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Le Cycle de Formalow Tome 3 Avec l'aide d'Eric VINCENT et de Fabien RICHART

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Le Cycle de Formalow Tome 3

Avec l'aide d'Eric VINCENT et de Fabien RICHART

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Les forges de Nabachton

Guy RICHART Avec l'aide d'Eric VINCENT et de Fabien RICHART

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Les forges de Nabachton :

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BIBLIOGRAPHIE.

La Légende des Pacifistes. (Écrit de 1975 à 1976.)

A l'Occident de Menstragaleste. (Deux versions:

De 1979 à 1980, De 1983 à 1990.)

Les forêts du Seigneur. (Écrit de 1991 à 2000.)

Parution d'extraits de "L'Occident de Menstragaleste" et "Des forêts du Seigneur"

dans une Anthologie des écrivains des P.T.T., en 1995.

La route d'Éros. (Écrit de 1999 à 2000.)

Le Noeud Gordien libéral. (Écrit de 1997 à 2001.)

Les forêts du Seigneur 2; Les hordes des étoiles. (Écrit de 2000 à 2001.)

Les roses fleurissent aussi en décembre. (Écrit de 2001 à 2002.)

Les forêts du Seigneur 3; Jean Seyland et le fantôme de la Svastikas. (Écrit de 2002 à 2003.)

Reconstitution de la Légende des Pacifistes (Écrit en 2002.)

Les maîtres de l’image (Écrit de 2003 à 2004.)

La Bretagne fantastique du Passé et du Futur (Écrit en 2004.)

Les nouvelles de la colère (Écrit de 2004 à 2005.)

Les forêts du Seigneur 4; Les limbes de Daedale (Écrit de 2004 à 2005.)

Les forges de Nabachton (Écrit en 2005.)

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Je dédie ce roman :

A mon fils Fabien RICHART, qui me

l’a réclamé en me promettant de le lire

avec plaisir…

A la mémoire de Papa, qui nous a

quittés après une terrible maladie. La

première partie de ce récit constitua la

dernière lecture d’agrément que fit

Roland RICHART durant sa vie parmi les

hommes.

Que Dieu lui permette de la reprendre,

sur les bords d’un céleste estuaire breton

où il pêche désormais, pour l’Eternité…

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Le monde de Formalow s’est arraché du

joug d’un Empereur voué aux forces maléfiques

voici 800 années.

« La Guerre des Larmes de Sang », conduite

par L’Alliance des peuples libres, amena la

destruction de ce Maître des Ténèbres et de

nombre de ses esclaves dociles.

Cependant, son Principal Lieutenant : « Le

Seigneur des Ankous » et une créature

monstrueuse : « Arthang le Noir », au pouvoir de

persuasion colossal, ont survécu et réunissent,

dans le désert des Terres Sauvages du Nord,

une nouvelle puissance capable de défier les

royaumes bienheureux issus de l’Empire déchu

de Formalow.

Heureusement, les Druides : Gardiens du

savoir et de la magie bénéfiques, veillent depuis

leurs forteresses de la Forêt de Myrion. Ils

travaillent depuis des siècles à retrouver

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certains secrets oubliés dans la tourmente de la

guerre. Ces connaissances ont permis la perte

de l’Empereur, jadis. Elles provoqueraient la

disparition définitive des forces du mal, si leur

lumière éclairait de nouveau les peuples libres…

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Nord

Sud

Carte dessinée par Fabien RICHART

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Episode V

Arthang le Noir

- I -

Le Silérien marchait gaiement sur un sentier aux

talus verdoyants de son royaume. C'était une petite

créature extraordinaire avec sa mine radieuse, son

capuchon aux couleurs bigarrées et son embonpoint

sympathique.

Il avançait sous le soleil bienfaisant des terres

centrales de Formalow, l'Ancien Empire auquel avait été

jadis attachée la Silérie. A son coté, pendait une épée

dont il était très fier. Il ne se souvenait plus quand, cette

arme lui était échue. Il croyait l'avoir depuis toujours,

car, dans sa première enfance, quand il avait été adopté

par la famille des Orlos, de petits notables cossus et

généreux du pays, on la lui avait remise en lui affirmant

que c’était un bien très précieux. Il est vrai que Niphilus,

c’était le nom de notre ami, bien que très jeune pour son

espèce, avait pourtant atteint l’âge de 130 ans.

Cependant, la lame de son arme était tout aussi

tranchante et intacte qu’à sa sortie de la forge.

Les Silériens n’étaient pas des guerriers. Ils

constituaient un peuple de cultivateurs et d’artisans, aussi

sages sur le sujet de la vie dans les champs et les bois

ainsi que sur celui du travail de l’acier, qu’ignorants des

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grandes affaires magiques des puissances gouvernant

secrètement les restes de L’Empire de Formalow. Si

Niphilus était armé de la sorte, ce n’était pas pour se

défendre contre un animal sauvage ou bien un brigand.

Le royaume était si bien policé que le pays entier,

jusqu’à ses collines et ses rivières, semblait se soumettre

sans récrimination aux règles de bienséance édictées par

le Roi Phérégon. En fait, il ne venait à aucun Silérien, ni

à aucune Silérienne, l’idée de commettre le moindre

forfait ou bien la moindre incartade nuisant à la liberté et

à la tranquillité de son voisin.

Notre ami portait donc cette belle arme comme un

savant de la bibliothèque royale aurait arboré un

manuscrit damasquiné, empli des secrets magiques des

temps perdus. Niphilus se servait parfois de cette épée

antique pour couper une branche. L’arme se révélait si

efficace qu’elle terrifiait la petite créature pacifique.

Cette dernière la remettait alors au fourreau, après avoir

nettoyé la lame soigneusement en évitant de perdre les

doigts dans l’opération.

Comme tous ses semblables, Niphilus était un

maître dans l’art de la forge. Il considérait donc son

épée, plus comme un exemple de travail étonnant que

comme un moyen de défense. Il admettait qu’aucun

spécialiste vivant, du royaume de Phérégon, ne serait

capable de produire un chef d’œuvre comme celui-là,

bien que les Silériens soient reconnus dans toutes les

anciennes contrées de l’Empire déchu comme de

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remarquables artisans du fer. Mais l’admiration qu’il

portait à cette lame restait artistique et non belliqueuse.

Le Silérien arriva bientôt au carrefour de « L’Allée

Couverte » des elfes de Myrion. Ce mégalithe avait

compté un bon nombre d’âges du monde au cours de

son existence. Construit par le peuple des Elfes Géants

de la forêt de Myrion, bien avant l’avènement de

l’Empire, il marquait le cœur de la Silérie. Aujourd’hui,

les bâtisseurs de ce monument habitaient les contreforts

des vallées heureuses du midi de Formalow. Ils étaient

toujours les amis des Silériens, mais, ils venaient

rarement dans les royaumes centraux. Niphilus

s’engagea sur le chemin menant à droite de « L’Allée

Couverte ». Cette route s’étendait encore sur une lieue,

puis, elle se terminait à l’entrée de la grande villa des

Orlos, les parents adoptifs du petit voyageur.

Bientôt, la main placée en visière au-dessus de ses

yeux, dans l’air pur et chaud de cette belle journée d’été,

Niphilus découvrit la somptueuse villa de ses parents,

blottie dans les halliers, bordée par une rivière et un

champ où broutaient de paisibles holaongs domestiques,

grands fournisseurs de viande et de lait.

Le Silérien avança vers les huit cottages assemblés

chaleureusement qui constituaient la maison de sa

famille. C’était des maisons aux murs blancs et aux toits

de chaume. Elles étaient peu élevées, rafraîchies en été

par les nombreux chênes aux ramures plus que

centenaires qui les entouraient. Quand les vents d’hivers

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soufflaient, c’était les mêmes arbres qui en adoucissaient

les morsures.

Tout à coup, Niphilus regarda la croisée des

potagers et des pelouses qui ornaient la cour intérieure

de la villa. Son père, Aberlon Orlos, un solide Silérien de

deux cents ans, écoutait avec attention un grand homme

vêtu d’un manteau argenté. Il ne pouvait pas dire si

l’étranger était un humain puissamment constitué ou bien

un Elfe Géant. En tout cas, ce dernier tenait une grande

conversation avec le chef de la famille. Le promeneur

s’avança donc, intrigué, et finit bientôt par franchir

l’entrée de la villa.

Dès que le patriarche et le grand personnage

l’aperçurent, leurs visages rayonnèrent en même temps

de soulagement. Que signifiait cette attitude de la part

d’un étranger ?

Si son père avait des raisons suffisantes d’exprimer

sa satisfaction au retour de son garçon après une si

longue marche à travers la Silérie, pourquoi un inconnu

semblait partager ce soulagement, qu’il soit elfe, humain

ou Silérien. Avide de comprendre, le mystère de cette

visite inattendue et de cette réaction inexplicable,

Niphilus marcha les bras ouverts vers Aberlon qui le

reçut par une accolade d’amitié chaleureuse.

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- II -

Ils étaient assis tous les trois autour d’une grande

table de la villa. Dehors, un bassin d’onde claire, empli

par un ingénieux système de pompe actionnée par la

rivière, couvrait le calme des halliers par le murmure de

son eau courante. Seuls les oiseaux accompagnaient ce

chant apaisant.

- Mon fils, commença Aberlon en buvant une

rasade de bonne cervoise mousseuse et en tirant ensuite

une bouffée de sa longue pipe, tu es encore allé te perdre

aux confins de la Silérie pour demeurer huit jours loin de

chez nous.

- Tu sais bien Père que mes excursions sont ma

passion et que mon goût pour la géographie et la culture

de notre royaume m’impose de tels voyages, répondit

Niphilus. De plus, nous avons déjà rentré toute la récolte

de fruits et tu m’as affirmé que je pouvais profiter sans

contrainte de la période calme avant la moisson.

- Certes mon petit, certes, admit le vieux Silérien

avec une espèce de résignation au fond de la voix.

Cependant, la prochaine fois que tu pars pour une telle

expédition, tu prendras comme compagnon, Athénos,

notre pigeon de feu. Il nous transmettra tes messages et

te portera les nôtres en retour. Comme cela, ta mère et

moi, nous saurons que tu vas bien.

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- C’est promis. Je n’oublierai pas de prendre notre

messager volant pour mon prochain voyage, assura

Niphilus. Cela l’entraînera un peu. Il a une vie trop

douce, ces derniers temps. Seulement, reconnais Père

que ces précautions semblent démesurées. Les frontières

de notre royaume ne sont tout de même pas les lisières

de la désolation d’Arthang le Noir.

- Bien sûr, bien sûr, mais, depuis la fin de l’Empire,

si nous sommes devenus un peuple libre, les dangers des

terres sauvages ont grandi et les démons de l’empereur

qui se sont réfugiés là-bas, après la fin de leur Seigneur,

sont capables de venir jusque dans nos campagnes pour

y semer la mort. Il faut rester prudent si nous voulons

éviter des deuils douloureux comme ceux que nous

avons connus durant « La Guerre des Larmes de Sang ».

Maintenant, je te présente Maître Mélinos. C’est un

Druide, un Gardien du savoir et des forces magiques

bienfaisantes. Sans ces savants qui parcourent toutes les

contrées en recueillant les grimoires des anciens, depuis

la chute de Formalow, nous aurions perdu toutes les

connaissances léguées par les vieux royaumes.

- Bonjour Maître, dit Niphilus, impressionné.

- Bonjour mon ami, commença le vieux sage. Sous

le capuchon de son manteau, des cheveux et des sourcils

broussailleux cachaient un visage ridé mais plein de

fougue, d’humour et d’intelligence. Tandis que ses

prunelles bleues pétillaient de plaisir, le Gardien du

Savoir continua. Jeune homme, quand l’Empire jetait une

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ombre de tyrannie et de Magie noire sur le monde, la

science bénéfique et la Magie blanche ne progressèrent

pas beaucoup. 2000 années durant, nous avons

lamentablement régressé, nous tournant vers les forces

des Ténèbres, leurs grandes possibilités dans les voies du

mal et leur séduction mortelle. Mon ordre se doit de

rétablir toutes les connaissances que nous avions

acquises, au temps de la Grande Alliance d’Or et de Paix

qui fut brisée par l’avènement de Formalow. Le plus petit

tour de main d’un artisan émérite, le plus petit savoir

empirique d’un jardinier doit être recueilli, si nous

souhaitons retrouver un jour le bien-être que nous avons

connu avant la venue des Korrigans, de l’Empereur, du

Seigneur des Ankous, son lieutenant, et aussi d’Arthang

le Noir.

- Est-ce que je pourrai faire quelque chose pour

vous ? Demanda Niphilus qui commençait à comprendre

le but du voyage du Druide en Silérie.

- Certes. Je vais vous l’expliquer, assura Mélinos.

Un Elfe Géant a confié aux forgerons du Grand Manoir

de Castel-Druides, dans la forêt de Myrion, cette épée.

Le sage sortit de son havresac, un long glaive

brillant, ouvragé avec beaucoup d’art. C’était la copie

conforme, en plus grand, du poignard de Niphilus. Le

Gardien du Savoir reprit :

- Ce dernier était venu nous demander de lui

fabriquer un fourreau car, aucun de ceux cousus en cuir

d’holaong sauvage et damasquinés par les meilleurs

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armuriers sylvestres, ne résistait au tranchant de son

arme. Quand nos artisans examinèrent le glaive, ils furent

surpris par la qualité et la ténacité de l’alliage le

constituant. Ils se demandèrent aussi, comment la lame

de cette épée avait été traitée pour ne pas subir de

corrosion tout en gardant son fil aiguisé ? Je pensais qu’il

fallait rencontrer le forgeron ayant produit cette arme

pour répondre à toutes ces questions. L’Elfe me dit qu’il

l’avait faite ouvrager par un artisan de Silérie, réputé. Il

m’a confié cette épée, le temps de découvrir son

créateur et c’est ainsi qu’en interrogeant vos

compatriotes et en montrant ce glaive au cours d’une

longue marche par les Villas et les fermes de votre

Royaume, je suis arrivé jusqu’à vous Maître Niphilus.

- Comment ? Murmura le jeune Silérien effrayé

qu’un Druide de la Forêt de Myrion, un Gardien du

Savoir et de la Magie, soit intéressé par sa petite habileté

dans la science des métaux. J’ai créé ce modèle à partir

du poignard que je possède depuis toujours. Pour les

traitements, après martelage, j’ai suivi les leçons que m’a

données mon père. Je n’ai ajouté, à mon travail habituel,

qu’une trempe multiple faite à des températures choisies

au cours de nombreuses expériences, mais aussi, avant

d’y refroidir la lame de cette épée, j’ai mélangé à l’eau

de la rivière qui coule auprès de notre Villa, des feuilles

d’arbres huileuses dont je puis vous confier les noms et

les proportions Maître Mélinos. C’est tout mon apport

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dans l’art des forges et je suis surpris qu’il mérite votre

attention.

- Mon jeune ami, dit alors le Druide en regardant

avec beaucoup d’acuité le petit forgeron. Pourriez-vous

me montrer votre poignard un instant ?

Le Silérien, sans hésitation tendit son épée fétiche

au vieux sage. Ce dernier, la leva en pleine lumière et la

regarda longuement. Il examina avec minutie les fines

gravures qui ornaient l’acier du glaive, depuis la garde

jusqu’à la pointe et, que Niphilus avait reproduites

fidèlement sur l’épée de l’Elfe Géant. Le Druide effleura

légèrement, de son pouce, le fil scintillant au soleil. Il se

coupa mais, ne s’en formalisa pas. Il s’y attendait.

- Savez-vous d’où vient votre poignard cher ami ?

Demanda Mélinos. Un silence d’ignorance suivit sa

question. Eh bien moi, j’ai vu sa représentation dans un

antique ouvrage de métallurgie. Ce grimoire remontait au

temps de l’Alliance d’Or et de Paix. Vous possédez une

dague de Prince Elfique qui fut façonnée dans les forges

légendaires de Nabachton : « La cité perdue ». Le

lignage de cette épée est déjà une grande merveille, mais,

ce qui est encore plus fantastique, c’est que vous avez su

la reproduire non seulement dans sa forme mais aussi

dans sa résistance. Voilà pourquoi, Maître Niphilus,

votre science de l’acier mérite l’attention des Druides

mais aussi, celle de tous les sages des terres libérées de

l’Ancien Empire de Formalow.

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- III -

Niphilus examinait les cartes qu’il avait dessinées à

la suite de ses voyages. Le Royaume de son peuple avait

été formé 900 ans plus tôt, à la chute de Formalow.

Au temps de la guerre contre la puissance

maléfique de l’Empire, les petits habitants de sa contrée

s’étaient battus courageusement aux côtés des hommes

vaillants qui vivaient dans les abers du Golfe de

Salermnos. Les Elfes Géants de Myrion louaient aussi,

dans leur chant, les paysans-forgerons de Silérie.

Reconnus pour leur résistance étonnante et leur science

des aciers, malgré leur taille réduite, les Silériens, à cette

époque, avaient marqué de hauts faits les combats contre

les légions de Korrigans des montagnes sauvages jetées

sur la Grande Alliance par le Seigneur des Ankous. Le

petit peuple avait aussi soutenu sans faiblir, en déployant

une énergie désespérée, les assauts des phalanges de

sorciers des terres du septentrion. Ceux-là, attaquaient

leurs ennemis sur de gigantesques montures de guerre,

les Léviathans, comme Arthang le Noir. Il s’agissait de

monstres volants dont les trois têtes hideuses portaient

des yeux d’une acuité inouïe. L’intelligence et le pouvoir

de persuasion de ces créatures étaient tels, que certaines

d’entre elles avaient dirigé, depuis la disparition des

sorciers, des troupes de Korrigans avec lesquelles elles

dévastaient les lisières de Formalow où elles avaient été

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repoussées par la guerre. Arthang, le redouté, était le

plus puissant et le dernier survivant de ces sinistres

capitaines de pillage.

Niphilus avait entièrement cartographié sa contrée

avec précision. Il avait utilisé des principes et des outils

d’arpentages précis qu’il avait inventés. Aucune découpe

de la Silérie, aucun sentier, chemin, cours d’eau et lac,

n’était omis ou mal placé sur la carte que le forgeron

avait tracée. Il alluma sa longue pipe en même temps que

la lampe à huile qui éclairait son bureau. La journée avait

été très belle et la nuit serait agréable également. Il avait

laissé les fenêtres de sa chambre ouvertes sur le

magnifique jardin de la villa. Les eaux courantes

continuaient de meubler le silence du crépuscule avec

leur douce symphonie.

Soudain, Niphilus sursauta. On venait de frapper à

sa porte. Le Druide Mélinos demanda l’autorisation

d’entrer. Cela lui fut accordé aussitôt. Le sage pénétra

dans la pièce en saluant le Maître forgeron. Il ne portait

plus son capuchon. Le Silérien remarqua la longue

chevelure argentée, du Gardien du Savoir et de la Magie.

Ce dernier s’assit devant son hôte, sortit aussi une pipe

d’écume marine, identique à celles que fabriquaient les

hommes du Golfe de Salermnos. Il l’alluma en silence

avec application. Sous ses sourcils broussailleux, son

regard vif et intelligent pétillait. Quand des ronds de

fumée montèrent vers le plafond de la pièce, le Druide se

décida à parler :

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- Maître Niphilus, vous êtes suffisamment

perspicace, sous votre allure débonnaire, pour

comprendre l’importance des informations que je vous ai

apportées cette après-midi.

- Je crois que le secret des armes que je fabrique,

est vital pour la victoire totale du monde libre contre le

mal, déclara le Silérien.

- Je vous expliquerai les détails de l’affaire le

moment venu, répondit le vieux sage, mais vous avez

saisi l’essentiel. Il faut d’urgence réunir le Conseil de

l’Ancienne Alliance. La sécurité très fragile dans laquelle

nous vivons depuis la chute de Formalow est basée sur

un équilibre entre la puissance des armées du monde

libre et celles des tyrans maléfiques. Hors, après la mort

de l’Empereur, le repli des Ténèbres a coûté si cher aux

alliés, que nous ne nous sommes jamais remis

entièrement de cette guerre. Rappelez-vous que les Elfes

de Myrion ont été obligés de quitter leurs postes avancés

des lisières de la désolation d’Arthang le Noir. Ils ont

même dû retirer la petite garnison qu’ils avaient, depuis

toujours, laissée en Silérie pour aider votre peuple à se

protéger contre les dangers des Terres Sauvages. Les

hommes des abers sont aussi moins nombreux. Ils

maintiennent leur puissance au niveau de ce qu’elle était

à la fin de « La Guerre des Larmes de Sang », mais, ils

ne retrouvent pas la grandeur passée de leur royaume,

celle qui leur avait permis de fonder, avant l’avènement

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de l’Empire, « l’Alliance D’or et de Paix » avec les

autres nations des anciennes terres de Formalow.

- Nous ne sommes donc pas autant à l’abri du mal

que nous pourrions le croire, affirma Niphilus.

- Mon garçon, le courage des alliés n’a pas faibli et

depuis 900 ans, ils ont compensé la perte de leur force et

de leur magie par la rigueur de leur vigilance. Depuis les

marches du désert d’Arthang jusqu’aux contreforts des

Terres Sauvages, où s’est retiré le Seigneur des Ankous

ainsi que ses légions de Korrigans et ses phalanges

d’hommes corrompus, les patrouilles d’Elfes appuyées

par les marins des abers veillent sans cesse. Les flottes

du Golfe de Salermnos, maintiennent la Mer Extérieure

ouverte à l’Ouest et au Midi, bien qu’elles échouent à

rétablir un passage vers les Royaumes Perdus du Nord

Ouest. Arthang et le Seigneur des Ankous sont contenus

dans le Nord du Monde. Les Alliés lui coupent encore la

route.

- Mais si les Silériens ont jadis combattu dans

l’alliance, comment se fait-il que nous soyons mis à

l’écart aujourd’hui ? Ma Nation n’a pas de gout pour la

guerre mais elle ne manque pas de cœurs vaillants pour

aider les Hommes et les Elfes, affirma Niphilus.

- Nous savons tout cela très bien, répliqua Mélinos.

Cependant, pour des raisons que nous ignorons, car une

grande partie du savoir sur l’Alliance et sur les peuples

qui la constituaient, avant et pendant l’Empire, a disparu,

les Silériens ont été cruellement touchés par les attaques

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des puissances maléfiques. Les alliés refusent de vous

exposer comme vous le fûtes jadis. Sachez que l’assaut

d’un seul Léviathan sur votre contrée, même beaucoup

moins meurtrier qu’à l’époque de l’Empire, car les

monstres survivants se font vieux et moins puissants

qu’en ce temps-là, anéantirait totalement votre

population en quelques jours. Le Roi Phérégon propose

souvent les soldats de sa garde au Conseil de l’Ancienne

Alliance pour renforcer les patrouilles des Marches.

Votre souverain et ses troupes sont respectés par les

hommes, les Elfes et les Druides. Pourtant, il est clair

que les habitants de Silérie sont considérés comme des

ennemis implacables par les forces maléfiques et que ces

dernières seraient prêtes à vous anéantir jusqu’au

dernier, si vous releviez malheureusement trop la tête

dans cette lutte.

- Au nom des Puissants du Ciel, pourquoi

déchaînent-elles tant de haine contre nous ? S’inquiéta le

Maître forgeron.

- Justement, j’ai pris la décision de provoquer une

réunion exceptionnelle du Conseil de l’Alliance, déclara

Solennellement le Druide. Demain, vous et votre frère

d’adoption, partirez avec moi. Vous prendrez toutes les

notes que vous avez réunies sur le travail de l’acier, sur

la culture et sur la géographie de votre contrée. Nous

passerons chez le Roi Phérégon, puis, nous nous

rendrons avec lui dans le manoir de la Forêt de Myrion

où le Conseil se tiendra. Il faut savoir les raisons de cet

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acharnement des forces ténébreuses contre votre peuple.

Peut-être détenez-vous des pouvoirs oubliés qui seraient

capables d’anéantir définitivement le mal et ses alliés ? Il

nous faut travailler là-dessus et apprendre à exploiter

cette faille pour gagner une paix durable et définitive.

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- IV -

Au début de « La Guerre des Larmes de Sang »

tous les peuples payaient un tribu à l’Empire. La

puissance de ce gigantesque pays voué au mal absolu

était telle que les armées de Korrigans, de sorciers et

d’Ankous pouvaient ravagées des contrées entières sans

être arrêtées par les efforts des Elfes rebelles, des

Druides insoumis, réfugiés sur les îles de la mer de

Myrion ou bien par les hommes des abers qui tenaient,

au prix de grandes pertes, les places fortes du Golfe de

Salermnos.

Les plaines exposées de la province de Silérie, la

vallée et les forêts du fleuve des Monts du passage vers

Nabachton étaient dominées par l’Empereur de

Formalow. Tout le Nord-Est du monde était inaccessible

aux peuples dont quelques représentants refusaient

l’autorité des forces maléfiques.

Ceux qui ne pouvaient pas combattre ouvertement

les phalanges de l’enfer résistaient autant qu’il leur était

possible. Pourtant, quand les expéditions punitives de

l’Empereur traversaient les terres où travaillaient ses

malheureux, les petites richesses naturelles qu’ils

économisaient avec tant de peine, leurs plus jeunes

habitants ainsi que leurs réserves de nourriture étaient

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saisis, puis, emmenés sans espoir sur les vastes territoires

de l’Empire.

Pendant deux milles ans, les Silériens, les marins du

Golfe et les Elfes sylvains qui n’avaient pas la chance

d’avoir rejoint les centres de la rébellion, furent

ignominieusement soumis aux exactions arbitraires des

monstres du Maître du Mal.

En ce temps-là, heureusement pour la liberté, bien

que la cité de Nabachton soit séparée des provinces

martyrisées de l’Empire par la Désolation du Nord,

qu’occupaient d’une manière, apparemment immuable,

les forces maléfiques, était parvenue à garder ouverts le

passage des monts septentrionaux ainsi que la voie

maritime vers les places fortes de Salermnos.

Nabachton paraissait totalement invincible. C’était

le plus vieux royaume du monde de Formalow. Les

Druides y avaient enregistré tout le savoir accumulé par

les Peuples Libres depuis « l’Âge d’or des forêts ». Les

artisans de cette nation fabriquaient des armes

terrifiantes pour les serviteurs du mal. Les magiciens

nabatéens, détenteurs du savoir recueilli par les Druides

de Myrion déployaient une puissance bénéfique qui

repoussait efficacement les attaques du mal. Les portes

de Nabachton restaient infranchissables aux hordes de

l’Empereur de Formalow.

Ce dernier s’était lui-même avancé sous les

remparts qui gardaient l’antique royaume. Il avait été

vaincu.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 26

Les résistants du Sud bénéficiaient de l’aide des

Nabatéens. La Silérie, dont le peuple, opiniâtrement,

supportait les expéditions des Korrigans, des Sorciers et

des Léviathans, ne cédant qu’après de longs combats

leur tribut d’esclaves, de vivres et de ressources, recevait

avec gratitude les armes de Nabachton. Les artisans

habiles de ce petit pays renforçaient même la protection

des armures et l’efficacité des glaives que leur

envoyaient leurs providentiels alliés.

Les Silériens, subissaient de plein fouet la haine de

l’Empereur et de ses serviteurs car, s’ils étaient les plus

exposés, ils étaient aussi les plus insoumis et les plus

ressemblants, moralement, aux Nabatéens qui

s’opposaient si fièrement aux puissances maléfiques du

Monde.

Les petites créatures pacifiques de Silérie tombaient

par millier pour défendre leur liberté. Ils dévastaient de

nombreuses légions mauvaises et parvenaient même à

détruire des Léviathans et des sorciers. Leurs actions

héroïques assuraient la pérennité des îlots de résistance.

Quand vint la décision de fonder la Grande Alliance d’Or

et de Paix, ce fut dans le but de sauver ces courageux

paysans-forgerons qui allaient disparaître comme les

petits Elfes de jadis, si personne ne venait les aider.

Quand ils eurent été rejoints et renforcés par les

forces bienfaisantes de la Fraternité des Peuples Libres,

en ce temps-là, les Silériens constituèrent le fer de lance

de « La Guerre des Larmes de Sang ». Epaulés par les

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 27

Marins, les Elfes et les Druides, ils avaient anéanti les

sorciers et de nombreux Léviathans, ils avaient renvoyé

les Korrigans dans le Nord-Est du Monde, puis, par un

dernier exploit, confinée la charge finale des Ankous.

L’Empereur furieux, avait tenté d’intervenir seul, mais la

puissance magique des Nabatéens, déployée par le

Druides, l’avait poussé en Enfer.

Le sud de Formalow avait été libéré de l’Empire.

Mais, les puissances maléfiques, sous le commandement

des derniers Léviathans et du plus terrible des Ankous,

avaient profité de leur concentration au Nord. Elles

étaient parvenues à couper l’accès au passage vers

Nabachton. Dans l’océan, l’apparition de maléfices

diaboliques empêchèrent les Marins de Salermnos de

voyager plus longtemps vers les ports nabatéens.

Une paix vigilante s’instaura. Aujourd’hui, les

anciens alliés ne tenaient plus à exposer les Silériens. Ces

derniers avaient été les instruments de la victoire, mais,

ils avaient payé très cher leur inestimable participation.

Depuis la fin de la Guerre, ce petit peuple n’avait jamais

retrouvé sa puissance et sa forte population. La Silérie, si

vaste, comprenait d’immenses étendues désertes. La

haine des Korrigans et des derniers Léviathans contre les

paysans-forgerons était aussi formidable que les exploits

accomplis jadis par ces derniers.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 28

- V -

Mégara… Ainsi se nommait la capitale de la Silérie.

C’était une vieille et superbe forteresse, quatre fois

millénaire, que les peuples alliés de jadis avaient dressée

dans un pays de vallées et de collines, cœur de la patrie

des paysans forgerons.

Cette ville fortifiée fut abandonnée durant l’Empire,

car les maîtres de Formalow détestaient la beauté et la

force magique bienfaisante du vieux château. Les arbres

avaient envahi, avec l’écoulement des siècles, les

avenues et les jardins magnifiques de ce lieu. Les murs

dressés par des artisans des trois espèces libres qui

maîtrisaient des techniques et des enchantements aux

pouvoirs presque aussi immuables que la vie des

Léviathans, ne s’étaient pas fissurés et n’avaient pas

flambé sous la poussée de la végétation sauvage.

Quand les ancêtres de Phérégon étaient revenus

s’installer dans cette région, neuf siècles plus tôt, ils

n’avaient eu que le mal d’organiser les plantes qui

s’étaient développées naturellement dans les murs de

l’enceinte. Une fois nettoyés et débroussaillés les palais

de la ville, les écoles, les commerces et les ateliers

étaient redevenus chaleureux et splendides.

Niphilus, son frère adoptif Arhus et le Druide

marchaient dans la rue principale de Mégara. Ils y

étaient entrés par la porte des créneaux d’argent. En

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 29

effet, les murs qui reliaient les deux tours défendant cet

accès à la cité étaient d’un blanc si brillant que de la

vallée, quand les voyageurs les découvraient au soleil

levant, ils semblaient fondus dans des lingots d’argent.

Maintenant, les trois visiteurs remontaient vers le château

royal. Ils croisaient des chariots ouvragés, aux roues

fines et solides. Tirés par des licornes domestiques, ces

attelages transportaient les riches récoltes de fruits et de

blés, poussées sur les champs féconds de Silérie, pour les

remettre aux entrepôts publics. C’était les commissaires

de Phérégon, élus par le peuple, qui redistribuaient la

nourriture dans tout le royaume. Comme ces derniers

étaient honnêtes sous peine de subir les foudres du Roi et

de leurs électeurs, d’importantes provisions de victuailles

étaient faites, bien que tout le monde mangeât à sa faim

dans le pays. Jamais les Silériens n’avaient connu la

famine, depuis la chute de l’Empire, malgré qu’une ou

deux fois par siècle, un hiver particulièrement dur

détruise les productions de la terre.

Un côté de la grande avenue était réservé aux

ateliers des forges royales. Une quinzaine de bâtiments

clairs dont les façades de verre étaient ouvertes sur la rue

en été, bornaient le flot des carrioles de nourriture. Dans

le pays de Niphilus, on connaissait le feu mais il était

inutile de l’allumer pour se chauffer, cuisiner ou bien

travailler l’acier. La source principale de chaleur et

d’éclairage venait des cristaux solaires des montagnes

centrales de Silérie.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 30

Les forgerons, à la fin de chaque hiver, allaient en

récolter sur les sommets enneigés des pics de cette

région. Ces pierres semblaient se recréer sans cesse dans

le climat rigoureux des hauteurs où jamais un nuage

n’assombrissait l’éclat du soleil ou bien celui des deux

lunes de Formalow. Personne ne savait comment

apparaissaient ces gemmes, mais chaque année, elles se

renouvelaient immuablement. Quand les aciéristes

apportaient enfin leur moisson en ville, ils l’exposaient

quelques jours dans la lumière de l’astre lumineux,

même lorsque celle-ci était affaiblie par un voile de

nuage. Pour enfin tirer de la chaleur et de la lumière des

cristaux, les Silériens installaient ceux-ci dans un châssis

métallique, ouvert sur le dessus. Une presse manuelle

permettait de comprimer ensuite les pierres. Sous cet

effort mécanique, elles restituaient pour des jours et des

jours, l’énergie solaire et lunaire accumulée.

Quelquefois, des blocs de minéraux se brisaient sous la

force des pressoirs. C’est pour cette raison que les

Silériens en récoltaient de nouveaux chaque année. Mais

ces cristaux gardaient leur pouvoir d’absorption et de

restitution des forces naturelles durant plusieurs siècles.

Aussi, la consommation des réserves qui augmentaient

chaque hiver dans les neiges éternelles des montagnes du

pays, ne menaçait nullement cette source de bien-être.

D’ailleurs, le petit peuple de paysans-forgerons, même

dans l’abondance, restait économe et prévoyant. Sans

doute les âges qui s’étaient écoulés avant le retour de la

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 31

liberté sur les Terres de Formalow, avaient donné des

leçons qui s’étaient ancrées à jamais dans l’atavisme des

Silériens.

Le Druide Mélinos, Niphilus et Arhus s’arrêtèrent

un instant devant l’atelier d’un aciériste et observèrent

son travail en connaisseurs. Dans ce pays, toutes les

techniques étaient mises en commun au sein des

corporations. Cela laissait, aux artisans, le temps de

développer la maîtrise de leur métier par des expériences

qui enrichissaient abondamment les connaissances

techniques du royaume et de ses habitants. Le forgeron,

après avoir martelé la courbe de la serpe qu’il travaillait

afin d’en réduire le poids sans nuire à la résistance,

déposa celle-ci dans un châssis de cristaux flamboyants

et salua ses visiteurs.

Les deux voyageurs et le Maître du Savoir

répondirent poliment à l’artisan, puis, ils échangèrent

quelques mots avec lui dans la langue locale. Ces propos

semblèrent apporter une solution longtemps recherchée

par le travailleur car, un vaste sourire fendit le visage

débonnaire de ce dernier. Il posa sa masse pour en

prendre une autre, au bout arrondi. Quand il frappa de

nouveau la serpe chauffée à blanc par les cristaux qui

rayonnaient, le forgeron avait accentué considérablement

le rythme et la sûreté de ses gestes. Les étincelles

jaillissaient joyeusement de l’acier qui s’affinait bien plus

aisément.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 32

Le Druide et les Silériens repartirent vers le Palais

de Phérégon car c’était là qu’ils se rendaient. Ils

atteignirent enfin la poterne d’or fermant l’accès au

second bastion de Mégara. Deux gardes royaux qui,

malgré leur petite taille et leur léger embonpoint étaient

des guerriers redoutables même pour Mélinos et sa

formidable magie, s’avancèrent et interrogèrent,

courtoisement les visiteurs. Les deux soldats avaient une

splendide armure d’acier brillant. Leur heaume et leur

haubert, légers étaient d’un métal aussi tenace et

tranchant que leurs épées. Ces cuirasses inaltérables leur

étaient enviées par les Elfes Géants eux-mêmes.

Le Druide expliqua les raisons de sa visite aux

sentinelles, après avoir décliné son identité et celle de ses

compagnons. Il leur confia aussi son anneau sigillaire de

membre du conseil de l’Ancienne Alliance pour qu’ils le

remettent au Roi. Aussitôt, un messager fut envoyé avec

la bague de Mélinos et les informations recueillies par les

gardes, jusqu’au trône de Phérégon. Un instant après,

des trompettes lancèrent, dans le ciel bleu de Silérie, une

puissante sonnerie d’accueil.

On laissa le Maître du Savoir et ses amis entrer

dans l’enceinte du Palais. Habituellement, Phérégon ne

refusait jamais de recevoir ses sujets en audience, mais

en général, il proposait une date et une heure qu’il

choisissait soigneusement. En effet, bien souvent, quelle

que soit la période de la journée, il était au travail avec

ses ministres où déjà en réunion avec des Silériens qui

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 33

l’avaient sollicité depuis longtemps. Dans ce pays, le

souverain des paysans-forgerons avait reçu comme

surnom : le Seigneur Infatigable, car, il était toujours à

l’écoute de son peuple ou bien à la tâche avec ses

conseillers. Une qualité que beaucoup de monarques de

notre Age, devraient s’efforcer de prendre en exemple.

Cependant, en apprenant que Mélinos était à sa

porte, Phérégon avait interrompu, avec distinction, toutes

les affaires qu’ils étaient en train de traiter. Il avait aussi

fait appeler tous ses conseillers dans le grand salon des

assemblées royales du Palais et avait ordonné à ses

gardes, par la sonnerie des trompettes, d’accueillir sans

délai le vieux sage et ses compagnons. Une escorte

d’honneur était aussi partie des appartements du

gouvernement pour se rendre au devant du Druide, de

Niphilus et de Arhus.

Quand ils pénétrèrent, entourés de ministres, dans

la pièce ou siégeaient le Roi, sur son trône, et ses

conseillés, à leur table de travail, les deux Silériens se

sentirent impressionnés. Mélinos fit alors planer son

regard vif et inquisiteur sur toute l’assemblée. Il s’attarda

sur Phérégon. Niphilus et son frère adoptif n’avaient

jamais vu leur souverain en personne. Celui-ci était grand

pour un Silérien. Quand le monarque se leva, les deux

visiteurs provinciaux constatèrent que le casque de leur

Seigneur atteignait presque la hauteur des épaules du

Druide alors que ce dernier était de haute taille pour les

hommes comme pour les Elfes Géants. Habituellement,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 34

les sujets de leur peuple mesuraient la moitié d’un

homme ou d’un Elfe de Myrion, moyennement robuste.

Autant dire que Phérégon était gigantesque dans

son royaume. Les historiens prétendaient que la famille

de ce monarque était issue jadis, bien avant l’Age de

l’Empire, du mariage d’un Seigneur des abers de

Salermnos et d’une Princesse Silérienne. Les femmes de

ce petit peuple étaient souvent très belles et

merveilleusement douces. Rien ne s’opposait à un tel

amour.

Le Roi s’avança alors en souriant vers le vieux sage

et tomba dans ses bras en lui disant :

- Mon vieil ami, je suis heureux de vous voir ici.

Mais, je suppose que vous n’êtes pas venus avec deux de

mes braves sujets, sans prendre le temps de m’avertir

pour que je puisse vous accueillir convenablement, si

vous n’avez pas des nouvelles urgentes à me

communiquer.

- Vous avez bien deviné, Mon Seigneur, assura

Mélinos. Je suis venu en toute hâte de l’Ouest de votre

pays, en compagnie de ces exceptionnels artisans, afin

de vous annoncer enfin une découverte qui nous amène

une lueur d’espoir dans la nuit de cette paix vigilante,

interminable et aussi meurtrière que la Guerre. Combien

de braves hommes, de courageux Elfes et de valeureux

paysans de Silérie tombent encore aux lisières des Terres

Sauvages, alors que nous croyons la sécurité installée à

jamais sur le Monde Libre. Dans l’ombre du Nord

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 35

inexploré, le Seigneur des Ankous a gagné en puissance

et en magie. Ses korrigans sont nombreux. Il a aussi

convaincu d’effroyables alliés de se dresser contre les

Nations occupant légitimement les contrées libérées du

joug de Formalow. Roi Phérégon et messieurs les nobles

conseillers, en ralliant le dernier Léviathan, le plus cruel

de tous, Arthang le noir, en barrant les voies maritimes

des Royaumes Perdus du Nord-Ouest aux marins des

abers, en dressant ses légions renforcées aux frontières

de nos pays et surtout, en faisant appel à des serviteurs

encore inconnus de nous, mais semant une effroyable

terreur dans les rangs des patrouilles de l’Ancienne

Alliance, le Lieutenant de l’Empereur déchu veut se

prétendre à son tour en Tyran de Formalow. Il s’apprête

à nous écraser une fois encore sous ses bottes de fer.

Le Gardien du Savoir marqua un arrêt afin de

laisser ses auditeurs assimiler l’importance de ses

paroles. Enfin il continua :

- Ici même, en Silérie, j’ai trouvé dans les personnes

de Maître Niphilus et de son frère adoptif, des artisans

qui ont mis à jour, par leur travail, les secrets de

fabrication des armes, dignes des Forges perdues de

Nabachton. C’est un grand pas en avant que nous ayons

maintenant les moyens de fondre, d’ouvrager et

d’enchanter par une magie bienfaisante, des lames

capables de contenir et de vaincre définitivement les

forces obscures de l’Ancien Empire. Certes, nos deux

brillants forgerons ne pourront jamais, en quelques

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 36

semaines, équiper de glaives les sept cents milliers

d’hommes et d’Elfes que nous devrions réunir, malgré le

retour des armes de Nabachton, pour écraser enfin les

dangers nous assiégeant dans les Terres Sauvages.

Pourtant, ces deux Silériens m’ont donné un espoir de

fou certes, mais un espoir solide pourtant, de remporter

la victoire finale contre les forces du Seigneur des

Ankous. Je tiens à exposer ces perspectives de succès au

Conseil de l’Alliance et à mettre en œuvre tous les

moyens que je pourrai réunir pour les réaliser. Seigneur

Phérégon, messieurs les conseillers du Royaume de

Silérie, voulez-vous venir jusqu’au Manoir de Myrion

pour écouter les grandes lignes de mon projet et

participer à la renaissance de « La Grande Alliance d’Or

et de Paix » ?

Un silence frémissant tomba sur l’assemblée et

s’éternisa durant de longues minutes. Enfin le Roi

déclara solennellement :

- Maître Mélinos, Maître Niphilus, Maître Arhus, je

vais vous accompagner à Myrion avec mes conseillers. Il

est temps de conclure définitivement « l’Age de

l’Empire ».

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 37

- VI -

Myrion étendait les vastes ramures de ses arbres

millénaires, ses rivières sinueuses et son lac bleuté aux

îles d’émeraude, sur cent-cinquante lieues de longueur et

quatre-vingts de profondeur. Ce pays sylvestre était en

fait la plus grande forêt du monde de Formalow. Les

Druides et les Elfes y avaient vécu, bien des Ages avant

l’Empire.

Les premiers avaient élevé des cités fortifiées sur les

terres entourées par le vaste mer d’eau douce, dissimulés

par les futaies impénétrables de ce Royaume. Dans ces

villes forteresses, les Maîtres du Savoir et de la Magie

avaient gardé et transmis les connaissances bénéfiques,

acquises par les peuples du Monde au cours des

millénaires écoulés de l’Histoire. Ils avaient tenu bon

contre les armées de l’Empire qui n’avaient pu, malgré

leurs multitudes et leurs orgies de magie ténébreuse, les

vaincre et détruire les sanctuaires de Myrion.

La principale forteresse des Gardiens était le réputé

Grand Manoir de Castel-Druides. On n’y trouvait les plus

vastes bibliothèques de l’Ancienne Formalow, mais aussi

les ateliers d’artisanat et d’industrie les plus efficaces.

Seules les Forges perdues de Nabachton surpassaient,

par la qualité des outils et des armes qu’elles

produisaient jadis, à l’usage du monde libre, le travail de

Castel-Druides.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 38

C’est cette ville, inexpugnable sur son île de la mer

intérieure, qui avait été, au temps de la « Guerre des

Larmes de Sang », la capitale de la résistance contre

l’Empereur et le Seigneur des Ankous. Elle réunissait le

Conseil de L’Alliance qui organisait les grandes défaites

des légions de Korrigans. Bien des Léviathans tombèrent,

malgré leurs pouvoirs incommensurables, grâce aux

décisions inspirées par les Druides, aux Elfes Géants,

aux marins de Salermnos et aux courageux Silériens.

De nouveau, les Peuples Libres s’unissaient pour

mener l’ultime bataille contre les Ténèbres des Terres

Sauvages. Une fois encore, le Grand Manoir de Castel-

Druides allait devenir le fer de lance de la magie et de la

science bienfaisantes.

Les Elfes Géants qui peuplaient les vallées

ombragées par l’Orée méridionale de Myrion, aux pieds

des grands monts du bout de la Terre, avaient déjà

entendu l’appel des Druides. Leurs avant-gardes

marchaient vers les sous-bois la vaste forêt : leur plus sûr

point de ralliement.

Mélinos, Niphilus, Arhus, Phérégon et son escorte,

étaient partis de Mégara pour gagner le Grand Manoir de

Castel-Druides, dès le lendemain de leur rencontre au

palais. La régence de Silérie fut confiée à la Princesse

Saurane, la magnifique fille du Roi. Les affaires de la

contrée étaient ainsi mises en de bonnes mains. Une

troupe de cinq cents gardes royaux, choisis parmi les

meilleurs guerriers de Phérégon, fut regroupée et

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 39

équipée dans la nuit qui précéda la première étape du

voyage.

Il fallait que cette petite armée descende vers le

midi de Formalow sur soixante lieues avant d’atteindre la

frontière de la Silérie et de Myrion. Mélinos et ses

compagnons devraient, sur cette distance, traverser dans

les jours à venir, les Montagnes Centrales du Royaume

de Phérégon par Le Col des Cristaux de Puissance. Les

Silériens étaient de robustes et rapides marcheurs. Bien

que leur résistance à la fatigue soit, de peu, plus faible

que celle des Korrigans, ils compensaient ce désavantage

par leur grande capacité de récupération. Le Druide et le

Roi comptaient marcher six lieues par jour, même

pendant l’ascension des montagnes. Avant d’entrer à

Myrion, la troupe voyagerait donc dix jours. Ensuite, une

nouvelle étape de vingt-deux lieues, sous les frondaisons

de la forêt, emmènerait le Druide et les Silériens sur les

rives de la mer d’eau douce. Là, trente bateaux de la

flotte du Grand Manoir de Castel-Druides les porteraient

jusqu’à la forteresse des Gardiens. Mélinos avait prévenu

les autres sages de son Ordre, grâce à Athénos, le pigeon

de feu de Niphilus.

L’oiseau au plumage flamboyant, doté d’une vitesse

bien supérieure à celle des aigles des Monts du Bout du

Monde, était parti le soir même de la rencontre de

Mégara. Il revint vers son maître avec une réponse de

Castel-Druides, alors que Phérégon et ses compagnons

se trouvaient au pied des Montagnes Centrales de Silérie.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 40

Ce soir-là, Le Roi, le Druide et les deux artisans

silériens dînaient ensemble, autour du foyer du camp. Ils

parlaient de la tournure des évènements surprenants qui,

ces derniers temps, ébranlaient les contrées libres de

Formalow. Il devenait difficile pour les Seigneurs de ces

pays, de maintenir la paix à leurs frontières. Comme

l’affirmait Mélinos, depuis la chute de l’Empire, le retrait

des Korrigans et des Léviathans dans les Terres

Sauvages, les batailles aux lisières des pays de

l’Ancienne Alliance, avaient emporté de nombreux

guerriers elfiques et humains. Même la Silérie subissait

régulièrement des invasions nocturnes de faible

envergure que les courageux paysans-forgerons

repoussaient avec rigueur. Cependant, depuis quelques

temps, la violence et l’importance des attaques allaient

en s’amplifiant.

Le Druide avait décidé de rester vague au sujet de

l’enchaînement des informations qu’il avait réunies aux

quatre coins de Formalow. Il expliqua à ses compagnons

que le secret était impératif pour parvenir à contrer

définitivement les forces mauvaises. Tous les efforts que

son Ordre avait fournis au cours des huit cents dernières

années, allaient certainement porter leurs fruits.

L’ensemble des connaissances que les Gardiens de

Castel-Druides avaient obtenues sur les Royaumes

Perdus et sur les mouvements des Korrigans, rendraient

aux Peuples Libres les magies et les armes qui jadis,

avant la perte des Forges de Nabachton, avaient

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 41

pratiquement failli écraser les plus puissants ennemis du

bien. Il ne convenait pas de dévoiler, en pleine nature,

même dans le sûr royaume de Phérégon, toutes les

ramifications et les perspectives de l’avenir. Il est clair

que les techniques de forgeage retrouvées par Niphilus et

apprises par son frère Arhus, étaient un élément essentiel

de cette affaire. Mais d’autres découvertes et d’autres

nouvelles venues de plus loin encore, portaient Mélinos à

penser que l’attaque contre le Seigneur des Ankous,

devait se faire bientôt pour assurer la défaite totale de

celui-ci.

Phérégon déclara :

- Les Royaumes Perdus, que les forces des

Ténèbres ont séparé de nos Contrées, nous manquent

terriblement. En portant tous leurs efforts sur la coupure

des communications entre les anciennes Terres de

Formalow et Nabachton, le Seigneur des Ankous et

Arthang le Noir, bien que défaits, ont évité

l’anéantissement absolu de leur puissance.

- Certes, confirma Mélinos. Mais Seigneur, malgré

le nombre de leurs esclaves guerriers et la magie noire

dont ils abusent, ils n’ont pas complètement investi les

montagnes littorales du Passage Oublié au nord-ouest du

Monde, ni la Passe Légendaire du Golfe des Royaumes

Perdus.

- Mon cher ami, répondit le Roi, vous n’ignorez pas

que le Conseil avait envoyé par-là, il y a trois siècles, une

colonne de quatre milles Elfes Géants et autant de marin

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 42

de Salermnos. Il en revint deux milles à peine. Ils étaient

épuisés et terrifiés par une force inconnue qui les avait

repoussés et tués en grand nombre, sans s’être montrée

distinctement une seule fois.

- Je sais tout cela, expliqua le sage. Je pense que

cette puissance obscure est composée d’esprits

maléfiques venus des tous premiers âges du monde,

d’une époque où les Elfes Géants étaient les seuls êtres

bienfaisants existant puisque les hommes et les Silériens

n’étaient pas encore nés. Aujourd’hui, c’est peut-être

des brides de ce pouvoir qui se sont alliées avec les

maîtres déchus de Formalow et qui tiennent en échec le

courage et la vigilance de nos patrouilles, aux frontières

des Terres Sauvages.

Un soldat de Phérégon apparut dans le cercle de

lumière produit par un châssis de cristaux de puissance

qui brillaient de mille feux en réchauffant les repas.

L’Homme, un capitaine de la garde du Roi, s’excusa

d’intervenir ainsi et annonça ensuite :

- Sire, le messager de Maître Niphilus, le pigeon

Athénos, est revenu au camp ce soir. Il a ramené cette

missive du Grand Manoir de Castel-Druides. Elle vous

est destinée à vous et à Maître Mélinos.

- Merci capitaine Braggor, j’espère que vous avez

pris soin de l’oiseau ? S’inquiéta le souverain de Silérie.

- Sire, le grand soigneur du palais s’occupe de bien

nourrir et de trouver une bonne niche pour l’excellent

pigeon de feu.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 43

- Parfait mon ami, passez votre service à Alphor

maintenant et allez vous reposer, vous m’avez bien servi

aujourd’hui.

- Merci, oh mon Roi ! Conclut le capitaine.

Il disparut dans l’ombre. Mélinos s’approcha de

Phérégon et tous les deux découvrirent ensemble le

message de Castel-Druides. Il était alarmant. Une armée

de cinq milles Korrigans, la plus forte troupe de ces

démons réunie depuis La Guerre des Larmes de Sang,

avait réussi à pénétrer, huit jours plus tôt, dans les

marches orientales de Formalow. Ils avaient bénéficié de

l’aide d’une force inouïe qui avait déjoué la résistance

des patrouilles de l’Alliance dans ce secteur. Si la

puissance qui avait permis cette invasion ne les

accompagnait plus, ils étaient pourtant parvenus à longer

l’Est de la Silérie, malgré la poursuite impitoyable des

soldats du Conseil et depuis quelques jours, ils se

déployaient à la lisière Sud de la Contrée des paysans-

forgerons, leur coupant ainsi la route de Myrion et de la

mer intérieure. Les Druides organisaient une expédition

avec les Elfes et les hommes de Salermnos pour attaquer

les arrières des envahisseurs mais, ils craignaient que ces

monstres entrent en Silérie par la plaine méridionale,

puis, se réfugient sur les montagnes centrales où ils

seraient quasiment inexpugnables.

L’armée du Roi devait impérativement gagner Le

Col des Cristaux de Puissance dès l’aube et en occuper

le point culminant avant les Korrigans. Les Silériens

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 44

seraient à un contre dix pendant ce combat. Seule une

position stratégique en plus de leur courage infini

contiendraient la phalange des serviteurs de l’ombre

jusqu’à l’arrivée des alliés de Myrion. Il n’était même

pas question, dans l’esprit de Phérégon, de contourner

les Monts centraux pour atteindre la frontière de Myrion

en évitant ses ennemis. Le monarque ne pouvait laisser

une force adverse aussi importante, s’installer ainsi dans

son pays mais aussi, verrouiller l’accès à la principale

source d’énergie de son peuple. Le sage comprit que les

Silériens n’éviteraient pas ce combat, fut-il perdu

d’avance. Niphilus et son frère Arhus, bien qu’ils ne

soient pas d’une caste militaire, monteraient aussi en

ligne, sans aucune crainte, leur épée à la main, pour

repousser les Korrigans.

- Demain, exposa Mélinos, nous devons partir très

tôt. Nous ne pouvons exiger de vos guerriers un effort de

plus cette nuit. Il leur faut se reposer pour accomplir

l’exploit d’atteindre le sommet du col dans la matinée et

d’affronter, sans doute dans le même élan, les nuées de

Korrigans qui nous sont envoyées.

- Pensez-vous que ces monstres soient venus

jusque-là par hasard ? Demanda Phérégon.

- Non, Sire !!! Arthang le noir et le Seigneur des

Ankous savaient que vous vous alliez vous mettre en

route pour le Conseil de Castel-Druides car ils ont

visiblement appris et compris ma quête en Silérie. J’ai

peur que dans nos propres rangs, la trahison s’installe.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 45

Elle est une force néfaste, bien plus grande contre les

peuples libres, que tous les démons et les artifices des

anciens maîtres de Formalow. Bonsoir Majesté, je dois

aller me reposer aussi car je me battrai à vos côtés et j’ai

des préparations à faire pour nous obtenir quelques

chances dans l’épreuve qui nous attend demain. Venez

Maîtres Niphilus et Arhus, je vous prie, je vais avoir

besoin de vous…

Sur ces mots, les deux forgerons et le sage partirent

ensemble vers leur tente, après avoir salué, une dernière

fois, le Souverain.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 46

- VII -

Le Druide se tenait devant un petit châssis de

cristaux. Il n’utilisa pas le pressoir pour libérer la lumière

et la chaleur des pierres.

Il exécuta quelques passes de ses mains qui

ressemblaient à des serres d’aigle, au-dessus des

gemmes. Ces dernières, se mirent à briller dans

l’obscurité de la tente. Elles ne rayonnaient pas du jaune-

orangé habituel. Elles flamboyèrent d’un bleu clair

brillant. Sous la violence de cette lumière, les traits du

Sage devinrent inquiétants.

Les deux forgerons, anxieux devant la puissance de

leur ami qui activait les cristaux de puissance sans même

les toucher, apportèrent chacun leur lame ainsi que celle

forgée pour l’Elfe par Niphilus et empruntée par Mélinos

dans le but de mener à bien son enquête. Le Sage prit les

armes avec respect et les posa sur les cristaux

scintillants. Aucune chaleur ne se dégageait du châssis,

mais, l’acier des épées devint aussi lumineux que les

pierres. Alors, se concentrant de tout son esprit,

penchant son vaste corps longiligne au-dessus de la

source radiante, le Druide prononça d’une voix forte une

incantation venue du plus profond des âges.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 47

- An becquet ar missen maro, eddroo

guelim gaïa ud meenemt arphazon beliz !

Kemen ar braz patuis enim nam guider peran

istar !

Niphilus, au cours de ses nombreux voyages aux

frontières de la Silérie, avait appris bien des légendes et

avait lu beaucoup de grimoires dans les bibliothèques

qu’il avait visitées. Il connaissait les bases de L’Elfique

du Premier Age, celui d’avant la venue des hommes et

des Silériens. Ainsi, il avait comprit la phrase récitée par

Mélinos :

- Au nom des forces de la nature, que la

puissance de la Terre et des mers renforce le

pouvoir de cette arme ! Que le bras maudit

d’un ennemi ne puisse jamais la manier !

A une époque lointaine qui ne connaissait aucun

Korrigan, aucun Léviathan et nul Seigneur des forces

obscures terrifiant le monde, Les Elfes Géants et leurs

cousins, plus petits, ces créatures sylvestres

bienfaisantes, consacraient leur vie, dans l’abondance de

la jeunesse du Monde, à étudier la magie blanche, les

astres des cieux et la construction des monuments

mégalithiques. Ils avaient développé des techniques

d’envoûtement bénéfique qui puisaient leurs énergies

dans le socle de la vie et du monde. En ajoutant un

charme de ces temps reculés à la construction

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 48

particulière des armes de Niphilus, le Druide venait de

pratiquer le plus ancien rituel des aciéristes de

Nabachton. Et si les principes de forgeage du Silérien

étaient identiques à ceux des fameux artisans du

Royaume Perdu, les trois épées que le Maître du savoir

avait bénies pouvaient, maniées par trois cœurs purs,

repousser seules la légion de Korrigans marchant vers les

Montagnes aux cristaux de puissance.

Et Mélinos se révéla comme un immense détenteur

de la connaissance et des sciences magiques. La lumière

des gemmes sur lesquelles reposaient les lames de

Niphilus diminua. Des runes luminescentes du peuple

des mégalithes apparurent sur les épées. La formule

prononcée par le Druide s’était ainsi inscrite dans l’acier

Silérien. Le Sage prit alors le plus grand glaive et le leva

vers le ciel de la tente. Le tranchant de l’arme scintilla

dans la lueur émise par le châssis de cristaux.

- Suggur ne m’en voudra pas d’utiliser son épée

pour le combat de demain, dit Mélinos. Surtout que

celle-ci est, bel et bien, un merveilleux exemple du

savoir-faire des forges de Nabachton, tout comme votre

poignard Niphilus et le votre Arhus. Mes amis, l’espoir

nous éclaire de nouveau. L’après-midi du prochain jour

verra renaître la grandeur de l’Ancienne Alliance…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 49

- VIII -

Dans la froidure de la matinée crépusculaire,

l’armée de Phérégon marchait à vive allure. Elle montait

la pente du col des cristaux de puissance en s’étendant le

long du chemin étroit et sinueux comme un serpent agile.

Les siluriens faisaient preuve d’une discipline de fer

qui leur assurait, pendant cette ascension dangereuse au

cours de laquelle ils côtoyaient de vertigineux précipices,

une vitesse de progression inouïe et une sécurité totale.

Le Roi et le Druide marchaient à la tête de la colonne.

Suivaient Niphilus et son frère adoptif Arhus, armés de

pied en cap et serrant fort le pommeau de leurs glaives

enchantés. Ils avaient reçu, de leur Souverain, de

magnifiques armures ouvragées avec le plus grand soin et

remarquablement solides, dignes des ferronniers

exceptionnels qu’ils étaient.

Les boucliers des Silériens brillaient dans les

premiers reflets de l’aube, comme les feux d’une coulée

de lave sur le flanc de la Montagne. La Silérie partait de

nouveau en guerre comme au temps jadis. Les paysans

qui, dans la plaine, s’étaient levés tôt pour visiter leurs

troupeaux d’holaongs en pâture dans le bocage,

comprirent que la colonne du Roi allait au devant du

danger. L’allure de la marche des soldats et l’éclat de

leurs armes reflétant l’aube avaient, aux yeux du peuple

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 50

des paysans-forgerons, une signification précise. Alors,

le tocsin résonna dans la campagne Silérienne. Bientôt,

du Nord au Sud de la contrée, les cloches qui, en temps

de paix, appelaient le pays à se réunir pour les fêtes où

quelquefois, à se regrouper pour combattre un incendie

accidentel, sonnèrent l’alerte à l’invasion. Les petits

artisans patauds du Roi Phérégon se transformèrent, en

quelques heures, en une puissante phalange de

redoutables combattants brandissant sans haine, sans

sauvagerie, mais avec fermeté les meilleures lames de

l’Ancienne Alliance. Sur les traces de leur souverain,

comme un fleuve roulant ses flots majestueux, naissant

aux portes de Mégara et s’enflant indéfiniment des

ruisseaux sortis de chaque village bordant la route de

Myrion, une légion colossale de Silériens se mit en

marche avec détermination. Il n’y avait nul besoin de

recevoir un ordre pour défendre le Royaume. Chacun,

ici, se sentait investi de cette mission depuis la venue des

premiers paysans-forgerons au début des âges.

En deux heures, La garde royale avait parcouru

quatre lieues. Les hommes de Phérégon ressentaient une

grande fatigue, mais, dans le soleil de la matinée, ils

étaient fiers. Ils voyaient déjà la fin de la montée

interminable du col et les gemmes de puissance qui

tapissaient les flancs des sommets. La lumière du jour

était jeune et bondissait sur les faces brutes des pierres

mystérieuses. Toute la Montagne paraissait faite de

diamants précieux. La réserve d’énergie de Silérie était

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 51

certainement inépuisable car, elle était abondante et

exploitée avec parcimonie. Tout à coup, des éclaireurs

quittèrent le haut du chemin et redescendirent en courant

vers leur troupe. Partis le soir-même, sans avoir pris de

repos, ils avaient atteint le point culminant de la route et

surveillé, toute la nuit, le Sud du pays. Installée là-haut,

une sentinelle habile pouvait distinguer le moindre

mouvement jusqu’à l’orée de Myrion.

L’obscurité d’abord et ensuite la brume matinale,

avaient empêché les gardes de repérer quoi que ce soit.

Puis, avec le chaud soleil d’été, l’atmosphère s’était

éclaircie montrant au pays effaré la colonne hideuse des

Korrigans, avec la couleur grisâtre et sale de ses

guerriers, la progression anarchique de ces derniers et les

hurlements des démons qui tombaient, de temps à autres,

dans le vide bordant le chemin, poussés par les

ondulations imprévisibles de leur troupe bestiale.

Ils ne leur restaient plus qu’un tiers de la pente à

parcourir avant d’atteindre le sommet. Ils marchaient

avec vélocité et ressentaient moins l’épuisement que les

Silériens. Il fallait que le Roi et ses hommes prennent

position en haut du col, avant l’arrivée des esclaves du

mal. Phérégon ordonna alors d’une voix tonnante :

- Allez mes amis, encore un effort ! Il nous faut

courir pour arriver encore plus vite là-haut !

Alors, les petits guerriers dont les épaules s’étaient

voûtées sous le poids de la distance impressionnante

qu’ils avaient accomplie depuis leur réveil, se

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Les forges de Nabachton. Page : 52

redressèrent et, poussant leur cri de guerre : « Pour

Mégara ! La reine des cités ! » Ils se ruèrent vers le point

culminant du col avec férocité. Dans les bocages du

Nord, au pied de la Montagne, le tocsin qui s’était mis à

sonner afin d’appeler leurs camarades à venir les aider,

renforça leur formidable courage.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 53

- IX -

Les Silériens s’étaient massés entre les deux falaises

encadrant le passage du col. Mélinos et Phérégon étaient

postés juste derrière la première ligne de défense,

constituée de leurs soldats les plus forts. Niphilus et

Arhus étaient à leur coté.

Les deux forgerons avaient dégainé leurs glaives et

les tenaient d’une main ferme. Ils étaient prêts à frapper

d’estoc et de taille les têtes et les bras des Korrigans qui

tenteraient de passer outre le mur des boucliers de la

garde.

La passe n’était pas large et le nombre, sur ce

chemin, n’était pas un atout pour des combattants. Avec

vingt soldats fermant le col, en ajoutant trente autres en

réserve, afin de remplacer les blessés, un bon stratège

pouvait résister des heures contre les Korrigans des

landes. Seuls ceux des montagnes, aussi grands et forts

que les hommes des abers de Salermnos étaient aptes à

briser, en perdant beaucoup des leurs, une ligne de

défense Silérienne.

Sur la pente Sud du col, les démons approchaient.

L’escorte du Roi entendait l’écho des sommets si purs de

ce pays, gémir sous les grognements et le langage infect

des monstres. Très gras, le cuir tanné de leur visage

chiffonné crispé dans l’effort, les Korrigans avalaient le

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 54

dernier quart de lieue les séparant de leurs ennemis

quasiment sur quatre pattes, tels des loups affamés de

guerre et de sang.

Si les esclaves du mal manquaient de courage, ils

supportaient bien la douleur et l’effort. Ils étaient

d’effrayants guerriers pour cette raison. Pendant la chute

de Formalow, des soldats libres avaient vu les démons de

l’Empereur, les flancs ouverts et les entrailles pendantes,

se battre encore avec fureur tant qu’ils n’avaient pas vu

leurs blessures. Pour arrêter des Korrigans, il ne fallait

éprouver aucune haine mais aussi aucune pitié. Il fallait

les tuer sans désir d’infliger la souffrance car, de toute

façon, il eut été vain d’essayer.

Niphilus fit un clin d’œil à son frère. Il avait

beaucoup lu sur les guerres de jadis et possédait une

grande connaissance théorique de ses adversaires. Il avait

tout expliquer à Arhus en émettant les réserves qui

conviennent, puisqu’il n’avait jamais eu de contact direct

avec les forces du mal. Cependant, il était rassurant pour

lui d’avoir appris leurs faiblesses et leurs forces, ne fut-

ce que par la lecture. S’il survivait à cette bataille, il

aurait désormais une expérience pratique des Korrigans.

Les premiers démons essoufflés se ruaient vers les

gardes du Roi en brandissant leurs grossières lances. Ils

affectionnaient ses armes qui tenaient à distance leurs

ennemis. Pourtant, ils perdirent rapidement leur entrain.

Les pointes d’acier fabriquées dans les cavernes

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 55

d’Arthang ripèrent sur les boucliers silériens sans même

rayer la surface brillante et lisse de ceux-ci.

Niphilus frappa le premier, comme l’eut fait la

foudre. Un des plus gros et des plus féroces esclaves du

mal, déséquilibré dans son élan par le détournement de

son pic, fonça vers le petit forgeron avec un cri de haine.

Le métallurgiste sauta de coté et, pendant que son

agresseur le frôlait, il lui trancha la tête au passage. Un

sang glauque et nauséabond se répandit dans le sillage du

corps décapité qui courut ainsi jusqu’au bord du chemin,

puis, se précipita dans le vide le bordant. L’épée du

Silérien flamboyait d’un éclat sanglant. Elle n’avait subit

aucune secousse ni freiné sur aucun obstacle en cisaillant

la colonne vertébrale du Korrigan.

Arhus sectionna les mains d’un officier maléfique

portant la livrée d’Arthang. Il le termina en lui passant

son poignard à travers la boîte crânienne. Mélinos,

grandiose et vif comme un tigre, fit virevolter sa large

épée dans la masse des agresseurs. Le vieux Sage était

particulièrement robuste malgré son apparence

longiligne. Des flots de sangs jaillirent des gorges

entamées mortellement et des flancs déchirés, en dépit

des lourdes armures.

Il y avait bien longtemps que les légions d’Arthang

le Noir n’avaient pas goûté une telle résistance des

paysans-forgerons. Elles firent grise-mine de ces

retrouvailles peu amicales et quittèrent le point culminant

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Les forges de Nabachton. Page : 56

du col en laissant deux centaines de leurs membres

définitivement couchés là, sur les cristaux de puissance.

La ligne de défense avait tenu bon. Constituée de

quarante solides Silériens arc-boutés sur des boucliers

quasiment indestructibles, elle avait repoussé le premier

choc avec une facilité étonnante. Les quatre cents

hommes de Phérégon restés en réserve, derrière la

passe, piaffaient d’impatience. Ils avaient hâte d’en

découdre avec les démons d’Arthang. Mais le moment

n’était pas encore venu. Le Druide et le Roi observaient

l’armée ennemie qui refluait en désordre sur la route du

col. Vers l’horizon, dans la lointaine plaine s’étendant au

pied des montagnes, on pouvait observer l’émeraude des

lisières de la Forêt de Myrion. Quand viendraient enfin

les renforts ? Personne ne pouvait le dire.

Les Korrigans venaient de subir un échec, mais ils

n’avaient pas encore prononcé leur dernier mot.

Mélinos, Arhus et Niphilus le découvrirent bien vite.

Dans les rangs noirâtres de leurs adversaires, les trois

alliés distinguèrent un mouvement brutal. Une vague

bouscula la masse hideuse. Quelques démons furent

projetés hors des rangs sur les cristaux de puissance et

quelques-autres chutèrent avec un hurlement d’effroi

dans le précipice longeant les sinuosités méridionales du

chemin. En tête des esclaves du mal, écartant leurs

proches parents sans ménagements, apparurent alors

d’immenses Korrigans des montagnes.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 57

Aussi grands que les puissants marins des abers de

Salermnos, plus résistants que les Elfes Géants de

Myrion et plus farouches que les sorciers des Terres

Sauvages, ces effrayants serviteurs d’Arthang étaient

capables, avec leur lourde massue de granit, d’infliger de

douloureuses pertes aux courageux paysans-forgerons de

Silérie.

Phérégon et Mélinos hurlèrent des ordres rapides.

Ils demandèrent à d’autres soldats de renforcer le mur de

boucliers. De rudes Silériens s’avancèrent vers la ligne

de défense. Ils augmentèrent la résistance du rempart

d’acier. Leurs camarades blessés en contenant le

premier assaut, bien qu’ils n’aient eu que de légères

écorchures revinrent au second rang avec les vaillants

chevaliers royaux aux glaives acérés. Leur rôle serait de

neutraliser les agresseurs qui parviendraient à franchir les

boucliers. Cette mission dangereuse restait moins

éprouvante physiquement que le soutien de la défense

directe.

En contrebas, les puissants Korrigans des

montagnes s’étaient regroupés et brandissaient leurs

armes terribles. Ils grognaient avec fureur en exhibant

leurs mâchoires carnassières sous leurs lèvres

retroussées. Ils frappaient le sol de leurs massues. Les

sommets encadrant le col tremblaient et les cristaux de

puissance qui jonchaient le flanc des monts tressaillaient

sous les coups. Quelques gemmes, gorgées de lumière et

de chaleur, se mirent à rayonner sous les chocs.

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Alors, les corps monumentaux des monstres

apparus dans la montée, se lancèrent contre les Silériens

dans une charge désordonnée et terrible. Le coup porta.

Les boucliers repoussèrent une grande partie des

ennemis, mais, trois brèches furent ouvertes par le

formidable choc des gourdins de pierre. Des soldats du

premier rang de Phérégon furent rejetés jusque dans les

lignes de réserve sous l’impact hallucinant.

Voyant leur camarade à deux doigts de céder,

malgré leur courage, Niphilus, Arhus, Mélinos et le Roi

lui-même, se ruèrent sur les gigantesques Korrigans. Le

Druide furieux fracassa, dès le premier coup de taille de

son épée, le heaume et le crâne du plus robuste ennemi

qui dirigeait l’attaque. Les deux forgerons géniaux

passèrent en trombe dans la forêt de jambes noueuses

qui se dressaient devant eux et, fauchant joyeusement les

obstacles avec leurs glaives flamboyant de colère, ils

tranchèrent une multitude de membres sinistres,

invalidant efficacement leurs nombreux adversaires

redoutables. Vifs comme la foudre et précis comme

l’aigle, les deux aciéristes se révélèrent des combattants

exceptionnels et leurs armes se montrèrent dignes des

lames de Nabachton, dont elles étaient les héritières

méritantes. Phérégon, massif et courroucé, massacrait

aussi avec ardeur au-devant de ses soldats qui achevaient

les vaincus sans pitié. Les grands Korrigans, malgré leur

force physique, n’étaient pas assez rapides pour tuer ces

phénoménaux petits guerriers à la résistance meurtrière,

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ni le grand Druide, plus dangereux qu’un tigre de

Myrion. Pris entre le mur de boucliers qui se refermait

après l’impact et les Silériens teigneux, de nombreux

combattants colossaux d’Arthang le Noir périrent dans

une effroyable débandade.

La seconde vague d’assaut des esclaves du mal

reflua vers la montée méridionale du col, abandonnant

les morts par centaines dans sa fuite. Cependant, les

paysans-forgerons avaient souffert eux-aussi. Les

réserves furent obligées de combler les brèches ouvertes

dans la ligne de défense tandis que des soigneurs

venaient à l’avant-garde, profitant du recul des

Korrigans, pour recueillir les malheureux Silériens

tombés dans la mort ou l’inconscience.

A peine Phérégon et ses hommes avaient-ils rétabli

l’organisation de leur défense, que Mélinos cria depuis le

mur de boucliers derrière lequel il observait la retraite

des démons géants :

- Ô Roi, ils se déploient jusqu’au sommet des

montagnes. Ils veulent nous déborder par le nombre et

certainement nous encercler.

- Prenez le commandement de mes archers mon

ami, dit le Seigneur des Silériens. Je reste dans la passe

pour maintenir le chemin libre. Vous, harcelez-les depuis

les hauteurs. Faisons vite Maître Druide !

La grande silhouette du vieux sage se dressa devant

les lignes de réserve et lança de sa voix tonnante :

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 60

- Allez ! Courageux enfants des royaumes libres,

vous avez entendu votre souverain… Prenez vos arcs et

suivez-moi ! Que la moitié d’entre vous escalade le flanc

Est du col, sur mes traces ! Que les autres montent à

l’Ouest avec Niphilus et son frère !

Aussitôt, deux colonnes de Silériens se ruèrent sur

les champs de cristaux de puissance qui tapissaient les

monts encadrant la passe. Les paysans-forgerons

s’alignèrent avec intelligence jusqu’aux sommets des pics

et rapidement bandèrent leurs puissants arcs métalliques,

pointant leur flèche vers la masse compacte des

Korrigans qui se répandait, elle aussi, sur toute la largeur

du goulet jusqu’aux hauteurs dominant celui-ci.

Alors, en tapant du pied et en grognant dans le

rythme de leur marche pesante, les démons avancèrent

vers la ligne étirée des Silériens si peu nombreux. Pour

Mélinos, Niphilus, Arhus et Phérégon, la stratégie était

très simple. Il fallait massacrer le plus grand nombre

possible des créatures d’Arthang le Noir avant que le

corps à corps avec eux ne commence. Les Silériens, à un

contre dix ne pourraient pas tenir longtemps malgré leur

courage et les armes magiques qui les avantageaient

depuis le début de la bataille, devant une telle nuée de

chimères insensibles à la douleur.

- Choisissez bien votre cible ! Ordonnait le Druide.

Tirez pour tuer ! Les Korrigans d’Arthang n’ont aucune

pitié pour les peuples libres. Ils vous haïssent avec tant de

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hargne, qu’ils se sont alliés au plus noir des monstres nés

dans les Âges Révolus, pour vous détruire.

Sur l’autre flanc, Niphilus commandait avec plus de

pragmatisme :

- Ils ont une faiblesse que leurs armures, manquant

de souplesse, ne peuvent protéger. C’est le point précis

qui sépare la gorge du torse. Si vous les atteignez-là, ils

tomberont instantanément, sans souffrance cruelle et

inutile. Vous devez en abattre le plus possible. Nous

devons résister jusqu’à l’arrivée des renforts car, si nos

amis sont mobilisés dans la plaine, leur avant garde ne

parviendra ici que dans la soirée. Les Elfes Géants de

Myrion marchent également à notre secours, mais, nous

ne savons pas où ils se trouvent actuellement, et, ils

peuvent êtres retardés dans leur progression par des

groupes d’adversaires laissés en arrière sur la montée

sud du col.

Les archers Silériens acquiescèrent, sans même

quitter des yeux les cibles qu’ils avaient déjà choisies.

Pendant ce temps, les monstres approchaient dans

un bruit de tonnerre et de grouillement affolant. Plus ils

avançaient, mieux les formidables tireurs Silériens

distinguaient leurs objectifs. Quand il furent à bonne

distance, les ordres de Niphilus et de Mélinos lâchèrent

en même temps la pluie de traits sur l’ennemi. Tout le

premier rang des Korrigans s’effondra sur le sol et roula

dans le chemin, en contrebas, engorgeant celui-ci des

corps maudits des démons. Ces derniers marquèrent un

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Les forges de Nabachton. Page : 62

arrêt. Aussitôt, une autre volée de flèches tomba sur

l’armée sinistre. Mais cette fois, des boucliers frappés de

la livrée d’Arthang le Noir, évitèrent aux monstres de

tomber en aussi grand nombre qu’à la première salve.

L’attaque était provisoirement contenue, mais les

Korrigans comptaient aussi des archers dans leur armée.

Derrière leurs rangs d’infanterie, deux milles arcs

s’armèrent. S’ils étaient moins puissants et précis que

ceux des Silériens, leur multitude les rendait invincibles.

Aussitôt, le ciel ensoleillé s’obscurcit sous le nuage de

traits qui s’était élevé au-dessus de la bataille et

retombait comme une trombe de pluie sur l’escorte de

Phérégon.

Les tireurs de la garde du Roi, en général, ne

montaient pas si loin à l’ennemi. Moins puissants

physiquement que les chevaliers et les porteurs de

boucliers, ils étaient plus habiles et plus prompts à

l’esquive. Leurs armures ne les protégeaient pas comme

celle des hommes du premier rang. Seul un grand

bouclier, qu’ils attachaient dans leur dos et qu’ils ne

déployaient qu’entre deux salves de leurs flèches,

pouvait leur éviter de graves blessures. Mais, sous la

grêle intense des pointes empoisonnées, la surprise les

engourdissait. Plusieurs dizaines d’entre eux tardèrent à

se retrancher derrière leur pavois. Souvent, ils ne furent

qu’égratignés par les traits des Korrigans.

Malheureusement, les philtres maléfiques dont étaient

enduites les flèches des démons tuaient en quelques

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secondes. La ligne des Silériens se clairsema. Les

paysans-forgerons se reprirent bien vite et se

recroquevillèrent derrière leur bouclier non sans avoir

encore abattu un bon nombre d’ennemis par vengeance.

Niphilus, Arhus, Mélinos, Le Roi et les défenseurs du

chemin, solidement protégés par leur cuirasse et leur

cotte d’acier, tournèrent le dos à la pluie mortelle, puis,

attendirent qu’elle perdit sa violence.

Les démons reprirent leur avance, imperturbables.

Les archers Silériens envoyèrent encore une bordée. Ils

devaient faire vite et l’efficacité de leur visée en souffrait.

Cette fois, les monstres ne ralentirent même pas leur

progression.

Le Druide s’inquiétait. Ses compagnons se feraient

plutôt massacrer que de céder devant leurs agresseurs. Il

fallait que le vieux Sage trouve un moyen efficace pour

repousser les forces du mal avant le corps à corps. Les

envahisseurs représentaient encore une telle multitude…

Mélinos se retourna brutalement en dépit des flèches qui

crépitaient contre son armure. Des cris de guerre

s’élevaient autour de lui et montaient du chemin. Le Roi

et son infanterie attaquaient la ligne des Korrigans en son

centre. Sur le flanc Ouest, Niphilus et son frère, entourés

de boucliers tenus par les plus solides archers de leur

compagnie s’avançaient vers les démons en faisant

tournoyer leurs glaives flamboyants. Un courage insensé

animait les petits habitants de ce pays surprenant. Ils

accomplissaient leur devoir avec une détermination

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 64

quasiment Elfique. Tout à coup, le moyen de la victoire

apparut au Gardien du savoir.

Sous le poids des Korrigans, les gemmes de

puissance s’illuminaient. Elles ne s’activaient pas

complètement mais, les pieds lourds et violents des

démons libéraient une petite partie de l’énergie

accumulée par les cristaux au soleil d’été. Alors, le

Druide se dressa de toute sa taille en rayonnant d’une

formidable « aura » magique. D’un simple regard, il

renvoya les flèches qu’on lui adressait avec une telle

fougue qu’elles transpercèrent plusieurs rangs de

monstres en provoquant la terreur de ceux-ci. Mélinos

tonna ensuite de toute sa voix profonde et claire, à

l’attention de ses alliés :

- Amis reculez vite ! La magie des Âges Oubliés va

sceller le destin de cette légion maudite. Il lança ensuite

en Elfique ancien, tout en brandissant son épée et en

écartant ses interminables bras. Ahr kazem peran

him perzian broadir !

Niphilus, son frère et les archers qui les

protégeaient n’eurent que le temps de bondir en arrière.

Phérégon ainsi que sa troupe de chevaliers et de porteurs

de boucliers reflua sur le chemin, derrière la passe. Les

cristaux flambaient brutalement d’un éclat blanchâtre.

Ce n’était pas le rayonnement rougeoyant et pourtant

chaud, habituel, c’était une lumière insupportable mais

aussi une chaleur quasiment solaire qui se dégageaient

des flancs de la montagne occupés par les Korrigans.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 65

Ceux-ci hurlèrent et, instantanément, brûlèrent comme

des torches tandis que leurs armures fondaient sur leur

corps et leurs glaives dans leurs mains racornies par la

température. Même les démons restés sur le chemin

tombèrent foudroyés par l’énergie ainsi libérée. La neige

des hauteurs, vaporisée, s’échappait désormais vers le

ciel en sifflant tandis que la roche des monts commençait

elle-même à rougir. La voix du vieux Sage domina de

nouveau le tumulte :

- Sinhem Ahr kazem peran non corian

broadir !

La débauche de lumière et de feu cessa aussitôt.

Les gemmes refroidirent et reprirent leur magnifique

éclat bienfaisant, ne laissant aucune trace des corps

démoniaques qu’elles avaient anéantis. Aussitôt, les

chants d’une vaste troupe de Silériens retentirent sur la

montée Nord du col. L’avant-garde de l’armée

regroupée en urgence par le peuple des paysans-

forgerons arrivait enfin au secours de son Roi avec la fille

de ce dernier en tête.

Les surprises n’étaient pourtant pas terminées. Des

officiers Korrigans terrifiés, qui avaient pourtant pris soin

de rester en retrait de leurs hommes pendant la bataille,

vinrent s’embrocher, tels des animaux affolés par un feu

de forêt, sur les épées des chevaliers Silériens qui

fermaient encore la passe. La fuite éperdue des démons

s’expliqua quand une phalange d’Elfes Géants, de

Marins et de druides, apparurent dans la montée

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 66

méridionale du col en chantant à l’attention de Phérégon

et de son peuple courageux :

- Tenez bon ! Seigneurs des forgerons ! Vos amis

de la Forêt et du Golfe viennent vous porter secours dans

la peine de ce jour que nous transformerons tous en

joie…

Mélinos, le Roi et tous ses hommes éclatèrent en

larmes de bonheur. Même s’ils arrivaient avec un peu de

retard, il était bon d’entendre des camarades aussi

joyeux de vous tendre la main…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 67

- X -

La grande légion de Korrigans qui venait de

trépasser sous les coups furieux de la magie déployée

par Mélinos, n’était qu’une petite patrouille détachée des

armées d’Arthang Le Noir.

Ces démons ignobles étaient venus dans le Monde à

la fin de « l’Age d’Or des Forêts ». Les Ankous, en ce

temps-là, commandés par l’Empereur à la puissance

encore jeune, avaient détourné la force magique des

dolmens construits dans le Nord-Est par les Elfes quand

ceux-ci étaient les seuls habitants de Formalow.

Ces allées couvertes canalisaient les forces

telluriques du Monde. Elles étaient utilisées par les

créatures bienfaisantes pour apporter la guérison, révéler

le pouvoir des jeunes magiciens ou bien communiquer

avec l’être absolu, créateur de Formalow.

Les mégalithes des créatures sylvestres, tant qu’ils

se trouvaient entre de bonnes mains, répandaient le

bonheur autour d’eux. Lorsque les forces du mal les

eurent asservis, ils leur autorisèrent l’aliénation des âmes

obscures issues des profondeurs de l’enfer. Des corps

furent produits par magie, en cultivant des cellules vitales

de prisonniers. Ces enveloppes de chairs contrefaites

furent ensuite associées à des énergies maléfiques

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 68

appelées des profondeurs sinistres du royaume des

Maudits.

Bientôt, des sortilèges terrifiants, amplifiés par les

dolmens infernaux, permirent aux plus puissants Sorciers

et aux Ankous d’envoûter le corps des enfants en

gestation dans le sein leur mère, afin que ceux-ci

accueillent des esprits maléfiques. L’abomination se

révélaient des années plus tard, dans des circonstances

astronomiques exceptionnelles.

Les forces du mal pouvaient en quelques semaines,

par ces méthodes odieuses, reconstituer une armée d’un

demi-million de serviteurs détruits par la guerre. Ces

monstres haïssaient les êtres naturels avec une hargne et

une sauvagerie indescriptible.

Créés et animés dans les montagnes, les démons

des Ankous devenaient incroyablement robustes et forts.

Quand ils avaient vu le jour dans les plaines, ils avaient

une constitution plus chétive mais possédaient alors une

ruse et des pouvoirs de dissimulation bien plus grands.

La merveilleuse victoire du Col des Cristaux

d’énergie, avait été belle, mais elle n’était pas décisive

pour la nouvelle guerre qui se préparait. De plus, les

forces de l’Alliance devaient impérativement se

regrouper et s’organiser afin de détruire définitivement

leurs ennemis ou bien accéder aux dolmens infernaux

pour en annuler les pouvoirs.

Le Conseil des Peuples Libres allait se réunir dans

le but de juger des ressources dont ils disposaient pour

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 69

enfin atteindre un de ses objectifs. Mais sans l’aide du

royaume perdu de Nabachton, le seul pays bienfaisant

qui n’avait pas été dévasté cruellement par « La Guerre

des Larmes de Sang », cet espoir ne serait qu’un rêve

inaccessible et les forces d’Arthang et du Seigneur des

Ankous domineraient bientôt Formalow pour toujours.

Les deux monstres finiraient même, peut-être, par faire

tomber la puissante Nabachton.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 70

- XI -

La mer intérieure de Myrion s’étendait sous les

yeux de Niphilus. Les survivants de la troupe silérienne

accompagnant Phérégon, ainsi qu’une cohorte de leurs

alliés avaient franchi le poste frontière de Myrion et

étaient enfin arrivés sur le port de Perna’ch. Le forgeron

avait beaucoup voyagé en Silérie. Il avait consulté de

nombreuses cartes de Formalow et admiré des centaines

de gravures exécutées par de grands explorateurs des

Âges Perdus. Cependant, il lui fallait reconnaître qu’il

n’avait jamais éprouvé l’impression ressentie par lui,

aujourd’hui, devant la formidable masse d’eau douce qui

couvrait quarante lieues de long sur vingt autres de large.

Et cette immensité n’avait rien de comparable à

celle de l’Océan Extérieur dont les limites étaient

inconnues des peuples libres, même des Marins de

Salermnos. Le forgeron se demandait si les aventures

dans lesquelles il était engagé maintenant, le conduiraient

un jour ou l’autre sur les rives du Golfe. Il se disait que si

la guerre contre Arthang le Noir et le Seigneur des

Ankous s’achevait de son temps, lui qui adorait la

géographie pourrait certainement naviguer sur un bateau

de Salermnos et se rendre, en compagnie des glorieux

marins des abers, vers de nouveaux mondes encore

inconnus.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 71

Déjà, il allait vivre une expérience extraordinaire de

plus. Il allait gagner, sur une flotte de solides navires à

rames, l’île où était construite la forteresse de Castel-

Druides. On disait que ce cœur de la résistance contre

l’Ancien Empire et les débris de malfaisance qu’il avait

abandonnés dans sa chute, était le lieu le plus enchanteur

de l’ancienne Formalow. Les Sages avaient bâti cette cité

en y regroupant tous les bienfaits de la science, de la

nature et de la magie et il était difficile, pour quiconque

n’ayant jamais eu la chance de visiter ce haut lieu, d’en

imaginer la beauté et la grandeur.

Mélinos s’approcha du Silérien qu’il trouvait

songeur. Il posa sa main sur l’épaule du petit aciériste et

lui déclara :

- Vous vous êtes montré d’un courage exceptionnel,

Maître Niphilus, pendant la bataille du col aux cristaux

de puissance. J’en ai, un instant, oublié que vous n’étiez

pas un militaire tant vous avez assumé votre mission avec

rigueur et efficacité. En chaque Silérien, il existe donc un

redoutable ennemi des forces du mal ?

- Comment le savoir Seigneur Mélinos, répondit

Niphilus. Mes lectures et mes voyages m’ont beaucoup

aidé là-haut. Mais si vous n’étiez pas intervenu, malgré

mes armes et la force de la garde royale, nous aurions

perdu ce combat.

- Je n’ai fait qu’apporter la touche finale à l’œuvre

de toute une valeureuse escouade, déclara le vieux Sage.

Quant à vos lames, mon ami, trois d’entre elles

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 72

seulement ont suffi à refouler la charge d’une puissante

phalange de Korrigans des Montagnes, les plus forts

guerriers mortels du Seigneur des Ankous. Alors,

imaginez que tous les hommes de l’escorte de Phérégon

aient disposé de vos épées ? Nous aurions sans doute

perdu moins de compagnons et nous n’aurions pas eu à

pratiquer, dans l’urgence, une magie oubliée pour

vaincre.

Après le combat de la passe des cristaux de

puissance, trois armées alliées, fortes dans leur

ensemble, de vingt milles combattants des trois espèces

opposées aux forces maudites, avaient opéré leur

jonction au cœur de la Silérie. Rapidement, les Druides,

le grand Mélinos en tête, avaient été sollicités pour

commander cette avant-garde de l’Alliance renaissante.

Depuis la fin de La Guerre des Larmes de Sang, jamais

une si grande troupe n’avait été réunie par les peuples

libres. L’espoir revenait avec cette victoire, et surtout, sur

cette montagne si pure, s’était cimentée, une fois de plus,

la fraternité des espèces les plus dissemblables, aspirant

au même idéal exhumé des cendres froides d’un

incendie ayant, jadis, changé le monde.

Les capitaines des Elfes Géants et des hommes des

abers, au cours du conseil de campagne qui s’était

imposé après la bataille, s’étaient mis aux ordres du

courageux Roi Phérégon puisqu’ils se trouvaient sur les

Terres de ce souverain. Mais ce dernier, dans sa sagesse,

avait prié les Maîtres du savoir, dont le labeur pour

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 73

conserver les secrets de l’Histoire vivants était reconnu,

de conseiller et de coordonner toutes les actions qui

naîtraient des conséquences de l’attaque des Korrigans.

Le Seigneur des paysans-forgerons put mesurer la

perspicacité de sa décision en découvrant la complexité

des plans que dessinèrent et appliquèrent, en quelques

heures, les Druides. Avant tout, ils scindèrent l’avant-

garde de la Nouvelle Alliance en deux parties.

Désormais, la Silérie était entrée en guerre et

comme les êtres maléfiques s’acharnaient contre elle, il

fallait d’urgence protéger la frontière septentrionale de

ce royaume. Dix mille soldats partirent donc sur-le-

champ en direction des marches du Nord, afin d’appuyer

les petites patrouilles Silériennes de garde-frontière. A

ces unités, on expédia des dizaines de pigeons de feu

avec des messages de leur Roi et de la Princesse

Saurane. L’objectif de l’Alliance était désormais de

réunir tous ses combattants d’élite afin de reconstituer de

nouveaux corps d’armée, susceptibles de repousser la

menace grandissante des légions d’Arthang et de

l’ancien lieutenant de l’Empereur.

Pendant les huit cents années de paix vigilante, des

actions de guérilla avaient été particulièrement efficaces

contre les lambeaux des forces du mal. Celles-ci avaient

été contenues dans les déserts septentrionaux avec de

très petites pertes pour les Peuples Libres tout en

entretenant leur combativité. Et ces exercices pratiques

de guerre contre la haine et le malheur, n’avaient pas été

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 74

inutiles bien qu’ils aient parfois abouti à de douloureuses

épreuves pour les soldats du bien. En effet, au cours de

la grande bataille du col des cristaux, l’Alliance avait su

éveiller sa puissance endormie par une paix fragile de

huit siècles.

L’autre partie de l’avant-garde de l’Alliance, fut

alors dirigée par les Gardiens du savoir, vers le Nord-Est

de l’Ancien Empire de Formalow. Elle devait réunir les

petits groupes de sentinelles qui avaient été mis à mal par

une force inconnue, au début de l’invasion des

Korrigans. Il fallait déterminer ce qu’était ce nouveau

pouvoir des Ténèbres et surtout, le contenir jusqu’à la

grande assemblée de Castel-Druides. Pendant ce grand

événement, les connaissances récoltées et renforcées par

les Sages seraient révélées aux Seigneurs des peuples

libres. Elles leur donneraient certainement de puissants

moyens de lutte contre les différents maléfices sans cesse

inventés par les émules de l’Empereur Déchu.

Niphilus restait silencieux. Tout en songeant à

l’avenir du Monde, il continuait d’observer la grande

jetée du port de Perna’ch sur laquelle s’étaient installés

les deux cent cinquante Silériens de l’escorte de

Phérégon qui étaient indemnes après les combats, les

quatre cents Elfes Géants ainsi que les trois cents marins

de Salermnos ayant accompagné le Roi de Silérie et ses

compagnons dans leur traversée des sous-bois de Myrion

jusqu’à la Mer Intérieure. Le petit forgeron scrutait aussi,

de temps à autre, l’horizon qui commençait à rougir

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 75

doucement sous le soleil couchant. Il attendait avec

impatience l’arrivée des grands navires de Castel-

Druides.

D’aucuns prétendaient que ces longs vaisseaux,

mus par deux rangs de rames, étaient les plus

confortables et les plus sûrs bateaux qui existaient.

Même les nefs des abers de Salermnos, robustes et

maniables, n’étaient pas vastes et puissamment armées

comme les galères de Myrion. Les marins du golfe

utilisaient principalement des voiles pour propulser leurs

bateaux. Les Druides, plus techniques, avaient mis au

point une machinerie qui permettait d’animer les rames

de leurs embarcations, par les forces combinées de

plusieurs attelages de licornes entraînées à ce travail. La

tâche demandait de la part des animaux un dévouement

profond à leurs maîtres. Cependant, comme les

splendides montures étaient toujours bien traitées et

même choyées par ces derniers, le service rendu était

exemplaire et les vaisseaux de la Mer Intérieure

naviguaient toujours vite et bien.

Les hommes des abers auraient été heureux

d’intégrer dans leur fabuleuse flotte plusieurs galères de

Myrion. Mais, il était quasiment impossible d’en

construire sur les rives de Salermnos, et, nulle rivière ou

canal ne partait de la Mer Intérieure pour rejoindre le

Golfe. Les possibilités de renforcer la force maritime des

hommes, allait pourtant être discutée durant le Conseil.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 76

Soudain, les yeux perçants de Niphilus découvrirent

dans les feux du soleil mourant, au sud du port, les

silhouettes de l’Armada de Castel-Druides. Comme

l’affirmaient les récits de voyageurs et les dessins

qu’avait consultés le métallurgiste érudit, au cours de ses

voyages en Silérie, les nefs des Maîtres du savoir étaient

belles et pourtant, elles donnaient une impression de

force hallucinante.

Les trente forteresses flottantes aux hauts bords de

blanches pierres légères et résistantes, se déplaçaient

rapidement sur l’eau comme des albatros dans le ciel,

malgré leur construction évoquant les fortifications des

royaumes libres. Elles furent bientôt prêtes à s’ancrer le

long de la jetée ou bien dans l’anse de Perna’ch. La

manœuvre d’approche d’amarrage des immenses nefs,

fut parfaite. Les Silériens, peu habitués aux choses

maritimes, comme les hommes des abers pourtant

rompus à la navigation, furent admiratifs devant

l’ampleur et la précision de cette opération.

Dans les flancs des gigantesques galères, 3000

cavaliers elfiques et humains avaient été amenés en

urgence. Ils allaient eux-aussi, comme les renforts qui

étaient apparus à la fin de la bataille du col des cristaux

de puissance, se séparer en deux troupes qui gagneraient

respectivement le Nord et le Nord-Est des marches des

Terres Sauvages. Une cavalerie plus importante faisait

déjà mouvement par les sentiers secrets de la grande

forêt, mais cette avant-garde parviendrait plus

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 77

rapidement sur la frontière. Elle faciliterait l’attente des

renforts aux hommes déjà en première ligne.

Le débarquement de cette phalange montée se fit en

peu de temps. Une partie descendit directement des

bateaux amarrés le long de la jetée. L’autre fut

transférée des galères qui l’avaient transportée jusqu’au

quai et qui étaient ancrées en pleine eau, par

d’étonnantes barges de débarquement. Celles-ci

sortirent, au grand étonnement de tous les spectateurs,

des flancs des grands navires où elles étaient dissimulées.

Lorsque toute l’escouade de licornes, d’hommes et

d’Elfes Géants, fut réorganisée sur la jetée, elle s’aligna

en une superbe colonne large de quatre cavaliers, puis,

avança vers le port entre leurs camarades et les silériens

attendant l’embarquement qui formaient une haie

d’honneur. Le récit de la bataille du col avait dû leur être

apporté par des pigeons de feu car, en passant devant les

soldats de Phérégon, les chevaliers du Golfe et des

combes forestières des Monts du bout du Monde,

abaissèrent toutes les bannières des Seigneurs des abers

et de Castel-elfe afin de rendre honneur au peuple des

paysans-forgerons.

Le courage de ces combattants de petite taille mais

aux cœurs vaillants, avait été une fois de plus démontré

et nulle autre espèce libre ne le méprisait. Bien au

contraire…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 78

- XII -

Les galères de Myrion approchaient de l’île de

Castel-Druides. A peine embarqués Phérégon et ses amis

avaient senti que la flotte des gardiens du savoir reprenait

la route pour rejoindre la principale forteresse de la Mer

intérieure.

Niphilus, infatigable curieux se tenait sur le château

de pilotage du bateau. Des Druides marins, Phérégon, la

Princesse Saurane, Mélinos et son frère Arhus étaient là

aussi, contemplant la marche étonnante du navire.

Les navigateurs commandaient et dirigeaient le

vaisseau depuis une tour élevée au milieu du pont de la

galère. De cette place renforcée par des murs de pierre

et un vitrage très translucide mais infiniment résistant, il

était possible de voir toute la flotte et la zone dans

laquelle celle-ci évoluait, sur des lieues et des lieues à la

ronde. Le forgeron et son frère avaient étudié la roche

qui composait les remparts du bateau. Elle était blanche,

moins dense que du bois et pourtant capable de

supporter de terribles coups de béliers sans se fissurer.

Derrière les murailles protégeant le pont de

l’embarcation, de formidables catapultes devaient servir,

en cas d’attaque, à répondre aux assauts. Ces machines

de construction soignée semblaient particulièrement

menaçantes aux Silériens.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 79

Les Druides marins savaient choisir leur cap et la

vitesse des galères. Elles répondaient docilement à leur

capitaine et devaient représenter de redoutables machine

de guerre pour les ennemis des Gardiens du savoir.

Tout à coup, dans la lumière rasante du crépuscule,

la silhouette de la merveilleuse île de Castel-Druides se

découpa. Couverte d’une forêt luxuriante d’un vert

émeraude, entourée d’un littoral découpé par des

rochers de granit rose flamboyant sous le soleil, cette

perle posée sur l’eau pure de la Mer Intérieure, s’élevait

en douceur jusqu’en son centre. Sur ces hauteurs faites

d’une belle colline boisée, l’île se couronnait d’une

formidable Cité fortifiée blanche. Ses murs inspiraient un

respect infini à ceux qui les découvraient. Les colossales

tours qui les défendaient s’ornaient de toutes les

bannières des royaumes libres. Aucune armée, aucune

force magique ne semblait pouvoir anéantir cette

forteresse. Depuis les âges les plus éloignés, Castel-

Druides durait. Ce bastion des forces du bien avait résisté

aux Sorciers, aux Léviathans et à l’Empereur.

Au pied de la ville, dans un cirque imprenable de

granit, le port des Gardiens attendait l’arrivée de la flotte.

Tandis que les trente galères avançaient vers la porte

fortifiée du havre, dans le jour qui diminuait, les

passagers du poste de navigation voyaient maintenant les

nombreux quais où étaient amarrés des centaines

d’autres vaisseaux de Myrion. Soudain, alors que

l’ultime rayon du soleil enflammait les murs de la ville,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 80

des cristaux de puissance, installés dans des lanternes

géantes au sommet des donjons gardant l’accès du port,

furent activés par la magie des Druides. La flotte put

ainsi continuer sa course vers son abri, malgré l’ombre

qui tombait sur la Mer Intérieure.

Dans une progression rapide, cadencée par les

bruits des rames qui entraient et sortaient de l’eau avec

la régularité mécanique de la machine mise au point par

les Druides pour propulser leurs bateaux avec des

licornes, la flotte franchit les tours de garde lumineuse du

port, puis, l’armada vint paisiblement toucher les quais

qui l’attendaient. Le conseil aurait lieu le lendemain et là,

Niphilus saurait enfin ce que les sages attendaient de lui.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 81

- XIII -

Les immenses fenêtres de la salle du Conseil de

l’Ancienne Alliance dominaient Castel-Druides. La

forteresse et son impressionnant système de défense

s’étendaient ainsi sous les yeux des Seigneurs qui

présidaient la réunion des peuples libres.

Neufs trônes étaient installés au fond de la salle. Sur

les trois du centre, il y avait Mélinos qui se dévoilait

comme un grand Maître du savoir, Helmos, le capitaine

des Druides marins et Halfaros, le chef de guerre de la

forêt de Myrion. A Leurs côtés, deux majestueux

Seigneurs des Elfes Géants siégeaient. L’un, Suggur, était

celui qui avait commandé une épée à Niphilus. L’être

forestier avait d’ailleurs fait cadeau de cette dernière à

Mélinos qui l’avait couverte de gloire pendant la bataille

du col des cristaux de puissance. Suggur était le général

en chef de l’infanterie elfique. Namur, l’autre guerrier

sylvestre était le commandant de la cavalerie de ce

peuple. Niphilus, vit aussi que deux Ducs des abers de

Salermnos étaient aussi des membres du Conseil de

l’Alliance ainsi que le Roi Phérégon et la Princesse

Saurane.

La fille du Seigneur des Silériens était belle. Comme

son père, elle était grande et possédait toutes les

caractéristiques charmantes de son espèce, mais, elle

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 82

était aussi dotée des magnifiques qualités humaines des

Princes de Salermnos. Niphilus était ému par cette

beauté féerique. Lui et son frère ne se tenaient pas sur

un trône, mais, ils assistaient à la grande assemblée de la

Nouvelle Alliance aux places d’honneur. Tout à coup,

alors que chacun échangeait son point de vue à mots

couverts avec son voisin, la voix formidable de Mélinos

retentit, provoquant le silence :

- Mes Seigneurs et amis, je suis heureux de vous

voir tous ensemble ici, unis comme l’étaient vos aïeux au

temps de la chute de Formalow. Nous allons

certainement en finir enfin avec les forces maléfiques de

l’Ancien Empire. Bien sûr, nous allons vers de nouvelles

souffrances et nous devrons devancer les Ténèbres pour

réussir mais cette fois, nous ne serons pas payer de nos

peines par une simple paix vigilante, conservée au prix

de nombreux combats meurtriers sur les marches de nos

royaumes. En effet, comme à l’époque où les Royaumes

Perdus n’étaient pas encore séparés de nous par la

désolation d’Arthang le Noir, nous avons retrouvé une

partie du secret des armes qui ont vaincu les Sorciers et

les Léviathans jadis. Ils ne manquent à leur complète

fabrication que les rites magiques qui leur

communiquaient la toute puissance nécessaire à la

destruction des sorts maléfiques protégeant nos ennemis.

Avant la bataille du col, j’ai moi-même appliqué une

bride du cérémonial antique que je suis parvenu à

reconstituer, il y a quelques années, sur des lames

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 83

forgées en Silérie par les aciéristes Niphilus et Arhus,

présent ici auprès de nous. Cette magie, bien que

partielle, fut d’une efficacité redoutable contre une

troupe de grands Korrigans des montagnes. Il est donc

vital que nous tentions tout notre possible pour retrouver

les Royaumes Perdus. Le savoir-faire de notre ami

Niphilus et de son frère viennent de nous apporter les

moyens de rouvrir la passe des Monts du Nord-Ouest.

- Pourriez-vous nous faire partager le récit de la

quête qui vous permit, demanda Suggur, de localiser et

de comprendre les compétences des deux maîtres

forgerons Silériens, Seigneur Mélinos.

Mon cher ami, dit le Druide, lorsque vous m’aviez

confié votre épée pour lui trouver un fourreau

suffisamment résistant, je n’ai pas réalisé tout de suite

l’importance de votre demande. Certes, pour nous deux,

à ce moment-là, il ne s’agissait que d’un problème

technologique à résoudre et non pas d’une découverte

qui pouvait changer l’histoire de cet Age. Ce n’était pas

la première fois que les forgerons du peuple de Phérégon

sortaient de leurs ateliers des lames d’une qualité aussi

surprenante. Cependant, les artisans de Castel-Druides,

souvent admiratifs devant le savoir-faire des

métallurgistes Silériens, montrèrent la plus vive émotion

lorsqu’ils me déclarèrent que votre épée, Seigneur

Suggur, montrait des qualités mécaniques identiques aux

rares lames de Nabachton que nous possédons encore

dans les arsenaux de Myrion et que nous n’osons pas

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 84

utiliser car nous ne savons pas les entretenir, elles ont

toutes huit ou dix siècles d’existence. Alors j’entrepris

aussitôt d’enquêter sur le Maître Silérien ayant travaillé

cette merveille avec une telle dextérité. Je plongeais aussi

dans de longues heures d’étude, au cœur de notre

bibliothèque. J’y exhumais les plus vieux grimoires de

magie et de science de la forge que je parvins à trouver

dans les rayonnages infiniment anciens. Ces ouvrages

millénaires avaient été écrits par les Seigneurs de

Nabachton au temps de la splendeur de ce Royaume,

lorsque les caravanes venues de ce pays perdu

distribuaient les réalisations merveilleuses de ses ouvriers

fantastiques jusqu’aux ports de la Mer Intérieure. J’y

appris une partie des secrets qui firent la réputation des

artisans nabatéens et je compris ainsi que les armes

produites par Maître Niphilus étaient exactement

identiques techniquement aux fameuses lames de jadis.

Seule la magie oubliée, désormais, fait défaut pour

insuffler toute la force du temps passé à nos moyens de

défense. Par la suite, je lisais dans les archives de Castel-

Druides concernant le pays de Phérégon, l’histoire

extraordinaire d’un enfant Silérien de trois ans

découvert, il y a plus d’un siècle, dans un campement

militaire dévasté à l’entrée du Passage Perdu. Cette

escorte venait du Nord-Ouest disparu. Leurs armes et

leurs cuirasses correspondaient aux descriptions des

guerriers de Nabachton remontant à la chute de

l’Empire. Ils avaient été, sans doute, envoyés vers nos

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 85

contrées pour rétablir la communication entre leur nation

et la nôtre, mais, trop peu nombreux, ils avaient été

vaincus par les forces mauvaises d’Arthang Le Noir, qui

grouillent comme un océan furieux, au pied des Monts

du Passage Perdu. Cependant, les desseins du monstre

avaient été contrariés puisqu’un gamin avait échappé au

massacre. Celui-ci, retrouvé vivant par une patrouille de

courageux marins des abers de Salermnos, fut remis au

Roi Phérégon qui régnait déjà en ce temps-là. Le Sage

monarque des paysans forgerons confia le petit à une

solide famille de son pays. Ces braves gens l’élevèrent

dans le bonheur et la simplicité tout en favorisant sa

curiosité naturelle et son esprit ingénieux. Ainsi, je peux

affirmer que notre ami Niphilus est un maître aciériste du

royaume de Nabachton, puisqu’il est l’enfant survivant.

Un grand silence se fit dans la salle du Conseil de la

Nouvelle Alliance. Tous les seigneurs présents

observèrent avec acuité le jeune Silérien tandis que ce

dernier les regardait avec surprise et confusion, sans

prononcer une parole.

- Seigneur Mélinos, reprit Suggur dont les larges et

puissantes épaules avaient frémis d’étonnement. Je suis

certain de la véracité de tous les évènements dont vous

nous faites le récit. Cependant, comment Maître

Niphilus, dont jamais je ne contesterai l’habileté en

métallurgie, peut-il se souvenir d’un art dont il n’aurait

vu l’application qu’au cours de sa tendre enfance, alors

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 86

qu’il ne se rappelle ni d’où il vient, ni comment il est

venu.

- Dans la bibliothèque de Castel-Druides se trouve

un autre ouvrage incomplet sur la transmission du savoir

dans les plus grands Royaumes Perdus, expliqua le

Vieux Sage. Par leurs écrits, je sais que les pédagogues

des mondes oubliés choisissaient jadis les enfants les plus

aptes à apprendre une discipline scientifique, historique

ou ésotérique grâce à la magie. Après leur sélection, les

candidats étaient soumis à une cérémonie télépathique

qui leur inscrivait, dans une zone cachée de leur

mémoire, les connaissances nécessaires à

l’accomplissement de leur destin. Tant qu’ils étaient

enfants, les élèves restaient inconscients de leur

expérience. Cependant, dès la fin de l’adolescence, ils se

mettaient à pratiquer, comme par instinct et avec de plus

en plus de succès, les sciences et les arts pour lesquelles

ils avaient un penchant naturel. Il semblerait que mon

ami Niphilus ait appris, par cette façon géniale, les bases

techniques et théoriques des forges de Nabachton mais

aussi celles de l’exploration et de la cartographie du

Monde de Formalow.

- Voilà qui provoque mon admiration sans limite,

déclara Le Goua’ch, un des Ducs du Golfe de

Salermnos. Nous avons donc dans nos rangs, un des plus

grands concepteurs d’armes des Royaumes Libres. Nous

nous en remettons à vous, Seigneur Mélinos, pour

employer cet extraordinaire avantage au mieux, avec

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 87

l’accord bien sûr, du maître-forgeron et de son estimé

souverain, le Roi Phérégon.

- Effectivement, mon ami, dit le monarque des

Silériens. Dites-nous quel plan adopter à partir d’une

telle découverte ?

- Oui maître Mélinos, lança Niphilus avec passion.

Que puis-je faire pour donner la victoire à la Nouvelle

Alliance ?

- Mon plan est simple et complexe à la fois, assura

le Druide en observant de son regard d’aigle l’aciériste.

Tous les forgerons de Silérie, des forteresses de Myrion,

des abers et des cités elfiques, devront suivre ici, à castel

Druide, un enseignement que vous leur transmettrez,

vous et votre frère. Car il ne faut pas oublier que si vous

connaissez le savoir-faire de Nabachton mon cher ami,

celui qui a partagé fraternellement votre atelier durant les

cent dernières années de votre précieuse existence, les

connaît aussi. C’est une des raisons pour lesquelles le

maître Arhus vous a accompagné ici.

Cette fois, le parent et le confident de Niphilus,

rougit à son tour sous les regards respectueux des Rois

du Conseil.

- Votre première action, à tous deux, sera donc de

former les artisans d’une formidable institution destinée à

armer les bras des peuples libres, dans le but unique de

repousser le mal. Mais votre contribution à cette victoire

ne se limitera pas à ce rôle honorable de professeur.

Deux chemins séparés, malheureusement, vous attendent

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 88

dès que les lames de la Nouvelle Alliance commenceront

à s’aiguiser avec succès sur les enclumes de vos élèves.

Vous Niphilus, vous partirez avec une petite troupe

composée des meilleurs guerriers et artisans de toutes les

espèces libres. A bord d’une flotte qui prendra la mer

dans l’Aber d’Armenos, vous gagnerez le Golfe des

Royaumes Perdus. Là, vous débarquerez sur les

contreforts des Monts du passage oublié. Il vous faudra,

avec vos compagnons, franchir les Monts afin d’entrer à

Nabachton. Les nouvelles armes et la magie, même

partielle, que je pratiquerai sur elles vous permettront de

repousser les légions qu’Arthang le Noir lancera contre

vous. De plus, comme vous serez choisis en raison de

vos esprits ingénieux, si la force des glaives enchantés ne

suffit pas, vous compenserez par vos initiatives. Je

proposerai au Conseil de l’Alliance une liste de héros

capables d’assumer et de réussir cette mission en votre

compagnie. Arhus, vous, vous serez tenu de diffuser le

plus largement possible vos connaissances dans la

confection des lames et des boucliers. Nous avons une

armée de sept cent mille guerriers à équiper. Nous

devrons aussi lancer des attaques de diversion sur les

frontières de la Désolation d’Arthang et sur les marches

du Nord afin de disperser la puissance de nos deux

ennemis. Votre courage et votre initiative, ceux dont

vous avez fait preuve dans Le Col des Cristaux de

Puissance, me poussent à vous confier la coordination de

ces manœuvres. Ainsi, votre frère, grâce à votre action

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 89

ici, parviendra peut-être à atteindre avec sa compagnie

intacte, les Forges de Nabachton où réside l’espoir du

Monde Libre.

- Mais Seigneur Mélinos !!! S’étonna le jeune

Silérien désigné par le vieux maître du savoir. Comment

pourrais-je commander les armées de l’alliance, moi le

simple forgeron d’un petit bourg de Silérie. Mon Frère

Niphilus connaît beaucoup mieux le monde et les

stratégies de la guerre. Il les a étudiés au cours des

voyages et des recherches qu’il se complait à faire

pendant ses loisirs.

- Maître Arhus, assura le Druide en riant, « bon

sang ne saurait mentir » comme disent nos amis les

Marins des Abers. Votre modestie est grande mais

sachez que votre Arrière-Arrière-Grand-Père fut le

formidable Nicéphore Orlos. Ce colossale Silérien qui

combinait les qualités de votre Race et de celles des Elfes

Géant, puisqu’une de vos ancêtres, mon ami, était une

belle dame de Castel Druide, fut l’intraitable général en

chef des armées de l’Alliance d’or et de Paix. Au prix

d’effroyables combats auxquels personne, pas même

l’être suprême de Formalow, ne sait comment il

survécut, votre célèbre aïeul devint le fléau des

Léviathans et des sorciers. Son nom de guerre, dans les

rangs de nos ennemis, était « Le griffon furieux de

Mégara ». Quand les Ankous entendaient sonner, sur les

rives de la désolation du Nord, ils s’enfuyaient en

tremblant. On prétend, dans les grimoires maléfiques de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 90

cette époque, que même l’Empereur déchu redoutait une

confrontation avec ce furieux Forgeron-Paysan.

- Mais Maître, fit Arhus, je connais l’histoire et la

réputation de ce formidable héros silérien. Cependant,

personne ne m’avait dit que j’étais un descendant de ce

colosse. Pas même Oberlon, notre honorable père.

- Il l’ignorait mon jeune ami, déclara le Druide. Je

l’ai moi-même appris par hasard, pendant ma recherche

sur le fabriquant du glaive de notre bon Seigneur Suggur.

Je n’étais pas certains totalement de cette nouvelle. Mais,

pendant la bataille du Col des cristaux de puissance, je

vous ai vu à l’œuvre Arhus, et j’ai reconnu dans votre

fermeté et votre force, le merveilleux Nicéphore, que j’ai

côtoyé au temps de la « Guerre des Larmes de Sang ».

Vous serez le meilleur guide que nous puissions trouver

sur Formalow pour conduire nos guerriers dans la grande

bataille qui les attend. Il vous faudra mener un

harcèlement désespéré contre un effroyable antagoniste,

féru de ruse malsaine. Vous devrez vous révéler aux

forces des ténèbres uniquement pour attirer sur vous les

foudres qui pourraient arrêter votre frère et ses

compagnons dans sa quête vers Nabachton. Je ne

connais pas de représentant des espèces libres plus aptes

à mener cette action que le digne descendant du « griffon

furieux de Mégara ».

- C’est une bien lourde tâche qui nous est confiée,

assura Niphilus, mais si elle peut nous affranchir des

dangers du Nord.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 91

- Je suis sûr que vous saurez faire les sacrifices

indispensables à la victoire tous les deux, déclara

Mélinos. Maintenant, il est un second plan à réussir pour

vaincre le mal et rétablir les communications entre nous

et les Royaumes Oubliés . Il sera impératif de rouvrir la

voie maritime, fermée au Nord depuis la venue

d’Arthang. Je vais donc, avec les Elfes et les Marins de

Salermnos, élargir la route existante du port de Kerna’ch

jusqu’à l’aber d’Armenos. Nous en tracerons ensuite une

autre vers Landreger, mais, cette dernière demandera

plus de temps et de travail avant d’être utilisable. Nous

avons constaté récemment que des légions de Korrigans

pouvaient franchir nos défenses et menacer nos pays

jusque dans leur cœur. Ces chemins agrandis ou

construits seront évidemment fortifiés et surveillés par

des patrouilles que nous nous devons de prévoir dans

notre dispositif militaire. Avant que six mois ne se soient

écoulés, une armada de galères de la Mer Intérieure,

entièrement réalisée dans ce but, sera transportée par le

nouveau chemin sur de vastes chariots adaptés à cet

gigantesque tâche, puis, cette flotte sera confiée aux

Seigneurs des abers et lancée à Armenos. Dans l’année

qui suivra, une autre escadre sera déployée à Landreger.

Avec cette nouvelle force maritime, nous détruirons les

créatures marines dévouées au mal qui ferment la route

océanique du Nord. C’est sur les premières galères

lancées à Armenos que je compte faire voyager la

phalange destinée à accompagner notre ami Niphilus

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 92

jusqu’à Nabachton. Nous ne pourrons pas, en moins

d’un an, détruire les monstres abyssaux qui interdisent la

jonction avec le Nord-Ouest oublié, surtout tant que la

puissance d’Arthang sera intacte. Mais, nos navires

pilotés par les excellents marins de Salermnos,

atteindront plus sûrement le Golfe des Royaumes Perdus

sans encombre, que les bateaux propulsés par le vent,

moins maniables contre des grands animaux hostiles et

rapides à la nage. Enfin, il est un troisième point essentiel

dans cette Guerre des Forges de Nabachton qui a

commencé là-haut, sur les montagnes de Silérie. Nous

devons identifier les nouveaux alliés du Seigneur des

Ankous qui, par deux fois au cours de ces temps, ont

tenu en échec nos plus courageux guerriers. Le

lieutenant de L’Empereur déchu a perdu les sorciers et

leurs Léviathans. Une force inconnue l’a rejoint. Je sais,

par les grimoires de la bibliothèque de Castel-Druides,

que les Elfes des Premiers Ages ont affronté avec les

Maîtres de Nabachton, une terreur identique avant la

naissance de l’Empire. Mon espoir de gagner cette

dernière bataille contre le mal, réside dans la possibilité

que, les Archives des Royaumes Perdus conservent les

récits de ce temps et que leurs habitants puissent

remettre en œuvre les moyens déployés en cette époque-

là pour vaincre. Bien sûr, c’est peut-être un rêve de fou,

mais c’est la seule chance qui nous reste car, tous les

frontaliers qui ont affronté la nouvelle horreur envoyée

par le Maître des Terres Sauvages, m’ont confirmé que

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 93

rien de connu dans le monde libre actuel ne parviendrait

à y faire face…

Phérégon se leva alors de son trône et pendant que

les regards se tournaient respectueusement vers lui, il

déclara solennellement :

- Messieurs, nos peuples ont déjà traversé des

périodes d’incertitude aux cours des Ages écoulés. Une

fois de plus les Silériens, et je pense que tous leurs alliés

les suivront dans cette épreuve, accompliront leur devoir,

même si cela devait se terminer par une défaite et le

retour des Ténèbres. Soyons courageux et dressons-nous

contre le Mal au nom de notre liberté !…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 94

- XIV -

Chauffées par de grandes réserves de cristaux, les

épées et les lames de l’espoir se fabriquaient par

centaines de milliers dans tous les royaumes de

Formalow. Les marteaux et les enclumes s’entouraient

d’étincelles chaleureuses qui jaillissaient sous les coups

précis et joyeux des aciéristes.

Tandis que dans les mines des Monts du Bout du

Monde, les Elfes extrayaient les métaux entrant dans

l’alliage découvert par Niphilus, les Druides ramenaient

des plantes huileuses qu’ils récoltaient aux quatre coins

de Myrion. L’eau claire de la Mer Intérieure,

soigneusement étudiée par les Maîtres du savoir, se

révéla aussi adaptée aux techniques de trempe des

Silériens que l’onde des ruisseaux de leur pays.

Arhus et son frère furent continuellement sur la

brèche durant plus de six mois. L’été était passé,

l’automne était venu ensuite et l’hiver avait amené ses

longues nuits sur l’île et la forteresse de Castel-Druides.

Le climat étant très doux sous les frondaisons de Myrion,

les deux maîtres forgerons avaient apprécié leur séjour

en dépit du travail et des difficultés de leur mission.

Quand le premier soleil de printemps fit son apparition

sur la Grande Forêt, dans toutes les nations libres de

l’ancienne Formalow, des armureries se garnissaient de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 95

boucliers étonnants et de glaives aux pouvoirs

merveilleux. Les artisans de toutes les espèces

s’employaient à reproduire, avec plus ou moins de talent

certes mais avec beaucoup d’application les méthodes de

travail du fer enseignées par Niphilus.

Son frère et lui, s’étaient multipliés pour répondre à

toutes les demandes et se montrer à la hauteur des

honneurs et de la confiance dont les avait comblés le

Conseil de Castel-Druides.

Niphilus était posé et dur à l’ouvrage. Il possédait

un étonnant sang-froid. Depuis qu’il savait être né, dans

les Royaumes Oubliés, il comprenait mieux les

différences qu’il avait constatées entre lui et ses

camardes. Certes, dans le pays de Phérégon, l’étrangeté

et le non-conformisme amenaient la sympathie autant

que la rigueur et l’amour de l’ordre. De plus, Niphilus ne

ressemblait pas aux autres Silériens, mais il possédait de

telles qualités que personne ne lui reprochait les curieux

regards avec lesquels il observait et apprenait le Monde.

Aujourd’hui, tout s’expliquait. Il n’était sans doute

qu’un simple sujet de Nabachton, mais il avait été

suffisamment important et formé sans aucun doute avec

les meilleures connaissances en aciérie, pour qu’une

troupe de guerriers nabatéens soit envoyée à ses côtés,

dans le but de l’escorter, alors qu’il n’était qu’un enfant,

jusqu’aux pays libres du Sud.

Niphilus réalisait à quel point il avait fait toujours

corps avec le fer et les cristaux de puissance dont il se

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 96

servait pour chauffer les alliages. Il découvrait le miracle

que représentait son habileté à rebattre les lames sous la

massette à affiler, à les former sur l’enclume en

canalisant, par un travail de frappe pointu, les fibres.

Cela renforçait alors les résultats des trempes et des

recuits.

Depuis qu’il connaissait son histoire, il était encore

plus calme que de coutume et, en même temps, sa

personnalité s’était partiellement détruite pour mieux se

reconstruire. Il avait fait face avec honneur aux nouvelles

responsabilités que lui conférait son passé. Certes, au

cours des derniers mois, il avait voulu, une fois, tout

abandonner devant la gigantesque tâche qu’il portait à

bout de bras, avec son frère. Mais, son bon sens silérien

l’avait glorieusement ramené sur les sentiers de son

devoir.

En tout cas, puisqu’il venait de Nabachton, il avait

tiré une conclusion évidente et réconfortante de ce fait

établi. C’est que les seigneurs-forgerons des Royaumes

Oubliés étaient vraisemblablement des créatures

semblables à lui et à ses compatriotes d’adoption. La

réputation qui leur était faite par les autres Peuples

Libres avait donc de bonnes raisons d’exister. Les

valeurs morales et artisanales attribuées aux sujets de

Phérégon n’étaient certainement pas usurpées.

Un matin, alors qu’il travaillait dans les ateliers de

Castel-Druides au façonnage d’une cuirasse, la Princesse

Sauranne approcha de sa forge d’art. Avec rapidité,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 97

Niphilus martelait de fougueux chevaux dans la robuste

et légère armure, avant de la tremper. Il cessa son travail

avec trouble, en se découvrant observer attentivement

par la superbe souveraine Silérienne.

La fille de Phérégon était jolie. Elle ouvrait de

grands yeux bleus, vivants, sur le Monde et ses

merveilles. Elle adorait le travail manuel et elle pouvait

passer des heures à étudier le tour de main des

ferronniers Silériens. De plus, Niphilus était sans

conteste le meilleur de tous et dans son habit de cuir, qui

le protégeait des projections de métal chaud, il avait une

très fière allure.

Ce petit bonhomme possédait une carrure

impressionnante. Parmi les gens de son espèce, il était un

colosse. Sa tenue de travail mettait d’ailleurs en valeur

les muscles de ses bras et de son torse. Dès que

Sauranne l’avait vu, le jour où elle avait franchi Le Col

des Cristaux de Puissance après la bataille, elle l’avait

remarqué. Il était couvert de poussière et de sang, son

épée brillait encore de celui de des ennemis qu’il avait

terrassés durant le combat. Pourtant, il s’était fait discret

au passage de la Princesse. Il s’était humblement

agenouillé devant elle, avec humilité, alors que sans avoir

reçu de formation militaire, il avait accompli un exploit

étonnant dans ces montagnes. Sauranne l’avait

longuement dévisagé et avait compris qu’elle ne pourrait

plus l’oublier.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 98

Aujourd’hui, en descendant dans ce célèbre et

prestigieux atelier de Castel-Druides, elle était non

seulement venue admirer le travail mais aussi le

travailleur. Elle voulait en faire un ami car elle l’estimait

sincèrement.

Elle lui expliqua alors sans ambages :

- Mon cher Maître, pourriez-vous me façonner une

armure de guerre aussi solide que celle-ci. Elle désigna

alors la cuirasse que l’aciériste travaillait.

- Majesté, je serai heureux de satisfaire votre

demande dans l’après-midi. Je vous demanderai

simplement de me faire connaître vos mesures, prises par

la couturière du palais de Mégara, répondit Niphilus.

- Le Druide Mélinos n’a que des compliments à

faire sur la rigueur et l’efficacité avec laquelle vous vous

acquittez, votre frère Arhus et vous-même, de la

première tâche qui vous a été confiée par le Conseil. De

tels éloges, faits par un si grand savant, m’inclinent à

vous donner entièrement ma confiance pour la quête de

Nabachton qui vous échoira bientôt. Alors, ce travail que

je vous réclame, ce sera un honneur pour moi si vous

l’acceptez. Votre gloire, quelle que soit l’issue de la

nouvelle guerre qui se prépare, rejaillira sur notre peuple,

Maître… Dans ce Monde ou bien dans celui de l’après

vie, vos exploits seront comptés et honorés. Je vous

assure que j’aurais beaucoup de bonheur à vous

accompagner, dans les mois qui vont venir, jusqu’aux

portes de Nabachton si je le peux.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 99

- Majesté, votre présence parmi les compagnons qui

viendront avec moi, sur la route des Royaumes Perdus,

sera un gage de succès et de gloire à mes yeux, déclara

avec beaucoup de charme l’Aciériste. Mon cœur ne

saura pas faiblir devant les plus grands tourments si vous

êtes-là pour m’épauler.

- Il est des Silériens qui savent fort bien travailler et

possèdent un courage admirable. Quand en plus, ils

tiennent de si beau et si sincères discours ils sont dignes

d’être anoblis, fit Sauranne. Maître je vous laisse à votre

façonnage et je vous jure de tout faire pour rejoindre

votre future quête.

- Merci Ma Dame… Conclut Niphilus.

Il travailla avec acharnement et forgea pour la belle

souveraine, une des plus belles armures de l’Histoire de

Formalow. Quand la Princesse la reçut, elle fut éblouie.

Elle vint en personne remercier le remarquable forgeron

et revint souvent l’admirer pendant qu’il enseignait son

art ou bien qu’il s’y adonnait.

Un soir, après plusieurs semaines, tandis qu’épuisé

le jeune Silérien se promenait sur les remparts de Castel-

Druides en contemplant le soleil mourant sur la Mer de

Myrion, le Seigneur Suggur le rejoignit afin de le saluer.

Le grand Elfe possédait dans son allure, dans son regard,

une sympathie et une puissance presque palpables. Ses

cheveux bruns et courts, toujours soigneusement coiffés,

renforçaient les contours carrés et autoritaires de son

visage. Ses oreilles légèrement pointues ainsi que ses

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 100

yeux perçants à la pupille verticale, laissaient planer la

magie de ses origines dans son physique impressionnant.

Les créatures sylvestres, comme Suggur, pouvaient

atteindre l’âge de mille ans. Ce seigneur-là était encore

très jeune donc, même si le nombre des saisons qu’il

avait traversées, était plus grand que celui compté par

Niphilus depuis sa naissance.

L’Elfe Géant était pratiquement aussi haut qu’un

solide Prince du Golfe de Salermnos. Ses vastes épaules

musclées révélaient sa force physique étonnante. Au

cours des Ages primordiaux de l’Histoire, les Elfes,

premiers êtres pensant venus peupler les Terres du

Monde de Formalow, formaient deux familles. La

première était composée de créatures studieuses dont la

taille était équivalente à celle des Silériens. Cette branche

du peuple sylvestre possédait l’art, la science, l’écriture

et le sens de la magie. L’autre famille, les géants,

remarquablement intelligents et amoureux des belles

choses, étaient plus sportifs et plus aptes à la guerre de

défense.

Les forces du Mal, terriblement puissantes en ce

temps-là, attaquèrent les Elfes durant les millénaires des

premiers âges et ceux-ci subirent une sélection naturelle

inévitable. Les plus faibles physiquement périrent.

Heureusement, avant qu’ils ne disparaissent

complètement, leurs qualités intellectuelles avaient été

transmises et s’étaient mêlées à la force physique des

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 101

géants par de nombreuses hybridations des deux

branches de ce peuple.

Suggur était, en fait, un Prince exemplaire illustrant

magnifiquement la brillante évolution de son espèce. Il

montrait beaucoup d’amitié à Niphilus et au frère de

celui-ci. Ce soir-là, il avait encore plus de raisons

d’apprécier ses amis Silériens. Il avait reçu de leur part,

une nouvelle épée magnifiquement ouvragée. Les

forgerons avaient ajouté à l’arme un merveilleux

fourreau extrêmement résistant, spécialement réalisé

après de nombreux essais, ainsi qu’une armure légère,

faite du même acier que l’étui. Cette cuirasse avait une

ténacité apte à arrêter les coups de cimeterre les plus

violents des Korrigans des montagnes. Elle protégeait

également toutes les parties du corps et n’exposait pas

son porteur aux flèches empoisonnées des archers

d’Arthang. C’est d’ailleurs, après avoir assisté aux effets

des traits des Korrigans, pendant la bataille du col des

cristaux de puissance, qu’Arhus et son Frère avaient

développé cette protection plus efficace.

Le Seigneur Elfique se montrait très honoré et

satisfait des présents que lui avaient offerts ses deux

alliés Silériens. Il arborait ces objets fièrement en venant

retrouver Niphilus. Suggur s’approcha et serra

chaleureusement les mains du forgeron :

- Mon ami, vous m’avez gratifié d’un formidable

armement, je vous en suis reconnaissant.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 102

- Vous avez offert votre glaive avec tant de

générosité à Maître Mélinos, expliqua le Silérien, que j’ai

trouvé normal de le remplacer.

- J’espère que je ferai partie de la compagnie

chargée de traverser les Monts des Royaumes Perdus

avec vous Niphilus, assura l’Elfe.

- Je serai heureux de vous avoir à mes côtés, assura

l’aciériste. Cependant, nous ne devons pas nous faire

d’illusion, traverser des montagnes totalement inconnues,

pratiquement sous l’emprise des légions d’Arthang, sera

peut-être mortel.

- Notre liberté en dépend, comme l’a dit votre Roi,

rappela Suggur. Je ferai tout mon possible pour vous

permettre d’atteindre les forges de Nabachton, seriez-

vous seul à réussir et devrais-je y perdre ma vie…

- Je vous remercie pour ces mots Seigneur, dit

Niphilus. Certainement, Mélinos vous choisira afin de

vous faire participer à la quête des Royaumes Perdus.

- Savez-vous que six galères de Myrion sont en

train de voyager vers le port d’Armenos, sur la route

élargie par les Druides, demanda l’Elfe. Dix mille soldats

de mon peuple, trois mille marins de Salermnos et six

mille Silériens appelés par le Seigneur Phérégon

contrôlent cette nouvelle voie. Les navires de la Mer

Intérieure, lorsqu’ils atteindront le Golfe, seront mis à

l’eau et c’est à bord que nous rejoindrons les contreforts

des Monts du Passage Perdu.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 103

- Mon frère a conçu les rostres de ces bateaux,

précisa Niphilus. Ces pointes inoxydables permettront de

détruire les monstres marins qui barrent le passage vers

terres du Nord-Ouest. Lancés à pleine vitesse, les

éperons géants de ces vaisseaux tueront à coup sûr les

créatures marines qui se sont alliées à Arthang et qui,

pour le moment, neutralisent les formidables nefs des

Rois des abers.

- Je suis certain que nous renverserons enfin le mal

définitivement, assura Suggur. Même si nous devons

perdre beaucoup de nos amis dans cette dernière guerre,

elle amènera la lumière et la paix définitive, sur les

peuples libres.

- Le monde ne sera pourtant jamais plus comme

avant, prédit Niphilus. Même si cet avenir est

merveilleux, nous verrons certainement disparaître une

grande partie des merveilles que nous avons héritées des

Âges écoulés. Je suis certain que bien des joies nous

seront réservées si Arthang et le Seigneur des Ankous

chutent, mais, la pensée des jours heureux que nous

avons connus durant la paix vigilante ou bien, peu de

temps après la fin de l’Empire, éveillera notre nostalgie.

- Toute tristesse n’est pas mauvaise, expliqua l’Elfe.

Celle dont vous parlez poussera certainement nos

descendants à construire un bonheur de vivre rappelant

celui que les anciens regretteront alors.

- Espérons-le mon ami, répondit le Silérien. Je

souhaite seulement que nos cœurs n’aient que la tristesse

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 104

des bons souvenirs comme peine à supporter. Si les

forces du mal gagnaient la bataille et nous empêchaient

de retrouver les Royaumes Oubliés et si, pire encore,

elles anéantissaient Nabachton, restera-t-il quelques-uns

d’entre nous pour regretter le passé ? Je ne le crois pas.

- Courage camarade ! Conclut Suggur. Avec votre

résistance et votre savoir, avec la force ainsi que la

loyauté des marins de Salermnos, avec la puissance mais

aussi la sagesse des Elfes et des Druides, nous vaincrons,

j’en suis certain.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 105

- XV -

Le Conseil de la Nouvelle Alliance se réunit au

milieu du Printemps. Il organisa avec fièvre le départ de

l’expédition vers les Royaumes Perdus puis choisit

méticuleusement les compagnons de Niphilus.

Arhus fut nommé général en chef de l’armée des

Peuples Libres. Il accueillit cet honneur avec dignité mais

avec beaucoup d’inquiétude, aussi. Quand il fut présenté

à tous les généraux dont il allait coordonner les actions

pendant les batailles qui se préparaient, il découvrit

qu’aucun ne s’avisait de le prendre pour un homme de

paille. Les décisions des plus hautes instances de Myrion,

étaient respectées et reconnues dans le Monde entier, en

dehors des régions encore sous le joug des forces

maléfiques.

Mélinos rencontra le Silérien, seul, d’une façon

informelle. Le Vieux Sage conseilla le frère de Niphilus

sur la stratégie qu’il devrait s’efforcer de suivre au cours

des prochaines semaines. Le Druide n’imposa rien, mais

il guida son ami en le renforçant dans les choix judicieux

qu’il lui présentait. Comme le magicien l’avait estimé

avec perspicacité, le forgeron avait un sens aigu des

manœuvres militaires et savait se montrer audacieux dans

ses conceptions. Mélinos ne se posait même pas la

question de savoir si le courage du Silérien pouvait faiblir

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 106

dans l’adversité. Il avait vu la fermeté de cette

prodigieuse race pendant la bataille du Col des Cristaux

de Puissance.

Si l’armée des Peuples Libres devait avancer en

montrant ostensiblement toute sa force, et même au-

delà, à la face de l’ennemi, pour perturber celui-ci et

disperser ses efforts, l’expédition de Niphilus

commencerait inévitablement dans le plus grand secret.

Le Forgeron-Paysan venu enfant de Nabachton allait y

retourner, sans que personne, en dehors des chefs de la

Nouvelle Alliance et de quelques soldats d’élite, ne

puisse s’en apercevoir.

Les héros qui marcheraient bientôt sur la route

perdue de Nabachton, quittèrent donc le rives de la Mer

Intérieure par un beau matin ensoleillé. Ils furent

mélangés à une vaste colonne armée qui transportait, par

les grandes routes nouvellement aménagées, une galère

construite à Castel-Druides et destinée aux Marins du

Golfe de Salermnos. Le nombre était le meilleur moyen

de dissimuler l’individu.

La colonne de six mille Druides et Elfes marchait à

vive allure sur la route élargie menant du port de

Kerna’ch jusqu’à l’aber d’Armenos.

Ces soldats d’élite, escortaient avec vigilance trois

chars confortables, tirés par de fringants quatuors de

licornes qui emportaient les dix-neuf compagnons de

Niphilus destinés à accompagner ce dernier dans sa

quête des Royaumes Perdus.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 107

Certes, le brave forgeron qui avait redonné l’espoir

au Monde Libre par son savoir-faire, ainsi que ses

camarades méritaient bien le privilège de gagner sans

fatigue leur lieu de départ pour un terrible voyage à la

durée indéterminée. Car nul ne savait quand

reviendraient ceux qui s’embarqueraient bientôt sur les

galères de Myrion, dans le Golfe de Salermnos, et

navigueraient jusqu’aux contreforts des Monts du

Passage Perdu. Aucun ne réapparaîtrait peut-être, dans

les pays libres de l’ancienne Formalow.

A bord des voitures, tous les héros désignés par le

Conseil de la Nouvelle Alliance s’observaient en souriant.

On était d’abord frappé par la présence de la Princesse

Saurane dont la superbe armure, récemment créée par

Arhus et son frère, suivait harmonieusement la

merveilleuse silhouette, tout en la protégeant aussi.

Ensuite, on comptait trois des meilleurs capitaines de

Silérie, puissamment armés de cuirasses et d’épées

nouvelles. Sur un banc opposé, la formidable silhouette

de Suggur se dessinait. Il était là pour commander un

détachement de quatre éclaireurs sylvestres de son

peuple, installés à ses côtés pendant le voyage. Dans un

autre char, Mélinos qui avait délégué la présidence du

Conseil à deux autres sages renommés, était présent. Il

avait tenu à suivre l’aciériste Silérien et à le guider

jusqu’aux portes de Nabachton, si cela était possible.

Quatre autres Druides guerriers et marins s’étaient mis

sous les ordres du grand Gardien du savoir. Enfin, les

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 108

hommes de Salermnos étaient représentés dans cette

compagnie par le Duc Le Goua’ch, deux commandants

de la flotte du Golfe ainsi qu’un chef de guerre,

responsable des garnisons défendant Landreger et

L’Arcouest.

Alianos, un dernier soldat des abers avait été choisi,

mais, sans doute en raison de sa petite taille et de son air

sombre, presque fourbe, celui-ci n’inspirait pas

confiance à Niphilus et Suggur. Cet humain n’était

jamais venu sur les rivages du pays de ses parents car il

était né, puis avait grandi, dans les marches de Formalow

bordant les Terres Sauvages. C’était pourtant un fin

combattant, du moins le disait-on au Conseil, car cet

homme organisait avec succès les patrouilles de son

peuple entre les forts des Marches du Nord de la Silérie.

Le voyage se passait bien, sans chaos. Soudain, la

petite armée fut brutalement arrêtée. Un messager de

Landreger venait d’apparaître sur une hauteur de la

route. Il galopait, de toute la vitesse de sa licorne, vers la

compagnie de Niphilus perdue au milieu de sa grande

escorte. Les marins du Golfe n’utilisaient pas souvent des

pigeons de feu pour communiquer. Ils préféraient des

Goélands de l’Arcouest ou bien, quand ces derniers

étaient indisponibles, ils envoyaient de rapides et loyaux

cavaliers vers les destinataires des missives.

La nouvelle devait être de première importance, car,

le malheureux porteur était totalement épuisé et sa

monture complètement bourrue et chancelante. Couvert

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 109

de poussière, au bord de l’évanouissement, tenant à

peine sur ces jambes, le messager donna pourtant le

message destiné à Mélinos qui était le chef de la

compagnie et à Niphilus, le héros silérien.

Un incroyable événement s’était produit à

l’embouchure du Golfe de Salermnos. Un monstre marin,

envoyé par Arthang Le Noir, avait réussi à détruire sept

des dix navires à voiles chargés de surveiller ce bras de

mer ouvert vers l’Océan Extérieur. Surtout, même les

défenses côtières de l’Arcouest, la ville forteresse qui

gardait l’accès au Golfe, n’avaient pu venir à bout de

l’animal géant. Ce dernier toisait cinquante longueurs

d’homme. Son corps était protégé par une puissante

carapace qui brisait les coques des vaisseaux. Aucune

flèche, aucun coup d’épée n’avait pu entamer cette

protection. Les équipages des bateaux des abers

n’avaient pas encore reçu les nouvelles lames produites à

Castel-Druides. Il allait falloir remédier à cette lacune

car, équipée de telles armes, la flotte du Golfe aurait

certainement pu repousser cette attaque. Maintenant, le

monstre était entré dans le royaume des marins et il était

impératif de l’anéantir.

Mélinos s’inquiétait. L’arrivée de cet ennemi dans

le pays des abers découlait directement d’une nouvelle

fuite d’informations, tout comme la bataille du Col des

Cristaux de Puissance. Quelqu’un avait communiqué à

Arthang ou bien au Seigneur des Ankous, les récentes

décisions du Conseil de la Nouvelle Alliance. Cela

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Les forges de Nabachton. Page : 110

semblait une évidence. Mais qui se rendait coupable d’un

tel crime contre les Royaumes Libres et surtout dans

quels buts ? Enfin, dans l’instant, cette question resterait

sans réponse. Une fois de plus, les hommes, les Elfes, les

Druides et les Silériens allaient devoir faire face, dans

l’urgence, à une terrible épreuve.

La compagnie et son escorte s’arrêtèrent. Le Vieux

Gardien du savoir réunit tous les membres de

l’expédition devant accompagner le forgeron. Il leur

présenta la situation ainsi que les conséquences de celle-

ci sur la marche vers les Royaumes Perdus. Quand

Suggur eut écouté tous les détails sur les dimensions et la

tactique d’attaque du monstre qui avait pénétré dans le

Golfe, il regarda Niphilus et sembla lui demander un

soutien. L’aciériste lui sourit amicalement. Alors, l’Elfe

déclara, en se tournant vers les marins de la compagnie :

- Peut-on créer un berceau de bois à poser sur les

hauts-fonds de Salermnos et capable de supporter une

nef à voile ?

- Certainement Seigneur, assura Le Goua’ch

- Alors, je vais vous exposer un plan que je viens de

concevoir pour anéantir la créature, reprit le Prince

Sylvestre. S’il vous agrée, nous enverrons le pigeon de

feu de Maître Niphilus pour demander à Armenos de

préparer ce combat.

- Nous vous écoutons avec intérêt, mon ami, lança

alors Mélinos en souriant…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 111

- XVI -

Le jour se levait lentement sur le Golfe de

Salermnos. A trois lieues de l’aber de Landreger, une

splendide nef à voiles, dont la coque au blanc éclatant

luisait comme une étoile dans la lumière de l’aube, était

au mouillage sur la mer calme.

Niphilus, Saurane, Suggur, Mélinos et Le Goua’ch

se tenaient sur le pont du bateau, regardant vers l’Ouest.

Tous sentaient la présence de la bête qui croisait au large

de cet estuaire depuis plusieurs jours. Seuls les gardiens

des phares et les goélands avaient vu la gigantesque

silhouette de ce monstre affleurant la surface des eaux

turquoises de Salermnos. Et pourtant, même les

courageux marins des ports de ce Royaume, hésitaient à

fouiller chaque crique, chaque plage et chaque abri

rocheux de la côte afin d’en déloger l’intrus.

L’envoyé d’Arthang était rapide malgré sa taille. Il

surprenait les plus fins bateaux de Salermnos. Quand il

frappait un navire de la région, ce dernier dont la marge

de manœuvre était limitée par le sens du vent et la

direction de la houle, ne pouvait pas échapper à l’attaque

de la créature maléfique.

Pourtant, ce matin-là, les plus grands héros choisis

par le Conseil de la Nouvelle Alliance avaient pris la mer

à bord d’un voilier d’Armenos, taillé pour les longs

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 112

voyages sur l’océan extérieur mais peu efficace au cours

des abordages. Les envoyés des Royaumes Libres

semblaient, ainsi, défier désespérément les forces des

Ténèbres. C’est, tout au moins ce que ressentaient les

yeux malfaisants qui étudiaient, dans la faible lumière du

jour naissant, le navire immobile.

Le monstre avait repéré ce bateau dès que celui-ci

avait quitté le chenal de l’aber d’Armenos. L’animal

avait suivi secrètement le vaisseau, avec l’espoir de le

voir s’éloigner de la côte, mais, au lieu de partir vers le

large, la nef avait pris la direction d’une autre

embouchure, celle de Landreger, puis, elle avait mis en

panne et enfin mouillé sans s’engager dans la passe

d’accès à ce dernier port. La bête hésitait encore à

foncer sur le beau coursier des mers. Il pouvait,

cependant, aisément en arracher la quille avec les crêtes

osseuses de son échine afin de provoquer un naufrage

immédiat du navire.

Quelque signe imperceptible poussait la créature à

rester très prudente ce matin-là. Ne fut-ce que cette

brume inexplicable qui masquait l’aber de Landreger,

d’où venait-elle ? Cette nébulosité n’était pas de saison

car, ces derniers temps, les journées étaient chaudes et

les nuits très douces. Le calme des passagers était

également très menaçant. Ils ne montraient aucune

inquiétude. Au contraire, ils étaient tous en armure,

bardés d’acier brillant et regardaient hautainement l’eau

qui les encerclait. Ils savaient pourtant que l’ennemi était

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 113

entré dans le Golfe et y paradait sans crainte. Alors,

qu’est-ce qui apportait à ces soldats l’assurance insolente

dont ils faisaient une démonstration particulièrement

irritante pour la créature formidable, détentrice de la

puissance de son maître. ?

Encore une fois, l’animal décrivit près de sa proie

un large arc de cercle, les yeux de ses têtes affleurant à

la surface de la mer afin d’observer discrètement les

passagers occupant le pont du voilier. Aucun piège

n’était décelable, alors, l’animal prit son élan, gagna

rapidement de la vitesse et bientôt, soulevant une énorme

vague, se rua vers le bateau.

Suggur et Niphilus aperçurent sans peine le sillage

produit par l’attaque. Tous deux étaient dotés de visions

très claires et perçantes. Leurs espèces respectives

avaient des sens d’une étonnante acuité. L’Elfe et le

Silérien ne montrèrent aucune agitation, bien que leur

cœur se soit mis à battre la chamade et qu’une

transpiration glaciale ruisselle dans le dos du forgeron. Ils

savaient bien, tous les deux, qu’à un moment ou un

autre, leur bateau serait la proie de l’ennemi. D’un geste

discret, ils signalèrent à leurs camarades la manifestation

de la créature. Mélinos lança un regard à la Princesse

Saurane qui commandait, avec le Duc Le Goua’ch, la

manœuvre d’une machine réalisée récemment par les

arsenaux de Castel-Druides. Il s’agissait d’une arbalète

géante qui pivotait horizontalement et verticalement.

Cachée dans une tourelle de bois, sur le pont du voilier,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 114

l’arme n’avait pas été aperçue par le monstre. Trois

marins suffirent à la pointer, en suivant les indications de

la belle Silérienne, en direction de l’envoyé d’Arthang.

L’animal maudit était désormais à quelques

encablures de la nef, sa vitesse était telle que l’avant de

son formidable corps déjaugeait presque complètement

hors de l’eau. Saurane donna l’ordre de tirer. La lourde

lance dont la pointe était construite avec l’acier travaillé

selon la technique de Niphilus, quitta la tourelle dans un

sifflement sonore. Elle s’éleva dans l’air pur du matin à

une hauteur vertigineuse, puis, retomba vers sa cible en

augmentant encore sa vitesse sous son poids. Elle

percuta la carapace du monstre avec une force si vive,

qu’elle s’enfonça rageusement dans la corne composant

cette dernière en craquant. La hampe et l’acier du

carreau géant disparurent à moitié dans le corps de la

créature. Celle-ci bondit hors de l’eau, arrêtée net dans

son attaque, puis, elle émit un effroyable hurlement de

douleur tout en retombant dans la mer rougie par son

sang.

Une vague colossale fut soulevée par les

soubresauts de l’ennemi et secoua le navire des abers

comme un bouchon. L’envoyé d’Arthang était blessé

mais il n’était pas encore vaincu. Sa force était toujours

immense. Alors, il décida de reculer pour attaquer de

nouveau, mais, tandis qu’il essayait de s’éloigner du

voilier, il se sentit retenu inexplicablement pendant que

sa douleur s’amplifiait atrocement. La lance était reliée

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 115

au bateau par une solide chaîne de fer et sa pointe était

forgée de façon à se figer cruellement sous la carapace

de corne. Le monstre comprit avec fureur qu’il était

prisonnier de ses adversaires. Alors, un nouveau

projectile lancé avec la même précision vit se planter

encore dans son flanc. Cette fois, la créature n’avait plus

le choix, elle devait entraîner le navire vers le fond.

La bête sonda alors verticalement. Quand elle eut

touché le sol de la mer, elle essaya de tirer de nouveau le

vaisseau vers le large dans l’espoir de le faire chavirer.

Mais une déception l’attendait car le voilier, en fait,

reposait, grâce à un solide berceau de bois, sur les hauts-

fonds de l’estuaire. Malgré sa puissance titanesque, le

monstre fut de nouveau arrêté par les deux harpons qui

lui déchiraient les chairs. Alors, tout en demeurant en

profondeur, il se retourna vers le bateau et décida de

l’aborder.

Il émergea à quelques mètres du voilier. Ses deux

têtes, plantées hideusement au bout de leurs

interminables cous, se penchèrent au-dessus du

bastingage de la nef et balayèrent le pont violemment.

Ses dents gigantesques se refermèrent sur un marin qui

avait trébuché dans un cordage. L’armure forgée par

Arhus protégea bien le malheureux. Suggur, Saurane et

Niphilus, glaives au poing, se ruèrent sur la créature avec

des flammes de colère au fond des yeux.

Aussitôt, le visage libre du monstre se tourna vers

eux puis se jeta dans leur direction, sa large gueule

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 116

béante. Suggur, impressionnant de force, lui fendit le

museau d’un coup de taille tandis que la Princesse et le

forgeron lui perforèrent les tempes de leurs épées. Le

Duc Le Goua’ch se jeta sur l’autre tête de l’envoyé

d’Arthang depuis la vergue du voilier. Le choc de ce

corps robuste, tombé de plusieurs hauteurs d’homme, fit

lâcher sa proie à l’animal. Accroché d’une main aux

cornes de la bête, le grand marin des abers, assis sur la

tête hideuse qu’il semblait chevaucher comme une

licorne sauvage, frappait le cou de son ennemi tel un

forcené. Le sang se mit à couler des plaies que le

Seigneur du Golfe infligeait à son ennemi. Ce dernier

s’agitait avec brutalité, il tentait par de violentes

secousses d’arracher les petites vermines qui le piquaient

si douloureusement.

C’est ainsi que le formidable allié d’Arthang, auquel

était insufflée la puissance ténébreuse de son

épouvantable maître, ne vit pas venir les deux galères de

Myrion dissimulées par la brume masquant l’estuaire de

Landreger. Mélinos, le puissant Gardien du savoir, avait

utilisé ses immenses pouvoirs afin de lever ce brouillard

artificiel. Et pendant que les combattants de la

compagnie destinée à marcher bientôt vers les forges de

Nabachton, se mesuraient sans faiblesse avec une des

manifestations du mal les plus impressionnantes de cet

Age, les bateaux de la Mer Intérieure, propulsés par le

galop infatigable de vingt licornes se précipitèrent sur le

gigantesque agresseur et l’embrochèrent cruellement sur

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Les forges de Nabachton. Page : 117

leurs éperons en acier Silérien. Les deux têtes du

monstre se dressèrent encore une fois dans un

soubresaut d’agonie, puis, elles retombèrent sur le pont

du voilier en l’inondant du sang de leurs multiples

blessures.

Ces deux faces hideuses, hérissées de cornes et

d’excroissances tentaculaires, jetèrent ensemble un

ultime regard vers leurs vainqueurs qui s’éteignit ensuite

sous de lourdes paupières. Suggur et Le Goua’ch, avant

de donner l’ordre aux galères de reculer et aux

arbalétriers de larguer les chaînes pour laisser sombrer la

bête anéantie définitivement, déclarèrent à la princesse

Saurane et à Niphilus.

- Voyez-vous mes amis, nous faisons partie des

rares soldats encore en vie de la Nouvelle Alliance, à

avoir approché Arthang le Noir. Nous pouvons vous

affirmer que notre agresseur est un rejeton dénaturé du

dernier Léviathan. Plus petit, totalement adapté à la vie

marine alors que son père vole mieux qu’un aigle

jusqu’aux sommets des plus hautes montagnes, la

créature que nous venons de tuer, possède pourtant les

têtes ignobles et le corps abject du monstre lié au

Seigneur des Ankous. Arthang a certainement engendré

plusieurs hybrides de ce type en ajoutant son sang à des

mixtures démoniaques sensées reproduire la vie. Ce sont

ces chimères qui barrent la voie maritime du Septentrion

aux navires de Salermnos depuis des siècles.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 118

- Les sorciers de jadis, chevauchaient donc des

Léviathans terribles comme celui-ci ? Demanda Niphilus.

- Ils étaient bien pires et bien plus puissants que

cette pâle copie, assura Alianos, le sombre garde-

frontière de la compagnie qui n’inspirait pas confiance au

forgeron et au Seigneur Elfe et qui s’était tenu en retrait

de ce combat. Arthang le Noir, reprit-il, est quasiment

invincible et immortel. Même la brillante stratégie ayant

détruit cette hydre marine, n’aurait pu venir à bout d’un

authentique Léviathan. De plus, Le démon qui occupe

actuellement les marches du nord, avec ses légions, est

capable de fléchir la volonté de n’importe quel être vivant

pour en faire un serviteur.

- Aucun membre de notre Compagnie ne risque de

tomber sous les charmes magiques d’un Léviathan,

affirma Mélinos en intervenant également. Le choix des

compagnons de Niphilus et de ce dernier lui-même fut

fait par le Conseil, sur des critères de résistance aux sorts

maléfiques. Si l’un de nous devait offrir un jour ses

services et son âme à Arthang, il ne le ferait pas sous une

influence magique. Il accomplirait là une vulgaire

trahison, de sa propre volonté. Messieurs, l’affrontement

que nous venons de vivre, nous a donné l’avant-goût de

notre prochaine rencontre avec Arthang dans le passage

des Royaumes Perdus. Le tyran des Marches du Nord et

le Seigneur des Ankous sont tenus au courant du voyage

que nous avons entrepris et des buts de cette mission. Je

ne sais pas comment, mais, il est certain qu’un espion

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 119

livre nos secrets à l’ennemi. C’est pourquoi je suis

certain que le vieux Léviathan et ses légions de Korrigans

tenteront de nous détruire au cours de notre marche vers

Nabachton. Bien sûr, ils le feront au-delà des frontières

des Royaumes Libres, puisque toutes leurs tentatives ont

échoué jusque-là. Cependant, ils le feront. Sachez qu’il

est encore temps, pour ceux qui perdent courage, de

quitter la Compagnie. Personne ne les blâmera. Bientôt,

toute retraite sera impossible. Notre vaillance sera mise à

rude épreuve par le Léviathan et son Terrible Allié.

Alors… Qui continue ?

Toutes les mains des membres de la compagnie se

levèrent. Arthang le Noir venait de perdre un fils grâce à

la valeur de Niphilus et celle de ses camarades. Dans les

sombres vallées des Montagnes du Passage Oublié, ce

monstre pourrait bien voir sa vie s’achever, s’il sous-

estimait les héros destinés à entrer dans les forges

légendaires où la défaite absolue des Forces du Mal se

réaliserait enfin…

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Les forges de Nabachton :

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Episode VI

Les Dolmens Infernaux

1ère partie : La route de Nabachton.

- I -

Deux puissantes galères de Myrion approchaient du

Détroit de l’Arcouest. Ce bras de mer établissait une

communication entre le Golfe des Abers et l’Océan

Extérieur.

Cette fois, la compagnie avançait vers le Passage

des Royaumes Perdus. Mélinos, Saurane, Suggur et Le

Goua’ch avaient suggéré à Niphilus la voie maritime pour

rejoindre le Nord-Ouest du monde Formalow. Le

Silérien, féru de géographie, avait examiné les cartes et

les récits d’anciens voyageurs dont il avait disposé,

durant trois semaines, dans la grande ville Armenos.

Tout en observant la splendeur de l’aber au fond duquel,

le grand port des marins avait été bâti avec intelligence,

le forgeron, que son épopée, depuis le départ de Silérie,

semblait avoir rendu plus sage et plus énergique en

même temps, avait longuement étudié tous les itinéraires

de voyage offerts par le pays.

Au premier abord, la voie la plus sûre, d’un point de

vue topographique, restait celle consistant à gagner

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 122

l’estuaire protégé par la forteresse maritime d’Arckastel

Le Goz. Ensuite, il était possible de remonter sur de

puissants bateaux, le grand fleuve de la Forêt des Monts

Perdus qui se jetait dans le Golfe de Salermnos par cette

embouchure et qui prenait sa source à l’entrée du

passage vers les Royaumes Oubliés.

Ce chemin fluvial, longtemps exploité par les

Peuples Libres avant l’avènement de l’Empire, des

milliers d’années plus tôt, avait été une route

commerciale d’un attrait remarquable. Le cours d’eau

qui en formait la plus grande partie, serpentait

doucement, entre des collines sylvestres magnifiques, en

toute saison. De nombreux comptoirs, garnis par de

valeureuses patrouilles de toutes les espèces pensantes

du Monde, avaient protégé les bateliers, leurs passagers

ainsi que leurs marchandises au cours de longs et

nombreux Âges de l’Histoire. Cependant, Sous la

tyrannie de l’Empereur et des sorciers, les courageux

soldats protecteurs du fleuve avaient été défaits et

repoussés par de nombreuses batailles. Les Korrigans,

les Léviathans, en nuées innombrables et forts de la

magie ténébreuse de leurs maîtres, avaient pris chacune

des rives du cours d’eau ainsi que les criques abritant les

bateaux des royaumes libres.

Au temps de Niphilus, bien sûr, l’Empereur n’était

plus. Son lieutenant, le maître des Ankous, était réduit à

reforger péniblement une armée dans le désert des terres

sauvages du Nord-Est. Ce dernier ne pouvait pas encore

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 123

affronter ouvertement, par manque de cohésion de ses

légions, les gardes-frontières de Silérie ou de Myrion.

Les sorciers avaient totalement disparu. Le seul

Léviathan encore en vie était Arthang le Noir. Le

monstre, d’ailleurs affaibli par les millénaires comptés de

son existence était bien moins puissant que jadis. Mélinos

et ses compagnons le considéraient comme encore très

dangereux, pourtant, cette bête cruelle ne tenait plus la

Forêt des Monts perdus entièrement sous sa coupe, ni

même le fleuve qui la séparait en deux massifs forestiers.

Malgré tout, de nombreuses terreurs dont les

fantaisies meurtrières avaient été longtemps favorisées et

utilisées par l’Empereur, avaient établi leur habitat sous

les bois de la Forêt et sur les bords du fleuve des Monts

Perdus. Ainsi, même deux galères de Myrion avec toutes

leurs protections et leurs équipages armés par les glaives

et les cuirasses de Niphilus, étaient en danger durant une

remontée de l’aber d’Arckastel Le Goz.

En supposant, d’ailleurs, que la compagnie, par la

force, ait pu atteindre le Passage des Mondes Perdus en

suivant ce chemin, les espions des forces ténébreuses,

massés dans cette région, auraient dévoilé cette tentative

à Arthang ou bien au Seigneur des Ankous. Alors,

Niphilus et ses compagnons, pourchassés par tous les

Korrigans de l’ancienne Formalow, auraient fini par être

anéantis malgré leur vaillance.

Clairement, La rivière et la forêt des Monts perdus

n’étaient pas les voies les plus sûres pour atteindre

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 124

Nabachton. Il restait l’Océan Extérieur. Les voiliers des

marins de Salermnos avaient éprouvé des difficultés à le

tenir ouvert. Ces vaisseaux, formidables coursiers de la

houle et des vents n’étaient pas assez maniables pour

rivaliser avec la descendance maléfique d’Arthang Le

Noir. Ces monstres marins, engendrés par magie, avaient

contenu, depuis la chute de l’Empire, les navires des

abers au sud du Golfe des Royaumes Perdus. Les

bateaux des Druides de Myrion s’étaient montrés très

efficaces contre les gardiens maléfiques des eaux du

Nord. Mais, si maintenant la compagnie pouvait accéder

sans dangers insurmontables aux contreforts des Monts

Perdus, elle ne pouvait pas espérer aller jusqu’aux forges

de Nabachton pas la mer. Aucune carte maritime des

côtes longeant les montagnes boréales n’avait survécu à

l’Empire de Formalow. En période de guerre, il était

quasiment inconcevable de faire progresser une flotte

d’exploration, si petite et discrète soit-elle, dans une

zone de hauts-fonds inconnus. Ce dernier obstacle avait

décidé du fait que Niphilus et ses compagnons

franchiraient le passage vers les Royaumes Oubliés à

pied après en avoir atteint l’entrée par bateau.

C’est ainsi que deux galères de Myrion, lancées à

Armenos, naviguaient depuis une heure sur l’Océan

Extérieur, au large de L’Arcouest, en direction du Nord.

Suggur, le grand elfe des Monts du bout du monde et Le

Goua’ch, le Duc des abers étaient satisfaits de la route

définie par Mélinos, le Gardien du savoir et Niphilus, le

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 125

sympathique forgeron Silérien. La princesse Saurane

avait aussi apprécié la décision de son compatriote.

Depuis qu’elle avait été désignée pour participer à cette

exploration vers le royaume oublié de Nabachton, elle

avait appris à mieux connaître le joyeux et courageux

aciériste vers lequel, déjà, pour son plus grand trouble,

son cœur penchait déjà. Elle avait eu tout le loisir

d’admirer le cran époustouflant de son ami, durant leur

bataille contre le rejeton marin d’Arthang dans les eaux

de Salermnos.

La souveraine ne disait rien. Elle souriait à son

vaillant sujet et appréciait beaucoup sa présence à ses

côtés. Cependant, il y avait au fond de son cœur quelque

chose de plus doux et de plus fort en même temps qui lui

apportait une inquiétude et une joie mélangées. Elle avait

encore des difficultés à exprimer ce sentiment. Elle en

avait aussi peur. C’est pourquoi, elle tentait de le

maîtriser.

Niphilus observait l’est et la côte de Formalow. Elle

était impressionnante et boisée. De hauts arbres en

ombrageaient l’escarpement. Les yeux perçant du

Silérien, scrutaient l’ombre verte des sous-bois du rivage.

Les navires se tenaient à bonne distance des guetteurs

qui pouvaient avoir été dissimulés là-bas par les Forces

du Mal. Aucune créature malfaisante, en dehors d’un

hypothétique Léviathan juvénile, une espèce à jamais

disparue de ce monde, ne pouvait observer les galères

qui avançaient rapidement, sans bruit, sur le clapotis de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 126

la mer. Par contre, les Elfes Géants et les Forgerons-

Paysans rivalisaient d’acuité visuelle avec les aigles des

Monts du bout du Monde.

Saurane approcha de l’aciériste, elle lui posa sa

main sur l’épaule et lui murmura :

- Avez-vous aperçu une silhouette dans le grand

bouquet chênes, à l’aplomb de notre bordage, Maître

Niphilus ?

- Oui Majesté, assura le jeune Silérien. Je l’ai vue

aussi. C’est un formidable Korrigan des montagnes. Mais

il ne nous a pas distingués. Pour lui, nous ne sommes que

l’ombre d’une vague sur l’horizon lointain. Cependant,

mes craintes de trahison se confirment un peu plus après

m’être aperçu, qu’à peine les frontières de L’Arcouest

franchies, les légions d’Arthang sont déjà à notre

recherche en mer.

- Je vois que vous avez tiré de cette observation les

mêmes conclusions que moi ? Admira la souveraine de

Silérie. Vous feriez un excellent prince protecteur de

notre pays.

Le jeune forgeron rougit sous le compliment. Il

baissa timidement les yeux tandis que la jeune Silérienne

le dévisageait en souriant de plaisir. Décidément, ce

brave garçon était aussi modeste que glorieux, malgré ses

qualités indéniables.

Mélinos, approcha à son tour. Il annonça

doucement à ces deux amis, pour n’être entendu que

d’eux :

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 127

- Bravo pour votre vision remarquable mes enfants.

Suggur m’a dit avoir aperçu aussi les guetteurs dans les

bois du littoral.

- Niphilus m’a expliqué clairement ce que cela

signifiait, Seigneur Mélinos, déclara Saurane. Leur

présence est le stigmate de la trahison. Mais qui donc ?

Ce ne peut-être un membre de la compagnie ?

- Je vous avoue avoir pensé, tout d’abord, que des

malheureux soldats de l’escorte nous ayant menés

jusqu’à Armenos, étaient tombés sous le charme

d’Arthang et avaient malgré eux, sans mériter aucune

punition car je connais peu d’êtres au monde capables de

résister au pouvoir d’un si vieux Léviathan, fourni à

l’ennemi des renseignements sur notre groupe et notre

but. Cependant, aucun de ces vaillants gardes de

Salermnos, n’a été mis au courant de notre choix pour la

poursuite du trajet. Or, si d’autres espions se sont

avancés aussi dans la Vallée du Fleuve des Monts

perdus, nous pouvons estimer qu’Arthang Le Noir est

devenu singulièrement rusé et a déployé toutes ses forces

disponibles, sur les deux voies possibles vers Nabachton.

Si aucun Korrigan ne garde la vallée et le fleuve, c’est

qu’un de nos proches nous livre, sans vergogne, aux

forces des Ténèbres. Je vais imaginer un moyen de

contrôler cela durant la nuit qui vient. Il est peu probable

qu’un membre de l’expédition, dont nous faisons partie,

soit coupable. Mais parmi les décideurs de nos

royaumes, Druides, Humains ou bien Elfes, il existe

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 128

peut-être des malheureux que l’exercice du pouvoir,

librement offert par leurs camarades d’ailleurs, a fini par

corrompre inexplicablement. C’est la condition, hélas,

des créatures mortelles que nous sommes tous, si

longues soient nos existences et si riches soient-elles.

Niphilus ne contestait jamais les avis du vieux Sage

qu’il respectait profondément. Pourquoi donc, sur ce

sujet, son désaccord s’exprimait par un serrement de

gorge incontrôlable et le glissement involontaire de son

regard vers le garde-frontière des marches des Terres

Sauvages, Alianos. Certainement, l’aspect et le visage

renfrogné de ce dernier ne plaidait pas en sa faveur,

mais, avait-on le droit de juger aussi légèrement la valeur

d’un homme, d’un Elfe ou bien d’un Silérien. Alianos,

depuis des décennies, risquait son existence en luttant

contre les forces colossales du Seigneur des Ankous,

dans la région la plus froide et la plus déserte de

l’ancienne Formalow. La vie de combattant clandestin et

d’éclaireur des landes et des forêts sauvages lui avait,

sans doute, forgé l’allure furtive qui dérangeait ses

compagnons. Non, le forgeron ne voulait pas laisser son

instinct lui dicter sa conduite et pourtant…

Saurane, elle-même, estimait beaucoup le Druide.

Cependant, elle avait saisi le court regard de son ami

l’aciériste vers l’éclaireur frontalier et le Silérien lui avait

maintes fois, depuis le début de leurs aventures, fourni

les preuves indiscutables de son formidable bon sens

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Les forges de Nabachton. Page : 129

naturel, quasiment inné. Alors, elle commençait à

éprouver de sérieux doutes.

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Les forges de Nabachton. Page : 130

- II -

Arhus marchait, avec la vaste armée de Myrion,

vers les rives d’un lac des marches du Nord.

Cette formidable troupe progressait très vite car, les

Elfes, les Druides ainsi que les marins de Salermnos

étaient particulièrement robustes et durs à l’effort. Des

archers et des cavaliers de Silérie les accompagnaient.

Phérégon en avait pris la tête, mais il avait accepté sans

contestation d’être placé, lui et ses cent milles Silériens,

sous les ordres directs du Maître Forgeron, élevé au

grade de Général en chef par le Conseil de Castel-

Druides.

Or, dans l’esprit d’Arhus, et la mission qu’il avait

reçue des sages de tous les Royaumes Libres était bien

claire, il devait occuper les légions d’Arthang le Noir et

du Seigneur des Ankous, afin de les détourner, autant

que faire se peut, du Passage des Royaumes Perdus. Et

si le Silérien établissait ses plans dans le but prioritaire

d’épargner les vies des Elfes, des Druides, des Hommes

et de ses compatriotes, il ne devait laisser aucun répit aux

troupes de Korrigans qui se massaient sans cesse sur les

frontières des Terres Sauvages.

Les éclaireurs des Marches, lui avaient transmis des

renseignements sur une forte concentration de Korrigans

des montagnes aidés par une puissance inconnue. Ces

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Les forges de Nabachton. Page : 131

derniers étaient parvenus à repousser les patrouilles du

Nord et s’étaient dirigés, après avoir franchi le front, vers

les rives d’un grand lac désert du Sud Ouest de la Silérie.

Sept cent milles guerriers des Royaumes Libres

étaient prêts à marcher depuis les camps de la grande

Forêt de Myrion. Arhus n’hésita pas. Il allait frapper un

grand coup pour disperser les efforts des Forces du Mal

qui, apparemment, étaient en train de tester la valeur de

leurs adversaires. Le général Silérien, voulait aussi

comprendre ce qu’était la force qui tenait actuellement

en échec, les frontaliers des Terres Sauvages. Mélinos, le

Grand Maître du Savoir lui avait, avant de partir

accompagner Niphilus, prodigué de bons conseils ainsi

que des objectifs à poursuivre. Identifier les nouveaux

alliés du Seigneur des Ankous, en limitant les risques

pour les troupes des Royaumes Libres faisait partie des

buts d’Arhus.

Celui-ci était fier du rôle qui lui avait été dévolu. Il

ne voulait décevoir personne s’il subissait un échec, il

comptait en être la première victime. Ses hommes ne

seraient pas les seuls à payer ses erreurs. Il ignorait

pourquoi exactement, mais il considérait qu’il avait un

compte à régler personnellement avec les légions du

Seigneur des Ankous. Ces armées sinistres et leurs

desseins ignobles de domination absolue étaient venues

l’arracher à la paix de son petit pays merveilleux. Il leur

en voulait terriblement. Quiconque connaissait les

Silériens, savait que ces petites créatures étaient en

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 132

général de bons vivants, amoureux de leur confort. Mais

si on s’avisait de les arracher à leur bien-être par la

contrainte et la menace, il pouvait rapidement se

transformer en féroces combattants, impossible à

infléchir. S’ils n’étaient pas des guerriers nés, la

nécessité faisait des Silériens de redoutables résistants à

l’oppression et de fins stratèges.

Arhus avait l’intention de dissimuler la plus grande

partie de son armée dans les landes, au sud du Lac. Il

connaissait bien le pays. Avec des haies touffues et des

chemins creux perdus dans la verdure, cette contrée

déserte permettait la mise en place d’un réseau de

fortifications provisoires pouvant devenir un piège terrible

pour des assaillants peu familiers du bocage Silérien.

Alors, il allait lancer son avant-garde de cent milles

soldats, tous athlètes accomplis, contre les Korrigans et

leurs alliés inconnus, massés sur les rives méridionales du

Lac. En les acculant contre l’eau, le Silérien espérait

bien que ses guerriers, aidés par leurs nouvelles armes et

la magie des Druides, feraient un carnage des démons

envoyés par le Seigneur des Ankous. Le jeune général

comptait également sur la promptitude de son attaque et

de la retraite qu’il avait organisée avec minutie, pour

comprendre la nature exacte de la nouvelle puissance

maléfique alliée aux anciens lieutenants de l’Empereur

déchu.

Son plan approuvé par le Conseil de la Nouvelle

Alliance, chacun des êtres libres de l’ancienne Formalow

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 133

engagés dans cette bataille, conscients du danger qui les

menaçait mais aussi convaincus de l’utilité de cette

stratégie, une grande partie de l’armée stationnée dans la

Forêt de Myrion, depuis la bataille du col des cristaux de

puissance, s’était mise en route avec détermination vers

le Nord. Depuis l’orée du grand massif sylvestre, ces

soldats téméraires déferlaient à travers la plaine, sur leurs

ennemis insouciants.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 134

- III -

Les deux galères qui transportaient la compagnie,

ballottées par une légère houle du sud, étaient à l’abri

des regards sous un promontoire de la côte

septentrionale du Golfe des Mondes Perdus.

Les formidables monts, séparant les Royaumes

Oubliés des terres de l’Ancien Empire, se dressaient

comme le bord d’un fjord, devant les yeux de Niphilus et

de ses compagnons. Mélinos, Le Goua’ch, Suggur et

Saurane étudiaient la muraille avec inquiétude. Nul être

vivant, en dehors des oiseaux, ne pouvait escalader cette

falaise infranchissable au sommet de laquelle, le passage

vers Nabachton avait été taillé patiemment dans la roche,

bien des Âges plus tôt.

Quant à débarquer sur le littoral du Golfe

accessible, puis, de gagner ensuite l’entrée du passage, il

ne fallait pas en rêver. Le vieux Maître du savoir avait

fait une expérience en utilisant une gemme de vision

enchantée ainsi que le pigeon de feu de Niphilus.

L’oiseau, de toute la vitesse de ses ailes, avait parcouru,

en emportant accroché à son cou la pierre de Mélinos,

une grande partie de la vallée du fleuve des Mondes

Perdus mais aussi la côte sud du golfe. Toute cette

région grouillait des plus puissantes créatures mortelles

de l’Empereur disparu de Formalow.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 135

La compagnie, armée comme elle était et comptant

parmi ses membres, des seigneurs ainsi que des glaives

qui valaient bien, à eux seuls, des phalanges de

courageux combattants de moindre renommée, elle serait

parvenue à se frayer un chemin dans toute cette foule

d’ennemis, peu entraînés et abandonnés à eux-mêmes.

Mais, elle devait progresser dans le secret. Si les forces

des Ténèbres sentaient que les armées des Royaumes

Libres se tournaient vers Nabachton et sa magie, elles

tenteraient par tous les moyens d’empêcher la réunion

du bien, de la loyauté et du courage. La fusion des pays

libres de Formalow et de ceux perdus au Nord-Ouest du

Monde, rendrait la défaite d’Arthang et du Maître des

Ankous, totalement inévitable, alors qu’aujourd’hui, la

balance du nombre et de la puissance surnaturelle

penchait encore en faveur du mal.

Alianos, l’éclaireur qui s’était beaucoup tenu à

l’écart des décisions et des actes de la compagnie, depuis

son départ, tout en observant les montagnes barrant

l’horizon de la baie, émit une hypothèse à la surprise

générale :

- Jusque-là, je me suis abstenu de vous apporter

mon opinion sur la guerre maritime ou bien à découvert

dans la plaine, lança-t-il. Ce n’est pas que je vous

refusais alors mon aide, c’est simplement que je ne

possédais aucune compétence dans ces domaines de

bataille-là. Ici, nous sommes sur une frontière quasiment

inconnue et j’ai étudié les rares cartes incomplètes de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 136

cette région. Mon rôle et ma mission de frontalier m’ont

souvent obligé à consulter des relevés géographiques

ayant miraculeusement survécu à La Guerre des Larmes

de Sang et avant cela aux saccages des connaissances

scientifiques, accompli cruellement par l’Empereur lui-

même. Je suis certain qu’il existe un cirque rocheux dans

ce littoral où les bateaux de Jadis, ceux qui croisaient sur

la mer bien avant la fondation du pays des abers,

s’abritaient des tempêtes et pouvaient, en cas d’avaries,

faire transporter leur cargaison jusqu’à Nabachton par le

passage. Si de lourdes charges étaient emmenées depuis

le niveau de l’Océan jusqu’au chemin du Sommet, sans

revenir vers l’entrée que nous connaissons tous, notre

compagnie devrait pouvoir emprunter cette voie sans

difficulté. Le tout est de savoir si le cirque marin est situé

à l’est ou à l’ouest de notre mouillage.

Niphilus, Saurane et Suggur se regardèrent avec

surprise. Ils ne s’attendaient à une réaction aussi

pertinente de l’éclaireur. Finalement, se trompaient-ils

complètement tous les trois, comme l’avait craint le

forgeron ?

- Vous avez parfaitement raison Alianos, intervint le

vieux Druide. Mais personne ne sait si ce havre, avec son

accès secondaire à la route des forges n’a pas été inondé

lors des bouleversements telluriques occasionnés par la

fin des maléfices de L’Empereur.

- Je le sais bien Maître Mélinos, admit le frontalier,

mais il faut tenter de le trouver. Je nous vois mal rester

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Les forges de Nabachton. Page : 137

secrets en franchissant les armées qui nous surveillent

dans chaque recoin de cette sombre partie du monde,

alors qu’elles connaissent nos moindres faits et geste

d’avance par : je ne sais quelle fuite d’informations,

volontaire ou accidentelle…

Donc, lui aussi soupçonnait une trahison et pour

couper court à toute tergiversation, il se décidait à en

parler ouvertement à tous les membres de la compagnie.

Mélinos l’observa alors avec l’acuité inouïe de son

regard d’aigle. Le vieux sage venait de se faire prendre

de vitesse par l’éclaireur. Ce dernier faisait preuve d’une

puissance de déduction peu commune.

- Enfin, pour en revenir à notre préoccupation

immédiate, Messires, continua-t-il comme si, sans

condition et malgré ses constats, il gardait toute sa

confiance dans les membres de la compagnie, je me fie à

l’estimation du Capitaine d’Armenos qui nous a conduits

jusque-là sans encombre. Il nous a ancrés à vingt lieues

du point où la mer quitte le flanc des montagnes et où, la

côte s’abaisse pour se transformer en plage de galets.

Or, tous les écrits sont formels et le bon sens nous le dit.

Les bateliers d’autrefois n’auraient jamais exploité un

port difficile d’accès alors qu’une côte de sable, menant

en douceur à l’entrée du passage vers les Royaumes

Perdus, était si proche.

- Vous en déduisez que le cirque rocheux, serait

donc à l’Ouest d’ici ? Questionna Niphilus avec intérêt.

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Les forges de Nabachton. Page : 138

- Oui mon ami, assura Alianos. Vous avez étudié

longuement les manuscrits d’Armenos. Vous y avez

appris, comme moi, qu’à moins de trente lieues de

l’entrée, personne n’a plus jamais emprunté cette route.

Cela nous arrange donc, car l’accès secondaire ne sera

certainement pas surveillé, si, il est situé suffisamment

dans l’Ouest.

- Nous ne devons pas négliger cette possibilité,

assura Suggur dont le visage n’exprimait aucun

sentiment. Pourtant, il devait certainement être aussi

attentif que Saurane et Niphilus aux suggestions

surprenantes de l’éclaireur.

Les marins des abers, informé des décisions de la

compagnie, remirent leurs galères en route, à la faveur

de la nuit sans lune. La lumière des étoiles les cachaient

aux démons des Seigneurs du Mal, mais elle était

suffisante pour se guider le long des falaises

montagneuses. Les licornes, bien nourries et bien

reposées, fournissaient de nouveau leur puissance à la

machinerie des bateaux filant avec régularité, dans le

silence de la nuit. Celle-ci, douce en cette fin de

printemps, était idéale pour effectuer un tel voyage.

Les déductions d’Alianos se révélèrent exactes, vers

la troisième heure après minuit. Les montagnes qui

bordaient la mer, formaient à vingt lieues dans l’Ouest du

précédent mouillage, un cirque demi-circulaire, dont les

parois s’élevaient plus en douceur vers la corniche du

passage des Mondes Perdus. L’inclinaison de la pente

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 139

n’était pas raide et dans l’ombre, les méandres d’une

chaussée de pierres claires, serpentant sur les flancs du

cirque entre de grands arbres, gagnaient une corniche

élevée.

Niphilus avait étudié l’histoire de la route des

Royaumes Perdus. Elle avait été taillée par des machines

aux puissances physiques et magiques colossales, dans le

granit des escarpements, vers le troisième quart de leur

hauteur. Il était pratiquement impossible d’y accéder par

la mer en dehors du cirque. L’entrée de ce dernier, elle-

même, était défendue par d’immenses tours de pierre

noirâtre, fermées et abandonnées depuis des Âges

immémoriaux, mais toujours inviolées par l’ennemi.

C’était là, la première manifestation du savoir oublié de

Nabachton, en dehors de la force de son glaive, à

laquelle Niphilus assistait. En effet, la silhouette

titanesque des défenses au pied desquelles passaient les

galères en pénétrant dans le havre secret, était intacte.

Leur gigantisme écrasait tous les passagers des bateaux,

et, bien qu’il n’y ait aucun soldat pour en garder les

créneaux ou les poternes, ses constructions paraissaient

neuves et habitées.

Enfin, les vaisseaux de Myrion atteignirent les quais

d’un port dont les habitants de l’ancienne Formalow ne

soupçonnaient même plus l’existence depuis

d’innombrables générations. Pourtant, rien de ces

installations n’était dégradé. Sans doute protégées par les

enchantements des Seigneurs de Nabachton, les murs,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 140

les toits des maisons, les dalles des rues et les jardins

demeuraient inaltérables, comme entretenus par

d’invisibles mains. Mélinos, regarda longtemps les lieux

où il venait de débarquer avec le reste de la compagnie et

déclara avec simplicité à Niphilus, à Saurane, à Suggur et

Le Goua’ch qui paraissaient tous l’interroger du regard :

- Nous avons devant nous la preuve absolue que

Nabachton existe toujours et résiste encore aux assauts

d’Arthang et du Maître des Ankous. En effet, aucune

magie, si forte soit-elle, ne peut perdurer après la

destruction des enchanteurs qui l’ont mise en œuvre. Or,

un sort vivant arrête l’écoulement du temps dans ce port.

De plus, nous sommes surveillés et reconnus comme des

alliés car cette protection ne nous affecte pas

personnellement, sinon, nous nous serions immobilisés

sous ce charme, après avoir franchi le chenal d’entrée.

Ce constat, en somme, était une très bonne

nouvelle. Il fallait maintenant monter discrètement

jusqu’au passage des Royaumes Perdus. Avec

précaution, les membres de la compagnie devaient aussi

vérifier que, si la magie neutralisant le vieillissement du

havre ne s’étendait pas jusqu’à la route, cette voie n’était

pas occupée par des serviteurs du mal.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 141

- IV -

Arhus avait disposé une grande partie de ses forces

dans la lande. Depuis le sommet d’une petite colline, il

regardait la plaine avec satisfaction.

Aucune fumée, aucun mouvement, aucune

dégradation d’arbres et de buissons ne permettait de

soupçonner la présence d’une armée de six-cent milles

hommes, Elfes, Druides ainsi que Silériens, dissimulés en

ordre de bataille derrière les rochers, les chênes, les

fougères mais aussi les ajoncs de cette riche région à

demi-sauvage. Quand il fut certain que son piège était

bien en place, le Général en chef commanda à la colonne

constituant le reste de cette vaste troupe, de marcher

vers les rives du Lac.

Là-bas, ils devaient heurter de front leurs ennemis

afin de les tester et de semer le désordre dans leurs

rangs. Avec lui, Arhus n’avait emmené que des

volontaires expérimentés. Il ne voulait pas perdre de

compagnon, dans toute la mesure du possible. Certes, les

alliés mystérieux des Korrigans qui s’étaient aventurés,

cette fois, bien plus au Sud qu’au cours des dernières

années, allaient certainement provoquer des disparitions

douloureuses dans la phalange des royaumes libres. Mais

la force des guerriers réunis par le Conseil de Myrion,

leur courage combiné avec la résistance des nouvelles

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 142

armes silériennes, contiendraient certainement cette

terreur des Ténèbres.

Le plan d’Arhus, dans sa première phase était très

simple. Les cent milles soldats, cavaliers et fantassins qui

le suivraient jusqu’au camp des légions d’Arthang et du

Seigneur des Ankous, devaient progresser jusque-là le

plus vite et le plus secrètement possible. Dès qu’elle

serait en contact visuel avec les Korrigans, cette masse

les chargerait de toutes ses forces, sans crier gare.

Ensuite, après avoir massacré le plus grand nombre

d’adversaires, elle refluerait vers le sud aussi rapidement

qu’elle était venue.

Bien sûr, croyant avoir effrayé cette colonne, les

démons poursuivraient aussitôt leurs attaquants en

déroute. Aussi, ils se répandraient dans la lande, sans

ordre et sans discipline, courant à la curée comme ils le

faisaient à chaque fois qu’ils pensaient tenir la victoire,

insensés, cruels et avides de sang. Alors, la formidable

armée envoyée par le Conseil de Myrion surgirait des

halliers et la tempête s’abattrait sur les serviteurs des

Seigneurs du mal.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 143

- V -

Niphilus, Saurane, une partie des marins de

Salermnos et des Druides de la compagnie avaient atteint

le passage des Royaumes Perdus. En se retournant, ils

dominaient le cirque de montagnes au pied duquel, la

mer bleue dansait sous le vent. Une grande forêt

escaladait les flancs des escarpements jusqu’au niveau de

la route de Nabachton.

Dans la lumière du soleil levant, le port figé par la

magie était merveilleusement beau. Ses rues, ses quais et

ses bâtiments brillaient comme l’argent le plus vif.

Les deux galères étaient déjà reparties. Il ne fallait

surtout pas qu’elles fussent remarquées par les espions

des Ténèbres. Comme elles contenaient assez de vivres

pour effectuer le voyage de retour sans escale, dès la fin

du débarquement de la compagnie, les deux bateaux

avaient repris le large dans la nuit agonisante. Les

compagnons de Niphilus et le maître forgeron étaient

désormais seuls au milieu d’un pays inconnu, occupé par

leurs terribles ennemis. Suggur et ses elfes, Mélinos et

ses maîtres du savoir, avaient été eux-mêmes en proie à

un mutisme inquiet, avant de progresser vers la corniche

sur laquelle, le passage des Mondes perdus avait été

taillé.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 144

La compagnie, séparée en deux groupes,

n’effectuait pas cette dangereuse ascension par un seul

chemin. Il existait une voie secrète dont Le Goua’ch, le

Duc des abers, avait découvert l’existence en consultant

les archives de la capitainerie. Ce passage souterrain

permettrait de surprendre une patrouille de Korrigans

que les voyageurs pouvaient fort bien rencontrer au

sommet de la montée.

Niphilus avait choisi d’avancer par l’accès ouvert,

tout en demeurant sous la protection des arbres mais

aussi, en respectant le plus strict silence. Comme tous les

êtres de son espèce, il ne produisait aucun bruit en se

déplaçant. Le plus habile éclaireur elfique ne l’aurait pas

entendu passer à quelques pieds de lui. Ceux qui avaient

été désignés pour le suivre dans cette escalade, étaient

aussi particulièrement circonspects et aptes à la

dissimulation dans les pays sauvages. La Princesse

Saurane, elle-même, impressionnait le maître aciériste

par ses aptitudes guerrières indéniables.

Niphilus arrivait en tête de son groupe, aux abords

de la grande route oubliée. Toujours caché par les

buissons d’épineux de la forêt d’altitude, il observait avec

application toutes les caches possibles, bordant cette

large bande de terrain, complètement découverte. Le

Silérien ne voyait vraiment rien de dangereux par-là. Il

hésitait pourtant car, s’il avait des yeux performants et

une bonne connaissance théorique de l’art des éclaireurs

frontaliers, il manquait cruellement de pratique, de plus,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 145

Alianos qui maîtrisait parfaitement ces situations, se

trouvait avec les compagnons montés par le passage

secret et, ces derniers, n’étaient apparemment pas

encore parvenu à la sortie du souterrain. La princesse

Saurane, estimait de plus en plus le forgeron. Elle

connaissait la force mais aussi les faiblesses de celui-ci.

Elle avait compris que l’hésitation qui immobilisait ce

dernier, n’était pas due à un manque de confiance en soi,

mais à un signal mystérieux délivré par l’instinct

quasiment infaillible de son ami. Elle tenta de percevoir,

elle aussi, la menace qui pesait sur cette route tant

recherchée par la compagnie.

Niphilus, sortit des frondaisons du bois avec

précaution. En courbant la tête, en avançant à demi

accroupi, il atteignit sans encombre le milieu du passage

des Mondes Perdus que le soleil levant éclairait

désormais de ses rayons naissant. Le forgeron observa

encore les alentours. Il se tourna vers le bosquet où ses

compagnons attendaient son signal pour le rejoindre,

mais, il se figea brutalement. Personne n’avait pu

entendre le léger bruissement que lui, avait perçu grâce à

la finesse de son ouïe.

Un énorme Korrigan des montagnes, dissimulé

jusqu’à cet instant dans le fossé bordant la route du côté

de l’escarpement, venait de surgir de sa cache en se

dressant comme un chat sur le point d’attaquer une

proie. Le monstre, recouvert de poussière blanche, se

dessinait tel un fantôme, sur le talus encore noir des

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 146

dernières ombres de la nuit mourante. Le silérien porta

sa main sur la garde de son poignard, mais, le cruel

serviteur d’Arthang, d’un bon prodigieux, sauta sur

Niphilus et le renversa. Le démon avait deux fois la taille

de l’aciériste, pourtant celui-ci ne resta pas longtemps

paralysé par la surprise. Il frappa son adversaire en plein

visage de sa main recouverte d’un gantelet qu’il avait

forgé lui-même. Le Korrigan se rejeta en arrière, tout en

hurlant de douleur, son museau brisé ruisselait de sang.

La lèvre inférieure du démon, écrasée par le choc contre

ses crocs, se tuméfiait à vue d’œil. Niphilus, libéré de la

masse de son ennemi, parvint à dégainer son glaive. Une

seconde fois, fou de rage, le monstre fondit sur lui. Il

s’empala alors sur la lame du Silérien que ce dernier

avait judicieusement brandi vers son ennemi. Le corselet

du soldat des Ténèbres crissa en se fendant sur le fil de

l’épée silérienne. Le cuir qui constituait la peau noirâtre

du Korrigan, fut perforé et tailladé comme une simple

feuille de parchemin.

La créature abominable recula encore sous la

violence de la contre-attaque. Son sang infecte se

répandit par flot sur les dalles immaculées du passage

des Mondes Perdus. L’aciériste regardait farouchement

son ennemi. Cependant, malgré son courage et sa force

de caractère, il venait de recevoir, à deux reprises, de

plein fouet, l’énorme masse du grand Korrigan. Même le

solide Suggur, avec ses larges épaules et ses jambes bien

ancrées dans le sol où il marchait, aurait vacillé après de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 147

tels coups. Un des Druides de la compagnie ainsi que la

Princesse Saurane réalisèrent alors que le vaillant Silérien

risquait d’être terrassé. Ils s’apprêtèrent à bondir hors

des bois pour voler au secours de leur ami pendant que

la créature des Ténèbres encore vigoureuse, bien que ses

viscères jaillissent de sa profonde blessure, levait son

cimeterre afin de l’abattre sur Niphilus. Les yeux

rougeoyants de haine, le monstre allait, dans un dernier

sursaut d’agonie, sauter sur le forgeron puis, lui fendre le

crane d’un coup de taille, sans que personne ne puisse

intervenir.

Soudain, deux sifflements stridents déchirèrent

successivement l’air matinal en couvrant les chants des

oiseaux. Deux chocs firent tanguer violemment le

Korrigan géant tandis que des pointes de flèche

jaillissaient soudainement de son torse, à travers sa

lourde cotte de mailles. La gueule du démon s’ouvrit,

béante et silencieuse sur ses crocs ensanglantés. Son

regard devint fixe et vitreux, puis, il tomba en avant sur

les dalles de la route de Nabachton. Alianos sortit d’un

buisson poussé sur la hauteur, en lisière du passage des

Mondes Perdus. Le frontalier tenait son grand arc de fer

à la main. Un troisième projectile y était encoché, prêt à

partir vers un ennemi avec véhémence. Le soldat des

Marches du Nord venait de sauver la vie de Niphilus.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 148

- VI -

Arhus avait demandé à ses combattants à pied de

former une tortue, tandis que la cavalerie protégeait ses

flancs.

Son armée ressemblait à un poing fermé, prêt à

frapper avec violence. Le soleil se levait dans l’Est de la

lande. Comme il avait gagné beaucoup de temps en

venant jusqu’aux rives du lac, il avait pris la peine de

positionner ses cohortes le dos à l’astre qui inonderait

bientôt le Monde d’une lumière aveuglante. Dès que le

premier choc aurait semé assez de désordre, il s’enfuirait

alors vers le Sud, vers le piège qu’il avait tendu.

Le campement des Korrigans, recouvert d’une

infecte fumée et jonché d’immondices, fut bientôt visible

dans toute son horreur. Les sentinelles maléfiques

endormies ne remarquèrent pas la formation colossale

qui allait bientôt se jeter sur eux car, déjà, les rayons de

l’astre du jour les aveuglaient dans cette direction.

Aucun des chefs de guerre d’Arthang et du

Seigneur des Ankous, ne comprit la nature de la clameur

qui les éveilla, ni celle du grondement de tonnerre que

produisirent les centaines de milliers de pieds et de pattes

courant fermement sur la pente menant au lac. Aucun

démon n’eut le temps de saisir sa lance ou bien son

glaive avant que la tête de l’armée des Peuples Libres ne

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Les forges de Nabachton. Page : 149

déferle entre les tentes des Korrigans épouvantés, malgré

leur supériorité numérique.

Même les formidables monstres des montagnes

furent littéralement balayés par les cavaliers elfiques qui

faisaient tournoyer dans la masse de leurs adversaires,

leurs longues épées en de grands moulinets meurtriers.

Les têtes des créatures des Ténèbres tombaient drues en

souillant du sang verdâtre qu’elles contenaient, les

pâturages composant les bords de la vaste étendue d’eau.

Des grognements affreux accompagnaient les

monumentales silhouettes difformes qui tressautaient

grotesquement dans leur chute, à chaque coup porté par

les soldats d’Arhus.

Les légions du mal reculaient. Ils étaient pourtant

bien plus nombreux que leurs assaillants, ces démons

malfaisants. Mais la fureur destructrice des elfes, des

druides et des marins de Salermnos semait l’épouvante

dans les cœurs immondes des Korrigans. Ces derniers

étaient également terrifiés par la fougue des Silériens car,

les petits forgerons agissaient froidement, sans aucune

cruauté ce qui rendait leur volonté d’avancer encore plus

terrible.

Des cent milles compagnons d’Arhus, personne

n’était mort dans cette fantastique cavalcade alors qu’un

bon quart de l’armée venue des Terres Sauvages, soit

approximativement cent cinquante milles démons

furibards, s’était jeté dans les eaux bleues du lac et s’y

noyait en hurlant d’effroi. Mais le Général silérien leva sa

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Les forges de Nabachton. Page : 150

main afin de retenir sa troupe qui frémissait d’impatience

comme une horde de chevaux emballés.

Le paysan subtil du royaume de Phérégon, avait

remarqué un changement pratiquement insensible dans la

température ambiante. Un frisson de terreur involontaire

parcourait le dos des combattants de son armée mais

aussi, les gueules avides de leurs ennemis. Ces derniers-

même n’étaient pas fiers d’être là, pris entre les

nouveaux alliés de leurs Seigneurs et les armes

impitoyables des Silériens.

Remontant des profondeurs du lac, chassant d’un

souffle les cadavres des Korrigans qui surnageaient,

entourée d’une vapeur ténébreuse et malsaine, des

sorciers étaient apparus sur le rivage. Arhus ainsi que ses

compagnons n’avaient jamais vu une de ces créatures

vivantes, puisqu’elles étaient complètement disparues,

neuf siècles plus tôt. Mais l’aciériste savait maintenant

qui constituait la force redoutable, décimant les

patrouilles frontalières. De plus, ces nouveaux sujets du

Seigneur des Ankous, étaient encore plus effrayants que

ceux de jadis. En effet, ceux-là étaient des morts

rappelés à la vie par quelques magies ténébreuses. Ils

étaient tous en décomposition et la vision de leurs visages

cadavériques glaçaient le cœur des Elfes et des hommes

qui craignaient, malgré leur témérité, les spectres revenus

du royaume des défunts maudits.

Seuls les créatures qui s’étaient livrées à la haine et

au mal durant leur existence avaient pu être ramenées

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Les forges de Nabachton. Page : 151

dans le Monde de Formalow par des rites surnaturels de

l’Ancien Empire.

Les Ankous, dont le Lieutenant du Souverain de

jadis était le tyran absolu, avaient pour rôle de chercher

les âmes des malfaisants afin de les capturer, puis, de les

jeter au-delà des Dolmens Infernaux, par les portes du

néant situées au septentrion des Terres Sauvages.

Jamais, jusque là, les chasseurs de la mort absolue

n’avaient pu faire revenir un maudit dans les cercles du

Monde.

Les justes eux-mêmes ne retournaient pas avec

leurs semblables, après leur décès. Les Druides

pensaient que ses esprits bienheureux passaient, après la

fin de leur existence, les Montagnes du bout du Monde,

dans le Sud de Formalow et, de là, atteignaient un

univers de félicité, auprès du Créateur de toute chose.

Donc, les sorciers détruits jadis, tandis qu’ils

répandaient le mal sur les Royaumes libres, avaient

certainement répondu favorablement aux incantations

ignobles des forces ténébreuses qui avaient imploré leur

aide. Le Seigneur des Ankous venait de franchir sans

vergogne une invisible limite des lois imprescriptibles de

la nature et de la vie. Cela allait lui coûter cher.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 152

- VII -

Niphilus et ses compagnons, enfin regroupés,

avançaient désormais librement sur la route de

Nabachton.

Alianos marchait près du forgeron silérien et de la

Princesse Saurane. L’éclaireur expliquait, tout en

scrutant parfois les hauteurs qui dominaient l’une des

rives du Passage des Royaumes Perdus, d’autres fois

l’Océan Extérieur qui s’étendait à l’infini, au pied de

l’escarpement, en faisant briller d’une lumière bleue-

éclatante, l’horizon occidental du Monde :

- Vous n’avez commis aucune erreur lorsque vous

êtes parvenu sur la corniche. Vous avez agi sagement en

examinant minutieusement les alentours avant de vous

engager sur la route dallée, à découvert. Aucun

frontalier, si expérimenté soit-il, n’aurait été plus discret

et prudent que vous, Maître forgeron. Moi-même,

j’arrivais du souterrain qui débouchait légèrement au-

dessus de la corniche. Je n’ai pas aperçu le Korrigan qui

vous a attaqué et je ne vous avais pas remarqué avant

que vous ne soyez arrivé au milieu de la route. Le

meilleur éclaireur aurait été surpris par le démon. Ce

dernier avait un terrible avantage sur nous. C’est, je dois

l’admettre, à mes yeux, une vérité inconcevable, mais

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 153

pourtant, il est clair que ce Korrigan savait que nous

étions là. Il connaissait notre itinéraire avec exactitude.

- Pensez-vous que nous pourrions être trahis par un

compagnon de notre expédition ? S’inquiéta Niphilus.

- Non ami, assura le soldat du Nord. Je ne parlerais

pas ouvertement de mes suppositions, même avec vous

qui êtes totalement insoupçonnable, si je pensais côtoyer

un traître infiltré dans notre compagnie. Je crois plutôt

qu’Arthang le Noir utilise ses pouvoirs de persuasion afin

de contraindre des animaux de petite taille, quasiment

invisibles dans la nature pour des personnes

inexpérimentées, de nous espionner tandis que nous

progressons. Des oiseaux, des insectes, des poissons

peut-être, sont tombés sous le charme magique du

Léviathan et ce dernier, dans l’immense savoir que lui a

apporté sa très longue existence, a certainement trouvé le

moyen de lire la mémoire visuelle et auditive de ses

bêtes.

- Alors, il sait qu’une phalange de ses ennemis

marche maintenant vers les Forges de Nabachton,

affirma la princesse de Silérie. Qu’attend-il pour envoyer

ses troupes afin de nous écraser sur le flanc de ces

montagnes ?

- Majesté, en ce qui concerne les desseins

stratégiques des Seigneurs ténébreux, je ne suis pas aussi

initié que le sage Mélinos, expliqua le frontalier. Mais je

peux émettre une hypothèse qu’il conviendra de faire

confirmer ou bien infirmer par notre Gardien du savoir.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 154

Arthang connaît notre nombre. Pour lui nous ne

représentons pas encore une menace car nous ne

sommes qu’une poignée insignifiante d’aventuriers en

regard de la multitude d’esclaves qu’il peut déverser sur

le Monde. De plus, il ignore nos noms car les espions

qu’il envoie n’ont pas d’entendement et, leur mémoire

ne peut pas nous identifier. C’est heureux d’ailleurs, car

la destruction de Capitaines de guerre et de sagesse tels

que Suggur, l’Elfe Géant, Roi des forêts du Bout du

Monde et Le Goua’ch, Duc de tous les marins de

Salermnos, sans compter les autres renommées qui nous

servent d’escorte, justifieraient, à elle seule, dans l’esprit

de nos ennemis, l’anéantissement de plusieurs légions de

Korrigans des montagnes. Enfin, il reste une protection

qui doit être infranchissable pour nos sinistres

adversaires. Tant que nous resterons sur ce passage,

nous bénéficierons des bienfaits de ce sortilège. La magie

qui protège la baie montagneuse où nous avons

débarqué, s’étend certainement sur la route de

Nabachton. Le temps ne s’est pas arrêté sur cette voie

dallée comme c’est le cas dans le port de notre arrivée.

Cependant, je sens ici, comme une fragrance

étonnamment vivifiante qui nous encourage tous à

accomplir notre tâche et refoule assurément les démons

dont la mission est de nous arrêter.

- Puissiez-vous ne pas vous tromper, Messire

Alianos, implora Saurane.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 155

Dans le lointain, vers le nord du Monde, une barre

de nuages sombres était en formation, au-dessus des

eaux bleues de la mer si calme. Le ciel, depuis le lever

du soleil, avait été limpide, seulement traversé de temps à

autre par une belle nuée blanche, annonciatrice

habituellement, de beau temps sur les terres de

l’ancienne Formalow. L’assombrissement de l’horizon

septentrional n’était pas naturel. Le pouvoir d’ordonner,

détenu par le Maître des Ankous et le Léviathan,

s’étendait-il, maintenant, jusqu’aux changements de

climat ?

La tourmente qui se préparait dans le lointain,

promettait, à la vue de son aspect, d’être cataclysmique.

L’inquiétude figea un instant les membres de la

compagnie dans l’expectative. Leur position en hauteur,

sur le flanc d’une montagne exposé à la puissance de

l’océan, devenait dangereuse en cas de tempête alors

qu’elle était idéale sous le soleil.

- Je souhaite que les sortilèges qui retiennent nos

ennemis hors de cette route soient efficaces contre les

ouragans ainsi que les trombes d’eau, fit l’aciériste.

- Et surtout qu’ils ne laissent pas les éléments

déchaînés les franchir de temps à autre, comme ils l’ont

permis au Korrigan qui vous a attaqué mon ami, reprit la

Princesse Saurane.

- Majesté, répondit Alianos, l’agresseur de Maître

Niphilus l’a fait dans une partie du Passage des

Royaumes Perdus se trouvant à l’est du cirque

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 156

montagneux marquant la limite de la magie de

Nabachton. De plus, en temps normal, sans que les

forces ténébreuses ne soient impliquées dans la

dégradation météorologique, la route des Forges peut

être soumise à de formidables orages. Les bâtisseurs de

cette voie n’ont pas ignoré cette menace. A l’usage des

nombreux convois de marchandises qui empruntaient

cette passe, jadis, d’immenses refuges ont été creusés

dans l’escarpement, juste au-dessus de la corniche, à

intervalles réguliers. Nous avons quitté les hauteurs

dominant notre port de débarquement voilà trois heures,

nous atteindrons certainement l’un de ces abris avant

peu.

- Vous avez raison Alianos, lança Suggur en tendant

son doigt vers un bouquet de chênes poussés au milieu

d’une boucle de la route.

Le vent qui écartait les branches de ces arbres

monumentaux, révélait au regard de l’Elfe, pratiquement

aussi aiguisé que celui des Silériens, l’entrée maçonnée

habilement d’une grande caverne s’enfonçant dans le

flanc des Monts du Passage Perdu.

- Nous allons pouvoir nous reposer ici pendant que

passera la tempête, expliqua le Seigneur Sylvestre. Il

suffit que notre Gardien des magies de jadis, Mélinos, se

souvienne du mot de passe pour ouvrir les battants de cet

accès colossal.

Le vieux Druide regarda le grand Elfe avec un

sourire sous sa barbe broussailleuse. Non, Suggur n’était

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Les forges de Nabachton. Page : 157

pas ironique en faisant cette remarque au célèbre sage de

Myrion. Le Roi des forêts méridionales avait simplement

une foi illimitée dans les pouvoirs de son ami.

- Je pense ne pas vous décevoir, ami, déclara

Mélinos.

Le Gardien du Savoir s’avança à grandes enjambées

vers la porte de la caverne et, tandis que l’horizon se

couvrait de plus en plus au nord du Monde, il atteignit

l’accès au refuge et posa sa main sur les formidables

battants de pierre qui l’interdisaient aux indésirables.

- Nama’ch timber, secum selionnis par inner

suffren itaros ! Lança Le Druide d’une voix de stentor.

Niphilus qui l’avait rejoint avec ses autres

compagnons, ne put s’empêcher de traduire.

- Ouvre-toi, porte des bénis au nom de ceux qui

marchent pour eux ! C’est du vieil Elfique des premiers

Âges Seigneur Suggur. Vous connaissiez certainement

cette supplique des époques d’Or.

- Malheureusement ami, les chefs des Elfes de

Myrion et des Bois du Bout du Monde, passent trop de

temps à faire la guerre, se désola sincèrement le forestier

géant. Ils n’ont plus le temps d’étudier la langue des

temps heureux et ils n’ont certainement pas les facultés

d’apprentissage étonnantes des fins forgerons du beau

pays de Phérégon, ajouta-t-il avec grâce.

La troupe hétéroclite pénétra alors avec prudence

dans l’immense grotte qui venait de s’ouvrir avec un

grondement assourdissant. Depuis des siècles, le refuge

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Les forges de Nabachton. Page : 158

était resté clos, mais, le mécanisme magique qui le

protégeait avait fonctionné aisément, dès qu’il avait été

sollicité par le Vieux Sage. Aussitôt que toute la

compagnie eut passé la porte, Mélinos, resté en retrait,

rappela par un geste, les deux battants de roche qui se

rejoignirent avec lenteur. Quand ils claquèrent en se

scellant l’un à l’autre, à l’extérieur de la caverne le vent

s’était mis à souffler et la pluie frappait furieusement

l’escarpement.

Dans la caverne, des gemmes de puissance,

inconnues des membres de la compagnie, s’étaient mises

à briller d’une intense lumière bleue tandis qu’une

chaleur bienfaisante apaisaient les fatigues des

compagnons de Niphilus. Ici, théoriquement, il ne devait

rien arriver de fâcheux.

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Les forges de Nabachton. Page : 159

- VIII -

Arhus assistait à un spectacle qui paraissait lui être

venu d’un autre monde.

Les Elfes géants qui composaient la principale force

de frappe de son avant-garde, hésitaient devant la venue

des spectres. Les marins de Salermnos, eux aussi,

regardaient avec effroi, dans une immobilité totale, les

horribles fantômes sortis du lac qui progressaient vers les

soldats des royaumes libres. Ces monstrueux revenants

balançaient, en marchant, leurs corps décharnés d’une

épouvantable manière. Ils émettaient des gémissements

gutturaux qui glaçaient le sang des vivants.

Ces alliés des forces du mal, appelés depuis le pays

de la mort des maudits, ne semblaient pas apprécier leur

retour dans le monde de Formalow. En franchissant, à

l’encontre des règles établies par le créateur de toute

chose, la limite interdite des Dolmens Infernaux, ils

avaient été voués à la souffrance et à la haine la plus

intense. Les Korrigans fuyaient aussi devant la cruauté

de leurs sinistres auxiliaires, car, si le Seigneur des

Ankous parvenait à leur imposer sa volonté, il devait être

le seul à maîtriser ces hordes effarantes.

Arhus ne savait plus que faire, il jeta un œil vers sa

phalange de Druides. Les Sages étaient dans la même

expectative que lui. Les cavaliers de toutes les espèces

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 160

libres avaient de la peine à retenir leurs montures

terrifiées par l’odeur de la mort. Seuls ses Silériens

restaient froids et fermement campés sur leurs jambes.

Le Forgeron ne blâmait pas les combattants des

autres races qui craignaient les spectres. Son peuple avait

la chance de rester insensible à la terreur distillée par la

vengeance des morts, mais Arhus comprenait

parfaitement la réaction de ses compagnons humains et

elfiques. Le général décida de leur donner du courage. Il

demanda à ses guerriers les plus proches de reformer

une tortue et de charger sans faiblir la horde

fantomatique.

Une immense clameur s’éleva du cœur des Silériens

et, Phérégon l’ayant rejoint à la tête de la cohorte des

paysans-forgerons, tous deux menèrent l’attaque avec

vaillance.

Les soldats aciéristes, s’engouffrèrent comme un

coin dans les lignes des sorciers fantômes. Ces derniers,

peu habitués à une telle réaction des êtres vivants, furent

balayés par les estocades de boucliers et de glaives que

leur adressèrent furieusement Arhus et ses compagnons.

Si les créatures du mal, déjà mortes, ne pouvaient perdre

leur semblant de vie, elles subissaient malgré tout, les

coups avec douleur. Des bras et des têtes en

décomposition, tranchées par les lames silériennes, se

répandirent en se vidant de leur sang infect, sur le champ

de la bataille.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 161

Les spectres mutilés se relevèrent au bout de

quelques instants. Les uns, décapités, reprirent pourtant

leurs bâtons magiques à la main, puis, ils reformèrent

une ligne de bataille. Les autres, une main ou bien un

pied arraché par l’attaque des forgerons, repartirent à

l’assaut des soldats libres, en utilisant leur membre intact

pour brandir leur arme ou courir en boitant.

Cette fois, les formidables petits Silériens se

retrouvaient isolés au milieu des monstres venus des

enfers. Ils se mirent à jouer courageusement de leur

glaive et de leur bouclier pour repousser ce nouvel

assaut. Cependant, ils faiblissaient. Plusieurs finirent par

succomber sous le nombre et les sortilèges des sorciers.

Les humains tremblaient, les yeux agrandis par la

peur. Les Elfes ne parvenaient pas à bouger. Ils étaient

rivés sur le sol par une indicible horreur. Seul, le

formidable courage des représentants de ces deux races

présents sur les rives du Lac, ce matin là, les empêcha de

s’enfuir et de marquer, malgré l’effroi qui les invalidait,

leurs adversaires.

Les petits Silériens tenaient bons. Pour un des

forgerons qui tombait et ne se relevait pas, cent fantômes

avaient été repoussés et ne parvenaient pas à se

reconstituer suffisamment vite pour retourner au combat.

Arhus se sentait perdu, même les druides qui se battaient

avec fureur, étaient retenus par les pouvoir des sorciers

morts vivants. Les sages-guerriers ne paraissaient pas en

mesure d’ouvrir une brèche pour libérer les aciéristes du

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 162

piège qui se refermait sur eux. Tout à coup, les seigneurs

elfes et les barons des Abers qui commandaient les

contingents humains et forestiers lancèrent un appel à

leur troupe :

- Messieurs, malgré la peur et la répulsion que nous

inspirent les monstrueux ectoplasmes des ténèbres,

allons nous laisser le courageux général Arhus succombé

avec ses si vaillants compatriotes.

Alors un seul cri s’éleva des cœurs humains et

elfiques, surmontant la crainte irraisonnée qui les

paralysait, les soldats des forêts et des abers lancèrent

ensemble le mot de ralliement :

- Courage Silérie ! Courage Maître Arhus ! Courage

Seigneur Phérégon ! Nous avons hésité mais nous ne

faillirons pas nous voici.

Voyant que les intraitables sujets de Phérégon ainsi

que leur général en chef, allaient être débordés par le

nombre de leurs adversaires, les humains de Salermnos

et les Elfes se reprirent. Regroupant leur infanterie avec

leur cavalerie, ils se ruèrent dans la configuration d’une

pointe de lance contre leurs adversaires. Le choc fut

encore plus terrible que le premier affrontement. Les

longues épées des forestiers déchiquetèrent les fantômes

tandis que les hommes du Golfe magnaient vaillamment

leur hache de marin. Le carnage fut long et pénible mais,

les sorciers fantômes, pour la première fois depuis leur

retour sur les fronts des combats de Formalow,

reculèrent devant la fureur des peuples libres.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 163

L’avant-garde d’Arhus parvint à rejoindre leurs

amis. Ils taillèrent en pièces les revenants qui se tenaient

entre eux et les chevaliers elfiques. Bien sûr, durant le

combat, les monstres éparpillés en morceau sur l’herbe

fraîche des rives du lac, se reconstituèrent péniblement.

Quelques soldats du général silérien, malgré leurs

nouvelles armures, furent frappés par les décharges de

magie maléfique des Sorciers Morts-Vivants. Les

victimes de ses sorts fatals s’évanouirent sous les yeux de

leurs camardes, dans un nuage de fumée nauséabonde.

Mais, cette fois, l’armée de Myrion alliée à celle des

forêts du Bout du Monde ainsi qu’aux forces de Silérie,

avait réussi à contenir les légions de Korrigans et de

spectres, lancées sur elle par le Seigneur des Ankous et

d’Arthang le Noir. Cette stratégie, ne pourrait pas tenir

éternellement, mais, elle ferait gagner beaucoup de

temps à la compagnie de Niphilus qui ramènerait sans

doute du Royaume de Nabachton, un savoir et peut-être

des renforts, capables d’anéantir les fantômes des

sorciers de jadis.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 164

- IX -

A l’abri dans la vaste caverne brillamment éclairée,

la compagnie de Niphilus se reposait en écoutant la

tempête qui se déchaînait au dehors.

Mélinos avait offert à tous ses vaillants compagnons

un verre d’hydromel de Myrion. Ce breuvage délicieux

confortait les cœurs des justes. Le Maître-Forgeron, sur

un châssis contenant des cristaux de puissance actifs,

faisait griller avec talent des steaks d’holaong épais et

goûteux. L’ambiance était détendue dans la chaude

grotte et les vingt membres de la compagnie parlaient

joyeusement entre eux.

La princesse Saurane, les yeux brillants et le sourire

aux lèvres, semblaient confier, d’une voix quasiment

inaudible, d’importants secrets au cuisinier improvisé.

Alianos et Suggur devisaient amicalement en étudiant

une très vieille carte incomplète du Passage des

Royaumes Perdus.

Le grand Elfe avait revu ses sentiments envers

l’éclaireur. Celui-ci n’avait pas hésité à expliquer

l’attitude réservée qu’il avait adoptée au début de leur

expédition. L’homme était beaucoup moins puissant et

moins expérimenté que les autres membres de la troupe

dans une bataille rangée. Il aurait même été un poids

mort dangereux pour ses compagnons s’il s’était exposé

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 165

dans une bataille en plaine, à découvert. Sur les

contreforts des montagnes, dans les halliers ou bien les

cavernes, le coureur des marches devenaient utile et il

déploierait tous ses talents pour rattraper ses débuts

laborieux au sein de la compagnie.

Cette franchise et la bonne connaissance de ses

limites étaient tout à l’honneur d’Alianos. Avec le brillant

sauvetage de Niphilus en plus de ces qualités, il avait

regagné l’estime de ses camarades.

Le Druide et le Duc Le Goua’ch, avaient allumé

leur pipe d’écume. Ils savouraient chacun un tabac

aromatique des champs salés d’Armenos en terminant

paisiblement leur verre d’Hydromel.

Déjà, les soldats des différentes espèces libres qui

constituaient la compagnie, alléchés par l’excellent

arôme des grillades de Niphilus, étaient venus dans un

parfait mouvement d’ensemble, perturber l’intimité du

jeune silérien et de sa souveraine en s’inquiétant du

temps qui leur restait à patienter avant de pouvoir

apprécier concrètement les chefs-d’œuvre culinaires du

Maître-Forgeron.

Sans rancune, la Princesse et son chevalier-servant,

furent heureux de lancer à leurs compagnons la phrase

libératrice, tant espérée :

- A table, c’est prêt !

La compagnie s’installa en cercle autour du châssis

de cristaux de puissance et reçut avec contentement les

bons morceaux de viande grillée. Tous ses membres

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 166

remercièrent avec enthousiasme le Maître-Forgeron.

Mélinos, le plus observateur de tous les membres du

groupe, remarqua que la Princesse Saurane se tenait

auprès de Niphilus et adoptait à l’égard du brave Silérien

une attitude de confiance et de respect de plus en plus

familière.

A l’extérieur, l’orage battait le flanc de la Montagne

de toute sa fureur. Mais la solidité de la caverne était si

rassurante, qu’aucun compagnon de Niphilus n’était

inquiet. Dans la clameur du tonnerre, tous les autres

murmures du monde souterrain disparaissaient

complètement.

Alianos s’entretenait toujours avec Suggur qui

respectait beaucoup le frontalier depuis les tirs d’arc

ayant sauvé l’aciériste du Korrigan, sur les hauteurs

dominant le cirque du débarquement. Soudain, entre

deux grondements de la foudre, l’éclaireur posa sa main

sur l’épaule de l’Elfe Géant et l’invita à tendre l’oreille.

Les deux guerriers perçurent alors, venu des profondeurs

des montagnes, un martèlement lointain de milliers de

pieds, étouffé par de prodigieuses épaisseurs de roche.

Le Maître Forgeron, un instant distrait par les

tendres discours de la Princesse, fut le troisième à

découvrir la rumeur dangereuse. Mélinos, remarquant

l’inquiétude de ses amis demanda le silence. Il fut

aussitôt obéi de tous.

- Les légions du Léviathan franchissent les racines

des Monts du Passage Perdu et montent vers nous,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 167

lança-t-il soudain. Amis, prenez vos armes, nous ne

pouvons quitter cet abri tant que la tempête gronde

dehors. Il faut savoir par où nos ennemis comptent nous

attaquer.

Il leva son bâton après avoir effectué une passe

magique sur la pierre de puissance qui en ornait le

pommeau. Celle-ci se mit à rayonner d’une formidable

lumière, encore plus intense que celle des gemmes

illuminant la caverne. Sur la paroi, au fond de la grotte,

quatre portes se devinèrent par les défauts de leur

jonction avec leur encadrement révélés grâce à la magie

du Druide.

- Ces accès à l’abri ont été creusés par les

Korrigans, continua ce dernier. Ils sont fermés pour

l’instant par la sorcellerie ténébreuse. Ces tunnels ne

sont pas assez larges pour laisser passer plus de deux

ennemis à la fois. Nous pourrons ainsi contenir les

serviteurs d’Arthang jusqu’à la fin de l’orage, s’ils

décident de surgir ici.

- Mais lorsque nous reprendrons la route de

Nabachton, ? Demanda Suggur. Dès que la tempête

s’apaisera, nous quitterons ce lieu pour reprendre notre

marche vers les Royaumes Perdus, or, les ennemis nous

poursuivront alors sur la Corniche.

- J’en doute mon cher Elfe, assura le vieux Sage.

Alianos l’a remarqué, un puissant et ancien sort interdit

la Route de Nabachton aux serviteurs d’Arthang. De

plus, si nous leur donnons une sainte terreur de cette

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 168

grotte par la violence avec laquelle nous allons leur

résister, ils n’oseront plus jamais attaquer dans un des

abris de cette voie.

- Sus à l’ennemi ! Crièrent ensemble tous les

compagnons.

Ils se séparèrent en groupe de cinq membres, puis,

coururent vers les portes secrètes en brandissant leurs

épées, leurs haches tout en ajustant avec précaution leurs

armures. Les plus puissants des compagnons de Suggur

se positionnèrent devant les accès. Ils bandèrent leurs

formidables arcs de fers sur les cordes desquels, ils

encochèrent trois à quatre flèches. Enfin, dans une

immobilité de sculpture des Âges lointains, ils attendirent

patiemment que les portes s’ouvrent sur leurs ennemis,

agglomérés en rang bien serrés dans l’étroit tunnel.

Le grondement des pas qui remontaient les boyaux

en trottant, depuis le fond de la montagne, s’amplifiait

derrière la paroi de la caverne. Tous les compagnons de

Niphilus avaient rangé leurs affaires en quelques instants,

dès qu’ils avaient été alarmés par le Druide. Il ne restait

aucune trace de leur repos dans la place. Même la

nourriture non consommée avait été rangée vivement

dans les paquetages. Maintenant, le sac au dos, ils

attendaient, une arme à la main, l’assaut des légions

d’Arthang.

Soudain, la foudre tomba contre les portes

extérieures de la caverne. La lumière des gemmes qui

éclairaient la salle, vacilla. Puis, un sifflement strident fut

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 169

émis par les encadrements des entrées secrètes. Avec

des grincements déchirant et des panaches d’étincelles,

les quatre battants de pierre pivotèrent à l’intérieur de

leurs souterrains. Des grognements sourds jaillirent de

l’ombre des boyaux, puis, les premiers Korrigans des

montagnes se précipitèrent dans la caverne refuge en

faisant tournoyer leurs immenses cimeterres. Ils ne firent

que quelques pas dans la lumière hésitante des cristaux,

dont le fonctionnement était perturbé par la force

électrique de l’orage extérieur. Les dix premiers démons

s’écroulèrent sur le sol en hurlant, les jambes tranchées

net par les Silériens qui les attendaient de chaque côté

d’une entrée.

Ce furent ensuite les marins de Salermnos qui,

grâce à leur grande taille, portèrent leurs coups de hache

dans le but de détacher les têtes des soldats d’Arthang du

reste de leurs corps difformes. En bons charpentiers de

bateau, les fiers hommes du Golfe avaient le bras précis

et entraîné au travail du bois sur les hauts mâts de leurs

coursiers des mers. Les cous des plus grands Korrigans

ne résistaient guère à la vigueur des navigateurs, tout au

moins, pas plus qu’une brindille de bruyère. Vingt

monstrueux démons formèrent bientôt une barricade de

cadavres devant l’entrée défendue par le Duc Le

Goua’ch.

Les Elfes étaient plus directs. Leurs fortes

musculatures de forestier les autorisaient à traverser

plusieurs ennemis d’un même coup d’épée et à rejeter

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 170

très vite les Korrigans embrochés, sans perdre de temps

pour l’estocade suivante.

Les Druides détruisirent, sans effort, une forte

charge de monstres. Les pouvoirs magiques des Sages

décimèrent leurs plus robustes ennemis. Puis, les épées

silériennes, maniées vaillamment par les Gardiens de

Myrion, taillèrent en pièce les agresseurs survivants.

Affolés par tant de force et de résistance, les légions

d’Arthang refluèrent dans les tunnels en grognant

d’horreur. Les premiers rangs des Korrigans, en fuyant

dans les souterrains, repoussèrent leurs camarades. Tout

à coup, les échos des invectives furieuses, lancées par les

officiers du Léviathan contre la lâcheté de leurs

soudards, parvinrent jusqu’à la compagnie.

Les piétinements des monstres peureux cessèrent

alors de s’éloigner puis, revinrent vers la caverne où

s’abritaient Niphilus et ses compagnons, poursuivis par

les coups de fouet et les insultes des chefs de guerre

maléfiques. Dès que les silhouettes des Korrigans se

dessinèrent faiblement dans l’ombre des tunnels, les arcs

de fer des grands Elfes, des marins de Salermnos, des

Druides et des Silériens chantèrent ensemble. De

puissantes volées de flèches, ornées de pointes aiguisées

en acier silérien, partirent dans l’ombre épaisse des

souterrains. Des cris douloureux déchirèrent les oreilles

des membres de la compagnie. Le bruit sourd des lourds

démons, percés de part en part par les traits de leurs

adversaires et s’affaissant brutalement sur le sol des

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 171

passages, ponctua les exclamations des autres Korrigans

basculant sur leurs congénères abattus.

Dehors, la fureur de la nature se démenait contre la

montagne et la corniche. Les éclairs tombaient sur les

crêtes rocheuses, lançant dans l’Océan Extérieur hurlant

au pied des escarpements du Passage des Mondes

Perdus, des blocs monumentaux de granit et de schiste.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 172

- X -

Les messagers envoyés par Arhus vers son armée,

dissimulée dans la Lande, arrivèrent bientôt et

transmirent rapidement les instructions de leur général.

Les pertes de l’avant-garde étaient moins lourdes

que celles prévues avant la bataille mais elles étaient

encore sévères. Enfin, la gigantesque diversion, organisée

si minutieusement par le Conseil des peuples libres, avait

atteint un de ses objectifs principaux, à savoir, identifier

les nouveaux alliés d’Arthang et du Lieutenant de

l’Empereur déchu.

A peine les cavaliers étaient-ils revenus dans le

corps principal des forces de Myrion, que d’autres

messagers rapides partirent alors vers l’arrière du front,

où l’intendance stockaient des vivres, des flèches, des

armes et des cuirasses apportées par de longs convois de

chariots, depuis les forteresses des Royaumes Libres.

L’objectif d’Arhus était d’utiliser et de renforcer les

défenses qu’il avait établies provisoirement, dans les

bosquets du pays. Si les chariots pouvaient lui amener

assez de flèches forgées dans l’acier découvert par son

frère adoptif, puis, soumises à la magie des Druides, le

général silérien serait capable de tenir très longtemps en

échec les forces du mal, au milieu de ces terres à demi

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 173

sauvages, qui ne souffriraient pas trop de l’interminable

bataille prête à éclater là.

Il faudrait aussi que des colonnes de renforts,

viennent des royaumes libres, sans en dégarnir les

frontières. Les blessés, les soldats épuisés et les morts de

ce combat sur la Lande, seraient ainsi remplacés au fur

et à mesure des besoins. Arhus ne demandait qu’une

chose. C’est que les malheureux ne tombent pas trop

nombreux pendant cette effroyable bataille. Il donnerait

des ordres afin que des défenses soient aménagées avec

de plus en plus d’efficacité et de soins, dans toute la

zone de l’affrontement. Il fallait tenir, mais pas au prix

d’innombrables vies. Le Silérien était persuadé que,

gagner du temps pour Niphilus et sa compagnie en

occupant les forces du mal autant que faire se peut, était

la seule solution à cette dernière guerre. Cependant, ce

résultat devait être atteint en épargnant les vies par une

rigueur et une préparation subtile de la contre-attaque.

Tout en reculant devant les spectres et les légions

de Korrigans qui suivaient ces derniers à une distance

respectueuse, l’avant-garde d’Arhus s’arrêtait de temps

en temps, aux endroits les plus propices à une

embuscade. Les puissants arcs de fer assemblés dans les

ateliers de Castel-Druides se garnissaient alors de traits

meurtriers. Les archers pointaient ensuite leurs armes

vers des zones dégarnies de protection, où les

poursuivants des soldats libres étaient obligés

d’apparaître, s’ils tenaient réellement à rejoindre les

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 174

présomptueux ayant frappé durement les forces du mal,

sur les rives du Lac, quelques heures plus tôt.

Les fantômes des sorciers, eux-mêmes, étaient

animés d’une haine terrible envers ces vivants dont la

témérité frôlait la folie. Ils fonçaient, formes sombres et

infâmes dans la lumière du jour, sur les talons des forces

de Myrion. A chaque bosquet, à chaque ravin, à chaque

haie touffue, dix milles flèches tirées avec hargne et

précision les déchiquetaient comme de fragiles feuilles de

papier sous une pluie de pierres. Ensuite, ces morts-

vivants se reconstituaient péniblement et longuement,

avant de pouvoir reprendre la chasse qui se ponctuait

bientôt, dès la première défense naturelle rencontrée, par

un nouveau nuage de flèches silériennes prélevant leur

tribut d’ennemis, sans perte pour les forces de Myrion.

Au cours de cette retraite victorieuse, les Korrigans

se rapprochaient quelquefois trop près de l’altercation et

essuyaient aussi un orage de traits meurtriers. Bien des

démons mourraient aussi dans les pièges tendus par

Arhus. A chaque fois, le temps gagné ainsi permettait à

l’armée de Myrion de dresser un parapet de sacs de

sable supplémentaire ou plutôt de creuser une tranchée

de plus à l’abri d’un hallier de la Lande qui verrait

bientôt la plus terrible bataille de cette guerre, la dévaster

ignoblement.

Dans ces pâturages clos d’arbres fleuris et de

buissons touffus, plus d’un million de glaives et de

cimeterres allaient s’entrechoquer au cours

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Les forges de Nabachton. Page : 175

d’interminables journées sanglantes. Le sang acide des

Korrigans et celui putride des spectres, s’écoulerait en

flots nocifs qui, absorbés par le sol, empêcheraient, des

années durant, le retour de la végétation sur les champs

du combat.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 176

- XI -

Les monceaux de Korrigans massacrés

s’accumulaient dans les entrées secrètes du refuge de la

route de Nabachton.

Dehors, la tempête perdait en puissance tandis que

dans la chaleur de la grotte, la colère s’enflait comme

une tornade furieuse. Malgré les fouets et leur force, les

gardes-chiourme d’Arthang ne contrôlaient plus leurs

esclaves. Dans les profondeurs de la montagne, les

démons se battaient entre eux.

Beaucoup fuyaient le combat contre la terrible

compagnie de Niphilus, avec une épouvante supérieure à

celle que leur inspiraient les lanières de cuir ornées de

dents d’acier de leurs cruels officiers. Après avoir été

lacérés par les lames silériennes ou bien transpercés par

les flèches des intraitables archers de Myrion et du Golfe

de Salermnos, les Korrigans survivants rebroussaient

chemin avec une telle vigueur, qu’ils écrasaient

mortellement tous ceux s’opposant à leur retraite

désordonnée. Les petits chefs des forces du mal, comme

les grands, étaient victimes, sans distinction, de la

déroute de leur phalange.

Là-haut, près des portes, les compagnons de

l’aciériste tuaient froidement les ennemis qui essayaient

encore de se frayer un chemin hors des tunnels.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 177

Pratiquement, les tireurs à l’arc avaient récupéré tous

leurs traits qui étaient plantés dans les cadavres des

monstres, utilisés désormais par leurs congénères afin de

se protéger au cours de l’assaut. Mais, toutes les

tentatives des démons étaient vouées à l’échec. Quand

les armes de jets ne suffisaient plus, les glaives et les

haches, taillaient et tranchaient infatigablement !

Suggur, le grand Elfe et le Duc Le Goua’ch se

tenaient au-dessus de nombreux ennemis terrassés et,

minute par minute, le nombre de leurs adversaires

vaincus s’élevait vertigineusement. Le Seigneur forestier

estima que le sang immonde des légions d’Arthang, avait

suffisamment souillé sa glorieuse armure. Il lança à

Mélinos qui achevait deux formidables Korrigans des

montagnes, d’un seul coup de taille de sa fière épée :

- Mon valeureux Maître Druide, ne connaissez-vous

pas un sort qui fermerait les accès secrets à cette salle en

les faisant s’écrouler sur ces hordes stupidement entêtées

et suicidaires ?

Le vieux Druide prit un air songeur tout en fichant

pensivement la pointe de son glaive dans le thorax d’un

attaquant que Niphilus avait habilement amputé d’un

bras armé. Tout à coup, le sage réagit :

- Retenez ces déments encore quelques instants,

mes amis, je m’éloigne pour leur préparer une surprise,

annonça-t-il.

Il quitta le champ de bataille tandis que ses

compagnons redoublaient d’entrain à la besogne pour

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Les forges de Nabachton. Page : 178

mieux couvrir la surprise préparée par le Druide. Ce

dernier fila vers la paroi de la sortie et s’empara de

plusieurs gemmes de puissance qui éclairaient la grotte. Il

les posa devant lui, sur une table de roche, puis, il

prononça une puissante incantation en allongeant ses

longues mains au-dessus des pierres :

- Arkam charima, saktoum !

- Qu’a-t-il dit ? Questionna le Duc de Salermnos en

se tournant vers Niphilus qui décapitait un ennemi de

plus.

- Je vous avoue que je n’ai pas bien compris. Ces

maudits démons contrefaits hurlent comme des holaongs

égorgés lorsqu’ils se battent, s’excusa le Silérien.

Le vieux sage s’avança vers ses amis, une gemme à

la main, en demandant :

- Niphilus, Princesse Saurane, faites votre possible

pour me dégager l’accès que vous tenez, des Korrigans

vivants l’encombrant encore !

Les Silériens se ruèrent contre les malheureux

monstres prostrés, fous de terreur, qui se cachaient dans

l’entrée des tunnels, sans oser les quitter, tant

l’acharnement de leurs adversaires les effrayait. La

masse noirâtre des ennemis de la compagnie retourna

alors dans le souterrain d’où elle venait. Tout au fond de

la montagne, les rumeurs de désaccord entre les chefs et

la piétaille devint un mugissement de combat. Sur des

centaines et des centaines de pas, l’accès libéré par la

charge des aciéristes ne fut plus occupé que par les

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Les forges de Nabachton. Page : 179

Korrigans morts. Mélinos rappela alors ses compagnons

et, dès que ces derniers furent sortis de l’ombre, mais

aussi suffisamment éloignés de la porte secrète, à l’abri

contre les parois latérales de la caverne, il lança à

l’intérieur du couloir, avec toutes ses forces, la gemme

qu’il tenait dans sa main. Une formidable lumière jaillit

de l’accès visé par le jet du Druide. Un grondement

sourd couvrit les gémissements hallucinés des Korrigans,

puis, un souffle chaud balaya le refuge, tandis que le

granit constituant la voûte du premier tunnel fondait pour

ruisseler comme une pâte. La roche en fusion scella

l’accès à la caverne, mais également, elle libéra des

centaines d’autres pierres de puissance.

Le vieux Sage distribua des gemmes enchantées par

ses soins à ses camarades. Ceux-ci les jetèrent aussitôt

dans les trois dernières entrées que les monstres avaient

désertées après la première déflagration. Les résultats

des explosions qui suivirent, furent encore plus

spectaculaires. La paroi, percée en trois endroits par les

forces du mal, fut de nouveau fermée. Les cadavres des

Korrigans abattus pendant la bataille, avaient été

évaporés au contact de la roche liquéfiée. Désormais, à

la place des bouches des tunnels, de larges filons de

pierres de pouvoir semblaient coulés du mur bien qu’ils

soient figés, comme des cascades. De nombreuses

gemmes, libérées de leur strate, s’étaient répandues

ainsi. Elles couvraient le sol du refuge et paraissaient être

à la disposition de la compagnie.

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- XII -

Arhus arrivait enfin dans la lande où son armée

entière l’attendait, dissimulée dans la végétation et

derrière les aspérités du relief.

Les soldats des Peuples Libres obtenaient de

formidables résultats, en matière de surveillance discrète

d’un champ de bataille. Les plus habiles éclaireurs des

forces maléfiques ne pouvaient pas surprendre un Elfe

Géant ou bien un Silérien, si ce dernier ne souhaitait pas

être entrevu. Seuls les marins de Salermnos manquaient

encore de savoir-faire dans cet art compliqué, mais, si les

hommes n’y égalaient pas les autres espèces

bienfaisantes de l’Ancienne Formalow, ils restaient bien

supérieurs aux Korrigans et aux fantômes des sorciers du

Nord dans l’application de cette technique.

L’avant-garde d’Arhus disparut donc, elle aussi,

dans les caches construites par le génie des troupes de

Myrion. Le général en chef, lança des ordres et des

conseils à toutes ses phalanges. Le but était de contenir

l’invasion de cette région par les forces du Seigneur des

Ankous. Il fallait que, furieux, ce dernier déchaîne toutes

ses réserves contre la résistance de ses ennemis, dans la

région du Lac. Arhus, espérait bien attirer Arthang le

Noir, lui-même, dans ce secteur afin de l’éloigner du

Passage des Mondes Perdus.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 182

Si les nouveaux alliés des Ténèbres, les ignobles

revenants des Dolmens Infernaux, échouaient ainsi

contre la puissance de Myrion, de Silérie, du Golfe et des

Forêts du Bout du Monde, le Maître des Ankous que

quelques Vétérans des armées druidiques et elfiques

avaient connu au temps lointain des premiers siècles de

la Paix Vigilante et qu’ils disaient être perclus d’orgueil

et de fureur, ne manqueraient pas de déployer toute sa

puissance pour briser ce dérisoire verrou. Et pendant que

toute la concentration magique et l’énergie du mal

déferleraient sur les rives du Lac et sa Lande, Niphilus

atteindrait les Forges de Nabachton, sans rencontrer de

fatale résistance.

Les tambours des légions de Korrigans et les

gémissements fantomatiques des Sorciers Morts-Vivants,

retentirent alors derrière les halliers du nord. L’avenir du

Monde de Formalow se jouerait désormais sur cette

Terre rude et sauvage, mais aussi sur la route de

Nabachton, là-haut, à l’extrême Ouest du Monde.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 183

- XIII -

La compagnie, après le formidable combat du

refuge, était ressortie sur la Route de la corniche.

Niphilus et ses camarades, malgré leur fatigue

excessive (ils étaient débarqués la veille au petit matin

puis s’étaient battus toute la nuit contre les Korrigans)

avaient pris la peine de recueillir une grande quantité de

nouvelles gemmes de puissance qu’ils avaient

découvertes dans la caverne de l’affrontement. Mélinos

avait aussi rouvert les portes de pierre de l’abri, puis,

constatant que l’orage avait cessé, il avait questionné ses

compagnons sur leurs intentions.

Deux possibilités s’offraient à la compagnie. La

première était de rester pour se reposer dans le refuge.

Après leur cuisante défaite, les Korrigans des Montagnes

ne reviendraient certainement pas déranger leurs

vainqueurs de toute la nuit. D’ailleurs, les tunnels que les

monstres avaient creusés afin d’atteindre la caverne,

étaient définitivement scellés sur une longueur

considérable, par la déflagration des gemmes

enchantées. La seconde attitude que pouvaient adopter

Niphilus et ses camarades, consistait à prendre en

considération le fait que le Léviathan et ses légions

étaient avertis, maintenant, de la puissance des guerriers

qui tentaient de franchir le Passage des Royaumes

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 184

Perdus. Dans ce cas, la meilleure des stratégies pour la

compagnie, était de reprendre la marche vers

Nabachton, le plus vite possible, et, de placer au cours

de la journée, la plus vaste distance entre elle et les lieux

de son précédent exploit. Car toutes les phalanges

démoniaques de la désolation d’Arthang, allaient se

lancer aux trousses des Seigneurs qui avaient abattu tant

de leurs membres. Si le sort qui protégeait le chemin était

puissant, la colère et la ruse de la Vieille Hydre des

sorciers tenaient sans peine la comparaison.

Il était donc inutile, pour le Maître-Forgeron et ses

amis de prendre des risques et de s’exposer aux foudres

d’un si colossal ennemi, tant que les secrets du Royaume

de Nabachton ne seraient pas venus renforcer leurs

armes.

Bien que vidée de sa vitalité, la compagnie était

repartie sur le chemin qui longeait la corniche, chargé

d’un nouveau poids dans le paquetage. Les marcheurs

parcoururent quinze lieues avant de découvrir une large

échancrure dans l’escarpement qui dominait la corniche

tandis que le soleil se couchait de nouveau sur la mer.

Une pelouse ainsi que des arbres avaient poussé là.

L’endroit n’était pas venteux. Il offrait une bonne vue sur

la Route de Nabachton et sur l’Océan Extérieur. Quant

aux ramures des chênes, elles étaient un abri efficace

contre le regard des espions aériens.

Les membres de la compagnie reprirent leur repas,

là où la bataille engagée dans le refuge l’avait

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 185

interrompu. Niphilus aidé de Mélinos et de Saurane

firent réchauffer les bons morceaux d’holaongs, puis, les

vaillants combattants se restaurèrent, dès que ces

délicieux plats furent prêts, en attendant de pouvoir

dormir afin d’effacer les fatigues de l’affrontement.

Suggur et Alianos restèrent aux aguets, près de la route,

pendant que Le Goua’ch et le vieux Maître du savoir

examinaient les horizons de la mer. La petite troupe était

bien gardée avec de si brillantes et si renommées

sentinelles.

Niphilus et Saurane, quand les autres membres de

leur communauté furent endormis sous les arbres,

s’approchèrent de Mélinos et du Duc de Salermnos, afin

de questionner le vieux Druide sur les évènements de la

grotte refuge. Les deux Silériens souhaitaient apprendre

comment le Maître du Savoir avait appris à utiliser, en

quelques minutes, les nouvelles gemmes de puissance.

D’où le Sage tenait-il les secrets de ces pierres ?

Généralement, Mélinos n’était pas avare d’explications,

surtout lorsqu’il les donnait au forgeron et à la

Souveraine de Silérie. Ces deux derniers n’hésitèrent

donc pas à venir importuner leur vieil ami, sans

hésitation.

En voyant s’approcher les deux Silériens, le

Magicien et le Duc ne purent empêcher, malgré la rude

journée qu’ils venaient de vivre, leur visage de se barrer

d’un sourire amical. Les deux petits personnages,

l’aciériste avec sa silhouette robuste et son fier visage

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 186

intelligent, la princesse avec sa beauté fascinante,

quasiment elfique, ainsi que sa gentillesse profonde,

étaient réellement estimés et aimés des Seigneurs du

Monde Libre. De plus, au cours des derniers mois, les

plus grands chefs de guerre des espèces de la Nouvelle

Alliance contre les Ténèbres, avaient pu juger du

courage mais aussi de la ténacité des paysans-forgerons.

Saurane et Niphilus formaient un couple exemplaire

qui réunissait ensemble, toutes les qualités de leur

peuple. Ils n’abusaient pas de la violence et dans les

batailles, quand ils frappaient, ils ne se laissaient aller à

aucune haine, aucune vengeance. Ils défendaient

seulement leur vie. Leur quête était clairement menée

pour le bénéfice de toutes les espèces qui combattaient le

mal. Aucune gloire personnelle n’était recherchée par les

Silériens. Ils avaient une âme pure, sans méandres

tortueux de leurs intentions cachées. Saurane et Niphilus

auraient certainement préféré se promener, tous les

deux, dans la campagne bien ordonnée de leur pays, au

milieu des troupeaux d’holaongs et des forêts bien

entretenues, qui émerveillaient toujours les Elfes et les

Druides quand ces derniers les visitaient. Et pourtant, ce

goût des aciéristes-agriculteurs pour leur civilisation

d’artisans, de paysans amoureux du calme de leur

contrée, ne les empêchait pas de pouvoir affronter

vaillamment la mort et les plus effroyables dangers, sur

des champs de bataille aussi rudes et usants que la route

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 187

de Nabachton ou bien les rives du Lac des Marches

semi-sauvages du Nord-Est.

Niphilus fut le premier à questionner le Druide :

- Maître Mélinos, pouvez-vous m’expliquer par quel

miracle vous avez su utiliser les gemmes de la caverne

avec tant de succès ?

Le vieux sage éclata d’un rire léger marquant une

gaieté emplie pourtant de respect :

- Mon ami, vous êtes bien fidèle à vous-même,

commença-t-il en couvrant de son regard d’aigle Saurane

et le brillant forgeron. Alors que les autres, épuisés, se

sont plongés dans le sommeil sans se créer d’autres

soucis que ceux, déjà ardus, de la journée écoulée, vous

et votre belle souveraine, vous ne pouvez vous empêcher

de venir enrichir encore un peu plus, votre savoir aux

dépends d’un Druide fourbu et très âgé, malgré sa

vigueur. Mais je vais vous répondre, assura Mélinos, car

vous serez demain, vous et Dame Saurane, les héros de

la Guerre qui amènera la chute définitive des Ténèbres.

Votre culture est grande compagnon, mais elle doit

encore croître pour devenir digne de votre glorieuse

destinée. Vous avez eu la chance, pendant les années

que vous avez vécues dans votre belle et douce Silérie,

de parcourir toutes les bibliothèques ou les maisons

d’apprentissage que votre Nation a su protéger et

entretenir aux cours des âges de la paix vigilante. Vous

avez retenu, avec intelligence, par votre naissance

Nabatéenne aussi, sans doute, toutes les leçons ainsi que

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 188

les méthodes contenues dans les archives et les antiques

grimoires constituant le trésor de ces lieux. Niphilus, j’ai

accompli la même recherche que vous sur une longueur

de temps qui contiendrait de nombreuses vies silériennes.

J’ai eu entre les mains des traités de magie bienfaisante

qui avaient été rédigés par les grands savants des

Royaumes Perdus. C’est, dans les pages de ces

merveilleux recueils, puits de science et de sagesse, que

j’ai appris l’existence des gemmes de puissance qui se

forment au cours des siècles innombrables dans le cœur

des Monts du Passage des Royaumes Perdus. J’ai aussi

compris, en approfondissant mes lectures, par quelle

formule je pouvais lâcher, en une fraction de seconde,

toute la force accumulée dans ces pierres étonnantes. Si

les cristaux de puissance de votre pays engrangent la

lumière visible de l’astre solaire, celles des Montagnes

portant la route de Nabachton, drainent le rayonnement

invisible du soleil, mais aussi de toutes les autres étoiles,

qui traverse sans cesse notre monde de part en part.

Voilà le secret de cette énergie fabuleuse dont je vous ai

montré quelques pouvoirs.

- Si les habitants des Royaumes Oubliés maîtrisent

pleinement ces minéraux merveilleux, dit Saurane, nous

avons là un moyen exceptionnel de vaincre les légions du

mal.

- Certes, admit Mélinos. Mais je ne crois pas que ce

soit un usage aussi direct et primitif de ces gemmes qui

interviendra dans la dernière guerre des mondes de

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Les forges de Nabachton. Page : 189

Formalow. J’ai gâché le pouvoir de ces cristaux

phénoménaux, dans la précipitation née de mon désir

d’en finir, tout à l’heure. Certes, la perte n’est pas bien

grande et cette richesse se renouvelle comme celle du

célèbre col de Silérie. Mais au cœur des montagnes, la

période de création des gemmes est longue, et, si trop de

personnes agissaient comme je l’ai fait dans le refuge, il

y a quelques heures, les pierres de puissance

deviendraient rapidement trop rares, alors qu’elles

renferment un pouvoir immense et bénéfique, à

n’employer que sur le long terme.

- Vous pensez que les sages de Nabachton

exploitent cette ressource fabuleuse avec parcimonie,

interrogea Niphilus ?

- Bien sûr, car ils auraient déjà pu en faire une

bombe au colossal pouvoir de destruction, qui aurait

réduit à néant Arthang et le Seigneur des Ankous lui-

même. Mais ils s’en sont abstenus. Formalow serait

balayée complètement par l’utilisation abusive des

énergies fondamentales de l’univers. Il est heureux que

les partisans des Ténèbres ne croient que dans le feu, les

machines archaïques, la magie noire et l’esclavage des

démons. S’ils se passionnaient pour le cosmos et la

nature, ils apprendraient à exploiter la puissance des

gemmes ainsi que bien d’autres pouvoirs cosmiques pour

accomplir leurs monstrueux desseins et finalement

anéantir la Terre, les Cieux ou simplement la vie tout

entière…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 190

- Que le créateur universel nous protège et guide

nos pas vers la victoire, souhaita Le Goua’ch qui écoutait

silencieusement la conversation depuis le début.

- Soyez exhaussé Mon Seigneur, déclara la

Princesse silérienne.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 191

- XIV -

Pendant une journée entière, l’armée d’Arhus avait

repoussé les Korrigans et les sorciers fantômes.

Des chevaliers elfiques, de glorieux marins du

Golfe, des Druides, des Silériens avaient été blessés ou

bien étaient morts sur la Lande. Ce soir-là, les médecins

de Myrion parcouraient encore le champ de bataille et

recueillaient les soldats vivants, qui avaient été percés par

un trait de démon ou bien entaillés par un coup de

cimeterre et que les brancardiers n’avaient pas pu

approcher au cours des opérations de l’après-midi.

Les pertes n’étaient pas élevées autant que

l’ampleur des combats l’avait laissé prévoir. Certes, les

malheureux atteints par les armes des spectres, qui

avaient parfois trouvé des défauts dans les nouvelles

cuirasses utilisées par les peuples libres, avaient péri sans

espoir, mais, la plus grande partie des armures s’était

montrée hermétique aux coups des Korrigans et aux

sortilèges des magiciens. Par conséquent, les soldats

abattus n’étaient pas très nombreux finalement.

Maintenant, Les monstres et les Sorciers Morts-

Vivants avaient reculé vers les rives du Lac. Les

Silériens, infatigables, réparaient les armes et les

cuirasses endommagées par les combats. Ils réajustaient

aussi certains boucliers ainsi que des modèles de

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Les forges de Nabachton. Page : 192

jambières et de gantelets qui avaient été trop faibles à

l’épreuve des décharges de magie noire.

Quelques patrouilles, constituées de renforts frais,

arrivées dans l’après-midi avec des chariots de vivres et

d’armes, regroupaient avec respect les corps de leurs

camarades tués par les forces du mal, afin de les

ensevelir avec les honneurs qu’ils méritaient. Les

dépouilles des Korrigans, elles-mêmes, bien que ces

derniers agissent comme de véritables bêtes avec les

habitants des Royaumes Libres de Formalow, étaient

traitées décemment par les troupes de la Nouvelle

Alliance.

Dans cette soirée calme et silencieuse qui succédait

à la fureur des charges de cavaleries et aux grondements

du choc des boucliers et des glaives, Arhus retrouvait sa

sérénité. Il n’avait pas perdu la tête pendant la bataille,

mais il avait été la proie d’une exaltation quasiment

douloureuse. Tant que le sort de ce combat n’avait pas

été décidé et que les forces en présence avaient montré

une résistance identique, le Silérien furibard, s’était

multiplié et avait distribué des ordres clairvoyants à

toutes les sections de son armée, dispersée sur la Lande.

Le petit forgeron s’était révélé un stratège formidable,

conformément à la prédiction de Mélinos. Les pertes

réduites ainsi que le repli des Korrigans et des Spectres,

étaient l’œuvre, non seulement des nouvelles armes et

cuirasses forgées selon les méthodes de Niphilus dans les

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 193

Royaumes Libres de Formalow, mais aussi celle du bon

sens et du courage d’Arhus.

Les soldats elfiques, les marins de Salermnos, les

Druides et les forces de Phérégon, se reposaient tandis

que les renforts montaient la garde, afin de faire face au

possible retour des esclaves du Seigneur des Ankous. Le

Roi de Silérie, après une visite à l’ensemble des troupes

libres ayant participé à la bataille, vint sous la tente de

son vaillant sujet, remarquablement choisi comme

Général en Chef par le Conseil de la Nouvelle Alliance.

Ce dernier venait à peine de quitter son armure et

terminait de se restaurer frugalement, quand son

souverain se présenta à lui, il mit un genou à terre et

inclina son visage vers le sol.

- Fi donc ! Tonna Phérégon. Je ne mérite pas tant

de déférence mon ami, et ce, pour deux raisons. La

première est d’avoir, dans notre pays, au cours des

dernières années, toujours eu du respect pour vous,

comme j’en ai pour tous mes sujets, mais seulement pour

vos titres de brave paysan et de maître aciériste. En effet,

j’ai complètement manqué d’observer votre valeur de

stratège et de guerrier. La seconde est qu’ici, les lois du

Conseil de la Nouvelle Alliance priment sur celles des

peuples engagés dans cette guerre. Donc, je ne suis, dans

cette vaste Lande, que le général des Silériens. Vous,

vous avez été désigné comme notre commandant

suprême. C’est ainsi que les marques de respect, c’est à

moi de les montrer.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 194

- Sire, n’en faites rien, pour moi, nous sommes tous

égaux, face aux Ténèbres. Le courage des capitaines les

plus renommés, dans une guerre aussi vaste, aux enjeux

pouvant changer l’avenir de Formalow à jamais, est aussi

celui de leurs hommes.

- Vous ressemblez tant à votre frère… Remarqua

Phérégon. Votre modestie et votre considération pour les

Peuples Libres sont inébranlables. Enfin, en dépit de

votre humble attitude, mon ami, je suis venu prendre

conseil auprès de vous. Nos modifications sur les

jambières des archers, vous semblent-elles judicieuses ?

Questionna le Roi en posant sur la table de campagne

d’Arhus une pièce d’armure corrigée par les maréchaux-

ferrants de l’armée du Conseil.

Ces derniers avaient remplacé une jointure de cuir,

au niveau de l’articulation du talon, par un assemblage

métallique souple. En effet, plusieurs tireurs embusqués

avaient été anéantis par un sortilège qui les avait frappés

en traversant une protection de cuir. L’acier traité par les

Silériens, en revanche, neutralisait pratiquement toutes

les attaques des Ténèbres. L’achèvement des nouvelles

cuirasses sur le terrain, en tenant compte, par un

compromis rigoureux, des impératifs de légèreté et de

liberté des mouvements nécessaires à l’efficacité des

protections, était une étape inévitable du travail de la

forge destiné aux militaires.

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Les forges de Nabachton. Page : 195

Arhus fit jouer à plusieurs reprises le montage de

ferronnerie. Il était sans défaut et ne possédait aucune

faille exploitable par l’ennemi.

- C’est parfait Seigneur, déclara-t-il à Phérégon. Il

nous faut des protections de cette qualité car nous

devons tenir autant que nous le pourrons contre nos

ennemis, ici même, dans cette région. Je sais que de tels

mécanismes demandent beaucoup de travail, mais nous

n’avons pas le choix. Vous savez comme moi que la

chute des maudits ne s’obtiendra pas par la force et que

nous nous battons seulement pour gagner du temps. Il

faut pourtant que nous restions confiants.

- Je sais bien tout cela, assura le Roi. Mais la

précision avec laquelle nous avons manœuvré, cet après-

midi, m’a ouvert la perspective d’une réussite possible, à

laquelle, je ne me permettais plus de rêver depuis

longtemps. Nous gagnerons… Niphilus et Mélinos

reviendrons avec la force et les secrets des Royaumes

Perdus…

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Les forges de Nabachton. Page : 196

- XV -

C’était au soir d’une nouvelle étape. Depuis une

semaine, la troupe de Niphilus avait dévoré

infatigablement les lieues et les lieues interminables du

Passage des Royaumes Perdus. La marche, depuis la

bataille de la caverne refuge, avait été très calme,

pourtant, cette nuit-là, Alianos avançait lentement vers la

passerelle qu’il avait aperçue depuis son poste de guet,

dans l’ombre profonde.

Les lunes de Formalow étaient pleines, mais les

nuages les masquaient. Les Ténèbres auraient été

totalement impénétrables pour d’autres êtres vivants que

Suggur et le frontalier. Eux, pourtant, avaient remarqué

les parapets de pierres blanches qui bordaient

curieusement la route de Nabachton, à deux milles pas

de leur point d’observation. Tous leurs camarades

dormaient, sauf Le Goua’ch et Mélinos. L’Elfe et

Alianos étaient allés prévenir ces derniers qu’ils allaient

avancer vers cette balustrade étonnante, afin de

déterminer le genre de rivière ou bien de vallée que cette

construction inattendue enjambait.

Le Duc et le Druide avaient approuvé le projet de

leurs collègues, puis, afin de mieux contrôler l’ensemble

du campement de la compagnie, avaient redoublé de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 197

vigilance, pendant que le forestier et l’éclaireur partaient

en reconnaissance vers le Nord.

Alianos et son ami progressèrent avec une prudence

exceptionnelle. Derrière lui, le grand Elfe ne faisait

aucun bruit, mais, il était légèrement moins vif en raison

de sa masse. Les deux compères arrivèrent enfin à

l’entrée du pont et, tout en déployant des trésors de

circonspections, ils se penchèrent par-dessus le garde-

fou qui luisait dans la nuit sombre et qui se prolongeait

loin, au-delà de la portée de leur vue.

L’ouvrage d’Art traversait un fjord dont les eaux

émettaient un bruissement continu. Les deux spécialistes

de l’observation militaire restaient prudents. La route

était inapprochable pour les Korrigans, mais, les

accotements étaient peut-être moins sûrs que le dallage.

Le frontalier regarda vers l’Océan. Une faille profonde

de près d’un quart de lieue, s’ouvrait sous le tablier du

pont. La construction arachnéenne, faite d’une dentelle

de roche, était suspendue à cette hauteur vertigineuse,

juste au-dessus d’une vallée creusée par un impétueux

torrent dans une veine de calcaire immaculé.

Maintenant, après avoir soigneusement étudié

l’aspect de la nature les entourant, dans la nuit sombre,

L’Elfe et l’humain comprenaient l’origine de la combe et

les évènements qui, à l’instant même de leurs

observations, s’y produisaient. Le fleuve venu des

sommets, avait été barré par les légions d’Arthang le

Noir. Au pied de cette vaste retenue d’eau, des fonderies

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Les forges de Nabachton. Page : 198

et des forges démoniaques utilisaient la force de la

cascade ainsi créée, pour marteler et façonner les

grossières armes des esclaves du Léviathan. Plus bas, la

mer avait envahi l’estuaire abandonné par le torrent

domestiqué. Il servait de port aux navires des Korrigans

et aux monstres marins engendrés par la dernière hydre

des sorciers.

Or, ce soir-là, tandis que les ateliers des Ténèbres

redoublaient d’activité, crachaient la suffocante fumée

d’une pierre obscure qu’ils brûlaient comme du bois,

sans vergogne, pour rougir le fer et le durcir, Arthang le

Noir lui-même, encore plus terrible et plus vaste que

dans sa jeunesse remontant à des milliers d’années, avait

réuni une formidable armée de ses serviteurs sous le pont

d’où l’observaient Suggur et Alianos.

Les grandes ailes du monstre, déployées largement,

traversaient la combe d’un bord à l’autre. Les trois têtes

hideuses de la bête pensante, se balançaient d’une

horrible façon au-dessus des centaines de milliers

d’esclaves qu’elles tenaient sous la coupe de la volonté

du monstre hallucinant. Suggur, le roi des Elfes du Bout

du Monde, l’infatigable guerrier des forêts profondes de

Formalow, sentit ses formidables épaules aux muscles

saillants, s’affaisser devant la vision du gigantesque

Léviathan. Alianos, l’imperturbable frontalier des

Marches Sauvages, avec son courage paisible quasiment

légendaire, devint gris d’effroi sous la lumière des lunes

de Formalow, qui parfois transperçait le voile de nuages.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 199

Pour la première fois, l’éclaireur si habile, perdit

son calme, il se mit à transpirer et à trembler. Pour des

raisons inconnues de Suggur, son ami appréhendait la

proximité du Léviathan. De plus, depuis quelques

minutes, Alianos ne cessait pas d’observer la lumière des

Satellites de Formalow, filtrée par les nuages.

- Que vous arrive-t-il compagnon, demanda le

forestier.

- Maître Suggur, je n’apprécie pas la présence

d’Arthang. Voyez-vous, le conseil me croit capable de

résister au pouvoir de persuasion de cette chimère.

Cependant, les sages, malgré leurs immenses

connaissances ne vivent pas continuellement, sur les

frontières des marches. Ils n’ont pas vu tous les vaillants

camarades qui ont succombé aux sortilèges des ténèbres.

Or je ne souhaite pas, malgré moi, livrer de bons et

loyaux compagnons à l’horreur d’une capture par les

démons. Malgré mon aspect sournois et mon air sombre,

j’honore les Silériens, les druides ainsi que les Elfes qui

marchent avec moi, vers Nabachton. J’ai une grande

amitié pour Niphilus et Dame Sauranne. Ces deux petites

créatures, à la résistance et à l’opiniâtreté infinies, ont

touché mon cœur. J’ai peur de céder aux pouvoirs du

Léviathan. Un millier de Korrigans ne m’effraie pas. Une

horde d’Ankous furieux ne me ferait pas reculer. Mais

Arthang peut vriller votre esprit avec sa méchanceté

odieuse. Il peut lire vos pensées à des lieux à la ronde en

vous rendant à demi-fou, pendant l’investigation. Je ne

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 200

suis pas un lâche mon ami, mais je n’ai pas osé faire face

ouvertement au rejeton de ce monstre dans le Golfe,

pour vous protéger de la faiblesse qui pourrait m’avilir,

devant cette puissance magique invincible.

- Je suis certain pourtant que vous êtes de taille à

lutter contre cette bête, déclara Suggur. Vous nous avez

prouvé votre valeur…

- J’ai le cœur vaillant et seul en cause, je serais près

à endurer l’épreuve, affirma le frontalier. Mais ici, vous,

le forgeron, sa souveraine, le Duc, le Druide ainsi que

tous nos autres camarades vous pouvez être victimes de

mon échec. Je ne peux l’admettre...

Il n’était pas, dans l’univers de ces Mondes, un

spectacle plus fantastique que celui d’un Léviathan…

que dis-je… du dernier Léviathan de tous les âges de

l’histoire. Comment, jadis, les Peuples Libres avaient-ils

pu combattre des dizaines de ces monumentales

créatures ? La force colossale de mille Elfes Géants de

Myrion, la puissance magique d’une phalange de

Druides, la volonté inexorable d’une vaste armée de

braves Silériens ou les haches hardiment maniées d’une

horde de marins de Salermnos, n’auraient pas pu venir à

bout d’Arthang le Noir. Ce monstre griffu, caparaçonné

de plaques de cornes, plus épaisses que les murs de

Castel-Druides, avait largement dépassé les dimensions,

en largeur, en longueur, en hauteur mais surtout en

pouvoir terrifiant, que lui attribuaient les récits de La

Guerre des Larmes de Sang.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 201

Suggur resta paralysé et silencieux. Il regardait de

ses beaux yeux elfiques élargis démesurément par

l’angoisse, leur ennemi cyclopéen et comprenait

comment cette chimère avait survécu et était encore dans

les rangs du mal. Arthang était le plus puissant Léviathan

qui ait jamais existé. Alianos se tourna vers son ami. Le

visage de l’homme était maladif et déformé par la peur,

tout à fait compréhensible, qui devait torturer tous les

viscères de son corps. L’éclaireur murmura d’une voix

tremblante, à l’adresse du Seigneur Elfe :

- Camarade, vous devez aller prévenir les autres.

Niphilus d’abord, la compagnie ensuite, doivent s’enfuir

et rejoindre le plus vite possible Nabachton. Si j’en crois

la légende, les Royaumes Perdus sont désormais à moins

de deux jours de marche de ce pont. Il faut que notre

expédition échappe à cette créature ignoble. Sinon,

toutes les souffrances que nous et nos prédécesseurs

aurons supportées à travers les innombrables siècles que

nos Terres ont connus, auront été vaines. Partez sur-le-

champ, Seigneur des Forêts ! Allez sauver nos

compagnons ! Moi, je dois demeurer ici et savoir ce qui

se trame. Le temps de la confrontation avec les vieilles

terreurs de mon enfance est venu. Une telle assemblée

de Korrigans, sous l’égide de leur plus grand Général,

n’est pas anodine. Je crains que ces démons des enfers

maudits envisagent d’attaquer, avec toutes leurs forces

réunies, notre destination : Nabachton…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 202

- Mais vous allez risquer votre vie si vous allez dans

cette vallée dévastée par ces déments, contesta le

forestier. Nous aurons besoin de votre force, de votre

glaive et de votre arc lorsque nous allons être poursuivis

par toute cette troupe ! N’allez pas vous jeter dans cette

fosse aux fauves sanguinaires, venez donc et partons

ensemble…

- Il faut que quelqu’un essaie d’interpréter la pensée

d’Arthang le Noir, répondit Alianos d’un ton sans

réplique. Mon bon Elfe, les Silériens ont un courage qui

mérite toute votre force pour l’appuyer. N’oubliez pas

que je suis un très bon soldat de patrouille. Sinon, serais-

je ici sur un choix du Conseil des Sages ? Mon rôle est

certainement de comprendre et d’espionner nos

adversaires, autant que faire se peut. C’est ce que je vais

accomplir en approchant cette épouvantable réunion.

Adieu ! Courez Suggur ! Pour le salut des camarades de

la compagnie ! Que la miséricorde de notre créateur vous

protège ! Je descends vers mon destin.

Cette fois, la peur d’Alianos devait être

insupportable car la face de ce dernier était devenue

méconnaissable dans la lumière des Satellites de

Formalow. Très vite, l’humain serra chaleureusement

mais aussi fiévreusement les grandes mains musclées de

l’Elfe, puis, il s’enfonça sous les arbres bordant la route,

à l’entrée du pont. Suggur, très choqué et perturbé par sa

vision d’Arthang et par le choix inique du frontalier parti

vers une mort certaine, revint aussi vite mais aussi

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 203

discrètement que possible vers le campement où se

reposaient les membres de la compagnie de Niphilus.

Finalement, Alianos était plein de bon sens, le maître-

forgeron, la Princesse de Silérie et surtout, le grand

Druide, devaient à tout prix survivre et atteindre les

Royaumes Perdus. Les autres membres n’avaient été

désignés par le Conseil, que pour servir ces personnages

essentiels en définitive.

L’aciériste était le plus apte de l’expédition à retenir

les techniques manuelles que lui apprendraient les

habitants de Nabachton : les Nabatéens. Mélinos par son

immense expérience de magicien adapterait sans peine,

les nouvelles formules ésotériques et les nouveaux

enchantements qu’il étudierait dans les bibliothèques et

les écoles de leur destination. La souveraine de Mégara

avait une compétence innée dans le domaine de la

stratégie. Elle surpassait Arhus, pourtant si grand, dans

cet art. Saurane deviendrait un commandant encore plus

averti et plus puissant après son séjour dans les mondes

oubliés de Formalow.

Suggur, à ces pensées, se reprit. Il décida que lui

aussi se sacrifierait pour ses amis, si cela était nécessaire

dans les terribles jours à venir…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 204

2ème partie : L’orgueil des Maudits.

- XVI -

Le château des allées couvertes du néant, dominait

la plaine noirâtre, aride, désolée et glaciale de l’extrême

contrée boréale de Formalow, au sommet d’un immense

éperon rocheux, unique, dressé là comme la corne

nasale d’un Léviathan dont le reste du corps et les autres

têtes auraient été enfouis sous les scories et la neige sale.

Dans une perpétuelle brume qui apparaissait tel un

nuage tombé sur la Terre, depuis le donjon de la sinistre

forteresse du Seigneur des Ankous, les Dolmens

Infernaux déversaient les fantômes libérés de la mort par

l’insensé lieutenant du mal, dans sa folie dominatrice.

Des colonnes de messagers du destin des maudits, armés

de fouets, accueillaient à grands coups de lanières

cinglantes, les sorciers défunts rappelés à un semblant de

vie sous les arches mégalithiques, par des magies

incontrôlables, que seuls des esprits perdus osaient

déployer.

Aussitôt revenus dans les cercles du Monde, les

horribles spectres, tout en gémissant de douleur et de

rage, saisissaient les bâtons de pouvoir qu’on leur

distribuait puis, ne pouvant frapper les Ankous qui

étaient insensibles aux enchantements des anciens

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 205

mortels, ils couraient vers les Terres libres de Formalow

où ils sauraient retrouver leurs ennemis de jadis et leur

faire payer leur séjour dans le royaume de la mort des

maudits.

Désormais, tant que durerait l’existence et la

puissance du Seigneur des Ankous, les âmes

tourmentées des sorciers d’autrefois ne franchiraient plus

les Dolmens Infernaux pour rentrer en enfer. Le

processus qui les avait lâchées, sous une forme si

affreuse, sur Formalow et ses habitants, était irréversible.

Ses effets ne prendraient fin, qu’avec la disparition de la

volonté qui avait prononcé le sortilège.

Or, il était bien vigoureux et avait atteint le sommet

de sa puissance, l’ancien lieutenant de l’Empereur

déchu. Même le gigantesque Arthang ne l’impressionnait

pas. Dans la chambre secrète, dissimulée tout en haut de

la plus grande tour du château des allées couvertes du

néant, il régnait par la simple force de son esprit

malfaisant sur d’innombrables nuées d’esclaves, sur des

magies interdites mais effroyablement puissantes et sur

des dérèglements de la nature terriblement destructeurs.

Il avait trahi son ancien maître et en avait ainsi

précipité la chute. Si les peuples libres avaient pu détruire

l’Empereur, c’est que l’âme damnée la plus soumise de

ce dernier, l’avait abandonné dans un moment de

défaillance du Seigneur du mal absolu.

Pourtant, le Roi des Ankous avait prononcé un

serment en faisant allégeance à l’Empereur. En bafouant

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 206

les lois de la vassalité, il avait essuyé la colère des

ténèbres.

C’est ainsi que, fait prisonnier à jamais par une

malédiction ancienne, d’une armure de gemmes sombres

et de fer noir, il fomentait depuis une pléthore de siècles,

les pires attaques et les plus violents déchirements contre

la paix et l’harmonie des Royaumes Libérés de l’ancien

Empire de Formalow.

Dans cette sombre journée, la colère du Maître des

Ankous soufflait en tempête dans les couloirs de sa

forteresse. Au cœur de la vaste salle dans laquelle son

trône d’or massif, aussi haut qu’une colline, se dressait

sous les feux vacillants des torches fumeuses, on

entendait sa voix tonnante invectiver cruellement ses

serviteurs. Il les agonisait d’injures dans le langage

guttural et maléfique des maudits :

- Lâches, vermines immondes, infectes vers de

terre, vous osez vous présenter devant moi pour

m’annoncer cette nouvelle…

Il se dressa de toute sa hauteur, tandis que les

Ankous, tremblant de panique, se pliaient devant l’ombre

gigantesque de leur Seigneur.

- Je vous ai confié une armée des plus puissants

guerriers sur lesquels peut compter un capitaine, gronda-

t-il. J’ai levé des hordes de fantômes brûlant d’un

formidable esprit de vengeance contre les vivants et qui,

de plus, ne craignent plus de mourir. Vous, misérables

rejetons de la damnation, vous venez m’expliquer que

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 207

sur les landes du Lac, vous avez été arrêtés par les

troupes de Myrion. Depuis une semaine, les Druides, les

Elfes et les faibles marins de Salermnos ont entravé la

progression de notre invasion de Formalow !!!

Derrière la grille de la visière de son heaume, les

yeux du titan brillaient de haine et de dépit. Il leva sa

main en faisant grincer son gantelet d’acier contre

l’accoudoir de son siège d’or. Il pointa son index

tremblant de colère sur l’Ankou que son état-major avait

désigné comme porte-parole. Avec leurs yeux vitreux,

largement écarquillés par l’effroi, les officiers subalternes

aux faces grises et terreuses, observèrent attentivement la

main décharnée de leur Roi désigner un coupable : un

coupable de manque d’audace et de lâcheté. Le

malheureux pâtre des âmes malfaisantes qui, pourtant,

était le seul ayant osé informer son Seigneur de l’échec

de la grande armée, comprit alors qu’il allait payer

l’inutilité et l’incompétence de tous ses congénères. Il se

mit à trembler en essayant de penser qu’une créature

comme lui ne pouvait pas trouver de destin plus terrible

que le sien en ce monde, même au fin fond du royaume

des défunts maudits. Il était prêt à subir son

anéantissement comme s’il recevait la plus grande

récompense. Quitter le service d’un souverain tel que le

Maître des Ankous, même avec souffrance, était en

réalité une joie pour l’ensemble de ses sujets.

Le porte-parole des forces du mal tomba à genoux

devant le trône de son Seigneur et plongea son visage

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 208

osseux dans ses mains squelettiques. Le sortilège

invisible lancé par son Roi le frappa en pleine poitrine.

Sous les yeux effarés de ses semblables, il s’enflamma

comme une torche et se dissipa dans un bouquet de

flammes bleues en hurlant comme un damné qu’il était.

Le titan descendit quelques marches du piédestal de

son trône. Sa voix résonna dans la forteresse comme un

coup de Tonnerre et sa sentence tomba avec la force et

l’irréversibilité d’une hache de bourreau :

- Amenez-moi le Maître des Sorciers Morts-Vivants

ici, devant moi. Je vais le persuader d’être un peu plus

efficace qu’il ne l’a été pendant les dernières batailles de

sa vie.

- Mais Seigneur, nous n’avons pas encore rappelé

celui-ci du royaume des Morts Maudits, déclara un

Ankou imprudent.

Un silence de plomb tomba sur la salle. Le puissant

chef des chasseurs d’âmes perdues releva la visière

grillagée de son casque. Il dévoila à ses esclaves son

horrible faciès anguleux, bouffi de lambeaux de chair en

décomposition, animé par son regard étincelant aux

pupilles démesurées, étoilées de vaisseaux sanguins

noirs. Avec une rapidité hallucinante, le monstre dégaina

sa formidable épée et trancha en deux parties, dans le

sens de la hauteur, l’imbécile qui avait osé intervenir

aussi stupidement. La voix du Titan maudit, devenue plus

sourde, sortit de nouveau en sifflant du plus profond de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 209

son être, comme une fuite de vapeur confinée à très

haute pression dans une chaudière prête à exploser.

- Vous allez immédiatement inciter le Maître des

sorciers à comparaître sous les Dolmens Infernaux. Vous

le ferez venir jusqu’ici, à coups de fouet, s’il le faut.

Quand le soleil reviendra à l’Est du monde, s’il n’est pas

en train de ramper au pied de mon trône, je vous

enverrai tous le rejoindre dans le royaume des défunts

maudits !!! Tous, vous m’entendez, sans exception !!! Et

vous irez encore vifs !!! Vous franchirez les Allées

Couvertes de la mort, sans avoir été tués !!! Vous savez

ce que cela implique de douleurs affreuses et d’effroi

insupportable !!! Alors obéissez ou je vous…

Le Seigneur des Ankous ne put terminer sa phrase.

Il ponctua son discours d’un long grognement de rage

illustré par de grands moulinets décrits dangereusement

par son épée.

Tous ses subalternes sortirent du château en

tremblant et en courant, comme poussés par un vent

inexorable. Ils enfourchèrent leurs montures

fantomatiques et galopèrent avec la vitesse des forcenés

en crise, jusqu’aux portes du néant pour exécuter, sans

plus attendre, les ordres impératifs de leur épouvantable

Maître.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 210

- XVII -

- J’aurais dû descendre avec lui, murmura Suggur

au bord des larmes, devant Mélinos.

Le Druide regardait avec compassion le grand Elfe.

Il n’avait pas de regrets à avoir. Alianos, l’éclaireur,

savait ce qu’il faisait. Il connaissait le rôle qu’il avait à

jouer dans cette dernière guerre de l’Histoire de

Formalow. Le Roi des forestiers, lui, ne devait pas

mourir ainsi. Son destin était de gagner la paix de son

peuple et la gloire d’un défenseur intrépide de la liberté,

aux côtés de Niphilus et de Saurane, sur les remparts de

Nabachton.

En ce qui le concernait, le vieux Sage ne savait rien

de son avenir ou, tout au moins, ne voulait rien savoir. Il

sentait bien qu’il ne devait pas mourir sur cette route, ni

même sur le pont enjambant la grande combe. Il décida

donc qu’il fallait que la compagnie se réveille et marche

sans cesse maintenant, jusqu’aux portes des Royaumes

Perdus. Les membres de cette troupe hétéroclite avaient

prouvé, en de multiples occasions, leur valeur, leur

résistance et leur courage face à la mort, l’adversité et la

fatigue.

Discrètement, afin de ne pas attirer par des éclats

de voix ou des mouvements trop brusques, l’attention des

légions d’Arthang qui se tenaient au fond de la vallée ou

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 211

même, celle du Léviathan lui-même, le Duc, le Druide et

l’Elfe sortirent leurs camarades du sommeil, un à un,

puis les avertirent de la situation afin de les préparer à

reprendre la route.

Les soldats des Peuples Libres constituant

l’expédition de la route de Nabachton, avaient été choisis

judicieusement par le conseil. En quelques instants, ils

furent équipés et prêts à partir. Comme des ombres

projetées vivement par de petits oiseaux nocturnes,

planant dans le clair des Lunes de Formalow, les

membres de la compagnie se glissèrent jusqu’au pont qui

enjambait la gigantesque fissure dans la montagne. Deux

Elfes s’y engagèrent en premier avec Saurane et

Niphilus. Ils étudièrent avec soin les environs et tentèrent

d’apercevoir la fin de la passerelle. Mais, cette extrémité

de la construction était si loin dans la nuit, qu’on

distinguait à peine la voûte d’arbres sous laquelle, la

route de Nabachton reprenait son parcours tortueux le

long de la corniche.

Dans le fond de la combe, sur les quais sales du

port artificiel créé par les forces du Mal, les légions

d’Arthang vociféraient des litanies de louanges à leur

gigantesque maître qui les abreuvait de paroles

haineuses. Seuls Mélinos, Suggur et Le Goua’ch

comprenaient la langue des maudits. Les trois grands des

Royaumes Libres paraissaient soucieux des discours du

Léviathan.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 212

Niphilus et ses compagnons étaient parvenus à mi-

chemin de l’arche du pont. Ils étaient encore visibles

pour le reste de l’expédition qui les vit faire le signe de

commencer la traversée. Quand le Druide eut rejoint ses

amis, il jeta rapidement un regard vers la fin de la

passerelle. La route de Nabachton était encore libre. Il se

pencha vers Niphilus et lui murmura :

- Arthang vient de m’apprendre de bonnes, mais

aussi de mauvaises nouvelles. Je vais vous les dire en

marchant vers la route.

La phalange reprit son chemin avec circonspection.

Il ne fallait surtout par que les compagnons du forgeron

révèlent leur présence aux innombrables Korrigans

obnubilés par l’Hydre des sorciers.

- Votre frère Arhus accomplit des prouesses sur les

Marches des Terres Sauvages. Il a arrêté jusqu’aux

nouveaux alliés du Seigneur des Ankous sur les Landes

du Lac situé à l’Est de la Silérie. Depuis une semaine, il

retient, dans cette région, l’armée du Lieutenant de

l’Empereur Déchu, toute entière. Ce dernier, à bout de

stratagème, a appelé Arthang et ses forces à l’aide. Mais

comme le vieux Léviathan a compris l’objectif de notre

petit groupe et qu’il sait ne pouvoir rien tenter de sérieux

contre nous, sur la route de Nabachton, il préfère

regrouper toutes ses légions et les jeter à l’assaut des

Royaumes Perdus. Finalement, la bête pensante est plus

intelligente que le gardien des enfers maudits.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 213

- Mon Dieu, fit Niphilus malgré lui, Nabachton

résistera-t-il à cette attaque.

- Depuis de nombreux siècles, reprit Mélinos, les

maîtres des pays oubliés repoussent les guerres des

forces du mal. La longévité de la paix vigilante, qui a

succédé à La Guerre des Larmes de Sang, fut possible

car, la séparation de l’Alliance des Peuples Libres en a

diminué le pouvoir. Il suffisait donc aux Korrigans de

nous empêcher de franchir le Passage des Royaumes

Perdus pour que la situation d’équilibre entre eux et nous

s’éternise. Maintenant, les évènements s’accélèrent. Ils

savent qu’ils risquent l’anéantissement définitif si notre

compagnie réussit sa quête. Aussi, se feront-ils

massacrer jusqu’au dernier pour faire tomber Nabachton

et nous fermer son accès. La bataille qui s’annonce sera

bien difficile. Toutes les connaissances des Forges

oubliées et votre savoir-faire Maître Niphilus, ne seront

pas de trop pour nous aider à supporter la vague de haine

qui va déferler prochainement sur le Monde.

Soudain, Saurane courut jusqu’au parapet du pont

et se pencha au-dessus du vide. Ce n’était pas par

imprudence. Les grognements immondes des légions

d’Arthang étaient devenus des cris de guerre et les

torches brûlantes qu’ils portaient pour s’éclairer, se

divisèrent en deux flots et se mirent à escalader sur les

sentiers abrupts les flancs des montagnes bordant la

combe. L’Hydre, elle-même, avait relevé ses têtes et ses

regards maléfiques scrutaient le pont.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 214

- Nous sommes repérés, déclara Suggur dont les

épaules avaient doublé de largeur dans la perspective du

combat. J’espère qu’ils n’ont pas capturé Alianos…

- Je ne crois pas, fit le Druide. Ce sont nos ombres.

Je n’y ai pas pensé mais le clair des Lunes a projeté nos

silhouettes sur les eaux de la Baie.

Calmement, Niphilus et ses Silériens sortirent leurs

épées et continuèrent d’avancer avec détermination vers

l’extrémité de la passerelle. Un instant, les Marins de

Salermnos avaient hésité mais, voyant les paysans-

forgerons reprendre la marche imperturbablement, ils

empoignèrent leurs haches, ajustèrent leurs boucliers et

suivirent les intraitables habitants de Silérie. Les Druides

et les Elfes restèrent à l’arrière-garde, les uns brandissant

leurs bâtons de pouvoir les autres leurs arcs bandés,

armés de plusieurs flèches.

Comme à leur habitude, les Korrigans couraient à la

curée. Tout en progressant sur les pentes des

escarpements, ils se bousculaient dans le plus grand

désordre, laissant choir dans le vide avec des hurlements

déchirants, les moins agiles d’entre eux. Suggur, le plus

formidable représentant des peuples forestiers, saisit son

arc et, depuis le pont, visa avec soin un capitaine

d’Arthang qui progressait un peu trop vite, en tête de ses

hordes, vers la route de Nabachton. L’énorme démon

passait sur une portion du chemin à deux milles pieds en

contrebas de l’Elfe géant. Durant un court instant,

Niphilus eut la faiblesse de croire que le Roi de la forêt

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 215

du Bout du Monde présumait de ses capacités.

Cependant, son trait partit avec un claquement sec et un

sifflement strident qui accompagna la flèche jusqu’au

cœur du Korrigan. Celui-ci, percé de part en part malgré

son armure, écarta désespérément les bras et tomba dans

le précipice qui bordait le chemin, la tête en avant. Sa

colonne reflua de terreur poussant quelques monstres de

l’arrière-garde à la suite de leur officier.

- C’est toujours cela que nous aurons de moins à

combattre sur la corniche, déclara Suggur à son ami

Silérien qui le dévisageait admirativement.

Mais la terreur redoubla dans les cœurs vaillants de

la compagnie, Arthang venait de prendre son envol et, en

tournoyant dans les vents qui remontaient le long des

falaises, il allait lentement se stabiliser au-dessus de

l’altitude de la passerelle.

- Economisez tous vos flèches, lança Mélinos. Cet

adversaire-là va être à vos mesures messieurs.

Soudain, il se retourna vivement vers la sortie de la

passerelle. La colonne des Korrigans avait emmené une

longue échelle d’assaut et, pressés d’en finir avec la

petite phalange de Niphilus, ils avaient tenté de la poser

sur le parapet du pont afin d’y accéder encore plus vite

que par leur sentier. Le sortilège qui protégeait la route

de Nabachton était efficace. L’instrument des démons

avait été repoussé avec violence dans l’abîme, dès qu’il

avait touché les pierres de l’arche. Ses porteurs furent

entraînés avec lui.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 216

- Ils ne peuvent pas poser un pied sur la route,

déclara Saurane.

- Les Korrigans ne franchiront certainement pas la

magie de Nabachton, assura Mélinos. Mais Arthang…

Qui peut connaître les limites de son pouvoir ?

- Filons à couvert ! Conseilla Suggur. Sous la voûte

des arbres, nous serons moins exposés. Les archers du

Mal s’apprêtent à nous lancer leurs carreaux

empoisonnés.

Effectivement, des milliers de démons pointaient

leurs flèches vers le tablier du pont. Même si les arcs

produits dans les arsenaux des ténèbres n’étaient pas

aussi performants que ceux de Myrion, la compagnie

était en danger dans un tel endroit. Les amis de Niphilus

se ruèrent alors vers la sortie de la passerelle tandis que

les tirs des Korrigans retombaient en sifflant vers eux. Là

encore la puissance des sorts de protection, jetés par les

sages des Royaumes Perdus, montrèrent leurs

merveilleuses possibilités. Les flèches effectuèrent de

spectaculaires demi-tours et repartirent en direction des

archers, avec véhémence. Des milliers d’entre eux furent

tués par leur propre tir.

Leur courage renforcé par cette agréable surprise,

les membres de la Compagnie s’éclipsèrent encore plus

vite vers la Route de la corniche que les légions

d’Arthang tentaient vainement d’atteindre. C’est à ce

moment d’espoir que le Léviathan, qui avait atteint le

Zénith au-dessus du pont, piqua vers le tablier de pierre

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 217

comme un oiseau de mer vers une proie entre deux

eaux. La masse du gigantesque animal pensant était

assez grande pour briser la construction arachnéenne et

la faire tomber au fond de la combe. Elle entraînerait

dans sa chute l’expédition du Maître forgeron et ce

dernier avec.

Tous les archers de la compagnie tirèrent d’un

même geste vers Arthang le Noir. Le monstre fut criblé

de flèches qui pénétrèrent avec une force inouïe sa

carapace osseuse. Le Léviathan hurla et se contorsionna

de douleur. Mais, avec plus de fureur encore, après avoir

effectué une boucle, il se remit à foncer encore plus vite

vers ses ennemis.

L’expédition avait profité des hésitations de

l’immense Hydre pour s’approcher encore de la sortie

de la passerelle. Mais, tous les compagnons de Niphilus

étaient encore loin de la fin du pont quand il devint

évident qu’Arthang allait s’écraser sur l’arche, à

quelques pieds d’eux.

L’incroyable se produisit. Alors que Mélinos, le

vieux sage, doutait sans appel possible de l’efficacité des

charmes magiques contre le Léviathan, le sort nabatéen

qui protégeait la Route des Forges Perdues, frappa le

monstre volant avec une telle puissance que ce dernier

bondit de trois milles pieds en arrière, puis, il se mit à

tomber vers la baie en tournoyant sur lui-même, telle une

feuille morte.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 218

Arthang, dans son courroux phénoménal, avait

voulu frapper trop vite. S’il s’était approché avec plus de

circonspection de la passerelle, il aurait, sans doute,

anticipé les effets du charme et serait peut-être parvenu à

le contourner. La vieille Hydre des sorciers devait être

aux abois pour avoir commis une telle erreur et si mal

utilisé son effrayante puissante magique. Il savait

certainement que la roue de l’Histoire tournait et que le

bilan des forces en présence sur Formalow basculait,

lentement en faveur des royaumes libres.

Des grognements de terreur ébranlèrent les légions

des ténèbres. Epouvantées par la chute de leur maître,

toutes ses hordes refluèrent vers le fond de la combe en

massacrant encore, un plus grand nombre d’entre eux,

qui se firent piétiner ou jetés dans le vide avec une

violence supérieure à celle qui avait marqué l’escalade

des escarpements.

La compagnie, lança des cris de victoires :

- Myrion, Salermnos, Silérie !!! Sus aux maudits !!!

Le vieux Druide ne cachait pas sa joie. Il avait

vraiment eu peur en subissant, impuissant, l’attaque de

l’ignoble bête. Il déclara à ses amis :

- Profitons de notre avantage. Arthang est

cruellement blessé, mais je ne crois pas qu’il soit mort.

Arrangeons-nous pour entamer sérieusement ses forces,

un peu plus, avant qu’il ne décide de concrétiser ses

projets de conquête des Royaumes Oubliés. Nous allons

utiliser quelques-unes des gemmes que nous avons

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 219

recueillies dans la caverne refuge. Je sais qu’il ne faut les

employer qu’avec parcimonie mais l’heure est grave.

Qu’une dizaine d’archers fixent des pierres de puissance

sur une de leurs flèches et me les présentent pour que je

libère leur potentiel de destruction ! Cinq d’entre eux

tireront vers le barrage du torrent, les autres tenteront de

frapper les rejetons marins du Léviathan.

En quelques secondes, les préparatifs proposés par

Mélinos furent accomplis. Les tireurs de la compagnie,

déployés le long des parapets du pont, envoyèrent leurs

terribles traits vers leurs cibles. Plusieurs gemmes

scintillantes et vrombissantes comme des météores

traversant les cieux, s’écrasèrent contre la digue qui

retenait les eaux du lac artificiel, au grand effroi des

milliers de Korrigans désemparés. Dans le port, les

monstres marins sentirent, avec fureur des flèches

flamboyantes se figer dans leur corps.

Une fraction de seconde plus tard, alors que le

dernier soldat de la compagnie venait d’entrer sous la

voûte des arbres où serpentait de nouveau la route de la

Corniche, de terribles déflagrations illuminèrent toute la

combe et l’océan, comme l’aurait fait le soleil. Un vent

chaud ébranla la passerelle qui vibra fortement. Les eaux

du lac se ruèrent dans la vallée emportant avec violence

les constructions du port, les armées de Korrigans et les

débris arrachés aux arsenaux des ténèbres, dévastés par

la fusion des gemmes. Au large, les rejetons d’Arthang

emportés par le torrent furieux, explosèrent aussi en

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 220

soulevant de gigantesques vagues qui anéantirent

définitivement les installations défigurant la combe.

Quand le vent fut apaisé et que l’eau cessa de gronder

pour murmurer, Niphilus et ses compagnons revinrent au

début du pont, afin d’observer les résultats de leur

dernière manœuvre.

Plus rien ne bougeait dans la vallée. La purification

obtenue par la libération du torrent, frustré si longtemps

par les démons de couler sans entrave dans sa combe,

avait été totale.

- Mon Dieu ! Fit Suggur. Et Alianos ?!!!

- Il est remonté et suit actuellement une patrouille

de Korrigans qui a échappé à ce saccage, répondit le

Druide mystérieusement.

- Comment le savez-vous, Maître ? S’étonna l’Elfe.

- Je vous expliquerai cela quand nous serons à l’abri

des remparts de Nabachton, mon brave Seigneur des

forêts.

Le grand forestier n’insista pas. Il connaissait bien

le vieux sage et comprenait que le silence dont il avait

choisi d’entourer le sort du frontalier, était certainement

justifié.

Niphilus poussa alors un cri de désarroi :

- Par les Dolmens Infernaux, cette effroyable

créature s’en est tirée !!!

A une lieue au large, dans le clair des Lunes de

Formalow, Arthang venait de s’arracher aux vagues de

l’océan dans lequel il était tombé, quelques instants plus

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 221

tôt. Tout en volant maladroitement, il prit de l’altitude et

repartit péniblement vers Sa Désolation, à l’Est des

montagnes.

- Oui mon ami, expliqua Le Goua’ch. Nous l’avons

cruellement touché, mais il va revenir aux portes de

Nabachton avec toutes ses légions de réserve. Cette fois,

il ne lésinera pas sur le nombre. Désormais, nous

pouvons atteindre les Royaumes Perdus. Le Léviathan

est cruellement blessé. Il lui faudra un certain temps

avant de recouvrer sa puissance. Profitons-en, nous

devons repartir et finir notre voyage dès maintenant.

Sur ces mots, la compagnie diminuée d’un membre

dans des circonstances dramatiques, commença la

dernière étape vers le Royaume de Nabachton. Cette

fois, aucun des voyageurs de la petite mais vaillante

troupe ne s’arrêterait avant d’apercevoir les formidables

portails qui protégeaient les forges légendaires des

Royaumes Perdus.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 222

- XVIII -

- Arthang ne peut pas me fournir de troupes !!!

Vociféra le Seigneur des Ankous.

Le Capitaine des Korrigans envoyé par le Léviathan

auprès de son allié, trembla sous l’invective.

- Quelles raisons ose me donner ce maudit dragon,

pour justifier sa défection ? Reprit le Roi des messagers

de la mort. Réponds-moi esclave !

Le Démon épouvanté passa sa langue sur ses crocs

avides de sang. La terreur l’avait assoiffé. Il était habitué

à côtoyer des créatures particulièrement effrayantes,

mais le Maître de la forteresse des Dolmens Infernaux

dépassait en horreur tout ce qu’il avait connu jusque là.

- De grands et puissants guerriers des royaumes

rebelles se sont engagés sur la route de Nabachton. Ils

progressent à vive allure, car ils sont d’une force

implacable. Bientôt, ils atteindront les Forges des chiens

de comploteurs et pourront y tramer leur magie pour

nous détruire tous. Alors, le Seigneur Arthang a lancé

toutes ses armées à la conquête des Royaumes Perdus.

- Avec des lâches et des porcs comme toi, éclata le

Seigneur des Ankous. Arthang veut conquérir Nabachton

et les contrées que défend cette cité ! Mais il est

complètement fou ! Les Âges innombrables qu’il a

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 223

traversés ne lui ont pas apporté l’expérience que la

légende lui attribue. Il est simplement devenu sénile.

- Il m’a donné l’ordre de vous déclarer, Ô grand

roi, commença prudemment le Korrigan, que nous ne

devrions pas perdre de temps à écraser des insectes dans

la Lande. Arthang estime que vos nouveaux alliés

seraient bien plus utiles contre les remparts des Forges

oubliées, que contre la faible armée de Myrion.

Seigneur, s’empressa d’ajouter le sinistre esclave des

ténèbres devant la colère qui déformait les traits hideux

du Roi des Ankous, il a précisé que si je ne rentrai pas de

ma mission, quand il aura écrasé les Nabatéens, il

pourrait bien accourir au pied de votre château, vous

demander des comptes, devancé par la magie des

Royaumes Perdus.

Le formidable Titan maléfique bondit hors de son

trône et, hurlant comme un damné, il se rua sur le

Korrigan qu’il étrangla d’une main, comme un petit chiot

sans défense. Sa monstrueuse fureur se propagea dans

tout son empire des Terres Sauvages et ses serviteurs

tremblèrent d’épouvante, sans comprendre pourquoi,

d’ailleurs, tandis qu’il accomplissait son crime.

Alors la voix du Maître des ténèbres lança ses

ordres comme une tempête qui emporta sa volonté

jusqu’au Dolmens infernaux. Ses chasseurs d’âmes

maudites surent qu’ils devaient convoquer, sans plus

attendre, le Roi des Sorciers Morts-Vivants. Ils avaient

été incapables de le retrouver dans le dédale de l’Enfer

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 224

des Maléfiques. Mais, une autre consigne fit pâlir leur

face terreuse et maladive lorsqu’ils la reçurent. Ils ne

craignaient pratiquement aucun fantôme.

Habituellement, les créatures les plus puissantes, quand

elles revenaient hanter les cercles du Monde après un

séjour dans le néant des Maudits, restaient impuissantes

contre les Ankous. Mais cette fois, leur Seigneur avait

lancé une des incantations interdites les plus horribles et

les plus efficaces qui soient. Cet insensé avaient rappelé

l’Empereur déchu… Ce monstre-là, même mort,

deviendrait une plaie épouvantable pour le Monde de

Formalow, s’il y retrouvait un corps. Son ancien

lieutenant pensait sans doute pouvoir le maîtriser sans

peine et retenir sa vengeance, il pouvait payer chèrement

son orgueil insensé.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 225

- XIX -

La compagnie se restaurait. En deux journées, ils

avaient avancé très rapidement sur la grande route dallée

et, depuis le matin, la corniche s’abaissait lentement le

long de la montagne qui d’ailleurs, était devenue une

petite chaîne de basses collines.

Si Niphilus et ses compagnons mangeaient

calmement sur l’accotement, c’est qu’ils étaient arrivés à

un point de la route où le voyage allait changer de

nature. Le chemin ne suivait plus la côte. Cette voie

s’enfonçait désormais dans l’arrière-pays, en

franchissant un col, à moins d’une demi-lieue de

l’endroit choisit par la petite troupe pour faire une courte

halte.

Au-delà des deux sommets arrondis qui barraient

l’horizon et encadraient la Route de Nabachton comme

des sentinelles bienveillantes, Mélinos assurait qu’une

vallée s’évasait jusqu’aux portes des Royaumes Perdus.

Ces derniers occupaient une vaste plaine fertile,

légèrement vallonnée et sillonnée de fraîches rivières.

Niphilus et ses compagnons ne sentaient pas la

fatigue de leur dernière marche. Ils étaient au Nord du

Monde, mais ils n’avaient pas froid. La présence de

l’Océan et une fragrance indescriptible, laissait dans l’air

de cette région une douceur vivifiante.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 226

Le forgeron et la Princesse mangeaient l’un près de

l’autre. Niphilus regardait la merveilleuse fille de

Phérégon avec tendresse. Elle ne cachait plus, ni son

admiration, ni sa passion pour le solide et agréable

silérien. Il se révélait très doux dans la vie quotidienne,

mais il avait affiché durant le voyage sur la Route de

Nabachton, une détermination et un courage que lui

enviaient ses compagnons, depuis le Duc Le Goua’ch

jusqu’à Suggur le vaillant Elfe des forêts du Bout du

Monde.

Maintenant, lorsqu’elle lui adressait la parole, elle

ne l’appelait que « mon ami » ou bien « mon Seigneur ».

Elle lui prenait souvent la main quand elle était seule

avec lui, à l’arrière de la colonne. Après le combat sur la

passerelle de la combe, Niphilus avait été un des derniers

à reprendre le chemin des Forges. Il avait quitté le pont

arachnéen, giflé violemment par le souffle résiduel de

l’explosion des gemmes de puissance, sur les pas de

Mélinos lorsqu’il avait été certain qu’aucun Korrigan et

aucun rejeton d’Arthang n’avait survécu à la bataille.

Le Druide, bien qu’il soit préoccupé par la tournure

que prendrait la fuite de la compagnie vers la porte des

Royaumes Perdus, avait remarqué que Saurane attendait

le courageux aciériste à la sortie de la passerelle, qu’elle

l’avait pris dans ses bras quand il était arrivé, puis,

qu’elle l’avait embrassé amoureusement, emplie de joie

de le retrouver vivant après cette nouvelle épreuve.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 227

Le vieux sage, le Duc de Salermnos et Suggur,

tandis qu’ils dévoraient à belles dents leur premier repas

depuis deux jours, ne manquèrent pas d’échanger

quelques mots sur cet amour naissant entre l’héritière de

Silérie et un de ses plus brillants sujets. Mélinos savait

que le Roi Phérégon, recevrait l’union de sa fille bien-

aimée avec Niphilus, comme une bénédiction des forces

bienveillantes de Formalow, car tous les Silériens

considéraient que la valeur d’un guerrier, d’un façonnier

ou bien d’un paysan se mesurait par les actes qu’il

accomplissait et non par son lignage ou bien sa position

sociale. Le plus humble couturier de Mégara, s’il était un

bon tailleur, avait l’estime du Seigneur de Silérie et aurait

pu recevoir l’amour de sa fille. Un forgeron de la trempe

de Niphilus, doublé d’un érudit cultivé et d’un

combattant hors de pair était un prétendant plus

qu’honorable pour la merveilleuse Princesse du petit

peuple des Paysans-Aciéristes.

Suggur, qui avait pour le brave Silérien une estime

sans borne, se disait que ce dernier méritait largement

l’amour de Saurane. Le Goua’ch se réjouissait de voir en

Niphilus, un futur membre influent du Conseil de la

Nouvelle Alliance, à la sagesse et au bon sens infinis.

Un des discrets forestiers du roi Elfe, qui remplissait

le rôle d’éclaireur depuis la disparition d’Alianos, revint

de patrouille à cet instant. Mélinos, avant d’entendre le

rapport de ce dernier, fit signe à Saurane et à son ami

forgeron de se joindre à eux.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 228

Le Soldat expliqua aussitôt la situation. Au-delà du

col, on pouvait voir l’entrée de Nabachton. Ceci était

réjouissant, mais, sur une courte bande de plaine, entre

la fin des collines qui marquaient l’arrêt de la chaîne de

Montagnes des Royaumes Perdus et le mur frontière de

ces pays oubliés, une armée de quatre-vingt mille à cent

mille Korrigans était déployée et faisait le siège de la

porte légendaire. La route d’accès était alors occupée

par une tortue de trois milles démons corsetés de fer,

hérissés de lances ainsi que de hallebardes et cachés

sous un toit de boucliers noirâtres. Le but était proche,

mais, comment le toucher enfin, avec un tel obstacle à

franchir avant de l’atteindre ?

Tous semblaient découragés, Le Duc des Abers

émit l’hypothèse d’un passage des lignes ennemies, au

cours de la nuit, en évitant, autant que possible,

l’affrontement. Mais les lunes de Formalow étaient

pleines. Elles brillaient de mille feux et, la nuit tombée,

elles éclairaient le monde d’une lumière douce, suffisante

pour rendre une petite troupe incapable de surprendre

des gardes attentifs. De plus, les deux planètes étaient

dans une très rare phase de conjonction. Leur clair était

bizarrement plus intense dans cette configuration

astronomique. L’idée d’une dernière étape faite à l’abri

des regards maléfiques, par une nuit sombre, s’évanouie

aussi vite qu’elle était née. Même si des nuages avaient

fait écran à la brillance des lunes après le coucher du

soleil, le ciel dans de telles conditions, aurait été

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 229

suffisamment lumineux pour faire échouer la tentative de

passage à couvert. Le Goua’ch comprit que sa fatigue

physique et morale avait eu raison de son sens légendaire

de la stratégie, quand Mélinos eut exposé tous ces

problèmes.

Le vieux Druide, lui, ne proposa rien, il ne put que

soupirer, montrant là une inquiétante lacune d’idées.

Suggur rongeait son frein. L’Elfe géant paraissait sur le

point de saisir son épée et de charger, seul, toute l’armée

du Léviathan.

Niphilus resta un moment silencieux et quand on lui

demanda son avis, il déclara :

- Il semble bien, mes amis, que depuis nos premiers

pas sur la route de Nabachton, nous sommes suivis et

protégés par les Seigneurs des Royaumes Perdus.

Pensez-vous, un seul instant, que si nous déclenchons

une véritable bataille à l’entrée de leur monde, ils vont

nous laisser périr sur le seuil de leur maison. Croyez-

vous que les Korrigans sont présents ici, aussi organisés

et si nombreux, sur la frontière d’un pays si dangereux

pour les forces du mal, afin d’y rester en attente, sans

agir. Derrière les remparts de Nabachton, une puissance

gigantesque les défie et elle viendra à notre secours si

nous en chargeons les assiégeants sans montrer de

faiblesse. Alianos s’est certainement sacrifié pour notre

cause et nous ne le reverrons jamais. Nous lui devons

bien ce baroud d’honneur, même s’il devait être le

dernier. Ami Suggur, me suivrez-vous ?

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 230

L’Elfe regarda avec un frémissement d’admiration

et des larmes dans les yeux, le petit personnage qui se

levait en même temps que la jolie Princesse Saurane. Les

deux Silériens enfilèrent ensuite, tranquillement, leurs

heaumes de guerre et sortirent leur fabuleuse lame pour,

de nouveau, aller affronter sans haine et sans peur, des

ennemis impitoyables, marquant chacun de leur

massacre d’une sauvagerie ignoble. Suggur rangea alors

ses affaires dans son havresac. Il dégaina les deux

longues épées de forestier, qu’il avait demandées à son

ami forgeron de couler et de battre pour lui. Il les fit

tournoyer dans l’air avec des sifflements, puis, les

jugeant suffisamment tranchantes, il les assura dans ses

énormes poings et vint prendre une posture de bataille à

côté de Niphilus et de la souveraine des Paysans-

Forgerons.

Un instant plus tard, les dix-neuf voyageurs de la

compagnie se tenaient sur le col. Ils y dominaient la

plaine occupée par les Korrigans. De là-haut, ils

observaient avec vaillance, sans même éprouver une

inquiétude quelconque, la mer de démons qui les

séparaient du but de leur quête.

Alors, poussant un même cri du cœur : « Vivent les

Royaumes Libres ! », ils dévalèrent la pente en courant

de toutes leurs forces et en brandissant leurs glaives, vers

les esclaves du mal qui malgré leurs nuées innombrables,

reculèrent avec terreur devant cette charge incroyable.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 231

Le cœur léger, Niphilus fut le premier de la

compagnie à trancher en deux parties le bouclier d’un

capitaine d’Arthang, ainsi que celui qui était protégé par

cet écu…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 232

- XX -

Le Roi des Sorciers Morts-Vivants se débattait

contre son escorte d’Ankous. Ce dernier était un peu

plus teigneux que ses sujets, ramenés de l’enfer des

Maudits, depuis plusieurs mois, mais, finalement, il ne

pouvait rien faire contre les chasseurs d’âmes perdues, si

ce n’est, les bousculer légèrement.

Quand le spectre et ses gardiens arrivèrent dans la

forteresse des Dolmens Infernaux, ils devinrent

soudainement calmes, malgré la haine qui poussait le

premier contre les autres, car, la colère silencieuse du

Seigneur du lieu faisait gronder toute la bâtisse colossale,

jusqu’aux fondations secrètes de ce château.

Le Roi fantomatique, fut amené et agenouillé devant

le trône du Seigneur des Ankous. Il fut libéré du sort

d’entrave que lui avaient jeté les gardiens des Dolmens

Infernaux et put ainsi se redresser fièrement en proférant

des insultes obscènes à l’adresse de ses geôliers. Mais il

fut rapidement ramené à la réalité de son état.

Une force terrible le fit ployer, jusqu’à ce que son

visage touche le sol. Un coup formidable ébranla ses

côtes squelettiques, puis, une voix de tonnerre

l’assourdit :

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 233

- Tu vas donc te taire infâme déchet de la

damnation. Tu as perdu les batailles de jadis. Tu t’es

laissé détruire par de faibles mortels ignorants et tu viens

nous donner des leçons, mais veux-tu que je te torture

comme je le fais maintenant, chaque jour, chaque heure,

chaque seconde de l’éternité qui te reste à subir ta peine

de maudit ?

Le fantôme sentit qu’on lui déchirait de l’intérieur,

le corps en décomposition que lui avait rendu les

Ankous. Il hurla effroyablement. Mais que lui voulait

donc ce monstre ? Jadis, il avait donné sa vie pour

l’Empereur de Formalow mais il considérait le lieutenant

du Grand Maître des ténèbres comme un subalterne

ignare et ambitieux. Pour le sorcier revenant, le seigneur

de la Forteresse des Allées Couvertes Maudites était un

traître sans envergure, qui n’avait pu occuper le trône de

son supérieur que par la ruse, à la suite d’un abandon de

son suzerain d’une rare ignominie. Il n’avait fallu qu’un

très court instant de faiblesse du Roi Ténébreux de

Formalow pour que les médiocres puissent l’emporter

sur ce dernier. Une toute petite faute d’inattention avait

suffi, puis, les hésitations plus ou moins volontaires des

subordonnés avaient facilité la chute du couperet sur le

destin de la plus puissante créature maléfique sur cette

Terre.

Qu’on rende son pouvoir d’autrefois au maître des

sorciers et, ce goret furibard de lieutenant verrait ce

qu’était la magie ! Une simple étincelle de vie, rallumée

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 234

l’espace d’une seconde dans l’âme du Mage mort et le

pantin maudit qui le maltraitait en profitant de sa

faiblesse, payerait cher son impudence. Cependant, plus

sa fureur croissait, plus il rêvait de vengeance, plus il

souffrait et se désarticulait sous la douleur. Au bout de

quelques temps qui lui parurent une éternité la lacération

cessa et il entendit de nouveau la voix du chef des

chasseurs d’âmes.

- Te plieras-tu donc à ma volonté, dit ce dernier

avec véhémence. Ou bien faudra-t-il que je te renvoie à

demi vivant dans le néant des Maudits ?

La menace était réellement terrifiante. Rares étaient

ceux qui avaient franchi les Dolmens Infernaux pour

entrer vivants en Enfer. Des fous à la recherche de la

puissance ténébreuse absolue, avaient tenté cette

expérience épouvantable, bien avant l’apparition de

l’Empereur. Si revenir dans les cercles du monde sous

forme de spectre était affreusement pénible, si chaque

parcelle de votre âme et du corps qui vous est restitué au

cours de ce retour, génèrent en vous des souffrances

infinies, atteindre vivant les halls du néant épouvantaient

tous les défunts maudits qui assistaient au calvaire éternel

des malheureux ayant eu cet abominable privilège. Ceux-

là tournoyaient à jamais, crucifiés sur des pentacles,

depuis les froids abîmes situés aux confins de l’Univers

jusqu’aux chaleurs démoniaques des soleils explosifs du

cosmos. Plus rien ne pouvait les tuer. Ils supportaient

ainsi toutes les destructions. Ils en ressentaient les effets

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Les forges de Nabachton. Page : 235

dans leur chair, mais, ils ne parvenaient, en aucun cas, à

faire cesser cette punition sempiternelle. Même mort-

vivant, comme l’était le Roi des Sorciers actuellement, il

ne faisait pas bon se faire piéger dans cette situation

catastrophique.

Alors, l’épouvantable fantôme accepta d’écouter ce

que lui proposait le Seigneur des Ankous.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 236

- XXI -

La compagnie avançait dans la masse de ses

ennemis, comme un coin d’acier enfoncé par des coups

de masse dans une bille de bois à refendre.

A l’avant de cette petite troupe héroïque, la mer des

Korrigans se fracassait comme une tempête d’hiver sur

les pointes granitiques de l’Arcouest. Les démons

tombaient en hurlant sous les coups d’épées formidables

de Suggur, de Mélinos, de Niphilus et de Sauranne. Les

lames silériennes taillaient en pièce les corps des esclaves

du mal qui répandaient sous les attaques, leurs membres

infectes déchirés par l’acier furieux, sur la plaine

ensanglantée. Malgré leurs armures les compagnons du

forgeron étaient couverts de blessures et de plaies. Mais,

ils approchaient lentement des portes.

Alors, un formidable Korrigan des montagnes,

monté sur un reptile visqueux aussi grand qu’une licorne,

fendit la foule de ses soldats en hurlant dans son langage

ignoble :

- Que toute l’armée les charge ! Qu’ils soient

écrasés sous vos souliers de fer ! Allez, au travail bande

de gorets !

Galvanisés par la haine de leur officier, les monstres

resserrèrent leurs rangs autour de la compagnie. Même

le puissant Suggur et l’interminable Mélinos éprouvaient

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 237

des difficultés à frapper la masse compacte de démons

morts et blessés qui se pressait contre eux.

L’aciériste et la princesse, rouges de colère, de

fatigue mais aussi de leur sang qui coulait sur leurs fronts

meurtris, frappaient de plus en plus fort. Pourtant, ils

poussaient maintenant des cris de hargne, afin de tenir

bon, à chaque estocade portée. Le Duc de Salermnos

redoublait les moulinets de sa hache et fracassait de

nombreux crânes, coupaient d’innombrables cous,

comme dans un rêve. Le Goua’ch allait-il succomber

sous le nombre ?.

Les courageux voyageurs voyaient venir la fin. Ils

étaient encore à mille pas du colossal portail de

Nabachton. Ils n’avançaient plus, ils ne parvenaient qu’à

conserver difficilement un petit espace libre entre eux et

les Korrigans. Cette fois, l’épuisement allait les gagner et

ils finiraient déchiqueter par les crocs de leurs

adversaires, comme de nobles licornes succombent

parfois à des hordes de loups affamés.

Niphilus, au fond de lui, souffrait d’avoir poussé ses

camarades dans un tel piège. Les Royaumes Perdus

avaient-ils la puissance qu’on leur attribuait ? Pouvaient-

ils lancer une armée par leurs portes pour sauver leurs

alliés, venus de si loin implorer leur aide ? La réponse ne

serait-elle pas trop tardive ? Cela demandait-il trop de

temps aux Nabatéens de regrouper une escouade de

secours derrière le portail ?

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 238

Peut-être l’ancienne splendeur de Nabachton

s’était-elle amoindrie ? Ne restait-il plus rien des grandes

armées du Nord, de leurs lances brillantes et inflexibles,

de leurs innombrables licornes qui jadis déferlaient

comme une tempête sur les rangs du mal ? Les grands

Rois de Nabachton ne pouvaient-ils plus déployer que la

magie pour fermer encore leur sanctuaire aux hordes

d’Arthang.

L’aciériste regarda sa souveraine de ses yeux

aveuglés par les larmes et le sang :

- Pardonnez-moi Dame Sauranne, déclara-t-il

pendant une accalmie du combat. Je vais tomber à vos

côtés, au seuil du succès. Ce qui me rend le plus

malheureux, c’est que nous nous sacrifions inutilement.

Le Monde de Formalow ne sera pas sauvé. Je n’aurai

même pas pu vous avouer l’amour dont je brûle pour

vous. Que j’aurais aimé vous serrer dans mes bras, Ma

Souveraine, et baiser vos lèvres avec l’ardeur du soleil

quand il brille dans les cieux de l’été. Dame Sauranne, Je

vous étais dévoué corps et âme. Aussi, lorsque nous

franchirons les cercles de la vie, je vous porterai, serrée

contre ma poitrine, jusqu’aux havres du créateur.

- Mon doux Seigneur, Mon Maître d’Arme,

j’accueille vos paroles avec la joie de ce sentiment

partagé que plus rien ne peut entraver, répondit la belle

Silérienne. C’est le glaive à la main, que nous nous

épouserons dans cette fin des Ages, Mon Aimé ! Pour

fêter notre mariage, vendons chèrement nos vies ! Que

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 239

chaque écorchure infligée à nos corps par nos ennemis,

leur coûte une cohorte entière !

La compagnie avait entendu le serment et les

promesses que venaient d’échanger les deux amoureux.

Le courage revint aux cœurs des membres de la

communauté. Pourtant, la troupe de Korrigans s’avançait

maintenant contre eux, encore plus dense et décidée

qu’avant l’apaisement temporaire de la bataille. Alors les

lames silériennes scintillèrent avec la froideur déterminée

de leurs Maîtres. Les gémissements et les déchirements

de chaire ébranlèrent une fois de plus les hordes

d’Arthang le Noir, mais bientôt, après une formidable et

éclatante période de résistance, le premier Druide

succomba à un grand nombre d’assaillants qui

l’isolèrent, le débordèrent et martelèrent sauvagement

son armure jusqu’à ce qu’il tombe à genoux, sous la

pluie d’estocades.

Le Duc Le Goua’ch, la joue entamée par l’éclat

d’un cimeterre korrigan brisé contre son armure

silérienne, vacillait, lui aussi. Certes, le Seigneur des

Abers giflait encore, avec véhémence trois énormes

démons des montagnes dont les griffes crissaient sur

l’acier de sa cuirasse à chaque coup. Pourtant, le grand

marin ne parvenait plus à employer sa hache pour

repousser ses agresseurs. Les robustes épaules du Duc

s’affaissaient.

Mélinos et Suggur, dos à dos sur un petit monticule,

faisaient encore face à la horde maléfique, mais, ils

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 240

étaient très pâles. L’expression de leur visage marquait

une peine et une douleur insondables.

Niphilus, couché sur Sauranne blessée et

inconsciente, absorbait à travers son armure, les coups

de taille des Korrigans furieux qui se ruaient sur eux,

comme un océan en tempête.

Ils allaient mourir, balayés par la victoire imméritée

du mal absolu. Nabachton avait défailli. Les peuples

libres et les royaumes libres allaient disparaître, livrés à

l’ombre et à l’esclavage pour des Ages innombrables.

Soudain, de gigantesques cors d’airain se mirent à

sonner depuis les hauteurs des remparts qui fermaient la

vallée. Un silence glauque tomba sur la fureur du

combat. Les épées s’immobilisèrent en l’air,

dégoulinantes du sang des Korrigans qu’elles avaient

tailladés furieusement depuis plusieurs heures. Les

haches des marins de Salermnos épargnèrent

momentanément les cous vers lesquels elles se

précipitaient afin de les trancher, tandis que les Druides

et les Silériens ne plantaient plus, vigoureusement, les

fantassins d’Arthang sur le fil de leur glaive, afin de

sauver Niphilus et leur Souveraine, écrasés sous un

groupe compact de démons.

La compagnie et leurs ennemis se tournèrent vers

les Portes de Nabachton. Les uns montraient un

soulagement halluciné, les autres une terreur irraisonnée.

Dans un grondement de volcan en éruption, les

deux formidables battants du Portail des Royaumes

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 241

Perdus s’ouvrirent et, tandis qu’un nuage blanchâtre

montait vers le ciel, depuis l’arrière les remparts,

d’innombrables flèches s’élevèrent au-delà des plus

lointains nuages du ciel avec une vitesse effarante ainsi

qu’un sifflement assourdissant. Elle retombèrent en pluie

meurtrière sur les flancs de l’armée des Korrigans,

dispersant, ces derniers qui s’enfuirent avec terreur dans

les montagnes.

Par milliers, les esclaves du Léviathan se sauvèrent,

délaissant leurs camarades de la tortue, livrés sans espoir

à leurs terribles adversaires. Un cri de guerre poussé par

des guerriers puissants, ébranla l’atmosphère de la

plaine. Une gigantesque armée de cavaliers surgit alors

des portes de Nabachton dans le martèlement

assourdissant des sabots de leurs licornes caparaçonnées.

Cette cavalerie fantastique se jeta au galop contre les

Korrigans qui mouraient littéralement de peur.

En quelques secondes, le corps du Maître Forgeron,

celui de sa Princesse et leurs camarades furent dégagés.

Si les armes des membres de la compagnie encore

indemnes, taillèrent en pièces, dans cette dernière phase

de la bataille, quelques soldats du mal, ce furent les

formidables cavaliers de Nabachton qui repoussèrent les

lambeaux de la troupe d’Arthang, au-delà du col de la

route par laquelle étaient venus Niphilus et ses

camarades. Des milliers de démons se jetèrent dans la

mer, préférant s’écraser sur les rochers, au pied des

falaises, plutôt que d’affronter les fougueux Nabatéens.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 242

En une faible fraction de temps, les portes et la

large voie furent libérées par la charge foudroyante des

Nabatéens. Leur capitaine, ayant vu disparaître ses

derniers ennemis dans l’Océan Extérieur qui grondait au

pied de la Corniche, revint sur ses pas avec l’escouade

qui l’avait suivi jusque-là. La cavalerie se regroupait

enfin. Toutes ses forces revenaient ensemble des quatre

coins de l’horizon. Les chevaliers des Royaumes Oubliés

avaient chassé et anéanti les derniers soldats du mal,

laissés par le Léviathan sous le portail de leurs

Royaumes.

Le chef des Nabatéens s’approcha de la compagnie

de Niphilus. Quand il fut près d’elle, il descendit de sa

licorne. Il n’était pas de haute taille. Son physique était

puissant, mais, il n’était grand que comme Niphilus, sans

plus. Quand le commandant de la cavalerie et tous ses

chevaliers eurent retiré leur heaume de guerre, Mélinos,

Suggur, Le Goua’ch ainsi que tous les héros de la petite

troupe envoyée, depuis le sud de Formalow par les

peuples libres, furent surpris. Les Nabatéens, en fait,

appartenaient aux peuples des Silériens mais, également

à celui des petits Elfes. Ils avaient certainement créé les

Royaumes Perdus ensemble, à la fin de « l’Age d’Or des

Forêts ».

Les Druides de Myrion, les forestiers géants des

Monts du Bout du Monde ainsi que les marins de

Salermnos, avaient toujours pensé que le petit peuple des

bois de Formalow, malgré sa sagesse et son courage,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 243

avait disparu, massacré par les hordes de l’Empereur

déchu. En fait, ces derniers avaient allié leur savoir-faire

magique et leurs connaissances techniques à l’habileté,

sans pareil, des Forgerons-Paysans dans le sanctuaire

septentrional de Nabachton.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 244

- XXII -

Arhus observait la Lande sur le promontoire depuis

lequel il commandait l’armée de Myrion. Ses éclaireurs

frontaliers avaient signalé de forts mouvements de troupe

au nord du Lac.

Les sorciers Morts-Vivants étaient partis depuis

deux jours. Leurs ombres et la terreur qu’ils inspiraient

s’en étaient allés avec eux. Il ne restait plus qu’une

formidable concentration de Korrigans. Celle-ci

d’ailleurs, avait été renforcée par des troupes noirâtres,

descendues en vastes nuées, depuis le septentrion des

Terres Sauvages. Le Maître des Ankous changeait de

stratégie. Ses alliés fantomatiques, utiles dans les

escarmouches avec les patrouilles des Marches avaient

échoué au cours des batailles en règles auxquelles ils

venaient de participer durant les deux dernières

semaines. Certes, Arhus avait perdu des valeureux

combattants sur la Lande. Il avait surtout eu à déplorer

des blessés en grand nombre. Au cours des incessants

assauts qu’ils avaient été forcés de repousser, certains

soldats de Myrion avaient fini par commettre des erreurs,

en raison de leur fatigue inexorable. Pourtant, les hordes

de démons et de spectres lancées par les forces du mal à

l’assaut des Royaumes Libres, avaient été arrêtées sur

les rives du Grand Lac.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 245

Le Silérien pouvait donc être fier de cet exploit. Son

succès, il le devait à son courage et à sa volonté

admirable. Ses hommes, ses druides, ses elfes ainsi que

ses compatriotes, avaient été galvanisés par la force

morale de leur général, si justement désigné par le

Conseil de la Nouvelle Alliance.

Maintenant, il fallait choisir la conduite à tenir pour

les phalanges de Myrion face à l’arrivée de milliers de

Korrigans supplémentaires sur la Lande. Ces infects

serviteurs inféodés aux seigneurs maudits n’étaient pas

aussi coriaces que les sorciers fantômes. Cependant, les

éclaireurs étaient certains que le compte de leurs légions,

sur les rives du Lac, allait doubler dans les prochains

jours. Les démons seraient environ neuf cent milles sur le

champ de bataille aux premières lueurs de l’aube qui

naîtrait après le second jour suivant le départ des

sorciers.

Arhus, face à ce nouveau danger, consulta

Phérégon, le capitaine des Druides, celui des Elfes ainsi

que le commandant des marins de Salermnos. Les

effectifs déployés par la Nouvelle Alliance étaient

complets. Le silérien ne devait plus compter sur des

troupes fraîches. Des blessés étaient en bonne voie de

guérison, dans les maisons de soin établies à l’arrière du

front, mais, il leur faudrait encore une bonne semaine

avant de rejoindre leurs camarades sur les marches des

Terres Sauvages. Le général disposait maintenant de cinq

cent milles soldats sur le terrain. Aucune augmentation

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 246

du nombre de soldats n’était prévisible avant huit à neuf

jours. Il existait deux réserves de combattants qui

n’avaient pas encore participé à la bataille du Lac. On ne

pouvait pas amoindrir les patrouilles frontalières du nord

des Royaumes Libres. Mais, deux garnisons importantes

étaient restées en attente dans la Forteresse de Silérie et

celle de la Marche. Un pigeon de feu envoyé à chaque

commandant de ces places suffirait pour que cent

cinquante mille combattants au sommet de leur forme

soient alors lancés contre le flanc des phalanges de

Korrigans, installées dans la Lande.

Arhus échafauda alors un nouveau plan de bataille.

Il montra une audace terrifiante, mais, il estimait que tout

devait être essayé pour disperser la puissance d’Arthang

et du Maître des Ankous. Il décida de harceler, sans

cesse, l’armée du Lac, par de petits coups de main,

rapides et meurtriers, jusqu’à l’arrivée des renforts venus

des bastions frontaliers. Les Silériens du Nord ainsi que

les Marins et les Druides de la Marche, étaient des

guerriers capables de venir rejoindre le champ de bataille

du Lac, en moins de six jours.

Ces troupes des Royaumes Libres ne risquaient pas

de rencontrer les fantômes des sorciers. Ces derniers

étaient repartis vers le Seigneur des Messagers de la

Mort, par la rivière qui coupait la Lande, droit vers le

Nord. De rapides galères les avaient emportés à vive

allure et, les Morts-Vivants, devaient maintenant se

trouver parqués dans des campements hideux, aux pieds

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 247

des Dolmens Infernaux, tremblants tous sous les blâmes

et les colères de l’ancien Lieutenant de l’Empereur.

Jusqu’à l’apparition des garnisons fraîches de

Silériens, de Druides et de Marins, il fallait que trois

milles Korrigans tombent chaque jour sans qu’aucun

soldat d’Arhus ne parte aussi pour le royaume des

défunts justes, au-delà des Monts du Bout du Monde.

Quand les cors des forteresses de Silérie et de la Marche

retentiraient enfin sur la Lande, les forces de Myrion

déploieraient alors les bannières de la Nouvelle Alliance

et attaqueraient les Démons. Même si cela devait encore

coûter des vies précieuses au monde libre, la phalange du

Seigneur des Ankous serait alors prise en tenaille par les

courageux guerriers d’Arhus. Ce dernier comptait bien

anéantir les esclaves du mal jusqu’aux derniers, sur les

rives du Lac.

Ensuite, le Silérien regrouperait les survivants de ce

combat. Puis, il lancerait des centaines de pigeons de feu

vers Nabachton, afin de faire parvenir des messages aux

Maîtres des pays oubliés. Il leur apprendrait, de cette

façon, qu’il avait décidé de faire le siège du Château des

Dolmens Infernaux, puis, de détruire l’épouvantable

monstre qui y régnait. Le général espérait bien que,

même si son frère Niphilus et ses compagnons avaient

échoué dans leur quête, éblouis par le courage de leurs

amis perdus, les Nabatéens lanceraient une vaste

offensive afin de franchir la désolation d’Arthang dans le

but de venir participer à cette ultime phase de la Guerre.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 248

Ce projet était une folie ! Mais, l’envoie de la

compagnie sur la route de Nabachton n’en avait-elle pas

été une autre ? Pourtant, bien qu’aucune nouvelle ne leur

soit encore arrivée des Royaumes Perdus, Arhus estimait

que la tentative de Mélinos et de Niphilus avait connu un

certain succès. Le départ brutal et inexpliqué des sorciers

fantômes paraissait lié à l’heureux dénouement de

l’expédition du Passage des Forges Oubliées. Rien n’était

assuré, mais, le retrait des spectres déverrouillait

l’évolution de cette « Guerre de la Nouvelle Alliance ».

L’armée de Myrion avait arrêté la progression des

forces du mal sur les rives du Lac, mais cette force aussi

avait été immobilisée là par les immondes ectoplasmes.

Or, maintenant, les valeureux guerriers du Conseil de

Castel-Druides, n’avaient plus, devant eux, que des

Korrigans qui, bien que dotés d’une très longue vie,

pouvaient être tués et craignaient la mort. Le surnombre

de ces démons était compensé par leur manque de

discipline et leur lâcheté. Arhus et ses compagnons

étaient donc capables de gagner cette bataille de la

Lande.

La tempête se préparait à souffler encore sur les

terres vertes et fraîches de la Marche des Terres

Sauvages.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 249

- XXIII -

Saurane n’entendait plus le bruit de la bataille. Elle

n’avait plus, sur ses lèvres, le goût du sang qui ruisselait

des blessures de son front et de ses joues.

Elle n’osait pas ouvrir les yeux. Elle se sentait

entourer de douceur, de lumière et de chaleur. Avait-elle

rejoint les limbes de la félicité des justes, au-delà des

Monts du Bout du Monde ? Elle sentit qu’on lui prenait

la main. Celle qui serrait la sienne était douce mais aussi

très puissante. Elle en devinait les doigts énergiques et

musclés, capables de se refermer avec une force

inexorable. Niphilus, son amour, était près d’elle. Le

vaillant Forgeron, le gardien de son cœur, était tombé à

ses côtés au seuil des portes de Nabachton.

Elle ouvrit les yeux. Elle était allongée dans un doux

et vaste lit. Une chambre boisée, chaleureuse, l’abritait.

Par une vaste fenêtre voilée d’un léger rideau à la

couleur dorée, la lumière d’une journée hors du temps

tombait sur elle.

Niphilus, le courageux Silérien, le Prince des

forgerons, l’élu de son cœur, était assis à ses côtés dans

un fauteuil confortable. De toutes les blessures qu’il avait

reçues pendant la bataille, à l’entrée des Royaumes

Perdus, il n’avait gardé que deux cicatrices presque

effacées, au menton et sur la joue. Pour L’instant, il était

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 250

vêtu d’une livrée d’or et de vert. Des manchettes

d’argent ornaient ses deux poignets. Une belle chaîne

était passée autour de son cou. Un médaillon dans lequel

était sertie une splendide gemme de pouvoir, y était

suspendu. Il fumait tranquillement sa pipe de bruyère.

Avait-il donc succombé, lui aussi ?

Saurane voulut lui parler, mais aucun son ne sortit

de ses lèvres. Elle était si ensommeillée. Niphilus porta

son index à sa bouche puis déclara doucement, comme

pour éviter toute fatigue à sa bien-aimée :

- Ne dites rien Ma Dame, ma Suzeraine de cœur. Je

vais tout vous expliquer mais, vous devez encore vous

reposer un peu, pendant que je réponds, autant que faire

se peut, à toutes les questions que vous vous posez sans

doute.

Saurane cligna des yeux et sourit afin d’encourager

son amoureux à lui parler encore de sa voix douce,

chaleureuse, enjouée. Elle tenait à être bercée par le

récit que lui ferait celui qu’elle aimait. Et si elle devait

apprendre qu’elle était arrivée dans les limbes de la

félicité des justes, elle s’en moquait finalement car, elle y

était avec l’amour de sa vie.

- Nous avons combattu de toutes nos forces jusqu’à

l’ombre des remparts, commença le Silérien. Les

ennemis formaient autour de nous un mur de haine et de

ténèbres si épais, que nous avons cru notre fin arrivée.

Nous ne pouvions plus avancer. Nos épées ont eu de

l’ouvrage. Pour une blessure que nous recevions dix

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 251

Korrigans perdaient la vie. Tout à coup, alors que le sang

ruisselait sur vos adorables joues, tandis que deux

monstres s’approchaient pour vous attaquer, vous êtes

tombée sur vos genoux. Vous n’aviez plus de force ni de

courage ma Mie. La vaillance ne vous faisait pas défaut

mais, vos bras et vos jambes vous abandonnaient. Je me

suis glissé jusqu’à vous, à travers une forêt de cimeterres

que j’ai abattue, toute entière, avec la fougue désespérée

de la peur de vous perdre qui étreignait mon âme.

Parvenu à vous toucher dans la fureur des coups portés

avec hargne, j’ai pourtant senti que j’avais aussi atteint

mes limites. Je me suis couché sur vous pour vous

protéger d’une effroyable fin. Mélinos et Suggur ont

tenté alors de se précipiter entre nous et nos adversaires,

ils furent isolés dans la masse des Korrigans. Le Goua’ch

demeura à la tête de nos autres compagnons pour les

soutenir et leur apporter le réconfort, durant le principal

assaut des Korrigans contre notre troupe. Mais, le grand

marin, malgré sa force et son courage, finit par faiblir

devant l’océan de haine qu’il voulait retenir malgré tout.

Une larme coula des yeux de Saurane qui ne

parvenait toujours pas à émettre une parole dans sa si

grande faim de repos. Niphilus continua :

- Nous n’avons pas succombé mon Amour, vous

êtes tombée de sommeil entre mes bras sous mon corps

au moment où, les portes de Nabachton ont déversé nos

sauveurs sur la plaine. Ces derniers ont dispersé et

écrasé les phalanges d’Arthang comme des fétus de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 252

paille sous les fléaux des moissonneurs. En une très

faible fraction de temps, la paix et la sécurité nous

étaient rendues. Les portes des Royaumes Perdus

venaient de nous être ouvertes.

Un grand sourire illumina le visage de la Princesse

Silérienne. Finalement, elle n’était pas morte. Sa quête

ainsi que son amour n’avaient pas été vains. Le Maître-

Forgeron conclut :

- Vous avez été soignée par de sages petits elfes de

jadis et aussi par notre ami Mélinos, mon Amour. Vous

vous reposez actuellement dans le formidable palais des

Seigneurs de Nabachton. Au sein des forges et au cœur

des maisons du savoir de ce Royaume, l’immense travail

contre les forces du mal a déjà commencé. Mélinos et les

magiciens elfiques réapprennent, les uns des autres, tous

les sorts et les charmes qui ont donné à l’Ancienne

Alliance, sa victoire sur l’Empereur déchu. Quant aux

aciéristes des forges fabuleuses, ils ont complété leur

savoir par celui que je leur ai amené de Silérie. Toutes

les armes et toutes les armures des Royaumes Perdus ont

été retraitées avec les plantes huileuses dont nous avons

découvert de grandes quantités dans les forêts de

Nabachton. Saurane, Ma Dame, voilà près d’une

semaine que nous sommes ici et que vous étiez plongée

dans un sommeil magique afin de guérir les blessures que

vous aviez reçues pendant la bataille des portes. Avec

nos amis Nabatéens, nous avons accompli une grande

tâche. La puissance de l’Ancienne Alliance est désormais

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 253

restaurée. Grâce aux gemmes de pouvoir, qui sont

nombreuses dans les mines de ce pays, de nouvelles

machines vont donner à chacune de nos patrouilles la

force d’une légion entière de Korrigans.

Tout à coup, par la fenêtre de la chambre, une

harmonie cuivrée et énergique retentit, tombant des tours

de guet qui hérissaient les fortifications colossales du

palais des Maîtres de Nabachton. Le forgeron se pencha

par la fenêtre et aperçut, dans le ciel limpide un nuage de

pigeons de feu qui descendait vers le château, telle une

pluie de printemps. Les oiseaux au plumage flamboyant,

arrivaient à une vitesse étonnante, rivalisant en célérité

avec les aigles des pitons montagneux du Bout du

Monde. Bientôt, tous ses messagers fourbus, atterrirent

sur les pelouses du parc de la forteresse et se laissèrent

approcher. Les nabatéens commencèrent, avant tout, à

nourrir les oiseaux. Puis, découvrant que ces derniers

offraient leurs messages à leurs bienfaiteurs, les servants

du palais se permirent de les lire. Les nouvelles étaient

agréables mais aussi étonnantes. Mélinos fut mis au

courant par ses collègues magiciens. Aussitôt que le

vieux druide eut pris connaissance du contenu de ces

courriers, il courut le communiquer à Niphilus et à la

Princesse Saurane. Les pigeons ne s’étaient pas encore

tous posés, que le maître du savoir entrait déjà dans les

appartements de la souveraine convalescente afin d’y

expliquer :

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 254

- La situation est désormais irréversible Arhus.

Votre frère, a envoyé à Nabachton les oiseaux de feu qui

viennent de nous rejoindre. Les nouvelles de l’armée du

Conseil sont encourageantes et inquiétantes. Ce matin il

vient de recevoir des renforts. Il veut atteindre la

forteresse des Dolmens Infernaux et en faire le siège. Il

en appelle aux Seigneurs des Royaumes Perdus afin de

recevoir de l’aide grâce aux pouvoirs qu’ils détiennent. Il

pense également que nous avons atteint notre but et que

nous communiquons aux nabatéens les connaissances

que nous avons apportées de Silérie et de la Forêt de

Myrion avec nous. Il n’a pas tort, c’est ce que nous

sommes en train de faire actuellement. J’ai parlé à

l’instant aux élus des Royaumes Perdus. Ils sont

favorables à une intervention pour anéantir le Seigneur

des Ankous. Ils veulent tous nous réunir pour décider de

la stratégie que nous pourrions appliquer afin de

rejoindre les Dolmens Infernaux, puis, les détruire avec

l’aide de votre frère.

- Mon Amour, déclara Niphilus à Sauranne, la

dernière Guerre est débutée. Cette fois, le mal va reculer

pour de très longs et très nombreux Âges.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 255

- XXIV -

Le palais des élus de Nabachton était construit à

l’entrée de la grande vallée des forges. Il élevait ses

hautes tours, ses fontaines, ses salles glorieusement

éclairées et décorées par les représentations admirables

de l’Histoire de Formalow, sur des terrasses taillées dans

la roche solide des montagnes puis recouvertes de jardins

suspendus aux fleurs colorées et aux arbres immenses.

La compagnie avait perdu un membre de plus

pendant la bataille de la porte des royaumes perdus. Un

druide avait péri sous les coups des Korrigans. Ils ne

furent donc que dix huit compagnons à se rendre au

conseil extraordinaire qu’avaient réunis, ce matin-là, les

élus de Nabachton. Dès qu’ils furent installés

confortablement sur des sièges d’honneur, avec les

douze grands sages des royaumes oubliés, ils entendirent

d’abord un discours étonnant. Le plus vieux des

Seigneurs nabatéens déclara avec peine :

- Nous tenons d’abord à vous demander pardon

mes Seigneurs, commença-t-il. Vous devez avoir de

nombreux griefs contre nous et certainement, nous

devons des explications à ceux qui furent nos braves

alliés et surtout nos amis sincères durant toute « la

Guerre des larmes de Sang ». Devant la porte de ce

sanctuaire, que sont nos royaumes unis, vous avez

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 256

encore dû penser que nous vous abandonnions une fois

de plus à votre sort. Cependant, mes amis, pour réunir la

troupe que nous avons lancée à votre secours, il nous a

fallu du temps. Arthang le Noir n’a pas cessé, depuis le

début de votre expédition sur la route de notre pays, de

contrarier notre magie. Nous ne vous attendions que

dans une semaine et justement, nous souhaitions libérer

la plaine au pied des remparts ainsi que le dernier col,

une heure avant votre arrivée. Nos soldats étaient en

train de s’entraîner à une lieue et demi de la porte quand

la nouvelle de votre arrivée leur est parvenue. De plus,

vous pouvez croire que notre longue séparation, avec la

désolation du Léviathan qui s’opposait à nos

retrouvailles, avait pour origine notre lâcheté et notre

complaisance à rester à l’abri de nos murs. Certainement

notre puissance est encore grande. Notre magie, bien

que partiellement conservée, en regard de ce qu’elle fut

au temps de notre Grande Alliance de jadis, est toujours

efficace. Mais, toutes les troupes que nous avons

envoyées au-delà du dernier port des Monts

Septentrionaux de Formalow, pour retrouver les pays

libres, n’ont pas réussi à atteindre le fleuve des

montagnes, afin de le descendre jusqu’au Golfe de

Salermnos. Notre pouvoir est tenu en échec là-bas.

Arthang déverse des légions innombrables contre nos

envoyés, ensuite, il les massacre lâchement. D’abord à la

porte que nous ne parvenons pas à protéger autrement

que par le déploiement de nos soldats, ensuite dans la

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 257

forêt au sud des monts du Passage Perdu, la force du

Léviathan est quasiment indestructible, tandis que tout le

reste de la route de Nabachton se trouve encore sous

notre contrôle. La seule fois que nous avons connu le

succès, en essayant de communiquer avec vous, ce fut

lorsque nous vous envoyâmes le Seigneur Niphilus, le fils

du « Maître de nos Forges », avec toutes ses

connaissances. Nous avions alors l’espoir fou qu’il

survivrait et parviendrait à s’installer dans les Royaumes

libres. Nous comptions bien que son savoir, partagé en

commun avec celui de nos anciens alliés, permettrait de

rétablir le lien brisé entre nous.

- Il semblerait mes Seigneurs, que vous soyez

parvenus à vos fins, déclara solennellement Mélinos.

L’affaiblissement de votre magie au-delà des remparts de

Nabachton jusqu’au premier col de la route, ainsi que

sous les contreforts des Montagnes Septentrionales de

Formalow, est lié à la destruction des Dolmens

bienfaisants que les Elfes avaient, jadis, construits dans

ces lieux. L’Empereur d’abord, Arthang et le Seigneur

des Ankous ensuite, renversèrent avec hargne les allées

couvertes dressées par le peuple Sylvestre au temps de

l’Alliance d’Or et de Paix. Je ne connais pas la cause

exacte de cet acharnement, mais, je le sais une

conséquence directe de la puissance magique des

mégalithes de notre Monde. A Myrion, dans les

assemblées des Maîtres du Savoir, nous n’avons jamais

pensé, un seul instant de toute la paix vigilante, que vous

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Les forges de Nabachton. Page : 258

nous abandonniez mes amis. Nous n’avons que trop

souffert des combats contre les forces du mal pour

comprendre et admettre, que ces dernières étaient

capables de contenir nos forces et les vôtres, les

empêchant de s’unir de nouveau contre les ténèbres.

Mais les temps sont venus d’unir une fois de plus nos

troupes. Sur les rives du Grand Lac des Marches du

Nord-Ouest, la plus grande armée des royaumes libres,

jamais réunie depuis la Guerre des Larmes de Sang

disperse les forces du Seigneur des Ankous. Elle a, à sa

tête, un des meilleurs généraux silériens de notre âge :

Arhus Orlos, le digne descendant du « Griffon de

Mégara », tant redouté de l’Empereur lui-même. Bientôt,

le Léviathan va déployer sur les frontières de Nabachton

toutes les forces dont il dispose. Le choc sera rude et

notre arrivée parmi vous se fait tout juste dans un délai

raisonnable. Un petit mois de retard dans

l’accomplissement du voyage de notre compagnie et

nous aurions trouvé votre sanctuaire très affaibli par

l’assaut des ténèbres, dans le meilleur des cas, soit

totalement envahi par les Korrigans d’Arthang, dans la

pire perspective. De plus, la folie du Seigneur des

Ankous a ramené dans les Cercles du Monde, les âmes

maudites des sorciers morts autrefois, pendant la chute

de l’Empereur. Il nous faudra impérativement regrouper

les forces de Nabachton et celles des royaumes libres si

nous voulons défaire ces terribles alliés du mal.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 259

- Nous avons donc un long labeur à fournir pour

débarrasser Formalow du mal à jamais, dit le porte-

parole des Nabatéens. Les souffrances ne sont donc pas

encore finies et notre Nouvelle Alliance ne nous assure

pas de la victoire complète sur les maléfices d’Arthang et

du Seigneur des Ankous.

- Je crains que non, Maître, dit Mélinos. Mais nous

devons aller au-devant de la bataille qui nous attend.

Quoi qu’il en coûte ! Peut-être que, sur le chemin qui

nous est destiné, nous trouverons des alliés inattendus !

Nous ne savons plus tout ce que nous avons su et nous

ignorons beaucoup encore de ce qui reste à connaître

dans le vaste univers. Pour la première fois depuis la fin

de l’Empire, la balance des forces est favorable à notre

camp. Profitons de cette bonne phase de la de la fortune

pour éclaircir notre avenir.

- Et bien sachez Maître Mélinos que Nabachton va

reprendre sa place au côté de ses alliés et que, cette fois,

nous allons faire face de toutes nos forces à l’assaut que

notre ennemi a préparé contre nous assura le doyen du

conseil des dirigeants de Nabachton. J’ai également une

déclaration personnelle à faire, maintenant que toute

l’histoire de notre longue séparation a été bien discutée.

Je te souhaite la bienvenue parmi nous, Niphilus, mon

fils. Je remercie aussi le digne Oberlon de t’avoir recueilli

et si bien élevé. Je suis le Maître des Forges de

Nabachton : ton père naturel.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 260

Le glorieux Forgeron de Silérie sentit les larmes lui

venir aux yeux et vint s’agenouiller au pied de son père.

Certes, il ne reniait pas l’amour filial qu’il portait à sa

famille Silérienne. Mais, il avait aussi beaucoup de

respect pour cet homme qui l’aimait profondément et qui

avait accepté le sacrifice de l’envoyer loin de lui, pour

sauver tous les royaumes libres de Formalow.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 261

- XXV -

La forteresse des Dolmens Infernaux avait lâché sur

le monde tous ses esclaves guerriers. Elle était vide de

soldats, mais les immenses couloirs et les salles

gigantesques et innombrables qui la constituaient, étaient

tout de même hantés par les Ankous et leur terrifiant

Seigneur.

Deux formidables armées étaient parties du Nord

des Terres Sauvages. Une colonne avait marché vers le

Lac de la Marche et la lande. Cette dernière phalange

devait écraser les restes des troupes de Myrion sous le

poids de ses nombreux Korrigans. L’autre corps des

forces du Roi des Messagers de la mort, devait rattraper

et suivre les Sorciers Morts-Vivants qui déferlaient sur

Nabachton, mais aussi sur Arthang le Noir.

Le Maître de la forteresse des Dolmens Infernaux,

dans la folie de son orgueil, pensait que ses légions

étaient invincibles. Il sous-estimait complètement le

courage des Silériens, des Druides, des Elfes Géants et

des Marins du Golfe de Salermnos. Et surtout, il voulait

ignorer la gigantesque puissance de Nabachton, des

réalisations magiques et techniques de ce monde perdu.

L’affreux démon qui commandait aux morts, ne

croyait que dans la magie noire, le fer, le feu ainsi que la

force du nombre. Il méprisait l’harmonie et la raison. Il

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 262

réfutait les bienfaits de la générosité du cœur et de

l’esprit. Mais, il s’était lancé, cette fois, en partant à la

conquête du monde, dans une entreprise beaucoup trop

vaste pour sa méchanceté et sa prétention. Certes, il

comptait bien sur le retour de son ancien maître, dont il

espérait faire son serviteur, l’Empereur Déchu. Ses

Chasseurs d’âmes s’efforçaient de le ramener à la vie

par les rites ignobles qui avaient déversé les fantômes des

sorciers sur Formalow.

Cependant, aucun des Ankous ne souhaitait

réellement le retour du Roi des Ténèbres. Ce dernier

était encore plus effrayant, beaucoup plus sinistre mais

aussi plus malfaisant que leur chef actuel. L’Empereur,

était doté de pouvoirs gigantesques. Même s’il avait été

tué et même s’il avait dû rejoindre le royaume des

défunts maudits, comme toutes les créatures de

Formalow vouées au mal, qu’elles soient mortelles ou

bien immortelles, sous forme de spectre, après son séjour

dans les enfers, le monstre qui avait semé une terreur si

formidable jadis, serait certainement insatiable, surtout

totalement indomptable quand il reviendrait dans les

cercle de l’Univers vivant.

Les Ankous ne l’ignoraient pas. Aussi, tentaient-ils

de retarder l’accomplissement de la folie furieuse de leur

Seigneur, qu’ils jugeaient maintenant fou à lier.

Ce dernier jubilait pourtant, depuis son trône d’or et

de haine. Il faisait marcher la plus gigantesque puissance

ténébreuse que le monde ait jamais connue depuis la

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 263

« Guerre des Larmes de Sang ». Près de deux millions de

créatures abandonnées à une fureur malfaisante et à une

vie ténébreuse qu’ils appelaient de leurs prières, afin de

dissimuler dans l’ombre de celle-ci toute l’ignominie de

leurs pensées et de leurs actes, marchaient désormais

contre le reste des vivants de Formalow.

Quand une partie de ces troupes monstrueuses

atteignit les rivages du Lac de la Marche, aiguillonnés par

les fougueux désirs de leur chef qui leur parvenaient dans

un flot magique, ils ne se reposèrent même pas. Ils

chargèrent sans attendre les rangs de l’armée de Myrion,

qu’ils apercevaient, réduits et clairsemés autour du

campement de leurs frères démoniaques

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 264

- XXVI -

Arhus, depuis sa tente de commandement, entendit

le grondement de l’attaque des Korrigans. La table sur

laquelle il avait déployé ses cartes de la Lande, vibrait

sous la charge pesante des démons.

Il sortit dehors et fila jusqu’au bout du promontoire

qu’il avait choisi comme observatoire du champ de

bataille. Les autres capitaines de l’armée de Myrion,

livides, surpris malgré leur vigilance, vinrent le rejoindre

et l’entourèrent.

La situation n’était pas bonne, les forces de

l’Alliance allaient devoir combattre à un contre trois. Les

patrouilles, constituée de cent milles guerriers, avaient

sillonné les rives du Lac toute la nuit. Elles devaient se

reposer avant de retourner au front. Les renforts

qu’attendait le Général arrivaient, mais, ils se trouvaient

encore à deux heures de marche au Nord-Est et au

Nord-Ouest, des combats. Une autre partie de son armée

défendait les sentiers venant de la Forêt des Druides, par

lesquels, montaient au front, le ravitaillement et les

régiments reposés dont Arhus avait tant besoin.

En bon stratège, le Silérien avait estimé que, si les

Korrigans arrivaient en grand nombre dans la région, ils

feraient leur possible pour couper toute retraite et tout

approvisionnement à leurs ennemis. Donc, cent mille

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 265

autres soldats étaient déployés dans l’arrière-pays. Bien

sûr, des messagers étaient entraînés pour les joindre

rapidement. Cependant, le rassemblement d’une telle

troupe, éparpillée sur un grand territoire, prendrait sans

doute plus de trois heures.

Arhus, pâlit un instant, lui aussi. Puis il lança aux

officiers qui l’encadraient :

- Envoyez les messagers chercher les détachements

éloignés ! Regroupons l’armée toute entière dans la

Lande, et surtout, faites sonner les cors de Myrion avec

véhémence ! Il faut que nos alliés des forteresses

frontalières sachent que tout est commencé et que leurs

cœurs vaillants nous manquent cruellement. Eux, à cet

appel, accéléreront pour venir à notre aide. Nos ennemis

trembleront en pensant que, par ce vacarme, nous

rallions une gigantesque horde pour les écraser sous

notre multitude.

Les hérauts des peuples libres partirent transmettre

les ordres d’Arhus à tous les combattants de Myrion.

Depuis les rives du Lac, jusqu’aux premières défenses de

l’Alliance, des hordes noirâtres de démons, dont certains

chevauchaient d’immenses lézards aux dents sanglantes,

courraient à la curée dans le plus grand désordre. A

l’arrière de cette ruée affreuse, des machines de guerre

avançaient, tirées par des attelages de grands sauriens

puissants.

Le général enfila son casque et déclara :

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 266

- Nous devons participer à la mêlée, mes amis. Nos

hommes ont besoin de nos bras pour tenir encore deux

heures, jusqu’à l’arrivée de nos alliés.

Tout à coup, les grands cors d’airain des Druides et

des Elfes Géants ébranlèrent de leurs brames sonores la

Lande ainsi que les rives du Lac. L’élan des Korrigans

fut arrêté brutalement par la sonnerie de ralliement que

les forces de l’Alliance, jetaient à leurs amis dissimulés

dans le pays alentour. Les terribles esclaves du mal,

s’interrogèrent du regard en entendant les colossales

trompettes de Myrion. Alors, d’une haute colline que les

légions des ténèbres voyaient clairement depuis leur

position, une clameur s’éleva et des guerriers furieux, en

armures brillantes, dévalèrent les pentes herbeuses vers

la Lande, couvrant de leurs exclamations de joie la voix

des titanesques cors de bronze.

Dans les premiers rangs des Korrigans, immobilisés

par l’inquiétude à quelques mètres des premières

défenses de l’armée d’Arhus, un mouvement de recul

imperceptible se fit. Alors, bondissant de leur cache, des

centaines d’Elfes, de Silériens, de Druides, de Marins

aux lourdes haches, sautèrent sur les démons et se

mirent à les tailler en pièce.

La charge du Général et de ses officiers, s’enfonça

comme la pointe d’une lance dévastatrice dans le front

des forces du mal, soulevant sous les coups de ses lames,

des flots de sangs et de chairs déchiquetées autour d’elle.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 267

Dans son sillage, des milliers de corps désarticulés

répandaient leurs membres tranchés sur la plaine.

Les Korrigans affolés tournèrent les talons et

commencèrent une retraite aussi rapide que leur attaque.

Les guerriers de l’Alliance déferlèrent alors sur leurs

basques, détruisant un rang d’ennemis pour chaque pied

de terrain gagné.

Les cris de bataille se transformèrent alors en

hurlements d’alerte. Un première pierre monumentale,

lancée par une machine de guerre des démons, s’écrasa

sur l’avant garde d’Arhus tuant ou blessant un bon

nombre de ses combattants. Mais, les soldats des

Royaumes Libres ne cessèrent même pas d’avancer. Au

contraire, des têtes de Korrigans se détachèrent encore

plus violemment et en plus grande quantité de la masse

hideuse, après que le coup ait été porté.

Les artilleurs du Seigneur des Ankous, tentèrent

d’ajuster leurs jets sur le coté du front occupé par les

forces de l’Alliance. Mais les rangs du frère de Niphilus

était moins denses que ceux de ses adversaires. En

voulant faire reculer les soldats des Royaumes Libres, ils

ouvrirent maladroitement des brèches dans le mur formé

par la masse de leurs compagnons de damnation.

Pendant une heure et demie, les guerriers d’Arhus

progressèrent, il en tomba beaucoup sous les pierres

lancées par les phalanges des ténèbres. Cependant, bien

plus de monstres furent massacrés par les lames de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 268

Niphilus. Constamment, durant cette bataille, le mal

recula devant le courage désespéré du bien.

De nouveau, des cors retentirent sur la Lande.

L’armée du Seigneur des Ankous était désormais prise

en tenaille par les renforts venus des forteresses

frontalières. Ils étaient enfin là. Ils avaient forcé l’allure

depuis qu’ils avaient entendu sonner la charge d’Arhus.

Ils avaient amené avec eux, montées sur de solides

chariots, des machines de guerre plus précises, bien que

moins nombreuses que celles de l’ennemi. Depuis les

contreforts opposés des collines qui bordaient le Lac, ces

engins avaient une telle portée, qu’ils dévastèrent ceux

des Korrigans en quelques coups, puis, ils aplatirent sans

aucune dispersion, les derniers rangs des esclaves du

mal.

A ce retournement, Arhus qui pourtant était en tête

de son armée, parvint d’un geste, à lancer sa cavalerie au

secours de son infanterie qui s’épuisait. Ses forces

montées, vulnérables tant que les catapultes adverses

étaient opérationnelles, retrouvaient leur efficacité après

la destruction de ces engins maudits. Les Korrigans,

chevauchant des lézards énormes étaient avantagés

depuis le début de la bataille. Ils n’apprécièrent pas

l’apparition fulgurante des chevaliers de Myrion dont les

habiles licornes, plus vives que leurs épais sauriens

patauds, sautaient comme des éclairs parmi les rangs

ennemis. Bientôt, les monstres venus des premiers Âges

du Monde de Formalow, désarçonnèrent leurs cavaliers

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 269

sous la douleur des blessures qui leur étaient infligées par

les attaquants papillonnant vivement autour d’eux.

A l’arrière du champ de bataille, de nouvelles

troupes de l’Alliance arrivèrent également. Toutes les

forces déployées pour protéger les chemins d’accès au

camp d’Arhus, étaient parvenues à se rassembler avec

une célérité inespérée. Elles étaient là, désormais, au

grand désarroi des Korrigans. Alors, une inexplicable

folie s’empara des démons. Comme livrés à eux-mêmes,

ils se mirent à courir en tout sens s’empalant

furieusement sur les armes des soldats de l’Alliance ou

bien, se jetant dans les eaux pures du Lac qui prirent une

couleur noire et la gardèrent malheureusement pendant

près d’une semaine.

La volonté du Seigneur des Ankous venait de

fléchir. Avait-il senti la défaite inexorable qui soufflait en

tempête sur ses légions ténébreuses de la Lande ? Est-ce

plutôt que son attention avait été appelée vers d’autres

évènements plus graves, plus lointains ?

Les Druides, attentifs à leur environnement magique

malgré la fureur de la bataille à laquelle ils participaient

activement, estimèrent alors que la seconde solution était

sans doute la réponse aux questions posées par le

Général Arhus, devant la débâcle hallucinante de ses

solides adversaires.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 270

- XXVII -

Les Forges de Nabachton, dont les portes ouvertes

déversaient des flots d’armures, d’épées, de flèches et de

béliers aux caractéristiques techniques et magiques

fabuleuses, s’étendaient sur les flancs d’une magnifique

et haute colline des Royaumes Perdus, tout au long d’un

puissant fleuve dont le courant fournissait en force

mécanique, les marteaux des aciéristes.

L’industrie du métal n’avait pas abîmé

l’environnement de cette région. Bien au contraire, les

aménagements des grottes dans lesquelles, des fours à

gemmes de pouvoir chauffaient les alliages travaillés par

les Silériens et les Petits Elfes, renforçaient la beauté

naturelle des rivages de ce cours d’eau.

Niphilus et Saurane, passaient sans cesse d’une

fabrique à l’autre, contrôlant la température des pierres

flamboyantes, dosant les plantes huileuses dans la

solution de trempage. Les armements ainsi produits ou

bien reforgés, partaient sur des chariots propulsés par de

l’eau vaporisée dans des fours à gemmes également.

En découvrant la puissance et la maniabilité de ces

lourds fardiers, le Maître Forgeron et la Princesse eurent

une idée fantastique. Plutôt que d’envoyer de

magnifiques licornes se faire tailler en pièce dans des

charges de cavalerie poussées contre les légions

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 271

d’Arthang, les machines nabatéennes, renforcées par des

bordages d’acier et bardées de lances, pouvaient devenir

de redoutables atouts contre les multitudes de serviteurs

du mal.

Dans les Royaumes Perdus, une suggestion

technologique se concrétisait très vite, en trois jours,

deux cents engins de ce type furent construits à partir de

ceux destinés aux transports civils. Le Duc de Salermnos

et Suggur firent aussi essayer des tubes de fer, capables

d’envoyer à des distances représentant une centaine de

portées d’arc, grâce à la force gigantesque de l’eau

surchauffée par les gemmes, de lourdes boules d’acier

ou bien des milliers de petites pointes, comprimées entre

deux bourres de coton. Cette technique appliquée aux

chariots blindés de Saurane et de Niphilus, augmenta la

puissante armée de Nabachton, d’une force équivalente

à trente batteries de catapultes classiques et cinquante

milles archers supplémentaires.

Dans les académies de magie, Mélinos, sans cesse,

apprenait et enseignait. Les armes construites ou bien

refaites dans les Forges Légendaires, passaient sous ses

mains et celles de ses élèves. Elles devenaient encore

plus terribles, plus tranchantes, plus inquiétantes pour les

adversaires de la liberté.

Toutes ses réalisations étaient prêtes et avaient été

massées près des Portes de Nabachton dont les

Seigneurs, le père naturel de Niphilus en premier, ne

voulaient plus subir les évènements. Ils avaient décidé

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 272

d’attaquer Arthang dans son repaire, de l’anéantir avec

toutes ses légions, ensuite de se rendre jusqu’à la

forteresse des Dolmens Infernaux afin d’y rejoindre les

forces d’Arhus puis, de renvoyer les Ankous et leur

monstrueux Maître dans les enfers des maudits, à jamais.

Derrière les remparts des Royaumes Perdus, ce

matin-là, la plus grande armée jamais constituée par les

forces du bien se concentra alors et s’apprêta à déferler

sur la désolation d’Arthang. Des milliers de Silériens et

de Petits Elfes, brandissant les plus solides et les plus

tranchantes lames fondues et forgées par des vivants du

Monde de Formalow, portant les plus solides cuirasses

de l’univers, attendaient l’ouverture des portes de

Nabachton afin de partir détruire le mal pour toujours.

Les trompettes des sentinelles se mirent alors à

sonner dans l’aube naissante. Mais, elles ne lançaient pas

le signal du départ. Elles donnaient l’alerte. Arthang Le

Noir, la fabuleuse bête pensante, s’était remis de ses

blessures. Elle avait regroupé tous ses soldats et ses

alliés, puis, avec le soleil, elle venait de surgir sur les

crêtes des montagnes avec les innombrables phalanges

de ses esclaves, à l’Est de la route de Nabachton.

La dernière bataille de la porte des Royaumes

Oubliés allait avoir lieu. La compagnie de Niphilus, qui

constituait l’avant-garde prestigieuse des forces

nabatéennes, montra l’exemple en rentrant les épaules,

en ajustant les casques et en ordonnant l’ouverture des

battants d’airain barrant le chemin. La glorieuse petite

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 273

escouade voulait en découdre définitivement avec les

Korrigans et l’Hydre des sorciers qui les commandait.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 274

- XXVIII -

Ils n’étaient qu’un guerrier pour quatre ennemis. Ils

n’avaient pas beaucoup de place pour manœuvrer ou

bien frapper et pourtant, les nabatéens avancèrent en

sapant les formations de Korrigans, caparaçonnés de

bois et de fer, comme s’ils avaient fauché un champ de

blé durant la moisson.

Les ténèbres n’avaient plus de cœur à l’ouvrage. On

sentait clairement qu’ils fuyaient devant la force et la

magie de Nabachton. La compagnie de Niphilus pénétra

profondément les défenses d’Arthang et toucha la base

de la colline sur laquelle le monstre polycéphale, assistait

au carnage, tout en essayant de maintenir fermement ses

esclaves à leur poste par sa formidable volonté.

Mais déjà, il avait échoué. Ses blessures et sa

récente défaite, sur la route des Forges Oubliées,

l’avaient affaibli. Trop pressé d’en finir, comme son ex-

allié le Seigneur des Ankous, son orgueil avait rendu ses

vastes armées trop puissantes en regard de ce qu’elles

étaient réellement, à ses yeux corrompus par la haine et

le mépris.

Le nombre et l’abondance du mauvais étaient

renversés par le courage, la magie blanche et la qualité

inégalable d’un travail soigné de la forge, accompli avec

goût et amour. Les cimeterres des démons, rebattus à la

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 275

hâte en trop grand nombre, dans des ateliers mal

éclairés, malpropres et surtout, emplis d’une fumée

nocive, se brisaient contre les glaives lumineux,

équilibrés à la perfection, soigneusement affilés des

Silériens et des Petits Elfes des Royaumes Perdus.

Les armures mal ajustées, assemblées

hasardeusement, des monstres se fendaient sous les

coups des combattants de la liberté. Certes, les

nabatéens connurent aussi des pertes pendant ce combat,

mais elles furent négligeables en regard des centaines de

milliers de Korrigans tués qui gisaient déjà sur le champ

de bataille, alors que l’attaque venait de commencer.

Arthang, constatant la médiocrité de ses sujets,

s’envola et s’aplatit de tout son gigantesque poids, au

milieu de ses ennemis qu’il décima par cohortes entières.

Un court instant, ses esclaves reprirent courage,

mais, cela ne dura pas. Les nabatéens s’étant éloignés de

l’Hydre, un grand espace fut découvert tout autour du

vaste corps du Léviathan. Alors, les canons à vapeur des

chariots lancèrent leurs boulets et leur mitraille avec

véhémence contre la Bête. Celle-ci se contorsionna sous

les coups. La corne de sa carapace craqua et des

projectiles parvinrent à pénétrer profondément dans sa

peau et ses muscles. Ses ailes furent littéralement

déchiquetées. Aussi, il fut cloué au sol avec douleur.

La terrible voix de Mélinos domina alors le tumulte

du combat, s’élevant au-dessus des cliquetis de glaives,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 276

des sifflements de la vapeur, des hurlements des

mourants. Le vieux Druide cria de toutes ses forces :

- Cessez les tirs malheureux ! Maître Niphilus vient

de sauter sur le dos d’Arthang !

En effet, le courageux forgeron avait bien compris

que les machines contenaient l’avance du Seigneur

malfaisant, mais, qu’elles n’étaient pas capables de le

tuer. Alors, profitant de la panique que causaient au

Léviathan, les tirs des nabatéens, Niphilus avait sauté sur

l’échine du Dragon. En évitant ses têtes et sa queue qui

battaient furieusement l’air, il avait atteint le bas des cous

de l’Hydre. Là, inaccessible aux crocs terrifiants de la

Bête, il s’était mis à tailler l’épaisse cuirasse d’écailles,

d’os et de cuir, qui protégeait la colonne vertébrale

d’Arthang. Celui-ci, comprenant le danger, ruait de tous

ses membres endoloris, comme une licorne affolée,

voulant désarçonner son cavalier. Mais le petit guerrier,

un bras entouré dans une touffe de crinière géante,

l’autre, maniant l’épée avec hargne et détermination,

restait solidement à sa place malgré les soubresauts du

Léviathan et tranchait, tranchait dans les chairs du

titanesque animal.

Les écailles entaillées cédèrent enfin dans un

jaillissement volcanique de sang. La puissante lame

cisailla brutalement la première colonne vertébrale du

monstre. Ce dernier poussa un effroyable grognement de

douleur, tandis qu’un de ses longs cous s’affalait sur le

sol dans un grincement d’arbre mourant, et que, deux de

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Les forges de Nabachton. Page : 277

ses yeux se fermaient. Niphilus allait commencer le

second abattage quand, une volée de flèches, tirées par

des Korrigans archers, le balaya puis, sans le blesser, le

firent tomber entre le corps d’Arthang et la colline contre

laquelle le Léviathan s’effondrait dans son agonie.

Les derniers défenseurs de l’Hydre périrent aussitôt

sous la mitraille des chariots blindés de Nabachton. Le

Seigneur de la désolation vivait encore, bien qu’il soit mal

en point. Alors, un autre soldat sauta sur son grand

corps. Cette fois, les démons fauchés par les traits des

soldats nabatéens ne mirent pas en danger le nouvel

attaquant. Suggur tenta alors d’approcher Arthang pour

sauver Niphilus, qui, tout le monde sur le champ de

bataille l’espérait, devait être prisonnier dans une faille

de rocher, obstruée par la Bête. Le grand Elfe poussa un

cri de surprise. Le nouveau Fléau d’Arthang était un

Korrigan…

Mélinos, les yeux baissés, achevait à coups d’épées

deux démons tombés d’un lézard titanesque qu’ils

chevauchaient en fuyant. Quand il comprit la raison de la

surprise de Suggur, lui-même resta un instant incrédule.

L’esclave du mal s’était mis à tailler, avec encore

plus de férocité et de puissance que le petit Silérien, les

nuques de son Maître. Sa lame devait être bonne car le

Léviathan, isolé de ses troupes par la vigilance des

nabatéens, succomba vite, attaqué avec énergie dans ses

points les plus faibles. Sa dernière tête tomba enfin sur le

sol et son gigantesque corps noirâtre, frémit faiblement

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Les forges de Nabachton. Page : 278

dans une agonie dantesque. Arthang, le dernier et le plus

vieux des Dragons de jadis, venait de mourir.

Le Korrigan ensanglanté se releva, comme s’il

savourait la lumière du soleil. C’était étonnant de la part

d’une de ces créatures. Suggur qui s’était encore avancé

vers la scène du formidable affrontement, par curiosité,

trouvait les vêtements de ce démon bien familiers, puis

surtout, les yeux de celui-ci avaient une profonde couleur

verte, comme les prunelles des marins de Salermnos.

L’Elfe appela alors le tueur de Léviathan, espérant qu’il

s’était révolté et souhaitait rejoindre le camp des

Royaumes Libres. C’était difficilement concevable en

raison du niveau de corruption atteint par ses créatures,

mais, qui connaissait réellement les pensées de ces

démons ?

- Eh ! Toi ! Là-haut ! Tu peux venir à moi. Je ne te

ferais aucun mal. Tu viens de nous donner la victoire.

Le Démon baissa ses yeux vers le Seigneur des

Forêts du Bout du Monde. Sa tête eut un mouvement de

peine et de dépit. De sa voix gutturale, le Korrigan lança

d’étranges paroles à Suggur :

- Mon ami, mon frère, pardonne-moi. Ce n’est pas

que je ne te fasse pas confiance, mais, je ne souhaite pas

t’imposer l’épouvantable vérité…

La malheureuse créature tourna la pointe de son

épée vers son ventre. Puis, saisissant la garde de celle-ci

en tendant ses longs bras, elle se transperça elle-même

de part en part, provoquant sa mort instantanément. Le

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 279

Démon bascula alors en avant et vint s’effondrer au pied

de l’Elfe Géant.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 280

- XXIX -

La mort du Léviathan avait semé la terreur dans les

rangs des forces du mal.

Aussitôt, elles se mirent à courir et à s’agiter dans

tous les sens, se ruant dans les précipices, se jetant dans

l’Océan Extérieur ou bien s’écrasant contre les parois

abruptes des montagnes. Une petite partie, constituée

essentiellement des officiers qui étaient tous de très

puissants Korrigans des montagnes, échappa à cette

débâcle et s’enfuit dans une sanglante retraite vers la

Grande Tour de pierre, dans laquelle avait si longtemps

vécu Arthang le Noir.

Devant les portes de Nabachton, la joie fut

immense, aussitôt les légions du mal disparues et

massacrées souvent, par leur propre indiscipline, la

compagnie de Niphilus et les machines nabatéennes,

déplacèrent le corps de la vieille Hydre des sorciers afin

de libérer le Maître Forgeron, glissé accidentellement

derrière lui, contre la montagne. A la grande joie de tous,

et surtout celle du Maître des forges de Nabachton, on

retrouva le courageux Silérien en pleine forme. Il avait

été sauvé de l’écrasement car, il s’était caché entre deux

éperons de rocher pendant l’agonie tumultueuse du

Léviathan.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 281

Il restait pourtant une affaire bien curieuse à

éclaircir. Pourquoi un Korrigan avait-il rejoint les forces

du bien et leur avait offert une victoire si éclatante, avant

de se suicider en appelant un Elfe Géant : « Mon ami,

mon frère… » ?

Mélinos, observa longtemps, avec perplexité le

corps de l’étrange démon. Ce dernier semblait bien

mieux découplé que ses semblables. Son visage et les

crocs de sa mâchoire peu proéminente étaient bien

moins hideux et difforme que ceux de ses congénères.

Ses yeux verts, ses vêtements et son épée donnaient

pourtant la réponse laissée en suspend par le

comportement étrange de celui qui paraissait être un

ancien esclave des forces du mal. Le vieux Sage de

Myrion réunit alors la compagnie autour de lui, devant la

dépouille du fléau d’Arthang.

Deux membres de celle-ci, un marin du Duc de

Salermnos et un vaillant Silérien de Saurane avaient

rejoint les limbes de la félicité, au-delà des Monts du

Bout du Monde, durant cette bataille. Mélinos

commença la déclaration qu’il avait à faire par une bien

étrange assertion :

- Mes chers camarades, trois de nos vaillants

compagnons ont trouvé une fin à la mesure de leur

valeur, sur cette plaine, devant la porte des Royaumes

Perdus. Gageons que le passage de ces justes, vers le

repos, s’ouvrira largement pour chacun d’eux, même

pour celui qui connut déjà la cruauté de la destinée

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 282

quelques jours plus tôt. Je vois que vous êtes surpris

Suggur, constata le vieux Sage, mais, ne vous ai-je pas

promis de vous expliquer ce qu’était devenu Alianos :

l’éclaireur frontalier ? Nous nous sommes souvent

interrogés sur l’origine de son caractère taciturne, de son

physique ingrat, de son attitude réservée dans nos débats.

Il a pourtant maintes fois, prouvé sa fidélité à notre

cause, tout au long de notre marche jusqu’au pont de la

grande faille et même encore aujourd’hui, en tuant

Arthang de ses mains…

Un grand silence se fit et un désarroi profond se lut

sur les traits des survivants de la compagnie. Le Druide

continua :

- Alianos était un demi-Korrigan. Sa famille

fournissant des hommes et des femmes aux vertus

inestimables pour la rude existence dans les Marches, a

vécu depuis de très nombreuses générations aux limites

extrêmes des Terres Sauvages. Or, au cours d’une

attaque foudroyante des légions du Seigneur des Ankous,

peu de temps avant la naissance de notre camarade, sa

mère tomba dans la zone d’influence d’un sort magique

jeté par un messager de la mort. C’est ainsi que naissent,

en général, les Korrigans, lorsqu’ils ne sont pas tirés

directement du potentiel de malfaisance qui règne dans

l’ombre des cavernes sous les montagnes septentrionales.

Habituellement, si les femmes enceintes et les fœtus

frappés par cette incantation sont des Elfes, petits ou

grands d’ailleurs, l’enfant qui naîtra sera

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 283

malheureusement un démon des montagnes avec tous les

travers intellectuels et corporels de ces monstres. Si la

maman et son bébé sont des Silériens ou bien des

humains, la créature qui vient au monde est appelée à

devenir physiquement un Korrigan, mais reste

moralement un courageux serviteur du bien. De plus,

dans ce cas, la transformation extérieure en démon ne se

produit qu’au cours d’une conjonction des Lunes de

Formalow. Celle-ci est définitive quand elle est

accomplie. Il a toujours survécu très peu de demi-

Korrigans, issus d’hommes ou bien de paysans-forgerons

car, ces derniers se détruisent systématiquement en se

trouvant confronter à leur destin. Alianos connaissait

parfaitement la malédiction qui le menaçait. C’est

pourquoi, il était si farouche en combattant nos ennemis

mais aussi très méfiant. Il n’était pas un lâche mais, il

savait qu’il pouvait, plus facilement qu’aucun d’entre

nous, tombé sous l’influence d’Arthang le Noir. Il

craignait de nous trahir, malgré lui. Il devait de bien

cruelles souffrances intérieures autant qu’extérieures à

sa curieuse nature. Quand il nous a quittés, sur le pont de

la grande faille, il savait ce qu’il allait devenir. C’était le

début de la conjonction des lunes de Formalow au-

dessus des montagnes du Passage des Royaumes Perdus.

Il a choisi de vivre encore quelques temps dans le but

d’accomplir la mission qui lui avait été confiée par le

Conseil de la Nouvelle Alliance. Cependant, il ne voulait

pas nous imposer sa présence sous sa forme maudite,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 284

alors qu’il était toujours profondément attaché à notre

cause. Il a préféré se mêler aux légions d’Arthang, afin

de les espionner et de chercher l’occasion d’une

revanche sublime, sur le calvaire qu’il avait enduré,

depuis qu’il connaissait sa destinée inflexible. Cette

vengeance, il l’a obtenue en tuant avec un héroïsme

remarquable, un des derniers Rois des Ténèbres… Ne

reconnaissez-vous pas la tunique et l’épée que Niphilus,

lui-même, avait forgée, sur le corps et dans la main de ce

démon, couché là devant nous. Nous devons l’honorer

autant que nous pleurerons nos deux autres amis défunts.

Ils furent tous si forts dans l’adversité et la mort…

La compagnie partie de Myrion ne comptait plus

que seize membres. Mais la paix et la liberté étaient à ce

prix quand des forces aussi monstrueuses que celles du

Léviathan et du Seigneur des Ankous tenaient à

l’anéantir.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 285

- XXX -

La Grande Tour d’Arthang le Noir était en train de

brûler. Les quelques gardiens qui y avaient été laissés,

après le départ de la formidable armée destinée à envahir

Nabachton, gisaient horriblement massacrés, ça et là sur

la plaine sale et cendreuse, s’étendant autour de la

forteresse du Léviathan défunt.

Les fantômes des sorciers et une partie des légions

du Seigneur des Ankous fêtaient, sur les débris de la

puissance de leurs anciens alliés, leur première victoire

avant la bataille qui leur offrirait, ils n’en doutaient pas,

les clefs des Royaumes Perdus.

Alors, pendant que la fumée de l’incendie

obscurcissait le ciel, masquant la lumière du soleil de cet

après-midi, des regards vigilants observèrent longtemps

la joie sauvage et cruelle des démons ainsi que des

spectres qui avaient anéanti sans aucune pitié un

adversaire déjà à terre.

Certes, la grande phalange des sorciers morts-

vivants avait écrasé sans éprouver de pertes, les derniers

Korrigans d’Arthang. Ils étaient aussi nombreux qu’aux

premiers jours de la Guerre des Larmes de Sang. Ils

avaient perdu un peu de leurs pouvoirs magiques, mais,

ils avaient gagné en effroi et en indestructibilité. Derrière

eux, les dernières réserves de Korrigans, esclaves du

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 286

Seigneur des Ankous les suivaient de près. Cette vaste

armée comprenait pratiquement un million et demi de

démons et de monstres ectoplasmiques, tous dotés d’une

âme marquée par une sauvagerie inouïe et portant aux

créatures libres de Formalow, une haine inflexible.

Malgré toute sa force et ses nouvelles armes,

l’armée nabatéenne qui avait quitté les Royaumes

Oubliés, après avoir défait Arthang, ne pouvait pas

rencontrer, sans grands dommages, cette invasion

organisée par l’ex lieutenant de l’Empereur, devenu le

seul et unique représentant des ténèbres, vivant dans le

Monde en ce temps-là.

La formidable colonne de spectres et de Démons,

après s’être repue de débauche sur les ruines du vieux

Dragon, se remit en ordre de bataille et reprit sa marche

vers les portes de ses plus dangereux ennemis, les

Nabatéens.

Le Roi des Ankous, malgré la défaite qu’il essuyait

sur la Lande de la Marches, ressentit tout au fond de sa

forteresse, la confiance et l’ampleur des sorts magiques

qui accompagnaient ses serviteurs vers les Pays Perdus.

Nabachton, la légendaire, tomberait. Certes, une grande

partie des forces du mal serait emportée dans cette

chute, mais, si puissants et si sage que soient les

Nabatéens, ils ne pourraient pas contrer un si large

torrent de haine et de fureur.

Quant à l’armée de Myrion, elle avait perdu la

moitié de ses effectifs pour retenir, d’abord, et détruire,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 287

ensuite, les Korrigans envoyés sur les rives du Grand

Lac. Une fois les Nabatéens écrasés, les restes de cette

phalange ne représenteraient plus un danger sérieux pour

le Seigneur des Ankous. Ce dernier, de surcroît, allait

bientôt faire revenir l’Empereur dans les allées couvertes

maudites. Sous la forme d’un spectre, son ancien maître

serait bien obligé de lui obéir et de lui livrer le secret

pour faire grandir, à l’infini, le nombre de serviteurs des

ténèbres. Ainsi, l’ignoble Titan malfaisant qui régnait sur

les pâtres des défunts maudits, pourrait enfin s’avancer

jusque sur les îles de la Mer Intérieure, afin d’y défier les

Druides ou bien, assiéger les ports de Salermnos dans le

but d’en déloger les glorieux Marins.

Dans tous ses calculs, le sinistre Maître des bergers

de la mort infernale, avaient omis des esprits

bienfaisants. Ces derniers étaient venus de l’aube des

temps, de l’âge d’or des forêts de jadis. Ils avaient été

longtemps respectés par les Elfes. Leur souvenir même

était toujours évoqué avec honneur et regret chez les

forestiers de Formalow. Mais les Jardiniers de la Forêt, il

s’agissait d’eux, avaient été enfermés dans un très long

sommeil, dès l’apparition des Léviathans. La force de

persuasion de ses monstres était le seul maléfice capable

de neutraliser les immenses pouvoirs des Seigneurs des

Arbres. Ses esprits se manifestaient sous la forme

physique de chênes, de hêtres et d’ormes colossaux,

bien plus grands que les plus vieux peupliers d’autrefois,

et très vifs dans leurs déplacements. Sous l’influence de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 288

la magie des Hydres polycéphales, les Gardes Sylvestres

s’étaient métamorphosés en arbres inertes que seul le

vent parvenait à animer. Ils étaient rester prisonniers de

ce sortilège tant que les Dragons des sorciers avaient

existé. Seulement voilà ! Le dernier Léviathan venait de

tomber devant les remparts de Nabachton. Dans les

immenses forêts de l’extrême septentrion, où les esprits

bienfaisants des premiers âges avaient été jadis refoulés

puis, neutralisés par la sorcellerie ténébreuse, des

murmures devenaient des rumeurs et les rumeurs, des

grondements guerriers. Dans la Taïga brumeuse du

Nord, vers qui personne ne songeait à tourner ses

regards, le destin de Formalow était en train de se jouer.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 289

- XXXI -

L’armée du Seigneur des Ankous atteignait enfin la

passe Nord-orientale vers les Royaumes Perdus. C’était

un défilé qui serpentait depuis la désolation d’Arthang

jusqu’aux portes de Nabachton, entre deux lignes de

côtes habituellement arides et poussiéreuses.

Aux temps lointains de l’âge d’or de Formalow, les

grandes forêts du Nord, le berceau de la culture elfique,

s’étendaient jusqu’à la Mer Intérieure de Myrion. Les

champs cultivés des Silériens n’étaient que des clairières

au milieu d’un immense royaume Sylvestre qui semblait,

en ces temps-là, illimité. Brûlés par l’industrie

désordonnée et dépensière des forces ténébreuses, les

océans d’arbres s’étaient réduits petit à petit, surtout

dans les terres sauvages du septentrion. Les Elfes, les

Silériens, les Druides et les Hommes avaient dû se

réfugier dans des places fortes et ne plus compter que

sur les champs cultivés et l’élevage pour subvenir à leurs

besoins. Certes, les peuples libres respectaient et

sauvegardaient les grandes régions boisées qui avaient

survécues dans les frontières de leurs pays. Mais, après

la Guerre des Larmes de Sang, les sages durent

reconnaître que la Désolation d’Arthang le Noir avait

anéanti une immense partie des bois et des futaies de

jadis.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 290

Seule la Taïga de l’extrême Septentrion du Monde

n’avait pas été foulée ou torturée par les hordes

malfaisantes de l’Empereur et de ses successeurs. Aussi,

quand les spectres des sorciers, montant à l’assaut des

Royaumes Perdus, arrivèrent à l’entrée du passage du

Nord-est, vers Nabachton, ils furent surpris de le trouver

recouvert d’une forêt aussi dense et profonde que celle

d’autrefois. De plus, les arbres qui formaient celle-ci

étaient gigantesques et apparemment aussi vieux que

Formalow.

Comme leur armée était, sans doute, la plus grande

jamais vue dans le Monde depuis le Début de la Guerre

des Larmes de Sang, les serviteurs des ténèbres

n’hésitèrent pas, ni les sorciers morts-vivants, ni les

Korrigans à pénétrer sous la ramure de ces étranges et

inattendus sous bois.

Après que l’arrière-garde de la formidable phalange

du Seigneur des Ankous fut entrée dans le défilé

sylvestre, jamais personne ne la vit ressortir. Cette

mystérieuse disparition ne fit aucun bruit. Même quand

les arbres de l’Orée semblèrent se refermer sur la route.

Les rares petits animaux de la région entendirent juste

une rumeur, comme un cri d’effroi commencé mais qui

ne fut jamais achevé.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 291

- XXXII -

Les éclaireurs de Nabachton étaient à l’extrémité de

la Route sortant de leurs royaumes et gagnant le pays

dévasté sur lequel, régnait jadis Arthang le Noir. Ils

avaient poursuivi puis, tué un par un, les derniers fuyards

de la défaite que la vieille Hydre des sorciers avait

connue sur le seuil de la porte des Royaumes Perdus. Ils

étaient arrivés enfin aux limites des terres ravagées, où la

Bête avait si longtemps fomenté ses guerres contre les

Peuples Libres de Formalow.

Une nouvelle armée d’invasion aurait dû les

attendre ici mais, cette vaste troupe s’était évaporée,

comme un cauchemar vaincu par l’aube, au cœur de la

mystérieuse forêt apparue dans cette région du monde en

une nuit.

Mélinos et les Seigneurs de Nabachton avaient été

avertis de la situation par des pigeons de feu, envoyés

depuis les Landes du Lac. Le vieux Druides et les

Maîtres des forges magiques savaient que les principales

armées du Seigneur des Ankous s’avançaient à leur

rencontre, à travers la désolation d’Arthang. Le Gardien

du Savoir ainsi que le Doyen du Conseil des Royaumes

Perdus, le père de Niphilus, furent très surpris de la

disparition d’une phalange gigantesque comme celle

qu’ils attendaient. Il ne restait aucune trace des Démons

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Les forges de Nabachton. Page : 292

et des Fantômes constituant, selon le message du général

en chef de Myrion, les forces d’assauts du Roi des

Dolmens Infernaux. Mélinos, réfléchit un long moment

avant de prendre une décision. Il déclara aux Seigneurs

de Nabachton que l’attaque lancée contre eux ne pouvait

pas approcher des frontières nabatéennes sans être

signalée par les éclaireurs ou bien des animaux attachés

aux forces du bien. Si les hordes de Korrigans et de

sorciers morts-vivants étaient introuvables, c’est qu’elles

avaient été anéanties. Il décida alors d’avancer avec

toutes les légions de Nabachton jusqu’à l’orée de la forêt

mystérieuse qui barrait le passage du Nord-est.

La grande force déployée par les Royaumes Perdus

n’était pas loin de son avant garde. Le soir même,

Mélinos, Sauranne, Niphilus, Le Goua’ch, Suggur et les

Elus de Nabachton se tenaient dans l’entrée du défilé qui

s’éloignait entre les bosquets denses des talus. Ils

comprirent le sort des forces ténébreuses quand un

gigantesque chêne, jusque là immobile, se pencha vers

eux et, leur souhaita la bienvenue en langue elfique.

De vieux souvenirs ou bien des histoires de

l’enfance s’animèrent tout à coup dans la mémoire des

champions, représentant sur en ce lieu, ce jour-là, les

peuples libres.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 293

- XXXIII -

Les puissances du mal s’amenuisaient terriblement

depuis que Niphilus avait rejoint Nabachton avec ses

compagnons. Arhus, dans la Lande des Marches, aurait

certainement pu contenir encore quelques temps l’armée

du Seigneur des Ankous si son frère avait échoué dans sa

quête. Cependant, le général silérien n’aurait jamais

espéré, dans ce cas, écraser ses adversaires comme il

l’avait fait, une semaine avant. Il était bien conscient que

la débâcle des Korrigans sur les rives du Lac, n’était pas

exclusivement due à la volonté et au courage de ses

guerriers. Le Roi des messagers de la mort avait perdu la

concentration magique qui lui assurait la domination

totale de ses milliers d’esclaves, car, des évènements

contraires aux desseins des Ténèbres avaient

certainement eu lieu dans les contrées septentrionales de

Formalow.

Et depuis ce moment-là, la grande armée de Myrion

avait progressé rapidement dans les Terres Sauvages. Les

chemins méandreux et inégaux, tracés dans un désordre

chaotique par les Korrigans, lui avaient permis

d’atteindre les abords du Château des Dolmens

Infernaux, en sept jours. Les soldats des Royaumes

Libres faisaient maintenant preuve d’un enthousiasme

sans faille. Ils étaient tous certains de ne plus se sacrifier,

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 294

désormais, pour des buts trop lointains, qu’ils ne

toucheraient pas eux mêmes de leurs mains. La dernière

bataille allait se produire, tout le monde le sentait au plus

profond de son cœur et, rien ne permettait d’imaginer,

depuis la formidable résistance de la Lande du Lac, que

la fortune des armes serait en faveur des Ténèbres.

Sept cent mille combattants du Conseil de la

Nouvelle Alliance campaient, maintenant, sous les

remparts du Seigneur des Ankous. Personne n’avait

lancé les hostilités. Bien que la plaine au fond de

laquelle, dans une brume putride, on pouvait deviner les

Dolmens Infernaux, paraisse totalement déserte, les

forces du bien restaient très prudentes. Elles faisaient

lourdement sentir leur présence et leur puissance sans

pour autant en jouer inutilement.

Aucune sentinelle n’était visible sur les tours et les

chemins de ronde du Château. Même les éclaireurs qui

étaient allés reconnaître, avec beaucoup de

circonspection, les lieux au plus près des douves et des

ravins barrant l’accès à l’immense fort des maudits,

n’avaient pas trouvé de présence vivante dans le secteur.

Tout cela puait le piège sanglant et meurtrier.

Comme Arhus tenait à quitter la scène militaire sur une

victoire totale ou bien une glorieuse défaite, il souhaitait

se ménager une longue période d’observation, sous les

murs du plus grand ennemi de Formalow depuis la chute

de l’Empereur.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 295

Le Silérien avait fait ses comptes. Il avait des vivres

à foison et, le pays étant libéré des Korrigans, ils

pouvaient faire venir du ravitaillement et des renforts à

volonté. Rien ne pressait donc. Il s’agissait de détruire le

mal pour de longs et nombreux Âges à venir. De cette

manière, ses soldats se reposaient des longues fatigues

ayant marqué la bataille des rives du Lac et la traversée

des Terres Sauvages. La région n’était pas très agréable,

c’est vrai. La proximité des Dolmens Infernaux était

inquiétante, mais, le fond de l’air était doux depuis la

victoire dans les Marches, puis surtout, l’automne était

encore à son début.

Il y avait également, un atout que le brillant Silérien

gardait dans sa manche. Il comptait sur l’arrivée

prochaine des armées de Nabachton. Les évènements

l’en assuraient et son intuition infaillible lui disait tous les

jours que son frère, n’était pas près de l’abandonner, au

bord du but.

Ce matin-là, le regard tourné vers l’Est où un chaud

soleil montait dans un ciel limpide, Arhus dit tout haut,

au grand étonnement des officiers qui l’entouraient : « Il

y a de fortes chances que les Royaumes Perdus viennent

à notre aide, aujourd’hui même. »

Il n’avait pas terminé sa phrase que dans le Nord-

Ouest de son campement, à la sortie d’une vallée qui

disparaissait entre des collines désolées, une faible

colonne de sorciers Morts-Vivants surgit dans le plus

grand désordre. Les spectres semblaient effroyablement

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 296

terrifiés. De plus, quand ils découvrirent, installée entre

eux et le Château du Seigneur des Ankous la vaste armée

de Myrion, levant les bras au ciel et lâchant leurs bâtons

de pouvoir, ils disparurent vers les brumes des allées

couvertes.

Les redoutables sentinelles d’Arhus, alertées par le

tumulte de ce « sauve-qui-peut », avaient formé, à la

lisière du camp, en moins de deux minutes, un

formidable mur de boucliers. Un régiment entier

d’archers s’était posté derrière eux, prêt à lancer leurs

volées de flèches sur les fantômes ignobles. Ces derniers,

peu nombreux et montrant tous les signes d’une terreur

incontrôlable, n’avaient même pas tenté d’approcher

cette ligne de défense. Elle leur avait peut-être semblée

trop solide après leur rencontre avec le fléau qui les

faisait détaler si vite.

Le Silérien était très intelligent et très prudent. Il

pensa, devant cet effroi qui brisait la raison de ses

adversaires, à l’arrivée d’Arthang Le Noir. Bien qu’il

s’explique difficilement les causes qui auraient pu

pousser le Léviathan à combattre les esprits réincarnés

de ses anciens alliés. Le Général ne connaissait pas

d’autres créatures capables de terroriser les sorciers

morts-vivants avec autant d’efficacité. Aussitôt, il fit

éveiller l’armée toute entière, puis, il la disposa sur le

terrain de façon à lui fournir un appui maximum avec les

machines de guerre mobiles qu’il avait amenées dans la

région. Le Général manœuvra de telle manière, que ses

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 297

troupes prirent le contrôle de la vallée d’où étaient sortis

les fantômes hallucinés, mais également, elles étaient en

mesure de contrecarrer une attaque sortant de la

forteresse des Dolmens Infernaux, sans trop s’exposer.

Fermement campé sur son plan de combat, Arhus décida

d’attendre, sans peur, la suite des évènements.

Alors, une formidable clameur monta des collines

encadrant la faille dans laquelle, les spectres des sorciers

avaient apparemment trouvé leurs maîtres. Tous les

combattants de Myrion tendirent l’oreille, afin de

comprendre les cris qui s’élevaient au-dessus du

grondement amplifié par l’écho des parois rocheuses.

Les guerriers du Conseil de l’Alliance qui étaient les

plus avancés et aussi les plus inquiets, sentirent soudain

leur cœur battre la chamade. Mais ce n’était pas le

désespoir qui leur procurait une telle émotion. La paix

était bien venue avec le soleil, ce jour-là. Comme l’avait

prédit Arhus, à l’aube.

Les cavaliers qui bondissaient maintenant hors de la

vallée, en suivant d’étranges chariots roulant seuls,

étaient montés sur de blanches licornes. Ils

pourchassaient les sorciers aux cris de : « Pour

Nabachton ! Pour la Silérie ! Pour La Grande Myrion ! »

Le frère de Niphilus comprit que ces brillants

guerriers arrivaient des Royaumes Perdus. Leurs mots de

ralliement prouvaient évidemment, que l’expédition du

Passage des Mondes Oubliés avait, elle aussi, accompli

sa mission. La puissance de l’Alliance des Peuples Libres

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 298

venait enfin de se restaurer. La jonction sacrée avait eu

lieu, juste avant la dernière bataille : celle des Dolmens

Infernaux.

Les amis longtemps séparés n’eurent pas encore le

loisir d’échanger leurs savoirs et leurs nouvelles, sur la

guerre. Avec un fracas de tonnerre, les portes de la

forteresse du Seigneur des Ankous s’ouvrirent, pivotant

sur leurs gonds monumentaux dans une lenteur

impressionnante.

Nabachton et Myrion regroupèrent alors, devant, le

gigantesque portail du Château maudit, leur cavalerie,

leur infanterie et leurs machines de Guerre…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 299

- XXXIV -

Les messagers de la mort n’étaient pas nombreux.

Cependant, ils étaient très grands, surtout leur Roi.

Comme aucune licorne ni aucun cheval vivant

n’acceptaient de les porter, ils ne se déplaçaient et ne se

battaient qu’en chevauchant d’énormes et effrayantes

créatures damnées, venues depuis les enfers, à travers les

Ages anciens de Formalow.

Quand ses ignobles occupants sortirent de la

forteresse qu’assiégeaient l’armée d’Arhus et les

puissances nabatéennes, ils franchirent en tempête les

lignes des solides soldats, pourtant bien aguerris, qui

défendaient la paix et la lumière. Les hommes de

Salermnos, les Silériens des Royaumes libres et des

Royaumes Perdus, les Elfes de Myrion et de Nabachton,

tous ceux qui voulurent mettre fin à la fuite des Maudits

furent renversés malgré leur vaillance.

Ce ne fut pourtant pas faute d’avoir attaqué les

Ankous et leur chef autoritaire. Seuls, les membres de la

compagnie de Niphilus, avec, à leur tête, le formidable

Mélinos, parvinrent à dévier la course infernale des

pourvoyeurs de l’enfer.

Aussitôt, les Peuples Libres enfin regroupés sous

une même bannière, se lancèrent à la poursuite des

démons du mal. La gigantesque armée, au bout de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 300

laquelle, une grande phalange d’arbres marchait,

couvrant l’arrière-garde, se rangea sous les ordres

d’Arhus, relayés sans hésitation par les membres de la

compagnie qui avait franchi, avec tant de courage et de

gloire, la désolation d’Arthang. Quelques troupes

restèrent en arrière avec des chariots à vapeur. Elles

pilonnèrent, grâce à l’artillerie de ces engins, les hautes

murailles du Château des Ankous qui, rapidement, se

fissurèrent et s’écroulèrent.

Toutes les traces du mal, devaient définitivement

disparaître. Trop souvent, la haine des malfaisants était

ressuscitée dans l’ombre, en raison de la miséricorde des

vainqueurs des ténèbres. Cette fois, les bâtiments, les

armes cruelles et la magie noire des ennemis de la vie

seraient entièrement effacées de la surface de Formalow.

Les forces de Myrion, des forêts du Nord et de

Nabachton progressèrent avec véhémence et volonté.

Les arcs des Silériens et des Elfes semèrent la panique

dans les rangs des Ankous dont plusieurs, finirent par se

dématérialiser sous leurs blessures, afin de retourner

dans le royaume des damnés et ne plus souffrir. S’ils

étaient immortels, les messagers de la mort pouvaient

ressentir les coups qu’on leur portait. Dans les longs

moments qui s’écoulèrent durant la retraite du mal vers

les Dolmens Infernaux, les implacables adversaires des

maudits, courroucés par les violences qu’ils avaient

endurées, depuis la fin de « La Guerre des Larmes de

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 301

Sang », amenèrent ainsi plusieurs pourvoyeurs des enfers

à abandonner leur forme matérielle.

Les soldats de la Nouvelle Alliance étaient

désormais implacables. C’est pourquoi, aux abords des

Allées Couvertes Maudites, le cœur des combattants ne

faiblit pas, malgré l’effroi distillé sournoisement par ces

lieux glaciaux. Pourtant, la vaste phalange finit par

s’arrêter aux portes mêmes du néant.

Les fantômes des sorciers n’étaient plus là, les

Ankous et leurs montures gisaient sur le sol de boue

stérile, abattu par un ennemi formidable que personne ne

pouvait voir, bien que tous sentent sa présence

obsédante. Dans le brouillard, dont le vent faisait

tourbillonner les volutes étranges autour des piliers

soutenant les sinistres monuments mégalithiques, une

grande forme se dessinait. Celle-ci était vague mais

pourtant familière à tous les habitants de la frontière.

Le Seigneur des Ankous attendait donc ses

ennemis, seul à l’orée de son royaume, adossé à l’un des

plus gros dolmens de la construction. Il ne manquait pas

de courage…

Niphilus, furieux de la prétention de ce monstre, qui

pensait s’opposer, sans aide, à l’armée la plus puissante

et la plus magique des récents Âges de ce monde,

avança sans frémir vers son adversaire. Les membres de

la compagnie l’accompagnèrent, montrant ainsi leur

implication et leur courage inflexible.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 302

Quand le Maître Forgeron et ses compagnons

furent devant l’immense Roi des messagers de la mort,

ils furent surpris et inquiets de l’immobilité hautaine de

ce dernier qui semblait ne pas les voir avec son regard

vitreux fixé vers le lointain. Mélinos, le plus puissant et le

mieux protégé contre les sortilèges des membres de la

compagnie lança de sa voix de tonnerre.

- Monstre des abîmes du néant, malgré, tes

pouvoirs malfaisants infinis, tu ne peux pas lutter seul,

sans l’aide de tes serviteurs, contre les armées de Myrion

et de Nabachton réunies. L’Ancienne Alliance est

ressoudée et sa puissance est de nouveau au zénith.

Rentre donc dans les limbes des Maudits et ferme les

portes du néant derrière toi !

Mais, la formidable créature conservait son calme et

son immobilité avec une incroyable insolence face au

vieux sage. Ce dernier avait montré ses grandes capacités

au cours de cette guerre finale. Aucun être sensé ne

l’aurait traité avec mépris après avoir assisté à ses

démonstrations de magie et de force physique pure.

L’orgueil et la folie du Seigneur des Ankous dépassaient

l’entendement. Dans la cuisante défaite, ce souverain

infernal n’avait-il pas perdu toute sa lucidité et son

jugement ?

Niphilus, qui se tenait à côté du Druide, étudiait

perspicacement le formidable ennemi avec lequel, ils

tentaient d’ouvrir une négociation. Soudain, il réalisa que

plus aucun danger ne les menaçait, pas même, un

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 303

dernier baroud d’honneur du titan démoniaque. Devant

eux, il n’avait plus que la dépouille sans vie de celui-ci.

Son âme était retournée s’enfermer dans l’enfer des

Maudits.

Le Silérien déclara doucement au vieux sage qui,

campé fermement sur ses jambes devant le corps géant

du monstre, brandissait dans la direction de celui-ci son

épée et son bâton de pouvoir avec fermeté.

- Maître, ne gaspillons plus notre temps. Il ne nous

entend même plus. Il n’est plus là. Il est dans le même

état que ses subordonnés. Il est reparti d’où il venait.

- C’est donc vrai mon ami, reconnut le Sage. Je

constate qu’une fois encore, vous avez été plus rapide

que moi à comprendre. Mais dans ce cas, pourquoi les

dolmens infernaux ne sont-ils pas détruits et les portes du

néant closes pour toujours. Une nouvelle force

ténébreuse serait-elle jaillie de ces bouches hideuses

pour nous écraser puis, établir à jamais le règne de la

nuit et du mal ?

Tout à coup, un grondement sourd ébranla le sol de

la plaine maudite. Les pierres tremblèrent et, un vent aux

miasmes d’épouvante, dispersa les brumes à l’orée de

l’enfer, effaçant à demi l’horreur des lieux. L’armée

d’Arhus qui attendait, en retrait, un signe des membres

de la compagnie pour intervenir avança aussitôt afin de

protéger celle-ci très exposée. Mais, d’un geste, Le

Druide fit arrêter la puissante phalange et, d’un autre

signe, il proposa que les troupes se dissimulassent

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 304

derrière toutes les caches possibles de ce secteur. Sous le

commandement d’Arhus, les bouquets d’arbres, les

ravins, les rochers ainsi que les mégalithes renversés,

abritèrent avec une rapidité étonnante les forces de

l’Alliance.

Pendant ce temps, la compagnie avait reculé. Elle

s’était également positionnée derrière un talus dont

l’épaisseur était rassurante, mais, permettait aussi de

surveiller les portes du néant afin de découvrir l’origine

des gémissements et des éclairs qui emplissaient le ciel

dans la direction des limbes maudits.

Alors, il apparut soudain dans sa force et son

horreur colossale, laissées intactes par les innombrables

siècles qu’il avait traversés dans le royaume des damnés.

Incommensurable, dominant toutes les créatures

malfaisantes que l’Alliance avait affrontées depuis La

Guerre des Larmes de Sang, l’Empereur de Formalow,

rappelé par les Ankous avant leur destruction, venait de

revenir dans les cercles du monde.

Arhus fit s’aplatir au sol, d’un même mouvement,

toutes ses troupes. Mélinos, conseilla à ses compagnons

de s’asseoir et de s’adosser contre leur talus de

protection. Il glissa quelques mots à Suggur. Le grand

Elfe, vif comme l’éclair et pratiquement aussi discret

qu’un éclaireur frontalier, se replia ensuite, porteur de

quelques importantes instructions, vers la position

d’Arhus. L’Empereur ne le vit même pas.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 305

La voix du plus grand fléau de Formalow s’éleva

alors au-dessus des rumeurs de l’Univers, qui paraissait

protester contre le retour du mal absolu, incarné :

- Je sais que vous êtes tous là, tous mes ennemis,

sur cette plaine. Cependant, malgré votre dissimulation,

je ne vous épargnerai pas plus que je n’ai épargné mes

anciens serviteurs qui m’ont trahi jadis et qui ont mis tant

de temps à me faire revenir parmi eux. Aujourd’hui, je

ne souhaite plus dominer les cercles des vivants puisque

j’ai pris possession de l’Enfer des Maudits. J’en ai vaincu

l’ancien Seigneur. Non, je ne fais que passer pour vous

détruire tous et détruire Formalow. Je ne laisserai aucune

âme en paix. J’irai aussi au-delà des Monts du bout du

Monde afin d’y dévaster les Limbes de la Félicité des

justes.

Un formidable ébranlement du sol averti les armées

de l’Alliance que l’Empereur quittait le seuil des portes

du néant et marchait sur elles.

Mélinos était pâle, mais, il ne montrait aucune peur.

Bien au contraire, il se concentrait avec rigueur sur la

tournure effrayante des évènements. Le regard d’aigle du

Druide s’illumina soudain d’un éclat fantastique. Il posa

sa main sur l’épaule de Niphilus qui, l’oreille collée au

talus, écoutait la progression de leur monumental

adversaire. Le Silérien regarda alors dans la direction que

lui indiquait le Sage.

Les forces de l’Alliance venaient de l’aligner dans la

plaine. Tous les arcs, toutes les machines de guerre ainsi

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 306

que tous les canons des chariots à vapeur disponibles

pointèrent vers le formidable démon.

Mélinos leva la main, puis, il la baissa. Des milliers

de projectiles brillants traversèrent le ciel au-dessus de la

compagnie et allèrent se figer dans l’armure et dans le

corps de l’Empereur. Les compagnons de Niphilus

découvrirent avec étonnement que des gemmes de

pouvoir avaient été lancées sur l’ennemi. Ce dernier

cessa brutalement sa progression avec un hurlement qui

ébranla jusqu’au sol. Sa réaction fut gigantesque. Un sort

de protection coucha dans un souffle cyclonique, l’armée

de Myrion et de Nabachton.

Le monstre était furieux et rien ne paraissait pouvoir

l’arrêter. Arhus sombrait dans une profonde peine. Tous

les combats des jours précédents avaient été inutiles.

Tous les beaux Elfes, les admirables marins de

Salermnos, les valeureux Druides et les courageux

Silériens qui étaient tombés dans les landes du Lac et aux

portes de Nabachton étaient donc partis pour rien dans

les Limbes de la Félicité. L’Empereur était revenu, plus

puissant que jadis dans son corps fantomatique. La

colossale armée de la nouvelle Alliance et son pouvoir

magique ne parviendrait donc pas à endiguer la victoire

inexorable du mal. Le petit général par la taille, si grand

de force et de cœur, s’agenouilla. Puis, tournant son

regard vers le Sud et les cieux, au-delà des monts du

Bout du Monde, il adressa une prière au créateur de

Formalow :

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 307

- Dussé-je périr dans ce dernier combat, Seigneur

de l’Univers, donnez-moi la force d’écraser ce tyran.

Il se leva en brandissant son épée, et, il se jeta vers

l’Empereur. Toute l’armée de Myrion qui l’avait suivi

sans faiblir jusque là le rejoignit aussitôt. Les Forces de

Nabachton tirèrent de plus belle dans la direction du

formidable démon qui les défiait depuis l’Enfer. Les

effets de cette attaque furent tels qu’Arhus et son avant-

garde atteignirent de plein fouet leur ennemi sans qu’il

puisse réagir. Le choc épouvantable fit reculer le terrible

fléau du Monde. Le général silérien frappa avec tant de

puissance les jarrets de son épouvantable adversaire que

ce dernier hurla en vacillant.

Mais le titan retrouva vite son aplomb. Il portait une

formidable masse d’arme avec la quelle il décima en

quelques coups les cohortes les plus proches de lui.

Malgré leurs solides armures et leurs forces, les soldats

d’Arhus furent balayés et tués par centaines. Le général

qui avait été repoussé violemment revint à l’assaut

encore plus furieusement, avec un nouveau groupe

monté à la tête de la charge. De nouveau, l’Empereur fit

marche-arrière. Mélinos et la Compagnie se précipitèrent

à l’aide leurs camarades qui luttaient avec tant de

vaillance.

Soudain, Arhus se retrouva seul devant l’effroyable

tyran. Des coups de massue destructeurs avaient éclairci

les rangs de son armée. Le Silérien pleurant de rage et de

désespoir lança son glaive vers la gorge du monstre qui

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 308

n’était pas protégée. La lame effilée et fidèle à son

maître s’enfonça jusqu’à la garde dans la gorge du tyran.

Sous la douleur, ce dernier lâcha son arme qui écrasa,

devant la compagnie atterrée, le frère de Niphilus en

tombant.

Mélinos malgré sa peine avait remarqué que le

corps de l’Empereur était constellé de petits trous au

fond desquels brillaient des gemmes de pouvoir. Alors, il

comprit qu’il pouvait gagner la dernière bataille et que le

sacrifice du merveilleux petit Silérien et de son avant-

garde, n’avait pas été vain.

Le Druide jeta à ses compagnons d’une voix terrible

qui couvrit le tumulte du combat et porta jusqu’aux rangs

des Nabatéens qui s’ébranlaient et s’apprêtaient à

charger le monstre issu des enfers :

- Allongez-vous tous, protégez vos yeux et ne

bougez plus tant que vous entendrez du bruit.

Le sage se tourna d’un bond et hurla à l’adresse du

Fléau :

- Semakch en abaret kéralt !!!

Une éblouissante lumière illumina toute la région.

Un vent terrifiant gémit bruyamment dans les oreilles des

soldats de L’alliance qui, conformément aux ordres, se

plaquaient sur le sol en fermant les yeux. Toutes les

âmes damnées de l’enfer parurent crier leur effroi et leur

dépit à travers les Allées Couvertes Maudites.

Des morceaux de rocher et une poussière noirâtre

se soulevèrent en volutes tourbillonnantes dans l’air

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 309

surchauffé de la plaine. Niphilus, dès qu’il sentit la

luminosité ambiante diminuée, tenta d’observer les

évènements. La titanesque silhouette de l’Empereur

s’évanouissait, perforée de toute part par les milliers de

rayon issus des gemmes de pouvoir qui s’étaient figées

dans sa peau, dans son torse et dans ses membres. Le

souverain épouvantable semblait se dissoudre dans

l’énergie délivrée par les joyaux. Cependant, l’effet des

pierres de puissance que Mélinos avaient enchantées par

son sortilège, n’était pas terminé. Un nouveau

grondement retentit et la lumière augmenta au point que

le Maître Forgeron dut protéger de nouveau son visage

dans ses bras. Le Monde de Formalow tout entier sembla

être ébranlé par les grincements et la cascade de

déflagrations qui suivirent ce redoublement d’éclat

lumineux.

Un silence vertigineux succéda au tumulte de la

fureur. Niphilus se releva et regarda autour de lui. En

lieu et place des portes du Néant, la houle de la Mer

Extérieure lançait des embruns jusqu’au Silérien. Un

soleil doux éclairait avec chaleur un nouveau littoral qui

s’étendait à l’Est, très loin au septentrion du Monde et de

même dans ses régions méridionales.

Petit à petit, l’armée de la Nouvelle Alliance des

peuples libres, dispersée par la tempête des gemmes de

pouvoir, se regroupait. Même le Vieux Mélinos avait été

repoussé par l’explosion titanesque. Niphilus le vit

soulever sa grande silhouette du sol à deux cents mètres

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 310

de lui, puis courir vaillamment dans sa direction. Une fois

près de lui, le Sage lui posa la main sur l’épaule et lui

demanda avec anxiété :

- Mon cher compagnon de peine, comment allez-

vous, cette débauche de violence et de force occulte ne

vous a pas trop affecté ?

- Non, Seigneur Mélinos, et je pense avoir eu

beaucoup de chance en vous découvrant vous renversé et

rejeté aussi loin de moi, déclara le forgeron. Qu’en est-il

de l’Empereur ? A-t-il gagné la bataille ?

- Non, la puissance des Gemmes et la magie de

Nabachton on eut raison de lui et même des portes du

néant. Le monde est redevenu tel qu’il était aux premiers

Âges de Formalow. L’accès aux enfers est disparu des

cercles du monde des vivants et les démons ne pourront

plus, durant de très très nombreux millénaires revenir ici.

Les armées de Nabachton et de Myrion, enfin

réunies, avaient ramené, grâce au courage de leurs

combattants et la volonté de leurs guides, Un grand Âge

de paix et de bonheur sur ce Monde…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 311

- XXXV -

Trois années s’étaient écoulées depuis la bataille

des Dolmens Infernaux. Sur la Mer intérieure de Myrion,

les galères des druides étaient, maintenant, animées par

des machines nabatéennes.

Bien sûr, les courageuses licornes de la forêt

aidaient toujours les Peuples Libres dans leurs tâches

quotidiennes. Cependant, elles se voyaient attribuer des

travaux moins pénibles puisque le savoir et la technique

des Peuples Libres réunis permettaient de soulager la

condition des êtres vivants.

Formalow allait bien. Le Roi Phérégon, se reposait

désormais. Il s’était bien battu dans les Landes et sous

les murailles de la forteresse des Ankous. Il s’adonnait à

la culture de l’excellent tabac silérien et avait passé les

rênes du pays à sa fille et à l’époux de cette dernière : le

Prince Guerrier et Forgeron, Niphilus, membre perpétuel

du Conseil de l’Alliance de Formalow auquel siégeait

aussi les Seigneurs des arbres du Nord.

Le Grand Elfe Suggur ainsi que le Duc Le Goua’ch

passaient désormais leur temps à parcourir ensemble les

frontières extrêmes du pays et surtout le nouveau littoral

de l’Est. Les deux héros avaient, avec la bénédiction de

l’Alliance ainsi que l’appui technique et culturel de

Niphilus, reconstruit toutes les grandes routes de jadis.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 312

Des Monts du bout du Monde jusqu’aux glaces du

septentrion, au-delà de Nabachton, la paix régnait. Les

sages profitaient de la fin des combats et de la disparition

des hordes de Korrigans et autres démons des Âges de

feu afin d’apprendre à mieux connaître leur Univers.

Toutes les ressources qui s’épuisaient, depuis des milliers

d’années, à protéger la vie et l’espoir pouvaient enfin

être consacrées à l’amélioration de l’existence de toutes

les créatures de Formalow. C’était là, d’ailleurs le

véritable rôle des Druides.

Le Seigneur Niphilus et sa femme, la merveilleuse

Reine Saurane, attendaient un navire sur les quais du

port de Castel-Druides. Lorsque la galère qui amenait

leurs amis, Suggur, Le Goua’ch ainsi que tous leurs

compagnons de la route des Royaumes Perdus accosta,

ils conduisirent aussitôt ceux-ci jusqu’à la grande place

de la forteresse des Sages. Sur cette vaste esplanade,

siégeaient dans leur gloire et leur beauté, des statues que

les artistes de toutes les espèces de Formalow avaient

sculptées à la mémoire de leurs héros.

Le vénérable Mélinos, avait terminé sa longue tâche

contre les forces du mal. Il courait maintenant les

bibliothèques du Monde à la recherche de manuscrits

rares. Il en réalisait des copies qu’il confiait à une

immense salle d’archives de Castel-Druides que le

Conseil de l’Alliance, appliquant les propositions de

Niphilus, avait organisée dans la principale place forte

des Maîtres du savoir de Myrion.

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 313

Ce matin-là, le vieux Druide retrouva et reçut

l’accolade de ses amis, devant une nouvelle sculpture de

l’esplanade des Grands Guerriers d’Autrefois. Il leur

présenta cette Statue. Aussitôt, tous reconnurent, dans la

belle figure de pierre, les traits de leurs chers camarades

disparus, Alianos, le courageux frontalier devenu un

Korrigan après la conjonction des lunes de Formalow et

l’intraitable Général Arhus, le plus grand combattant que

Formalow ait connu depuis Nicéphore Orlos : le Griffon

Furieux de Mégara.

Les Sages avaient réalisé cette effigie eux-mêmes.

Mélinos expliqua ce choix qui fut alors approuvé par tous

les survivants de la compagnie. Qui d’autres pouvait aussi

bien symboliser la victoire des forces du bien sur celles

des ténèbres, que le frère de Niphilus et leur camarade

des Marches du Nord ? Ce dernier, tourmenté par sa

condition de demi-Korrigan, avait pourtant porté un coup

décisif aux légions d’Arthang, sur le seuil des portes de

Nabachton en tuant le Léviathan.

Les compagnons de Niphilus se recueillirent, la

main sur le cœur, devant la sculpture. Puis, ils partirent

festoyer ensemble pour partager leurs bons souvenirs et

profiter du plaisir de la paix restaurée, devant un

excellent repas tout en fumant les meilleurs tabacs de

Silérie, dans leurs plus belles pipes d’écume.

Formalow vivrait désormais, grâce à leurs efforts et

à leurs sacrifices, de longs millénaires de tranquillité et

de prospérité…

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Les forges de Nabachton :

Les forges de Nabachton. Page : 314

Fin des Forges de Nabachton