Le management management

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Henry MINTZBERG Henry MINTZBERG Le management Voyage au centre des organisations

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« J’ai Ă©crit ce livre

en pensant qu’il existait

un rĂ©el besoin d’une

meilleure compréhension

des organisations, et ce,

autant dans la société

prise dans son ensemble,

que parmi les managers qui

essayent de faire fonctionner

ces organisations. »

Henry MINTZBERG

Un incontournable du management, accessible Ă  tous en version poche.

Ce livre prĂ©sente l’essentiel des travaux de Mintzberg, l’un des plus grands spĂ©cialistes mondiaux des organisations. DestinĂ© aux Ă©tudiants comme aux professionnels, il donne une vue complĂšte du management.

format 125 x 190 mm - dos 40,5 mm

Henry MINTZBERGH

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G

Lemanagement

Le m

anag

emen

t

Henry MINTZBERG, Ph.D. (MIT), ingĂ©nieur (McGill), est professeur de management Ă  l’universitĂ© McGill de MontrĂ©al. Il est l’auteur de nombreux livres de rĂ©fĂ©rence, dont Le manager au quotidien, Structure et dynamique des organisations et Le pouvoir dans les organisations.

Voyage au centre des organisations

Henry MINTZBERG

Code

Ă©di

teur

: G53

093

ISBN

: 97

8-2-

7081

-309

3-7

-:HSMHKI=VXU^X\:

13,50 €

barb

ary-

cour

te.c

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« J’ai Ă©crit ce livre

en pensant qu’il existait

un rĂ©el besoin d’une

meilleure compréhension

des organisations, et ce,

autant dans la société

prise dans son ensemble,

que parmi les managers qui

essayent de faire fonctionner

ces organisations. »

Henry MINTZBERG

Un incontournable du management, accessible Ă  tous en version poche.

Ce livre prĂ©sente l’essentiel des travaux de Mintzberg, l’un des plus grands spĂ©cialistes mondiaux des organisations. DestinĂ© aux Ă©tudiants comme aux professionnels, il donne une vue complĂšte du management.

format 125 x 190 mm - dos 40,5 mm

Henry MINTZBERG

Henry

MIN

TZBER

G

Lemanagement

Le m

anag

emen

tHenry MINTZBERG, Ph.D. (MIT), ingĂ©nieur (McGill), est professeur de management Ă  l’universitĂ© McGill de MontrĂ©al. Il est l’auteur de nombreux livres de rĂ©fĂ©rence, dont Le manager au quotidien, Structure et dynamique des organisations et Le pouvoir dans les organisations.

Voyage au centre des organisations

Henry MINTZBERG

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LE MANAGEMENT Voyage au centre des organisations

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Éditions d’Organisation1, rue ThĂ©nard

75240 Paris Cedex 05www.editions-organisation.com

DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

Le manager au quotidien : les 10 rĂŽles du cadreStructure et dynamique des organisations

Le pouvoir dans les organisations

Traduit de : Henry MINTZBERG, Mintzberg on Management.Inside Our Strange World of Organizations, New York, 1989.

© Henry Mintzberg, 1989

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou

partiellement le prĂ©sent ouvrage, sur quelque sup-port que ce soit, sans autorisation de l’Éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Éditions d’Organisation, 1990, pour l’édition originale.© Éditions d’Organisation, 1998, 2004 pour la prĂ©sente Ă©dition.

ISBN : 978-2-708-13093-7

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H

ENRY

M

INTZBERG

LE MANAGEMENT

Voyage au centre des organisations

Traduit par Jean-Michel Behar et révisé par Nathalie Tremblay

DeuxiÚme édition revue et corrigée

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Ce livre s’adresse à tous ceux qui passent leur vie professionnelle dans les organisations,

et leur vie privĂ©e Ă  tenter de s’en Ă©chapper.

Il est dédié à la mémoire de Jim Waters, qui consacra toute sa carriÚre

Ă  rendre ces organisations plus humaines.

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Table des matiĂšres

R

EMERCIEMENTS

.................................................................. 9

N

OTRE

MONDE

FAIT D

’

ORGANISATIONS

................................. 11

I

re

PARTIE

À PROPOS DU MANAGEMENT

17

Chapitre 1 –

L

A

PROFESSION

DE

MANAGER

....................... 21

Chapitre 2 –

L

A

STRATÉGIE

DE

L

’

ARTISAN

......................... 55

Chapitre 3 –

H

ÉMISPHÈRE

GAUCHE

ET PLANIFICATION

,

HÉMISPHÈRE DROIT

ET MANAGEMENT

........... 87

Chapitre 4 –

C

OUPLER

ANALYSE

ET

INTUITION

DANS

LE

MANAGEMENT

............................... 111

Chapitre 5 –

F

ORMER

DES

MANAGERS

ET NON DES

DIPLÔMÉS

DE

MBA ................. 151

II

e

PARTIE

À PROPOS DES ORGANISATIONS

175

Chapitre 6 –

L

ES

CONFIGURATIONS

DÉRIVÉES

................. 179

Chapitre 7 –

L’

ORGANISATION

ENTREPRENEURIALE

......... 213

Chapitre 8 –

L’

ORGANISATION

MÉCANISTE

..................... 237

Chapitre 9 –

L’

ORGANISATION

DIVISIONNALISÉE

............. 275

Chapitre 10 –

L’

ORGANISATION

PROFESSIONNELLE

............ 309

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8 LE MANAGEMENT

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Chapitre 11 –

L’

ORGANISATION

INNOVATRICE

.................. 347

Chapitre 12 –

L’

IDÉOLOGIE

ET

L

’

ORGANISATION

MISSIONNAIRE

........................................... 389

Chapitre 13 –

L

ES

SYSTÈMES

POLITIQUES

ET L

’

ORGANISATION

POLITIQUE

.................. 415

Chapitre 14 –

A

U-DELÀ

DES

CONFIGURATIONS

.................. 447

III

e

PARTIE

À PROPOS DE NOTRE SOCIÉTÉ FAITE D’ORGANISATIONS

535

Chapitre 15 –

Q

UI

DEVRAIT

CONTRÔLER

LES GRANDES ENTREPRISES

? ....................... 537

Chapitre 16 –

R

EMARQUE

SUR UN BIEN VILAIN MOT

: «

EFFICIENCE

» .......................................... 589

Chapitre 17 –

U

NE SOCIÉTÉ DEVENUE INGÉRABLE, COMME RÉSULTAT DU MANAGEMENT ........... 597

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Remerciements

Il est de tradition de remercier tous ceux qui ontapportĂ© une contribution significative Ă  la rĂ©alisationd’un livre. Mais, comme une grande partie de ce livrereprend bon nombre de mes Ă©crits prĂ©cĂ©dents, oĂč j’aidĂ©jĂ  remerciĂ© ceux qui m’avaient apportĂ© cette contribu-tion, je ne repĂ©terai pas ici mes remerciements en ce quiles concerne. Ils Ă©taient des plus sincĂšres Ă  l’époque et iln’y a aucune raison pour que cela change. Mais, ce que jevoudrais faire, ici, c’est prĂ©senter ces remerciements Ă une seule personne, mĂȘme s’il est bien Ă©vident que je nevoudrais, pour rien au monde, passer sous silence lesrĂŽles de mes collĂšgues Danny Miller et Frances Westley,qui m’aidĂšrent de bien des façons dans mes rĂ©flexions ;Jim Walters, un ami extraordinaire dont la contributionimplicite Ă  ce livre dĂ©passe largement le cadre des remer-ciements formalisĂ©s que l’on trouve au texte, et qui nousmanque Ă  tous si profondĂ©ment ; celui de mon Ă©diteurBod Wallace, qui fit preuve d’une tolĂ©rance remarquable ;de mes « fonctionnels de support logistique » KateMaguire-Devlin et Zinette Khan, qui dĂ©chiffrĂšrent, avecgrĂące, mes horribles gribouillages ; et celui de mes deuxdoyens, Morty Yalovsky et Wally Crowston qui mirent Ă ma disposition toutes les autres formes de support logis-tique que je pouvais souhaiter.

Bill Litwack est cette personne. Il incarne le mot empa-thie. Non l’empathie des psychologues de boulevard, caril est rude et caustique, du moins pour ses vrais amis. Maisil sait les comprendre et rĂ©pondre Ă  leur vĂ©ritable attente,sans parler pour autant, de celle, qui peut naĂźtre chezceux qui Ă©crivent des livres.

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En 1968, Billy Ă  l’ñge, pas si tendre que cela, de vingtans, m’aida Ă  mettre au point ma thĂšse de doctorat. Ce futune expĂ©rience atroce. Mais j’appris Ă  Ă©crire. Dans lesvingt annĂ©es qui suivirent, soit j’ai oubliĂ© la leçon, soit il achangĂ© ses critĂšres. J’ai certainement oubliĂ© combienl’expĂ©rience avait Ă©tĂ© atroce. Dans tous les cas, aprĂšsnotre seconde expĂ©rience de rĂ©daction commune, j’aisurvĂ©cu, Billy a survĂ©cu, le livre a survĂ©cu et beaucoupplus important : notre amitiĂ© a survĂ©cu. Billy « Ă©taitdevenu » le livre pendant quelques mois d’une extrĂȘmeintensitĂ©, fouillant Ă  l’intĂ©rieur de ma tĂȘte et me rendantpresque fou Ă  certains moments (dans le genre : « C’esthypocrisie qui s’écrit ici “hypo-cratie” “hippo-cratie” »)jusqu’à ce que je mette en ordre (du moins, c’est ce quej’espĂšre avoir fait) un ensemble de publications pour rĂ©a-liser le livre que je voulais. Je vous remercie de cela Bill,mais pas seulement de cela.

C’est le moment oĂč l’auteur est supposĂ© ajouter ici,comme si quelqu’un en doutait, que malgrĂ© toutes lescontributions merveilleuses dont il a bĂ©nĂ©ficiĂ©, il reste leseul responsable de ce qui va suivre. En aucune façon. (Netouchez pas Ă  cela Billy !). Je peux ne pas avoir pris son« avis » pour certains passages, avoir fait des changementsau dernier moment sans lui laisser la possibilitĂ© mĂȘme deles voir, mais partout ailleurs Litwack est totalement fautifdes erreurs ou des insuffisances qui ont pu rester dans celivre. Et nous, voici, repartis pour une nouvelle pĂ©riode devingt ans de paix.

LAC CASTOR

Janvier 1989

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Notre monde fait d’organisations

Notre monde est devenu, pour le meilleur et pour lepire, une sociĂ©tĂ© faite d’organisations. Nous sommes nĂ©sdans le cadre d’organisations et ce sont encore des orga-nisations qui ont veillĂ© Ă  notre Ă©ducation de façon Ă  ceque plus tard, nous puissions travailler dans des organi-sations. Dans le mĂȘme temps les organisations ont prisen charge nos besoins et nos loisirs. Elles nous gouver-nent et nous tourmentent (et, par moment, les deux Ă  lafois). Et, notre derniĂšre heure venue, ce seront encoredes organisations qui s’occuperont de nos funĂ©railles. Etpourtant, Ă  l’exception d’un petit groupe constituĂ© dechercheurs (auxquels on donne le nom de « thĂ©oriciensdes organisations ») qui les Ă©tudient et, de quelques raresmanagers qui sentent le besoin de saisir plus profondĂ©-ment l’objet mĂȘme de leur management, bien peucomprennent rĂ©ellement ces « animaux Ă©tranges », denature collective, qui exercent une si grande influencesur notre vie de tous les jours.

Si vous voulez vous renseigner sur votre propre psy-chĂ©, il vous suffira de vous rendre dans n’importe quellelibrairie et de faire votre choix parmi les dizaines de livresqui traitent de la façon dont votre esprit, votre corps ouvotre comportement est censĂ© fonctionner. Mais, si c’estvotre organisation que vous dĂ©sirez mieux comprendre, ilvous faudra, alors, trouver une librairie universitaire et lĂ ,vous aurez Ă  patauger dans les thĂ©ories trĂšs denses de grosouvrages Ă  vocation scientifique, Ă  moins que vous nejetiez votre dĂ©volu sur un recueil de textes qui rassembleces thĂ©ories, bien soigneusement – et, probablementaussi, de façon bien simpliste.

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Du moins, c’est ce que vous trouverez sur les rayonna-ges consacrĂ©s au management, dans cette librairie. Parceque sur les autres, ceux qui sont attribuĂ©s Ă  des disciplinesplus anciennes, plus traditionnelles, vous trouverez desouvrages qui ne font qu’allusion aux organisations. EnSciences Économiques, l’organisation est reçue sous laforme d’une entitĂ© « rationnelle », mais pour le reste, mys-tĂ©rieuse, qui agit, on ne sait trop comment, uniquementpour maximiser son profit. Personnellement, je neconnais pas une seule organisation qui ressemble Ă  cela.La Psychologie nous fournit des enseignements sur lecomportement des individus ou des petits groupes qui setrouvent au sein des organisations, mais elle ne nousapprend rien en ce qui concerne le comportement desorganisations elles-mĂȘmes. Les Sciences Politiques, quantĂ  elles, considĂšrent une catĂ©gorie d’organisation trĂšsimportante : l’État ; mais plus sous l’aspect d’un systĂšmeĂ©lectoral ou politique que sous celui d’un rĂ©seau d’organi-sations significatif. La Sociologie et l’Anthropologie s’atta-chent, bien Ă©videmment, Ă  l’étude des comportementshumains collectifs, mais, gĂ©nĂ©ralement, en termes desociĂ©tĂ© informelle, dans son cadre le plus large, plutĂŽtqu’à celle des organisations formalisĂ©es de taille plusmodeste.

La thĂ©orie des organisations utilise toutes ces discipli-nes, mais elle leur ajoute un concept fondamental, celuide « l’organisation en elle-mĂȘme ». Pour moi, l’organisa-tion se dĂ©finit comme une action collective Ă  la poursuitede la rĂ©alisation d’une mission commune ; une bien drĂŽlede façon de dire, qu’un groupe d’hommes s’est rassemblĂ©,sous une banniĂšre distinctive (que ce soit « GeneralMotors » ou « Chez Dupont ») pour rĂ©aliser certains pro-duits ou services.

J’ai Ă©crit ce livre en pensant qu’il existait un rĂ©elbesoin d’une meilleure comprĂ©hension des organisationset ce autant dans la sociĂ©tĂ©, prise dans son ensemble, que

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parmi les managers qui essayent de faire fonctionner cesorganisations (et, qui sont souvent, aussi perplexes, que laplupart d’entre nous, devant l’étrange comportement deces derniĂšres). À chaque fois, que j’ai eu Ă  discuter desorganisations avec des personnes, d’horizons trĂšs divers –y compris des professionnels Ă©tablis Ă  leur compte, desmĂ©nagĂšres ou encore d’autres catĂ©gories ayant relative-ment peu de contact avec le « fait organisationnel » – j’ai Ă©tĂ©trĂšs surpris de leur intĂ©rĂȘt pour le sujet.

L’un raconte une expĂ©rience curieuse dans un hĂŽpital,l’autre un incident sur un avion ou chez un concession-naire automobile. Nous avons tous dĂ©sespĂ©rement besoind’apprĂ©hender ces « Ă©tranges animaux » qui ont tant deconsĂ©quences sur nous. La comprĂ©hension conceptuellefondamentale est lĂ  ; le seul problĂšme c’est que jusqu’àmaintenant, elle n’était pas facilement accessible.

Ce livre prĂ©sente l’essentiel de mes travaux sur lesorganisations de ces vingt derniĂšres annĂ©es. Il ne contientpas seulement mes propres idĂ©es sur le sujet, car un cer-tain nombre de mes recherches se sont proposĂ©es de fairela synthĂšse de celles d’autres auteurs, en particulier en cequi concerne les travaux fondĂ©s sur la recherche systĂ©ma-tique. Au fil des ans, j’ai Ă©tudiĂ© la façon dont les managerstravaillaient ; celle dont les organisations fonctionnaient,prenaient leurs dĂ©cisions, Ă©laboraient leurs stratĂ©gies et sestructuraient d’elles-mĂȘmes ; mais aussi comment les rela-tions liĂ©es au pouvoir entouraient puis pĂ©nĂ©traient lesorganisations ; ainsi que la façon dont les sociĂ©tĂ©s enten-daient se comporter avec leurs organisations.

Je prĂ©sente donc ici une sĂ©rie de textes de rĂ©flexion,extraits de diffĂ©rentes parties de mes Ă©crits et qui meparaissent le mieux correspondre Ă  un exposĂ© d’intĂ©rĂȘtgĂ©nĂ©ral sur les organisations. Certains de ces travaux ontĂ©tĂ©, Ă  leur origine, publiĂ©s dans les plus grands titres de lapresse Ă©conomique, alors que d’autres n’ont connuqu’une diffusion limitĂ©e, Ă  travers des revues universitaires

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plus confidentielles. J’ai essayĂ© d’inclure ici, en les adap-tant, pour une lecture plus facile, ces travaux, que jeconsidĂšre du plus grand intĂ©rĂȘt. J’avais d’abord eu l’inten-tion de tous les rassembler tels quels, mais j’ai fini par lesrĂ©crire et mĂȘme, dans plusieurs cas, Ă  les Ă©crire dans unenouvelle version, (cela reprĂ©sente environ plus de la moi-tiĂ© de ce que l’on trouvera ici). C’est pourquoi, ce livre aĂ©tĂ© conçu dans l’espoir d’élargir l’audience de ces idĂ©esaussi bien Ă  l’intĂ©rieur qu’à l’extĂ©rieur de la communautĂ©du management. Si cela vous chante, vous pourrez direqu’il y a lĂ  une « vulgarisation de la thĂ©orie desorganisations » Ă  condition, toutefois, que l’on nesous-entende pas que j’aurais, de quelque façon que cesoit, essayĂ© de banaliser les activitĂ©s complexes d’uneorganisation.

J’ai divisĂ© ce livre de rĂ©flexion en trois parties. La pre-miĂšre est consacrĂ©e au management, c’est-Ă -dire Ă  cesprocessus par lesquels ceux qui ont la responsabilitĂ© for-melle de tout ou partie de l’organisation, essayent de ladiriger ou, du moins, de la guider dans ses activitĂ©s. Laseconde partie s’attachera aux formes des organisations,dans une approche un peu comparable Ă  celle du biolo-giste lorsqu’il considĂšre diffĂ©rentes espĂšces dans lanature. Je crois que notre plus grande erreur, dans notreapproche des organisations – que nous avons commise Ă travers tout ce siĂšcle et que nous continuons Ă  commettretous les jours – est de prĂ©tendre qu’il n’existe qu’« uneseule bonne façon » pour gĂ©rer chaque organisation. Cequi est bon pour « General Motors » est souvent un poisonviolent pour la boutique « Chez Dupont ». Il n’y a pas plusde raisons de vouloir traiter toutes les organisations defaçon semblable que pour un ophtalmologiste de pres-crire Ă  tous ses patients une mĂȘme paire de lunettes. LatroisiĂšme partie sera consacrĂ©e Ă  notre sociĂ©tĂ© faited’organisations, de quelle façon nous cherchons Ă  exer-cer une influence sur les organisations et comment, Ă  leur

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tour, ces derniÚres exercent une influence sur nous aupoint de rendre nos vies à la fois plus heureuses et plusmisérables.

Lisez ce qui va suivre Ă  votre guise ; vous ĂȘtes libre dechoisir de le feuilleter ou de l’étudier suivant vos proprescentres d’intĂ©rĂȘt. Quoique que vous dĂ©cidiez, pensez uninstant Ă  votre propre entreprise, Ă  votre garagiste ou Ă votre concessionnaire automobile, Ă  l’hĂŽpital oĂč vousvous ĂȘtes fait soigner et Ă  l’école qui vous a rendu misĂ©ra-ble, Ă  la compagnie aĂ©rienne que vous utilisez, Ă  l’associa-tion qui se bat pour que les animaux soient vĂȘtus ou Ă celle qui Ɠuvre pour la promotion du pop-corn. Les orga-nisations assurent la satisfaction de nos besoins et ellesnous exploitent, elles nous entretiennent et elles noustourmentent. Certes, nous pouvons toujours leur Ă©chap-per
 pour un moment ; il y en a mĂȘme certains, parminous, qui ont rĂ©ussi Ă  vivre relativement indĂ©pendam-ment de celles-ci. Mais, la plupart d’entre nous doivent serĂ©signer Ă  consacrer une grande partie de leur vie publi-que et de leur vie privĂ©e aux organisations. C’est pour-quoi nous avons tous besoin de mieux les comprendre.

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Ire PARTIE

À propos du management

On pourrait dire que, d’une certaine façon, le ving-tiĂšme siĂšcle sera le siĂšcle du « Management ». Il est certainque le monde, ayant atteint le stade de dĂ©veloppementĂ©conomique le plus Ă©levĂ© de l’histoire de l’humanitĂ©, nepouvait qu’ĂȘtre sĂ©duit par les procĂ©dures de gestion quiont marquĂ© ce siĂšcle. Henri Fayol1, cĂ©lĂšbre industriel fran-çais, spĂ©cialiste de l’économie industrielle, a sans douteĂ©tĂ© le premier Ă  exprimer les principes du management,mais c’est rĂ©ellement la vague des experts amĂ©ricains, deFrederick Taylor en passant par Peter Drucker et HerbertSimon, entre autres, qui a crĂ©Ă© et renforcĂ© l’engouementque l’AmĂ©rique connaĂźt depuis lors pour ses managers etleurs procĂ©dures de gestion.

Cela explique certainement les raisons du choc provo-quĂ© par le rĂ©cent dĂ©fi japonais lancĂ© Ă  l’industrie amĂ©ri-caine. Car, voici un peuple, d’une culture trĂšs diffĂ©rente,qui a rĂ©ussi Ă  battre l’AmĂ©rique Ă  son propre jeu, le jeu dumanagement. Certes, ce n’est pas la premiĂšre fois quecela se produit. L’Europe de l’Ouest fut la premiĂšre maisen aucun cas de façon aussi magistrale (Volkswagen avaitbien embarrassĂ© les trois Grands de Detroit avant mĂȘmeque Toyota n’existĂąt). Il n’y a pas trĂšs longtemps Jean-Jac-ques Servan-Schreiber Ă©crivait Le DĂ©fi amĂ©ricain oĂč ilexposait que le succĂšs de l’AmĂ©rique, dans le domaine

1. N.d.T. Henri Fayol (1841-1925), auteur d’un projet de rĂ©orga-nisation hiĂ©rarchique des diffĂ©rentes fonctions de l’entrepriseintitulĂ© Administration gĂ©nĂ©rale et industrielle (1916).

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18 À PROPOS DU MANAGEMENT

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Ă©conomique, ne tenait pas tant Ă  ses ressources naturellesou Ă  son avancement technologique qu’à l’attentionqu’elle avait su porter aux questions du management (1)1.Il est certain qu’aujourd’hui les amis de l’AmĂ©rique onttellement bien compris cette leçon qu’il leur a Ă©tĂ© possi-ble d’écrire aisĂ©ment Le DĂ©fi europĂ©en et plus tard LeDĂ©fi japonais (mĂȘme si ces ouvrages ne portaient pasexactement ces titres-lĂ  au moment de leur parution).

Il n’y pas eu un tel dĂ©fi communiste. Mais la gestion estapparue, de la mĂȘme façon, sous la forme d’une analysecritique des procĂ©dures en Europe de l’Est. Car, en vĂ©ritĂ©,malgrĂ© les promesses de dĂ©clin de l’État, il n’existe pasd’autres moyens de conduire une sociĂ©tĂ© communistesans recourir aux procĂ©dures de management. À cetĂ©gard, l’AmĂ©rique et l’Union soviĂ©tique ne diffĂšrent pastant dans leur obsession du management que dans leurspratiques pour sĂ©lectionner les managers les plus impor-tants. On doit donc comprendre que, partout, oĂč il y adĂ©veloppement Ă©conomique, il y a attention soutenuepour les procĂ©dures de management.

Évidemment, les organisations ne se rĂ©duisent pas aumanagement, le dĂ©veloppement Ă©conomique non plus.En fait, il doit ĂȘtre possible de soutenir aujourd’hui(comme je le ferai dans la troisiĂšme partie de ce livre) quel’approche traditionnelle peut avoir plus de consĂ©quen-ces nĂ©gatives que positives sur cette croissance Ă©conomi-que. Mais il n’existe pas d’approche complĂšte duphĂ©nomĂšne des organisations sans une prise en compterigoureuse des procĂ©dures de management. Et c’est pour-quoi nous consacrerons d’abord notre attention Ă  cepoint, du moins au management tel qu’il semble ĂȘtre rĂ©el-lement pratiquĂ© et non sur la façon dont la littĂ©rature tra-ditionnelle continue Ă  dĂ©crire ce qu’il devrait ĂȘtre.

1. Les numĂ©ros entre parenthĂšses renvoient aux rĂ©fĂ©rences Ă  lafin de l’ouvrage (p. 669 et suivantes).

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À PROPOS DU MANAGEMENT 19©

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Nous dĂ©buterons donc par ce que je crois ĂȘtre ledĂ©but, Ă  savoir la vĂ©ritable nature du travail du manager,c’est-Ă -dire, ce que font rĂ©ellement ceux que l’on nommeles managers (ou de tout autre nom Ă©quivalent) dans leursbureaux Ă  longueur de journĂ©es. Vous serez peut-ĂȘtre sur-pris de ce que vous lirez – non pas surpris en termes devotre propre expĂ©rience mais plutĂŽt Ă  travers ce que l’onest censĂ© savoir du travail du manager par le biais de sesdescriptions dans la littĂ©rature spĂ©cialisĂ©e. Ce premierchapitre aura, pour objectif, d’éclairer cette contradic-tion, trĂšs commune et trĂšs coĂ»teuse dans les organisa-tions, entre ce qui se passe rĂ©ellement au niveau dumanagement, et des notions bien vagues qui conduisent,souvent dans une mauvaise direction, sur ce qui est censĂ©se passer.

Notre second chapitre continue dans la mĂȘme veine,mais en s’attachant Ă  un autre aspect du management. Ilprend en compte le processus d’élaboration de la stratĂ©-gie. Mais Ă  nouveau, par opposition Ă  la perception tradi-tionnelle des procĂ©dures de planification, nous mettronsici, en Ă©vidence, une autre approche fondĂ©e sur unevision que l’on pourrait qualifier d’« artisanale » de ceprocessus, avec toutes les implications qu’elle peut avoirpour les managers et les organisations.

Ces deux chapitres suggĂšrent qu’il est en train de sepasser quelque chose au niveau du management, quelquechose qui se situe en dehors des processus « analytiques »et « rationnels », qui furent si longtemps favorisĂ©s dans cedomaine. Notre troisiĂšme chapitre essaye de mettre enĂ©vidence le point suivant : Ă  partir des recherches actuel-les sur les deux hĂ©misphĂšres du cerveau humain, noustenterons de suggĂ©rer que dans notre volontĂ© incessantede jeter la lumiĂšre de l’analyse sur le management, il sepeut que nous ayons perdu de vue un processus, plus obs-cur mais non moins important, que l’on nomme l’intui-tion. La rĂ©flexion qui suit, rĂ©alisĂ©e spĂ©cialement pour ce

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20 À PROPOS DU MANAGEMENT

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livre Ă  partir de diffĂ©rentes sources, va plus en profondeurdans ce sujet, en considĂ©rant d’abord le dĂ©bat fondamen-tal entre l’analyse et l’intuition, puis en proposant diver-ses mĂ©thodes Ă  travers lesquelles ces deux processuspeuvent ĂȘtre couplĂ©s afin de jouer un rĂŽle plus efficacedans le cadre des organisations complexes.

Le dernier thĂšme de cette partie sur le management,Ă©crite spĂ©cialement pour ce livre, tire une consĂ©quenceimportante de cette discussion : Ă  savoir la tendanceactuelle de nos universitĂ©s de management Ă  former desdiplĂŽmĂ©s de MBA plutĂŽt que des managers. Je dĂ©montre,ici, et j’insiste Ă  nouveau sur ce point dans la conclusionde ce livre, que cela n’est pas sans consĂ©quences dramati-ques sur nos organisations, en minant les bases mĂȘmes deleur efficacitĂ© sociale et Ă©conomique.

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CHAPITRE 1

La profession de manager

Légende et réalité

Lorsque nous pensons organisation, nous pensonsmanagement. Il est certain que l’organisation ne se rĂ©duitpas aux managers et aux systĂšmes de gestion qu’ils ontcrĂ©Ă©s. Mais ce qui distingue, avant tout, une organisationformelle d’un quelconque rassemblement d’hommes –d’une foule, d’un groupe informel – c’est la prĂ©sence d’unsystĂšme d’autoritĂ© et d’administration, personnifiĂ© par unou plusieurs managers dans une hiĂ©rarchie plus ou moinsstructurĂ©e et dont la tĂąche est d’unir les efforts de tousdans un but donnĂ©.

Ceci Ă©tant et en considĂ©ration du grand engouementque le peuple amĂ©ricain entretient depuis maintenantplus d’un siĂšcle avec l’archĂ©type du manager de HoratioAlger Ă  Lee Iacocca, il est trĂšs surprenant de constaterqu’il existe si peu d’études sur ce que le manager fait rĂ©el-lement. Comme des milliers d’étudiants de l’époque, j’aipassĂ© un MBA, un diplĂŽme dont le but est ostensiblementde former des managers, sans m’interroger sur le fait quepersonne n’avait jamais Ă©tudiĂ© de façon valable ce que lemanager faisait concrĂštement. Imaginez un programmed’études mĂ©dicales qui ne s’intĂ©resserait pas une seulefois au travail rĂ©el du mĂ©decin.

Certes, il ne manque pas de travaux sur ce que lesmanagers sont censĂ©s faire (par exemple, suivre tout unensemble de prescriptions simples que l’on nomme lagestion du temps ou employer les ordinateurs selon les

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recommandations de quelques spĂ©cialistes techniquessans aucune responsabilitĂ©). Malheureusement, enl’absence d’une comprĂ©hension rĂ©elle du travail de ges-tionnaire, beaucoup de ces conseils se rĂ©vĂ©lĂšrent incohĂ©-rents, voire pur gaspillage. Comment qui que ce soitpourrait-il prescrire des changements dans un phĂ©no-mĂšne aussi complexe que le travail de gestionnaire sansen avoir, au prĂ©alable, une profonde comprĂ©hension ?

Au milieu des annĂ©es 60, James Webb, qui dirigeait laNASA, eut le dĂ©sir d’« ĂȘtre Ă©tudiĂ© ». La NASA avait senti lebesoin de justifier son existence par les retombĂ©esd’applications pratiques de ses recherches (innovations)et Webb comptait ses principes de gestion parmi cesinnovations. Webb s’ouvrit de cette idĂ©e avec un de mesprofesseurs de la Sloan School of Management du MIT, etcomme j’étais le seul Ă©tudiant en doctorat qui s’était spĂ©-cialisĂ© dans le management (par opposition aux systĂšmesinformatiques, aux modĂšles mathĂ©matiques ou encoreaux motivations des consommateurs etc.), il me demandad’étudier Webb comme sujet pour ma thĂšse de doctorat.Je dĂ©clinai cette proposition qui m’apparut comme uneidĂ©e incohĂ©rente. C’était bien sĂ»r le MIT, aprĂšs tout, lebastion de la science. Mais passer des journĂ©es entiĂšresassis dans le bureau d’un important manager, dĂ©crivant cequ’il faisait, ne me disait absolument rien. (Quoique, unautre de mes professeurs m’avait dit, quelque temps plustĂŽt, que le but ultime d’une thĂšse de doctorat du MIT Ă©taitavant tout « l’élĂ©gance ». Il ne faisait nullement allusionaux rĂ©sultats.) De toute façon, j’avais choisi de faire unethĂšse sur la façon de dĂ©velopper les procĂ©dures de pro-grammation stratĂ©gique dans le cadre des organisations.Mais par bonheur, et ce ne fut pas la derniĂšre fois dans mavie, des forces extĂ©rieures me sauvĂšrent de moi-mĂȘme.

Mon projet de thĂšse Ă©choua par manque d’une seuleorganisation dĂ©sirant se soumettre Ă  un tel exercice (oupar manque de tĂ©nacitĂ© dans mes essais pour en trouver

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une). J’assistais, alors, Ă  une confĂ©rence au MIT Ă  laquelleĂ©tait venu participer un nombre important de personnali-tĂ©s pour discuter de l’impact de l’informatique sur lemanager. Ils n’aboutirent Ă  aucune conclusion ; pendantdeux jours, ils tournĂšrent en rond, Ă  peine effleurĂšrent-ils,dans leurs discussions, le fait que l’usage de l’informati-que par les managers est fonction de la difficultĂ© à« programmer » (quel que soit le sens que l’on peut sup-poser donner Ă  ce terme) leurs tĂąches. Je fus frappĂ© de cequ’il manquait Ă  tous ces spĂ©cialistes un cadre de pensĂ©ecohĂ©rent pour saisir la rĂ©alitĂ© du travail du manager. Ils nemanquaient, toutefois, certainement pas d’une connais-sance intrinsĂšque du phĂ©nomĂšne ; ils travaillaient tousavec des managers et bon nombre d’entre eux Ă©taient desmanagers. Mais, ce qui leur manquait, c’était une baseconceptuelle pour apprĂ©hender ce sujet.

J’ai appris deux choses Ă  cette confĂ©rence. La premiĂšrechose fut que le savoir explicite Ă©tait trĂšs diffĂ©rent du savoirimplicite et que les deux ont des consĂ©quences importan-tes dans la conduite des organisations. La seconde chose futde considĂ©rer qu’il existait une nĂ©cessitĂ© urgente d’uneĂ©tude rigoureuse de ce que les managers font rĂ©ellement,ce qui, mĂȘme en un lieu comme le MIT, peut constituer lamatiĂšre d’une thĂšse dont le but n’est pas l’élĂ©gance de lamĂ©thode mais la pertinence du sujet.

Et c’est ainsi que j’ai commencĂ© mes premiĂšres recher-ches sur le travail du « manager au quotidien » (ce fut letitre du livre publiĂ© Ă  partir de ma thĂšse). Mais ce ne futpas avec James Webb qui n’était plus disponible Ă  cemoment. Utilisant un chronomĂštre (dans un style trĂšs pro-che de celui de Frederick Taylor lorsqu’il Ă©tudiait lesouvriers d’une usine quelques annĂ©es plus tĂŽt), j’observaiau cours d’une semaine complĂšte les activitĂ©s de cinqmanagers dirigeants appartenant Ă  : une grande sociĂ©tĂ© deconseils, un cĂ©lĂšbre hĂŽpital universitaire, une grande uni-versitĂ©, une sociĂ©tĂ© de technologie de pointe et une

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grande fabrique de biens de consommation. Une semaine,ce n’est pas trĂšs long mais je m’intĂ©ressais surtout Ă  ladurĂ©e et Ă  la nature de leurs travaux plutĂŽt qu’aux dĂ©ve-loppements ultĂ©rieurs des sujets abordĂ©s dans le longterme. Ma thĂšse Ă©tait achevĂ©e en 1968 et le livre en 1973 ;deux ans plus tard la Harvard Business Review publiaitl’article que l’on trouve ici (avec quelques changementsmineurs).

Tout aussi bien dans ses orientations et le ton que j’yadoptais que dans le thĂšme central que j’y traitais, cet arti-cle fut rĂ©ellement la base de tous mes travaux postĂ©rieurs.Le New York Times – 29 octobre 1976 – (1) utilisa Ă  pro-pos de ma description du « travail du manager » les termesde « chaos calculĂ© » ou encore de « dĂ©sordre contrĂŽlĂ© » . Ilusait Ă©galement d’une expression que j’en suis venu Ă  prĂ©-fĂ©rer, Ă  beaucoup d’autres, pour caractĂ©riser mestravaux : « la cĂ©lĂ©bration de l’intuition ».

Si vous demandez Ă  des managers ce qu’ils font, ilsvous rĂ©pondront vraisemblablement qu’ils planifient,organisent, coordonnent et contrĂŽlent. Alors, observonsce qu’ils font. Et personne ne sera surpris de constaterque leurs activitĂ©s peuvent difficilement ĂȘtre dĂ©crites aumoyen des quatre mots ci-dessus.

Quand on les appelle pour leur dire qu’une de leurs usi-nes vient juste d’ĂȘtre dĂ©truite par le feu et qu’ils conseillentĂ  leur correspondant d’étudier s’il est possible de mettreen place un arrangement temporaire avec d’autres filialesĂ©trangĂšres pour assurer l’approvisionnement des clients,peut-on dire qu’il y a lĂ  planification, organisation, coordi-nation ou contrĂŽle ? Et que penser lorsqu’ils sont en trainde remettre en cadeau, Ă  un employĂ© qui prend sa retraite,une montre en or ? Ou lorsqu’ils assistent Ă  une confĂ©-rence pour y rencontrer d’éventuelles relations d’affaires ?Ou lorsque revenant de ce type de confĂ©rence, ils expli-quent, Ă  un de leurs subordonnĂ©s, l’idĂ©e d’un produit intĂ©-ressant qu’ils y ont glanĂ©e Ă  ce moment-lĂ  ?

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La rĂ©alitĂ© nous fait comprendre que les quatre mots-clefs qui ont dominĂ© la gestion depuis qu’Henri Fayol, lespĂ©cialiste de l’économie industrielle, les a introduits en1916, n’apportent que bien peu de prĂ©cisions sur ce quefont rĂ©ellement les managers. Au mieux, dĂ©crivent-ilsquelques vagues objectifs que des managers peuventavoir lorsqu’ils travaillent.

Mon but, ici, est trĂšs simple : briser les chaĂźnes quiretenaient le lecteur aux quatre termes fondamentaux deFayol et l’introduire Ă  une vision plus supportable, et queje considĂšre comme plus utile, du travail du manager.Cette vision est fondĂ©e sur ma propre Ă©tude du travail decinq managers dirigeants, corroborĂ©e par un petit nom-bre d’autres travaux sur la façon dont divers managers uti-lisent leur temps.

Dans certains de ces travaux, les managers sont soumisĂ  une observation intensive (« dans leur ombre » est leterme que l’on y trouve employĂ©), dans d’autres, on tientun journal dĂ©taillĂ© de leurs activitĂ©s, et dans un petit nom-bre, on analyse mĂȘme leurs dossiers. Bien des genres dif-fĂ©rents de managers sont ainsi Ă©tudiĂ©s ; les contremaĂźtres,les directeurs d’usines, les managers de direction gĂ©nĂ©-rale, les managers commerciaux, les administrateurs decentres hospitaliers, les prĂ©sidents de grandes sociĂ©tĂ©s oud’États et mĂȘme les leaders de gangs des rues. Ces« managers » Ă©taient choisis dans diffĂ©rents pays : USA,Canada, SuĂšde et Grande-Bretagne.

Une synthĂšse des rĂ©sultats de ces Ă©tudes donne uneimage intĂ©ressante des activitĂ©s du manager qui est aussiproche de la vision classique de Fayol qu’une Ɠuvrecubiste l’est d’un tableau de la Renaissance. D’une cer-taine façon, on pourrait dire que cette image du managerest totalement Ă©vidente pour toute personne qui n’auraitpassĂ© ne serait-ce mĂȘme qu’une journĂ©e dans le bureaud’un manager, que ce soit dans le fauteuil de ce dernier oudans celui du visiteur. Mais dans le mĂȘme temps, cette

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image peut sembler rĂ©volutionnaire, en ce sens qu’ellejette le doute sur la lĂ©gende que nous avions tous accep-tĂ©e sur le travail du gestionnaire.

Je traiterai, en premier lieu, de cette lĂ©gende qui existeautour du manager et je montrerai les contrastes entrecelle-ci et les rĂ©sultats de recherches systĂ©matiques – lesfaits bruts qui dĂ©crivent comment les managers utilisentleur temps. Puis dans un second temps, je prĂ©senterai unesynthĂšse des conclusions de ces recherches en dĂ©crivantles dix rĂŽles du manager tels qu’ils semblent le mieuxdĂ©peindre l’essentiel de la profession du manager. Pourconclure, je discuterai un certain nombre des implica-tions de cette synthĂšse pour ceux qui tentent d’appro-cher une gestion plus efficace.

LÉGENDE ET RÉALITÉ DU TRAVAIL DE GESTIONNAIRE

Il y a quatre idées reçues sur la profession du managerqui ne résistent pas à une analyse soigneuse des faits.

1. LÉGENDE : LE MANAGER EST UN PLANIFICATEUR SYSTÉMATIQUE, RÉFLÉCHI

Cette vision est reçue Ă  une majoritĂ© Ă©crasante dansl’opinion mais il n’existe pas un atome d’analyse quiconforte cette thĂšse.

RĂ©alitĂ© : Étude aprĂšs Ă©tude, on a dĂ©montrĂ© que lesmanagers Ă©taient soumis Ă  un rythme implacable,

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que toutes leurs activitĂ©s sont caractĂ©risĂ©es par la« briĂšvetĂ© » – la variĂ©tĂ© et la discontinuitĂ© – etqu’elles sont presque exclusivement orientĂ©es versl’action et trĂšs peu vers la rĂ©flexion.

Considérons ainsi cette idée :

● La moitiĂ© des activitĂ©s des cinq managers dirigeantsque j’ai observĂ©s durant mon Ă©tude durait moins de9 minutes et il n’y en avait que 10 pour cent qui excĂ©-daient 1 heure (2). Une Ă©tude faite sur cinquante-sixcontremaĂźtres amĂ©ricains montrait qu’ils exerçaient,environ, 583 activitĂ©s diffĂ©rentes, par pĂ©riode de huitheures, soit une activitĂ© diffĂ©rente toutes les48 secondes (3). Le rythme de travail, aussi bien desmanagers dirigeants que des contremaĂźtres, Ă©tait doncimplacable. Les managers dirigeants avaient Ă  faireface Ă  un flot constant d’appels et de courrier Ă  partirdu moment oĂč ils arrivaient le matin Ă  leur bureau etce jusqu’à ce qu’ils le quittassent dans la soirĂ©e. Lespauses-cafĂ© et les dĂ©jeuners Ă©taient, inĂ©vitablement,consacrĂ©s Ă  des rapports de travail, et mĂȘme la prĂ©-sence de subordonnĂ©s semblait ĂȘtre une usurpation dumoindre moment de libertĂ©.

● Une Ă©tude des agendas de 160 managers moyens etsupĂ©rieurs britanniques, montrait qu’il n’y avait dansleur emploi du temps qu’un moment tous les deuxjours oĂč ils travaillaient sans interruption pendant unepĂ©riode continue d’une 1/2 heure ou plus (4).

● Pour 93 pour cent des managers dirigeants observĂ©sdans cette Ă©tude, les contacts verbaux qu’ils avaientĂ©taient organisĂ©s sur une base d’improvisation. Il n’yavait qu’un pour cent du temps de ces cadres qui Ă©taitconsacrĂ© Ă  des tournĂ©es d’inspection. Il n’y avait qu’uncontact verbal sur 368 qui n’était pas relatif Ă  un sujet

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particulier et qui pouvait ĂȘtre ainsi considĂ©rĂ© commeliĂ© Ă  un thĂšme de planification gĂ©nĂ©rale.

● Aucune Ă©tude n’a pu mettre en Ă©vidence une quel-conque mĂ©thode systĂ©matique dans la façon dont lesmanagers planifient leur emploi du temps. Ils sem-blent, ainsi, sauter d’un sujet Ă  l’autre, sans arrĂȘt,n’ayant comme motivation que de rĂ©pondre aux sol-licitations du moment.

Est-ce lĂ , la planification de la littĂ©rature classique ?On peut en douter. Comment peut-on, alors, expliquerce comportement ? Le manager ne fait que rĂ©pondre auxpressions de sa profession. J’ai, ainsi, remarquĂ© que lesmanagers dirigeants, objets de mon Ă©tude, interrom-paient d’eux-mĂȘmes beaucoup de leurs activitĂ©s, quittantmĂȘme souvent une rĂ©union avant son terme ou abandon-nant leur occupation pour appeler un subordonnĂ©. Undes managers supĂ©rieurs de mon Ă©tude avait non seule-ment placĂ© son bureau de façon Ă  pouvoir observer, encontrebas, un long couloir, mais encore laissait-il cons-tamment sa porte ouverte quand il Ă©tait seul ; une invitepour ses subordonnĂ©s Ă  venir le trouver et Ă  interrompreson travail.

Il est Ă©vident que ces managers avaient pour but de serendre accessibles, le plus possible, Ă  un flux d’informa-tions courantes. Mais de façon encore plus significative,ils semblaient conditionnĂ©s par leur propre charge de tra-vail. Ils savaient estimer eux-mĂȘmes le coĂ»t de leur tempset ils Ă©taient continuellement attentifs Ă  leurs obligationsdu moment ; courrier en attente de rĂ©ponses, visiteursattendant d’ĂȘtre reçus etc. Il semble que, quelle que soitl’activitĂ© du manager, il est constamment tourmentĂ© parce qu’il devrait faire et ce qu’il doit faire.

Quand un manager doit s’occuper de planification, ilsemble le faire de façon implicite dans le contexte strict

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des activitĂ©s d’une journĂ©e et nullement dans le cadre dequelque processus abstrait rĂ©servĂ© uniquement aux sĂ©mi-naires de deux semaines Ă  la montagne ! Les plans desmanagers dirigeants que j’ai Ă©tudiĂ©s, ne semblaient n’exis-ter que dans leur tĂȘte ; des plans aux intentions flexibles,mĂȘme si, bien souvent, trĂšs spĂ©cialisĂ©s. MalgrĂ© la littĂ©ra-ture traditionnelle sur ce sujet, la profession d’encadre-ment ne donne pas forcĂ©ment naissance Ă  des experts enplanification douĂ©s d’un grand pouvoir de rĂ©flexion ; lemanager ne fait que rĂ©pondre, en temps rĂ©el, aux stimuliqu’il reçoit, c’est un homme, ou une femme, conditionnĂ©par sa profession et qui prĂ©fĂšre les actions immĂ©diates Ă celles Ă  long terme.

2. LÉGENDE : LE VRAI MANAGER N’A PAS DE TÂCHES ROUTINIÈRES À ACCOMPLIR

Les managers ne cessent de se faire dire de passer plusde temps Ă  planifier et Ă  dĂ©lĂ©guer de leurs pouvoirs qu’àvoir leurs clients et Ă  engager des nĂ©gociations. Ce quin’est pas, aprĂšs tout, la vĂ©ritable tĂąche d’un manager. Enemployant la vieille comparaison traditionnelle entre lemanager et le chef d’orchestre, on peut dire que, de lamĂȘme façon que ce dernier, le manager doit savoir toutprĂ©parer soigneusement Ă  l’avance. De sorte que, par lasuite, il peut rester confortablement assis Ă  considĂ©reravec fiertĂ© les fruits de son labeur, en agissant occasion-nellement lors de la survenance de quelque Ă©vĂ©nementexceptionnel et imprĂ©visible.

Mais Ă  nouveau cette belle construction thĂ©orique neparait pas tenir Ă  l’épreuve des faits.

Réalité : En plus des événements imprévisibles aux-quels il faut répondre, le travail de gestionnaire

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recouvre un certain nombre de tĂąches rĂ©pĂ©titives comprenant aussi bien sa participation aux rites de l’organisation, Ă  des cĂ©rĂ©monies, Ă  des nĂ©gocia-tions et Ă  l’information informelle qui rattache ainsi l’organisation Ă  son environnement.

Considérons, ainsi, quelques résultats de recherchessur ce sujet :

● Une Ă©tude, portant sur les prĂ©sidents de petites entre-prises, a montrĂ© qu’ils Ă©taient engagĂ©s, la plupart dutemps, dans des activitĂ©s routiniĂšres parce que leurentreprise ne pouvait s’offrir les services de spĂ©cialis-tes de l’encadrement au niveau de la prĂ©sidence etqu’elle Ă©tait si pauvre en personnel opĂ©rationnelqu’une seule absence obligeait souvent le prĂ©sident Ă prendre la place du manquant (5).

● Une Ă©tude concernant les managers commerciaux etune autre sur les managers dirigeants suggĂšrent qu’ilest naturel pour ces deux professions de voir desclients importants, si l’on part bien sĂ»r de l’hypothĂšseque ces managers veulent conserver ces clients (6).

● On a dit, un peu par plaisanterie, que le manager Ă©taitcette personne qui reçoit les visiteurs de telle façonque n’importe qui d’autre peut faire, pendant cetemps, son travail. J’ai mis en Ă©vidence dans monĂ©tude que certaines obligations liĂ©es Ă  des cĂ©rĂ©monies– recevoir la visite de personnalitĂ©s, remettre encadeau des montres en or, prĂ©sider un dĂźner – faisaientpartie intrinsĂšquement de la profession de managerdirigeant.

● Des Ă©tudes sur l’information des managers ont suggĂ©rĂ©que ces derniers jouent un rĂŽle important en s’assu-rant des sources d’informations « informelles » exter-nes (dont bon nombre d’entre elles ne sont accessibles

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qu’aux managers eu Ă©gard Ă  leur statut) et en les trans-mettant Ă  leurs subordonnĂ©s.

3. LÉGENDE : LE MANAGER SUPÉRIEUR A BESOIN D’INFORMATIONS AGRÉGÉES, CE QUE SEUL UN SYSTÈME D’INFORMATION DE GESTION PEUT LUI FOURNIR

Dans l’optique de la vision classique du manager quiest ainsi un homme perchĂ© au sommet d’un systĂšme hiĂ©-rarchique bien rĂ©glĂ©, la littĂ©rature sur le manager indiquequ’il reçoit toute son information d’un gigantesque et trĂšscomplet systĂšme formalisĂ© d’information de gestion. Maisun simple regard sur la façon dont les managers procĂš-dent rĂ©ellement pour trouver leurs informations donneune image trĂšs diffĂ©rente. Les managers ont cinq moyensde communication Ă  leur disposition : les documents, lesappels tĂ©lĂ©phoniques, les rĂ©unions formelles et informel-les et les tournĂ©es d’inspection.

RĂ©alitĂ© : Les managers favorisent totalement les moyens de communication verbaux, c’est-Ă -dire le tĂ©lĂ©phone et les rĂ©unions.

Cela résulte de pratiquement toutes les monographiessur le travail du gestionnaire. Considérons ainsi les résul-tats suivants :

● Dans deux Ă©tudes britanniques, les managers passenten moyenne 66 et 80 pour cent de leur temps dans descommunications verbales (7). Dans mon Ă©tude relativeaux cinq managers dirigeants amĂ©ricains, ce mĂȘmechiffre se situe au niveau de 78 pour cent.

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● Ces cinq managers dirigeants considĂ©raient le traite-ment du courrier comme un fardeau superflu. L’und’entre eux vint un samedi matin (pendant ma pĂ©rioded’observation) Ă  son bureau pour s’occuper de 142documents arrivĂ©s par le courrier, en juste trois heures« pour se dĂ©barrasser de tout ce fatras ». Ce mĂȘmemanager avisant un gros rapport qu’il avait reçu parfascicules tout au long de la semaine et portant sur uneĂ©tude de coĂ»t, le mit immĂ©diatement de cĂŽtĂ© avecpour simple commentaire : « Je ne regarde jamais cegenre de chose. »

● Ces mĂȘmes cinq managers dirigeants n’ont rĂ©ponduimmĂ©diatement qu’à deux rapports sur les 40 qu’ilsrecevaient habituellement pendant les 5 semaines demon enquĂȘte et Ă  4 articles sur les quelque 104 pĂ©rio-diques reçus. Ils feuilletaient la plupart de ces pĂ©riodi-ques en quelques secondes, d’une façon presquerituelle. Pendant toute la pĂ©riode de mon Ă©tude, cescinq chefs d’organisations de taille assez consĂ©quente,ne furent Ă  l’origine – c’est-Ă -dire de leur propre initia-tive, sans rĂ©pondre Ă  un quelconque document ou let-tre – que de 25 expĂ©ditions de courrier en 25 joursd’observation.

Une analyse du courrier reçu par ces managers diri-geants n’est pas sans intĂ©rĂȘt : on trouve ainsi qu’il n’y avaitque 13 pour cent de ce courrier qui concernait des sujetsprĂ©cis et immĂ©diats. Nous dĂ©couvrons donc ainsi unenouvelle piĂšce de notre puzzle. Il n’y a que trĂšs peu decourrier reçu qui est consacrĂ© Ă  des informations immĂ©-diates ou courantes – l’action d’un concurrent, l’humeurde tel parlementaire, le taux d’écoute de la derniĂšre Ă©mis-sion de tĂ©lĂ©vision. Ce sont pourtant, lĂ , les informationsqui conduisent les managers dirigeants, qui les poussent Ă interrompre leurs rĂ©unions et Ă  rĂ©organiser leur journĂ©ede travail.

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ConsidĂ©rons encore un autre rĂ©sultat intĂ©ressant. Lesmanagers semblent chĂ©rir l’information « informelle » etplus particuliĂšrement les potins, rumeurs et autres spĂ©cu-lations. Pourquoi ? La rĂ©ponse est l’opportunitĂ© : unbavardage aujourd’hui peut ĂȘtre rĂ©alitĂ© demain. Le mana-ger qui ne peut ĂȘtre atteint par le tĂ©lĂ©phone qui l’avertiraitque son plus gros client a Ă©tĂ© vu en train de jouer au golfavec son principal concurrent risque de voir le rĂ©sultat dece match de golf dans le prochain rapport trimestriel sousla forme d’une chute brutale des ventes. Mais Ă©videm-ment, Ă  ce moment-lĂ , il sera trop tard.

ConsidĂ©rons, encore, les propos de Richard Neustadtqui a Ă©tudiĂ© les habitudes de collecte de l’informationchez trois prĂ©sidents amĂ©ricains :

« Ce n’est pas l’information gĂ©nĂ©rale qui permet auprĂ©sident de se faire une opinion : ce ne sont ni lesrapports, ni les Ă©tudes, ni les amalgames insipides
c’est l’accumulation des dĂ©tails tangibles et dispara-tes, puis la structuration qu’il en fait dans son esprit,qui illuminent la face cachĂ©e des questions soumisesĂ  son jugement. Pour rĂ©ussir dans ce domaine, ildoit ratisser aussi largement qu’il le peut tous les Ă©lĂ©-ments de faits, d’opinions et de rumeurs qui sont liĂ©saux intĂ©rĂȘts et aux relations qu’il a eus en tant queprĂ©sident. Il doit se faire directeur de son propre sys-tĂšme d’information (8). »

L’importance des commentaires verbaux pour lemanager montre deux choses importantes :

D’abord, l’information acquise verbalement est stoc-kĂ©e dans les cerveaux. Il n’y a que lorsque l’on Ă©crit cetteinformation qu’elle peut ĂȘtre stockĂ©e dans les dossiers del’organisation, que ce soit dans des armoires mĂ©talliquesou sur des bandes magnĂ©tiques, mais apparemment lesmanagers n’écrivent pas beaucoup sur ce qu’ils enten-dent. C’est ainsi que la banque de donnĂ©es stratĂ©giques de

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l’organisation ne se trouve pas tant dans ses ordinateursque dans l’esprit de ses managers.

Ensuite, l’utilisation intensive par les managers de lacommunication verbale aide Ă  expliquer pourquoi cesderniers sont si rĂ©ticents Ă  dĂ©lĂ©guer leurs tĂąches. Lorsquel’on prend conscience que la plupart des informationsimportantes, dont peuvent disposer les managers, vien-nent sous une forme verbale et qu’elles se stockent dansleur tĂȘte, on peut beaucoup mieux apprĂ©cier cette rĂ©ti-cence. Ce n’est pas juste comme s’ils pouvaient tendre undossier Ă  quelqu’un, ils doivent prendre le temps de viderleur mĂ©moire pour transmettre Ă  l’autre tout ce qu’ilssavent sur le sujet. Mais cela pourrait prendre bien dutemps, de sorte que les managers trouvent plus simple deremplir eux-mĂȘmes la tĂąche qu’ils auraient pu dĂ©lĂ©guer.C’est ainsi que le manager est condamnĂ© par son propresystĂšme d’information au « dilemme de la dĂ©lĂ©gation » : enfaire trop tout seul ou dĂ©lĂ©guer Ă  un subordonnĂ© insuffi-samment mis au courant.

4. LÉGENDE : LE MANAGEMENT EST, OU DU MOINS EST RAPIDEMENT, EN TRAIN DE DEVENIR UNE SCIENCE ET UNE PROFESSION

Or, dans pratiquement toutes les acceptions des ter-mes science ou profession, cette thĂšse est fausse. UnebrĂšve observation de n’importe quel manager conduit Ă abandonner rapidement l’idĂ©e que le corps de ses activi-tĂ©s puisse former une science. Une science implique laformulation de procĂ©dures dĂ©terminĂ©es, analytiques etsystĂ©matiques ou de programmes. Si nous n’arrivonsmĂȘme pas Ă  connaĂźtre les procĂ©dures que les managersutilisent, comment nous serait-il possible de les dĂ©criredans le contexte d’une quelconque analyse scientifique ?

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Et comment, de mĂȘme, pourrions-nous envisager le mana-gement comme une profession si nous ne pouvons tou-jours pas prĂ©ciser ce que les managers apprennent ?

RĂ©alitĂ© : Les programmes des managers – pour leur emploi du temps, pour leur accĂšs Ă  l’information, pour prendre des dĂ©cisions etc. – restent totalement « bouclĂ©s » Ă  l’intĂ©rieur de leur cerveau.

C’est ainsi que pour dĂ©crire ce type de programmesnous devons constamment employer des mots comme :jugement ou intuition, sans nous rendre compte qu’ils nefont que rĂ©vĂ©ler, bien souvent, notre ignorance. Je fusfrappĂ© de constater, durant mon Ă©tude, le fait que lesmanagers dirigeants que j’observais, bien que tous trĂšscompĂ©tents selon tous les critĂšres en usage, ne se distin-guaient pratiquement pas de leurs homologues d’il y a unsiĂšcle. L’information dont ils avaient besoin Ă©tait diffĂ©-rente, mais ils la cherchaient de la mĂȘme façon, par le bou-che Ă  oreille. Leurs dĂ©cisions concernent des technologiesmodernes, mais les procĂ©dures qu’ils suivent pour lesprendre ne diffĂšrent guĂšre de celles que suivait le managerdu dix-neuviĂšme siĂšcle. MĂȘme l’ordinateur, pourtant siimportant pour le travail spĂ©cifique des organisations, n’aapparemment que peu d’influence sur les procĂ©dures detravail des directeurs gĂ©nĂ©raux. En fait, le manager est dansune sorte de cercle vicieux oĂč sa charge de travail ne cessed’augmenter alors qu’il ne peut attendre aucune aided’une quelconque science du management.

Si nous considĂ©rons les faits concernant le travail dugestionnaire, on s’aperçoit que la profession des mana-gers, est trĂšs complexe et trĂšs difficile. Le manager estĂ©crasĂ© par le fardeau de ses obligations et pourtant il nepeut pas facilement dĂ©lĂ©guer ses tĂąches. C’est pourquoi ildevient rapidement surchargĂ© de travail et qu’il est obligĂ©d’accomplir ses tĂąches de façon superficielle. La briĂšvetĂ©,

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la fragmentation et la communication verbale caractĂ©ri-sent ainsi son travail. Ce sont, cependant, ces caractĂ©risti-ques mĂȘmes du travail de gestionnaire que l’on a cherchĂ©Ă  soumettre Ă  des analyses scientifiques pour les amĂ©lio-rer. Mais comme rĂ©sultat, les scientifiques de la gestionont concentrĂ© leurs efforts sur les fonctions spĂ©cifiquesde l’organisation oĂč ils pouvaient plus facilement analyserles procĂ©dures et quantifier les informations pertinentes.On peut donc considĂ©rer que le premier pas, pour fournirau manager une aide substantielle, est de mettre en Ă©vi-dence la vĂ©ritable nature de sa profession.

RETOUR À UNE DESCRIPTION FONDAMENTALE

DU TRAVAIL DE GESTIONNAIRE

Essayons d’assembler ici quelques-unes des piĂšces dece puzzle. Le manager peut se dĂ©finir comme ayant la res-ponsabilitĂ© d’une organisation ou d’une des unitĂ©s decette derniĂšre. Aux cĂŽtĂ©s des managers de la directiongĂ©nĂ©rale, cette dĂ©finition intĂšgre les vice-prĂ©sidents, Ă©vĂȘ-ques, contremaĂźtres, entraĂźneurs d’équipes de hockey surglace et premiers ministres. Y a-t-il un point communentre les reprĂ©sentants de ces diverses activitĂ©s ? En fait larĂ©ponse doit ĂȘtre positive. Car avant toute chose, commepoint de dĂ©part important de notre analyse, on constatequ’ils sont tous investis d’une autoritĂ© formelle dansl’organisation dont ils font partie. De cette autoritĂ© for-melle dĂ©coule un statut qui conduit lui-mĂȘme Ă  diffĂ©ren-tes formes de relations interpersonnelles (9) et de cesderniĂšres s’induit l’accĂšs Ă  l’information. L’informationqui, Ă  son tour, permet au manager de prendre des dĂ©ci-sions et d’élaborer des stratĂ©gies dans l’organisation dontil a la responsabilitĂ©.

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La profession de manager peut ĂȘtre dĂ©crite en termesde diffĂ©rents « rĂŽles » ou par des ensembles organisĂ©s decomportements identifiĂ©s Ă  une fonction. Ma description,reprĂ©sentĂ©e par le schĂ©ma de la figure 1-1, comprend dixrĂŽles.

Figure 1-1 – Les rîles du manager

LES RÔLES INTERPERSONNELS

Trois des rĂŽles du manager dĂ©coulent directement dela notion d’autoritĂ© formelle et impliquent, fondamentale-ment, des relations interpersonnelles.

Autorité formalisée et statut

Les rĂŽles interpersonnels

La figure de proue Le leader L’agent de liaison

Les rĂŽles liĂ©s Ă  l’information

Observateur actif Diffuseur Porte-parole

Les rÎles décisionnels

Entrepreneur RĂ©gulateur RĂ©partiteur de ressources NĂ©gociateur

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1. Le premier rĂŽle est celui de figure de proue. De parla vertu de sa position Ă  la tĂȘte d’une organisation, chaquemanager doit accomplir quelques obligations de naturecĂ©rĂ©moniale. Le prĂ©sident doit souhaiter la bienvenue Ă un groupe de personnalitĂ©s en visite dans l’entreprise, lecontremaĂźtre se doit d’assister au mariage d’un tourneurde son Ă©quipe et le directeur des ventes doit inviter unimportant client Ă  dĂ©jeuner.

Les managers dirigeants de mon Ă©tude consacraient12 pour cent de leur temps en cĂ©rĂ©monies de toutes sor-tes, 17 pour cent du courrier qu’ils recevaient avait trait Ă des remerciements ou Ă  des sollicitations liĂ©es Ă  leur sta-tut. Par exemple, une lettre expĂ©diĂ©e au prĂ©sident d’unesociĂ©tĂ© pour demander des produits gratuits pour un Ă©co-lier handicapĂ© ou bien les diplĂŽmes placĂ©s sur le bureaud’un directeur de collĂšge pour qu’il y appose sa signature.

Les obligations qui concernent les rĂŽles interperson-nels peuvent ĂȘtre parfois purement routiniĂšres, impli-quant alors une communication Ă  un faible niveaud’information et aucune prise de dĂ©cision importante.Elles n’en demeurent pas moins nĂ©cessaires au bon fonc-tionnement sans Ă -coup d’une organisation et elles nepourraient ĂȘtre mĂ©connues du manager.

2. Parce qu’il est chargĂ© d’une organisation, le mana-ger est responsable du travail des employĂ©s de cette orga-nisation.

Ses activitĂ©s, dans ce cadre, constituent le rĂŽle du lea-der. Certaines de ces activitĂ©s impliquent directementson leadership, ainsi, par exemple, dans la plupart desorganisations le manager est normalement responsable durecrutement et de la formation de sa propre Ă©quipe. Toutmanager doit savoir motiver et encourager ses employĂ©s,d’une certaine maniĂšre, il doit adapter les besoins desindividus aux buts de l’organisation. Tous les contacts que

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le manager Ă©tablit avec ses employĂ©s sont virtuellementsubordonnĂ©s Ă  la recherche d’indices de son leadershipindiquant la voie qu’il entend suivre. « Approuve-t-il ? »« Comment aimerait-elle sortir le rapport ? » « Est-il plusintĂ©ressĂ© par une part du marchĂ© que par le profit ? »

L’influence du manager est la plus Ă©vidente dans sonrĂŽle de leader. Son autoritĂ© formelle l’investit d’un grandpouvoir potentiel, son leadership dĂ©termine en grandepartie la façon dont il peut, en fait, l’employer.

3. La littĂ©rature sur la gestion a toujours reconnu lerĂŽle du leader et, en particulier, ceux de ses aspects quisont directement liĂ©s Ă  la motivation. En comparaison, etjusqu’à une pĂ©riode rĂ©cente, il y a eu peu de travaux surson rĂŽle d’agent de liaison, dĂ©crivant les contacts que lemanager prend Ă  l’extĂ©rieur de la traditionnelle chaĂźne derelations verticales. C’est un des rĂ©sultats remarquablesde chaque Ă©tude sur le travail de gestionnaire que deconstater que les managers passent beaucoup plus detemps avec leurs pairs et d’autres personnes extĂ©rieures Ă leur organisation qu’avec leurs propres subordonnĂ©s, et ilest mĂȘme surprenant de se rendre compte qu’ils passentencore beaucoup moins de temps avec leurs supĂ©rieurs(on retient gĂ©nĂ©ralement des chiffres de l’ordre de 45, 45et 10 pour cent, respectivement).

Les contacts des cinq managers dirigeants objets demon Ă©tude Ă©taient incroyablement nombreux et variĂ©s :subordonnĂ©s, clients, partenaires, fournisseurs, managersd’organisations similaires, responsables d’organisationsgouvernementales ou commerciales, administrateurs deconseils d’administration de diverses sociĂ©tĂ©s, etc. UneĂ©tude de Robert Guest sur les contremaĂźtres a mis en Ă©vi-dence, de la mĂȘme façon, que leurs contacts Ă©taient aussinombreux et variĂ©s, rarement en dessous de trente cinqpersonnes et bien souvent au-delĂ  de cinquante.

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Comme nous le verrons sous peu, le manager cultivede tels contacts parce qu’il est constamment Ă  la recher-che d’informations. Ce rĂŽle d’agent de liaison a, en effet,pour but principal de construire le propre rĂ©seau extĂ©-rieur d’informations du manager -- informel, privĂ© et ver-bal mais nĂ©anmoins trĂšs efficace.

LES RÔLES LIÉS À L’INFORMATION

En vertu de ses relations interpersonnelles, Ă  la foisavec ses subordonnĂ©s et le rĂ©seau de ses contacts, lemanager apparaĂźt comme au centre du systĂšme nerveuxde son organisation. Le manager ne sait pas toujours tout,mais il en sait souvent plus que n’importe lequel de sessubordonnĂ©s.

De nombreuses Ă©tudes ont montrĂ© que cela Ă©tait vala-ble pour tous les leaders, des chefs de bandes de jeunesaux prĂ©sidents des USA. Dans son livre The human group(le groupe humain), C. Homans en explique la raison,pour ce qui concerne les chefs de bandes de jeunes : c’estparce qu’ils sont au centre du rĂ©seau d’informations deleur propre bande et aussi parce qu’ils sont en contactavec les chefs des autres bandes qu’ils sont constammentmieux informĂ©s qu’aucun de leurs subordonnĂ©s (9). EtRichard Neustadt rapporte, de la façon suivante, l’attitudede Franklin D. Roosevelt face aux questions liĂ©es Ă  l’infor-mation, dans l’étude qu’il lui a consacrĂ©e :

« La concurrence Ă©tait le fondement de la techniqueutilisĂ©e par Roosevelt pour obtenir de l’information.Un de ses collaborateurs m’a dit un jour : “Il vousappelait pour vous demander d’éclaircir une his-toire compliquĂ©e et, lorsque vous reveniez le voiraprĂšs un ou deux jours de dur travail pour lui prĂ©-senter le morceau juteux que vous aviez dĂ©couvert

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cachĂ© sous une pierre quelque part, vous constatiezqu’il connaissait tout ce que vous aviez dĂ©couvertet, en plus, d’autres choses que vous ne connaissiezpas. Il ne vous disait jamais d’oĂč il tenait ses infor-mations mais quand il vous avait placĂ© deux outrois fois dans ce type de situation, vous deveniezdiablement attentif Ă  la qualitĂ© de vos informa-tions” (10). »

On peut deviner facilement d’oĂč Roosevelt « avait sesinformations » lorsque l’on considĂšre les relations entreles rĂŽles interpersonnels et ceux liĂ©s Ă  l’information. Entant que leader, les managers ont un accĂšs formel et facileĂ  chacun de leurs subordonnĂ©s. D’oĂč, ainsi que nousl’avons vu plus haut, ils tendent Ă  en savoir plus sur leurorganisation que n’importe qui d’autre. De plus, leurscontacts comme agent de liaison leur permettent d’avoiraccĂšs Ă  des informations extĂ©rieures auxquelles leurssubordonnĂ©s ne peuvent souvent prĂ©tendre. Bon nombrede ces contacts ont lieu avec d’autres managers de mĂȘmestatut et qui sont eux-mĂȘmes au centre du systĂšme ner-veux de leur propre organisation. En ce sens, les mana-gers dĂ©veloppent une puissante base de donnĂ©esd’information.

Le processus d’information est une des clefs de la pro-fession de manager. Dans mon enquĂȘte, les managers diri-geants consacraient 40 pour cent de leur temps Ă  descontacts exclusivement orientĂ©s vers la transmissiond’information et 70 pour cent du courrier qu’ils rece-vaient Ă©tait de nature informative (en opposition Ă  celuiportant sur des demandes d’action). Le manager ne quittepas une rĂ©union ou ne raccroche pas son tĂ©lĂ©phone pourse remettre au travail. Car, pour une grande partie, son tra-vail, c’est la communication. Trois rĂŽles dĂ©crivent lesaspects liĂ©s Ă  l’information du travail de gestionnaire.

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4. Dans son rĂŽle d’observateur actif, le manager estconstamment en train de scruter son environnement Ă  larecherche d’informations, interrogeant ses contacts et sessubordonnĂ©s et recevant aussi des informations qu’il n’apas demandĂ©es, et bon nombre d’entre elles sont un rĂ©sul-tat du rĂ©seau de contacts personnels qu’il a su mettre enplace. Il faut se souvenir qu’une bonne partie des informa-tions, que le manager collecte dans son rĂŽle d’observateuractif, lui parvient sous forme verbale, bien souvent commebavardages, potins ou spĂ©culations. GrĂące Ă  ses contacts, lemanager a un avantage naturel pour collecter ces informa-tions informelles pour le compte de son organisation.

5. Les managers doivent encore rĂ©partir et diffuser unegrande partie de ces informations. Celles-ci, qu’ils ont gla-nĂ©es grĂące Ă  leurs contacts personnels extĂ©rieurs, peu-vent se rĂ©vĂ©ler trĂšs utiles au sein mĂȘme de leurorganisation. Dans leur rĂŽle de diffuseur, les managerspassent quelques-unes de leurs informations privilĂ©giĂ©esdirectement Ă  leurs subordonnĂ©s qui n’auraient pas,autrement, accĂšs Ă  ces derniĂšres. De plus lorsque leurssubordonnĂ©s n’ont pas de contacts faciles entre eux, lesmanagers se voient parfois contraints de faire circulerl’information de l’un Ă  l’autre.

6. Dans leur rĂŽle de porte-parole : les managers doi-vent communiquer des informations propres Ă  leur orga-nisation Ă  l’extĂ©rieur de celle-ci ; un prĂ©sident fait undiscours pour faire pression afin de dĂ©fendre tel besoin deson organisation, ou un contremaĂźtre indique une modifi-cation de produit Ă  un fournisseur. De plus, comme partieintĂ©grante de ce rĂŽle de porte-parole, le manager doitencore informer et satisfaire les demandes des personnesinfluentes qui contrĂŽlent son organisation. Les managersdirigeants, notamment, peuvent consacrer un temps

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important à ces personnalités influentes. Ils doivent met-tre au courant des résultats financiers les directeurs géné-raux et les actionnaires, expliquer aux associations deconsommateurs que leur organisation remplit bien sesobligations envers la société, etc.

LES RÔLES DÉCISIONNELS

L’information n’est pas, bien sĂ»r, une fin en soi ; c’estla base du processus de prise de dĂ©cision. Une choseĂ©merge clairement de l’étude du travail de gestionnaire :le manager joue le rĂŽle principal dans l’élaboration de sonsystĂšme de prise de dĂ©cision. Comme consĂ©quence deson autoritĂ© formelle, seul le manager peut engager sonorganisation dans une nouvelle direction d’activitĂ©s, etcomme centre du systĂšme nerveux de l’organisation, ilest, encore, seul Ă  accĂ©der Ă  des informations actuelles,aussi complĂštes que possible, afin de mettre en placel’ensemble des dĂ©cisions qui dĂ©terminera la stratĂ©gie deson organisation. Il y a quatre rĂŽles qui dĂ©crivent le mana-ger dans cette optique dĂ©cisionnelle.

7. En tant qu’entrepreneur, le manager cherche Ă  amĂ©-liorer l’organisation dont il a la charge, Ă  l’adapter Ă  touttype de changement dans les conditions de son environ-nement. Dans son rĂŽle d’observateur actif, le prĂ©sident estconstamment Ă  la recherche de nouvelles idĂ©es ; quandune telle idĂ©e survient, il initie, dans son rĂŽle d’entrepre-neur, la mise en place d’un projet qu’il superviseralui-mĂȘme ou qu’il dĂ©lĂšguera Ă  un employĂ© (avec,peut-ĂȘtre, comme condition, que le manager devra accep-ter la proposition finale).

Il y a deux points importants Ă  considĂ©rer au sujet dudĂ©veloppement des projets, au niveau d’un manager diri-

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geant. D’abord, ces projets n’impliquent pas des dĂ©ci-sions uniques ou mĂȘme un ensemble unifiĂ© de dĂ©cisions.Ils Ă©mergent, plutĂŽt, comme le rĂ©sultat d’une sĂ©rie depetites dĂ©cisions et d’actions fragmentaires Ă  travers letemps. On a l’impression que les managers dirigeants pro-longent chaque projet de sorte qu’ils peuvent ainsi, petitmorceau par petit morceau, le glisser dans leur emploi dutemps, dĂ©jĂ  trop dense, afin de pouvoir graduellementassimiler le sujet, si, bien sĂ»r, ce dernier est d’une naturecomplexe.

Ensuite, les managers dirigeants que j’ai Ă©tudiĂ©s super-visaient pratiquement prĂšs de cinquante de ces projets enmĂȘme temps. Certains projets concernaient de nouveauxproduits ou procĂ©dĂ©s ; d’autres avaient trait Ă  des campa-gnes de relations publiques, Ă  la solution d’un problĂšmemoral dans une division Ă©trangĂšre, Ă  l’intĂ©gration d’opĂ©ra-tions informatiques, ou encore Ă  diverses acquisitions,etc. Les managers dirigeants apparaissent entretenir unesorte d’inventaire des projets dont ils supervisenteux-mĂȘmes le dĂ©veloppement, les diffĂ©rentes Ă©tapes dece dĂ©veloppement, ceux qui sont en cours de rĂ©alisationet ceux qui sont encore dans les limbes. À la façon du jon-gleur, ils semblent avoir toujours un certain nombre deprojets suspendus en l’air, pĂ©riodiquement, il y en un quiretombe, ils lui donnent alors une nouvelle poussĂ©e et ilse retrouve sur son orbite. Selon des intervalles divers, ilspeuvent intĂ©grer, dans ce flux, de nouveaux projets ou,au contraire, en Ă©liminer d’anciens.

8. Alors que le rĂŽle d’entrepreneur dĂ©crit le managercomme la source de volontĂ© qui initie le changement, lerĂŽle de rĂ©gulateur montre le manager rĂ©pondant involon-tairement aux pressions. Ici, le changement se fait endehors du contrĂŽle du manager : une menace de grĂšve,un gros client qui fait faillite, un fournisseur qui manqueĂ  ses obligations contractuelles.

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Il a Ă©tĂ© Ă  la mode, comme je le mentionnais plus haut,de comparer le cadre Ă  un chef d’orchestre ainsi que le fai-sait Peter F. Druker dans The Practice of Management1.

« Le manager a pour responsabilitĂ© de crĂ©er un toutqui est supĂ©rieur Ă  la somme des parties, une entitĂ©productive dont il sort plus que la somme des res-sources qu’on y a mises. C’est l’analogie avec le chefd’orchestre qui vient Ă  l’esprit, par ses efforts, savision et son leadership, des parties instrumentalesindividuelles, qui ne sont en elles-mĂȘmes que desbruits, deviennent une totalitĂ© vivante : la musique.Mais le chef d’orchestre dispose de la partition Ă©critepar le compositeur : il n’est qu’un interprĂšte. Lemanager, lui, est Ă  la fois compositeur et chefd’orchestre (11). »

Considérons maintenant les commentaires de LeonardR. Sayles qui réalisa une approche systématique de la pro-fession de manager. Le manager

« 
 est comme le chef d’un orchestre symphoniquequi s’efforce d’obtenir une prestation mĂ©lodieusedans laquelle les contributions des divers instru-ments sont coordonnĂ©es, espacĂ©es, harmonisĂ©es etmises en forme alors mĂȘme que les instrumentistesont divers problĂšmes personnels, que des appari-teurs dĂ©placent les chevalets portant la partition, quel’alternance de chaleur et de froid pose des problĂš-mes aux instruments et au public et que l’organisa-tion du concert insiste pour imposer au programmedes changements irrationnels (12). »

En effet, tous les managers doivent consacrer unebonne partie de leur temps Ă  rĂ©pondre Ă  des perturba-tions trĂšs contraignantes. Il n’existe aucune organisationqui fonctionnerait aussi bien que possible, respectueuse

1. N.d.T. La pratique du management.

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des normes fixĂ©es, et qui puisse prendre en compte tou-tes les contingences par avance. Les perturbations n’appa-raissent pas seulement parce qu’un pauvre managerignore la situation jusqu’à ce que celle-ci se soit dĂ©gradĂ©eau point de gĂ©nĂ©rer une crise mais aussi parce qu’iln’existe pas de bon manager capable d’anticiper toutesles consĂ©quences des actions qu’il a initiĂ©es.

9. Le troisiĂšme rĂŽle dĂ©cisionnel est celui de rĂ©parti-teur des ressources. C’est au manager que revient la res-ponsabilitĂ© de ce qui doit ĂȘtre attribuĂ©, et Ă  qui, dansl’organisation. Il est possible que la principale rĂ©partitiondes ressources, Ă  laquelle contribue le manager, est cellede son propre temps. L’accĂšs au manager constitue unaccĂšs au centre du systĂšme nerveux et du processus deprise de dĂ©cision de l’organisation. Le manager est, aussi,chargĂ© de l’élaboration de la structure de l’organisation,cette configuration de relations formelles qui dĂ©terminecomment le travail doit ĂȘtre divisĂ© et coordonnĂ©.

Dans son rĂŽle de rĂ©partiteur des ressources, le mana-ger autorise, aussi, les dĂ©cisions importantes de son orga-nisation avant qu’elles ne soient mises en Ɠuvre. Étant Ă l’origine de ce pouvoir, le manager peut ainsi s’assurerque toutes ces dĂ©cisions seront cohĂ©rentes entre elles,puisque toutes passent par un seul cerveau. Fragmenterserait encourager un processus de prise de dĂ©cision dis-continue et une stratĂ©gie non cohĂ©rente.

Dans mon Ă©tude sur les managers dirigeants, j’ai mon-trĂ© que ces derniers devaient faire face Ă  des choix d’uneincroyable complexitĂ© pour exercer ce pouvoir. Ils ont Ă Ă©valuer l’impact de chaque dĂ©cision sur les autres et aussisur la stratĂ©gie globale de l’organisation. Ils ont, aussi, Ă veiller Ă  ce que telle dĂ©cision soit acceptable pour ceuxqui exercent une influence sur leur organisation et Ă s’assurer, Ă©galement, que les dĂ©penses prĂ©visionnelles ne

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soient pas dĂ©passĂ©es. Ils ont Ă  intĂ©grer les diffĂ©rents coĂ»tset profits d’une dĂ©cision autant que la faisabilitĂ© decelle-ci. Ils ont encore Ă  considĂ©rer la question des dĂ©lais.Tous ces Ă©lĂ©ments sont nĂ©cessaires pour la simple appro-bation d’une proposition venant d’une autre source quede lui-mĂȘme. Dans le mĂȘme instant, cependant, les dĂ©laispeuvent faire perdre du temps, tandis qu’une approbationtrop rapide peut ĂȘtre mal reçue et un rejet, tout aussirapide, pourrait dĂ©courager un subordonnĂ© qui a passĂ©plusieurs mois Ă  mettre au point son projet favori. Unedes solutions communes Ă  ce problĂšme de l’approbationd’un nouveau projet semble avoir Ă©tĂ© celle de choisircelui qui prĂ©sente le projet plutĂŽt que le projet lui-mĂȘme.C’est-Ă -dire, encore, que les managers ont tendance Ă approuver un projet qui leur est prĂ©sentĂ© par une per-sonne en laquelle ils ont confiance. Mais il est Ă©videntqu’ils ne peuvent pas toujours utiliser une astuce aussisimpliste.

10. Le dernier de ces rĂŽles dĂ©cisionnels est celui denĂ©gociateur. Toutes les Ă©tudes sur le travail de gestion-naire montrent, Ă  tous les niveaux, que les managers consa-crent une partie considĂ©rable de leur temps auxnĂ©gociations : le prĂ©sident d’une Ă©quipe de football estappelĂ© pour nĂ©gocier un contrat avec un joueur vedette, leprĂ©sident d’une grande sociĂ©tĂ© doit mener le groupe denĂ©gociateurs de sa sociĂ©tĂ© pour trouver une nouvelle issueĂ  un mouvement de grĂšve, le contremaĂźtre fait Ă©tat dedolĂ©ances Ă  l’encontre du serveur d’une boutique. LeonardSayles a dit Ă  ce propos que la nĂ©gociation faisait partie du« mode de vie » du manager de haut niveau.

La nĂ©gociation est une des obligations de la professionde manager, elle peut ĂȘtre, quelquefois, routiniĂšre maisne peut en aucun cas ĂȘtre esquivĂ©e. C’est une partie intĂ©-grante de sa profession car il est le seul Ă  disposer del’autoritĂ© pour engager les ressources de l’organisation en

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« temps rĂ©el » et il est, Ă©galement, le seul Ă  ĂȘtre au centredu systĂšme nerveux d’information qui fournit les donnĂ©esutiles dans le contexte de nĂ©gociations importantes.

UNE PROFESSION INTÉGRÉE

Il devrait ĂȘtre clair dĂ©sormais que les dix rĂŽles dumanager que je viens de dĂ©crire ne sont pas facilementdissociables. Ils forment une Gestalt1, un tout intĂ©grĂ©. Onne peut supprimer aucun de ces rĂŽles, sans modifier pro-fondĂ©ment la nature de la profession de manager. Parexemple, un manager qui ne voudrait pas jouer son rĂŽled’agent de liaison manquerait d’information extĂ©rieure.Ce qui aurait pour rĂ©sultat qu’il ne pourrait ni transmettrel’information dont ses subordonnĂ©es auraient besoin niprendre des dĂ©cisions reflĂ©tant les conditions extĂ©rieures(d’ailleurs c’est le problĂšme qui se pose Ă  ceux qui vien-nent de prendre nouvellement leur fonction de manageret qui tant qu’ils n’ont pu mettre en place leur proprerĂ©seau de contacts ne peuvent prendre aucune dĂ©cisionrĂ©elle).

On met, ici, en Ă©vidence un problĂšme important concer-nant l’équipe chargĂ©e de la gestion. Deux ou trois person-nes ne peuvent partager la mĂȘme fonction d’encadrement Ă moins qu’elles n’agissent comme une seule entitĂ©.C’est-Ă -dire qu’elles ne peuvent se partager les dix rĂŽles Ă moins qu’elles ne soient capables de les associer Ă  nouveau

1. N.d.T. Gestalt est un mot allemand qui signifie Ă  la fois formeet structure. II est Ă  la base d’une thĂ©orie psychologique et phi-losophique due Ă  Köhler, Wertheimer et Koffka qui Ă©tablit qu’iln’est pas possible d’expliquer les phĂ©nomĂšnes en les isolant lesuns des autres. Ils doivent ĂȘtre perçus comme des ensemblesunis et structurĂ©s (les formes). C’est dans cette optique que ceterme a Ă©tĂ© retenu par les spĂ©cialistes du management.

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au moment oĂč le besoin s’en fait sentir. La vrai difficultĂ© pro-vient des rĂŽles liĂ©s Ă  l’information. Car, Ă  moins qu’il nepuisse y avoir une vraie rĂ©partition de l’information nĂ©ces-saire Ă  la gestion qui est, comme j’ai dĂ©jĂ  insistĂ© sur ce point,de nature essentiellement verbale, l’équipe se briserad’elle-mĂȘme. Un seul poste de manager ne peut ĂȘtre arbitrai-rement dĂ©coupĂ©, par exemple, entre des rĂŽles internes etexternes car l’information provenant de ces deux sourcesdoit ĂȘtre rassemblĂ©e au moment de la prise de dĂ©cision.

Dire que les dix rĂŽles forment une Gestalt ne veut pasdire que chaque manager accorde le mĂȘme intĂ©rĂȘt Ă  cha-cun de ces rĂŽles. En fait, j’ai montrĂ© dans mes analyses cri-tiques de diverses Ă©tudes que :

● Les managers chargĂ©s des ventes semblent passer plusde temps dans leurs rĂŽles interpersonnels, ce qui estsans doute une des consĂ©quences de la nature extra-vertie des activitĂ©s du marketing.

● Les managers chargĂ©s de la production s’attachentplus Ă  leurs rĂŽles dĂ©cisionnels, ce qui dĂ©coule sansdoute de leur attention pour les questions d’effi-cience.

● Les managers de la direction gĂ©nĂ©rale se consacrentplus aux rĂŽles liĂ©s Ă  l’information car ils sont lesexperts qui gĂšrent les dĂ©partements qui doiventconseiller les autres parties de l’organisation.

Quoi qu’il en soit, les rĂŽles interpersonnels, liĂ©s Ă l’information, et dĂ©cisionnels demeurent totalementinsĂ©parables.

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VERS UNE GESTION PLUS EFFICACE

Quels sont les enseignements dont le managementpeut bĂ©nĂ©ficier Ă  partir de cette description ? Je crois, enpremier lieu et avant tout, que cette description du travailde gestionnaire devrait apporter plus aux managers quetoutes les recommandations que l’on pourrait extraire decelles-ci. C’est-Ă -dire que l’efficacitĂ© des managers estinfluencĂ©e de façon significative par leur regardd’introspection sur leur propre travail. Leur efficacitĂ©dĂ©pend de la façon dont ils comprennent et rĂ©pondentaux pressions et aux dilemmes de leur profession.

ConsidĂ©rons trois domaines spĂ©cifiques qui concer-nent ce sujet. Dans la plupart des cas, les impasses de lagestion – le dilemme de la dĂ©lĂ©gation de pouvoir, la ban-que de donnĂ©es stockĂ©e dans un seul cerveau et les pro-blĂšmes du travail avec les analystes scientifiques de lagestion – dĂ©coulent de la nature verbale de l’informationdes managers. Il y a un grand danger Ă  centraliser les ban-ques de donnĂ©es de l’organisation dans les esprits de sesmanagers. Quand ils quittent l’organisation, ils emportentleur mĂ©moire avec eux. Et un subordonnĂ© qui est hors de« portĂ©e de voix » du manager dont il dĂ©pend, subit unhandicap sĂ©rieux au niveau information.

1. Le manager doit répondre au défi de trouver des moyens systématiques de partage de ses informa-tions privilégiées.

Une sĂ©ance rĂ©guliĂšre de « dĂ©briefing » avec ses princi-paux subordonnĂ©s, un week-end consacrĂ© Ă  « vider samĂ©moire » dans un dictaphone, la mise Ă  jour d’un agendaconcernant les informations importantes Ă  circulation limi-tĂ©e ou d’autres moyens du mĂȘme genre peuvent considĂ©ra-blement rĂ©soudre les impasses qu’il rencontre dans sontravail. Le temps ainsi consacrĂ© Ă  diffuser l’information

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peut ĂȘtre plus que regagnĂ© au moment de la prise de dĂ©ci-sion. Bien entendu, certains soulĂšveront la question de laconfidentialitĂ©. Mais c’est au manager de soupeser les ris-ques de diffusion d’une information confidentielle enregard de ce Ă  quoi peuvent s’exposer ses subordonnĂ©sdans des prises de dĂ©cision inefficaces.

S’il y a un seul thĂšme commun Ă  toute cette descrip-tion, c’est bien celui des pressions qui s’exercent sur lemanager et qui le conduisent Ă  ĂȘtre superficiel dans sesactions – Ă  ĂȘtre surchargĂ© de travail – ce qui encourage lesinterruptions, des rĂ©ponses trop rapides Ă  chaque stimu-lus, une recherche du concret contre l’abstrait, la prise dedĂ©cision par petites Ă©tapes successives et une façon detout faire dans la prĂ©cipitation.

2. Ici, Ă  nouveau, le manager est mis au dĂ©fi d’agir sous la pression de la superficialitĂ© en accordant sĂ©rieusement son attention aux sujets qui l’exigent et en se reportant aux Ă©lĂ©ments tangibles d’infor-mation afin d’en avoir une vision plus large grĂące Ă  l’utilisation de donnĂ©es analytiques.

Bien qu’un manager efficace soit entraĂźnĂ© Ă  donner desrĂ©ponses rapides aux questions les plus variĂ©es, le dangerdu travail de gestionnaire rĂ©side dans le fait que le managerpuisse rĂ©pondre de la mĂȘme façon quel que soit le sujet(c’est-Ă -dire toujours de façon prĂ©cipitĂ©e) et qu’il ne tra-vaillera jamais Ă  partir des Ă©lĂ©ments d’information tangibleset des donnĂ©es analytiques dont il peut disposer afind’avoir une vue d’ensemble du monde dans lequel il agit.

Lorsqu’il s’attaque Ă  un sujet complexe, le managersupĂ©rieur a beaucoup Ă  gagner en travaillant en Ă©troitecollaboration avec les analystes scientifiques en gestionde sa propre organisation. Ils ont quelque chose d’impor-tant qui lui manque – le temps – pour s’attacher Ă  dessujets complexes. Une relation de travail efficace dĂ©pend

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de la solution de ce qu’un de mes collĂšgues et moi-mĂȘmeavons nommĂ© le « dilemme de la planification » (13). Lesmanagers ont l’information et l’autoritĂ© ; les analystes ontle temps et les techniques. Une relation de travail rĂ©ussieentre les deux hommes pourra ĂȘtre efficace lorsque lemanager aura appris Ă  partager ses informations avecl’analyste et ce dernier aura appris Ă  s’adapter aux besoinsdu manager. Pour ce qui concerne l’analyste, j’entendspar adaptation, qu’il se soucie moins de l’élĂ©gance de sesmĂ©thodes et plus de rapiditĂ© et de flexibilitĂ©.

3 . Le cadre est mis au dĂ©fi d’avoir un meilleur contrĂŽle sur son temps, pour transformer ses obligations en avantages et, a contrario, transformer les objectifs qu’il dĂ©sire atteindre en obligations.

Les managers dirigeants que j’ai observĂ©s dans ma pro-pre Ă©tude n’étaient Ă  l’origine que de trente-deux pourcent de leurs contacts (et il y avait cinq pour cent qui pro-venait des contacts Ă©tablis d’un commun accord). Et pour-tant, ils semblaient ĂȘtre entiĂšrement maĂźtres de leuremploi du temps. Deux facteurs-clefs expliquent en faitce phĂ©nomĂšne.

PremiĂšrement, les managers doivent consacrer untemps considĂ©rable Ă  se dĂ©charger des obligations quiautrement ne leur permettraient pas de laisser la moin-dre marque dans leur organisation. Le manager ineffi-cace reportera ses Ă©checs sur les obligations qu’il a dĂ»supporter, le cadre efficace saura tourner ces obligationsĂ  son propre avantage. Un discours peut ĂȘtre une chancede dĂ©fendre une cause, une rĂ©union, une chance de rĂ©or-ganiser un dĂ©partement trop faible, une visite Ă  un clientimportant, une chance d’en retirer des informationscommerciales essentielles.

Deuxiùmement, les managers libùrent de leur tempspour faire ces choses qu’ils pensent – et qu’ils sont

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peut-ĂȘtre les seuls Ă  croire – importantes en les transfor-mant en obligations. Le manager doit organiser son tempslibre, s’il ne le trouve pas ; il lui faut alors « forcer »l’agenda. EspĂ©rer rĂ©server un moment et le consacrer Ă  lacontemplation ou Ă  la planification gĂ©nĂ©rale, c’est autantdire espĂ©rer que les pressions, qui sont dans la nature desa profession, pourraient disparaĂźtre. Le manager qui veutinnover, prendra l’initiative d’un projet et obligerad’autres personnes, en retour, Ă  lui communiquer unrapport ; le manager qui a besoin de certaines informa-tions Ă©tablira pour cela des rĂ©seaux qui le tiendront auto-matiquement informĂ© ; le manager qui veut faire latournĂ©e des installations doit le faire savoir autour de luiafin que son dĂ©sir se transforme en obligation vis-Ă -vis desautres.

Il n’y a aucune autre profession qui est aussi vitalepour notre sociĂ©tĂ© que celle de manager. C’est le managerqui dĂ©termine si nos institutions sociales nous serventbien ou si, au contraire, elles gaspillent nos talents et nosressources. Il est donc temps de rejeter la lĂ©gende quientoure le travail de gestionnaire afin de nous plongerdans la tĂąche difficile d’apporter des amĂ©liorations subs-tantielles Ă  ses performances.

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CHAPITRE 2

La stratĂ©gie de l’artisan

Une des tĂąches les plus importantes qui est dĂ©volue aumanager consiste en la dĂ©termination de la stratĂ©gie de sonorganisation – ou du moins dans la supervisation des pro-cessus par lesquels d’autres personnes et lui-mĂȘme Ă©labo-rent une stratĂ©gie. Stricto sensu, l’élaboration d’unestratĂ©gie se veut concentrĂ©e sur le positionnement d’uneorganisation eu Ă©gard aux crĂ©neaux qui existent sur le mar-chĂ©, en d’autres termes, elle a pour but de dĂ©cider queltype de produits devra ĂȘtre fabriquĂ© et pour qui. Mais, dansune acception plus large, l’élaboration de la stratĂ©gie faitĂ©galement rĂ©fĂ©rence Ă  la façon dont un systĂšme collectif,nommĂ© organisation, Ă©tablit ses orientations fondamenta-les et, si nĂ©cessaire, ses changements de cap. L’élaborationde la stratĂ©gie doit encore prendre en compte le thĂšmecomplexe de l’intention collective – comment une organi-sation composĂ©e de beaucoup d’individus diffĂ©rents par-vient Ă  dĂ©gager une sorte d’esprit proprement Ă  elle, pourainsi dire.

L’élaboration de la stratĂ©gie est un processus fascinant,qui s’étend bien au-delĂ  du simple ensemble de directivesque l’on nomme « plan » et qu’on lui associe traditionnel-lement. Ce sujet a Ă©tĂ© mon principal thĂšme de rĂ©flexion Ă travers toute ma carriĂšre. Mon premier article, en 1967,alors que j’étais encore Ă©tudiant en doctorat et intitulĂ© :« La science de l’élaboration de la stratĂ©gie » faisait l’oppo-sition entre une approche « grand plan » de type bibliqueet une approche Ă©volutive de type darwinien. Mes Ă©critsactuels comportent une sĂ©rie de travaux en deux volumesintitulĂ©s : La formation de la stratĂ©gie, qui, soulignant

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délibérément le thÚme de ces contrastes, décrit desapproches de ce sujet.

J’ai dĂ©veloppĂ© mes idĂ©es sur ce sujet Ă  travers un pro-jet de recherches, mis en Ɠuvre en 1971. Avec l’aide d’uncertain nombre d’étudiants de doctorat et de collĂšgues,en particulier Jim Waters, notre intention Ă©tait d’étudier lafaçon dont les organisations s’engagent dans ce processusen « traquant » les stratĂ©gies qu’elles ont suivies au coursdes derniĂšres dĂ©cennies de leur histoire.

Tout au long des douze annĂ©es qui suivirent, ou Ă  peuprĂšs, nous rĂ©alisĂąmes une sĂ©rie complĂšte d’études sur cesujet – sur une chaĂźne de supermarchĂ©s, sur une grandecompagnie aĂ©rienne, sur un organisme gouvernementals’occupant de cinĂ©ma, une sociĂ©tĂ© de presse Ă©ditant unpetit quotidien, notre propre universitĂ© et encore biend’autres. Comme le projet touchait Ă  son terme, jecommençai Ă  chercher une façon de prĂ©senter les conclu-sions Ă  un public gĂ©nĂ©ral de managers.

Pendant tout le temps de mes travaux, ma femme fai-sait de la poterie dans notre cave. Un jour, elle dĂ©cida defaire une exposition rĂ©trospective de ses Ɠuvres et sou-dain, je vis la « stratĂ©gie » Ă©voluer devant mes yeux. UneidĂ©e me frappa alors, ou peut-ĂȘtre Ă©tait-ce au moment oĂčma femme fit un exposĂ© devant une classe regroupant Ă la fois des Ă©tudiants en poterie et en gestion, sur les sour-ces et la nature de la crĂ©ation en art dĂ©coratif. Je rĂ©alisaipeu Ă  peu que ce que j’entendais Ă  travers son exposĂ©Ă©tait trĂšs proche de ce que j’avais entendu de la bouchede spĂ©cialistes en stratĂ©gie crĂ©atrice du monde des affai-res (par exemple les effets bĂ©nĂ©fiques des « erreurs » enpoterie et ceux des « opportunitĂ©s » dans les affaires,« sentir l’argile » et « la connaissance des affaires »). JedĂ©cidai, alors, d’utiliser l’idĂ©e de la poterie comme mĂ©ta-phore et analogie pour apprĂ©hender les difficultĂ©s de lastratĂ©gie crĂ©atrice dans une dynamique organisationnelle.

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« La stratĂ©gie de l’artisan » parut dans la Harvard Busi-ness Review en 1987.

J’ai dĂ©veloppĂ© mes idĂ©es pendant des annĂ©es (Ă  traversces derniĂšres vous retrouverez encore les ombres des« grands plans bibliques » et de « l’évolution darwinienne »),mais vous trouverez Ă©galement, ici, un ton similaire Ă  celuique j’ai adoptĂ© dans l’article « La profession de manager ».Ce que je veux exposer dans cet article, c’est une descrip-tion de la façon dont les managers qui travaillent dans un« chaos calculĂ© » utilisent le processus, complexe et nĂ©ces-sairement collectif, d’élaboration de la stratĂ©gie.

Imaginons quelque stratĂ©gie planifiĂ©e. Ce qui sauteimmĂ©diatement Ă  l’esprit, c’est l’image d’une pensĂ©e bienordonnĂ©e : un manager supĂ©rieur ou un groupe de mana-gers supĂ©rieurs siĂ©geant dans un bureau et formulant lesmodes d’action que les autres membres de l’organisationdevront suivre selon le calendrier prĂ©vu. La note domi-nante est la raison – un contrĂŽle rationnel, une analysesystĂ©matique des concurrents et des marchĂ©s, des forceset des faiblesses de la sociĂ©tĂ© – la combinaison de ces ana-lyses conduisant Ă  des stratĂ©gies claires, explicites et cer-tifiĂ©es.

Maintenant imaginons quelque peu la stratĂ©gie del’artisan. Une image totalement diffĂ©rente apparaĂźtra,aussi diffĂ©rente de la planification que la poterie est diffĂ©-rente de l’industrie. L’artisanat Ă©voque une habiletĂ© tradi-tionnelle, un dĂ©vouement, une perfection Ă  travers lamaĂźtrise de tout un ensemble de dĂ©tails. Ce qui frappealors l’esprit, ce n’est pas tant la rĂ©flexion rationnelle quel’engagement, un sentiment d’intimitĂ© et d’harmonieentre le matĂ©riau et la main qui s’est dĂ©veloppĂ© Ă  traversde longues annĂ©es d’expĂ©rience et d’investissement. For-mulation et rĂ©alisation se sont coulĂ©es l’une dans l’autreen un processus fluide d’apprentissage Ă  partir duquel sedĂ©veloppe la stratĂ©gie crĂ©atrice.

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Ma thĂšse est simple, l’image de l’artisan apprĂ©hendemieux le processus Ă  travers lequel Ă©mergent les stratĂ©-gies efficaces. L’image de la planification, si longtempspopulaire dans la littĂ©rature, dĂ©forme la comprĂ©hensionde ce processus et a pour consĂ©quence d’égarer les orga-nisations qui l’ont adoptĂ©e sans rĂ©serves.

En dĂ©veloppant cette thĂšse, je ferai Ă©tat des expĂ©rien-ces d’un artiste solitaire, un potier, et je les comparerai auxrĂ©sultats d’une recherche qui a poursuivi les stratĂ©gies denombre de grandes organisations, Ă  travers des dĂ©cenniesde leur histoire. Comme ces deux contextes semblent Ă l’évidence si diffĂ©rents, on pourrait, au premier abord,considĂ©rer que ma mĂ©taphore, Ă  l’instar de mes assertions,est pour le moins gratuite. Toutefois, si nous envisageonsnotre potier sous l’aspect d’une organisation, nous consta-terons qu’il a, de la mĂȘme façon qu’une organisation, Ă faire face au principal dĂ©fi, que mettent en Ă©vidence lesspĂ©cialistes de la stratĂ©gie – connaĂźtre suffisamment bienles capacitĂ©s de l’organisation afin de rĂ©flĂ©chir, en profon-deur, Ă  ses orientations stratĂ©giques. En considĂ©rant, l’éla-boration d’une stratĂ©gie, dans la perspective d’un seulindividu – dĂ©cideur, libre des contraintes qui naissent detout l’attirail de ce que l’on a appelĂ© l’industrie de la stratĂ©-gie, nous pouvons apprendre beaucoup de choses sur laformation des stratĂ©gies dans les grandes sociĂ©tĂ©s indus-trielles et commerciales. De la mĂȘme façon que notrepotier doit gĂ©rer son art, le manager doit aussi mettre del’art dans sa stratĂ©gie.

Au travail, le potier est assis devant un tas d’argileplacĂ© sur le tour. Son esprit est concentrĂ© sur l’argile maisil est Ă©galement conscient de se situer entre ses expĂ©rien-ces passĂ©es et ses projets futurs. Il sait exactement ce qui« a marchĂ© » et ce qui « n’a pas marchĂ© » pour lui dans lepassĂ©. Il a une intime connaissance de son travail, de sescapacitĂ©s et de son marchĂ©. En tant qu’artiste, il sent tou-tes ces choses plutĂŽt qu’il ne les analyse, son savoir est

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tacite. Tout cela fonctionne dans son esprit alors que sesmains pĂ©trissent l’argile. L’Ɠuvre qui, peu Ă  peu, Ă©mergedu tour a toutes les chances de s’inscrire dans la ligne dela tradition de ses prĂ©cĂ©dentes rĂ©alisations. Mais il peuts’en Ă©chapper et suivre de nouveaux sentiers. Et, toute-fois, en agissant ainsi, le passĂ© n’en demeure pas moinsprĂ©sent, se projetant dans l’avenir.

Dans ma mĂ©taphore, les managers deviennent desartistes, des potiers, et la stratĂ©gie est leur argile. De lamĂȘme façon que le potier, ils sont situĂ©s entre un passĂ©fait des capacitĂ©s de leur sociĂ©tĂ© et un futur reflĂ©tant lesopportunitĂ©s du marchĂ©. Et s’ils sont de vrais artistes, ilsapportent Ă  leur travail une Ă©gale connaissance intime desmatĂ©riaux dont ils auront Ă  se servir. C’est lĂ  l’essence dela stratĂ©gie du potier.

Nous allons fouiller cette mĂ©taphore pour mettre enĂ©vidence la façon dont les stratĂ©gies sont rĂ©ellement Ă©la-borĂ©es par opposition Ă  ce que l’on suppose gĂ©nĂ©rale-ment sur ce sujet. Pour cela, je tirerai mes analyses desdeux sources que j’ai dĂ©jĂ  mentionnĂ©es plus haut. La pre-miĂšre sera le projet de recherche sur les conditions de for-mation de la stratĂ©gie, qui dĂ©buta en 1971 sous madirection, dans le contexte de l’universitĂ© de McGill ; laseconde est constituĂ©e par l’ensemble des Ɠuvres d’unpotier de grand talent, ma femme, qui dĂ©buta son Ɠuvreen 1967.

Les stratĂ©gies sont Ă  la fois des plans pour l’avenir et les modĂšles d’action issus du passĂ©.

Demandez pratiquement Ă  n’importe qui ce que le motstratĂ©gie Ă©voque pour lui, et vous aurez, en gĂ©nĂ©ral, pourrĂ©ponse l’idĂ©e d’une sorte de plan, d’un guide explicite descomportements dans l’avenir. Demandez alors Ă  cette per-sonne quelle stratĂ©gie tel de ses concurrents, ou tel gouver-nement, ou elle-mĂȘme, suit actuellement. Il y a de fortes

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chances qu’elle s’exprime alors devant vous en termes decomportements du passĂ© – un mode d’action que l’onpoursuit Ă  travers le temps. La stratĂ©gie se rĂ©vĂšle ĂȘtre un deces mots que l’on dĂ©finit d’une façon et que l’on emploiesouvent d’une autre, sans rĂ©aliser la diffĂ©rence.

La raison de cette attitude est simple. MalgrĂ© la dĂ©fini-tion formelle de la stratĂ©gie et ses origines militaires grec-ques, nous devons utiliser ce mot Ă  la fois pour expliquerles actions du passĂ© et pour dĂ©crire les comportementsprojetĂ©s du futur. AprĂšs tout, si les stratĂ©gies peuvent ĂȘtreplanifiĂ©es et projetĂ©es dans l’avenir, elles peuvent aussiĂȘtre mises en Ɠuvre et rĂ©alisĂ©es (ou non, suivant les Ă©vĂ©-nements). Et le mode d’action du passĂ©, ou ce quej’appelle une stratĂ©gie rĂ©alisĂ©e, reflĂšte cette volontĂ©. Parailleurs, de la mĂȘme façon qu’un plan n’a pas besoin dedevenir un mode d’action (certaines stratĂ©gies projetĂ©esne sont jamais rĂ©alisĂ©es), un mode d’action n’a pas besoinde rĂ©sulter d’un plan. Une organisation peut dĂ©velopperun mode d’action (une stratĂ©gie rĂ©alisĂ©e) sans le savoir,seule la rĂ©alisation de la stratĂ©gie Ă©tant alors explicite, nonsa formulation.

Les modes d’action, comme la beautĂ©, sont bien sĂ»rdans l’esprit de celui qui observe. Mais toute personnepassant en revue une prĂ©sentation chronologique desƓuvres de notre potier ne devrait avoir aucune difficultĂ©Ă  y discerner clairement un mode d’action, du moins pourcertaines pĂ©riodes. Par exemple, jusqu’en 1974, mafemme faisait de petits animaux dĂ©coratifs en cĂ©ramiqueet des objets divers. Puis elle abandonna brusquementcette « stratĂ©gie du bibelot » et de nouveaux modesd’action se dessinĂšrent autour de fines sculptures ou debols en cĂ©ramique, trĂšs structurĂ©s et non vernis.

Il n’est guĂšre plus difficile de mettre en Ă©vidence detelles variations dans les modes d’action des organisa-tions. En fait, cela se rĂ©vĂ©la trĂšs simple dans nos recher-ches sur des sociĂ©tĂ©s aussi Ă©normes que Volkswagen ou

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Air Canada ! (alors que cela aurait dĂ» ĂȘtre plus difficile. Ilest, en effet, infiniment plus facile Ă  un potier de changerdans son atelier sa façon de faire qu’à une entreprisecomme Volkswagen de reconstruire toute une chaĂźne demontage). Si l’on considĂšre, par exemple, les modĂšlesVolkswagen de la fin des annĂ©es 1940 Ă  la fin des annĂ©es1970, on dĂ©couvre un mode d’action clair focalisĂ© sur laCoccinelle. Il sera suivi, Ă  la fin des annĂ©es 1960, par unerecherche frĂ©nĂ©tique de changements Ă  travers soit denouvelles acquisitions, soit le lancement de nouveauxmodĂšles. Ce sera le cas jusqu’à la rĂ©orientation stratĂ©gi-que du milieu des annĂ©es 1970, construite autour duthĂšme de vĂ©hicules plus design Ă  refroidissement par eauet Ă  traction avant.

Mais que dire Ă  propos des stratĂ©gies que l’on projettede rĂ©aliser, de ces plans formels qui sont autant de dĂ©cla-rations d’intention auxquels nous pensons Ă  chaque foisque nous prononçons le mot stratĂ©gie ? C’est lĂ  que, parironie, nous nous enfonçons dans toutes sortes de problĂš-mes. MĂȘme dans le cas d’un simple potier, comment pou-vons-nous connaĂźtre les stratĂ©gies rĂ©elles qu’il projette ? Sinous faisions un retour en arriĂšre, ne trouverions-nouspas des dĂ©clarations « d’intention » ? Et si c’était le cas,devrions-nous ĂȘtre capables de leur accorder quelquecrĂ©dit ? Nous nous conduisons souvent en sots, commebeaucoup d’autres, lorsque nous voulons nier les motiva-tions qui viennent de notre inconscient. Et il faut toujoursse rappeler que les intentions sont de peu de valeur, dumoins en regard des rĂ©alisations.

LIRE DANS L’ESPRIT D’UNE ORGANISATION

Si vous croyez que tout cela a plus Ă  voir avec une ana-lyse freudienne de l’esprit d’un potier qu’avec la rĂ©alitĂ©

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pratique de la production d’automobiles, alors revoyonsencore les choses une fois ensemble. Car il faut d’abord sedemander en quoi consistent rĂ©ellement les stratĂ©giesenvisagĂ©es par Volkswagen, sans parler de ce qu’ellessont en elles-mĂȘmes. Pouvons-nous simplement posercomme hypothĂšse que, dans ce contexte collectif, lesstratĂ©gies projetĂ©es par cette sociĂ©tĂ© ne sont reprĂ©sentĂ©esque par ses plans formels et d’autres rapports Ă©manant dubureau de la direction gĂ©nĂ©rale ? Ne sont-ils que de vainsespoirs ou des options rationnelles ou encore des strata-gĂšmes pour Ă©garer la concurrence ? Et mĂȘme s’il existeune telle dĂ©claration d’intention, jusqu’à quel pointest-elle partagĂ©e par les autres membres del’organisation ? Comment peut-on lire dans l’esprit collec-tif d’une organisation ? Et qui est, en fin de compte, celuiqui Ă©labore la stratĂ©gie ?

La conception traditionnelle de la gestion stratĂ©giquerĂ©sout ces problĂšmes tout Ă  fait simplement, par le sys-tĂšme que les thĂ©oriciens de l’organisation appellent« attribution ». On voit constamment cette explicationemployĂ©e dans la presse Ă©conomique. Lorsque GeneralMotors dĂ©cide une action, c’est parce que son directeurgĂ©nĂ©ral a Ă©laborĂ© une stratĂ©gie. Faire une rĂ©alisation sup-pose Ă  chaque fois une intention qui l’a prĂ©cĂ©dĂ©e et onattribue automatiquement cette derniĂšre au chef.

Dans un court article de magazine, cette hypothĂšse estcomprĂ©hensible, mĂȘme si elle est fausse. Les journalistesn’ont pas beaucoup de temps pour remonter aux originesde la stratĂ©gie de telle ou telle organisation et GeneralMotors est une grande organisation, fort complexe. Maisattardons-nous un instant sur la complexitĂ© et les confu-sions qui se glissent derriĂšre cette hypothĂšse – toutes lesrĂ©unions et tous les dĂ©bats, le nombre de personnes impli-quĂ©es, les impasses, le dĂ©veloppement ou au contrairel’étiolement des idĂ©es. Maintenant considĂ©rons que nousessayons de construire un systĂšme formalisĂ© d’élaboration

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de la stratĂ©gie Ă  partir de cette hypothĂšse. Personne nes’est-il jamais demandĂ© si une planification formalisĂ©e desstratĂ©gies n’était pas souvent un Ă©chec retentissant ?

Pour dĂ©brouiller cette confusion – et s’échapper de lacomplexitĂ© artificielle que nous avons Ă©levĂ©e autour duprocessus d’élaboration de la stratĂ©gie – nous devonsretourner Ă  quelques concepts de base. Le concept le plusfondamental de tous est l’intime connexion qui existeentre la pensĂ©e et l’action. C’est la clef de l’art du potieret aussi celle de l’art de la stratĂ©gie.

Les stratĂ©gies n’ont pas besoin d’ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©es – elle peuvent aussi Ă©merger, plus ou moins, des actions entreprises.

Tout ce qui a Ă©tĂ© Ă©crit au sujet de l’élaboration de lastratĂ©gie expose, en fait, ce processus comme totalementdĂ©libĂ©rĂ©. En premier lieu nous pensons, puis nous agis-sons. Nous formulons une idĂ©e puis nous l’exĂ©cutons. LachaĂźne logique paraĂźt parfaitement identifiable. Pourquoiquelqu’un voudrait-il procĂ©der diffĂ©remment ?

Notre potier est dans son atelier, tourne l’argile pouren faire une fine sculpture. L’argile entre en contact avecun Ă©bauchoir qui tourne autour d’elle et une forme rondeapparaĂźt. Pourquoi ne pas en faire un vase cylindrique ?Une idĂ©e conduit Ă  une autre jusqu’à ce qu’un nouveaumode d’action se forme. L’action a, ici, conduit la pensĂ©e :une stratĂ©gie est apparue.

Dehors, sur le terrain, un commercial rend visite Ă  unclient. Le produit n’est pas tout Ă  fait Ă  sa convenance et ilsse mettent tous les deux Ă  y apporter quelques modifica-tions. Le commercial retourne Ă  sa sociĂ©tĂ© et lĂ , il fait Ă©tatdes modifications qu’ils ont Ă©tĂ© ainsi amenĂ©s Ă  Ă©laborer ;aprĂšs deux ou trois essais supplĂ©mentaires, on obtient fina-lement un bon rĂ©sultat. Un nouveau produit est apparu qui

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pourra Ă©ventuellement s’ouvrir un nouveau marchĂ©. LasociĂ©tĂ© a, ainsi, modifiĂ© le cours de sa stratĂ©gie.

En fait, la plupart des commerciaux ont moins dechance que celui que nous venons de dĂ©crire ou notrepotier. Dans une organisation constituĂ©e par un seul indi-vidu, le rĂ©alisateur est Ă©galement celui qui donne l’ordre,aussi les innovations peuvent-elles ĂȘtre intĂ©grĂ©es Ă  la stra-tĂ©gie rapidement et facilement. Dans les grandes organisa-tions, celui qui dĂ©couvre une innovation peut se trouverĂ , au moins, dix niveaux hiĂ©rarchiques du leader qui estsupposĂ© dicter la stratĂ©gie et il peut aussi avoir Ă  vendreson idĂ©e Ă  des douzaines de pairs qui font le mĂȘme travailque lui.

Certains commerciaux, bien sĂ»r, peuvent agir de leurpropre chef, modifiant les produits Ă  la convenance deleurs clients et convaincre les « gratte-papier » de l’usined’intĂ©grer ces modifications aux produits. Ils poursuiventalors, en effet, leurs propres stratĂ©gies. Peut-ĂȘtre per-sonne d’autre n’y prĂȘtera-t-il jamais attention. Parfois, ilpeut arriver que leurs innovations provoquent l’intĂ©rĂȘt,quelques annĂ©es plus tard, quand les stratĂ©gies prĂ©domi-nantes de la sociĂ©tĂ© sont tombĂ©es « en panne » et que sesleaders tĂątonnent Ă  la recherche de quelques nouveautĂ©s.Alors, la stratĂ©gie personnelle de notre commercial peutĂȘtre autorisĂ©e Ă  s’intĂ©grer au systĂšme, elle est devenuecelle de l’organisation.

Cette histoire est-elle complĂštement gratuite ?Certainement pas. Nous avons tous entendu parler d’his-toires de ce genre. Mais comme nous avons tous la mĂȘmetendance Ă  ne voir que ce que nous voulons croire, sinous avons dĂ©cidĂ© de croire que les stratĂ©gies doiventĂȘtre planifiĂ©es, il est peu probable que nous soyons rĂ©cep-tifs Ă  la vĂ©ritable signification de telles histoires.

ConsidĂ©rons la façon dont l’Office national du film duCanada en est venu Ă  adopter une stratĂ©gie concernant les

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longs mĂ©trages. L’ONF est une agence du GouvernementFĂ©dĂ©ral, cĂ©lĂšbre pour sa crĂ©ativitĂ© et son expertise dans laproduction de courts mĂ©trages documentaires. Il y a quel-ques annĂ©es, elle finança un rĂ©alisateur sur un projet quise rĂ©vĂšla, de façon inattendue, devenir un long mĂ©trage.Pour distribuer son film, l’ONF se tourna vers les cinĂ©maset acquit ainsi, sans le prĂ©voir, une solide expĂ©rience dumarketing des longs mĂ©trages. D’autres rĂ©alisateurs saisi-rent l’occasion et l’ONF se trouva ainsi avoir mis en placeune stratĂ©gie pour les longs mĂ©trages, un mode d’actionpour produire de tels films.

Mon point de vue est simple, dĂ©sespĂ©rement simple :les stratĂ©gies peuvent aussi bien se former qu’ĂȘtre formu-lĂ©es. Une stratĂ©gie rĂ©alisĂ©e peut survenir en rĂ©ponse Ă  unesituation changeante, ou elle peut ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©mentadoptĂ©e Ă  travers un processus de formulation qui serasuivi par une rĂ©alisation. Mais lorsque ce n’est pas le cas,c’est-Ă -dire lorsque les intentions programmĂ©es ne produi-sent pas les actions dĂ©sirĂ©es, les organisations se retrou-vent alors avec des stratĂ©gies non rĂ©alisĂ©es.

De nos jours, on entend souvent mentionner ce phĂ©-nomĂšne de stratĂ©gies n’ayant dĂ©bouchĂ© sur rien, et onremarquera qu’à chaque fois, on assiste Ă  des commentai-res qui rejettent la faute de cet Ă©chec sur l’exĂ©cution de lastratĂ©gie et non sur la stratĂ©gie elle-mĂȘme. La gestion a Ă©tĂ©nĂ©gligĂ©e, les contrĂŽles ont Ă©tĂ© mous, les exĂ©cutants ne sesont pas investis. Les excuses abondent. À certainsmoments, il peut y en avoir de valables. Mais bien sou-vent, elles se rĂ©vĂšlent trop simples. C’est pourquoi, il y acertains spĂ©cialistes qui ne s’arrĂȘtent pas Ă  l’exĂ©cution etqui regardent plus loin, vers la formulation. Ceux qui sesont chargĂ©s de l’élaboration de la stratĂ©gie n’ont pas Ă©tĂ©assez intelligents.

S’il est certainement vrai que beaucoup de stratĂ©giesprojetĂ©es sont mal conçues, je crois toutefois que le vraiproblĂšme se situe ailleurs, dans la distinction que nous

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faisons en premier lieu entre la formulation et l’exĂ©cu-tion, l’hypothĂšse traditionnelle Ă©tant que la pensĂ©e doitĂȘtre indĂ©pendante de (et prĂ©cĂ©der) l’action. Il est certainque les spĂ©cialistes peuvent devenir plus intelligentsmais pas seulement en concevant des stratĂ©gies plusintelligentes. Quelquefois, ils peuvent ĂȘtre plus intelli-gents en laissant les stratĂ©gies se dĂ©velopper graduelle-ment, en prenant en compte les actions et lesexpĂ©riences de l’organisation. Un spĂ©cialiste intelligentde la stratĂ©gie doit savoir reconnaĂźtre qu’il ne peut ĂȘtretoujours assez intelligent pour penser, par avance, Ă  toutce qui peut se produire dans l’avenir.

LA MAIN ET LA TÊTE

Il n’existe pas de potier qui pense un jour et travailleun autre. L’esprit du potier va constamment au rythme desa main. Pourtant, dans les grandes organisations, on tentede sĂ©parer le travail de la tĂȘte de celui de la main. En agis-sant ainsi, on peut souvent altĂ©rer le lien vital du« feedback » entre les deux. Le commercial, qui trouve unclient dont les besoins ne sont pas satisfaits, peut possĂ©-der un des Ă©lĂ©ments d’information les plus importants detoute l’organisation. Mais cette information est sans uti-litĂ©, s’il n’est pas Ă  mĂȘme de crĂ©er une stratĂ©gie enrĂ©ponse Ă  celle-ci, ou s’il ne transmet pas l’information Ă quelqu’un en mesure d’en crĂ©er une – parce que lesrĂ©seaux d’informations sont bloquĂ©s ou parce que le res-ponsable de la formulation a terminĂ© de donner ses direc-tives. L’idĂ©e que la stratĂ©gie est quelque chose qui seconcocte au sommet loin des dĂ©tails de la conduite d’uneorganisation au jour le jour – c’est lĂ  un des plus grandssophismes du management traditionnel. Et elle expliqueune bonne partie des Ă©checs les plus dramatiques que l’on

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peut connaütre aujourd’hui dans le monde des affaires oude la politique.

Nous, Ă  McGill, nous appelons les stratĂ©gies qui appa-raissent sans intentions claires – ou en dĂ©pit de ces inten-tions – les stratĂ©gies Ă©mergentes. Les actions convergent,ainsi, vers des modes d’action. Ils peuvent ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©-ment adoptĂ©s, si, bien sĂ»r, ils sont reconnus pour tels etlĂ©gitimĂ©s par la direction gĂ©nĂ©rale. Mais cela se produitaprĂšs coup.

Tout cela peut sembler bizarre. Je le sais. Les stratĂ©giesqui Ă©mergent ? Les managers qui reconnaissent des stratĂ©-gies dĂ©jĂ  formĂ©es ? À travers les annĂ©es, notre groupe derecherche de McGill a rencontrĂ© beaucoup de rĂ©sistancesde la part de ceux qui furent sidĂ©rĂ©s par ce qu’ils perçu-rent ĂȘtre notre dĂ©finition passive d’un mot qui Ă©tait poureux si Ă©troitement liĂ© Ă  la notion de comportement actifet de totale volontĂ©. Le terme stratĂ©gie ne signifit-il pas,aprĂšs tout, contrĂŽle, et la GrĂšce de l’AntiquitĂ©n’employait-il pas ce mot pour dĂ©crire l’art d’un gĂ©nĂ©rald’armĂ©e.

L’APPRENTISSAGE DE LA STRATÉGIE

Mais nous avons persistĂ© dans cet usage pour uneraison : l’apprentissage. Dans l’absolu, une stratĂ©gie dĂ©li-bĂ©rĂ©e exclut l’apprentissage, une fois que la stratĂ©gie estformulĂ©e ; la stratĂ©gie Ă©mergente l’encourage. On rĂ©pondaux actions au fur et Ă  mesure qu’elles se prĂ©sentent, c’estainsi que peut se dessiner, en fin de compte, un moded’action.

Notre potier essaye de faire une forme sculpturale surpied. Il n’y arrive pas, il l’arrondit un peu d’ici, l’aplatit parailleurs. Le rĂ©sultat semble meilleur mais ce n’est pas

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encore le but recherchĂ©. Il recommence et recommence.Il peut arriver, alors, qu’aprĂšs des jours, des mois, voiredes annĂ©es, il obtienne enfin le rĂ©sultat dĂ©sirĂ©. Il est, main-tenant, parti sur la voie d’une nouvelle stratĂ©gie.

En pratique, bien sĂ»r, tous les processus d’élaborationde la stratĂ©gie marchent sur deux jambes, celle de la stra-tĂ©gie dĂ©libĂ©rĂ©e et celle de la stratĂ©gie Ă©mergente. Car, unprocessus d’élaboration de la stratĂ©gie Ă©mergente exclu-rait le contrĂŽle, de la mĂȘme façon qu’un processus d’éla-boration de la stratĂ©gie purement dĂ©libĂ©rĂ© excluraitl’apprentissage. PoussĂ©es dans leurs extrĂȘmes limites,aucune de ces deux approches n’a beaucoup de sens.L’apprentissage doit ĂȘtre couplĂ© au contrĂŽle. C’est pour-quoi, le groupe de recherche de McGill utilise le termestratĂ©gie pour dĂ©signer aussi bien les comportementsĂ©mergents que les comportements dĂ©libĂ©rĂ©s.

De la mĂȘme façon, il n’existe pas une stratĂ©gie de typedĂ©libĂ©rĂ© pur ou de type Ă©mergent pur. Il n’existe aucuneorganisation – pas mĂȘme, celles commandĂ©es par les gĂ©nĂ©-raux de la GrĂšce antique – qui puisse avoir une connais-sance suffisante afin de prĂ©voir tout par avance, pourignorer le rĂŽle de l’apprentissage en cours de route. Et iln’en existe pas une seule – pas mĂȘme un potier solitaire –qui soit suffisamment flexible pour s’abandonner aux rĂ©ac-tions du hasard et pour abandonner tout contrĂŽle mental.La poterie rĂ©clame un contrĂŽle juste comme elle rĂ©clameune rĂ©ponse de la main au matĂ©riau. C’est, ainsi, que lesstratĂ©gies dĂ©libĂ©rĂ©es et Ă©mergentes constituent les der-niers points d’un continuum tout au long duquel les stratĂ©-gies qui sont dans le monde rĂ©el peuvent se rĂ©vĂ©ler. Danscertains cas, des stratĂ©gies peuvent ĂȘtre Ă©laborĂ©es parl’une ou l’autre mĂ©thode, mais la plupart du temps, elles sesituent Ă  un point intermĂ©diaire.