La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020....
Transcript of La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020....
Seul le prononcé fait foi
1
LA CONSERVATION ET LA RESTAURATION DE LA CATHÉDRALE NOTRE-DAME DE PARIS
Conférence de presse
Mercredi 30 septembre 2020 - 10h
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci à toutes et à tous pour votre présence, et bienvenue à la Cour des comptes. Même
si les circonstances sanitaires nous obligent à quelques restrictions, je suis très heureux de pouvoir
vous accueillir dans nos murs pour cette conférence de presse. Depuis ma nomination en juin dernier
en tant que Premier président de la Cour, c’est la troisième fois que j’ai l’occasion de présenter un
rapport de notre juridiction à des journalistes et je le fais à chaque fois avec grand plaisir, d’autant que
ce sont, comme cette fois encore, des rapports de très grande qualité qui font honneur à la Cour et
sont utiles aux citoyens. C’est en effet grâce à votre présence et à votre engagement à relayer nos
messages que la Cour peut remplir sa mission constitutionnelle d’information du citoyen. Je pense que
dans le contexte très particulier que nous traversons actuellement – on voit à quel point la
désinformation est partout, combien on a besoin de tiers de confiance – cette mission est à mes yeux
absolument essentielle.
Je vais aujourd’hui vous présenter les conclusions d’un rapport qui nous tient beaucoup à cœur et
qui, j’en suis sûr, va intéresser les Français, celui consacré à la conservation et à la restauration de la
cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale.
Chacun a en tête ce qu’il s’est passé il y a un an et demi. Le 15 avril 2019, ce monument emblématique
de notre capitale, l’un des plus visités au monde, subissait vous le savez un terrible incendie.
Seul le prononcé fait foi
2
Un évènement qui a suscité une intense émotion, dans notre pays et dans le monde entier. J’en
garde moi-même un souvenir poignant. J’étais ce jour-là à Paris, pas si loin, et c’était un moment très
émouvant.
Face à l’onde de choc considérable provoquée par l’incendie, le Président de la République a annoncé,
dès le 16 avril, le lancement d’une souscription nationale en vue de financer la reconstruction de la
cathédrale.
De son côté, la Cour a fait savoir, dès le 24 avril 2019, sur une séquence rapide, qu’elle procéderait,
c’est sa mission, au contrôle de la collecte, de la gestion et de l’emploi des fonds recueillis. La loi de
juillet 2019 prévoit que la Cour soit associée, en la personne de son Premier président, au comité de
suivi ad hoc qui réunit les présidents des commissions parlementaires des affaires culturelles et des
finances des deux assemblées. Une des premières choses que j’ai eues à faire dans cette maison a
d’ailleurs été d’en présider la première réunion le 16 juin dernier, en présence virtuelle des présidents
des commissions et physique du Général Georgelin.
Mais cette disposition n’exclut pas les procédures habituelles de contrôle des organismes
bénéficiant des dons de la générosité du public, un champ qui relève de la compétence de la Cour
depuis 1991 et dans lequel elle s’investit de plus en plus. Le rapport que je vous présente aujourd’hui
dresse ainsi un premier bilan, qui s’arrête au 31 décembre 2019, des résultats de la souscription et du
Seul le prononcé fait foi
3
chantier engagé. Je précise que nous avons ensuite actualisé les données relatives aux travaux jusqu’en
juin 2020.
Pour mener à bien cette mission, nous avons mis en place un cadre de travail spécifique. L’enquête
a été confiée en septembre 2019 à une formation inter-chambres créée spécialement à cet effet, qui
a mobilisé quatre des six chambres de la Cour. Je remercie très chaleureusement les équipes
impliquées pour leur travail, mené dans des délais particulièrement courts.
C’est un rapport qui illustre parfaitement, je crois, la richesse qu’apporte une collégialité impliquée et
fructueuse, ce qui est au cœur de nos valeurs et de nos méthodes de travail.
Je voudrais d’ailleurs en profiter pour vous présenter une petite partie de cette collégialité. J’ai
présents à mes côtés Antoine Durrleman, le président de la formation inter-chambres ayant mené
l’enquête et ancien président de chambre de la Cour, Michel Bouvard, son rapporteur général, et
Michel Clément, président de section et contre-rapporteur.
Le rapport que je vous présente n’est qu’un premier bilan, puisque la Cour entend mener, je vous
donne rendez-vous, ce contrôle de façon périodique. Je dis périodique car nous ne produirons pas
forcément de rapport sur un rythme annuel mais, en tout cas, nous le ferons à échéance régulière pour
accompagner les travaux de sauvegarde et de reconstruction de la cathédrale.
Des procédures de travail adaptées, donc, pour un sujet qui appelait à la fois des compétences variées,
une réponse rapide et une inscription dans le temps long. La Cour est à l’heure actuelle la première et
donc la seule à apporter une vision claire, indépendante complète sur les opérations de conservation
et de restauration de Notre-Dame de Paris.
Notre rapport revient :
d’abord, sur la situation de la cathédrale à la veille de l’incendie ;
ensuite, sur la réaction des services de l’Etat face à cette situation exceptionnelle ;
enfin, sur les résultats de la souscription nationale et la mise en place de l’établissement public
prévu par la loi pour conduire les travaux.
Nous avons donc étudié la situation avant, au moment et après l’incendie. Ce sera la colonne
vertébrale de mon propos.
***
J’en viens pour commencer à mon premier point : la situation de la cathédrale avant le 15 avril 2019.
Seul le prononcé fait foi
4
La gestion de la cathédrale est partagée entre la Direction régionale des affaires culturelles (la DRAC),
qui est le service régional du ministère de la culture, le Centre des monuments nationaux et
l’archevêché.
Le monument appartient à l’Etat, la ville de Paris est de son côté propriétaire de ses abords, qui
comprennent le presbytère et le parvis. Il y a donc un éclatement qui tient à la fois au double statut de
Notre-Dame – c’est un lieu de culte mais c’est aussi un monument ouvert à des millions de visiteurs –
et à un régime juridique particulier, qui est hérité de l’histoire.
Cette situation crée d’abord des incertitudes sur la propriété des objets présents dans la cathédrale –
ce qui n’est pas anecdotique, puisque cela conditionne les modalités de leur restauration – mais elle
crée aussi un enchevêtrement de responsabilités, notamment en matière de sécurité incendie. La
convention qui régissait ce dernier point entre l’État, le clergé et le Centre des monuments nationaux
était d’ailleurs arrivée à échéance. Elle a été prorogée début 2019, elle datait de 2014, sans que
l’organisation en place ait pu être remise à plat et simplifiée, faute d’anticipation. Le même défaut
d’anticipation a conduit à renouveler le marché de sécurité incendie et d’assistance dans des
conditions irrégulières.
Cette situation, je le dis clairement, traduit à nos yeux une attention très insuffisante portée aux
questions de sécurité dans la cathédrale.
Seul le prononcé fait foi
5
La Cour n’a, bien sûr, pas vocation à enquêter sur les causes et responsabilités dans l’origine de
l’incendie – cette responsabilité revient à la justice, au Parquet de Paris, dont l’enquête judiciaire est
en cours – mais il nous apparaît que ce sujet sensible n’était sans doute pas pris en considération à sa
juste importance. La Cour, car elle est là pour proposer, pour éclairer la décision, recommande donc
d’engager, sans attendre la réouverture du monument, une clarification des responsabilités de gestion
et de mise en sécurité entre l’ensemble des parties concernées par la propriété et le fonctionnement
de la cathédrale.
Une telle remise à plat est indispensable pour lui permettre de rouvrir dans de bonnes conditions. Il
faudra par la suite une très grande clarté dans les responsabilités.
Cette gestion complexe explique sans doute en partie l’état très préoccupant de la cathédrale dans
les années précédant l’incendie.
D’abord, les moyens consacrés à l’entretien et à la restauration du monument étaient, sur le plan
humain comme financier, très limités, trop limités. Entre 2000 et 2016, environ un million d’euros
seulement était consacré chaque année à la restauration de la cathédrale. Ce montant, est-il besoin
de le dire, était très loin d’être à la hauteur des responsabilités qui incombaient à l’Etat en tant que
propriétaire, comme l’ont montré deux documents successifs qui présentaient l’état de dégradation
du monument après plusieurs années de sous-investissement massif.
Le premier document est un diagnostic sanitaire établi en 2014 par l’architecte en chef des monuments
historiques en charge de la cathédrale de 2000 à 2013, M. Benjamin Mouton. Le second a été établi
par son successeur, M. Philippe Villeneuve, en 2015. Ces deux rapports mettaient en évidence un
besoin de travaux estimé alors à 87 M€ et ils alertaient sur la ruine presque irrémédiable de certains
éléments de sculpture, remplacés par des artifices. Par exemple, de fausses balustrades en
contreplaqué pour remplacer celles en pierre.
À la suite de ces analyses justement alarmantes, l’État a finalement décidé de rattraper ce défaut
d’entretien ancien. Un programme important de travaux de restauration a donc été lancé en 2016
pour une durée initiale de dix ans, avec une dépense totale évaluée à 58 M€ visant à traiter les
réparations les plus urgentes. Ces travaux comprenaient, par exemple, la restauration de la flèche et
de l’ensemble du chœur.
Notons toutefois que leur financement n’était pas pleinement assuré puisqu’il était conditionné par
des apports en mécénat, à hauteur d’un tiers, principalement de la Fondation Notre-Dame.
Seul le prononcé fait foi
6
Au 15 avril 2019, les différents chantiers étaient dans des degrés d’avancement très divers mais les
travaux de restauration indispensables avaient été engagés, j’allais dire, enfin engagés.
***
L’incendie, et c’est mon deuxième point, a mis un terme à ce programme de rénovation et provoqué
une réaction très rapide des services de l’État.
La DRAC d’Ile-de-France s’est en effet immédiatement mobilisée, malgré une direction qui était alors
vacante et des renforts très limités. Sous le régime de l’urgence impérieuse, de nombreux marchés de
gré à gré, indispensables à la sauvegarde de la cathédrale, ont été passés pour débuter les travaux le
plus rapidement possible.
La conduite des travaux de sauvegarde s’est ensuite trouvée très perturbée par deux évènements
successifs :
d’abord, la découverte d’une pollution au plomb, qui a considérablement ralenti le chantier après
une suspension de trois semaines, malgré la médiation tout à fait efficace du préfet de région, dont
on peut saluer l’implication sur ce sujet ;
ensuite, l’épidémie de Covid-19, qui a interrompu les travaux pendant plusieurs mois.
Ces facteurs expliquent sans doute en partie l’augmentation des coûts du chantier de sauvegarde,
initialement estimés à 65 M€ et qui sont désormais chiffrés à 165 M€ à l’achèvement des travaux,
prévu en principe en août 2021.
A cet égard, la Cour considère que l’étude d’évaluation et de diagnostic en cours doit impérativement
permettre, d’ici l’achèvement des travaux de sauvegarde, d’établir sur des bases fiables un vrai budget
prévisionnel et une procédure rigoureuse d’évaluation des coûts.
Mais je veux souligner la mobilisation rapide des différents services de l’Etat, dans un contexte
particulièrement difficile.
Un élément, toutefois, dans la réaction de l’État face à l’incendie nous a semblé très particulier. Au
vu de l’ampleur et de la gravité de l’évènement, nous ne comprenons pas, et c’est écrit clairement,
que le ministère de la culture n’ait pas engagé d’enquête administrative, alors que la maîtrise
d’ouvrage exercée par la DRAC d’Ile-de-France et la maîtrise d’œuvre assurée par M. Philippe
Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques ayant le statut de fonctionnaire de l’État,
relevaient directement de ses services.
Seul le prononcé fait foi
7
La catastrophe justifiait totalement, selon nous, de s’assurer de l’absence de défaillance dans le
pilotage du chantier, assuré par la DRAC, et dans la conduite des travaux, placée sous la responsabilité
de M. Villeneuve, d’autant que ce sont, pour l’essentiel, les mêmes équipes de maîtrise d’ouvrage et
de maîtrise d’œuvre qui ont maintenant la responsabilité de mener les travaux urgents, et que ce sont
aussi les entreprises déjà présentes sur le chantier avant l’incendie qui réalisent désormais les travaux
de sauvegarde. À titre de comparaison, l’incendie du sous-marin Perle à Toulon en juin dernier a
immédiatement déclenché une enquête administrative approfondie du ministère des Armées. C’est à
souligner.
L’enquête judiciaire, ouverte par le Parquet de Paris dès le lendemain de l’incendie, n’impliquait
nullement de renoncer à une enquête administrative. On pouvait, on devait faire les deux en
parallèle. Nous notons en outre que le ministère de la culture ne s’est porté partie civile que le 11 juin
2020. Est-ce que c’est un hasard ? C’était le lendemain du jour où il a reçu le rapport d’observations
provisoires de la Cour. Le 11 juin 2020, c’était tout de même 14 mois après l’incendie.
Malgré l’élaboration d’un « plan sécurité cathédrale », cette carence nous semble très préjudiciable,
car il y a d’autres cathédrales en France, d’autres monuments. L’incendie plus récent de la cathédrale
de Nantes nous rappelle combien ce risque est important pour notre patrimoine et souligne la
nécessité de conduire des retours d’expérience approfondis avec l’ensemble des services et experts
concernés par chaque évènement.
Bref, c’est ça notre message et il est simple : il faut absolument tirer toutes les leçons de l’incendie
de Notre-Dame pour éviter de nouveaux drames à l’avenir.
C’est pourquoi nous recommandons au ministère d’engager sans plus tarder une enquête
administrative. Elle servira à comprendre les circonstances dans lesquelles est survenu l’incendie, mais
surtout à en prévenir d’autres.
***
J’en viens maintenant – et ce sera mon dernier point – à l’après-incendie, c’est-à-dire à la
souscription nationale et la mise en place de l’établissement public chargé de conduire les travaux.
Il est inutile de le dire ici, l’émotion suscitée par l’incendie a en effet eu une ampleur exceptionnelle
et une résonance formidable, en France comme à l’étranger. Lancée le soir même, la souscription
nationale a été – je l’ai dit au début de mon propos – consacrée par des dispositions législatives
spécifiques. La loi du 29 juillet 2019 confie la collecte des dons à quatre organismes agréés : le Centre
Seul le prononcé fait foi
8
des monuments nationaux, la Fondation de France, la Fondation du Patrimoine et la Fondation Notre-
Dame, auquel s’ajoute le Trésor public.
Les réseaux de ces collecteurs se sont avérés très complémentaires et la souscription organisée pour
Notre-Dame est absolument sans précédent.
C’est un succès extraordinaire. Elle l’est d’abord par l’ampleur des dons collectés. Au 31 décembre
2019, les résultats de la souscription nationale s’élevaient très exactement à 824,75 M€.
Ce montant est de très loin supérieur, par comparaison, aux produits des appels à dons lancé à la suite
du tsunami de décembre 2004 en Indonésie, qui s’élevaient à 328 M€, et après le séisme survenu à
Haïti en janvier 2010, qui représentaient 123 M€. C’est donc, vous le voyez, absolument sans
précédent.
Pour Notre-Dame, près de 72 M€ de dons ont été reversés avant la fin de l’année 2019 aux deux fonds
de concours spécifiquement mis en place dès le lendemain de l’incendie par un décret du ministre des
Finances, qui a fait preuve d’une remarquable réactivité. La concentration temporelle des dons en avril
et mai 2019 met en valeur, encore une fois, l’ampleur exceptionnelle des dons spontanés.
Ces versements ont permis de prendre le relais des crédits budgétaires qui avaient été engagés pour
les premiers travaux d’urgence, lesquels ont donc été intégralement refinancés par les donateurs. Ces
Seul le prononcé fait foi
9
derniers ont aussi refinancé les crédits de la DRAC prévus pour les travaux de restauration initiaux de
la cathédrale avant l’incendie, ce qui nous apparaît un peu plus discutable.
Sans précédent, la collecte ne l’est pas seulement par l’ampleur mais aussi par la diversité des
donateurs impliqués, en France comme à l’étranger. La souscription a mobilisé massivement et
rapidement les particuliers mais aussi, ce qui est original, et surtout des entreprises. Lancée dans un
cadre national, la souscription a rapidement pris une dimension internationale, avec des donateurs
venus de près de 140 pays. Leurs dons représentaient plus de 16 % des fonds reçus au 31 décembre
2019. C’est dire à quel point l’émotion dépasse nos frontières. Cette dynamique exceptionnelle s’est
appuyée sur un recours massif aux réseaux sociaux et aux plateformes digitales.
Au total, ce sont 338 086 dons qui ont été reçus pour la cathédrale Notre-Dame, un nombre environ
équivalent, pour vous donner une image, à tous les habitants de la ville de Nice. La loi du 29 juillet
avait prévu un dispositif de déduction fiscale majorée pour les dons des particuliers jusqu’au 31
décembre 2019. Nous ne pouvons pas chiffrer avec précision son incidence en termes de dépense
fiscale, la DGFiP l’étudie actuellement, nous pensons qu’elle sera au maximum de l’ordre de 48 M€, ce
qui bien sûr est sans rapport avec les dépenses qui auraient été faites en l’absence de souscription, il
faut le rappeler.
Cette souscription se caractérise aussi par l’importance des promesses de dons.
Sur les presque 825 M€ de dons que je citais, près de 185 M€ ont été effectivement versés et plus de
640 M€ constituent des promesses. L’ampleur de ce montant illustre la volonté des entreprises et
Seul le prononcé fait foi
10
mécènes d’accompagner, dans la durée, les travaux de reconstruction. C’est donc un engagement
temporel.
Malgré les conventions passées pour sécuriser ces promesses de dons, nous ne pouvons pas
totalement écarter le risque que la crise actuelle fragilise les engagements de mécénat, notamment
en provenance des petites et moyennes entreprises qui avaient pris leurs engagements dans un
contexte bien différent.
Quelle que soit la date d’encaissement des dons, l’utilisation des fonds recueillis doit répondre à
deux impératifs centraux et rappelés par la loi : l’information des donateurs d’une part, et la
transparence dans l’utilisation des fonds d’autre part. Sur ces points, notre rapport souligne que des
marges de progrès existent et que des efforts doivent être entrepris rapidement.
D’abord, il nous apparaît très dommageable qu’aucune des réunions de suivi prévues dans les
conventions cadre n’ait eu lieu avant le 17 juillet 2020, là encore, juste après la communication du
rapport de la Cour. Nous regrettons aussi la mise en place tardive du comité des donateurs créé au
sein de l’établissement public chargé de la restauration de la cathédrale.
Bien sûr, nous savons que la crise sanitaire a joué un rôle dans ces retards, mais ils reflètent aussi une
attention insuffisante aux demandes réitérées et légitimes d’information des organismes collecteurs.
Ensuite, notre enquête fait ressortir deux faiblesses dans la transparence de l’utilisation des fonds
recueillis.
La première concerne l’organisation de la collecte. Nous avons en effet observé que les conventions
entre les ministères et les organismes collecteurs prévoyaient la possibilité d’imputer sur les dons des
frais de gestion au bénéfice des institutions concernées.
En soi, de telles dispositions ne nous paraissent pas anormales, parce que les opérations de collecte
ont entraîné des frais non négligeables, de l’ordre de 500 000 à 600 000 € pour certains organismes.
En revanche, ce que nous soulignons car nous sommes là aussi pour jouer notre rôle de juridiction,
c’est qu’elles sont contraires aux engagements pris par le Gouvernement devant le Conseil d’État
lors de l’examen du projet de loi.
Le Gouvernement avait en effet fait valoir que les opérations de collecte seraient assurées
gratuitement par les organismes retenus, ce qui justifiait pour lui de ne pas procéder à une mise en
concurrence de leur désignation. Cette situation crée une source d’opacité significative à l’égard des
Seul le prononcé fait foi
11
donateurs, dans la mesure où les règles d’imputation des frais de gestion sont très différentes d’un
collecteur à l’autre.
La deuxième faiblesse que nous avons identifiée a trait à la nature des dépenses qui peuvent être
financées par les dons et aux modalités d’information des donateurs.
Selon ses termes, la loi – nous sommes là pour faire respecter la loi – réserve « exclusivement »
l’utilisation des fonds collectés aux travaux de conservation et de restauration, à la restauration du
mobilier propriété de l’Etat et à la formation aux métiers du patrimoine.
Or, les premiers budgets de l’établissement public créé pour suivre les travaux de conservation et de
restauration montrent par exemple que la totalité de ses frais de fonctionnement sont aussi imputés
sur les dons.
Le décret constitutif de cet établissement lui confie pourtant des missions très larges, qui vont au-
delà de son rôle de maître d’ouvrage.
Sur 39 postes – un niveau défini par ailleurs sans cadrage particulier et hors plafond d’emplois
ministériel – environ le quart des effectifs est affecté à des missions qui ne correspondent pas tout à
fait à cette fonction, comme par exemple la valorisation des abords de la cathédrale. En soi ce n’est
pas illégitime, mais ce doit être su.
Seul le prononcé fait foi
12
Le premier budget en année pleine établi par l’établissement n’inclut pour autant aucune subvention
de fonctionnement sur crédits budgétaires du ministère de la culture, alors même que, je le rappelle,
l’État est propriétaire du monument.
C’est ce que nous appelons dans cette maison une débudgétisation complète. C’est une pratique
que la Cour dénonce régulièrement dans ses rapports sur le budget de l’État. Ces modalités de
financement nous paraissent porter atteinte à la lettre de la loi de juillet 2019.
Du point de vue de la Cour, les dispositions de cette loi, que j’ai rappelées, n’autorisent en effet pas de
financer par les dons ni la mission de maîtrise d’ouvrage ni les autres fonctions qu’assure
l’établissement public, qui sont sans lien tout à fait direct avec le chantier de restauration.
Pour le dire très simplement, nous ne sommes pas convaincus que les donateurs avaient pour
objectif de financer le fonctionnement de cet établissement sans rapport direct avec le chantier. Ce
que nous recommandons dans notre rapport, comme cela est la pratique pour les autres opérateurs
culturels, c’est que soit apportée à l’établissement une subvention annuelle sur les crédits budgétaires
du ministère pour financer ses charges de fonctionnement. Notre but, ce n’est pas de décourager, mais
de rassurer.
Nous pensons enfin que l’information des donateurs doit également être substantiellement
renforcée.
La loi impose un impératif de transparence, mais les conventions passées avec les collecteurs prévoient
des modalités d’information très générales, relativement imprécises et surtout facultatives.
Une telle situation ne nous paraît pas respecter les exigences de la loi du 7 août 1991 relative au
contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique. Elle pourrait en outre
fragiliser la confiance des donateurs, c’est ce que nous ne souhaitons pas.
Puisqu’il revient désormais à l’établissement public d’apporter aux organismes collecteurs toutes les
informations sur l’utilisation des dons, nous recommandons de le doter d’une comptabilité analytique
qui permettra de fournir des données régulières et détaillées sur l’emploi des fonds. Ce projet est
d’ailleurs largement partagé par la gouvernance de l’établissement et a déjà commencé à être mis en
place. Nous souhaitons qu’il aille vite.
***
Seul le prononcé fait foi
13
Voilà, mesdames et messieurs, ce que je souhaite vous dire sur ce premier bilan des opérations de
conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Nos messages sont simples. Je veux en rappeler brièvement les principaux :
Un : l’état de la cathédrale à la veille de l’incendie était très préoccupant. Il illustre la nécessité
de porter une attention renforcée à l’entretien de notre patrimoine architectural, notamment par
la clarification des responsabilités de gestion ;
Deux : la réaction des services de l’État face à la catastrophe, en particulier de la DRAC, ne peut
qu’être saluée mais nous nous étonnons de l’absence d’enquête administrative diligentée par le
ministère et de l’intérêt tardif porté à l’enquête judiciaire. Notre-Dame de Paris est bien sûr la
plus emblématique de nos cathédrales, mais elle n’est pas la seule. La catastrophe doit servir pour
préserver les 86 autres dont l’État a la propriété ;
Enfin, dernier message, les donateurs se sont mobilisés de façon exceptionnelle ; ils ont droit à
la transparence. Le montant des dons versés ou promis est sans précédent, comme le nombre de
particuliers ou d’entreprises impliqués et la dimension internationale de leur origine. Ces éléments
imposent, encore une fois, la transparence la plus stricte sur l’emploi des dons, surtout dans un
contexte économique plus délicat.
Lorsque les opérations de sauvegarde seront terminées, lorsque celles de restauration auront été
engagées, nous ferons un deuxième bilan d’avancement. A ce stade, nous l’envisageons, en 2022.
Merci de votre présence et de votre attention. Je suis maintenant prêt, avec les membres de la Cour
qui m’entourent, à répondre à vos questions.