Le second voyage de Ziem en Italie (1846-47) (avec fig. 72...

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Le second voyage de Ziem en Italie (1846-47) Félix Ziem a lai ssé une oeuvre graphique considérable, aussi bien par sa quantité, à la mesure de sa production picturale - plus de cinq mill c feuilles numérot ées - que par sa qualité. Ses carnets de jeunesse enrc- gistrent tout ce qui l'a touché visuellement: pour l'année 1846-47, dat e de son deuxième voyage en Halie, on peut illustrer son journal intime par ses albums de route '. En 1846, Ziem a vingt-cinq ans. 1\ a bea ucoup voyagé : l'Ilalie - V c- uise notamment -, peut-être l'Espagne, la Russie, d 'où il revient en 1844- pour s'installer à Nice, pour plus d'un an. C'es t à ce Juonlent-Ià que nous pouvons le suivre gce à son journal. Période heureuse : prof essionnelle- ment , les commandes ne manquent pas (i l travaill e essenti ellement pour la haute aristocratie internationale), et, sur le plan sentimental, le séj our à Nice va profondément marquer l'art iste. Il est extrêmCluenl discret SUl" l'objet de sa fl a mme, et ne mentionne les rnonl ents he ureux passés avec son amante que par un seul hiéroglyphe représent a nt une clef. Mais le drame arrive, qui va l'affecter durabl ement et motiver son départ pour l'Italie : au COUl'S de l' été survient la mort de l'objet aimé. Ziem int er- rompt son j ournal, des croix et des têtes de nlort remplissent les pages. A la fin du mois d'août, il écrit: c Le temps est gris, je suis encore à Nice, cette ville dans laquelle je vi ens d' éprouver des émotions si pénibles et si diverses, j'espère bientôt partir, quitter, au moins pour quelque temps, ces lieux témoins de mon bonheur comme de mes peines. :. 1. J'exprime ma très vive reconnaissance à Mme ZIEM. qui a su préserver les docu. ments concernant la vie et l'oeuvre de son aïeul et me permettre de les étudier avec la plus grande gentillesse. Ses réflexions ont été un précieux apport dans l'élaboration de cet article.

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Le second voyage de Ziem en Italie (1846-47)

Félix Ziem a laissé une œuvre graphique considérable, aussi bien par sa quantité, à la mesure de sa production picturale - plus de cinq millc feuilles numérotées - que par sa qualité. Ses carnets de j eunesse enrc­gistrent tout ce qui l'a touché visuellement: pour l'année 1846-47, date de son deuxième voyage en Halie, on peut illustrer son journal intime par ses albums de route '.

En 1846, Ziem a vingt-cinq ans. 1\ a beaucoup voyagé : l'Ilalie - V c­uise notamment -, peut-être l'Espagne, la Russie, d 'où il r evient en 1844-pour s'installer à Nice, pour plus d'un an. C'est à ce Juonlent-Ià que nous pouvons le suivre grâce à son journal. Période heureuse : professionnelle­m ent, les commandes ne manquent pas (i l travaille essentiellement pour la haute aristocratie internationale), et, sur le plan sentimental, le séjour à Nice va profondément marquer l'art iste. Il est extrêmCluenl discret SUl" l'objet de sa fl amme, et ne mentionne les rnonlents heureux passés avec son amante que par un seul hi éroglyphe représentant une clef. Mais le drame arrive, qui va l'affecter durablem ent et m otiver son départ pour l'Italie : au COUl'S de l'été survient la mort de l'objet aimé. Ziem inter­rompt son journal, des croix et des têtes de nlort remplissent les pages. A la fin du mois d'août, il écrit: c Le temps est gris, j e suis encore à Nice, cette ville dans laquelle je vi ens d'éprouver des émotions si pénibles et si diverses, j'espère bientôt partir, quitter, au moins pour quelque temps, ces lieux témoins de mon bonheur comme de mes peines. :.

1. J'exprime ma très vive reconnaissance à M me ZIEM. qui a su préserver les docu. ments concernant la vie et l'œuvre de son aïeul et me permettre de les étudier avec la plus grande gentillesse. Ses réflexions ont été un précieux apport dans l'élaboration de cet article.

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Le 25 aOl,t , il quill e Nice pour Gènes pui s Milan . A Côme, le 1 Il sep­tembre, i l vis ite « la villa de M. Courrier, superbes t ablea ux de Sa lvnlor Hosa. Murill o, Bibera, esqui sses de Vé lasquez, P a lma le Vi eu x . .Je r c \"ic Il S

l'mcr\'ci 1 Il' :t . Il ar rive à Fl orence le 22 sept embre. Les premiers j o urs SOlit

moroses . Zi em est un être sentimental, sens ibl e, passionn é. Ce j eun e homm e si apprécié pOUf sa gaieté, a fréquemm ent d es crises d e d éscsp\',­rance, un sentiment profond de l' inutilité ùes ch oses el ùe la petitesse ÙII

genre humain . N'est-ce pas là son a lu\'is Ill C slave qui resurgit ? 4:: .Je <'fois (IlIC voul oi r exiger la franchise du m onde serait L1n e folie ridicul e, la vériLé p.iua H p lu s extraordinaire aux yeux ci e tou s que les plus gra nd s men­son ges. »

Scs r elat ions sont n ombreuses à Florence, il côtoie dc grands Pl' I'SO Il ­

nages, l'ambassadcu r de Francc, r etro uve d'anc ie ns protecteurs, le duc de De\'ollshire, le comte de ''vIa izun 0 11 lo rù Vernoil , chez qui il lui arri\'(· d e travai ll er. Da ns les sa lons, les ama tclll's d e ses dessins et aq uure lles, plu s rarement de ses peintures, son L nombreu x. « .Je vais ch ercher à fa ire to us mes efforts, écrit-il , pour r eCOll\'l'er mon a ncienn e forme, m on (' l1crgic artistique, e t par m es intri gues m e procurer un peu plus de cc bi en-ê tre (lui p la ît tan t à to us et sembl e les rendre plus heure ux, :. Sa vi c m ond a inc est Cil effe t très acth·e. Entre le jour d e l'an et la pé r iode d e m a rdi-gras, pratiqucment pas de soir olt il n e sorte. Le jour Zi em tra vaillc. Un m odèle vient r égulièr ement chez lui. Il va souvent d essi ner o u peindrc SUl' n a turc-. au jardin Boboli, 0 11 en d'autres lieux de la campagne florentinc 2. Il visite également les ri chesses ar ti stiques ùe la ville.

Il quitt e ùéfinitiv em ent lu ville le 4 mai, a près avoir fa it ses adi eux à sa dernière conquête. qui va d 'ailleu rs bientot le rejoindre. « Nous a llons nOlis quitter, enfin, elle ouvre la porte sans bruit , derni ers baisers , derni ers serrements de mains. ~ Il arrive à Sienne, fi xe un voiturin ~ pour Arezzo, puis Pérouse, gagne Foligno, après être passé devan t Assise >. Le Icndl'.ma in il part pou r Ancôn e qu 'i l a tteint le 13. A Fano, il note: « ra lll eu x tablea u x

2. Carnet 13, n° 2173'; POllt des Grâces, Florence, 7 avril 1847, vlIe prise sur le pOli t

de Stnttl~;id~éia~iF;a~~~~°t!m~;i~~l 4Je XPL~;;~;;O, 8 mai 1847. Mine de plomb, 0,14 x 0,25.

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de Guerchin, l'an ge, le mariage ùe la Vierge. :t Il a rrive à Rimini le 15 : « Fais une vue ùe l'arc d'Auguste e t p on t de Tibère. :t Le 15, « je quitte à regret l'ench anteresse Rimini pour r elomber :l Cervia, pui s Ravenn e, ville tri s le, plate, à fl eur de terre et monotone. » Il a tteint de là Bologne 4

pa l' Forli, Faënza, Imola. Il y attend son amic et passe le temps en tra· vaillant. Les deux amants gagnen t Venise, olt ils a rrivent le 27 mai, pa l' chemin ùe fcr. Très vite, la discorde s'installe. « Des scènes avec H .... Je commence à comprendre que cette jeune femme se fi ch e pas m a l de moi , trouble m on ft m e. dernière souffra nce pour elle, a u m oi ns j e l'espère .. . ,.

Son trava il occ upe la plus gr a nde partie de ses journées à Veni se. « L e m ati n à ci nq h ellres j e me lève el je dessine lou l le jour. > II lo ue un bateau, puis se d écide à "ach etcl'. Il vis il c églises, pala is e l galeries (l 'Acaùémie), m a is n e sembl e pas participer à tlne vie monda ine aussi acti vc 4u 'à Florence, bi en qu 'il fasse de forl int éressantes renconlres c ~) juillel, Monseigneur le duc de Bordeaux, M. de Brissac, M. de Sainl­Marc, 1\1. d e Pasloret. > Quelques jours plus lard : c Compliment de Mon­seigneur le duc de Bord eaux e t r emi se d e 300 fra ncs pOlir un e vue générale de Florence . :. Le premier ao ftt, ZiClll part pour le Tyrol après avoir fait ses atli ctlx à son amie : 4: Les cheveux épars e l l'h a leine en feu, l'amour nOll S prodiguaiL ces baisers brûlanls qu 'in sp ire à d eux amants une pro­chaine séparation. :. Le 5 il an'ive à Cel'ravines, après avoir passé à Padoue, Vicen ce, Vérone. A Rivoli, il d essin e a u crayon le champ de bataille : « balteries e l traces de redoutes ». Il vu ju squ 'à Torra ùo, pa r Dolce et Arco. « Torr3ùo, centre du Tyrol, montagn es unifor mes, monotones, cou­leur froide e t t r isle. Dessin au crayon. » Déçu, Zi em redescend sur le lac de Ga rde. A Peschiera il assiste à un violent orage. « Le lac se soulèv('!, gronde e t se bri se 5 111' lui-mê me; en to urnoyant ùu h a ut de ces éternelles collines, la lempê te se précipit e sur ces nots ach a rn és el les nuages courent el se disper sent, quel spectacle qu e la nature en courroux. > Définitive­m en t in sati sfait par ce périple, et désirant retrouver son a m an te, Zienl est ùe r etour ùans la cité ùes doges, le 14 avril. Il travaille ayec acharne-

4. N° 2182, carnet 13. Place de Bologne et loti r Asinelli. Bologne, 20 mai 1847. Mine de plomb, 0,205 x 0.140.

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ment ". « Dima nch e 28, visit e à lonl Cancl'don . Il ycul IIU' cOllllllmHler

trois gra nd s tabl eaux, chance in ouïe. Promenade en go nd ole, sa d t~ ft'J'('ll ec

pour m oi ct le cas immense qu' il fait de m oi el ùe Illon la ient. Din l~ dl C>Z Lord Canerdon. Il se décide pOlir Naples, Floren ce et Le H"T" .. Je d " lIland e 6.000 fra n cs, il es t ench anté, je sors très h eureux. :t

Le 15 septembre Zi cm quitte Venise et sa ùouce am ie, avec qlli les l'ap­por ts étai ent devenu s très orageux Depuis m on départ cie Venise, j e suis positl\"cmcnt soulagé mora lement. Les femmes perdent tout, mai s on

ne peut sc passer d'elles. Plus on se donne avec passion, moins il ('s I pos­sible dc S ' Cil séparer. Quelle tris te fa ibl esse d e J'hoJllme, un e [ (, IIIIIH.' ('011\,1,' ­

nabl e c'cst un rêve. ;) Il passe à Parme, Ln Spezia, ayant d 'a lh.' r à (it' Il l'S,

d'oil il va s'e mbarquer pour la France. L e lundi 27 sept embre lR47 : « .J'oh­li ens lll1 passage pour 20 francs à bord du Cas tor . Dessin dc G(:nt's, HUit

silencic use su r le pont. A minuit, j'aperçois le phare de Vi ll <:, frflndll' , Nice .. , le ma tin Montredon, le port de Marseill e. J'embrasse mon l'rl'n' . ,.

Il scra il illu soirc dc pré tendre r ctrou\'cl' tOl1 S les d essin s cxlieul és paf

Ziem dura nt cc voyagc de treize mois. On pressent, à travers ses ('cri ls, 1111

très gra nd nombre ùe croquis c L d'Œuvr es plus pOll ssées. MUI" Zicll1 cn a

('onse rvé en\'Îl'on <{uatrc-vingt, da tés et sûrem ent exécutés durant ('C

dcuxième séjo ur en Italie, soit un très faibl c pourcentagc si on se l'Hère a u j ournal. Il s concern ent essen tiellcment son péri pic : F lorcncc, P éro use, Bolognc et son séjour à Venisc en juin-juillet 1847 6• Zi clll a la passion ùe ù essin er : pas de lieux, de villes qu'il ne m enti onne avoir fi x(~s s ur la feuille. C'es t là son premier so uci en arrivant dans un e agglo lll ('ru li o!l ct c'es t avec soin qu'il choisit son emplacement, ce qui ne va pas touj OUl'S sans difficulté : « Forli, lundi 17 m a i 1847. Villc régulière ct ennuyeuse, je fai s le tour de la ville et enfin j e trouve le seul poi nt d 'otl ell e p<,ut ê t re dessi n ée. )

5. N° 2239, Carnet 13. La. tou r de la douane et façade de l'église San Giorgio Ma~gio re. Venise, juillet 47. Mine de plomb. 0,140 X 0,205. - N" 2237, Carnet 13. SCt/ola S. Marco Velzlse, juillet 1847. Mine de plomb, 0,205 X 0,140 .

6. Carnets 12. 13, 17, 52. Les dessins ct carnets ont fait l'objet d'une numérota tion sans ordre chronologique, après la mort de Ziem, par sa veuve.

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Ce besoin traduil à la fois ulle certaine conception ùu voyage el du « tourisme » et une nécessité financière. Les dessins et aquarelles se ven­tient très facilement : rassemblés da ns des cartons, ils passent da ns les mains des collectionneurs. qui reliennenl les pièces de leur choix. Ainsi feront J'ambassadrice de France à Florence, le duc de Bordeaux à Venise, la duchesse de Castiglione ... Plus exceptionnellement, lord Vernon se fait envoyer régulièrem ent des dessin s exécutés d a ns les différents sites parcou­rus par Zi em. Ces œuvres semblent ê tre très soignées, d'une exécution poussée dans les délails, dans l'esprit de cetle vue d'une place de Bologne allee, au fond , la /ollr Asinelli. Ziem note d 'ailleurs, le 22 août 1847 : « Mis au n eL dessin s pOlir lord Vernon. » Mais les feuilles du voyage en Ita lie, conservées par Mme Zi em, semblent essentiellement appartenir à la catégorie des dessins d'après nature» (suivan t les mots mê m es d e l'ar­tiste) : ce sont des œuvres sans but commercial, l'expression prefilière, ce qu'il y a de plus intime da ns la vision de Zie1ll. La volonté de saisir l'es­sentiel pour l'instant est confirmée par son journal: « Lundi 10 filai 1847, je passe devant Assise, pelit dessin en voiture. » Rapidité d'exécution, acuilé et justesse ù 'observation éclat ent dans ces carnets (fig. 74).

En 1846-47, Ziem a dans les mains un excellent métier de dessinateur. Il a prouvé qu'il é ta it capable d es dessins les plus serrés, d'une grande rigu eur analytique, fouillés dans les d étails. Sa formation d'architecte trans­paraît ùans la ne Ueté du trail. Il sait rendre, avec une exactitude sans concession. ùes paysages urbains complexes, faisant appel à un sens aigu de la perspeclive. Mais cette rigueur n'esl pas sécheresse. Très tôt il sait nuancer son trait, agrémenter d'accents plus sombres ses vues d'édifices. On senl pendant ceUe période 1846-47 ce qu'il gagne en liberté et sponta­néité. A partir de ce deuxième séjour en Itali e, on trouve dans ses carnets une dualité entre des feuilles d'une exéc ution très preste, et d'autres plus soignées, plus fini es : il en sera ainsi pendant plus de vingt ans. Il semble que Zi em se soit obligé à ces exercices demandant un métier d'une per­fection académique, alors que ses penchants le poussaient à un plus grand lyrisme. Une ascèse pour ne pas perdre la main, comme le virtuose qui fait ses gammes. Le carnet n° 13, rempli pendant une période assez courte, entre Je 7 avril 1847 et le mois de juillet de cette même année, présente

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d e grandes différences d 'exécution entre des ŒlI\TCS aussi fini es c l pOllS­

sées que ses vucs de Bologne. et certa ines vues ù e Venise enl evées avec une grande liberté. Il es t intéressant ùe consta ter celte dissembla nce ùans un carnet qui présente une unité ùe temps. contrairement à la l_dupal'l (Ziem avait l'habitude de remplir quelqu es pagES d'un album, puis Ic laissait sommeiller, parfois plusi eurs années). On sent déjà. dans les prëmiers plans d e ses feuilles les plus achevées, une \'Halité ùu trait qui les oppose à la rigueur des architectures et leur év ite toujours ln mono­tonie. Mais dans ce carnet on trouve p OUl" la première fois des œ uvres d'une audacieuse liberté. Ce j eune hOlnmc de v;ngt-six ans llIanifes te. dans sa vue de San Giorgio el de la Tour d e la DOllane (n " 22:\9), IIne force cl Ull e décision dans le trait, qui le posent en arti ste affirmé cl en pleine possession de son mé lier. Dans ù eux ans il va affronter le t es t d éci­sif que représente a lors le Sa lon . On rem arque égalem ent d a ns celle Œuvre la volonté oe varier les effels par une différence de traitement entre pr(~­

miel's e t arrièl'e-plans, Ici elle est le fa il de la <[ua lité du lrail : épais et d'une liberté débridée dans la d escription de la Dou a ne, il dev iclll fin cl

modulé pour évoquer la plus lointaine église San Giorg:o. D'autres d es­sins participent de celte même vigueur d'exéculion, le n° 2223 7 repl't'scn­t ant des barques, les baleaux de pêcheurs dll n " 2216 8, la vue panora­mique d e Fenise prise du quai des l~sdalJ(}ns ') el la SCllola San Marco (n' 2237),

A côté ùe cette nouvelle spontanéité d'exécution, Zi em affirme d es <Jualités qui s'étaient déjà largement fa it sentir da ns ses ca rne ts pl'éc~5-

dents. Inutile de revenir sur ses aptitudes à évoquer les a rchitectu res les plus compliquées. Tout a u plus insistera-t-on SUl' son h abile té à suggé rr f la profondeur de ses vu es : tantôt il joue sur les différen ces ù'échelle. employant les plans les plus rappl'oeh és comme repoussoir à lin sp ec­tacle architectural plus lointain (Rio à Venise 10, borde de palais, avec d cs

7. N" 2223. Album 13. Pêcheurs Venise, juillet 1849. Mine de plomb, haut. : 0,140; largo : 0.205.

8. N'> 2240. Album 13. V enise, juin mardi 47. Mine de plomb, hau t. : 0,140; larg .. 0,205.

9. N° 2214. Album 13. Mine de plomb, haut . : 0,140 ; larg. : 0,205. 10. N° 2195. Album 13. Canal à Venise, juill. Mine de plomb, haut. : 0,205 ; larg. : 0,140.

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proues ùe gondoles au premier plan), tantôt après avoir décrit un espace ample, il le prolonge d'une rue ou d'une échappée. prise dans une pers .. pective presque vertigineuse: vues de Bologne, place avec la tour Asinelli au rond (n " 2282, fig. 74), canaux 11, entrée {arliliée surmontée d'une totlr 12. Zicm sa iL éga lement animer ses vucs, traduire par quelques traiLs quelques taches, le grouil lem ent d ' une foule (marché de Florence n, vucs de Bologne, place Sain/-Marc 14 ••• ). Les dessins arrivent à des etTets pictu­raux de plus en plus affirmés. Celte force vHale qu'est chez lui la couleur lransparaiL paradoxalement dans unc production graphique, et cela très tôt. On y trouve ce que généra lement ne peut le dessin, à la limite du réel, la suggeslion de la couleur. La vlle du Pont allX Gràces à Florence, à conlre-jour dans le couchanl (n" 2133), l'extrémité du Grand Canal

avec la silhouetle de la Salute estompée (n" 2194, fig. 73) et ces bateaux de pêchellrs dont Zicm l'ail jouer les transparences des filets accrochés aux mâts 15 son t autant de peintures 11lonochromes. Les d(" s~

sins vont souvent servir à Ziem pour exécuter ses toiles en atelier.

Si l'on s'est arrêté plus particulièrement SUI' les paysages, c'est qu'ils constituent la partie la plus caractéristique de son œuvre. On ne peut pas voir ses dessins ùe Venise sans avoir en tête leur correspondant èn peinture (no 2194, nO 2189 ... ). Mais l'album nO 13 est un journal de voyage très complet et ce serait ignorer toute une partie de sa production de n'en faire qu'un paysagiste. C'est également un portraitiste, qui sait traduirc ce qu'il y a d'cxceptionnel sur un visage, nous en faire saisir toute la psychologie, et la première page du carnet 13 16 illustre bien ses qualités. Tout intéresse Ziem e l tout lui est prétexte à dessiner. Bouquets de fl eurs, mendiantes, dames de qualité dans leurs riches toilettes, natures mortes. coiffures, objets typiques, se luêlent dans ses carnets.

11. N° 2185. Album 13. Bologne, 24 mai 1847. Mine de plomb. haut. : 0,170; largo : 0,095.

g: ~: ~!~g: 1œ~~ g: ~i~~gd~ 1:io~bneav~~ ~~oh~~t ~~ubl~n~,2~~; ~;:p~r~tl~~· bistre, haut. : 0,180; largo : 0,105.

14. N° 2217. Album 13. Venise, mercredi ju.in 47. Mine de plomb, haut. : 0,205; larg. : 0,140.

15. N° 2240. Album 13. Venise, juillet 1847. Mine de plomb. haut. : 0,140; largo : 0,205. 16. N° 2168. Album 13. Plume, mine de plomb, haut. : 0.205; larg. : 0,140.

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Le deuxième voyage en It a lie a é té rema rqu ablement ft~con d pO li f

ce j eun e artist e, Il a acqlli~ un e conn aissance plus approfondie des maUres nnciens. Le champ de ses rela tions s'es t enri ch i de noms pres ti gieu x. L es croquis ct aq ua rell es qu'il l'apport e sont un ma tériel essenti el pOllf l'éla­bora tion de ses tableaux fllLlIl' s. 11 ga rdera uyec soin ses premiers cn rn ets de voyage touf e sa vic : ce sont des œuvres ùéjà mùres olt l'explosion future <l e son gt~ ni e mod erni ste est contenue en la tence. Da ns \'cllise de la TOllr de la DOllane, te l le vers libre 'lui se ùéchain e, le trait conq uiert J'espace avec un dynamisme et une nervosit é qui annonce l'Acti on-Pa in­ting ùc Jackson P ollock ou de Mathi eu, el ùans celle divagalion s upcr­conscient e du graphisme qui est tlne synthèse m en ta le du yi suel, il y a un peu la même a ttitude devant le vécu transposé que l'éc riture a utom a­tique des Sil l'réalistes.

Eric HILD.

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