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318 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle Vol. XIX - n° 10 - décembre 2015 MISE AU POINT Histoire des neuropathies périphériques : troisième partie – 1914-1950 History of peripheral neuropathy: third part - 1914-1950 P. Bouche* * Département de neurophysiologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpê- trière, Paris. Août 1914. Ils partirent “la fleur au fusil”, enfin quelques-uns. La mobilisa- tion générale datait du 2 août. Quatre années plus tard d’une des guerres les plus sanglantes, bien peu revinrent. Le paysage est totalement changé dans les zones de combat. La France compte quelque 1 500 000 morts ou disparus, des hommes jeunes, la plupart issus du milieu rural. Le pays est dévasté, tout du moins la partie nord-est, l’économie, exsangue. L’Allemagne compte autant de morts et de blessés et, si le pays n’a subi aucun dommage, la dette à payer est colos- sale. Au Royaume-Uni, le total des pertes est nettement plus faible, le pays est intact, l’économie est soutenue par les États-Unis. Les conséquences de cette effroyable boucherie se font encore sentir aujourd’hui, en particulier dans le peuplement de certaines régions rurales. Malgré la victoire, le prix payé fut trop grand. Après 1918, il fallait bien continuer. Un grand nombre de médecins avaient été mobilisés dans les hôpitaux de campagne. Georges Guillain est basé au centre neurologique de la VI e armée à Amiens en compagnie de Jean-Alexandre Barré et d’André Strohl. Le 13 octobre 1916 paraît une communica- tion assez brève à la Société médicale des hôpitaux de Paris par Guillain, Barré et Strohl, sous l’intitulé “Sur un syndrome de radiculonévrite avec hyperal- buminose du liquide céphalorachidien sans réaction cellulaire. Remarques sur les caractères cliniques et graphiques des réflexes tendineux”. Les auteurs attirent l’attention sur un syndrome clinique carac- térisé par la présence de troubles moteurs étendus aux membres supérieurs et inférieurs, l’abolition des réflexes tendineux, des paresthésies avec de légers troubles de la sensibilité objective, des douleurs à la pression des masses musculaires et une augmenta- tion très marquée de l’albuminorachie sans réaction cellulaire. Ce syndrome a paru aux auteurs dépendre d’une atteinte concomitante des racines rachi- diennes, des nerfs et des muscles, vraisemblable- ment de nature infectieuse ou toxique. Ce nouveau syndrome avait été observé chez 2 jeunes militaires : le premier, un hussard de 25 ans, chez lequel les troubles moteurs se sont installés en moins de 1 mois ; la récupération a débuté 1 mois après le début des troubles. Le second est un fantassin de 35 ans chez lequel également les troubles se sont installés en moins de 1 mois et chez qui la tendance à l’amélioration a permis son évacuation vers l’ar- rière 15 jours plus tard. Qu’y avait-il de si particu- lier à ce syndrome ? Certains caractères méritaient en effet d’être soulignés : non pas tant l’atteinte rapide des membres supérieurs et inférieurs que la présence d’une importante augmentation de l’albu- minorachie et l’évolution favorable débutant entre 1 et 2 mois après le début des troubles. L’étude du liquide céphalorachidien (LCR) était récente et l’augmentation de l’albuminorachie n’était observée que dans les compressions médullaires, ce qui a fait dire aux auteurs qu’il y avait une atteinte méningée associée. L’évolution favorable, là aussi, paraissait surprenante compte tenu de la gravité de l’at- teinte initiale. Un tel tableau de paralysie ascen- dante aiguë avait été décrit par Octave Landry en 1859, mais avec une issue fatale dans la majorité des cas et sans qu’aucune vérification anatomique n’ait été réalisée. L’auteur évoquait une origine médullaire pour ce syndrome. Par la suite, l’ori- gine nerveuse périphérique lui sera attribuée, pour certains des cas semblables (voir Ross et Bury, 1893).

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Histoire des neuropathies périphériques : troisième partie – 1914-1950History of peripheral neuropathy: third part - 1914-1950

P. Bouche*

* Département de neurophysiologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpê-trière, Paris.

Août 1914. I ls partirent “la fl eur au fusil”, enfin quelques-uns. L a m o b i l i s a -t ion généra le datait du 2 août. Quatre années plus tard d’une des guerres les plus sanglantes, bien peu revinrent. Le paysage est totalement changé dans les zones de combat. La France compte quelque 1 500 000 morts ou disparus, des hommes jeunes, la plupart issus du milieu rural. Le pays est dévasté, tout du moins la partie nord-est, l’économie, exsangue.

L’Allemagne compte autant de morts et de blessés et, si le pays n’a subi aucun dommage, la dette à payer est colos-sale. Au Royaume-Uni, le total des pertes est

nettement plus faible, le pays est intact, l’économie est soutenue par les États-Unis. Les conséquences de cette effroyable boucherie se font encore sentir aujourd’hui, en particulier dans le peuplement de certaines régions rurales. Malgré la victoire, le prix payé fut trop grand.

Après 1918, il fallait bien continuer. Un grand nombre de médecins avaient été mobilisés dans les hôpitaux de campagne. Georges Guillain est basé au centre neurologique de la VIe armée à Amiens en compagnie de Jean-Alexandre Barré et d’André Strohl. Le 13 octobre 1916 paraît une communica-tion assez brève à la Société médicale des hôpitaux de Paris par Guillain, Barré et Strohl, sous l’intitulé “Sur un syndrome de radiculonévrite avec hyperal-buminose du liquide céphalorachidien sans réaction cellulaire. Remarques sur les caractères cliniques et graphiques des réfl exes tendineux”. Les auteurs

attirent l’attention sur un syndrome clinique carac-térisé par la présence de troubles moteurs étendus aux membres supérieurs et inférieurs, l’abolition des réfl exes tendineux, des paresthésies avec de légers troubles de la sensibilité objective, des douleurs à la pression des masses musculaires et une augmenta-tion très marquée de l’albuminorachie sans réaction cellulaire. Ce syndrome a paru aux auteurs dépendre d’une atteinte concomitante des racines rachi-diennes, des nerfs et des muscles, vraisemblable-ment de nature infectieuse ou toxique. Ce nouveau syndrome avait été observé chez 2 jeunes militaires : le premier, un hussard de 25 ans, chez lequel les troubles moteurs se sont installés en moins de 1 mois ; la récupération a débuté 1 mois après le début des troubles. Le second est un fantassin de 35 ans chez lequel également les troubles se sont installés en moins de 1 mois et chez qui la tendance à l’amélioration a permis son évacuation vers l’ar-rière 15 jours plus tard. Qu’y avait-il de si particu-lier à ce syndrome ? Certains caractères méritaient en effet d’être soulignés : non pas tant l’atteinte rapide des membres supérieurs et inférieurs que la présence d’une importante augmentation de l’albu-minorachie et l’évolution favorable débutant entre 1 et 2 mois après le début des troubles. L’étude du liquide céphalorachidien (LCR) était récente et l’augmentation de l’albuminorachie n’était observée que dans les compressions médullaires, ce qui a fait dire aux auteurs qu’il y avait une atteinte méningée associée. L’évolution favorable, là aussi, paraissait surprenante compte tenu de la gravité de l’at-teinte initiale. Un tel tableau de paralysie ascen-dante aiguë avait été décrit par Octave Landry en 1859, mais avec une issue fatale dans la majorité des cas et sans qu’aucune vérifi cation anatomique n’ait été réalisée. L’auteur évoquait une origine médullaire pour ce syndrome. Par la suite, l’ori-gine nerveuse périphérique lui sera attribuée, pour certains des cas semblables (voir Ross et Bury, 1893).

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RésuméLa période 1914-1950 a vu essentiellement l’émergence d’un nouveau syndrome : la polyradiculonévrite aiguë à évolution favorable et dissociation albuminocytologique décrite par Guillain, Barré et Strohl en 1916. Parmi les neuropathies héréditaires, il faut retenir le syndrome de Roussy-Lévy en 1926 et les nombreuses publications sur les névrites hypertrophiques dont certaines n’étaient pas familiales, et qui constituent un pont entre les neuropathies héréditaires et les polyradiculonévrites chroniques qui ne seront formellement identifiées que plus tardivement. Parmi les polynévrites ou névrites multiples, peu de nouveautés, mis à part les névrites de l’amylose et des vascularites. À la fin de cette période, Denny-Brown rapporte le premier exemple de neuropathie sensitive paranéoplasique par atteinte du ganglion rachidien postérieur.

Mots-clésSyndrome de Guillain-BarréSyndrome de Roussy-LévyPolynévrite et multinévriteNeuropathie hypertrophiqueSyndrome de Denny-Brown

SummaryThe 1914-1950 period was essentially marked by the birth of a new syndrom: the acute polyradiculoneuritis with a good outcome and an hyperalbuminorachie without cellular reaction which was reported by Guillain, Barré and Strohl in 1916. Amongst the familial neuropathies, one of the most important syndrome reported was by Roussy and Levy in 1926. Numerous hypertrophic neuritis were also reported. Some of them were not familial, which makes the bridge between the hereditary neuropathies and the poly-radiculoneuropathies which will be defi nitively recognized later on. Within the polyneuritis and multineuritis, there were no more new entities. The amyloid and vasculitic neuritis were nevertheless described. At the end of that period, Denny-Brown reported the fi rst case of paraneoplasic sensory radicu-loneuritis.

KeywordsGuillain-Barre syndromeRoussy-Levy syndromePolyneuritis and multineuritisHypertrophic neuritisDenny-Brown syndrome

Cette initiale description de Landry conduisit quelques neurologues à qualifier ce nouveau syndrome de "syndrome de Landry-Guillain-Bar-ré-Strohl" qui sera par la suite assez rapidement abandonné au profit de “syndrome de Guil-lain-Barré”, Strohl ainsi que Landry faisant les frais de cet abandon, nous y reviendrons. Un des traits remarquables souligné par les auteurs est l’aspect des réponses des réfl exes tendineux analysés par la méthode graphique mise au point par Strohl lui-même. Les réfl exes tendineux paraissent abolis, mais lors de l’enregistrement graphique réalisé sur le muscle après percussion du tendon, une réponse musculaire est observée, plus faible que chez un sujet sain et avec un temps de réaction également nettement allongé. Selon les auteurs − et sans doute surtout Strohl −, cette constatation montre l’altération profonde et prédominante des conduc-teurs nerveux ou de la partie centrale du réfl exe. La diminution de l’amplitude de la réponse musculaire pourrait être due à l’atteinte musculaire associée touchée par l’intoxication. Pour fi nir, les auteurs insistent sur l’intérêt de la méthode graphique pour préciser l’état des réfl exes tendineux. Comme on peut le constater, une grande partie des commen-taires de l’article porte sur l’analyse graphique des réfl exes tendineux. Cela rend encore plus injuste l’abandon de "Strohl" dans le nom éponymique de

ce nouveau syndrome, qui va rapidement obtenir droit de cité dans la pathologie

nerveuse périphérique − non sans avoir dû lutter quelques temps pour conserver l’éponyme de syndrome de Guillain-Barré. Guillain lui-même s’en fi t l’ardent défenseur. Georges Guillain (1876-1961) a

commencé ses études à Rouen, sa ville natale, et s’installe rapidement à Paris où il

est nommé interne en 1898 et commence la neuro-logie chez Fulgence Raymond qui a succédé à Jean-Martin Charcot à la chaire des maladies du système nerveux à la Salpêtrière. Il est nommé professeur agrégé en 1910 à l’âge de 34 ans seulement. Il passe ainsi une partie de la guerre au centre neurologique de la VIe armée. En 1919, il est nommé médecin à l’hôpital de la Charité. Sa carrière est couronnée en 1923 par sa nomination à 47 ans à la chaire des

maladies du système nerveux à l’hôpital de la Salpê-trière où il succède à Pierre Marie, son maître. Il occupera cette chaire jusqu’à sa retraite en 1947.

Jean-Alexandre Barré (1880-1967) fait ses études de médecine à Nantes, puis son internat à Paris avec

Babinski. Il est l’élève de Souques. En 1916, il est affecté à l’unité neuro-

logique de la VIe armée dirigée par Guillain. En 1919, il devient professeur de neurologie à l’université de Stras-

bourg. André Strohl (1887-1977) a eu une carrière quelque peu différente. Après être passé par des études de physique, il entreprend des études de médecine et obtient son doctorat en 1914. Il sert en qualité de radiologue et rencontre ainsi Guillain et Barré. C’est donc lui qui réalise les études électrophysiologiques des 2 soldats atteints de ce syndrome bien particulier. En 1924, il est nommé professeur de médecine physiologique à Alger, puis, 2 ans plus tard, à Paris. Il étudie notamment les gradients électriques de la peau et l’excitabilité neuromusculaire. Malgré cet apport notable dans la description du syndrome, son nom disparaît rapide-

ment et seuls les noms de Guillain et Barré resteront pour la postérité. La dispari-tion du nom de Strohl vient sans doute

du fait qu’il n’était pas neurologue et qu’il a suivi très rapidement une

voie différente. C’est ainsi essen-tiellement Guillain qui va défendre son syndrome.

Pierre Marie, alors titulaire de la chaire des mala-dies du système nerveux, rapporte en 1919 un cas similaire. En 1925, Guillain avec son élève Théophile Alajouanine, qui lui succédera à la chaire en 1947, fait paraître une courte note rappelant les 2 cas princeps et 10 cas inédits qui, pour 5 d’entre eux, comportaient une ataxie pouvant prendre un aspect pseudotabétique. Six de ces cas avaient aussi une atteinte associée des nerfs crâniens. Alajouanine et al. publient en 1936 un cas sévère terminé par la mort et qui présentait une polyradiculonévrite aiguë généralisée avec diplégie faciale et paralysie termi-

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nale des muscles respiratoires et avec dissociation albuminocytologique. George Boudin en fera son sujet de thèse en 1936. Guillain et Barré, dans une longue mise au point à la Société de neurologie, réfutent les conclusions avancées par Alajouanine et Boudin. Ils reprochent à ces derniers d’englober, dans une trop vaste synthèse, divers tableaux de polynévrites infectieuses, de ne considérer la disso-ciation albuminocytologique que contingente. La même année, Guillain publie un long mémoire aux Archives of Neurology and Psychiatry. Deux ans plus tard, Guillain fait une large synthèse lors de la réunion à Bruxelles des sociétés belges. Les analyses pathologiques du syndrome étaient quelque peu discordantes : les études anglo-saxonnes souli-gnaient l’importance de l’œdème des nerfs et des racines, alors que les études françaises et allemandes notaient la présence d’infi ltrats infl ammatoires faits de cellules mononucléées distribuées de façon multi-focale et variable. En 1949, Haymaker et Kernohan, sur la base des résultats de 50 cas fatals de syndrome de Guillain-Barré, concluaient que seul l’œdème était présent dans les premiers jours, suivi d’une destruction de la gaine de myéline et parfois aussi des axones. Les auteurs reconnaissaient ainsi que la pathogénie de l’affection était sans doute de nature démyélinisante. Ils pensaient aussi que l’infi ltration lymphocytaire n’apparaissait pas avant le neuvième jour et faisait probablement partie d’un processus

de réparation. Haymaker et Kernohan faisaient ainsi la synthèse en assimilant le syndrome de Landry décrit en 1859 et le syndrome de Guil-

lain-Barré en une seule et même entité qui n’intéresserait que le système nerveux périphérique. Webb Haymaker (1902-1984) et James Watson Kernohan (1896-1981) étaient 2 pathologistes

américains de renom que nous retrouverons plus loin dans le chapitre sur les polynévrites.Guillain, dans son dernier écrit scien-tifique, publié aux Annales de médecine en 1953, reprend en détail les grands traits du syndrome en y adjoignant 19 cas personnels inédits, dont un mortel (le seul de la série). Il récusait les conclusions de Haymaker et Kernohan, qui n’aboutissaient qu’à une confusion nosographique absolue. Il distinguait cependant diverses formes cliniques : les formes spinales, les formes mésocéphaliques et spinales, et les formes mésocéphaliques pures. Il y ajoutait les formes ataxiques, les formes avec participation cérébelleuse et les formes acrodyniques. Pour les

cas mortels, liés à une atteinte bulbaire, il pense que ceux-là auraient pu être réversibles et curables si l’on avait pu y pallier pendant quelques jours. Quant au mécanisme étiopathogénique, Guillain conservait l’opinion qu’il s’agissait d’une infection spéciale dont on ne connaissait pas encore le germe. L’hypothèse allergique soulevée par Bannwarth en 1941 n’entrait pas dans ses considérations, la trouvant trop vague et non documentée. Les paralysies induites par la vacci-nation antirabique, rapportées par Remlinger (1928), intéressant autant le système nerveux central que le système nerveux périphérique, paraissaient pourtant être les premiers indices d’une affection “allergique”, mais ces observations ont été totalement oubliées jusqu’à la réalisation de la névrite allergique expéri-mentale par Waksman et Adams en 1955.

Ainsi la troisième grande division des neuropathies diffuses est défi nitivement entrée dans la nosologie. Les 2 autres sont les polynévrites ou multinévrites, encore réunies dans la même entité pathologique, et les neuropathies familiales ou héréditaires que nous allons aborder maintenant.

Charcot, Marie et Tooth (1886) puis Dejerine et Sottas (1893) avaient posé les fondements du grand chapitre des neuropathies familiales. Les névrites hypertrophiques retenaient alors plus particulière-ment l’attention des neurologues. Roussy et Cornil rappelaient en 1919 qu’il existait à ce jour 2 grands types de névrite hypertrophique familiale : le type Dejerine-Sottas et le type Pierre Marie-Boveri qui diffère du syndrome précédent par la présence d’un tremblement intentionnel, d’une parole saccadée, d’une exophtalmie et d’une cyphoscoliose, mais dépourvu d’ataxie, de signe de Romberg, de douleurs fulgurantes et de nystagmus. Dans le premier syndrome, l’hypertrophie intéressait surtout le tissu interstitiel, alors que, dans le second, l’hypertrophie intéressait autant le nerf que le tissu interstitiel. Roussy et Cornil apportaient en 1919 une nouvelle pierre au chapitre des névrites hypertrophiques en rapportant un cas de névrite hypertrophique progres-sive de l’adulte, caractérisé par un début tardif, une absence de signe d’Argyll Robertson, de myosis, de nystagmus, d’atrophie muscu-laire généralisée, de parole scandée, d’exophtalmie, et la présence d’une atteinte prédominant aux membres supérieurs. L’élément essentiel était l’absence de caractère familial. Gustave Roussy (1874-1948) était un neurologue, neuropathologiste

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et enfi n cancérologue, né en Suisse, naturalisé fran-çais, interne des hôpitaux de Paris en 1901, profes-seur agrégé en 1908. Entre 1914 et 1918, il est chef du service neurologique de la 7e région militaire. Il s’oppose à Babinski sur la nature des traumatismes de guerre et préconise la méthode brusque pour soigner ce type de malades, c’est-à-dire le “torpil-lage électrique” pour “convaincre les patients de repartir au combat”. Après la guerre, il sera titulaire de la chaire d’anatomopathologie de Paris. Il restera néanmoins célèbre pour avoir créé le premier centre

de lutte contre le cancer à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif. Lucien Cornil (1888-1952) était l’élève de prédilection de Gustave Roussy et

de Jean Lhermitte. Après de brillants services qui lui valent la Croix de guerre, il est nommé

professeur agrégé d’anatomie pathologique à Nancy, puis à Marseille où il devient doyen de la faculté et crée un centre anticancéreux.

Un nouveau syndrome est décrit par Gustave Roussy et Gabrielle Lévy en 1926. Il s’agit d’une maladie familiale particulière où les 7 cas d’une même fratrie présentent des pieds-bots et une aréfl exie tendineuse généralisée, avec, accessoirement une légère maladresse des mains. Nous voudrions insister ici sur les signes et symptômes rapportés par les auteurs pour montrer les erreurs, notamment anglo-saxonnes, dans les descriptions ultérieures de ce syndrome. Les 7 patients rapportés par Roussy et Lévy présentaient tous des troubles de la marche, très prononcés dans 2 cas, un signe de Romberg dans tous les cas sauf 1, une maladresse dans les mouvements des doigts dans 4 cas, des pieds-bots dans 4 cas et, dans 3 cas, une ébauche seulement de pied-bot, une aréfl exie généralisée dans tous les cas, un petit tremblement interprété comme céré-belleux dans 2 cas, pas d’amyotrophie sauf modérée dans 2 cas. Comme on peut le constater, les auteurs n’ont en aucun cas rapporté un syndrome de type Charcot-Marie-Tooth avec tremblement, ensemble syndromique qui sera utilisé par les Anglo-Saxons par la suite et qui n’est pas du tout le syndrome décrit par Roussy et Lévy. Comme quoi, il est essentiel de lire les auteurs à la source pour éviter une telle confusion. Cependant, où positionner ce nouveau syndrome ? Pour Roussy et Lévy, entre le syndrome de Charcot-Marie-Tooth et la maladie de Friedreich. Nous verrons beaucoup plus tard ce qu’il en est de son génotype.

Ainsi, en 1926, les principaux aspects des névrites familiales avaient été décrits. Si bien qu’en 1927

Davidenkoff, neurologue russe, pouvait publier (en allemand), une proposition de classifi cation des neuropathies héréditaires. Il distingue 12 sous-groupes, que nous n’énumérerons pas tous. Signalons seulement que cette classifi cation comporte les formes typiques de Charcot-Marie-Tooth, avec ou sans hypertrophie nerveuse, les formes typiques de Dejerine-Sottas, les formes n’atteignant que les mâles, les formes avec atrophie du nerf optique, le type Roussy-Lévy, et un nouveau type intéressant la ceinture scapulaire et les jambes que l’auteur redéfi nira en 1939.

Sergei Davidenkoff (1880-1961) était donc un neurologue russe qui, après des études à Moscou, devint professeur de neurologie à Léningrad en 1932. Il fut le fondateur de la neurogénétique clinique russe et travailla avec Pavlov. Il rapporta en 1939 un nouveau syndrome chez 13 patients qui présentaient un déficit moteur de distribution scapulopéro-nière associé à un déficit sensitif dans les membres et souvent un pied creux. Il ne s’agit donc pas d’une affection de type myopathique ou motoneuronale, mais d’une entité distincte se rapprochant des neuropathies familiales de type Charcot-Marie-Tooth.

Les névrites hypertrophiques posaient ainsi certains problèmes de classification, en fonction de leur caractère familial ou non. Wolf et al. (1932) repre-naient ainsi la discussion de ces névrites hyper-trophiques de type Dejerine-Sottas à propos de 3 cas et faisaient une revue de la littérature. Ils recensaient 40 cas de névrites interstitielles avec comme variables : le caractère familial ou non, le début dans l’enfance, le défi cit moteur avec ou sans défi cit sensitif, une pupille d’Argyll Robertson, un tremblement, une ataxie, un nystagmus, une parole scandée et une cyphoscoliose. Vingt cas furent fi na-lement acceptés et, parmi eux, 13 avaient un carac-tère familial. Cornil et al. avaient aussi présenté une névrite hypertrophique non familiale avec étude anatomoclinique en 1930. Mais, parmi ces cas, notamment non familiaux, certains présentaient une évolution inhabituelle. Nattrass (1921) rappor-tait l’observation d’un jeune homme de 18 ans qui présentait un défi cit moteur rapidement évolutif des membres inférieurs puis des membres supérieurs, associé à de violentes douleurs des membres et du dos. Les réfl exes tendineux étaient abolis. À la palpa-tion, les troncs nerveux paraissaient très épaissis

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Histoire des neuropathies périphériques : troisième partie – 1914-1950MISE AU POINT

et endurcis, de façon uniforme. L’élément très particulier était que le patient avait déjà présenté 2 épisodes de même nature et entièrement régressifs. Pour l’épisode récent, il commença à récupérer au bout de quelques jours et complétement en 3 mois. Il n’y avait aucune histoire familiale. Nattrass n’avait trouvé aucune observation semblable dans la litté-rature. Peu de temps après, en 1926, Wilfrid Harris et Wilfrid Newcomb, de Londres, rapportaient un cas de polynévrite interstitielle hypertrophique avec rechutes. Il s’agissait d’un homme qui présentait plusieurs épisodes de polynévrite avec récupération complète entre les poussées. L’étude anatomopathologique des nerfs montrait une importante hypertrophie des racines et des troncs nerveux. Cette hypertrophie était telle qu’un des anatomopathologistes émérites de l’assistance, lors de la présentation de ce cas, suggéra qu’il s’agissait d’un nerf sciatique de taureau… Ces 2 observations de patients qui présentaient une névrite à rechutes, hypertrophique non familiale étaient très certaine-ment les premiers exemples de polyradiculopathies inflammatoires chroniques qui ne seront reconnues et décrites que beaucoup plus tard.

Le troisième volet des névrites diffuses est celui des polynévrites ou multinévrites. Il n’y eu guère, pendant cette période, de nouveautés bien particu-lières. Le terrain avait été déjà largement défriché avant 1914, et illustré dans de nombreux traités neurologiques.Il n’y a pas eu non plus de grands progrès dans l’exploration de ces névrites, hormis la pratique de l’étude du LCR.Concernant les névrites diabétiques, aucun progrès sensible n’a été enregistré. L’étiopathogénie en demeure mystérieuse, même si le rôle de l’hyper-glycémie est retenu et qu’une atteinte vasculaire associée soit possible. Il en est de même pour les névrites alcooliques où une carence en vitamine B1 est retenue comme très probable et que le rôle direct de l’alcool soit mis en question.En revanche, les névrites amyloïdes ont été bien étudiées. Koenigstein le premier, en 1925, rapportait l’existence d’une atteinte nerveuse périphérique dans l’amylose primitive. De Navasquez et Treble en 1938 confirmaient les lésions histopathologiques de l’amylose sur le nerf. Le rouge Congo permettant la coloration des plaques amyloïdes avait été découvert en 1922 par Bernhold. Kernohan (que nous avons déjà rencontré) et Woltman avaient montré que les dépôts d’amylose se situaient dans les régions péri-vasculaires. Findley et Adams (1938) rapportaient un

cas caractérisé par des troubles du système nerveux autonome : impotence, troubles digestifs, malab-sorption, troubles sensitifs distaux avant l’atteinte cardiaque. En 1939, Andrade rapportait chez une femme de 37 ans, originaire de la région de Porto, une névrite sensitive atteignant les pieds et due à des dépôts d’amylose. Ce syndrome était connu dans plusieurs familles de cette région, comme le “mal des pieds”. Il s’agissait ainsi de la neuropathie amyloïde héréditaire, si fréquente dans cette province.Les névrites par angéite étaient déjà connues. Kernohan et Woltman, en 1938, rapportaient les études anato-mocliniques des névrites par vascularite dans le cadre des péri-artérites noueuses. Les névrites avec dégé-nérescence axonale ont été décrites par Lovshin et Kernohan en 1948. Wegener avait décrit en 1936 une maladie qui portera désormais son nom. Le syndrome de Churg-Strauss ne sera identifié qu’en 1951.Les névrites du myélome multiple ont été rapportées dès 1937 par Davison et Balser, puis par Scheinker en 1938 et Berlin en 1946. Une névrite associée à un myélome solitaire fut également rapportée par Scheinker en 1938. Enfin, Bing et Neel, en 1936, rapportaient la présence de troubles sensitifs distaux dans l’hyperglobulinémie, notamment la macroglo-bulinémie qui deviendra maladie de Waldenström un peu plus tard.Les névrites toxiques, notamment arsenicales et dues au plomb ont été déjà largement décrites.

Jacques Boudouresques, de Marseille, rédigea sa thèse de doctorat sur les polynévrites en 1938. Il put ainsi faire l’état des connaissances juste avant la Seconde Guerre mondiale. Sa thèse comprenait les polynévrites toxiques (arsenicales, alcoo-l iques , sa turn ines ,

médicamenteuses), les polynévrites infectieuses (diphtérie, lèpre, etc.) avec, dans cette catégorie, un chapitre sur les polyradiculonévrites curables avec dissociation albuminocytologique, reprenant les différentes formes cliniques, dont une forme dite à évolution entrecoupée caractérisée par des rechutes lors d’événements connexes telle une infec-tion pulmonaire. L’étiologie de ces névrites demeure inconnue, bien que l’origine infectieuse soit encore la plus probable à ce jour.Enfin, nous ne saurions terminer cette revue des différentes formes de névrites sans aborder le travail

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La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2015 | 323

MISE AU POINT

remarquable de Denny-Brown. Il rapportait en effet en 1948 l’étude clinique et anatomique de 2 patients. Le premier présentait des troubles sensitifs simultanés des pieds, des mains et de la face (péribuccaux), des douleurs apparaissaient également dans les extrémités des membres. À l’examen, il n’existait pas de défi cit moteur ni d’amyotrophie, en revanche une ataxie très marquée était observée. Les réfl exes tendineux des membres inférieurs étaient abolis. L’étude du LCR montrait une légère hyperprotéinorachie, sans réaction cellulaire. Le patient présenta une atteinte pulmo-naire étendue et décéda rapidement. Le deuxième patient présentait un tableau clinique semblable et décéda lui aussi d’une pneumonie terminale. L’élément caractéristique de ces 2 cas résidait donc dans l’ap-parition rapide d’une névrite extensive, uniquement sensitive, avec douleurs et une ataxie très marquée. L’étude anatomique révéla, d’une part, la présence d’un cancer bronchique dans les 2 cas et une perte sévère

de cellules nerveuses dans les ganglions rachi-diens postérieurs, sans atteinte des cornes antérieures de la moelle, d’autre part.Ainsi était rapportée la première descrip-

tion complète et détaillée d’un syndrome paranéoplasique qui portera par la suite le nom de syndrome de Denny-Brown. Derek Denny-Brown (1901-1981) est

né en Nouvelle-Zélande. Il poursuivit des études de neurologie à Londres. En 1941, il partit pour Boston pour devenir directeur de l’unité neurologique de la Harvard University. Il fut le premier à proposer un traitement, le BAL (British Anti Lewisite) , dans une maladie neurologique, la maladie de Wilson. Ses recherches avec Pennybacker, en 1938, conduisent à la création de l’électromyographie clinique. Il fut le premier à constater que sur un nerf lésé, l’infl ux nerveux ne parvenait plus au muscle et que cela venait d’une démyélinisation et d’une lésion axonale responsable d’un bloc de conduction.

Les années de guerre (1939-1945) n’apportèrent pas d’éléments nouveaux dans la nosologie des diffé-rentes formes de névrites. Il faudra attendre le début des années 1950 pour voir vraiment décoller l’étude des neuropathies périphériques grâce aux progrès des explorations complémentaires, biologiques, électrophysiologiques, histopathologiques.Les années 1914-1918 furent des années terribles pour tous les belligérants. La France et l’Alle-magne qui étaient jusqu’en 1914 les 2 nations en pointe en médecine, perdirent définitivement leur leadership au profit des pays anglo-saxons et plus particulièrement des États-Unis, comme la suite le montrera. ■

L’auteur n’a pas précisé ses  éventuels liens d’intérêts.

RéponseIl s'agit d’un abcès cérébral avec lésion intraparenchymateuse unique, en hypersignal FLAIR, présentant une couronne d’œdème périlésionnel, en hypersignal sur l’imagerie de diffusion, en restriction sur la cartographie du coeffi cient de diffusion apparent. La coque de la lésion apparaît en hyposignal T2.

IMAGE TEST N° 1

RéponseIl s'agit d’un lipome du cône terminal avec une lésion intracanalaire intramédullaire homogène en hypersignal T2 (A et B), un hypersignal T1 spontané (C et D), sans prise de contraste sur l’image de soustraction (E), annulée après saturation du signal de la graisse (F). Le scalloping osseux du mur vertébral postérieur est évocateur d’un processus lentement évolutif.

IMAGE TEST N° 2

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