Le management management
Transcript of Le management management
« Jâai Ă©crit ce livre
en pensant quâil existait
un rĂ©el besoin dâune
meilleure compréhension
des organisations, et ce,
autant dans la société
prise dans son ensemble,
que parmi les managers qui
essayent de faire fonctionner
ces organisations. »
Henry MINTZBERG
Un incontournable du management, accessible Ă tous en version poche.
Ce livre prĂ©sente lâessentiel des travaux de Mintzberg, lâun des plus grands spĂ©cialistes mondiaux des organisations. DestinĂ© aux Ă©tudiants comme aux professionnels, il donne une vue complĂšte du management.
format 125 x 190 mm - dos 40,5 mm
Henry MINTZBERGH
enry
MIN
TZBER
G
Lemanagement
Le m
anag
emen
t
Henry MINTZBERG, Ph.D. (MIT), ingĂ©nieur (McGill), est professeur de management Ă lâuniversitĂ© McGill de MontrĂ©al. Il est lâauteur de nombreux livres de rĂ©fĂ©rence, dont Le manager au quotidien, Structure et dynamique des organisations et Le pouvoir dans les organisations.
Voyage au centre des organisations
Henry MINTZBERG
Code
Ă©di
teur
: G53
093
ISBN
: 97
8-2-
7081
-309
3-7
-:HSMHKI=VXU^X\:
13,50 âŹ
barb
ary-
cour
te.c
om
53093_mintzberg_mana_405.indd 153093_mintzberg_mana_405.indd 1 5/06/07 12:20:415/06/07 12:20:41
« Jâai Ă©crit ce livre
en pensant quâil existait
un rĂ©el besoin dâune
meilleure compréhension
des organisations, et ce,
autant dans la société
prise dans son ensemble,
que parmi les managers qui
essayent de faire fonctionner
ces organisations. »
Henry MINTZBERG
Un incontournable du management, accessible Ă tous en version poche.
Ce livre prĂ©sente lâessentiel des travaux de Mintzberg, lâun des plus grands spĂ©cialistes mondiaux des organisations. DestinĂ© aux Ă©tudiants comme aux professionnels, il donne une vue complĂšte du management.
format 125 x 190 mm - dos 40,5 mm
Henry MINTZBERG
Henry
MIN
TZBER
G
Lemanagement
Le m
anag
emen
tHenry MINTZBERG, Ph.D. (MIT), ingĂ©nieur (McGill), est professeur de management Ă lâuniversitĂ© McGill de MontrĂ©al. Il est lâauteur de nombreux livres de rĂ©fĂ©rence, dont Le manager au quotidien, Structure et dynamique des organisations et Le pouvoir dans les organisations.
Voyage au centre des organisations
Henry MINTZBERG
53093_mintzberg_mana_405.indd 153093_mintzberg_mana_405.indd 1 5/06/07 12:20:415/06/07 12:20:41
LE MANAGEMENT Voyage au centre des organisations
Ăditions dâOrganisation1, rue ThĂ©nard
75240 Paris Cedex 05www.editions-organisation.com
DU MĂME AUTEUR CHEZ LE MĂME ĂDITEUR
Le manager au quotidien : les 10 rĂŽles du cadreStructure et dynamique des organisations
Le pouvoir dans les organisations
Traduit de : Henry MINTZBERG, Mintzberg on Management.Inside Our Strange World of Organizations, New York, 1989.
© Henry Mintzberg, 1989
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou
partiellement le prĂ©sent ouvrage, sur quelque sup-port que ce soit, sans autorisation de lâĂditeur ou du Centre Français dâExploitation du Droit de Copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
© Ăditions dâOrganisation, 1990, pour lâĂ©dition originale.© Ăditions dâOrganisation, 1998, 2004 pour la prĂ©sente Ă©dition.
ISBN : 978-2-708-13093-7
H
ENRY
M
INTZBERG
LE MANAGEMENT
Voyage au centre des organisations
Traduit par Jean-Michel Behar et révisé par Nathalie Tremblay
DeuxiÚme édition revue et corrigée
Ce livre sâadresse Ă tous ceux qui passent leur vie professionnelle dans les organisations,
et leur vie privĂ©e Ă tenter de sâen Ă©chapper.
Il est dédié à la mémoire de Jim Waters, qui consacra toute sa carriÚre
Ă rendre ces organisations plus humaines.
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Table des matiĂšres
R
EMERCIEMENTS
.................................................................. 9
N
OTRE
MONDE
FAIT D
â
ORGANISATIONS
................................. 11
I
re
PARTIE
Ă PROPOS DU MANAGEMENT
17
Chapitre 1 â
L
A
PROFESSION
DE
MANAGER
....................... 21
Chapitre 2 â
L
A
STRATĂGIE
DE
L
â
ARTISAN
......................... 55
Chapitre 3 â
H
ĂMISPHĂRE
GAUCHE
ET PLANIFICATION
,
HĂMISPHĂRE DROIT
ET MANAGEMENT
........... 87
Chapitre 4 â
C
OUPLER
ANALYSE
ET
INTUITION
DANS
LE
MANAGEMENT
............................... 111
Chapitre 5 â
F
ORMER
DES
MANAGERS
ET NON DES
DIPLĂMĂS
DE
MBA ................. 151
II
e
PARTIE
Ă PROPOS DES ORGANISATIONS
175
Chapitre 6 â
L
ES
CONFIGURATIONS
DĂRIVĂES
................. 179
Chapitre 7 â
Lâ
ORGANISATION
ENTREPRENEURIALE
......... 213
Chapitre 8 â
Lâ
ORGANISATION
MĂCANISTE
..................... 237
Chapitre 9 â
Lâ
ORGANISATION
DIVISIONNALISĂE
............. 275
Chapitre 10 â
Lâ
ORGANISATION
PROFESSIONNELLE
............ 309
8 LE MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Chapitre 11 â
Lâ
ORGANISATION
INNOVATRICE
.................. 347
Chapitre 12 â
Lâ
IDĂOLOGIE
ET
L
â
ORGANISATION
MISSIONNAIRE
........................................... 389
Chapitre 13 â
L
ES
SYSTĂMES
POLITIQUES
ET L
â
ORGANISATION
POLITIQUE
.................. 415
Chapitre 14 â
A
U-DELĂ
DES
CONFIGURATIONS
.................. 447
III
e
PARTIE
Ă PROPOS DE NOTRE SOCIĂTĂ FAITE DâORGANISATIONS
535
Chapitre 15 â
Q
UI
DEVRAIT
CONTRĂLER
LES GRANDES ENTREPRISES
? ....................... 537
Chapitre 16 â
R
EMARQUE
SUR UN BIEN VILAIN MOT
: «
EFFICIENCE
» .......................................... 589
Chapitre 17 â
U
NE SOCIĂTĂ DEVENUE INGĂRABLE, COMME RĂSULTAT DU MANAGEMENT ........... 597
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Remerciements
Il est de tradition de remercier tous ceux qui ontapportĂ© une contribution significative Ă la rĂ©alisationdâun livre. Mais, comme une grande partie de ce livrereprend bon nombre de mes Ă©crits prĂ©cĂ©dents, oĂč jâaidĂ©jĂ remerciĂ© ceux qui mâavaient apportĂ© cette contribu-tion, je ne repĂ©terai pas ici mes remerciements en ce quiles concerne. Ils Ă©taient des plus sincĂšres Ă lâĂ©poque et ilnây a aucune raison pour que cela change. Mais, ce que jevoudrais faire, ici, câest prĂ©senter ces remerciements Ă une seule personne, mĂȘme sâil est bien Ă©vident que je nevoudrais, pour rien au monde, passer sous silence lesrĂŽles de mes collĂšgues Danny Miller et Frances Westley,qui mâaidĂšrent de bien des façons dans mes rĂ©flexions ;Jim Walters, un ami extraordinaire dont la contributionimplicite Ă ce livre dĂ©passe largement le cadre des remer-ciements formalisĂ©s que lâon trouve au texte, et qui nousmanque Ă tous si profondĂ©ment ; celui de mon Ă©diteurBod Wallace, qui fit preuve dâune tolĂ©rance remarquable ;de mes « fonctionnels de support logistique » KateMaguire-Devlin et Zinette Khan, qui dĂ©chiffrĂšrent, avecgrĂące, mes horribles gribouillages ; et celui de mes deuxdoyens, Morty Yalovsky et Wally Crowston qui mirent Ă ma disposition toutes les autres formes de support logis-tique que je pouvais souhaiter.
Bill Litwack est cette personne. Il incarne le mot empa-thie. Non lâempathie des psychologues de boulevard, caril est rude et caustique, du moins pour ses vrais amis. Maisil sait les comprendre et rĂ©pondre Ă leur vĂ©ritable attente,sans parler pour autant, de celle, qui peut naĂźtre chezceux qui Ă©crivent des livres.
10 LE MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
En 1968, Billy Ă lâĂąge, pas si tendre que cela, de vingtans, mâaida Ă mettre au point ma thĂšse de doctorat. Ce futune expĂ©rience atroce. Mais jâappris Ă Ă©crire. Dans lesvingt annĂ©es qui suivirent, soit jâai oubliĂ© la leçon, soit il achangĂ© ses critĂšres. Jâai certainement oubliĂ© combienlâexpĂ©rience avait Ă©tĂ© atroce. Dans tous les cas, aprĂšsnotre seconde expĂ©rience de rĂ©daction commune, jâaisurvĂ©cu, Billy a survĂ©cu, le livre a survĂ©cu et beaucoupplus important : notre amitiĂ© a survĂ©cu. Billy « Ă©taitdevenu » le livre pendant quelques mois dâune extrĂȘmeintensitĂ©, fouillant Ă lâintĂ©rieur de ma tĂȘte et me rendantpresque fou Ă certains moments (dans le genre : « Câesthypocrisie qui sâĂ©crit ici âhypo-cratieâ âhippo-cratieâ »)jusquâĂ ce que je mette en ordre (du moins, câest ce quejâespĂšre avoir fait) un ensemble de publications pour rĂ©a-liser le livre que je voulais. Je vous remercie de cela Bill,mais pas seulement de cela.
Câest le moment oĂč lâauteur est supposĂ© ajouter ici,comme si quelquâun en doutait, que malgrĂ© toutes lescontributions merveilleuses dont il a bĂ©nĂ©ficiĂ©, il reste leseul responsable de ce qui va suivre. En aucune façon. (Netouchez pas Ă cela Billy !). Je peux ne pas avoir pris son« avis » pour certains passages, avoir fait des changementsau dernier moment sans lui laisser la possibilitĂ© mĂȘme deles voir, mais partout ailleurs Litwack est totalement fautifdes erreurs ou des insuffisances qui ont pu rester dans celivre. Et nous, voici, repartis pour une nouvelle pĂ©riode devingt ans de paix.
LAC CASTOR
Janvier 1989
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Notre monde fait dâorganisations
Notre monde est devenu, pour le meilleur et pour lepire, une sociĂ©tĂ© faite dâorganisations. Nous sommes nĂ©sdans le cadre dâorganisations et ce sont encore des orga-nisations qui ont veillĂ© Ă notre Ă©ducation de façon Ă ceque plus tard, nous puissions travailler dans des organi-sations. Dans le mĂȘme temps les organisations ont prisen charge nos besoins et nos loisirs. Elles nous gouver-nent et nous tourmentent (et, par moment, les deux Ă lafois). Et, notre derniĂšre heure venue, ce seront encoredes organisations qui sâoccuperont de nos funĂ©railles. Etpourtant, Ă lâexception dâun petit groupe constituĂ© dechercheurs (auxquels on donne le nom de « thĂ©oriciensdes organisations ») qui les Ă©tudient et, de quelques raresmanagers qui sentent le besoin de saisir plus profondĂ©-ment lâobjet mĂȘme de leur management, bien peucomprennent rĂ©ellement ces « animaux Ă©tranges », denature collective, qui exercent une si grande influencesur notre vie de tous les jours.
Si vous voulez vous renseigner sur votre propre psy-chĂ©, il vous suffira de vous rendre dans nâimporte quellelibrairie et de faire votre choix parmi les dizaines de livresqui traitent de la façon dont votre esprit, votre corps ouvotre comportement est censĂ© fonctionner. Mais, si câestvotre organisation que vous dĂ©sirez mieux comprendre, ilvous faudra, alors, trouver une librairie universitaire et lĂ ,vous aurez Ă patauger dans les thĂ©ories trĂšs denses de grosouvrages Ă vocation scientifique, Ă moins que vous nejetiez votre dĂ©volu sur un recueil de textes qui rassembleces thĂ©ories, bien soigneusement â et, probablementaussi, de façon bien simpliste.
12 LE MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Du moins, câest ce que vous trouverez sur les rayonna-ges consacrĂ©s au management, dans cette librairie. Parceque sur les autres, ceux qui sont attribuĂ©s Ă des disciplinesplus anciennes, plus traditionnelles, vous trouverez desouvrages qui ne font quâallusion aux organisations. EnSciences Ăconomiques, lâorganisation est reçue sous laforme dâune entitĂ© « rationnelle », mais pour le reste, mys-tĂ©rieuse, qui agit, on ne sait trop comment, uniquementpour maximiser son profit. Personnellement, je neconnais pas une seule organisation qui ressemble Ă cela.La Psychologie nous fournit des enseignements sur lecomportement des individus ou des petits groupes qui setrouvent au sein des organisations, mais elle ne nousapprend rien en ce qui concerne le comportement desorganisations elles-mĂȘmes. Les Sciences Politiques, quantĂ elles, considĂšrent une catĂ©gorie dâorganisation trĂšsimportante : lâĂtat ; mais plus sous lâaspect dâun systĂšmeĂ©lectoral ou politique que sous celui dâun rĂ©seau dâorgani-sations significatif. La Sociologie et lâAnthropologie sâatta-chent, bien Ă©videmment, Ă lâĂ©tude des comportementshumains collectifs, mais, gĂ©nĂ©ralement, en termes desociĂ©tĂ© informelle, dans son cadre le plus large, plutĂŽtquâĂ celle des organisations formalisĂ©es de taille plusmodeste.
La thĂ©orie des organisations utilise toutes ces discipli-nes, mais elle leur ajoute un concept fondamental, celuide « lâorganisation en elle-mĂȘme ». Pour moi, lâorganisa-tion se dĂ©finit comme une action collective Ă la poursuitede la rĂ©alisation dâune mission commune ; une bien drĂŽlede façon de dire, quâun groupe dâhommes sâest rassemblĂ©,sous une banniĂšre distinctive (que ce soit « GeneralMotors » ou « Chez Dupont ») pour rĂ©aliser certains pro-duits ou services.
Jâai Ă©crit ce livre en pensant quâil existait un rĂ©elbesoin dâune meilleure comprĂ©hension des organisationset ce autant dans la sociĂ©tĂ©, prise dans son ensemble, que
NOTRE MONDE FAIT DâORGANISATIONS 13©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
parmi les managers qui essayent de faire fonctionner cesorganisations (et, qui sont souvent, aussi perplexes, que laplupart dâentre nous, devant lâĂ©trange comportement deces derniĂšres). Ă chaque fois, que jâai eu Ă discuter desorganisations avec des personnes, dâhorizons trĂšs divers ây compris des professionnels Ă©tablis Ă leur compte, desmĂ©nagĂšres ou encore dâautres catĂ©gories ayant relative-ment peu de contact avec le « fait organisationnel » â jâai Ă©tĂ©trĂšs surpris de leur intĂ©rĂȘt pour le sujet.
Lâun raconte une expĂ©rience curieuse dans un hĂŽpital,lâautre un incident sur un avion ou chez un concession-naire automobile. Nous avons tous dĂ©sespĂ©rement besoindâapprĂ©hender ces « Ă©tranges animaux » qui ont tant deconsĂ©quences sur nous. La comprĂ©hension conceptuellefondamentale est lĂ ; le seul problĂšme câest que jusquâĂ maintenant, elle nâĂ©tait pas facilement accessible.
Ce livre prĂ©sente lâessentiel de mes travaux sur lesorganisations de ces vingt derniĂšres annĂ©es. Il ne contientpas seulement mes propres idĂ©es sur le sujet, car un cer-tain nombre de mes recherches se sont proposĂ©es de fairela synthĂšse de celles dâautres auteurs, en particulier en cequi concerne les travaux fondĂ©s sur la recherche systĂ©ma-tique. Au fil des ans, jâai Ă©tudiĂ© la façon dont les managerstravaillaient ; celle dont les organisations fonctionnaient,prenaient leurs dĂ©cisions, Ă©laboraient leurs stratĂ©gies et sestructuraient dâelles-mĂȘmes ; mais aussi comment les rela-tions liĂ©es au pouvoir entouraient puis pĂ©nĂ©traient lesorganisations ; ainsi que la façon dont les sociĂ©tĂ©s enten-daient se comporter avec leurs organisations.
Je prĂ©sente donc ici une sĂ©rie de textes de rĂ©flexion,extraits de diffĂ©rentes parties de mes Ă©crits et qui meparaissent le mieux correspondre Ă un exposĂ© dâintĂ©rĂȘtgĂ©nĂ©ral sur les organisations. Certains de ces travaux ontĂ©tĂ©, Ă leur origine, publiĂ©s dans les plus grands titres de lapresse Ă©conomique, alors que dâautres nâont connuquâune diffusion limitĂ©e, Ă travers des revues universitaires
14 LE MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
plus confidentielles. Jâai essayĂ© dâinclure ici, en les adap-tant, pour une lecture plus facile, ces travaux, que jeconsidĂšre du plus grand intĂ©rĂȘt. Jâavais dâabord eu lâinten-tion de tous les rassembler tels quels, mais jâai fini par lesrĂ©crire et mĂȘme, dans plusieurs cas, Ă les Ă©crire dans unenouvelle version, (cela reprĂ©sente environ plus de la moi-tiĂ© de ce que lâon trouvera ici). Câest pourquoi, ce livre aĂ©tĂ© conçu dans lâespoir dâĂ©largir lâaudience de ces idĂ©esaussi bien Ă lâintĂ©rieur quâĂ lâextĂ©rieur de la communautĂ©du management. Si cela vous chante, vous pourrez direquâil y a lĂ une « vulgarisation de la thĂ©orie desorganisations » Ă condition, toutefois, que lâon nesous-entende pas que jâaurais, de quelque façon que cesoit, essayĂ© de banaliser les activitĂ©s complexes dâuneorganisation.
Jâai divisĂ© ce livre de rĂ©flexion en trois parties. La pre-miĂšre est consacrĂ©e au management, câest-Ă -dire Ă cesprocessus par lesquels ceux qui ont la responsabilitĂ© for-melle de tout ou partie de lâorganisation, essayent de ladiriger ou, du moins, de la guider dans ses activitĂ©s. Laseconde partie sâattachera aux formes des organisations,dans une approche un peu comparable Ă celle du biolo-giste lorsquâil considĂšre diffĂ©rentes espĂšces dans lanature. Je crois que notre plus grande erreur, dans notreapproche des organisations â que nous avons commise Ă travers tout ce siĂšcle et que nous continuons Ă commettretous les jours â est de prĂ©tendre quâil nâexiste quâ« uneseule bonne façon » pour gĂ©rer chaque organisation. Cequi est bon pour « General Motors » est souvent un poisonviolent pour la boutique « Chez Dupont ». Il nây a pas plusde raisons de vouloir traiter toutes les organisations defaçon semblable que pour un ophtalmologiste de pres-crire Ă tous ses patients une mĂȘme paire de lunettes. LatroisiĂšme partie sera consacrĂ©e Ă notre sociĂ©tĂ© faitedâorganisations, de quelle façon nous cherchons Ă exer-cer une influence sur les organisations et comment, Ă leur
NOTRE MONDE FAIT DâORGANISATIONS 15©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
tour, ces derniÚres exercent une influence sur nous aupoint de rendre nos vies à la fois plus heureuses et plusmisérables.
Lisez ce qui va suivre Ă votre guise ; vous ĂȘtes libre dechoisir de le feuilleter ou de lâĂ©tudier suivant vos proprescentres dâintĂ©rĂȘt. Quoique que vous dĂ©cidiez, pensez uninstant Ă votre propre entreprise, Ă votre garagiste ou Ă votre concessionnaire automobile, Ă lâhĂŽpital oĂč vousvous ĂȘtes fait soigner et Ă lâĂ©cole qui vous a rendu misĂ©ra-ble, Ă la compagnie aĂ©rienne que vous utilisez, Ă lâassocia-tion qui se bat pour que les animaux soient vĂȘtus ou Ă celle qui Ćuvre pour la promotion du pop-corn. Les orga-nisations assurent la satisfaction de nos besoins et ellesnous exploitent, elles nous entretiennent et elles noustourmentent. Certes, nous pouvons toujours leur Ă©chap-per⊠pour un moment ; il y en a mĂȘme certains, parminous, qui ont rĂ©ussi Ă vivre relativement indĂ©pendam-ment de celles-ci. Mais, la plupart dâentre nous doivent serĂ©signer Ă consacrer une grande partie de leur vie publi-que et de leur vie privĂ©e aux organisations. Câest pour-quoi nous avons tous besoin de mieux les comprendre.
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Ire PARTIE
Ă propos du management
On pourrait dire que, dâune certaine façon, le ving-tiĂšme siĂšcle sera le siĂšcle du « Management ». Il est certainque le monde, ayant atteint le stade de dĂ©veloppementĂ©conomique le plus Ă©levĂ© de lâhistoire de lâhumanitĂ©, nepouvait quâĂȘtre sĂ©duit par les procĂ©dures de gestion quiont marquĂ© ce siĂšcle. Henri Fayol1, cĂ©lĂšbre industriel fran-çais, spĂ©cialiste de lâĂ©conomie industrielle, a sans douteĂ©tĂ© le premier Ă exprimer les principes du management,mais câest rĂ©ellement la vague des experts amĂ©ricains, deFrederick Taylor en passant par Peter Drucker et HerbertSimon, entre autres, qui a crĂ©Ă© et renforcĂ© lâengouementque lâAmĂ©rique connaĂźt depuis lors pour ses managers etleurs procĂ©dures de gestion.
Cela explique certainement les raisons du choc provo-quĂ© par le rĂ©cent dĂ©fi japonais lancĂ© Ă lâindustrie amĂ©ri-caine. Car, voici un peuple, dâune culture trĂšs diffĂ©rente,qui a rĂ©ussi Ă battre lâAmĂ©rique Ă son propre jeu, le jeu dumanagement. Certes, ce nâest pas la premiĂšre fois quecela se produit. LâEurope de lâOuest fut la premiĂšre maisen aucun cas de façon aussi magistrale (Volkswagen avaitbien embarrassĂ© les trois Grands de Detroit avant mĂȘmeque Toyota nâexistĂąt). Il nây a pas trĂšs longtemps Jean-Jac-ques Servan-Schreiber Ă©crivait Le DĂ©fi amĂ©ricain oĂč ilexposait que le succĂšs de lâAmĂ©rique, dans le domaine
1. N.d.T. Henri Fayol (1841-1925), auteur dâun projet de rĂ©orga-nisation hiĂ©rarchique des diffĂ©rentes fonctions de lâentrepriseintitulĂ© Administration gĂ©nĂ©rale et industrielle (1916).
18 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Ă©conomique, ne tenait pas tant Ă ses ressources naturellesou Ă son avancement technologique quâĂ lâattentionquâelle avait su porter aux questions du management (1)1.Il est certain quâaujourdâhui les amis de lâAmĂ©rique onttellement bien compris cette leçon quâil leur a Ă©tĂ© possi-ble dâĂ©crire aisĂ©ment Le DĂ©fi europĂ©en et plus tard LeDĂ©fi japonais (mĂȘme si ces ouvrages ne portaient pasexactement ces titres-lĂ au moment de leur parution).
Il nây pas eu un tel dĂ©fi communiste. Mais la gestion estapparue, de la mĂȘme façon, sous la forme dâune analysecritique des procĂ©dures en Europe de lâEst. Car, en vĂ©ritĂ©,malgrĂ© les promesses de dĂ©clin de lâĂtat, il nâexiste pasdâautres moyens de conduire une sociĂ©tĂ© communistesans recourir aux procĂ©dures de management. Ă cetĂ©gard, lâAmĂ©rique et lâUnion soviĂ©tique ne diffĂšrent pastant dans leur obsession du management que dans leurspratiques pour sĂ©lectionner les managers les plus impor-tants. On doit donc comprendre que, partout, oĂč il y adĂ©veloppement Ă©conomique, il y a attention soutenuepour les procĂ©dures de management.
Ăvidemment, les organisations ne se rĂ©duisent pas aumanagement, le dĂ©veloppement Ă©conomique non plus.En fait, il doit ĂȘtre possible de soutenir aujourdâhui(comme je le ferai dans la troisiĂšme partie de ce livre) quelâapproche traditionnelle peut avoir plus de consĂ©quen-ces nĂ©gatives que positives sur cette croissance Ă©conomi-que. Mais il nâexiste pas dâapproche complĂšte duphĂ©nomĂšne des organisations sans une prise en compterigoureuse des procĂ©dures de management. Et câest pour-quoi nous consacrerons dâabord notre attention Ă cepoint, du moins au management tel quâil semble ĂȘtre rĂ©el-lement pratiquĂ© et non sur la façon dont la littĂ©rature tra-ditionnelle continue Ă dĂ©crire ce quâil devrait ĂȘtre.
1. Les numĂ©ros entre parenthĂšses renvoient aux rĂ©fĂ©rences Ă lafin de lâouvrage (p. 669 et suivantes).
à PROPOS DU MANAGEMENT 19©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
Nous dĂ©buterons donc par ce que je crois ĂȘtre ledĂ©but, Ă savoir la vĂ©ritable nature du travail du manager,câest-Ă -dire, ce que font rĂ©ellement ceux que lâon nommeles managers (ou de tout autre nom Ă©quivalent) dans leursbureaux Ă longueur de journĂ©es. Vous serez peut-ĂȘtre sur-pris de ce que vous lirez â non pas surpris en termes devotre propre expĂ©rience mais plutĂŽt Ă travers ce que lâonest censĂ© savoir du travail du manager par le biais de sesdescriptions dans la littĂ©rature spĂ©cialisĂ©e. Ce premierchapitre aura, pour objectif, dâĂ©clairer cette contradic-tion, trĂšs commune et trĂšs coĂ»teuse dans les organisa-tions, entre ce qui se passe rĂ©ellement au niveau dumanagement, et des notions bien vagues qui conduisent,souvent dans une mauvaise direction, sur ce qui est censĂ©se passer.
Notre second chapitre continue dans la mĂȘme veine,mais en sâattachant Ă un autre aspect du management. Ilprend en compte le processus dâĂ©laboration de la stratĂ©-gie. Mais Ă nouveau, par opposition Ă la perception tradi-tionnelle des procĂ©dures de planification, nous mettronsici, en Ă©vidence, une autre approche fondĂ©e sur unevision que lâon pourrait qualifier dâ« artisanale » de ceprocessus, avec toutes les implications quâelle peut avoirpour les managers et les organisations.
Ces deux chapitres suggĂšrent quâil est en train de sepasser quelque chose au niveau du management, quelquechose qui se situe en dehors des processus « analytiques »et « rationnels », qui furent si longtemps favorisĂ©s dans cedomaine. Notre troisiĂšme chapitre essaye de mettre enĂ©vidence le point suivant : Ă partir des recherches actuel-les sur les deux hĂ©misphĂšres du cerveau humain, noustenterons de suggĂ©rer que dans notre volontĂ© incessantede jeter la lumiĂšre de lâanalyse sur le management, il sepeut que nous ayons perdu de vue un processus, plus obs-cur mais non moins important, que lâon nomme lâintui-tion. La rĂ©flexion qui suit, rĂ©alisĂ©e spĂ©cialement pour ce
20 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
livre Ă partir de diffĂ©rentes sources, va plus en profondeurdans ce sujet, en considĂ©rant dâabord le dĂ©bat fondamen-tal entre lâanalyse et lâintuition, puis en proposant diver-ses mĂ©thodes Ă travers lesquelles ces deux processuspeuvent ĂȘtre couplĂ©s afin de jouer un rĂŽle plus efficacedans le cadre des organisations complexes.
Le dernier thĂšme de cette partie sur le management,Ă©crite spĂ©cialement pour ce livre, tire une consĂ©quenceimportante de cette discussion : Ă savoir la tendanceactuelle de nos universitĂ©s de management Ă former desdiplĂŽmĂ©s de MBA plutĂŽt que des managers. Je dĂ©montre,ici, et jâinsiste Ă nouveau sur ce point dans la conclusionde ce livre, que cela nâest pas sans consĂ©quences dramati-ques sur nos organisations, en minant les bases mĂȘmes deleur efficacitĂ© sociale et Ă©conomique.
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
CHAPITRE 1
La profession de manager
Légende et réalité
Lorsque nous pensons organisation, nous pensonsmanagement. Il est certain que lâorganisation ne se rĂ©duitpas aux managers et aux systĂšmes de gestion quâils ontcrĂ©Ă©s. Mais ce qui distingue, avant tout, une organisationformelle dâun quelconque rassemblement dâhommes âdâune foule, dâun groupe informel â câest la prĂ©sence dâunsystĂšme dâautoritĂ© et dâadministration, personnifiĂ© par unou plusieurs managers dans une hiĂ©rarchie plus ou moinsstructurĂ©e et dont la tĂąche est dâunir les efforts de tousdans un but donnĂ©.
Ceci Ă©tant et en considĂ©ration du grand engouementque le peuple amĂ©ricain entretient depuis maintenantplus dâun siĂšcle avec lâarchĂ©type du manager de HoratioAlger Ă Lee Iacocca, il est trĂšs surprenant de constaterquâil existe si peu dâĂ©tudes sur ce que le manager fait rĂ©el-lement. Comme des milliers dâĂ©tudiants de lâĂ©poque, jâaipassĂ© un MBA, un diplĂŽme dont le but est ostensiblementde former des managers, sans mâinterroger sur le fait quepersonne nâavait jamais Ă©tudiĂ© de façon valable ce que lemanager faisait concrĂštement. Imaginez un programmedâĂ©tudes mĂ©dicales qui ne sâintĂ©resserait pas une seulefois au travail rĂ©el du mĂ©decin.
Certes, il ne manque pas de travaux sur ce que lesmanagers sont censĂ©s faire (par exemple, suivre tout unensemble de prescriptions simples que lâon nomme lagestion du temps ou employer les ordinateurs selon les
22 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
recommandations de quelques spĂ©cialistes techniquessans aucune responsabilitĂ©). Malheureusement, enlâabsence dâune comprĂ©hension rĂ©elle du travail de ges-tionnaire, beaucoup de ces conseils se rĂ©vĂ©lĂšrent incohĂ©-rents, voire pur gaspillage. Comment qui que ce soitpourrait-il prescrire des changements dans un phĂ©no-mĂšne aussi complexe que le travail de gestionnaire sansen avoir, au prĂ©alable, une profonde comprĂ©hension ?
Au milieu des annĂ©es 60, James Webb, qui dirigeait laNASA, eut le dĂ©sir dâ« ĂȘtre Ă©tudiĂ© ». La NASA avait senti lebesoin de justifier son existence par les retombĂ©esdâapplications pratiques de ses recherches (innovations)et Webb comptait ses principes de gestion parmi cesinnovations. Webb sâouvrit de cette idĂ©e avec un de mesprofesseurs de la Sloan School of Management du MIT, etcomme jâĂ©tais le seul Ă©tudiant en doctorat qui sâĂ©tait spĂ©-cialisĂ© dans le management (par opposition aux systĂšmesinformatiques, aux modĂšles mathĂ©matiques ou encoreaux motivations des consommateurs etc.), il me demandadâĂ©tudier Webb comme sujet pour ma thĂšse de doctorat.Je dĂ©clinai cette proposition qui mâapparut comme uneidĂ©e incohĂ©rente. CâĂ©tait bien sĂ»r le MIT, aprĂšs tout, lebastion de la science. Mais passer des journĂ©es entiĂšresassis dans le bureau dâun important manager, dĂ©crivant cequâil faisait, ne me disait absolument rien. (Quoique, unautre de mes professeurs mâavait dit, quelque temps plustĂŽt, que le but ultime dâune thĂšse de doctorat du MIT Ă©taitavant tout « lâĂ©lĂ©gance ». Il ne faisait nullement allusionaux rĂ©sultats.) De toute façon, jâavais choisi de faire unethĂšse sur la façon de dĂ©velopper les procĂ©dures de pro-grammation stratĂ©gique dans le cadre des organisations.Mais par bonheur, et ce ne fut pas la derniĂšre fois dans mavie, des forces extĂ©rieures me sauvĂšrent de moi-mĂȘme.
Mon projet de thĂšse Ă©choua par manque dâune seuleorganisation dĂ©sirant se soumettre Ă un tel exercice (oupar manque de tĂ©nacitĂ© dans mes essais pour en trouver
LA PROFESSION DE MANAGER 23©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
une). Jâassistais, alors, Ă une confĂ©rence au MIT Ă laquelleĂ©tait venu participer un nombre important de personnali-tĂ©s pour discuter de lâimpact de lâinformatique sur lemanager. Ils nâaboutirent Ă aucune conclusion ; pendantdeux jours, ils tournĂšrent en rond, Ă peine effleurĂšrent-ils,dans leurs discussions, le fait que lâusage de lâinformati-que par les managers est fonction de la difficultĂ© à « programmer » (quel que soit le sens que lâon peut sup-poser donner Ă ce terme) leurs tĂąches. Je fus frappĂ© de cequâil manquait Ă tous ces spĂ©cialistes un cadre de pensĂ©ecohĂ©rent pour saisir la rĂ©alitĂ© du travail du manager. Ils nemanquaient, toutefois, certainement pas dâune connais-sance intrinsĂšque du phĂ©nomĂšne ; ils travaillaient tousavec des managers et bon nombre dâentre eux Ă©taient desmanagers. Mais, ce qui leur manquait, câĂ©tait une baseconceptuelle pour apprĂ©hender ce sujet.
Jâai appris deux choses Ă cette confĂ©rence. La premiĂšrechose fut que le savoir explicite Ă©tait trĂšs diffĂ©rent du savoirimplicite et que les deux ont des consĂ©quences importan-tes dans la conduite des organisations. La seconde chose futde considĂ©rer quâil existait une nĂ©cessitĂ© urgente dâuneĂ©tude rigoureuse de ce que les managers font rĂ©ellement,ce qui, mĂȘme en un lieu comme le MIT, peut constituer lamatiĂšre dâune thĂšse dont le but nâest pas lâĂ©lĂ©gance de lamĂ©thode mais la pertinence du sujet.
Et câest ainsi que jâai commencĂ© mes premiĂšres recher-ches sur le travail du « manager au quotidien » (ce fut letitre du livre publiĂ© Ă partir de ma thĂšse). Mais ce ne futpas avec James Webb qui nâĂ©tait plus disponible Ă cemoment. Utilisant un chronomĂštre (dans un style trĂšs pro-che de celui de Frederick Taylor lorsquâil Ă©tudiait lesouvriers dâune usine quelques annĂ©es plus tĂŽt), jâobservaiau cours dâune semaine complĂšte les activitĂ©s de cinqmanagers dirigeants appartenant Ă : une grande sociĂ©tĂ© deconseils, un cĂ©lĂšbre hĂŽpital universitaire, une grande uni-versitĂ©, une sociĂ©tĂ© de technologie de pointe et une
24 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
grande fabrique de biens de consommation. Une semaine,ce nâest pas trĂšs long mais je mâintĂ©ressais surtout Ă ladurĂ©e et Ă la nature de leurs travaux plutĂŽt quâaux dĂ©ve-loppements ultĂ©rieurs des sujets abordĂ©s dans le longterme. Ma thĂšse Ă©tait achevĂ©e en 1968 et le livre en 1973 ;deux ans plus tard la Harvard Business Review publiaitlâarticle que lâon trouve ici (avec quelques changementsmineurs).
Tout aussi bien dans ses orientations et le ton que jâyadoptais que dans le thĂšme central que jây traitais, cet arti-cle fut rĂ©ellement la base de tous mes travaux postĂ©rieurs.Le New York Times â 29 octobre 1976 â (1) utilisa Ă pro-pos de ma description du « travail du manager » les termesde « chaos calculĂ© » ou encore de « dĂ©sordre contrĂŽlĂ© » . Ilusait Ă©galement dâune expression que jâen suis venu Ă prĂ©-fĂ©rer, Ă beaucoup dâautres, pour caractĂ©riser mestravaux : « la cĂ©lĂ©bration de lâintuition ».
Si vous demandez Ă des managers ce quâils font, ilsvous rĂ©pondront vraisemblablement quâils planifient,organisent, coordonnent et contrĂŽlent. Alors, observonsce quâils font. Et personne ne sera surpris de constaterque leurs activitĂ©s peuvent difficilement ĂȘtre dĂ©crites aumoyen des quatre mots ci-dessus.
Quand on les appelle pour leur dire quâune de leurs usi-nes vient juste dâĂȘtre dĂ©truite par le feu et quâils conseillentĂ leur correspondant dâĂ©tudier sâil est possible de mettreen place un arrangement temporaire avec dâautres filialesĂ©trangĂšres pour assurer lâapprovisionnement des clients,peut-on dire quâil y a lĂ planification, organisation, coordi-nation ou contrĂŽle ? Et que penser lorsquâils sont en trainde remettre en cadeau, Ă un employĂ© qui prend sa retraite,une montre en or ? Ou lorsquâils assistent Ă une confĂ©-rence pour y rencontrer dâĂ©ventuelles relations dâaffaires ?Ou lorsque revenant de ce type de confĂ©rence, ils expli-quent, Ă un de leurs subordonnĂ©s, lâidĂ©e dâun produit intĂ©-ressant quâils y ont glanĂ©e Ă ce moment-lĂ ?
LA PROFESSION DE MANAGER 25©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
La rĂ©alitĂ© nous fait comprendre que les quatre mots-clefs qui ont dominĂ© la gestion depuis quâHenri Fayol, lespĂ©cialiste de lâĂ©conomie industrielle, les a introduits en1916, nâapportent que bien peu de prĂ©cisions sur ce quefont rĂ©ellement les managers. Au mieux, dĂ©crivent-ilsquelques vagues objectifs que des managers peuventavoir lorsquâils travaillent.
Mon but, ici, est trĂšs simple : briser les chaĂźnes quiretenaient le lecteur aux quatre termes fondamentaux deFayol et lâintroduire Ă une vision plus supportable, et queje considĂšre comme plus utile, du travail du manager.Cette vision est fondĂ©e sur ma propre Ă©tude du travail decinq managers dirigeants, corroborĂ©e par un petit nom-bre dâautres travaux sur la façon dont divers managers uti-lisent leur temps.
Dans certains de ces travaux, les managers sont soumisĂ une observation intensive (« dans leur ombre » est leterme que lâon y trouve employĂ©), dans dâautres, on tientun journal dĂ©taillĂ© de leurs activitĂ©s, et dans un petit nom-bre, on analyse mĂȘme leurs dossiers. Bien des genres dif-fĂ©rents de managers sont ainsi Ă©tudiĂ©s ; les contremaĂźtres,les directeurs dâusines, les managers de direction gĂ©nĂ©-rale, les managers commerciaux, les administrateurs decentres hospitaliers, les prĂ©sidents de grandes sociĂ©tĂ©s oudâĂtats et mĂȘme les leaders de gangs des rues. Ces« managers » Ă©taient choisis dans diffĂ©rents pays : USA,Canada, SuĂšde et Grande-Bretagne.
Une synthĂšse des rĂ©sultats de ces Ă©tudes donne uneimage intĂ©ressante des activitĂ©s du manager qui est aussiproche de la vision classique de Fayol quâune Ćuvrecubiste lâest dâun tableau de la Renaissance. Dâune cer-taine façon, on pourrait dire que cette image du managerest totalement Ă©vidente pour toute personne qui nâauraitpassĂ© ne serait-ce mĂȘme quâune journĂ©e dans le bureaudâun manager, que ce soit dans le fauteuil de ce dernier oudans celui du visiteur. Mais dans le mĂȘme temps, cette
26 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
image peut sembler rĂ©volutionnaire, en ce sens quâellejette le doute sur la lĂ©gende que nous avions tous accep-tĂ©e sur le travail du gestionnaire.
Je traiterai, en premier lieu, de cette lĂ©gende qui existeautour du manager et je montrerai les contrastes entrecelle-ci et les rĂ©sultats de recherches systĂ©matiques â lesfaits bruts qui dĂ©crivent comment les managers utilisentleur temps. Puis dans un second temps, je prĂ©senterai unesynthĂšse des conclusions de ces recherches en dĂ©crivantles dix rĂŽles du manager tels quâils semblent le mieuxdĂ©peindre lâessentiel de la profession du manager. Pourconclure, je discuterai un certain nombre des implica-tions de cette synthĂšse pour ceux qui tentent dâappro-cher une gestion plus efficace.
LĂGENDE ET RĂALITĂ DU TRAVAIL DE GESTIONNAIRE
Il y a quatre idées reçues sur la profession du managerqui ne résistent pas à une analyse soigneuse des faits.
1. LĂGENDE : LE MANAGER EST UN PLANIFICATEUR SYSTĂMATIQUE, RĂFLĂCHI
Cette vision est reçue Ă une majoritĂ© Ă©crasante danslâopinion mais il nâexiste pas un atome dâanalyse quiconforte cette thĂšse.
RĂ©alitĂ© : Ătude aprĂšs Ă©tude, on a dĂ©montrĂ© que lesmanagers Ă©taient soumis Ă un rythme implacable,
LA PROFESSION DE MANAGER 27©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
que toutes leurs activitĂ©s sont caractĂ©risĂ©es par la« briĂšvetĂ© » â la variĂ©tĂ© et la discontinuitĂ© â etquâelles sont presque exclusivement orientĂ©es verslâaction et trĂšs peu vers la rĂ©flexion.
Considérons ainsi cette idée :
â La moitiĂ© des activitĂ©s des cinq managers dirigeantsque jâai observĂ©s durant mon Ă©tude durait moins de9 minutes et il nây en avait que 10 pour cent qui excĂ©-daient 1 heure (2). Une Ă©tude faite sur cinquante-sixcontremaĂźtres amĂ©ricains montrait quâils exerçaient,environ, 583 activitĂ©s diffĂ©rentes, par pĂ©riode de huitheures, soit une activitĂ© diffĂ©rente toutes les48 secondes (3). Le rythme de travail, aussi bien desmanagers dirigeants que des contremaĂźtres, Ă©tait doncimplacable. Les managers dirigeants avaient Ă faireface Ă un flot constant dâappels et de courrier Ă partirdu moment oĂč ils arrivaient le matin Ă leur bureau etce jusquâĂ ce quâils le quittassent dans la soirĂ©e. Lespauses-cafĂ© et les dĂ©jeuners Ă©taient, inĂ©vitablement,consacrĂ©s Ă des rapports de travail, et mĂȘme la prĂ©-sence de subordonnĂ©s semblait ĂȘtre une usurpation dumoindre moment de libertĂ©.
â Une Ă©tude des agendas de 160 managers moyens etsupĂ©rieurs britanniques, montrait quâil nây avait dansleur emploi du temps quâun moment tous les deuxjours oĂč ils travaillaient sans interruption pendant unepĂ©riode continue dâune 1/2 heure ou plus (4).
â Pour 93 pour cent des managers dirigeants observĂ©sdans cette Ă©tude, les contacts verbaux quâils avaientĂ©taient organisĂ©s sur une base dâimprovisation. Il nâyavait quâun pour cent du temps de ces cadres qui Ă©taitconsacrĂ© Ă des tournĂ©es dâinspection. Il nây avait quâuncontact verbal sur 368 qui nâĂ©tait pas relatif Ă un sujet
28 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
particulier et qui pouvait ĂȘtre ainsi considĂ©rĂ© commeliĂ© Ă un thĂšme de planification gĂ©nĂ©rale.
â Aucune Ă©tude nâa pu mettre en Ă©vidence une quel-conque mĂ©thode systĂ©matique dans la façon dont lesmanagers planifient leur emploi du temps. Ils sem-blent, ainsi, sauter dâun sujet Ă lâautre, sans arrĂȘt,nâayant comme motivation que de rĂ©pondre aux sol-licitations du moment.
Est-ce lĂ , la planification de la littĂ©rature classique ?On peut en douter. Comment peut-on, alors, expliquerce comportement ? Le manager ne fait que rĂ©pondre auxpressions de sa profession. Jâai, ainsi, remarquĂ© que lesmanagers dirigeants, objets de mon Ă©tude, interrom-paient dâeux-mĂȘmes beaucoup de leurs activitĂ©s, quittantmĂȘme souvent une rĂ©union avant son terme ou abandon-nant leur occupation pour appeler un subordonnĂ©. Undes managers supĂ©rieurs de mon Ă©tude avait non seule-ment placĂ© son bureau de façon Ă pouvoir observer, encontrebas, un long couloir, mais encore laissait-il cons-tamment sa porte ouverte quand il Ă©tait seul ; une invitepour ses subordonnĂ©s Ă venir le trouver et Ă interrompreson travail.
Il est Ă©vident que ces managers avaient pour but de serendre accessibles, le plus possible, Ă un flux dâinforma-tions courantes. Mais de façon encore plus significative,ils semblaient conditionnĂ©s par leur propre charge de tra-vail. Ils savaient estimer eux-mĂȘmes le coĂ»t de leur tempset ils Ă©taient continuellement attentifs Ă leurs obligationsdu moment ; courrier en attente de rĂ©ponses, visiteursattendant dâĂȘtre reçus etc. Il semble que, quelle que soitlâactivitĂ© du manager, il est constamment tourmentĂ© parce quâil devrait faire et ce quâil doit faire.
Quand un manager doit sâoccuper de planification, ilsemble le faire de façon implicite dans le contexte strict
LA PROFESSION DE MANAGER 29©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
des activitĂ©s dâune journĂ©e et nullement dans le cadre dequelque processus abstrait rĂ©servĂ© uniquement aux sĂ©mi-naires de deux semaines Ă la montagne ! Les plans desmanagers dirigeants que jâai Ă©tudiĂ©s, ne semblaient nâexis-ter que dans leur tĂȘte ; des plans aux intentions flexibles,mĂȘme si, bien souvent, trĂšs spĂ©cialisĂ©s. MalgrĂ© la littĂ©ra-ture traditionnelle sur ce sujet, la profession dâencadre-ment ne donne pas forcĂ©ment naissance Ă des experts enplanification douĂ©s dâun grand pouvoir de rĂ©flexion ; lemanager ne fait que rĂ©pondre, en temps rĂ©el, aux stimuliquâil reçoit, câest un homme, ou une femme, conditionnĂ©par sa profession et qui prĂ©fĂšre les actions immĂ©diates Ă celles Ă long terme.
2. LĂGENDE : LE VRAI MANAGER NâA PAS DE TĂCHES ROUTINIĂRES Ă ACCOMPLIR
Les managers ne cessent de se faire dire de passer plusde temps Ă planifier et Ă dĂ©lĂ©guer de leurs pouvoirs quâĂ voir leurs clients et Ă engager des nĂ©gociations. Ce quinâest pas, aprĂšs tout, la vĂ©ritable tĂąche dâun manager. Enemployant la vieille comparaison traditionnelle entre lemanager et le chef dâorchestre, on peut dire que, de lamĂȘme façon que ce dernier, le manager doit savoir toutprĂ©parer soigneusement Ă lâavance. De sorte que, par lasuite, il peut rester confortablement assis Ă considĂ©reravec fiertĂ© les fruits de son labeur, en agissant occasion-nellement lors de la survenance de quelque Ă©vĂ©nementexceptionnel et imprĂ©visible.
Mais Ă nouveau cette belle construction thĂ©orique neparait pas tenir Ă lâĂ©preuve des faits.
Réalité : En plus des événements imprévisibles aux-quels il faut répondre, le travail de gestionnaire
30 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
recouvre un certain nombre de tĂąches rĂ©pĂ©titives comprenant aussi bien sa participation aux rites de lâorganisation, Ă des cĂ©rĂ©monies, Ă des nĂ©gocia-tions et Ă lâinformation informelle qui rattache ainsi lâorganisation Ă son environnement.
Considérons, ainsi, quelques résultats de recherchessur ce sujet :
â Une Ă©tude, portant sur les prĂ©sidents de petites entre-prises, a montrĂ© quâils Ă©taient engagĂ©s, la plupart dutemps, dans des activitĂ©s routiniĂšres parce que leurentreprise ne pouvait sâoffrir les services de spĂ©cialis-tes de lâencadrement au niveau de la prĂ©sidence etquâelle Ă©tait si pauvre en personnel opĂ©rationnelquâune seule absence obligeait souvent le prĂ©sident Ă prendre la place du manquant (5).
â Une Ă©tude concernant les managers commerciaux etune autre sur les managers dirigeants suggĂšrent quâilest naturel pour ces deux professions de voir desclients importants, si lâon part bien sĂ»r de lâhypothĂšseque ces managers veulent conserver ces clients (6).
â On a dit, un peu par plaisanterie, que le manager Ă©taitcette personne qui reçoit les visiteurs de telle façonque nâimporte qui dâautre peut faire, pendant cetemps, son travail. Jâai mis en Ă©vidence dans monĂ©tude que certaines obligations liĂ©es Ă des cĂ©rĂ©moniesâ recevoir la visite de personnalitĂ©s, remettre encadeau des montres en or, prĂ©sider un dĂźner â faisaientpartie intrinsĂšquement de la profession de managerdirigeant.
â Des Ă©tudes sur lâinformation des managers ont suggĂ©rĂ©que ces derniers jouent un rĂŽle important en sâassu-rant des sources dâinformations « informelles » exter-nes (dont bon nombre dâentre elles ne sont accessibles
LA PROFESSION DE MANAGER 31©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
quâaux managers eu Ă©gard Ă leur statut) et en les trans-mettant Ă leurs subordonnĂ©s.
3. LĂGENDE : LE MANAGER SUPĂRIEUR A BESOIN DâINFORMATIONS AGRĂGĂES, CE QUE SEUL UN SYSTĂME DâINFORMATION DE GESTION PEUT LUI FOURNIR
Dans lâoptique de la vision classique du manager quiest ainsi un homme perchĂ© au sommet dâun systĂšme hiĂ©-rarchique bien rĂ©glĂ©, la littĂ©rature sur le manager indiquequâil reçoit toute son information dâun gigantesque et trĂšscomplet systĂšme formalisĂ© dâinformation de gestion. Maisun simple regard sur la façon dont les managers procĂš-dent rĂ©ellement pour trouver leurs informations donneune image trĂšs diffĂ©rente. Les managers ont cinq moyensde communication Ă leur disposition : les documents, lesappels tĂ©lĂ©phoniques, les rĂ©unions formelles et informel-les et les tournĂ©es dâinspection.
RĂ©alitĂ© : Les managers favorisent totalement les moyens de communication verbaux, câest-Ă -dire le tĂ©lĂ©phone et les rĂ©unions.
Cela résulte de pratiquement toutes les monographiessur le travail du gestionnaire. Considérons ainsi les résul-tats suivants :
â Dans deux Ă©tudes britanniques, les managers passenten moyenne 66 et 80 pour cent de leur temps dans descommunications verbales (7). Dans mon Ă©tude relativeaux cinq managers dirigeants amĂ©ricains, ce mĂȘmechiffre se situe au niveau de 78 pour cent.
32 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
â Ces cinq managers dirigeants considĂ©raient le traite-ment du courrier comme un fardeau superflu. Lâundâentre eux vint un samedi matin (pendant ma pĂ©riodedâobservation) Ă son bureau pour sâoccuper de 142documents arrivĂ©s par le courrier, en juste trois heures« pour se dĂ©barrasser de tout ce fatras ». Ce mĂȘmemanager avisant un gros rapport quâil avait reçu parfascicules tout au long de la semaine et portant sur uneĂ©tude de coĂ»t, le mit immĂ©diatement de cĂŽtĂ© avecpour simple commentaire : « Je ne regarde jamais cegenre de chose. »
â Ces mĂȘmes cinq managers dirigeants nâont rĂ©ponduimmĂ©diatement quâĂ deux rapports sur les 40 quâilsrecevaient habituellement pendant les 5 semaines demon enquĂȘte et Ă 4 articles sur les quelque 104 pĂ©rio-diques reçus. Ils feuilletaient la plupart de ces pĂ©riodi-ques en quelques secondes, dâune façon presquerituelle. Pendant toute la pĂ©riode de mon Ă©tude, cescinq chefs dâorganisations de taille assez consĂ©quente,ne furent Ă lâorigine â câest-Ă -dire de leur propre initia-tive, sans rĂ©pondre Ă un quelconque document ou let-tre â que de 25 expĂ©ditions de courrier en 25 joursdâobservation.
Une analyse du courrier reçu par ces managers diri-geants nâest pas sans intĂ©rĂȘt : on trouve ainsi quâil nây avaitque 13 pour cent de ce courrier qui concernait des sujetsprĂ©cis et immĂ©diats. Nous dĂ©couvrons donc ainsi unenouvelle piĂšce de notre puzzle. Il nây a que trĂšs peu decourrier reçu qui est consacrĂ© Ă des informations immĂ©-diates ou courantes â lâaction dâun concurrent, lâhumeurde tel parlementaire, le taux dâĂ©coute de la derniĂšre Ă©mis-sion de tĂ©lĂ©vision. Ce sont pourtant, lĂ , les informationsqui conduisent les managers dirigeants, qui les poussent Ă interrompre leurs rĂ©unions et Ă rĂ©organiser leur journĂ©ede travail.
LA PROFESSION DE MANAGER 33©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
ConsidĂ©rons encore un autre rĂ©sultat intĂ©ressant. Lesmanagers semblent chĂ©rir lâinformation « informelle » etplus particuliĂšrement les potins, rumeurs et autres spĂ©cu-lations. Pourquoi ? La rĂ©ponse est lâopportunitĂ© : unbavardage aujourdâhui peut ĂȘtre rĂ©alitĂ© demain. Le mana-ger qui ne peut ĂȘtre atteint par le tĂ©lĂ©phone qui lâavertiraitque son plus gros client a Ă©tĂ© vu en train de jouer au golfavec son principal concurrent risque de voir le rĂ©sultat dece match de golf dans le prochain rapport trimestriel sousla forme dâune chute brutale des ventes. Mais Ă©videm-ment, Ă ce moment-lĂ , il sera trop tard.
ConsidĂ©rons, encore, les propos de Richard Neustadtqui a Ă©tudiĂ© les habitudes de collecte de lâinformationchez trois prĂ©sidents amĂ©ricains :
« Ce nâest pas lâinformation gĂ©nĂ©rale qui permet auprĂ©sident de se faire une opinion : ce ne sont ni lesrapports, ni les Ă©tudes, ni les amalgames insipidesâŠcâest lâaccumulation des dĂ©tails tangibles et dispara-tes, puis la structuration quâil en fait dans son esprit,qui illuminent la face cachĂ©e des questions soumisesĂ son jugement. Pour rĂ©ussir dans ce domaine, ildoit ratisser aussi largement quâil le peut tous les Ă©lĂ©-ments de faits, dâopinions et de rumeurs qui sont liĂ©saux intĂ©rĂȘts et aux relations quâil a eus en tant queprĂ©sident. Il doit se faire directeur de son propre sys-tĂšme dâinformation (8). »
Lâimportance des commentaires verbaux pour lemanager montre deux choses importantes :
Dâabord, lâinformation acquise verbalement est stoc-kĂ©e dans les cerveaux. Il nây a que lorsque lâon Ă©crit cetteinformation quâelle peut ĂȘtre stockĂ©e dans les dossiers delâorganisation, que ce soit dans des armoires mĂ©talliquesou sur des bandes magnĂ©tiques, mais apparemment lesmanagers nâĂ©crivent pas beaucoup sur ce quâils enten-dent. Câest ainsi que la banque de donnĂ©es stratĂ©giques de
34 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
lâorganisation ne se trouve pas tant dans ses ordinateursque dans lâesprit de ses managers.
Ensuite, lâutilisation intensive par les managers de lacommunication verbale aide Ă expliquer pourquoi cesderniers sont si rĂ©ticents Ă dĂ©lĂ©guer leurs tĂąches. Lorsquelâon prend conscience que la plupart des informationsimportantes, dont peuvent disposer les managers, vien-nent sous une forme verbale et quâelles se stockent dansleur tĂȘte, on peut beaucoup mieux apprĂ©cier cette rĂ©ti-cence. Ce nâest pas juste comme sâils pouvaient tendre undossier Ă quelquâun, ils doivent prendre le temps de viderleur mĂ©moire pour transmettre Ă lâautre tout ce quâilssavent sur le sujet. Mais cela pourrait prendre bien dutemps, de sorte que les managers trouvent plus simple deremplir eux-mĂȘmes la tĂąche quâils auraient pu dĂ©lĂ©guer.Câest ainsi que le manager est condamnĂ© par son propresystĂšme dâinformation au « dilemme de la dĂ©lĂ©gation » : enfaire trop tout seul ou dĂ©lĂ©guer Ă un subordonnĂ© insuffi-samment mis au courant.
4. LĂGENDE : LE MANAGEMENT EST, OU DU MOINS EST RAPIDEMENT, EN TRAIN DE DEVENIR UNE SCIENCE ET UNE PROFESSION
Or, dans pratiquement toutes les acceptions des ter-mes science ou profession, cette thĂšse est fausse. UnebrĂšve observation de nâimporte quel manager conduit Ă abandonner rapidement lâidĂ©e que le corps de ses activi-tĂ©s puisse former une science. Une science implique laformulation de procĂ©dures dĂ©terminĂ©es, analytiques etsystĂ©matiques ou de programmes. Si nous nâarrivonsmĂȘme pas Ă connaĂźtre les procĂ©dures que les managersutilisent, comment nous serait-il possible de les dĂ©criredans le contexte dâune quelconque analyse scientifique ?
LA PROFESSION DE MANAGER 35©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
Et comment, de mĂȘme, pourrions-nous envisager le mana-gement comme une profession si nous ne pouvons tou-jours pas prĂ©ciser ce que les managers apprennent ?
RĂ©alitĂ© : Les programmes des managers â pour leur emploi du temps, pour leur accĂšs Ă lâinformation, pour prendre des dĂ©cisions etc. â restent totalement « bouclĂ©s » Ă lâintĂ©rieur de leur cerveau.
Câest ainsi que pour dĂ©crire ce type de programmesnous devons constamment employer des mots comme :jugement ou intuition, sans nous rendre compte quâils nefont que rĂ©vĂ©ler, bien souvent, notre ignorance. Je fusfrappĂ© de constater, durant mon Ă©tude, le fait que lesmanagers dirigeants que jâobservais, bien que tous trĂšscompĂ©tents selon tous les critĂšres en usage, ne se distin-guaient pratiquement pas de leurs homologues dâil y a unsiĂšcle. Lâinformation dont ils avaient besoin Ă©tait diffĂ©-rente, mais ils la cherchaient de la mĂȘme façon, par le bou-che Ă oreille. Leurs dĂ©cisions concernent des technologiesmodernes, mais les procĂ©dures quâils suivent pour lesprendre ne diffĂšrent guĂšre de celles que suivait le managerdu dix-neuviĂšme siĂšcle. MĂȘme lâordinateur, pourtant siimportant pour le travail spĂ©cifique des organisations, nâaapparemment que peu dâinfluence sur les procĂ©dures detravail des directeurs gĂ©nĂ©raux. En fait, le manager est dansune sorte de cercle vicieux oĂč sa charge de travail ne cessedâaugmenter alors quâil ne peut attendre aucune aidedâune quelconque science du management.
Si nous considĂ©rons les faits concernant le travail dugestionnaire, on sâaperçoit que la profession des mana-gers, est trĂšs complexe et trĂšs difficile. Le manager estĂ©crasĂ© par le fardeau de ses obligations et pourtant il nepeut pas facilement dĂ©lĂ©guer ses tĂąches. Câest pourquoi ildevient rapidement surchargĂ© de travail et quâil est obligĂ©dâaccomplir ses tĂąches de façon superficielle. La briĂšvetĂ©,
36 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
la fragmentation et la communication verbale caractĂ©ri-sent ainsi son travail. Ce sont, cependant, ces caractĂ©risti-ques mĂȘmes du travail de gestionnaire que lâon a cherchĂ©Ă soumettre Ă des analyses scientifiques pour les amĂ©lio-rer. Mais comme rĂ©sultat, les scientifiques de la gestionont concentrĂ© leurs efforts sur les fonctions spĂ©cifiquesde lâorganisation oĂč ils pouvaient plus facilement analyserles procĂ©dures et quantifier les informations pertinentes.On peut donc considĂ©rer que le premier pas, pour fournirau manager une aide substantielle, est de mettre en Ă©vi-dence la vĂ©ritable nature de sa profession.
RETOUR Ă UNE DESCRIPTION FONDAMENTALE
DU TRAVAIL DE GESTIONNAIRE
Essayons dâassembler ici quelques-unes des piĂšces dece puzzle. Le manager peut se dĂ©finir comme ayant la res-ponsabilitĂ© dâune organisation ou dâune des unitĂ©s decette derniĂšre. Aux cĂŽtĂ©s des managers de la directiongĂ©nĂ©rale, cette dĂ©finition intĂšgre les vice-prĂ©sidents, Ă©vĂȘ-ques, contremaĂźtres, entraĂźneurs dâĂ©quipes de hockey surglace et premiers ministres. Y a-t-il un point communentre les reprĂ©sentants de ces diverses activitĂ©s ? En fait larĂ©ponse doit ĂȘtre positive. Car avant toute chose, commepoint de dĂ©part important de notre analyse, on constatequâils sont tous investis dâune autoritĂ© formelle danslâorganisation dont ils font partie. De cette autoritĂ© for-melle dĂ©coule un statut qui conduit lui-mĂȘme Ă diffĂ©ren-tes formes de relations interpersonnelles (9) et de cesderniĂšres sâinduit lâaccĂšs Ă lâinformation. Lâinformationqui, Ă son tour, permet au manager de prendre des dĂ©ci-sions et dâĂ©laborer des stratĂ©gies dans lâorganisation dontil a la responsabilitĂ©.
LA PROFESSION DE MANAGER 37©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
La profession de manager peut ĂȘtre dĂ©crite en termesde diffĂ©rents « rĂŽles » ou par des ensembles organisĂ©s decomportements identifiĂ©s Ă une fonction. Ma description,reprĂ©sentĂ©e par le schĂ©ma de la figure 1-1, comprend dixrĂŽles.
Figure 1-1 â Les rĂŽles du manager
LES RĂLES INTERPERSONNELS
Trois des rĂŽles du manager dĂ©coulent directement dela notion dâautoritĂ© formelle et impliquent, fondamentale-ment, des relations interpersonnelles.
Autorité formalisée et statut
Les rĂŽles interpersonnels
La figure de proue Le leader Lâagent de liaison
Les rĂŽles liĂ©s Ă lâinformation
Observateur actif Diffuseur Porte-parole
Les rÎles décisionnels
Entrepreneur RĂ©gulateur RĂ©partiteur de ressources NĂ©gociateur
38 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
1. Le premier rĂŽle est celui de figure de proue. De parla vertu de sa position Ă la tĂȘte dâune organisation, chaquemanager doit accomplir quelques obligations de naturecĂ©rĂ©moniale. Le prĂ©sident doit souhaiter la bienvenue Ă un groupe de personnalitĂ©s en visite dans lâentreprise, lecontremaĂźtre se doit dâassister au mariage dâun tourneurde son Ă©quipe et le directeur des ventes doit inviter unimportant client Ă dĂ©jeuner.
Les managers dirigeants de mon Ă©tude consacraient12 pour cent de leur temps en cĂ©rĂ©monies de toutes sor-tes, 17 pour cent du courrier quâils recevaient avait trait Ă des remerciements ou Ă des sollicitations liĂ©es Ă leur sta-tut. Par exemple, une lettre expĂ©diĂ©e au prĂ©sident dâunesociĂ©tĂ© pour demander des produits gratuits pour un Ă©co-lier handicapĂ© ou bien les diplĂŽmes placĂ©s sur le bureaudâun directeur de collĂšge pour quâil y appose sa signature.
Les obligations qui concernent les rĂŽles interperson-nels peuvent ĂȘtre parfois purement routiniĂšres, impli-quant alors une communication Ă un faible niveaudâinformation et aucune prise de dĂ©cision importante.Elles nâen demeurent pas moins nĂ©cessaires au bon fonc-tionnement sans Ă -coup dâune organisation et elles nepourraient ĂȘtre mĂ©connues du manager.
2. Parce quâil est chargĂ© dâune organisation, le mana-ger est responsable du travail des employĂ©s de cette orga-nisation.
Ses activitĂ©s, dans ce cadre, constituent le rĂŽle du lea-der. Certaines de ces activitĂ©s impliquent directementson leadership, ainsi, par exemple, dans la plupart desorganisations le manager est normalement responsable durecrutement et de la formation de sa propre Ă©quipe. Toutmanager doit savoir motiver et encourager ses employĂ©s,dâune certaine maniĂšre, il doit adapter les besoins desindividus aux buts de lâorganisation. Tous les contacts que
LA PROFESSION DE MANAGER 39©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
le manager Ă©tablit avec ses employĂ©s sont virtuellementsubordonnĂ©s Ă la recherche dâindices de son leadershipindiquant la voie quâil entend suivre. « Approuve-t-il ? »« Comment aimerait-elle sortir le rapport ? » « Est-il plusintĂ©ressĂ© par une part du marchĂ© que par le profit ? »
Lâinfluence du manager est la plus Ă©vidente dans sonrĂŽle de leader. Son autoritĂ© formelle lâinvestit dâun grandpouvoir potentiel, son leadership dĂ©termine en grandepartie la façon dont il peut, en fait, lâemployer.
3. La littĂ©rature sur la gestion a toujours reconnu lerĂŽle du leader et, en particulier, ceux de ses aspects quisont directement liĂ©s Ă la motivation. En comparaison, etjusquâĂ une pĂ©riode rĂ©cente, il y a eu peu de travaux surson rĂŽle dâagent de liaison, dĂ©crivant les contacts que lemanager prend Ă lâextĂ©rieur de la traditionnelle chaĂźne derelations verticales. Câest un des rĂ©sultats remarquablesde chaque Ă©tude sur le travail de gestionnaire que deconstater que les managers passent beaucoup plus detemps avec leurs pairs et dâautres personnes extĂ©rieures Ă leur organisation quâavec leurs propres subordonnĂ©s, et ilest mĂȘme surprenant de se rendre compte quâils passentencore beaucoup moins de temps avec leurs supĂ©rieurs(on retient gĂ©nĂ©ralement des chiffres de lâordre de 45, 45et 10 pour cent, respectivement).
Les contacts des cinq managers dirigeants objets demon Ă©tude Ă©taient incroyablement nombreux et variĂ©s :subordonnĂ©s, clients, partenaires, fournisseurs, managersdâorganisations similaires, responsables dâorganisationsgouvernementales ou commerciales, administrateurs deconseils dâadministration de diverses sociĂ©tĂ©s, etc. UneĂ©tude de Robert Guest sur les contremaĂźtres a mis en Ă©vi-dence, de la mĂȘme façon, que leurs contacts Ă©taient aussinombreux et variĂ©s, rarement en dessous de trente cinqpersonnes et bien souvent au-delĂ de cinquante.
40 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Comme nous le verrons sous peu, le manager cultivede tels contacts parce quâil est constamment Ă la recher-che dâinformations. Ce rĂŽle dâagent de liaison a, en effet,pour but principal de construire le propre rĂ©seau extĂ©-rieur dâinformations du manager -- informel, privĂ© et ver-bal mais nĂ©anmoins trĂšs efficace.
LES RĂLES LIĂS Ă LâINFORMATION
En vertu de ses relations interpersonnelles, Ă la foisavec ses subordonnĂ©s et le rĂ©seau de ses contacts, lemanager apparaĂźt comme au centre du systĂšme nerveuxde son organisation. Le manager ne sait pas toujours tout,mais il en sait souvent plus que nâimporte lequel de sessubordonnĂ©s.
De nombreuses Ă©tudes ont montrĂ© que cela Ă©tait vala-ble pour tous les leaders, des chefs de bandes de jeunesaux prĂ©sidents des USA. Dans son livre The human group(le groupe humain), C. Homans en explique la raison,pour ce qui concerne les chefs de bandes de jeunes : câestparce quâils sont au centre du rĂ©seau dâinformations deleur propre bande et aussi parce quâils sont en contactavec les chefs des autres bandes quâils sont constammentmieux informĂ©s quâaucun de leurs subordonnĂ©s (9). EtRichard Neustadt rapporte, de la façon suivante, lâattitudede Franklin D. Roosevelt face aux questions liĂ©es Ă lâinfor-mation, dans lâĂ©tude quâil lui a consacrĂ©e :
« La concurrence Ă©tait le fondement de la techniqueutilisĂ©e par Roosevelt pour obtenir de lâinformation.Un de ses collaborateurs mâa dit un jour : âIl vousappelait pour vous demander dâĂ©claircir une his-toire compliquĂ©e et, lorsque vous reveniez le voiraprĂšs un ou deux jours de dur travail pour lui prĂ©-senter le morceau juteux que vous aviez dĂ©couvert
LA PROFESSION DE MANAGER 41©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
cachĂ© sous une pierre quelque part, vous constatiezquâil connaissait tout ce que vous aviez dĂ©couvertet, en plus, dâautres choses que vous ne connaissiezpas. Il ne vous disait jamais dâoĂč il tenait ses infor-mations mais quand il vous avait placĂ© deux outrois fois dans ce type de situation, vous deveniezdiablement attentif Ă la qualitĂ© de vos informa-tionsâ (10). »
On peut deviner facilement dâoĂč Roosevelt « avait sesinformations » lorsque lâon considĂšre les relations entreles rĂŽles interpersonnels et ceux liĂ©s Ă lâinformation. Entant que leader, les managers ont un accĂšs formel et facileĂ chacun de leurs subordonnĂ©s. DâoĂč, ainsi que nouslâavons vu plus haut, ils tendent Ă en savoir plus sur leurorganisation que nâimporte qui dâautre. De plus, leurscontacts comme agent de liaison leur permettent dâavoiraccĂšs Ă des informations extĂ©rieures auxquelles leurssubordonnĂ©s ne peuvent souvent prĂ©tendre. Bon nombrede ces contacts ont lieu avec dâautres managers de mĂȘmestatut et qui sont eux-mĂȘmes au centre du systĂšme ner-veux de leur propre organisation. En ce sens, les mana-gers dĂ©veloppent une puissante base de donnĂ©esdâinformation.
Le processus dâinformation est une des clefs de la pro-fession de manager. Dans mon enquĂȘte, les managers diri-geants consacraient 40 pour cent de leur temps Ă descontacts exclusivement orientĂ©s vers la transmissiondâinformation et 70 pour cent du courrier quâils rece-vaient Ă©tait de nature informative (en opposition Ă celuiportant sur des demandes dâaction). Le manager ne quittepas une rĂ©union ou ne raccroche pas son tĂ©lĂ©phone pourse remettre au travail. Car, pour une grande partie, son tra-vail, câest la communication. Trois rĂŽles dĂ©crivent lesaspects liĂ©s Ă lâinformation du travail de gestionnaire.
42 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
4. Dans son rĂŽle dâobservateur actif, le manager estconstamment en train de scruter son environnement Ă larecherche dâinformations, interrogeant ses contacts et sessubordonnĂ©s et recevant aussi des informations quâil nâapas demandĂ©es, et bon nombre dâentre elles sont un rĂ©sul-tat du rĂ©seau de contacts personnels quâil a su mettre enplace. Il faut se souvenir quâune bonne partie des informa-tions, que le manager collecte dans son rĂŽle dâobservateuractif, lui parvient sous forme verbale, bien souvent commebavardages, potins ou spĂ©culations. GrĂące Ă ses contacts, lemanager a un avantage naturel pour collecter ces informa-tions informelles pour le compte de son organisation.
5. Les managers doivent encore rĂ©partir et diffuser unegrande partie de ces informations. Celles-ci, quâils ont gla-nĂ©es grĂące Ă leurs contacts personnels extĂ©rieurs, peu-vent se rĂ©vĂ©ler trĂšs utiles au sein mĂȘme de leurorganisation. Dans leur rĂŽle de diffuseur, les managerspassent quelques-unes de leurs informations privilĂ©giĂ©esdirectement Ă leurs subordonnĂ©s qui nâauraient pas,autrement, accĂšs Ă ces derniĂšres. De plus lorsque leurssubordonnĂ©s nâont pas de contacts faciles entre eux, lesmanagers se voient parfois contraints de faire circulerlâinformation de lâun Ă lâautre.
6. Dans leur rĂŽle de porte-parole : les managers doi-vent communiquer des informations propres Ă leur orga-nisation Ă lâextĂ©rieur de celle-ci ; un prĂ©sident fait undiscours pour faire pression afin de dĂ©fendre tel besoin deson organisation, ou un contremaĂźtre indique une modifi-cation de produit Ă un fournisseur. De plus, comme partieintĂ©grante de ce rĂŽle de porte-parole, le manager doitencore informer et satisfaire les demandes des personnesinfluentes qui contrĂŽlent son organisation. Les managersdirigeants, notamment, peuvent consacrer un temps
LA PROFESSION DE MANAGER 43©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
important à ces personnalités influentes. Ils doivent met-tre au courant des résultats financiers les directeurs géné-raux et les actionnaires, expliquer aux associations deconsommateurs que leur organisation remplit bien sesobligations envers la société, etc.
LES RĂLES DĂCISIONNELS
Lâinformation nâest pas, bien sĂ»r, une fin en soi ; câestla base du processus de prise de dĂ©cision. Une choseĂ©merge clairement de lâĂ©tude du travail de gestionnaire :le manager joue le rĂŽle principal dans lâĂ©laboration de sonsystĂšme de prise de dĂ©cision. Comme consĂ©quence deson autoritĂ© formelle, seul le manager peut engager sonorganisation dans une nouvelle direction dâactivitĂ©s, etcomme centre du systĂšme nerveux de lâorganisation, ilest, encore, seul Ă accĂ©der Ă des informations actuelles,aussi complĂštes que possible, afin de mettre en placelâensemble des dĂ©cisions qui dĂ©terminera la stratĂ©gie deson organisation. Il y a quatre rĂŽles qui dĂ©crivent le mana-ger dans cette optique dĂ©cisionnelle.
7. En tant quâentrepreneur, le manager cherche Ă amĂ©-liorer lâorganisation dont il a la charge, Ă lâadapter Ă touttype de changement dans les conditions de son environ-nement. Dans son rĂŽle dâobservateur actif, le prĂ©sident estconstamment Ă la recherche de nouvelles idĂ©es ; quandune telle idĂ©e survient, il initie, dans son rĂŽle dâentrepre-neur, la mise en place dâun projet quâil superviseralui-mĂȘme ou quâil dĂ©lĂšguera Ă un employĂ© (avec,peut-ĂȘtre, comme condition, que le manager devra accep-ter la proposition finale).
Il y a deux points importants Ă considĂ©rer au sujet dudĂ©veloppement des projets, au niveau dâun manager diri-
44 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
geant. Dâabord, ces projets nâimpliquent pas des dĂ©ci-sions uniques ou mĂȘme un ensemble unifiĂ© de dĂ©cisions.Ils Ă©mergent, plutĂŽt, comme le rĂ©sultat dâune sĂ©rie depetites dĂ©cisions et dâactions fragmentaires Ă travers letemps. On a lâimpression que les managers dirigeants pro-longent chaque projet de sorte quâils peuvent ainsi, petitmorceau par petit morceau, le glisser dans leur emploi dutemps, dĂ©jĂ trop dense, afin de pouvoir graduellementassimiler le sujet, si, bien sĂ»r, ce dernier est dâune naturecomplexe.
Ensuite, les managers dirigeants que jâai Ă©tudiĂ©s super-visaient pratiquement prĂšs de cinquante de ces projets enmĂȘme temps. Certains projets concernaient de nouveauxproduits ou procĂ©dĂ©s ; dâautres avaient trait Ă des campa-gnes de relations publiques, Ă la solution dâun problĂšmemoral dans une division Ă©trangĂšre, Ă lâintĂ©gration dâopĂ©ra-tions informatiques, ou encore Ă diverses acquisitions,etc. Les managers dirigeants apparaissent entretenir unesorte dâinventaire des projets dont ils supervisenteux-mĂȘmes le dĂ©veloppement, les diffĂ©rentes Ă©tapes dece dĂ©veloppement, ceux qui sont en cours de rĂ©alisationet ceux qui sont encore dans les limbes. Ă la façon du jon-gleur, ils semblent avoir toujours un certain nombre deprojets suspendus en lâair, pĂ©riodiquement, il y en un quiretombe, ils lui donnent alors une nouvelle poussĂ©e et ilse retrouve sur son orbite. Selon des intervalles divers, ilspeuvent intĂ©grer, dans ce flux, de nouveaux projets ou,au contraire, en Ă©liminer dâanciens.
8. Alors que le rĂŽle dâentrepreneur dĂ©crit le managercomme la source de volontĂ© qui initie le changement, lerĂŽle de rĂ©gulateur montre le manager rĂ©pondant involon-tairement aux pressions. Ici, le changement se fait endehors du contrĂŽle du manager : une menace de grĂšve,un gros client qui fait faillite, un fournisseur qui manqueĂ ses obligations contractuelles.
LA PROFESSION DE MANAGER 45©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
Il a Ă©tĂ© Ă la mode, comme je le mentionnais plus haut,de comparer le cadre Ă un chef dâorchestre ainsi que le fai-sait Peter F. Druker dans The Practice of Management1.
« Le manager a pour responsabilitĂ© de crĂ©er un toutqui est supĂ©rieur Ă la somme des parties, une entitĂ©productive dont il sort plus que la somme des res-sources quâon y a mises. Câest lâanalogie avec le chefdâorchestre qui vient Ă lâesprit, par ses efforts, savision et son leadership, des parties instrumentalesindividuelles, qui ne sont en elles-mĂȘmes que desbruits, deviennent une totalitĂ© vivante : la musique.Mais le chef dâorchestre dispose de la partition Ă©critepar le compositeur : il nâest quâun interprĂšte. Lemanager, lui, est Ă la fois compositeur et chefdâorchestre (11). »
Considérons maintenant les commentaires de LeonardR. Sayles qui réalisa une approche systématique de la pro-fession de manager. Le manager
« ⊠est comme le chef dâun orchestre symphoniquequi sâefforce dâobtenir une prestation mĂ©lodieusedans laquelle les contributions des divers instru-ments sont coordonnĂ©es, espacĂ©es, harmonisĂ©es etmises en forme alors mĂȘme que les instrumentistesont divers problĂšmes personnels, que des appari-teurs dĂ©placent les chevalets portant la partition, quelâalternance de chaleur et de froid pose des problĂš-mes aux instruments et au public et que lâorganisa-tion du concert insiste pour imposer au programmedes changements irrationnels (12). »
En effet, tous les managers doivent consacrer unebonne partie de leur temps Ă rĂ©pondre Ă des perturba-tions trĂšs contraignantes. Il nâexiste aucune organisationqui fonctionnerait aussi bien que possible, respectueuse
1. N.d.T. La pratique du management.
46 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
des normes fixĂ©es, et qui puisse prendre en compte tou-tes les contingences par avance. Les perturbations nâappa-raissent pas seulement parce quâun pauvre managerignore la situation jusquâĂ ce que celle-ci se soit dĂ©gradĂ©eau point de gĂ©nĂ©rer une crise mais aussi parce quâilnâexiste pas de bon manager capable dâanticiper toutesles consĂ©quences des actions quâil a initiĂ©es.
9. Le troisiĂšme rĂŽle dĂ©cisionnel est celui de rĂ©parti-teur des ressources. Câest au manager que revient la res-ponsabilitĂ© de ce qui doit ĂȘtre attribuĂ©, et Ă qui, danslâorganisation. Il est possible que la principale rĂ©partitiondes ressources, Ă laquelle contribue le manager, est cellede son propre temps. LâaccĂšs au manager constitue unaccĂšs au centre du systĂšme nerveux et du processus deprise de dĂ©cision de lâorganisation. Le manager est, aussi,chargĂ© de lâĂ©laboration de la structure de lâorganisation,cette configuration de relations formelles qui dĂ©terminecomment le travail doit ĂȘtre divisĂ© et coordonnĂ©.
Dans son rĂŽle de rĂ©partiteur des ressources, le mana-ger autorise, aussi, les dĂ©cisions importantes de son orga-nisation avant quâelles ne soient mises en Ćuvre. Ătant Ă lâorigine de ce pouvoir, le manager peut ainsi sâassurerque toutes ces dĂ©cisions seront cohĂ©rentes entre elles,puisque toutes passent par un seul cerveau. Fragmenterserait encourager un processus de prise de dĂ©cision dis-continue et une stratĂ©gie non cohĂ©rente.
Dans mon Ă©tude sur les managers dirigeants, jâai mon-trĂ© que ces derniers devaient faire face Ă des choix dâuneincroyable complexitĂ© pour exercer ce pouvoir. Ils ont Ă Ă©valuer lâimpact de chaque dĂ©cision sur les autres et aussisur la stratĂ©gie globale de lâorganisation. Ils ont, aussi, Ă veiller Ă ce que telle dĂ©cision soit acceptable pour ceuxqui exercent une influence sur leur organisation et Ă sâassurer, Ă©galement, que les dĂ©penses prĂ©visionnelles ne
LA PROFESSION DE MANAGER 47©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
soient pas dĂ©passĂ©es. Ils ont Ă intĂ©grer les diffĂ©rents coĂ»tset profits dâune dĂ©cision autant que la faisabilitĂ© decelle-ci. Ils ont encore Ă considĂ©rer la question des dĂ©lais.Tous ces Ă©lĂ©ments sont nĂ©cessaires pour la simple appro-bation dâune proposition venant dâune autre source quede lui-mĂȘme. Dans le mĂȘme instant, cependant, les dĂ©laispeuvent faire perdre du temps, tandis quâune approbationtrop rapide peut ĂȘtre mal reçue et un rejet, tout aussirapide, pourrait dĂ©courager un subordonnĂ© qui a passĂ©plusieurs mois Ă mettre au point son projet favori. Unedes solutions communes Ă ce problĂšme de lâapprobationdâun nouveau projet semble avoir Ă©tĂ© celle de choisircelui qui prĂ©sente le projet plutĂŽt que le projet lui-mĂȘme.Câest-Ă -dire, encore, que les managers ont tendance Ă approuver un projet qui leur est prĂ©sentĂ© par une per-sonne en laquelle ils ont confiance. Mais il est Ă©videntquâils ne peuvent pas toujours utiliser une astuce aussisimpliste.
10. Le dernier de ces rĂŽles dĂ©cisionnels est celui denĂ©gociateur. Toutes les Ă©tudes sur le travail de gestion-naire montrent, Ă tous les niveaux, que les managers consa-crent une partie considĂ©rable de leur temps auxnĂ©gociations : le prĂ©sident dâune Ă©quipe de football estappelĂ© pour nĂ©gocier un contrat avec un joueur vedette, leprĂ©sident dâune grande sociĂ©tĂ© doit mener le groupe denĂ©gociateurs de sa sociĂ©tĂ© pour trouver une nouvelle issueĂ un mouvement de grĂšve, le contremaĂźtre fait Ă©tat dedolĂ©ances Ă lâencontre du serveur dâune boutique. LeonardSayles a dit Ă ce propos que la nĂ©gociation faisait partie du« mode de vie » du manager de haut niveau.
La nĂ©gociation est une des obligations de la professionde manager, elle peut ĂȘtre, quelquefois, routiniĂšre maisne peut en aucun cas ĂȘtre esquivĂ©e. Câest une partie intĂ©-grante de sa profession car il est le seul Ă disposer delâautoritĂ© pour engager les ressources de lâorganisation en
48 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
« temps rĂ©el » et il est, Ă©galement, le seul Ă ĂȘtre au centredu systĂšme nerveux dâinformation qui fournit les donnĂ©esutiles dans le contexte de nĂ©gociations importantes.
UNE PROFESSION INTĂGRĂE
Il devrait ĂȘtre clair dĂ©sormais que les dix rĂŽles dumanager que je viens de dĂ©crire ne sont pas facilementdissociables. Ils forment une Gestalt1, un tout intĂ©grĂ©. Onne peut supprimer aucun de ces rĂŽles, sans modifier pro-fondĂ©ment la nature de la profession de manager. Parexemple, un manager qui ne voudrait pas jouer son rĂŽledâagent de liaison manquerait dâinformation extĂ©rieure.Ce qui aurait pour rĂ©sultat quâil ne pourrait ni transmettrelâinformation dont ses subordonnĂ©es auraient besoin niprendre des dĂ©cisions reflĂ©tant les conditions extĂ©rieures(dâailleurs câest le problĂšme qui se pose Ă ceux qui vien-nent de prendre nouvellement leur fonction de manageret qui tant quâils nâont pu mettre en place leur proprerĂ©seau de contacts ne peuvent prendre aucune dĂ©cisionrĂ©elle).
On met, ici, en Ă©vidence un problĂšme important concer-nant lâĂ©quipe chargĂ©e de la gestion. Deux ou trois person-nes ne peuvent partager la mĂȘme fonction dâencadrement Ă moins quâelles nâagissent comme une seule entitĂ©.Câest-Ă -dire quâelles ne peuvent se partager les dix rĂŽles Ă moins quâelles ne soient capables de les associer Ă nouveau
1. N.d.T. Gestalt est un mot allemand qui signifie Ă la fois formeet structure. II est Ă la base dâune thĂ©orie psychologique et phi-losophique due Ă Köhler, Wertheimer et Koffka qui Ă©tablit quâilnâest pas possible dâexpliquer les phĂ©nomĂšnes en les isolant lesuns des autres. Ils doivent ĂȘtre perçus comme des ensemblesunis et structurĂ©s (les formes). Câest dans cette optique que ceterme a Ă©tĂ© retenu par les spĂ©cialistes du management.
LA PROFESSION DE MANAGER 49©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
au moment oĂč le besoin sâen fait sentir. La vrai difficultĂ© pro-vient des rĂŽles liĂ©s Ă lâinformation. Car, Ă moins quâil nepuisse y avoir une vraie rĂ©partition de lâinformation nĂ©ces-saire Ă la gestion qui est, comme jâai dĂ©jĂ insistĂ© sur ce point,de nature essentiellement verbale, lâĂ©quipe se briseradâelle-mĂȘme. Un seul poste de manager ne peut ĂȘtre arbitrai-rement dĂ©coupĂ©, par exemple, entre des rĂŽles internes etexternes car lâinformation provenant de ces deux sourcesdoit ĂȘtre rassemblĂ©e au moment de la prise de dĂ©cision.
Dire que les dix rĂŽles forment une Gestalt ne veut pasdire que chaque manager accorde le mĂȘme intĂ©rĂȘt Ă cha-cun de ces rĂŽles. En fait, jâai montrĂ© dans mes analyses cri-tiques de diverses Ă©tudes que :
â Les managers chargĂ©s des ventes semblent passer plusde temps dans leurs rĂŽles interpersonnels, ce qui estsans doute une des consĂ©quences de la nature extra-vertie des activitĂ©s du marketing.
â Les managers chargĂ©s de la production sâattachentplus Ă leurs rĂŽles dĂ©cisionnels, ce qui dĂ©coule sansdoute de leur attention pour les questions dâeffi-cience.
â Les managers de la direction gĂ©nĂ©rale se consacrentplus aux rĂŽles liĂ©s Ă lâinformation car ils sont lesexperts qui gĂšrent les dĂ©partements qui doiventconseiller les autres parties de lâorganisation.
Quoi quâil en soit, les rĂŽles interpersonnels, liĂ©s Ă lâinformation, et dĂ©cisionnels demeurent totalementinsĂ©parables.
50 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
VERS UNE GESTION PLUS EFFICACE
Quels sont les enseignements dont le managementpeut bĂ©nĂ©ficier Ă partir de cette description ? Je crois, enpremier lieu et avant tout, que cette description du travailde gestionnaire devrait apporter plus aux managers quetoutes les recommandations que lâon pourrait extraire decelles-ci. Câest-Ă -dire que lâefficacitĂ© des managers estinfluencĂ©e de façon significative par leur regarddâintrospection sur leur propre travail. Leur efficacitĂ©dĂ©pend de la façon dont ils comprennent et rĂ©pondentaux pressions et aux dilemmes de leur profession.
ConsidĂ©rons trois domaines spĂ©cifiques qui concer-nent ce sujet. Dans la plupart des cas, les impasses de lagestion â le dilemme de la dĂ©lĂ©gation de pouvoir, la ban-que de donnĂ©es stockĂ©e dans un seul cerveau et les pro-blĂšmes du travail avec les analystes scientifiques de lagestion â dĂ©coulent de la nature verbale de lâinformationdes managers. Il y a un grand danger Ă centraliser les ban-ques de donnĂ©es de lâorganisation dans les esprits de sesmanagers. Quand ils quittent lâorganisation, ils emportentleur mĂ©moire avec eux. Et un subordonnĂ© qui est hors de« portĂ©e de voix » du manager dont il dĂ©pend, subit unhandicap sĂ©rieux au niveau information.
1. Le manager doit répondre au défi de trouver des moyens systématiques de partage de ses informa-tions privilégiées.
Une sĂ©ance rĂ©guliĂšre de « dĂ©briefing » avec ses princi-paux subordonnĂ©s, un week-end consacrĂ© à « vider samĂ©moire » dans un dictaphone, la mise Ă jour dâun agendaconcernant les informations importantes Ă circulation limi-tĂ©e ou dâautres moyens du mĂȘme genre peuvent considĂ©ra-blement rĂ©soudre les impasses quâil rencontre dans sontravail. Le temps ainsi consacrĂ© Ă diffuser lâinformation
LA PROFESSION DE MANAGER 51©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
peut ĂȘtre plus que regagnĂ© au moment de la prise de dĂ©ci-sion. Bien entendu, certains soulĂšveront la question de laconfidentialitĂ©. Mais câest au manager de soupeser les ris-ques de diffusion dâune information confidentielle enregard de ce Ă quoi peuvent sâexposer ses subordonnĂ©sdans des prises de dĂ©cision inefficaces.
Sâil y a un seul thĂšme commun Ă toute cette descrip-tion, câest bien celui des pressions qui sâexercent sur lemanager et qui le conduisent Ă ĂȘtre superficiel dans sesactions â Ă ĂȘtre surchargĂ© de travail â ce qui encourage lesinterruptions, des rĂ©ponses trop rapides Ă chaque stimu-lus, une recherche du concret contre lâabstrait, la prise dedĂ©cision par petites Ă©tapes successives et une façon detout faire dans la prĂ©cipitation.
2. Ici, Ă nouveau, le manager est mis au dĂ©fi dâagir sous la pression de la superficialitĂ© en accordant sĂ©rieusement son attention aux sujets qui lâexigent et en se reportant aux Ă©lĂ©ments tangibles dâinfor-mation afin dâen avoir une vision plus large grĂące Ă lâutilisation de donnĂ©es analytiques.
Bien quâun manager efficace soit entraĂźnĂ© Ă donner desrĂ©ponses rapides aux questions les plus variĂ©es, le dangerdu travail de gestionnaire rĂ©side dans le fait que le managerpuisse rĂ©pondre de la mĂȘme façon quel que soit le sujet(câest-Ă -dire toujours de façon prĂ©cipitĂ©e) et quâil ne tra-vaillera jamais Ă partir des Ă©lĂ©ments dâinformation tangibleset des donnĂ©es analytiques dont il peut disposer afindâavoir une vue dâensemble du monde dans lequel il agit.
Lorsquâil sâattaque Ă un sujet complexe, le managersupĂ©rieur a beaucoup Ă gagner en travaillant en Ă©troitecollaboration avec les analystes scientifiques en gestionde sa propre organisation. Ils ont quelque chose dâimpor-tant qui lui manque â le temps â pour sâattacher Ă dessujets complexes. Une relation de travail efficace dĂ©pend
52 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
de la solution de ce quâun de mes collĂšgues et moi-mĂȘmeavons nommĂ© le « dilemme de la planification » (13). Lesmanagers ont lâinformation et lâautoritĂ© ; les analystes ontle temps et les techniques. Une relation de travail rĂ©ussieentre les deux hommes pourra ĂȘtre efficace lorsque lemanager aura appris Ă partager ses informations aveclâanalyste et ce dernier aura appris Ă sâadapter aux besoinsdu manager. Pour ce qui concerne lâanalyste, jâentendspar adaptation, quâil se soucie moins de lâĂ©lĂ©gance de sesmĂ©thodes et plus de rapiditĂ© et de flexibilitĂ©.
3 . Le cadre est mis au dĂ©fi dâavoir un meilleur contrĂŽle sur son temps, pour transformer ses obligations en avantages et, a contrario, transformer les objectifs quâil dĂ©sire atteindre en obligations.
Les managers dirigeants que jâai observĂ©s dans ma pro-pre Ă©tude nâĂ©taient Ă lâorigine que de trente-deux pourcent de leurs contacts (et il y avait cinq pour cent qui pro-venait des contacts Ă©tablis dâun commun accord). Et pour-tant, ils semblaient ĂȘtre entiĂšrement maĂźtres de leuremploi du temps. Deux facteurs-clefs expliquent en faitce phĂ©nomĂšne.
PremiĂšrement, les managers doivent consacrer untemps considĂ©rable Ă se dĂ©charger des obligations quiautrement ne leur permettraient pas de laisser la moin-dre marque dans leur organisation. Le manager ineffi-cace reportera ses Ă©checs sur les obligations quâil a dĂ»supporter, le cadre efficace saura tourner ces obligationsĂ son propre avantage. Un discours peut ĂȘtre une chancede dĂ©fendre une cause, une rĂ©union, une chance de rĂ©or-ganiser un dĂ©partement trop faible, une visite Ă un clientimportant, une chance dâen retirer des informationscommerciales essentielles.
DeuxiĂšmement, les managers libĂšrent de leur tempspour faire ces choses quâils pensent â et quâils sont
LA PROFESSION DE MANAGER 53©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
peut-ĂȘtre les seuls Ă croire â importantes en les transfor-mant en obligations. Le manager doit organiser son tempslibre, sâil ne le trouve pas ; il lui faut alors « forcer »lâagenda. EspĂ©rer rĂ©server un moment et le consacrer Ă lacontemplation ou Ă la planification gĂ©nĂ©rale, câest autantdire espĂ©rer que les pressions, qui sont dans la nature desa profession, pourraient disparaĂźtre. Le manager qui veutinnover, prendra lâinitiative dâun projet et obligeradâautres personnes, en retour, Ă lui communiquer unrapport ; le manager qui a besoin de certaines informa-tions Ă©tablira pour cela des rĂ©seaux qui le tiendront auto-matiquement informĂ© ; le manager qui veut faire latournĂ©e des installations doit le faire savoir autour de luiafin que son dĂ©sir se transforme en obligation vis-Ă -vis desautres.
Il nây a aucune autre profession qui est aussi vitalepour notre sociĂ©tĂ© que celle de manager. Câest le managerqui dĂ©termine si nos institutions sociales nous serventbien ou si, au contraire, elles gaspillent nos talents et nosressources. Il est donc temps de rejeter la lĂ©gende quientoure le travail de gestionnaire afin de nous plongerdans la tĂąche difficile dâapporter des amĂ©liorations subs-tantielles Ă ses performances.
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
CHAPITRE 2
La stratĂ©gie de lâartisan
Une des tĂąches les plus importantes qui est dĂ©volue aumanager consiste en la dĂ©termination de la stratĂ©gie de sonorganisation â ou du moins dans la supervisation des pro-cessus par lesquels dâautres personnes et lui-mĂȘme Ă©labo-rent une stratĂ©gie. Stricto sensu, lâĂ©laboration dâunestratĂ©gie se veut concentrĂ©e sur le positionnement dâuneorganisation eu Ă©gard aux crĂ©neaux qui existent sur le mar-chĂ©, en dâautres termes, elle a pour but de dĂ©cider queltype de produits devra ĂȘtre fabriquĂ© et pour qui. Mais, dansune acception plus large, lâĂ©laboration de la stratĂ©gie faitĂ©galement rĂ©fĂ©rence Ă la façon dont un systĂšme collectif,nommĂ© organisation, Ă©tablit ses orientations fondamenta-les et, si nĂ©cessaire, ses changements de cap. LâĂ©laborationde la stratĂ©gie doit encore prendre en compte le thĂšmecomplexe de lâintention collective â comment une organi-sation composĂ©e de beaucoup dâindividus diffĂ©rents par-vient Ă dĂ©gager une sorte dâesprit proprement Ă elle, pourainsi dire.
LâĂ©laboration de la stratĂ©gie est un processus fascinant,qui sâĂ©tend bien au-delĂ du simple ensemble de directivesque lâon nomme « plan » et quâon lui associe traditionnel-lement. Ce sujet a Ă©tĂ© mon principal thĂšme de rĂ©flexion Ă travers toute ma carriĂšre. Mon premier article, en 1967,alors que jâĂ©tais encore Ă©tudiant en doctorat et intitulĂ© :« La science de lâĂ©laboration de la stratĂ©gie » faisait lâoppo-sition entre une approche « grand plan » de type bibliqueet une approche Ă©volutive de type darwinien. Mes Ă©critsactuels comportent une sĂ©rie de travaux en deux volumesintitulĂ©s : La formation de la stratĂ©gie, qui, soulignant
56 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
délibérément le thÚme de ces contrastes, décrit desapproches de ce sujet.
Jâai dĂ©veloppĂ© mes idĂ©es sur ce sujet Ă travers un pro-jet de recherches, mis en Ćuvre en 1971. Avec lâaide dâuncertain nombre dâĂ©tudiants de doctorat et de collĂšgues,en particulier Jim Waters, notre intention Ă©tait dâĂ©tudier lafaçon dont les organisations sâengagent dans ce processusen « traquant » les stratĂ©gies quâelles ont suivies au coursdes derniĂšres dĂ©cennies de leur histoire.
Tout au long des douze annĂ©es qui suivirent, ou Ă peuprĂšs, nous rĂ©alisĂąmes une sĂ©rie complĂšte dâĂ©tudes sur cesujet â sur une chaĂźne de supermarchĂ©s, sur une grandecompagnie aĂ©rienne, sur un organisme gouvernementalsâoccupant de cinĂ©ma, une sociĂ©tĂ© de presse Ă©ditant unpetit quotidien, notre propre universitĂ© et encore biendâautres. Comme le projet touchait Ă son terme, jecommençai Ă chercher une façon de prĂ©senter les conclu-sions Ă un public gĂ©nĂ©ral de managers.
Pendant tout le temps de mes travaux, ma femme fai-sait de la poterie dans notre cave. Un jour, elle dĂ©cida defaire une exposition rĂ©trospective de ses Ćuvres et sou-dain, je vis la « stratĂ©gie » Ă©voluer devant mes yeux. UneidĂ©e me frappa alors, ou peut-ĂȘtre Ă©tait-ce au moment oĂčma femme fit un exposĂ© devant une classe regroupant Ă la fois des Ă©tudiants en poterie et en gestion, sur les sour-ces et la nature de la crĂ©ation en art dĂ©coratif. Je rĂ©alisaipeu Ă peu que ce que jâentendais Ă travers son exposĂ©Ă©tait trĂšs proche de ce que jâavais entendu de la bouchede spĂ©cialistes en stratĂ©gie crĂ©atrice du monde des affai-res (par exemple les effets bĂ©nĂ©fiques des « erreurs » enpoterie et ceux des « opportunitĂ©s » dans les affaires,« sentir lâargile » et « la connaissance des affaires »). JedĂ©cidai, alors, dâutiliser lâidĂ©e de la poterie comme mĂ©ta-phore et analogie pour apprĂ©hender les difficultĂ©s de lastratĂ©gie crĂ©atrice dans une dynamique organisationnelle.
LA STRATĂGIE DE LâARTISAN 57©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
« La stratĂ©gie de lâartisan » parut dans la Harvard Busi-ness Review en 1987.
Jâai dĂ©veloppĂ© mes idĂ©es pendant des annĂ©es (Ă traversces derniĂšres vous retrouverez encore les ombres des« grands plans bibliques » et de « lâĂ©volution darwinienne »),mais vous trouverez Ă©galement, ici, un ton similaire Ă celuique jâai adoptĂ© dans lâarticle « La profession de manager ».Ce que je veux exposer dans cet article, câest une descrip-tion de la façon dont les managers qui travaillent dans un« chaos calculĂ© » utilisent le processus, complexe et nĂ©ces-sairement collectif, dâĂ©laboration de la stratĂ©gie.
Imaginons quelque stratĂ©gie planifiĂ©e. Ce qui sauteimmĂ©diatement Ă lâesprit, câest lâimage dâune pensĂ©e bienordonnĂ©e : un manager supĂ©rieur ou un groupe de mana-gers supĂ©rieurs siĂ©geant dans un bureau et formulant lesmodes dâaction que les autres membres de lâorganisationdevront suivre selon le calendrier prĂ©vu. La note domi-nante est la raison â un contrĂŽle rationnel, une analysesystĂ©matique des concurrents et des marchĂ©s, des forceset des faiblesses de la sociĂ©tĂ© â la combinaison de ces ana-lyses conduisant Ă des stratĂ©gies claires, explicites et cer-tifiĂ©es.
Maintenant imaginons quelque peu la stratĂ©gie delâartisan. Une image totalement diffĂ©rente apparaĂźtra,aussi diffĂ©rente de la planification que la poterie est diffĂ©-rente de lâindustrie. Lâartisanat Ă©voque une habiletĂ© tradi-tionnelle, un dĂ©vouement, une perfection Ă travers lamaĂźtrise de tout un ensemble de dĂ©tails. Ce qui frappealors lâesprit, ce nâest pas tant la rĂ©flexion rationnelle quelâengagement, un sentiment dâintimitĂ© et dâharmonieentre le matĂ©riau et la main qui sâest dĂ©veloppĂ© Ă traversde longues annĂ©es dâexpĂ©rience et dâinvestissement. For-mulation et rĂ©alisation se sont coulĂ©es lâune dans lâautreen un processus fluide dâapprentissage Ă partir duquel sedĂ©veloppe la stratĂ©gie crĂ©atrice.
58 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
Ma thĂšse est simple, lâimage de lâartisan apprĂ©hendemieux le processus Ă travers lequel Ă©mergent les stratĂ©-gies efficaces. Lâimage de la planification, si longtempspopulaire dans la littĂ©rature, dĂ©forme la comprĂ©hensionde ce processus et a pour consĂ©quence dâĂ©garer les orga-nisations qui lâont adoptĂ©e sans rĂ©serves.
En dĂ©veloppant cette thĂšse, je ferai Ă©tat des expĂ©rien-ces dâun artiste solitaire, un potier, et je les comparerai auxrĂ©sultats dâune recherche qui a poursuivi les stratĂ©gies denombre de grandes organisations, Ă travers des dĂ©cenniesde leur histoire. Comme ces deux contextes semblent Ă lâĂ©vidence si diffĂ©rents, on pourrait, au premier abord,considĂ©rer que ma mĂ©taphore, Ă lâinstar de mes assertions,est pour le moins gratuite. Toutefois, si nous envisageonsnotre potier sous lâaspect dâune organisation, nous consta-terons quâil a, de la mĂȘme façon quâune organisation, Ă faire face au principal dĂ©fi, que mettent en Ă©vidence lesspĂ©cialistes de la stratĂ©gie â connaĂźtre suffisamment bienles capacitĂ©s de lâorganisation afin de rĂ©flĂ©chir, en profon-deur, Ă ses orientations stratĂ©giques. En considĂ©rant, lâĂ©la-boration dâune stratĂ©gie, dans la perspective dâun seulindividu â dĂ©cideur, libre des contraintes qui naissent detout lâattirail de ce que lâon a appelĂ© lâindustrie de la stratĂ©-gie, nous pouvons apprendre beaucoup de choses sur laformation des stratĂ©gies dans les grandes sociĂ©tĂ©s indus-trielles et commerciales. De la mĂȘme façon que notrepotier doit gĂ©rer son art, le manager doit aussi mettre delâart dans sa stratĂ©gie.
Au travail, le potier est assis devant un tas dâargileplacĂ© sur le tour. Son esprit est concentrĂ© sur lâargile maisil est Ă©galement conscient de se situer entre ses expĂ©rien-ces passĂ©es et ses projets futurs. Il sait exactement ce qui« a marchĂ© » et ce qui « nâa pas marchĂ© » pour lui dans lepassĂ©. Il a une intime connaissance de son travail, de sescapacitĂ©s et de son marchĂ©. En tant quâartiste, il sent tou-tes ces choses plutĂŽt quâil ne les analyse, son savoir est
LA STRATĂGIE DE LâARTISAN 59©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
tacite. Tout cela fonctionne dans son esprit alors que sesmains pĂ©trissent lâargile. LâĆuvre qui, peu Ă peu, Ă©mergedu tour a toutes les chances de sâinscrire dans la ligne dela tradition de ses prĂ©cĂ©dentes rĂ©alisations. Mais il peutsâen Ă©chapper et suivre de nouveaux sentiers. Et, toute-fois, en agissant ainsi, le passĂ© nâen demeure pas moinsprĂ©sent, se projetant dans lâavenir.
Dans ma mĂ©taphore, les managers deviennent desartistes, des potiers, et la stratĂ©gie est leur argile. De lamĂȘme façon que le potier, ils sont situĂ©s entre un passĂ©fait des capacitĂ©s de leur sociĂ©tĂ© et un futur reflĂ©tant lesopportunitĂ©s du marchĂ©. Et sâils sont de vrais artistes, ilsapportent Ă leur travail une Ă©gale connaissance intime desmatĂ©riaux dont ils auront Ă se servir. Câest lĂ lâessence dela stratĂ©gie du potier.
Nous allons fouiller cette mĂ©taphore pour mettre enĂ©vidence la façon dont les stratĂ©gies sont rĂ©ellement Ă©la-borĂ©es par opposition Ă ce que lâon suppose gĂ©nĂ©rale-ment sur ce sujet. Pour cela, je tirerai mes analyses desdeux sources que jâai dĂ©jĂ mentionnĂ©es plus haut. La pre-miĂšre sera le projet de recherche sur les conditions de for-mation de la stratĂ©gie, qui dĂ©buta en 1971 sous madirection, dans le contexte de lâuniversitĂ© de McGill ; laseconde est constituĂ©e par lâensemble des Ćuvres dâunpotier de grand talent, ma femme, qui dĂ©buta son Ćuvreen 1967.
Les stratĂ©gies sont Ă la fois des plans pour lâavenir et les modĂšles dâaction issus du passĂ©.
Demandez pratiquement Ă nâimporte qui ce que le motstratĂ©gie Ă©voque pour lui, et vous aurez, en gĂ©nĂ©ral, pourrĂ©ponse lâidĂ©e dâune sorte de plan, dâun guide explicite descomportements dans lâavenir. Demandez alors Ă cette per-sonne quelle stratĂ©gie tel de ses concurrents, ou tel gouver-nement, ou elle-mĂȘme, suit actuellement. Il y a de fortes
60 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
chances quâelle sâexprime alors devant vous en termes decomportements du passĂ© â un mode dâaction que lâonpoursuit Ă travers le temps. La stratĂ©gie se rĂ©vĂšle ĂȘtre un deces mots que lâon dĂ©finit dâune façon et que lâon emploiesouvent dâune autre, sans rĂ©aliser la diffĂ©rence.
La raison de cette attitude est simple. MalgrĂ© la dĂ©fini-tion formelle de la stratĂ©gie et ses origines militaires grec-ques, nous devons utiliser ce mot Ă la fois pour expliquerles actions du passĂ© et pour dĂ©crire les comportementsprojetĂ©s du futur. AprĂšs tout, si les stratĂ©gies peuvent ĂȘtreplanifiĂ©es et projetĂ©es dans lâavenir, elles peuvent aussiĂȘtre mises en Ćuvre et rĂ©alisĂ©es (ou non, suivant les Ă©vĂ©-nements). Et le mode dâaction du passĂ©, ou ce quejâappelle une stratĂ©gie rĂ©alisĂ©e, reflĂšte cette volontĂ©. Parailleurs, de la mĂȘme façon quâun plan nâa pas besoin dedevenir un mode dâaction (certaines stratĂ©gies projetĂ©esne sont jamais rĂ©alisĂ©es), un mode dâaction nâa pas besoinde rĂ©sulter dâun plan. Une organisation peut dĂ©velopperun mode dâaction (une stratĂ©gie rĂ©alisĂ©e) sans le savoir,seule la rĂ©alisation de la stratĂ©gie Ă©tant alors explicite, nonsa formulation.
Les modes dâaction, comme la beautĂ©, sont bien sĂ»rdans lâesprit de celui qui observe. Mais toute personnepassant en revue une prĂ©sentation chronologique desĆuvres de notre potier ne devrait avoir aucune difficultĂ©Ă y discerner clairement un mode dâaction, du moins pourcertaines pĂ©riodes. Par exemple, jusquâen 1974, mafemme faisait de petits animaux dĂ©coratifs en cĂ©ramiqueet des objets divers. Puis elle abandonna brusquementcette « stratĂ©gie du bibelot » et de nouveaux modesdâaction se dessinĂšrent autour de fines sculptures ou debols en cĂ©ramique, trĂšs structurĂ©s et non vernis.
Il nâest guĂšre plus difficile de mettre en Ă©vidence detelles variations dans les modes dâaction des organisa-tions. En fait, cela se rĂ©vĂ©la trĂšs simple dans nos recher-ches sur des sociĂ©tĂ©s aussi Ă©normes que Volkswagen ou
LA STRATĂGIE DE LâARTISAN 61©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
Air Canada ! (alors que cela aurait dĂ» ĂȘtre plus difficile. Ilest, en effet, infiniment plus facile Ă un potier de changerdans son atelier sa façon de faire quâĂ une entreprisecomme Volkswagen de reconstruire toute une chaĂźne demontage). Si lâon considĂšre, par exemple, les modĂšlesVolkswagen de la fin des annĂ©es 1940 Ă la fin des annĂ©es1970, on dĂ©couvre un mode dâaction clair focalisĂ© sur laCoccinelle. Il sera suivi, Ă la fin des annĂ©es 1960, par unerecherche frĂ©nĂ©tique de changements Ă travers soit denouvelles acquisitions, soit le lancement de nouveauxmodĂšles. Ce sera le cas jusquâĂ la rĂ©orientation stratĂ©gi-que du milieu des annĂ©es 1970, construite autour duthĂšme de vĂ©hicules plus design Ă refroidissement par eauet Ă traction avant.
Mais que dire Ă propos des stratĂ©gies que lâon projettede rĂ©aliser, de ces plans formels qui sont autant de dĂ©cla-rations dâintention auxquels nous pensons Ă chaque foisque nous prononçons le mot stratĂ©gie ? Câest lĂ que, parironie, nous nous enfonçons dans toutes sortes de problĂš-mes. MĂȘme dans le cas dâun simple potier, comment pou-vons-nous connaĂźtre les stratĂ©gies rĂ©elles quâil projette ? Sinous faisions un retour en arriĂšre, ne trouverions-nouspas des dĂ©clarations « dâintention » ? Et si câĂ©tait le cas,devrions-nous ĂȘtre capables de leur accorder quelquecrĂ©dit ? Nous nous conduisons souvent en sots, commebeaucoup dâautres, lorsque nous voulons nier les motiva-tions qui viennent de notre inconscient. Et il faut toujoursse rappeler que les intentions sont de peu de valeur, dumoins en regard des rĂ©alisations.
LIRE DANS LâESPRIT DâUNE ORGANISATION
Si vous croyez que tout cela a plus Ă voir avec une ana-lyse freudienne de lâesprit dâun potier quâavec la rĂ©alitĂ©
62 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
pratique de la production dâautomobiles, alors revoyonsencore les choses une fois ensemble. Car il faut dâabord sedemander en quoi consistent rĂ©ellement les stratĂ©giesenvisagĂ©es par Volkswagen, sans parler de ce quâellessont en elles-mĂȘmes. Pouvons-nous simplement posercomme hypothĂšse que, dans ce contexte collectif, lesstratĂ©gies projetĂ©es par cette sociĂ©tĂ© ne sont reprĂ©sentĂ©esque par ses plans formels et dâautres rapports Ă©manant dubureau de la direction gĂ©nĂ©rale ? Ne sont-ils que de vainsespoirs ou des options rationnelles ou encore des strata-gĂšmes pour Ă©garer la concurrence ? Et mĂȘme sâil existeune telle dĂ©claration dâintention, jusquâĂ quel pointest-elle partagĂ©e par les autres membres delâorganisation ? Comment peut-on lire dans lâesprit collec-tif dâune organisation ? Et qui est, en fin de compte, celuiqui Ă©labore la stratĂ©gie ?
La conception traditionnelle de la gestion stratĂ©giquerĂ©sout ces problĂšmes tout Ă fait simplement, par le sys-tĂšme que les thĂ©oriciens de lâorganisation appellent« attribution ». On voit constamment cette explicationemployĂ©e dans la presse Ă©conomique. Lorsque GeneralMotors dĂ©cide une action, câest parce que son directeurgĂ©nĂ©ral a Ă©laborĂ© une stratĂ©gie. Faire une rĂ©alisation sup-pose Ă chaque fois une intention qui lâa prĂ©cĂ©dĂ©e et onattribue automatiquement cette derniĂšre au chef.
Dans un court article de magazine, cette hypothĂšse estcomprĂ©hensible, mĂȘme si elle est fausse. Les journalistesnâont pas beaucoup de temps pour remonter aux originesde la stratĂ©gie de telle ou telle organisation et GeneralMotors est une grande organisation, fort complexe. Maisattardons-nous un instant sur la complexitĂ© et les confu-sions qui se glissent derriĂšre cette hypothĂšse â toutes lesrĂ©unions et tous les dĂ©bats, le nombre de personnes impli-quĂ©es, les impasses, le dĂ©veloppement ou au contrairelâĂ©tiolement des idĂ©es. Maintenant considĂ©rons que nousessayons de construire un systĂšme formalisĂ© dâĂ©laboration
LA STRATĂGIE DE LâARTISAN 63©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
de la stratĂ©gie Ă partir de cette hypothĂšse. Personne nesâest-il jamais demandĂ© si une planification formalisĂ©e desstratĂ©gies nâĂ©tait pas souvent un Ă©chec retentissant ?
Pour dĂ©brouiller cette confusion â et sâĂ©chapper de lacomplexitĂ© artificielle que nous avons Ă©levĂ©e autour duprocessus dâĂ©laboration de la stratĂ©gie â nous devonsretourner Ă quelques concepts de base. Le concept le plusfondamental de tous est lâintime connexion qui existeentre la pensĂ©e et lâaction. Câest la clef de lâart du potieret aussi celle de lâart de la stratĂ©gie.
Les stratĂ©gies nâont pas besoin dâĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©es â elle peuvent aussi Ă©merger, plus ou moins, des actions entreprises.
Tout ce qui a Ă©tĂ© Ă©crit au sujet de lâĂ©laboration de lastratĂ©gie expose, en fait, ce processus comme totalementdĂ©libĂ©rĂ©. En premier lieu nous pensons, puis nous agis-sons. Nous formulons une idĂ©e puis nous lâexĂ©cutons. LachaĂźne logique paraĂźt parfaitement identifiable. Pourquoiquelquâun voudrait-il procĂ©der diffĂ©remment ?
Notre potier est dans son atelier, tourne lâargile pouren faire une fine sculpture. Lâargile entre en contact avecun Ă©bauchoir qui tourne autour dâelle et une forme rondeapparaĂźt. Pourquoi ne pas en faire un vase cylindrique ?Une idĂ©e conduit Ă une autre jusquâĂ ce quâun nouveaumode dâaction se forme. Lâaction a, ici, conduit la pensĂ©e :une stratĂ©gie est apparue.
Dehors, sur le terrain, un commercial rend visite Ă unclient. Le produit nâest pas tout Ă fait Ă sa convenance et ilsse mettent tous les deux Ă y apporter quelques modifica-tions. Le commercial retourne Ă sa sociĂ©tĂ© et lĂ , il fait Ă©tatdes modifications quâils ont Ă©tĂ© ainsi amenĂ©s Ă Ă©laborer ;aprĂšs deux ou trois essais supplĂ©mentaires, on obtient fina-lement un bon rĂ©sultat. Un nouveau produit est apparu qui
64 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
pourra Ă©ventuellement sâouvrir un nouveau marchĂ©. LasociĂ©tĂ© a, ainsi, modifiĂ© le cours de sa stratĂ©gie.
En fait, la plupart des commerciaux ont moins dechance que celui que nous venons de dĂ©crire ou notrepotier. Dans une organisation constituĂ©e par un seul indi-vidu, le rĂ©alisateur est Ă©galement celui qui donne lâordre,aussi les innovations peuvent-elles ĂȘtre intĂ©grĂ©es Ă la stra-tĂ©gie rapidement et facilement. Dans les grandes organisa-tions, celui qui dĂ©couvre une innovation peut se trouverĂ , au moins, dix niveaux hiĂ©rarchiques du leader qui estsupposĂ© dicter la stratĂ©gie et il peut aussi avoir Ă vendreson idĂ©e Ă des douzaines de pairs qui font le mĂȘme travailque lui.
Certains commerciaux, bien sĂ»r, peuvent agir de leurpropre chef, modifiant les produits Ă la convenance deleurs clients et convaincre les « gratte-papier » de lâusinedâintĂ©grer ces modifications aux produits. Ils poursuiventalors, en effet, leurs propres stratĂ©gies. Peut-ĂȘtre per-sonne dâautre nây prĂȘtera-t-il jamais attention. Parfois, ilpeut arriver que leurs innovations provoquent lâintĂ©rĂȘt,quelques annĂ©es plus tard, quand les stratĂ©gies prĂ©domi-nantes de la sociĂ©tĂ© sont tombĂ©es « en panne » et que sesleaders tĂątonnent Ă la recherche de quelques nouveautĂ©s.Alors, la stratĂ©gie personnelle de notre commercial peutĂȘtre autorisĂ©e Ă sâintĂ©grer au systĂšme, elle est devenuecelle de lâorganisation.
Cette histoire est-elle complĂštement gratuite ?Certainement pas. Nous avons tous entendu parler dâhis-toires de ce genre. Mais comme nous avons tous la mĂȘmetendance Ă ne voir que ce que nous voulons croire, sinous avons dĂ©cidĂ© de croire que les stratĂ©gies doiventĂȘtre planifiĂ©es, il est peu probable que nous soyons rĂ©cep-tifs Ă la vĂ©ritable signification de telles histoires.
ConsidĂ©rons la façon dont lâOffice national du film duCanada en est venu Ă adopter une stratĂ©gie concernant les
LA STRATĂGIE DE LâARTISAN 65©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
longs mĂ©trages. LâONF est une agence du GouvernementFĂ©dĂ©ral, cĂ©lĂšbre pour sa crĂ©ativitĂ© et son expertise dans laproduction de courts mĂ©trages documentaires. Il y a quel-ques annĂ©es, elle finança un rĂ©alisateur sur un projet quise rĂ©vĂšla, de façon inattendue, devenir un long mĂ©trage.Pour distribuer son film, lâONF se tourna vers les cinĂ©maset acquit ainsi, sans le prĂ©voir, une solide expĂ©rience dumarketing des longs mĂ©trages. Dâautres rĂ©alisateurs saisi-rent lâoccasion et lâONF se trouva ainsi avoir mis en placeune stratĂ©gie pour les longs mĂ©trages, un mode dâactionpour produire de tels films.
Mon point de vue est simple, dĂ©sespĂ©rement simple :les stratĂ©gies peuvent aussi bien se former quâĂȘtre formu-lĂ©es. Une stratĂ©gie rĂ©alisĂ©e peut survenir en rĂ©ponse Ă unesituation changeante, ou elle peut ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©mentadoptĂ©e Ă travers un processus de formulation qui serasuivi par une rĂ©alisation. Mais lorsque ce nâest pas le cas,câest-Ă -dire lorsque les intentions programmĂ©es ne produi-sent pas les actions dĂ©sirĂ©es, les organisations se retrou-vent alors avec des stratĂ©gies non rĂ©alisĂ©es.
De nos jours, on entend souvent mentionner ce phĂ©-nomĂšne de stratĂ©gies nâayant dĂ©bouchĂ© sur rien, et onremarquera quâĂ chaque fois, on assiste Ă des commentai-res qui rejettent la faute de cet Ă©chec sur lâexĂ©cution de lastratĂ©gie et non sur la stratĂ©gie elle-mĂȘme. La gestion a Ă©tĂ©nĂ©gligĂ©e, les contrĂŽles ont Ă©tĂ© mous, les exĂ©cutants ne sesont pas investis. Les excuses abondent. Ă certainsmoments, il peut y en avoir de valables. Mais bien sou-vent, elles se rĂ©vĂšlent trop simples. Câest pourquoi, il y acertains spĂ©cialistes qui ne sâarrĂȘtent pas Ă lâexĂ©cution etqui regardent plus loin, vers la formulation. Ceux qui sesont chargĂ©s de lâĂ©laboration de la stratĂ©gie nâont pas Ă©tĂ©assez intelligents.
Sâil est certainement vrai que beaucoup de stratĂ©giesprojetĂ©es sont mal conçues, je crois toutefois que le vraiproblĂšme se situe ailleurs, dans la distinction que nous
66 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
faisons en premier lieu entre la formulation et lâexĂ©cu-tion, lâhypothĂšse traditionnelle Ă©tant que la pensĂ©e doitĂȘtre indĂ©pendante de (et prĂ©cĂ©der) lâaction. Il est certainque les spĂ©cialistes peuvent devenir plus intelligentsmais pas seulement en concevant des stratĂ©gies plusintelligentes. Quelquefois, ils peuvent ĂȘtre plus intelli-gents en laissant les stratĂ©gies se dĂ©velopper graduelle-ment, en prenant en compte les actions et lesexpĂ©riences de lâorganisation. Un spĂ©cialiste intelligentde la stratĂ©gie doit savoir reconnaĂźtre quâil ne peut ĂȘtretoujours assez intelligent pour penser, par avance, Ă toutce qui peut se produire dans lâavenir.
LA MAIN ET LA TĂTE
Il nâexiste pas de potier qui pense un jour et travailleun autre. Lâesprit du potier va constamment au rythme desa main. Pourtant, dans les grandes organisations, on tentede sĂ©parer le travail de la tĂȘte de celui de la main. En agis-sant ainsi, on peut souvent altĂ©rer le lien vital du« feedback » entre les deux. Le commercial, qui trouve unclient dont les besoins ne sont pas satisfaits, peut possĂ©-der un des Ă©lĂ©ments dâinformation les plus importants detoute lâorganisation. Mais cette information est sans uti-litĂ©, sâil nâest pas Ă mĂȘme de crĂ©er une stratĂ©gie enrĂ©ponse Ă celle-ci, ou sâil ne transmet pas lâinformation Ă quelquâun en mesure dâen crĂ©er une â parce que lesrĂ©seaux dâinformations sont bloquĂ©s ou parce que le res-ponsable de la formulation a terminĂ© de donner ses direc-tives. LâidĂ©e que la stratĂ©gie est quelque chose qui seconcocte au sommet loin des dĂ©tails de la conduite dâuneorganisation au jour le jour â câest lĂ un des plus grandssophismes du management traditionnel. Et elle expliqueune bonne partie des Ă©checs les plus dramatiques que lâon
LA STRATĂGIE DE LâARTISAN 67©
Ădi
tions
dâO
rgan
isat
ion
peut connaĂźtre aujourdâhui dans le monde des affaires oude la politique.
Nous, Ă McGill, nous appelons les stratĂ©gies qui appa-raissent sans intentions claires â ou en dĂ©pit de ces inten-tions â les stratĂ©gies Ă©mergentes. Les actions convergent,ainsi, vers des modes dâaction. Ils peuvent ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©-ment adoptĂ©s, si, bien sĂ»r, ils sont reconnus pour tels etlĂ©gitimĂ©s par la direction gĂ©nĂ©rale. Mais cela se produitaprĂšs coup.
Tout cela peut sembler bizarre. Je le sais. Les stratĂ©giesqui Ă©mergent ? Les managers qui reconnaissent des stratĂ©-gies dĂ©jĂ formĂ©es ? Ă travers les annĂ©es, notre groupe derecherche de McGill a rencontrĂ© beaucoup de rĂ©sistancesde la part de ceux qui furent sidĂ©rĂ©s par ce quâils perçu-rent ĂȘtre notre dĂ©finition passive dâun mot qui Ă©tait poureux si Ă©troitement liĂ© Ă la notion de comportement actifet de totale volontĂ©. Le terme stratĂ©gie ne signifit-il pas,aprĂšs tout, contrĂŽle, et la GrĂšce de lâAntiquitĂ©nâemployait-il pas ce mot pour dĂ©crire lâart dâun gĂ©nĂ©raldâarmĂ©e.
LâAPPRENTISSAGE DE LA STRATĂGIE
Mais nous avons persistĂ© dans cet usage pour uneraison : lâapprentissage. Dans lâabsolu, une stratĂ©gie dĂ©li-bĂ©rĂ©e exclut lâapprentissage, une fois que la stratĂ©gie estformulĂ©e ; la stratĂ©gie Ă©mergente lâencourage. On rĂ©pondaux actions au fur et Ă mesure quâelles se prĂ©sentent, câestainsi que peut se dessiner, en fin de compte, un modedâaction.
Notre potier essaye de faire une forme sculpturale surpied. Il nây arrive pas, il lâarrondit un peu dâici, lâaplatit parailleurs. Le rĂ©sultat semble meilleur mais ce nâest pas
68 Ă PROPOS DU MANAGEMENT
© Ă
ditio
ns d
âOrg
anis
atio
n
encore le but recherchĂ©. Il recommence et recommence.Il peut arriver, alors, quâaprĂšs des jours, des mois, voiredes annĂ©es, il obtienne enfin le rĂ©sultat dĂ©sirĂ©. Il est, main-tenant, parti sur la voie dâune nouvelle stratĂ©gie.
En pratique, bien sĂ»r, tous les processus dâĂ©laborationde la stratĂ©gie marchent sur deux jambes, celle de la stra-tĂ©gie dĂ©libĂ©rĂ©e et celle de la stratĂ©gie Ă©mergente. Car, unprocessus dâĂ©laboration de la stratĂ©gie Ă©mergente exclu-rait le contrĂŽle, de la mĂȘme façon quâun processus dâĂ©la-boration de la stratĂ©gie purement dĂ©libĂ©rĂ© excluraitlâapprentissage. PoussĂ©es dans leurs extrĂȘmes limites,aucune de ces deux approches nâa beaucoup de sens.Lâapprentissage doit ĂȘtre couplĂ© au contrĂŽle. Câest pour-quoi, le groupe de recherche de McGill utilise le termestratĂ©gie pour dĂ©signer aussi bien les comportementsĂ©mergents que les comportements dĂ©libĂ©rĂ©s.
De la mĂȘme façon, il nâexiste pas une stratĂ©gie de typedĂ©libĂ©rĂ© pur ou de type Ă©mergent pur. Il nâexiste aucuneorganisation â pas mĂȘme, celles commandĂ©es par les gĂ©nĂ©-raux de la GrĂšce antique â qui puisse avoir une connais-sance suffisante afin de prĂ©voir tout par avance, pourignorer le rĂŽle de lâapprentissage en cours de route. Et ilnâen existe pas une seule â pas mĂȘme un potier solitaire âqui soit suffisamment flexible pour sâabandonner aux rĂ©ac-tions du hasard et pour abandonner tout contrĂŽle mental.La poterie rĂ©clame un contrĂŽle juste comme elle rĂ©clameune rĂ©ponse de la main au matĂ©riau. Câest, ainsi, que lesstratĂ©gies dĂ©libĂ©rĂ©es et Ă©mergentes constituent les der-niers points dâun continuum tout au long duquel les stratĂ©-gies qui sont dans le monde rĂ©el peuvent se rĂ©vĂ©ler. Danscertains cas, des stratĂ©gies peuvent ĂȘtre Ă©laborĂ©es parlâune ou lâautre mĂ©thode, mais la plupart du temps, elles sesituent Ă un point intermĂ©diaire.