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    La dmocratisationde laccs aux pratiques artistiques travers lapprentissage dans les tablissements

    denseignement artistique

    tude pour le compte de La NacreFinance par la Rgion Rhne-Alpes

    Rapport final novembre 2014

    Graldine Bois, Sbastien Gardon, Frdrique Giraud et Aurlien Raynaud

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    Auteurs

    Graldine BoisDocteure en sociologieMembre du Centre Max Weber, UMR CNRS 5283, quipe Dispositions, pouvoirs,cultures et socialisations , ENS de [email protected]

    Sbastien GardonDocteur en science politiqueMembre du laboratoire Triangle, UMR CNRS 5206, ENS de Lyon / Sciences Po Lyon etUniversit Lyon II / Universit de [email protected]

    Frdrique GiraudDoctorante en sociologie lENS de LyonMembre du Centre Max Weber, UMR CNRS 5283, quipe Dispositions, pouvoirs,cultures et socialisations , ENS de [email protected]

    Aurlien RaynaudDoctorant en sociologie lUniversit Lyon 2Membre du Centre Max Weber, UMR CNRS 5283, quipe Dispositions, pouvoirs,cultures et socialisations , ENS de Lyon

    [email protected]

    Remerciements

    Les auteurs tiennent remercier la Rgion Rhne-Alpes et la Nacre qui ont rendu possible

    cette tude ainsi que toutes les personnes interroges que la convention danonymat ne leur

    permet pas de citer ici pour le temps quelles leur ont consacr.

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    SOMMAIRE(Table des matires dtaille en fin de volume)

    Introduction - Contenu de la recherche et mthodologie _______________ 7

    1re partie Lanalyse approfondie de six actions distinctes de

    dmocratisation de lenseignement artistiue _________________________ !

    . Action n 1/ Un parcours dducation artistique et culturelle au collge ______ 13

    1. De lducation artistique au collge __________________________________ 15

    2. Mise en uvre de laction __________________________________________ 22

    3. Pratiques pdagogiques et modes dapprentissage ______________________ 2

    !. "a rception de laction par les lves _________________________________ 33

    5. #onclusion ______________________________________________________ !$

    . Action n 2/ Des stages gratuits durant les vacances scolaires ______________ 51

    1. "e conservatoire et len%eu de la dmocratisation _______________________ 53

    2. &ituations dapprentissage ' ( atelier c)ant _____________________________ *

    3. &ituations dapprentissage '' ( atelier M+, ____________________________ -

    !. Portraits dlves _________________________________________________ -

    5. Malgr son succs/ une action qui peine 0 atteindre ses ciles _____________ $*

    . #onclusion ( quel avenir pour les stages ______________________________ $!

    . Action n 3/ Un parcours danses orientale et ip!op en centre social puis au

    conservatoire ___________________________________________________________ "5

    1. n pro%et dtalissement 4ort autour de la prolmatique de la dmocratisation

    _______________________________________________________________ $

    2. "e partenariat entre le conservatoire et le centre social ( des o%ecti4s ien

    distincts et un primat du conservatoire_____________________________________ 1*2

    3. Des enseignantes au parcours particuliers et au mt)odes adaptes au

    partenariat __________________________________________________________ 11*

    !. "es rapports des lves 0 l6enseignement dispens _____________________ 122

    5. #onclusion _____________________________________________________ 1!2

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    . Action n #/ Un $ %rcestre & lcole ' ________________________________ 1#5

    1. "a 4orme prise par lorc)estre est le rsultat de pratiques ngocies _______ 1!

    2. "es conditions concrtes de la russite de laction en de)ors des murs du

    conservatoire _________________________________________________________ 15$3. n succs relati4 ________________________________________________ 11

    !. #onclusion _____________________________________________________ 1-3

    . Action n 5/ (e succs dun atelier de )A% i*possi+le & reconduire ________ 1,5

    1. De la rencontre avec des artistes et des rpertoires 0 la mise en pratique des

    en4ants des quartiers d4avoriss _________________________________________ 1-

    2. "es conditions de russite de laction ________________________________ 1$5

    3. n ilan positi4 n r7le initiatique et dm8sti9cateur __________________ 2**

    !. ne nouvelle session reporte 4aute de 4inancements ___________________ 2*$

    5. #onclusion _____________________________________________________ 215

    . Action n -/ Un atelier *usical pour parents et enants de !3 ans _________ 210

    . I Objectifs et contenu de latelier ____________________________________ 217

    1. Prsentation des caractristiques principales de laction _________________ 21

    2. :capitulati4 de lenqu;te mene pour cette action _____________________ 21$

    3. Des o%ecti4s partags entre les partenaires et prioritairement as sur des

    dimensions etra

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    "me partie Les logiues institutionnelles et politiues# freins ou le$iers %

    la dmocratisation des enseignements artistiues & ___________________ "'(

    1. n cadre rglementaire et institutionnel en construction ________________ 2--

    2. "a dmocratisation ( de la volont au actes _________________________ 3*3

    3. "es enseignements artistiques 4ace au en%eu de dmocratisation/ un secteur en

    tension ______________________________________________________________ 31$

    !. ?eu d6acteurs et collaorations locales ( logiques politiques et encastrement des

    niveau d6action ______________________________________________________ 3!3

    . onclusion de la deui*e partie ____________________________________ 301

    )me partie *nalyses et rsultats trans$ersaux ___________________ )7(

    1. &8nt)se et critique des demandes eprimes ( des pistes pour avancer ___ 3

    2. #e que nous apprennent les si tudes de cas _________________________ 3-!

    Conclusion gnrale + ,n portrait en creux . des conser$atoires & ____ )!!

    /ostface de 0ean-Claude Lartigot ________________________________ 21

    3i4liographie ________________________________________________ 2(

    *nnexe - 5a4leau rcapitulatif des caractristiues principales des actions

    de dmocratisation initialement recenses __________________________ 1)

    5a4le des matires dtaille ____________________________________ 1(

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    Introduction - Contenu de la recherche et

    mthodologie

    Lobjectif de cette tude1 est danalyser la mise en uvre de la dmocratisation de

    lenseignement artistique dans la rgion Rhne-Alpes. La recherche comporte deux volets, qui

    constituent les deux premires parties de ce rapport :

    Le premier volet de cette tude dont les rsultats sont prsents dans la premire partie de

    ce rapport a t ralis par une quipe de sociologues compose de Graldine Bois,

    Frdrique Giraud et Aurlien Raynaud. Il consiste enune analyse qualitative approfondie desix actions, mises en place par des tablissements denseignement artistique de la rgion

    Rhne-Alpes, et visant la dmocratisation de laccs la pratique de la musique, du thtre

    et/ou de la danse. Sur chacun des six terrains denqute, trois aspects ont t tudis : 1/ les

    objectifs des partenaires engags, grce lanalyse des projets des tablissements

    denseignement artistique concerns et grce des entretiens avec les diffrents partenaires

    (directeurs de conservatoires, reprsentants des tablissements scolaires et des centres sociaux

    notamment) ; 2/ les formes dapprentissage proposes (plus ou moins formelles, plus oumoins proches de la forme scolaire, etc.) au travers de lanalyse du droulement des cours et

    des pratiques enseignantes (observation de sances et entretiens avec les enseignants) ; 3/

    lappropriation de ces expriences dapprentissage artistique par les lves (et/ou leurs

    parents) par le biais dobservations de sances et dentretiens avec les personnes concernes.

    Prs de 102 heures dobservation ont t menes en tout auxquelles sajoutent 45 entretiens

    (ainsi quune petite enqute par questionnaires auprs des participants laction sur le seul

    des six terrains o le public vis nest ni captif ni orient). Le dtail de ces oprations derecherche figure dans les monographies consacres chacune des six actions tudies.

    Le second volet ralis par Sbastien Gardon et prsent dans la deuxime partie de ce

    rapport a pour objet ltude du contexte sociopolitique du dveloppement des

    enseignements artistiques lchelle de la rgion Rhne-Alpes et lanalyse des dispositifs mis

    en uvre lchelle dpartementale, intercommunale et communale pour favoriser cette

    1Cette tude a t ralise pour le compte de la Nacre et a t finance par la Rgion Rhne-Alpes. Elle a t

    mise en place dans le cadre de la Commission Rgionale des Enseignements Artistiques (CREA).

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    dmocratisation. Cette dmarche met laccent sur les textes, le discours et le cadre

    institutionnel qui lgitiment et organisent ces actions, le travail des collectivits locales en lien

    avec les tablissements, laction des diffrents partenaires des tablissements ainsi que le rle

    des lus. Des entretiens, des observations et des analyses des textes ont t mens. En

    particulier, 38 entretiens ont t raliss auprs des tablissements scolaires ou

    d'enseignement artistique (proviseurs, directeurs), dans des villes ou des structures

    intercommunales (directeurs des affaires culturelles et chargs de mission), dans les huit

    dpartements de Rhne-Alpes (chargs de mission Schma dpartemental des

    enseignements artistiques ), la rgion et auprs dlus adjoint la culture.

    Une troisime partie expose les analyses et rsultats transversaux aux deux volets de

    ltude. Les demandes formules par les acteurs de terrain interrogs dans la deuxime partiesont tout dabord thmatises et discutes la lumire des six actions tudies dans la

    premire partie. Nous prsentons pour finir ce que lon peut retenir de ltude de ces six

    actions.

    N. B. : Consignes de lecture du rapport et statut de sa postface

    Face la longueur de ce rapport, le lecteur sera sans doute tent daller directement sa

    3me

    partie. Nous tenons prciser que lexamen exclusif de celle-ci ne saurait suffire. La

    synthse qui y est mene comprend les points que nous avons pu faire merger des analyses

    approfondies des six actions tudies et des logiques institutionnelles et politiques

    luvre, avec les comptences et les centres dintrt qui sont les ntres. Chaque

    professionnel directement engag dans la problmatique de la dmocratisation artistique,

    partir du point de vue qui est le sien, pourra sans aucun doute tirer dautres enseignements

    de ce rapport tout aussi utiles pour mener ses actions condition de le lire dans son

    entier.

    Dans cet esprit, la postface du rapport propose un point de vue parmi d'autres

    possibles sur notre travail. Elle a pour objectif de susciter des dbats parmi lensemble des

    professionnels engags dans les questions quil soulve.

    Avertissement : les extraits dentretiens cits dans ce rapport conservent volontairement la

    forme orale des discours des personnes interroges. De ce fait, ils comportent des fautes de

    grammaire et de syntaxe que nous avons choisi de ne pas corriger. Ils ont nanmoins fait

    lobjet dune mise en forme afin de les rendre plus facilement comprhensibles.

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    1re partie Lanalyse approfondie de six actions

    distinctes de dmocratisation de lenseignement

    artistique

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    Les 6 actions plus particulirement tudies dans cette partie ont t choisies au terme dun

    processus qui a t dtaill dans les rapports intermdiaires remis la Rgion en octobre 2011

    et octobre 2012. Nous nous contentons de le rsumer ici, notamment pour respecter la

    convention danonymat sur laquelle nous nous sommes accords avec le comit de pilotage de

    ltude (les noms des tablissements et des personnes interroges ne sont donc pas donns ou

    sont fictifs). Il sagit en effet non pas de nommer telle ou telle action qui serait donne en

    exemple , mais den souligner les caractristiques pour dgager des pistes de rflexions

    ventuellement utiles dans dautres situations particulires.

    Dans un premier temps, nous avons dress une liste la plus exhaustive possible des actions

    menes dans la rgion afin de prendre la mesure de leur diversit (discipline artistiqueconcerne, public vis, territoire de mise en uvre, etc.), et de choisir parmi elles et en

    concertation avec le comit de pilotage celles tudier. Pour recenser les actions existantes,

    nous avons envoy un courriel aux directeurs de tous les tablissements publics de la rgion,

    tablissements classs (CRR, CRD, CRC et CRI) et tablissements publics non classs.

    Pour nous assurer que les musiques actuelles soient bien reprsentes dans ltude, un courriel

    a t envoy dans un second temps une liste non exhaustive de SMAC et dtablissements

    d'enseignement artistique non publics. Dans le courriel, nous avons adopt une dfinition

    large du terme de dmocratisation en parlant dactions lattention dun public

    habituellement peu touch par lapprentissage de la pratique de la musique, de la danse et/ou

    du thtre (milieu social, loignement gographique, handicap, etc.) . Toutes les actions

    dsignes par les tablissements eux-mmes comme faisant partie de ce primtre ont t

    recenses (une cinquantaine au final)2. Nous en avons prslectionn 17, qui couvraient

    lensemble du territoire rhnalpin (except le Dpartement de lAin o aucune action

    tudiable na t porte notre connaissance). Parmi ces 17 actions, 6 ont finalement t

    choisies lors dune runion du comit de pilotage de ltude3.

    Avec ces 6 actions, lenqute couvre 5 dpartements diffrents (tous les dpartements de

    Rhne-Alpes sauf lAin, la Drme et la Loire). Comme le montre le tableau rcapitulatif ci-

    dessous, ces 6 actions sont trs distinctes, en termes de partenaires impliqus, dges du

    2Un tableau rcapitulatif des caractristiques principales de ces actions initialement recenses figure en annexe.

    3 Outre les chercheurs et les reprsentants de la Nacre, le comit de pilotage tait alors compos de : CdricPellissier, Bob Revel, Fabien Spillmann, Martial Pardo, Carole Angonin, Gaspard Bouillat-Johnson, AlainDesseigne, et Mireille Poulet-Mathis. La liste complte des personnes ayant particip au comit de pilotage deltude figure en 4mede couverture du rapport.

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    public viss, de territoires concerns, et de type de disciplines enseignes. Au niveau des

    partenariats, deux sont en partenariat avec des centres sociaux, deux avec des tablissements

    scolaires, une avec le Service Petite Enfance dune municipalit, et une avec le Ple jeunesse

    dune ville. Au niveau de lge du public vis, il va de la petite enfance la fin de

    ladolescence. Au niveau des lieux gographiques, une action se situe en milieu rural tandis

    que les autres concernent plutt des quartiers populaires de villes moyennes ou grandes. Les

    disciplines artistiques sont aussi varies : veil musical, pratique instrumentale, danse, thtre,

    chant, composition musicale sur ordinateur. Concernant enfin le statut des tablissements,

    cinq sont des tablissements publics et un ne lest pas mais est reconnu par le Ministre de la

    Culture et de la Communication au titre du code de l'ducation.

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    Les six actions tudies

    N delaction

    Type dtablissement Descriptif Partenaires Territoire Type Public

    N 1 CRI Parcours dedcouverte dans le

    temps et le cursusscolaires (IDD)

    Un collge et unecompagnie de

    thtre

    Petite ville dans zonerurale enclave

    Hors les murs Collgiparticu

    N 2 CRC Stages gratuitspendant lesvacances scolaires

    Ple jeunesse de laVille

    Banlieue populairedune grande ville /Conservatoire situhors-ZUS

    Dans lesmurs

    Enfantsadultes

    N 3 CRD Parcours dansesorientale et hip-hopen centre socialpuis auconservatoire

    Centres sociaux Quartiers populairesclasss ZUS dunegrande ville /Conservatoire situhors-ZUS

    Hors et dansles murs

    Enfants

    N 4 CRC Orchestre l'cole cole lmentaire Banlieue populairedune grande ville /Quartier class ZUS /Conservatoire situhors-ZUS

    Hors les murs lves

    N 5 tablissementassociatif

    Amener des enfantset adolescents dequartiers populaires rencontrer lerpertoire dun

    Orchestre

    Orchestre dergion, et centressociaux et maisonde lenfance

    Ville moyenne Dans et horsles murs

    Enfants

    N 6 CRC Ateliers musicauxparents-enfants

    Service PetiteEnfance, CentreSocial Municipal etPMI

    Ville moyenne /Conservatoire situ enZUS

    Dans lesmurs

    Enfantsleurs pa

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    . Action n 1/ Un parcours dducation artistique et

    culturelle au collge

    Laction que nous allons analyser ici consiste en un parcours dducation artistique et

    culturelle mis en place dans un collge dune petite commune rurale4. Ce parcours se compose

    de quatre dispositifs spcifiques ddis chacun un niveau de classe (6me, 5me, 4meet 3me).

    Pleinement intgr aux programmes scolaires, il touche tous les lves de ltablissement. Il a

    pour objectif de permettre chaque collgien de dcouvrir et dexprimenter, tout au long de

    son cursus au collge, des pratiques artistiques varies, lies en particulier au spectacle vivant

    (thtre, danse, musique). Pour ce faire, il fait intervenir dans le cadre et le temps scolaires

    des artistes et des enseignants de conservatoire, qui sont amens collaborer avec les

    professeurs du collge. Un conservatoire rayonnement intercommunal disposant dune

    antenne locale dans la commune et une compagnie de thtre professionnelle en rsidence

    dans cette mme commune sont les porteurs artistiques du parcours. Impuls et soutenu par le

    Conseil gnral, celui-ci a t expriment lors de lanne scolaire 2011-2012 auprs des

    seules classes de 5me, avant dtre tendu ds lanne suivante lensemble des niveaux.

    Depuis 2012-2013, toutes les classes de ltablissement sont donc concernes par le parcours.

    Chaque niveau dispose de son propre dispositif en lien avec le programme scolaire. Toutes lesclasses dun mme niveau participent au mme projet, ce qui conduit faire travailler

    ensemble des lves de classes diffrentes.

    Lenqute de terrain a t mene en 2012-2013 et a port sur le projet ralis par les

    classes de 5me. Celui-ci a consist concevoir, raison dune sance de deux heures par

    semaine de novembre 2012 mars 2013, un spectacle articulant trois disciplines artistiques :

    la musique, la danse et le thtre. Le moyen-ge, qui figure au programme de 5meen Franais

    et en Histoire, a t retenu pour tre le thme du spectacle. Le projet sest droul en deux

    temps. De novembre dcembre 2012, les lves ont suivi tout dabord des modules de

    dcouverte par la pratique des trois disciplines artistiques proposes. Ces modules taient

    encadrs par deux enseignantes du conservatoire (danse et musique) et une comdienne,

    assistes par des professeurs de collge et une assistante dducation (AED). Dautres

    sances, animes par des professeurs du collge seuls, ont eu pour but dcrire les textes du

    spectacle. Au terme de cette premire phase, les lves ont mis des vux pour indiquer la

    4Au recensement de 2011, cette commune comptait un peu plus de 3 000 habitants.

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    discipline quils avaient prfre et quils souhaitaient poursuivre. Trois groupes ont alors t

    constitus et les lves se sont ainsi spcialiss. Latelier thtre ayant t largement

    plbiscit, tous nont pas obtenu leur premier choix. De janvier mars 2013, chaque groupe

    (toujours encadr par une artiste et un professeur) a cr et travaill sa propre partie du

    spectacle. Le projet a abouti le 19 mars deux reprsentations lune pour les lves et

    professeurs du collge, lautre pour les familles des enfants donnes dans une salle de

    spectacle de la commune. Ces deux reprsentations avaient t prcdes de deux journes de

    rptition gnrale runissant les trois groupes.

    Rcapitulatif de lenqute de terrain

    Lenqute de terrain sest droule dans de bonnes conditions. Nous avons pu assister au

    moins une sance de chacun des ateliers, ainsi quaux rptitions gnrales et aux

    reprsentations. Nous avons galement eu la possibilit dobserver une sance de travail des

    lves avec leurs professeurs seuls, ce qui a permis de mesurer limportance de lancrage

    scolaire du projet. Des entretiens ont t mens avec les intervenantes des ateliers thtre et

    musique, ainsi quavec 4 lves. Dans les pages suivantes, nous nous appuierons galement

    sur les entretiens raliss par Sbastien Gardon avec le proviseur de la cit scolaire, le

    principal adjoint du collge et le chef de projet au Conseil gnral.

    Entretiens raliss (N= 6)

    lodie Intervenante thtre 5 fvrier 2012

    Isabelle Intervenante musique 19 fvrier 2013

    Ivanie lve, groupe thtre 18 juin 2013

    Mathis lve, groupe musique 18 juin 2013

    Julien lve, groupe danse 19 dcembre 2013

    Morgane lve, groupe danse 19 dcembre 2013

    Observations ralises = 17h40 dobservation

    Travaux sur le moyen-ge avec des professeurs du collge 11 dcembre 2012

    (2 heures)

    Atelier thtre 29 janvier 2013

    (2 heures)

    Atelier danse 5 fvrier 2013

    (2 heures)

    Atelier musique 19 fvrier 2013

    (2 heures)

    Atelier thtre 18 mars 2013

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    (2 heures)

    Rptition gnrale du spectacle 18 mars 2013

    (3 heures)

    Rptition gnrale du spectacle 19 mars 2013

    (3 heures)Premire reprsentation devant les lves et professeurs du collge 19 mars 2013 (35 mn)

    Dbriefing de la premire reprsentation / Briefing de la seconde

    reprsentation

    19 mars 2013 (30 mn)

    Seconde reprsentation devant les familles des lves 19 mars 2013 (35 mn)

    1. De lducation artistique au collge

    1.1. Le montage du projet

    Le parcours dducation artistique et culturel mis en place au collge est n dune

    proposition du Conseil gnral du dpartement concern. Celui-ci mne depuis plusieurs

    annes une politique de soutien et de mise en cohrence de lducation, des enseignements

    dits spcialiss et des pratiques artistiques lis au spectacle vivant 5. Cette politique se

    donne pour objectif de rpondre plusieurs problmatiques, en particulier celle dun manque

    de coordination entre ducation artistique dans le cadre scolaire et pratiques et enseignementsartistiques extrascolaires. Or la mise en relation de ces deux univers sociaux, linstitution

    scolaire dune part, les mondes de lart dautre part, apparat au Conseil gnral comme une

    mission dimportance. Pour y rpondre, une action exprimentale dducation artistique

    destination de collgiens, croisant diffrents arts de la scne et faisant intervenir dans le cadre

    scolaire des artistes-enseignants, a t imagine. Le collge o se situe laction tudie est

    apparu au Conseil gnral comme un terrain de choix pour tester empiriquement laction car

    la commune dans laquelle il se trouve, bien que situe dans une zone gographique enclavedont on pourrait penser quelle limite loffre culturelle disponible, compte sur son territoire

    plusieurs acteurs culturels professionnels. La commune dispose dune antenne locale dun

    conservatoire de musique et de danse rayonnement intercommunal et accueille en rsidence

    une compagnie de thtre professionnelle. Avant lexprimentation de laction, ces acteurs

    culturels travaillaient frquemment dans les tablissements scolaires de la ville mais sous des

    formats varis, sans quaucun programme coordonne et cohrent nexiste.

    5Projet dexprimentation de parcours dinitiation artistique pluridisciplinaire.

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    Sollicite par le Dpartement, la direction du collge a rpondu favorablement car elle tait

    notamment incite par la rforme scolaire de 2009 introduisant lenseignement de lhistoire

    des arts dans les programmes de collge, renforcer et systmatiser ses liens avec les acteurs

    culturels locaux6. La premire runion visant laborer le projet daction a eu lieu en

    mars 2010. La mthodologie retenue a t celle dune co-construction entre quipe

    ducative du collge et acteurs culturels susceptibles dintervenir, avec lappui du chef de

    projet du schma dpartemental de dveloppement des enseignements artistiques du Conseil

    gnral 7. Le conservatoire de musique et de danse a t dsign comme le porteur du projet,

    la direction artistique tant assure par le conservatoire et la compagnie de thtre en

    rsidence dans la commune.

    Quatre grands objectifs sont cibls par le Projet dexprimentation. Tout dabord unobjectif 1) d ducation artistique , consistant permettre des collgiens de dcouvrir et

    explorer des pratiques artistiques, la fois comme spectateurs et comme acteurs. Puis 2) vient

    un objectif scolaire. Les parcours sont le produit dun travail co-construit par linstitution

    scolaire et les acteurs culturels. Ils doivent permettre d apporter de nouvelles motivations et

    aiguiser le got apprendre des collgiens . Ensuite 3) un objectif de dmocratisation

    artistique, consistant mettre en contact avec la Culture un public qui ne serait pas touch par

    elle par ailleurs ; lexplication rsidant ici moins dans des facteurs proprement sociaux que

    dans des raisons gographiques. Enfin 4) un objectif de formation des artistes amateurs, le

    croisement de diffrents arts devant permettre de former des artistes plus complets.

    Ces quatre objectifs forment en fait deux blocs, qui renvoient dune part des enjeux

    culturels (duquer, dmocratiser et former), et dautre part des enjeux proprement scolaires.

    Cette dualit des buts viss par laction correspond aux missions diffrencies qui sont celles

    des institutions qui la portent. De fait, le soutien aux enseignements artistiques et aux

    pratiques lies au spectacle vivant apparat comme lune des motivations initiales etprpondrantes du Conseil gnral, tandis que la direction du collge conoit dabord le

    6Promesse de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, lintroduction de lhistoire des arts dans les programmesscolaires est ralise par Xavier Darcos. Elle est effective la rentre de septembre 2008 pour le primaire, cellede septembre 2009 pour le secondaire. Cette nouvelle matire embrasse tous les champs, de larchitecture lavido, afin de livrer aux lves des repres historiques et mthodologiques indispensables la comprhensiondes uvres, sans oublier le contact direct avec celles-ci. Les chefs dtablissement sont pris de conclure cette fin des accords avec les institutions culturelles du territoire, si ce nest dj le cas . (E. Wallon, Espoirset dboires de lducation artistique , in B. Toulemonde (dir.), Le Systme ducatif en France, Paris, La

    Documentation franaise, 2009, p. 191-196, p. 193).7Projet dexprimentation de parcours dinitiation artistique pluridisciplinaire.

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    parcours comme un mode particulier dacquisition et/ou de consolidation des connaissances

    scolaires.

    1.2. Dcouvrir et explorer des pratiques artistiques : veil au corps

    et aux sensations

    Comme on la dit prcdemment, lune des motivations initiales du Conseil gnral

    mettre en place un tel parcours dducation artistique tait de systmatiser les liens pouvant

    exister entre dune part linstitution scolaire, dautre part les tablissements denseignement

    artistique et les artistes professionnels. De manire sous-jacente, lobjectif vis est en fait de

    favoriser la dmocratisation de laccs aux pratiques artistiques et culturelles. Il sagit de se

    saisir de linstitution scolaire, qui capte lensemble des enfants dune classe dge sans

    distinction dorigine sociale et/ou de capital culturel, pour les mettre tous en contact avec la

    Culture (lgitime) et les Arts. Cest pourquoi lorsque lide dun parcours cohrent

    dducation artistique et culturelle a t soumise la direction du collge, le chef de projet au

    Conseil gnral a insist pour que laction nentre pas dans le cadre des CHAM (Classes

    Horaires Amnages), qui sont des dispositifs optionnels qui reposent sur le volontariat et ne

    concernent quun nombre limit dlves. De fait, le mode de recrutement des CHAM fait

    peser sur elles le risque que sy retrouve majoritairement un public a prioridj sensibilis

    la culture lgitime et aux pratiques artistiques lextrieur du monde scolaire, au sein de leurs

    familles. Comme lont montr de nombreuses enqutes sociologiques8, cest prcisment au

    sein des familles, que naissent les ingalits daccs et de rapports la culture. linverse,

    lambition du Conseil gnral tait bien de toucher lensemble des collgiens.

    Lenjeu de la dmocratisation culturelle est bien peru par la direction du collge. En

    entretien, le proviseur et le principal-adjoint de ltablissement soulignent que le public

    scolaire quils accueillent est dorigine sociale trs populaire. Le taux de boursiers y est par

    exemple important. Hormis quelques familles disposant de salaires consquents, lessentiel de

    la population connat une relative pauvret. Le proviseur et le principal-adjoint ont ainsi

    8 Parmi les recherches rcentes, on peut citer notamment : M. Court et G. Henri-Panabire, La socialisationculturelle au sein de la famille : le rle des frres et surs , Revue franaise de pdagogie, n 179, 2012, p. 5-16 ; B. Lahire, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Dcouverte,2004 ; C. Mennesson, Socialisation familiale et investissement des filles et des garons dans les pratiquesculturelles et sportives associatives , Rseaux, n 168-169, 2011, p. 87-110 ; F. Renard, Reproduction deshabitudes et dclinaisons de lhritage. Les loisirs culturels dlves de Troisime , Sociologie, vol. 4, n 4,2013, p. 413-430 ; C. Tavan, Les pratiques culturelles : le rle des habitudes prises dans lenfance , Insee

    premire, n 883, 2003.

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    pleinement conscience davoir un gros rle jouer pour laccs la Culture de ce public

    jug difficile . Ils tiennent pour une de leurs missions dapporter les arts tous les publics.

    Pour ce faire, ils entendent prenniser le parcours dducation artistique et culturelle, qui a t

    intgr au volet culturel du Projet dtablissement et du Contrat dobjectif signs avec le

    Recteur dAcadmie. Le principal-adjoint a par ailleurs tenu rendre clairement visible le

    dispositif dans les emplois du temps des lves afin de faciliter lintervention des artistes et

    dafficher la pleine reconnaissance des actions. Celles-ci sont, de fait, identifiables par les

    lves comme nimporte laquelle des matires qui composent leur emploi du temps.

    Le principal-adjoint, qui est charg dassurer le pilotage administratif et logistique du

    parcours, apparat comme un soutien de poids qui dfend vivement la vise dducation

    artistique du projet. Pour lui, lcole ne doit pas se fixer pour seule mission de transmettre desconnaissances et des savoirs scientifiques, mais doit aussi permettre aux lves de dvelopper

    leur sensibilit . Dans cette perspective, lart constitue un moyen privilgi :

    Si lcole doit apporter de la connaissance, de la science, elle doit aussi apporterde la sensibilit. Et si on na pas une ducation la sensibilit, on ne pourrafabriquer que des gens qui pensent de manire dsincarne, des gens qui ne seconnaissent mme pas, la rigueur, qui peuvent tre de trs bons mathmaticiensmais qui ne connaissent mme pas leurs propres choix, leurs propres gots .

    Cette reprsentation de lart comme instrument privilgi de lducation des sens recoupela vision promue par les artistes intervenantes. lodie, comdienne et intermittente du

    spectacle, insiste ainsi sur la dimension corporelle et motionnelle qui imprgne linitiation au

    thtre et qui doit primer sur le texte. Pour elle, lenjeu premier des ateliers est dapprendre

    aux lves faire usage de leurs corps, sexprimer corporellement, exprimer des motions

    par le jeu, et en particulier par la gestuelle. lodie regrette dailleurs beaucoup le manque de

    temps dont les lvent disposent pour monter le spectacle, qui fait que lefficacit du travail

    ralis chaque semaine tend prendre le pas sur la recherche (des sensations, du jeu, de ce quimarche, etc.), pourtant conue comme une dimension essentielle du travail de comdien :

    Faut tre efficace l. Cest--dire que tu vois par exemple cet aprs-midittais pas l mais un moment donn jessayais de leur donner des indications de

    jeu et tout a. () a marchait pas, ils entendaient pas. Donc un moment donn,je leur montre et je leur dis : "Faites comme je fais". Ce que je ferais jamais enatelier extrascolaire parce quon a vraiment le temps de leur faire chercher. Euhl y a un temps de recherche qui est moindre. Voil. Ce que vraiment jaime leurapprendre cest que faire du thtre cest pas trouver, cest chercher. Et que cestcette recherche-l qui en tout cas nous intresse la Compagnie. Cest pas pourrien quon fait beaucoup de spectacles sur le thme de la science. Cest que larecherche nous intresse vachement plus que le rsultat final .

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    Isabelle, professeure de piano et densemble musical au conservatoire et animatrice de

    latelier musique, conoit galement lducation artistique comme une approche aux

    sensations qui consiste mettre en veil les sens : Et cest a qui mintresse

    normment cest mettre en veil la sensibilit, lcoute. tre hypersensible, hyperattentif.

    De fait, elle aussi regrette un calendrier trop serr. Elle souhaiterait que laction puisse se

    drouler sur une anne scolaire complte, ce qui permettrait aux lves davoir du temps pour

    apprendre ressentir et pour permettre un collectif de se construire :

    Donc je regrette un peu cette formule-l moi. Pour moi, a devrait tre quelquechose qui est fait sur toute l'anne, avec vraiment en fond () l'importance dugroupe, l'importance de mettre en chos et en rsonance sa sensibilit aussi parceque les enfants ne savent plus trop a. Euh... et couter, ils savent plus tropressentir, a va trop vite aujourd'hui, tout va trs vite. Et tout d'un coup les mettre

    un peu en suspens c'est vachement intressant. C'est une belle exprience leurfaire vivre cet ge-l. a peut tre fait par les arts. Et je trouve a vachementintressant si on a le temps de le faire. Mais si nouveau on tombe dans unpanneau de production ou de quelque chose qui va trop vite, on est un peu ctde la plaque. Donc c'est a que je trouve un peu dommage cette anne .

    La citation prcdente dit davantage que le regret du manque de temps. Dune certaine

    manire, elle positionne le travail de lart en rupture avec le travail scolaire. Alors que ce

    dernier suppose un calendrier pralablement dfini et un objectif prcis, prenant par exemple

    la forme dune production , lapprentissage des arts rclame linverse un temps qui soitmoins dcoup et rationalis. Il sagit de laisser des sensations merger, sinstaller. Le corps

    tient ici une place centrale. La smantique de lextrait met en avant le travail du et la

    dcouvertepar le corps : sensibilit , ressentir , couter . Les organes sensoriels sont

    ici mobiliss. Lusage dprciatif dans lextrait du mot production nest pas anodin. Il

    sagit de dnoncer le finalisme suppos de lcole, cest--dire lide quil faudrait

    ncessairement arriver un rsultat qui soit objectivable (valuable), tandis que lintrt

    premier de lart rsiderait dans lexprience de sensations.

    1.3. Soutenir les apprentissages scolaires

    La dmocratisation culturelle, au sens o il sagit de permettre tous les lves de

    dcouvrir des pratiques artistiques, est un objectif partag par tous les acteurs impliqus dans

    laction. Or cet objectif nest pas dconnect denjeux et dattentes proprement scolaires, et ce

    deux niveaux. Tout dabord parce que les actions dducation artistique et culturelle mises

    en place au collge entrent dans le cadre de lenseignement de lhistoire des arts. Or, depuis

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    2009, lhistoire des arts fait partie intgrante des programmes scolaires9. Elle est mme

    sanctionne par une preuve au brevet des collges. Il est attendu des lves quils matrisent

    au terme de leur cursus un certain socle de connaissances sur les arts. La dmocratisation

    culturelle est donc, dune certaine manire, pleinement intgre aux missions de lcole et le

    parcours dducation artistique et culturelle au cursus scolaire des collgiens du collge

    tudi.

    Mais il est galement espr de la participation des lves au parcours des bnfices

    scolaires plus gnraux et plus immdiatement visibles. Le proviseur insiste particulirement

    sur ce point. ses yeux, lobjectif rel de contribuer la dmocratisation culturelle ne doit

    pas masquer que, dans la mesure o laction sinscrit dans le temps et le cadre scolaires, ainsi

    que dans les parcours scolaires des lves, des retombes scolaires sont aussi, voire surtout,attendues. Les professeurs en particulier nous dit-il, esprent des bnfices sur le plan du

    comportement, de limplication dans les tches scolaires ou encore en termes dapprentissage

    et de rsultats. Il est notamment espr que le parcours permette certains lves en difficult

    de raccrocher scolairement.

    Les acteurs scolaires ne sont dailleurs pas les seuls placer dans laction de tels objectifs.

    Linitiateur du projet au Conseil gnral, qui apporte son appui technique la mise en uvre

    du parcours, voit dans celui-ci un outil alternatif l ducation classique pour intresser leslves aux thmatiques du programme scolaire (comme le moyen-ge dans le cas des 5me). Il

    lenvisage galement comme un moyen pouvant contribuer remobiliser les lves en

    difficult.

    Les attentes scolaires sont donc loin dtre ngligeables. Et il semble mme quelles

    tendent saffirmer au fil du temps. Un texte, dat du 13 janvier 2011 et faisant un point

    dtape sur la ralisation du projet exprimental10, liste par exemple plusieurs lments

    amliorer dans le dispositif, dont un ressort qui est particulirement intressant :

    Le besoin dune approche pralable avec les lves comme avec les parents estressenti, de manire exposer les objectifs de ces actions dducation artistique,quelles soient reues comme de vritables moments dducation et non de

    9 Il faut prciser ici que les tablissements scolaires bnficient dune autonomie importante dans llaborationde leurs enseignements de lhistoire des arts, conue comme une discipline transversale pouvant faire intervenirdes professeurs de diffrentes matires.

    10Point dtape sur lexprimentation daction dducation artistique aux arts de la scne , compte-rendu dunerunion du 13 dcembre 2011.

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    rcration. Un crit et une valuation interactive avec les lves semblentncessaires .

    Cette citation constitue une bonne illustration de lancrage scolaire du projet. Dans lesprit

    des acteurs qui la portent, laction ne saurait tre dtourne de ses vises ducatives et de ses

    fins dapprentissage. Il leur apparat donc que ces dernires doivent tre bien connues et

    perues la fois par les lves et leurs parents. Si, tels quils sont formuls, on ne sait pas

    prcisment ce qui est entendu par un crit et une valuation interactive , on peroit

    nanmoins une volont de renforcement de lencadrement scolaire. Le recours lcrit et

    lvaluation soit des pratiques profondment incorpores aux modes daction scolaires, et

    mme constitutifs de la forme scolaire dapprentissage a pour effet de rappeler et

    dexpliciter la dimension scolaire du projet (qui ne doit pas tre peru par les lves et leurs

    familles comme un moment de rcration ) et des buts fixs.

    Il faut noter que le retour de ltablissement sur lanne dexprimentation semble avoir

    confort le proviseur et le principal-adjoint dans la possibilit de tirer des profits scolaires de

    laction. Selon eux, des lves en difficult dans certaines disciplines sont parvenus se

    valoriser dans le projet. Il semblerait galement que les lves lisent avec plus de curiosit. Le

    proviseur et le principal-adjoint analysent limplication des lves comme le rsultat de la

    possibilit qui leur est donne de sinvestir dans les murs de ltablissement, mais en dehors

    de leurs enseignements et enseignants traditionnels. La possibilit de faire des choix parmi les

    disciplines proposes est galement perue comme un lment capable de stimuler

    linvestissement des lves.

    Au final, on observe que vises artistiques et vises scolaires imprgnent laction. Au

    niveau des concepteurs, ces objectifs pluriels ne recoupent pas strictement la distinction entre

    acteurs du monde artistique et culturel et acteurs du monde scolaire. Ils ne coexistent pas

    sparment, mais tendent se mler pour la promotion dun projet ducatif global. Il sagit depromouvoir une approche de la culture et des arts en tant qulment dducation et plus

    globalement de constructionde lIndividu 11. La dimension artistique, en revanche, prime

    trs nettement dans les discours des artistes-enseignants. Nous verrons mme que pour elles,

    casser certaines logiques scolaires peut paratre bnfique pour faciliter la dcouverte et

    lexpression artistiques des lves.

    11Ibid.

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    2. Mise en uvre de laction

    Nous allons dans cette partie tudier la mise en uvre concrte de laction. Nous traiterons

    exclusivement du projet ralis par les classes de 5me

    lors de lanne scolaire 2012-2013, quiest celui sur lequel ont port les observations. Il convient de noter en prambule que ce projet

    ne fait pas seulement cho aux programmes dhistoire des arts, mais quil entre dans le cadre

    des Itinraires de Dcouverte (IDD). Introduits dans le programme des classes de 5me la

    rentre de 2002, les IDD sont des modules denseignement interdisciplinaires par projets

    visant favoriser lapprentissage de lautonomie par les lves. Bien que devant servir

    lacquisition par ces derniers des savoirs composant le programme scolaire, les IDD

    sefforcent de dvelopper des dispositifs pdagogiques alternatifs au modle de la salle de

    classe. Chaque tablissement est autonome pour laborer ses propres IDD. Dsormais, il nous

    arrivera dans ce texte de parler des IDD pour dsigner laction.

    2.1. Bornage scolaire, autonomie des artistes

    Lun des principes qui a guid la conception du parcours est celui de la co-construction du

    projet artistique par des artistes-enseignants dune part et lquipe ducative du collge

    dautre part. Cette ide de la co-construction est largement mise en avant dans les textes et les

    discours institutionnels portant sur laction. Or, alors que le terme suppose une collaboration

    troite entre les diffrents acteurs, les observations sur le terrain conduisent relativiser cette

    prsentation. Cest en effet plus un net partage des rles et des tches entre les artistes et les

    professeurs quun vritable travail conjoint qui se donne voir sur le terrain.

    En premier lieu, il est ncessaire de souligner le fort ancrage scolaire de laction. Les

    ateliers suivis par les lves se droulent dans les murs du collge et durant le temps scolaire.

    Ils sinscrivent doublement dans le programme scolaire, du fait quils relvent des IDD et que

    le thme du spectacle (le Moyen-ge) figure aux programmes de franais et dhistoire. Ils

    mobilisent enfin des professeurs sur leurs heures de service. Ce sont dailleurs ces derniers

    qui, en accord avec la direction du collge, ont dtermin et impos la thmatique du moyen-

    ge. Il faut noter en outre que les quelques sances assures par les professeurs seuls durant la

    premire phase des IDD, sapparentent trs clairement des cours classiques. Il sest agi pour

    lessentiel de travailler sur des textes, que ce soit pour les lire ou pour les crire. Lune des

    sances laquelle on a assist a ainsi t consacre la lecture et la comprhension dun

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    extrait de Gargantua de Rabelais. Lexercice consistait dans un premier temps chercher

    dans le dictionnaire le sens des mots difficiles (pralablement surligns) et en rdiger une

    dfinition. Puis la professeure interrogeait les lves, notant leurs propositions de dfinition

    au tableau. On est ici dans un format tout fait scolaire, la sance consistant peu ou prou en

    un cours de franais.

    Cet ancrage scolaire est une caractristique fondamentale de laction. Celui-ci

    saccompagne toutefois dune autonomie importante laisse aux artistes intervenantes. La

    direction et la conception du spectacle leur sont en grande partie confies. Certes, le thme

    gnral leur est impos et pse sur elles comme une contrainte dont elles aimeraient

    saffranchir. lodie, lintervenante thtre, dit dailleurs avoir tent de ngocier avec les

    professeurs lors des premires runions, mais que le choix du thme sest rvl ne pas trediscutable : Nous a fait deux ans quon essaye de se sortir de ce thme-l avec Maria et

    Isabelle . Cette contrainte du thme impos est cite par lodie comme une des

    problmatiques de bosser avec un tablissement de lducation nationale : Cest quon est

    oblig de rester dans le programme. Et du coup des fois cest un peu . Malgr cela, les

    intervenantes disposent dune marge de manuvre importante pour laborer le spectacle ( Et

    le spectacle on la mont avec Maria et Isabelle ). Ce sont elles qui, lors de runions

    prparatoires dont tait absente lquipe ducative du collge, en ont construit la trame,

    dgag les grands axes, crit les principales lignes. Les sous-thmes du spectacle (le

    monstrueux, la chevalerie, lamour courtois) sont ainsi des trouvailles et des choix des

    intervenantes. La prparation du spectacle a ncessit, en amont des premires sances avec

    les lves, tout un travail dcriture auxquels les professeurs nont pas particip. Ce travail

    prparatoire a notamment dbouch sur un droul complet du spectacle qui a ensuite t

    prsent aux professeurs. Ces derniers sont donc en fait entrs dans laction plus tardivement

    et, alors que les missions de conception et de direction dvolues aux intervenantes ont requis

    un travail consquent hors de la prsence des lves, leur primtre dintervention sest pour

    lessentiel limit aux sances avec les lves. La diffrenciation des rles entre les artistes et

    lquipe ducative du collge va se traduire concrtement par une division du travail trs

    marque. Du fait quelles tiennent les rnes de la conception du spectacle, les intervenantes

    vont en piloter la mise en uvre et relguer les professeurs des tches plus priphriques.

    Signe de leur dpossession, une professeure nous dira dailleurs quelle et ses collgues ont du

    mal savoir o on va .

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    2.2. Une nette division du travail

    Lors des sances dapprentissage et de rptition, une rpartition des rles et des tches

    trs marque sobserve. Parce quelles possdent les savoir-faire artistiques, mais aussi parce

    quelles ont conu le spectacle, les artistes ont la main sur la conduite de laction. Elles

    dirigent les sances, grent la progression de la prparation du spectacle, prennent les

    dcisions qui simposent. A contrario, les professeurs apparaissent systmatiquement en

    retrait, prenant peu la parole et intervenant rarement. Ils restent cantonns un rle dappui et

    lexcution de tches priphriques qui nentrent pas dans le cur artistique du

    spectacle.

    Dans latelier thtre, si la professeure qui accompagne lodie fait lappel en dbut desance, elle se place ensuite en retrait. Cest alors lodie qui monopolise la parole, donne les

    consignes, demande aux lves de faire le silence lorsquil y a trop de bruit, fait la discipline,

    etc. La professeure est non seulement le plus souvent silencieuse, mais se tient mme

    physiquement lcart. Ds les exercices dchauffement, elle est assise sur un bureau situ

    une extrmit de la pice tandis que les lves et lodie occupent un grand espace au centre

    de celle-ci. Ses prises de parole, quil sagisse dmettre une suggestion ou de rprimander un

    lve jug insupportable , sont rares (lors dune des sances que nous avons observes,

    nous nen avions relev que deux). Son attitude dnote nanmoins une vritable implication.

    Elle est attentive ce quil se passe mais le cours de la sance est pris et tenu en mains par

    lodie.

    Une configuration analogue sobserve dans latelier danse, quoique de faon moins

    marque. Lors des phases dchauffement, la professeure est par exemple intgre au cercle

    form par lintervenante (Maria) et les lves. Par la suite, elle assiste Maria de manire plus

    active, nhsitant pas corriger les erreurs chorgraphiques de certains lves.

    Plus que dans les autres ateliers, cest en musique que le binme de lintervenante, qui

    nest pas professeur mais assistante dducation12, est le plus discret et effac. Sans doute son

    statut participe-t-il de cette ralit. En effet, nenseignant pas, nayant pas ses propres lves,

    mais occupant aussi une position domine dans lespace des personnels du collge, lAED est

    non seulement moins tenue par lattente dventuelles retombes scolaires du projet, mais

    aussi moins lgitime. Isabelle, lintervenante, nous dit dailleurs en entretien que, si a se

    12Les assistants dducation (AED) sont les surveillants.

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    passe trs bien avec elle, elle prfre tout de mme travailler avec des professeurs puisquil y

    a quand mme une grande implication pdagogique de leur part . Durant les sances,

    lAED se tient assise sur une chaise, en marge des lves tandis quIsabelle est linverse

    pleinement intgre au groupe form par les lves. Le rle de lAED se rduit pour

    lessentiel veiller ce que les lves soient disciplins. Ainsi, lors des temps morts, elle en

    profite souvent pour recadrer discrtement les lves jugs insuffisamment attentifs. Ce nest

    pas pour autant que lintervenante nassure pas ces tches elle aussi. En dfinitive, cest mme

    elle qui dfinit les rgles. Nous avons par exemple pu observer une scne trs significative de

    ce point de vue. Au cours dune sance, une lve demande lAED si elle peut se rendre aux

    toilettes. Cette dernire hsite deux secondes avant quIsabelle nintervienne et tranche en

    sadressant directement llve : cest non.

    Dune manire gnrale, on constate que si le primtre daction des professeurs et de

    lAED est rduit et se limite parfois assurer la discipline, en revanche il ny a pas de tches

    dont sont exclues les intervenantes. Et pour ce qui concerne la discipline, elles sont mmes les

    premires sen occuper. Cest ainsi une hirarchisation des rles et des fonctions que lon

    observe : les intervenantes dirigent, les professeurs et lAED assistent. Dans latelier musique,

    lAED est par exemple charge de lancer le disque tandis que lintervenante dirige les lves

    la manire dun chef dorchestre. On voit l une distinction nette entre un rle dappui dune

    part et un rle de direction dautre part.

    Cette division du travail entre les artistes et lquipe ducative va se rvler encore plus

    visible lors des rptitions gnrales au cours desquelles tous les groupes, et donc tous les

    lves, sont runis. Comme durant les sances prcdentes, les intervenantes dirigent les

    oprations (elles sont sur la scne avec les lves) tandis que les professeurs (et lAED) sont

    physiquement en retrait (positionns dans lespace destin au public). Mais cette fois-ci, les

    intervenantes demandent explicitement aux professeurs de se charger dassurer la disciplineafin que les rptitions soient efficaces. Par ailleurs, lorsquil sagit de rgler certains dtails

    du spectacle, les intervenantes discutent entre elles et prennent les dcisions seules. Exclus de

    ces changes, les professeurs nont alors aucune prise sur la dimension artistique des

    vnements et semblent plus que jamais dessaisis de ce qui se passe. Mais le plus significatif

    se droule sans doute lors des longs temps de pause, comme les repas. Dans ces moments, les

    intervenantes se soustraient la prsence des lves. Elles mangent par exemple entre elles,

    lcart. Les professeurs et lAED prennent alors en charge les lves. LAED distribue les

    plateaux-repas aux lves et les professeurs les surveillent et mangent avec eux. La mme

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    configuration se retrouve lors de la pause goter de laprs-midi. Les intervenantes annoncent

    mme alors lquipe ducative quelles sclipsent trois quarts dheure pour

    dcompresser . On voit bien ici la division du travail : aux intervenantes le rle de

    direction artistique, aux professeurs la mission de gardiennage.

    3. ratiques pdagogiques et !odes dapprentissage

    3.1. Casser des logiques scolaires

    Dans le discours des intervenantes apparat explicitement le dsir de rompre, pour favoriser

    linitiation aux pratiques artistiques, avec les logiques scolaires, juges pesantes et

    inhibitrices, qui leur sont imposes au sein de et par linstitution. lodie est particulirement

    volubile ce propos. Le fait que les ateliers aient dordinaire lieu dans les murs du collge

    constitue pour elle un handicap, ou tout le moins un frein la progression des lves. Les

    hirarchies, les rflexes, les attitudes scolaires persistent en effet avec le lieu. Celui-ci borne

    lexprience des lves. De la mme manire, la prsence de professeurs du collge peut aussi

    constituer un lment perturbateur en tant quils reprsentent linstitution scolaire et lordre

    que celle-ci impose. Lors de lentretien que nous menons avec elle en fvrier 2013, lodie se

    dit trs impatiente des journes balises consacres aux rptitions gnrales (prvues pour les

    18 et 19 mars suivants) car elles vont avoir lieu en dehors de ltablissement, dans une salle

    des ftes de la commune :

    Ah ouais dj je pense que le 18-19 a va tre vachement plus agrable quonsoit (nom de la salle des ftes) et quon soit dans la salle des ftes de (lacommune), et pas dans le collge. Parce que a libre un peu aussi, enfin ilssortent, cest bien quils sortent de ltablissement aussi quoi. () Moi je penseque sortir de ltablissement cest pas mal. () Voil quand on sort de

    ltablissement on a encore autre chose qui arrive quoi, on a encore dautreschoses qui se passent. Parce que dans ltablissement tu as encore les durs quivont faire les durs, tu as encore voil toutes les relations et tous les statuts, toutela hirarchie qui peut y avoir entre lves. () Alors que ds que tu changesdendroit tout peut se casser la gueule. Mme si tu as encore les profs et tout amais quand mme ils sont que 4 profs donc cest pas non plus le .

    Pour contourner ces effets dinhibition et casser un ordre scolaire peru comme pesant,

    lodie exige que les lves la tutoient et lappellent par son prnom. Elle emploie galement

    un langage volontiers familier (comme par exemple le mot verlan chelou ) dans le but

    assum de rduire la distance avec les lves. Lgalisation des positions et des statuts vise

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    par ce procd est cense favoriser leur expression : Enfin y a un moment donn on nose

    pas alors que le but cest de faire exploser les barrires. En jeu en tout cas quoi.

    Isabelle attache quant elle une grande importance aux notions de groupe et de solidarit

    collective, qui sont des conditions de possibilit pour jouer de la musique ensemble et qui nesemblent pas, selon elle, tre transmises par lcole. Lcole favoriserait au contraire plutt la

    comptition et lindividualisation. En musique, il sagit de construire quelque chose

    collectivement. Chaque lve doit par consquent tre intgr ( avoir une place ) et

    valoris13:

    Et cest a que je trouve moi le plus intressant dans les IDD, cest cette histoireo je leur rpte souvent et je sens quils commencent comprendre cettehistoire du groupe, de la sensation du groupe, dtre chacun une pierre dans le

    groupe. Quon ne peut pas se mettre tout dun coup au centre du truc et tout fairebasculer (). a, je trouve cest super important pour a dintervenir au collgeparce que je pense quils ont pas du tout cette notion-l () dcoute collective,ou daide ou dentraide .

    3.2. Impliquer les lves

    Dans leur pratique pdagogique, les intervenantes sattachent beaucoup impliquer les

    lves dans la construction du spectacle et dans les prises de dcision. Si elles manifestent une

    certaine directivit (dans la mesure o leurs prises de parole sont frquentes pour expliquer,

    corriger et conseiller les lves), elles (et les professeurs) ne font pas seuls des choix que les

    lves nauraient ensuite qu excuter. Au contraire, aux diffrentes phases du travail, ces

    derniers sont consults. On leur demande ce quils pensent du spectacle, sils ont des ides

    pour les dialogues ou la chorgraphie, les costumes ou le dcor, sils trouvent que les

    personnages conviennent, etc. Bref, les lves ne sont pas de simples excutants mais

    participent rellement la conception du spectacle. On attend deux quils soient force de

    proposition. Cet effort pour impliquer les lves se matrialise notamment par des temps de

    dbriefing en fin de rptitions. L, on demande aux lves leur avis sur la sance qui vient de

    se drouler, on leur demande de critiquer leur performance pour lamliorer. Et, dans

    lensemble, les lves jouent le jeu. Lors de la dernire rptition de groupe, certains

    nhsitent ainsi pas dire quil y a eu des oublis, que les voix ne sont pas assez fortes, etc. ;

    certains font des suggestions pour dpasser un problme.

    13Notons quapprendre vivre ensemble constitue aussi une valeur scolaire. En se positionnant contre lcole,Isabelle dfend paradoxalement des valeurs promues par elle.

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    En musique notamment, Isabelle se rvle particulirement soucieuse, non seulement

    dassocier pleinement les lves la conception de la pice, mais aussi de leur ressenti. Aprs

    chaque phase de travail dune heure, elle fait avec eux un bilan de ce qui vient dtre ralis et

    demande aux lves leur sentiment et leur avis. Elle pose par exemple la question suivante :

    Que ressentez-vous, vous ? .

    Cet effort pour impliquer les lves, pour quils participent rellement la fabrication du

    spectacle, nest pas le seul fait des intervenantes mais caractrise aussi les manires de faire

    des professeurs durant les IDD. Par exemple, lors de la sance anime seulement par des

    professeurs que nous avons observe, lune des tches que les lves avaient raliser tait de

    puiser dans un texte littraire du moyen-ge des lments qui pouvaient tre dclams et qui

    pouvaient donc tre intgrs aux dialogues du spectacle. La consigne demandait aux lves desurligner dabord les phrases qui leur plaisaient ou qui leur voquaient quelque chose. Ce

    nest que dans un second temps seulement quils devaient noter les phrases qui leur

    paraissaient difficiles et leur posaient des problmes de comprhension. La priorit tait ici

    donne lcriture du spectacle, dont les lves devaient tre parties prenantes, et non

    lobjectif scolaire de comprhension de texte, bien prsent cependant. Cest ainsi que les

    lves ont pu retrouver dans les dialogues finaux du spectacle des phrases quils avaient eux-

    mmes slectionnes ou crites.

    Cette pratique pdagogique est en fait pleinement conforme aux objectifs qui fondent le

    dispositif IDD, lesquels visent, par la ralisation de projets, lapprentissage de lautonomie par

    les lves. Rompant avec une pdagogie directive juge dpasse (qui considre les lves

    comme des rceptacles passifs du savoir dvers dans leurs oreilles ou tal devant leur

    yeux 14), elle suppose et rclame linverse un lve actif : Llve doit prendre en charge

    son activit intellectuelle, tre plac en situation de rflexion ou de production-cration (vs

    situation dentranement systmatique et rptitif) 15

    .

    14 B. Lahire, Fabriquer un type dhomme autonome : analyse des dispositifs scolaires , in B. Lahire,

    LEsprit sociologique, Paris, La Dcouverte, 2007, p. 322-347, p. 329.15Ibid.

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    3.3. Transmission orale, apprentissage pratique

    Lapprentissage dans les diffrents ateliers se ralise pour lessentiel sur un mode pratique.

    Il sagit principalement dun apprentissagepar corps16. En effet, les musiciens apprennent les

    techniques du jeu musical en jouant, les comdiens leur personnage en lincarnant, les

    danseurs leur chorgraphie en linterprtant, sans avoir recours pour ce faire des supports

    crits. Par exemple, dans latelier thtre, lun des exercices raliss consiste marcher en

    mimant son personnage, un autre dclamer un bonjour en se mettant dans la peau de ce

    mme personnage. Cest ensuite par la rptition et les corrections successives que les lves

    sajustent et sapproprient leur rle. Lapprentissage sopre donc par exprimentation.

    lodie soutient activement lide que lune des bases du jeu thtral (et ce sur quoi elleinsiste particulirement lors des ateliers dinitiation quelle anime) est lexpression des

    motions. Or elle privilgie le corps au texte pour favoriser cette expression. Le thtre, selon

    elle, est avant tout un travail du corps, sur le corps :

    Moi je travaille normment sur lexpression des motions. Vraiment, pour moi,linitiation, cest a, cest la base. Et partir du moment o () on a un paneldmotions en jeu, on peut y aller, on peut dj euh avancer, pas mal. Donc toutce qui est expression des motions et puis le travail du corps. Cest ce qui nous

    intresse la compagnie en fait parce que on nest pas normment dans le texte, la compagnie. En tout cas on fait jamais de texte classique. () Moi ce quejaime bien avec les ados par exemple, cest de leur faire dcouvrir des auteurscontemporains. () Ce que jaime beaucoup cest que souvent on arrive dans uneclasse, ils sont persuads quon va leur faire rciter du Molire pendant deuxheures. Et la surprise de bah non cest pas du tout a quoi. Cest de lexpressiondes motions, cest des jeux (). Cest des jeux pour le jeu quoi. Et pourexprimer le jeu. () Au dbut on commence vraiment avec des jeux, des petitschauffements corporels, des choses vraiment trs simples pour explorer soncorps, comment on ragit, etc. Aprs tout un travail sur les motions, toujours parle corps. Et la parole elle arrive au bout de trois mois dinitiation .

    Des modes de faire analogues sobservent dans latelier danse. Lune des mthodes

    employes par Maria pour apprendre aux lves danser consiste donner une consigne trs

    gnrale, comme par exemple faire un mouvement impliquant la colonne vertbrale , puis

    demander aux lves de le rpter jusqu ce que le mouvement excut soit abouti, cest--

    dire sapparente un lment chorgraphique. Cest ainsi, par lentranement rpt, que des

    techniques sont progressivement matrises. Par ces modes dapprentissage, les lves

    acquirent prioritairement des savoir-faire, cest--dire des comptences corporelles.

    16S. Faure,Apprendre par corps. Socio-anthropologie des techniques de danse, Paris, La Dispute, 2000.

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    Ce qui relve des savoirs, comme par exemple le vocabulaire spcialis, nest pas lobjet

    premier de la transmission, ce qui nempche pas que des notions ou des termes techniques

    soient mobiliss par les intervenantes et mme, que celles-ci insistent pour quils soient

    retenus. Par exemple, lors dune des sances, lodie annonce que les lves vont procder

    un filage arrt . Le filage arrt consiste jouer chronologiquement lintgralit dune

    pice en sarrtant sur les passages rclamant des corrections ou des ajustements. Lorsquelle

    voque cette notion, lodie explique son sens et le rpte plusieurs reprises. Elle signale de

    cette manire son dsir que ce quelle signifie soit compris par les lves. Autre exemple : lors

    dun exercice visant travailler la projection sonore de la voix, lodie livre des explications

    thoriques sur la respiration. La connaissance technique ou savante nest donc pas tout

    fait exclue de lapprentissage, mais elle nest pas ce qui prime. Le recours des notions

    techniques nest pas, a fortiori, dconnect de leur utilit pratique. Celles-ci sont en effet

    sollicites lorsque, en permettant de dsigner, nommer ou expliquer quelque chose, elles

    servent lapprentissage pratique. Elles ne sont pas, enfin, transmises sur un mode scolaire,

    cest--dire passant par la forme crite.

    Dans les ateliers, la transmission sopre en grande partie oralement. Les intervenantes

    donnent loral les consignes, dtaillent les procds, dcrivent les gestes accomplir,

    noncent les attentes, etc. Une bonne part du travail pdagogique est constitue de discours

    consistant expliquer ce quil faut faire (et/ou ne pas faire) et comment le faire. Par exemple

    en musique, certains lves ont pour tche deffectuer des bruitages sonores. Lors des

    rptitions, lintervenante dicte les mouvements effectuer (se taper la poitrine, les cuisses,

    les mains, battre du pied, etc.) mesure que les lves les effectuent. Si elle a devant elle un

    pupitre sur lequel est pos un cahier o la succession des mouvements est note, les lves

    nont aucun support crit.

    Une autre part du travail pdagogique consiste montrer, cest--dire fournir aux lvesdes modles de ce quils doivent raliser. Lapprentissage se fait donc pour partie par

    imitation. Les lves sefforcent de reproduire ce qui est ralis devant eux par lintervenante.

    Expliquer et montrer sont dans les faits deux oprations souvent simultanes. Si linverse

    nest pas vrai, lexemplification (montrer) saccompagne en revanche toujours dexplications

    (expliquer). En danse et en musique surtout, jusquaux toutes dernires rptitions, les

    intervenantes excutent avec les lves le rpertoire tout en dcrivant ce quelles sont en train

    de raliser. Les gestes constituent ainsi un modle instantan des instructions donnes.

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    3.4. Retours des procds scolaires

    Si, dans les ateliers, lapprentissage seffectue sur un mode essentiellement pratique et non

    thorique, on observe nanmoins le recours des procds scolaires, en particulier lcrit.

    Lcrit nest pas, dans les ateliers, un support de lapprentissage (les lves nont pas dcrits

    sous les yeux au cours des sances), mais il nest pas tout fait absent pour autant. En

    loccurrence, il est surtout mobilis dans les fins de sances, comme mode denregistrement

    de ce qui a t ralis. Dans chaque atelier, il est demand aux lves de noter dans leurs

    cahiers ce quils ont appris et quils doivent retenir et rpter pour le prochain cours. Ainsi,

    dans latelier danse, Maria demande aux lves de noter par crit les sentiments quils doivent

    mimer afin quils puissent sentraner chez eux. Cest l une manire de faire qui sapparente

    trs clairement aux devoirs. On assiste l, dune certaine manire, un retour du refoul

    scolaire puisquon en revient des manires classiques de faire lcole : recours lcrit

    comme support privilgi de la mmoire et mode de fixation des apprentissages, projection

    dans le temps, planification des tches, rptitions et exercices.

    Par ailleurs, dans chaque atelier, on sefforce de donner aux lves les moyens de se

    projeter dans le temps et danticiper les phases de travail venir. Ainsi lodie annonce-t-elle

    au dbut de chaque sance le contenu de celle-ci. Les lves savent ainsi ce quil va se passer

    et ce quils vont avoir raliser dans le futur proche. la fin de la sance, est aussi annonc

    le programme de la sance (voire des sances) suivante, ce qui permet aux lves de situer

    leur progression par rapport lobjectif final (le spectacle) et par l denvisager un temps plus

    long. Cette faon de prvoir, de programmer, danticiper est constitutive dun rapport rflexif

    au temps qui participe de la forme scolaire.

    Enfin, on observe ponctuellement, en particulier dans latelier danse encadr par Maria, la

    mise en place dactivits visant intellectualiser la pratique artistique. Nous avons ainsi tnous-mme frapps de voir Maria dbuter une sance par la lecture dun texte (assez abscons)

    du philosophe Roger Garaudy sur la danse. Cette lecture avait pour objectif de donner les

    lves rflchir sur le sens collectif de lacte de danser ensemble. Elle manifeste en creux la

    volont de lintervenante daller au-del du simple apprentissage corporel, de ne pas agir

    seulement sur les corps, mais aussi sur les esprits, comme on fait dordinaire lcole. Un

    autre exercice propos par Maria consistait rapprendre marcher. Les lves devaient

    essayer de marcher comme sils marchaient pour la premire fois. On assiste l une

    pdagogisation de savoirs ordinaires consistant rapprendre, et rapprendre diffremment,

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    en particulier consciemment, des savoirs et savoir-faire pralablement incorpors ce qui

    constitue une autre caractristique de la forme scolaire dapprentissage.

    3.5. La fonction structurante du spectacle

    Dans les entretiens, lodie et Isabelle regrettent le temps trop court dvolu aux IDD. Il en

    rsulte selon elles, quen dfinitive, la production (ie le spectacle) prime sur les aspects

    recherche et dcouverte artistique qui sont pourtant leurs yeux les lments les plus

    intressants transmettre. Dans la pratique, on constate en effet qu mesure quil se

    rapproche, le spectacle saffirme comme lenjeu prioritaire, le but ultime en fonction duquel

    se rgle lensemble des attitudes et des comportements. Les intervenantes sont dailleurs les

    premires faire rfrence au spectacle. Dans leurs discours, il devient, en tant que finalit,

    un lment cl de la pdagogie. Maria demande par exemple ses lves, pour quils se

    lchent et excutent pleinement les mouvements, de se projeter sur scne, de simaginer

    devant le public. Lors de la dernire rptition de groupe, lodie voque quant elle la taille

    de la scne, les distances parcourir, les jeux de lumire, etc., pour faire ressentir aux

    comdiens les conditions spcifiques dans lesquelles aura lieu la reprsentation, et leur

    permettre ainsi de parfaire leur jeu.

    Le spectacle constitue galement un argument pour remobiliser les lves dans les

    moments de dconcentration. Par exemple, lors de lchauffement dune sance de latelier

    musique, un lve, visiblement intrigu par notre prsence dobservateur, se retourne

    frquemment dans notre direction. Lintervenante le rappelle lordre et profite de cette

    situation pour rappeler que le jour du spectacle, il y aura du public, des lments perturbateurs

    et quil faudra parvenir rester concentr. Lors de la dernire rptition avant le spectacle,

    lodie reprend un lve turbulent et, pour lui intimer de se calmer, lavertit que dans cinq

    heures a lieu le spectacle et quil a tout intrt bien couter pour savoir ce qui va se passer et

    ne pas se ridiculiser sur scne.

    Les lves sont confronts dans les IDD plusieurs formules pdagogiques, des plus

    explicitement scolaires (on pense aux sances animes par les professeurs, dont on a montr

    quelles tendaient reproduire le schma classique du cours ) celles qui en paraissent le

    plus loign (jeux de mime dans latelier thtre, bruitages avec des sacs plastiques dans

    latelier musique, exprimentations corporelles dans latelier danse). Laccent mis par les

    intervenantes sur le corps, sur les sensations et les motions, positionne leur travail en rupture

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    avec lcole, qui fait de la raison la fois linstrument et lenjeu de lapprentissage. Mais

    cette dernire nen disparat pas pour autant. La conception des IDD comme des situations

    dapprentissage formalises, dont la vise dlibre est dapprendre, de former et dduquer

    (mme si cest par dautres moyens que lducation classique 17), le dcoupage et la

    rationalisation du temps, le recours jamais totalement cart la forme crite participent de la

    forme scolaire, laquelle imprgne, quoique parfois de manire implicite, laction.

    ". #a rception de laction par les lves

    4.1. Un niveau dimplication globalement lev, mais variable

    selon les groupes et les moments

    Dune manire gnrale, on a pu constater quune grande majorit dlves a fait preuve

    durant les sances de concentration et dimplication. On a ainsi pu voir frquemment des

    lves poser des questions, faire des suggestions, mettre en vidence des problmes et

    proposer des corrections. Le niveau dimplication apparat cependant trs variable selon les

    ateliers. Sans surprise, si lon considre son image sociale trs sexue, cest en danse et parmi

    les garons que les cas les plus frquents dindiscipline et de distance manifeste lgard de

    lactivit ont t observs. La plupart des garons (tous sauf deux) du groupe nous ont

    dailleurs fait part de leur manque de motivation.

    Il ny a pas, toutefois, datelier qui nait t confront des lves rtifs. Ces cas sont

    nanmoins plus rares en musique et en thtre. Outre la moindre connotation sexue de ces

    pratiques, lune des explications tangibles est que ces ateliers comptent moins, parmi leurs

    effectifs, dlves pour qui ils constituent un second choix. Latelier thtre a t largement

    plbiscit. Nombreux sont donc ceux qui ont d tre reverss dans un autre atelier, lequelavait statistiquement plus de chances dtre latelier danse dans la mesure o celui-ci avait t

    le moins choisi. Autrement dit, cest en danse que lon compte le plus de dus. linverse, la

    quasi-totalit des lves de thtre et de musique avait obtenu leur premier vu. On peut

    comprendre, ds lors, quun diffrentiel de motivation se fasse jour entre les diffrents

    groupes.

    17La formule, dj cite, est employe par le Chef de projet au Conseil gnral.

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    Il est nanmoins intressant dobserver comment lapproche du spectacle, dans chacun des

    ateliers, maximise limplication des lves. Les dernires rptitions, en particulier celles de

    la veille et du jour du spectacle, sont ainsi celles o les indisciplines, les bavardages

    intempestifs, les carts en tous genres sont les plus rares. Le stress (trs palpable) li

    limminence de la reprsentation manifeste la volont de la grande majorit des lves de

    faire bonne figure et se traduit par une attention soutenue. On voit ainsi certains lves

    jusque-l trs dtachs, et parfois mme perturbateurs, paratre, parce que soucieux de ne pas

    tre ridicules, soudain concerns et sappliquer apprendre leur rle. Il arrive par ailleurs que

    des lves prennent la parole pour rappeler une dcision prise prcdemment et qui tait en

    passe dtre oublie, ou pour faire des suggestions afin damliorer le spectacle.

    Durant les rptitions gnrales, le calme est rapidement obtenu lorsquil est demand.Lors du filage, le silence se fait spontanment. Les lves apparaissent concentrs et

    impliqus. En revanche, lors des temps morts et des pauses, les bavardages sont nombreux et

    le volume sonore lev. Le bruit est parfois occasionn par le fait que les lves rejouent ce

    quils viennent de faire ou anticipent la scne suivante. On sent une excitation forte chez les

    lves, qui trouve se librer dans ces moments de transition. Le dernier jour en particulier,

    les moments sont nombreux o une partie des lves est inoccupe. Il y a en effet des temps

    de mise en place, dessais de costumes, dhabillement, etc. Lors de ceux-ci, le contrle et

    lencadrement des adultes, pris alors dans des microtches o ils sont accapars par des petits

    groupes, se desserrent. Ce relchement est exploit par les lves qui bavardent, se

    chamaillent, se bousculent, rient, etc. On ne doit pas, cependant, interprter ces

    comportements comme les indicateurs dun dtachement des lves lgard du projet. Au

    contraire, ils apparaissent comme des moyens efficaces dvacuer la tension et le stress

    accumuls lors des phases de travail, durant lesquelles il est attendu des lves une grande

    concentration. On observe en effet que lorsque les rptitions reprennent, le calme et le

    silence reviennent assez aisment, ce qui tmoigne de limplication dont la majorit des

    lves a fait preuve.

    4.2. Portraits dlves

    Les pages qui suivent sintressent aux cas singuliers de quatre lves que nous avons

    interrogs et qui prsentent des profils sensiblement diffrents. Il sagit danalyser leur

    perception des IDD ainsi que la faon dont ceux-ci sinscrivent dans leur parcours familial,

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    scolaire et culturel. Ivanie (groupe chant) et Mathis (groupe musique) sont tous deux en trs

    bonne situation scolaire et pratiquent des activits artistiques en dehors du cadre scolaire.

    Morgane (groupe danse) et Julien (groupe danse) sont quant eux en difficult scolaire et

    nont pas dexprience artistique extrascolaire. Il est important de noter que ces quatre lves

    ont t recruts de deux faons distinctes pour participer un entretien. Ivanie et Mathis,

    interrogs les premiers, se sont spontanment ports volontaires aprs que le principal adjoint

    ait relay auprs de lensemble des classes de 5me notre demande dinterroger quelques

    lves. On peut dduire de leur volontariat quils taient bien disposs lgard des IDD.

    Morgane et Julien ont fait lobjet dune seconde vague dentretiens. Ils ont quant eux t

    slectionns et sollicits directement par le principal adjoint, qui lon avait demand de

    pouvoir questionner des lves aux profils scolaires diffrents de ceux dIvanie et Mathis. On

    ne sait pas avec certitude si Morgane et Julien ont accept de bonne grce cette sollicitation,

    ou sils ne se sont pas sentis le droit de la refuser. Quoi quil en soit, les portraits qui suivent

    ne doivent pas tre tenus pour reprsentatifs de tous les lves ayant suivi les IDD, mais

    doivent bien tre lus comme des cas particuliers.

    a) Ivanie (groupe chant)

    Ivanie est issue dune famille appartenant aux classes populaires. Ses parents, qui ontrcemment divorc, sont originaires de la Runion. Sa mre est femme au foyer et son pre

    est au chmage aprs avoir travaill comme mcanicien dans un garage automobile. Ivanie ne

    connat pas prcisment leur niveau de diplme mais croit savoir quils possdent tous les

    deux un baccalaurat. Ivanie est la quatrime dune fratrie compose de sept enfants. Elle a

    deux frres et une sur plus gs, deux surs et un frre plus jeunes. Lan de ses frres est

    lectricien dans une usine, le second travaille temporairement dans un restaurant dans lattente

    dintgrer une cole de stylisme Lyon. Sa sur ane a termin des tudes de comptabilit

    mais envisage de se rorienter, songeant aux mtiers de la manucure. Ses surs (CP et 6me) et

    son frre (CE1) plus jeunes sont dans lensemble en bonne situation scolaire. Aucun dentre

    eux na connu de redoublement. Ivanie est, elle, en trs bonne situation scolaire. Elle na

    jamais redoubl, ses rsultats sont bons et elle manifeste la possession de dispositions

    scolairement rentables.Elle dit aimer lcole ( Jaime apprendre et tout. Cest cool ) et ne

    pas prouver de difficult se mettre au travail. Lcole est perue par elle comme

    importante. Mme si elles sont rares, elle avoue se sentir mal lorsquelle obtient de

    mauvaises notes. Au moment de lentretien, elle ne sait pas encore quel mtier elle voudrait

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    faire. Elle estime avoir le temps de choisir et avoir le choix tant donn ses rsultats

    scolaires : Jaime beaucoup de choses et tout. Jai des bonnes notes alors du coup Non je

    sais pas. Je rflchis des fois mais Jai encore du temps ! (rires) .

    La musique et la danse sont trs prsentes au quotidien dans la famille dIvanie. Lesmembres de la famille aiment couter ensemble de la musique, mais aussi regarder des films

    sur la danse, des clips ou des vidos sur internet :

    Dans la famille on aime tous la musique, et tout, on a toujours quelque chose. Ya toujours de la musique chez nous en fait, y a toujours quelque chose. Si y en apas, faut vite lallumer en fait. On aime tous a, la danse, la musique, on regardedes trucs ensemble .

    Le pre dIvanie possde une guitare dont il a appris jouer en autodidacte. Sil en joue

    trs peu aujourdhui, la jeune fille se souvient en revanche lavoir souvent vu jouer lorsquelle

    tait plus jeune. Elle se souvient galement quelle aimait beaucoup prendre la guitare aprs

    lui et essayer de reproduire ce quil faisait. Sa mre nest pas musicienne mais aime beaucoup

    la danse. Elle avait dailleurs commenc suivre des cours de zumba quelle na pas pu

    poursuivre par manque de temps. La danse apparat comme lactivit artistique et sportive

    dominante au sein de la famille. Toutes les filles de la fratrie en font ou en ont fait. Lun des

    fils a quant lui fait du thtre.

    Ivanie manifeste, dune manire gnrale, un got prononc pour les pratiques artistiques.

    Comme ses surs, elle fait de la danse en club depuis lge de 5 ans. Elle a dbut par du

    modern jazz, quelle a pratiqu pendant 4 ans, et fait depuis du hip-hop. Avant son entre au

    collge, elle a galement fait du thtre pendant deux ans, mais a arrt parce que dune part,

    la faon de travailler de la professeure ne lui convenait pas ( La prof elle tait un peu stresse

    chaque fois donc du coup ctait un peu nervant la fin ), dautre part cela arrangeait

    financirement ses parents quelle ne conserve quune seule activit extrascolaire encadre.

    Elle aime malgr tout beaucoup le thtre. Elle aimerait galement apprendre jouer de la

    musique, du piano ou de la guitare, mais est consciente quon ne peut pas tout faire non

    plus . Avec son ami Mathis, qui est pianiste, elle interprte cependant des chansons. Lui

    laccompagne pendant quelle chante.

    tant donn son profil scolaire et culturel, Ivanie tait a priori toute dispose sinvestir

    heureusement dans les IDD, ce qui est effectivement le cas. Dune manire gnrale, elle a

    beaucoup aim participer au projet, bien quelle ait eu quelques difficults en dbut de

    parcours se reprsenter ce qui allait se passer, ce qui a constitu pour elle une petite source

  • 7/23/2019 La dmocratisation de laccs aux pratiques artistiques travers lapprentissage dans les tablissements denseig

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    dapprhension. Parmi les sances de dcouverte, Ivanie a trs largement prfr latelier

    thtre : Parce que jaime dj le thtre en fait. () Jouer la comdie ! . Elle connaissait

    dailleurs dj lodie, lintervenante, pour avoir suivi en 6meune option thtre anime par

    elle. Elle dit en revanche avoir t droute et due par latelier danse, en raison dune

    approche de la pratique trs diffrente de celle quelle connat. Alors que le hip-hop est une

    danse trs dynamique et sportive , Maria proposait dans les IDD une conception plus

    intellectualise de la pratique :

    Cest pas le