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LE POSSESSIF VIA L'ANAPHORE ASSOCIATIVE Georges KLEIBER Université Marc Bloch Strasbourg & Scolia 0. INTRODUCTION Anaphore associative et adjectif possessif? C'est une question qu'une opposition telle que celle qui lie 1) à 2): 1) La voiture s'écrasa contre un tilleul. Les freins avaient lâché 2) La voiture s'écrasa contre un tilleul. Ses freins avaient lâché a contribué à rendre presque classique. Ce n'est toutefois pas sous cet angle plus ou moins familier, mais non encore résolu — on en est loin! — de la concurrence entre les deux types d'anaphores que nous allons l'aborder. Plutôt que de chercher à voir en quoi réside la différence entre 1) et 2) et quelles sont les conditions d'apparition de chacun de ces deux processus référentiels, tâche sérieusement commencée dans des études comme celles de Fradin (1984), Bartning (1989), Tasmowski-de Ryck (1990), Ohki (1993), Kleiber (1999 a et b), Crévenat (à paraître), etc., et que nous comptons poursuivre ailleurs 1 , nous avons opté ici pour une démarche tout à fait différente, qui peut paraître surprenante au premier abord, en ce qu'elle consiste, à partir d'une typologie partielle des anaphores associatives établie ces dernières années (voir Kleiber, 1996, 1997 a et b, à paraître a,b, c et d), à exa- miner le comportement des noms impliqués face à l'adjectif possessif. Nous procéderons en deux étapes, une étape descriptive d'abord, qui présentera les résultats de la confrontation et une étape explicative ensuite, qui essaiera de rendre compte de la répartition observée dans la première. Notre analyse se révélera non seulement bénéfique pour l'anaphore associative, mais aura aussi et surtout, on le verra chemin faisant, des retombées positives pour l'anaphore possessive. Comme le souligne le titre choisi, Le possessif via. Vanaphore associative, le but de cet article est d'ouvrir une nouvelle piste d'investigation pour l'adjectif possessif. 1. ANAPHORES ASSOCIATIVES ET SN POSSESSIFS 1.1. Différents types d'anaphores associatives Notre point de départ sera donc constitué par les différents types 2 d'anaphore asso- ciative que nous avons mis en relief jusqu'ici 3 , à savoir: 1 Pas aux Maldives, que le lecteur se rassure! 2 Généralement, on ne reconnaît que deux types d'anaphores associatives. Fradin (1984) sépare celles qui sont dues à la présence d'une suite non actancielle dans la représentation sémantique du nom anaphori- que — il s'agit en gros de la relation partie-tout — de celles dont le nom anaphorique comporte une suite loca- María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

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LE POSSESSIF VIA L'ANAPHORE ASSOCIATIVE

Georges KLEIBER

Université Marc Bloch Strasbourg & Scolia

0. INTRODUCTION

Anaphore associative et adjectif possessif? C'est une question qu'une opposition telle que celle qui lie 1) à 2):

1) La voiture s'écrasa contre un tilleul. Les freins avaient lâché 2) La voiture s'écrasa contre un tilleul. Ses freins avaient lâché

a contribué à rendre presque classique. Ce n'est toutefois pas sous cet angle plus ou moins familier, mais non encore résolu — on en est loin! — de la concurrence entre les deux types d'anaphores que nous allons l'aborder. Plutôt que de chercher à voir en quoi réside la différence entre 1) et 2) et quelles sont les conditions d'apparition de chacun de ces deux processus référentiels, tâche sérieusement commencée dans des études comme celles de Fradin (1984), Bartning (1989), Tasmowski-de Ryck (1990), Ohki (1993), Kleiber (1999 a et b), Crévenat (à paraître), etc., et que nous comptons poursuivre ailleurs1, nous avons opté ici pour une démarche tout à fait différente, qui peut paraître surprenante au premier abord, en ce qu'elle consiste, à partir d'une typologie partielle des anaphores associatives établie ces dernières années (voir Kleiber, 1996, 1997 a et b, à paraître a,b, c et d), à exa-miner le comportement des noms impliqués face à l'adjectif possessif.

Nous procéderons en deux étapes, une étape descriptive d'abord, qui présentera les résultats de la confrontation et une étape explicative ensuite, qui essaiera de rendre compte de la répartition observée dans la première. Notre analyse se révélera non seulement bénéfique pour l'anaphore associative, mais aura aussi et surtout, on le verra chemin faisant, des retombées positives pour l'anaphore possessive. Comme le souligne le titre choisi, Le possessif via. Vanaphore associative, le but de cet article est d'ouvrir une nouvelle piste d'investigation pour l'adjectif possessif.

1. ANAPHORES ASSOCIATIVES ET SN POSSESSIFS

1.1. Différents types d'anaphores associatives

Notre point de départ sera donc constitué par les différents types2 d'anaphore asso-ciative que nous avons mis en relief jusqu'ici3, à savoir:

1 Pas aux Maldives, que le lecteur se rassure! 2 Généralement, on ne reconnaît que deux types d'anaphores associatives. Fradin (1984) sépare celles

qui sont dues à la présence d'une suite non actancielle dans la représentation sémantique du nom anaphori-que — il s'agit en gros de la relation partie-tout — de celles dont le nom anaphorique comporte une suite loca-

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a) les anaphores associatives méronymiques (Kleiber, 1996), qui reposent sur une relation partie-tout. Le nom anaphorique est marqué sémantiquement comme étant une partie de, "ce qui impose de le définir relativement à une totalité" (Tamba, 1994: 69) représentée par l'entité dénotée par le nom antécédent. L'exemple 3) devenu embléma-tique en est une illustration canonique:

3) Il s'abrita sous un vieux tilleul. Le tronc était tout craquelé (Fradin, 1984)

b) les anaphores associatives locatives (Kleiber, 1997 a), comme 4):

4) Nous entrâmes dans un village. L'église était située sur une butte

que nous avons séparées, contrairement à Winston et al. (1987)4, des méronymiques comme 3), parce que le nom de l'expression anaphorique (ici église ) n'est sémanti-quement pas un nom de 'partie de'. L'entité dénotée n'est ontologiquement pas dépen-dante de celle de l'antécédent comme le sont les entités des méronymes, ce qui se tra-duit par toute une série de manifestations différentes (Kleiber, 1997 a). L'anaphore ne s'établit donc pas associativement sur une relation de type 'partie-tout', mais sur une relation de localisation stéréotypique fonctionnelle: le rapport qui unit église à village est que la deuxième entité sert d'endroit stéréotypique fonctionnel à la première.

c) les anaphores associatives actancielles (Kleiber, 1997 b) telles que 5) et 6):

5) Paul se coupa du pain et posa le couteau (Corblin, 1987) 6) Une vieille dame a été assassinée. Le meurtrier n 'a pas été retrouvé

dont la particularité est de mettre aux prises, d'où leur nom, un prédicat (l'antécédent) et un des ses arguments ou actants (l'expression anaphorique): le couteau de 5) est ainsi l'instrument de couper le pain comme le meurtrier de 6) est l'agent de l'assassinat de la vieille dame.

d) les anaphores associatives fonctionnelles (Kleiber, à paraître a) qu'exemplifient des enchaînements comme 7) et 8):

7) Nous entrâmes dans le village et demandâmes à voir le maire 8) La voiture dérapa. Le conducteur s'était assoupi

Alors qu'avec les méronymiques, l'entité x dénotée par le SN anaphorique est une partie d'un tout y, elle exerce dans le cas des fonctionnelles une fonction ou un rôle vis-à-vis de y. Ainsi, si 4) repose sur la relation 9):

tive. Salles (1995 a et b) oppose les anaphores associatives qui "roulent" sur la relation partie de à celles qui s'établissent sur des rôles sémantiques.

3 Empressons-nous de signaler que notre liste n'est absolument pas limitative. 4 Pour Winston et al. (1987), c'est la même relation (component - integral object) qui relie, par exem-

ple anse - coupe et réfrigérateur -cuisine.

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9) x (le tronc) est une partie de y (le tilleul)

7) et 8) s'appuient sur les relations fonctionnelles 10) et 11):

10) x (le maire) est maire de y (le village) 11) (le conducteur) conduit y (la voiture)

e) les anaphores associatives du type membres-collection (Kleiber, à paraître c) où l'entité de l'expression anaphorique se trouve reliée à l'entité-antécédent par une rela-tion qui unit les éléments ou membres, dans 12), le mari, dans 13), la mère, les enfants, dans 14), les soldats, à un ensemble collectif qui les rassemble, dans 12), le couple, dans 13), la famille et dans 14), le régiment:

12) Un couple m'a rendu visite hier ; le mari était insupportable (Milner, 1982) 13) Dans les familles d'origine immigrée notamment, la mère est en porte à faux entre

sa culture d'origine et sa volonté d'intégration, elle est complètement larguée au niveau scolaire et les enfants en profitent (Journal Dernières Nouvelles d'Alsace, 16 / 1 / 1998)

14) Le régiment a été défait. Les soldats n'ont pas eu le temps de combattre

1.2. Le test du possessif

Comment allons-nous procéder? Comme un des dénominateurs communs de l'ana-phore associative est de mettre enjeu crucialement deux entités différentes unies par un lien qui n'est pas seulement contigent, mais relève d'une manière ou d'une autre d'un savoir a priori (ou information lexico-stéréotypique)5, il est tout naturel de voir si ce rapport peut aussi être exprimé ou non au moyen de l'adjectif possessif. Le travail de Fradin (1984) constitue à cet égard une première tentative très instructive, qui a suscité directement celle que nous allons entreprendre ici.

Nous le ferons toutefois sous une forme sensiblement différente. Pour chacun des cinq types d'anaphore associative relevés, nous essaierons de voir deux choses:

(i) si à la place de l'anaphore associative, on peut avoir ou non une anaphore pos-sessive, si donc au lieu de le Ni, on peut avoir son Ni où l'adjectif possessif renvoie au référent antécédent dénoté par Nj

(ii) inversement, si l'antécédent Nj peut accepter une détermination possessive en son Nj où l'adjectif possessif renvoie au référent dénoté par Ni. Dans ce cas, on le rappelle, la concurrence avec l'anaphore associative n'entre pas en ligne de compte, puisque celle-ci ne connaît normalement que le sens Nj—>Ni (Kleiber, Patry et Ménard, 1993).

5 Ce point est plus ou moins admis aujourd'hui, même s'il suscite encore des critiques légitimes. On trouvera dans Charolles (1990 et 1994) des arguments en faveur d'une approche discursivo-cognitive moins rigide et dans Kleiber (1992, 1993, 1994 et 1995) des arguments pour la thèse lexico-stéréotypique opposée. Pour une synthèse sur le sujet, voir Kleiber, Schnedecker et Ujma, L., 1994.

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Quatre situations sont théoriquement possibles, représentées en 15):

15) a) son Ni et son Nj b) son Ni et *son Nj c) *son Ni et son Nj d) *son Ni et *son Nj

Pour les méronymiques, c'est 15)b) qui prévaut. Comme l'a déjà montré l)-2) et comme le montre la paire 3)-16):

3) Il s'abrita sous un vieux tilleul. Le tronc était tout craquelé 16) Il s'abrita sous un vieux tilleul. Son tronc était tout craquelé

on peut avoir Son Ni pour renvoyer à la partie du tout antécédent. De même que le tronc c'est le tronc du tilleul, de même son tronc, c'est le tronc du tilleul. On n'a pas, par con-tre, la détermination possessive inverse son Nj: son tilleul ne peut correspondre au "tout de la partie":

17) *Le tronc était tout tordu. Son tilleul était énorme (pour son = du tronc ) 18) *Le volant était cassé. Sa voiture avait dérapé (pour son = du volant ) 19) * Le toit était en tuiles, sa maison en briques (pour son = du toit )

Les locatives répondent aussi à 15) b). L'anaphore possessive Son Nj est totalement exclue:

20) * Nous entrâmes dans l'église. Son village était en fête (pour son = de l'église) 21) * Le frigo est en panne. Sa cuisine est inutilisable (pour son = du frigo)

alors qu'il est possible d'avoir l'anaphore possessive son Ni:

22) Le village était situé sur une butte. Son église dominait toute la région 23) La cuisine est inutilisable. Son frigo est en panne

Une différence cependant: la réalisation de l'anaphore possessive son Ni apparaît plus contrainte que dans le cas des méronymiques, comme le montre 24):

24) Nous entrâmes dans la cuisine. (?) Son frigo était grand ouvert

Avec les actancielles, le SN son Ni se trouve totalement exclu, comme le montrent 25)-27):

25) Paul a coupé du pain et a posé son couteau (son = de Paul ) (*son = du "coupage") 26) Paul s'est pendu. Sa corde s'est cassée (sa = de Paul) (*sa = de la pendaison) 27) Il y a eu un assassinat hier soir à Gumbrechtshoffen. *Son assassin a pris la fuite

(son = de l'assassinat)

Il en va un peu différemment avec la formation du SN Son Nj. Pour 25) et 26), il est difficile d'envisager une anaphore du type sa pendaison ou son acte de couper pour

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dire qu'il s'agit de la pendaison de la corde ou de l'acte de couper effectué par le cou-teau. Il est par contre plus facile d'avoir un SN du type son meurtre pour renvoyer au meurtre accompli par Ni:

28) a) L'assassin a pris la fuite, une fois son meurtre accompli b) Le voleur a pris la fuite, une fois son vol accompli

La situation 15) a) son Ni et son Nj convient aux anaphores associatives fonction-nelles. On a en effet sans difficulté aussi bien l'anaphore possessive son Ni:

29) Le village de Pfajfenheim s 'étend de plus en plus. Son maire voudrait en faire la perle du Piémont vosgien

30) Une voiture s 'est renversée hier dans le fossé. Son conducteur s 'était assoupi 31) Le village est de plus en plus fleuri. Ses habitants aiment les géraniums

que l'anaphore possessive Son Nj:

32) Généralement, un maire veut développer son village 33) Nous secourûmes le conducteur. Sa voiture était en flammes 34) Les habitants ont compris le langage des fleurs. Leur village croule sous les géra-

niums

Les anaphores associatives qui reposent sur la relation membres-collection don-nent lieu à trois types de résultats. Pour certaines paires de Ni-Nj, c'est seulement son Nj qu'on a, pour d'autres c'est seulement son Ni alors que, pour d'autres encore, on a les deux:

35) a) Les enfants doivent avoir du respect, mais il faut que leur famille le leur inculque b) Dans les familles d'origine immigrée notamment, Heur mère (= des famil-les) est en porte à faux entre sa culture d'origine et sa volonté d'intégration, elle est complètement larguée au niveau scolaire et *leurs enfants (= des familles) en profitent c) Un couple s'installa à la terrasse. *Son mari (= du couple) commanda une 1664

36) a) Nous entrâmes dans une forêt magnifique. Ses arbres resplendissaient de lumière verte b) Les arbres resplendissaient de lumière verte. *Leur forêt (= des arbres)éta// magnifique

37) a) Le régiment a été défait. Ses soldats n 'ont pas eu le temps de combattre b) Les soldats ont refusé de combattre. Leur régiment a été ainsi défait sans peine

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2. AUX SOURCES DU POSSESSIF

Ces données posent toute une série de questions: a) En premier lieu, pourquoi les anaphores actancielles sont-elles les seules à ne

pas connaître de concurrent possessif? b) Pourquoi les méronymiques et locatives ne donnent-elle lieu qu'à la formation

d'une anaphore possessive de type son Ni, alors que les fonctionnelles permettent d'éta-blir aussi bien une anaphore de type son Ni qu'une anaphore de type son Nj?

c) comment expliquer la répartition observée au sein des anaphores associatives du type membre-collection?

Pour y répondre, nous procéderons par paliers, en faisant d'abord intervenir une contrainte de classification, puis le rapprochement avec les SN binominaux en de et, enfin, une relation sémantique lexicale et un facteur de hiérarchie ontologique.

2.1. Contrainte de classification

En premier lieu, on constate que toute anaphore possessive est exclue d'avance si l'antécédent n'est pas appréhendé comme classifié ou nommé. Le possessif partage ainsi avec le pronom personnel (Kleiber, 1994 b) l'exigence d'un référent déjà catégorisé6. Lorsqu'un référent humain est enjeu, cette classification, on le rappelle (Kleiber, 1994 b: 76), est acquise par le fait même qu'il s'agit d'un être humain, de telle sorte qu'un N par-ticulier ne doit pas nécessairement être récupéré. Ceci est particulièrement net avec les déterminants possessifs de première et de deuxième personne (mon, ton, nos, vos ). Avec les non humains (ou inanimés?), par contre, l'absence de catégorisation similaire exige la reconnaissance de la catégorie et donc le nom de la catégorie en question. On a là une importante différence entre l'article défini associatif et l'adjectif possessif: le second, mais non le premier, impose une contrainte de classification nominale à son entité antécédent. Quelles que soient les autres raisons possibles, cette condition, généralement oubliée lors-qu'on parle d'adjectif et de pronom possessifs, est suffisante pour expliquer l'échec du possessif dans les actancielles à antécédent verbal comme 25) et 26):

25) Paul a coupé du pain et a posé son couteau (son = de Paul ) (*son = du "coupage") 26) Paul s'est pendu. Sa corde s'est cassée (sa = de Paul) (*5a = de la pendaison)

6 Ceci n'a rien de surprenant si on considère le déterminant possessif comme un élément pronominal, ainsi que le fait généralement la littérature lorsqu'elle marque qu'il s'agit sémantiquement de l'alliance d'un article défini et d'un pronom personnel: "sémantiquement parlant, note Wilmet (1986: 108),les possessisfs atones allient un article de la série LE à une des trois personnes grammaticales, singulière (moi, toi, lui/elle ) ou plurielle ( nous, vous, eux/elles): mon, ton, son, ma, ta, sa, mes, tes, ses, notre, votre, leur, nos, vos, leurs = 'le/la/les x de moi/toi/lui(elle)/nous/vous/eux(elles)"'. Analyse reprise par Riegel et alii, 1994: 158) qui ramènent aussi l'adjectif possessif à le + N + de + pronom personnel et que l'on retrouve également, mais par des voies différentes, chez Godard, 1986: 103), qui le traite comme un GN pronominal, ou encore chez Zribi-Hertz (1999) qui assigne à la tête 1° le trait de Personne. L'argument principal pour cette conception "pronominale" est l'impossibilité d'avoir un SN de forme *le N de lui / toi /moi.

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Elle ne saurait, en revanche, servir pour les actancielles à antécédent nominal telles que 27) ou 38), puisqu'avec le N assassinat la condition de classification se trouve satisfaite:

27) Il y a eu un assassinat hier soir à Gumbrechtshojfen. *Son assassin a pris la fuite {son = de l'assassinat)

38) Il y a eu un assassinat hier soir à Gumbrechtshoffen. *Sa victime a été étranglée (sa = de l'assassinat)

Il reste donc à expliquer pourquoi le possessif ne peut, comme le fait le défini asso-ciatif dans 39) et 40):

39) Il y a eu un assassinat hier soir à Gumbrechtshojfen. L'assassin a pris la fuite 40) Il y a eu un assassinat hier soir à Gumbrechtshoffen. La victime a été étranglée

fonctionner dans une telle séquence. La solution de cette difficulté ne peut être trouvée qu'aux paliers suivants.

2.2. SN possessif et SN binominal en de

A notre deuxième palier explicatif, nous mettrons, comme on le fait couramment7, les SN Adj. Poss.+ NI en regard des SN prépositionnels correspondants de forme Le NI d'un/du N2. Quelle que soit l'exploitation syntaxique8 qu'on en fait, ce rapprochement (et non forcément "assimilation"9) trouve sa justification naturelle dans l'équation inter-prétative Adj. Poss. + NI = le NI de SN, qui fait qu'un SN comme son livre sera inter-prété comme signifiant peu ou prou, par exemple, ce que signifie le livre de Paul (voir Bartning, 1989 et 1996).

Le résultat d'une telle confrontation est double:

7 Le déterminant possessif "possède une propriété spécifique: il alterne avec un complément de Nom de la forme de GN" (Godard, 1986: 102). Là encore c'est un des faits plus ou moins consensuels dans l'ana-lyse du déterminant possessif qui se manifeste dans l'équation Dét.Poss. = Le N de + Pro. Comme déjà men-tionné dans la note précédente, c'est la voie suivie par Wilmet (1986: 108) et par Riegel et alii (1994: 158) qui postulent que "le déterminant possessif est l'équivalent de le (...) de moi, le (...) de toi, etc." et "repré-sente la synthèse de deux éléments généralement disjoints du GN: l'article défini et un complément du nom introduit par de (en l'occurrence un pronom personnel)".

8 Voir Godard (1986). 9 Voir Gross (1986) pour une présentation des deux principales options théoriques sur l'adjectif pos-

sessif: (i) celles qui le considèrent comme une expression irréductible et (ii) celles qui y voient le résultat d'une transformation. Nous penchons plutôt pour (i). Bartning (1989: 196-197) fait le point sur les réponses syntaxiques des années 70 et 80. On trouvera chez Godard (1986) une solution générativiste, élaborée dans l'esprit de la grammaire "modulaire" de Chomsky (1981), solution qui "articule des hypothèses concernant le lexique, la syntaxe et l'interprétation sémantique" (Godard, 1986: 103). Zribi-Herz (1999) propose une ana-lyse générativiste menée dans le cadre chomskyien de Principes et paramètres et établie selon la conception "autonomiste" de la morphologie flexionnelle connue sous le nom de Morphologie Distribuée.

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a) à chaque SN possessif Son Ni ou Son Nj fait effectivement pendant un SN avec complément de nom ;

b) en revanche, chaque SN avec complément de nom, soit donc le Ni du Nj ou le Nj du Ni, ne donne pas forcément lieu au SN avec déterminant possessif attendu, son Ni ou son Nj.

Le premier résultat est intéressant, dans la mesure où il confirme la relation étroite entre les SN avec déterminant possessif (son NI) et les SN en le NI de SN où le com-plément du nom représente l'antécédent du possessif. Pour les cinq types d'anaphores associatives testés, s'il y a possibilité d'un SN possessif pour le Ni anaphorique ou pour le Nj antécédent, ce SN peut à chaque fois être mis en correspondance avec un SN en de.

La vérification fait toutefois apparaître une différence révélatrice pour la sémanti-que du possessif. S'il est effectivement possible de faire correspondre à chaque SN pos-sessif relevé un SN avec complément de nom, celui-ci ne sera toutefois pas toujours le même selon qu'il s'agit du SN son Ni ou du SN son Nj.

Avec son Ni, le nom Nj de l'antécédent est toujours pertinent dans le complément du nom du SN le Ni de SN. C'est ainsi que l'on a, pour les méronymiques, 41), pour les locatives, 42), pour les fonctionnelles, 43) et, pour les anaphores du type membres-collection, 44):

41) méronymiques: Son Ni = son tronc —> le tronc du tilleul / d'un tilleul 42) locatives: Son Ni = son église —> l'église du village 43) fonctionnelles: Son Ni = son maire —> le maire du village /d'un village 44) membres-collection: Son Ni = ses arbres —> les arbres de la forêt

Il n'en va plus tout à fait de même avec son Nj , le Ni de l'antécédent pouvant don-ner lieu à un syntagme prépositionnel mal formé, comme le montrent 45), 46) et 47):

45) actancielles:s0M Nj = son meurtre —>? le meurtre du meurtrier; son vol —>? le vol du voleur

46) fonctionnelles: son Nj = sa voiture —>?la voiture du conducteur /? d'un con-ducteur; leur village —>? le village des habitants /? d'habitants

47) membres - collection: son Nj = leur régiment =? le régiment des soldats

La raison de la relative inconvenance de Ni dans ces SN binominaux tient au fait que leur sens lexical intrinsèque les rend peu aptes à servir à déterminer l'entité déno-tée par Nj . La détermination de le meurtrier, le voleur, le conducteur et de les habitants implique déjà celle d'un meurtre, d'un vol, d'une voiture et d'une agglomération, de telle sorte que leur emploi comme complément de nom pour déterminer l'entité qui les détermine eux-mêmes apparaît comme tautologique. Dans le cas du régiment des sol-dats, la tautologie découle du sens de régiment lui-même, qui se trouve déjà déterminé comme un ensemble de soldats.

Cette tautologie n'est plus de mise si la détermination opérée par le complément du nom n'est plus dépendante de Ni, mais joue sur le caractère d'individu du référent qui satisfait au substantif Ni. Si un meurtre ne peut être déterminé par le seul fait que

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celui qui l'a accompli est un meurtrier, il se trouve, par contre, spécifié de façon dis-tinctive pertinente par l'identité, ou une autre description identifiante que celle de Ni, de l'individu qui est le meurtrier. C'est ainsi qu'à la place des SN binominaux de 45) -47) on avance généralement des SN comme ceux de 48) - 50):

48) actancielles:5cw Nj = son meurtre —> le meurtre de Paul; son vol —> le vol du petit garçon

49) fonctionnelles: son Nj = sa voiture —> la voiture de François; leur village —> le village de mes amis

50) membres - collection: son Nj = son régiment = le régiment de Bernard/leur régi-ment = le régiment des appelés d'outre-mer

On peut se demander pourquoi avec le possessif l'antécédent peut, comme nous l'avons vu avec 28) a et b), 34), et 37) b), présenter explicitement Ni:

28) a) L'assassin a pris la fuite, une fois son meurtre accompli b) Le voleur a pris la fuite, une fois son vol accompli

34) Les habitants ont compris le langage des fleurs. Leur village croule sous les géraniums

37) b) Les soldats ont refusé de combattre. Leur régiment a été ainsi défait sans peine

La réponse réside dans le caractère anaphorique pronominal du possessif: de même que le pronom //, le déterminant possessif son n'est pas un substitut de l'expression antécédent utilisée, mais renvoie, dans des conditions qu'il conviendrait de préciser, à l'entité appréhendée comme nommée qui est saillante ou engagée dans une situation saillante en vigueur au moment de l'occurrence du possessif10. Ainsi, même s'il parti-cipe à l'établissement de la référence d'un SN en son, le N de l'antécédent n'exerce plus la même influence que dans le SN avec complément de nom, dans lequel il figure expli-citement et dont il contrôle directement la référence.

Si cette mise au point vaut également pour les syntagmes possessifs de 41)-44), c'est-à-dire si l'option pronominale doit également s'appliquer à ces syntagmes, il ne faudrait pas en conclure pour autant que la différence entre 41)-44) et 45)-47), qu'a fait apparaître notre mise en correspondance des SN possessifs son Ni et son Nj avec les syntagmes binominaux en de articulant Ni et Nj, voit sa pertinence remise en cause. Elle est, nous l'avons dit, révélatrice pour le fonctionnement de l'adjectif possessif, dans la mesure où elle constitue un argument assez fort pour dissocier la formation du SN pos-sessif dans 41)-44) de celle à l'oeuvre dans 45)-47). En somme, pour distinguer (au moins) deux sources sémantiques à l'établissement de l'anaphore possessive. Trois constats confirment une telle séparation et invitent à postuler une relation sémantique différente son Ni et son Nj. Le premier, rappelons-le, est que ce n'est que dans le cas des anaphores son Nj que le syntagme binominal correspondant le Nj du Ni peut se révéler

10 Pour plus de détails, voir Kleiber (1994 b).

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inapproprié. Le deuxième, qui n'est que le corollaire du premier, est que les anaphores associatives ne sont pas concernées lorsqu'une telle correspondance n'est pas possible, puisqu'elles n'entrent en concurrence avec le SN possessif que dans le cas des SN pos-sessifs en son Ni. Etant donné que les anaphores associatives "roulent" sur des relations sémantiques a priori, ceci donne à penser que l'établissement du possessif se fait dans ce cas également sur des relations sémantiques a priori entre les N concernés. On obser-vera, en troisième lieu, que, lorsqu'il s'agit de son Nj, l'antécédent Ni renvoie toujours à un être humain, alors que pour les anaphores possessives en son Ni, l'antécédent Nj est généralement non humain11 (cf. tilleul pour son tronc, village pour son église , villa-ge pour son maire , etc.).

Si chaque SN possessif son Ni ou son Nj peut effectivement être mis en face d'un SN binominal en de , ce rapprochement ne suffit pas à expliquer totalement l'apparition ou la non apparition des SN possessifs son Ni et son Nj avec les Ni et Nj impliqués dans nos anaphores associatives. Tout simplement parce que l'absence d'un SN possessif ne signifie pas absence d'un SN avec complément de nom. Comme il est souvent signa-

tout SN de forme Le NI de N2 ne donne pas lieu à un SN possessif son NI. Nous avons là le deuxième résultat de notre confrontation. Lorsque son Ni ou son Nj sont impossibles, on est en présence de deux cas: soit il n'y a pas non plus de SN binominal en de disponible, soit il y en a un. Relèvent du premier cas, les situations suivantes:

51) méronymiques: *sa voiture et Ha voiture d'un volant 52) locatives: *son village et He village d'une église /de l'église 53) membres - collection: Heur forêt et Ha forêt des arbres

Relèvent du deuxième cas les situations 54) et 55):

54) méronymiques: *sa voiture et la voiture du volant dans, par exemple, La voiture du volant qu 'on a ramassé dans un fossé n 'a jamais été retrouvée

55) membres - collection: *son père et le père de la famille *son mari et le mari du couple (que nous avons vu hier)

11 Si nous disons généralement, c'est parce que des N relationnels comme fils, père, etc., donnent lieu à des SN du type son fils, son père dont l'antécédent est évidemment un être humain. On remarquera cepen-dant, d'une part, qu'il n'y a pas anaphore associative fonctionnelle avec de tels N, à cause de la relation sémantique converse qu'ils présentent (Kleiber, à paraître b), et, d'autre part, qu'ils ne correspondent pas non plus, comme nous l'avons noté également dans (Kleiber, à paraître b), pour des raisons de tautologie, à le fils du père et le père du fils.

12 C'est un des points classiques de la littérature sur le déterminant possessif (Godard, 1986, Gross, 1986, Bartning, 1989 et 1996, Kupferman, 1996 et Zribi-Hertz, 1999). Voici les exemples donnés par Godard (1986: 108):

- le retour de la campagne / * son retour - les soldats français du Tchad/ses soldats - le journal du 29 février / * son journal - l'amour du risque / *son amour - la table d'un bois clair / * sa table - un savant d'une grande gentillesse / *son savant

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Comment expliquer cette double situation et comment rendre compte des autres résultats obtenus par le rapprochement effectué avec les SN en de?

2.3. Ontologie et relations lexicales

Nous allons, pour cela, faire intervenir, à notre troisième palier, une double hypo-thèse sur l'emploi du déterminant possessif en mettant en avant à la fois le facteur onto-logique et le rôle des relations sémantiques lexicales. Notre volant ontologique est dif-férent de celui qui est couramment mis en avant. Généralement, on souligne que le caractère humain (ou animé) de l'antécédent est un facteur qui facilite la formation d'un SN possessif. Les traits 'animés' et 'humain' figurent, ainsi que le rappelle Bartning (1996), en haut de la hiérarchie "possessive" de Hawkins (1981), alors que les inanimés se placent en bas de l'échelle (voir aussi Seiler, 1983: 81). On ne saurait toutefois faire de ce trait une contrainte, puisque le déterminant possessif, comme le soulignent tous les commentateurs, peut avoir sans difficultés des antécédents inanimés (ou des N2 inanimés, si l'on considère la structure le NI du/d'un N2), comme l'illustre cet exem-ple de Bartning (1996):

56) La gravité de la situation /sa gravité

et comme nous l'avons vu ci-dessus avec des séquences telles que 57), qui renvoient à nos anaphores associatives méronymiques et locatives:

57) a) Le tronc du tilleul / son tronc Le volant de la voiture / son volant b) Le magasin du village / son magasin L'église du village / son église

Nous ne pouvons donc nous contenter du seul trait 'humain' comme principe explicateur. Il reste qu'il joue un rôle important dans la formation des possessifs, comme l'a montré la différence que nous avons mise en relief entre 41)-44) et 45)-47). Mais quel est ce rôle?

2.3.1. Le cas de son tronc / *son tilleul et son église / *son village

Pour mieux le cerner, nous partirons de certains résultats et observations avancés ci-dessus. En premier lieu, nous reprendrons la situation des anaphores méronymiques et locatives et rappellerons que les N (Ni et Nj) qu'elles impliquent permettent d'établir des anaphores possessives en son Ni (son tronc , son église) et non en son Nj (*son tilleul, *son village). Le point important est que ces SN possessifs en son Ni reposent, tout comme les anaphores associatives (le tronc, l'église), sur une relation sémantique lexi-cale entre Ni et Nj, une relation de méronymie (Kleiber, 1996) et une relation stéréoty-

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pique locative (Kleiber, 1997 a). Cette relation est asymétrique, c'est-à-dire que ce n'est qu'un des N de la relation qui se trouve défini par l'autre. Dans le cas de la relation méronymique, c'est le Ni de la partie13 qui est défini comme partie par rapport au tout et non l'inverse. Si le nom de l'expression anaphorique est effectivement intrinsèquement marqué comme étant une partie, le nom antécédent, qui représente la totalité, n'est pas, comme l'a fort bien montré Tamba (1994), un holonyme: il ne contient pas le trait séman-tique définitoire de totalité comme le méronyme implique le trait 'partie de'. Si tronc ou volant sont définis sémantiquement comme étant une partie d'un arbre ou d'une voiture, arbre et voiture ne sont pas définis comme étant des "touts" (Tamba, 1994 et Kleiber, 1996). Dans le cas de la relation locative, c'est le nom de lieu Nj 1 4 (village) qui se trouve défini comme étant le lieu où se trouve l'entité Ni (église) et non l'inverse: si villa-ge est un lieu où se trouve généralement une église, église ne se trouve pas défini par rap-port à village. Outre l'impossibilité déjà signalée d'avoir, face à le Ni d'un Nj:

58) le volant d'une voiture l'église d'un village

un SN de forme le Nj d'un Ni:

59) Ha voiture d'un volant *le village d'une église

on mentionnera encore, pour souligner le caractère asymétrique de la relation sémanti-que, les oppositions 60)-61), 62)-63) et 64)-65)15:

60) Un voiture a un volant Un volant est la partie d'une voiture Un village a (généralement) une église

61) lUn volant a (généralement) une voiture *Une voiture est le tout d'un volant ? Une église a (généralement) un village

62) L'église appartient au village 63) *Le village appartient à l'église 64) Une voiture possède (généralement) un volant

Un village possède (généralement) une église 65) *Un volant possède (généralement) une voiture

*Une église possède (généralement) un village

On observera que les entités en présence sont des entités, disons pour aller vite, concrètes, ce qui permet d'établir un premier résultat, décisif, nous semble-t-il: avec des

13 Bartning (1998) range ces N de partie parmi les NI qui imposent le sens du SN le NI du N2 au niveau du SN lui-même.

14 Bartning (1998) parle de noms locatifs et les range avec les N2 dont le sens lexical contribue à l'in-terprétation de la relation des syntagmes nominaux complexes en de.

15 On retrouve ici une observation de Zribi-Hertz (1999).

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objets concrets (ou des non humains ou, du moins, des inanimés), l'établissement d'un SN possessif se fonde sur une relation sémantique a priori entre les N des entités impli-quées. En l'absence d'une telle relation, le possessif est impossible et ce même si le dis-cours permet d'établir un SN binominal en de . C'est ainsi que voiture et banane, par exemple, unis par la relation d'incompatibilité, ne sauraient donner lieu à un SN de forme *sa banane (ni *sa voiture), alors que, comme l'a fort bien montré Bartning (1996 et 1998), on peut avoir, en interprétation qu'elle nomme discursive16, un SN pré-positionnel comme la banane de la voiture , à condition que l'on dispose des informa-tions contextuelles nécessaires17 pour comprendre la détermination ainsi opérée. Il en va de même si l'on tente de construire le possessif sur le sens contraire à celui indiqué par la relation sémantique a priori. Alors que, comme nous l'avions signalé avec 54):

54) La voiture du volant qu 'on a ramassé dans le fossé n 'a jamais été retrouvée

il est possible d'avoir pour les méronymiques, dans des conditions tout à fait spéciales, soulignons-le, un SN de type Le Nj du Ni, on ne saurait avoir pour autant une anaphore possessive (cf. *sa voiture) pour rendre compte d'une telle détermination, parce que, comme nous l'avons vu, la relation sémantique a priori ne mène qu'à un sens détermi-natif, celui qui fait de la partie un élément du tout et non du tout un tout de la partie.

2.3.2. Dépendance ontologique intrinsèque

Posons-nous la question de savoir pourquoi avec des objets concrets l'instauration d'un lien possessif n'est possible que si les N des objets en question sont unis par une relation sémantique, comme la relation partie-tout ou la relation locative, qui fournit par avance un schème déterminatif indiquant laquelle des entités est sous la dépendance de l'autre. La raison nous semble être le fait qu'ils sont de même niveau ontologique. Et ce quelle que soit la thèse que l'on adopte en faveur du possessif.

Si l'on opte pour un contenu "possessif ' propre au déterminant possessif18, la situation ontologique équivalente d'objets concrets comme le couple voiture - bana-ne que nous avons mis à l'essai ci-dessus ne permet pas a priori ni de voir lequel pos-sède l'autre, ni surtout de comprendre en quoi pourrait constituer une telle relation possessive.

Si l'on préfère une version plus light de l'adjectif possessif, celle qui y voit avant tout un marqueur de subordination pronominale de type le N de + pronom personnel et

16 Bartning distingue deux types d'interprétations pour les SN en de: — les interprétations qu'elle appelle prototypiques , où le sens de la relation déterminative est donné

par la micro-structure elle-même — les interprétations discursives où il provient de l'information véhiculée par le contexte discursif. 17 Au lecteur d'imaginer un context pertinent! 18 Pour une "redéfinition linguistique des relations dites de possession et d'appartenance", voir

Riegel (1984).

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qui ne fait donc du sens possessif qu'un produit possible de cette combinaison19, la con-clusion est la même: il n'y a pas d'asymétrie référentielle intrinsèque20 au préalable entre voiture et banane qui indiquerait lequel est sous la dépendance de l'autre, en somme qui autoriserait la formation de SN du type la voiture d'une banane ou la bana-ne d'une voiture et qui permettrait l'interprétation a priori (ou prototypique, comme dit Bartning, 1996 et 1998) de la banane de la voiture ou de la voiture de la banane.

Que l'absence d'une telle subordination intrinsèque ou celle d'une quelconque relation "possessive" a priori est bien responsable du blocage de la connexion posses-sive est prouvé par la situation différente qu'entraîne la prise en compte de deux entités de niveau ontologique différent. Nous ne prendrons que deux cas. D'abord, celui d'un objet concret et d'une propriété, comme par exemple, voiture et couleur . Là, il y a au départ soit une relation de "possession" univoque entre les deux, soit un rapport de dépendance référentielle a priori: c'est la voiture qui "possède" ou a une couleur et non l'inverse et c'est l'occurrence de couleur qui dépend de l'occurrence de voiture et non l'occurrence de voiture qui se trouve soumise à celle de couleur, comme le montre 66):

66) la couleur d'une voiture Ha voiture d'une couleur

Conclusion: le possessif est cette fois-ci possible, parce qu'il existe cette fois-ci une relation a priori entre les entités en présence qui indique quelle est l'entité déter-minée et quelle est l'entité déterminante:

67) sa couleur (= la couleur de la voiture) *sa voiture (=? la voiture de la couleur)

On notera qu'il ne s'agit pas d'une relation sémantique propre aux N des entités concernées (à savoir ici voiture et couleur ), mais d'une relation plus générale concer-nant les classes, les objets concrets et leurs propriétés, auxquelles appartiennent ces entités.

Soit à présent la situation qui met aux prises un être humain et un objet concret, comme par exemple Pierre et livre. Le trait 'humain' a pour conséquence d'installer là aussi une asymétrie dès le départ entre les deux entités. Si on se place dans une optique "possessive", il est clair que ce n'est que l'humain qui puisse être dit posséder un livre et si l'on voit les choses plutôt du côté dépendance, il est clair aussi qu' a priori c'est plu-tôt le livre qui sera déterminé à partir de Pierre que Pierre à partir du livre, tout simple-ment parce que nous considérons qu'il est plus naturel de définir les objets concrets par rapport aux hommes (ou animés) que les hommes par rapport aux objets. Sans doute,

19 Position à laquelle nous sommes tenté d'adhérer, mais qui demande évidemment une justification moins cavalièrement spartiate.

2 0 Voir ici Strawson (1973). Zribi-Hertz (1999: 23) aboutit au même résultat en postulant que "l'ac-ceptabilité du syntagme possessivisé semble (...) solidaire de l'interprétation predicative de la relation YP-XP dans le XP de YP\

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parce que nous les concevons comme intrinsèquement plus indépendants ou plus auto-nomes que les objets concrets ou, pour résumer la chose, comme plus saillants ou, pour reprendre une formulation utilisée dans Kleiber (1981), comme ayant une force référen-tielle plus grande. Le trait de "contrôle", utilisé dans d'autres domaines, sémantiques et/ou syntaxiques, peut être utilisé ici. L'asymétire est claire: c'est plutôt l'animé ou l'hu-main qui contrôle l'objet concret que l'inverse. En termes strawsoniens d'asymétrie sujet /prédicat, il est clair aussi qu'un seul ordre est permis: c'est l'objet concret qui peut être prédiqué de l'animé ou humain et non l'animé ou humain de l'inanimé21.

Le résultat est que l'on peut former sans difficultés des SN possessifs du type son livre pour le livre de Jean, alors que l'inverse *son Jean22 n'est guère possible même si l'on peut concevoir des contextes qui légitiment de façon contingente la relation inver-se et qui permettent donc de former un SN binominal du type de le Jean du livre . Bartning (1996 et 1998) note en plus que pour de tels SN il y a deux interprétations pro-totypiques possibles: la possession (Jean a/possède un livre) et l'origine (Jean est agent).

2.3.3. Les deux sources du possessif

On voit à présent mieux le rôle du trait 'humain', mais on voit aussi mieux sur quel-les bases fonctionne le possessif. Il nécessite une asymétrie dépendancielle a priori23. Celle-ci peut être fournie par deux sources, comme nous venons de le voir et comme nous en avions fait l'hypothèse ci-dessus:

a) le statut ontologique des entités impliquées b) une relation sémantico-lexicale entre les N des entités impliquées qui indique

une orientation dépendancielle a priori. La première établit que si les catégories générales ou les types ontologiques aux-

quels appartiennent les entités sont en relation de dépendance une connexion possessi-ve est possible avec comme antécédent du possessif l'entité qui est la plus forte, c'est-à-dire celle qui sert de déterminant. L'échelle de dépendance ontologique sur laquelle on peut placer ces catégories ontologiques pourrait être en gros24 la suivante:

humains > animaux > objets concrets > événements > propriétés

21 Comme signalé ci-dessus, c'est la position également défendue par Zribi-Hertz (1999) 2 2 Cela ne signifie évidemment pas qu'on ne saurait avoir de syntagme possessif du type Son Jean. De

tels SN sont courants (cf. Ton Zidane..., ma chère Françoise , etc.), mais le possessif ne renvoie pas à un objet concret.

2 3 Pour Zribi-Hertz (1999), il s'agit de la prédication: le caractère prédicatif de la relation YP-XP est une condition nécessaire (mais non suffisante) de l'emploi du possessif. Pour elle (1999: 15), "l'équation Possession = Prédication éclaire les commentaires souvent confus ou ad hoc faits par les grammairiens sur la relation qu'ils nomment 'possessive'. En réalité, la Possession est une relation juridique et la Prédication une relation grammaticale indépendante de la première".

2 4 II conviendrait bien entendu de contrôler une telle hiérarchie de beaucoup plus près. Observons sim-plement qu'elle rejoint peu ou prou celle que l'on a pu établir çà et là pour la saillance référentielle.

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L'hypothèse que nous suggérerons est que l'on ne peut avoir un possessif par cette source que si et seulement si le type ontologique de l'entité-antécédent du possessif occupe une place supérieure dans la hiérarchie par rapport au type de l'entité détermi-née par le possessif. C'est dire, d'une part, que si les deux entités sont du même type, il n'y a pas de possessif possible par cette voie (cf * sa banane pour la banane de la voi-tureO25 et, d'autre part, que si le type de l'entité-antécédent du possessif occupe une place inférieure il n'y a pas de possessif non plus {son Paul pour le Paul du livre ).

On a là l'explication, laissée en suspens ci-dessus, de l'impossibilité d'une con-nexion possessive pour les actancielles dans des séquences comme 27) et 38 ):

27) Il y a eu un assassinat hier soir à Gumbrechtshoffen. *Son assassin a pris la fuite (son = de l'assassinat)

38) Il y a eu un assassinat hier soir à Gumbrechtshoffen. *Sa victime a été étranglée (sa = de l'assassinat)

Le possessif ne peut s'établir puisque l'antécédent (Vassassinat) est d'un type infé-rieur au N déterminé par le possessif (assassin et victime) et que la relation sémantique entre les N impliqués ( assassinat et assassin, assassinat et victime ) ne fait que confir-mer cet ordre de détermination. Je ne peux déterminer un assassin par assassinat tout simplement parce que s'il est un assassin il faut déjà qu'il ait assassiné ou qu'il y ait eu assassinat Partant, il n'y a pas de source b) possible pour donner lieu à un SN possessif du type *son assassin (son = de l'assassinat) ou *sa victime (sa = de l'assassinat).

On tient là aussi l'explication de la différence entre 45)-47) et 48)-49) mise en relief à propos de l'origine de son meurtre, sa voiture, leur village et leur régiment.:

45) son Nj = son meurtre —>? le meurtre du meurtrier son vol —>? le vol du voleur

46) son Nj = sa voiture —>?la voiture du conducteur /? d'un conducteur leur village —>? le village des habitants /? d'habitants

47) son Nj = leur régiment =? le régiment des soldats 48) son Nj = son meurtre —> le meurtre de Paul

son vol —> le vol du petit garçon 49) son Nj = sa voiture —> la voiture de François

leur village —> le village de mes amis 50) son Nj = son régiment = le régiment de Bernard/ leur régiment = le régiment des

appelés d'outre-mer

Le possessif ne provient pas directement de la sémantique lexicale des N impli-qués, mais a pour source a), c'est-à-dire le statut ontologique des entités impliquées.

Il en va tout autrement avec la source b). La seconde source du possessif rend en effet compte des emplois du possessif qui contreviennent à la première26: si deux entités

2 5 Cela suppose donc que nous expliquions par une autre voie des SN du type de Ma chère Françoise, Ton Zidane, ma petite, mon salaud, mon colonel. Soulignons simplement que ce type de SN donne également du fil à retordre aux autres approches du possessif (voir par exemple chez Zribi-Hertz, 1999).

2 6 Mais rappelons-nous des cas récalcitrants signalés ci-dessus en note (cf. Ma petite, etc.).

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sont du même type ou si une entité d'un type inférieur se présente comme l'antécédent d'une entité de type supérieur, c'est alors une relation lexicale entre les N impliqués qui prend le relais et qui peut fournir l'asymétrie déterminative nécessaire a priori. Nous avons vu (cf. supra) que la relation méronymique et la relation locative pouvaient agir dans ce sens dans le cas des objets concrets et donner lieu à des SN possessifs du type son volant pour le volant de la voiture ou son église pour l'église du village.

Nous allons à voir à présent comment cette seconde source agit dans les cas des SN possessifs correspondant aux N impliqués par nos anaphores associatives fonction-nelles. Il est en effet temps de revenir aux données "possessives" qui restent en suspens. Si la situation des méronymiques et des locatives peut être considérée comme réglée — le possessif son Ni a pour origine la relation lexicale méronymqiue ou locative entre Ni et Nj — il nous faut encore rendre compte de celle des fonctionnelles et des collectives.

Celle des fonctionnelles se sépare de celle des méronymiques et des locatives en ce que la possibilité d'un SN possessif est ouverte aussi bien pour Nj (son village = le village du maire) que pour Ni {son maire = le maire d'un village). Dans le cas de son Nj, la formation du SN possessif est en conformité avec la règle de hiérarchie ontologi-que a): l'antécédent est du type humain, l'entité déterminée d'un type inférieur. S'il y a, par exemple, Pierre et village , ça sera son village et non son Pierre. Ce qui donne lieu à son maire, par contre, c'est b): c'est l'existence de la relation sémantique fonctionnel-le x est maire de y qui permet d'inverser en somme la relation. Seulement, ce n'est plus entre les humains et village que cela se passe, mais uniquement entre village et une facette de l'être humain qu'est un maire, celle qui correspond au prédicat fonctionnel maire. La preuve en est l'impossibilité d'avoir en relation avec le Nj voiture, son Ni avec un Ni comme automobiliste, parce qu'il ne s'agit pas d'un N fonctionnel, alors qu'avec un N qui l'est comme conducteur, cela ne pose pas de problèmes (Kleiber, à paraître d):

68) son conducteur = le conducteur de la voiture *son automobiliste =? l'automobiliste de la voiture

Du côté des anaphores associatives 'membres-collection', la situation paraît embrouillée, puisque nous avons relevé quasiment tous les cas possibles: uniquement son Ni {ses arbres, mais non Heur forêt), uniquement son Nj {sa famille, mais non *sa mère pour la mère de la famille) et son Ni et son Nj pour ses soldats et leur régiment. Dans le premier cas, le possessif a pour origine la relation sémantique 'membres-collec-tion' qui présente forêt comme un collectif composé d'arbres27 et qui fournit, sur le modèle de b), l'orientation dépendancielle a priori nécessaire28 à la formation d'un SN possessif mettant en relation deux entités de même niveau ontologique. L'inverse, c'est-à-dire Heur forêt pour? la forêt des arbres, n'est pas possible, puiqu'il n'y a pas de rela-tion lexicale qui définit arbre par rapport à f o r ê t .

27 Et non d'éléments ou de membres: cf. *les membres / éléments de la forêt. 28 Voir les énoncés génériques Une forêt a/ possède / comporte des arbres qu'il faudrait analyser de

plus près.

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Dans le deuxième cas, qui met enjeu les N de parenté, le SN son Nj s'explique non pas par la relation fonctionnelle de parenté, mais par le canal ontologique: chaque être humain a ou possède une famille. Si le SN son Ni (*sa mère ou *son mari pour 'le mari du couple', n'est pas possible, c'est que mari et mère sont des termes relationnels, mais la relation fonctionnelle qui les caractérise sémantiquement les unit non pas à famille ou à couple , mais à enfants pour mère et di femme pour mari (Kleiber, à paraître b). On notera sans aller plus loin que la relation sémantique 'membres-collection' qui fait de famille un collectif permet d'avoir avec un son Ni humain le SN ses membres (pour les membres de la famille).

Avec le troisième cas, les deux SN possessifs son Ni et son Nj sont possibles: ses soldats contrevient à la règle de hiérarchie ontologique, puisque l'antécédent est non humain (régiment) alors que le déterminé est humain (soldat), mais cette formation, tout comme celle de ses arbres ci-dessus, peut s'appuyer sur la relation sémantique préala-ble 'membres-collections' qui définit un régiment comment étant composé de soldats (cf. Un régiment a / comporte des soldats). Le SN possessif inverse leur régiment ou son régiment, ayant comme antécédent un humain peut, comme nous l'avons déjà sou-ligné ci-dessus à propos de 50), se fonder sur une relation dépendancielle préablable où le régiment se trouve déterminé par rapport aux individus ou à l'individu qui en fait par-tie et qui à ce moment-là, étant donné le sens de régiment, doit être soldat: le régiment de Paul —> son régiment.. La source différente du possessif dans ces deux SN posses-sifs se laisse mettre en relief par une contrainte de nombre sur Ni. Comme son Ni repo-se sur la relation un régiment est composé de soldats, le singulier est éliminé au profit du seul pluriel: *son soldat /ses soldats , alors qu'avec son Nj, le pluriel comme le sin-gulier sont possibles pour Ni: son régiment / leur régiment.

3. C O N C L U S I O N

Il n'est, bien entendu, pas question de conclure. Nous avons suffisamment sou-ligné ce que l'approche entreprise ici conservait d'hypothétique et nous avons aussi bien pris soin de baliser les prolongements à effectuer et d'indiquer les points qui demandent vérification. Pour inachevé donc qu'il soit, ce travail, nous l'espérons du moins, a rempli le contrat établi dans l'introduction: celui d'ouvrir une piste d'investi-gation originale et stimulante pour le possessif. Le fait d'être parti d'une typologie des anaphores associatives et d'avoir soumis les N impliqués au test du possessif a permis d'entrevoir le fonctionnement du possessif sous un angle nouveau et nous a conduit à formuler de nouvelles hypothèses sur l'établissement du déterminant possessif, hypo-thèses qui s'articulent, d'une part, sur une hiérarchie dépendancielle ontologique et, d'autre part, sur les dépendances déterminatives imposées par les relations lexicales. Cette hypothèse de la double source du possessif est à même, nous semble-t-il, de le libérer (enfin?) de l'inaliénable boulet sémantique de la possession qu'il traîne depuis belle lurette.

María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

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