La philosophie economique comme éthique du désir
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La philosophie économique comme éthique du désir :
une relecture de John Stuart Mill
Nizar HARIRI
L’économie en tant que discipline scientifique est-elle véritablement séparée de toute
morale ? A en croire la représentation dominante de l’agent en tant qu’homo oeconomicus, la
théorie des choix rationnels semble être une méthodologie explicative qui exclut toute visée
morale1. Un univers entièrement dominé par la loi de l’intérêt personnel, comme celui de
Helvétius, ne peut pas être considéré « moral » à proprement parler2, puisque l’action s’y
évalue uniquement selon les critères de la réussite ou de l’échec de l’action par rapport à un
but donné. Toutefois, est-il vrai que l’économiste échappe à toute moralisation de son objet
d’étude ?
Pour reprendre à notre compte la formule d’Albert Hirschman [1997], n’y a-t-il pas une
morale cachée des économistes ? Si par « morale » on entend tout simplement une étude du
bien et du mal, alors il existe même une « morale avouée » des économistes, qui n’est autre
que l’utilitarisme de Jeremy Bentham et de James Mill. Selon ce principe moral, le plaisir est
un bien, voire le Souverain bien : tout ce qui augmente (diminue) le bonheur du plus grand
nombre est moralement souhaitable (condamnable). Plus encore, nous soutenons ici qu’il
existe en économie, au-delà de cette morale secrète ou avouée, une tendance plus « latente »
que l’on peut qualifier de « morale subversive » et qui s’est construite dans le sillage de
Bernard de Mandeville et de John Stuart Mill. Une telle philosophie subversive s’est fondée
sur une destruction de la morale traditionnelle et peut être reconstruite comme un programme
de remplacement qui se rapproche de la fondation d’une « Ethique ».
Ce n’est pas ici le lieu de définir de manière définitive le terme « éthique ».
Contentons-nous pour le moment d’y entendre une démarche ayant comme objet les
jugements d’appréciation sur les actes qualifiés de « bons » ou de « mauvais » par opposition
1 Plus exactement, les orientations de l’agir sont réduites à leurs seules composantes instrumentales ou
stratégiques, les normes et les valeurs s’intégrant comme autant de ressources ou de contraintes (des
moyens) dans les stratégies des acteurs sociaux. Voir : [Arrow, 2012] et [Coleman, 1998].
2 « Si l’univers physique est soumis aux lois du mouvement, l’univers moral ne l’est pas moins à celle
de l’intérêt. » [Helvétius, 1988]
2
à ce qui serait « bien » ou « mal ». Déjà dans l’esprit des auteurs du XVIIIe siècle, la quête des
intérêts renvoie à un mode de vie orienté vers le plaisir et vers une poursuite légitime du
bonheur individuel et collectif. Mandeville nous présente la société comme étant gouvernée
par le « mal », ou du moins une société mue par des désirs dévastateurs où le bien et le mal
participent d’un même mouvement à l’ordre social, le vice privé étant à l’origine du bonheur
public. Au XIXe siècle, J.S. Mill va aller encore plus loin en montrant que le jeu des désirs et
des plaisirs ne s’associe même plus à la notion de « vice » ou de « mal ». Il s’agit pour lui de
débarrasser la « quête du plaisir » de tout soupçon d’immoralité et de montrer que le jeu des
désirs et des plaisirs s’intègre dans une éthique de vie parfaitement souhaitable pour
l’individu et pour la collectivité.
On peut parler ici de la « fondation d’une éthique » car on interroge une conduite de vie
entièrement orientée vers le plaisir. L’utilitarisme de Mill tente de répondre à une question
centrale qui est celle de savoir comment mener une vie de plaisir sans tomber dans un style de
vie dégradant pour l’homme, une vie bestiale ou méprisable qui l’éloignerait de ses facultés
les plus élevées et empêcherait la pleine réalisation de ses potentialités.
Sur ce point, nous soutenons que les découvertes de J.S. Mill lui accordent une place à
part dans le courant utilitariste, que ses avancées le distinguent radicalement de ses
prédécesseurs, que son « éthique » n’a pas eu de continuateurs parmi ceux qui se sont
proclamés ses héritiers. A notre sens, son œuvre constitue un moment crucial dans la pensée
économique, un point culminant à partir duquel il est possible de reconstruire une philosophie
économique entendue comme « éthique du désir ». Nous tenterons de montrer qu’une telle
éthique peut s’entendre comme critique émancipatrice tournée contre toute forme de privation
ou de limitation qui entraverait la liberté des hommes et empêcherait la pleine réalisation de
leurs potentialités.
De Mandeville à J.S. Mill, nous cherchons des éléments de réponse à une question
principale concernant l’attitude à adopter face au désir : en quoi la recherche des plaisirs est-
elle à l’origine d’une éthique de vie préférable pour l’individu, tout en étant plus souhaitable
du point de vue de la société ?
S’il faut que le couple désir-plaisir soit le principe de la conduite humaine, alors la
tâche d’une éthique du désir serait de montrer quels plaisirs peuvent être les plus utiles à
l’individu, les plus désirables pour lui, tout en étant en concordance avec la société. La
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généalogie d’une telle éthique du désir nous fait remonter à l’hédonisme d’Epicure et à la
figure des « pourceaux » auxquels on comparait ses disciples, car nous pensons que Mill
opère un retour à Epicure contre Bentham en élaborant une nouvelle classification de
différents « genres » de désirs-plaisirs. Pour employer les termes de Mill, la question est de
savoir « comment la valeur d’un plaisir comparé à un autre peut être connue autrement que
par un rapport de quantité » [Mill, 1988, p. 52]. En d’autres termes, quels sont les plaisirs les
plus élevés qualitativement ?
Dans une première partie, nous voulons montrer qu’une activité est qualitativement plus
plaisante qu’une autre dans la mesure où le plaisir qu’elle engendre est plus susceptible
d’augmenter le niveau de concorde entre les hommes, et cela même s’il s’y attache une
quantité de plaisir plus faible. Cela nous conduit à poser les trois dimensions du plaisir que
Mill considère comme indispensables à « une conception parfaitement juste de l’utilité »
[Mill, 1988, p. 56] : le plaisir est qualitatif, sa qualité s’évalue intersubjectivement, et sa
supériorité qualitative s’atteste dans sa capacité à augmenter le niveau de concordance entre
les hommes. Dans une seconde partie, nous tenterons d’en dégager des orientations éthiques
formulées succinctement dont l’objectif est de montrer que l’on peut diminuer les
souffrances « non nécessaires » et d’atteindre une organisation politique acceptable de nos
désirs-plaisirs.
I - La morale subversive de Mandeville à J.S. Mill
Le courant utilitariste en économie s’est fondé sur un hédonisme psychologique qui
considère le plaisir comme un Souverain Bien et en dégage un principe normatif qui stipule
que les hommes doivent maximiser le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Dans ce
sens, l’utilitarisme est opposé à l’égoïsme, puisque le critère normatif n’est pas la
maximisation du bonheur individuel mais collectif1. Pourtant, l’utilitarisme est entaché d’un
soupçon d’immoralité puisqu’il ne reconnaît à l’homme d’autres fins que le plaisir. Selon
l’historien de la pensée économique Joseph Schumpeter, l’utilitarisme reste lié à l’accusation
selon laquelle il ferait « graviter le comportement humain autour des satisfactions du ventre »
1 « Ainsi, entre son propre bonheur et celui des autres, l’utilitarisme exige de l’individu qu’il soit aussi
strictement impartial qu’un spectateur désintéressé et bienveillant ». [Mill, 1988, p. 66]
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ou autour des « satisfactions les plus grossières des appétits les plus rudimentaires »
[Schumpeter, 2004, T.1, p. 187].
Mais une vie entièrement orientée vers le plaisir est-elle forcément une vie dégradante
pour l’être humain, le rabaissant au rang d’animal, à l’instar des disciples d’Epicure qui
prêchaient le plaisir et que l’on ne manquait pas de comparer à des « cochons » ? La question
que l’on se pose ici est aussi ancienne que ce débat. Elle revient à savoir s’il est possible que
les êtres humains trouvent leurs plaisirs ailleurs que dans le ventre, ou dans le bas-ventre, et
« là où se plaisent les pourceaux » [Mill, 1988, p. 50]. En d’autres termes, dans cette
généalogie allant d’Epicure à Mill en passant par Mandeville, est-il possible de dégager une
éthique selon laquelle les plaisirs seraient un peu plus élevés que le bas-ventre, sans revêtir
pour autant une dimension spirituelle ou métaphysique détachée du corps ?
La question n’est certainement pas nouvelle et elle trouve déjà chez Spinoza, Nietzsche
ou Freud des éclaircissements qui vont bien au-delà des limites restreintes de l’utilitarisme.
Mais, en appelant l’économie au secours de l’éthique, nous proposons ici une nouvelle
réflexion pratique et critique sur les structures motivationnelles et les orientations les plus
larges de l’agir. Mieux encore, notre philosophie économique peut s’entendre comme une
interprétation éthique de l’économie permettant d’orienter nos choix dans la quête du bonheur
et d’éclairer l’horizon des finalités que chacun poursuit dans sa tentative de réaliser ce qu’il
entend par la « vie bonne » ou « digne d’être vécue ».
1) La morale subversive du XVIIIe siècle : transsubstantiation du mal
et du bien
Selon Hirschman, il existe une morale cachée dans l’opposition économique entre les
intérêts et les passions. Ainsi, la grande découverte des auteurs du XVIIIe siècle serait celle de
l’intérêt comme « principe de neutralisation réciproque des passions ou l’intérêt comme
passion compensatrice capable de dompter les passions » [Hirschman, 1981, p. 34]. Selon lui,
les Classiques ne prêchent pas la logique de l’intérêt par éloge de l’individualisme exacerbé
ou de l’égoïsme. C’est qu’ils avaient compris qu’un conflit qui résulte d’un affrontement
d’intérêts privés sera toujours moins destructeur qu’une lutte entre deux passions
dévastatrices et inférieur à « l’intensité et l’ampleur qui caractérisent les affrontements entre
deux puissances voisines ou les rivalités d’un petit nombre de groupes politiques ou
confessionnels » [Hirschman, 1981, p. 51].
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Dans ce sens, la réalisation des intérêts personnels revêt une utilité pratique (et dans un
sens un intérêt moral) : le commerce des intérêts introduit un solide rapport d’interdépendance
qui crée un sens de la communauté et favorise la paix. La morale secrète des économistes se
donne à lire dans la métaphore de la « main invisible » qui harmonise les intérêts divergents et
qui produit l’intérêt collectif par la seule voie du commerce qui « adoucit les mœurs
barbares », thème que Smith reprend à Montesquieu1.
Ainsi, le XVIIIe siècle inaugure une tradition économique qui étudie une « nature
humaine » selon laquelle chaque homme est un « être de désir » qui est, au dire de Hume,
partagé par une dualité fondamentale entre la satisfaction et l’insatisfaction. Mais
l’enseignement moral des auteurs du XVIIIe siècle n’a pas seulement une dimension négative,
celle d’éviter le pire en domptant ou en gouvernant les passions dévastatrices par l’intérêt. Il a
également une portée éthique car la quête des intérêts acquiert une visée vertueuse, renvoyant
à un mode de vie légitime non seulement pour l’individu mais aussi pour la collectivité. Hume
détruit le rationalisme moral en niant la possibilité de distinguer le bien et le mal par la raison
mais il instaure une réconciliation possible entre « être moral » et « être rationnel » : il y a
toujours un intérêt à agir moralement car la société est composée d’individus qui ont intérêt à
collaborer. Dans une société entendue comme des « intérêts de collaboration », les agents
trouvent intérêt à respecter les normes, à tenir les promesses, et ils apprennent « à rendre
service à autrui, sans lui porter une réelle tendresse » [Hume, 1973, p. 640-641].
Mais le principal défi posé à la philosophie morale du XVIIIe siècle vient de la célèbre
Fable des Abeilles de Mandeville. Le poème décrit une ruche entièrement désertée par la
morale mais qui vit dans la prospérité et le bonheur. Dans la poursuite du luxe et des autres
pêchés, les abeilles « vicieuses » produisent une communauté prospère et heureuse. Mais
quand la morale est restaurée dans la ruche, « les fripons devenus honnêtes », la communauté
s’appauvrit et la ruche court à sa perte : les policiers n’ont plus de travail, les juges et les
prêtres meurent d’ennui, les industries d’armement font faillite, le prix des châteaux
s’effondre et les abeilles immigrent. Morale de la Fable : vice privé, bonheur public.
1 Selon Montesquieu, l’Europe a unifié la méditerranée en créant un système d’interdépendance entre
les peuples par la seule voie du commerce. Le commerce instaure ainsi un gouvernement moins
violent et plus durable comparé à celui des Romains avec leur occupation militaire. [Montesquieu, 1987,
livre XIX]
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Mais la Fable n’a pas uniquement une valeur anecdotique, puisqu’elle a été longuement
commentée par les économistes et les philosophes1. Derrière l’aspect cynique ou provocateur
de la Fable, Mandeville nous invite à reconsidérer le rapport de l’économie à la morale : « Qui
veut ramener l’âge d’or doit accueillir également le vice et la vertu ». En d’autres termes, la
vertu et le commerce ne font pas nécessairement bon ménage, car le vice est l’une des
conditions de la prospérité et l’une des causes du bonheur public. La découverte majeure de
Mandeville c’est qu’il montre que la société ne fonctionne pas à partir de son potentiel de
« bien » ou de sa vertu, mais plutôt à partir de ce que l’on considère traditionnellement
comme « mal » ou vice. Cette découverte va encore plus loin en montrant que le « mal » peut
se retourner en son contraire, que le vice peut produire le « bien » pour tous, que le bien
procède du mal et inversement. Il existe une substituabilité ou une interchangeabilité entre le
bien et le mal, quelque chose comme une transsubstantiation du mal en bien. En se situant
dans la lignée de Mandeville et en référence à sa Fable, Jean Baudrillard parle à ce sujet
d’une « inclusion du mal, du désordre, dans l’ordre idéal des choses ». Selon lui, « le mal
fonctionne parce que l’énergie vient de lui », un mal qu’« il ne faut donc pas nier mais en
jouer, s’en jouer et le déjouer » [Baudrillard, 2004, p. 43].
Pour être plus précis, nous pensons que la morale subversive de Mandeville ne se situe
pas encore « par-delà bien et mal », et encore moins dans la destruction de toute référence au
bien et au mal, mais elle ouvre déjà la voie à une éthique du désir. La Fable renvoie à un
univers moral dans lequel le bien et le mal changent continuellement de position, voire se
travestissent. Deux vers ont été souvent négligés par les nombreux commentateurs de la
Fable : « Thus every Part was full of Vice / Yet the whole Mass a Paradice ». Dans la ruche,
chaque élément était entièrement composé de vices mais la totalité était un paradis. Le
bonheur et le bien-être social sont des idéaux moraux à poursuivre mais les actions qui
président à cette poursuite relèvent de stratégies du mal qui, en tant que telles, ne peuvent plus
être condamnées moralement. Plus important, la totalité morale n’est pas la somme des
1 Derrière l’anecdote, on retrouve les critiques publiques de Francis Hutcheson, les avis sympathisants
de Hume qui y reconnaît « le type moral de l’égotiste aimable, facile à vivre, humain, sobrement épris
de plaisir ». On y trouve également les hésitations de Smith qui, tout en condamnant ce plaidoyer des
vices privés et égoïstes, y voit une défense de sa propre conception des libertés naturelles, voire une
première formulation de la main invisible [Schumpeter, 2004, T. 1, p. 184-189]. Les découvertes de
Mandeville font écho jusque dans l’œuvre de Keynes qui consacre le chapitre 23 de sa Théorie
Générale au poème et estime que « l’allégorie ne manquait pas de base théorique ».
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« biens » qui la composent : le bien et le mal sont transsubstantiés, participant d’un même
mouvement au bonheur de la Cité où le bien moral n’y est pas toujours bon ou souhaitable
éthiquement. Le bien est né de son contraire, des désirs suspects et des passions dévastatrices,
il est le résultat de « stratégies du mal ».
Toutefois, affirmer que la recherche du plaisir est souhaitable est une chose ; autre
chose est de savoir quels plaisirs il faudrait choisir et poursuivre.
2) Une éthique du désir opposée à la morale utilitariste de Bentham
Pour Bentham, l’utilitarisme se fonde sur un principe moral fort : une action est jugée
« moralement bonne » si la somme des plaisirs qu’elle génère excède, pour le plus grand
nombre, la somme des douleurs et des peines. Dans ce sens, il n’y a aucune différence entre le
plaisir et le bonheur, ce dernier étant défini comme la somme des plaisirs. Bentham restaure
ainsi une morale économique qui retombe en-deçà du seuil de la découverte de Mandeville :
le plaisir est l’unique critère moral pour juger nos actions, sans que l’on puisse disposer
d’autres critères pour juger la multitude de nos désirs et plaisirs. Or, tous les désirs, affections
et passions des hommes ne se réduisent pas à une unique motivation et tous les plaisirs ne
sont pas équivalents. Une éthique du désir doit offrir des orientations en matière de choix de
désirs-plaisirs sous peine de confondre le plaisir avec toute motivation possible et de se
retourner en une vaine tautologie1.
En effet, l’utilitarisme de Bentham n’évalue les plaisirs que dans leurs dimensions
quantitatives en tant que grandeurs physiques2. Son utilité dépend uniquement de critères de
mesure : un plaisir est meilleur quand il est plus grand, ce qui revient à poser une tautologie.
Par ailleurs, cette conception du plaisir en tant que grandeur mesurable pose un problème
d’ordre éthique car la maximisation du calcul des plaisirs et des peines pour les uns peut
passer par des actions dégradantes pour l’individu, contraires à l’intérêt d’autrui (si le gain des
1 « […] au-delà des satisfactions les plus grossières des appétits les plus rudimentaires, nous sommes
dangereusement près d’identifier l’attente d’un « plaisir » avec toutes les motivations possibles,
quelles qu’elles soient, même avec la souffrance volontaire, et alors, bien sûr, la doctrine devient une
vaine tautologie. » [Schumpeter, 2004, T.1, p. 187]
2 Ceci conduit à concevoir la morale utilitariste comme une arithmétique, avec sept critères
quantitatifs : la durée, l’intensité, la certitude, la proximité, l’étendue, la fécondité et la pureté.
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gagnants est supérieur à la perte des perdants, comme dans le théorème de Hicks-Kaldor),
voire opposées à l’ordre public.
Le problème est donc d’ordre politique. Une action qui maximise l’utilité d’un individu
mais conduit à une diminution plus grande de l’utilité totale est jugée comme immorale car
elle diminue le bonheur du plus grand nombre ; or, on ne voit pas pourquoi un individu libre y
renoncerait du moment où l’on accepte que chacun poursuit librement ses intérêts personnels.
L’utilitarisme de Bentham ne renvoie donc pas la tension entre les plaisirs individuels et
collectifs, et il laisse penser à un Baromètre social, où les plaisirs et les peines des uns se
composent ou se décomposent avec ceux des autres, s’accumulant ou se neutralisant, de telle
sorte que l’on s’imagine pouvoir juger la moralité d’une action ou d’une forme de
gouvernement par des mesures et des calculs d’utilité.
Plus important, l’utilitarisme de Bentham et de James Mill se voit confronté à une
objection forte : si la maximisation du bonheur passe par les plaisirs du ventre, ou du bas-
ventre, par le règlement violent ou musclé des différends, par le crime ou la dictature, faut-il
pour autant en juger que c’est un état « moralement souhaitable » pour l’individu ou pour les
groupes ? Doit-on encourager un ordre public entièrement versé dans la débauche ou dans la
bassesse pour l’unique raison qu’il maximise un certain calcul des plaisirs1 ? Ainsi, une telle
conception utilitariste risque de légitimer des modes de vie entièrement dégradants pour
l’homme ou méprisables pour la grande majorité, du moment où ils augmentent le plaisir du
plus grand nombre ou du plus vulgaire.
Nous tenterons de montrer que ces objections ébranlent le fondement de l’analyse
utilitariste du calcul de plaisirs et des peines mais ne touchent pas l’analyse qualitative du
plaisir qui est celle de J.S. Mill. Contrairement à ses prédécesseurs, ce dernier introduit une
distinction qualitative en vertu de laquelle la quête des plaisirs peut s’accorder parfaitement
avec ce que chaque individu peut estimer comme étant bon pour lui et pour les autres :
l’utilité ne peut pas se rapporter à un simple calcul des quantités de plaisirs et de peines,
puisqu’elle se juge avant tout sur la qualité du plaisir.
1 Voir à ce sujet les différents dilemmes moraux tels que le problème du Tramway (Le trolley
problem) de Philippa Foot ou ceux d’Amartya Sen [Sen, 2009].
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Le plaisir est la fin ultime, tout plaisir est bon, mais ce n’est pas une raison suffisante
pour affirmer que tout « genre de plaisir » est désirable ou souhaitable. Cette distinction entre
quantité et qualité de plaisir n’a pas eu de suite ou d’héritiers dans l’histoire de la pensée
économique. Elle conduit Mill à introduire une distinction de nature, voire une opposition,
entre le bonheur (happiness) et la simple satisfaction (content). Son utilitarisme ne prêche pas
la simple satisfaction des désirs-plaisirs mais le « bonheur » entendu comme un mode de vie
orientée vers les plaisirs les plus élevés qualitativement. En d’autres termes, les désirs-plaisirs
sont eux-mêmes jugés à l’aune d’un autre critère, celui de la qualité du plaisir ressenti et son
aptitude à réaliser les potentialités les plus élevées des individus dans leur quête du bonheur1.
On peut ici parler à juste titre d’un « oubli de Mill », oubli de ce qu’il estime être une
« conception parfaitement juste de l’utilité » et, pourtant c’est cette distinction qualitative qui,
à notre avis, oppose J.S. Mill à la morale utilitariste et le rapproche d’une véritable éthique du
désir.
Il est bien connu que Mill n’a jamais fourni un effort consciencieux pour souligner les
distances qui séparent son utilitarisme de celui de ses prédécesseurs, mais il est possible de
distinguer nettement les spécificités de son utilitarisme2, sans effort d’interprétation ou de
lecture entre les lignes. Ainsi, Mill introduit une rupture, à peine voilée, par rapport à
Bentham, en affirmant qu’il serait absurde de supposer que l’estimation des plaisirs repose sur
la seule quantité3 , puisque l’utilité obéit avant tout à une appréciation qualitative et sociale.
Ici, nous pouvons même affirmer que Mill accomplit un retour à Epicure contre Bentham.
Dans sa Lettre à Ménécée, Epicure avançait que « tout plaisir […] est un bien et pourtant tout
1 Dans ce sens, le bonheur, ou la quête des plaisirs les plus élevés qualitativement, peut s’opposer à la
satisfaction car les individus qui se contentent des jouissances les plus basses ont plus de chance de se
voir satisfaits alors que les êtres d’aspirations plus élevées savent qu’ils poursuivent toujours un
« bonheur imparfait ». [Mill, 1988, p. 54]
2 Ces spécificités sont autant de marques d’une pensée originale qui ne veut pas s’affirmer ou
s’entendre comme telle. Mill attribut à Ricardo la paternité de beaucoup des découvertes théoriques,
même lorsqu’il est la plus éloigné de Ricardo. Dans la préface de son ouvrage De la liberté, il institut
sa femme comme inspiratrice et « auteur du meilleurs de [s]es écrits » [Mill, 1990], et réaffirme cette
dette dans son Autobiographie [Mill, 1993].
3 « On peut, sans s’écarter le moins du monde du principe de l’utilité, reconnaitre le fait que certaines
espèces de plaisirs sont plus désirables et plus précieuses [more valuable] que d’autres. Alors que
dans l’estimation de toutes les autres choses, on tient compte de la qualité aussi bien que de la
quantité, il serait absurde d’admettre que dans l’estimation des plaisirs on ne doit tenir compte que de
la quantité. » [Mill, 1988, p. 51]
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plaisir n’est pas à choisir. De même, […] toute souffrance n’est pas toujours par nature à
refuser ». Epicure offrait déjà une classification des désirs-plaisirs qui distinguait entre
différents genres de plaisirs et qui exigeait une réflexion éthique, une prudence qualifiée
d’être « plus respectable encore que la philosophie » [Epicure, 2009]. De même, l’utilitarisme
de Mill propose de démontrer sous quelle condition la quête des plaisirs est possible, et cette
condition est justement la dimension qualitative du plaisir que Mill estime être « nécessaire à
une conception parfaitement juste de l’utilité ou du bonheur considéré comme la règle
directrice de la conduite humaine » [Mill, 1988, p. 56].
Ainsi, le projet de reformuler la pensée de Mill dans les termes d’une éthique du désir
revient à dégager les conséquences de cette évaluation qualitative du plaisir. Ce programme
de refondation commence d’abord par le rejet de la notion de calcul de plaisirs et de peines.
Car une fois admise la dimension qualitative de l’utilité, on ne peut plus revenir sur l’analyse
du plaisir comme grandeur physique mesurable. Selon Mill, la dimension qualitative de
l’utilité « l’emporte tellement sur la quantité, que celle-ci, en comparaison, compte peu. »
[Mill, 1988, p. 52]
Considérer le plaisir comme principe éthique est incompatible avec une simple
arithmétique des plaisirs et des peines. Déjà dans son ouvrage De la liberté, Mill offre une
théorie des impulsions personnelles qui va dans le sens de l’affirmation de ce qu’il appelle la
« puissance de la volonté » : les passions et les impulsions peuvent engendrer le meilleur et le
pire, mais l’intérêt de la société est dans l’épanouissement de ces forces individuelles
permettant à chaque individu de réaliser et d’affirmer sa « perfection ». « Dire que les désirs
et les sentiments d’une personne sont plus forts et plus variés que ceux d’un autre, c’est dire
simplement qu’il y a en elle davantage de matière brute de la nature humaine ; ce qui signifie
que si elle est capable de plus de mal, elle est aussi capable de plus de bien. […] Cette
ardente sensibilité qui rend les impulsions personnelles vives et puissantes peut aussi bien
engendrer l’amour le plus passionné de la vertu que la maîtrise de soi la plus sévère. » [Mill,
1990, p. 152]
Ainsi, la pensée de J.S. Mill est traversée par une fluctuation entre le bien et le mal qui
appelle à une nouvelle économie des Passions de l’Ame [Descartes, 1990], à une Ethique des
désirs-plaisirs entendue dans le sens de Spinoza mais qui tient également compte de la
découverte de Mandeville.
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Enfin, la reconstruction de la philosophie économique de Mandeville à Mill comme
« éthique du désir » exige de définir cette dimension qualitative du désir-plaisir et de montrer
comment elle s’intègre comme principe éthique dans la conduite des affaires humaines, autant
sur plan de l’action individuelle que sur le plan de l’intérêt collectif.
Nous proposons dans ce qui suit de reconstruire une telle éthique en propositions
succinctes, à l’image de la démonstration géométrique employée par Spinoza dans son
Ethique [Spinoza, 1993]. Une telle relecture de Mill prétend ainsi démontrer en termes
simples comment s’élabore le jugement qualitatif et social sur le désir-plaisir et comment s’en
déduit une concordance entre le bonheur individuel et collectif.
II - La philosophie économique de J.S. Mill comme
éthique du désir
Proposition 1 :
Chaque individu cherche son plaisir. Mais certaines activités procurent des plaisirs
qualitativement supérieurs à d’autres : elles sont jugées comme préférables ou meilleures, et
peuvent être choisies en tant que telles par les agents.
Commentaire :
Le plaisir est la fin de toute activité, la vertu et le principe de toute action. La recherche
du plaisir par l’individu n’est donc pas un principe normatif car tout choix peut s’expliquer
positivement par le jeu des désirs-plaisirs. On ne dit pas que « l’homme doit rechercher le
plaisir » pas plus qu’on ne dit que « l’individu doit chercher son autoconservation » ou la
préservation de son corps. Mais toute la difficulté est de savoir quel plaisir est le plus
désirable ou souhaitable. En effet, « il serait absurde de supposer que l’estimation des plaisirs
repose sur la seule quantité ». On peut donc affirmer que quelques « genres » de plaisirs sont
qualitativement supérieurs à d’autres. Tout plaisir est « bon » mais certains plaisirs sont
« meilleurs » par leur supériorité qualitative car « certains espèces de plaisirs sont plus
désirables et plus précieuses que d’autres » [Mill, 1988, p. 52]. Or, il est impossible
d’affirmer que la plupart des hommes orientent leurs actions ou leurs vies par rapport aux
plaisirs les plus élevés qualitativement. La question est donc de savoir lesquels de nos désirs
doivent être satisfaits.
12
Proposition 2 :
Est jugé « bon » le choix qui consiste à préférer le plaisir le plus élevé qualitativement
au détriment de sa quantité (et non le contraire) et, inversement, est jugé « mauvais » le choix
qui consiste à préférer le plaisir inférieur qualitativement, même s’il s’accompagne d’une plus
grande quantité de plaisir.
Commentaire :
A quantité de plaisir égale, deux activités peuvent se distinguer qualitativement, et l’on
peut préférer l’une à l’autre pour sa supériorité qualitative. Mais un plaisir peut être jugée
« tellement au-dessus de l’autre » même s’il est associé à une plus faible quantité de plaisir,
ou qu’il s’accompagne « d’une plus grande somme d’insatisfaction [discontent] ». Ainsi,
« nous sommes fondés à accorder au plaisir préféré une supériorité qualitative qui l’emporte
tellement sur la quantité, que celle-ci, en comparaison, compte peu. » [Mill, 1988, p. 52]
Dans ce sens, on peut affirmer avec Mill que les plaisirs de la lecture d’une pièce de
Shakespeare sont supérieurs qualitativement à ceux d’un jeu de hasard. La première activité
reste supérieure, plus désirable ou préférable qualitativement, même si elle est plus pénible,
exigeant un plus grand sacrifice quantitatif de temps ou d’énergie et nécessitant une plus
grande éducation et une plus grande dépense physique.
Proposition 3 :
S’il faut agir en cherchant le plus grand bonheur pour le plus grand nombre, alors on
doit améliorer les qualités de plaisir pour le plus grand nombre.
Commentaire :
La plupart des hommes n’agissent que pour leurs plaisirs propres et non pour celui des
autres (encore moins pour celui du plus grand nombre). Entendue donc comme sphère de lutte
sur le partage des biens économiques (des désirs-plaisirs), l’économie met en scène des agents
agis par leurs passions et qui sont, le plus souvent, en discordance. Leurs plaisirs propres
peuvent passer par la diminution du plus grand plaisir du plus grand nombre. N’y a-t-il pas ici
de contradiction entre les actions positives des hommes en tant qu’agents orientés par leur
plaisir propre et la norme utilitariste qui est universaliste et opposée à l’égoïsme ? Une telle
contradiction résulte d’une compréhension purement quantitative du plaisir (ou de l’utilité).
13
En d’autres termes, tant que le plaisir est jugée uniquement pas sa quantité, on ne voit pas
pourquoi un agent économique rationnel sacrifierait un plaisir personnel pour obéir à la norme
utilitariste qui lui commande de maximiser le bonheur de tous. Or, les plaisirs se distinguent
par leur qualité encore mieux que par leur quantité. Et les plaisirs qui créent des discordances
entre les hommes ne peuvent pas être jugés supérieurs qualitativement. Dans le sens de Mill,
même si certains sont capables de se plaire uniquement là où se plaisent les animaux, les
plaisirs les plus élevés qualitativement restent plus adaptée à l’élévation de l’homme et à la
pleine réalisation de ses potentialités, ils sont intrinsèquement supérieurs. Par ailleurs, aucun
être raisonnable ne peut accepter de troquer ses facultés humaines les plus élevés contre la vie
d’un animal satisfait dans la bassesse : « Il vaut mieux être un homme insatisfait [dissatisfied]
qu’un porc satisfait » [Mill, 1988, p. 54]. Aussi, si l’on doit augmenter le plus grand bonheur
pour le plus grand nombre on doit nécessairement augmenter la qualité des plaisirs et non leur
quantité.
Proposition 4 :
L’individu est « maître dans l’arithmétique des plaisirs » uniquement lorsqu’on les
entend d’un point de vue quantitatif. Mais le jugement sur la qualité d’un plaisir n’est pas
purement subjectif : il est intersubjectif.
Commentaire :
Pierre et Paul sont les seuls à pouvoir juger si une pomme ou une poire leur procurent
plus ou moins de plaisirs. Pour employer la formule de Bentham, ils sont « maître dans
l’arithmétique » des plaisirs, mais uniquement lorsqu’on évalue des quantités de plaisir. Ces
grandeurs physiques se rattachent à des plaisirs sensibles ressentis dans le corps, sans moyens
de comparaisons interpersonnelles, et dans ce sens, le jugement quantitatif sur le plaisir est
purement subjectif. Par contre, l’appréciation qualitative du plaisir dépend d’un jugement
social, d’une comparaison tournée vers l’autre, d’une évaluation intersubjective. Cette
intersubjectivité se trouve dans la confrontation des points de vue, dans la prise en compte du
jugement de « ceux qui ont expérimenté » et « ceux qui connaissent avec compétence » ces
plaisirs, de ceux que l’on peut désigner comme « juges compétents » car ils sont « capables de
plaisirs plus élevés » [Mill, 1988, p. 51-55]. La dimension qualitative de l’utilité est le résultat
d’une évaluation sociale et intersubjective car l’unique tribunal à consulter sur la qualité du
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plaisir est « le jugement des hommes qualifiés par [leur] connaissance […] ou, s’ils sont en
désaccord, celui de la majorité d’entre eux » [Mill, 1988, p. 56]. Enfin, « la pierre de touche
de la qualité, la règle qui permet de l’apprécier en l’opposant à la quantité [for measuring it,
against quantity], c’est la préférence affirmée [felt] par [ces] hommes » [Mill, 1988, p. 57].
Proposition 5 :
Les plaisirs (qualitativement et quantitativement) sont toujours ressentis dans le corps,
comme plaisirs sensibles, même lorsqu’ils s’attachent à des plaisirs intellectuels. Mais le
plaisir est d’autant plus élevé qualitativement qu’il s’éloigne du bas-ventre (satisfaction des
pourceaux), c’est-à-dire qu’il est d’autant plus élevé qualitativement qu’il met en jeu plusieurs
facultés humaines (non seulement les facultés animales mais, avec elles, les facultés les plus
élevées, au sens de plaisirs plus éloignés du bas-ventre).
Commentaire :
« […] les êtres humains ont des facultés plus élevées que les appétits animaux et,
lorsqu’ils ont pris conscience de ces facultés, ils n’envisagent pas comme étant le bonheur un
état où elles ne trouveraient pas satisfaction. […] on ne connaît pas une seule théorie
épicurienne de la vie qui n’assigne aux plaisirs de l’intelligence, à la sensibilité [feelings], à
l’imagination, et aux sentiments moraux une bien plus haute valeur comme plaisirs qu’à ceux
que procure la pure sensation » [Mill, 1988, p. 50-51]. Il ne s’agit absolument pas de dire que
la lecture d’un poème est préférable qualitativement à l’amour physique ou à la dégustation
d’un repas succulent ; il s’agit plutôt d’affirmer que le plaisir rattaché à l’amour physique (ou
au repas) est d’autant plus dégradé qualitativement qu’il est incapable de mettre en jeu les
facultés supérieures et qu’il est d’autant plus élevé qualitativement qu’il combine plusieurs
facultés du corps et de l’esprit. De même, la qualité de plaisir attachée à un poème est d’autant
plus élevée qualitativement qu’il arrive à joindre à sa valeur intellectuelle des plaisirs
sensibles ressentis dans le corps.
Proposition 6 :
Ce qui est le plus utile pour les hommes, à entendre le plaisir le plus élevé
qualitativement, est justement le plaisir qui s’accorde le mieux avec leur « nature humaine »
15
et « qui convient à leur situation », c’est-à-dire le plaisir qui va dans le sens de leur
concordance, leur conservation et leur « perfection » [Mill, 1990, p. 151].
Commentaire :
Selon Mill, « ce qui conviendrait à mon caractère et à mes dispositions », c’est le
plaisir « qui permettrai à ce qu’il y a de plus élevé et de meilleur en moi d’avoir libre jeu, de
se développer et de prospérer » [Mill, 1990, p. 154]. Ces plaisirs qui vont dans le sens du
développement humain dans sa plus riche diversité, Mill les appellent « originalité » et
« individualité » c’est-à-dire des formes d’affirmation de l’individualité et de l’originalité de
chacun de telle sorte à ce qu’il puisse « agir selon son inclination et son jugement dans ce qui
ne concerne que lui » [Mill, 1990, p. 146]. Ce que Mill entend par originalité et affirmation de
l’individualité n’a rien d’un individualisme égotiste : l’originalité c’est la tendance de chaque
individu singulier à vivre selon les complexions qui lui sont propres. Il définit l’originalité
dans ces termes : « On dit d’une personne qu’elle a du caractère lorsqu’elle a des désirs et
des impulsions personnels qui sont l’expression de sa propre nature telle qu’elle l’a
développée et modifiée sa propre culture. Celui qui n’a ni désirs ni impulsions personnels n’a
pas davantage de caractère qu’une machine à vapeur. Si un individu a des impulsions non
seulement personnelles, mais fortes et dominées par une volonté puissante, il a ce qu’on
appelle un caractère énergique » [Mill, 1990, p. 153]. L’originalité s’entend donc comme une
tendance qui peut être commune à tous les êtres raisonnables, une tendance originelle chez les
personnes humaines qui est celle de « tendre vers l’idéal qu’elles portent en elles, qu’elles
accroissent une de leurs facultés, de compréhension, d’action ou de jouissance » [Mill, 1990,
p. 156]. Cette quête de l’originalité est pour chacun d’entre nous le désir de cultiver et de
développer ses facultés afin d’atteindre « une plus grande plénitude dans son existence »
[Mill, 1990, p. 157], désir qui passe par le développement de ses facultés propres et
l’épanouissement de l’aspect social de sa nature (le développement d’autrui) [Mill, 1990, p.
149].
Proposition 7 :
Ce qui est le plus utile pour tous les autres l’est nécessairement pour moi, et ce qui est
le plus utile pour un être raisonnable l’est nécessairement pour tous les autres.
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Commentaire :
Chacun satisfait ses désirs et ses penchants, tente d’augmenter sa « volonté puissante »
[Mill, 1990, p. 153] et cette fin n’a d’autres fins qu’elle-même. Ainsi, en référence à Von
Humboldt, Mill estime que chaque être humain doit tendre vers « l’individualité de la
puissance et du développement » [Mill, 1990, p. 148]. Le malheur de l’humanité vient de la
négligence ou de l’ignorance de ce plus grand bien (plus grand plaisir qualitatif), qui conduit
la plupart des hommes à se détourner de cette voie de « la perfection en matière de conduite
humaine » [Mill, 1990, p. 148]. Or, cette perfection de l’être humain est la même pour tous
malgré les différences dans les inclinations de chacun. Chacun possède des penchants
différents, mais ce qui est commun à eux tous c’est qu’ils désirent tous atteindre une plus
grande perfection dans la complexion qui leur est propre. Car pour eux tous, le jeu des désirs-
plaisirs participe de leur perfection d’être humain : « Jusqu’à un certain point, il est admis
que notre intelligence doit nous appartenir ; mais on n’admet pas aussi volontiers qu’il doit
en être de même pour nos désirs et non impulsions, et qu’en posséder de forts puisse être
autre chose qu’un péril et un piège. Et pourtant, désirs et impulsions font partie de la
perfection de l’être humain » [Mill, 1990, p. 151].
Proposition 8 :
Cette fin de toute conduite humaine, à savoir la quête par chacun du plus grand plaisir
qualitatif, passe par l’apprentissage des qualités de plaisir à travers la sociabilité.
Commentaire :
« Le premier service que l’originalité doit [rendre aux esprits peu originaux], c’est de
leur ouvrir les yeux ; après quoi, seulement, ils auraient quelque chance de devenir eux-
mêmes originaux. » [Mill, 1990, p. 161]. L’apprentissage des qualités de plaisirs passe
d’abord par l’éducation, ensuite par l’émulation1, enfin par la connaissance ou la « supériorité
de l’esprit », dans le sens d’une capacité à se laisser guider par « ce qui est grand et noble ».
1 « On a toujours besoin de gens non seulement pour découvrir des vérités nouvelles et signaler le
moment où ce qui fut autrefois une vérité cesse de l’être, mais encore pour initier des pratiques
nouvelles et donner l’exemple d’une conduite plus éclairée, montrant davantage de goûts et de bon
sens dans les affaires humaines » [Mill, 1990, p. 159].
17
Dans les trois cas, ces orientations normatives s’opposent à la conduite de la majorité des
hommes, car « la tendance générale dans le monde est d’accorder la place dominante à la
médiocrité » et parce que la norme dominante est devenue celle de l’uniformité [Mill, 1990, p.
162].
Proposition 9 :
La qualité d’un plaisir est intrinsèque à un objet ou à une activité. Ainsi, la qualité et la
quantité de plaisirs peuvent s’opposer entre elles, une activité étant supérieure
quantitativement et inférieure qualitativement ou l’inverse. Et les quantités de plaisir peuvent
s’opposer dans la même chose et dans la même personne. Mais, les qualités ne s’opposent ni
dans la personne ni dans la chose. Car le plaisir qui est qualitativement le plus élevé pour moi
l’est forcément pour tout être raisonnable.
Commentaire :
Les qualités de plaisir s’opposent à leur quantité. Les quantités de plaisir sont
appréciées dans la position de l’agent solitaire et isolé : ce sont des quantités appréciées dans
la position monologique d’un agent rationnel calculateur et égoïste. Les qualités de plaisir
s’apprécient de manière dialogique, par l’intermédiaire de l’autre. L’apprentissage des
qualités des plaisirs, tout comme le développement de l’originalité et l’épanouissement de
l’individualité, est médiatisée par des symboles, par le langage, par une intercompréhension
subjective, par un usage de la raison qui est tourné vers autrui, et par ce que Mill appelle « la
vraie moralité de la discussion publique » [Mill, 1990, p. 144].
Le plaisir le plus élevé qualitativement peut s’apprécier également par tout le monde car
il sera dit « qualitativement le plus élevé » justement en sa qualité de « bien » pour tout être
raisonnable, en raison de sa nature publique, intersubjective. Il ne s’agit pas de dire que Van
Gogh est préférable à Shakespeare du point de vu de la qualité du plaisir procuré ni l’inverse :
mais que être lettré ou instruit est préférable à être analphabète ou ignorant car cela permet
d’accéder à des qualités de plaisir qui seraient autrement inaccessibles. Ces plaisirs sont dits
qualitativement supérieurs aux plaisirs égoïstes car ils sont déterminés sur un plan
d’intersubjectivité, la compréhension intersubjective étant le terrain, le médium et la fin de
toute qualité de plaisir.
18
Proposition 10 :
C’est la dimension qualitative des plaisirs qui permet de juger que la liberté est bonne
pour tous, et de condamner comme étant « mauvais pour moi et pour tous les autres » tout ce
qui entrave la liberté des hommes et tout ce qui empêche le plein épanouissement de leurs
potentialités.
Commentaire :
C’est au nom d’une telle valeur plus élevée associé à des qualités de plaisirs plus
élevées que l’on peut estimer que la liberté est une valeur suprême ou dénoncer un certain
mode de vie comme étant aliéné ou mutilé. Telles formes de vie sont condamnables car
associées à des qualités de vie inférieures, et c’est en anticipant sur des formes de vie
supérieures, libérées des aliénations présentes qui les mutilent que l’on peut poser des
principes de justice : « Si l’on considérait le libre développement de l’individualité comme
l’un des principes essentiels du bien-être, […] il n’y aurait pas de danger que la liberté fût
sous-estimée, et il n’y aurait pas de difficulté extraordinaire à tracer la frontière entre elle et
le contrôle social » [Mill, 1990, p. 147].
Proposition 11 :
Viser les plaisirs les plus élevés qualitativement, c’est faire un usage public de sa
raison, et vivre sous le commandement d’une raison dont l’usage est tourné vers les autres.
Commentaire :
Les jugements quantitatifs sont purement subjectifs, ils différent dans la même
personne et dans la même chose. Mais les jugements qualitatifs sont les mêmes pour tout être
raisonnable car ils se déduisent des commandements d’une raison tournée vers un usage
public. Et c’est justement pour cette raison que les jugements qualitatifs sont objets de
disputes, d’argumentation, de débat. C’est aussi dû à leur nature de biens intersubjectifs,
médiatisés par des symboles, vus au regard des autres, appréciés dans les yeux des autres.
Rien n’est plus utile à l’homme qu’une chose qui s’accorde avec sa nature, et pour un être
raisonnable cette chose la plus utile est certainement un autre être raisonnable : « Ce qui
importe réellement, ce n’est pas seulement ce que font les hommes, mais le genre d’homme
19
qu’ils sont en le faisant. Parmi les œuvres de l’homme que la vie s’ingénie à perfectionner et
à embellir, la plus importante est sûrement l’homme lui-même. » [Mill, 1990, p. 150-151]
Proposition 12 :
Les plaisirs les plus élevés qualitativement raccordent les plaisirs de l’individu et ceux
du plus grand nombre. Car le plaisir le plus élevé qualitativement est le plaisir qui augmente
l’aptitude de l’individu et des groupes à ressentir de meilleurs plaisirs. C’est le plaisir de la
connaissance et de l’intercompréhension comme critères de qualité des plaisirs.
Commentaire :
L’homme n’accomplit rien d’utile ou de plaisant à lui-même qu’autant que lorsqu’il
agit sous la conduite de la raison publique qui lui indique comment gouverner ses désirs et ses
impulsions dans la recherche de sa perfection. En agissant ainsi, il est aussi sûr qu’il
accomplit autant de chose utile ou plaisante pour les autres. Ainsi, cette recherche légitime de
qualité de plaisirs supérieurs mène, sous la conduite de la raison publique, à deux
enseignements. a) Le plaisir qui augmente (diminue) l’aptitude de l’individu à ressentir
d’autres plaisirs (douleurs) est qualitativement supérieur ; en d’autres termes, l’éducation,
l’émulation et la connaissance, sont les critères intersubjectifs de la qualité du plaisir. b) Les
activités associés à des qualités supérieures de plaisirs sont aussi légitimes pour l’individu que
pour la collectivité car elles s’associent par définition à une diminution des souffrances pour
tout être raisonnable. « Ce n’est pas en noyant dans l’uniformité tout ce qu’il y a d’individuel
chez les hommes, mais en le cultivant et en le développant dans les limites imposées par les
droits et les intérêts d’autrui, qu’ils deviennent un noble et un bel objet de contemplation ; et
de même que l’œuvre prend le caractère de son auteur, de même la vie humaine devient riche,
diversifiée, animée, apte à nourrir plus abondamment les nobles pensées et les sentiments
élevées ; elle renforce le lien entre les individus et l’espèce, en accroissant infiniment la
valeur de leur appartenance à celle-ci. A mesure que se développe son individualité, chacun
acquiert plus de valeur à ses propres yeux et devient par conséquent mieux à même d’en
acquérir aux yeux des autres. » [Mill, 1990, p. 157]
20
S’il faut résumer les douze propositions précédentes, on peut retenir que certains
plaisirs sont intrinsèquement supérieurs à d’autres en raison de leur plus grande qualité.
Toutefois, aucune autorité supérieure n’est instaurée ici métaphysiquement pour juger des
qualités plaisirs et des peines. Le tribunal à consulter sur la question des qualités de plaisir
n’est pas le jugement de telle ou telle personne. Se fier au jugement des autres, comparer avec
autrui les qualités de plaisir, apprendre de « ceux qui connaissent et apprécient » les plaisirs
les plus élevés, ce n’est pas se soumettre aux diktats d’une autorité morale en termes de
qualités de vie. Car ce qui préside à cette quête du plaisir, c’est avant tout la liberté de chaque
individu de comparer et de choisir les plaisir les plus adaptés à la situation de chacun.
Ensuite, la recherche de qualité de plaisir et de vie est la quête de son individualité et de
son originalité, et non pas la soumission aux règles de vie prescrites par les autres. Plus
important, la quête d’une forme de vie plus élevée qualitativement c’est adhérer à un mode de
vie qui se justifie publiquement car il est commandé par une un usage public de la raison.
Il ne s’agit donc pas de prescrire des pratiques de plaisir ou de statuer que telle forme
de vie est supérieure culturellement à d’autres. Les qualités de plaisir correspondent aux
aspirations de chacun, à ses capacités et ses inclinaisons. Il faut voir « ce que le corps peut »
selon la formulation de Spinoza. Ainsi, un livre de Shakespeare entre les mains d’un illettré
ne procure pas de plaisir et inversement une vie de débauche ne convient pas à un esprit plus
élevé comme celui de Socrate. Il ne s’agit donc pas de prescrire la lecture de Shakespeare à
tous les humains. Mais il n’empêche que l’on peut continuer à juger la lecture de Shakespeare
comme étant qualitativement supérieure à d’autres plaisirs comparable, et le commandement
que l’on doit en dégager est la nécessité de combattre l’illettrisme ou tout handicap culturel
qui empêche le plus grand nombre de jouir de telles qualités de plaisir : « Il vaut mieux être
un Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait » [Mill, 1988, p. 54].
C’est dans le truchement d’un tel critère qualitatif que l’on peut par exemple dénoncer
l’illettrisme comme un « mal économique » à combattre, parce qu’on a toutes les raisons de
croire qu’en l’éradiquant on aura plus de chance d’augmenter les qualités de plaisir pour le
plus grand nombre.
21
Conclusion
Dans notre relecture de Mill, nous avons identifié trois dimensions du plaisir
indispensables à la refondation de l’utilitarisme comme éthique du désir. D’abord, le plaisir
s’apprécie dans sa dimension qualitative qui « l’emporte sur la quantité » au point de la rendre
superflue. Ensuite, l’appréciation qualitative du plaisir dépend d’une évaluation sociale
intersubjective appuyée sur une comparaison dialogique, contrairement à une évaluation
purement subjective de la quantité des plaisirs élaborée dans la position monologique d’un
agent solitaire. Enfin, les qualités de plaisir les plus élevées raccordent le bonheur de
l’individu avec celui de tous les intéressés, car ce qui est souhaitable pour un être raisonnable
est justement ce qui apparaît dans une discussion publique comme étant souhaitable pour tous
les autres.
Nous avons insisté sur ces trois dimensions car elles renvoient à cette « conception
parfaitement juste de l’utilité » qui, selon J.S. Mill, est indispensable à la fondation de
l’utilitarisme comme règle de la conduite humaine. Sur ces trois points, les enseignements de
Mill n’ont pas trouvé d’héritiers, et nous pouvons à juste titre parler d’un oubli de Mill auquel
nous tentons de remédier par notre éthique du désir. Une telle éthique ne s’appuie sur aucun
devoir moral et n’exige pas que les agents se plient à quelque impératif catégorique. Les
jugements intersubjectifs sur les qualités de plaisir ne s’imposent pas comme des
commandements supérieurs mais s’élaborent raisonnablement dans la sociabilité, car
« l’éducation et l’opinion […] usent de [leur] pouvoir pour établir dans l’esprit de chaque
individu un lien indissoluble entre son bonheur personnel et le bien du tout » [Mill, 1988].
Sans trop l’avouer, Mill est plus proche de l’Ethique de Spinoza que de la morale de
Kant. Selon Mill, l’utilitarisme n’est rien d’autre que la « règle de Jésus de Nazareth : aimer
pour soi ce qu’on pourrait aimer pour tous les autres » [Mill, 1988, p. 54]. Mais cette règle
d’or n’a rien d’une maxime ou d’un commandement moral auquel des agents idéalisés
doivent se soumettre de manière monologique, comme dans la morale kantienne, chaque
agent raisonnable se mettant à la place de tous les autres1. Selon Mill, cette exigence
d’universalisation est superflue du moment où l’on admet que chaque agent concret cherche
22
effectivement son plaisir et que son plaisir le plus élevé qualitativement est
consubstantiellement lié au bonheur collectif comme l’aurait affirmé Mandeville, ou du moins
ne peut pas être opposé à l’intérêt collectif de par sa supériorité qualitative attestée dans une
discussion subséquente.
En dernière analyse, le bonheur défendu par Mill ne s’apparente pas à un simple calcul
de la somme des plaisirs du plus grand nombre, ni à une quelconque conception métaphysique
ou universelle du bonheur que les philosophes définissent abstraitement pour leurs
semblables. Mill oriente son éthique vers un bonheur pensé dans le local, c’est le bonheur qui
se définit dans les discussions des « hommes vertueux » dont la pensée ne doit pas « s’égarer
au-delà d’un cercle limité de personnes », cercle que la pensée « ne doit pas franchir que
pour s’assurer qu’en faisant du bien aux unes, elle ne fait pas de tort à d’autres » [Mill,
1988].
Cette pensée locale du bonheur se tient donc dans les limites d’actions concrètes
d’agents concrets qui effectuent leurs choix en fonction de leurs propres plaisirs mais elle
acquiert une dimension intersubjective car les plaisirs mis en débat sont justement ceux qui
concernent tous les intéressés. Ces plaisirs attestés d’une plus grande supériorité qualitative
sont ceux qui augmentent l’aptitude des individus et des groupes à ressentir de meilleurs
plaisirs ou, ce qui revient au même, à diminuer leurs souffrances et à dépasser tout ce qui les
empêche de réaliser leurs pleines potentialités.
Affirmer que la fin de toute action est le bonheur du plus grand nombre n’est donc pas
l’éloge illusoire d’une vie de jouissances continuelles ou de plaisirs permanents. Dans ce sens,
l’utilitarisme de Mill est plus proche des intuitions d’Amartya Sen qui propose de remplacer
la maximisation des utilités par la maximisation des « capabilités » [Sen, 2009]. Car Mill n’a
de cesse de rappeler que vouloir améliorer les plaisirs est une autre manière de dire que l’on
est capable de diminuer les souffrances. Croire que l’idéal du plaisir se trouve dans un état
d’extase permanente ou de jouissances ininterrompues c’est demander à la nature beaucoup
plus qu’elle ne peut offrir. Mill rappelle à ce sujet que nos vies sont tout au contraire plongées
dans la misère, les souffrances, les privations et les manques. Rechercher une vie de plaisir la
1 « Pour donner quelque signification au principe de Kant, on doit le transformer en celui-ci ; nous
devons diriger notre conduite d’après une règle que toutes les créatures raisonnables puissent adopter
avec bénéfice pour leur intérêt collectif. » [Mill, 1988]
23
plus élevée qualitativement c’est agir pour diminuer ces souffrances, remédier à ces handicaps
et libérer les plus grandes potentialités qui seraient entravées par nos rapports sociaux.
Ainsi élaborée, cette éthique du désir se comprend comme critique de toute forme de
privation ou de limitation qui empêcherait les hommes de poursuivre leurs projets de vie ou
qui limite les prétentions légitime de chacun à choisir et à poursuivre librement le mode de vie
qui lui convient et qui convient à ses capacités. Dans ce sens, la pensée éthique dénonce
comme étant « mutilée » toute vie incapable de jouir pleinement de ses droits et de ses
libertés, ou empêchée d’actualiser les potentialités dont elle est pourtant capable.
Libérer ces potentialités c’est d’abord montrer ce qui, dans l’organisation de nos
rapports sociaux, empêche chacun de mener la vie heureuse telle qu’il l’entend. C’est montrer
ensuite que ces souffrances « non nécessaires » peuvent être diminuées, et que les moyens
utilisés à cette fin sont souhaitables pour les individus et pour les groupes même s’ils
semblent parfois se dégager à partir de stratégies du mal. Enfin, rechercher ce
« développement humain dans sa plus riche diversité » c’est poser la légitimité de toute quête
des plaisirs individuels et du bonheur public au sens d’une vie qui réussit à dépasser ses
limitations dans l’espoir d’affirmer pleinement son individualité, dans ses deux dimensions
d’originalité et de perfection.
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24
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