L'engagement dans les soins infirmiers : un enjeu de formation entre ...
Transcript of L'engagement dans les soins infirmiers : un enjeu de formation entre ...
-
1
COLE DOCTORALE
Laboratoire CIVIIC EA 2657
Centre interdisciplinaire de recherche sur les valeurs, les ides, les identits et les comptences en ducation et formation.
Lengagement dans les soins
infirmiers : un enjeu de formation
entre thique et sens
Thse prsente par
Vronique HABEREY-KNUSSI
Pour lobtention du grade de docteur s Sciences de lducation
Thse dirige par :
Monsieur Jean HOUSSAYE,
Professeur des Universits, Rouen, Directeur
Madame France JUTRAS,
Professeur, Universit de Sherbrooke, Co-directrice
Soutenue en 2013
-
INTRODUCTION GNRALE
2
-
INTRODUCTION GNRALE
3
VIVRE, CEST SENGAGER
Albert Camus
Nomie et Samuel,
-
INTRODUCTION GNRALE
4
-
INTRODUCTION GNRALE
5
REMERCIEMENTS
Mes premiers remerciements sadressent mon directeur de thse, le Professeur Jean
HOUSSAYE, pour la confiance et la libert quil ma accordes durant ce long voyage
de recherche et dcriture. Ses remarques toujours propos, ainsi que ses corrections
trs prcises mont t dune grande aide.
Un trs grand merci galement ma co-directrice de thse, Madame France JUTRAS,
pour ses encouragements bienfaisants, les orientations et les conseils aviss quelle a
pu me donner des moments cl.
Mes remerciements vont galement :
Aux chercheurs du laboratoire CIVIIC pour les multiples changes fructueux qui ont
contribu toffer cette rflexion.
lensemble des personnes, tudiants, enseignants et praticiens, qui mont accord
leur confiance en acceptant de participer un entretien. Je leur suis tout
particulirement reconnaissante pour leur franchise et leur implication.
mon collgue et ami, Jean-Luc Heeb, pour sa relecture critique et ses conseils
toujours trs prcieux, ainsi que pour toutes les discussions que nous avons pu avoir
et qui ont contribu alimenter bon nombre de penses dveloppes dans ce travail.
mes collgues de travail qui ont support mes absences et ont su mencourager
dans les moments plus difficiles.
Delphine Vantieghem pour sa rigueur et son professionnalisme dans la mise en
page de ce document.
Jexprime galement ma gratitude aux diffrentes personnes qui ont accept de faire
partie de mon jury de thse.
Un grand merci enfin toute ma famille, en particulier mon mari pour sa patience
et son investissement dans lombre, ma maman et mes enfants pour leur
comprhension et leur soutien.
Cette liste nayant pas de prtention lexhaustivit, je tiens saluer toutes les
personnes qui ont contribu, de prs ou de loin, la concrtisation de cette entreprise.
Quils en soient ici trs chaleureusement remercis !
-
INTRODUCTION GNRALE
6
-
INTRODUCTION GNRALE
7
SIGLES ET ABRVIATIONS
HES Haute cole Spcialise
HEP Haute cole Pdagogique
HES-SO Hautes coles Spcialises de Suisse Occidentale
ASSC Assistant en soins et sant communautaire
PF Praticien formateur
ASI Association Suisse des Infirmires
PEC Plan dtudes Bachelor (PEC : Plan dtude cadres), 2012.
TB Travail de Bachelor (travail de fin dtudes)
KFH Konferenz der Fachhochschulen
(confrence des recteurs des Hautes coles Spcialises)
ICUS Infirmire cheffe dunit de soins
ICS Infirmire cheffe des soins
Dans la partie des rsultats dentretiens les lettres sont comprendre comme suit :
E : tudiant-e
T : Enseignant-e (teacher)
P : Praticien-ne formateur-trice
-
INTRODUCTION GNRALE
8
-
INTRODUCTION GNRALE
9
SOMMAIRE SIGLES ET ABRVIATIONS .............................................................................................. 6
INTRODUCTION GNRALE ........................................................................................ 10
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE ...................................................... 15
CHAPITRE 1 LES SOINS INFIRMIERS : DHIER AUJOURDHUI .................. 17
CHAPITRE 2 - TRE SOIGNANT, UN DFI AU QUOTIDIEN ................................ 43
CHAPITRE 3 DE LTHIQUE LTHIQUE DES SOINS INFIRMIERS............ 55
CHAPITRE 4 - IDENTIT DU SOIGNANT ................................................................. 105
CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS .................................... 125
DEUXIME PARTIE : CADRE DE RFRENCE SPCIFIQUE ............... 153
CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAONN PAR LVOLUTION SOCITALE .... 157
CHAPITRE 7 : LTHIQUE DE LENGAGEMENT : ENTRE LES SOINS ET LE
MANAGEMENT ................................................................................................................ 169
CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE LENGAGEMENT ............. 179
CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RFLCHI.............................................. 199
CHAPITRE 10 : DU PROBLME LA THSE ........................................................... 211
TROISIME PARTIE : MTHODOLOGIE .................................................................. 227
CHAPITRE 11 : DU MODLE AUX HYPOTHSES ................................................... 229
CHAPITRE 12 : CADRE DE RFRENCE ET MTHODOLOGIQUE ................... 243
CHAPITRE 13 : OPRATIONNALISATION ............................................................... 253
CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISS POUR LE RECUEIL DE DONNES261
CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS ........................................... 269
CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU ................................................................. 275
CHAPITRE 17 : VALIDIT DE LA RECHERCHE ...................................................... 289
QUATRIME PARTIE : RSULTATS ET ANALYSES ................................. 293
CHAPITRE 18 : RSULTATS DU QUESTIONNAIRE .............................................. 295
CHAPITRE 19 : RSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS DENTRETIENS ...... 305
CHAPITRE 20 : RSULTATS DE LANALYSE LINAIRE ....................................... 425
CHAPITRE 21 : SYNTHSE DES RSULTATS .......................................................... 461
CHAPITRE 22 : DISCUSSION ........................................................................................ 487
CONCLUSION GNRALE ............................................................................................ 525
CINQUIME PARTIE : ANNEXES ........................................................................ 553
-
INTRODUCTION GNRALE
10
ANNEXE A : LISTE RCAPITULATIVE DES ANNEXES ........................................ 555
ANNEXE B : BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 781
ANNEXE B 1 : OUVRAGES GNRAUX ..................................................................... 827
ANNEXE B 2 : ARTICLES ................................................................................................ 850
ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET ................................................................... 859
ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE RECHERCHES .................... 860
ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RFRENCES ....................................................... 861
ANNEXE B 6 : CONFRENCES ...................................................................................... 862
ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISS ............................. 863
ANNEXE C : TABLE DES MATIRES ........................................................................... 865
-
INTRODUCTION GNRALE
11
INTRODUCTION GNRALE
L engagement infirmier cest ce don de
toute notre personne (tudiante).
Embrasser la profession infirmire, cest dj sengager
et quand on sengage, on fait don de sa personne (Infirmier) .
Dans le Rfrentiel europen des comptences infirmires on se contentera
dvoquer la premire comptence qui sintitule : grer des ressources et
connaissances professionnelle en vue de sengager dans un dveloppement
professionnel (Annexe 6, p.7).
Le nouveau programme dtudes cadres des tudes infirmires en Suisse
mentionne, quant lui, propos des infirmires : elles/ils dmontrent un
engagement envers les individus, la socit et l'environnement par une pratique
respectueuse de lthique (Annexe 4, p.19).
Quen est-il de la nature de cet engagement qui semble quasi consubstantiel aux
soins infirmiers, si lon en croit ces citations ? Sagit-il dune rminiscence dune
longue tradition religieuse dans laquelle la profession soignante est inscrite, ou bien
cet engagement revt-il de nouvelles formes dexpression, rsultats de multiples
volutions sociales, politiques et conomiques ?
Au niveau des formation en soins infirmiers, on attend de ltudiante1, surtout
en fin de formation, quelle se soit dveloppe selon les critres imposs par le
rfrentiel de comptences, cest--dire quelle sache se positionner comme
professionnelle, rflchir et agir comme telle. Ainsi, on sous-entend que ltudiante
puisse sengager pleinement dans la profession ayant acquis des comptences, des
capacits et une certaine identit professionnelle. Lexpression de ces acquis se
manifestant dans le prendre soin du patient.
Actuellement, de nombreux crits scientifiques retracent les difficults des
soignants dans lexercice de leur profession. Face la charge de travail croissante,
1 tant donn la prdominance du sexe fminin dans la profession infirmire, nous parlerons au genre fminin, tout en incluant la gente masculine.
-
INTRODUCTION GNRALE
12
aux contraintes administratives grandissantes et aux nouveaux modes de gestion,
linfirmire doit toujours davantage limiter ce qui fonde en grande partie son identit,
cest--dire son rle propre. Son engagement se limite de plus en plus lexcution
dun rle prescrit, ce qui remet parfois en cause son thique personnelle et
professionnelle, et, par l mme occasion le sens mme de son activit, comme
fondement de son engagement.
Lobjet de cette thse se veut dlibrment pluriel. Il sagit dabord de mieux
cerner les diffrentes facettes de ce phnomne dengagement, en particulier dans sa
dimension thique, mais galement de comprendre son rle dans la profession
infirmire et didentifier les conditions favorables un accompagnement des
tudiants et tudiantes dans la construction de leur engagement professionnel durant
leur formation.
Dans le but de rflchir aux diffrentes possibilits permettant le
dveloppement de lengagement durant la formation en soins infirmiers, il nous a
paru essentiel dexaminer, dans un premier temps, les diffrentes dimensions du
contexte gnral dans lequel sincarne cette rflexion, avant daborder plus
spcifiquement la notion dengagement elle-mme. La premire partie de la thse a
donc comme objectif de cerner lhistoire et la nature du champ des soins infirmiers,
les fondements thiques, moraux et dontologiques sur lesquels se fonde
lengagement infirmier, ainsi que le cadre pdagogique, social et institutionnel dans
lequel il sinscrit, avec la mise en vidence de son impact au niveau identitaire. La
seconde partie, de nature conceptuelle, cible plus prcisment la notion
dengagement cherchant, au travers de son inscription pistmologique, historique et
sociale, mieux apprhender cette notion pour la mettre en dialogue avec les soins
infirmiers et la dimension dengagement qui habite cette profession. Le
dveloppement de ces fondements thoriques et contextuels nous a permis de
dvelopper une problmatique cohrente, construite autour de la comprhension de
lengagement professionnel et des modalits daccompagnement pdagogique que ce
dernier requiert en vue de lexercice de la profession soignante.
Prenant appui sur ces deux premires parties plus thoriques, nous avons
labor un modle en vue de laccompagnement la construction de lengagement
-
INTRODUCTION GNRALE
13
professionnel en formation, la lumire des lments qui linfluencent. Cela nous a
conduite poser les objectifs de recherche suivants :
Mettre en vidence le rle central de lengagement de linfirmire en
formation et sa dimension thique dans la relation lAutre, tout
particulirement dans la relation cet Autre vulnrable qui est le
bnficiaire de soin ;
Examiner les concepts voisins qui permettent de mieux cerner la notion et
qui pourraient tre mobiliss dans la construction dun enseignement sur le
sujet ;
Mettre en relief le bien-fond dun enseignement spcifique et structur sur
le sujet de lthique de lengagement dans une perspective de
dveloppement professionnel et personnel alliant construction de soi,
rapport autrui et la profession, construction identitaire.
Dans le but datteindre ces objectifs, nous avons ralis une petite enqute
quantitative, sous la forme de questionnaires anonymes avec comme objectif
dobtenir une premire vue densemble du phnomne. Cette phase a t suivie
dune recherche qualitative constitue, quant elle, de quarante-quatre entretiens
mens sur le mode semi-directif avec une vise hermneutique. Par cette seconde
phase nous avions le souhait de pouvoir apprhender le sujet de faon la plus
exhaustive possible en approfondissant la comprhension du phnomne. Les
entretiens ont t analyss dans leur globalit de manire transversale selon la
mthode de lanalyse thmatique, et pour six dentre eux, de manire linaire
galement. Le dispositif de recherche labor a permis de cerner la pertinence dune
rflexion et dun accompagnement la construction de lengagement. Les lments
appropris, de mme que les imperfections et les manques prsents dans le modle
propos ont ainsi pu tre mis en vidence et la rflexion sur ce schma approfondie.
Les rsultats obtenus sont la base de nouvelles propositions de
cheminements pdagogiques possibles, offrant la possibilit daccompagner
ltudiante vers lapprivoisement de cette notion complexe mais essentielle sa
future pratique professionnelle.
-
INTRODUCTION GNRALE
14
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
15
PREMIRE PARTIE :
CADRE THORIQUE
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
16
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
17
CHAPITRE 1 LES SOINS INFIRMIERS : DHIER
AUJOURDHUI
1.1 La profession infirmire ou le rsultat dune longue
histoire
Les soins infirmiers sont reconnus aujourdhui comme profession. Ils ont gagn
cette reconnaissance sociale au terme dune longue volution, marque par des
influences importantes de lhistoire.
Le terme infirmier, dans son origine premire se rfre lenfer, le lieu den bas,
puis prend la connotation de mauvais, malsain avant de caractriser ceux qui
soccupent des exclus, des enferms , puis des infirmes (Nadot, 2002).
Les infirmires sont le point de rencontre entre la charit, la mdecine et lEtat-
Providence. Jusquau XVIe sicle, les infirmires ne sont pas seulement dvoues aux
malades mais aussi tous ceux qui sont dans la pauvret et la misre. Cest dans ce
contexte que Foucault dcrit le grand enfermement (Foucault, 1972). Ce nest
quaprs la rvolution que la mdecine entre enfin vritablement lhpital, crant
par le mme coup une vision diffrente : celle de gurir une maladie organique
prcise alors que les infirmires, prsentes jusque-l dans linstitution, avaient
davantage comme objectif de soutenir et aider un malade dans sa dchance (Dubet,
2002).
Les soins infirmiers sont interdpendants de lvolution de la mdecine dont ils
commencent seulement smanciper un tant soit peu.
Pendant trs longtemps, linfirmire a occup un rle dexcutante auprs du
mdecin. Celui-ci tait charg de diagnostiquer les pathologies, de dicter les soins
appropris et ceux-ci taient ensuite appliqus par les infirmires.
Florence Nightingale joua incontestablement un rle essentiel dans le dveloppement
de la profession telle que nous la connaissons aujourdhui. Grce elle, les soins
transitent peu peu du paradigme confessionnel vers le paradigme professionnel.
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
18
Investie aux cts des soldats dans la guerre de Crime, elle reste marque par son
service au chevet des soldats blesss, elle a pris conscience de la ncessit de
structurer la profession infirmire. Son haut niveau dducation (avant de se former
comme infirmire, son pre lui impose une premire formation de mathmaticienne
et statisticienne), lui confre une reconnaissance et un respect particulier. Convaincue
que lducation forme le caractre, elle enclenche alors de nombreuses rformes et
restructurations. Ds le dpart, elle affirme la ncessit pour les soins de se doter
dun fondement thorique solide. Elle mit un terme la vision trs rductrice de
linfirmire dvoue corps et me, mais sans relle capacit de rflexion propre et
concentra au contraire son nergie faire valoir une vision de linfirmire qui soit
effectivement entrane donner des soins, mais qui soit galement, fait totalement
nouveau, implique dans les rformes au niveau politique.
Au mme moment que Nightingale met en place la structure ncessaire pour
duquer les infirmires en Angleterre, Valrie de Gasparin uvre en Suisse. Elle
considre le mouvement religieux comme une forme dinfantilisation des soignantes
et cr, avec son poux, une cole laque le 20 juillet 1859 Lausanne : lcole La
Source, la premire cole de soins infirmiers laque au monde. De par ses relations
proches avec Henry Dunant, son cole sera trs inspire du service de sant des
armes, la Croix-Rouge. (Nadot, 2002).
Aprs Nightingale et De Gasparin, il faudra encore de nombreuses annes pour
que linfirmire puisse parler ouvertement des soins. Nanmoins la brche est
ouverte et son influence a ouvert la porte au dveloppement du concept de sant
publique tel que nous le connaissons actuellement. Il y eut encore de nombreux
vnements qui modifirent ce schme de la profession. Notons linfluence des
diffrentes guerres, puis dans la seconde moiti du XXe sicle, les grandes avances
mdicales, en termes de possibilits chirurgicales, techniques, mdicamenteuses,
mais galement limpact des mouvements de libration fministes autant de
facteurs indpendants mais qui ont chacun contribu modifier les soins dans une
certaine mesure. Le dbut du XXe sicle a marqu le dbut de la professionnalisation
mais aussi de lenseignement infirmier. Jusquau dbut du XXe sicle, on avait
coutume de penser que les comptences ncessaires aux soignants taient plutt
dordre moral : charitable, bon, dvou, obissant Lonie Chaptal insistait sur la
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
19
ncessaire instruction technique des infirmires mais surtout sur leur formation
morale comme le dmontrent les ouvrages de rfrence de cette poque.
Au lendemain de la premire guerre mondiale, ltat du pays appauvri,
exsangue, aux prises avec de graves difficults publiques telles que la tuberculose, les
nombreux blesss, la misre contribue encourager la formation de cette nouvelle
fonction sociale qui sincarne dans un vritable mtier de soin et daide aux
ncessiteux : celui de linfirmire. cette poque encore
le rle de l infirmire hospital ire est de servir le malade en veil lant
constamment sur tout ce qui l entoure, et principalement en secondant
assidment et docilement le mdecin Son rle est celui dune mre et
dune sur (Duboys-Fresney & Perrin, 1996, p.19).
Jusque-l les infirmires nont pas de reconnaissance statutaire. Le titre
d Infirmire diplme dtat apparat en 1923. Le chemin vers la
professionnalisation est entam mais la route est difficile pour se librer du modle
charitable et religieux, mme si la seconde guerre mondiale aide les infirmires en
montrant dune part leur capacit prendre des responsabilits et assumer leur
devoir et dautre part, le caractre profondment utile de la profession (Dubet, 2002).
Les infirmires deviennent des ambassadrices de lhygine publique et sociale.
Le 7 juin 1925, lAssociation nationale des infirmires de ltat franais (ANIDEF)
voit le jour.
Aprs la seconde guerre mondiale, le processus de professionnalisation se met
en place petit petit pour aboutir la fin du mme sicle lmergence de la
discipline des soins infirmiers ainsi que dun corps professionnel. Le 15 juillet 1943
une loi est promulgue qui rglemente la profession infirmire.
Le Conseil international des Infirmires propose ds 1953 un Code de
dontologie international.
En Angleterre et en Amrique o cet hritage religieux est nettement moins fort,
des avances dcisives se font par lintermdiaire dinfirmires thoriciennes
inspires : Henderson, Peplau, Orem On ne comprend plus le soin comme une
simple rponse la maladie mais comme un ensemble de mesures mettre en uvre
dans une situation concrte. Il faut soigner le malade en tenant compte, avant tout,
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
20
de son environnement et non pas seulement de sa maladie. Le concept de relation
daide commence tre pris au srieux, soutenu par Virginia Henderson qui
dmontre lintrt de prendre en compte cet aspect pour lquilibre et le processus de
sant du patient. Hildegarde Peplau mettra un peu plus tard en vidence, le fait que
la relation thrapeutique constitue un processus qui permet au patient de se
dvelopper et de gurir sil est men avec comptence. Pour Dorothea Orem, il est
indispensable au dveloppement de lautonomie du patient, tandis que pour Roy, la
relation daide permet ladaptation du patient sa situation. Selon Martha Rogers,
ltre humain est en devenir, il se construit peu peu et linfirmire joue un rle
essentiel pour laider mobiliser des ressources quil nenvisage peut-tre pas encore
mais qui vont laider dans ce mouvement dvolution.
Linfirmire a encore un rle dexcutante mais ces nouvelles conceptions
thoriques commencent linfluencer et elle gagne en responsabilit. Elle se dote de
connaissances plus toffes quelle doit pouvoir mobiliser (Magnon, 2006).
Le rle psychologique et moral des infirmires auprs des malades commence
tre mieux pris en considration.
Avec ladoption, en 1978, par lOrganisation Mondiale de la Sant de la
dfinition dHenderson sur le rle propre, la profession infirmire connat un
renouveau.
Ce rle propre fait lobjet de toutes les discussions, recherches et controverses.
Son unit est relativement difficile dans la mesure o il prend en compte le double
hritage de la profession (le modle charitable et le modle mdico-technique). Il
tente de concilier ce double hritage pour en faire un terrain spcifique.
Lart vocationnel de la compassion et de lamour de lautre doit tre
transform en activit rationnelle par la dmarche de qualit des soins
et par la gestion de relations de travail complexes (Dubet, 2002, p.201).
Les infirmires ne veulent tre ni des surs de charit affubles dune image
dpinal pesante, ni des expertes scientifiques et encore moins de simples auxiliaires
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
21
du monde mdical.
Cette volution met un terme aux soins parcelliss et excuts, jusque-l, plus
ou moins en srie. Cette nouvelle conception des soins place le patient au cur de
lacte soignant et justifie la mise en place de la dmarche de soins, mthode
scientifique de rsolution de problmes qui aide linfirmire analyser,
comprendre, valuer les problmes du patient et mettre en place les actions
adquates, en sengageant car pour pouvoir rsoudre efficacement un pr oblme,
il faut simpliquer et croire ce que l on fait (Benner, 1995, p.189). ce
moment-l, limportance de lcrit prend aussi une autre dimension et les soignants
sont appels rdiger des dossiers comportant les indications ncessaires au bon
suivi thrapeutique du patient.
LAmrique du nord a t un pas plus loin, en confiant des responsabilits
importantes aux infirmires, lgitimes par plusieurs tudes menes dans les annes
1960-1975. Ces tudes dmontraient la capacit des infirmires prendre en charge
certains domaines de manire autonome et elles obtinrent en consquence certaines
responsabilits en termes de pose de diagnostics et de certaines autorisations de
prescription, ce qui reste chez nous lapanage des seules sages-femmes.
Le mouvement des rformes infirmires donne naissance, en France, deux
mouvements qui semblent contradictoires. Lun conduit la spcialisation, pouss
par le progrs dans les techniques mdicales, alors que lautre sintresse davantage
au processus de sant.
Les spcialisations en soins infirmiers dans les domaines des soins intensifs, de
lanesthsie ou de la clinique, ont eu des impacts importants tant sur le versant
ducatif des soins, que sur le versant de la pratique dans les systmes de sant.
Laccent mis sur le processus de sant permet de faire valoir une nouvelle
autonomie de linfirmire.
En effet, avant les annes 70, les manuels utiliss dans les instituts de soins
infirmiers, comportent des cours de morale sur les qualits humaines que les
soignantes doivent possder et lobligation dagir selon ses principes moraux.
Cependant le mouvement de mai 1968 va avoir des effets bnfiques sur la
profession qui en profitera pour smanciper de ce carcan de religiosit qui va de pair
avec la charit et la dvotion.
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
22
Les infirmires reoivent un rle plus gratifiant de dlgu du mdecin et
obtiennent laccs la ralisation des soins techniques. En 1972, linfirmire nest plus
auxiliaire mdicale mais devient ducatrice de sant, restant cependant au service du
mdecin.
Cest en 1978 quapparat enfin ce que lon nomme aujourdhui le rle
propre ou rle autonome de linfirmire et qui constitue le fondement de son
identit professionnelle propre. Cette zone dautonomie joue en effet un rle crucial
dans le dveloppement de lidentit professionnelle.
Les soignants partent la recherche de leur vocation originelle, celle de soigner
et prendre soin. Ce nest quen 1983 que ladjectif infirmier sera accept dans la
langue franaise par le grand dictionnaire encyclopdique Larousse (Magnon, 2006,
p.45).
Le poids de cette longue histoire est perceptible encore aujourdhui dans la
manire peu convaincante quont les infirmires de saffirmer.
1.2 Nature des soins infirmiers
Depuis plus dun sicle, les infirmires tentent de dfinir qui elles sont, en
dlimitant leur discipline et en dcrivant leurs activits.
La discipline infirmire, bien que professionnelle par vocation, dispose aussi
dune volont de conceptualiser ce qui la caractrise, en laborant les connaissances
et en explicitant les comptences ncessaires.
Pour comprendre la nature des soins infirmiers, il est ncessaire de sarrter sur
quatre concepts de base (Fawcett, 1984) qui prvalent dans la discipline infirmire et
qui sont : lenvironnement, la sant, la personne et les soins. Ces quatre concepts
taient dj sous-jacents dans les crits laisss par Florence Nightingale (Krouac et
al., 2003, p.2).
Par lenvironnement, on entend tout ce qui gravite autour de nous, lments
physiques, psychologiques, sociaux ou spirituels qui nous influencent de faon
directe ou indirecte, dans notre dveloppement, nos relations, nos comportements et
peuvent, parfois, tre source de dsquilibre.
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
23
En ce qui concerne la sant, la dfinition pose par lOMS est trs exigeante et se
veut le reflet de la pense socitale qui la fonde. Dfinie comme un tat de
complet bien-tre , la sant est donc en opposition totale avec la maladie qui lui
porte atteinte et la trahit. La maladie reprsente ce flau combattre qui nous
empche de grandir, de nous dvelopper et de nous panouir. Pour la combattre, il
faut laide de la personne.
Au cur du soin, la personne est conue comme un tre bio-psychosocial et
spirituel en interaction constante avec son environnement, dote dune conscience,
de certaines facults mais ncessitant laide dautres personnes dans des situations
prcises.
Cette aide peut tre apporte par les soins infirmiers, centrs sur la sant et
visant rtablir lquilibre perdu avec celle-ci. On distinguera les soins de nursing,
les soins de prvention, les soins dits aigus, cest--dire curatifs, les soins palliatifs et
les soins de rhabilitation.
Diffrents modles de soins infirmiers, enseigns aujourdhui encore, ont vu le
jour dans les annes soixante-dix, proposant des approches trs diverses pour
aborder les soins. Ce sont des modles trs riches qui ont permis de dvelopper
grandement le rle propre et de faire merger une conception du soin qui influence
encore aujourdhui notre comprhension de la profession. Ils restent nanmoins
relativement complexes et intensifs dans leur utilisation.
Ces quatre concepts de personne, sant, soins et environnement sont rests
inchangs dans leur dfinition, mais leur comprhension a volu avec la
comprhension des phnomnes au niveau socital, et sest modifie au rythme de
diffrents paradigmes qui ont marqu la profession infirmire durant plus dun
sicle.
En effet, des thoriciennes de soins infirmiers, parmi lesquelles Collire,
Henderson, Orem, Watson, Peplau et Parse pour nen citer que quelques-unes, ont
mis en vidence diffrentes philosophies, et avec elles aussi diffrents paradigmes
qui ont eu, et continuent davoir une influence notable sur la pratique infirmire
(Krouac et al., 2003). Ces paradigmes influencent lactivit soignante sans mme que
nous en soyons forcment toujours conscients. Ils voluent avec le temps et
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
24
linteraction dautres disciplines.
Ainsi les soins infirmiers ont tout dabord t marqus par le paradigme de la
catgorisation, selon lequel il est possible de diffrencier des lments, de les classer
et de trouver des causes ( certaines pathologies). La sant publique, avec son
orientation sur la prvention ainsi que les pratiques mdicales sont largement bases
sur ce paradigme.
Dans ce contexte de catgorisation, nous retrouvons les quatre concepts cl avec
une comprhension qui lui est lie. La personne est alors un ensemble que lon peut
diviser en entits distinctes. Lenvironnement est extrieur la personne et on lui
accorde surtout une influence ngative, la sant est extrmement prise et les soins
sont orients vers la rsolution de problmes. Linfirmire tente de rsoudre les
particularits qui gnrent la pathologie et le manque dautonomie du patient.
Le paradigme qui suit est celui de lintgration qui, quant lui, se centre sur la
personne. Selon cette conception, la personne nest plus considre pour ses parties
mais comme formant un Tout, gal la somme de ses parties, avec des composantes
biologiques, psychologiques, sociales et spirituelles. Lenvironnement nest plus
seulement le contexte familial ou naturel, mais lensemble des vnements qui
influent sur le patient (contexte politique, historique, culturel) et son impact nest
plus forcment ngatif ni uniquement orient vers la personne, mais sexprime
davantage dans la rciprocit. La sant nest plus un absolu mais un but idal vers
lequel on doit tendre sans pour autant occulter la maladie avec laquelle on doit
trouver un quilibre. Les soins visent alors maintenir cet quilibre, ils offrent la
personne ce dont elle a besoin pour tendre vers lidal en exerant un rle de
prvention, de conseil et accordent galement une attention toute particulire aux
besoins relationnels et psychologiques.
Les modles conceptuels sont largement inspirs de cette orientation centre sur
la personne plutt que sur la pathologie.
Krouac (2003, p.15), citant Gortner rappelle que dans les annes cinquante, la
vocation premire des soins infirmiers relve encore de la charit et de
laccompagnement.
Aprs 1960, on sloigne de cette pense encore trs empreinte du pass
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
25
religieux de la profession, pour sengager dans une volution et une amlioration des
soins, en dveloppant le savoir spcifique aux soins (Gortner, 2000). Les conditions
de travail voluent dans le mme temps et le personnel des hpitaux est de mieux en
mieux form, ce qui permet la mise en place dun vritable travail en quipe, qui
demeure certes encore orient vers la tche plus que vers la personne (Petitat, 1989).
Il faudra attendre la fin des annes soixante-dix pour que le paradigme dintgration
influence largement la pratique et que les soins se centrent davantage sur la personne.
Cependant avec lvolution de la socit, les progrs de la mdecine et le
vieillissement de la population, les soins voluent galement et ouvrent la porte au
troisime paradigme, celui de la transformation. Vers la fin des annes soixante-dix
et le dbut des annes quatre-vingt la configuration mondiale change. Les frontires
souvrent entranant des changements trs importants dans le domaine socio-culturel.
Cest alors la thorie des systmes qui prvaut, le monde tant considr comme un
vaste systme dont les lments sont en interaction constante (Morin, 1990).
Dans le paradigme de la transformation, le changement est peru
comme perptuel : l interaction de phnomnes complexes est perue
comme le point de dpart dune nouvelle dynamique encore plus
complexe. Il sagit dun proces sus rciproque et simultan
dinteraction (Krouac et al., 2003, p.20).
Introduit par Rogers en 1970, ce paradigme inspire les thoriciennes les plus
rcentes et modifie nouveau la comprhension des quatre concepts cl.
La personne nest plus un Tout gal la somme de ses parties, mais suprieur
celle-ci et unique dans sa manire dtre au monde et en relation avec celui-ci. Elle
devient presque en symbiose avec lenvironnement qui, pour le coup, cesse dtre un
lment fondamentalement extrieur, mais devient lunivers dans son ensemble avec
lequel la personne est en constante interaction. La sant englobe prsent la
personne mais aussi lenvironnement qui linfluence largement. On cherche la
promotion du bien-tre, tout en essayant, lorsque la maladie survient, dy trouver un
sens et de grandir au travers delle. Linfirmire cherche promouvoir cet tat
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
26
dquilibre par le soin, en se centrant sur la personne, son rythme et ses besoins
propres dans une relation marque par lthique et la sollicitude.
Or ce dernier paradigme est aussi marqu par la perspective holiste qui veut
que soient pris en compte, le corps, lme et lesprit. Cest dans cette vision que
devraient sexercer les soins infirmiers aujourdhui.
Dans leur pratique, les infirmiers et infirmires sont toujours influencs par lun
de ces paradigmes. Toutefois les relations entre les diffrents concepts ainsi que la
comprhension de ceux-ci divergent selon le paradigme retenu. Si nous ne prenons
pas le temps de nous arrter pour rflchir ce qui nous influence, nous ne pouvons
pas non plus prtendre exercer des soins rflchis et cohrents (Dallaire, 2008).
Selon Krouac et al. (2003), il est possible de regrouper les conceptions de la
discipline infirmire en six coles, en vertu de leurs bases philosophiques,
scientifiques et leurs concepts cls. Il sagit des six coles suivantes : lcole des
besoins, de linteraction, des effets souhaits, de la promotion de la sant, des
patterns et du caring .
noter que la notion de conception ne rfre pas forcment un modle
conceptuel mais
elle est considre ainsi pour la profession infirmire lorsquelle est
complte et explicite. Une conception est complte et explicite quand la
thoricienne a formul des noncs pour chacun des lments suivants :
les postulats et les valeurs la base de la discipline ; le but du service
infirmier ; le rle de linfirmire professionne lle ; la faon de considrer
le bnficiaire du service; la source des difficults que peut rencontrer
le bnficiaire ; la faon dont sont menes les interventions infirmires
et les effets recherchs (Krouac et al., 2003, p.30).
Ces modles conceptuels offrent une perspective dans laquelle peuvent se
dvelopper et sinscrire de nouvelles connaissances utiles la pratique.
Lcole des besoins a comme vocation de dfendre les besoins de la personne et
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
27
de dcrire le rle infirmier en fonction de ceux-ci. Le but est lindpendance de la
personne et pour se faire, linfirmire essaie de donner satisfaction aux besoins que la
personne ne peut remplir par elle-mme. Lindpendance souhaite par Virginia
Henderson au travers des besoins fondamentaux se trouve galement en ligne de
mire avec le principe des auto-soins compenss de Dorothea Orem.
Selon lcole de linteraction, le soin est un processus interactif entre
une personne ayant besoin daide et une autre capable de la lui of frir.
Afin dtre en mesure daider, l infirmire doit clarifier ses propres
valeurs, simpliquer de faon thrapeutique et sengager dans le soin
(Krouac et al., 2003, p.37).
On retiendra lcole des effets souhaits qui recherche combler les besoins des
patients par des effets cibls des soins infirmiers. Callista Roy a, par exemple,
conceptualis ces effets autour de la notion dadaptation de la personne en
interaction avec des impacts extrieurs : les stimuli. Dans cette ligne se dveloppe
un courant de pense qui met en exergue lide de promotion de la sant.
Les thoriciennes de lcole de la promotion de la sant mettent
laccent sur lapprentissage de la sant, qui devient une nouvelle faon
de vivre, dapprendre, de se dvelopper et dassumer des
responsabilits (Krouac et al., 2003, p.43).
Mais, lvolution continue et si la conception holistique du soin a gagn toutes
ses lettres de noblesse, cest en grande partie grce aux thoriciennes de lcole des
patterns. Cette cole a vu le jour sous le paradigme de la transformation et linfluence
de la thorie des systmes est notable.
Inspire par lide de Martha Rogers (1970) selon laquelle la sant et
la maladie sont des expressions du processus de vie et ne sont ni
opposes ni divises, Newman (1992, 1994) propose une thorie de la
sant qui serait lexpansion de sa conscience. (Krouac et al., 2003, p.47).
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
28
Selon cette perspective, lhomme se ralise et se dveloppe en sant. La maladie
nest pas oppose la sant mais constitue un cheminement qui a pour but de
lamener plus loin. Parse (1998) a repris cette ide du dveloppement humain sur un
continuum sant-maladie en parlant de lhumain en devenir , en relation
dialogique avec le monde.
Une autre cole, proche de nous galement dans le temps, sintitule lcole du
caring. Cette cole fonde sa pense sur lide que tout tre humain dispose lui-mme
dun potentiel. Elles mettent laccent sur la spiritualit (Watson, 1997) et la culture
(Leininger & Mc Farland, 2002).
Selon la philosophie empreinte dhumanit (Human Caring) de Jean Watson, le
soin est lexpression de lamour inconditionnel de soi et des autres ncessaire au
dveloppement de lhumanit. Les soins infirmiers sont dvelopps sur cette base de
la relation entre les hommes et entre lhomme et Dieu.
Par des tudes approfondies de ces concepts, certains auteurs ont relev des
notions trs similaires dans les diffrentes conceptions de soins. De cette lecture
multiple, Krouac propose dextraire les traits principaux regroups sous ce quelle
nomme le centre dintrt de la discipline infirmire (Krouac et al., 2003,
p.75). Le soin ne se limite pas la seule gographie du corps malade mais englobe
tout lunivers social, psychologique et spirituel du patient. Le soignant est avant tout
dans une posture daccompagnement, do lintrt des quatre concepts de base :
personne, sant, soin, environnement. Dj dans le terme de personne, il ne saurait
tre uniquement fait rfrence lindividu malade mais bien davantage lindividu
comme part constitutive dun ensemble ; quil sagisse de la famille, du groupe ou
encore de la communaut. De la mme manire, lenvironnement comprend un
champ personnel (psychologique, gntique), ainsi quun champ extrieur
constitu du contexte social, politique, conomique, ducationnel Lexprience de
sant sinscrit dans ces diffrents univers et part du simple problme pathologique
pour souvrir de manire beaucoup plus large aux expriences de dveloppement et
de croissance personnelle (Fawcett, 1995).
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
29
Lpistmologie du savoir infirmier fait lobjet de nombreuses publications
durant ces dernires annes. Le savoir, en tant que processus de construction sociale
de la connaissance dans un domaine particulier, ici celui des soins, ncessite un
approfondissement pour connatre la vritable nature du soin. Exprim par des
actions professionnelles, il tente de rpondre la complexit des soins de notre
socit.
Carper (1978) considre comme lune des personnes phare des soins infirmiers
a distingu quatre domaines dans le savoir infirmier : le savoir personnel, cest--dire
la connaissance de la personne, de soi comme des autres, le savoir esthtique ou lart
des soins avec la prcision du geste, le savoir thique, cest--dire la dimension de
jugement dordre moral du savoir ainsi que le savoir empirique avec sa dimension
scientifique dexploration et dexplication du monde.
La pratique se centre sur le soin prodigu la personne qui, en
interaction continue avec son environnement, vit des expriences de
sant. Les caractrist iques inhrentes au soin, quant elles, dcrivent
de manire succincte le comment de la pratique infirmire .
Les caractristiques sont des notions importantes qui dcrivent la
nature des soins infirmiers et qui sont lies leur caractre
fondamental (Carper, 1978, p.88).
Le tableau qui suit prsente ces caractristiques de manire plus dtaille.
TABLEAU 01 : LES CARACTRISTIQUES DU SOIN (KROUAC ET AL. 2003)
Caractristique
du soin Action infirmire
Place et rle du
patient
Caract. 1 linfirmire fait preuve dun engagement personnel et professionnel lgard du patient
Le caractre profondment humain de la personne soigne est reconnu, quel que soit son tat
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
30
Caractristique
du soin Action infirmire
Place et rle du
patient
Caract. 2 Linfirmire rencontre le patient en toute authenticit, en respectant sa dignit et donc ses valeurs
La personne est reconnue dans son autonomie de pense
Caract. 3 Linfirmire soutient et valorise les capacits et ressources propres la personne
Le dveloppement personnel du patient est favoris au travers de son exprience face la maladie
Caract. 4 Linfirmire dveloppe un savoir et des connaissances spcifiques la discipline infirmire. Elle sappuie sur la vision holistique et humaniste du soin et de la personne
Caract. 5 Linfirmire a recourt dautres disciplines et dautres savoirs orientent son action qui enrichissent les soins : physique, statistique, psychologie. Les soins infirmiers se trouvent lintersection de trs nombreuses disciplines dont ils sinspirent et se nourrissent
Caract. 6 Linfirmire dispose dun savoir pratique sur les possibilits daction et dintervention dans des contextes de soins multiples
Caract. 7 Linfirmire se laisse interpeller par la situation particulire du patient quelle soigne avec authenticit
la personne se sent soutenue et peut donc mieux simpliquer dans un choix thrapeutique
Caract. 8 Linfirmire assure le dveloppement de ses comptences en ayant un esprit dinnovation tant dans les techniques de soin que dans la prise en charge en gnral
Caract. 9 Linfirmire dveloppe la pense sur sa discipline de faon continue car celle-ci va orienter sa manire denvisager le soin au travers des valeurs et des convictions quelle vhicule
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
31
Les diffrents modles qui ont t proposs par les thoriciennes mettent tous
laccent sur limportance de considrer la personne soigne comme un tout dans son
environnement bio-psycho-social et spirituel et cette conception se retrouve bien
dans les caractristiques de la pratique infirmire prsentes ci-dessus.
Le recueil de donnes soutient le projet thrapeutique et doit donc pouvoir
sappuyer sur cette mme conception holiste, en faisant rfrence des modles
conceptuels, permettant ainsi dapporter des rponses la complexit des situations
de soins.
Idalement, le plan de soin est ensuite labor avec le patient lui-mme et
demande tre constamment revisit, rvalu et rajust pour que les actions
infirmires qui en dcoule soient adquates.
Ces actions sont structures partir dune dmarche de soins concrte et
spcifique, organise partir dun processus rflchi qui soriente la fois sur les
fondements conceptuels prcits et sur le principe de rsolution de problme
permettant de proposer les interventions appropries.
Lactivit infirmire nest pas inne, elle ncessite savoir et rflexion et son
impact sur la vie des personnes peut tre extrmement grand. Les diffrents modles
infirmiers qui ont t proposs mettent tous laccent sur la globalit de la prise en
charge. Cela vient du constat, fait maintes reprises, de la ngation de dimensions
essentielles qui chappaient aux soignants. lre de la technicit, cest avant tout la
dimension compassionnelle qui a t nglige.
Le processus de rflexion et danalyse permet linfirmire de mieux prendre
conscience de ces dimensions plus discrtes, de se perfectionner et davancer pas
aprs pas dans lexpertise de sa profession. Lanalyse critique et le jugement clinique
sont trs fortement lis et font appel la dimension cognitive du soin et aux capacits
rflexives des infirmires (Marchal & Psiuk, 2002). Engage dans un processus
rflexif, la dmarche de soins exige du soignant davoir des connaissances diverses
importantes ; des comptences techniques, relationnelles, de rflexion et danalyse.
Etre capable daccompagner une personne dans son cheminement suppose une
facult de jugement et danalyse qui permet de reprer dans quelle phase se situe
cette personne et didentifier ses besoins. Mettre en uvre une capacit danalyse,
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
32
cest mettre en uvre un jugement qui permet de faire le chemin entre le
pourquoi et le comment dune situation. Cette action de jugement que lon
porte sur une situation et les personnes qui la composent, met en scne notre propre
rapport au monde et interpelle nos valeurs.
Lune des tapes importantes dans ce processus a t llaboration du diagnostic
infirmier, officialis dans la lgislation franaise en 1993 et qui constitue
() lnonc dun jugement cl inique port sur la rponse dun
individu, dune famille ou dun groupe face lattention relle ou
potentielle dun tat de sant ou dune situation de vie. Il sert de base
aux prescriptions dont linfirmire est responsable (Jouteau-Neves,
2005, p.34).
Il sagit dun processus de pense bas sur une approche systmatique
qui conduit au geste, aux actions infirmires. Cest un rel concept
organisateur qui influence lensemble de notre pratique infirmire. La
dmarche de soin devient alors la toile de fond du processus diagnostique
inscrit au cur mme de notre fonction indpendante (Jouteau-Neves, 2005,
p.35).
Pourtant dans le contexte de crise conomique actuel, laction est souvent
privilgie au dpens de la rflexion (Jouteau-Neves et al. 2005, p.11) et
limportance est souvent accorde en premier lieu aux interventions infirmires
visibles et valuables, tant en France quen Suisse. Le risque que lon voit poindre est
de rejeter ces thories de soin souvent considres comme chronophages ou de se les
approprier de faon parcellaire et restrictive, sans prendre le temps de comprendre le
contexte mme de la thorie. Un exemple de cette extraction parcellaire rside dans
lemploi de la thorie de Virginia Henderson. Alors que cette thorie est pense dans
une approche holistique et globale de la personne, elle est bien souvent rduite la
simple expression dune grille selon laquelle sont dclins les quatorze besoins de la
personne. la frustration des professionnels succde alors parfois le sentiment de
culpabilit.
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
33
1.3 Une profession en mutation
Les caractristiques nommes ci-dessus dmontrent le haut niveau dexigences,
vastes et diversifies, requises pour lexercice infirmier. Outre ses comptences
techniques, on attend de linfirmire quelle sache rencontrer le patient avec
authenticit et compassion. Non pas une compassion de style, mais cette compassion
qui nat de la pleine considration de lautre personne, digne de cette considration
par le seul fait quelle est une personne humaine (Lvinas, 1998).
En le reconnaissant comme sujet de droit, la socit a permis au patient de
devenir aussi acteur du soin. Le soignant nest plus l pour excuter sa place, mais
se doit de lintgrer dans une dmarche de prise en charge de sa pathologie. Les rles
changent et linfirmire devient la personne qui accompagne le patient dans ce
dveloppement face la maladie. Cest pourquoi elle revendique un rle propre qui
nest plus sous contrle du mdecin, mais qui lui appartient en vertu de la relation
quelle peut tablir avec son patient. En faisant ce choix, linfirmire va se trouver
confronte de nouveaux champs de tension thiques dans lesquels elle va devoir se
positionner.
Les soins techniques et de nursing sont le vecteur dune relation entre
linfirmire et son patient. Ce sont eux qui vont lui confrer une dimension toute
particulire, teinte dhumanit.
Linfirmire ne peut se contenter de les excuter la manire dun automate. Ils
engagent la fois sa responsabilit mais demandent galement la mise en uvre de
capacits et de comptences complexes, telles la crativit, la capacit de ngociation,
de dfenseur des droits du patient et autre capacits relationnelles qui sont les
lments mmes constituant le rle propre.
La soignante doit tre pertinente dans sa pratique, matriser ses techniques mais
tre adquate aussi sur le plan relationnel. Tout en faisant preuve dempathie, elle
nen doit pas moins matriser toutes les connaissances, trs exhaustives, qui gravitent
autour de sa profession pour pouvoir reprer des symptmes anormaux ou une
anomalie, donner les explications ncessaires aux patients et prendre des dcisions
avec rapidit et efficacit. Ce ne sont l que quelques exemples de cette prise en soin
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
34
globale transmise aux tudiants. Toutes les dimensions de la personne soigne
doivent tre prises en compte : les dimensions biologiques, psychologiques, sociales
et culturelles. Lambition est grande mais la pratique rappelle lordre avec ses
contingences. La profession infirmire se dveloppe, par ailleurs, de manire
conjointe dautres mtiers du paramdical avec lesquels elle doit apprendre
composer pour travailler selon ce terme fort prsent dinterdisciplinarit ou, tout du
moins, de pluridisciplinarit.
Dans le domaine des soins infirmiers complexit des connaissances en ne peut
tre apprhende que si lon reconnat un lien intrinsque aux aspects thoriques et
pratiques, aux aspects techniques et relationnels. tablir une dichotomie entre les
deux revient enlever une partie de la substance vitale des soins infirmiers.
Si lon se rjouit des volutions qua connues la profession infirmire au fil du
temps, on ne peut pour autant nier linfluence de cet hritage du pass quelle porte
avec elle et qui limprgne encore largement.
Dans les deux dernires dcennies, le rle infirmier a beaucoup chang. Les
infirmires bnficient des nouvelles connaissances, notamment en anthropologie,
sociologie, conomie et tendent devenir des ducatrices de sant, des prestataires
de service, non plus de patients mais de clients comme les nomme la nouvelle
terminologie, dans le but daider ces derniers retrouver rapidement, la plus grande
autonomie possible.
Le dcret de comptences de 2002 en France est le rsultat de toutes ces
volutions.
La finalit des soins est reconnue travers cinq missions essentielles larticle 2
du Dcret de comptences relatif lexercice des soins infirmiers (Annexe 2).
protger, maintenir, restaurer et promouvoir la sant physique et
mentale des personnes ou lautonomie de leurs fonctions vitales
physiques et psychiques, en vue de favoriser leur maintien, leur insertion
ou leur rinsertion dans leur cadre de vie familial ou social ;
concourir la mise en place de mthodes et au recueil des informations
utiles aux autres professionnels, et notamment aux mdecins pour poser
leur diagnostic et valuer leffet de leur prescription ;
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
35
participer lvaluation du degr de dpendance des personnes ;
contribuer la mise en uvre des traitements en participant la
surveillance clinique et lapplication des prescriptions mdicales
contenues, le cas chant, dans des protocoles tablis linitiative du ou
des mdecins prescripteurs ;
participer la prvention, lvaluation et au soulagement de la douleur
et de la dtresse physique et psychique des personnes, particulirement
en fin de vie et au moyen des soins palliatifs, et daccompagner en tant
que de besoin, leur entourage.
Dans une vise damlioration de la pratique soignante, les soins infirmiers
tentent de se structurer de faon mthodique. La France et la Suisse sorientent
beaucoup, en la matire, sur les avances des soins infirmiers dOutre-Atlantique qui
affichent dj un savoir et une pratique des soins beaucoup plus structurs.
Le dveloppement du rle propre infirmier aide la profession sortir de cet
hritage passiste en dmontrant limportance et le bien-fond dune action
strictement infirmire et non plus infode une discipline quelconque et en
particulier la mdecine. Ainsi, depuis quelques annes les soins infirmiers se
dveloppent dans diverses dimensions toutes trs exigeantes, tels que lexercice
dune relation thrapeutique, lenseignement au patient et ses proches, la mdiation
psychologique et spirituelle, le conseil et linformation cible, ainsi que la dimension
plus maternelle du care mise en tension avec le professionnalisme (Apesoa-Varano,
2007). Le care reprsente cette forme de sollicitude qui exprime lacte de prendre
soin, mais dans le but daider lautre grandir, optimiser son potentiel de russite
face la maladie dans une forme dempowerment , donner un sens son
exprience Cela suppose dapprhender lhistoire de la personne qui nous est
confie, pour la conseiller et laccompagner dans la ralisation de ses objectifs.
Dallaire souligne que linfirmire doit sengager de manire intense, cet engagement
tant facteur de croissance la fois pour elle et la personne avec q ui elle
interagit (Dallaire, 2008, p.89). Il sagit dune attente trs louable qui sappuie sur
une conception humaniste et holiste de la personne, de lenvironnement et du soin,
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
36
mais qui fait galement peser une importante responsabilit sur les paules des
tudiantes, puis des soignantes. Certes, sous certains angles, linfirmire ne
parviendra satisfaire ces exigences quaprs plusieurs annes dexercice fondant
son expertise (Benner, 1995), mais ltudiante doit dj tre capable den comprendre
le sens et de poser les prmisses dune telle prise en charge. La hausse des exigences
en termes de rflexion et danalyse entrane des rpercussions sur les tudiantes. Elle
est lie une responsabilit toujours plus importante dans la pratique
professionnelle. Mais, cette responsabilit son tour ne saurait tre actualise comme
un programme moral, mme dans la dimension libratrice que dfend Kant. La
responsabilit doit trouver corps dans lexpression que le sujet fait de ses choix.
Au niveau de lthique professionnelle, cela signifie que quelles que
soient ses conceptions et reprsentations professionnelles, l infirmire
digne de ce nom sera celle et seulement celle dont la posture, laction,
la qualit relationnelle, les gestes quotidiens corrobore nt ces
reprsentations et ces conceptions (Schindelholz, 2006, p.59).
Pourtant, dans la ralit linfirmire est frquemment soumise des tensions
entre son idal professionnel, ses convictions de ce que devrait tre le soin, et les
exigences qui lui incombent en termes de charge de travail et de responsabilit.
Un autre phnomne va engager une plus grande responsabilit des infirmires
et jouer un rle sur le dveloppement de la profession : il sagit de la modification en
profondeur de la socit avec toutes ses rpercussions. De mme que les
professionnels du secteur social reconnaissent quils doivent toujours davantage tre
dans le registre du soin (Dubreuil, 2009), de mme les infirmires doivent de plus en
plus frquemment jouer un rle social. Lexclusion sociale et la marginalisation sont
des phnomnes toujours plus courants. En rappelant que la sant considre par
rapport la norme est un tat inluctablement prcaire , Canguilhem nous
rappelle que la maladie est avant tout une preuve existentielle vcue dans une
vulnrabilit individuelle, qui nest autre que lexpression ontologique de la prcarit
humaine (Canguilhem, 2005, p.155). Chaque patient doit tre soign et rencontr
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
37
comme personne humaine bien entendu, mais galement comme individu ayant part
dans la socit. Il ne suffit pas de sauver les personnes au bord du gouffre. Il faut
confronter la cause de cet tat. Cela fait partie du traitement avec le reste (Tschudin,
1999, p.32). Cela sous-entend que le champ dintervention de linfirmire sest
largement agrandi. Elle nest plus confine aux seuls murs de linstitution
hospitalire mais il lui est demand de jouer un rle pivot avec les services sociaux,
avec les aides la prise en charge extra-hospitalire et plus largement tre actrice
dans des domaines comme la prvention et la protection sociale.
La dernire dcennie a contribu solidifier le processus de
professionnalisation dj amorc la fin du sicle prcdent. Les infirmires
commencent prendre conscience de leurs limites, de leurs droits, du droit
dexprimer leurs limites, du danger de les outrepasser (agressivit verbale ou
physique, dpression, burnout), de leur responsabilit, du pouvoir et de lautorit
quelles exercent sur le patient
Cependant il y a chez bon nombre de ces infirmires un sentiment dinfriorit
encore marqu. Elles se dvalorisent facilement au lieu de saffirmer, ce qui contribue
nourrir leur frustration (Magnon, 2006). De fait, elles ont de la peine se dfaire de
cette soumission scurisante que procurait le corps mdical et assumer leur
autonomie, essentielle lexercice de leur rle propre, phnomne renforc encore
par les politiques de restriction budgtaire accompagnes de nouvelles formes de
management davantage centres sur lacte. Cest lentier dun dfi qui souvre devant
elles celui dun engagement soucieux du patient sans pour autant tre
renoncement de soi.
Or, comment pouvoir, dans un mme temps, affirmer cette autonomie et ce
champ dactivit propre, quand la logique des lieux de pratique se veut une logique
de laction et du rendement ?
1.4 tat des lieux aujourdhui
Ce dfi sinscrit aussi dans une volution de la formation qui continue son
dveloppement et prend de nouvelles tournures. En effet, en Suisse, linstar de nos
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
38
voisins europens, la formation des infirmires sest vue autorise lentre au degr
tertiaire universitaire. Les HES (Hautes coles Spcialises) ont pris le relais des
coles de soins infirmiers traditionnelles.
La profession sen trouve ainsi valorise. Elle est davantage prsente sur la
scne politique et dans les dbats socitaux. Nanmoins, corrlativement cette
nouvelle position, les exigences son endroit ont t revues la hausse. Les attentes
en termes de responsabilit, dengagement, de qualit des soins rpondant des
normes prcises, de capacit danalyse et de positionnement sont maintenant plus
leves que jamais. Ces exigences ne sont pas sans rpercussions sur les tudiantes et
sur la manire dont leur identit professionnelle va se construire. Selon le rfrentiel
des comptences HES version 2004 (Annexe 3), les soignants comptents sont ceux
qui, face des situations complexes, font preuve de rflexivit, dans la conscience de
leurs intentions et de leur pouvoir sur lAutre. Ici la comptence sancre par
consquent sur le jugement clinique, lanalyse critique, la rflexion sur ses actes ou
encore la prise de responsabilit qui sont, comme nous lavons vu, des lments
fondamentaux de la profession infirmire. Ceux-ci nanmoins ne sauraient se
soustraire un questionnement et une rflexion thique puisque, nous lavons vu
plus haut, les valeurs qui fondent notre conception du monde, notre regard sur nos
semblables et notre comprhension du soin, sont des dterminants majeurs dans la
manire dont nous allons trouver un sens dans notre activit.
Si la profession comporte donc des aspects complexes de par sa nature mme, la
difficult se trouve encore majore par la situation actuelle et le peu de valorisation
des infirmires. Lactuelle profession soignante est fortement mise lpreuve. La
situation conomique difficile qui saccompagne, depuis quelques annes, de
mesures de restrictions budgtaires et de rduction de personnel, rendent lexercice
de la profession plus ardu que par le pass. Bien souvent, ce sont des lments
relevant de lhumain et de sa dignit qui sont montrs du doigt comme tant mis
mal par les contraintes institutionnelles et conomiques. Linfirmire doit faire
preuve de beaucoup dadaptation pour parvenir exercer sa profession au plus
proche de ses convictions et des standards de bonnes pratiques, tout en tenant
compte des contraintes qui lui sont imposes. Le terme de care nest pas arriv par
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
39
hasard dans la profession, mais reprsente bien la conscience dun manque.
Les professionnels du caring ou du prendre soin souffrent dun manque de
reconnaissance en regard de la pnibilit de leurs tches, quelles soient physiques
et/ou psychologiques. Ces professions sont caractrises par des activits peu
valorises et un travail peu visible, qui se doivent dtre doubls dempathie, de
gentillesse et conduisent, trs souvent lusure, limpatience, voire au dgot. Il
sagit l de manifestations qui peuvent avoir des rpercussions sur lquilibre
psychologique des personnes actrices. Au dbut des annes soixante-dix,
Freudenberger puis dautres chercheurs aprs lui, dmontre que les professions fort
engagement personnel dans la relation et le soin de lautre, sont particulirement
susceptibles de conduire des tats pathologiques tel que le burnout ou la
dpression (Freudenberger, 1987; Maslach, 1982).
Le quotidien du soignant est parfois frustrant. Que ce soit par le dfaut de
reconnaissance, accentu encore par la frustration dune valorisation sociale quasi
inexistante dont elle fait lobjet, par le regard des mdecins parfois encore empreint
dune supriorit toute patriarcale, ou encore par les attitudes des patients eux-
mmes, frquemment frustrs de devoir se confronter de longues files dattente,
des soins rapides, des erreurs et autres inconvnients, linfirmire se retrouve
frquemment dans une position peu enviable.
Or, en considrant le vieillissement de nos populations et les besoins toujours
plus importants en personnel soignant, le phnomne ne risque gure daller en
samenuisant.
Lexprience montre que les soignants peuvent accomplir une tche importante
et conserver un quilibre, ds lors quils bnficient despaces dchanges, de lieux o
ils se rencontrent entre eux et librent leurs motions, leur vcu, leur agressivit sous
forme de discours cyniques par exemple Le plus souvent, les soignants arrivent,
par le collectif, retrouver un sens tel ou tel soin et reconstruisent ensemble la
sympathie parfois vapore envers un patient. Ceux qui ne sont pas autant impliqus
dans la situation aident les autres prendre du recul. Or ces moments tendent
disparaitre avec la surcharge de travail, alors que cest justement dans cette situation
quils seraient le plus ncessaires.
Le manque de temps freine les lieux dexpression mais il freine galement la
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
40
prise en charge selon les idaux que lon peut se forger durant la formation en cole.
En effet, que lon examine de prs lune ou lautre des thories de soins, force est de
constater bien vite quelles sont trs exhaustives, mais par l-mme aussi exigeantes
en terme de temps.
Hesbeen (2002) met en garde contre la tendance, dj prsente dans bien des
secteurs, de faire du mtier de soignant un mtier de technicien spcialis, au service
de la technique et dun patient devenu pour un temps objet de soin. Les thories
de soins ne sauraient se rsumer une forme de modle prt--penser que lon
rchaufferait en quelques minutes pour une utilisation immdiate. La dynamique
relationnelle nentre pas dans ce genre de schma. Ltablissement dune relation de
confiance ne se ralise pas toujours de manire trs rapide ni trs spontane, mais
demande du temps et un investissement personnel parfois consquent.
Est-ce bien en cohrence avec la ralit du monde infirmier daujourdhui ?
Comment permettre ladquation entre les contraintes du terrain et les lments
ncessaire la prise en charge idale ?
Comment lengagement des soignants, tel quil est sollicit aujourdhui par des
thories comme celles de Marchal et Psiuk (2002), est-il rendu possible en regard des
ressources dont ces professionnels disposent rellement ?
Si on doit aux thories de soins une reconnaissance particulire pour laccent
quelles ont su mettre sur la notion de jugement clinique et la mise en valeur du rle
propre, il faut nanmoins souligner que leur utilisation dans la ralit du quotidien
ne peut se faire que de faon trs cible. En effet, le diagnostic infirmier manant de
ce jugement clinique, devrait donner lieu une valuation continue des problmes
prioritaires, effectifs ou possibles, des patients. Les oprations mentales mises en
uvre pour raliser cette valuation, sont complexes et chronophages. Depuis
lobservation, jusqu lorganisation des solutions apporter, en passant par la
conceptualisation et la mise en uvre, linfirmire doit dmontrer sa capacit de
dcentration, dorganisation des connaissances et de leur application, ainsi quun bon
processus de rflexion. Le tout est assum par sa responsabilit (Krouac, 2010).
Une application uniforme et gnralise de ces modles paratrait dangereuse
car incompatible avec la ralit soignante. En revanche, la rfrence ces concepts
dans la dmarche danalyse constante de linfirmire et lutilisation des thories
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
41
comme socle conceptuel sa rflexion, ne peuvent qutre bnfiques la mise en
uvre de ses multiples responsabilits.
Ces responsabilits sont dautant plus grandes et plus lourdes porter quelles
sexpriment dans un contexte hospitalier lui aussi en pleine mutation. Lhpital doit
faire face des phnomnes nouveaux tels que le vieillissement de la population, le
nombre croissant des maladies chroniques, la marginalisation moins cache et plus
prsente dans les structures sociales, une dfinition de la sant extrmement large,
lexplosion des cots en lien avec les progrs de la mdecine et des moyens
diagnostiques et prdictifs La profession soignante est, en outre, caractrise par
un travail fortement pluridisciplinaire. Cette profession se trouve lintersection de
plusieurs autres champs disciplinaires. Elle-mme se veut transdisciplinaire, dans le
sens o elle est aux prises avec des problmes manant tout aussi bien de la socit,
de lenvironnement que de lconomie, pour nen citer que quelques-uns. Pour
autant la profession infirmire ne doit pas renoncer son identit professionnelle,
bien au contraire
une conception claire de lidentit disciplinaire et professionnelle est
incontournable pour tracer clairement les limites de son champ de
comptence, de mme que pour occuper tout lespace professionnel
possible dans un esprit de collaboration . (Dallaire, 2008, p.12).
Bouscule par le cours de lhistoire, lidentit infirmire peine saffirmer et le
contexte professionnel actuel nest pas pour favoriser sa structuration et sa stabilit.
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
42
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
43
CHAPITRE 2 - TRE SOIGNANT, UN DFI AU QUOTIDIEN
2.1 La ralit dun contexte difficile
Le contexte actuel des soins rend difficile la prise en charge holistique telle
que prne par les diffrents modles infirmiers. Que ce soit dans les centre
hospitaliers, les institutions pour personnes ges, handicapes, ou encore les centres
de soins domicile, une dmarche de soins individuelle exhaustive est parfois
compromise par une dotation en personnel insuffisante (De Bouvet & Sauvaige,
2005). Pourtant cest la conception humaniste qui est prsente et entrane lcole
et durant la formation pratique. On comprend ds lors que la frustration puisse
surgir chez les soignants convaincus de cette approche dont ils ont sans doute pu
constater lefficacit et quils ne peuvent mettre en uvre en raison des contingences
institutionnelles.
Un problme majeur rside dans le manque de personnel pour le nombre de
patients. Les soignants dplorent de devoir raliser des soins la chane sans avoir
de temps pour une prise en charge holistique. Les infirmires doivent toujours tre
dans une dimension de partage : de leurs comptences, de leur savoir Elles
partagent les moments les plus intimes (naissance et mort). Le mtier dinfirmire
peut savrer trs prenant sur le plan motionnel et ncessite de trouver des espaces
pour changer entre pairs : Si lon na pas le temps de ventiler ses motions,
alors on prfre ne plus sinvestir motionnellement (Dubet, 2002, p.223). Le
risque de la dmotivation et du dsengagement est grand.
Par ailleurs, limpossibilit de linfirmire de soccuper du patient de manire
optimale nest pas seulement lie sa charge de travail, mais galement lvolution
de la prise en charge hospitalire. Les sjours tant beaucoup plus courts,
ltablissement de la relation au patient sen trouve considrablement modifi. Le
caractre hospitalier des hpitaux tend se transformer au profit dune logique
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
44
conomique, ce qui entretient le systme lorigine dj fort pyramidal de
linstitution.
De mme, le travail rendu difficile induit une rotation de personnel importante
avec des quipes qui comptent de nombreuses personnes temps partiel et se
connaissent peu. Cela rend non seulement les changes et le partage du vcu ardus,
mais cela complique galement la dfinition dun idal commun et sa mise en uvre,
et ce, dautant plus que les exigences de flexibilit favorisent la rotation des quipes
et nuisent la construction dune identit de secteur.
Les nouvelles exigences de traabilit, en lien avec les exigences qualit, sont un
facteur nouvellement trs chronophage que certains soignants acceptent difficilement
parce quil empite sur le temps pass au chevet du malade. Ces exigences revtent
nanmoins un intrt vident dans la gestion des risques (Estryn-Bhar, 2008).
Que ce soit dans une volont de mieux rpartir les moyens accords au secteur
hospitalier, de mieux matriser les cots en les rationalisant ou encore de rpondre
aux proccupations individuelles et collectives en matire de qualit des soins
toujours est-il que lexigence de qualit devient un moteur de concurrence entre les
tablissements, qui ne laisse pas indemne le personnel soignant. En effet les
dmarches dvaluation de la qualit se basent sur des indicateurs concrets et
quantifiables, qui ne permettent pas, le plus souvent, de mettre en valeur laspect
plus discret mais non moins important du soin : lattention porte, au travers du
dialogue, la singularit dune personne et de sa situation. Et Hesbeen de
dclarer que
laccueil , lcoute, la disponibilit et la crativit des soignants,
combins leurs connaissances de nature scientifique et habilets
techniques, apparaissent comme les dterminants essentiels de soins de
qualit (Hesbeen, 2002).
Il existe un dcalage entre lidal thique qui voudrait favoriser au maximum la
dignit du patient ainsi que son autonomie, et les nouvelles conditions daccueil
lhpital, le contexte actuel de prise en charge avec des dotations rduites, et une
ralit inapte la ralisation de cet idal.
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
45
Pour certains auteurs, une raison supplmentaire ce dcalage serait la
mauvaise comprhension de la prise en charge globale. Si on la comprend de
manire exhaustive comme tant le devoir de prise en charge dune infirmire envers
chaque patient, alors force est de constater que la tche est insurmontable, au vu du
nombre de patients et du contexte dj voqu. Il y aurait une distinction faire,
savoir que lon ne parlerait plus dune prise en charge globale dun patient, mais de
prise en charge selon une approche globale . Ainsi les termes de prise en
charge globale deviennent limage dun idal avoir en arrire-plan et non plus
un modle appliquer intgralement pour chaque patient (De Bouvet & Sauvaige,
2005).
2.2 La souffrance du paradoxe
Quelle que soit la porte de la prise en charge, il nen reste pas moins une
souffrance chez les infirmires qui correspond un dcalage entre les soins quelles
aimeraient apporter leurs patients et les conditions dans lesquels elles doivent
exercer leur profession. Il y a un
cart considrable entre lidal thique des soins et la possibilit de le
mettre en pratique. Il est probablement lune des causes du fameux
burnout des infirmires (De Bouvet & Sauvaige , introduction).
Cest un dsarroi que les tudiantes renvoient trs souvent, surtout durant les
deux dernires annes de leur formation. Lors dun examen oral, une tudiante
devait prsenter la situation dun patient quelle avait pris en charge avec, pour son
analyse, lutilisation dune des thories de soins exhaustive enseigne lcole. Cette
tudiante a prsent la situation dune patiente psychotique hospitalise en
psychiatrie et chez laquelle elle avait pu mettre en vidence, aprs avoir tudi
lentier de la situation dans les moindres dtails, des lments qui avaient ensuite
permis de poser un diagnostic tout fait diffrent du premier. Cela avait permis de
rorienter la prise en charge et daccompagner la patiente de manire beaucoup plus
cible avec, au bout du compte, des rsultats et une amlioration considrables.
Cette tudiante tait trs dcontenance lide que lquipe aurait sans doute
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
46
persist dans lancien schma et mconnu ce problme, orientant ainsi la prise en
charge sur de fausses bases, si son travail pour lcole ne lavait oblig lquipe
rinterroger sa prise en charge. Elle tait bien consciente que le travail trs intensif
quelle avait investi pour cette patiente ntait possible quen regard de son statut
dtudiante. Aprs avoir voqu ce malaise auprs de son infirmire de rfrence,
elle stait retrouve seule face son dsarroi. Linfirmire lui avait rpondu quelle
ne devait plus rflchir autant mais suivre les ordres mdicaux, sous peine dtre
rgulirement insatisfaite et en rvolte contre les soins offerts aux patients.
Demble, cet exemple choque par le fait quil va totalement lencontre du
mouvement dautonomisation et de construction identitaire de linfirmire tel
qubauch ci-dessus, mais il choque encore davantage, par la conception sous-
jacente de la prise en charge qui en merge.
Il va de soi que si le soin se limite au traitement des symptmes et
lapplication de protocoles, sans tenir compte de lensemble de cet univers qui fait
corps avec le malade et donne un sens sa vie, des lments essentiels sont vincs,
lments qui pourraient orienter la prise en charge dans un sens trs diffrent.
Ltudiante a d faire face un grand paradoxe : celui de soigner un humain
atteint dans son corps et dans son esprit, et celui de la confrontation une routine
protocolaire centre davantage sur les prescriptions que sur la personne.
La formation confre linfirmire bon nombre de connaissances thoriques.
Celles-ci lui permettent dtre capable de juger des prescriptions faites par le
mdecin, capable de ragir lorsquelle remarque une anomalie, lorsque le patient
prsente certains symptmes De ses observations et de sa manire dapprhender
le patient, va dpendre en grande partie la poursuite du traitement. Nanmoins il est
vident que les connaissances mobiliser et mettre en uvre sont diffrentes dans
toutes les situations et le travail le plus dlicat, mais qui constitue le cur de la
pratique infirmire, consiste mobiliser les connaissances thoriques dont elle
dispose pour les contextualiser et les mettre en uvre dans une situation bien
particulire.
Cest ce qui justifie dailleurs lemploi des termes : comptences infirmires .
Pour rpondre une situation de soin, linfirmire utilise chaque fois ses
comptences et sa crativit dans leur mobilisation (Le Boterf, 1998). Cest sur cette
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
47
base quelle engage sa responsabilit.
Cependant ce travail de rflexion cognitive nest pas de tout repos. Il suppose
au pralable davoir pris du temps avec le patient et sollicite donc la fois la
motivation et linvestissement personnel. Il savre dautant plus contraignant sil
nest pas port par le collectif. Dans la ralit, les soignants ont souvent limpression
de ngliger cette comptence par manque de temps. Comment vivre alors cet
cart entre lidal et la ralit ? Comment grer les sentiments dinsatisfaction et de
culpabilit qui dcoulent de navoir pas rpondu idalement toutes les situations ?
Le malaise nest pas quune impression. Tmoins de diffrentes ralits qui
dvoilent toujours nouveau des situations dont les consquences dramatiques sont
dues des ngligences professionnelles, les soignants vivent le malaise comme une
ralit bien prsente sur les lieux de pratique o, si lon sen rfre Bouvet et
Sauvaige (2005) :
Lidentit infirmire est mise en danger par lcart existant entre lidal
thique des soins infirmiers et la possibilit de le mettre en pratique ;
Les conditions du contexte hospitalier, les difficults inhrentes toute
relation et une interprtation errone du devoir de prise en charge
globale de la personne soigne vont lencontre de lidal thique des
soins infirmiers qui place le sujet malade et le respect de sa dignit et de son
autonomie au centre des proccupations infirmires ;
Le poids institutionnel et les exigences budgtaires interviennent dans les
difficults relationnelles des infirmires, tant avec les patients quavec les
quipes de soins
Il nest point besoin de rallonger la liste des difficults rencontres aujourdhui
par les infirmires. La lecture des quotidiens suffit nous informer de leurs
conditions de travail. Un quotidien neuchtelois affichait, en 2010, dans un gros titre,
quune infirmire doit faire 25 prises de sang en 45 minutes dans un foyer de
personnes ges. Lorsque lon sait quel point ces personnes ges sont difficiles
piquer, de par un capital veineux appauvri et vieilli, et que lon est conscient du
besoin trs fort de ces personnes de parler et dtre cout, comment ne pas ressentir
la frustration des infirmires devoir excuter une tche la chane , en se
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
48
contentant, le plus souvent, dun bonjour laconique !
Selon notre comprhension de la profession, une qualit fondamentale des
soins devrait permettre de reconnatre, de confirmer et de favoriser la vie
humaine dans des circonstances o el le l est moins (Goulet & Dallaire, 2002,
p.82).
Les soignants reoivent une formation initiale et continue qui les
sensibilise de plus en plus limportance de la dimension relationnelle
du soin, en mme temps quils sont l objet de pressions visant
amliorer la productivit de leur pratique (Sirven, 1999, p.40).
Les discours des soignants laissent de plus en plus transparatre la frustration
de ne pas parvenir exercer cette relation de soin dans la profondeur qui lui
appartient. Cette frustration nest sans doute pas nouvelle, mais sa verbalisation
nettement plus explicite depuis quelques annes, pousse croire que le phnomne
saggrave de manire significative.
Dans le mme ordre dides, des pratiques actuelles consistent trier les
patients dans les services durgence. Les degrs durgence ainsi identifis, les
patients sont pris en charge plus ou moins rapidement. Comprhensible sur un plan
dorganisation et defficacit, ce procd nen est pas moins questionnant sur le plan
humain. En effet, les personnes se sentent, pour beaucoup, peu entendues dans leur
souffrance, qui si elle ne prsente effectivement pas forcment de danger vital, nen
demeure pas moins suffisamment gnante ou douloureuse pour justifier leur
demande daide. Les soignants ressentent ces mthodes comme une chosification de
lhumain. En parallle cette frustration, cest galement la responsabilit qui pse
lourdement sur les infirmires. Responsabilit de prendre les bonnes dcisions, de
faire le tri adquat dans les personnes qui se prsentent aux urgences (Schachtel,
2010).
la charge globale de travail sajoute galement une augmentation de la tche
administrative. La mise en place des procdures a pour objectif dautomatiser le
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
49
droulement des soins et den assurer le bon fonctionnement. Mais avec
ladministration, cest galement la charge de lcrit qui a nettement augment.
Une grande partie du travail des infirmires est dvolue lorganisation,
la coordination et la gestion des dossiers (Dubet, 2002, p.208). Ces nouvelles
tches, relativement chronophages, prennent sur le temps que linfirmire consacrait
auparavant son patient. Les infirmires dplorent de devoir se dtourner peu peu
du patient pour accorder leur attention des aspects administratifs secondaires qui
peuvent absorber leur temps et leur nergie (Sainsaulieu, 2003).
Les infirmires dpendent plus largement du systme conomique et des
nouvelles formes de management qui manent, dans tous les secteurs, de la nouvelle
gouvernance.
Les contraintes financires externes de contrle des dpenses de sant
se font de plus en plus pesantes et les acteurs ont tendanc e opposer
une logique des besoins, centre sur la dfinition des protocoles de soins,
une logique comptable dautant plus prsente que ltat intervient
de plus en plus directement (Dubet, 2002, p.209).
Des mcanismes de march sont introduits dans les dispositifs publics. Cela se
traduit par un rationnement, une privatisation marginale de certaines activits, et
dans tous les cas par une dcentralisation des dcisions. Pour comprendre cette
ralit institutionnelle, il est important de rappeler certaines caractristiques
particulires ces formes de management ainsi que leurs impacts sur les
professionnels, en particulier en termes de stress.
2.3 Soins, management et ncessit thique
Les diffrents paramtres qui psent sur le travail des soignants (nouvelles
formes dorganisation du travail, injonction la rapidit et la flexibilit, carts
grandissants entre travail prescrit et travail rel, encouragement la performance)
sont autant de rsultats de modifications plus profondes opres sur le systme
-
PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE
50
socital lui-mme. Le stress, trs fr