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La santeria à la Havane : approche anthropologique d'un mouvement religieux
en pleine expansion
Auteur : Dessard, Lison
Promoteur(s) : Razy, Elodie
Faculté : Faculté des Sciences Sociales
Diplôme : Master en anthropologie, à finalité approfondie
Année académique : 2018-2019
URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/8436
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NOM : Dessard
Prénom : Lison
Matricule : 20145392
Filière d’études : Master 2 Anthropologie
Mémoire
La santeria à la Havane : approche anthropologique d’un
mouvement religieux en pleine expansion
Promotrice : Madame Elodie Razy
Lectrice : Madame Claire Gavray
Lectrice : Madame Marie Dauge
2
Remerciements
Je tiens, tout d’abord, à exprimer toute ma reconnaissance à ma promotrice de mémoire, Madame Elodie
Razy. Je la remercie de m’avoir encadrée, orientée, aidée et d’avoir accepté de me rencontrer et de
répondre à mes questions durant mes recherches. J’ai beaucoup apprécié sa grande disponibilité.
Je remercie mes lectrices, Madame Marie Daugey et Madame Claire Gavray, d’avoir accepté de faire
partie des membres de mon jury et pour leur temps consacré à lire et évaluer mon travail.
Je remercie mes parents, qui ont toujours été là pour moi, qui ont rendu possible mon projet à Cuba et
qui m’ont soutenue lors de la rédaction. Je remercie également mes sœurs pour leurs encouragements et
leur intérêt.
Je remercie l'Académie de recherche et d'enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles,
Belgique, qui a rendu possible mon voyage à Cuba grâce aux aides financières de sa politique de
Coopération au développement.
Je remercie Wolfgang pour l’accueil et l’aide fournie dès mes premiers jours à la Havane. Ivan pour son
ouverture et sa volonté de m’aider à m’intégrer dans le monde de la santeria cubaine. Je remercie les
multiples cubains et cubaines qui ont accordé de leur temps pour répondre à mes questions, partager leur
quotidien et leurs expériences.
Je remercie Anna sans qui ces deux mois à la Havane auraient été beaucoup plus compliqués. Merci
pour son soutien, son amitié et sa bonne humeur.
Je remercie Max de m’avoir toujours soutenue dans les moments joyeux comme dans les plus difficiles
et d’avoir toujours cru en moi.
Enfin, je remercie mes amies, Charlotte, Margaux et Marie qui ont toujours été là pour moi. Leur soutien
inconditionnel a été d’une grande aide.
À tous ces intervenants, je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude.
3
Table des matières
Introduction ............................................................................................................................................. 5
1. La santeria d’hier à aujourd’hui : expansion et réappropriation de la culture Yoruba ................... 9
1.1. Principes et organisation du culte ............................................................................................ 9
1.2. Les différentes initiations dans la santeria ............................................................................ 12
1.2.1. « Les guerreros » ........................................................................................................... 13
1.2.2. « La Mano de Orula » ................................................................................................... 14
1.2.3. Kariocha ou « faire son saint » ...................................................................................... 16
1.2.4. « Faire Ifa » ou devenir babalawo ................................................................................. 19
1.3. Historique de la santeria depuis la période de l’esclavage (1492-1992) ............................... 20
1.3.1. « Déportation » d’esclaves : la reconstruction d’institutions africaines en exil ............ 20
1.3.2. La reconnaissance des Yorubas : une clé de l’implantation de la santeria ?................. 21
1.3.3. La religion et le politique : un processus de dévalorisation et de revalorisation de la
santeria ....................................................................................................................................... 22
1.4. La santeria à Cuba et dans le monde aujourd’hui ................................................................. 26
1.5. Religion et secret : les différentes voies de l’approche du terrain ......................................... 28
2. La santeria : entre « religion à la carte » et « religion totale » ? ................................................... 34
2.1. Un parcours religieux coûteux : balance entre normes et appât du gain ............................... 37
2.2. La parenté rituelle : une approche en termes de réseau ......................................................... 41
2.2.1. Intégration dans un nouveau réseau de parenté : un apprentissage encadré .................. 41
2.2.2. La rama : un réseau d’entraide exponentiel .................................................................. 44
2.3. « Manipuler les énergies » pour lutter contre les fatalités du destin : un atout majeur de la
santeria .............................................................................................................................................. 45
2.3.1. La santeria : une réponse à tous les maux ? .................................................................. 46
2.3.2. Espoir de guérison et promesse de santé : la santeria comme thérapie ......................... 48
2.3.3. Les différentes initiations : une voie vers le « triomphe » personnel ............................ 51
2.4. Une religion tolérante au service de la réussite ..................................................................... 52
2.5. Une religion « totalisante » pratiquée « à la carte » : retour sur ces termes et leur lien avec
son expansion .................................................................................................................................... 54
3. Genre et santeria : quel lien avec sa popularité à la Havane ? ...................................................... 57
3.1. Charges liturgiques et genre : l’origine mythique d’une séparation ? ................................... 59
4
3.1.1. La séparation des charges en pratique : quels rôles pour qui ? ...................................... 59
3.1.2. La symbolique du sang : l’origine de la séparation ? .................................................... 61
3.2. Les représentations des orishas féminins : un modèle de puissance ? .................................. 63
3.3. La hiérarchie de la santeria : une logique genrée .................................................................. 65
3.4. La femme au centre de la transmission des pratiques et des savoirs religieux ...................... 67
Conclusion ............................................................................................................................................. 69
Bibliographie ......................................................................................................................................... 74
Annexes : Table ..................................................................................................................................... 81
5
Introduction
Ce mémoire et le travail de terrain qui en découle ont démarré d’une envie personnelle de
découvrir une nouvelle culture éloignée de tout ce que je connais. Je voyais mon mémoire comme une
possibilité de me surpasser en sortant de ma zone de confort. C’était l’occasion de se lancer sur le terrain
dans un pays où tout est nouveau et à découvrir. Dès le moment où je suis sortie de l’avion, le
dépaysement se fit ressentir. Mon hôte m’attendait et nous prîmes un taxi dans une voiture américaine
des années 1950. C’était la première fois que je montais dans une telle voiture. Cette sensation de
nouveauté et d’étonnement constant me suivit durant l’entièreté de mon travail de terrain. De plus, les
différents articles que j’avais lus dans le cadre de l’écriture de mon projet de mémoire m’avaient déjà
séduite. Celui-ci se penchait sur les religions afro-cubaines dans leur totalité. Pour le mémoire, je voulais
me concentrer sur l’une d’entre elles afin d’approfondir la recherche. C’est sur place que l’objet de
recherche s’est précisé.
Ayant déjà réalisé un terrain en anthropologie du religieux sur l’église orthodoxe du quartier du
Laveu, cela me conforta dans ma décision de m’intéresser aux cultes religieux afro-cubains. Après
quelques jours à la Havane, je me suis rendue compte que le mouvement religieux le plus accessible
était la santeria. Vu la courte période sur place, je me décidai rapidement à me focaliser sur celle-ci.
Pour clarifier mes propos, il est nécessaire de définir la santeria. Est-ce un mouvement religieux,
une religion, une fraternité, un culte ? Le terme vernaculaire havanais désignant la santeria, est
« religion ». Ce terme générique est utilisé pour se référer à l’ensemble de ses pratiques : les techniques
de divination, les cérémonies, les musiques rituelles, les soins par les plantes, les danses, les sacrifices,
etc. Mais il englobe également les mouvements religieux du Palo Monte et du spiritisme (Argyriadis,
2012). Le terme émique utilisé par les pratiquants pour se désigner eux-mêmes est le terme « religieux »
(Argyriadis, 2012). Pourtant, certains individus que j’ai rencontrés m’ont expliqué qu’ils considèrent la
santeria comme une tradition satanique et sectaire et non comme une religion. Dans ce débat entre
adeptes et non adeptes, deux erreurs sont souvent commises : le dénigrement radical ou l’idéalisation
des pratiques religieuses. La santeria est plutôt définie comme un ensemble mouvant et non restreint de
pratiques coutumières. Ce n’est pas une entité donnée, unique et autonome. C’est une religion en
dialogue constant avec les autres mouvements religieux présents à Cuba s’influençant l’un l’autre. Elle
désigne concrètement un ensemble de pratiques cultuelles mis en place par de grands principes communs
autour de la vénération du Christ, de Dieu, des ancêtres et de divinités, orishas, anthropomorphiques
régnant sur la terre et les éléments naturels.
D’un point de vue épistémologique, il est important de privilégier le terme « religion » pour la
désigner et non celui du terme discriminatoire « sorcellerie » comme c’était le cas durant les études de
Fernando Ortiz (Hervieu-Léger et Azria, 2010). En effet, cette catégorisation identique pour le
6
catholicisme, l’islam, la santeria ou le vaudou haïtien modifie le regard des chercheurs sur le sujet. Cela
permet une « décentration » qui diminue le biais ethnocentrique (Hervieu-Léger et Azria, 2010 : 1063).
Bien entendu, il existe des pratiques de sorcellerie dans les religions afro-cubaines mais tous les rites et
toutes les croyances ne peuvent être réduits à cette notion.
Dans ce travail, j’utiliserai le terme « religion » pour me rapporter aux différents mouvements
religieux afro-cubains. La santeria peut également être qualifiée de « religion populaire ». Cette notion
qualifie des pratiques locales qui s’écartent du cadre des grandes religions mais en ont intégré des
éléments. Ces religions ne possèdent pas « d’assises doctrinales systématiques » et ne sont pas dirigées
par un corps permanent de spécialistes religieux (Hervieu-Léger et Azria, 2010).
En ce qui concerne l’adjectif « afro-cubain », il ne renvoie à aucun sous-entendu racial et ne
détient aucune référence ethnique malgré ce qui peut être observé dans d’autres contextes afro-
américains (Gobin et Morel, 2013). Ces pratiques rassemblent des Cubains, peu importe leur origine
ethnique. Ce terme est popularisé dans le domaine des sciences sociales par le très célèbre anthropologue
cubain Fernando Ortiz, à la fin du 19ème siècle. Malgré sa connotation très religieuse, il désigne
également les productions culturelles et artistiques. Ces productions intègrent de nombreux éléments
exogènes, et particulièrement africains mais ils sont développés de façon spécifique en laissant une
grande place à la créativité locale.
Afin de replacer la santeria dans le contexte religieux afro-cubain, il est utile de présenter un
panorama rapide des différentes religions afro-cubaines. Il existe sur l’île une religion nommée le Palo
Monte associée à l’aire culturelle bantoue. Celle-ci voue un culte aux morts qui sont réincarnés à travers
des chaudrons remplis d’éléments naturels. Ils permettent de protéger l’adepte qu’ils servent en échange
d’offrandes (Kerestetzi, 2012). À la Havane et à Matanzas, les abakuas, une société secrète masculine,
sont également visibles. Partout, la communication avec les morts, nommée espiritismo, est en vigueur.
Pour finir, c’est dans la partie orientale de l’île, vers Santiago de Cuba et Guantanamo, que s’est
développée la pratique du vaudou, particulièrement connue à Haïti (Gobin et Morel, 2013). Ces
pratiques forment, à la Havane, un continuum religieux à l’intérieur duquel les adeptes peuvent passer
d’un spécialiste religieux à l’autre. Ces différentes religions s’influencent mutuellement : les adeptes
s’empruntent des techniques, des concepts ou des symboles. Il est important de ne pas les considérer
comme des isolats indépendants les uns des autres. De toutes ces manifestations religieuses afro-
cubaines, la santeria est la plus répandue (Hervieu-Léger et Azria, 2010). Elle est le fruit d’une
résistance de la part des esclaves à la conversion au christianisme qui leur était imposée. Secrètement
ils pratiquaient les rites africains les rattachant à leur terre d’origine. Elle est organisée autour de
pratiques et de croyances vouant un culte à un panthéon de divinités nommées les « orishas » ou les
« saints ».
7
À propos de la littérature existant sur le sujet, le domaine d’étude des religions afro-cubaines est
devenu très dynamique depuis quelques années. Cela est dû à un développement plus général des études
afro-américaines en Europe (Palmié, 2005 ; Capone, 2007) ainsi qu’à certains facteurs nationaux propres
à Cuba. Les conditions sociohistoriques de Cuba expliquent le développement des recherches
ethnographiques dans le pays et spécifiquement sur le thème des religions afro-cubaines. Entre 1959 et
1991, les recherches étaient presqu’entièrement dirigées par des Cubains. Ortiz, Lachatañeré et Cabrera
sont les premiers anthropologues cubains les plus connus. Ils ont travaillé à cette époque sur les religions
dites « d’origines africaines » (Gobin et Morel, 2013). Dans les années 1980, certains anthropologues-
historiens américains ont continué leurs recherches sur le sujet à travers les discours des communautés
cubaines exilées à Miami ou à New York (Gobin et Morel, 2013). Ils se basaient donc sur des matériaux
de seconde main. En ce qui concerne les études européennes, elles connurent un nouvel élan à partir des
années 1990, lorsque le gouvernement mit en place une politique visant à relancer l’économie par le
tourisme1 (Gobin et Morel, 2013). Argyriadis élabora un travail précurseur à la Havane sur les religions
afro-cubaines dans le cadre de son doctorat. Son terrain s’étend sur une période de 5 ans, entre 1990 et
1995, et se concentre sur les logiques thérapeutiques présentes dans ces religions. Ensuite, Dianteill,
sociologue religieux, réalise son enquête en 1994 et 1995. Il s’intéresse quant à lui à deux thématiques :
celle du genre et celle de l’oralité et de l’écriture (Dianteill, 1997). À partir des années 2000, les travaux
ethnographiques vont se multiplier et les religions afro-cubaines deviendront un domaine d’investigation
privilégié. Les thèmes les plus souvent abordés sont la dimension thérapeutique et le système de
divination Ifa2. Une grande majorité des études se sont focalisées sur la capitale, c’est pourquoi Wedel,
Testa et Kerestetzi ont mené leur enquête dans d’autres provinces. Actuellement, de nombreuses
recherches étudient le processus de « globalisation » entraînant un phénomène de
« transnationalisation » du religieux favorisé par le tourisme et les migrations (Zapponi, 2013).
Malgré le nombre d’études sur les religions afro-cubaines, il reste encore un champ empirique
et théorique à explorer très large en anthropologie. La visée de mon travail est de se porter sur les
évolutions les plus contemporaines de la santeria et de m’intéresser aux caractéristiques qui permettent,
d’une manière ou d’une autre, son expansion à la Havane. Ce travail passe donc en revue de nombreux
aspects de la Regla Ocha-Ifa en analysant leur portée sur l’évolution du culte. Il aborde deux thèmes
principaux considérés comme des clés de réponse essentielles au phénomène d’expansion de cette
religion : son aspect total et sa pratique « à la carte » d’une part, les relations de genre à l’œuvre dans
cet univers religieux d’autre part. Cette recherche a également pour but d’approfondir l’analyse des
expériences religieuses individuelles ainsi que du processus de créativité rituelle. En effet, je me suis
intéressée aux raisons personnelles pour lesquelles les adeptes s’initiaient à la santeria ainsi qu’à leur
1 De plus amples informations concernant l’historique se situent dans la partie 1.3. 2 C’est un système de divination qui permet de communiquer avec l’orisha Orula et de connaître le passé, le
présent et le futur des hommes. Il comprend toute une organisation hiérarchique dominée par les babalawos qui
sont les prêtres d’Ifa.
8
expérience et leur façon de vivre leur religiosité en tant que pratiquant. Ce travail ne se contente donc
pas de se focaliser sur un sujet. Il aborde les principales thématiques transversales vécues dans la vie
d’une majorité des adeptes.
En ce qui concerne la problématique dirigeant le travail, la santeria est un sujet très vaste et
dense à observer. Il m’était difficile de focaliser mon attention sur l’une ou l’autre de ses composantes.
Au fur et à mesure que mon terrain avançait, les personnes que je rencontrais me répétaient de choisir
un sujet précis afin de ne pas me faire envahir par la multitude de possibilités de questions de recherche.
Ma première volonté, sans avoir encore commencé le terrain, était de m’intéresser aux relations de genre
en place dans la santeria. Je m’étais dirigée vers cette thématique en apprenant dans des textes que les
charges liturgiques les plus respectées et les statuts les plus élevés étaient réservés aux hommes. De plus
je découvris également l’existence de la société secrète masculine nommée abakuas. L’idée de me
focaliser sur la place de la femme dans la communauté de la santeria ainsi que dans la société havanaise
me séduisait. Mais, durant le terrain, je me suis rendu compte que je n’avais pas assez de matériau
ethnographique concernant la femme dans la société civile. Je changeai donc de direction en tentant
d’appréhender comment les pratiquants donnent un sens à leur religion. À ce moment-là, je me rendis
compte qu’un sujet de conversation très fréquent concernait la parenté religieuse. Je me penchai donc
sur cette thématique : le réseau de parenté réinventé, les « padrinos y madrinas »3, les relations dans la
rama4, la hiérarchie à respecter, la transmission des savoirs, la relation avec les membres de la famille
décédés, etc. Ces changements d’intérêts pour l’un ou l’autre questionnement étaient effectués au fil des
conversations sur le terrain.
Après avoir discuté avec de nombreux pratiquants durant des journées d’initiations, je remarque
que la plupart des conversations entre adeptes portent sur la maladie, l’argent et les affaires, la mort et
les histoires de famille. Ils sont préoccupés par ces thèmes reliés, d’une manière ou d’une autre, à la
santeria. Ce n’est que, rentrée en Belgique, lors de la relecture de l’ensemble de mes matériaux, que les
informations se sont mises en place autour d’une problématique. Tous les éléments qui m’intéressaient
étaient reliés par un sujet plus vaste : l’expansion du mouvement religieux de la santeria à la Havane
(Gobin, 2007). J’ai donc réalisé ce travail pour tenter d’apporter une réponse aussi complète que possible
aux raisons de la croissance du nombre de pratiquants de la santeria à la Havane aujourd’hui.
J’aborderai, dans la première partie, la manière avec laquelle la santeria s’est perpétuée à Cuba
et plus particulièrement à la Havane. Cela reprendra évidemment l’historique de cette religion depuis
l’esclavage qui engendra son arrivée sur l’île et sa contextualisation actuelle. Ses principales
caractéristiques et son mode de fonctionnement seront expliqués en passant par son organisation et par
3 Traduction : « parrains et marraines » qui sont des seconds parents et des guides pour le nouvel adepte. Ils le
suivent tout au long de son parcours religieux et l’intègrent dans leur réseau de parenté religieux. 4 Le réseau de parenté religieux
9
les différentes initiations marquant des étapes significatives dans la vie d’un adepte. Dans cette partie,
seront également abordés mon approche du terrain, ma méthodologie et une explication des freins et des
difficultés auxquels j’ai été confrontée au long de ma recherche.
Ensuite, je passerai en revue, dans la deuxième partie, ce qui caractérise et quels sont les
éléments attractifs de la santeria. Les notions de « religion à la carte » (Hervieu-Léger, 1986) et de « fait
social total » (Mauss, 1925) seront les points de départ de cette analyse. La santeria sera décortiquée
selon ses différents aspects correspondant aux deux catégories : son rapport avec l’économie et le
commerce, son système de parenté religieuse, sa capacité à répondre à de nombreux problèmes concrets
de ses adeptes, sa dimension thérapeutique et son principe de non-exclusion par rapport aux autres cultes
et systèmes médicaux qui permet un continuum entre les pratiques. Pour revenir à la problématique
principale concernant l’expansion de la Regla Ocha-Ifa, le lien entre, d’un côté, sa pratique « à la carte »
et son aspect « totalisant » et, de l’autre, sa croissance dans la capitale sera exposé.
Pour finir, je m’intéresserai, dans la troisième et dernière partie, au rôle que jouent les rapports de
genre dans la dynamique d’expansion de la santeria sur l’île. Cette analyse débutera par un
questionnement sur la position respective des hommes et des femmes lors des cérémonies et des
initiations. L’hypothèse de l’émancipation de la femme à travers sa pratique religieuse sera abordée en
reprenant, point par point, les variables pouvant nous donner des indices concernant leur position dans
le culte. Tout d’abord, la manière dont sont réparties les charges liturgiques sera expliquée ainsi que la
raison de cette répartition. Ensuite, nous nous intéresserons aux caractéristiques des orishas féminins
qui représentent des femmes puissantes et autonomes. Troisièmement, les hiérarchies à l’œuvre
respectivement dans la divination Ifa et dans la religion Ocha seront confrontées. Finalement, un point
concernant la transmission des pratiques et des savoirs religieux sera développé. Cela devra permettre
de faire le lien entre les relations de genre dans la santeria et son expansion actuelle à la Havane.
1. La santeria d’hier à aujourd’hui : expansion et réappropriation de la culture
Yoruba
1.1. Principes et organisation du culte
La santeria est la tradition religieuse afro-cubaine la plus connue et la plus répandue à Cuba
(Béquet et Dianteill, 1999). C’est une religion polythéiste dans laquelle les adeptes vénèrent des divinités
appelées orishas. Le terme « orishas » est utilisé, à la Havane, autant que « santos ». C’est la traduction
de « saint » respectivement en langue traditionnelle yoruba et en espagnol (Konen, 2009 : 45). Certains
orishas sont vénérés comme des êtres mythiques qui ont vécu originellement sur la terre, d’autres sont
des esprits personnifiant des éléments naturels et d’autres encore sont des personnages historiques qui
10
furent importants pour le peuple yoruba5 (Nodal et Andre, 1978). Ces divinités sont souvent représentées
de façon anthropomorphique et symbolisent les forces de la nature (Argyriadis, 2007). Chaque orisha
détient une couleur représentative et un équivalent parmi les saints ou les vierges catholiques (Béquet et
Dianteill, 1999). « Elegguá », par exemple, est l’orisha du destin, il est capable d’ouvrir et de fermer les
portes du chemin des hommes. Ses couleurs sont le rouge et le noir et le saint catholique qui le représente
est Saint Antoine de Padoue (Journal de Terrain, la Havane, 2019)6.
La dénomination santeria vient de la vénération des saints catholiques. Ce choix est, au départ,
le produit d’une vision péjorative de cette religion qui est également nommée Regla Ocha ou Regla
Ocha-Ifa. Ifa étant son côté divin (Béquet et Dianteill, 1999). Mais le nom santeria s’est tellement
répandu à Cuba et postérieurement dans le monde, que les adeptes eux-mêmes acceptèrent de l’appeler
de cette manière. Elle repose sur un univers rituel et mythologique dans lequel le prêtre d’Ifa, spécialiste
de la divination, occupe le haut de la hiérarchie initiatique (Gobin, 2007)7. Les adeptes suivent les
recommandations et les conseils des orishas afin de réaliser le destin initial qui leur a été assigné avant
la naissance. En effet, selon cette religion, chaque humain est arrivé sur la terre avec un objectif bien
précis à atteindre (Juarez Huet, 2004).
Les orishas sont représentés matériellement par des otanes qui sont des pierres similaires à des
galets contenues dans divers réceptacles comme des soupières, des plats en bois et en terre ou des
chaudrons (Argyriadis, 2007). Ces objets sont rassemblés à un endroit de la maison des pratiquants
réservé pour leur vénération. L’adepte va nourrir ces réceptacles afin de sustenter les divinités. Celles-
ci lui donnent, en échange, un peu de leur aché qui est une énergie primordiale et mystique présente
dans l’univers (Roth, 2015).
Selon la mythologie de la santeria, Olodumare, le dieu créateur, a fabriqué l’univers avec la
force et le pouvoir de l’aché qui représente donc un lien entre les adeptes et les divinités (Argyriadis,
2007 : 329-356). Il lui est attribué de nombreuses qualités : l’intelligence, l’autorité, la grâce divine, la
connaissance, la sagesse, etc. L’aché est aussi la force que chaque humain possède : la vitalité, le pouvoir
et la raison pour laquelle il est sur terre. C’est un concept métaphysique présent dans tous les éléments
du cosmos qui est source de pouvoir et peut voyager entre les humains et le monde divin. Les humains
sur terre absorbent de l’aché et le gardent en eux. Il permet d’effectuer des opérations rituelles efficaces
(Gobin, 2013). C’est une énergie vitale qui peut être comparée au sang dans nos veines. A Cuba, tous
les rituels sont organisés en vue de le faire circuler entre les adeptes (Argyriadis, 2007).
5 Un roi yoruba, par exemple 6 Abréviation = JT, date abrégée, lieu, pseudonyme de la personne citée (exemple : JT, 25/03/2019, la Havane,
Pedro) 7 Voir organigramme Annexe 1 p. 82
11
La communication avec les orishas est très importante. Il existe deux façons principales d’y
parvenir. La première est, lors de cérémonies collectives, une divinité qui prend possession du corps
d’un adepte et parle à travers lui. Cependant, tous les adeptes n’ont pas la capacité d’être possédés
(Argyriadis, 2007). La deuxième, quant à elle, est l’utilisation des techniques de divination. Il existe
trois types de divination pratiquée à la Havane : la divination par la noix de coco dont la chute donne
des réponses de type oui/non à des questions simples, la divination par les cauris ou diloggun8 qui sont
des petits coquillages blancs et finalement la divination par Ifa avec l’utilisation de l’opele qui est une
chaîne en métal par laquelle répond Orula, le dieu de la divination (Capone, 2005). La divination est
basée sur un principe général qui consiste à obtenir des signes ou des lettres à travers la combinaison
obtenue lorsque ces objets sont lancés. Les signes, appelés oddun, possèdent chacun un nom précis et
correspondent à des patakines9, des conseils et des prédictions, qui sont proposés pour apporter une
solution au problème du consultant (Argyriadis, 2007). La compétence rituelle du santero.ra10 est
limitée à la lecture de certains signes. Si, lors de la consultation, il obtient un signe qui sort de sa
compétence, il doit diriger le consultant vers un babalawo qui pourra l’interpréter car il a une
compétence pour des signes souvent considérés comme plus complexes (Juarez Huet, 2011). Babalawo
signifie littéralement en yoruba, le père (baba) du secret (awo). Ils détiennent le statut religieux le plus
élevé dans la santeria : prêtres spécialistes de la divination Ifa (Konen, 2009).
Lorsqu’un santero entre dans la prêtrise, il crée une descendance rituelle. Il est « sacré roi » et
est doté d’un « peuple religieux », ses « filleuls d’initiations » (Gobin, 2013). La prêtrise consiste à
initier des nouveaux adeptes et à dispenser des services à titre thérapeutique. Les clients réguliers
deviennent, à terme, des filleuls d’initiation. Il existe donc une logique de clientélisme initiatique. Cela
crée une filiation rituelle dans laquelle il y a des positions d’autorité et de prestige (Gobin, 2013). Dans
la vie quotidienne, chaque santero.ra ou babalawo gère ses fidèles d’une manière singulière. C’est ainsi
que chaque famille de croyants détient sa propre façon de faire et de penser. Certains santeros sont plus
catholiques, d’autres plus spirites, d’autres encore à la fois paleros11 et spirites12. Entre les catégories, il
n’y a donc aucune limite stricte, mais plutôt une nette continuité (Argyriadis, 1999). Ce ne sont ni des
« constructions religieuses accomplies et figées, ni des entités qui s’excluent l’une l’autre » (Capone,
1997 : 27), c’est un continuum religieux.
À un niveau local, les initiés se regroupent dans des unités restreintes autour de la figure de leur
parrain ou initiateur et forment une « maison religieuse » (Gobin, 2007). Quand l’adepte a des doutes,
il s’adresse à son parrain/sa marraine qui est son guide et protecteur. Ceux-ci expliquent les procédures
à suivre pour combler le saint (Juarez Huet, 2004). La structure hiérarchique respecte le principe de
8 Voir Annexe 2 p. 83 9 Histoires ou légendes mythiques 10 Individu qui a « fait son saint » 11 Adepte du Palo Monte, un autre mouvement religieux afro-cubain 12 Adepte du spiritisme
12
seniorité : l’autorité dépend de l’âge initiatique (Gobin, 2007). La santeria est un culte fragmenté entre
les différentes familles religieuses qui ont chacune leur propre tradition et manière de faire. Il n’existe
aucun chef supérieur qui imposerait une orthodoxie à tous les pratiquants (Capone, 2017). Le rapport
entre le parrain/la marraine et le filleul est privilégié. « La maison de saint » définit la base de
l’organisation sociale de la santeria. Les pratiques rituelles varient d’une famille à l’autre (Juarez Huet,
2004). L’apprentissage est la charge des aînés envers les plus jeunes. Ils apprennent la discipline, les
obligations et les responsabilités. C’est un apprentissage graduel durant lequel ils assimilent les codes
et les normes tacites ou explicites de leur groupe religieux.
À un niveau plus global, les relations entre familles religieuses se pensent sur le mode de l’horizontalité.
Ils vivent de façon autonome (Testa, 2004).
Dans cette religion, une hiérarchie stricte est établie. Les babalawos sont au sommet et sont les
seuls à acquérir les compétences rituelles et divinatoires. Ils ont la capacité de connaître le destin des
hommes et ont le pouvoir de révéler le destin prénatal d’un adepte qui viendrait les consulter (Konen,
2009). Le père du secret possède un grand savoir mythologique, il perpétue la tradition et sa transmission
(Gobin, 2007). Les babalawos et les santeros.ras ont des compétences rituelles différentes (Konen,
2009). Le savoir se transmet particulièrement durant les rituels et moins par les écrits. Il existe, tout de
même, des livres qui contiennent les signes divinatoires du corpus d’Ifa et les explications des rituels.
Mais ils sont là plutôt comme garantie ou précaution car il n’existe pas de textes sacrés (Konen, 2009).
Ifa est une instance de divination qui détient toute la connaissance des choses. Pour pouvoir être initié
au culte d’Ifa, il faut avoir été baptisé car cette religion impose la pureté (Capone, 2017).
La santeria se pratique à la maison. Les adeptes installent des autels13 pour les orishas, leurs
ancêtres divins, et pour les morts, leurs ancêtres non-divins (Konen, 2009). Les divinités ont besoin
d’être nourries par leurs adeptes et, en échange de cette nourriture, leur force vitale, ils rendront des
services aux pratiquants. Les santeros offrent donc du rhum, des fruits, du miel, des cigares ou des
animaux en sacrifice afin de combler les orishas (Béquet et Dianteill, 1999).
1.2. Les différentes initiations dans la santeria
Toutes les personnes qui pratiquent la santeria n’ont pas obligatoirement été initiées. À la
Havane, et à Cuba plus généralement, la majorité de la population est familière avec certains aspects de
cette religion et va occasionnellement consulter un santero ou une santera afin de régler des problèmes
personnels sans pour autant avoir réalisé l’une ou l’autre initiation.
Avant chaque initiation, l’adepte doit avoir reçu l’approbation des orishas qui s’acquiert au
travers de la divination. Ceux-ci décident si un adepte peut effectuer telle ou telle initiation en se basant
13 Voir Annexe 3 p. 83
13
sur son niveau individuel de développement. Le parcours religieux des pratiquants est ponctué de
nombreuses initiations qui sont réalisées dans un ordre chronologique précis et durant lesquelles l’adepte
apprendra des compétences rituelles (Konen, 2009). Le chemin que prend un initié à travers les
différentes initiations dépend de la volonté des orishas et des parrains de l’adepte. Premièrement, une
personne recevra généralement les guerreros14 ou les colliers religieux. Plus tard, il pourra recevoir « La
Mano de Orula15 ». Ensuite, si la personne est prête, elle pourra faire une initiation complète appelée
kariocha afin de devenir santera ou santero. Pour finir, si les signes qui sont apparus lors des divinations
durant « La Mano de Orula » le disent, l’adepte peut être initié totalement en tant que babalawo et
devenir l’un des prêtres les plus élevés dans la religion.
Selon les initiations qu’un adepte a passées et sa position dans la hiérarchie santera qui en
découle, il manipulera des oracles de type et de complexité différents. En effet, la noix de coco est
utilisée par tous, les coquillages dilogguns sont réservé aux obbas16 et la chaine d’Ifa est manipulée
exclusivement par les babalawos (Argyriadis, 2007).
1.2.1. « Les guerreros »
Le qualificatif de « guerriers » désigne spécifiquement quatre ancêtres divinisés qui s’appellent
respectivement Eleggua, Ochosi, Ogun et Osun (Konen, 2009 : 138). Durant cette première initiation,
l’initié va établir une relation avec ces quatre divinités à l’aide de sacrifices animaux (Konen, 2009). Ce
rituel permet à l’adepte d’adopter les compétences pour manipuler un des trois systèmes de divination :
Biange et Aditoto, c’est-à-dire, les quatre moitiés de cocos. Il fixe le chemin de l’adepte et l’incorpore
dans une famille religieuse. L’initiation des guerreros est expliquée, comme énormément d’éléments de
cette religion, par la mythologie de la santeria (Konen, 2009). Selon une théorie de la personne et une
théorie cosmogonique, chaque individu arrive sur terre accompagné par l’orisha Eleggua par un de ses
101 chemins qui représentent les différents aspects de la personnalité (Konen, 2009). Chaque chemin
emprunté va forger les caractéristiques et la personnalité de l’individu. En prévision de cette initiation,
un babalawo et le futur parrain auront consulté l’oracle d’Ifa afin de connaître le chemin parcouru par
le futur initié. Lorsque le nombre de chemins empruntés par l’initié ont été identifiés, il est prêt à se
consacrer aux quatre orishas guerriers. Ceux-ci vont aider l’adepte à compléter son périple vers la terre
et commencer à y vivre. Cette étape est donc considérée comme un rituel pré-natal (Konen, 2009). Avoir
les quatre orishas guerriers participe au développement spirituel de l’initié et à sa santé. Ils permettent
à l’initié de se munir métaphoriquement des premières armes pour combattre les hasards de la vie.
Durant cette initiation un coq et une colombe sont sacrifiés. Le sang des animaux est versé sur les
fundamentos, les représentations matérielles des quatre orishas guerriers. Ensuite leur tête est coupée et
14 Traduction : « Les guerriers » 15 Traduction : « La main d’Orula » 16 Santero qui dirige les initiations et habilité à « installer » un orisha dans la tête d’un adepte durant l’initiation
kariocha
14
posée devant Eleggua. Le babalawo versera ensuite du miel sur le sang et l’utilisera pour coller quelques
plumes (Konen, 2009).
1.2.2. « La Mano de Orula »
Recevoir « La Mano de Orula17 » est une initiation dans le monde d’Ifa. Celle-ci permet de
placer l’initié sous la protection d’Orula, le dieu de la divination. Elle a la particularité de ne pas conférer
des compétences pour manipuler un système de divination à l’initié. Son principal intérêt réside dans le
fait qu’il révèle le destin prénatal de l’initié (Konen, 2009). En fonction de son destin prénatal, l’initié
devra ensuite « faire son saint » ou « faire Ifa » ce qui consiste à se consacrer respectivement en tant que
santero.ra ou babalawo. Ceux-ci ont leur propre système de divination pour exécuter les rituels :
diloggun et Ifa. C’est une cérémonie très importante qui dure trois jours. Les femmes reçoivent le Kofa,
et non la « main », d’Orula. Elles peuvent ensuite exercer le rôle d’apeterbis qui sont des femmes
d’Orula qui assistent les babalawos durant les rituels. Elles ont certaines fonctions mais limitées et n’ont
pas accès aux secrets d’Ifa (Konen, 2009).
Ce rituel est effectué par le sacrifice de deux poules noires (Konen, 2009). L’initié doit boire
leur sang mélangé avec des plantes rituelles et manger leurs yeux. Ensuite cela se termine avec un repas
de communion après lequel l’adepte reçoit quelques objets rituels (Konen, 2009). Une divination
révélera également combien d’orishas ont le pouvoir de protéger l’initié de la mort (Konen, 2009).
Avant de terminer la cérémonie le troisième jour, l’initié devra choisir, entre tous les babalawos
présents, un oyubona qui sera son second parrain (Konen, 2009). Quelques jours après l’initiation, il est
nécessaire de procéder à un rituel pour faire entrer Orula dans la maison de l’adepte et ainsi la protéger
(Konen, 2009).
Durant mon terrain, j’ai assisté à deux journées sur trois de cette initiation. Bien entendu, n’étant
pas initiée, je n’avais accès qu’aux discours et aux pratiques hors de la pièce dans laquelle se déroule la
cérémonie. Mais les allers-retours des initiés, les objets présents dans la maison et le déroulement de la
journée m’ont déjà appris beaucoup de choses sur le déroulement de ces initiations. La vignette
ethnographique suivante illustre le décor dans lequel se déroule l’initiation :
« Je rentre dans la maison où débute l’initiation de deux femmes, un homme et un bébé.
Les femmes cuisinent, mettent la table, servent la nourriture et préparent la cérémonie.
Dans la cour de la maison, il y a de nombreux autels18 pour les orishas avec deux pigeons
morts et la tête tranchée d’un agneau plantée dessus. La peau de la bête est à terre, il y
a du sang sur tous les fundamentos. Des boyaux sont placés sur le museau de l’agneau.
17 Traduction : « La main d’Orula » 18 Appelés fundamentos, ils sont des représentations matérielles des différents orishas.
15
Je ne suis pas tant dégoutée, plutôt intriguée. Dimanche, je pense que l’on mangera
l’agneau. Des autels pour quelques orishas sont entourés d’offrandes dans différentes
pièces. Le dernier, consacré à Ifa, est caché derrière un drap blanc. Les initiés font une
grande journée aujourd’hui et dimanche aussi car ce sera le dernier jour. On était plus
ou moins trente personnes présentes pour quatre initiés » (JT, quartier de Cerro,
08/03/2019).
Une journée-type d’initiation se déroule en plusieurs étapes et est entrecoupée par les différents
repas religieux. Voici le déroulement de la journée à laquelle j’ai assisté qui, selon Ivan, est très
semblable à chaque fois :
« Le dimanche, l’initiation commence à 9h du matin dans le quartier de Cerro19. J’arrive
vers 11h dans la maison et m’installe dans le salon. Ivan, mon informateur principal,
n’est pas encore là. Tous les initiés ont un foulard et un chapeau blanc sur la tête. Les
babalawos sont là aussi. Les initiés se mettent ensemble en premier à table pour le
déjeuner. Après eux, ce sont les babalawos qui mangent ainsi que Jonathan20. Je
m’assieds avec eux car Ivan me dit de m’installer à table. Puis ce sont les hôtes et les
femmes qui mangent. Ensuite, un à un, les initiés vont dans le cuarto d’Ifa21 où sont
rassemblés les babalawos. La pièce est fermée par un drap blanc et des plantes séchées
pendent sur le dessus de la porte. Je ne peux, et personne d’autre à part les initiés et les
babalawos, voir ce qu’il se passe à l’intérieur. Les babalawos vont dévoiler à l’initié
quel saint le suit et le protège. Les initiés ont beaucoup d’attentes. Ils font des
prospections par rapport à quel saint ils pensent être. La première femme sort de la pièce
secrète et dit en souriant : « Yemaya, je suis Yemaya, orisha de la mer !». La deuxième
est Ochun.
Cette partie de l’initiation dure environ 40 minutes par personne. Un initié m’explique
que les babalawos lancent des noix de cocos sur un plateau et déduisent des
significations par rapport aux positions qu’elles ont en retombant. Les orishas parlent à
travers les lancers de cocos. Quand tout le monde est passé, je discute avec eux. Une
initiée déclara « J’hésitais entre Obatala et Ochun. Dans ma famille mon frère est
Obatala » et l’autre lui répondit « Ah moi je le sentais aussi ! ».
Après le premier passage devant les babalawos, ils doivent y retourner une seconde fois
pour connaître leur futur, leur destin, ce qu’ils ne doivent pas faire, ce qu’ils ne
pourraient pas manger, etc. Il y a des initiés qui ne peuvent plus manger d’œufs par
19 Voir plan de la Havane Annexe 8 p. 87 20 Garçon de 12 ans non initié qui est le fils d’une adepte qui s’initie à « La Mano de Orula » à ce moment-là. 21 Pièce dédiée à Ifa, cachée aux yeux des non-initiés, dans laquelle s’effectue l’initiation.
16
exemple. Ça permet de se purifier et d’attirer les énergies positives. Pour passer cette
deuxième étape, l’adepte qui est en train d’être initiée m’explique qu’elle va devoir
manger une tête de poulet cuisinée et qu’elle stresse car elle a peur des oiseaux.
L’initiation est clôturée par un repas religieux le soir. Il est très important et très festif
car il marque un nouveau départ » (JT, quartier de Cerro, 10/03/2019).
Cette description est celle du troisième et dernier jour d’initiation qui finit souvent tard dans la
nuit car il est ponctué de nombreuses conversations autour de bouteilles de rhum ou de bières. Elle
montre que chaque étape de l’initiation correspond à un déroulement particulier. Par exemple, le repas
religieux respecte un ordre précis de passages à table : les initiés sont les premiers à pouvoir manger,
suivis par les prêtres d’Ifa et ensuite les femmes et les hôtes. Les invités sont toujours servis en premier,
je mange donc avec les babalawos. Mais nous passons tout de même après les adeptes réalisant
l’initiation car ils sont considérés comme des enfants auxquels il faut prêter attention. C’est pour cela
qu’ils doivent porter un chapeau blanc protégeant leur tête.
1.2.3. Kariocha ou « faire son saint »
Le santero ou la santera est un adepte qui a fait son saint, c’est-à-dire qui a « fixé un orisha
dans sa tête22 ». Cet orisha détient la caractéristique de pouvoir posséder l’adepte (Konen, 2009 : 268).
« Faire son saint » est une initiation très importante, très longue et très coûteuse. Celle-ci donne
puissance au néophyte qu’on fait renaître. Selon la tradition de la santeria, chaque humain est l’enfant
d’un orisha principal qui est son protecteur, à l’image d’un « ange gardien » (Argyriadis, 2007 : 329-
356). Cette cérémonie s’appelle kariocha mais la dénomination la plus courante est « faire son saint ».
À la suite de cette étape, l’adepte novice doit obéir à certaines règles personnelles déterminées pendant
une cérémonie divinatoire nommée ita. Celles-ci sont imposées par l’orisha de la personne ainsi que par
les autres saints que l’initié reçoit également à cette occasion et qui déterminent tour à tour les différentes
facettes du comportement de l’individu (Argyriadis, 2007). Ces règles peuvent consister en des
offrandes à réaliser, des restrictions alimentaires, des conseils pour les finances, des obligations
vestimentaires, des habitudes de vie à changer, etc.
Kariocha dure une semaine durant laquelle l’adepte va mourir symboliquement pour ensuite
renaître. Durant l’année entière qui suit cette initiation, le pratiquant est appelé iyawo pour insister sur
le fait qu’il est un novice dans la santeria. Ce nouveau nom marque la renaissance de l’adepte qui ne
sera plus appelé par son ancien prénom. Après l’année de passage, un nouveau nom Lucumi, la langue
introduite par les esclaves Yoruba, lui sera assigné pour sa nouvelle vie. C’est une période durant
laquelle il devra respecter énormément de restrictions par rapport à son comportement, sa façon de
s’habiller, ses contacts sociaux, etc. En effet, le but est une purification durant laquelle le iyawo apprend
22 Littéralement “ha fijado en su cabeza un orisha” (Konen, 2009: 268)
17
à interagir avec les orishas plus intimement. Il pourra également, après cette initiation, vivre
l’expérience de la possession par son orisha tutélaire (Konen, 2009).
Durant mon terrain à Cuba, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui étaient en train de
réaliser leur année d’entrée en religion. Il est très fréquent d’en croiser dans la rue. Ceux-ci sont très
reconnaissables car ils sont habillés en blanc de la tête aux pieds. Une santera, Maria, m’a expliqué les
différentes règles à suivre :
« C’est le jour d’une grande cérémonie pour la confirmation d’initiation d’un babalawo
qui vient de Miami. Je suis dans la maison d’un babalawo très respecté vu les années
d’expérience dans la prêtrise qu’il a derrière lui. Il est le parrain d’Ivan, mon
informateur. Je discute avec sa belle fille qui a 21 ans et a été initiée lorsqu’elle était
bébé. Celle-ci m’explique que lorsque l’on fait son saint, l’initiation dure 7 jours durant
lesquels l’initié reste enfermé dans une maison. Ensuite, il devra s’habiller en blanc
durant une année entière et se couvrir la tête. Les règles changent selon les mois qui
s’écoulent. Durant les trois premiers mois, les femmes doivent porter une brassière, une
chemisette, une blouse, des collants en dentelle, un short, un châle, des chaussettes et
un voile blancs23. Il est également interdit de sortir après 18h. Les trois mois passés,
l’initié peut enlever le châle et le short et il y a une cérémonie pour enlever le voile.
Ensuite, il pourra sortir dehors jusqu’à 2h du matin. Mais il lui est interdit de boire de
l’alcool, de mettre du parfum, de porter du vernis (à part s’il est blanc) ou des bijoux
(sauf les bracelets reçus durant l’initiation) et de se teindre les cheveux. Il devra
également attendre trois mois pour pouvoir se maquiller. Lorsque les iyawos sortent
dans la rue, ils sont accompagnés de leur parrain ou de leur marraine. Ils doivent donc
vivre calmement et éviter toutes les activités à part l’école et le travail. Il leur est
également interdit de manger à table, ils doivent s’asseoir à terre. Ils utilisent une
cuillère et non un couteau et une fourchette car ils sont considérés comme des bébés
dans la religion. Ils doivent éviter toute proximité physique car ils sont très sensibles
aux vibrations corporelles. Après cette année stricte, une grande cérémonie est organisée
et une nouvelle vie sans toutes ces restrictions commence » (JT, quartier du Vedado,
08/02/2019).
Ces règles dévoilent qu’ils doivent faire attention à toutes les situations qui seraient
potentiellement dangereuses car ces « nouveau-nés » dans la religion sont vulnérables. Le blanc de leurs
habits représente la pureté et la paix intérieure. Les trois premiers mois sont plus sévères car ils sont,
selon leur croyance, plus sensibles et plus fragiles à cette époque-là. Ils doivent, pour devenir
23 Voir Annexe 4 p. 84
18
santeros.as, se séparer de tout besoin matériel qui est vu comme un vice. L’objectif est qu’ils
abandonnent leur vanité et le superficiel. Ils doivent apparaître naturels, sans maquillage et faux-
semblant qui les intoxiquent depuis des années. Ils doivent porter des habits les plus simples possible et
se retrouver seul pour atteindre une certaine maturité spirituelle et se concentrer sur leurs émotions. Le
but de cette année de restrictions est donc de se concentrer sur l’essentiel et de faire abstraction de tout
ce qui est superficiel.
Maria m’expliqua également comment se déroulent les quatre premiers jours de l’initiation :
« Le premier jour, s’appelle el rio. L’initié doit aller se purifier dans une rivière. Durant
le deuxième jour, el santo, l’initié apprend quel est son orisha protecteur. Ensuite, le
troisième jour, el medio, c’est le moment durant lequel la famille de l’initié vient le voir
et partage un repas religieux avec lui et les santeros. Pour finir, le quatrième jour, c’est
el ita. Le « padrino » lui décrit son passé, son présent et son futur ainsi que les choses à
faire pour que tout se passe bien dans sa vie. (…) Ensuite, la conversation fut
interrompue et elle ne m’expliqua pas les cinquième, sixième et septième jours » (JT,
quartier du Vedado, 08/02/2019).
Ita, le quatrième jour, est une série de consultations complexes durant laquelle l’orisha parle à
travers les dilogguns. Un obba, le maître de la santeria, et quelques santeros ayant de l’expérience
traduisent les signes pendant qu’un scribe écrit les paroles de l’orisha à propos de la vie de l’iyawo. Ita
donne des informations sur les futurs problèmes de l’initié, sur sa santé, des recommandations sur son
comportement et des conseils généraux pour atteindre le succès et l’accomplissement. Les interdits
imposés par l’orisha doivent être respectés durant toute la vie du pratiquant. Ils peuvent concerner,
similairement à ceux dictés dans le rituel de « La Mano de Orula », des interdits alimentaires, des
couleurs d’habits ou des situations à éviter. Malgré le fait que certaines interdictions peuvent sembler
inutiles, il est important pour l’initié de les respecter car cela montrera sa dévotion aux orishas qui est
la base de cette initiation.
Après avoir passé cette année d’initiation, une cérémonie marque la transition de l’iyawo vers
le statut de santero ou de santera qui peuvent assister à toutes les cérémonies de la santeria. Cette
initiation respecte le schéma établi par Van Gennep concernant les rites de passage (1909). Selon lui, il
existe trois phases à un rite : la phase préliminaire, la phase liminaire et la phase post liminaire. Durant
la première phase, l’individu est isolé du groupe, cela représente sa mort symbolique. Dans le rite de la
kariocha, ce sont les sept jours d’isolement dans le local rituel (Konen, 2009). La deuxième phase, est
une phase de marginalisation durant laquelle se met en place l’efficacité du rituel. Elle représente,
similairement à l’année de restriction de l’adepte, une gestation symbolique. C’est un moment durant
lequel l’adepte est très fragile et protégé. Pour finir, la troisième phase est celle de la renaissance
19
symbolique. L’adepte est réintégré dans le groupe, il n’est plus considéré comme un enfant et peut
reprendre ses habitudes. Cela traduit le passage d’un statut à l’autre qui est le déroulement universel de
tout rite (Van Gennep, 1909). Le rite est performatif, il a une efficacité. « Faire son saint » représente
une deuxième naissance sociale, un nouveau stade d’existence. Cette étape transmet des valeurs que
l’initié va assimiler.
1.2.4. « Faire Ifa » ou devenir babalawo
C’est une cérémonie d’initiation durant laquelle l’adepte est initié en tant que père du secret qui
se spécialise dans les formes les plus profondes de la divination. Il va apprendre à utiliser la table d’Ifa
et à décoder les 256 signes qui permettent de lire le passé, le futur et l’avenir d’une personne ainsi que
de lui donner des conseils à suivre. L’initié passe un échelon dans la hiérarchie. Mais cela demande un
énorme investissement de temps, d’apprentissage et de responsabilités m’explique Ivan.
Faire l’initiation d’Ifa consiste en recevoir l’oracle d’Orula dans le corps et non dans la tête.
Cela signifie qu’il ne peut pas posséder son détenteur (Konen, 2009). L’initiation en tant que babalawo
ne demande pas d’avoir vécu l’expérience de la perte de conscience ou de la possession comme c’est le
cas lorsque l’on « fait son saint ». L’initié deviendra, ensuite, un spécialiste de la manipulation du
système divinatoire Ifa (Konen, 2009). L’initiation pour un babalawo est dirigée entièrement par un
collège de babalawos et dure une semaine. Cela comporte des phases de réclusion dans un local rituel
dans la maison d’un des babalawos et des phases de sorties, publiques ou privées (Konen, 2009).
Pendant les sorties privées, seules les personnes qui participent au rituel accompagnent l’initié dans des
endroits naturels comme une grotte ou en bord de mer. Cela permet de réaliser le rituel de purification
et de nettoyage de l’initié et de faire des offrandes sacrificielles aux orishas (Konen, 2009).
Ce rituel se termine par une sortie publique de l’initié devant la maison dans laquelle il a passé
une semaine. Durant cette sortie, il va faire des offrandes à la terre pendant que les personnes présentes
le frappent avec des bâtons (Konen, 2009). Cela évoque le réveil du futur babalawo dans une nouvelle
vie qui s’annonce difficile car il sera détenteur d’une charge rituelle très lourde : la prêtrise (Konen,
2009). Ensuite cette sortie est suivie par une danse des apeterbis, les assistantes des babalawos, qui
l’accueillent en chantant et en apportant des plateaux de nourriture qui seront offerts aux puissances du
rite et feront également partie du repas de communion. Les babalawos se situent en dehors du cercle
formé par les apeterbis. Ils vont déposer quelques billets dans les plateaux de nourriture pour payer les
assistantes rituelles. Ensuite, quelques enfants vont exécuter un rituel qui rompt la cérémonie : c’est une
pinata remplie de caramels qui sera frappée par un enfant pour tenter de la casser et de faire tomber tous
les bonbons (Konen, 2009 : 269). Selon le mythe Ocha-Ifa, les enfants représentent l’orisha Eleggua.
Ce rituel suggère l’ouverture d’un portique grâce à l’offrande des caramels fait au doyen des chemins,
Eleggua. Cela marque la fin de la consécration et la sortie autorisée du nouveau babalawo de sa pièce
cérémonielle. Ensuite, le repas religieux permet aux anciens babalawos et au nouveau d’effectuer les
20
mêmes gestes rituels et de recevoir la même attention prodiguée par les apeterbis chargées du service
de table (Konen, 2009).
1.3. Historique de la santeria depuis la période de l’esclavage (1492-1992)
Cette partie a pour optique de retracer l’histoire de la religion Ocha-Ifa afin de déceler ce qui a
permis sa présence ininterrompue sur le territoire havanais.
1.3.1. « Déportation » d’esclaves : la reconstruction d’institutions africaines en exil
L’histoire connue de Cuba commence en 1492 avec l’arrivée de Christophe Colomb sur ses
terres. C’est quelques années plus tard, au début du 16ème siècle, que les Espagnols en firent leur colonie.
Celle-ci dura près de quatre siècles. Les indigènes qui étaient présents avant les Espagnols périrent
rapidement de maladies et de surcharge de travail. C’est ainsi que des milliers d’esclaves africains furent
forcés de quitter leur région natale pour travailler sur l’île pour les colons (Létrilliart, 2008).
L’évangélisation officielle de Cuba commença en 1518 avec la création du premier évêché à Baracoa
(Létrilliart, 2008). Mais l’influence catholique reste superficielle : il n’existe que 14 prêtres en 1536.
Avec l’arrivée de nombreux Européens, le pouvoir de l’Eglise est plus présent. Elle devient un « élément
organique du système d’exploitation colonial » (Torreira, 2004 : 192).
La religion de la santeria a été amenée à Cuba par les Africains parlant yoruba. Ils vivaient en
Afrique de l’ouest, plus précisément, au Nigéria et au Bénin actuels (Nodal et Andre, 1978). Les esclaves
africains ont été importés pendant plus de 350 ans, entre 1503 et 1880 (Konen, 2009). C’est à Cuba que
furent déportés le plus d’esclaves au 19ème siècle (Nodal et Andre, 1978).
Avant la fin du 18ème siècle, il n’y avait pas beaucoup d’esclaves yorubas à Cuba (Cohen, 2002).
Les dynamiques changèrent avec la révolution haïtienne en 1791. En effet, celle-ci détruisit la première
plus grande production de sucre du monde provoquant un « Sugar Boom »24 à Cuba et au Brésil (Cohen,
2002 : 19). Cuba commence également à exporter son tabac et son coton. Ces nouvelles entreprises
exigent une main d’œuvre plus nombreuse. La demande d’esclaves augmente et de nombreux yorubas
sont capturés et embarqués pour Cuba (Cohen, 2002). Tout était différent pour eux : que ça soit la
géographie, l’organisation sociale ou l’habitat (Nodal et Andre, 1978). Ils ont cependant conservé leur
langage et leur religion au travers des célébrations de leur culte (Nodal et Andre, 1978).
Pour ces raisons, durant la première moitié du 19ème siècle, des centaines de milliers d’individus
parlant yoruba ont quitté leur pays. Leurs descendants s’appellent, à Cuba, les « Lucumis » (Nodal et
Andre, 1978). La dernière vague d’importation d’esclaves fut très grande et présentait une haute
concentration de yorubas provenant d’une seule et unique région ce qui a créé une condition unique pour
la reconstruction d’institutions africaines en exil (Cohen, 2002). Ces derniers esclaves sont arrivés très
tard à Cuba et ont connu l’abolition de l’esclavage en 1886 (Cohen, 2002). Nombre d’entre eux ne sont
24 Une forte augmentation de la demande de production sucrière
21
même jamais allés travailler dans les plantations. La migration était complexe et les esclaves yorubas
étaient massivement transportés, déplacés et dispersés à travers différents pays. Ils se retrouvaient donc
partout tant aux Caraïbes qu’au Brésil et avaient une présence prédominante. En 1850, environ 34,5
pourcents des esclaves étaient Lucumis (Cohen, 2002 : 20) et la plupart furent engagés pour travailler
en ville (Klein, 1967).
1.3.2. La reconnaissance des Yorubas : une clé de l’implantation de la santeria ?
Les recherches ethno-historiques classent les anciens esclaves en quatre nations. Premièrement,
les Araras qui viennent du Bénin et pratiquent le culte « arara ». Ensuite, les Congos d’origine Bantu,
qui viennent du Congo et de l’Angola et pratiquent le culte afro-cubain appelé « Palo Monte ».
Troisièmement, les Yorubas qui sont originaires du Nigéria et du Bénin, et pratiquent la santeria,
nommée également le culte Ocha-Ifa ou le culte lucumi. Pour finir, les Carabalis. Ils viennent également
du Nigéria et pratiquent la religion secrète et masculine de l’abakua (Konen, 2009 ; Musée Historique
de Guanabacoa). Parmi ces différents peuples africains, la communauté yoruba est celle qui s’est le plus
rapidement adaptée à l’environnement cubain. Elle était vue comme « la plus évoluée » selon les termes
évolutionnistes de l’époque. Trois facteurs principaux ont aidé à l’acclimatation rapide des Yorubas.
Premièrement, le contexte de la Havane présentait des similitudes avec leur organisation
d’origine. Il permet, pour différentes raisons, une certaine autonomie, un accès aux ressources et la
création d’organisations collectives pour les esclaves cubains (Cohen, 2002). Une des raisons
principales est le fait que le territoire d’origine des yorubas fonde son histoire millénaire dans
l’urbanisme. À la Havane, il y avait beaucoup de personnes de passage et le commerce était très
important. Beaucoup de bars et de clubs étaient tenus par des esclaves (Klein, 1967). Ils avaient des
compétences de travailleurs et vivaient avec leur propre argent gagné (Cohen, 2002). C’est pourquoi, il
est possible que les esclaves yorubas aient trouvé l’environnement des villes comme la Havane, Salvador
ou Matanzas familier (Cohen, 2002).
Par ailleurs, la religion des esclaves ne fut pas fortement réprimandée ce qui s’avéra très
important pour les Yorubas qui est un peuple très religieux (Mary, Ranger, Bayart et Peel, 2002). Les
missionnaires chrétiens sont arrivés alors que la religion connaissait un développement dans la
communauté yoruba (Mary, et al., 2002). Lorsqu’ils arrivèrent à Cuba et durant le reste de l’époque
coloniale, l’évangélisation fut superficielle. A la fin du 18ème siècle, les Espagnols ont toléré le
développement d’un groupe d’Africains affranchis qui pratiquaient plus ou moins librement leur religion
ancestrale (Béquet et Dianteill, 1999).
Le troisième facteur favorisant leur adaptation fut la création de collectivités libres. Les
communautés yorubas étaient bien organisées et douées en commerce (Cohen, 2002). La plupart d’entre
eux travaillaient comme servants domestiques car ils ont rapidement appris l’espagnol. Il y avait des
villages et des quartiers en ville dans lesquels les esclaves pouvaient parler leur langue maternelle,
22
cuisiner et jouer comme dans leur pays d’origine. Cela formait, pour eux, une sorte de « monde
parallèle » (Cohen, 2002 : 25). Une véritable société sous-terraine d’esclaves africains et leurs enfants
existait avec des clubs et des associations secrets. Cela fonctionnait comme des groupes de travail
solidaires (Cohen, 2002).
Les Yorubas, grâce au contexte assez familier de la Havane, à la tolérance des missionnaires par
rapport à leur religion et à la possibilité de se regrouper en associations, n’ont jamais cessé de pratiquer
la religion des orishas. Leur statut « d’esclaves supérieur aux autres », leur a permis de conserver leurs
coutumes à Cuba.
La santeria s’est donc développée dans ce tableau de migration, de création de structures
organisationnelles autonomes, de contacts et d’échanges entre les esclaves yorubas (Cohen, 2002). Les
centres d’émergence de ce culte à Cuba sont les villes de la Havane et de Matanzas (Capone, 2017) à
l’ouest de l’île. Ensuite elle s’est étendue vers l’est de l’île. C’est dans les sociétés d’instruction, de
secours et d’entraide que cette religion a pris forme (Testa, 2005). Celles-ci étaient nommées cabildos
et réunissaient les Africains par nation. On les dénommait « cabildos Arara », « cabildos Carabali », etc.
selon l’origine des individus. Ce type d’institution arrive d’Espagne. Elles ont une visée récréative,
politique et de secours mutuel (Testa, 2005). A partir de 1860, elles connurent un déclin et furent
proscrites. Mais dans certaines villes comme Matanzas, nombreuses d’entre elles ont continué à
fonctionner même après leur interdiction (Testa, 2005).
La société yoruba en Afrique était très stratifiée et le religieux et le politique étaient combinés
au sein de la « classe des intellectuels religieux ». Les élites africaines sont arrivées à Cuba entourées
de personnes qui connaissaient leur statut (Cohen, 2002). La diffusion de cette religion est le résultat
d’allers-retours d’initiés et de chefs de culte entre différents pays (Capone, 2017). Durant tout le 19ème
siècle, les objets, les idées et les spécialistes religieux ont circulé entre les communautés (Cohen, 2002).
Le marché transatlantique était motivé par des valeurs ethniques et religieuses (Capone, 2017).
Voici donc, en résumé, les dynamiques historiques spécifiques dans lesquelles les traditions yorubas
se sont répandues : il y a eu un grand transfert démographique d’un point précis en Afrique vers des
points spécifiques dans le Nouveau Monde, l’environnement urbain a facilité la constitution
d’institutions africaines définies ethniquement et, ensuite, des allers-retours ont été effectués entre Cuba,
le Brésil, certaines îles des Caraïbes et le pays d’origine des Lucumis (Cohen, 2002).
1.3.3. La religion et le politique : un processus de dévalorisation et de revalorisation de la santeria
En 1868, la situation de la population cubaine ne changeant pas, une guerre pour l’indépendance
se déclare. Elle durera 10 ans. Une seconde lutte se déroule de 1895 jusqu’à 1898, soutenue par les Etats-
Unis. Elle permit aux Cubains de se libérer de l’emprise espagnole (Létrilliart, 2008).
23
En 1886, l’esclavage est aboli, les hommes libérés peuvent se déplacer dans l’île. Les religions
africaines persistèrent. Elles évoluent de façon originale dans un contexte social complètement distinct
de la situation d’esclavage et ont fortement influencé la culture cubaine contemporaine (Béquet et
Dianteill, 1999).
Au début du 20ème siècle, Cuba, sous le protectorat américain, n’est pas favorable au
catholicisme. La Constitution de 1901 annonce la séparation de l’Eglise et de l’Etat (Létrilliart, 2008).
L’Eglise est donc éloignée de la société civile. Au même moment, plusieurs dictatures se succèdent dans
le pays. En 1959, le dictateur Batista est renversé par une révolution menée par Fidel Castro. Il prend le
pouvoir et engage Cuba dans une alliance avec les pays soviétiques en mettant en place une économie
marxiste (Létrilliart, 2008). Les recherches faites sur Cuba à cette époque-là étaient contrôlées par Fidel
Castro et orientées dans la direction qu’il voulait (Gobin et Morel, 2013). Il encourage les initiatives
visant à créer une identité nationale et à valoriser les cultures subalternes (Gobin et Morel, 2013). Après
la révolution, la religion est clairement mise de côté.
À partir des années 1960, les religions afro-cubaines sont associées à une culture subalterne qui
avait une utilité dans le contexte de l’esclavage mais plus dans le contexte révolutionnaire (Gobin, 2008).
Leurs pratiques furent jugées incompatibles avec le socialisme d’état affirmé en 1961 car elles sont
qualifiées de primitives, d’animistes et d’anti-scientifiques et donc nuisibles à la construction
révolutionnaire (Gobin, 2008). Le 1er Congrès du parti communiste cubain vise à éradiquer ces cultes
par la mise en place d’une politique socio-économique, éducative et culturelle. La pratique n’est donc
pas officiellement interdite, mais des mesures sont prises pour favoriser sa régression (Gobin, 2008).
Aucune réelle législation n’est adoptée mais des sanctions sont souvent mises en place. De plus, jusqu’au
IVème Congrès du parti, les pratiquants de toute religion sont maintenus à l’écart des emplois à haute
responsabilité et des institutions révolutionnaires (Gobin, 2008).
Pourtant, paradoxalement, l’étude de la santeria va énormément se développer durant les années
d’après révolution. Le Gouvernement va tenter de stimuler le folklore et la culture populaire
traditionnelle du pays. La notion de « folklore » renvoie à la « situation culturelle du peuple » (Román,
2001 : 295), c’est-à-dire des classes considérées comme jusqu’ici opprimées (Gobin, 2008). C’est un
projet social qui veut construire un nouveau patrimoine culturel unifié pour Cuba qui intégrera certains
éléments du folklore et permettra une société socialiste sans classes (Gobin, 2008). Le gouvernement
révolutionnaire va donc mettre en place des institutions scientifiques et culturelles qui seront les porteurs
de ce projet (Gobin, 2008). Ils doivent identifier et étudier les composantes de ce folklore en tentant de
valoriser la population noire défavorisée et marginalisée dans le contexte colonial (Gobin, 2008). C’est
à partir de ce moment-là que « l’apport africain » à la culture populaire sera étudié : les confréries
d’esclaves cabildos, les danses et chants africains mais surtout les religions d’origine yoruba (Gobin,
2008). Cela fut réalisé pour mettre en valeur l’africanité dans la culture insulaire cubaine (Dale Moore,
24
1997). Mais, seules les traditions religieuses africaines d’origine yoruba étaient prises en compte car
elles étaient considérées comme supérieures d’un point de vue théologique, esthétique et culturel
(Dianteill, 1995 ; Argyriadis, 2006). Ce sont donc dans ces cultes que l’apport africain à la culture
cubaine va venir se cristalliser. Ceux-ci étaient sur-représentés et valorisés dans les revues de l’époque
(Gobin, 2008). Ce phénomène est dû aux idées réductionnistes de l’évolutionnisme et de la raciologie
du 19ème siècle selon lesquels le peuple yoruba serait supérieur aux autres peuples africains « importés »
durant la période d’esclavage (Capone, 1999). Ainsi, à la fin des années 1960, certains textes
idéologiques du Comité Central du parti communiste cubain admettent, tout en condamnant sa pratique,
que la religion des orishas constitue « le plus haut degré des croyances primitives » d’origine africaine
(s.a., Ciencia y religión, 1968 : 18, cité dans Gobin, 2008). C’est surtout leur dimension artistique qui
sera envisagée comme un élément pouvant faire partie de la culture cubaine (Gobin, 2008).
Il y a donc des dynamiques antagonistes entre la volonté explicite de l’état d’éradiquer ces
religions et la demande du Gouvernement d’étudier en profondeur la santeria et de la considérer comme
faisant partie du folklore cubain. La volonté sous-jacente du pouvoir est double : valoriser la culture
populaire et promouvoir le folklore de la santeria, et également, se procurer, en étudiant la religion, des
éléments afin de mettre en place une stratégie efficace pour supprimer ces cultes (Gobin, 2008). La
connaissance de ces cultes serait donc indispensable pour en dessiner les défaillances (Guanche, 1983).
Seul son aspect esthétique sera gardé (Gobin, 2008).
En ce qui concerne la position de l’Etat face au catholicisme, mai 1961 marque la fin des
relations avec les catholiques : le gouvernement nationalise les écoles privées, les hôpitaux et les
universités catholiques et de nombreux prêtres sont expulsés (Létrilliart, 2008). Durant deux décennies,
l’Eglise et ses adeptes seront isolés socialement et politiquement. Cette période s’appelle « L’Eglise du
silence » (Létrilliart, 2008 : 131).
Durant les années 1970, le processus de folklorisation des cultes yorubas est très marqué. Des
groupes folkloriques sont ainsi créés dans les écoles (Argyriadis, 2006) afin de réaliser des spectacles
de musique et de danse liés au patrimoine religieux yoruba mais sans que le nouveau public n’intériorise
le contenu symbolique (Moreno Fraginals, 1977). La volonté est de « patrimonialiser » ces religions en
décontextualisant les rituels de leur place dans la santeria. Cela leur confère une nouvelle fonction
sociale révolutionnaire (Martinez Furé, 1979).
Durant des années, des Cubains ont décidé de renier leur pratique afin d’éviter toute
discrimination. D’autres, au contraire, décidèrent de se retirer de la militance politique afin de continuer
à pratiquer leur culte sans être victimes de jugements. Pour finir, d’autres encore se tournèrent vers une
stratégie de dissimulation de leur culte afin de pouvoir continuer dans les deux domaines parallèlement
(Argyriadis, 1999).
25
C’est à partir des années 1980 et du début des années 1990 que le mouvement de libéralisation
s’est développé, entre autres, du côté de la religion (Létrilliart, 2008). Le pouvoir cubain veut prendre
en compte la réémergence du catholicisme après 25 ans de révolution marxiste (Létrilliart, 2008). Il va
également offrir quelques espaces à l’expression religieuse santera et évangéliste.
En 1991, la position de l’Etat face à la religion devint officiellement tolérante. Le IVème congrès
du parti communiste cubain acte la possibilité pour un croyant d’accéder au parti et le responsable du
bureau des Affaires religieuses, José Carneado, insiste sur le lien entre le régime et la communauté
chrétienne qui « défend les pauvres, les paysans sans terre, lutte contre l’exploitation et les injustices »
(Argyriadis, 1999 : 278). Cela pousse de nombreux Cubains à mettre en avant leur propre religion et
leur appartenance aux traditions afro-cubaines (Gobin et Morel, 2013). Fidel Castro ouvre un dialogue
avec l’Eglise et franchit une étape en se rendant au Vatican en 1996. Réciproquement, Jean Paul II
réalise la première visite papale à Cuba en 1998. La religion est, depuis ce moment-là, une question de
choix personnel et ne remet plus en question l’engagement dans un mouvement socialiste
révolutionnaire. Les initiés vont alors donner à leur pratique une publicité inédite en montrant que le
Gouvernement n’a pas réussi à éradiquer la santeria (Gobin, 2008).
Parallèlement, le regard étranger sur la culture cubaine a favorisé l’intégration de la religion
yoruba. En effet, de nombreux touristes viennent sur l’île à la recherche d’un certain exotisme ce qui
renforce la mise en scène du « répertoire mythico-rituel » d’origine africaine dans les lieux publics
(Gobin, 2008 : 155). Dans les hauts-lieux de tourisme, de nombreux personnages, se présentant comme
spécialistes religieux, sillonnent les rues afin de commercer en lisant l’avenir des touristes, en faisant
des photos avec eux ou en usant de diverses techniques de divinations (Gobin, 2008). C’est donc à partir
de ce moment-là que les religions afro-cubaines connurent un prestige et une augmentation de leur
nombre d’adeptes (Gobin, 2013) dus à la libéralisation religieuse et à la décision gouvernementale de
développer un tourisme de masse (Gobin, 2008).
Ces pratiques sont toujours très présentes au centre de la Vieille Havane. En effet, il est
presqu’impossible de parcourir les rues principales sans apercevoir de nombreuses dames portant des
habits traditionnels de la santeria. Certaines sont vêtues de grandes robes blanches en référence à l’année
de blanc imposée après avoir « fait son saint » et d’autres de robes de diverses couleurs en référence aux
orishas. Celles-ci proposent aux passants de lire dans le creux de leur main, de deviner l’avenir dans des
cartes ou de vendre divers articles religieux comme des petites poupées. Ces femmes font partie de
l’ambiance et de la culture de la Havane. De nombreux touristes payent quelques pesos convertibles
pour pouvoir faire une photo avec elles, cigare à la bouche.
Dans le courant de la même année 1991, la Regla Ocha-Ifa fut même reconnue
institutionnellement. Des initiés dans le culte ont fondé, avec le soutien du gouvernement, l’Association
26
Culturelle Yoruba de Cuba (ACYC) qui bénéficie également d’un local au cœur de la Vieille Havane
(Gobin, 2008).
En 1992, la Constitution fut donc modifiée et stipule qu’elle reconnaît, respecte et garantit la
liberté religieuse. Chaque croyance et chaque religion jouit d’une égale considération (Létrilliart, 2008).
L’Etat prône donc une laïcité respectueuse des cultes mais surtout une égalité entre eux. Il refuse aux
catholiques le traitement spécifique qu’ils estiment mériter. Ces nouvelles évolutions profitent surtout
aux cultes afro-cubains et aux protestants (Létrilliart, 2008). La religion Ocha-Ifa a survécu à l’athéisme
prôné par le gouvernement depuis 1961 (Béquet et Dianteill, 1999).
Au même moment, l’accès à l’île de Cuba devint plus aisé. En effet, l’Union des Républiques
socialistes soviétiques (URSS) s’effondre et Cuba entre dans la « Période spéciale en temps de paix »
(Gobin, 2013). Le choc de la disparition des partenaires économiques est très brutal. Cuba est isolé face
à l’hostilité maintenue par les Etats-Unis qui usent de leur pouvoir économique (Morris, 2015). L’Etat
tente donc de relancer l’économie nationale en augmentant le tourisme et en facilitant les séjours
étrangers. Cela permit à de nombreux étudiants européens de venir faire des recherches sur le pays
(Gobin et Morel, 2013). Durant les dernières années du 20ème siècle, un processus de valorisation des
religions afro-cubaines s’est donc mis en place. Elles étaient vues comme un apport culturel africain
positif à la culture populaire (Gobin, 2008).
1.4. La santeria à Cuba et dans le monde aujourd’hui
La religion des orishas était, à la base, une religion d’Africains et de pauvres. Elle a, cependant,
rapidement cessé d’être pratiquée seulement par les descendants africains et elle a traversé toutes les
classes sociales (Capone, 2017). Entre les années 1930 et 1960, il n’y avait qu’une trentaine de
babalawos à la Havane. Alors qu’en 2009, il y en avait déjà plus de 4000 (Konen, 2009). Il est difficile
d’avoir un chiffre exact des santeros car il n’y a aucune affiliation officielle ni d’organisation
ecclésiastique (Juarez Huet, 2004). La santeria jouit, depuis quelques années, d’un prestige singulier et
le nombre d’adeptes croit donc significativement (Gobin, 2007). Le répertoire « afro-cubain » a changé
radicalement de statut en moins d’un siècle (Argyriadis, 2006).
Aujourd’hui, beaucoup d’étrangers viennent sur l’île pour s’initier ou avoir des services rituels
et thérapeutiques (Gobin, 2013). Le tourisme international de masse a aidé à son expansion. Cette
attirance s’inscrit dans le phénomène actuel de recherche d’alternatives thérapeutique et spirituelle dans
des univers culturels plus lointains. Cela s’appelle le « tourisme religieux ou initiatique » et la logique
« New Age » (Gobin, 2013 : 3). La présence d’étrangers influence la scène locale de la santeria et peut
exacerber les conflits. Il en découle par exemple, certaines luttes entre spécialistes religieux pour initier
un étranger. Les raisons sont d’ordre économique, un étranger payant plus cher ses initiations, et
symbolique car cela apporte un certain prestige et une renommée internationale (Gobin, 2013).
27
Actuellement, beaucoup de Havanais étendent leur réseau religieux hors du pays au travers du
parrainage (Argyriadis, 2006). Depuis les années 1990, Internet est devenu l’arène principale de
diffusion du culte d’Ifa (Capone, 2017). Au fil du 20ème siècle, le champ religieux afro-latino-américain
s’est fort transformé : il s’est éparpillé et est devenu transnational25. Ça fait quelques années que la
santeria est implantée sous diverses formes en Colombie, au Mexique et au Venezuela ainsi que dans
de nombreuses capitales latino-américaines : Lima, La Paz et Santiago (Capone, 2017, 99). Mais elle
connait également un succès en Europe, surtout en Espagne et au Portugal (Gobin, 2013). Il existe des
chefs de culte qui circulent à travers différents pays afin de réaliser des rituels. Le terme de
« transmigrant » peut être utilisé pour désigner la multiplicité des relations familiales, économiques,
sociales, religieuses et politiques que les immigrés entretiennent avec leur pays d’origine en créant
divers réseaux et des façons de vivre qui relient les deux sociétés (Green Basch, Glick-Schiller Szanton
Blanc, 1994, cité dans Capone, 2017 : 101). Les activités des transmigrants ont joué un grand rôle dans
l’implantation et l’évolution des religions afro-américaines jusqu’à aujourd’hui. Il n’y a qu’aux Etats-
Unis que l’implantation des religions afro-cubaines a été la conséquence de grandes vagues migratoires
qui ont suivi la Révolution cubaine (Capone, 2017). Dans les autres pays, cela s’est fait par les
interactions entre les individus qui font des allers-retours entre les différents pays en pratiquant la
santeria. Ce sont principalement des idées, des valeurs et des objets qui circulent, mettant en contact
des univers culturels distincts (Capone, 2017).
Auparavant, les musiques et les danses des descendants d’Africains à Cuba étaient vues comme
répugnantes et leur pratique était réprimée. Aujourd’hui les tambours bata26 et les danses propres aux
orishas attirent un nombre toujours plus grand de visiteurs européens et américains. Cela représenterait
le paradigme d’une « pure tradition Yoruba » (Argyriadis, 2006 : 45). Ces représentations esthétiques et
artistiques autour du thème de la religion Ocha-Ifa sont devenues un facteur touristique important. Il
existe même des voyages organisés qui incluent dans leur programme des activités culturelles basées
sur le répertoire traditionnel afro-cubain (Argyriadis, 2006). A la Havane, il n’y a pas un musée, un
marché ou un lieu de spectacle sans rumba, tambours bata, chants, danses ou costumes des orishas. Il
existe un grand imaginaire autour de la nation yoruba. Les initiés partagent une même identification à
des lignages qui dépassent les liens généalogiques. Ce sont des liens imaginaires et informels qui sont
renforcés par les liens virtuels qu’offre Internet et ses réseaux d’échange (Capone, 2017). Les Cubains,
ayant un accès plus difficile à Internet, sont donc exclus et marginalisés du monde virtuel de la santeria
sans cet outil (Gobin, 2013).
Aujourd’hui dans le monde, la religion des orishas constitue un espace conflictuel causé par des
tensions structurelles entre les différentes cultures. En effet, certains leaders charismatiques tentent
25 « Processus par lequel les immigrés forgent et maintiennent des relations sociales multiples et imbriquées qui
relient leurs sociétés d’origine et d’accueil » (Green Basch, Glick-Schiller, Szanton Blanc, 1994 : 6) 26 Tambours sacrés de la santeria
28
d’homogénéiser cette religion avec leur façon de voir les choses alors que la pratique de la santeria est
profondément hétérogène (Capone, 2017). Ils tentent de légitimer leur façon de faire par rapport à
d’autres traditions pratiquées dans des pays différents. Il existe un imaginaire yoruba globalisé mais les
différentes traditions afro-américaines sont localisées et il en existe de nombreuses variantes locales
(Capone, 2017). C’est donc un combat épistémologique que se livrent certains babalawos nigérians,
cubains et brésiliens. La religion yoruba donne naissance à de nouveaux imaginaires transnationaux
(Capone, 2017). C’est un véritable terrain de négociation entre culture locale et culture globale. La
globalisation religieuse ne peut donc pas être pensée comme facteur d’homogénéisation.
À côté du catholicisme majoritaire et des religions afro-cubaines, il existe d’autres religions
minoritaires à Cuba, comme le judaïsme, l’islam, le protestantisme ou le bouddhisme (Konen, 2009).
1.5. Religion et secret : les différentes voies de l’approche du terrain
Lorsque je suis arrivée à la Havane, je n’avais qu’un contact sur place, Wolfgang, un Allemand
chez qui j’allais dormir dans le quartier excentré de Marianao pendant un mois. Je demandai de l’aide à
un anthropologue bruxellois, Jean Lazard, travaillant depuis vingt ans sur le sujet de la santeria. Grâce
à lui, j’ai rencontré, là-bas, mon informateur principal, Ivan. Il est un « babalawo », un prêtre de la
santeria, qui parle français et espagnol et qui pratique cette religion depuis une trentaine d’années. Jean
Lazard avait effectué, dans les années 1990, son parcours religieux à ses côtés. Je me suis rendue chez
lui afin de lui poser quelques questions sur la religion et pour lui présenter mon travail et la méthodologie
que je souhaitais appliquer. Celui-ci m’a présenté à de nombreuses autres personnes faisant partie de
son entourage religieux. Mon terrain a donc débuté de cette manière.
Parallèlement, je cherchais à lancer mon terrain par d’autres portes d’entrées. J’ai rencontré le
voisin de la maison où j’habitais. Mon hôte m’avait expliqué qu’il était également un babalawo. Je me
suis présentée chez lui afin d’en savoir plus sur cette religion. Il a bien voulu, avec son fils, m’expliquer
et me montrer comment fonctionnait, en général, la santeria. Ces démarches avaient pour but de
rencontrer des personnes pratiquant la santeria et de comprendre empiriquement, petit à petit, comment
fonctionnait cette religion.
Pour finir, je faisais également des recherches seule dans la rue en me baladant et en observant
avec attention les détails invoquant la religion. La santeria est une religion qui est fort reconnaissable
dans la rue. En effet, de nombreux « santeros », décorent leur entrée de porte d’une frise de feuilles
séchées qui permet donc à quiconque de connaître la tradition religieuse de la maison en question.
Ensuite, de nombreuses petites boutiques vendent des objets à usages religieux. Pour finir, les adeptes
possèdent tous un bracelet de couleur. Cela me permettait donc de repérer facilement les personnes
faisant partie de la santeria. Je me promenais en faisant attention à tous ces détails, en parlant et en
questionnant les adeptes et vendeurs d’objets religieux.
29
Afin d’obtenir également des informations complémentaires sur l’histoire de la santeria, je me
suis rendue dans des musées dédiés à ce mouvement religieux : le musée national de Guanabacoa et le
musée « Africa » de la Vieille Havane, ainsi que dans différentes associations culturelles sur la culture
yoruba. Cela m’a permis de compléter la littérature concernant la contextualisation de la santeria et de
connaître son évolution.
Comme je viens de l’indiquer, la méthode sur le terrain variait selon l’endroit où je me trouvais.
En effet, lorsque je me rendais à des cérémonies ou des initiations, je faisais de l’observation
participante. À l’inverse, lorsque je rencontrais des gens occasionnellement dans la rue ou autre part, je
discutais avec eux et j’observais chaque détail se rapportant au religieux.
En ce qui concerne les cérémonies, elles avaient lieu chez les adeptes. Je passais donc l’après-
midi dans leur maison. Les initiations en tant que telles étaient cachées et réalisées dans une pièce
fermée, interdite aux personnes non-initiées. Mais cela ne m’a pas découragée. Je me suis intéressée aux
discours, aux attitudes, aux ressentis et aux habits des adeptes lorsqu’ils sont hors de la pièce dans
laquelle sont réalisés les différents rituels pour l’initiation. Durant ces journées d’initiation, j’adoptais
l’approche méthodologique d’observation participante. J’arrivais en même temps que la famille des
initiés, je participais aux repas, je me mêlais aux bavardages ordinaires et je pratiquais également
quelques petits rituels obligatoires. Durant d’autres cérémonies encore, la participation était encore plus
marquée car il fallait danser et suivre les règles rituelles strictes. J’ai donc participé pendant 5 heures à
une fête du « tambor27 » durant laquelle il m’a fallu danser au rythme des tambours, me protéger la tête
d’un foulard durant une partie de la cérémonie, toucher le sol d’une certaine façon à certains moments,
etc. La participation était donc primordiale. La vignette ethnographique ci-dessous est exemplaire. Elle
illustre ma place sur le terrain :
« Hier, dimanche, je suis allée chez Eledis pour une « fiesta del tambor » en l’honneur
d’Ochun28. J’arrive à 14 heure en short. Elle me dit que je ne peux pas être en short. Sa
fille, qui s’appelle également Eledis, m’apporte donc une longue jupe jaune, la couleur
d’Ochun. Je me présente à chaque personne en expliquant mon travail. Ils sont plus ou
moins 20. Ensuite, je m’assieds dans la cour et commence à parler à un groupe
de santeros. Ils sont 5 joueurs de tambour et ont été engagés par Eledis et sa famille
pour jouer pendant 4 heure en l’honneur d’Ochun. Dans la pièce de la cérémonie, il y a
des draps à paillettes bleus, rouges et jaunes accrochés au mur. Devant, il y a de beaux
plats de fruits, trois grands gâteaux à la crème, des sucettes, des noix de coco ouvertes,
une petite « nganga »29, du rhum, … C’est Eledis qui a préparé tout ça. Une autre dame
27 Célébration pour honorer une divinité 28 Orisha de la beauté et des eaux douces 29 Chaudron sacré utilisé dans le Palo Monte mais également, plus rarement dans la santeria, les différents
mouvements religieux s’influençant mutuellement → Voir Annexe 5 p. 85
30
a cuisiné et sert les musiciens. Ensuite, ils commencent à jouer. Tout le monde danse.
Chaque chanson est dédiée à un saint. Une femme durant la cérémonie représentait
Ochun. Elle avait les habits traditionnels jaunes. Elle dansait au milieu de tout le monde.
J’étais dans la pièce avec tous les danseurs et les joueurs de tambour. Je dansais avec
eux et m’amusais avec un enfant de 10 ans qui m’expliqua qu’il venait d’être initié. Je
ne me suis pas arrêtée durant toute la cérémonie. Lorsque tout le monde touchait à terre,
je faisais la même chose. Lorsque tout le monde se précipitait pour couvrir sa tête avec
un essuie ou un foulard, je sortais de la pièce pour chercher un foulard.
La dame habillée d’une grande robe jaune était, selon les adeptes, possédée par Ochun.
Elle prit chaque personne présente une à une pour lui faire un câlin et lui indiquer ce
que la personne doit faire dans sa vie future pour avoir les énergies positives des orishas
et accomplir son destin. Elle vint vers moi et me fit également un câlin en parlant dans
une langue inconnue. Elle m’expliqua que, vu que je suis à Cuba pour faire une
recherche, je dois avoir une poupée dédiée à la santeria et l’habiller d’une robe verte et
jaune. Cela remerciera les orishas.
Vers 18h30, je devais partir car j’avais un autre rendez-vous, mais les santeros m’ont
poussé à rester jusque 19h00 pour participer à la clôture de la cérémonie. Il fallait que
je vive l’entièreté du rituel » (JT, quartier de Playa, 18/03/2019).
Je faisais donc partie de la cérémonie et des acteurs religieux et j’avais le même traitement que les
adeptes. L’intégration et la participation étaient fortes durant cette cérémonie et dans cette famille
religieuse. Cette position m’a permis d’avoir accès et de produire de nombreux matériaux
ethnographiques. En effet, les individus venaient davantage vers moi lorsque que je participais
activement aux cérémonies.
Le terrain m’a également demandé une grande maîtrise de moi-même. J’ai adopté une position
de chercheuse la plus neutre possible, en essayant de cacher tout jugement apparent. Cela fut très
important car leur tradition est très éloignée de ce que je connaissais et de ce que j’avais déjà vécu. Par
exemple, lors de sacrifices d’animaux, il était important que je ne paraisse pas dégoûtée afin qu’ils ne
se sentent pas gênés ou dérangés par ma présence. Mon but était que les rituels se déroulent de la manière
la plus naturelle possible. J’ai donc, à de nombreuses reprises, tenté de ne pas montrer ce que je ressentais
face à des odeurs, des actes ou des visions qui me semblaient dérangeants. De plus, cette attitude
détachée a rassuré les individus ethnographiés qui étaient plus aptes à me parler. Cela s’est vu car, à de
nombreuses reprises, ils étaient préoccupés par le fait que j’aille bien et que je me sente bien. Lorsque
je les rassurais, ils me parlaient spontanément d’autres sujets. Cela m’a aidé à rester la plus objective
possible et à ne pas interpréter leurs gestes à travers une vision européenne et ethnocentrique. Bien
entendu, l’objectivité, c’est-à-dire la distance épistémique et théorique, que j’essayais d’atteindre n’était
31
pas totale. En effet, lorsque l’on fait un terrain concernant la religion, nos croyances personnelles
influent indéniablement sur notre position et nos interprétations. Par exemple, je n’ai pas suivi la
recommandation que m’a faite la santera possédée par Ochun : créer une poupée en l’honneur de
l’orisha. Je n’étais donc pas engagée dans la croyance mais je n’étais pas totalement neutre pour autant
car mon corps et ma prestance étaient engagés tous deux dans les rituels et dans les danses religieuses.
Est-ce pour autant que je perdais mon objectivité ? De quel point de vue la neutralité aide à l’objectivité ?
Ai-je perdu mon objectivité lors de ma participation aux danses ? Si oui, je la regagne sûrement en partie
lorsque que je décris la cérémonie dans mon journal de terrain.
Chaque ethnographe établit une approche et une construction singulière de son objet d’étude
(Halloy, 2006). Halloy, confronté à un terrain ayant de grandes similitudes avec le mien, tenta une
« expérimentation méthodologique » (Wacquant, 2000) en s’initiant. Sa recherche a porté sur le xango,
une modalité de culte afro-brésilien d’origine yoruba situé à Recife au nord-est du Brésil. Cette initiation
ne fut pas réalisée par conviction religieuse, mais plutôt par conviction anthropologique et
méthodologique. L’approche de l’anthropologue sur le terrain a une grande influence sur le déroulement
de sa recherche. Ici, nous voyons qu’il existe de nombreuses approches du terrain desquelles découlent
des questionnements épistémologiques différents.
Comme introduit plus haut, lorsque je n’étais pas dans un milieu religieux et cérémoniel, je
continuais mon terrain d’une façon différente. Je me baladais dans les rues de Centro Habana, qui est
un quartier dans lequel la santeria est plus présente et visible que dans les autres quartiers, afin
d’observer les représentations religieuses présentes en rue. Cela m’a également permis de produire de
nombreux matériaux. À la Havane, il existe des lieux et des rues connues pour leur forte connotation
religieuse. Par exemple, dans une ruelle nommée le Callejon de Hamel30, toute la décoration fait
référence à la santeria : fresques de couleur sur les murs, tambours sacrés accrochés aux portes, petites
échoppes d’objets religieux et paroles religieuses inscrites partout. Cette ruelle et d’autres endroits du
quartier de Centra Habana dans lesquels la religion est fort présente, sont très intéressants à observer.
De plus, de nombreuses danses et musiques religieuses sont réalisées chaque dimanche dans le Callejon
de Hamel, offrant un spectacle inédit aux touristes curieux.
Je me suis donc laissée guider par le terrain. Cela m’a menée à discuter avec de nombreux
santeros qui m’expliquaient leur vision personnelle de leur religion.
Les deux approches méthodologiques adoptées m’ont donc apporté, respectivement, de
nombreuses informations. Bien entendu, les données produites dans les milieux différents étaient de
qualités différentes car les personnes interrogées en rue m’étaient inconnues. Celles-ci me donnaient
donc des informations plus générales qui concernaient leur famille religieuse, quelle(s) initiation(s) elles
30 Voir Annexe 6 p. 85
32
avaient réalisées ou ce que leur apportait la santeria dans leur vie quotidienne. Alors que lorsque je
suivais Ivan, je pouvais observer par moi-même et participer directement aux cérémonies et aux journées
d’initiation ce qui m’apportait des informations complémentaires.
De plus, les traditions religieuses dans des familles distinctes sont très éloignées. Le fait de
m’intégrer activement dans la vie religieuse d’une rama31 m’a ouvert les portes pour avoir accès à des
descriptions détaillées de leur fonctionnement. Mais parallèlement, j’ai trouvé important de faire mes
recherches dans la rue afin d’avoir des explications provenant d’autres familles. Ce sont des situations
où le niveau d’intensité de l’implication n’est pas le même. Cela m’a permis de comparer les données
récoltées dans des univers multiples.
En ce qui concerne les difficultés rencontrées durant le terrain, j’ai été confrontée à trois
principales. Tout d’abord, un frein, abordé précédemment, est le caractère secret des initiations et des
consultations. Ici, je dus faire face à des pratiques très personnelles et souvent cachées. À chaque fois,
elles se déroulaient dans une pièce fermée inaccessible à ma vue. Lors de l’initiation d’un babalawo par
exemple, la plus grande partie de la cérémonie se déroulait à l’étage tandis que je devais rester dans la
cuisine avec la femme et la fille de l’hôte car cette initiation est interdite aux femmes. Lors d’une
initiation de « La Mano de Orula », je ne pus non plus assister aux rituels effectués dans une pièce dont
l’entrée était cachée par un rideau blanc car je n’étais pas initiée. Ces restrictions m’ont fait énormément
réfléchir sur la manière avec laquelle j’allais pouvoir avoir accès à certaines informations et observations
sur ces rituels. Comment mettre en place un travail ethnographique pour appréhender cette intimité
religieuse ? Comment observer les pratiques individuelles des adeptes et en saisir le sens qu’ils y
donnent ? Cela m’a fait hésiter à m’initier afin d’avoir accès à d’avantage de facilités pour comprendre
les logiques sous-jacentes de la santeria. Mais la position de chercheur-initié peut être inconfortable car
elle est source de négociations constantes par rapport aux membres des cultes et par rapport à la
démarche scientifique. Elle pose la question de la neutralité scientifique qui est une condition
incontournable à la production d’un savoir objectif (Halloy, 2006). Avoir la position d’initié tend à
diminuer voire à abolir la distinction entre observateur et observé ce qui rend difficile la mise à distance
(Halloy, 2006).
Georges Balandier écrivait qu’un ethnologue désireux d’établir les meilleurs contacts avec les
individus ethnographiés doit adopter un procédé de mimétisme afin de faire oublier sa provenance
(1957 : 9). Je m’attachais donc à m’adapter à leur manière de se tenir, de chanter, de danser, de manger
et de boire. La vignette ethnographique suivante illustre la manière avec laquelle je m’adaptais aux
comportements des individus ethnographiés et produisais mes matériaux ethnographiques :
31 Le réseau de parenté religieux
33
« Moi qui n’aime pas danser en public, je me force à me décontracter et à suivre le
rythme. Lorsque l’on me propose du café j’accepte volontiers afin de participer aux
conversations autour de cette boisson emblématique cubaine.
Je suis leur façon de participer aux rituels proposés. J’observe également les lieux, les
décors, les mises en scène souvent ostentatoires lors des cérémonies et les déplacements
durant les rituels. Cela m’aide à saisir l’atmosphère fluctuante selon les lieux et les
rituels organisés. L’atmosphère est révélatrice du stress lié à une initiation, de la joie
propice à une cérémonie en l’honneur d’un orisha ou du relâchement lié à la fin de longs
jours d’initiation. L’analyse des objets matériels présents chez les adeptes et durant les
cérémonies révèle également certaines dynamiques de la santeria. Par exemple, sa
pratique quotidienne, domestique et personnelle est décelée en partie grâce à la présence
des autels chez les adeptes. Le cumul religieux est également représenté par la
coexistence, sur ces autels, d’éléments spirites, africains et catholiques. En effet, chez
de nombreux adeptes des représentations d’orishas couvertes de sang et de plumes sont
placées côte à côte avec une croix catholique, des cierges, des colliers sacrés et des
verres remplis d’eau. Ces derniers permettent de vénérer les défunts de la même manière
que dans le spiritisme d’Allan Kardec » (JT, quartier de Playa, 2019).
Finalement, je n’ai pas souhaité suivre l’approche méthodologique de Halloy qui opta pour la
position de chercheur-initié, par nature inconfortable (2006). J’ai décidé de ne pas m’initier, afin de
garder une distance avec mon objet de recherche. Je me suis focalisée sur les données auxquelles j’avais
droit : le discours des adeptes lors des journées d’initiation, mes observations durant les cérémonies
auxquelles je pouvais assister, les habits des initiés, etc. Au final, cela me permettait de comprendre la
dynamique et le fonctionnement de la santeria. Je n’hésitais pas à poser des questions aux individus
ethnographiés lorsque certains gestes ou éléments m’échappaient.
De plus, malgré les portes qui m’interdisaient clairement de rentrer dans les pièces dédiées aux
initiations et aux consultations, il m’est arrivé d’apercevoir ce qu’il y avait à l’intérieur lors des entrées
et des sorties des pratiquants. Je m’intéressai également aux discours des non-pratiquants à propos de
cette religion. Je me suis donc focalisée sur tous les éléments qui m’étaient accessibles sans pour autant
avoir été initiée. Cette combinaison des approches méthodologiques me permit un accès à de
nombreuses informations dans une religion où le secret est primordial.
La deuxième difficulté principale rencontrée sur le terrain fut la langue. En effet, malgré mes
bases d’espagnol, il m’était compliqué de toujours comprendre les explications et les conversations avec
les adeptes. Je décidai donc d’écrire ce que je pensais comprendre et de me renseigner plus tard via
d’autres personnes pour savoir si mon interprétation était correcte. Cela me permit finalement de revenir
sur des questions que j’avais mal comprises et d’en avoir de plus amples informations grâce à de
34
nouvelles explications plus lentes. Bien entendu, au fil des semaines cette difficulté fut de moins en
moins présente, mon oreille s’habituant à l’accent des Cubains.
La troisième et dernière difficulté est liée à la précédente. Ça n’a pas été facile pour moi de
comprendre l’organisation de la santeria. Tout d’abord, les termes émiques concernant les différentes
positions, initiations, divinités et autres formalités du culte étaient compliqués à comprendre et à retenir.
Il existe de nombreuses façons et plusieurs langues pour nommer un seul et même concept. Des termes
yorubas existent pour chaque membre du réseau de parenté religieux. De plus, il n’était pas rare que les
discours divergent entre différentes ramas. Leur manière de fonctionner ne sont pas identiques car
aucune règle n’est écrite et institutionnalisée. C’est au fil des conversations, des questionnements, des
remises par écrit de chaque terme avec sa traduction et de mes lectures que l’organisation est devenue
plus claire pour moi. Mais il est certain que de nombreux détails m’échappent encore vu la densité des
informations sur le sujet.
2. La santeria : entre « religion à la carte » et « religion totale » ?
La santeria est une religion qui touche à toutes les sphères de la vie. Elle organise et structure
le quotidien de nombreux adeptes. C’est un recourt habituel face aux difficultés des Cubains. Elle est
une réponse à toutes les préoccupations tant individuelles - le développement personnel, la santé, la
richesse ou l’amour – que collectives – le réseau de parenté et de connaissances et l’entraide. Elle offre
des ressources concrètes aux individus et répond à leurs problèmes d’une manière pragmatique. En
irriguant les relations sociales, elle permet une réponse totale à tous les maux et à toutes les questions.
C’est donc une religion qui est inscrite dans le quotidien des adeptes et qui peut être analysée à l’aide
du concept de « fait social total » de Marcel Mauss (1925) qu’il inventa pour caractériser l’échange de
dons obligatoires dans son Essai sur le don. Selon sa définition, un « fait social total » est un phénomène
« à la fois juridique, économique, religieux et même esthétique, morphologique, etc. » (Mauss, 1925 :
274). Par morphologique, Mauss fait référence aux phénomènes démographiques (Wendling, 2010 : 93)
et au fait que les faits sociaux totaux rassemblent tous les membres d’une société. Il donne l’exemple
des marchés, des faits de culte ou des faits économiques et politiques. Durant ces événements, Mauss
explique que
« sociétés, groupes et sous-groupes, ensemble et séparément, reprennent vie, forme,
force (…) ; c’est alors qu’on rajeunit telles institutions, qu’on en épure d’autres, qu’on
les remplace ou les oublie ; c’est pendant ce temps que s’établissent et se créent et se
transmettent toutes les traditions » (1969 : 329).
Ces rassemblements collectifs produisent des interactions sociales et ont une portée culturelle
(Wendling, 2010). Ils permettent aux individus de discuter sur les institutions en place et d’en créer
d’autres en transmettant et en modifiant la tradition. Ainsi le « fait social total » met en place une
35
« effervescence sociale créatrice » (Durkheim, 1897 : 403). De plus, lorsque Mauss explique que le fait
social total est économique, il englobe dans ce concept des échanges bien plus profonds que des simples
échanges de biens :
« (…) ce qu’ils échangent, ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses (…),
des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des
rites, (…), des danses, des fêtes, des foires (…) où la circulation des richesses n’est
qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent »
(Mauss, 1925 : 151).
Mais un « fait social total » n’est pas seulement un phénomène qui touche à des aspects que nous aurions
tendance à distinguer comme relevant respectivement de domaines différents, il est « total » également
dans le sens où le groupe entier, le « tout », est plus qu’une addition de ses parties. Chaque élément relié
à un autre est la partie du « tout » (Tcherkézoff, 2016). La notion maussienne de « totalité » accorde
donc une grande importance au groupe social - une tribu, un clan ou une famille - dans lequel les
pratiques se déroulent et qui constitue l’unité d’appartenance pour l’individu (Mauss, 1925). Ces
« touts » sont des systèmes sociaux entiers et chaque élément fait sens au niveau du « tout »
(Tcherkézoff, 2016).
Le concept de « fait social total » de Mauss apparait dans de nombreux ouvrages de la littérature
sociologique et anthropologique. Il faut donc faire attention à l’utiliser à bon escient et dans les bonnes
circonstances afin qu’il ne perde pas de sa valeur conceptuelle. Selon Wendling, « qualifier n’importe
quel phénomène social de fait social total semble en effet, assez souvent, participer moins d’une
entreprise définitionnelle, que d’un souci de valorisation de l’objet étudié » (2010 : 90). Après avoir pris
en compte et décortiqué la définition du « fait social total », il est important de se pencher sur le cas de
la santeria et de se demander si elle peut être analysée grâce à ce concept.
La santeria possède un système d’intégration par lequel elle établit un rapport stable entre les
individus et elle-même. De la même manière qu’un « fait social total », c’est une religion qui mêle,
comme cela sera développé dans cette partie, des fonctions juridiques, économiques, esthétiques,
morphologiques et thérapeutiques. De plus, elle permet, à de nombreuses occasions, de rassembler la
famille religieuse, le groupe social de l’individu, lors de cérémonies et d’initiations durant lesquelles les
traditions sont sans cesse modifiées et remises en question.
Ensuite, la santeria se base sur l’échange de fêtes, de festins religieux, de rites, de danses et de
techniques thérapeutiques. Cela permet de répondre à toutes les préoccupations des adeptes de
différentes manières. Pour finir, dans cette religion, chaque élément, c’est-à-dire chaque adepte, fait sens
au niveau du « tout ». En effet, chaque initié, santero, babalawo, joueur de tambour, assistante de
babalawo, etc. possède des qualifications, des prérogatives et des statuts différents. La santeria ne peut
pas fonctionner sans chacun de ces individus car les charges liturgiques sont divisées entre tous les
36
membres. Tous ces éléments qui font que la santeria est une religion « totale » seront explicités en détail
ci-dessous.
De nombreux pratiquants se tournent ainsi vers la santeria lorsqu’ils, ou que quelqu’un de leur
entourage, en ont besoin. Elle est utilisée comme une ressource ponctuelle qui aiderait l’adepte à faire
face aux problèmes qui surgissent. Les éléments de cette religion seraient donc sélectionnés afin de
répondre parfaitement à la demande de l’adepte qui créerait une sorte de « bricolage religieux » (Mary,
2000). L’aspect « total » de cette religion est donc doublé, pour certains adeptes, d’un usage « à la carte »
des pratiques (Hervieu-Léger, 1986 : 24). Au contraire, pour d’autres, elle est la base de toute leur vie
et de leurs activités. Ces derniers pratiquent la santeria quotidiennement et cela même lorsqu’ils n’ont
pas besoin de répondre à l’une ou l’autre préoccupations. Elle assimile donc autant des caractéristiques
modernes et individualistes, lorsqu’elle est pratiquée « à la carte », que des caractéristiques
traditionnelles qui rapprochent les individus et créent une communauté d’entraide locale.
La santeria connait de plus en plus d’adeptes d’années en années à la Havane (Gobin, 2007).
Ce mélange entre « religion à la carte » et « religion totale » ou entre religion moderne et religion
traditionnelle serait-il une clé de réponse à son attraction croissante ? Cette religion connait également
une expansion tant en Amérique Latine qu’en Europe. Elle est ancrée localement dans des dynamiques
de quartier à la Havane mais s’étend également globalement dans le monde par les moyens de
communications modernes, les voyages et les parcours migratoires qui font transiter les pratiques
religieuses (Gobin, 2007). Dans cette partie, nous nous intéresserons aux caractéristiques valorisées de
la santeria ainsi qu’à ce qui fait d’elle une « religion à la carte » et une « religion totale ». Cela permettra
de nous aider à comprendre comment elle fonctionne en pratique.
Tout d’abord, son aspect mercantile est souvent abordé dans les conversations sur le terrain. En
effet, chaque consultation divinatoire, chaque rituel, chaque initiation et chaque cérémonie sont
rémunérées (Juarez Huet, 2011). Cuba étant un pays très défavorisé dans lequel les individus multiplient
les techniques pour gagner de l’argent, la santeria pourrait être un espoir de revenu additionnel ou
unique. Elle pourrait donc être une réponse à des préoccupations essentielles dans une situation de vie
difficile. Deuxièmement, les réseaux de parenté religieux sont très importants pour les adeptes et sont
une base réelle sur laquelle des relations d’entraide et de solidarité sont ancrées. Ensuite, la santeria
permet à tout cubain d’espérer atteindre un certain prestige qu’il ne connait pas dans sa vie
professionnelle et socio-économique. Cette religion détient une hiérarchie claire et bien établie. Les
adeptes peuvent donc passer des initiations afin que leur statut et leur reconnaissance évoluent tout en
montant dans l’échelle sociale. Cela leur procure un certain prestige personnel (Gobin, 2014). La
santeria est attractive également de par son ouverture et sa tolérance vis-à-vis des autres cultes ainsi que
vis-à-vis des autres techniques thérapeutiques. Elle mêle différentes traditions de soins médicaux afin
d’arriver à un résultat le plus efficace possible. C’est un recours régulier pour des problèmes de santé
37
mais également pour ceux du quotidien comme les problèmes de voisinage, de justice, d’argent, les
infortunes, etc. Eledis, une santera de 65 ans, m’expliqua que la santeria est donc une réponse
protectrice face aux échecs et promet la guérison, la santé, la richesse et la chance. De plus, il n’est pas
mal vu, de la combiner avec une autre tradition religieuse.
Cette deuxième partie présentera chacun de ces aspects de la santeria en expliquant en quoi cela
fait rentrer la santeria dans la catégorie de « religion totale » et en quoi cela pousse également les adeptes
à pratiquer leur religion « à la carte ». Ce sont deux caractéristiques générales qui pourraient expliquer
son expansion actuelle à la Havane.
2.1. Un parcours religieux coûteux : balance entre normes et appât du gain
La santeria est une religion dans laquelle les consultations divinatoires, les initiations et les
cérémonies coûtent très cher par rapport au revenu moyen des cubains qui est, selon ceux que j’ai
rencontrés, de 30 CUC32 par mois. De nombreux santeros et babalawos gagnent de l’argent de cette
façon. En effet, il est très fréquent que des individus viennent leur demander des conseils car ils ne
trouvent pas de solution à leurs problèmes. Ils doivent débourser de grandes sommes pour payer cette
aide (Nodal et Andre, 1978). Durant le terrain, j’ai rencontré des babalawos qui n’avaient pas de travail
et vivaient de leurs activités religieuses. Lors d’une de mes visites chez lui, Ivan, mon informateur
principal, déclara : « Les consultations sont toutes payantes. Moi je vis seulement par mon statut » (JT,
quartier du Vedado, 05/02/2019). Il passait donc la plupart de son temps à réaliser des initiations
nécessitant un grand nombre de babalawos. Ces initiations prennent énormément de temps car elles
commencent dès le matin, finissent après le souper et durent entre 3 et 7 jours. Les personnes encadrant
l’initiation sont présentes la journée et rentrent chez elles le soir. A côté de ces initiations, Ivan fait des
consultations pour tenter de comprendre et de régler les problèmes des consultants. Il multiplie
également les techniques de guérisons afin d’apaiser le mal-être des gens. Toutes ces activités
nécessitent une certaine publicité afin que les individus se confient à lui. Ses trente ans de pratique lui
permettent donc, aujourd’hui, de vivre de ses activités religieuses. Plus les prédictions et les charmes du
santero sont précis et fonctionnent, plus sa réputation sera grande et sa consultation couteuse.
L’aspect mercantile de la santeria est fort critiqué par les adeptes qui pensent que de nombreux
santeros et babalawos se sont initiés seulement pour gagner de l’argent et non par foi. Lors d’une
discussion sur l’évolution de la santeria avec Eledis, une santera m’ayant accueilli plusieurs fois chez
elle, elle m’expliqua :
« Le secret de la santeria s’est beaucoup perdu avec sa commercialisation. Ces dernières
années, elle s’est énormément développée. La grande majorité s’initie pour gagner de
l’argent. Il y avait très peu de babalawos avant. Dans notre municipalité, à Playa, il n’y
32 Équivaut plus ou moins à 27€
38
avait que quatre babalawos. Maintenant il y en a partout, dans toutes les rues. La religion
a évolué » (JT, quartier de Playa, 21/02/2019).
Elle pense, comme de nombreux autres pratiquants, que cet intérêt pour l’argent nuit à la réputation de
la santeria. Les spécialistes de la divination vivent, en grande partie, en région urbaine - à la Havane,
Cienfuegos et Matanzas - à cause des besoins économiques (Nodal et Andre, 1978).
Selon Nodal et Andre qui ont écrit leur article en 1978, les personnes pratiquant le culte de
manière consciencieuse, à cette époque-là, ne demandaient pas d’argent. Le registro33 était quelques fois
payant mais ne coûtait le prix que de quelques bougies. Le « vrai »34 santero ne demandait l’argent que
pour les ingrédients et les animaux achetés (Nodal et Andre, 1978). On peut donc faire l’hypothèse que
l’aspect économique de la santeria s’est développé ces dernières années. À la Havane par exemple, de
nombreuses femmes dans la rue abordent les touristes afin de leur proposer de lire leur avenir dans les
cartes ou dans leurs mains. Ces services sont, bien entendu, payants. Mais il n’est pas certain qu’en
rentrant chez elles ces femmes pratiqueront réellement la religion des orishas.
Un matin de la première semaine sur place, je me suis rendue, afin de me faire des contacts,
chez mon voisin, un babalawo de 62 ans nommé Armando. Il évoqua rapidement ces femmes :
« ‘Elles ne disent pas le vrai avenir aux passants, dit-il. Si elles arrivent à lire l’avenir,
elles ne le disent pas réellement aux touristes’. À la fin de la conversation avec
Armando, celui-ci me proposa de m’initier. Il m’expliqua que si je voulais en savoir
davantage, il ne fallait pas seulement écrire et observer, il faudrait que je pratique. Cette
initiation durerait 3 jours et me couterait 100 CUC, environ l’équivalent de 90€ » (JT,
quartier de Marianao, 04/02/2019).
Cette proposition fut suivie d’une dizaine d’autres propositions identiques de la part de différents
pratiquants de la santeria. L’argument principal était toujours le même : la santeria est une religion
secrète et si je veux savoir comment elle fonctionne et avoir accès aux détails qui se déroulent en privé,
il faut que je rentre dedans. De plus, chacun me proposait tel ou tel parrain qui serait très connu et très
compétent et qui pourrait m’aider sur la voie de la religion. Même des personnes avec qui je parlais
seulement depuis une ou deux minutes arrivaient à me proposer cette initiation :
« En redescendant de Guanabacoa vers Regla, je rencontre un homme qui fait partie de
la santeria. Il m’explique qu’il a reçu la « Mano de Orula » mais n’a pas assez d’argent
pour faire d’autres initiations (…). Un peu plus loin sur la route, il y a une boutique
d’articles religieux : colliers, bracelets, récipients propres à chaque orisha, etc. J’y entre.
Une jeune femme et un homme tiennent la boutique. Ils ont l’air perturbé par ma
33 Traduction : « consultation » 34 Considéré comme honnête et pratiquant la religion par foi et visée altruiste selon mes informateurs
39
présence. Je leur explique mon travail. Comme à chaque fois que j’explique, ils me
proposent et me poussent à faire mon initiation : ‘ Ce n’est fait qu’en trois jours. Je
connais quelqu’un de très bien pour te le faire, c’est mon parrain. C’est très important
de la faire, sinon tu ne peux pas voir ce qu’il se passe pendant les rituels’ argumentent-
ils. Lorsque je leur dis clairement que je ne compte pas réaliser cette initiation, ils me
confient que leur initiation fut les trois jours les plus fatigants de leur vie. Je leur réponds
également qu’on m’a proposé une initiation pour 100 CUC. Selon eux, c’est un très bon
prix pour une touriste ou une étrangère. Lui, il a payé son initiation 80 CUC » (JT,
quartier de Regla, 13/03/2019).
Cette vignette ethnographique est exemplative car elle illustre, tout d’abord, la volonté des santeros.ras
et des babalawos de trouver de nouvelles personnes à initier. Bien entendu, personne n’a jamais osé
apporter clairement l’argument de l’argent qu’ils recevraient en initiant quelqu’un. Mais le prix demandé
est toujours un élément mentionné rapidement. Ensuite, elle illustre le fait que le prix des initiations et
des rituels rend le parcours religieux de nombreuses personnes plus difficile. Cela pourrait faire penser
que cet aspect marchand de la religion irait donc à l’encontre de sa perpétuation et de son attrait vu la
situation économique difficile des cubains. Mais au fil du terrain, je me suis rendu compte que ce prix
fait partie aujourd’hui de l’imaginaire présent autour de la santeria, il en est un élément symbolique.
Les différentes initiations sont très écartées dans le temps pour la plupart des adeptes et leur coût y est
pour beaucoup. Mais c’est devenu la norme car cela sous-entend qu’il faut travailler dur pour atteindre
la prochaine étape dans la religion Ocha-Ifa.
Lors d’une initiation de la « Mano de Orula », Odalis, une cubaine de 40 ans, m’explique qu’elle
s’initie car elle pense que la santeria fonctionne. Ça fait longtemps qu’elle a remarqué que lorsque
quelqu’un écoute les recommandations d’un santero des retombées bénéfiques se font voir. Elle ne
s’était pas encore initiée car elle n’avait pas assez d’argent. Elle me raconta comment elle rassembla une
somme suffisante pour passer cette première initiation :
« Il y a dix jours, c’était la foire du livre à la Havane. Chaque année je tiens un stand là-
bas pour tenter de gagner de l’argent. Cette année je n’ai presque rien vendu. Le dernier
jour j’étais dépitée et je ne voulais pas y aller. C’était un dimanche et je suis donc restée
chez moi. A ce moment-là, j’entendis une voix me dire « Lève-toi et va à la foire du
livre ! ». J’y suis donc allée pendant que mon fils dormait. Ce jour-là, j’ai vendu tout
mon stock de livre à une personne. J’ai liquidé un conteneur et demi ! Cet épisode m’a
mis sur le chemin de la santeria car je n’avais pas assez d’argent pour m’initier et
acheter des objets religieux. En vendant tout ça, j’étais certaine que c’était un signe.
Mais en plus, j’avais à ce moment-là, l’argent pour m’initier » (JT, quartier de Cerro,
10/03/2019).
40
L’argent est un des médiums fondamentaux entre initiés. C’est une caractéristique de cet univers cultuel
de faire circuler constamment spiritualité, argent et nourriture (Gobin, 2013). Les initiations importantes
demandent une énorme somme d’argent. Cela respecte une logique du sacrifice personnel. Pour réaliser
toutes les initiations, ça revient entre 200 et 800 CUC pour un cubain qui s’initie dans la santeria et ça
varie entre 1000 et 2000 CUC pour « faire Ifa ». Alors que les étrangers payent jusqu’à 5000 CUC car
ils sont en dehors des circuits économiques quotidiens (Gobin, 2013). De plus, un filleul étranger payera
plus cher car il sera moins présent et moins aidant au quotidien pour son parrain ou sa marraine. Il
enverra donc de l’argent et du matériel ponctuellement (Gobin, 2013). L’argent sert de contrepartie pour
l’absence d’un filleul. Il existe une grande dimension matérielle dans les échanges entre parrain et
filleuls. Un parrain se sacrifie pour ses filleuls, il est disponible. Mais la relation doit être réciproque. À
la Havane, le contexte socio-économique est précaire ce qui confère un rôle crucial aux réseaux
personnels d’entraide (Argyriadis, 1999 ; Morel, 2012).
Pour finir, la rétribution des services rituels est également nécessaire car elle serait inscrite dans
la mythologie de la santeria. On considère qu’un prêtre qui ne se ferait pas payer pour ses services
rituels, perdrait de l’aché (Gobin, 2013). Lors de mon terrain, je n’étais pas encore au courant de
l’existence de ce rapport à l’argent dans la santeria. Durant mon premier mois à la Havane, j’ai passé
quelques cérémonies et initiations avec Ivan et son entourage religieux. Au début du second mois de
terrain, il me proposa que l’on se voie trois à quatre fois par semaine pour que j’assiste à d’autres rituels
religieux. Ensuite, il me demanda si je pouvais payer 5 CUC par jour passé avec lui. Cette demande m’a
perturbée. Je remis en question ses motivations à m’accompagner durant le terrain. Faisait-il seulement
ça pour l’argent ? Je me suis demandée également quelle image cela renvoyait de moi : me voyait-il
comme une touriste sur le dos de laquelle il serait facile de se faire de l’argent ? Ou bien est-ce
simplement normal, de ma part, d’aider en retour quelqu’un qui me guide durant le terrain ? Ivan
m’expliqua, le jour où je reprenais l’avion pour la Belgique, que l’argent est quelque chose qui circule
entre les gens et qui procure de la force. Il m’a donné de l’énergie en m’aidant et je dois donc lui rendre
avec de l’argent. C’est donc une dynamique de « don et de contre-don » (Mauss, 1925) qu’il serait
important que je respecte en acceptant de lui donner de l’argent afin qu’il ne perde pas d’énergie.
La religion serait donc bien une réponse partielle aux difficultés économiques des cubains. Cuba
a toujours été un pays défavorisé économiquement mais sa situation s’est dégradée dans les années 1990.
Les ressources se faisaient très rares. La religion, dans ces années-là a développé un aspect commercial.
Est-ce une façon de vaincre les difficultés économiques par la religion ? Pour certains, oui, la religion
est leur façon de faire face à leur manque de moyens. Le coût des consultations et autres rituels est rentré
dans la norme. Mais l’exagération des prix et l’opportunisme de certains sont mal vus par les adeptes.
Ça peut être un moyen de gagner de l’argent sur le dos de personnes naïves (Juarez-Huet, 2004). En
effet, il existe des rivalités entre santeros et babalawos. Ils s’accusent mutuellement d’exercer seulement
à des fins lucratives ce qui reflèterait un manque d’éthique. Cela se traduit dans des processus de
41
légitimation de sa pratique et de délégitimation de la pratique d’autrui (Gobin, 2013). Il faut donc faire
preuve de parcimonie afin de garder une réputation dans l’entourage religieux et ne pas être la cible de
critiques. Les santeros doivent garder un équilibre pour ne pas être accusés de « mercantilisme » et vus
comme initiateurs attirés par l’appât du gain (Argyriadis, 2007). La crise des années 1990 a pu influencer
ce changement de dynamique.
De plus, la santeria permettrait, selon les adeptes, d’avoir de la chance en affaires et de s’en
sortir financièrement. Tous ces éléments présents dans l’univers de la religion des orishas sont des
réponses à des préoccupations essentielles vu leur situation de vie difficile.
2.2. La parenté rituelle : une approche en termes de réseau
Lorsque l’on se concentre, durant l’enquête ethnographique, sur les liens entre les acteurs de la
santeria, on découvre rapidement un maillage complexe d’individus et de groupes reliés entre eux par
un ou plusieurs intermédiaires. Les réseaux sont dans une dynamique de reconfiguration incessante par
les conflits et les rivalités. Les discours des adeptes sont pourtant insistants sur la cohésion de la rama35.
La pratique religieuse à la Havane s’organise sur le mode de la parenté rituelle autours de familles de
religion. Elle joue souvent, dans la vie quotidienne des pratiquants, un rôle plus important que les parents
biologiques ou les alliés matrimoniaux. L’individu va négocier sans cesse sa place dans le réseau
(Argyriadis, 2005).
2.2.1. Intégration dans un nouveau réseau de parenté : un apprentissage encadré
Il existe différentes façons d’être intégré dans une rama mais cela se confirme toujours par une
initiation. Lorsque l’on est initié, on doit choisir une marraine ou un parrain qui va nous encadrer, en
général, dès le début du parcours religieux et jusqu’à la fin. Ce choix fait rentrer l’adepte dans la famille
religieuse de ses parrains et marraines. Il est également courant qu’un individu entre dans une rama
après avoir été consulter plusieurs fois la même personne. En effet, les aléas et les infortunes de la vie
quotidienne conduisent les Havanais à aller consulter auprès d’un spécialiste religieux. Il y a de
nombreuses offres variées : les médiums spirites qui ont des contacts avec les morts, les paleros qui
débarrassent le consultant de sorts néfastes envoyés par l’ennemi et les santeros et babalawos qui
pratiquent leur système divinatoire respectif et renseignent le consultant sur les orishas qui
l'accompagnent et qu'il faudra peut-être un jour recevoir ou, pour le principal appelé « ange gardien »,
fixer dans la tête (Argyriadis, 2005 : 156).
L'intégration dans une famille rituelle commence souvent à partir du lien de confiance qui se
crée entre un consultant et le spécialiste qui lui a donné satisfaction. Il est vu comme un conseiller
bienveillant, un médiateur auprès des entités et un thérapeute. Ce dernier est peu à peu désigné par le
terme de « parrain » ou « marraine ». Il ou elle « s'occupe de lui religieusement » (Argyriadis, 2005 :
35 Le réseau de parenté religieux
42
157). Tôt ou tard, selon les cas, les protections et les « purifications » ne suffisent plus à régler les
problèmes du filleul. Par une cérémonie d'initiation, le spécialiste scelle de manière théoriquement
irréversible le lien qui l'unit à son filleul pour lequel il devient alors une sorte de nouveau père ou de
nouvelle mère. Le parrain ou la marraine permet également d’unir son filleul à ses divinités (Argyriadis,
2005). Les autres filleuls deviennent des « frères de religion » issus de la même « branche », autrement
dit du même lignage rituel. Les ancêtres rituels des parrains deviennent logiquement ceux du novice
(Argyriadis, 2005).
Cela crée de nouvelles relations basées, selon mes interlocuteurs, sur l’entraide et la solidarité.
Cela permet à l’adepte d’apprendre les bases doctrinaires de sa rama car il n’en existe pas de modèle
normalisé et homogène dans la santeria. Chaque « maison » détient sa procédure rituelle, ses propres
dynamiques et ses propres traditions (Juarez Huet, 2004). Cela engendre beaucoup de variantes entre
maisons religieuses ainsi que des divergences entre les écrits décrivant les pratiques générales et ce qui
est vraiment en place. Certains réseaux de parenté rituelle rentrent en conflit au sujet de la détention de
la « vraie » connaissance de pratiques rituelles. Ils déploient des stratégies de légitimation en évoquant,
par exemple, l’origine et le prestige de leur nationalité qu’elle soit cubaine, yoruba ou brésilienne ou
l’ancienneté de la famille dans la religion (Juarez Huet, 2004).
Lorsque je me suis rendue chez Eledis, une santera de 65 ans, elle m’expliqua, lors d’une
conversation avec sa fille, comment fonctionne, selon elle, la relation entre filleuls et parrains :
« L’apprentissage des techniques divinatoires, du déroulement des cérémonies
d’initiation, de la façon de s’occuper des saints et de la manipulation des énergies se fait
par l’expérience entourée des aînés. Un adepte peut avoir plusieurs parrains et
marraines. Ils représentent une sorte de guide. Lorsque le filleul a un problème ou un
questionnement, il se tourne vers eux. (…) Cette relation doit être marquée par le respect
mutuel. Il existe des règles précises à respecter : un petit frère ne peut pas être le parrain
de son grand frère par exemple. Mais le grand, lui, peut. L’âge et l’expérience sont très
importants dans le choix de son parrain. Les liens dans la famille religieuse sont très
semblables à ceux présents dans la famille biologique. Les parrains et marraines sont
responsables de leur filleul. Eledis m’explique que si elle est malade, son parrain ou sa
marraine l’emmène chez le médecin : dès qu’elle a un problème, ils l’aident. Ils sont là
quand ça va et quand ça ne va pas. Même les fêtes importantes, comme le jour de Noël,
le nouvel an, la fête des pères et la fête des mères sont célébrées avec sa famille
religieuse. Bien entendu, cela dépend de la relation et de la communication établie avec
la rama. Selon elle, les gens ont besoin d’espace et de relations hors de leur famille
biologique. Ils vont donc dans leur famille religieuse » (JT, quartier de Playa,
21/02/2019).
43
Lignages rituels et lignages biologiques ne sont donc jamais équivalents, même s'ils se
recoupent parfois : il peut y avoir des mélanges entre parenté rituelle et parenté biologique. Mais des
parents biologiques ne peuvent pas être parrains de leurs enfants. La raison est qu’au sein d’un réseau,
les charges rituelles indispensables au culte ne peuvent être acquises dans leur totalité par une seule et
même personne (Argyriadis, 2005). Les savoirs et les pouvoirs doivent donc être séparés et ainsi, les
différents pratiquants doivent collaborer pour organiser et mettre en place une cérémonie (Argyriadis,
2005). Cette règle se retrouve dans une déclaration d’un des informateurs de Menéndez36: « La famille
rituelle est comme une forêt, et le savoir, comme la sève, coule dans toutes ses parties » (2002 : 139).
Les énergies de chaque être vivant et de chaque élément naturel doivent être conjuguées et mises
correctement en circulation pour qu'un rituel fonctionne (Argyriadis, 2005).
D’autre part, il convient de souligner que, notamment si leur relation affective est forte,
l'influence exercée par un parrain ou une marraine sur un filleul peut être considérable. Elle est
cependant tempérée par le fait qu’elle n’est pas exclusive. En effet, un adepte peut appartenir à plusieurs
ramas et a la possibilité de se désengager du lien qui l’unit à son parrain ou sa marraine (Argyriadis,
2005). À chaque consultation, les parrains proposent une série de conseils personnalisés censés émaner
des orishas. Ces conseils sont toujours variés, laissés à l'appréciation du filleul qui décide de les ignorer
ou les négocie. Les parrains ne donnent donc jamais d'ordres mais des orientations personnalisées
(Argyriadis, 2005).
Les parrains peuvent tout de même être manipulateurs en utilisant subtilement l’imaginaire
associé aux saints. Ils puisent leur force dans des avertissements des saints pour faire peur à leur filleul.
Un parrain pourrait, par exemple, dire à son filleul : « Le saint ne te menace pas, il t’avertit » ou encore
« Le saint te pardonne, mais quand il dit stop, il faut faire attention ! » (Juarez Huet, 2004 : 12). Ce sont
des mécanismes de pression sur les filleuls basés sur le fait que le saint peut résoudre des problèmes
mais il peut également retirer son soutien. Les filleuls ont en tête que les santeros.ras et les babalawos
ont le pouvoir et l’aché grâce aux saints et que ça peut avoir des conséquences sur ceux qui n’écoutent
pas leurs recommandations (Juarez Huet, 2004). Cette pression apparait quand le filleul se rend compte
que le saint a pu apaiser ses angoisses et ses problèmes. Il comprend donc, par analogie, qu’il peut agir
négativement sur lui aussi (Juarez Huet, 2004). Cela crée une pression symbolique sur le filleul pour
qu’il soit obéissant et respectueux (Juarez Huet, 2004).
Enfin, les quelques règles valables pour tous n'impliquent en aucun cas le devoir d'obéissance.
En dernier recours, c'est à ses propres divinités, et à elles seules, que chacun se doit de tenir les
engagements. C'est une affaire personnelle dans laquelle un parrain ou une marraine ne peut s'immiscer
qu'indirectement. Son rôle est de rester médiateur, si toutefois son filleul fait appel à lui (Argyriadis,
36 Historienne de l’art, écrivain, professeure, chercheuse et membre de l’Institut National d’Anthropologie de la
Havane. Elle s’intéresse, entre autres, à la sphère des religions cubaines d’ascendances africaines.
44
2005). Malgré le fait que les aînés aient, par définition, des entités plus âgées et plus savantes et donc
un prestige plus grand, leur autorité n'est jamais absolue (Argyriadis, 2005). Il existe toujours plusieurs
référents, ne serait-ce que parce que les charges et les facultés rituelles ne peuvent jamais être condensées
en une seule et même personne comme expliqué auparavant.
Entrer dans un réseau de parenté religieux, cela sous-entend donc une aide et un soutien de la
part des parrains et des marraines. Ils sont responsables de leurs filleuls et font tout ce qu’ils peuvent
pour que tout aille bien pour eux. J’ai d’ailleurs rencontré une santera qui refusait d’être marraine car
cela demandait beaucoup trop de responsabilités et de temps consacrés à son filleul. Mais cette relation
ne va pas que dans un sens. Les filleuls, eux aussi, ont des devoirs envers leurs parrains et marraines. Ils
devront être présents pour leurs parrains et marraines et leur rendre des services : organiser une
cérémonie en leur honneur, faire des offrandes au divinités pour eux et aider pour organiser les
différentes initiations. Ce sont, entre autres, ces services quotidiens qui créent et perpétuent leur lien
social et affectif. Ces obligations d’aide, de solidarité et de responsabilité entretiennent leur relation et
les occasions de se voir sont donc fréquentes.
Les relations entre frères et sœurs de religion sont moins profondes et moins soumises à des
règles d'engagement affectif absolu que les relations entre un parrain et son filleul. Malgré un idéal
d'harmonie affiché, elles peuvent être aussi bien cordiales que conflictuelles, sans pour autant que le lien
rituel ne soit remis en question (Argyriadis, 2005). En outre, dans les grandes familles religieuses tout
le monde ne se connaît pas car certaines peuvent atteindre plusieurs milliers de filleuls. L'un des devoirs
censés être respectés par tous est justement d'assister aux anniversaires d'initiation ainsi qu'aux
cérémonies publiques organisées par les uns et les autres. L'affluence dans ces événements est un bon
indicateur de l'état des relations, à ce moment précis, du commanditaire de la fête avec ses parents rituels
(Argyriadis, 2005).
2.2.2. La rama : un réseau d’entraide exponentiel
Comme introduit dans la partie précédente, je me suis rendue compte, sur le terrain, que ces
liens n’étaient pas seulement théoriques. Mais que la relation était nourrie et perpétuée constamment par
des échanges, des dons et de nombreuses visites. C’était un sujet qui revenait constamment dans les
conversations. Je me suis donc demandée si tous ces réseaux de parenté rituelle et l’entraide qui en
découlaient pouvaient être une clé de réponse aux problèmes économiques des adeptes et donc,
logiquement, une raison de la perpétuation de la religion Ocha-Ifa.
La santeria peut être comparée à une véritable agence de renseignements. En effet, chaque
famille rituelle consacre une grande partie de son temps à mettre ses filleuls en rapport les uns avec les
autres. Cette démarche a pour but d’activer non seulement des échanges de force et d’aché
indispensables à la pratique religieuse, mais aussi des échanges de services nécessaires à la vie
quotidienne havanaise (Argyriadis, 2005). La majorité des réseaux de parenté religieuse intègrent, quelle
45
que soit leur taille, diverses professions et statuts sociaux qui permettent, le cas échéant, d’avoir des
facilités pour demander des services quelconques (Argyriadis, 2005). Un santero pourra demander par
exemple un rendez-vous pour des analyses médicales - via telle sœur de religion travaillant dans un
hôpital - ou de l’aide pour trouver certaines pièces de voiture difficiles à se faire parvenir - via un frère
de religion lui-même mécanicien, et ainsi de suite.
Mais surtout, intégrer une telle famille, signifie pour un adepte de s’insérer dans un réseau de
relations encore plus vaste, puisque chaque parrain et chaque marraine font partie, eux aussi, d’autres
familles religieuses possédant leurs propres ressources (Argyriadis, 2005). C’est un réseau exponentiel
car chaque initié peut devenir parrain à son tour en initiant un adepte qui rentrera dans le même réseau
de parenté religieux. Il peut également s’allier à un ou à plusieurs coreligionnaires pour créer sa propre
famille. Le fait d’être initié et d’appartenir à plusieurs familles religieuses est donc un véritable atout de
prestige ainsi qu’un facteur de réussite sociale. Cela permet d’agrandir et d’optimiser son réseau, alors
même que l’utilisation des réseaux de relations est au cœur du fonctionnement de la société havanaise
(Argyriadis, 2005). Les cubains utilisent d’ailleurs régulièrement le terme « socio » qui désigne un
associé. C’est-à-dire une personne qui est une ressource face à un problème ou à une situation
particulière. Les relations dans une rama sont donc fondées sur l’échange de services, de compétences
ou de biens (Argyriadis, 2005). Cela permet aux initiés d’avoir le bras plus long. C’est une relation de
don et de contre-don (Mauss, 1925) qui crée et maintient des liens importants dans le réseau de parenté
religieuse. La rama est donc l’organisation sociale de base de la santería à Cuba.
De manière générale, de même que les sollicitations se font toujours par l'intermédiaire du
parrain ou de la marraine, aucune initiative religieuse n'est prise entre frères sans passer par ce centre de
gravité fondamental. Celui-ci fait figure de « point focal », de pôle « où converge, par où transite
l'ensemble des relations » (André, 1987 : 39). Cette terminologie se rapporte à la notion de matrifocalité
et est particulièrement pertinente ici. Bien évidemment, il faut admettre, comme André, que par « mère
focale », il ne faut pas entendre nécessairement « mère biologique » (1987). L'insistance sur le rôle
féminin prépondérant doit également être nuancée puisque dans plusieurs ramas gérées par un parrain
il existe des « pères focaux » (Argyriadis, 2005 : 159).
Il existe aussi des liens de parenté religieuse transnationale. J’ai assisté, par exemple, à une
initiation d’un babalawo qui venait de Miami pour la réaliser. Avec Internet, il est possible de contacter
des santeros partout dans le monde.
2.3. « Manipuler les énergies » pour lutter contre les fatalités du destin : un atout majeur de
la santeria
La santeria est une alternative pour régler certains problèmes qui ne sont pas seulement du
domaine religieux. En effet, les pratiquants peuvent utiliser les énergies pour arriver à leurs fins dans le
domaine de la santé, de l’économie ou de l’amour par exemple. Les personnes initiées croient en la
46
présence d’énergies et d’entités pouvant intervenir en bien et en mal sur leur vie. Celles-ci sont visibles
par leurs effets (Juarez Huet, 2004).
De plus, la consultation, les conseils des babalawos et les cérémonies donnent un nouveau sens
à la vie de l’adepte et cela permet de lutter contre les fatalités du destin et d’atteindre une certaine
stabilité spirituelle (Juarez Huet, 2004). Lorsque les problèmes matériels disparaissent grâce à la
santeria, certains en font leur religion principale. Les histoires qui se racontent, par exemple, sur des
guérisons ou des rentrées d’argent miraculeuses et qui mettent en avant son efficacité, poussent à croire
en la santeria. Les discours s’y rapportant font partie de l’imaginaire collectif. Les raisons de se tourner
vers cette religion des orishas sont donc très diverses : problèmes domestiques, économiques, spirituels,
judiciaires ou thérapeutiques (Juarez Huet, 2004). Même lorsque les individus ne se sentent pas bien
mais ne savent pas ce qu’ils ont, il est fréquent qu’ils se tournent vers un babalawo. Ivan m’expliqua
comment cela se déroule :
« Les gens vont chez le babalawo pour consulter. Celui-ci va donc lire dans la personne,
dans ses mains ou par des incantations pour voir de quoi elle souffre. Ensuite, il fera des
rituels pour éloigner le mauvais sort. Si le mal est grand, il est fréquent que le spécialiste
religieux doive faire un sacrifice animal, souvent un poulet. Les consultants peuvent
également émettre des réclamations dans le but d’avoir des effets sur autrui. Certains
désirent faire le bien. Mais il y en a aussi qui ont des demandes pour faire du mal à un
ennemi. Moi je n’accepte pas de faire le mal. Si je fais du mal, je suis persuadé que ça
reviendra sur moi ou sur mes enfants encore plus violemment. Mais chaque babalawo
décide par rapport à sa morale. Quand on fait du mal, c’est un état d’esprit qu’on envoie
à la personne visée. Lorsqu’un individu désire recevoir de la chance et de la fortune, le
santero peut lui transmettre le pouvoir d’Ochun sur l’argent et cela promet à l’adepte de
faire fortune. Il existe même des santeros qui acceptent, pour une somme conséquente,
de tuer sur demande d’un individu. Cela revient à l’éthique de chacun » (JT, quartier du
Vedado, 05/02/2019).
2.3.1. La santeria : une réponse à tous les maux ?
La santeria est une religion qui est en phase avec le monde contemporain et qui est « à l’écoute
de la population ». En effet, son but est de distribuer de l’énergie à la population pour n’importe quel
besoin. Elle répare également les désordres intérieurs des individus (Pasqualino, 2011). Les conseils
donnés par les initiés de la religion Ocha-Ifa peuvent agir comme une véritable révélation car ils
s’adaptent aux demandes des adeptes. Alors que les Cubains sont confrontés le plus souvent à des
drames découlant de leur misère, les Européens souffrent plutôt de solitude et de drames conjugaux. La
santeria répond à ces différents problèmes car les spécialistes religieux sont à l’écoute. A l’inverse du
carcan moral que représente le catholicisme, elle fait preuve d’ouverture par rapport aux problèmes de
47
mariage malheureux ou de problèmes de sexualité (Pasqualino, 2011). Ainsi, la santeria se répand en
Europe également.
La consultation est la forme la plus fréquente d’approche du monde de la santeria. Mais il faut
distinguer l’initié du consultant. Le premier est entré dans la santeria par un rite d’initiation. Alors que
le second est un individu donc l’intérêt pour la santeria se limite aux recours ponctuels aux services
offerts par les pratiquants qui ont les méthodes divinatoires et la capacité de communiquer avec des
divinités et des morts (Juarez Huet, 2011). Les individus qui vont consulter un spécialiste religieux le
font généralement dans l’espoir de pouvoir résoudre une situation d’infortune. Cette consultation ne se
réduit pas seulement à une simple lecture à propos du futur du consultant. En effet, l’interaction qui a
lieu amène le consultant à développer une réflexion sur lui-même (Argyriadis, 1999). De plus, la
divination permet de réduire et d’agir plus profondément sur l’anxiété (Atwood Mason, 1993). Lors
d’une initiation de la Mano de Orula, deux femmes de 40 et 38 ans m’expliquèrent leur raison d’entrée
dans la religion :
« Une dame me confie qu’elle s’initie aujourd’hui avec son époux car il est malade. Il a
un grave problème au pied à cause d’un accident. L’autre dame qui s’initie en même
temps passe le cap car elle a remarqué que la santeria fonctionnait. En effet, elle
m’explique que dès qu’elle ou quelqu’un de son entourage écoute les recommandations
d’un santero, il arrivait quelque chose de bénéfique. Elle s’initie donc pour avoir de la
chance en affaire et au niveau de la santé et pour protéger sa famille » (JT, quartier
Cerro, 10 mars 2019).
De cette manière, la consultation et l’entrée dans la religion possèdent un effet thérapeutique car
elle permet au consultant de s’ouvrir et de se dévoiler. Il osera partager des choses qu’il garde,
généralement, pour lui car cela concerne des événements en lien avec le monde des esprits. Ce sont des
récits qui sont souvent interprétés comme des fantaisies et qui font passer l’individu comme quelqu’un
de mentalement dérangé. Le cadre de la santeria offre donc une possibilité d’écoute et les consultants y
trouvent, régulièrement, des explications et des solutions à leurs problèmes quotidiens (Juarez Huet,
2011). La maladie est l’une des plus grandes peurs à Cuba. Un informateur santero de Juarez Huet
déclarait par rapport aux consultations :
« Ici, tu dois te faire psychologue et ce qu’on fait avec les cauris, oracle utilisé par les
santeros, c’est toucher les fibres de la personne pour qu’elle puisse s’épanouir et laisser
sortir tout ce qu’elle porte en elle » (Juarez Huet, 2011 : 149).
Quand un consultant se dirige vers un spécialiste, celui-ci va interpréter les signes sortis de la
consultation divinatoire et élaborer un diagnostic de la situation de l’individu. Il détermine, ensuite, les
actions à mettre en œuvre pour calmer la situation et éloigner l’infortune (Juarez Huet, 2011).
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Une autre angoisse présente dans notre société est celle liée à la mort qui est souvent laissée
sans réponse aujourd’hui. Auparavant, les morts occupaient une place importante dans la vie des gens
car leur souvenir était entretenu par la proximité des cimetières et par le culte qui leur était dédié : les
anniversaires de décès, l’entretien des tombes, la fête de la Toussaint, etc. Mais, avec le mouvement
d’urbanisation, les cimetières construits au 19ème et 20ème siècle seront installés hors des remparts de la
ville et loin des lieux de résidence. L’habitude de cohabitation avec les défunts s’est donc perdue
progressivement (Damblant, 2018). Cela pousse les gens à se couper d’eux ou du moins à s’en distancier
(Pasqualino, 2011). Il en est ainsi un peu partout dans le monde occidental. Depuis que cette présence
n’est plus familière, la mort est devenue quelque chose qui fait encore plus peur. La santeria, au
contraire, a une approche des défunts tout à fait différente. Elle permet d’apprivoiser l’angoisse de la
mort car elle encourage à garder contact avec la personne décédée. Les défunts sont représentés de
nombreuses façons dans la maison de la famille qui est amenée à entretenir avec eux une relation de
proximité (Pasqualino, 2011). Ivan aborda le sujet au détour d’une balade dans la Vieille Havane :
« Je me baladais près du Capitol avec Ivan, nous allions prendre le bus pour rencontrer
des pratiquants dans le quartier de Playa. Il m’expliqua qu’il devait absolument aller
acheter des cigarettes de la marque « Camel ». Je lui demandai pourquoi et il me
répondit que c’était pour un esprit décédé. Un de ces ancêtres vit chez lui et protège sa
maison. Pour le remercier, il doit s’occuper de lui et lui apporter ce qu’il aime. Ivan
continue son explication en disant qu’il a eu des échanges avec ce défunt qui lui a
raconté que durant toute sa vie, il fumait des Camel. Ivan voulait donc en acheter pour
lui faire plaisir » (JT, quartier Habana Vieja, 18/02/2019).
Concrètement, les pratiquants vont apprendre aux nouveaux initiés la manière de matérialiser
les morts par les autels placés dans une pièce spéciale de la maison, ainsi qu’à prendre soin d’eux
quotidiennement et à rester à leur écoute. Paradoxalement, cela permet aux adeptes d’avoir l’impression
de renouer avec leurs racines familiales et avec les sources de leurs propres traditions mystiques. Les
initiés apprennent à leurs fidèles à apprivoiser les forces occultes (Pasqualino, 2011).
2.3.2. Espoir de guérison et promesse de santé : la santeria comme thérapie
Selon les expériences de mes informateurs, l’une des raisons principales de s’initier dans la
santeria est son aspect thérapeutique. En effet, comme la plupart des religions, la santeria promet à ses
adeptes une aide pour soigner le corps et l’esprit. Il est très fréquent que des individus viennent consulter
car ils sont blessés ou sont malades et veulent savoir ce qu’ils peuvent faire pour améliorer leur situation.
Les adeptes se tournent vers la santeria car les conduites déviantes comme la maladie, les disputes, les
échecs commerciaux, etc. sont imputées à une cause extérieure. Toutes les infortunes sont légitimées et
interprétées de la même manière : la cause serait liée aux divinités ou à la sorcellerie. Selon Zempleni,
les schèmes explicatifs traditionnels sont marqués par une « polyvalence étiologique ». C’est-à-dire
49
qu’un problème pourra avoir différentes causes : divinités, sorcelleries, puissances magiques, etc.
(1985). Dans la communauté de la santeria, les pratiquants donnent un sens social à la maladie. Cela
serait une caractéristique des sociétés sans écriture qui vont penser la maladie en s’intéressant au rapport
du malade avec son milieu social (Zempleni, 1985). Ils vont donc plutôt se pencher sur l’origine de la
maladie, le « pourquoi », qui est souvent de nature sociale. Le diagnostic divinatoire de la santeria
permet d’identifier l’origine de la maladie et de trouver une solution pour remettre en ordre le rapport
du malade avec son milieu social. Il faudrait donc faire un traitement de l’entièreté du corps social
(Zempleni, 1985).
La santeria propose une médecine alternative qui favoriserait, en plus d’une prise en charge par
la médecine conventionnelle, la guérison du pratiquant. Tout d’abord, il est essentiel de clarifier le
concept « médecine alternative » qui mérite d’être déconstruit afin de ne pas en avoir une acception trop
large. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la médecine alternative représente la totalité des
connaissances et pratiques léguée dans une culture, ici la communauté santera, afin de garder la santé
dans la communauté et de guérir des maladies physiques et mentales. Elle regroupe de nombreuses
pratiques thérapeutiques qui ne sont pas retrouvées dans le système de santé dominant du pays. Dans ce
travail, j’utiliserai les termes alternatives, traditionnelles et non-conventionnelles pour me rapporter à
ces différents systèmes de soins.
Je me suis donc demandé, vu l’expansion de la santeria et son acceptation générale dans tous
les milieux havanais, si certains santeros ou babalawos étaient présents dans les milieux médicaux afin
de prendre en charge directement certains patients. Armando, un de mes informateurs babalawo,
répondit rapidement à ma question car selon lui :
« Les babalawos ne sont pas à l’hôpital pour soigner les gens. Mais quelques fois, les
individus vont à l’hôpital pour faire des tests et voir d’où viennent leurs douleurs sans
trouver d’explication à leur mal-être. Ils se dirigent donc vers la santeria qui aura peut-
être une autre réponse et des solutions pour soigner ça. Il est fréquent que le problème
soit plus profond et ne puisse pas être soigné par la médecine à l’hôpital » (JT, quartier
de Marianao, 04/02/2019).
Les gens sont prêts à combiner plusieurs possibilités pour retrouver la santé et la tranquillité. La
santeria est identifiée comme une alternative thérapeutique. Les adeptes construisent des ponts
sémantiques qui sont en accord avec leur trajectoire spirituelle (Zapponi, 2013). Les spécialistes
religieux cubains acceptent toujours les techniques de soin modernes mais seulement sur le mode
cumulatif. Les pratiques thérapeutiques peuvent donc être complémentaires. Le recours à la religion ou
à la magie pour guérir un patient correspond à un élargissement du contexte causal par rapport à celui
du sens commun partagé par la médecine conventionnelle occidentale (Augé, 1986).
50
La santeria peut faire partie de l’itinéraire thérapeutique d’un patient, c’est-à-dire, qu’elle fait
partie de son parcours pour tenter de résoudre son problème de santé et de découvrir le sens de la
maladie. Kleinman appelle ces itinéraires des « stratégies de recours aux soins »37 (1980). La réalité
clinique du malade est construite socialement et culturellement par le secteur populaire, professionnel
et traditionnel (Kleinman, 1980). Dans chacun de ces secteurs, la maladie est nommée, perçue et soignée
différemment. Le secteur populaire est celui dans lequel le patient est en interaction avec ses proches
non spécialistes médicaux. C’est à ce moment-là que la maladie est identifiée et soignée par le réseau
de parenté. Au sein de ce secteur, le malade va décider de s’adresser ou non aux autres secteurs. Le
secteur professionnel est celui du système de santé organisé, conventionnel et institutionnalisé pratiquant
la médecine scientifique moderne. Quant au secteur traditionnel, il est formé de spécialistes non
professionnels. Il peut tendre vers la religion et le sacré et mêler des techniques et des rituels (Kleinman,
1980). Les malades créent leur itinéraire thérapeutique à travers ces trois secteurs.
La vignette ethnographique suivante décrit un épisode de soin au malade effectuée par une santera :
« Je suis à une cérémonie d’un garçon de 20 ans qui va devenir babalawo. Pendant la
cérémonie, une dame entre dans la maison du parrain. Elle est atteinte du cancer. Je ne
comprends pas bien ce qu’elle demande mais j’interprète cela comme une demande de
divination pour guérir et moins souffrir. Elle se dirige avec la femme de l’hôte vers une
pièce à côté de la cuisine. C’est une petite pièce consacrée aux consultations je pense
car il y a une sorte de récipient macabre fait en bois avec des chaînes. La femme du
parrain a une colombe entre les mains. Elle a l’air très habituée de tenir cet animal.
Ensuite la porte de la pièce se ferme et je ne peux pas voir la suite. Quand la porte se
réouvre, la dame à les doigts en sang et couverts de plume. L’oiseau est planté dans le
récipient les pattes en l’air. Sa tête gise à côté du chaudron. La femme malade porte de
l’ouate remplie de sang contre sa poitrine sous son t-shirt. La dame a donc sacrifié un
oiseau pour soigner le cancer ou aider à sa guérison » (JT, quartier du Vedado,
08/02/2019).
Cette religion tente de répondre aux besoins des individus, elle touche à tous les domaines de la
vie sans exception. Elle représente une échappatoire en permettant aux adeptes de se livrer sans avoir
peur d’être jugés. Les religions afro-cubaines séduisent en ce qu’elles présentent des solutions concrètes
répondant aux attentes de la population. Elles s’adaptent au monde contemporain en offrant une liberté
de mœurs plus en phase avec leur mode de vie (Pasqualino, 2011).
37 Concept d’origine : « health care seeking behaviour »
51
2.3.3. Les différentes initiations : une voie vers le « triomphe » personnel
Comme nous venons de le voir, la santeria permet donc de lutter contre les fatalités du destin
en proposant des solutions face à la maladie, à la pauvreté, pour trouver l’amour et éviter les infortunes
en général. Elle serait également un moyen de se familiariser avec le monde des défunts et donc
d’apprivoiser sa peur de la mort. Pour finir, ici, nous allons nous intéresser au fait que cette religion
permet à un adepte de pouvoir espérer monter dans l’échelle sociale.
En effet, les règles principales de cette religion sont le respect d’autrui et principalement de son
aîné. Les différentes initiations permettent d’établir un statut clair à l’adepte. Il est possible pour lui
d’atteindre un niveau de prestige et de reconnaissance plus élevé au sein du cercle religieux en passant
différentes initiations, en parrainant de nouveaux adeptes et en « manipulant les énergies » de façon
efficace. En effet, plus un santero permet de faire disparaître les infortunes lors de consultations, plus
sa réputation se fera grande. Les histoires de guérison miraculeuse ou autre se répandent très vite par le
« bouche à oreille ». C’est ainsi que de nombreux individus qui n’avaient pas ou peu de reconnaissance
sociale dans leur vie de tous les jours, en ont acquis une au sein de leur entourage religieux. Le nombre
d’années de pratique religieuse confère un certain prestige et légitime la connaissance et le respect d’un
adepte.
L’exercice de la prêtrise prend sa force également dans le fait qu’elle rentre dans une « idéologie
du pouvoir personnel » (Brandon, 2002 : 165). Il en découle de nombreuses façons de négocier son statut
et son prestige dans la santeria (Gobin, 2013). En effet, lorsque l’on parle à un babalawo ou à un
santero.ra, la plupart usent de logiques d’auto-valorisation dans les discussions. Premièrement,
l’importance de la descendance rituelle et de la clientèle est un élément qui revient souvent dans les
conversations. Ensuite, la présence d’étrangers parmi les filleuls est également désirée et mise en avant.
En effet, la réputation d’un spécialiste religieux se fait lorsque ses consultants sont en bonne santé et en
bonne situation amoureuse et économique. Cela est une variable qui indique l’efficacité du spécialiste
(Gobin, 2013). Les étrangers sont souvent, justement, dans des situations aisées d’un point du vue
matériel, physique et social. Les compétences de l’initiateur et la grandeur de son aché sont donc mises
en valeur. De plus, le fait qu’un étranger choisisse un santero signifie que ses compétences sont
reconnues internationalement. Cela permet d’accroitre le capital symbolique de l’initiateur. Il est donc
fréquent que les santeros évoquent leurs filleuls étrangers devant les coreligionnaires pour prouver leur
gage de qualité (Gobin, 2013). Bien entendu, il ne faut pas avoir trop de filleuls étrangers car cela est vu
comme une volonté de gagner plus d’argent.
Le prestige est donc fonction des capacités de l’initiateur mais également de ses années de
sacerdoce qui forment la hiérarchie (Juarez-Huet, 2004). Les individus les plus expérimentés sont ceux
qui sont les plus respectés. Cela s’observe entre-autre par le salut. Les cadets se prosternent aux pieds
des aînés jusqu’à toucher le sol du front pour marquer le respect et l’humilité. C’est une règle essentielle
52
que je découvris en observant la relation d’Ivan avec son parrain : « Lorsque je me suis rendue chez le
parrain d’Ivan pour assister à une initiation, Ivan, qui a déjà 30 ans de pratique religieuse derrière lui, se
prosterna très sérieusement devant son parrain pour le saluer » (JT, quartier du Vedado, 08/02/2019).
La santeria offre donc une possibilité aux adeptes de gagner du prestige et d’être reconnus
socialement. Cela est possible si l’adepte a passé les différentes initiations. Ensuite, lorsqu’il peut
pratiquer en tant que spécialiste religieux, sa réputation se fera selon ses capacités à « manipuler les
énergies », à conseiller les consultants et à répondre à leurs demandes. Plus son travail sera précis et
efficace plus sa réputation et son prestige seront grands. À cela s’ajoute également les années de pratique
qu’il a derrière lui et qui le placent dans la hiérarchie.
2.4. Une religion tolérante au service de la réussite
La dernière caractéristique valorisée de la santeria qui sera abordée dans ce travail est le fait
que cette religion est très tolérante, que ce soit par rapport aux autres religions, par rapport à d’autres
techniques thérapeutiques ou par rapport à l’orientation sexuelle des adeptes.
En ce qui concerne la résolution de problèmes personnels, les adeptes de la santeria mélangent
plusieurs traditions pour avoir plus de chances d’aboutir à un résultat. Les spécialistes religieux
proposent tous des thérapies personnalisées. Mais ils n’hésitent pas non plus, le cas échéant, à renvoyer
le consultant vers d’autres spécialistes, à l'hôpital ou à l'église catholique, les messes étant, par exemple,
considérées comme des dispositifs thérapeutiques efficaces (Argyriadis, 2005). Certains adeptes
pratiquent simultanément la santeria, le spiritisme, le Palo Monte et d’autres traditions religieuses afro-
cubaine comme la religion abakua. C'est d’ailleurs cette complémentarité fondamentale et le cumul
entre les pratiques du Palo Monte, de la santeria, du catholicisme et du spiritisme qui conduit la plupart
des Havanais à utiliser le terme générique de « religion » pour désigner et légitimer l'ensemble de leurs
pratiques (Argyriadis 1999).
Des ponts cognitifs permettent de faire des correspondances sémantiques entre les différents
cultes et cela pousse à la complémentarité des pratiques. Les individus construisent et s’approprient la
santeria. Elle se cumule souvent avec des pratiques ésotériques comme le tarot, le feng-shui et quelques
autres pratiques du New Age (Juarez Huet, 2004). Cela crée des glissements d’un univers religieux à un
autre (Zapponi, 2013). Toutes les connaissances sur le monde spirituel et la manipulation des énergies
partent des mêmes bases. Elles se considèrent l’une l’autre comme valides et peuvent être combinées
(Juarez Huet, 2004). Tout conduit à la même chose et l’important c’est l’harmonie et la stabilité. La
santeria peut donc être vue comme une variante parmi d’autres. Elle est une religion non-exclusive qui
ne serait pas compréhensible sans le catholicisme, le spiritisme et le Palo Monte (Juarez Huet, 2004).
C’est complexe, créatif et hétérogène car chaque individu sélectionne ce qu’il veut dans les différentes
pratiques et se réapproprie la tradition (Juarez Huet, 2004).
53
Ivan par exemple multiplie les pratiques thérapeutiques et religieuses de différentes origines afin
de répondre plus précisément aux problèmes des consultants. Il m’en fit une démonstration, alors que
nous allions assister, avec une amie, à un cours de danse afro-cubaine chez lui :
« A 16h je vais faire un cours de danse afro-cubaine avec Ivan et Anna. Mais Anna me
téléphone avant pour annuler car elle a fort mal au dos et au ventre. Je téléphone donc
à Ivan pour lui demander de reporter. Mais il ne comprit pas la raison. Selon lui la danse
va lui faire du bien. Et si le mal persiste, il lui fera une séance de reiki pour qu’elle se
sente mieux. On s’est donc décidées à aller au cours de danse. Sur place, Ivan demande
à Anna si elle désire qu’il fasse une séance de reiki qui est un art japonais. Cela
permettrait de remettre les chakras en place et de stopper les douleurs. Elle accepta et
dû s’asseoir, les mains posées sur ses genoux, les paumes vers le haut. Il fit des signes
autour d’elle comme s’il l’éclaboussait avec de l’eau ou s’il chassait quelque chose.
Ensuite il ferma les yeux et avec une main, il fit mine d’écrire quelque chose dans la
paume de son autre main. Ensuite, il souffla sur ses mains et les mit de part et d’autre
de la tête d’Anna. Sans la toucher, il descendit autour de son visage, puis sa poitrine et
son ventre. Il toucha son genou et son pied puis l’autre. Tout ça très lentement et en
répétant les gestes. (…) Après la séance je demandai à Anna si la séance avait porté ses
fruits. Elle me dit que pendant la danse elle avait, effectivement, moins mal mais ne
savait pas si c’était grâce à la séance de reiki ou seulement par l’attention qu’on lui a
accordée » (JT, quartier du Vedado, 14/02/2019).
Cette vignette ethnographique est illustrative car elle exemplifie une manière, pour un spécialiste
religieux, de pratiquer des soins thérapeutiques qui ne font pas partie du registre thérapeutique de la
santeria. L’importance pour un babalawo ou un santero.ra est de pouvoir combiner efficacement
différentes pratiques répondant aux préoccupations d’un client. S’il n’est pas en capacité de le faire,
celui-ci devra rediriger le consultant vers d’autres solutions, d’autres pratiques thérapeutiques ou
religieuses plus compétentes. C’est une religion de proximité qui amène un dialogue adapté à l’individu
et à ses problèmes quotidiens (Zapponi, 2013).
En ce qui concerne l’orientation sexuelle des adeptes, la santeria est très ouverte également. En
effet, les cultes religieux afro-cubains les plus accessibles aux homosexuels sont la santeria et le
spiritisme. Certains affirment que la présence d’homosexuels est importante lors d’initiation car ils
seraient précis et auraient un goût pour les détails (Testa, 2004). La mythologie aide également à ne pas
censurer l’homosexualité car un mythe raconte comment Obatala, orisha créateur, les aurait créés lui-
même (Testa, 2004).
De plus, lors de mon terrain, quelques événements m’ont confirmé cette position de la santeria
vis-à-vis de l’homosexualité :
54
« Je me suis rendue à un spectacle de drag queen à la Havane durant lequel les discours
faisaient allusion à la santeria. Selon les protagonistes du spectacle, la santeria, serait
très tolérante et respectueuse par rapport à leur choix de vie. Leurs discours disaient que
les adeptes de la santeria les respectaient contrairement à la position générale des
catholiques. D’ailleurs, une grande partie du spectacle reprenait les éléments esthétiques
de la santeria : les habits blancs, les foulards dans les cheveux, les costumes
traditionnels africains en référence aux orishas, les musiques présentes lors des
cérémonies, etc. L’univers religieux de la santeria faisait donc complétement partie du
spectacle » (JT, quartier de Centro Habana, 09/03/2019).
J’ai également rencontré un santero homosexuel de 22 ans. Il m’explique que malgré le fait que la
religion Ocha-Ifa soit ouverte par rapport à l’homosexualité, ils ne pouvaient, tout de même pas devenir
babalawo. Mais cette règle n’est pas respectée à la lettre.
2.5. Une religion « totalisante » pratiquée « à la carte » : retour sur ces termes et leur lien
avec son expansion
En premier lieu, la « manipulation des énergies » ainsi que sa tolérance vis-à-vis d’un continuum
entre différentes pratiques religieuses et thérapeutiques font voir la santeria comme une solution face
aux problèmes quotidiens des adeptes. Cela les pousse à se tourner vers cette religion pour répondre à
des préoccupations personnelles à un moment précis. Pour ceux-là, la santeria est une « religion de
service » c’est-à-dire une religion dans laquelle les individus ne pratiquent pas de manière régulière,
mais à l’occasion (Pasqualino, 2011). Cela fait ressortir son pragmatisme car elle prétend résoudre tous
les maux des adeptes qui ont la possibilité de vivre leur religiosité de façon plus moderne en adéquation
avec leur situation socio-économique. Selon Hervieu-Léger, le bricolage serait donc un signe de
renforcement des logiques de modernité (1993). Ce dilettantisme va de pair avec le fait que la spiritualité
est envisagée comme un bien consommable (Pasqualino, 2011) et donc « utilisée » par les adeptes
comme bon leur semble. Comme expliqué précédemment, cette dimension économique est rentrée dans
les mœurs.
L’expression « religion de service » rejoint la notion de « religion à la carte » (Hervieu-Léger,
1986) qui met l’accent sur le bricolage religieux. Par bricolage religieux, il est fait référence au fait que
les individus vont choisir et combiner des ressources religieuses de toutes sortes. Ils mettent en place
des systèmes de croyance personnels fondés sur leur subjectivité (Altglas, 2014). Les adeptes de la
santeria « joueraient » avec les ressources symboliques disponibles dans cet univers religieux afin qu’il
réponde à leurs préoccupations. Selon Hervieu-Léger,
« l’affirmation de la liberté individuelle dans l’ordre spirituel se manifeste (…) dans le
développement d’une pratique religieuse “à la carte”, réglée sur les besoins personnels
des fidèles. Elle se traduit, là où le processus est le plus poussé, dans l’ampleur des
55
“bricolages croyants” et des syncrétismes auxquels se livrent des individus désormais
déchargés du poids de toute mémoire autorisée » (1993 : 201).
Ce bricolage deviendrait donc une source d’empowerment de l’individu (Altglas, 2014 : 315) qui détient
une liberté d’appropriation. Mais cette liberté est tout de même limitée à un ensemble fini de ressources
disponibles et par des précontraintes qui restreignent les interprétations et les agencements possibles
(Mary, 2000). La notion de « bricolage » peut d’ailleurs être remplacée par les termes de
« réinvestissements structurés et structurants » ou d’« agencements sous contrainte » (Coulmont, 2017).
Dans la pratique « à la carte » de la santeria, les fidèles choisiront, par exemple, de prendre un
bain d’herbes pour se purifier mais pas de s’occuper quotidiennement des autels représentants les orishas
ou bien, ils choisiront un jour, d’aller se confesser à l’église catholique plutôt que d’aller consulter chez
un spécialiste religieux de la santeria. Ce bricolage est rendu possible par la grande faiblesse de
l’institutionnalisation de la santeria. En effet, d’un côté, il n’existe pas de texte sacré général rassemblant
les règles importantes de la religion Ocha-Ifa et d’un autre côté, il n’existe pas d’institution concrète,
malgré les tentatives de plusieurs leaders religieux d’uniformiser et d’institutionnaliser la pratique
(Gobin, 2013). Chaque réseau de parenté religieux détient ses propres façons de faire. Selon Hervieu-
Léger, les croyances des individus sont plus indépendantes du contrôle des institutions car la modernité
a déconstruit les anciens modèles traditionnels du croire et ainsi « tous les symboles sont donc
échangeables, combinables, transposables les uns dans les autres » (1993 : 110). Ces symboles
deviennent donc des symboles flottants qui peuvent, à la manière de coquilles vides, être réinvestis en
partie d’un nouveau sens en mobilisant des matériaux issus d’ailleurs (Coulmont, 2017). De plus, les
adeptes de la santeria élaborent des coupures entre le monde catholique et celui de la tradition africaine.
Selon Bastide, ces coupures permettent de vivre, avec deux types de mentalité, dans deux univers
distants et incompatibles (1954). Il ne s’agirait donc pas d’un mélange des pratiques, mais d’une sorte
de « jeu de rôle » de l’adepte qui change d’attitude selon qu’il soit dans un compartiment du réel ou
l’autre (Bernand, Capone, Lenoir et Champion, 2001).
En deuxième lieu, en ce qui concerne la dénomination de « religion totale », nous retrouvons
tous les éléments de sa définition dans la santeria. En effet, la religion Ocha-Ifa fait circuler l’argent
entre les pratiquants. Elle est un moyen pour eux d’avoir un certain revenu. Elle comprend donc un
aspect purement économique. Les danses, les chants, les costumes et l’art afro-cubains sont extrêmement
développés sur l’île. Cet aspect esthétique est également reconnu internationalement et s’inscrit dans la
culture et le folklore nationaux cubains (Béquet et Dianteill, 1999). Bien entendu la santeria est par
définition religieuse : elle met en place des rites, des croyances et des cérémonies qui lient le groupe
social à des divinités. De plus, lorsqu’un individu s’est initié, il rentre, inévitablement dans un nouveau
groupe social, la rama. Sa place de « novice et filleul d’un tel » est définie ce qui l’intègre directement.
Dans ces familles religieuses chaque individu est essentiel et s’identifie à la totalité du groupe. De
56
nombreux événements festifs sont organisés au sein d’un réseau de parenté religieux : des initiations,
des cérémonies et des fêtes en l’honneur de l’un ou l’autre saint. Chaque membre de la rama se doit
d’être présent à ces événements qui préservent les liens du groupe. Pour finir, la santeria permet de
rassembler les adeptes lors des fêtes et initiations et de modifier les traditions. Une vignette
ethnographique extraite d’une journée d’initiation illustre bien cette dynamique de réajustements
ponctuels des pratiques et des traditions :
« Je me rendis à la dernière journée d’une initiation d’un babalawo. Cela faisait déjà 6
jours qu’elle avait commencé. Il y avait une dizaine d’autres babalawos présents pour
l’organisation. Il est nécessaire d’avoir 8 babalawos pour en initier un nouveau. À
différentes phases du rituel, ils discutaient sur la façon la plus appropriée de procéder :
‘Faut-il tuer seulement une poule ou le sacrifice d’une chèvre est-il nécessaire ? Que
disent les signes du lancer de coquillages ?’. Ces querelles étaient nourries par des
arguments prenant comme référence la tradition ou tels et tels écrits » (JT, quartier du
Vedado, 08/02/2019).
Les babalawos ne faisant pas partie du même réseau de parenté religieux, leurs façons de faire étaient
différentes. Mais ces négociations n’entravent pas le processus d’initiation. Au contraire, elles
permettent de l’enrichir et remettent en question les pratiques de l’une ou l’autre rama. Ces
argumentations sont instituées dans le processus d’une initiation car il y a trop de détails dans
l’organisation d’un rituel pour que son déroulement soit indiscutable. Ces controverses permettent de
modifier, d’ajuster et de transmettre la tradition. Chaque réseau de parenté religieux détient quelques
spécificités qui se lèguent de génération en génération (Gobin et Morel, 2013) et sont à l’origine des
désaccords durant les fêtes rassemblant plusieurs ramas. C’est ainsi que les institutions et les traditions
sont discutées, modifiées et transmises.
Nous venons donc de voir en détail en quoi la santeria était une religion « totale » et pratiquée
« à la carte » par certains. Elle est une religion moderne qui évolue avec son temps. Son ouverture
d’esprit permet de répondre plus efficacement aux demandes des adeptes. Ces deux éléments de la
santeria peuvent donc être « séduisants » dans une société où les réseaux sociaux et les ressources sont
primordiales.
L’aspect « total » de la santeria aurait-il créé au fur et à mesure cette pratique « à la carte » pour
répondre aux préoccupations des individus présents dans le « tout » social ? La santeria aurait-t-elle
évolué continuellement afin de devenir une « religion à la carte » qui est une façon de faire retrouvée
dans les sociétés modernes ? C’est possible. En tout cas ces deux aspects de la religion Ocha-Ifa ont
permis son expansion à Cuba. En effet, en ce qui concerne son aspect de « religion de service », il existe
énormément d’adeptes de la santeria qui se sont initiés ou sont allés consulter pour régler un problème
précis. Ensuite, son aspect « total » fait rentrer l’adepte en question dans un groupe social, son entourage
57
religieux, dans lequel il possède une place déterminée et importante. Il fait donc, tout de suite, partie du
« tout » et y est reconnu. Ce deuxième aspect, fait passer l’adepte d’un individu souhaitant seulement
une consultation afin de répondre à une préoccupation particulière, à un individu intriqué rapidement
dans de nouvelles relations sociales. L’histoire de Jenny, une santera âgée de 40 ans, illustre se
processus d’intégration dans une communauté religieuse :
« Lors de mon terrain, j’ai rencontré une santera, Jenny, qui est initiée depuis 10 ans.
Elle m’explique que la raison pour laquelle elle est devenue adepte de la santeria c’est
parce qu’elle était enceinte et qu’elle est mariée à un babalawo. Son initiation est donc
importante, selon les règles de cette religion, car elle protègera la famille et le bébé. Elle
continua son explication en disant que l’initiation est presqu’une obligation lorsque le
mari, la femme ou les parents d’un individu sont initiés » (JT, quartier de Cerro,
08/03/2019).
Cette dynamique dans le réseau de parenté favorise l’expansion de la santeria à la Havane et plus
généralement à Cuba.
3. Genre et santeria : quel lien avec sa popularité à la Havane ?
Nous venons de nous intéresser à l’aspect totalisant et à la pratique « à la carte » de la santeria
en nous demandant s’ils jouaient un rôle dans l’expansion actuelle de cette religion à la Havane. Dans
cette troisième et dernière partie, la question de la popularité de la religion Ocha-Ifa sera toujours au
centre des préoccupations. Mais l’analyse se focalisera sur la position respective des femmes et des
hommes dans la santeria en questionnant le lien entre cette place et l’attirance que la santeria peut avoir.
L’hypothèse est que les relations de genre en cours dans l’univers de la religion Ocha-Ifa joueraient
également un rôle dans son attrait et son expansion au fil des années.
Dans la santeria, les femmes sont majoritaires numériquement (Dianteill, 2007). Dianteill fait
le parallèle entre cette dernière et les Eglises spirituelles de La Nouvelle Orléans dont le clergé est en
grande partie féminin. Cela serait lié au fait que toutes deux pratiquent la possession, la divination, la
guérison et un culte rendu à des esprits (Dianteill, 2007). Toutes ces ressemblances ne seraient pas un
hasard. Les religions d’origine africaine dans le Nouveau Monde seraient davantage propices à accorder
une place plus élevée aux femmes dans la hiérarchie cléricale contrairement à la tradition catholique
(Dianteill, 2007). Pourtant, dans la santeria, une grande différence existe, de ce point du vue-là, entre la
religion Ocha et son aspect divin Ifa. Cela sera analysé ci-dessous.
Les religions monothéistes, en général, n’ont pas aidé à l’émancipation de la femme. Elles
reproduisaient le même schéma : l’homme travaille et la femme reste à la maison pour s’occuper du
foyer. Dans certains pays, ces traditions, légitimées par la religion, sont poussées à l’extrême. C’est le
cas par exemple de l’Arabie Saoudite qui prive les femmes de nombreux droits fondamentaux.
58
Le gouvernement cubain, même s’il a montré une volonté de changer les lois pour amener une
égalité de genre, est freiné par le poids des traditions et de la religion catholique, qui est encore présent.
La religion influence les rapports hommes-femmes (Merhrioui, 2009).
En ce qui concerne la position des femmes dans la société civile, les nombreuses mutations
historiques, comme la crise des années 1990, les ont placées en surcharge sociale à Cuba et ont créé des
inégalités (Messu, 2014). Dans la constitution, dans la loi et dans les dispositifs sociaux, les femmes
sont protégées et considérées comme citoyennes égales aux hommes. Par exemple, la cour suprême de
Cuba est composée de 50% de femmes. Elles sont bien représentées dans le milieu juridique. Tout est
mis en place formellement pour éliminer les inégalités de genre (Messu, 2014).
Mais lorsque l’on s’intéresse à la femme en tant que mère, fille, épouse, cheffe de famille et du
foyer, c’est différent et beaucoup plus inégal. En effet, les femmes travaillent énormément pour
l’entretien de la maison, le soin aux anciens, au mari et aux enfants. Alors que les hommes n’y travaillent
en moyenne qu’une heure par jour (Messu, 2014 : 130). Dans les foyers, l’autorité revient donc, en
général, aux femmes qui y gagnent en indépendance. Actuellement, l’accès des femmes à des emplois
qualifiés ainsi que leur niveau d’éducation sont en augmentation. Mais leur situation dépend
intrinsèquement de la situation sociale du pays (Messu, 2014).
C’est dans le foyer urbain précaire que les femmes sont davantage cheffes de famille. A la
Havane, par exemple, le taux des familles dirigées par une femme atteignait 51,5 % en 1995. Alors que
dans le reste des Caraïbes il est en moyenne de 45% et dans les pays musulmans de 5% (Messu, 2014 :
134). Evidemment, il faut prendre en compte les contextes d’opportunité dans lesquels les femmes
seraient « cheffe de famille ». La plupart du temps, cette décision découle d’une stratégie mise en place
dans des structures d’opportunité pour s’adapter aux difficultés. Ce n’est donc pas seulement une
question d’inégalité des genres, c’est une « stratégie de survie » adoptée pour affronter la crise des
années 1990 (Messu, 2014).
De plus, l’histoire de Cuba a été traversée par de nombreux modèles familiaux ce qui lui
prodigue un héritage multiple. Tout ce qui est question familiale à Cuba est réservé au privé et ne fait
pas partie des sujets pour lesquels l’Etat intervient. Il n’y a pas de politique publique qui viserait à
modeler, d’une certaine façon, la famille ou à expliquer comment s’occuper des enfants et des anciens
(Messu, 2012). Dans la plupart des cas, l’enfant, jusqu’à ce qu’il soit intégré professionnellement, est
une charge collective et non une charge familiale (Messu, 2012). En effet, il sera encadré par l’école,
par des programmes d’actions sociales, par des initiatives communautaires, par des centres de loisir de
quartier ou par l’étage d’un édifice. La collectivité environnante participe donc au développement de
l’enfant.
La santeria est une religion féminine depuis ses origines. La femme est, en effet, au centre de
la transmission des pratiques et des savoirs religieux. Cela lui permettrait-elle d’échapper aux
59
dynamiques patriarcales qui dirigent la société cubaine et de s’émanciper dans le milieu religieux ? Dans
cette partie, nous allons voir comment les positions des hommes et des femmes sont définies dans la
santeria, ainsi que leur fonction respective lors des initiations, des cérémonies et de tout ce qui touche
aux charges liturgiques. Leur position joue-t-elle un rôle dans sa perpétuation et augmente-t-elle son
attrait ? Ensuite, nous nous intéresserons respectivement à la hiérarchie de la religion Ocha et du système
divinatoire Ifa. Pour finir, nous verrons comment les pratiques et les savoirs rituels sont transmis à
travers les générations. Toutes ces questions nous mèneront vers une analyse de la place de la femme
dans la santeria en lien avec l’expansion actuelle du nombre d’adeptes à la Havane.
3.1. Charges liturgiques et genre : l’origine mythique d’une séparation ?
Peel écrit :
« Il existe une distinction très évidente liée au genre dans la pratique religieuse : les
orisha (divinités) attirant essentiellement l’attention des femmes et Ifa (la divination)
celle des hommes… Cette généralisation exagère, bien entendu (…) mais elle
correspond bien à l’impression dominante fournie par les observations des auteurs»
(2000 : 147).
Dans la religion Ocha-Ifa, nous avons la religion Ocha d’un côté et la divination Ifa de l’autre. Chacune
sépare les charges liturgiques d’une certaine manière et détient un ordre hiérarchique singulier. Nous
passerons en revue ces deux organisations en les confrontant au niveau de la place respective de
l’homme et de la femme.
3.1.1. La séparation des charges en pratique : quels rôles pour qui ?
Dans le culte d’Ifa, une division des charges liturgiques en fonction du genre est mise en place.
Les joueurs de tambours sacrés, les chanteurs et les babalawos, qui représentent les rôles les plus
prestigieux, sont des hommes hétérosexuels. Alors que les femmes ne peuvent atteindre la fonction que
d’assistantes rituelles, nommées apeterbis (Testa, 2004).
Seules les personnes de sexe masculin s’étant consacré à « La Mano de Orula » peuvent devenir
babalawos (Konen, 2009). Les femmes ne peuvent pas, par exemple, faire une divination qui implique
de manipuler des oddun, les signes divinatoires du corpus d’Ifa. Elles ne connaissent pas leurs
significations et ne savent pas les interpréter (Konen, 2009). Mais, en correspondance, le système
divinatoire qui utilise les coquillages et la divination par la possession sont interdits aux babalawos car
cela fait partie de la religion Ocha et non d’Ifa.
Les apeterbis qui ont assisté à une consécration de babalawo sont appelées des apeterbis iyanifa
qui signifie « mère d’Ifa ». Durant l’initiation d’un babalawo, les apeterbis ont des fonctions très
précises pour que la consécration puisse aboutir. Elles ont la charge de s’occuper et de déplacer la
représentation matérielle d’Orula, la divinité de la divination Ifa. Cela suggère que, sans elles, cette
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initiation ne pourrait pas avoir lieu (Konen, 2009). C’est pour cela que, dans la religion Ocha-Ifa, il est
courant d’entendre que les babalawos viennent au monde grâce aux femmes. Cela crée une
complémentarité rituelle entre les sexes (Konen, 2009).
Les babalawos, de leur côté, détiennent de lourdes et nombreuses charges liturgiques. En effet,
ils ont les compétences pour initier d’autres babalawos et initier d’autres adeptes aux guerreros et à
« La Mano de Orula ». Ils interviennent également lors des initiations de santero.ra. En revanche, seuls
les apeterbis et les babalawos interviennent dans la consécration d’un nouveau babalawo, les santeros
en sont exclus. En ce qui concerne les charges liturgiques des femmes lorsqu’elles sont apeterbis, celles-
ci doivent aider le babalawo dans la préparation des rituels, cuisiner la nourriture sacrée, préparer les
plantes et les animaux et s’occuper du service de table lors du repas religieux. En retour de ces services,
elles sont payées car tout travail est rémunéré dans cette religion. Contrairement aux femmes, la
consécration d’un homme à « La Mano de Orula » ne lui procure aucune charge rituelle.
Lorsque je me rendais à des initiations ou des cérémonies, il y avait toujours deux ou trois
femmes qui étaient présentes pour aider au bon déroulement de la cérémonie. Elles cuisinaient le petit
déjeuner, le dîner et le souper, servaient des en-cas et proposaient du café ou d’autres boissons à tout le
monde. Elles passaient donc la plupart de leur temps dans la cuisine. Même lorsque leurs tâches étaient
réalisées, la cuisine était un lieu privilégié pour bavarder entre femmes. Les babalawos par contre,
étaient toujours rassemblés dehors discutant en attendant que la cérémonie commence. Lorsque ce
moment arrive, ils se retirent dans une pièce plus reculée de la maison pour faire passer l’initiation aux
nouveaux adeptes.
Nous voyons donc que la carrière vers des charges spirituelles prestigieuses passe par différents
paliers où, à chaque fois, soit à cause de leur sexe, soit de leur orientation sexuelle, certains adeptes
devront s’arrêter (Testa, 2004). La carrière religieuse la plus courte avec les charges liturgiques
subalternes est celle des femmes, ensuite celle des homosexuels. Les charges les plus valorisées sont
celles des devins-guérisseurs, des musiciens ou des chanteurs (Testa, 2004).
Dans cette religion, le concept d’accomplissement est important et se rapporte à l’idéologie de
l’homme complet. Il mobilise des critères sexuels et religieux. L’homme hétérosexuel représente la
complétude car il posséderait les valeurs les plus prestigieuses de la religion (Testa, 2004). Ceux qui ne
peuvent pas atteindre cet accomplissement, cherchent d’autres voies dans la carrière religieuse. En effet,
la santeria permet une multiplicité de statuts. De nombreux adeptes, n’ayant pas atteint les statuts les
plus prestigieux, se tournent vers la sorcellerie féminine ou deviennent obbas qui détiennent, tout de
même, un pouvoir très respecté (Testa, 2004).
Selon Lazard, un anthropologue babalawo belge, dans la religion Ocha, les femmes sont, au
contraire, à l’avant plan. Elles seraient privilégiées à un niveau touristique. Ce sont surtout elles qui
présentent les danses au public et qui vont vers les étrangers pour proposer des initiations. De plus, une
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grande majorité des pratiquants possédés sont des femmes. Ces deux rôles des femmes font partie du
« donner à voir ». C’est-à-dire que, d’un côté, dans la rue, ce sont surtout des femmes qui accosteront
les touristes pour faire des photos, proposer de leur lire l’avenir ou donner des objets « porte chance ».
D’un autre côté, ce sont elles également qui montrent qu’elles sont possédées et qui, de cette manière,
alimentent le « spectacle ». Les femmes donnent donc à voir dans la rue et à travers les possessions.
Alors que les hommes gardent les secrets du côté divin, Ifa, de la religion.
Tandis que le culte des morts, le spiritisme et la religion Ocha seraient très féminins, le culte
d’Ifa, des Abakuas et la franc-maçonnerie seraient majoritairement, si pas exclusivement, masculins.
C’est donc plus ou moins équilibré selon Lazard (JT, Bruxelles, 19/04/2019).
3.1.2. La symbolique du sang : l’origine de la séparation ?
Le sang humain fait partie des représentations qui structurent les rapports. Il est à la fois source
de force et objet d’interdits multiples (Testa, 2004). Lorsque l’on réalise un rituel, on utilise le sang des
sacrifices ou celui de scarifications corporelles. Dans le Palo Monte le fait de faire couler le sang détient
une charge symbolique particulièrement forte. En effet, il est considéré comme une empreinte d’identité,
unique et non-reproductible qui établit la filiation entre deux entités. On utilise ce sang pour sceller le
lien entre un parrain et son initié. Quelques gouttes seront versées dans leur chaudron respectif
(Kerestetzi, 2012). De plus, l’initié est également lié avec un mort qui le protège en échange d’offrandes
multiples. Le sang de l’initié permet donc, lorsque l’on verse quelques gouttes dans le chaudron où
repose le mort, de lier leurs esprits ensemble (Kerestetzi, 2012). Le sang de ces scarifications est donc
un symbole d’une reconnaissance filiale et d’un lien biologique.
Le sang animal, de son côté, alimente et renforce les orishas. C’est une force magique, l’aché,
libérée par l’égorgement et amenée aux divinités (Testa, 2004). On va chercher l’aché du sang animal
qui sera toujours versé sur les objets magico-religieux représentant des divinités. Cela éloigne les
mauvaises influences. Il est donc un élément indispensable. Mais il est à l’origine de nombreux préjugés
de non-pratiquants qui stigmatisent la santeria comme étant primitive et non-civilisée.
Selon les règles plus ou moins officielles du Palo Monte, de la santeria ou d’Ifa, c’est toujours
un homme qui met à mort. Il coupe la tête de l’animal et offre les viscères aux orishas. L’argument qui
justifie que ce soient toujours les hommes qui sacrifient est qu’il faut de la force. Or, souvent, quelqu’un
soulève la bête pendant qu’un autre l’égorge. L’argument ne tient donc pas totalement la route. Les
femmes sont volontairement mises à part (Testa, 2004). Mais durant mon terrain, la seule fois où j’ai pu
assister à un sacrifice, c’était une femme qui s’en est chargée. Celle-ci coupa, à l’aide d’un couteau, la
tête d’une colombe. La prérogative des hommes à être les seuls à pouvoir sacrifier un animal n’est donc
pas respectée dans les faits. Mais il faut avoir en tête que lorsque la dame sacrifia la colombe la situation
était différente que lors d’une initiation. Tout d’abord, ce geste fut réalisé dans le but de soigner et
d’apaiser les douleurs d’une malade. Ce n’était pas pour verser le sang du sacrifice sur les autels des
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orishas afin de les nourrir. Deuxièmement, pendant ce temps-là, son mari, un babalawo, était en train
d’initier un nouveau babalawo. Il n’était donc pas disponible. S’il l’avait été, peut-être que cette charge
liturgique lui aurait été réservée directement. Il est possible également que cette dame ait passé la
cérémonie « pinaldo » durant laquelle elle aurait reçu l’autorisation de l’orisha Ogun pour manier le
couteau rituel. Dans ce cas-là, elle aurait le droit de sacrifier des animaux à plumes. Dans tous les cas,
selon la mythologie de la santeria, le sang du sacrifice est valorisé positivement et serait une affaire
d’homme. Il est vu comme du « bon » sang (Testa, 2004).
Au contraire, le sang menstruel est vu comme polluant et négatif. Il serait sale et contaminerait
la terre (Testa, 2004). Cette conception repose sur un mythe de la santeria selon lequel aux origines, une
femme aurait ouvert une boîte qui contenait tous les maux de la terre. Ceux-ci s’échappèrent et
envahirent son corps. L’orisha Olofin la sauve en arrêtant le flux des maux qui déferlaient. Mais, pour
punir la femme, il décida qu’elle serait affectée par des pertes de sang chaque mois. Cela l’empêchera
d’avoir des rapports sexuels. La curiosité de la femme l’a fait subir cette punition qui serait le signe de
la soumission de la femme à l’homme (Dianteill, 2007). Les femmes ne pourraient donc pas initier à
cause de leur penchant pour la curiosité et les commérages relatés dans les mythes38. Selon Malinowski,
les mythes sont une charte pragmatique qui dicte les règles et les codes du fonctionnement social (1933).
La femme est soumise à de nombreux interdits liés à ses menstruations. Tout d’abord, il lui est
interdit de porter ses colliers et bracelets rituels pendant ses règles car cela souillerait ce qu’elle touche
par contamination. Ensuite, elle ne peut plus avoir d’activité religieuse car le sang menstruel annulerait
l’efficacité de tout geste religieux et car les divinités pourraient être tentées de le manger. Or le sang
menstruel est dangereux pour elles contrairement au sang sacrificiel (Testa, 2004). Pour finir, elle devra
se tenir éloignée des tambours bata pour ne pas les affaiblir ce qui pourrait être dangereux et lui faire
perdre du sang toute sa vie car les objets rituels affaiblis ne protègent plus (Testa, 2004).
Dans le spiritisme où le sang n’a pas de rôle et où la pratique des sacrifices n’existe pas, il n’y
a pas de différentiation de genre ni d’interdit lié aux périodes de menstruation des femmes. La logique
de l’opposition des sangs opère donc concrètement dans l’organisation des cultes et la répartition des
charges liturgiques. Il y a une contradiction entre le pouvoir des femmes dans la reproduction biologique
et leur compétence dans la reproduction religieuse (Testa, 2004). Ce sont les hommes qui initient, qui
font naître. Soit on enfante biologiquement, soit on fait naître par initiation.
Les rapports sexuels font également partie du registre de l’impur. Les hommes ne peuvent pas
sacrifier après un rapport. Pour les tambours, ils doivent s’abstenir 24 heures avant de jouer. Mais un
musicien peut se purifier avant de jouer avec un omiero, une préparation d’eau et d’herbes. En sorcellerie
38 Cela n’explique donc pas pourquoi les homosexuels, eux non plus, ne peuvent pas initier d’autres personnes.
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par contre, le sang menstruel est utilisé, surtout pour des questions liées à l’amour. On peut en verser
une goutte dans un verre pour rendre un homme idiot (Testa, 2004).
Durkheim analyse la religion et dit que le sang sépare le sacré et le profane. Il le surnomme
« chose sainte » (1991 : 252) et insiste sur sa « nature religieuse » (1991 : 253) qui serait à l’origine de
l’écart des femmes pendant les sacrifices. Ces représentations sont liées à la nature biologique des
femmes et justifient leur éviction de certaines charges. Ce ne serait pas la femme que l’on exclut, mais
le sang qu’on sépare. Même dans la sorcellerie, qui utilise les deux sangs, celui de la femme fait le mal,
tandis que celui des sacrifices fait le bien (Testa, 2004). L’homme hétérosexuel serait le gardien du
secret qui donne la force et qui est lié au bon sang. La femme, de son côté, représente la curiosité et est
liée au mauvais sang qui est dangereux (Dianteill, 2007).
Les babalawos se méfient des femmes car ils ont peur que, par leur curiosité, elles découvrent
le secret d’Ifa. Or, celui-ci est au fondement du pouvoir : ceux qui possèdent le secret dominent ceux
qui en sont exclus. Elles représentent une menace par rapport à leur domination. La mythologie d’Ifa
exclut donc les femmes de la fonction sacrificielle en montrant qu’elle est incompatible avec les
menstruations (Dianteill, 2007).
Le sang dans la religion Ocha-Ifa représente donc un des soubassements idéologiques de la
hiérarchie entre les sexes. Les deux sangs d’origines différentes représentent deux champs différents,
opposés et incompatibles (Testa, 2004). Ils organisent les rôles cultuels et séparent les participants entre
hommes et femmes.
3.2. Les représentations des orishas féminins : un modèle de puissance ?
Il existe quelques orishas féminins comme Ochun et Yemaya qui sont très puissantes et
importantes dans la mythologie. Chaque divinité détient ses propres caractéristiques et son propre
caractère. Intéressons-nous plus précisément aux cinq divinités les plus populaires qui peuvent être
fixées dans la tête de l’adepte, contrairement aux autre orishas qui sont trop forts pour rentrer dans un
corps humain (Dianteill, 1997). Tout d’abord, Eleggua, le dieu des chemins et du foyer familial, joue le
rôle de messager entre les hommes et les divinités. Cette fonction le rend versatile et instable car il est
toujours entre deux mondes. Il est représenté par un enfant joueur et capricieux. On ne sait jamais s’il
ment ou s’il dit la vérité (Dianteill, 1997). Ensuite, Obatala est un vieillard sage, père de tous les autres
saints. Ses attributs principaux sont la sagesse et la réflexion. Chango, le troisième orisha principal, est
représenté, au contraire, par la foudre, la guerre et les émotions violentes. Il s’adonne aux fêtes et aux
femmes. Il est le machisme par excellence. Yemaya, quant à elle, est la divinité de l’océan, elle règne
sur les mers et représente la maternité. Pour finir, Ochun représente la rivière, la richesse et l’amour. Ses
attributs sont la féminité, la joie, la séduction, les tournesols et le miel. Elle serait la petite sœur de
Yemaya (Cabrera, 1980).
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Selon les règles de la santeria, les hommes et les femmes peuvent être protégés indifféremment
par un orisha masculin ou féminin (Dianteill, 1997). Mais selon mon terrain et les expériences d’autres
anthropologues, il est plus fréquent que l’orisha tutélaire soit du même sexe que le pratiquant sauf si ce
dernier est homosexuel. Le fait que l’initié hétérosexuel soit du même sexe que sa divinité protectrice
permet un système d’identification. Par contre, Obatala qui est ambivalent sexuellement, convient autant
pour des fidèles d’un sexe que de l’autre (Dianteill, 1997).
Ces quelques divinités sont les plus populaires. Chacune apporte son lot de légendes. Même si
on ne croit pas vraiment à ces histoires, la majorité des Cubains les connaissent tout de même. Ces
divinités yorubas semblent très terrestres et humaines par leurs vertus et cela facilite l’identification des
adeptes. Ceux-ci s’habillent, durant les cérémonies, en fonction de la couleur de leur orisha ange
gardien.
Lorsqu’un initié « fait son saint », il va connaître l’orisha tutélaire qui le protège et le « fixer
dans sa tête ». Ensuite, dans sa vie quotidienne, le fidèle se devra d’adopter une attitude conforme à la
personnalité de son orisha. Les caractéristiques personnelles de chaque divinité sont connues de tous.
Un adepte qui est le fils ou la fille spirituel(le) d’Ochun par exemple, est connu pour être très joyeux,
sensuel, séduisant, à l’image de la divinité (Roth, 2015). D’ailleurs, les assistantes préférées sont les
filles d’Ochun car elles ont une réputation de bonnes guérisseuses, rendant fertiles les femmes et
préparant des filtres d’amour efficaces (Testa, 2004).
Le rapport de filiation qui unit un pratiquant à son orisha peut être imposé très tôt. En effet, il
n’est pas rare que des bébés « fassent leur saint ». Dans ce cas-là, l’adepte n’a pas son mot à dire et ce
qui constitue véritablement son identité sociale lui est imposé dès son plus jeune âge. En effet, lorsque
des pratiquants de la santeria se rencontrent, ils se présentent en disant « Je m’appelle …, fils ou fille
de … ». Cela leur permet directement de se faire une image de la personne rencontrée. La dynamique
de la santeria demande donc à un initié de se comporter comme le saint qui le représente pour se couler
dans le moule socioreligieux.
Avant l’initiation, les adeptes s’amusent souvent à essayer de deviner quel est leur orisha
tutélaire. Ils réfléchissent par rapport à leur trait de caractère et tentent de s’identifier à l’une ou l’autre
divinité. Mais après l’initiation, cette affinité sera renforcée (Bolivar Arostegui, 1990). Selon Gibbal, la
relation avec l’orisha offrirait la possibilité d’être différent et d’adopter, notamment durant les
possessions, une identité distincte qui serait extériorisée (1992). La participation importante des hommes
homosexuels dans la religion Ocha-Ifa pourrait être expliquée par le fait qu’ils ont donc la possibilité
de changer de sexe durant les possessions ainsi que par l’identification à une divinité féminine (Fry,
1982). Bien entendu, cette théorie doit être nuancée car chaque homosexuel n’est pas féminisé.
Pourtant, il existe un décalage entre la personnalité d’Ochun telle qu’elle est représentée dans la
mythologie et ce qui est attendu des femmes dans la société civile prérévolutionnaire. En effet, dans la
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société prérévolutionnaire, les filles ne pouvaient exalter leur féminité que pour renforcer leur
soumission. Cela soulignait leur infériorité par rapport aux hommes (Roth, 2015). La Révolution était
nécessaire pour essayer de remettre à plat les relations de genre à Cuba. C’était important surtout pour
les femmes noires issues de milieux sociaux défavorisés. Dans les institutions étatiques, ce changement
eut lieu, les femmes eurent accès à d’avantage d’emplois qualifiés et leur niveau d’éducation augmenta
(Messu, 2014). Le Code de la famille, adopté en 1974, stipule que les responsabilités des personnes
mariées, confèrent aux hommes et aux femmes des droits et des devoirs égaux en ce qui concerne le
travail au foyer et d’éducation (Merhrioui, 2009).
Mais il reste, tout de même, une grande inégalité de genre dans la société civile. Des stéréotypes
sexistes subsistent au sein des familles ou au travail, par exemple. Certains hommes ont du mal à
accepter que les femmes s’émancipent de la vie de famille pour travailler et gagner de l’autonomie. Ils
ressentent ça comme un abandon du foyer (Rios Jauregui, 2004).
Les mentalités n’ont pas changé en ce qui concerne le regard de l’homme sur la femme. Les
comportement machiste, sexistes et discriminatoires hérités de cinq siècles de tradition patriarcale sont
difficiles à éliminer. Ce qui se ressent dès que vous marchez dans la rue. Il est plus que fréquent
d’entendre des propos machistes à chaque coin de rue particulièrement au cœur de la ville, là où le
tourisme bat son plein. Malgré le fait que la femme joue un rôle prépondérant dans la société et qu’elle
participe pleinement au développement du pays, elle reste toujours une citoyenne de « seconde
catégorie » (Merhrioui, 2009).
Les modèles des orishas féminins montrent justement un modèle différent de la femme que celui
présent dans la société cubaine. L’hypothèse serait donc que les santeras, en s’identifiant à leur orisha
protecteur féminin, auraient la possibilité de sortir de l’image de la femme soumise à l’homme. Elle
pourrait s’émanciper de ce phénomène social.
3.3. La hiérarchie de la santeria : une logique genrée
La hiérarchie est établie en fonction du genre : on y retrouve au sommet, les Omo Ana qui sont
spécialisés en tambours religieux, les obbas et les babalawos. En dessous du sommet, les homosexuels
sont supérieurs aux femmes (Testa, 2004 : 201). Mais certaines positions peuvent concurrencer le
sommet de la pyramide : la sorcellerie pratiquée par les filles de Yemaya peut être la plus puissante de
toutes. La structure du culte est pyramidale et organisé par rapport à la symbolique du sang. L’homme
condamne la curiosité, garde le secret et donc sa supériorité (Testa, 2004).
Les santeros, eux, placent l’ancienneté au-dessus de tout autre critère dans la hiérarchie. Dans
la santeria, les hommes homosexuels et hétérosexuels n’ont pas de restrictions. Mais les femmes si. Le
monde d’Ifa et d’Ana, la musique sacrée, réservent aux hommes hétérosexuels les activités les plus
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prestigieuses. Les hommes homosexuels, eux, peuvent devenir obba, qui sont les maîtres de cérémonie
de la santeria, spécialistes de la divination diloggun et manient le couteau (Testa, 2004).
Dans le culte d’Ifa, les femmes peuvent recevoir le « Kofa de Orula » qui les place sous la
protection d’Orula. Mais pour devenir babalawo, il y a énormément de conditions. Premièrement, il faut
être un homme « entero », c’est-à-dire un homme hétérosexuel. Ensuite, il est interdit de devenir
babalawo si l’adepte est « fils d’Ogun » car cet orisha ne s’entend pas avec Orula. Finalement, le
babalawo doit toujours être lucide, il ne peut donc pas être possédé. Bien entendu, il est possible de
contourner ces trois indications (Testa, 2004). Il existe quelques babalawos homosexuels à la Havane.
L’homosexualité n’empêche pas à un babalawo d’être connu et respecté. Cela reste exceptionnel. Mais
ça inquiète les pratiquants orthodoxes d’Ifa car il pourrait exister un jour huit babalawos homosexuels
ce qui est suffisant pour réaliser une initiation et fonder une nouvelle branche de babalawos.
Les femmes, dans la santeria, peuvent aller beaucoup plus loin que dans Ifa. Une santera par
exemple, peut « donner les santos guerreros » à un initié et devenir sa marraine. Elles sont mieux
considérées par les santeros que les babalawos. Les règles sont, d’ailleurs, interprétées différemment
par les deux communautés. Une illustration de ce phénomène est l’explication de l’obligation, pour une
femme, de couvrir le bas de son corps lors d’une consultation. Il existe deux interprétations à cette règle.
La première interprétation est celle de nombreux babalawos qui croient en la supériorité d’Orula et qui
défendent une position subordonnée de la femme dans la religion Ifa. Couvrir le bas de son corps serait
obligatoire par respect pour Orula car le sexe de la femme est sale. Il faut donc le tenir éloigné. La
deuxième interprétation explique cette obligation en disant qu’il faut protéger le ventre de la femme des
forts pouvoirs magiques qui jaillissent de la divination. C’est l’interprétation des santeros (Testa, 2004 :
184).
Une anecdote extraite du terrain de Testa reflète également cette dichotomie entre le monde
d’Ifa, masculin, et d’Ocha, féminin. Testa était à l’anniversaire d’un babalawo et des femmes faisaient
des blagues sur les hommes. L’un d’eux dit : « Vous pouvez toujours parler ! Moi, babalawo, je ne suis
rien à côté d’Orula. Mais je n’imagine même pas ce que peut être une femme… » (2004 : 175). C’est
une anecdote d’un fait isolé mais ça illustre les rapports entre les sexes dans la religion afro-cubaine. La
hiérarchie s’oppose à l’appareil juridique national qui prône l’égalité des sexes et l’accès égalitaire à la
sphère publique. Les acquis sociaux des femmes cubaines sont plus élevés que ceux de nombreux autres
pays. Mais ça n’a pas pénétré l’organisation de la religion (Testa, 2004). Le genre organise la distribution
des charges rituelles. La sphère religieuse est en marge de la dynamique sociale. Pourquoi la religion
est-elle le terrain privilégié de la masculinité ? La filiation spirituelle - être fils ou fille de telle entité -,
le destin religieux de la personne -être né pour assumer une spécialisation religieuse - et son sexe vont
déterminer le déroulement de sa carrière. Le sexe et l’orientation sexuelle jouent un rôle prédominant.
On ne fait pas la carrière que l’on veut, on poursuit celle qui nous est donnée par rapport à notre genre.
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Mais les hommes ne peuvent pas devenir babalawos sans la présence des femmes. En effet, le septième
jour de l’initiation, une femme (la mère, la sœur ou l’épouse de l’initié) doit soulever la représentation
d’Orula qui était au sol. Puis elle doit fouetter l’initié avec une lanière de cuir (Testa, 2004).
Selon Françoise Héritier, la domination des hommes sur les femmes, appelée « valence
différentielle des sexes » (1996 : 25), repose sur deux principes : tout d’abord, le fait que les hommes
contrôlent la reproduction mais que c’est la femme qui porte l’enfant et deuxièmement, la menstruation
et l’enfantement. C’est-à-dire que les femmes perdent du sang et tombent enceintes involontairement.
Alors que les hommes, eux, peuvent contrôler leurs fluides corporels comme le sang ou le sperme. Cela
aboutirait toujours à des paires d’opposés, dont l’un, le masculin, est valorisé et l’autre, le féminin, est
inférieur. Le premier serait parfait, maîtrisé et plus humain. Par exemple, l’homme perd son sang au
combat volontairement. Alors que la femme subit ses règles (Héritier, 1996). Partout, il y aurait de telles
relations binaires mais asymétriques et hiérarchisées. Le domaine religieux serait un domaine masculin
pour compenser le domaine de la reproduction biologique, la source de l’ « improbable pouvoir » des
femmes (Héritier, 1996 : 289).
Un mythe de la santeria illustre ce déséquilibre : pour qu’une chasse soit fructueuse, le chasseur
doit donner une partie de sa proie à l’orisha Olofin. Il donnera la tête de l’animal. Lorsque des santeros
font une offrande à une divinité, ils coupent effectivement la tête et la dépose sur les récipients qui
contiennent les otanes, les pierres représentant les orishas. Alors que la menstruation est imposée aux
femmes par Olofin, ces sacrifices sont réalisés volontairement par des hommes (Dianteill, 2007).
3.4. La femme au centre de la transmission des pratiques et des savoirs religieux
Lorsque je suis rentrée en Belgique, j’ai rencontré un anthropologue ayant voyagé durant 20 ans
à Cuba et s’étant initié au culte d’Ifa, en tant que babalawo. Il m’explique que la santeria et le spiritisme
sont dominées par les femmes. Elles ont un rôle très important ce qui pousse les hommes à se diriger
vers d’autres religions ou fraternités comme les « caballeros de la luz »39 pour compenser et avoir un
rôle dominant. Nous voyons ici également que le recours simultané à différentes modalités de culte est
très répandu. Cela appuie l’argument que ces religions sont pratiquées « à la carte ». Les adeptes passent
de l’une à l’autre selon leurs préoccupations actuelles.
À la Havane, il existe une grande proportion d’atomes de parenté dirigés par des femmes. Cela
marque, entre autres, leur autonomie. Le modèle légal de la famille nucléaire, prôné par le gouvernement
n’est pas le modèle le plus répandu. Le modèle principal est l’union consensuelle. C’est-à-dire une
« union singulière et stable, fondée sur un accord mutuel, entre personnes de sexe opposé et dont le lien
n’a pas été légalement établi, bien qu’il remplisse les conditions légales pour cela » (Diaz Tenorio 1994).
Ce n’est pas un nouveau phénomène à Cuba : c’est même un « fait social extensif » (Dianteill, 1997).
39 Une fraternité masculine liée, à l’origine, au mouvement indépendantiste. Elle rassemble aujourd’hui des
individus « de bonne coutume ».
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Une des causes principales du développement de ces unions consensuelles est la difficulté, très présente
à la Havane, de fonder un foyer distinct de celui des parents lorsque l’on est un jeune couple. Le
logement est un gros problème structurel de la société cubaine. Et ce phénomène est d’autant plus fort
à la Havane que l’afflux d’étrangers est superposé à l’excédent démographique depuis des décennies
(Dianteill, 1997).
Les jeunes couples vivent donc dans un espace souvent très restreint avec les parents. Cet
environnement implique souvent des tensions et des conflits qui sont aggravés lors de la naissance
d’enfant. Le problème principal est le manque de place et d’argent pour se loger. Dans de nombreuses
familles, il est fréquent que le père reste vivre chez ses parents et que la mère se retrouve seule avec les
enfants dans sa famille en suivant le schéma matrilocal. Tous les individus que j’ai rencontrés avaient
un schéma de parenté qui suivait cette logique : ils vivaient dans un foyer multigénérationnel, leur père
absent dans la majorité des cas. Une étudiante m’expliqua sa situation familiale lorsque l’on partageait
un verre un soir :
« On est allé boire un verre avec Anna, mon amie, et deux cubaines qu’elle connait,
Hanny et Beatriz. Hanny nous explique qu’elle est santera. Elle vit avec ses parents, ses
grands-parents, ses frères et sœurs et son copain à Alamar, un quartier éloigné du centre
de la Havane. Elle a 25 ans. Elle aimerait vivre seule avec son copain mais c’est
impossible car les logements sont rares et trop chers pour eux. Toute sa famille est
pratiquante mais pas son copain » (JT, quartier du Vedado, 22/02/2019).
De nombreux pères reconnaissent leurs enfants mais ne vivent pas avec eux. La cohabitation
multigénérationnelle implique que de nombreuses cubaines ne sont en couple que pour de courts
moments (Messu, 2014). C’est un modèle « d’unions éphémères » qui pose problème car les foyers
dirigés par les femmes connaissent un plus haut taux et risque de pauvreté (Messu, 2014). Cette
éphémèrisation des couples crée donc une faiblesse des ressources monétaires malgré le haut niveau de
protection sociale de Cuba. Les femmes mettent donc en place des stratégies individualistes pour s’en
sortir (Messu, 2014).
Eledis, la santera chez qui je me suis rendue à plusieurs reprises, m’explique que de nombreuses
personnes se tournent vers la santeria pour se constituer une deuxième famille et prendre de la distance
par rapport aux liens très forts de la famille biologique. Je n’avais pas totalement compris mais en
découvrant le problème du manque d’espace dans les logements familiaux, cette phrase d’Eledis devient
totalement compréhensible. Cette problématique est révélatrice d’une dynamique qui amènerait les
femmes à se tourner vers la religion Ocha-Ifa qui serait un espace de liberté par rapport au foyer familial.
De plus, une majorité de femmes dans la santeria à la Havane sont sans emploi (Arguelles Mederos et
Hodge Limonta, 1991 : 151). Nous pouvons en déduire que celles-ci sont touchées par les problèmes
liés aux unions éphémères, aux naissances hors mariage, aux problèmes d’espace dans le logement et à
69
la cohabitation multigénérationnelle. Ces femmes santeras, étant le point central d’un réseau de parenté
biologique, influencent souvent les autres membres de ce réseau pour qu’ils deviennent adeptes, à leur
tour, de la religion Ocha-Ifa (Dianteill, 1997).
La féminisation de la santeria a probablement un lien avec cette instabilité matrimoniale et cette
cohabitation difficile entre membres d’une même famille. L’adepte a la possibilité de créer un nouveau
lien filial ou matrimonial avec son orisha et avec les membres de sa rama, particulièrement ses parrains
et marraines. Les femmes vivant dans des milieux sociaux précarisés ont de plus grandes chances d’être
célibataires ou dans un couple instable (Dianteill, 1997). De plus, la plupart n’ont, elles-mêmes, jamais
vécu avec leur père. Ainsi, s’initier à la santeria peut signifier à la fois trouver un père, l’orisha tutélaire
ou le parrain, et un époux, l’orisha tutélaire.
La relation avec la divinité protectrice peut donc représenter une des raisons du maintien de la
religion Ocha-Ifa dans la société cubaine. En effet, cela peut prendre un sens particulier dans le cas de
femmes ayant peu ou pas connu leur père. Dans le sens où la santeria prodigue une ascendance
spirituelle à la nouvelle initiée. De plus, cette religion peut permettre aux homosexuels d’engendrer
spirituellement. C’est-à-dire que lorsqu’ils deviennent parrain, ils ont une grande responsabilité envers
leur filleul qu’ils considèrent comme un fils religieux (Dianteill, 1997).
Conclusion
L’historique de Cuba et, plus précisément des religions afro-cubaines, donne une réponse au
comment et au pourquoi de la perpétuation de la santeria jusqu’à aujourd’hui : en passant par les
décisions des colons qui ont mené les esclaves à se rassembler en groupes de secours mutuel et à
pratiquer leur religion ensemble, ensuite, par la décision de Fidel Castro d’approuver la liberté religieuse
et enfin, par les touristes qui voient dans la santeria une représentation de l’exotisme et une possibilité
de vivre une expérience mystique hors du commun. Ce qui a fait la force de cette religion face à la
propagande missionnaire c’est sa tolérance aux emprunts et son ouverture aux réinterprétations. Les
« élites religieuses » de l’époque ont réussi à apprivoiser les coutumes et les savoirs religieux catholiques
pour les adapter à la sémantique yoruba. Tout cela explique la présence visible de la santeria sur l’île
actuellement. Mais quelles sont les raisons, aujourd’hui, de son expansion dans la capitale ?
Au terme de ce travail, trois réponses principales sont apportées à la problématique concernant
la croissance du nombre de ses adeptes à la Havane : son aspect « totalisant », sa pratique « à la carte »
et les relations de genre qui y sont à l’œuvre.
Un « fait social total » comprend trois caractéristiques principales : tout d’abord, il touche à des
domaines qui sont habituellement disjoints, ensuite, il rassemble des individus qui appartiennent à un
« tout », un groupe social défini, pour échanger des fêtes, des festins, des actes commerciaux, etc. durant
lesquels les institutions et les traditions sont discutées, modifiées et transmises et, pour finir, le « tout »,
70
le clan, la communauté vaut plus que la somme de ses parties (Mauss, 1925). C’est, en partie, à l’aide
de ce concept que la santeria a été analysée.
Premièrement, elle touche à de multiples sphères de la vie comme l’économique, le religieux,
l’esthétique, le morphologique, le juridique et le thérapeutique. Par exemple, elle est au centre d’un
système marchand populaire, c’est-à-dire que les spécialistes religieux vivent de leur divination et des
conseils donnés aux pratiquants. Cet aspect du culte est d’ailleurs critiqué par de nombreux pratiquants
qui y voient un manque d’éthique et ont peur des débordements. Le développement du coût des services
religieux coïncide avec le début de la « Période Spéciale en temps de paix » dans les années 1990 qui a
fortement ébranlé les conditions socio-économiques des Cubains. L’habitude de payer les consultations
des santeros et les initiations est aujourd’hui rentrée dans la norme. Dans l’imaginaire de cette religion
afro-cubaine, les adeptes doivent travailler dur pour mériter d’atteindre l’étape supérieure.
L’augmentation du prix des initiations accroit la complication de leur réalisation. Cela suit la logique du
sacrifice personnel. Bien entendu, les spécialistes religieux qui tentent de gagner une marge trop grande
sur leur travail, sont rapidement réprimandés par leur entourage et les autres pratiquants. Elle touche
également au milieu artistique et esthétique. Les danses religieuses représentent les différentes divinités
avec des costumes traditionnels aux couleurs emblématiques des orishas. La musique, les chants et les
percussions de tambours font également partie du répertoire religieux de la santeria. En ce qui concerne
l’aspect thérapeutique, les santeros et babalawos sont souvent sollicités pour guérir un individu à l’aide
d’offrandes aux saints ou par des potions et des bains d’herbes. Pour finir, l’aspect juridique est
également retrouvé dans l’univers religieux de la Regla Ocha-Ifa. Il existe des lois précises à respecter
faute de quoi l’adepte recevra une punition.
Deuxièmement, elle permet de rassembler des individus faisant partie d’une communauté lors
de fêtes religieuses, de cérémonies ou d’initiations. Durant celles-ci, des négociations inévitables ont
lieu. Que ce soit à propos d’une règle à suivre lors d’un rituel ou d’un signe mal interprété par un
spécialiste religieux, de nombreuses discussions remettent en question les manières de faire des uns et
des autres. C’est après de longs argumentaires qu’un compromis créant une nouvelle façon de faire est
souvent accepté. Les règles des rituels d’initiation étant trop denses et compliquées, ces désaccords sont
devenus la norme et participent à la richesse de cette religion. Les anciennes institutions et traditions
sont modifiées et de nouvelles sont créées durant ces rassemblements.
Troisièmement, la communauté de la santeria est plus qu’une addition de ses parties. Le groupe
social, le clan, le réseau de parenté religieux, est très important et il représente l’unité d’appartenance
de l’individu. Dans cette religion, les charges rituelles sont séparées entre les membres. Il est impossible
que toutes les charges soient rassemblées dans une seule et même personne. Cela apporte la certitude
que, lors d’une cérémonie ou une initiation, tous les membres seront rassemblés et participeront.
71
Concernant la pratique « à la carte » de la santeria, le fait qu’elle puisse être une réponse à la
plupart des préoccupations des adeptes fait d’elle un possible recours ponctuel. Rien n’oblige les
pratiquants à suivre chaque rituel, chaque initiation et chaque cérémonie. Ils peuvent donc vivre leur
religiosité comme il leur semble et ne se tourner vers les spécialistes religieux que lorsqu’ils en
ressentent l’envie ou le besoin. Ces derniers proposent donc d’être à l’écoute et de chercher des solutions
pour les inquiétudes des adeptes. Lorsqu’ils ont des problèmes de santé, la Regla Ocha-Ifa est également
l’une des solutions vers laquelle ils se tournent. Différents systèmes de soins sont souvent cumulés afin
de multiplier les chances d’aboutir à une guérison. Les pratiquants n’excluent aucune méthode
thérapeutique. Ils passent facilement du secteur professionnel au secteur traditionnel (Kleinman, 1980)
en créant des ponts sémantiques permettant une continuité de sens logique entre les deux. Le fait que les
adeptes puissent se tourner vers leur religion quand bon leur semble participe à une dynamique
d’empowerment de l’individu (Altglas, 2014 : 315). Ils peuvent choisir ce qui leur plait dans la religion
et ne pas s’encombrer de ses côtés plus pesants. Les adeptes qui pratiquent ainsi leur religion créent une
sorte de bricolage avec les éléments qui leur sont disponibles. Cette « religion de service » est possible
car elle n’est pas fortement institutionnalisée. Les pratiquants sont donc libres dans leur manière de vivre
leur culte qui présente, de ce point de vue, un aspect très moderne et adaptable. Elle répond au mode de
vie actuel ce qui participe à sa popularité.
Dans un autre registre, une approche anthropologique des relations de genre en place dans la
santeria m’a permis d’ajouter un élément d’explication concernant son expansion à la Havane.
L’hypothèse qui ressort de mes observations est que la place des femmes dans cette religion augmente
son attrait et le nombre d’initiés. Je suis, tout d’abord, partie du constat que les grandes religions
monothéistes ne défendent pas des valeurs en faveur de l’émancipation des femmes. Leur vision des
relations de genre est restée traditionnelle et non loin de l’image de la femme au foyer et de l’homme au
travail. Les institutions cubaines tentent, elles, d’atteindre une égalité de genre dans le pays. Les grandes
fonctions de l’état comme les fonctions juridiques respectent la parité avec une égalité d’hommes et de
femmes en place. Formellement, les inégalités de genre sont donc supprimées. Mais, en pratique, les
rapports restent extrêmement inégaux. Ce sont dans les foyers urbains précaires que les femmes sont
majoritairement cheffes de famille. La situation à la Havane rentre typiquement dans ce modèle. Les
citoyens de la capitale font face à de grandes difficultés économiques. Le loyer étant difficile à payer et
les logements rares, il est devenu banal de vivre à plusieurs générations sous le même toit. Grands-
parents, parents, enfants et beaux-enfants se partagent souvent des maisons sommaires et vétustes. Ce
phénomène cause un manque d’intimité et fragilise la stabilité des couples. Les unions sont très
éphémères. Le père, dans la plupart des cas, retourne chez ses parents et laisse la mère s’occuper du
foyer. Il est fréquent que les enfants ne connaissent pas leur père car ils sont éduqués par la famille de
la mère. Cela se base sur un modèle de famille matrilinéaire et matrifocal. Ce manque de père accentue
les problèmes financiers de la famille. Comme expliqué précédemment, la santeria est un recours
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fréquent lorsque des problèmes quelconques surviennent. Elle propose un nouvel entourage, des
personnes sur qui se reposer et un réseau d’aide conséquent. De nombreuses femmes sans emploi
deviennent santeras. La religion Ocha-Ifa offre une ascendance spirituelle à des femmes qui n’ont pas
connu leur père.
Pour toutes ces difficultés cumulées, les ressources qu’offre la santeria sont convaincantes et
amènent plus de femmes à s’initier. Il est fort probable que cela soit une des raisons de la
surreprésentation féminine dans la religion. De plus, la femme est le centre du foyer, elle éduque les
enfants, s’occupe des anciens et transmet les normes et les savoirs. Si celle-ci est initiée, elle influencera
le reste du réseau de parenté centré autour d’elle, en créant ainsi un cycle d’initiation.
En me penchant sur le rôle des hommes et des femmes dans l’organisation du culte et plus
spécialement durant les cérémonies et les initiations, j’ai remarqué que ce sont les femmes qui mettent
en place les cérémonies, qui décorent les pièces, qui préparent les repas, qui font pousser les plantes
médicinales et rituelles et qui préparent les mixtures. Elles sont un repère indéniable dans le réseau de
parenté religieux. En ce qui concerne la hiérarchie, la Regla Ocha est plus féminine et accorde un statut
respecté aux santeras. Le côté divinatoire Ifa, par contre, est caractérisé par une dynamique patriarcale.
Les adeptes qui occupent le haut de la hiérarchie sont les babalawos. Ils détiennent ce pouvoir grâce au
secret qu’ils partagent. Le statut le plus élevé que peuvent atteindre les femmes est le statut d’apeterbis,
assistantes des babalawos. Les femmes ne peuvent pas « faire Ifa » car elles ne sont pas aptes à garder
le secret. Un mythe raconte qu’une femme, trop curieuse, a ouvert une boîte qui devait absolument rester
fermée. L’orisha Olofin, pour la punir, lui infligea des pertes de sang chaque mois. La curiosité de la
femme liée au sang menstruel l’empêcherait d’exercer un jour les charges rituelles réservées aux prêtres
d’Ifa.
Quoi qu'il en soit, bien qu’elles ne jouissent pas d'une égalité complète, les femmes cubaines
adeptes de la santeria semblent jouir, en principe et en fait, d'un statut plus élevé que dans d'autres
traditions religieuses.
Par ailleurs, les représentations des orishas féminins sont très respectés. Ils sont des modèles de
puissance pour les santeras car ils proposent une représentation de la femme différente de celle prônée
par la société havanaise. Cela leur permet de s’émanciper des cadres et des idées retrouvés dans les rues
de la capitale.
Il existe évidemment d’autres perspectives à prendre en compte pour expliquer l’expansion de
la santeria à la Havane. Une hypothèse que Mayra Espina, une sociologue très réputée à la Havane, m’a
avancée durant le terrain est que la religion serait plus forte à Cuba en général pour la simple raison que
c’est une île. La population étant isolée et n’ayant pas énormément d’occupations, l’identité religieuse
serait d’autant plus forte et importante (JT, 20/02/2019). Sa situation géographique serait-elle également
à prendre en considération pour rendre compte du phénomène d’expansion de la santeria ?
73
Pour finir, mon étude s’est focalisée sur la Havane, qui est une zone particulièrement étudiée
depuis le début des recherches anthropologiques sur les religions afro-cubaines. J’avais l’idée, au départ,
de me concentrer sur les provinces de Matanzas ou de Cienfuegos, afin de sortir du havano-centrisme.
Mais les aléas du terrain m’ont décidée de rester à la Capitale. Après cette recherche, je pense que
Santiago de Cuba et les autres provinces orientales mériteraient que l’on s’y intéresse plus intensément.
La santeria est très pratiquée dans ces zones-là également. Mais elle s’est développée d’une façon
différente que dans les provinces de l’ouest, plus étudiées.
74
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WENDLING Thierry, 2010, « Us et abus de la notion de fait social total. », Revue du MAUSS, vol. 36,
n° 2 : 87-99.
ZAPPONI Elena, 2013, « Kali Argyriadis, Stefania Capone (dir.), La religion des orisha. Un champ social
transnational en pleine recomposition », Archives de sciences sociales des religions, n° 164 : 128.
Thèses
CAPONE Stefania, 1997, Esu ma se mi o : le pouvoir de la tradition dans le candomblé brésilien, thèse
doctorale en ethnologie, sous la direction de Jacques Galinier, Paris X-Nanterre.
DAMBLANT Angeline, 2018, La place du cimetière dans le paysage : Etude appliquée à la Région
wallonne, mémoire en architecture paysagiste, sous la direction de Marc Dufrêne, Julie Martineau,
Université de Liège.
MERHRIOUI Stéphanie, 2009, Le statut de la femme cubaine à l’épreuve d’une société machiste, thèse
doctorale en histoire, Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III.
MOREL Géraldine, 2012, Être abakuá à La Havane. Pouvoir en jeu, enjeux de pouvoir et mise en scène
de soi, thèse doctorale d’ethnologie, sous la direction de Christian Ghasarian, Université de Neuchâtel.
Sites Internet
Définition de « Médecine traditionnelle ». Organisation mondiale de la Santé, consulté le 8 août
2019 [URL http://www.who.int/topics/traditional_medicine/definitions/fr/ ].
Sources non-scientifiques
Musée Historique de Guanabacoa, la Havane, visité le 13/03/2019.
RIOS JAUREGUI Anett, 2004, «Mujeres bajo presión», La Havane, Granma Digital.
81
Annexes : Table
Annexe 1 : Organigramme-type d’une communauté de la Regla Ocha-Ifa…………………………...82
Annexe 2 : Coquillages dilogguns utilisés pour la divination…………….………………………………83
Annexe 3 : Photos d’autels représentant les orishas dans la maison des adeptes……………………..83
Annexe 4 : Photos d’adeptes ayant « fait leur saint » habillés en blanc durant leur année de
purification …………………………………………………………………………………………….84
Annexe 5 : Photos de deux ngangas……………………………………………………………………………85
Annexe 6 : Photos d’une danseuse et de musiciens au Callejon de Hamel………………………….…....85
Annexe 7 : Lexique du vocabulaire de la santeria……………………………………………………….86-87
Annexe 8 : Plan de la Havane et des quartiers fréquentés durant le terrain…………………………...87
82
1) Organigramme-type d’une communauté de la Regla Ocha-Ifa
Santero.ra
(Adepte qui a
« fait son
saint »)
Iyawo
(Adepte qui a déjà passé
l’initiation de la Mano de
Orula et passe son année
d’initiation en blanc pour
« faire son saint »)
Aleyo
(Adepte qui ne fait que des consultations de temps en temps)
Voie de la divination Ifa Voie de la religion Ocha Voie des tambours Ana
(majoritairement masculine) (mixte) (majoritairement masculine)
Babalawo
(prêtre d’Ifa)
Obba-Oriaté
(prêtre santero dirigeant les
initiations. Spécialiste de la divination
par les cauris)
Omo Ana
(Joueurs des tambours
sacrés)
Apeterbis
(assistante du babalawo)
Iyalocha
(santera ayant
initié des adeptes)
Babalocha
(santero ayant initié
des adeptes)
83
2) Dilogguns ou cauris : coquillages utilisés dans la divination des santeros.
Source : https://religionyorubagbcoa.es.tl/el-diloggun.htm
3) Autels présents dans les maisons des adeptes représentant les orishas.
En jaune : Ochun
En bleu : Yemaya
En rouge : Chango
Source : https://www.cubania.com/blog/cubania-2/post/sinitier-a-la-santeria-a-cuba-647
84
4) Adeptes ayant « fait leur saint » et s’habillant de blanc durant leur année de purification.
Source : https://iworos.com/osha/2018/01/2803/iyawo-limitantes-y-preguntas-frecuentes-sobre-esta-
etapa-del-recien-consagrado/
Source : https://teatimeinwonderland.fr/2017/11/22/lautre-religion-de-cuba-la-santeria/
85
5) Nganga, chaudron, matérialisant les morts, utilisé surtout dans le Palo Monte mais également
dans la santeria.
Source : http://dichave.blogspot.com/2013/03/brujeria-al-por-mayor-de-hugo-chavez.html
6) Danses dominicales afro-cubaines présentées dans le Callejon de Hamel, ruelle connue pour ses
spectacles religieux populaires à la Havane.
Source : https://www.desumama.com/callejon-de-hamel-afro-cuban-culture-in-havana-cuba/
86
7) Vocabulaire de la santeria
• Aleyo : C’est le nom que l’on donne aux personnes qui débutent un chemin spirituel pour
s’initier à la religion Ocha-Ifa. Un aleyo est une personne qui s’est choisie une rama ou
famille religieuse pour consulter un(e) santero.ra ou un babalawo qui, à travers la
consultation des Oracles, le conseillera pour lui ouvrir les chemins de la vie et résoudre les
problèmes qui peuvent surgir. Il n’a reçu aucun bracelet et n’a passé aucune initiation.
• Aboricha : Quelqu’un qui est initié partiellement à la santeria. Par exemple, quelqu’un qui a
reçu les guerreros ou un bracelet d’un parrain.
• Ahijado/a : un filleul
• Añá: L’orisha qui vit à l’intérieur des tambours sacrés
• Babaloricha : nommé également « babalocha ». C’est un santero qui a initié d’autres
personnes.
• Babalawo : Un pratiquant de la Regla de Ifa, le prêtre d’Orula.
• Caballo : Littéralement, le cheval. Ce terme est utilisé lorsque quelqu’un est possédé. On dit
que l’individu est « monté par l’orisha ».
• Consulta : Le processus de divination exécuté par un santero.a ou un babalawo pour un
client.
• Derecho : Le payement pour un service de santero. Cela peut aussi être un cadeau au parrain
pour un son anniversaire d’initiation.
• Diloggún : Coquillage qui permet de communiquer avec les orishas.
• Egun : L’esprit des morts, des ancêtres.
• Eleke : Bracelets aux couleurs d’orishas spécifiques. Ils sont offerts par les parrains après une
cérémonie. Ils représentent l’aché de l’orisha et sont sacrés.
• Epuele : Appelé aussi « ekuele », c’est la chaîne utilisée par les babalawos pour la
divination.
• Guerreros : Se réfère à Eleguá, Ogun, Ochosi et Osun. Ces quatre orishas ensemble sont
appelés “guerriers”. Le pratiquant reçoit les guerreros avant d’être entièrement initié. Ceux
qui ont reçu les “guerriers” sont initiés à moitié à la santeria.
• Iyabó (iyawó) : un novice initié à la santeria et qui suit des restrictions pendant un an.
• Iyaboraje : L’année complète suivant l’initiation dans la santeria.
• Iyaloricha : Peut être réduit à “Iyalocha”, une santera qui a initié d’autres personnes.
• Kariocha : La cérémonie d’initiation qui se nomme également « faire son saint ».
• Limpieza : Purification spirituelle, bain spirituel.
• Lucumí : Ecrit également « Lukumi », se réfère au peuple Yoruba qui a été forcé à travailler
en tant qu’esclaves ainsi que leurs descendants. La santeria est également connue comme « la
religion Lucumi ».
• Madrina : La marraine
• Omiero : Une mixture sacrée d’herbes et d’ingrédients naturels utilisée dans la cérémonie
d’initiation de naissance d’un orisha.
• Omo : « Le fils », c’est utilisé pour indiquer de quel orisha le pratiquant tient. Par exemple, il
peut être Omo Chango (le fils de Chango).
• Omi: L’équivalent féminin. Par exemple : Omi Ochun = La fille d’Ochun.
• Oriate : Un santero.a qui est considéré par la communauté comme le maître des cérémonies.
Pour devenir Oriate, il faut de nombreuses années d’étude intensive. L’Oriate dirige les
cérémonies d’initiation. Il est également appelé « Obba » (=chef).
• Oyugbona : La deuxième marraine ou le deuxième parrain dans une cérémonie d’initiation.
• Padrino : Le parrain
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• Pataki : Des histoires sacrées ou des mythes mettant en scène Dieu, les orishas, la création du
monde et d’autres sujets religieux importants. Ils existent traditionnellement sous forme orale
et sont transmis aux filleuls par les parrains.
• Regla de Ifá : Ifa se réfère à une communauté de prêtres masculins qui sont dévoués à
Orula. C’est un parallèle mais pas techniquement une part de la Regla de Ocha. Certains
hommes sont d’abord initiés à la Regla de Ocha et ensuite entrent dans Ifa.
• Regla de Ocha : Ocha est une abréviation d’Orisha. Regla de Ocha est un autre nom pour
désigner la santeria.
8) Plan de la Havane et des quartiers fréquentés durant le terrain
Source : Carte créée manuellement à partir d’une image de Google Map.
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