Gierke, Maitland, Pange. Les théories politiques du moyen âge. 1914.

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    THORIES POLITIQUESDU MOYEN AGE

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    PITHIVIERS. IMP. DOMANG ET C". 6211

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    THORIES POLITIQUESDU MOYEN AGEPar

    OTTO VON GIERKE -PROFESSEUR DE DROIT A L'UNIVERSIT DE BERLIN

    PRCDES D'UNE INTRODUCTIONPAR

    FREDERIC WILLIAM MAITLANOPROFESSEUR DE DROIT A L'UNIVERSIT DE CAMRRIDGE

    TRADUITES DE L'ALLEMAND ET DE L'ANGLAISPAU

    JEAN DE RANGE^s^^

    LIBRAIRIEDE LA SOCIT DURECUEIL SIRE Y

    ^, Rue Soufflt. PARIS -5'Lon TENIN, Direeteur1914

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    .V"^iQ of Medje^3/ ^A

    APS 1 3 1987

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    PRFACE DU TRADUCTEUR FRANAIS

    Il est remarquable que l'tude des thories politiquesdu Moyen Age soit peine commence, et qu'elle ait tnglige jusqu'ici mme par la plupart des spcialistesqui se sont consacrs l'histoire de cette poque. On peuten effet se demander si cette histoire est pleinementintelligible un esprit qui n'est pas initi aux doctrinesfondamentales sur lesquelles reposait la socit du MoyenAge. Que dirait-on, crit M. Bernheim (1), d'un histo-rien qui, tudiant l'histoire du dix-neuvime sicle, neconnatrait pas fond les ides essentielles du libralismeou du parti conservateur, ne saurait rien des expressionsque les diffrents partis emploient couramment, et nesouponnerait pas comment ces ides et ces. expres-sions sont troitement lies aux diffrentes tendancesreligieuses et philosophiques de notre poque? Cepen-dant une ignorance aussi profonde continue rgnerdans les tudes mdivales, sans qu'on fasse rien pourla dissiper. Il y a lieu d'ajouter qu'il est difficile debien comprendre les ides modernes sans connatre cellesdu Moyen Age dont elles sont le prolongement. Mais cesthories mdivales elles-mmes n'ont fait que dvelop-per les principes dj implicitement contenus dans la

    (1) Ernest Hernheiin, Politische Ber/riffc des Miiielaliers im Lichte derAnschauungen Augusiins, in Deutsche Zeitschrift fur Geschichtswis'senschaft, Neue Folge, erster Jahrgang, 1896-1897. Freiburg u. Leipzig1897.

    DE PANGE b

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    PREFACE IJIen parlant des biens des cits, qu'ils appartiennent Vaniversitas, c'est--dire la collectivit unifie, et nonaux msmbrcs de la cit considrs individuellement,{aniversitalis siini, non singulorum). Au-dessus descitoyens, du popidus Romaniis, l'tat, la Respublica,apparaissait donc comme une unit tout fait distinctedu groupe qui la constituait. La notion civilisatrice parexcellence, celle de la personne morale, se trouvait l enbauche. Mais, rserve l'tat ou ses cratures, ellen'tait encore qu'une abstraction juridique, une sorte decadre, prpar par la philosophie antique, et que l'glisetait appele remplir.En effet, ds son apparition, le Christianisme manifestahautement son indpendance de l'tat, auquel il oppo-sait l'ide de l'glise, c'est--dire d'une communautpurement spirituelle et morale, beaucoup plus tendueque l'tat puisqu'elle revendiquait la direction de toutel'humanit. L'glise enseignait d'ailleurs que les indi-vidus, loin d'tre de simples parties de l'tat, avaient unevaleur absolue et un but transcendant. Elle-mme fut,ds le dbut, considre comme un tout autonome ethomogne, comme un vritable organisme vivant qui,suivant sa dfinition essentielle, est le Corps mystiquedu Christ. Dans ce profond symbole se trouve contenueen germe toute la doctrine postrieure sur le rle et laAu contraire, dans l'association, que les Romains appellent, suivant lescas, du nom de collegium, de corpus ou de sodalilas, les individus passentet se succdent, sans que l'existence du corps en soit affecte. Ces collegiasont des corps qui ont une existence juridique indpendante des indivi-dualits quiles composent. Et en cela ils res-emblent l'tat. Le collegiumest comme une rduction de la cit... Puis une conception nouvelle seforme peu peu, celle de Vuniversiias, qui, comme l'hrdit, est assimile une personne (Personae vice fungilur), tandis que la socielas ne l'est pa.L'Eglise fut plus tard l'objet de la mme assimilation : Ecclesia vicempersonae suslinel. L.ilj. 22, Dig. 46, 1. Cit par Mestre, Les person-nes morales, Paris 18 9, p. 66.

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    IV PREIAClilit lire de l'glise; par l en sont ai'l'irnis les caractresd'unit vivante, de coordination des divers membresen vue d'un mme but, et surtout de transcendance j)arrapport toutes les institutions humaines, puisquel'Ei^lise n'est f(ne la manifestation terrestre de l'Esprit deDieu. Par ce mot enfin est consacre la ralit de l'exis-tence collective de la communaut chrtienne (1).

    Cette dfinition de l'glise est donne par Saint Paul,aux yeux duquel la communaut, Vecclesia, est [relle-ment un organisme qu'anime l'Esprit de Dieu. Il y abien diversit de dons, crit l'aptre, mais il n'y a qu'unmme Esprit; il y a aussi diversit de ministres, maisil n'y a qu'un mme Seigneur; il y a aussi diversitd'oprations, mais il n'y a qu'un mme Dieu, qui opretoutes choses en tous; et les dons de l'Esprit se mani-festent dans chaque homme pour l'utilit commune...En effet, comme notre corps n'est qu'un, quoiqu'il aitplusieurs membres, et que tous les membres de ce seulcorps, quoiqu'ils soient plusieurs, ne forment qu'uncorps, il en est de mme du Christ. Car nous avons toust baptiss dans le mme Esprit, pour n'tre tous ensem-ble qu'un mme corps, soit .Juifs ou Gentils, soit esclavesou libres, et nous avons tous t abreuvs d'un mmeEsprit... Aussi, lorsqu'un des membres souffre, tous lesautres souffrent avec lui; ou si l'un des membres esthonor, tous les autres s'en rjouissent avec lui. Or, voustes le corps du Christ, et vous tes ses membres, chacun euparticulier (2). Car comme dans un seul corps nousavons plusieurs membres, et que tous ces membres n'ontpas la mme fonction; ainsi, ({uoicjue nous soyons plu-

    (1) Mestrc, Les personnes morales, p. G3.i'Z) P 11!pi Ire de Saint Piid diix Curinlhicis vUa\>. Xll, v, 1-7, l,?K{,26-27.

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    PREFACE Vsieurs, nous ne sommes tous nanmoins qu'un seul corpsen Jsus-Christ, et nous sommes tous rciproquementmembres les uns des autres (1). Une re nouvelles'ouvrait pour l'humanit qui, pour la premire fois,tait conue comme formant un seul organisme intel-lectuel et moral. Et la ralit de ce phnomne taitexprime par l'image du corps vivant, image si profondeet si juste qu'elle revient ternellement chaque fois qu'onfait appel l'ide de socit (2). L'glise s'identifiedsormais avec le corps du Christ, et dans la doctrine dela Cne, telle qu'elle est formule par Saint Paul, l'uniondes membres avec leur chef s'tablit par l'intermdiairedu mystre dont l'glise est dpositaire (3),

    Ainsi constitue en Socit des Fidles, sorte d'tatspirituel et universel, l'glise prend la premire place.L'ancien tat, lacis, n'ayant plus son culte propre,est relgu dans le domaine temporel. On dclare qu'il at fond sur l'injustice et sur la violence, par suite de

    (1) Eptre de Sain' Paul aux Romains, chap. XII, v. 4-5.(2) Cette image du corps chrtien se trouve, par exemple, dans uneconstitution donne par l'Empereur Maximilien en 1512 : So haben

    UHF uns mil des Heil. Reichs Si nden und sie mit un; ais ein ChristlichCorpus vere-nigl und vertragen. Cit dans la dissertation De alinai oneimmediali jeudi imperii, par J. Ulricus Pauli, 1709.

    (3) 1 Ep. aux Cor., chap. X, v. 16-17 (voir la citation faite ci-dessouspage 136, note 67). Cette ide est souvent reprise par Saint Augustinqui dsigne la communaut chrtienne sous le nom de Corpus Christ i.En effet, dans plusieurs passages (entre autres dans le Sermon 227), ilparle du Corpus Chrisli loto orbe diffusum . Et ailleurs : Qui ergo e$iin ejus corporis un laie, id est Christianorum compage membrorum, cujuscorporis sacramenlum fidles communicantes d altari sumer: consueveruni.ipse vere dicendus esl manducare corpus Chrisli el bibere sanguinemChrisli... [haeretici) non sunl in illo vinculo pacis, quod illo exprimilursacramenlo... Non maneni in Christo, qui non sunl membra ejus. De civ.Dei XXI, 20. Fianl corpus Chrisli, si volunt vivere de spiritu ChrisliTract. XXVI, 13 . Hune itaque cibum el potum societatem vull intelligicorporis et membrorum suorum. Tract. XXVI, 15. Citt, faites d'aprsDorner, Augustinus, Berlin 1873, p. 264.

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    l'tat de dchance dans lequel la nalurc humaine a tplonge par le pch originel. Pour racheter l'illgitimit(1( son origine, cet tat temporel doit consentir tre unmembre infrieur du grand Corps Mystique dont le Christest la tte; il doit se subordonner l'glise, qui le guideravers des fins surnaturelles. C'est en ces termes que sepose la question des relations du Sacerdotium ef deV Irnperianiy qui doit remplir tout le Moyen Age,

    II. L'tat Chrtien.Mais quel est le but que l'glise assigne l'tat chr-

    tien? Ce but. Saint Augustin, dans sa Cit de Dieu, nousl'indique, c'est le maintien de la paix et de la justice.Sous le nom de Pax, Saint Augustin comprend l'tatd'quilibre interne et externe que conserve chaquecrature tant que, fidle sa condition originelle, ellereste sa place dans l'conomie gnrale du monde :elle participe ainsi au bien suprme qui est l'unit del'tre en Dieu. S'il y a rupture de cet quilibre, decette harmonie qui est le souverain bien, c'est parce quela crature veut tre quelque chose par elle-mme, parceque son gosme l'loign de l'amour de Dieu et del'abandon la volont divine. Elle succombe ainsi aupch capital de la Superbia ou do V Inobedientia, qui acaus la chute des mauvais anges et du premierhomme (1).

    Les diverses significations de l'ide de la Pax, danslesquelles on peut reconnatre l'influence d'Aristote etde l'cole d'Alexandrie, sont rsumes par Saint Augu'-tin de la faon suivante :

    (1) loriiliriin, loc. cil., p. 3.

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    PRFACE VII La paix du corps rside dans le juste temprament

    de ses parties, et celle de l'me sensible dans le calmergulier de ses apptits satisfaits. La paix de l'meraisonnable, c'est en elle le parfait accord de la connais-sance et de l'action; et celle du corps et de l'me, c'estla vie bien ordonne et la sant de l'animal. La paixentre l'homme mortel et Dieu est une obissance rglepar la foi et soumise la loi ternelle; celle des hommesentre eux une concorde raisonnable. La paix d'unemaison, c'est une juste correspondance entre ceux qui ycommandent et ceux qui y obissent. La paix d'unecit, c'est la mme correspondance entre ses membres.La paix de la cit cleste consiste dans une union trsrgle et trs parfaite pour jouir de Dieu, et du prochainen Dieu; et la paix de toutes choses, c'est un ordretranquille. L'ordre est ce qui assigne aux choses diff-rentes la place qui leur revient (1).

    Pour comprendre toute la porte de cette ide de laPax, il faut se rappeler comment Saint Augustin conoitles relations des deux royaumes, de la Civilas Dei etde la Cvitas Diaholi. La vraie Paix ne peut naturelle-ment appartenir qu'aux enfants de Dieu, qui se saventen communion complte avec Dieu. Au contraire, les

    (1) Cit de Dieu, liv. 19, chap. XIII (trad. Saisset). Il est peu prsimpossible de donner une tradi ction exacte de ces concepts moraux, dontl'importance a t si grande pour la philosopiiie du Moyen Age. Il fautles lire dans le texte latin : Pax cordons est ordinaia temperaura partiiim,pax animae irralionalis : ordinaia requies appeiiionum, pax animaeralionalis : ordinaia cognili iiis ( clionisque consensus, pax corporis elanimae : ordinaia vila el salas animanlis, pax fiominis morlalis el Dei :iirdinala in fide siih aelerna lege obedienlia, pax iiominum : ordinaiaconcordia, pax domus : ordinaia imperandi atque obediendi concordiaciritim, pax cleslis civiiatis : onlinalissiir.a et concordissima socielas(riiendi Deo el invicem a Deo, pax omnium rerum : Iranquillitas ordinis;ordo esl parium dis^ ariumque rerum swi cuique loca Iribuens disposilio. Cit d'aprs Hernheim, loc. cil., p. 4.

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    Vin PRFACEonfaiils (lu monde, (|iii mettent Loiilc Iciii- confiance eneux-mmes, sont, ])ar suite de leur manque d'quilibre,entrans sous la domination des passions. Ils viventdans un perptuel dsaccord avec eux-mmes et avecles autres, et envient particulirement la Paix danslaquelle vivent les membres de la cit cleste. En effet,la Paix est un bien si incomparable que mme les per-sonnes prives de Dieu s'efforcent d'y parvenir, aumoins dans leur vie extrieure. Ce besoin s'exprime parla cration de l'tat. Cependant, l'tat paen, tel quenous le montre l'histoire des grandes monarchies, estl'image de la Civitas Diaboli, fonde et maintenue parla violence, l'gosme et l'orgueil, remplie de discorde etdestine prir son tour par la violence. A l'EmpireRomain seul le Seigneur a permis de s'tendre et de seperptuer sans fin, pour servir la diffusion de l'glisesur la terre. Ainsi les enfants de Dieu, qui jusque-lvivaient l'tat isol, seront runis dans la cit divine (1).

    L'autorit temporelle, en vertu de laquelle un hommecommande ses semblables, est la consquence du pchoriginel. Aussi ne doit-elle pas tre recherche {perversuscelsihidinis appelilor), et ceux qui la dtiennent doivent-ils en toute humilit se sentir les serviteurs de Dieu.Ils doivent avoir toujours prsente l'ide de l'galitoriginelle de tous les hommes, galit qui a t dtruitepar le pch. Cette ide, exprime plusieurs reprisespar Saint Augustin (2), a t dveloppe i)ar le PapeGrgoire-le-Grand dans le passage suivant o l'on croitlire une sorte de Dclaration des Droits de l'homme : La nature a fait tous les hommes gaux, mais, par suited'^ l'ingalit des mrites humains, une force disjiensa-

    (1) Hprnheim, loc. cit., p. 5.(:?) De civilale Dei, liv. 19, cliap. XIV-XVI.

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    PREFACE IXtrice cache place les uns aprs les autres; cette ingalit,qui provient des vices, est justement rgle par lesdcrets divins, de sorte que, tous les hommes ne suivantpas du mme pas le chemin de la vie, les uns sont con-duits par les autres; cependant les hommes saints,quand ils sont au pouvoir, considrent, non la puissancede leur rang, mais l'galit de leur condition; ils ne serjouissent pas de commander aux hommes, mais deleur tre utiles (1). N'est-ce pas en vertu de ce principeque le Pape s'intitule Serviteur des serviteurs de Dieu?Aussi les bons pasteurs ne voient-ils pas dans leur autori-rit l'instrument de leur orgueil : leur seul but est deguider vers la cit cleste les autres hommes dont ilsont la charge : En effet ils exercent le pouvoir, non pardsir de dominer, mais par devoir de servir, non parorgueil de faire les souverains, mais par une pitiprvoyante (2). Ceux qui comprennent ainsi leur rlesont rellement les souverains par la grce de Dieu.

    L'ide augustinienne de la Paix devait s'adapter d'unefaon remarquable la vieille ide germanique, suivantlaquelle la mission du roi est surtout de maintenir laPaix et le Droit (3). Mais nous savons maintenant dansquel sens particulier il faut entendre le surnom de Pacificus, quand les auteurs du Moyen Age le dcer-

    (1) Moralia, liv. 21, chap. XV. Voici le texte latin : Omnes hominesnaliira aequales genuit, sed variante uierilorum ordine alios aliis Dispen-salio occulta poslpon l; 'psa aulem diversilas, quae accessit ex vitio, recteest divinis judiciis ordinata, ut quia omnis homo iter vitae aeque non gra-dilur, alter ab altra regatur; sancti autem viri, cum praesuni, non in sepolestatem ordinis, sed aequalilalem conditionis attendant, nec praeessegaudent hominibus, sed prodcsse. Cit d'aprs Bernheim, toc. cit., p. 19,

    (2) De civitate Dei, liv. 19, chap. XIV : Neque enini dominandi cupi-dilate imperant, sed officia consulendi, nec principandi superbia, sed prori-dendi misericordia. Cit d'aprs Bernheim, lac. cit., p. 6.

    3) Voir ci-dessous, page 260, note 310.

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    X PRFACElumt h un monarque (1). Puisque la Paix rside essen-Liellement dans la soumission la volont divine, onconoit que pour l'obtenir il puisse tre ncessaire defaire la guerre. La cause de celle-ci sera juste, car si lessouverains doivent remplir leur tche avec la douceurd'un pre, ils doivent aussi savoir punir en cas debesoin. C'est ainsi qu'Otto de Freising clbre FrdricBarberousse comme l'asile de la Paix, et qu'il dclareque la Paix quitta l'Italie avec lui. Or, l'Empereurn'avait cess de guerroyer en Italie pour y maintenirson autorit.

    L'ide de la Paix a pour corollaire l'ide de la Justice.Saint Augustin donne de celle-ci la mme dfinition quede l'ordre : elle est la vertu quae sua cuiqiie disiribuii (2).Elle est donc ncessaire pour que la Paix se maintiennedans les communauts humaines. Elle ne peut existerque dans un tat chrtien, car elle exige la soumissionaux commandements de Dieu, soumission qui doit treactive de la part du souverain et passive de la part dessujets. Cette dfinition permet de comprendre le vri-table sens du mot clbre de Saint Augustin : RemolaJusliiia qiiid siini rgna nisi magna lalrocinia ! (3) Hter l'avnement de la justice, tel fut l'idal auquelse consacra le Pape Grgoire VII. Il dclare que lamission de l'glise est pro defendenda Jusliiia contrainimicos Dei pugnare (4). Dans son zle lutter pourle triomphe de la Justice, il reproche vivement au duc

    (1) Waitz, Verfassiingsgeschichie, 3-, 244. 6. 114.(2) De civilate Dei, liv. 19, chap XXI et XXVII.(3) De civiiale Dei, liv. 19, chap. XIV.(4) Grgoire Vll, dans ses lettres, rpte sans cesse le mot do .lustitin

    [Jusliiia dictante, pro liienda jiifilitia, ad execulionem jiisliliae). Il se plaint(le ce que les rois, infidles leur mission, i)rlrent Icmpornlia sua liirrajtistiliae. Cf. lernheim, toc. cit., p. 7.

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    PREFACEde Bourgogne d'avoir abandonn son poste pour entrerdans le clotre. Il lui crit : Ubi siini, qui se sponle proamore Dei opponanl periciilis^ rsistant impiis, et })rojustitia et verilate non tinieant morteni siibirel Ecce, quiDeum videntur limere vel amare, de hello Chrisli fugiunt,salutem fralrum postponunt, et se ipsos iantum amantesquietem requirunt; fugiunt pastores, fugiunt et canes,gregum defensores, invadunt oves Christi nullo contra-dicente lupi, latrones ! (l) Quand on sait que par le motde Justice il entendait la Loi divine, ne comprend-onpas mieux les dernires paroles du grand Pape : J'aitoujours aim la justice et ha l'iniquit (2), c'estpourquoi je meurs en exil.

    III. Le Droit Germanique.Cet idal chrtien, qui devait agir si puissamment sur

    les conceptions politiques du Moyen Age, trouva dansles psuples germaniques le terrain qui lui convenait lemieux. L en effet il ne rencontrait pas, comme chez lespeuples romans ou grecs, une ide de l'tat qui se ftforme en dehors de lui et dont il et combattre l'in-fluence. Chez les Germains, l'absence de toute centra-lisation et de toute vie urbaine ne permit pas la consti-tution d'un vritable tat avant la fin du Moyen Age (3).Le Droit germanique se forma donc plusieurs siclesavant l'tat qui en fut l'expression, et dans cette longuepriode d'incubation il s'imprgna profondment de

    (1) Jaff, Bibl. rer. Germ. 2, 227,117,240. Cit d'aprs Bernheim,loc cit. , p . 11.

    (2) Dilexi jiisUUam el odio habui iniquilalem.(3) Gierke, das deutsche Genossenschaflsrechl, t. II, p. 32. On sait, que

    d'aprs cotte thorie, le dveloppement de la vie urbaine, la fin du MoyenAge, fut intimement li aux progrs de l'esprit d'association et de l'idede l'tat en Allemagne (Voir ci-dessous page 34).

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    Xii PRKFACEl'esprit (lu Christianisme. N'y a-l-il i)as une singulireanalogie dans la manire dont l'autorit est conue parSaint Augustin et par l'ancien Droit germanique? (1).Et cette doctrine, qui considre tout dtenteur del'autorit comme un dpositaire responsable de la volontdivine, ne semble-t-elle pas se retrouver encore dansl'application de l'ide du inisl la royaut de droit divin,telle que nous la voyons en Angleterre? (2)

    L'identification de la morale et du Droit est une descaractristiques de l'esprit germanique. Il admet quele Droit mane directement, non de l'tat, mais de laloi morale et de la volont divine. De ce principe dcou-lent d'importantes consquences pratiques. A Romeen effet, o le Droit est l'manation de la volont popu-laire, c'est celle-ci qu'il appartient de rgler les litiges.Aussi le magistrat romain, qui reprsente le peuple etqui est investi de Vimperiiim, se trouve-t-il seul comp-tent pour trancher toute contestation. Les Romainsreconnaissent que la jurisdiclio est un acte de la puis-sance publique, et que l'Empereur cre le Droit. A cettemanire de voir s'oppose celle des Germains. Ceux-ciconsidrent le Droit comme l'expression de la volontdivine, volont qui se manifeste dans la consciencemorale de tout homme intgre et impartial. C'est leDroit ainsi rvl qu'il s'agit d'appliquer. Aussi toutaccus doit-il tre jug, non par le reprsentant del'Etat, mais par ses pairs, ide qui a dtermin l'insti-tution des tribunaux d'chevins. Le rle de la puissance])ublique est simplement de leur dfrer le jugementet d'en assurer l'excution (3).

    (1) Voir ci-dessous, page 159, et notes 12;i et 1.36.(2) Voir ci-dessous, page 49.(3) C. A. Schmidl, der principiellt- Unlerschied :irisrhcn dcm rnminrhen

    iind fiermanischen Herhlc, t. I, i)|. liJOel 157.

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    PREIAGELe Droit germanique, toujours eu vertu du mme

    principe, ne garantit les droits des individus que dansla mesure o ils s'acquittent des obligations correspon-dantes. Il ignore donc la proprit absolue du Droitromain et le jus abidendi qui en est la consquence. Iladmet au contraire la notion d'une possession limiteet subordonne l'observation de certaines rgles mora-les, notion qui se trouve la base du rgime fodal. Cegenre de possession diffre peu du droit d'administra-tion qu'un tuteur peut exercer sur une chose dont iln'est pas propritaire. Il est caractris par le conceptgermanique de la Gewere^ dont le juriste franais nepeut trouver un quivalent, d'ailleurs imparfait, qu'ense reportant la saisine de notre ancien droit fodal (1).Mais l'esprit franais est maintenant si loign de latradition mdivale, il est si habitu tablir une dis-tinction nette entre le droit public et le droit priv, entrele droit rel et le droit personnel, qu'il lui faut un effortpour comprendre les institutions essentiellement ger-maniques, telles que la Gewere, le Trust (2), et la Genos-senschaft. Au contraire les Allemands, et mme lesAnglais, dont le droit manifeste si profondment l'ori-gine germanique, n'ont pas se reprsenter d'une faonabstraite les concepts auxquels rpondent ces insti-tutions. Ce sont leurs yeux des ralits encore vivan-tes, comme Macaulay le fait observer. Pour les Franais,crit-il, l'abme d'une grande rvolution spare com-pltement le nouveau systme juridique de l'ancien.Rien de pareil ne tranche l'existence de la nation an-

    (1) C. A. Schniidt, loc. cit. p. 226. Gierke, das dculsche Gcnossenschafls-rechi, t. II p. 66. F. W. Mailland, Collected Papers, t. I, pp. 329-384, et407-457.

    (2) L'origine lombarde du Trust a t mise en vidence pat Beseler.Voir ci-dessous page 43.

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    XIV IMUilACEglaise Cil di'ux parlies disliiicLes... Poiii' nous autrosAnglais les prcdents du Moyen Age sont encore vala-bles et cits dans les plus graves circonstances par leshommes d'tat les plus minents... En Angleterre lesintrts essentiels des partis ont souvent t mis en jeupar les recherches des rudits. La consquence invitablefut que nos rudits conduisirent leurs recherches avecl'esprit d'hommes de parti (1) . Ce contact permanent dela politique avec la tradition mdivale a pu nuire l'rudition pure, qui se plat dans les ncropoles,mais il permet l'historien anglais d'observer directe-ment beaucoup de concepts du Moyen Age qui se sontperptus dans son pays. De plus, ce pays se trouve auconfluent des deux fleuves qui charrient les ides ger-maniques et les ides romanes. De place en place yapparaissent les sdiments laisss par les invasionsanglo-saxonnes, danoises ou normandes, mais entoursou recouverts en partie par les apports de la culturelatine et de la langue franaise, dont tant d'expressionsjuridiques se sont maintenues dans le droit anglais (2).L'historien qui entre ainsi dans l'intimit de l'esprit duMoyen Age et qui subit galement l'influence du mondegermanique et du monde roman n'est -il pas le mieuxprpar comparer les thories des Romanistes et desGermanistes, et nous faire comprendre ce qu'il y ad'original dans chacune d'elles? C'est en effet la tcheque M. Maitland a entreprise, et pour faire de ces tho-ries le rsum singulirement suggestif et vivant qu'onlira plus loin, il fallait un esprit qui, comme le sien, etle sentiment profond et en quelque sorte l'intuition desdiffrentes conceptions juridiques qu'il devait comparer.

    (1) c;it par \

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    PREFACE XVDe M. Maitlaiid tout le monde connat, au moins de

    nom, la belle histoire du droit anglais qu'il a rdigeen collaboration avec M. Pollock. Mais ct de cetouvrage fondamental il a crit, sous forme d'articles derevue ou de confrences, un grand nombre d'tudes dontaprs sa mort M. Fisher a publi un recueil (1). Dansces tudes, qui abordent la plupart des questions essen-tielles du droit anglais et de la philosophie du droit,apparat un ensemble de qualits si rares que, pourtrouver une comparaison digne de leur auteur, on n'apas craint d'voquer la grande ombre de Niebuhr (2).S'il est vrai en effet qu'aucun esprit critique n'ait autantque M. Maitland contribu dbrouiller l'cheveaucompliqu du droit anglais, il faut aussi rendre hom-mage l'esprit du vritable historien qui, malgrl'volution des formes et le perptuel renouvelle-ment des individus, sait nous faire reconnatre la perma-nence des groupes organiss. Mais comment dfinir cessocits, ces corporations de plus en plus tendues quel'histoire a pour objet d'tudier? Peut-on leur attribuerune volont indpendante, ou faut-il au contraireleur appliquer la thorie de la fiction? A ce problme,qui rsume tous les autres, M. Maitland veut donner unesolution conforme au Ralisme mtaphysique : Il y aaujourd'hui, crit-il, beaucoup de gens qui pensent quela personnalit de la corporation n'est nullement arti-ficielle ou fictive, mais qu'elle est en tous points aussirelle et aussi naturelle que la personnaht de l'homme.Cette opinion, qui fut d'abord caractristique d'une cer-

    (1) The coUcclcd Papers of Frdric William Maitland, Downing Profes-sor of Ihe lairs of Emjland, editcd by H. A. L. Fisher. Cambridge, Univcr-sity Press, 1911 (.3 vol.).

    (2) Journal of Ihe Society of Comp .rative Lgislation. Neir SriesVol. VI, part. I. (1904), p. 1.

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    laiiio cole de Germanistes, a mainlt'iianl t adojiLepai- ([ut>l([ii('s Romanistes insl ruits, et a galement trouvdes champions en France et en Italie (1) .Pour dfendrecette thse, lui aussi, invoquant la tradition des mora-listes anglais (2), a, maintes reprises, pntr dans largion frontire o l'thique ctoie la Jurisprudence.On s'en apercevra sans doute dans l'Introduction dontil a fait procder sa traduction anglaise des Thoriespolitiques du Moyen Age, de M. v. Gierlve (3). Plu-sieurs auteurs (4) ont dj fait remarquer l'importancede cette Introduction, qui claire d'un jour nouveaubien des points obscurs du Droit Anglais. Elle formed'ailleurs le commentaire en quelque sorte classique dudeiilsche Genossenscfiafisrechl. Il a donc paru utile detraduire ce texte anglais en mme temps que le texteallemand de cet ouvrage (5).

    Jean de Pange.(1) Collecleil Papers, t. III, p. 211. Plub loin, p. 306, dans une lude sur

    la personnalit morale et la personnalit lgale, il cite un passage deM. Dicey, dont la tendance, cet gard, se rapproche de la sienne : Tou-tes les fois que... des individus s'obligent ensemble agir d'une certainefaon pour remplir un but commun, ils crent un corps qui, non en verliid'une fiction de la loi, mais par la nature mme des choses, diffre desindividus qui le composent. (Voir Dicey, Leons sur les rapports entre leDroit et l'opinion publique au cours du 19 sicle, trad. Alb. et Gast. Jzc,p. 143).

    (2) Collected Papers, t. III, p. 204.(3) Traduction publie Cambridge en 1900.(4) Entre autres Barrault, le droit d'associalinii en Amjletrrrc, Paris

    1908, pp. 183 186.(5) Je tiens exprimer mes remerciements M. von Gierke et aux

    iiritiers de M. Maitland, poiu- l'extrme ol)ligeancc avec laquelle ils ontautoris cette double traduction, ainsi qu' M. Thvonin, professeur l'cole des Hautes tudes, pour les nonibreuses indications qui ont tmises profit dans ce travail. uant aux index alphabtiques, ils avaientdj t dresss par M. Maitland et ont t simplement reproduits. Lesnoms d'auteurs du Moyen .\go sont gnralement cits sous leur fornu'latine, d'aprs les ditions originales.

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    INTRODUCTIONFREDERIC WILLIAM MAITLAND

    PROI-ESSlCUr. JJE IMIOIT A L'UNIVERSIT UE CAMBRIDGE

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    INTRODUCTION

    Si le rapide expos des thories politiques du MoyenAge qu'on va lire avait paru sous la forme d'un ouvrage part, il n'aurait pas t ncessaire de le traduire. Lestudiants dsireux de s'initier la politique mdivale,soit au point de vue pratique, soit au point de vue tho-rique, auraient su qu'il existait un ouvrage qu'ils feraientbien de possder, et, mme parmi les personnes quine s'intressent qu'aux temps modernes, beaucoupauraient entendu parler de ce livre et auraient trouvprofit s'en servir. Les rfrences donnes dans les notesauraient tmoign de la vaste et profonde rudition del'auteur et auraient guid les voyageurs dans une rgiono les poteaux indicateurs sont trop peu nombreux.Quant au texte, le dernier reproche qu'on et pu luifaire et t de manquer de hardiesse dans ses vues gn-rales, moins que ce n'et t de manquer de but dansl'tude du Moyen Age. En effet, on y trouve la foisl'ampleur del'esquisse et la nettet du trait, et la philo-sophie du Moyen Age y apparat comme une introduc-tion la pense moderne. Les ides qui vont possder etdiviser l'humanit du seizime au dix-neuvime sicle la Souverainet, le Souverain Matre, le Peuple Souve-rain, la Reprsentation du Peuple, le Contrat Social, leDroit Naturel de l'homme, le Droit Divin des rois, lasubordination du Droit Positif l'tat, et la subordina-tion de l'tat au Droit Naturel, telles sont les idesdont il s'agit de dcouvrir l'origine historique : or ellesparaissent tre des manires de voir qui, sous l'influence

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    INTHODUCTIONde l'aiiliquil classique, se sont iiccssaiiemeiiL formesd'elles-mmes au cours des discussions du Moyen Age.Si ces ides sont intressantes, leurs auteurs ne le sont pasmoins. Parmi les publicistes du Moyen Age que citeM. Gierke, on trouve, ct des thologiens et dessavants, de grands papes, de grands jurisconsultes, degrands rformateurs, des gens qui ajustaient leurs pro-jets concrets le vtement des ides abstraites, des gensqui agissaient sur les faits aussi bien que sur les thoriesde leur poque.

    D'ailleurs les Anglais devraient une reconnaissancespciale ce guide, dont la comptence est peut-tre laplus forte prcisment l o la leur est la plus faible,c'est--dire en ce qui concerne les ouvrages des lgistes etdes canonistes. Un Anglais cultiv peut lire et goter lescrits de Dante ou de Marsiglio. Un rudit anglais peutaffronter Thomas d'Aquin ou Occam ou mme le rebu-tant Wyclif. Mais on ne lui a jamais appris saisirBaldus et Bartolus, Innocent et Johannes Andreae, etleur esprit chappe au lecteur qui les aborde sans prpa-ration. Cependant ce sont des personnages importants connatre, car la Philosophie Politique, dans son enfance,ressemble assez une jurisprudence idalise, et, mmequand elle a grandi, elle emploie souvent, par ncesssitou par agrment, des instruments comme le contratsocial qui ont t affils, sinon fabriqus, dans l'atelierdes lgistes. C'est dans cet atelier que M. Gierke se sentchez lui. Sans se dpartir d'une modestie parfaite, il apu dire un public d'Allemands instruits : Il n'est pasprobable que d'ici un certain temps quelqu'un suiveexactement la mme route que j'ai parcourue pendantde longues annes de jtnible labeur (1).

    Mais la traduction (|u'on va lire ne comprend qu'unepetite partie, la vingtime, d'un grand ouvrage encore

    (1) DdS ilciitsrhr (inKJSSfnsclui/lsrcclil . \o\. 111, A\ :uil-|i: i'|>i>s, |i. \ 1.

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    INTRODUCTIONinachev. Cet ouvrage : Das deutsche Genossenschafts-recht, porte un titre dont il est difficile de trouver unquivalent anglais et qui ne peut gure lui attirer delecteurs dans ce pays. Le troisime volume de cet ouvragecomprend une section intitule : Die publicistischenLehren des Miitelaliers, qui a t l'objet de la prsentetraduction. Bien que cette section ait pu tre dtache,avec l'autorisation de l'auteur, et qu'elle prsente encoreune grande valeur, il serait inexact de dire que l'ampu-tation se soit faite sans dommage. Sans doute un orga-nisme est un tout qui vit de sa vie proj^re, mais il par-ticipe aussi la vie d'un organisme plus vaste et pluslev dont il est un des membres. C'est l une ide queM. Gierke nous apprend garder prsente l'espritdans l'tude de la pense politique du Moyen Age, etque nous pouvons appliquer tous les bons livres commele sien. Cette section a sa vie propre, mais elle participeaussi la vie de tout l'ouvrage, et elle est un membrumde membro. Elle est une section d'un chapitre intitul : La doctrine du Moyen Age sur l'tat et la Corporation ,qui se trouve dans un volume intitul : La doctrine del'Antiquit et du Moyen Age sur l'tat et la Corporationet sa rception en Allemagne ; et tout cela fait partie dudeutsche Genossenschafisrechi. La section que nous tu-dions est donc rellement un membre d'un systme orga-nique suprieur, et dans cette section il y a des phraseset des paragraphes dont la pleine signification ne seraaccessible qu'aux esprits qui connaissent un peu le restede l'ouvrage, ainsi que les discussions au milieu desquelless'est dveloppe une certaine Genossenschafsiheorie.Dans ces conditions, on peut trouver quelque utilit l'intervention d'un traducteur qui a lu tout l'ouvrage,qui en a souvent relu un grand nombre de chapitres, etqui l'admire profondment. Dans une courte introduc-tion, il peut tre capable, mme s'il ne marche pas d'unpas trs sr, de guider quelques-uns de ses compatriotes

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    INTRODUCTIONvers un point do vue qui ouvre de vastes horizons surl'histoire et les affaires humaines.

    Staats-und Korporaiionslehre la doctrine de l'tat etde la Corporalion, Ce titre peut tre pour quelques per-sonnes une pierre d'achoppement place sur le seuil. Unethorie de l'tat, dira-t-on, peut tre trs intressante]iour un petit nombre de philosophes et assez intressantepour le public intelligent, mais une doctrine des Corpora-tions, qui parle sans doute de la personnalit fictive etd'abstractions du mme ordre, ne peut convenir qu'quelques amateurs de la spculation juridique, genre quine compte gure d'adeptes en Angleterre. Cependant larflexion peut nous amener considrer cette thorie,non comme une pierre d'achopppement, mais comme unmarche-pied dont nos penses auront souvent se servir.Car, aprs tout, il semble bien qu'il y ait un genre dontl'tat et la Corporation sont des espces. Ils semblenttre des groupes humains organiss d'une faon perma-nente; ces groupes semblent tre des units autonomes,auxquelles nous semblons attribuer des actes et desintentions, des mrites et des torts. Accordons quel'tat forme un groupement unitaire [group-unil]tout fait spcial ; on peut nanmoins se demander sinous ne sommes ])as les esclaves d'une thorie juridiqueet si nous ne sommes pas sensiblement en retard surl'poque de Darwin quand nous prtendons qu'un abmeinsondable spare l'tat de tous les autres groupes,sans rechercher si cette thorie est justifie par nos con-naissances sur l'origine des espces. Il est certain quenous ferons fausse route dans l'histoire du Moyen Age,Surtout en ce qui concerne l'Italie et l'Allemagne, si nousn'admettons pas que des communauts peuvent assezaisment et assez insensiblement acqurir ou perdre lecaractre d'tats, ou plutt si nous ne savons et ne sen-tons que notre moderne concept de l'tat, comme

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    iN'rnoni'cTTONKaiser tait le Prince du code de Justinien. L'Angleterremoderne nous prsente un tat multicellulaire auquelon a souvent et peut-tre sans inconvnient donn le nomd'Empire et qui peut pros])rer sans avoir une thorie;mais cet tat montre peu d'affinit, et mme (si l'ontraite fond la question de la souverainet), il montreune r})ugnance presque insurmontable pour la thorieinsulaire, qui reproduit en toute simjjlicit l'ide romainede l'Empire et au nom de laquelle on refuse de reconna-tre le caractre essentiel de l'tat chacun de ces self-(jovcrning colonies, de ces communauts et de ces common-ivcallhs dont l'amalgame forme un vaste tat souverain.Les aventures d'une socit anonyme anglaise laquellechut l'empire des Indes, les aventures d'une autre com-pagnie anglaise qui peu de temps aprs la concession desa charte reut le commonwealth puritain de Massachus-sett's Bay, suffiraient prouver qu'en Angleterre aussi laStaalslehre aurait montr quelque tendance devenirune Korporationslehre, si, au lieu d'analyser les spcula-tions des juristes, elle avait srieusement saisi les faits del'histoire anglaise.

    Cette tendance peut d'ailleurs tre clairement aper-ue dans divers domaines. Le droit positif et l'orthodoxielgale nous obligent reconnatre que le roi d'Angleterreest une corporation sole (1), mais, si nous avons quelquecuriosit, nous devons nous demander pourquoi, depuisle seizime sicle, on a abandonn la vieille ide que leroi est le chef d'une u corporation collective [a corpora-tion aggregate of many) (2) pour adopter une thorie

    (1) Dans la corporation sole du droit anglais, il suffit d'un individu,par cela seul qu'il reprsente une fonction et une institution pernianenle,pour iju'ilsoit, comme tel, une persoime juridique. Cettecorporation indi-viduelle s'oppose la corporation collective {corpornliuii (ujureyale).(iNote du Traducteur.)(2) Cette ancienne manit>re de voir se trouve encore dans les Commen-

    taires de IMowden (juriste anglais du lO'" sicle), p. 2;4. (Dans le mmer.'Cueil est exprinic, d'une manire intressante, la dislinelion dt> la

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    INTRODUCTIONqui le classe sous une fcheuse rubrique, ct du pas-teur de paroisse tel que celui-ci est dfini depuis la dca-dence du droit ecclsiastique (1). Quelque profondmentconvaincus que soient nos lgistes que l'individu humainest la seule personne relle et naturelle , ils sont bienobligs de trouver ime expression qui assimile l'Etat une Personne humaine. Ainsi, nous lisons dans unexcellent ouvrage de jurisprudence (2) : la personneartificielle la plus considrable, au point de vue politique,est l'tat)). Si nous nous levons davantage, nous ren-controns une sociologie qui rivalise avec les sciencesnaturelles dans ses considrations sur les organes, lesorganismes et les tissus sociaux, et qui ne peut tablir dedlimitation exacte entre l'histoire naturelle du groupe del'tat et celle des autres groupes. Enfin nous atteignonsles sommets de la philosophie et nous voyons commentune doctrine, qui fait certains progrs en Angleterre,attribue l'tat, ou, d'une faon moins prcise, laCommunaut, non seulement une volont relle, maisbien la)) volont relle par essence. Ncessairement sepose donc nous la question de savoir si cette volontparticulire qu'on reconnat l'tat peut tre dnie d'autres groupes organiss, par exemple au groupe consi-drable de l'glise catholique. Peut-tre, encore de nosjours, un Jsuite pense-t-il que la volont de la Compa-gnie laquelle il appartient n'est pas moins relle que lavolont de n'importe quel tat; or, si le philosophe

    double personnalit du roi : The King lias lo capacilies, for lie has Iwobodies, ihe one whereof is a body nalural... ihe olher is a body polilic, andthe members Ihereof are his siibjecls. and he and his subjecls logelher com-pose Ihe corporation, as Soulhcole said. and he is incorporaied ivilh ihem andihey wilh him, and he is the head and they are the members, and he has thesole governmenl of ihem. i)Cii par F. W. Maitland, Collecied papers, III,250.)

    (1) Depuis Coke, les juristes anglais admettent qr.e le pasteur, luiaussi, constitue une corporation sole (Maitland, toc. cit.. III. 245).

    (2) Pollork : First BooL' of Jurisprudence, p. II.'.

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    10 INTRODUCTIONreconnat que la volont de cette Compagnie est relle,n'est-il pas oblig d'admettre que toute Socit, mniecelle qui, dpendant d'une seule personne, est appeleihe one-man-company, a une volont rellement distinctedes volonts de cette personne et des six modestes com-parses qu'elle s'est associs (1). Si nous poursuivons cetteide, non seulement notre philosophie de la Staaislehres'largira pour former une plus vaste doctrine, maisencore nous nous trouverons trs avancs dans laGenossenschaftslheorie. Quoi qu'il en soit, la vieillehabitude des jurisconsultes de placer sur le mme rangles hommes et les corps politiques, comme rei^rsen-tant deux espces de Personnes, mrite toute l'attentiondu philosophe moderne, car, bien que ce soit une habi-tude ancienne, elle a pris dans ces dernires annes beau-coup plus d'importance qu'elle n'en avait jamais eu.Dans la seconde moiti du dix-neuvime sicle, des grou-pes corporatifs des genres les plus varis se sont multi-plis dans le monde entier un taux d'accroissement quidpasse de beaucoup celui des personnes naturelles,et une grande partie de notre lgislation la plus rcenteconcerne les corporations (2). Il semble qu'il y aurait lun sujet qui mriterait une discussion philosophique :est-ce quelque profonde vrit qu'il faut attribuer laperptuelle renaissance de ces phnomnes, ou bien, s'ilssont simplement le produit d'une tendance de l'humanit la fiction, leur caractre de rgularit en est-il moinssurprenant? Quoi qu'il en soit, nous ne respirons pasfacilement dans cette atmosphre rarfie; nous allonsdonc, pendant quelque temps, suivre une route moinsleve.

    (1) En Angleterre la loi exige un niinimiini de sept soeilaires. (Notedu Traducteur.)(2) En 1857, un juge anu'irieaiii alla jusqu' dire : Il est probablementexact que la lgislature de l'Illiiiois, dans sa dernire session, a cr plusde co"porations qu'il n'en existait dans lout le monde civilis au com-

    Micncenietit de ce sicle". (Dillon : Municipal dirporalions. .'^7 a.)

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    INTRODUCTION HI. Romanistes et Germanistes

    La Rception du Droit Romain. Dans l'ouvrage deM. Gierke la Rception joue un grand rle. Quand nousparlons de la Renaissance et de la Rforme nous n'avonspas besoin de nommer leur objet, et, de mme, quand unhistorien allemand parle de la Rception il veut parlerde la Rception du Droit Romain. La Renaissance, laRforme et la Rception nous seront trs souvent pr-sentes comme trois mouvements intimement lis etd'une importance peu prs gale cjui sparent l'histoiremoderne de l'histoire du Moyen Age. L'Allemagnemoderne a atteint une telle prminence dans l'tude duDroit Romain, qu'un Anglais peut tre excusable d'ou-blier que le Droit Romain tait beaucoup moins connudans l'Allemagne du moyen ge qu'il ne l'tait dansl'Angleterre du treizime sicle. Il est vrai qu'en Alle-magne, grce la thorie de la continuit de l'Empire,on pouvait soutenir quele droit codifi par Justinien taitou aurait d tre le droit de ce pays ; il est encore vrai quele Corpus Juris fournissait des armes commodes auxEmpereurs dans leur lutte contre les Papes; mais cesarmes taient faonnes et manies surtout par des mainsitaliennes, et en Allemagne le droit pratique tait aussiallemand qu'il pouvait l'tre. Ainsi, condition dan-gereuse pour la dure de cet tat de choses ce droitallemand, qui vivait par la pratique, mais sans tretudi ni enseign, tait bien loin d'tre un Jurisienrechi.Les Anglais sont ports s'imaginer que le droit alie-mand doit ncessairement sentir l'cole, la salle de conf-rences et le professeur; mais, tout au contraire, c'estprcisment parce que ce droit ne sentait gure que leplein air, la tradition orale et des juges indemnes de touteformation universitaire qu'il se perdit en Allemagne, etque des professeurs modernes eurent le dcouvrir d

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    1? iNTRonrr.TiONnouveau. 11 n'est pas besoin de montrer comment lagographie et l'histoire dterminrent une volutiondiffrente en Angleterre, o nous assistons de trs bonneheure la concentration de la justice et au rapide dvelop-pement de la profession des hommes de loi. Peu peuapparaissent les Year BooLs (1), les Inns of Court (2), lescours de droit anglais, les exercices de scolastique et cecall lo Ihc bar of ihe Inn (3) qui en fait reprsente l'acquisi-tion d'un grade universitaire. Ainsi, longtemps avant quel'Allemagne et des universits, et bien avant la Renais-sance, le Droit Romain tait dj enseigne Oxford et Cambridge. On lui avait assign une certaine place,modeste, il est vrai, dans le plan de la vie anglaise. Onexigeait qu'il ft connu dans une certaine mesure par lescandidats qui se prparaient aux fonctions lucrativesqu'ouvrait l'tude du Droit Canon. On exerait galementdans l'tude du Droit Romain quelques tudiants en droitcivil qui se prparaient ce que nous appellerions leservice diplomatique du royaume. Mais ds le quator-zime sicle Wyclif, l'homme d'cole, insistait pour quel'enseignement du droit, s'il tait donn dans les univer-sits anglaises, ft rserv au droit anglais. Dans destermes qui paraissaient prophtiser le Germanismemoderne, il protestait contre l'ide que la jurisprudencedu droit romain ft plus juste, plus raisonnable et plussubtile que celle du droit anglais (4).

    C'est ainsi que plus tard, au temps des prils, lorsquela Science nouvelle tait dans l'air et que l'tat moderneapparaissait sous la forme de la Monarchie des Tudor, ledroit anglais tait depuis longtemps un droit tudi et

    (1) Recueil- annuels de jurisprudence.(2) Collges iravocats.(.3) Admission eu rang d'avocat.(4) Wyclif. De o/ficio lietjis (

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    INTRODUCTIONenseign par des juristes, un vritable Jurislenrechl.Nanmoins un aptre clair de la Science nouvelle lejugeait honteusement barbare : Reginald Ple dontl'avis fut transmis son royal cousin, voulait lebalayer. Il dsirait que l'Angleterre reut le droit civildes Romains, qui semblait dict par la nature elle-mmeet qui tait reu dans tous les pays bien gouverns (1).Nous n'avons pas dcrire le danger qui menaait ledroit anglais l'poque o le futur Cardinal-Archevqueexprimait cet avis. En jetant un regard du ct del'Ecosse, nous verrions que ce danger tait assez srieuxet qu'il l'et t encore bien davantage, si les coles dedroit n'avaient continu exister et lever un indociis-simum genus dodissimorum homimim. Puis, la fin duseizime sicle commena la merveilleuse renaissancedes tudes mdivales qui atteint son apoge dansles uvres et les actes d'Edward Coke, C'est par son ctpolitique que ce mouvement est le mieux connu. L'tudede l'histoire parat alors, pendant quelque temps, assurerle maintien et le renouvellement des liberts nationales,et les leaders de la Chambre des Communes sont deplus en plus verss dans des annales qui taient oubliesdepuis longtemps. Il faut cependant remarquer quel'Angleterre elle-mme reut un certain nombre dethories trangres, et l'exemple de beaucoup le plusremarquable en est la rception de cette Thorie italiennedes Corporations dont M. Gierke a crit l'histoire et quirepose sur l'expression persona fida. Cette thorie, sortantdes tribunaux ecclsiastiques, o l'on avait souvent s'occuper des corporations religieuses, se glissa peu peudans les tribunaux laques, qui, bien qu'ils eussent depuislongtemps affaire des groupes anglais, n'avaient pas

    (1) Slarkeifs EiKjland {Earhj Enij. Tejl. Soc. 1.^78). [92-1U5. Ilcj^inaldPle, qui. [)ar sa mre Margiiciite d'Angleterre, tait cousin de Henri VII.n'entra dans les ordres qu'aprs l'avnement de Marie Tudor et devintarchevque de Gantorbry. (Note du traducteur.)

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    14 INTRODUCTIONdo thorie indigne opposer ce subtil et lgant enva-hisseur. Cet exemple peut nous aider comprendrece qui s'est pass en Allemagne, o le droit indigne,n'ayant pas atteint le stade de son dveloppement o ilet form une doctrine, tait encore un droit populaire,plutt qu'un droit de juristes, et tait dispers en d'innom-brables coutumes locales.La doctrine italienne se rpandit comme un dluge

    sur l'Allemagne. Les savants docteurs des nouvellesuniversits que les Princes appelaient dans leurs conseilspouvaient tout interprter dans un esprit romain ou soi-disant tel. Ces Princes consolidaient leurs pouvoirs dansune Landeshoheit] ce terme, intraduisible pour desAnglais, implique quelque chose de moins que la souve-rainet moderne, puisque l'Empire le dominait, maisquelque chose de plus que la seigneurie fodale, puis-qu'il tait tay par les ides classiques sur l'tat.Fait remarquable, l'Empereur, sauf dans ses possessionshrditaires, ne profita gure du dogme de la continua-tion de l'ancien Empire dans l'Empire du Moyen Age, quiservit de prtexte la rception du Droit Romain. Ladsagrgation tait si avance que ce ne fut pas l'Empe-reur, mais le prince territorial {Fiirsl) qui fut considrcomme le Prince des thories politiques et le Princepsdu Corpus Juris. A ce prince les docteurs pouvaientenseigner beaucoup de choses qui lui taient avantageu-ses. Le mouvement, commenc la fin du quinzimesicle, s'accomplit au cours du seizime. Il eut la soudai-net d'une rvolution si on le compare la longue etsilencieuse volution la suite de laquelle le droit coutu-mier du Nord de la France se trouva en partie romanis.Aucun lgislateur n'avait dit que le Droit romain taitreu en Allemagne ou qu'il dt l'tre; le travail dela rception ne fut pas accompli par des faiseurs de loismais par des hommes de loi, et pendant longtemps onput discuter sur la place exacte qui revenait au Corpus

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    INTRODUCTION 15Juris parmi les diverses sources du droit actuel et dudroit potentiel. Mais le fait considrable qui subsiste,c'est que l'Allemagne s'tait soumise au joug de Rome.Ce qu'elle reut tait, en thorie, le droit- codifipar Justinien; mais, en pratique c'tait le systmeque les commentateurs italiens avaient longuementlabor, M. Gierke fait souvent remarquer que cettediffrence est importante. En Italie les glossateurs, quis'efforaient sincrement de dcouvrir le sens des textesclassiques, avaient t remplacs par les commentateursdont le travail tait plus ou moins rgl par le dsird'obtenir des rsultats acceptables au point de vue pra-tique, et qui par suite taient disposs adapter le DroitRomain la vie du Moyen Age. M. Gierke dclare que,surtout dans leur doctrine des Corporations ou desCommunauts, on trouve bien des choses qui ne sont pasdu Droit Romain et qui peuvent tre attribues au DroitGermanique. La Rception en fut facilite, le DroitRomain tant all mi-chemin au devant des faits dontil devait prendre la direction. Plus tard l'influence de ceque nous pourrions appeler l'cole naturelle des juris-tes aplanit encore les contrastes qui subsistaient entre leDroit Romain et les habitudes germaniques. En effet,aux yeux d'un jurisconsulte anglais, les systmes quireposent sur le Droit naturel peuvent paratre d'origineromaine, mais le romaniste moderne avouera, non sansregret, qu' l'poque o ces systmes firent leurapparition le gnie concret de l'ancienne Rome se dissi-pait en thories formules par la Raison abstraite.D'autre part, certains germanistes modernes nousapprendront que le Droit Naturel servit souvent dedguisement protecteur des ides germaniques qu'onavait bien pu rprimer, mais non draciner.

    Sauigny, l'Ecole Historique et les Germanisies. Unnouveau chapitre commena avec la dcadence des tho-

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    Iti INTHonLCTIO.Nrios du Droit Naturel et raviiement de l'cole histo-ricjue. L'enseignement de Savigny avait une portelrati(|ue aussi bien que thorique. Habituellement, et juste titre, nous pensons lui comme au champion del'volution, l'homme qui remplace la fabrication artifi-cielle par le dveloppement de la vie, le mcanisme parl'organisme, le Droit Naturel par les droits naturels, l'homme enfin (|ui est boulevers par la crainte qu'uncode n'entrave les progrs du Droit dans sa marche mer-veilleusement rgle. Mais il tait aussi le grand roma-niste, le grand dogmatiste, qui savait restituer auxtextes classiques leur vritable et sans doute leur premire signification. Il semblait dire qu'il ne fallait pasconsidrer comme un jeu de paratre Romain. Si le Droitcommun de l'Allemagne tait le Droit Romain, ce devaittre celui du Digeste, non celui des commentateurs, desglossateurs ou, des amateurs de spculations naturelles .Il parat que ce prcepte porta ses fruits dans la pratiquedes tribunaux allemands. Ceux-ci commencrent prendre le Corpus Juris trs au srieux et retirer lesconcessions dj faites, concessions qui, suivant les uns,devaient favoriser la vie nationale et les tendancesmodernes, tandis que, suivant les autres, elles ne favori-saient que la ngligence et le dsordre.

    Mais cette fameuse cole historique ne fut pas seu-lement une cole de romanistes dous du sens historic[ue.Elle fut aussi le berceau du Germanisme. Savigny taitsecond par Grimm et par Eichhorn. Il fallait recueilliret diter avec autant de science que d'amour le moindrefragment de l'ancien droit germanique. Il fallait retracerl'origine et les vicissitudes de tout ce qui tait germa-nique. Ce long effort un des plus grands efforts du dix-neuvime sicle ne ])uisait sa force ni dans le })dan-tisme des antiquaires ni dans une curiosit absolumentdsintresse. Il n'y eut pas l seulement de la science,il y eut aussi un sentiment passionn. Il faut maintenant

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    18 INTHOUUCTIONd'un pays esclavagiste, tandis que, d'autre purl, lescliampions du C.alliolicisme mirent le Droit (Ihristiano-Germain de la grande ]((pie de l'Allemagne en contrasteavec le Droit l*agano-l{omaiii dont l'esprit impie avaitfavoris l'uvre de dsagrgation du Protestantisme.

    Les plus modrs, cependant, dclaraient que si l'oncultivait avec soin cet ancien droit germanique, toutravag et atrophi qu'il ft, on pourrait encore recueillirsur lui le fruit de l'assainissement de la doctrine et de larforme de la jurisprudence pratique. Les grands hommesqui soutenaient ces ides n'taient ni des rveurs ni despuristes. Jacob Grimm dit un jour que d'extirper lesides romanes du droit germanique serait aussi impossi-ble que de proscrire les mots romans del langue anglaise.On reconnaissait d'ailleurs, on admirait et l'on s'efforaitd'galer les mrites techniques du Droit Romain. LesGermanisants ne se bornaient pas crire l'histoire duDroit Germanique; ils laboraient aussi des systmes etfondaient des Instituts . Ils insistaient pour que leurscience, au point de vue de la doctrine , ft mise au mmerang que la science des Romanistes. Eux aussi avaientleurs thories de la possession et des corporations; et ilspouvaient parfois se vanter de ce que leurs conclusionsavaient t adoptes, bon gr mal gr, par les tribunaux,bien que malheureusement ce rsultat pt tre l'effetd'une interprtation peu sincre des textes d'Ulpian etdes autres auteurs anciens.Le Code civil allemand. On vit des jours plus heu-reux. L'Allemagne devait avoir un Code civil, ou, puisque

    le titre au moins devait tre allemand, un BiirgerlichesGeselzbiicli. Jamais le droit d'une nation n'a t fixavec plus de travail et de soin, et cette uvre a t sou-mise bien des annes de vives discussions. Les Germa-nistes les plus ardents ne sont pas satisfaits, mais ils ontdj obtenu quelque chose et pourront obtenir davantage

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    INTRODUCTION 19au fur et mesure du travail d'interprtation. Maisce qui nous intresse, c'est que l'apparition des doctrines germaniques donna lieu un nouveau genre de con-troverses qui s'attaquaient aux principes eux-mmes.Il devint de plus en plus vident qu'avec le Droit Germa-nique on n'avait pas seulement affaire une nouvellecatgorie de prceptes juridiques, mais encore une nou-velle catgorie d'ides. Entre les Romanistes et lesGermanistes, puis au sein de chaque cole elle-mme, ledbat s'orienta sur ce que nous pourrions appeler unemorphologie idale. Les formes de la pense juridique, les concepts avec lesquels opre le jurisconsulte, durenttre dcrits, dlimits, compars. On montra parfois dansce travail une dlicatesse de touche et une subtilit deperception historique dont les Anglais, qui ne sont pasobligs ces minutieuses comparaisons, ne peuvent gureavoir l'exprience, surtout si c'est aux exploits trs naturels d'Austin qu'ils doivent leur notion dela jurisprudence analytique. Cependant ces Anglaisdevraient prendre un intrt particulier aux procds queles Germanistes emploient pour reconstruire, avec lesgrossiers matriaux de l'ancien droit Germanique, uneide qui en Angleterre n'a pas besoin d'tre reconstruitepuisqu'elle s'y trouve dans toutes les ttes, mais quiprend nos yeux une valeur toute nouvelle aprs queque nous l'avons vu laborieusement former et mettre l'preuve.

    II. Thories des Germanistes sur la corporationL' Universiias et la Genossenschafl. Au moment o leGermanisme commenait se dvelopper, GeorgBeseler,

    qui en tait considr comme un des matres, attaquaune thorie de la Corporation qui se prsentait comme lathorie orthodoxe du Droit Romain et qui venait d'tre

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    ^U IN TKOULiCTlUNl'igOLireusomeiil dfinie ])ar Savigny (1). Jamais, disait(( Besclor, vous ne pourrez l'aire entrer nos (icnossens- chaftcn germani([Lies dans le systme romain : nousK autres Germains avons eu el avons encore des faons de penser diffrentes des vtres. Depuis cette poque,la Corporation Jiomaine [Unircrsilas) est reste un sujetd'tudes. Des Romanistes de grande rputation ontabandonn la voie dans laipiejle Savigny s'tait engag;Ihering a pris une route, Brinz en a })ris une autre, etmaintenant, s'il est peut-tre exagr de dire qu'il y aautant de doctrines (jue de matres diffrents, il semblecependant (pi'aueun systme ne soit en droit de prtendre l'orthodoxie. Un fait imi)ortant se rappeler, c'est queles Romanistes n'ont que de maigres matriaux leurdisposition. Il n'y a dans le Digeste (ju'un trs petitnombre de textes dont, mme en forant les termes, onpuisse dire qu'ils expriment une thorie des Corporations,et, (juand les tliories sont sous-entendues, leurs diff-rents inter|)rtes ont beau jeu soutenir des opinionsdiffrentes, surtout s'ils sont plus ou moins intresss en tirer un rsultat qui puisse tre accept par l'Allema-gne contemporaine. Il faut avouer que dans aucun texteVimiversilas n'est expressment appele une pcrsunaet encore moins une persona fida (2).La Thorie de la Ficlion. D'aprs M. Gierke, le })re-

    mier homme (|ui employa cette ex})ression devenue plustard fameuse fut Sinibald Fieschi, qui en 1*243 devint le

    (1) U.'.^L'U'i', Vt)lliSieclil itml J urislc/ui'clil. Lfi|izig, lS4o, pji. lS-l'Jl.(2) Il 110 parat pas [)i()ii\ r que les juristes rDinains aient dpass h"

    personne vice fnnijilnr du Ui;,'('stc. 41), I, 22. Tuuto dition luodorno desi'andcctes inotlra le loctcur au cojuant i\y\ dbat, et lui donnera tlonunibreusos rfrences. 11 siilTira de noninior iei Iherinj,', lrinz. Winds-clieid, Pcrnice, Dernburj,' et I{ef,'elslier^H'r comme les i)rincipau.\ aiileiii'sd'explications de la tiiorie du Droit Homain. l'arnd les disserlat ionsrceides on peut citer : Kniep, Sucielas l'ithlicanorum, 1891), el Kuli-lenbeck : Von dm Pntidrklen :iini bilni'ilichen Cn'sctzbucfi (ISOS). 1,10'.) et suiv.

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    INTRODUCTION 21Pape Innocent IV (1), Plus d'une gnration de cher-cheurs avait pass, et toute l'cole des glossateurs allaitdisparatre, avant cjue ces hommes, qui vivaient dans unmilieu d'ides germaniques, eussent pu tirer une thoriedes textes du Droit Romain. Cette thorie ne fut dcou-verte que par les recherchesdes Canonistes, aux yeux des-quels le type de la corporation tait reprsent, non paspar une ville, un village ou une guilde du Moyen Age,mais par une glise collgiale ou cathdrale. Dans l'opi-nion de M, Gierke, Innocent, le pre de la Thorie de laFiction j), apparat vraiment comme un grand juriscon-sulte. Il avait la relle comprhension des textes; et, eneffet, ceux-ci ne pouvaient tre bien compris que parle chef d'une monarchie absolue, comme celle que l'glisecatholique tendait dj devenir. Il trouva l'expression,la faon de penser, que d'autres avaient vainementcherche. La Corporation est une personne; mais elle estune personne par fiction et rien que par fiction. Depuislors cette doctrine fut p'-ofesse aussi bien par les lgistesque par les Canonistes, mais, affirme M. Gierke, ellen'effaa jamais certaines faons de penser germaniquesqui lui taient contradictoires et qui trouvrent leurexpression dans des conclusions pratiques. Sur la ques-tion de la responsabilit, qui fournit une bonne pierrede touche pour les thories, nous voyons Innocent IV,trs persuad du caractre absolument fictif de la person-nalit des corporations, et s'appuyant d'ailleurs sur leDigeste (2), dclarer que la corporation ne peut commet-tre ni pch, ni dlit. Comme pape il pouvait rgler laquestion du pch, et pouvait en tout cas interdirel'excommunication d'une imiversilas (3), mais commejurisconsulte il ne pouvait pas convaincre ses collgues

    (1) Giorke, (icnossrnscliajlsrcchl. III, 279.(2) rJifi. 4. 3. 15, 1.(3) Ciicrko, Gcnossenschaflsrechl. III. 2Sn.

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    22 INTRODUCTIONque les corporations ne devaient jamais tre accusesd'un crime ou mme d'un tort.La Thorie de la Tutelle. Sur ce ]ioint , Savigny sem-

    ble charg de faire rentrer les tribunaux et les juriscon-sultes, qui marchent l'aventure, dans la voie droite maistroite du Droit Romain. Rappelons quelques-uns destraits principaux de sa fameuse doctrine.Gomme sujets (1) des droits de proprit, la loireconnat non seulement les hommes ou personnes natu-relles, mais encore certaines personnes fictives juridi-ques ou artificielles, parmi lesquelles la Corporation.Cette personne idale doit tre soigneusement distinguedes personnes naturelles qui sont appeles ses membres.Elle est capable d'exercer le droit de proprit; mais elleest incapable de connatre, d'avoir une intention, de vou-loir et d'agir. Ses relations avec ses membres ne peuventtre mieux compares qu'aux relations qui existent entreun pupille et son tuteur, ou entre un alin et le conseil degestion de sa fortune [commitlee of his esiale). Par l'entre-mise de ses curateurs elle peut acqurir des droits deproprit, et, si elle bnficie des avantages des contrats,elle doit aussi en assumer les charges. Il est difficile de luireconnatre la simple possession, car celle-ci est un tat defait- cependant, aprs quelques hsitations, les juriscon-sultes romains firent cette concession. Une corporationpeut tre l'objet d'une action judiciaire motive par unbnfice illicite; mais elle ne doit pas tre accuse dedlit. Il est aussi absurde qu'injuste d'essayer de la punir,

    (1) Les Alk'inaiuls ilislinguenl le Sujet el l'Objel. d'un droil. Si Tituhispossde un rlicval, Titulus est le Sujet du droit el le oiieval en est l'Objet.Si nous attrilnions la CiOuronne la pro[)ritM(^ du eheval, nous faisons de laCouronne nn Sujet et nous pouvons jiarler de la Suhjectivit*'" de la(^ouroinie. l''.t de mme dans la tiiorie |iolitique, si noiis allril)ut)ns laSouverainett'' la Couronne, ou au Parlement, ou au Peuple, nous faisonsde la Couronne, du Parlement ou du Peuple le Sujet de la Souverainet.Cel usaf^e assez commode devra lre prsent res|ril du lectetir dans lespn^'fs suisanlcs.

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    INTRODUCTION 23mais par la voie administrative l'tat peut dissoudre ungroupement nuisible. La personnalit d'une corporation,n'tant qu'une fiction lgale, doit avoir son origine dansun acte du pouvoir, dans une dclaration de la volontde l'tat. Enfin, une corporation peut continuer exis-ter mme quand elle n'a plus un seul membre.

    Depuis plus de trois sicles, quelques-unes des expres-sions empruntes au Droit Canon ont t rptes parles Anglais, mais ceux-ci, dirait M. Gierke, ne les ontjamais prises trs cur. Sans doute ne remarquent-ilsdonc pas certains points de la thorie de Savigny; or,prcisment, ces points paraissent importants aux yeuxdes gens qui, malgr les avantages pratiques de l'illo-gisme, refusent d'y reconnatre une qualit de l'esprit.En particulier, du moment o les Anglais ont fait de la corporation en elle-mme un tre dpourvu dementalit et d'activit, ils n'ont plus le droit de consi-drer le groupe constitu par les membres de cettecorporation comme un reprsentant que nommeraitun patron rduit dans un tait voisin de l'inertie. Eneffet, si la corporation par elle-mme tait capablede nommer un agent, il n'y aurait pas de raison apparentepour qu'elle ne f't pas par elle-mme beaucoupd'autres actes. Savigny est bien plus habile. Ce n'estpas dans la thorie de la reprsentation, mais dans une tu-telle du genre de celle du Droit Romain qu'il chercheune analogie exacte. Ceux qui veulent tourner sa thorieen ridicule disent qu'il remplit le monde juridique d'idiotsincurables et de leurs curateurs nomms par l'tat (1);mais, si nous voulons tre logiques, nous devons recon-natre que notre corporation en elle-mme cettechose en soi {Ding an sich) qui d'une faon ou d'uneautre se trouve derrire le monde des phnomnesreprsent par les membres de la socit n'agit en rien,

    (1) L'autorisation de l'tat tant ncessaire pour la formation desCorporations. ,

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    INTnODl'CTIONne dil pas un mol , n'a auduie pense et ne nomme aucunagent. Il laiil aussi remarcpier, el c'est important aupi>inl (le vue historique, cjue celte thorie peut tremanie par un Prince, ou jH'incipicule, dispos jouerle rle d'un despote paternel. En ralit, puisque lesdroits de proprit d'une communautcomme une villeou une universit n'a[)partiennent pas une ouplusieurs j^ersonnes relles, ce n'est ])as une simjjlejuridiction, mais bien un contrle administratif quel'tat devrait exercer sur les actes des tuteurs et descurateurs. En effet, il ne peut i)as tre question ici de droits naturels, car les personnes artificielles nepeuvent avoir de droits naturels. D'autre part, la personaficla a t strictement confine dans le domaine duDroit priv, ce qui peut chapper l'attention dans unpays o le Droit public a coutume de prendre la forme duDroit priv (procd que les uns appelleront un honteuxvestige du Moyen Age, tandis que les autres envierontce legs du Droit Germanique). La socit de la thorie deSavigny n'est pas un sujet de liberts et de franchises,ou de droits de Self governmenf. Au ])oint de vue de laralit et du droit public elle ne peut gure tre autrechose qu'un rouage dans la machine de l'tat, bien quela personnification de ce rouage ait paru utile pour la causedu droit de proprit. Enfin il faut absolument abandon-ner certaines images populaires comme celle du corps et des membres. Le tuteur n'est pas un membre deson pupille; et comment peut-on imaginer une fictionqui soit elle-mme compose d'homm(\s vivant en ralit?La Socit anonyme. Quand Savigny crivit cette

    thorie, on Lait la veille d'une grande volution.L'Angleterre, son honneur, joua un rle important dansle mouvement (pii fit passer la socit anonyme [joinl-slocL- compani)) au premiei- langdes faits sur lesquels doits'appuyei- loulc llioiic des socits. Quels (pie soient les

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    INTRODUCTION '25exemples qu'on puisse chercher dans les municipalitset autres communauts, les universits, les collgeset les glises, la socit anonyme moderne prend en fortmauvaise part toute tentative d'interprtation qui feraitd'elle une partie du mcanisme de l'tat. Il est cependantutile de nous rappeler que quelques-unes des plus ancien-nes et des plus notables socits anonymes, comme laBanque d'Angleterre et V East India Company, se ratta-chaient l'tat de la faon la plus troite. Une autredifficult vient de ce fait que la socit anonyme mo-derne, si elle est bien une universiias, n'en est pas moinsextrmement semblable une socielas, c'est--dire ceque les Anglais appellent une par/nprs/iip et l'es Allemandsune Gesellschafi. Or cette ressemblance paraissaitmenacer un des rsultats les mieux assurs de la sciencejuridique. Certaines phrases du Digeste auraient pumettre les premiers glossateurs dans l'embarras, maisune distinction avait t saisie par Innocent IV qui laformula clairement en ces termes : Vimiversilas cons-titue une personne tandis que la socieias n'est que le nomcollectif qu'on donne aux socii{l). Depuis lors la juris-prudence s'vertuait maintenir entre ces deux notionsune cloison tanche que le Droit Naturel, de son ct,s'efforait de supprimer. Dans un expos systmatiquedu Pandekienrecht, V universiias apparaissait ds lespremires pages sous la rubrique Droit Personnel,tandis que la socieias se trouvait trs loin, sans doute dansun autre volume, la Socit tant une sorte de Contratet le Contrat une sorte d'obligation. Cependant lasocit anonyme reprsentait un tre nouveau ; son nomd^ Akiiengesellschafi donnait clairement entendre qu'ils'agissait d'une socieias] mais, d'autre part, les lgis-lateurs allemands auxquels cette socit devait saforme avaient peu prs certainement admis qu'elle

    (1) r.ierkc. (icnosscnsrhii/lsrrrlil. III, 2^5.

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    26 INTRODUCTIONjouerait le rle d'une personne ou d'un sujet, juridique,bien que sur ce point ils ne se fussent pas prononcs entermes aussi explicites. Etait-elle une universiias, ou unesocieias, ou aucune des deux, ou les deux la fois? Pou-vait-on trouver un moyen terme entre l'unit et la plu-ralit? Quelle tait, quelle pouvait tre la nature juri-dique (l

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    x>y IN iii()ir(.i'i(iN

    et enferme dans les limiLes du Droit Priv, ii'LaiL pasce dont le philosophe avait besoin quand il ciitrcjncnaitde erei' la thorie de l'J^^lal lui-mme.La pliilosophie politique ragit ensuite sur la llioriejuridique. Quand l'tat lui-mme fut devenu unesimple unit collective, le total des individus actuelle-ment vivants, lis les uns vis--vis des autres par l'op-ration de leiu's pro])res volonts, aucun autre gron])ene devait paratre capable de rsister ce genre d'ana-lyse. Dans les exposs systmatiques du Droit Naturel,comme ceux qui furent la mode au dix-huitime sicleet qui runissaient la philosophie la jurisprudence,Viiniversiias fut abaisse au rang de la socidas, ou celle-cifut leve au rang de celle-l (1). Toutes deux montraientune certaine unit dans la pluralit de leurs formes;toutes deux pouvaient galement tre appeles des per-sonnes morales; mais, pour l'une et l'autre, il ne fallaitvoir dans cette personnalit qu'une invention destine abrger le travail, comme la stnographie ou les sym-boles des mathmaticiens. Une opposition trs nette,bien qu'elle ne soit pas toujours saisie par les crivainsano-lais, existe en ralit entre la thorie de la Fiction,telle que Savigny l'a conue, et la thorie de la cor])ora-tion qui pourrait tre appele thorie des Parenthses[Brackd Theory or Expansible Symbol Theory). Dans lathorie de Savigny les membres de la corporation sontsimplement les tuteurs de quelque chose qui a t institupar l'tat; dans l'autre thorie ils deviennent vritable-ment les sujets des droits et des devoirs qui ont tattribus la corporation, mais par un artifice juridiqueces sujets sont gnralement mis entre parenthses.

    Malgr cette disposition de la jurisprudence natu-relle dont l'empreinte parat tre reste dans la termi-nologie lgale de l'Ecosse les romanistes allemands

    (1) Giorkc, JoiKinni-s Allliiisins. lu."!.

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    INTRODUCTION 29avaient maintenu ferme la doctrine suivant laquelleV imiversitas est une personne, tandis que la socielas n'enest i)as une. C'est alors qu'un sujet d'alarmes leiu' futdonn par la socit anonyme [joinl-slock coiupauj),cette puissance qui dbutait dans le monde des thoriescomme dans le monde conomique. On admettait gnra-lement que V Aktiengesellschaft tait une corporation;mais, de toutes les corporations, la socit anonyme estcelle qui parat s'offrir avec le plus de complaisance l'analyse des partisans de l'individualisme. Quoi qu'ondise, et quels que soient les loges mrits par l'ingnio-sit des inventeurs de logarithmes, est-ce qu'en fin decompte ce ne sont pas les actionnaires, les hommes enchair et en os, qui eux seuls supportent les devoirs etexercent les droits de la socit? Ce point de vue indi-vidualiste ou collectiviste )> fut adopt mme par unromaniste aussi minent qu'Ihering (1), et en Amri-que, o les coles de droit sont florissantes, o les courssuprmes sont nombreuses et o le besoin d'une thorieest plus pressant qu'en Angleterre, on a fait des tenta-tives trs intressantes pour carter la Fiction, ou pluttpour supprimer la Parenthse, et prouver qu'elle ne con-tient rien que des hommes lis les uns vis--vis des autrespar un contrat (2). Aucune des catgories de la jurispru-dence n'est plus vorace que celle des contrats, qui jadisvoulut dvorer l'Etat lui-mme, et qui maintenant nesouffre pas qu'on dise que malgr ses efforts elle ne peutdigrer une simple socit anonyme. Mais, pour mettre enquestion la fameuse thorie de Maine sur les rapports duContrat et du Status romain, il suffit de se rappeler quecelui-ci est deveiui l'Etat moderne, qui n'a pas voulu

    (1) \'ui;- en parLiculier : Geisl des ruin. Rcchls. vul. III, \k '.H'-'>.(2) Cette hostilit contre la Thorie de la Fiction, ou de l'Entit ,comme les Amricains disent parfois, est exprime dans plusieurs manuels

    bien connus, par exemple Taylor, Law of Privale Corporulions, 60;Morawctz, Law o/ Privale Corporulions, cli. I.

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    30 INTUODUCTIONI rcoiiiiiiil rc s(ii oriyinc (htiis un (loiil i";il , cl devenir unesim])le Socit civile . D'ailleurs, ])eu de mots ont euune histoire ])lus aventureuse que celui qui, dfinissant la fois l'tat {Stale) du Droit Public et la proprit\n'iyc {eslate) du Droit Priv anglais, montre merveillecomment sont unies par des relations mutuelles toutes lesparties d'un corps de jurisprudence dont le dveloppe-mejit est normal. Ceci dit, et quoique la puissance d'ana-lyse du Contratsoit loin d'tre ce qu'elle paraissait autre-fois, bien des esprit la jugeront suffisante pour dtaillerce qu'on pourait appeler la formule de la corporation.[Corporation Symbol).La Gcnossenschaft d la Thorie du Ralisme. C'est

    en Allemagne, o bouillonnaient alors tant de nouvellesides et de nouvelles esprances, que fut lance une tho-rie qui s'intitulait elle-mme la Genossenschaftslheorieallemande. Mme la description la plus abrge dumilieu qui vit natre cette thorie ne pourrait omettre,aprs avoir mentionn l'apparition de la socit anonyme,de dire un mot des communauts agraires qui s'taientmaintenues en Allemagne depuis l'origine des tempshistoriques, et qu'on ne pouvait dissoudre sans souleverles problmes les plus compliqus; il faudrait galementrappeler qu'on reprochait au Droit Romain de ne pasavoir pour ces questions de solution quitable et den'accorder aux paysans qu'une justice insuffisante. Ilne faudrait pas non plus oublier les triomphes que rempor-tait alors la biologie. On avait besoin d'un mot qui com-prt beaucoup de groupes humains, simples ou com-plexes, modernes ou archaques, et on choisit le molGcnossenschaft. Pour le traduire en anglais, il fautbien se garder d'employer le mot partnership; peut-trel'usage moderne a-t-il donn au mot company un senstrop particulier et trop technique ; le mot socicly ])rsentele mme danger; peut-tre le mot qui s'appliquerait le

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    INTRODUCTION 31moins mal serait-il celui de fellowship avec son lger par-fum de vieille Angleterre. Cette thorie, que Beseler inau-gura en critiquant oelle de Savigny, se dveloppa graduel-lement, surtout dans les mains de M. Gierke, et autourd'elle se fit un grand travail de rflexion, d'rudition etde controverse. Il yeut lutter sur beaucoup de champsde bataille. On exigeait de la nouvelle thorie : au pointde vue philosophique qu'elle ft vraie, au point de vuescientifique, qu'elle ft solide, au point de vue moral,qu'elle ft juste, au point de vue juridique, qu'elle ftimplicitement contenue dans les codes et la jurispru-dence, au pomt de vue pratique, qu'elle ft commode, aupoint de vue historique, qu'elle ft dtermine par les v-nements, et enfin que son origine ft authentiquement, etpeut-treexclusivementgermanique(l). Quelle qu'ait putre, V unversitas romaine. M. Gierke range volontierstous les partisans du Droit Romain parmi les adeptesde Savigny, il est certain que le compagnonnage ( Genos-senschafi ou Fe/Zous/iip) germanique n'est ni une fiction,ni un symbole, ni une partie de la machine de l'tat, niune dnomination collective d'individus distincts, maisun organisme vivant et une personne relle avec uncorps, des membres et une volont ehe. Cette personnepeut vouloir et agir; elle veut et elle agit par l'interm-diaire des hommes qui sont ses organes, de mme qu'unhomme veut et agit par l'intermdiaire de son cerveau,de sa bouche et de sa main. Ce n'est pas une personnefictive; c'est une Gesamtperson, et sa volont est unGesamtwille; c'est une personne collective et elle a unevolont collective (2).

    (1) Cependant quelques romanistes rputs ont affirm qu'ils avaientle droit d'adopter cette thorie et l'ont adopte en effet. Voir on parti-culier Regelsberger, Pandeklen, vol. I, p. 289 ff. Voir aussi Dernbuig,Pandeklen, 59.

    (2) Los ouvrages de M. Gierke qui traitent cette question sont : 1 Dasdeulsche Genossenschaflsreclil, dont les trois volumes ont t publis en1868, 1873 et 1881; 2 Die Genossenschaflsiheoric und ihre Eechlsprechung

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    32 INl'ltODl Cl lt)NOiipt'uL li()u\ or (jLic c(!tte thorie, la(|ii('ll(' nous don-

    nerons le nom de Ralisme, porte sa tte juscju'aux nua-ges, bien qu'elle ne s'lve peut-tre ])as plus haut que lathoriede la Fiction; maison a fait un srieux effort pourlui donner des pieds et la faire marcher sur le sol. M.Gierke a consacr un gros livre (1) plaider sa cause engrand dtail et avec toutes les ressources du Droitmoder-ne; il n'affirme pas qu'il ait i)our lui toules les auto-rits de son pays (ce qu'un juriste anglais ne manqueraitpas de dire); mais il dclare qu'il a, soit expressment,soit implicitement, l'appui d'un t.-cs respectable groupe deces autorits, et que les lgislateurs tombent dans lacontradiction ou l'injustice vidente lorsqu'ils se laissentguider par d'autres thories. Ce plaidoyer s'appuie surdes arguments on ne peut plus concrets, et, bien qu'ilmontre parfois quelque penchant pour le Moyen Ageallemand, et quelque mfiance l'gard de la Rome anti-que, il fait valoir des mrites essentiellement modernes,comme celui de donner, au sujet de 1' action ou de la part (s^are) d'un actionnaire, la seule explication juri-dique qui rsiste un effort srieux. Notre auteur aensuite, dans un autre livre, racont l'histoire du DroitCorporatif Germanique (2).

    Imaginons, car nous avons peu de chances de le voir,un livre intitul le Droit Corporatif Anglais {EnglishFellowship Law), dcrivant la structure des groupesISS7; 3" Le iiromicr volume du Deulsches Prirulrcctil, 1S95, qui contientun expos de la (juestion plus suc.cincl et plus rcent; 4" la monographiede Johannes Altimsius, lMS(t. bien connatre pour toutes les persomiesqui tudient les thories politifjues. Si Ton prfre le franais rallemandpour commencer l'tude de la thorie raliste, on peut prendre le livre.d'A. Mestro : Les Personnes Morales. 1899. Les juristes franais ont tconservateurs, et la thorie de Sjivigny tait en harmonie avec l'esprit deleurs coiles; cependant la doctrine de la ralit de la volont collrclivetrouve parmi eux des disciples. A ma'connaissance, cette thorie n'a texpo^.^ en Anglais que par lnest Freund, T/ie Letjal Muturr 0/ Corpo-rlions, University Press, Chicago, 1897.

    (1) La Genossenschaflslheorie de 1887.(2) Dans le Cenossenseluiflsrcehl \\u\A\v en 18('.8, 1803 et 1881.

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    INTRODUCTION 33dans lesquels ont vcu des hommes de la race anglaise,depuis l'poque o les familles poursuivaient leurvengeance dans des luttes sanglantes jusqu' l'po-que o une compagnie dpendant d'une seule per-sonne [one-man-Company) peut mettre des obliga-tions, o trois tages superposs d'assembles parlemen-taires s'lvent sur le sol de l'Australie et du Canada,et o la question des Trusts et Corporations)) troublela grande Rpublique de l'Ouest. Dans cet intervallenous voyons se dvelopper des glises, et mme l'gliseunique et catholique du moyen ge, des monastres, desordres mendiants, des groupes non conformistes, unsystme presbytrien, des universits anciennes ou nou-velles, la communaut villageoise que les germanistesnous ont fait connatre, le chteau-fort depuis ses pre-miers progrs jusqu' sa dcadence, la communauturbaine, les villes de la Nouvelle-Angleterre, les comtset les cantons, les bourgs charte [chartered boroughs),les ghildes dans leurs multiples varits, les Ccllges d'avo-cats [Inns of Court), les marchands aventuriers, lesGrandes Compagnies guerrires de condottieri anglais,qui, de retour en Angleterre, aidrent y rendre populairele mot de Compagnie , les compagnies de commerce,les compagnies qui deviennent des colonies, les compa-gnies qui font la guerre, les socits amicales, les trade-unions, les clubs, le groupe de courtiers d'assurancesmaritimes qui se rencontrent au caf du Lloyd (1), legroupe qui devient le Stock Exchange, et ainsi de suite

    (1) A la fin du XVII sicle, Edward Lloyd tenait dans la Cit de Londresun caf que frquentaient les underwrilers ou courtiers d'assurances mari-times. L'tat, en vue de protger deux corporations privilgies qui luiavaient prtde l'argent, interdisait ces courtiers dformer mme une sim-ple GeseZ/sc/ia//. Cependantces gens, unis par lebesoind'obtenir des rensei-gnements et de lutter contre les fraudes, constiturent un petit Iruslfund, et, pendant les guerres napoloniennes, le Commiliee for regulalingthe affairs of Lloyd's Coffee House devint une grande puissance. Mais le Lloyd ne demanda V incorporation qu'en 1871, et pour une raisonaccidentelle. (D'aprs F. W. Maitland, Collected Papers, III, 372. Notedu Traducteur.)

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    34 INTRODUCTIONjusqu' la compagnie dpendant d'une seule personne,jusqu'au Standard Oil Trust et jusqu' la lgislation del'Australie du Sud sur les villages communistes. L'histo-rien anglais embrasserait dans cette tche une plus grandevarit de groupements sociaux que M. Gierke n'en a puexaminer, mais il n'aurait pas parler de ce groupementparticulirement intressant qui sait peine lui-mmes'il est un corps municipal ou une rpublique souveraine.Puis nous imaginons notre historien recherchant lesconceptions que les Anglais se sont faites de leurs grou-pes, les faons de penser par lesquelles ils se sont effor-cs la fois de distinguer tous ces membres et de lesramener l'unit du corps social. Cet historien pourrait,comme M. Gierke, considrer que le bourg de la fin dumoyen ge forme un nud central, auquel aboutissentet dont partent la plupart des fils de cette longue histoire,aussi bien au point de vue conomique qu'au point de vuethorique. Le bourg tend une main, en arrire, aux com-munauts de village, et l'autre main, en avant, auxlibres associations de tout genre. M. Gierke nous montreque l, pour la premire fois, s'est forme la conceptionintellectuelle et juridique qui, de la pluralit des mem-bres, a dgag l'unit du groupe; ainsi le bourg appa-rat comme une personne qui se distingue de la sommedes bourgeois existants, mais qui leur donne une organi-sation et un corps.

    M. Gierke attribue ses Allemands du moyen gedes faons de penser saines et solides, et en particulier unsens profond du caractre organique que prsentent tousles groupes sociaux permanents, mme les plus petits.Ce n'est pas, selon lui, que leurs faons de penser aientrepos sur des dfinitions trs nettes : il a mme cr undissentiment entre lui et quelques-uns de ses confrresgermanisants en refusant de faire remonter l'poque laplus recule la distinction entre la co-proprit et la pro-prit corporative. Dans plusieurs chapitres trs intres-

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    INTRODUCTION 35sants il a dcrit les progrs de la diffrenciation laquellenous devons ces deux ides distinctes. Ces progrs ta