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REVUE INTER-TEXTUAL
Revue semestrielle en ligne des Lettres et Sciences Humaines du Département
d’Anglais adossée au Groupe de recherches en Littérature et Linguistique anglaise
(GRELLA)
Université Alassane Ouattara
République de Côte d’Ivoire
Directeur de Publication: M. Pierre KRAMOKO, Maitre de Conférences
Adresse postale: 01 BP V 18 Bouaké 01
Téléphone: (225) 01782284/(225) 01018143
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- Professeur Guézé Habraham Aimé DAHIGO, Professeur Titulaire
- Dr Vamara KONÉ, Maître de Conférences
- Dr Kouamé ADOU, Maître de Conférences
- Dr Kouamé SAYNI, Maître de Conférences
- Dr Koffi Eugène N’GUESSAN, Maître de Conférences
- Dr Gossouhon SÉKONGO, Maître de Conférences
- Dr Philippe Zorobi TOH, Maître de Conférences
- Dr Jérome Koffi KRA, Maître de Conférences
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Prof. Francis Akindès, Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire
Prof. Lawrence P. Jackson, Johns Hopkins University, USA
Prof. Léa N’Goran-Poamé, Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire
Prof. Mamadou Kandji, Université Ckeick Anta Diop, Sénégal
Prof. Margaret Wright-Cleveland, Florida State University, USA
Prof. Kenneth Cohen, St Mary’s College of Maryland, USA
Prof. Nubukpo Komlan Messan, Université de Lomé, Togo
Prof. Séry Bailly, Université Félix Houphouët Boigny, Abidjan
Prof. Zigui Koléa Paulin, Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire
Inter-Textual No 2
TABLE DES MATIERES
1. Aliy Abdulwahid ADEBISI: The Translatability of Adam Abdullah Al-Ilory's
Poetry….............................................................................................................................1 – 17
2. Munseu Alida HOUMEGA et YEO Kanabein Oumar: Démarcation verbes / noms :
un cas de flexibilité catégorielle en Yacouba…………………………………………17 – 32
3. Amenan Jeanne Eunide KONAN : The Perception of English Vowels by Baule
Kode-English Bilinguals……………………………………………………..………33 – 45
4. Kouadio Lambert N’GUESSAN : Triumphing from Evils and Changing
Perspectives: an Examination of Blacks’ Dilemma in Zakes Mda’s The Heart of
Redness………………………………………………………………………..………...46 – 64
5. Koffi Jules KOUAKOU: Reading Feminism in Chinua Achebe’s Anthills of The
Savannah………………………………………………………………………..………65 – 86
6. Abib SENE: The Corporeality of Silence: Dispossession of Person-and-Selfhood in
Yvonne Vera’s Butterfly Burning…………………………………………….……….87 – 97
7. Afou DEMBÉLÉ : Regard sur l’autre : une lecture des rapports entre l’Occident et
l’Afrique dans l’œuvre de Fatou Diome……………………………………..………98 – 114
8. Kamondan Vincent DIDE et Pedro Kennedy GNAGNY: Araignée et grenouille ou la
confiscation de la liberté d’expression……………………………………...……...115 – 130
9. Justin Kwaku Oduro ADINKRA: Le Discours littéraire d’Aminata Sow Fall et
l’insertion sociale des jeunes : une lecture de Festins de la détresse………...........131 – 145
10. Pierre KRAMOKO : The Other Woman Beyond Feminism………………...146 – 159
11. Jean-Joël BAHI : Pauvreté et inégalités sociales en Afrique subsaharienne à la
lumière des théories philosophiques de Rawls et Sen……………………………..160 – 173
12. Fatou GUEYE : Procédés d’écriture et stratégies de persuasion dans les écrits
fonctionnels. Cas des annonces et slogans commerciaux au Sénégal………..........174 - 191
17
DEMARCATION VERBES / NOMS : UN CAS DE FLEXIBILITE CATEGORIELLE EN
YACOUBA
HOUMEGA Munseu Alida
YEO Kanabein Oumar
Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
Résumé
La langue Yacouba compte des unités qui dans certains emplois peuvent fonctionner comme nom
et dans d’autres comme verbe. Ce double usage pose problème au niveau de la démarcation de la
classe des verbes de celle des noms. L’objectif du présent article est de voir dans quelle mesure la
nominalisation peut permettre cette démarcation. Dans un premier temps nous montrons que la
nominalisation affecte aussi bien les noms que les verbes. Dans un second temps, nous mettons en
évidence le fait que lorsqu’une même unité peut appartenir à la classe de nom ou à celle de verbe,
il y a la possibilité pour un certain nombre de suffixes de se postposer à la base verbale pour donner
une base nominale. Il s’agit de cas de nominalisation qui au plan sémantique, intervient pour
exprimer la qualité ou l’action traduite par le verbe dont est issu ce nom.
Mots clés : nom, verbe, suffixe, nominalisation, base, sémantique
Abstract:
Yacouba language has units that in some usages are nouns and in others, verbs.
This double usage poses a problem of demarcation between the class of verbs and the one of nouns.
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The goal of this article is to see to what extent the nominalization can allow this demarcation. On
the one hand, we show that nominalization affects both nouns and verbs. On the other hand, we
highlight the fact that when the same unit can function as noun or verb there is the possibility for a
certain number of suffixes to be placed after the verbal root to give a nominal root .These are cases
of derivation which semantically occur to express the quality or the action translated by the verb
from which this name is derived.
Keywords: noun, verb, derivative, nominalization, root, semantic
INTRODUCTION
Dans les descriptions des langues, il arrive qu’une même notion soit rendue par des mots de
classes différentes mais de formes apparentées. Les cas en français de ‘compter/ (un) compte’,
‘porter / (un) port’ en sont une illustration : ‘compter et porter’ étant des verbes tandis que ‘compte
et port’ sont des noms. Le yacouba à travers ses lexèmes ‘verbo-nominaux’ connaît cette sorte de
confusion entre les formes des mots et leurs distributions. Indiquons au passage que cette
langue Mandé sud de l’ouest montagneux ivoirien est également parlée au Liberia, et
minoritairement en Guinée. L’objectif de cette étude est de voir dans quelle mesure la
nominalisation peut permettre une démarcation de classes dans cette langue. La question que cela
suscite est de savoir si parler de ‘verbo-nominaux’ n’est qu’un jeu de mots pour désigner la
‘nominalisation verbale’. Autrement dit, les termes de ‘verbo-nominaux’ et ‘nominalisation
verbale’ renvoient-ils à la même notion ? Nous y répondons tout de suite par la négative. Car devant
cette sorte de chiasme1, l’ambiguïté est vite levée par les définitions respectives de ces termes.
A ce propos, retenons brièvement que la nominalisation est un procédé, et parler de
nominalisation verbale consiste à voir comment ce procédé affecte le verbe. Par contre les verbo-
nominaux sont, non pas des procédés, mais des mots qui fonctionnent comme des noms et des
verbes.
1 Figure de style définie comme étant le fait que deux expressions se suivent, mais la deuxième adopte l’ordre
inverse (A – B / B’ – A’)
19
Approche théorique et démarche méthodologique
En nous référant à Chomsky (1965) et Harris (1989), nous relevons que dans la grammaire
d’une langue:
la composante de base est constituée d'un système de règles syntagmatiques (règles de
composition syntaxique), et d'un lexique, fournissant les mots à insérer dans les structures.
Le lexique est conçu comme un ensemble d'items dont chacun est accompagné d'au moins
trois séries d'instructions : (a) catégorie syntaxique (Nom, Verbe, Adjectif, etc.) (b)
restrictions de sous-catégorisation, spécifiant dans quel(s) type (s) de structures l'item peut
être inséré (…) (c) restrictions de sélection, spécifiant quelles sous-classes sémantiques
d'éléments l'item sélectionne.2
Dans ces trois séries d’instructions, le même item peut apparaitre dans deux catégories syntaxiques.
C’est le cas des ‘verbo-nominaux’ en yacouba. Nous tenterons donc, à partir de la théorie
transformationnelle de Harris et la théorie lexicaliste de Chomsky, de cerner ces formes en nous
appuyant sur l’énoncé qui est l’unité élémentaire d’énonciation.
La démarche que nous adoptons est de présenter d’une part les particularités
morphologiques des unités verbales et verbo-nominales. D’autre part, nous les observerons à travers
le procédé syntaxique de nominalisation.
1. IDENTIFICATION DU VERBE
En guise de démarche d’identification, nous convenons avec Creissels (1995) qui dit
que pour dégager la notion de verbe il faut partir de l’observation d’énoncés reconnaissables
comme unités phrastiques de base. La réduction de ces énoncés à l’expression prédicative qui les
structure permet alors d’isoler l’unité verbale, notamment en mettant à part tous les fragments de
ces énoncés qu’il est possible de considérer comme des constituants nominaux. L’on désignera
donc comme base verbale, une base spécialisée à fournir directement (ou avec des marques) des
expressions prédicatives dans des énoncés à prédicat verbal.
2 Zribi-Hertz A (1980). P.10
20
C’est le lieu de souligner que l’observation des formes verbales du yacouba nous a permis3
d’identifier des bases lexématiques4 et ce sont elles qui retiennent notre attention pour la présente
étude puisqu’étant des formes de base, elles se prêtent mieux aux analyses des paradigmes. Nous
sommes motivés en cela par un choix communicatif car une base complexe comme dés
« épouser une femme » ne permet pas de préciser par exemple de quelle femme il s’agit, tandis
qu’un verbe simple comme s ‘prendre’ permet de préciser un complément comme « elle a pris
un balai ».
Soit les unités lexématiques ci-après :
3 Houméga 2009 4 Cette langue présente également des bases non lèxématiques parmi lesquelles des dérivées, des locutions verbales, des séries verbales et des bases complexes à 2 bases verbales.
Unité glose
1- mà « frapper »
2- ka « couper »
3- ta « fermer »
4- s « prendre »
5- z « piler »
6- tomà « gifler »
7- kɔ « être sec, sécher »
8- ku « être chaud »
9- jiɤɓo « rêver »
10- fwʌ « s’évanouir »
11- dɔ zʌ « tousser »
12- kisu ɓo « éternuer »
21
Tableau 1: unités lexematiques
L’observation de ce tableau permet d’effectuer des regroupements tels que :
13- pe « vomissure »,
14- pe « vomir »
15- fja « paresse »,
16- sw « peur »,
Regroupement 1 Regroupement 2 Regroupement 3
unités gloses unités gloses unités gloses
kɔ être sec, sécher mà frapper fja
paresse, paresser
sɔ être étroit dɔ zʌ tousser pe vomissure, vomir
22
Tableau 2: regroupements d’unités lexematiques
On observe dans ce tableau que les regroupements 1, 2 et 3 correspondent respectivement à des
verbes statifs, des verbes de processus et des verbo-nominaux.
- Cas des verbes statifs :
Ce sont des verbes qui signifient un état sans référence au processus duquel cet état découle.
Creissels (2018 :10) indique à ce propos que «les lexèmes appartenant à la classe des verbes statifs
occupent la position V dans une construction prédicative dont la structure est celle de la prédication
verbale intransitive ». C’est le cas des items du regroupement1 :
(1) 1- kɔ « être sec, sécher »
2- sɔ « être étroit »
3- ku « être chaud »
Dans des énoncés on aura :
(2) a- sɔ jà kɔ
linge acc sécher
Le linge a séché.
b- Ji jà ku
eau acc être chaud
L’eau est chaude
Les verbes statifs dans ces énoncés 2a et 2b sont respectivement kɔ et ku .
- Cas des verbes de processus :
A l’instar du regroupement 2, il s’agit d’unités purement verbales, de lexèmes assumant
exclusivement la fonction prédicative. Il s’agit d’un type de verbes renvoyant à un procès.
Rappelons que selon le schéma actanciel de Lucien Tesnière (1965), on distingue parmi les verbes
renvoyant à un procès d’une part les verbes d’action. Ils font, comme leur nom l’indique, référence
à une action et se caractérisent par le fait que le procès est déclenché volontairement par un acteur :
(3)
ku être chaud kisu ɓo éternuer sw peur, avoir peur
23
1- mà « frapper » 4- s « prendre »
2-ka« couper » 5- z« piler »
3- ta« fermer » 6- tomà « gifler »
Leur emploi donne des énoncés tels que :
(4) a- zé jɤ jéé ka
Zé inacc fil couper
Zé coupe le fil.
b- ɡono jɤ sàkpa sɯ
Gono inacc chaussure prendre
Gono prend une chaussure.
Les verbes d’action dans ces énoncés 4a et 4b sont respectivement ka et sɯ.
D’autre part, dans ce même groupe de verbes renvoyant à un procès on a les verbes de
processus. A la différence des verbes d’action, le sujet agent n'est pas le déclencheur volontaire du
procès. C’est le cas de :
(5)
Leurs emplois donnent des énoncés tels que :
(6) a- zé jɤ jizʌ pja
Zé inacc dormir dehors
Zé dort (s’endort) dehors.
b- ɡono jɤ kisu ɓo
Gono inacc éternuer
Gono éternue.
Zé et Gono sont respectivement les sujets agents des énoncés 6a) et 6b). Leur sémantisme indique
qu’ils ne sont pas déclencheur volontaire du procès.
- Cas des verbo-nominaux :
jizʌ « dormir »
jiɤɓo « rêver »
fwʌ « s’évanouir »
kisu ɓo « éternuer »
dɔ zʌ « tousser »
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Ce sont les lexèmes du regroupement 3. Ils constituent une classe d’unités aptes à répondre aussi
bien à la définition de nom qu’à celle de verbe. Nous y reviendrons dans la section 3.
2. NOMINALISATION DES VERBES
La question que l’on pourrait se poser en entamant cette section est de savoir à quelle dénomination
correspond le phénomène décrit ici. S’agit-il de nominalisation, de substantivation ou de
dérivation ?
2.1. Précisions d’ordre terminologique
Dans cette diversité de terminologies évoquées en 2, on note que le terme de Nominalisation est
parfois employé pour désigner la relation entre un groupe nominal et une construction verbale reliés
morphologiquement et syntaxiquement. Ainsi dans la théorie transformationnelle qui met en
relation un nom et une phrase, on a par exemple :
(7) La saison sèche persiste. → Persistance de la saison sèche.
Dans ce type d’approche, le phénomène qui consiste à transformer en nom (ou substantif) un verbe,
un adjectif, un adverbe, une préposition, etc. doit être appelé substantivation et non nominalisation.
C’est le cas dans : le manger et le boire (substantivation de verbes), les jeunes (substantivation
d’adjectif), le bien et le mal (substantivation d’adverbes), le pour et le contre (substantivation de
prépositions).
Face à cette conception, on pourrait dénommer dérivation, l’opération consistant à l’adjonction d’un
affixe à une unité.
Chomsky (1965) propose un modèle auquel nous adhérons dans le cadre de la théorie lexicaliste
pour relier un verbe et un nom déverbal. Par exemple avec ‘create’ dans « Flora creates a joy », et
‘creation’ dans « this joy is Flora’s creation », on a une seule entrée dans le lexique. Par
conséquent, l’attribution de la catégorie verbe ou nom est liée à la position de l’item dans la structure
syntaxique de la phrase.
Cela dit, lorsque nous parlons de nominalisation verbale en yacouba deux faits syntaxiques sont
pris en compte : le passage du verbe au nom déverbal et la nominalisation avec présence
d’arguments postverbaux.
25
2.2. Nominalisation avec -
A travers cette sous-section nous présentons le passage du verbe au nom déverbal.
Observons les couples verbes/noms déverbaux dans les énoncés ci-après :
(8) a- wɔ j zɤ
singe bondir ici
Le singe bondit ici.
b- wɔ j -
singe bondir + suf ici
Le singe bondissant est ici.
c- dasɔ
sembler camisole grossir elle sur
La camisole semble grossit sur elle.
d- dasɔ -
sembler camisole grossir + suf elle sur
La camisole semble grossissant sur elle.
e- asi bj
militaire ramper boue dans
Le militaire rampe dans la boue.
f- asi - bj
militaire ramper + suf broussaille dans
Le militaire rampant est dans la boue.
Dans les énoncés 8 a) c) e) les verbes sont respectivement « bondir », « grossir»,
« ramper ».
Les énoncés 8 b), d) et f) indiquent qu’avec l’adjonction de - à chacun de ces verbes, on
obtient un déverbal précisément un adjectif - « bondissant », - « grossissant»,
- « rampant ». Tout comme dans la forme de base5 ces adjectifs apparaissent
immédiatement après le nom qu’ils qualifient.
5 Cf. énoncés 8a),c),e)
26
2.3. Nominalisation avec ɗé
Nous partons des énoncés ci-après :
(9) a- jɤ pʌ ɓɤ zɤ
Kpan il+inacc manger ici
Kpan mange ici.
b- pʌ ɓɤɗé jɤ zɤ
le manger il+inacc ici
Le manger est ici. (L’action de manger se déroule ici.)
c- zé jɤ pʌ ɓɤ pjɤsa ka
Zé elle + inacc manger cuillère à
Zé mange à la cuillère.
d- pʌ ɓɤ ɗé jɤ pjɤsa ka
le manger il + inacc cuillère à
Le manger est à la cuillère. (L’action de manger se déroule à la cuillère.)
e- Mawa jɤ ɓjɤ gbé
Mawa elle + inacc réveille difficilement
Mawa se réveille difficilement.
f- ɓjɤɗé jɤ gbé
Le réveil il + inacc difficile
Le réveil est difficile.
Dans les énoncés 9a), c), e), les verbes sont respectivement pʌ ɓɤ « manger », ɓjɤ « réveiller ».
En passant aux énoncés 9b), d), f), il convient de relever qu’avec l’adjonction du suffixe ɗé, le
verbe peut s’employer dans la position de tête du groupe nominal. De plus, ces verbes gardent lors
de la nominalisation les mêmes compléments postverbaux. Ainsi les verbes nominalisés en 9 b), d),
f) apparaissent respectivement dans le même paradigme que les noms propres Kpan, Zé et Mawa
en 9 a), c), e).
(10) a- jɤ zɤ
Kpan il+inacc ici.
Kpan mange ici.
b- pʌ ɓɤɗé jɤ zɤ
Le manger il+inacc ici.
Le manger est ici. (L’action de manger se déroule ici.)
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c- zé jɤ pjɤsa ka
Zé elle+inacc cuillère à
Zé est à la cuillère.
d- pʌ ɓɤ ɗé jɤ pjɤsa ka
Le manger il+ inacc cuillère à
Le manger est à la cuillère. (L’action de manger se déroule à la cuillère.)
e- zé jɤ gbé
Zé elle + inacc difficile.
Zé est difficile (de caractère).
f- ɓjɤɗé jɤ gbé
Le réveil il + inacc difficile.
Le réveil est difficile.
A la différence de la nominalisation avec en 2.2 où le verbe nominalisé conserve sa position,
avec ɗé le verbe nominalisé se retrouve en tête d’énoncé. Ainsi seront erronés des emplois tels que :
(11)
a- * jɤ pʌ ɓɤ ɗé zɤ
b- *zé jɤ pʌ ɓɤ ɗé pjɤsa ka
c- *zé jɤ ɓjɤ ɗé gbé
Soulignons à ce stade de notre réflexion que variablement pour un même verbe, le suffixe employé
sera ɗé ou , selon qu’on veuille exprimer un qualificatif ou nominaliser le verbe.
A/ Verbes B/ Nominalisés avec ɗé C/ Nominalisés avec
a « toucher » a ɗé « le toucher » a « touchant »
ga « regarder » ga ɗé « le regard » ga « regardant »
to « rire » to ɗé «le rire » to « riant »
« chuter » « la chute » « chutant »
gɔ « lutter » gɔ « la lutte » gɔ « luttant »
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« bondir »
ɗé «le bond » « bondissant »
pʌ ɓɤ « manger » pʌ ɓɤɗé « le manger» pʌ ɓɤ « gourmant »
ɔ « descendre » ɔ ɗé « la descente » ɔ « descendant »
da « monter » da ɗé « la montée » da « montant »
wé « parler » wé ɗé « le parler » wé « parlant »
Tableau 3 : items avec les suffixes ɗé et
A la suite de ce tableau 3, soulignons que malgré la similitude de la glose des items de la colonne
C avec le gérondif, ceux-ci sont bien sont des adjectifs.
3. CAS DES VERBO-NOMINAUX
Parler de ‘verbo nominaux’ c’est évoquer « la possibilité qu’ont certains lexèmes (…) d’être
utilisés à la fois comme noms se référant à des instruments et comme verbes se référant aux actions
que ces instruments permettent d’effectuer »6. Ce sont en effet des bases lexématiques qui se
présentent comme une classe d’unités aptes à répondre aussi bien à la définition de nom qu’à celle
de verbe. Cette flexibilité catégorielle doit être prise en compte dans la systématique des parties du
discours du Yacouba. Ainsi, en consacrant une section à ces unités listées dans le regroupement 3
du tableau 2, nous voulons montrer leurs particularités en soulignant qu’il s’agit, non pas de verbes
nominalisés, mais d’un type de verbes, au même titre que les verbes statifs et les verbes de processus
(cf1).
C’est le cas d’unités telles que :
(12) 1- pe « vomissure », pe « vomir »
2- fja « paresse », fja « paresser »
3- sw « peur », sw « avoir peur »
Leur emploi donne les énoncés ci-après :
(13) a - sw a nu jk ta
Peur elle+acc venir Yok sur
6 CREISSELS D, SAMBOU P 2013 :99
29
La peur a envahi Yok.
b - jk sw joo
Yok il+inacc avoir peur mer de
Yok a peur de la mer.
c - jk sw -
Yok il+inacc peur+ suf
Yok est peureux.
d - fja
paresser elle avec
Quelle paresse !
e - zlapjé a fja
Zlampié elle + acc paresser hier
Zlampié a paressé hier.
f - zlapjé fja -
Zlampié elle+inacc paresser+ suf
Zlampié est paresseuse.
Les énoncés 13 a) et d) illustrent l’emploi nominal des verbo-nominaux. Dans cet emploi, ils
apparaissent en début d’énoncé.
S’agissant des exemples 13 c) et f), ils sont une illustration de la nominalisation des verbo-
nominaux, procédé au cours duquel ils se situent en fin d’énoncé.
Quant aux énoncés 13 b) et e), on y voit leur emploi verbal. Pour attester ce dernier emploi, nous
indiquions7 l’existence en yacouba de prédicatifs qui ne s’associent qu’à des bases lexicales aptes
à assumer la fonction prédicative dans un énoncé à prédicat verbal.
En insérant dans ces énoncés le prédicatif du futur on aura :
(14) a - jk sw joo
Yok fut avoir peur mer de
Yok aura peur de la mer.
7 HOUMEGA 2009
30
b - zlapjé fja
Zlampié fut paresser
Zlampié paressera.
La position de nous indique que dans ces énoncés sw et fja sont verbes car
ne peut qu’apparaître dans ce paradigme. En effet en 14 a) il ne peut apparaître ni avant
Yok, encore moins devant, ou après joo. De même, en 14 b) il ne peut apparaître ni avant zlapjé,
encore moins après fja .
Avec le prédicatif na, marque du progressif, on aura :
(15) a - jk sw -na joo
Yok avoir peur+ prog mer de
Yok aura peur de la mer.
b - zlapjé fja -na
Zlampié paresser+ prog
Zlampié est en train de paresser.
On observe que –nā marque les verbes sw et fja . L’usage de la langue ne permet pas
qu’il marque jk encore moins joo ou zlapjé.
Les bases lexicales sw et fja sont donc nécessairement des bases verbales. Les
prédicatifs et nā dans ces énoncés en 14 et 15 l’attestent bien.
CONCLUSION
Nous avons relevé en yacouba 2 suffixes qui sélectionnent des bases verbales pour les
nominaliser: - et ɗɛ. Si dans la nominalisation avec le verbe nominalisé conserve sa
position, ce n’est pas le cas avec ɗɛ qui se retrouve en tête d’énoncé avec le verbe auquel il se
postpose. De plus, cette langue, à travers ses lexèmes verbo-nominaux, semble connaitre une
confusion entre les formes des mots et leurs distributions. Mais l’usage de la langue et les faits
31
syntaxiques permettent de déterminer s’il s’agit d’un emploi nominal ou d’un emploi verbal. Nous
avons tenté de démontrer que ce sont des unités dont il faut tenir compte dans la systématique des
parties du discours du yacouba car il s’agit d’unités à part entière et non des verbes nominalisés.
D’ailleurs ils sont eux-mêmes aptes à la nominalisation tout comme les verbes de processus et les
verbes statifs.
Bibliographie
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