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L’enfance politique D’après le roman de Noémi Lefebvre (Éditions Verticales, Gallimard, février 2015) Jeu Marianne Houspie Mise en scène Pierre Laneyrie Avec le soutien de Compagnie Vol Plané / La Gare Franche Cosmos Kolej Marseille / 3 bis f Aix-en-Provence

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L’enfance politique

D’après le roman de Noémi Lefebvre (Éditions Verticales, Gallimard, février 2015)

Jeu Marianne Houspie

Mise en scène Pierre Laneyrie

Avec le soutien de

Compagnie Vol Plané / La Gare Franche Cosmos Kolej Marseille / 3 bis f Aix-en-Provence

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J’étais comme ça, chez ma mère, dans mon lit sans rien faire, dans

un retrait favorable à la contemplation.

Je contemplais des séries où passaient les saisons.

J’accédais, dans mon lit, sans rien faire, à une sérénité qu’on

appelle aussi ataraxie. C’est une indifférence caractéristique de

certains troubles du système nerveux central obtenue parfois sous

l’influence d’agents neuroleptiques.

J’avais avalé l’intégrale d’un service médical, j’étais passée par les

épisodes de désespoir de femme d’intérieur et je commençais un

mal de vivre au milieu d’enterrements.

J’étais dans un état idéal de l’être.

L’enfance politique, Noémi Lefebvre, © éditions Gallimard, février 2015

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Mardi 14 avril 2015

(Mardi 14 avril 2015, 9:35)

« Pierre j’ai envie de te parler d’un truc »

(Mardi 14 avril 2015, 9:37)

« On peut s’appeler aujourd’hui ? »

(Mardi 14 avril 2015, 9:40)

« Oui »

(Mardi 14 avril 2015, 9h41)

« En résumé j’ai lu le dernier livre de Noémi Lefebvre (je suis fan) ça s’appelle l’enfance

politique c’est l’histoire de Martine qui après un choc (?) retourne faire une dépression

chez sa mère. En très gros. Je veux jouer ce rôle donc l’adapter. Et je voudrais que tu

me diriges là-dedans. Si ça t’intéresse. Si le livre t’intéresse. Si… Si… Voilà le truc.

Mais parlons-en. »

(…)

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Mercredi 29 avril 2015

(…)

J’ai beau faire toute confiance à Marianne concernant ses goûts artistiques (et dans

beaucoup d’autres domaines), j’avoue que la formule « c’est l’histoire de Martine qui

après un choc (?) retourne faire une dépression chez sa mère » a fait naître chez moi

un léger doute…

Pas très vendeur, comme pitch.

Oui, mais…

Pourquoi j’ai dit oui.

J’ai dit oui tout de suite, en refermant le bouquin, en vérité dans ma tête avant même

de refermer le bouquin, bien avant, peut-être même dès les premières pages. J’ai dit

oui parce que j’ai ri, j’ai dit oui parce que j’ai eu la frousse, j’ai dit oui parce que je me

suis dit « c’est n’importe quoi ! », j’ai dit oui parce que je me suis identifié, J’ai dit oui

parce que j’ai trouvé ça terrible, j’ai dit oui parce que j’ai trouvé ça déjanté, j’ai dit oui

parce que j’ai eu l’impression de ne pas tout saisir tout en ayant l’impression de

comprendre, parce qu’en lisant je me sentais libre et en vie.

Parce que je n’avais jamais lu ça.

Parce que j’ai lu d’une traite.

Parce que l’invention d’une langue…

Parce que la transformation d’une langue…

Parce que j’ai vu Marianne en Martine, comme une évidence, parce que cette écriture

appelle la scène et que donc, oui, évidemment j’ai raison de faire toute confiance à

Marianne concernant ses goûts artistiques (et dans beaucoup d’autres domaines).

Pierre Laneyrie

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Vendredi 8 mai 2015

« Bonjour Noémi,

Je me resitue : nous nous sommes croisées trois fois. La première fois tu faisais une

lecture à La Compagnie à Marseille de l’état des sentiments à l’âge adulte. La

deuxième au restaurant après une lecture d’Alban Lefranc à la librairie L’odeur du

temps à Marseille. Et enfin un 14 juillet au 3bisF à Aix où tu lisais des textes de ton

atelier d’écriture là-bas et moi je sautais sur un trampoline pour les besoins de mon

métier d’actrice. Tu m’as donné ton adresse mail ce jour-là. Je suis celle que tu prenais

pour la sœur d’Arno Calleja.

Pourquoi je te contacte aujourd’hui : je voudrais monter ton livre l’enfance politique au

théâtre ! Et jouer Martine.

Je te balance la chose comme ça parce que c’est ce qui m’est venu immédiatement à

la première lecture de l’enfance politique.

Depuis ton premier livre, je me dis que ta langue est à entendre. J’avais déjà essayé

d’imaginer une adaptation possible de l’état des sentiments à l’âge adulte…

Avec l’enfance politique je me suis dit (oui c’est présomptueux) que c’est celui que

j’attendais. La forme plus resserrée, la langue redoutable, le personnage de Martine,

sa mère ! Comme une évidence, c’était pour la scène.

Pour le moment c’est du désir, un peu brut. Je n’ai pas encore creusé plus, c’est un

livre fort, complexe, combatif, violent et drôle !

Le travail que tu fais sur la langue serait un bonheur à expérimenter pour une actrice.

J’ai contacté un ami compagnon de route, acteur et metteur-en-scène, Pierre Laneyrie,

à qui j’ai fait lire le livre qui a suscité le même enthousiasme que le mien. Il

m’accompagnera dans cette aventure comme metteur-en-scène.

Avant d’aller plus loin je te demande donc si tu accepterais de nous donner

l’autorisation de monter ton livre et de l’adapter pour la scène.

(…)

Mail de Marianne Houspie à Noémi Lefebvre

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Vendredi 8 mai 2015 (suite)

(Vendredi 8 mai 2015, 14:15)

« Pierre elle a dit oui ! »

(Vendredi 8 mai 2015, 14:15)

« Déjà ? »

(Vendredi 8 mai 2015, 14:18)

« Oui !!! »

(Vendredi 8 mai 2015, 14:18)

« C’est parti ! »

(…)

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Sarah Bouillaud, série « au début du jour », 2005 : 2011

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Comment la violence du monde traverse nos cuisines, nos salons, nos chambres a coucher ?

Martine est couchée chez sa mère, ravagée par un évènement qu’elle a oublié... Victime d’un « viol politique », Martine ne se souvient plus, squatte le lit de sa mère, regarde des séries, enchaine les TS, les séjours a l’HP, soigne ses PTSD. Elle prend la contre-allée. Doucement elle va remonter la pente. Il sera question de l’Histoire, des bonnes sœurs du Maréchal Pétain de la mère, de l’Algérie du père, de la Corée de l’homme civilise, de la chimie du cerveau du rat, de la vie des gnous... On croisera un chien, des pompiers, et évidemment la psy.

L’enfance politique est un livre de combat, décapant, jubilatoire, terriblement drôle. Noemi Lefebvre tord la grammaire, attaque la syntaxe et réinvente un parle redoutable. « La transgression commence par les mauvaises manières » dit-elle. C’est cette voix singulière que nous voulons faire résonner sur un plateau de théâtre. Juste la guérilla des phrases pour sortir du piège a rats qu’est la langue qu’est la nation qu’est l’oubli.

Marianne Houspie et Pierre Laneyrie

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Jeudi 25 juin 2015

Questionnaire croisé réalisé en aveugle via Google Drive

- « L’enfance politique », qu’est-ce que ça t’évoque comme ça ?

Pierre :

Une phrase impossible, un oxymore, comme par exemple « un cannibale végétarien ». En rhétorique, un oxymore ou oxymoron, du grec ὀξύμωρος est une figure de style qui vise à rapprocher deux termes que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire, dit le dictionnaire. C’est le contraire d’un pléonasme, en somme, ce qui me plaît déjà en soi.

Marianne :

J’entends l’enfance est politique.

Pourquoi ? Je dirais parce que ça joue !

Après je vois Martine, sa dépression, sa régression, son retour dans le lit de sa mère, dans l’enfance donc. Je me dis c’est une réponse, politique, à « son viol politique ». Pour un temps elle refuse de fonctionner et se paie le luxe d’être, en plus, une sale môme !

- Qu’est-ce qui te plaît le plus dans l’écriture de Noémi ?

Marianne :

Ses mauvaises manières ! « Va te faire foutre, Martine ! Ma mère parle comme ça.». Ses raccourcis. « Elle et moi on s’a ». Ses inventions. Dans la toute dernière scène que je ne dévoilerai pas Noémi écrit « la bébé » et ce simple petit changement au moment où il se produit me vrille parce qu’à ce moment je « la » vois et ça change tout.

Pierre :

Ça coule de source, comme on dit. La pensée dans son mouvement, en liberté, parfait pour une oralité. Par contre justement on ne peut pas dire que ça tombe sous le sens…

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- 3 adjectifs sur L’enfance politique ?

Marianne :

Politique, décapant, jubilatoire.

Pierre :

Drôle. Implacable. Fragile.

- Que dirais-tu de Martine ? de sa mère ?

Marianne :

Martine ? Sacrément bavarde pour quelqu’un de « dénué de société » !

La mère magnifique avec ses moulinages, ses poses, son empathie et sa sauvagerie. Un grand duo comique !

Pierre :

Elles me touchent de près, alors qu’elles sont à priori très loin de moi.

- T’identifies-tu à quelqu’un dans le roman ? en général ?

Pierre :

Dans le roman, non. Par contre j’identifie très bien l’environnement. Ma mère chez les sœurs sous l’occupation, les non échos de la guerre d’Algérie de mon père et les cadavres dans le placard, ça je connais !

Dans la vie, j’ai arrêté de m’identifier à quelqu’un d’autre depuis l’adolescence et que j’ai voulu être acteur.

Marianne :

Dans le roman ? A Martine évidemment. Au chien, au rat aussi, parfois la mère et même le gnou mais pas du tout à la psy par exemple…

En général ? A pas grand-chose, à celui qui va perdre.

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- Dans L’enfance politique quel est le passage qui te fait pleurer ?

Pierre :

La fin. Précisément, le temps après la dernière phrase. Sinon, il y’a aussi le passage où sa mère lui rend visite à l’HP et où d’un coup elle comprend.

Marianne :

« Elle réfléchit, c’est-à-dire qu’elle se dirige vers la cause de ses extraversions et soudain ça y est, ma mère sent quelque chose, on dirait qu’elle sait, elle me dit, sans crier, doucement, comme une petite mère, T’en fais pas, c’est fini, mon enfant, c’est fini, t’en fait pas, mon enfant, et elle me prend dans ses bras, c’est étrange, elle me prend dans ses bras, comme ça. »

- Celui qui te fait éclater de rire ?

Marianne :

« Eventuellement j’aurais pu m’imaginer garder un ou deux gnous. Avec ma mère. Garder les gnous ensemble avec ma mère, oui. »

Tout le passage sur le documentaire sur les gnous chez la psy !

Les trois pyjamas des trois suisses aussi. C’est trop con !

Pierre :

Quand Martine a faim. Ou l’entretien avec la psy sous « la musique » de Matisse.

- Celui qui te met en colère ?

Pierre :

L’entretien avec la psy sous « la musique » de Matisse.

Marianne :

« Le soir je mangeais, je buvais, j’écoutais, je parlais, je buvais, je mangeais, je fumais, j’écoutais, j’attendais, j’attendais, je me couchais j’attendais, je criais, je fumais, je dormais. Et tout ça en fonction. »

Comment après 51 actions dont quatre « j’attendais » ce « je criais » arrive !

C’est au tout début, ça passe presque inaperçu mais tout est dit.

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- Quelques mots sur Noémi Lefebvre ?

Marianne :

J’aime son intelligence, son sens du politique justement, sa pensée non-conventionnelle, qu’elle pose là tout simplement dans une langue simple qui ne me met jamais à distance.

Pierre :

Elle fait partie des gens qui te rendent intelligent sans que tu t’en rendes compte.

- Que penses-tu du chien ?

Marianne :

Hallucination, double de Martine, ou apparition fantastique, peut-être le plus beau personnage du roman. Tout ce que Martine ne nous dira pas c’est le chien qui s’y colle mais qui entend ce langage de chien ? « … les gens ne sont pas des chiens vous comprenez. »

Pierre :

Rien. Je le regarde.

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On prend des rats.

On expose des rats à des accidents ferroviaires, à des invasions ou

à des assauts de régiments de chars blindés ou à des frappes

chirurgicales ou des attaques de drones ou des guerres sanglantes

ou à des attentats ou des tremblements de Terre ou toutes sortes de

catastrophes naturelles ou des viols, des sévices corporels et des

tortures, tout à l’échelle du rat. Après les rats changent de chimie

du cerveau.

C’est la solution chimique du cerveau du rat face aux désastres

auxquels ni le rat ni personne n’est préparé et qui lui tombent

dessus, un jour ça arrive, et quand ça arrive, le rat ou autre peut

toujours crier et courir et penser ce qu’il veut, il finira bien par se

laisser faire et même participer à tout ce qu’on voudra parce que

dis quelque chose, rat, qu’est-ce que ça va changer.

Le rat qu’est-ce qu’il fait, il se bloque par une chimie du cerveau.

L’enfance politique, Noémi Lefebvre, © éditions Gallimard, février 2015

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Jeudi 28 janvier 2016 Note d’intentions Marianne, Tu connais la difficulté de l’exercice de la note d’intentions, surtout quand le spectacle n’a pas commencé à prendre chair. Bientôt nous allons entamer les répétitions, dans quelques mois, et je sais que tu trépignes déjà. Tu as probablement un peu peur aussi. Tu seras toute seule sur le plateau, Martine, pas facile ! Exaltant aussi, non ?! Martine est là, déposée quelque part dans les limbes de sa propre hébétude… Tu dis que tu aimes ceux qui perdent. Ça te touche, quelqu’un qui perd. Attention, ce n’est pas une victime. Ce n’est pas ça. Pas la même chose. Chez Noémi, il n’y a pas de pathos, jamais. Il y a des accidents de la vie qui deviennent des combats. Ça me touche aussi. Difficile de qualifier Martine d’anti héros… Son enquête, un thriller, cette aventure qui est aussi une aventure dans le langage. C’est quand même une épopée. Une épopée immobile si on veut, mais une épopée, oui ! Une épreuve aussi, évidemment, quand un siècle de violences et de guerres finit par t’exploser à la figure au détour de tes divagations… Ce qui est bien, tu vois, c’est que le théâtre, la danse, la littérature… c’est justement l’espace où la faiblesse a sa place, et finalement ça c’est un beau programme. Parce que toi comme moi, nous ne sommes pas là pour « produire » quelque chose comme un spectacle, produire comme on « fait » quelque chose, comme on fabrique quelque chose… Nous aurons besoin de patience, d’écouter d’abord ce qui se passe quand on dit Martine à voix haute, comment elle pense, comment elle parle. Et quel corps arrive quand on parle comme ça, quand on pense comme ça, quand on déteste sa mère comme ça, quand on aime sa mère comme ça, quand on aime détester sa mère comme ça, quand on passe ses journées comme ça dans le lit à rien faire… Tu pressens comme moi que ça va être jouissif… Laisser les choses arriver, donc. Et puis quelques envies déjà qui se dessinent, envie de chercher des états limites, envie de troubler un peu les sens des spectateurs, de brouiller les certitudes, d’induire des doutes de perceptions (« j’ai bien entendu ça ? »). Peut-être multiplier les costumes sans raison, faire des faux raccords, des coq-à-l’âne visuels et sonores. Danser, oui. Laisser la place à l’incongru. Rester simple aussi. Rigoler. Ecouter encore.

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Il y a aussi cette chose qui nous plaît tant à tous les deux, ce refus de la psychologie dont parle Noémi et qui va si bien pour le théâtre, nous qui ne cessons de dire en répétitions : « attention à ne pas faire de la psychologie », ou « non, ça c’est trop psychologique » … Cette idée de « l’image dehors », de l’élément extérieur, lieu, situation, objet, territoire social ou géographique qui « fabrique » les personnages : « Tu proposes un contexte, ou des objets, ou une situation et voilà, les personnages existent tout de suite, sans qu’on ait discuté de leur histoire, de leur physique, de leur caractère, ils sont là, ils s’imposent. L’image dehors c’est donner aux personnages la légèreté d’existence dont ils ont besoin pour respirer. » Donc tu seras là, Marianne, et tu seras Martine. Pour finir, je laisse encore la parole à Noémi, parce quand elle parle de l’acte d’écrire, oui, elle parle aussi du travail d’acteur :

« Il faut la place pour dire quelque chose dans l’espace et pour sentir son propre langage tranquillement. Comme une bonne chose. (…) Il faut commencer pas se décoloniser, laisser vivre son propre peuple, faire confiance à son peuple intérieur, lui donner une chance de vivre, tout de même, libre et heureux et fier de sa mémoire, de ses rituels, de ses inventions. (…) Un endroit qui accepte la mémoire, comme elle est, avec ses trous de mémoire, qui reconnaît les rituels, et qui laisse faire les inventions. »

Pierre

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“Si le choix de mots est en rapport avec des symboliques, si les mots et les règles ne vont pas de soi, il y a du politique dans la poétique ; et même dans le tempo des phrases. Par exemple une phrase à trois temps peut sonner comme une conciliation, une harmonie, une tournure de l’esprit, la valse avec sa grande musique. Couper un temps, refuser le ternaire est une cuisine politique, ou faire sauter une négation, ou limiter les adjectifs, les ornementations, les belles phrases, la transgression commence par les mauvaises manières. Le politique dans la poétique est peut-être l’affirmation d’une grammaire des mauvaises manières, un entêtement à sortir des limites autorisées.”

“Réaliser le refus de la psychologie” (Extrait), Noémi Lefebvre, raison-publique.fr, 04/05/2015

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Vendredi 10 juin 2016

Ce qu’il y aura dans la mise en scène :

Une actrice qui sera complètement immobile.

Autour d’elle il y aura du mouvement :

Un espace vide entièrement blanc avec des glissements, des rotations, des

renversements de perspective.

Des levers et couchers de soleil, probablement une vingtaine.

Une idée de lit.

Une montée des eaux.

Des noirs lumière très brefs, quand la lumière revient l’actrice a complètement

changé de costume.

Une voiture qui tombe des cintres. Je sais ça s’est déjà vu mais on en a besoin.

Un troupeau de gnous qui traversent le plateau de jardin à cour.

Une poule silencieuse.

Hugh Laurie qui viendra dire bonjour et repartira. Ça pourra éventuellement être

Idriss Elba si Hugh Laurie n’est pas disponible sur certaines dates de tournée.

Des clopes.

Une paire de chaussures Repetto.

Un pompier qui viendra dire à l’actrice « Vous avez de la chance ! » en souriant à

pleines dents et qui repartira.

Une odeur de campagne, de rosée ou encore de marais qui tourne au marécage et à

la fin de foin coupé.

Une chanson de Bob Marley.

p.107 une nappe de sons très aigus.

Des bruits de végétation.

Des craquements.

Des grondements.

Du silence.

De la pluie.

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Ce que l’on dit de L’enfance politique de Noémi Lefebvre

Martine à l’HP

Dans un monde déserté par l’espérance politique, disait le philosophe Michel Foucault,

seul demeure un certain langage de la folie, qui trace « la limite forestière de notre

littérature ». Noémie Lefebvre s’y tient, à cette folle lisière. D’une plume admirable, elle

en fait l’espace d’une déraison et d’une liberté. Dans L’Enfance politique, son troisième

roman, ressurgissent les corvées de bois de la guerre d’Algérie, mais aussi la forêt où

le Petit Poucet est abandonné et, enfin, la « démence des montagnes » qui vous aspire

pour de bon.

« On dirait que ma mère, si je vais mal, elle va bien »… « Ma mère, c’est ma mère. Elle m’a donné la vie et empêché de vivre », résume la narratrice. Autrefois douée d’une existence sociale et même d’une « conscience collective », Martine se trouve aujourd’hui seule, sans désir ni faculté de juger. « Allongée sans rien faire dans l’abandon de ma mère », dit-elle avec cette manière enfantine et ravageuse de ramasser sa conscience. Elle reste là, traversée par le flux des épisodes de sa vie (une série télé parmi d’autres, une énième tentative d’en finir…) et la mémoire des grands événements (l’Algérie, donc, mais aussi Vichy ou la guerre froide). Intimes ou historiques, tous ces moments sont politiques : ils inscrivent, à même les corps, le déferlement d’une violence inhumaine mais légitime.

(…) « J’étais comme qui dirait à l’état ruiné d’une forêt tropicale. J’avais des cris de sauvage, dans l’état où j’étais, de jungle tropicale au milieu de mes ruines », écrit Noémie Lefebvre dans ce roman dont l’écriture ciselée, et souvent caustique, fait vaciller la langue et ébranle nos vies

Jean Birnbaum, Le Monde, 19/02/2015

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Noémi Lefebvre et nos enfances politiques

(…) Martine nomme, énumère en courts paragraphes, blocs de prose fragmentée, elle se souvient, doute parfois, « un jour, je devais avoir, je ne sais pas », 25 ans, 30 ans… Peu à peu tout se (re)compose, l’HP, l’HDT, les TS, ce que les sigles cachent, l’absence du père, « l’Algérie de mon père », une Algérie où « tout était bien rangé », des mélodies de Bashung qui soudain envahissent la prose, ce chien qui la hante et ne veut pas en démordre. Des images, des souvenirs ? Peut-être une forme de divertissement, surtout pas de jugement, croit-elle : rester en dehors du monde, ne rien savoir. Les avis, les décisions, les verbes d’action, conjugués, c’était avant. Martine est désormais dans le constat, les infinitifs, fin de la vie « d’acteur », de personnage dans la « mise en scène » sociale, les relations nécessaires, les sentiments codés, obligés.

(…) « Ainsi, sans vivre, je vivais d’une certaine manière », « dans la société des séries », les jours passent sans elle, comme autour d’elle. Elle ne va ni mal ni bien, elle va. Et dans ce flux de conscience qui forme livre, tout ce qui remonte d’une enfance, d’une vie antérieure. Et tout est là, entre passivité et lucidité extrême, confusion mentale et clairvoyance.

(…) Le roman de Noémi Lefebvre, d’une puissance décapante, d’une beauté abrasive, d’une lucidité qui ne laisse pas le lecteur indemne, est cette archéologie de nos enfances politiques, cet état de nos sentiments à l’âge adulte ; une nouvelle manière pour l’écrivain de dire, dans un texte d’une force inouïe, combien nos identités sont sociales et politiques et combien cet extérieur à soi mine l’intime.

Christine Marcandier, Médiapart, 17/02/2015

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L’emprise du sens : Noémi Lefebvre

(…) Autant le dire tout de suite: L'enfance politique est un livre redoutable. Redoutable

et souvent hilarant, d'une intelligence féroce et décalée, en perpétuel travail contre lui-

même et la langue, un prodigieux éphéméride de la subversion en milieu statique.

Constitué de phrases courtes, de paragraphes distincts, il semble à première vue faire

du sur-place, mais c'est pour mieux émettre des vibrations continuelles. L'enfance

politique est un livre en activité, qui plutôt que de décrire le paysage de la dépression,

refile sa dépression au langage, histoire de voir comment ce dernier va réagir. Comme

chez Beckett, Artaud, ou Kafka, le terrain est miné, propice à la fois au rire et à la

pensée, traversé par des pulsions animales, avec comme mets principal la langue, cet

organe qui ne passe pas…

(…)On le voit, on le sent, c'est ici la grammaire, et en particulier la syntaxe qui subit la

dépression. Noémi Lefebvre tord les pronoms, désosse les temps verbaux, mutile les

préfixes, mais le fait avec légèreté, l'air de rien, comme au creux d'une évidence: rien

ne va plus, donc la langue ne tient plus.

(…) L'enfance politique est une grande leçon d'écriture. Il ne baisse jamais la garde et

laisse le langage commun y faire son nid pour mieux en tuer toutes les fatales portées.

C'est un livre de grammaire, de folie et de combat. Comme il est dit vers la fin:

"Soudain, par un beau jour de n'importe quelle saison, boum. Pas de chichis. Fini les

manières." Pas de chichis, donc. Pas d'impression de dépression. Juste la guérilla des

phrases pour sortir du piège à rats qu'est la langue qu'est la nation qu'est l'oubli.

Claro, Le Clavier Cannibale, 01/04/2015

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Sarah Bouillaud, série « les illusions », 2014 / 2015

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― Ce documentaire sur les gnous vous a impressionnée. ― Ça

m’a plu.

― Qu’est-ce qui vous a plu ? ― Que les gnous sont des animaux

d’Afrique australe. ― Vous aimeriez être un animal ? ― Je sais

pas.

―Vous aimeriez être quel animal ? ― Je sais pas. ― Un gnou ?

― Non. ― Pourquoi pas un gnou ? ― Les gnous sont cons et ils

se font massacrer.

― Mais vous aimez les gnous. ― Oui. ― Pourquoi vous aimez

les gnous ? ― Parce qu’ils sont tragiques. ― Que voyez-vous de

tragique chez les gnous ? ― Ils sont cons et ils se font massacrer.

La psy ça l’intéressait pas nos amies les bêtes, elle préférait parler

de mes problèmes, en revenait toujours à mes problèmes qu’elle

appelait nos moutons. ― Bon bon bon, revenons à nos moutons.

Moi nos moutons m’emmerdaient. Ni n’y revenais, ni ne les

comptais, ni ne les gardais. Nos moutons n’étaient pas mon

problème, bien que mes problèmes fussent les moutons de la psy

qui disposait en effet d’un pouvoir pastoral, une forme de pouvoir

dont la finalité est d’assurer le salut, c’est-à-dire la santé, le bien-

être, la sécurité et la protection. Elle était une bergère.

Pas de mouton, aucun mouton, avec personne.

Éventuellement j’aurais pu m’imaginer garder un ou deux gnous.

Avec ma mère. Garder les gnous ensemble avec ma mère, oui.

L’enfance politique, Noémi Lefebvre, © éditions Gallimard, février 2015

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Mardi 19 avril 2016

De la reconstruction de soi

La compagnie Vol Plané (Marianne Houspie et Pierre Laneyrie) offrait au 3bisf, une

première étape de travail autour du texte de Noémie Lefebvre, L’enfance

politique (Collection Verticales, Gallimard, 2015). Marianne Houspie lit une version

courte de ce qui, pour le spectacle complet, sera joué par cœur. La construction du

livre est celle d’un monologue, celui de Martine, qui après un séjour en HP, est revenue

vivre chez sa mère, passant ses journées au lit, et absorbant des séries télévisées.

« J’étais comme ça chez ma mère, dans mon lit, sans rien faire, dans un retrait

favorable à la contemplation. » Comment vivre après le traumatisme d’une violence

subie ? Martine la transpose au niveau de l’histoire, des guerres, la deuxième mondiale

pour la mère, confiée à un orphelinat chez les sœurs sous Vichy, celle d’Algérie pour

le père… Le viol subi devient politique et se confond avec toutes les violences que

l’Histoire assène aux peuples. Bref, se refusant à retourner à la vie, auprès de sa

propre famille, Martine s’installe dans un état régressif, et passe au crible habitudes,

manières de penser, dans une langue limpide qui se joue des mots, des figures de

style, démonte les prêt-à-porter grammaticaux, avance dans son propos par

juxtapositions, analogies, échos, glissements. Ainsi, Martine se souvient « que l’art est

inutile et que c’est pour ça qu’il sert, il sert à ne pas servir », et en arrive à s’interroger

sur ce qui nous constitue « mes choses et moi, c’était tout un »… Si le sujet traité est

terrible, le ton et les détours pour en parler ont la pudeur de la suggestion, de la

distanciation, de l’ironie, de l’humour, la politesse des clowns. Des troupeaux de gnous

font irruption, des lapins passent à la casserole… Ce huis clos entre une fille et sa

mère permet avec une patiente tendresse de sortir enfin pour réapprendre le monde.

L’auteure, présente le jour de cette lecture, applaudit aux côtés du public, émue, la

fine intelligence de cette belle lecture.

MARYVONNE COLOMBANI

Avril 2016

Cette étape de travail a été donnée le 14 avril au 3bisf, Aix-en-Provence

http://www.journalzibeline.fr/critique/de-la-reconstruction-de-soi/

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Noémi Lefebvre

Née en 1964 à Caen, Noémi Lefebvre vit à Lyon. Auteur d'une thèse de science

politique sur l’enseignement musical et les idéologies nationales en Allemagne et en

France (1994), elle s'intéresse, dans le cadre de ses recherches comme dans

l’écriture, à la rencontre entre idées politiques et idées sur l'art. Après plusieurs années

d’enseignement à l’IEP de Grenoble et de recherche associée au laboratoire Pacte,

elle est responsable, depuis 2012, du Centre d’études sur l’enseignement et les

pratiques musicales au Cefedem Rhône-Alpes, et y développe, dans un esprit aussi

exigeant qu'indisciplinaire, l’implication de la création dans le processus de recherche,

et vice-versa.

Elle est l'auteur de deux essais de référence sur la politique musicale en France :

Maurice Fleuret : une politique démocratique de la musique (avec Anne Veitl, La

Documentation Française, 2000), et Marcel Landowski, une politique fondatrice de

l’enseignement musical, 1966-1974 ( Cefedem Rhône-Alpes, 2014), et de plusieurs

articles, dont "L’enseignement musical sous le IIIe Reich, la perversion d’un modèle"

dans l’ouvrage collectif Le IIIe Reich et la musique (Fayard, 2004) ou encore " De la

natation appliquée à l'enseignement musical" (Cahiers de recherche du Cefedem

Rhône-Alpes, juin 2007, consultable ici.)

Elle a publié un premier roman L’autoportrait bleu (Verticales), en septembre 2009, et

en février 2012 L'état des sentiments à l'âge adulte (Verticales). L’enfance politique

est son troisième roman.

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Marianne Houspie

Formée au Conservatoire

National de Région de

Marseille et à l’Université d’Aix-

en-Provence, elle travaille

actuellement avec :

Christelle Harbonn / Cie

Demesten Titip / Marseille-

Paris. Elle rejoint la compagnie

en 2008 avec le spectacle Ils

regardaient le monde à travers

les yeux de leurs voisins

d’après Sophocle. Suivront :

Fantine(s) d’après Victor Hugo en 2010, Cosette, spectacle jeune public d’après Victor

Hugo en 2011, R.A.S / la révolution des escargots d’après Joel Egloff en 2014 (3bisF

- Aix-en-Provence, La Friche - Marseille, Collectif 12, Lilas-en-scène, TGP- CDN de

Saint-Denis). Elle poursuit sa collaboration avec Demesten Titip sur le prochain projet

de la Compagnie Poissons Torpilles d’ après Toole et Dostoïevski (CNCDC de

Châteauvallon, Collectif 12 - Mantes-la-Jolie, L’échangeur - Bagnolet…).

Avec Edith Amsellem / Cie En Rangs d’Oignons / Marseille depuis 2014 avec Les

Liaisons Dangereuses sur terrain multisports (Théâtre de Châtillon, Fontblanche -

Vitrolles, Dôme Théâtre d’Albertville,…). Elle travaille sur la prochaine création de la

compagnie : Yvonne, Princesse de Bourgogne sur château toboggan d’après Witold

Gombrowicz (Théâtre Massalia - Marseille, Scène Nationale Le Merlan - Marseille,

Théâtre de Châtillon, …).

Précédemment, son parcours a été marqué par : François Michel Pesenti avec Le jour

et la nuit , If 6 was 9 (National Theater Taipei), Nœuds de neige (New National Theater

Tokyo), Les paésines (La Friche - Marseille, CDN de Gennevilliers, Théâtre National

de Lubiana, New theater de Cardiff, Zurich), A Sec ! (La Friche - Marseille), Hubert

Colas avec Mariage de Gombrowicz (Festival de Radom - Pologne, Théâtre Garonne

- Toulouse), Alexis Moati et Pierre Laneyrie / Cie Vol Plané Le malade imaginaire de

Molière (Tournée 2012-2013 en Belgique, Suisse, France) mais aussi Geoffrey

Coppini, Franck Dimech, Alain Béhar, Olivier Saccomano... Elle danse également avec

la Cie Ex Nihilo pendant deux ans (Passants, Quarantaines).

Elle a aujourd’hui 48 ans et vit à Paris.

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Pierre Laneyrie

Après des études de biologie et de

géologie, il s’oriente vers le

théâtre. Il commence sa formation

aux ateliers de la Comédie de St

Etienne et rentre à l’Ecole

Régionale d’Acteurs de Cannes

(l’ERAC). Au cours de sa

formation il travaille avec Michel

Duchaussoy, Alain Timar, Andrzej

Seweryn, Jean-Claude

Penchenat, Liliane Delval,

Françoise Seigner, Peter Brook,

Robert Cantarella, Florence

Giorgetti, Alain Simon, Simone Amouyal, Didier Carette, Claude Régy.

En tant qu’acteur, il a joué notamment sous la direction d’Eugène Green, Florence

Giorgetti, André Tardy, Alexandra Tobelaim, Robert Cantarella, Hubert Colas, Alexis

Forestier, Alexis Moati, Stratis Vouyoucas, Paul Desveaux, Jean-Christophe Mast,

Marielle Pinsard, Thierry Raynaud, Emilie Rousset…

Dernièrement, il a joué dans Les filles du Roi Lear, ou la véritable histoire de Rihanna,

texte et ms. de Marielle Pinsard au Festival de la Bâtie à Genève et au Théâtre de

l’Arsenic à Lausanne, en septembre et octobre 2014, ainsi que dans Et le Diable vint

dans mon cœur (Adolescences), ms. Alexis Moati à l’Espace des Arts, Scène

Nationale de Chalon-sur-Saône, à La Passerelle, Scène Nationale de Gap des Alpes

du sud et au Théâtre du Gymnase à Marseille.

D’autre part depuis 1994, il signe les mises en scènes de Volcan de Philippe Minyana,

Kalldewey, farce de Botho Strauss, Phèdre de Sénèque, Reconstitution de Philippe

Minyana, Importe qui ! d’après les écrits d’Alberto Giacometti, co-mise en scène avec

Isabelle Mouchard, Parking de François Bon, Une petite randonnée [P.R.] de Sonia

Chiambretto, co-mise en scène avec Thierry Raynaud.

En 2008, il met en scène avec Alexis Moati Le Malade Imaginaire et en 2011 L’Avare

de Molière, au théâtre de la Calade, Arles, au Théâtre du Gymnase, Marseille et à

l’Espace des Arts, Scène Nationale de Chalon-sur-Saône.

Il a aujourd’hui 46 ans et vit à Paris.

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L’enfance politique D’après le roman de Noémi Lefebvre

Jeu Marianne Houspie

Mise en scène Pierre Laneyrie

Avec l’accompagnement de la Compagnie Vol Plané

3 bis f – Aix-en-Provence

Résidence du 4 au 15 avril 2016 Présentation d’une étape de travail jeudi 14 avril 2016 à 15h30

La Gare Franche – Marseille

Résidence du 30 mai au 11 juin 2016 Présentation d’une étape de travail vendredi 10 juin à 20h30

Création prévue saison 2017-18

Marianne Houspie Pierre Laneyrie

+33 6 63 77 37 62 +33 6 86 92 78 68

[email protected] [email protected]

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Annexe : Noémi Lefebvre parle de son écriture

Auto-interview réalisée après un atelier d’écriture au 3bisF, Aix-en-Provence

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Noémi - Alors tu as animé un atelier d’écriture au 3bisF

Moi - Oui.

Noémi - Tu peux m’expliquer en quoi ça consiste, un atelier d’écriture au 3bisF?

Moi - Alors un atelier d’écriture, qu’est-ce que c’est. Disons que c’est un atelier, c’est-

à dire un lieu où s'exécutent des travaux manuels, où se pratiquent des activités

manuelles d'art ou de loisirs ou par extension, un lieu où s'élabore une œuvre, tu vois,

ça c’est la définition de l’atelier, du dictionnaire, si tu veux. L’écriture, c’est un travail

manuel qui consiste à écrire, donc c’est avec la main, on a du papier, des stylos et on

se met à écrire. C’est simple. Il n’y a pas de matériel sophistiqué, ce sont des stylos

ordinaires et du papier ordinaire, il n’y a rien d’autre. Donc il y a un lieu, le 3bisF, où il

est possible de faire des travaux manuels d’art et de loisir d’écriture et par extension

d’élaboration d’une œuvre.

Noémi - Ça veut dire quoi élaboration une œuvre ?

Moi- On ne peut pas savoir ce que ça veut dire, on peut seulement dire que ça participe

d’une œuvre, au sens d’ouvrage de l’art comme un ouvrage, tu vois, comme la broderie

ou le tricot, par exemple, et de l’art, avec la manière, c’est-à-dire un style. On exprime

son style avec art de cette manière, par l’écriture alors évidemment personne ne peut

prévoir cette extension qu’on appelle œuvre. C’est une surprise si tu veux.

Noémi - D’accord, donc il faut s’attendre à tout, c’est ça.

Moi - Non je dirais plutôt qu’il ne faut rien attendre, parce que si on attend on peut

toujours attendre, il ne se passe rien, si on attend, tu comprends, il ne faut pas

attendre, il faut écrire directement, avec sa main, sans attendre rien, en le faisant c’est

tout. C’est comme vivre, si tu veux, tu n’attends pas pour vivre, tu vis c’est tout, même

quand tu ne vis pas à fond, que tu ralentis ta vie, tu ne remets pas ta vie à demain, tu

vis à ta petite vitesse, tu comprends, la vitesse qui est possible pour toi, et la façon qui

est la façon possible mais tu continues de vivre, tout le temps, ne peux pas te préparer

à la vie en attendant de vivre, ni sortir de la vie pour y retourner parce que pour vivre

il faut vivre, tu comprends. Alors l’écriture c’est pareil, pour écrire il faut écrire, sinon

on ne peut pas. Tu écris à ta vitesse et à ta façon possible, voilà. Alors si tu veux c’est

une vie de l’écriture qui n’attend pas.

Noémi - Mais tu veux dire quoi Noémi quand tu dis que l’écriture n’attend pas ? tu ne

crois pas qu’il y a d’autres urgences que l’écriture dans la vie, justement ? que par

exemple, vivre, c’est plus important, peut-être, que d’écrire ? Je veux dire être

directement dans la vie ?

Moi -Je ne comprends pas ta question.

Noémi - Alors je reformule. Tu dis que l’écriture n’attend pas mais tu ne crois pas que

c’est un truc d’écrivain, cette urgence de l’écriture ? Tu ne crois pas que c’est même

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plutôt un mythe de l’écrivain ? Parce que la plupart des gens se passent d’écrire, tu

comprends. Et ils vont très bien sans écrire, ils font leur vie, tu vois.

Moi - Je ne sais pas. Non pas beaucoup de gens se passent d’écrire, en réalité tout le

monde écrit tout le temps de toutes sortes de manières, même dans les soi-disant

sociétés sans écriture on écrit. C’est à dire qu’on lance des messages dont la nécessité

n’est pas prévue d’avance. Lancer des messages imprévus, tu comprends.

Simplement souvent ça ne compte pas. C’est-à-dire, c’est comme les choses qu’on

fait mais qui ne comptent pas parce que c’est normal. Par exemple faire la cuisine, la

plupart du temps ça ne compte pas et pourtant tout le monde fait la cuisine.

Noémi – donc ce que tu dis c’est que l’écriture c’est de la cuisine ? c’est pareil ?

Moi – Les ingrédients sont différents mais sinon oui c’est pareil. C’est une manière de

dire quelque chose si tu veux. Quand tu cuisines, tu dis quelque chose. Bon voilà

l’écriture c’est pareil, c’est pour dire quelque chose. C’est une particularité de l’humain,

comme tu le sais. Parce que les autres animaux n’ont pas besoin de l’écriture ni de la

cuisine pour dire quelque chose. Ils le disent directement. L’humain non, il doit passer

par la cuisine et l’écriture et d’autres langages. Il ne peut pas vraiment se passer de

ces langages humains, l’humain. Alors que les animaux ont directement le langage,

celui qui leur va tu comprends. Nous les humains, nous cherchons des langages, il

faut trouver son langage, c’est une préoccupation constante pour l’humain, ça de

chercher son langage, et de refabriquer tout le temps son langage.

Noémi – Mais parfois c’est difficile de dire quelque chose dans un langage. Tu fais

comme si c’était facile, mais ce n’est pas facile.

Moi – Non pas facile, tu as raison de le souligner, c’est même souvent très difficile,

c’est pour ça qu’il faut parfois un endroit spécial, par exemple une cuisine, c’est à dire

un endroit où faire la cuisine est possible, ou plus généralement un atelier, c’est à dire

un endroit spécial pour dire quelque chose dans son langage, qu’on ne peut pas dire

comme ça n’importe où dans l’espace social, tu comprends, parce qu’il n’y a pas la

place. Il faut la place pour dire quelque chose dans l’espace et pour sentir son propre

langage tranquillement. Comme une bonne chose.

Noémi – Mais pourquoi il faudrait sentir son langage comme une bonne chose ?

Moi – Parce que tu ne peux pas être toujours en guerre avec toi-même, par une sorte

de jugement supérieur qui s’imposerait, du dehors vers le dedans, il faut commencer

pas se décoloniser, laisser vivre son propre peuple, faire confiance à son peuple

intérieur, lui donner une chance de vivre, tout de même, libre et heureux et fier de sa

mémoire, de ses rituels, de ses inventions. L’atelier, c’est un endroit qui accepte la

mémoire, comme elle est, avec ses trous de mémoire, qui reconnaît les rituels, et qui

laisse faire les inventions.

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Noemi –Tu as l’air de croire que ces mots-là, invention, rituels, mémoire, peuple

intérieur et toutes ces choses, seraient faciles à exprimer, tu fais comme si l’expression

libre était donnée d’avance…

Moi – Je sais très bien que chacun a besoin de domaines réservés, l’écriture ne peut

pas aller partout comme chez elle, il faut comprendre, et reconnaître aussi le silence

des gens, la fragilité, la nécessité de se protéger de leurs propres fantômes, ça c’est

vraiment important. Dans un atelier d’écriture, l’écriture participe de ce respect des

gens comme ils sont, c’est à dire qu’il ne s’agit pas de pousser l’écriture de l’extérieur,

comme ferait un prof, mais de lancer l’écriture, d’écrire , puis de lire, et au moment de

la lecture des textes, écouter ce qui est singulier, ce qui traduit un monde et qui fait

exister un texte, ce qui s’y passe, dans ce texte.

Noémi – Alors justement parlons des textes. Tu dis qu’ils traduisent un monde.

Moi – Oui, au moins un monde, oui, souvent plusieurs petits mondes. Je vois comme

ça, par exemple quelqu’un a un monde très proche de la nature, pas une nature

inquiétante mais pluôt une sorte de jardin, avec des chants d’oiseaux, des allées, de

beaux arbres et une promenade à pied, légère et pensive, ça c’est un monde, tu vois,

parfois c’est un monde avec des jeux de mots et des concepts issus de voyages

philosophiques, ou alors c’est un monde onirique, toute une construction étrange avec

le son des mots ou des images venues plutôt de l’art plastique, ou c’est une histoire

vécue, mais avec des formules de précaution et de soin de soi, alors c’est très beau.

Et des amusements, des bricolages, des chutes, la chute qui décale et le décalage qui

fait rire…On a ri pas mal ! Mais sérieusement, évidemment…

Noémi – Tu as donné ce titre général, pour l’atelier de “l’image dehors”. Qu’est-ce que

ça veut dire “l’image dehors” ?

Moi – C’est une idée qui me vient de Flaubert. Flaubert n’a jamais parlé d’image

dehors, mais sa façon de fabriquer des personnages c’est ça, c’est l’image dehors. Ma

question initiale, c’était que je voulais mettre les participant tout de suite en situation

de créer des personnages, c’est à dire d’une vie active dans l’écriture, et pour cela il

fallait en quelque sorte simplifier cette démarche, qui peut faire très peur, de fabriquer

un personnage. Parce que c’est compliqué un personnage : comment il est ? comment

il se déplace ? comment il agit ? qu’est-ce qui le fait changer ? qu’est-ce qu’il a dans

la tête, surtout, ce personnage ? Flaubert résoud le problème de manière assez

simple. Il crée la psychologie du personnage sans faire de psychologie, mais par des

éléments extérieurs qui viennent résonner dans le personnage. Par exemple Madame

Bovary, elle est fabriquée par l’image dehors ; son éducation au couvent, la campagne

normande, le climat, le son des cloches, les forces géographiques, les territoires

sociaux comme des géographies. Alors ça permet beaucoup de choses. Tu proposes

un contexte, ou des objets, ou une situation et voilà, les personnages existent tout de

suite, sans qu’on ait discuté de leur histoire, de leur physique, de leur caractère, ils

sont là, ils s’imposent. L’image dehors c’est donner aux personnages la légèreté

d’existence dont ils ont besoin pour respirer.

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Noémi – Est-ce que cette idée de l’image dehors, tu l’as eue pour le 3bisf, est-ce que

c’est lié à ce lieu en particulier ?

Moi – Oui, enfin je l’ai formulée comme ça pour le 3bisf. J’avais déjà cette idée,

d’écriture qui ne partirait pas de la psychologie, évidemment, mais cette formulation je

l’ai trouvée pour le 3bisf, parce qu’il me semble que c’est bien ce qu’apporte le 3bisf,

de si important du fait même de sa place dans l’hôpital de Montperrin, une sorte de

passerelle évidente, je veux dire quotidienne, immédiate, entre le dedans et le dehors,

les plis et replis de soi et le grand imaginaire, où la question de la création n’est pas

une question, mais un mouvement général nécessaire, et que l’on soit patient ou pas,

c’est bien le même mouvement.

Noémi – Tu parles de nécessité. Est-ce que tu penses que l’atelier d’écriture de l’image

dehors a servi à quelque chose ?

Moi – Je ne sais pas ce que tu veux dire par là. Si c’était rentable pour les gens, tu

veux dire ?

Noémi – Non, parce que je ne suis pas si stupide, mais plutôt est-ce que ça a changé

des choses pour les gens ?

Moi – Bien sûr que ça a changé des choses, mais je ne sais pas quoi ! si je savais quoi

c’est que ça n’aurait vraiment rien produit d’intéressant, je pense. Ce que je peux te

dire, c’est que sans les ateliers, sans l’énergie de l’atelier et la rencontre avec tous

ceux qui font marcher le 3bif, je n’aurais pas pu écrire le livre que j’ai écrit.

Noémi - Tu en aurais écrit un autre…

Moi – Oui, mais celui-là, il est mieux.

Noémi – Merci Noémi !

Moi – Merci à toi !