Le Cycle de Formalow - sorbonne-universite.fr
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Le Cycle de Formalow Tome 3
Avec l'aide d'Eric VINCENT et de Fabien RICHART
Les forges de Nabachton
Guy RICHART Avec l'aide d'Eric VINCENT et de Fabien RICHART
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 3
BIBLIOGRAPHIE.
La Légende des Pacifistes. (Écrit de 1975 à 1976.)
A l'Occident de Menstragaleste. (Deux versions:
De 1979 à 1980, De 1983 à 1990.)
Les forêts du Seigneur. (Écrit de 1991 à 2000.)
Parution d'extraits de "L'Occident de Menstragaleste" et "Des forêts du Seigneur"
dans une Anthologie des écrivains des P.T.T., en 1995.
La route d'Éros. (Écrit de 1999 à 2000.)
Le Noeud Gordien libéral. (Écrit de 1997 à 2001.)
Les forêts du Seigneur 2; Les hordes des étoiles. (Écrit de 2000 à 2001.)
Les roses fleurissent aussi en décembre. (Écrit de 2001 à 2002.)
Les forêts du Seigneur 3; Jean Seyland et le fantôme de la Svastikas. (Écrit de 2002 à 2003.)
Reconstitution de la Légende des Pacifistes (Écrit en 2002.)
Les maîtres de l’image (Écrit de 2003 à 2004.)
La Bretagne fantastique du Passé et du Futur (Écrit en 2004.)
Les nouvelles de la colère (Écrit de 2004 à 2005.)
Les forêts du Seigneur 4; Les limbes de Daedale (Écrit de 2004 à 2005.)
Les forges de Nabachton (Écrit en 2005.)
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Je dédie ce roman :
A mon fils Fabien RICHART, qui me
l’a réclamé en me promettant de le lire
avec plaisir…
A la mémoire de Papa, qui nous a
quittés après une terrible maladie. La
première partie de ce récit constitua la
dernière lecture d’agrément que fit
Roland RICHART durant sa vie parmi les
hommes.
Que Dieu lui permette de la reprendre,
sur les bords d’un céleste estuaire breton
où il pêche désormais, pour l’Eternité…
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Le monde de Formalow s’est arraché du
joug d’un Empereur voué aux forces maléfiques
voici 800 années.
« La Guerre des Larmes de Sang », conduite
par L’Alliance des peuples libres, amena la
destruction de ce Maître des Ténèbres et de
nombre de ses esclaves dociles.
Cependant, son Principal Lieutenant : « Le
Seigneur des Ankous » et une créature
monstrueuse : « Arthang le Noir », au pouvoir de
persuasion colossal, ont survécu et réunissent,
dans le désert des Terres Sauvages du Nord,
une nouvelle puissance capable de défier les
royaumes bienheureux issus de l’Empire déchu
de Formalow.
Heureusement, les Druides : Gardiens du
savoir et de la magie bénéfiques, veillent depuis
leurs forteresses de la Forêt de Myrion. Ils
travaillent depuis des siècles à retrouver
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certains secrets oubliés dans la tourmente de la
guerre. Ces connaissances ont permis la perte
de l’Empereur, jadis. Elles provoqueraient la
disparition définitive des forces du mal, si leur
lumière éclairait de nouveau les peuples libres…
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Nord
Sud
Carte dessinée par Fabien RICHART
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Episode V
Arthang le Noir
- I -
Le Silérien marchait gaiement sur un sentier aux
talus verdoyants de son royaume. C'était une petite
créature extraordinaire avec sa mine radieuse, son
capuchon aux couleurs bigarrées et son embonpoint
sympathique.
Il avançait sous le soleil bienfaisant des terres
centrales de Formalow, l'Ancien Empire auquel avait été
jadis attachée la Silérie. A son coté, pendait une épée
dont il était très fier. Il ne se souvenait plus quand, cette
arme lui était échue. Il croyait l'avoir depuis toujours,
car, dans sa première enfance, quand il avait été adopté
par la famille des Orlos, de petits notables cossus et
généreux du pays, on la lui avait remise en lui affirmant
que c’était un bien très précieux. Il est vrai que Niphilus,
c’était le nom de notre ami, bien que très jeune pour son
espèce, avait pourtant atteint l’âge de 130 ans.
Cependant, la lame de son arme était tout aussi
tranchante et intacte qu’à sa sortie de la forge.
Les Silériens n’étaient pas des guerriers. Ils
constituaient un peuple de cultivateurs et d’artisans, aussi
sages sur le sujet de la vie dans les champs et les bois
ainsi que sur celui du travail de l’acier, qu’ignorants des
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grandes affaires magiques des puissances gouvernant
secrètement les restes de L’Empire de Formalow. Si
Niphilus était armé de la sorte, ce n’était pas pour se
défendre contre un animal sauvage ou bien un brigand.
Le royaume était si bien policé que le pays entier,
jusqu’à ses collines et ses rivières, semblait se soumettre
sans récrimination aux règles de bienséance édictées par
le Roi Phérégon. En fait, il ne venait à aucun Silérien, ni
à aucune Silérienne, l’idée de commettre le moindre
forfait ou bien la moindre incartade nuisant à la liberté et
à la tranquillité de son voisin.
Notre ami portait donc cette belle arme comme un
savant de la bibliothèque royale aurait arboré un
manuscrit damasquiné, empli des secrets magiques des
temps perdus. Niphilus se servait parfois de cette épée
antique pour couper une branche. L’arme se révélait si
efficace qu’elle terrifiait la petite créature pacifique.
Cette dernière la remettait alors au fourreau, après avoir
nettoyé la lame soigneusement en évitant de perdre les
doigts dans l’opération.
Comme tous ses semblables, Niphilus était un
maître dans l’art de la forge. Il considérait donc son
épée, plus comme un exemple de travail étonnant que
comme un moyen de défense. Il admettait qu’aucun
spécialiste vivant, du royaume de Phérégon, ne serait
capable de produire un chef d’œuvre comme celui-là,
bien que les Silériens soient reconnus dans toutes les
anciennes contrées de l’Empire déchu comme de
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remarquables artisans du fer. Mais l’admiration qu’il
portait à cette lame restait artistique et non belliqueuse.
Le Silérien arriva bientôt au carrefour de « L’Allée
Couverte » des elfes de Myrion. Ce mégalithe avait
compté un bon nombre d’âges du monde au cours de
son existence. Construit par le peuple des Elfes Géants
de la forêt de Myrion, bien avant l’avènement de
l’Empire, il marquait le cœur de la Silérie. Aujourd’hui,
les bâtisseurs de ce monument habitaient les contreforts
des vallées heureuses du midi de Formalow. Ils étaient
toujours les amis des Silériens, mais, ils venaient
rarement dans les royaumes centraux. Niphilus
s’engagea sur le chemin menant à droite de « L’Allée
Couverte ». Cette route s’étendait encore sur une lieue,
puis, elle se terminait à l’entrée de la grande villa des
Orlos, les parents adoptifs du petit voyageur.
Bientôt, la main placée en visière au-dessus de ses
yeux, dans l’air pur et chaud de cette belle journée d’été,
Niphilus découvrit la somptueuse villa de ses parents,
blottie dans les halliers, bordée par une rivière et un
champ où broutaient de paisibles holaongs domestiques,
grands fournisseurs de viande et de lait.
Le Silérien avança vers les huit cottages assemblés
chaleureusement qui constituaient la maison de sa
famille. C’était des maisons aux murs blancs et aux toits
de chaume. Elles étaient peu élevées, rafraîchies en été
par les nombreux chênes aux ramures plus que
centenaires qui les entouraient. Quand les vents d’hivers
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soufflaient, c’était les mêmes arbres qui en adoucissaient
les morsures.
Tout à coup, Niphilus regarda la croisée des
potagers et des pelouses qui ornaient la cour intérieure
de la villa. Son père, Aberlon Orlos, un solide Silérien de
deux cents ans, écoutait avec attention un grand homme
vêtu d’un manteau argenté. Il ne pouvait pas dire si
l’étranger était un humain puissamment constitué ou bien
un Elfe Géant. En tout cas, ce dernier tenait une grande
conversation avec le chef de la famille. Le promeneur
s’avança donc, intrigué, et finit bientôt par franchir
l’entrée de la villa.
Dès que le patriarche et le grand personnage
l’aperçurent, leurs visages rayonnèrent en même temps
de soulagement. Que signifiait cette attitude de la part
d’un étranger ?
Si son père avait des raisons suffisantes d’exprimer
sa satisfaction au retour de son garçon après une si
longue marche à travers la Silérie, pourquoi un inconnu
semblait partager ce soulagement, qu’il soit elfe, humain
ou Silérien. Avide de comprendre, le mystère de cette
visite inattendue et de cette réaction inexplicable,
Niphilus marcha les bras ouverts vers Aberlon qui le
reçut par une accolade d’amitié chaleureuse.
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- II -
Ils étaient assis tous les trois autour d’une grande
table de la villa. Dehors, un bassin d’onde claire, empli
par un ingénieux système de pompe actionnée par la
rivière, couvrait le calme des halliers par le murmure de
son eau courante. Seuls les oiseaux accompagnaient ce
chant apaisant.
- Mon fils, commença Aberlon en buvant une
rasade de bonne cervoise mousseuse et en tirant ensuite
une bouffée de sa longue pipe, tu es encore allé te perdre
aux confins de la Silérie pour demeurer huit jours loin de
chez nous.
- Tu sais bien Père que mes excursions sont ma
passion et que mon goût pour la géographie et la culture
de notre royaume m’impose de tels voyages, répondit
Niphilus. De plus, nous avons déjà rentré toute la récolte
de fruits et tu m’as affirmé que je pouvais profiter sans
contrainte de la période calme avant la moisson.
- Certes mon petit, certes, admit le vieux Silérien
avec une espèce de résignation au fond de la voix.
Cependant, la prochaine fois que tu pars pour une telle
expédition, tu prendras comme compagnon, Athénos,
notre pigeon de feu. Il nous transmettra tes messages et
te portera les nôtres en retour. Comme cela, ta mère et
moi, nous saurons que tu vas bien.
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- C’est promis. Je n’oublierai pas de prendre notre
messager volant pour mon prochain voyage, assura
Niphilus. Cela l’entraînera un peu. Il a une vie trop
douce, ces derniers temps. Seulement, reconnais Père
que ces précautions semblent démesurées. Les frontières
de notre royaume ne sont tout de même pas les lisières
de la désolation d’Arthang le Noir.
- Bien sûr, bien sûr, mais, depuis la fin de l’Empire,
si nous sommes devenus un peuple libre, les dangers des
terres sauvages ont grandi et les démons de l’empereur
qui se sont réfugiés là-bas, après la fin de leur Seigneur,
sont capables de venir jusque dans nos campagnes pour
y semer la mort. Il faut rester prudent si nous voulons
éviter des deuils douloureux comme ceux que nous
avons connus durant « La Guerre des Larmes de Sang ».
Maintenant, je te présente Maître Mélinos. C’est un
Druide, un Gardien du savoir et des forces magiques
bienfaisantes. Sans ces savants qui parcourent toutes les
contrées en recueillant les grimoires des anciens, depuis
la chute de Formalow, nous aurions perdu toutes les
connaissances léguées par les vieux royaumes.
- Bonjour Maître, dit Niphilus, impressionné.
- Bonjour mon ami, commença le vieux sage. Sous
le capuchon de son manteau, des cheveux et des sourcils
broussailleux cachaient un visage ridé mais plein de
fougue, d’humour et d’intelligence. Tandis que ses
prunelles bleues pétillaient de plaisir, le Gardien du
Savoir continua. Jeune homme, quand l’Empire jetait une
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ombre de tyrannie et de Magie noire sur le monde, la
science bénéfique et la Magie blanche ne progressèrent
pas beaucoup. 2000 années durant, nous avons
lamentablement régressé, nous tournant vers les forces
des Ténèbres, leurs grandes possibilités dans les voies du
mal et leur séduction mortelle. Mon ordre se doit de
rétablir toutes les connaissances que nous avions
acquises, au temps de la Grande Alliance d’Or et de Paix
qui fut brisée par l’avènement de Formalow. Le plus petit
tour de main d’un artisan émérite, le plus petit savoir
empirique d’un jardinier doit être recueilli, si nous
souhaitons retrouver un jour le bien-être que nous avons
connu avant la venue des Korrigans, de l’Empereur, du
Seigneur des Ankous, son lieutenant, et aussi d’Arthang
le Noir.
- Est-ce que je pourrai faire quelque chose pour
vous ? Demanda Niphilus qui commençait à comprendre
le but du voyage du Druide en Silérie.
- Certes. Je vais vous l’expliquer, assura Mélinos.
Un Elfe Géant a confié aux forgerons du Grand Manoir
de Castel-Druides, dans la forêt de Myrion, cette épée.
Le sage sortit de son havresac, un long glaive
brillant, ouvragé avec beaucoup d’art. C’était la copie
conforme, en plus grand, du poignard de Niphilus. Le
Gardien du Savoir reprit :
- Ce dernier était venu nous demander de lui
fabriquer un fourreau car, aucun de ceux cousus en cuir
d’holaong sauvage et damasquinés par les meilleurs
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armuriers sylvestres, ne résistait au tranchant de son
arme. Quand nos artisans examinèrent le glaive, ils furent
surpris par la qualité et la ténacité de l’alliage le
constituant. Ils se demandèrent aussi, comment la lame
de cette épée avait été traitée pour ne pas subir de
corrosion tout en gardant son fil aiguisé ? Je pensais qu’il
fallait rencontrer le forgeron ayant produit cette arme
pour répondre à toutes ces questions. L’Elfe me dit qu’il
l’avait faite ouvrager par un artisan de Silérie, réputé. Il
m’a confié cette épée, le temps de découvrir son
créateur et c’est ainsi qu’en interrogeant vos
compatriotes et en montrant ce glaive au cours d’une
longue marche par les Villas et les fermes de votre
Royaume, je suis arrivé jusqu’à vous Maître Niphilus.
- Comment ? Murmura le jeune Silérien effrayé
qu’un Druide de la Forêt de Myrion, un Gardien du
Savoir et de la Magie, soit intéressé par sa petite habileté
dans la science des métaux. J’ai créé ce modèle à partir
du poignard que je possède depuis toujours. Pour les
traitements, après martelage, j’ai suivi les leçons que m’a
données mon père. Je n’ai ajouté, à mon travail habituel,
qu’une trempe multiple faite à des températures choisies
au cours de nombreuses expériences, mais aussi, avant
d’y refroidir la lame de cette épée, j’ai mélangé à l’eau
de la rivière qui coule auprès de notre Villa, des feuilles
d’arbres huileuses dont je puis vous confier les noms et
les proportions Maître Mélinos. C’est tout mon apport
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dans l’art des forges et je suis surpris qu’il mérite votre
attention.
- Mon jeune ami, dit alors le Druide en regardant
avec beaucoup d’acuité le petit forgeron. Pourriez-vous
me montrer votre poignard un instant ?
Le Silérien, sans hésitation tendit son épée fétiche
au vieux sage. Ce dernier, la leva en pleine lumière et la
regarda longuement. Il examina avec minutie les fines
gravures qui ornaient l’acier du glaive, depuis la garde
jusqu’à la pointe et, que Niphilus avait reproduites
fidèlement sur l’épée de l’Elfe Géant. Le Druide effleura
légèrement, de son pouce, le fil scintillant au soleil. Il se
coupa mais, ne s’en formalisa pas. Il s’y attendait.
- Savez-vous d’où vient votre poignard cher ami ?
Demanda Mélinos. Un silence d’ignorance suivit sa
question. Eh bien moi, j’ai vu sa représentation dans un
antique ouvrage de métallurgie. Ce grimoire remontait au
temps de l’Alliance d’Or et de Paix. Vous possédez une
dague de Prince Elfique qui fut façonnée dans les forges
légendaires de Nabachton : « La cité perdue ». Le
lignage de cette épée est déjà une grande merveille, mais,
ce qui est encore plus fantastique, c’est que vous avez su
la reproduire non seulement dans sa forme mais aussi
dans sa résistance. Voilà pourquoi, Maître Niphilus,
votre science de l’acier mérite l’attention des Druides
mais aussi, celle de tous les sages des terres libérées de
l’Ancien Empire de Formalow.
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- III -
Niphilus examinait les cartes qu’il avait dessinées à
la suite de ses voyages. Le Royaume de son peuple avait
été formé 900 ans plus tôt, à la chute de Formalow.
Au temps de la guerre contre la puissance
maléfique de l’Empire, les petits habitants de sa contrée
s’étaient battus courageusement aux côtés des hommes
vaillants qui vivaient dans les abers du Golfe de
Salermnos. Les Elfes Géants de Myrion louaient aussi,
dans leur chant, les paysans-forgerons de Silérie.
Reconnus pour leur résistance étonnante et leur science
des aciers, malgré leur taille réduite, les Silériens, à cette
époque, avaient marqué de hauts faits les combats contre
les légions de Korrigans des montagnes sauvages jetées
sur la Grande Alliance par le Seigneur des Ankous. Le
petit peuple avait aussi soutenu sans faiblir, en déployant
une énergie désespérée, les assauts des phalanges de
sorciers des terres du septentrion. Ceux-là, attaquaient
leurs ennemis sur de gigantesques montures de guerre,
les Léviathans, comme Arthang le Noir. Il s’agissait de
monstres volants dont les trois têtes hideuses portaient
des yeux d’une acuité inouïe. L’intelligence et le pouvoir
de persuasion de ces créatures étaient tels, que certaines
d’entre elles avaient dirigé, depuis la disparition des
sorciers, des troupes de Korrigans avec lesquelles elles
dévastaient les lisières de Formalow où elles avaient été
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repoussées par la guerre. Arthang, le redouté, était le
plus puissant et le dernier survivant de ces sinistres
capitaines de pillage.
Niphilus avait entièrement cartographié sa contrée
avec précision. Il avait utilisé des principes et des outils
d’arpentages précis qu’il avait inventés. Aucune découpe
de la Silérie, aucun sentier, chemin, cours d’eau et lac,
n’était omis ou mal placé sur la carte que le forgeron
avait tracée. Il alluma sa longue pipe en même temps que
la lampe à huile qui éclairait son bureau. La journée avait
été très belle et la nuit serait agréable également. Il avait
laissé les fenêtres de sa chambre ouvertes sur le
magnifique jardin de la villa. Les eaux courantes
continuaient de meubler le silence du crépuscule avec
leur douce symphonie.
Soudain, Niphilus sursauta. On venait de frapper à
sa porte. Le Druide Mélinos demanda l’autorisation
d’entrer. Cela lui fut accordé aussitôt. Le sage pénétra
dans la pièce en saluant le Maître forgeron. Il ne portait
plus son capuchon. Le Silérien remarqua la longue
chevelure argentée, du Gardien du Savoir et de la Magie.
Ce dernier s’assit devant son hôte, sortit aussi une pipe
d’écume marine, identique à celles que fabriquaient les
hommes du Golfe de Salermnos. Il l’alluma en silence
avec application. Sous ses sourcils broussailleux, son
regard vif et intelligent pétillait. Quand des ronds de
fumée montèrent vers le plafond de la pièce, le Druide se
décida à parler :
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- Maître Niphilus, vous êtes suffisamment
perspicace, sous votre allure débonnaire, pour
comprendre l’importance des informations que je vous ai
apportées cette après-midi.
- Je crois que le secret des armes que je fabrique,
est vital pour la victoire totale du monde libre contre le
mal, déclara le Silérien.
- Je vous expliquerai les détails de l’affaire le
moment venu, répondit le vieux sage, mais vous avez
saisi l’essentiel. Il faut d’urgence réunir le Conseil de
l’Ancienne Alliance. La sécurité très fragile dans laquelle
nous vivons depuis la chute de Formalow est basée sur
un équilibre entre la puissance des armées du monde
libre et celles des tyrans maléfiques. Hors, après la mort
de l’Empereur, le repli des Ténèbres a coûté si cher aux
alliés, que nous ne nous sommes jamais remis
entièrement de cette guerre. Rappelez-vous que les Elfes
de Myrion ont été obligés de quitter leurs postes avancés
des lisières de la désolation d’Arthang le Noir. Ils ont
même dû retirer la petite garnison qu’ils avaient, depuis
toujours, laissée en Silérie pour aider votre peuple à se
protéger contre les dangers des Terres Sauvages. Les
hommes des abers sont aussi moins nombreux. Ils
maintiennent leur puissance au niveau de ce qu’elle était
à la fin de « La Guerre des Larmes de Sang », mais, ils
ne retrouvent pas la grandeur passée de leur royaume,
celle qui leur avait permis de fonder, avant l’avènement
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de l’Empire, « l’Alliance D’or et de Paix » avec les
autres nations des anciennes terres de Formalow.
- Nous ne sommes donc pas autant à l’abri du mal
que nous pourrions le croire, affirma Niphilus.
- Mon garçon, le courage des alliés n’a pas faibli et
depuis 900 ans, ils ont compensé la perte de leur force et
de leur magie par la rigueur de leur vigilance. Depuis les
marches du désert d’Arthang jusqu’aux contreforts des
Terres Sauvages, où s’est retiré le Seigneur des Ankous
ainsi que ses légions de Korrigans et ses phalanges
d’hommes corrompus, les patrouilles d’Elfes appuyées
par les marins des abers veillent sans cesse. Les flottes
du Golfe de Salermnos, maintiennent la Mer Extérieure
ouverte à l’Ouest et au Midi, bien qu’elles échouent à
rétablir un passage vers les Royaumes Perdus du Nord
Ouest. Arthang et le Seigneur des Ankous sont contenus
dans le Nord du Monde. Les Alliés lui coupent encore la
route.
- Mais si les Silériens ont jadis combattu dans
l’alliance, comment se fait-il que nous soyons mis à
l’écart aujourd’hui ? Ma Nation n’a pas de gout pour la
guerre mais elle ne manque pas de cœurs vaillants pour
aider les Hommes et les Elfes, affirma Niphilus.
- Nous savons tout cela très bien, répliqua Mélinos.
Cependant, pour des raisons que nous ignorons, car une
grande partie du savoir sur l’Alliance et sur les peuples
qui la constituaient, avant et pendant l’Empire, a disparu,
les Silériens ont été cruellement touchés par les attaques
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des puissances maléfiques. Les alliés refusent de vous
exposer comme vous le fûtes jadis. Sachez que l’assaut
d’un seul Léviathan sur votre contrée, même beaucoup
moins meurtrier qu’à l’époque de l’Empire, car les
monstres survivants se font vieux et moins puissants
qu’en ce temps-là, anéantirait totalement votre
population en quelques jours. Le Roi Phérégon propose
souvent les soldats de sa garde au Conseil de l’Ancienne
Alliance pour renforcer les patrouilles des Marches.
Votre souverain et ses troupes sont respectés par les
hommes, les Elfes et les Druides. Pourtant, il est clair
que les habitants de Silérie sont considérés comme des
ennemis implacables par les forces maléfiques et que ces
dernières seraient prêtes à vous anéantir jusqu’au
dernier, si vous releviez malheureusement trop la tête
dans cette lutte.
- Au nom des Puissants du Ciel, pourquoi
déchaînent-elles tant de haine contre nous ? S’inquiéta le
Maître forgeron.
- Justement, j’ai pris la décision de provoquer une
réunion exceptionnelle du Conseil de l’Alliance, déclara
Solennellement le Druide. Demain, vous et votre frère
d’adoption, partirez avec moi. Vous prendrez toutes les
notes que vous avez réunies sur le travail de l’acier, sur
la culture et sur la géographie de votre contrée. Nous
passerons chez le Roi Phérégon, puis, nous nous
rendrons avec lui dans le manoir de la Forêt de Myrion
où le Conseil se tiendra. Il faut savoir les raisons de cet
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acharnement des forces ténébreuses contre votre peuple.
Peut-être détenez-vous des pouvoirs oubliés qui seraient
capables d’anéantir définitivement le mal et ses alliés ? Il
nous faut travailler là-dessus et apprendre à exploiter
cette faille pour gagner une paix durable et définitive.
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- IV -
Au début de « La Guerre des Larmes de Sang »
tous les peuples payaient un tribu à l’Empire. La
puissance de ce gigantesque pays voué au mal absolu
était telle que les armées de Korrigans, de sorciers et
d’Ankous pouvaient ravagées des contrées entières sans
être arrêtées par les efforts des Elfes rebelles, des
Druides insoumis, réfugiés sur les îles de la mer de
Myrion ou bien par les hommes des abers qui tenaient,
au prix de grandes pertes, les places fortes du Golfe de
Salermnos.
Les plaines exposées de la province de Silérie, la
vallée et les forêts du fleuve des Monts du passage vers
Nabachton étaient dominées par l’Empereur de
Formalow. Tout le Nord-Est du monde était inaccessible
aux peuples dont quelques représentants refusaient
l’autorité des forces maléfiques.
Ceux qui ne pouvaient pas combattre ouvertement
les phalanges de l’enfer résistaient autant qu’il leur était
possible. Pourtant, quand les expéditions punitives de
l’Empereur traversaient les terres où travaillaient ses
malheureux, les petites richesses naturelles qu’ils
économisaient avec tant de peine, leurs plus jeunes
habitants ainsi que leurs réserves de nourriture étaient
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saisis, puis, emmenés sans espoir sur les vastes territoires
de l’Empire.
Pendant deux milles ans, les Silériens, les marins du
Golfe et les Elfes sylvains qui n’avaient pas la chance
d’avoir rejoint les centres de la rébellion, furent
ignominieusement soumis aux exactions arbitraires des
monstres du Maître du Mal.
En ce temps-là, heureusement pour la liberté, bien
que la cité de Nabachton soit séparée des provinces
martyrisées de l’Empire par la Désolation du Nord,
qu’occupaient d’une manière, apparemment immuable,
les forces maléfiques, était parvenue à garder ouverts le
passage des monts septentrionaux ainsi que la voie
maritime vers les places fortes de Salermnos.
Nabachton paraissait totalement invincible. C’était
le plus vieux royaume du monde de Formalow. Les
Druides y avaient enregistré tout le savoir accumulé par
les Peuples Libres depuis « l’Âge d’or des forêts ». Les
artisans de cette nation fabriquaient des armes
terrifiantes pour les serviteurs du mal. Les magiciens
nabatéens, détenteurs du savoir recueilli par les Druides
de Myrion déployaient une puissance bénéfique qui
repoussait efficacement les attaques du mal. Les portes
de Nabachton restaient infranchissables aux hordes de
l’Empereur de Formalow.
Ce dernier s’était lui-même avancé sous les
remparts qui gardaient l’antique royaume. Il avait été
vaincu.
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Les résistants du Sud bénéficiaient de l’aide des
Nabatéens. La Silérie, dont le peuple, opiniâtrement,
supportait les expéditions des Korrigans, des Sorciers et
des Léviathans, ne cédant qu’après de longs combats
leur tribut d’esclaves, de vivres et de ressources, recevait
avec gratitude les armes de Nabachton. Les artisans
habiles de ce petit pays renforçaient même la protection
des armures et l’efficacité des glaives que leur
envoyaient leurs providentiels alliés.
Les Silériens, subissaient de plein fouet la haine de
l’Empereur et de ses serviteurs car, s’ils étaient les plus
exposés, ils étaient aussi les plus insoumis et les plus
ressemblants, moralement, aux Nabatéens qui
s’opposaient si fièrement aux puissances maléfiques du
Monde.
Les petites créatures pacifiques de Silérie tombaient
par millier pour défendre leur liberté. Ils dévastaient de
nombreuses légions mauvaises et parvenaient même à
détruire des Léviathans et des sorciers. Leurs actions
héroïques assuraient la pérennité des îlots de résistance.
Quand vint la décision de fonder la Grande Alliance d’Or
et de Paix, ce fut dans le but de sauver ces courageux
paysans-forgerons qui allaient disparaître comme les
petits Elfes de jadis, si personne ne venait les aider.
Quand ils eurent été rejoints et renforcés par les
forces bienfaisantes de la Fraternité des Peuples Libres,
en ce temps-là, les Silériens constituèrent le fer de lance
de « La Guerre des Larmes de Sang ». Epaulés par les
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 27
Marins, les Elfes et les Druides, ils avaient anéanti les
sorciers et de nombreux Léviathans, ils avaient renvoyé
les Korrigans dans le Nord-Est du Monde, puis, par un
dernier exploit, confinée la charge finale des Ankous.
L’Empereur furieux, avait tenté d’intervenir seul, mais la
puissance magique des Nabatéens, déployée par le
Druides, l’avait poussé en Enfer.
Le sud de Formalow avait été libéré de l’Empire.
Mais, les puissances maléfiques, sous le commandement
des derniers Léviathans et du plus terrible des Ankous,
avaient profité de leur concentration au Nord. Elles
étaient parvenues à couper l’accès au passage vers
Nabachton. Dans l’océan, l’apparition de maléfices
diaboliques empêchèrent les Marins de Salermnos de
voyager plus longtemps vers les ports nabatéens.
Une paix vigilante s’instaura. Aujourd’hui, les
anciens alliés ne tenaient plus à exposer les Silériens. Ces
derniers avaient été les instruments de la victoire, mais,
ils avaient payé très cher leur inestimable participation.
Depuis la fin de la Guerre, ce petit peuple n’avait jamais
retrouvé sa puissance et sa forte population. La Silérie, si
vaste, comprenait d’immenses étendues désertes. La
haine des Korrigans et des derniers Léviathans contre les
paysans-forgerons était aussi formidable que les exploits
accomplis jadis par ces derniers.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 28
- V -
Mégara… Ainsi se nommait la capitale de la Silérie.
C’était une vieille et superbe forteresse, quatre fois
millénaire, que les peuples alliés de jadis avaient dressée
dans un pays de vallées et de collines, cœur de la patrie
des paysans forgerons.
Cette ville fortifiée fut abandonnée durant l’Empire,
car les maîtres de Formalow détestaient la beauté et la
force magique bienfaisante du vieux château. Les arbres
avaient envahi, avec l’écoulement des siècles, les
avenues et les jardins magnifiques de ce lieu. Les murs
dressés par des artisans des trois espèces libres qui
maîtrisaient des techniques et des enchantements aux
pouvoirs presque aussi immuables que la vie des
Léviathans, ne s’étaient pas fissurés et n’avaient pas
flambé sous la poussée de la végétation sauvage.
Quand les ancêtres de Phérégon étaient revenus
s’installer dans cette région, neuf siècles plus tôt, ils
n’avaient eu que le mal d’organiser les plantes qui
s’étaient développées naturellement dans les murs de
l’enceinte. Une fois nettoyés et débroussaillés les palais
de la ville, les écoles, les commerces et les ateliers
étaient redevenus chaleureux et splendides.
Niphilus, son frère adoptif Arhus et le Druide
marchaient dans la rue principale de Mégara. Ils y
étaient entrés par la porte des créneaux d’argent. En
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 29
effet, les murs qui reliaient les deux tours défendant cet
accès à la cité étaient d’un blanc si brillant que de la
vallée, quand les voyageurs les découvraient au soleil
levant, ils semblaient fondus dans des lingots d’argent.
Maintenant, les trois visiteurs remontaient vers le château
royal. Ils croisaient des chariots ouvragés, aux roues
fines et solides. Tirés par des licornes domestiques, ces
attelages transportaient les riches récoltes de fruits et de
blés, poussées sur les champs féconds de Silérie, pour les
remettre aux entrepôts publics. C’était les commissaires
de Phérégon, élus par le peuple, qui redistribuaient la
nourriture dans tout le royaume. Comme ces derniers
étaient honnêtes sous peine de subir les foudres du Roi et
de leurs électeurs, d’importantes provisions de victuailles
étaient faites, bien que tout le monde mangeât à sa faim
dans le pays. Jamais les Silériens n’avaient connu la
famine, depuis la chute de l’Empire, malgré qu’une ou
deux fois par siècle, un hiver particulièrement dur
détruise les productions de la terre.
Un côté de la grande avenue était réservé aux
ateliers des forges royales. Une quinzaine de bâtiments
clairs dont les façades de verre étaient ouvertes sur la rue
en été, bornaient le flot des carrioles de nourriture. Dans
le pays de Niphilus, on connaissait le feu mais il était
inutile de l’allumer pour se chauffer, cuisiner ou bien
travailler l’acier. La source principale de chaleur et
d’éclairage venait des cristaux solaires des montagnes
centrales de Silérie.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 30
Les forgerons, à la fin de chaque hiver, allaient en
récolter sur les sommets enneigés des pics de cette
région. Ces pierres semblaient se recréer sans cesse dans
le climat rigoureux des hauteurs où jamais un nuage
n’assombrissait l’éclat du soleil ou bien celui des deux
lunes de Formalow. Personne ne savait comment
apparaissaient ces gemmes, mais chaque année, elles se
renouvelaient immuablement. Quand les aciéristes
apportaient enfin leur moisson en ville, ils l’exposaient
quelques jours dans la lumière de l’astre lumineux,
même lorsque celle-ci était affaiblie par un voile de
nuage. Pour enfin tirer de la chaleur et de la lumière des
cristaux, les Silériens installaient ceux-ci dans un châssis
métallique, ouvert sur le dessus. Une presse manuelle
permettait de comprimer ensuite les pierres. Sous cet
effort mécanique, elles restituaient pour des jours et des
jours, l’énergie solaire et lunaire accumulée.
Quelquefois, des blocs de minéraux se brisaient sous la
force des pressoirs. C’est pour cette raison que les
Silériens en récoltaient de nouveaux chaque année. Mais
ces cristaux gardaient leur pouvoir d’absorption et de
restitution des forces naturelles durant plusieurs siècles.
Aussi, la consommation des réserves qui augmentaient
chaque hiver dans les neiges éternelles des montagnes du
pays, ne menaçait nullement cette source de bien-être.
D’ailleurs, le petit peuple de paysans-forgerons, même
dans l’abondance, restait économe et prévoyant. Sans
doute les âges qui s’étaient écoulés avant le retour de la
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 31
liberté sur les Terres de Formalow, avaient donné des
leçons qui s’étaient ancrées à jamais dans l’atavisme des
Silériens.
Le Druide Mélinos, Niphilus et Arhus s’arrêtèrent
un instant devant l’atelier d’un aciériste et observèrent
son travail en connaisseurs. Dans ce pays, toutes les
techniques étaient mises en commun au sein des
corporations. Cela laissait, aux artisans, le temps de
développer la maîtrise de leur métier par des expériences
qui enrichissaient abondamment les connaissances
techniques du royaume et de ses habitants. Le forgeron,
après avoir martelé la courbe de la serpe qu’il travaillait
afin d’en réduire le poids sans nuire à la résistance,
déposa celle-ci dans un châssis de cristaux flamboyants
et salua ses visiteurs.
Les deux voyageurs et le Maître du Savoir
répondirent poliment à l’artisan, puis, ils échangèrent
quelques mots avec lui dans la langue locale. Ces propos
semblèrent apporter une solution longtemps recherchée
par le travailleur car, un vaste sourire fendit le visage
débonnaire de ce dernier. Il posa sa masse pour en
prendre une autre, au bout arrondi. Quand il frappa de
nouveau la serpe chauffée à blanc par les cristaux qui
rayonnaient, le forgeron avait accentué considérablement
le rythme et la sûreté de ses gestes. Les étincelles
jaillissaient joyeusement de l’acier qui s’affinait bien plus
aisément.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 32
Le Druide et les Silériens repartirent vers le Palais
de Phérégon car c’était là qu’ils se rendaient. Ils
atteignirent enfin la poterne d’or fermant l’accès au
second bastion de Mégara. Deux gardes royaux qui,
malgré leur petite taille et leur léger embonpoint étaient
des guerriers redoutables même pour Mélinos et sa
formidable magie, s’avancèrent et interrogèrent,
courtoisement les visiteurs. Les deux soldats avaient une
splendide armure d’acier brillant. Leur heaume et leur
haubert, légers étaient d’un métal aussi tenace et
tranchant que leurs épées. Ces cuirasses inaltérables leur
étaient enviées par les Elfes Géants eux-mêmes.
Le Druide expliqua les raisons de sa visite aux
sentinelles, après avoir décliné son identité et celle de ses
compagnons. Il leur confia aussi son anneau sigillaire de
membre du conseil de l’Ancienne Alliance pour qu’ils le
remettent au Roi. Aussitôt, un messager fut envoyé avec
la bague de Mélinos et les informations recueillies par les
gardes, jusqu’au trône de Phérégon. Un instant après,
des trompettes lancèrent, dans le ciel bleu de Silérie, une
puissante sonnerie d’accueil.
On laissa le Maître du Savoir et ses amis entrer
dans l’enceinte du Palais. Habituellement, Phérégon ne
refusait jamais de recevoir ses sujets en audience, mais
en général, il proposait une date et une heure qu’il
choisissait soigneusement. En effet, bien souvent, quelle
que soit la période de la journée, il était au travail avec
ses ministres où déjà en réunion avec des Silériens qui
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 33
l’avaient sollicité depuis longtemps. Dans ce pays, le
souverain des paysans-forgerons avait reçu comme
surnom : le Seigneur Infatigable, car, il était toujours à
l’écoute de son peuple ou bien à la tâche avec ses
conseillers. Une qualité que beaucoup de monarques de
notre Age, devraient s’efforcer de prendre en exemple.
Cependant, en apprenant que Mélinos était à sa
porte, Phérégon avait interrompu, avec distinction, toutes
les affaires qu’ils étaient en train de traiter. Il avait aussi
fait appeler tous ses conseillers dans le grand salon des
assemblées royales du Palais et avait ordonné à ses
gardes, par la sonnerie des trompettes, d’accueillir sans
délai le vieux sage et ses compagnons. Une escorte
d’honneur était aussi partie des appartements du
gouvernement pour se rendre au devant du Druide, de
Niphilus et de Arhus.
Quand ils pénétrèrent, entourés de ministres, dans
la pièce ou siégeaient le Roi, sur son trône, et ses
conseillés, à leur table de travail, les deux Silériens se
sentirent impressionnés. Mélinos fit alors planer son
regard vif et inquisiteur sur toute l’assemblée. Il s’attarda
sur Phérégon. Niphilus et son frère adoptif n’avaient
jamais vu leur souverain en personne. Celui-ci était grand
pour un Silérien. Quand le monarque se leva, les deux
visiteurs provinciaux constatèrent que le casque de leur
Seigneur atteignait presque la hauteur des épaules du
Druide alors que ce dernier était de haute taille pour les
hommes comme pour les Elfes Géants. Habituellement,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 34
les sujets de leur peuple mesuraient la moitié d’un
homme ou d’un Elfe de Myrion, moyennement robuste.
Autant dire que Phérégon était gigantesque dans
son royaume. Les historiens prétendaient que la famille
de ce monarque était issue jadis, bien avant l’Age de
l’Empire, du mariage d’un Seigneur des abers de
Salermnos et d’une Princesse Silérienne. Les femmes de
ce petit peuple étaient souvent très belles et
merveilleusement douces. Rien ne s’opposait à un tel
amour.
Le Roi s’avança alors en souriant vers le vieux sage
et tomba dans ses bras en lui disant :
- Mon vieil ami, je suis heureux de vous voir ici.
Mais, je suppose que vous n’êtes pas venus avec deux de
mes braves sujets, sans prendre le temps de m’avertir
pour que je puisse vous accueillir convenablement, si
vous n’avez pas des nouvelles urgentes à me
communiquer.
- Vous avez bien deviné, Mon Seigneur, assura
Mélinos. Je suis venu en toute hâte de l’Ouest de votre
pays, en compagnie de ces exceptionnels artisans, afin
de vous annoncer enfin une découverte qui nous amène
une lueur d’espoir dans la nuit de cette paix vigilante,
interminable et aussi meurtrière que la Guerre. Combien
de braves hommes, de courageux Elfes et de valeureux
paysans de Silérie tombent encore aux lisières des Terres
Sauvages, alors que nous croyons la sécurité installée à
jamais sur le Monde Libre. Dans l’ombre du Nord
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 35
inexploré, le Seigneur des Ankous a gagné en puissance
et en magie. Ses korrigans sont nombreux. Il a aussi
convaincu d’effroyables alliés de se dresser contre les
Nations occupant légitimement les contrées libérées du
joug de Formalow. Roi Phérégon et messieurs les nobles
conseillers, en ralliant le dernier Léviathan, le plus cruel
de tous, Arthang le noir, en barrant les voies maritimes
des Royaumes Perdus du Nord-Ouest aux marins des
abers, en dressant ses légions renforcées aux frontières
de nos pays et surtout, en faisant appel à des serviteurs
encore inconnus de nous, mais semant une effroyable
terreur dans les rangs des patrouilles de l’Ancienne
Alliance, le Lieutenant de l’Empereur déchu veut se
prétendre à son tour en Tyran de Formalow. Il s’apprête
à nous écraser une fois encore sous ses bottes de fer.
Le Gardien du Savoir marqua un arrêt afin de
laisser ses auditeurs assimiler l’importance de ses
paroles. Enfin il continua :
- Ici même, en Silérie, j’ai trouvé dans les personnes
de Maître Niphilus et de son frère adoptif, des artisans
qui ont mis à jour, par leur travail, les secrets de
fabrication des armes, dignes des Forges perdues de
Nabachton. C’est un grand pas en avant que nous ayons
maintenant les moyens de fondre, d’ouvrager et
d’enchanter par une magie bienfaisante, des lames
capables de contenir et de vaincre définitivement les
forces obscures de l’Ancien Empire. Certes, nos deux
brillants forgerons ne pourront jamais, en quelques
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 36
semaines, équiper de glaives les sept cents milliers
d’hommes et d’Elfes que nous devrions réunir, malgré le
retour des armes de Nabachton, pour écraser enfin les
dangers nous assiégeant dans les Terres Sauvages.
Pourtant, ces deux Silériens m’ont donné un espoir de
fou certes, mais un espoir solide pourtant, de remporter
la victoire finale contre les forces du Seigneur des
Ankous. Je tiens à exposer ces perspectives de succès au
Conseil de l’Alliance et à mettre en œuvre tous les
moyens que je pourrai réunir pour les réaliser. Seigneur
Phérégon, messieurs les conseillers du Royaume de
Silérie, voulez-vous venir jusqu’au Manoir de Myrion
pour écouter les grandes lignes de mon projet et
participer à la renaissance de « La Grande Alliance d’Or
et de Paix » ?
Un silence frémissant tomba sur l’assemblée et
s’éternisa durant de longues minutes. Enfin le Roi
déclara solennellement :
- Maître Mélinos, Maître Niphilus, Maître Arhus, je
vais vous accompagner à Myrion avec mes conseillers. Il
est temps de conclure définitivement « l’Age de
l’Empire ».
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 37
- VI -
Myrion étendait les vastes ramures de ses arbres
millénaires, ses rivières sinueuses et son lac bleuté aux
îles d’émeraude, sur cent-cinquante lieues de longueur et
quatre-vingts de profondeur. Ce pays sylvestre était en
fait la plus grande forêt du monde de Formalow. Les
Druides et les Elfes y avaient vécu, bien des Ages avant
l’Empire.
Les premiers avaient élevé des cités fortifiées sur les
terres entourées par le vaste mer d’eau douce, dissimulés
par les futaies impénétrables de ce Royaume. Dans ces
villes forteresses, les Maîtres du Savoir et de la Magie
avaient gardé et transmis les connaissances bénéfiques,
acquises par les peuples du Monde au cours des
millénaires écoulés de l’Histoire. Ils avaient tenu bon
contre les armées de l’Empire qui n’avaient pu, malgré
leurs multitudes et leurs orgies de magie ténébreuse, les
vaincre et détruire les sanctuaires de Myrion.
La principale forteresse des Gardiens était le réputé
Grand Manoir de Castel-Druides. On n’y trouvait les plus
vastes bibliothèques de l’Ancienne Formalow, mais aussi
les ateliers d’artisanat et d’industrie les plus efficaces.
Seules les Forges perdues de Nabachton surpassaient,
par la qualité des outils et des armes qu’elles
produisaient jadis, à l’usage du monde libre, le travail de
Castel-Druides.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 38
C’est cette ville, inexpugnable sur son île de la mer
intérieure, qui avait été, au temps de la « Guerre des
Larmes de Sang », la capitale de la résistance contre
l’Empereur et le Seigneur des Ankous. Elle réunissait le
Conseil de L’Alliance qui organisait les grandes défaites
des légions de Korrigans. Bien des Léviathans tombèrent,
malgré leurs pouvoirs incommensurables, grâce aux
décisions inspirées par les Druides, aux Elfes Géants,
aux marins de Salermnos et aux courageux Silériens.
De nouveau, les Peuples Libres s’unissaient pour
mener l’ultime bataille contre les Ténèbres des Terres
Sauvages. Une fois encore, le Grand Manoir de Castel-
Druides allait devenir le fer de lance de la magie et de la
science bienfaisantes.
Les Elfes Géants qui peuplaient les vallées
ombragées par l’Orée méridionale de Myrion, aux pieds
des grands monts du bout de la Terre, avaient déjà
entendu l’appel des Druides. Leurs avant-gardes
marchaient vers les sous-bois la vaste forêt : leur plus sûr
point de ralliement.
Mélinos, Niphilus, Arhus, Phérégon et son escorte,
étaient partis de Mégara pour gagner le Grand Manoir de
Castel-Druides, dès le lendemain de leur rencontre au
palais. La régence de Silérie fut confiée à la Princesse
Saurane, la magnifique fille du Roi. Les affaires de la
contrée étaient ainsi mises en de bonnes mains. Une
troupe de cinq cents gardes royaux, choisis parmi les
meilleurs guerriers de Phérégon, fut regroupée et
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 39
équipée dans la nuit qui précéda la première étape du
voyage.
Il fallait que cette petite armée descende vers le
midi de Formalow sur soixante lieues avant d’atteindre la
frontière de la Silérie et de Myrion. Mélinos et ses
compagnons devraient, sur cette distance, traverser dans
les jours à venir, les Montagnes Centrales du Royaume
de Phérégon par Le Col des Cristaux de Puissance. Les
Silériens étaient de robustes et rapides marcheurs. Bien
que leur résistance à la fatigue soit, de peu, plus faible
que celle des Korrigans, ils compensaient ce désavantage
par leur grande capacité de récupération. Le Druide et le
Roi comptaient marcher six lieues par jour, même
pendant l’ascension des montagnes. Avant d’entrer à
Myrion, la troupe voyagerait donc dix jours. Ensuite, une
nouvelle étape de vingt-deux lieues, sous les frondaisons
de la forêt, emmènerait le Druide et les Silériens sur les
rives de la mer d’eau douce. Là, trente bateaux de la
flotte du Grand Manoir de Castel-Druides les porteraient
jusqu’à la forteresse des Gardiens. Mélinos avait prévenu
les autres sages de son Ordre, grâce à Athénos, le pigeon
de feu de Niphilus.
L’oiseau au plumage flamboyant, doté d’une vitesse
bien supérieure à celle des aigles des Monts du Bout du
Monde, était parti le soir même de la rencontre de
Mégara. Il revint vers son maître avec une réponse de
Castel-Druides, alors que Phérégon et ses compagnons
se trouvaient au pied des Montagnes Centrales de Silérie.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 40
Ce soir-là, Le Roi, le Druide et les deux artisans
silériens dînaient ensemble, autour du foyer du camp. Ils
parlaient de la tournure des évènements surprenants qui,
ces derniers temps, ébranlaient les contrées libres de
Formalow. Il devenait difficile pour les Seigneurs de ces
pays, de maintenir la paix à leurs frontières. Comme
l’affirmait Mélinos, depuis la chute de l’Empire, le retrait
des Korrigans et des Léviathans dans les Terres
Sauvages, les batailles aux lisières des pays de
l’Ancienne Alliance, avaient emporté de nombreux
guerriers elfiques et humains. Même la Silérie subissait
régulièrement des invasions nocturnes de faible
envergure que les courageux paysans-forgerons
repoussaient avec rigueur. Cependant, depuis quelques
temps, la violence et l’importance des attaques allaient
en s’amplifiant.
Le Druide avait décidé de rester vague au sujet de
l’enchaînement des informations qu’il avait réunies aux
quatre coins de Formalow. Il expliqua à ses compagnons
que le secret était impératif pour parvenir à contrer
définitivement les forces mauvaises. Tous les efforts que
son Ordre avait fournis au cours des huit cents dernières
années, allaient certainement porter leurs fruits.
L’ensemble des connaissances que les Gardiens de
Castel-Druides avaient obtenues sur les Royaumes
Perdus et sur les mouvements des Korrigans, rendraient
aux Peuples Libres les magies et les armes qui jadis,
avant la perte des Forges de Nabachton, avaient
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 41
pratiquement failli écraser les plus puissants ennemis du
bien. Il ne convenait pas de dévoiler, en pleine nature,
même dans le sûr royaume de Phérégon, toutes les
ramifications et les perspectives de l’avenir. Il est clair
que les techniques de forgeage retrouvées par Niphilus et
apprises par son frère Arhus, étaient un élément essentiel
de cette affaire. Mais d’autres découvertes et d’autres
nouvelles venues de plus loin encore, portaient Mélinos à
penser que l’attaque contre le Seigneur des Ankous,
devait se faire bientôt pour assurer la défaite totale de
celui-ci.
Phérégon déclara :
- Les Royaumes Perdus, que les forces des
Ténèbres ont séparé de nos Contrées, nous manquent
terriblement. En portant tous leurs efforts sur la coupure
des communications entre les anciennes Terres de
Formalow et Nabachton, le Seigneur des Ankous et
Arthang le Noir, bien que défaits, ont évité
l’anéantissement absolu de leur puissance.
- Certes, confirma Mélinos. Mais Seigneur, malgré
le nombre de leurs esclaves guerriers et la magie noire
dont ils abusent, ils n’ont pas complètement investi les
montagnes littorales du Passage Oublié au nord-ouest du
Monde, ni la Passe Légendaire du Golfe des Royaumes
Perdus.
- Mon cher ami, répondit le Roi, vous n’ignorez pas
que le Conseil avait envoyé par-là, il y a trois siècles, une
colonne de quatre milles Elfes Géants et autant de marin
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 42
de Salermnos. Il en revint deux milles à peine. Ils étaient
épuisés et terrifiés par une force inconnue qui les avait
repoussés et tués en grand nombre, sans s’être montrée
distinctement une seule fois.
- Je sais tout cela, expliqua le sage. Je pense que
cette puissance obscure est composée d’esprits
maléfiques venus des tous premiers âges du monde,
d’une époque où les Elfes Géants étaient les seuls êtres
bienfaisants existant puisque les hommes et les Silériens
n’étaient pas encore nés. Aujourd’hui, c’est peut-être
des brides de ce pouvoir qui se sont alliées avec les
maîtres déchus de Formalow et qui tiennent en échec le
courage et la vigilance de nos patrouilles, aux frontières
des Terres Sauvages.
Un soldat de Phérégon apparut dans le cercle de
lumière produit par un châssis de cristaux de puissance
qui brillaient de mille feux en réchauffant les repas.
L’Homme, un capitaine de la garde du Roi, s’excusa
d’intervenir ainsi et annonça ensuite :
- Sire, le messager de Maître Niphilus, le pigeon
Athénos, est revenu au camp ce soir. Il a ramené cette
missive du Grand Manoir de Castel-Druides. Elle vous
est destinée à vous et à Maître Mélinos.
- Merci capitaine Braggor, j’espère que vous avez
pris soin de l’oiseau ? S’inquiéta le souverain de Silérie.
- Sire, le grand soigneur du palais s’occupe de bien
nourrir et de trouver une bonne niche pour l’excellent
pigeon de feu.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 43
- Parfait mon ami, passez votre service à Alphor
maintenant et allez vous reposer, vous m’avez bien servi
aujourd’hui.
- Merci, oh mon Roi ! Conclut le capitaine.
Il disparut dans l’ombre. Mélinos s’approcha de
Phérégon et tous les deux découvrirent ensemble le
message de Castel-Druides. Il était alarmant. Une armée
de cinq milles Korrigans, la plus forte troupe de ces
démons réunie depuis La Guerre des Larmes de Sang,
avait réussi à pénétrer, huit jours plus tôt, dans les
marches orientales de Formalow. Ils avaient bénéficié de
l’aide d’une force inouïe qui avait déjoué la résistance
des patrouilles de l’Alliance dans ce secteur. Si la
puissance qui avait permis cette invasion ne les
accompagnait plus, ils étaient pourtant parvenus à longer
l’Est de la Silérie, malgré la poursuite impitoyable des
soldats du Conseil et depuis quelques jours, ils se
déployaient à la lisière Sud de la Contrée des paysans-
forgerons, leur coupant ainsi la route de Myrion et de la
mer intérieure. Les Druides organisaient une expédition
avec les Elfes et les hommes de Salermnos pour attaquer
les arrières des envahisseurs mais, ils craignaient que ces
monstres entrent en Silérie par la plaine méridionale,
puis, se réfugient sur les montagnes centrales où ils
seraient quasiment inexpugnables.
L’armée du Roi devait impérativement gagner Le
Col des Cristaux de Puissance dès l’aube et en occuper
le point culminant avant les Korrigans. Les Silériens
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 44
seraient à un contre dix pendant ce combat. Seule une
position stratégique en plus de leur courage infini
contiendraient la phalange des serviteurs de l’ombre
jusqu’à l’arrivée des alliés de Myrion. Il n’était même
pas question, dans l’esprit de Phérégon, de contourner
les Monts centraux pour atteindre la frontière de Myrion
en évitant ses ennemis. Le monarque ne pouvait laisser
une force adverse aussi importante, s’installer ainsi dans
son pays mais aussi, verrouiller l’accès à la principale
source d’énergie de son peuple. Le sage comprit que les
Silériens n’éviteraient pas ce combat, fut-il perdu
d’avance. Niphilus et son frère Arhus, bien qu’ils ne
soient pas d’une caste militaire, monteraient aussi en
ligne, sans aucune crainte, leur épée à la main, pour
repousser les Korrigans.
- Demain, exposa Mélinos, nous devons partir très
tôt. Nous ne pouvons exiger de vos guerriers un effort de
plus cette nuit. Il leur faut se reposer pour accomplir
l’exploit d’atteindre le sommet du col dans la matinée et
d’affronter, sans doute dans le même élan, les nuées de
Korrigans qui nous sont envoyées.
- Pensez-vous que ces monstres soient venus
jusque-là par hasard ? Demanda Phérégon.
- Non, Sire !!! Arthang le noir et le Seigneur des
Ankous savaient que vous vous alliez vous mettre en
route pour le Conseil de Castel-Druides car ils ont
visiblement appris et compris ma quête en Silérie. J’ai
peur que dans nos propres rangs, la trahison s’installe.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 45
Elle est une force néfaste, bien plus grande contre les
peuples libres, que tous les démons et les artifices des
anciens maîtres de Formalow. Bonsoir Majesté, je dois
aller me reposer aussi car je me battrai à vos côtés et j’ai
des préparations à faire pour nous obtenir quelques
chances dans l’épreuve qui nous attend demain. Venez
Maîtres Niphilus et Arhus, je vous prie, je vais avoir
besoin de vous…
Sur ces mots, les deux forgerons et le sage partirent
ensemble vers leur tente, après avoir salué, une dernière
fois, le Souverain.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 46
- VII -
Le Druide se tenait devant un petit châssis de
cristaux. Il n’utilisa pas le pressoir pour libérer la lumière
et la chaleur des pierres.
Il exécuta quelques passes de ses mains qui
ressemblaient à des serres d’aigle, au-dessus des
gemmes. Ces dernières, se mirent à briller dans
l’obscurité de la tente. Elles ne rayonnaient pas du jaune-
orangé habituel. Elles flamboyèrent d’un bleu clair
brillant. Sous la violence de cette lumière, les traits du
Sage devinrent inquiétants.
Les deux forgerons, anxieux devant la puissance de
leur ami qui activait les cristaux de puissance sans même
les toucher, apportèrent chacun leur lame ainsi que celle
forgée pour l’Elfe par Niphilus et empruntée par Mélinos
dans le but de mener à bien son enquête. Le Sage prit les
armes avec respect et les posa sur les cristaux
scintillants. Aucune chaleur ne se dégageait du châssis,
mais, l’acier des épées devint aussi lumineux que les
pierres. Alors, se concentrant de tout son esprit,
penchant son vaste corps longiligne au-dessus de la
source radiante, le Druide prononça d’une voix forte une
incantation venue du plus profond des âges.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 47
- An becquet ar missen maro, eddroo
guelim gaïa ud meenemt arphazon beliz !
Kemen ar braz patuis enim nam guider peran
istar !
Niphilus, au cours de ses nombreux voyages aux
frontières de la Silérie, avait appris bien des légendes et
avait lu beaucoup de grimoires dans les bibliothèques
qu’il avait visitées. Il connaissait les bases de L’Elfique
du Premier Age, celui d’avant la venue des hommes et
des Silériens. Ainsi, il avait comprit la phrase récitée par
Mélinos :
- Au nom des forces de la nature, que la
puissance de la Terre et des mers renforce le
pouvoir de cette arme ! Que le bras maudit
d’un ennemi ne puisse jamais la manier !
A une époque lointaine qui ne connaissait aucun
Korrigan, aucun Léviathan et nul Seigneur des forces
obscures terrifiant le monde, Les Elfes Géants et leurs
cousins, plus petits, ces créatures sylvestres
bienfaisantes, consacraient leur vie, dans l’abondance de
la jeunesse du Monde, à étudier la magie blanche, les
astres des cieux et la construction des monuments
mégalithiques. Ils avaient développé des techniques
d’envoûtement bénéfique qui puisaient leurs énergies
dans le socle de la vie et du monde. En ajoutant un
charme de ces temps reculés à la construction
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 48
particulière des armes de Niphilus, le Druide venait de
pratiquer le plus ancien rituel des aciéristes de
Nabachton. Et si les principes de forgeage du Silérien
étaient identiques à ceux des fameux artisans du
Royaume Perdu, les trois épées que le Maître du savoir
avait bénies pouvaient, maniées par trois cœurs purs,
repousser seules la légion de Korrigans marchant vers les
Montagnes aux cristaux de puissance.
Et Mélinos se révéla comme un immense détenteur
de la connaissance et des sciences magiques. La lumière
des gemmes sur lesquelles reposaient les lames de
Niphilus diminua. Des runes luminescentes du peuple
des mégalithes apparurent sur les épées. La formule
prononcée par le Druide s’était ainsi inscrite dans l’acier
Silérien. Le Sage prit alors le plus grand glaive et le leva
vers le ciel de la tente. Le tranchant de l’arme scintilla
dans la lueur émise par le châssis de cristaux.
- Suggur ne m’en voudra pas d’utiliser son épée
pour le combat de demain, dit Mélinos. Surtout que
celle-ci est, bel et bien, un merveilleux exemple du
savoir-faire des forges de Nabachton, tout comme votre
poignard Niphilus et le votre Arhus. Mes amis, l’espoir
nous éclaire de nouveau. L’après-midi du prochain jour
verra renaître la grandeur de l’Ancienne Alliance…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 49
- VIII -
Dans la froidure de la matinée crépusculaire,
l’armée de Phérégon marchait à vive allure. Elle montait
la pente du col des cristaux de puissance en s’étendant le
long du chemin étroit et sinueux comme un serpent agile.
Les siluriens faisaient preuve d’une discipline de fer
qui leur assurait, pendant cette ascension dangereuse au
cours de laquelle ils côtoyaient de vertigineux précipices,
une vitesse de progression inouïe et une sécurité totale.
Le Roi et le Druide marchaient à la tête de la colonne.
Suivaient Niphilus et son frère adoptif Arhus, armés de
pied en cap et serrant fort le pommeau de leurs glaives
enchantés. Ils avaient reçu, de leur Souverain, de
magnifiques armures ouvragées avec le plus grand soin et
remarquablement solides, dignes des ferronniers
exceptionnels qu’ils étaient.
Les boucliers des Silériens brillaient dans les
premiers reflets de l’aube, comme les feux d’une coulée
de lave sur le flanc de la Montagne. La Silérie partait de
nouveau en guerre comme au temps jadis. Les paysans
qui, dans la plaine, s’étaient levés tôt pour visiter leurs
troupeaux d’holaongs en pâture dans le bocage,
comprirent que la colonne du Roi allait au devant du
danger. L’allure de la marche des soldats et l’éclat de
leurs armes reflétant l’aube avaient, aux yeux du peuple
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 50
des paysans-forgerons, une signification précise. Alors,
le tocsin résonna dans la campagne Silérienne. Bientôt,
du Nord au Sud de la contrée, les cloches qui, en temps
de paix, appelaient le pays à se réunir pour les fêtes où
quelquefois, à se regrouper pour combattre un incendie
accidentel, sonnèrent l’alerte à l’invasion. Les petits
artisans patauds du Roi Phérégon se transformèrent, en
quelques heures, en une puissante phalange de
redoutables combattants brandissant sans haine, sans
sauvagerie, mais avec fermeté les meilleures lames de
l’Ancienne Alliance. Sur les traces de leur souverain,
comme un fleuve roulant ses flots majestueux, naissant
aux portes de Mégara et s’enflant indéfiniment des
ruisseaux sortis de chaque village bordant la route de
Myrion, une légion colossale de Silériens se mit en
marche avec détermination. Il n’y avait nul besoin de
recevoir un ordre pour défendre le Royaume. Chacun,
ici, se sentait investi de cette mission depuis la venue des
premiers paysans-forgerons au début des âges.
En deux heures, La garde royale avait parcouru
quatre lieues. Les hommes de Phérégon ressentaient une
grande fatigue, mais, dans le soleil de la matinée, ils
étaient fiers. Ils voyaient déjà la fin de la montée
interminable du col et les gemmes de puissance qui
tapissaient les flancs des sommets. La lumière du jour
était jeune et bondissait sur les faces brutes des pierres
mystérieuses. Toute la Montagne paraissait faite de
diamants précieux. La réserve d’énergie de Silérie était
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 51
certainement inépuisable car, elle était abondante et
exploitée avec parcimonie. Tout à coup, des éclaireurs
quittèrent le haut du chemin et redescendirent en courant
vers leur troupe. Partis le soir-même, sans avoir pris de
repos, ils avaient atteint le point culminant de la route et
surveillé, toute la nuit, le Sud du pays. Installée là-haut,
une sentinelle habile pouvait distinguer le moindre
mouvement jusqu’à l’orée de Myrion.
L’obscurité d’abord et ensuite la brume matinale,
avaient empêché les gardes de repérer quoi que ce soit.
Puis, avec le chaud soleil d’été, l’atmosphère s’était
éclaircie montrant au pays effaré la colonne hideuse des
Korrigans, avec la couleur grisâtre et sale de ses
guerriers, la progression anarchique de ces derniers et les
hurlements des démons qui tombaient, de temps à autres,
dans le vide bordant le chemin, poussés par les
ondulations imprévisibles de leur troupe bestiale.
Ils ne leur restaient plus qu’un tiers de la pente à
parcourir avant d’atteindre le sommet. Ils marchaient
avec vélocité et ressentaient moins l’épuisement que les
Silériens. Il fallait que le Roi et ses hommes prennent
position en haut du col, avant l’arrivée des esclaves du
mal. Phérégon ordonna alors d’une voix tonnante :
- Allez mes amis, encore un effort ! Il nous faut
courir pour arriver encore plus vite là-haut !
Alors, les petits guerriers dont les épaules s’étaient
voûtées sous le poids de la distance impressionnante
qu’ils avaient accomplie depuis leur réveil, se
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 52
redressèrent et, poussant leur cri de guerre : « Pour
Mégara ! La reine des cités ! » Ils se ruèrent vers le point
culminant du col avec férocité. Dans les bocages du
Nord, au pied de la Montagne, le tocsin qui s’était mis à
sonner afin d’appeler leurs camarades à venir les aider,
renforça leur formidable courage.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 53
- IX -
Les Silériens s’étaient massés entre les deux falaises
encadrant le passage du col. Mélinos et Phérégon étaient
postés juste derrière la première ligne de défense,
constituée de leurs soldats les plus forts. Niphilus et
Arhus étaient à leur coté.
Les deux forgerons avaient dégainé leurs glaives et
les tenaient d’une main ferme. Ils étaient prêts à frapper
d’estoc et de taille les têtes et les bras des Korrigans qui
tenteraient de passer outre le mur des boucliers de la
garde.
La passe n’était pas large et le nombre, sur ce
chemin, n’était pas un atout pour des combattants. Avec
vingt soldats fermant le col, en ajoutant trente autres en
réserve, afin de remplacer les blessés, un bon stratège
pouvait résister des heures contre les Korrigans des
landes. Seuls ceux des montagnes, aussi grands et forts
que les hommes des abers de Salermnos étaient aptes à
briser, en perdant beaucoup des leurs, une ligne de
défense Silérienne.
Sur la pente Sud du col, les démons approchaient.
L’escorte du Roi entendait l’écho des sommets si purs de
ce pays, gémir sous les grognements et le langage infect
des monstres. Très gras, le cuir tanné de leur visage
chiffonné crispé dans l’effort, les Korrigans avalaient le
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 54
dernier quart de lieue les séparant de leurs ennemis
quasiment sur quatre pattes, tels des loups affamés de
guerre et de sang.
Si les esclaves du mal manquaient de courage, ils
supportaient bien la douleur et l’effort. Ils étaient
d’effrayants guerriers pour cette raison. Pendant la chute
de Formalow, des soldats libres avaient vu les démons de
l’Empereur, les flancs ouverts et les entrailles pendantes,
se battre encore avec fureur tant qu’ils n’avaient pas vu
leurs blessures. Pour arrêter des Korrigans, il ne fallait
éprouver aucune haine mais aussi aucune pitié. Il fallait
les tuer sans désir d’infliger la souffrance car, de toute
façon, il eut été vain d’essayer.
Niphilus fit un clin d’œil à son frère. Il avait
beaucoup lu sur les guerres de jadis et possédait une
grande connaissance théorique de ses adversaires. Il avait
tout expliquer à Arhus en émettant les réserves qui
conviennent, puisqu’il n’avait jamais eu de contact direct
avec les forces du mal. Cependant, il était rassurant pour
lui d’avoir appris leurs faiblesses et leurs forces, ne fut-
ce que par la lecture. S’il survivait à cette bataille, il
aurait désormais une expérience pratique des Korrigans.
Les premiers démons essoufflés se ruaient vers les
gardes du Roi en brandissant leurs grossières lances. Ils
affectionnaient ses armes qui tenaient à distance leurs
ennemis. Pourtant, ils perdirent rapidement leur entrain.
Les pointes d’acier fabriquées dans les cavernes
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 55
d’Arthang ripèrent sur les boucliers silériens sans même
rayer la surface brillante et lisse de ceux-ci.
Niphilus frappa le premier, comme l’eut fait la
foudre. Un des plus gros et des plus féroces esclaves du
mal, déséquilibré dans son élan par le détournement de
son pic, fonça vers le petit forgeron avec un cri de haine.
Le métallurgiste sauta de coté et, pendant que son
agresseur le frôlait, il lui trancha la tête au passage. Un
sang glauque et nauséabond se répandit dans le sillage du
corps décapité qui courut ainsi jusqu’au bord du chemin,
puis, se précipita dans le vide le bordant. L’épée du
Silérien flamboyait d’un éclat sanglant. Elle n’avait subit
aucune secousse ni freiné sur aucun obstacle en cisaillant
la colonne vertébrale du Korrigan.
Arhus sectionna les mains d’un officier maléfique
portant la livrée d’Arthang. Il le termina en lui passant
son poignard à travers la boîte crânienne. Mélinos,
grandiose et vif comme un tigre, fit virevolter sa large
épée dans la masse des agresseurs. Le vieux Sage était
particulièrement robuste malgré son apparence
longiligne. Des flots de sangs jaillirent des gorges
entamées mortellement et des flancs déchirés, en dépit
des lourdes armures.
Il y avait bien longtemps que les légions d’Arthang
le Noir n’avaient pas goûté une telle résistance des
paysans-forgerons. Elles firent grise-mine de ces
retrouvailles peu amicales et quittèrent le point culminant
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 56
du col en laissant deux centaines de leurs membres
définitivement couchés là, sur les cristaux de puissance.
La ligne de défense avait tenu bon. Constituée de
quarante solides Silériens arc-boutés sur des boucliers
quasiment indestructibles, elle avait repoussé le premier
choc avec une facilité étonnante. Les quatre cents
hommes de Phérégon restés en réserve, derrière la
passe, piaffaient d’impatience. Ils avaient hâte d’en
découdre avec les démons d’Arthang. Mais le moment
n’était pas encore venu. Le Druide et le Roi observaient
l’armée ennemie qui refluait en désordre sur la route du
col. Vers l’horizon, dans la lointaine plaine s’étendant au
pied des montagnes, on pouvait observer l’émeraude des
lisières de la Forêt de Myrion. Quand viendraient enfin
les renforts ? Personne ne pouvait le dire.
Les Korrigans venaient de subir un échec, mais ils
n’avaient pas encore prononcé leur dernier mot.
Mélinos, Arhus et Niphilus le découvrirent bien vite.
Dans les rangs noirâtres de leurs adversaires, les trois
alliés distinguèrent un mouvement brutal. Une vague
bouscula la masse hideuse. Quelques démons furent
projetés hors des rangs sur les cristaux de puissance et
quelques-autres chutèrent avec un hurlement d’effroi
dans le précipice longeant les sinuosités méridionales du
chemin. En tête des esclaves du mal, écartant leurs
proches parents sans ménagements, apparurent alors
d’immenses Korrigans des montagnes.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 57
Aussi grands que les puissants marins des abers de
Salermnos, plus résistants que les Elfes Géants de
Myrion et plus farouches que les sorciers des Terres
Sauvages, ces effrayants serviteurs d’Arthang étaient
capables, avec leur lourde massue de granit, d’infliger de
douloureuses pertes aux courageux paysans-forgerons de
Silérie.
Phérégon et Mélinos hurlèrent des ordres rapides.
Ils demandèrent à d’autres soldats de renforcer le mur de
boucliers. De rudes Silériens s’avancèrent vers la ligne
de défense. Ils augmentèrent la résistance du rempart
d’acier. Leurs camarades blessés en contenant le
premier assaut, bien qu’ils n’aient eu que de légères
écorchures revinrent au second rang avec les vaillants
chevaliers royaux aux glaives acérés. Leur rôle serait de
neutraliser les agresseurs qui parviendraient à franchir les
boucliers. Cette mission dangereuse restait moins
éprouvante physiquement que le soutien de la défense
directe.
En contrebas, les puissants Korrigans des
montagnes s’étaient regroupés et brandissaient leurs
armes terribles. Ils grognaient avec fureur en exhibant
leurs mâchoires carnassières sous leurs lèvres
retroussées. Ils frappaient le sol de leurs massues. Les
sommets encadrant le col tremblaient et les cristaux de
puissance qui jonchaient le flanc des monts tressaillaient
sous les coups. Quelques gemmes, gorgées de lumière et
de chaleur, se mirent à rayonner sous les chocs.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 58
Alors, les corps monumentaux des monstres
apparus dans la montée, se lancèrent contre les Silériens
dans une charge désordonnée et terrible. Le coup porta.
Les boucliers repoussèrent une grande partie des
ennemis, mais, trois brèches furent ouvertes par le
formidable choc des gourdins de pierre. Des soldats du
premier rang de Phérégon furent rejetés jusque dans les
lignes de réserve sous l’impact hallucinant.
Voyant leur camarade à deux doigts de céder,
malgré leur courage, Niphilus, Arhus, Mélinos et le Roi
lui-même, se ruèrent sur les gigantesques Korrigans. Le
Druide furieux fracassa, dès le premier coup de taille de
son épée, le heaume et le crâne du plus robuste ennemi
qui dirigeait l’attaque. Les deux forgerons géniaux
passèrent en trombe dans la forêt de jambes noueuses
qui se dressaient devant eux et, fauchant joyeusement les
obstacles avec leurs glaives flamboyant de colère, ils
tranchèrent une multitude de membres sinistres,
invalidant efficacement leurs nombreux adversaires
redoutables. Vifs comme la foudre et précis comme
l’aigle, les deux aciéristes se révélèrent des combattants
exceptionnels et leurs armes se montrèrent dignes des
lames de Nabachton, dont elles étaient les héritières
méritantes. Phérégon, massif et courroucé, massacrait
aussi avec ardeur au-devant de ses soldats qui achevaient
les vaincus sans pitié. Les grands Korrigans, malgré leur
force physique, n’étaient pas assez rapides pour tuer ces
phénoménaux petits guerriers à la résistance meurtrière,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 59
ni le grand Druide, plus dangereux qu’un tigre de
Myrion. Pris entre le mur de boucliers qui se refermait
après l’impact et les Silériens teigneux, de nombreux
combattants colossaux d’Arthang le Noir périrent dans
une effroyable débandade.
La seconde vague d’assaut des esclaves du mal
reflua vers la montée méridionale du col, abandonnant
les morts par centaines dans sa fuite. Cependant, les
paysans-forgerons avaient souffert eux-aussi. Les
réserves furent obligées de combler les brèches ouvertes
dans la ligne de défense tandis que des soigneurs
venaient à l’avant-garde, profitant du recul des
Korrigans, pour recueillir les malheureux Silériens
tombés dans la mort ou l’inconscience.
A peine Phérégon et ses hommes avaient-ils rétabli
l’organisation de leur défense, que Mélinos cria depuis le
mur de boucliers derrière lequel il observait la retraite
des démons géants :
- Ô Roi, ils se déploient jusqu’au sommet des
montagnes. Ils veulent nous déborder par le nombre et
certainement nous encercler.
- Prenez le commandement de mes archers mon
ami, dit le Seigneur des Silériens. Je reste dans la passe
pour maintenir le chemin libre. Vous, harcelez-les depuis
les hauteurs. Faisons vite Maître Druide !
La grande silhouette du vieux sage se dressa devant
les lignes de réserve et lança de sa voix tonnante :
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 60
- Allez ! Courageux enfants des royaumes libres,
vous avez entendu votre souverain… Prenez vos arcs et
suivez-moi ! Que la moitié d’entre vous escalade le flanc
Est du col, sur mes traces ! Que les autres montent à
l’Ouest avec Niphilus et son frère !
Aussitôt, deux colonnes de Silériens se ruèrent sur
les champs de cristaux de puissance qui tapissaient les
monts encadrant la passe. Les paysans-forgerons
s’alignèrent avec intelligence jusqu’aux sommets des pics
et rapidement bandèrent leurs puissants arcs métalliques,
pointant leur flèche vers la masse compacte des
Korrigans qui se répandait, elle aussi, sur toute la largeur
du goulet jusqu’aux hauteurs dominant celui-ci.
Alors, en tapant du pied et en grognant dans le
rythme de leur marche pesante, les démons avancèrent
vers la ligne étirée des Silériens si peu nombreux. Pour
Mélinos, Niphilus, Arhus et Phérégon, la stratégie était
très simple. Il fallait massacrer le plus grand nombre
possible des créatures d’Arthang le Noir avant que le
corps à corps avec eux ne commence. Les Silériens, à un
contre dix ne pourraient pas tenir longtemps malgré leur
courage et les armes magiques qui les avantageaient
depuis le début de la bataille, devant une telle nuée de
chimères insensibles à la douleur.
- Choisissez bien votre cible ! Ordonnait le Druide.
Tirez pour tuer ! Les Korrigans d’Arthang n’ont aucune
pitié pour les peuples libres. Ils vous haïssent avec tant de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 61
hargne, qu’ils se sont alliés au plus noir des monstres nés
dans les Âges Révolus, pour vous détruire.
Sur l’autre flanc, Niphilus commandait avec plus de
pragmatisme :
- Ils ont une faiblesse que leurs armures, manquant
de souplesse, ne peuvent protéger. C’est le point précis
qui sépare la gorge du torse. Si vous les atteignez-là, ils
tomberont instantanément, sans souffrance cruelle et
inutile. Vous devez en abattre le plus possible. Nous
devons résister jusqu’à l’arrivée des renforts car, si nos
amis sont mobilisés dans la plaine, leur avant garde ne
parviendra ici que dans la soirée. Les Elfes Géants de
Myrion marchent également à notre secours, mais, nous
ne savons pas où ils se trouvent actuellement, et, ils
peuvent êtres retardés dans leur progression par des
groupes d’adversaires laissés en arrière sur la montée
sud du col.
Les archers Silériens acquiescèrent, sans même
quitter des yeux les cibles qu’ils avaient déjà choisies.
Pendant ce temps, les monstres approchaient dans
un bruit de tonnerre et de grouillement affolant. Plus ils
avançaient, mieux les formidables tireurs Silériens
distinguaient leurs objectifs. Quand il furent à bonne
distance, les ordres de Niphilus et de Mélinos lâchèrent
en même temps la pluie de traits sur l’ennemi. Tout le
premier rang des Korrigans s’effondra sur le sol et roula
dans le chemin, en contrebas, engorgeant celui-ci des
corps maudits des démons. Ces derniers marquèrent un
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 62
arrêt. Aussitôt, une autre volée de flèches tomba sur
l’armée sinistre. Mais cette fois, des boucliers frappés de
la livrée d’Arthang le Noir, évitèrent aux monstres de
tomber en aussi grand nombre qu’à la première salve.
L’attaque était provisoirement contenue, mais les
Korrigans comptaient aussi des archers dans leur armée.
Derrière leurs rangs d’infanterie, deux milles arcs
s’armèrent. S’ils étaient moins puissants et précis que
ceux des Silériens, leur multitude les rendait invincibles.
Aussitôt, le ciel ensoleillé s’obscurcit sous le nuage de
traits qui s’était élevé au-dessus de la bataille et
retombait comme une trombe de pluie sur l’escorte de
Phérégon.
Les tireurs de la garde du Roi, en général, ne
montaient pas si loin à l’ennemi. Moins puissants
physiquement que les chevaliers et les porteurs de
boucliers, ils étaient plus habiles et plus prompts à
l’esquive. Leurs armures ne les protégeaient pas comme
celle des hommes du premier rang. Seul un grand
bouclier, qu’ils attachaient dans leur dos et qu’ils ne
déployaient qu’entre deux salves de leurs flèches,
pouvait leur éviter de graves blessures. Mais, sous la
grêle intense des pointes empoisonnées, la surprise les
engourdissait. Plusieurs dizaines d’entre eux tardèrent à
se retrancher derrière leur pavois. Souvent, ils ne furent
qu’égratignés par les traits des Korrigans.
Malheureusement, les philtres maléfiques dont étaient
enduites les flèches des démons tuaient en quelques
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 63
secondes. La ligne des Silériens se clairsema. Les
paysans-forgerons se reprirent bien vite et se
recroquevillèrent derrière leur bouclier non sans avoir
encore abattu un bon nombre d’ennemis par vengeance.
Niphilus, Arhus, Mélinos, Le Roi et les défenseurs du
chemin, solidement protégés par leur cuirasse et leur
cotte d’acier, tournèrent le dos à la pluie mortelle, puis,
attendirent qu’elle perdit sa violence.
Les démons reprirent leur avance, imperturbables.
Les archers Silériens envoyèrent encore une bordée. Ils
devaient faire vite et l’efficacité de leur visée en souffrait.
Cette fois, les monstres ne ralentirent même pas leur
progression.
Le Druide s’inquiétait. Ses compagnons se feraient
plutôt massacrer que de céder devant leurs agresseurs. Il
fallait que le vieux Sage trouve un moyen efficace pour
repousser les forces du mal avant le corps à corps. Les
envahisseurs représentaient encore une telle multitude…
Mélinos se retourna brutalement en dépit des flèches qui
crépitaient contre son armure. Des cris de guerre
s’élevaient autour de lui et montaient du chemin. Le Roi
et son infanterie attaquaient la ligne des Korrigans en son
centre. Sur le flanc Ouest, Niphilus et son frère, entourés
de boucliers tenus par les plus solides archers de leur
compagnie s’avançaient vers les démons en faisant
tournoyer leurs glaives flamboyants. Un courage insensé
animait les petits habitants de ce pays surprenant. Ils
accomplissaient leur devoir avec une détermination
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 64
quasiment Elfique. Tout à coup, le moyen de la victoire
apparut au Gardien du savoir.
Sous le poids des Korrigans, les gemmes de
puissance s’illuminaient. Elles ne s’activaient pas
complètement mais, les pieds lourds et violents des
démons libéraient une petite partie de l’énergie
accumulée par les cristaux au soleil d’été. Alors, le
Druide se dressa de toute sa taille en rayonnant d’une
formidable « aura » magique. D’un simple regard, il
renvoya les flèches qu’on lui adressait avec une telle
fougue qu’elles transpercèrent plusieurs rangs de
monstres en provoquant la terreur de ceux-ci. Mélinos
tonna ensuite de toute sa voix profonde et claire, à
l’attention de ses alliés :
- Amis reculez vite ! La magie des Âges Oubliés va
sceller le destin de cette légion maudite. Il lança ensuite
en Elfique ancien, tout en brandissant son épée et en
écartant ses interminables bras. Ahr kazem peran
him perzian broadir !
Niphilus, son frère et les archers qui les
protégeaient n’eurent que le temps de bondir en arrière.
Phérégon ainsi que sa troupe de chevaliers et de porteurs
de boucliers reflua sur le chemin, derrière la passe. Les
cristaux flambaient brutalement d’un éclat blanchâtre.
Ce n’était pas le rayonnement rougeoyant et pourtant
chaud, habituel, c’était une lumière insupportable mais
aussi une chaleur quasiment solaire qui se dégageaient
des flancs de la montagne occupés par les Korrigans.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 65
Ceux-ci hurlèrent et, instantanément, brûlèrent comme
des torches tandis que leurs armures fondaient sur leur
corps et leurs glaives dans leurs mains racornies par la
température. Même les démons restés sur le chemin
tombèrent foudroyés par l’énergie ainsi libérée. La neige
des hauteurs, vaporisée, s’échappait désormais vers le
ciel en sifflant tandis que la roche des monts commençait
elle-même à rougir. La voix du vieux Sage domina de
nouveau le tumulte :
- Sinhem Ahr kazem peran non corian
broadir !
La débauche de lumière et de feu cessa aussitôt.
Les gemmes refroidirent et reprirent leur magnifique
éclat bienfaisant, ne laissant aucune trace des corps
démoniaques qu’elles avaient anéantis. Aussitôt, les
chants d’une vaste troupe de Silériens retentirent sur la
montée Nord du col. L’avant-garde de l’armée
regroupée en urgence par le peuple des paysans-
forgerons arrivait enfin au secours de son Roi avec la fille
de ce dernier en tête.
Les surprises n’étaient pourtant pas terminées. Des
officiers Korrigans terrifiés, qui avaient pourtant pris soin
de rester en retrait de leurs hommes pendant la bataille,
vinrent s’embrocher, tels des animaux affolés par un feu
de forêt, sur les épées des chevaliers Silériens qui
fermaient encore la passe. La fuite éperdue des démons
s’expliqua quand une phalange d’Elfes Géants, de
Marins et de druides, apparurent dans la montée
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 66
méridionale du col en chantant à l’attention de Phérégon
et de son peuple courageux :
- Tenez bon ! Seigneurs des forgerons ! Vos amis
de la Forêt et du Golfe viennent vous porter secours dans
la peine de ce jour que nous transformerons tous en
joie…
Mélinos, le Roi et tous ses hommes éclatèrent en
larmes de bonheur. Même s’ils arrivaient avec un peu de
retard, il était bon d’entendre des camarades aussi
joyeux de vous tendre la main…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 67
- X -
La grande légion de Korrigans qui venait de
trépasser sous les coups furieux de la magie déployée
par Mélinos, n’était qu’une petite patrouille détachée des
armées d’Arthang Le Noir.
Ces démons ignobles étaient venus dans le Monde à
la fin de « l’Age d’Or des Forêts ». Les Ankous, en ce
temps-là, commandés par l’Empereur à la puissance
encore jeune, avaient détourné la force magique des
dolmens construits dans le Nord-Est par les Elfes quand
ceux-ci étaient les seuls habitants de Formalow.
Ces allées couvertes canalisaient les forces
telluriques du Monde. Elles étaient utilisées par les
créatures bienfaisantes pour apporter la guérison, révéler
le pouvoir des jeunes magiciens ou bien communiquer
avec l’être absolu, créateur de Formalow.
Les mégalithes des créatures sylvestres, tant qu’ils
se trouvaient entre de bonnes mains, répandaient le
bonheur autour d’eux. Lorsque les forces du mal les
eurent asservis, ils leur autorisèrent l’aliénation des âmes
obscures issues des profondeurs de l’enfer. Des corps
furent produits par magie, en cultivant des cellules vitales
de prisonniers. Ces enveloppes de chairs contrefaites
furent ensuite associées à des énergies maléfiques
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 68
appelées des profondeurs sinistres du royaume des
Maudits.
Bientôt, des sortilèges terrifiants, amplifiés par les
dolmens infernaux, permirent aux plus puissants Sorciers
et aux Ankous d’envoûter le corps des enfants en
gestation dans le sein leur mère, afin que ceux-ci
accueillent des esprits maléfiques. L’abomination se
révélaient des années plus tard, dans des circonstances
astronomiques exceptionnelles.
Les forces du mal pouvaient en quelques semaines,
par ces méthodes odieuses, reconstituer une armée d’un
demi-million de serviteurs détruits par la guerre. Ces
monstres haïssaient les êtres naturels avec une hargne et
une sauvagerie indescriptible.
Créés et animés dans les montagnes, les démons
des Ankous devenaient incroyablement robustes et forts.
Quand ils avaient vu le jour dans les plaines, ils avaient
une constitution plus chétive mais possédaient alors une
ruse et des pouvoirs de dissimulation bien plus grands.
La merveilleuse victoire du Col des Cristaux
d’énergie, avait été belle, mais elle n’était pas décisive
pour la nouvelle guerre qui se préparait. De plus, les
forces de l’Alliance devaient impérativement se
regrouper et s’organiser afin de détruire définitivement
leurs ennemis ou bien accéder aux dolmens infernaux
pour en annuler les pouvoirs.
Le Conseil des Peuples Libres allait se réunir dans
le but de juger des ressources dont ils disposaient pour
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 69
enfin atteindre un de ses objectifs. Mais sans l’aide du
royaume perdu de Nabachton, le seul pays bienfaisant
qui n’avait pas été dévasté cruellement par « La Guerre
des Larmes de Sang », cet espoir ne serait qu’un rêve
inaccessible et les forces d’Arthang et du Seigneur des
Ankous domineraient bientôt Formalow pour toujours.
Les deux monstres finiraient même, peut-être, par faire
tomber la puissante Nabachton.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 70
- XI -
La mer intérieure de Myrion s’étendait sous les
yeux de Niphilus. Les survivants de la troupe silérienne
accompagnant Phérégon, ainsi qu’une cohorte de leurs
alliés avaient franchi le poste frontière de Myrion et
étaient enfin arrivés sur le port de Perna’ch. Le forgeron
avait beaucoup voyagé en Silérie. Il avait consulté de
nombreuses cartes de Formalow et admiré des centaines
de gravures exécutées par de grands explorateurs des
Âges Perdus. Cependant, il lui fallait reconnaître qu’il
n’avait jamais éprouvé l’impression ressentie par lui,
aujourd’hui, devant la formidable masse d’eau douce qui
couvrait quarante lieues de long sur vingt autres de large.
Et cette immensité n’avait rien de comparable à
celle de l’Océan Extérieur dont les limites étaient
inconnues des peuples libres, même des Marins de
Salermnos. Le forgeron se demandait si les aventures
dans lesquelles il était engagé maintenant, le conduiraient
un jour ou l’autre sur les rives du Golfe. Il se disait que si
la guerre contre Arthang le Noir et le Seigneur des
Ankous s’achevait de son temps, lui qui adorait la
géographie pourrait certainement naviguer sur un bateau
de Salermnos et se rendre, en compagnie des glorieux
marins des abers, vers de nouveaux mondes encore
inconnus.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 71
Déjà, il allait vivre une expérience extraordinaire de
plus. Il allait gagner, sur une flotte de solides navires à
rames, l’île où était construite la forteresse de Castel-
Druides. On disait que ce cœur de la résistance contre
l’Ancien Empire et les débris de malfaisance qu’il avait
abandonnés dans sa chute, était le lieu le plus enchanteur
de l’ancienne Formalow. Les Sages avaient bâti cette cité
en y regroupant tous les bienfaits de la science, de la
nature et de la magie et il était difficile, pour quiconque
n’ayant jamais eu la chance de visiter ce haut lieu, d’en
imaginer la beauté et la grandeur.
Mélinos s’approcha du Silérien qu’il trouvait
songeur. Il posa sa main sur l’épaule du petit aciériste et
lui déclara :
- Vous vous êtes montré d’un courage exceptionnel,
Maître Niphilus, pendant la bataille du col aux cristaux
de puissance. J’en ai, un instant, oublié que vous n’étiez
pas un militaire tant vous avez assumé votre mission avec
rigueur et efficacité. En chaque Silérien, il existe donc un
redoutable ennemi des forces du mal ?
- Comment le savoir Seigneur Mélinos, répondit
Niphilus. Mes lectures et mes voyages m’ont beaucoup
aidé là-haut. Mais si vous n’étiez pas intervenu, malgré
mes armes et la force de la garde royale, nous aurions
perdu ce combat.
- Je n’ai fait qu’apporter la touche finale à l’œuvre
de toute une valeureuse escouade, déclara le vieux Sage.
Quant à vos lames, mon ami, trois d’entre elles
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 72
seulement ont suffi à refouler la charge d’une puissante
phalange de Korrigans des Montagnes, les plus forts
guerriers mortels du Seigneur des Ankous. Alors,
imaginez que tous les hommes de l’escorte de Phérégon
aient disposé de vos épées ? Nous aurions sans doute
perdu moins de compagnons et nous n’aurions pas eu à
pratiquer, dans l’urgence, une magie oubliée pour
vaincre.
Après le combat de la passe des cristaux de
puissance, trois armées alliées, fortes dans leur
ensemble, de vingt milles combattants des trois espèces
opposées aux forces maudites, avaient opéré leur
jonction au cœur de la Silérie. Rapidement, les Druides,
le grand Mélinos en tête, avaient été sollicités pour
commander cette avant-garde de l’Alliance renaissante.
Depuis la fin de La Guerre des Larmes de Sang, jamais
une si grande troupe n’avait été réunie par les peuples
libres. L’espoir revenait avec cette victoire, et surtout, sur
cette montagne si pure, s’était cimentée, une fois de plus,
la fraternité des espèces les plus dissemblables, aspirant
au même idéal exhumé des cendres froides d’un
incendie ayant, jadis, changé le monde.
Les capitaines des Elfes Géants et des hommes des
abers, au cours du conseil de campagne qui s’était
imposé après la bataille, s’étaient mis aux ordres du
courageux Roi Phérégon puisqu’ils se trouvaient sur les
Terres de ce souverain. Mais ce dernier, dans sa sagesse,
avait prié les Maîtres du savoir, dont le labeur pour
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 73
conserver les secrets de l’Histoire vivants était reconnu,
de conseiller et de coordonner toutes les actions qui
naîtraient des conséquences de l’attaque des Korrigans.
Le Seigneur des paysans-forgerons put mesurer la
perspicacité de sa décision en découvrant la complexité
des plans que dessinèrent et appliquèrent, en quelques
heures, les Druides. Avant tout, ils scindèrent l’avant-
garde de la Nouvelle Alliance en deux parties.
Désormais, la Silérie était entrée en guerre et
comme les êtres maléfiques s’acharnaient contre elle, il
fallait d’urgence protéger la frontière septentrionale de
ce royaume. Dix mille soldats partirent donc sur-le-
champ en direction des marches du Nord, afin d’appuyer
les petites patrouilles Silériennes de garde-frontière. A
ces unités, on expédia des dizaines de pigeons de feu
avec des messages de leur Roi et de la Princesse
Saurane. L’objectif de l’Alliance était désormais de
réunir tous ses combattants d’élite afin de reconstituer de
nouveaux corps d’armée, susceptibles de repousser la
menace grandissante des légions d’Arthang et de
l’ancien lieutenant de l’Empereur.
Pendant les huit cents années de paix vigilante, des
actions de guérilla avaient été particulièrement efficaces
contre les lambeaux des forces du mal. Celles-ci avaient
été contenues dans les déserts septentrionaux avec de
très petites pertes pour les Peuples Libres tout en
entretenant leur combativité. Et ces exercices pratiques
de guerre contre la haine et le malheur, n’avaient pas été
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 74
inutiles bien qu’ils aient parfois abouti à de douloureuses
épreuves pour les soldats du bien. En effet, au cours de
la grande bataille du col des cristaux, l’Alliance avait su
éveiller sa puissance endormie par une paix fragile de
huit siècles.
L’autre partie de l’avant-garde de l’Alliance, fut
alors dirigée par les Gardiens du savoir, vers le Nord-Est
de l’Ancien Empire de Formalow. Elle devait réunir les
petits groupes de sentinelles qui avaient été mis à mal par
une force inconnue, au début de l’invasion des
Korrigans. Il fallait déterminer ce qu’était ce nouveau
pouvoir des Ténèbres et surtout, le contenir jusqu’à la
grande assemblée de Castel-Druides. Pendant ce grand
événement, les connaissances récoltées et renforcées par
les Sages seraient révélées aux Seigneurs des peuples
libres. Elles leur donneraient certainement de puissants
moyens de lutte contre les différents maléfices sans cesse
inventés par les émules de l’Empereur Déchu.
Niphilus restait silencieux. Tout en songeant à
l’avenir du Monde, il continuait d’observer la grande
jetée du port de Perna’ch sur laquelle s’étaient installés
les deux cent cinquante Silériens de l’escorte de
Phérégon qui étaient indemnes après les combats, les
quatre cents Elfes Géants ainsi que les trois cents marins
de Salermnos ayant accompagné le Roi de Silérie et ses
compagnons dans leur traversée des sous-bois de Myrion
jusqu’à la Mer Intérieure. Le petit forgeron scrutait aussi,
de temps à autre, l’horizon qui commençait à rougir
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 75
doucement sous le soleil couchant. Il attendait avec
impatience l’arrivée des grands navires de Castel-
Druides.
D’aucuns prétendaient que ces longs vaisseaux,
mus par deux rangs de rames, étaient les plus
confortables et les plus sûrs bateaux qui existaient.
Même les nefs des abers de Salermnos, robustes et
maniables, n’étaient pas vastes et puissamment armées
comme les galères de Myrion. Les marins du golfe
utilisaient principalement des voiles pour propulser leurs
bateaux. Les Druides, plus techniques, avaient mis au
point une machinerie qui permettait d’animer les rames
de leurs embarcations, par les forces combinées de
plusieurs attelages de licornes entraînées à ce travail. La
tâche demandait de la part des animaux un dévouement
profond à leurs maîtres. Cependant, comme les
splendides montures étaient toujours bien traitées et
même choyées par ces derniers, le service rendu était
exemplaire et les vaisseaux de la Mer Intérieure
naviguaient toujours vite et bien.
Les hommes des abers auraient été heureux
d’intégrer dans leur fabuleuse flotte plusieurs galères de
Myrion. Mais, il était quasiment impossible d’en
construire sur les rives de Salermnos, et, nulle rivière ou
canal ne partait de la Mer Intérieure pour rejoindre le
Golfe. Les possibilités de renforcer la force maritime des
hommes, allait pourtant être discutée durant le Conseil.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 76
Soudain, les yeux perçants de Niphilus découvrirent
dans les feux du soleil mourant, au sud du port, les
silhouettes de l’Armada de Castel-Druides. Comme
l’affirmaient les récits de voyageurs et les dessins
qu’avait consultés le métallurgiste érudit, au cours de ses
voyages en Silérie, les nefs des Maîtres du savoir étaient
belles et pourtant, elles donnaient une impression de
force hallucinante.
Les trente forteresses flottantes aux hauts bords de
blanches pierres légères et résistantes, se déplaçaient
rapidement sur l’eau comme des albatros dans le ciel,
malgré leur construction évoquant les fortifications des
royaumes libres. Elles furent bientôt prêtes à s’ancrer le
long de la jetée ou bien dans l’anse de Perna’ch. La
manœuvre d’approche d’amarrage des immenses nefs,
fut parfaite. Les Silériens, peu habitués aux choses
maritimes, comme les hommes des abers pourtant
rompus à la navigation, furent admiratifs devant
l’ampleur et la précision de cette opération.
Dans les flancs des gigantesques galères, 3000
cavaliers elfiques et humains avaient été amenés en
urgence. Ils allaient eux-aussi, comme les renforts qui
étaient apparus à la fin de la bataille du col des cristaux
de puissance, se séparer en deux troupes qui gagneraient
respectivement le Nord et le Nord-Est des marches des
Terres Sauvages. Une cavalerie plus importante faisait
déjà mouvement par les sentiers secrets de la grande
forêt, mais cette avant-garde parviendrait plus
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 77
rapidement sur la frontière. Elle faciliterait l’attente des
renforts aux hommes déjà en première ligne.
Le débarquement de cette phalange montée se fit en
peu de temps. Une partie descendit directement des
bateaux amarrés le long de la jetée. L’autre fut
transférée des galères qui l’avaient transportée jusqu’au
quai et qui étaient ancrées en pleine eau, par
d’étonnantes barges de débarquement. Celles-ci
sortirent, au grand étonnement de tous les spectateurs,
des flancs des grands navires où elles étaient dissimulées.
Lorsque toute l’escouade de licornes, d’hommes et
d’Elfes Géants, fut réorganisée sur la jetée, elle s’aligna
en une superbe colonne large de quatre cavaliers, puis,
avança vers le port entre leurs camarades et les silériens
attendant l’embarquement qui formaient une haie
d’honneur. Le récit de la bataille du col avait dû leur être
apporté par des pigeons de feu car, en passant devant les
soldats de Phérégon, les chevaliers du Golfe et des
combes forestières des Monts du bout du Monde,
abaissèrent toutes les bannières des Seigneurs des abers
et de Castel-elfe afin de rendre honneur au peuple des
paysans-forgerons.
Le courage de ces combattants de petite taille mais
aux cœurs vaillants, avait été une fois de plus démontré
et nulle autre espèce libre ne le méprisait. Bien au
contraire…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 78
- XII -
Les galères de Myrion approchaient de l’île de
Castel-Druides. A peine embarqués Phérégon et ses amis
avaient senti que la flotte des gardiens du savoir reprenait
la route pour rejoindre la principale forteresse de la Mer
intérieure.
Niphilus, infatigable curieux se tenait sur le château
de pilotage du bateau. Des Druides marins, Phérégon, la
Princesse Saurane, Mélinos et son frère Arhus étaient là
aussi, contemplant la marche étonnante du navire.
Les navigateurs commandaient et dirigeaient le
vaisseau depuis une tour élevée au milieu du pont de la
galère. De cette place renforcée par des murs de pierre
et un vitrage très translucide mais infiniment résistant, il
était possible de voir toute la flotte et la zone dans
laquelle celle-ci évoluait, sur des lieues et des lieues à la
ronde. Le forgeron et son frère avaient étudié la roche
qui composait les remparts du bateau. Elle était blanche,
moins dense que du bois et pourtant capable de
supporter de terribles coups de béliers sans se fissurer.
Derrière les murailles protégeant le pont de
l’embarcation, de formidables catapultes devaient servir,
en cas d’attaque, à répondre aux assauts. Ces machines
de construction soignée semblaient particulièrement
menaçantes aux Silériens.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 79
Les Druides marins savaient choisir leur cap et la
vitesse des galères. Elles répondaient docilement à leur
capitaine et devaient représenter de redoutables machine
de guerre pour les ennemis des Gardiens du savoir.
Tout à coup, dans la lumière rasante du crépuscule,
la silhouette de la merveilleuse île de Castel-Druides se
découpa. Couverte d’une forêt luxuriante d’un vert
émeraude, entourée d’un littoral découpé par des
rochers de granit rose flamboyant sous le soleil, cette
perle posée sur l’eau pure de la Mer Intérieure, s’élevait
en douceur jusqu’en son centre. Sur ces hauteurs faites
d’une belle colline boisée, l’île se couronnait d’une
formidable Cité fortifiée blanche. Ses murs inspiraient un
respect infini à ceux qui les découvraient. Les colossales
tours qui les défendaient s’ornaient de toutes les
bannières des royaumes libres. Aucune armée, aucune
force magique ne semblait pouvoir anéantir cette
forteresse. Depuis les âges les plus éloignés, Castel-
Druides durait. Ce bastion des forces du bien avait résisté
aux Sorciers, aux Léviathans et à l’Empereur.
Au pied de la ville, dans un cirque imprenable de
granit, le port des Gardiens attendait l’arrivée de la flotte.
Tandis que les trente galères avançaient vers la porte
fortifiée du havre, dans le jour qui diminuait, les
passagers du poste de navigation voyaient maintenant les
nombreux quais où étaient amarrés des centaines
d’autres vaisseaux de Myrion. Soudain, alors que
l’ultime rayon du soleil enflammait les murs de la ville,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 80
des cristaux de puissance, installés dans des lanternes
géantes au sommet des donjons gardant l’accès du port,
furent activés par la magie des Druides. La flotte put
ainsi continuer sa course vers son abri, malgré l’ombre
qui tombait sur la Mer Intérieure.
Dans une progression rapide, cadencée par les
bruits des rames qui entraient et sortaient de l’eau avec
la régularité mécanique de la machine mise au point par
les Druides pour propulser leurs bateaux avec des
licornes, la flotte franchit les tours de garde lumineuse du
port, puis, l’armada vint paisiblement toucher les quais
qui l’attendaient. Le conseil aurait lieu le lendemain et là,
Niphilus saurait enfin ce que les sages attendaient de lui.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 81
- XIII -
Les immenses fenêtres de la salle du Conseil de
l’Ancienne Alliance dominaient Castel-Druides. La
forteresse et son impressionnant système de défense
s’étendaient ainsi sous les yeux des Seigneurs qui
présidaient la réunion des peuples libres.
Neufs trônes étaient installés au fond de la salle. Sur
les trois du centre, il y avait Mélinos qui se dévoilait
comme un grand Maître du savoir, Helmos, le capitaine
des Druides marins et Halfaros, le chef de guerre de la
forêt de Myrion. A Leurs côtés, deux majestueux
Seigneurs des Elfes Géants siégeaient. L’un, Suggur, était
celui qui avait commandé une épée à Niphilus. L’être
forestier avait d’ailleurs fait cadeau de cette dernière à
Mélinos qui l’avait couverte de gloire pendant la bataille
du col des cristaux de puissance. Suggur était le général
en chef de l’infanterie elfique. Namur, l’autre guerrier
sylvestre était le commandant de la cavalerie de ce
peuple. Niphilus, vit aussi que deux Ducs des abers de
Salermnos étaient aussi des membres du Conseil de
l’Alliance ainsi que le Roi Phérégon et la Princesse
Saurane.
La fille du Seigneur des Silériens était belle. Comme
son père, elle était grande et possédait toutes les
caractéristiques charmantes de son espèce, mais, elle
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 82
était aussi dotée des magnifiques qualités humaines des
Princes de Salermnos. Niphilus était ému par cette
beauté féerique. Lui et son frère ne se tenaient pas sur
un trône, mais, ils assistaient à la grande assemblée de la
Nouvelle Alliance aux places d’honneur. Tout à coup,
alors que chacun échangeait son point de vue à mots
couverts avec son voisin, la voix formidable de Mélinos
retentit, provoquant le silence :
- Mes Seigneurs et amis, je suis heureux de vous
voir tous ensemble ici, unis comme l’étaient vos aïeux au
temps de la chute de Formalow. Nous allons
certainement en finir enfin avec les forces maléfiques de
l’Ancien Empire. Bien sûr, nous allons vers de nouvelles
souffrances et nous devrons devancer les Ténèbres pour
réussir mais cette fois, nous ne serons pas payer de nos
peines par une simple paix vigilante, conservée au prix
de nombreux combats meurtriers sur les marches de nos
royaumes. En effet, comme à l’époque où les Royaumes
Perdus n’étaient pas encore séparés de nous par la
désolation d’Arthang le Noir, nous avons retrouvé une
partie du secret des armes qui ont vaincu les Sorciers et
les Léviathans jadis. Ils ne manquent à leur complète
fabrication que les rites magiques qui leur
communiquaient la toute puissance nécessaire à la
destruction des sorts maléfiques protégeant nos ennemis.
Avant la bataille du col, j’ai moi-même appliqué une
bride du cérémonial antique que je suis parvenu à
reconstituer, il y a quelques années, sur des lames
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 83
forgées en Silérie par les aciéristes Niphilus et Arhus,
présent ici auprès de nous. Cette magie, bien que
partielle, fut d’une efficacité redoutable contre une
troupe de grands Korrigans des montagnes. Il est donc
vital que nous tentions tout notre possible pour retrouver
les Royaumes Perdus. Le savoir-faire de notre ami
Niphilus et de son frère viennent de nous apporter les
moyens de rouvrir la passe des Monts du Nord-Ouest.
- Pourriez-vous nous faire partager le récit de la
quête qui vous permit, demanda Suggur, de localiser et
de comprendre les compétences des deux maîtres
forgerons Silériens, Seigneur Mélinos.
Mon cher ami, dit le Druide, lorsque vous m’aviez
confié votre épée pour lui trouver un fourreau
suffisamment résistant, je n’ai pas réalisé tout de suite
l’importance de votre demande. Certes, pour nous deux,
à ce moment-là, il ne s’agissait que d’un problème
technologique à résoudre et non pas d’une découverte
qui pouvait changer l’histoire de cet Age. Ce n’était pas
la première fois que les forgerons du peuple de Phérégon
sortaient de leurs ateliers des lames d’une qualité aussi
surprenante. Cependant, les artisans de Castel-Druides,
souvent admiratifs devant le savoir-faire des
métallurgistes Silériens, montrèrent la plus vive émotion
lorsqu’ils me déclarèrent que votre épée, Seigneur
Suggur, montrait des qualités mécaniques identiques aux
rares lames de Nabachton que nous possédons encore
dans les arsenaux de Myrion et que nous n’osons pas
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 84
utiliser car nous ne savons pas les entretenir, elles ont
toutes huit ou dix siècles d’existence. Alors j’entrepris
aussitôt d’enquêter sur le Maître Silérien ayant travaillé
cette merveille avec une telle dextérité. Je plongeais aussi
dans de longues heures d’étude, au cœur de notre
bibliothèque. J’y exhumais les plus vieux grimoires de
magie et de science de la forge que je parvins à trouver
dans les rayonnages infiniment anciens. Ces ouvrages
millénaires avaient été écrits par les Seigneurs de
Nabachton au temps de la splendeur de ce Royaume,
lorsque les caravanes venues de ce pays perdu
distribuaient les réalisations merveilleuses de ses ouvriers
fantastiques jusqu’aux ports de la Mer Intérieure. J’y
appris une partie des secrets qui firent la réputation des
artisans nabatéens et je compris ainsi que les armes
produites par Maître Niphilus étaient exactement
identiques techniquement aux fameuses lames de jadis.
Seule la magie oubliée, désormais, fait défaut pour
insuffler toute la force du temps passé à nos moyens de
défense. Par la suite, je lisais dans les archives de Castel-
Druides concernant le pays de Phérégon, l’histoire
extraordinaire d’un enfant Silérien de trois ans
découvert, il y a plus d’un siècle, dans un campement
militaire dévasté à l’entrée du Passage Perdu. Cette
escorte venait du Nord-Ouest disparu. Leurs armes et
leurs cuirasses correspondaient aux descriptions des
guerriers de Nabachton remontant à la chute de
l’Empire. Ils avaient été, sans doute, envoyés vers nos
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 85
contrées pour rétablir la communication entre leur nation
et la nôtre, mais, trop peu nombreux, ils avaient été
vaincus par les forces mauvaises d’Arthang Le Noir, qui
grouillent comme un océan furieux, au pied des Monts
du Passage Perdu. Cependant, les desseins du monstre
avaient été contrariés puisqu’un gamin avait échappé au
massacre. Celui-ci, retrouvé vivant par une patrouille de
courageux marins des abers de Salermnos, fut remis au
Roi Phérégon qui régnait déjà en ce temps-là. Le Sage
monarque des paysans forgerons confia le petit à une
solide famille de son pays. Ces braves gens l’élevèrent
dans le bonheur et la simplicité tout en favorisant sa
curiosité naturelle et son esprit ingénieux. Ainsi, je peux
affirmer que notre ami Niphilus est un maître aciériste du
royaume de Nabachton, puisqu’il est l’enfant survivant.
Un grand silence se fit dans la salle du Conseil de la
Nouvelle Alliance. Tous les seigneurs présents
observèrent avec acuité le jeune Silérien tandis que ce
dernier les regardait avec surprise et confusion, sans
prononcer une parole.
- Seigneur Mélinos, reprit Suggur dont les larges et
puissantes épaules avaient frémis d’étonnement. Je suis
certain de la véracité de tous les évènements dont vous
nous faites le récit. Cependant, comment Maître
Niphilus, dont jamais je ne contesterai l’habileté en
métallurgie, peut-il se souvenir d’un art dont il n’aurait
vu l’application qu’au cours de sa tendre enfance, alors
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 86
qu’il ne se rappelle ni d’où il vient, ni comment il est
venu.
- Dans la bibliothèque de Castel-Druides se trouve
un autre ouvrage incomplet sur la transmission du savoir
dans les plus grands Royaumes Perdus, expliqua le
Vieux Sage. Par leurs écrits, je sais que les pédagogues
des mondes oubliés choisissaient jadis les enfants les plus
aptes à apprendre une discipline scientifique, historique
ou ésotérique grâce à la magie. Après leur sélection, les
candidats étaient soumis à une cérémonie télépathique
qui leur inscrivait, dans une zone cachée de leur
mémoire, les connaissances nécessaires à
l’accomplissement de leur destin. Tant qu’ils étaient
enfants, les élèves restaient inconscients de leur
expérience. Cependant, dès la fin de l’adolescence, ils se
mettaient à pratiquer, comme par instinct et avec de plus
en plus de succès, les sciences et les arts pour lesquelles
ils avaient un penchant naturel. Il semblerait que mon
ami Niphilus ait appris, par cette façon géniale, les bases
techniques et théoriques des forges de Nabachton mais
aussi celles de l’exploration et de la cartographie du
Monde de Formalow.
- Voilà qui provoque mon admiration sans limite,
déclara Le Goua’ch, un des Ducs du Golfe de
Salermnos. Nous avons donc dans nos rangs, un des plus
grands concepteurs d’armes des Royaumes Libres. Nous
nous en remettons à vous, Seigneur Mélinos, pour
employer cet extraordinaire avantage au mieux, avec
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 87
l’accord bien sûr, du maître-forgeron et de son estimé
souverain, le Roi Phérégon.
- Effectivement, mon ami, dit le monarque des
Silériens. Dites-nous quel plan adopter à partir d’une
telle découverte ?
- Oui maître Mélinos, lança Niphilus avec passion.
Que puis-je faire pour donner la victoire à la Nouvelle
Alliance ?
- Mon plan est simple et complexe à la fois, assura
le Druide en observant de son regard d’aigle l’aciériste.
Tous les forgerons de Silérie, des forteresses de Myrion,
des abers et des cités elfiques, devront suivre ici, à castel
Druide, un enseignement que vous leur transmettrez,
vous et votre frère. Car il ne faut pas oublier que si vous
connaissez le savoir-faire de Nabachton mon cher ami,
celui qui a partagé fraternellement votre atelier durant les
cent dernières années de votre précieuse existence, les
connaît aussi. C’est une des raisons pour lesquelles le
maître Arhus vous a accompagné ici.
Cette fois, le parent et le confident de Niphilus,
rougit à son tour sous les regards respectueux des Rois
du Conseil.
- Votre première action, à tous deux, sera donc de
former les artisans d’une formidable institution destinée à
armer les bras des peuples libres, dans le but unique de
repousser le mal. Mais votre contribution à cette victoire
ne se limitera pas à ce rôle honorable de professeur.
Deux chemins séparés, malheureusement, vous attendent
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 88
dès que les lames de la Nouvelle Alliance commenceront
à s’aiguiser avec succès sur les enclumes de vos élèves.
Vous Niphilus, vous partirez avec une petite troupe
composée des meilleurs guerriers et artisans de toutes les
espèces libres. A bord d’une flotte qui prendra la mer
dans l’Aber d’Armenos, vous gagnerez le Golfe des
Royaumes Perdus. Là, vous débarquerez sur les
contreforts des Monts du passage oublié. Il vous faudra,
avec vos compagnons, franchir les Monts afin d’entrer à
Nabachton. Les nouvelles armes et la magie, même
partielle, que je pratiquerai sur elles vous permettront de
repousser les légions qu’Arthang le Noir lancera contre
vous. De plus, comme vous serez choisis en raison de
vos esprits ingénieux, si la force des glaives enchantés ne
suffit pas, vous compenserez par vos initiatives. Je
proposerai au Conseil de l’Alliance une liste de héros
capables d’assumer et de réussir cette mission en votre
compagnie. Arhus, vous, vous serez tenu de diffuser le
plus largement possible vos connaissances dans la
confection des lames et des boucliers. Nous avons une
armée de sept cent mille guerriers à équiper. Nous
devrons aussi lancer des attaques de diversion sur les
frontières de la Désolation d’Arthang et sur les marches
du Nord afin de disperser la puissance de nos deux
ennemis. Votre courage et votre initiative, ceux dont
vous avez fait preuve dans Le Col des Cristaux de
Puissance, me poussent à vous confier la coordination de
ces manœuvres. Ainsi, votre frère, grâce à votre action
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 89
ici, parviendra peut-être à atteindre avec sa compagnie
intacte, les Forges de Nabachton où réside l’espoir du
Monde Libre.
- Mais Seigneur Mélinos !!! S’étonna le jeune
Silérien désigné par le vieux maître du savoir. Comment
pourrais-je commander les armées de l’alliance, moi le
simple forgeron d’un petit bourg de Silérie. Mon Frère
Niphilus connaît beaucoup mieux le monde et les
stratégies de la guerre. Il les a étudiés au cours des
voyages et des recherches qu’il se complait à faire
pendant ses loisirs.
- Maître Arhus, assura le Druide en riant, « bon
sang ne saurait mentir » comme disent nos amis les
Marins des Abers. Votre modestie est grande mais
sachez que votre Arrière-Arrière-Grand-Père fut le
formidable Nicéphore Orlos. Ce colossale Silérien qui
combinait les qualités de votre Race et de celles des Elfes
Géant, puisqu’une de vos ancêtres, mon ami, était une
belle dame de Castel Druide, fut l’intraitable général en
chef des armées de l’Alliance d’or et de Paix. Au prix
d’effroyables combats auxquels personne, pas même
l’être suprême de Formalow, ne sait comment il
survécut, votre célèbre aïeul devint le fléau des
Léviathans et des sorciers. Son nom de guerre, dans les
rangs de nos ennemis, était « Le griffon furieux de
Mégara ». Quand les Ankous entendaient sonner, sur les
rives de la désolation du Nord, ils s’enfuyaient en
tremblant. On prétend, dans les grimoires maléfiques de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 90
cette époque, que même l’Empereur déchu redoutait une
confrontation avec ce furieux Forgeron-Paysan.
- Mais Maître, fit Arhus, je connais l’histoire et la
réputation de ce formidable héros silérien. Cependant,
personne ne m’avait dit que j’étais un descendant de ce
colosse. Pas même Oberlon, notre honorable père.
- Il l’ignorait mon jeune ami, déclara le Druide. Je
l’ai moi-même appris par hasard, pendant ma recherche
sur le fabriquant du glaive de notre bon Seigneur Suggur.
Je n’étais pas certains totalement de cette nouvelle. Mais,
pendant la bataille du Col des cristaux de puissance, je
vous ai vu à l’œuvre Arhus, et j’ai reconnu dans votre
fermeté et votre force, le merveilleux Nicéphore, que j’ai
côtoyé au temps de la « Guerre des Larmes de Sang ».
Vous serez le meilleur guide que nous puissions trouver
sur Formalow pour conduire nos guerriers dans la grande
bataille qui les attend. Il vous faudra mener un
harcèlement désespéré contre un effroyable antagoniste,
féru de ruse malsaine. Vous devrez vous révéler aux
forces des ténèbres uniquement pour attirer sur vous les
foudres qui pourraient arrêter votre frère et ses
compagnons dans sa quête vers Nabachton. Je ne
connais pas de représentant des espèces libres plus aptes
à mener cette action que le digne descendant du « griffon
furieux de Mégara ».
- C’est une bien lourde tâche qui nous est confiée,
assura Niphilus, mais si elle peut nous affranchir des
dangers du Nord.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 91
- Je suis sûr que vous saurez faire les sacrifices
indispensables à la victoire tous les deux, déclara
Mélinos. Maintenant, il est un second plan à réussir pour
vaincre le mal et rétablir les communications entre nous
et les Royaumes Oubliés . Il sera impératif de rouvrir la
voie maritime, fermée au Nord depuis la venue
d’Arthang. Je vais donc, avec les Elfes et les Marins de
Salermnos, élargir la route existante du port de Kerna’ch
jusqu’à l’aber d’Armenos. Nous en tracerons ensuite une
autre vers Landreger, mais, cette dernière demandera
plus de temps et de travail avant d’être utilisable. Nous
avons constaté récemment que des légions de Korrigans
pouvaient franchir nos défenses et menacer nos pays
jusque dans leur cœur. Ces chemins agrandis ou
construits seront évidemment fortifiés et surveillés par
des patrouilles que nous nous devons de prévoir dans
notre dispositif militaire. Avant que six mois ne se soient
écoulés, une armada de galères de la Mer Intérieure,
entièrement réalisée dans ce but, sera transportée par le
nouveau chemin sur de vastes chariots adaptés à cet
gigantesque tâche, puis, cette flotte sera confiée aux
Seigneurs des abers et lancée à Armenos. Dans l’année
qui suivra, une autre escadre sera déployée à Landreger.
Avec cette nouvelle force maritime, nous détruirons les
créatures marines dévouées au mal qui ferment la route
océanique du Nord. C’est sur les premières galères
lancées à Armenos que je compte faire voyager la
phalange destinée à accompagner notre ami Niphilus
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 92
jusqu’à Nabachton. Nous ne pourrons pas, en moins
d’un an, détruire les monstres abyssaux qui interdisent la
jonction avec le Nord-Ouest oublié, surtout tant que la
puissance d’Arthang sera intacte. Mais, nos navires
pilotés par les excellents marins de Salermnos,
atteindront plus sûrement le Golfe des Royaumes Perdus
sans encombre, que les bateaux propulsés par le vent,
moins maniables contre des grands animaux hostiles et
rapides à la nage. Enfin, il est un troisième point essentiel
dans cette Guerre des Forges de Nabachton qui a
commencé là-haut, sur les montagnes de Silérie. Nous
devons identifier les nouveaux alliés du Seigneur des
Ankous qui, par deux fois au cours de ces temps, ont
tenu en échec nos plus courageux guerriers. Le
lieutenant de L’Empereur déchu a perdu les sorciers et
leurs Léviathans. Une force inconnue l’a rejoint. Je sais,
par les grimoires de la bibliothèque de Castel-Druides,
que les Elfes des Premiers Ages ont affronté avec les
Maîtres de Nabachton, une terreur identique avant la
naissance de l’Empire. Mon espoir de gagner cette
dernière bataille contre le mal, réside dans la possibilité
que, les Archives des Royaumes Perdus conservent les
récits de ce temps et que leurs habitants puissent
remettre en œuvre les moyens déployés en cette époque-
là pour vaincre. Bien sûr, c’est peut-être un rêve de fou,
mais c’est la seule chance qui nous reste car, tous les
frontaliers qui ont affronté la nouvelle horreur envoyée
par le Maître des Terres Sauvages, m’ont confirmé que
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 93
rien de connu dans le monde libre actuel ne parviendrait
à y faire face…
Phérégon se leva alors de son trône et pendant que
les regards se tournaient respectueusement vers lui, il
déclara solennellement :
- Messieurs, nos peuples ont déjà traversé des
périodes d’incertitude aux cours des Ages écoulés. Une
fois de plus les Silériens, et je pense que tous leurs alliés
les suivront dans cette épreuve, accompliront leur devoir,
même si cela devait se terminer par une défaite et le
retour des Ténèbres. Soyons courageux et dressons-nous
contre le Mal au nom de notre liberté !…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 94
- XIV -
Chauffées par de grandes réserves de cristaux, les
épées et les lames de l’espoir se fabriquaient par
centaines de milliers dans tous les royaumes de
Formalow. Les marteaux et les enclumes s’entouraient
d’étincelles chaleureuses qui jaillissaient sous les coups
précis et joyeux des aciéristes.
Tandis que dans les mines des Monts du Bout du
Monde, les Elfes extrayaient les métaux entrant dans
l’alliage découvert par Niphilus, les Druides ramenaient
des plantes huileuses qu’ils récoltaient aux quatre coins
de Myrion. L’eau claire de la Mer Intérieure,
soigneusement étudiée par les Maîtres du savoir, se
révéla aussi adaptée aux techniques de trempe des
Silériens que l’onde des ruisseaux de leur pays.
Arhus et son frère furent continuellement sur la
brèche durant plus de six mois. L’été était passé,
l’automne était venu ensuite et l’hiver avait amené ses
longues nuits sur l’île et la forteresse de Castel-Druides.
Le climat étant très doux sous les frondaisons de Myrion,
les deux maîtres forgerons avaient apprécié leur séjour
en dépit du travail et des difficultés de leur mission.
Quand le premier soleil de printemps fit son apparition
sur la Grande Forêt, dans toutes les nations libres de
l’ancienne Formalow, des armureries se garnissaient de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 95
boucliers étonnants et de glaives aux pouvoirs
merveilleux. Les artisans de toutes les espèces
s’employaient à reproduire, avec plus ou moins de talent
certes mais avec beaucoup d’application les méthodes de
travail du fer enseignées par Niphilus.
Son frère et lui, s’étaient multipliés pour répondre à
toutes les demandes et se montrer à la hauteur des
honneurs et de la confiance dont les avait comblés le
Conseil de Castel-Druides.
Niphilus était posé et dur à l’ouvrage. Il possédait
un étonnant sang-froid. Depuis qu’il savait être né, dans
les Royaumes Oubliés, il comprenait mieux les
différences qu’il avait constatées entre lui et ses
camardes. Certes, dans le pays de Phérégon, l’étrangeté
et le non-conformisme amenaient la sympathie autant
que la rigueur et l’amour de l’ordre. De plus, Niphilus ne
ressemblait pas aux autres Silériens, mais il possédait de
telles qualités que personne ne lui reprochait les curieux
regards avec lesquels il observait et apprenait le Monde.
Aujourd’hui, tout s’expliquait. Il n’était sans doute
qu’un simple sujet de Nabachton, mais il avait été
suffisamment important et formé sans aucun doute avec
les meilleures connaissances en aciérie, pour qu’une
troupe de guerriers nabatéens soit envoyée à ses côtés,
dans le but de l’escorter, alors qu’il n’était qu’un enfant,
jusqu’aux pays libres du Sud.
Niphilus réalisait à quel point il avait fait toujours
corps avec le fer et les cristaux de puissance dont il se
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 96
servait pour chauffer les alliages. Il découvrait le miracle
que représentait son habileté à rebattre les lames sous la
massette à affiler, à les former sur l’enclume en
canalisant, par un travail de frappe pointu, les fibres.
Cela renforçait alors les résultats des trempes et des
recuits.
Depuis qu’il connaissait son histoire, il était encore
plus calme que de coutume et, en même temps, sa
personnalité s’était partiellement détruite pour mieux se
reconstruire. Il avait fait face avec honneur aux nouvelles
responsabilités que lui conférait son passé. Certes, au
cours des derniers mois, il avait voulu, une fois, tout
abandonner devant la gigantesque tâche qu’il portait à
bout de bras, avec son frère. Mais, son bon sens silérien
l’avait glorieusement ramené sur les sentiers de son
devoir.
En tout cas, puisqu’il venait de Nabachton, il avait
tiré une conclusion évidente et réconfortante de ce fait
établi. C’est que les seigneurs-forgerons des Royaumes
Oubliés étaient vraisemblablement des créatures
semblables à lui et à ses compatriotes d’adoption. La
réputation qui leur était faite par les autres Peuples
Libres avait donc de bonnes raisons d’exister. Les
valeurs morales et artisanales attribuées aux sujets de
Phérégon n’étaient certainement pas usurpées.
Un matin, alors qu’il travaillait dans les ateliers de
Castel-Druides au façonnage d’une cuirasse, la Princesse
Sauranne approcha de sa forge d’art. Avec rapidité,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 97
Niphilus martelait de fougueux chevaux dans la robuste
et légère armure, avant de la tremper. Il cessa son travail
avec trouble, en se découvrant observer attentivement
par la superbe souveraine Silérienne.
La fille de Phérégon était jolie. Elle ouvrait de
grands yeux bleus, vivants, sur le Monde et ses
merveilles. Elle adorait le travail manuel et elle pouvait
passer des heures à étudier le tour de main des
ferronniers Silériens. De plus, Niphilus était sans
conteste le meilleur de tous et dans son habit de cuir, qui
le protégeait des projections de métal chaud, il avait une
très fière allure.
Ce petit bonhomme possédait une carrure
impressionnante. Parmi les gens de son espèce, il était un
colosse. Sa tenue de travail mettait d’ailleurs en valeur
les muscles de ses bras et de son torse. Dès que
Sauranne l’avait vu, le jour où elle avait franchi Le Col
des Cristaux de Puissance après la bataille, elle l’avait
remarqué. Il était couvert de poussière et de sang, son
épée brillait encore de celui de des ennemis qu’il avait
terrassés durant le combat. Pourtant, il s’était fait discret
au passage de la Princesse. Il s’était humblement
agenouillé devant elle, avec humilité, alors que sans avoir
reçu de formation militaire, il avait accompli un exploit
étonnant dans ces montagnes. Sauranne l’avait
longuement dévisagé et avait compris qu’elle ne pourrait
plus l’oublier.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 98
Aujourd’hui, en descendant dans ce célèbre et
prestigieux atelier de Castel-Druides, elle était non
seulement venue admirer le travail mais aussi le
travailleur. Elle voulait en faire un ami car elle l’estimait
sincèrement.
Elle lui expliqua alors sans ambages :
- Mon cher Maître, pourriez-vous me façonner une
armure de guerre aussi solide que celle-ci. Elle désigna
alors la cuirasse que l’aciériste travaillait.
- Majesté, je serai heureux de satisfaire votre
demande dans l’après-midi. Je vous demanderai
simplement de me faire connaître vos mesures, prises par
la couturière du palais de Mégara, répondit Niphilus.
- Le Druide Mélinos n’a que des compliments à
faire sur la rigueur et l’efficacité avec laquelle vous vous
acquittez, votre frère Arhus et vous-même, de la
première tâche qui vous a été confiée par le Conseil. De
tels éloges, faits par un si grand savant, m’inclinent à
vous donner entièrement ma confiance pour la quête de
Nabachton qui vous échoira bientôt. Alors, ce travail que
je vous réclame, ce sera un honneur pour moi si vous
l’acceptez. Votre gloire, quelle que soit l’issue de la
nouvelle guerre qui se prépare, rejaillira sur notre peuple,
Maître… Dans ce Monde ou bien dans celui de l’après
vie, vos exploits seront comptés et honorés. Je vous
assure que j’aurais beaucoup de bonheur à vous
accompagner, dans les mois qui vont venir, jusqu’aux
portes de Nabachton si je le peux.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 99
- Majesté, votre présence parmi les compagnons qui
viendront avec moi, sur la route des Royaumes Perdus,
sera un gage de succès et de gloire à mes yeux, déclara
avec beaucoup de charme l’Aciériste. Mon cœur ne
saura pas faiblir devant les plus grands tourments si vous
êtes-là pour m’épauler.
- Il est des Silériens qui savent fort bien travailler et
possèdent un courage admirable. Quand en plus, ils
tiennent de si beau et si sincères discours ils sont dignes
d’être anoblis, fit Sauranne. Maître je vous laisse à votre
façonnage et je vous jure de tout faire pour rejoindre
votre future quête.
- Merci Ma Dame… Conclut Niphilus.
Il travailla avec acharnement et forgea pour la belle
souveraine, une des plus belles armures de l’Histoire de
Formalow. Quand la Princesse la reçut, elle fut éblouie.
Elle vint en personne remercier le remarquable forgeron
et revint souvent l’admirer pendant qu’il enseignait son
art ou bien qu’il s’y adonnait.
Un soir, après plusieurs semaines, tandis qu’épuisé
le jeune Silérien se promenait sur les remparts de Castel-
Druides en contemplant le soleil mourant sur la Mer de
Myrion, le Seigneur Suggur le rejoignit afin de le saluer.
Le grand Elfe possédait dans son allure, dans son regard,
une sympathie et une puissance presque palpables. Ses
cheveux bruns et courts, toujours soigneusement coiffés,
renforçaient les contours carrés et autoritaires de son
visage. Ses oreilles légèrement pointues ainsi que ses
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 100
yeux perçants à la pupille verticale, laissaient planer la
magie de ses origines dans son physique impressionnant.
Les créatures sylvestres, comme Suggur, pouvaient
atteindre l’âge de mille ans. Ce seigneur-là était encore
très jeune donc, même si le nombre des saisons qu’il
avait traversées, était plus grand que celui compté par
Niphilus depuis sa naissance.
L’Elfe Géant était pratiquement aussi haut qu’un
solide Prince du Golfe de Salermnos. Ses vastes épaules
musclées révélaient sa force physique étonnante. Au
cours des Ages primordiaux de l’Histoire, les Elfes,
premiers êtres pensant venus peupler les Terres du
Monde de Formalow, formaient deux familles. La
première était composée de créatures studieuses dont la
taille était équivalente à celle des Silériens. Cette branche
du peuple sylvestre possédait l’art, la science, l’écriture
et le sens de la magie. L’autre famille, les géants,
remarquablement intelligents et amoureux des belles
choses, étaient plus sportifs et plus aptes à la guerre de
défense.
Les forces du Mal, terriblement puissantes en ce
temps-là, attaquèrent les Elfes durant les millénaires des
premiers âges et ceux-ci subirent une sélection naturelle
inévitable. Les plus faibles physiquement périrent.
Heureusement, avant qu’ils ne disparaissent
complètement, leurs qualités intellectuelles avaient été
transmises et s’étaient mêlées à la force physique des
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 101
géants par de nombreuses hybridations des deux
branches de ce peuple.
Suggur était, en fait, un Prince exemplaire illustrant
magnifiquement la brillante évolution de son espèce. Il
montrait beaucoup d’amitié à Niphilus et au frère de
celui-ci. Ce soir-là, il avait encore plus de raisons
d’apprécier ses amis Silériens. Il avait reçu de leur part,
une nouvelle épée magnifiquement ouvragée. Les
forgerons avaient ajouté à l’arme un merveilleux
fourreau extrêmement résistant, spécialement réalisé
après de nombreux essais, ainsi qu’une armure légère,
faite du même acier que l’étui. Cette cuirasse avait une
ténacité apte à arrêter les coups de cimeterre les plus
violents des Korrigans des montagnes. Elle protégeait
également toutes les parties du corps et n’exposait pas
son porteur aux flèches empoisonnées des archers
d’Arthang. C’est d’ailleurs, après avoir assisté aux effets
des traits des Korrigans, pendant la bataille du col des
cristaux de puissance, qu’Arhus et son Frère avaient
développé cette protection plus efficace.
Le Seigneur Elfique se montrait très honoré et
satisfait des présents que lui avaient offerts ses deux
alliés Silériens. Il arborait ces objets fièrement en venant
retrouver Niphilus. Suggur s’approcha et serra
chaleureusement les mains du forgeron :
- Mon ami, vous m’avez gratifié d’un formidable
armement, je vous en suis reconnaissant.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 102
- Vous avez offert votre glaive avec tant de
générosité à Maître Mélinos, expliqua le Silérien, que j’ai
trouvé normal de le remplacer.
- J’espère que je ferai partie de la compagnie
chargée de traverser les Monts des Royaumes Perdus
avec vous Niphilus, assura l’Elfe.
- Je serai heureux de vous avoir à mes côtés, assura
l’aciériste. Cependant, nous ne devons pas nous faire
d’illusion, traverser des montagnes totalement inconnues,
pratiquement sous l’emprise des légions d’Arthang, sera
peut-être mortel.
- Notre liberté en dépend, comme l’a dit votre Roi,
rappela Suggur. Je ferai tout mon possible pour vous
permettre d’atteindre les forges de Nabachton, seriez-
vous seul à réussir et devrais-je y perdre ma vie…
- Je vous remercie pour ces mots Seigneur, dit
Niphilus. Certainement, Mélinos vous choisira afin de
vous faire participer à la quête des Royaumes Perdus.
- Savez-vous que six galères de Myrion sont en
train de voyager vers le port d’Armenos, sur la route
élargie par les Druides, demanda l’Elfe. Dix mille soldats
de mon peuple, trois mille marins de Salermnos et six
mille Silériens appelés par le Seigneur Phérégon
contrôlent cette nouvelle voie. Les navires de la Mer
Intérieure, lorsqu’ils atteindront le Golfe, seront mis à
l’eau et c’est à bord que nous rejoindrons les contreforts
des Monts du Passage Perdu.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 103
- Mon frère a conçu les rostres de ces bateaux,
précisa Niphilus. Ces pointes inoxydables permettront de
détruire les monstres marins qui barrent le passage vers
terres du Nord-Ouest. Lancés à pleine vitesse, les
éperons géants de ces vaisseaux tueront à coup sûr les
créatures marines qui se sont alliées à Arthang et qui,
pour le moment, neutralisent les formidables nefs des
Rois des abers.
- Je suis certain que nous renverserons enfin le mal
définitivement, assura Suggur. Même si nous devons
perdre beaucoup de nos amis dans cette dernière guerre,
elle amènera la lumière et la paix définitive, sur les
peuples libres.
- Le monde ne sera pourtant jamais plus comme
avant, prédit Niphilus. Même si cet avenir est
merveilleux, nous verrons certainement disparaître une
grande partie des merveilles que nous avons héritées des
Âges écoulés. Je suis certain que bien des joies nous
seront réservées si Arthang et le Seigneur des Ankous
chutent, mais, la pensée des jours heureux que nous
avons connus durant la paix vigilante ou bien, peu de
temps après la fin de l’Empire, éveillera notre nostalgie.
- Toute tristesse n’est pas mauvaise, expliqua l’Elfe.
Celle dont vous parlez poussera certainement nos
descendants à construire un bonheur de vivre rappelant
celui que les anciens regretteront alors.
- Espérons-le mon ami, répondit le Silérien. Je
souhaite seulement que nos cœurs n’aient que la tristesse
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 104
des bons souvenirs comme peine à supporter. Si les
forces du mal gagnaient la bataille et nous empêchaient
de retrouver les Royaumes Oubliés et si, pire encore,
elles anéantissaient Nabachton, restera-t-il quelques-uns
d’entre nous pour regretter le passé ? Je ne le crois pas.
- Courage camarade ! Conclut Suggur. Avec votre
résistance et votre savoir, avec la force ainsi que la
loyauté des marins de Salermnos, avec la puissance mais
aussi la sagesse des Elfes et des Druides, nous vaincrons,
j’en suis certain.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 105
- XV -
Le Conseil de la Nouvelle Alliance se réunit au
milieu du Printemps. Il organisa avec fièvre le départ de
l’expédition vers les Royaumes Perdus puis choisit
méticuleusement les compagnons de Niphilus.
Arhus fut nommé général en chef de l’armée des
Peuples Libres. Il accueillit cet honneur avec dignité mais
avec beaucoup d’inquiétude, aussi. Quand il fut présenté
à tous les généraux dont il allait coordonner les actions
pendant les batailles qui se préparaient, il découvrit
qu’aucun ne s’avisait de le prendre pour un homme de
paille. Les décisions des plus hautes instances de Myrion,
étaient respectées et reconnues dans le Monde entier, en
dehors des régions encore sous le joug des forces
maléfiques.
Mélinos rencontra le Silérien, seul, d’une façon
informelle. Le Vieux Sage conseilla le frère de Niphilus
sur la stratégie qu’il devrait s’efforcer de suivre au cours
des prochaines semaines. Le Druide n’imposa rien, mais
il guida son ami en le renforçant dans les choix judicieux
qu’il lui présentait. Comme le magicien l’avait estimé
avec perspicacité, le forgeron avait un sens aigu des
manœuvres militaires et savait se montrer audacieux dans
ses conceptions. Mélinos ne se posait même pas la
question de savoir si le courage du Silérien pouvait faiblir
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 106
dans l’adversité. Il avait vu la fermeté de cette
prodigieuse race pendant la bataille du Col des Cristaux
de Puissance.
Si l’armée des Peuples Libres devait avancer en
montrant ostensiblement toute sa force, et même au-
delà, à la face de l’ennemi, pour perturber celui-ci et
disperser ses efforts, l’expédition de Niphilus
commencerait inévitablement dans le plus grand secret.
Le Forgeron-Paysan venu enfant de Nabachton allait y
retourner, sans que personne, en dehors des chefs de la
Nouvelle Alliance et de quelques soldats d’élite, ne
puisse s’en apercevoir.
Les héros qui marcheraient bientôt sur la route
perdue de Nabachton, quittèrent donc le rives de la Mer
Intérieure par un beau matin ensoleillé. Ils furent
mélangés à une vaste colonne armée qui transportait, par
les grandes routes nouvellement aménagées, une galère
construite à Castel-Druides et destinée aux Marins du
Golfe de Salermnos. Le nombre était le meilleur moyen
de dissimuler l’individu.
La colonne de six mille Druides et Elfes marchait à
vive allure sur la route élargie menant du port de
Kerna’ch jusqu’à l’aber d’Armenos.
Ces soldats d’élite, escortaient avec vigilance trois
chars confortables, tirés par de fringants quatuors de
licornes qui emportaient les dix-neuf compagnons de
Niphilus destinés à accompagner ce dernier dans sa
quête des Royaumes Perdus.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 107
Certes, le brave forgeron qui avait redonné l’espoir
au Monde Libre par son savoir-faire, ainsi que ses
camarades méritaient bien le privilège de gagner sans
fatigue leur lieu de départ pour un terrible voyage à la
durée indéterminée. Car nul ne savait quand
reviendraient ceux qui s’embarqueraient bientôt sur les
galères de Myrion, dans le Golfe de Salermnos, et
navigueraient jusqu’aux contreforts des Monts du
Passage Perdu. Aucun ne réapparaîtrait peut-être, dans
les pays libres de l’ancienne Formalow.
A bord des voitures, tous les héros désignés par le
Conseil de la Nouvelle Alliance s’observaient en souriant.
On était d’abord frappé par la présence de la Princesse
Saurane dont la superbe armure, récemment créée par
Arhus et son frère, suivait harmonieusement la
merveilleuse silhouette, tout en la protégeant aussi.
Ensuite, on comptait trois des meilleurs capitaines de
Silérie, puissamment armés de cuirasses et d’épées
nouvelles. Sur un banc opposé, la formidable silhouette
de Suggur se dessinait. Il était là pour commander un
détachement de quatre éclaireurs sylvestres de son
peuple, installés à ses côtés pendant le voyage. Dans un
autre char, Mélinos qui avait délégué la présidence du
Conseil à deux autres sages renommés, était présent. Il
avait tenu à suivre l’aciériste Silérien et à le guider
jusqu’aux portes de Nabachton, si cela était possible.
Quatre autres Druides guerriers et marins s’étaient mis
sous les ordres du grand Gardien du savoir. Enfin, les
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 108
hommes de Salermnos étaient représentés dans cette
compagnie par le Duc Le Goua’ch, deux commandants
de la flotte du Golfe ainsi qu’un chef de guerre,
responsable des garnisons défendant Landreger et
L’Arcouest.
Alianos, un dernier soldat des abers avait été choisi,
mais, sans doute en raison de sa petite taille et de son air
sombre, presque fourbe, celui-ci n’inspirait pas
confiance à Niphilus et Suggur. Cet humain n’était
jamais venu sur les rivages du pays de ses parents car il
était né, puis avait grandi, dans les marches de Formalow
bordant les Terres Sauvages. C’était pourtant un fin
combattant, du moins le disait-on au Conseil, car cet
homme organisait avec succès les patrouilles de son
peuple entre les forts des Marches du Nord de la Silérie.
Le voyage se passait bien, sans chaos. Soudain, la
petite armée fut brutalement arrêtée. Un messager de
Landreger venait d’apparaître sur une hauteur de la
route. Il galopait, de toute la vitesse de sa licorne, vers la
compagnie de Niphilus perdue au milieu de sa grande
escorte. Les marins du Golfe n’utilisaient pas souvent des
pigeons de feu pour communiquer. Ils préféraient des
Goélands de l’Arcouest ou bien, quand ces derniers
étaient indisponibles, ils envoyaient de rapides et loyaux
cavaliers vers les destinataires des missives.
La nouvelle devait être de première importance, car,
le malheureux porteur était totalement épuisé et sa
monture complètement bourrue et chancelante. Couvert
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 109
de poussière, au bord de l’évanouissement, tenant à
peine sur ces jambes, le messager donna pourtant le
message destiné à Mélinos qui était le chef de la
compagnie et à Niphilus, le héros silérien.
Un incroyable événement s’était produit à
l’embouchure du Golfe de Salermnos. Un monstre marin,
envoyé par Arthang Le Noir, avait réussi à détruire sept
des dix navires à voiles chargés de surveiller ce bras de
mer ouvert vers l’Océan Extérieur. Surtout, même les
défenses côtières de l’Arcouest, la ville forteresse qui
gardait l’accès au Golfe, n’avaient pu venir à bout de
l’animal géant. Ce dernier toisait cinquante longueurs
d’homme. Son corps était protégé par une puissante
carapace qui brisait les coques des vaisseaux. Aucune
flèche, aucun coup d’épée n’avait pu entamer cette
protection. Les équipages des bateaux des abers
n’avaient pas encore reçu les nouvelles lames produites à
Castel-Druides. Il allait falloir remédier à cette lacune
car, équipée de telles armes, la flotte du Golfe aurait
certainement pu repousser cette attaque. Maintenant, le
monstre était entré dans le royaume des marins et il était
impératif de l’anéantir.
Mélinos s’inquiétait. L’arrivée de cet ennemi dans
le pays des abers découlait directement d’une nouvelle
fuite d’informations, tout comme la bataille du Col des
Cristaux de Puissance. Quelqu’un avait communiqué à
Arthang ou bien au Seigneur des Ankous, les récentes
décisions du Conseil de la Nouvelle Alliance. Cela
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 110
semblait une évidence. Mais qui se rendait coupable d’un
tel crime contre les Royaumes Libres et surtout dans
quels buts ? Enfin, dans l’instant, cette question resterait
sans réponse. Une fois de plus, les hommes, les Elfes, les
Druides et les Silériens allaient devoir faire face, dans
l’urgence, à une terrible épreuve.
La compagnie et son escorte s’arrêtèrent. Le Vieux
Gardien du savoir réunit tous les membres de
l’expédition devant accompagner le forgeron. Il leur
présenta la situation ainsi que les conséquences de celle-
ci sur la marche vers les Royaumes Perdus. Quand
Suggur eut écouté tous les détails sur les dimensions et la
tactique d’attaque du monstre qui avait pénétré dans le
Golfe, il regarda Niphilus et sembla lui demander un
soutien. L’aciériste lui sourit amicalement. Alors, l’Elfe
déclara, en se tournant vers les marins de la compagnie :
- Peut-on créer un berceau de bois à poser sur les
hauts-fonds de Salermnos et capable de supporter une
nef à voile ?
- Certainement Seigneur, assura Le Goua’ch
- Alors, je vais vous exposer un plan que je viens de
concevoir pour anéantir la créature, reprit le Prince
Sylvestre. S’il vous agrée, nous enverrons le pigeon de
feu de Maître Niphilus pour demander à Armenos de
préparer ce combat.
- Nous vous écoutons avec intérêt, mon ami, lança
alors Mélinos en souriant…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 111
- XVI -
Le jour se levait lentement sur le Golfe de
Salermnos. A trois lieues de l’aber de Landreger, une
splendide nef à voiles, dont la coque au blanc éclatant
luisait comme une étoile dans la lumière de l’aube, était
au mouillage sur la mer calme.
Niphilus, Saurane, Suggur, Mélinos et Le Goua’ch
se tenaient sur le pont du bateau, regardant vers l’Ouest.
Tous sentaient la présence de la bête qui croisait au large
de cet estuaire depuis plusieurs jours. Seuls les gardiens
des phares et les goélands avaient vu la gigantesque
silhouette de ce monstre affleurant la surface des eaux
turquoises de Salermnos. Et pourtant, même les
courageux marins des ports de ce Royaume, hésitaient à
fouiller chaque crique, chaque plage et chaque abri
rocheux de la côte afin d’en déloger l’intrus.
L’envoyé d’Arthang était rapide malgré sa taille. Il
surprenait les plus fins bateaux de Salermnos. Quand il
frappait un navire de la région, ce dernier dont la marge
de manœuvre était limitée par le sens du vent et la
direction de la houle, ne pouvait pas échapper à l’attaque
de la créature maléfique.
Pourtant, ce matin-là, les plus grands héros choisis
par le Conseil de la Nouvelle Alliance avaient pris la mer
à bord d’un voilier d’Armenos, taillé pour les longs
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 112
voyages sur l’océan extérieur mais peu efficace au cours
des abordages. Les envoyés des Royaumes Libres
semblaient, ainsi, défier désespérément les forces des
Ténèbres. C’est, tout au moins ce que ressentaient les
yeux malfaisants qui étudiaient, dans la faible lumière du
jour naissant, le navire immobile.
Le monstre avait repéré ce bateau dès que celui-ci
avait quitté le chenal de l’aber d’Armenos. L’animal
avait suivi secrètement le vaisseau, avec l’espoir de le
voir s’éloigner de la côte, mais, au lieu de partir vers le
large, la nef avait pris la direction d’une autre
embouchure, celle de Landreger, puis, elle avait mis en
panne et enfin mouillé sans s’engager dans la passe
d’accès à ce dernier port. La bête hésitait encore à
foncer sur le beau coursier des mers. Il pouvait,
cependant, aisément en arracher la quille avec les crêtes
osseuses de son échine afin de provoquer un naufrage
immédiat du navire.
Quelque signe imperceptible poussait la créature à
rester très prudente ce matin-là. Ne fut-ce que cette
brume inexplicable qui masquait l’aber de Landreger,
d’où venait-elle ? Cette nébulosité n’était pas de saison
car, ces derniers temps, les journées étaient chaudes et
les nuits très douces. Le calme des passagers était
également très menaçant. Ils ne montraient aucune
inquiétude. Au contraire, ils étaient tous en armure,
bardés d’acier brillant et regardaient hautainement l’eau
qui les encerclait. Ils savaient pourtant que l’ennemi était
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 113
entré dans le Golfe et y paradait sans crainte. Alors,
qu’est-ce qui apportait à ces soldats l’assurance insolente
dont ils faisaient une démonstration particulièrement
irritante pour la créature formidable, détentrice de la
puissance de son maître. ?
Encore une fois, l’animal décrivit près de sa proie
un large arc de cercle, les yeux de ses têtes affleurant à
la surface de la mer afin d’observer discrètement les
passagers occupant le pont du voilier. Aucun piège
n’était décelable, alors, l’animal prit son élan, gagna
rapidement de la vitesse et bientôt, soulevant une énorme
vague, se rua vers le bateau.
Suggur et Niphilus aperçurent sans peine le sillage
produit par l’attaque. Tous deux étaient dotés de visions
très claires et perçantes. Leurs espèces respectives
avaient des sens d’une étonnante acuité. L’Elfe et le
Silérien ne montrèrent aucune agitation, bien que leur
cœur se soit mis à battre la chamade et qu’une
transpiration glaciale ruisselle dans le dos du forgeron. Ils
savaient bien, tous les deux, qu’à un moment ou un
autre, leur bateau serait la proie de l’ennemi. D’un geste
discret, ils signalèrent à leurs camarades la manifestation
de la créature. Mélinos lança un regard à la Princesse
Saurane qui commandait, avec le Duc Le Goua’ch, la
manœuvre d’une machine réalisée récemment par les
arsenaux de Castel-Druides. Il s’agissait d’une arbalète
géante qui pivotait horizontalement et verticalement.
Cachée dans une tourelle de bois, sur le pont du voilier,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 114
l’arme n’avait pas été aperçue par le monstre. Trois
marins suffirent à la pointer, en suivant les indications de
la belle Silérienne, en direction de l’envoyé d’Arthang.
L’animal maudit était désormais à quelques
encablures de la nef, sa vitesse était telle que l’avant de
son formidable corps déjaugeait presque complètement
hors de l’eau. Saurane donna l’ordre de tirer. La lourde
lance dont la pointe était construite avec l’acier travaillé
selon la technique de Niphilus, quitta la tourelle dans un
sifflement sonore. Elle s’éleva dans l’air pur du matin à
une hauteur vertigineuse, puis, retomba vers sa cible en
augmentant encore sa vitesse sous son poids. Elle
percuta la carapace du monstre avec une force si vive,
qu’elle s’enfonça rageusement dans la corne composant
cette dernière en craquant. La hampe et l’acier du
carreau géant disparurent à moitié dans le corps de la
créature. Celle-ci bondit hors de l’eau, arrêtée net dans
son attaque, puis, elle émit un effroyable hurlement de
douleur tout en retombant dans la mer rougie par son
sang.
Une vague colossale fut soulevée par les
soubresauts de l’ennemi et secoua le navire des abers
comme un bouchon. L’envoyé d’Arthang était blessé
mais il n’était pas encore vaincu. Sa force était toujours
immense. Alors, il décida de reculer pour attaquer de
nouveau, mais, tandis qu’il essayait de s’éloigner du
voilier, il se sentit retenu inexplicablement pendant que
sa douleur s’amplifiait atrocement. La lance était reliée
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 115
au bateau par une solide chaîne de fer et sa pointe était
forgée de façon à se figer cruellement sous la carapace
de corne. Le monstre comprit avec fureur qu’il était
prisonnier de ses adversaires. Alors, un nouveau
projectile lancé avec la même précision vit se planter
encore dans son flanc. Cette fois, la créature n’avait plus
le choix, elle devait entraîner le navire vers le fond.
La bête sonda alors verticalement. Quand elle eut
touché le sol de la mer, elle essaya de tirer de nouveau le
vaisseau vers le large dans l’espoir de le faire chavirer.
Mais une déception l’attendait car le voilier, en fait,
reposait, grâce à un solide berceau de bois, sur les hauts-
fonds de l’estuaire. Malgré sa puissance titanesque, le
monstre fut de nouveau arrêté par les deux harpons qui
lui déchiraient les chairs. Alors, tout en demeurant en
profondeur, il se retourna vers le bateau et décida de
l’aborder.
Il émergea à quelques mètres du voilier. Ses deux
têtes, plantées hideusement au bout de leurs
interminables cous, se penchèrent au-dessus du
bastingage de la nef et balayèrent le pont violemment.
Ses dents gigantesques se refermèrent sur un marin qui
avait trébuché dans un cordage. L’armure forgée par
Arhus protégea bien le malheureux. Suggur, Saurane et
Niphilus, glaives au poing, se ruèrent sur la créature avec
des flammes de colère au fond des yeux.
Aussitôt, le visage libre du monstre se tourna vers
eux puis se jeta dans leur direction, sa large gueule
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 116
béante. Suggur, impressionnant de force, lui fendit le
museau d’un coup de taille tandis que la Princesse et le
forgeron lui perforèrent les tempes de leurs épées. Le
Duc Le Goua’ch se jeta sur l’autre tête de l’envoyé
d’Arthang depuis la vergue du voilier. Le choc de ce
corps robuste, tombé de plusieurs hauteurs d’homme, fit
lâcher sa proie à l’animal. Accroché d’une main aux
cornes de la bête, le grand marin des abers, assis sur la
tête hideuse qu’il semblait chevaucher comme une
licorne sauvage, frappait le cou de son ennemi tel un
forcené. Le sang se mit à couler des plaies que le
Seigneur du Golfe infligeait à son ennemi. Ce dernier
s’agitait avec brutalité, il tentait par de violentes
secousses d’arracher les petites vermines qui le piquaient
si douloureusement.
C’est ainsi que le formidable allié d’Arthang, auquel
était insufflée la puissance ténébreuse de son
épouvantable maître, ne vit pas venir les deux galères de
Myrion dissimulées par la brume masquant l’estuaire de
Landreger. Mélinos, le puissant Gardien du savoir, avait
utilisé ses immenses pouvoirs afin de lever ce brouillard
artificiel. Et pendant que les combattants de la
compagnie destinée à marcher bientôt vers les forges de
Nabachton, se mesuraient sans faiblesse avec une des
manifestations du mal les plus impressionnantes de cet
Age, les bateaux de la Mer Intérieure, propulsés par le
galop infatigable de vingt licornes se précipitèrent sur le
gigantesque agresseur et l’embrochèrent cruellement sur
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 117
leurs éperons en acier Silérien. Les deux têtes du
monstre se dressèrent encore une fois dans un
soubresaut d’agonie, puis, elles retombèrent sur le pont
du voilier en l’inondant du sang de leurs multiples
blessures.
Ces deux faces hideuses, hérissées de cornes et
d’excroissances tentaculaires, jetèrent ensemble un
ultime regard vers leurs vainqueurs qui s’éteignit ensuite
sous de lourdes paupières. Suggur et Le Goua’ch, avant
de donner l’ordre aux galères de reculer et aux
arbalétriers de larguer les chaînes pour laisser sombrer la
bête anéantie définitivement, déclarèrent à la princesse
Saurane et à Niphilus.
- Voyez-vous mes amis, nous faisons partie des
rares soldats encore en vie de la Nouvelle Alliance, à
avoir approché Arthang le Noir. Nous pouvons vous
affirmer que notre agresseur est un rejeton dénaturé du
dernier Léviathan. Plus petit, totalement adapté à la vie
marine alors que son père vole mieux qu’un aigle
jusqu’aux sommets des plus hautes montagnes, la
créature que nous venons de tuer, possède pourtant les
têtes ignobles et le corps abject du monstre lié au
Seigneur des Ankous. Arthang a certainement engendré
plusieurs hybrides de ce type en ajoutant son sang à des
mixtures démoniaques sensées reproduire la vie. Ce sont
ces chimères qui barrent la voie maritime du Septentrion
aux navires de Salermnos depuis des siècles.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 118
- Les sorciers de jadis, chevauchaient donc des
Léviathans terribles comme celui-ci ? Demanda Niphilus.
- Ils étaient bien pires et bien plus puissants que
cette pâle copie, assura Alianos, le sombre garde-
frontière de la compagnie qui n’inspirait pas confiance au
forgeron et au Seigneur Elfe et qui s’était tenu en retrait
de ce combat. Arthang le Noir, reprit-il, est quasiment
invincible et immortel. Même la brillante stratégie ayant
détruit cette hydre marine, n’aurait pu venir à bout d’un
authentique Léviathan. De plus, Le démon qui occupe
actuellement les marches du nord, avec ses légions, est
capable de fléchir la volonté de n’importe quel être vivant
pour en faire un serviteur.
- Aucun membre de notre Compagnie ne risque de
tomber sous les charmes magiques d’un Léviathan,
affirma Mélinos en intervenant également. Le choix des
compagnons de Niphilus et de ce dernier lui-même fut
fait par le Conseil, sur des critères de résistance aux sorts
maléfiques. Si l’un de nous devait offrir un jour ses
services et son âme à Arthang, il ne le ferait pas sous une
influence magique. Il accomplirait là une vulgaire
trahison, de sa propre volonté. Messieurs, l’affrontement
que nous venons de vivre, nous a donné l’avant-goût de
notre prochaine rencontre avec Arthang dans le passage
des Royaumes Perdus. Le tyran des Marches du Nord et
le Seigneur des Ankous sont tenus au courant du voyage
que nous avons entrepris et des buts de cette mission. Je
ne sais pas comment, mais, il est certain qu’un espion
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 119
livre nos secrets à l’ennemi. C’est pourquoi je suis
certain que le vieux Léviathan et ses légions de Korrigans
tenteront de nous détruire au cours de notre marche vers
Nabachton. Bien sûr, ils le feront au-delà des frontières
des Royaumes Libres, puisque toutes leurs tentatives ont
échoué jusque-là. Cependant, ils le feront. Sachez qu’il
est encore temps, pour ceux qui perdent courage, de
quitter la Compagnie. Personne ne les blâmera. Bientôt,
toute retraite sera impossible. Notre vaillance sera mise à
rude épreuve par le Léviathan et son Terrible Allié.
Alors… Qui continue ?
Toutes les mains des membres de la compagnie se
levèrent. Arthang le Noir venait de perdre un fils grâce à
la valeur de Niphilus et celle de ses camarades. Dans les
sombres vallées des Montagnes du Passage Oublié, ce
monstre pourrait bien voir sa vie s’achever, s’il sous-
estimait les héros destinés à entrer dans les forges
légendaires où la défaite absolue des Forces du Mal se
réaliserait enfin…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 120
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 121
Episode VI
Les Dolmens Infernaux
1ère partie : La route de Nabachton.
- I -
Deux puissantes galères de Myrion approchaient du
Détroit de l’Arcouest. Ce bras de mer établissait une
communication entre le Golfe des Abers et l’Océan
Extérieur.
Cette fois, la compagnie avançait vers le Passage
des Royaumes Perdus. Mélinos, Saurane, Suggur et Le
Goua’ch avaient suggéré à Niphilus la voie maritime pour
rejoindre le Nord-Ouest du monde Formalow. Le
Silérien, féru de géographie, avait examiné les cartes et
les récits d’anciens voyageurs dont il avait disposé,
durant trois semaines, dans la grande ville Armenos.
Tout en observant la splendeur de l’aber au fond duquel,
le grand port des marins avait été bâti avec intelligence,
le forgeron, que son épopée, depuis le départ de Silérie,
semblait avoir rendu plus sage et plus énergique en
même temps, avait longuement étudié tous les itinéraires
de voyage offerts par le pays.
Au premier abord, la voie la plus sûre, d’un point de
vue topographique, restait celle consistant à gagner
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 122
l’estuaire protégé par la forteresse maritime d’Arckastel
Le Goz. Ensuite, il était possible de remonter sur de
puissants bateaux, le grand fleuve de la Forêt des Monts
Perdus qui se jetait dans le Golfe de Salermnos par cette
embouchure et qui prenait sa source à l’entrée du
passage vers les Royaumes Oubliés.
Ce chemin fluvial, longtemps exploité par les
Peuples Libres avant l’avènement de l’Empire, des
milliers d’années plus tôt, avait été une route
commerciale d’un attrait remarquable. Le cours d’eau
qui en formait la plus grande partie, serpentait
doucement, entre des collines sylvestres magnifiques, en
toute saison. De nombreux comptoirs, garnis par de
valeureuses patrouilles de toutes les espèces pensantes
du Monde, avaient protégé les bateliers, leurs passagers
ainsi que leurs marchandises au cours de longs et
nombreux Âges de l’Histoire. Cependant, Sous la
tyrannie de l’Empereur et des sorciers, les courageux
soldats protecteurs du fleuve avaient été défaits et
repoussés par de nombreuses batailles. Les Korrigans,
les Léviathans, en nuées innombrables et forts de la
magie ténébreuse de leurs maîtres, avaient pris chacune
des rives du cours d’eau ainsi que les criques abritant les
bateaux des royaumes libres.
Au temps de Niphilus, bien sûr, l’Empereur n’était
plus. Son lieutenant, le maître des Ankous, était réduit à
reforger péniblement une armée dans le désert des terres
sauvages du Nord-Est. Ce dernier ne pouvait pas encore
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 123
affronter ouvertement, par manque de cohésion de ses
légions, les gardes-frontières de Silérie ou de Myrion.
Les sorciers avaient totalement disparu. Le seul
Léviathan encore en vie était Arthang le Noir. Le
monstre, d’ailleurs affaibli par les millénaires comptés de
son existence était bien moins puissant que jadis. Mélinos
et ses compagnons le considéraient comme encore très
dangereux, pourtant, cette bête cruelle ne tenait plus la
Forêt des Monts perdus entièrement sous sa coupe, ni
même le fleuve qui la séparait en deux massifs forestiers.
Malgré tout, de nombreuses terreurs dont les
fantaisies meurtrières avaient été longtemps favorisées et
utilisées par l’Empereur, avaient établi leur habitat sous
les bois de la Forêt et sur les bords du fleuve des Monts
Perdus. Ainsi, même deux galères de Myrion avec toutes
leurs protections et leurs équipages armés par les glaives
et les cuirasses de Niphilus, étaient en danger durant une
remontée de l’aber d’Arckastel Le Goz.
En supposant, d’ailleurs, que la compagnie, par la
force, ait pu atteindre le Passage des Mondes Perdus en
suivant ce chemin, les espions des forces ténébreuses,
massés dans cette région, auraient dévoilé cette tentative
à Arthang ou bien au Seigneur des Ankous. Alors,
Niphilus et ses compagnons, pourchassés par tous les
Korrigans de l’ancienne Formalow, auraient fini par être
anéantis malgré leur vaillance.
Clairement, La rivière et la forêt des Monts perdus
n’étaient pas les voies les plus sûres pour atteindre
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 124
Nabachton. Il restait l’Océan Extérieur. Les voiliers des
marins de Salermnos avaient éprouvé des difficultés à le
tenir ouvert. Ces vaisseaux, formidables coursiers de la
houle et des vents n’étaient pas assez maniables pour
rivaliser avec la descendance maléfique d’Arthang Le
Noir. Ces monstres marins, engendrés par magie, avaient
contenu, depuis la chute de l’Empire, les navires des
abers au sud du Golfe des Royaumes Perdus. Les
bateaux des Druides de Myrion s’étaient montrés très
efficaces contre les gardiens maléfiques des eaux du
Nord. Mais, si maintenant la compagnie pouvait accéder
sans dangers insurmontables aux contreforts des Monts
Perdus, elle ne pouvait pas espérer aller jusqu’aux forges
de Nabachton pas la mer. Aucune carte maritime des
côtes longeant les montagnes boréales n’avait survécu à
l’Empire de Formalow. En période de guerre, il était
quasiment inconcevable de faire progresser une flotte
d’exploration, si petite et discrète soit-elle, dans une
zone de hauts-fonds inconnus. Ce dernier obstacle avait
décidé du fait que Niphilus et ses compagnons
franchiraient le passage vers les Royaumes Oubliés à
pied après en avoir atteint l’entrée par bateau.
C’est ainsi que deux galères de Myrion, lancées à
Armenos, naviguaient depuis une heure sur l’Océan
Extérieur, au large de L’Arcouest, en direction du Nord.
Suggur, le grand elfe des Monts du bout du monde et Le
Goua’ch, le Duc des abers étaient satisfaits de la route
définie par Mélinos, le Gardien du savoir et Niphilus, le
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 125
sympathique forgeron Silérien. La princesse Saurane
avait aussi apprécié la décision de son compatriote.
Depuis qu’elle avait été désignée pour participer à cette
exploration vers le royaume oublié de Nabachton, elle
avait appris à mieux connaître le joyeux et courageux
aciériste vers lequel, déjà, pour son plus grand trouble,
son cœur penchait déjà. Elle avait eu tout le loisir
d’admirer le cran époustouflant de son ami, durant leur
bataille contre le rejeton marin d’Arthang dans les eaux
de Salermnos.
La souveraine ne disait rien. Elle souriait à son
vaillant sujet et appréciait beaucoup sa présence à ses
côtés. Cependant, il y avait au fond de son cœur quelque
chose de plus doux et de plus fort en même temps qui lui
apportait une inquiétude et une joie mélangées. Elle avait
encore des difficultés à exprimer ce sentiment. Elle en
avait aussi peur. C’est pourquoi, elle tentait de le
maîtriser.
Niphilus observait l’est et la côte de Formalow. Elle
était impressionnante et boisée. De hauts arbres en
ombrageaient l’escarpement. Les yeux perçant du
Silérien, scrutaient l’ombre verte des sous-bois du rivage.
Les navires se tenaient à bonne distance des guetteurs
qui pouvaient avoir été dissimulés là-bas par les Forces
du Mal. Aucune créature malfaisante, en dehors d’un
hypothétique Léviathan juvénile, une espèce à jamais
disparue de ce monde, ne pouvait observer les galères
qui avançaient rapidement, sans bruit, sur le clapotis de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 126
la mer. Par contre, les Elfes Géants et les Forgerons-
Paysans rivalisaient d’acuité visuelle avec les aigles des
Monts du bout du Monde.
Saurane approcha de l’aciériste, elle lui posa sa
main sur l’épaule et lui murmura :
- Avez-vous aperçu une silhouette dans le grand
bouquet chênes, à l’aplomb de notre bordage, Maître
Niphilus ?
- Oui Majesté, assura le jeune Silérien. Je l’ai vue
aussi. C’est un formidable Korrigan des montagnes. Mais
il ne nous a pas distingués. Pour lui, nous ne sommes que
l’ombre d’une vague sur l’horizon lointain. Cependant,
mes craintes de trahison se confirment un peu plus après
m’être aperçu, qu’à peine les frontières de L’Arcouest
franchies, les légions d’Arthang sont déjà à notre
recherche en mer.
- Je vois que vous avez tiré de cette observation les
mêmes conclusions que moi ? Admira la souveraine de
Silérie. Vous feriez un excellent prince protecteur de
notre pays.
Le jeune forgeron rougit sous le compliment. Il
baissa timidement les yeux tandis que la jeune Silérienne
le dévisageait en souriant de plaisir. Décidément, ce
brave garçon était aussi modeste que glorieux, malgré ses
qualités indéniables.
Mélinos, approcha à son tour. Il annonça
doucement à ces deux amis, pour n’être entendu que
d’eux :
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 127
- Bravo pour votre vision remarquable mes enfants.
Suggur m’a dit avoir aperçu aussi les guetteurs dans les
bois du littoral.
- Niphilus m’a expliqué clairement ce que cela
signifiait, Seigneur Mélinos, déclara Saurane. Leur
présence est le stigmate de la trahison. Mais qui donc ?
Ce ne peut-être un membre de la compagnie ?
- Je vous avoue avoir pensé, tout d’abord, que des
malheureux soldats de l’escorte nous ayant menés
jusqu’à Armenos, étaient tombés sous le charme
d’Arthang et avaient malgré eux, sans mériter aucune
punition car je connais peu d’êtres au monde capables de
résister au pouvoir d’un si vieux Léviathan, fourni à
l’ennemi des renseignements sur notre groupe et notre
but. Cependant, aucun de ces vaillants gardes de
Salermnos, n’a été mis au courant de notre choix pour la
poursuite du trajet. Or, si d’autres espions se sont
avancés aussi dans la Vallée du Fleuve des Monts
perdus, nous pouvons estimer qu’Arthang Le Noir est
devenu singulièrement rusé et a déployé toutes ses forces
disponibles, sur les deux voies possibles vers Nabachton.
Si aucun Korrigan ne garde la vallée et le fleuve, c’est
qu’un de nos proches nous livre, sans vergogne, aux
forces des Ténèbres. Je vais imaginer un moyen de
contrôler cela durant la nuit qui vient. Il est peu probable
qu’un membre de l’expédition, dont nous faisons partie,
soit coupable. Mais parmi les décideurs de nos
royaumes, Druides, Humains ou bien Elfes, il existe
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 128
peut-être des malheureux que l’exercice du pouvoir,
librement offert par leurs camarades d’ailleurs, a fini par
corrompre inexplicablement. C’est la condition, hélas,
des créatures mortelles que nous sommes tous, si
longues soient nos existences et si riches soient-elles.
Niphilus ne contestait jamais les avis du vieux Sage
qu’il respectait profondément. Pourquoi donc, sur ce
sujet, son désaccord s’exprimait par un serrement de
gorge incontrôlable et le glissement involontaire de son
regard vers le garde-frontière des marches des Terres
Sauvages, Alianos. Certainement, l’aspect et le visage
renfrogné de ce dernier ne plaidait pas en sa faveur,
mais, avait-on le droit de juger aussi légèrement la valeur
d’un homme, d’un Elfe ou bien d’un Silérien. Alianos,
depuis des décennies, risquait son existence en luttant
contre les forces colossales du Seigneur des Ankous,
dans la région la plus froide et la plus déserte de
l’ancienne Formalow. La vie de combattant clandestin et
d’éclaireur des landes et des forêts sauvages lui avait,
sans doute, forgé l’allure furtive qui dérangeait ses
compagnons. Non, le forgeron ne voulait pas laisser son
instinct lui dicter sa conduite et pourtant…
Saurane, elle-même, estimait beaucoup le Druide.
Cependant, elle avait saisi le court regard de son ami
l’aciériste vers l’éclaireur frontalier et le Silérien lui avait
maintes fois, depuis le début de leurs aventures, fourni
les preuves indiscutables de son formidable bon sens
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 129
naturel, quasiment inné. Alors, elle commençait à
éprouver de sérieux doutes.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 130
- II -
Arhus marchait, avec la vaste armée de Myrion,
vers les rives d’un lac des marches du Nord.
Cette formidable troupe progressait très vite car, les
Elfes, les Druides ainsi que les marins de Salermnos
étaient particulièrement robustes et durs à l’effort. Des
archers et des cavaliers de Silérie les accompagnaient.
Phérégon en avait pris la tête, mais il avait accepté sans
contestation d’être placé, lui et ses cent milles Silériens,
sous les ordres directs du Maître Forgeron, élevé au
grade de Général en chef par le Conseil de Castel-
Druides.
Or, dans l’esprit d’Arhus, et la mission qu’il avait
reçue des sages de tous les Royaumes Libres était bien
claire, il devait occuper les légions d’Arthang le Noir et
du Seigneur des Ankous, afin de les détourner, autant
que faire se peut, du Passage des Royaumes Perdus. Et
si le Silérien établissait ses plans dans le but prioritaire
d’épargner les vies des Elfes, des Druides, des Hommes
et de ses compatriotes, il ne devait laisser aucun répit aux
troupes de Korrigans qui se massaient sans cesse sur les
frontières des Terres Sauvages.
Les éclaireurs des Marches, lui avaient transmis des
renseignements sur une forte concentration de Korrigans
des montagnes aidés par une puissance inconnue. Ces
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 131
derniers étaient parvenus à repousser les patrouilles du
Nord et s’étaient dirigés, après avoir franchi le front, vers
les rives d’un grand lac désert du Sud Ouest de la Silérie.
Sept cent milles guerriers des Royaumes Libres
étaient prêts à marcher depuis les camps de la grande
Forêt de Myrion. Arhus n’hésita pas. Il allait frapper un
grand coup pour disperser les efforts des Forces du Mal
qui, apparemment, étaient en train de tester la valeur de
leurs adversaires. Le général Silérien, voulait aussi
comprendre ce qu’était la force qui tenait actuellement
en échec, les frontaliers des Terres Sauvages. Mélinos, le
Grand Maître du Savoir lui avait, avant de partir
accompagner Niphilus, prodigué de bons conseils ainsi
que des objectifs à poursuivre. Identifier les nouveaux
alliés du Seigneur des Ankous, en limitant les risques
pour les troupes des Royaumes Libres faisait partie des
buts d’Arhus.
Celui-ci était fier du rôle qui lui avait été dévolu. Il
ne voulait décevoir personne s’il subissait un échec, il
comptait en être la première victime. Ses hommes ne
seraient pas les seuls à payer ses erreurs. Il ignorait
pourquoi exactement, mais il considérait qu’il avait un
compte à régler personnellement avec les légions du
Seigneur des Ankous. Ces armées sinistres et leurs
desseins ignobles de domination absolue étaient venues
l’arracher à la paix de son petit pays merveilleux. Il leur
en voulait terriblement. Quiconque connaissait les
Silériens, savait que ces petites créatures étaient en
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 132
général de bons vivants, amoureux de leur confort. Mais
si on s’avisait de les arracher à leur bien-être par la
contrainte et la menace, il pouvait rapidement se
transformer en féroces combattants, impossible à
infléchir. S’ils n’étaient pas des guerriers nés, la
nécessité faisait des Silériens de redoutables résistants à
l’oppression et de fins stratèges.
Arhus avait l’intention de dissimuler la plus grande
partie de son armée dans les landes, au sud du Lac. Il
connaissait bien le pays. Avec des haies touffues et des
chemins creux perdus dans la verdure, cette contrée
déserte permettait la mise en place d’un réseau de
fortifications provisoires pouvant devenir un piège terrible
pour des assaillants peu familiers du bocage Silérien.
Alors, il allait lancer son avant-garde de cent milles
soldats, tous athlètes accomplis, contre les Korrigans et
leurs alliés inconnus, massés sur les rives méridionales du
Lac. En les acculant contre l’eau, le Silérien espérait
bien que ses guerriers, aidés par leurs nouvelles armes et
la magie des Druides, feraient un carnage des démons
envoyés par le Seigneur des Ankous. Le jeune général
comptait également sur la promptitude de son attaque et
de la retraite qu’il avait organisée avec minutie, pour
comprendre la nature exacte de la nouvelle puissance
maléfique alliée aux anciens lieutenants de l’Empereur
déchu.
Son plan approuvé par le Conseil de la Nouvelle
Alliance, chacun des êtres libres de l’ancienne Formalow
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 133
engagés dans cette bataille, conscients du danger qui les
menaçait mais aussi convaincus de l’utilité de cette
stratégie, une grande partie de l’armée stationnée dans la
Forêt de Myrion, depuis la bataille du col des cristaux de
puissance, s’était mise en route avec détermination vers
le Nord. Depuis l’orée du grand massif sylvestre, ces
soldats téméraires déferlaient à travers la plaine, sur leurs
ennemis insouciants.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 134
- III -
Les deux galères qui transportaient la compagnie,
ballottées par une légère houle du sud, étaient à l’abri
des regards sous un promontoire de la côte
septentrionale du Golfe des Mondes Perdus.
Les formidables monts, séparant les Royaumes
Oubliés des terres de l’Ancien Empire, se dressaient
comme le bord d’un fjord, devant les yeux de Niphilus et
de ses compagnons. Mélinos, Le Goua’ch, Suggur et
Saurane étudiaient la muraille avec inquiétude. Nul être
vivant, en dehors des oiseaux, ne pouvait escalader cette
falaise infranchissable au sommet de laquelle, le passage
vers Nabachton avait été taillé patiemment dans la roche,
bien des Âges plus tôt.
Quant à débarquer sur le littoral du Golfe
accessible, puis, de gagner ensuite l’entrée du passage, il
ne fallait pas en rêver. Le vieux Maître du savoir avait
fait une expérience en utilisant une gemme de vision
enchantée ainsi que le pigeon de feu de Niphilus.
L’oiseau, de toute la vitesse de ses ailes, avait parcouru,
en emportant accroché à son cou la pierre de Mélinos,
une grande partie de la vallée du fleuve des Mondes
Perdus mais aussi la côte sud du golfe. Toute cette
région grouillait des plus puissantes créatures mortelles
de l’Empereur disparu de Formalow.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 135
La compagnie, armée comme elle était et comptant
parmi ses membres, des seigneurs ainsi que des glaives
qui valaient bien, à eux seuls, des phalanges de
courageux combattants de moindre renommée, elle serait
parvenue à se frayer un chemin dans toute cette foule
d’ennemis, peu entraînés et abandonnés à eux-mêmes.
Mais, elle devait progresser dans le secret. Si les forces
des Ténèbres sentaient que les armées des Royaumes
Libres se tournaient vers Nabachton et sa magie, elles
tenteraient par tous les moyens d’empêcher la réunion
du bien, de la loyauté et du courage. La fusion des pays
libres de Formalow et de ceux perdus au Nord-Ouest du
Monde, rendrait la défaite d’Arthang et du Maître des
Ankous, totalement inévitable, alors qu’aujourd’hui, la
balance du nombre et de la puissance surnaturelle
penchait encore en faveur du mal.
Alianos, l’éclaireur qui s’était beaucoup tenu à
l’écart des décisions et des actes de la compagnie, depuis
son départ, tout en observant les montagnes barrant
l’horizon de la baie, émit une hypothèse à la surprise
générale :
- Jusque-là, je me suis abstenu de vous apporter
mon opinion sur la guerre maritime ou bien à découvert
dans la plaine, lança-t-il. Ce n’est pas que je vous
refusais alors mon aide, c’est simplement que je ne
possédais aucune compétence dans ces domaines de
bataille-là. Ici, nous sommes sur une frontière quasiment
inconnue et j’ai étudié les rares cartes incomplètes de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 136
cette région. Mon rôle et ma mission de frontalier m’ont
souvent obligé à consulter des relevés géographiques
ayant miraculeusement survécu à La Guerre des Larmes
de Sang et avant cela aux saccages des connaissances
scientifiques, accompli cruellement par l’Empereur lui-
même. Je suis certain qu’il existe un cirque rocheux dans
ce littoral où les bateaux de Jadis, ceux qui croisaient sur
la mer bien avant la fondation du pays des abers,
s’abritaient des tempêtes et pouvaient, en cas d’avaries,
faire transporter leur cargaison jusqu’à Nabachton par le
passage. Si de lourdes charges étaient emmenées depuis
le niveau de l’Océan jusqu’au chemin du Sommet, sans
revenir vers l’entrée que nous connaissons tous, notre
compagnie devrait pouvoir emprunter cette voie sans
difficulté. Le tout est de savoir si le cirque marin est situé
à l’est ou à l’ouest de notre mouillage.
Niphilus, Saurane et Suggur se regardèrent avec
surprise. Ils ne s’attendaient à une réaction aussi
pertinente de l’éclaireur. Finalement, se trompaient-ils
complètement tous les trois, comme l’avait craint le
forgeron ?
- Vous avez parfaitement raison Alianos, intervint le
vieux Druide. Mais personne ne sait si ce havre, avec son
accès secondaire à la route des forges n’a pas été inondé
lors des bouleversements telluriques occasionnés par la
fin des maléfices de L’Empereur.
- Je le sais bien Maître Mélinos, admit le frontalier,
mais il faut tenter de le trouver. Je nous vois mal rester
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 137
secrets en franchissant les armées qui nous surveillent
dans chaque recoin de cette sombre partie du monde,
alors qu’elles connaissent nos moindres faits et geste
d’avance par : je ne sais quelle fuite d’informations,
volontaire ou accidentelle…
Donc, lui aussi soupçonnait une trahison et pour
couper court à toute tergiversation, il se décidait à en
parler ouvertement à tous les membres de la compagnie.
Mélinos l’observa alors avec l’acuité inouïe de son
regard d’aigle. Le vieux sage venait de se faire prendre
de vitesse par l’éclaireur. Ce dernier faisait preuve d’une
puissance de déduction peu commune.
- Enfin, pour en revenir à notre préoccupation
immédiate, Messires, continua-t-il comme si, sans
condition et malgré ses constats, il gardait toute sa
confiance dans les membres de la compagnie, je me fie à
l’estimation du Capitaine d’Armenos qui nous a conduits
jusque-là sans encombre. Il nous a ancrés à vingt lieues
du point où la mer quitte le flanc des montagnes et où, la
côte s’abaisse pour se transformer en plage de galets.
Or, tous les écrits sont formels et le bon sens nous le dit.
Les bateliers d’autrefois n’auraient jamais exploité un
port difficile d’accès alors qu’une côte de sable, menant
en douceur à l’entrée du passage vers les Royaumes
Perdus, était si proche.
- Vous en déduisez que le cirque rocheux, serait
donc à l’Ouest d’ici ? Questionna Niphilus avec intérêt.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 138
- Oui mon ami, assura Alianos. Vous avez étudié
longuement les manuscrits d’Armenos. Vous y avez
appris, comme moi, qu’à moins de trente lieues de
l’entrée, personne n’a plus jamais emprunté cette route.
Cela nous arrange donc, car l’accès secondaire ne sera
certainement pas surveillé, si, il est situé suffisamment
dans l’Ouest.
- Nous ne devons pas négliger cette possibilité,
assura Suggur dont le visage n’exprimait aucun
sentiment. Pourtant, il devait certainement être aussi
attentif que Saurane et Niphilus aux suggestions
surprenantes de l’éclaireur.
Les marins des abers, informé des décisions de la
compagnie, remirent leurs galères en route, à la faveur
de la nuit sans lune. La lumière des étoiles les cachaient
aux démons des Seigneurs du Mal, mais elle était
suffisante pour se guider le long des falaises
montagneuses. Les licornes, bien nourries et bien
reposées, fournissaient de nouveau leur puissance à la
machinerie des bateaux filant avec régularité, dans le
silence de la nuit. Celle-ci, douce en cette fin de
printemps, était idéale pour effectuer un tel voyage.
Les déductions d’Alianos se révélèrent exactes, vers
la troisième heure après minuit. Les montagnes qui
bordaient la mer, formaient à vingt lieues dans l’Ouest du
précédent mouillage, un cirque demi-circulaire, dont les
parois s’élevaient plus en douceur vers la corniche du
passage des Mondes Perdus. L’inclinaison de la pente
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 139
n’était pas raide et dans l’ombre, les méandres d’une
chaussée de pierres claires, serpentant sur les flancs du
cirque entre de grands arbres, gagnaient une corniche
élevée.
Niphilus avait étudié l’histoire de la route des
Royaumes Perdus. Elle avait été taillée par des machines
aux puissances physiques et magiques colossales, dans le
granit des escarpements, vers le troisième quart de leur
hauteur. Il était pratiquement impossible d’y accéder par
la mer en dehors du cirque. L’entrée de ce dernier, elle-
même, était défendue par d’immenses tours de pierre
noirâtre, fermées et abandonnées depuis des Âges
immémoriaux, mais toujours inviolées par l’ennemi.
C’était là, la première manifestation du savoir oublié de
Nabachton, en dehors de la force de son glaive, à
laquelle Niphilus assistait. En effet, la silhouette
titanesque des défenses au pied desquelles passaient les
galères en pénétrant dans le havre secret, était intacte.
Leur gigantisme écrasait tous les passagers des bateaux,
et, bien qu’il n’y ait aucun soldat pour en garder les
créneaux ou les poternes, ses constructions paraissaient
neuves et habitées.
Enfin, les vaisseaux de Myrion atteignirent les quais
d’un port dont les habitants de l’ancienne Formalow ne
soupçonnaient même plus l’existence depuis
d’innombrables générations. Pourtant, rien de ces
installations n’était dégradé. Sans doute protégées par les
enchantements des Seigneurs de Nabachton, les murs,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 140
les toits des maisons, les dalles des rues et les jardins
demeuraient inaltérables, comme entretenus par
d’invisibles mains. Mélinos, regarda longtemps les lieux
où il venait de débarquer avec le reste de la compagnie et
déclara avec simplicité à Niphilus, à Saurane, à Suggur et
Le Goua’ch qui paraissaient tous l’interroger du regard :
- Nous avons devant nous la preuve absolue que
Nabachton existe toujours et résiste encore aux assauts
d’Arthang et du Maître des Ankous. En effet, aucune
magie, si forte soit-elle, ne peut perdurer après la
destruction des enchanteurs qui l’ont mise en œuvre. Or,
un sort vivant arrête l’écoulement du temps dans ce port.
De plus, nous sommes surveillés et reconnus comme des
alliés car cette protection ne nous affecte pas
personnellement, sinon, nous nous serions immobilisés
sous ce charme, après avoir franchi le chenal d’entrée.
Ce constat, en somme, était une très bonne
nouvelle. Il fallait maintenant monter discrètement
jusqu’au passage des Royaumes Perdus. Avec
précaution, les membres de la compagnie devaient aussi
vérifier que, si la magie neutralisant le vieillissement du
havre ne s’étendait pas jusqu’à la route, cette voie n’était
pas occupée par des serviteurs du mal.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 141
- IV -
Arhus avait disposé une grande partie de ses forces
dans la lande. Depuis le sommet d’une petite colline, il
regardait la plaine avec satisfaction.
Aucune fumée, aucun mouvement, aucune
dégradation d’arbres et de buissons ne permettait de
soupçonner la présence d’une armée de six-cent milles
hommes, Elfes, Druides ainsi que Silériens, dissimulés en
ordre de bataille derrière les rochers, les chênes, les
fougères mais aussi les ajoncs de cette riche région à
demi-sauvage. Quand il fut certain que son piège était
bien en place, le Général en chef commanda à la colonne
constituant le reste de cette vaste troupe, de marcher
vers les rives du Lac.
Là-bas, ils devaient heurter de front leurs ennemis
afin de les tester et de semer le désordre dans leurs
rangs. Avec lui, Arhus n’avait emmené que des
volontaires expérimentés. Il ne voulait pas perdre de
compagnon, dans toute la mesure du possible. Certes, les
alliés mystérieux des Korrigans qui s’étaient aventurés,
cette fois, bien plus au Sud qu’au cours des dernières
années, allaient certainement provoquer des disparitions
douloureuses dans la phalange des royaumes libres. Mais
la force des guerriers réunis par le Conseil de Myrion,
leur courage combiné avec la résistance des nouvelles
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 142
armes silériennes, contiendraient certainement cette
terreur des Ténèbres.
Le plan d’Arhus, dans sa première phase était très
simple. Les cent milles soldats, cavaliers et fantassins qui
le suivraient jusqu’au camp des légions d’Arthang et du
Seigneur des Ankous, devaient progresser jusque-là le
plus vite et le plus secrètement possible. Dès qu’elle
serait en contact visuel avec les Korrigans, cette masse
les chargerait de toutes ses forces, sans crier gare.
Ensuite, après avoir massacré le plus grand nombre
d’adversaires, elle refluerait vers le sud aussi rapidement
qu’elle était venue.
Bien sûr, croyant avoir effrayé cette colonne, les
démons poursuivraient aussitôt leurs attaquants en
déroute. Aussi, ils se répandraient dans la lande, sans
ordre et sans discipline, courant à la curée comme ils le
faisaient à chaque fois qu’ils pensaient tenir la victoire,
insensés, cruels et avides de sang. Alors, la formidable
armée envoyée par le Conseil de Myrion surgirait des
halliers et la tempête s’abattrait sur les serviteurs des
Seigneurs du mal.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 143
- V -
Niphilus, Saurane, une partie des marins de
Salermnos et des Druides de la compagnie avaient atteint
le passage des Royaumes Perdus. En se retournant, ils
dominaient le cirque de montagnes au pied duquel, la
mer bleue dansait sous le vent. Une grande forêt
escaladait les flancs des escarpements jusqu’au niveau de
la route de Nabachton.
Dans la lumière du soleil levant, le port figé par la
magie était merveilleusement beau. Ses rues, ses quais et
ses bâtiments brillaient comme l’argent le plus vif.
Les deux galères étaient déjà reparties. Il ne fallait
surtout pas qu’elles fussent remarquées par les espions
des Ténèbres. Comme elles contenaient assez de vivres
pour effectuer le voyage de retour sans escale, dès la fin
du débarquement de la compagnie, les deux bateaux
avaient repris le large dans la nuit agonisante. Les
compagnons de Niphilus et le maître forgeron étaient
désormais seuls au milieu d’un pays inconnu, occupé par
leurs terribles ennemis. Suggur et ses elfes, Mélinos et
ses maîtres du savoir, avaient été eux-mêmes en proie à
un mutisme inquiet, avant de progresser vers la corniche
sur laquelle, le passage des Mondes perdus avait été
taillé.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 144
La compagnie, séparée en deux groupes,
n’effectuait pas cette dangereuse ascension par un seul
chemin. Il existait une voie secrète dont Le Goua’ch, le
Duc des abers, avait découvert l’existence en consultant
les archives de la capitainerie. Ce passage souterrain
permettrait de surprendre une patrouille de Korrigans
que les voyageurs pouvaient fort bien rencontrer au
sommet de la montée.
Niphilus avait choisi d’avancer par l’accès ouvert,
tout en demeurant sous la protection des arbres mais
aussi, en respectant le plus strict silence. Comme tous les
êtres de son espèce, il ne produisait aucun bruit en se
déplaçant. Le plus habile éclaireur elfique ne l’aurait pas
entendu passer à quelques pieds de lui. Ceux qui avaient
été désignés pour le suivre dans cette escalade, étaient
aussi particulièrement circonspects et aptes à la
dissimulation dans les pays sauvages. La Princesse
Saurane, elle-même, impressionnait le maître aciériste
par ses aptitudes guerrières indéniables.
Niphilus arrivait en tête de son groupe, aux abords
de la grande route oubliée. Toujours caché par les
buissons d’épineux de la forêt d’altitude, il observait avec
application toutes les caches possibles, bordant cette
large bande de terrain, complètement découverte. Le
Silérien ne voyait vraiment rien de dangereux par-là. Il
hésitait pourtant car, s’il avait des yeux performants et
une bonne connaissance théorique de l’art des éclaireurs
frontaliers, il manquait cruellement de pratique, de plus,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 145
Alianos qui maîtrisait parfaitement ces situations, se
trouvait avec les compagnons montés par le passage
secret et, ces derniers, n’étaient apparemment pas
encore parvenu à la sortie du souterrain. La princesse
Saurane, estimait de plus en plus le forgeron. Elle
connaissait la force mais aussi les faiblesses de celui-ci.
Elle avait compris que l’hésitation qui immobilisait ce
dernier, n’était pas due à un manque de confiance en soi,
mais à un signal mystérieux délivré par l’instinct
quasiment infaillible de son ami. Elle tenta de percevoir,
elle aussi, la menace qui pesait sur cette route tant
recherchée par la compagnie.
Niphilus, sortit des frondaisons du bois avec
précaution. En courbant la tête, en avançant à demi
accroupi, il atteignit sans encombre le milieu du passage
des Mondes Perdus que le soleil levant éclairait
désormais de ses rayons naissant. Le forgeron observa
encore les alentours. Il se tourna vers le bosquet où ses
compagnons attendaient son signal pour le rejoindre,
mais, il se figea brutalement. Personne n’avait pu
entendre le léger bruissement que lui, avait perçu grâce à
la finesse de son ouïe.
Un énorme Korrigan des montagnes, dissimulé
jusqu’à cet instant dans le fossé bordant la route du côté
de l’escarpement, venait de surgir de sa cache en se
dressant comme un chat sur le point d’attaquer une
proie. Le monstre, recouvert de poussière blanche, se
dessinait tel un fantôme, sur le talus encore noir des
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 146
dernières ombres de la nuit mourante. Le silérien porta
sa main sur la garde de son poignard, mais, le cruel
serviteur d’Arthang, d’un bon prodigieux, sauta sur
Niphilus et le renversa. Le démon avait deux fois la taille
de l’aciériste, pourtant celui-ci ne resta pas longtemps
paralysé par la surprise. Il frappa son adversaire en plein
visage de sa main recouverte d’un gantelet qu’il avait
forgé lui-même. Le Korrigan se rejeta en arrière, tout en
hurlant de douleur, son museau brisé ruisselait de sang.
La lèvre inférieure du démon, écrasée par le choc contre
ses crocs, se tuméfiait à vue d’œil. Niphilus, libéré de la
masse de son ennemi, parvint à dégainer son glaive. Une
seconde fois, fou de rage, le monstre fondit sur lui. Il
s’empala alors sur la lame du Silérien que ce dernier
avait judicieusement brandi vers son ennemi. Le corselet
du soldat des Ténèbres crissa en se fendant sur le fil de
l’épée silérienne. Le cuir qui constituait la peau noirâtre
du Korrigan, fut perforé et tailladé comme une simple
feuille de parchemin.
La créature abominable recula encore sous la
violence de la contre-attaque. Son sang infecte se
répandit par flot sur les dalles immaculées du passage
des Mondes Perdus. L’aciériste regardait farouchement
son ennemi. Cependant, malgré son courage et sa force
de caractère, il venait de recevoir, à deux reprises, de
plein fouet, l’énorme masse du grand Korrigan. Même le
solide Suggur, avec ses larges épaules et ses jambes bien
ancrées dans le sol où il marchait, aurait vacillé après de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 147
tels coups. Un des Druides de la compagnie ainsi que la
Princesse Saurane réalisèrent alors que le vaillant Silérien
risquait d’être terrassé. Ils s’apprêtèrent à bondir hors
des bois pour voler au secours de leur ami pendant que
la créature des Ténèbres encore vigoureuse, bien que ses
viscères jaillissent de sa profonde blessure, levait son
cimeterre afin de l’abattre sur Niphilus. Les yeux
rougeoyants de haine, le monstre allait, dans un dernier
sursaut d’agonie, sauter sur le forgeron puis, lui fendre le
crane d’un coup de taille, sans que personne ne puisse
intervenir.
Soudain, deux sifflements stridents déchirèrent
successivement l’air matinal en couvrant les chants des
oiseaux. Deux chocs firent tanguer violemment le
Korrigan géant tandis que des pointes de flèche
jaillissaient soudainement de son torse, à travers sa
lourde cotte de mailles. La gueule du démon s’ouvrit,
béante et silencieuse sur ses crocs ensanglantés. Son
regard devint fixe et vitreux, puis, il tomba en avant sur
les dalles de la route de Nabachton. Alianos sortit d’un
buisson poussé sur la hauteur, en lisière du passage des
Mondes Perdus. Le frontalier tenait son grand arc de fer
à la main. Un troisième projectile y était encoché, prêt à
partir vers un ennemi avec véhémence. Le soldat des
Marches du Nord venait de sauver la vie de Niphilus.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 148
- VI -
Arhus avait demandé à ses combattants à pied de
former une tortue, tandis que la cavalerie protégeait ses
flancs.
Son armée ressemblait à un poing fermé, prêt à
frapper avec violence. Le soleil se levait dans l’Est de la
lande. Comme il avait gagné beaucoup de temps en
venant jusqu’aux rives du lac, il avait pris la peine de
positionner ses cohortes le dos à l’astre qui inonderait
bientôt le Monde d’une lumière aveuglante. Dès que le
premier choc aurait semé assez de désordre, il s’enfuirait
alors vers le Sud, vers le piège qu’il avait tendu.
Le campement des Korrigans, recouvert d’une
infecte fumée et jonché d’immondices, fut bientôt visible
dans toute son horreur. Les sentinelles maléfiques
endormies ne remarquèrent pas la formation colossale
qui allait bientôt se jeter sur eux car, déjà, les rayons de
l’astre du jour les aveuglaient dans cette direction.
Aucun des chefs de guerre d’Arthang et du
Seigneur des Ankous, ne comprit la nature de la clameur
qui les éveilla, ni celle du grondement de tonnerre que
produisirent les centaines de milliers de pieds et de pattes
courant fermement sur la pente menant au lac. Aucun
démon n’eut le temps de saisir sa lance ou bien son
glaive avant que la tête de l’armée des Peuples Libres ne
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 149
déferle entre les tentes des Korrigans épouvantés, malgré
leur supériorité numérique.
Même les formidables monstres des montagnes
furent littéralement balayés par les cavaliers elfiques qui
faisaient tournoyer dans la masse de leurs adversaires,
leurs longues épées en de grands moulinets meurtriers.
Les têtes des créatures des Ténèbres tombaient drues en
souillant du sang verdâtre qu’elles contenaient, les
pâturages composant les bords de la vaste étendue d’eau.
Des grognements affreux accompagnaient les
monumentales silhouettes difformes qui tressautaient
grotesquement dans leur chute, à chaque coup porté par
les soldats d’Arhus.
Les légions du mal reculaient. Ils étaient pourtant
bien plus nombreux que leurs assaillants, ces démons
malfaisants. Mais la fureur destructrice des elfes, des
druides et des marins de Salermnos semait l’épouvante
dans les cœurs immondes des Korrigans. Ces derniers
étaient également terrifiés par la fougue des Silériens car,
les petits forgerons agissaient froidement, sans aucune
cruauté ce qui rendait leur volonté d’avancer encore plus
terrible.
Des cent milles compagnons d’Arhus, personne
n’était mort dans cette fantastique cavalcade alors qu’un
bon quart de l’armée venue des Terres Sauvages, soit
approximativement cent cinquante milles démons
furibards, s’était jeté dans les eaux bleues du lac et s’y
noyait en hurlant d’effroi. Mais le Général silérien leva sa
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 150
main afin de retenir sa troupe qui frémissait d’impatience
comme une horde de chevaux emballés.
Le paysan subtil du royaume de Phérégon, avait
remarqué un changement pratiquement insensible dans la
température ambiante. Un frisson de terreur involontaire
parcourait le dos des combattants de son armée mais
aussi, les gueules avides de leurs ennemis. Ces derniers-
même n’étaient pas fiers d’être là, pris entre les
nouveaux alliés de leurs Seigneurs et les armes
impitoyables des Silériens.
Remontant des profondeurs du lac, chassant d’un
souffle les cadavres des Korrigans qui surnageaient,
entourée d’une vapeur ténébreuse et malsaine, des
sorciers étaient apparus sur le rivage. Arhus ainsi que ses
compagnons n’avaient jamais vu une de ces créatures
vivantes, puisqu’elles étaient complètement disparues,
neuf siècles plus tôt. Mais l’aciériste savait maintenant
qui constituait la force redoutable, décimant les
patrouilles frontalières. De plus, ces nouveaux sujets du
Seigneur des Ankous, étaient encore plus effrayants que
ceux de jadis. En effet, ceux-là étaient des morts
rappelés à la vie par quelques magies ténébreuses. Ils
étaient tous en décomposition et la vision de leurs visages
cadavériques glaçaient le cœur des Elfes et des hommes
qui craignaient, malgré leur témérité, les spectres revenus
du royaume des défunts maudits.
Seuls les créatures qui s’étaient livrées à la haine et
au mal durant leur existence avaient pu être ramenées
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 151
dans le Monde de Formalow par des rites surnaturels de
l’Ancien Empire.
Les Ankous, dont le Lieutenant du Souverain de
jadis était le tyran absolu, avaient pour rôle de chercher
les âmes des malfaisants afin de les capturer, puis, de les
jeter au-delà des Dolmens Infernaux, par les portes du
néant situées au septentrion des Terres Sauvages.
Jamais, jusque là, les chasseurs de la mort absolue
n’avaient pu faire revenir un maudit dans les cercles du
Monde.
Les justes eux-mêmes ne retournaient pas avec
leurs semblables, après leur décès. Les Druides
pensaient que ses esprits bienheureux passaient, après la
fin de leur existence, les Montagnes du bout du Monde,
dans le Sud de Formalow et, de là, atteignaient un
univers de félicité, auprès du Créateur de toute chose.
Donc, les sorciers détruits jadis, tandis qu’ils
répandaient le mal sur les Royaumes libres, avaient
certainement répondu favorablement aux incantations
ignobles des forces ténébreuses qui avaient imploré leur
aide. Le Seigneur des Ankous venait de franchir sans
vergogne une invisible limite des lois imprescriptibles de
la nature et de la vie. Cela allait lui coûter cher.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 152
- VII -
Niphilus et ses compagnons, enfin regroupés,
avançaient désormais librement sur la route de
Nabachton.
Alianos marchait près du forgeron silérien et de la
Princesse Saurane. L’éclaireur expliquait, tout en
scrutant parfois les hauteurs qui dominaient l’une des
rives du Passage des Royaumes Perdus, d’autres fois
l’Océan Extérieur qui s’étendait à l’infini, au pied de
l’escarpement, en faisant briller d’une lumière bleue-
éclatante, l’horizon occidental du Monde :
- Vous n’avez commis aucune erreur lorsque vous
êtes parvenu sur la corniche. Vous avez agi sagement en
examinant minutieusement les alentours avant de vous
engager sur la route dallée, à découvert. Aucun
frontalier, si expérimenté soit-il, n’aurait été plus discret
et prudent que vous, Maître forgeron. Moi-même,
j’arrivais du souterrain qui débouchait légèrement au-
dessus de la corniche. Je n’ai pas aperçu le Korrigan qui
vous a attaqué et je ne vous avais pas remarqué avant
que vous ne soyez arrivé au milieu de la route. Le
meilleur éclaireur aurait été surpris par le démon. Ce
dernier avait un terrible avantage sur nous. C’est, je dois
l’admettre, à mes yeux, une vérité inconcevable, mais
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 153
pourtant, il est clair que ce Korrigan savait que nous
étions là. Il connaissait notre itinéraire avec exactitude.
- Pensez-vous que nous pourrions être trahis par un
compagnon de notre expédition ? S’inquiéta Niphilus.
- Non ami, assura le soldat du Nord. Je ne parlerais
pas ouvertement de mes suppositions, même avec vous
qui êtes totalement insoupçonnable, si je pensais côtoyer
un traître infiltré dans notre compagnie. Je crois plutôt
qu’Arthang le Noir utilise ses pouvoirs de persuasion afin
de contraindre des animaux de petite taille, quasiment
invisibles dans la nature pour des personnes
inexpérimentées, de nous espionner tandis que nous
progressons. Des oiseaux, des insectes, des poissons
peut-être, sont tombés sous le charme magique du
Léviathan et ce dernier, dans l’immense savoir que lui a
apporté sa très longue existence, a certainement trouvé le
moyen de lire la mémoire visuelle et auditive de ses
bêtes.
- Alors, il sait qu’une phalange de ses ennemis
marche maintenant vers les Forges de Nabachton,
affirma la princesse de Silérie. Qu’attend-il pour envoyer
ses troupes afin de nous écraser sur le flanc de ces
montagnes ?
- Majesté, en ce qui concerne les desseins
stratégiques des Seigneurs ténébreux, je ne suis pas aussi
initié que le sage Mélinos, expliqua le frontalier. Mais je
peux émettre une hypothèse qu’il conviendra de faire
confirmer ou bien infirmer par notre Gardien du savoir.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 154
Arthang connaît notre nombre. Pour lui nous ne
représentons pas encore une menace car nous ne
sommes qu’une poignée insignifiante d’aventuriers en
regard de la multitude d’esclaves qu’il peut déverser sur
le Monde. De plus, il ignore nos noms car les espions
qu’il envoie n’ont pas d’entendement et, leur mémoire
ne peut pas nous identifier. C’est heureux d’ailleurs, car
la destruction de Capitaines de guerre et de sagesse tels
que Suggur, l’Elfe Géant, Roi des forêts du Bout du
Monde et Le Goua’ch, Duc de tous les marins de
Salermnos, sans compter les autres renommées qui nous
servent d’escorte, justifieraient, à elle seule, dans l’esprit
de nos ennemis, l’anéantissement de plusieurs légions de
Korrigans des montagnes. Enfin, il reste une protection
qui doit être infranchissable pour nos sinistres
adversaires. Tant que nous resterons sur ce passage,
nous bénéficierons des bienfaits de ce sortilège. La magie
qui protège la baie montagneuse où nous avons
débarqué, s’étend certainement sur la route de
Nabachton. Le temps ne s’est pas arrêté sur cette voie
dallée comme c’est le cas dans le port de notre arrivée.
Cependant, je sens ici, comme une fragrance
étonnamment vivifiante qui nous encourage tous à
accomplir notre tâche et refoule assurément les démons
dont la mission est de nous arrêter.
- Puissiez-vous ne pas vous tromper, Messire
Alianos, implora Saurane.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 155
Dans le lointain, vers le nord du Monde, une barre
de nuages sombres était en formation, au-dessus des
eaux bleues de la mer si calme. Le ciel, depuis le lever
du soleil, avait été limpide, seulement traversé de temps à
autre par une belle nuée blanche, annonciatrice
habituellement, de beau temps sur les terres de
l’ancienne Formalow. L’assombrissement de l’horizon
septentrional n’était pas naturel. Le pouvoir d’ordonner,
détenu par le Maître des Ankous et le Léviathan,
s’étendait-il, maintenant, jusqu’aux changements de
climat ?
La tourmente qui se préparait dans le lointain,
promettait, à la vue de son aspect, d’être cataclysmique.
L’inquiétude figea un instant les membres de la
compagnie dans l’expectative. Leur position en hauteur,
sur le flanc d’une montagne exposé à la puissance de
l’océan, devenait dangereuse en cas de tempête alors
qu’elle était idéale sous le soleil.
- Je souhaite que les sortilèges qui retiennent nos
ennemis hors de cette route soient efficaces contre les
ouragans ainsi que les trombes d’eau, fit l’aciériste.
- Et surtout qu’ils ne laissent pas les éléments
déchaînés les franchir de temps à autre, comme ils l’ont
permis au Korrigan qui vous a attaqué mon ami, reprit la
Princesse Saurane.
- Majesté, répondit Alianos, l’agresseur de Maître
Niphilus l’a fait dans une partie du Passage des
Royaumes Perdus se trouvant à l’est du cirque
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 156
montagneux marquant la limite de la magie de
Nabachton. De plus, en temps normal, sans que les
forces ténébreuses ne soient impliquées dans la
dégradation météorologique, la route des Forges peut
être soumise à de formidables orages. Les bâtisseurs de
cette voie n’ont pas ignoré cette menace. A l’usage des
nombreux convois de marchandises qui empruntaient
cette passe, jadis, d’immenses refuges ont été creusés
dans l’escarpement, juste au-dessus de la corniche, à
intervalles réguliers. Nous avons quitté les hauteurs
dominant notre port de débarquement voilà trois heures,
nous atteindrons certainement l’un de ces abris avant
peu.
- Vous avez raison Alianos, lança Suggur en tendant
son doigt vers un bouquet de chênes poussés au milieu
d’une boucle de la route.
Le vent qui écartait les branches de ces arbres
monumentaux, révélait au regard de l’Elfe, pratiquement
aussi aiguisé que celui des Silériens, l’entrée maçonnée
habilement d’une grande caverne s’enfonçant dans le
flanc des Monts du Passage Perdu.
- Nous allons pouvoir nous reposer ici pendant que
passera la tempête, expliqua le Seigneur Sylvestre. Il
suffit que notre Gardien des magies de jadis, Mélinos, se
souvienne du mot de passe pour ouvrir les battants de cet
accès colossal.
Le vieux Druide regarda le grand Elfe avec un
sourire sous sa barbe broussailleuse. Non, Suggur n’était
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 157
pas ironique en faisant cette remarque au célèbre sage de
Myrion. Le Roi des forêts méridionales avait simplement
une foi illimitée dans les pouvoirs de son ami.
- Je pense ne pas vous décevoir, ami, déclara
Mélinos.
Le Gardien du Savoir s’avança à grandes enjambées
vers la porte de la caverne et, tandis que l’horizon se
couvrait de plus en plus au nord du Monde, il atteignit
l’accès au refuge et posa sa main sur les formidables
battants de pierre qui l’interdisaient aux indésirables.
- Nama’ch timber, secum selionnis par inner
suffren itaros ! Lança Le Druide d’une voix de stentor.
Niphilus qui l’avait rejoint avec ses autres
compagnons, ne put s’empêcher de traduire.
- Ouvre-toi, porte des bénis au nom de ceux qui
marchent pour eux ! C’est du vieil Elfique des premiers
Âges Seigneur Suggur. Vous connaissiez certainement
cette supplique des époques d’Or.
- Malheureusement ami, les chefs des Elfes de
Myrion et des Bois du Bout du Monde, passent trop de
temps à faire la guerre, se désola sincèrement le forestier
géant. Ils n’ont plus le temps d’étudier la langue des
temps heureux et ils n’ont certainement pas les facultés
d’apprentissage étonnantes des fins forgerons du beau
pays de Phérégon, ajouta-t-il avec grâce.
La troupe hétéroclite pénétra alors avec prudence
dans l’immense grotte qui venait de s’ouvrir avec un
grondement assourdissant. Depuis des siècles, le refuge
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 158
était resté clos, mais, le mécanisme magique qui le
protégeait avait fonctionné aisément, dès qu’il avait été
sollicité par le Vieux Sage. Aussitôt que toute la
compagnie eut passé la porte, Mélinos, resté en retrait,
rappela par un geste, les deux battants de roche qui se
rejoignirent avec lenteur. Quand ils claquèrent en se
scellant l’un à l’autre, à l’extérieur de la caverne le vent
s’était mis à souffler et la pluie frappait furieusement
l’escarpement.
Dans la caverne, des gemmes de puissance,
inconnues des membres de la compagnie, s’étaient mises
à briller d’une intense lumière bleue tandis qu’une
chaleur bienfaisante apaisaient les fatigues des
compagnons de Niphilus. Ici, théoriquement, il ne devait
rien arriver de fâcheux.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 159
- VIII -
Arhus assistait à un spectacle qui paraissait lui être
venu d’un autre monde.
Les Elfes géants qui composaient la principale force
de frappe de son avant-garde, hésitaient devant la venue
des spectres. Les marins de Salermnos, eux aussi,
regardaient avec effroi, dans une immobilité totale, les
horribles fantômes sortis du lac qui progressaient vers les
soldats des royaumes libres. Ces monstrueux revenants
balançaient, en marchant, leurs corps décharnés d’une
épouvantable manière. Ils émettaient des gémissements
gutturaux qui glaçaient le sang des vivants.
Ces alliés des forces du mal, appelés depuis le pays
de la mort des maudits, ne semblaient pas apprécier leur
retour dans le monde de Formalow. En franchissant, à
l’encontre des règles établies par le créateur de toute
chose, la limite interdite des Dolmens Infernaux, ils
avaient été voués à la souffrance et à la haine la plus
intense. Les Korrigans fuyaient aussi devant la cruauté
de leurs sinistres auxiliaires, car, si le Seigneur des
Ankous parvenait à leur imposer sa volonté, il devait être
le seul à maîtriser ces hordes effarantes.
Arhus ne savait plus que faire, il jeta un œil vers sa
phalange de Druides. Les Sages étaient dans la même
expectative que lui. Les cavaliers de toutes les espèces
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 160
libres avaient de la peine à retenir leurs montures
terrifiées par l’odeur de la mort. Seuls ses Silériens
restaient froids et fermement campés sur leurs jambes.
Le Forgeron ne blâmait pas les combattants des
autres races qui craignaient les spectres. Son peuple avait
la chance de rester insensible à la terreur distillée par la
vengeance des morts, mais Arhus comprenait
parfaitement la réaction de ses compagnons humains et
elfiques. Le général décida de leur donner du courage. Il
demanda à ses guerriers les plus proches de reformer
une tortue et de charger sans faiblir la horde
fantomatique.
Une immense clameur s’éleva du cœur des Silériens
et, Phérégon l’ayant rejoint à la tête de la cohorte des
paysans-forgerons, tous deux menèrent l’attaque avec
vaillance.
Les soldats aciéristes, s’engouffrèrent comme un
coin dans les lignes des sorciers fantômes. Ces derniers,
peu habitués à une telle réaction des êtres vivants, furent
balayés par les estocades de boucliers et de glaives que
leur adressèrent furieusement Arhus et ses compagnons.
Si les créatures du mal, déjà mortes, ne pouvaient perdre
leur semblant de vie, elles subissaient malgré tout, les
coups avec douleur. Des bras et des têtes en
décomposition, tranchées par les lames silériennes, se
répandirent en se vidant de leur sang infect, sur le champ
de la bataille.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 161
Les spectres mutilés se relevèrent au bout de
quelques instants. Les uns, décapités, reprirent pourtant
leurs bâtons magiques à la main, puis, ils reformèrent
une ligne de bataille. Les autres, une main ou bien un
pied arraché par l’attaque des forgerons, repartirent à
l’assaut des soldats libres, en utilisant leur membre intact
pour brandir leur arme ou courir en boitant.
Cette fois, les formidables petits Silériens se
retrouvaient isolés au milieu des monstres venus des
enfers. Ils se mirent à jouer courageusement de leur
glaive et de leur bouclier pour repousser ce nouvel
assaut. Cependant, ils faiblissaient. Plusieurs finirent par
succomber sous le nombre et les sortilèges des sorciers.
Les humains tremblaient, les yeux agrandis par la
peur. Les Elfes ne parvenaient pas à bouger. Ils étaient
rivés sur le sol par une indicible horreur. Seul, le
formidable courage des représentants de ces deux races
présents sur les rives du Lac, ce matin là, les empêcha de
s’enfuir et de marquer, malgré l’effroi qui les invalidait,
leurs adversaires.
Les petits Silériens tenaient bons. Pour un des
forgerons qui tombait et ne se relevait pas, cent fantômes
avaient été repoussés et ne parvenaient pas à se
reconstituer suffisamment vite pour retourner au combat.
Arhus se sentait perdu, même les druides qui se battaient
avec fureur, étaient retenus par les pouvoir des sorciers
morts vivants. Les sages-guerriers ne paraissaient pas en
mesure d’ouvrir une brèche pour libérer les aciéristes du
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 162
piège qui se refermait sur eux. Tout à coup, les seigneurs
elfes et les barons des Abers qui commandaient les
contingents humains et forestiers lancèrent un appel à
leur troupe :
- Messieurs, malgré la peur et la répulsion que nous
inspirent les monstrueux ectoplasmes des ténèbres,
allons nous laisser le courageux général Arhus succombé
avec ses si vaillants compatriotes.
Alors un seul cri s’éleva des cœurs humains et
elfiques, surmontant la crainte irraisonnée qui les
paralysait, les soldats des forêts et des abers lancèrent
ensemble le mot de ralliement :
- Courage Silérie ! Courage Maître Arhus ! Courage
Seigneur Phérégon ! Nous avons hésité mais nous ne
faillirons pas nous voici.
Voyant que les intraitables sujets de Phérégon ainsi
que leur général en chef, allaient être débordés par le
nombre de leurs adversaires, les humains de Salermnos
et les Elfes se reprirent. Regroupant leur infanterie avec
leur cavalerie, ils se ruèrent dans la configuration d’une
pointe de lance contre leurs adversaires. Le choc fut
encore plus terrible que le premier affrontement. Les
longues épées des forestiers déchiquetèrent les fantômes
tandis que les hommes du Golfe magnaient vaillamment
leur hache de marin. Le carnage fut long et pénible mais,
les sorciers fantômes, pour la première fois depuis leur
retour sur les fronts des combats de Formalow,
reculèrent devant la fureur des peuples libres.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 163
L’avant-garde d’Arhus parvint à rejoindre leurs
amis. Ils taillèrent en pièces les revenants qui se tenaient
entre eux et les chevaliers elfiques. Bien sûr, durant le
combat, les monstres éparpillés en morceau sur l’herbe
fraîche des rives du lac, se reconstituèrent péniblement.
Quelques soldats du général silérien, malgré leurs
nouvelles armures, furent frappés par les décharges de
magie maléfique des Sorciers Morts-Vivants. Les
victimes de ses sorts fatals s’évanouirent sous les yeux de
leurs camardes, dans un nuage de fumée nauséabonde.
Mais, cette fois, l’armée de Myrion alliée à celle des
forêts du Bout du Monde ainsi qu’aux forces de Silérie,
avait réussi à contenir les légions de Korrigans et de
spectres, lancées sur elle par le Seigneur des Ankous et
d’Arthang le Noir. Cette stratégie, ne pourrait pas tenir
éternellement, mais, elle ferait gagner beaucoup de
temps à la compagnie de Niphilus qui ramènerait sans
doute du Royaume de Nabachton, un savoir et peut-être
des renforts, capables d’anéantir les fantômes des
sorciers de jadis.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 164
- IX -
A l’abri dans la vaste caverne brillamment éclairée,
la compagnie de Niphilus se reposait en écoutant la
tempête qui se déchaînait au dehors.
Mélinos avait offert à tous ses vaillants compagnons
un verre d’hydromel de Myrion. Ce breuvage délicieux
confortait les cœurs des justes. Le Maître-Forgeron, sur
un châssis contenant des cristaux de puissance actifs,
faisait griller avec talent des steaks d’holaong épais et
goûteux. L’ambiance était détendue dans la chaude
grotte et les vingt membres de la compagnie parlaient
joyeusement entre eux.
La princesse Saurane, les yeux brillants et le sourire
aux lèvres, semblaient confier, d’une voix quasiment
inaudible, d’importants secrets au cuisinier improvisé.
Alianos et Suggur devisaient amicalement en étudiant
une très vieille carte incomplète du Passage des
Royaumes Perdus.
Le grand Elfe avait revu ses sentiments envers
l’éclaireur. Celui-ci n’avait pas hésité à expliquer
l’attitude réservée qu’il avait adoptée au début de leur
expédition. L’homme était beaucoup moins puissant et
moins expérimenté que les autres membres de la troupe
dans une bataille rangée. Il aurait même été un poids
mort dangereux pour ses compagnons s’il s’était exposé
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 165
dans une bataille en plaine, à découvert. Sur les
contreforts des montagnes, dans les halliers ou bien les
cavernes, le coureur des marches devenaient utile et il
déploierait tous ses talents pour rattraper ses débuts
laborieux au sein de la compagnie.
Cette franchise et la bonne connaissance de ses
limites étaient tout à l’honneur d’Alianos. Avec le brillant
sauvetage de Niphilus en plus de ces qualités, il avait
regagné l’estime de ses camarades.
Le Druide et le Duc Le Goua’ch, avaient allumé
leur pipe d’écume. Ils savouraient chacun un tabac
aromatique des champs salés d’Armenos en terminant
paisiblement leur verre d’Hydromel.
Déjà, les soldats des différentes espèces libres qui
constituaient la compagnie, alléchés par l’excellent
arôme des grillades de Niphilus, étaient venus dans un
parfait mouvement d’ensemble, perturber l’intimité du
jeune silérien et de sa souveraine en s’inquiétant du
temps qui leur restait à patienter avant de pouvoir
apprécier concrètement les chefs-d’œuvre culinaires du
Maître-Forgeron.
Sans rancune, la Princesse et son chevalier-servant,
furent heureux de lancer à leurs compagnons la phrase
libératrice, tant espérée :
- A table, c’est prêt !
La compagnie s’installa en cercle autour du châssis
de cristaux de puissance et reçut avec contentement les
bons morceaux de viande grillée. Tous ses membres
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 166
remercièrent avec enthousiasme le Maître-Forgeron.
Mélinos, le plus observateur de tous les membres du
groupe, remarqua que la Princesse Saurane se tenait
auprès de Niphilus et adoptait à l’égard du brave Silérien
une attitude de confiance et de respect de plus en plus
familière.
A l’extérieur, l’orage battait le flanc de la Montagne
de toute sa fureur. Mais la solidité de la caverne était si
rassurante, qu’aucun compagnon de Niphilus n’était
inquiet. Dans la clameur du tonnerre, tous les autres
murmures du monde souterrain disparaissaient
complètement.
Alianos s’entretenait toujours avec Suggur qui
respectait beaucoup le frontalier depuis les tirs d’arc
ayant sauvé l’aciériste du Korrigan, sur les hauteurs
dominant le cirque du débarquement. Soudain, entre
deux grondements de la foudre, l’éclaireur posa sa main
sur l’épaule de l’Elfe Géant et l’invita à tendre l’oreille.
Les deux guerriers perçurent alors, venu des profondeurs
des montagnes, un martèlement lointain de milliers de
pieds, étouffé par de prodigieuses épaisseurs de roche.
Le Maître Forgeron, un instant distrait par les
tendres discours de la Princesse, fut le troisième à
découvrir la rumeur dangereuse. Mélinos, remarquant
l’inquiétude de ses amis demanda le silence. Il fut
aussitôt obéi de tous.
- Les légions du Léviathan franchissent les racines
des Monts du Passage Perdu et montent vers nous,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 167
lança-t-il soudain. Amis, prenez vos armes, nous ne
pouvons quitter cet abri tant que la tempête gronde
dehors. Il faut savoir par où nos ennemis comptent nous
attaquer.
Il leva son bâton après avoir effectué une passe
magique sur la pierre de puissance qui en ornait le
pommeau. Celle-ci se mit à rayonner d’une formidable
lumière, encore plus intense que celle des gemmes
illuminant la caverne. Sur la paroi, au fond de la grotte,
quatre portes se devinèrent par les défauts de leur
jonction avec leur encadrement révélés grâce à la magie
du Druide.
- Ces accès à l’abri ont été creusés par les
Korrigans, continua ce dernier. Ils sont fermés pour
l’instant par la sorcellerie ténébreuse. Ces tunnels ne
sont pas assez larges pour laisser passer plus de deux
ennemis à la fois. Nous pourrons ainsi contenir les
serviteurs d’Arthang jusqu’à la fin de l’orage, s’ils
décident de surgir ici.
- Mais lorsque nous reprendrons la route de
Nabachton, ? Demanda Suggur. Dès que la tempête
s’apaisera, nous quitterons ce lieu pour reprendre notre
marche vers les Royaumes Perdus, or, les ennemis nous
poursuivront alors sur la Corniche.
- J’en doute mon cher Elfe, assura le vieux Sage.
Alianos l’a remarqué, un puissant et ancien sort interdit
la Route de Nabachton aux serviteurs d’Arthang. De
plus, si nous leur donnons une sainte terreur de cette
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 168
grotte par la violence avec laquelle nous allons leur
résister, ils n’oseront plus jamais attaquer dans un des
abris de cette voie.
- Sus à l’ennemi ! Crièrent ensemble tous les
compagnons.
Ils se séparèrent en groupe de cinq membres, puis,
coururent vers les portes secrètes en brandissant leurs
épées, leurs haches tout en ajustant avec précaution leurs
armures. Les plus puissants des compagnons de Suggur
se positionnèrent devant les accès. Ils bandèrent leurs
formidables arcs de fers sur les cordes desquels, ils
encochèrent trois à quatre flèches. Enfin, dans une
immobilité de sculpture des Âges lointains, ils attendirent
patiemment que les portes s’ouvrent sur leurs ennemis,
agglomérés en rang bien serrés dans l’étroit tunnel.
Le grondement des pas qui remontaient les boyaux
en trottant, depuis le fond de la montagne, s’amplifiait
derrière la paroi de la caverne. Tous les compagnons de
Niphilus avaient rangé leurs affaires en quelques instants,
dès qu’ils avaient été alarmés par le Druide. Il ne restait
aucune trace de leur repos dans la place. Même la
nourriture non consommée avait été rangée vivement
dans les paquetages. Maintenant, le sac au dos, ils
attendaient, une arme à la main, l’assaut des légions
d’Arthang.
Soudain, la foudre tomba contre les portes
extérieures de la caverne. La lumière des gemmes qui
éclairaient la salle, vacilla. Puis, un sifflement strident fut
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 169
émis par les encadrements des entrées secrètes. Avec
des grincements déchirant et des panaches d’étincelles,
les quatre battants de pierre pivotèrent à l’intérieur de
leurs souterrains. Des grognements sourds jaillirent de
l’ombre des boyaux, puis, les premiers Korrigans des
montagnes se précipitèrent dans la caverne refuge en
faisant tournoyer leurs immenses cimeterres. Ils ne firent
que quelques pas dans la lumière hésitante des cristaux,
dont le fonctionnement était perturbé par la force
électrique de l’orage extérieur. Les dix premiers démons
s’écroulèrent sur le sol en hurlant, les jambes tranchées
net par les Silériens qui les attendaient de chaque côté
d’une entrée.
Ce furent ensuite les marins de Salermnos qui,
grâce à leur grande taille, portèrent leurs coups de hache
dans le but de détacher les têtes des soldats d’Arthang du
reste de leurs corps difformes. En bons charpentiers de
bateau, les fiers hommes du Golfe avaient le bras précis
et entraîné au travail du bois sur les hauts mâts de leurs
coursiers des mers. Les cous des plus grands Korrigans
ne résistaient guère à la vigueur des navigateurs, tout au
moins, pas plus qu’une brindille de bruyère. Vingt
monstrueux démons formèrent bientôt une barricade de
cadavres devant l’entrée défendue par le Duc Le
Goua’ch.
Les Elfes étaient plus directs. Leurs fortes
musculatures de forestier les autorisaient à traverser
plusieurs ennemis d’un même coup d’épée et à rejeter
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 170
très vite les Korrigans embrochés, sans perdre de temps
pour l’estocade suivante.
Les Druides détruisirent, sans effort, une forte
charge de monstres. Les pouvoirs magiques des Sages
décimèrent leurs plus robustes ennemis. Puis, les épées
silériennes, maniées vaillamment par les Gardiens de
Myrion, taillèrent en pièce les agresseurs survivants.
Affolés par tant de force et de résistance, les légions
d’Arthang refluèrent dans les tunnels en grognant
d’horreur. Les premiers rangs des Korrigans, en fuyant
dans les souterrains, repoussèrent leurs camarades. Tout
à coup, les échos des invectives furieuses, lancées par les
officiers du Léviathan contre la lâcheté de leurs
soudards, parvinrent jusqu’à la compagnie.
Les piétinements des monstres peureux cessèrent
alors de s’éloigner puis, revinrent vers la caverne où
s’abritaient Niphilus et ses compagnons, poursuivis par
les coups de fouet et les insultes des chefs de guerre
maléfiques. Dès que les silhouettes des Korrigans se
dessinèrent faiblement dans l’ombre des tunnels, les arcs
de fer des grands Elfes, des marins de Salermnos, des
Druides et des Silériens chantèrent ensemble. De
puissantes volées de flèches, ornées de pointes aiguisées
en acier silérien, partirent dans l’ombre épaisse des
souterrains. Des cris douloureux déchirèrent les oreilles
des membres de la compagnie. Le bruit sourd des lourds
démons, percés de part en part par les traits de leurs
adversaires et s’affaissant brutalement sur le sol des
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 171
passages, ponctua les exclamations des autres Korrigans
basculant sur leurs congénères abattus.
Dehors, la fureur de la nature se démenait contre la
montagne et la corniche. Les éclairs tombaient sur les
crêtes rocheuses, lançant dans l’Océan Extérieur hurlant
au pied des escarpements du Passage des Mondes
Perdus, des blocs monumentaux de granit et de schiste.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 172
- X -
Les messagers envoyés par Arhus vers son armée,
dissimulée dans la Lande, arrivèrent bientôt et
transmirent rapidement les instructions de leur général.
Les pertes de l’avant-garde étaient moins lourdes
que celles prévues avant la bataille mais elles étaient
encore sévères. Enfin, la gigantesque diversion, organisée
si minutieusement par le Conseil des peuples libres, avait
atteint un de ses objectifs principaux, à savoir, identifier
les nouveaux alliés d’Arthang et du Lieutenant de
l’Empereur déchu.
A peine les cavaliers étaient-ils revenus dans le
corps principal des forces de Myrion, que d’autres
messagers rapides partirent alors vers l’arrière du front,
où l’intendance stockaient des vivres, des flèches, des
armes et des cuirasses apportées par de longs convois de
chariots, depuis les forteresses des Royaumes Libres.
L’objectif d’Arhus était d’utiliser et de renforcer les
défenses qu’il avait établies provisoirement, dans les
bosquets du pays. Si les chariots pouvaient lui amener
assez de flèches forgées dans l’acier découvert par son
frère adoptif, puis, soumises à la magie des Druides, le
général silérien serait capable de tenir très longtemps en
échec les forces du mal, au milieu de ces terres à demi
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 173
sauvages, qui ne souffriraient pas trop de l’interminable
bataille prête à éclater là.
Il faudrait aussi que des colonnes de renforts,
viennent des royaumes libres, sans en dégarnir les
frontières. Les blessés, les soldats épuisés et les morts de
ce combat sur la Lande, seraient ainsi remplacés au fur
et à mesure des besoins. Arhus ne demandait qu’une
chose. C’est que les malheureux ne tombent pas trop
nombreux pendant cette effroyable bataille. Il donnerait
des ordres afin que des défenses soient aménagées avec
de plus en plus d’efficacité et de soins, dans toute la
zone de l’affrontement. Il fallait tenir, mais pas au prix
d’innombrables vies. Le Silérien était persuadé que,
gagner du temps pour Niphilus et sa compagnie en
occupant les forces du mal autant que faire se peut, était
la seule solution à cette dernière guerre. Cependant, ce
résultat devait être atteint en épargnant les vies par une
rigueur et une préparation subtile de la contre-attaque.
Tout en reculant devant les spectres et les légions
de Korrigans qui suivaient ces derniers à une distance
respectueuse, l’avant-garde d’Arhus s’arrêtait de temps
en temps, aux endroits les plus propices à une
embuscade. Les puissants arcs de fer assemblés dans les
ateliers de Castel-Druides se garnissaient alors de traits
meurtriers. Les archers pointaient ensuite leurs armes
vers des zones dégarnies de protection, où les
poursuivants des soldats libres étaient obligés
d’apparaître, s’ils tenaient réellement à rejoindre les
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 174
présomptueux ayant frappé durement les forces du mal,
sur les rives du Lac, quelques heures plus tôt.
Les fantômes des sorciers, eux-mêmes, étaient
animés d’une haine terrible envers ces vivants dont la
témérité frôlait la folie. Ils fonçaient, formes sombres et
infâmes dans la lumière du jour, sur les talons des forces
de Myrion. A chaque bosquet, à chaque ravin, à chaque
haie touffue, dix milles flèches tirées avec hargne et
précision les déchiquetaient comme de fragiles feuilles de
papier sous une pluie de pierres. Ensuite, ces morts-
vivants se reconstituaient péniblement et longuement,
avant de pouvoir reprendre la chasse qui se ponctuait
bientôt, dès la première défense naturelle rencontrée, par
un nouveau nuage de flèches silériennes prélevant leur
tribut d’ennemis, sans perte pour les forces de Myrion.
Au cours de cette retraite victorieuse, les Korrigans
se rapprochaient quelquefois trop près de l’altercation et
essuyaient aussi un orage de traits meurtriers. Bien des
démons mourraient aussi dans les pièges tendus par
Arhus. A chaque fois, le temps gagné ainsi permettait à
l’armée de Myrion de dresser un parapet de sacs de
sable supplémentaire ou plutôt de creuser une tranchée
de plus à l’abri d’un hallier de la Lande qui verrait
bientôt la plus terrible bataille de cette guerre, la dévaster
ignoblement.
Dans ces pâturages clos d’arbres fleuris et de
buissons touffus, plus d’un million de glaives et de
cimeterres allaient s’entrechoquer au cours
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 175
d’interminables journées sanglantes. Le sang acide des
Korrigans et celui putride des spectres, s’écoulerait en
flots nocifs qui, absorbés par le sol, empêcheraient, des
années durant, le retour de la végétation sur les champs
du combat.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 176
- XI -
Les monceaux de Korrigans massacrés
s’accumulaient dans les entrées secrètes du refuge de la
route de Nabachton.
Dehors, la tempête perdait en puissance tandis que
dans la chaleur de la grotte, la colère s’enflait comme
une tornade furieuse. Malgré les fouets et leur force, les
gardes-chiourme d’Arthang ne contrôlaient plus leurs
esclaves. Dans les profondeurs de la montagne, les
démons se battaient entre eux.
Beaucoup fuyaient le combat contre la terrible
compagnie de Niphilus, avec une épouvante supérieure à
celle que leur inspiraient les lanières de cuir ornées de
dents d’acier de leurs cruels officiers. Après avoir été
lacérés par les lames silériennes ou bien transpercés par
les flèches des intraitables archers de Myrion et du Golfe
de Salermnos, les Korrigans survivants rebroussaient
chemin avec une telle vigueur, qu’ils écrasaient
mortellement tous ceux s’opposant à leur retraite
désordonnée. Les petits chefs des forces du mal, comme
les grands, étaient victimes, sans distinction, de la
déroute de leur phalange.
Là-haut, près des portes, les compagnons de
l’aciériste tuaient froidement les ennemis qui essayaient
encore de se frayer un chemin hors des tunnels.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 177
Pratiquement, les tireurs à l’arc avaient récupéré tous
leurs traits qui étaient plantés dans les cadavres des
monstres, utilisés désormais par leurs congénères afin de
se protéger au cours de l’assaut. Mais, toutes les
tentatives des démons étaient vouées à l’échec. Quand
les armes de jets ne suffisaient plus, les glaives et les
haches, taillaient et tranchaient infatigablement !
Suggur, le grand Elfe et le Duc Le Goua’ch se
tenaient au-dessus de nombreux ennemis terrassés et,
minute par minute, le nombre de leurs adversaires
vaincus s’élevait vertigineusement. Le Seigneur forestier
estima que le sang immonde des légions d’Arthang, avait
suffisamment souillé sa glorieuse armure. Il lança à
Mélinos qui achevait deux formidables Korrigans des
montagnes, d’un seul coup de taille de sa fière épée :
- Mon valeureux Maître Druide, ne connaissez-vous
pas un sort qui fermerait les accès secrets à cette salle en
les faisant s’écrouler sur ces hordes stupidement entêtées
et suicidaires ?
Le vieux Druide prit un air songeur tout en fichant
pensivement la pointe de son glaive dans le thorax d’un
attaquant que Niphilus avait habilement amputé d’un
bras armé. Tout à coup, le sage réagit :
- Retenez ces déments encore quelques instants,
mes amis, je m’éloigne pour leur préparer une surprise,
annonça-t-il.
Il quitta le champ de bataille tandis que ses
compagnons redoublaient d’entrain à la besogne pour
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 178
mieux couvrir la surprise préparée par le Druide. Ce
dernier fila vers la paroi de la sortie et s’empara de
plusieurs gemmes de puissance qui éclairaient la grotte. Il
les posa devant lui, sur une table de roche, puis, il
prononça une puissante incantation en allongeant ses
longues mains au-dessus des pierres :
- Arkam charima, saktoum !
- Qu’a-t-il dit ? Questionna le Duc de Salermnos en
se tournant vers Niphilus qui décapitait un ennemi de
plus.
- Je vous avoue que je n’ai pas bien compris. Ces
maudits démons contrefaits hurlent comme des holaongs
égorgés lorsqu’ils se battent, s’excusa le Silérien.
Le vieux sage s’avança vers ses amis, une gemme à
la main, en demandant :
- Niphilus, Princesse Saurane, faites votre possible
pour me dégager l’accès que vous tenez, des Korrigans
vivants l’encombrant encore !
Les Silériens se ruèrent contre les malheureux
monstres prostrés, fous de terreur, qui se cachaient dans
l’entrée des tunnels, sans oser les quitter, tant
l’acharnement de leurs adversaires les effrayait. La
masse noirâtre des ennemis de la compagnie retourna
alors dans le souterrain d’où elle venait. Tout au fond de
la montagne, les rumeurs de désaccord entre les chefs et
la piétaille devint un mugissement de combat. Sur des
centaines et des centaines de pas, l’accès libéré par la
charge des aciéristes ne fut plus occupé que par les
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 179
Korrigans morts. Mélinos rappela alors ses compagnons
et, dès que ces derniers furent sortis de l’ombre, mais
aussi suffisamment éloignés de la porte secrète, à l’abri
contre les parois latérales de la caverne, il lança à
l’intérieur du couloir, avec toutes ses forces, la gemme
qu’il tenait dans sa main. Une formidable lumière jaillit
de l’accès visé par le jet du Druide. Un grondement
sourd couvrit les gémissements hallucinés des Korrigans,
puis, un souffle chaud balaya le refuge, tandis que le
granit constituant la voûte du premier tunnel fondait pour
ruisseler comme une pâte. La roche en fusion scella
l’accès à la caverne, mais également, elle libéra des
centaines d’autres pierres de puissance.
Le vieux Sage distribua des gemmes enchantées par
ses soins à ses camarades. Ceux-ci les jetèrent aussitôt
dans les trois dernières entrées que les monstres avaient
désertées après la première déflagration. Les résultats
des explosions qui suivirent, furent encore plus
spectaculaires. La paroi, percée en trois endroits par les
forces du mal, fut de nouveau fermée. Les cadavres des
Korrigans abattus pendant la bataille, avaient été
évaporés au contact de la roche liquéfiée. Désormais, à
la place des bouches des tunnels, de larges filons de
pierres de pouvoir semblaient coulés du mur bien qu’ils
soient figés, comme des cascades. De nombreuses
gemmes, libérées de leur strate, s’étaient répandues
ainsi. Elles couvraient le sol du refuge et paraissaient être
à la disposition de la compagnie.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 180
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 181
- XII -
Arhus arrivait enfin dans la lande où son armée
entière l’attendait, dissimulée dans la végétation et
derrière les aspérités du relief.
Les soldats des Peuples Libres obtenaient de
formidables résultats, en matière de surveillance discrète
d’un champ de bataille. Les plus habiles éclaireurs des
forces maléfiques ne pouvaient pas surprendre un Elfe
Géant ou bien un Silérien, si ce dernier ne souhaitait pas
être entrevu. Seuls les marins de Salermnos manquaient
encore de savoir-faire dans cet art compliqué, mais, si les
hommes n’y égalaient pas les autres espèces
bienfaisantes de l’Ancienne Formalow, ils restaient bien
supérieurs aux Korrigans et aux fantômes des sorciers du
Nord dans l’application de cette technique.
L’avant-garde d’Arhus disparut donc, elle aussi,
dans les caches construites par le génie des troupes de
Myrion. Le général en chef, lança des ordres et des
conseils à toutes ses phalanges. Le but était de contenir
l’invasion de cette région par les forces du Seigneur des
Ankous. Il fallait que, furieux, ce dernier déchaîne toutes
ses réserves contre la résistance de ses ennemis, dans la
région du Lac. Arhus, espérait bien attirer Arthang le
Noir, lui-même, dans ce secteur afin de l’éloigner du
Passage des Mondes Perdus.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 182
Si les nouveaux alliés des Ténèbres, les ignobles
revenants des Dolmens Infernaux, échouaient ainsi
contre la puissance de Myrion, de Silérie, du Golfe et des
Forêts du Bout du Monde, le Maître des Ankous que
quelques Vétérans des armées druidiques et elfiques
avaient connu au temps lointain des premiers siècles de
la Paix Vigilante et qu’ils disaient être perclus d’orgueil
et de fureur, ne manqueraient pas de déployer toute sa
puissance pour briser ce dérisoire verrou. Et pendant que
toute la concentration magique et l’énergie du mal
déferleraient sur les rives du Lac et sa Lande, Niphilus
atteindrait les Forges de Nabachton, sans rencontrer de
fatale résistance.
Les tambours des légions de Korrigans et les
gémissements fantomatiques des Sorciers Morts-Vivants,
retentirent alors derrière les halliers du nord. L’avenir du
Monde de Formalow se jouerait désormais sur cette
Terre rude et sauvage, mais aussi sur la route de
Nabachton, là-haut, à l’extrême Ouest du Monde.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 183
- XIII -
La compagnie, après le formidable combat du
refuge, était ressortie sur la Route de la corniche.
Niphilus et ses camarades, malgré leur fatigue
excessive (ils étaient débarqués la veille au petit matin
puis s’étaient battus toute la nuit contre les Korrigans)
avaient pris la peine de recueillir une grande quantité de
nouvelles gemmes de puissance qu’ils avaient
découvertes dans la caverne de l’affrontement. Mélinos
avait aussi rouvert les portes de pierre de l’abri, puis,
constatant que l’orage avait cessé, il avait questionné ses
compagnons sur leurs intentions.
Deux possibilités s’offraient à la compagnie. La
première était de rester pour se reposer dans le refuge.
Après leur cuisante défaite, les Korrigans des Montagnes
ne reviendraient certainement pas déranger leurs
vainqueurs de toute la nuit. D’ailleurs, les tunnels que les
monstres avaient creusés afin d’atteindre la caverne,
étaient définitivement scellés sur une longueur
considérable, par la déflagration des gemmes
enchantées. La seconde attitude que pouvaient adopter
Niphilus et ses camarades, consistait à prendre en
considération le fait que le Léviathan et ses légions
étaient avertis, maintenant, de la puissance des guerriers
qui tentaient de franchir le Passage des Royaumes
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 184
Perdus. Dans ce cas, la meilleure des stratégies pour la
compagnie, était de reprendre la marche vers
Nabachton, le plus vite possible, et, de placer au cours
de la journée, la plus vaste distance entre elle et les lieux
de son précédent exploit. Car toutes les phalanges
démoniaques de la désolation d’Arthang, allaient se
lancer aux trousses des Seigneurs qui avaient abattu tant
de leurs membres. Si le sort qui protégeait le chemin était
puissant, la colère et la ruse de la Vieille Hydre des
sorciers tenaient sans peine la comparaison.
Il était donc inutile, pour le Maître-Forgeron et ses
amis de prendre des risques et de s’exposer aux foudres
d’un si colossal ennemi, tant que les secrets du Royaume
de Nabachton ne seraient pas venus renforcer leurs
armes.
Bien que vidée de sa vitalité, la compagnie était
repartie sur le chemin qui longeait la corniche, chargé
d’un nouveau poids dans le paquetage. Les marcheurs
parcoururent quinze lieues avant de découvrir une large
échancrure dans l’escarpement qui dominait la corniche
tandis que le soleil se couchait de nouveau sur la mer.
Une pelouse ainsi que des arbres avaient poussé là.
L’endroit n’était pas venteux. Il offrait une bonne vue sur
la Route de Nabachton et sur l’Océan Extérieur. Quant
aux ramures des chênes, elles étaient un abri efficace
contre le regard des espions aériens.
Les membres de la compagnie reprirent leur repas,
là où la bataille engagée dans le refuge l’avait
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 185
interrompu. Niphilus aidé de Mélinos et de Saurane
firent réchauffer les bons morceaux d’holaongs, puis, les
vaillants combattants se restaurèrent, dès que ces
délicieux plats furent prêts, en attendant de pouvoir
dormir afin d’effacer les fatigues de l’affrontement.
Suggur et Alianos restèrent aux aguets, près de la route,
pendant que Le Goua’ch et le vieux Maître du savoir
examinaient les horizons de la mer. La petite troupe était
bien gardée avec de si brillantes et si renommées
sentinelles.
Niphilus et Saurane, quand les autres membres de
leur communauté furent endormis sous les arbres,
s’approchèrent de Mélinos et du Duc de Salermnos, afin
de questionner le vieux Druide sur les évènements de la
grotte refuge. Les deux Silériens souhaitaient apprendre
comment le Maître du Savoir avait appris à utiliser, en
quelques minutes, les nouvelles gemmes de puissance.
D’où le Sage tenait-il les secrets de ces pierres ?
Généralement, Mélinos n’était pas avare d’explications,
surtout lorsqu’il les donnait au forgeron et à la
Souveraine de Silérie. Ces deux derniers n’hésitèrent
donc pas à venir importuner leur vieil ami, sans
hésitation.
En voyant s’approcher les deux Silériens, le
Magicien et le Duc ne purent empêcher, malgré la rude
journée qu’ils venaient de vivre, leur visage de se barrer
d’un sourire amical. Les deux petits personnages,
l’aciériste avec sa silhouette robuste et son fier visage
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 186
intelligent, la princesse avec sa beauté fascinante,
quasiment elfique, ainsi que sa gentillesse profonde,
étaient réellement estimés et aimés des Seigneurs du
Monde Libre. De plus, au cours des derniers mois, les
plus grands chefs de guerre des espèces de la Nouvelle
Alliance contre les Ténèbres, avaient pu juger du
courage mais aussi de la ténacité des paysans-forgerons.
Saurane et Niphilus formaient un couple exemplaire
qui réunissait ensemble, toutes les qualités de leur
peuple. Ils n’abusaient pas de la violence et dans les
batailles, quand ils frappaient, ils ne se laissaient aller à
aucune haine, aucune vengeance. Ils défendaient
seulement leur vie. Leur quête était clairement menée
pour le bénéfice de toutes les espèces qui combattaient le
mal. Aucune gloire personnelle n’était recherchée par les
Silériens. Ils avaient une âme pure, sans méandres
tortueux de leurs intentions cachées. Saurane et Niphilus
auraient certainement préféré se promener, tous les
deux, dans la campagne bien ordonnée de leur pays, au
milieu des troupeaux d’holaongs et des forêts bien
entretenues, qui émerveillaient toujours les Elfes et les
Druides quand ces derniers les visitaient. Et pourtant, ce
goût des aciéristes-agriculteurs pour leur civilisation
d’artisans, de paysans amoureux du calme de leur
contrée, ne les empêchait pas de pouvoir affronter
vaillamment la mort et les plus effroyables dangers, sur
des champs de bataille aussi rudes et usants que la route
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 187
de Nabachton ou bien les rives du Lac des Marches
semi-sauvages du Nord-Est.
Niphilus fut le premier à questionner le Druide :
- Maître Mélinos, pouvez-vous m’expliquer par quel
miracle vous avez su utiliser les gemmes de la caverne
avec tant de succès ?
Le vieux sage éclata d’un rire léger marquant une
gaieté emplie pourtant de respect :
- Mon ami, vous êtes bien fidèle à vous-même,
commença-t-il en couvrant de son regard d’aigle Saurane
et le brillant forgeron. Alors que les autres, épuisés, se
sont plongés dans le sommeil sans se créer d’autres
soucis que ceux, déjà ardus, de la journée écoulée, vous
et votre belle souveraine, vous ne pouvez vous empêcher
de venir enrichir encore un peu plus, votre savoir aux
dépends d’un Druide fourbu et très âgé, malgré sa
vigueur. Mais je vais vous répondre, assura Mélinos, car
vous serez demain, vous et Dame Saurane, les héros de
la Guerre qui amènera la chute définitive des Ténèbres.
Votre culture est grande compagnon, mais elle doit
encore croître pour devenir digne de votre glorieuse
destinée. Vous avez eu la chance, pendant les années
que vous avez vécues dans votre belle et douce Silérie,
de parcourir toutes les bibliothèques ou les maisons
d’apprentissage que votre Nation a su protéger et
entretenir aux cours des âges de la paix vigilante. Vous
avez retenu, avec intelligence, par votre naissance
Nabatéenne aussi, sans doute, toutes les leçons ainsi que
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 188
les méthodes contenues dans les archives et les antiques
grimoires constituant le trésor de ces lieux. Niphilus, j’ai
accompli la même recherche que vous sur une longueur
de temps qui contiendrait de nombreuses vies silériennes.
J’ai eu entre les mains des traités de magie bienfaisante
qui avaient été rédigés par les grands savants des
Royaumes Perdus. C’est, dans les pages de ces
merveilleux recueils, puits de science et de sagesse, que
j’ai appris l’existence des gemmes de puissance qui se
forment au cours des siècles innombrables dans le cœur
des Monts du Passage des Royaumes Perdus. J’ai aussi
compris, en approfondissant mes lectures, par quelle
formule je pouvais lâcher, en une fraction de seconde,
toute la force accumulée dans ces pierres étonnantes. Si
les cristaux de puissance de votre pays engrangent la
lumière visible de l’astre solaire, celles des Montagnes
portant la route de Nabachton, drainent le rayonnement
invisible du soleil, mais aussi de toutes les autres étoiles,
qui traverse sans cesse notre monde de part en part.
Voilà le secret de cette énergie fabuleuse dont je vous ai
montré quelques pouvoirs.
- Si les habitants des Royaumes Oubliés maîtrisent
pleinement ces minéraux merveilleux, dit Saurane, nous
avons là un moyen exceptionnel de vaincre les légions du
mal.
- Certes, admit Mélinos. Mais je ne crois pas que ce
soit un usage aussi direct et primitif de ces gemmes qui
interviendra dans la dernière guerre des mondes de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 189
Formalow. J’ai gâché le pouvoir de ces cristaux
phénoménaux, dans la précipitation née de mon désir
d’en finir, tout à l’heure. Certes, la perte n’est pas bien
grande et cette richesse se renouvelle comme celle du
célèbre col de Silérie. Mais au cœur des montagnes, la
période de création des gemmes est longue, et, si trop de
personnes agissaient comme je l’ai fait dans le refuge, il
y a quelques heures, les pierres de puissance
deviendraient rapidement trop rares, alors qu’elles
renferment un pouvoir immense et bénéfique, à
n’employer que sur le long terme.
- Vous pensez que les sages de Nabachton
exploitent cette ressource fabuleuse avec parcimonie,
interrogea Niphilus ?
- Bien sûr, car ils auraient déjà pu en faire une
bombe au colossal pouvoir de destruction, qui aurait
réduit à néant Arthang et le Seigneur des Ankous lui-
même. Mais ils s’en sont abstenus. Formalow serait
balayée complètement par l’utilisation abusive des
énergies fondamentales de l’univers. Il est heureux que
les partisans des Ténèbres ne croient que dans le feu, les
machines archaïques, la magie noire et l’esclavage des
démons. S’ils se passionnaient pour le cosmos et la
nature, ils apprendraient à exploiter la puissance des
gemmes ainsi que bien d’autres pouvoirs cosmiques pour
accomplir leurs monstrueux desseins et finalement
anéantir la Terre, les Cieux ou simplement la vie tout
entière…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 190
- Que le créateur universel nous protège et guide
nos pas vers la victoire, souhaita Le Goua’ch qui écoutait
silencieusement la conversation depuis le début.
- Soyez exhaussé Mon Seigneur, déclara la
Princesse silérienne.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 191
- XIV -
Pendant une journée entière, l’armée d’Arhus avait
repoussé les Korrigans et les sorciers fantômes.
Des chevaliers elfiques, de glorieux marins du
Golfe, des Druides, des Silériens avaient été blessés ou
bien étaient morts sur la Lande. Ce soir-là, les médecins
de Myrion parcouraient encore le champ de bataille et
recueillaient les soldats vivants, qui avaient été percés par
un trait de démon ou bien entaillés par un coup de
cimeterre et que les brancardiers n’avaient pas pu
approcher au cours des opérations de l’après-midi.
Les pertes n’étaient pas élevées autant que
l’ampleur des combats l’avait laissé prévoir. Certes, les
malheureux atteints par les armes des spectres, qui
avaient parfois trouvé des défauts dans les nouvelles
cuirasses utilisées par les peuples libres, avaient péri sans
espoir, mais, la plus grande partie des armures s’était
montrée hermétique aux coups des Korrigans et aux
sortilèges des magiciens. Par conséquent, les soldats
abattus n’étaient pas très nombreux finalement.
Maintenant, Les monstres et les Sorciers Morts-
Vivants avaient reculé vers les rives du Lac. Les
Silériens, infatigables, réparaient les armes et les
cuirasses endommagées par les combats. Ils réajustaient
aussi certains boucliers ainsi que des modèles de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 192
jambières et de gantelets qui avaient été trop faibles à
l’épreuve des décharges de magie noire.
Quelques patrouilles, constituées de renforts frais,
arrivées dans l’après-midi avec des chariots de vivres et
d’armes, regroupaient avec respect les corps de leurs
camarades tués par les forces du mal, afin de les
ensevelir avec les honneurs qu’ils méritaient. Les
dépouilles des Korrigans, elles-mêmes, bien que ces
derniers agissent comme de véritables bêtes avec les
habitants des Royaumes Libres de Formalow, étaient
traitées décemment par les troupes de la Nouvelle
Alliance.
Dans cette soirée calme et silencieuse qui succédait
à la fureur des charges de cavaleries et aux grondements
du choc des boucliers et des glaives, Arhus retrouvait sa
sérénité. Il n’avait pas perdu la tête pendant la bataille,
mais il avait été la proie d’une exaltation quasiment
douloureuse. Tant que le sort de ce combat n’avait pas
été décidé et que les forces en présence avaient montré
une résistance identique, le Silérien furibard, s’était
multiplié et avait distribué des ordres clairvoyants à
toutes les sections de son armée, dispersée sur la Lande.
Le petit forgeron s’était révélé un stratège formidable,
conformément à la prédiction de Mélinos. Les pertes
réduites ainsi que le repli des Korrigans et des Spectres,
étaient l’œuvre, non seulement des nouvelles armes et
cuirasses forgées selon les méthodes de Niphilus dans les
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 193
Royaumes Libres de Formalow, mais aussi celle du bon
sens et du courage d’Arhus.
Les soldats elfiques, les marins de Salermnos, les
Druides et les forces de Phérégon, se reposaient tandis
que les renforts montaient la garde, afin de faire face au
possible retour des esclaves du Seigneur des Ankous. Le
Roi de Silérie, après une visite à l’ensemble des troupes
libres ayant participé à la bataille, vint sous la tente de
son vaillant sujet, remarquablement choisi comme
Général en Chef par le Conseil de la Nouvelle Alliance.
Ce dernier venait à peine de quitter son armure et
terminait de se restaurer frugalement, quand son
souverain se présenta à lui, il mit un genou à terre et
inclina son visage vers le sol.
- Fi donc ! Tonna Phérégon. Je ne mérite pas tant
de déférence mon ami, et ce, pour deux raisons. La
première est d’avoir, dans notre pays, au cours des
dernières années, toujours eu du respect pour vous,
comme j’en ai pour tous mes sujets, mais seulement pour
vos titres de brave paysan et de maître aciériste. En effet,
j’ai complètement manqué d’observer votre valeur de
stratège et de guerrier. La seconde est qu’ici, les lois du
Conseil de la Nouvelle Alliance priment sur celles des
peuples engagés dans cette guerre. Donc, je ne suis, dans
cette vaste Lande, que le général des Silériens. Vous,
vous avez été désigné comme notre commandant
suprême. C’est ainsi que les marques de respect, c’est à
moi de les montrer.
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Les forges de Nabachton. Page : 194
- Sire, n’en faites rien, pour moi, nous sommes tous
égaux, face aux Ténèbres. Le courage des capitaines les
plus renommés, dans une guerre aussi vaste, aux enjeux
pouvant changer l’avenir de Formalow à jamais, est aussi
celui de leurs hommes.
- Vous ressemblez tant à votre frère… Remarqua
Phérégon. Votre modestie et votre considération pour les
Peuples Libres sont inébranlables. Enfin, en dépit de
votre humble attitude, mon ami, je suis venu prendre
conseil auprès de vous. Nos modifications sur les
jambières des archers, vous semblent-elles judicieuses ?
Questionna le Roi en posant sur la table de campagne
d’Arhus une pièce d’armure corrigée par les maréchaux-
ferrants de l’armée du Conseil.
Ces derniers avaient remplacé une jointure de cuir,
au niveau de l’articulation du talon, par un assemblage
métallique souple. En effet, plusieurs tireurs embusqués
avaient été anéantis par un sortilège qui les avait frappés
en traversant une protection de cuir. L’acier traité par les
Silériens, en revanche, neutralisait pratiquement toutes
les attaques des Ténèbres. L’achèvement des nouvelles
cuirasses sur le terrain, en tenant compte, par un
compromis rigoureux, des impératifs de légèreté et de
liberté des mouvements nécessaires à l’efficacité des
protections, était une étape inévitable du travail de la
forge destiné aux militaires.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 195
Arhus fit jouer à plusieurs reprises le montage de
ferronnerie. Il était sans défaut et ne possédait aucune
faille exploitable par l’ennemi.
- C’est parfait Seigneur, déclara-t-il à Phérégon. Il
nous faut des protections de cette qualité car nous
devons tenir autant que nous le pourrons contre nos
ennemis, ici même, dans cette région. Je sais que de tels
mécanismes demandent beaucoup de travail, mais nous
n’avons pas le choix. Vous savez comme moi que la
chute des maudits ne s’obtiendra pas par la force et que
nous nous battons seulement pour gagner du temps. Il
faut pourtant que nous restions confiants.
- Je sais bien tout cela, assura le Roi. Mais la
précision avec laquelle nous avons manœuvré, cet après-
midi, m’a ouvert la perspective d’une réussite possible, à
laquelle, je ne me permettais plus de rêver depuis
longtemps. Nous gagnerons… Niphilus et Mélinos
reviendrons avec la force et les secrets des Royaumes
Perdus…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 196
- XV -
C’était au soir d’une nouvelle étape. Depuis une
semaine, la troupe de Niphilus avait dévoré
infatigablement les lieues et les lieues interminables du
Passage des Royaumes Perdus. La marche, depuis la
bataille de la caverne refuge, avait été très calme,
pourtant, cette nuit-là, Alianos avançait lentement vers la
passerelle qu’il avait aperçue depuis son poste de guet,
dans l’ombre profonde.
Les lunes de Formalow étaient pleines, mais les
nuages les masquaient. Les Ténèbres auraient été
totalement impénétrables pour d’autres êtres vivants que
Suggur et le frontalier. Eux, pourtant, avaient remarqué
les parapets de pierres blanches qui bordaient
curieusement la route de Nabachton, à deux milles pas
de leur point d’observation. Tous leurs camarades
dormaient, sauf Le Goua’ch et Mélinos. L’Elfe et
Alianos étaient allés prévenir ces derniers qu’ils allaient
avancer vers cette balustrade étonnante, afin de
déterminer le genre de rivière ou bien de vallée que cette
construction inattendue enjambait.
Le Duc et le Druide avaient approuvé le projet de
leurs collègues, puis, afin de mieux contrôler l’ensemble
du campement de la compagnie, avaient redoublé de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 197
vigilance, pendant que le forestier et l’éclaireur partaient
en reconnaissance vers le Nord.
Alianos et son ami progressèrent avec une prudence
exceptionnelle. Derrière lui, le grand Elfe ne faisait
aucun bruit, mais, il était légèrement moins vif en raison
de sa masse. Les deux compères arrivèrent enfin à
l’entrée du pont et, tout en déployant des trésors de
circonspections, ils se penchèrent par-dessus le garde-
fou qui luisait dans la nuit sombre et qui se prolongeait
loin, au-delà de la portée de leur vue.
L’ouvrage d’Art traversait un fjord dont les eaux
émettaient un bruissement continu. Les deux spécialistes
de l’observation militaire restaient prudents. La route
était inapprochable pour les Korrigans, mais, les
accotements étaient peut-être moins sûrs que le dallage.
Le frontalier regarda vers l’Océan. Une faille profonde
de près d’un quart de lieue, s’ouvrait sous le tablier du
pont. La construction arachnéenne, faite d’une dentelle
de roche, était suspendue à cette hauteur vertigineuse,
juste au-dessus d’une vallée creusée par un impétueux
torrent dans une veine de calcaire immaculé.
Maintenant, après avoir soigneusement étudié
l’aspect de la nature les entourant, dans la nuit sombre,
L’Elfe et l’humain comprenaient l’origine de la combe et
les évènements qui, à l’instant même de leurs
observations, s’y produisaient. Le fleuve venu des
sommets, avait été barré par les légions d’Arthang le
Noir. Au pied de cette vaste retenue d’eau, des fonderies
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 198
et des forges démoniaques utilisaient la force de la
cascade ainsi créée, pour marteler et façonner les
grossières armes des esclaves du Léviathan. Plus bas, la
mer avait envahi l’estuaire abandonné par le torrent
domestiqué. Il servait de port aux navires des Korrigans
et aux monstres marins engendrés par la dernière hydre
des sorciers.
Or, ce soir-là, tandis que les ateliers des Ténèbres
redoublaient d’activité, crachaient la suffocante fumée
d’une pierre obscure qu’ils brûlaient comme du bois,
sans vergogne, pour rougir le fer et le durcir, Arthang le
Noir lui-même, encore plus terrible et plus vaste que
dans sa jeunesse remontant à des milliers d’années, avait
réuni une formidable armée de ses serviteurs sous le pont
d’où l’observaient Suggur et Alianos.
Les grandes ailes du monstre, déployées largement,
traversaient la combe d’un bord à l’autre. Les trois têtes
hideuses de la bête pensante, se balançaient d’une
horrible façon au-dessus des centaines de milliers
d’esclaves qu’elles tenaient sous la coupe de la volonté
du monstre hallucinant. Suggur, le roi des Elfes du Bout
du Monde, l’infatigable guerrier des forêts profondes de
Formalow, sentit ses formidables épaules aux muscles
saillants, s’affaisser devant la vision du gigantesque
Léviathan. Alianos, l’imperturbable frontalier des
Marches Sauvages, avec son courage paisible quasiment
légendaire, devint gris d’effroi sous la lumière des lunes
de Formalow, qui parfois transperçait le voile de nuages.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 199
Pour la première fois, l’éclaireur si habile, perdit
son calme, il se mit à transpirer et à trembler. Pour des
raisons inconnues de Suggur, son ami appréhendait la
proximité du Léviathan. De plus, depuis quelques
minutes, Alianos ne cessait pas d’observer la lumière des
Satellites de Formalow, filtrée par les nuages.
- Que vous arrive-t-il compagnon, demanda le
forestier.
- Maître Suggur, je n’apprécie pas la présence
d’Arthang. Voyez-vous, le conseil me croit capable de
résister au pouvoir de persuasion de cette chimère.
Cependant, les sages, malgré leurs immenses
connaissances ne vivent pas continuellement, sur les
frontières des marches. Ils n’ont pas vu tous les vaillants
camarades qui ont succombé aux sortilèges des ténèbres.
Or je ne souhaite pas, malgré moi, livrer de bons et
loyaux compagnons à l’horreur d’une capture par les
démons. Malgré mon aspect sournois et mon air sombre,
j’honore les Silériens, les druides ainsi que les Elfes qui
marchent avec moi, vers Nabachton. J’ai une grande
amitié pour Niphilus et Dame Sauranne. Ces deux petites
créatures, à la résistance et à l’opiniâtreté infinies, ont
touché mon cœur. J’ai peur de céder aux pouvoirs du
Léviathan. Un millier de Korrigans ne m’effraie pas. Une
horde d’Ankous furieux ne me ferait pas reculer. Mais
Arthang peut vriller votre esprit avec sa méchanceté
odieuse. Il peut lire vos pensées à des lieux à la ronde en
vous rendant à demi-fou, pendant l’investigation. Je ne
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 200
suis pas un lâche mon ami, mais je n’ai pas osé faire face
ouvertement au rejeton de ce monstre dans le Golfe,
pour vous protéger de la faiblesse qui pourrait m’avilir,
devant cette puissance magique invincible.
- Je suis certain pourtant que vous êtes de taille à
lutter contre cette bête, déclara Suggur. Vous nous avez
prouvé votre valeur…
- J’ai le cœur vaillant et seul en cause, je serais près
à endurer l’épreuve, affirma le frontalier. Mais ici, vous,
le forgeron, sa souveraine, le Duc, le Druide ainsi que
tous nos autres camarades vous pouvez être victimes de
mon échec. Je ne peux l’admettre...
Il n’était pas, dans l’univers de ces Mondes, un
spectacle plus fantastique que celui d’un Léviathan…
que dis-je… du dernier Léviathan de tous les âges de
l’histoire. Comment, jadis, les Peuples Libres avaient-ils
pu combattre des dizaines de ces monumentales
créatures ? La force colossale de mille Elfes Géants de
Myrion, la puissance magique d’une phalange de
Druides, la volonté inexorable d’une vaste armée de
braves Silériens ou les haches hardiment maniées d’une
horde de marins de Salermnos, n’auraient pas pu venir à
bout d’Arthang le Noir. Ce monstre griffu, caparaçonné
de plaques de cornes, plus épaisses que les murs de
Castel-Druides, avait largement dépassé les dimensions,
en largeur, en longueur, en hauteur mais surtout en
pouvoir terrifiant, que lui attribuaient les récits de La
Guerre des Larmes de Sang.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 201
Suggur resta paralysé et silencieux. Il regardait de
ses beaux yeux elfiques élargis démesurément par
l’angoisse, leur ennemi cyclopéen et comprenait
comment cette chimère avait survécu et était encore dans
les rangs du mal. Arthang était le plus puissant Léviathan
qui ait jamais existé. Alianos se tourna vers son ami. Le
visage de l’homme était maladif et déformé par la peur,
tout à fait compréhensible, qui devait torturer tous les
viscères de son corps. L’éclaireur murmura d’une voix
tremblante, à l’adresse du Seigneur Elfe :
- Camarade, vous devez aller prévenir les autres.
Niphilus d’abord, la compagnie ensuite, doivent s’enfuir
et rejoindre le plus vite possible Nabachton. Si j’en crois
la légende, les Royaumes Perdus sont désormais à moins
de deux jours de marche de ce pont. Il faut que notre
expédition échappe à cette créature ignoble. Sinon,
toutes les souffrances que nous et nos prédécesseurs
aurons supportées à travers les innombrables siècles que
nos Terres ont connus, auront été vaines. Partez sur-le-
champ, Seigneur des Forêts ! Allez sauver nos
compagnons ! Moi, je dois demeurer ici et savoir ce qui
se trame. Le temps de la confrontation avec les vieilles
terreurs de mon enfance est venu. Une telle assemblée
de Korrigans, sous l’égide de leur plus grand Général,
n’est pas anodine. Je crains que ces démons des enfers
maudits envisagent d’attaquer, avec toutes leurs forces
réunies, notre destination : Nabachton…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 202
- Mais vous allez risquer votre vie si vous allez dans
cette vallée dévastée par ces déments, contesta le
forestier. Nous aurons besoin de votre force, de votre
glaive et de votre arc lorsque nous allons être poursuivis
par toute cette troupe ! N’allez pas vous jeter dans cette
fosse aux fauves sanguinaires, venez donc et partons
ensemble…
- Il faut que quelqu’un essaie d’interpréter la pensée
d’Arthang le Noir, répondit Alianos d’un ton sans
réplique. Mon bon Elfe, les Silériens ont un courage qui
mérite toute votre force pour l’appuyer. N’oubliez pas
que je suis un très bon soldat de patrouille. Sinon, serais-
je ici sur un choix du Conseil des Sages ? Mon rôle est
certainement de comprendre et d’espionner nos
adversaires, autant que faire se peut. C’est ce que je vais
accomplir en approchant cette épouvantable réunion.
Adieu ! Courez Suggur ! Pour le salut des camarades de
la compagnie ! Que la miséricorde de notre créateur vous
protège ! Je descends vers mon destin.
Cette fois, la peur d’Alianos devait être
insupportable car la face de ce dernier était devenue
méconnaissable dans la lumière des Satellites de
Formalow. Très vite, l’humain serra chaleureusement
mais aussi fiévreusement les grandes mains musclées de
l’Elfe, puis, il s’enfonça sous les arbres bordant la route,
à l’entrée du pont. Suggur, très choqué et perturbé par sa
vision d’Arthang et par le choix inique du frontalier parti
vers une mort certaine, revint aussi vite mais aussi
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 203
discrètement que possible vers le campement où se
reposaient les membres de la compagnie de Niphilus.
Finalement, Alianos était plein de bon sens, le maître-
forgeron, la Princesse de Silérie et surtout, le grand
Druide, devaient à tout prix survivre et atteindre les
Royaumes Perdus. Les autres membres n’avaient été
désignés par le Conseil, que pour servir ces personnages
essentiels en définitive.
L’aciériste était le plus apte de l’expédition à retenir
les techniques manuelles que lui apprendraient les
habitants de Nabachton : les Nabatéens. Mélinos par son
immense expérience de magicien adapterait sans peine,
les nouvelles formules ésotériques et les nouveaux
enchantements qu’il étudierait dans les bibliothèques et
les écoles de leur destination. La souveraine de Mégara
avait une compétence innée dans le domaine de la
stratégie. Elle surpassait Arhus, pourtant si grand, dans
cet art. Saurane deviendrait un commandant encore plus
averti et plus puissant après son séjour dans les mondes
oubliés de Formalow.
Suggur, à ces pensées, se reprit. Il décida que lui
aussi se sacrifierait pour ses amis, si cela était nécessaire
dans les terribles jours à venir…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 204
2ème partie : L’orgueil des Maudits.
- XVI -
Le château des allées couvertes du néant, dominait
la plaine noirâtre, aride, désolée et glaciale de l’extrême
contrée boréale de Formalow, au sommet d’un immense
éperon rocheux, unique, dressé là comme la corne
nasale d’un Léviathan dont le reste du corps et les autres
têtes auraient été enfouis sous les scories et la neige sale.
Dans une perpétuelle brume qui apparaissait tel un
nuage tombé sur la Terre, depuis le donjon de la sinistre
forteresse du Seigneur des Ankous, les Dolmens
Infernaux déversaient les fantômes libérés de la mort par
l’insensé lieutenant du mal, dans sa folie dominatrice.
Des colonnes de messagers du destin des maudits, armés
de fouets, accueillaient à grands coups de lanières
cinglantes, les sorciers défunts rappelés à un semblant de
vie sous les arches mégalithiques, par des magies
incontrôlables, que seuls des esprits perdus osaient
déployer.
Aussitôt revenus dans les cercles du Monde, les
horribles spectres, tout en gémissant de douleur et de
rage, saisissaient les bâtons de pouvoir qu’on leur
distribuait puis, ne pouvant frapper les Ankous qui
étaient insensibles aux enchantements des anciens
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 205
mortels, ils couraient vers les Terres libres de Formalow
où ils sauraient retrouver leurs ennemis de jadis et leur
faire payer leur séjour dans le royaume de la mort des
maudits.
Désormais, tant que durerait l’existence et la
puissance du Seigneur des Ankous, les âmes
tourmentées des sorciers d’autrefois ne franchiraient plus
les Dolmens Infernaux pour rentrer en enfer. Le
processus qui les avait lâchées, sous une forme si
affreuse, sur Formalow et ses habitants, était irréversible.
Ses effets ne prendraient fin, qu’avec la disparition de la
volonté qui avait prononcé le sortilège.
Or, il était bien vigoureux et avait atteint le sommet
de sa puissance, l’ancien lieutenant de l’Empereur
déchu. Même le gigantesque Arthang ne l’impressionnait
pas. Dans la chambre secrète, dissimulée tout en haut de
la plus grande tour du château des allées couvertes du
néant, il régnait par la simple force de son esprit
malfaisant sur d’innombrables nuées d’esclaves, sur des
magies interdites mais effroyablement puissantes et sur
des dérèglements de la nature terriblement destructeurs.
Il avait trahi son ancien maître et en avait ainsi
précipité la chute. Si les peuples libres avaient pu détruire
l’Empereur, c’est que l’âme damnée la plus soumise de
ce dernier, l’avait abandonné dans un moment de
défaillance du Seigneur du mal absolu.
Pourtant, le Roi des Ankous avait prononcé un
serment en faisant allégeance à l’Empereur. En bafouant
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 206
les lois de la vassalité, il avait essuyé la colère des
ténèbres.
C’est ainsi que, fait prisonnier à jamais par une
malédiction ancienne, d’une armure de gemmes sombres
et de fer noir, il fomentait depuis une pléthore de siècles,
les pires attaques et les plus violents déchirements contre
la paix et l’harmonie des Royaumes Libérés de l’ancien
Empire de Formalow.
Dans cette sombre journée, la colère du Maître des
Ankous soufflait en tempête dans les couloirs de sa
forteresse. Au cœur de la vaste salle dans laquelle son
trône d’or massif, aussi haut qu’une colline, se dressait
sous les feux vacillants des torches fumeuses, on
entendait sa voix tonnante invectiver cruellement ses
serviteurs. Il les agonisait d’injures dans le langage
guttural et maléfique des maudits :
- Lâches, vermines immondes, infectes vers de
terre, vous osez vous présenter devant moi pour
m’annoncer cette nouvelle…
Il se dressa de toute sa hauteur, tandis que les
Ankous, tremblant de panique, se pliaient devant l’ombre
gigantesque de leur Seigneur.
- Je vous ai confié une armée des plus puissants
guerriers sur lesquels peut compter un capitaine, gronda-
t-il. J’ai levé des hordes de fantômes brûlant d’un
formidable esprit de vengeance contre les vivants et qui,
de plus, ne craignent plus de mourir. Vous, misérables
rejetons de la damnation, vous venez m’expliquer que
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 207
sur les landes du Lac, vous avez été arrêtés par les
troupes de Myrion. Depuis une semaine, les Druides, les
Elfes et les faibles marins de Salermnos ont entravé la
progression de notre invasion de Formalow !!!
Derrière la grille de la visière de son heaume, les
yeux du titan brillaient de haine et de dépit. Il leva sa
main en faisant grincer son gantelet d’acier contre
l’accoudoir de son siège d’or. Il pointa son index
tremblant de colère sur l’Ankou que son état-major avait
désigné comme porte-parole. Avec leurs yeux vitreux,
largement écarquillés par l’effroi, les officiers subalternes
aux faces grises et terreuses, observèrent attentivement la
main décharnée de leur Roi désigner un coupable : un
coupable de manque d’audace et de lâcheté. Le
malheureux pâtre des âmes malfaisantes qui, pourtant,
était le seul ayant osé informer son Seigneur de l’échec
de la grande armée, comprit alors qu’il allait payer
l’inutilité et l’incompétence de tous ses congénères. Il se
mit à trembler en essayant de penser qu’une créature
comme lui ne pouvait pas trouver de destin plus terrible
que le sien en ce monde, même au fin fond du royaume
des défunts maudits. Il était prêt à subir son
anéantissement comme s’il recevait la plus grande
récompense. Quitter le service d’un souverain tel que le
Maître des Ankous, même avec souffrance, était en
réalité une joie pour l’ensemble de ses sujets.
Le porte-parole des forces du mal tomba à genoux
devant le trône de son Seigneur et plongea son visage
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 208
osseux dans ses mains squelettiques. Le sortilège
invisible lancé par son Roi le frappa en pleine poitrine.
Sous les yeux effarés de ses semblables, il s’enflamma
comme une torche et se dissipa dans un bouquet de
flammes bleues en hurlant comme un damné qu’il était.
Le titan descendit quelques marches du piédestal de
son trône. Sa voix résonna dans la forteresse comme un
coup de Tonnerre et sa sentence tomba avec la force et
l’irréversibilité d’une hache de bourreau :
- Amenez-moi le Maître des Sorciers Morts-Vivants
ici, devant moi. Je vais le persuader d’être un peu plus
efficace qu’il ne l’a été pendant les dernières batailles de
sa vie.
- Mais Seigneur, nous n’avons pas encore rappelé
celui-ci du royaume des Morts Maudits, déclara un
Ankou imprudent.
Un silence de plomb tomba sur la salle. Le puissant
chef des chasseurs d’âmes perdues releva la visière
grillagée de son casque. Il dévoila à ses esclaves son
horrible faciès anguleux, bouffi de lambeaux de chair en
décomposition, animé par son regard étincelant aux
pupilles démesurées, étoilées de vaisseaux sanguins
noirs. Avec une rapidité hallucinante, le monstre dégaina
sa formidable épée et trancha en deux parties, dans le
sens de la hauteur, l’imbécile qui avait osé intervenir
aussi stupidement. La voix du Titan maudit, devenue plus
sourde, sortit de nouveau en sifflant du plus profond de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 209
son être, comme une fuite de vapeur confinée à très
haute pression dans une chaudière prête à exploser.
- Vous allez immédiatement inciter le Maître des
sorciers à comparaître sous les Dolmens Infernaux. Vous
le ferez venir jusqu’ici, à coups de fouet, s’il le faut.
Quand le soleil reviendra à l’Est du monde, s’il n’est pas
en train de ramper au pied de mon trône, je vous
enverrai tous le rejoindre dans le royaume des défunts
maudits !!! Tous, vous m’entendez, sans exception !!! Et
vous irez encore vifs !!! Vous franchirez les Allées
Couvertes de la mort, sans avoir été tués !!! Vous savez
ce que cela implique de douleurs affreuses et d’effroi
insupportable !!! Alors obéissez ou je vous…
Le Seigneur des Ankous ne put terminer sa phrase.
Il ponctua son discours d’un long grognement de rage
illustré par de grands moulinets décrits dangereusement
par son épée.
Tous ses subalternes sortirent du château en
tremblant et en courant, comme poussés par un vent
inexorable. Ils enfourchèrent leurs montures
fantomatiques et galopèrent avec la vitesse des forcenés
en crise, jusqu’aux portes du néant pour exécuter, sans
plus attendre, les ordres impératifs de leur épouvantable
Maître.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 210
- XVII -
- J’aurais dû descendre avec lui, murmura Suggur
au bord des larmes, devant Mélinos.
Le Druide regardait avec compassion le grand Elfe.
Il n’avait pas de regrets à avoir. Alianos, l’éclaireur,
savait ce qu’il faisait. Il connaissait le rôle qu’il avait à
jouer dans cette dernière guerre de l’Histoire de
Formalow. Le Roi des forestiers, lui, ne devait pas
mourir ainsi. Son destin était de gagner la paix de son
peuple et la gloire d’un défenseur intrépide de la liberté,
aux côtés de Niphilus et de Saurane, sur les remparts de
Nabachton.
En ce qui le concernait, le vieux Sage ne savait rien
de son avenir ou, tout au moins, ne voulait rien savoir. Il
sentait bien qu’il ne devait pas mourir sur cette route, ni
même sur le pont enjambant la grande combe. Il décida
donc qu’il fallait que la compagnie se réveille et marche
sans cesse maintenant, jusqu’aux portes des Royaumes
Perdus. Les membres de cette troupe hétéroclite avaient
prouvé, en de multiples occasions, leur valeur, leur
résistance et leur courage face à la mort, l’adversité et la
fatigue.
Discrètement, afin de ne pas attirer par des éclats
de voix ou des mouvements trop brusques, l’attention des
légions d’Arthang qui se tenaient au fond de la vallée ou
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 211
même, celle du Léviathan lui-même, le Duc, le Druide et
l’Elfe sortirent leurs camarades du sommeil, un à un,
puis les avertirent de la situation afin de les préparer à
reprendre la route.
Les soldats des Peuples Libres constituant
l’expédition de la route de Nabachton, avaient été choisis
judicieusement par le conseil. En quelques instants, ils
furent équipés et prêts à partir. Comme des ombres
projetées vivement par de petits oiseaux nocturnes,
planant dans le clair des Lunes de Formalow, les
membres de la compagnie se glissèrent jusqu’au pont qui
enjambait la gigantesque fissure dans la montagne. Deux
Elfes s’y engagèrent en premier avec Saurane et
Niphilus. Ils étudièrent avec soin les environs et tentèrent
d’apercevoir la fin de la passerelle. Mais, cette extrémité
de la construction était si loin dans la nuit, qu’on
distinguait à peine la voûte d’arbres sous laquelle, la
route de Nabachton reprenait son parcours tortueux le
long de la corniche.
Dans le fond de la combe, sur les quais sales du
port artificiel créé par les forces du Mal, les légions
d’Arthang vociféraient des litanies de louanges à leur
gigantesque maître qui les abreuvait de paroles
haineuses. Seuls Mélinos, Suggur et Le Goua’ch
comprenaient la langue des maudits. Les trois grands des
Royaumes Libres paraissaient soucieux des discours du
Léviathan.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 212
Niphilus et ses compagnons étaient parvenus à mi-
chemin de l’arche du pont. Ils étaient encore visibles
pour le reste de l’expédition qui les vit faire le signe de
commencer la traversée. Quand le Druide eut rejoint ses
amis, il jeta rapidement un regard vers la fin de la
passerelle. La route de Nabachton était encore libre. Il se
pencha vers Niphilus et lui murmura :
- Arthang vient de m’apprendre de bonnes, mais
aussi de mauvaises nouvelles. Je vais vous les dire en
marchant vers la route.
La phalange reprit son chemin avec circonspection.
Il ne fallait surtout par que les compagnons du forgeron
révèlent leur présence aux innombrables Korrigans
obnubilés par l’Hydre des sorciers.
- Votre frère Arhus accomplit des prouesses sur les
Marches des Terres Sauvages. Il a arrêté jusqu’aux
nouveaux alliés du Seigneur des Ankous sur les Landes
du Lac situé à l’Est de la Silérie. Depuis une semaine, il
retient, dans cette région, l’armée du Lieutenant de
l’Empereur Déchu, toute entière. Ce dernier, à bout de
stratagème, a appelé Arthang et ses forces à l’aide. Mais
comme le vieux Léviathan a compris l’objectif de notre
petit groupe et qu’il sait ne pouvoir rien tenter de sérieux
contre nous, sur la route de Nabachton, il préfère
regrouper toutes ses légions et les jeter à l’assaut des
Royaumes Perdus. Finalement, la bête pensante est plus
intelligente que le gardien des enfers maudits.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 213
- Mon Dieu, fit Niphilus malgré lui, Nabachton
résistera-t-il à cette attaque.
- Depuis de nombreux siècles, reprit Mélinos, les
maîtres des pays oubliés repoussent les guerres des
forces du mal. La longévité de la paix vigilante, qui a
succédé à La Guerre des Larmes de Sang, fut possible
car, la séparation de l’Alliance des Peuples Libres en a
diminué le pouvoir. Il suffisait donc aux Korrigans de
nous empêcher de franchir le Passage des Royaumes
Perdus pour que la situation d’équilibre entre eux et nous
s’éternise. Maintenant, les évènements s’accélèrent. Ils
savent qu’ils risquent l’anéantissement définitif si notre
compagnie réussit sa quête. Aussi, se feront-ils
massacrer jusqu’au dernier pour faire tomber Nabachton
et nous fermer son accès. La bataille qui s’annonce sera
bien difficile. Toutes les connaissances des Forges
oubliées et votre savoir-faire Maître Niphilus, ne seront
pas de trop pour nous aider à supporter la vague de haine
qui va déferler prochainement sur le Monde.
Soudain, Saurane courut jusqu’au parapet du pont
et se pencha au-dessus du vide. Ce n’était pas par
imprudence. Les grognements immondes des légions
d’Arthang étaient devenus des cris de guerre et les
torches brûlantes qu’ils portaient pour s’éclairer, se
divisèrent en deux flots et se mirent à escalader sur les
sentiers abrupts les flancs des montagnes bordant la
combe. L’Hydre, elle-même, avait relevé ses têtes et ses
regards maléfiques scrutaient le pont.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 214
- Nous sommes repérés, déclara Suggur dont les
épaules avaient doublé de largeur dans la perspective du
combat. J’espère qu’ils n’ont pas capturé Alianos…
- Je ne crois pas, fit le Druide. Ce sont nos ombres.
Je n’y ai pas pensé mais le clair des Lunes a projeté nos
silhouettes sur les eaux de la Baie.
Calmement, Niphilus et ses Silériens sortirent leurs
épées et continuèrent d’avancer avec détermination vers
l’extrémité de la passerelle. Un instant, les Marins de
Salermnos avaient hésité mais, voyant les paysans-
forgerons reprendre la marche imperturbablement, ils
empoignèrent leurs haches, ajustèrent leurs boucliers et
suivirent les intraitables habitants de Silérie. Les Druides
et les Elfes restèrent à l’arrière-garde, les uns brandissant
leurs bâtons de pouvoir les autres leurs arcs bandés,
armés de plusieurs flèches.
Comme à leur habitude, les Korrigans couraient à la
curée. Tout en progressant sur les pentes des
escarpements, ils se bousculaient dans le plus grand
désordre, laissant choir dans le vide avec des hurlements
déchirants, les moins agiles d’entre eux. Suggur, le plus
formidable représentant des peuples forestiers, saisit son
arc et, depuis le pont, visa avec soin un capitaine
d’Arthang qui progressait un peu trop vite, en tête de ses
hordes, vers la route de Nabachton. L’énorme démon
passait sur une portion du chemin à deux milles pieds en
contrebas de l’Elfe géant. Durant un court instant,
Niphilus eut la faiblesse de croire que le Roi de la forêt
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 215
du Bout du Monde présumait de ses capacités.
Cependant, son trait partit avec un claquement sec et un
sifflement strident qui accompagna la flèche jusqu’au
cœur du Korrigan. Celui-ci, percé de part en part malgré
son armure, écarta désespérément les bras et tomba dans
le précipice qui bordait le chemin, la tête en avant. Sa
colonne reflua de terreur poussant quelques monstres de
l’arrière-garde à la suite de leur officier.
- C’est toujours cela que nous aurons de moins à
combattre sur la corniche, déclara Suggur à son ami
Silérien qui le dévisageait admirativement.
Mais la terreur redoubla dans les cœurs vaillants de
la compagnie, Arthang venait de prendre son envol et, en
tournoyant dans les vents qui remontaient le long des
falaises, il allait lentement se stabiliser au-dessus de
l’altitude de la passerelle.
- Economisez tous vos flèches, lança Mélinos. Cet
adversaire-là va être à vos mesures messieurs.
Soudain, il se retourna vivement vers la sortie de la
passerelle. La colonne des Korrigans avait emmené une
longue échelle d’assaut et, pressés d’en finir avec la
petite phalange de Niphilus, ils avaient tenté de la poser
sur le parapet du pont afin d’y accéder encore plus vite
que par leur sentier. Le sortilège qui protégeait la route
de Nabachton était efficace. L’instrument des démons
avait été repoussé avec violence dans l’abîme, dès qu’il
avait touché les pierres de l’arche. Ses porteurs furent
entraînés avec lui.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 216
- Ils ne peuvent pas poser un pied sur la route,
déclara Saurane.
- Les Korrigans ne franchiront certainement pas la
magie de Nabachton, assura Mélinos. Mais Arthang…
Qui peut connaître les limites de son pouvoir ?
- Filons à couvert ! Conseilla Suggur. Sous la voûte
des arbres, nous serons moins exposés. Les archers du
Mal s’apprêtent à nous lancer leurs carreaux
empoisonnés.
Effectivement, des milliers de démons pointaient
leurs flèches vers le tablier du pont. Même si les arcs
produits dans les arsenaux des ténèbres n’étaient pas
aussi performants que ceux de Myrion, la compagnie
était en danger dans un tel endroit. Les amis de Niphilus
se ruèrent alors vers la sortie de la passerelle tandis que
les tirs des Korrigans retombaient en sifflant vers eux. Là
encore la puissance des sorts de protection, jetés par les
sages des Royaumes Perdus, montrèrent leurs
merveilleuses possibilités. Les flèches effectuèrent de
spectaculaires demi-tours et repartirent en direction des
archers, avec véhémence. Des milliers d’entre eux furent
tués par leur propre tir.
Leur courage renforcé par cette agréable surprise,
les membres de la Compagnie s’éclipsèrent encore plus
vite vers la Route de la corniche que les légions
d’Arthang tentaient vainement d’atteindre. C’est à ce
moment d’espoir que le Léviathan, qui avait atteint le
Zénith au-dessus du pont, piqua vers le tablier de pierre
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 217
comme un oiseau de mer vers une proie entre deux
eaux. La masse du gigantesque animal pensant était
assez grande pour briser la construction arachnéenne et
la faire tomber au fond de la combe. Elle entraînerait
dans sa chute l’expédition du Maître forgeron et ce
dernier avec.
Tous les archers de la compagnie tirèrent d’un
même geste vers Arthang le Noir. Le monstre fut criblé
de flèches qui pénétrèrent avec une force inouïe sa
carapace osseuse. Le Léviathan hurla et se contorsionna
de douleur. Mais, avec plus de fureur encore, après avoir
effectué une boucle, il se remit à foncer encore plus vite
vers ses ennemis.
L’expédition avait profité des hésitations de
l’immense Hydre pour s’approcher encore de la sortie
de la passerelle. Mais, tous les compagnons de Niphilus
étaient encore loin de la fin du pont quand il devint
évident qu’Arthang allait s’écraser sur l’arche, à
quelques pieds d’eux.
L’incroyable se produisit. Alors que Mélinos, le
vieux sage, doutait sans appel possible de l’efficacité des
charmes magiques contre le Léviathan, le sort nabatéen
qui protégeait la Route des Forges Perdues, frappa le
monstre volant avec une telle puissance que ce dernier
bondit de trois milles pieds en arrière, puis, il se mit à
tomber vers la baie en tournoyant sur lui-même, telle une
feuille morte.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 218
Arthang, dans son courroux phénoménal, avait
voulu frapper trop vite. S’il s’était approché avec plus de
circonspection de la passerelle, il aurait, sans doute,
anticipé les effets du charme et serait peut-être parvenu à
le contourner. La vieille Hydre des sorciers devait être
aux abois pour avoir commis une telle erreur et si mal
utilisé son effrayante puissante magique. Il savait
certainement que la roue de l’Histoire tournait et que le
bilan des forces en présence sur Formalow basculait,
lentement en faveur des royaumes libres.
Des grognements de terreur ébranlèrent les légions
des ténèbres. Epouvantées par la chute de leur maître,
toutes ses hordes refluèrent vers le fond de la combe en
massacrant encore, un plus grand nombre d’entre eux,
qui se firent piétiner ou jetés dans le vide avec une
violence supérieure à celle qui avait marqué l’escalade
des escarpements.
La compagnie, lança des cris de victoires :
- Myrion, Salermnos, Silérie !!! Sus aux maudits !!!
Le vieux Druide ne cachait pas sa joie. Il avait
vraiment eu peur en subissant, impuissant, l’attaque de
l’ignoble bête. Il déclara à ses amis :
- Profitons de notre avantage. Arthang est
cruellement blessé, mais je ne crois pas qu’il soit mort.
Arrangeons-nous pour entamer sérieusement ses forces,
un peu plus, avant qu’il ne décide de concrétiser ses
projets de conquête des Royaumes Oubliés. Nous allons
utiliser quelques-unes des gemmes que nous avons
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 219
recueillies dans la caverne refuge. Je sais qu’il ne faut les
employer qu’avec parcimonie mais l’heure est grave.
Qu’une dizaine d’archers fixent des pierres de puissance
sur une de leurs flèches et me les présentent pour que je
libère leur potentiel de destruction ! Cinq d’entre eux
tireront vers le barrage du torrent, les autres tenteront de
frapper les rejetons marins du Léviathan.
En quelques secondes, les préparatifs proposés par
Mélinos furent accomplis. Les tireurs de la compagnie,
déployés le long des parapets du pont, envoyèrent leurs
terribles traits vers leurs cibles. Plusieurs gemmes
scintillantes et vrombissantes comme des météores
traversant les cieux, s’écrasèrent contre la digue qui
retenait les eaux du lac artificiel, au grand effroi des
milliers de Korrigans désemparés. Dans le port, les
monstres marins sentirent, avec fureur des flèches
flamboyantes se figer dans leur corps.
Une fraction de seconde plus tard, alors que le
dernier soldat de la compagnie venait d’entrer sous la
voûte des arbres où serpentait de nouveau la route de la
Corniche, de terribles déflagrations illuminèrent toute la
combe et l’océan, comme l’aurait fait le soleil. Un vent
chaud ébranla la passerelle qui vibra fortement. Les eaux
du lac se ruèrent dans la vallée emportant avec violence
les constructions du port, les armées de Korrigans et les
débris arrachés aux arsenaux des ténèbres, dévastés par
la fusion des gemmes. Au large, les rejetons d’Arthang
emportés par le torrent furieux, explosèrent aussi en
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 220
soulevant de gigantesques vagues qui anéantirent
définitivement les installations défigurant la combe.
Quand le vent fut apaisé et que l’eau cessa de gronder
pour murmurer, Niphilus et ses compagnons revinrent au
début du pont, afin d’observer les résultats de leur
dernière manœuvre.
Plus rien ne bougeait dans la vallée. La purification
obtenue par la libération du torrent, frustré si longtemps
par les démons de couler sans entrave dans sa combe,
avait été totale.
- Mon Dieu ! Fit Suggur. Et Alianos ?!!!
- Il est remonté et suit actuellement une patrouille
de Korrigans qui a échappé à ce saccage, répondit le
Druide mystérieusement.
- Comment le savez-vous, Maître ? S’étonna l’Elfe.
- Je vous expliquerai cela quand nous serons à l’abri
des remparts de Nabachton, mon brave Seigneur des
forêts.
Le grand forestier n’insista pas. Il connaissait bien
le vieux sage et comprenait que le silence dont il avait
choisi d’entourer le sort du frontalier, était certainement
justifié.
Niphilus poussa alors un cri de désarroi :
- Par les Dolmens Infernaux, cette effroyable
créature s’en est tirée !!!
A une lieue au large, dans le clair des Lunes de
Formalow, Arthang venait de s’arracher aux vagues de
l’océan dans lequel il était tombé, quelques instants plus
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 221
tôt. Tout en volant maladroitement, il prit de l’altitude et
repartit péniblement vers Sa Désolation, à l’Est des
montagnes.
- Oui mon ami, expliqua Le Goua’ch. Nous l’avons
cruellement touché, mais il va revenir aux portes de
Nabachton avec toutes ses légions de réserve. Cette fois,
il ne lésinera pas sur le nombre. Désormais, nous
pouvons atteindre les Royaumes Perdus. Le Léviathan
est cruellement blessé. Il lui faudra un certain temps
avant de recouvrer sa puissance. Profitons-en, nous
devons repartir et finir notre voyage dès maintenant.
Sur ces mots, la compagnie diminuée d’un membre
dans des circonstances dramatiques, commença la
dernière étape vers le Royaume de Nabachton. Cette
fois, aucun des voyageurs de la petite mais vaillante
troupe ne s’arrêterait avant d’apercevoir les formidables
portails qui protégeaient les forges légendaires des
Royaumes Perdus.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 222
- XVIII -
- Arthang ne peut pas me fournir de troupes !!!
Vociféra le Seigneur des Ankous.
Le Capitaine des Korrigans envoyé par le Léviathan
auprès de son allié, trembla sous l’invective.
- Quelles raisons ose me donner ce maudit dragon,
pour justifier sa défection ? Reprit le Roi des messagers
de la mort. Réponds-moi esclave !
Le Démon épouvanté passa sa langue sur ses crocs
avides de sang. La terreur l’avait assoiffé. Il était habitué
à côtoyer des créatures particulièrement effrayantes,
mais le Maître de la forteresse des Dolmens Infernaux
dépassait en horreur tout ce qu’il avait connu jusque là.
- De grands et puissants guerriers des royaumes
rebelles se sont engagés sur la route de Nabachton. Ils
progressent à vive allure, car ils sont d’une force
implacable. Bientôt, ils atteindront les Forges des chiens
de comploteurs et pourront y tramer leur magie pour
nous détruire tous. Alors, le Seigneur Arthang a lancé
toutes ses armées à la conquête des Royaumes Perdus.
- Avec des lâches et des porcs comme toi, éclata le
Seigneur des Ankous. Arthang veut conquérir Nabachton
et les contrées que défend cette cité ! Mais il est
complètement fou ! Les Âges innombrables qu’il a
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 223
traversés ne lui ont pas apporté l’expérience que la
légende lui attribue. Il est simplement devenu sénile.
- Il m’a donné l’ordre de vous déclarer, Ô grand
roi, commença prudemment le Korrigan, que nous ne
devrions pas perdre de temps à écraser des insectes dans
la Lande. Arthang estime que vos nouveaux alliés
seraient bien plus utiles contre les remparts des Forges
oubliées, que contre la faible armée de Myrion.
Seigneur, s’empressa d’ajouter le sinistre esclave des
ténèbres devant la colère qui déformait les traits hideux
du Roi des Ankous, il a précisé que si je ne rentrai pas de
ma mission, quand il aura écrasé les Nabatéens, il
pourrait bien accourir au pied de votre château, vous
demander des comptes, devancé par la magie des
Royaumes Perdus.
Le formidable Titan maléfique bondit hors de son
trône et, hurlant comme un damné, il se rua sur le
Korrigan qu’il étrangla d’une main, comme un petit chiot
sans défense. Sa monstrueuse fureur se propagea dans
tout son empire des Terres Sauvages et ses serviteurs
tremblèrent d’épouvante, sans comprendre pourquoi,
d’ailleurs, tandis qu’il accomplissait son crime.
Alors la voix du Maître des ténèbres lança ses
ordres comme une tempête qui emporta sa volonté
jusqu’au Dolmens infernaux. Ses chasseurs d’âmes
maudites surent qu’ils devaient convoquer, sans plus
attendre, le Roi des Sorciers Morts-Vivants. Ils avaient
été incapables de le retrouver dans le dédale de l’Enfer
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 224
des Maléfiques. Mais, une autre consigne fit pâlir leur
face terreuse et maladive lorsqu’ils la reçurent. Ils ne
craignaient pratiquement aucun fantôme.
Habituellement, les créatures les plus puissantes, quand
elles revenaient hanter les cercles du Monde après un
séjour dans le néant des Maudits, restaient impuissantes
contre les Ankous. Mais cette fois, leur Seigneur avait
lancé une des incantations interdites les plus horribles et
les plus efficaces qui soient. Cet insensé avaient rappelé
l’Empereur déchu… Ce monstre-là, même mort,
deviendrait une plaie épouvantable pour le Monde de
Formalow, s’il y retrouvait un corps. Son ancien
lieutenant pensait sans doute pouvoir le maîtriser sans
peine et retenir sa vengeance, il pouvait payer chèrement
son orgueil insensé.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 225
- XIX -
La compagnie se restaurait. En deux journées, ils
avaient avancé très rapidement sur la grande route dallée
et, depuis le matin, la corniche s’abaissait lentement le
long de la montagne qui d’ailleurs, était devenue une
petite chaîne de basses collines.
Si Niphilus et ses compagnons mangeaient
calmement sur l’accotement, c’est qu’ils étaient arrivés à
un point de la route où le voyage allait changer de
nature. Le chemin ne suivait plus la côte. Cette voie
s’enfonçait désormais dans l’arrière-pays, en
franchissant un col, à moins d’une demi-lieue de
l’endroit choisit par la petite troupe pour faire une courte
halte.
Au-delà des deux sommets arrondis qui barraient
l’horizon et encadraient la Route de Nabachton comme
des sentinelles bienveillantes, Mélinos assurait qu’une
vallée s’évasait jusqu’aux portes des Royaumes Perdus.
Ces derniers occupaient une vaste plaine fertile,
légèrement vallonnée et sillonnée de fraîches rivières.
Niphilus et ses compagnons ne sentaient pas la
fatigue de leur dernière marche. Ils étaient au Nord du
Monde, mais ils n’avaient pas froid. La présence de
l’Océan et une fragrance indescriptible, laissait dans l’air
de cette région une douceur vivifiante.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 226
Le forgeron et la Princesse mangeaient l’un près de
l’autre. Niphilus regardait la merveilleuse fille de
Phérégon avec tendresse. Elle ne cachait plus, ni son
admiration, ni sa passion pour le solide et agréable
silérien. Il se révélait très doux dans la vie quotidienne,
mais il avait affiché durant le voyage sur la Route de
Nabachton, une détermination et un courage que lui
enviaient ses compagnons, depuis le Duc Le Goua’ch
jusqu’à Suggur le vaillant Elfe des forêts du Bout du
Monde.
Maintenant, lorsqu’elle lui adressait la parole, elle
ne l’appelait que « mon ami » ou bien « mon Seigneur ».
Elle lui prenait souvent la main quand elle était seule
avec lui, à l’arrière de la colonne. Après le combat sur la
passerelle de la combe, Niphilus avait été un des derniers
à reprendre le chemin des Forges. Il avait quitté le pont
arachnéen, giflé violemment par le souffle résiduel de
l’explosion des gemmes de puissance, sur les pas de
Mélinos lorsqu’il avait été certain qu’aucun Korrigan et
aucun rejeton d’Arthang n’avait survécu à la bataille.
Le Druide, bien qu’il soit préoccupé par la tournure
que prendrait la fuite de la compagnie vers la porte des
Royaumes Perdus, avait remarqué que Saurane attendait
le courageux aciériste à la sortie de la passerelle, qu’elle
l’avait pris dans ses bras quand il était arrivé, puis,
qu’elle l’avait embrassé amoureusement, emplie de joie
de le retrouver vivant après cette nouvelle épreuve.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 227
Le vieux sage, le Duc de Salermnos et Suggur,
tandis qu’ils dévoraient à belles dents leur premier repas
depuis deux jours, ne manquèrent pas d’échanger
quelques mots sur cet amour naissant entre l’héritière de
Silérie et un de ses plus brillants sujets. Mélinos savait
que le Roi Phérégon, recevrait l’union de sa fille bien-
aimée avec Niphilus, comme une bénédiction des forces
bienveillantes de Formalow, car tous les Silériens
considéraient que la valeur d’un guerrier, d’un façonnier
ou bien d’un paysan se mesurait par les actes qu’il
accomplissait et non par son lignage ou bien sa position
sociale. Le plus humble couturier de Mégara, s’il était un
bon tailleur, avait l’estime du Seigneur de Silérie et aurait
pu recevoir l’amour de sa fille. Un forgeron de la trempe
de Niphilus, doublé d’un érudit cultivé et d’un
combattant hors de pair était un prétendant plus
qu’honorable pour la merveilleuse Princesse du petit
peuple des Paysans-Aciéristes.
Suggur, qui avait pour le brave Silérien une estime
sans borne, se disait que ce dernier méritait largement
l’amour de Saurane. Le Goua’ch se réjouissait de voir en
Niphilus, un futur membre influent du Conseil de la
Nouvelle Alliance, à la sagesse et au bon sens infinis.
Un des discrets forestiers du roi Elfe, qui remplissait
le rôle d’éclaireur depuis la disparition d’Alianos, revint
de patrouille à cet instant. Mélinos, avant d’entendre le
rapport de ce dernier, fit signe à Saurane et à son ami
forgeron de se joindre à eux.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 228
Le Soldat expliqua aussitôt la situation. Au-delà du
col, on pouvait voir l’entrée de Nabachton. Ceci était
réjouissant, mais, sur une courte bande de plaine, entre
la fin des collines qui marquaient l’arrêt de la chaîne de
Montagnes des Royaumes Perdus et le mur frontière de
ces pays oubliés, une armée de quatre-vingt mille à cent
mille Korrigans était déployée et faisait le siège de la
porte légendaire. La route d’accès était alors occupée
par une tortue de trois milles démons corsetés de fer,
hérissés de lances ainsi que de hallebardes et cachés
sous un toit de boucliers noirâtres. Le but était proche,
mais, comment le toucher enfin, avec un tel obstacle à
franchir avant de l’atteindre ?
Tous semblaient découragés, Le Duc des Abers
émit l’hypothèse d’un passage des lignes ennemies, au
cours de la nuit, en évitant, autant que possible,
l’affrontement. Mais les lunes de Formalow étaient
pleines. Elles brillaient de mille feux et, la nuit tombée,
elles éclairaient le monde d’une lumière douce, suffisante
pour rendre une petite troupe incapable de surprendre
des gardes attentifs. De plus, les deux planètes étaient
dans une très rare phase de conjonction. Leur clair était
bizarrement plus intense dans cette configuration
astronomique. L’idée d’une dernière étape faite à l’abri
des regards maléfiques, par une nuit sombre, s’évanouie
aussi vite qu’elle était née. Même si des nuages avaient
fait écran à la brillance des lunes après le coucher du
soleil, le ciel dans de telles conditions, aurait été
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 229
suffisamment lumineux pour faire échouer la tentative de
passage à couvert. Le Goua’ch comprit que sa fatigue
physique et morale avait eu raison de son sens légendaire
de la stratégie, quand Mélinos eut exposé tous ces
problèmes.
Le vieux Druide, lui, ne proposa rien, il ne put que
soupirer, montrant là une inquiétante lacune d’idées.
Suggur rongeait son frein. L’Elfe géant paraissait sur le
point de saisir son épée et de charger, seul, toute l’armée
du Léviathan.
Niphilus resta un moment silencieux et quand on lui
demanda son avis, il déclara :
- Il semble bien, mes amis, que depuis nos premiers
pas sur la route de Nabachton, nous sommes suivis et
protégés par les Seigneurs des Royaumes Perdus.
Pensez-vous, un seul instant, que si nous déclenchons
une véritable bataille à l’entrée de leur monde, ils vont
nous laisser périr sur le seuil de leur maison. Croyez-
vous que les Korrigans sont présents ici, aussi organisés
et si nombreux, sur la frontière d’un pays si dangereux
pour les forces du mal, afin d’y rester en attente, sans
agir. Derrière les remparts de Nabachton, une puissance
gigantesque les défie et elle viendra à notre secours si
nous en chargeons les assiégeants sans montrer de
faiblesse. Alianos s’est certainement sacrifié pour notre
cause et nous ne le reverrons jamais. Nous lui devons
bien ce baroud d’honneur, même s’il devait être le
dernier. Ami Suggur, me suivrez-vous ?
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 230
L’Elfe regarda avec un frémissement d’admiration
et des larmes dans les yeux, le petit personnage qui se
levait en même temps que la jolie Princesse Saurane. Les
deux Silériens enfilèrent ensuite, tranquillement, leurs
heaumes de guerre et sortirent leur fabuleuse lame pour,
de nouveau, aller affronter sans haine et sans peur, des
ennemis impitoyables, marquant chacun de leur
massacre d’une sauvagerie ignoble. Suggur rangea alors
ses affaires dans son havresac. Il dégaina les deux
longues épées de forestier, qu’il avait demandées à son
ami forgeron de couler et de battre pour lui. Il les fit
tournoyer dans l’air avec des sifflements, puis, les
jugeant suffisamment tranchantes, il les assura dans ses
énormes poings et vint prendre une posture de bataille à
côté de Niphilus et de la souveraine des Paysans-
Forgerons.
Un instant plus tard, les dix-neuf voyageurs de la
compagnie se tenaient sur le col. Ils y dominaient la
plaine occupée par les Korrigans. De là-haut, ils
observaient avec vaillance, sans même éprouver une
inquiétude quelconque, la mer de démons qui les
séparaient du but de leur quête.
Alors, poussant un même cri du cœur : « Vivent les
Royaumes Libres ! », ils dévalèrent la pente en courant
de toutes leurs forces et en brandissant leurs glaives, vers
les esclaves du mal qui malgré leurs nuées innombrables,
reculèrent avec terreur devant cette charge incroyable.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 231
Le cœur léger, Niphilus fut le premier de la
compagnie à trancher en deux parties le bouclier d’un
capitaine d’Arthang, ainsi que celui qui était protégé par
cet écu…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 232
- XX -
Le Roi des Sorciers Morts-Vivants se débattait
contre son escorte d’Ankous. Ce dernier était un peu
plus teigneux que ses sujets, ramenés de l’enfer des
Maudits, depuis plusieurs mois, mais, finalement, il ne
pouvait rien faire contre les chasseurs d’âmes perdues, si
ce n’est, les bousculer légèrement.
Quand le spectre et ses gardiens arrivèrent dans la
forteresse des Dolmens Infernaux, ils devinrent
soudainement calmes, malgré la haine qui poussait le
premier contre les autres, car, la colère silencieuse du
Seigneur du lieu faisait gronder toute la bâtisse colossale,
jusqu’aux fondations secrètes de ce château.
Le Roi fantomatique, fut amené et agenouillé devant
le trône du Seigneur des Ankous. Il fut libéré du sort
d’entrave que lui avaient jeté les gardiens des Dolmens
Infernaux et put ainsi se redresser fièrement en proférant
des insultes obscènes à l’adresse de ses geôliers. Mais il
fut rapidement ramené à la réalité de son état.
Une force terrible le fit ployer, jusqu’à ce que son
visage touche le sol. Un coup formidable ébranla ses
côtes squelettiques, puis, une voix de tonnerre
l’assourdit :
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 233
- Tu vas donc te taire infâme déchet de la
damnation. Tu as perdu les batailles de jadis. Tu t’es
laissé détruire par de faibles mortels ignorants et tu viens
nous donner des leçons, mais veux-tu que je te torture
comme je le fais maintenant, chaque jour, chaque heure,
chaque seconde de l’éternité qui te reste à subir ta peine
de maudit ?
Le fantôme sentit qu’on lui déchirait de l’intérieur,
le corps en décomposition que lui avait rendu les
Ankous. Il hurla effroyablement. Mais que lui voulait
donc ce monstre ? Jadis, il avait donné sa vie pour
l’Empereur de Formalow mais il considérait le lieutenant
du Grand Maître des ténèbres comme un subalterne
ignare et ambitieux. Pour le sorcier revenant, le seigneur
de la Forteresse des Allées Couvertes Maudites était un
traître sans envergure, qui n’avait pu occuper le trône de
son supérieur que par la ruse, à la suite d’un abandon de
son suzerain d’une rare ignominie. Il n’avait fallu qu’un
très court instant de faiblesse du Roi Ténébreux de
Formalow pour que les médiocres puissent l’emporter
sur ce dernier. Une toute petite faute d’inattention avait
suffi, puis, les hésitations plus ou moins volontaires des
subordonnés avaient facilité la chute du couperet sur le
destin de la plus puissante créature maléfique sur cette
Terre.
Qu’on rende son pouvoir d’autrefois au maître des
sorciers et, ce goret furibard de lieutenant verrait ce
qu’était la magie ! Une simple étincelle de vie, rallumée
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 234
l’espace d’une seconde dans l’âme du Mage mort et le
pantin maudit qui le maltraitait en profitant de sa
faiblesse, payerait cher son impudence. Cependant, plus
sa fureur croissait, plus il rêvait de vengeance, plus il
souffrait et se désarticulait sous la douleur. Au bout de
quelques temps qui lui parurent une éternité la lacération
cessa et il entendit de nouveau la voix du chef des
chasseurs d’âmes.
- Te plieras-tu donc à ma volonté, dit ce dernier
avec véhémence. Ou bien faudra-t-il que je te renvoie à
demi vivant dans le néant des Maudits ?
La menace était réellement terrifiante. Rares étaient
ceux qui avaient franchi les Dolmens Infernaux pour
entrer vivants en Enfer. Des fous à la recherche de la
puissance ténébreuse absolue, avaient tenté cette
expérience épouvantable, bien avant l’apparition de
l’Empereur. Si revenir dans les cercles du monde sous
forme de spectre était affreusement pénible, si chaque
parcelle de votre âme et du corps qui vous est restitué au
cours de ce retour, génèrent en vous des souffrances
infinies, atteindre vivant les halls du néant épouvantaient
tous les défunts maudits qui assistaient au calvaire éternel
des malheureux ayant eu cet abominable privilège. Ceux-
là tournoyaient à jamais, crucifiés sur des pentacles,
depuis les froids abîmes situés aux confins de l’Univers
jusqu’aux chaleurs démoniaques des soleils explosifs du
cosmos. Plus rien ne pouvait les tuer. Ils supportaient
ainsi toutes les destructions. Ils en ressentaient les effets
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 235
dans leur chair, mais, ils ne parvenaient, en aucun cas, à
faire cesser cette punition sempiternelle. Même mort-
vivant, comme l’était le Roi des Sorciers actuellement, il
ne faisait pas bon se faire piéger dans cette situation
catastrophique.
Alors, l’épouvantable fantôme accepta d’écouter ce
que lui proposait le Seigneur des Ankous.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 236
- XXI -
La compagnie avançait dans la masse de ses
ennemis, comme un coin d’acier enfoncé par des coups
de masse dans une bille de bois à refendre.
A l’avant de cette petite troupe héroïque, la mer des
Korrigans se fracassait comme une tempête d’hiver sur
les pointes granitiques de l’Arcouest. Les démons
tombaient en hurlant sous les coups d’épées formidables
de Suggur, de Mélinos, de Niphilus et de Sauranne. Les
lames silériennes taillaient en pièce les corps des esclaves
du mal qui répandaient sous les attaques, leurs membres
infectes déchirés par l’acier furieux, sur la plaine
ensanglantée. Malgré leurs armures les compagnons du
forgeron étaient couverts de blessures et de plaies. Mais,
ils approchaient lentement des portes.
Alors, un formidable Korrigan des montagnes,
monté sur un reptile visqueux aussi grand qu’une licorne,
fendit la foule de ses soldats en hurlant dans son langage
ignoble :
- Que toute l’armée les charge ! Qu’ils soient
écrasés sous vos souliers de fer ! Allez, au travail bande
de gorets !
Galvanisés par la haine de leur officier, les monstres
resserrèrent leurs rangs autour de la compagnie. Même
le puissant Suggur et l’interminable Mélinos éprouvaient
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 237
des difficultés à frapper la masse compacte de démons
morts et blessés qui se pressait contre eux.
L’aciériste et la princesse, rouges de colère, de
fatigue mais aussi de leur sang qui coulait sur leurs fronts
meurtris, frappaient de plus en plus fort. Pourtant, ils
poussaient maintenant des cris de hargne, afin de tenir
bon, à chaque estocade portée. Le Duc de Salermnos
redoublait les moulinets de sa hache et fracassait de
nombreux crânes, coupaient d’innombrables cous,
comme dans un rêve. Le Goua’ch allait-il succomber
sous le nombre ?.
Les courageux voyageurs voyaient venir la fin. Ils
étaient encore à mille pas du colossal portail de
Nabachton. Ils n’avançaient plus, ils ne parvenaient qu’à
conserver difficilement un petit espace libre entre eux et
les Korrigans. Cette fois, l’épuisement allait les gagner et
ils finiraient déchiqueter par les crocs de leurs
adversaires, comme de nobles licornes succombent
parfois à des hordes de loups affamés.
Niphilus, au fond de lui, souffrait d’avoir poussé ses
camarades dans un tel piège. Les Royaumes Perdus
avaient-ils la puissance qu’on leur attribuait ? Pouvaient-
ils lancer une armée par leurs portes pour sauver leurs
alliés, venus de si loin implorer leur aide ? La réponse ne
serait-elle pas trop tardive ? Cela demandait-il trop de
temps aux Nabatéens de regrouper une escouade de
secours derrière le portail ?
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 238
Peut-être l’ancienne splendeur de Nabachton
s’était-elle amoindrie ? Ne restait-il plus rien des grandes
armées du Nord, de leurs lances brillantes et inflexibles,
de leurs innombrables licornes qui jadis déferlaient
comme une tempête sur les rangs du mal ? Les grands
Rois de Nabachton ne pouvaient-ils plus déployer que la
magie pour fermer encore leur sanctuaire aux hordes
d’Arthang.
L’aciériste regarda sa souveraine de ses yeux
aveuglés par les larmes et le sang :
- Pardonnez-moi Dame Sauranne, déclara-t-il
pendant une accalmie du combat. Je vais tomber à vos
côtés, au seuil du succès. Ce qui me rend le plus
malheureux, c’est que nous nous sacrifions inutilement.
Le Monde de Formalow ne sera pas sauvé. Je n’aurai
même pas pu vous avouer l’amour dont je brûle pour
vous. Que j’aurais aimé vous serrer dans mes bras, Ma
Souveraine, et baiser vos lèvres avec l’ardeur du soleil
quand il brille dans les cieux de l’été. Dame Sauranne, Je
vous étais dévoué corps et âme. Aussi, lorsque nous
franchirons les cercles de la vie, je vous porterai, serrée
contre ma poitrine, jusqu’aux havres du créateur.
- Mon doux Seigneur, Mon Maître d’Arme,
j’accueille vos paroles avec la joie de ce sentiment
partagé que plus rien ne peut entraver, répondit la belle
Silérienne. C’est le glaive à la main, que nous nous
épouserons dans cette fin des Ages, Mon Aimé ! Pour
fêter notre mariage, vendons chèrement nos vies ! Que
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 239
chaque écorchure infligée à nos corps par nos ennemis,
leur coûte une cohorte entière !
La compagnie avait entendu le serment et les
promesses que venaient d’échanger les deux amoureux.
Le courage revint aux cœurs des membres de la
communauté. Pourtant, la troupe de Korrigans s’avançait
maintenant contre eux, encore plus dense et décidée
qu’avant l’apaisement temporaire de la bataille. Alors les
lames silériennes scintillèrent avec la froideur déterminée
de leurs Maîtres. Les gémissements et les déchirements
de chaire ébranlèrent une fois de plus les hordes
d’Arthang le Noir, mais bientôt, après une formidable et
éclatante période de résistance, le premier Druide
succomba à un grand nombre d’assaillants qui
l’isolèrent, le débordèrent et martelèrent sauvagement
son armure jusqu’à ce qu’il tombe à genoux, sous la
pluie d’estocades.
Le Duc Le Goua’ch, la joue entamée par l’éclat
d’un cimeterre korrigan brisé contre son armure
silérienne, vacillait, lui aussi. Certes, le Seigneur des
Abers giflait encore, avec véhémence trois énormes
démons des montagnes dont les griffes crissaient sur
l’acier de sa cuirasse à chaque coup. Pourtant, le grand
marin ne parvenait plus à employer sa hache pour
repousser ses agresseurs. Les robustes épaules du Duc
s’affaissaient.
Mélinos et Suggur, dos à dos sur un petit monticule,
faisaient encore face à la horde maléfique, mais, ils
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 240
étaient très pâles. L’expression de leur visage marquait
une peine et une douleur insondables.
Niphilus, couché sur Sauranne blessée et
inconsciente, absorbait à travers son armure, les coups
de taille des Korrigans furieux qui se ruaient sur eux,
comme un océan en tempête.
Ils allaient mourir, balayés par la victoire imméritée
du mal absolu. Nabachton avait défailli. Les peuples
libres et les royaumes libres allaient disparaître, livrés à
l’ombre et à l’esclavage pour des Ages innombrables.
Soudain, de gigantesques cors d’airain se mirent à
sonner depuis les hauteurs des remparts qui fermaient la
vallée. Un silence glauque tomba sur la fureur du
combat. Les épées s’immobilisèrent en l’air,
dégoulinantes du sang des Korrigans qu’elles avaient
tailladés furieusement depuis plusieurs heures. Les
haches des marins de Salermnos épargnèrent
momentanément les cous vers lesquels elles se
précipitaient afin de les trancher, tandis que les Druides
et les Silériens ne plantaient plus, vigoureusement, les
fantassins d’Arthang sur le fil de leur glaive, afin de
sauver Niphilus et leur Souveraine, écrasés sous un
groupe compact de démons.
La compagnie et leurs ennemis se tournèrent vers
les Portes de Nabachton. Les uns montraient un
soulagement halluciné, les autres une terreur irraisonnée.
Dans un grondement de volcan en éruption, les
deux formidables battants du Portail des Royaumes
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 241
Perdus s’ouvrirent et, tandis qu’un nuage blanchâtre
montait vers le ciel, depuis l’arrière les remparts,
d’innombrables flèches s’élevèrent au-delà des plus
lointains nuages du ciel avec une vitesse effarante ainsi
qu’un sifflement assourdissant. Elle retombèrent en pluie
meurtrière sur les flancs de l’armée des Korrigans,
dispersant, ces derniers qui s’enfuirent avec terreur dans
les montagnes.
Par milliers, les esclaves du Léviathan se sauvèrent,
délaissant leurs camarades de la tortue, livrés sans espoir
à leurs terribles adversaires. Un cri de guerre poussé par
des guerriers puissants, ébranla l’atmosphère de la
plaine. Une gigantesque armée de cavaliers surgit alors
des portes de Nabachton dans le martèlement
assourdissant des sabots de leurs licornes caparaçonnées.
Cette cavalerie fantastique se jeta au galop contre les
Korrigans qui mouraient littéralement de peur.
En quelques secondes, le corps du Maître Forgeron,
celui de sa Princesse et leurs camarades furent dégagés.
Si les armes des membres de la compagnie encore
indemnes, taillèrent en pièces, dans cette dernière phase
de la bataille, quelques soldats du mal, ce furent les
formidables cavaliers de Nabachton qui repoussèrent les
lambeaux de la troupe d’Arthang, au-delà du col de la
route par laquelle étaient venus Niphilus et ses
camarades. Des milliers de démons se jetèrent dans la
mer, préférant s’écraser sur les rochers, au pied des
falaises, plutôt que d’affronter les fougueux Nabatéens.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 242
En une faible fraction de temps, les portes et la
large voie furent libérées par la charge foudroyante des
Nabatéens. Leur capitaine, ayant vu disparaître ses
derniers ennemis dans l’Océan Extérieur qui grondait au
pied de la Corniche, revint sur ses pas avec l’escouade
qui l’avait suivi jusque-là. La cavalerie se regroupait
enfin. Toutes ses forces revenaient ensemble des quatre
coins de l’horizon. Les chevaliers des Royaumes Oubliés
avaient chassé et anéanti les derniers soldats du mal,
laissés par le Léviathan sous le portail de leurs
Royaumes.
Le chef des Nabatéens s’approcha de la compagnie
de Niphilus. Quand il fut près d’elle, il descendit de sa
licorne. Il n’était pas de haute taille. Son physique était
puissant, mais, il n’était grand que comme Niphilus, sans
plus. Quand le commandant de la cavalerie et tous ses
chevaliers eurent retiré leur heaume de guerre, Mélinos,
Suggur, Le Goua’ch ainsi que tous les héros de la petite
troupe envoyée, depuis le sud de Formalow par les
peuples libres, furent surpris. Les Nabatéens, en fait,
appartenaient aux peuples des Silériens mais, également
à celui des petits Elfes. Ils avaient certainement créé les
Royaumes Perdus ensemble, à la fin de « l’Age d’Or des
Forêts ».
Les Druides de Myrion, les forestiers géants des
Monts du Bout du Monde ainsi que les marins de
Salermnos, avaient toujours pensé que le petit peuple des
bois de Formalow, malgré sa sagesse et son courage,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 243
avait disparu, massacré par les hordes de l’Empereur
déchu. En fait, ces derniers avaient allié leur savoir-faire
magique et leurs connaissances techniques à l’habileté,
sans pareil, des Forgerons-Paysans dans le sanctuaire
septentrional de Nabachton.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 244
- XXII -
Arhus observait la Lande sur le promontoire depuis
lequel il commandait l’armée de Myrion. Ses éclaireurs
frontaliers avaient signalé de forts mouvements de troupe
au nord du Lac.
Les sorciers Morts-Vivants étaient partis depuis
deux jours. Leurs ombres et la terreur qu’ils inspiraient
s’en étaient allés avec eux. Il ne restait plus qu’une
formidable concentration de Korrigans. Celle-ci
d’ailleurs, avait été renforcée par des troupes noirâtres,
descendues en vastes nuées, depuis le septentrion des
Terres Sauvages. Le Maître des Ankous changeait de
stratégie. Ses alliés fantomatiques, utiles dans les
escarmouches avec les patrouilles des Marches avaient
échoué au cours des batailles en règles auxquelles ils
venaient de participer durant les deux dernières
semaines. Certes, Arhus avait perdu des valeureux
combattants sur la Lande. Il avait surtout eu à déplorer
des blessés en grand nombre. Au cours des incessants
assauts qu’ils avaient été forcés de repousser, certains
soldats de Myrion avaient fini par commettre des erreurs,
en raison de leur fatigue inexorable. Pourtant, les hordes
de démons et de spectres lancées par les forces du mal à
l’assaut des Royaumes Libres, avaient été arrêtées sur
les rives du Grand Lac.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 245
Le Silérien pouvait donc être fier de cet exploit. Son
succès, il le devait à son courage et à sa volonté
admirable. Ses hommes, ses druides, ses elfes ainsi que
ses compatriotes, avaient été galvanisés par la force
morale de leur général, si justement désigné par le
Conseil de la Nouvelle Alliance.
Maintenant, il fallait choisir la conduite à tenir pour
les phalanges de Myrion face à l’arrivée de milliers de
Korrigans supplémentaires sur la Lande. Ces infects
serviteurs inféodés aux seigneurs maudits n’étaient pas
aussi coriaces que les sorciers fantômes. Cependant, les
éclaireurs étaient certains que le compte de leurs légions,
sur les rives du Lac, allait doubler dans les prochains
jours. Les démons seraient environ neuf cent milles sur le
champ de bataille aux premières lueurs de l’aube qui
naîtrait après le second jour suivant le départ des
sorciers.
Arhus, face à ce nouveau danger, consulta
Phérégon, le capitaine des Druides, celui des Elfes ainsi
que le commandant des marins de Salermnos. Les
effectifs déployés par la Nouvelle Alliance étaient
complets. Le silérien ne devait plus compter sur des
troupes fraîches. Des blessés étaient en bonne voie de
guérison, dans les maisons de soin établies à l’arrière du
front, mais, il leur faudrait encore une bonne semaine
avant de rejoindre leurs camarades sur les marches des
Terres Sauvages. Le général disposait maintenant de cinq
cent milles soldats sur le terrain. Aucune augmentation
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 246
du nombre de soldats n’était prévisible avant huit à neuf
jours. Il existait deux réserves de combattants qui
n’avaient pas encore participé à la bataille du Lac. On ne
pouvait pas amoindrir les patrouilles frontalières du nord
des Royaumes Libres. Mais, deux garnisons importantes
étaient restées en attente dans la Forteresse de Silérie et
celle de la Marche. Un pigeon de feu envoyé à chaque
commandant de ces places suffirait pour que cent
cinquante mille combattants au sommet de leur forme
soient alors lancés contre le flanc des phalanges de
Korrigans, installées dans la Lande.
Arhus échafauda alors un nouveau plan de bataille.
Il montra une audace terrifiante, mais, il estimait que tout
devait être essayé pour disperser la puissance d’Arthang
et du Maître des Ankous. Il décida de harceler, sans
cesse, l’armée du Lac, par de petits coups de main,
rapides et meurtriers, jusqu’à l’arrivée des renforts venus
des bastions frontaliers. Les Silériens du Nord ainsi que
les Marins et les Druides de la Marche, étaient des
guerriers capables de venir rejoindre le champ de bataille
du Lac, en moins de six jours.
Ces troupes des Royaumes Libres ne risquaient pas
de rencontrer les fantômes des sorciers. Ces derniers
étaient repartis vers le Seigneur des Messagers de la
Mort, par la rivière qui coupait la Lande, droit vers le
Nord. De rapides galères les avaient emportés à vive
allure et, les Morts-Vivants, devaient maintenant se
trouver parqués dans des campements hideux, aux pieds
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 247
des Dolmens Infernaux, tremblants tous sous les blâmes
et les colères de l’ancien Lieutenant de l’Empereur.
Jusqu’à l’apparition des garnisons fraîches de
Silériens, de Druides et de Marins, il fallait que trois
milles Korrigans tombent chaque jour sans qu’aucun
soldat d’Arhus ne parte aussi pour le royaume des
défunts justes, au-delà des Monts du Bout du Monde.
Quand les cors des forteresses de Silérie et de la Marche
retentiraient enfin sur la Lande, les forces de Myrion
déploieraient alors les bannières de la Nouvelle Alliance
et attaqueraient les Démons. Même si cela devait encore
coûter des vies précieuses au monde libre, la phalange du
Seigneur des Ankous serait alors prise en tenaille par les
courageux guerriers d’Arhus. Ce dernier comptait bien
anéantir les esclaves du mal jusqu’aux derniers, sur les
rives du Lac.
Ensuite, le Silérien regrouperait les survivants de ce
combat. Puis, il lancerait des centaines de pigeons de feu
vers Nabachton, afin de faire parvenir des messages aux
Maîtres des pays oubliés. Il leur apprendrait, de cette
façon, qu’il avait décidé de faire le siège du Château des
Dolmens Infernaux, puis, de détruire l’épouvantable
monstre qui y régnait. Le général espérait bien que,
même si son frère Niphilus et ses compagnons avaient
échoué dans leur quête, éblouis par le courage de leurs
amis perdus, les Nabatéens lanceraient une vaste
offensive afin de franchir la désolation d’Arthang dans le
but de venir participer à cette ultime phase de la Guerre.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 248
Ce projet était une folie ! Mais, l’envoie de la
compagnie sur la route de Nabachton n’en avait-elle pas
été une autre ? Pourtant, bien qu’aucune nouvelle ne leur
soit encore arrivée des Royaumes Perdus, Arhus estimait
que la tentative de Mélinos et de Niphilus avait connu un
certain succès. Le départ brutal et inexpliqué des sorciers
fantômes paraissait lié à l’heureux dénouement de
l’expédition du Passage des Forges Oubliées. Rien n’était
assuré, mais, le retrait des spectres déverrouillait
l’évolution de cette « Guerre de la Nouvelle Alliance ».
L’armée de Myrion avait arrêté la progression des
forces du mal sur les rives du Lac, mais cette force aussi
avait été immobilisée là par les immondes ectoplasmes.
Or, maintenant, les valeureux guerriers du Conseil de
Castel-Druides, n’avaient plus, devant eux, que des
Korrigans qui, bien que dotés d’une très longue vie,
pouvaient être tués et craignaient la mort. Le surnombre
de ces démons était compensé par leur manque de
discipline et leur lâcheté. Arhus et ses compagnons
étaient donc capables de gagner cette bataille de la
Lande.
La tempête se préparait à souffler encore sur les
terres vertes et fraîches de la Marche des Terres
Sauvages.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 249
- XXIII -
Saurane n’entendait plus le bruit de la bataille. Elle
n’avait plus, sur ses lèvres, le goût du sang qui ruisselait
des blessures de son front et de ses joues.
Elle n’osait pas ouvrir les yeux. Elle se sentait
entourer de douceur, de lumière et de chaleur. Avait-elle
rejoint les limbes de la félicité des justes, au-delà des
Monts du Bout du Monde ? Elle sentit qu’on lui prenait
la main. Celle qui serrait la sienne était douce mais aussi
très puissante. Elle en devinait les doigts énergiques et
musclés, capables de se refermer avec une force
inexorable. Niphilus, son amour, était près d’elle. Le
vaillant Forgeron, le gardien de son cœur, était tombé à
ses côtés au seuil des portes de Nabachton.
Elle ouvrit les yeux. Elle était allongée dans un doux
et vaste lit. Une chambre boisée, chaleureuse, l’abritait.
Par une vaste fenêtre voilée d’un léger rideau à la
couleur dorée, la lumière d’une journée hors du temps
tombait sur elle.
Niphilus, le courageux Silérien, le Prince des
forgerons, l’élu de son cœur, était assis à ses côtés dans
un fauteuil confortable. De toutes les blessures qu’il avait
reçues pendant la bataille, à l’entrée des Royaumes
Perdus, il n’avait gardé que deux cicatrices presque
effacées, au menton et sur la joue. Pour L’instant, il était
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 250
vêtu d’une livrée d’or et de vert. Des manchettes
d’argent ornaient ses deux poignets. Une belle chaîne
était passée autour de son cou. Un médaillon dans lequel
était sertie une splendide gemme de pouvoir, y était
suspendu. Il fumait tranquillement sa pipe de bruyère.
Avait-il donc succombé, lui aussi ?
Saurane voulut lui parler, mais aucun son ne sortit
de ses lèvres. Elle était si ensommeillée. Niphilus porta
son index à sa bouche puis déclara doucement, comme
pour éviter toute fatigue à sa bien-aimée :
- Ne dites rien Ma Dame, ma Suzeraine de cœur. Je
vais tout vous expliquer mais, vous devez encore vous
reposer un peu, pendant que je réponds, autant que faire
se peut, à toutes les questions que vous vous posez sans
doute.
Saurane cligna des yeux et sourit afin d’encourager
son amoureux à lui parler encore de sa voix douce,
chaleureuse, enjouée. Elle tenait à être bercée par le
récit que lui ferait celui qu’elle aimait. Et si elle devait
apprendre qu’elle était arrivée dans les limbes de la
félicité des justes, elle s’en moquait finalement car, elle y
était avec l’amour de sa vie.
- Nous avons combattu de toutes nos forces jusqu’à
l’ombre des remparts, commença le Silérien. Les
ennemis formaient autour de nous un mur de haine et de
ténèbres si épais, que nous avons cru notre fin arrivée.
Nous ne pouvions plus avancer. Nos épées ont eu de
l’ouvrage. Pour une blessure que nous recevions dix
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 251
Korrigans perdaient la vie. Tout à coup, alors que le sang
ruisselait sur vos adorables joues, tandis que deux
monstres s’approchaient pour vous attaquer, vous êtes
tombée sur vos genoux. Vous n’aviez plus de force ni de
courage ma Mie. La vaillance ne vous faisait pas défaut
mais, vos bras et vos jambes vous abandonnaient. Je me
suis glissé jusqu’à vous, à travers une forêt de cimeterres
que j’ai abattue, toute entière, avec la fougue désespérée
de la peur de vous perdre qui étreignait mon âme.
Parvenu à vous toucher dans la fureur des coups portés
avec hargne, j’ai pourtant senti que j’avais aussi atteint
mes limites. Je me suis couché sur vous pour vous
protéger d’une effroyable fin. Mélinos et Suggur ont
tenté alors de se précipiter entre nous et nos adversaires,
ils furent isolés dans la masse des Korrigans. Le Goua’ch
demeura à la tête de nos autres compagnons pour les
soutenir et leur apporter le réconfort, durant le principal
assaut des Korrigans contre notre troupe. Mais, le grand
marin, malgré sa force et son courage, finit par faiblir
devant l’océan de haine qu’il voulait retenir malgré tout.
Une larme coula des yeux de Saurane qui ne
parvenait toujours pas à émettre une parole dans sa si
grande faim de repos. Niphilus continua :
- Nous n’avons pas succombé mon Amour, vous
êtes tombée de sommeil entre mes bras sous mon corps
au moment où, les portes de Nabachton ont déversé nos
sauveurs sur la plaine. Ces derniers ont dispersé et
écrasé les phalanges d’Arthang comme des fétus de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 252
paille sous les fléaux des moissonneurs. En une très
faible fraction de temps, la paix et la sécurité nous
étaient rendues. Les portes des Royaumes Perdus
venaient de nous être ouvertes.
Un grand sourire illumina le visage de la Princesse
Silérienne. Finalement, elle n’était pas morte. Sa quête
ainsi que son amour n’avaient pas été vains. Le Maître-
Forgeron conclut :
- Vous avez été soignée par de sages petits elfes de
jadis et aussi par notre ami Mélinos, mon Amour. Vous
vous reposez actuellement dans le formidable palais des
Seigneurs de Nabachton. Au sein des forges et au cœur
des maisons du savoir de ce Royaume, l’immense travail
contre les forces du mal a déjà commencé. Mélinos et les
magiciens elfiques réapprennent, les uns des autres, tous
les sorts et les charmes qui ont donné à l’Ancienne
Alliance, sa victoire sur l’Empereur déchu. Quant aux
aciéristes des forges fabuleuses, ils ont complété leur
savoir par celui que je leur ai amené de Silérie. Toutes
les armes et toutes les armures des Royaumes Perdus ont
été retraitées avec les plantes huileuses dont nous avons
découvert de grandes quantités dans les forêts de
Nabachton. Saurane, Ma Dame, voilà près d’une
semaine que nous sommes ici et que vous étiez plongée
dans un sommeil magique afin de guérir les blessures que
vous aviez reçues pendant la bataille des portes. Avec
nos amis Nabatéens, nous avons accompli une grande
tâche. La puissance de l’Ancienne Alliance est désormais
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 253
restaurée. Grâce aux gemmes de pouvoir, qui sont
nombreuses dans les mines de ce pays, de nouvelles
machines vont donner à chacune de nos patrouilles la
force d’une légion entière de Korrigans.
Tout à coup, par la fenêtre de la chambre, une
harmonie cuivrée et énergique retentit, tombant des tours
de guet qui hérissaient les fortifications colossales du
palais des Maîtres de Nabachton. Le forgeron se pencha
par la fenêtre et aperçut, dans le ciel limpide un nuage de
pigeons de feu qui descendait vers le château, telle une
pluie de printemps. Les oiseaux au plumage flamboyant,
arrivaient à une vitesse étonnante, rivalisant en célérité
avec les aigles des pitons montagneux du Bout du
Monde. Bientôt, tous ses messagers fourbus, atterrirent
sur les pelouses du parc de la forteresse et se laissèrent
approcher. Les nabatéens commencèrent, avant tout, à
nourrir les oiseaux. Puis, découvrant que ces derniers
offraient leurs messages à leurs bienfaiteurs, les servants
du palais se permirent de les lire. Les nouvelles étaient
agréables mais aussi étonnantes. Mélinos fut mis au
courant par ses collègues magiciens. Aussitôt que le
vieux druide eut pris connaissance du contenu de ces
courriers, il courut le communiquer à Niphilus et à la
Princesse Saurane. Les pigeons ne s’étaient pas encore
tous posés, que le maître du savoir entrait déjà dans les
appartements de la souveraine convalescente afin d’y
expliquer :
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 254
- La situation est désormais irréversible Arhus.
Votre frère, a envoyé à Nabachton les oiseaux de feu qui
viennent de nous rejoindre. Les nouvelles de l’armée du
Conseil sont encourageantes et inquiétantes. Ce matin il
vient de recevoir des renforts. Il veut atteindre la
forteresse des Dolmens Infernaux et en faire le siège. Il
en appelle aux Seigneurs des Royaumes Perdus afin de
recevoir de l’aide grâce aux pouvoirs qu’ils détiennent. Il
pense également que nous avons atteint notre but et que
nous communiquons aux nabatéens les connaissances
que nous avons apportées de Silérie et de la Forêt de
Myrion avec nous. Il n’a pas tort, c’est ce que nous
sommes en train de faire actuellement. J’ai parlé à
l’instant aux élus des Royaumes Perdus. Ils sont
favorables à une intervention pour anéantir le Seigneur
des Ankous. Ils veulent tous nous réunir pour décider de
la stratégie que nous pourrions appliquer afin de
rejoindre les Dolmens Infernaux, puis, les détruire avec
l’aide de votre frère.
- Mon Amour, déclara Niphilus à Sauranne, la
dernière Guerre est débutée. Cette fois, le mal va reculer
pour de très longs et très nombreux Âges.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 255
- XXIV -
Le palais des élus de Nabachton était construit à
l’entrée de la grande vallée des forges. Il élevait ses
hautes tours, ses fontaines, ses salles glorieusement
éclairées et décorées par les représentations admirables
de l’Histoire de Formalow, sur des terrasses taillées dans
la roche solide des montagnes puis recouvertes de jardins
suspendus aux fleurs colorées et aux arbres immenses.
La compagnie avait perdu un membre de plus
pendant la bataille de la porte des royaumes perdus. Un
druide avait péri sous les coups des Korrigans. Ils ne
furent donc que dix huit compagnons à se rendre au
conseil extraordinaire qu’avaient réunis, ce matin-là, les
élus de Nabachton. Dès qu’ils furent installés
confortablement sur des sièges d’honneur, avec les
douze grands sages des royaumes oubliés, ils entendirent
d’abord un discours étonnant. Le plus vieux des
Seigneurs nabatéens déclara avec peine :
- Nous tenons d’abord à vous demander pardon
mes Seigneurs, commença-t-il. Vous devez avoir de
nombreux griefs contre nous et certainement, nous
devons des explications à ceux qui furent nos braves
alliés et surtout nos amis sincères durant toute « la
Guerre des larmes de Sang ». Devant la porte de ce
sanctuaire, que sont nos royaumes unis, vous avez
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 256
encore dû penser que nous vous abandonnions une fois
de plus à votre sort. Cependant, mes amis, pour réunir la
troupe que nous avons lancée à votre secours, il nous a
fallu du temps. Arthang le Noir n’a pas cessé, depuis le
début de votre expédition sur la route de notre pays, de
contrarier notre magie. Nous ne vous attendions que
dans une semaine et justement, nous souhaitions libérer
la plaine au pied des remparts ainsi que le dernier col,
une heure avant votre arrivée. Nos soldats étaient en
train de s’entraîner à une lieue et demi de la porte quand
la nouvelle de votre arrivée leur est parvenue. De plus,
vous pouvez croire que notre longue séparation, avec la
désolation du Léviathan qui s’opposait à nos
retrouvailles, avait pour origine notre lâcheté et notre
complaisance à rester à l’abri de nos murs. Certainement
notre puissance est encore grande. Notre magie, bien
que partiellement conservée, en regard de ce qu’elle fut
au temps de notre Grande Alliance de jadis, est toujours
efficace. Mais, toutes les troupes que nous avons
envoyées au-delà du dernier port des Monts
Septentrionaux de Formalow, pour retrouver les pays
libres, n’ont pas réussi à atteindre le fleuve des
montagnes, afin de le descendre jusqu’au Golfe de
Salermnos. Notre pouvoir est tenu en échec là-bas.
Arthang déverse des légions innombrables contre nos
envoyés, ensuite, il les massacre lâchement. D’abord à la
porte que nous ne parvenons pas à protéger autrement
que par le déploiement de nos soldats, ensuite dans la
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 257
forêt au sud des monts du Passage Perdu, la force du
Léviathan est quasiment indestructible, tandis que tout le
reste de la route de Nabachton se trouve encore sous
notre contrôle. La seule fois que nous avons connu le
succès, en essayant de communiquer avec vous, ce fut
lorsque nous vous envoyâmes le Seigneur Niphilus, le fils
du « Maître de nos Forges », avec toutes ses
connaissances. Nous avions alors l’espoir fou qu’il
survivrait et parviendrait à s’installer dans les Royaumes
libres. Nous comptions bien que son savoir, partagé en
commun avec celui de nos anciens alliés, permettrait de
rétablir le lien brisé entre nous.
- Il semblerait mes Seigneurs, que vous soyez
parvenus à vos fins, déclara solennellement Mélinos.
L’affaiblissement de votre magie au-delà des remparts de
Nabachton jusqu’au premier col de la route, ainsi que
sous les contreforts des Montagnes Septentrionales de
Formalow, est lié à la destruction des Dolmens
bienfaisants que les Elfes avaient, jadis, construits dans
ces lieux. L’Empereur d’abord, Arthang et le Seigneur
des Ankous ensuite, renversèrent avec hargne les allées
couvertes dressées par le peuple Sylvestre au temps de
l’Alliance d’Or et de Paix. Je ne connais pas la cause
exacte de cet acharnement, mais, je le sais une
conséquence directe de la puissance magique des
mégalithes de notre Monde. A Myrion, dans les
assemblées des Maîtres du Savoir, nous n’avons jamais
pensé, un seul instant de toute la paix vigilante, que vous
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 258
nous abandonniez mes amis. Nous n’avons que trop
souffert des combats contre les forces du mal pour
comprendre et admettre, que ces dernières étaient
capables de contenir nos forces et les vôtres, les
empêchant de s’unir de nouveau contre les ténèbres.
Mais les temps sont venus d’unir une fois de plus nos
troupes. Sur les rives du Grand Lac des Marches du
Nord-Ouest, la plus grande armée des royaumes libres,
jamais réunie depuis la Guerre des Larmes de Sang
disperse les forces du Seigneur des Ankous. Elle a, à sa
tête, un des meilleurs généraux silériens de notre âge :
Arhus Orlos, le digne descendant du « Griffon de
Mégara », tant redouté de l’Empereur lui-même. Bientôt,
le Léviathan va déployer sur les frontières de Nabachton
toutes les forces dont il dispose. Le choc sera rude et
notre arrivée parmi vous se fait tout juste dans un délai
raisonnable. Un petit mois de retard dans
l’accomplissement du voyage de notre compagnie et
nous aurions trouvé votre sanctuaire très affaibli par
l’assaut des ténèbres, dans le meilleur des cas, soit
totalement envahi par les Korrigans d’Arthang, dans la
pire perspective. De plus, la folie du Seigneur des
Ankous a ramené dans les Cercles du Monde, les âmes
maudites des sorciers morts autrefois, pendant la chute
de l’Empereur. Il nous faudra impérativement regrouper
les forces de Nabachton et celles des royaumes libres si
nous voulons défaire ces terribles alliés du mal.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 259
- Nous avons donc un long labeur à fournir pour
débarrasser Formalow du mal à jamais, dit le porte-
parole des Nabatéens. Les souffrances ne sont donc pas
encore finies et notre Nouvelle Alliance ne nous assure
pas de la victoire complète sur les maléfices d’Arthang et
du Seigneur des Ankous.
- Je crains que non, Maître, dit Mélinos. Mais nous
devons aller au-devant de la bataille qui nous attend.
Quoi qu’il en coûte ! Peut-être que, sur le chemin qui
nous est destiné, nous trouverons des alliés inattendus !
Nous ne savons plus tout ce que nous avons su et nous
ignorons beaucoup encore de ce qui reste à connaître
dans le vaste univers. Pour la première fois depuis la fin
de l’Empire, la balance des forces est favorable à notre
camp. Profitons de cette bonne phase de la de la fortune
pour éclaircir notre avenir.
- Et bien sachez Maître Mélinos que Nabachton va
reprendre sa place au côté de ses alliés et que, cette fois,
nous allons faire face de toutes nos forces à l’assaut que
notre ennemi a préparé contre nous assura le doyen du
conseil des dirigeants de Nabachton. J’ai également une
déclaration personnelle à faire, maintenant que toute
l’histoire de notre longue séparation a été bien discutée.
Je te souhaite la bienvenue parmi nous, Niphilus, mon
fils. Je remercie aussi le digne Oberlon de t’avoir recueilli
et si bien élevé. Je suis le Maître des Forges de
Nabachton : ton père naturel.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 260
Le glorieux Forgeron de Silérie sentit les larmes lui
venir aux yeux et vint s’agenouiller au pied de son père.
Certes, il ne reniait pas l’amour filial qu’il portait à sa
famille Silérienne. Mais, il avait aussi beaucoup de
respect pour cet homme qui l’aimait profondément et qui
avait accepté le sacrifice de l’envoyer loin de lui, pour
sauver tous les royaumes libres de Formalow.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 261
- XXV -
La forteresse des Dolmens Infernaux avait lâché sur
le monde tous ses esclaves guerriers. Elle était vide de
soldats, mais les immenses couloirs et les salles
gigantesques et innombrables qui la constituaient, étaient
tout de même hantés par les Ankous et leur terrifiant
Seigneur.
Deux formidables armées étaient parties du Nord
des Terres Sauvages. Une colonne avait marché vers le
Lac de la Marche et la lande. Cette dernière phalange
devait écraser les restes des troupes de Myrion sous le
poids de ses nombreux Korrigans. L’autre corps des
forces du Roi des Messagers de la mort, devait rattraper
et suivre les Sorciers Morts-Vivants qui déferlaient sur
Nabachton, mais aussi sur Arthang le Noir.
Le Maître de la forteresse des Dolmens Infernaux,
dans la folie de son orgueil, pensait que ses légions
étaient invincibles. Il sous-estimait complètement le
courage des Silériens, des Druides, des Elfes Géants et
des Marins du Golfe de Salermnos. Et surtout, il voulait
ignorer la gigantesque puissance de Nabachton, des
réalisations magiques et techniques de ce monde perdu.
L’affreux démon qui commandait aux morts, ne
croyait que dans la magie noire, le fer, le feu ainsi que la
force du nombre. Il méprisait l’harmonie et la raison. Il
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 262
réfutait les bienfaits de la générosité du cœur et de
l’esprit. Mais, il s’était lancé, cette fois, en partant à la
conquête du monde, dans une entreprise beaucoup trop
vaste pour sa méchanceté et sa prétention. Certes, il
comptait bien sur le retour de son ancien maître, dont il
espérait faire son serviteur, l’Empereur Déchu. Ses
Chasseurs d’âmes s’efforçaient de le ramener à la vie
par les rites ignobles qui avaient déversé les fantômes des
sorciers sur Formalow.
Cependant, aucun des Ankous ne souhaitait
réellement le retour du Roi des Ténèbres. Ce dernier
était encore plus effrayant, beaucoup plus sinistre mais
aussi plus malfaisant que leur chef actuel. L’Empereur,
était doté de pouvoirs gigantesques. Même s’il avait été
tué et même s’il avait dû rejoindre le royaume des
défunts maudits, comme toutes les créatures de
Formalow vouées au mal, qu’elles soient mortelles ou
bien immortelles, sous forme de spectre, après son séjour
dans les enfers, le monstre qui avait semé une terreur si
formidable jadis, serait certainement insatiable, surtout
totalement indomptable quand il reviendrait dans les
cercle de l’Univers vivant.
Les Ankous ne l’ignoraient pas. Aussi, tentaient-ils
de retarder l’accomplissement de la folie furieuse de leur
Seigneur, qu’ils jugeaient maintenant fou à lier.
Ce dernier jubilait pourtant, depuis son trône d’or et
de haine. Il faisait marcher la plus gigantesque puissance
ténébreuse que le monde ait jamais connue depuis la
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 263
« Guerre des Larmes de Sang ». Près de deux millions de
créatures abandonnées à une fureur malfaisante et à une
vie ténébreuse qu’ils appelaient de leurs prières, afin de
dissimuler dans l’ombre de celle-ci toute l’ignominie de
leurs pensées et de leurs actes, marchaient désormais
contre le reste des vivants de Formalow.
Quand une partie de ces troupes monstrueuses
atteignit les rivages du Lac de la Marche, aiguillonnés par
les fougueux désirs de leur chef qui leur parvenaient dans
un flot magique, ils ne se reposèrent même pas. Ils
chargèrent sans attendre les rangs de l’armée de Myrion,
qu’ils apercevaient, réduits et clairsemés autour du
campement de leurs frères démoniaques
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 264
- XXVI -
Arhus, depuis sa tente de commandement, entendit
le grondement de l’attaque des Korrigans. La table sur
laquelle il avait déployé ses cartes de la Lande, vibrait
sous la charge pesante des démons.
Il sortit dehors et fila jusqu’au bout du promontoire
qu’il avait choisi comme observatoire du champ de
bataille. Les autres capitaines de l’armée de Myrion,
livides, surpris malgré leur vigilance, vinrent le rejoindre
et l’entourèrent.
La situation n’était pas bonne, les forces de
l’Alliance allaient devoir combattre à un contre trois. Les
patrouilles, constituée de cent milles guerriers, avaient
sillonné les rives du Lac toute la nuit. Elles devaient se
reposer avant de retourner au front. Les renforts
qu’attendait le Général arrivaient, mais, ils se trouvaient
encore à deux heures de marche au Nord-Est et au
Nord-Ouest, des combats. Une autre partie de son armée
défendait les sentiers venant de la Forêt des Druides, par
lesquels, montaient au front, le ravitaillement et les
régiments reposés dont Arhus avait tant besoin.
En bon stratège, le Silérien avait estimé que, si les
Korrigans arrivaient en grand nombre dans la région, ils
feraient leur possible pour couper toute retraite et tout
approvisionnement à leurs ennemis. Donc, cent mille
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 265
autres soldats étaient déployés dans l’arrière-pays. Bien
sûr, des messagers étaient entraînés pour les joindre
rapidement. Cependant, le rassemblement d’une telle
troupe, éparpillée sur un grand territoire, prendrait sans
doute plus de trois heures.
Arhus, pâlit un instant, lui aussi. Puis il lança aux
officiers qui l’encadraient :
- Envoyez les messagers chercher les détachements
éloignés ! Regroupons l’armée toute entière dans la
Lande, et surtout, faites sonner les cors de Myrion avec
véhémence ! Il faut que nos alliés des forteresses
frontalières sachent que tout est commencé et que leurs
cœurs vaillants nous manquent cruellement. Eux, à cet
appel, accéléreront pour venir à notre aide. Nos ennemis
trembleront en pensant que, par ce vacarme, nous
rallions une gigantesque horde pour les écraser sous
notre multitude.
Les hérauts des peuples libres partirent transmettre
les ordres d’Arhus à tous les combattants de Myrion.
Depuis les rives du Lac, jusqu’aux premières défenses de
l’Alliance, des hordes noirâtres de démons, dont certains
chevauchaient d’immenses lézards aux dents sanglantes,
courraient à la curée dans le plus grand désordre. A
l’arrière de cette ruée affreuse, des machines de guerre
avançaient, tirées par des attelages de grands sauriens
puissants.
Le général enfila son casque et déclara :
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 266
- Nous devons participer à la mêlée, mes amis. Nos
hommes ont besoin de nos bras pour tenir encore deux
heures, jusqu’à l’arrivée de nos alliés.
Tout à coup, les grands cors d’airain des Druides et
des Elfes Géants ébranlèrent de leurs brames sonores la
Lande ainsi que les rives du Lac. L’élan des Korrigans
fut arrêté brutalement par la sonnerie de ralliement que
les forces de l’Alliance, jetaient à leurs amis dissimulés
dans le pays alentour. Les terribles esclaves du mal,
s’interrogèrent du regard en entendant les colossales
trompettes de Myrion. Alors, d’une haute colline que les
légions des ténèbres voyaient clairement depuis leur
position, une clameur s’éleva et des guerriers furieux, en
armures brillantes, dévalèrent les pentes herbeuses vers
la Lande, couvrant de leurs exclamations de joie la voix
des titanesques cors de bronze.
Dans les premiers rangs des Korrigans, immobilisés
par l’inquiétude à quelques mètres des premières
défenses de l’armée d’Arhus, un mouvement de recul
imperceptible se fit. Alors, bondissant de leur cache, des
centaines d’Elfes, de Silériens, de Druides, de Marins
aux lourdes haches, sautèrent sur les démons et se
mirent à les tailler en pièce.
La charge du Général et de ses officiers, s’enfonça
comme la pointe d’une lance dévastatrice dans le front
des forces du mal, soulevant sous les coups de ses lames,
des flots de sangs et de chairs déchiquetées autour d’elle.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 267
Dans son sillage, des milliers de corps désarticulés
répandaient leurs membres tranchés sur la plaine.
Les Korrigans affolés tournèrent les talons et
commencèrent une retraite aussi rapide que leur attaque.
Les guerriers de l’Alliance déferlèrent alors sur leurs
basques, détruisant un rang d’ennemis pour chaque pied
de terrain gagné.
Les cris de bataille se transformèrent alors en
hurlements d’alerte. Un première pierre monumentale,
lancée par une machine de guerre des démons, s’écrasa
sur l’avant garde d’Arhus tuant ou blessant un bon
nombre de ses combattants. Mais, les soldats des
Royaumes Libres ne cessèrent même pas d’avancer. Au
contraire, des têtes de Korrigans se détachèrent encore
plus violemment et en plus grande quantité de la masse
hideuse, après que le coup ait été porté.
Les artilleurs du Seigneur des Ankous, tentèrent
d’ajuster leurs jets sur le coté du front occupé par les
forces de l’Alliance. Mais les rangs du frère de Niphilus
était moins denses que ceux de ses adversaires. En
voulant faire reculer les soldats des Royaumes Libres, ils
ouvrirent maladroitement des brèches dans le mur formé
par la masse de leurs compagnons de damnation.
Pendant une heure et demie, les guerriers d’Arhus
progressèrent, il en tomba beaucoup sous les pierres
lancées par les phalanges des ténèbres. Cependant, bien
plus de monstres furent massacrés par les lames de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 268
Niphilus. Constamment, durant cette bataille, le mal
recula devant le courage désespéré du bien.
De nouveau, des cors retentirent sur la Lande.
L’armée du Seigneur des Ankous était désormais prise
en tenaille par les renforts venus des forteresses
frontalières. Ils étaient enfin là. Ils avaient forcé l’allure
depuis qu’ils avaient entendu sonner la charge d’Arhus.
Ils avaient amené avec eux, montées sur de solides
chariots, des machines de guerre plus précises, bien que
moins nombreuses que celles de l’ennemi. Depuis les
contreforts opposés des collines qui bordaient le Lac, ces
engins avaient une telle portée, qu’ils dévastèrent ceux
des Korrigans en quelques coups, puis, ils aplatirent sans
aucune dispersion, les derniers rangs des esclaves du
mal.
A ce retournement, Arhus qui pourtant était en tête
de son armée, parvint d’un geste, à lancer sa cavalerie au
secours de son infanterie qui s’épuisait. Ses forces
montées, vulnérables tant que les catapultes adverses
étaient opérationnelles, retrouvaient leur efficacité après
la destruction de ces engins maudits. Les Korrigans,
chevauchant des lézards énormes étaient avantagés
depuis le début de la bataille. Ils n’apprécièrent pas
l’apparition fulgurante des chevaliers de Myrion dont les
habiles licornes, plus vives que leurs épais sauriens
patauds, sautaient comme des éclairs parmi les rangs
ennemis. Bientôt, les monstres venus des premiers Âges
du Monde de Formalow, désarçonnèrent leurs cavaliers
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 269
sous la douleur des blessures qui leur étaient infligées par
les attaquants papillonnant vivement autour d’eux.
A l’arrière du champ de bataille, de nouvelles
troupes de l’Alliance arrivèrent également. Toutes les
forces déployées pour protéger les chemins d’accès au
camp d’Arhus, étaient parvenues à se rassembler avec
une célérité inespérée. Elles étaient là, désormais, au
grand désarroi des Korrigans. Alors, une inexplicable
folie s’empara des démons. Comme livrés à eux-mêmes,
ils se mirent à courir en tout sens s’empalant
furieusement sur les armes des soldats de l’Alliance ou
bien, se jetant dans les eaux pures du Lac qui prirent une
couleur noire et la gardèrent malheureusement pendant
près d’une semaine.
La volonté du Seigneur des Ankous venait de
fléchir. Avait-il senti la défaite inexorable qui soufflait en
tempête sur ses légions ténébreuses de la Lande ? Est-ce
plutôt que son attention avait été appelée vers d’autres
évènements plus graves, plus lointains ?
Les Druides, attentifs à leur environnement magique
malgré la fureur de la bataille à laquelle ils participaient
activement, estimèrent alors que la seconde solution était
sans doute la réponse aux questions posées par le
Général Arhus, devant la débâcle hallucinante de ses
solides adversaires.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 270
- XXVII -
Les Forges de Nabachton, dont les portes ouvertes
déversaient des flots d’armures, d’épées, de flèches et de
béliers aux caractéristiques techniques et magiques
fabuleuses, s’étendaient sur les flancs d’une magnifique
et haute colline des Royaumes Perdus, tout au long d’un
puissant fleuve dont le courant fournissait en force
mécanique, les marteaux des aciéristes.
L’industrie du métal n’avait pas abîmé
l’environnement de cette région. Bien au contraire, les
aménagements des grottes dans lesquelles, des fours à
gemmes de pouvoir chauffaient les alliages travaillés par
les Silériens et les Petits Elfes, renforçaient la beauté
naturelle des rivages de ce cours d’eau.
Niphilus et Saurane, passaient sans cesse d’une
fabrique à l’autre, contrôlant la température des pierres
flamboyantes, dosant les plantes huileuses dans la
solution de trempage. Les armements ainsi produits ou
bien reforgés, partaient sur des chariots propulsés par de
l’eau vaporisée dans des fours à gemmes également.
En découvrant la puissance et la maniabilité de ces
lourds fardiers, le Maître Forgeron et la Princesse eurent
une idée fantastique. Plutôt que d’envoyer de
magnifiques licornes se faire tailler en pièce dans des
charges de cavalerie poussées contre les légions
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 271
d’Arthang, les machines nabatéennes, renforcées par des
bordages d’acier et bardées de lances, pouvaient devenir
de redoutables atouts contre les multitudes de serviteurs
du mal.
Dans les Royaumes Perdus, une suggestion
technologique se concrétisait très vite, en trois jours,
deux cents engins de ce type furent construits à partir de
ceux destinés aux transports civils. Le Duc de Salermnos
et Suggur firent aussi essayer des tubes de fer, capables
d’envoyer à des distances représentant une centaine de
portées d’arc, grâce à la force gigantesque de l’eau
surchauffée par les gemmes, de lourdes boules d’acier
ou bien des milliers de petites pointes, comprimées entre
deux bourres de coton. Cette technique appliquée aux
chariots blindés de Saurane et de Niphilus, augmenta la
puissante armée de Nabachton, d’une force équivalente
à trente batteries de catapultes classiques et cinquante
milles archers supplémentaires.
Dans les académies de magie, Mélinos, sans cesse,
apprenait et enseignait. Les armes construites ou bien
refaites dans les Forges Légendaires, passaient sous ses
mains et celles de ses élèves. Elles devenaient encore
plus terribles, plus tranchantes, plus inquiétantes pour les
adversaires de la liberté.
Toutes ses réalisations étaient prêtes et avaient été
massées près des Portes de Nabachton dont les
Seigneurs, le père naturel de Niphilus en premier, ne
voulaient plus subir les évènements. Ils avaient décidé
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 272
d’attaquer Arthang dans son repaire, de l’anéantir avec
toutes ses légions, ensuite de se rendre jusqu’à la
forteresse des Dolmens Infernaux afin d’y rejoindre les
forces d’Arhus puis, de renvoyer les Ankous et leur
monstrueux Maître dans les enfers des maudits, à jamais.
Derrière les remparts des Royaumes Perdus, ce
matin-là, la plus grande armée jamais constituée par les
forces du bien se concentra alors et s’apprêta à déferler
sur la désolation d’Arthang. Des milliers de Silériens et
de Petits Elfes, brandissant les plus solides et les plus
tranchantes lames fondues et forgées par des vivants du
Monde de Formalow, portant les plus solides cuirasses
de l’univers, attendaient l’ouverture des portes de
Nabachton afin de partir détruire le mal pour toujours.
Les trompettes des sentinelles se mirent alors à
sonner dans l’aube naissante. Mais, elles ne lançaient pas
le signal du départ. Elles donnaient l’alerte. Arthang Le
Noir, la fabuleuse bête pensante, s’était remis de ses
blessures. Elle avait regroupé tous ses soldats et ses
alliés, puis, avec le soleil, elle venait de surgir sur les
crêtes des montagnes avec les innombrables phalanges
de ses esclaves, à l’Est de la route de Nabachton.
La dernière bataille de la porte des Royaumes
Oubliés allait avoir lieu. La compagnie de Niphilus, qui
constituait l’avant-garde prestigieuse des forces
nabatéennes, montra l’exemple en rentrant les épaules,
en ajustant les casques et en ordonnant l’ouverture des
battants d’airain barrant le chemin. La glorieuse petite
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 273
escouade voulait en découdre définitivement avec les
Korrigans et l’Hydre des sorciers qui les commandait.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 274
- XXVIII -
Ils n’étaient qu’un guerrier pour quatre ennemis. Ils
n’avaient pas beaucoup de place pour manœuvrer ou
bien frapper et pourtant, les nabatéens avancèrent en
sapant les formations de Korrigans, caparaçonnés de
bois et de fer, comme s’ils avaient fauché un champ de
blé durant la moisson.
Les ténèbres n’avaient plus de cœur à l’ouvrage. On
sentait clairement qu’ils fuyaient devant la force et la
magie de Nabachton. La compagnie de Niphilus pénétra
profondément les défenses d’Arthang et toucha la base
de la colline sur laquelle le monstre polycéphale, assistait
au carnage, tout en essayant de maintenir fermement ses
esclaves à leur poste par sa formidable volonté.
Mais déjà, il avait échoué. Ses blessures et sa
récente défaite, sur la route des Forges Oubliées,
l’avaient affaibli. Trop pressé d’en finir, comme son ex-
allié le Seigneur des Ankous, son orgueil avait rendu ses
vastes armées trop puissantes en regard de ce qu’elles
étaient réellement, à ses yeux corrompus par la haine et
le mépris.
Le nombre et l’abondance du mauvais étaient
renversés par le courage, la magie blanche et la qualité
inégalable d’un travail soigné de la forge, accompli avec
goût et amour. Les cimeterres des démons, rebattus à la
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 275
hâte en trop grand nombre, dans des ateliers mal
éclairés, malpropres et surtout, emplis d’une fumée
nocive, se brisaient contre les glaives lumineux,
équilibrés à la perfection, soigneusement affilés des
Silériens et des Petits Elfes des Royaumes Perdus.
Les armures mal ajustées, assemblées
hasardeusement, des monstres se fendaient sous les
coups des combattants de la liberté. Certes, les
nabatéens connurent aussi des pertes pendant ce combat,
mais elles furent négligeables en regard des centaines de
milliers de Korrigans tués qui gisaient déjà sur le champ
de bataille, alors que l’attaque venait de commencer.
Arthang, constatant la médiocrité de ses sujets,
s’envola et s’aplatit de tout son gigantesque poids, au
milieu de ses ennemis qu’il décima par cohortes entières.
Un court instant, ses esclaves reprirent courage,
mais, cela ne dura pas. Les nabatéens s’étant éloignés de
l’Hydre, un grand espace fut découvert tout autour du
vaste corps du Léviathan. Alors, les canons à vapeur des
chariots lancèrent leurs boulets et leur mitraille avec
véhémence contre la Bête. Celle-ci se contorsionna sous
les coups. La corne de sa carapace craqua et des
projectiles parvinrent à pénétrer profondément dans sa
peau et ses muscles. Ses ailes furent littéralement
déchiquetées. Aussi, il fut cloué au sol avec douleur.
La terrible voix de Mélinos domina alors le tumulte
du combat, s’élevant au-dessus des cliquetis de glaives,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 276
des sifflements de la vapeur, des hurlements des
mourants. Le vieux Druide cria de toutes ses forces :
- Cessez les tirs malheureux ! Maître Niphilus vient
de sauter sur le dos d’Arthang !
En effet, le courageux forgeron avait bien compris
que les machines contenaient l’avance du Seigneur
malfaisant, mais, qu’elles n’étaient pas capables de le
tuer. Alors, profitant de la panique que causaient au
Léviathan, les tirs des nabatéens, Niphilus avait sauté sur
l’échine du Dragon. En évitant ses têtes et sa queue qui
battaient furieusement l’air, il avait atteint le bas des cous
de l’Hydre. Là, inaccessible aux crocs terrifiants de la
Bête, il s’était mis à tailler l’épaisse cuirasse d’écailles,
d’os et de cuir, qui protégeait la colonne vertébrale
d’Arthang. Celui-ci, comprenant le danger, ruait de tous
ses membres endoloris, comme une licorne affolée,
voulant désarçonner son cavalier. Mais le petit guerrier,
un bras entouré dans une touffe de crinière géante,
l’autre, maniant l’épée avec hargne et détermination,
restait solidement à sa place malgré les soubresauts du
Léviathan et tranchait, tranchait dans les chairs du
titanesque animal.
Les écailles entaillées cédèrent enfin dans un
jaillissement volcanique de sang. La puissante lame
cisailla brutalement la première colonne vertébrale du
monstre. Ce dernier poussa un effroyable grognement de
douleur, tandis qu’un de ses longs cous s’affalait sur le
sol dans un grincement d’arbre mourant, et que, deux de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 277
ses yeux se fermaient. Niphilus allait commencer le
second abattage quand, une volée de flèches, tirées par
des Korrigans archers, le balaya puis, sans le blesser, le
firent tomber entre le corps d’Arthang et la colline contre
laquelle le Léviathan s’effondrait dans son agonie.
Les derniers défenseurs de l’Hydre périrent aussitôt
sous la mitraille des chariots blindés de Nabachton. Le
Seigneur de la désolation vivait encore, bien qu’il soit mal
en point. Alors, un autre soldat sauta sur son grand
corps. Cette fois, les démons fauchés par les traits des
soldats nabatéens ne mirent pas en danger le nouvel
attaquant. Suggur tenta alors d’approcher Arthang pour
sauver Niphilus, qui, tout le monde sur le champ de
bataille l’espérait, devait être prisonnier dans une faille
de rocher, obstruée par la Bête. Le grand Elfe poussa un
cri de surprise. Le nouveau Fléau d’Arthang était un
Korrigan…
Mélinos, les yeux baissés, achevait à coups d’épées
deux démons tombés d’un lézard titanesque qu’ils
chevauchaient en fuyant. Quand il comprit la raison de la
surprise de Suggur, lui-même resta un instant incrédule.
L’esclave du mal s’était mis à tailler, avec encore
plus de férocité et de puissance que le petit Silérien, les
nuques de son Maître. Sa lame devait être bonne car le
Léviathan, isolé de ses troupes par la vigilance des
nabatéens, succomba vite, attaqué avec énergie dans ses
points les plus faibles. Sa dernière tête tomba enfin sur le
sol et son gigantesque corps noirâtre, frémit faiblement
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 278
dans une agonie dantesque. Arthang, le dernier et le plus
vieux des Dragons de jadis, venait de mourir.
Le Korrigan ensanglanté se releva, comme s’il
savourait la lumière du soleil. C’était étonnant de la part
d’une de ces créatures. Suggur qui s’était encore avancé
vers la scène du formidable affrontement, par curiosité,
trouvait les vêtements de ce démon bien familiers, puis
surtout, les yeux de celui-ci avaient une profonde couleur
verte, comme les prunelles des marins de Salermnos.
L’Elfe appela alors le tueur de Léviathan, espérant qu’il
s’était révolté et souhaitait rejoindre le camp des
Royaumes Libres. C’était difficilement concevable en
raison du niveau de corruption atteint par ses créatures,
mais, qui connaissait réellement les pensées de ces
démons ?
- Eh ! Toi ! Là-haut ! Tu peux venir à moi. Je ne te
ferais aucun mal. Tu viens de nous donner la victoire.
Le Démon baissa ses yeux vers le Seigneur des
Forêts du Bout du Monde. Sa tête eut un mouvement de
peine et de dépit. De sa voix gutturale, le Korrigan lança
d’étranges paroles à Suggur :
- Mon ami, mon frère, pardonne-moi. Ce n’est pas
que je ne te fasse pas confiance, mais, je ne souhaite pas
t’imposer l’épouvantable vérité…
La malheureuse créature tourna la pointe de son
épée vers son ventre. Puis, saisissant la garde de celle-ci
en tendant ses longs bras, elle se transperça elle-même
de part en part, provoquant sa mort instantanément. Le
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 279
Démon bascula alors en avant et vint s’effondrer au pied
de l’Elfe Géant.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 280
- XXIX -
La mort du Léviathan avait semé la terreur dans les
rangs des forces du mal.
Aussitôt, elles se mirent à courir et à s’agiter dans
tous les sens, se ruant dans les précipices, se jetant dans
l’Océan Extérieur ou bien s’écrasant contre les parois
abruptes des montagnes. Une petite partie, constituée
essentiellement des officiers qui étaient tous de très
puissants Korrigans des montagnes, échappa à cette
débâcle et s’enfuit dans une sanglante retraite vers la
Grande Tour de pierre, dans laquelle avait si longtemps
vécu Arthang le Noir.
Devant les portes de Nabachton, la joie fut
immense, aussitôt les légions du mal disparues et
massacrées souvent, par leur propre indiscipline, la
compagnie de Niphilus et les machines nabatéennes,
déplacèrent le corps de la vieille Hydre des sorciers afin
de libérer le Maître Forgeron, glissé accidentellement
derrière lui, contre la montagne. A la grande joie de tous,
et surtout celle du Maître des forges de Nabachton, on
retrouva le courageux Silérien en pleine forme. Il avait
été sauvé de l’écrasement car, il s’était caché entre deux
éperons de rocher pendant l’agonie tumultueuse du
Léviathan.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 281
Il restait pourtant une affaire bien curieuse à
éclaircir. Pourquoi un Korrigan avait-il rejoint les forces
du bien et leur avait offert une victoire si éclatante, avant
de se suicider en appelant un Elfe Géant : « Mon ami,
mon frère… » ?
Mélinos, observa longtemps, avec perplexité le
corps de l’étrange démon. Ce dernier semblait bien
mieux découplé que ses semblables. Son visage et les
crocs de sa mâchoire peu proéminente étaient bien
moins hideux et difforme que ceux de ses congénères.
Ses yeux verts, ses vêtements et son épée donnaient
pourtant la réponse laissée en suspend par le
comportement étrange de celui qui paraissait être un
ancien esclave des forces du mal. Le vieux Sage de
Myrion réunit alors la compagnie autour de lui, devant la
dépouille du fléau d’Arthang.
Deux membres de celle-ci, un marin du Duc de
Salermnos et un vaillant Silérien de Saurane avaient
rejoint les limbes de la félicité, au-delà des Monts du
Bout du Monde, durant cette bataille. Mélinos
commença la déclaration qu’il avait à faire par une bien
étrange assertion :
- Mes chers camarades, trois de nos vaillants
compagnons ont trouvé une fin à la mesure de leur
valeur, sur cette plaine, devant la porte des Royaumes
Perdus. Gageons que le passage de ces justes, vers le
repos, s’ouvrira largement pour chacun d’eux, même
pour celui qui connut déjà la cruauté de la destinée
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 282
quelques jours plus tôt. Je vois que vous êtes surpris
Suggur, constata le vieux Sage, mais, ne vous ai-je pas
promis de vous expliquer ce qu’était devenu Alianos :
l’éclaireur frontalier ? Nous nous sommes souvent
interrogés sur l’origine de son caractère taciturne, de son
physique ingrat, de son attitude réservée dans nos débats.
Il a pourtant maintes fois, prouvé sa fidélité à notre
cause, tout au long de notre marche jusqu’au pont de la
grande faille et même encore aujourd’hui, en tuant
Arthang de ses mains…
Un grand silence se fit et un désarroi profond se lut
sur les traits des survivants de la compagnie. Le Druide
continua :
- Alianos était un demi-Korrigan. Sa famille
fournissant des hommes et des femmes aux vertus
inestimables pour la rude existence dans les Marches, a
vécu depuis de très nombreuses générations aux limites
extrêmes des Terres Sauvages. Or, au cours d’une
attaque foudroyante des légions du Seigneur des Ankous,
peu de temps avant la naissance de notre camarade, sa
mère tomba dans la zone d’influence d’un sort magique
jeté par un messager de la mort. C’est ainsi que naissent,
en général, les Korrigans, lorsqu’ils ne sont pas tirés
directement du potentiel de malfaisance qui règne dans
l’ombre des cavernes sous les montagnes septentrionales.
Habituellement, si les femmes enceintes et les fœtus
frappés par cette incantation sont des Elfes, petits ou
grands d’ailleurs, l’enfant qui naîtra sera
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 283
malheureusement un démon des montagnes avec tous les
travers intellectuels et corporels de ces monstres. Si la
maman et son bébé sont des Silériens ou bien des
humains, la créature qui vient au monde est appelée à
devenir physiquement un Korrigan, mais reste
moralement un courageux serviteur du bien. De plus,
dans ce cas, la transformation extérieure en démon ne se
produit qu’au cours d’une conjonction des Lunes de
Formalow. Celle-ci est définitive quand elle est
accomplie. Il a toujours survécu très peu de demi-
Korrigans, issus d’hommes ou bien de paysans-forgerons
car, ces derniers se détruisent systématiquement en se
trouvant confronter à leur destin. Alianos connaissait
parfaitement la malédiction qui le menaçait. C’est
pourquoi, il était si farouche en combattant nos ennemis
mais aussi très méfiant. Il n’était pas un lâche mais, il
savait qu’il pouvait, plus facilement qu’aucun d’entre
nous, tombé sous l’influence d’Arthang le Noir. Il
craignait de nous trahir, malgré lui. Il devait de bien
cruelles souffrances intérieures autant qu’extérieures à
sa curieuse nature. Quand il nous a quittés, sur le pont de
la grande faille, il savait ce qu’il allait devenir. C’était le
début de la conjonction des lunes de Formalow au-
dessus des montagnes du Passage des Royaumes Perdus.
Il a choisi de vivre encore quelques temps dans le but
d’accomplir la mission qui lui avait été confiée par le
Conseil de la Nouvelle Alliance. Cependant, il ne voulait
pas nous imposer sa présence sous sa forme maudite,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 284
alors qu’il était toujours profondément attaché à notre
cause. Il a préféré se mêler aux légions d’Arthang, afin
de les espionner et de chercher l’occasion d’une
revanche sublime, sur le calvaire qu’il avait enduré,
depuis qu’il connaissait sa destinée inflexible. Cette
vengeance, il l’a obtenue en tuant avec un héroïsme
remarquable, un des derniers Rois des Ténèbres… Ne
reconnaissez-vous pas la tunique et l’épée que Niphilus,
lui-même, avait forgée, sur le corps et dans la main de ce
démon, couché là devant nous. Nous devons l’honorer
autant que nous pleurerons nos deux autres amis défunts.
Ils furent tous si forts dans l’adversité et la mort…
La compagnie partie de Myrion ne comptait plus
que seize membres. Mais la paix et la liberté étaient à ce
prix quand des forces aussi monstrueuses que celles du
Léviathan et du Seigneur des Ankous tenaient à
l’anéantir.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 285
- XXX -
La Grande Tour d’Arthang le Noir était en train de
brûler. Les quelques gardiens qui y avaient été laissés,
après le départ de la formidable armée destinée à envahir
Nabachton, gisaient horriblement massacrés, ça et là sur
la plaine sale et cendreuse, s’étendant autour de la
forteresse du Léviathan défunt.
Les fantômes des sorciers et une partie des légions
du Seigneur des Ankous fêtaient, sur les débris de la
puissance de leurs anciens alliés, leur première victoire
avant la bataille qui leur offrirait, ils n’en doutaient pas,
les clefs des Royaumes Perdus.
Alors, pendant que la fumée de l’incendie
obscurcissait le ciel, masquant la lumière du soleil de cet
après-midi, des regards vigilants observèrent longtemps
la joie sauvage et cruelle des démons ainsi que des
spectres qui avaient anéanti sans aucune pitié un
adversaire déjà à terre.
Certes, la grande phalange des sorciers morts-
vivants avait écrasé sans éprouver de pertes, les derniers
Korrigans d’Arthang. Ils étaient aussi nombreux qu’aux
premiers jours de la Guerre des Larmes de Sang. Ils
avaient perdu un peu de leurs pouvoirs magiques, mais,
ils avaient gagné en effroi et en indestructibilité. Derrière
eux, les dernières réserves de Korrigans, esclaves du
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 286
Seigneur des Ankous les suivaient de près. Cette vaste
armée comprenait pratiquement un million et demi de
démons et de monstres ectoplasmiques, tous dotés d’une
âme marquée par une sauvagerie inouïe et portant aux
créatures libres de Formalow, une haine inflexible.
Malgré toute sa force et ses nouvelles armes,
l’armée nabatéenne qui avait quitté les Royaumes
Oubliés, après avoir défait Arthang, ne pouvait pas
rencontrer, sans grands dommages, cette invasion
organisée par l’ex lieutenant de l’Empereur, devenu le
seul et unique représentant des ténèbres, vivant dans le
Monde en ce temps-là.
La formidable colonne de spectres et de Démons,
après s’être repue de débauche sur les ruines du vieux
Dragon, se remit en ordre de bataille et reprit sa marche
vers les portes de ses plus dangereux ennemis, les
Nabatéens.
Le Roi des Ankous, malgré la défaite qu’il essuyait
sur la Lande de la Marches, ressentit tout au fond de sa
forteresse, la confiance et l’ampleur des sorts magiques
qui accompagnaient ses serviteurs vers les Pays Perdus.
Nabachton, la légendaire, tomberait. Certes, une grande
partie des forces du mal serait emportée dans cette
chute, mais, si puissants et si sage que soient les
Nabatéens, ils ne pourraient pas contrer un si large
torrent de haine et de fureur.
Quant à l’armée de Myrion, elle avait perdu la
moitié de ses effectifs pour retenir, d’abord, et détruire,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 287
ensuite, les Korrigans envoyés sur les rives du Grand
Lac. Une fois les Nabatéens écrasés, les restes de cette
phalange ne représenteraient plus un danger sérieux pour
le Seigneur des Ankous. Ce dernier, de surcroît, allait
bientôt faire revenir l’Empereur dans les allées couvertes
maudites. Sous la forme d’un spectre, son ancien maître
serait bien obligé de lui obéir et de lui livrer le secret
pour faire grandir, à l’infini, le nombre de serviteurs des
ténèbres. Ainsi, l’ignoble Titan malfaisant qui régnait sur
les pâtres des défunts maudits, pourrait enfin s’avancer
jusque sur les îles de la Mer Intérieure, afin d’y défier les
Druides ou bien, assiéger les ports de Salermnos dans le
but d’en déloger les glorieux Marins.
Dans tous ses calculs, le sinistre Maître des bergers
de la mort infernale, avaient omis des esprits
bienfaisants. Ces derniers étaient venus de l’aube des
temps, de l’âge d’or des forêts de jadis. Ils avaient été
longtemps respectés par les Elfes. Leur souvenir même
était toujours évoqué avec honneur et regret chez les
forestiers de Formalow. Mais les Jardiniers de la Forêt, il
s’agissait d’eux, avaient été enfermés dans un très long
sommeil, dès l’apparition des Léviathans. La force de
persuasion de ses monstres était le seul maléfice capable
de neutraliser les immenses pouvoirs des Seigneurs des
Arbres. Ses esprits se manifestaient sous la forme
physique de chênes, de hêtres et d’ormes colossaux,
bien plus grands que les plus vieux peupliers d’autrefois,
et très vifs dans leurs déplacements. Sous l’influence de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 288
la magie des Hydres polycéphales, les Gardes Sylvestres
s’étaient métamorphosés en arbres inertes que seul le
vent parvenait à animer. Ils étaient rester prisonniers de
ce sortilège tant que les Dragons des sorciers avaient
existé. Seulement voilà ! Le dernier Léviathan venait de
tomber devant les remparts de Nabachton. Dans les
immenses forêts de l’extrême septentrion, où les esprits
bienfaisants des premiers âges avaient été jadis refoulés
puis, neutralisés par la sorcellerie ténébreuse, des
murmures devenaient des rumeurs et les rumeurs, des
grondements guerriers. Dans la Taïga brumeuse du
Nord, vers qui personne ne songeait à tourner ses
regards, le destin de Formalow était en train de se jouer.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 289
- XXXI -
L’armée du Seigneur des Ankous atteignait enfin la
passe Nord-orientale vers les Royaumes Perdus. C’était
un défilé qui serpentait depuis la désolation d’Arthang
jusqu’aux portes de Nabachton, entre deux lignes de
côtes habituellement arides et poussiéreuses.
Aux temps lointains de l’âge d’or de Formalow, les
grandes forêts du Nord, le berceau de la culture elfique,
s’étendaient jusqu’à la Mer Intérieure de Myrion. Les
champs cultivés des Silériens n’étaient que des clairières
au milieu d’un immense royaume Sylvestre qui semblait,
en ces temps-là, illimité. Brûlés par l’industrie
désordonnée et dépensière des forces ténébreuses, les
océans d’arbres s’étaient réduits petit à petit, surtout
dans les terres sauvages du septentrion. Les Elfes, les
Silériens, les Druides et les Hommes avaient dû se
réfugier dans des places fortes et ne plus compter que
sur les champs cultivés et l’élevage pour subvenir à leurs
besoins. Certes, les peuples libres respectaient et
sauvegardaient les grandes régions boisées qui avaient
survécues dans les frontières de leurs pays. Mais, après
la Guerre des Larmes de Sang, les sages durent
reconnaître que la Désolation d’Arthang le Noir avait
anéanti une immense partie des bois et des futaies de
jadis.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 290
Seule la Taïga de l’extrême Septentrion du Monde
n’avait pas été foulée ou torturée par les hordes
malfaisantes de l’Empereur et de ses successeurs. Aussi,
quand les spectres des sorciers, montant à l’assaut des
Royaumes Perdus, arrivèrent à l’entrée du passage du
Nord-est, vers Nabachton, ils furent surpris de le trouver
recouvert d’une forêt aussi dense et profonde que celle
d’autrefois. De plus, les arbres qui formaient celle-ci
étaient gigantesques et apparemment aussi vieux que
Formalow.
Comme leur armée était, sans doute, la plus grande
jamais vue dans le Monde depuis le Début de la Guerre
des Larmes de Sang, les serviteurs des ténèbres
n’hésitèrent pas, ni les sorciers morts-vivants, ni les
Korrigans à pénétrer sous la ramure de ces étranges et
inattendus sous bois.
Après que l’arrière-garde de la formidable phalange
du Seigneur des Ankous fut entrée dans le défilé
sylvestre, jamais personne ne la vit ressortir. Cette
mystérieuse disparition ne fit aucun bruit. Même quand
les arbres de l’Orée semblèrent se refermer sur la route.
Les rares petits animaux de la région entendirent juste
une rumeur, comme un cri d’effroi commencé mais qui
ne fut jamais achevé.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 291
- XXXII -
Les éclaireurs de Nabachton étaient à l’extrémité de
la Route sortant de leurs royaumes et gagnant le pays
dévasté sur lequel, régnait jadis Arthang le Noir. Ils
avaient poursuivi puis, tué un par un, les derniers fuyards
de la défaite que la vieille Hydre des sorciers avait
connue sur le seuil de la porte des Royaumes Perdus. Ils
étaient arrivés enfin aux limites des terres ravagées, où la
Bête avait si longtemps fomenté ses guerres contre les
Peuples Libres de Formalow.
Une nouvelle armée d’invasion aurait dû les
attendre ici mais, cette vaste troupe s’était évaporée,
comme un cauchemar vaincu par l’aube, au cœur de la
mystérieuse forêt apparue dans cette région du monde en
une nuit.
Mélinos et les Seigneurs de Nabachton avaient été
avertis de la situation par des pigeons de feu, envoyés
depuis les Landes du Lac. Le vieux Druides et les
Maîtres des forges magiques savaient que les principales
armées du Seigneur des Ankous s’avançaient à leur
rencontre, à travers la désolation d’Arthang. Le Gardien
du Savoir ainsi que le Doyen du Conseil des Royaumes
Perdus, le père de Niphilus, furent très surpris de la
disparition d’une phalange gigantesque comme celle
qu’ils attendaient. Il ne restait aucune trace des Démons
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 292
et des Fantômes constituant, selon le message du général
en chef de Myrion, les forces d’assauts du Roi des
Dolmens Infernaux. Mélinos, réfléchit un long moment
avant de prendre une décision. Il déclara aux Seigneurs
de Nabachton que l’attaque lancée contre eux ne pouvait
pas approcher des frontières nabatéennes sans être
signalée par les éclaireurs ou bien des animaux attachés
aux forces du bien. Si les hordes de Korrigans et de
sorciers morts-vivants étaient introuvables, c’est qu’elles
avaient été anéanties. Il décida alors d’avancer avec
toutes les légions de Nabachton jusqu’à l’orée de la forêt
mystérieuse qui barrait le passage du Nord-est.
La grande force déployée par les Royaumes Perdus
n’était pas loin de son avant garde. Le soir même,
Mélinos, Sauranne, Niphilus, Le Goua’ch, Suggur et les
Elus de Nabachton se tenaient dans l’entrée du défilé qui
s’éloignait entre les bosquets denses des talus. Ils
comprirent le sort des forces ténébreuses quand un
gigantesque chêne, jusque là immobile, se pencha vers
eux et, leur souhaita la bienvenue en langue elfique.
De vieux souvenirs ou bien des histoires de
l’enfance s’animèrent tout à coup dans la mémoire des
champions, représentant sur en ce lieu, ce jour-là, les
peuples libres.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 293
- XXXIII -
Les puissances du mal s’amenuisaient terriblement
depuis que Niphilus avait rejoint Nabachton avec ses
compagnons. Arhus, dans la Lande des Marches, aurait
certainement pu contenir encore quelques temps l’armée
du Seigneur des Ankous si son frère avait échoué dans sa
quête. Cependant, le général silérien n’aurait jamais
espéré, dans ce cas, écraser ses adversaires comme il
l’avait fait, une semaine avant. Il était bien conscient que
la débâcle des Korrigans sur les rives du Lac, n’était pas
exclusivement due à la volonté et au courage de ses
guerriers. Le Roi des messagers de la mort avait perdu la
concentration magique qui lui assurait la domination
totale de ses milliers d’esclaves, car, des évènements
contraires aux desseins des Ténèbres avaient
certainement eu lieu dans les contrées septentrionales de
Formalow.
Et depuis ce moment-là, la grande armée de Myrion
avait progressé rapidement dans les Terres Sauvages. Les
chemins méandreux et inégaux, tracés dans un désordre
chaotique par les Korrigans, lui avaient permis
d’atteindre les abords du Château des Dolmens
Infernaux, en sept jours. Les soldats des Royaumes
Libres faisaient maintenant preuve d’un enthousiasme
sans faille. Ils étaient tous certains de ne plus se sacrifier,
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 294
désormais, pour des buts trop lointains, qu’ils ne
toucheraient pas eux mêmes de leurs mains. La dernière
bataille allait se produire, tout le monde le sentait au plus
profond de son cœur et, rien ne permettait d’imaginer,
depuis la formidable résistance de la Lande du Lac, que
la fortune des armes serait en faveur des Ténèbres.
Sept cent mille combattants du Conseil de la
Nouvelle Alliance campaient, maintenant, sous les
remparts du Seigneur des Ankous. Personne n’avait
lancé les hostilités. Bien que la plaine au fond de
laquelle, dans une brume putride, on pouvait deviner les
Dolmens Infernaux, paraisse totalement déserte, les
forces du bien restaient très prudentes. Elles faisaient
lourdement sentir leur présence et leur puissance sans
pour autant en jouer inutilement.
Aucune sentinelle n’était visible sur les tours et les
chemins de ronde du Château. Même les éclaireurs qui
étaient allés reconnaître, avec beaucoup de
circonspection, les lieux au plus près des douves et des
ravins barrant l’accès à l’immense fort des maudits,
n’avaient pas trouvé de présence vivante dans le secteur.
Tout cela puait le piège sanglant et meurtrier.
Comme Arhus tenait à quitter la scène militaire sur une
victoire totale ou bien une glorieuse défaite, il souhaitait
se ménager une longue période d’observation, sous les
murs du plus grand ennemi de Formalow depuis la chute
de l’Empereur.
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 295
Le Silérien avait fait ses comptes. Il avait des vivres
à foison et, le pays étant libéré des Korrigans, ils
pouvaient faire venir du ravitaillement et des renforts à
volonté. Rien ne pressait donc. Il s’agissait de détruire le
mal pour de longs et nombreux Âges à venir. De cette
manière, ses soldats se reposaient des longues fatigues
ayant marqué la bataille des rives du Lac et la traversée
des Terres Sauvages. La région n’était pas très agréable,
c’est vrai. La proximité des Dolmens Infernaux était
inquiétante, mais, le fond de l’air était doux depuis la
victoire dans les Marches, puis surtout, l’automne était
encore à son début.
Il y avait également, un atout que le brillant Silérien
gardait dans sa manche. Il comptait sur l’arrivée
prochaine des armées de Nabachton. Les évènements
l’en assuraient et son intuition infaillible lui disait tous les
jours que son frère, n’était pas près de l’abandonner, au
bord du but.
Ce matin-là, le regard tourné vers l’Est où un chaud
soleil montait dans un ciel limpide, Arhus dit tout haut,
au grand étonnement des officiers qui l’entouraient : « Il
y a de fortes chances que les Royaumes Perdus viennent
à notre aide, aujourd’hui même. »
Il n’avait pas terminé sa phrase que dans le Nord-
Ouest de son campement, à la sortie d’une vallée qui
disparaissait entre des collines désolées, une faible
colonne de sorciers Morts-Vivants surgit dans le plus
grand désordre. Les spectres semblaient effroyablement
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 296
terrifiés. De plus, quand ils découvrirent, installée entre
eux et le Château du Seigneur des Ankous la vaste armée
de Myrion, levant les bras au ciel et lâchant leurs bâtons
de pouvoir, ils disparurent vers les brumes des allées
couvertes.
Les redoutables sentinelles d’Arhus, alertées par le
tumulte de ce « sauve-qui-peut », avaient formé, à la
lisière du camp, en moins de deux minutes, un
formidable mur de boucliers. Un régiment entier
d’archers s’était posté derrière eux, prêt à lancer leurs
volées de flèches sur les fantômes ignobles. Ces derniers,
peu nombreux et montrant tous les signes d’une terreur
incontrôlable, n’avaient même pas tenté d’approcher
cette ligne de défense. Elle leur avait peut-être semblée
trop solide après leur rencontre avec le fléau qui les
faisait détaler si vite.
Le Silérien était très intelligent et très prudent. Il
pensa, devant cet effroi qui brisait la raison de ses
adversaires, à l’arrivée d’Arthang Le Noir. Bien qu’il
s’explique difficilement les causes qui auraient pu
pousser le Léviathan à combattre les esprits réincarnés
de ses anciens alliés. Le Général ne connaissait pas
d’autres créatures capables de terroriser les sorciers
morts-vivants avec autant d’efficacité. Aussitôt, il fit
éveiller l’armée toute entière, puis, il la disposa sur le
terrain de façon à lui fournir un appui maximum avec les
machines de guerre mobiles qu’il avait amenées dans la
région. Le Général manœuvra de telle manière, que ses
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 297
troupes prirent le contrôle de la vallée d’où étaient sortis
les fantômes hallucinés, mais également, elles étaient en
mesure de contrecarrer une attaque sortant de la
forteresse des Dolmens Infernaux, sans trop s’exposer.
Fermement campé sur son plan de combat, Arhus décida
d’attendre, sans peur, la suite des évènements.
Alors, une formidable clameur monta des collines
encadrant la faille dans laquelle, les spectres des sorciers
avaient apparemment trouvé leurs maîtres. Tous les
combattants de Myrion tendirent l’oreille, afin de
comprendre les cris qui s’élevaient au-dessus du
grondement amplifié par l’écho des parois rocheuses.
Les guerriers du Conseil de l’Alliance qui étaient les
plus avancés et aussi les plus inquiets, sentirent soudain
leur cœur battre la chamade. Mais ce n’était pas le
désespoir qui leur procurait une telle émotion. La paix
était bien venue avec le soleil, ce jour-là. Comme l’avait
prédit Arhus, à l’aube.
Les cavaliers qui bondissaient maintenant hors de la
vallée, en suivant d’étranges chariots roulant seuls,
étaient montés sur de blanches licornes. Ils
pourchassaient les sorciers aux cris de : « Pour
Nabachton ! Pour la Silérie ! Pour La Grande Myrion ! »
Le frère de Niphilus comprit que ces brillants
guerriers arrivaient des Royaumes Perdus. Leurs mots de
ralliement prouvaient évidemment, que l’expédition du
Passage des Mondes Oubliés avait, elle aussi, accompli
sa mission. La puissance de l’Alliance des Peuples Libres
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 298
venait enfin de se restaurer. La jonction sacrée avait eu
lieu, juste avant la dernière bataille : celle des Dolmens
Infernaux.
Les amis longtemps séparés n’eurent pas encore le
loisir d’échanger leurs savoirs et leurs nouvelles, sur la
guerre. Avec un fracas de tonnerre, les portes de la
forteresse du Seigneur des Ankous s’ouvrirent, pivotant
sur leurs gonds monumentaux dans une lenteur
impressionnante.
Nabachton et Myrion regroupèrent alors, devant, le
gigantesque portail du Château maudit, leur cavalerie,
leur infanterie et leurs machines de Guerre…
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 299
- XXXIV -
Les messagers de la mort n’étaient pas nombreux.
Cependant, ils étaient très grands, surtout leur Roi.
Comme aucune licorne ni aucun cheval vivant
n’acceptaient de les porter, ils ne se déplaçaient et ne se
battaient qu’en chevauchant d’énormes et effrayantes
créatures damnées, venues depuis les enfers, à travers les
Ages anciens de Formalow.
Quand ses ignobles occupants sortirent de la
forteresse qu’assiégeaient l’armée d’Arhus et les
puissances nabatéennes, ils franchirent en tempête les
lignes des solides soldats, pourtant bien aguerris, qui
défendaient la paix et la lumière. Les hommes de
Salermnos, les Silériens des Royaumes libres et des
Royaumes Perdus, les Elfes de Myrion et de Nabachton,
tous ceux qui voulurent mettre fin à la fuite des Maudits
furent renversés malgré leur vaillance.
Ce ne fut pourtant pas faute d’avoir attaqué les
Ankous et leur chef autoritaire. Seuls, les membres de la
compagnie de Niphilus, avec, à leur tête, le formidable
Mélinos, parvinrent à dévier la course infernale des
pourvoyeurs de l’enfer.
Aussitôt, les Peuples Libres enfin regroupés sous
une même bannière, se lancèrent à la poursuite des
démons du mal. La gigantesque armée, au bout de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 300
laquelle, une grande phalange d’arbres marchait,
couvrant l’arrière-garde, se rangea sous les ordres
d’Arhus, relayés sans hésitation par les membres de la
compagnie qui avait franchi, avec tant de courage et de
gloire, la désolation d’Arthang. Quelques troupes
restèrent en arrière avec des chariots à vapeur. Elles
pilonnèrent, grâce à l’artillerie de ces engins, les hautes
murailles du Château des Ankous qui, rapidement, se
fissurèrent et s’écroulèrent.
Toutes les traces du mal, devaient définitivement
disparaître. Trop souvent, la haine des malfaisants était
ressuscitée dans l’ombre, en raison de la miséricorde des
vainqueurs des ténèbres. Cette fois, les bâtiments, les
armes cruelles et la magie noire des ennemis de la vie
seraient entièrement effacées de la surface de Formalow.
Les forces de Myrion, des forêts du Nord et de
Nabachton progressèrent avec véhémence et volonté.
Les arcs des Silériens et des Elfes semèrent la panique
dans les rangs des Ankous dont plusieurs, finirent par se
dématérialiser sous leurs blessures, afin de retourner
dans le royaume des damnés et ne plus souffrir. S’ils
étaient immortels, les messagers de la mort pouvaient
ressentir les coups qu’on leur portait. Dans les longs
moments qui s’écoulèrent durant la retraite du mal vers
les Dolmens Infernaux, les implacables adversaires des
maudits, courroucés par les violences qu’ils avaient
endurées, depuis la fin de « La Guerre des Larmes de
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 301
Sang », amenèrent ainsi plusieurs pourvoyeurs des enfers
à abandonner leur forme matérielle.
Les soldats de la Nouvelle Alliance étaient
désormais implacables. C’est pourquoi, aux abords des
Allées Couvertes Maudites, le cœur des combattants ne
faiblit pas, malgré l’effroi distillé sournoisement par ces
lieux glaciaux. Pourtant, la vaste phalange finit par
s’arrêter aux portes mêmes du néant.
Les fantômes des sorciers n’étaient plus là, les
Ankous et leurs montures gisaient sur le sol de boue
stérile, abattu par un ennemi formidable que personne ne
pouvait voir, bien que tous sentent sa présence
obsédante. Dans le brouillard, dont le vent faisait
tourbillonner les volutes étranges autour des piliers
soutenant les sinistres monuments mégalithiques, une
grande forme se dessinait. Celle-ci était vague mais
pourtant familière à tous les habitants de la frontière.
Le Seigneur des Ankous attendait donc ses
ennemis, seul à l’orée de son royaume, adossé à l’un des
plus gros dolmens de la construction. Il ne manquait pas
de courage…
Niphilus, furieux de la prétention de ce monstre, qui
pensait s’opposer, sans aide, à l’armée la plus puissante
et la plus magique des récents Âges de ce monde,
avança sans frémir vers son adversaire. Les membres de
la compagnie l’accompagnèrent, montrant ainsi leur
implication et leur courage inflexible.
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Les forges de Nabachton. Page : 302
Quand le Maître Forgeron et ses compagnons
furent devant l’immense Roi des messagers de la mort,
ils furent surpris et inquiets de l’immobilité hautaine de
ce dernier qui semblait ne pas les voir avec son regard
vitreux fixé vers le lointain. Mélinos, le plus puissant et le
mieux protégé contre les sortilèges des membres de la
compagnie lança de sa voix de tonnerre.
- Monstre des abîmes du néant, malgré, tes
pouvoirs malfaisants infinis, tu ne peux pas lutter seul,
sans l’aide de tes serviteurs, contre les armées de Myrion
et de Nabachton réunies. L’Ancienne Alliance est
ressoudée et sa puissance est de nouveau au zénith.
Rentre donc dans les limbes des Maudits et ferme les
portes du néant derrière toi !
Mais, la formidable créature conservait son calme et
son immobilité avec une incroyable insolence face au
vieux sage. Ce dernier avait montré ses grandes capacités
au cours de cette guerre finale. Aucun être sensé ne
l’aurait traité avec mépris après avoir assisté à ses
démonstrations de magie et de force physique pure.
L’orgueil et la folie du Seigneur des Ankous dépassaient
l’entendement. Dans la cuisante défaite, ce souverain
infernal n’avait-il pas perdu toute sa lucidité et son
jugement ?
Niphilus, qui se tenait à côté du Druide, étudiait
perspicacement le formidable ennemi avec lequel, ils
tentaient d’ouvrir une négociation. Soudain, il réalisa que
plus aucun danger ne les menaçait, pas même, un
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Les forges de Nabachton. Page : 303
dernier baroud d’honneur du titan démoniaque. Devant
eux, il n’avait plus que la dépouille sans vie de celui-ci.
Son âme était retournée s’enfermer dans l’enfer des
Maudits.
Le Silérien déclara doucement au vieux sage qui,
campé fermement sur ses jambes devant le corps géant
du monstre, brandissait dans la direction de celui-ci son
épée et son bâton de pouvoir avec fermeté.
- Maître, ne gaspillons plus notre temps. Il ne nous
entend même plus. Il n’est plus là. Il est dans le même
état que ses subordonnés. Il est reparti d’où il venait.
- C’est donc vrai mon ami, reconnut le Sage. Je
constate qu’une fois encore, vous avez été plus rapide
que moi à comprendre. Mais dans ce cas, pourquoi les
dolmens infernaux ne sont-ils pas détruits et les portes du
néant closes pour toujours. Une nouvelle force
ténébreuse serait-elle jaillie de ces bouches hideuses
pour nous écraser puis, établir à jamais le règne de la
nuit et du mal ?
Tout à coup, un grondement sourd ébranla le sol de
la plaine maudite. Les pierres tremblèrent et, un vent aux
miasmes d’épouvante, dispersa les brumes à l’orée de
l’enfer, effaçant à demi l’horreur des lieux. L’armée
d’Arhus qui attendait, en retrait, un signe des membres
de la compagnie pour intervenir avança aussitôt afin de
protéger celle-ci très exposée. Mais, d’un geste, Le
Druide fit arrêter la puissante phalange et, d’un autre
signe, il proposa que les troupes se dissimulassent
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Les forges de Nabachton. Page : 304
derrière toutes les caches possibles de ce secteur. Sous le
commandement d’Arhus, les bouquets d’arbres, les
ravins, les rochers ainsi que les mégalithes renversés,
abritèrent avec une rapidité étonnante les forces de
l’Alliance.
Pendant ce temps, la compagnie avait reculé. Elle
s’était également positionnée derrière un talus dont
l’épaisseur était rassurante, mais, permettait aussi de
surveiller les portes du néant afin de découvrir l’origine
des gémissements et des éclairs qui emplissaient le ciel
dans la direction des limbes maudits.
Alors, il apparut soudain dans sa force et son
horreur colossale, laissées intactes par les innombrables
siècles qu’il avait traversés dans le royaume des damnés.
Incommensurable, dominant toutes les créatures
malfaisantes que l’Alliance avait affrontées depuis La
Guerre des Larmes de Sang, l’Empereur de Formalow,
rappelé par les Ankous avant leur destruction, venait de
revenir dans les cercles du monde.
Arhus fit s’aplatir au sol, d’un même mouvement,
toutes ses troupes. Mélinos, conseilla à ses compagnons
de s’asseoir et de s’adosser contre leur talus de
protection. Il glissa quelques mots à Suggur. Le grand
Elfe, vif comme l’éclair et pratiquement aussi discret
qu’un éclaireur frontalier, se replia ensuite, porteur de
quelques importantes instructions, vers la position
d’Arhus. L’Empereur ne le vit même pas.
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Les forges de Nabachton. Page : 305
La voix du plus grand fléau de Formalow s’éleva
alors au-dessus des rumeurs de l’Univers, qui paraissait
protester contre le retour du mal absolu, incarné :
- Je sais que vous êtes tous là, tous mes ennemis,
sur cette plaine. Cependant, malgré votre dissimulation,
je ne vous épargnerai pas plus que je n’ai épargné mes
anciens serviteurs qui m’ont trahi jadis et qui ont mis tant
de temps à me faire revenir parmi eux. Aujourd’hui, je
ne souhaite plus dominer les cercles des vivants puisque
j’ai pris possession de l’Enfer des Maudits. J’en ai vaincu
l’ancien Seigneur. Non, je ne fais que passer pour vous
détruire tous et détruire Formalow. Je ne laisserai aucune
âme en paix. J’irai aussi au-delà des Monts du bout du
Monde afin d’y dévaster les Limbes de la Félicité des
justes.
Un formidable ébranlement du sol averti les armées
de l’Alliance que l’Empereur quittait le seuil des portes
du néant et marchait sur elles.
Mélinos était pâle, mais, il ne montrait aucune peur.
Bien au contraire, il se concentrait avec rigueur sur la
tournure effrayante des évènements. Le regard d’aigle du
Druide s’illumina soudain d’un éclat fantastique. Il posa
sa main sur l’épaule de Niphilus qui, l’oreille collée au
talus, écoutait la progression de leur monumental
adversaire. Le Silérien regarda alors dans la direction que
lui indiquait le Sage.
Les forces de l’Alliance venaient de l’aligner dans la
plaine. Tous les arcs, toutes les machines de guerre ainsi
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que tous les canons des chariots à vapeur disponibles
pointèrent vers le formidable démon.
Mélinos leva la main, puis, il la baissa. Des milliers
de projectiles brillants traversèrent le ciel au-dessus de la
compagnie et allèrent se figer dans l’armure et dans le
corps de l’Empereur. Les compagnons de Niphilus
découvrirent avec étonnement que des gemmes de
pouvoir avaient été lancées sur l’ennemi. Ce dernier
cessa brutalement sa progression avec un hurlement qui
ébranla jusqu’au sol. Sa réaction fut gigantesque. Un sort
de protection coucha dans un souffle cyclonique, l’armée
de Myrion et de Nabachton.
Le monstre était furieux et rien ne paraissait pouvoir
l’arrêter. Arhus sombrait dans une profonde peine. Tous
les combats des jours précédents avaient été inutiles.
Tous les beaux Elfes, les admirables marins de
Salermnos, les valeureux Druides et les courageux
Silériens qui étaient tombés dans les landes du Lac et aux
portes de Nabachton étaient donc partis pour rien dans
les Limbes de la Félicité. L’Empereur était revenu, plus
puissant que jadis dans son corps fantomatique. La
colossale armée de la nouvelle Alliance et son pouvoir
magique ne parviendrait donc pas à endiguer la victoire
inexorable du mal. Le petit général par la taille, si grand
de force et de cœur, s’agenouilla. Puis, tournant son
regard vers le Sud et les cieux, au-delà des monts du
Bout du Monde, il adressa une prière au créateur de
Formalow :
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- Dussé-je périr dans ce dernier combat, Seigneur
de l’Univers, donnez-moi la force d’écraser ce tyran.
Il se leva en brandissant son épée, et, il se jeta vers
l’Empereur. Toute l’armée de Myrion qui l’avait suivi
sans faiblir jusque là le rejoignit aussitôt. Les Forces de
Nabachton tirèrent de plus belle dans la direction du
formidable démon qui les défiait depuis l’Enfer. Les
effets de cette attaque furent tels qu’Arhus et son avant-
garde atteignirent de plein fouet leur ennemi sans qu’il
puisse réagir. Le choc épouvantable fit reculer le terrible
fléau du Monde. Le général silérien frappa avec tant de
puissance les jarrets de son épouvantable adversaire que
ce dernier hurla en vacillant.
Mais le titan retrouva vite son aplomb. Il portait une
formidable masse d’arme avec la quelle il décima en
quelques coups les cohortes les plus proches de lui.
Malgré leurs solides armures et leurs forces, les soldats
d’Arhus furent balayés et tués par centaines. Le général
qui avait été repoussé violemment revint à l’assaut
encore plus furieusement, avec un nouveau groupe
monté à la tête de la charge. De nouveau, l’Empereur fit
marche-arrière. Mélinos et la Compagnie se précipitèrent
à l’aide leurs camarades qui luttaient avec tant de
vaillance.
Soudain, Arhus se retrouva seul devant l’effroyable
tyran. Des coups de massue destructeurs avaient éclairci
les rangs de son armée. Le Silérien pleurant de rage et de
désespoir lança son glaive vers la gorge du monstre qui
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n’était pas protégée. La lame effilée et fidèle à son
maître s’enfonça jusqu’à la garde dans la gorge du tyran.
Sous la douleur, ce dernier lâcha son arme qui écrasa,
devant la compagnie atterrée, le frère de Niphilus en
tombant.
Mélinos malgré sa peine avait remarqué que le
corps de l’Empereur était constellé de petits trous au
fond desquels brillaient des gemmes de pouvoir. Alors, il
comprit qu’il pouvait gagner la dernière bataille et que le
sacrifice du merveilleux petit Silérien et de son avant-
garde, n’avait pas été vain.
Le Druide jeta à ses compagnons d’une voix terrible
qui couvrit le tumulte du combat et porta jusqu’aux rangs
des Nabatéens qui s’ébranlaient et s’apprêtaient à
charger le monstre issu des enfers :
- Allongez-vous tous, protégez vos yeux et ne
bougez plus tant que vous entendrez du bruit.
Le sage se tourna d’un bond et hurla à l’adresse du
Fléau :
- Semakch en abaret kéralt !!!
Une éblouissante lumière illumina toute la région.
Un vent terrifiant gémit bruyamment dans les oreilles des
soldats de L’alliance qui, conformément aux ordres, se
plaquaient sur le sol en fermant les yeux. Toutes les
âmes damnées de l’enfer parurent crier leur effroi et leur
dépit à travers les Allées Couvertes Maudites.
Des morceaux de rocher et une poussière noirâtre
se soulevèrent en volutes tourbillonnantes dans l’air
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surchauffé de la plaine. Niphilus, dès qu’il sentit la
luminosité ambiante diminuée, tenta d’observer les
évènements. La titanesque silhouette de l’Empereur
s’évanouissait, perforée de toute part par les milliers de
rayon issus des gemmes de pouvoir qui s’étaient figées
dans sa peau, dans son torse et dans ses membres. Le
souverain épouvantable semblait se dissoudre dans
l’énergie délivrée par les joyaux. Cependant, l’effet des
pierres de puissance que Mélinos avaient enchantées par
son sortilège, n’était pas terminé. Un nouveau
grondement retentit et la lumière augmenta au point que
le Maître Forgeron dut protéger de nouveau son visage
dans ses bras. Le Monde de Formalow tout entier sembla
être ébranlé par les grincements et la cascade de
déflagrations qui suivirent ce redoublement d’éclat
lumineux.
Un silence vertigineux succéda au tumulte de la
fureur. Niphilus se releva et regarda autour de lui. En
lieu et place des portes du Néant, la houle de la Mer
Extérieure lançait des embruns jusqu’au Silérien. Un
soleil doux éclairait avec chaleur un nouveau littoral qui
s’étendait à l’Est, très loin au septentrion du Monde et de
même dans ses régions méridionales.
Petit à petit, l’armée de la Nouvelle Alliance des
peuples libres, dispersée par la tempête des gemmes de
pouvoir, se regroupait. Même le Vieux Mélinos avait été
repoussé par l’explosion titanesque. Niphilus le vit
soulever sa grande silhouette du sol à deux cents mètres
Les forges de Nabachton :
Les forges de Nabachton. Page : 310
de lui, puis courir vaillamment dans sa direction. Une fois
près de lui, le Sage lui posa la main sur l’épaule et lui
demanda avec anxiété :
- Mon cher compagnon de peine, comment allez-
vous, cette débauche de violence et de force occulte ne
vous a pas trop affecté ?
- Non, Seigneur Mélinos, et je pense avoir eu
beaucoup de chance en vous découvrant vous renversé et
rejeté aussi loin de moi, déclara le forgeron. Qu’en est-il
de l’Empereur ? A-t-il gagné la bataille ?
- Non, la puissance des Gemmes et la magie de
Nabachton on eut raison de lui et même des portes du
néant. Le monde est redevenu tel qu’il était aux premiers
Âges de Formalow. L’accès aux enfers est disparu des
cercles du monde des vivants et les démons ne pourront
plus, durant de très très nombreux millénaires revenir ici.
Les armées de Nabachton et de Myrion, enfin
réunies, avaient ramené, grâce au courage de leurs
combattants et la volonté de leurs guides, Un grand Âge
de paix et de bonheur sur ce Monde…
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- XXXV -
Trois années s’étaient écoulées depuis la bataille
des Dolmens Infernaux. Sur la Mer intérieure de Myrion,
les galères des druides étaient, maintenant, animées par
des machines nabatéennes.
Bien sûr, les courageuses licornes de la forêt
aidaient toujours les Peuples Libres dans leurs tâches
quotidiennes. Cependant, elles se voyaient attribuer des
travaux moins pénibles puisque le savoir et la technique
des Peuples Libres réunis permettaient de soulager la
condition des êtres vivants.
Formalow allait bien. Le Roi Phérégon, se reposait
désormais. Il s’était bien battu dans les Landes et sous
les murailles de la forteresse des Ankous. Il s’adonnait à
la culture de l’excellent tabac silérien et avait passé les
rênes du pays à sa fille et à l’époux de cette dernière : le
Prince Guerrier et Forgeron, Niphilus, membre perpétuel
du Conseil de l’Alliance de Formalow auquel siégeait
aussi les Seigneurs des arbres du Nord.
Le Grand Elfe Suggur ainsi que le Duc Le Goua’ch
passaient désormais leur temps à parcourir ensemble les
frontières extrêmes du pays et surtout le nouveau littoral
de l’Est. Les deux héros avaient, avec la bénédiction de
l’Alliance ainsi que l’appui technique et culturel de
Niphilus, reconstruit toutes les grandes routes de jadis.
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Des Monts du bout du Monde jusqu’aux glaces du
septentrion, au-delà de Nabachton, la paix régnait. Les
sages profitaient de la fin des combats et de la disparition
des hordes de Korrigans et autres démons des Âges de
feu afin d’apprendre à mieux connaître leur Univers.
Toutes les ressources qui s’épuisaient, depuis des milliers
d’années, à protéger la vie et l’espoir pouvaient enfin
être consacrées à l’amélioration de l’existence de toutes
les créatures de Formalow. C’était là, d’ailleurs le
véritable rôle des Druides.
Le Seigneur Niphilus et sa femme, la merveilleuse
Reine Saurane, attendaient un navire sur les quais du
port de Castel-Druides. Lorsque la galère qui amenait
leurs amis, Suggur, Le Goua’ch ainsi que tous leurs
compagnons de la route des Royaumes Perdus accosta,
ils conduisirent aussitôt ceux-ci jusqu’à la grande place
de la forteresse des Sages. Sur cette vaste esplanade,
siégeaient dans leur gloire et leur beauté, des statues que
les artistes de toutes les espèces de Formalow avaient
sculptées à la mémoire de leurs héros.
Le vénérable Mélinos, avait terminé sa longue tâche
contre les forces du mal. Il courait maintenant les
bibliothèques du Monde à la recherche de manuscrits
rares. Il en réalisait des copies qu’il confiait à une
immense salle d’archives de Castel-Druides que le
Conseil de l’Alliance, appliquant les propositions de
Niphilus, avait organisée dans la principale place forte
des Maîtres du savoir de Myrion.
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Ce matin-là, le vieux Druide retrouva et reçut
l’accolade de ses amis, devant une nouvelle sculpture de
l’esplanade des Grands Guerriers d’Autrefois. Il leur
présenta cette Statue. Aussitôt, tous reconnurent, dans la
belle figure de pierre, les traits de leurs chers camarades
disparus, Alianos, le courageux frontalier devenu un
Korrigan après la conjonction des lunes de Formalow et
l’intraitable Général Arhus, le plus grand combattant que
Formalow ait connu depuis Nicéphore Orlos : le Griffon
Furieux de Mégara.
Les Sages avaient réalisé cette effigie eux-mêmes.
Mélinos expliqua ce choix qui fut alors approuvé par tous
les survivants de la compagnie. Qui d’autres pouvait aussi
bien symboliser la victoire des forces du bien sur celles
des ténèbres, que le frère de Niphilus et leur camarade
des Marches du Nord ? Ce dernier, tourmenté par sa
condition de demi-Korrigan, avait pourtant porté un coup
décisif aux légions d’Arthang, sur le seuil des portes de
Nabachton en tuant le Léviathan.
Les compagnons de Niphilus se recueillirent, la
main sur le cœur, devant la sculpture. Puis, ils partirent
festoyer ensemble pour partager leurs bons souvenirs et
profiter du plaisir de la paix restaurée, devant un
excellent repas tout en fumant les meilleurs tabacs de
Silérie, dans leurs plus belles pipes d’écume.
Formalow vivrait désormais, grâce à leurs efforts et
à leurs sacrifices, de longs millénaires de tranquillité et
de prospérité…
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Fin des Forges de Nabachton