L'Énaction

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L'énaction L'énaction: un concept des neurosciences cognitives Parmi les conceptions les plus novatrices de ces dernières années, l'énaction apparait comme porteuse d'avenir. De nombreuses théories sur les apprentissages sont apparues au cours du siècle, certaines ont eu leur heure de gloire et ont servi de base à la construction de l'étude sur les différentes façons dont on s'y prend pour accéder à des connaissances ou transformer nos comportements. Le concept apparait dans les articles et ouvrages de Francisco Varela , neurobiologiste et chercheur en sciences cognitives, c'est un concept validé scientifiquement à partir d'études sur l'homme et l'animal. Dans son livre "l'inscription corporelle de l'esprit", il cite M. Merleau-Ponty qui avait entrevu l'idée 50 ans auparavant. "L'organisme donne forme à son environnement en même temps qu'il est façonné par lui [..] Le comportement est la cause première de toutes les stimulations. [..]Les propriétés des objets perçus et les intentions du sujet, non seulement se mélangent mais constituent un tout nouveau. [..]L'organisme, selon la nature propre de ses récepteurs, les seuils de ses centres nerveux et les mouvements de ses organes, choisit dans le monde physique, les stimuli auxquels il sera sensible." Apprendre par l'énaction pour un sujet, cela veut dire tout simplement avoir l'initiative de ses comportements et de ses mouvements dans le temps de l'apprentissage. La perception et la motricité sont indissociables donc sous le primat de l'action qui les stimule. L'activité motrice est produite pour construire un jeu de perceptions qui vont guider l'action vers son but, constitutives de la prise de connaissance efficace au cours d'une expérience vécue. Une expérience chez les animaux Deux groupe d'oisillons élevés sans leurs congénères adultes: le 1er groupe a la possibilité de déclencher d'un coup de bec l'enregistrement du chant des oiseaux de son espèce. Ce groupe restituera 76% du chant entendu. Le 2ème groupe est dans une cage voisine et a juste la possibilité d'entendre l' enregistrement déclenchés par le 1er groupe. Ce groupe restituera 39% du chant enregistré. La seule différence en faveur du 1er groupe: l'initiative dont ils disposaient au cours de l'apprentissage. L'énaction et la théorie de Piaget L'énaction complète les idées de logique des actions chère à J.Piaget, présente chez l'enfant dans les premières semaines de son développement. A cet âge, l'enfant ne dispose que de sa propre activité sensorimotrice. Et pourtant, par le jeu de ses expériences et de ses initiatives, l'enfant va édifier parallèlement ses structures cognitives (son esprit) et le réel. Le constructivisme de Piaget est souvent vu à tort comme l'addition de "couches" construites sur la base de celles qui les précèdent alors qu'en réalité dans la théorie, à chaque étape du développement cognitif, il y a réorganisation de tout l'ensemble en repartant de l'expérience agie. N'oublions pas qu'une bonne partie de l'oeuvre de Piaget repose sur des expériences concrètes à l'aide de petits dispositifs proposées à des enfants qui doivent ainsi résoudre un problème et rendre explicite leur raisonnement. L'intention et donc l'initiative sont à la fois le prélude à l'action et à la représentation et donc à la connaissance. Langage et énaction Le développement du langage reflète l'énaction des connaissances. Ainsi, avant d'avoir acquis ses premiers mots, on sait que le jeune enfant communique des intentions à travers ses comportements, puis dans sa voix à travers son babillage. Si ses intentions sont reconnues et comprises par ses pairs, si l'enfant peut prendre l'initiative d'agir sur les objets de son environnement, l'enfant peut accéder aux représentations et aux symboles donc au langage. Il est intéressant d'ailleurs de constater que le premier langage de l'enfant exprime des actions concrètes sur les objets et que les mots

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    L'naction: un concept des neurosciences cognitivesParmi les conceptions les plus novatrices de ces dernires annes, l'naction apparaitcomme porteuse d'avenir. De nombreuses thories sur les apprentissages sontapparues au cours du sicle, certaines ont eu leur heure de gloire et ont servi de base la construction de l'tude sur les diffrentes faons dont on s'y prend pour accder des connaissances ou transformer nos comportements.Le concept apparait dans les articles et ouvrages de Francisco Varela, neurobiologisteet chercheur en sciences cognitives, c'est un concept valid scientifiquement partird'tudes sur l'homme et l'animal. Dans son livre "l'inscription corporelle de l'esprit", ilcite M. Merleau-Ponty qui avait entrevu l'ide 50 ans auparavant."L'organisme donne forme son environnement en mme temps qu'il est faonn parlui [..] Le comportement est la cause premire de toutes les stimulations. [..]Lesproprits des objets perus et les intentions du sujet, non seulement se mlangentmais constituent un tout nouveau. [..]L'organisme, selon la nature propre de sesrcepteurs, les seuils de ses centres nerveux et les mouvements de ses organes, choisitdans le monde physique, les stimuli auxquels il sera sensible."Apprendre par l'naction pour un sujet, cela veut dire tout simplement avoir l'initiativede ses comportements et de ses mouvements dans le temps de l'apprentissage. Laperception et la motricit sont indissociables donc sous le primat de l'action qui lesstimule. L'activit motrice est produite pour construire un jeu de perceptions qui vontguider l'action vers son but, constitutives de la prise de connaissance efficace au coursd'une exprience vcue.

    Une exprience chez les animauxDeux groupe d'oisillons levs sans leurs congnres adultes:le 1er groupe a la possibilit de dclencher d'un coup de bec l'enregistrement du chantdes oiseaux de son espce. Ce groupe restituera 76% du chant entendu. Le 2me groupe est dans une cage voisine et a juste la possibilit d'entendre l'enregistrement dclenchs par le 1er groupe.Ce groupe restituera 39% du chant enregistr. La seule diffrence en faveur du 1er groupe: l'initiative dont ils disposaient au cours del'apprentissage.

    L'naction et la thorie de PiagetL'naction complte les ides de logique des actions chre J.Piaget, prsente chezl'enfant dans les premires semaines de son dveloppement. A cet ge, l'enfant nedispose que de sa propre activit sensorimotrice. Et pourtant, par le jeu de sesexpriences et de ses initiatives, l'enfant va difier paralllement ses structurescognitives (son esprit) et le rel. Le constructivisme de Piaget est souvent vu tortcomme l'addition de "couches" construites sur la base de celles qui les prcdent alorsqu'en ralit dans la thorie, chaque tape du dveloppement cognitif, il y arorganisation de tout l'ensemble en repartant de l'exprience agie. N'oublions pasqu'une bonne partie de l'oeuvre de Piaget repose sur des expriences concrtes l'aide de petits dispositifs proposes des enfants qui doivent ainsi rsoudre unproblme et rendre explicite leur raisonnement. L'intention et donc l'initiative sont la fois le prlude l'action et la reprsentation et donc la connaissance.Langage et nactionLe dveloppement du langage reflte l'naction des connaissances. Ainsi, avant d'avoiracquis ses premiers mots, on sait que le jeune enfant communique des intentions travers ses comportements, puis dans sa voix travers son babillage. Si ses intentionssont reconnues et comprises par ses pairs, si l'enfant peut prendre l'initiative d'agirsur les objets de son environnement, l'enfant peut accder aux reprsentations et auxsymboles donc au langage. Il est intressant d'ailleurs de constater que le premierlangage de l'enfant exprime des actions concrtes sur les objets et que les mots

  • exprimant ce concret vont servir de base par projection au langage abstrait oumtaphorique : "je met de l'argent de cot", "il se prend pour quelqu'un d'autre", "il n'yarrivera pas", "je dois repartir zro", "les sectes manipulent les gens", "tiens bon!"!,"elle se donne beaucoup en ce moment, je dois me sortir de cette relation qui mebouffe la vie".Mme chose avec les objets que l'enfant catgorise au dpart en fonction desproprits qu'il a peru travers ses agissements sur les objets, toujours le jeuperception-action..Premires catgorisations (formes, couleurs, tailles, textures.;etc)qui servent de base aux catgorisations ultrieures par projection mtaphorique: "lecercle des proches du prsident", "il y a diverses formes de musique", "il n'utilise pasbien les outils pdagogiques", "les instruments du pouvoir", " les fruits de sonimagination".Varela parle de cognition incarne pour rendre compte de ce constat.Les premiers concepts sont bien issus des premires actions et les difficultsd'apprentissage, d'abstraction que nous constatons chez certains enfants peuvent treclaires sous un jour nouveau.

    Quelques ConsquencesJusqu' maintenant, on expliquait certaines difficults d'apprentissage en invoquantdes facteurs socioaffectifs et biologiques: carences sociales, carences ducatives,carences affectives, fragilit motionnelle, prmaturit. Cependant des points d'ombredemeurent quand on invoque ces facteurs, notamment le rle respectif de chacun dansles checs des apprentissages. Le concept d'naction coupl la notion de priodesensible, c'est dire de priode gntiquement prprogramme dans ledveloppement pour qu'un apprentissage se ralise (on pense par exemple au langage)ouvre une porte la comprhension de ces checs. On pourrait dire qu' partir dumoment o des facteurs concourent, une priode sensible pour un typed'apprentissage, empcher ou gner les actions et initiatives d'un enfant pours'approprier ce qu'il apprend, l'apprentissage sera moins efficace: famillesurprotectrice ou pdagogues trop interventionnistes expliquant beaucoup sans laisserl'enfant agir, cadre ducatif "touffant" ou rigide, familles problmes multiples,dpression ou maladie mentale chez la mre, ngligences diverses s'ajoutant unefragilit psychologique et/ou mdicale de l'enfant.On peut aussi voir certaines difficults de langage sous cet angle, l'initiative, lesintentions d'action existent aussi dans le domaine de la communication verbale et nonverbale et dans l'appropriation du code : par exemple: actions au niveau relationnel,actions au niveau mtalinguistique quand l'enfant prend l'initiative d'une locutioninvente par lui-mme, au niveau pragmatique dans les changes verbaux...etc.Chez l'enfant porteur de handicap ou prsentant un trouble des acquisitions, leconcept d'naction est particulirement intressant pour les enfants ayant desdficiences sensorielles, motrices ou mentales. Ainsi, les enfants hypotoniques,hypokintiques ou au contraire hyperactifs-hyperkintiques ne peuvent du fait de leurdficience et de certaines ngligences ducatives, dvelopper certaines capacitsintellectuelles qui apparaissent de prime abord loignes de leur dficience, on penseainsi au lien entre certaines dyspraxies et certains apprentissages (lecture, langagelabor, pense logique, calcul, accs certaines abstractions), lien tudi par Piagetou par Dugas et Grard pour les dyspraxies de dveloppement ou encore par Lacertpour les affections neuropdiatriques.

    Site de Jrome Grondin, 12 dcembre 2007.