Le nouveau rôle de collaboration des consommateurs dans le processus d'innovation
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Institut des Hautes études commerciales et économiques Paris
Grade Master Promotion 2010
Majeure Marketing
MEMOIRE DE RECHERCHE APPLIQUEE
Présenté et soutenu par
Sandra DE MATOS CERQUEIRA
Année 2009-2010
Pilote de mémoire : Saida HABHAB
Le nouveau rôle de collaboration des consommateurs dans le processus d’innovation
Sandra Boalhosa Cerqueira
3
Remerciements
L’élaboration de ce mémoire appliqué fût une véritable expérience de réflexion et
d’analyse. Ainsi, au cours de la rédaction, je voudrais tout naturellement remercier Madame
Habhab pour ses nombreux conseils pertinents et ses questionnements qui m’ont permis de ne
pas m’éloigner de mon sujet et d’y voir plus clair.
Je remercie les personnes qui ont pris de leurs temps afin de répondre à mes questions
dans le cadre de mon étude quantitative mais également ceux qui ont eu la gentillesse de
m’accorder des interviews : Mr Cyril Cointre (Responsable de la TEAM Raidlight), Mme
Frédérique Poissonnier et Mme Cécile Berthelon, les deux bloggeuses parmi les 6 ayant
participées à l’aventure les bloggeuses s’en mêlent du chausseur André. Ces entretiens ont été
de véritables mines d’informations.
Merci et bonne lecture...
Sandra Boalhosa Cerqueira
Avant propos
Le choix de mon sujet de mémoire fait écho à un de mes principes : nous sommes tous
capables de créer des choses originales et de faire participer les autres afin de s’enrichir
ensemble. En effet, la personnalité de chacun doit pouvoir s’exprimer et pourquoi ne pas
utiliser la singularité et l’expérience de l’individu afin d’enrichir un projet commun initié par
une entreprise. Ce mémoire est donc l’occasion d’étudier un phénomène qui se développe et
que l’on appelle la co-création qui consiste à faire participer le consommateur dans
l’élaboration du processus de créativité mais cette collaboration peut aller encore plus loin
comme l’exemple de André, une enseigne de chaussure, qui a permis à des bloggeuses de
lancer leurs propres chaussures en respectant la personnalité et l’univers de chacune sous la
marque « Les Bloggeuses s’en mêlent ».
Ainsi, certaines entreprises ont décidé de proposer des outils ou d’entamer une
collaboration avec le client qui interagit dans le brainstorming et propose des améliorations.
L’expérience de chacun permet d’aller vers le « produit idéal ». La formalisation de cette
collaboration implique donc des degrés de participation dans le processus d’innovation.
Enfin, la mise en place de ces outils de partage des idées permet de s’ouvrir à d’autres
univers, de découvrir de nouvelles choses et d’inciter à partager ses connaissances dans un
monde où l’exchange de savoir s’accélère.
5
Sommaire
Introduction : Quand l’innovation « se démocratise » ...
Partie 1 - Revue de littérature : vers une intégration en amont du client dans le processus
d’innovation.
1.1. Le nouveau modèle d’innovation et les nouvelles formes de collaborations
1.2. La nouvelle posture du consommateur et l’émergence des communautés d’usagers
1.3. Les enjeux d’une sollicitation du consommateur dans l’innovation
Conclusion : ... pour ouvrir des voies de recherche et s’interroger sur les implications
managériales de l’intégration en amont du consommateur dans le processus
d’innovation
Bibliographie
Table des matières
Annexes
Sandra Boalhosa Cerqueira
Introduction : Quand l’innovation « se démocratise » ...
Selon TNS Worldpanel, en 2008, « seules 30% des innovations survivent trois ans
après leur lancement, contre 35% en 2007. Et seulement 5% des idées d’innovation sont des
lancements réussis ». Par ailleurs, selon l’observatoire du management de l’innovation,
l’innovation est souvent une des trois premières priorités stratégiques d’une entreprise. Ces
résultats montrent la difficulté d’innover pour les entreprises car les nouveaux produits
doivent créer « une valeur économique reconnue et exploitable de manière viable »
(Hamdouch A., 2004) sur le long terme afin de créer de la richesse et toutes n’ont pas intégré
l’importance décisive de processus comme la créativité qui permet de dégager des idées à la
source du processus d’innovation. Il faut donc identifier le plus tôt possibles, les nouvelles
idées qui permettent le lancement de nouveaux produits ayant le plus de chance d’intégrer le
marché.
Dans un contexte de crise, l’innovation est aujourd’hui une norme qui doit partir du
besoin essentiel du client et de son usage. Il ne s’agit plus de pousser sur le marché une offre
qui réponde à une demande car le consommateur est infidèle, averti, connecté et plus
intelligent. Le pouvoir du consommateur est accru. Il faut donc partir de l’usage des clients
pour proposer une offre qui corresponde à une demande.
Il est donc essentiel de faire participer le client dans la démarche d’innovation afin
d’approfondir les connaissances des usages et pour cela, la rencontre avec les consommateurs
peut se révéler très enrichissante.
Dans le domaine du marketing, une innovation se définit comme « une idée, une
pratique, ou un objet perçu comme nouveau par un individu ou une autre unité d’adoption »
(Rogers, 1983)1. Dans cette définition, la notion « d’idée nouvelle » introduit le processus de
créativité qui selon Louis Armand (1970) est un processus mental permettant de générer des
idées neuves ou des concepts.
Pour comprendre, le processus de la créativité, il faut chercher à comprendre les
mécanismes qu’impliquent la création, l’invention et l’innovation afin de sortir du domaine de
l’inexplicable (Faucheux, Forest, 2006)2. La créativité ne doit pas être perçue comme quelque
chose d’obscure, il faut se permettre de la déchiffrer pour ainsi s’ouvrir à de nouvelles
1Auteur cité par Pars B. et Le Nagard-Assayag E., (2003) « Innovation et Marketing stratégie », In Mustar, P. & Penan, H. (Eds.), Encyclopédie de l’innovation : pp.255-256, Paris, Economia. 2 Auteurs cités par Chouteau M. et Viévard L. (2007), « L’innovation, un processus à décrypter », Millénaire3
7
connaissances et surtout pouvant émerger de n’importe quelle personne. La créativité est à la
source de l’innovation mais elle est souvent négligée. En complément du processus de
créativité, le processus de conception modélisé en 1986 par Kline et Rosenberg est « une
succession d’étapes qui vont de l’identification du besoin à la rédaction d’un cahier
spécifique destiné à la fabrication ». Ainsi, l’innovation est un processus qui se définit selon
P. Lorino comme « un ensemble d'activités reliées entre elles par des flux d'information…
significatifs et dont la combinaison permet d'obtenir un "output" important ». L’ensemble des
activités englobe les deux processus (créativité et conception) et va au-delà en passant par la
fabrication et la mise sur le marché. L’innovation se distingue de l’invention par son
application sur le plan économique.
Ainsi, la notion d’innovation « dans une acception large, peut être assimilée à tout
changement introduit dans l'économie par un agent quelconque et qui se traduit par une
utilisation plus efficace des ressources. » (Hamdouch A., 2004). L’innovation n’est donc pas
réservée à des génies car elle peut être introduite par chaque individu. « Nous sommes tous
capable d’innover, de fantaisie » propos de Mr Nicolas Hayek (Président du conseil
d’administration The Swatch Group) lors de sa conférence à la cité de la réussite 2010 à la
Sorbonne. Le premier à faire la distinction entre l’inventeur et l’entrepreneur est J.
Schumpeter en 1939 (dans Business Cycles : a Theoretical, Historical and Statistical Analysis
of the Capitalist Process) qui définit l’inventeur comme un individu qui crée et qui invente et
se distingue de l’entrepreneur c’est-à-dire « le chef en tant que tel ne « ne trouve » ni ne
« crée » les nouvelles possibilités. Elles sont toujours présentes, forment un riche amas de
connaissances constitué par les gens au cours de leur travail professionnel habituel ».
Aujourd’hui, on peut observer que la réflexion sur le consommateur est poussée à
l’extrême avec le concept de co-création introduit par Mr Prahalad et Mr Ramaswamy dans
leur ouvrage au milieu des années 90, (The Future of Competition : Co-Creating Unique
Value with Customers). Dans l’interview de Mr Prahalad au Business Strategy Review
(Summer 2004, Vol 15, Issue 2 p.16), il définit la co-création comme “lorsque la valeur n'est
pas créée par l'entreprise et échangées avec le client, mais lorsque la valeur est co-créé par
les consommateurs et l’entreprise ”3. Le but n’est donc pas d’élaborer de nouveaux outils plus
stratégique et opérationnelle dans l’orientation client mais d’enrichir le processus
d’innovation en permettant au consommateur de créer dans la collaboration avec l’entreprise 3 Traduit de l’anglais «when value is not created by the firm and exchanged with the customer but when value is co-created by consumers and the company”.
Sandra Boalhosa Cerqueira
de la valeur. Ce phénomène s’est largement amplifié avec le Web 2.0 en poussant le
« crowdsourcing », un terme inventé en 2006 par Jeff Howe et Mark Robinson, rédacteurs au
Wired Magazine pour désigner « l’approvisionnement par la foule ». Lorsque nous parlons du
consommateur, nous entendons le consommateur (client ou non) comme l’entité d’un
ensemble résultant d’une « communauté » car nous verrons que l’innovation tirée d’une
collaboration est principalement basée sur la connaissance d’un groupe de pratiquant.
Sur le plan opérationnel, cette collaboration permet de réduire le coût des opérations
marketing et de réduire les coûts d’étude consommateur. Le contact avec une clientèle cible
choisie apporte une nouvelle vision, un regard neuf. La collaboration permet de bénéficier de
l’expérience « terrain » des clients concernant l’usage des produits et de perfectionner certains
aspects pour avoir le produit « parfait ». Tout au long de ce mémoire, nous traiterons de la
collaboration dans le développement du produit en B2C (Business to Consumer) car c’est
dans cette phase que les processus créatif et de conception sont des enjeux importants. Selon
Lester et Piore (2004), ces deux processus aboutissent à l’innovation : « l’un analytique qui
révèle de la résolution de problèmes et l’autre interprétatif, qui relève de la créativité.»4
Sur le plan stratégique, l’innovation ouverte permet une collaboration directe avec le
client afin d’apporter une vraie source de différenciation en développant une offre
commerciale compétitive. Ce rapprochement avec le client véhicule les nouvelles positions
des entreprises d’être au plus près des besoins et des attentes des clients finaux afin de
délivrer une « vraie valeur d’usage » aux produits. L’écoute est donc privilégiée et appréciée.
Face à la concurrence l’entreprise se montre flexible et dynamique.
Ce mémoire s’inscrit dans une dynamique de compréhension du phénomène afin de
dégager une approche théorique appliquée : en effet, les entreprises sont de plus en plus
séduites par une relation de collaboration poussée (et réciproque dans certains cas) avec le
client pour le développement de produit, et ce phénomène trop récent a été peu approfondi par
des recherches académiques pour analyser les effets de ce nouvel échange avec le
consommateur qui implique une nouvelle démarche du processus de l’innovation pour
l’entreprise et il est essentiel également de compléter la réflexion par la manière dont est
menée la relation de collaboration avec le client et quelles sont les limites de cette démarche
collaborative. Et de manière plus spécifique, en combinant « une démocratisation de
l’innovation » postulée par Von Hippel (2005) avec la nouvelle démarche du processus
4Auteurs cités par Chouteau M., Viévard L. (Janvier 2007), « l’innovation, un processus à décrypter », Millenaire3.
9
d’innovation dite « horizontale ou ascendante » (Cardon, 2007)5, nous voyons apparaitre un
nouveau modèle « alternatif » d’innovation dans lequel des individus participent en amont au
processus d’innovation et qui se révèle multiple car les modèles d’ouverture sont larges et pas
encore délimités. L’introduction du concept de valeur permet d’approfondir les motivations
des consommateurs mais aussi de l’entreprise qui se lancer dans une aventure collaborative.
Ainsi, il est intéressant de qualifier les niveaux d’intégration en amont des consommateurs
dans le processus d’innovation qui permet le développement d’un produit et de se
pencher sur la création de valeur potentielle.
Le concept de valeur se définit de manière précise dans la norme X50-150 de l’Afnor :
comme « un jugement porté par le client ou l’utilisateur sur la base de ses attentes et
motivations. Plus spécifiquement, c’est une grandeur qui croit lorsque la satisfaction de
l’utilisateur augmente ou que la dépense y afférant diminue » (Caelen J., 2004). De
nombreuses études distingue différentes formes de valeur : la valeur globale (qui concerne la
différence perçue lors de l’achat entre les bénéfices et l’incertitude (risque) associés à la
nouveauté du produit, ensuite la valeur d’usage qui découle de l’expérience, de l'utilisation
propre du produit (le produit répond à un besoin spécifique) et enfin la valeur de l'interaction
entre nos deux parties prenante. Dans le cadre de ce mémoire, nous mettrons l’emphase sur la
valeur globale du produit nouveau résultat de l’interaction entre le consommateur et
l’entreprise.
L’actualité récente des relations collaboratives ne permet pas d’avoir des résultats du
fruit de ce travail collectif (sur le long terme notamment). Nos interrogations portent donc en
premier lieu sur la pertinence de ces « co-créations » avec le client. En effet, ces opérations
s'inscrivent elles dans la durée ou s’agit-t-il uniquement d’opérations marketing ponctuelle ?
Mais la véritable problématique à laquelle nous souhaitons répondre tout au long de ce
mémoire est la suivante :
Une collaboration entre le consommateur et l’entreprise dans le processus d'innovation
apporte-t-elle de la valeur au produit ?
Ainsi, ce qui nous intéresse, c’est d’identifier dans la globalité du processus d’innovation,
comment le rôle du consommateur dans la collaboration avec l’entreprise pour le
5 D. Cardon, “L’innovation ascendante” http://www.internetactu.net/2005/06/01/de-linnovation-ascendante/ Propos recueillis par Daniel Kaplan et Hubert Guillaud (Consulté le 06/04/2010)
Sandra Boalhosa Cerqueira
développement d’un produit est amené à différer dans les phases d’innovation car rappelons
que le processus d’innovation se compose de différent sous-processus : la créativité, la
conception et la création (la mise sur le marché).
L’objectif de cette étude sera donc de comprendre les effets de l’intégration en amont
du consommateur sur le processus de créativité de l’innovation. A travers l'étude des cas du
chausseur André et de la marque outdoor Raidlight, nous essaierons d'amener des voies de
réflexion sur la véritable part de participation du consommateur dans le processus
d’innovation (de l’idée au lancement sur le marché). De plus, il semble qu’en période de crise,
le concept de collaboration permet de faire des économies sur les opérations marketing mais il
ne doit pas se limiter dans le temps et doit être intégré dans la culture de l’entreprise afin
d’obtenir une écoute efficace du client. La pratique de ce marketing participatif doit donc être
réfléchit et faire l’objet d’une véritable stratégie de l’entreprise. La finalité de ce travail sera
donc d’établir les enjeux pour l’entreprise d’inclure le consommateur dans sa stratégie
d’innovation.
Afin de comprendre les enjeux d’une intégration du consommateur dans l’innovation. Nous
étudierons les connaissances actuelles sur le sujet dans une première partie. Dans cette revue
de littérature (1), nous nous intéresserons d’abord au processus d’innovation pour déterminer
le nouveau modèle d’ouverture qui « facilite » (de manière plus directe) une collaboration
avec le consommateur (1.1), car notre économie est en crise et l’innovation ne doit pas se
résoudre à répondre à un besoin consumérisme mais doit muter vers la recherche de
collaboration pour être optimisée. Ensuite, nous allons définir le nouveau consommateur
(1.2) qui par sa nouvelle posture s’est vu intégré en amont du processus de créativité et enfin,
nous allons étudier les avantages pour l'entreprise de recourir à cette collaboration avec des
consommateurs (1.3). Cette étape, nous permettra de dégager plusieurs hypothèses sur les
enjeux de la collaboration.
Nous testerons les hypothèses proposées en nous appuyant sur une étude quantitative pour
soulever des questions pratiques qui puissent enrichir les questions théoriques (2),
l’administration d’un questionnaire (2.1) permettra de clarifier deux points : identifier ce
qu'est l'esprit créatif et évaluer si la collaboration du consommateur a un impact sur la valeur
globale perçue de la nouveauté issue de ce type d’expérience collaborative (2.2).
La conclusion posera les futures voies de recherche sur ce sujet et leurs implications
managériale car une collaboration avec le client peut prendre des formes multiples et sur des
formats plus ou moins développés.
11
Il devient donc objet de recherche de comprendre les enjeux d’une intégration en amont du
consommateur comme opérateur de l’innovation et d’analyser la pertinence de sa
« participation » dans le processus d’innovation.
Certaines études se sont intéressées au « plateforme collaborative » ou au « crowdsourcing »
mais l’actualité récente de ce phénomène d’intégration du client dans le processus
d’innovation n’a pas été soulevée. Tout a commencé avec un nouveau modèle de management
de l’innovation, il s’agit de l’innovation ouverte (« open innovation »), une formule de
Chesbrough (2003) dont le principe est de chercher des ressources nécessaire à l’effort
d’innovation à l’extérieur de l’entreprise. Ainsi l’entreprise, dans notre cas, s’est intéressée au
consommateur, au véritable utilisateur final qui « décide » ou non du succès d’un nouveau
produit. Notre première démarche est d’analyser le nouveau contexte d’ouverture de
l’innovation (1.1) qui offre un contexte favorable à la collaboration, ensuite nous étudierons
les motivations du consommateur de s’impliquer dans le monde de l’entreprise et plus
particulièrement dans le domaine de la créativité, de la conception et in fine de la création.
Nous allons donc étudier les connaissances actuelles sur le rôle tenu par le client dans sa
participation aux différentes étapes de l’innovation. Nous commençons donc par le client afin
d’analyser les facteurs du passage d’une posture passive à active vis-à-vis de l’entreprise.
Nous précisons notre sujet en nous penchant sur les cas de développement d’un produit en
B2C (Business to Customer) (1.2).
Une fois identifié les nouvelles postures du client dans le processus d’innovation, nous
analyserons les enjeux de cette intégration pour l’entreprise (1.3). En effet, au niveau du
marketing opérationnel, la prise en compte de ce nouvel acteur-collaborateur qu’est le client
nécessite de développer de nouveaux outils pour faire appel à sa créativité, son intelligence et
son savoir faire. L'enjeu au niveau du marketing stratégique sera de trouver l’étape pertinente
pour l’inclure dans le mix-marketing afin d’apporter une valeur au produit.
Sandra Boalhosa Cerqueira
Partie 1 - Revue de littérature : vers une intégration en amont du client dans le processus d’innovation.
Un nouveau courant apparait depuis quelques années : l’innovation évolue pour devenir
« ouverte » et s’enrichir des interactions avec des acteurs externes et celui qui nous intéresse
est le consommateur. Ce dernier ne découvre la nouveauté que lors de la mise sur le marché
et a une participation faible sous la forme de rétroaction dans le processus d’innovation. Mais
aujourd’hui, les choses changent et le consommateur a évolué vers une posture plus active,
devenant intéressant pour l’entreprise qui choisit de l’intégrer dans le processus d'innovation
pour une collaboration dynamique. Le cadre conceptuel permet de poser le concept
d’innovation ouverte qui fournit un contexte favorable aux échanges sous forme de
collaboration et permet l’intégration plus étroite du consommateur en amont.
Le nouveau modèle d’innovation et les nouvelles formes de collaborations
1.1.1 L’innovation ouverte permet la C&D (Customer and Development)
Les différentes modélisations de l’innovation
L’innovation a fait l’objet de nombreux modèles depuis la fin du 19ème siècle avec
notamment Schumpeter qui présente l’innovation comme un « résultat » difficilement
explicable puis c’est dans la seconde moitié du 20ème siècle qu’on pense l’innovation comme
un processus composé de « différentes étapes allant du progrès technique au marché de façon
linéaire et hiérarchique » par les départements de recherche et de développement (R&D) mais
ce modèle ne permet pas les rétroactions (les feedbacks). Ainsi, dans les années 80, S. Kline
et N. Rosenberg présentent l’innovation comme un processus dynamique qui permet les
remontées d’informations et dans lequel la conception est un élément « centrale et décisif»
(Chouteau M. et Viévard L., 2007). La méthode traditionnelle qui consistait à n’utiliser que
les connaissances internes avait un coût important car il fallait les meilleurs employés ou les
meilleurs techniciens et les résultats étaient limités à plusieurs niveaux. En effet, en
regroupant des individus identiques (ayant le même profil), la créativité est faible car les
points de vue sont similaires. De plus, avec la mondialisation, l’entreprise doit s’ouvrir à
l’extérieur et développer les échanges pour continuer à exister.
L’Open innovation : un nouveau modèle dynamique de l’innovation
13
Ainsi en 2003, Chesbrough introduit le terme de « Open Innovation » qui est le titre de
son ouvrage et que l’on peut traduire par l’innovation ouverte. L’auteur met ainsi l’accent sur
l’importance des sources de connaissance externe dans le processus d’innovation. En effet, les
idées précieuses peuvent venir de l’intérieur comme de l’extérieur de l’entreprise. Il donne
ainsi l’exemple de Procter & Gamble qui a développé en 1999 une plateforme collaborative :
Connect and Develop. Il s’agit d’une extension de la R&D interne dans le but de récolter des
idées innovantes auprès d’organisations ou d’individus. Le raisonnement pour P&G a été de
dire qu’en interne il était impossible d’avoir tous les ingénieurs et les chercheurs du monde et
que hors du périmètre de l’entreprise il existait des millions d’autres chercheurs, alors
pourquoi ne pas collaborer avec eux. L’auteur montre également que dans ce contexte, les
idées qui proviennent de l’externe ne doivent pas être négligées. Il faut les mettre au même
niveau que les idées internes à l’entreprise.
La stratégie de P&G a été payante puisque selon Huston L. et Sakkab N., dans leur
article « Connect and Develop » paru en Mars 2006 dans Harvard Business Review, la
plateforme d’échange produit plus de 35% des innovations de la compagnie. La recherche et
développement (R&D) ne suffit plus pour être innovant. Il faut s’ouvrir et développer les
collaborations avec les publics (amateurs, passionnés et professionnels). Les auteurs parlent
de « Customer and Development (C&D) ». La singularité de cette stratégie n’est pas de faire
de « l’outsourcing » (transfert de travaux à des partenaires bon marché) mais de trouver les
bonnes idées en externe, de les mettre en valeur en utilisant les ressources internes dont
dispose l’entreprise. Dans ce modèle, l’innovation se base sur la connaissance qui se fonde sur
l’échange de savoir avec l’externe.
L’innovation doit être une culture choisie par l’entreprise, qui doit éviter que
l’expression d’une idée (novatrice) ne subisse l’autocensure et soit perçue comme
perturbatrice. L’aspect financier ne doit pas être au premier plan pour éviter les relations
conflictuelles dues à la compétition. La volonté de collaborer doit être prédominante. Nous
allons donc voir les différentes formes de collaboration relative au mode de travail et mettre
l'accent sur celles qui permettent une participation du client avec l'entreprise.
Sandra Boalhosa Cerqueira
1.1.2 La collaboration dans une innovation à l’ère des réseaux6
« La construction de l’intelligence collective est indispensable pour compléter les
compétences du créatif mais aussi son caractère. Le capital relationnel va permettre de s’associer
les services indispensables pour passer à la réalisation … la production et la commercialisation ».
(Christofol H., Richir S., Samier H., 2004, p. 64)
Dans la figure ci-dessus, nous distinguons 4 types de modes de travail :
- Le « travail collectif se situe dans le strict périmètre de l’entreprise et le travail coopératif
rassemble des partenaires économiques dans un cadre commercial spécifique ». Ces deux
modes de travail n’entrent pas dans le cadre de notre mémoire car dans le premier cas
l’entreprise reste dans son territoire et ce sont les équipes interne qui collaborent alors que
l’auteur précise que « les idées innovantes naissent justement aux frontières … Y compris aux
frontières de l’entreprise ou au-delà de ses limites. ». Ensuite dans le second cas, on parle de
« coopération » qui s’inscrit dans une logique de « profit » par la mise en commun des
ressources, de plus l’auteur précise que « ces formes organisationnelles ne nécessitent pas
forcément un partage des connaissances ».
Les modes de travail qui s’inscrivent dans notre étude sont :
6 Cette sous-partie s’appuie sur l’ouvrage de Christofol H., Richir S., Samier H., (2004), L’innovation à l’ère des réseaux, Paris, Lavoisier, pp.64-65.
Figure 1 : Les différentes formes de collaboration (Extrait de l’ouvrage : L’innovation à l’ère des réseaux rédigé sous la direction de Christofol, Richir, Samier, 2004)
15
- Le travail réflectif qui «consiste à construire un référentiel de bonnes pratiques
représentant des réflexes ou des standards métiers. Il est lié à des communautés de pratique
ou de savoir-faire ». L’auteur lie ce mode de travail à la forme d’organisation qu’il appelle les
« communautés de pratiques » dont les travaux permettent d’élaborer des « pratiques
communes », il faut donc que le groupe possède des « intérêts spécifiques ». Ce cadre est
donc propice dans la phase de créativité de l’innovation car les individus participent
volontairement à ces groupes. Avec l’émergence d’Internet, des « communautés virtuelles »
se sont formées pour regrouper des individus partageant les mêmes intérêts et qui n’hésitent
pas à échanger et partager via des forums ou des blogs. La relation étant virtuelle, on qualifie
la culture d’informelle. Dans ce type de communautés, l’individu se sent plus libre et laisse
plus facilement sa créativité s’exprimer.
- Le travail collaboratif est relatif à une « innovation collective dans un cadre contractuel».
Le partage nécessite d’être encadré car la participation de chacun va être différente mais
l’objectif reste commun à tous les collaborateurs. A ce niveau, nous pouvons identifier une
collaboration totale. La forme d’organisation propice à ce mode de travail est l’entreprise
concourante qui implique toutes les disciplines intervenant dans le processus de
développement du produit
Les modèles de travail collaboratif dans les différentes phases de co-innovation
Selon le degré de participation, le mode de travail est situé entre la réflexion et la
collaboration. Dans le processus de créativité (amont du processus d’innovation), le but est de
rassembler des individus ayant les mêmes pratiques, les mêmes hobbies pour un
« brainstorming des idées » où chacun des membres peuvent partager et échanger des idées,
des expériences sur un thème donné par l’entreprise afin de travailler sur un projet commun.
La collaboration est déterminé par un travail interprétatif (Lester et Piore, 2004) dans la phase
de « co-créativité » et il s’agit de prolonger le travail de la réflexion de l’entreprise dans un
contexte informel. Ensuite, sur un second niveau, la « co-conception » ou « co-
développement », la collaboration est plus avancée est évolue vers « une innovation continue
par la mise en place de plateformes virtuelles » (Cova B., Ezan P.), car il faut dégager des
concepts, apporter des solutions et les analyser, il s’agit d’un travail analytique (Lester et
Piore, 2004). La collaboration est un apprentissage qui permet de mémoriser les préférences et
les usages. Dans un cas, le consommateur est actif, il est en action directe sur le
Sandra Boalhosa Cerqueira
développement du produit grâce à la mise en place par l’entreprise d’« un outil pour
l’innovation par l’utilisateur » (Von Hippel, 2001 par des « Toolkits for user innovation and
design »), le concept de cette formule est la customisation qui dans le langage commun
correspond à « une modification d’un produit existant de manière plus ou moins poussée ».
L’exemple le plus connu de « mass-customisation » (correspond à du « co-design ») est
NikeID qui propose de choisir les finitions pour les chaussures ou d’autres articles parmi des
modules prédéfinis7. Dans d’autres cas, le consommateur ne participe pas de manière directe à
la conception mais par un « feedback » direct ou indirect (remontée d’information), il
communique ses préférences qui sont reprises par l’entreprise dans la fabrication du produit et
qui correspond au concept du « sur-mesure ». Nous ne nous attarderons pas sur ce dernier
concept car il ne s’agit pas d’une véritable innovation qui s’adresse à un marché (Merle A.,
2007). Enfin, la phase de collaboration totale avec le consommateur dans le processus de
« co-innovation » ou « co-création » est peu exploitée par les entreprises, il n’y a pas
d’analyse du modèle de travail, ni de courant de recherche qui analyse l’activité, les attentes et
l’impact du consommateur-collaborateur. A travers un cas très récent : Le chausseur André,
nous allons dégager quelques pistes de réflexion qui pourront faire plus tard l’objet d’une
analyse poussée.
L’étude de cas de « co-création » français: Le chausseur André avec « les bloggeuses s’en
mêlent »8
En France, l’exemple du chausseur André ouvre des voies d’exploration et permet de
dégager des théories inductives. En effet, André a fait appel à six bloggeuses (issues d'un
environnement virtuel) pour créer une « communauté de pratiques » réelle. La particularité
des participants est qu’elles tiennent toutes un blog sur leur passion pour la mode ou les
chaussures ce qui donne une légitimité à la collaboration. A l'IFOP (Institut français d’opinion
publique), on parle d'«innoinfluencers» (« consommateurs fanatiques »). Dans des entretiens
individuels tenus avec Cécile Berthelon (blog Mode : www.thebeautyandthegeek.fr) et
Frédérique Poissonnier (blog Mode et chaussure : www.miss-glitzy.com), elles insistent
toutes les deux sur le fait qu'il faut un minimum de passion pour se lancer dans ce type
7 Thèse de Merle A. (2007), « La customisation de masse : quelle valeur pour le consommateur ? Une approche exploratoire » 8 Cette étude de cas se base sur deux entretiens téléphoniques avec Mme Frédérique Poissonnier et Cécile Berthelon, bloggeuses qui ont participé à la première aventure collaborative qui ait retenu l'attention, propos recueillis par Sandra De Matos Cerqueira le 31mai 2010.
17
d’aventure. Ainsi, il s’agit donc de consommatrices-clés car leurs blogs font l’objet d’un
travail actif de recherche, d’analyse et d’interprétation personnelle de leurs passion : la Mode
en général. L’objectif de l’opération a été de confier à chacune des six bloggeuses la
réalisation d’une paire de chaussures en accord avec leur propre personnalité (qui se veut
ouverte et en avance sur les tendances) afin de créer une collection de six modèles de
chaussures qui sera vendue en magasin sous la marque « Les bloggeuses s’en mêlent ». La
réalisation des produits à été encadrée puisque les bloggeuses travaillaient en étroite
collaboration avec les designers interne qui apportaient un support technique, par contre elles
avaient « carte blanche dans la mesure du réalisable » pour imaginer leurs modèles de
chaussures : l’expérience de la consommatrice et la créativité individuelle était la matière
sollicitée. En effet, Frédérique Poissonnier incite sur le fait qu’elles sont toutes venues avec
des photos, des croquis de modèle qu’elles souhaitées développer « Nous sommes toutes
venues avec nos idées, je tiens un blog de chaussure depuis 5 ans et j’ai rencontré des
créateurs et des créatrices ce qui m’a permis de suivre les tendances ... mais le modèle est
sorti de ma tête ». Le rôle de l’équipe technique d’André étaient d’apporter des
« connaissances métier » concernant la fabrication d’une chaussure, Cécile Berthelon nous
explique que « l’équipe design André était présente pour répondre aux questions concernant
les exigences technique dues au métier et justifier le pourquoi ». Selon elle, l’interaction se
voulait enrichissante pour les deux parties : pour les bloggeuses qui ont pu concevoir le
modèle de chaussure de leurs rêves, qui en savent plus sur comment se fabrique une
chaussure, il s’agit d’un enrichissement personnel par une aventure humaine et de l’autre côté
pour André, cette collaboration a développé le catalogue de la marque, en effet, Cécile
Berthelon explique que certains des modèles ont nécessité la création d’un « nouveau pied »
auprès du fabricant car la forme n’existait pas dans le catalogue André ou le sourcing d’une
nouvelle couleur. Les bloggeuses sont intervenues dans les étapes :
- de co-création avec leurs imaginaires, leurs personnalités et leurs inspirations.
- de co-conception avec la réalisation d’un cahier des charges précis sur par exemple le choix
des matières et des couleurs qui a été discuté faisant l’objet d’échange avec l’équipe design
André mais Frédérique Poissonnier confirme que le choix final était validé par les bloggeuses
elles-mêmes.
Sandra Boalhosa Cerqueira
- de co-création dans les phases de commercialisation et de communication. Les bloggeuses
ont assisté à des présentations presse (notamment pour le lancement aux Galeries Lafayette
Haussmann), il y’a eu des publications d’articles mais aussi sur leurs propres blogs.
L’équipe marketing André a définit les aspects du marketing mix comme la distribution, la
production et la partie financière (fixation des prix).
Ce que nous pouvons retenir de cette collaboration est que les bloggeuses ont apporté un
nouveau souffle créatif à André, leur participation s’est faite toutes au long du processus
d’innovation mais à des phases bien définies et qui n’engagées que la créativité (couleurs,
formes, matières, les détails) et les aspects relatif à l’expérience de consommatrice pour la
modélisation du produit en terme de confort (talons, cambrure, etc.). Elles avaient également
le rôle de porte-parole de leurs modèles pour véhiculer une image, un nouvel esprit par la
création de la marque « Les bloggeuses s’en mêlent ». Les parties techniques et stratégiques
sont restées à la charge d’André. André a donc incorporé dans son marketing mix, les
éléments pertinents de la collaboration afin de réaliser une opération marketing novatrice et
différente de la concurrence pour se démarquer. Il faut également préciser que cette
collaboration a fait l’objet d’une rémunération des participantes respectant ainsi la définition
du travail collaboratif qui se veut dans un cadre contractuel. Si l’on reprend les différentes
formes de collaboration (Figure 1), cette collaboration s’est faite dans une organisation
concourante. En effet, l’entreprise André a choisi un groupe composé de bloggeuses
correspondant à une nouvelle organisation non-professionnelle mais constitué de passionné
(un nouvel ensemble : une communauté de pratique).
L’innovation ouverte implique différentes formes de collaboration mais également différents
modes organisationnels. Mais l’acteur principal de la collaboration est le consommateur qui
passe de « l’aval » à « l’amont ». Nous présenterons donc les caractéristiques de ces clients-
clés, puis nous détaillerons les conditions de fonctionnement des « communautés d’usagers »
qui stimulent et accélèrent la créativité du consommateur.
La nouvelle posture du consommateur et l’émergence de communautés d’usagers
19
1.2.1 Les nouveaux consommateurs d’aujourd’hui
« …la fonction la plus créative de l’individu sera d’être un consommateur très créatif … » (Propos de R. H.Andreson, responsable des services information de la RAND Corporation)9
Qui sont ces « nouveaux consommateurs-collaborateurs » ?
Dans l’Encyclopédie de l’innovation, Foray10 explique que les clients sont de plus en
plus des sources d’innovation. En effet, dans les années 80, on identifie « les influenceurs, les
adopteurs précoces et le grand public » qui ont une marge d’avance sur le marché. Le but est
de les faire participer à des tests via des centres d’études sur les nouveaux produits pour qu’ils
utilisent leurs expériences afin de suggérer des améliorations dans le processus de conception.
Le rôle de ces usagers en avance sur le marché était limité car l’échange avec l’entreprise se
faisait par une remontée des « feedbacks » et ne permettaient d’identifier que des signaux
faibles qui ne permettent pas des innovations radicales.
Aujourd’hui, les consommateurs sont plus actifs et malins. Selon TNS Sofres, « ces nouveaux
consommateurs sont des individus dont l’attitude et le comportement les placent à l’avant- 9 Tiré de l’ouvrage de Toffler A. (1980), La 3eme vague, Paris, Denoel p.341. 10 L’auteur a rédigé le chapitre « Trois modèles d’innovation dans l’économie de la connaissance » extrait de l’Encyclopédie de l’innovation, Paris, Economia. Mustar, P. & Penan, H. (2003) (dir.) pp.503-506.
Figure 3 : FutureView, le modèle d’influence futur, Source : TNS Sofres
Sandra Boalhosa Cerqueira
garde de courants de fond qui influencent les comportements de consommation » (amateurs,
autodidactes, des passionnés, etc.). Le centre d’étude nomme ces individus : « les Futurs
Shapers », les entreprises les identifient comme les « utilisateurs leaders » car ils permettent
de se projeter dans l’avenir des comportements de consommation, ils « sont de vrais
consommateurs de la catégorie. Ils sont donc en attente de solutions pratiques et à la
recherche de services à forte valeur ajoutée perçue » (Musso P., Ponthou L., Seulier E., 2007,
interview Danone research p.79). La prise en compte de ces individus est essentielle pour
avoir des conditions favorables à l’innovation de produit. Ainsi, il faut repérer très tôt, les
« consommateurs-clés » qui ne se caractérisent pas uniquement par leurs créativités mais
également sur la capacité de promouvoir, de propager leurs idées pour un impact sur le long
terme. Il y’a un risque pour l’innovation à rester centrée sur l’analyse des besoins actuels et
exprimés des consommateurs qui se fondent sur leurs expériences antérieures et sur les
tendances à l’instant « t », l’entreprise doit anticiper les futures besoins pour ne pas arriver
trop tard lorsque le nouveau besoin sera exprimé car le manque de connaissance des
possibilités technologiques ou d’imagination peut entraver la formulation actuelle des besoins.
La rencontre avec des « utilisateurs leaders ou des clients précurseurs » permet d’identifier les
futures attentes et d’anticiper les risques concernant les innovations produits. « Ces clients
permettent d’anticiper les attentes futures des consommateurs, en particulier pour les produits
les plus novateurs, c’est-à-dire ceux qui sont particulièrement risqués.» (Pars B. et Le Nagard-
Assayag E., 2003)11.
Nous avons donc identifié les caractéristiques du nouveau consommateur qui ont fait
l’étude de nombreuses démarches pour façonner la figure du consommateur collaborateur :
actif, visionnaire, force de proposition, créatif mais la caractéristique commune à ces
nouveaux consommateurs concerne les connaissances qu’ils ont des produits et qui leurs
permettent d’être des acteurs compétents.
La connaissance du consommateur en fait un « acteur compétent »
« Le consommateur est envisagé en terme de compétences et non plus en termes de besoin »
(Bonnemaizon A., Curbatov O., Louyot-Gallicher M., Janvier 2010). 11 Pars B. et Le Nagard-Assayag E., (2003) « Innovation et Marketing stratégie », In Mustar, P. & Penan, H. (Eds.), Encyclopédie de l’innovation : pp.255-256, Paris, Economia.
21
Consommer implique d’utiliser des ressources « physiques, intellectuelles et émotionnelles »
se traduisant par l’acquisition de connaissances12 qui répond à un besoin d’apprendre. En
nature, la connaissance est une activité désintéressée et se différencie de l’acte de l’action que
l’on définit comme la compétence. Le consommateur a des connaissances (relative à la
potentialité) acquises dans l’utilisation des produits (« l’expérience consommateur ») mais ne
développe de réels compétences que dans l’accomplissement de l’activité de consommation.
Les compétences sont donc dynamiques, elles évoluent par l’utilisation de ressources
« notionnelles13, physiologiques ou individuelles, sociales, communicationnelles, etc. » que
possèdent le consommateur que l’on combine avec les ressources qui constituent l’offre de
l’entreprise. Dans l’ouvrage de Musso P., Ponthou L., Seulier E. (2007), Fabriquer le futur 2,
l’innovation par la connaissance du client est un moyen pour l’entreprise de mieux connaître
les besoins mais aussi les attentes futures du client car cette connaissance vient de la
« réalité » vécu par les clients. « L’innovation est alors pilotée par la connaissance client,
c’est-à-dire par la connaissance de l’entreprise des désirs des clients, de leurs réactions, de
leurs idées, qui viennent à chaque moment enrichir la création du produit ou service ». En
effet, le consommateur est de plus en plus « compétent », son expérience de consommation lui
permet de faire des suggestions, sa parole est justifiée par son usage du produit ainsi le
consommateur a des « compétences liées à l’usage du produit ». Partant d’un besoin
personnel, il est essentiel que le lieu d’innovation se fasse dans un contexte d’utilisation et par
l’usager même. On parle alors d’adhérence (stickiness) du besoin au contexte d’utilisation car
le besoin et la solution sont co-présents dans le contexte d’utilisation, ce qui rend difficile la
perception initiale de ces innovations par les industriels et les centres de recherche. (Cardon
D., 2007, propos recueillis par Guillaud H. et Kaplan D.).
Dans l’aventure des « bloggeuses s’en mêlent », Cécile Berthelon explique que son
expérience de consommatrice a été utile pour concevoir sa chaussure et en faire un produit
confortable, « je suis une consommatrice avertie, ce qui m’a permis de développer une
expertise pour porter la chaussure ... pour la fabrication, il faut posséder des connaissances
propres à un métier ».
12 Au sens ordinaire et philosophique, la connaissance se définit comme « une activité par laquelle l’homme prend acte des données de l’expérience et cherche à les comprendre ou à les expliquer ». Clément E., Demonque C., Hansen-love L., Kahn P. (1994), La philosophie de A à Z, Hatier, Paris. 13 Bonnemaizon, Curbatov et Louyot-Gallicher (2001) définissent le concept de notion comme « des idées ou schémas de pensée qui permettent d’ouvrir un questionnement, d’orienter l’observation, ou la compréhension, de diriger l’analyse, d’organiser l’espace et le temps, ou d’orienter les choix d’action »
Sandra Boalhosa Cerqueira
Posture de Producteur Posture de l’usager Consultation Participation Génération Communauté épistémique (prise individuellement)
Usager expressif Design de produit
Usager leader Equipement médical
Usager professionnel Open Source
Connaissance de l’usage Coprésence physique Motivation externe
Connaissance en design Coprésence physique Motivation externe
Connaissance procédurale Présence virtuel
Motivations intrinsèque, social, extrinsèque
Communauté de pratique Communauté de consommateurs Soins du Corps
Communauté d’usagers Jeux de PC
Communauté d’intérêt Remix culture web 2.0
Connaissance de l’usage
Coprésence virtuel Motivation social
Connaissance en design Coprésence mélangée
Motivations intrinsèque/social
Connaissance procédurale Coprésence mélangée
Motivations intrinsèque/social
Ce tableau permet d’établir une typologie des connaissances nécessaires selon le lieu
de production du savoir en vigueur. Le premier type correspond à un processus de production
des connaissances délibérée et ciblée. La connaissance est produite dans la relation verticale
entre producteurs et la clientèle qui est strictement axée sur les spécificités «objet
épistémique» (Knorr Cetina 2001, 181-84) et est régie par une autorité reconnue de procédure.
Le deuxième type renvoie à une pratique dans laquelle la connaissance est un sous-produit de
la socialisation et l'apprentissage en situation. Dans ce cas, la connaissance n'est pas
seulement produite dans la relation verticale producteur-client, mais aussi se déroule dans
l'échange horizontal et l'évolution des relations sociales chez les clients. La consultation
désigne un type d'interaction limitée et axée sur la production dans lequel le client collabore
principalement dans le rôle d’un non-professionnel. La participation implique une plus
profonde, bien qu'encore principalement orientée producteur, participation du client qui
évolue vers le statut d’expert. La génération implique aussi le savoir d'experts qui est
accumulé par l'utilisation et la modification du produit et dénote un changement de
producteur-au développement axée sur l'utilisateur. (Flohr, S., Ibert, O., Grabher, G., 2008,
p.26).Cette démarche, nous pose la question de savoir si le consommateur est conscient ou
non de pouvoir jouer un rôle dans le développement d’un produit.
Hypothèse 1 : Le consommateur est un nouvel innovateur conscient
Figure 4: Les connaissances émergentes et évolutives dans la phase de co-développement Source : Flohr, S., Ibert, O., Grabher, G. (2008) p.263
23
1.2.2 L’émergence des « communautés d’usagers »
« Isolé, le candidat innovateur ne peut aboutir. Il faut que se constitue, autour de
son idée et de son désir de réalisation, une petite organisation, formelle ou informelle »
(Christofol H., Richir S., Samier H., eds, 2004)
Le mode de fonctionnement d’une « communauté d’usagers »
L’auteur Foray14 cite les études de Von Hippel (2001) pour déterminer les trois
conditions de fonctionnement « d’une communauté d’usagers ». Tout d’abord, les
consommateurs qui composent la communauté doivent être motivés par l’innovation qui
proposera une solution répondant à ses besoins, pour proposer des idées les consommateurs
doivent avoir une connaissance et une expérience du produit. Ensuite, les connaissances
doivent être partagées, les propositions doivent être « visibles » par chaque membre pour
permettre la confrontation des points de vue qui est génératrice d’idées et permet de
« consolider » la solution car individuellement les usagers-innovateurs cherchent à répondre à
leur propre besoin. Cependant, la question du partage de la connaissance pousse à s’interroger
sur les incitations (Harhoff et al. 2000) : le partage permet une reconnaissance, la réciprocité
et la diffusion par la prise en compte des solutions dans le développement du produit. Enfin, il
doit exister « des mécanismes de transmission de l’information » à un coût faible.
Les mécanismes d’incitation pour soutenir l’innovation
La mise en place des communautés de pratiques virtuelles permet de répondre à ces
conditions et se distingue par son caractère gratuit qui appuie la créativité car elle n’est
soumise à aucune « autocensure ». Mais nous avons vu que dans le travail collaboratif,
lorsque la rencontre devient réelle la rémunération est possible. Ainsi, il est important de
comprendre les différents mécanismes qui incitent à une participation. Tout d’abord, les
communautés de consommateurs virtuelle regroupent des individus ayant les mêmes centres
d’intérêt (la mode, le sport, etc.) et qui souhaitent partager leurs expériences afin de collaborer
à l’élaboration de « leur produit parfait », la motivation de l’échange est « intrinsèque » car
elle est relative au plaisir que l’on retire dans sa participation au développement du produit et
dans l’enrichissement des ses propres connaissances (Hars et Ou, 2001). En parallèle,
14 L’auteur a rédigé le chapitre « Trois modèles d’innovation dans l’économie de la connaissance » extrait de l’Encyclopédie de l’innovation, Paris, Economia. Mustar, P. & Penan, H. (2003) (dir.) pp.503-506.
Sandra Boalhosa Cerqueira
l’entreprise doit mettre en place un outil de reconnaissance du fruit de la participation
collective. Cette reconnaissance est essentielle pour maintenir des relations privilégiées. De
plus, la collaboration totale dans l’exemple de André, est analysé comme une « chance »
d’être choisie pour participer à un projet collectif « hors du commun », la confiance est
donnée à une anonyme (« choisie »).
Aux travers des entretiens des bloggeuses, il est ressorti que la passion pour le produit
était déterminante. « Il faut trouver du plaisir dans ce qu’on fait » dit Frédérique Poissonnier.
De plus, Cardon D. (2007), ajoute que « le mariage entre passion et activité, entre
engagement professionnel et privé » caractérise bien ce qu’il appelle les « pro-ams »
(professionnels-amateurs).
Dans une dernière sous-partie, nous allons montrer que la partie prenante qui est
l’entreprise est cruciale dans le développement des idées des consommateurs. Rappelons que
l'innovation se fait par le regroupement des ressources nécessaire à la réalisation d'un projet
afin de créer de la valeur sur le marché. Ainsi, il faut analyser la valeur résultat de cette
collaboration et l’impact que l’intégration en amont du consommateur produit dans la
stratégie de la firme.
Hypothèse 2 :
Le consommateur doit faire partie d’une communauté pour être force de propositions
Les enjeux d’une sollicitation du consommateur dans l’innovation
Les communautés sont une forme d’« intelligence collective » qui permet de créer de
la valeur au début de la chaine de valeur et non plus au bout lors de commercialisation. Selon,
Olivier Zara15, « l’intelligence collective ne crée pas directement de l’innovation, ou de la
créativité. C‘est un mode de fonctionnement qui la stimule et l’accélère». En effet,
l’innovation collaborative nécessite que les idées soient « travaillées ». L’entreprise doit donc
maximiser le potentiel des idées qui se trouvent « dans la tête des gens ». Les auteurs de
L’innovation à l’ère des réseaux, pensent que la formulation d’une idée innovante ne suffit
pas à aboutir, l’idée doit être traitée afin de définir les ressources nécessaire à chaque étapes
de la chaine de valeur : formulation de l’idée, sa construction/sa réalisation et enfin la
distribution qui permet de « toucher » le prospect. 15 Auteur de l’ouvrage, Le Management de l’intelligence collective : vers une nouvelle gouvernance, p.217.
25
Cette figure (5) montre que la génération d’idées devient un actif à gérer fondamentale et il
faut donc poursuivre le processus par la mise en situation afin de valider la pratique. On note
également que les connaissances collectées sont utilisées à chaque étape de l’innovation de
l’amont à l’aval.
Une collaboration au service de l’innovation stratégique
Selon Martinet16, l’innovation stratégique repose sur trois piliers : « l’évitement de la
concurrence, la singularité de l’entreprise et la création de source de valeur ». Dans
l’exemple du chausseur André, la stratégie a été de développer un avantage concurrentiel
durable qui repose sur un caractère distinctif de l’offre. En effet, André en proposant une
collaboration avec des bloggeuses de la mode a montré que l’entreprise est à l’écoute des
exigences de la clientèle, la création d’une marque met l’emphase sur la volonté de
l’entreprise d’intégrer en amont une relation de collaboration avec les consommatrices de
manière durable. On peut supposer que l’aventure se duplique et qu’André décide de faire
appel à d’autres bloggeuses pour réaliser une collection.
Déterminer la valeur apportée au produit
16 Alain-Charles Martinet, « Stratégie et innovation » p.37, in l’Encyclopédie de l’innovation, Mustar, P. & Penan, H. (dir.), Economia, Paris, 2003
Figure 5 : La chaîne de valeur de l’innovation Source : Debra M. Amidon, 2001, p.106
Sandra Boalhosa Cerqueira
Nous rappelons que la valeur se définit de manière précise dans la norme X50-150 de
l’Afnor : comme « un jugement porté par le client ou l’utilisateur sur la base de ses attentes
et motivations. Plus spécifiquement, c’est une grandeur qui croit lorsque la satisfaction de
l’utilisateur augmente ou que la dépense y afférant diminue » (Caelen J., 2004).
Le but de la collaboration est de dégager une valeur, d’introduire au produit des détails
d’améliorations liés aux expériences des consommateurs. Partir de l’usage du client pour
apporter une valeur au produit, mettre l’accent sur la posture active du consommateur lors de
sa consommation du produit pour répondre à ses insatisfactions profondes : « L’innovation est
tirée par l’interaction avec le consommateur » (Musso P., Ponthou L., Seulier E., 2007,
p.188). On distingue 3 types de valeurs principales qui s’intéressent aux deux parties
prenantes (le consommateur et l’entreprise) mais également au résultat de l’interaction :
- La valeur globale résulte de la différence perçue par le consommateur entre les risques et les
bénéfices de l’adoption de cette nouveauté (Pras, Le Nagard-Assayag, 2003).Elle est
caractéristique de l’objet/le produit
- La valeur d’usage est relative à la satisfaction d’un besoin spécifique au travers de
l’expérience de consommation (Merle A., 2007). Elle est caractéristique de l’individu.
- La valeur de l’expérience collective qui sous-tend la valeur hédonique et la valeur de
réalisation collective et qui évalue l’efficacité de la relation entreprise-consommateur (c’est-à-
dire la confiance). Autrement dit, il s’agit de la valeur résultant de l’échange.
Il faut dépasser la vision du consommateur comme uniquement un utilisateur ou un acheteur
car en amont de la chaîne et en collaborant avec l’entreprise, il se veut « co-créateur de
valeur ».
Une relation privilégiée avec le client : créatrice de valeur
27
« Les clients connaissent vos produits et vos services. Ils connaissent également vos
concurrents et leurs possibilités. Ils peuvent même savoir plus sur la stratégie de vos
concurrents que vos propres services spécialisés en intelligence économique. Plus important
encore : les clients connaissent leurs besoins » (Debra M. Amidon, 2001, p.173). Le client se
révèle source de valeur pour l’entreprise qui réussit à établir une relation privilégiée sur le
long terme et est capable de découvrir les besoins latents de ses clients. L’auteur distingue
trois modèles de relation qui résultent du croisement de deux fonctions : le type de
rétroactions et le degré d’implication. Ainsi, selon le modèle choisi, la relation avec le client
permet de définir une meilleure stratégie de l’offre : le modèle traditionnel de la « vente »
permet de remontée des données par l’intermédiaire du personnel en contact sur les
préférences des clients concernant les produits afin de ne pas les perdre, il s’agit pour
l’entreprise de « pousser le produit ». Le second modèle « relationnel basé sur la valeur
ajoutée pour le client » est déterminer par une coopération qui permet d’élaborer une offre
meilleure par la circulation d’information résultant de la confrontation entre l’offre et la
demande actuelle dans un schéma ascendant et descendant qui nécessite de retravailler ces
informations, le but est d’améliorer la satisfaction du client pour éviter les infidélités à
l’entreprise et de se différencier des concurrents. Enfin, le modèle ultime de « partenariat »
oblige une relation symbiotique (« chacun est capable de contribuer aux idées des autres et
Figure 6 : Les différents modèles de relations avec le client Source : Debra M. Amidon, 2001
Sandra Boalhosa Cerqueira
de les exploiter » (Debra M. Amidon, 2001)), dans laquelle l’entreprise apprend par son client
ses besoins, ainsi il devient un acteur indispensable grâce au partage de ses connaissances sur
les concurrents car le client donne son opinion en se basant sur ses expériences antérieures
avec le produit de l’entreprise ou avec le produit des concurrents. La connaissance devient le
nouveau capital à gérer. Ce modèle nécessite une véritable implication à deux niveaux pour
l’entreprise : elle doit d’abord accepter de partager des informations parfois confidentielles
avec ses clients sur ses projets futurs et enfin cette exchange avec le client implique un travail
de transformation, d’expérimentation et de validation des connaissances « en standards et en
produits adaptés et rentables » (Debra M. Amidon, 2001, p.180). Les interactions avec le
client se révèlent de plus en plus pertinentes et intelligentes pour la génération d’idées
nouvelles de créer une nouvelle dynamique dans le processus d’innovation et devient un
élément de démarcation par rapport à la concurrence. Les petites entreprises l’ont bien
compris puisqu’elles entretiennent de véritables relations avec le client par contre les
moyennes et les grandes entreprises ont encore du mal pour sortir « la tête du guidon » et ne
plus considéré le client comme un acteur passif mais comme pouvant se révéler être un
« avantage collaboratif » sur l’avenir car il apporte une connaissance pratique des produits et
ne se focalise plus sur les caractéristiques même du produit qui au final sont régulièrement
adaptés sans toutefois répondre à une nouvelle attente. Dans le magazine, Stratégies n°1582,
la journaliste Anne-Lise Carlo cite l’exemple de Danette qui a soumis aux votes des
internautes le lancement de ses futurs parfums comme l’exemple à ne pas suivre car
l’entreprise n’est pas allée au bout de sa démarche collaborative pour utiliser les internautes
comme « une simple caution de ses choix initiaux ». La mise en place d’un « bureau de
l’innovation » permet de mettre en place une démarche systématique (Debra M. Amidon,
2001, p.181).
Hypothèse 3 :
Une entreprise qui collabore avec le consommateur est perçue comme altruiste
Nous allons donc étudier le cas d’une entreprise qui conçoit des produits spécialisés
dans l’outdoor et qui a choisi de faire intervenir le consommateur pour la phase de co-création
via ce qu’elle appelle l’atelier de conception en mettant en place un lieu virtuel qui a la même
vocation qu’un « bureau de l’innovation ».
29
L’étude de cas : L’atelier de conception de Raidlight17
L’entreprise Raidlight est une petite structure spécialisée dans la fabrication de produit de
l’outdoor qui a mis en place en 2009 une plateforme virtuelle sous le nom de « Atelier de
conception » récompensée en la même année par un Janus du Service. Sur le site officiel
Raidlight, l’atelier de conception se définit comme l’équation suivante : « un produit
Raidlight résulte de l’implication conjuguée du labo R&D de Raidlight, des savoir-faire de
ses partenaires et sous-traitants, et également de ses clients et utilisateurs, qui sont un des
maillons de cette chaine de création ». Les membres de l’atelier (environ 1 800 membres de
pratiquants) sont des consommateurs pour la majorité passionnée et pratiquant les sports de
pleine air et qui adhèrent à une communauté de pratiquant virtuel : la « Team Raidlight »
réglementé par une charte. Cette communauté ne facilite pas uniquement les échanges
d’informations, d’idées, d’expérience avec l’entreprise mais elle s’organise autour d’une
cohésion de groupe permise par de nombreux outils proposés par Raidlight en accord avec
leurs valeurs comme la création de blogs personnel, le covoiturage et des rencontres
physiques. Suite à un entretien téléphonique avec Cyril Cointre (Responsable de la Team), il
nous explique que le fonctionnement de l’atelier se fait de 3 manières différentes : Le
questionnaire, le lancement de thème (qui permet le partage des idées, des expériences) et la
suggestion spontanée d’idées par les consommateurs. Ces modes de fonctionnement
permettent un échange libre pouvant faire l’objet d’appréciation sous forme de vote afin de
valoriser les idées. « Le critère individualiste crée un premier pas ».
Raidlight a fait le choix d’une innovation ouverte remplissant les 3 conditions : l’incitation à
innover car selon Mr Coindre « tous les ans environ, l’atelier de conception permet d’apporter
des modifications incrémentales », les consommateurs acceptent de partager et le rôle de
transmission est assuré par les deux parties. La structure de l’entreprise ne lui permet pas de
consacrer un budget très important au département innovation (composé de deux employés),
contrairement aux grandes entreprises du secteur (Décathlon, etc.). Grâce à la communauté de
pratique : La Team, Raidlight a contrebalancé les grandes marques. La participation du client
permet donc de faire des économies « en investissant dans les phases de tests et
d’expérimentations, l’entreprise engage peu de ressources technologiques. » (Musso P.,
17 Cette étude de cas s'enrichit des propos recueillis auprès de Mr Cyril Cointre, Responsable de la Team Raidlight par Sandra De Matos Cerqueira lors d'un entretien téléphonique le 5 mai 2010
Sandra Boalhosa Cerqueira
Ponthou L., Seulier E., 2007, p.67) mais le membre devient également égérie de la marque par
l’attachement aux valeurs Raidlight auxquelles il aura adhérer. L’intégration des
connaissances externes se fait par une synthèse des idées puis une consultation et une
consolidation (Aval èAmont è Potentiel) L’entreprise récompense la participation des
clients par une reconnaissance, une valorisation du client. Au niveau du produit final, cette
reconnaissance se traduit par la présence sur l’étiquette des noms de participants. Au niveau
de la communauté, l’entreprise propose des rencontres lors d’événement sportif de plein air
pour assurer le rôle de transmission et de partage des connaissances à faible coût. La Team
Raidlight à une dimension collective et sociale.
L’entreprise compte ouvrir d’ici 2011 un projet de laboratoire R&D ouvert au public pour
accélérer le processus de co-création par la réalisation plus rapide des prototypes qui assure
un délai de mise sur le marché plus court dont la finalité est d’avoir une longueur d’avance
sur la concurrence. Le but est d’avoir une idée plus précise du questionnement du client face
au prototype dans la phase de co-conception et apporte «une perception des tendances et des
moyens de construction des attentes » (Musso P., Ponthou L., Seulier E., 2007). La phase de
conception est motrice car elle se base sur la représentation de l’expérience que pourra faire
le consommateur de son produit (désirs, peurs, refus). Cette approche stimule les équipes
internes et permet de mieux choisir les concepts à mettre sur le marché. Pour Cyril Cointre,
les avantages de la co-création sont la simplicité, le gain de temps, la réactivité qui se révèle
comme un avantage concurrentiel qualitatif face aux grandes entreprises qui n’osent pas
sortir de leurs modèles et tentent en priorité d’imposer leur mode de fonctionnement. La
motivation de Raidlight : être le premier a présenté une nouveauté qualitative. Il s’agit donc
d’une opération positive pour l’entreprise. Cette collaboration avec des « non-professionnels »
mais des consommateurs permet d’avoir une idée plus précise du questionnement du client
face à un produit. La contrainte principale d’une collaboration virtuelle reste alors la
confidentialité car toutes les informations ne peuvent être communiquées.
Conclusions dans la Partie 1 : Revue de littérature
31
La revue de littérature dégage trois courants de recherche « les 3 C » qui permettent de
conceptualiser les différents points de vue à chaque étape du processus d’innovation dans le
cadre d’un travail collaboratif. Nous nous intéressons donc pour chaque phase aux activités et
aux attentes des consommateurs lors d’une collaboration avec l’entreprise, puis nous
examinons l’impact pour l’entreprise au niveau de son activité (Cova B., Ezan P.). Cette grille
de lecture adaptée des courants de recherche sur le consommateur collaborateur élaboré par
Cova et Dalli permet de comprendre les motivations qui poussent à la collaboration.
Courant de recherche
Activités du consommateur
Attentes du consommateur Impact sur l’entreprise
Co-créativité - Génération des idées - Évaluation des idées - Exprimer sa créativité
- Participer ou améliorer une offre à venir - Exprimer ses connaissances en tant que passionné
- Outsourcing des idées
Co-conception - Détournement de l’offre - Force de propositions
- Expression de sa personnalité
- Proposition d’amélioration légitimée par expérience du consommateur - Permet de cerner les réactions des clients - Avoir une idée plus précise du questionnement du client face au produit (prototype)
Co-création - Création totale d’un produit
- Participer, Exprimer sa personnalité, s’immerger dans l’expérience, -Reconnaissance du « génie » du consommateur - Expérience collective et aventure humaine
- Participation directe et collaborative en interne
Figure 2 : Courants de recherche sur les 3 « C » de l’innovation Adapté des courants de recherche sur le consommateur collaborateur de Cova et Dalli par S. De Matos Cerqueira
Sandra Boalhosa Cerqueira
Conclusion : ... pour ouvrir des voies de recherche et s’interroger sur les implications
managériales de l’intégration en amont du consommateur dans le processus
d’innovation
L’objectif de ce travail de recherche est de mettre en évidence la nouvelle posture du
consommateur dans une économie du savoir, le consommateur participe au processus
d'innovation des entreprises depuis longtemps mais aujourd'hui cette « participation » devient
un véritable échange qui permet d'ajouter de la valeur dans la chaine de valeur de
l’innovation. L’expérience du consommateur peut ainsi devenir « un outil de travail ».
L’objectif de la méthodologie utilisée est d’apporter des éléments de réponse à notre
problématique : la collaboration entre le consommateur et l’entreprise dans le processus
d’innovation apporte-t-elle de la valeur au produit ? Grâce à la mesure de 3 éléments de la
valeur, identifiée au travers de notre revue de littérature : l’esprit créatif du consommateur
(intensité de la participation, travail individuel ou collectif, partage des connaissances), les
attentes des consommateurs vis-à-vis des nouveautés (attentes correspondant à l'attitude que
l'on adopte par rapport au besoin, différence perçue entre les risques et bénéfices dans l’achat
de la nouveauté), la perception des motivations de l’entreprise.
Pour cela, nous avons mené une étude quantitative (100 répondants) auprès des étudiants et de
jeunes actifs. Il s’agit d’un échantillon constitué de consommateurs actifs, à la recherche de
nouveautés. Nous avons donc commencé par réaliser un questionnaire qui nous avons testé
auprès de 5 individus correspondant au profil recherché ce qui nous a permis d’affiner notre
questionnaire (suppression d’une variable et reformulation de certains items). A partir de cette
phase de pré-test et de travaux antérieurs, nous avons développé le questionnaire final. Pour la
récolte des données, nous avons choisi de soumettre notre questionnaire en ligne sur la
plateforme communautaire Facebook très appréciée par les jeunes étudiants via la création
d’un événement mais le taux de retour étant faible (33 questionnaires récoltés) nous avons
complété cette phase par des entretiens ( de 10 minutes maximum) en face à face qui
permettent un taux de réponses plus important et directe (au passage, je souhaite remercier les
personnes qui m’ont aidé à recueillir des réponses).
Dans l’ensemble, cette étude a montré que les jeunes et les jeunes actifs étaient des personnes
actives dans la relation qu’ils pouvaient entretenir avec l’entreprise. Nous avons également pu
voir l’implication du consommateur par l’entreprise dans le processus n’était pas perçu
comme une motivation purement stratégique mais qu’il s’agissait d’une véritable culture
33
d’ouverture aux autres et marquent la volonté des consommateurs d’estomper le périmètre des
entreprises.
Ainsi, les entreprises qui souhaitent intégrer le consommateur dans le processus d’innovation
afin d’établir une collaboration qualitative, doivent laisser le client s’exprimer mais aussi
mettre des outils à disposition afin de montrer sa volonté d’écoute et de s’approcher des
exigences du client.
La limite principale de l’étude concerne le questionnaire, en effet, l’ensemble des éléments
qui constitue nos variables sont insuffisamment homogène ce qui a empêché une étude plus
riche et approfondie du phénomène.
Le prolongement logique de ce mémoire serait de construire un nouveau questionnaire en
ayant un ensemble d’élément homogène pour une meilleure analyse statistique des variables
explicatives.
Sandra Boalhosa Cerqueira
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Sandra Boalhosa Cerqueira
Table des matières
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................ 3
AVANT PROPOS .............................................................................................................................................. 4
INTRODUCTION : QUAND L’INNOVATION « SE DEMOCRATISE » ... ................................................................. 6
PARTIE 1 -‐ REVUE DE LITTERATURE : VERS UNE INTEGRATION EN AMONT DU CLIENT DANS LE PROCESSUS
D’INNOVATION. ............................................................................................................................................ 12
LE NOUVEAU MODELE D’INNOVATION ET LES NOUVELLES FORMES DE COLLABORATIONS ....................................................... 12 1.1.1 L’innovation ouverte permet la C&D (Customer and Development) ............................................... 12
Les différentes modélisations de l’innovation .......................................................................................................... 12 L’Open innovation : un nouveau modèle dynamique de l’innovation ...................................................................... 12
1.1.2 La collaboration dans une innovation à l’ère des réseaux .............................................................. 14 Les modèles de travail collaboratif dans les différentes phases de co-‐innovation ................................................... 15 L’étude de cas de « co-‐création » français: Le chausseur André avec « les bloggeuses s’en mêlent » .................... 16
LA NOUVELLE POSTURE DU CONSOMMATEUR ET L’EMERGENCE DE COMMUNAUTES D’USAGERS ............................................. 18 1.2.1 Les nouveaux consommateurs d’aujourd’hui .................................................................................. 19
Qui sont ces « nouveaux consommateurs-‐collaborateurs » ? .................................................................................. 19 La connaissance du consommateur en fait un « acteur compétent » ...................................................................... 20
1.2.2 L’émergence des « communautés d’usagers » ................................................................................ 23 Le mode de fonctionnement d’une « communauté d’usagers » .............................................................................. 23 Les mécanismes d’incitation pour soutenir l’innovation .......................................................................................... 23
LES ENJEUX D’UNE SOLLICITATION DU CONSOMMATEUR DANS L’INNOVATION .................................................................... 24 Une collaboration au service de l’innovation stratégique ........................................................................................ 25 Déterminer la valeur apportée au produit ................................................................................................................ 25 L’étude de cas : L’atelier de conception de Raidlight ................................................................................................ 29
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 34
RESUME ET ABSTRACT .................................................................................................................................. 36
Résumé et Abstract
37
Thème : L’intégration du client en amont dans le processus d’innovation
Ce mémoire de recherche appliquée s’intéresse à l’intégration en amont du consommateur
dans les différentes phases du processus d’innovation. Avant, le consommateur ne créait de la
valeur qu’au bout de la chaîne de valeur lors de l’achat mais sa nouvelle posture d’acteur
réfléchi et l’ouverture de l’entreprise à ses clients sont des facteurs qui encouragent une
collaboration active entre les deux parties. Ainsi, le consommateur devient collaborateur
apportant une valeur supplémentaire au produit et l’entreprise cerne mieux les besoins et les
attentes de ses consommateurs. Nous déterminons la nature de la participation du
consommateur, la valeur perçue sur le produit final issue de la collaboration et le risque perçu
lié à la nouveauté dans le but de comprendre si la participation du consommateur apporte une
réelle valeur durable au produit qui conditionnera la réussite de cette nouveauté pour
l’entreprise.
Mots-clés : collaboration, valeur consommateur, innovation ascendante, innovation ouverte,
communauté de pratique
Theme: The integration of customer input in the innovation process
This applied research paper examines the integration of consumer input in the different phases
of the innovation process. Before, the consumer does create value at the end of the value
chain when buying but its new position as an active actor and thought the opening of the
company to customers are factors that encourage active collaboration between the two parts.
Thus, the consumer becomes a collaborator providing additional value to the product and
companies have a better understanding of customers’ needs and expectations. We determine
the nature of consumer participation, the perceived value on the final product resulting from
the collaboration and the perceived risk associated with novelty in order to understand
whether consumer involvement brings a real sustainable product that will determine success
for the enterprise.
Keywords: collaboration, consumer value, open innovation, practicing community, upward
innovation, active consumer