La Revue socialiste n°51 Le Temps Des Femmes

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    Revue

    Socialiste

    La

    51

    Le temps

    des femmes

    3e trimestre

    2013

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    2 Sommaire

    Edito

    Harlem Dsir, Adeline Hazan,Socialistes, donc fministes p. 5

    Alain Bergounioux,Des femmes, des hommes, du genre p. 9

    Introduction

    Thalia Breton, Ccile Beaujouan,Fminisme : lutte moderne, lutte socialiste p. 11

    Trois perspectives

    Franoise Hritier, Tout ce que nous croyons fond en nature nest que le produit de la rflexion

    de lesprit humain p. 17

    Michelle Perrot,Lgalit des sexes : les chemins du fminisme p. 23

    Irne Thry, Le mariage aujourdhui nest plus le fondement de la vraie famille,cest devenu une institution du couple p. 31

    Ministre des Droits des femmes

    Yvette Roudy, Il est toujours possible de former les femmes et de les prpareraux responsabilits p. 41

    Najat Vallaud-Belkacem,Une troisime gnration des droits des femmes est en marche ! p. 45

    propos dOlympe de Gouge

    Olympe de Gouges,Dclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791 p. 53

    Catel Muller, La bande dessine, elle aussi, peut faire voluer la cause des femmes p. 57

    Danielle Bousquet,Rhabiliter Olympe de Gouges p. 61

    Femmes en politique et partage du pouvoir

    Christine Bard,Le socialisme franais et les femmes p. 67

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    3Sommaire

    Claude Dargent, Henri Rey,Adhrentes socialistes : semblables et diffrentes p. 75

    Adeline Hazan,

    Le partage du pouvoir politique entre femmes et hommes :construire la dmocratie relle p. 81

    Violences faites aux femmes

    Marie-France Casalis,Violence sexiste, instrument de la domination masculine p. 87

    Claudine Legardinier,Prostitution, un enjeu central pour lgalit p. 91

    clairagesCarine Favier et Vronique Shier,

    Sexualit des femmes et droit disposer de son corps :

    un enjeu dmocratique !p. 99

    Nathalie Heinich, Les femmes ont acquis le pouvoir sur soi-mme p. 105

    Franoise Milewski,La prcarit des femmes p. 109

    Sylvie Cromer,Tous et toutes diffrent-es : qui a peur de lgalit des sexes ? p. 115

    Catherine Coutelle,La transversalit des politiques publiques en matire dgalit femmes-hommes :

    une ncessit pour faire face lampleur des discriminations sexistes p. 121

    Natacha Chetcuti,Thories du genre en contexte franais p. 127

    l tranger

    Anne-Emmanuelle Berger,Fminisme(s) amricains, fminisme(s) franais :pour en finir avec quelques ides recues p. 135

    Lilia Labidi,Y-a-t-il un futur pour le fminisme au masculinet le fminisme dtat en Tunisie? p. 147

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    Harlem Dsirest Premier secrtaire du Parti socialiste

    Adeline Hazanest secrtaire nationale aux Droits des femmes

    Socialistes, donc fministes.

    ans la France duXXIesicle, les inga-lits entre les femmes et les hommes

    imprgnent encore la socit et minent le

    quotidien de millions de femmes. Consacrerun numro de laRevue socialisteaux droitsdes femmes tait donc une ncessit.

    Loppression des femmes est parmi les plusanciennes modalits de la domination et de lin-galit. Et pourtant, elle est toujours actuelle. Sielle prend forme dans des comportements divers etdes contextes varis, loppression des femmes restefinalement universelle. Elle touche toutes les civi-

    lisations, tous les pays, tous les milieux sociaux, etconcerne aussi bien la sphre publique que prive.Quelle soit ouverte, ou quelle soit insidieuse, elleenferme les femmes et les hommes dans des stro-types rendus invisibles par la force des habitudes.Et elle touche chacun : quel que soit le degr deconscience sur ces questions, nul nest labri dereproduire les reprsentations sociales dominantesquil contribue ainsi lgitimer et faire perdurer.

    D Dans la ligne du combat fministe, ouvert parOlympe de Gouges, Louise Michel ou Simone deBeauvoir, nous voulons raffirmer que les ingalits

    entre les femmes et les hommes nont aucun fonde-ment naturel : elles se construisent et se perptuentculturellement, idologiquement, politiquement,par des logiques de reproduction sociale, de pouvoiret dintrts. Il faut continuer de lutter contre leprocessus de naturalisation par lequel on assigneaux individus, partir de leur sexe, des identits etdes fonctions dtermines. Car lessentialisation durle des femmes, dans la socit, lgitime surtoutles ingalits et la volont de domination. Elle

    conduit aux violences et lappropriation du corpsdes femmes par lordre moral, la force, largent.La barbarie, la dictature, lintgrisme, lobscuran-tisme saccompagnent toujours de loppression desfemmes et de la ngation de leurs droits. Commele montrent les tudes rcentes sur la situationdes personnes subissant simultanment plusieursformes de discrimination (genre, origine ethnique,gographique, sociale, orientation sexuelle), le

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    Socialistes, donc fministes.

    militantes qui, dans les annes 1960 et 1970, ontsu unir le combat socialiste et le combat fministe.Marie-Thrse Eyquem, Colette Audry et YvetteRoudy, qui fondrent le Mouvement dmocratiquefminin en 1962, se sont battues pour faire du droit

    des femmes disposer de leurs corps une bataillepolitique.Porter le combat fministe, cest refuser un ordretabli et patriarcal, toujours prsent commenaturel au prtexte quil existerait depuis la nuitdes temps. Cest pourquoi une partie de nos effortsdoit porter sur la transformation de mentalitsarchaques comme de comportements quotidiens,par la pdagogie, lducation et la prvention desdiscriminations ds le plus jeune ge. Porter le

    combat fministe, cest se battre pour faire advenirune socit plus libre en mme temps que plusjuste : une socit dans laquelle on peut tre unejeune fille et sorienter vers une filire de mca-nique, dans laquelle on peut tre une jeune femmeet avorter sans difficult, dans laquelle on peutmarcher dans la rue sans tre siffle.Le combat pour lgalit entre les sexes nest pasune lutte catgorielle, cest une arme pour lman-cipation de tous. Aprs une dcennie dinaction et

    de stagnation dans la marche pour les droits desfemmes, le prsident de la Rpublique et le Premierministre se sont engags pleinement pour lga-lit comme lont montr la nomination du premier

    sexisme croise et nourrit dautres formes de domina-tion : celle des puissants sur les prcaires, celle quiexclut les trangers et nourrit le racisme, celle qui

    refuse lgalit des droits entre les htrosexuels etles homosexuels.La persistance de la domination sexiste est nonseulement une source de souffrance pour lesfemmes, mais aussi un frein pour le progrs danstoute la socit. Cest le progrs conomique que lonfreine, quand les femmes ne gagnent pas le mmesalaire et ne font pas les mmes carrires que leurscollgues masculins alors quelles ont les mmescomptences. Cest la dmocratie quon affaiblit,

    quand les portes de la vie politique restent closesdevant la volont dengagement des femmes, quine sont pas moins militantes ni moins comptentesque les hommes. Malgr les conqutes majeurespermises par la lutte des femmes au XXe sicle,dans les lois comme dans les esprits, il nous fautregarder en face la perptuation de la dominationmasculine, et ses consquences la fois indivi-duelles et collectives, pour poursuivre le combatfministe et en faire une part intgrante de notre

    lutte pour le progrs.Lhistoire du socialisme au XXe sicle est intrins-quement lie lhistoire du fminisme. Notre parti,qui se dfinit comme fministe dans sa dclara-tion de principes, plonge autant ses racines dansle rformisme de Jaurs et Blum, la foi europennede Franois Mitterrand, que dans le Manifestedes 343 et les combats du MLF. Nous sommes leshritiers de cette gnration pionnire de femmes

    Dans la ligne du combat fministe, ouvert parOlympe de Gouges, Louise Michel ou Simone

    de Beauvoir, nous voulons raffirmer que lesingalits entre les femmes et les hommes

    nont aucun fondement naturel : elles seconstruisent et se perptuent culturellement,

    idologiquement, politiquement,par des logiques de reproduction sociale,

    de pouvoir et dintrts.

    Lmancipation des femmes a pour premirecondition le droit lautonomie financire,

    qui passe par le droit un emploi dcent. Lesfemmes sont les plus touches par la crise etsont parfois maintenues dans des situations

    insupportables, enchanant des contrats temps partiel. Lensemble de nos politiques

    sociales et demploi, et notamment la loide scurisation de lemploi, qui prvoit un

    minimum de 24 heures hebdomadaires pour lescontrats temps partiel, doivent permettre delutter contre cette nouvelle forme de prcarit.

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    morale des femmes nest pas respect ou violem-ment attaqu, et ce droit fondamental nest toujourspas un acquis dans notre pays. Les femmes sontles premires victimes de violences, dagressions

    sexuelles et de harclement, dans lespace public,au travail, mais aussi au sein du couple ou de lafamille. Contre les violences faites aux femmes,nous devons renforcer laccompagnement et laprotection des victimes, sanctionner plus durementles auteurs, investir dans la prvention par ldu-cation. Nous dfendons labolition de la prostitutionparce que nous considrons quelle est une violenceen soi, une atteinte insupportable la dignithumaine et en particulier la dignit des femmes.

    Tant que les hommes pourront acheter, louer ouvendre le corps des femmes, il ny aura pas dga-lit relle. Contre lordre moral qui voudrait dcider la place des femmes et contrler leur sexualit,nous devons mettre en place, aprs linstaurationde la contraception gratuite pour les mineures etle remboursement 100 % de lIVG, une nouvellestratgie nationale pour laccs la contraception,et continuer de dnoncer les mensonges et les mani-pulations des organisations anti-avortement qui

    pullulent sur Internet.Le droit daccder aux responsabilits politiquesdoit aussi constituer une priorit. Contre le main-tien intolrable de la majorit sociale dans laminorit politique, nous devons ouvrir pleinementles portes du pouvoir politique aux femmes ! Lapremire des conditions est lapplication du non-cumul des mandats : ladoption de la loi sur le non-cumul par lAssemble nationale est un pas dcisif

    gouvernement paritaire, linstauration dun minis-tre des Droits des femmes et le rtablissement dudlit de harclement sexuel, premier projet de loivot du quinquennat.Le texte sur lgalit entre les femmes et les

    hommes, prsent dbut juillet en Conseil desministres, est le premier projet de loi global quiaborde de manire transversale les ingalits quesubissent les femmes. Il fait de leffectivit desdroits des femmes la pierre angulaire des politiquespubliques dgalit femmes-hommes. Cette loi-cadre se donne lambition de favoriser laccs desfemmes lemploi, avec en particulier la rformedu cong parental, de protger les femmes victimesde violences et de raliser un meilleur partage du

    pouvoir entre les femmes et les hommes. Elle doitmarquer une avance historique pour notre pays.Le devoir de la gauche aujourdhui est bien de faireadvenir la 3e gnration des droits des femmes.Lmancipation des femmes a pour premire condi-tion le droit lautonomie financire, qui passe parle droit un emploi dcent. Les femmes sont lesplus touches par la crise et sont parfois maintenuesdans des situations insupportables, enchanant descontrats temps partiel. Lensemble de nos poli-

    tiques sociales et demploi, et notamment la loi descurisation de lemploi, qui prvoit un minimumde 24 heures hebdomadaires pour les contrats temps partiel, doivent permettre de lutter contrecette nouvelle forme de prcarit.Aujourdhui, lessalaires des femmes sont de 27 % infrieurs ceuxdes hommes. Nous devons poursuivre lexigence dudroit lgalit salariale : aprs le dcret renforantles obligations des entreprises en matire salariale,de nouvelles mesures contraignantes doivent voir

    le jour. Lgalit professionnelle doit tre prsentedans toutes les ngociations dentreprise. Lgalitentre les femmes et les hommes doit galement treau cur de la rforme des retraites alors quau-jourdhui, consquence des ingalits de carrires,le niveau moyen de retraites des femmes est de1 157 euros contre 1 740 euros pour les hommes.Mais lmancipation est rendue difficile, voireimpossible quand le droit lintgrit physique et

    Contre le maintien intolrable de la majoritsociale dans la minorit politique, nous

    devons ouvrir pleinement les portes du pouvoirpolitique aux femmes ! La premire des

    conditions est lapplication du non-cumul desmandats : ladoption de la loi sur le non-cumulpar lAssemble nationale est un pas dcisif et

    la loi vote sera irrversible.

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    locale des socialistes en faveur de lgalit entreles femmes et les hommes. Dans lensemble descombats que nous menons, la question fministedoit tre prise en compte : cest un sujet transversal,qui doit irriguer toutes nos rflexions.

    Laspiration des Franaises et des Franais lga-lit est puissante, elle forge notre identit. La droitene la pas compris ou plutt na jamais voulu len-tendre. La socit nest pas une forteresse impre-nable quil faudrait protger contre ses propresavances. Le combat pour lgalit simpose nous,pas seulement comme lhritage de luttes fministesdont nous sommes fiers, mais comme lextraordi-naire opportunit de faire franchir notre Rpu-blique une nouvelle frontire dmocratique. Avec le

    temps de la gauche, cest le temps des femmes quiest venu.

    Socialistes, donc fministes.

    et la loi vote sera irrversible.La seconde est lerenforcement des sanctions aux partis politiquesqui refusent dappliquer la loi sur la parit : cest ceque prvoit le projet de loi pour lgalit entre lesfemmes et les hommes.

    Le combat pour lgalit entre les femmes et leshommes est un combat que nous menons avec leParti socialiste, mais aussi au sein du Parti socia-liste. Notre parti doit tre un outil pour le chan-gement des mentalits, pour la lutte contre lesstrotypes sexistes. Cest dans cette perspectiveque nous avons propos que le Parti socialiste sedote dun manifeste fministe, qui rejoindra nostextes fondamentaux. Cest galement dans cetteoptique que le Parti socialiste sera linitiative dun

    rseau des lues socialistes en charge des droitsdes femmes, afin de valoriser laction nationale et

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    Alain Bergouniouxest directeur deLa Revue socialiste

    Des femmes, des hommes, du genre

    ous sommes les contempo-rains dune grande volution

    sociale qui prend tous les jours de plus vastes

    proportions. Un mouvement, une agita-tion des esprits se manifestent dans toutesles classes de la socit avec une intensitde plus en plus grande. Il a surgi une foulede questions, sur la solution desquelles ondiscute dans tous les sens. Une des plusimportants qui simpose est celle que lonappelle la question des femmes.

    Quelle place doit prendre la femme dans notre

    organisme social, o peut-elle dvelopper toutes sesforces et toutes ses aptitudes afin de devenir dansla socit humaine un membre complet, ayant lesdroits de tous, pouvant donner lentire mesure deson activit ? notre point de vue, cette questionse confond avec celle de savoir quelle organisa-tion essentielle devra recevoir la socit humaine,pour substituer loppression et lexploitation unehumanit libre. La question des femmes est donc

    N pour nous un des cts de la question sociale gn-rale, qui occupe en ce moment toutes les intelli-gences, qui met tous les esprits en mouvement.

    Ces lignes avec leur vocabulaire un peu vieillot datent de 1883. Elles sont tires de louvrage quAu-gust Bebel, le dirigeant de la social-dmocratieallemande, a consacr la question fminine, sousle titreLa femme et le socialisme. Tout en consacrant

    Tout en consacrant le primat de la rvolutionsociale, condition dune solution dfinitive

    aux problmes de loppression et delexploitation , Bebel faisait de la situationdes femmes la pierre de touche dune socit

    vraiment libre et galitaire. Il fallaitaborder, contre les prjugs dominants,

    la question dans toute son ampleur pouratteindre lgalisation complte

    et la dlivrance de toute dpendanceet de toute oppression .

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    le primat de la rvolution sociale, condition dunesolution dfinitive aux problmes de loppressionet de lexploitation , Bebel faisait de la situationdes femmes la pierre de touche dune socit vrai-ment libre et galitaire. Il fallait aborder, contre

    les prjugs dominants, la question dans toute sonampleur pour atteindre lgalisation complte et la dlivrance de toute dpendance et de touteoppression .Le mouvement historique est all en ce sens. Et lacondition fminine a plus progress dans les centans passs que dans toute lhistoire de lhumanitjusqualors. Les socialistes y ont apport leur partet ont souvent port et permis des rformes fonda-mentales. Mais lauto-organisation du mouvement

    fministe a t (et est) cruciale pour acclrer lesprises de conscience pour la conqute des droitspolitiques, pour la ralisation de lgalit sociale,pour la prise de lautonomie personnelle. videm-ment, les problmes demeurent, les uns anciens,lgalit salariale par exemple, les autres rcents,la solitude de beaucoup de femmes ges propor-tion de lallongement de la vie par exemple, et beau-coup dautres. Mais la situation actuelle dans notresocit nous ne pouvons pas le dire lchelle du

    monde est profondment diffrente du moment oAugust Bebel crivait.Il nous a paru intressant de faire le point dansnotre revue. Nous parlons certes de ce sujet dansnos programmes et dans nos congrs, mais nousle faisons souvent de manire ponctuelle, pourprsenter telle ou telle mesure. Or, il est utile deprendre une vue densemble en analysant toutesles dimensions de la situation des femmes, leurplace dans la socit, leur condition, leur rle,

    leur rapport la politique, etc. Cest le sens de ce

    Des femmes, des hommes, du genre

    numro qui souvre par trois perspectives dam-pleur, une rflexion anthropologique avec Fran-oise Hritier, une vision historique avec MichellePerrot, une analyse sociologique avec Irne Thry.

    Parler des femmes, de leur histoire et de leurprsent, cest videmment tout autant le faire deshommes, et de lensemble de la socit. Les rela-tions entre les sexes contribuent construire lesrelations humaines dans ce quelles ont de plusprofond et les rapports sociaux dailleurs agissentgalement sur les relations entre les sexes. Lesdbats que nous connaissons aujourdhui, sur lafamille, la maternit, la disposition de son corps,les violences sexuelles, etc. ne sont pas moins vifs

    que ceux dhier. Il sagit de dterminer commentnous voulons vivre en socit. Les diffrences entreles sexes sont des ralits, mais ce qui est en cause,cest la hirarchisation dans le genre . Celle-cina pas lieu dtre malgr le poids des reprsen-tations hrites qui vont dans le sens contraire.Comme lavait vu Auguste Bebel, et avec lui lespremiers socialistes (pensons Saint Simon ou Fourier), le principe de lgalit est fondamental.Les articles de ce numro permettent den mesurer

    les conditions actuelles.

    Parler des femmes, de leur histoire et de leurprsent, cest videmment tout autant le faire

    des hommes, et de lensemble de la socit.Les relations entre les sexes contribuent

    construire les relations humaines dans cequelles ont de plus profond et les rapportssociaux dailleurs agissent galement sur les

    relations entre les sexes.

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    il faut mener la lutte fministe sur tous les fronts,simultanment. Le fminisme conduit aborderdes sujets parfois tabous, toujours complexes, qui

    peuvent susciter le malaise, parce quils touchent lintime ou parce quils conduisent pointerdes responsabilits qui drangent. Cest le cas durapport aux corps et aux sexualits. Cest aussi lecas des violences faites aux femmes, qui nont pasautant de peine parler quon peut le supposer

    Thalia Bretonest coordinatrice du Ple liberts et questions de socit du Parti socialiste

    et membre du comit de rdaction de la Revue socialiste

    Ccile Beaujouanest rdactrice en chef de la Revue socialiste

    Fminisme : lutte moderne,lutte socialiste

    epuis que la publication de la Revuesocialistea t relance en 1999, ce

    numro est le premier entirement consacr

    aux droits des femmes. Il reprsente unepremire tape vers la publication de davan-tage darticles sur les droits des femmes etune ouverture croissante de nos colonnesaux auteures sur les prochaines thmatiquesabordes.

    Les droits des femmes requirent en effet unerflexion globale et transversale. Le combat pourlgalit femmes-hommes ne sinterdit aucun

    terrain, tant les ingalits entre les femmes et leshommes sont encore prsentes partout : dans lemilieu professionnel, familial, politique. Linga-lit des droits entre les femmes et les hommes et ladomination des femmes par les hommes repose surun systme la fois politique, conomique, social etculturel : le patriarcat. Pour battre en brche cetteoppression millnaire, qui a encore des rpercus-sions dans le quotidien de chacune et de chacun,

    D

    Le fminisme implique de sinterroger surtoutes les dominations et discriminationsauxquelles se conjugue le patriarcat pour

    renforcer les ingalits entre les femmes et leshommes, au premier rang desquellesles ingalits conomiques. De cette

    interrogation dcoule un constat : les droitsdes femmes ne sont pas quune thmatique socitale ; ils relvent pleinement de la

    question conomique et sociale.

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    mais que la socit a tant de peine entendre.Mais, surtout, le fminisme implique de sinter-roger sur toutes les dominations et discriminationsauxquelles se conjugue le patriarcat pour renforcerles ingalits entre les femmes et les hommes,

    au premier rang desquelles les ingalits cono-miques. De cette interrogation dcoule un constat :les droits des femmes ne sont pas quune thmatique socitale ; ils relvent pleinement de la questionconomique et sociale. Domestiques, ouvrires,couturires hier ; aides mnagres, secrtaires,employes administratives aujourdhui : la sgrga-tion des mtiers entre les femmes et les hommesse perptue sicle aprs sicle. Sy ajoutent prca-rit, temps partiel, contrats dure dtermine,

    chmage, emplois peu ou pas qualifis ; avec, aupremier rang des bataillons de femmes prcaires,les cheffes de familles monoparentales. Ces inga-lits dans lemploi entre les femmes et les hommesrefltent la double domination des femmes, mascu-line et conomique, et comment le patriarcat et lelibralisme se nourrissent lun lautre pour mieuxse maintenir. Arme de rserve , pauvret ,prcarit : les mots changent, le sexe restefminin.

    La situation des femmes ne peut donc qutre aucur du projet politique socialiste. Comme lcrivaitYvette Roudy dans La femme en marge, il existeun lien troit entre fminisme et socialisme. Si troitmme que lon peut dire que le fminisme est partieintgrante, composante du socialisme. Ce lientroit prend sa source dans les principes mmesdu Parti socialiste : transformation sociale, luttecontre les injustices, mancipation de la personnehumaine. Si le Parti socialiste a encore de grandes

    marges de progrs devant lui, en matire de prise encompte du genre dans lensemble de sa ligne poli-tique ou en matire daccs des femmes aux respon-sabilits notamment, il a toujours t le dbouchpolitique incontestable des revendications fmi-nistes, et larrive de la gauche au pouvoir a toujoursconcid avec une progression sans prcdent desdroits des femmes : remboursement de lIVG par laScurit sociale sous Franois Mitterrand, parit

    sous Lionel Jospin, application des lois sur lgalitsalariale aujourdhui, entre autres.Cette progression nest nanmoins, jamais, dansaucun gouvernement ni dans aucun parti, unevidence : cest par un combat politique, sur le plan

    lgislatif comme dans les mentalits, que les droitsdes femmes simposent et se conquirent. Quoi deplus difficile, en effet, que de sinterroger sur latendance que nous avons, toutes et tous, repro-duire des ingalits que nous combattons intellec-tuellement et politiquement ? Quoi de plus difficileque de soumettre limpratif dgalit relle len-semble de notre organisation sociale ? Lenjeu estpourtant bien celui-l : enclencher une transfor-mation sociale totale. Cette rvolution simpose

    dautant plus nous, socialistes, quelle a toujoursrelev, nous lavons dit, de la responsabilit de lagauche, et quelle est porte par une aspiration,chaque jour plus grande, de la socit : laspira-tion ce que lgalit devienne enfin une ralit.Cette aspiration, qui est porte en particulier parla jeunesse, sexprime chaque jour plus fortement,encourage par un mouvement fministe renforc,renouvel, redynamis, rajeuni. Elle engage ceque les droits des femmes ne soient plus rduits

    un supplment dme et ne constituent plus le prin-cipal angle mort de la plupart de nos politiquespubliques. Comme nous avons russi le faire aveclcologie, les droits des femmes doivent maintenantstructurer lensemble de notre logiciel politique,comme pilier de notre analyse mais aussi objectif

    Les ralisations concrtes se font, elles,grce la rencontre entre les forces sociales

    et une volont politique. Depuis prs de70 ans, les droits des femmes ont entam uneprogression sans prcdent ; beaucoup reste

    faire. Soutenons donc la force sociale, etgardons notre dtermination politique, propreaux socialistes fministes que nous sommes, vouloir changer ce monde qui laisse la moiti

    de lHumanit subir toutes les injustices.

    Fminisme : lutte moderne, lutte socialiste

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    de notre action. Nous naurions pas gagn en 2012sans les engagements, ambitieux, que nous avonsalors ports pour lgalit entre les femmes et leshommes : les victoires lectorales se font grce larencontre entre une esprance sociale et un projet

    politique. Les ralisations concrtes se font, elles,grce la rencontre entre les forces sociales et une

    volont politique. Depuis prs de 70 ans, les droitsdes femmes ont entam une progression sans prc-dent ; beaucoup reste faire. Soutenons donc laforce sociale, et gardons notre dtermination poli-tique, propre aux socialistes fministes que nous

    sommes, vouloir changer ce monde qui laisse lamoiti de lHumanit subir toutes les injustices.

    Introduction

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    dj ce type de rflexivit et bien sr les Homosapiens sapiens qui vivaient il y a 100 000 ans.Ce qui nous distingue des animaux quel que soit

    lanimal en question est que lhomme est un trepensant particulier : il est en mesure de produireune pense argumente, rflexive et transmissible(notamment par le langage et la pictographie). Cettre humain ne peut se contenter de subir. Il veutcomprendre. Il ressent la ncessit de donner dusens ce quil observe et fait. Et le mystre de lareproduction de lespce nchappe pas ce besoin.Avec les moyens dont il dispose, il doit construirele savoir et appuie ses connaissances nouvelles sur

    ce que jappelle des butoirs pour la pense . Ilsagit de constantes sur lesquelles les hommes dela Prhistoire navaient pas de prise. Lalternancedu jour et de la nuit est par exemple un butoir pourla pense. Parmi ces butoirs, existe cette constata-tion que lhumanit se divise en deux groupes - lesfemelles et les mles comme chez les animauxet que cette division est caractrise par lasym-trie fondamentale que jai dj voque plus haut et

    Franoise Hritierest professeur honoraire au Collge de France, o elle a dirig le Laboratoire danthropologie sociale.

    Elle est notamment lauteur deLe sel de la vie, Odile Jacob, 2013

    Tout ce que nous croyons fonden nature nest que le produit

    de la rflexion de lesprit humain

    a revue socialiste: Quels sont lesfondements de la domination mascu-

    line ? Est-elle le produit de la diffrence

    anatomique entre les hommes et les femmes ?Franoise Hritier : Non cette dominationnest pas le fruit dune diffrence anatomique. Enrevanche, elle est le produit des capacits rflexivesde ltre humain qui ont port sur lobservation desdiffrences non seulement anatomiques et physio-logiques des deux sexes, mais aussi et surtout surle fait que seules les femmes ont la capacit den-fanter. En outre, elles enfantent la fois le mme etle diffrent. Quelles fassent des corps semblables

    elles-mmes, cela semble logique tous, y comprisau temps de la prhistoire, mais quelles fassent descorps diffrents delles relve du mystre et ramneles hommes cette angoissante question : A quoiservons-nous ? .Pour comprendre pleinement cette interrogation,il nous faut nous resituer dans des temps prhis-toriques difficiles dater avec prcision. Mais ilsemble que les hommes de Nandertal possdaient

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    extrmement variable sur de petites chelles. Ilpouvait trs bien arriver quil ny ait que peu defilles qui naissent pendant une certaine priode.Il pouvait se faire quun groupe se retrouve privde filles, notamment aussi parce que la morta-

    lit en couches tait trs leve. Pour survivre, ilfallait donc se procurer des femmes ailleurs, dansdautres groupes, ce qui entranait des conflits. Pourchapper aux bagarres incessantes, sest mis alorsen place un systme dchange de femmes grce lexogamie rsultant de la prohibition de linceste.Antrieurement si les hommes disposaient ducorps des femmes, ctait du corps des femmes deleur propre groupe, linceste tait invitablementpratiqu. La prohibition de linceste, comme rgle

    universelle, a entran la paix sociale, la possibilitde relations politiques, conomiques, culturellesentre groupes consanguins et cest ce qui fait dire Morgan et Lvi Strauss notamment que la prohibitionde linceste est la base du lien social. La prohibitionde linceste entrane mcaniquement lexogamie.Mais cette union entre deux groupes, il convient dela rendre officielle et durable : cest linstitution dumariage qui le permet. Enfin, Lvi-Strauss observequafin de rendre stable la relation entre lhomme

    et la femme, il faut les rendre dpendants lun delautre en leur donnant des activits diffrentes travers la division sexuelle des tches. Ce que jaiapport ce modle thorique bti autour de ces

    qui consiste en ce que les mles ne se reproduisent

    pas directement partir de leur propre corps maispassent par le corps des femmes qui produisent lafois le mme et le diffrent. On observe aussi que,en labsence de copulation antrieure, il ny pas degrossesse. La question pose lhumanit est doncla suivante : comment les femmes font-elles lesenfants ? Ont-elles une puissance spcifique loge lintrieur de leur corps ? La rponse apporte cette question est ngative : les hommes mettent lesenfants dans le ventre des femmes au moment du

    cot grce au transfert de la substance spermatique.De cela sensuit toute une srie de conclusions : siles hommes dposent de la semence dans le corpsdes femmes pour quelles enfantent, cela signifieque le corps des femmes leur a t donn pour cela,quen somme il est mis leur disposition pour cettetche. Les femmes doivent alors tre confines dansce rle, y tre astreintes.

    L. R. S. : Vous avez apport la thorie

    anthropologique une notion, la valencediffrentielle des sexes . Pouvez-vous laprciser ?F. H. : A un moment de lhistoire de lhumanit,les chasseurs-collecteurs vivaient en tous petitsgroupes de 20 25 personnes au maximum. Leproblme avec des ensembles de cette taille, cestque le nombre des femmes y est alatoire. Le sexratio est constant sur de grandes chelles, mais

    Tout ce que nous croyons fond en nature nest que le produit de la rflexion de lesprit humain

    Les mles ne se reproduisent pas directement partir de leur propre corps mais passent par

    le corps des femmes qui produisent la foisle mme et le diffrent. La question pose

    lhumanit est donc la suivante : comment lesfemmes font-elles les enfants ? Ont-elles une

    puissance spcifique loge lintrieur de leurcorps ? La rponse apporte cette question estngative : les hommes mettent les enfants dansle ventre des femmes au moment du cot grce

    au transfert de la substance spermatique.

    Ce que jai apport ce modle thorique btiautour de ces trois piliers : la prohibition

    devenue tabou de linceste, lexogamie et lemariage, cest ce que jai appel la valence

    diffrentielle des sexes . Il me semble eneffet que pour que les hommes dans toutes les

    socits du monde changent les femmes entreeux et non pas linverse, cest quil y avait

    ds le dpart, un droit reconnu aux hommesde disposer du corps des femmes, comme

    systme cognitif partag non seulement par leshommes, mais aussi par les femmes.

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    exemple comme point de dpart pour la consti-

    tution dun ensemble doppositions dualistes dontles termes sont dun ct masculins, de lautre fmi-nins : ainsi de faon naturelle , le doux seraitdu ct du fminin et le dur du ct du masculin ;lactif serait masculin et le passif fminin ; lint-rieur serait fminin, lextrieur masculin, le secserait masculin, lhumide fminin, etc. Ces spcifi-cations sont en outre affectes du signe plus ou dusigne moins, et ce qui est remarquable, cest que demanire systmatique, ce sont les valeurs mascu-

    lines qui sont positives.

    L. R. S. : Dautres mystres pour les hommesdes microsocits ont fait lobjet dinterpr-tations errones qui ont eu des consquencestrs lourdes en termes de dominationsexuelle. Pourriez-vous nous dire quelquesmots sur le sang des rgles par exemple ?F. H. :Les socits humaines de chasseurs-collec-teurs telles quon se les reprsente fonctionnent

    sur le mode de la rpartition sexuelle des tches :les hommes sont des chasseurs et les femmes descollectrices. Il est interdit aux femmes de tueravec des moyens percutants. Elles ne peuvent tuerquavec des instruments contondants parce quellesne doivent pas faire couler le sang En effet, on consi-dre que linfertilit des femmes, leur incapacit porter des fruits, est due des interactions sur leshumeurs de leur corps. Ainsi pense-t-on que mettre

    trois piliers : la prohibition devenue tabou delinceste, lexogamie et le mariage, cest ce que jaiappel la valence diffrentielle des sexes . Ilme semble en effet que pour que les hommes danstoutes les socits du monde changent les femmes

    entre eux et non pas linverse, cest quil y avait dsle dpart, un droit reconnu aux hommes de disposerdu corps des femmes, comme systme cognitifpartag non seulement par les hommes, mais aussipar les femmes.Cette valence diffrentielle des sexes est une qua-tion fonde en esprit, travers toute une srie deraisonnements, partir de deux autres butoirs pourla pense : la notnie de lespce et la successiondes gnrations. La notnie consiste dans le fait que

    lespce humaine est la seule espce pour laquelleil faille un grand nombre dannes avant que len-fant ne soit capable dtre autonome. Par ailleursles parents naissent avant les enfants et les ansavant les cadets : les enfants et les cadets se situentdonc dans une relation de dpendance envers leursparents et leurs ans. Tout tre humain a fait lexp-rience de la domination parentale et de la prsancedes ans, dues simplement au fait que ceux-ci sontns avant. Il sagit l dune donne premire de

    lorganisation des groupes humains. On appliquece schma aux femmes qui sont alors systmatique-ment considres comme des cadettes par rapportaux hommes, des mineures dont on peut disposer.

    L. R. S. : Vous montrez qu ct de limpossi-bilit pour les femmes daccder un certainnombre de positions dans ce systme, se meten place tout un ensemble de caractrisa-tions du fminin et du masculin systmati-

    quement dfavorables aux femmes.F. H. : De nombreuses habitudes socialesse sont installes dans le systme dchange desfemmes que je viens de dcrire succinctement :un corpus de jugements de valeurs, de stro-types sest constitu ncessairement et a renforcles mcanismes de domination. Nos anctresont utilis des traits de nature le fait pour lesfemmes dtre imberbes et les hommes barbus par

    De nombreuses habitudes sociales sesont installes dans le systme dchange desfemmes : un corpus de jugements de valeurs,de strotypes sest constitu ncessairementet a renforc les mcanismes de domination.

    Nos anctres ont utilis des traits de nature le fait pour les femmes dtre imberbes et leshommes barbus par exemple comme point

    de dpart pour la constitution dun ensembledoppositions dualistes dont les termes sont

    dun ct masculins, de lautre fminins.

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    Tout ce que nous croyons fond en nature nest que le produit de la rflexion de lesprit humain

    L. R. S. : Pourquoi les femmes se sont-ellessystmatiquement laisses faire ?F. H. : Parce quelles pensaient la mme chosevidemment. Le dressage quelles subissaient lesrendait aveugles ces mcanismes. cet gard,

    jai repr extrmement tardivement un usage trssignificatif sur mon terrain africain en Haute Volta(le Burkina Faso daujourdhui). Jobservais desmres, travaillant sans arrt, harasses, portantleur bb dans le dos. Elles semblaient sarrterpour nourrir leur enfant de faon relativement ala-toire. Je mettais cela sur le compte du hasard dessituations. Puis, je me suis aperue quelles inter-rompaient systmatiquement leur travail pour leurspetits garons, tandis quelles laissaient pleurer

    leurs petites filles. Jai interrog ces femmes pourconnatre la raison dun tel comportement. Ellesmont rpondu que les garons avaient le currouge , ce qui veut dire quils taient colriques,impatients, et que les laisser pleurer leur faisaitcourir le risque de spoumoner et de stouffer. Ilimportait donc de les satisfaire immdiatement. linverse parce quune femme nobtiendrait jamaisce quelle voulait dans la vie, il tait judicieux de luiapprendre tout de suite la patience. Le rsultat est

    que lon cre deux varits dindividus totalementdissemblables : le premier qui trouvera toujourslogique et lgitime de voir ses pulsions immdia-tement satisfaites, et le second qui apprendra restreindre son champ de dsir et qui considreraavec gratitude tous ceux qui auront lobligeance delui accorder ce quil espre.

    L. R. S. : Cette domination est-elleuniverselle ? On entend parfois parler de

    matriarcat.F. H. :Non, le matriarcat est un mythe. Les mythesont pour fonction de justifier ltat des choses danslequel on vit, mais ils ne rendent pas compte duneralit historique antrieure. On raconte ainsi deshistoires de temps anciens o les femmes auraienteu le pouvoir et le savoir, mais les auraient fort malutiliss, ce qui aurait rendu lgitime linterventiondes hommes pour les remplacer. En revanche, une

    de lhumide sur de lhumide entrane des hmorra-gies : une femme parce quelle coule , couleradavantage encore, si elle entre en contact avec unematire humide (sang sur sang), or lhmorragieentrane la strilit. Ces croyances populaires sont

    dailleurs vivaces : quand jtais adolescente, lesjeunes filles qui avaient leurs rgles ne pouvaientpas se baigner. Dans dautres socits on imagineau contraire quune plus forte humidit fait refluerle sang dans le corps et dans ce cas provoque desamnorrhes et galement la strilit. Cette inter-diction de verser le sang a travers les millnaires :encore aujourdhui il ny a pas de femmes tueusesdans les abattoirs. Ces croyances sinscrivent dansune logique de sympathie (de passages) entre le

    cosmos, le corps biologique et le corps social.Le sang des rgles achve donc de fixer le statutfminin en ce quil leur interdit cette activit enprise directe sur le rel qutait la chasse. ctde cette assignation aux tches moins valorises, lemystre des menstruations entrane une autre cons-quence : si les femmes ne peuvent pas empcher lesang de couler, on en dduit quelles sont naturelle-ment passives, tandis que chez les hommes, le sangrsulte dune blessure et donc dune dcision active,

    celle de chasser ou de se battre.Tout fait sens dansce monde. La manire de penser les rapports entreles sexes est lie la manire de penser la cosmo-logie et le monde surnaturel.

    Le sang des rgles achve de fixer le statutfminin en ce quil leur interdit cette activiten prise directe sur le rel qutait la chasse. ct de cette assignation aux tches moins

    valorises, le mystre des menstruationsentrane une autre consquence : si les femmesne peuvent pas empcher le sang de couler, onen dduit quelles sont naturellement passives,

    tandis que chez les hommes, le sang rsultedune blessure et donc dune dcision active,

    celle de chasser ou de se battre.

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    line et fminine, qui permettent la vie dappa-ratre. Il arrive que celui qui a engendr et celle quia enfant affilient lenfant leur groupe familial etassument la parentalit. Mais bien dautres modesexistent. Cest ici que vient se greffer la question

    du sexe des parents et donc de lhomoparentalit.Lhomosexualit, au moins masculine, a souventt accepte, sinon pratique de faon courante.Il y a des socits avec des institutions reconnais-sant lhomosexualit. Dans les socits indiennesdAmrique du Nord, les berdaches, jeunes trans-sexuels ou travestis, taient les compagnons de vierotiques des jeunes hommes avant que ceux-cine se marient. Les conditions daccs au mariagetaient draconiennes, les hommes ny accdaient

    que trs tardivement, les vieillards riches capita-lisant les jeunes filles. Les berdachesjouaient doncen quelque sorte le rle de femme intrimaire. Dsles origines, ainsi que je lai dit plus haut, lhomo-sexualit appartenait bien au champ des possibles,simplement le mariage tel que dcrit plus haut prohibition de linceste, exogamie, institution dunlien entre deux groupes nest venu consolider queles liens productifs denfants et donc durables aulong cours. Linstitution matrimoniale ne pouvait

    donc pas sappliquer deux partenaires homo-sexuels. Cependant, on ne vit plus dans les mmesconditions qu lpoque de cette haute prhistoire !La socit ne se construit plus sur lchange desfemmes. Nos socits sont rgies par des changesde toutes natures, par toutes sortes de traits. Cettencessit ayant disparu, il est possible dimaginerdes unions homosexuelles ayant pignon sur rue.Pour moi, la vraie question est celle des enfants.Les ides nouvelles ont parcouru de multiples

    tapes. Dabord, quand apparat une ide, cestquelle tait possible. Elle est l quelque part, elleflotte dans le ciel des ides et soudain quelquun lapense. Gnralement, en nonant une ide radi-calement nouvelle, il se retrouve montr du doigt.Puis progressivement cette ide va rencontrerquelques oreilles bienveillantes et elle pourra faireson chemin. Cela peut prendre des sicles, mais unbeau jour, une grande majorit ne sera plus heurte

    confusion est souvent faite entre le matriarcat et lessocits matrilinaires : la filiation sopre par lesfemmes, mais le pouvoir reste entre les mains des

    hommes, en loccurrence celles des oncles mater-nels. En outre, un autre phnomne a accrditlide que les Amazones aient pu exister : chez lesGaulois, les Amrindiens et les Dahomens parexemple, on a pu observer de petits corps armsfminins auprs de souverains. Mais il sagissaitde jeunes filles impubres et vierges, ou alors defemmes mnopauses, cest--dire hors du temps dela procration.

    L. R. S : Le cas des socits matrilinairesmamne une autre question. Dans ledbat actuel sur le mariage pour tous, onentend parler de parent biologique , parent sociale , parentalit , etc.

    Pourriez-vous revenir sur ces notions partir de votre savoir et de votre expriencedanthropologue ?F. H. :Il faut commencer par tablir la distinctionentre trois termes. Lengendrement et lenfantement,

    la parentalit et la filiation. La filiation est ce quiaffilie un enfant un groupe familial. Chez nous,elle est cognatique, cest--dire quelle passe indif-fremment par les hommes et les femmes, avec unelgre inflexion agnatique, travers la transmissiondu nom du pre. Ensuite, la parentalit est la priseen charge, affective, ducative, conomique dunenfant. Enfin, lengendrement et lenfantement sontles modalits biologiques, respectivement mascu-

    Le matriarcat est un mythe. Les mythes ontpour fonction de justifier ltat des chosesdans lequel on vit, mais ils ne rendent pas

    compte dune ralit historique antrieure. Enrevanche, une confusion est souvent faite entre

    le matriarcat et les socits matrilinaires :la filiation sopre par les femmes, mais le

    pouvoir reste entre les mains des hommes, enloccurrence celles des oncles maternels.

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    qui se prononcent et luttent pour lgalit des sexes,cette notion tant elle aussi relativement rcente,

    tant la hirarchie paraissait vidente. Elle a tthorise surtout partir du XVIIesicle et lredes Lumires, en Grande-Bretagne et en France.Des protestations contre la sujtion des femmes, il yen eut de longue date, mais ctait souvent des voixisoles. Dans lmergence dun fminisme collectif,le rle de la Rvolution a t dcisif, par ses contra-dictions mmes. La Dclaration des droits delhomme et du citoyensapplique en principe tousles individus, qui naissent et demeurent libres et

    gaux en droits ; mais cet individualisme abstrait,sur bien des points, exclut les femmes. La Rvolutionaccorde certes aux femmes des droits civils (droitdhritage, droit au divorce), mais leur refuse lesdroits politiques. Lorsque Siys, en 1789, organisele suffrage universel , il distingue les citoyens actifs , qui soccupent des affaires publiques, etles passifs qui ont droit la protection de leurpersonne et de leurs biens, mais ne votent pas. Au

    Michelle PerrotProfesseure mrite de luniversit Paris VII-Diderot, Michelle Perrot est connue pour ses travaux sur lhistoire ouvrire,

    celle des femmes et de la vie prive. Elle a co-dirig avec Georges Duby lHistoire des femmes en Occident.

    Parmi ses derniers livres,Histoire de chambres(Seuil, 2009) a obtenu le Prix Femina/Essai ;

    Mlancolie ouvrire,a t publi chez Grasset, dbut 2013.

    Lgalit des sexes :les chemins du fminisme

    lain Bergounioux : Comment est-ilpossible de caractriser lvolution

    du mouvement fministe en France depuisdeux sicles ?Michelle Perrot : Il faut distinguer les mots et leschoses.Le terme de fminisme est relativementrcent. Sa paternit est incertaine. On la attribu Pierre Leroux, inventeur du mot socialisme .Plus srement Alexandre Dumas fils, en 1872, demanire pjorative puisque dsignant la maladie deshommes effmins . Les militantes de la fin dusicle, telle Hubertine Auclert, suffragiste franaise,

    relvent le gant et se dclarent firement fmi-nistes . Substantif et adjectif se rpandent autour de1900. Toutefois, les anglaises prfrent Womensmovement, plus large. Dans les annes 1970, onparle dailleurs de Mouvement de libration desfemmes plus que de fminisme . Souvent cari-catur, celui-ci fait toujours un peu peur !Sur la chose, il faut sentendre. On qualifie (nonsans anachronisme) de fministes , celles et ceux

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    nombre des passifs , il place les mineurs, lestrangers, les plus pauvres, les fous, et toutes lesfemmes.Au nom de la raison, dune diffrence dessexes soit disant fonde en nature, les femmes sont

    voues la famille, au priv, sous le contrle deshommes, encore renforc par le Code Napolon, linfme Code civil , comme dira George Sand.Ctait une discrimination fondamentale contrelaquelle Condorcet (De ladmission des femmesau droit de cit, 1790) et Olympe de Gouges ontprotest avant dtre limins, lun et lautre, par laTerreur (Condorcet, proscrit, meurt dans sa fuite, etOlympe est guillotine). La Dclaration des droitsde la femme et de la citoyenne (septembre 1791)

    dOlympe, qui revendique le droit de vote et dlec-tion toutes les fonctions de ltat, est un textedune grande modernit. compter de cette date,les mouvements prennent une tournure plus collec-tive, comme il est normal dans une dmocratie envoie dinstauration.Jen viens votre question sur la caractrisationdu fminisme. Il combine un lent et sourd mouve-ment de revendications latentes qui court dans lasocit et qui sexprime au grand jour la faveur

    dvnements tels les rvolutions ou les guerres. Ilsinsinue dans les brches des systmes de pouvoir.Ainsi, en 1830 et, surtout, en 1848, avec linstau-ration dun suffrage dit universel , alors quiltait purement masculin. Ce dni de la citoyennetpolitique des femmes a t un facteur important defminisme. Toutefois, la revendication des droitspolitiques ntait pas prioritaire. Les femmes rcla-maient surtout laccs linstruction, au travail,

    aux professions, la libert de circulation, et lesdroits civils. tre reconnues comme des individus,voil ce quelles demandaient obstinment, pardes journaux, des manifestes, des associationssouvent phmres. Car le fminisme nest pas

    continu dans son expression, dans la mesure o ilny a pas de parti ou de structure permanente surlesquels il pourrait prendre appui. Il opre parvagues. Lide dgalit domine les annes 1900-1914, dites ge dor du fminisme , en raisonde leur effervescence. La revendication des droitsdu corps - contraception, avortement, libre sexua-lit - caractrise le mouvement de libration des annes 1970-1980, davantage proccupespar les questions didentit et dautonomie du sujet.

    Enfin, il faut souligner la pluralit du fminisme,la diversit de ses courants. Il ny a pas un, maisdes fminismes, diffrents, voire divergents, sur lesmthodes comme sur les conceptions. Le fminismeest un continent que le vocabulaire simplifie.

    A. B. : Il peut paratre surprenant que larevendication galitaire nait pas t portedavantage par le mouvement ouvrier. Ce,dautant plus quil se voulait rvolutionnaire,

    en France, dabord avec la SFIO, puis, avecle Parti communiste. Il a fallu attendre lafin de la Seconde Guerre mondiale pour quela situation se clarifie enfin, avec difficult.Comment analysez-vous cette contradictionhistorique ?

    Lgalit des sexes , les chemins du fminisme

    Rappelons quil y eut, dans la premire moitiduXIXesicle, un socialisme favorable au

    fminisme. Henri de Saint-Simon,Charles Fourier et Pierre Leroux ont ainsi

    distingu deux catgories, gmellaires,dopprims : les proltaires et les femmes. Lun

    des meilleurs exemples de cette alliance fut,sans doute, Flora Tristan, femme de lettres,

    infatigable voyageuse et enqutrice, militantesocialiste et fministe.

    Lorsque Siys, en 1789, organise le suffrageuniversel , il distingue les citoyens actifs ,

    qui soccupent des affaires publiques,et les passifs qui ont droit la protection

    de leur personne et de leurs biens, mais nevotent pas. Au nombre des passifs , il placeles mineurs, les trangers, les plus pauvres, les

    fous, et toutes les femmes.

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    reconnaissance dans la premire moiti duXIXesicle et que la rupture qui a suivi tient

    la fois au matrialisme marxiste prdo-minance du facteur conomique et social,en France et la prise en compte duneculture rpublicaine, marque par la luttecontre lglise catholique. Tant et si bienque la cause fminine nest plus apparuecomme prioritaire.M. P. : Assurment. Les femmes apparaissaientcomme des allies potentielles de lglise, quirevendiquait de les duquer. Les filles doivent

    tre leves sur les genoux de lglise , disaitMgr Dupanloup. Do la mfiance des rpubli-cains, soucieux de lacit. Un mot sur le mouve-ment ouvrier, lui-mme. Sil se veut dabord lallides femmes, il est dinspiration proudhonienneaprs 1870. Hostile au travail des femmes pourdes raisons macroconomiques leur concurrenceferait baisser le taux du salaire , Proudhon nima-gine pour elles pas dautre alternative que cour-tisane ou mnagre . Un bon proltaire se doit

    donc de nourrir son pouse. Or, la CGT, cre en1895, est proudhonienne. On le voit, par exemple,avec laffaire Couriau. En 1912, Emma Couriau,femme de typographe, typote elle-mme depuisdix-sept ans, fut embauche dans une imprimeriesyndique, Lyon, o le couple vint sinstaller.En avril 1913, elle demanda son admission lachambre syndicale typographique lyonnaise. Nonseulement son adhsion fut refuse, mais son mari

    M. P. : Rappelons quil y eut, dans la premiremoiti du XIXe sicle, un socialisme favorable aufminisme. Henri de Saint-Simon, Charles Fourieret Pierre Leroux ont ainsi distingu deux catgo-ries, gmellaires, dopprims : les proltaires et

    les femmes. Lun des meilleurs exemples de cettealliance fut, sans doute, Flora Tristan, femme delettres, infatigable voyageuse et enqutrice, mili-tante socialiste et fministe. Lorsquelle entamason tour de France pour convaincre les ouvriersde sunir, elle cra les prmices du syndicalisme,tout en se battant pour le droit des femmes, notam-ment le droit au divorce que la Restauration avaitaboli, en sappuyant sur le rseau saint-simonien. travers cette figure emblmatique, transparat

    un lien entre femme et socialisme. Bien quisol,Pierre Leroux fut, pour sa part, un thoricien quisattacha penser la condition fminine. Lga-lit des sexes revtait pour lui une significationtoute particulire.La premire partie du XIXesicle fut marque parun cart croissant entre socialisme et fminisme,perceptible, notamment, au travers des discus-sions sur le matriarcat. Lorsque Friedrich Engels,lalter ego de Marx, publia, en 1884, Lorigine de

    la proprit prive, de la famille et de ltat, large-ment inspir de lanthropologie de son temps, ilopposa les temps heureux dun matriarcat primitif la grande dfaite du sexe fminin , lie lins-tauration de la proprit prive perptue par lecapitalisme. Convaincu du caractre social deloppression des femmes, il voyait dans la rvolu-tion la condition ncessaire (voire suffisante) laralisation de lgalit des sexes. Nous savons quilnen est rien.

    A. B. : On retrouve la mme problmatiquechez August Bebel (1840-1913), figuremajeure de la social-dmocratie rvolution-naire, et auteur de La femme et le socialisme(1883) dans lequel il prne lgalit dessexes. Il nest sans doute pas inintressantde rappeler que la condition fminine bn-

    ficia, dans la pense socialiste, dune juste

    Sil se veut dabord lalli des femmes,le mouvement ouvrier est dinspiration

    proudhonienne aprs 1870. Hostile au travaildes femmes pour des raisons macroconomiques

    leur concurrence ferait baisser le taux dusalaire , Proudhon nimagine pour elles

    pas dautre alternative que courtisane oumnagre . Un bon proltaire se doit donc denourrir son pouse. Or, la CGT, cre en 1895,

    est proudhonienne.

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    Lgalit des sexes , les chemins du fminisme

    constat, Jeannette Vermeersch, pouse de Maurice

    Thorez, reprend la doctrine marxiste et rfute lesrevendications des femmes en faveur de la contra-ception. Dans les annes 1950-1955, le PC se batpour laccouchement sans douleur, mais combat,paralllement, la contraception. Laffaire Derogy, dunom dun militant communiste auteur dun livre,Desenfants malgr nous(1956), est cet gard rvla-trice de ltat desprit qui svit alors au sein de cettefamille politique. Vritable plaidoyer en faveur dela libert en matire de propagande contraceptive

    et de vente des produits contraceptifs, louvrage estcrit de la main dun homme qui se dit convaincuque les proltaires ont eu des enfants malgr eux.Ce qui produit un vritable esclandre au sein de lafamille communiste, sold par le dpart de JacquesDerogy. Lorsque Simone de Beauvoir a publi, en1949, Le deuxime sexe, les comptes rendus de lapresse partisane ont t naturellement critiques. Etce, mme si lcrivain est, lpoque, compagne deroute du PC, au mme titre que Jean-Paul Sartre.

    A. B. : Dans les annes 1970, la revendica-tion de lautonomie du sujet, du corps oude la disposition de soi, est porte, princi-

    palement, par le mouvement social et despersonnalits, intellectuels, juristes oumdecins. Cette deuxime vague dumouvement fministe est clairement porte

    par des minoritaires qui sinscrivent dans

    fut radi de la section lyonnaise, eu gard unedcision de janvier 1906, selon laquelle serait radi tout syndiqu lyonnais mari une femme typote,sil continuait lui laisser exercer son mtier. Lemilieu de limprimerie tait, il est vrai, connu pour

    sa virilit et son hostilit marque toute intrusionfminine, au prtexte que le mtier perdrait alorsde sa valeur.

    A. B. : Le communisme a longtemps jouun rle majeur au sein des catgories popu-laires. Quelles ont t ses influences et seslimites dans le mouvement mancipateurdes femmes ?M. P. : Avec le Parti communiste (PC), louvrire

    devient une figure part entire. Mais, le mondeouvrier se pense travers les catgories de la viri-lit : la force, la comptition, la lutte. Dans les repr-sentations iconographiques, le mineur et le mtallorelguent au second plan la gracieuse figure delouvrire. Le PC nest donc pas fministe. On peutmme dire quil fait du fminisme une cause bour-geoise, alors que les socialistes sont plus partags.Ainsi, Lon Blum est fministe. Il est dailleurslauteur dun ouvrage,Du mariage, rdig en 1905

    et publi en 1907, dans lequel il prconise lgalitdes sexes dans les expriences prmaritales. Il yprne linitiation prcoce des jeunes filles aux joiesde lamour et le droit au bonheur. Lui-mme auraitsans doute accord le droit de vote aux femmes, enprenant le contre-pied de son parti et des radicaux.Noublions pas, tout de mme, quil a nomm troissecrtaires dtat de sexe fminin dans son gouver-nement : Ccile Brunschvicg, en charge de ldu-cation nationale, sous la tutelle de Jean Zay, Irne

    Joliot-Curie, charge de la recherche scientifique,jusquau 28 septembre 1936, et Suzanne Lacore, encharge de la protection de lenfance.Mais revenons au communisme, partir delexemple particulirement clairant de la contra-ception. Il existe, sur ce point, un anti-malthusia-nisme et une hostilit marque la restriction desnaissances dans le marxisme, dans la mesure oelles alimentent larme de la Rvolution. Fort de ce

    Il existe un anti-malthusianisme et unehostilit marque la restriction des

    naissances dans le marxisme, dans la mesureo elles alimentent larme de la Rvolution.

    Fort de ce constat, Jeannette Vermeersch,pouse de Maurice Thorez, reprend la doctrine

    marxiste et rfute les revendications desfemmes en faveur de la contraception. Dans

    les annes 1950-1955, le PC se bat pourlaccouchement sans douleur, mais combat,

    paralllement, la contraception.

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    une critique sans concession de luniversalismeabstrait. Quest-ce que lindividu ? Que mettons-nous derrire cette notion ? Le plus souvent, un mle blanc qui fait fi des minorits, et doncdes femmes. La revendication paritaire a divis

    les fministes, dautant plus que certaines avan-aient largument des qualits propres aux femmesdans la gestion des affaires publiques, insidieuxretour lide de nature. Daucunes, telle ElisabethBadinter, ont point le risque dun communauta-risme contraire lidal rpublicain. De leur ct,les paritaristes refusent de rduire les femmes une communaut. Il sagit pour les femmes dac-cder pleinement leur statut dindividu, dtre trai-tes comme des citoyennes part entire. travers

    ces changes, on mesure quel point la France estmarque par son histoire politique et les principesde la Rvolution.

    A. B. : Y a-t-il une singularit du mouve-ment fministe franais ? Cest ce quesuggre Mona Ozouf qui a dfendu, pour lacaractriser, lide dune complmenta-rit des sexes et non dune revendicationseulement identitaire, plus forte dans les

    pays anglo-saxons.M. P. : Chaque fminisme possde sa singularit,dans la mesure o les caractres nationaux, non pasinns, mais construits au cours de longs processushistoriques, sont forts. Il existe donc bien un fmi-nisme franais. De ce point de vue, je ne puis qutreen accord avec Mona Ozouf. Je suis en revancheplus rserve sur lide dune douce France o lesrelations entre les sexes seraient orchestres parla courtoisie et la galanterie, modle harmonieux

    oppos une Amrique beaucoup plus rugueuse.La France est un pays relativement machiste o labonne conscience rpublicaine se drape dans lesplis de luniversalisme. Lhistoire politique condi-tionne le style du fminisme.Mais, il y a dautres traits singuliers. Par exemple,un taux dactivit des femmes ancien, lev, li enpartie une prcoce restriction des naissances etaux besoins conscutifs du march de lemploi.

    le grand mouvement de libralisation desmurs.M. P.: Oui. Ces mouvements sont dailleurs trsautonomes. Pour la premire fois, les intellec-tuelles jouent un rle central dans la prise de

    conscience des classes populaires en faveur delavortement. Dautant que la revendication est forte.Le procs de Bobigny, en octobre-novembre 1972,au cours duquel cinq femmes sont juges, connatalors un norme retentissement et contribue une volution vers la dpnalisation de lIVG. Ladfense est assure par lavocate, Gisle Halimi.La ptition rdige par Simone de Beauvoir, paruedans Le Nouvel Observateurdu 5 avril, est signepar 343 femmes ( les 343 salopes ) qui affirment

    stre fait avorter. Elles sexposent ainsi des pour-suites pnales pouvant aller jusqu lemprisonne-ment. On sait comment Simone Veil, ministre de laSant, russit, grce son courage, faire voter laloi dpnalisant lIVG par une assemble majoritai-rement hostile une telle mesure.

    A. B. : Ce combat est repris par les partispolitiques de gauche qui feront aboutir,dans les annes 1990, la revendication

    dgalit politique avec le dbat sur laparit. Sans doute, mais linitiative nest pasvenue des partis de gauche, mais des fmi-nistes. Dans les annes 1970-1990, ellesavaient donn priorit au corps. Le privest politique , disaient-elles, manifestant

    peu dintrt pour le parlement qui, pour-tant, ne comptait gure plus de 6 7 % de

    femmes dputes. Dans les annes 1990, leschoses changent, notamment sous limpul-

    sion de femmes engages dans les instanceseuropennes, telles Eliane Vogel-Polsky etquelques autres, qui soulignent les impassesde la politique dgalit des chances en lab-sence de reprsentation fminine.M. P. : Louvrage de Franoise Gaspard, ClaudeServan-Schreiber et Anne Le Gall, Aux urnes,citoyennes ! (1992) marque un tournant. Ellesdfendent le principe de parit, en se livrant

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    Lgalit des sexes , les chemins du fminisme

    site scolaire, les femmes ne jouissent pas dunejuste reconnaissance sur le plan social. Les mtiersles plus prestigieux, les positions de pouvoir dansles administrations ou les entreprises sont attribusaux hommes, au prix dingalits rcurrentes. La

    natalit constitue galement un handicap struc-turel, les modes de garde des jeunes enfants tantinsuffisants.Aujourdhui encore, comptences gales, lcartsalarial entre hommes et femmes slve 12 %,en moyenne. Preuve quil existe bien un salairede statut . Paralllement, les ingalits politiquessubsistent. Seules 18 % de femmes sigent ainsiau Parlement, o lon voit que la Loi sur la paritna que peu chang les vieilles habitudes qui ont

    la vie dure. Ce qui dmontre la difficult faireentrer dans les murs lgalit des sexes dans ledomaine politique. Jajoute que dans 75 % des cas,les familles monoparentales sont diriges par desfemmes. En rsum, lide dune hirarchie dessexes ne sest pas totalement dissipe des esprits.Dans linconscient collectif, subsiste lide dunediffrence qui repose sur lide de nature et decorps. Franoise Hritier a parfaitement dmontrlide de la force dune structure hirarchique. Ce

    changement de reprsentation symbolique est sansdoute ce quil y a de plus difficile vaincre. Il restebeaucoup faire dans ce domaine. Lhistoire nestpas finie.

    A. B. : Comment jugez-vous laction desFemen qui revisite tous les strotypes entre fminin et masculin ? Cette actionne renoue-t-elle pas avec les mouvements

    fministes radicaux des annes 1970-1980 ?

    Sagit-il dun piphnomne ou ne faut-ilpas y voir autre chose ?M. P. : Ce mouvement est n en Ukraine o lepouvoir est machiste. Il sappuie sur lgliseorthodoxe qui, en Russie, a condamn et empri-sonn lesPussy Riot. Les Femenont donc employdes mthodes radicales pour protester contreun patriarcat particulirement archaque. Sanscompter quil existe un trs fort taux de prostitu-

    Tant et si bien que les femmes sont entres asseztt dans le monde du travail, tout en conservant leurautonomie. Ce que lon ne retrouve au mme titreni en Angleterre, ni aux tats-Unis. En Europe, lesFranaises sont celles qui dtiennent aujourdhui

    la fois le taux dactivit et de natalit le plus lev.Cest encore une autre singularit franaise.

    A. B. : La russite ducative des femmesest spectaculaire. La place de lenfant etdu couple volue. Comment est-il possible,dans ces conditions, de caractriser lasituation des femmes, au cours des vingtdernires annes ?M. P. : Cette priode a t marque par une

    avance considrable et une recomposition majeuredu rle des sexes. Le tout, dans un contexte marqupar une mancipation des femmes qui tient lagnralisation de la contraception. Laquelle aconstitu un vritable habeas corpus, notre corps,nous-mmes , comme se plaisaient le dire lesfministes des annes 1970. Il existe, toutefois, deslimites cette volution qui tiennent des raisonsconcrtes et abstraites. Elles rsultent dun mauvaispartage des tches domestiques. De ce point de

    vue, la situation volue peu. Compte tenu du forttaux dactivit en France, les femmes ont moins detemps consacrer leurs activits civiques. Lcartsalarial persiste galement, pour deux raisons :dune part, parce quen dpit de leur brillante rus-

    Aujourdhui encore, comptences gales,lcart salarial entre hommes et femmes slve

    12 %, en moyenne. Preuve quil existe bienun salaire de statut . Paralllement, les

    ingalits politiques subsistent. Seules 18 %de femmes sigent ainsi au Parlement, o lon

    voit que la Loi sur la parit na que peu changles vieilles habitudes qui ont la vie dure. Ce qui

    dmontre la difficult faire entrerdans les murs lgalit des sexes dans le

    domaine politique.

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    et original. Il nous faut donc rflchir aux modes dereprsentation de ce mouvement. Le film de Caro-line Fourest est cet gard fort intressant. Il y al une beaut esthtique qui ne sert pas sduire,mais faire valoir des revendications importantes.

    Soyons attentifs ce mouvement.Encore un mot. Si le fminisme, aujourdhui, nesemble pas aussi puissant quil le fut autrefois, ilnen demeure pas moins dune grande richesse. Ilexiste des forces de renouvellement chez les jeunesqui lexpriment autrement, tels Osez le fminismeou Ni putes ni soumises. La voix des filles desbanlieues a trouv l un vritable espace dex-pression qui requiert toute notre attention. Cestaussi que dune certaine manire, le fminisme a

    gagn, la socit ayant absorb une partie de sesrevendications. Il lui faut donc se renouveler dansses analyses et ses perspectives, tre capable deproposer des rflexions, des alternatives et desprojets pour tous.

    tion en Russie et en Ukraine. Ce qui signifie, en

    clair, que les hommes font peu de cas de la condi-tion fminine. Lide de se servir de son corpscomme dun support et dy apposer des inscriptionspolitiques, den faire une banderole, revt un senssymbolique fort. Ce phnomne est la fois insolite

    Si le fminisme, aujourdhui, ne semble pasaussi puissant quil le fut autrefois, il nen

    demeure pas moins dune grande richesse. Ilexiste des forces de renouvellement chez les

    jeunes qui lexpriment autrement, tels Osez lefminisme ou Ni putes ni soumises. La voix des

    filles des banlieues a trouv l un vritableespace dexpression qui requiert toute notre

    attention. Cest aussi que dune certainemanire, le fminisme a gagn, la socit ayant

    absorb une partie de ses revendications.

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    lanthropologue Louis Dumont une socit indi-vidualiste dmocratique, caractrise par la spara-

    tion du politique et du religieux et laffirmation desdroits de lhomme. Mais lintrieur de ce cadre, lagrande question est quon a maintenu au plus hautdes institutions juridiques et politiques, un prin-cipe de complmentarit hirarchique des sexes. Lahirarchie nest pas la mme chose que lingalit,cest lenglobement de la valeur contraire : il y acertes une valeur du fminin, mais le masculin estla valeur englobante.Le paradoxe est que, dans le domaine des relations

    sexues, la socit moderne ne se contente pas deprolonger le pass, elle semble aggraver la situa-tion antrieure. Dans la socit dAncien rgime,la complmentarit hirarchique des sexes taitinscrite dans le principe hirarchique encore plusenglobant des ordres de naissance. Une femmearistocrate se trouvait certes dans une relationde subordination hirarchique aux hommes dela noblesse, mais elle-mme tait en position de

    Irne Thryest directrice de recherches lEHESS. Elle vient de publier Des humains comme les autres.

    Biothique, anonymat et genre du don, Paris, Les ditions de lEHESS, 2010,

    etMariage des personnes de mme sexe et filiation : le projet de loi au prisme des sciences sociales,

    Paris, Les ditions de lEHESS, 2013.

    Le mariage aujourdhui nest plusle fondement de la vraie famille,

    cest devenu une institution du couple.

    a revue socialiste : En lespace dunsicle, la condition de la femme a

    volu avec une rapidit exceptionnelle.Comment comprendre cette acclration ?Et malgr cette volution, quels sont lesproblmes qui demeurent ?Irne Thry : Ce qui sest produit au cours desannes 1960 ne peut se comprendre que si lon sereplace dans une perspective de plus long terme.En 1989, dans le cadre du bicentenaire de la Rvo-lution franaise, jai t amene travailler sur lapriode allant de 1787, date laquelle Louis XVI

    signe ldit de Versailles qui consacre juridique-ment la prsence des protestants dans la socitfranaise, 1804, anne de ladoption du CodeNapolon. Jai considr comme un tout cettepriode habituellement scinde en deux par leshistoriens et les juristes. Durant ce laps de tempstrs bref, nous sommes passs dune socit fondesur un principe de complmentarit hirarchiquetraditionnelle holiste selon le langage de

    L

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    Le mariage aujourdhui nest plus le fondement de la vraie famille

    public/priv, la parent sont interroges. Cest celaque jai appel le dmariage : la seule institutionconsidre comme ncessaire et laisse partdu contrat social (suppose tre ancre dans lanature, travers laquelle la vie sociale tait difie,

    la place des hommes et celle des femmes et leur rlerespectif fixs) devient une question de consciencepersonnelle. chacun de dire sil veut se marier ounon, se dmarier ou non. Tout est alors rebtir. Encritiquant une certaine conception du couple mariindissoluble comme fondement de la socit, onrejette le principe de complmentarit hirarchiquedes sexes. Il faut alors construire une autre formedorganisation des relations sociales et imaginerles institutions de la libert et de lgalit de sexe,

    comme on la fait pour les institutions politiques engnral aprs la premire rvolution dmocratique.Tant que lon considrera que cest aux femmes detrouver personnellement les moyens de concilier lesdiffrents rles quelles ont dsormais le droit de jouer, nous serons en de de lenjeu au risquede creuser un foss terrible entre les femmes privi-lgies, les gagneuses , et celles qui peuventse vivre comme les floues du changement. Lesfloues seront dabord les plus pauvres des femmes

    issues des milieux populaires. Dans le pass, lesvaleurs ntaient pas dmocratiques, mais il y avaitdes valeurs : les femmes taient subordonnes maiselles ntaient pas sans pouvoir, sans autorit, sansprotection enfin. Quand les anciennes solidaritsfamiliales sont mises en question, les femmespeuvent avoir le sentiment quelles ont perdu ceque leur mre avait, sans gagner lquivalent, voireen perdant au change : pensons la pauvret desfemmes chefs de familles monoparentales

    L. R. S. : Comment ce bouleversement setraduit-il au quotidien dans le couple ?I. T : Le couple est le cur du systme qui sestmis en place aprs la Rvolution franaise. AuXIXe sicle et jusquau milieu du XXe, il ny avaitde famille que dans le mariage. Le principe taitque le gouvernement de la famille, ctait lhomme.Il devait protection lpouse et aux enfants. Il

    supriorit par rapport tous les hommes dune caste infrieure la sienne. En contraste, leprincipe les hommes naissent libres et gaux endroit fait du sexe un critre universel : du coup,toutes les femmes, quelle que soit leur origine

    sociale, sont par principe des subordonnes tousles hommes, comme le montre trs clairement ledroit qui parle de lhomme et la femme engnral. La nouvelle complmentarit hirarchiquedes sexes est btie autour du mariage civil, la seuleinstitution que les philosophes des Lumires aientconsidre comme fonde sur la nature humaineelle-mme, avant tout contrat social Cest laraison pour laquelle par exemple seul lhomme a ledroit de vote : il reprsente non seulement lui-mme

    mais aussi son pouse et ses enfants (1848 : fin dusuffrage censitaire). partir des annes 1960, dmarre ce quon pour-rait appeler la seconde rvolution dmocratique :celle de lgalit de sexe. Le principe hirarchiquedj supprim dans le droit politique (1945 : ledroit de vote des femmes) est enfin contest en soncur : le droit de la famille. En touchant linsti-tution-pivot de toute cette organisation, le mariage,on sattaque au principe du partage sexu des rles

    qui organisait toute la socit. On nen prend pasla mesure immdiatement. Nous commenonsaujourdhui peine percevoir lampleur de cettervolution, quon peut dire anthropologique ausens o nos conceptions de ce que sont un homme,une femme, un tre humain, le lien social, le rapport

    partir des annes 1960, dmarre ce quonpourrait appeler la seconde rvolution

    dmocratique : celle de lgalit de sexe. Leprincipe hirarchique dj supprim dans le

    droit politique (1945 : le droit de vote desfemmes) est enfin contest en son cur : le

    droit de la famille. En touchant linstitution-pivot de toute cette organisation, le mariage,on sattaque au principe du partage sexu des

    rles qui organisait toute la socit.

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    parce que le mariage offre la garantie dun statuquo, mais parce quil parviendra renouveler saconversation au cours du temps. Si la conversationdisparat, sil ny a plus dchange, si lon ne peutplus se disputer, scouter, le couple meurt. Lancien

    modle ctait avec deux, ne faire quun souslgide du mari ; lidal contemporain cest avecun et un faire deux , sachant que le duo recherchest plus quune somme Pour faire un duo, il fautdeux voix diffrentes, autonomes, mais qui doiventscouter, tenter de sharmoniser. Il sagit dunnouvel idal trs exigeant qui comporte des risquesradicalement nouveaux.Le risque de lancien modle, ctait le jougconjugal : devoir rester ensemble alors quon ne

    saime plus Le risque aujourdhui est totalementinvers : cest labandon. Entre 18 et 30 ans, lesjeunes gens ont acquis la possibilit de vivre encouple de manire non ncessairement durable.Mais lorsque le couple durable sengage, ds quily a une rupture et en particulier en prsence den-fants, cest un drame au moins pour un des deuxpartenaires. Que nous voulions courir ce risque, onle comprend : il fait partie du sens que lon donne lengagement. Mais pour les femmes, cela se double

    du risque de lappauvrissement. Pour les hommes,du risque de perdre le lien aux enfants. Il faut rfl-chir srieusement tout cela. Aux tats-Unis, on

    navait donc pas que des droits, il avait aussi desdevoirs. Mais elle lui devait obissance et leurs

    droits taient drastiquement ingaux. Au plan de lasexualit et de la procration, le mariage sparaitles femmes en deux catgories, dune faon sansquivalent chez les hommes : dun ct les dignespouses et honorables mres de famille ; de lautreles filles perdues, prostitues, filles-mres Unede mes arrire-grands-mres tait une lavandire ;selon le rcit familial , elle fut mise enceinte parson patron. Ctait dune grande banalit la fin duXIXesicle. Il lui tait impossible dexiger quoi que

    ce soit du pre de son enfant. Hors du mariage, larecherche en paternit tait interdite. La respon-sabilit reposait uniquement sur les femmes quidevaient sauvegarder leur honneur . Tout ledrame de la btardise et des abandons denfants senoue l.Dans le mariage, lidal du couple holiste taitcelui des contes de fe : ils se marirent et eurentbeaucoup denfants . Avec le mariage, la quteamoureuse se termine, on se case. La succession

    des enfants est le but, qui suppose que le couplereste ensemble quoi quil arrive. Dans un tel couplehirarchique, il ny a pas de vraie conversationpossible puisque par principe lhomme (seul titu-laire de la puissance maritale et paternelle) a ledernier mot. Avec la seconde rvolution dmocra-tique, un immense changement advient : la femmedevient une interlocutrice de lhomme.Lidal duncouple galitaire est daffronter le temps non plus

    Tant que lon considrera que cest aux femmesde trouver personnellement les moyens de

    concilier les diffrents rles quelles ontdsormais le droit de jouer, nous seronsen de de lenjeu au risque de creuser un

    foss terrible entre les femmes privilgies, les gagneuses , et celles qui peuvent se vivre

    comme les floues du changement. Les flouesseront dabord les plus pauvres des femmes

    issues des milieux populaires.

    Dans le mariage, lidal du couple holiste taitcelui des contes de fe : ils se marirent et

    eurent beaucoup denfants . Avec le mariage,la qute amoureuse se termine, on se case. Lasuccession des enfants est le but, qui supposeque le couple reste ensemble quoi quil arrive.

    Dans un tel couple hirarchique, il ny apas de vraie conversation possible puisquepar principe lhomme (seul titulaire de la

    puissance maritale et paternelle) a le derniermot. Avec la seconde rvolution dmocratique,

    un immense changement advient : la femmedevient une interlocutrice de lhomme.

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    et lesbiennes. Si les opposants au mariage pourtous affirment que permettre ladoption plnire par

    deux femmes ou deux hommes ce sera mentir aux enfants sur leur naissance, cest quils ontune conception pseudo-procratrice, totalementdsute, de ladoption.Au-del, je propose de sortir des malentendusactuels en distinguant plus clairement la filiationen tant quelle est un lien institu, et les trois moda-lits de son tablissement. Le pluralisme sappliqueainsi ces dernires. Premire modalit dtablissement, lengendre-

    ment pro cratif : je veux endosser le statut deparent parce que jai fait cet enfant . gaucheaujourdhui, on se mfie du biologique quelon assimile au pass. Mais cela a du sens etbeaucoup de valeur defaire un enfant, et ce seraitincroyable que la gauche se condamne disquali-fier ce qui est la grande affaire de millions denos contemporains, peu importe leurs ides poli-tiques ! Le pass renvoie au modle matrimonialau sein duquel le lien de sang ntait valoris que

    dans le cadre du mariage, non en dehors et avecune asymtrie froce entre les sexes ce sujet.Cest cela qui fait problme, pas la procration ensoi, ne confondons pas tout !

    Deuxime modalit, ladoption : je me recon-nais parent de cet enfant que je ne prtends pasavoir fait, parce que je lai adopt . Il faut abso-lument valoriser, en tant que telle, cette faonde devenir parent, sans avoir passer par une

    non, unis ou spars, htros ou homos , du pointde vue de la filiation, cest le mouvement inverse quisest impos, celui de lunification. La filiation natu-relle a acquis tous les droits qui autrefois taient leprivilge de la filiation lgitime. La loi de 1972 qui

    permet de dtacher les enjeux de couple et les enjeuxde filiation est majeure dans la mesure o elle fait dela filiation laxe dun droit commun de la famille. Unefiliation idalement inconditionnelle et indissoluble :dsormais, sil y a un lien qui est considr commene devant jamais se terminer quoiquil arrive, quichappe toute logique lective, qui est assur lavance, cest le lien de filiation. Il est investi detoutes nos attentes de scurit et de stabilit dansun monde o lon peut tout perdre : son amour, son

    travail, sa maisonMais il est une rforme de la filiation qui est encoreinacheve : cest celle qui va maintenant introduireune forme de pluralit au sein de ce lien commun tous, en reconnaissant quil y a diverses faonsde ltablir. Traditionnellement, lidal matrimo-nial de la filiation ctait Un seul pre, une seulemre, pas un de moins, pas un de plus . Chacundes parents devait tre la fois le gniteur ou lagnitrice, le parent ducateur, et le parent au sens

    du droit. Ainsi, le christianisme na jamais t favo-rable ladoption : si les parents taient dfaillants,il existait la parent spirituelle incarne par lesparrains et les marraines. La Rvolution a promuladoption, mais uniquement de majeurs, et ladop-tion denfant sest donc dveloppe trs tardivement,surtout depuis ladoption plnire cre en 1966.Le problme est quen rfrence lidal matrimo-nial un seul pre une seule mre , on la pensecomme une seconde naissance, sur le modle de la

    procration. Ainsi, certains parents ne disaient-ilspas aux enfants quils ont t adopts Ce nestque trs rcemment que lon comprend que devenirparent par adoption, cest devenir le parent dunenfant qui a dj une histoire, qui a dj vcu unenaissance et un abandon. De plus en plus on valo-rise ladoption pour elle-mme, pour ce quelle estvraiment. Cest une donne fondamentale pourcomprendre les dbats sur ladoption par les gays

    De plus en plus on valorise ladoption pourelle-mme, pour ce quelle est vraiment. Cest

    une donne fondamentale pour comprendre lesdbats sur ladoption par les gays et lesbiennes.

    Si les opposants au mariage pour tousaffirment que permettre ladoption plnirepar deux femmes ou deux hommes ce sera

    mentir aux enfants sur leur naissance, cestquils ont une conception pseudo-procratrice,

    totalement dsute, de ladoption.

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    Le mariage aujourdhui nest plus le fondement de la vraie famille

    que les mdecins entament le processus dAMP.Mais la convention est secrte ! Cest ainsi que la loibiothique de 1994 a valid un modle pseudo-procratif o tout est fait pour faire passer le pre strilepour le gniteur. Les couples htrosexuels sont

    incits mentir. En ralit, le systme biothiquefranais lgitime sans sen rendre compte un modlefamilial trs traditionnel et une conception patriar-cale de la filiation. mon sens, il faut rompre aveccette logique dsute. Nous devons assumer quunenfant puisse natre dun don dengendrement avecun tiers, cest--dire de la coopration dun couplequi seul ne peut devenir parent et dun donneur :cela suppose de sortir celui-ci de lombre en tantque donneur dengendrement et non en tant que

    parent potentiel. Et de comprendre quun couplepeut engendrer ensemble un enfant sans le procrerensemble. Les lesbiennes souhaitent pouvoir lefaire. On peut dautant plus le comprendre quelles,au moins, ne sont jamais tentes de maquiller cetteprocration avec un tiers donneur en une procra-tion par elles deux.

    L. R. S. : Que pensez-vous de la GPA ?I. T. : La GPA provoque une grande division au

    sein du mouvement fministe. Le vrai problmeest que le modle franais naccorde aucune valeurrelle au don dengendrement, cet acte humainconsistant donner de sa capacit procratricepour que dautres deviennent parents. Il sagit dunmodle purement masculin, celui du don de spermeorganis par des hommes pour les hommes. On faitcomme si le don navait pas eu lieu car on imagineque si le donneur sortait de lombre, il menacerait lepre. Mais pourquoi ? Nous avons trs peu de dons

    dovocytes en France, justement parce que la rtri-bution morale est inexistante. Dans la conceptionfranaise du don, on procure du matriel de repro-duction aux mdecins. Une femme ne peut mmepas donner pour sa sur ou une amie. Or, la rtri-bution se situe avant tout dans les yeux de ceux quireoivent le don. En labsence de ce retour , ledon fminin, a fortiori de gestation, semble inen-visageable dans le systme franais. Mais je dois

    pseudo-procration. Lintrt de lenfant est quelon ne maquille pas son histoire et quil puissesil le souhaite, la connatre. Laccs aux originesne concerne pas la filiation et ne devrait pasinquiter.

    Enfin, la troisime modalit est lengendrementavec tiers donneur. Dans ce cas, le couple o lundes deux procre et lautre pas, a recours unetroisime personne, travers un don de sperme,dovocyte, dembryon, ou de gestation (dans lespays qui lautorisent). Le problme du modlebiothique franais, est quau lieu dinstituer cetengendrement trois en respectant sa spci-ficit, il oblige le droit le maquiller en procra-tion charnelle deux et tablir des filiations

    falsifies. Pour sortir des imbroglios actuels, ilfaut commencer par dcrire les parts respectivesde chacun dans ces cas. Cest pour cela que jepropose de faire la distinction entre procra-tion transmettre la vie biologiquement - et engendrement permettre la naissance dunenfant. Le sens du don, cest de procrer maisnon pas dengendrer. La vie passe par le donneur,mais il nest pas celui qui a voulu la naissance.Lun des parents procre et engendre. Quant au

    parent strile, il engendre bel et bien lenfant,bien quil ne procre pasTout le dbat actuel tourne sans le savoir autourde la convention par laquelle les futurs parentssengagent devant un juge devenir les parents decet enfant. Cette convention est indispensable pour

    Le vrai problme est que le modle franaisnaccorde aucune valeur relle au don

    dengendrement, cet acte humain consistant donner de sa capacit procratrice pour que

    dautres deviennent parents. Il sagit dunmodle purement masculin, celui du don desperme organis par des hommes pour les

    hommes. On fait comme si le don navait pas eulieu car on imagine que si le donneur sortait de

    lombre, il menacerait le pre.

  • 8/13/2019 La Revue socialiste n51 Le Temps Des Femmes

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    37Trois perspectives

    instrumentalise, o tout nest quexploitation etmisre, cest horrible, personne ne le nie. Mais il setrouve quil y a aussi des cas contraires, o tout sejoue dans la relation entre la gestatrice, sa famille,ses enfants, et le couple demandeur. Dans ces

    cas, des femmes parfaitement autonomes donnentun sens profond au geste de porte