Lecture du livre d’Isaïe ( 54, 5-14) veillée pascale année A
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INTRODUCTION
Depuis le début de la préparation de ce mémoire de recherche, j’ai changé de très
nombreuses fois de sujet. Au début de la préparation de ce travail, je n’avais pas
assez d’expérience pour définir un sujet à approfondir qui soit intéressant pour mon
évolution professionnelle.
Dans un premier temps, j’ai pensé faire un travail autour de l’image et de sa
transformation, touchant au sujet de la place et de l’identité, très interpellée par les
images médiatiques. Le sujet de l’image et du collage revient dans ce travail sous la
forme de propositions de travail que je fais régulièrement.
Ensuite je me suis intéressée à la thématique de l’arbre que je voulais approfondir
dans le cadre de la maladie d’Alzheimer et tenter de répondre à la question :
« Comment les éléments de la nature introduits dans les maisons de repos et de soin
peuvent apporter du vivant ? » La thématique de l’arbre, très importante pour moi,
est développée dans ce travail à divers endroits.
Petit à petit, au cours de mes premiers accompagnements, j’ai découvert
l’importance que j’accordais à la recherche de propositions de création, en lien avec
les personnes et les besoins exprimés, y accordant beaucoup de temps et d’énergie,
dans le plaisir de la création. J’ai aussi réalisé l’importance de l’attention, qui me
demande parfois de lâcher ma proposition de départ et de m’adapter à ce qui se
passe, en étant à l’écoute et flexible.
Suite à ce cheminement de quelques mois, j’ai décidé de traiter dans ce mémoire le sujet de l’intention et de l’attention en tentant de répondre aux questions suivantes :
- Comment l’intention se transforme en attention lors de mes accompagnements en art thérapie ?
- Quelle est la place de l’attention et celle de l’intention dans mes accompagnements ?
- Dans quelle mesure l’intention est au service de l’attention ?
La découverte du travail du peintre Alexandre Hollan a eu un énorme impact sur ma
manière de travailler. Il m’intéresse non seulement parce qu’il peint des arbres
depuis une quarantaine d’années, sujet qui me passionne et me nourrit beaucoup,
mais surtout parce qu’il le fait d’une manière très personnelle, en mettant en avant
une autre temporalité, une attention particulière aux arbres qu’il observe longuement,
avec un long temps de silence et de préparation, en connexion avec des énergies
que lui seul voit et ressent, et en perpétuelle recherche.
Je me permettrai de faire le lien entre sa manière d’être avec les arbres et ma
manière d’être avec les personnes que j’accompagne :
- Quelle est la qualité d’attention que je leur porte ?
- Qu’est-ce que je ressens ?
- Qu’est-ce qui me touche, m’interpelle ?
- Comment je réagis face à cela ?
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Cet artiste, ses œuvres et sa manière de travailler me passionnent tellement que je
m’en suis fortement inspirée dans l’élaboration d’un dispositif autour de l’arbre que je
décris dans ce travail.
Etant quelqu’un de pratique et de sensible, j’ai choisi, pour réaliser ce travail de
recherche, de partir de mes expériences et de mes observations pour aller vers une
conceptualisation.
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1. LE CONTEXTE
La formation que j’ai commencée à l’INECAT en septembre 2011 est arrivée à un
moment charnière dans ma vie, un moment de grand questionnement et d’envie de
construire une vie plus juste pour moi. Cette formation a amorcé d’importants
changements dans ma vie d’artiste, de femme, de mère. Les cours, les stages et les
ateliers que j’y ai suivis ont largement participé à ce que je suis devenue aujourd’hui.
Le mémoire de recherche, basé principalement sur mes expériences et mes
observations, a été une occasion de mieux me définir au niveau professionnel.
1.1. Changement de vie, reconstruction
L’année 2014 a marqué un tournant dans ma vie : divorce, départ de mes trois
enfants à l’étranger, retour à Bruxelles après quinze années de vie à l’étranger, pas
de travail. Je me sentais à la fois dans un grand vide (solitude et absence de
structure) et dans un grand encombrement (peurs, forte sensibilité, vulnérabilité,
sentiment d’envahissement).
Ce contexte de vie m’offrait l’occasion de me construire personnellement et
professionnellement de façon plus libre et plus juste, de développer davantage ma
passion artistique et de me lancer plus à fond dans l’art thérapie. Tout cela donnait
du sens à un nouveau chapitre de vie qui s’offrait à moi.
1.2. L’être et le faire
Influencée et conditionnée par la société actuelle, j’ai tendance à être active, à
chercher un résultat, à aller vers un objectif, à être utile ou faire des choses utiles,
sous-estimant l’importance de savoir « ne rien faire », « être ». Je découvre
récemment les bienfaits de l’observation, de l’immobilité, du silence, de la lenteur, de
la méditation, de la contemplation, du calme,...
Utiliser mes cinq sens et en prendre conscience me procure calme et bien-être.
Eveiller mes sens lors d’une promenade en forêt ou en bord de mer, lors d’une expo,
ou d’une rencontre, … C’est tout un état d’esprit qui m’habite de plus en plus.
1.3. Le corps
La formation que j’ai suivie à l’INECAT dès septembre 2011 a amorcé un grand
changement dans ma manière de vivre et de considérer mon corps. Là où j’utilisais
mon corps, que je le considérais comme une chose à faire fonctionner et à entretenir
(un peu comme s’il était un objet extérieur à soigner), il est devenu autrement
présent, avec tout un ressenti, une sensibilité, une envie d’en prendre soin dans la
douceur, un besoin de le respecter. Mon corps parlait depuis quelques années en
manifestant des douleurs au dos et à la hanche. C’est à cette période de formation à
l’INECAT que j’ai enfin pu en être consciente, capable de l’écouter. Je suis passée
du corps utile et fonctionnel que je pensais entretenir avec du sport et de l’action au
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corps sensible et fragile que j’ai appris à soigner avec plus de douceur (relaxation,
mouvements lents, étirements, massage, repos..).
Lors des ateliers à l’INECAT, Ruth Nahoum, artiste, art thérapeute et intervenante au
sein de l’école, nous a proposé de nombreux exercices corporels nous faisant
découvrir et développer la sensorialité. Elle m’a fait prendre conscience de choses
subtiles au niveau du corps par des exercices de relaxation, des mouvements lents,
des moments de méditation, un travail en conscience des cinq sens,… me mettant
en lien avec mes sensations corporelles et mes émotions. J’ai beaucoup apprécié
ses propositions en lien avec le corps et sa façon de nous accompagner.
« La création est d’abord un engagement du corps, engagement profond du corps
dans l’expression. Il n’y a pas de véritable expérience vivante qui ne passe pas par
lui. La richesse qu’apporte le relais du corps dans l’élaboration poétique est
immense. Il faut devenir attentif à cette mise en résonance, cette mise en
mouvement de la matière même du corps et chercher une parfaite solidarité entre la
matière travaillée et la matière profonde du corps.» 1
Aujourd’hui, je m’inspire des expériences vécues lors des ateliers de Ruth : il m’arrive
de méditer avant de créer et de proposer des exercices d’échauffement lors des
ateliers que j’anime. J’essaie de mettre « du corps » dans mes propositions
artistiques, de prendre le temps d’être en contact avec mes sensations et mes
émotions.
La danse des cinq rythmes que je pratique depuis plus de deux ans me fait
expérimenter une nouvelle façon d’aborder le mouvement et la musique. Tout un
travail corporel se fait à travers la danse et le mouvement libre. C’est mon corps qui
me guide. Je me concentre sur la musique, je suis très réceptive et à l’écoute de mon
corps à travers les mouvements et les gestes. Par le corps dans la danse et à travers
les mouvements libres, j’exprime, je libère, je lâche des tensions, en lien avec mes
émotions de l’instant.
Depuis quelques mois, je pratique quotidiennement un moment de méditation qui me
permet de me recentrer, de me connecter à mon essence. C’est un temps de silence
intérieur, de paix, de gratitude, de lien, de prière.
1.4. La transition
Suite à la lecture du livre de Pierre Rabhi « Vers la sobriété heureuse »2, à la
projection du film et à la lecture du livre « Demain »3, et au séjour passé aux «
Amanins » 4 en juillet 2016, je me suis beaucoup intéressée au mouvement de la
transition qui se développe dans de très nombreux pays à travers des projets locaux
qui mettent en avant la terre et l’être vivant : un monde plus simple, plus solidaire,
moins matériel, plus respectueux des lois de la nature et du vivant.
1 Ruth Nahoum, http://www.artherapie.fr/blog_at/ 2 Pierre Rabhii, Vers la sobriété heureuse, Babel, 2015 3 Cyril Dion, Demain : un nouveau monde en marche, Acte Sud, novembre 2015 4 Les Amanins, centre de séjour agroécologique, Val de Drôme, juillet 2016
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Dans la continuité de ces découvertes, je suis une formation de quelques mois au
sein de l’Association Terre et Conscience, qui me permet de découvrir entre autres
les principes et la pratique de la permaculture, de l’intelligence collective, de la
communication non violente et de l’échopsychologie. J’y découvre toute une
philosophie de vie, avec de nouvelles façons de vivre et de consommer, de façon
plus consciente, responsable et solidaire, plus engagée aussi.
Cette formation est arrivée comme une évidence, donnant un sens à mes activités et
à mes choix de vie, avec plus de conscience, de gratitude, un grand sens de
solidarité et d’empathie, dans une temporalité plus lente et avec des moments
d’observation et d’émerveillement, en lien avec soi, avec l’autre, avec la terre et avec
l’univers.
Mon mémoire de recherche et mon travail sont imprégnés de tout cela.
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2. MON TRAVAIL EN ART THERAPIE
Après quelques mois de recherche de contacts et de travail en art thérapie, j’ai
commencé à animer divers ateliers réguliers à Bruxelles, dès septembre 2015 :
- Création et animation d’un atelier dans deux maisons de repos et de
soin (faisant partie du groupe ORPEA) avec des personnes âgées souvent
désorientées.
- Animation d’ateliers pour l’association Alzheimer Belgique dans le cadre d’un
projet mis en place par le Docteur Bier à l’hôpital Erasme à Bruxelles où
j’accompagne des personnes âgées démentes pendant que leurs aidants
(conjoint, compagnon ou enfant) sont pris en charge en groupe de psycho-
éducation.
- Reprise de l’atelier en art thérapie à la Clinique Saint Jean dans le service
« bien-être » en oncologie – sénologie.
- Accompagnements individuels et en petits groupes dans mon atelier.
- Mise en place et animation de stages divers pour enfants et adolescents
pendant les vacances scolaires.
Dans le cadre des ateliers que j’anime, j’ai remarqué que je consacrais beaucoup de
temps et d’énergie à la recherche et à l’élaboration d’une proposition de travail. Cette
partie de mon travail, qui est la recherche de « matière » m’anime beaucoup, me fait
créer dans le plaisir. Je m’inspire de ce que j’observe ou découvre dans la vie de
tous les jours (à travers un livre, une expo, une citation,…) pour développer des
idées et des propositions de création qui pourraient convenir et répondre aux besoins
des personnes.
Je travaille souvent à partir d’une thématique qui touche à la nature : l’arbre, les
éléments de la nature, le jardin, le chemin, …à partir de laquelle je propose un travail
de peinture et de collage.
Dans mes propositions de création, l’image intervient souvent à travers le collage. A
travers le glanage dans les magazines, les personnes choisissent librement des
images qui les touchent, les interpellent. Lors de l’assemblage, elles racontent une
histoire, elles parlent d’elles. Elles peuvent laisser aller leur imaginaire à travers
l’assemblage des images et des morceaux de papier choisis.
Parfois je propose de travailler autour d’un artiste ou d’une technique qui ouvrent à
l’imaginaire, au rêve. Exemples : Gaston Chaissac, la technique du monotype,…
Lorsque j’accompagne une personne dans la création, je me sens posée, disponible,
calme, liée. Je fais place à l’observation, à l’écoute, à l’empathie en lui offrant une
présence attentive et discrète. J’essaie de sentir ce qui se passe chez elle à travers
son attitude, la création en cours, ses réactions,… J’essaie de créer un espace
ouvert, de sentir ses besoins et d’intervenir si besoin au bon moment.
Dans mes accompagnements, je veille à répondre au mieux aux questions
suivantes :
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- Comment être pleinement présente à l’autre, pleinement attentive à ce qui se
passe ? Comment offrir une belle qualité de présence ?
- Quelle proposition choisir, en lien avec la personne, en réponse à ses
besoins ?
- Comment ne pas arriver avec trop d’intention et d’objectif pour la personne et
laisser venir ce qui vient, observer ce qui est là, m’adapter à ce qui se passe,
voir où la personne m’emmène, aller dans son sens, avec écoute et respect ?
A la fin des ateliers, je fais des photos des travaux réalisés et j’écris des comptes-
rendus détaillés qui me permettent d’avoir un suivi, d’observer l’évolution de la
personne et de son travail. Ces traces écrites me permettent aussi de rédiger des
synthèses que je communique parfois en interne à l’équipe de soignants.
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3. MON TRAVAIL ARTISTIQUE
Encore trop souvent encombrée par tout ce qu’il y a à gérer dans mon changement
de vie, et consacrant beaucoup de temps aux divers ateliers en art thérapie, j’ai du
mal à trouver le temps et la bonne disposition pour créer. Je me sens à la fois dans
un creux au niveau artistique, et dans un trop, dans la profusion. Je n’arrive pas à me
centrer, je me disperse par des projets divers en écriture, collage, photo, sculpture,…
Je me perds parfois.
Où se trouve le fil conducteur dans tout ce que je fais ? Tout parle de moi, de ce que
je vis, autour de thématiques qui reviennent : le vivant, l’arbre, la solitude, la féminité,
le lien, l’atmosphère.
Depuis quelques années et de plus en plus souvent, lorsque je crée, j’ai moins
d’intention au départ, je laisse venir ce qui vient, je m’ouvre à de nouvelles
possibilités, je prends des risques. J’apprends à créer pour moi-même, davantage
centrée sur mon état du moment, mes émotions, mes besoins, mes envies, les
thèmes qui me touchent, les matières qui m’attirent sans chercher forcément à faire
une série d’œuvres intéressantes et à exposer.
3.1. La sculpture
En sculpture, mon média principal depuis 20 ans, je me sens limitée par mes
nouvelles conditions de vie : moins d’espace, moins d’aide, moins de finance, des
problèmes de dos. Quelque chose fait que j’ai perdu de la motivation et de
l’inspiration. Je n’ai plus l’énergie nécessaire à la sculpture. Je ne me sens plus aussi
forte physiquement pour sculpter, c’est un métier très dur et, tel que je le pratiquais,
pas très féminin. C’est comme si les grandes sculptures en bronze faisaient partie de
mon passé.
J’ai travaillé avec de très nombreuses matières que je choisissais en fonction du
pays où j’habitais, la disponibilité des matériaux, les travaux d’artistes autour de moi
et en fonction de ce que je voulais réaliser : de la cire, du bronze, du fil de fer, du
métal soudé, du plâtre, du bois, de la résine…
Immortal life, métal soudé et sujet en bronze, Hauteur : 170 cm, 2009
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Mes thèmes touchent au vivant : l’être humain, la femme, les animaux, les arbres, les
formes organiques. Mes formes évoluent vers l’abstraction, l’absence du détail,
l’importance de la courbe et de l’arrondi, la simplicité des lignes. J’aime que l’on voie
les traces dans la matière. C’est une présence que je cherche à montrer. C’est une
atmosphère que je veux créer. Il y a un équilibre subtil entre la force et la fragilité qui
me caractérisent. Je m’inspire de ce que je vois dans la nature, dans la rue, dans les
livres, dans mon quotidien.
Confidently, fil de fer, Hauteur : 120 cm, 2009
Quiet strenght, bronze, Hauteur : 24 cm, 2009
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Aujourd’hui, j’ai très envie de remettre mes mains dans la matière. De temps en
temps, je travaille la terre, de façon sensorielle, sans chercher à faire une pièce
précise. Cela me fait du bien.
Ces derniers mois, pour ma dernière exposition de novembre 2016, j’ai réalisé des
sphères : l’une en fil de fer, les autres en résine. Cela fait quelques années que je
réalise des sphères de 60 cm de diamètre, pleines ou creuses, en plâtre, en fil de fer
ou en résine, peintes ou patinées.
Ces sphères représentent toujours la terre que je chéris, que je respecte et que je
veux protéger. Actuellement je suis très préoccupée par l’état du monde actuel, l’état
inquiétant de la planète, avec tous les signes de déshumanisation, d’irresponsabilité,
d’insatisfaction, de recherche de pouvoir, d’injustice, de grand mal-être social,…
C’est d’ailleurs face à cela que j’ai décidé de m’engager dans des projets en
transition, qui mettent en avant la terre et l’être vivant ; cela donne du sens à ma
seconde partie de vie. Ces planètes que je crée en sculpture expriment une
inquiétude et indiquent aussi ma confiance en la nature, l’homme et l’humanité.
La sphère en fil de fer « Terre-mère » a été réalisée juste après les attentats à
Bruxelles en novembre 2015. La symbolique apparait non seulement dans le résultat
final, mais dans le processus de fabrication. Lorsque je tissais les fils autour de cette
sphère, j’étais en lien avec le monde de façon assez spirituelle. Je voulais créer des
connexions entre les nations, les cultures et les religions, mettre en avant la richesse
de ces différences. Il y avait un travail de méditation et de connexion forte à
l’humanité, au monde. Dans le résultat final, je vois des veines où circule la vie, des
liens entre des points, du mouvement, de la circulation,.... L’arbre planté au sommet
a ses racines qui s’étalent tout autour de la terre, l’unifiant et la protégeant. Sa force
nous console. Pour moi, cet arbre représente la force de la nature, une présence
silencieuse et le lien humain à travers le monde.
Terre-mère, fil de fer, Hauteur : 80 cm, novembre 2016
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A travers la sphère réalisée en résine, j’ai voulu faire apparaitre une structure
osseuse. L’os, c’est ce qui fait notre solidité, ce qui nous fait tenir debout, c’est notre
structure. J’ai laissé apparaitre les traces, les griffes du travail de ponçage pour
donner un caractère usé. J’ai réalisé une patine gris-jaune proche de la couleur de
l’os. La structure osseuse de la terre, c’est ce qui montre qu’elle est plus solide qu’on
ne croit… Il y a un mouvement doux, des courbes. J’y vois une danse. J’y vois aussi
un mouvement infini et incessant. Il y a le vide et le plein. Il y a la légèreté et la
solidité. Cette sphère est pleine d’oppositions intéressantes, d’ambivalence.
Lets move, résine, Hauteur : 70 cm, novembre 2016
3.2. La peinture-collage
Je peins depuis des années, en autodidacte. Ces dernières années, j’ai beaucoup
expérimenté la peinture, le fusain, des matériaux mixtes.
Depuis que j’ai découvert le collage en février 2014 lors du module animé par Mr
Jean-Paul Bernard Petit lors de ma formation à l’INECAT, je cherche de nouvelles
façons de peindre en intégrant de la matière par le collage. Le collage a été une
révélation pour moi. Je réalise que depuis des dizaines d’années, je collectionne des
images, des cartes postales, des photos et divers papiers. Je redécouvre tout cela
comme un trésor de matières à utiliser dans mon travail.
Ce qui m’intéresse dans ce travail, ce sont les matières utilisées et le processus de
création.
J’utilise de nombreuses matières qui se lient, se mélangent, se superposent, créent
du relief, des traces :
- des bandelettes de papier, du papier journal, du papier japonais,…
- diverses images glanées dans des magazines
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- de la peinture que je confectionne moi-même avec de la colle et des pigments
à couleur naturelle
- du pastel sec
Je démarre souvent mes collages avec une image agrandie, que j’intègre dans une
peinture – image de la femme, de l’enfant, de l’homme parfois. Je crée autour de
cette image un contexte, une atmosphère, une histoire, une présence. La nature et
les matières naturelles apparaissent souvent dans le fond de mes collages avec des
superpositions, des séries (livres, briques, carreaux,…)
L’idée de ces collages est de transformer et de détourner l’image en créant un
nouveau contexte. Par exemple, je rends vivante une femme sculptée en lui ajoutant
un bonnet de bain et en lui colorant la peau ; je transforme une femme mannequin en
ne gardant que ce qui parait de sa peau (visage, main) et je couvre le reste de son
corps de motifs, lui créant ainsi un nouveau fond, un nouveau cadre, une nouvelle
histoire.
Je choisis souvent ces femmes pour leur regard et leur féminité ou le « décalage »
qu’elle évoque chez moi. Certaines femmes mannequins ne me semblent pas à leur
place avec leur visage triste et touchant ; je leur crée un environnement qui leur
convient mieux ; je transforme une autre femme mannequin en sirène sur son
rocher,… en fait, je raconte des histoires à partir d’images choisies.
Les photos d’enfant que je choisis sont aussi un peu « décalées » : un enfant obèse
qui regarde le ciel par exemple. Parfois je travaille à partir d’une photo de moi petite.
Je crée alors un nouveau contexte en accentuant quelque chose de mon souvenir
d’enfance.
Ce qui est important et qui ressort dans mes travaux de collages, au-delà des
thématiques que je travaille actuellement de la femme et de l’enfant, c’est d’une part
l’atmosphère et la présence qui se dégagent et d’autre part, l’importance de la place
ou du décalage. Le collage m’offre la possibilité d’aborder des questionnements. Je
perçois dans le temps des traces d’évolution et de transformation à travers mes
créations.
Tout ce travail de peinture-collage a un impact sur ma manière d’accompagner les
personnes en art thérapie. Selon moi, le collage peut donner à chacun un vrai
pouvoir de transformation.
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Femmes, peinture-collage :
58x87 cm, papier, septembre 2015 68x55 cm, papier, septembre 2015
100x60 cm, toile, février 2016 70x100 cm, papier, mai 2016
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80x80 cm, toile, mars 2017
Enfants, peinture-collage :
100x100 cm, toile, avril 2016 100x100 cm, toile, décembre 2016
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Auto-portrait, 46x38 cm, papier, juillet 2016.
Aujourd’hui, je suis touchée et inspirée par certains artistes qui travaillent le collage,
combinant souvent différentes techniques avec beaucoup de matières, de
superposition, créant une atmosphère, une présence. Il s’agit de Max Neumann,
Jean-Charles Blais, Yves Zurstrassen, Christian Bonnefoi, Pawel Mendrek,…
J’ai hâte de retrouver du temps pour reprendre mon travail artistique personnel en
continuité de mes recherches en cours et inspiré de ces artistes.
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4. APPORT PHILOSOPHIQUE ET PSYCHOLOGIQUE
Dans ce chapitre, je tente de définir les notions d’intention et d’attention avec des
éclaircissements et des précisions apportés par des concepts philosophiques et
psychologiques.
J’ai choisi de présenter une citation du peintre Alexandre Hollan pour introduire et
illustrer mon propos.
Dans un ordre que je trouve logique, je donnerai dans un premier temps la définition
de l’intention, puis développerai la notion d’intentionnalité dont parle entre autres
Jean-Pierre Klein, et ensuite la définition de l’attention.
Pour développer davantage la notion d’attention, je citerai des propos d’Albert
Coeman, psychomotricien qui accompagne des enfants souffrant de troubles de
l’attention. Je ferai aussi référence à Paul Ricoeur, plusieurs fois cité lors de la
conférence donnée par Odile Gilon en octobre 2015 à Bruxelles, qui touche à
l’attention.
Enfin, j’exposerai la notion de méta-attention développée par Jean-Pierre Klein et la
notion d’attente décrite par François Roustang.
4.1. Alexandre Hollan
« Rester. Rester devant l’arbre, devant un fruit, devant des objets. L’attention se
concentre grâce à ce « jeûne visuel. » « Regarder avec attention, avec patience et
souplesse, pour réinventer, pour retrouver quelque chose.»5
Alexandre Hollan, né à Budapest en 1933 et vivant en France depuis 1956, dessine
et peint les arbres et les « vies silencieuses » (nature morte) avec une démarche
patiente et lente. Il observe, ressent, attend, prend le temps, se concentre sur les
énergies, se met en lien avec l’arbre avec un lien presque humain. L’attention est au
cœur de son travail.
Il peint et dessine sur le même motif depuis quarante ans avec le souci d’observer,
de sentir, de chercher, avec une attention particulière. Il essaie d’oublier ce qu’il sait,
ses références d’arbres, pour laisser place aux impressions, aux sensations, au
ressenti de la respiration.
L’intention n’intervient que plus tard, lorsqu’il rassemble les premières traces au
fusain, lorsqu’il pose sur le sol ses nombreux premiers croquis du même arbre et
essaie de trouver un sens à l’ensemble qui lui permettra de commencer à élaborer
son œuvre finale.
On voit dans la démarche artistique de cet artiste l’importance de l’attention et le rôle
de l’intention à un moment donné dans son travail.
Je développerai la présentation de cet artiste et de son travail dans la partie 7 qui
aborde ma posture en tant qu’art thérapeute, en faisant un parallèle entre l’attitude
5 Alexandre Hollan, « Je suis ce que je vois, Notes sur la peinture et le dessin 1975-2015, Ed. Erès, 2015, p.18
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de ce peinture devant les arbres et mon attitude d’art thérapeute accompagnant une
personne.
4.2. L’intention :
Définition dans le grand Robert : « Le fait de se proposer un but, un résultat. »
Nous fonctionnons dans un monde et une société qui mettent en avant la recherche
de résultat, d’un but. Quand nous faisons quelque chose, nous avons une idée
derrière la tête. Nous avons une visée, un objectif. L’intention englobe les idées de
résultat, de projet, de but, de prévision, de recherche, de moyens, de direction, de
contrôle, d’organisation, de concrétisation,…
Comment être consciente de mes intentions ? Je fais telle ou telle chose par rapport
à quoi, en vue de quoi ?
Lors de mes ateliers, j’arrive avec des propositions concrètes qui contiennent des
intentions et des objectifs qui pourraient être : mettre les personnes en mouvement,
les faire sortir des répétitions en les ouvrant à de nouvelles choses, favoriser la
créativité et l’imaginaire, créer des liens dans le groupe,… Je choisis telle ou telle
proposition pour les faire travailler avec le corps, pour les ouvrir aux formes et aux
couleurs, pour leur faire lâcher prise.
Finalement ce sont les personnes qui reprennent les rênes en travaillant librement à
partir de l’idée proposée, parfois en sortant complètement du sujet. Tout cela est
bienvenu.
4.3. L’intentionnalité et le pro-jet
Dans son livre « Penser l’art thérapie », Jean-Pierre Klein parle d’intentionnalité que
nous devons avoir en tant qu’art thérapeute, à distinguer de l’intention que peut avoir
un autre soignant. L’idée est de proposer quelque chose d’ouvert à la personne,
d’avoir un projet vague et souple qui permette d’accompagner le processus de
création, sans objectif précis et sans diriger.
« …On touche là la différence entre l’intentionnalité du soignant, son désir que
l’autre aille mieux, projet vague mais ouvert, à distinguer de l’intention sur l’autre qui
prescrit un moyen particulier pour arriver à un objectif précis chez l’autre qui n’a qu’à
se laisser guider dans la même soumission, avec l’alibi que donne le soignant que
c’est pour son bien. » « Je désire que tu sois Sujet, mais tu es libre de ne pas le
décider toi-même. »6
La citation de Thierry Janssen, Médecin, Psychothérapeute et Directeur de l’école
EDLPT à Bruxelles (Ecole de La Présence Thérapeutique), pratiquant et enseignant
la méditation, va dans le même sens : « Accompagner quelqu’un ne consiste pas à
6 Jean-Pierre Klein, Penser l’art thérapie, éd. PUF, 2012, p. 213-214
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l’emmener là où l’on voudrait qu’il aille mais plutôt, à aller avec lui là où il veut – là où
il peut – se rendre »7.
Dans son enseignement, Thierry Janssen met l’accent sur la posture de
l’accompagnant qui doit offrir une grande qualité de présence à l’autre.
Dans les ateliers que j’anime, dans un cadre sécurisant et bienveillant, je veille à
faire une proposition de création ouvrante, à mettre la personne dans des conditions
telles que c’est elle qui décide où elle veut se rendre. Je ne fais que la suivre là où
elle m’emmène. Je n’impose rien et je n’ai pas d’objectif précis. Si elle ne fait rien,
elle ne fait rien. A moi d’accepter là où elle se trouve. Je vis avec elle ce qu’elle a à
vivre. J’essaie de répondre à ses besoins par une proposition susceptible de la faire
devenir Sujet de son œuvre. Parfois ça prend du temps, parfois ça n’arrive pas.
A partir de l’histoire du Mahabharata que Jean-Pierre Klein expose dans un de ses
écrits, on peut encore mieux comprendre ces notions d’intentionnalité et de projet :
Un sage donne l’épreuve de tirer une flèche directement dans l’œil d’un
vautour en bois perché sur une haute branche d’un arbre.
- Les deux premiers tireurs voient tout ce qui entoure le vautour et s’y
perdent
- Le troisième tireur ne voit que l’oiseau, que son œil. Sa flèche atteint
directement la cible
L’art thérapeute n’a pas cette efficacité directe. Même si ses moyens mis en oeuvre
sont indirects, il ne vise pas une cible donnée.
« Son pro-jet est dans l’intentionnalité et non dans l’intention, il est ce pro-jet mou
dont parle Jean-Pierre Boutinet, qui concerne la transformation de la personne par
elle-même avec cette hypothèse qu’elle doit ne pas être volontariste comme les
exemples précédents mais que son évolution suivra sans qu’elle s’en rende bien
compte celle des formes créées chargées de ses projections le plus souvent
involontaires. »
Lors des ateliers, je veille à ce que la personne en création lâche prise, qu’elle ne
cherche pas un résultat précis. Je l’invite à laisser les choses émerger, se laissant
guider par la matière et ses mains plutôt que par sa volonté ou son mental. Je l’invite
à prendre distance, à observer, à avoir une attention particulière à son œuvre en
train de se faire. Sans qu’elle ne s’en rende compte, la personne peut se transformer
elle-même au fil du travail et des séances. Les choses se passent à son insu.
Les moyens mis en œuvre par l’art thérapeute sont indirects. En effet, nous
n’attaquons pas le symptôme en direct, mais de façon détournée. Par exemple, nous
n’allons pas proposer à une femme anorexique de représenter son corps.
Exemple : Dans le cadre d’un atelier à la Clinique Saint Jean, j’ai fait une proposition
de travail autour du visage, avec un « échauffement » graphique au fusain. J’invitais
les personnes à travailler autour de la thématique du visage les yeux fermés, ensuite
7 Thierry Janssen, La présence de l’autre, ne pas attendre de résultat, site EDLPT
19
à la main gauche. Il s’agissait ensuite de s’imprégner des traces faites au fusain pour
réaliser une production plus grande, cette fois avec les yeux ouverts.
Kante, un Guinéen, vient pour la première fois à l’atelier. Il n’a plus dessiné ou
peint depuis son enfance. Il fait d’abord des petits visages au fusain, les yeux
fermés. Ce sont des traces de cercles, des traits. C’est quand il travaille sur
grand format qu’il trouve un vrai plaisir et qu’il s’investit pleinement dans son
travail. Il est concentré. Je lui propose de continuer son dessin en travaillant
au pastel aquarellable en lui montrant comment cela fonctionne. Il comprend
vite et s’y met tout de suite. Il dessine le visage, la chemise, puis le fond et le
soleil. Ce dessin est très touchant, j’y vois du questionnement, de l’inquiétude
aussi. Je ne peux pas m’empêcher de voir la terre bleutée derrière lui, les bras
coupés, le soleil rouge de l’Afrique ( ?) et l’inquiétude d’un homme qui ne peut
pas rentrer chez lui ( ?) Je n’évoque rien de tout cela. Il dit à la fin de l’atelier
que le travail avait été difficile au début, puis que c’était agréable, qu’il a eu du
plaisir à dessiner ce personnage. Il dit : « On dirait quelqu’un qui réfléchit, qui
se pose des questions ». 8
La proposition était suffisamment ouverte pour qu’il puisse revisiter quelque chose de
son histoire. A partir d’un travail sur le visage, Kante a pu exprimer quelque chose de
lui. Ce personnage est arrivé à son insu. Il en a pris soin, surtout du visage, des
yeux, des cheveux.
4.4. L’attention
Définitions dans le Larousse :
Capacité de concentrer volontairement son esprit sur un objet déterminé.
Sollicitude, gentillesse envers quelqu'un ; marque d'intérêt, d'affection.
« L’attention, c’est d’abord ce qui nous permet d’être reliés à nos sens… Lorsque
nous sommes attentifs, nous nous laissons habiter par nos sens, par ce que nous
écoutons, sentons, contemplons. » 9
8 Mes notes d’atelier à la Clinique St Jean, 5 juin 2017 9 Frédéric Lenoir, La puissance de la joie, Ed. Fayard, 2015, p. 56
20
Pour moi, l’attention fait référence à une présence attentive. Je suis présente et
attentive à ce qui se déroule devant mes yeux, autour de moi, faisant intervenir tous
mes sens : ce que j’observe, ce que j’entends, ce que je ressens, ce que je vois, ce
que je sens…
L’attention se fait au niveau de l’environnement, d’une personne, d’un objet, d’une
atmosphère, d’une présence, d’un bruit,...
L’attention implique une certaine notion de temps et d’espace. Le temps est plus lent.
L’attention peut englober de nombreuses notions : l’observation, le regard, la
bienveillance, l’attente, la veille, la lenteur, la concentration, le silence, la conscience,
l’éveil, la disposition du corps et de l’esprit, la posture réceptive, l’ouverture, le lâcher
prise, l’empathie,…
Avant de donner un atelier, je veille à être dans de bonnes dispositions. Je ne peux
en effet offrir une présence ouverte à l’autre que si je suis bien connectée à moi-
même. J’arrive bien à l’avance et je prévois un temps de préparation mentale avant
l’atelier. Parfois j’ai besoin de fermer les yeux quelques minutes pour me rendre
disponible à la suite.
4.5. Apports d’Albert Coeman et d’Odile Gilon sur la notion d’attention
De nombreux écrits abordent le concept de l’attention. J’ai choisi de reprendre
quelques informations dans les textes de deux auteurs qui me semblent illustrer mon
propos :
- Le texte retranscrit des conférences données par Odile Gilon sur
l’attention, en octobre 2015, à Bruxelles, dans le cadre des mardis de la
philosophie. 10 J’y reprendrai quelques citations de Paul Ricoeur.
- Le texte écrit par Albert Coeman, psychomotricien auprès d’enfants
souffrant de troubles de l’attention, écrit en décembre 2016. 11
Je reprends dans ces textes les informations qui peuvent expliquer ou illustrer
l’attention à laquelle j’essaie d’accorder de la place dans le cadre de ma pratique en
art thérapie.
4.5.1. Repérage de ce qui détermine la qualité de mon attention :
→ Mon état mental, mes émotions à l’arrivée et durant l’atelier
L’émotion est au cœur du processus attentionnel. Nous sommes toujours dans un
état émotionnel spécifique et celui-ci joue indubitablement sur notre capacité à être
attentif et sur la manière dont nous sommes attentifs.
10 Odile Gilon, Conférence sur l’attention, www.lesmardisdelaphilo.be, octobre 2015, Bruxelles. 11 Albert Coeman, Un regard sur l’attention, déc. 2016
21
Je dois arriver avec l’esprit dégagé, ne pas me laisser distraire par des choses qui
me concernent. Cela touche à ma capacité à faire le vide, à faire de la place à l’autre
par un travail de relaxation, de méditation, de prise de distance.
Paul Ricoeur écrit « Quand je perçois, je ne suis pas occupé de moi, je ne me
connais pas. Je suis hors de moi. Je ne fais pas attention à mes perceptions, je fais
attention à ce que je perçois. » 12
→ Ma motivation et mon implication.
Ce qui dirige mon attention et mon regard, c’est mon intérêt pour la tâche, la qualité
de mon implication. J’ai besoin d’être motivée et intéressée par mon travail et par la
personne pour y consacrer toute mon attention. Ce n’est pas toujours facile. Parfois
j’ai du mal m’intéresser à un travail répétitif et lassant par exemple.
« Voir l’objet, ce n’est pas simplement observer mais c’est être impliqué dans ce
voir : faire attention, c’est toujours m’impliquer dans ce à quoi je fais attention,
c’est dans ce sens qu’il y a transformation du regard. »13
→ La volonté d’intention
La volonté d’intention qui m’anime varie selon les moments et selon les cas. Trop
d’intention nuit à l’attention. Le dispositif et les intentions peuvent être rassurants
pour moi. Parfois c’est nécessaire, mais il faut les lâcher pour laisser place à
l’attention.
« Certes, l’attention est toujours plus ou moins au service d’un désir, d’une intention
(au sens courant de projet anticipant), d’une tâche, bref d’un besoin et d’une volition.
Mais ni besoin, ni volition ne constituent l’attention »14
→ Le cadre
Le cadre donné a une influence sur la qualité de mon attention. Un lieu silencieux,
peu encombré, lumineux favorise l’attention, la concentration, l’observation, avec une
autre temporalité, un temps lent.
→ La qualité et la transformation du regard
Je regarde et j’observe la personne et son travail en train de se faire, sur un temps
long et lent. Je m’interroge, j’essaie de regarder autrement, avec du recul. Je vois la
personne et son travail évoluer et se transformer au fil des séances.
« Faire apparaître n’est pas une observation mais c’est un mode de connaissance,
c’est une transformation du regard : ce n’est pas simplement une visée projective sur
l’objet car le regard prend du temps. Faire attention, cela prend du temps, c’est une
durée qui est une durée d’interrogation qui transforme le regard lui-même. »15
12 Odile Gilon, Conférence sur l’attention, www.lesmardisdelaphilo.be, octobre 2015, Bruxelles 13 Odile Gilon, Ibid 14 Odile Gilon, Ibid 15 Odile Gilon, Ibid
22
→ La qualité de proposition que je fais
La proposition sert de déclencheur et de possibilité d’expression et d’ouverture à
quelque chose de nouveau. Elle devient secondaire à partir du moment où le travail
est enclenché, laissant toute la place à l’attention.
→ Exemple pratique
Je vous donne ici un contre-exemple dans lequel je perçois que les conditions
étaient telles que je ne pouvais pas offrir une qualité d’attention nécessaire à mon
travail.
Pendant quelques mois, j’ai animé un atelier dans une maison de repos auprès de
personnes âgées, dont certaines étaient désorientées. Tout allait bien jusqu’à
l’arrivée d’une nouvelle Directrice annonçant une coupure de budget et la réduction
de mon temps de travail, ainsi que l’arrivée de deux participantes imposantes,
bruyantes et réticentes, dirigeantes et peu ouvertes. Cet atelier est devenu à mon
insu occupationnel : les personnes voulaient tricoter ou coudre des objets familiers et
pratiques. Les nouvelles conditions ne me plaisaient pas, je ne me sentais pas
respectée : l’atelier était supprimé à la dernière minute, je n’avais aucun budget pour
le matériel, le lieu était peu accueillant et sombre,… Au fur et à mesure, j’ai perdu ma
motivation, mon intérêt pour ce lieu, pour cet atelier et pour les personnes. J’arrivais
peu motivée, fatiguée ou nerveuse. Je n’arrivais plus à porter une attention de qualité
à ce qui se passait. Je n’arrivais plus à m’investir dans ce travail. Je n’avais plus
d’énergie à relancer l’atelier vers quelque chose qui me convenait et qui répondait
aux besoins de ces personnes… J’ai finalement décidé de donner ma démission.
4.5.2. Expression et caractéristiques de mon attention
- Mon attention s’exprime par le regard, les gestes, les mots, ma posture, ma
place physique, mon énergie.
- Elle est à la fois focalisée sur un objet (la production) et sur différents objets
en même temps (la personne et la production).
- L’attention peut être dirigée vers l’extérieur, vers un objet (attention cognitive)
ou vers l’intérieur, vers la présence à moi, l’intérieur de soi (attention éthique).
Je passe d’une attention à l’autre.
- Je suis attentive à l’attention que la personne porte sur son travail. J’observe
sa posture, l’engagement de son corps, son regard, sa façon de chercher, de
tourner son œuvre pour la voir autrement.
- Comme dans la production artistique, il y a un aller-retour entre l’observation
globale et l’observation de quelque chose de précis.
- Je peux être précise dans l’attention que je porte aux choses. J’observe de
façon détaillée et subtile.
- Quand je suis dans l’instant présent, je suis plus dans la précision des choses.
- Je peux trier mon attention, il s’agit d’une attention sélective. Je choisis de
faire attention à une chose parmi tout ce qui peut se présenter simultanément.
- Faire attention est un acte intentionnel : on part de soi et on va se coller à
l’objet pour l’accueillir et s’occuper de lui au lieu de soi. Il y a de
l’intentionnalité.
23
« Faire attention est un acte intentionnel (Husserl – Ricoeur) ». 16
- L’attention a un caractère interrogatif. Je cherche en explorant, en
questionnant l’objet. Je transforme mon regard sur l’objet.
- L’attention est un processus. Qui dit processus, dit temporalité. Il y a quelque
chose qui se travaille dans la durée. L’attention s’exerce sur une certaine
durée avec la question de pouvoir tenir, ou non, une forme de permanence de
l’attention. L’attention est faite d’alternances, de discontinuité, de ruptures,
faisant référence au rythme.
- Etre attentif est une décision à prendre dans le moment présent soit en
fonction de l’intention, soit en fonction d’une vigilance qui la demande, soit en
fonction d’un fait soudain qui nous met dans une attention à.
- L’attention est relationnelle à travers l’empathie, le vécu ensemble, le lien, le
partage, par un échange de regard, de mots, d’impression,…
« Dans la dimension éthique de l’attention, il y a l’ouverture à l’attention à soi et à
l’autre, une attention que l’on pourrait nommer relationnelle, une « interattention »
comme la nomme Natalie Depraz. L’interattention que nous allons retrouver sous la
forme de l’empathie et aussi dans l’intersubjectivité attentionnelle qui est l’attention
comme vécu d’être ensemble. »17
- L’attention conjointe, c’est la capacité à partager un événement avec autrui, à
attirer et à maintenir son attention vers un objet ou une personne. C’est ce qui
se passe lorsque le patient et moi observons et échangeons autour d’une
production. L’attention conjointe crée une triangulation entre deux sujets et un
objet.
4.5.3. Différentes formes d’attention
Au sein de l’atelier, je peux vivre différentes formes d’attention :
- L’attention passive : je suis capturée par quelque chose qui vient de l’objet, je
n’ai pas choisi, il y a quelque chose qui vient de l’objet et qui m’attire, attire
mon attention. Cela peut être un élément de l’œuvre en train de se faire, qui
attire mon regard, qui m’interpelle, qui me touche. Cela peut être une
personne qui se met subitement en mouvement.
- L’attention active : je fais attention volontairement, je dois pour cela faire un
effort, mettre en route, en moi, quelque chose d’actif. C’est ce que je fais
lorsque je décide de faire attention à un élément précis, repris dans mon
tableau d’observation. 18
- L’inattention : si on est attentif à quelque chose, on est inattentif à d’autres
objets. Est-ce qu’au départ, il ne faut pas une « dose » d’inattention pour
pouvoir être attentif ? Parfois dans des moments d’inattention, mon regard est
attiré vers quelque chose qui attire mon attention. Quand je suis attentive à
16 Odile Gilon, Conférence sur l’attention, www.lesmardisdelaphilo.be, octobre 2015, Bruxelles 17 Albert Coeman, Un regard sur l’attention, décembre 2016. 18 Annexe 1, Tableau d’observation
24
une personne ou à une production, je ne suis pas attentive au reste de
l’atelier.
« Attention et inattention : si je suis attentif à quelque chose, je suis obligé de ne pas
être attentif aux autres choses qui entourent cet objet. Une certaine inattention est
nécessaire pour que se dégage une attention ». 19
4.6. « La présence à » au carré (ou méta-attention)
Jean-Pierre Klein a développé le concept de Présence à au carré : (présence à)², ou
de méta-attention, qui fait référence à notre posture d’accompagnant.
Lorsque je suis présente à l’autre ou à l’objet, il s’agit de « présence à » immédiate.
« Cette « présence à » immédiate suppose en amont un prérequis, une attitude
préalable, un état général d’ouverture, c’est ce que j’appellerai « la présence à la
présence à », que je résumerai mathématiquement par « (présence à)² » 20
Grâce à cette attitude, je peux entrer en contact avec l’autre, avec moi, avec le
monde.
« En aval, il y a une attitude secondaire qu’on pourrait appeler « l’attention à la
présence ». On prend la présence comme objet d’attention. » 21
Lors de l’atelier « Alzheimer et création 22» présenté par Patrick Laurin en avril 2013,
auquel j’ai participé, j’ai fait des expériences de création en binôme qui m’ont permis
de mieux comprendre le concept de (présence à)².
Dans un premier temps, nous avons fait quelques exercices de méditation et de
relaxation, favorisant la présence à soi grâce à la conscience du corps (bilan
corporel, ressenti à cet instant), des points d’appui, des bruits et des sensations,
nous permettant d’intérioriser à partir de la perception de notre corps.
Nous avons ensuite travaillé en binôme, à partir d’un dispositif préparé par Patrick. Il
s’agissait d’un panneau vertical réalisé avec un cadre en bois et du papier calque
fixé entre les deux personnes.
Le travail de peinture se faisait de chaque côté, sur le papier calque, sans voir l’autre
personne. Comme échange, il n’y avait que les vibrations sur le panneau. Il n’y avait
ni parole, ni geste entre nous. A travers les formes qui apparaissaient de l’autre
personne en transparence, je pouvais sentir la présence de l’autre. Parfois il y avait
des surgissements, la surprésence déroutante de l’autre.
Ce travail m’a permis de découvrir et de sentir ce que la présence de l’autre me
faisait, à travers les traces qui apparaissaient, le papier qui tremblait avec des
vibrations déroutantes. Le non verbal ouvrait à l’espace de la présence. J’ai pu sentir
19 Odile Gilon, Conférence sur l’attention, www.lesmardisdelaphilo.be, octobre 2015, Bruxelles 20 Jean-Pierre Klein, (Présence à)², Revue Gestalt n°27, 2004, p. 81-87, Paris. 21 Jean-Pierre Klein, Ibid, p.81-87. 22 Patrick Laurin, Module : Alzheimer et création, cours donné à l’INECAT, avril 2013.
25
aussi la façon dont j’étais présente à ce que j’étais en train de faire. Je pensais aussi
à la façon dont l’autre pouvait percevoir ma présence. Je ne voulais pas l’envahir de
ma présence sur la feuille.
Lors d’un autre exercice avec le même support, il s’agissait d’expérimenter la
rencontre tactile : le contact avec le matériau, le contact du bout du doigt de mon
binôme et l’apparition de présence étrange visuelle, la chaleur et la pression
ressentie à travers la feuille, le peau à peau indirect. L’idée de cet exercice était de
déterminer ce que je percevais au moment où le contact s’établissait. Présence à soi,
présence à l’autre, présence à l’objet,…
Ces exercices de sensorialité et de rencontre visuelle ou tactile m’ont permis de
mieux comprendre le concept de présence à soi et à l’autre, de sentir ma présence et
celle de l’autre. Je faisais attention à la présence de l’autre via l’objet, je portais mon
attention à l’objet, j’offrais ma présence à la création en train de se faire, à moi et à
l’autre.
Dans le cadre des ateliers, la présence est mieux que les mots. Il s’agit dans un
premier temps de la présence à soi, de la connexion à soi. En effet, on ne peut offrir
une présence ouverte à l’autre que si l’on est d’abord bien connecté à soi-même.
Comment je suis lorsque j’arrive dans l’atelier, dans quel état ? Je me pose cette
question car mon état à l’entrée va être perçu immédiatement. J’ai conscience que
mon corps parle par sa posture et sa densité.
Ceci montre l’importance de ce qui se passe avant d’avoir franchi le seuil de la porte.
J’ai besoin d’un temps de préparation et de vide avant l’arrivée des participants pour
me mettre dans cet état de connexion et de présence à moi afin d’offrir ensuite ma
présence à l’autre.
4.7. L’attente et la non-intention
Dans son livre « Savoir attendre », François Roustang parle de l’attente dans le
cadre d’une thérapie : « Il s’agit d’une attente sans contenu. On n’attend rien, on
attend tout simplement. On devient attente »… « L’attente dont je parle est faite pour
créer un état de disponibilité, pour nous mettre en état de souplesse à l’égard des
choses, des personnes et des événements. » 23
Lors de cette attente, offrant une disponibilité à ce qui se passe, le thérapeute est
attentif, en état de veille, ce qui permet à la sensorialité d’être constamment
présente. Je peux ne rien faire, être juste là, en attente que quelque chose se passe
ou pas. Lorsque nous accompagnons une personne, cette attitude d’attente, de
laisser venir peut être une clé. Il ne faut pas toujours venir avec des consignes ou
des dispositifs précis, et faire confiance à ce qui se produit, à ce qui émerge.
23 François Roustang, Savoir attendre pour que la vie change, Ed. Odile Jacob poche, 2008, p. 15-16
26
« … s’intéresser au corps qui se meut, même s’il reste immobile, au corps qui parle,
même s’il garde le silence, un corps qui se situe par rapport à lui-même et, de ce fait,
par rapport à tout ce qui le touche ou l’atteint. » 24
Cela me fait penser à un témoignage de Nicole Estrabeau qu’elle a présenté lors de
son exposé sur l’empathie, dans le cadre de ma formation à l’INECAT. Cet exemple
d’accompagnement illustre parfaitement cette notion de « corps qui parle ». Nicole
nous décrivait des séances d’accompagnement d’un jeune homme autiste.
« Nicole a accompagné un homme autiste qui passait sa journée vautré dans le
canapé de l’institution. Pendant plusieurs séances, elle s’est contentée de s’asseoir à
côté de lui sans attente particulière, juste en essayant de sentir ce qui se passait : la
texture et le moelleux du canapé, la sensation d’enfoncement, la forme faite par
l’ensemble canapé, M. et Nicole,… Puis, petit à petit, elle a introduit des gestes et
des sons faits à partir de son propre corps. Elle sentait qu’un mouvement intérieur se
produisait mais il ne se passait rien de visible. Il y avait de l’attente, du désir de. Elle
ajustait ses sons en fonction de la dynamique de mouvement perçu. Elle utilisait un
point d’appui sonore : claquement, frottement, silence. A la fin, M. a claqué dans les
mains. Nicole n’attendait pas ce geste (cette création) en particulier, mais elle était
ouverte à ce que quelque chose se passe. Ce geste, cette production, était un
événement ! »25
Dans une posture de lâcher prise, d’attente, de non-vouloir et d’attention vigilante, en
empathie forte avec ce patient, Nicole a eu le geste au bon moment qui a déclenché
une réaction de la personne. Il y a eu événement dans ce tout petit geste inattendu
et non recherché précisément.
Selon François Roustang, le thérapeute ne poursuit aucun but et n’a aucune
intention. Il reste la sensorialité. Selon lui, le thérapeute doit être indifférent au
résultat et s’attendre tout aussi bien à un échec qu’à un succès de la cure. Il le laisse
décider du sort de sa vie en quelque sorte.
4.8. Conclusion
Dans la société actuelle, nous fonctionnons beaucoup avec des intentions, nous
avons tendance à vouloir chercher un résultat.
Tout un courant vise le soin de la personne via la méditation, les exercices corporels
doux, la pleine conscience, mettant en avant la notion d’attention.
Dans le cadre du travail en art thérapie, c’est l’intentionnalité qui prime sur l’intention.
Il s’agit de venir avec un projet vague et ouvert qui permette à la personne
accompagnée de devenir Sujet, si elle le désire.
24 François Roustang, Savoir attendre pour que la vie change, Ed. Odile Jacob poche, 2008, p. 18 25 Nicole Estrabeau, Concept sur l’empathie, cours donné à l’INECAT, 5 décembre 2012
27
L’attention est au cœur de l’accompagnement, avec toute sa complexité et sa
richesse. Elle touche à la présence à soi, à l’autre, à l’objet. L’attention est faite
d’attente et d’ouverture.
28
5. LA POSTURE THERAPEUTIQUE : APPORTS EXTERIEURS
Je voudrais faire référence, dans cette partie de mon travail, à trois intervenantes de
l’INECAT dont la posture et la façon d’accompagner m’ont beaucoup apporté :
- Ruth Nahoum, intervenante dans les ateliers en arts plastiques et artiste
plasticienne dont j’ai suivi les ateliers lors de la première année.
- Nicole Le Men, intervenante extérieure à l’INECAT, rencontrée dans le cadre
de ma deuxième année de formation (création comme processus de
transformation) et qui a proposé tout un travail autour des poudres colorées,
un travail éphémère.
- Claire Heggen, co-Directrice artistique de la Compagnie du Théâtre du
Mouvement, actrice, metteur en scène, pédagogue, chargée de cours à
l’Ecole Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette à Charlevilles-
Mézières, qui a proposé un travail autour du théâtre du mouvement.
5.1. Ruth Nahoum
J’ai beaucoup apprécié la façon dont Ruth Nahoum m’a accompagnée lors des
divers ateliers que j’ai suivis avec elle, dans le cadre de la formation à l’INECAT
(cursus arts plastiques, 09/2011- 06/2012) et dans son propre atelier (10/2012 à
10/2013)
La première chose qui me frappe dans l’accompagnement de Ruth, c’est la qualité
de sa présence : présence discrète, bienveillante, rassurante, juste, calme, posée.
Présence silencieuse ou avec peu de mots.
Lors des ateliers, elle nous laisse des temps de silence et de réflexion. Elle nous
invite à la lenteur et à une nouvelle notion de temps afin que l’on puisse percevoir
des choses subtiles au niveau du corps et au niveau du travail en train de se faire.
Par exemple, lors du quatrième jour d’un week end de travail sur la terre, nous
avons passé toute une journée à chercher et à ajuster la place de notre
statuette sur la table, en lien avec les autres figures du groupe. A chaque
changement de place d’une statuette, l’équilibre du groupe était bouleversé.
J’étais impressionnée par la lenteur et le peu de choses que l’on acceptait qui
se passent sur une journée. Cela a permis un travail en profondeur
accompagné des sentiments d’impatience ou de frustration intéressants. Tout
ce contexte a favorisé une très grande attention à tout ce qui se déroulait pour
soi et pour les autres.
Ruth accorde une grande place au corps dans le processus de création, à travers les
moments d’échauffement et les exercices de relaxation, les moments d’exploration
perceptive, de visualisation, de mouvement sensoriel,…Les exercices proposés
permettent de faire un sas au début de la session entre le monde extérieur et
l’espace et le temps de l’atelier. Ils permettent aussi, en cours de session, de se
reconnecter à soi.
29
Par exemple, les mouvements de balancier nous font ressentir de façon
subtile ce qui se passe dans le corps, en lien avec la respiration, avec les
limites du mouvement pour ne pas tomber. Cet exercice demande de la
concentration. Grâce à la connexion à soi, nous plongeons autrement dans
nos créations, en lien avec notre corps.
Lors de la création, Ruth nous invite à accorder une attention particulière à ce qui se
passe dans le processus. Elle nous parle d’écoute intuitive, dont voici quelques
lignes que j’ai reprises sur son blog :
« La rencontre avec une matière demande une écoute intuitive. L’écoute intuitive est
une écoute qui a perdu son intentionnalité ; il ne faut pas chercher à être dans le
saisissement inquiet d’un objectif de forme, il faut se détacher de l’avidité du but. Les
sens vagabondent alors sans êtres entravés. Je n’ai rien à attendre d’une forme,
seulement être avec la matière. » 26
Plusieurs fois, dans ses ateliers j’ai vécu des moments d’émergence d’une chose à
laquelle je ne m’attendais pas, j’ai reçu cela comme des moments de grâce. Par la
lenteur, l’observation, le lâcher prise, l’absence d’intention, je découvre dans la
matière les formes, les couleurs, les effets, les textures qui apparaissent. La matière
bouge et se charge. La forme évolue devant moi. Quelque chose de nouveau
émerge de la matière, une chose à laquelle je ne m’attendais pas. Je reprends
l’exemple que j’avais cité dans mon mémoire réalisé en mai 2014 :
Lors d’un autre atelier en arts plastiques avec Ruth, nous devions penser au
thème du chaos. Comment représenter le chaos au fusain ? Comment utiliser la
matière et toute sa richesse pour suggérer l’idée de chaos ? Il s’agissait de
travailler avec du fusain sans chercher une forme, sans intention, mais avec la
potentialité la plus grande possible (lumière, variations, espaces blancs). Nous
travaillions sur le dessin à la gomme fusain pour observer et ressentir les
ambiances, les taches, les ombres, les zones plates ou profondes, les zones
tranquilles ou de tension, les zones habitées ou non habitées. Il s’agissait d’entrer
en résonance avec la matière, de s’en imprégner. Nous étions comme des
archéologues qui voulaient découvrir un trésor ancien.
« Mon dessin à l’horizontale m’évoque un paysage dramatique : chute, flammes,
éruption. Quand je plisse les yeux, je vois des animaux qui tombent. Il y quelques
visages, un combat de chevaux, des masses vivantes. Tous les animaux tombent
dans un gouffre en flamme, c’est la fin du monde. Atmosphère forte et macabre.
Suite à mon travail de gommage (image de l’archéologue), des formes en
mouvement apparaissent, des courbes, des volutes, des pétales, des branches,
des formes diverses qui volent dans l’espace. Tout est encore connecté. Au fur et
à mesure du travail, m’apparaissent des formes et des taches interpellantes :
insecte, crabe, animaux déformés, théière, cordon ombilical, morceau de bois,…
26 http://www.artherapie.fr/blog_at/lauteur/
30
A partir de ce moment, il y a une intention au service de ce qui m’est apparu. Il y
a beaucoup de mystère, de la rêverie, de l’imaginaire, de l’inquiétude aussi. Petit
à petit les animaux apparaissent, au fur et à mesure que je détache les formes les
unes des autres, grâce à la gomme. Je décide d’aller plus loin en donnant plus de
contour aux formes distinguées, comme si j’avais envie d’expliquer les choses.
On reste dans le monde imaginaire féérique, où volent les animaux avec légèreté.
Se mêlent le mouvement et l’immobilité, l’action et la paix, le terrestre et
l’aquatique, l’aérien,… des animaux qui apparaissent : un magnifique poisson un
peu triste et chevelu, qui me donne envie de continuer à découvrir d’autres
animaux, à travailler dans ce sens-là, sur l’imaginaire animal, le vivant ; un
éléphant, les pattes écartées, volant dans le ciel, une vache couchée au repos,
un grand varan à la tête d’âne,…On passe par « On n’y voit rien » à une infinité
de phénomènes qui nous interpellent. Pendant ce travail, j’ai voyagé, je me suis
évadée dans un paysage macabre au départ, puis dans un livre d’images pour
enfants, dans une atmosphère féérique, avec toutes les émotions qui
accompagnent ces différents moments. »27
Ces éléments, ces ambiances, sont le reflet de quelque chose qui se passe en moi,
avec les idées de chute, de vide, de chaos, du danger, du doute, et la force de la
nature. C’est d’une façon détournée que sont apparues ces images dont je suis le
sujet créateur (le « je » créateur).
Travail sur le chaos, fusain, janvier 2012
27 Ruth Nahoum, De la matière indifférenciée à l’apparaitre, atelier en arts plastiques, janvier 2012
31
Dans son cours « concepts » daté du 21 février 2012, Ruth parle de suspension de
l’intention.
« Dans la vie on décide et on fait. Ici, faire sans avoir décidé peut être troublant.
Comment apprivoiser le fait d’arriver dans l’atelier sans intention, d’aller vers quelque
chose sans intention ? On donne la possibilité de jouer. Si on ne cherche pas
quelque chose, qu’est-ce qu’on cherche, qu’est-ce qu’on peut trouver ? L’accident
est le bienvenu. » 28
Elle nous cite l’exemple de Magritte « les vacances de Hegel» pour nous illustrer
l’idée que l’accident est le bienvenu et qu’on peut laisser de côté l’intention de
départ.
A travers son œuvre, Magritte voulait montrer un verre de façon géniale. Il a fait de
nombreux dessins de verre d’eau, avec à chaque fois une petite marque linéaire sur
le verre. Au fil des dessins, cette marque s’est étendue et a fini par esquisser la
forme d’un parapluie. Il a obtenu un objet à deux fonctions opposées : en même
temps rejeter l’eau et la garder.
Helgel, 1959 : « Comment peindre un verre d’eau d’une manière qui ne soit ni indifférente, ni
fantaisiste, mais comme qui dirait avec génie ? J’ai alors pensé que Hegel (un autre génie)
aurait été très sensible à cet objet qui a deux fonctions opposées en même temps : rejeter
l’eau (s’en progéger) et la garder (la contenir). Il aurait été ravi, je pense, ou amusé (comme
on cherche à l’être lorsqu’on est en vacances) et j’ai appelé le tableau Les vacances de
Hegel. » 29
René Magritte
28 Ruth Nahoum, Concepts, 21 février 2012, cours à l’INECAT 29 Klein J.-P, Darrault l., Pour une psychiatrie de l’ellipse, Paris PUF, 1993, rééd. Limoges, PULIM, 2007.
32
Dans ce même cours, Ruth nous parle d’attention particulière qu’elle illustre en nous
faisant écouter un texte de Paul Célan, récité par l’artiste poète, de manière très
particulière, avec beaucoup d’émotion.
Paul Sélan, poète d’origine roumaine, arrive en 1948 en France. Il veut faire de la
poésie en utilisant la langue des assassins. Il a créé une contre-langue. La matière
même de la langue parle : langue concassée en morceaux, articulée pour produire
de la douleur. Il triture la langue comme on triture la terre. Il ne faut pas comprendre
les mots, mais juste entendre la douleur. C’est un grand poète de langue allemande.
On peut le traduire de différentes façons. Il habite le poème radicalement. En
l’écoutant, il faut être attentif à sa propre respiration et écouter sa façon d’habiter la
langue. Son poème est poignant, très fort, très émouvant, impression d’étouffement.
Rythme, articulation de la langue, radicalité. Boire du lait noir. La matière du poème
est travaillée dans l’insoutenable pour atteindre une forme de tendresse.
Tous les ateliers que j’ai vécus avec Ruth Nahoum m’inspirent aujourd’hui :
- Son attitude, sa posture, la qualité de sa présence et de son
accompagnement.
- Les exercices corporels de relaxation, de sensorialité, de méditation, proposés
au début des ateliers, qui permettent d’entrer dans l’atelier et de se connecter
à soi.
- Les propositions de création riches et ouvrantes, les matières.
33
5.2. Nicole Le Men
Lors de la deuxième année à l’INECAT, dans le cadre de la Création comme
processus de transformation, j’ai suivi en octobre 2013 l’atelier animé par Nicole Le
Men, artiste plasticienne et art thérapeute qui travaille avec des adolescents en
grande difficulté.30 Elle nous a fait créer autour d’installations éphémères, réalisées à
partir de poudres naturelles colorées. Comment la matière met-elle en mouvement ?
Dans un premier temps, nous avons découvert un tas de café moulu au centre
de la pièce. En groupe de deux ou trois personnes, nous étions invitées à
toucher, sentir et jouer avec la poudre. Puis nous avons eu un temps de
méditation, assises sur le sol, pour intégrer ce que nous avons ressenti.
Lorsque nous avons ouvert les yeux, nous étions surprises de découvrir un
petit tas de café moulu à côté de chacune. Nous étions invitées à jouer avec
ce tas de café. J’ai touché, étalé, dessiné, laissé apparaitre des traces, des
cercles, des traits, des ilots. J’ai eu une impression feutrée, j’ai vu des formes
vivantes. J’ai construit et déconstruit, émerveillée des formes qui se
succédaient.
Après avoir travaillé sur la poudre du café, nous avons été invitées à ajouter
d’autres poudres, sans les mélanger. S’ajoutaient des couleurs,
apparaissaient des contrastes, des textures (gravillons, graines de quinoa,…).
Puis, Nicole nous a invitées à descendre dans la cave. Le temps d’attente
créait de l’excitation, de l’intrigue, du mystère. Nous sommes entrées l’une
après l’autre avec un petit sac de pigments que nous avions choisi au
préalable. Quelle surprise de découvrir derrière le rideau l’installation qui avait
été faite. J’ai eu une impression de magie, de trésor. Je me suis émerveillée
face à ce qui se trouvait déjà au sol : des traces noires sur le sol blanc, des
tas, des formes projetées. Chacune pouvait disperser le contenu de son
sachet, en cherchant une place et une façon de le faire. J’ai fait une trace
circulaire, enveloppante. Il apparaissait une ouverture vers l’extérieur.
A la fin de la journée, nous avons été invitées à déconstruire le travail fait au
rez-de-chaussée afin de ne garder qu’une seule trace, en prenant bien
conscience de chaque étape, en respectant un temps lent, pour ne garder
finalement que l’essentiel, avec toute la mémoire de ce qui s’était passé
auparavant.
Lors de cet atelier animé par Nicole le Men, j’ai pu apprécier son attitude d’attention
qu’elle offrait dans ses propositions et dans son accompagnement, avec une
présence forte, discrète et bienveillante et beaucoup d’attention portée à ce qui se
passait dans l’atelier : attention aux personnes, au matériel, au dispositif qu’elle
adaptait parfois à ce qui se passait. Elle offrait une pleine disponibilité à ce qui
arrivait, en s’oubliant. Elle demandait souvent si tout allait bien et si tout était clair.
Elle était discrète et présente. Elle veillait au temps aussi.
30 Nicole Le Men, Poudres éphémères, Création comme processus de transformation, INECAT, octobre 2013.
34
Elle nous communiquait son grand intérêt pour les graines, les poudres, nous faisant
vivre des moments d’émerveillement, de surprise, de jeu possible (dispositif les yeux
fermés, rideaux fermés à l’entrée de la pièce en bas, sac de poudre déposé à nos
pieds à notre insu, provoquant un effet surprise), nous faisant découvrir la richesse
du matériel proposé sur la table : couleur, textures, variété, influence de l’automne, le
soin qu’elle a mis dans la création des petits sacs cousus,… Beaucoup de soin et
d’attention jusque dans les détails.
Sa voix était douce, les propositions étaient claires. Elle disait souvent « vous verrez
quand vous y serez ». Garante du temps, elle n’hésitait pas à nous donner
suffisamment de temps pour chacune des étapes.
« Il faut donner du temps au temps », disait-elle. Il y a le temps collectif et le temps
de chacun. Il y a le temps de la rencontre avec le matériel. Il y a des moments de
recul, de respiration, d’observation, d’émerveillement, de construction et de
déconstruction. Elle nous a proposé de nombreuses petites séquences de travail.
Arrivée avec des intentions au départ, tout un programme à suivre, j’ai le sentiment
qu’elle a adapté chaque exercice en fonction de ce qui se passait, en portant
attention à nous toutes, au temps, à nos réactions, aux imprévus,…
Les ateliers vécus avec Nicole Le Men m’inspirent dans mon travail. Ils m’ont fait
découvrir :
- la richesse du travail éphémère avec les poudres : éveil des cinq sens, travail
sensoriel, libre expression, flexibilité du matériau,…
- Sa belle manière d’accompagner les personnes, avec bienveillance, douceur,
adaptabilité et effets de surprise, et une grande attention au dispositif proposé.
35
5.3. Claire Heggen
En avril 2014, dans le cadre de la création comme processus de transformation à
l’INECAT, j’ai suivi l’atelier proposé par l’intervenante extérieure Claire Heggen
autour du théâtre du mouvement.31
Dès le départ, Claire nous a proposé de porter une attention particulière à notre
corps, par un travail de conscience de la chair, des os et de la peau.
Allongées sur le dos, nous faisions un « état des lieux ».
- Pour ressentir la chair et le « mou », elle nous invitait à faire des mouvements,
des tremblements, à changer de position.
- Pour sentir les os, elle nous invitait à nous recroqueviller comme un bébé
dans le ventre, croiser nos membres au maximum, nous plier. Puis, après un
moment d’arrêt, nous nous dépliions, nous ouvrions notre corps qui pouvait se
déployer. Tout cela avec un travail de respiration et de conscience.
- Pour être en contact avec notre peau, nous étions invitées à faire un auto-
massage de tout notre corps.
Puis nous étions invitées à travailler en relation à l’autre, en binôme, à travers le
contact des mains par exemple, avec une attention particulière à ce que l’on
ressentait dans notre corps et attentionnée à l’autre aussi.
Au fur et à mesure de la formation, Claire nous a mis en lien avec des objets (la
chaise, le mur,…) en nous proposant des exercices de chorégraphie du
mouvement avec l’exploration de la vitesse, de déséquilibre. Nous étions dans
l’instant présent, pleinement attentives à ce que nous étions en train de faire.
Dans son accompagnement, Claire nous offrait une présence forte et discrète. Elle
observait tout, sentant si elle devait intervenir, nous mettant en confiance par un
cadre solide.
Avec des consignes techniques, s’adressant aux perceptions de notre corps, elle
avait l’intention de nous mettre en mouvement. Elle s’adaptait face à nos réactions
ou nos difficultés, réagissant avec le « mine de rien », son objectif étant de travailler
sur des petites choses, des petits changements. Face à nos limites, elle offrait
beaucoup de sécurité par sa présence et sa pratique. Elle nous faisait travailler dans
le plaisir et la découverte, avec beaucoup d’humour et de naturel, l’humour étant
utilisé comme un détour. On la sentait en recherche avec nous.
Au fur et à mesure des exercices, une construction se faisait à notre insu à partir
d’expériences corporelles. Il y a eu des transformations d’état sans les nommer. Il y
avait des surprises et des inattendus, un surgissement de choses qu’on n’attendait
pas.
« L’objet m’apprend à être dans une attention. Je dois m’adapter en permanence à
lui. Un dialogue passe par l’objet via les sensations, les perceptions. L’objet
m’apprend l’altérité. Avant même de le toucher, l’objet est déclencheur mental d’une
31 Claire Heggen, Théâtre du mouvement, Création comme processus de transformation, INECAT, avril 2014
36
action future. Dès qu’il y a une relation de contact avec l’objet par le toucher, c’est un
dialogue d’action-réaction qui s’instaure entre les deux. »
« Tout d’abord, l’objet m’apprend à être dans une attention – ce que j’appelle
l’attention simple au simple : écouter les qualités, écouter à travers l’objet les qualités
que l’objet me renvoie. Par exemple, je touche/je suis touchée, je regarde/je suis
regardée, c’est dans le double mouvement sensoriel que l’objet m’apprend quelque
chose. L’objet m’apprend de moi-même : il m’apprend à être à l’écoute, concentrée,
simple, dans la justesse, à m’ajuster en permanence à lui, et ainsi à me découvrir en
train de m’ajuster à lui. Il me permet d’être dans un dialogue, pas uniquement mental,
mais un dialogue qui passe par l’objet via les sensations, les perceptions, même si
c’est moi qui suis au départ le déclencheur de la relation. Et par conséquent, il
m’apporte un apprentissage de l’altérité et de la relation dans le respect des
présences de chacun. »32
Le travail proposé par Claire Heggen était nouveau pour moi. J’ai trouvé cet atelier
d’une grande richesse, au niveau corporel et au niveau de la découverte et de la
relation aux objets. J’ai découvert que je pouvais accorder une attention particulière
à un objet banal, grâce à l’observation, l’écoute, la recherche, le dialogue, les
perceptions.
J’ai apprécié la présence attentive de Claire, le cadre sécurisant, son humour et sa
façon, mine de rien, de nous faire bouger et expérimenter, en se mettant au sol, à
notre niveau.
5.4. Conclusion
Les apports de ces intervenantes sont très riches et inspirants pour moi, aussi bien
dans la manière d’accompagner que dans les propositions de création. Je m’y réfère
dans mon travail. Tout cela contribue à affiner mon attention à ce que je vis et à ce
qui se déroule devant mes yeux lors des ateliers que j’anime.
32 Claire Heggen, « L’air de rien, Conversation entre Juliette Moreau et Claire Heggen », Art et thérapie n° 114-115, octobre 2013, p. 65.
37
6. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESE
6.1. Problématique :
Depuis le début de ce travail, je me demande comment interviennent l’intention et
l’attention au sein des ateliers que j’anime, quel est leur lien, leur importance. Au fur
et à mesure de mes réflexions, je me demande plus particulièrement :
« COMMENT L’INTENTION SE TRANSFORME EN ATTENTION LORS DE MES
ACCOMPAGNEMENTS EN ART THERAPIE ? »
6.2. Raisonnement et formulation d’hypothèse :
Selon moi, des intentions se cachent derrière la proposition. En effet, la matière
proposée doit permettre de cadrer, de déclencher, de mettre en mouvement, d’ouvrir,
de mettre en lien, de réveiller le vivant,…
La proposition est choisie en fonction de la personne, de ses capacités, de ses
intérêts, de ses besoins exprimés.
La proposition est un point de départ. Au fil de la séance, elle devient secondaire,
elle peut évoluer, voire disparaitre en fonction de ce qui apparait, de ce qui émerge
de la personne. C’est la personne qui décide de ce qu’elle en fait.
Ce qui est au cœur de l’accompagnement, ce n’est pas la proposition de création qui
est pourtant nécessaire et porteuse d’intentions, mais l’attention à la personne, à la
création en train de se faire, à la façon de l’accompagner.
L’attention étant au cœur du processus thérapeutique, c’est par une posture
d’écoute, d’attention, d’ouverture, d’attente, que l’art thérapeute peut être attentif à ce
qui se déroule devant ses yeux.
Davantage d’attention que d’intention dans l’accompagnement de la personne va lui
permettre de créer de façon plus autonome et personnelle, plus investie aussi. Petit à
petit, à travers les dispositifs spécifiques proposés et mon attitude d’attention sans
trop d’intention, je laisse la personne devenir sujet de sa création.
Tout ce raisonnement me permet de formuler l’hypothèse suivante :
« LA PROPOSITION (CONTENANT UNE INTENTION) DEVRAIT ETRE AU SERVICE DE L’ATTENTION ».
38
7. MA POSTURE EN TANT QU’ART THERAPEUTE
Dans un premier temps, j’exposerai longuement dans ce chapitre, les dispositifs de
création que je propose dans mes ateliers car ils font partie de ma spécificité : en
effet, j’accorde de l’importance à la « matière de création » que j’apporte.
Ensuite, je décrirai la façon dont j’accompagne les personnes dans le processus de
création et ce de façon chronologique, afin de déterminer quand et comment
interviennent l’attention et l’intention.
Dans un troisième temps, je me permettrai de faire un parallèle entre la posture
d’Alexandre Hollan devant les arbres qu’il dessine et ma posture avec les personnes
que j’accompagne.
Je conclurai enfin avec mon tableau d’observation et d’évaluation qui reprend tout ce
à quoi je peux porter mon attention lors des ateliers.
7.1. L’importance du dispositif de création
Comme je l’ai écrit en page 6, je constate que je passe beaucoup de temps et
d’énergie à la recherche et à l’élaboration d’une proposition de création, que
j’appellerais « la matière de création ». Cette recherche m’anime et me motive. Dans
ce cadre, je suis moi-même en création.
7.1.1. Le dispositif amène de la matière
La proposition permet de déclencher le processus de création. C’est la matière qui
invite à créer, la matière qui touche la personne. Elle a le choix d’accepter ou de
refuser la proposition de travail. Elle peut décider de se laisser emmener ou pas.
La proposition met en mouvement, en route. La personne est invitée à oser la
création, à sortir de ce qu’elle connait vers des choses nouvelles, à sortir de la
répétition.
François Roustang reprend bien cette idée dans la citation suivante : « Empruntez un
chemin que vous ne connaissez pas pour aboutir en un lieu que vous ignorez pour y
faire quelque chose dont vous êtes incapable. De telles phrases en apparence vides
de sens, qui donnent l’impression de courir un risque extrême, ouvrent pourtant,
lorsqu’elles sont entendues et mises en œuvre, un espace de liberté et de plaisir où
l’existence pourra être renouvelée ». 33
Dans le cadre de l’art thérapie, la « matière de création » est centrale puisque c’est
elle qui permet la triangulation, le travail entre le thérapeute, le patient et l’œuvre en
train de se faire.
La proposition contribue au cadre. Elle offre quelque chose de rassurant. On ne part
pas dans le vide. Quelque chose de concret est proposé.
33 François Roustang, Savoir attendre pour que la vie change, Ed. Odile Jacob Poche, 2008, p.67
39
L’importance que j’accorde à l’élaboration d’une proposition m’interpelle car j’entends
dire qu’en art thérapie, la proposition n’est qu’un prétexte… Or pour moi, elle est
capitale : quand la proposition est suffisamment ouverte pour favoriser la création et
l’imaginaire, quand elle est adaptée à la personne et à ses besoins, elle peut la
mettre en mouvement, l’ouvrir à des choses nouvelles, la mettre en lien avec
l’extérieur, un souvenir, la nature, quelque chose d’important pour elle. Elle peut être
un élément déclencheur d’implication personnelle.
A la clinique Saint Jean, je donne souvent le choix aux participants de travailler
librement ou de suivre une nouvelle proposition. J’arrive avec des choses diverses et
variées car je sens qu’il y a une demande de ce côté-là. C’est quasiment toujours la
nouvelle proposition qui l’emporte sur un travail libre. Les personnes ont envie de
s’ouvrir à quelque chose de nouveau, d’apprendre, de découvrir, de voyager, de
jouer, de sortir de ce qu’elles connaissent déjà.
Suite à mes expériences en maison de repos et de soin, j’ai réalisé que la proposition
pouvait réveiller le « vivant » auprès de personnes âgées enfermées dans une
structure un peu figée.
Avec les personnes âgées, la proposition peut enclencher un travail de réminiscence
grâce à la matière : la matière-objet, la matière-image, la matière tout court.
Les matières proposées mettent en contact avec les différents sens : on peut voir,
toucher, entendre, sentir. Dans divers ateliers, avec différents publics, je propose un
dispositif qui fait intervenir les sens. Il s’agit de découvrir des objets sous une nappe,
uniquement par le toucher et le bruit. Est-ce dur ou mou ? Est-ce froid ou chaud ?
Est-ce agréable ou non ? Quel pourrait être cet objet ? Un morceau de tissu, une
boite d’allumettes, un lacet, un ruban, un bouton en bois,… Au-delà du travail
sensoriel, ce dispositif favorise le questionnement, la recherche, la surprise,
l’émerveillement, le contact avec les autres personnes du groupe.
Une proposition artistique non académique, visant l’expérimentation, le jeu et le
lâcher prise, va paraitre plus accessible à la personne qui a peu confiance en elle et
en ses capacités. Il y a des chances qu’elle ose la création. Il peut néanmoins y avoir
des résistances, des réticences dues au conditionnement, aux souffrances, à un
manque de confiance en soi, à des croyances injustifiées de se sentir peu créative
ou nulle en art. J’entends parfois des réflexions telles que : « L’art c’est pour les
autres, pas pour moi, je ne suis pas du tout douée pour la création ». Je remarque
souvent ce manque de confiance et de la méfiance auprès des personnes âgées,
très enfermées dans leur conditionnement. En leur expliquant la démarche non
académique, qui ne vise pas un résultat, elles s’ouvrent parfois à la proposition.
La proposition évolue au cours de la séance en fonction de ce qui se passe, en
fonction de ce que la personne en fait, c’est elle qui décide où elle veut aller.
7.1.2. Le choix de la proposition de création
Je choisis les dispositifs en fonction du public, avec le but d’intéresser les personnes
et en tenant compte de leurs limites et de leurs besoins :
40
- Dans le cadre des personnes qui ont la maladie d’Alzheimer, j’essaie de
trouver une proposition qui les met en lien avec le vivant (par un travail sur la
nature, l’arbre par exemple) ou une proposition qui les relie avec leurs
souvenirs (par les images, les photos, le thème de la famille, des vacances,…)
ou encore une proposition qui les font rêver (les rêves qu’elles n’ont pas pu
réaliser). Les propositions qui leur sont faites visent le bien-être, le plaisir, la
détente, l’ouverture,…
- Dans le cadre des personnes qui ont le cancer du sein, j’essaie de faire des
propositions ouvertes qui les font sortir du contexte de la maladie et qui leur
font retrouver la confiance en elle, qui leur font découvrir une nouvelle
ressource dans l’art et qui les emmènent là où elles ne s’attendaient pas
(travail graphique, monotype, travail à partir d’une œuvre d’artiste choisie,…).
En fonction de ce que j’ai repéré, senti, observé lors de la séance, je cherche une
nouvelle proposition pour la séance suivante. Parfois j’arrive avec des choses
spécifiques pour répondre à un besoin exprimé par une personne, ou ayant parcouru
l’ensemble de son travail : des œuvres de tel ou tel artiste, une thématique.
On pourrait dire que derrière la proposition que je fais, il y a une intention ou des
intentions. Or, ce qui est important, c’est ce qui se passe lors de la séance, la façon
dont la personne est mise en mouvement, quitte à ne pas suivre la proposition de
départ.
Pour moi, le dispositif est un prétexte nécessaire à la création. La proposition de
travail n’est en effet qu’au service de l’attention. Cette réflexion « la proposition n’est
qu’un prétexte » a été dite par Danielle Barilla lors de l’entretien que j’ai eu avec elle
le 26 mai 2016, que j’évoque ci-dessous.
7.1.3. La proposition ne serait qu’un prétexte – entretien avec Danielle Barilla34
Le 26 mai 2016, j’ai eu un entretien avec Danielle Barilla, artiste peintre et art
thérapeute diplômée à l’INECAT. Elle travaille beaucoup avec les personnes âgées
atteintes de la maladie d’Alzheimer, recourant elle aussi très souvent à des éléments
de la nature pour enclencher le travail de création.
Lors de l’entretien, je lui ai posé les questions suivantes :
Est-ce que derrière tes propositions, tu as une intention précise ? Comment évolue-t-
elle lors de l’atelier ?
Danielle a une intention présente, elle se la raconte à elle-même. Très souvent elle la lache. Elle en a besoin pour ne pas se sentir démunie. Elle démarre avec une proposition en y croyant à moitié car les gens ne vont peut-être pas y adhérer. En fait c’est un prétexte nécessaire au préalable. Elle sent d’abord où sont les personnes dans leur disponibilité, leur souffrance,… puis une vraie proposition émerge. Elle rêve pour eux, cela prend ou pas… Cela demande de la réactivité. Quand ça ne prend pas, elle propose une musique ou amène un pot de fleurs à dessiner.
34 Annexe 8 : Compte-rendu de l’entretien avec Danielle Barilla, le 26 mai 2016.
41
Le temps d’amener la personne à investir le support est compliqué. Lorsque la première trace est posée, c’est ok. Elle fait le lien avec son propre travail : lorsqu’elle va dans son atelier, elle ne peint pas forcément, elle s’écoute. Dans l’institution, on leur impose quelque chose en permanence (l’heure de la toilette, du repas,…). Elle ne veut pas être dans l’injonction de faire : dans l’atelier, on n’est pas obligé de faire, on regarde ce qui a été fait. Elle laisse ce même temps aux résidents. Ce temps de flottement est très habité. Quelle place accordes-tu à l’imprévu ? L’imprévu, c’est ce que Danielle recherche. Elle aime se sentir bousculée, elle en a besoin, c’est ça qui la rend créative. Elle veut sortir du répétitif ennuyeux, du programmé. Elle étouffe avec cela. Des fois elle s’est interrogée là-dessus car elle ressent qu’elle les bouscule un peu. Son travail reposerait sur la surprise, c’est très important. Elle cherche l’autre là où il ne s’y attend pas. Elle a besoin d’étonnement. Elle est sensible aux situations d’enfermement. Ce contexte de travail lui a fait prendre conscience de cela. Elle travaille seule car elle ne supporte pas d’être avec d’autres qui n’ont pas cette aptitude à supporter le vide et cette capacité de rêverie. Leur présence empêche cet état de rêverie et de flottement en relançant les personnes. Ça perturbe Danielle qui est peut-être dans un autre état de conscience : présente et flottante, détachée. Elle se saisit de tout ce qui se passe dans cet état flottant. Les personnes se sentent obligées de faire des choses éducatives, ce qui n’est pas son propos. Cela dénature l’esprit de l’atelier d’art thérapie. Elle dit : « C’est de l’ordre de l’infime et de l’indicible. Il faut de l’attention et du silence pour capter ce qui se passe. Les animateurs n’arrivent pas à lâcher prise ». 35
7.2. Mes dispositifs fétiches
7.2.1. La thématique de l’arbre :
La nature est une ressource importante pour moi. Me promener régulièrement dans
la forêt, être en contact avec les arbres me nourrit, m’apaise, me centre. Je m’y sens
dans mon élément.
J’ai réalisé de nombreux arbres en sculpture, en fil de fer. Chacun, selon sa forme,
exprime quelque chose de différent.
35 Danielle Barilla, compte-rendu de l’entretien du 26 mai 2016.
42
Generosity, fil de fer, 2009 Vigorously, fil de fer, 2009
Inspirée par l’artiste Alexandre Hollan, je propose depuis quelques mois de travailler
sur le thème de l’arbre. Voici comment je procède :
→ Le photoscope
J’ai réalisé un « photoscope » 36 qui regroupe une quarantaine de photos d’arbres :
arbres photographiés par moi-même à différents endroits (dont la forêt de Soignes)
et arbres représentés par des artistes : Van Gogh, Cézanne, de Vlaminck, de Stael,
Mondrian, Folon, Chagall, Egon Schiele, Derain, Hollan, Monet, Alechinsky… De très
nombreux peintres ont abordé l’arbre avec des styles bien différents. L’arbre est une
source d’inspiration créatrice évidente. On peut le représenter de façons très
différentes, avec des moyens plastiques divers.
Dans un premier temps, au début de l’atelier, je pose les photos sur la table en
invitant les personnes à les regarder, à les faire circuler. Elles sont toujours très
curieuses, intéressées. Elles regardent les photos, les observent, réagissent.
Le thème de l’arbre touche, stimule, met en mouvement. C’est un thème que chacun
connait et qui, généralement, réjouit. Les personnes se reconnectent à la nature, aux
souvenirs, à l’affectif, aux cinq sens. Elles font souvent des liens avec un vécu.
Ces photos sont accessibles, parlantes et stimulantes. Dans certains groupes, je
demande à l’avance aux personnes d’apporter une photo d’arbre qu’elles apprécient
particulièrement. Ces photos choisies servent de « déclencheur d’implication
personnelle » en amont, concept développé à l’INECAT qui veut dire que la
personne s’implique déjà personnellement et à son insu dans la création. Lorsqu’elle
choisit la photo (ou dans d’autres cas, lorsqu’elle choisit un objet, écrit un mot,…),
elle ne le fait pas par hasard. Cela touche à quelque chose d’important pour elle, un
souvenir, une sensation, une émotion,…
Auprès des personnes âgées, ce dispositif permet de faire le lien entre la maison de
repos et l’extérieur. Je sens que ces photos, cette thématique de l’arbre, les
36 Annexe 4 : Photoscope des arbres.
43
connectent au vivant. Un travail de réminiscence se fait à travers l’arbre choisi. Il
évoque souvent un souvenir. Les résidents se souviennent de leur jardin, des
promenades, des lieux visités, d’un endroit de vacances,...
J’ai par exemple entendu les réflexions suivantes :
- «Oh, on dirait le cerisier que j’avais planté avec ma fille lorsque nous nous
sommes installés dans notre maison ».
- « Je connais cet arbre, il était au bord du chemin près des étangs Mellaert. »
→ Le choix de la photo
Dans un second temps, je demande à chacun de choisir une photo d’arbre. Cela ne
pose aucun problème, tout le monde trouve un arbre qui lui parle. Certains en
choisissent plusieurs.
Le choix de la photo n’est pas anodin.
Certaines personnes choisissent une photo d’arbre que j’ai prise dans la forêt de
Soignes ou dans un autre parc en disant : « j’ai déjà été là ».
D’autres choisissent une production artistique avec beaucoup de couleurs gaies.
D’autres encore choisissent l’arbre avec le tronc abimé ou un arbre incroyablement
penché : un arbre qui semble mort mais qui est encore vivant, un arbre qui vit malgré
son apparence de mort. D’autres encore choisissent l’arbre seul au bord du chemin
ou l’arbre avec un personnage assis sur ses racines.
Pour moi, l’arbre est très symbolique. Il permettrait de travailler sur l’identité de la
personne. Je peux imaginer un trait de caractère ou l’émotion du moment d’une
personne qui choisit le chêne robuste, l’olivier planté dans un pays chaud, le sapin
sombre, ou encore le saule pleureur au bord d’un étant, le cerisier japonais,…
L’humeur et l’état du moment influencent le choix de la photo d’arbre.
→ Présentation du peintre Alexandre Hollan
Dans un troisième temps, je présente le travail du peintre Alexandre Hollan en
montrant quelques photos de ses dessins faits au fusain et à l’encre de Chine. Je
raconte brièvement l’histoire de l’artiste et sa démarche particulière. 37
La référence que je fais à cet artiste en atelier me semble très adaptée pour rassurer
les personnes qui ont souvent peu confiance en elles au niveau artistique et créatif.
Le travail d’Alexandre Hollan, avec les traces de fusain et d’encre, peut leur sembler
très accessible. Ce ne sont pas des arbres, mais « de l’arbre », on peut sentir le
mouvement des branches, leur épaisseur, leur matière, l’énergie qui circule,…
37 Annexe 3 : Présentation de l’artiste Alexandre Hollan.
44
Alexandre Hollan, « Le derviche tourneur », chêne, fusain sur papier, 50x60 cm
Alexandre Hollan, « L’oiseau des vignes », dessin aux lignes continues, 2014, fusain
sur papier, 40x55cm
→ Expérimentation graphique
Dans un quatrième temps, lorsque les personnes se sont imprégnés du travail
graphique d’Alexandre Hollan, je leur propose d’expérimenter et de jouer avec le
fusain, le crayon graphite, le bâton d’encre de Chine sur des petits formats carré et
en lien avec l’arbre, la mousse, les feuilles, l’écorce. En général, tout le monde se
lance, se met en mouvement. Je leur demande d’observer l’aspect végétal souvent
présent dans les traces.
45
Par ce travail, les personnes retrouvent des gestes d’enfant. Elles frottent ou étalent
la matière, utilisent leurs doigts sur le fusain, se salissent les mains, font des taches
hasardeuses, avec en général beaucoup de plaisir.
Je trouve ce dispositif intéressant à plusieurs niveaux :
- Dessiner comme Alexandre Hollan semble facile, accessible.
- Il y a un côté ludique dans la démarche.
- Les personnes sont satisfaites de pouvoir « faire », d’oser. Nous sortons
facilement de la feuille blanche qui peut être anxiogène.
- Les traces faites permettent de démarrer la création par la suite.
- Les personnes sont libres de créer dans un cadre donné.
- Ce dispositif met en confiance et permet la découverte d’une nouveauté.
→ La création
Après être bien entré dans le thème de l’arbre par le choix de la photo et le travail
graphique inspiré par le travail d’Alexandre Hollan, je propose de créer un arbre en
lien avec soi.
Certains font un arbre, d’autres des traces de végétal, un paysage de forêt,…. Ce
thème permet beaucoup de liberté au niveau technique, des formes, des couleurs,
de l’expression. Il y a ou non du feuillage, des racines, des fleurs, d’autres
éléments,…
J’ai l’impression que chaque participant s’approprie son arbre. L’un fait le lien avec
les buissons de son jardin d’autrefois, l’autre avec la propriété où il a habité.
Pour surprendre, émerveiller, étonner, je tourne souvent le travail en cours. Dans le
cadre de l’arbre, je le fais à la fin, lorsqu’il est bien dessiné. Les racines deviennent
les branches et les branches deviennent les racines. La personne est souvent très
surprise, étonnée, parfois émerveillée. Ce travail permet de modifier le regard qu’on
a sur les choses.
Je reprends en annexe de nombreuses productions d’arbres réalisées lors des divers
ateliers que j’ai animés auprès d’adolescents, de personnes âgées désorientées, de
malades du cancer,... 38
Je suis toujours fascinée et impressionnée par la richesse et la diversité des
productions, chacun accordant son attention à des choses différentes (la lumière, les
couleurs d’automne, le mouvement sinueux des branches, la présence d’animaux sur
les branches,…) et présentant un arbre à sa manière (arbre fermé, dont les branches
se rassemblent, arbre ouvert dont les branches s’étalent, arbre explosif,…). Dans
toutes ces productions d’arbres, je vois beaucoup d’originalité, de créativité et
d’émotion.
En fin d’atelier, les échanges sur le vécu sont intéressants et riches, parfois encore
chargés de beaucoup d’émotion.
38 Annexe 5 : photos de créations d’arbres réalisées lors des divers stages donnés, 2015-2016.
46
7.2.2. Le travail autour du collage et des images
→ Ma découverte du collage
J’ai découvert le collage lors du module « Collage thérapeutique » proposé en février
2014 par Monsieur Jean-Paul Bernard Petit, psychothérapeute, psychanalyste et
formateur en collage, dans le cadre de la formation à l’INECAT. Ces cinq jours de
formation ont créé chez moi l’envie de faire du collage de façon créative et variée. Au
cours du temps, mon travail de peinture-collage s’est élaboré.
Ce travail est pour moi très nourrissant et thérapeutique. Je le réalise avec plaisir et
émerveillement. Il me permet d’aller plus loin dans l’imaginaire et la créativité. Il me
permet d’évoluer.
Ce qui m’impressionne le plus dans le travail du collage, c’est ce qui se passe lors du
glanage dans les magazines et parmi les différents papiers, documents,…
Pourquoi je choisis telle ou telle image ? Je ne le sais pas au départ.
Lors du processus, d’autres images et papiers colorés sont choisis, sans réflexion
particulière. Les différents éléments trouvent leur place sur la feuille, en lien avec les
autres éléments. Un monde se crée, une atmosphère apparait, une histoire se
raconte. J’y trouve un côté magique très intéressant, parfois jubilatoire.
Dans le cadre de ce travail, je découvre que cela fait de nombreuses années que
j’accumule des documents, des photos, des images que j’apprécie, sans utilité
particulière. Je découvre la richesse de papiers divers au niveau des textures ou des
couleurs : le papier japonais, le papier kraft, le papier journal, le papier crépon, les
papiers imprimés.
Une autre chose qui me surprend et me fascine, c’est la place de l’image que l’on
choisit de façon évidente. Pourquoi telle image doit se trouver à cet endroit précis
plutôt qu’ailleurs : à un endroit particulier sur la feuille, et à un endroit particulier par
rapport à ce qui s’y trouve déjà.
Je crois énormément au bienfait du collage et à l’intérêt des images. Pour moi, le
collage est thérapeutique. C’est pour cette raison que je le propose très souvent lors
des ateliers que j’anime. Je suis à chaque fois surprise de l’intérêt que les personnes
portent aux images et ce que cela crée chez eux : un voyage dans l’imaginaire, le
retour à certains souvenirs, le lien avec des intérêts et des passions ou avec un sujet
personnel difficile,…
→ Exposition de cas
Georges est atteint de la maladie d’Alzheimer. En novembre 2016, lors de sa
deuxième séance à l’atelier que je propose à Bruxelles dans le cadre de
l’Association Alzheimer Belgique, il fait un collage que je vous expose ci-dessous.
L’objectif d’Alzheimer Belgique est de soutenir et de favoriser les personnes atteintes
de la maladie d’Alzheimer qui sont encore capables de vivre chez elles,
accompagnées d’un proche. L’association s’adresse surtout aux familles, aux
aidants. Pour cela, elle met en place des visites à domicile, une écoute téléphonique,
47
des réunions de soutien pour les aidants et des ateliers d’art thérapie pour les
malades.
Lorsque je reçois les malades en art thérapie, les aidants (souvent les conjoints) vont
dans une autre pièce où ils sont pris en charge par une psy-ergothérapeute. Lors de
cette réunion de soutien, ils sont écoutés, informés et conseillés dans un cadre très
convivial. Les personnes se rencontrent, un lien d’amitié et d’entraide se crée.
Les ateliers en art thérapie que j’anime sont difficiles car les personnes sont parfois
déjà bien avancées dans la maladie. Néanmoins, un groupe se crée, avec des
échanges, de la complicité entre les personnes, une envie de créer ensemble et de
partager.
Lors du deuxième atelier, je propose au groupe de faire du collage. Georges
parle très peu, il marche difficilement. Sa femme est très présente, elle
l’assiste constamment. Elle veut rester à l’atelier, ce que j’accepte car c’est
encore le temps d’acclimatation, mais je la tiens un peu éloignée de son mari
pour qu’il se sente libre de créer sans son regard (que j’ai senti envahissant
lors de la première séance).
Dans un premier temps, j’essaie de savoir ce qu’il aime. Grâce à sa femme,
j’apprends qu’il est passionné d’escalade, et qu’il aime les avions. Je montre à
Georges un magazine sur le musée de l’armée et un magazine de voyage sur
la Suisse. Georges s’y intéresse beaucoup, il observe chaque photo, toutes
les pages des magazines.
Je lui demande de choisir une image. Dans un premier temps, il choisit une
image d’avion posé au sol. Il choisit une place sur la feuille. Je l’aide à coller
l’image. Pour la suite, je lui suggère de dessiner au pastel sec ce qu’il y peut y
avoir autour de l’avion. Il fait des traces. On dirait de l’écriture ou un fil de fer
barbelé. Suite à ma proposition de choisir et de coller une autre image sur la
feuille, il feuillette très lentement un autre magazine pour trouver un
personnage. Il observe toutes les images et choisit l’image d’une femme lisant
un magazine sur la plage, avec à l’arrière la mer et les cocotiers. Il choisit la
place de cette image sur la feuille. Il choisit ensuite l’image d’un musicien, puis
celle d’un rocher, de jeunes boucs, d’un Bouddha et enfin d’une montagne. Il
fait ses choix de manière évidente, sans hésitation. Au fur et à mesure, les
images trouvent leur place. Toute une histoire apparait dans son travail.
48
Georges, Collage et dessin, Novembre 2016
Georges a beaucoup de plaisir à faire ce collage. Il est très investi, animé, concentré,
motivé. Je le vois voyager dans ses souvenirs et dans cette histoire qui se
construisait devant lui. Tout cela sans l’intervention de sa femme. Son regard s’est
ouvert, il a souri, il m’a remercié plusieurs fois pour ce travail. Je sens que c’est un
événement, un moment important qui s’est produit pour lui.
Je sens qu’il s’est libéré de quelque chose, que ce travail sans sa femme (elle était
assise plus loin…) lui a fait du bien. Je crois qu’il a senti qu’il avait une énorme liberté
de choix et de création, soutenu par mes paroles qui allaient dans le sens de
l’ouverture et de la liberté d’expression. Jamais je ne juge un trait ou un sens qu’il
donne à une forme, ni les traces d’écriture illisible. J’ai l’impression que c’est très rare
pour lui d’avoir cette liberté d’expression et d’encouragement dans tout ce qu’il fait,
choisit, décide. Il a pu dire quelques mots, ce qui est une réelle difficulté pour lui.
Parfois il essaie de dire un mot, en montrant une image. J’essaie de deviner, je
suggère des mots, il dit oui ou non, il cherche. On trouve ensemble. Je crois que
cela lui fait du bien de pouvoir avoir un dialogue, avec les mots et les images.
Lors du moment de partage en fin d’atelier, Georges exprime des choses au
sujet de la montagne, de l’importance du vide qui se trouve au-dessus. Il n’a
pas voulu coller de nuages à cet endroit, il a voulu laisser cet espace libre. Il
parle du rocher « haut », qui va vers le haut, de la tour qui va vers le haut. Je
lui demande si c’est important pour lui, cette hauteur, ce qui va vers le ciel. Il
dit oui avec un grand sourire.
Cette « hauteur » exprimée semble très importante pour lui. Le choix des photos
exprimaient déjà cette envie de ciel, de hauteur, avec l’image de l’avion et de
l’escalade.
Je fais remarquer à Georges tout ce qui s’est passé lors de la séance : nous
sommes partis d’une image d’un avion et voilà tout ce qui a émergé, toute
49
l’histoire qu’il a créée, imaginée. Il est heureux et souriant, son visage est très
ouvert et rayonnant.
Georges choisit le titre « montagne » que je découpe avec des lettres de
magazines. Dans un premier temps, je pose les lettres au-dessus du collage,
mais cela ne lui plait pas, il retourne la feuille et parait tourmenté. Je
comprends par ce geste qu’il est important pour lui de laisser l’espace vierge
au-dessus de la montagne. Il accepte de coller le titre au dos de la feuille.
Cette proposition a permis à Georges de se mettre en mouvement, avec grand
intérêt. Au cours du collage de nombreuses choses ont été exprimées. Avec les
quelques mots qu’il était capable de dire, il m’a fait comprendre l’importance du vide,
de l’air qui se trouvait en hauteur dans ses dessins. Il a exprimé les choses avec les
gestes et les sons aussi. Il a pris des décisions, il s’est investi pleinement dans ce
travail de recherche d’images, de placement, de recherche de titre,… A chaque
étape, il était très présent et concentré, animé, motivé, en confiance, se sentant bien
accompagné, en sécurité. Il s’est donné beaucoup de liberté, n’avait aucun jugement
de sa femme ou de lui-même. Ce moment était d’autant plus important qu’il a
participé à très peu de séances. Nous avons encore fait un collage par la suite. Son
état de santé déclinant, il a été placé dans une résidence de soin et n’a plus pu
assister aux ateliers.
→ Diverses propositions autour du collage :
Les propositions autour du collage sont infinies…
Parfois je propose de faire un collage à partir de papiers colorés, sans images. Ce
qui est important, c’est la couleur, la texture, la forme, la disposition des divers
éléments les uns avec les autres, l’ensemble créé. Je fais référence aux collages de
Matisse, aux peintures abstraites de Poliakoff dont les formes pourraient faire penser
à du collage.
Il m’arrive aussi de proposer de travailler suivant des thèmes ou des phrases qui
ouvrent à l’imaginaire, à la création d’une histoire : une bouteille à la mer, l’homme
de la cité, le voyage d’Elisa, en haut de l’arbre, une souris en ville, l’homme qui
voulait voler, la cabane magique, le bateau ivre, la rivière sauvage, dans la flaque
d’eau,…
7.2.3. Nouvelles propositions et perspectives
J’aimerais développer des propositions qui mettent davantage le corps en
mouvement, dans la continuité de ce que j’ai proposé à la Clinique Saint Jean en
février 2017, touchée et inspirée par le travail de Fabienne Verdier lors de son
exposition à Bruxelles en janvier 2017. 39
Lors de cet atelier, j’ai proposé de faire un travail au fusain sur de très grandes
feuilles, sur fond d’une musique de Ludovico Einaudi, passée en boucle. Il s’agissait
d’y mettre du corps, du mouvement, du rythme, de la dynamique.
39 Fabienne Verdier, Soundscapes, the juilliard experiment, Exposition à la galerie Patrick Derom, Bruxelles, 12/2016- 02/2017
50
Les productions réalisées sont grandes, fortes, investies. Les personnes les ont
réalisées en y mettant du corps, des gestes amples.
Fabienne Verdier, expo the Julliard experiment, Patrick Derom Gallery, Bruxelles,
janvier 2017.
Françoise, Atelier clinique St Jean, février 2017.
Christine, atelier clinique Saint Jean, février 2017
51
7.3. Ma façon d’accompagner
A chaque étape de l’atelier, je tente de repérer comment l’intention et l’attention
interviennent, comment je me positionne par rapport à cela.
7.3.1. La préparation de l’atelier
Comme je l’ai déjà exprimé, en amont de l’atelier, il y a tout un temps de réflexion et
de recherche de proposition. J’arrive en ayant préparé la séance.
Parfois, avec certains publics, j’envoie un courriel aux participants pour annoncer la
proposition de travail ou leur demander d’apporter ou de préparer quelque chose.
C’est souvent intéressant de voir comment les personnes s’impliquent en amont.
Je veille à arriver bien à l’avance à l’atelier pour préparer le lieu et le matériel et pour
faire le vide avant la séance afin d’avoir un esprit calme et disponible à la séance et
aux personnes. Pour cela je fais les choses lentement avec parfois un travail corporel
et de respiration pour me centrer.
7.3.2. L’accueil :
Lorsqu’une nouvelle personne vient pour la première fois, je l’accueille
chaleureusement. Je lui explique brièvement comment fonctionne l’atelier. Je lui
propose de nous appeler par les prénoms et de nous tutoyer, ce qui est souvent très
bien accueilli. A Bruxelles cela se fait et c’est justifié aussi par l’usage de différentes
langues : les Marocains tutoient vite, les flamands aussi,… Ce tutoiement crée une
atmosphère conviviale qui me semble très adéquate à l’atelier.
Quand la personne entre dans l’atelier, elle devient artiste et oublie la maladie. Tout
le monde est sur pied d’égalité. Les participants accueillent volontiers les nouveaux,
s’intéressant à eux. Des liens se font facilement, pas nécessairement autour de la
maladie.
Je prends un peu de temps avec la personne afin de voir quel est son lien avec l’art
et la création, ce qu’elle aime ou n’aime pas. En général, je lui propose un travail
d’expérimentation graphique avec le fusain, le crayon graphite, le bâton d’encre de
Chine, en lui suggérant de jouer avec le matériau, de le découvrir un peu comme un
enfant le ferait. Parfois je lui propose de suivre la proposition faite au groupe.
Mon intention à cette étape de l’atelier est d’accueillir la personne, de la mettre à
l’aise et en confiance, de l’intégrer dans le groupe. Je la mets dans le bain de l’atelier
avec de la matière. L’attention que je lui porte est individuelle. Je suis à l’écoute et en
empathie. Je suis attentive à ce qu’elle fait même si je suis occupée avec les autres,
j’ai un œil bienveillant sur elle.
7.3.3. Le cœur de l’atelier
Au début de l’atelier, je fais souvent un tour de table pour voir quelle est « la météo
intérieure » de chacun, en quelques mots. Parfois je prévois un temps de médiation
ou d’échange pour sentir comment commencer l’atelier.
Lors de l’accompagnement, mon intention est de mettre les personnes en
mouvement en leur faisant des propositions qui me semblent adaptées. Si la
52
personne ne veut rien faire, ce n’est pas grave, elle peut rester dans l’atelier, sans
« travailler », elle peut se poser, observer et feuilleter un livre,... juste se sentir dans
le groupe.
Je suis attentive à offrir une qualité de présence adaptée, à observer les personnes
(leur attitude, leur humeur, leur dynamique,…) et ce qui se passe dans l’atelier. Je
suis à l’écoute, prête à intervenir, tout en laissant les choses se faire.
J’invite la personne à travailler sans intention précise, sans trop réfléchir, à suivre ce
que la matière lui dicte, lui fait vivre. Je l’invite à suivre le geste comme si c’était sa
main qui la conduisait. La matière et le corps dictent les gestes.
Pour la personne en création, c’est souvent dans des moments de non attention et
de lâcher prise qu’il se passe quelque chose d’intéressant et d’inattendu. La
personne se surprend elle-même et me surprend.
J’essaie de m’adapter à ce qui se passe, laissant place à l’imprévu. Parfois le
dispositif évolue ou disparait. Il aura été juste un élément déclencheur.
Il faut une attention particulière, individuelle dans certains cas, qui permette que le
travail se fasse.
En décembre 2015, dans la maison de repos où j’anime un atelier,
j’accompagne Anna qui a différents troubles suite à un AVC qu’elle a subi
quelques mois auparavant. Elle a besoin de présence et d’aide dans son
travail de création. Son obsession du rangement l’empêche de se concentrer
sur ce qu’elle fait. Petit à petit, lors des séances de collage, elle parvient à se
concentrer et à rester longtemps sur le même travail : elle colle diverses
bandelettes colorées, les superpose, ajoute du pastel gras. Elle travaille
calmement, avec mon aide pour certains gestes et toute mon attention, je suis
assise à côté d’elle. Sans ma présence, elle ne peut rien faire. Petit à petit,
elle travaille quelques minutes toute seule. Je reviens vers elle quand elle a
des difficultés.
Je me mets souvent au service de la personne, un peu comme Arno Stern qui se dit
« servant » des participants. Je veille à ce que la personne ait le bon matériel, je
l’aide à effectuer les tâches difficiles pour elle.
Au fur et à mesure des séances, je vois ce dont la personne a besoin, ce que je
peux lui proposer pour ouvrir : proposer un autre format, une autre couleur, un autre
matériau, une image,… et ce suivant la théorie du poil, concept de l’INECAT qui
consiste à proposer un tout petit quelque chose en plus, sans brusquer, de manière
discrète.
Je remarque que l’intention évolue, change, disparait, revient,...
7.3.4. La fin de l’atelier
Je prépare et je marque la fin de l’atelier en rappelant l’heure quelques minutes
avant la fin de la séance. Je veille à ce que chacun puisse terminer l’étape
importante de son travail en cours. Il me semble en effet important de ne pas
53
terminer brusquement l’atelier, d’autant plus que je prévois un moment d’échange et
de rangement.
Il y a un temps de parole et d’échange pour ceux qui le souhaitent. Nous faisons le
tour des œuvres lors duquel chacun peut exprimer ce qu’il a vécu, ce qui s’est passé
lors de la construction de la création, ce qui a été agréable ou non, les difficultés
rencontrées, les découvertes, …
Les autres personnes peuvent ajouter une remarque ou une idée, dans la
bienveillance. Les retours sont souvent très bien accueillis par l’auteur de l’œuvre car
ils lui permettent de découvrir et d’apprécier quelque chose qui n’avait pas été vu ou
perçu, de voir son œuvre avec un nouveau regard.
Ce moment de partage est souvent très fort et apprécié. Il permet de déposer et
d’exprimer des choses vécues ou des prises de conscience, d’exprimer librement
une émotion ou un ressenti, parfois avec beaucoup d’émotion, ce que le groupe
accueille. Beaucoup de choses se disent en fin d’atelier. Cela crée du lien dans le
groupe autour de la création.
7.4. Le lien avec le travail d’Alexandre Hollan
J’aimerais faire ici le lien entre la posture d’Alexandre Hollan avec les arbres et la
posture que j’adopte avec les personnes dans le cadre de mon accompagnement.
Certaines réflexions sont issues de l’entretien qu’il a pu m’accorder le 25 mai 2017 à
Paris. Vous trouverez le questionnaire de cet entretien en annexe. 40
7.4.1. Le lien avec l’arbre ou la personne : l’empathie
Quand il décide de dessiner ou de peindre un arbre, Alexandre Hollan commence
par oublier ce qu’il sait au sujet de l’arbre pour faire de la place à autre chose, aux
premières impressions et sensations. Il a cette capacité à faire le vide, à oublier ce
qu’il sait, à se détacher de ses envies, à cesser l’intention pour se lier à l’arbre à
travers l’observation et l’attention, avec une temporalité lente. Il ne cherche rien, il
laisse les choses se faire. Cette posture lui offre une disponibilité à un nouvel
espace, à quelque chose de nouveau, avec la possibilité d’un nouveau regard.
L’attention est au cœur de son travail.
« La première attitude, c’est de stopper le processus automatique. Evidemment je
regarde un arbre et je dis « oui c’est un arbre »… C’est quelque chose qu’il faut
oublier, il faut dire : « non ça ne m’intéresse pas » ! Je me dis à moi-même que ce
n’est pas un chêne, ce n’est pas un arbre, il n’est pas vert. Et pendant un certain
temps je me prive comme ça, je stoppe un certain nombre de projections intérieures.
C’est un travail mental, un travail d’attention… on pourrait dire attention pour ne rien
faire. On n’est pas là pour faire quelque chose. »41
40 Annexe 9 : Questionnaire pour l’entretien d’Alexandre Hollan, 25 mai 2017, Paris 41 Alexandre Hollan, Entretien du 25 mai 2017, Paris
54
« Regarder n’est pas rien, c’est un travail « à l’envers » : se détacher du concept, des
formulations, de l’envie de s’exprimer, de l’envie de se mettre à dessiner, à
peindre. » 42
Jean-Pierre Klein nous dit souvent, dans le cadre de la formation à l’INECAT,
« Mettez votre mental au porte-mental » ou « Oubliez ce que vous savez » ou encore
« Essayez d’en savoir le moins possible sur les personnes que vous recevez » afin
d’arriver vierge d’informations qui pourraient biaiser notre travail d’accompagnement.
Je ne sais pas grand-chose au sujet de la personne qui arrive à l’atelier, je ne
connais pas son parcours médical, familial ou personnel. Je ne pose pas de
question, je n’ai pas besoin de savoir. Dès lors, il n’y a pas d’à priori, la personne est
accueillie telle quelle. Faisant abstraction de cette information, j’ouvre un espace, un
nouveau regard. J’ai une première impression de la personne. Elle peut se dévoiler à
travers son travail de création
Alexandre Hollan a pris l’habitude de s’installer autour de certains arbres qu’il connait
bien. Sa relation avec un arbre est très précise. Il a différentes impressions avec tel
ou tel arbre. Il médite longtemps avant de dessiner l’arbre, avec toutes les énergies
qu’il ressent, tout ce qu’il peut percevoir à travers son corps. Il nomme certains
arbres, les reconnait, il y est attaché. Il parle de ses arbres comme s’il parlait à un
être humain. On pourrait presque parler d’empathie.
« L’arbre arrive en moi. Il est reconnu par moi intérieurement. Je donne un nom à
mes arbres, ils ont trouvé une place en moi. Dans le nom, il y a une amitié qui se fait
et une reconnaissance. Il y a le demi sauvage, le glorieux, le petit furieux, … Notre
amitié prend une forme particulière avec ces noms. »… « Je suis fatigué et vieux.
Souvent je traine difficilement, mais quand j’ai dessiné un arbre, il me rajeunit, il me
nourrit, il traverse mes veines. » 43
« Je sens très nettement qu’un arbre respire et que je peux être en accord avec sa
respiration, ce qui calme la vision. » 44
Cette façon de parler des arbres est très touchante. On y voit un lien fort, presque
humain entre l’artiste et certains arbres.
L’idée d’humanité qui est au cœur des arbres est reprise dans le magnifique livre
« La vie secrète des arbres45, écrit par Peter Wohlleben, forestier en Allemagne. Il dit
que les arbres ressentent et communiquent entre eux par les racines, les odeurs,
que les forêts ressemble à des communautés humaines.
Au sein des ateliers, le lien se crée entre la personne et moi sous forme d’empathie.
J’accueille la personne telle qu’elle est, telle qu’elle se présente à moi, ni plus ni
moins. J’essaie de la comprendre, de sentir ce qu’elle ressent.
42 Alexandre Hollan, Je suis ce que je vois, Notes sur la peinture et le dessin 1975-2015, érès, 2015, p. 18 43 Lien : http://www.galeriemirabilia.fr/artistes/Alexandre-Hollan/biographie-36.html
44 Alexandre Hollan, Entretien du 25 mai, Paris 45 Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, Les Arènes, mars 2017, France.
55
Je reprends l’extrait suivant que j’avais écrit lors du cours sur l’empathie donné par
Nicole Estrabeau et qui illustre bien ce lien entre la personne et moi :
« Etre empathique c’est accueillir l’autre, l’objet, avec ce que je connais et ce que je
ne connais pas. L’empathie c’est accepter qu’on n’est pas dans la connaissance de
l’autre, mais éventuellement dans la compréhension. Je connais l’autre par la
perception. Il y a plus en l’autre que ce que je perçois. J’accepte la partie inconnue
de l’autre. Ca n’a aucun sens de vouloir éclairer l’obscurité, il y aura toujours de
l’inconnu. » 46
7.4.2. La présence attentive
Je ne peux pas m’empêcher de faire le parallèle entre la présence attentive qu’offre
Alexandre Hollan aux arbres et celle que j’offre aux personnes accompagnées.
Dans les deux cas, il y a une sorte d’attente, de réceptivité, d’ouverture, d’oubli de soi
pour faire place à ce qui va advenir, sous forme d’impression et de sensations.
7.4.3. la position du corps
Alexandre Hollan m’a montré la petite table pliante et le tabouret avec lesquels il
travaille devant le motif. Il utilise ce dispositif dans la nature devant les arbres et dans
son petit atelier à Paris devant les objets à peindre. Il s’assied sur ce tabouret dans la
posture de méditation. Il ne pratique pas pour autant la méditation ou le yoga. Il
accorde une très grande importance à la respiration, la sienne et celle de l’arbre qu’il
perçoit très clairement.
« J’ai fabriqué une petite table pliante légèrement inclinée. Quand je travaille, j’aime
être devant l’arbre et devant ma table pliante, ce qui veut dire que, quand je dessine,
l’impression visuelle descend sur l’image… Il se crée une image dans l’air entre
l’arbre et le regard et cette image n’est pas identique à l’arbre, elle est déjà un
échange entre la résonance intérieure et le motif. C’est cette image qui flotte dans
l’air qui doit descendre sur la feuille. »47
La façon dont travaille Alexandre Hollan me touche. Pour moi, porter attention à un
objet ou à une personne n’est pas si facile. Cela me demande un travail de
détachement et de concentration. J’ai besoin d’outils, de moyens, d’entrainement
pour y arriver.
Les méditations quotidiennes et les promenades régulières en forêt m’aident à être
plus calme, à faire le vide, à faire de la place à autre chose, à être davantage dans
un temps lent, dans l’observation de ce qui se passe dans mon corps, à l’autre, à
l’environnement.
Lors des promenades parmi les arbres, j’accueille ce qui m’entoure, j’observe, je
m’émerveille, je me pose un instant, mes sens sont en éveil.
Je me surprends à observer un crapaud qui traverse le chemin, une souris qui court
dans un buisson, un écureuil qui passe d’arbre en arbre, à écouter attentivement le
46 Nicole Estrabeau, L’empathie, cours donné à l’INECAT, décembre 2012. 47 Alexandre Hollan, entretien du 25 mai 2017, Paris
56
bruit du pivert qui frappe avec son bec le tronc de l’arbre à la recherche d’un
passage creux où vivent des insectes, à sentir l’odeur de la mousse humide le matin
après le passage de la pluie, à toucher une feuille poilue,…
Les méditations quotidiennes me mettent en lien avec les différentes parties de mon
corps, ma respiration, mes émotions, mon état du moment, en lien avec les autres,
avec un sentiment énorme de gratitude. Ces méditations me calment, me centrent,
me font retrouver mes priorités. Elles me permettent de faire le vide. Cela donne de
l’espace, de l’ouverture à ce qui se passe dans ma vie, de façon juste.
Au plus je médite, au plus je me promène sans autre but que de vivre l’instant
présent, au plus je me sens disponible et attentive lors de mes ateliers et lors de mes
créations personnelles.
J’arrive aux ateliers avec des outils, du matériel, des idées, parfois une proposition
précise, mais je constate qu’avec le temps, je suis plus à l’écoute et très flexible à ce
qui se passe. Je laisse davantage venir les choses, avec une plus grande qualité
d’attention aux personnes et aux productions, avec une meilleure réceptivité.
7.4.4. L’importance des sens
Contrairement à ce que je croyais, Alexandre Hollan n’est pas si sensible à tous les
sens. Pour lui, les plus importants sont le regard et le toucher. Il s’agit, ni de la
mousse, ni de l’écorce ou tout ce que j’aurais pu imaginer, mais du toucher de la
feuille.
« Le toucher, c’est le contact avec le papier par exemple. C’est une forme de vibration, le toucher. Au niveau de l’arbre c’est surtout le regard. » 48
Entre la personne et moi, ce sont aussi le regard et le toucher qui sont présents : un
regard bienveillant, un contact chaleureux ou rassurant.
Lors des ateliers, j’aimerais davantage solliciter les différents sens à travers mes
dispositifs, surtout auprès des personnes âgées désorientées. Je fais intervenir le
toucher, l’odorat, la vue à travers l’un ou l’autre dispositif qui touchent aux éléments
de la forêt, aux poudres colorées ou aux tissus de différentes textures, mais je
pourrais le faire plus. Je remarque en effet que les sens reconnectent à quelque
chose de profond, à des sensations et à des émotions. Je pourrais par exemple leur
faire écouter un morceau de musique ou le chant des oiseaux, les yeux fermés, puis
leur faire apprécier la qualité du silence.
A la Clinique Saint Jean, le travail autour de la musique a permis une nouvelle
approche artistique, qui demandait de travailler avec le corps. La musique de Einaudi
passée en boucle était stimulante, enveloppante, inspirante. Elle mettait en
mouvement tout le corps.
Aux ateliers, je veille à ce que la personne puisse développer un nouveau regard sur
les choses. Je lui demande de prendre du recul par rapport à son travail et de
l’observer autrement. Souvent je tourne l’œuvre dans différents sens pour qu’elle
48 Alexandre Hollan, entretien du 25 mai 2017, Paris
57
choisisse celui qui lui convient le plus, celui qui lui parle. Cela stimule la personne à
avoir un autre regard, à voir quelque chose de nouveau. Elle peut éventuellement
choisir une autre signification à son œuvre, donner un autre sens.
7.4.5. Le temps lent
Je voudrais revenir à cette notion de temps lent, de temps suspendu, qui caractérise
le travail d’Alexandre Hollan et qui est si importante dans le cadre de l’attention.
« Si la lenteur apparait comme l’un des caractères les plus évidents du travail de
Hollan, cette lenteur est aussi une patience, ce qui signifie, si l’on y réfléchit bien, une
lutte pour brider les impulsions, pour réfréner un élan souvent jugé excessif,
maladroit, et qu’il faut donc canaliser par la vertu de l’attente et des progrès
longs. »49
Alexandre Hollan prend le temps de faire les choses. Le temps est long (il cherche
depuis des années) et lent (il consacre des heures à un même sujet). Il passe des
journées entières à observer les arbres et les objets qui s’usent ou pourrissent, avec
une attention particulière, l’observation de changements subtiles. Il prend le temps
de laisser venir à lui les impressions, les sensations, avec une attention particulière à
la respiration de l’arbre et de lui-même.
« Le temps de la peinture est le présent, mais non l’instant… Le présent dure plus
qu’un instant. Le présent a le pouvoir, il est vrai inconcevable, de durer, il se
maintient contre le temps, il élargit dans le temps l’intervalle qui laisse à l’esprit le
temps de la réflexion. Il suffit de consulter l’expérience : ce présent que je vis en ce
moment même, il a son existence propre, son épaisseur et sa durée, et c’est par
cette fenêtre miraculeusement ouverte que je jouis du monde et de son spectacle,
que je jouis aussi de moi-même, m’éprouvant vivant, par le soin que je consacre à la
réalisation de mon présent, l’enrichissant et le dilatant par l’intensité de l’attention.
L’instant n’est qu’une abstraction, seul le présent est vivant. »50
Etre dans l’instant présent permet de savourer chaque sensation, d’observer
l’ensemble et le détail, de porter une attention particulière aux choses visibles et plus
subtiles, de laisser venir ce qui se présente à soi. Il y a une idée de longueur, de
durée, de patience, de lenteur, de « hors du temps ».
Cette qualité d’être pleinement dans le moment présent permet l’attention.
Porter l’attention à soi, à l’autre et à ce qui est en train de se faire, demande du
temps. L’attention a besoin de temps : du temps dans le présent, lors de l’atelier, du
temps pour la réflexion, après l’atelier.
Créer prend du temps. Le temps est un luxe aujourd’hui, il est très précieux. C’est lui
qui permet la transformation.
49 Florian Rodari, Alexandre Hollan, Editions de Corlevour/galerie Vieille du Temple, 2014, p.23. 50 Jacques Darriulat, Raphaël Enthoven, Vermeer, le jour et l’heure, Fayard, 2017.
58
7.5. Le tableau d’observation
J’ai réalisé un tableau d’observation 51qui reprend les différents éléments auxquels je
tente d’être attentive lors des ateliers : attention à la personne, à son œuvre en train
de se faire, à mon attitude, au contexte de l’atelier.
7.5.1. La première colonne : l’attention à moi-même
Dans la première colonne, j’observe tout ce qui concerne ma propre personne :
Comment je me sens à l’arrivée dans l’atelier ? Quelle est ma « météo intérieure »
que je peux décrire en quelques mots ? Avec quelle énergie j’arrive ? Quelle est mon
attitude lors de l’atelier ? Comment je m’implique ? Comment je réagis face aux
difficultés ? Quand est-ce que j’interviens ? Comment je suis dans ma relation à
l’autre (transfert – contre-transfert) ? Comment je gère le groupe ?
Il s’agit ici de m’observer individuellement et dans le lien à l’autre et au groupe.
J’observe que mon état influence la façon dont l’atelier se déroule. L’énergie avec
laquelle j’arrive peut avoir un impact sur les personnes fragilisées.
Il m’est déjà arrivé de venir en disant que j’étais fatiguée, que j’avais moins d’énergie
à donner. Je me sens parfois très « sympa », très liante, naturellement plus proche
de certaines personnes. Cela fait partie de ma personnalité de mettre tout le monde
à l’aise. J’essaie néanmoins de garder une bonne distance, de garder ma stature
professionnelle, en revenant sur l’œuvre en cours. Je suis parfois très maternelle
avec les personnes en souffrance, chaleureuse, n’hésitant pas à donner du contact,
à consoler quand c’est nécessaire, à écouter une personne en la prenant à l’écart du
groupe.
7.5.2. La deuxième colonne : l’attention à la personne
Dans la deuxième colonne, j’observe la personne : Dans quel état elle arrive à
l’atelier ? Quelle est l’expression de son visage ou de son corps ? Lors de l’atelier,
comment elle s’engage dans son travail ? Comment elle s’implique ? Quels sont ses
gestes ? Comment elle travaille ? Quel est son rapport au corps ? Quel est son
rapport à l’espace ? Quelles sont ses difficultés ? Comment elle réagit face à la
création ? Y a-t-il des répétitions ou des nouveautés ? Prend-elle des initiatives ?
Il s’agit ici d’observer la personne à l’arrivée, pendant et à la fin de l’atelier. A
l’arrivée, il arrive qu’une personne soit fatiguée, en souffrance ou qu’elle ait besoin
de parler. Parfois une personne est épuisée en fin d’atelier ou au contraire elle repart
avec une énergie positive, libérée d’un poids,…Certains participants sont plus
ouverts et motivés que d’autres. Certains sont souriants et heureux d’être là, de créer
dans cet espace et ce temps particuliers.
Concernant l’évolution de la personne, j’essaie d’observer dans le temps un
changement dans son attitude qui touche à la confiance, l’audace, l’aisance, sa
capacité à prendre sa place parmi les autres, …
51 Annexe 1 : Tableau d’observation
59
7.5.3. La troisième colonne : l’attention au dispositif
Dans la troisième colonne, j’observe tout ce qui concerne le dispositif : Quel dispositif
je propose ? Avec quelle intention ? Comment la proposition est perçue ? Comment
cette proposition évolue ? Comment elle impacte la personne ? Y a-t-il des peurs ou
des difficultés face à la proposition ? Quelle idée cela me donne pour les prochaines
séances ?
J’observe ici comment est accueillie la proposition de création et comment elle
permet (ou non) le démarrage du travail, comment les personnes interprètent la
proposition et ce qu’elles en font. En général, mes propositions sont bien accueillies.
Je laisse toujours la possibilité de travailler librement.
7.5.4. La quatrième colonne : l’attention à l’œuvre en cours et son évolution
Dans la quatrième colonne, j’observe ce qui concerne l’œuvre en cours et son
évolution : Comment démarre le travail créatif ? Avec quel matériel, quel format
(choix, décision à prendre) ? Comment se construit l’oeuvre ? Avec quelle matière,
quelle forme, quelle couleur ? Comment la personne devient Sujet de son œuvre ?
Il s’agit ici d’observer l’œuvre à travers les différentes étapes de sa construction : les
premières traces, l’ajout de couleurs, l’apparition de formes, la création d’un fond,
l’atmosphère qui apparait. Régulièrement, je demande à la personne d’observer son
travail avec un peu de recul. Lorsque je retourne l’œuvre pour l’inviter à voir
autrement, à observer l’ensemble ou des parties dans ce nouveau sens, elle est
souvent surprise de la richesse de ce qu’elle découvre. Parfois tout autre chose
apparait et l’invite à faire un nouveau « voyage imaginaire ».
Il s’agit aussi d’observer l’évolution des œuvres dans le temps avec parfois un style
personnel qui se construit, une évolution qui montre plus d’aisance, plus d’audace.
Je repère les œuvres plus chargées émotionnellement aussi.
7.5.5. La cinquième colonne : les éléments d’analyse
Dans la dernière colonne, je reprends des éléments d’analyse que j’ai observés à
travers l’attitude et l’évolution de la personne et de son travail.
C’est une observation plus globale qui me permet de détecter éventuellement le
moment où la personne devient Sujet de sa création. J’observe les éléments de
transformation de l’œuvre et les signes de changement chez la personne, avec
parfois des moments clés ou un élément déclencheur. J’observe comment la
personne évolue personnellement et à travers ses créations.
7.6. Conclusion
Réaliser cette partie de mon mémoire me permet de mieux me situer dans ma
posture spécifique d’art thérapeute.
J’arrive à l’atelier avec une matière de création qui se veut ouvrante. J’ai des
dispositifs fétiches que je veux encore faire évoluer. L’arbre, la nature et l’image
reviennent souvent dans mes propositions. J’aimerais développer un travail qui mette
60
plus le corps en mouvement, peut-être à travers la musique et la danse. Je voudrais
davantage faire intervenir les différents sens.
Le tableau d’observation est un outil que j’ai mis en place pour m’inciter à observer
tout ce qui est observable lors d’un atelier et dans le temps. Il me permet de faire le
tour des nombreux éléments à observer, certains étant moins visibles et plus
subtiles. Il m’offre un moyen concret de faire une synthèse, un rapport sans chiffre,
sans interprétation, reflétant une réalité humaine et son évolution à travers sa
création et son attitude.
La façon de travailler et la personnalité d’Alexandre Hollan m’inspirent et m’aident
dans ma façon d’accompagner, avec une qualité de présence et une temporalité
lente.
61
8. ETUDE DE CAS
Je présente ici trois cas qui illustrent l’ensemble de mon travail aux divers endroits où
j’interviens. Pour chaque cas, j’expose mes observations et mon analyse à partir de
mon tableau d’observation annexe.
8.1. Premier cas observé : Marie-Noëlle
Marie-Noëlle est une femme trisomique de 57 ans que j’accompagne en individuel
depuis deux ans. Je décris les observations faites sur un seul atelier, du 27 octobre
2016, et réalise ensuite une analyse de son évolution.
Aux premières séances, Marie-Noëlle arrive très fermée et dépressive. Au fur et à
mesure, j’observe une double transformation :
- Ses dessins s’égaient, se diversifient et s’enrichissent
- Marie-Noëlle s’ouvre, sourit, s’exprime avec plus de confiance.
8.1.1. Présentation de Marie-Noëlle et du travail réalisé avec elle
Marie-Noëlle arrive aux premiers ateliers la tête basse, elle ne parle pas et ne sourit
pas. Depuis quelques années, elle vit seule dans un appartement avec des parents
très âgés. Chaque jour, elle va dans un centre de jour sans enthousiasme. Elle ne
communique quasiment pas et s’isole beaucoup.
Autrefois elle peignait bien et régulièrement au sein de l’association du CREHAM
(Créativité et handicap mental), ce dont les parents sont encore fiers aujourd’hui.
Pendant des années, elle a vécu avec ses sœurs dans une grande maison avec un
jardin.
Aujourd’hui, sa mère l’infantilise et la protège beaucoup. Etant donné que Marie-
Noëlle fait souvent des fugues en espérant retrouver sa maison d’autrefois, sa mère
est toujours sur ses gardes. Chaque jour, un chauffeur réceptionne Marie-Noëlle
dans le hall d’entrée et l’amène à son centre de jour. Son père fait souvent des
remarques sur sa « tenue », et sa façon de se comporter avec moi. Très éduquée et
surveillée, Marie-Noëlle n’a pas beaucoup de liberté de mouvement et d’expression.
Lors des premières rencontres, les parents m’ont demandé de la faire travailler sur
grand format à la peinture. Petit à petit je leur ai expliqué ma démarche qui n’est pas
académique. Je vais dans le sens de leur fille qui aime le petit format et les feutres.
Je ne suis pas là pour la faire progresser, mais pour l’accompagner dans une
démarche qui vise son bien-être, l’expression, la confiance en elle, l’ouverture.
Il me semble que ce qu’elle vient chercher aux ateliers, c’est la liberté d’expression,
le non jugement, une présence et une écoute bienveillante de ses mots (et maux).
Lors des séances, elle utilise presque toujours le même matériel (les mêmes feutres)
et dessine sur un petit format (max A4). A chaque séance, elle a des idées de dessin
et commence immédiatement son travail. Elle choisit le matériel qu’elle prend
62
délicatement. Souvent, elle trace une ligne horizontale au-dessus de laquelle elle
dessine un ou plusieurs objets, parfois un personnage.
Lors des premières séances, elle n’exprime pas les choses et vient sans
enthousiasme. Petit à petit, elle se détend, sourit, parle, manifeste du plaisir et de la
complicité.
Après une dizaine de séances, je suis surprise de ses capacités à écrire et à parler.
Au fur et à mesure, elle accepte de donner un titre qu’elle écrit au dos de son dessin.
De plus en plus, elle répond à mes questions au sujet de son dessin, elle raconte
des événements, vécus ou non. Elle exprime, elle invente, elle crée, elle a du plaisir
à s’exprimer en « je ». Elle s’ouvre et expriment les choses.
Les parents sentent et m’expriment que les séances font du bien à leur fille. Elle est
plus ouverte et souriante à la maison. Je remarque que la relation avec ses parents
âgés et régulièrement souffrants, reste difficile.
8.1.2. Notes, thèmes, album
Après chaque séance, je prends des notes. Avec l’accord de Marie-Noëlle, j’ai
rassemblé ses dessins par thèmes que j’ai collés dans un grand album noir. Sous les
dessins, j’ai écrit la date et les commentaires qu’elle faisait régulièrement à la fin de
ses travaux : un titre, une histoire, des mots,…
J’ai repéré les thèmes suivants qui reviennent régulièrement dans ses dessins et qui
servent de « chapitres » dans l’album :
- L’habitat : la maison isolée, le garage, la tente, l’atelier.
- La nature : la campagne, le champ, le tracteur, le chemin, le nid dans l’arbre,
la barque, le banc dans le jardin.
- La religion : l’église et les éléments de l’office, les fêtes religieuses, le calice et
les hosties, les œufs de Pâques, les guirlandes de Noël, les vitraux, la prière.
- La nourriture et les boissons : la cuisine, les œufs, les spaghettis, les fruits, les
moules, le vin, la bière, les verres à pied, la main qui fait la vaisselle.
- Le ciel, les nuages, la lune, le soleil.
- Les personnages et les métiers : un homme en costume, un pêcheur, le
serveur « Nestor », un gendarme, un footballeur, un cultivateur. Que des
hommes.
- Les animaux : le phoque, le cheval, la tortue, l’araignée.
- L’histoire et la culture : le château, le drapeau, la couronne royale, le soldat, la
vieille horloge.
- Le transport : La voiture, la route, les bornes kilométriques, les panneaux, la
clé.
- Les voyages : les pyramides en Egypte, les châteaux, la campagne suisse, Le
Mont du Machu Pichu.
- Les dessins animés : Zorro, les 101 dalmatiens, Simba.
- La musique.
63
8.1.3. Analyse à partir du tableau d’observation, le 27 octobre 2016
Lors de la séance du 27 octobre 2016, j’ai suivi le tableau d’observation afin de
repérer des choses de façon plus précise concernant l’attitude de Marie-Noëlle à
l’atelier, la qualité de son travail et ma façon de l’accompagner.
Le papa de Marie-Noëlle a été hospitalisé deux semaines avant la séance. Je vais
chercher Marie-Noëlle en voiture, elle n’est plus venue depuis un mois. Elle monte
dans ma voiture, enthousiaste, confiante et souriante.
→ Mon attitude, ma relation à l’autre :
J’arrive à l’atelier avec une très belle énergie, motivée, heureuse de la retrouver.
En sa présence, je me mets à son rythme, je suis dans la lenteur. Comme la
plupart du temps, je crée près d’elle, en me mettant face à elle en biais, avec
différentes matières, sans but, juste pour l’accompagner, offrir une présence
discrète, être en création avec elle. Lorsqu’elle a fini son travail, je me déplace à
côté d’elle pour observer avec elle ce qu’elle a fait, entendre ce qu’elle a à dire, lui
proposer d’écrire un mot, un titre à l’arrière du dessin.
Parfois elle raconte toute une histoire, véridique ou non. Souvent elle dit « j’ai déjà vu
ça » « j’ai déjà été là », …
Je repère du transfert dans notre relation. Elle ne vit plus avec ses sœurs qu’elle voit
rarement, elle ne semble pas avoir d’amis. Je sens qu’elle me considère comme une
amie, une soeur.
Je repère aussi du contre-transfert : je la considère peut-être comme une grande
adolescente, me sentant en manque de mes enfants qui vivent à l’étranger. Je ne la
materne pas pour autant, j’essaie au contraire de favoriser son autonomie. Je lui
parle d’adulte en adulte, ce qu’elle semble apprécier. Je lui fais confiance.
→ L’attitude de Marie-Noëlle
A l’arrivée, Marie-Noëlle est enthousiaste, souriante, confiante, ravie de pouvoir
revenir après un mois d’absence. Elle ne dit pas grand-chose. Son visage et son
regard sont ouverts. Elle est calme.
Elle se lance tout de suite dans un nouveau dessin, avec une idée en tête. Elle
prend l’initiative de choisir un petit format qu’elle plie en deux, ce qu’elle a déjà
fait auparavant ainsi que les crayons de couleur, ce qui est plutôt rare. Elle
s’implique, marmonne quelques sons. Elle fait une forme qu’elle a déjà
faite autrefois : une sorte de hamburger.
J’observe qu’elle est dans le plaisir et le bien-être d’être là. Elle ne fait rien de
vraiment nouveau. Ses gestes sont précis, calmes, réfléchis. Elle prend le temps
pour choisir la couleur. Quand elle prend un feutre, cela ne la dérange pas du tout
qu’il soit tout usé et qu’il laisse peu de trace. Quand je lui propose de meilleurs
marqueurs, elle continue avec le feutre usé.
64
Lors du partage à la fin, elle écrit « chaux sur gaz, une caissin : kots fini ». Elle
me donne des explications de son dessin : il s’agit d’un « pistolet (mot belge qui
veut dire un petit pain !) qu’on coupe en deux, on le chauffe sur le gaz, on
diminue le gaz, on met de la margarine, une saucisse et de la moutarde et on le
met dans une boite et je vais le manger dans mon kot (chambre d’étudiant en
belge). » 52
Après le deuxième dessin, qu’elle intitule « le bois de la Cambre », elle me parle
de barque. Elle dit qu’elle est capable d’utiliser les rames avec de l’aide et qu’elle
donne du pain aux canards.
Marie-Noëlle a beaucoup de plaisir à dessiner avec ses feutres, calmement, avec le
sourire. Ses gestes sont sûrs, fluides, doux, lents. Elle se tient à une distance
normale de sa feuille, parfois un peu penchée dessus. Elle est concentrée,
impliquée, délicate, motivée.
Elle partage volontiers au sujet de son travail. Ses dessins semblent représenter des
souvenirs.
Hamburger Canard
→ Le dispositif
Aujourd’hui, je ne lui propose pas de nouveau dispositif. Parfois j’essaie de l’ouvrir à
une nouvelle proposition, mais elle s’y intéresse à peine, revenant toujours à ses
feutres et ses petits formats blancs. Après un mois d’absence, elle retrouve ses
habitudes, ses gestes, son confort, son plaisir dans ce qu’elle connait. Elle sait ce
qu’elle veut, elle choisit par elle-même. C’est une personne assez têtue, qui ne suit
pas ce qu’on lui dit. Ici elle peut choisir librement, sans opposition de ma part et sans
instruction ou injonction.
Les feutres qu’elle choisit la mettent tout de suite en mouvement. Elle a toujours des
idées, souvent en lien avec un souvenir, avec les choses qu’elle aime. Elle retrouve
ses gestes avec plaisir. Les nouveaux matériaux ne l’intéressent pas vraiment.
52 Mes notes sur Marie-Noëlle, atelier du 27 octobre 2016, Bruxelles.
65
→ Son œuvre et évolution
Pour démarrer son dessin, elle choisit un petit format plié en deux. Depuis
quelques temps, elle travaille uniquement sur petit format ; elle choisit ensuite la
couleur avec réflexion. Elle prend le crayon ou le feutre délicatement et ouvre le
capuchon calmement. Elle le remet à sa place ensuite, avec soin. Elle utilise des
couleurs pastel, douces et fait des contrastes de couleur. Quand la boite de
feutres habituels ne se trouve pas sur la table, elle va la chercher.
Elle commence par dessiner le contour de l’élément central, puis fait les
premières lignes d’horizon.
Elle remplit les surfaces toujours en traçant des petites lignes collées l’une à l’autre,
une forme après l’autre. Parfois elle retourne la feuille pour avoir un meilleur accès à
la surface à colorier.
A travers ses dessins, elle exprime des choses importantes pour elle et dit souvent :
« j’ai déjà vu cela, j’ai déjà été là,… » Elle s’implique dans son travail et raconte des
histoires vécues ou inventées. Elle termine toujours ses dessins.
Elle trouve un titre (un mot, une phrase) qu’elle écrit derrière, mais ne signe pas.
Cette recherche de titre est devenue un rituel. Il est rare qu’elle n’écrive rien.
→ Quelques moments-clé
Depuis le début des séances, j’ai repéré quelques moments clés, des moments
importants qui ont, je crois, contribué à une meilleure confiance en elle :
- Lors d’une séance fin janvier 2015, lorsque le père essayait d’entrer dans
l’atelier pour voir son travail, je lui ai fait comprendre que son travail était à elle
et qu’elle n’était pas obligée de le montrer. Son attitude d’envahissement de
l’espace de sa fille s’est arrêtée au fil du temps. Il a fini par me faire confiance.
Je traite Marie-Noëlle comme une adulte qui est en thérapie, je protège son
intimité. Elle a été surprise de ma façon de la respecter. Peut-être est-ce pour
elle la première fois qu’elle a senti qu’elle pouvait faire une activité sans la
présence ou le contrôle de ses parents.
- Après la séance du 12 juin 2015, Marie-Noëlle m’ayant exprimé son souhait
de me montrer le chemin jusque chez elle, nous y sommes allées à pied ! Une
aventure qui a duré un peu plus d’une heure pour moins d’un km, avec des
arrêts fréquents, des moments de fatigue, des hésitations. En chemin, j’ai
refusé que son père vienne nous chercher, estimant qu’il était important pour
elle de me guider jusqu’au bout. Ce moment a été très marquant pour elle car
je lui ai fait confiance. Elle a pu me montrer avec fierté qu’elle connaissait le
chemin, qu’elle pouvait rentrer à pied, qu’elle était quelque peu autonome.
- La première fois que je suis allée chercher Marie-Noëlle chez elle le 27
octobre 2016 (son père étant à l’hôpital), elle était heureuse de me suivre,
avec un sentiment de liberté et d’indépendance car pour une fois elle n’était
66
pas transportée par son chauffeur ou son père. Elle était considérée comme
une adulte qui suivait une « amie ».
- Le 17 mars 2017, le père de Marie-Noëlle est arrivé dix minutes plus tôt chez
moi, je l’ai accueilli dans mon salon comme à chaque fois. Nous avons parlé
quelques minutes. Lorsque je suis redescendue à l’atelier, je n’ai pas tout de
suite trouvé Marie-Noëlle. Elle était dans la cave, dans le noir. Elle semblait
embarrassée, elle cachait quelque chose. Cela sentait fort la bière. J’ai vite
réalisé qu’elle avait bu une cannette entière de Jupiler. Comment gérer cela
avec elle et avec le père qui attendait dans le salon ? Je voulais garder cela
entre nous. Finalement, c’était trop flagrant qu’elle avait bu ! J’ai expliqué les
choses avec humour… son père n’a pas mal réagi. Cet épisode a permis
d’aborder le sujet de la boisson dans la détente. Des choses se disent entre le
père et la fille en ma présence.
8.1.4. Evolution globale (mi-février 2017) et synthèse des ateliers
Je n’observe pas de lien entre ces moments clés et les productions de Marie-Noëlle.
Ce que j’observe, c’est une évolution globale au fil des séances, au fil du temps : un
visage plus ouvert, un regard nouveau, plus d’expression en images et en mots (dits
ou écrits), plus de positif et de plaisir, plus d’imaginaire, une meilleure confiance en
soi, une affirmation de sa personne, un lien plus fort et exprimé avec moi… Ses
dessins deviennent plus gais et plus riches. Son attitude fermée et contrariée s’est
transformée en attitude ouverte et enthousiaste, communicative. La création l’a
remise en vie. Je vois aussi une évolution où elle s’affirme, devient Sujet de son
travail en parlant en « je », « moi ».
Marie-Noëlle se sent bien chez moi, dans l’atelier, dans le salon, parfois dans le
jardin. Parfois elle prend l’initiative de ramasser les feuilles, de ranger. Elle aime
écouter la musique, s’asseoir simplement dans le fauteuil. Au-delà du travail de
création dans l’atelier, je sens qu’elle est bien chez moi, à l’aise, confortable,
contente d’être là.
Lorsque j’observe les dessins de Marie-Noëlle au fil du temps, je constate qu’ils sont
plus gais, colorés et élaborés. 53 Chez elle, son père me dit qu’ils suivent la même
tendance.
Marie-Noëlle choisit parfois des formats plus grands. Les couleurs sont plus douces.
Je vois moins de tristesse et de solitude dans ses dessins. Il y a plus de joie, en lien
avec une attitude moins dépressive. Avec le temps, elle choisit des thèmes variés.
Un travail de réminiscence se ferait à travers les dessins et ce qu’elle raconte ?
Souvent elle raconte plus que ce que n’exprime le dessin. Une histoire se raconte
avec des éléments vécus ou pas. Elle s’exprime en « je », elle est Sujet de tous ses
dessins et de toutes les histoires qu’elle raconte.
Ces dernières séances, je constate des discours moins cohérents, plus décousus.
53 Annexe 6 : Productions de Marie-Noëlle, janvier 2015-juin 2017.
67
8.1.5. Questionnements : Que montrer ? Que dire aux parents ?
Les parents me demandent régulièrement des nouvelles. Ils aimeraient m’inviter pour
qu’on discute de l’évolution de Marie-Noëlle, ils aimeraient voir des choses. Que
montrer ? Que cacher ? Que dire et ne pas dire ?
J’en ai parlé à Marie-Noëlle qui a exprimé indirectement son souhait de ne pas
montrer son travail. En effet, elle m’explique que ses dessins sont à la cave où elle
invite ses amis qui l’aiment bien. Ils le lui disent. Elle veut bien me montrer cela un
jour. Elle veut montrer à ses parents « des choses qui sont vraies » : des puzzle à
coller et à mettre dans un cadre. « Les parents comprennent que je ne veux pas tout
montrer. ».
Face à cette réflexion, j’accepte cette entrevue avec les parents en présence de
Marie-Noëlle et avec l’idée de ne pas montrer son travail, en respect du choix de
Marie-Noëlle.
Je peux parler de son évolution au niveau de l’attitude (confiance, ouverture,
affirmation,…), son investissement personnel dans ses créations, son ouverture à de
nouveaux sujets, l’apparition de productions plus gaies, colorées, animées.
Son papa étant beaucoup en clinique ces derniers mois, l’entrevue n’a pas pu encore
avoir lieu.
68
8.2. Deuxième cas observé : Milena
Milena est une femme âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer que j’ai suivie sur une
année, de novembre 2015 à novembre 2016, dans le cadre des ateliers d’art
thérapie que j’ai mis en place à la Maison de repos et de soins Gray à Bruxelles.
Pour réaliser mon analyse, je me base sur les observations faites à chaque atelier,
que je reprends dans un tableau d’observation annexe avec les moments-clés que
j’ai repérés.
8.2.1. Contexte de l’institution et création de l’atelier
La Maison Gray est une résidence de repos et de soin qui a ouvert ses portes il y a
deux ans, après trois années de travaux. Elle appartient maintenant au groupe
ORPEA. C’est devenu un bâtiment luxueux d’une capacité de120 lits, dont une
vingtaine seulement occupés. Les résidents sont répartis sur 7 étages dont le 5ème
est réservé aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
La Directrice qui m’a engagée a fait un burnout après quelques mois, mise sous
pression. Sous sa direction, je me sentais soutenue et reconnue. Avec le temps et le
changement de personnel, j’ai perdu ma motivation mais j’ai décidé de rester pour
suivre Milena à qui je suis attachée. Les premiers mois, j’y anime un atelier de 1h30
une fois par semaine puis une fois tous les quinze jours (restriction de budget).
En septembre 2015, je mets en place un atelier d’art thérapie dans une salle de
réunion au sous-sol, essayant de créer une atmosphère de création. Je travaille avec
une jeune femme ergothérapeute, Marie. L’atelier est déplacé plusieurs fois dans le
salon de famille qui offre plus de lumière et de vie. Etant donné le peu de résidents et
la gravité de certains cas, les groupes sont souvent réduits à quelques personnes
(entre 2 et 5). Peu de personnes sont régulières. Il y a de nombreux décès.
A chaque séance, je veille à accueillir les quelques résidents et à leur expliquer mon
activité. J’apprends à les connaitre en leur posant des questions sur leur rapport à
l’art, leurs goûts, leurs besoins. J’essaie de les motiver à venir, à se lancer dans la
création et je choisis les dispositifs adaptés au fur et à mesure des séances.
J’apporte souvent des livres d’art, des magazines pour les intéresser, les accrocher à
quelque chose.
Les premiers ateliers ne sont pas simples. Les personnes n’osent pas se lancer,
elles disent en général qu’elles sont nulles et qu’elles n’ont pas envie de peindre ou
dessiner. Il faut un temps d’observation et de mise en confiance. J’apporte des livres
et des productions artistiques, des images pour faire connaissance, créer un contact,
apprendre à connaitre les goûts et leurs attentes des résidents. En fonction de ce
que j’entends et de ce que je ressens, j’apporte quelque chose de nouveau à la
séance suivante.
J’introduis très vite le thème de l’arbre et du végétal (l’arbre, le paysage, le chemin, le
mandala végétal) qui déclenche des créations intéressantes et personnelles.
69
En mars 2016, j’improvise une exposition d’une dizaine d’oeuvres pour la fête des
familles, ce qui permet de voir concrètement le travail réalisé sur quelques mois.
Cette exposition permet au personnel médical, à la Direction, aux familles et aux
visiteurs extérieurs de se rendre compte de la capacité des résidents à créer et de
les voir autrement que comme des personnes dégradées ou malades. Ces tableaux
sont exposés de façon permanente dans le salon des familles et dans le hall
d’entrée.
Je choisis d’exposer le cas de Milena qui vient régulièrement à l’atelier et dont le
parcours me parait intéressant dans le cadre de mon sujet. Elle arrive dans la
résidence avec son mari au début du mois de novembre 2015.
Je donne ma démission en novembre 2016, estimant que les conditions de travail ne
me permettent plus de travailler correctement et avec motivation.
8.2.2. Présentation de Milena
Milena est une femme maigre, bavarde, attachante, chaleureuse, coquette. Elle aime
les contacts. Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle arrive en novembre
2015 à la résidence avec son mari qui est en phase terminale de cancer. Ils sont
Serbes. Ils partagent la même chambre. Elle parle beaucoup, c’est parfois difficile à
suivre. Lui est fatigué. Ils se soucient l’un de l’autre avec inquiétude. Cette situation
est lourde pour tous les deux. Leurs deux enfants vivent en France.
8.2.3. Evolution globale et synthèse des ateliers
J’ai rempli le tableau d’observation 54 de tout ce que j’ai observé lors des
accompagnements de Milena. Ce tableau présente les moments clés et les
observations que j’ai faites à différents niveaux :
- Mon attitude
- Milena en création
- Le dispositif
- L’œuvre et son évolution
Lors des premiers ateliers, lorsque son mari est encore en vie, Milena est très
bavarde, éclatée, toujours en mouvement, agitée parfois, soucieuse pour son mari ou
ses enfants ou confrontée à divers problèmes d’organisation. Son discours est en
général cohérent. Lors des premières séances en art thérapie, elle n’a aucune
confiance en elle. Elle délègue son travail à une autre résidente « qui sait mieux faire
qu’elle ».
Petit à petit, autour de la thématique de l’arbre et grâce à la technique du collage,
elle se concentre, parle moins, s’apaise, se fait du bien lors de ces ateliers.
Le temps de l’atelier est un temps de répit pour le mari. L’atelier permet un temps de
soulagement pour le couple.
54 Annexe 2 : Tableau d’observation de Milena
70
Je note pendant des mois une évolution positive dans son travail avec de nouvelles
possibilités de création au moyen du collage, de la peinture, du pastel sec et gras.
Elle est impliquée dans son travail de création, prend des initiatives dans le choix de
la technique et des couleurs. Elle est calme, motivée, centrée. Elle semble bien.
Dans son collage, elle soigne certains éléments, s’ouvre à de nouvelles images. Je
constate plusieurs transformations de ce travail qui s’étale sur plusieurs séances.
Suite au décès de son mari début janvier 2016, je trouve Milena calme, concentrée,
satisfaite de son travail. Elle parle un peu de son mari. Elle ne semble pas trop
perturbée par son décès. Peut-être ne s’en rend-elle pas vraiment compte… C’est un
mois après la mort de son mari et lors d’un autre décès (d’une résidente asiatique
qu’elle apprécie), qu’elle commence à être perturbée et inquiète.
Mi-février, l’infection urinaire qu’attrape Milena la fragilise encore plus. J’observe une
dégradation rapide de ses capacités avec des angoisses, de la désorientation, de la
déambulation. Elle ne reste pas en place. Elle travaille très peu à l’atelier et s’y
concentre très difficilement. Elle a besoin d’attention, de contacts, d’être rassurée.
Fin février, l’arrivée de l’ours en peluche (cadeau de ses enfants) va donner à Milena
des moments d’apaisement, de calme, de retrouvaille, de réassurance, de confiance.
Toute une histoire se crée autour de ce nounours qu’elle appelle « le petit ». Elle le
câline comme un bébé, se préoccupe de son confort,... Les premiers gestes de
maternage et de retour à la famille apparaissent. Un deuxième ours en peluche lui
est donné quelques semaines plus tard. Elle garde ses capacités à créer et à se
concentrer sur son travail. A l’atelier, elle continue son travail de collage, elle est
posée et concentrée.
Milena étant extrêmement sensible, elle n’est pas du tout bien lors de la période de
tension et de changement dans l’équipe soignante et au sein de la direction (mi-
mars). Perdue, agressive, « hors de son corps », angoissée, elle n’arrive pas à
travailler. Sa santé se dégrade parfois de façon alarmante : elle refuse de se nourrir
ou mange très peu, elle déambule beaucoup, elle est perdue, angoissée, elle perd
les objets et s’en inquiète, elle s’accroche aux bras, elle ne reste pas en place. Elle
se sent « hors de son corps » (elle l’exprime par ces mots), son regard est un peu
vide. Malgré cette dégradation visible, nous avons encore de belles séances. C’est
tout à fait imprévisible. Elle se sent un moment apaisée et concentrée, intégrée au
sein de l’atelier.
Elle est spécialement et magnifiquement bien à l’atelier du 20 mars 2016 organisé
dans le cadre de la fête des familles, dans le salon des familles, dans une ambiance
très conviviale, de fête douce. Elle se sent pleinement en sécurité dans cette
atmosphère familiale qui lui plait beaucoup. Elle est apaisée, concentrée, posée,
créative. Elle fait un nouveau travail plein d’imagination autour du thème du chemin.
Elle travaille vite, n’arrête pas, n’est pas distraite. Son travail est structuré, vivant,
coloré. Cet atelier semble lui procurer une parenthèse dans cette phase agitée et
difficile qu’elle traverse.
Début avril commence une nouvelle phase de dégradation de sa santé et de ses
gestes avec une déambulation forte, des angoisses, des pertes de mémoire, des
71
pertes d’objets, la manie du rangement, un besoin de contact, de moment d’apraxie
et d’agnosie. C’est le début de la période de désinhibition. Elle mange si peu qu’elle
n’a plus de force pour parler, elle semble éteinte et à bout de force. Dans cet état,
elle arrive à continuer son dernier collage en reliant les morceaux avec du jaune. Elle
s’exprime avec le regard. Le « petit » est sur ses genoux, elle le materne. Sa
présence la rassure, la centre, l’apaise.
J’observe un nouveau moment de perturbation lorsque Milena est placée seule dans
l’unité protégée le 18 avril 2016 : elle déambule, elle semble perdue, seule,
angoissée, fatiguée. Quand elle se sent en sécurité avec son « petit » et notre
accompagnement plein de douceur, notre écoute et notre patience, elle arrive à
travailler à l’atelier, mais ne s’y intéresse plus comme avant.
Je la sens éclatée et perturbée lors de l’arrivée d’une nouvelle résidente bruyante et
envahissante, ce qui exprime à nouveau l’extrême sensibilité de Milena à
l’environnement, l’atmosphère du lieu, la présence des autres autour d’elle.
Elle vit un très bel atelier le 2 mai autour d’une nouvelle proposition de « composition
végétale ». J’ai apporté des éléments de la forêt (pommes de pin, brindilles, copeaux
de bois, mousse,…). Ce travail collectif et éphémère permet le jeu, les échanges, les
sensations, le rire. Milena participe pleinement à cet atelier en nous faisant rire à
chaque fois qu’elle met des choses en bouche. Elle est en lien avec les autres,
souriante et apaisée. Elle est rayonnante. Elle est plus observatrice qu’actrice, cela
lui convient. Cet atelier lui permet de se mettre en lien, de communiquer, de se
détendre par le rire.
A partir de la fin du mois de mai 2016, elle parle beaucoup de son papa. Cette phase
démarre avec une lettre qu’elle a écrite à son papa, en compagnie de Marie, en
dehors de l’atelier. Cette lettre est très importante pour elle, elle la relit à différents
ateliers. Elle décore et encadre la lettre. A chaque lecture, elle est touchée.
Elle nous parle beaucoup de son papa et du lien fort qui existe entre eux deux. Elle
parle aussi de ses enfants. C’est à ce moment qu’apparait encore plus clairement
l’importance de la famille pour elle. De nombreuses productions l’expriment, à travers
les collages, les mots écrits, le cadre décoré,…
Voici les réflexions qu’elle nous dit au sujet de son père et de sa famille durant
quelques séances :
- « Ce serait tellement bien qu’il soit en haut. »
- « C’est comme si j’étais enceinte de mon père. »
- « C’est la faute de mon père, j’étais tellement accrochée à lui. »
- « Mon papa est l’homme le plus beau. »
- « J’ai envie de vomir en avançant avec l’âge, je ne m’y attendais pas, on
verra. »
- « Lorsque le déjeuner sera terminé nous serons tous heureux. »
- « L’étoile, c’est mon père. »
- « J’ai entendu les voix des bébés, je vais voir les bébés, on a mis les bébés
dans un énorme fauteuil, il va s’occuper d’elle, c’est comme ça, ça vous
ennuie les bébés ? Je vais aller dans ma chambre ramasser mes bébés. »
72
Lors d’un atelier, elle couvre d’un voile de mariée les deux bébés unis. Pendant les
séances qui suivent, elle s’occupe de ses bébés, leur parle, les habille avec des
tissus cousus par une autre résidente. Elle les materne. Elle leur caresse les
cheveux, parle de l’un à l’autre avec beaucoup de douceur. Souriante, émue, tendre,
elle nous montre tout son côté très maternel avec ses deux petits. Je suis spectatrice
d’une bulle de tendresse qu’elle exprime avec eux à travers un dialogue imaginaire,
et la façon dont elle les materne. Elle me fait penser à un enfant qui joue à la poupée
et à une maman qui prend de ses bébés…
Elle revient encore avec des phrases liées à sa famille : « Nous sommes tous plein
de joie, c’est la joie générale, c’est mon père qui disait cela ». Elle semble bien
lorsqu’elle parle de ses enfants, de son père, de sa famille. Elle est reconnectée à
ses souvenirs, aux émotions d’autrefois.
En annexe, sont présentées les productions successives de Milena55, qui montrent
l’évolution de son travail artistique.
8.2.4. Analyse
Ce que j’ai repéré :
- Milena est en mouvement, concentrée et investie dans son travail créatif
lorsqu’elle est apaisée, en sécurité.
- Ce qui l’apaise, ce sont des gestes et des mots doux, le respect de son temps
lent, la présence de ses enfants à travers les nounours.
- Dès qu’il y a un élément perturbateur, cela l’affecte au niveau de son attitude
et de son travail.
- Ce qui la perturbe, ce sont les changements de lieu, les tensions, les bruits,
les gestes brutaux, les personnes envahissantes…et la perte de son mari et
de la résidente asiatique.
- Elle s’est laissée mourir pendant une semaine puis a rebondi, retrouvant de la
vitalité, peut-être grâce à la présence des petits qui l’ont reconnectée à la vie.
- Milena est d’une extrême sensibilité. Elle est très sensible à l’environnement,
à l’atmosphère du lieu, à la présence des autres autour d’elle.
- Pour Milena, la famille est très importance, source d’apaisement. Elle nous
témoigne son lien avec son père et de ses deux enfants. Elle ne parle jamais
de sa mère.
- Approchant de la fin de sa vie, elle revisiterait tous ces magnifiques moments
passés en famille, en lien avec les siens. Elle le fait avec énormément
d’amour, de douceur, de reconnaissance, de respect, nous montrant combien
sa famille était belle et vivait dans la joie.
55 Annexe 7 : Productions de Milena, novembre 2015-novembre 2016.
73
8.3. Troisième cas observé : Sarah
Sarah est une femme écossaise de 48 ans, atteinte du cancer du sein. Depuis
octobre 2016, elle vient régulièrement à l’atelier d’art thérapie que j’anime au sein de
la Clinique Saint Jean à Bruxelles où elle suit son traitement. J’ai choisi de parler
d’elle parce que des choses bougent dans sa vie, souvent déclenchées par ces
séances qui lui font du bien. Son travail artistique est riche et intéressant.
Je vous présente ici une synthèse de mes observations de la dizaine de séances
auxquelles elle est venue jusqu’à présent et l’analyse que j’en fais.
8.3.1. Contexte de l’institution
La Clinique Saint Jean offre depuis de nombreuses années un atelier en art thérapie
au sein de l’espace bien-être situé dans l’espace oncologie-sénologie.
J’ai animé mon premier atelier à la clinique Saint Jean au mois de juin 2016, l’art
thérapeute précédente ayant quitté son travail 18 mois auparavant.
Ce contexte de changement d’art thérapeute a permis à l’équipe de redéfinir les
objectifs, l’organisation et la présentation de cette activité. Auparavant l’atelier
s’adressait aux personnes atteintes du cancer du sein. Il a été décidé ensuite d’ouvrir
cet atelier à tous les patients de la clinique. Les médecins en endocrinologie,
gériatrie et autres s’y intéressent petit à petit et m’envoient de nouveaux patients.
J’anime deux ateliers un vendredi sur deux, se déroulant de 10h à 12h et de 14h à
16h. Il y a entre 4 et 12 personnes présentes à chaque atelier.
Je suis particulièrement surprise du magnifique accueil qui m’a été réservé, aussi
bien au niveau du personnel soignant très humain et ouvert à l’art thérapie, qu’au
niveau du lieu.
Je dispose d’un bel atelier dans l’espace bien-être : un vrai atelier au sein d’une
clinique, bien équipé en matériel artistique et offrant une belle lumière.
Dans cet espace bien-être, les patients ont aussi la possibilité de consulter un
psychologue ou bénéficier d’autres soins comme l’acupuncture.
Je participe à des réunions de façon irrégulière, formelle ou informelle, ce qui me
permet de rencontrer des médecins, infirmières, psychologues de différents services
de la clinique. Je suis positivement surprise de l’intérêt que la plupart des personnes
du service médical accorde à mon travail.
J’envoie régulièrement des comptes-rendus de mes ateliers à certains médecins, psy
et infirmières. Ces informations restent internes et confidentielles. Ces écrits
reprennent le déroulé de l’atelier, les photos des productions, ainsi que certains
commentaires des participants, qui sont dits à tout le groupe et qui ne sont pas
confidentiels. Cette manière de travailler me permet :
- de donner des informations utiles au sujet de patients communs,
- d’attirer de nouveaux participants via le personnel soignant et d’étendre
l’activité à d’autres services de la clinique,
74
- de faire connaitre mon travail et son intérêt, de donner un retour intéressant
qui permettra, je l’espère, d’avoir un nouveau financement pour l’année
suivante.
Les participants sont en général des femmes en traitement ou d’anciennes malades.
Certains proviennent de l’ancien groupe et suivent cet atelier depuis de nombreuses
années (hormis une coupure de 18 mois). Il y a une grande diversité de nationalités.
Parfois nous accueillons un réfugié qui y trouve toute sa place (la clinique Saint Jean
est réputée pour traiter certains malades gratuitement). Le groupe est toujours très
accueillant et ouvert à une nouvelle arrivée.
8.3.2. Présentation de Sarah
Sarah est une écossaise de 48 ans, elle parle très bien le français. Je ne connais
pas grand-chose de sa vie. Elle a peint autrefois et n’a plus peint depuis 7 ans. Elle a
le cancer du sein.
C’est une femme souriante, très sensible, émotive, touchante, très courageuse,
sociable, liante. Elle partage facilement ce qu’elle vit. Les moments d’échange en fin
d’atelier sont très importants pour elle. Elle est appréciée.
Elle reconnait les bienfaits des ateliers d’art thérapie sur elle. Elle est souvent
interpellée par le travail qui s’y fait, touchant à ce qu’elle vit actuellement.
Contrairement à ailleurs où on lui demande d’être courageuse et positive, elle sait
qu’ici on peut accueillir les larmes et les ombres. Elle nous confie sa tristesse de ne
pas avoir d’enfant, de ne pas être mariée, de ne pas avoir de maison à elle, d’être
malade, d’avoir perdu ses cheveux.
Elle nous partage aussi sa joie de retrouver la beauté par l’art et la matière. Elle dit
apprécier cette façon de déposer et d’exprimer les choses. Elle se sent liée au
groupe et entendue, soutenue psychologiquement et moralement.
8.3.3. Evolution globale et synthèse des ateliers
Malgré les symptômes désagréables de son traitement (perte de cheveux, bouts des
doigts abîmés, fatigue liée au traitement), Sarah essaie de venir régulièrement aux
séances d’art thérapie.
Elle arrive à l’atelier souvent fatiguée, mais heureuse d’être là. Elle est motivée et
concentrée sur son travail, dynamique et ouverte aux différentes propositions. Elle
s’implique, prend des initiatives. Elle est vite en mouvement, sait ce qu’elle doit faire.
En confiance, elle laisse venir ce qui émerge, dans le lacher prise. Elle est souvent
interpellée et surprise par ce qui apparait petit à petit. A la fin de l’atelier, elle réalise
ce qui est devant elle, qui l’interpelle et qui la touche.
Lors du partage en fin d’atelier, elle parle très aisément de son travail, souvent avec
émotion. Elle exprime ce qu’elle a vécu, ce que ce travail lui fait, les liens qu’elle voit
entre sa création et sa réalité de vie. Elle vit cet atelier comme une vraie thérapie.
75
Lors des premiers ateliers sur la thématique des arbres en octobre 2016, Sarah
dessine des arbres qui expriment sa tristesse et ses regrets. Le premier a de très
nombreuses branches bien fournies qui représentent ses beaux cheveux d’autrefois.
C’est la première fois qu’elle sort de chez elle avec une perruque qui la gêne
terriblement. Elle avait autrefois une magnifique chevelure.
Le deuxième arbre est composé de trois grosses branches. C’est son arbre
« négatif ». Elle nous dit en avoir besoin pour déposer ses regrets de ne pas être
mariée, de ne pas avoir d’enfant ni de maison. Elle profite de l’atelier pour déposer le
négatif alors qu’à l’extérieur, on lui demande d’être courageuse et positive.
- Never got married
- Never had a baby
- Never bought a home
Ces arbres sont arrivés tels quels. Elle n’avait pas d’objectif au départ.
Lors de l’atelier suivant sur le monotype, Sarah fait plusieurs dessins et choisit celui
qui lui fait penser à l’intérieur de son appartement. Elle y voit la machine à laver, les
tiroirs, la poubelle et elle-même, présente au milieu de tout cela, insouciante et
joyeuse, jouant avec des cerceaux qu’elle lance en l’air. Ce dessin a déclenché chez
elle une prise de conscience au sujet de son ami qui ne la respecte pas. Elle le
chassera de son appartement avec difficulté, devant faire intervenir la justice.
Lors d’une séance ultérieure, travaillant au monotype, elle fait une œuvre assez
sombre, dans les tons bleu foncé. Cette œuvre « qui est venue comme ça » est
arrivée suite à la lecture d’une phrase dans le journal « doesn’t walk alone ». Cette
phrase est arrivée comme une évidence, faisant référence à ce qu’elle vit dans sa
solitude. Le paysage d’algues et de coquillages lui évoque l’Ecosse, son pays natal,
elle le nomme « In the deep ». Elle me parle de sa difficulté d’accepter son cancer,
l’incompréhension face à cette maladie et la terrible fatigue qu’elle subit depuis de
nombreux mois.
76
Lors de l’atelier sur la musique de Einaudi passée en boucle, Sarah décide de
travailler sur un grand papier au sol, les pieds nus. Elle fait plusieurs cercles au
fusain au bout d’un bâton et repère de grands yeux d’hiboux avec deux expressions
différentes : la gaieté et la tristesse. Puis elle fait des formes arrondies colorées et y
voit sa petite voiture à quatre roues. Elle a beaucoup de plaisir à créer dans la
légèreté, l’arrondi, les mouvements larges, le corps et les gestes libres. Son geste se
libère. Il y a des rondeurs, des cercles, des espaces entre les éléments. Elle laisse
librement la production se faire, sans savoir au départ ce qui apparaitra. Elle
accueille ce qui est là, souvent touchée par ce qui apparait.
Lors de l’atelier sur le visage, Sarah a d’abord fait quelques dessins de bouche grand
ouverte avec une croix dessus, puis elle a réalisé un grand auto-portrait qu’elle a
nommé « J’en ai marre », puis « The Higg’s scream ». Tous ces dessins faisant
référence à son cri. Elle dit « C’est tout ce que je n’arrive pas à exprimer à ma
mère ». La bouche est grande ouverte, le visage est effrayant. Elle nous exprime une
très grande colère avec beaucoup d’émotion. Elle est ennuyée de toujours pleurer,
de ne pas bien gérer ses émotions. Elle parle de sa mère qui ne l’accueille plus en
Ecosse, qui n’a plus envie de la voir alors qu’elle était si présente lors de son
traitement. Elle considère sa fille guérie, alors qu’elle est encore très fragile. Elle
parle de cri et d’énergie.
77
8.3.4. Analyse
Quasiment toutes les productions de Sarah touchent à ses émotions et racontent
quelque chose qu’elle vit actuellement, en lien avec sa maladie qui la fragilise
beaucoup. Certaines productions lui font revisiter des impressions ou des souvenirs
d’Ecosse.
En fin d’atelier, lors du partage, elle exprime souvent qu’elle est débordée par des
émotions négatives qui sont la colère, la tristesse et le sentiment de solitude. Elle a
du mal à gérer ses émotions autrement que par les larmes. Elle sent qu’elle doit aller
plus loin dans l’expression de sa colère.
Elle vient chercher à l’atelier la possibilité de créer librement, de déposer des choses
importantes pour elle dans un cadre sécurisant, parfois avec beaucoup d’émotion.
Elle sait que les émotions sont bien accueillies.
Son travail a un effet de déclencheur. Elle y voit quelque chose ou y donne du sens.
Elle prend conscience de divers problèmes qu’elle traverse, ce qui la fait bien
avancer.
Souvent elle partage ce que le travail lui a apporté comme prise de conscience,
déclencheur de décision. Elle s’ouvre au groupe, dans la confiance et appréciant son
support. Par ce travail, Sarah passe de l’Objet de souffrance au Sujet de création.
8.4. Conclusion
A travers ces trois cas exposés et à partir du tableau d’observation, nous pouvons
repérer l’évolution de la personne et de son travail de création.
Le tableau d’observation me semble très pertinent pour observer ce qui se passe au
sein des ateliers et repérer l’évolution de la personne et son travail. Il peut être utilisé
78
de façons différentes suivant les cas. Je l’ai utilisé de façon plus élaborée pour
exposer le cas de Milena, avec les moments clés mis en parallèle avec son travail.
Chacune utilise la proposition de création à sa manière et puise dans les ateliers une
ressource différente :
- Marie-Noëlle vient chercher à l’atelier une liberté d’expression qu’elle n’a pas
chez elle. Ce travail la libère, l’ouvre, lui fait retrouver du vivant à l’intérieur
d’elle, le sourire et le plaisir qu’elle avait perdus. Elle ne s’intéresse pas à mes
nouvelles propositions, elle reste attachée et en sécurité avec ses feutres et
les petits formats. Les séances se ressemblent. Au fil du temps, j’observe une
belle transformation dans son attitude : impliquée, souriante, à l’aise,
expressive. Elle se sent bien chez moi et en ma présence.
- Avec l’évolution de sa maladie et l’arrivée de divers événements importants au
sein de la résidence, Milena revient à des choses essentielles, en lien avec sa
famille, son père, ses enfants. Elle nous montre par des gestes de tendresse
envers les « petits » son côté très maternel et attentionné pour ses enfants.
Les propositions de collage, d’écriture et de travail avec les tissus la mettent
en mouvement. Ces propositions, ainsi que la présence des deux « petits »
l’aident à se connecter à sa famille. Elle se fait du bien en venant à l’atelier,
plus ou moins active, plus ou moins impliquée dans les propositions.
- Sarah exprime librement ses émotions douloureuses, liées à la maladie. C’est
un endroit où elle peut déposer les choses en sécurité et sans jugement. La
plupart des propositions sont des déclencheurs de création et d’implication
personnelle. Par la création, elle se connecte à des choses importantes qu’elle
a vécues ou qu’elle rencontre actuellement dans sa vie.
79
CONCLUSION FINALE
J’aurai mis deux ans à réaliser ce mémoire de recherche. Ce temps long et
relativement lent m’a permis de chercher et de développer ma spécificité en tant
qu’art thérapeute. Ce travail de recherche a contribué à ma transformation intérieure,
à un changement de regard du monde et de la personne, avec douceur et
bienveillance. Les questionnements, les tâtonnements, les expériences, les
formations et les rencontres de ces dernières années m’ont nourrie et construite.
Inspirée depuis le début de ma formation par l’approche et la posture de Ruth
Nahoum, par la démarche artistique et la posture d’Alexandre Hollan, par l’écoute
bienveillante et accompagnatrice de mon beau-père Jean Raulier, je sens que je me
forge une identité professionnelle qui m’est propre, nourrie d’un autre regard. Ces
trois personnes travaillent avec une qualité d’attention qui me sert de référence.
Toutes les trois travaillent suivant un temps lent, apprécient le silence et mettent en
avant l’observation et l’attente. Leurs approches me touchent, m’apaisent,
m’indiquent une manière d’être au monde plus juste, m’aident aussi à changer mon
regard sur les choses et les êtres.
La philosophie de vie de Pierre Rabhi qui m’intéressent tant aujourd’hui et la
formation en permaculture que je poursuis contribuent aussi à ma transformation
intérieure, me donnant un regard nouveau sur la terre et l’être. Cela a forcément un
impact sur mon travail.
Je m’investis avec plaisir dans la recherche et le développement de propositions de
création, inspirée de tout ce que je vis. La matière est très importante pour moi. Je
l’utilise comme point de départ de l’atelier, au service de la création. Petit à petit, la
proposition s’efface pour laisser la place à ce que la personne a envie/besoin de
vivre. J’essaie d’accueillir cela avec une attention et une qualité de présence
adaptées.
Les expériences humaines vécues dans les ateliers sont touchantes. Chacun arrive
avec sa fragilité à laquelle je suis sensible. Chacun se met en mouvement comme il
le peut et va là où il peut se rendre.
Je suis souvent émerveillée de la capacité de création de chacun, de tout ce qui
émerge de la personne à travers sa production et de la façon dont les choses se font
à son insu. J’ai du plaisir à découvrir l’impact de la production sur la personne qui
crée et qu’elle arrive parfois à exprimer avec les mots.
Je me sens pleinement à ma place au sein des ateliers que j’anime, en phase avec
la démarche que je propose. Je continue à m’observer, à prendre distance, à me
questionner pour continuer à évoluer, en lien avec moi-même et ma transformation
intérieure et en lien avec l’autre qui arrive avec ce qu’il est.
Qu’est ce qui m’anime et me motive dans ce travail et dans ce lieu, qu’est ce qui
m’enthousiasme ? Quelle est ma posture ? Quelles qualités me servent ? Qu’ai-je
envie d’apporter aux personnes ? Qu’ai-je envie de leur proposer ? Quel type de
relation s’établit avec les personnes accompagnées ? Quelle qualité de présence et
80
d’écoute je peux leur offrir ? Comment ai-je envie de continuer à évoluer ? Quelles
sont les personnes et les pratiques qui m’inspirent et me nourrissent ? Comment je
peux intégrer ce que j’apprends en permaculture et l’importance de la nature et du
vivant dans mes ateliers ?
Toutes ces questions m’aident à continuer à cheminer et à développer encore plus
loin mon identité professionnelle.
Tout ce qui est exprimé dans ce mémoire de recherche m’anime et me nourrit
aujourd’hui.
81
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Documents en ligne :
http://www.galeriemirabilia.fr/artistes/Alexandre-Hollan/biographie-36.html
http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/peinture/alexandre-hollan-le-peintre-des-
arbres-et-des-vies-silencieuses-217279