Introduction a La Ling.
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AVANT-PROPOS
Il me fait plaisir d’écrire l’avant-propos au livre
de Gabriela Scurtu, un petit bijou, très utile pour faire
connaissance avec les notions les plus importantes de
la linguistique traditionnelle et moderne.
La première partie fait une brève incursion dans
l’histoire de la discipline, à partir des préoccupations
du monde antique pour la langue et finit avec la
présentation des principales dichotomies
saussuriennes. La deuxième partie traite des deux
pilons de la linguistique: la synchronie et la diachronie
et présente la classification des langues: typologique
et généalogique. Enfin, la dernière partie aborde des
domaines nouveaux de l’analyse linguistique.
Le livre introduit les lecteurs aux différents
courants et méthodes de la linguistique depuis
l’antiquité jusqu’aujourd’hui. Sont abordés aussi les
domaines nouveaux et fascinants de la pragmatique,
5
de l’analyse du discours, de la sémantique cognitive,
de la sociolinguistique.
La courte bibliographie qui suit chaque chapitre
permet au lecteur d’acquérir les points de repère
indispensables pour l’approfondissement des
connaissances.
Écrit dans un style agréable et alerte, le livre de
Gabriela Scurtu est facile à lire et ses explications
claires permettent une compréhension aisée.
Ce devrait être le livre de chevet des étudiants
qui apprennent le français dans les universités
roumaines.
Prof.dr.h.c. Maria Iliescu
6
A R G U M E N T
La linguistique est une discipline dynamique qui
suscite un intérêt justifié, parfois même enthousiaste,
au sein d’un large public formé de spécialistes et de
non spécialistes, intérêt doublé néanmoins d’une
sensation de vertige à cause de l’immensité des
champs d’étude et la variété des théories.
Dans ce contexte, ce livre se veut une initiation
à la linguistique, présentant les fondements
théoriques, les concepts opérationnels de base, ainsi
qu’une synthèse des grandes orientations
linguistiques, avec un accent d’insistance sur les
acquis de la linguistique moderne et contemporaine,
alors que les principaux champs d’étude: phonétique
et phonologie, morphologie et syntaxe, sémantique et
pragmatique pourraient faire l’objet d’un volume à
part.
Nous exprimons notre espoir que les étudiants
qui se spécialisent en philologie, ainsi que toute
7
personne intéressée par les problèmes du langage,
trouveront dans ce livre l’information systématisée
qu’ils cherchaient et l’impulsion de poursuivre le
chemin, parfois difficile, mais toujours fascinant, de
l’initiation à la linguistique.
L’auteur
8
SOMMAIRE
PREMIÈRE SECTION
La linguistique 11
Bref aperçu historique des idées
linguistiques 18
La processus de communication 55
Les fonctions de la langue
65
Le caractère systématique de la langue 70
Langage – langue – parole 78
Le signe linguistique 86
La double articulation du langage humain 104
DEUXIÈME SECTION
Synchronie – diachronie 110
La méthode comparative et historique 118
La classification généalogique des langues 132
La typologie linguistique 155
La variation 170
9
TROISIÈME SECTIONLa référence 187
L’énonciation 199
La déixis 208
Les actes de langage 222
La progression textuelle 229
L’anaphore 238
Abréviations utilisées 245
Index des noms 246
Bibliographie générale 248
10
PREMIÈRE SECTION
LA LINGUISTIQUE
La linguistique est l’étude scientifique du langage et des
langues naturelles. Elle a pour but d’expliquer la structure,
l’évolution et le fonctionnement des langues.
La langue – objet d’étude de la linguistique. La
diversité des aspects de la langue
L’étude de la langue soulève devant les linguistes une grande
diversité d’aspects:
- D’un premier coup il faut distinguer l’apect parole de
l’apect langue. La langue est l’aspect abstrait, général, objectif,
qu’on trouve dans les grammaires. C’est le système qui est à la base
d’une langue donnée et régit tout acte de communication. Elle se
concrétise dans des actes de parole individuels - les énoncés des
locuteurs qui appartiennent à une communauté linguistique. La
parole est le domaine de l’infini, concret et subjectif, le domaine des
variantes; la langue est le domaine du fini, des invariantes (v. chap.
Langage, langue, parole).
D’autres perspectives pour aborder l’étude de la langue
pourraient prendre en compte:
11
- L’aspect psychique du langage (la recherche des deux
processus d’encodage et de décodage du message linguistique, c’est-
à-dire la transformation de l’idée en signe et inversement, actes qui
ont lieu dans la conscience du sujet parlant (v. chap. La
communication linguistique).
- L’aspect physiologique de l’articulation et de l’auditon des
messages (l’étude de l’aspect acoustique du langage).
- Les deux aspects ou codes de la langue: écrit et parlé.
Toutes les langues de civilisation présentent deux systèmes
différents, ayant chacun ses règles. Si un système est premier par
rapport à l’autre, c’est bien celui de la langue parlée, puisque
beaucoup de langues existent qui n’ont pas de système écrit. On
considère plutôt maintenant la langue écrite comme un système de
transcription, comme une représentation, par un autre moyen, de la
langue parlée.
- Les diverses variétés de la langue: spatiales (langues,
dialectes, parlers régionaux), qui constituent le niveau diatopique de
l’analyse linguistique; socio-culturelles (jargons, argots, langues
techniques), qui constituent le niveau diastratique; stylistiques
(niveaux de langue), qui constituent le niveau diaphasique (v. chap.
La variation).
- Les diverses étapes dans l’évolution des langues, donc
l’histoire des langues, leur diachronique (v. chap. Synchronie –
diachronie, La méthode comparative et historique, La variation).
12
La linguistique dans l’ensemble des sciences
La complexité de la nature et des fonctions de la langue
explique le fait que la science de la langue présente toute une série de
points communs et des domaines communs de recherche avec
d’autres sciences. Science empirique, science théorique, la
linguistique est aussi une science humaine, faisant partie de
l’ensemble des sciences sociales. Elle entretient, souvent en vertu
d’une longue tradition commune, des rapports étroits avec la
philologie et la philosophie, avec d’autres sciences sociales
(psychologie, sociologie, histoire), ainsi qu’avec les sciences exactes
(physiologie, mathématiques, informatique).
Les niveaux de l’analyse linguistique
On peut distinguer plusieurs niveaux d’étude dans la
linguistique. D’ordinaire, la linguistique est scindée en linguistique
théorique (générale) et linguistique appliquée. Ces deux catégories
d’études sur la langue sont corrélatives.
La linguistique générale (ou théorique)
La linguistique générale ou théorique concerne la recherche
fondamentale. Cette discipline étudie la langue en général, ce qu’il y
a de commun entre les diverses langues: ont-elles des principes
d’organisation comparables ? Essayer de trouver les relations entre
13
les différentes langues, c’est nécessairement se situer à un niveau
d’abstraction assez élevée.
La linguistique générale comprend quatre branches issues de
la dichotomie saussurienne synchronie – diachronie (v. chap.
Synchronie – diachronie). À partir de cette distinction, la linguistique
générale analyse les langues selon deux points de vue: intensif (étude
interne de la langue prise en elle-même et pour elle-même) et
extensif (la langue est étudiée en comparaison avec d’autres langues).
L’étude intensive
a) synchronique:
La linguistique descriptive s’occupe de la description des
règles qui président au fonctionnement d’une langue particulière. Car
si toutes les langues ont des règles en commun, toutes ont également
des règles qui leur sont propres. La linguistique descriptive
s’interroge et essaie de répondre à la question: comment les principes
d’organisation étudiés par la linguistique générale fonctionnent-ils
dans le cas d’une langue particulière: le français, le roumain,
l’anglais, le russe, le chinois…? La description est organisée en
différents domaines: la phonétique (qui étudie les sons en tant que
réalité physique, acoustique et articulatoire); la phonologie (qui
étudie la fonction des phonèmes dans une langue particulière, où ils
constituent un système); la morphologie (qui traite des mots,
indépendamment de leurs rapports dans la phrase, en fonction de
14
leurs variations); la syntaxe (qui traite de la combinaison, de l’ordre
des mots dans la phrase et de leur fonction syntaxique); la lexicologie
(qui s’occupe de l’analyse du vocabulaire); la sémantique (qui est
l’étude de la valeur, du sens ou de la signification des mots ainsi que
du rapport entre la forme et le sens, entre signifiant et signifié).
b) diachronique:
La linguistique évolutive (historique) constate les
changements qui se produisent au sein de la langue, les localise dans
le temps et en recherche les causes.
L’étude extensive
a) synchronique:
La linguistique typologique se propose de classer les langues
sur la base de leurs caractéristiques grammaticales (v. chap. La
typologie linguistique).
b) diachronique:
La linguistique historique et comparée a pour but d’établir
les filiations entre les langues, en vue de les regrouper en familles
linguistiques. Elle compare les correspondances phonétiques et
morphologiques afin de dresser la parenté généalogique de ces
langues ou de retrouver la langue-mère dont sont issues les langues-
filles La romanistique, la germanistique, la slavistique, la
linguistique indo-européenne, la sémitologie, etc. sont des branches
de la linguistique historique et comparée (v. chap. La méthode
15
comparative et historique et La classification généalogique des
langues).
La linguistique appliquée
La linguistique appliquée étudie les différentes applications
des connaissances linguistiques dans divers domaines de la vie
pratique: entrainement à l’écriture publicitaire ou journalistique,
perfectionnement des traductions, traduction automatique,
constitution de bases de données en terminologie technique ou
juridique, élaboration de logiciels de correction orthographique ou
grammaticale, pédagogie de la langue maternelle ou des langues
vivantes. En ce sens il faut mentionner la linguistique contrastive
(différentielle), se proposant de mettre en évidence les traits
identiques et les traits divergents entre deux ou plusieurs langues,
apparentées ou non, et visant des objectifs théoriques (la description
de différents types de langues) et pratiques (l’élaboration de
méthodes adéquates pour l’enseignement des langues étrangères).
Bref, la linguistique appliquée utilise les données de la linguistique
théorique dans une perspective utilitaire, ou, pour citer Martinet
(1960:210): “C’est l’utilisation des découvertes de la linguistique
pour améliorer les conditions de la communication”.
16
Bibliographie
Cristea, Teodora, 1977, Eléments de grammaire contrastive, Editura Didactică şi Pedagogică.Martinet, André, 1960, Linguistique appliquée, in “La linguistique. Guide alphabétique”, Denoël, p. 209-214.Slama-Cazacu, Tatiana, 1984, Linguistique appliquée: une introduction, La Scuola.
17
BREF APERÇU HISTORIQUE
DES IDÉES LINGUISTIQUES
Les réflexions sur le langage datent depuis des millénaires.
L’histoire de la linguistique se déroule en trois temps:
1) Depuis l’Antiquité jusqu’aux Lumières, la réflexion
linguistique reste subordonnée à des disciplines telles que la religion,
le droit, la politique, mais surtout la philosophie et la philologie.
Une longue tradition des grammairiens hindous qui remonte
au XII-e siècle av. J. C. et dont il nous est resté les Huit livres de
Panini (IV-e siècle) décrit minutieusement le sanskrit, ancienne
langue de l’Inde. Le traité de Panini trouvera son exploitation
linguistique 2200 ans plus tard, avec la naissance de la grammaire
comparée.
La réflexion linguistique à l’époque antique procède avant
tout de préoccupations philosophiques: la parole reflète-t-elle la
pensée et la réalité? La pensée précedè-t-elle la parole? La relation
du mot à la chose est-elle nécessaire? Ce sont là des questions que se
sont posées les philosophes grecs, dès le début de l’époque classique
(VI-e et V-e siècles av. J. C.). Les tentatives de chercher des
18
articulations entre les catégories de la pensée et celles de la langue
sont illustrées entre autres par les travaux de Platon, d’Aristote, des
Stoïciens. Aristote d’ailleurs est le premier à avoir proposé un
classement des composantes du discours, qu’on appellera plus tard
parties du discours. Les grammairiens latins, à leur tour, s’inspirent
de la tradition grecque en adaptant au latin les acquis de la
description du grec. À retenir surtout l’Ars grammatica de Donat
(IV-e siècle) et les Institutiones grammaticae de Priscien (V-VI-e
siècles), deux ouvrages nés d’un souci pédagogique, qui serviront à
l’enseignement du latin littéraire classique au Moyen Âge.
Au cours du Moyen Âge le latin demeure l’objet privilégié
de la description grammaticale, mais les exemples sont davantage
puisés dans la Vulgate (version latine de la Bible) que chez les
auteurs classiques. Cette époque fait surgir aussi les préoccupations
pour la description des langues effectivement parlées dans les
différents pays (les langues vernaculaires). Par exemple, en Italie, De
vulgari eloquentia de Dante (1304) s’efforce de recenser les
différents dialectes italiens. Dans le monde d’oc, l’existence de deux
traités grammaticaux (milieu du XIII-e siècle) et de Las Leys
d’Amor, qui contiennent une grammaire de l’ancien provençal et une
description phonétique, indiquent l’intérêt pour les langues
vernaculaires. Le Moyen Âge voit ainsi émerger une véritable
conscience linguistique. Les réflexions sur la langue restent
cependant soumises à la philosophie. Dans la seconde moitié du
19
XIII-e siècle se développent les grammaires spéculatives (du lat.
speculum “miroir”) qui se donnent un double but: de scientificité et
d’universalité de l’objet et des méthodes.
Enfin, la période allant de la Renaissance au XVIII-e siècle
manifeste un intérêt croissant pour les préoccupations linguistiques.
D’une part l’époque est marquée par la découverte de nouveaux
horizons (les langues du Nouveau Monde), d’autre part par la prise
de conscience que la langue est un instrument de pouvoir et de lutte
politique et théologique, dans un but de centralisation, de propagande
ou de conquête. La quête d’un usage normé se concrétise en France
par la création de l’Académie française (1635) et la rédaction de son
dictionnaire (la première édition paraît en 1694). Vaugelas, membre
de l’Académie, est l’auteur des Remarques sur la langue française
(1647), ouvrage normatif destiné à fixer “le bon usage”, c’est-à-dire
la langue “correcte”, la langue à enseigner.
La réflexion grammaticale reste subordonnée à la
philosophie et à la logique, en particulier sous l’influence du
rationalisme cartésien (de Cartesius, nom latin de Descartes), selon
lequel la pensée précède la langue. La Grammaire générale et
raisonnée (1660) rédigée par Antoine Arnauld et Claude Lancelot,
connue sous le nom de “La grammaire de Port-Royal”, s’intéresse
avant tout à la syntaxe et au sens des catégories grammaticales. C’est
une grammaire “générale”, c’est-à-dire universelle, s’intéressant à ce
qui est commun à toutes les langues, et “raisonnée” en ce sens que le
20
langage repose sur des fondements rationnels (toute proposition
grammaticale coïncide avec une proposition logique). Ces théories
ont marqué l’enseignement et la réflexion linguistique ultérieure.
2) Au cours du XIX-e siècle et jusqu’à Saussure, la
linguistique devient une discipline universitaire autonome.
Au début du siècle, après une longue période pendant
laquelle les linguistes se sont rendus compte de la parenté entre les
langues européennes et le sankrit, est née la grammaire comparée.
Les philosophes Wilhelm von Humboldt (1767-1835) et Friedrich
Schlegel (1772-1829) proposent une comparaison des langues fondée
sur leur structure grammaticale. D’une manière générale, la réflexion
de Humboldt sur le langage s’inscrit dans un cadre anthropologique,
ce qui le conduit à associer langue et peuple dans une formule
célèbre: “la langue est son esprit et son esprit est sa langue”.
Une étape décisive dans la création de la méthode
comparative et historique est franchie grâce aux ouvrages de deux
linguistes: l’Allemand Franz Bopp (1791-1867) et le Danois Rasmus
Rask (1787-1832).
L’ouvrage de Bopp, Le Système de conjugaison du sanskrit
comparé à celui du grec, du latin, du perse et du germanique, 1816,
dans lequel il confronte les formes grammaticales de plusieurs
langues indo-européennes, est considéré comme la date de naissance
21
de la méthode, et, du même coup, de la linguistique moderne,
scientifique.
Les contributions ultérieures, celles de Rask, tout
particulièrement, qui s’intéresse aux transformations phonétiques,
affirmant la nécessité d’établir des correspondances (des règles de
passage d’une langue à l’autre), celles de Jacob Grimm, qui cherche
à établir des lois de changement (et non pas seulement des
correspondances), ou d’August Schleicher, qui tente de remonter à la
langue d’origine, par l’élaboration de l’arbre généalogique des
langues, ont perfectionné et raffiné la méthode comparative et
historique.
Tout le XIX-e siècle est dominé par la perspective
diachronique sur l’étude des langues. Par suite de l’étude du sanskrit
et de la reconstruction de l’hypothétique indo-européen, le problème
de l’origine du langage et celui de l’histoire et de la filiation des
langues sont restés au centre des préoccupations des linguistes de
l’époque (v. chap. La méthode comparative et historique).
3) La linguistique au XX-e siècle
Avec la publication posthume du Cours de linguistique
générale de Ferdinand de Saussure, en 1916, à Genève, par ses
élèves Charles Bally et Albert Séchehaye, la linguistique s’est
constituée comme science autonome. L’histoire de la linguistique du
22
XX-e siècle s’énonce dès lors en termes d’écoles, de théories et de
programmes de recherche.
Saussure (1857-1913) apparaît comme un novateur, dans la
mesure où il se livre à une réflexion théorique sur la nature de l’objet
que constitue le langage et la méthode par laquelle il est possible de
l’étudier.
La phrase qui clôt le Cours de Saussure: “La linguistique a
pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et
pour elle-même” institue la linguistique en tant que science
autonome, indépendante des autres disciplines.
Voici ci-dessous, énumérées succinctement, les principales
directions de la pensée saussurienne, qui seront d’ailleurs
développées dans les autres chapitres de ce livre:
- La vision de Saussure sur la langue est profondément
dualiste. Le concept de langue (phénomène social), opposé à celui de
parole (phénomène individuel), joue un rôle fondamental dans la
théorie de Saussure et il aura des conséquences énormes pour
l’évolution des théories linguistiques (v. chap. Langage, langue,
parole).
- Saussure propose deux démarches pour étudier la langue:
l’étude synchronique ou descriptive (ayant pour objet l’état
d’équilibre du système à un moment donné de son évolution) et
l’étude diachronique ou historique (s’intéressant aux changements
23
linguistiques). Selon Saussure, l’étude synchronique doit avoir la
priorité (v. chap. Synchronie – diachronie).
- Après avoir ainsi défini l’objet et la méthode de la
linguistique, il faut définir les unités d’analyse de la langue. Ces
unités fondamentales sont les signes. Le signe saussurien unit un
signifié (“concept”) et un signifiant (“image acoustique”). Tous deux
sont indissociables et leur relation est arbitraire, c’est-à-dire
immotivée (v. chap. Le signe linguistique).
- Les unités de la langue entretiennent deux types de
relations, qui ont pour corrélats deux types de pratiques d’analyse:
les relations syntagmatiques (“in praesentia”) et les relations
associatives (appelées ultérieurement paradigmatiques (“in
absentia”). En d’autres termes, un syntagme est constitué par des
unités qui entretiennent entre elles un rapport de succession (A et B
et C…), alors qu’un paradigme est constitué par des unités qui
entretiennent entre elles un rapport de substitution (A ou A’ ou
A’’…) (v. chap. Le caractère systématique de la langue).
Le structuralisme linguistique
C’est un courant qui a marqué toute la linguistique du XX-e
siècle et à l’origine duquel se trouve la pensée saussurienne. Avec le
structuralisme une nouvelle conception est issue du renouvellement
des méthodes descriptives en linguistique. Tous les représentants des
écoles structurales, malgré les divergences qui les séparent, partent
24
du principe que la langue est un système immanent dont chaque
terme se définit à l’intérieur du système par les rapports qu’il
entretient avec les autres termes.
Parmi les diverses écoles de type structuraliste, nous
mentionnons:
L’école de Prague (1926 -), associée aux noms des
linguistes russes Roman Jakobson (1896-1982) et Nikolas S.
Troubetzkoy (1890-1938), qui posent les principes du
fonctionnalisme. Ils appliquent les idées de Saussure à l’étude des
sons. Il faut également mentionner dans ce cadre le nom d’André
Martinet (Économie des changements phonétiques. Traité de
phonologie diachronique, Berne, 1955, ample travail de synthèse
qui discute les problèmes fondamentaux d’une théorie diachronique).
Parmi les linguistes qui ont appliqué les principes de L’école de
Prague et d’A. Martinet on peut citer, entre autres: Bertil Malmberg
(qui s’occupe des systèmes consonantique et vocalique du français et
du système vocalique de l’italien), Emilio Alarcos Llorach (auteur
d’une phonologie de l’espagnol), Giuliano Bonfante (auteur d’une
phonologie de l’italien), et, entre les linguistes tchèques, Vilém
Mathesius, qui a le mérite d’avoir essayé de dépasser les frontières
du phonologique, pour élaborer une théorie structurale de l’énoncé.
L’école fonctionnelle est représentée surtout par les
travaux de Roman Jakobson et d’André Martinet, qui ont dépassé les
principes de l’école de Prague, mettant l’accent sur la fonction des
25
unités linguistiques. Jakobson décrit les fonctions de la langue de la
perspective de la théorie de l’information (v. chap. Les fonctions de
la langue), alors que Martinet développe l’analyse fonctionnelle des
unités de la deuxième articulation du langage, les monèmes (v. chap.
La double articulation du langage humain).
L’école de Copenhague (1934 -), fondée par Louis
Hjelmslev (1899-1965) et Viggo Brøndal (1887-1942). Hjelmslev est
le représentant de la discipline appelée la glossématique (science des
glossèmes, unités invariantes de la langue) qu’il définit comme un
“type purement structural de recherche linguistique” (Essais
linguistiques, Minuit, trad. fr. 1971:39). Les applications des
principes de la glossématique à l’étude des différentes langues ne
sont pas très nombreuses. Il faut citer, en premier lieu, Knud Togeby
(Structure immanente de la langue française, 1951), qui se propose
de découvrir la structure immanente, c’est-à-dire “indépendante”, ou
“autonome” du français, envisagée comme un système de
dépendances internes. L’analyse sémantique, basée sur le postulat de
la dualité du signe linguistique, a pu inspirer les principes de
l’analyse sémantique paradigmatique de L. Prieto (Principes de
noologie, 1964) et d’A.J.Greimas (Sémantique structurale.
Recherche de méthode, 1966), ainsi que l’analyse sémantique,
rigoureusement structurée, s’étendant aussi à la sémantique
syntagmatique et à la théorie sémantique diachronique d’Eugenio
26
Coşeriu (Sincronía, diacronía e historia, 1958, Pour une sémantique
diachronique structurale, 1964, Les structures lexématiques, 1968).
Le descriptivisme américain, représenté par Leonard
Bloomfield (1887-1949), Edward Sapir (1884-1939), Zellig S. Harris
(1909-1992). Il est à noter que le début du XX-e siècle a été
marqué par la linguistique anthropologique, représentée, entre
autres, par Franz Boas, spécialiste dans la culture et les langues des
populations amérindiennes du continent américain. La nécessité
d’étudier, de comparer et de classifier les langues indigènes explique
le fait que la linguistique américaine développe des études
typologiques, basées sur des critères synchroniques, sur des identités
de structure. E. Sapir a esquissé les principes de la typologie
morphologique, reprises et dévelopées par J. H. Greenberg (v. chap.
La typologie linguistique). Sapir représente la direction mentaliste,
psychologisante du structuralisme américain. À son tour, L.
Bloomfield représente la direction béhavioriste (de l’angl. behavior
“comportement”), expliquant le mécansime de la communication en
termes de réaction à des stimuli (Language, 1933). Il a aussi le
mérite d’avoir mis en évidence l’importance de la position (dans la
chaîne linguistique) pour la définition des unités de la langue. La
distribution deviendra par la suite le critère fondamental dans la
classification des invariantes de la langue. Quant à Z. S. Harris
(Methods in Structural Linguistics, 1951), il a réussi à donner la
forme la plus rigoureuse et cohérente à l’analyse distributionnelle (v.
27
infra) et a marqué le passage vers l’analyse transformationnelle
(Cooccurrence and transformation in linguistic structure, 1957).
En France, la linguistique structurale est représentée, à part
André Martinet (1908-1999, v. supra L’école fonctionnelle), par de
grands théoriciens de la langue comme Émile Benveniste (1902-
1976), Lucien Tesnière (1893-1954) ou Gustave Guillaume (1883-
1960). Benveniste a commencé par reconstruire des formes de
l’indo-européen (Origines de la formation des noms en indo-
européen, 1935), pour tenter ensuite de mettre en relation le
vocabulaire reconstruit et l’organisation sociale d’un peuple (Le
Vocabulaire des institutions indo-européennes, 1969-70); en outre, il
peut être considéré comme l’un des initiateurs de la linguistique de
l’énonciation (v. chap. L’énonciation). Tesnière, en se proposant de
réaliser l’analyse syntaxique de la phrase, redéfinit les classes et les
catégories grammaticales, arrivant à une représentation hiérarchisée
de la phrase sous la forme de stemma, arborescence fondée sur des
relations de dépendance syntaxique (Éléments de syntaxe structurale,
1959). Enfin, Guillaume propose une théorie qu’il appelle psycho-
mécanique (ou psycho-systématique) du langage et occupe une
position à part dans le cadre de la linguistique structurale, ses
théories anticipant par certains aspects les approches cognitivistes et
pragmatiques qui s’affirmeront dans les années à venir (Langage et
sciences du langage, 1969).
28
Pour finir, on peut affirmer que si pour le descriptivisme
américain l’investigation linguistique doit porter principalement sur
le syntagme, les structuralistes européens voient plutôt dans le
paradigme le but de leur recherche.
Les méthodes d’analyse en linguistique structurale
La commutation
Le point de départ dans toutes les analyses linguistiques est
le découpage des énoncés, pour isoler et définir les unités
fondamentales qui se combinent entre elles selon des règles
spécifiques, pour former des unités plus vastes, organisées en rangs
hiérarchisés (phonologique, morphologique, phrastique). La tâche de
la linguistique serait donc de formuler les critères en vertu desquels
on opère la division (segmentation) du texte. Le mécanisme qui
permet le découpage, envisagé comme technique de procédure, est la
commutation (terme employé par les glossématiciens) ou la
substitution (pour les descriptivistes). Le texte est découpé en
contenu et expression (signifié et signifiant saussuriens) qui sont à
leur tour découpés jusqu’aux unités irréductibles. Pour vérifier si les
découpages faits dans les deux plans correspondent, on procède à la
commutation: opération de remplacement d’un élément dans un plan
(contenu ou expression) qui déclenche ou non des modifications dans
29
l’autre plan. Par cette méthode, les unités de la langue sont classées
en variantes et invariantes.
Les invariantes (unités commutables) sont des unités qui
par leur substitution provoquent des modifications dans les deux
plans. Au niveau phonologique elles s’appellent phonèmes (unités
phonématiques minimales ayant une valeur distinctive). Par exemple,
si dans pierre on substitue p par b (niveau de l’expression ou
signifiant), on obtient une modification dans le plan sémantique (du
signifié): bierre. Il en résulte que p et b sont des invariantes
phonématiques (des phonèmes). Au niveau morphologique, elles
s’appellent morphèmes (unités minimales dépourvues de
signification lexicale qui s’ajoutent aux lexèmes): suffixes, préfixes,
désinences, conjonctions, prépositions. Par exemple les désinences –
ez et –ons, dont la commutation (travaillons / travaillez) entraîne une
modification dans le plan du contenu morphologique (une
modification de personne). Au niveau lexical, elles s’appellent
lexèmes: par exemple fleur et enfant.
Les variantes (unités non commutables) sont des unités
qui par leur substitution ne produisent des modifications que dans
l’un des deux plans. La classe des variantes renferme les ALLO (du
grec allos “autre”):
Par exemple, les désinences du pluriel neutre en roumain, –e
et –uri (dans chibrite – chibrituri) sont des variantes du même
morphème, car leur substitution n’entraîne pas de modifications dans
30
le plan du contenu grammatical. De la même manière, les synonymes
parfaits (maigrelet et maigrichon) sont des allolexèmes (ou variantes
lexématiques).
Niveau d’analyse Invariantes Variantes
PHONOLOGIE phonème allophone
MORPHOLOGIE morphème allomorphe
LEXIQUE lexème allolexème
La méthode distributionnelle
Lancée par le descriptivisme américain, cette méthode a fini
par s’imposer dans la linguistique moderne comme un procédé
structural d’analyse de la langue du point de vue formel. La
distribution se définit comme la propriété des unités linguistiques
d’apparaître à tel point de la chaîne dans des voisinages donnés ou
contextes. Le contexte est l’ensemble des éléments linguistiques qui
entourent un segment quelconque d’énoncé (phonème, lexème,
syntagme, phrase) et qui en conditionnent la fonction et la
compréhension. C’est ainsi que le terme A, par exemple, est défini
par rapport au terme X qui le précède et au terme Y qui le suit. La
place de l’élément A peut être notée par X – Y. L’analyse
distributionnelle peut s’effectuer de deux angles différents: du point
de vue du contexte et de celui de l’unité linguistique.
1. Dans le premier cas le contexte reste fixe et les unités
varient, par exemple:
31
a) - parle avec le professeur. Marie Hélène Paul Il Elle Onb) Marie parle avec – professeur.
le un mon son ce
Tous ces éléments sont équivalents dans la mesure où ils
sont substituables sans modifier la structure grammaticale de
l’énoncé. Ils remplissent la même fonction syntaxique, mais diffèrent
du point de vue sémantique. Dans tous ces cas on aboutit à des
classes d’éléments à distribution identique.
2. Dans le second cas l’élément est invariable et les
contextes varient pour établir quels sont les contextes qui acceptent
cet élément. Par exemple:
a) – homme Pd + N un l’ cet tout
b) – homme Pd + Dt + N un jeune cet honnête
32
c) – homme – Pd + N + Dt un curieux
gentil
Il en résulte qu’en français un nom peut se trouver dans les
contextes suivants: précédé d’un prédéterminant (article, adjectif
possessif, adjectif démonstratif, adjectif indéfini (ex. a), précédé d’un
prédéterminant et d’un déterminant adjectival (ex. b) ou précédé d’un
prédéterminant et suivi d’un déterminant (ex. c).
La totalité des contextes qui acceptent l’élément en question
forme une classe de contextes.
L’analyse de la chaîne parlée du point de vue distributionnel
peut être synthétisée en trois types fondamentaux de distributions:
1. Distribution complémentaire: deux éléments A et B
n’ont aucun contexte commun. Par exemple le cas des articles
indéfinis du roumain: un et o.
2. Distribution défective: les éléments A et B ont des
contextes communs mais aussi des contextes différents. On peut
avoir deux situations:
a) Intersection:
C’est, par exemple, le cas des prépositions à et de, qui ont
des contextes communs: il continue de / à chanter, mais dans
33
beaucoup d’autres contextes les substitutions sont impossibles: Il
pense à l’excursion./ Il parle de l’excursion.
b) Inclusion:
Tous les contextes de B sont aussi les contextes de A, mais
la réciproque n’est pas valable; donc A possède aussi des contextes
spécifiques où B n’est pas admis. C’est, par exemple, le cas des
prépositions de et par, introduisant l’agent du passif: Il est regretté
de / par ses collègues, mais L’émission est regardée par les enfants /
*des enfants.
3. Distribution identique:
A et B ont les mêmes contextes, par exemple les
conjonctions concessives bien que et quoique: Je sortirai bien qu’il
pleuve / quoiqu’il pleuve.
Le structuralisme est donc une conception classificatrice (un
modèle taxinomique) qui se propose d’inventorier et de classer les
unités linguistiques.
34
A B
A B
L’analyse en constituants immédiats
L’énoncé est conçu comme une combinaison d’éléments qui
s’organisent en rangs hiérarchisés où chaque unité est définie par ses
combinaisons dans le rang supérieur. La méthode consiste à extraire
de la phrase les termes qui la constituent immédiatement, jusqu’aux
unités minimales, indivisibles (les constituants ultimes). Ce type de
grammaire comporte un axiome de départ: ici le symbole P (=
phrase), un vocabulaire composé de deux sous-ensembles: le
vocabulaire auxiliare (catégories grammaticales comme SN, SV, V,
N, etc.) et le vocabulaire terminal (les suites lexicales), ainsi qu’un
ensemble de règles de réécriture qui permettent d’engendrer les
phrases, par exemple:
P SN + SVSN Art + NSV V + SNN garçonArt leV prend
Ces règles développent (ou réécrivent) ce qui est à gauche de
la flèche sous la forme de ce qui est à droite. Elles peuvent être
représentées à l’aide d’un arbre (dit indicateur syntagmatique) qui
rend compte de différents niveaux hiérarchiques et des relations de
dépendance:
35
Le garçon prend le ballon.
P
SN SV
Art N V SN
Art N
[le] [garçon] [prend ] [le] [ballon]
Un des points faibles de cette théorie c’est l’attention
exclusive portée à la dimension syntagmatique de la langue, qui n’est
étudiée qu’en tant que chaîne linéaire. Conscient des limites du
distributionnalisme, Harris a introduit le concept de transformation,
opération qui établit des équivalences entre des phrases ou des
ensembles de phrases.
La grammaire générative et transformationnelle
Le caractère statique de la description de la langue entreprise
par les structuralistes a amené les représentants des grammaires
génératives et transformationnelles à proposer une nouvelle théorie.
C’est le linguiste américain Noam Chomsky (né en 1928), élève de
Harris (v. supra Le descriptivisme américain), qui a exercé sur la
36
linguistique une influence considérable dans la deuxième moitié du
XX-e siècle. Chomsky entend procéder à une description universelle
du langage. Pour lui la grammaire doit rendre compte de tous les
énoncés bien formés dans toutes les langues. La grammaire est, dans
cette vision, un modèle abstrait qui imite la capacité de l’homme
d’émettre des énoncés corrects. Cette théorie doit également décrire
les phénomènes d’acquisition du langage. La pièce maîtresse de la
grammaire de Chomsky est constituée par la syntaxe. Les faits de
syntaxe doivent être décrits par un système de règles, à l’image d’un
système formel. Les structures syntaxiques sont conçues comme ne
se réduisant pas à un corpus fini, car à partir d’un ensemble fini de
règles il est possible de générer une infinité de phrases.
Ce type de grammaire opère avec trois concepts de base:
1. Compétence / Performance. La compétence est
constituée par l’ensemble des connaissances et des aptitudes que le
locuteur natif possède de sa propre langue. La performance est la
manifestation de la compétence dans des actes concrets de parole (v.
aussi chap. Langage, langue, parole).
2. Structure superficielle / Structure profonde. La
structure superficielle (de surface) est la représentation phonétique
(la partie sonore) d’un énoncé, tandis que la structure profonde, qui
est un concept plus abstrait, est la partie significative de l’énoncé.
Une phrase ambiguë comme Il croit son fils malade représente une
structure superficielle qui correspond à deux structures profondes:
37
SP1: “Il croit que son fils est malade” et SP2: “Il croit son fils qui est
malade”.
3. Grammaticalité / Acceptabilité. Chaque sujet parlant
porte sur les énoncés produits des jugements de grammaticalité: un
énoncé peut être admissible ou déviant par rapport aux règles de la
grammaire. En appliquant ces règles on ne forme que des phrases
grammaticales. Vu la complexité des réalisations concrètes, il existe
pourtant dans chaque langue un ensemble de phrases grammaticales
imprononçables ou incompréhensibles. La notion d’acceptabilité
s’applique alors aux énoncés produits, immédiatement
compréhensibles. Leur degré d’acceptabilité varie donc en fonction
des circonstances.
Par rapport au type antérieur, le modèle transformationnel a
l’avantage d’adopter un nombre de règles de transformation qui
permettent de générer, à partir d’un nombre réduit d’énoncés, toutes
les phrases correctes possibles d’une langue. Ces règles convertissent
les structures données de constituants en structures dérivées qui
donnent les unités terminales, c’est-à-dire les phrases. Elles
permettent, par exemple, de transformer une phrase active en phrase
passive (Les enfants regardent l’émission L’émission est regardée
par les enfants), une structure personnelle en structure impersonnelle
(Des trains passent tous les quarts d’heure Il passe des trains tous
les quarts d’heure), etc.
38
Chomsky donne à cette grammaire une visée unificatrice, en
cherchant à articuler les faits de syntaxe, de phonologie et de
sémantique. La composante syntaxique détermine les composantes
sémantique et phonologique, qui ne sont qu’interprétatives par
rapport à la composante syntaxique.
La première période de la grammaire générative et
transformationnelle va de 1957 (Structures syntaxiques, trad. fr.
1969), en passant par l’étape de la théorie standard (Aspects de la
théorie syntaxique, 1965, trad. fr. 1971). Elle a connu à ce moment-là
un succès considérable non seulement outre-Atlantique, mais
également en Europe, rassemblant nombre de linguistes (et aussi
d’informaticiens) attirés par l’objectif d’un traitement formel et
automatisable de la langue.
39
La nouvelle syntaxe chomskyenne
La deuxième période comprend les développements
ultérieurs de la théorie chomskyenne. D’abord, la théorie standard
étendue: Reflections on language (1970, trad. fr. 1977), Dialogues
avec M. Ronat (1977), qui indiquent le fait que les préoccupations de
Chomsky ont pris, au fil des années, un tour théorisant de plus en
plus marqué. Chomsky arrive avec le temps à accorder aux structures
de surface un rôle grandissant dans l’interprétation sémantique. Dans
les développements les plus récents: Théorie du gouvernement et du
liage, Les Conférences de Pise (1981, trad. fr. 1991), La Nouvelle
Syntaxe (1982, trad. fr. 1987), Chomsky développe l’idée de syntaxe
modulaire, en essayant de ramener la complexité des faits
linguistiques à l’interaction de modules. Chomsky a recours aux
notions de principe (universel valable dans toutes les langues) et de
paramètre (variable existant en petit nombre dans chaque langue et
rattaché à un module spécifique), qui permettent d’articuler à une
grammaire noyau dont les composantes sont universelles les
grammaires des langues particulières. Parmi les modules
chomskyens on peut mentionner: la théorie du gouvernement (qui
concerne les faits de rection), la théorie du liage (qui concerne les
faits d’anaphore et de coréférence), la θ-théorie (qui permet de
classer les verbes en fonction du nombre d’actants admis).
La sémantique
40
Discipline linguistique relativement récente qui s’attache à
étudier la signification (Michel Bréal, Essais de sémantique, 1897),
elle entend dans un premier temps de rendre compte de l’histoire de
la signification des mots dans une perspective évolutive (les
changements de sens, les causes de ces changements). En Roumanie,
le pionnier de la sémantique est le linguiste Lazăr Şăineanu
(Încercare asupra semasiologiei limbei române, 1887) où l’auteur
étudie l’évolution des significations des mots et les causes qui les
déterminent.
La publication du livre d’Antoine Meillet, Comment les mots
changent de sens (1905-1906), marque un pas important dans
l’évolution de la sémantique historique. À la différence de ses
prédécesseurs Bréal et Şăineanu, Meillet invoque trois catégories de
facteurs responsables des changements sémantiques: sociologiques,
linguistiques et extra-linguistiques.
Depuis, la sémantique a énormément diversifié ses champs
d’investigation et ses méthodes.
La sémantique lexicale s’intéresse à la signification du
mot, envisagée à travers le travail de la définition et l’étude des
relations externes (l’étude des relations sémantiques entre des mots
différents: synonymie, antonymie, homonymie) et celle des relations
sémantiques internes (les différentes significations d’un mot:
monosémie et polysémie; sens propre et sens figuré).
41
Parmi les diverses théories sémantiques modernes, nous
mentionnons:
La théorie des champs sémantiques
Elle se propose de structurer le lexique en systèmes
sémiques. C’est le linguiste allemand Jost Trier (Der deutsches
Wortschatz im Sinnbezirk des Verstandes. Die Geschichte eines
sprachlischen Feldes, Heidelberg, 1931) qui a introduit le terme de
champ linguistique (all. Feld). L’essentiel de sa pensée – la
possibilité de structurer le lexique – a fait fortune, preuve que la
théorie des différents champs linguistiques a connu d’importants
progrès au cours des dernières décennies. En principe un champ
sémantique (ou champ lexical) est “une structure paradigmatique
constituée par des unités lexicales se partageant une zone de
signification commune et se trouvant en opposition immédiate les
unes avec les autres” (Coşeriu, ap. Tuţescu, 1974:80), par exemple le
champ des animaux domestiques ou le champ de l‘habitation
(Georges Mounin, 1972:103-130).
L’analyse sémique
Elle procède d’une démarche structuraliste, en transposant à
l’étude du sens ce qui a été fait pour les sons. L’analyse sémique (ou
componentielle) se propose d’identifier par des procédures de
segmentation et de commutation les unités de sens. Les unités
minimales de signification sont appelées sèmes. Par exemple le sens
du lexème homme renferme les sèmes: “humain” + “mâle” +
42
“adulte”. L’ensemble des sèmes formant le sens d’un lexème
s’appelle sémème (Bernard Pottier, 1964).
La sémantique interprétative et la sémantique
générative
J. J. Katz et J. A. Fodor (The structure of a semantic theory,
in Language, 39, 1963:170-210; trad. fr. 1966-67) proposent
d’intégrer la composante sémantique à l’étude de la syntaxe.
Chomsky va d’ailleurs intégrer au sein de sa théorie standard (v.
supra La grammaire générative et transformationnelle) une
sémantique interprétative: le sens des phrases ne peut être
interprété qu’à partir de leur syntaxe (Deep Structure, Surface
Structure and Semantic Interpretation, 1970; trad. fr. 1975, in
Questions de Sémantique). La composante sémantique est en
principe rattachée à la structure profonde: la sémantique
interprétative doit rendre compte du sens de toutes les phrases
engendrées par la syntaxe, ainsi que des relations qui peuvent exister
entre des phrases. Mais Chomsky remet en cause l’idée que seules
les structures profondes contribueraient au sens et reconnaît que les
structures de surface y contribuent aussi. Un autre point important à
souligner est que Chomsky admet que les transformations puissent
changer le sens.
La sémantique générative, représentée par les travaux de
G. Lakoff, P. M. Postal et Mac Cawley, place au centre de la
réflexion linguistique la relation forme-sens. Lakoff (Instrumental
43
Adverbs and the Concept of Deep Structure, in Foundations of
Language, 4, nr.1, 1968) observe que les phrases Seymour a coupé le
salami avec le couteau et Seymour a utilisé le couteau pour couper
le salami, très proches sémantiquement, correspondent à des
structures profondes dissemblables, alors qu’elles devraient ne
pouvoir dériver que d’une même structure profonde. Celle-ci doit
nécessairement être plus abstraite que les structures profondes
chomskyennes. C’est vers la logique que l’on se tourne et les
structures profondes commencent à ressembler à des formes
sémantico-logiques. Dans cette vision, la représentation sémantique
est engendrée directement, et non pas par l’intermédiaire de la
syntaxe: syntaxe et sémantique s’y confondent au niveau profond,
“où se joue tout ce qui concerne l’interprétation de la phrase” (Fuchs,
1992:79).
La sémantique du prototype
Elle représente une description de la signification fondée sur
une approche cognitive et essaie de répondre à la question: comment
l’homme catégorise-t-il les objets du monde? Ce type d’approche
pose que les éléments s’organisent par rapport à un prototype, c’est-
à-dire le meilleur représentant d’une catégorie (par exemple pour
oiseau, le prototype est moineau). La sémantique du prototype doit
beucoup aux travaux des psychologues (dont surtout E. Rosch, dans
les années ’70), qui ont formulé la conception de la catégorie et de la
catégorisation, qui est double: a) d’une part, la structuration interne
44
des catégories (pour la catégorie fruit, par exemple, les sujets
interrogés par E. Rosch ont donné la pomme comme meilleur
exemplaire et l’olive comme le membre le moins représentatif; entre
les deux, on trouve, par ordre décroissant sur une échelle de
représentativité, la prune, l’ananas, la fraise et la figue); b) d’autre
part, la structuration intercatégorielle (les catégories présentent une
organisation en trois niveaux: niveau superordonné (par exemple,
animal), niveau de base (par exemple, chien) et niveau subordonné
(par exemple boxer).
La théorie du prototype se veut une alternative à la théorie
classique du sens. Elle permet de réintégrer dans le sens d’un mot
des propriétés exclues par le modèle classique, parce que non
nécessaires et donc jugées comme connaissances encyclopédiques,
c’est-à-dire non linguistiques. Elle prouve l’existence d’une
organisation interne à l’intérieur d’une catégorie (a. la dimension
horizontale) et trace aussi une hiérarchie intercatégorielle (b. la
dimension verticale) (Georges Kleiber, 1990).
La linguistique textuelle ou du discours
À partir des années ‘70 s’est développé un courant
linguistique qui conteste à la phrase son statut d’unité maximale de la
description linguistique, lui substituant le texte, envisagé comme un
ensemble organisé de phrases. Un texte possède une structure
globale: il est donc formé de séquences dont le sens se définit par
45
rapport à son sens global. La linguistique textuelle rend compte de
phénomènes d’organisation qui opèrent au-delà du niveau de la
phrase.
En s’appuyant sur la distinction entre le discours
(l’événement produit par un certain sujet, dans un lieu et dans un
moment donné et s’adressant à un destinataire précis) et le texte (le
produit fini, transphrastique), on distingue entre la cohésion (qui
dépend de facteurs sémantiques et syntaxiques et s’évalue en
fonction de l’organisation interne du texte) et la cohérence (qui est
une propriété du discours, étant un phénomène pragmatique, mis en
relation avec les conditions de l’énonciation et dépendant des
connaissances du monde de l’énonciateur et de son destinataire ou
“connaissances partagées d’univers” – Robert Martin, 1983:206). La
cohérence du texte est assurée au moyen des règles de répétition et
de progression (v. chap. La progression textuelle).
Comme le discours actualise plusieurs types textuels, la
linguistique textuelle se propose, entre autres, de réaliser la
typologie des textes (narratif, descriptif, prédictif, explicatif,
argumentatif, injonctif, etc.)
De toute façon, l’analyse textuelle et l’analyse du discours se
voient attribuer des définitions très variées, font coexister des
approches des plus diverses (tantôt linguistiques, tantôt
sociologiques, tantôt psychologistes), étant situées au carrefour des
sciences de la langue.
46
La pragmatique
Le courant pragmatique en linguistique peut être relié à bien
des sources non strictement linguistiques: sémiotiques (on évoque
généralement les noms de Peirce et de Morris), logiques (Carnap et
Bar-Hillel), philosophiques (Austin, Searle, Strawson).
La pragmatique peut être définie comme l’étude du rapport
entre les signes et leurs utilisateurs (Charles W. Morris, Foundations
of the Theory of Signs, 1938). Cette discipline connaît un essor
spectaculaire dans les années ‘60, en particulier avec les ouvrages de
J. L. Austin (Quand dire c’est faire, 1962; trad. fr. 1970) et de J. R.
Searle (Les Actes de langage, 1969; trad. fr. 1972) et continue de
conserver un dynamisme exceptionnel. Ce domaine d’étude
représente une virevolte faite par la science du langage: d’une
linguistique de la langue, objective, vers une linguistique de la
parole, subjective. On peut découvrir au sein de la pragmatique
plusieurs orientations.
La linguistique de l’énonciation
Elle représente l’étude de ce qui dans la langue porte la
marque d’une énonciation particulière, ou “la recherche des
procédés linguistiques (…) par lesquels le locuteur imprime sa
marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message (implicitement ou
explicitement) et se situe par rapport à lui” (Kerbrat-Orecchioni,
1980:32). Ce type de linguistique s’attache à étudier les unités qui
47
fonctionnent comme indices de l’inscription dans l’énoncé du sujet
énonciateur: les déictiques (unités linguistiques qui font référence à
la situation d’énonciation: je, tu, ici, là, maintenant, hier, demain,
etc. v. chap. La déixis et L’énonciation) et les diverses marques de la
subjectivité dans le discours, comme par exemple:
- le champ de la modalité, qui envisage l’énoncé en tant
qu’action pour traduire un type de communication instituée entre le
locuteur et l’allocutaire (assertion, interrogation, injonction ou
exclamation);
- la modalisation, qui traduit l’attitude du locuteur envers
l’énoncé, envers lui-même ou envers son interlocuteur (probable,
possible, vrai, obligatoire, nécessaire etc.): Il viendra peut-être / sans
doute / certainement; Je pense / suis sûr qu’il viendra; Il peut / doit
arriver (v. chap. L’énonciation et La déixis).
La théorie des actes de langage
La philosophie analytique (Austin, Searle) a montré que la
langue est d’abord un moyen d’agir sur autrui. Cela revient à dire
que tout locuteur, quand il énonce une phrase dans une situation de
communication donnée, accomplit un acte de langage. La théorie des
actes de langage classe ces actes en deux grandes catégories: 1. actes
institutionnels (Je jure de dire la vérité, rien que la vérité); 2. actes
qui s’accomplissent dans les interactions quotidiennes (Je vous
promets de revenir). Ces actes peuvent s’exprimer au moyen des
formes linguistiques qui leur sont associées par convention: a)
48
performatifs explicites (Je vous prie de m’excuser pour mon retard)
et b) performatifs primaires (Excusez-moi pour mon retard) ou au
moyen d’énoncés contenant des formes associées à d’autres actes
(Puis-je m’excuser pour mon retrad? ou bien, au lieu de dire Fermez
la fenêtre!, on peut employer la formule allusive Il fait froid ici) (v.
chap. Les actes de langage).
Il convient de retenir de cette succincte présentation que la
pragmatique est une discipline linguistique de date récente qui se
propose d’envisager le langage en tant qu’acte, en tant qu’interaction
entre les partenaires interlocutifs.
L’interaction communicative
H. Grice (1975) est considéré comme le pionnier de ce qu’on
appellera l’analyse conversationnelle. Il a proposé les notions
d’implicatures conversationnelles ou discursives (qui correspondent
à tout ce qui, dans le discours, est de l’ordre de l’insinuation ou de la
suggestion) et de maximes conversationnelles (qui prennent appui
sur le principe de coopération auquel les partenaires énonciatifs
doivent se conformer).
Au cours des dernières années les travaux théoriques et
descriptifs portant sur les échanges discursifs en situation (dialogues,
conversations, débats, etc.) se sont considérablement multipliés. Pour
une synthèse dans le domaine, on peut consulter avec profit les
ouvrages de C. Kerbrat-Orecchioni (1990) et d’A. Berrendonner – H.
Parret (1990).
49
La sociolinguistique
Saussure (1916) l’a déjà signalé: le langage est un fait social,
mais l’apparition de la sociolinguistique ne date que des années ’50.
“Une société ne peut subsister sans un moyen de communication
entre ses membres, alors que la langue ne peut se constituer en
dehors du processus de communication qu’il est possible d’identifier
à la vie sociale, elle-même” (Baylon-Fabre, 1975:73). De cette
double implication est née la sociolinguistique, étude “de la co-
variance des phénomènes linguistiques et sociaux” (Dictionnaire de
linguistique, Larousse, in Baylon-Fabre, 1975:73).
C’est donc une discipline mixte qui associe linguistique et
sociologie, la sociologie devant être entendue dans un sens très large.
Le territoire de la sociolinguistique au sein des sciences du langage
est bien vaste et, en même temps, “perméable (…) aux champs
disciplinaires connexes: psychologie, psychanalyse, philosophie,
anthropologie, ethnologie, sociologie, histoire…” (Bayo, 1996:8) et
on pourrait y ajouter aussi: géographie, politique, etc.
Parmi les diverses directions de recherche au sein de la
sociolinguistique on se doit de mentionner:
L’ethnolinguistique
Elle représente l’étude de la langue en tant qu’expression
d’une culture, d’une civilisation. Cette discipline s’intéresse tout
50
particulièrement aux sociétés dites primitives, éloignées de la
civilisation et des langues européennes.
La géographie linguistique
Cette discipline s’intéresse à la variation géographique de la
langue. Il s’agit d’étudier:
- les interférences des langues en contact (le substrat, le
superstrat, l’adstrat);
- les systèmes linguistiques mixtes (les pidgins, les sabirs, les
créoles);
- les variations dialectales (v. chap. La variation), la
diglossie, le bilinguisme.
L’étude des sociolectes
Il s’agit d’identifier et d’étudier les dialectes fondés sur des
critères sociaux (par exemple l’argot ou le jargon technique). Ce type
d’approche est marqué par deux orientations importantes:
- l’étude de la variation sociolinguistique au sein d’une
communauté linguistique (cf. Labov, qui, à partir d’un corpus
important issu de nombreuses enquêtes de terrain, étudie les
phénomènes de variation linguistique de différentes natures:
phonétique, lexicale ou syntaxique);
- l’analyse des discours sociaux (cf. notamment l’école de
Rouen, dont les recherches se rapportant aux discours politiques et
syndicaux portent en principal sur le choix des mots employés et leur
fréquence; v. L. Guespin, Typologie du discours politique,
51
“Langages”, 41, 1976 et B. Gardin, D. Baggioni & L. Guespin,
Pratiques lingusiqties, pratiques sociales, PUF, 1980.)
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53
Mounin, Georges, 1967, Histoire de la linguistique, des origines au XX-e siècle, PUF, “Quadrige”, Paris.Mounin, Georges, 1972, Clefs pour la sémantique, Seghers, Paris.Reboul, Anne & Moeschler, Jacques, 1998, La Pragmatique aujourd’hui, Seuil, “Points”.Robins, H.R., 1976, Brève histoire de la linguistique, Seuil, Paris.Ruwet, Nicolas, 1968, Introduction à la grammaire générative, Plon.Swiggers, P., 1997, Histoire de la pensée linguistique, PUF. Tuţescu, Mariana, 1974, Précis de sémantique française, Editura Didactică şi Pedagogică.Tuţescu, Mariana, 1982, Les grammaires génératives et transformationnelles, Editura Didactică şi Pedagogică.
54
LE PROCESSUS DE COMMUNICATION
Communication et sémiologie
La communication représente le processus par lequel une
information est transmise par un émetteur à un récepteur à l’aide
d’un système de signes.
La communication peut se faire, en principe, par deux
voies: oralement ou graphiquement (par écrit).
Mais la communication n’est pas forcément orale ou écrite.
Elle peut être, par exemple, gestuelle. Elle peut s’effectuer entre les
hommes, entre les animaux, entre l’homme et l’animal. Mais ce n’est
qu’au cours de la communication interhumaine que le message est
véhiculé au moyen de signes linguistiques.
Un signe est tout élément A, de nature diverse, substitut d’un
élément B. Le signe est donc un symbole. Les signes ne sont pas tous
linguistiques. Par exemple, la colombe comme symbole de la paix ou
la balance comme symbole de la justice ne sont pas des signes
linguistiques.
Il existe en conséquence deux formes de communication:
- la communication non verbale ou sémiologique et
- la communication verbale, linguistique.
55
La discipline qui étudie les signes en général (linguistiques
ou non) est la sémiologie (du grec semeion “signe” et logos “science,
étude”). Saussure (1978:33) la considère comme la “science qui
étudie la vie des signes au sein de la vie sociale” (c’est-à-dire l’étude
de tout ce qui est conventionnellement porteur de signification) et
dont la linguistique ne serait qu’une branche. Elle s’est
considérablement développée dans les années ‘60 et ‘70,
s’intéressant à l’ensemble des systèmes de communication, verbale
ou non. Par exemple, Pierre Guiraud (1971: 97-115) range dans la
sémiologie d’un côté les signes (enseignes, uniformes, noms,
surnoms, salutations, injures, civilités, politesses, etc.) et de l'autre
les codes (protocoles, rituels, jeux, modes, etc.).
Les avis divergent quant à l’opportunité de distinguer entre
sémiologie et sémiotique. La sémiotique est un nom d’origine
anglaise (semiotics) désignant de manière générale la science des
signes et des systèmes de communication. Elle s’est spécialisée dans
les annéees ‘60 et ‘70 dans l’étude des textes littéraires, par exemple
dans le domaine de la sémiotique narrative (analyse du récit), ou
dans celui de la stylistique.
Pour reprendre:
La communication et les signes peuvent être linguistiques ou
non linguistiques.
56
Typologie des signes
La typologie des signes fondée sur leur nature peut être
représentée comme suit:
SIGNES
NATURELS ARTIFICIELS
LINGUISTIQUES NON LINGUISTIQUES
FONDAMENTAUX AUXILIAIRES
VOCAUX ÉCRITS
Les signes non linguistiques peuvent être des signes
naturels (symptômes ou indicateurs naturels) ou artificiels (signes
utilisés ou créés pour transmettre une information: icônes, signaux,
symboles; v. ci-dessous).
Les signes linguistiques comprennent deux catégories: les
signes fondamentaux (c’est-à-dire les signes des langues naturelles;
v. chap. Le signe linguistique) et auxiliares (c’est-à-dire les signes
des langues artificielles, telle l’espéranto).
57
Les signes non linguistiques
Les signes indiciels. Il s’agit d’un fait ou d’un phénomène
naturel, non intentionnel, qui peut se charger de signification, mais
dont la fonction première n’est pas de signifier: les nuages dans le
ciel – signe de pluie, la fumée – signe de feu, la fièvre – signe de
maladie, etc. L’indice donne lieu à une interprétation.
L’icône est un signe qui représente analogiquement ce
qu’il désigne: dessin, portrait, photo. C’est une forme visuelle qui
évoque le signifié par une ressemblance naturelle.
Le signal est un fait perceptible, intentionnel et
conventionnel, produit artificiellement pour servir d’indice. Par
exemple le drapeau est l’indice d’un pays, le bâton blanc que tient
l’aveugle est l’indice de cécité. De même, la signalisation routière,
les grades militaires, les enseignes des magasins, les panneaux
publicitaires, les diagrammes sont des formes communicatives, des
éléments ayant la fonction de véhiculer un message.
Le symbole a un rapport analogique avec l’élément qu’il
représente. C’est “un objet ou fait naturel de caractère imagé qui
évoque, par sa forme ou sa nature, une association d’idées
“naturelle” (dans un groupe social donné) avec quelque chose
d’abstrait ou d’absent” (Petit Robert). On a recours au symbole
lorsque la représentation iconique d’un objet est impossible, par
exemple la balance – symbole de la justice, la colombe – symbole de
la paix, le coeur – symbole de l’amour, etc.
58
Les composantes de la communication linguistique
En se plaçant dans le cadre de la communication orale, qui
est primordiale, et qui peut être transposée en communication écrite,
on retient:
Les partenaires énonciatifs
La communication linguistique suppose au moins deux
partenaires énonciatifs:
L’émetteur (appelé aussi locuteur ou encore destinateur)
est la source du message. Il produit un ensemble de sons
correspondant à un concept envisagé mentalement. L’association du
concept à une image acoustique est appelée encodage.
Le récepteur (appelé aussi interlocuteur ou destinataire)
perçoit le message par voie auditive. En associant les sons entendus à
un concept, il procède au décodage.
Les deux pôles du message linguistique – émetteur et
récepteur – sont interchangeables. Lors d’une conversation, chaque
participant est tour à tour émetteur et récepteur.
Le message
59
Entre les deux partenaires énonciatifs il y a le message,
c’est-à-dire l’information transmise sous la forme de signes
acoustiques au moyen d’un canal.
Le canal ou le contact
La communication suppose un canal ou un contact qui
permet d’établir et de maintenir la communication, le vecteur par
lequel les signes sont transmis. Le canal désigne le support matériel
qui permet la transmission du message, par exemple l’air dans lequel
se propagent les ondes sonores, la lumière, les câbles électriques
pour la téléphonie et la télégraphie, la bande de fréquence radio, etc.
Le contact est le canal psychologique par lequel s’établit une relation
entre l’émetteur et le récepteur.
Le code
Les opérations d’encodage et de décodage présupposent
aussi l’existence d’un code, c’est-à-dire un système de signes
associant un concept (le signifié) à une image acoustique (le
signifiant), accompagné d’un certain nombre de règles
d’agencement, donc une langue. Le code est alors le système de
signes commun aux interlocuteurs et qui, par convention, est destiné
à représenter et à transmettre le message.
Le contexte
60
La communication est associée, enfin, à un contexte,
l’ensemble des données extérieures au message proprement dit. Il
s’agit d’abord du contexte extra-linguistique qui a motivé la
communication et auquel renvoie le message et qui prend aussi en
compte la relation entre l’émetteur et le récepteur. Il s’agit également
du contexte spatio-temporel et finalement du contexte linguistique,
qui prend en compte l’entourage linguistique effectif, ce qui vient
d’être dit et ce qui va l’être et permet de comprendre le message.
Donc, l’acte de communication requiert, pour la transmission
du message, au moins deux partenaires énonciatifs: un émetteur et un
récepteur ayant un code commun et reliés par un canal.
Schémas de la communication linguistique
Le schéma de Saussure
Dans son Cours (1916, éd.1978:28), Saussure propose une
description de ce qu’il appelle le “circuit de la parole”, à partir du
schéma suivant:
Audition Phonation
61
........
c. Concept
i. Image
acoustique
......
Phonation Audition
Ce schéma permet de distinguer trois types d’opérations. La
première est d’ordre physique et se réfère à la transmission des sons.
La deuxième est d’ordre psychique et physiologique (il s’agit de
l’articulation ou de l’audition). La troisième est d’ordre psychique.
Localisée dans le cerveau, elle concerne l’association d’un concept à
une image acoustique.
Selon Shannon et Weaver (Théorie mathématique de la
communication, C.E.P.L., 1975), le schéma de la communication
interhumaine se présente comme suit:
Source Émetteur Canal Récepteur Destinataired’information
62
c
i
c i
Message Signal émis Signal reçu Message
Code Bruit Code
Ce schéma rend compte d’une théorie de l’information bien
plus que d’une théorie de la communication. La préoccupation des
auteurs a porté en priorité sur l’efficacité de la transmission d’un
message, sans prendre en considération la dimension énonciative et
les interactions engagées entre les interlocuteurs par la
communication (v. Zemmour, 2004:29-30).
Le schéma de la communication d’Umberto Eco
(1978:31)
Selon Eco, le signe s’insère dans un processus de
communication de type:
source – émetteur – canal – message – destinataire
schéma qui reprend sous une forme simplifiée celui qui a été élaboré
par les ingénieurs de télécommunication.
Le schéma de la communication de Roman Jakobson
(1963:214), devenu célèbre, articule les six composantes de la
communication de la manière suivante:
CONTEXTE
63
DESTINATEUR ……….MESSAGE……….DESTINATAIRE
CONTACT (CANAL)
CODE
Ce schéma a été abondamment commenté, voire critiqué,
surtout en raison de la position occupée par le contexte, défini par
Jakobson comme “référent” auquel renvoie le message (mais tenant
compte de l’aspect pragmatique de la langue, le contexte a obtenu au
cours du temps une importance de plus en plus grande).
Le schéma de la communication proposé par Jakobson
s’avère particulièrement efficace dans la mesure où il fait
correspondre à chacune des composantes ci-dessus une fonction
spécifique de la langue (v. chap. Les fonctions de la langue)
Bibliographie
Eco, Umberto, 1976, La production des signes, Indiana University Press.Eco, Umberto, (1973) trad. fr. 1988, Le signe. Histoire et analyse d’un concept, Labor.Guiraud, Pierre, 1971, La sémiologie, PUF, Paris.Jakobson, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Minuit.Mounin, Georges, 1970, Introduction à la sémiologie, Minuit.
64
LES FONCTIONS DE LA LANGUE
Roman Jakobson a élaboré une théorie concernant les
fonctions de la langue à partir des facteurs qui participent à
l’élaboration, la transmission et la réception d’un message. Jakobson
fait correspondre une fonction à chaque composante de la
communication linguistique (1963:213-216):
CONTEXTE (fonction référentielle)
DESTINATEUR MESSAGE DESTINATAIRE
(fonction expressive) (fonction poétique) (fonction conative)
CONTACT (fonction phatique)
CODE (fonction métalinguistique)
La fonction référentielle (dénotative, cognitive) est
orientée vers la situation ou l’objet du discours, c’est-à-dire vers le
contexte extra-linguistique. C’est la fonction primordiale de la
langue: transmettre des informations, permettre la communication
65
interhumaine. C’est donc grâce à cette fonction que l’homme
formule, fixe et transmet sa pensée.
La fonction expressive (émotive) est centrée sur le
destinateur (locuteur). Celui-ci manifeste son affectivité à travers ce
qu’il dit. L’inventaire de l’expressivité linguistique est assez vaste.
L’intonation peut exprimer la joie, la colère, l’exaspération, la
surprise, l’enthousiasme. L’intensité du débit, le volume de la voix
complètent aussi l’expression verbale. La fonction expressive fait
également appel à des interjections et des onomatopées, à des
procédés syntaxiques comme l’ordre des mots, etc. Tous ces
éléments expressifs révèlent l’état émotif ou affectif du locuteur,
définissent ses rapports avec le message, ses idées sur le contexte.
La fonction poétique (esthétique) met l’accent sur le
message. Elle permet aux messages linguistiques de provoquer chez
l’interlocuteur des émotions artistiques. Cette fonction ne se limite
pas à la poésie, mais correspond à diverses formes d’expression:
poésie, théâtre, chansons, proverbes, slogans, publicité. Elle se
manifeste par l’emploi d’effets stylistiques à visée esthétique ou
ludique (par exemple jeu de mots, calembours). La langue devient
ainsi la forme d’expression de l’art littéraire (tout comme les sons ou
les couleurs sont devenus les matériaux d’autres arts).
La fonction conative (injonctive) est rattachée au
destinataire. Elle vise à déclencher une réaction de la part de celui-ci.
Cette réaction peut être verbale ou non verbale (geste, action). La
66
fonction conative trouve son expression dans les diverses formes
d’interpellation, le vocatif, l’impératif: Sortez!, Dépêchez-vous, mes
enfants! Elle joue un rôle très important dans la vie sociale,
notamment dans les annonces publicitaires (Achetez le produit X!), la
radio, la télévision, les journaux, le discours politique, etc. Le
message centré sur le destinataire traduit les divers aspects que peut
prendre le contact entre les hommes: expression d’accomplissement
de certains actes et de certaines attitudes.
La fonction phatique vise à établir et à maintenir un
contact (une liaison psychique) entre l’émetteur et le récepteur. Le
locuteur vise à créer une ambiance propice à la réception du
message. Cette fonction apparaît dans les énoncés destinés à établir,
maintenir, rompre ou rétablir le contact, par exemple: Bonjour!, Au
revoir! Au cours d’une conversation téléphonique des formules
stéréotypées comme: Allô!, Vous m’entendez? ont le rôle de vérifier
le circuit. De même le discours pédagogique ou la conversation
courante font usage de formules comme: tu vois, vous voyez, vous
savez, alors, hein, dont la fonction est d’assurer et de maintenir le
contact avec l’interlocuteur.
La fonction métalinguistique a pour but de vérifier le
code, c’est-à-dire la langue utilisée par les interlocuteurs (l’argot
estudiantin, les différents jargons des disciplines spécialisées). Cette
fonction s’exerce aussi lorsque l’émetteur prend le code comme objet
de la description: l’objet du discours est alors la langue. Le
67
métalangage (ou métalangue) est un langage naturel ou formalisé
employé par les linguistes comme instrument spécialisé en vue de
décrire les langues naturelles. Des termes comme substantif,
complément, masculin, phrase, subordonnée, désignant diverses
catégories de la grammaire, appartiennent au métalangage. Les
ouvrages traitant du code comme les grammaires, les dictionnaires,
les lexiques spécialisées sont des ouvrages métalinguistiques. Toutes
les autres fonctions du langage ne sont pas propres au langage et
peuvent s’exprimer aussi par des signes non linguistiques (mimique,
gestes, graphique). Seule la fonction métalinguistique est strictement
liée au code et à son fonctionnement.
Récapitulation
Contexte Fonction dénotative (référentielle)
Message Fonction poétique (esthétique)
Émetteur (locuteur, destinateur) Fonction expressive
Récepteur (interlocuteur, destinataire) Fonction conative
Canal (contact) Fonction phatique (de contact)
Code Fonction métalinguistique
Fonctions de la langue et types de message
C’est toujours Jakobson qui, dans l’oeuvre citée, relève le
fait que la diversité des messages consiste dans les différences de
68
hiérarchie entre les diverses fonctions: “La structure verbale d’un
message dépend avant tout de la fonction prédominante” (1963:214).
Donc, les différentes fonctions de la langue ne sont pas
exclusives et peuvent se trouver combinées dans un même énoncé,
l’une ayant plus d’importance que les autres, selon les types de
messages.
Bibliographie
Jakobson, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Minuit.***
Baylon, Christian & Fabre, Paul, 1975, Initiation à la linguistique, Nathan, p. 59-69.Dominte, Const., Zamfira, Mihail & Osiac, Maria, 2000, Lingvistică generală, Ed. Fundaţiei România de Mâine, p. 77-95.Zemmour, David, 2004, Initiation à la linguistique, Ellipses, p. 30-31.
69
LE CARACTÈRE SYSTÉMATIQUE
DE LA LANGUE
L’organisation systémique
Saussure définit la langue comme un “système organisé de
signes exprimant des idées” (Cours, 1916:170-175).
Mais qu’est-ce qu’un système ? Toutes les définitions qu’en
donnent les dictionnaires explicatifs insistent sur l’idée que c’est un
ensemble structuré d’éléments, donc un ensemble dont les éléments
se conditionnent réciproquement.
Le fait que la langue a une organisation systémique présente
au moins deux grands avantages:
- Il réalise l’économie du matériel linguistique;
- Il aide la mémoire.
L’économie signifie qu’à partir d’un nombre relativement
réduit d’unités composantes on peut créer des unités complexes, plus
nombreuses (v. aussi chap. La double articulation du langage). 20-
25 éléments articulatoires permettent de créer tous les sons de toutes
les langues. Alors, l’économie de moyens linguistiques signifie qu’à
partir d’un nombre fini de sons on peut former un nombre indéfini de
lexèmes et donc émettre un nombre infini d’énoncés possibles.
70
Et ceci a des répercussions indéniables sur la mémoire. De
même, l’apprentissage de la structure grammaticale d’une langue est
facilitée par l’existence de certains modèles. Le système idéal serait
celui où tous les substantifs recevraient par exemple la même
désinence de pluriel, de genre, de cas, les verbes se conjugueraient
tous de la même manière, sans variations du radical, etc. Cet idéal
n’est atteint à l’heure actuelle que dans les langues artificielles. Dans
le cas contraire, combien il serait difficile d’apprendre séparément la
déclinaison de chaque substantif ou la conjugaison de chaque verbe !
La conception de la langue comme combinatoire
d’éléments
Ce qui est important dans un système ce sont les relations
qui unissent les éléments et non les éléments eux-mêmes. Toute
transformation d’un élément désorganise et modifie l’ensemble. La
langue est un système en ce sens qu’à un niveau donné, celui des
phonèmes ou des morphèmes, par exemple, il existe un ensemble de
relations qui lient les termes de ce niveau les uns aux autres. Si l’un
des termes est modifié, l’équilibre du système s’en trouve affecté.
Les éléments du système se présupposent réciproquement.
Les voyelles antérieures présupposent l’existence des voyelles
postérieures, les consonnes sonores, celle des consonnes sourdes, le
pluriel présuppose le singulier, le passé est en corrélation avec le
présent et le futur et ainsi de suite.
71
“Dans un état de langue donné, tout est systématique; une
langue quelconque est constituée par des ensembles où tout se tient:
système de sons (ou phonèmes), système de formes et de mots
(morphèmes et sémantèmes). Qui dit système dit ensemble cohérent:
si tout se tient, chaque terme doit dépendre de l’autre” (V. Brøndal,
in Baylon-Fabre, 1975:19).
Plus une langue est systématique plus elle est apte pour la
communication. Chacun des compartiments de la langue a un
caractère systématique. La langue est donc un système ou plutôt un
système de systèmes: système phonologique, système syntaxique,
système lexical.
La théorie saussurienne de la valeur
La définition de la langue comme système de signes
implique de ne considérer les unités de la langue que dans les
rapports qu’elles entretiennent les unes avec les autres. La valeur du
signe, telle que l’entend Saussure, ne se conçoit que dans le cadre du
système au sein duquel les signes sont comparés, donc différenciés
les uns des autres et surtout définis les uns par rapport aux autres.
La notion de valeur constitue le principe orgnisateur de
l’analyse de ce que Saussure appelle les entités linguistiques (les
signes linguistiques). Elles existent seulement par les jeux
d’oppositions dans lesquelles elles sont engagées.
72
Sur le plan du contenu, mouton en français, par exemple,
peut avoir la même signification que sheep en anglais, mais non pas
la même valeur, parce que l’anglais fait la différence entre la pièce
de viande (mutton) et l’animal (sheep), opposition qui ne se retrouve
pas en français. La notion de valeur est aussi valable pour les unités
grammaticales. Ainsi, la valeur d’un pluriel français ne recouvre pas
celle d’un pluriel sanskrit, bien que la signification soit le plus
souvent identique, parce que le sanskrit possède trois nombres au
lieu de deux en français.
”La notion de valeur permet de comprendre que deux
langues se distinguent moins par des différences entre leurs unités
linguistiques que par les différences dans les systèmes d’opposition
qui constituent ces langues” (Zemmour, 2004:38).
Types de relations entre les unités de la langue
On a donc vu que dans un système les unités linguistiques
n’ont pas de signification en elles-mêmes isolément, mais seulement
par rapport à l’ensemble.
Deux types de relations entre les unités sont à considérer: les
relations linéaires ou syntagmatiques et les relations
paradigmatiques (Saussure les appelait associatives). Ces relations
se déploient selon deux axes distincts: l'axe paradigmatique et l’axe
syntagmatique.
73
Axe paradigmatique C
(CD) Axe syntagmatique (AB)
A B
D
L’axe paradigmatique est un axe vertical.
Un paradigme est l’ensemble des unités pouvant commuter
avec une unité linguistique, c’est-à-dire pouvant figurer dans le
même contexte. Ces unités appartiennent à une même classe
morphosyntaxique. Le paradigme est donc une classe de substitution,
un ensemble d’unités mutuellement exclusives dans la même
position:
Cette petite fille mange une pomme.
Le vieux monsieur aime la musique.
Notre grand chat attrape des souris.
Le choix d’un terme exclut l’apparition des autres. Dans
Cette petite fille mange une pomme, petite est en relation
paradigmatique avec vieux et grand, fille, avec monsieur et chat et
ainsi de suite.
Les rapports paradigmatiques sont des rapports d’oppositon,
d’exclusion, de substitution ou encore in absentia; ce sont les
74
rapports qu’on peut établir entre une unité et toutes celles qui
pourraient la remplacer dans un environnement (contexte) donné.
Sur l’axe paradigmatique, le remplacement d’une unité par
une autre unité du paradigme s’appelle substitution ou
commutation (v. chap. Bref aperçu historique des idés
linguistiques):
Paul partira aujourd’hui./ Paul partira demain.
L’axe syntagmatique et un axe horizontal. C’est l’axe de
la chaîne parlée, du discours ou l’axe des combinaisons. Sur cet axe
les unités se présentent dans un ordre linéaire, c’est-à-dire qu’elles se
succèdent dans le temps (pour la parole) ou dans l’espace (pour
l’écriture).
Sur l’axe syntagmatique la valeur d’un élément est due au
contraste qu’il entretient avec ce qui suit ou ce qui précède. Par
exemple, dans le syntagme la petite ville, au niveau morphématique,
l’adjectif petite est en relation syntagmatique avec l’article la et le
nom ville. Au niveau phonématique [vil], [v], [i] et [l] entretiennent
aussi des relations syntagmatiques. Sur cet axe donc, les rapports
qu’entretiennent divers éléments sont appelés rapports
syntagmatiques, rapports de contraste, de combinaison ou encore
rapports in praesentia (présence des termes précédents ou suivants):
ce sont les rapports entre les termes d’une même construction.
Les agencements d’unités dans la chaîne sont soumis aux
règles de bonne formation que l’on désigne sous le nom de structure.
75
Saussure nomme syntagme toute combinaison de deux ou
plusieurs unités linguistiques également présentes qui se suivent
l’une l’autre (des unités minimales à la phrase).
La modification d’une combinaison s’appelle permutation:
Paul rentre des vacances ce soir./ Ce soir Paul rentre des
vacances.
On peut donc retenir que le locuteur, pour former les
énoncés, opère dans un premier temps un choix dans les classes des
divers paradigmes (il choisit les unités linguistiques dont il a besoin)
et les assemble par la suite, formant les syntagmes et les phrases.
C’est une opération analogue à la construction d’une maison: on
choisit d’abord les matériaux qu’on assemble par la suite pour élever
l’édifice.
Conclusions
La distinction de principe entre ces deux types de rapports
suggère une méthode d’analyse linguistique qui montre à quel point
les rapports paradigmatiques et syntagmatiques sont solidaires et
étroitement imbriqués.
Le structuralisme linguistique, qui repose sur l’oeuvre de
Saussure, est une nouvelle conception de la langue issue du
renouvellement des méthodes descriptives en linguistique. Tous les
représentants des écoles structurales, malgré les divergences qui les
séparent, partent du principe que la langue est un système de signes
76
constituant un tout unitaire dont chaque élément est défini par
l’ensemble de relations qu’il entretient avec les autres membres du
système. Le résultat de l’analyse linguistique aboutit à des
taxinomies (classes ordonnées d’unités) paradigmatiques ou
syntagmatiques.
L’objet de la linguistique est, pour le structuralisme, l’étude,
interne et synchronique, de la langue comme système de signes.
Bibliographie
Saussure, Ferdinand de, (1916), éd. 1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 170-175.Lyons, John, 1968, Linguistique générale, Larousse, p. 56-64.
***Baylon, Christian & Fabre, Paul, 1975, Initiation à la linguistique, Nathan, p. 88-91, 93-95, 110.Cristea, Teodora, 1974, Grammaire structurale du français contemporain, Editura Didactică şi Pedagogică, p. 9-24.Manoliu-Manea, Maria, 1973, Structuralismul lingvistic, Editura Didactică şi Pedagogică.
77
LANGAGE, LANGUE, PAROLE
La linguistique peut se définir comme l’étude scientifique
des langues et du langage. Il convient alors de dissocier le sens de
ces deux termes, souvent employés de façon indifférenciée.
Le langage représente l’aptitude spécifiquement humaine à
pouvoir communiquer au moyen d’un système de signes vocaux. Le
langage est donc une virtualité. Il est universel, une faculté inhérente,
naturelle et spécifique à l’espèce humaine. Il différencie donc les
hommes des autres êtres vivants.
En cherchant à établir le véritable objet de la linguistique,
Ferdinand de Saussure analyse le langage sous deux composantes
fondamentales: dans l’ensemble des manifestations du langage, il
faut distinguer ce qui relève de l’action individuelle, variable,
unique, imprévisible, que Saussure nomme la parole, de ce qui est
constant, commun aux sujets parlants, la langue. “Le langage a donc
un côté individuel et un côté social et l’on ne peut concevoir l’un
sans l’autre” (1916, éd. 1978:24). C’est, comme on peut aisément le
voir, une vision du langage profondément dualiste.
Le langage, selon Saussure, se compose de la langue et de la
parole:
78
LANGUE
LANGAGE
PAROLE
La langue est la partie sociale du langage, le code
commun à tous les membres d’une communauté linguistique, une
pure passivité. Si tous les hommes possèdent la faculté du langage,
tous, cependant ne parlent pas la même langue. Le français par
exemple est une langue composée d’un ensemble de signes différents
de ceux de l’allemand ou du russe. Ces signes sont agencés selon des
règles particulières pour former des énoncés français. La langue est
alors une forme particulière du langage, en usage dans un groupe
social qui constitue une communauté linguistique. La langue est donc
un fait collectif, représentant l’ensemble des règles qui s’imposent à
la communauté des usagers et qu’on trouve dans les grammaires. La
langue, enfin, est essentielle, nécessaire à la parole, qui à cet égard
lui est accessoire. “Il faut se placer de prime abord sur le terrain de la
langue et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations
du langage”, affirmait Saussure (1916, éd.1978:25).
La parole est, quant à elle, un fait individuel. C’est
l’actualisation concrète de la langue dans des actes de parole
individuels: les énoncés des locuteurs, c’est-à-dire des suites de mots
prononcés ou écrits par un ou des individus donnés, à un moment
79
donné et en un lieu donné. Chacun de ces énoncés est un acte
particulier, spécifique.
Il est à remarquer que cette dichotomie affirmant la primauté
de la langue sur la parole, éclaire également le rôle de la parole vis-à-
vis de la langue: d’une part, cette parole précède la langue, et elle
seule en permet l’acquisition; d’autre part, c’est la parole qui, à long
terme, est responsable des changements qui surviennent dans la
langue.
Évidemment, il y a interaction entre langue et parole. La
première reste une abstraction: un système dont la collectivité est la
dépositaire. Mais cette abstraction ne peut être décrite qu’à travers
ses manifestations concrètes, et l’on ne peut poser son existence que
parce que l’on peut observer ces actualisations. À l’inverse, les
manifestations concrètes constituant la parole ne sont possibles que
parce que le système les produit.
Il conviendrait peut-être de mentionner dans ce contexte le
nom du linguiste Henry Frei, professeur à l’Université de Genève,
auteur de La grammaire des fautes. Introduction à la linguistique
fonctionnelle. Assimilation et différenciation. Brièveté et
invariabilité. Expressivité, 1929, où il étudie de façon systématique
les “fautes” des locuteurs, en quête d’expressivité. Linguistique
fonctionnelle est chez Frei synonyme de linguistique de la parole (cf.
Iordan, 1962:335).
80
D’autre part, dans la sphère des recherches de la linguistique
post-saussurienne la parole a gagné une place de choix, sous d’autres
noms (et parfois même de contenu), comme par exemple sous le nom
de discours. De toute façon, il est à relever qu’après la deuxième
guerre mondiale, la linguistique a fait une virevolte, se tournant vers
la parole et d’ici vers l’oralité.
La reformulation de la dichotomie saussurienne par
Chomsky
Langue et parole est une dichotomie saussurienne. Elle a été
reformulée par d’autres linguistes, dont Noam Chomsky (linguiste
américain, le créateur de la grammaire générative et
transformationnelle; v. chap. Bref aperçu des idées linguistiques), en
termes de compétence / performance (1971:13).
La compétence est “la connaissance que le locuteur-
auditeur a de la langue”. C’est donc un système de règles
représentant l’ensemble des connaissances que le locuteur natif
possède de sa propre langue (= le savoir linguistique des sujets
parlants).
La performance est “l’emploi effectif de la langue dans
des situations concrètes”, c’est donc la mise en ouvre de la
compétence (= l’utilisation du savoir linguistque des sujets parlants).
La grammaire, selon Chomsky, doit être une description de
la compétence du locuteur-auditeur.
81
La dichotomie saussurienne langue / parole ne recouvre pas
entièrement la dichotomie chomskyenne compétence / performance.
La langue, pour Saussure, est un fait social, un trésor collectif, alors
que la compétence, pour Chomsky, concerne le sujet parlant. C’est
cette faculté pour l’individu de décoder et d’encoder (v. chap. Le
processus de communication), c’est-à-dire de comprendre et de
s’exprimer correctement.
Un autre point distingue la dichotomie saussurienne langue /
parole de la dichotomie chomskyenne compétence / performance. Si
pour Saussure l’aspect créateur est situé dans la parole (selon le
linguiste genévois “la phrase appartient à la parole et non à la
langue”), pour Chomsky la créativité (c’est-à-dire l’aptitude des
sujets parlants à produire et comprendre des énoncés inédits) est
l’apect essentiel de la compétence.
Pour Saussure, l’opposition langue / parole a les termes
marqués par les traits suivants:
Langue passivité mémoire
Parole activité création
Pour Chomsky, le premier terme de l’opposition deviendra:
Compétence système de règles créativité.
Quelques conclusions
a) La dichotomie langue / parole, si souvent discutée dans les
ouvrages de linguistique, part, dans ses lignes essentielles, de la
82
théorie saussurienne. Pour Saussure, la séparation entre langue et
parole est une idée centrale et, en même temps, une première
démarche sans laquelle la linguistique même n’est pas concevable.
Certaines idées sur lesquelles le savant genévois édifie sa théorie sur
le langage sont inspirées de la pensée des théoriciens contemporains
ou de ses prédécesseurs. Mais ce qu’il faut absolument souligner
c’est que la conception de Saussure sur la distinction langue / parole
est devenue un point de référence pour porter un jugement critique
tant sur les théories antérieures touchant à ce problème que pour les
théories ultérieures, qui développent les idées de Saussure ou s’en
délimitent.
b) Langue et parole est une distinction qui se trouve à la base
du développement des recherches en linguistique moderne. Par
rapport à la parole, la langue est une abstraction alors que la parole
est la matérialisation de cette abstraction. L’on ne connaît la langue
qu’ à travers la parole.
La langue est d’ordre psychique, la parole est d’ordre
psycho-physiologique.
La langue est une institution sociale née de la vie en
communauté. “L’action de puiser dans ce trésor collectif” (Essono,
1998:44) s’appelle la parole et cette opération est un acte individuel,
ce qui permet à chacun de produire et d’interpréter un nombre infini
de phrases à partir d’un nombre limité de règles.
La langue est une forme, la parole une substance.
83
La langue est un code commun que les locuteurs utilisent de
façon particulière. Dans l’acte de la parole, l’individu dispose d’une
certaine liberté d’expression: la prononciation, le rythme,
l’intonation, le choix des mots utilisés, la longueur des phrases
varient d’un individu à l’autre. La langue, en revanche, qui est un
ensemble de conventions, ne peut pas être modifiée par l’individu s’il
veut se faire comprendre par les membres de la communauté
linguistique: le sujet parlant doit se conformer à cette convention.
c) En dépit des modifications d’interprétation (v. par
exemple la reformulation de la dichotomie saussurienne par
Chomsky), cette distinction est nécessaire à toute compréhension du
phénomène du langage. On pourrait d’ailleurs essayer de voir un
dénominateur commun aux différentes utilisations des oppositions
langue / parole: c’est la nécessité d’abstraction. Le linguiste doit en
quelque sorte construire l’objet qu’il cherche à décrire, établir,
derrière les énoncés concrets, les rapports abstraits qu’il veut
expliquer (on a relevé déjà à plusieurs reprises qu’on ne peut avoir
accès à la langue qu’à travers la parole).
d) Malgré les contradictions entre les diverses écoles
linguistiques, on doit reconnaître la validité de la distinction entre ce
que le locuteur SAIT et ce que le locuteur FAIT à l’aide de ce qu’il
sait.
Voilà donc les enjeux qui se présentent à la linguistique: “En
se donnant pour tâche le langage, elle s’efforce de dégager des
84
universaux langagiers, c’est-à-dire des propriétés valables pour
toutes les langues. En se donnant pour objet une ou plusieurs langues
données, elle tente d’identifier et décrire l’ensemble des règles et des
relations qui les caractérisent individuellement ou comparativement”
(Zemmour, 2004:25).
Bibliographie
Chomsky, Noam, 1971, Aspects de la théorie syntaxique, Seuil.Saussure, Ferdinand de, (1916), 1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 23-32.
***Arrivé, M., Gadet, F., & Galmiche, M., 1986, La grammaire d’aujourd’hui. Guide alphabétique de linguistique française, Flammarion, p. 362-373.Essono, Jean-Marie, 1998, Précis de linguistique générale, l’Harmattan, p.43-45.Zemmour, David, 2004, Initiation à la linguistique, Ellipses, p. 12, 24-26.
85
LE SIGNE LINGUISTIQUE
La tentative d’interpréter le mot comme signe et la langue
comme un système de signes répond au besoin d’expliquer la nature
de la langue en tant qu’instrument de communication. Les unités
lexicales d’une langue sont des signes. On peut donc considérer que
les mots enregistrés dans un dictionnaire représentent la liste des
signes avec lesquels opère la langue en question.
C’est Ferdinand de Saussure qui, au début du XX-e siècle
(Cours, 1916), a élaboré une théorie cohérente du signe linguistique.
La théorie de Saussure
Pour Saussure le signe linguistique est “une entité psychique
à deux faces” (1916, éd. 1978:99). Il est symbole et se caractérise par
l’association, constante dans une langue donnée, d’un signifiant et
d’un signifié.
Le signifiant (Sa) du signe linguistique est une image
acoustique à l’oral ou graphique à l’écrit; il relève de la forme ou
encore de l’expression. C’est donc une forme concrète, visible ou
perceptible à l’oreille, qui renvoie à un concept.
86
Le signifiant n’est pas toujours le son physique, mais
l’empreinte psychique de ce son, c’est-à-dire une forme idéale
théorique d’un élément significatif. Un même message peut être dit
par des personnes différentes, avec des voix différentes, sans
toutefois aboutir à un message différent.
Le signifié (Sé) est un concept, il relève du contenu. Si le
signifiant est l’image acoustique, le signifié est l’image conceptuelle.
C’est l’idée ou le concept qu’évoque le signifiant. Il est donc la
représentation ou la conceptualisation du référent linguistique.
Le signe repose sur l’association de la forme signifiante – ou
signifiant (Sa) – et du contenu de signification – ou signifié (Sé).
La signification est le produit d’une relation fondamentale, la
relation de référence entre le langage et les choses.
Le référent représente la manifestation du monde
observable, la réalité extra-linguistique à laquelle renvoie le signe
linguistique. Le référent est donc l’objet ou la classe d’objets qui
correspond au concept.
Ainsi le signe TABLE est formé de l’image acoustique
rendue par l’enchaînement [tabl] (signifiant) qui évoque l’idée
générale de table: “objet en bois, servant à y mettre des choses, ayant
des dimensions précises et une forme spécifique” (signifié), une
idéee abstraite qui, à son tour, renvoie à la réalité table (référent).
On peut visualiser la relation entre le signe linguistique et
l’objet de la réalité qu’il représente par un triangle sémiotique ou
87
triangle de significations imaginé par Charles Ogden et Ivor Richards
(The Meaning of Meaning, London, 1923):
Référence (concept signifié)
Sa Référent
(symbole) (chose nommée)
Ce diagramme permet de faire les remarques suivantes:
- Il existe un lien direct et réciproque entre le signifiant et le
signifié. Cette relation relève d’une simple convention entre les
usagers de la langue.
- La relation entre le signe et le référent est indirecte parce
qu’elle est médiatisée par le concept (Sé). Les pointillés indiquent
qu’il n’y a pas de lien naturel entre le signe et la chose signifiée ou
référent.
Il faut donc retenir que pour Saussure le signe linguistique
est l’ensemble formé d’un signifié et d’un signifiant intimement unis:
signifié (contenu sémantique d’un concept)
SIGNE = signifiant (image acoustique, expression phonique)
Concept et image acoustique sont pour Saussure des entités
psychiques, non matérielles. Tous deux sont indissociables comme le
88
recto et le verso d’une feuille de papier: c’est un rapport
d’association et non de représentation de l’un par l’autre. En d’autres
termes, le signifiant n’existe que par le signifié et réciproquement, ce
qui explique la présence des deux flèches allant de l’un à l’autre dans
le schéma (Saussure, 1916, éd.1978:99):
On a vu encore que le signe est distinct du référent. Le
référent est une partie du monde, être, chose ou notion (ou classe
d’êtres, choses ou notions), qui appartient au domaine de
l’expérience: il a une existence extra-linguistique. Le signifié, au
contraire, est une réalité psychologique: c’est une abstraction qui
regroupe un certain nombre de caractéristiques communes vérifiées
par l’être, la chose ou la notion en question.
La théorie de Hjelmslev
En continuité avec la pensée saussurienne, Louis Hjelmslev,
le principal représentant de l’école structuraliste de Copenhague
appelée glossématique, considère le signe linguistique comme une
fonction, c’est-à-dire une relation de dépendance entre deux plans: le
plan de l’expression (qui concerne les sons, donc le signifiant
89
Signifié
Signifiant
saussurien) et le plan du contenu (qui concerne le sens, donc le
signifié saussurien), ces deux plans observant les mêmes règles
d’organisation. Chaque plan présente une forme (qui relève de la
langue, c’est-à-dire d’une structure) et une substance (qui relève de
l’usage, de la variation individuelle et n’entre pas dans un système
d’interdépendances):
substance
Contenu
forme
SIGNE
LINGUISTIQUE
SIGNE forme
Expression
substance
La substance de l’expression: il s’agit de la manifestation
sonore, acoustique. C’est le domaine acoustico-phonologique
amorphe, le continuum acoustico-physiologique non divisé. Sa
description relève de la phonétique.
La forme de l’expression: il s’agit du signifiant qui peut
se décomposer en phonèmes. Considérés sur le plan de la forme, les
phonèmes se définissent les uns par rapport aux autres, de manière
variable et arbitraire selon les langues, formant donc une structure.
Sa description relève de la phonologie.
90
La substance du contenu: il s’agit du continuum amorphe
et compact dans lequel les langues établissent des frontières
conceptuelles.
La forme du contenu: il s’agit du signifié envisagé
comme élément d’une structure. Sa description relève de la
sémantique.
Hjelmsev prend l’exemple du spectre des couleurs (1968:71-
72). La substance des termes de couleur correspond au continuum du
spectre. La forme du contenu est liée au découpage que chaque
langue effectue de manière arbitraire entre les couleurs, et qui permet
de les définir les unes par rapport aux autres. Voici ci-dessous le
tableau comparant français et gallois:
gwyrd
vert
bleu glas
gris
brun llwyd
Le signifié (ici telle couleur) doit s’appréhender parmi
l’ensemble des couleurs et ne se définit que par rapport aux autres
couleurs, chaque langue opérant un découpage qui lui est propre.
Il faut donc retenir qu’une même substance extra-
linguistique peut se manifester par des formes variées d’une langue à
l’autre. La dichotomie forme /vs./ substance peut expliquer les
91
nombreuses divergences entre les langues, situées à des niveaux
différents d’analyse.
Par exemple, la relation de parenté (directe ou collatérale)
tient de la substance extra-linguistique, alors que son reflet
linguistique diffère selon les langues. Ainsi le couple lexical nepot
(M) et nepoată (F) du roumain a comme correspondants deux
couples en français: petit-fils / petite-fille, respectivement neveu /
nièce:
petit-fils, petite-fille
nepot, nepoată
neveu, nièce
C’est une aire correspondant à une même substance, à
laquelle correspondent des formes différentes (il s’agit de la forme
du contenu), propres aux deux langues exemplifiées.
Une autre illustration du rapport entre l’identité de la
substance du contenu et la variété des formes dans différentes
langues nous est fournie par la relation de possession, impliquant un
seul possesseur (disons, de la I-e pers.) et un ou plusieurs objets
possédés. Cette relation s’exprime par quatre formes grammaticales
en roumain: (băiatul) meu / (fata) mea, băieţii mei / fetele mele, par
trois formes en français: mon (garçon) / ma (fille), mes (garçons /
filles), par deux formes en espagnol: mi (hijo / hija), mis (hijos /
92
hijas) ou par une seule forme en anglais: my (son / sons; daughter /
daughters).
Il faut bien retenir que l’opposition entre les concepts de
substance et de forme en linguistique a le mérite de mettre en
évidence que la réalité, unitaire de par sa nature objective, est
analysée par les locuteurs et reflétée dans la langue de façon
relativement différente d’une langue à l’autre. Et ceci s’étend des
éléments appartenant au système linguistique jusqu’aux structures
langagières complexes, phrases, énoncés, textes.
Le rapport de solidarité entre contenu et expression institue
la fonction sémiotique: “La fonction sémiotique est en elle-même
une solidarité; expresion et contenu sont solidaires et se présupposent
nécessairement l’un l’autre” (Hjelmslev, 1968:72-73).
Donc, dans la vision de Hjelmslev, “le signe désigne l’unité
constituée par la forme du contenu et la forme de l’expression et
établie par la solidarité que nous avons appelée fonction sémiotique”
(Idem: 82).
La théorie de Bloomfield
Selon la linguistique structurale américaine, le signe
linguistique n’est pas conçu comme une unité biplane (une entité à
deux faces, comme chez Saussure et Hjelmslev), mais comme une
unité monoplane. Le signe linguistique est une phonie (une suite
constituée d’un ou plusieurs sons) qui est en corrélation systématique
93
avec un objet. Le concept est donc exclu de la définition du signe (L.
Bloomfield, 1970).
Les caractéristiques du signe linguistique d’après
Saussure
Le signe linguistique est linéaire. Il est obligatoirement
ordonné dans le temps. Deux unités constitutives de la langue – deux
sons ou deux mots – ne peuvent se trouver au même point de la
chaîne parlée: il est impossible de prononcer deux sons ou deux mots
à la fois. D’où la propriété fondamentale du langage qui fait que les
énoncés sont des suites d’éléments discrets, discontinus, ordonnés de
façon linéaire.
Le signe linguistique est vocal parce qu’il utilise la voix
humaine. Le langage est avant tout un phénomène vocal. Beaucoup
de langues humaines ont ignoré et continuent d’ignorer l’écriture.
Le signe linguistique est différentiel dans la mesure où il
fonctionne par sa présence ou son absence comme une unité discrète,
discontinue. Le signe [kanar] signifie “canard” et non pas [ kanar].
Il est signe par opposition à tous les autres signes du système.
Le signe linguistique est arbitraire, immotivé,
conventionnel.
L’arbitraire du signe linguistique
94
On a déjà vu que la langue associe une certaine expression
(Sa) et un certain contenu (Sé) en signes linguistiques. Cette
association est arbitraire, conventionnelle, chaque langue la
réalisant à sa façon.
La principale caractéristique du signe linguistique, selon
Saussure, réside justement dans son caractère arbitraire, c’est-à-dire
immotivé. Cette affirmation est fondée sur la constatation que le sens
des mots ne demande pas nécessairement une certaine dénomination.
La preuve en est l’existence des noms différents dans différentes
langues pour la même notion: roum. casă, fr. maison, angl. house,
russe дoм (dom), etc. C’est cette absence de lien entre le contenu
exprimé et l’expression que l’on nomme l’arbitraire du signe
linguistique. Le signifiant, dit Saussure, est “immotivé, c’est-à-dire
arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n’a aucune attache
naturelle dans la réalité” (1916, éd. 1978:101).
Il n’existe donc aucun lien intrinsèque entre une table, le
concept de “table” et la suite de sons [tabl]; aucun lien entre le
canard et le nom du canard et ainsi de suite.
En fait, le terme d’arbitraire est quelque peu impropre, car il
suggère l’idée que les sujets parlants pourraient modifier le signe à
leur fantaisie. Or, entre le complexe sonore (Sa) et la notion (Sé) il
existe un lien nécessaire, conventionnel, qui découle de la nature de
signal de la langue. Cette constatation a été nuancée par Émile
Benveniste qui souligne le fait qu’il existe un rapport de nécessité
95
entre signifiant et signifié puisque tous deux sont indissociables: une
fois que le lien entre signifiant et signifié est établi, il est impossible
aux usagers de le modifier sous peine de ne plus se faire comprendre.
En revanche, le signe dans son ensemble, c’est-à-dire le couple
signifiant / signifié, est arbitraire par rapport au référent extra-
linguistique. En même temps, il est le résultat d’une convention. Une
convention est un accord entre individus. Or la langue est une
convention (à long terme, pouvant se transmettre d’une génération à
l’autre). L’individu ne peut changer la langue que dans la mesure où
la communauté linguistique est d’accord avec cette innovation et la
modification suit l’évolution objective de la langue.
Le problème du rapport arbitraire / motivé
Le problème du rapport arbitraire / motivé entre le Sa et le
Sé est envisagé de façon différente selon que l’on considère: a) le
plan de la formation de la langue; b) celui de la langue déjà formée.
a) Selon l’opinion de la majorité des linguistes, les premières
manifestations linguistiques ont été forcément des interjections et des
onomatopées, qui auraient pu évoquer la représentation, puis l’idée
d’un objet, d’un phénomène, d’une situation. Les premiers mots
auraient donc eu un caractère motivé.
b) Dans le cadre du système déjà formé, la plupart des
éléments composants sont immotivés. L’étymologie (science qui
étudie l’origine et l’histoire des mots) peut parfois expliquer
96
pourquoi un objet porte un certain nom. Par exemple, le fr. abîmer a
signifié initialement “précipiter dans un abîme”; étonner “frapper par
le tonnerre”, etc., mais par l’effacement du sens initial, l’indice qui
s’est trouvé à la base de la dénomination ne peut plus être identifié
par les locuteurs.
La motivation du signe linguistique
À part les mots non motivés, il existe aussi de nombreux cas
où le signe est motivé. La motivation est de deux types: absolue et
relative.
1. La motivation absolue
Ce type de motivation renferme les mots dont la forme
sonore reproduit certaines caractéristiques du contenu.
Les interjections: ah ! oh ! aï !, etc. représentent une
extériorisation naturelle de certains états affectifs.
Les onomatopées: cocorico ! coucou ! tic-tac, etc.
évoquent, par imitation, une sensation auditive. Mais, attention !
les onomatopées ne sont pas identiques dans toutes les langues: le
miaulement d’un chat, le mugissement d’une vache sont différents
d’une langue à l’autre. Ce qui signifie que la motivation de
l’onomatopée n’est que partielle.
Les mots à symbolisme phonétique: roum. înghiţi,
sughiţa, vâjâi évoquent partiellement, par les sons, le phénomène
97
désigné. On parle de symbolisme phonétique aussi lorsqu’un ou deux
sons ont une signification quelconque, par exemple le groupe fl, dont
on dit qu’il évoquerait l’idée d’écoulement: roum. fluviu, fr. fleuve,
angl. to flow, etc. De nombreux linguistes sont d’accord que les
sonorités peuvent avoir une valeur évocatrice, expressive: “Un lien
naturel existe entre les sons aigus et la clarté et entre les sons sourds
et l’obscurité. De là il n’y a qu’un pas à faire pour voir un rapport
entre les mots et les états d’âme” (O. Jespersen, ap. M. Cressot, Le
style et ses techniques, Paris, 1980:29). Les écrivains, surtout les
poètes symbolistes, à la suite de la théorie baudelairienne des
correspondances, essaient d’exploiter de façon systématique le
pouvoir suggestif des sonorités. Par exemple, l’harmonie imitative
dans ce vers de Verlaine: “Les sanglots longs des violons de
l’automne…”.
2. La motivation relative
Ce type de motivation renferme les mots qui présentent une
forme interne analysable, c’est-à-dire une structure transparente.
Les mots dérivés à l’aide de suffixes et de préfixes: roum.
cititor, călătorie, fr. regagner, monumental sont motivés par rapport
à citi, călători, respectivement gagner et monument, même si ceux-ci
sont à leur tour arbitraires ou immotivés.
Les mots composés: all. Wasserfall, russe вoдoпaд
(vodopad), hongr. viseses “cascade” sont motivés par le sens des
98
éléments composants: “eau” et “chute”. De même: fr. perce-neige,
angl. snowdrop (“goutte de neige”), all. Schneeglöckchen (“clochette
de neige”). Fréquemment utilisée en sanskrit ou en vieux grec, la
composition est un procédé très courant de formation de nouveaux
mots dans des langues comme l’allemand, le hongrois, le russe, etc.
Les figures de style sémantiques
Il s’agit de métaphores, comparaisons telles que roum.
fereastră “heures libres”, fr. gueule “bouche d’animaux” (pop.)
“bouche”; un puits de mélancolie “gouffre insondable dû à une
situation psychologique déplorable”; un aigle, terme laudatif quand il
désigne une personne, etc.
La motivation relative par la forme interne représente un
facteur de progrès dans l’évolution des langues; elle réalise une
économie de signes par le recours au matériel lexical déjà existant.
La perte de la motivation du signe linguistique
Parmi les causes se trouvant à la base de la perte de la
motivation des signes linguistiques, on peut mentionner:
La disparition du mot de base
Les verbes roum. pieri et fr. périr lat. PERIRE (formé de
PER + IRE) sont devenus inanalysables, donc immotivés, suite au
fait que le verbe eo, ire (“aller”) n’est entré que partiellement dans
les langues romanes.
99
Dans une famille de mots, la structure motivée est maintenue
par la perception d’une racine en tant que signe fondamental,
caractéristique de toute la famille. En latin, par exemple, la structure
analysable des mots d’une même famille est très évidente. C’est ainsi
qu’autour de la racine CAPIO se sont formés des dérivés très
importants qui se sont conservés dans les langues romanes:
LATIN FRANÇAIS ROUMAIN
CAPIO *capitare - căpăta
*accaptare acheter -
*accaptiare - agăţa
*captiare chasser -
excapitare - scăpăta
incapere - încăpea
incipere - începe
percipere percevoir pricepe
recipere recevoir -
Capio, capere ne s’est conservé ni en français ni en roumain.
C’est la raison fondamentale de la perte de la structure analysable qui
réunissait en latin toute la famille lexicale formée autour de cette
racine.
Les changements phonétiques
Le lat. COLLOCARE était formé de CUM +LOC+ARE,
structure longtemps analysable pour les locuteurs, car LOC- restait
100
intact. Dans les langues romanes (roum. culca, fr. coucher), à cause
de l’évolution phonétique, le lien avec loc, respectivement lieu, s’est
perdu.
Il peut même arriver, comme le fait remarquer Saussure
(1916, éd.1978:102), qu’un mot perde son caractère onomatopéique,
suite à l’évolution phonétique, devenant ainsi immotivé: lat. PIPIO,
PIPIONE(M) fr. pigeon.
Les changements de sens
Certains mots d’une famille, liés par une même racine,
peuvent avoir une évolution sémantique divergente, devenant de la
sorte immotivés: roum. nebun n’est plus senti comme un dérivé
antonymique de bun.
C’est aussi le cas du fr. route lat. RUPTA, part. passé de
rumpere “rompre”. Rupta, initialement épithète de via (via rupta
“route”) arrive à désigner tout seul une “route”. Route devient ainsi
un mot immotivé car aucune attache sémantique n’est plus possible
entre route et rompre.
L’emprunt
L’emprunt représente le cas des mots qui passent d’une
langue où ils étaient analysables, donc motivés, dans une autre où ils
perdent leur motivation. Par exemple, roum. garderobă, portmoneu,
abajur, tirbuşon, empruntés au français garde-robe, porte-monnaie,
101
abat-jour, tire-bouchon, ne sont plus analysables dans leurs éléments
composants, comme dans la langue d’origine.
Malgré les facteurs de perte de la motivation, la tendance
générale de la langue vise à la renforcer. À partir de mots existants
on en forme continuellement d’autres, qui deviennent de la sorte
motivés: roum. floarea-soarelui (floare + soare), fr. comptable,
comptabilité ( compte), etc. C’est un phénomène qui mène au
renforcement du sens concret. Cela répond au principe d’économie
des moyens linguistiques et représente un facteur de progrès dans la
langue.
Bibliographie
Benveniste, Émile, 1966 et 1974, Problèmes de linguistique générale, 2 vol., Gallimard.Bloomfield, Leonard, Language, (1933), trad. fr. 1970, Le langage.Coşeriu, Eugenio, 1995, Introducere în lingvistică, Editura Echinox, p. 21-23, 50-51, 56-57, 94-95, 120-123.Hjelmslev, Louis, 1968, Prolégomènes à une théorie du langage, Minuit.Miclău, Paul, 1967, Căile pierderii motivării în franceză şi în română, in “Probleme de lingvistică generală”, vol. V, Bucureşti, p.116-119.Saussure, Ferdinand de, (1916), éd.1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 97-113
***Graur, Alexandru, Stati, Sorin & Wald, Lucia (red.), 1972, Tratat de lingvistică generală, Editura Academiei, p.183-199.
102
Miclău, Paul, 1970, Le signe linguistique, Klincksieck, Paris, Edition de l’Académie, Bucarest.Vasiliu, Emanuel, 1992, Introducere în teoria limbii, Editura Academiei Române, Bucureşti, p. 14-26.Wald, Lucia (red.), 1977, Antologie de texte de lingvistică structurală, Tipografia Universităţii din Bucureşti, p. 154-169.
103
LA DOUBLE ARTICULATION
DU LANGAGE HUMAIN
Le langage humain est articulé. Formulée par André
Martinet (1970:13-15), la théorie de la double articulation du langage
concerne la combinaison des éléments unitaires constitutifs du
message. Elle stipule que le langage observe deux types
d’organisation ou articulation en éléments distincts constituants du
message.
La première articulation comprend des unités biplanes.
Le message peut se décomposer en une chaîne d’unités significatives
associées à une forme vocale, la combinaison de ces unités obéissant
à certaines règles. Dans la terminologie de Martinet, cette unité est le
monème.
Le monème (du grec monos “seul”) est la plus petite unité
douée d’une forme sonore (le signifiant) et d’un sens (le signifié).
Il ne doit pas être confondu avec le mot, qui peut se
décomposer en plusieurs monèmes. Par exemple dans maison il y a
un seul monème, alors que dans maisonnette il y en a deux (maison
et –ette, suffixe diminutif). De même, la forme verbale chantons se
104
compose du radical chant- et de la désinence verbale -ons, alors que
dans rejetable, on distingue trois monèmes: le préfixe itératif re-, la
racine -jet et le suffixe -able. Le monème peut donc être un mot
simple (maison, fleur), un radical (chant-), un préfixe (re-), un
suffixe (-ette), une désinence (-ons).
Donc:
L’organisation des unités linguistiques dans un énoncé
donné constitue la première articulation du langage.
La deuxième articulation concerne la combinaison
phonique. Si l’on cherche à décomposer le monème en unités de rang
inférieur, il n’existe plus d’unités de sens et l’on entre alors dans le
plan phonique. Un nombre restreint d’unités phoniques distinctes, les
sons de la langue, se combinent pour former un nombre très étendu
de monèmes. Ces unités monoplanes de la deuxième articulation sont
appelées phonèmes.
Les phonèmes sont doués de forme sonore et dépourvus de
sens:
sac [sak] 1 monème 3 phonèmes
dent [dã] 1 monème 2 phonèmes
Les phonèmes ont une valeur pertinente d’opposition,
servant à distinguer les signes linguistiques:
105
[f] / [v] fin / vin
[t] / [d] ton / don
[p] / [b] pierre / bière, poule / boule,
raison pour laquelle ils sont appelés unités distinctives.
Il faut mentionner que les études de phonologie ont été
initiées par les représentants de L’école structurale de Prague (v.
chap. Bref aperçu des idées linguistiques).
La combinaison des unités distinctives (les phonèmes) dans
l’intention de réaliser des oppositions significatives (lexicales ou
grammaticales) représente pour Martinet la deuxième articulation du
langage.
Le nombre de phonèmes varie d’une langue à l’autre, mais il
est fixe pour une langue donnée. Ils appartiennent à une liste fermée.
Chaque langue possède donc un nombre fini de phonèmes.
Les unités linguistiques de base
Martinet distingue parmi les monèmes, les lexèmes et les
morphèmes.
Les lexèmes sont des monèmes appartenant à un inventaire
illimité, à une classe ouverte. Ils trouvent leur place dans le lexique,
le vocabulaire de la langue.
Les morphèmes sont des monèmes relevant de la
grammaire. Ce sont des grammèmes. Ils sont en nombre limité et
appartiennent à une classe fermée.
106
Le syntagme
Ce terme est très courant dans la théorie linguistique
moderne. Saussure l’a proposé pour désigner toute combinaison,
réunion ou fusion de deux ou plusieurs unités significatives en un
complexe. Pour Martinet, toute combinaison d’unités de première
articulation ou monèmes est appelée syntagme. Il s’agit donc d’une
unité syntaxique découlant d’une collocation d’éléments lexicaux.
Les règles de groupement varient selon les langues.
Le terme syntagme, en grammaire générative, est toujours
suivi d’un qualificatif qui définit sa catégorie grammaticale, c’est-à-
dire suivant le rôle et la fonction des monèmes qui composent
chaque syntagme.
Par exemple:
- syntagme nominal (abrégé SN), constitué d’un nom,
éventuellement avec un prédéterminant et un ou plusieurs
déterminants: une maison, ce bon M. Dupont, l’enfant de ma voisine;
- syntagme verbal (SV) constitué d’un verbe et de son
auxiliaire, éventuellement suivi d’un ou de deux compléments
d’objet: (Pierre) se promène, (il) mange une pomme, (il) a écrit une
lettre à son ami;
-syntagme adjectival (SA) constitué d’un adjectif, le cas
échéant, précédé d’un adverbe et suivi d’un complément de
l’adjectif: (un) très beau (film), (un élève) enclin à la paresse, (une
jeune fille) plus appliquée que sa collègue;
107
- syntagme prépositionnel (SP) constitué d’une préposition
et suivi d’un syntagme nominal: (une table) de bois; (des arbres) en
fleur, (il pense) à son examen.
Le tableau des unités linguistiques (selon Martinet)
Unités de la deuxième articulation Unités de la première articulation
Phonèmes Monèmes Syntagmes Énoncés
Voyelles Consonnes Semi-cons. Lexèmes Morphèmes SN SV SA SP Simples Complexes
Définition de la langue
Envisagée sous l’angle de la théorie discutée, la langue peut
se définir comme un système de signes vocaux doublement articulés,
propre à une communauté linguistique donnée. Plus exactement,
pour Martinet, représentant de L’école linguistique appelée
fonctionnaliste, la langue est “un instrument de communication
selon lequel l’expérience humaine s’analyse, différemment dans
chaque communauté, en unités douées d’un contenu sémantique et
d’une expression phonique, les monèmes; cette expression phonique
s’articule à son tour en unités distinctives et successives, les
phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la nature
et les rapports mutuels diffèrent eux aussi d’une langue à une autre”
(Martinet, 1970:20).
108
La double articulation et l’économie du langage
La double articulation est l’un des traits spécifiques qui
particularisent le langage humain par rapport aux autres systèmes de
communication. Elle permet de réaliser l’économie du matériel
linguistique, la langue étant un outil de communication souple, facile
à manier et capable de transmettre une information complexe avec
économie de moyens d’expression. Le nombre des énoncés possibles
dans une langue est théoriquement infini. De même, la liste des
monèmes d’une langue est ouverte: on ne peut pas préciser avec
exactitude le nombre de monèmes lexicaux d’une langue donnée. En
revanche, la liste des phonèmes est fermée (une trentaine dans le
système de chaque langue). Alors, l’économie de moyens
linguistiques signifie qu’à partir d’un nombre fini de sons, on peut
former un nombre infini de monèmes et donc émettre un nombre
infini d’énoncés.
Bibliographie
Martinet, André, 1970, Eléments de linguistique générale, Armand Colin, Paris, p. 7-10, 13-15, 17-18.
DEUXIÈME SECTION
SYNCHRONIE - DIACHRONIE
109
Le terme de synchronie a été introduit en linguistique par
Saussure en opposition à celui de diachronie (Cours, 1916, chap.
III).
La synchronie (du grec syn “avec” et chronos “temps”)
représente l’aspect de la langue (et son étude) à un moment donné.
La diachronie (du grec dia “à travers” et chronos
“temps”) est l’évolution de la langue et l’étude de cette évolution.
Le caractère en quelque sorte hétérogène de ces définitions
impose une précision préliminaire: la synchronie et la diachronie
dans la vie de la langue ne se confondent pas avec la synchronie et la
diachronie en tant que principes d’investigation de la langue.
a. La synchronie et la diachronie dans la vie de la
langue
Une statique absolue de la langue n’existe pas. La langue, en
tant que phénomène social, est en évolution permanente. La
synchronie est une section découpée dans le flux de la langue, un
point sur la ligne ininterrompue du mouvement, un moment dans
l’écoulement continu de la diachronie.
La synchronie et la diachronie dans la langue ont été
représentées par Saussure (1916, éd.1978:115) sous la forme de deux
axes qui se croisent, l’un horizontal A – B (de la synchronie) et
l’autre vertical C – D (de la diachronie).
110
C
A O B
D
AB = axe des simultanéités–Linguistique
synchronique
CD = axe des successivités – Aspect prospectif
OD (suit le cours du temps) – Aspect rétrospectif
OC (remonte le cours du temps) – Linguistique
diachronique
Le moment synchronique contient un élément dynamique,
dû à la tendance à l’innovation, et un autre statique, déterminé par la
tradition. Il s’agit en somme de la coexistence dans le système
d’éléments vieillis, en voie de disparition, et d’éléments nouveaux,
en voie d’affirmation. Ainsi, en morphologie, on observe
fréquemment l’existence simultanéee, dans un état de langue unique,
de plus d’un système (pluriel des noms en -al: -aux et -s) ou en
syntaxe (ne … pas / pas comme morphèmes de la négation). Des
faits de même ordre s’observent en phonologie. La simple
constatation de l’existence de ces usages différents relève de la
synchronie. Mais dès qu’on observe que l’un d’eux, plus fréquent
que l’autre, semble être en cours de généralisation, on introduit
inévitablement une considération diachronique.
Il faut encore préciser que le “synchronique” n’est pas à
proprement parler du “statique”, puisque le fonctionnement normal
111
d’une langue c’est déjà du mouvement, même si ce n’est pas de
l’évolution.
Dans la langue la synchronie et la diachronie ne s’excluent
donc pas; la synchronie est un moment de la diachronie. Il y a un
rapport dialectique entre ces deux aspects, relevé aussi par Coşeriu
(1958:154-155): “La langue fonctionne en synchronie et se constitue
en diachronie”.
b. La synchronie et la diachronie - principes
d’investigation de la langue
Le problème du rapport entre synchronie et diachronie se
pose différemment en linguistique.
La linguistique synchronique étudie la langue,
abstraction faite de l’action du temps sur elle, sur l’axe des
simultanéités. Elle fait apparaître les relations instituées entre les
unités dans un état de langue donné, c’est-à-dire les systèmes que
constituent ces unités; par exemple, le système du nombre
grammatical du français contemporain. Elle envisage donc la langue
dans son fonctionnement interne telle que parlée au sein d’un groupe
à un moment précis de son évolution historique et sans référence aux
états antérieurs. Par exemple le français du XIV-e siècle, de 1700 ou
de 1995. Donc l’étude synchronique d’une langue porte sur un état
déterminé, qui peut être actuel ou (très) reculé dans le temps (par
exemple le latin).
112
La linguistique diachronique étudie l’intervention du
facteur “temps” dans la langue: son domaine est celui des phases
successives de l’évolution d’une langue. Elle étudie et compare les
différents états d’une langue à travers le temps. Les changements
atteignent tous les systèmes constitutifs de la langue. Par exemple la
comparaison du système phonologique du français moderne à celui
du latin, dont il est issu, donne une idée de l’ampleur du changement:
5 voyelles en latin, chacune d’elles comportant une opposition de
longueur, 14 en français (dans certains systèmes), sans opposition de
longueur pertinente. Quant au système morphosyntaxique, on se
contentera de donner l’exemple des morphèmes des fonctions
nominales: manifestées en latin par l’opposition des cas de la
déclinaison, les fonctions du syntagme nominal le sont en français
par l’ordre des mots et par les prépositions. La déclinaison, déjà
réduite en ancien français à deux cas, a entièrement disparu pour les
noms en français moderne. Des constatations similaires peuvent être
faites en envisageant le système lexicosémantique: le sens des
éléments linguistiques est aussi affecté par l’évolution diachronique.
Par exemple, le signifiant chef, du lat. caput, affecté en ancien
français au signifié ”tête” (il en subsiste dans le composé couvre-
chef), est en français moderne réservé au signifié “supérieur
hiérarchique”.
113
La linguistique diachronique est donc une linguistique
historique. Elle présente deux perspectives, l’une suit le cours du
temps – axe OD – et l’autre remonte le cours du temps – axe OC.
On peut se demander, évidemment, s’il est possible de
dissocier l’étude du fonctionnement de celle de l’évolution, toute
langue changeant à tout instant. Pourtant, dans certaines étapes de la
recherche, la séparation entre la synchronie et la diachronie est non
seulement recommandée, mais même nécessaire. A. Martinet (1967,
2-2) montre qu’un même fait peut être étudié soit d’un point de vue
synchronique, soit d’un point de vue diachronique. Nous empruntons
son exemple (p. 29): “Soixante-six Parisiens nés avant 1920, réunis
par le hasard, ont tous deux voyelles distinctes dans patte et pâte;
parmi quelques centaines de Parisiens nés après 1940, plus de 60%
ont, dans ces mots, une même voyelle [a]”. En synchronie, on
constate que l’opposition [a] vs. [α] n’est pas générale dans l’usage
actuel et que la confusion éventuelle entre ces deux phonèmes
n’empêche pas la communication. En diachronie, on constatera que
l’opposition entre [a] vs. [α] a tendance à disparaître de l’usage
parisien.
c. La synchronie et la diachronie – dans l’histoire
de la linguistique
La recherche synchronique est tout aussi justifiée que celle
diachronique; par surcroît, elle est devenue même une condition de la
114
recherche diachronique. En envisageant le problème du rapport entre
synchronie et diachronie du point de vue de l’histoire de la
linguistique, on constate que le XIX-e siècle a été dominé par la
vision historique dans la recherche des faits de langue, alors que le
XX-e siècle a vu naître la tendance contraire: la description
minutieuse, attentive des éléments du système et de leurs relations,
en dehors de considérations sur leur changement dans le temps.
Saussure accorde la primauté théorique et méthodologique à la
linguistique synchronique sur la diachronie: “L’aspect synchronique
prime sur l’autre puisque pour la masse parlante, il est la seule
réalité” (Cours, p. 128).
Cette réduction scientifique est nécesaire du point de vue
méthodologique: on travaille avec des faits de langue existant en
concomitance en négligeant temporairement ce qui n’appartient pas
au système envisagé du point de vue statique. Le résultat en sera une
image fidèle de la manière dont la langue “est” et “fonctionne” à un
moment donné. Le danger consiste à décréter que les recherches
synchroniques représentent l’unique préoccupation justifiée de la
recherche linguistique. Mais notre image de la langue en serait ainsi
unilatérale et appauvrie. La synchronie ne peut pas répondre à des
questions fondamentales telles que: Comment la langue est-elle
arrivée à l’état actuel ? Comment change-t-elle ? Quelles sont les
causes de ce changement ? La réponse nous est donnée par la
linguistique diachronique, mais pas celle de vieille tradition qui
115
ignorait la recherche synchronique, mais par la linguistique
diachronique moderne, qui valorise pleinement les résultats des
recherches synchroniques. L’évolution d’un système A en un
système B qui lui est postérieur ne peut être décrite qu’en termes de
transformation de la structure synchronique A et une autre structure
synchronique B. Toute évolution met en cause l’organisation
générale du système; son étude ne peut se faire sans connaissance
préalable des états synchroniques.
Aujourd’hui l’intérêt pour la diachronie est très grand. Par
exemple, une des préoccupations, devenue moderne, est la réanalyse
et la grammaticalisation dans l’évolution des langues.
Une vision intégrale sur la langue impose donc d’appliquer
les deux types de recherche. L’un ou l’autre ont leur intérêt, leur
nécessité: la description complète d’une langue doit non seulement
contenir les deux, mais il serait aussi souhaitable que l’un puisse
permettre de comprendre et de prévoir l’autre.
Bibliographie
Saussure, Ferdinand de, (1916), éd.1978, Cours de linguistique générale, Payot, p.114-140.Coşeriu, Eugenio, 1958, Sincronía, diacronía e historia. El problema del cambio lingüístico, Montevideo.
116
Martinet, André, 1955, Économie des changements phonétiques, Francke.Martinet, André, 1967, Eléments de linguistique générale, Armand Colin.
***Arrivé, M., Gadet, F. & Galmiche, M., 1986, La grammaire d’aujourd’hui, Flammarion, p. 220-224, 661-663.Graur, Al. & Wald, Lucia, 1965, Scurtă istorie a lingvisticii, Editura Ştiinţifică, p. 75-76.Graur, Alexandru (coord.), 1972, Introducere în lingvistică, Editura Ştiinţifică, p. 286-300.Graur, Alexandru, Stati, Sorin & Wald, Lucia (red.), 1972, Tratat de lingvistică generală, Editura Academiei, RSR, p. 351-368.
117
LA MÉTHODE COMPARATIVE ET
HISTORIQUE
La linguistique moderne, scientifique, date du début du XIX-
e siècle, étant étroitement liée à la création de la méthode
comparative et historique. Aujourd’hui encore, c’est la principale
méthode d’étude de l’histoire des langues.
Elle représente un ensemble de procédés à l’aide desquels on
étudie l’évolution des langues apparentées et vue d’éclairer leur
histoire. Elle a pour tâche l’établissement de la parenté génétique, le
classement des langues en familles linguistiques et la reconstruction
des langues (ou des formes linguistiques) non attestées.
Aperçu historique de la méthode
La création de la méthode comparative et historique a été
préparée par une longue période où l’on a rassemblé un riche
matériau linguistique et l’on a fait les premières tentatives de classer
les langues d’après les ressemblances entre elles. Déjà au début du
XIV-e siècle, Dante (De vulgari eloquentia) avait entrepris
d’inventorier, pour les comparer, les dialectes italiens, ou encore de
118
classer en familles les langues européennes. Au XVI-e siècle on
formule l’idée de la descendance des langues romanes du latin.
Les tentatives pour répertorier les langues et les classer en
les comparant ne sont donc pas tout à fait nouvelles. La voie vers la
création de la méthode a été ouverte avec la découverte du sanskrit
par les philologues européens. Le sanskrit, la langue sacrée des
brahmans de l’Inde, conservé dans de nombreux textes écrits dans le
premier millénaire av. J. C., a été connu, jusqu’à la conquête de
l’Inde par les Anglais, uniquement par les érudits indiens. Les
ressemblences entre le sanskrit et certaines langues européennes ont
été relevées à plusieurs reprises, mais leur explication par la
descendance de ces langues d’une source commune a été formulée
pour la première fois par l’Anglais William Jones en 1786, lors
d’une communication soutenue à la Société Royale d’Asie de
Calcutta, dans laquelle il soutient la parenté du sanskrit avec le latin,
le grec et les langues germaniques. La fin du XVIII-e siècle marque
donc une étape importante, car on a cherché à regrouper les langues à
partir d’origines communes.
Une autre étape majeure, au début du XIX-e siècle, fut de
proposer une comparaison des langues fondée sur leur structure
grammaticale. C’est dans ce cadre que Wilhelm von Humbldt ou
Friedrich Schlegel proposent une telle typologie des langues. Mais la
grammaire comparée n’est pas encore née pour autant, car cette
119
typologie oppose des types de langues et ne cherche pas à évaluer le
degré de parenté entre elles.
Les principes de l’élaboration de la méthode comparative et
historique ont été élaborés par Franz Bopp et Rasmus Rask.
Le mémoire publié par le linguiste allemand Franz Bopp en
1816 (Le Système de conjugaison du sanskrit comparé à celui du
grec, du latin, du perse et du germanique) est considéré comme
l’acte de naissance de la méthode comparative et historique (bien que
le livre de Rask ait été écrit déjà en 1814, en danois, et publié en
1818). Dans cet ouvrage, tout comme dans sa grammaire comparée
des langues indo-européennes (3 volumes, 1833-1852), Bopp a mis
un accent particulier sur la morphologie (les formes grammaticales,
en particulier les désinences) pour démontrer les rapports de parenté
entre les langues. Ce principe est valable encore aujourd’hui. Il a
déduit que les langues en question proviennent d’une langue non
attestée (nommée arbitrairement par les linguistes l’indo-européen),
dont les traits se sont le mieux conservés en sanskrit.
Le linguiste danois Rasmus Rask, dans son ouvrage publié
en 1818, en danois (Investigation sur l’origine du vieux norrois ou
islandais), où il étudie les relations entre l’islandais, les langues
germaniques, le grec, le latin, le slave et l’arménien, démontre les
traits indo-européens des langues germaniques. Fondateur de la
grammaire historique et de la philologie nordiques, Rask a établi le
principe des correspondances phonétiques, le principal point d’appui
120
dans l’application de la méthode comparative et historique. Rask
s’intéresse ainsi aux changements de lettres et aux transformations
phoniques, évoquant la nécessité d’établir des correspondances,
c’est-à-dire des règles de passage d’une langue à l’autre. La
comparaison n’est plus seulement grammaticale, mais lexicale et
phonique.
Par la suite Jacob Grimm dans sa Deutsche Grammatik
(1819) compare les langues dans une perspective historique fondée
sur des critères morphologiques d’abord, phonétiques ensuite. À son
tour, August Schleicher s’appuie sur des lois de transformations
phonétiques systématisées pour tenter de remonter à une
hypothétique langue originelle. Placée sous l’influence des
recherches biologiques, et plus particulièrement du darwinisme, qui
rayonnent à l’époque sur la plupart des disciplines scientifiques (une
langue naît, se développe, puis décline et meurt), cette recherche le
conduit à l’élaboration d’un arbre généalogique des langues
permettant de situer la famille indo-européenne par rapport à d’autres
familles linguistiques (Stammbaum Theorie).
La méthode comparative et historique a été ensuite appliquée
à des groupes de langues plus restreints. Georg Curtius l’emploie
dans l’étude des langues classiques, A. H. Vostokov l’applique aux
langues slaves, alors que Friedrich Diez (Grammatik der
romanischen Sprachen, 3 volumes, Bonn, 1836-1843) jette les bases
de la grammaire comparée des langues romanes.
121
Les représentants de l’école des néo-grammairiens (Karl
Brugmann, Hermann Osthoff, etc.), courant formé par des jeunes
linguistes à Leipzig, ont élaboré des grammaires historiques des
langues indo-européennes et se sont donné pour ambition d’établir
des lois à caractère universel et immuable, par la prise en compte de
nouveaux facteurs d’évolution, par exemple le contact géographique
entre langues. Ces orientations sont liées au développement de la
dialectologie, science de l’étude des dialectes.
Des mérites incontestables dans le perfectionnement de la
méthode reviennent à Ferdinand de Saussure et à ses élèves. La
contribution la plus importante de Saussure est son célèbre Mémoire
sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-
européennes (1878), où il reconstitue un état plus ancien de l’histoire
de la langue commune et jette les bases du procédé de la
reconstruction interne.
Plus tard, Émile Benveniste applique la reconstruction
interne en morphologie (Origines de la formation des noms en indo-
européen, 1935).
Antoine Meillet, indo-européniste réputé (La méthode
comparative en linguistique historique, Oslo, 1925), corrige l’erreur
d’avoir considéré la langue-source comme étant unitaire, bien qu’on
puisse supposer qu’elle aussi était divisée en dialectes (Les dialectes
indo-européens, Paris, 1908).
122
Négligée ou repoussée par certaines écoles linguistiques
modernes, qui s’occupent intensément de la description de la langue,
la méthode comparative et historique continue d’être le principal
instrument de travail dans la linguistique historique et le seul
instrument de reconstruction des langues non attestées.
Les principes de la méthode
L’application de la méthode comparative et historique a été
possible grâce à deux caractéristiques de la langue: a) la non-
motivation de la forme sonore par rapport au sens (le caractère
arbitraire du signe linguistique; v. chap. Le signe linguistique) et b)
la régularité des changements phonétiques.
a. L’arbitraire du signe linguistique
Il s’agit du fait que dans des langues différentes le même
concept porte des noms différents (par exemple roum. om, angl. man,
hongr. ember, chin. zen, etc.). S’il arrive que dans deux langues non
apparentées les mêmes mots aient des formes ressemblantes il s’agit
soit:
- des mots imitatifs (onomatopées), qui sont motivés: lat.
cuculus, rus.cucuska, all. Kuckuck, angl. cuckoo, turc guguk etc.;
- des mots du langage enfantin, du type mama, tata, papa,
provenant d’articulations involontaires des enfants;
123
- des emprunts: par exemple roum. bivol, gât milă, rană,
empruntés aux langues slaves; les mots turcs ambülans, ekspres,
otobüs sont à leur tour empruntés au français, etc.;
- des ressemblances dues au hasard: chin iaţă et roum. raţă;
roum. fiu “fils” et hongr. fiù “garçon”; bad “mauvais” en anglais et
en persan, etc.
Donc, des ressemblances fondées sur de tels phénomènes ne
peuvent constituer un argument en faveur de la parenté de deux
langues.
Mais si l’on élimine de la sphère des recherches
comparatives et historiques ces types de ressemblances et l’on se
trouve en présence de ressemblances ou d’identités phonétiques,
sémantiques et grammaticales massives, c’est qu’il y a
apparentement linguistique. Par exemple:
LATIN ROUMAIN FRANÇAIS ITALIEN ESPAGNOL
FOCUS,-I foc feu fuoco fuego
SOL,-IS soare soleil sole sol
HOMO,- INIS om homme uomo hombre
LUPUS,-I lup loup lupo lobo
CANTO,-ARE cânta chanter cantare cantar
Dans le cas des langues apparentées (telles les langues
romanes, issues du latin), le nombre d’éléments semblables est en
124
principe considérable. Les ressemblances visent surtout les mots du
fonds principal (le noyau du vocabulaire) et les formes
grammaticales. L’argument le plus concluant de la parenté des
langues est la ressemblance des formes grammaticales irrégulières.
Par exemple:
Sanskrit Latin Gotique
ásti est ist “est” (prés. de être)
ahán ego ik “je” (pron.I-e pers. N)
nám me mik “me”(pron.I-e pers. Ac.)
b. La régularité des changements phonétiques
Pour établir la parenté des langues on s’appuie sur un fait
très important: à savoir que les modifications produites dans l’aspect
sonore d’une langue ont un caractère régulier. Le phonétisme des
langues se développe en conformité avec les lois internes spécifiques
de chaque langue (les lois phonétiques). Ce développement peut
prendre des voies totalement différentes dans deux langues
apparentées, mais à l’intérieur d’une même langue, les sons qui se
trouvent dans une même position se sont transformés de manière
identique. Ainsi si l’on constate que le l intervocalique latin est
devenu en roumain r dans SOL(E) soare, on voit qu’on a le même
changement dans GULA gură, MOLA moară, VOLUNT vor,
etc.
125
On peut mettre en évidence de telles concordances dans
toutes les langues, si l’on considère, par exemple, l’évolution du
groupe latin CT dans les langues romanes:
LATIN ROUMAIN ITALIEN FRANÇAIS ESPAGNOL
OCTO opt otto huit ocho
LACTE lapte latte lait leche
NOCTE noapte notte nuit noche
DIRECTUS drept diretto droit derecho
FACTUM fapt fatto fait hecho
Au fond, ces séries ne valent pas par leurs “ressemblances”
(hecho, par exemple, ne ressemble guère à fapt !), mais par la
régularité de leurs correspondances.
On peut donc exprimer le traitement du groupe latin – CT –
dans les langues romanes par la formule:
lat. ct = rm. pt = it. tt = fr. it = esp. ch
Comme l’action des lois phonétiques est limitée dans le
temps, les mots empruntés ne subissent plus l’influence de ces
transformations. Le roum. nocturn, le fr. nocturne, l’esp. nocturno
(du lat. nocturnus), qui conservent le groupe latin ct, indiquent, par
leur forme même, que ce sont des formes savantes, donc des
126
emprunts, soit du latin (en français) soit d’une autre langue romane
(en roumain).
Les correspondances phonétiques ont agi aussi dans les
langues qui se sont séparées depuis très longtemps du tronc commun
(l’indo-européen). Les spécialistes ont constaté par exemple que la
consonne gutturale sourde *k de l’indo-européen s’est maintenue
telle quelle en latin (centum), s’est transformée en s en sanskrit
(satam), en vieux persan (satem) et en vieux slave (suto) et en h dans
les langues germaniques (all. hundert, angl. hundred).
Voici encore, dans quelques langues indo-européennes, les
mots pour “mère” et “père”:
“Mère”. Ancien nordique: mothir; irlandais: mathir; latin:
mater; grec: mater ou meter; vx. slave: mati; arménien: mayr; ancien
indien: mâta.
“Père”. Gotique: fadar; irlandais: athir; latin: pater; grec:
pater; arménien: hayr; ancien indien: pita.
On observe que: a) les mots de ces listes sont en relation
sémantique constante; b) ils sont aussi en relation constante sur le
plan des signifiants. Dans le cas de la série “mère”, on trouve dans
toutes les langues un m initial. Dans le cas de la série “père”, on peut
remarquer que le f du gotique correspond à un p en latin, en grec et
en ancien indien, à ø en irlandais et à un h en arménien. Le caractère
systématique de cette concordance est confirmé par d’autres séries
127
onomasiologiques (par exemple: got. fisks, irl. iasc, lat. piscis
“poisson”).
La reconstruction linguistique
Établir la parenté des langues ne représente qu’un premier
pas dans l’application de la méthode comparative et historique. Le
but principal de la méthode est la reconstruction de la langue-base,
permettant d’étudier ensuite l’évolution historique des langues qui en
dérivent (surtout pour les périodes pour lesquelles on ne dispose pas
de témoignages écrits). En comparant les langues dans leurs formes
attestées et se servant de leur histoire, les spécialistes peuvent établir
quelles sont les langues qui ont conservé la forme primitive ou de
quelles formes primitives peuvent s’expliquer les variantes attestées.
C’est ainsi qu’en s’appuyant sur les faits linguistiques connus, on
peut reconstruire en quelque sorte a) soit la langue-base dans le cas
où elle n’est pas attestée (par exemple le vieux germanique, source
des langues germaniques actuelles, le vieux slave, d’où sont issues
les langues slaves actuelles ou même l’indo-européen); b) soit (dans
le cas d’une langue attestée telle le latin) l’état datant de l’époque qui
sépare les dernières attestations de la langue-base des plus vieilles
données sur les langues qui en dérivent.
Pour reconstruire l’étymon dans la langue-base on choisit les
plus vieilles formes linguistiques attestées, en comparant les corps
sonores phonème par phonème. Par exemple, en comparant les mots
128
indo-européens signifiant “coeur” (lat. cor, -dis, grec kardia, angl.
hart, all. Herz, russe сердцe (serdtze), on constate, conformément à
la correspon-dance phonétique régulière, “l’identité“ de la première
consonne dans toutes les langues: k, h, s proviennent d’un *k primitif
(l’astérisque indique que l’on a affaire à une forme reconstruite
hypothétiquement). La voyelle suivante étant différente (o, a, e), il
en résulte qu’aucune n’est primitive. On peut supposer que la
consonne r était syllabique (comme elle l’est aujourd’hui en tchèque)
et cet r a dégagé diverses voyelles avec lesquelles il s’est combiné.
R est donc primitif, tout comme le d qui suit. En latin, le mot est
identique à la racine, en grec on lui a attaché le suffixe -ia, en slave -
tze. Le résultat de la reconstruction serait un i.e. *krd d’où peuvent
s’expliquer toutes les formes dans les langues attestées et dans les
langues intermédiaires reconstruites (vieux slave et vieux
germanique).
Le principal problème que pose la reconstruction est celui de
la réalité des formes reconstruites. On a reconnu la valabilité du
procédé grâce aux formes latines découvertes dans des textes, après
avoir été initialement reconstruites. Par exemple le mot roumain
căpăţână a été longtemps considéré comme un dérivé de cap. Al
Graur (Corrections roumaines au REW, “Bulletin linguistique“, V,
1937, p.14) formule l’hypothèse d’un possible étymon reconstruit
*capitina, pour qu’en fin de compte la forme capitina soit
129
découverte dans un texte (Maria Iliescu, Revue de linguistique, 2,
1960, p. 319-321), ce qui prouve que la reconstruction a été correcte.
On ne peut pas appliquer cette méthode à tous les
compartiments de la langue avec les mêmes chances de succès.
Le système phonétique peut être reconstruit avec le plus
d’exactitude, car on travaille dans ce cas avec des unités en nombre
relativement restreint et qui se sont transformées dans chaque langue
de manière régulière, conformément à certaines lois.
On peut ensuite appliquer la méthode avec succès dans le
domaine de la morphologie, car c’est l’une des parties les plus
stables de la langue. Les formes irrégulières constituent une preuve
irréfutable de la parenté (par exemple le lat. sunt, le sanskrit santi,
l’allemand sind ou le viex slave sonti permettent de reconstruire un
i.e.*snt).
Les plus grandes difficultés surgissent lorsqu’on veut
appliquer la méthode comparative et historique en général et la
reconstruction en particulier aux faits de syntaxe. Cela est dû aux
rapports entre la syntaxe et les structures logiques de la pensée,
identiques – en grandes lignes – chez tous les peuples. Donc, dans le
cas de constructions communes, il est difficile de préciser si elles
tirent leur source de la langue-base ou bien si elles ont été créées
indépendamment dans chaque langue.
130
Bibliographie
Ducrot, Oswald & Schaeffer, Jean-Marie, 1996, Noul dicţionar enciclopedic al ştiinţelor limbajului, Editura Babel, p. 17-24Iordan, Iorgu, 1962, Lingvistica romanică. Evoluţie. Curente. Metode, Editura Academiei RPR.Graur, Al. & Wald, Lucia, 1965, Scurtă istorie a lingvisticii, Editura Ştiinţifică, p. 19-35.Graur, Alexandru, Stati, Sorin & Wald, Lucia (red.), 1972, Tratat de lingvistică generală, Editura Academiei, p. 88-102.Malmberg, Bertil, 1991, Histoire de la linguistique, de Sumer à Saussure, PUF, coll. “Fondamental”.Mounin, Georges, 1967, Histoire de la linguistique, des origines au XX-e siècle, PUF, “Quadrige”.Zemmour, David, 2004, Initiation à la linguistique, Ellipses, p. 9-11, 43-44.
131
LA CLASSIFICATION GÉNÉALOGIQUE
DES LANGUES
La classification des langues
Elle peut se faire en observant divers critères:
La classification généalogique (ou génétique) groupe les
langues, selon le critère de l’origine commune, en familles de
langues.
La classification typologique groupe les langues selon les
traits communs de leur structure (v. chap. La typologie linguistique).
La classification généalogique
Par cette classification les langues sont groupées en tenant
compte de leur degré de parenté, de leur provenance d’une source
commune, la même langue-base (langue-mère). Celle-ci peut être
attestée (par exemple le latin, source des langues romanes), ou non
attestée (par exemple le germanique ou le slave communs).
Les différences existant entre les langues apparentées sont le
résultat de leur évolution spécifique.
La classification généalogique détaillée est devenue possible
à peine au XIX-e siècle, avec l’application de la méthode
132
comparative et historique, quoique les ressemblances entre les
langues aient été observées dès le Moyen Âge. Au Moyen-Orient,
par exemple, c’est dès le X-e siècle que les grammairiens juifs et
arabes ont remarqué les similitudes entre l’hébreu et l’arabe et ont
entrevu l’existence d’une famille que l’on appellera plus tard la
famille sémitique. En Europe, l’origine latine de certaines langues a
été reconnue par Dante au début du XIV-e siècle (v. chap. Bref
aperçu des idées linguistiques). Enfin, d’autres apparentements ont
été aussi pressentis dès le XIII-e siècle: entre le grec ancien et les
dialectes grecs modernes, entre certaines langues d’origine celtique,
etc.
Les familles de langues
La famille indo-européenne
Elle est la plus importante des familles linguistiques en
nombre de langues et de locuteurs. Elle est aussi la plus étudiée. En
font partie la plupart des langues d’Europe, certaines langues d’Asie,
ainsi que les langues parlées aujourd’hui par la plupart des habitants
du continent américain et de l’Australie. On peut donc constater
l’extension géographique des langues de cette famille. Toutes ces
langues se sont détachées d’une langue ancienne, nommée
arbitrairement par les savants la langue indo-européenne.
La parenté de ces langues apparaît aussi bien dans leur
vocabulaire que dans leur grammaire. Seules quelques rares langues
133
européennes (le hongrois ou magyar, le finnois, l’estonien, le lapon,
le basque, le turc) appartiennent à d’autres familles. En partant de
l’hypothèse que les caractères communs de ces langues viennent
d’un ancêtre unique, il est possible de reconstituer la plupart des
propriétés caractéristiques de cet ancêtre (v. chap. La méthode
comparative et historique). Il est alors évident que l’on peut étudier
selon le même procédé les diverses branches de la famille indo-
européenne et proposer la construction d’un arbre linguistique ayant
pour racine cet ancêtre commun: le proto-indo-européen (c’est-à-dire
l’indo-européen primitif). Cette théorie de l’arbre linguistique a été
élaborée, vers les années 1860, par le philologue allemand August
Schleicher (v. chap. La méthode comparative et historique). Le
proto-indo-européen, tel qu’ont cru pouvoir le reconstituer les
comparatistes, devait être une langue dans laquelle les noms se
déclinaient et connaissaient trois nombres: le singulier, le duel et le
pluriel, et deux genres: l’animé (scindé plus tard en masculin et
féminin) et l’inanimé (devenu plus tard le neutre). Le verbe avait
deux voix: l’actif et le médio-passif, et trois modes: l’indicatif, le
subjonctif, l’optatif, ainsi que de nombreuses formes d’impératif.
“Quoiqu’il en soit, on peut se demander si le proto-indo-
européen des linguistes a réellement existé. Langue de peuplades ne
connaissant pas l’écriture, il ne s’agit pas d’une langue attestée, mais
d’une langue reconstituée hypothétiquement: en fait, ce n’est pas un
134
indo-européen qui a dû être parlé réellement, mais des indo-
européens, des dialectes assez voisins (…).” (Perret, 1998:17)
La famille des langues indo-européennes est elle-même
ramifiée en sous-familles ou branches.
1. Les langues indiennes
Elles sont connues sous les trois aspects de leur évolution:
ancien, moyen, moderne.
a) L’ancien indien connaît deux variantes:
- la langue védique, celle des plus vieux textes: les Veda
(XVIII-X siècles av. J.C. – recueil d’hymnes, de prières attribués à la
révélation de Brahma), les Sutra (règles concernant la vie religieuse,
juridique et familiale), les Upanichades (VIII - VI-e siècles av. J. C.,
méditations philosophiques);
- le sanskrit: langue littéraire (la langue des célèbres épopées
Mahabharata et Ramayana) et le sanskrit classique (dans lequel sont
écrites les oeuvres de Kalidassa, V-e siècle av. J. C.). Les
grammaires du sanskrit écrites à cette époque-là (Panini, IV-e siècle
av. J. C.) sont supérieures aux grammaires latines ou grecques.
b) Le moyen indien (pāli - langue sacrée du bouddhisme
méridional et prākrits – littéralement “vulgaires”).
135
c) L’indien moderne est constitué d’un grand nombre de
langues:
- l’hindoustani est la langue nationale des Indiens. Elle a
deux formes littéraires: l’hindi (langue officielle de l’Union indienne,
à côté de l’anglais - environ 200 millions de locuteurs) et l’ourdou
(langue officielle au Pakistan, à côté du bengali, et dans plusieurs
États indiens – environ 75 millions de locuteurs);
- le bengali (langue officielle au Bengale et au Pakistan –
environ 150 millions de locuteurs). C’est la langue dans laquelle sont
écrites les oeuvres de Rabindranat Tagore;
- le gitan (tzigane, romani) est la langue d’une population
indienne partie du nord-ouest de l’Inde au V-e siècle, arrivée en
Europe au XV-e siècle.
En Inde on parle aussi des langues non indo-européennes,
surtout à l’Est et au Sud, des langues dravidiennes.
2. Les langues iraniennes
Elles proviennent de l’iranien commun et se divisent en deux
groupes:
L’iranien occidental
Les langues de ce groupe présentent trois phases d’évolution:
a) Le vieux perse (connu par des inscriptions cunéiformes,
dont les plus vieilles datent de l’époque de Darius et de Xerxes);
136
b) Le moyen perse (pehlevi ou pahlavi, du III-e siècle av. J.
C. au IX-e siècle de notre ère);
c) Les langues modernes:
- le persan (langue officielle en Iran et en Afghanistan, à
côté de l’afghan, environ 20-25 millions de locuteurs) est la langue
de Firdousi;
- le tadjik (langue officielle en Tadjikistan, parlée aussi en
Iran, en Afghanisatn, en Kazahstan - environ 3 millions de
locuteurs);
- le kurde (parlé en Kurdistan, territoire partagé par la
Turquie, l’Iran, l’Irak, la Syrie et l’ex-URSS).
L’iranien oriental comprend des langues autrefois parlées en
Asie centrale:
- le sarmathe;
- le scythe;
- le bactrien, etc.
et des langues modernes:
- l’afghan (langue officielle en Afghanistan, à côté du
persan; environ 12-15 millions de locuteurs);
- l’ossète (parlé dans le Caucase central; environ 300.000 –
400.000 locuteurs) représente un reste de l’ancien scythe), etc.
Les langues indiennes et iraniennes sont très apparentées,
étant connues sous le nom de langues indo-iraniennes ou aryennes.
137
3. Les langues tokhariqes sont des langues mortes, parlées
jusqu’au VII-e siècle au Turkestan.
4. Les langues anatoliennes sont des langues parlées dans
l’Antiquité en Asie Mineure, dont le hittite, avec des textes des XIX
– XII siècles av. J. C., les plus vieux textes indo-européens (écrits en
alphabets hiérogliphique et cunéiforme).
5. L’arménien forme à lui seul un groupe distinct. C’est la
langue officielle en Arménie, parlée aussi en Turquie, au sud-est de
l’Europe (y compris en Roumanie), au Canada, aux États-Unis, en
Amérique du Sud (environ 4 millions de locuteurs). L’arménien a
une physiononomie à part, vu qu’il s’est formé et développé au sein
de langues non indo-européennes. La langue est attestée dès le IX-e
siècle, quand on a traduit la Bible. Elle a un alphabet propre.
6. Le groupe illyrien, thraco-phrygien et albanais
Localisé dans la Péninsule Balkanique, ce groupe comprend:
- l’illyrien (au nord-ouest des Balkans), identifié au VIII-e
siècle av. J. C., était formé d’un groupe de langues comprenant les
idiomes des Slaves du sud;
- le thrace - langue parlée au nord-est de la Péninsule
Balkanique par une population très nombreuse. Le getto-dace faisait
partie de la branche thrace. On n’en a conservé que des noms de
138
localités et de personnes, quelques glosses et inscriptions en alphabet
grec (Ezerovo, Bulgarie, V-e siècle av. J. C.);
- l’albanais (peut-être un descendant de l’illyrien), langue
officielle en Albanie (avec deux dialectes: le tosk et le geg), parlée
également en Serbie (Kossovo), en Bulgarie, en Turquie et dans le
sud de l’Italie (environ 3 - 4 millions de locuteurs).
7. Le groupe hellénique
Ce groupe comprend deux sous-groupes:
- le grec:
a) le grec ancien (les plus anciennes oeuvres littéraires sont
les poèmes homériques, IX-VIII siècles av. J. C.) s’étend jusqu’au
VI-e siècle de notre ère;
b) le grec moyen (byzantin), nommé ainsi parce que le seul
centre de culture grecque a été le Byzance (Constantinople), s’étend
du VI-e au XV-e siècles;
c) le grec moderne (néogrec), à partir du XVI-e siècle,
langue officielle en Grèce, à Chypre, parlée aussi dans certaines
zones des Balkans, de Turquie, d’Italie (environ 10 millions de
locuteurs). L’époque moderne a vu une tension entre une variété
littéraire, pure, katharevousa, et une variante dite “populaire”,
demotiki; aujourd’hui, unifiées en demotiki.
139
- le macédonien - langue du peuple d’Alexandre le Grand
(parlée dans la Macédoine, région historique située au nord de la
Grèce), quittée dès le IV-e siècle av. J. C. en faveur du grec.
8. Les langues slaves
Le groupe slave se subdivise en trois sous-groupes:
a) Le slave oriental (d’Est) qui s’est scindé en:
- le russe (parlé par plus de 120 millions de personnes,
langue officielle en Russie). Cette langue a connu au XIX-e et au
XX-e siècles une remarquable expansion vers l’Est et a joué le rôle
d’une langue fédératrice dans l’espace de l’ancienne Union
Soviétique;
- le biélorusse (ou le russe blanc), langue officielle en
Biélorussie (environ 10 millions de locuteurs);
- l’ukrainien (langue officielle en Ukraine; environ 35
millions de locuteurs).
Toutes ces langues utilisent l’alphabet cyrillique.
b) Le slave occidental comprend:
- le polonais (langue officielle en Pologne; environ 35
millions de locuteurs);
- le tchèque (langue officielle en Tchéquie; environ 10
millions de locuteurs);
- le slovaque (langue officielle en Slovaquie; environ 4
millions de locuteurs);
140
Ces langues utilisent l’alphabet romain (ou latin).
À part les langues sus-mentionnées, ce groupe comprend
aussi quelques langues de moindre diffusion dont survit encore:
- le sorabe (parlé en ex-République Démocratique
d’Allemagne, sur un territoire restreint uniquement à la campagne
entourant Cottbus et Bautzen; environ 100.000 locuteurs, tous
bilingues). Cette langue occupe une position intermédiaire entre le
polonais et le tchèque.
c) Le slave méridional (de Sud) comprend:
- le bulgare (langue officielle en Bulgarie; environ 7-8
millions de locuteurs). Cette langue utilise l’alphabet cyrillique;
- le macédonien (langue officielle en Macédoine, province
de l’ex-Yougoslavie, parlée aussi en Bulgarie et en Grèce; environ
1,5 millions de locuteurs);
- le serbo-croate (le serbe est langue officielle en Serbie, le
croate en Croatie; environ 20 millions de locuteurs). Les Serbo-
Croates ont formé d’abord un seul groupe, mais qui, à cause des
conditions culturelles et politiques différentes, sont passés dès le
Moyen Âge à deux variantes avec des graphies différentes (le serbe
se sert de l’alphbet cyrillique, alors que le croate utilise l’alphabet
romain);
- le slovène (langue officielle en Slovénie; presque 2 millions
de locuteurs); alphabet latin.
141
Les plus vieux textes sud-slaves datent du IX-e siècle et
représentent des traductions de textes religieux grecs faites par les
moines Cyrille et Méthode, créateurs de l’alphabet cyrillique. Ils ont
écrit dans un dialecte nommé le slavon, le vieux slave ou le vieux
bulgare, qui s’est imposé au Moyen Âge comme langue du culte
religieux chez tous les peuples slaves orthodoxes (en Roumanie
aussi, comme langue de l’église et des documents officiels).
9. Le groupe balte
Les langues baltes se rapprochent des langues slaves. Ce
groupe comprend:
- le lituanien (langue officielle en Lituanie; environ 3
millions de locuteurs);
- le letton (langue officielle en Lettonie; environ 2 millions
de locuteurs);
- le vieux prussien (langue éteinte dès les XVII-XVIII
siècles, les Prussiens étant assimilés par les Allemands).
Les groupes balte et slave sont souvent associés au sein d’un
groupe balto-slave.
10. Les langues germaniqes
Le groupe germanique comprend trois sous-groupes:
a) Le groupe oriental representé par:
142
- le gotique (ou gothique), langue disparue, qui a été parlée
par une population venue des régions de la Vistule et qui a fondé au
cours du II-e siècle de notre ère deux puissants royaumes: ostrogoth
et vizigoth. Cette langue est connue grâce à quelques fragments de la
Bible traduits par l’évêque Wulfila (IV-e siècle), créateur de
l’alphabet gothique;
- le burgonde;
- le vandale.
b) Le groupe nordique ou scandinave, qui procède du vieux
norrois et possède les plus vieux textes germaniques, des inscriptions
datant du III-e siècle de notre ère, écrits en caractères runiques. La
période de la communauté nordique dure jusqu’au IX-e siècle, après
quoi les différenciations dialectales s’acentuent menant à la création
de quatre langues:
- l’islandais (langue officielle en Islande; 200.000 locuteurs);
caractère archaïque à cause de l’isolement; proche du vieux norrois;
- le norvégien (langue officielle en Norvège; plus de 4
millions de locuteurs);
- le suédois (langue officielle en Suède et en Finlande, avec
le finlandais; plus de 8 millions de locuteurs);
- le danois (langue officielle au Danemark, y compris le
Groenland; environ 5 millions de locuteurs).
c) Le groupe occidental (d’Ouest) est le plus nombreux. Il
comprend:
143
- l’allemand (langue officielle en Allemagne, en Autriche, au
Luxembourg, en Suisse, au Liechtenstein; environ 100 millions de
locuteurs). Jusqu’au XIX-e siècle, entre les dialectes de l’allemand il
y avait de très grandes différences. Le processus d’unification réalisé
sous l’influence des grands écrivains et philosophes classiques
(Lessing, Schiller, Kant) n’est pas complètement achevé;
d’importantes différences dialectales subsistent encore de nos jours;
- le hollandais (langue officielle en Hollande, environ 12-13
millions de locuteurs; c’est aussi la deuxième langue de 4 millions
d’Afrikaaners en Afrique du Sud; parlé aussi en Amérique, en
Océanie). La langue littéraire moderne est connue sous le nom de
néerlandais;
- le flamand (variété locale du néerlandais, langue officielle
en Belgique, avec le français; environ 5-6 millions de locuteurs);
- le yiddish (langue maternelle pour 1 million de personnes et
environ 5 millions de locuteurs; ne vit guère que sur le territoire de
l’ancienne Union Soviétique, en Israël et aux Etats-Unis). C’est une
langue germanique provenant d’un dialecte moyen-allemand, avec
des éléments provenant de l‘hébreu, qui est devenue partiellement
une langue internationale des Juifs;
- l’anglais (langue officielle et première langue en Grande-
Bretagne, aux États-Unis, au Canada, sauf le Québec, en Australie,
en Nouvelle Zélande, en Afrique du Sud, soit au total environ 354
millions de locuteurs; avec une expansion devenue mondiale, langue
144
officielle, seule ou avec d’autres langues, souvent seconde langue, en
Afrique, dans la mer des Antilles, dans l’Océan Indien, en Asie, en
Océanie, soit au total environ 312 millions de personnes). Cette
langue est apportée aux V-e et VI-e siècles par les tribus
germaniques du nord de l’Allemagne (anglo-saxons). Avant cette
date on y parlait des langues celtiques. L’anglais procède de la
standardisation des parlers anglo-saxons, ayant subi des influences
danoises et norvégiennes, pénétrés par le latin et fortement influencés
par l’anglo-normand depuis 1066.
11. Les langues italiques parlées dès l’Antiquité dans la
Péninsule Italique. Elles forment deux groupes:
- l’osque-ombrien (l’ombrien était localisé dans la vallée du
haut Tibre, alors que l’osque occupait l’Italie méridionale);
- le latino-falisque (le falisque était pratiqué au nord de
Rome, alors que le latin est devenu la plus importante langue
italique). Parlé d’abord autour de Rome, dans la région appelée
Latium, le latin s’étend dans toute la péninsule, pour devenir la
langue de l’Empire Romain (du nord de l’Afrique et de la Péninsule
Ibérique, en passant par la Gaule, en Dacie et au sud du Danube). Au
moment où l’empire s’effondre (V-e siècle de notre ère) la langue de
chaque province évolue différemment, ayant comme résultat la
formation des langues romanes.
145
12. Les langues romanes comprennent deux groupes:
a) Le groupe occidental est représenté par:
- le portugais (environ 200 millions de locuteurs; langue
officielle au Portugal et au Brésil; il est également parlé dans les pays
qui ont été colonisés par le Portugal, surtout en Afrique - en Angole
et au Mozambique). Cette langue s’est formée dans l’ancienne
provine romaine la Lusitanie;
- l’espagnol (plus de 300 millions de locuteurs; langue
officielle en Espagne, dans le reste de l’Amérique Centrale et du
Sud). Elle s’est formée sur la base du dialecte castillan;
- le catalan (environ 7 millions de locuteurs; parlé en
Catalogne, province espagnole dont la capitale est Barcelone, où le
catalan est langue officielle, aux îles Baléares, en Andorre). À part la
Péninsule Ibérique, le catalan est aussi parlé en France, dans la
province appelée le Roussillon;
- l’occitan ou le provençal (entre 7-12 millions de locuteurs,
selon différentes sources; parlé dans 38 départements du Midi de la
France). À noter, pour éviter les possibles confusions, que le terme
de provençal s’emploie au sens large, synonyme d’occitan et au sens
retreint, pour nommer un dialecte de l’occitan. Ce n’est pas une
langue uniforme au point de vue linguistique; l’occitan est formé de
plusieurs parlers romans de langue d’oc. Le vieux provençal, est une
langue de culture, la langue de la poésie des troubadours;
146
- le français (environ 57 millions de locuteurs en France;
langue officielle en France, en Belgique, à côté du flamand, en
Suisse, à côté de l’allemand, de l’italien, et du romanche, en
Andorre, à côté de l’espagnol et du catalan, au Luxembourg, à côté
de l’allemand, au Canada - environ 6,5 millions de locuteurs
(Québec) et dans les ex-colonies françaises, Haïti, Algérie, etc., soit
au total environ 90-100 millions de sujets parlants). Le français s’est
formé sur la base du dialecte francien parlé dans l’Ile-de-France. On
considère comme acte de naissance de la langue française les
Serments de Strasbourg, prononcés en 842 par Charles le Chauve et
Louis le Germanique, petits-fils de Charlemagne;
- le rhéto-roman (environ 800.000 locuteurs; c’est un groupe
de dialectes parlés dans quelques régions de l’Italie, de la Suisse et
de l’Autriche). On distingue trois groupes distincts:
1) les dialectes occidentaux: le romanche (langue parlée dans
le canton des Grisons, en Suisse orientale); le ladin ou engadinois
(parlé dans le Tyrol du Sud);
2) les dialectes centraux: le ladin dolomitique (parlé en Italie,
dans la région des Alpes Dolomitiques);
3. les dialectes orientaux: le frioulan, parlé dans le Frioul, au
nord-est de l’Italie;
- le sarde (environ 1.200.000 de locuteurs; langue à caractère
archaïque parlée en Sardaigne, formée d’un groupe de dialectes);
147
- l’italien (environ 60 millions de locuteurs; langue officielle
en Italie, y compris en Sicile, en Suisse, à côté du français, de
l’allemand et du romanche, au Vatican et dans la République
indépendante de Sain-Marin). L’italien s’est formé sur la base du
dialecte toscan, langue de Dante, de Pétrarque, de Boccace.
b) Le groupe oriental comprend:
- le dalmate (langue morte aujourd’hui, parlée en Croatie, est
de l’Adriatique); les derniers sujets parlants ont disparu au XIX-e
siècle;
- le roumain (environ 25 millions de locuteurs). Le premier
texte est La lettre de Neacşu de Câmpulung adressée au juge de
Braşov Hans Benkner (1521). A la base de la langue littéraire se
trouve la langue employée par le diacre Coresi, dans le seconde
moitié du XVI-e siècle (sud de la Transylvanie et nord de la
Valachie).
Le roumain commun s’est scindé en plusieurs dialectes:
a) au nord du Danube:
- le daco-roumain (le roumain actuel);
b) au sud du Danube:
- l’aroumain (macédoroumain) – environ 350.000 locuteurs
(dans la Péninsule Balkanique, sur un vaste territoire, en Grèce, en
ex-Yougoslavie, en Bulgarie, en Albanie); idiome à caractère
archaïque, peut-être le plus proche du roumain commun;
148
- l’histroroumain (idiome parlé dans la Péninsule Histria, sur
la rive de la Mer Adriatique); le nombre de sujets parlants va
diminuant et se situe à environ un millier;
- le méglénoroumain – le nombre de locuteurs est apprécié à
14.000-25.000 (idiome parlé dans quelques localités grecques, sur la
vallée du Vardar, et dans la Macédoine ex-yougoslave).
13. Les langues celtiques
Les Celtes occupaient au milieu du 3-e siècle av. J.C. deux
tiers du continent européen, mais leur espace allait par la suite se
rétrécir sous la pression d’autres populations.
Selon que l’on parle des langues celtiques anciennes ou
contemporaines, on emploie des termes différents.
Le celtique ancien se subdivise en: gaélique (Irlande et
Ecosse), celtibère (dans la Péninsule Ibérique;) et brittonique, dont
faisait partie le gaulois, la plus vieille langue celtique attestée, qui
consitue le substrat du français.
Les langues modernes, cantonnées à l’extrême ouest et nord-
ouest de l’Europe, sont formées de deux groupes:
a) Le groupe insulaire est représenté par:
- le gaélique qui comprend: le gaélique irlandais ou
l’irlandais et le gaélique d’Écosse ou l’écossais. Ces langues ont le
statut de langues co-officielles, à côté de l’anglais;
149
- le brittonique comprend: le gallois, parlé, à côté de
l’anglais, au Pays de Galles; le cornique, parlé dans le Cornwall,
langue éteinte au XVIII-e siècle, mais qui connaît un remarquable
mouvement de résurrection, comme toutes les langues celtiques
d’ailleurs; le manxois, parlé dans l’île de Man.
b) Le groupe continental comprend aujourd’hui le breton,
langue parlée en Bretagne et apportée par une population venue aux
V-VI-e siècles du Sud de l’Angleterre.
Les autres familles de langues
La famille des langues sémito-chamitiques (Péninsule
Arabique, nord et nord-est de l’Afrique), avec deux branches, dont
les noms dérivent d’un tableau des populations comprises dans la
Bible (Genèse) où l’on dit que les populations proviennent des deux
fils de Noé (Sem et Ham):
- Les langues sémitiques: l’accadien (babylonien et
assyrien), le phénicien, l’hébreu, l’abyssinien, l’arabe.
- Les langues chamitiques: l’égyptien ancien, le copte, les
langues berbères, le somali.
La famille des langues finno-ougriennes: le finnois, le
lapon, l’estonien, le hongrois (langues agglutinantes).
La famille des langues ibéro-caucasiennes: le grusin
(Caucase), le basque (Pyrénées, en Espagne).
La famille des langues turco-tatares.
150
La famille des langues mongoliques.
Ces deux dernières familles sont parfois rattachées dans la
famille altaïque, avec deux branches:
- les langues turques (turc, turkmène, kazakh, etc.)
- les langues mongoles.
La famille des langues sino-tibétaines (regroupe des
langues parlées en Asie): le chinois, le vietnamien, le tibétain, le
siamois, le birman.
La famille des langues malayo-polynésiennes (regroupe
des langues parlées en Polynésie): le malais, l’indonésien, le
javanais.
Les langues tunguses: le nippon (japonais), le coréen.
La famille des langues dravidiennes (Sud de l’Inde et
Ceylon).
La famille des langues africaines (peu étudiées). Elle
regroupe un nombre très important de langues: les langues bantou
(du Cameroun au Kenya et jusqu’à l’Afrique du Sud), le peul et le
wolof (sur l’Ouest Atlantique).
La famille des langues amérindiennes (langues des
Indiens américains): algonquines, iroquoises, mayas, uto-aztèques,
etc. Les vieilles civilisations, surtout aztèque (au Mexique) et inca
(au Pérou), ont été détruites. Les plus vieux textes indiens sont les
textes maya (en Amérique Centrale, à l’époque pré-colombienne, III-
e siècle de notre ère).
151
Conclusions
Cette classification est incomplète: il est difficile sinon
impossible d’inventorier de façon exhaustive toutes les langues
parlées sur le globe.
Elle reste provisoire, la recherche aboutissant à découvrir ou
à récuser des parentés entre langues.
L’appartenance généalogique de certaines langues reste
controversée et parfois même mystérieuse. Voir par exemple le cas
du basque qui présente des analogies avec le hongrois et le géorgien,
ce qui laisse l’hypothèse d’un essaimage vers l’Ouest jusqu’au pays
basque de tribus originaires du Caucase. Ou le fait que les langues
amérindiennes présentent des analogies avec les langues
agglutinantes, notamment finno-ougriennes, ce qui pourrait
s’expliquer par l’histoire du peuplement du continent américain qui
se serait fait il y a 40.000 ans, lors de périodes glaciaires qui ont
permis à des populations parlant ces langues de franchir le détroit de
Behring.
Bibliographie
Iliescu, Maria, 1989, La classification des langues romanes, in Dieter Kremer (ed.), “Actes du XVIII-e Cogrès International de
152
Linguistique et Philologie Romanes”, Vol. 7, Tübingen, Niemeyer, p. 47-63.Iliescu, Maria & Livescu, Michaela, I, 1970, II, 1980, Introducere în studiul limbilor romanice, Reprografia Universităţii din Craiova.Klinkenberg, Jean-Marie, 1999, Des langues romanes, 2-e éd., Duculot, p. 90-100.Malherbe, M., 1995, Les langages de l’humanité, Robert Laffont, “Bouquins”.Perret, Michèle, 1998, Introduction à l’histoire de la langue française, Sedes.Sala, Marius & Rădulescu-Vintilă, Ioana, 1981, Limbile lumii, Editrura Ştiinţifică şi Enciclopedică..Walter, Henriette, 1994, L’aventure des langues en Occident, Robert Laffont.
153
LA TYPOLOGIE LINGUISTIQUE
L’immense variété, à un premier abord, des langues parlées
sur la Terre cache pourtant une double unité: de structure et
d’origine.
Unité de structure, parce que les langues doivent remplir
les mêmes fonctions, exprimer les mêmes processus logiques de la
pensée. Elles sont toutes constituées d’une enveloppe sonore, ont un
nombre variable de mots qui désignent les notions et un nombre
variable de procédés grammaticaux qui servent à exprimer les
relations entre les notions.
Unité d’origine, car il est hors de doute que les langues
actuelles dérivent d’un nombre réduit de langues primitives (ou
originelles), ayant appartenu aux premières communautés humaines
(v. chap. La classification généalogique).
La classification typologique
La typologie linguistique est d’essence comparative. Elle
répond au besoin de trouver des critères permettant de classer les
langues inventoriées. Elle compare des états de langue en se fondant
sur des critères morpho-syntaxiques, indépendamment de toute
154
considération généalogique. Plus précisément, il s’agit de savoir
comment s’expriment les relations grammaticales dans les
différentes langues (par exemple, la marque du pluriel, ou encore
celle d’un cas - nominatif, accusatif, etc.).
La classification typologique traditionnelle établit les types
structuraux suivants:
isolantes
non isolantes agglutinantes
synthétiques
Langues flexionnelles
analytiques
incorporantes (polysynthétiques)
Les langues de type isolant
Tous les mots ont une seule forme. Ils sont donc invariables.
Ces langues n’ont pas de structure morphologique. Par conséquent
les relations grammaticales entre les mots s’expriment par des
procédés syntaxiques, tels l’ordre des mots, par des mots auxiliaires
aptes à marquer ces relations, ainsi que par des procédés
suprasegmentaux (en particulier l’accent). Il n’y a pas de langue
entièrement isolante. Proche de ce type sont le vietnamien et le
chinois.
155
Exemple de structure isolante chinoise, emprunté à Wald et
Slave (1968:13): la proposition ren ai wo “un homme m’aime”, mot-
à-mot “homme aimer je”, où le premier mot est le sujet, le second le
prédicat, suivi de l’objet direct.
Mais comme la plupart des langues réunissent dans leur
structure des procédés grammaticaux divers, le chinois a aussi des
éléments agglutinants. De même, le français ou l’anglais, langues
flexionnelles analytiques, comportent aussi des traits isolants. Dans
des exemples comme Pierre admire Marie ou Le professeur écoute
l’étudiant, seul l’ordre des termes permet d’identifier le sujet et
l’objet direct:
Pierre admire Marie. / Marie admire Pierre
(sujet) (objet) (sujet) (objet)
Les langues de type agglutinant (du lat. agglutino, -are
“coller”)
Les relations grammaticales s’expriment par des affixes
ajoutés à la racine des mots.
- Le même affixe correspond toujours à une seule valeur.
- Une même valeur est toujours exprimée par le même
affixe.
156
Le mot apparaît comme une succession d’affixes attachés à
la racine. Hjelmslev (1991:123 sq.) donne l’exemple du turc: -lar
(-ler) est la désinence du pluriel, -a celle du datif, -da du locatif, -dan
de l’ablatif, ce qui, pour le mot kuş “oiseau” donne le tableau de
déclinaison suivant:
Sg. Pl.
Nom. kuş kuş-larDat. kuş-a kuş-lar-aLoc. kuş-da kuş-lar-daAbl. kuş-dan kuş-lar-dan
Un autre exemple illustrant le paradigme du substantif ev
“maison” est emprunté à Lyons (1970:45):
Sg. Pl.
Nom. ev ev-lerPossessif ev-i ev-ler-iAbl. ev-den ev-ler-in-den
Un autre trait caractéristique du type agglutinant est
l’invariabilité de la racine. On y rencontre pourtant le phénomène de
l’harmonie vocalique, conditionné par des facteurs phoniques: les
voyelles des affixes s’adaptent aux voyelles de la racine. Par
exemple hongr. kert “jardin”/ kertek “jardins”, mais ház “maison”/
házak “maisons”, ou bien kertben “dans le jardin” et szobában“
dans la chambre”.
157
Sont agglutinantes les langues finno-ougriennes, turco-
tatares, bantou, etc.
Les langues de type flexionnel
Elles se rapprochent du type agglutinant par l’utilisation
d’affixes pour exprimer les diverses relations grammaticales. Mais
elles se différencient du type agglutinant par le fait que:
- D’une part, un seul affixe peut exprimer simultanément
plusieurs relations grammaticales (amalgamées). C’est, par exemple,
le cas du lat –us, qui dans bonus marque à la fois le nominatif, le
singulier et le masculin ou du fr. travaillez, où la désinence –ez
marque le mode, le temps, la personne et le nombre du verbe.
- D’autre part, une même valeur grammaticale peut
s’exprimer par des affixes différents. Par exemple le pluriel des noms
est marqué en français, dans le code écrit, par -s, -x, ø, etc.
Le radical du mot peut subir des changements liés à la
flexion. Cette variabilité de la racine est appelée flexion interne
lorsqu’elle sert à exprimer des valeurs grammaticales. Par exemple
l’alternance observée en roumain dans les couples a) frumos /
frumoasă, b) noapte / nopţi, c) chem / cheamă, servant à exprimer
dans a) l’opposition de genre (M / F), dans b) l’opposition de
nombre (Sg. / Pl.) et dans c) l’opposion de personne (I-e pers. / III-e
pers.) est un procédé grammatical redondant (supplémentaire), car il
s’ajoute aux morphèmes spéciaux (les désinences exprimant ces
158
valeurs), alors que dans acesta (M) / aceasta (F) on remarque que
l’opposition de genre ne s’exprime que par l’alternance du radical.
La flexion interne est fréquente dans les langues germaniques: par
exemple, all. Bruder / Brüder (“frère / frères”), Vogel / Vögel
(“oiseau / oiseaux”) ou angl. tooth / teeth (“dent / dents”), goose /
geese (“oie / oies”), etc. Dans les langues sémitiques (arabe, hébreu)
toutes les voyelles changent d’un paradigme du mot à l’autre, alors
que la racine consonantique reste invariable, par exemple arabe
kataba “(il) a écrit” / yaktubu “(il) écrit”.
Sont en principe flexionnelles les langues indo-européennes,
sémitiques et chamitiques.
Langues synthétiques / langues analytiques
La proportion entre les moyens morphologiques et
syntaxiques dans la structure grammaticale diffère d’une langue à
l’autre.
Dans le cas des langues synthétiques, la fonction
grammaticale d’un mot s’exprime dans la phrase surtout par des
modifications de la forme (ces langues ont donc une flexion plus
riche, comme par exemple le latin).
Les langues analytiques se servent surtout d’outils
grammaticaux, comme les verbes auxiliaires (pour l‘expression de la
diathèse, du mode ou du temps) ou de prépositions.
159
Ainsi, si le latin employait les désinences casuelles, en
français les fonctions syntaxiques sont rendues, pour certains cas, par
les prépositions:
Cas Latin Français
Nom. homo hommeGén. hominis de l’hommeDat. homini à l’homme
Le roumain, qui a perdu en grande mesure la flexion
casuelle, mais conserve encore pour certaines classes de mots une
forme de Gén. – Dat., différente de celle de Nom. – Ac. (fata / fetei,
frumoasa fată / frumoasei fete, băiatul / băiatului, tinerii / tinerilor,
acesta / acestuia, aceasta / acesteia, etc.) est donc moins analytique
que les langues romanes occidentales.
Il faut encore remarquer que, souvent, les deux types de
structures (analytique et synthétique) coexistent dans une même
langue:
Structures synthétiques Structures analytiques
Gén. angl. Paul’s friend (the cover) of the book
(“l’ami de Paul”) (“la couverture du livre”)
Futur fr. (je) parlerai rm. voi vorbi
Plus-que-parf. rm. vorbisem fr. (j’)avais parlé
Dans les langues romanes au moins, la flexion verbale
synthétique a été maintenue en grande mesure (les désinences
verbales pour les temps simples sont amalgamées), alors que la
160
flexion nominale est analytique (les fonctions syntaxiques des noms
s’expriment, en principe, par la position avant ou après le verbe,
pour le cas nominatif et accusatif, et par les prépositions, pour les cas
génitif et datif). Cependant l’accusatif [+personne] est parfois
marqué dans plusieurs langues romanes par des prépositions (a en
espagnol et en italien méridional et pe en roumain).
L’analytisme et le synthétisme sont des formes dans
lesquelles se développe la structure grammaticale. Dans une certaine
période les langues évoluent surtout vers le synthétisme, dans
d’autres vers l’analytisme, enfin il y a des langues qui peuvent rester
dans le cadre d’un même type, en perfectionnant les moyens
d’expression dont elles disposent.
Entre les langues synthétiques et les langues analytiques il
n’y a pas de frontières précises. Une langue peut être synthétique par
rapport à une série de langues, mais analytique par rapport à d’autres.
En principe:
L’anglais est une langue analytique.
Les langues slaves (sauf le bulgare), l’allemand, le latin sont
synthétiques.
Les langues de type incorporant (ou polysynthétique)
Toutes les relations grammaticales peuvent s’exprimer par
des adjonctions ou des transformations faites à un radical. C’est ainsi
que ces langues incluent (incorporent) dans la forme du verbe les
161
compléments, parfois aussi le sujet, en sorte que la phrase se présente
comme un mot unique, correspondant à une suite de mots dans les
autres types de langues.
Par exemple, dans une langue sibérienne, tivalantoa’k veut
dire “j’ai sorti le couteau”, où ti = préfixe qui marque la I-e pers. sg.;
vala = “couteau”; nto = “sortir”; a’k = suffixe pour le temps passé.
Sont incorporantes les langues sibériennes paléo-asiatiques
et les langues amérindiennes.
La typologie moderne
Le concept moderne de typologie, employé pour la première
fois en 1928 dans les thèses de l’école de Prague, est qualitativement
différent du concept utilisé au XIX-e siècle et qui envisageait,
comme on l’a vu, la classification des langues. La typologie a
enregistré des progrès à mesure que sa méthodologie est devenue
plus complexe et raffinée, capable de saisir un nombre toujours accru
de traits distinctifs et caractéristiques des langues analysées, tout en
multipliant en même temps le nombre de critères utilisés pour
comparer les langues.
Des traits communs des langues non apparentées
génétiquement ont été relevés dans tous les compartiments, surtout
en morphologie, phonologie et lexique, mais aussi en syntaxe. Ainsi,
dans la typologie de J. H. Greenberg (A Quantitative Approach to the
Morphological Typology of Languages, in IJAL 26, 3, 1960, p.178-
162
194) les langues romanes appartiennent au groupe SVO / Prép. /
NAdj. / NGén., de même que l’albanais, le khmer, le malais, les
langues bantou, etc. (ap. Klinkenberg, 1999:104). Ces sigles
indiquent que dans ces langues: a) l’ordre standard de la phrase
assertive est sujet + verbe + objet; b) les rapports circonstanciels sont
exprimés à l’aide des prépositions; c) le qualificatif a tendance à
suivre le nom; d) dans la construction possessive, le possesseur suit
le possédé.
Il existe évidemment d’autres critères, qui permettent des
analyses plus élaborées encore: l’évaluation quantitative des traits
structuraux, l’analyse des traits concrets de la structure grammaticale
(présence/absence des classes nominales, existence/inexistence du
genre grammatical, la forme du radical), la position et le nombre des
déterminants du sujet, respectivement du prédicat, etc.
Dans le cas de la comparaison typologique des langues
apparentées se pose toute une série de problèmes comme: “quel est
le degré de variabilité structurale auquel peuvent aboutir des langues
qui ont une origine commune ? Y a-t-il des voies de développement
préférées, ou même nécessaires?” (Bossong, 1998, ap. Iliescu,
2001:63). En principe, on distingue des recherches typologiques non
syntaxiques et dans une plus grande mesure des recherches
syntaxiques.
Dans la première catégorie, nous voulons nous référer à la
typologie structurale de Coşeriu, qui différencie dans chaque langue
163
trois niveaux hiérarchiques: la norme, le système et le type. Plusieurs
normes peuvent correspondre à un système et plusieurs systèmes à
un seul type. Les langues romanes représentent les diverses
réalisations du type roman. Les paramètres d’analyse sont l’axe
paradigmatique et l’axe syntagmatique. Ce qu’on entend par
analytique et synthétique n’est autre chose qu’une détermination
paradigmatique interne patris / patri, altus / altior ou bien une
détermiantion syntagmatique externe de patrem / ad patrem, altus /
magis altus. C’est ainsi que la morphologie et la syntaxe des langues
romanes suivent le principe de la détermination interne pour les
fonctions internes et le principe de la détermination matérielle
externe pour les fonctions et les relations externes, ce qui a comme
suite que ces langues ne sont ni totalement synthétiques ni totalement
analytiques.
Une autre contribution à la typologie non syntaxique
romane est due à M. Iliescu et L. Mourin (1991), qui se sont proposé
de faire une analyse globale de la morphologie verbale romane et de
trouver le prototype roman, tout en analysant aussi la distance de
chaque idiome par rapport au prototype (les conclusions sont que le
catalan est le plus proche du prototype, alors que le français en est le
plus éloigné).
D’autre part, dans les recherches syntaxiques modernes on
distingue plusieurs directions. Par exemple, la typologie corrélative,
qui observe l’existence d’une liaison entre différents domaines de la
164
langue - ordre des mots et morphologie, phonétique et morphologie,
etc. - (cf. Körner, 1983) ou la typologie sérielle, la plus en vogue
aujourd’hui, qui consiste dans l’analyse de l’ordre des mots et dont
l’initiateur est Greenberg (cf. supra). Bien que ses comparaisons ne
portent pas sur les langues romanes, les résultats de ses recherches
sont importants pour la linguistique romane aussi, par exemple, la
constatation d’ordre diachronique que dans l’évolution du latin aux
langues romanes il y a eu un changement important dans l’ordre des
éléments fonctionnels: du type latin SOV les langues romanes sont
passées (en grandes lignes) au type SVO. Nous mentionnons
également, dans ce cadre, un article de L. Renzi (1989), qui, en
appliquant le critère sériel, découvre 14 caractéristiques présentes
dans toutes les langues romanes (prépositions et non pas
postpositions, l’auxiliaire se trouve devant le verbe lexical, le
pronom interrogatif se trouve devant le verbe, l’adverbe se trouve
devant l’adjectif qu’il modifie, le temps et le mode sont exprimés par
le verbe, et ainsi de suite).
Quelques conclusions
a) Le rapport entre typologie et généalogie
Il ne faut pas chercher à faire correspondre type linguistique
et familles linguistiques. Pourtant, on peut constater que, en grandes
lignes, les deux types de classification se correspondent, car les
ressemblances de structure d’un groupe de langues sont dues, en
165
premier lieu, à l’origine commune. C’est ainsi que la plupart des
langues indo-européennes sont flexionnelles, les langues ouralo-
altaïques sont agglutinantes, les langues sino-tibétaines sont
isolantes, etc.
b) La variabilité du type morphologique
Il est fréquent qu’une langue, au cours de son évolution,
change de type. L’arménien, par exemple, originellement de type
plutôt flexionnel, est aujourd’hui de type plutôt agglutinant. Un autre
exemple typique est fourni par les langues romanes. Le latin, la
langue d’origine, était une langue flexionnelle ayant un caractère
synthétique très marqué. Les langues romanes (surtout occidentales)
sont devenues analytiques.
c) L’amalgame de types
La plupart des langues appartiennent à des types mixtes, les
différents types se rencontrant dans des proportions variables, selon
les langues. Le fait que les langues réunissent dans leur structure des
procédés grammaticaux divers constitue la principale difficulté dans
la réalisation de ce type de classification. Le chinois, langue de type
isolant, présente aussi des traits agglutinants. Le français et l’anglais,
langues flexionnelles analytiques, comportent aussi des traits isolants
et ainsi de suite. On ne saurait parler dans ces conditions que de
dominantes typologiques et non pas de types exclusifs ou purs.
166
d) Les recherches typologiques modernes
La typologie se trouve aujourd’hui au centre des
préoccupations linguistiques, mais “le sens même du terme
typologie est loin d’être univoque et les directions de recherche sont
multiples” (Iliescu, 2001:61). On se propose d’identifier les traits qui
caractérisent certains groupes de langues, apparantées ou non, et
aussi de trouver des traits qui caractérisent l’ensemble de langues
d’un certain espace (par exemple des langues européennes, formant
une communauté linguistique et culturelle, réalisée au long des
siècles).
Bibliographie
Bossong, Georg, 1998, Typologie des romanischen Sprachen, in LRL, vol. VII, p. 1003-1019.Coşeriu, Eugenio, 1979, Synchronie, Diachronie und Typologie, in “Sprache, Strukturen und Funktionen”, Tübingen, Narr, p. 77-90.Coşeriu, Eugenio, 1988, Der romanische Sprachtypus. Versuch der Typologisierung der romanischen Sprachen, in Albrecht, Lüdtke, Thun, Bd. 1, p. 207-224.Greenberg, J. H., 1960, A Quantitative Approach to the Morphological Typology of Languages, in IJAL 26, 3, p. 178-194.Iliescu, Maria, 2001, La typologie des langues romanes. État de la question, in “Actas del XXIII Congreso Internacional de Lingüística y Filología Románica”, Salamanca, p. 61-81.Iliescu, Maria & Mourin, Louis, 1991, La typologie de la morphologie verbale romane, Verlag des Instituts für Sprachwissenschaft, Innsbruck.Hagège, Claude, 1982, La structure des langues, PUF, “Que sais--je ?”.
167
Hjelmslev, Louis, 1991, Le langage, Gallimard, “Folio”.Klinkenberg, Jean-Marie, 1999, Des langues romanes, 2-e éd., Duculot.Körner, Karl-Hermann, 1983, Considerazioni sulla tipologia sintattica delle lingue romanze, in RJb, 34, p. 34-41. Rădulescu-Vintilă, Ioana, 2004, Introducere în lingvistica generală, I, Universitatea Creştină “Dimitrie Cantemir”, Bucureşti, p. 25-36.Renzi, Lorenzo, 1989, Wie können die romanischen Sprachen typologisch karakterisiert werden ?, in VR 48, p. 1-12.Wald, Lucia & Slave, Elena, 1968, Ce limbi se vorbesc pe glob, Editura ştiinţifică.
168
LA VARIATION
La diversification linguistique
Les langues sont le principal moyen de communication
entre les hommes, répondant à des besoins multiples: communication
rationnelle, affective, besoin de survie, de pouvoir, etc.
Les langues n’ont pas un caractère homogène: au contraire,
la diversité à l’intérieur d’une même langue peut être telle qu’elle
gêne l’intercompréhension. Les variations affectent tous les
compartiments de la langue: la phonétique tout d’abord, mais aussi la
syntaxe et la morphologie et même la pragmatique. Pour rendre
compte de toutes ces différences, les linguistes emploient le terme de
variété.
Les axes de variation
Les langues varient selon trois axes: l’espace, le temps et la
société:
- la variation selon le temps s’appelle diachronique;
- la variation selon l’espace est dite diatopique;
169
- la variation sociale est dite diastratique (variation à
laquelle on associe la variation stylistique ou diaphasique, qui
concerne les différences entre les diverses modalités d’expression).
Ces axes fournissent chacun des critères de description des
variétés linguistiques.
Il faut préciser que les terms de diatopique et de
diastratique ont été proposés par L. Flydal en 1951, alors que le
terme de diaphasique a été introduit par E. Coşeriu (v. Coşeriu,
2000:263)
Les trois types de variation ne peuvent être dissociés que
pour les besoins de la classification. En fait, ils sont en étroite
relation les uns avec les autres.
Par exemple, la variation dans l’espace peut dépendre de la
variation temporelle. En évoluant dans le temps à partir de t0, mais de
manière distincte selon les endroits où l’on se trouve, une même
langue L0 peut se trouver, en t1, à l’origine de variétés apparentées
L1, L2, L3, etc. (le latin - L0 à t0 - aboutit en t1 aux dialectes romans
que sont le picard - L1-, le wallon - L2-, le normand - L3-).
La variation temporelle peut dépendre à son tour de la
variation sociale. Au cours de l’histoire, les bouleversements
sociaux, amenant au devant de la scène des groupes différents,
influencent le visage que présente la langue. Ainsi, si L1 et L2 sont des
variétés sociales, on peut s’imaginer que L1 domine en t0 parce que la
classe sociale qui pratique cette variété est dominante. Tout comme
170
si en t1 la classe qui pratique L2 est au pouvoir, certains traits de
cette variété pourront s’imposer à l’ensemble du corps social. Par
exemple, la lente imposition de la demotiki (L2) au détriment de la
catharevousa (L1) dans la langue écrite en Grèce contemporaine; la
victoire du norvégien (L2) contre le danois (L1) en Norvège, etc.
On pourrait multiplier les exemples illustrant comment les
trois facteurs de variation linguistique s’interconditionnent,
s’associant deux à deux ou même trois à la fois.
Unification et diversification
Toutes les langues sont influencées dans leur développement
par deux forces antagonistes: des forces centrifuges ou de
diversification et des forces centripètes ou d’unification. “Selon les
circonstances historiques, les unes prévalent sur les autres. Les forces
d’unification dominent lorsque les communications sont intenses; les
forces de diversification dominent lorsque les communications se
relâchent” (Klinkenberg, 1999:33).
Les facteurs temps, espace géographique et espace social
jouent simultanément dans le processus complémentaire de
diversification et d’unification.
171
1. La variation dans le temps (ou diachronique)
Les langues évoluent: c’est ce qui s’appelle la variation
temporelle. Les changements peuvent être lents ou rapides,
superficiels ou profonds, erratiques ou systématiques.
Types de changements linguistiques
La langue et son évolution sont d’une grande complexité et
se laissent difficilement étudier.
Les mutations du système phonologique se produisent en
général sur des périodes relativement longues. Au contraire, nous
sommes très sensibles au renouvellement du stock lexical, qui se
produit très rapidement, presque sous nos yeux, le vocabulaire étant
le compartiment de la langue le plus sensible aux mutations
extérieures (mais il y a dans chaque langue un noyau de mots qui ne
se renouvellent que très lentement, par exemple les mots qui
désignent “la mère”, “la terre”, “le soleil”, “l’eau”, “le pain”, etc.,
formant le fonds principal du vocabulaire).
D’autre part, les changements phonétiques peuvent
provoquer des changements dans la morphologie et puis dans la
syntaxe, donc ils ont des répercussions sur tout le système. Par
exemple, la chute des finales dans les mots latins, aboutissant à la
réduction des désinences dans la déclinaison et dans la conjugaison,
a pour effet le développement des prépositions et des pronoms (pour
marquer, respectivement, les cas et la personne du verbe), ainsi
172
qu’une syntaxe positionnelle (l’ordre des termes devient beaucoup
plus rigoureux qu’en latin classique: dans les langues romanes, la
structure canonique de la phrase assertive non marquée est: Sujet +
Verbe + Objet). Au contraire, le renouvellement du vocabulaire
n’affecte pas profondément l’économie générale de la langue.
Les causes des changements linguistiques
Il est difficile de préciser les causes des changements
linguistiques. On peut néanmoins distinguer entre les facteurs
internes (relatifs à l’équilibre du système) et les facteurs externes
(relatifs à la situation des locuteurs et des groupes dont ils font
partie).
Les facteurs internes
La loi du moindre effort, qui gouverne tout mouvement
biologique et social, est souvent la cause des changements et se
manifeste par l’économie des moyens linguistiques mobilisés: par
exemple, chute des voyelles finales et réduction du volume des mots,
réduction des groupes consonantiques difficiles à prononcer,
élimination des verbes appartenant à des conjugaisons difficiles, etc.
Il s’agit dans ce cas d’une loi du moindre effort physique,
articulatoire.
Des changements contraires à cette loi du moindre effort
physique se produisent souvent: c’est qu’une langue n’est pas
seulement un instrument neutre de communication, elle sert aussi à
173
des fins expressives. En outre, l’abréviation excessive des mots, par
exemple, menace la compréhension; il y a donc aussi une loi du
moindre effort psychique chez l’interlocuteur. La recherche d’une
communication distincte mène à maintenir la structure phonique du
mot, la distinction lexicale, à conserver et même à enrichir le stock
des phonèmes.
Entre ces deux tendances il y a un équilibre précaire,
toujours brisé et refait, tant que la langue est vivante.
La chute des finales (dans le passage du latin vers les
langues romanes) est, selon Wartburg (1963), l’exemple le plus
représentatif d’action de la loi du moindre effort. Mais pourquoi pas
la chute des initiales ? C’est parce que, selon Malmberg (1962), les
initiales portent une plus grande information. Cette information va
décroissant vers la fin du mot, les derniers sons étant, souvent,
prévisibles. Plus un son est riche en information, plus il se prononce
énergiquement et donc plus il a de chances de se conserver. Voilà
pourquoi la commodité a agi en éliminant les sons finals.
Une des forces qui contrecarre les “dégâts” provoqués par
l’économie linguistique est l’analogie (changement analogique). Elle
est une force psychologique régularisatrice, une tendance vers l’ordre
et le système et consiste à réduire la diversité des formes, en alignant
les moins fréquentes et irrégulières sur les plus utilisées. Pourtant,
l’analogie n’agit pas en même temps sur tous les cas similaires. Par
exemple, l’ancien français a changé (nous) dimes en (nous) disons
174
sur le modèle de (nous) lisons, mais (vous) dites a été maintenu. La
fréquence d’emploi d’une forme la met souvent à l’abri de la force de
la régularisation analogique: qu’on pense seulement aux verbes
auxiliaires, qui sont des formes conservant un grand nombre
d’irrégularités dans toutes les langues !
Les facteurs externes
Parmi les facteurs externes, les plus importants sont les
contacts entre les langues et les changements sociaux.
Les contacts entre langues peuvent générer des situations
de plurilinguisme et de diglossie, ce qui a pour effet la production
des interférences. Les interférences collectives modifient le système
de la langue affectée. On doit se rapporter à cet égard à la théorie
des strats, dont le rôle dans le changement linguistique a été souligné
à maintes reprises, surtout dans le passé.
Les changements sociaux consistent en premier lieu dans la
modification du contexte référentiel: les réalités nouvelles impliquent
des expressions nouvelles. Ceci se manifeste dans le cas des sciences
et des techniques, qui exigent un développement constant et
prodigieux des terminologies, dans le cas des innovations sociales ou
politiques, tout comme dans les nouveaux modes de vie
(économiques, relationnels, vestimentaires, alimentaires, etc.), qui
imposent de nouveaux mots et locutions. Ces mutations entraînent
aussi des restructurations des systèmes sémantiques des langues,
témoignant d’un changement d’attitude vis-à-vis des réalités:
175
pensons, par exemple, à l’évolution des mots ambiance ou
environnement !
2. La variation dans l’espace (ou diatopique)
Quand une langue est parlée sur une certaine étendue
géographique (ce qui est toujours le cas, même si le territoire est
restreint), elle tend à se morceler en usages d’une région ou d’une
zone. ”La diversité diatopique est le premier type de variation pris en
compte dans l’histoire des sciences du langage, et c’est là que la
variation a été la plus ample. Mais il est maintenant souvent difficile
de localiser un locuteur à l’écoute, les facteurs sociaux comme la
mobilité, l’éducation et les médias ayant eu des effets à la fois
homogénéisants (entre variétés proches) et hybridisants (entre
idiomes). Les particularismes locaux se maintiennent surtout quand
les contacts sont limités: dans les campagnes, chez les plus âgés et
les moins éduqués” (Gadet, 2003b:8).
Le produit de ce type de variation est le dialecte, alors que
le produit de ce type d’unification est la langue standard.
Le dialecte est en général défini comme:
a) une variété régionale d’une langue: “forme particulière
d’une langue (…) parlée et écrite dans une région d’étendue variable
(…)“ (Trésor de la langue française), par exemple le français de
Liège ou l’allemand d’Autriche;
176
b) le produit de la diversification d’un stade très ancien de la
langue. La dialectologie, qui a pour objet les dialectes au sens b),
utilise les techniques de l’enquête dialectale et la cartographie
linguistique (les atlas linguistiques);
c) toute variété linguistique subordonnée à une langue
standard; par exemple le normand et le picard sont dominés par le
français standard, le francique ripuaire est dominé par l’allemand
standard et ainsi de suite.
Dans certains cas, le dialecte s’efface sous l’action de la
langue standard. Par exemple, les dialectes provenant de la langue
d’oïl en France (wallon, picard, champenois, bourguignon, berrichon,
etc., dont certains, selon Walter, 1994:297, “se sont aujourd’hui
pratiquement dissous dans un français régional coloré”), ne résistent
pas aussi bien au standard que bon nombre de dialectes italiens.
Pour délimiter les dialectes sur une carte on se sert des lignes
d’isoglosses (des frontières délimitant l’aire géographique d’un
dialecte; du grec iso “égal” et glossa “langue”). Ces frontières
linguistiques permettent donc de délimiter des zones homogènes au
regard du phénomène considéré. Les isoglosses sont souvent de
nature phonétiqe, mais on peut observer aussi des isoglosses
lexicales, morphologiques, syntaxiques. Exemple d’isoglosse
morphologique: la Romania occidentale est séparée de la Romania
orientale par la marque du pluriel des substantifs: -s à l’Ouest,
voyelle à l’Est.
177
Les langues standard
La langue standard est “la variété de langue dans laquelle
tous les membres d’une communauté linguistique acceptent de se
reconnaître” (Klinkenberg, 1999:38) ou celle qui est “la plus
couramment employée au sein d’une communauté linguistique (…)”
(Trésor de la langue française). En d’autres termes, les membres de
telle ou telle communauté linguistique se reportent à un même
modèle idéalisé de langue.
La naissance des langues standard est due à des causes
extra-linguistiques, qui peuvent être de nature politique, religieuse,
économique ou culturelle. C’est ainsi que le besoin d’unité
religieuse, tout comme celui d’unité politique, agit en faveur de
stabilisation d’une langue. Par exemple l’arabe dans lequel est écrit
le Coran assure la cohésion de l’arabe classique, variété d’arabe
relativement homogène à travers le monde arabophone. Il faut encore
préciser que, contrairement à une idée assez répandue, l’apparition
d’une langue standard n’est pas nécessairement liée à celle d’un État,
bien que ce soit souvent le cas (voir le cas du français, du russe, de
l’anglais). Mais l’union politique peut être postérieure à la naissance
des standards: c’est le cas de l’italien ou de l’allemand (pour lequel
le choix du haut allemand comme standard doit beaucoup à la
traduction de la Bible par Luther en 1534).
Les langues standard connaissent souvent une forte
institutionnalisation. Il s’agit en premier lieu de l’enseignement, car
178
c’est surtout à travers l’école que les modèles linguistiques sont
transmis, mais d’autres instances de légitimation sont les productions
telles que les dictionnaires, les grammaires, les manuels de langues,
la littérature, les chroniques langagières, tout comme les organismes
gouvernamentaux ou intergouvernamentaux, la législation
linguistique, les médias audiovisuels, etc.
L’écriture, à son tour, est un des plus puissants facteurs de
standardisation et d’institutionnalisation des langues. La fixation
d’une norme écrite est d’ailleurs une composante essentielle du
processus de standardisation.
Il y a des langues qui ont subi de bonne heure le processus
de standardisation. Tel est, par exemple, le cas du français: “La
question de la langue est omniprésente en France, pays
historiquement unifié sur la base de l’expansion linguistique” (Gadet,
2003b:17).
Les modalités linguistiques de constitution des langues
standard sont assez diverses:
- une variété peut s’imposer: le castillan en Espagne, l’hindi
aux Indes;
- le standard apparaît suite à une synthèse de plusieurs
variétés: le mandarin et une variété contemporaine (“la langue
commune”) pour le chinois du Nord;
179
- une tierce variété s’impose: le danois s’impose de 1530 à
1814 comme langue officielle et littéraire en Norvège, ou l’anglais
pour les communautés noires d’Afrique du Sud.
3. La variation sociale (ou diastratique)
La variation de la langue en fonction des facteurs sociaux
fait l’objet de la sociolinguistique. Ces facteurs amènent le locuteur à
employer diverses variété linguistiques (ou sociolectes), en fonction
de: a) la situation sociale des interlocuteurs; b) le contexte de la
communication; c) d’autres indices sociaux.
La situation sociale des interlocuteurs
Tout locuteur a sa disposition un éventail de ressources
expressives dans lequel il opère son choix: il s’agit d’utiliser les
variétés (considérées comme) les plus adéquates pour atteindre les
objectifs visés par la communication. Les langues possèdent en
général des ressources pour distinguer entre les différents types de
relations interpersonnelles (v. Kerbrat-Orecchioni, 1994:35-36), qui
s’organisent suivant deux grands axes, à savoir:
a. L’axe “horizontal” (de la distance). Cette dimension de
la relation renvoie au fait que dans l’interlocution, les partenaires
énonciatifs peuvent se montrer plus ou moins “proches” ou
“éloignés”, cette distance étant fonction de leur degré de
connaissance mutuelle, de la nature du lien socio-affectif qui les unit,
de la nature de la situation énoncitaive (familière / formelle).
180
b. L’axe “vertical” (de la hiérerchie). La distance verticale
est elle aussi de nature graduelle et se reflète dans la nature de ses
marqueurs, par exemple l’emploi des pronoms d’adresse (formes de
politesse): l’espagnol tutoie plus vite que le français, celui-ci plus
vite que l’allemand, etc. Mais il y a aussi des langues (le japonais et
le coréen) ayant un système de révérence très complexe: 5-6 formes
de pronoms personnels de la 2-e personne qui désignent
l’interlocuteur selon son statut social.
Le contexte de la communication
a. Le contexte social représente “l’ensemble des situations,
lieux et circonstances qui déterminent un certain type d’expression
linguistique” (Klinkenberg, 1999:45). On pourrait situer ces
situations sur une échelle allant de la situation formelle (caractérisée
par l’emploi d’un registre de langue élevé) à la situation informelle
(qui laisse toute latitude dans le choix des registres, jusqu’aux
registres bas).
b. Le contexte instrumental est constitué par “les
contraintes techniques qui pèsent sur la communication” (idem:46).
Le canal de la communication détermine le choix de certaines
variétés. Par exemple le style télégraphique, une conversation
téléphonique, une conférence enregitrée subissent des contraintes
dans le choix des moyens d’expression. L’écriture, à son tour, peut
être considérée comme un contexte instrumental de premier ordre,
pour toutes les langues qui connaissent les deux codes de
181
communication: oral et écrit. Son avantage est d’élargir la
communication dans le temps et dans l’espace.
c. Le contexte référentiel, enfin, est constitué par “le
contenu même de la communication” (idem:47). En fonction du
thème de la communication et des attitudes sociales à son égard, le
locuteur peut choisir des registres différents. Les Anciens parlaient
déjà, dans les techniques de l’art oratoire, de l’adéquation entre le
style de la langue et le thème traité: on distinguait entre le noble,
propre à émouvoir, le simple, pour expliquer et l’agréable, pour
plaire. Le principe d’adéquation référentielle varie avec le temps et
les sensibilités.
Les indices sociaux
Il faudrait y ajouter d’autres indices sociaux, dont certains
sont quantifiables (comme le sexe, l’âge), ou non (par exemple la
position sociale). Les problèmes qu’une telle classification soulève
sont bien connus de la sociologie: sur quels critères classer les
locuteurs ? Trois facteurs sont souvent exploités comme indices de la
position sociale: niveau d’étude, profession (en particulier différence
entre travail d’exécution et travail intellectuel) et type d’habitat
(rural ou urbain).
De tels classements, utilisés dans les enquêtes sociologiques,
ne sont pas toujours capables de saisir la diversité d’usages
(socio)linguistiques, sensibles à des facteurs multiples, d’une
dynamique étonannte: décentralisation, régression du monde rural
182
(avec pour effet l’atténuation des spécificités diatopiques),
immigration et nouveaux contacts de langues porteurs de nouvelles
identités et ainsi de suite.
4. La variation stylistique (ou diaphasique)
Un locuteur, quelle que soit sa position sociale, dispose d’un
répertore diversifié selon la situation où il se trouve, les
protagonsites, la sphère d’activité ou les objectifs de l’échange.
Ce type de variation peut donc entraîner elle aussi des
différences notables, selon les communautés linguistiques. Pour
désigner ces variétés, il existe une terminologie assez diversifiée:
niveaux de langue, registres stylistiques, etc. La notion de niveau
s’est constituée au carrefour de problématiques didactiques,
stylistiques et linguistiques. Selon la pratique courante, les
principaux termes offerts par les manuels scolaires, les dictionnaires
ou les grammaires sont:
Terme Synonymesoutenu recherché, soigné, élaboré, cultivéstandard standardisé, courant, commun, usuelfamilier relâché, spontané, ordinairepopulaire vulgaire, (+ argotique)
La diversité de chenal, oral ou écrit, peut aussi être rapportée
au diaphasique (on appelle encore ce type spécial de variation
diamésique). De nombreux ouvrages récents en ont montré les
implications conceptuelles et cognitives à partir de l’organisation
183
même de l’information, différente par oral et par écrit. La langue
parlée favorise, entre autres, l’existence de certains phénomènes de
structuration du discours, de certaines procédures conversationnelles,
analysables à différents niveaux: lexical, syntaxique, rhétoriqe,
pragmatico-énonciatif, etc. (cf. Blanche-Benveniste, 2000). D’autre
part, l’oral et l’écrit sont aussi opposés par l’implication du locuteur,
jugée plus faible à l’écrit. L’oral voit le locuteur interagir, en général
en co-présence. L’engagement du locuteur dans son discours se
manifeste à travers les déictiques, la présence d’éléments évaluatifs,
de modalisateurs.
D’autres différences peuvent encore être mises en évidence
entre la langue “courante”, usuelle et la langue littéraire, entre le
langage courant et le langage administratif, etc. Dans la langue
littéraire on enregistre des différences sensibles entre la poésie et la
prose, entre la poésie épique ou lyrique, etc.
De toute façon, il est à relever que la plupart des traits
linguistiques variables concernent à la fois le diastratique et le
diaphasique.
Conclusions
La langue est un moyen de communication qui reste efficace
dans une très grande variété de situations. Elle varie nécessairement
dans le temps, car les langues évoluent, mais aussi dans l’espace et la
184
société, comme on vient de le voir. La variabilité est ainsi inscrite
dans l’être même de la langue.
Le tableau suivant, emprunté à Gadet (2003b:15), synthétise
les relations entre les termes de la variation:
Variation selonl’usager
temps changement diachronieespace géographique,
régional, local, spatial
diatopie
société social diastratieVariation selonl’usage
styles, niveaux, registres
situationnel, stylistique, fonctionnel
diaphasie
chenal oral / écrit diamésie
Selon Coşeriu (2000:266), la langue ne constitue pas un seul
système linguistique, mais un diasystème, un ensemble plus ou
moins complexe de “dialectes”, “niveaux de langue” et “styles”. On
parle, dans un sens analogue, de l’architecture de la langue ou
d’architecture variationnelle.
185
Bibliographie
Blanche-Benveniste, Claire, 2000, Approche de la langue parlée en français, Ophrys.Coşeriu, Eugeniu, 2000, Lecţii de lingvistică generală, Editura ARC.Gadet, Françoise, 2003a, La variation: le français dans l’espace social, régional et international, in Yaguello, Marina, “Le grand livre de la langue française”, p. 91-152.Gadet, Françoise, 2003b, La variation sociale en français, Ophrys.Guiraud, Pierre, 1968, Langage et théorie de la communication, in “Le Langage”, Encycplopédie de la Pléiade, p. 145-167.Kerbrat-Orrecchioni, Catherine, 1994, Les interactions verbales, II, Armand Colin.Klinkenberg, Jean-Marie, 1999, Des langues romanes, 2-e éd., Duculot, p. 29-56.Malmberg, Bertil, 1962, La notion de “force” et les changements phonétiques, in “Studia Linguistica”, XVI, 1, p. 38-44.Saussure, Ferdinand de, (1916), éd. 1978, Cours de linguistique générale, Payot, p. 261-312.Wartburg, Walter von, 1963, Problèmes et méthodes en linguistique, PUF.
186
TROISIÈME SECTION
LA RÉFÉRENCE
Cadre théorique
Parler des individus, des objets qui nous entourent ou de
toute entité appartenant à un univers quelconque n’est pas
concevable sans l’établissement d’une relation particulière entre la
langue et le monde. Quand on dit, par exemple, Mon chat est malin,
le sujet de la phrase désigne un objet du monde que l’interlocuteur
doit pouvoir identifier: le référent. L’énonciation du groupe de mots
(syntagme nominal) mon chat permet alors de réaliser un acte de
référence. Celui-ci consiste donc à utiliser des formes linguistiques
(mots, syntagmes, phrases) pour évoquer des entités (objets,
personnes, propriétés, procès, événements) appartenant à des univers
réels ou fictifs, extérieurs ou intérieurs. Selon Charolles (2002:248),
la référence est un “acte intentionnel visant à renvoyer à une entité
extra-linguistique par le biais d’une expression linguistique”.
Historique
L’approche linguistique des phénomènes de référence n’est
pas de date récente. Ce problème a été abordé par les plus grands
philosophes comme Platon, G. Leibniz, J. Locke, S. Mill, G. Frege,
187
E. Husserl, P. Strawson, W. Quine et a suscité une quantité
impressionnante d’études linguistiques.
F. de Saussure exclut le référent dans la représentation
biplane du signe linguistique. Il souligne dans son Cours de
linguistique générale que “le signe linguistique unit non une chose et
un nom, mais un concept et une image acoustique” (1916,
éd.1978:98), ce qui a permis le développement par la suite d’une
sémantique intralinguistique (immanentiste). Contrairement à cette
démarche, le triangle sémiotique de C. Ogden et I. Richards ménage
une place au référent (The Meaning of Meaning, London, 1923) (v.
chap. Le signe linguistique), tout comme le triangle de S. Ullmann
(Semantics, Oxford, Blackwell, 1962) reproduit ci-dessous:
Sens
Nom Chose(= référent)
Malgré cela, les travaux de linguistique se sont pendant
longtemps cantonnés à l’étude des relations entre le symbole (ou
nom) et la pensée (ou sens). Mais aujourd’hui les linguistes
considèrent que l’analyse des phénomènes touchant à cette
problématique constitue un chapitre essentiel de la sémantique et de
la pragmatique, voire de la syntaxe, et cela pour plusieurs raisons:
”La question qui se pose, notamment depuis le développement de la
pragmatique, est d’arriver à comprendre comment les différentes
188
langues offrent aux sujets qui les parlent le moyen d’échanger non
pas seulement des pensées mais des pensées à propos de choses et
de s’entendre (en général correctement) sur la détermination de ces
choses, fussent-elles vagues, fictives, spéculatives, etc. (Charolles,
2002:12).
Référence actuelle et référence virtuelle
Cette distinction a été établie par J.-C. Milner (Ordres et
raisons de langue, Seuil, 1982:10).
La référence virtuelle est définie relativement à l’unité
lexicale: “À chaque unité lexicale individuelle est attaché un
ensemble de conditions que doit satisfaire un segment de réalité pour
pouvoir être la référence d’une séquence où interviendrait
crucialement l’unité lexicale en question (…) L’ensemble de
conditions caractérisant une unité lexicale est sa référence virtuelle“
(ibid.).
La référence actuelle est constituée par les segments de
réalité, les référents, qui sont attachés à telle expression employée.
L’ami de Mari, par exemple, est une expression qui désigne un être
particulier qui constitue sa référence actuelle.
189
Expressions prédicatives et expressions référentielles
Dans la représentation sémantique d’une phrase telle que
Mon chat est malin, on distingue traditionnellement les expressions
sujet (SN) et celles qui constituent le groupe du verbe (SV). G. Frege
(1971) y voit une opposition fonctionnelle entre:
- les expressions référentielles qui désignent des objets
particuliers (en l’occurrence, mon chat) et
- les expressions prédicatives (en l’occurrence, est malin)
qui assignent une caractéristique (au sens large du terme) au sujet.
Cette distinction correspond en grandes lignes à l’analyse
grammaticale de la phrase comme une prédication articulant un
syntagme nominal sujet et un syntagme verbal (ou prédicatif). Les
expressions référentielles n’occupent pas obligatoirement la position
syntaxique de sujet. Dans la phrase Paul a rencontré son ami, le SN
sujet Paul, tout comme le SN objet son ami, identifient, chacun, des
êtres particuliers.
L’analyse de ces expressions peut se faire à plusieurs
niveaux:
a) syntaxique: Paul est un constituant du noyau de la phrase
(SN sujet), alors que son ami est un constituant du SV (COD);
b) sémantico-logique: Paul est le premier argument, ayant le
rôle d’agent, son ami est le second argument du prédicat rencontrer,
ayant le rôle de patient;
190
c) communicatif: Paul constitue le thème de la phrase (le
constituant qui porte l’information supposée connue), alors que son
ami constitue avec le verbe dont il est l’objet le rhème (le constituant
qui apporte l’information supposée nouvelle) (v. chap. La
progression textuelle).
Typologie des expressions référentielles
1. La distinction entre référence générique, référence
spécifique et référence attributive
La référence générique
En considérant les phrases suivantes:
Le lion est un animal pacifique.
Un lion est un animal pacifique.
Les lions sont des animaux pacifiques,
on constate qu’on peut utiliser chacune d’elles pour asserter une
proposition générique, c’est-à-dire une proposition qui dit quelque
chose, non pas de ce lion ou groupe de lions particuliers, mais de la
classe de lions en tant que telle. Les sujets de ces phrases renvoient
donc à un référent générique (représentant la classe entière). En
français, l’article défini (singulier et pluriel), ainsi que l’article
indéfini (singulier) peuvent conduire à l’interprétation générique
d’un SN.
191
La référence spécifique
Dans ce cas le référent visé est une entité particulière:
Mon chat / ce chat est très malin.
Il / celui-ci / le mien est très malin.
Le référent est présenté comme identifiable dans une
situation donnée.
La référence attributive
Dans l’interprétation globale de la phrase, l’identité du
référent importe moins que les caractéristiques véhiculées par
l’expression descriptive:
L’assassin de Smith est fou
veut dire qu’”il faut être fou pour avoir tué Smith”. Le locuteur qui
prononce cette phrasee n’a présente à l’esprit aucune personne
déterminée, son intention étant de faire allusion à la personne, quelle
qu’elle soit, qui a commis le crime. La description définie est utilisée
dans ce cas attributivement. Si, au contraire, le locuteur fait allusion
à un individu précis, parfaitement identifié, la description définie est
utilisée référentiellement.
2. La distinction entre référence déictique et référence
anaphorique
Cette distinction s’inscrit depuis Benveniste dans la
problématique plus large de l’énonciation.
La référence déictique (ou situationnelle)
192
L’expression réfère relativement à la situation d’énonciation
dans laquelle elle s’incrit. Dans les phrases
Il arrive ! (dite à propos d’un train qui entre en gare)
Je veux cette revue (dite en montrant l’objet en question),
on désigne au moyen du pronom de la 3-e personne, respectivement
du déterminant démonstratif, des référents dont ils situent l’existence
dans la situation du discours.
La référence anaphorique
Dans ce type de référence, dite anaphorique, le référent de
l’expression n’est accessible qu’à travers d’autres segments du texte:
Paul est mécontent; il s’en va.
Le type grammatical de l’expression référentielle
Du point de vue lexico-syntaxique, une expression
référentielle peut être:
dénominative
Le référent est alors identifié par un nom propre (Np). D’un
point de vue référentiel, les Np peuvent se rapporter à différentes
catégories d’identités particulières: noms des personnes, des lieux,
des villes, des fleuves, mais aussi des animaux domestiques, des
bateaux, des organismes, etc. L’usage d’un Np ne signale aucune
autre intention chez le locuteur que de viser un être unique: Socrate
peut référer au célèbre philosophe grec, mais aussi à un chat, à un
programme éducatif, etc. Les Np ne font allusion à aucun attribut
193
descriptif de leur porteur. L’identification de celui-ci ne peut se faire
que si l’allocutaire a une connaissance préalable de “qui (ou ce qui)
s’appelle Np”. D’autre part, les Np sont liés à leur porteur par une
convention qui est indépendante de leurs caractéristiques
substantielles. Ils constituent, de ce fait, ce que S. Kripke appelle des
désignateurs rigides (cf. Récanati, 1983:106-118). En reprenant
l’exemple de Charolles (2002:55), on dira que pour référer à l’actuel
président de la République Française on peut utiliser soit le nom
propre Jacques Chirac soit une description définie comme l’actuel
président de la République Française. Quoique les deux formules
paraissent équivalentes, le choix de l’une ou de l’autre peut être
motivé par des raisons communicatives (on peut soupçonner, par
exemple, que celui à qui on s’adresse ignore que Jacques Chirac est
l’actuel président de la République Française).
définie
La référence se réalise au moyen de l’article défini suivi d’un
nom avec ou sans déterminant. Ce nom fournit une indication sur la
nature du référent, trait partagé aussi par les SN démonstratifs,
possessifs et indéfinis qui, contrairement aux noms propres et aux
pronoms, fournissent des informations sur la catégorie des entités
qu’ils servent à désigner. C’est pour cette raison qu’on parle à leur
propos de descriptions définies, démonstratives, etc.
194
La description définie, à son tour, est jugée complète ou
incomplète (elle sollicite alors un complément d’information
situationnelle ou contextuelle).
Les descriptions définies complètes, comme, par exemple,
l’auteur de “La Peste”, le champion mondial 2000 du saut à la
perche, la plus jeune actrice qui a remporté l’Oscar, sont valides
pour un seul référent. Elles sont constituées, pour la plupart, par
l’adjonction au nom d’un complément ou d’une relative
déterminative qui restreignent l’extension des SN définis à une seule
entité déterminée.
Les descriptions définies incomplètes ne possèdent pas la
même autonomie référentielle que les premières (on ne peut pas
identifier le référent indépendamment des informations sur le
contexte où les expressions sont employées). Dans l’exemple Le
premier ministre a démissionné, l’ancrage de l’expression
référentielle définie dans le contexte est bien visible: il s’agit, en
l’absence d’une description plus complète (le premier ministre de X),
du premier ministre du pays où l’énoncé est émis.
Dans la conversation quotidienne nous utilisons souvent des
descriptions définies incomplètes:
Où as-tu mis la clé ?
Le chat s’est sauvé.
Tu devrais arroser les fleurs,
195
dans lesquelles l’identification du référent se fait sans difficulté,
parce que connu des deux interlocuteurs.
démonstrative
La référence se réalise au moyen d’un adjectif démonstratif
introduisant le SN, ou d’un substitut démonstratif:
Ces gâteaux sont excellents.
Je préfère celle-là.
Le référent désigné par l’expression nominale démonstrative
(tout comme dans le cas de l’emploi du pronom démonstratif) ne
peut être établi en dehors de la situation d’énonciation dans laquelle
l’expression est utilisée. C’est un trait commun de toutes les
expressions déictiques (comme je, tu, ici, là, maintenant, aujourd’hui
etc.; v. chap. La déixis). En outre, l’emploi du démonstratif peut être
accompagné d’un geste d’ostension (fort: doigt tendu, ou faible:
mouvement de la tête et orientation du regard) en direction d’un
référent perceptible à la fois par le locuteur et les allocutaires.
Lorsque le SN démonstratif est accompagné d’un
déterminant, celui-ci n’a pas le même rôle que dans le cas des SN
définis. Dans l’exemple:
Donne-moi la / cette revue que tu viens d’acheter,
on voit qu’avec le défini le déterminant participe à l’identification du
référent, alors qu’avec le démonstratif, le déterminant se limite à
indiquer la catégorie du référent.
indéfinie
196
L’expression référentielle est dans ce cas un SN introduit par
un déterminant indéfini (article ou adjectif). Les SN indéfinis
constituent des expressions autonomes référentiellement: ils ne
sollicitent aucune préconception de l’entité visée. C’est cette
propriété qui les rend aptes à introduire les référents nouveaux:
Un homme pouvant avoir une cinquantaine d’années
montait l’avenue du Maine.
Les indéfinis (un, deux, des, plusieurs, quelques, tout, aucun,
certains) quantifient également, mais pas tous de la même façon:
Des fleurs ornaient la chambre.
Quelques enfants jouaient dans la cour de l’école.
De surcroît, les SN indéfinis peuvent imposer une lecture
générique du référent:
Un homme est venu me voir (lecture spécifique).
Un homme est grand / gentil / sociable (lecture générique).
pronominale
L’expression référentielle est un pronom, avec ou sans
expansion déterminative.
Dans toutes les langues, les expressions pronominales
constituent une classe extrêmement diverse, regroupant des pronoms
personnels, démonstratifs, possessifs, indéfinis, interrogatifs et
relatifs. Ces pronoms ne véhiculent pas, au moins directement,
d’indication sur la catégorie de leur référent, ce qui ne les empêche
197
pas de renvoyer à des entités précises et donc de référer de manière
définie.
Il (= Paul) est déjà parti. (il substitue Paul, en emploi
anaphorique)
Celui-ci est plus intéressant. (emploi déictique, peut être
accompagné d’un geste indicatif)
Chacun d’eux entrait et prenait place.
Qui veut répondre ?
Bibliographie
Charolles, Michel, 2002, La référence et les expressions référentielles en français, Ophrys.Frege, G., 1971, Écrits logiques et philosophiques, Seuil.Lyons, John, 1968, Linguistique générale, Larousse, p. 326-333.Lyons, John, 1978, Éléments de sémantique, Larousse, p. 143-190.Récanati, F., 1983, La sémantique des noms propres: Remarques sur la notion de désignateur rigide, in “Langue française”, 57, p.106-118.Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe & Rioul, René, 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, p. 569-574.
198
L’ÉNONCIATION
Le cadre énonciatif
L’énonciation constitue le pivot de la relation entre la langue
et le monde: d’un côté elle permet de représenter dans l’énoncé des
faits, mais d’un autre elle constitue elle-même un fait, un événement
unique dans le temps et dans l’espace.
On peut définir l’énonciation comme l’acte individuel de
création par lequel un locuteur met en fonctionnement la langue: un
échange linguistique met en jeu des individus (locuteur et
allocutaire), dans une situation de communication particulière . “Pour
individuel et particulier que soit cet acte, il n’en obéit pas moins à
certains schémas inscrits dans le système de la langue. Il faut donc
distinguer entre le matériel linguistique abstrait (ou énoncé-type), et
les multiples réalisations que sont les actes de discours (ou énoncés-
occurrences): c’est à ce niveau que s’inscrit la problématique de
l’énonciation” (Arrivé et all., 1986:254).
Tout acte d’énonciation se réalise dans une situation de
communication particulière, dont les éléments constitutifs sont:
- Les partenaires énonciatifs, protagonistes fondamentaux,
“acteurs de la communication” (Riegel et all., 1994:575);
199
- Les données référentielles spatio-temporelles spécifiques;
- Les objets présents qui constituent l’environnement
perceptible des protagonistes.
Historique
Énonciation est un terme ancien en philosophie. Depuis le
Moyen Âge il a été employé avec un sens logique et grammatical.
L’énonciation correspondait, à l’origine, à la proposition, au sens
logique du terme. À partir du XIX-e siècle, le terme a pris d’un côté
un sens très large et de l’autre un sens linguistique précis. Il a fait, en
linguistique, l’objet d’un emploi systématique à partir de Ch. Bally
(1932) et surtout d’Émile Benveniste. Pour Benveniste l’énonciation
est “la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel
d’utilisation”, l’”acte même de produire un énoncé“ (1974:80).
Benveniste définit aussi l’énonciation comme un processus
d’appropriation de la langue. “Le locuteur s’approprie l’appareil
formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des
indices spécifiques, d’une part, et au moyen de procédés accessoires,
de l’autre” (1970:14). Cet acte d’appropriation de la langue introduit
celui qui parle dans sa parole. Il est “le fait du locuteur qui mobilise
la langue pour son compte” (idem).
Énonciation et énoncé
200
L’énonciation représente l’acte de production d’un
énoncé, le processus complexe qui l’engendre.
L’énoncé, à son tour, est le produit, oral ou écrit, de l’acte
d’énonciation. C’est donc la structure signifiante, achevée et close,
perçue par celui qui décode la langue.
L’énonciation s’oppose à l’énoncé comme un acte qui se
distingue de son produit.
Une autre distinction est à prendre aussi en compte: énoncé-
type et énoncé-occurrence.
Énoncé-type
Un énoncé peut être envisagé indépendamment des diverses
énonciations qui peuvent le prendre en charge. En d’autres mots, au-
delà des occurrences distinctes de son énonciation, le contenu d’un
énoncé reste stable; il est alors envisagé comme “type”.
Énoncé-occurrence
Le même énoncé peut être émis par telles personnes en telles
situations, ce qui correspond à autant d’occurrences distinctes.
L’étude de la langue doit prendre en compte l’énonciation
dans la mesure où celle-ci laisse des traces dans l’énoncé. Tout
énoncé est donc repéré directement ou indirectement par rapport à la
situation d’énonciation où il est produit. Il existe, bien entendu, des
énoncés qui peuvent être relativement indépendants de leur situation
d’énonciation: les textes scientifiques, par exemple. Une phrase
définitoire véhiculant une vérité générale comme La Terre tourne
201
autour du Soleil ne semble prise en charge par aucun énonciateur
particulier. Mais, en règle générale, les formes linguistiques, pour
être complètement interprétées, doivent être mises en relation avec la
situation d’énonciation. Ou, en d’autres termes, on ne peut pas
déterminer avec précision le sens d’un énoncé si l’on ne prend pas en
compte, outre ce que signifie l’énoncé en tant que type, les
circonstances de son énonciation. Dans Je viendrai demain,
l’identification du locuteur (je), de même que la localisation
temporelle (demain), ne sont accessibles qu’à partir de la situation.
Les indices de l’énonciation
La plupart des énoncés comportent des éléments qui
“réfléchissent” l’acte d’énonciation. L’étude des phénomènes
relevant de l’énonciation prend en compte “les procédés par lesquels
le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message
(implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui”
(Kerbrat-Orecchioni, 1980:32).
On appelle souvent marques ou traces énonciatives les
unités linguistiques qui indiquent le renvoi de l’énoncé à son
énonciation. Certaines formes de la langue, les déictiques et les
modalités en particulier, ne peuvent s’expliquer qu’en fonction des
éléments constitutifs de l’acte d’énonciation.
Les déictiques
202
Il s’agit d’abord des pronoms personnels, je, tu et leurs
variantes. Les possessifs, déterminants et pronoms, de première et
deuxième personne, s’interprètent eux aussi en fonction de la
situation d’énonciation (mon livre). La référence à l’espace (ici) et au
temps (maintenant) ancrent également le discours dans la situation.
De même, la marque temporelle du présent s’interprète comme
référence au moment de l’énonciation. Par rapport à ces trois
données que l’on schématise comme moi-ici-maintenant, s’organise
l’ensemble des phénomènes de repérage. Il est ce qui n’est ni je ni tu.
Le système spatio-temporel des adverbes (là-bas, ailleurs, hier,
demain) ou des prépositions (depuis, devant) s’instaure par
opposition à ici et maintenant. Les démonstratifs (déterminants et
pronoms) et les présentatifs (voici, voilà) sont toujours liés à
l’instance d’énonciation.
L’ensemble du système de déictiques ne constituent pas une
liste d’unités isolées, au contraire, ils forment un système qui
organise un énoncé, qui lui donne son ancrage (v. chap. La déixis).
Les modalités
L’étude du champ de la modalité relève aussi de
l’énonciation dans la mesure où les modalités sont considérées
comme des éléments qui expriment un certain type d’attitude du
locuteur par rapport à son énoncé.
203
On distingue en général entre modalités d’énonciation et
modalités d’énoncé.
1. Les modalités d’énonciation
Les modalités d’énonciation marquent l’attitude énonciative
du sujet de l’énonciation dans sa relation avec l’allocutaire. Elles se
traduisent par les différents types de phrase:
Assertif: Jean fait son devoir.
Interrogatif: Jean fait-il son devoir ?
Injonctif: Fais ton devoir, Jean !
Exclamatif: Jean fait son devoir !
2. Les modalités d’énoncé
Les modalités d’énoncé expriment l’attitude du sujet de
l’énonciation vis-à-vis du contenu de l’énoncé ou, selon Nølke
(1993), le “regard du locuteur” sur le contenu de ce qu’il dit.
Les marques des modalités sont diverses:
- Verbes modaux: Je peux traduire le texte.
- Adverbes modalisateurs: L’enfant a peut-être faim.
- Adjectifs modalisateurs: C’est bien triste de rater un
examen.
- Modes et temps verbaux: Je regrette qu’il ne soit pas venu.
En général, les ouvrages de linguistique prennent en compte
les modalités suivantes:
204
- Modalités ontiques: définies comme les modalités du
possible, de l’impossible, du nécessaire et du contingent et illustées
par certains usages des verbes pouvoir, devoir, etc.
- Modalités déontiques: marquent la permission ou
l’obligation et sont illustrées par les verbes pouvoir, devoir, exiger,
interdire ou par les modes impératif et subjonctif;
- Modalités épistémiques: expriment le degré de certitude
du locuteur par rapport au contenu de son assertion et sont illustrées
par les emplois des verbes savoir, croire, douter, ignorer, des
adverbes modaux comme peut-être, probablement, sans doute,
vraisemblablement, etc.;
- Modalités subjectives: indiquent les attitudes
psychologiques du locuteur:
a) bouliques: vouloir, souhaiter, espérer;
b) appréciatives: il est bon mauvais / juste / heureux…;
regretter, souhaiter.
La subjectivité dans la langue
Aux modalisateurs peuvent s’ajouter toutes sortes
d’appréciations subjectives:
- Affectives - qui concernent toute expression d’un sentiment
du locuteur;
- Évaluatives - qui correspondent à tout jugement ou
évaluation du locuteur (Kerbrat-Orecchioni, 1980).
205
L’inventaire de l’expresion linguistique de la subjectivité
renferme:
- Des noms affectifs ou évaluatifs: baraque vs. maison;
bagnole vs. voiture;
- Des adjectifs affectifs: drôle, terrible ou évaluatifs: grand,
petit, chaud, froid, bon, beau;
- Des verbes: aimer, détester, craindre, penser, croire,
prétendre;
- Des adverbes et des locutions adverbiales: réellement,
franchement, heureusement, à vrai dire, en toute franchise;
- Des interjections: Hélas, bravo;
- L’intonation, surtout dans les phrases exclamatives,
exprime l’appréciation du locuteur: Oh! Madame! Quelle bonté!
s’écria Mahaut. (Radiguet)
De toute façon, le cadre théorique de la modalisation
s’élargit continuellement, à partir des conceptions restreintes aux
conceptions larges, selon lesquelles toute assertion est modalisée,
puisque assumée par un locuteur. De plus en plus nombreux sont les
linguistes qui adhèrent au point de vue selon lequel tout énoncé a une
valeur modale, étant modalisé par son énonciateur, puisque la parole
“ne peut représenter le monde que si l’énonciateur, directement ou
non, marque sa présence à travers ce qu’il dit” (Maingueneau, in
Images de soi dans le discours. La construction de l’ethos, Lausanne,
1999:87)
206
Bibliographie
Bally, Charles, 1932, Linguistique générale et linguistique française, Ernest Leroux, Paris; 1965, Berne, Francke.Benveniste, Émile, 1970, L’appareil formel de l’énonciation, in “Langages”, 17 Mars, p. 12-18.Culioli, Antoine, 1990, Pour une linguistique de l’énonciation. Opérations et représentations, Ophrys.Culioli, Antoine, 1999, Pour une linguistique de l’énonciation. Formalisation et opérations de repérage, Ophrys.Dubois, Jean, 1969, Énoncé et énonciation, in “Langages”, 13 Mars. Kerbrat-Orecchioni, Catherine, 1980, L’énonciation. De la subjectivité dans la langue, Colin.Maingueneau, Dominique, 1991, L’énonciation en linguistique française, Hachette, p. 7-100.Nølke, Henning, 1993, Le regard du locuteur. Pour une linguistique des traces énonciatives, Kimé.
207
LA DÉIXIS
Le mot déixis, emprunté au grec ancien où il signifie “action
de montrer”, est une façon de conférer son référent à une séquence
linguistique. L’on entend communément par déixis “la localisation et
l’identification des personnes, objets, processus, événements et
activités (…) par rapport au contexte spatio-temporel créé et
maintenu par l’acte d’énonciation” (Lyons, 1980:261). Elle est
marquée linguistiquement par des déictiques et des éléments en
emploi déictique.
Les linguistes distinguent en général entre embrayage et
déixis, embrayeurs et déictiques.
Embrayage et embrayeurs
L’embrayage est la procédure discursive par laquelle le sujet
de l’énonciation manifeste, grâce à l’emploi des embrayeurs, sa
présence dans l’enoncé.
Les embrayeurs (en anglais shifters) sont les éléments
linguistiques qui manifestent dans l’énoncé la présence du sujet de
l’énonciation. Jakobson (1963:178) affirme que “la signification
générale d’un embrayeur ne peut être définie en dehors d’une
208
référence au message”, c’est-à-dire que le référent qu’ils désignent
ne peut être identifié que par rapport à l’acte de l’énonciation unique
qui a produit l’énoncé à l’intérieur duquel il se trouve. Coupé des
circonstances de son énonciation, le discours comportant des
embrayeurs est ininterprétable. Dans Je ne viendrai pas avec vous au
théâtre, je et vous s’interprètent en fonction des participants au
message.
Déixis et déictiques
À la différence de l’embrayage, la déixis, clairement
observable dans le fonctionnement des démonstratifs, ne se satisfait
pas des seules indications fournies par l’acte même de l’énonciation.
Dans la phrase Je veux cette voiture, le repérage du référent se fait
grâce à l’emploi du déictique cette, accompagné (éventuellement)
d’un geste d’ostension (désignation).
Il est à remarquer que certains auteurs emploient de façon
indifférente les termes d’embrayage et déixis, embrayeurs et
déictiques. C’est d’ailleurs la démarche adoptée dans ce qui suit.
Les déictiques
Les déictiques sont des unités linguistiques “dont le sens
implique obligatoirement un renvoi à la situation d’énonciation pour
trouver le référent visé“ (Kleiber, 1986:12). L’étiquette de déictique
ne recouvre pas toujours les mêmes unités linguistiques. Pour
209
certains, elle s’applique à tous les éléments qui, par nature, suscitent
une référence de type déictique (personnes, indicateurs spatio-
temporels); d’autres la réservent aux seuls indicateurs spatio-
temporels. Concurremment à déictique, dans la littérature de
spécialité circulent aussi d’autres dénominations (embrayeurs, v.
plus haut, symbole indexical, expression sui-référentielle,
Charaudeau, 2002:158).
On considère comme prototypes de la déixis: les
démonstratifs, les pronoms personnels de la première et de la
deuxième personne, certains adverbes de temps et de lieu, comme
maintenant et ici, ainsi que d’autres catégories grammaticales ayant
trait aux circonstances de la communication.
Il est à remarquer que les expressions déictiques connaissent
également un emploi non déictique, en principal anaphorique, mais
aussi non anaphorique:
a) emploi déictique:
Je veux cette voiture, pas celle-là ! (phrase qui peut être
accompagnée d’un emploi gestuel)
Tu viens avec nous ?
b) emploi non déictique:
Mon frère s’est acheté une nouvelle voiture. Cette voiture
lui a coûté les yeux de la tête. (emploi anaphorique)
Tu commences à parler et il t’interropt tout le temps.
(emploi non anaphorique)
210
Classes de déictiques
Les pronoms personnels
Les pronoms de dialogue (de première et de deuxième
personnes) désignent des référents humains ou anthropomorphes (par
exemple, dans les fables):
- Je désigne le locuteur (celui qui parle);
- Tu désigne l’allocutaire (celui à qui le locuteur parle);
- Nous inclut le locuteur et d’autres personnes (allocutaire,
délocuteur):
Moi et toi, nous sommes contents.Moi et lui, nous sommes contents.Moi, toi et lui, nous sommes contents.
- Vous désigne l’allocutaire et peut inclure une tierce
personne (délocuteur):
Toi et lui, vous êtes amis.
Le pronom personnel de troisième personne ne désigne
pas un participant au processus de communication; il se définit par
des traits négatifs: non locuteur, non allocutaire. Il, à la différence de
je et tu, est un pro-nom au sens strict, c’est-à-dire un élément
anaphorique qui remplace un SN introduit antérieurement dans le
discours. “Certes, je-tu et il ont un point commun: ils ne tirent leur
référence que du contexte où ils sont placés (…) mais il ne s’agit pas
du même contexte dans les deux cas; pour je et tu il s’agit du
211
contexte situationnel, alors que pour il comme pour tout élément
anaphorique il s’agit du contexte linguistique” (Maingueneau,
1991:19).
Le pronom personnel de troisième personne peut toutefois
prendre une valeur déictique quand il sert à désigner une personne ou
un objet présent(e) dans la situation:
Regarde-le, comme il est mignon !
Les possessifs (déterminants et pronoms) de première et
deuxième personne peuvent avoir eux aussi une valeur déictique,
puisque leur sens intègre une mise en rapport avec le locuteur ou
l’allocutaire:
Je ne veux pas ton livre, donne-moi le mien !
Les démonstratifs
Les démonstratifs (déterminants et pronoms) entrent dans la
constitution des SN qui réfèrent à des objets / personnes présent(e)s
dans la situation, surtout lorsqu’ils sont accompagnés d’un geste
d’ostension:
Regarde cette voiture / celle-ci !
Donne-moi ce livre / celui-ci !
En français, le démonstratif adjectival ne présente qu’un seul
terme: ce (+ variantes), alors que les substituts ont des formes
marquant le genre et le nombre: celui, celle, ceux, celles. La
précision de la proximité / éloignement se fait par les particules
212
déictiques -ci / -là. Les formes composées des démonstratifs
présentent ainsi une organisation binaire: celui-ci / celui-là, ce…-ci /
ce…-là, selon le trait proximité / distance par rapport au lieu du
locuteur:
Cette maison-ci est plus belle que celle-là,
mais, parfois, cette opposition se neutralise, en faveur de là ayant le
sens de ci:
Cette montre-là ne marche pas bien.
D’autre part, on remarque en français actuel l’emploi de plus
en plus fréquent de là aux dépens d’ici, “dans le sens que
l’opposition proximité / éloignement se réalise surtout à l’aide de ø /
là: ce livre / ce livre-là” (Iliescu, 1975-1976:41).
Dans d’autres langues, l’idée de proximité / distance est
intrinsèque au démonstratif: roum. acesta / acela, angl. this / that.
Le latin classique avait un système ternaire d’organisation
des démonstratifs, qui correspondent à la situation du dialogue:
objets qui se trouvent près du locuteur, près du récepteur (allocutaire)
et loin des deux partenaires discursifs. L’opposition fondamentale
était celle de proximité / éloignement, la proximité étant subdivisé à
son tour en proximité par rapport à l’émetteur et en proximité par
rapport au récepteur (Idem:33):
proximité éloignement
émetteur (ego) HIC
213
ILLE délocutairerécepteur (tu) ISTE
Le latin parlé et tardif a opéré une réduction du système, par
neutralisation du deuxième terme “près de récepteur” par le premier
terme “près du locuteur”: (eccu) iste / (eccu) ille.
Le système ternaire existe encore en portugais et en
espagnol. En espagnol (este, ese, aquel), este marque la proximité
par rapport à l’émetteur, ese la proximité par rapport au récepteur,
aquel, l’éloignement, mais on enregistre la tendance à la réduction du
système, la troisième personne, assimilée à la deuxième, étant
souvent désignée à l’aide du démonstratif ese, en sorte que
l’opposition devient: este (proximité) / ese (éloignement).
Le système du latin a laissé des traces aussi en italien, qui
présente une organisation ternaire du système des déictiques
adjectivaux: questo, codesto / quello, alors que le système des
substituts est devenu binaire, par la perte de codesto.
On voit donc, qu’au moins dans les langues romanes, les
démonstratifs sont organisés selon le système ternaire (portugais,
espagnol, catalan, italien) ou le système binaire (français,
rhétoroman, roumain), mais dans la langue parlée et familière on
remarque la tendance à la simplification, par le passage du système à
trois termes à un système à deux termes, marquant l’opposition
proximité / éloignement.
214
Il est aussi à remarquer que l’article défini, employé dans les
mêmes conditions, peut conférer au SN une valeur déictique, mais le
fonctionnement référentiel des SN introduits par ces deux
déterminants n’est pas identique (v. chap. La référence):
Passe-moi le cric.
Les expressions indiquant la localisation spatio-
temporelle
Ce type de déictiques a pour fonction d’inscrire les énoncés-
occurrences dans l’espace et le temps par rapport au point de repère
que constitue le locuteur. La triade moi-ici-maintenant est
indissociable, “clé de voûte de toute l’activité discursive”
(Maingueneau, 1991:26).
a. Les expressions indiquant le lieu peuvent repérer leur
référent par rapport au lieu de l’énonciation: l’adverbe ici désigne le
lieu du locuteur et s’oppose à là, lieu du non locuteur:
Je ne le trouve pas ici.
Il est à remarquer qu’en français, l’adverbe là peut désigner
le lieu de l’interlocuteur, mais aussi, par neutralisation du trait
“éloignement par rapport au locuteur”, justement le lieu du locuteur:
Viens là ! (au lieu de: Viens ici !)
Les autres adverbes et locutions adverbiales sont organisés
en divers micro-systèmes sémantiques: près / loin; en haut / en bas;
à gauche / à droite, etc., qui correspondent à divers découpages de la
215
catégorie de la spatialité. Si l’on ignore la position de l’énonciateur
qui les a émis, ces termes restent opaques.
À côté des adverbes, diverses autres catégories
grammaticales peuvent avoir une valeur déictique: les prépositions
(devant, derrière) et même les verbes. Ainsi, venir marque un
déplacement vers le lieu où se trouve le locuteur, alors qu’aller
s’emploie dans les autres cas. Cette propriété a été montrée par Ch.
Fillmore (1966) pour les verbes anglais come (“venir”) et go
(“aller”), mais elle est caractéristique pour d’autres langues aussi: it.
andare et venire, roum. a se duce et a veni, etc.
b. Les compléments de temps déictiques
Le système des déictiques temporels est beaucoup plus
complexe que celui des déictiques spatiaux. Ils sont repérés par
rapport au moment de l’énonciation. Le point de repère des
indications temporelles est le moment où l’énonciateur parle, le
moment d’énonciation (t0). C’est par rapport à son propre acte
d’énonciation que le locuteur ordonne la chronologie de son énoncé.
Ainsi dans Aujourd’hui je ne me sens pas très bien, l’adverbe
aujourd’hui, tout comme le présent du verbe, ne sont interprétables
que si l’on sait à quel moment cet énoncé a été produit: tous deux
constituent des éléments déictiques temporels. On en traitera à tour
de rôle.
216
Les compléments de temps déictiques (adverbes, SN et SP)
qui s’organisent par rapport au présent du locuteur (t0) peuvent
exprimer:
- la coïncidence (maintenant, aujourd’hui, à présent, ce
matin, en ce moment, etc.):
Nous partons aujourd’hui
ou le décalage, marquant, respectivement:
- l’antériorité (hier, avant-hier, hier matin, la semaine
passée, le mois dernier, etc.):
Hier, il faisait encore beau.
- la postériorité (demain, après-demain, demain soir, bientôt,
désormais, la semaine prochaine, etc.):
Je dois le voir demain.
À remarquer que les adverbes déictiques hier, aujourd’hui,
demain peuvent se référer à l’intervalle dans son ensemble
(Aujourd’hui il fait froid) ou à un point, à un sous-intervalle de
l’intervalle (Paul est allé hier au cinéma).
Il faut donc retenir que pour les déictiques le repère coïncide
avec le moment t0.
Toutes les indications temporelles ne sont cependant pas
directement repérées par rapport au moment de l’énonciation. Dans
ce cas il ne s’agit plus de déictiques: alors, la veille, la semaine
d’avant, le lendemain, l’année suivante, etc. C’est ainsi que dans Le
lendemain de la fête Paul s’est trouvé malade, le point de repère de
217
l’expression le lendemain est le SN la fête. Ce point de repère est lui-
même rapporté à t0 par l’emploi d’un temps du passé. Pour les
éléments non-déictiques le repère est donc distinct du moment t0.
c. Les temps du verbe
Les temps verbaux sont repérés par rapport au moment de
l’énonciation t0 ou, pour citer Jakobson (1963:174), “le temps
caractérise le procès de l’énoncé par référence au procès de
l’énonciation“.
“De l’énonciation procède l’instauration de la catégorie du
présent, et de la catégorie du présent naît la catégorie du temps. Le
présent est proprement la source du temps” (Benveniste, 1974:83).
C’est ainsi que les formes verbales s’organisent en deux grands
groupes, selon la référence impliquée:
1. Si le point de départ de la division des formes verbales est
le moment de l’énonciation (t0), on obtient une division primaire du
temps que l’on appelle, selon diverses terminologies, temps du
discours (Benveniste), situé sur l’axe déictique moi-ici-maintenant,
ou l’axe de l’énoncé (Jakobson). Selon le cas, l’énoncé peut exprimer
un procès simultané au moment t0, ou décalé dans le passé ou dans le
futur:
Comme il a beaucoup travaillé aujourd’hui il se dit qu’il
continuera demain.
Le temps qui exprime une relation directe avec le moment t0
est considéré comme un temps déictique.
218
2. Au contraire, si la référence au moment t0 est indirecte (le
point de référence est situé dans le passé ou dans le futur), il résulte
un autre axe où les temps sont rapportés les uns aux autres: le temps
de l’histoire (Benveniste), situé sur l’axe du récit (Jakobson):
Comme il avait beaucoup travaillé ce jour-là il se dit qu’il
continuerait le lendemain.
Le temps qui exprime une relation temporelle par rapport à
un temps (événement) différent du moment t0, qui nécessite donc
l’appui d’une autre référence temporelle, est considéré comme un
temps anaphorique.
Cependant “l’analyse des textes révèle non seulement le
caractère trop rigide de cette division mais aussi et surtout le fait
qu’elle ne permet pas de formuler les règles d’emploi des temps
verbaux, étant donné qu’un temps répertorié comme déictique peut
fonctionner comme temps anaphorique. C’est pour cette raison que
l’on parle actuellement d’emploi déictique ou anaphorique” (Teodora
Cristea, Stratégies de la traduction, Ed. Fundaţiei “România de
mâine”, Bucureşti, 1998:79).
D’autres conceptions de la déixis
Selon d’autres conceptions de la déixis, elle peut être
envisagée aussi comme facteur de cohésion textuelle
(thématisation; focalisation) permettant d’introduire dans le discours
de nouveaux objets (v. chap. La progression textuelle).
219
On parle aussi de déixis textuelle pour les déictiques qui
réfèrent à des lieux et à des moments du texte où ils figurent: ci-
dessus, au chapitre précédent, infra, etc. Dans ce cas, le repère est le
lieu ou le moment du texte où apparaît l’expression déictique.
En analyse de discours il faut considérer la situation qui est
pertinente pour le genre de discours concerné, à quoi peut s’ajouter la
situation que construit le discours même et à partir de laquelle il
prétend énoncer: c’est dans cette perspective que D. Maingueneau
(Nouvelles tendances en analyse du discours, Hachette, 1987:28)
parle de déixis discursive.
Bibliographie
Costăchescu, Adriana, 2001, Verbes déictiques, actant zéro et aspect, in “Actes du colloque Fin(s)s de siècle(s)”, Iaşi, p. 184-193.Fillmore, Charles, 1966, Deictic categories in the semantics of come, in “Foundations of Language”, 2, p. 219-227.Iliescu, Maria, 1975-1976, Considértions sur le système des démonstratifs déictiques dans les langues romanes, in “Buletinul Societăţii Române de Lingvistică romanică”, 11, p. 33-45.Kleiber, Georges, 1986, Déictiques, embrayeurs, etc., comment les définir ?, in “L’information grammaticale”, 30, p. 3-22.Kleiber, Georges, 1991, Anaphore – déixis, in “L’information grammaticale”, 51 , p. 3-18.Lyons, John, 1980, Sémantique linguistique, (trad. fr.) Larousse.Maingueneau, Dominique, 1991, L’énonciation en linguistique française, Hachette, p. 7-100.Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe & Rioul, René, 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, p. 577-579.
220
Vuillaume, M., 1986, Les démonstratifs allemands dies- et jen-. Remarques sur les rapports entre démonstratifs et embrayeurs, in David, J. et Kleiber, G., (éds.): “Déterminants. Syntaxe et sémantique”, Klincksieck.
221
LES ACTES DE LANGAGE
L’usage de la langue ne peut pas se réduire à la transmission
d’informations. Les philosophes analytiques J. L. Austin (Quand dire
c’est faire, 1962) et J. R. Searle (Les Actes de langage, 1969) ont
montré que la langue est un moyen d’agir sur autrui. Tout locuteur,
quand il énonce une phrase dans une situation de communication
donnée, accomplit un acte de langage qui instaure un certain type de
relation avec l’allocutaire. Dans la perspective de l’analyse
pragmatique des actes de langage, centrée sur leur fonction
communicative, l’acte de langage constitue l’unité pragmatique
minimale.
Les actes de langage sont d’abord classés en actes
institutionnels et actes qui s’accomplissent dans les interactions
quotidiennes.
Les actes institutionnels sont accomplis dans le cadre
d’une institution sociale:
Je déclare la séance ouverte.
Je jure de dire la vérité, rien que la vérité.
Je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage.
222
Je te baptise Pierre.
Ils ne sont réalisés effectivement que s’ils sont reconnus par
cette institution.
Les actes qui s’accomplissent dans les interactions
quotidiennes
Ces actes se réalisent par l’énonciation-même de la phrase:
“dire, c’est faire” (Austin), par exemple:
Je te promets de revenir. (promesse)
Je vous ordonne de sortir. (ordre)
Je te prie de fermer la porte. (prière)
Je vous félicite pour votre réussite à l’examen. (félicitation)
Selon Searle, un acte de langage possède une force
illocutoire (F) qui s’applique à un contenu propositionnel (p)
représentant un état de choses, ce qui est notée par la formule F(p).
Alors Je vous ordonne de sortir peut être représenté sous la forme:
ORDRE (vous + sortir). La force illocutoire d’un énoncé peut varier,
selon les situations. Je viendrai demain, par exemple, peut
s’employer tantôt avec la force d’une menace, tantôt avec celle d’une
promesse ou d’une simple information.
223
Types d’actes
Selon Austin, un acte de langage se décompose en trois types
d’actes:
Un acte locutoire (locutionnaire)
C’est l’acte de dire quelque chose, l’acte de production d’un
énoncé: a) production des sons; b) acte de combinaison des mots en
phrases; c) acte de référence (les mots sont liés à un référent).
Un acte illocutoire (illocutionnaire)
C’est l’acte de langage proprement dit, l’acte effectué en
disant quelque chose: poser une question, donner un ordre, féliciter,
etc.
Un acte perlocutoire (perlocutionnaire)
Il représente l’effet produit par l’acte sur l’allocutaire (l’acte
accompli par le fait de dire quelque chose), permettant d’évaluer la
réussite ou l’échec de l’acte illocutionnaire, en fonction des réactions
de l’allocutaire. Une question peut avoir pour effet la réponse
demandée, une autre question, un refus…
Taxinomie d’actes de langage selon leur valeur
illocutoire
Parmi les nombreuses propositions de dresser l’inventaire de
différents actes, nous présentons celle de Searle (1979). Il distingue
224
cinq grands types d’actes de langage, chacun de ces types pouvant
être analysés en sous-types:
- Représentatifs:(assertion,information)
- Directifs:(ordre,requête, question, permission)
- Commissifs:(promesse, offre)
- Expressifs:(félicitation, excuse, remerciement, plainte, salutation)
- Déclaratifs:(déclaration, condamnation, baptême)
le but illocutoire est la description d’un état de fait: Il viendra demain. J’affirme qu’il pleuvra demain. le but illocutoire est de mettre l’interlocuteur dans l’obligation de réaliser une action: Sortez ! Je vous ordonne de quitter la salle.
le but illocutoire est l’obligation contractée par le locuteur de réaliser une action future: Je vous aiderai.
le but illocutoire est d’exprimer l’état psychologique associé à l’acte expressif: Excusez-moi. Merci de votre aide.
le but illocutoire est de rendre effectif le contenu de l’acte:Je déclare la séance ouverte.Je te baptise Pierre.
Actes de langage directs et indirects
Tout énoncé s’interprète comme réalisant directement ou
indirectement un acte de langage.
225
Les actes de langage directs
Ces actes sont accomplis au moyen de la forme linguistique
qui leur est associée par convention. Ils se réalisent dans deux types
d’énoncés:
1. Les énoncés performatifs explicites
Ces énoncés renferment un verbe performatif qui explicite
l’acte de langage accompli (promettre, jurer, ordonner, défendre,
demander, prier, s’excuser, remercier, etc.):
Je te demande de venir.
Je vous prie d’entrer.
Je vous défends de quitter la salle.
Les verbes performatifs présentent la particularité
d’accomplir ce qu’ils disent, d’instaurer une réalité nouvelle par le
seul fait de leur énonciation. Ils doivent être employés à la première
personne de l’indicatif présent et s’accompagnent d’un complément
explicitant l’allocutaire; l’acte s’accomplit au moment de
l’énonciation, au présent. L’énoncé Je lui ai demandé de venir n’est
plus performatif, mais purement constatatif.
2. Les énoncés performatifs primaires
Ils correspondent aux quatre grands types de phrase:
déclaratif (assertif), interrogatif, impératif et exclamatif. L’acte de
langage est accompli dans ce cas par l’emploi du type de phrase
associée par convention à un type d’acte spécifique:
a) Jean fait son devoir. (asserter quelque chose)
226
b) Jean fait-il son devoir ? (poser une question)
c) Fais ton devoir, Jean ! (donner un ordre)
d) Jean fait son devoir ! (s’exclamer)
Ces quatre énoncés ont en commun la réalisation d’un acte
identique: le locuteur réfère à un même individu (Jean) et lui attribue
(prédique) la même propriété (“faire son devoir”). En d’autres
termes, ces énoncés ont même référence et même prédication. Les
actes de référence et de prédication constituent l’acte
propositionnel. Ce qui distingue ces énoncés c’est donc leur valeur
illocutoire: en prononçant ces phrases on accomplit autant d’actes de
langage: a) assertion; b) question; c) ordre; d) exclamation.
Selon Benveniste (1974:84), ces actes de langage (il en
exclut l’exclamatif) correspondent aux “trois comportements
fondamentaux de l’homme”.
Les actes de langage indirects
Ce type d’actes sont accomplis au moyen d’un énoncé
contenant une forme associée conventionnellement à un autre acte
que celui qu’il vise à accomplir.
Par exemple, la phrase assertive Il fait froid ici peut formuler
indirectement une injonction (“Fermez la fenêtre !”). De même La
soupe manque de sel peut renfermer une allusion du type “Passez-
moi le sel”. Dans tous ces cas le sens littéral de l’énoncé n’est pas
annulé par l’acte indirect, qui “s’y ajoute, de manière secondaire,
227
comme un sous-entendu, déterminé par la situation” (Riegel,
1994:589).
En revanche, dans les exemples:
Pouvez-vous me passer le sel, s’il vous plaît ?
Voulez-vous me passer le sel ?
les phrases perdent leur valeur interrogative pour exprimer une
injonction: “Passez-moi le sel !” La valeur littérale de la phrase est
donc remplacée par la valeur dérivée indirecte.
Bibliographie
Austin, J. L., 1962, How to do things with words, Oxford University press; trad. fr. 1970, Quand dire c’est faire, Seuil.Benveniste, Émile, 1966 et 1974, Problèmes de linguistique générale, 2 vol., Gallimard.Ducrot, Oswald, 1972, Dire et ne pas dire, Hermann.Récanati, F.,1981, Les énoncés performatifs, Minuit.Searle, J. R., 1969, Speech acts: an essay in the philosophy of language, Cambridge University press; trad. fr. 1972, Les Actes de langage, Hermann.Searle, J. R., 1979, Expression and meaning, Cambridge University press; trad. fr. 1982, Sens et expression, Minuit.
***Moeschler, Jacques, 1985, Argumentation et conversation, Hatier, p. 23-44.Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe & Rioul, René, 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, p. 583-590.
228
LA PROGRESSION TEXTUELLE
Niveaux d’analyse de la phrase
La progression textuelle vise la répartition de l’information
dans un texte. Chaque phrase s’insère dans un contexte et apporte des
“renseignements nouveaux” (le rhème); d’un autre côté, elle contient
aussi un point de départ connu (le thème).
Par exemple, les phrases ci-dessous:
1) J’ai rencontré Pierre; il lisait un journal.
2) J’ai rencontré Pierre; il a été renvoyé par son patron.
3) J’ai rencontré Pierre; il s’est vu accorder une bourse par
son directeur,
s’analysent:
a) au niveau syntaxique: le SN1 (il) est sujet;
b) au niveau sémantique: il recouvre des relations
différentes: agent dans 1), patient dans 2), bénéficiare dans 3).
c) au niveau informationnel: il est thème (élément connu
mentionné déjà), alors que les SV sont des rhèmes, apportant
l’information nouvelle qui fait avancer le texte.
229
Historique
La distinction thème / rhème vient de la logique classique.
Toute proposition asserte un jugement ou prédique une propriété.
Dans Socrate est mortel, on distingue le sujet logique Socrate et le
prédicat est mortel. Ch Bally (1932) a reformulé cette distinction en
opposant thème et propos, distinction qui a été développée par la
suite surtout par l’École de Prague. Les linguistes tchèques et en
particulier V. Mathesius (1947) considèrent que la fonction
communicative est la fonction primaire de la langue. L’hypothèse de
travail est que le but de la fonction communicative – dans les
énoncés particuliers - est d’apporter une information nouvelle au
récepteur. L’articulation se fait donc entre une théorie syntaxique
(comment les syntagmes s’organisent-ils en phrases?) et une théorie
informationnelle (comment l’apport d’information se traduit-il dans
des structures formelles, relevant du système de la langue?)
L’opposition entre la structure porteuse de l’information
ancienne et la structure porteuse de l’information nouvelle connaît
plusieurs variantes terminologiques: thème / prédicat, thème / rhème,
thème / propos, topique / commentaire (ou focus), selon la diversité
des points de vue (logique, sémantique, pragmatique, etc.).
Thème / rhème
Communiquer consiste à transmettre une information à
l’allocutaire, à lui dire quelque chose à propos de quelqu’un ou de
230
quelque chose. Dans cette perspective, dite “communicationnelle”,
la phrase s’analyse en deux constituants:
Le thème est ce dont parle le locuteur, le point de départ
de la communication et de la phrase, la partie connue (par la situation
ou le contexte antérieur).
Le rhème (ou propos) est ce qu’on dit du thème, l’apport
d’information de la phrase.
Dans une phrase canonique, la distinction thème / rhème
correspond à l’analyse syntaxique en deux constituants (SN et SV).
Ainsi, dans l’exemple:
- Que fait Pierre ? - Il lit un roman,
· il est: a) sujet; b) agent; c) thème;
· lit un roman est: a) SV (verbe + complément); b) procès +
objet; c) rhème.
Mais en sortant de ce cadre, les équivalences trop simples
disparaissent.
Dans l’exemple:
- Qu’est-ce que Pierre a lu ? - Il a lu un roman de Balzac,
le thème est formé du sujet il et du verbe a lu, alors que le rhème est
formé du complément un roman de Balzac.
Dans l’exemple:
(- Que s’est-il passé ?) Un piéton vient d’être renversé,
l’ensemble de la phrase est le rhème, car toute l’information peut être
considérée comme nouvelle.
231
Il en résulte que le découpage thème / rhème ne coïncide
pas exactement avec les constituants syntaxiques ou
sémantiques de la phrase.
On admet généralement que l’ordre linéaire de la phrase
reflète l’ordre de l’information: le thème est, en général, placé en tête
de phrase et suivi par le rhème. Mais, dans certaines structures,
l’ordre est inversé. Par exemple, quand un adverbe apporte un
commentaire incident à une phrase, il joue le rôle de rhème:
Heureusement, tout s’est bien passé.
Dans les phrases emphatisées, le rhème est extrait de la
phrase et mis en relief au moyen de c’est… qui / que. Le reste de la
phrase constitue le thème:
C’est écrivain qu’il voulait devenir.
L’analyse d’une phrase en thème et rhème doit se faire en
tenant compte du contexte, linguistique ou situationnel. Le thème
assure la continuité du texte, alors que le rhème, qui apporte
l’information nouvelle, assure sa progression.
Types de progression
On a déjà vu que chaque phrase possède, d’une part, des
éléments récurrents (supposés) connus, qui assurent la cohérence –
cohésion de l’ensemble, et, d’autre part, des éléments nouveaux,
porteurs de l’expansion et de la progression textuelle. On peut donc
définir le texte comme “un lieu de tension entre ce qui assure son
232
unité - sa cohésion - et ce qui engendre sa dynamique - sa
progression. Le texte peut être considéré comme une unité
contradictoire, issue de la complémentarité entre un principe de
cohésion:
Tout texte est une séquence de phrases (P) liées:
P1 (c) P2 (c) P3 (c) P4 …Px
et un principe de progression:
Tout texte est une séquence progressive de phrases:
P1 P2 P3 P4 … Px “ (J. M. Adam, 1985:42).
La répartition de l’information en thème et rhème varie
d’une phrase à l’autre dans le développement d’un texte. B.
Combettes (1983) distingue différents types de progression
thématique:
La progression linéaire
Le rhème (R) de chaque phrase devient le thème (T) de la
phrase suivante, suivant le schéma:
P1 : T1 R1
P2 : T2 (=R1) R2
Le thème reprend totalement ou partiellement les
informations qui sont apportées dans le rhème précédent.
233
La progression linéaire donne une impression
d’approfondissement: le thème initial est en quelque sorte oublié et
le texte se trouve relancé, à chaque phrase, sur des bases nouvelles:
Autour de l’appartement (T1) étaient rangés des escabeaux d’ébène (R1). Derrière chacun d’eux (T2) un tigre de bronze pesant sur trois griffes supportait un flambeau (R2). Toutes ces lumières (T3) se reflétaient dans les losanges de nacre qui pavaient la salle (R3). Elle (T4) était si haute que la couleur rouge des murailles, en montant vers la voûte, se faisait noire (R4). (Flaubert)
La progression à thème constant
Le même thème est repris d’une phrase à l’autre et chaque
fois on lui ajoute un rhème différent:
P1 : T1 R1
P2 : T1 R2
P3 : T1 R3
La progression à thème constant s’appuie sur le même point
de départ dans toutes les phrases d’un passage, ce qui fait que le
lecteur conserve en permanence un point d’ancrage. Dans le cas
d’une description, par exemple, on aura une sorte d’épuisement de la
réalité décrite, alors que dans la narration les événements successifs
sont articulés à partir du même thème, d’habitude l’agent des actions:
Il (T1) a mis le café / Dans la tasse (R1) Il (T1) a mis le lait / Dans la tasse de café (R2) Il (T1) a mis le sucre / Dans le café au lait (R3)… (Prévert)
La progression à thèmes dérivés
234
C’est un type de progression plus complexe que les
précédents. Elle s’organise autour d’un hyperthème (HT)
(linguistiquement exprimé ou non, auquel cas il doit être reconstitué
par le lecteur), repris en plusieurs sous-thèmes (ST) dans les phrases
du texte:
Ainsi les Barbares (HT) s’établirent dans la plaine tout à leur aise (R1)(…). Les Grecs (ST1) alignèrent sur des rangs parallèles leurs tentes de peaux (R2); les Ibériens (ST2) disposèrent en cercles leurs pavillons de toile (R3); les Gaulois (ST3) se firent des baraques de planches (R4); les Libyens (ST4) des cabanes de pierres sèches (R5), et les Nègres (ST5) creusèrent dans le sable avec leurs ongles des fosses pour dormir (R6). (Flaubert)
Ce type de progression est assez fréquent dans les
descriptions, où les diverses parties de la réalité sont prises comme
points de départ de chaque phrase. Il est aussi bien représenté dans
les textes explicatifs ou argumentatifs, dans lesquels il s’agit souvent
de développer différents points:
Pour découvrir les causes de cette extension il y a lieu d’analyser les principaux types d’erreurs orthographiques. Les unes altèrent la substance phonique d’un mot (…); d’autres altèrent la physionomie graphique d’un mot (…); d’autres encore altèrent la forme qu’un mot devrait revêtir (…). (ap. Combettes)
Combinaisons de types
On peut faire alterner fréquemment dans les textes les
différents types de progression thématique, selon la séquence
235
textuelle (description, narration, etc.), le référent évoqué, l’effet
stylistique visé.
Par exemple, dans le texte ci-dessous tiré de La Condition
humaine, la relation entre P1 et P2 est établie selon une progression à
thèmes dérivés (l’un des nouveaux arrivés / les autres) dont
l’hyperthème est implicite (les blessés qui attendent leur exécution),
alors qu’entre P2 et P3 il y a une sorte d’hétérogénéité thématique;
l’homme est relié anaphoriquement à l’un des nouveaux arrivés,
selon une progression constante:
L’un des nouveaux arrivés, couché sur le ventre, crispa ses mains sur ses oreilles, et hurla. Les autres ne criaient pas, mais de nouveau la terreur était là, au ras du sol. L’homme releva la tête, se dressa sur ses coudes. (Malraux)
Ruptures
Quand il y a rupture thématique, le thème d’une phrase ne
peut être rattaché au contexte précédent. L’élément “nouveau”,
auquel on donne une valeur thématique, y est introduit alors sans lien
avec le contexte. Dans ce cas c’est l’ensemble de la phrase qui est
rhématique. La nouveauté du thème est évidente dans les débuts des
romans, comme dans l’exemple ci-dessous, où le héros se détache en
position de thème:
Dans la plaine rose, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. (Zola)
236
En dehors des exemples-types illustratifs, présentant un seul
modèle de progression, dans les textes longs il y a en général
mélange, combinaisons des principales progressions observées.
Bibliographie
Adam, J. M., 1985, Le texte narratif, Nathan, p. 41-49.Bally, Charles, 1932, Linguistique générale et linguistique française, Ernest Leroux, Paris; 1965, Berne, Francke.Combettes, B., 1983, Pour une grammaire textuelle. La progression thématique, A. de Boeck, Duculot.Neveu, Franck, 1995, Progressions et ruptures thématiques. Aspects de la technique descriptive dans “La Condition humaine”, in “L’Information grammaticale”, 67, p. 35-38.
237
L’ANAPHORE
Définition
La notion d’anaphore (du grec ancien ana- “en arrière”)
permet de décrire l’organisation du texte, sa cohérence, qui repose en
partie sur la répétition. C’est ainsi que certains segments du discours
ne peuvent être compris que si l’on prend en compte la relation qu’ils
entretiennent avec d’autres segments qui sont apparus
antérieurement; cette relation est dite anaphorique. L’anaphore peut
donc être définie comme “toute reprise d’un élément antérieur dans
un texte” (Riegel et all., 1994:610).
L’antécédent ou l’anaphorisé (c’est-à-dire le terme
antérieur) peut avoir des dimensions variables: mots, groupes de
mots, phrases, succession de phrases.
L’anaphorisant (c’est-à-dire l’expression anaphorique) est
d’habitude représenté par un morphème grammatical qui joue le rôle
de substitut (pronom) ou qui permet la reprise (démonstratif):
Paul est mécontent, il s’en va.
Il était une fois un roi. Ce roi,….
mais il peut être représenté aussi par des expressions nominales, de
divers degrés de complexité:
238
Utilisez un dictionnaire: cet ouvrage vous est indispensable
pour traduire le texte.
On remarque qu’en général entre l’anaphorisant et
l’anaphorisé il y a relation de coréférence: ils désignent le même
référent. Dans les exemples ci-dessus, il et Paul, respectivement un
roi et ce roi renvoient aux mêmes personnes, tout comme un
dictionnaire et cet ouvrage renvoient au même objet. Il y a aussi des
cas où les expressions mises en jeu ne renvoient pas aux mêmes
référents: J’ai préparé ma communication. As-tu pensé à la tienne ?
Anaphore et cataphore
Dans la relation anaphorique, le renvoi se fait à un élément
antérieur du texte.
Lorsque le renvoi se fait à un élément postérieur dans le
texte, donc lorsque le substitut précède l’élément qu’il représente, on
parle de cataphore (du grec ancien cata “en bas”, “en descendant”):
Elle est encore en retard, Sylvie.
Son cri rend le corbeau antipathique.
Rappelle-toi bien ceci, mon enfant: les livres sont les vrais
amis. (Daudet)
Certains auteurs emploient le terme de diaphore pour
désigner l’ensemble de procédés anaphoriques et cataphoriques
(Maillard, 1974).
239
Anaphore et déixis
L’anaphore est traditionnellement opposée à la déixis. “Cette
opposition s’appuie sur une différence de localisation du référent: s’il
se trouve dans le texte, il y a relation anaphorique; si le référent est
situé dans la situation de communication immédiate (faisant
intervenir les interlocuteurs, le moment de l’énonciation ou des
objets perceptibles), il y a référence déictique” (Charaudeau,
2002:159).
Une même expression peut cumuler les deux valeurs. Dans
la phrase De toutes ces robes je préfère celle-ci, le démonstratif
celle-ci désigne un objet présent (valeur déictique) tout en renvoyant
au SN antérieur ces robes (valeur anaphorique).
Des approches d’inspiration cognitiviste ont proposé de
fonder l’opposition déixis / anaphore sur l’opposition nouveau /
saillant, c’est-à-dire sur la mémoire: “il y aurait anaphore quand il y
a renvoi à un référent censé déjà connu de l’interlocuteur ou
inférable par lui, et déictique quand il y aurait introduction dans
l’univers de discours d’un référent nouveau, pas encore manifeste”
(Charaudeau, ibid.).
240
Types de relations anaphoriques
L’anaphore grammaticale
Dans les cas les plus simples, l’anaphorisant est représenté
par un morphème grammatical (substitut). On parle alors
d’anaphores pronominales: les pronoms personnels de troisième
personne, les pronoms démonstratifs, possessifs, relatifs, indéfinis
servent à remplacer un segment antérieur, pour éviter la répétition et
pour réaliser une économie de moyens d’expression, tout en
contribuant à la structuration du texte:
Cette vieille maison, il faut bien la vendre.
J’ai mal à la tête. – N’y pense plus !
Je travaille beaucoup et cela me fatigue.
Ils ont des amis que j’aimerais bien connaître.
Les spectateurs étaient ravis; quelques-uns applaudissaient
à tout rompre.
On doit remarquer que le pronom représente totalement le
segment antérieur (c’est surtout le cas des pronoms personnels de
troisième personne, des démonstratifs, des relatifs) ou bien il
représente seulement une partie de l’antécédent (c’est le cas des
possessifs ou des indéfinis).
L’ anaphore nominale
Les SN définis (noms précédés d’articles définis, d’adjectis
démonstratifs ou possessifs) peuvent reprendre des segments
241
antérieurs de diverses dimensions, avec (a) ou sans changements
lexicaux (b). On parle alors d’anaphore fidèle (a) ou d’anaphore
infidèle (b):
a) Tout à coup il aperçut une paysanne qui arrachait les mauvaises herbes (…). La paysanne avait une jupe rouge et un corset blanc. (Zola)
b) Utilisez un dictionnaire: cet ouvrage vous est indispensable pour traduire le texte.
(…) un tigre de bronze pesant sur trois griffes supportait un flambeau. Toutes ces lumières se reflétaient dans les losanges de nacre qui pavaient la salle. (Flaubert)
L’anaphore associative
Elle s’appuie sur la conceptualisation de l’anaphore
nominale. L’expression anaphorique renvoie dans ce cas à un
référent qui est identifié indirectement. Dans:
Nous sommes arrivés dans le village. L’église était fermée,
l’antécédent (village) est uni à l’anaphorique (église) par une relation
de type partie-tout. Cette association repose sur une connaissance
générale du monde, partagée par la communauté linguistique.
L’anaphore conceptuelle
La relation anaphorique recouvre également des phénomènes
plus ou moins complexes qui impliquent une analyse du sens des
éléments concernés. La reprise prend souvent la forme d’une
242
nominalisation (le SN anaphorique contient un nom formé à partir
d’un verbe ou d’un adjectif qui ne doivent pas figurer dans le
contexte antérieur).
Ainsi, dans:
Nous avions perdu notre chat, nous avons longtemps
cherché avant de le retrouver. L’aventure s’est bien terminé
(exemple emprunté à Arrivé et all., 1986:63),
l’aventure reprend l’ensemble de la phrase antérieure grâce à un
processus de condensation.
De même, dans l’exemple reproduit ci-dessous d’après
Riegel (1994:615):
L’envieux alla chez Zadig, qui se promenait dans ses jardins avec ses deux amis et une dame, à laquelle il disait souvent des choses galantes, sans autre intention que celle de les dire. La conversation roulait sur une guerre que le roi venait de terminer heureuesemnt contre le prince d’Hyrcanie, son rival (Voltaire),
le SN la conversation résume globalement le contenu de la phrase
précédente.
Bibliographie
Charolles, Michel, 1991, L’anaphore. Définition et classification des formes anaphoriques, in “Verbum”, XIV, fasc. 2-3-4, p. 203-216.Ehlich, K., 1982, Anaphore and deixis: same, similar or different ?, in Jarvella R. et Klein, W., (éds.): “Speech, Place and Action”, Chichester, John Wiley & Sons, p. 315-338.Kleiber, Georges, 1988, Peut-on définir une catégorie générale de l’anaphore ?, in “Vox Romanica”, 47, p. 1-14.
243
Kleiber, Georges, 2001, L’anaphore associative, PUF “Linguistique nouvelle”.Maillard, M., 1974, Essai de typologie des substituts diaphoriques, in “Langue française”, 21, p. 55-71.Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe & Rioul, René, 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, p. 610-616.
244
ABRÉVIATIONS UTILISÉES
all. = allemand
angl. = anglais
esp. = espganol
fr. = français
hongr. = hongrois
i.e. = indo-européen
it. = italien
lat. = latin
roum.= roumain
Abl. = ablatif
Adj. = adjectif
Art. = article
Dat. = datif
Gén. = génitif
Loc. = locatif
Nom. = nominatif
M = masculin
F = féminin
COD = complément d’objet
direct
Dt. = déterminant
N = nom
Np = nom propre
O = objet
P = phrase
Pd. = prédéterminant
Plus-que-parf. = plus-que-parfait
Prép. = préposition
S = sujet
Sa = signifiant
Sé = signifié
SN = syntagme nominal
SV = syntagme verbal
trad. = traduction
V = verbe
v. = voir
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INDEX DES NOMS
Adam J.M., 233Arnauld A., 20Aristote, 19Arrivé M., 199, 243Austin J.L., 46, 47, 48, 222, 223, 224Baggioni D., 51Bally C., 22, 200, 230Bar-Hillel, 46Benveniste E., 28, 96, 122, 192, 200, 227Berrendonner A., 49Blanche-Benveniste C., 184Bloomfield L., 27, 93, 94Boas F., 27Bonfante G., 25Bopp F., 21, 120Bossong G., 163Bréal M., 40, 41Brøndal V., 26, 72Brugmann K., 122Carnap, 46Charaudeau D., 210, 240Charolles M., 187, 189, 194Chomsky N., 36, 37, 39, 40, 42, 43, 81, 82, 84Combettes B., 233, 235Coşeriu E., 27, 42, 112, 163, 170, 185Cristea T.,219Curtius G., 121Dante A., 19, 118, 133, 148Descartes R., 20Diez F., 121Donat, 19Eco U., 63
Fillmore C., 216Flydal L., 170Fodor J.A., 42Frege G., 187, 190Frei H., 80Fuchs C., 44Gadet F., 176, 179, 185Gardin B., 51Graur A., 129Greenberg J.H., 27, 162, 165Greimas A.J., 26Grice H., 49Grimm J., 22, 121Guillaume G., 28Guiraud P., 56Harris Z.S., 27, 36Hjelmslev L., 26, 89, 93, 157Humboldt W. (von), 21Husserl E., 188Iliescu M., 129, 164, 167, 213Iordan I., 80Jakobson R., 25, 26, 63, 64, 65, 69, 208, 218, 219Jespersen O., 98Jones W., 119Katz J.J., 42Kerbrat-Orecchioni C., 47, 49, 180, 205Kleiber G., 45, 209Klinkenberg J.M., 163, 171, 178, 181Körner K.H., 165Kripke S., 194Labov W., 51Lakoff G., 43Lancelot C., 20
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Leibniz G., 187Llorach E.A., 25Locke J., 187Lyons J., 157, 208Mac Cawley, 43Maillard M., 239Maingueneau D., 206, 212, 215, 220Malmberg B., 25, 174Martin R., 46Martinet A., 16, 25, 26, 28, 104, 106, 107, 109, 114Mathesius V., 25, 230Meillet A., 41, 122Mill S., 187Milner J.C., 189Morris C., 46Mounin G., 42Mourin L.,164Ogden C., 88, 188Osthoff H., 122Panini, 18, 135Peirce C.S., 46Parret H., 49Perret M., 135Platon, 19, 187Postal P.M., 43Pottier B., 42Prieto L., 26Priscien, 19Quine W., 188Rask R., 21, 22, 120, 121Récanati F., 194Renzi L., 165Richards I., 188Riegel M., 199, 228, 238, 243Rosch E., 44Sapir E., 27Şăineanu L., 40, 41Saussure F. (de), 21, 22, 23, 24, 25,
49, 56, 61, 70, 72, 73, 76, 78, 79, 82, 83, 86, 88, 89, 93, 94, 95, 101, 107, 110, 111, 115, 122, 188Schlegel, F. (von), 21, 119Schleicher A., 22, 121, 134Searle J.R., 46, 47, 48, 222, 223, 224Séchehaye A., 22Strawson P., 46, 188Tesnière L., 28Togeby K., 26Trier J., 41Troubetzkoy N.S., 25Ullmann S., 188Vaugelas, 20Vostokov A.H., 121Walter H., 177Wartburg W. (von), 174
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* À part la bibliographie générale du cours, chaque chapitre est accompagné de références bibliographiques permettant d’approfondir les connaissances dans des domaines précis.
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