffisamment détaillées pour favoriser la visualisation? Quelles sont les connaissances

nécessaires pour comprendre ce texte? Est-ce que le texte est motivant à lire pour le

lecteur? Dans le contexte de la classe, un niveau de difficulté de texte adéquat demeure la

meilleure façon de faire progresser les élèves parce qu’il favorise l’engagement (Allington

& Gabriel, 2016). En identifiant les difficultés potentielles d’un texte, les enseignants

peuvent prévoir certaines interventions pour en faciliter la compréhension (Irwin, 2007).

La figure de la page suivante regroupe les facteurs liés à la variable « texte » que nous

avons présentés dans la section 2.7 et qui influencent la compréhension en lecture.

Page 41: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

30

Figure 3: Les facteurs liés à la variable « texte » qui influencent la compréhension en lecture

2.8 La variable « contexte » et son influence sur la compréhension

Même si un lecteur possède les connaissances et les habiletés nécessaires pour lire un texte,

il peut tout de même éprouver des difficultés de compréhension liées à des facteurs

contextuels (Irwin, 2007). Giasson (2011) définit ainsi le contexte : « [Il] inclut toutes les

conditions présentes lorsque le lecteur entre en contact avec le texte. » (p. 10) Elle précise

qu’il peut s’agir de conditions que le lecteur se fixe lui-même ou que le milieu lui impose,

Page 42: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

31

et classe ces conditions en trois catégories : le contexte psychologique, le contexte social et

le contexte physique.

2.8.1 Le contexte psychologique

Le contexte psychologique se définit surtout par l’intention de lecture, qui influence ce que

nous retenons d’un texte (Giasson, 2011). Dans le cas de textes littéraires, cette intention

pourrait être d’éprouver du plaisir en lisant – c’est souvent l’objectif de la lecture-loisir –,

de répondre à des questions – c’est traditionnellement l’objectif de la lecture-apprentissage

– ou d’écrire la suite d’une histoire. Un lecteur peut aussi poursuivre deux intentions de

lecture simultanément, comme étudier pour un examen et mieux comprendre un

phénomène (Schunk & Bursuck, 2016). Une fois l’intention de lecture définie, le lecteur

doit choisir des stratégies de lecture appropriées en fonction de cette intention, mais aussi

compte tenu des particularités du texte à lire (variable « texte ») et de ses habiletés et

connaissances de lecteur (variable « lecteur ») (Irwin, 2007).

2.8.2 Le contexte social

Le contexte social correspond ici aux conditions immédiates dans lesquelles se déroule la

lecture et non au contexte socioéconomique que nous avons décrit dans la section 2.5.3,

alors qu’il était question du contexte socioculturel incluant la classe, l’école, la société et la

famille. Le contexte social immédiat comprend les interventions de l’enseignant et des pairs

pendant la lecture (Giasson, 2011). Selon Irwin (2007), les interactions enseignant-élèves

représentent la variable contextuelle exerçant la plus grande influence sur la compréhension

de la lecture en classe. C’est d’ailleurs souvent en interagissant avec l’enseignant que les

lecteurs parviennent à construire une représentation cohérente d’un texte (Giasson, 2011).

La responsabilité de l’enseignant est d’autant plus grande si la tâche de lecture proposée est

hors de portée pour certains élèves : « cognitive capacity is limited in that certain cognitive

tasks might exceed available resources » (Reynolds et al., 2016). Dans ce cas, le rôle de

l’enseignant est d’offrir aux élèves une aide suffisante pour que la tâche leur devienne

accessible. Cette vision du rôle de l’enseignant rejoint la conception vygotskienne, selon

laquelle l’apprentissage s’inscrit dans la zone proximale de développement, correspondant

à la différence entre le niveau de résolution de problèmes atteint avec l’aide d’un adulte ou

d’un élève plus avancé et celui atteint seul par un élève (Schneuwly, 2008).

Page 43: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

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2.8.3 Le contexte physique

Le contexte physique englobe les facteurs qui influencent non seulement la lecture, mais

tous les apprentissages scolaires (Giasson, 2011). Il s’agit des éléments pouvant distraire

l’attention de l’élève, comme le niveau de bruit dans la classe. Si la lecture se déroule à

l’extérieur de la classe ou de l’école, les facteurs physiques susceptibles d’entraver la

compréhension d’un lecteur sont d’autant plus nombreux que les adolescents ont tendance à

poursuivre simultanément plusieurs buts (Hailey Reed et al., 2004), par exemple écouter la

télévision ou de la musique en lisant.

La figure ci-dessous regroupe les facteurs liés à la variable « contexte » que nous avons

présentés dans la section 2.8 et qui influencent la compréhension en lecture.

Figure 4: Les facteurs liés à la variable « contexte » qui influencent la compréhension en lecture

Les variables « lecteur », « texte » et « contexte » dont nous avons discuté dans les sections

précédentes ne sont pas indépendantes les unes des autres : elles sont en constante

interaction. C’est d’ailleurs leur interaction qui détermine deux aspects influençant de façon

importante les processus activés par un lecteur pour comprendre un texte : sa motivation et

ses standards de cohérence.

Page 44: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

33

2.9 La motivation

La motivation à lire est influencée par certaines dispositions individuelles, mais aussi par de

nombreux facteurs associés au contexte d’apprentissage. Nous proposons d’abord une

définition de la motivation à lire et présentons ensuite les facteurs individuels et sociaux

susceptibles d’influencer la motivation en lecture.

2.9.1 Qu’est-ce que la motivation?

La plupart des modèles de lecture – traditionnels et actuels – ne mettent pas l’accent sur les

aspects affectifs du lecteur, qui jouent pourtant un rôle clé dans la réussite en lecture

(Schunk & Bursuck, 2016). Selon la théorie de l’autodétermination, la motivation se

présente sous la forme d’un continuum allant de l’amotivation – l’absence de motivation ou

le manque d’intention d’agir – à la motivation intrinsèque – faire quelque chose par intérêt,

pour le plaisir ou la satisfaction qu’on en retire (Deci & Ryan, 2002). Entre ces deux

extrêmes, la motivation est extrinsèque. Lorsqu’une personne s’engage dans une tâche dans

le but d’obtenir une récompense externe, par exemple, sa motivation est extrinsèque. De

nombreux facteurs déterminent le type de motivation à lire d’un individu (motivation

intrinsèque ou extrinsèque; amotivation). Ces facteurs sont liés aux dispositions

individuelles des élèves et au contexte d’apprentissage (Giasson, 2011).

2.9.2 Les dispositions individuelles influençant la motivation

Trois facteurs personnels influencent la motivation des élèves à lire selon Giasson (2011) :

l’âge, le sexe et l’attribution de la réussite. Pour ce qui est de l’âge, l’auteure précise que la

motivation à lire décline du début à la fin du primaire. Cette baisse serait plus marquée à

partir de la quatrième année du primaire et se poursuivrait jusqu’à la fin du secondaire

(Guthrie, 2008). En ce qui concerne le sexe, les filles ont une attitude plus positive à l’égard

de la lecture et lisent plus souvent que les garçons, ce qui influence leur motivation à lire

(Fumel & Trosseille, 2011). L’attribution de la réussite peut elle aussi influencer la

motivation à lire. Giasson (2011) explique que les élèves peuvent attribuer leur succès ou

leur échec à l’effort, à l’habileté innée, à la chance ou à des facteurs externes. Elle précise

que les élèves qui attribuent leur échec à un manque d’effort seront plus enclins à faire

davantage d’efforts aux évaluations subséquentes parce qu’il s’agit d’un facteur

Page 45: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

34

contrôlable. À l’opposé, ceux qui attribuent leur échec à des facteurs incontrôlables (par

exemple le manque de talent ou un enseignant trop exigeant) seront moins portés à faire des

efforts pour réussir. C’est dire l’importance de l’expérience de lecture vécue par chaque

lecteur : « Motivational factors can change in a positive or negative way, depending on

readers’successes and perceived progress in reading. » (Schunk & Bursuck, 2016, p. 59)

2.9.3 Les facteurs associés au contexte d’apprentissage

En plus des dispositions individuelles, plusieurs facteurs liés au contexte d’apprentissage

influencent la motivation (Guthrie & Klauda, 2016; Guthrie, 2008). Selon Lessard, Guay,

Falardeau, Valois et Langlois (2013), cinq pratiques pédagogiques favorisent le

développement d’une motivation autodéterminée chez les élèves : le soutien à l’autonomie,

les activités signifiantes, la collaboration, l’implication et la structuration.

Le soutien à l’autonomie

Lorsqu’ils ont la possibilité de faire des choix relatifs à la lecture, les adolescents se sentent

davantage autonomes dans leur apprentissage, ce qui favorise leur engagement dans la

tâche de lecture (Fillman & Guthrie, 2008; Hailey Reed et al., 2004). Guthrie et Wigfield

(2000) rapportent même que la diminution de la motivation à lire au fil de la scolarité peut

être ralentie lorsque les élèves ont la possibilité de choisir des textes qui les intéressent. Le

fait de soutenir l’autonomie des élèves en lecture ne signifie toutefois pas les laisser

complètement libres, mais bien leur offrir la possibilité de prendre part à certaines décisions

(Anderson Swan, 2004) en utilisant la notion de choix comme outil motivationnel (Giasson,

2011; Hailey Reed et al., 2004).

Les activités signifiantes

Pour être motivés à lire, les élèves ont besoin de tâches stimulantes (Giasson, 2011), qu’ils

doivent être capables de ramener à eux-mêmes : « The relevance of a text addresses the

student’s question, “How is this related to me?”. » (Gibb & Guthrie, 2008) En ce sens, le

choix du matériel à lire est crucial, particulièrement pour les lecteurs en difficulté : « to re-

engage students who are struggling with reading, a wide range of texts should focus on

content that deals with real-life problems. » (Guthrie & Davis, 2003) Les élèves doivent

aussi être en mesure de saisir l’utilité concrète des tâches de lecture qui leur sont proposées

Page 46: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

35

(Anderson Swan, 2004; Guthrie & Klauda, 2016). Toutefois, il semble que l’enseignant

joue un rôle encore plus important que le matériel pour permettre aux élèves de vivre des

activités signifiantes en lecture (Allington & Gabriel, 2016).

La collaboration

Les situations d’apprentissage permettant aux élèves de collaborer influencent positivement

leur motivation, particulièrement à l’adolescence (Antonio & Guthrie, 2008; Guthrie &

Davis, 2003). Cette influence peut s’expliquer par l’importance des interactions sociales

pendant cette période du développement : « Social activity and friendships seem to

dominate adolescents’ thinking and time. » (Anderson Swan, 2004, p. 286). Lorsque le

climat d’une classe est orienté vers un but d’apprentissage, les élèves sont souvent invités à

travailler ensemble pour partager leurs idées ou pour apprendre à partir des textes qu’ils

lisent (Anderson Swan, 2004). Ils poursuivent alors des buts d’apprentissage communs, ce

qui favorise leur engagement dans la lecture (Guthrie & Klauda, 2016).

L’implication

L’implication concerne l’intérêt de l’enseignant par rapport aux apprentissages de ses

élèves de même que ses attentes positives quant au développement de leurs compétences

(Lessard et al., 2013). Giasson (2011) rapporte à ce sujet que les enseignants exemplaires

sont très attentifs à la motivation de leurs élèves. Au secondaire, cet intérêt des enseignants

par rapport aux apprentissages de leurs élèves en lecture est d’autant plus important que

plusieurs adolescents ont perdu confiance en leurs habiletés académiques et sont moins

enclins à investir le temps et les efforts nécessaires pour développer ces habiletés

(Davidson, 2008). Pour favoriser chez les élèves le développement d’une perception

d’efficacité personnelle élevée en lecture (c’est-à-dire un haut niveau de confiance en leur

capacité d’accomplir des tâches liées à la lecture), les enseignants doivent leur permettre de

vivre des réussites (Yudowitch, Henry, & Guthrie, 2008). Pour ce faire, ils doivent d’abord

reconnaitre l’écart entre les habiletés de certains lecteurs et les exigences des textes, pour

ensuite offrir aux élèves des textes qu’ils sont capables de lire. C’est à cette seule condition

que les enseignants peuvent parvenir à briser le cycle de l’échec en lecture, dont il a été

question dans la section 1.2.5 du précédent chapitre.

Page 47: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

36

La structuration

La structuration renvoie à « des pratiques pour lesquelles l’enseignant donne des

rétroactions et où il a des attentes claires au sujet de la réussite de ses élèves et de la

progression qu’il doit adopter pour favoriser leurs apprentissages » (Lessard et al., 2013).

Pour intervenir efficacement auprès des élèves éprouvant des difficultés en lecture, les

enseignants doivent impérativement comprendre ce qu’implique la lecture efficace

(Carnine & Grossen, 2008). Hammond Stoughton (2008) souligne que les enseignants

efficaces tiennent compte à la fois des dimensions cognitive et affective de la lecture à

l’adolescence. Il précise qu’ils ont des attentes élevées par rapport aux capacités de leurs

élèves.

Comme nous venons de le montrer, les facteurs qui influencent la motivation sont

nombreux. Puisque la pression négative exercée par les pairs est souvent plus forte que

l’influence d’un enseignant, la motivation des élèves constitue un défi de taille pour les

enseignants du secondaire (Guerin & Denti, 2008). La motivation à lire n’est pas le seul

aspect de la lecture qui découle de l’interaction du lecteur, du texte et du contexte de

lecture. Les standards de cohérence d’un lecteur, dont il sera question dans la prochaine

section, sont eux aussi le produit de l’interaction des trois variables immédiates de la

lecture.

2.10 Les standards de cohérence d’un lecteur

Les standards de cohérence d’un lecteur correspondent au type et au niveau plus ou moins

grand de cohérence que ce lecteur tente d’établir pendant sa lecture (van den Broek et al.,

2011). La cohérence peut être locale – lorsqu’elle permet de construire la signification des

groupes de mots ou des phrases – ou globale – lorsqu’elle amène le lecteur à construire une

représentation mentale de l’ensemble du texte (Cèbe, Goigoux, & Thomazet, 2007). Plus

les standards de cohérence d’un lecteur sont élevés, plus ce lecteur doit fournir des efforts

pour les atteindre (van den Broek et al., 2011; Clinton & van den Broek, 2012).

Les standards de cohérence dépendent à la fois du lecteur, du texte et du contexte de lecture

(van den Broek et al., 2011; van den Broek & Kremer, 2000). L’influence du lecteur sur ses

propres standards de cohérence se manifeste de différentes façons. Si un lecteur est

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37

démotivé, si la capacité de sa mémoire de travail est faible ou s’il a une conception erronée

de ce que signifie un texte cohérent, il tentera davantage d’atteindre une cohérence locale

que globale (Graesser et al., 1997; van den Broek et al., 2011; van den Broek, Young,

Tzeng, & Linderholm, 1999). Cèbe et al. (2007) ont montré que certains lecteurs

considèrent que pour comprendre un texte, il suffit d’en comprendre tous les mots. Une

telle conception de la lecture incite davantage les lecteurs à tenter d’établir une cohérence

locale que globale. Un lecteur peut aussi ne pas être conscient qu’il n’est pas parvenu à

établir la cohérence d’un texte (van den Broek et al., 2011). Le cas échéant, il parviendra

difficilement à prendre des moyens (par exemple, ralentir sa vitesse de lecture ou relire un

passage difficile) pour mieux comprendre ce texte parce qu’il pense l’avoir compris, c’est-

à-dire qu’il a atteint les standards de cohérence qu’il s’était fixés. Un lecteur peut

également être conscient qu’il n’a pas atteint ses standards de cohérence, sans toutefois

avoir les ressources (habiletés ou stratégies) pour établir la cohérence souhaitée (van den

Broek et al., 2011; van den Broek et al., 1999). En ce sens, Makdissi et al. (2010)

soulignent que les capacités d'inférence d'un lecteur sont fondamentales pour lui permettre

de construire une représentation cohérente d'une histoire – donc d'établir la cohérence

globale. C'est dire qu'un lecteur peut être incapable d'atteindre la cohérence qu'il recherche

s'il ne parvient pas à utiliser ses connaissances pour comprendre les informations implicites

d'un texte.

Par son contenu, sa structure, son genre et son niveau de difficulté, le texte influence lui

aussi les standards de cohérence d’un lecteur (van den Broek et al., 2011). Si un texte est

difficile à comprendre pour un lecteur, ce dernier tentera davantage d’établir la cohérence

locale que globale (Graesser et al., 1997). Par ailleurs, le thème ou le sujet d’un texte

peuvent inciter un lecteur familier avec ce thème ou ce sujet à se fixer des standards de

cohérence élevés. L’influence du contexte de lecture sur les standards de cohérence d’un

lecteur est quant à elle très grande : selon qu’il lise pour se divertir, pour répondre à des

questions ou pour se préparer à un examen, un lecteur n’établira pas les mêmes standards

de cohérence (van den Broek et al., 2011). La figure de la page suivante illustre les

relations entre les variables immédiates de la lecture (le lecteur, le texte et le contexte de

lecture), la motivation d’un lecteur et ses standards de cohérence.

Page 49: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

38

Figure 5: Le lien entre l’interaction des variables « lecteur », « texte » et « contexte », les standards de cohérence et la motivation d’un lecteur

Les standards de cohérence d’un lecteur peuvent être conscients ou inconscients (Clinton &

van den Broek, 2012; van den Broek et al., 2011), mais ils sont plus souvent inconscients

(van den Broek et al., 2016), c’est-à-dire que le lecteur n’est pas nécessairement conscient

du niveau de cohérence qu’il recherche dans une lecture donnée. Une fois établis, ces

standards influencent l’activation des processus de compréhension : certains de ces

processus sont régulièrement activés au cours de la lecture alors que d’autres ne le sont que

lorsque les standards de cohérence d’un lecteur ne sont pas atteints (van den Broek et al.,

2011). Nous verrons dans la section qui suit quels sont ces processus de compréhension et

de quelle façon ils se manifestent.

2.11 Les processus de compréhension

Les processus correspondent à ce que le lecteur fait pendant la lecture (Giasson, 2011). Ils

se situent au carrefour des variables « lecteur », « texte » et « contexte » et impliquent des

sous-processus (Irwin, 2007). Nous décrivons dans les pages qui suivent le rôle de chacun

des cinq processus impliqués dans la compréhension en lecture.

2.11.1 Les microprocessus

Les microprocessus servent à comprendre l’information contenue dans une phrase

(Giasson, 2011; Irwin, 2007). Giasson (2011) identifie trois formes de microprocessus : la

reconnaissance de mots, la lecture par groupes de mots et la microsélection, qui consiste à

identifier l’information importante dans une phrase. En ce qui concerne la lecture par

groupe de mots, Irwin (2007) précise que les lecteurs efficaces se distinguent souvent des

Page 50: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

39

lecteurs en difficulté par leur plus grande capacité à segmenter les phrases en groupe de

mots signifiants. Pour ce qui est de la microsélection, l’auteure indique que les lecteurs

efficaces sont capables de retenir l’information la plus importante dans une phrase parce

qu’ils prévoient que cette information sera importante par la suite, contrairement aux

lecteurs en difficulté, qui ont davantage tendance à sélectionner l’information la plus

intéressante pour eux au moment où ils lisent.

2.11.2 Les processus d’intégration

Les processus d’intégration rendent possible l’établissement de liens entre les propositions

ou les phrases (Giasson, 2011; Irwin, 2007). Ces liens permettent à un lecteur d’établir la

cohérence locale en générant des inférences nécessaires à la compréhension des mots ou du

lien entre les phrases (Irwin, 2007). Les principales manifestations des processus

d’intégration sont l’utilisation adéquate des mots de substitution (aussi appelés

« substituts » ou « mots anaphoriques »), l’utilisation adéquate des mots de liaison ainsi que

la génération d’inférences (Giasson, 2011; Irwin, 2007).

Les relations anaphoriques permettent d’associer entre eux des mots ou des groupes de

mots désignant une même réalité (Irwin, 2007) et assurant la reprise de l’information, qui

contribue au maintien de l’unité du sujet d’un texte (Chartrand, Aubin, Blain, & Simard,

1999). Une réalité peut notamment être reprise par un pronom, un groupe nominal ou un

groupe adverbial (Chartrand et al., 1999). Les mots de liaison permettent quant à eux de lier

deux phrases ou deux mots qui ne réfèrent pas à la même chose, mais qui entretiennent un

lien causal, temporel ou spatial, par exemple (Irwin, 2007). Pour ce qui est des inférences,

elles réfèrent, dans les cas des processus d’intégration, à l’établissement de liens essentiels

à la compréhension du texte (Irwin, 2007). Il peut s’agit, par exemple, d’inférences causales

– lorsqu’un lecteur établit un lien de cause à effet entre deux éléments du texte – ou

d’inférences lexicales – lorsqu’un lecteur trouve le sens d’un mot qu’il ne connait pas en

utilisant les indices du texte (Giasson, 2011).

2.11.3 Les macroprocessus

Giasson (2011) définit les macroprocessus comme des processus « orientés vers la

compréhension globale du texte, c’est-à-dire vers les liens qui permettent de faire du texte

Page 51: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

40

un tout cohérent » (p. 9). Ces processus permettent de reconnaitre les idées principales d’un

texte, de le résumer ou d’utiliser sa structure pour mieux le comprendre (Giasson, 2011;

Irwin, 2007). Pour établir la cohérence globale d’un texte, un lecteur doit lier une

information en cours de lecture à une autre information énoncée précédemment dans le

texte et qui n’est plus dans sa mémoire de travail (Graesser et al., 1997). Les lecteurs

efficaces utilisent généralement la structure d’un texte pour organiser dans leur mémoire

leur propre résumé de ce texte, qui devient alors plus facile à retenir (Irwin, 2007).

2.11.4 Les processus d’élaboration

Les processus d’élaboration permettent au lecteur de dépasser le texte, c’est-à-dire de

générer des inférences que l’auteur du texte n’avait pas nécessairement prévues et qui ne

sont pas essentielles à la compréhension littérale d’un texte (Giasson, 2011; Irwin, 2007).

Ces processus d’élaboration peuvent se manifester par l’activation d’expériences

personnelles, par la formulation de prédictions, par la réaction à un texte, par la création

d’images mentales (c’est-à-dire la visualisation) ou par le jugement critique (Giasson, 2011;

Irwin, 2007). Dans tous les cas, les élaborations nécessitent qu’un lecteur mobilise ses

connaissances (Irwin, 2007). Elles favorisent le rappel d’un texte dans la mesure où elles

sont liées au texte – une élaboration hors sujet ou qui ne tient pas compte des indices du

texte peut nuire à la compréhension (Irwin, 2007).

2.11.5 Les processus métacognitifs

Les processus métacognitifs concernent à la fois la conscience d’un lecteur de sa propre

activité cognitive et sa capacité à contrôler ses processus cognitifs (Irwin, 2007). Schmitt

(2005) précise que la conscience métacognitive d’un lecteur inclut la connaissance de ses

caractéristiques de lecteur, des caractéristiques du texte à lire et des stratégies pertinentes

pour comprendre ce texte, alors que le contrôle des processus stratégiques est lié à

l’utilisation des stratégies avant, pendant et après la lecture. Contrairement aux standards de

cohérence, qui sont la plupart du temps inconscients, l’activation des processus

métacognitifs repose sur la conscience du lecteur (van den Broek et al., 2016). Ils servent à

guider la compréhension, en ce sens où ce sont eux qui font que le lecteur est en mesure de

s’ajuster au texte et à la situation (Giasson, 2011). Les principales manifestations de ces

processus sont l’adaptation des stratégies de lecture au contexte, la détection des pertes de

Page 52: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

41

compréhension et la mobilisation de stratégies pour y remédier (Giasson, 2011; Irwin,

2007).

Les quatre processus abordés précédemment – les microprocessus, les processus

d’intégration, les macroprocessus et les processus d’élaboration – peuvent tous être activés

de façon consciente ou inconsciente. C’est lorsque leur activation relève d’un choix

conscient que le lecteur active ses processus métacognitifs (Irwin, 2007). À titre d’exemple,

un lecteur qui tente d’établir le lien entre le début et la fin d’une histoire active ses

macroprocessus. Toutefois, s’il lit la fin de l’histoire, qu’il réalise que sa compréhension

n’est pas optimale et qu’il fait le choix conscient de relire le début de l’histoire pour mieux

comprendre, il active ses processus métacognitifs.

Collins et Smith (1980) ont élaboré une taxonomie des pertes de compréhension que Irwin

(2007) a reprise et adaptée. Ces pertes de compréhension peuvent être de cinq types : 1- les

pertes de compréhension par rapport aux mots; 2- les pertes de compréhension par rapport

aux phrases; 3- les pertes de compréhension par rapport au lien entre les phrases; 4- les

pertes de compréhension par rapport au sens global d’un texte et 5- les pertes de

compréhension liées à l’incapacité d’un lecteur à s’adapter au contexte de lecture. Pour

remédier à ces pertes de compréhension, Collins et Smith (1980) proposent différentes

stratégies, qu’ils classent de la moins couteuse à la plus couteuse cognitivement :

1. poursuivre la lecture malgré l’incompréhension;

2. reporter la formulation d’hypothèses;

3. formuler une hypothèse;

4. relire la phrase en cours de lecture ou la précédente;

5. relire une partie du texte;

6. se référer à une source extérieure (ex. : un ouvrage de référence).

Les auteurs précisent dans quelles conditions un lecteur peut opter pour l’une ou l’autre de

ces stratégies de remédiation : « The triggering conditions are partially determined by the

type of failure and partially by the costs and benefits of taking any action. » (p. 9)

La figure de la page suivante regroupe les sous-processus impliqués dans chacun des cinq

processus que nous avons présentés dans la section 2.11.

Page 53: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

42

Figure 6: Les cinq processus de compréhension d’un texte

2.12 L’interaction des processus

Bien que nous les ayons présentés distinctement, les processus de compréhension agissent

de façon simultanée et non séquentielle (Giasson, 2011; Ogle & Lang, 2011), la lecture

étant une activité holistique. Chacun d’eux peut, dans certains cas, contribuer à l’activation

d’un autre (Irwin, 2007). C’est d’ailleurs ce qui explique que les difficultés en lecture ne

relèvent pas d’un seul et même processus (Helder et al., 2013). L’interaction des processus

Page 54: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

43

de compréhension explique aussi que la compréhension des lecteurs efficaces puisse être

assurée de différentes façons, dépendamment de leurs habiletés (van den Broek, 2012).

La figure ci-dessous montre l’interaction des cinq processus que nous avons décrits

précédemment.

Figure 7: L’interaction des processus de compréhension en lecture

2.13 Distinction entre habileté et stratégie

Les termes « habileté » et « stratégie » ne réfèrent pas à la même réalité : alors qu’une

habileté est un processus automatisé, une stratégie correspond plutôt à un moyen ou une

combinaison de moyens auxquels un lecteur décide consciemment de recourir parce qu’il

éprouve une difficulté ou pour retenir plus d’informations d’un texte (Giasson, 2011). Un

même processus peut à la fois être une stratégie ou une habileté, dépendamment de la façon

dont il est activé – consciemment ou inconsciemment (Irwin, 2007). Si une information

traitée par un lecteur est automatiquement associée à une autre information emmagasinée

dans sa mémoire de travail ou à ses connaissances, il s’agit d’un processus automatique. Si

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44

cette même information traitée par un lecteur nécessite qu’il relise un passage du texte,

qu’il cherche dans sa mémoire de travail ou qu’il active ses connaissances afin d’établir la

cohérence, il s’agit d’un processus stratégique (van den Broek & White, 2012). Une

stratégie est donc forcément métacognitive : elle oblige le lecteur à agir de façon consciente

et délibérée pour atteindre un but précis. Par exemple, un lecteur qui réalise qu'il ne

comprend pas un paragraphe difficile pourrait décider de relire ce paragraphe plus

lentement et de s'arrêter après chacune des phrases pour se poser la question « qu'est-ce que

cette phrase signifie? » (Afflerbach, Pearson, & Paris, 2008). La plupart du temps, une

stratégie est mobilisée lorsqu’un lecteur doit résoudre un problème impliquant un processus

complexe (van Dijk & Kintsch, 1983). Les processus stratégiques sont acquis par

l'intermédiaire de l’expérience de lecture, de l’enseignement et de la maturation des

fonctions cognitives; ils peuvent s’automatiser au fur et à mesure qu’un lecteur devient

efficace. Malgré que l'automatisation des processus de compréhension soit souhaitable,

Afflerbach et al. (2008) soulignent l'importance d'enseigner les stratégies de lecture afin

que tous les lecteurs soient capables de lire stratégiquement.

Ce sont les standards de cohérence d’un lecteur – dont il a été question dans la section 2.10

– qui déterminent le degré d’activation des processus automatisés et stratégiques (van den

Broek et al., 2016). Un lecteur peut parvenir à établir la cohérence locale ou globale sans

avoir conscience des processus activés pour le faire (il utilise alors ses habiletés ou

processus automatisés); il peut aussi avoir besoin de recourir consciemment à certains

moyens pour établir la cohérence souhaitée (il utilise alors ses stratégies ou processus

stratégiques); enfin, il peut établir cette cohérence en combinant ses habiletés et ses

stratégies (Afflerbach et al., 2008).

La figure de la page suivante regroupe tous les facteurs influençant la lecture que nous

avons présentés dans ce chapitre.

Page 56: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

45

Figure 8: Les facteurs influençant la compréhension en lecture

2.14 Retour sur l'objectif général et formulation des questions de recherche

Nous avons tenté, au cours des pages précédentes, de présenter de façon très holistique les

facteurs qui influencent la compréhension en lecture. Nous ne pourrons toutefois étudier

Page 57: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

46

simultanément tous ces facteurs pour comprendre ce qui favorise ou entrave la

compréhension d’un texte littéraire résistant par des élèves du secondaire : « As long as

“comprehension” is viewed as one “thinking in general”, it is simply impossible to

formulate precise, researchable question. » (Kintsch & Van Dijk, 1978, p. 393) Il nous

apparait donc essentiel de circonscrire les composantes de la compréhension en lecture

auxquelles nous nous intéresserons dans le cadre de notre projet de recherche.

Les facteurs liés au contexte socioculturel dans lequel évolue un lecteur ne retiendront pas

notre attention puisque nous n’avons recueilli aucune donnée liée aux caractéristiques de la

classe, de l’école, de la famille et de la société dans lesquelles évoluent les élèves ayant

participé à notre recherche. Les facteurs auxquels nous nous intéresserons sont liés aux

variables immédiates de la lecture – le lecteur, le texte et le contexte.

Nous reformulons ainsi l’objectif général de notre recherche : mieux comprendre les

facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la qualité de la compréhension

d’une nouvelle littéraire résistante par des lecteurs adolescents. Plus précisément, nous

tenterons de répondre aux questions de recherche suivantes :

1. Quels facteurs cognitifs, textuels et contextuels ont influencé la qualité de la

compréhension du texte Solidarité?

2. Comment ces facteurs ont-ils influencé l’activation des processus de compréhension

par des lecteurs adolescents?

3. Quels sont les processus dont l’activation a été déterminante de la qualité de la

compréhension du texte Solidarité par les élèves?

Dans le prochain chapitre, il sera question de la façon dont nous avons recueilli nos

données, des outils qui nous ont permis de le faire et de ceux qui nous ont permis de les

analyser.

Page 58: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

47

CHAPITRE 3: PRÉSENTATION DE LA DÉMARCHE DE RECHERCHE Ce chapitre présente notre démarche de recherche. Après avoir justifié l'importance de

s'intéresser aux processus de compréhension et situé le contexte dans lequel nous avons

recueilli nos données, nous présentons les caractéristiques de la population d'élèves ayant

participé à notre projet, de même que le texte que nous les avons invités à lire. Nous

décrivons ensuite les deux procédures utilisées pour recueillir nos données : la méthode de

la pensée à voix haute et l'entretien semi-dirigé. Enfin, nous présentons la procédure utilisée

pour analyser ces données : l'analyse de contenu.

3.1 Au-delà du produit de la compréhension

La tradition scolaire veut que l’évaluation de la compétence à lire se fasse essentiellement à

partir de questionnaires qui suivent la lecture de textes. Les réponses des lecteurs aux

questions qui leur sont posées constituent alors l’outil d’évaluation utilisé par les

enseignants pour identifier les forces et les difficultés de leurs élèves. Bien qu’elle soit

légitime et pertinente en contexte scolaire, cette façon d’évaluer la compétence à lire à

partir d’un produit – les réponses des élèves aux questions – ne peut à elle seule orienter les

pratiques enseignantes parce qu’elle ne permet pas de comprendre la façon dont procèdent

les lecteurs pour en arriver à leur représentation d’un texte (McNamara et al., 2016).

Les recherches portant sur la lecture à l’adolescence ont en ce sens un rôle important à

jouer parce qu’elles doivent faire ressortir des informations que les enseignants ne

connaissent pas déjà. Autrement dit, ces recherches doivent aller au-delà du simple constat

des difficultés en lecture éprouvées par plusieurs élèves au secondaire. À quoi bon savoir

que « les adolescents ne savent pas lire entre les lignes » si on ne comprend pas ce qui

explique cette difficulté? Pour mieux comprendre les besoins des adolescents en lecture, il

importe de s’intéresser à ce qu’ils font pour comprendre un texte – leurs processus de

compréhension en lecture. Aussi est-il nécessaire de considérer ce que les élèves ont à dire

à la suite de leur lecture d’un texte lorsqu’ils sont questionnés sur des aspects précis de ce

texte. C’est selon ces considérations que la recherche exploratoire à laquelle nous avons

participé – et dont nous récupérons une partie des résultats dans ce mémoire – a pris place.

Page 59: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

48

3.2 Le contexte de notre projet de recherche : une vue d’ensemble

Les données qui feront l’objet de notre analyse ont été recueillies dans le cadre d’un projet

dirigé par Érick Falardeau et subventionné par le programme Chantier 7 (MELS, 2011-

2014), qui vise la formation continue du personnel scolaire. En menant ce projet de

recherche formation, les membres de l’équipe de recherche à laquelle nous appartenons5

poursuivaient deux principaux objectifs : d’une part, offrir à des enseignants du secondaire

une formation sur l’enseignement explicite des stratégies de lecture et, d’autre part, étudier

les capacités en lecture d’adolescents québécois.

Pour atteindre ce deuxième objectif, les membres de l’équipe ont rencontré

individuellement à deux reprises 44 adolescents dont les enseignants participaient à la

formation sur l’enseignement explicite des stratégies de lecture. La première rencontre avec

ces élèves a eu lieu à l’automne 2012, avant que leurs enseignants reçoivent la formation

(temps 1). La seconde rencontre s’est quant à elle déroulée au printemps 2013, au terme de

la formation offerte aux enseignants (temps 2). Les données que nous analyserons au cours

du prochain chapitre sont celles recueillies en début d’année scolaire, au temps 1 de la

formation.

3.3 Les caractéristiques de notre échantillon de convenance

Afin de sélectionner les 44 élèves qu’ils ont rencontrés, les membres de l’équipe ont

demandé à chacun des 11 enseignants participant à la formation d’identifier dans leurs

classes deux élèves plutôt forts en lecture et deux autres éprouvant des difficultés.

L’objectif d’une telle démarche était d’obtenir un échantillon varié qui s’approche autant

que possible de la réalité des classes de français dans les écoles secondaires du Québec.

Issus d’écoles publiques de la commission scolaire des Navigateurs dans la région de

Chaudière-Appalaches, les 44 élèves étaient âgés de 13 à 17 ans. Ils faisaient partie de

classes de deuxième à cinquième secondaire dites régulières, c’est-à-dire qu’ils ne

5 Afin que le lecteur parvienne à distinguer ce qui relève de notre projet de recherche personnel de ce qui relève du projet de recherche subventionné (MELS, 2011-2014) dans lequel s’inscrit notre projet personnel, nous désignerons à la troisième personne tout propos en lien avec ce qui a été accompli par les membres de l’équipe à laquelle nous appartenons dans le cadre du projet subventionné. Nous réserverons l’emploi de la première personne aux propos en lien avec notre projet de maitrise.

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49

cheminaient pas dans un programme spécial et qu’ils n’étaient pas non plus classés dans

des groupes d’adaptation scolaire.

3.4 Le texte choisi

Dans la section qui suit, nous proposons d'abord un bref résumé du texte Solidarité. Nous

discutons ensuite de certaines interprétations possibles de l'histoire et tentons de mettre en

lumière l'interprétation qui nous semble la plus valable en fonction des indices du texte.

Nous identifions dans un troisième temps les principales difficultés que nous avons

relevées dans la nouvelle littéraire de Calvino, avant de montrer quelle forme peut prendre

l'utilisation de différentes habiletés et stratégies de lecture pour comprendre ce texte. Enfin,

nous justifions le choix de faire lire aux élèves un texte aussi résistant.

3.4.1 Un résumé du texte

Le texte que les membres de l’équipe ont fait lire aux élèves dans le cadre des rencontres

individuelles s’intitule Solidarité6 d’Italo Calvino. Il s’agit d’une nouvelle littéraire dans

laquelle un narrateur anonyme passe au hasard une nuit devant une boutique que cambriole

un groupe de malfaiteurs. Il se joint alors spontanément à eux et les aide à perpétrer leur

vol. Après quelques minutes, il sort vérifier si des policiers arrivent et se joint à eux,

toujours par hasard, pour attraper les voleurs. Il entre ensuite dans la boutique, rejoint les

voleurs pour les aider, puis redevient policier lorsque ces derniers rattrapent les voleurs. À

la fin de l’histoire, après une course folle où il devient tout à tour voleur et policier, le

narrateur se fait semer par les deux groupes et recommence à se promener seul, au hasard.

3.4.2 Notre interprétation de l'histoire

Le rôle du hasard dans Solidarité nous amène à formuler l'hypothèse que le protagoniste est

un simple passant improvisant ses allées et venues. Certes, l'alternance des rôles de voleur

et de policier par ce personnage principal peut amener le lecteur à croire qu'il s'agit d'un

agent double. Toutefois, le caractère erratique de chacune des affiliations du protagoniste

au groupe de voleurs ou au groupe de policiers discrédite quelque peu cette hypothèse,

comme en témoigne l'extrait suivant : « Je trébuchai deux ou trois fois et je restai en 6 Voir annexe A.

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50

arrière. Je me retrouvai au milieu des autres [les policiers] qui couraient eux aussi. »

(extrait de Solidarité) Dans ce passage, le protagoniste joue d'abord le rôle de voleur et se

joint aux policiers après avoir pris du retard sur les autres voleurs avec lesquels il fuyait.

Puisqu'il ne semble pas avoir abandonné volontairement les voleurs, nous concevons

difficilement qu'il puisse être un agent double, un tel personnage étant reconnu pour agir de

façon stratégique et non par hasard.

L'attitude des personnages de l'histoire envers le protagoniste plaide également en faveur de

l'hypothèse du simple passant dont le sort dépend du hasard. Les groupes de voleurs et de

policiers agissent tous deux avec le protagoniste comme si ce dernier avait toujours fait

partie des leurs, tel que le montre l'extrait suivant : « Je réussis à en talonner un [voleur]

qui me dit : “Bravo, t’as réussi à t’échapper. Vite, par là, ils vont perdre nos traces!” »

(extrait de Solidarité) Dans ce passage, le personnage principal, qui joue d'abord le rôle de

policier, parvient à talonner un voleur, qui l'accueille dans son groupe comme s'il s'agissait

d'un des siens en lui proposant de fuir avec lui. Si le protagoniste était un agent double, ses

intrusions dans le groupe des voleurs susciteraient à notre avis davantage de réactions de la

part de ceux-ci, particulièrement au début du texte, alors que le narrateur de l'histoire se

joint à eux pour la première fois : « Je passais là par hasard, seul. Je me mis moi aussi à

appuyer sur le levier. Ils [les voleurs] me firent place. »(extrait de Solidarité) D'un point

de vue réaliste, des voleurs auxquels se joint un inconnu questionneraient minimalement cet

individu sur son identité.

Dès lors qu’on admet que le personnage principal de Solidarité est un simple passant qui se

plait à être solidaire à deux groupes antagonistes (les voleurs et les policiers), il est légitime

de se questionner sur l'identité et les motivations de ce passant, d'autant plus s'il ne s'agit

pas d'un agent double. À cet égard, Calvino nous fournit peu d'indications sur la

psychologie du protagoniste de l'histoire. À la lumière de notre analyse du récit, nous

sommes tout de même en mesure de reconnaitre que ce personnage agit de façon radicale,

autant lorsqu'il aide les voleurs que lorsqu'il aide les policiers. À titre d'exemple, il affirme

qu'il faudrait tuer tous les policiers alors qu'il est en présence des voleurs; quelques instants

plus tard, il qualifie les voleurs de « bâtards de délinquants » alors qu'il est en compagnie

des policiers. Ces apparentes « radicalisations » du protagoniste peuvent amener le lecteur à

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51

penser qu'il s'agit d'un individu psychologiquement vulnérable, voire mal intentionné.

Toutefois, nous estimons que le début et la fin de l'histoire rendent cette hypothèse peu

probable : un individu radical et mal intentionné aurait à notre avis tendance à planifier ses

actions. Or, le protagoniste de Solidarité improvise tout. De surcroit, nous n'avons prélevé

dans le texte aucun indice nous laissant croire que ce personnage est en détresse

psychologique.

En somme, nous croyons sage de définir le personnage principal comme un simple passant,

les indices du texte permettant difficilement d'élaborer davantage sur son état

psychologique, sa personnalité ou ses motivations. Pour admettre qu'un simple passant

puisse devenir tour à tour voleur et policier, le thème de l'absurdité nous parait

particulièrement éclairant : « l'absurde est une interrogation sur le sens […]. Il se définit

toujours non tant par absence de sens, mais par l'impossibilité de trouver celui-ci quand on

le cherche » (Aron, Saint-Jacques, & Viala, 2002, p. 1). Si l'acceptation de l'absurdité de

l'histoire racontée par Calvino nous permet de la recevoir avec humour, nous reconnaissons

que d'autres réceptions sont possibles, selon le principal thème que dégage le lecteur. À

titre d'exemple, un lecteur pourrait voir dans la trame narrative de l'histoire un

enchainement de trahisons commises par le protagoniste (ce dernier semble autant solidaire

aux voleurs qu'aux policiers), qui se retrouve finalement seul après avoir été rejeté par les

deux groupes qu'il a trahis. Le thème de la trahison pourrait alors mener le lecteur à

considérer le protagoniste comme un « arroseur arrosé », une victime de son propre jeu.

3.4.3 Les difficultés de Solidarité

Autant par son contenu que par sa structure, ce texte littéraire présente plusieurs difficultés.

L’une d’elles, liée au contenu de Solidarité, est l’identité floue du protagoniste et des autres

personnages de l’histoire. En mettant en scène un personnage principal dont les

comportements sont si peu cohérents, Calvino complique la tâche du lecteur qui tente

d’inférer l’identité de ce personnage. Le lecteur ne peut se fier à un seul passage du texte

pour statuer sur l’identité du personnage principal tantôt passant, tantôt voleur, tantôt

policier. Les autres personnages de l’histoire – les voleurs et les policiers – sont eux aussi

difficiles à cerner parce qu’ils sont très peu décrits. L’auteur entretient l’ambigüité par

rapport à leur identité en les désignant de façon évasive : ils, les autres, leur, les.

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Une autre difficulté liée au contenu de Solidarité tient à l’absurdité de l’action. Comment

un même personnage peut-il devenir tour à tour voleur et policier en aussi peu de temps, et

ce, par hasard? Pourquoi les voleurs et les policiers auxquels le personnage principal se

joint momentanément ne se rendent-ils pas compte qu’un nouveau membre est parmi eux?

Ces questions fondent l’absurdité de l’histoire, caractère d’un texte avec lequel plusieurs

lecteurs de 13 à 17 ans sont à notre avis peu familiers. La subtilité des indices du texte qui

permettent de saisir les déplacements du personnage principal contribue aussi à rehausser le

niveau de difficulté de ce texte. Pour intégrer ces indices, le lecteur doit porter attention à

des passages du texte bien précis, souvent difficiles à relever.

La principale difficulté propre à la structure de Solidarité est qu’il s’agit d’une nouvelle

littéraire dont la chute ne permet pas à elle seule d’assurer la compréhension globale de

l’histoire. En d’autres termes, l’intrigue se construit au fil du récit : le lecteur doit intégrer

plusieurs indices fournis par l’auteur à différents endroits dans le texte pour être en mesure

de comprendre la globalité de l’histoire. Sans l’intégration de ces différents indices

disséminés dans le texte, le lecteur ne peut comprendre la fin de l’histoire. Cette

particularité du texte de Calvino peut constituer une difficulté pour des lecteurs adolescents

habitués de se replier sur le dénouement inattendu d’une nouvelle littéraire – la chute –

pour en comprendre l’intrigue.

3.4.4 Des processus automatisés et stratégiques pour comprendre Solidarité

Pour comprendre l'intrigue de Solidarité, les lecteurs – même les plus expérimentés –

doivent utiliser différents processus automatisés et stratégiques. Vu la difficulté du texte, il

nous apparait peu probable que l'activation des processus automatisés du lecteur (ses

habiletés) puisse à elle seule lui permettre de construire une représentation cohérente du

récit de Calvino. Les passages de l'histoire dans lesquels le protagoniste change de rôle

obligent le lecteur à être stratégique, que ce soit en ralentissant sa vitesse de lecture, en

relisant certaines phrases ou en émettant des hypothèses quant aux raisons qui peuvent

motiver un personnage à se joindre spontanément à des groupes d'individus qu'il ne semble

pas connaitre. Le tableau suivant présente différents passages clés du texte qui impliquent à

notre avis l'utilisation de stratégies métacognitives par le lecteur.

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Tableau 1: Les changements de rôle du protagoniste dans Solidarité

Rôles qu’incarne tour à tour le

narrateur Extrait du texte7 Lignes

Passant à voleur Je me mis moi aussi à appuyer sur le levier. Ils [les voleurs] me firent place. L. 6-7

Voleur à policier

Puis ils [les voleurs] me dirent d’aller voir dehors, jusqu’au coin, s’il n’arrivait personne. J’y allai. Au coin de la rue, dehors, il y en avait qui rasaient les murs, cachés dans les renfoncements, et qui s’avançaient. Je m’y mis moi aussi.

L. 25-28

Policier à voleur

Ils [les policiers] m’envoyèrent un peu en avant, pour voir. J’arrivai à l’intérieur du magasin. « Désormais, disait quelqu’un se mettant un sac sur le dos, ils ne peuvent plus nous attraper. » « Vite, dit un autre, tirons-nous par l’arrière-boutique! Comme ça nous leur filons sous le nez. » Nous avions tous un sourire de triomphe sur les lèvres.

L. 43-48

Voleur à policier

Nous [les voleurs] nous élançâmes dehors et nous prîmes la fuite à toutes jambes. « Nous les avons eus! nous criâmes. » Je trébuchai deux ou trois fois et je restai en arrière. Je me retrouvai au milieu des autres qui couraient eux aussi.

L. 56-60

Policier à voleur

Et on [les voleurs] galopait tous par les petites rues, en les poursuivant. « Viens par ici », « Coupe par là », se disait-on, et les autres nous devançaient désormais de peu, et on criait : « Vite, qu’ils ne nous échappent pas! » Je réussis à en talonner un qui me dit : « Bravo, t’as réussi à t’échapper. Vite, par là, ils vont perdre nos traces! »

L. 62-66

Voleur à policier

Et moi, je me mis dans son sillage [celui du voleur]. Peu d’instants après, je me trouvais seul, dans une ruelle. Un autre arriva près de moi en tournant le coin de la rue et me dit en courant : « Vite, par là, je viens de les voir, ils ne peuvent pas être très loin. »

L. 67-70

Policier à passant

Je courus un peu derrière lui [le policier]. Puis je m’arrêtai, tout en nage. Il n’y avait plus personne, on n’entendait plus de cris. Je remis les mains dans mes poches et je recommençai à me promener, seul, au hasard.

L. 71-73

7 Voir annexe A.

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Prenons en exemple l'extrait suivant (voir la deuxième ligne du tableau de la page

précédente) pour bien comprendre de quelle façon le lecteur peut combiner ses habiletés et

ses stratégies : « Puis ils me dirent d’aller voir dehors, jusqu’au coin, s’il n’arrivait

personne. J’y allai. Au coin de la rue, dehors, il y en avait qui rasaient les murs, cachés

dans les renfoncements, et qui s’avançaient. Je m’y mis moi aussi. » (extrait de Solidarité)

À la lecture de ce passage, le lecteur peut être en mesure d'établir le lien entre le pronom

« ils » et l'antécédent implicite « les voleurs » sans avoir à utiliser de stratégies – bien que

l'inverse soit aussi possible. Il active alors de façon inconsciente ses processus d'intégration.

Toutefois, en lisant la phrase « je m'y mis moi aussi », il est probable que le lecteur se

demande « il se met à faire quoi? ». Dès lors, ce lecteur peut décider de relire la phrase

précédente afin de remédier à son incompréhension. Ce choix délibéré est un processus

stratégique. Après avoir relu le passage « Au coin de la rue, dehors, il y en avait qui

rasaient les murs, cachés dans les renfoncements, et qui s’avançaient », le lecteur peut

parvenir à comprendre que la phrase « je m'y mis moi aussi » signifie que le protagoniste se

met à raser les murs comme le font les policiers cachés dans les renfoncements.

Une fois ce passage compris, le lecteur est susceptible d'activer ses processus métacognitifs

en se demandant pourquoi le protagoniste, qui semblait complice des voleurs, agit

désormais comme s'il était un policier. Pour trouver réponse à sa question, le lecteur peut

formuler – consciemment ou inconsciemment – certaines hypothèses, par exemple celle

voulant que le protagoniste soit un agent double. Il active alors ses processus d'élaboration.

Au fil de sa lecture, le lecteur intègre de nouveaux indices textuels qui l'amènent à

confirmer ou à infirmer ses hypothèses. En ce sens, la dernière phrase de la nouvelle

littéraire de Calvino (« je remis les mains dans mes poches et je recommençai à me

promener, seul, au hasard ») peut amener le lecteur à remettre en question son hypothèse

voulant que le narrateur soit un agent double, notamment parce qu'il est peu probable qu'un

agent double abandonne sa mission avec une telle nonchalance (en poursuivant son chemin,

les mains dans les poches). Pour rejeter l'hypothèse de l'agent double, le lecteur active

notamment ses processus d'élaboration.

Il peut alors décider de relire le texte du début, c'est-à-dire utiliser une stratégie afin de

rétablir la cohérence globale du texte. Au cours de sa deuxième lecture du texte, le lecteur

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tentera notamment d'articuler les différents indices clés entre eux (le rôle du hasard, les

déplacements erratiques du protagoniste, etc.) afin d'intégrer le texte dans un tout cohérent :

il activera donc ses macroprocessus. Ainsi se côtoient, au fil de la lecture, les habiletés

(utilisées inconsciemment) et les stratégies (utilisées consciemment) du lecteur, qui tente de

construire du sens.

3.4.5 Le choix d’un texte résistant

En choisissant de faire lire aux élèves un texte résistant comme Solidarité, les membres de

l’équipe étaient conscients que plusieurs élèves ne parviendraient pas à le comprendre

finement. Trois motifs justifient toutefois leur décision. Le premier est qu’ils voulaient

éviter que les élèves lisent le texte sans verbaliser leurs processus de compréhension – nous

reviendrons sur ce point dans la prochaine section, alors qu’il sera question des méthodes

de cueillette des données employées. Des recherches ont en ce sens montré que pour que

des lecteurs verbalisent leur activité mentale pendant leur lecture, le texte devait représenter

pour eux un certain défi (Baker, 2002), sans toutefois être hors de leur portée (Hilden &

Pressley, 2011). Un autre motif justifiant la décision de recourir à un texte résistant est que

l’équipe de recherche savait que la deuxième partie des rencontres, au cours de laquelle un

intervieweur est intervenu, permettrait à la plupart des élèves d’activer de nouveaux

processus de compréhension pour ainsi améliorer leur compréhension initiale du texte :

« researchers can vary the difficulty of a particular text passage or they can change the

instructions to reflect more or less difficult processes. » (McNamara et al., 2016, p. 170)

Enfin, les membres de l’équipe de recherche voulaient observer des niveaux de

compréhension variables afin d’étudier ce qui distingue les lecteurs étant parvenus à une

compréhension fine de l’intrigue de ceux ayant peu ou n’ayant pas compris cette intrigue.

Ils ont donc opté pour un texte dont le niveau de difficulté était tel qu’ils savaient que les

élèves ne parviendraient pas tous à le comprendre en profondeur, même avec soutien.

Page 67: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

56

3.5 Les procédures de collecte des données

Afin de procéder à la collecte des données, l’équipe de recherche a rencontré

individuellement 44 élèves8 dont les enseignants participaient au projet de recherche

formation sur les stratégies de lecture. Chacune de ces rencontres a duré environ 30 minutes

et s’est divisée en deux parties recourant à des méthodes complémentaires : 1- la méthode

de la pensée à voix haute et 2- l'entretien semi-dirigé. Pour permettre la transcription et le

traitement des données, les rencontres ont été enregistrées sur bandes audios.

3.5.1 La méthode de la pensée à voix haute

Définition et avantages de la méthode

Au cours de la première partie des rencontres, les membres de notre équipe ont utilisé la

méthode de la pensée à voix haute (désormais MPVH) pour accéder à ce qui se produit

« dans la tête » des sujets au moment de lire un texte. Aussi appelée verbalisation

concomitante à la tâche, la MPVH « consiste à demander aux sujets de dire tout haut ce qui

se passe dans leur tête et ce qu’ils font durant la réalisation d’une tâche. » (Forget, 2013) Il

s’agit d’une tâche online puisque les indicateurs de l’activité de lecture sont pris au moment

même de l’activité (Zagar, 1992), ce que Pagé et Drolet (1994) jugent essentiel « lorsque

l’objectif de recherche est l’étude du processus lui-même » (p. 260). En ce sens, Hilden et

Pressley (2011) affirment ne connaitre aucune autre méthode permettant autant que la

MPVH d’accéder aux processus stratégiques mobilisés par un lecteur pendant sa lecture. Ils

circonscrivent ainsi les types de données auxquelles la MPVH donne accès :

This methodology can enlighten our understanding of such factors as reader characteristics – processes and strategies used by readers, readers’motivation and affect, the interaction of readers’motivation and affect with their cognitive responses – and the examination of contextual variables : text task, setting, and readability. (p. 431)

En sachant exactement à quel moment les élèves activent tel ou tel processus de

compréhension pendant leur lecture d’un texte, nous sommes davantage en mesure

d’identifier les passages de ce texte qui leur posent problème, pour ensuite cibler des

8 Nous avons rencontré certains de ces élèves, accompagnée de quatre autres membres de l'équipe de recherche. Chacun des membres a rencontré entre quatre et douze élèves.

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interventions susceptibles de les aider à mieux comprendre le texte (McNamara et al.,

2016). Par ailleurs, Hilden et Pressley (2011) insistent sur la flexibilité de la MPVH, qui

permet aux chercheurs d’orienter l’analyse des protocoles verbaux en fonction de leur

objectif de recherche.

Déroulement de la collecte des données

Dans le cadre des rencontres avec les 44 élèves, les membres de l’équipe leur ont d’abord

mentionné l’objectif de la recherche et leur ont expliqué ce qu’ils devaient faire pendant

leur lecture. Ils ont pris soin de préciser aux élèves qu’il ne s’agissait pas d’une évaluation

et que le contenu des rencontres demeurerait anonyme. Les élèves ont alors lu en silence le

texte Solidarité, tout en verbalisant ce à quoi ils pensaient au cours de leur lecture (leurs

réactions, leurs reformulations de certains passages du texte, leurs incompréhensions, leurs

stratégies, leurs interprétations, etc.). Puisque l’équipe de recherche voulait d’abord

comprendre comment lisent les adolescents lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes, ses

membres sont intervenus le moins possible, si ce n’est que pour rappeler aux lecteurs de

verbaliser leur pensée : « [Not to cue readers to use particular processes] is the most

defensible tactic if the goal is to understand readers’natural reading processes. » (Hilden

& Pressley, 2011, p. 433) Les quelques interventions des membres de l’équipe au cours de

la lecture du texte par les élèves ont pris la forme de consignes générales comme « n’oublie

pas de me dire tout ce qui se passe dans ta tête », « dis-moi aussi souvent que possible à

quoi tu penses pendant que tu lis » ou « dis-moi ce que tu fais pour comprendre ».

Limites de la méthode

En dépit de la richesse des données qu’elle procure, l’utilisation de la MPVH comme outil

diagnostique présente d’importantes limites. L’une d’elles est que cette méthode peut

interférer avec le processus de lecture (Baker, 2002). Afin de limiter cette possible

interférence, Forget (2013) propose d’adapter la complexité de la tâche à effectuer en

fonction des capacités cognitives du sujet et d’utiliser la MPVH auprès de sujets experts

seulement. Bien que l’équipe de recherche soit consciente que le cout cognitif associé à la

compréhension d’un texte soit plus élevé pour des lecteurs en difficulté que pour des

lecteurs efficaces (Fayol, 2004; Pierre, 1994), elle a tout de même choisi d’utiliser la

MPVH auprès de tous les élèves de l’échantillon afin de pouvoir identifier autant de

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facteurs qui favorisent la compréhension d’un texte que de facteurs entravant cette

compréhension.

Une autre limite de la MPVH est que les processus cognitifs activés peuvent être

inconscients et donc impossibles à verbaliser (Baker, 2002). Forget (2013) précise à ce

sujet qu’il n’est pas nécessaire d’avoir conscience que nous faisons quelque chose pour le

faire effectivement. À titre d’exemple, les lecteurs peuvent ne pas verbaliser l’utilisation de

stratégies si le texte à lire n’est pas assez difficile pour eux (Baker, 2002). Dans ce cas,

c’est l’automatisation de certains processus qui rend la verbalisation presque impossible

parce qu’ils échappent au contrôle attentionnel (Goigoux, 2000). Certains processus fins

peuvent aussi échapper au contrôle attentionnel (Forget, 2013). Par conséquent, nous

devons nous garder de conclure que le silence de certains élèves signifie qu’ils n’ont pas

activé de processus au cours de leur lecture de Solidarité. Seuls les processus de

compréhension activés consciemment par les lecteurs peuvent être révélés par la MPVH.

Les instructions données aux lecteurs, les questions qui leur sont posées de même que les

indices qui leur sont fournis sont aussi une limite de l’utilisation de la MPVH parce qu’ils

peuvent induire un type de réponse particulier (Baker, 2002; Hilden & Pressley, 2011).

Forget (2013) insiste d’ailleurs sur l’importance que les intervieweurs utilisant la MPVH

soient bien formés pour le faire : « Solliciter la parole des personnes demande du doigté :

sans une bonne maitrise [des outils méthodologiques choisis], la validité des données

obtenues ne peut être que mitigée. » (p. 75) Malgré que chacun des intervieweurs de

l’équipe de recherche se soit efforcé de ne pas fournir d’indices aux élèves lors de la

première partie des rencontres, nous sommes consciente que les relances adressées aux

lecteurs ont pu influencer la verbalisation de leur pensée. Par exemple, le nombre de ces

relances de même que les moments choisis pour les adresser ont pu inciter les lecteurs à

verbaliser des processus qu’ils n’auraient pas verbalisés s’ils n’avaient pas été encouragés à

le faire.

Un autre bémol lié à l’utilisation de la MPVH est qu’il ne s’agit pas d’une pratique à

laquelle les élèves sont habitués, ce qui diminue selon nous la validité écologique de la

méthode. Malgré que les membres de notre équipe aient tenté d’expliquer le plus

simplement possible aux élèves rencontrés qu’ils devaient « dire ce qui se passe dans leur

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tête », certains d’entre eux ont semblé quelque peu désorientés au moment de verbaliser

leur pensée. C’est notamment le cas de trois élèves de l’échantillon, qui ont tous affirmé à

un moment ou à un autre de la première partie des rencontres « ne pas savoir quoi dire ».

Ces élèves ont d’ailleurs placé leur intervieweur dans une délicate position, celle de devoir

leur fournir un minimum d’informations tout en visant la collecte d’un maximum de

commentaires : « Mention of specific reading or thinking processes has the potential to

prompt participants to use those processes. Similarly, explaining thinking aloud by

modeling with a short text can send the message to “do as I do.” » (Hilden & Pressley,

2011, p. 436)

Par ailleurs, il faut savoir que certaines caractéristiques personnelles peuvent aussi

influencer la verbalisation des processus : l’âge, la motivation, l’anxiété, les habiletés

verbales et l’ouverture à dévoiler ses processus (Baker, 2002). L’âge ne devrait pas avoir

influencé de façon significative la verbalisation des élèves de l’échantillon, qui avaient tous

entre 13 et 17 ans. Pour ce qui est des autres caractéristiques personnelles – la motivation,

l’anxiété, les habiletés verbales et l’ouverture à dévoiler ses processus –, elles ont certes pu

influencer la verbalisation des processus par les lecteurs, mais nous avions très peu de

contrôle sur ces caractéristiques.

Bien qu’elle permette de recueillir des données originales ou inédites, la MPVH présente

l’inconvénient de nécessiter un travail d’analyse colossal au moment de codifier les

protocoles verbaux (Baker, 2002). Puisque chacun des processus de compréhension qui

ressort de l’analyse des protocoles verbaux doit être codifié, la grille d’analyse de départ est

sujette à de nombreuses modifications (Hilden & Pressley, 2011). Le travail de codification

est d’autant plus long et ardu que les processus cognitifs et métacognitifs ne représentent

pas les seules verbalisations d’un lecteur. Des représentations, des conceptualisations et des

reconstructions peuvent aussi être verbalisées (Forget, 2013).

Le tableau suivant regroupe les avantages et les limites liés à l’utilisation de la MPVH.

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Tableau 2: Avantages et limites de l’utilisation de la MPVH pour étudier les facteurs cognitifs, textuels et contextuels ayant influencé la compréhension de Solidarité

Avantages Limites

• Accès à un large éventail de processus stratégiques non observables

• Possible interférence de la MPVH avec le processus de lecture

• Seule méthode qui révèle autant de processus stratégiques activés par un lecteur pour comprendre un texte

• Impossibilité pour le lecteur de verbaliser ses processus cognitifs inconscients

• Possibilité d’orienter l’analyse des protocoles verbaux en fonction de l’objectif de recherche

• Possible influence des instructions fournies aux lecteurs (ou des commentaires qui leur sont adressés) sur les processus activés

• Possibilité d’identifier les passages d’un texte qui posent problème aux élèves

• Validité écologique plutôt faible : contexte de lecture assez éloigné de celui dans lequel les élèves lisent habituellement

• Accès à des données inédites comme des représentations, des conceptualisations ou des reconstructions

• Influence de certaines caractéristiques personnelles sur la verbalisation des processus de compréhension : âge, motivation, anxiété, habiletés verbales et ouverture à dévoiler ses processus

• Défi que représente l’analyse des

protocoles verbaux à cause de la pluralité des données recueillies

3.5.2 L’entretien semi-dirigé

Définition de la méthode

Afin de contrebalancer certaines limites de la MPVH, les membres de l’équipe de recherche

ont mené des entretiens semi-dirigés dans le cadre de la deuxième partie des rencontres avec

les élèves. Savoie-Zajc (2003) définit ainsi cette méthode :

L’entrevue semi-dirigée consiste en une interaction verbale animée de façon souple par le chercheur. Celui-ci se laissera guider par le rythme et le contenu unique de l’échange dans le but d’aborder […] les thèmes généraux qu’il souhaite explorer avec le participant à la recherche. Grâce à cette interaction,

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une compréhension riche du phénomène à l’étude sera construite conjointement avec l’interviewé. (p. 296)

La deuxième partie des rencontres individuelles avec les élèves constitue une étude off-line

puisqu’elle prend « comme traces d’une activité des indicateurs chronologiquement

postérieurs à cette activité9 » (Zagar, 1992, p. 30).

Déroulement de la collecte des données et avantages de la méthode

Contrairement à la première partie des rencontres, au cours de laquelle les membres de

l’équipe se sont faits aussi discrets que possible en tant qu’expérimentateurs, la seconde

partie a fait d’eux des intervieweurs à part entière, dont le rôle était de questionner les

élèves. Ils ont ainsi eu accès à d’autres processus que ceux que les élèves avaient verbalisés

lors de la première partie des rencontres. C’est par l'intermédiaire de questions10 comme

« raconte-moi ce que tu as compris de l’histoire », « qui est le narrateur, celui qui raconte

l’histoire? », « qu’as-tu trouvé difficile lors de ta lecture de ce texte? » qu’ils en ont appris

davantage sur les processus de compréhension des élèves interrogés : « En général

l’objectif des tâches [off-line] est de donner des indications sur les processus les plus élevés

impliqués dans les traitements effectués pendant la lecture, sur le produit terminal du

traitement de l’information effectué lors de la lecture. » (Zagar, 1992, p. 31) Nous sommes

d’avis que la deuxième partie des rencontres a pu en partie compenser pour la difficulté des

lecteurs à verbaliser leurs processus de compréhension les plus fins lors de la première

partie de ces rencontres.

D’autres questions que les membres de l’équipe ont posées aux élèves les ont incités à relire

certains passages du texte afin d’identifier des personnages ou de résumer certaines actions

de l’histoire, par exemple : « Relis les lignes 25 à 35. Que veut dire la phrase je m’y mis moi

aussi? » Cette occasion pour les élèves de relire certains passages de Solidarité a selon nous

atténué une importante limite de la MPVH : son interférence avec le processus de lecture.

Plus précisément, nous croyons que la relecture a facilité la verbalisation par les élèves de

leurs processus de compréhension parce qu’ils avaient alors davantage de ressources

9 Ici, le protocole off-line n’exclut pas que les élèves puissent retourner lire certains passages du texte; ces retours au texte doivent être considérés comme des moyens pris par les lecteurs pour répondre aux questions qui leur sont posées après la lecture ou pour justifier leurs réponses. 10 Voir l’annexe B pour le schéma d’entretien complet.

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62

cognitives disponibles pour cette verbalisation que lors de leur première lecture. Aussi, il est

possible que cette relecture leur ait permis de se remémorer des processus qui avaient

échappé à leur mémoire de travail au moment où ils ont été activés (Forget, 2013).

Étant donné que l’entretien semi-dirigé correspond à une tâche off-line, il a souvent amené

les élèves à verbaliser autre chose que leurs processus de lecture. À titre d’exemple, certains

sont revenus sur leur expérience de lecture en mentionnant avoir trouvé le texte difficile ou

en identifiant les difficultés rencontrées. D’autres élèves ont discuté de leur expérience de

lecture en général ou de leur perception d’eux-mêmes en tant que lecteurs. Nous avons dû

tenir compte de ces informations au moment de créer nos grilles de codification, dont il sera

question dans la prochaine section.

La forme de la deuxième partie des rencontres – des questions posées par l’intervieweur –

était familière aux adolescents, ce qui lui confère à notre avis une validité écologique plutôt

bonne. Habitués de répondre à des questionnaires écrits ou à des questions posées oralement

par l’enseignant à la suite de la lecture de textes, les élèves ont semblé à l’aise de répondre

oralement aux questions que les intervieweurs leur ont posées. Deux élèves ont même

mentionné « attendre » les questions à la suite de leur lecture du texte, le premier soulignant

qu’« habituellement, y’a des questions » et le second affirmant : « Je pense qu’on va essayer

les questions, peut-être que ça va m’aider à comprendre. » Nous avons noté que cette

deuxième partie des rencontres avait incité plusieurs élèves à verbaliser davantage leurs

processus de compréhension qu’ils l’avaient fait lors de la première partie des rencontres.

Limites de la méthode

L’entretien semi-dirigé présente aussi ses limites en fonction des objectifs que nous

poursuivons. L’une de ces limites est que les élèves n’ont pas tous été exposés aux mêmes

interventions. Nous avons en ce sens constaté une certaine disparité d’un intervieweur à

l’autre pour ce qui est de l’aide fournie et des questions posées aux élèves. Certes, l’équipe

s’était donné un canevas d’entretien, mais ses membres en ont tous quelque peu dérogé à un

moment ou à un autre lors de la deuxième partie des rencontres, de façon à orienter la

discussion en fonction du discours de l’élève (la qualité de sa compréhension, ses réactions,

ses difficultés, etc.). Savoie-Zajc (2003) souligne à ce sujet que « le schéma d’entrevue

préparé préalablement doit être vu comme un outil souple et flexible » (p. 308).

Page 74: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

63

Le tableau suivant présente un résumé des avantages et des limites du recours à l’entretien

semi-dirigé pour étudier les facteurs cognitifs, textuels et contextuels ayant influencé la

compréhension d’un texte narratif résistant par des lecteurs adolescents.

Tableau 3: Avantages et limites du recours à l’entretien semi-dirigé pour étudier les facteurs cognitifs, textuels et contextuels ayant influencé la compréhension de Solidarité

Avantages Limites

• Accès à des processus de compréhension fins

• Influence des questions posées et de l’aide fournie par l’intervieweur sur la nature des données recueillies

• Permet le retour au texte et facilite la verbalisation

• Défi que représente l’analyse des protocoles verbaux à cause de la disparité des questions posées et de la pluralité des données recueillies

• Possibilité pour les lecteurs de se remémorer des processus qui avaient échappé à leur mémoire de travail au moment où ils ont été activés

• Validité écologique plutôt bonne

3.6 L’analyse de contenu

Afin d’analyser les données recueillies, les membres de l’équipe ont d’abord utilisé les

bandes audios pour transcrire le contenu intégral des rencontres. Nous avons ensuite eu

recours à la méthode d’analyse de contenu, qui consiste à codifier les éléments du

document analysé dans diverses catégories pour en faire ressortir les différentes

caractéristiques et mieux en comprendre le sens selon différentes étapes (L’Écuyer, 1987).

3.6.1 Lecture et analyse préliminaires

Cette première étape constitue une familiarisation avec le matériel à l’étude dans le but d’en

dégager le sens général et certaines idées forces susceptibles de permettre l’atteinte des

objectifs visés (L’Écuyer, 1987). Le travail d’analyse que nous avons réalisé dans le cadre

du projet de Falardeau (MELS, 2011-2014), dont l’objectif était d’étudier les capacités des

adolescents en lecture, nous a permis de manipuler les données recueillies et de nous

Page 75: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

64

familiariser avec celles-ci. Nous n’avons toutefois pas pu utiliser la grille de codification

élaborée dans le cadre de ce projet pour répondre à nos objectifs de recherche puisque la

plupart des catégories découpées ne concordaient pas avec nos objets d’étude : les facteurs

cognitifs, textuels et contextuels ayant influencé la compréhension du texte Solidarité par

des lecteurs de 13 à 17 ans.

Afin d’élaborer nos grilles de codification, nous nous sommes référée à nos trois questions

de recherche : 1- Quels facteurs cognitifs, textuels et contextuels ont influencé la qualité de

la compréhension du texte Solidarité? 2- Comment ces facteurs ont-ils influencé

l’activation de processus de compréhension par des lecteurs adolescents? 3- Quels sont les

processus de compréhension dont l’activation a été déterminante de la qualité de la

compréhension du texte Solidarité par les élèves? Ces questions nous ont permis

d’identifier trois types de données à faire ressortir des transcriptions : les facteurs influents,

les processus activés et la qualité de la compréhension.

3.6.2 Choix et définition des unités de classification

Cette deuxième étape consiste à découper le matériel étudié en énoncés signifiants pour

permettre la codification ultérieure (L’Écuyer, 1987). En dépouillant les 44 transcriptions,

nous sommes parvenue à élaborer trois grilles de codification, chacune étant liée aux trois

types de données à extraire des transcriptions. La première grille de codification présentée à

la page suivante regroupe les facteurs qui nous semblaient avoir influencé la

compréhension de la nouvelle littéraire Solidarité par les élèves de notre échantillon vu leur

récurrence (Bailey, 2007). Chacun de ces facteurs est accompagné d’un code, que nous

avons défini.

Page 76: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

65

Tableau 4: Première grille de codification – les facteurs cognitifs, textuels et contextuels à l’étude

Facteurs Codes Définitions

Facteurs cognitifs

Connaissance du stéréotype de l’agent double FL1

Tous les propos d’élève qui révèlent leur connaissance du stéréotype de l’agent double

Connaissance de l’absurdité de certains comportements

humains FL2

Tous les propos d’élèves qui révèlent leur capacité à reconnaitre qu’un comportement humain est absurde

Facteurs textuels

Entrée en matière directe et fin atypique FT1

Tous les propos d’élèves qui témoignent de leur difficulté à s’approprier la structure du texte Solidarité

Personnages et actions difficiles à cerner FT2

Tous les propos d’élèves qui témoignent de leur difficulté à cerner les personnages de l’histoire ou leurs actions

Facteurs contextuels11

Question de l’intervieweur : « Raconte-moi ce que tu as

compris de l’histoire » FC1

Tous les propos d’élèves liés à la question posée par l’intervieweur

Question de l’intervieweur : « Qui raconte l’histoire?

Quel est son rôle? » FC2

Tous les propos d’élèves liés à la question posée par l’intervieweur

Relecture des lignes 25 à 35 et question de

l’intervieweur : « Que veut dire la phrase Je m’y mis moi

aussi? »

FC3 Tous les propos d’élèves liés à la question posée par l’intervieweur

11 Les facteurs contextuels dont il est ici question se limitent au contexte social (les interventions de l'enseignant ou des pairs pendant la lecture) présenté dans la section 2.8.2 de ce mémoire. Les autres facteurs contextuels (le contexte psychologique, qui correspond à l'intention de lecture, et le contexte physique, qui englobe les éléments pouvant distraire le lecteur) ne seront pas analysés puisque nos données ne nous permettent pas de le faire.

Page 77: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

66

La deuxième grille de codification présentée ci-dessous regroupe les cinq processus de

compréhension (Giasson, 2011; Irwin, 2007) auxquels nous avons attribué un code, que

nous avons défini. Elle a été créée dans le but d’étudier les processus de compréhension

activés par les élèves.

Tableau 5: Deuxième grille de codification – les processus de compréhension à l’étude

Processus Codes Définitions

Microprocessus MICRO Tous les propos d’élèves qui révèlent une tentative de comprendre un mot, un groupe de mots ou une phrase

Processus d’intégration INT Tous les propos d’élèves qui révèlent une tentative

d’établir un lien entre des mots ou des phrases

Macroprocessus MACRO Tous les propos d’élèves qui révèlent une tentative d’établir des liens entre différentes parties du texte

Processus d’élaboration ÉLABO

Tous les propos d’élèves qui révèlent une tentative d’établir des liens qui ne sont pas nécessaires à la compréhension littérale du texte et qui n’étaient pas prévus par l’auteur

Processus métacognitifs MÉTA

Tous les propos d’élèves qui révèlent une détection des incompréhensions ou une prise de moyens pour remédier à ces incompréhensions OU Tous les propos d’élèves qui révèlent une réflexion sur eux-mêmes en tant que lecteurs, sur leur expérience de lecture du texte Solidarité ou sur leur expérience de lecture en général

La troisième grille de codification présentée à la page suivante a été créée pour comprendre

le lien entre la qualité de la compréhension du texte Solidarité par les élèves de notre

échantillon et les facteurs et processus étudiés. Elle présente les trois profils de

compréhension, auxquels nous avons attribué un code et des indicateurs en guise de

définition.

Page 78: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

67

Tableau 6: Troisième grille de codification – les indicateurs permettant de discriminer chacun des trois profils de compréhension

Qualité de la compréhension Codes Indicateurs

Bonne Profil A

• L’élève comprend que les pronoms « je » désignent toujours le même personnage dans le texte.

• L’élève comprend que le personnage principal se déplace du groupe des voleurs à celui des policiers.

• L’élève comprend que les changements de groupe du personnage principal sont improvisés et guidés par le hasard.

Partielle Profil B

• L’élève comprend que les pronoms « je » désignent toujours le même personnage dans le texte.

• L’élève comprend que le personnage principal se déplace du groupe des voleurs à celui des policiers

• L’élève ne comprend pas que les changements de groupe du personnage sont improvisés et guidés par le hasard.

Insuffisante Profil C

• L’élève ne comprend pas que les pronoms « je » désignent toujours le même personnage dans le texte.

• L’élève ne comprend pas que le personnage principal se déplace du groupe des voleurs à celui des policiers.

• L’élève ne comprend pas que les changements de groupe du personnage sont improvisés et guidés par le hasard.

3.6.3 Le processus de catégorisation

Cette étape permet de réorganiser le matériel étudié pour faire ressortir certaines

caractéristiques du phénomène étudié de façon plus claire (L’Écuyer, 1987). Pour ce faire,

nous avons mis à l’épreuve nos trois grilles de codification en lisant attentivement le

contenu des transcriptions. La première étape du processus de catégorisation a consisté à

utiliser la troisième grille de codification afin d’attribuer aux 44 élèves un code lié à la

qualité de leur compréhension (Profil A, Profil B ou Profil C). Nous sommes consciente

que le niveau de compréhension des élèves a pu varier de façon importante au cours des

rencontres de 30 minutes avec l’intervieweur. Certains élèves ne comprenaient pas

l’histoire après une première lecture (sans aide, protocole online), mais sont parvenus à la

comprendre beaucoup plus finement à la suite de la deuxième partie des rencontres, au

cours de laquelle l’intervieweur est intervenu (protocole off-line). Pour déterminer le profil

Page 79: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

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de compréhension des élèves, nous nous sommes basée sur le plus haut niveau de

compréhension qu’ils ont atteint pendant leur rencontre avec l’intervieweur, ce qui signifie

que nous avons autant considéré les données recueillies par la MPVH (protocole online)

que par l'entretien semi-dirigé (protocole off-line). La catégorisation des profils d’élèves a

été réalisée dans un tableau semblable à celui présenté à l’annexe C. La deuxième étape du

processus de catégorisation nous a permis d’utiliser nos première et deuxième grilles de

codification pour catégoriser toutes les occurrences des facteurs (FL1, FL2, FT1, FT2, FC1,

FC2, FC3) et des processus (MICRO, INT, MACRO, ÉLABO, MÉTA), et ce, pour

chacune des 44 transcriptions. La catégorisation des facteurs et des processus a été réalisée

dans des tableaux semblables à celui présenté à l’annexe D.

Le travail de codification nous a permis de nous assurer que nous pouvions catégoriser tous

les énoncés signifiants liés à nos objectifs de recherche : « L’analyse qualitative se

développe grâce à une rétroaction constante entre le document, les extraits [et] les

définitions des catégories dans lesquelles les extraits sont rassemblés » (Sabourin, 2003, p.

375). Ainsi en sommes-nous arrivée à redécouper certaines catégories liées aux facteurs

contextuels (FC1, FC2 et FC3 : première grille), aux macroprocessus (MACRO : deuxième

grille) et aux processus métacognitifs (MÉTA : deuxième grille).

En ce qui concerne les facteurs contextuels ayant influencé la compréhension du texte

Solidarité, nous avons dû découper les réponses des élèves par rapport aux questions posées

par l’intervieweur en sous-catégories afin de bien comprendre les différents impacts des

facteurs contextuels étudiés. Le tableau suivant présente les sous-catégories liées à ces

facteurs contextuels.

Page 80: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

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Tableau 7: Ajout à la première grille de codification – les effets observés chez les élèves par rapport aux facteurs contextuels étudiés

Facteurs contextuels Codes Effets observés chez les élèves12 Codes

Question de l’intervieweur : « Raconte-moi ce que tu as

compris de l’histoire » FC1

Tous les propos d’élèves qui révèlent leur représentation de l’histoire

FC1-a

Tous les propos d’élèves qui révèlent une remise en question de leur compréhension de l’histoire

FC1-b

Question de l’intervieweur : « Qui raconte l’histoire? Quel

est son rôle? » FC2

Tous les propos d’élèves qui répondent à la question SANS émettre de doute par rapport à l’identité du narrateur

FC2-a

Tous les propos d’élèves qui répondent à la question en émettant des doutes par rapport à l’identité du narrateur

FC2-b

Relecture des lignes 25 à 35 et question de l’intervieweur : « Que veut dire la phrase Je

m’y mis moi aussi? »

FC3

Tous les propos d’élèves qui interprètent la phrase comme suit : le narrateur (un voleur) se cache avec d’autres voleurs

FC3-a

Tous les propos d’élèves qui interprètent la phrase comme suit : le narrateur (un voleur) se cache au même titre que les policiers

FC3-b

Tous les propos d’élèves qui interprètent la phrase comme suit : le narrateur (un voleur) se cache et se joint aux policiers

FC3-c

Tous les propos d’élèves qui interprètent la phrase comme suit : le narrateur (un voleur) se cache et se joint aux policiers parce qu’il s’agit d’un agent double

FC3-d

12 Ici, nous nous sommes intéressée aux effets des questions posées par l'intervieweur sur les élèves rencontrés. Bien que tous les élèves de notre échantillon puissent être catégorisés à partir de ce tableau, nous ne prétendons pas que la liste des effets observés soit absolue. D'autres élèves que ceux ayant participé à notre étude pourraient fournir des réponses qui ne sont pas recensées dans ce tableau si les questions de la colonne de gauche leur étaient posées.

Page 81: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

70

Ce tableau a été greffé à notre première grille de codification, qui regroupe tous les facteurs

cognitifs, textuels et contextuels étudiés. Pour ce qui est de l’étude des processus de

compréhension activés par les élèves pour comprendre la nouvelle de Calvino, nous avons

découpé plus finement deux processus dont l’activation (ou la non-activation) semblait

avoir été déterminante de la qualité de la compréhension du texte : les macroprocessus et

les processus métacognitifs. Le tableau ci-dessous présente les deux tendances auxquelles

nous nous sommes intéressée pour chacun de ces deux processus.

Tableau 8: Ajouts à la deuxième grille de codification – tendances observées chez les élèves par rapport aux macroprocessus et aux processus métacognitifs

Processus Codes Tendances Codes Définitions

Macro-processus MACRO

Articulation des

différents indices du

texte

(macro1)

Tous les propos d’élèves qui révèlent une tentative d’établir des liens entre différentes parties du texte

Traitement d’extraits

clés du texte en ilots

(macro2)

Tous les propos d’élèves qui révèlent l’analyse d’un extrait du texte sans prise en compte des éléments lus précédemment

Processus méta-

cognitif MÉTA

Relecture partielle ou complète du

texte

(méta1) Tous les propos d’élèves qui révèlent la relecture partielle ou complète du texte

Poursuite de la lecture malgré les incompré-hensions

(méta2) Tous les propos d’élèves qui révèlent la poursuite de leur lecture malgré leurs incompréhensions

Ce tableau a été greffé à notre deuxième grille de codification, qui regroupe les processus

de compréhension à l’étude. À partir des première et deuxième grilles de codification et des

deux tableaux qui leur ont été ajoutés, nous avons repris nos 44 tableaux de catégorisation

des facteurs et processus (annexe D) et avons validé notre première codification des

données, tout en faisant les ajouts nécessaires selon les nouveaux codes créés. En dépit de

cette contrevalidation, qui nous a permis de nous distancier de notre première validation et

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71

de faire les ajustements nécessaires, notre travail de codification n'a pas fait l'objet d'une

validation interjuges.

3.6.4 Quantification et traitement statistique

Cette dernière étape avant l’analyse et l’interprétation des résultats permet de « quantifier

les données accumulées dans chacune des catégories en termes de fréquences, de

pourcentages ou des divers autres indices possibles et développés par les chercheurs »

(L’Écuyer, 1987, p. 61).

Pour compiler les données liées à notre première question de recherche – Quels facteurs

cognitifs, textuels et contextuels ont influencé la qualité de la compréhension du texte

Solidarité? –, nous avons repris chacun des facteurs cognitifs (FL1, FL2), textuels (FT1,

FT2) et contextuels (FC1, FC2, FC3) pour calculer la fréquence totale d’élèves de

l’échantillon qui en avaient subi l’influence. Nous avons aussi calculé le nombre d’élèves

de chacun des trois profils qui avaient été influencés par ces facteurs. Toutes les fréquences

ont été transformées en pourcentages pour faciliter leur interprétation. Ces résultats ont été

compilés dans des fiches de résultats semblables à celle fournie en exemple à l’annexe E.

Afin de répondre à notre deuxième question de recherche – Comment les facteurs cognitifs,

textuels et contextuels identifiés ont-ils influencé l’activation des processus de

compréhension par des lecteurs adolescents? –, nous n’avons pas fait de traitement

statistique, mais avons plutôt tenté de comprendre le lien entre les différents facteurs

catégorisés et les processus de compréhension activés en nous référant à nos 44 tableaux de

catégorisation (annexe D). Nos hypothèses et observations ont été compilées dans des

fiches de résultats semblables à celle présentée en annexe F.

Pour compiler les données liées à notre troisième question de recherche – Quels sont les

processus de compréhension dont l’activation a été déterminante de la qualité de la

compréhension du texte Solidarité par les élèves? –, nous avons calculé la fréquence des

codes (macro1), (macro2), (méta1) et (méta2), qui représentent les tendances observées

chez les élèves par rapport aux deux principaux processus de compréhension dont

l’activation semblait avoir eu une influence importante sur la compréhension du texte

Solidarité : les macroprocessus et les processus métacognitifs. Les fréquences ont été

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72

calculées pour l’ensemble des élèves de l’échantillon et pour chacun des trois profils. Elles

ont ensuite été transformées en pourcentages. Ces résultats ont été compilés dans des fiches

de résultats semblables à celle présentée en annexe E, à la différence qu’il s’agissait de

vérifier l’activation d’un processus de compréhension plutôt que de vérifier la

manifestation d’un facteur cognitif, textuel ou contextuel. En somme, nous avons eu

recours à une analyse combinant des méthodes quantitatives et qualitatives qui, comme le

suggère Mucchielli (1991), ne s’excluent pas systématiquement, permettant plutôt de

réduire le risque de subjectivité des hypothèses formulées.

Page 84: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

73

CHAPITRE 4: PRÉSENTATION DES RÉSULTATS Ce chapitre présente nos résultats de recherche. Nous présentons les trois profils de

compréhension dans lesquels nous sommes parvenue à classer les 44 élèves ayant participé

à notre projet selon la qualité de leur compréhension du texte Solidarité. Nous identifions

ensuite les principaux facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui ont facilité ou entravé la

compréhension de la nouvelle littéraire de Calvino par les élèves et montrons par

l’intermédiaire de quels processus ces facteurs ont influencé leur construction de la

représentation de l’histoire. Enfin, nous montrons de quelle façon l'activation de deux

processus (les macroprocessus et les processus métacognitifs) a influencé de façon

importante la qualité de la compréhension du texte Solidarité par les élèves.

4.1 Présentation des trois profils de compréhension

Nous avons dégagé trois profils de compréhension à partir de la grille de codification

contenant les indicateurs permettant de discriminer ces profils (voir le tableau 6 présenté au

chapitre 3). Nous proposons des extraits associés à chacun de ces trois profils, dont nous

faisons ensuite la synthèse des principales caractéristiques. Nous montrons enfin de quelle

façon les 44 élèves de notre échantillon se répartissent dans chacun de ces profils.

4.1.1 Particularités des élèves appartenant au profil A

Les élèves appartenant au profil A sont ceux dont la compréhension globale de l’histoire est

bonne. Ils saisissent les éléments essentiels à la compréhension de l’intrigue,

particulièrement le rôle du hasard dans le déroulement des actions. Questionnés à propos

des passages du texte dans lesquels le narrateur se déplace d’un groupe à l’autre, les élèves

du profil A sont en mesure de visualiser ces déplacements et de résumer ce qu’ils ont lu,

comme le fait Mathieu-A13 dans l’extrait suivant14 :

I15 : Ici, qu’est-ce qui se passe?

13 La liste complète des 44 élèves et de leur profil de compréhension est présentée en annexe G. Pour distinguer les élèves qui portent le même prénom, nous avons ajouté un trait d’union suivi des lettres « A », « B » ou « C » à la suite de ce prénom. 14 À moins d'avis contraire, les extraits présentés dans ce chapitre sont issus de la deuxième partie des rencontres avec les élèves, c'est-à-dire qu'ils ont été recueillis par l'entretien semi-dirigé (protocole off-line). 15 Dans les extraits cités, la lettre « I » désigne l’intervieweur et la lettre « é », l’élève.

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é : [Le personnage principal] se plante. I : Ouais. é : Puis il prend du retard sur sa gang. I : OK, sa gang étant…? C’est qui sa gang? é : Les voleurs. I : Les voleurs. é : Là après ça, il se retrouve au milieu des policiers qui couraient eux autres aussi. I : Fait que physiquement là, présentement, [montre-moi avec tes mains] ce qui se passe […] dans l’action? é : Il passe de voleurs aux policiers pour retourner aux voleurs pour retourner dans les policiers. I : Parce que là il trébuche.

En mentionnant « [le personnage principal] se plante », cet élève montre qu’il saisit la

brève séquence textuelle où le protagoniste passe in extrémis du groupe des voleurs à celui

des policiers : Je trébuchai deux ou trois fois et je restai en arrière. Je me retrouvai au

milieu des autres [les policiers] qui couraient eux aussi. (extrait de Solidarité) La capacité

des élèves du profil A à visualiser les mouvements physiques du personnage principal les

aide à cerner la personnalité ambivalente de ce protagoniste qui collabore à la fois avec les

voleurs et avec les policiers. Comprendre l’identité du personnage principal – un simple

passant qui se laisse guider par le hasard – est un enjeu fondamental dans l’histoire. Les

élèves qui comprennent cet enjeu sont en mesure de formuler des interprétations pertinentes

par rapport à différents éléments du texte, notamment le titre de l’histoire : Solidarité. C’est

le cas de Mathieu-A, qui pousse l’audace jusqu’à proposer un autre titre :

I : Puis est-ce [que] [le personnage principal] va à fond dans sa solidarité? é : Ouais. Ben… non parce qu’il trahit ses… (Rires.) Il trahit les voleurs puis il trahit les policiers parce que dans le fond il est les deux, fait que non, je ne pense pas. I : C’est-tu un bon titre? é : Hum… Bof. I : Pourquoi? é : Je ne sais pas… je serais plus allé avec Double personnalité. I : Ah oui? é : Parce que, il a l’air de ne pas tout le temps être la même personne.

Lorsqu’il formule l’idée de trahison, cet élève réalise que le titre choisi par l’auteur est

plutôt ironique parce que les comportements du protagoniste vont à l’encontre du sens

communément attribué à la solidarité.

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75

Les élèves du profil A sont également les seuls à saisir l’absurdité des comportements des

personnages de l’histoire. Pour admettre cette absurdité, il faut être en mesure de voir que

c’est le hasard qui guide les multiples déplacements du narrateur tantôt voleur, tantôt

policier. Bianca, par exemple, s’amuse de constater que les policiers et les voleurs ne sont

pas conscients qu’un des leurs va et vient :

I : Qu’est-ce que tu comprends là? é : Bien que là, [le personnage principal] est rendu avec les méchants encore parce qu’il a réussi à en rattraper un puis là il dit Bravo, t’as réussi à t’échapper! parce qu’il était proche des polices. I : Puis pourquoi ça te fait rire? é : Ben parce que c’est niaiseux parce qu’ils pensent, les deux équipes, qu’il est avec eux! I : C’est-tu une histoire drôle? é : Quand on la comprend, oui!

Dans cet extrait, Bianca met en évidence une caractéristique importante de l’histoire : on ne

peut la trouver drôle que si on la comprend finement.

4.1.2 Particularités des élèves appartenant au profil B

Les élèves du profil B comprennent partiellement l’histoire. Ils savent que le pronom « je »

désigne toujours le même personnage dans le texte et que ce personnage se déplace du

groupe des voleurs à celui des policiers. Cependant, ils sont incapables de reconnaitre que

c’est le hasard qui guide les déplacements du protagoniste du début à la fin de l’histoire.

L’incompréhension de cet élément clé de Solidarité limite la capacité des élèves du profil B

à cerner l’identité du personnage principal. Marc-André, par exemple, tente de comprendre

le rôle du personnage principal en se servant des éléments de l’histoire qu’il a compris :

é : Bien d’après moi le narrateur OK, c’est… ça serait une personne qui se fait passer pour un bandit pour avoir plus d’informa… pour que les policiers aient plus d’informations. I : OK, un agent… un agent d’infiltration? é : Ouais, un agent double là. I : Un agent double. OK, donc son rôle ce serait… son but ultime à lui ce serait quoi? é : Bien, ce serait recueillir des informations pour les policiers.

Les élèves du profil B semblent croire que les déplacements du narrateur sont volontaires et

contrôlés, d’où leur hypothèse selon laquelle ce narrateur est un agent double.

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76

La réaction des élèves du profil B à la vraisemblance de l’histoire est d’ailleurs cohérente

avec leur compréhension du texte : puisqu’ils s’imaginent que le narrateur est un policier

infiltré, ils estiment que le texte est vraisemblable, comme le montrent les propos de

Maxime :

I : Tu penses que c’est une histoire qui est vraisemblable? é : Bien oui. I : Pourquoi? é : Parce que tu peux être un, tu peux… Il existe des policiers qui s’habillent en normalement, qui pourraient être dans une gang. I : En civil tu veux dire? é : C’est ça, [le personnage principal] pourrait être dans une gang et être capable de piéger des jeunes comme ça.

Lorsqu’ils sont invités à interpréter certains éléments du texte, les élèves du profil B

éprouvent aussi certaines difficultés, comme c’est le cas d’Érika-A, qui tente d’interpréter

le titre du texte en fonction de sa compréhension de l’histoire:

I : Ah, tu regardes le titre. Parlons-en du titre. é : Bien, Solidarité ça veut dire qu’il est bien, solidaire aux personnes avec qui il est. C’est peut-être pour ça que genre si mettons c’est un policier, bien, c’est peut-être pour ça qu’il a pas arrêté les personnes qui étaient avec lui. I : Ok, est-ce que tu trouves que Solidarité c’est un titre qui va bien à cette nouvelle-là? é : Euh, on pourrait dire que oui là. I : Ok, pourquoi? é : Bien, justement parce que y’est avec les voleurs, puis il va leur dire genre que, que, bien les policiers sont là dans le fond, ici… I : Y’est comme solidaire avec les voleurs? é : Bien pas avec les policiers, ça marche pas, je comprends pas. I : Tu trouves pas qu’il est solidaire avec les policiers? é : Non, je comprends pas le début du texte.

Érika-A croit que le protagoniste est un agent double qui devrait normalement arrêter les

voleurs lorsqu’il en a l’occasion, mais le texte permet de comprendre que ce personnage se

fait le complice des voleurs lorsqu’il est en leur compagnie. Elle formule donc l’hypothèse

que le protagoniste serait un agent double solidaire aux voleurs et réalise du même coup

qu’une telle solidarité va à l’encontre du rôle conventionnel d’un agent secret. Cet extrait

montre que les lacunes dans la représentation de l’histoire construite par l’élève limitent sa

capacité à interpréter le titre de cette histoire.

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77

4.1.3 Particularités des élèves appartenant au profil C

Les élèves du profil C ont une compréhension insuffisante de l’histoire. Ils ne semblent pas

en mesure d’admettre qu’un même narrateur puisse appartenir à la fois à un groupe de

voleurs et à un groupe de policiers parce qu’ils ne saisissent pas les passages du texte dans

lesquels le protagoniste change de groupe. Ils peuvent donc difficilement envisager que le

hasard soit maitre du jeu dans le déroulement des actions. Pierre-Ulrick, par exemple,

résume ainsi ce qu’il a compris de Solidarité :

I : Qu’est-ce que tu as compris de l’histoire? é : Euh, j’ai compris que c’était une gang de jeunes qui se sauvaient de quelqu’un là, la police je pense.

Bien que ce propos ne soit pas hors sujet – un groupe de voleurs tente effectivement de fuir

les policiers dans l’histoire –, il révèle un faible niveau de compréhension de l’intrigue de

Solidarité. Pour tenter de pallier leurs incompréhensions, certains élèves du profil C,

comme Geneviève, inventent des informations :

I : Qu’est-ce que tu as compris de l’histoire… en résumé? é : (Rires.) OK, que c’est un homme. D’après moi, je pense que c’est comme un… un, un clochard, je pense. Puis là y se cherchait une gang comme pour euh, aller avec les autres comme pour aller voler pour manger. Puis là, y’a vu une gang fait qu’y est allé avec eux. Puis là, y’a volé, puis les flics sont arrivés. Y s’est sauvé avec, avec la gang qui sont comme eux. Y s’est retrouvé tout seul, puis là la roue recommence.

La représentation que se fait Geneviève de Solidarité est en partie valable (un homme se

joint effectivement à un groupe avec lequel il fuit les policiers), mais elle inclut une

information inventée : le personnage principal serait un clochard qui commet un vol pour

pouvoir s’acheter de la nourriture.

Au final, les élèves du profil C ne sont pas en mesure de réagir ou d’interpréter le texte de

façon pertinente parce que leur compréhension est trop lacunaire. Invité à réagir à la

vraisemblance de l’histoire, Kristofer ne voit pas pourquoi la nouvelle de Calvino serait

invraisemblable :

I : Est-ce que tu penses que c’est une histoire qui est vraisemblable? Qui pourrait arriver dans la… pour vrai? é : Ouais, ça pourrait arriver pour vrai.

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I : OK, pourquoi? é : Bien, parce que c’est possible qu’il y ait des voleurs puis que des polices les recherchent.

La réaction de cet élève à la vraisemblance de l’histoire, comme celle de l’ensemble des

élèves du profil C, est cohérente avec ce qu’il a compris de l’histoire.

Lorsque l’intervieweur demande à Anthony d’interpréter certains éléments du texte –

l’emploi de nombreux pronoms par l’auteur et le choix du titre –, l’élève formule des

réponses qui révèlent d’importantes lacunes dans sa représentation du texte :

I : Tu as remarqué, dans le texte, c’est beaucoup des ils, des nous… penses-tu qu’il y a une raison en particulier pour laquelle [l’auteur] fait ça? é : Il… d’après moi, il voulait pas trop donner des noms au hasard pour pas que ça tombe sur des vraies personnes. I : Il ne voulait pas que ce soit de vrais criminels qui soient désignés par des prénoms? é : Ouin. I : OK. Fait que ce serait une question d’anonymat? […] é : Ouin. I : Ok, le titre là de l’histoire, Solidarité, d’abord, est-ce que tu sais ce que c’est la solidarité? é : Euh, en gros je le sais, mais pas trop son explication là… I : Ok, mais supposons que je te dis être solidaire à quelqu’un, ça veut dire lui venir en aide, être là pour lui. Est-ce que tu vois le lien entre le titre choisi par l’auteur puis l’histoire? é : Bien, qu’y sont deux dans leur périple.

4.1.4 Synthèse des caractéristiques des trois profils de compréhension

Le tableau suivant présente un résumé de la représentation du texte Solidarité par les élèves

de chacun des trois profils.

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Tableau 9: Représentation du texte Solidarité par les élèves en fonction de leur profil de compréhension

Profil A Bonne

compréhension de l’histoire

Les élèves voient les mouvements physiques du personnage principal qui passe du groupe des voleurs à celui des policiers et ils saisissent les passages du texte dans lesquels il est question du hasard. Ils sont donc en mesure de comprendre le sens global de l’histoire, d’y réagir de façon pertinente et d’interpréter différents éléments du texte de façon appropriée.

Profil B Compréhension

partielle de l’histoire

Les élèves saisissent certains des mouvements physiques du personnage principal d’un groupe à l’autre, mais ne parviennent pas à intégrer l’information selon laquelle ces déplacements sont erratiques. Ils sont incapables de cerner correctement l’identité du personnage principal, ce qui nuit à leur compréhension globale de l’histoire. Ils sont donc limités dans leur capacité à réagir à l’histoire et à interpréter certains de ses éléments de façon pertinente.

Profil C Compréhension insuffisante de

l’histoire

Les élèves identifient les deux groupes antagonistes (voleurs et policiers), mais ne comprennent pas que les pronoms « je » désignent toujours le même personnage principal, qui se déplace d’un groupe à l’autre. Ils sont donc incapables de comprendre le sens global de l’histoire, de réagir à l’histoire et d’interpréter certains de ses éléments de façon pertinente.

4.1.5 Répartition des élèves de l’échantillon selon les trois profils

Nous nous sommes intéressée à la répartition des 44 élèves de notre échantillon selon les

profils de compréhension. Ces chiffres nous permettront de calculer les proportions

d’élèves de chaque profil influencés par les facteurs liés au lecteur, au texte lu et au

contexte de lecture. Ils nous permettront aussi de calculer les proportions d’élèves de

chaque profil qui ont activé les processus de compréhension dont nous étudions l’influence

sur la compréhension. Le tableau suivant présente les proportions d’élèves de l’échantillon

appartenant à chacun des trois profils.

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Tableau 10: Répartition des 44 élèves de l’échantillon selon les trois profils de compréhension

Proportions

d’élèves

Pourcentages de

l’échantillon

Profil A Bonne compréhension de l’histoire 7/44 16 %

Profil B Compréhension partielle de l’histoire 10/44 23 %

Profil C Compréhension insuffisante de l’histoire 27/44 61 %

Nous tenons à rappeler que ces trois profils ne sont pas des portraits qui représentent

fidèlement les habiletés en compréhension de l’écrit des 44 adolescents que nous avons

rencontrés; un lecteur généralement habile peut s’être retrouvé dans le profil C et un lecteur

généralement moyen ou même en difficulté peut être parvenu à une compréhension fine de

l’histoire (profil A). La difficulté du texte Solidarité, le contexte de lecture particulier et

l’inégalité de l’étayage offert par les différents intervieweurs ont pu influencer de façon

importante la répartition des élèves de notre échantillon dans les trois profils de

compréhension.

4.2 Les facteurs ayant influencé la compréhension de Solidarité

Les facteurs ayant pu influencer la qualité de la compréhension du texte Solidarité par les

44 élèves ayant participé à notre projet sont nombreux. Par souci de concision, nous ne

pouvons tous les présenter. Nous présentons d'abord deux facteurs cognitifs dont l'influence

a été manifeste chez au moins neuf élèves16 de notre échantillon (9/44) : la connaissance du

stéréotype de l'agent double et celle de l'absurdité de certains comportements humains.

Nous présentons ensuite deux facteurs textuels reconnus par au moins 17 élèves sur 44

comme des obstacles à la lecture : la structure particulière du récit et l'ambigüité des actions

et des personnages de l'histoire. Nous présentons dans un troisième temps les trois

16 Les autres facteurs évoqués ont été écartés en raison de leur représentation marginale dans notre échantillon.

Page 92: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

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interventions de l'intervieweur ayant généré les effets les plus favorables sur la qualité de la

compréhension du texte par les élèves : la question « raconte-moi ce que tu as compris de

l'histoire », la question « qui raconte l'histoire? » et la relecture accompagnée d'un passage

clé. Enfin, nous présentons les deux processus de compréhension dont l'activation nous a

semblé avoir une grande influence sur la qualité de la compréhension : les macroprocessus

et les processus métacognitifs.

4.2.1 Les connaissances des lecteurs sur le monde et sur les textes

Le stéréotype de l’agent double

La connaissance du stéréotype de l’agent double a influencé la compréhension du texte

Solidarité par certains élèves. Pour s’expliquer le double rôle du personnage principal de

l’histoire, le quart des élèves de l’échantillon (11/44 – 25 %) a fait référence au stéréotype

de l’agent secret, ce personnage qui infiltre des groupes de criminels afin de les piéger. Ces

élèves qualifient ainsi le protagoniste de l’histoire de « policier par infiltration » (Marc-

Étienne), de « policier infiltré » (Mathias), d’« espion » (Érika-A), de « policier qui s’est

déguisé en voleur » (Kimberly) ou de « policier qui fait semblant » (Camille), par exemple.

Philippe explique bien d’où provient sa connaissance de l’agent double :

I : OK. Fait que finalement notre je, y fait quoi dans l’histoire lui? […] é : C’est peut-être un policier qui fait des activités illégales. […] é : Non, mais tu sais, comme admettons euh… ma mère puis moi on écoute des émissions là, parfois on voit des policiers que pour arrêter du monde, y font des affaires illégales, comme par exemple je sais pas… parfois y travaillent sous couverture, des trucs de même…

Les 11 élèves ayant mentionné que le protagoniste était un agent secret représentent une

forte majorité d’élèves du profil B (9/10 – 90 %), environ le tiers des élèves du profil A

(2/7 – 29 %) et aucun élève du profil C (0/27 – 0 %). Pour formuler une telle hypothèse, il

est nécessaire de comprendre qu’un même personnage passe du groupe des voleurs à celui

des policiers, ce qui explique qu’aucun élève appartenant au profil C n’ait fait référence au

stéréotype de l’agent double.

Page 93: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

82

Bien qu’elle ne permette pas de comprendre finement le texte, la connaissance de l’agent

double a influencé positivement la compréhension parce qu’elle a favorisé l’activation de

processus de compréhension par les élèves, notamment les processus d’intégration – qui

leur ont permis de lier entre eux certains indices du texte pour comprendre qu’un même

personnage joue plusieurs rôles dans l’histoire – et les processus d’élaboration – qui leur

ont permis de générer une inférence qui n’était vraisemblablement pas prévue par l’auteur :

l’hypothèse de l’agent double. La connaissance du stéréotype de l’agent double a donc joué

un rôle de pilier sur lequel des élèves se sont appuyés pour tenter de comprendre l’identité

ambigüe du protagoniste et ainsi construire leur représentation de l’histoire. Un élève qui ne

connait pas le stéréotype de l’agent double peut en ce sens éprouver d’importantes

difficultés à comprendre pourquoi un même personnage joue le rôle de voleur et de policier

en alternance, à moins qu’il ait d’autres connaissances lui permettant de s’expliquer ces

changements de rôle.

L’absurdité de certains comportements et les textes absurdes

La connaissance de l’absurdité a aussi influencé la compréhension du texte par certains

élèves. En relisant certains passages du texte, certains élèves de l’échantillon (9/44 – 20 %)

ont utilisé leur connaissance des comportements humains pour remettre en question la

logique des comportements des personnages. C’est le cas de Florence, qui tente de

comprendre le rôle du personnage principal :

é : Des fois il est dans le groupe des mauvais, puis pourquoi bizarrement il deviendrait bon?

D’autres élèves, comme Bianca, remettent quant à eux en question le rationnel des

comportements des autres personnages – les voleurs et les policiers –, qui ne semblent

jamais se formaliser du va-et-vient d’un des leurs – le personnage principal de l’histoire :

I : C’est-tu vraisemblable cette histoire-là? é : Non, comment que la police aurait pu penser qu’il était avec lui tu sais… I : (Rires.) Donc, c’est pour ça que tu dis que c’est une histoire qui est un peu drôle? é : Ouais, puis c’est drôle parce que ça arrive pas tout le temps que le monde pense qu’il est dans les deux clans, puis de toute manière comment tu veux [que les voleurs] croient que la police soit avec, c’est bizarre!

Page 94: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

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La limpidité des propos de Bianca témoigne de sa connaissance de l’absurdité : elle sait

distinguer les comportements humains vraisemblables de ceux qui ne le sont pas. Elle sait

aussi qu’un texte littéraire lu à l’école peut être invraisemblable s’il est absurde. Les 9

élèves ayant utilisé leurs connaissances liées à l’absurdité pour comprendre le texte

correspondent à la totalité des élèves du profil A (7/7 – 100 %), à une petite proportion

d’élèves du profil B (2/10 – 20 %) et à aucun élève du profil C (0/27 – 0 %). Tous les

élèves ayant compris finement le texte ont donc activé leur connaissance de l’absurdité

pour comprendre.

Cette connaissance a été favorable à la compréhension du texte dans la mesure où elle a

permis aux élèves d’envisager que les comportements des personnages de l’histoire soient

absurdes et que le texte soit invraisemblable. Les élèves ont utilisé leur connaissance de

l’absurdité pour activer leurs processus d’intégration et ainsi déduire que le protagoniste

était un simple passant aux comportements absurdes. Ils ont aussi utilisé leur connaissance

de l’absurdité pour activer leurs macroprocessus en établissant des liens entre différentes

parties du texte, ce qui leur a permis de comprendre le rôle du hasard dans l’histoire, par

exemple.

Les élèves n’ayant pas fait référence à l’absurdité (35/44 – 80%) ont quant à eux éprouvé

des difficultés à comprendre finement l’histoire. Nous ne pouvons toutefois affirmer que

c’est la méconnaissance de l’absurdité qui a nui à leur compréhension parce que le fait

qu’un lecteur ne fasse pas référence à l’absurdité ne signifie pas nécessairement qu’il ne

sait pas ce qu’est un comportement absurde ou qu’il n’a jamais lu de textes absurdes.

Autrement dit, il est possible que d’autres facteurs, comme la difficulté du texte ou une

mauvaise régulation de la lecture, aient nui à ces élèves qui n’ont pas fait référence à la

connaissance de l’absurdité pour comprendre l’intrigue de Solidarité. Par exemple, un élève

qui poursuit sa lecture même s’il a perdu le fil de l’histoire pourra difficilement être attentif

aux passages du texte permettant d’en saisir l’absurdité, même s’il a déjà lu des textes

absurdes (ou écouté des films ou des émissions télévisées absurdes) et qu’il sait reconnaitre

qu’un comportement est absurde.

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Synthèse des connaissances du lecteur ayant influencé la compréhension

Deux connaissances des élèves ont influencé positivement leur compréhension de

Solidarité parce que leur interaction avec les indices du texte a favorisé l’activation de

certains processus de compréhension. Il s’agit du stéréotype de l’agent double et de

l’absurdité. La connaissance du stéréotype de l’agent double a favorisé la compréhension

du texte lu par les élèves parce qu’elle les a amenés à activer leurs processus d’intégration

pour reconnaitre qu’un même personnage se déplaçait d’un groupe de voleurs à un groupe

de policiers, tout comme elle leur a permis d’activer leurs processus d’élaboration pour

formuler une hypothèse par rapport à l’identité du personnage principal. Quant à la

connaissance de l’absurdité, elle a eu un impact positif sur la compréhension de Solidarité

en favorisant l’activation des processus d’intégration et des macroprocessus par les élèves.

Ces derniers sont ainsi parvenus à comprendre l’identité ambigüe du personnage principal

et à s’expliquer les comportements absurdes des personnages de l’histoire.

Le tableau suivant présente les deux principales connaissances des élèves ayant influencé

leur compréhension de Solidarité et les proportions d’élèves qui ont activé ces

connaissances selon leur profil.

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Tableau 11: Les connaissances du lecteur ayant influencé positivement la compréhension de Solidarité selon les trois profils de compréhension

Proportions d’élèves

Connaissances activées Profil A

Profil B

Profil C Total

Connaissances sur le monde et sur les textes

Stéréotype de l’agent double 2/7 9/10 0/27 11/44

Absurdité de certains comportements et textes absurdes 7/7 2/10 0/27 9/44

4.2.2 Les spécificités du texte Solidarité

Une entrée en matière directe et une fin atypique

La structure de la nouvelle littéraire Solidarité a influencé la compréhension des élèves.

Probablement habitués de lire des nouvelles littéraires qui respectent un canevas plutôt

standard17, plusieurs élèves ont semblé désarçonnés devant les particularités de Solidarité,

notamment son entrée en matière directe. Ils commentent ainsi le début de l’histoire de

Calvino : « ça commence direct » (Érika-B), « c’est pas le début de l’histoire » (Noémie),

« j’aimerais ça lire qu’est-ce qui se serait passé avant » (Jean-Sébastien), « ce n’est pas le

début, il n’y a pas de situation initiale » (Gabrielle), « on n’a pas de contexte, ils nous

mettent dans l’histoire tout de suite » (Guillaume), « on n’a pas le début » (Philippe). Si

rien n’indique que le récit d’une nouvelle littéraire doit commencer en douceur, les

témoignages de ces élèves portent à croire que la plupart des nouvelles littéraires qu’ils ont

lues ne commençaient pas dans le vif de l’action, comme c’est le cas de Solidarité, qui

commence ainsi : Je m’arrêtai pour les regarder. C’était comme ça qu’ils travaillaient, la

nuit, dans cette rue à l’écart, sur le rideau de fer d’un magasin.

Lorsqu’ils lisent la fin de l’histoire, plusieurs élèves éprouvent le même malaise que

lorsqu’ils ont lu son début : « la fin est floue » (Frédérique), « la fin est surprenante et ne fit

pas avec l’histoire » (Maxime), « y’a pas grand punch » (Mathieu-A), « c’est sûr qu’y a une

17 Par canevas standard, nous entendons ici une nouvelle littéraire qui présente une situation initiale permettant de contextualiser les actions à venir et dont la chute permet, presqu’à elle seule, de comprendre l’intrigue du texte.

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suite » (Jean-Sébastien), « l’histoire finit en queue de poisson » (Philippe). Le discours de

ces élèves laisse entendre qu’ils attendaient une « réponse » à la fin du récit, probablement

parce qu’on leur a enseigné que la résolution de l’énigme d’une nouvelle littéraire devait se

trouver dans les toutes dernières lignes du texte. Samuel-B, par exemple, ne cache pas sa

déception par rapport à la fin de l’histoire :

I : As-tu aimé l’histoire, pourquoi? é : Bien moyen parce que c’est ça, pas mal tout le long on se questionne, puis à la fin ce qui est le fun quand on se questionne sur le suspense, à la fin t’as comme une, une réponse à tes questions, tandis que là-dedans, t’as pas vraiment de réponse claire encore à la fin, t’as encore un questionnement. Puis y’a même pas de suite, bien j… parce que c’est comme une nouvelle. D’habitude y’a pas nécessairement de suite fait que dans le fond tu sais t’es comme tout le temps sur ton questionnement.

L’insatisfaction de certains élèves par rapport au début et à la fin de l’histoire est telle qu’ils

croient qu’il ne s’agit pas d’une histoire complète : « le texte est incomplet » (Marc-

Olivier), « il manque une partie » (Shela), « c’est une histoire dans un livre » (Jérémy),

« c’est un extrait de texte » (Érika-A), « c’est quoi le nom du livre? » (Hubert). Au total, 17

élèves de l’échantillon ont réagi à l’entrée en matière directe ou à la chute atypique de la

nouvelle de Calvino. Ces élèves représentent une minorité d’élèves du profil A (1/7 –

14 %), une majorité d’élèves du profil B (7/10 – 70 %) et le tiers des élèves du profil C

(9/27 – 33 %).

La structure particulière du texte Solidarité semble avoir nui à la compréhension des élèves

parce qu’elle a freiné l’activation de leurs processus métacognitifs. Plus précisément, c’est

le décalage entre les spécificités du texte Solidarité et les connaissances des élèves sur la

nouvelle littéraire qui a généré des difficultés de compréhension parce que certains élèves

ont poursuivi leur lecture malgré leurs incompréhensions en se disant que la fin du texte

leur permettrait de comprendre, comme c’est le cas dans les nouvelles littéraires qu’ils

lisent souvent en classe. Si les connaissances des élèves par rapport à la nouvelle littéraire

avaient été plus flexibles, et si ces élèves avaient lu davantage de textes littéraires dont la

structure est non canonique, ils se seraient possiblement mieux adaptés aux spécificités de

la nouvelle de Calvino en activant davantage leurs processus métacognitifs.

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87

Des personnages et des actions difficiles à cerner

Le peu de détails sur les personnages et leurs actions dans Solidarité a aussi gêné la

compréhension des élèves de notre échantillon : « tu sais pas vraiment de quoi y parle »

(Mathieu-A), « on n’a aucun personnage, on sait rien, on sait pas qu’est-ce qu’y font… faut

comme supposer » (Louis-Philippe), « c’est vague, ça décrit pas bien les personnages »

(Érika-B), « il n’y a pas de précisions, c’est vague, on ne sait pas c’est qui » (Guillaume),

« c’est pas précis comme texte » (Hubert), « tu sais pas vraiment qui parle » (Philippe).

Certains élèves, comme Érika-A, attribuent les imprécisions de Calvino au genre de texte

de Solidarité :

I : Selon toi, est-ce que l’auteur, c’est volontaire ça, de pas les décrire plus que ça les personnages? é : Mais oui parce que bien, tu sais c’est une nouvelle, puis dans une nouvelle bien, on fait pas ça, on décrit pas les personnages ou très peu. I : OK, puis qu’est-ce que ça crée comme effet le fait qu’il n’ait pas décrit les personnages, puis que… il parle des autres, puis ils. Qu’est-ce que ça crée, à ton avis? é : Bien, euh, je sais pas. (Rire timide.) I : Est-ce que ça aide à comprendre ou au contraire ça nuit à la compréhension? é : Bien, pour moi, je pense ça nuit à la compréhension… (rires) pas mal.

À l’instar d’Érika-A, Mathieu-A considère que sa difficulté à cerner les actions de l’histoire

est normale puisqu’il s’agit d’une nouvelle littéraire :

I : Qu’est-ce que tu regardes pour essayer de [comprendre la nouvelle]? é : Bien, c’est, dans l’histoire c’est que c’est un peu mêlant, tu ne sais pas vraiment de quoi y parle là, mais je sais que ça va surement jouer dans le punch parce que c’est une nouvelle là. Je sais que le punch souvent dans les nouvelles y’a aucun sens18.

Cet élève attribue ses incompréhensions à un facteur externe : le genre du texte. Par

conséquent, il est moins porté à réguler sa lecture parce qu’il ne semble pas conscient qu’il

en est le maitre. Si Mathieu-A et Érika-A considèrent que leur difficulté à cerner les actions

et les personnages de l’histoire est attribuable aux caractéristiques génériques de la nouvelle

littéraire, c’est possiblement parce qu’ils ne parviennent pas à relever les indices lexicaux 18 Cet extrait est issu de la première partie de la rencontre, c'est-à-dire qu'il a été recueilli par la MPVH (protocole online).

Page 99: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

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qui leur permettraient de mieux comprendre les personnages et leurs actions. Il est

également probable que leur conception de la nouvelle littéraire comme un texte qu’il est

normal de ne pas comprendre avant d’avoir lu la fin influence négativement la régulation de

leur lecture et ainsi le repérage des indices nécessaires à la compréhension du texte.

Au total, 43 élèves sur 44 ont mentionné que les imprécisions de Calvino par rapport aux

personnages et à leurs actions dans Solidarité avaient représenté une difficulté de

compréhension pour eux. Ces 43 élèves correspondent à la totalité des élèves du profil A

(7/7 – 100 %), à la totalité des élèves du profil B (10/10 – 100 %) et à la presque totalité des

élèves du profil C (26/27 – 96 %). La difficulté à cerner les personnages et leurs actions est

donc une difficulté qu’une forte majorité d’élèves de l’échantillon ont éprouvée, tous

profils confondus.

Synthèse des spécificités du texte ayant influencé la compréhension

Deux caractéristiques spécifiques au texte Solidarité ont influencé négativement la

compréhension des élèves parce qu’elles étaient difficilement conciliables avec leurs

connaissances génériques rigides sur la nouvelle littéraire, ce qui a nui à la régulation de

leur lecture. D’une part, l’histoire commence directement dans l’action, sans mise en

contexte au préalable et elle se termine d’une manière atypique pour les élèves puisqu’elle

ne leur fournit aucune « réponse » claire dans les dernières lignes. Cette particularité du

récit de Calvino a pu nuire à la compréhension des élèves qui pensaient pouvoir s’appuyer

sur la chute de la nouvelle pour tout comprendre dans la mesure où ils ont été moins actifs

dans la prise en charge de leur lecture. D’autre part, les personnages de l’histoire et leurs

actions sont difficiles à cerner. Cette caractéristique du texte Solidarité a représenté une

difficulté pour une forte majorité d’élèves.

Le tableau suivant présente les deux principales caractéristiques du texte Solidarité ayant

influencé la compréhension et les proportions d’élèves de chacun des trois profils qui ont

verbalisé leur difficulté à composer avec ces caractéristiques.

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Tableau 12: Les spécificités de Solidarité ayant influencé négativement la compréhension des élèves selon les trois profils de compréhension

Proportions d’élèves

Spécificités du texte Profil A

Profil B

Profil C Total

Entrée en matière directe et fin atypique 1/7 7/10 9/27 17/44

Personnages et actions difficiles à cerner 7/7 10/10 26/27 43/44

4.2.3 Les interventions de l’intervieweur à la suite de la lecture du texte par les élèves19

À la suite de leur première lecture de Solidarité (protocole online, sans aide), à peu près

tous les élèves de l’échantillon (43/44) appartenaient au profil C, c’est-à-dire que leur

compréhension de l’histoire était insuffisante. Un seul élève (1/44) appartenait déjà au

profil B. Ce sont donc les interventions de l’intervieweur au cours de la deuxième partie des

rencontres qui ont permis à plusieurs élèves de mieux comprendre l’histoire et ainsi de

migrer vers les profils B ou A. 9 des 43 élèves qui appartenaient au profil C après avoir lu

le texte sans aide sont passés au profil B alors que 7 sont passés au profil A. Certaines

questions de l’intervieweur ont particulièrement été au service de la compréhension des

élèves : « Raconte-moi ce que tu as compris de l’histoire », « Qui est le personnage “je”

dans l’histoire? » et « Relis le passage que je te cible et dis-moi ce que tu en comprends ».

« Raconte-moi ce que tu as compris de l’histoire »

La question « raconte-moi ce que tu as compris de l’histoire » a été posée à 39 des 44

élèves de l’échantillon. Deux tendances ont été observées chez ces 39 élèves lorsqu’ils ont

répondu à la question de l’intervieweur : ceux qui ont simplement raconté à l’intervieweur

ce qu’ils avaient compris de l’histoire (c’est-à-dire ceux qui ont répondu à la question sans

élaborer davantage) et ceux qui ont émis des commentaires d’ordre métacognitif liés à leur

19 Pour chacune des trois interventions de l’intervieweur qui sont présentées dans cette section, nous prenons en considération le nombre d’élèves de l’échantillon ayant été exposés à l’intervention et non le nombre total d’élèves de l’échantillon (n = 44).

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compréhension du récit (c’est-à-dire ceux qui sont allés au-delà de la question de

l’intervieweur).

Un peu plus du tiers des 39 élèves à qui la question a été posée (15/39 – 38 %) y ont

répondu sans aller plus loin. Alaa, par exemple, verbalise clairement sa représentation de

l’histoire sans toutefois la remettre en question :

I : Qu’est-ce que tu as compris de l’histoire? é : J’ai compris que c’était des délinquants qui essayaient d’entrer par effraction dans un magasin, puis y’a eu, y’a eu la police qui est arrivée. Fait que y’ont décidé de s’enfuir du magasin puis de sortir. Y’a, y’a un, tout, y les ont tous rattrapés sauf un qui a pu genre…

Au même titre que les 14 autres élèves qui ont traduit en mots leur représentation de

l’histoire sans aller au-delà de la question de l’intervieweur, Alaa a bénéficié de cette

intervention, qui lui a permis de faire le point sur sa compréhension de l’histoire. En

verbalisant leur représentation de l’histoire, ces 15 élèves ont franchi une première étape

vers l’autorégulation puisqu’ils se sont demandé ce qu’ils avaient compris de la nouvelle

littéraire de Calvino, ce qui a nécessité l’activation de leurs processus métacognitifs,

notamment. Toutefois, ils n’ont pas tiré un bénéfice aussi grand que les élèves qui ont émis

des doutes par rapport à leur représentation du texte Solidarité parce qu’ils n’ont pas

détecté leurs difficultés de compréhension – ou à tout le moins ne les ont pas verbalisées.

Un élève qui n’est pas conscient qu’il ne comprend pas – ou qui n’est pas capable

d’identifier ses incompréhensions – peut difficilement prendre des moyens pour remédier à

ses incompréhensions. Les élèves qui n’ont pas formulé de commentaires d’ordre

métacognitif par rapport à leur représentation de l’histoire correspondent à aucun élève du

profil A (0/3 – 0 %), à 3 élèves du profil B (3/10 – 30 %) et à 12 élèves du profil C (12/26 –

46 %).

Quand l’intervieweur leur a demandé de raconter ce qu’ils avaient compris de l’histoire,

près du deux tiers des élèves (24/39 – 62 %) ont quant à eux accompagné leur récit de

commentaires portant sur leur incertitude par rapport à la justesse de leur représentation de

l’histoire ou sur les difficultés qu’ils ont rencontrées en lisant. Mathieu-C, par exemple,

revient sur l’évolution de sa représentation de l’histoire au fil de sa lecture :

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é : Au début, je croyais que c’était un voleur qui entrait dans un magasin pour voler quelque chose… À un moment donné, je croyais que c’était un policier… Et après, je ne comprenais plus rien… Et à la fin, il se ramasse à nager… (L’élève relit un segment de la phrase.) é : Tout en nage… Il ne nage même pas!

Même s’il ne parvient pas sur-le-champ à résoudre ses problèmes de compréhension,

Mathieu-C semble tout à fait conscient que certains éléments du texte lui échappent. La

verbalisation de ses incompréhensions l’amène à réguler sa lecture en relisant un passage

du texte qui lui a posé problème. De son côté, Samuel-A complète son récit de l’histoire en

verbalisant clairement ce qui lui a posé problème pendant sa lecture :

é : Bien, les personnes qui attaquaient un magasin, bien ils le cambriolent. Puis ils entendent du bruit dehors, des bruits de pas. Fait que là, ils envoient une personne aller voir dehors voir c’est qui. Puis là, j’ai l’impression qu’il se retournait comme contre les personnes pour comme pour faire s’il était avec les personnes qui arrivaient. [..] é : Après ça, il retournait, c’était comme un peu bizarre me semble comme texte (rires). D’un bord, il dit je pour la personne qui court ou en tout cas, puis je pour la police. J’avais l’impression que ça disait je pour deux personnes bien différentes.

En identifiant précisément une de ses difficultés de compréhension, Samuel-A franchit une

étape clé dans la régulation de sa lecture parce qu’il sait à quel élément du texte il doit

porter une attention particulière. Au même titre que 24 des 39 élèves qui ont été invités à

raconter ce qu’ils avaient compris de l’histoire, Mathieu-C et Samuel-A ne se sont pas

contentés de verbaliser leur représentation de l’histoire : ils ont aussi émis des

commentaires témoignant de leur conscience métacognitive. La question « raconte-moi ce

que tu as compris de l’histoire » a ainsi incité 3 élèves du profil A (3/3 – 100 %), 7 élèves

du profil B (7/10 – 70 %) et 14 élèves du profil C (14/26 – 54 %) à remettre en question

leur représentation de l’histoire ou à identifier leurs difficultés de compréhension en

activant leurs processus métacognitifs. Ces résultats montrent que les élèves ayant le mieux

compris l’histoire (profils A et B) ont été proportionnellement plus nombreux que ceux qui

ont moins bien compris l’histoire (profil C) à profiter de la question de l’intervieweur pour

détecter leurs incompréhensions. Globalement, la question « raconte-moi ce que tu as

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compris de l’histoire » a tout de même été favorable à la compréhension de Solidarité par

une majorité d’élèves.

L’identité du narrateur « je » dans l’histoire

Tous les élèves de l’échantillon ont été invités à se prononcer sur l’identité du narrateur ou

ont pris l’initiative de le faire. Qui est le narrateur? Que sait-on à son sujet? Quel est son

rôle dans l’histoire? Les questions de l’intervieweur par rapport au narrateur ont représenté

pour les élèves une occasion de se mesurer à une difficulté importante de Solidarité : cerner

l’identité du personnage principal. Deux tendances ont été observées chez les élèves

lorsqu’ils ont répondu à cette question : certains n’ont pas verbalisé le flou entourant

l’identité du narrateur de l’histoire alors que d’autres l’ont fait.

Les élèves qui n’ont pas verbalisé l’ambigüité par rapport à l’identité du narrateur de

l’histoire représentent environ le tiers des élèves (14/44 – 32 %). Ils ont statué sur l’identité

du protagoniste (voleur ou policier) sans émettre de doutes par rapport à cette identité.

Mathieu-B, par exemple, ne semble pas en mesure d’envisager que le narrateur ne soit pas

un simple voleur :

I : Si t’avais à dire, dans le fond, d’après toi, c’est qui le je dans l’histoire? Qui est-ce qui raconte l’histoire, le narrateur? é : Un voleur. I : Un voleur? é : Hum. I : Ce serait lui qui raconte l’histoire? é : Ouais. I : OK. Tout le temps? é : Non, on dirait que ça change. Euh, non tout le temps. I : Tout le temps, tu penses que ça serait toujours un voleur? é : Ouais.

Si la question de l’intervieweur amène temporairement Mathieu-B à remarquer une certaine

ambigüité dans la narration – « on dirait que ça change » –, cet élève se rétracte aussitôt. La

question de l’intervieweur concernant l’identité du narrateur n’est pas suffisante pour

l’amener à remarquer la confusion par rapport au statut de ce narrateur, pas plus qu’elle ne

l’est pour les 13 autres élèves ayant répondu que le narrateur était un voleur (ou un policier)

sans élaborer davantage. Ces 14 élèves correspondent à une minorité d’élèves du profil A

(1/7 – 14 %), à aucun élève du profil B (0/10 – 0 %) et à environ la moitié des élèves du

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profil C (13/27 – 48 %). Ces résultats montrent que les élèves ayant moins bien compris le

texte Solidarité sont plus nombreux que les autres à n’être pas parvenus à cerner un enjeu

central dans l’histoire : l’identité ambigüe du protagoniste. Ils ont statué sur cette identité

sans trop se poser de questions, manquant alors une occasion de s’interroger sur un élément

central du récit. Ces élèves partagent pour la plupart un point en commun : ils ne sont pas

retournés au texte, ou bien l’ont fait très brièvement. Par conséquent, la question de

l’intervieweur n’a probablement pas eu d’impact significatif sur leur compréhension de

l’histoire.

La majorité des élèves (30/44 – 68 %) ont quant à eux profité de la question de

l’intervieweur à propos de l’identité du protagoniste de l’histoire pour verbaliser le flou

entourant cette identité, ce qui les a aidés à mieux comprendre le texte. Ces verbalisations

du flottement par rapport au statut du narrateur ont pris différentes formes : 1- le narrateur

est un voleur jouant un rôle particulier dans l’histoire; 2- il y a deux narrateurs; 3- le

narrateur est un voleur ou un policier (incapacité à trancher); 4- le narrateur est un agent

double et 5- le narrateur est un passant.

Six élèves croient que le narrateur est un voleur jouant un rôle particulier dans l’histoire,

par exemple : « Il aidait les voleurs, dans le fond il ralentissait les policiers peut-être […], il

faisait une diversion » (Shela), « [le narrateur] surveille les arrières […], fait les rondes

dans les, quand y voit des personnes qui approchent » (Louis-Philippe), « Peut-être un

bandit qui euh… y’essaie de paraitre innocent, mais dans le fond y’a comme plein de

contacts qui [l’aident] à monter ses coups » (Catherine), « un voleur qui se prend pour un

policier » (Cassandra). La question de l’intervieweur leur a permis d’activer leurs processus

métacognitifs (en se questionnant sur l’identité du narrateur), leurs processus d’intégration

(en faisant des liens entre différents passages du texte où il est question du rôle du

narrateur) et leurs processus d’élaboration (en formulant des hypothèses qui n’étaient pas

prévues par l’auteur par rapport au rôle particulier du narrateur dans l’histoire).

Quatre élèves répondent quant à eux à l’intervieweur qu’il y a deux narrateurs dans

l’histoire : un « je » voleur et un « je » policier. Ces élèves identifient les deux groupes

(voleurs et policiers) et comprennent l’appartenance du « je » à chacun de ces groupes,

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mais croient qu’il s’agit de deux personnages différents, comme l’illustrent les propos

d’Alex :

I : Fait que, dans le fond, hum… ce serait qui le je dans l’histoire là? […] é : Bien dans le fond, c’est, c’est comme chacun leur tour non? I : OK, qu’est-ce tu veux dire? é : Non, mais tu sais, on vient de voir ça là je sais pas si c’est ça, mais tu sais c’est comme euh, la narration tu sais comme à tour de rôle là, ça se peut tu, ça peut tu être ça?

La question sur l’identité du narrateur a amené Alex et trois autres élèves à activer

différents processus de compréhension pour formuler l’hypothèse du changement de

focalisation (deux narrateurs internes différents dans l’histoire). Ces élèves ont d’abord

activé leurs processus métacognitifs en se questionnant sur une difficulté du texte. Ils ont

ensuite activé leurs processus d’intégration pour faire le lien entre le pronom « je » et ses

antécédents dans le texte – un voleur ou un policier. Enfin, ils ont activé leurs processus

d’élaboration pour formuler une hypothèse : il y a deux narrateurs.

Par ailleurs, 11 élèves sont incapables de statuer sur l’identité du narrateur lorsque

l’intervieweur leur demande de le faire. Invités à répondre à la question « qui est le

narrateur de l’histoire, celui qui raconte? », ils ne parviennent pas à trancher : « [le

narrateur est] entre les deux [voleurs et policiers] » (Maxime), « Au début, j’étais sure que

c’était les bandits, mais avec les relectures de quelques extraits, je suis en train de me

questionner pour voir si ce n’est pas un policier » (Frédérique), « [le narrateur] parle

comme si c’était un policier, puis après il parle comme si c’était un voleur. Fait que je ne

suis pas sure » (Kimberly), « y’a l’air de faire partie d’une genre de gang je sais pas,

d’après moi c’est des polices ou voleurs, j’tout mêlé » (Olivier-B), « je dirais que c’est

comme les deux [un voleur et un policier] » (Samuel-A), « le personnage des fois il est bon,

puis il est mauvais » (Florence), « je pense que la police essaie de’es attraper, mais que eux

y’essaient d’attraper d’autre monde en même temps » (Amélie). S’ils n’ont pas intégré les

indices du texte qui auraient pu leur permettre de comprendre que le narrateur se déplace

d’un groupe de voleurs à un groupe de policiers, ces élèves sont tout de même conscients

de la difficulté à statuer sur l’identité de ce personnage principal. La question « qui est le

narrateur de l’histoire? » a représenté pour eux une occasion d’émettre des doutes par

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rapport au statut du protagoniste. En d’autres termes, l’intervieweur a favorisé l’activation

de leurs processus métacognitifs, nécessaires à la régulation de leur lecture. Il a aussi

favorisé l’activation de leurs processus d’intégration, qui leur ont permis de faire le lien

entre différents passages du texte qui fournissent des indices sur l’identité du protagoniste.

Quand l’intervieweur leur a demandé qui était le « je » qui raconte l’histoire, 9 élèves ont

quant à eux tenté de lever le voile sur cette ambigüité en formulant l’hypothèse selon

laquelle il s’agit d’un agent double (7 élèves) ou en émettant l’idée qu’il pourrait s’agir

d’un passant (2 élèves), comme le fait Olivier-A : « Dans le fond, le personnage principal

[…] y’est dans les deux camps. Dans le fond, il est neutre, il aide les deux bords. Euh,

mettons la bande dans la rue veut capturer les autres, puis les autres veulent s’enfuir. Il les

aide les deux. » Ces élèves ont donc profité de la question de l’intervieweur pour formuler

une hypothèse liée à l’identité du narrateur. En plus d’activer leurs processus métacognitifs,

leurs processus d’intégration et leurs processus d’élaboration (comme la plupart des élèves

dont il a été question précédemment), ils ont activé leurs macroprocessus pour tenter

d’établir la cohérence globale du texte en faisant des liens entre des éléments importants de

l’histoire.

Les 30 élèves qui ont profité de la question « qui est le narrateur de l’histoire? » pour

verbaliser l’ambigüité par rapport à l’identité du narrateur représentent la presque totalité

des élèves du profil A (6/7 – 86 %), la totalité des élèves du profil B (10/10 – 100 %) et

environ la moitié des élèves du profil C (14/27 – 52 %). Ces résultats montrent que les

élèves ayant le mieux compris l’histoire (profils A et B) ont été proportionnellement plus

nombreux que ceux qui ont moins bien compris l’histoire (profil C) à profiter de la question

de l’intervieweur pour réfléchir à un enjeu du texte Solidarité : l’identité ambigüe du

protagoniste. Globalement, cette intervention de l’intervieweur a tout de même été

favorable à la compréhension de l’histoire d’une majorité d’élèves parce qu’elle leur a

permis de focaliser leur attention sur un élément central du récit et de mieux réguler leur

lecture. Plus précisément, la question « qui est le narrateur de l’histoire? » a amené les

élèves à émettre des doutes par rapport à l’identité ambigüe du protagoniste, et ces doutes

ont encouragé plusieurs lecteurs à retourner au texte pour remédier à leurs

incompréhensions.

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96

La relecture de passages clés

Tous les intervieweurs ont pointé aux élèves, au cours de la deuxième partie des rencontres,

des passages clés de Solidarité. Certains intervieweurs ont demandé aux élèves de relire

eux-mêmes ces passages et les ont ensuite questionnés à propos de ces passages. D’autres

ont plutôt relu ces passages avec les élèves et ont entrecoupé leur lecture de questions

portant sur des petits segments du passage relu.

L’un des passages clés de Solidarité est le suivant :

Puis [les voleurs] me dirent d’aller voir dehors, jusqu’au coin, s’il n’arrivait personne. J’y allai.

Au coin de la rue, dehors, il y en avait qui rasaient les murs, cachés dans les renfoncements, et qui s’avançaient.

Je m’y mis moi aussi. – Il y a des bruits là-bas, du côté de ces magasins, me dit mon voisin. Je tendis le cou. – Rentre la tête, imbécile, s’ils nous voient ils vont nous échapper cette

fois encore, murmura-t-il. – Je regarde… dis-je pour m’excuser en me collant au mur. – Si nous arrivons à les encercler sans qu’ils s’en aperçoivent, fit un

autre, nous les prendrons au piège tous autant qu’ils sont.

Dans cet extrait, le narrateur change de groupe pour la première fois en délaissant la bande

de voleurs pour se joindre aux policiers. C’est précisément dans le segment de texte « je

m’y mis moi aussi » que s’effectue ce passage d’un groupe à l’autre. Les élèves qui ont été

invités à relire l’extrait par eux-mêmes et ceux à qui l’extrait a été relu en un seul bloc – 25

élèves de l’échantillon total – ont été nombreux (12/25) à ne pas s’arrêter sur le segment

« je m’y mis moi aussi » pour le commenter. Ce constat montre que le simple fait de

demander aux élèves de relire un passage clé n’est pas toujours suffisant pour qu’ils

améliorent leur compréhension : il faut parfois les questionner sur un court segment de ce

passage. Dans le cas de Solidarité, la subtilité avec laquelle le protagoniste intègre pour la

première fois le groupe des voleurs oblige le lecteur à être à l’affut de chaque mot du texte.

C’est ce qui peut expliquer qu’environ la moitié des élèves qui ont été invités à relire le

passage dans lequel le protagoniste se joint aux policiers sans être questionnés sur la phrase

clé « je m’y mis moi aussi » ne soient pas parvenus à améliorer leur compréhension du

texte. Parmi tous les élèves qui ont été questionnés sur la phrase « je m’y mis moi aussi »

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ou qui y ont porté attention par eux-mêmes (32/44), quatre tendances ont été observées,

chacune d’elles ayant été favorable, dans une certaine mesure, à la compréhension du texte.

La première tendance a été observée chez les élèves qui croient que le narrateur (un voleur)

se cache avec d’autres voleurs. Ces élèves ont compris ce que signifie « je m’y mis moi

aussi », c’est-à-dire qu’ils ont saisi qu’il s’agissait de l’expression « se mettre à faire

quelque chose » au passé simple. Ils n’ont toutefois pas compris que les personnages cachés

dans les renfoncements étaient des policiers. Au total, 4 élèves (4/32 – 13 %) s’imaginent

que les personnages qui longent les murs à l’extérieur du magasin sont des criminels : le

personnage principal se cache avec « des gangs de rue » (Érika-B), « d’autres délinquants »

(Philippe), des « faux voleurs » (Marc-Olivier) ou d’autres criminels qui essaient de

s’évader de prison (Geneviève). Ces 4 élèves représentent aucun élève du profil A (0/6 –

0 %), 1 élève du profil B (1/10 – 10 %) et 3 élèves du profil C (3/16 – 19 %).

L’intervention de l’intervieweur a amené ces élèves à activer leurs processus métacognitifs

en relisant un passage et leurs processus d’intégration en établissant des liens entre la

phrase « je m’y mis moi aussi » et d’autres indices du texte. Ils ont ainsi compris que le

pronom personnel « y » reprenait l’antécédent implicite « à raser les murs », ce qui leur a

permis de déduire que le protagoniste se mettait à raser les murs. Par contre, leur

intégration de l’information n’a pas été optimale puisqu’ils n’ont pas compris que le

protagoniste se joignait aux policiers. Pour le comprendre, il faut analyser les indices

lexicaux qui suivent la phrase « je m’y mis moi aussi » : « s’ils nous voient ils vont nous

échapper », « si nous arrivons à les encercler », « nous les prendrons au piège ».

La deuxième tendance observée est celle des élèves qui comprennent que la phrase « je m’y

mis moi aussi » signifie « se cacher » au même titre que les policiers, mais qui n’en

concluent pas pour autant que le narrateur se joint aux policiers. Certains d’entre eux

formulent une hypothèse par rapport à la raison pour laquelle le personnage principal se

cache. Ils croient que ce protagoniste se cache des policiers « pour passer inaperçu »

(Anthony), « pour voir [qui sont les gens cachés dans les renfoncements] » (Louis-

Philippe), « pour ne pas attirer l’attention » (Kristofer), « pour ne pas se faire découvrir »

(Frédérique), « pour paraitre comme innocent (Catherine), « pour pas qu’on le voie »

(Roxanne), « pour pas qu’y se fasse repérer » (Marc-André). Ils comprennent que le

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personnage principal se met à faire la même action que les policiers (se cacher), mais ne

saisissent pas que le « nous » utilisé par les policiers dans les dialogues inclut le « je » qui

représente le personnage principal. Ces élèves sont au total 18 sur 32 (56 %) à comprendre

que le narrateur – un voleur – fait comme les policiers, mais à ne pas saisir que ce narrateur

se joint au groupe de policiers. 2 de ces 18 élèves appartiennent au profil A (2/6 – 33 %), 3

au profil B (3/10 – 30 %) et 13 au profil C (13/16 – 81 %). L’intervention de l’intervieweur

a permis à ces élèves d’activer leurs processus métacognitifs et leurs processus

d’intégration au même titre que les élèves dont il a été question précédemment, à la

différence qu’ils ont intégré une information supplémentaire : les individus cachés dans les

renfoncements sont des policiers.

Une autre tendance observée est celle des élèves qui saisissent le sens de la phrase « je m’y

mis moi aussi » et qui comprennent que le personnage principal se joint aux policiers : « [le

narrateur] est revenu [du côté des policiers] » (Samuel-A), « [le narrateur] devient policier

parce qu’il veut [encercler les voleurs] » (Mathias), le je deviendrait un policier (Kimberly),

« [le personnage principal] s’est mis avec [les policiers] » (Olivier-A). En comprenant que

le personnage principal se joint aux policiers, deux élèves remettent en question son rôle ou

son identité : est-il un voleur ou un policier? (Marc-Étienne), est-ce un policier qui a

commis un vol? (Mathieu-A). La question de l’intervieweur a permis à ces élèves d’activer

leurs processus métacognitifs en relisant un passage et en se questionnant sur l’identité du

narrateur. Elle leur a aussi permis d’activer leurs processus d’intégration pour comprendre

le changement de rôle du protagoniste. Au total, 6 élèves sur 32 (19 %) ont compris que le

protagoniste se joignait aux policiers, mais n’ont pas été en mesure de comprendre

pourquoi. C’est ce qui les distingue de la catégorie d’élèves suivante. Ces 6 élèves

représentent 3 élèves du profil A (3/6 – 50 %), 3 élèves du profil B (3/10 – 30 %) et aucun

élève du profil C (0/16 – 0 %).

La quatrième tendance observée est celle des élèves qui ont compris que la phrase « je m’y

mis moi aussi » signifie « se joindre » aux policiers et qui ont formulé des hypothèses par

rapport à ce qu’implique une telle action pour le personnage principal : « il est peut-être

dans les deux clans » (Shela), « peut-être que […] c’est comme un policier qui fait

semblant? » (Camille), « c’est un policier caché […] qui s’est incrusté » (Érika-A), « y’est

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comme infiltré avec les délinquants […], [c’est] un policier infiltré » (Samuel-B). En

relisant un passage clé du texte, ces 4 élèves (4/32 – 13 %) ont été en mesure de le faire

interagir avec leurs connaissances – le stéréotype de l’agent double, par exemple – et avec

d’autres indices du texte pour mieux comprendre l’intrigue de l’histoire. Ces 4 élèves

représentent 1 élève du profil A (1/6 – 17 %), le tiers des élèves du profil B (3/10 – 30 %)

et aucun élève du profil C (0/16 – 0 %). L’intervieweur leur a permis d’activer leurs

processus métacognitifs (pour relire un passage), leurs processus d’intégration (pour

comprendre le changement de rôle du protagoniste) et leurs processus d’élaboration (pour

formuler des hypothèses par rapport à l’identité de ce personnage).

En somme, la totalité des élèves qui ont été invités à relire le premier passage du texte dans

lequel le narrateur change de groupe et qui ont été questionnés sur la phrase « je m’y mis

moi aussi » ont tiré profit de cette intervention de l’intervieweur. Certes, les quatre

tendances présentées montrent que les élèves n’ont pas tous bénéficié également de la

question de l’intervieweur, mais ils en ont à tout le moins profité parce qu’ils ont tous

activé des processus de compréhension qu’ils n’auraient pas activés sans aide.

Synthèse des interventions de l’intervieweur ayant influencé la compréhension

Les trois interventions de l’intervieweur dont il a été question précédemment ont

généralement favorisé la compréhension des élèves parce qu’elles ont éveillé leur

conscience métacognitive, ce qui les a amenés à activer des processus de compréhension

qu’ils n’avaient pas activés lors de leur lecture individuelle du texte. La question « raconte-

moi ce que tu as compris de l’histoire » a permis aux élèves de verbaliser leur

représentation de l’histoire, et plusieurs d’entre eux en ont profité pour verbaliser leurs

difficultés de compréhension et leurs incertitudes par rapport à leur représentation du texte.

Elle a donc favorisé l’activation de leurs processus métacognitifs. Quant à la question « qui

raconte l’histoire? Quel est son rôle? », elle a permis à la majorité des élèves de verbaliser

le flou entourant l’identité du narrateur de l’histoire parce qu’ils étaient pour la plupart

incapables de répondre uniquement que le narrateur était un voleur (ou un policier). En plus

d’encourager les élèves à activer leurs processus métacognitifs, cette question a permis à

plusieurs d’entre eux d’activer leurs processus d’intégration (pour faire le lien entre

différents passages du texte), leurs processus d’élaboration (pour formuler des hypothèses

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imprévues par l’auteur) ou leurs macroprocessus (pour tenter de comprendre l’ensemble du

texte). Pour ce qui est de l’accompagnement de l’intervieweur dans la relecture d’un

passage clé du texte, il a permis aux élèves de porter une attention particulière à la phrase

« je m’y mis moi aussi », qui représentait une occasion de comprendre que le narrateur

passait du groupe des voleurs à celui des policiers. Cette intervention a donc permis aux

élèves d’activer leurs processus métacognitifs, leurs processus d’intégration et leurs

processus d’élaboration (dans certains cas).

Le tableau suivant présente les principales interventions de l’intervieweur ayant influencé

leur compréhension de Solidarité, les effets que ces interventions ont produits chez les

élèves et les proportions d’élèves de chaque profil chez lesquels ces effets ont été observés.

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Tableau 13: Les interventions de l’intervieweur ayant influencé la compréhension de Solidarité selon les trois profils de compréhension

Proportions d’élèves

Interventions de l’intervieweur Effets observés chez les élèves Profil

A Profil

B Profil

C Total

« Raconte-moi ce que tu as compris de l’histoire »

Traduction en mots de leur représentation de l’histoire 0/3 3/10 12/26 15/39

Traduction en mots de leur représentation de l’histoire et remise en question de leur compréhension

3/3 7/10 14/26 24/39

« Qui raconte l’histoire? Quel est son rôle? »

Pas de verbalisation du flou entourant l’identité du narrateur 1/7 0/10 13/27 14/44

Verbalisation du flou entourant l’identité du narrateur 6/7 10/10 14/27 30/44

Relecture d’un passage clé et questionnement sur la phrase « je m’y mis moi aussi »

« Le narrateur (un voleur) se cache avec d’autres voleurs » 0/6 1/10 3/16 4/32

« Le narrateur (un voleur) se cache au même titre que les policiers »

2/6 3/10 13/16 18/32

« Le narrateur (un voleur) se cache et se joint aux policiers » 3/6 3/10 0/16 6/32

« Le narrateur se cache et se joint aux policiers parce qu’il s’agit d’un agent double »

1/6 3/10 0/16 4/32

Maintenant que nous avons montré l’influence des connaissances des lecteurs, des

spécificités du texte Solidarité et des interventions de l’intervieweur sur l’activation des

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102

processus de compréhension par ces lecteurs, nous tenterons de montrer de quelle façon

l’activation de certains de ces processus a déterminé la qualité de la compréhension de la

nouvelle littéraire de Calvino.

4.2.4 La capacité des lecteurs à construire le sens global de l’histoire

L’activation efficace des macroprocessus20

L’un des facteurs ayant influencé de façon importante la compréhension de Solidarité est la

capacité des élèves à construire le sens global de l’histoire par l’activation efficace de

macroprocessus. Pour comprendre finement la nouvelle littéraire de Calvino, les élèves

devaient non seulement en comprendre les différentes parties, mais lier ces parties entre

elles afin de les intégrer dans un tout cohérent, comme l’ont fait 17 élèves de l’échantillon

(17/44 – 39 %), dont Camille :

I : Peu d’instants après, je me trouvais seul, dans une ruelle. Un autre arriva… Donc là, [le personnage principal] était avec… mais là il se retrouve…? é : Seul, ouais. I : Un autre arriva près de moi en tournant… é : Là, c’est les polices. I : Là, il se retrouve encore avec les polices! Là, tu comprends quoi de l’histoire? é : Ça change tout le temps. I : Ça change tout le temps. é : Ça change de groupe tout le temps. I : Puis ça finit comment? é : Ben ça finit seul, comme au début. I : Seul comme au début. Donc, est-ce que… pourquoi ça finit avec ce mot-là [hasard]? é : Parce qu’il l’a au début. I : Juste parce qu’il l’a au début? é : Ben, au début… c’est un peu tout le hasard cette histoire-là puis ça finit comme… pareil.

20 Par activation efficace des macroprocessus, nous entendons les tentatives des élèves d’articuler différents épisodes ou indices clés du texte en un tout cohérent. Ainsi, nous ne considérons pas que les élèves qui ont résumé l’histoire Solidarité en s’en tenant à un seul épisode (par exemple en mentionnant que Calvino raconte l’histoire d’un voleur qui tente de dévaliser un magasin et qui se fait surprendre par des policiers) activent efficacement leurs macroprocessus, même si la question de l’intervieweur (« raconte-moi ce que tu as compris de l’histoire ») encourage fortement l’activation des macroprocessus.

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103

En disant « ça change tout le temps », Camille montre qu’elle active efficacement ses

macroprocessus pour faire des liens entre les différents passages du texte où le personnage

principal change de groupe. Avec l’aide de l’intervieweur, elle parvient aussi à lier le début

à la fin de l’histoire, où il est question du rôle du hasard dans les actions du personnage

principal. La capacité de Camille à articuler les différents indices du texte en activant

efficacement ses macroprocessus lui permet de comprendre de plus en plus finement le

texte puisqu’elle confronte différents indices clés dans le but d’en faire un tout cohérent.

D’autres élèves, comme Maxime, ne parviennent pas à comprendre finement l’intrigue de

l’histoire, mais ils tentent eux aussi de lier différents passages du texte pour trouver le fil

conducteur :

I : OK. Sinon est-ce que c’est une histoire que tu as quand même aimée? é : Bah ouais, je l’ai aimée, mais c’est juste que c’est compliqué à comprendre. I : Elle est difficile à comprendre, pourquoi tu penses? […] é : La fin est surprenante. I : Qu’est-ce que tu trouves surprenant dans la fin? é : Je remis les mains dans mes poches et je recommençai à me promener, seul, au hasard. N’importe où genre, n’importe comment. I : Qu’est-ce que tu trouves surprenant là-dedans? é : C’est que ça fit pas avec l’histoire. I : Ça fit pas avec l’histoire. é : Non ça… ça se tient pas avec l’histoire. I : Qu’est-ce que tu veux dire ça se tient pas? é : Ça a pas le même, ça a pas le même sujet. I : C’est pas, tu trouves que c’est quand même hors sujet la fin de l’histoire? é : Ça, me semble que je ne suis pas capable de faire de liens avec le texte.

En reconnaissant son incapacité à lier la fin de l’histoire avec le reste du récit, Maxime

montre qu’il active ses macroprocessus, c’est-à-dire qu’il essaie de construire le sens global

de l’histoire. Ses macroprocessus interagissent avec ses processus métacognitifs : en tentant

d’établir la cohérence globale du texte, Maxime détecte ses difficultés de compréhension.

L’activation des macroprocessus a donc un impact positif sur sa compréhension, d’autant

plus qu’elle l’amène à mieux réguler sa lecture. Les 17 élèves qui ont manifesté des

tentatives d’articuler différents passages clés du texte correspondent à la somme des 7

élèves appartenant au profil A (7/7 – 100 %) et des 10 élèves appartenant au profil B (10/10

– 100 %). Ces résultats montrent que les élèves ayant le mieux compris le texte Solidarité

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104

(ceux appartenant aux profils A et B) ont activé leurs macroprocessus pour parvenir à

comprendre. Étant donné la répartition des indices essentiels à la compréhension de la

nouvelle littéraire de Calvino à différents endroits dans le texte, l’activation efficace des

macroprocessus par les lecteurs était essentielle pour bien comprendre. Il s’agit donc d’un

facteur ayant été favorable à la compréhension.

La non-activation (ou l'activation inefficace) des macroprocessus

La considération de passages importants de l’histoire indépendamment les uns des autres a

aussi influencé la compréhension de façon importante. Environ les deux tiers des élèves de

l’échantillon ont éprouvé des difficultés à traiter le texte comme un tout, c’est-à-dire qu’ils

ne sont pas parvenus à activer efficacement leurs macroprocessus. Ces 27 élèves (27/44 –

61 %) ont tenté de comprendre différents passages clés de Solidarité en activant leurs

processus d’intégration pour lier les phrases entre elles ou pour générer des inférences, mais

ils ont achoppé au moment d’établir la cohérence globale du texte. Autrement dit, ils ont

traité les extraits clés du texte en ilots, sans pour autant parvenir à faire des liens entre ces

ilots. Kristofer, par exemple, traite un extrait du texte sans vraiment tenir compte de ce qu’il

a lu précédemment, comme si ce nouveau passage « effaçait » les autres : « Finalement, ce

n’étaient pas les policiers. Tantôt, je m’étais trompé. C’étaient les voleurs… qui se

dispersaient21. » Plutôt que d’envisager que le protagoniste puisse être tantôt voleur, tantôt

policier, Kristofer choisit entre les deux possibilités en se fiant au passage du texte qu’il a

sous les yeux. Il active ses processus d’intégration pour identifier le groupe auquel

appartient le narrateur à un endroit précis dans le texte, mais ne parvient pas à faire de lien

avec les autres parties du texte – donc il n’active pas ses macroprocessus, ou il le fait de

façon inefficace. Cette activation inefficace (ou cette non-activation) des macroprocessus

entrave sa compréhension du texte.

Le même problème se pose pour Jérémy, qui identifie clairement les passages du texte où il

a l’impression que le narrateur est un voleur et ceux où il pense qu’il s’agit d’un policier,

21 Cet extrait est issu de la première partie de la rencontre, c'est-à-dire qu'il a été recueilli par la MPVH (protocole online).

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sans toutefois parvenir à activer efficacement ses macroprocessus pour établir un lien entre

ces passages :

I : Qui est-ce qui est le narrateur de l’histoire? é : D’après moi, le narrateur de l’histoire, c’est soit un des bandits soit un des policiers là. I : OK. é : Selon le début, ce serait plus, plus un des polic, un des, un des bandits. I : OK. é : Mais, selon la fin comme à la fin, Je, Je, Je remis les mains dans mes poches et je recommençai à me promener, seul, au hasard. Ça a plus de l’air d’être un policier dans le fond qui a remis ses mains dans, qui a comme laissé tomber, fait que. I : OK. é : Je le sais pas trop là.

Malgré qu’il soit en mesure de voir la contradiction entre différents passages du texte, cet

élève éprouve de la difficulté à activer efficacement ses macroprocessus pour confronter les

éléments du texte qui lui apparaissent contradictoires, ce qui nuit à sa compréhension.

En somme, la non-activation ou l'activation inefficace des macroprocessus ont surtout été

observées chez les 27 élèves de l’échantillon appartenant au profil C (27/27 – 100 %), qui

ont tous eu tendance à traiter certains extraits de Solidarité comme des ilots. Les élèves des

profils A et B ont eux aussi pu agir de la sorte sporadiquement, mais ils ont nécessairement

fait des liens entre les différents passages du texte à un moment ou à un autre, autrement ils

n’auraient pas pu atteindre le niveau de compréhension qu’ils ont atteint. Étant donné que

la non-activation des macroprocessus ne permettait pas de confronter les extraits clés du

texte pour les intégrer dans un tout cohérent, il s’agit d’un facteur ayant nui à la

compréhension. Quant à l'activation inefficace des macroprocessus par certains élèves, elle

a certes pu leur permettre de confronter certains extraits clés du texte, sans pour autant les

amener à faire du texte un tout cohérent. Cette activation inefficace n'a donc pas pu

favoriser de façon significative la compréhension du texte par les élèves.

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106

4.2.5 La capacité des lecteurs à réguler leur lecture22

La relecture partielle ou totale du texte

Au cours de la première partie des rencontres, des élèves ont pris l’initiative de relire

certains passages de Solidarité, voire même le texte en entier. Cette initiative a influencé

leur compréhension du texte. Au total, 12 élèves de l’échantillon (12/44 – 27 %) ont relu au

moins partiellement la nouvelle littéraire de Calvino. Bianca, par exemple, identifie

précisément les motifs qui l’incitent à relire certains passages du texte :

é : Faut que je le relise parce que je ne comprends pas le sens de la phrase. I : Fais ce que t’as à faire. L’élève lit. é : Je ne comprends pas de qui il parle encore. L’élève lit. é : Des fois, il faut que je retourne voir de qui il parle. L’élève lit. I : Dis-moi où tu retournes, ce que tu fais, ce que tu regardes. é : Bien, je relis parce que c’est… Ils disent qu’il y a quelqu’un d’autre, mais qu’y a quelqu’un qui va les entendre, mais j’ai comme de la misère à me rappeler c’est de qui il parle23.

Cette élève est en mesure d’activer efficacement ses processus métacognitifs : elle sait

détecter ses incompréhensions, elle sait quels moyens mettre en place pour y remédier et

elle sait quand et comment utiliser les stratégies pour réguler sa lecture. La capacité de

Bianca à réguler sa lecture l’aide à bien comprendre le texte.

D’autres élèves ont pour leur part pris la décision de relire le texte en entier. À la suite de sa

première lecture, Mathieu-A reconnait ne pas avoir bien compris l’histoire. Ce n’est

qu’après avoir réalisé qu’il ne pourrait pas miser sur le traditionnel questionnaire écrit pour

vérifier sa compréhension qu’il prend la décision de relire le texte du début :

é : C’est bizarre. J’ai fini l’histoire, puis y’a pas l’air à avoir grand punch. Je la comprends mal sérieux. Tu veux que je la relise? I : Je sais pas. Qu’est-ce que tu fais? é : Euh, habituellement y’a des questions, puis avec les questions…

22 Nous faisons ici référence à la capacité des lecteurs à réguler leur lecteur sans l’aide de l’intervieweur. Les relectures d’extraits de texte que les élèves ont entreprises à la demande de l’intervieweur n’ont pas été prises en compte. 23 Cet extrait est issu de la première partie de la rencontre, c'est-à-dire qu'il a été recueilli par la MPVH (protocole online).

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I : Bien là, y’a pas de questions là. On n’est pas, c’est pas un exercice dans une classe là! (Rires.) é : Je suis encore au stade d’essayer de comprendre l’histoire là. Habituellement, y’a un punch qui… mais là on m’a dit qu’y a pas grand punch dans l’histoire. […] I : Qu’est-ce que tu fais? é : Je relis l’histoire.

Les élèves qui ont entrepris de relire complètement Solidarité ont d’abord misé sur d’autres

moyens pour remédier à leurs incompréhensions : les questions de l’intervieweur, la

poursuite de la lecture et la relecture de certains passages. La relecture du texte en entier

semble donc avoir été choisie par ces élèves comme moyen de dernier recours pour

comprendre. C’est dire que même les élèves qui savent que la relecture est un moyen

efficace pour comprendre préfèrent d’abord utiliser d’autres stratégies pour remédier à leurs

difficultés de compréhension, possiblement à cause du cout cognitif de cette stratégie

métacognitive. Par ailleurs, le contexte dans lequel les élèves ont lu le texte (des rencontres

avec un intervieweur dans le cadre d'une recherche) a pu influencer leur choix de relire le

texte en entier par souci de désirabilité sociale, biais qui consiste à vouloir se présenter sous

un jour favorable à ses interlocuteurs.

La relecture partielle ou totale du texte a été observée chez la majorité des élèves du profil

A (5/7 – 71 %), chez environ le tiers des élèves du profil B (3/10 – 30 %) et chez une

minorité d’élèves du profil C (4/27 – 15 %). Si ce processus de régulation n’a pas

systématiquement permis de remédier aux bris de compréhension de ces élèves, il semble

avoir joué un rôle considérable dans leur construction du sens de l’histoire. En effet, en

relisant partiellement ou complètement le texte, les élèves ont été en mesure de focaliser

leur attention sur des aspects précis du texte : ceux qui leur ont posé problème lors de leur

première lecture. Ils ont aussi pu libérer une partie de leurs ressources attentionnelles en

accordant une attention moins grande aux éléments du texte déjà compris. La relecture est

donc un facteur ayant été favorable à la compréhension du texte Solidarité par les élèves.

La poursuite de la lecture malgré les incompréhensions

Bien qu’ils aient activé différents moyens pour comprendre l’intrigue de Solidarité, la

majorité des élèves de l’échantillon (32/44 – 73 %) n’ont ni relu partiellement ni totalement

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le texte, ce qui a influencé leur compréhension. Cathy, par exemple, mentionne à 20

reprises qu’elle « ne comprend pas » au cours de sa lecture de l’histoire (protocole online).

Ses incompréhensions portent surtout sur des passages du texte et quelquefois sur des mots

ou des expressions. Malgré tout, elle n’exprime à aucun moment le besoin de relire quelque

extrait du texte que ce soit. Comme plusieurs élèves n’ayant pas relu partiellement ou

totalement Solidarité, Cathy a utilisé d’autres stratégies que la relecture pour prendre en

charge sa compréhension – formuler des hypothèses, résumer certains passages et faire des

liens avec ses connaissances –, mais ces stratégies ne se sont pas avérées efficaces. Sa

décision de poursuivre sa lecture malgré ses incompréhensions a donc nui à sa

compréhension puisqu'elle n'est pas parvenue à se hisser au-delà du profil C.

Parmi tous les élèves qui n’ont pas utilisé la relecture comme moyen pour remédier à leurs

incompréhensions, trois élèves ont mentionné qu’ils devraient relire le texte, sans toutefois

s’exécuter. C’est le cas de Jean-Sébastien :

I : Est-ce que le texte est difficile à comprendre? é : Le début, le début je le trouvais difficile, puis peut-être même que si je le relisais je pense que je comprendrais mieux, mais c’est ça.

Même s’il semble tout à fait conscient que la relecture du début de l’histoire pourrait l’aider

à comprendre, cet élève ne passe pas à l’action. Quant à Louis-Philippe, il souligne lui aussi

son besoin de relire le texte, mais tergiverse au moment où l’intervieweur l’invite à le

faire :

é : (Rires.) C’est… y sont en fuite là euh, je pense que j’vais devoir le lire deux fois parce que… L’élève lit. é : OK… bon. (Rires.) I : T’as terminé de lire? é : Ouais. I : OK. é : Mais je comprends vraiment pas là. En fait qu’est-ce que je comprends, c’est comme un petit peu un coup monté dans un magasin, le levier que je pourrais comprendre, ce serait un pied de biche, peut-être. Puis qu’y essaie de soulever… I : Dans le fond, moi je m’apprêtais à te poser des questions sur le texte, mais si tu veux vraiment le relire parce que tu me dis que t’as l’impression que ça pourrait t’aider, ça me dérange pas de te laisser le relire. é : Ouais.

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I : Comme tu préfères. é : Bien, j’ai compris, mais… I : T’es un lecteur rapide, fait que si tu veux on a le temps. é : Ouais. I : Mais si y’a des choses que tu veux vérifier, t’as le droit de le relire, mais t’es pas obligé non plus. é : Non, mais j’ai compris là, c’est juste que (rires), je comprends pas le, on dirait que c’est comme une action qui commence, on n’a aucun personnage, on sait rien, on sait pas qu’est-ce qu’y font, faut comme supposer, se donner une hypothèse là… qu’y font un coup. I : OK. é : Je pense qu’on va essayer les questions, peut-être que ça va m’aider à comprendre. I : OK.

Dans son discours, Louis-Philippe hésite à relire. Il reconnait d’abord qu’il « devra lire

deux fois » parce qu’il ne « compren[d] vraiment pas ». Quand l’intervieweur lui précise

qu’il peut relire le texte s’il le souhaite, l’élève change de discours, prétendant alors

« [avoir] compris ». Au final, il écarte l’idée de relire le texte et demande à l’intervieweur

de lui poser des questions pour l’aider à comprendre24. Malgré qu’ils étaient conscients

qu’une relecture du texte aurait pu les aider, quelques élèves ont choisi de ne pas le relire,

ce qui a manifestement nui à leur compréhension. Les élèves ayant poursuivi leur lecture

malgré leurs incompréhensions sont plus nombreux à appartenir au profil C (22/27 – 81 %),

mais ils représentent aussi une proportion importante des élèves du profil B (8/10 – 80 %)

et un peu moins du tiers des élèves du profil A (2/7 – 29 %).

Nos données ne nous permettent pas de conclure que les élèves qui n’ont pas relu

partiellement ou totalement Solidarité ne savent pas que la relecture est une stratégie

efficace pour comprendre un texte difficile. Le discours de certains élèves donne même

l’impression qu’ils savaient parfaitement qu’ils auraient dû relire le texte même s’ils ne

l’ont pas fait. Ils ont activé eux aussi leurs processus métacognitifs pour détecter leurs

incompréhensions, mais ne sont pas parvenus à utiliser des stratégies efficaces pour

24 Le commentaire de l'intervieweur sur la rapidité de lecture de l'élève a pu influencer la décision de ce dernier de ne pas relire le texte parce qu'il a alors pu se sentir perçu comme « bon lecteur », les milieux scolaires ayant tendance à mettre en équation la vitesse de lecture et la qualité de la compréhension. Aussi, l’intervieweur a mentionné à l’élève qu’il « [s’apprêtait] à [lui] poser des questions sur le texte », ce qui a pu inciter l’élève à ne pas relire ce texte.

Page 121: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

110

remédier à ces incompréhensions. La passivité de certains élèves dans la régulation de leur

lecture peut s’expliquer par un manque de motivation vu la difficulté du texte, le cout

cognitif de la relecture et le contexte : ils participaient à un projet de recherche pour lequel

ils ne recevaient aucun résultat.

Synthèse de l’influence de certains processus sur la compréhension

Deux processus de compréhension ont particulièrement influencé la qualité de la

compréhension de Solidarité par les élèves : leur capacité à construire le sens global de

l’histoire en activant leurs macroprocessus et leur capacité à réguler leur lecture en activant

leurs processus métacognitifs. Pour ce qui est de la capacité à construire le sens global de

l’histoire, deux tendances antagonistes ont été observées chez les lecteurs de notre

échantillon : la tendance à activer ses macroprocessus (en articulant les différents indices

du texte) et celle à ne pas activer ses macroprocessus (en traitant les extraits clés du texte en

ilots) ou à le faire inefficacement (c'est-à-dire sans parvenir à intégrer les différents indices

clés du texte en un tout cohérent). L’activation des macroprocessus a favorisé la

compréhension de la nouvelle littéraire de Calvino par les élèves parce qu’elle leur a permis

de constater la contradiction entre certains indices importants dans l’histoire (le narrateur

est tantôt voleur, tantôt policier) et de se questionner sur l’identité du personnage principal

à la double personnalité : est-ce un agent double? L’activation des macroprocessus a aussi

permis à certains élèves de remettre en question la vraisemblance de l’histoire : pourquoi

les voleurs et les policiers se comportent-ils comme s’ils ne se rendaient pas compte qu’un

des leurs va et vient? Enfin, l’articulation du début à la fin de l’histoire, où il est question

du rôle du hasard dans les comportements du personnage principal, a permis à quelques

élèves d’écarter l’hypothèse selon laquelle le narrateur serait un agent double puisqu’un tel

personnage ne se déplace pas de façon erratique d’un groupe de voleurs à un groupe de

policiers. L’autre tendance observée par rapport à la capacité des élèves à construire le sens

global de l’histoire – la non-activation ou l'activation inefficace des macroprocessus – a

quant à elle nui à la compréhension de l’intrigue de Solidarité par les élèves, ou à tout le

moins n'a pas favorisé cette compréhension. Les élèves qui ne sont pas parvenus à tisser des

liens entre les indices importants du texte n’ont pas compris qu’un même personnage

passait d’un groupe de voleurs à un groupe de policiers, pas plus qu’ils n’ont compris le

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rôle du hasard dans les déplacements du protagoniste. En d’autres termes, les élèves ayant

traité les passages clés du texte indépendamment les uns des autres n’ont pas réussi à

intégrer le texte dans un tout cohérent, ce qui a entravé leur compréhension globale. Ils ne

sont parvenus qu’à établir la cohérence locale à certains endroits dans le texte en activant

leurs processus d’intégration, par exemple.

En ce qui concerne la capacité à réguler sa lecture, deux tendances contraires ont aussi été

observées chez les élèves : la tendance à relire partiellement ou complètement le texte par

l’activation des processus métacognitifs et celle à poursuivre la lecture malgré les

incompréhensions (en n’activant que partiellement les processus métacognitifs). Bien

qu’elle n’ait pas systématiquement été gage de succès, la relecture a généralement favorisé

la compréhension de Solidarité, un texte dans lequel l’auteur crée volontairement certaines

confusions pour déjouer les lecteurs. Les élèves ayant le mieux compris la nouvelle

littéraire de Calvino sont d’ailleurs majoritaires à avoir relu partiellement ou complètement

le texte pour remédier à leurs incompréhensions. Quant à la poursuite de la lecture malgré

les incompréhensions, elle a nui à la compréhension de Solidarité. Les élèves ayant

poursuivi leur lecture malgré leurs difficultés de compréhension sont nombreux à ne pas

avoir compris finement l’intrigue de l’histoire.

Le tableau suivant présente les tendances observées chez les élèves par rapport aux deux

processus dont nous venons de discuter : les macroprocessus et les processus métacognitifs.

Chaque tendance est associée à la proportion d’élèves de chaque profil chez lesquels elle a

été observée.

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112

Tableau 14: Les processus de compréhension dont l’activation a influencé la compréhension de Solidarité selon les trois profils de compréhension

Proportions d’élèves

Processus de compréhension Tendances observées Profil

A Profil

B Profil

C Total

Capacité à construire le sens global de l’histoire

Activation des macroprocessus 7/7 10/10 0/27 17/44

Non-activation (ou activation inefficace) des macroprocessus 0/7 0/10 27/27 27/44

Capacité à réguler sa lecture

Relecture partielle ou totale du texte 5/7 3/10 4/27 12/44

Poursuite de la lecture malgré les incompréhensions 2/7 8/10 22/27 32/44

4.2.6 Bilan des facteurs ayant influencé la compréhension de Solidarité

Les facteurs ayant influencé la compréhension de la nouvelle littéraire de Calvino peuvent

être classés en deux grandes catégories : ceux qui ont été généralement favorables à la

compréhension du texte et ceux qui ont été généralement défavorables à cette

compréhension.

Le tableau suivant présente ces deux regroupements de facteurs ayant influencé la

compréhension de Solidarité.

Tableau 15: Influence des facteurs identifiés sur la compréhension du texte Solidarité

Facteurs généralement favorables Facteurs généralement défavorables

Activation des macroprocessus Non-activation/activation inefficace des macroprocessus

Relecture partielle ou complète du texte Poursuite de la lecture malgré les incompréhensions

Interventions de l’intervieweur Spécificités du texte

Connaissances du lecteur sur le monde et sur les textes

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113

CHAPITRE 5: INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS Ce chapitre permet de mettre en écho les résultats que nous avons présentés au chapitre

quatre avec les écrits de différents auteurs sur lesquels s’appuie notre modèle théorique :

interaction du lecteur, du texte et du contexte de lecture → standards de cohérence et

motivation → activation des processus de compréhension → qualité de la compréhension.

Nous regroupons les facteurs identifiés dans le chapitre précédent (les connaissances du

lecteur, les spécificités du texte Solidarité et les interventions de l'intervieweur) pour

montrer en quoi leur influence positive ou négative sur la qualité de la compréhension du

texte de Calvino par les élèves permet de mieux comprendre le cadre conceptuel que nous

avons présenté au chapitre deux. Nous revenons ensuite sur les deux principaux processus

ayant eu un impact direct sur la qualité de la compréhension du texte par les élèves (les

macroprocessus et les processus métacognitifs) pour appuyer notre modèle théorique.

Enfin, nous soulignons les principaux apports de notre étude et les limites de nos résultats.

5.1 L'influence des connaissances du lecteur sur la construction de sa représentation d'une histoire

Pour comprendre le texte Solidarité, les élèves que nous avons rencontrés ont activé des

connaissances. Nous montrons comment ces principales connaissances ont influencé la

qualité de leur compréhension en rattachant nos explications aux écrits des différents

auteurs cités au chapitre deux. Nous établissons ensuite les principales conditions pour que

les connaissances activées par un lecteur favorisent sa compréhension en nous référant à

notre cadre théorique.

5.1.1 Les connaissances : un moyen de combler les « trous » laissés dans le texte par l’auteur

Deux principales connaissances ont favorisé la compréhension de Solidarité par les élèves

de notre échantillon : le stéréotype de l’agent double et l’absurdité. Ces connaissances ont

permis aux lecteurs qui les ont utilisées de comprendre certaines informations qui n’étaient

pas explicites dans le texte de Calvino : « Background knowledge plays a crucial role in the

establishment of coherence, as it allows readers to identify the often implicit semantic

connections between text elements and to fill in inferential “blanks” in the text. » (van den

Page 125: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

114

Broek, 2012, p. 44) C’est en faisant interagir leurs connaissances avec certains indices du

texte Solidarité que les lecteurs ont activé leurs processus d’intégration pour mieux

comprendre ce texte. Plus précisément, les processus d’intégration ont permis aux élèves de

générer des inférences nécessaires pour saisir l’identité du narrateur et ses actions

ambigües, deux éléments centraux dans la nouvelle de Calvino. S’ils n’avaient pas utilisé

leur connaissance de l’agent double ou de l’absurdité de certains comportements, les

lecteurs ne seraient pas parvenus à construire une représentation juste de l’histoire parce

qu’ils n’auraient pas pu générer les inférences essentielles à la compréhension (Irwin,

2007).

L’interaction des connaissances des élèves avec les indices du texte a permis à certains

d’entre eux de revoir leur représentation du texte lorsqu’ils ont réalisé que la connaissance

qu’ils utilisaient n’était pas conciliable avec tous les indices du texte. Concrètement,

certains élèves qui croyaient que le protagoniste était un agent double ont remis en question

leur représentation de l’histoire lorsqu’ils ont porté attention aux passages du texte

permettant de contredire cette hypothèse. Van den Broek et al. (1999) précisent que pour

que les contradictions entre deux informations soient traitées, ces deux informations

doivent être activées simultanément et le lecteur doit ralentir sa lecture. En rejetant

l’hypothèse selon laquelle le narrateur était un agent secret, quelques élèves sont parvenus à

activer une autre connaissance pour comprendre l’intrigue : l’absurdité. Pour ce faire, ils

ont dû adapter leur vitesse de lecture (c'est à tout le moins ce que nous permettent de

déduire les retours au texte de ces élèves) parce que les indices qui permettaient de saisir

l’absurdité de l’histoire n’étaient pas explicites et nécessitaient l’activation de processus de

compréhension de haut niveau.

Les élèves qui n’ont fait référence ni à la connaissance de l’agent double ni à celle de

l’absurdité pour comprendre la nouvelle de Calvino ont possiblement éprouvé des

difficultés à utiliser des stratégies pertinentes pour réguler leur lecture, par exemple détecter

les passages difficiles du texte, ralentir leur lecture au besoin, mettre en relation les indices

du texte qui apparaissent contradictoires, relire certains passages, etc. Il est par ailleurs

possible que certaines lacunes dans les connaissances de ces élèves aient nui à leur

compréhension, surtout en ce qui concerne l’absurdité. Un élève qui n’a jamais lu de textes

Page 126: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

115

absurdes a pu éprouver des difficultés à comprendre Solidarité, même s’il a régulé sa

lecture. Van den Broek et al. (2016) identifient en ce sens des connaissances lacunaires

comme un des trois facteurs qui limitent les capacités d’un lecteur à inférer : « even when a

semantic relation is marked and working memory is not overextended, the background

knowledge necessary for the inference may be lacking » (p. 140). Nos résultats montrent

toutefois que les connaissances activées par les lecteurs sont généralement favorables à la

compréhension, à condition qu’elles respectent certaines conditions, dont il sera question

dans la section suivante.

5.1.2 Des connaissances au service de la compréhension d’un texte : à quelles conditions?

L’influence des deux connaissances identifiées sur la compréhension de la nouvelle

littéraire de Calvino nous permet de réitérer deux conditions pour que les connaissances du

lecteur favorisent sa compréhension d’un texte : 1- ces connaissances doivent interagir avec

un maximum d’indices du texte sans contredire aucun de ces indices (Helder et al., 2013) et

2- elles doivent être précises et complètes (Kendeou & O’Brien, 2016). Si les

connaissances activées par un lecteur pour comprendre un texte ne sont pas mises en

dialogue avec un maximum d’indices du texte – ou si elles contredisent certains de ces

indices –, le lecteur risque de générer des inférences non recevables. En ce sens, le rôle de

l’enseignant est important puisqu’il doit amener les élèves dont la représentation du texte

est incomplète ou erronée à intégrer les indices du texte qui contredisent leur hypothèse. À

titre d’exemple, en suggérant aux élèves qui se représentent le protagoniste du texte

Solidarité comme un agent secret de relire le début et la dernière phrase de ce texte,

l’enseignant peut ensuite les questionner sur le rôle du hasard dans l’histoire : « Comment

expliques-tu qu’un agent double se joigne par hasard à un groupe de voleurs? »; « Pourquoi

un agent double abandonnerait-il son groupe de policiers sans rien dire? »

Pour ce qui est de l’impact de la qualité des connaissances activées par les élèves sur leur

représentation d’un texte, Kendeou et O’Brien (2016) affirment que l’activation de

connaissances erronées mène souvent à la génération d’inférences incorrectes. Par exemple,

les élèves qui conçoivent uniquement un texte invraisemblable comme un texte contenant

des éléments magiques, fantastiques ou surnaturels ont pu conclure à tort que Solidarité est

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116

une histoire vraisemblable. Cette fausse conclusion a pu les rendre moins sensibles aux

indices du texte qui permettaient d’en saisir l’absurdité. La responsabilité de l’enseignant

est donc importante en ce qui a trait aux connaissances des élèves : il doit en favoriser

l’acquisition, amener les élèves à s’interroger sur la pertinence des connaissances

mobilisées en fonction du texte lu, rectifier les connaissances des élèves qui sont erronées

et bonifier celles qui sont incomplètes. Kendeou et O’Brien (2016) précisent que la

rectification des connaissances se fait progressivement. Ils ajoutent que pour réduire

l’impact d’une connaissance erronée sur l’apprentissage, l’enseignant doit d’abord

présenter l’information correcte pour ensuite la lier à une explication causale. Dans le cas

du texte Solidarité, l’enseignant pourrait par exemple expliquer aux élèves qu’un texte peut

être invraisemblable même s’il ne contient aucun élément merveilleux ou surnaturel, et

profiter de l’occasion pour questionner les élèves sur l’absurdité de certains comportements

des personnages de l’histoire. Les élèves s’approprieraient ainsi une nouvelle

connaissance : une histoire peut être invraisemblable même si elle ne contient aucun

élément magique ou surnaturel. Nous verrons maintenant en quoi les spécificités d’un texte

peuvent entraver la lecture lorsqu’elles sont inconciliables avec les connaissances du

lecteur sur le genre du texte.

5.2 L'influence des spécificités du texte sur la construction de la représentation d'une histoire par le lecteur

Certaines caractéristiques du texte Solidarité ont particulièrement influencé la qualité de la

compréhension de l’histoire par les élèves. Nous établissons des liens entre ces spécificités

du texte et les connaissances des élèves, cette interaction nous permettant de mieux

comprendre l'influence des facteurs textuels sur la construction de sens par un lecteur. Nous

identifions ensuite quelques pistes didactiques que l'enseignant peut privilégier afin de

réduire le décalage entre les connaissances des élèves et les spécificités de certains textes.

5.2.1 Les spécificités du texte Solidarité : un frein à la régulation de la lecture

Deux spécificités du texte Solidarité ont particulièrement nui à la compréhension des élèves

parce qu’elles ne coïncidaient pas avec leurs connaissances génériques. Il s’agit de la

structure du texte (son entrée en matière directe et sa fin atypique) et de l’ambigüité des

actions et des personnages de l’histoire. Plus précisément, le décalage entre les

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117

caractéristiques de Solidarité et les connaissances des élèves sur la nouvelle littéraire a

semblé nuire à l’activation des processus métacognitifs nécessaires à la régulation de la

lecture.

La rigidité des connaissances des élèves portant sur la nouvelle littéraire s’explique à notre

avis par l’enseignement qu’ils ont reçu. À titre d’exemple, la bibliothèque virtuelle de

l’organisme « Allô prof25 », qui présente des contenus que nous estimons représentatifs de

ceux enseignés dans les classes de français, définit ainsi la situation initiale d’une nouvelle

littéraire : « [elle] présente habituellement les personnages, le lieu, le temps et l’action de

départ. Elle décrit l’état d’équilibre. » (s.d.) Or, dans Solidarité, toutes ces informations

sont implicites : pour les inférer, le lecteur doit faire interagir des indices du texte avec ses

connaissances et donc activer ses processus d’intégration, par exemple. La bibliothèque

virtuelle de « Allô prof » fournit par ailleurs ce commentaire par rapport à la chute d’une

nouvelle littéraire :

Une nouvelle littéraire bien conçue doit se terminer par un événement inattendu ou mystérieux capable de déclencher une réflexion chez le lecteur. La fin souvent appelée chute doit être un point fort dans la narration, un coup de fouet soudain, qui serait la raison d’être même de la nouvelle. Selon cette perspective, toute la narration doit converger vers ce dénouement surprise. (s.d.)

Dans Solidarité, la fin est certes inattendue, mais elle ne permet pas, à elle seule, de

résoudre l’énigme. Pour ce faire, les lecteurs doivent activer leurs macroprocessus et

réguler leur lecture de façon à saisir les indices essentiels à la compréhension, ce que

plusieurs lecteurs n’ont pas fait parce qu’ils misaient essentiellement sur la fin du texte pour

comprendre. Ils attribuaient alors leur incompréhension à la structure du texte plutôt qu’aux

moyens qu’ils ont mis en œuvre pour comprendre. Les connaissances et les expériences du

lecteur portant sur les textes peuvent donc non seulement l’aider à comprendre, mais aussi

nuire à sa compréhension (McNamara et al., 2016), comme c’est le cas lorsqu’elles sont

trop rigides et qu’elles l’incitent à ne pas réguler sa lecture.

25 http ://www.alloprof.qc.ca/BV/Pages/f1061.aspx

Page 129: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

118

5.2.2 Comment réduire le décalage entre les spécificités de certains textes littéraires et les connaissances génériques des élèves?

Les données que nous avons analysées montrent que les particularités d’un texte peuvent

nuire à la compréhension, notamment lorsqu’elles ne sont pas conciliables avec les

connaissances des lecteurs par rapport au genre du texte concerné. En ce sens, l’enseignant

a la responsabilité d’aller au-delà des caractéristiques des genres de textes lus en classe.

Certes, il doit permettre aux élèves de s’approprier ces caractéristiques génériques, comme

le souligne Chartrand (2008) : « Par la lecture de plusieurs textes d’un même genre,

l’enseignant amène les élèves à dégager les principales caractéristiques d’un genre. » (p.

13) L’auteure insiste toutefois sur l’importance de faire lire aux élèves des textes dont la

structure est non conventionnelle : « il est important de ne pas sombrer dans le schématisme

et de […] faire observer [aux élèves] l’hétérogénéité textuelle de la plupart des genres. » (p.

13) Entre la lecture de textes dont la structure est canonique et la lecture de textes dont la

structure est originale et atypique, un équilibre s’impose donc pour que les élèves soient à

la fois capables de s’approprier les caractéristiques d’un genre de texte et de s’adapter aux

textes dont la structure est non canonique.

Par ailleurs, pour faciliter le contact des élèves avec ces structures de textes non

conventionnelles, il convient d’opter pour des textes dont le niveau de difficulté est

approprié afin que les élèves s’engagent dans leur lecture : « The difficulty of the text […]

can affect the relationship between text and reader as more difficult texts will be tougher to

comprehend. Students may or may not be motivated to read difficult texts will be tougher to

comprehend. » (Schunk & Bursuck, 2016, p. 59) Certes, l’utilisation de textes résistants

peut permettre le développement de la compétence à lire, mais elle est la plupart du temps

conditionnelle à un soutien important à l’élève, comme le précisent Allington et Gabriel

(2016). La section qui suit nous permettra d’ailleurs de discuter de l’impact positif de ce

soutien à l’élève sur sa compréhension d’un texte.

5.3 L'influence des interventions de l'intervieweur sur la construction de la représentation d'une histoire par le lecteur

Certaines interventions de l'intervieweur ont influencé de façon importante les processus

activés par les élèves pour comprendre et, conséquemment, la qualité de leur

compréhension du texte Solidarité. Nous nous référons à certains éléments de notre modèle

Page 130: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

119

théorique pour expliquer pourquoi les interventions d'un lecteur expert influencent à ce

point la représentation d'une histoire par des élèves. Nous discutons ensuite du rôle de

l'enseignant de français pour favoriser l'autorégulation des élèves en lecture, un processus

métacognitif incontournable pour bien comprendre un texte.

5.3.1 Les interventions de l’intervieweur : un moyen d’éveiller la conscience métacognitive des élèves et de favoriser leur engagement

Trois interventions de l’intervieweur ont été particulièrement favorables à la

compréhension de la nouvelle littéraire Solidarité parce qu’elles ont permis aux élèves

d’activer des processus de compréhension qu’ils n’avaient pas activés par eux-mêmes au

cours de leur lecture individuelle du texte. La question « raconte-moi ce que tu as compris

de l’histoire » a permis aux élèves d’activer leurs processus métacognitifs. Lorsqu’aucun

questionnaire n’accompagne un texte, plusieurs élèves ont moins tendance à remettre en

question leur compréhension d’une histoire (Cèbe et al., 2007). En demandant aux élèves

de raconter ce qu’ils avaient compris de l’histoire, l’intervieweur les a obligés à faire un

premier pas vers cette remise en question : « students are able to influence and make

decisions about the reading process when they are able to evaluate their progress to

determine whether their reading is successful or unsuccessful and make adjustements as

needed so that they can reach their goal. » (Almasi & Hart, 2011, p. 264)

En demandant aux élèves qui est le narrateur de l’histoire, l’intervieweur les a obligés à

réfléchir à un élément central du récit. Puisque les lecteurs n’ont pas tous les mêmes

habiletés à focaliser leur attention sur les éléments clés d’une histoire pour en construire le

sens (Helder et al., 2013; van den Broek et al., 2016), l’intervention de l’intervieweur a

contribué à réduire cet écart en amenant les élèves à identifier un élément central dans le

texte Solidarité : l’identité du protagoniste. Les élèves ont ainsi pu éviter de s’attarder à des

éléments du texte qui n’ont que très peu d’importance. Selon Prat et al. (2016), le nombre

d’éléments avec lesquels un lecteur peut jongler varie en fonction de sa capacité à focaliser

stratégiquement son attention sur les éléments critiques d’une tâche tout en ignorant ceux

qui sont de moindre importance. Lorsque l’intervieweur leur cible un élément central, les

élèves sont plus enclins à activer leurs processus métacognitifs pour réguler leur lecture

parce que leur charge cognitive est moins grande.

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120

Les élèves qui ont été invités à relire un passage ciblé du texte et qui ont ensuite été

questionnés sur une phrase clé dans ce passage ont tous bénéficié de cette intervention de

l’intervieweur. Étant donné le cout cognitif élevé de la relecture (Collins & Smith, 1980),

les lecteurs ont tendance à recourir à d’autres moyens pour remédier à leurs difficultés de

compréhension. Une aide extérieure peut en ce sens encourager la prise de moyens

efficaces pour remédier aux difficultés de compréhension : « Teachers […] can help raise

students’ reading […] self-regulation (behaviors) […] by giving students opportunities for

self-regulated practice.» (Schunk & Bursuck, 2016, p. 56) Étant donné le niveau de

difficulté de la nouvelle littéraire Solidarité et ses particularités, nous considérons que la

relecture de certains passages du texte était nécessaire à la compréhension fine. C’est donc

l’interaction entre l’intervieweur et les élèves qui les a amenés à s’engager davantage dans

leur lecture et à prendre des moyens pour remédier à leurs incompréhensions : « teacher-

student collaboration and emotional relationships are expected to influence

students’reading engagement directly without necessarily being mediated through a

motivational construct. » (Guthrie & Klauda, 2016, p. 50)

5.3.2 L’enseignant, un tremplin vers l’autorégulation

L’intervieweur a selon nous eu un impact sur deux variables importantes en lecture : les

standards de cohérence des lecteurs et leur motivation. L’analyse de nos données montre

qu’en posant des questions aux élèves, l’intervieweur a influencé leurs standards de

cohérence : il les a amenés à rechercher un plus haut niveau de compréhension et à tenter

d’établir la cohérence globale du texte. Il semble donc que ce soit un facteur relatif au

contexte de lecture – l’intervention d’un lecteur expert – qui ait généré cette modification

des standards de cohérence des lecteurs (van den Broek et al., 2011). Ces standards de

cohérence sont en ce sens fondamentaux parce qu’ils influencent les processus activés par

le lecteur pour comprendre : « The degree to which a reader will engage in strategic

process, in addition to the automatic ones, is to a large extend determined by the reader’s

standards of coherence » (van den Broek et al., 2016, p. 140). Par ailleurs, si nos résultats

ne nous permettent pas d’évaluer la motivation des élèves, nous croyons que l’intervieweur

a influencé cette motivation parce que l’aide qu’il a fournie aux élèves a pu contribuer à

rehausser leur perception d’efficacité personnelle à comprendre le texte Solidarité. Schunk

Page 132: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

121

et Bursuck (2016) témoignent d’ailleurs de l’importance de la perception d’efficacité

personnelle : « Students with high self-efficacy for learning are apt to be motivated to learn

and engage in self-regulated learning by setting goals, using effective learning strategies,

monitoring their comprehension, and evaluating their goal progress » (p. 55).

Concrètement, le soutien de l’intervieweur a pu diminuer la difficulté de la tâche parce que

les élèves savaient davantage sur quels éléments du texte porter leur attention et quelles

stratégies utiliser pour comprendre. Le défi de compréhension qui se présentait à eux est

ainsi devenu davantage à leur portée grâce à l’aide qu’ils ont reçue (Schneuwly, 2008).

Pour agir sur les standards de cohérence et sur la motivation des élèves, l’enseignant doit

jouer un rôle de médiateur. En d’autres termes, son défi consiste à rendre les tâches de

lecture à la portée des élèves, que ce soit en posant des questions qui diminuent leur charge

cognitive – et donc la difficulté de la tâche – ou en leur fournissant des rétroactions

constructives qui favorisent leur engagement dans cette tâche et la régulation de leur

lecture. Il doit ainsi tenir compte des variables cognitives et affectives de la lecture (Guthrie

& Klauda, 2016). Bien que peu d’études aient tenté de comprendre le mécanisme par lequel

les interactions sociales influencent l’apprentissage de la lecture et l’identité des lecteurs

adolescents, on sait tout de même que l’identité des lecteurs est coconstruite : « teachers

and other school personnel hold the power to invite students into positive learning

experiences […] or to exclude and even dismiss them from learning and learning spaces

altogether. » (Learned & Birr Moje, 2016, p. 192) Les enseignants du secondaire ont donc

un rôle significatif à jouer dans le développement de la littératie chez leurs élèves, malgré

leur tendance à croire le contraire (Davidson, 2008; Buehl, 2007). Maintenant que l’impact

des facteurs cognitifs, textuels et contextuels sur l’activation des processus de

compréhension a été discuté, nous montrerons en quoi l’activation de ces processus

influence directement la qualité de la compréhension d’un texte par un lecteur.

5.4 L’activation des processus de compréhension : une influence directe sur la qualité de la compréhension

Bien que la qualité de la compréhension d’un texte par un lecteur soit influencée par

plusieurs facteurs – le contexte socioculturel, l’interaction des variables « lecteur »,

« texte » et « contexte », les standards de cohérence et la motivation du lecteur –, c’est

l’activation de processus automatisés et stratégiques par le lecteur qui, au bout du compte,

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122

détermine sa représentation d’un texte (Irwin, 2007). L’activation de deux processus de

compréhension a en ce sens influencé de façon importante la compréhension de Solidarité

par les 44 élèves de notre échantillon : les macroprocessus, c’est-à-dire la construction du

sens global de l’histoire, et les processus métacognitifs, plus précisément la régulation de la

lecture par l'intermédiaire de la relecture.

5.4.1 L’activation des macroprocessus : une démarche sophistiquée mais efficiente

Pour établir la cohérence globale d’un texte, les lecteurs doivent activer leurs

macroprocessus. Autrement, ils peuvent parvenir à établir la cohérence locale en activant

leurs processus d’intégration, par exemple, mais ils achopperont au moment de reconstituer

l’ensemble du texte :

Local coherence is achieved if the reader can connect the incoming statement to information in the previous sentence of [working memory]. Global coherence is achieved if the incoming statement can be connected to a text macrostructure or to information much earlier in the text that no longer resides in [working memory]. (Graesser et al., 1997, p. 178)

Nous pouvons ainsi comparer l’établissement de la cohérence locale à l’assemblage de

quelques pièces de casse-tête : il permet de reconstituer un ilot de pièces, mais n’est pas

suffisant pour reconstituer l’ensemble du casse-tête. Au moment d’établir la cohérence

locale d’un texte, ce sont surtout les processus d’intégration qui sont activés par les

lecteurs. Pour ce qui est de l’établissement de la cohérence globale, nous pouvons le

comparer à l’assemblage final des différents ilots de pièces de casse-tête pour en faire une

reconstitution complète, sans ruptures. Lorsqu’ils tentent d’établir la cohérence globale

d’un texte, les lecteurs activent leurs macroprocessus. C’est à cette seule condition qu’ils

peuvent construire une représentation complète et cohérente d’une histoire.

Dans le cas de Solidarité, cette recherche de cohérence globale impliquait une prise en

compte des éléments centraux du récit : l’identité ambigüe du protagoniste, ses

déplacements et ses changements de rôle, et l’absurdité des comportements des

personnages de l’histoire. Puisque les indices fournis par l’auteur par rapport à ces éléments

centraux étaient situés à différents endroits dans le texte, le lecteur devait activer ses

macroprocessus pour les confronter. Afin de départager les éléments centraux de ceux qui

sont secondaires dans l’histoire, les élèves ont dû activer des processus de haut niveau,

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123

nécessaires pour trier, analyser et synthétiser les informations (McNamara et al., 2016).

Nous avons aussi observé que l’identification des éléments centraux de la nouvelle de

Calvino exigeait une régulation accrue de la lecture, notamment par la relecture. Par

conséquent, seuls les élèves ayant activé leurs processus métacognitifs de façon suffisante

ont pu activer efficacement leurs macroprocessus pour comprendre Solidarité. De façon

réciproque, les élèves ayant activé leurs macroprocessus ont été plus enclins à détecter leurs

difficultés de compréhension par l’activation de leurs processus métacognitifs. Cette

observation appuie les propos de Giasson (2011) et d’Irwin (2007), qui soutiennent que les

processus de compréhension agissent simultanément et que certains de ces processus

contribuent à l’activation des autres.

La majorité des élèves de notre échantillon ont éprouvé d’importantes difficultés à activer

efficacement leurs macroprocessus. Ils sont parvenus à construire une représentation de

certaines parties du texte en activant leurs processus d’intégration, par exemple, sans

toutefois en arriver à une représentation globale satisfaisante du texte. Cette non-activation

(ou cette activation inefficace) des macroprocessus peut à la fois s’expliquer par les

standards de cohérence du lecteur et par ses habiletés métacognitives – plus précisément sa

capacité à savoir quelle stratégie utiliser, quand l’utiliser et comment le faire :

A reader’s standards for coherence are closely related to his or her reading strategies. On the one hand, a reader’s standards determine when the reader feels that comprehension is achieved […] On the other hand, a reader’s reading strategies and metacognitive skills determine whether he or she can attain the standards for coherence. A reader may realize that a standard of comprehension is not attained but lack the strategies to remedy the problem. (van den Broek et al., 1999, p. 91)

Van den Broek et al. (2016) précisent à ce sujet que le répertoire de stratégies varie d’un

lecteur à l’autre. Certains des lecteurs que nous avons rencontrés ont donc pu éprouver de la

difficulté à activer efficacement leurs macroprocessus, même s’ils étaient conscients de

leurs difficultés de compréhension. L'activation inefficace (ou la non-activation) des

macroprocessus par la majorité des élèves de notre échantillon peut aussi s’expliquer par la

charge cognitive générée par la difficulté de la tâche de lecture que nous leur avons

proposée. En d’autres termes, il est possible que les lecteurs ne soient pas parvenus à

activer efficacement leurs macroprocessus parce que leurs ressources attentionnelles étaient

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124

déjà toutes mobilisées (van Dijk & Kintsch, 1983; van den Broek, 2012). Pour établir la

cohérence globale de Solidarité, les lecteurs devaient recourir consciemment à certaines

stratégies puisque les processus automatisés n’étaient pas suffisants à eux seuls :

the reader is likely to draw on the coherence-building strategic processes in his or her repertoire when the automatic processes described above do not establish sufficient coherence between a newly read sentence and the reader’s representation of the preceding text to meet the reader’s standards. (van den Broek et al., 2016, p. 141)

Nous sommes d’avis que les élèves de notre échantillon qui ont activé efficacement leurs

macroprocessus pour comprendre le texte Solidarité se distinguaient des autres élèves d’au

moins trois façons : 1- leurs standards de cohérence étaient plus élevés et orientés vers la

compréhension globale du texte; 2- ils savaient quelles stratégies mettre en œuvre pour

établir la cohérence globale du texte et de quelle façon le faire (donc ils avaient de bonnes

capacités métacognitives) et 3- leurs capacités attentionnelles disponibles étaient suffisantes

pour leur permettre de réguler leur lecture en activant leurs processus métacognitifs.

5.4.2 Le cout cognitif de la relecture

Si rien n’indique qu’un texte doit nécessairement être relu pour être compris, nous estimons

que les difficultés de la nouvelle littéraire que nous avons fait lire aux élèves étaient telles

qu’une relecture du texte – au moins partielle – était nécessaire pour comprendre finement

l’intrigue, tel que nous l’avons mentionné lorsque nous avons discuté de l’influence de

l’intervieweur sur les processus activés par les lecteurs que nous avons rencontrés (section

5.3). Pourtant, moins du tiers des élèves de notre échantillon ont pris l’initiative de relire

partiellement ou totalement le texte Solidarité. À notre avis, les deux principaux facteurs

ayant influencé la décision des élèves de relire ou non le texte sont le cout cognitif de la

relecture et leur motivation à autoréguler leur lecture dans le contexte des rencontres avec

un intervieweur, hors classe et hors évaluation.

Lorsqu’un lecteur réalise qu’il ne comprend pas un mot, un passage ou l’ensemble d’un

texte, il dispose de plusieurs moyens pour remédier à son incompréhension. C’est le type

d’incompréhension et le cout cognitif des moyens de remédiation qui détermine la stratégie

qu’il mettra en œuvre : « There is a cost to any [actions readers can take if they fail to

understand a word or passage] but the first option : the more drastic the action taken, the

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125

more you lose the thread of what you are reading. » (Collin & Smith, 1980, p. 9) En ce

sens, il nous apparait cohérent que les deux tiers des élèves aient d’emblée choisi de

poursuivre leur lecture malgré leurs incompréhensions puisqu’il s’agit de la stratégie dont

le cout cognitif est le moins grand, comme le soulignent Collin et Smith (1980). Les auteurs

insistent toutefois sur les conditions pour recourir à une telle stratégie : « If the word or

passage is not critical to understanding, then the most effective action is to ignore it. […] If

the reader fails to understand a large proportion of the text, this is evidence that the

“ignore and read on” strategy is not working. » (p. 10) Il est possible que certains des

élèves ayant poursuivi leur lecture malgré leurs incompréhensions n’étaient pas conscients

de l’ampleur de leurs incompréhensions. Plus précisément, la prise de moyens pour

remédier à une incompréhension nécessite au préalable une détection de cette

incompréhension et l’identification de son type (Collin & Smith, 1980; Irwin, 2007). Par

conséquent, un lecteur qui ne réalise pas qu’il ne comprend pas ou qui s’imagine que son

incompréhension est mineure alors qu’elle est majeure peut ne pas être en mesure de choisir

une stratégie appropriée pour remédier à sa difficulté de lecture.

Il est aussi possible que la majorité des élèves qui ont poursuivi leur lecture malgré leurs

incompréhensions aient décidé de le faire en sachant pertinemment que ce moyen n’était

pas efficace pour comprendre le texte. Collin et Smith (1980) identifient la relecture d’une

phrase comme un moyen de remédiation utile lorsque les hypothèses du lecteur ne lui

permettent pas de résoudre ses problèmes de compréhension, mais précisent qu’une telle

relecture perturbe le fil conducteur de la lecture. Quant à la relecture d’une partie de texte,

ils la définissent comme un moyen de remédiation très couteux sur le plan cognitif, mais

parfois nécessaire :

Jumping back to the previous context is even more disruptive to the flow of reading. But if there is a contradiction with some earlier piece of the text or the reader is overloaded with too many pending questions, then jumping back and rereading is the most effective strategy. (Collin & Smith, 1980, p. 11)

À notre avis, le cout cognitif de la relecture peut expliquer que la majorité des élèves

n’aient pas opté pour ce moyen de remédiation. D’une part, les lecteurs n’ont pas tous les

mêmes ressources disponibles pour réguler leur lecture (Reynolds et al., 2016). D’autre

part, même un lecteur efficace peut éprouver des difficultés à réguler sa lecture, notamment

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126

s’il est démotivé ou fatigué (van den Broek et al., 1999). Dans ce cas, le problème ne réside

pas dans la connaissance de la stratégie, mais plutôt dans la motivation du lecteur à réguler

sa lecture. Schunk et Bursuck (2016) désignent l’effort à fournir pour maintenir cette

motivation à réguler sa lecture comme la volonté – « volition » – du lecteur : « Volition may

be enhanced when learners’ perceive certain conditions, such as tasks that are difficult or

tedious, or the potential distractions are numerous. » (p. 57)

5.4.3 L’activation des processus de compréhension par les lecteurs : le résultat d’une interaction complexe

L’analyse que nous avons menée relativement aux deux principaux processus ayant

influencé la compréhension du texte Solidarité – les macroprocessus et les processus

métacognitifs – nous amène à constater à quel point les processus activés par un lecteur

pour comprendre un texte interagissent et subissent l’influence d’autres facteurs. Les

processus métacognitifs nous apparaissent d’une grande importance puisqu’ils commandent

l’activation des autres processus. À titre d’exemple, les élèves ayant activé leurs processus

métacognitifs en relisant certaines parties du texte qu’ils ne comprenaient pas ont été

nombreux à activer leurs macroprocessus pour tenter d’articuler ces différentes parties de

texte. La régulation de leur lecture a donc été au service de l’activation de leurs

macroprocessus. Par ailleurs, les processus activés par les lecteurs sont étroitement liés à

d’autres variables, comme les standards de cohérence du lecteur et sa motivation : un

lecteur dont les standards de cohérence sont faibles et orientés vers la cohérence locale

n’aura pas tendance à activer ses macroprocessus. Un lecteur démotivé n’aura pas non plus

tendance à activer ses macroprocessus parce que l’établissement de la cohérence globale est

beaucoup plus couteux que l’établissement de la cohérence locale (Graesser et al., 1997;

van den Broek et al., 2011). La figure 8 que nous avons présentée au chapitre deux (p. 45)

témoigne de la complexité de l’interaction entre les différentes variables qui influencent de

près ou de loin la compréhension en lecture.

5.4.4 Le rôle de l'enseignant pour favoriser le développement de la compétence en lecture

Étant donné la complexité de la lecture, l’enseignant a un rôle important à jouer s’il veut

que ses élèves améliorent leur capacité à comprendre des textes : il doit enseigner les

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stratégies dans des contextes authentiques (par exemple en enseignant un ensemble de

stratégies et non des stratégies isolées), amener les élèves à développer leurs habiletés

métacognitives liées à l’utilisation des stratégies et leur permettre de réinvestir les stratégies

de lecture enseignées (Almasi & Hart, 2011). Nos données nous ont en ce sens permis de

constater que la compréhension d’un texte complexe nécessite souvent l’activation

simultanée de plusieurs processus de compréhension (Ogle & Lang, 2011), et que certains

d’entre eux doivent être activés consciemment – c’est-à-dire de façon stratégique. Le

développement des habiletés métacognitives des élèves est donc nécessaire pour qu’ils

s’approprient les conditions d’utilisation de ces stratégies : « teaching readers to be

strategic not only involves teaching them about the strategy, but also about the conditions

under which one might use the strategy. Those conditions include giving consideration to

reader factors, textual factors, and contextual factors. » (Almasi & Hart, 2011, p. 254) Nos

données montrent d’ailleurs que les processus métacognitifs chapeautent tous les processus

activés consciemment par un lecteur – ses stratégies. Avant d’activer un processus

stratégique, un lecteur doit détecter son incompréhension, choisir la stratégie appropriée

pour y remédier et savoir de quelle façon utiliser cette stratégie. Pour ce qui est du

réinvestissement des stratégies de lecture enseignées, il est fondamental pour que les élèves

puissent internaliser ces stratégies (Almasi & Hart, 2011). À cet égard, les données que

nous avons analysées nous ont permis de remarquer que certaines stratégies étaient bien

connues par les élèves, mais que ces derniers éprouvaient tout de même des difficultés à les

utiliser pour différentes raisons – la difficulté de la tâche et leur manque de motivation, par

exemple. Il faut donc considérer l’enseignement de la compréhension en lecture comme

une démarche à long terme, si on espère noter une amélioration des capacités des élèves en

lecture (Giasson, 2011; Almasi & Hart, 2011).

5.5 Les apports de notre étude

Au terme de notre étude, nous dégageons trois lignes directrices susceptibles de favoriser la

compréhension d’un texte littéraire. La première est l’importance que le lecteur fasse

interagir ses connaissances sur le monde avec un maximum d’indices du texte, tout en

s’assurant que les connaissances qu’il active ne contredisent aucun des indices fournis par

l’auteur. Dans notre étude, la totalité des élèves ayant activé leur connaissance de

l’absurdité de certains comportements humains sont parvenus à se hisser dans le profil A

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128

(compréhension fine du texte Solidarité). Pour ce qui est des élèves ayant activé la

connaissance du stéréotype de l’agent double, ils se sont majoritairement retrouvés dans le

profil B (compréhension partielle de l’histoire). L’appartenance de ces élèves à deux profils

différents s’explique par l’adéquation plus ou moins forte des connaissances qu’ils ont

activées avec les indices du texte Solidarité : alors que la connaissance de l’absurdité était

en phase avec ces indices, celle de l’agent secret en contredisait certains. Par ses

interventions auprès des élèves, l’enseignant doit les amener à intégrer les indices du texte

essentiels à la compréhension et à les mettre en dialogue avec leurs connaissances sur le

monde.

La deuxième ligne directrice qui ressort de notre étude consiste en l’importance que les

connaissances des élèves sur les textes soient flexibles. Les élèves ayant participé à notre

projet avaient tous des connaissances sur les textes, plus particulièrement une conception de

ce qu’est une nouvelle littéraire. Certains d’entre eux ont toutefois éprouvé des difficultés à

s’adapter aux particularités du récit de Calvino, dont la structure originale semblait en

décalage avec leurs connaissances sur la nouvelle littéraire. Ces élèves dont les

connaissances sur la nouvelle littéraire étaient plutôt rigides ont par moments semblé

passifs au cours de leur lecture de Solidarité, non par paresse, mais bien parce qu’ils

s’attendaient à ce que la chute de l’histoire soit autosuffisante, c’est-à-dire qu’elle leur

permette à elle seule de comprendre la globalité de l’histoire. C’est dire l’importance de ne

pas uniquement faire lire aux élèves des textes dont la structure est canonique afin qu’ils

acquièrent des connaissances sur les textes qui soient flexibles.

La troisième ligne directrice qui se dégage de notre étude se résume à l’importance que

l’étayage offert par l’enseignant soit suffisant et adapté aux besoins des élèves qui tentent

de comprendre un texte résistant. Dans notre étude, nous avons noté l’impact important des

interventions de l’intervieweur sur la qualité de la compréhension du texte Solidarité par les

44 élèves de notre échantillon. En posant aux élèves des questions portant sur des aspects

centraux du récit, l’intervieweur les a amenés à détecter leurs incompréhensions et à

prendre des moyens pour y remédier, c’est-à-dire qu’il a favorisé la régulation de leur

lecture, une stratégie métacognitive essentielle pour comprendre des textes résistants. Afin

que les interventions de l’enseignant soient optimales, ce dernier doit faire preuve d’une

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129

très grande capacité de décentrement pour tenir compte de l’activité cognitive du lecteur et

de sa représentation de l’histoire qu’il tente de comprendre.

5.6 Les limites de nos résultats

S’ils font écho aux résultats de recherche et aux écrits de différents auteurs relativement à

la compréhension en lecture, les résultats que nous avons présentés et discutés ne sont pas

pour autant généralisables. Plus précisément, la petite taille de notre échantillon varié mais

non représentatif de la population, les méthodes que nous avons utilisées pour collecter nos

données et la méthode qualitative sur laquelle s’appuie notre analyse présentent des limites

qui nous appellent à la prudence. Notre échantillon de 44 élèves est nettement insuffisant

pour extrapoler que les résultats qui en ressortent sont représentatifs de la réalité des

lecteurs adolescents québécois. Pour ce qui est des deux méthodes que nous avons utilisées

pour recueillir nos données – la méthode de la pensée à voix haute (MPVH) et l’entretien

semi-dirigé –, leurs limites ont pu avoir une incidence sur les verbalisations des élèves, qui

ont constitué notre objet d’étude.

Une limite importante de la MPVH est qu’elle a pu interférer avec les processus activés par

les lecteurs pour comprendre (Baker, 2002). En devant verbaliser leur pensée pendant leur

lecture, les lecteurs ont pu perdre le fil conducteur du texte et être moins à l’affut des

indices clés fournis par l’auteur, par exemple. Une autre limite de la MPVH est que les

processus activés inconsciemment par les lecteurs n’ont pas pu être verbalisés (Baker,

2002). Nous n’y avons donc pas eu accès. Quant à l’entretien semi-dirigé, sa principale

limite est que les intervieweurs n’ont pas tous posé les mêmes questions et fourni le même

soutien aux lecteurs. Si Savoie-Zajc (2003) souligne la nécessité que le schéma d’entretien

soit flexible, le soutien accru dont ont bénéficié certains élèves a pu favoriser l’activation

de leurs processus de compréhension et par le fait même la qualité de leur compréhension.

Les élèves qui n’ont pas été exposés à un soutien aussi important ont été moins enclins à

activer leurs processus métacognitifs pour réguler leur lecture, ce qui a pu influencer

négativement la qualité de leur compréhension. Nous ne pouvons donc conclure que les

élèves ayant moins bien compris le texte Solidarité (ceux du profil C) éprouvent des

difficultés à utiliser l’aide fournie par un pair pour comprendre un texte parce qu’ils n’ont

pas nécessairement reçu la même qualité d’intervention que les autres élèves.

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130

En ce qui a trait à la méthode que nous avons utilisée pour traiter nos données – l’analyse

de contenu –, elle s’inscrit dans une optique de recherche exploratoire, c’est-à-dire qu’elle

ne permet pas de vérifier la validité d’une hypothèse et d’utiliser les résultats obtenus pour

les généraliser à une plus grande population. Elle a à tout le moins permis de dégager

certaines lignes directrices (voir la section précédente) à partir du classement et de la

codification (Mucchielli, 1991) que nous avons réalisés en utilisant le contenu des

transcriptions des rencontres avec les élèves. C’est la confrontation de ces grandes

tendances avec les écrits des différents auteurs sur lesquels s’appuie notre cadre théorique

qui fonde la pertinence de nos résultats, ces derniers convergeant avec plusieurs travaux

menés sur l’apprentissage de la lecture dans une perspective cognitiviste.

Page 142: Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent ......Les facteurs cognitifs, textuels et contextuels qui influencent la compréhension d’une nouvelle littéraire

131

Conclusion

Selon la tradition scolaire, l’évaluation de la compétence des élèves en compréhension de

textes est réalisée à partir du produit de la compréhension, correspondant le plus souvent

aux réponses fournies par les élèves aux questions qui leur sont posées dans les

questionnaires de lecture. Si elle informe les enseignants du niveau de maitrise de la

compétence à lire atteint par leurs élèves, cette forme d’évaluation ne leur donne à peu près

pas accès à la démarche utilisée par les élèves pour comprendre des textes : leurs processus

de compréhension. Il est donc difficile pour les enseignants de mettre en place des pratiques

qui répondent aux besoins de leurs élèves en lecture parce qu’ils en savent peu sur ce que

ces derniers font ou ne font pas pour comprendre des textes. La poursuite de

l’enseignement de la compréhension en lecture au secondaire est pourtant une nécessité,

d’autant plus qu’il s’agit d’une compétence au service des autres disciplines. Un adolescent

qui éprouve des difficultés en lecture est susceptible d’éprouver des difficultés

d’apprentissage dans les autres disciplines que le français, ce qui peut mener à l’échec et à

l’abandon scolaires, et à des difficultés d’intégration sociale et économique lorsqu’il atteint

l’âge de travailler.

C’est afin de mieux comprendre ce qui influence la compréhension des textes scolaires par

des lecteurs adolescents que nous nous sommes jointe à l’équipe d’Érick Falardeau, dont le

projet de recherche (MELS, 2011-2014) visait à étudier les capacités des adolescents en

lecture. Les données du projet de Falardeau que nous avons récupérées dans le cadre de ce

mémoire de maitrise nous ont permis d’étudier les facteurs cognitifs, textuels et contextuels

ayant influencé la compréhension du texte Solidarité d’Italo Calvino par 44 adolescents de

13 à 17 ans. Accompagnée des membres de l’équipe de recherche de Falardeau, nous avons

rencontré ces lecteurs adolescents et collecté nos données en utilisant la méthode de la

pensée à voix haute et l’entretien semi-dirigé. Les bandes audios de ces rencontres ont été

transcrites, et nous les avons analysées en ayant recours à une méthode d’analyse de

contenu. Cette analyse nous a permis de dégager trois principaux résultats. Premièrement,

les connaissances des lecteurs sur le monde peuvent être favorables à la compréhension

d’un texte à deux conditions : 1- elles doivent interagir avec un maximum d’indices du

texte; 2- elles ne doivent contredire aucun de ces indices. Deuxièmement, les connaissances

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des lecteurs sur les textes peuvent nuire à la compréhension d’un texte si elles sont trop

rigides. Lorsque le décalage entre les connaissances génériques d’un lecteur et les

particularités d’un texte est important, ce lecteur peut attribuer ses incompréhensions à la

structure du texte (facteur externe) plutôt qu’aux stratégies qu’il mobilise pour comprendre

(facteur interne). Il est alors moins porté à prendre en charge sa lecture. Troisièmement,

lorsqu’un texte présente des difficultés trop importantes pour des lecteurs adolescents,

l’aide d’un intervenant peut être nécessaire pour diminuer le cout cognitif de la tâche de

lecture. Les élèves peuvent ainsi mieux réguler leur lecture, c’est-à-dire détecter leurs

incompréhensions et prendre des moyens pour y remédier.

Ces résultats nous amènent à réitérer l’importance de poursuivre l’enseignement de la

lecture au-delà de la scolarité primaire en considérant les besoins particuliers des lecteurs

adolescents. Pour favoriser le développement de la compétence en lecture des élèves de 13

à 17 ans, nous jugeons fondamental que les tâches de lecture qui leur sont proposées

constituent des défis stimulants, mais à leur portée. Étant donné que les adolescents faisant

partie d’un même groupe classe ont souvent des habiletés très variables en lecture,

l’étayage proposé par l’enseignant représente à notre avis un bon moyen de rendre un

même texte à la portée d’un maximum d’élèves. À titre d’exemple, en accompagnant les

élèves dans la relecture de certains passages clés d’un texte ou en leur posant des questions

sur les éléments centraux d’un texte, les enseignants diminuent la difficulté d’une tâche de

lecture. De telles interventions représentent à notre avis une bonne occasion de montrer aux

élèves l’importance des processus métacognitifs pour comprendre des textes. Plus

précisément, les élèves doivent comprendre que même les lecteurs experts recourent à des

stratégies d’autorégulation pour ne pas perdre le fil lorsqu’ils tentent de comprendre un

texte difficile : ils adaptent leur vitesse de lecture, formulent des hypothèses temporaires,

relisent certains passages, remettent en question leurs hypothèses de départ et relisent

parfois l’entièreté d’un texte.

Bien que nos principaux résultats convergent dans le sens des écrits scientifiques sur

lesquels s’appuie notre cadre théorique, nous tenons à rappeler qu’ils ne sont pas pour

autant généralisables. Notre échantillon de petite taille n’est pas représentatif de la

population de lecteurs adolescents, et nos données ont été collectées par le biais de

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méthodes qui comportent certaines limites. La méthode de la pensée à voix haute a pu

interférer avec le processus de lecture, et les lecteurs n’ont pas pu verbaliser les processus

de compréhension qu’ils ont activés inconsciemment. L’entretien semi-dirigé a pu créer des

inégalités dans l’aide fournie aux élèves pour comprendre le texte Solidarité. Nous avons

toutefois analysé nos données avec rigueur, écartant plusieurs résultats à priori intéressants

que nous ne pouvions retenir, faute de preuves.

À l’issue de notre projet, nous reconnaissons un important besoin de mieux comprendre les

difficultés éprouvées par les adolescents pour réguler leur lecture. À quel point sont-ils

conscients de leurs incompréhensions lorsqu’ils lisent un texte? Savent-ils de quelle façon

remédier à ces incompréhensions? S’ils le savent, pourquoi ne le font-ils pas? Est-ce parce

que les tâches de lecture qui leur sont proposées sont trop difficiles? Parce qu’ils ne voient

pas l’utilité de l’autorégulation? Autrement dit, ne savent-ils pas de quelle façon réguler

leur lecture ou manquent-ils simplement de motivation à le faire?

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Annexe A: Texte Solidarité

Solidarité – Italo Calvino

Jem’arrêtaipourlesregarder.

C’étaitcommeçaqu’ilstravaillaient,lanuit,danscetterueàl’écart,surlerideaude2

ferd’unmagasin.

C’était un lourd rideau de fer: ils se servaient d’un levier enmétalmais il ne se4

levaitpas.

Je passais là par hasard, seul. Jememismoi aussi à appuyer sur le levier. Ilsme6

firentplace.

Onn’allaitpasenmesure;jefis:8

–Allez,hop!

Monvoisindedroitemedonnauncoupdecoudeetmeditdoucement:10

–Chut!Tuesfou!Tuveuxqu’onnousentende?

Jesecouailatêtecommepourdirequeçam’avaitéchappé.12

Ilnousfallutdutempsetnoustranspirions,maisàlafinnousavionslevélerideau

suffisammentpourqu’onpuissepasser.Nousnoussommesregardés,contents.Puison14

est entrés. Ils m’ont donné un sac à tenir. Les autres portaient les affaires et les

mettaientdedans.16

–Pourvuquecessalaudsdeflicsn’arriventpas!disaient-ils.

–C’estvrai,jerépondais.Cenesontquedessalauds!18

–Chut.Tun’entendspasunbruitdepas?disaient-ilsdetempsentemps.

Jetendaisl’oreille,unpeueffrayé.20

–Maisnon,cen’estpaseux!jerépondais.

–C’estqu’ilsarriventtoujoursquandons’yattendlemoins!mefaisaitl’und’eux.22

Moi,jesecouaislatête.

–Ilfaudraittouslestuer,jedisais.24

Puisilsmedirentd’allervoirdehors,jusqu’aucoin,s’iln’arrivaitpersonne.J’yallai.

Au coin de la rue, dehors, il y en avait qui rasaient les murs, cachés dans les26

renfoncements,etquis’avançaient.

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Jem’ymismoiaussi.28

–Ilyadesbruitslà-bas,ducôtédecesmagasins,meditmonvoisin.

Jetendislecou.30

–Rentrelatête,imbécile,s’ilsnousvoientilsvontnouséchappercettefoisencore,

murmura-t-il.32

–Jeregarde…dis-jepourm’excuserenmecollantaumur.

–Sinousarrivonsàlesencerclersansqu’ilss’enaperçoivent,fitunautre,nousles34

prendronsaupiègetousautantqu’ilssont.

Nous avancionspar bonds, sur la pointedespieds, en retenantnotre souffle: de36

tempsentempsnousnousregardionsl’unl’autre,lesyeuxbrillants.

–Ilsnenouséchapperontplus,dis-je.38

–Onvaenfinarriveràlesprendrelamaindanslesac,fitl’und’eux.

–Ilétaittemps,dis-je.40

–Cesbâtardsdedélinquants,dévalisercommeçalesmagasins!ditl’autre.

–Cesbâtards!Cesbâtards!répétai-je,avecrage.42

Ilsm’envoyèrentunpeuenavant,pourvoir.J’arrivaiàl’intérieurdumagasin.

–Désormais,disaitquelqu’unsemettantunsacsurledos,ilsnepeuventplusnous44

attraper.

–Vite,ditunautre,tirons-nousparl’arrière-boutique!46

Commeçanousleurfilonssouslenez.

Nousavionstousunsouriredetriomphesurleslèvres.48

–Ilsserontchocolat,dis-je.

Etons’esquivadansl’arrière-boutique.50

–Encoreunefoisnouslesavonsbienpigeonnés,disaient-ils.

Surce,onentendit:52

–Halte-là,quivalà?

Etleslumièress’allumèrent.Nousnouscachâmesdansuncoin,toutpâles,etnous54

nous prîmes par le bras. Les autres entrèrent aussi, ils ne nous virent pas, et ils

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retournèrentenarrière.Nousnousélançâmesdehorsetnousprîmes la fuiteà toutes56

jambes.

–Nouslesavonseus!nouscriâmes.58

Jetrébuchaideuxoutroisfoisetjerestaienarrière.Jemeretrouvaiaumilieudes

autresquicouraienteuxaussi.60

–Fonce,medirent-ils,onvalesrejoindre.

Etongalopaittousparlespetitesrues,enlespoursuivant.«Viensparici»,«Coupe62

par là », se disait-on, et les autres nous devançaient désormais de peu, et on criait:

«Vite,qu’ilsnenouséchappentpas!»64

Jeréussisàentalonnerunquimedit:

–Bravo,t’asréussiàt’échapper.Vite,parlà,ilsvontperdrenostraces!66

Etmoi, jememisdanssonsillage.Peud’instantsaprès, jemetrouvais seul,dans

une ruelle. Un autre arriva près de moi en tournant le coin de la rue et me dit en68

courant:

–Vite,parlà,jeviensdelesvoir,ilsnepeuventpasêtretrèsloin.70

Jecourusunpeuderrièrelui.

Puisjem’arrêtai,toutennage.Iln’yavaitpluspersonne,onn’entendaitplusdecris.72

Jeremislesmainsdansmespochesetjerecommençaiàmepromener,seul,auhasard.

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Annexe B: Schéma d’entretien

Questions de base

1) Qu’est-ce que tu as compris de l’histoire? Quels indices du texte te permettent de le savoir?

2) Est-ce que ce texte est difficile à comprendre? Qu’est-ce que tu as trouvé difficile en lisant?

Compréhension

1) Qui sont les personnages de l’histoire et que font-ils? Quels indices du texte te permettent de le savoir? Réponse. Il y a un narrateur et deux groupes : des voleurs qui tentent de s’enfuir et des policiers qui tentent de les rattraper; le narrateur se joint sporadiquement à chacun des groupes. Indices : pronoms, description des actions et des rapports entre les groupes.

Pour les élèves qui ont de la difficulté avec la question 1 (banque de questions)

a. Relis les lignes 1 à 17. Qui est le « ils » de la ligne 4? Que font-ils? Trouve des indices

du texte pour appuyer ton point de vue. Réponses. Le « ils » de la ligne 4 désigne des voleurs. Indices du texte : « travaillaient, la nuit, dans cette rue à l’écart, sur le rideau de fer d’un magasin » (lignes 2-3), « ils se servaient d’un levier de métal » (ligne 4), le personnage se fait reprocher de ne pas être assez silencieux (lignes 7-10), « ils m’ont donné un sac à tenir. Les autres portaient les affaires et les mettaient dedans » (ligne 13).

b. Que se passe-t-il à la ligne 30 à 35? Comment le sais-tu?

Réponse. Le narrateur change de groupe. Il fait maintenant partie des policiers : « je m’y mis moi aussi ».

c. Qui est le deuxième « nous » de la ligne 38? Comment le sais-tu?

Réponse. Le « nous » désigne les policiers. Nous le savons parce que l’un des personnages a parlé des « flics » (ligne 14) et nous savons qu’il ne fait pas partie de ce groupe parce qu’il ne veut pas que le « il » désignant les voleurs leur « échappe ».

d. Relis les lignes 45 à 54. Dans cet extrait, que font les personnages? Quels indices du

texte te permettent de le savoir? Réponse. Les personnages tentent de capturer des voleurs. Les indices sont les suivants : «encercler avant qu’ils ne s’en aperçoivent » (ligne 30), « nous les prendrons au piège » (lignes 30-31), « ils ne nous échapperont plus » (ligne 34), « on va enfin arriver à les prendre la main dans le sac » (ligne 35), « ces bâtards de délinquants, dévaliser comme ça les magasins » (ligne 37).

e. Aux lignes 55-56, avec quel groupe le narrateur est-il rendu? Comment le sais-tu?

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Réponse. Il est rendu avec les voleurs à nouveau parce les policiers l’ont « envoyé de l’avant». Nous supposons qu’il les a rattrapés et qu’il est de nouveau parmi eux.

2) Selon toi, qui est le narrateur de l’histoire? Que sais-tu sur lui? Quel rôle joue-t-il ?

Réponse. Le narrateur est un passant qui se joint à un groupe de voleurs, puis à un groupe de policiers. Nous ne savons rien sur lui.

3) Trouves-tu l’histoire vraisemblable? Pourquoi? L’histoire me semble invraisemblable parce que les deux groupes ne se rendent pas compte que le narrateur est l’un des leurs. Cela est étrange et fortement improbable.

Interprétation

1) Relis la dernière phrase. Que signifie-t-elle? Pourquoi l’auteur a-t-il choisi cette finale à la nouvelle? Comment as-tu fait pour le savoir?

2) D’après toi, pourquoi l’auteur a-t-il choisi de ne nommer aucun personnage par son prénom?

Comment as-tu fait pour le savoir? 3) Pourquoi l’auteur a-t-il choisi Solidarité comme titre à la nouvelle? « Solidarité », ça veut

dire « être unie à d’autres personnes, leur venir en aide ». Comment as-tu fait pour le savoir? 4) Le personnage est-il en contrôle de ses actions dans l’histoire? Comment as-tu fait pour le

savoir? 5) L’histoire se termine avec les mots suivants : « je recommençai à me promener seul, au

hasard. » Quel est le rôle du hasard dans cette histoire? Comment as-tu fait pour le savoir? 6) Sachant que le personnage est un passant qui se joint à deux groupes antagonistes, que peux-

tu dire sur son identité? Comment as-tu fait pour le savoir? Réaction

1) As-tu aimé l’histoire? Pourquoi? 2) Est-ce que l’emploi de nombreux pronoms a rendu ta lecture plus difficile? Plus intéressante?

3) Est-ce que l’histoire t’a fait rire? As-tu repéré de l’humour au fil des lignes?

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Annexe C: Tableau de catégorisation du profil de l’élève

Code de l’élève

Prénom de l’élève

1re partie de l’entretien

Repères Codes Extrait de la transcription BA : T :

BA : T :

BA : T :

BA : T :

[…] 2e partie de l’entretien

Repères Codes Extrait de la transcription BA : T :

BA : T :

BA : T :

BA : T :

[…] Légende : BA = repères de la bande audio (ex. : 00:00 - 00:25) T = repères de la transcription (ex. : p. 1, L. 1 à 16)

Procédure : - Codifier la transcription en utilisant la troisième grille de codification - Cibler seulement quelques extraits qui témoignent du plus haut niveau de compréhension atteint par l’élève

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Annexe D: Tableau de catégorisation des facteurs et des processus

Code de l’élève Prénom de l’élève Profil

1re partie de l’entretien

Repères Codes Extrait de la transcription BA : T :

BA : T :

BA : T :

BA : T :

[…] 2e partie de l’entretien

Repères Codes Extrait de la transcription BA : T :

BA : T :

BA : T :

BA : T :

[…]

Légende : BA = repères de la bande audio (ex. : 00:00 - 00:25) T = repères de la transcription (ex. : p. 1, L. 1 à 16)

Procédure : Codifier l’entièreté de la transcription en utilisant les première et deuxième grilles de codification et les tableaux qui leur ont été ajoutés.

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Annexe E: Fiche de résultats pour le facteur FL1 – Connaissance du stéréotype de l’agent double

No Nom de l’élève Profil de l’élève

Manifestation du facteur FL1? (Indiquer oui ou non)

É1 Cathy C Non

É2 Marc-Olivier C Non

É3 Maxime B Oui

É4 Shela C Non

É5 Marc-Étienne A Oui

É6 Camille A Oui

É7 Mathieu-A A Non

É8 Bianca A Non

É9 Mathieu-B C Non

É10 Mathieu-C C Non

É11 Louis-Philippe C Non

É12 Alex A Non

É13 Kristofer C Non

É14 Emma C Non

É15 Frédérique B Oui

É16 Jérémy C Non

É17 Florence A Non

É18 Samuel-A B Oui

É19 Mathias B Oui

É20 Érika-A B Oui

É21 Anthony C Non

É22 Érika-B C Non

É23 Kimberly B Oui

É24 Olivier-A A Non

É25 Simon C Non

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É26 Olivier-B C Non

É27 Pier-Olivier C Non

É28 Amélie C Non

É29 Alaa C Non

É30 Geneviève C Non

É31 Samuel-B B Oui

É32 Catherine C Non

É33 Noémie C Non

É34 Jean-Sébastien C Non

É35 Gabrielle C Non

É36 Pierre-Ulrick C Non

É37 Roxanne C Non

É38 Laurence C Non

É39 Guillaume C Non

É40 Cassandra C Non

É41 Hubert C Non

É42 Marc-André B Oui

É43 Philippe B Oui

É44 Rosalie C Non

Bilan de l’activation du stéréotype de l’agent double (FL1) par les élèves

Proportion d’élèves ayant activé la connaissance

Profil A 2/7 29%

Profil B 9/9 100%

Profil C 0/28 0%

Total 11/44 25%

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Annexe F: Fiche de résultats pour le lien entre les facteurs étudiés et les processus de compréhension activés

Facteurs étudiés (codes)

Processus activés (codes)

Liens probables entre les facteurs observés et les processus activés

FACTEURS COGNITIFS

FL1

FL2

FACTEURS TEXTUELS

FT1

FT2

FACTEURS CONTEXTUELS

FC1

FC2

FC3

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Annexe G: Profils de compréhension des élèves rencontrés

Numéro Nom de l’élève Profil de compréhension

É1 Cathy C

É2 Marc-Olivier C

É3 Maxime B

É4 Shela B

É5 Marc-Étienne A

É6 Camille A

É7 Mathieu-A A

É8 Bianca A

É9 Mathieu-B C

É10 Mathieu-C C

É11 Louis-Philippe C

É12 Alex A

É13 Kristofer C

É14 Emma C

É15 Frédérique B

É16 Jérémy C

É17 Florence A

É18 Samuel-A B

É19 Mathias B

É20 Érika-A B

É21 Anthony C

É22 Érika-B C

É23 Kimberly B

É24 Olivier-A A

É25 Simon C

É26 Olivier-B C

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145

É27 Pier-Olivier C

É28 Amélie C

É29 Alaa C

É30 Geneviève C

É31 Samuel-B B

É32 Catherine C

É33 Noémie C

É34 Jean-Sébastien C

É35 Gabrielle C

É36 Pierre-Ulrick C

É37 Roxanne C

É38 Laurence C

É39 Guillaume C

É40 Cassandra C

É41 Hubert C

É42 Marc-André B

É43 Philippe B

É44 Rosalie C

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