George Orwell Hommage a La Catalogne

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George Orwell 

 Hommage Ă  la Catalogne 

(1936-1937) Traduit de l’anglais par Yvonne Davet

 Titre original :

 Hommage to Catalonia

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 Ne rĂ©ponds pas Ă  l’insensĂ© selon sa folie, de peur de lui ressembler toi-mĂȘme. 

 RĂ©ponds Ă  l’insensĂ© selon sa folie, afin qu’il ne s’imagine pas ĂȘtre sage.Proverbes, XXVI

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NOTES DE LA TRADUCTRICE

L’ordonnance des chapitres dans la traduction française diffĂšre de celle de l’édglaise initiale.

Selon le désir de George Orwell (exprimé dans ses lettres à Yvonne Davejuillet 1946 et du 13 janvier 1947), les chapitres V et XI ont été reportés à la fin du l

appendice{1 }

. «Ils traitent de la politique intĂ©rieure de la rĂ©volution espagnole, Ă©crwell, et il me semble que le lecteur ordinaire les trouverait ennuyeux. Mais, en mmps, ils ont une valeur historique, surtout le chapitre XI, et il serait dommage dpprimer. En Ă©crivant ce livre, j’ai tĂąchĂ© de concentrer mes rĂ©flexions politiques danux chapitres, et on peut les mettre Ă  la fin sans interrompre le rĂ©cit. »

 

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SIGNIFICATION DES PRINCIPAUX SIGLES

P.S.U.C. : Â« Partido Socialista Unificado de Cataluña Â» : « Parti socialiste uniftalogne ». (À cette Ă©poque, dirigĂ© par les communistes et affiliĂ© Ă  la IIIe Internation

 P.O.U.M. :  « Partido Obrero  de  UnificaciĂłn   Marxista  » : « Parti ou

unification marxiste ». F.A.I. : Â« FederaciĂłn Anarquista IbĂ©rica Â» : « FĂ©dĂ©ration anarchiste ibĂ©rique ». U.G.T. : Â« UniĂłn General de Trabajadores Â» : « Union gĂ©nĂ©rale des travailleu

entrale syndicale socialiste, dominĂ©e Ă  cette Ă©poque par les communistes.) C.N.T. :  « ConfederaciĂłn Nacional del Trabajo  » : « ConfĂ©dĂ©ration national

avail ». (Centrale syndicale anarchiste.)

 J.S.U. : Union des Jeunesses du P.S.U.C. J.C.I. : Union des Jeunesses du P.O.U.M. I.L.P. :  « Independent Labour Party  » : Parti travailliste indĂ©pendant

ngleterre).

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I

Dans la caserne LĂ©nine, Ă  Barcelone, la veille de mon engagement dans les mivis, debout devant la table des officiers, un milicien italien.

C’était un jeune homme de vingt-cinq ou vingt-six ans, de forte carrure, les cheun jaune roussĂątre, l’air inflexible. Il portait sa casquette Ă  visiĂšre de cuir farouchem

clinĂ©e sur l’Ɠil. Je le voyais de profil : le menton touchant la poitrine, les souoncĂ©s comme devant un casse-tĂȘte, il contemplait la carte que l’un des officiers pliĂ©e sur la table. Quelque chose en ce visage m’émut profondĂ©ment. C’était le viqui est capable de commettre un meurtre et de donner sa vie pour un ami, le genage qu’on s’attend Ă  voir Ă  un anarchiste – encore que cet homme fĂ»t peut-ĂȘtre biemmuniste. Il reflĂ©tait, ce visage, la bonne foi en mĂȘme temps que la fĂ©rocitĂ©, thĂ©tique respect aussi, que les illettrĂ©s vouent Ă  ceux qui sont censĂ©s leur pĂ©rieurs. On voyait aussitĂŽt que ce milicien ne comprenait rien Ă  la carte et qu’nsidĂ©rait la lecture comme un prodigieux tour de force intellectuel. Je ne sais

urquoi, mais j’ai rarement vu quelqu’un – j’entends, un homme – pour qui je mensi pris d’une sympathie instantanĂ©e. Au cours de la conversation, une quelcomarque rĂ©vĂ©la incidemment mon identitĂ© d’étranger. L’Italien releva la tĂȘte evement :

« Italiano ?En mon mauvais espagnol je rĂ©pondis :— No. InglĂ©s. Y tĂș ? â€” Italiano. »

Lorsque nous fĂ»mes sur le point de sortir, il vint Ă  moi et me serra la main trĂšs est Ă©trange, l’affection qu’on peut ressentir pour un inconnu ! Ce fut comme ugue de nos deux cƓurs nous avait momentanĂ©ment permis de combler l’abĂźme dngue, d’une tradition diffĂ©rentes, et de nous rejoindre dans une parfaite intimitĂ©aisir Ă  croire qu’il Ă©prouva pour moi une sympathie aussi vraie que celle qu’il m’insais je compris aussi que si je voulais conserver de lui ma premiĂšre impression, ilait ne point le revoir ; et il va sans dire que je ne l’ai jamais revu.

C’était courant en Espagne, des contacts de ce genre. Si je parle de ce millien, c’est que j’ai gardĂ© de lui un souvenir vivace. Avec son uniforme minable et

age farouche et pathĂ©tique, il est demeurĂ© pour moi le vivant symbole de l’atmospute particuliĂšre de ce temps-lĂ . Il est liĂ© Ă  tous mes souvenirs de cette pĂ©riode derre : drapeaux rouges flottant sur Barcelone, trains lugubres bondĂ©s de so

queteux roulant lentement vers le front, villes grises ravagĂ©es de l’arriĂšre, trancueuses et glaciales dans les montagnes.

On Ă©tait en dĂ©cembre 1936. Il y a de cela, au moment oĂč j’écris, moins de sept mcependant il me semble dĂ©jĂ  qu’il s’agit d’une Ă©poque trĂšs lointaine. Les Ă©vĂ©nemstĂ©rieurs la font oublier, bien plus complĂštement qu’ils ne font oublier 1935, ou

ssi bien. J’étais venu en Espagne dans l’intention d’écrire quelques articles pouurnaux, mais Ă  peine arrivĂ© je m’engageai dans les milices, car Ă  cette date, et dans

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mosphĂšre, il paraissait inconcevable de pouvoir agir autrement. Les anarchistes avujours effectivement la haute main sur la Catalogne et la rĂ©volution battait encoreein. Sans doute, quiconque Ă©tait lĂ  depuis le dĂ©but devait avoir l’impression, mĂȘmedĂ©cembre et en janvier, que la pĂ©riode rĂ©volutionnaire touchait Ă  sa fin ; mais pou

rivait alors directement d’Angleterre, l’aspect saisissant de Barcelone dĂ©passait tente. C’était bien la premiĂšre fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville

asse ouvriĂšre avait pris le dessus. À peu prĂšs tous les immeubles de quelque importaient Ă©tĂ© saisis par les ouvriers et sur tous flottaient des drapeaux rouges ou

apeaux rouge et noir des anarchistes ; pas un mur qui ne portĂąt, griffonnĂ©s, le marla faucille et les sigles des partis rĂ©volutionnaires ; il ne restait de presque toutelises que les murs, et les images saintes avaient Ă©tĂ© brĂ»lĂ©es. Çà et lĂ , on voyaituipes d’ouvriers en train de dĂ©molir systĂ©matiquement les Ă©glises. Tout magasin,fĂ© portait une inscription vous informant de sa collectivisation ; jusques aux caisseeurs de bottes qui avaient Ă©tĂ© collectivisĂ©es et peintes en rouge et noir ! Les garçonfĂ©, les vendeurs vous regardaient bien en face et se comportaient avec vous en Ă©gs tournures de phrases serviles ou mĂȘme simplement cĂ©rĂ©monieuses avaient po

oment disparu. Personne ne disait plus Señor  ou Don, ni mĂȘme Usted   : tout le mtutoyait, on s’appelait « camarade » et l’on disait Salud  au lieu de Buenos dĂ­as.  Iait pas d’automobiles privĂ©es : elles avaient Ă©tĂ© rĂ©quisitionnĂ©es ; et tous les trams, tbon nombre d’autres vĂ©hicules Ă©taient peints en rouge et noir. Partout des plac

volutionnaires, avec leurs rouges et leurs blancs, se dĂ©tachaient de façon Ă©clatante murs, et, par contraste, les quelques affiches de naguĂšre qui y Ă©taient demeuaient l’air de barbouillages de boue. Sur les Ramblas, large artĂšre centrale de la nstamment animĂ©e par le va-et-vient de flots de gens, les haut-parleurs beuglaienants rĂ©volutionnaires tout le long du jour et jusqu’à une heure avancĂ©e de la nuit.

us Ă©trange de tout, c’était l’aspect de la foule. À en croire les apparences, dans cette classes riches n’existaient plus. À l’exception d’un petit nombre de femme

Ă©trangers, on ne voyait pas de gens « bien mis ». Presque tout le monde portaitements de prolĂ©taires, ou une salopette bleue, ou quelque variante de l’uniforme lice. Tout cela Ă©tait Ă©trange et Ă©mouvant. Une bonne part m’en deme

comprĂ©hensible et mĂȘme, en un sens, ne me plaisait pas ; mais il y avait lĂ  un Ă©taoses qui m’apparut sur-le-champ comme valant la peine qu’on se battĂźt pour lui. e je crus que la rĂ©alitĂ© rĂ©pondait Ă  l’apparence, qu’il s’agissait rĂ©ellement d’un

olĂ©tarien, et que des bourgeois ne restaient – beaucoup ayant fui ou ayant Ă©tĂ© tue ceux qui s’étaient de leur plein grĂ© rangĂ©s aux cĂŽtĂ©s des ouvriers ; je ne me rendimpte que, tout simplement, en grand nombre les bourgeois aisĂ©s se terraientovisoirement, se dĂ©guisaient en prolĂ©taires.

L’atmosphĂšre sinistre de la guerre y Ă©tait aussi pour quelque chose. La ville avapect lugubre et nĂ©gligĂ© ; les routes, les maisons Ă©taient mal entretenues ; les rueit, n’étaient que faiblement Ă©clairĂ©es par crainte de raids aĂ©riens ; les magasins, po

upart, avaient pauvre apparence et étaient à moitié vides. La viande se faisait raait à peu prÚs impossible de se procurer du lait ; on manquait de charbon, de sucessence, et trÚs sérieusement de pain. Déjà à cette époque les queues aux portes

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ulangeries s’allongeaient sur des centaines de mĂštres. Cependant, autant qu’ouvait juger, les gens Ă©taient contents, emplis d’espoir. Le chĂŽmage Ă©tait inexistantĂ»t de la vie encore extrĂȘmement bas ; on ne voyait que trĂšs peu de personnes vraimns la misĂšre et pas de mendiants, Ă  part les bohĂ©miens. Et surtout il y avait la foi rĂ©volution et dans l’avenir, l’impression d’avoir soudain dĂ©bouchĂ© dans une

Ă©galitĂ© et de libertĂ©. Des ĂȘtres humains cherchaient Ă  se comporter en ĂȘtres humain plus en simples rouages de la machine capitaliste. Dans les boutiques des barbs « Avis au public », rĂ©digĂ©s par des anarchistes – les barbiers Ă©taient pour la plu

archistes –, expliquaient gravement que les barbiers n’étaient plus des esclaves. D rues, des affiches bariolĂ©es conjuraient les prostituĂ©es de ne plus se prostituer. i venait juste de quitter les durs Ă  cuire sarcastiques et cyniques des pays anglo-saxtait assez pathĂ©tique de voir ces Espagnols idĂ©alistes prendre Ă  la lettre les cl

volutionnaires les plus rebattus. À cette Ă©poque, on vendait dans les rues, elques centimes, des romances rĂ©volutionnaires des plus naĂŻves, cĂ©lĂ©brant tout

aternitĂ© prolĂ©tarienne et honnissant la mĂ©chancetĂ© de Mussolini. Maintes fois j’ai vlicien presque illettrĂ© acheter une de ces chansons, en Ă©peler laborieusement les m

lorsqu’il en avait saisi le sens, se mettre Ă  la chanter sur l’air appropriĂ©.Pendant tout ce temps j’étais Ă  la caserne LĂ©nine, sous prĂ©texte d’entraĂźnement front. Le jour oĂč je m’étais engagĂ© dans les milices on m’avait dit que le lendem

ĂȘme je serais envoyĂ© au front, mais en fait il me fallut attendre qu’une « centuuvellement formĂ©e fĂ»t suffisamment entraĂźnĂ©e. Les milices ouvriĂšres, levĂ©es en tte par les syndicats au dĂ©but de la guerre, n’avaient pas Ă©tĂ© organisĂ©es sur la base dmĂ©e ordinaire. Les unitĂ©s de commandement Ă©taient : la « section » d’environ trmmes, la « centurie » d’une centaine d’hommes, et la « colonne », terme appliquatique Ă  toute troupe nombreuse. Auparavant quartier de cavalerie, dont on s

mparĂ© au cours des combats de juillet, la caserne LĂ©nine Ă©tait un superbe bĂątimenerre, avec un manĂšge et d’immenses cours pavĂ©es. Ma « centurie » dormait dans ls Ă©curies, sous les mangeoires de pierre qui portaient encore les noms des chevautaille. On avait rĂ©quisitionnĂ© et envoyĂ© sur le front tous les chevaux, mais meurait imprĂ©gnĂ© de l’odeur du pissat et de l’avoine pourrie. Je suis restĂ© dans serne environ une semaine. Je garde surtout souvenir des odeurs chevalines,nneries de clairon chevrotantes (nos clairons Ă©taient tous des amateurs – je n’ai co vĂ©ritables sonneries espagnoles qu’en entendant celles qui nous parvinrent des li

scistes), du martÚlement de la cour par de lourdes bottes à semelles cloutées,ngues revues, le matin, sous un soleil hivernal, des parties forcenées de footbanquante par camp, sur le gravier du manÚge. Il devait y avoir dans la caserne un mhommes et une vingtaine de femmes, outre les épouses des miliciens qui faisaieisine. Il y avait alors des femmes enrÎlées dans les milices, en faible nombre, il est

ans les premiers temps de la guerre elles avaient, comme de juste, combattu cĂŽte Ă ec les hommes. En temps de rĂ©volution, cela paraĂźt tout naturel. DĂ©jĂ  pourtant esprit avait changĂ© ; il fallait Ă  prĂ©sent retenir les hommes Ă  l’extĂ©rieur du mandant que les femmes y faisaient l’exercice, car ils se moquaient d’elles et les gĂȘnau de mois auparavant, aucun d’eux n’eĂ»t rien trouvĂ© de comique Ă  voir une fe

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anier un fusil.La caserne tout entiĂšre Ă©tait dans l’état de saletĂ© et dans la pagaille oĂč les milic

ettaient tout local qu’ils occupaient, Ă  croire que c’était lĂ  un sous-produit inĂ©vitabrĂ©volution. Dans tous les coins vous tombiez sur des amas de meubles brisĂ©s, de s

ndues, de casques de cavalier en cuivre, de fourreaux de sabres vides, et de vivres gse faisait un gaspillage scandaleux de vivres, surtout de pain : rien que dansambrĂ©e on en jetait une pleine corbeille aprĂšs chaque repas – c’était une honte emps oĂč la population civile en manquait ! Nous mangions Ă  de longues tables

Ă©teaux, dans des Ă©cuelles Ă©tamĂ©es constamment graisseuses, et il nous fallait, ire, nous servir d’un affreux rĂ©cipient nommĂ© porrĂłn. C’est une espĂšce de bouteilrre, Ă  goulot effilĂ© ; quand vous l’inclinez, le liquide jaillit en jet fluet, ce qui permire Ă  distance, sans la toucher des lĂšvres, et on se la passe de main en main. Je Ăšve de la soif et rĂ©clamai une timbale dĂšs que je vis le  porrĂłn  ; pour mon goĂ»t,ssemblait par trop Ă  un urinal, surtout lorsqu’il y avait dedans du vin blanc.

Peu Ă  peu on distribuait des uniformes aux recrues : mais comme on Ă©tapagne, tout Ă©tait distribuĂ© piĂšce Ă  piĂšce et au petit bonheur, de sorte que l’on ne s

mais avec certitude qui avait reçu, et quoi ; et bien des choses, parmi celles qui aient le plus nĂ©cessaires, par exemple les ceinturons et les cartouchiĂšres, ne nous fustribuĂ©es qu’au tout dernier moment, alors qu’allait dĂ©marrer le train nous empors le front. J’ai parlĂ© d’« uniforme » des milices ; peut-ĂȘtre eĂ»t-il Ă©tĂ© plus juste demultiforme ». L’équipement Ă©tait pour tous du mĂȘme type gĂ©nĂ©ral, mais jamais tot le mĂȘme chez deux miliciens. À peu prĂšs tout le monde, dans l’armĂ©e, portailottes courtes de velours Ă  cĂŽtes, mais Ă  cela se bornait l’uniformitĂ©. Certains ports bandes molletiĂšres, d’autres des guĂȘtres de velours cĂŽtelĂ©, d’autres encore

mbiĂšres de cuir ou de grandes bottes. Tout le monde portait un blouson Ă  ferme

lair, mais certains blousons Ă©taient en cuir, d’autres en laine, et ils Ă©taient de touteuleurs imaginables. Il y avait autant de sortes de casquettes qu’il y avait d’hommait d’usage d’orner le devant de sa casquette de l’insigne de son parti ; en outre, preut le monde portait, nouĂ© autour du cou, un foulard rouge ou rouge et noir. lonne de miliciens en ce temps-lĂ  Ă©tait une cohue d’aspect surprenant. Mais il faut’on ne pouvait distribuer de vĂȘtements qu’au fur et Ă  mesure que telle ou telle uĂ©cutant d’urgence des commandes, en sortait ; et, compte tenu des circonstanceĂ©taient pas de mauvais vĂȘtements. À l’exception toutefois des chemises et

aussettes, misĂ©rables articles de coton qui ne protĂ©geaient pas du froid. JeprĂ©sente avec horreur ce que les miliciens ont eu Ă  endurer, les premiers mois, qn n’était organisĂ©. Il me tomba entre les mains, je m’en souviens, un journal v

ors de deux mois Ă  peine et oĂč je lus que l’un des dirigeants du P.O.U.M., de reune tournĂ©e d’inspection sur le front, promettait de tĂącher d’obtenir que « chlicien eĂ»t sa couverture » : c’est une phrase qui vous fait frissonner s’il vous est adormir dans une tranchĂ©e !

Le lendemain de mon arrivĂ©e Ă  la caserne commença ce Ă  quoi il Ă©tait comiqunner le nom d’« instruction ». Il y eut au dĂ©but des scĂšnes de pagaille consternaur la plupart, les recrues Ă©taient des garçons de seize ou dix-sept ans, issus

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artiers pauvres de Barcelone, tout animĂ©s d’ardeur rĂ©volutionnaire mais ignomplĂštement ce que signifie la guerre. On ne parvenait mĂȘme pas Ă  les faire s’alignediscipline Ă©tait inexistante : si un ordre n’avait pas l’heur de plaire Ă  un milicien, csortait des rangs et discutait vĂ©hĂ©mentement avec l’officier. Le lieutenant-instruc

ait un vaillant et charmant jeune homme au frais visage, qui avait Ă©tĂ© officier de l’aguliĂšre et en gardait l’allure : il avait un maintien distinguĂ© et Ă©tait toujours tatre Ă©pingles. Et, bien que cela puisse paraĂźtre singulier, il Ă©tait un socialiste sincĂšdent. Plus encore que les hommes eux-mĂȘmes, il tenait Ă  une Ă©galitĂ© sociale abs

tre les officiers et la troupe. Je me souviens de son air surpris et peinĂ© lorsqucrue non au courant l’appela Señor.  « Comment ! Señor ! Qu’est donc celuiappelle Señor ? Ne sommes-nous pas tous des camarades ? » Je ne crois pas quendit sa tĂąche plus facile. En attendant on ne soumettait les bleus Ă  aucun entraĂźnemlitaire qui pĂ»t leur ĂȘtre de quelque utilitĂ©. On m’avait informĂ© que les Ă©tran

Ă©taient pas tenus de suivre « l’instruction » (les Espagnols, Ă  ce que je remaraient la touchante conviction que n’importe quel Ă©tranger s’y connaissait mieux quur tout ce qui avait trait au mĂ©tier militaire), mais naturellement je fis comm

tres. J’avais le vif dĂ©sir d’apprendre Ă  me servir d’une mitrailleuse ; je n’avais jamaccasion d’en manier une. Mais je m’aperçus avec consternation qu’on ne seignait aucun maniement d’armes. La prĂ©tendue instruction militaire consrement et simplement Ă  faire l’exercice sur la place d’armes, et le genre d’exerci

us dĂ©suet, le plus stupide : demi-tour Ă  droite, demi-tour Ă  gauche, marchmmandement, en colonne par trois, etc., bref toutes les inutiles idioties qapprenait Ă  quinze ans. DrĂŽle de maniĂšre d’entraĂźner une armĂ©e de guĂ©rillas ! urtant l’évidence mĂȘme que si vous ne disposez que de quelques jours pour instsoldat, c’est ce qu’il a le plus besoin de savoir que vous devez lui enseigner :

otĂ©ger, Ă  avancer en terrain dĂ©couvert, Ă  monter la garde et Ă  construire un parapetant tout, Ă  se servir de ses armes. Or, Ă  cette troupe d’enfants ardents qu’on allait u jeter en premiĂšre ligne, on n’apprenait mĂȘme pas Ă  tirer un coup de feu, ni Ă  arragoupille de sĂ»retĂ© d’une grenade. Sur le moment je ne me rendis pas compte que crce qu’on n’avait pas d’armes Ă  distribuer. Dans les milices du P.O.U.M. le manqusils Ă©tait tel que les troupes fraĂźches Ă©taient toujours obligĂ©es, Ă  leur arrivĂ©e au femprunter ceux des unitĂ©s qu’elles relevaient. Dans toute la caserne LĂ©nine, je ’il n’y avait pas d’autres fusils que ceux des sentinelles.

 Au bout de peu de jours, bien que nous ne fussions encore vraiment qu’une comparĂ©s Ă  toute troupe digne de ce nom, on nous estima prĂȘts Ă  paraĂźtre en publicus mena, le matin, aux Jardins publics, sur la colline au-delĂ  de la place d’EspaĂ©tait l’habituel terrain de manƓuvres de toutes les milices de partis et aussirabiniers et des premiers contingents de l’armĂ©e populaire tout nouvellement forĂ©tait, lĂ -haut, un spectacle Ă©trange, exaltant. Dans tous les chemins et toutes les alrmi les parterres de fleurs, des hommes par escouades et compagnies marchaient, sens, puis dans l’autre, raidis, bombant le torse, s’efforçant dĂ©sespĂ©rĂ©ment d’avoirsoldats. Nul n’avait d’arme, pas un ne portait, complet, l’uniforme des milice

aucoup en arboraient des piĂšces dĂ©tachĂ©es. L’emploi du temps ne variait jam

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ndant trois heures nous faisions des effets de torse au petit trot (le pas des Espagt trĂšs court et rapide), puis nous faisions halte, rompions les rangs et, assoiffĂ©s, ions en foule Ă  mi-cĂŽte dans la boutique d’un petit Ă©picier qui faisait des affaires d’ondant du vin Ă  bon marchĂ©. Mes camarades me tĂ©moignaient tous beaucoup d’am

n qualitĂ© d’Anglais j’étais une espĂšce de curiositĂ© ; les officiers des carabiniers faismoi grand cas et m’offraient Ă  boire. Cependant, chaque fois que je pouvais m

tre lieutenant au pied du mur, je rĂ©clamais Ă  cor et Ă  cri qu’on m’apprĂźt Ă  me sune mitrailleuse. Je tirais de ma poche mon dictionnaire Hugo et je l’entreprenais

on exĂ©crable espagnol :«  Yo sĂ© manejar fusil. No sĂ© manejar ametralladora. Quiero apre

metralladora. CuĂĄndo vamos aprender ametralladora ? »Et toujours je recevais en rĂ©ponse un sourire tourmentĂ© et la promesse qu’il y a

aniement de mitrailleuse mañana.  Inutile de dire que ce mañana  ne vint jamusieurs jours passĂšrent et les recrues apprirent Ă  marcher au pas, Ă  se mettre preec promptitude au garde-Ă -vous, mais si elles savaient par quel bout du fusil solle, c’était bien tout. Un jour, un carabinier armĂ© vint Ă  flĂąner de notre cĂŽtĂ© au mom

la pause et nous permit d’examiner son fusil. Il apparut que dans toute ma secoi exceptĂ©, nul ne savait seulement charger un fusil, encore moins viser.Pendant ce temps-lĂ  je me battais avec la langue espagnole. À part moi, il n’y

’un autre Anglais dans la caserne, et personne, mĂȘme parmi les officiers, ne connaimot de français. Ce qui compliquait encore les choses pour moi, c’était le fait que

mpagnons d’armes, lorsqu’ils parlaient entre eux, employaient gĂ©nĂ©ralement le catseule façon de me tirer d’affaire Ă©tait d’emporter partout avec moi un petit dictione je tirais vivement de ma poche dans les moments critiques. Mais c’est encorpagne que je prĂ©fĂšre ĂȘtre un Ă©tranger plutĂŽt que dans la plupart des autres pays.

n se fait facilement des amis en Espagne ! Dans l’espace d’un jour ou deux Ă  peinet dĂ©jĂ  une vingtaine de miliciens pour m’appeler par mon prĂ©nom, me passeryaux et me combler de gestes d’hospitalitĂ©. Ce n’est pas un livre de propagandecris et je ne cherche pas Ă  idĂ©aliser les milices du P.O.U.M. Le systĂšme des milicestier prĂ©sentait de graves dĂ©fauts, et les hommes eux-mĂȘmes formaient un ensemtĂ©roclite, car Ă  cette Ă©poque le recrutement volontaire Ă©tait en baisse et beau

entre les meilleurs étaient déjà sur le front ou tués. Il y avait toujours parmi nourtain pourcentage de bons à rien. Des garçons de quinze ans étaient amenés au bu

enrĂŽlement par leurs parents, ouvertement Ă  cause des dix pesetas par jour que touaque milicien, et aussi du pain, reçu en abondance par les milices et qu’on portir en fraude de la caserne et apporter chez soi. Mais je dĂ©fie qui que ce soit douver brusquement, comme il m’arriva, au sein de la classe ouvriĂšre espagnole vrais peut-ĂȘtre dire : catalane, car hormis quelques Aragonais et quelques Andalouai Ă©tĂ© qu’avec des Catalans – et de n’ĂȘtre pas frappĂ© par le sens innĂ© qu’ils ont dgnitĂ© humaine, et surtout par leur droiture et leur gĂ©nĂ©rositĂ©. La gĂ©nĂ©rositĂ© pagnol, dans l’acception courante du terme, est parfois presque embarrassante : si demandez une cigarette, c’est tout le paquet qu’il vous force Ă  prendre. Et aussi ieux une gĂ©nĂ©rositĂ© d’une nature plus profonde, une grandeur d’ñme rĂ©elle don

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ncontrĂ© maint et maint exemple sous les apparences les moins prometteuses. Cerurnalistes et d’autres Ă©trangers qui firent un voyage en Espagne durant la guerreclarĂ© qu’en secret les Espagnols Ă©prouvaient une amĂšre mĂ©fiance Ă  l’égard de lrangĂšre. Tout ce que je puis dire c’est que je n’ai jamais observĂ© rien de tel. Jeppelle que, peu de jours avant mon dĂ©part de la caserne, un certain nombre d’homrivĂšrent du front, en permission. Ils parlaient avec une vive Ă©motion de ce qu’ils av

et ressenti et ils Ă©taient enthousiasmĂ©s par des troupes françaises qui s’étouvĂ©es dans le secteur voisin du leur devant Huesca. Les Français ont Ă©tĂ© trĂšs br

saient-ils ; et ils ajoutaient avec admiration : MĂĄs valientes que nosotros ! –  « aves que nous ! » Naturellement je dis que j’hĂ©sitais Ă  le croire ; alors ils expliquĂše les Français en savaient plus long qu’eux pour ce qui Ă©tait de l’art de la guervaient mieux se servir des grenades, des mitrailleuses, etc. Mais la remarque gnificative. Un Anglais se fĂ»t coupĂ© la main plutĂŽt que d’en faire une semblable.

Tout Ă©tranger qui servait dans les milices passait ses premiĂšres semainprendre Ă  aimer les Espagnols et Ă  ĂȘtre exaspĂ©rĂ© par certains de leurs traitractĂšre. En ce qui me concerne, l’exaspĂ©ration alla parfois jusqu’à la fureur.

pagnols sont capables de beaucoup de choses, mais pas de faire la guerre. Ils plonns la consternation tous les Ă©trangers sans exception par leur incompĂ©tence et surr leur inexactitude, Ă  rendre fou. Le seul mot espagnol qu’un Ă©tranger ne puisse pas apprendre, c’est mañana â€“ « demain » (littĂ©ralement : « demain matin »). DĂšs existe la moindre possibilitĂ©, les occupations du jour sont remises Ă  mañana. Tr

toire que les Espagnols eux-mĂȘmes en plaisantent. Rien, en Espagne, qu’il s’agissepas ou d’une bataille, n’a jamais lieu Ă  l’heure fixĂ©e. En retard, dans la gĂ©nĂ©ralitĂ©s, mais de temps en temps – si bien que vous ne pouvez mĂȘme pas tabler sur le reĂ©sumĂ© – en avance. Un train qui doit partir Ă  huit heures part normalement entre

dix heures, mais une fois par semaine peut-ĂȘtre, en vertu de quelque caprice persomĂ©canicien, il part Ă  sept heures et demie. Ce sont de ces choses qui risquent de

ntrarier un peu. En principe j’admire plutĂŽt les Espagnols de ne pas partager nrdique nĂ©vrose du temps ; mais, malheureusement, moi je la partage.

 AprĂšs toutes sortes de faux bruits, de mañana et de remises, l’ordre de notre dĂ©t brusquement donnĂ©, ne nous laissant qu’un dĂ©lai de deux heures pour ĂȘtre prĂȘts, e la majeure partie de notre Ă©quipement ne nous avait pas encore Ă©tĂ© distribuĂ©e. Qusculade dans le magasin de l’officier de dĂ©tail ! Et en fin de compte, plus d’un hom

t s’en aller avec un Ă©quipement incomplet. La caserne s’était aussitĂŽt emplimmes comme jaillies de terre ; chacune aidait son homme Ă  rouler sa couverturessembler son barda. À ma grande humiliation je dus me faire montrer la fattacher ma cartouchiĂšre, reçue Ă  l’instant, par une jeune Espagnole, la femmilliams, l’autre milicien anglais. Douce, les yeux noirs, d’une extrĂȘme fĂ©minitĂ©mblait faite pour n’avoir d’autre tĂąche dans la vie que de balancer un berceau ; mat elle avait vaillamment combattu dans la guerre de rues en juillet. Elle Ă©tait enceinnfant naquit juste dix mois aprĂšs le dĂ©but de la guerre : peut-ĂȘtre avait-il Ă©tĂ© corriĂšre une barricade.

Notre train devait partir à huit heures ; ce n’est que vers huit heures dix qu

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ficiers, harassĂ©s, trempĂ©s de sueur, rĂ©ussirent enfin Ă  nous rassembler dans la cuel vif souvenir je garde de cette scĂšne ! Le tumulte et l’animation ; les drapeaux rottant dans la lueur des torches ; en rangs serrĂ©s les miliciens, sac au dos et couveulĂ©e en bandouliĂšre ; et les appels et les bruits de bottes et de gamelles ; puis un furup de sifflet qui rĂ©clamait le silence et finalement l’obtint ; et alors l’allocutiotalan d’un commissaire politique qui se tenait sous les plis ondulants d’un immendard rouge. Enfin on nous mena Ă  la gare, par le chemin le plus long – trois ou quomĂštres –, afin de nous faire voir Ă  la ville entiĂšre. Sur les Ramblas on nous fit

lte, cependant qu’une musique d’emprunt jouait quelques airs rĂ©volutionnaires.s de plus toute la montre du hĂ©ros-conquĂ©rant : acclamations et enthousiaapeaux rouges ou rouge et noir partout, foules bienveillantes se pressant suottoirs pour nous voir, adieux des femmes aux fenĂȘtres. Comme tout cela paraiors naturel ! Que cela paraĂźt Ă  prĂ©sent reculĂ© dans le temps et invraisemblable !

Le train Ă©tait Ă  tel point bondĂ© d’hommes qu’il ne restait guĂšre d’espace inocr le sol – inutile de parler des banquettes. Au tout dernier moment la femmilliams arriva en courant sur le quai et nous tendit une bouteille de vin et un d

Ăštre de cette saucisse rutilante qui a goĂ»t de savon et vous donne la diarrhĂ©e.Et le train se mit en devoir de sortir de la Catalogne et de gagner le plateau d’Arrampant Ă  la vitesse, normale en temps de guerre, d’un peu moins de vingt kilom

’heure.

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II

Barbastro, bien que situĂ©e loin du front, avait l’air morne et saccagĂ©e. Des gromiliciens, en uniformes usĂ©s jusqu’à la corde, arpentaient les rues, tĂąchant d

chauffer. Sur un mur en ruine je vis une affiche datant de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dnonçant la date de la mise Ă  mort dans l’arĂšne de « six beaux taureaux ». Q

pression dĂ©solante elle faisait avec ses couleurs fanĂ©es ! OĂč Ă©taient Ă  prĂ©sent les bureaux et les beaux torĂ©adors ? MĂȘme Ă  Barcelone, il y avait bien rarement Ă  l’htuelle une course de taureaux ; je ne sais pour quelle raison tous les meilleurs mataaient fascistes.

Ma compagnie fut envoyĂ©e par camions d’abord Ă  Sietamo, puis vers l’ecubierre, juste Ă  l’arriĂšre-front de Saragosse. On s’était disputĂ© Sietamo Ă  trois repant que les anarchistes ne s’en fussent finalement emparĂ©s en octobre, aussi la ait-elle en partie dĂ©truite par les obus, et la plupart des maisons Ă©taient grĂȘlĂ©es de t

balles. Nous Ă©tions Ă  1 500 pieds au-dessus du niveau de la mer. Il faisait bigrem

oid, avec ce brouillard Ă  couper au couteau qui montait on ne savait d’oĂčurbillonnant. Entre Sietamo et Alcubierre le conducteur du camion s’égara (c’étaose courante et une des particularitĂ©s de cette guerre) et pendant des heures rĂąmes dans le brouillard. La nuit Ă©tait avancĂ©e quand nous arrivĂąmes Ă  Alcubiuelqu’un nous pilota Ă  travers les fondriĂšres jusqu’à une Ă©curie Ă  mulets oĂč nous ssĂąmes tomber sur de la balle et, nous y enfouissant, nous nous endormmĂ©diatement. La balle, quand elle est propre, n’est pas dĂ©sagrĂ©able pour y dorm

oins agrĂ©able que le foin, mais plus agrĂ©able que la paille. Ce n’est qu’à la lumiĂšr

ur que je me rendis compte que celle oĂč nous avions dormi Ă©tait pleine de croĂ»tonin, de journaux dĂ©chirĂ©s, d’os, de rats morts et de boĂźtes de lait condensĂ© videsrds dĂ©chiquetĂ©s.

Nous Ă©tions Ă  prĂ©sent Ă  proximitĂ© du front, assez prĂšs pour sentir l’oractĂ©ristique de la guerre : d’aprĂšs mon expĂ©rience personnelle, une oexcrĂ©ments et de denrĂ©es avariĂ©es. Alcubierre n’avait jamais reçu d’obus et Ă©tait mdommagĂ©e que la plupart des villages de l’immĂ©diat arriĂšre-front. Mais je croisĂȘme en temps de paix, on ne devait pouvoir voyager dans cette partie de l’Espagne re frappĂ© par la misĂšre toute particuliĂšre et sordide des villages aragonais. Ils sont

mme les places fortes, une agglomĂ©ration de minables petites masures de pierre rchis se pressant autour de l’église, et mĂȘme au printemps l’on n’y voit Ă  peu prĂšs nrt une fleur. Les maisons n’ont pas de jardins, seulement des arriĂšre-cours oĂčlatiles Ă©tiques patinent sur des couches de crottin de mulet. Il faisait un sale teouillard et pluie alternant. Les Ă©troites routes de terre, comme barattĂ©es, Ă©tansformĂ©es en bourbiers, profonds par endroits de deux pieds, oĂč les camionbattaient, leurs roues affolĂ©es, tandis que les paysans les franchissaient avec lossiĂšres charrettes qui Ă©taient tirĂ©es par des mulets, six Ă  la file parfois, toujours at

flĂšche. Les continuelles allĂ©es et venues de troupes avaient mis le village dans unsaletĂ© indescriptible. Il ne possĂ©dait pas, n’avait jamais possĂ©dĂ©, quelque chose

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ssemblĂąt Ă  un water-closet ou Ă  un Ă©gout quelconque, et il ne restait nulle parpace d’un mĂštre carrĂ© oĂč pouvoir marcher sans devoir regarder oĂč l’on posait le Ă©glise servait depuis longtemps de latrines, et de mĂȘme tous les champs, sur quelntaines de mĂštres Ă  la ronde. Je ne peux me remĂ©morer mes deux premiers moierre sans me souvenir des chaumes hivernaux avec leurs lisiĂšres encroĂ»

excrĂ©ments.Deux jours passĂšrent et l’on ne nous distribuait toujours pas de fusils. Lorsq

ait allĂ© au siĂšge du comitĂ© de la Guerre et qu’on avait contemplĂ© la rangĂ©e de trous

mur – des trous faits par un feu de salve (c’était lĂ  qu’on avait fusillĂ© plusiscistes) – on avait tout vu des curiositĂ©s d’Alcubierre. LĂ -haut, en premiĂšre ligne,ait manifestement calme, on Ă©vacuait trĂšs peu de blessĂ©s. La principale distractait l’arrivĂ©e des dĂ©serteurs fascistes descendant du front sous bonne garde. Dan

cteur, une bonne part des troupes du cĂŽtĂ© adverse n’étaient pas du tout fascistes, mposĂ©es de malheureux conscrits qui Ă©taient en train de faire leur service militairoment oĂč la guerre avait Ă©clatĂ© et qui n’étaient que trop dĂ©sireux de s’échappermps Ă  autre, par petites fournĂ©es, ils se risquaient Ă  se glisser jusqu’à nos lignes ;

ute eussent-ils Ă©tĂ© plus nombreux Ă  le faire si leurs parents ne s’étaient pas trouvĂ©rritoire fasciste. Ces dĂ©serteurs Ă©taient les premiers « fascistes » en chair et en os qyais ; et ce qui me frappa c’est que la seule chose qui permĂźt de les distinguer de ntait le fait qu’ils portaient une salopette kaki. Ils avaient toujours une faim de and ils arrivaient et c’était bien naturel aprĂšs avoir passĂ© un jour ou deux Ă  faire

urs et des dĂ©tours dans le no man’s land   – mais l’on ne manquait jamaiomphalement citer cela comme une preuve que les troupes fascistes mouraienm. J’ai, un jour, eu l’occasion de voir, dans la maison d’un paysan, un dĂ©ser

anger. C’était un spectacle Ă  faire pitiĂ© : un grand gars de vingt ans, trĂšs hĂąlĂ©

tements en loques, Ă©tait accroupi tout prĂšs du feu et mangeait gloutonnementeine gamelle de ragoĂ»t en se hĂątant le plus qu’il pouvait et sans cesser de faire allergard craintif de l’un Ă  l’autre des miliciens qui, debout en cercle autour de lugardaient manger. Je pense qu’il devait ĂȘtre encore Ă  demi convaincu que nous Ă©s « rouges » assoiffĂ©s de sang et que nous allions le fusiller dĂšs qu’il aurait terminĂ©pas ; les hommes armĂ©s qui le gardaient lui tapaient sur l’épaule et le rassuruyamment. Certain jour mĂ©morable, quinze dĂ©serteurs arrivĂšrent Ă  la fois. On les mtriomphe Ă  travers le village, en les faisant prĂ©cĂ©der d’un homme montĂ© sur un ch

anc. Je trouvai moyen d’en prendre une photographie plutĂŽt floue, que par la suite vola. Au matin de notre troisiĂšme jour Ă  Alcubierre, les fusils arrivĂšrent. Un sergen

age rude et basanĂ© les distribua dans l’écurie Ă  mulets. J’eus un accĂšcouragement quand je vis ce qu’on me donnait : un Mauser allemand qui portait la1896 ! vieux de plus de quarante ans ! Il Ă©tait rouillĂ©, la culasse mobile fonction

al, la sous-garde en bois Ă©tait fendue, et il suffisait de jeter un seul coup d’Ɠil me pour voir qu’elle Ă©tait irrĂ©mĂ©diablement corrodĂ©e. La plupart des autres fualement, Ă©taient mauvais, quelques-uns mĂȘme pires encore ; et l’on ne chercha ms Ă  donner les meilleures armes aux hommes qui savaient s’en servir. Le meilleur

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lot fut donnĂ© Ă  une petite brute de quinze ans, faible d’esprit, que tous appelaiearicĂČn  (la « tapette »). Le sergent nous octroya cinq minutes d’« instruction »nsista Ă  nous expliquer la maniĂšre de charger un fusil et de dĂ©monter la culasse.mbre de miliciens n’avaient encore jamais eu un fusil entre les mains, et rares Ă©tapense, ceux qui savaient Ă  quoi sert la mire. On nous distribua les cartou

nquante par homme, puis on nous fit mettre en rangs, barda au dos, et en route poont, Ă  trois kilomĂštres de lĂ .

La « centurie », quatre-vingts hommes et plusieurs chiens, se dé

Ă©guliĂšrement sur le chemin en montant la cĂŽte. À toute colonne de miliciens achĂ© au moins un chien, comme mascotte. Un pauvre animal qui nous accompaait Ă©tĂ© marquĂ© au fer chaud, il portait l’inscription « P.O.U.M. » en Ă©normes lettresait une maniĂšre furtive de se glisser le long de la colonne comme s’il se rendait com’il y avait quelque chose dans son aspect qui clochait.

En tĂȘte de la colonne, Ă  cĂŽtĂ© du drapeau rouge, allait Georges Kopp, nmmandant, un Belge corpulent, montĂ© sur un cheval noir ; un peu en avant un jvalier – de cette cavalerie des milices qui avait l’air d’une bande de brigan

racolait, escaladait au galop chaque éminence de terrain et, arrivé au sommet, pres poses pittoresques. Les splendides chevaux de la cavalerie espagnole avaient été sgrand nombre au cours de la révolution et avaient été remis aux milices qui,

tendu, Ă©taient en train de les Ă©reinter.La route serpentait entre des champs jaunis, incultes, laissĂ©s Ă  l’abandon depu

oisson de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Devant nous s’étendait la basse sierra qui sĂ©cubierre de Saragosse. Nous approchions des premiĂšres lignes ; nous approchionmbes, des mitrailleuses et de la boue. En secret j’avais peur. Je savais qu’actuellemfront Ă©tait calme, mais, Ă  la diffĂ©rence de la plupart de ceux qui m’entouraient, j’

sez ĂągĂ© pour me souvenir de la Grande Guerre, si je ne l’étais pas assez pour l’ate. La guerre, pour moi, cela signifiait le rugissement des projectiles, et des Ă©

obus qui sautent ; cela signifiait surtout la boue, les poux, la faim et le froid. rieux, mais j’apprĂ©hendais le froid beaucoup plus que je ne redoutais l’ennemi. Lfroid m’avait sans cesse hantĂ© pendant que j’étais Ă  Barcelone ; j’avais mĂȘme passits blanches Ă  me reprĂ©senter le froid dans les tranchĂ©es, les alertes dans les a

nistres, les longues heures de faction avec dans les mains un fusil givré, la boue glaje pataugerais.

J’avoue, aussi, que j’éprouvais une sorte d’effroi en considĂ©rant mes compagnn ne peut s’imaginer Ă  quel point nous avions l’air d’une cohue. Nous marchionsbandade, en gardant beaucoup moins de cohĂ©sion encore qu’un troupeau de moutant d’avoir fait deux kilomĂštres, l’arriĂšre-garde de la colonne fut hors de vue. Etnne moitiĂ© de ces soi-disant hommes Ă©taient des enfants – j’entends tĂ©ralement, des enfants de seize ans au plus. Et cependant ils Ă©taient tous heureux

sentaient pas de joie Ă  la perspective d’ĂȘtre enfin sur le front. Comme nouprochions, les jeunes garçons qui, en tĂȘte, entouraient le drapeau rouge, se mireer : « Visca  P.O.U.M. !  — fascistas-maricones ! » etc. Ils s’imaginaient pousser

ameurs guerriÚres et menaçantes, mais sortant de ces gosiers enfantins,

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oduisaient un effet aussi attendrissant que des miaulements de chatons. Il me semfreux que les dĂ©fenseurs de la RĂ©publique, ce fĂ»t cette bande d’enfants en guenrtant des fusils hors d’usage et dont ils ne savaient mĂȘme pas se servir ! Jemandai, il m’en souvient, ce qui arriverait si un avion fasciste venait Ă  nous survomĂȘme l’aviateur se donnerait la peine de piquer sur nous et de nous envoyer une r

mitrailleuse. SĂ»rement, mĂȘme de lĂ -haut, il pourrait se rendre compte que Ă©tions pas de vrais soldats.

Comme la route s’engageait dans la sierra, nous obliquñmes vers la droit

mpĂąmes par un Ă©troit sentier muletier qui serpentait Ă  flanc de montagne. Dans rtie de l’Espagne, les monts sont de formation curieuse : en fer Ă  cheval, avecmmets assez plats et des versants trĂšs abrupts qui plongent dans de larges ravins pentes supĂ©rieures rien ne pousse, que des arbustes rabougris et de la bruyĂšre, esements blancs du calcaire saillent partout. Le front, dans ce secteur, n’était pasne continue de tranchĂ©es, mais tout simplement un cordon de postes fortiformĂ©ment appelĂ©s « positions », perchĂ©s sur chacun des sommets. De loin on poir notre « position » situĂ©e Ă  la courbe du fer Ă  cheval : une barricade mal faite de

terre, un drapeau rouge qui flottait, la fumĂ©e de feux de cagnas. D’un peu plus prĂšsuvait sentir une Ă©cƓurante puanteur douceĂątre qui m’est ensuite restĂ©e des semans les narines. Dans la crevasse qui se trouvait juste derriĂšre notre position on jpuis plusieurs mois toutes les ordures – il y avait lĂ  une Ă©paisse couche putridoĂ»tons de pain, d’excrĂ©ments et de boĂźtes de conserves rouillĂ©es.

Les hommes de la compagnie que nous relevions Ă©taient en train de rassemblerurbi. Ils venaient de passer trois mois en ligne ; leurs uniformes Ă©taient plaquĂ©ue, leurs bottes s’en allaient en morceaux, et ils avaient le visage envahi de barbpitaine commandant la position, qui se nommait Levinski mais que tous appel

njamin, Juif polonais de naissance mais parlant le français comme sa laaternelle, sortit en rampant de son abri pour nous accueillir. C’était un jeune homenviron vingt-cinq ans, de petite taille, avec des cheveux raides et noirs et un pĂąle vdent, toujours trĂšs sale en cette Ă©poque de guerre. On entendait claquer lĂ -elques balles perdues. La position Ă©tait une enceinte semi-circulaire d’env

nquante mĂštres de diamĂštre ; son parapet Ă©tait fait Ă  demi de sacs de terre, Ă  democs de calcaire. Il y avait trente ou quarante abris qui s’enfonçaient dans le sol cos terriers. Vite nous nous engouffrĂąmes, Williams, moi-mĂȘme et le beau-frĂšre espa

Williams, dans le plus proche abri inoccupĂ© qui nous parut habitable. Quelque parfront en avant de nous, de temps en temps un coup de fusil claquait, Ă©veiĂ©tranges Ă©chos roulants parmi les collines rocailleuses. Nous venions de laisser tomterre notre barda et nous Ă©tions en train de ramper hors de l’abri quand il y euveau un claquement et l’un des enfants de notre compagnie, qui Ă©tait au parapeeta en arriĂšre, le visage ruisselant de sang. Il avait voulu tirer un coup de feu et, j

is comment, avait trouvĂ© moyen de faire sauter la culasse ; les Ă©clats de douillaient dĂ©chiquetĂ© le cuir chevelu. C’était notre premier blessĂ© et, ce qui ractĂ©ristique, il s’était blessĂ© lui-mĂȘme.

Dans le courant de l’aprùs-midi nous prümes notre premier tour de gard

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njamin nous fit visiter la position. En avant du parapet courait un rĂ©seau de bollĂ©s dans le roc, avec des crĂ©neaux trĂšs primitifs faits d’entassements de bloclcaire. Il y avait douze sentinelles, postĂ©es de loin en loin dans la tranchĂ©e, derriĂšrapet intĂ©rieur. En avant de la tranchĂ©e on avait disposĂ© du barbelĂ© ; au-delĂ , le verontagneux dĂ©valait dans un ravin qui semblait sans fond ; en face, des colnudĂ©es, par endroits simples escarpements rocheux, tout gris et hivernaux, sans tvie nulle part, sans mĂȘme un oiseau. Je risquai un coup d’Ɠil avec prĂ©caution par

eurtriÚre, cherchant à découvrir la tranchée fasciste.

« OĂč se trouve l’ennemi ?Benjamin fit de la main un geste large :— Over zere  (Benjamin parlait anglais – un anglais Ă©pouvantable) : LĂ -bas

utre cĂŽtĂ©.— Mais oĂč ? »D’aprĂšs l’idĂ©e que je me faisais de la guerre de tranchĂ©es, les fascistes eussent d

ouver Ă  cinquante ou cent mĂštres. Or j’avais beau regarder, je ne voyais rien ; sans durs tranchĂ©es Ă©taient-elles bien camouflĂ©es. Mais tout d’un coup je dĂ©couvris

nsternation ce que montrait le geste de Benjamin : au sommet de la colline en facelĂ  le ravin, Ă  sept cents mĂštres au moins, le minuscule tracĂ© d’un parapet et un drauge et jaune – la position fasciste. Je fus indiciblement dĂ©sappointĂ©. Nulle part Ă©tions proches de l’ennemi ! À cette distance nos fusils n’étaient d’aucune utilitĂ©. Mt instant nous entendĂźmes des cris de surexcitation : deux fascistes, semblables dedes figurines grisĂątres, Ă©taient en train de grimper Ă  quatre pattes le versant dĂ©nudcolline en face de nous. Benjamin se saisit du fusil de l’homme le plus proche, visessa la dĂ©tente. Clic ! La cartouche rata ; cela me parut de mauvais augure.

Les nouvelles sentinelles ne furent pas plutĂŽt dans la tranchĂ©e qu’elles entamĂš

e terrifiante fusillade au petit bonheur, sans rien viser en particulier. J’apercevaiscistes, aussi infimes que des fourmis, qui se jetaient de cĂŽtĂ© et d’autre derriĂšrapet ; parfois un point noir, qui Ă©tait une tĂȘte, s’immobilisait un instant, s’expoec insolence. De toute Ă©vidence, il ne servait Ă  rien de tirer. Mais au bout d’un oment la sentinelle Ă  ma gauche, abandonnant son poste Ă  la façon typiquepagnols, se coula auprĂšs de moi et se mit Ă  me presser de tirer. J’essayai dpliquer qu’à cette distance et avec de tels fusils on ne pouvait toucher un hommer le plus grand des hasards. Mais ce n’était qu’un enfant et il n’arrĂȘtait pas de me

gne avec son fusil de tirer sur un des points noirs, et il grimaçait en montrant les dec l’air de convoitise d’un chien qui attend qu’on lui jette un caillou. Je finis par mhausse Ă  sept cents mĂštres et je lĂąchai le coup. Le point noir disparut. J’espĂšre qulle a passĂ© assez prĂšs de lui pour lui avoir fait faire un saut. C’était la premiĂšre foa vie que je tirais un coup de feu sur un ĂȘtre humain.

 Ă€ prĂ©sent que j’avais vu ce qu’était le front, j’étais profondĂ©ment rebutĂ©pelaient cela la guerre ! Nous n’étions mĂȘme pas Ă  portĂ©e de l’ennemi ! Je n’eus uci de ne pas laisser ma tĂȘte dĂ©passer du parapet. Mais un moment plus tard une ssa prĂšs de mon oreille avec un claquement rageur et alla s’enfoncer derriĂšre moi parados. HĂ©las ! je « saluai ». Toute ma vie je m’étais jurĂ© que je ne « saluerais » p

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emiùre fois qu’une balle passerait au-dessus de moi ; mais il paraüt que c’est un gstinctif, et presque tout le monde le fait au moins une fois.

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III

Dans la guerre de tranchĂ©es, cinq choses sont importantes : le bois Ă  brĂ»lervres, le tabac, les bougies, et l’ennemi. En hiver, sur le front de Saragosse, tel Ă©tait ur ordre d’importance, l’ennemi venait bon dernier. Les fascistes n’étaient quntains insectes noirs que l’on voyait de temps Ă  autre se dĂ©placer par bonds

Ă©occupation essentielle des deux armĂ©es Ă©tait de se protĂ©ger le plus possible du froiIl me faut dire en passant que durant tout le temps que j’ai Ă©tĂ© en Espagne, je n’e trĂšs peu de combats. Je me trouvais sur le front d’Aragon de janvier Ă  mai, or e

nvier et fin mars il n’y eut rien ou peu de chose Ă  signaler dans ce secteur, excepruel. En mars on livra de sĂ©rieux combats autour de Huesca, mais personnelleme

y ai guĂšre participĂ©. Plus tard, en juin, il y eut l’attaque dĂ©sastreuse de Huesca au claquelle plusieurs milliers d’hommes trouvĂšrent la mort en un seul jour ; mais j’a

Ă© blessĂ©, mis hors de combat auparavant. J’ai rarement eu l’occasion d’affronter cen considĂšre habituellement comme les horreurs de la guerre. Aucun avion n’a ja

chĂ© de bombe dans mes alentours immĂ©diats, je ne crois pas qu’un obus ait jaatĂ© Ă  moins de cinquante mĂštres de moi, et je n’ai pris part qu’une seule fois Ă  un c

corps. (Une seule fois, c’est une fois de trop, je puis vous le dire !) Naturellement jis souvent trouvĂ© sous le feu nourri d’une mitrailleuse, mais la plupart du teassez loin. MĂȘme Ă  Huesca on Ă©tait en gĂ©nĂ©ral relativement en sĂ©curitĂ©, si l’ogligeait pas de prendre les prĂ©cautions raisonnables.

LĂ -haut, sur les hauteurs autour de Saragosse, c’était seulement l’ennui combnconfort de la guerre de tranchĂ©es. On menait une vie aussi peu mouvementĂ©e que

un comptable de la City, et presque aussi rĂ©glĂ©e. Être en faction, aller en patroueuser ; creuser, aller en patrouille, ĂȘtre en faction. Au sommet de chaque Ă©minencescistes ou des loyalistes, un groupe d’hommes sales et loqueteux grelottant autouur drapeau et cherchant Ă  avoir le moins froid possible. Et jour et nuit les balles pergarant dans les vallĂ©es dĂ©sertes et ne se logeant dans un corps humain que par que

re et invraisemblable hasard.Il m’arrivait souvent de contempler ce paysage hivernal en m’étonnan

nefficacité de tout cela. Quel caractÚre peu concluant a une guerre de ce genre ! Pluoctobre, on avait livré de furieux combats pour la possession de tous ces somm

is, le manque d’hommes et d’armes, et surtout d’artillerie, rendant impossible tĂ©ration de grande envergure, chaque armĂ©e s’était terrĂ©e et fixĂ©e sur les som’elle avait conquis.

LĂ -bas, Ă  notre droite, se trouvait un petit avant-poste, Ă©galement du P.O.U.Mr l’éperon Ă  notre gauche, Ă  sept heures de nous, une position du P.S.U.C. faisait faĂ©peron plus Ă©levĂ© sur les pics duquel s’égrenaient plusieurs petits postes fasciste

Ă©tendue ligne faisait tant de zigzags qu’on ne s’y fĂ»t pas retrouvĂ© si chaque posavait battu pavillon. Les drapeaux du P.O.U.M. et du P.S.U.C. Ă©taient rouges, ceux

archistes, rouge et noir ; les fascistes faisaient généralement flotter le draonarchiste (rouge-jaune-rouge), mais parfois celui de la République (rouge-ja

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olet). C’était un spectacle prodigieux – si l’on parvenait Ă  oublier que chaque cime cupĂ©e par des troupes, et donc jonchĂ©e de boĂźtes de conserves vides et encroĂ»tĂ©jections. Sur notre droite la sierra s’inflĂ©chissait vers le sud-est et faisait place Ă  la llĂ©e veinĂ©e qui s’étendait jusqu’à Huesca. Au milieu de la plaine s’éparpillaient, tels jetĂ©s, quelques cubes minuscules : c’était la ville de Robres, qui se trouvait en yaliste. Souvent, le matin, la vallĂ©e disparaissait sous une mer de nuages

mergeaient, comme posées à plat dessus, les collines bleues, ce qui donnait au paye étrange ressemblance avec une épreuve négative de photographie. Au-delà de Hu

y avait encore des collines de mĂȘme formation que la nĂŽtre, et que la neige panachaotifs variant de jour en jour. Au loin, les pics monstrueux des PyrĂ©nĂ©es, oĂč la neignd jamais, semblaient flotter dans le vide. MĂȘme en bas, dans la plaine, tout paraiort et dĂ©nudĂ©. Les collines, en face de nous, Ă©taient grises et plissĂ©es comme la peauĂ©phants. Presque toujours le ciel Ă©tait vide d’oiseaux. Je ne crois pas avoir jamais vys oĂč il y eĂ»t si peu d’oiseaux. Les seuls qu’on voyait parfois Ă©taient des sortes de les vols de perdrix dont les bruissements soudains vous faisaient tressaillir, le soi

ais trÚs rarement, des aigles voguant lentement et généralement accueillis par

ups de feu qu’ils ne daignaient mĂȘme pas remarquer.La nuit et par temps brumeux, on envoyait des patrouilles dans la vallĂ©e qui parait des fascistes. C’était une mission peu apprĂ©ciĂ©e : il faisait trop froid et le ris’égarer Ă©tait trop grand. Je vis bien vite que je pouvais obtenir l’autorisation d’alltrouille chaque fois que j’en avais envie. Dans les immenses ravins aux arĂȘtes viv

y avait ni sentiers ni pistes d’aucune sorte ; vous n’arriviez Ă  trouver votre che’aprĂšs y avoir Ă©tĂ© plusieurs fois de suite en reconnaissance, en prenant soin de reaque fois de nouveaux points de repĂšre. À vol d’oiseau le poste fasciste le plus prait Ă  sept cents mĂštres de nous, mais Ă  plus de deux kilomĂštres par l’unique

aticable. C’était assez amusant d’errer dans les vallĂ©es obscures tandis qu’au-dessus tĂȘtes, trĂšs haut, les balles perdues passaient en sifflant comme des bĂ©casseaux. Mlait d’épais brouillards que l’obscuritĂ© de la nuit, et souvent ils persistaient tout les’accrochaient autour des sommets cependant que les vallĂ©es restaient claire

oximitĂ© des lignes fascistes il fallait avancer Ă  pas de tortue ; c’était trĂšs difficile dplacer sans bruit sur ces pentes, parmi les arbustes craquelants et les pierres calci tintaient. Ce ne fut qu’à la troisiĂšme ou quatriĂšme tentative que je trouvai moyervenir jusqu’aux lignes fascistes. Le brouillard Ă©tait trĂšs Ă©pais et j’allai en ram

squ’aux barbelĂ©s pour Ă©couter. J’entendis les fascistes parler et chanter Ă  l’intĂ©rieuste. Soudain je fus alarmĂ© d’entendre plusieurs d’entre eux descendre la pente danrection. Je me blottis derriĂšre un buisson qui me parut brusquement bien petit, chai d’armer sans bruit mon fusil. Mais ils obliquĂšrent et je ne les vis mĂȘme erriĂšre le buisson oĂč je me cachai, je trouvai divers vestiges du combat antĂ©rieur : u

douilles vides, une casquette de cuir percĂ©e d’un trou de balle, et un drapeau rougs nĂŽtres de toute Ă©vidence. Je le rapportai Ă  la position oĂč, sans s’embarrassentiment, l’on en fit des chiffons Ă  nettoyer.

J’avais Ă©tĂ© nommĂ© caporal ou, comme l’on disait, cabo, dĂšs notre arrivĂ©e au frvais le commandement d’un groupe de douze hommes. Ce n’était pas une sinĂ©

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rtout au dĂ©but. La centurie Ă©tait une bande non entraĂźnĂ©e composĂ©e en majeure padolescents. Çà et lĂ  on trouvait dans les milices des enfants qui n’avaient pas pluze ou douze ans, en gĂ©nĂ©ral des rĂ©fugiĂ©s des territoires fascistes, qu’on avait incorpmme miliciens parce que c’était le moyen le plus simple de pourvoir Ă  leur subsista

n principe on les employait Ă  l’arriĂšre Ă  de lĂ©gers travaux, mais parfois ils parvenaifaufiler jusqu’en premiĂšre ligne oĂč ils Ă©taient un danger public. Je me rappelle un bĂ©cile qui ne trouva rien de mieux que de jeter une grenade Ă  main dans le feu ri « pour faire une farce » ! Au Monte Pocero je ne crois pas qu’il s’en trouvĂąt a

oins de quinze ans, mais nĂ©anmoins la moyenne d’ñge Ă©tait bien au-dessous de vs. On ne devrait jamais faire servir des garçons de cet Ăąge en premiĂšre ligne, car ilscapables de supporter le manque de sommeil insĂ©parable de la guerre de tranchĂ©ebut il Ă©tait Ă  peu prĂšs impossible d’obtenir que notre position fĂ»t convenablemrdĂ©e pendant la nuit. On n’arrivait Ă  faire lever les pauvres enfants de ma section q tirant par les pieds hors de leurs abris, et dĂšs qu’on avait tournĂ© le dosandonnaient leur poste et se reglissaient dans la cagna ; ou bien, si mĂȘmmeuraient appuyĂ©s contre la paroi de la tranchĂ©e, en dĂ©pit du froid terrible il

rdaient pas Ă  succomber au sommeil. Heureusement l’ennemi Ă©tait on ne peut mtreprenant. Il y eut des nuits oĂč notre position eĂ»t pu ĂȘtre prise d’assaut par vingtouts armĂ©s de carabines Ă  air comprimĂ©, ou tout aussi bien par vingt girl-guides armraquettes.

 Ă€ cette Ă©poque et longtemps encore les milices catalanes restĂšrent constituĂ©e mĂȘmes bases qu’au dĂ©but de la guerre. Dans les premiers jours de la rĂ©bellioanco elles avaient Ă©tĂ© levĂ©es Ă  la hĂąte par les diffĂ©rents syndicats et partis politiqacune d’elles Ă©tait au premier chef une organisation politique infĂ©odĂ©e Ă  son partitant qu’au gouvernement central. Quand, au dĂ©but de 1937, on leva l’armĂ©e popul

i Ă©tait une armĂ©e « non politique » organisĂ©e tant bien que mal selon le type nor milices de partis y furent thĂ©oriquement incorporĂ©es. Mais longtemps encore il n’changements que sur le papier ; aucun contingent de la nouvelle armĂ©e populair

onta sur le front d’Aragon avant juin, et jusqu’à cette date le systĂšme des mimeura inchangĂ©. Le point essentiel en Ă©tait l’égalitĂ© sociale entre les officiers emmes de troupe. Tous, du gĂ©nĂ©ral au simple soldat, touchaient la mĂȘme scevaient la mĂȘme nourriture, portaient les mĂȘmes vĂȘtements, et vivaient ensemblpied d’une complĂšte Ă©galitĂ©. Si l’envie vous prenait de taper dans le dos du gĂ©n

mmandant la division et de lui demander une cigarette, vous pouviez le fairrsonne ne s’en Ă©tonnait. En thĂ©orie en tout cas, chaque milice Ă©tait une dĂ©mocratn une hiĂ©rarchie. Il Ă©tait entendu qu’on devait obĂ©ir aux ordres, mais il Ă©tait atendu que, lorsque vous donniez un ordre, c’était comme un camarade pĂ©rimentĂ© Ă  un camarade, et non comme un supĂ©rieur Ă  un infĂ©rieur. Il y avaitficiers et des sous-officiers, mais il n’y avait pas de grades militaires au sens habs de titres, pas de galons, pas de claquements de talons ni de saluts obligatoirestait efforcĂ© de rĂ©aliser dans les milices une sorte d’ébauche, pouvant provisoirem

nctionner, de sociĂ©tĂ© sans classes. Bien sĂ»r, ce n’était pas l’égalitĂ© parfaite, maavais encore rien vu qui en approchĂąt autant, et que cela fĂ»t possible en temps de gu

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Ă©tait pas le moins surprenant.Mais j’avoue que, tout d’abord, je fus horrifiĂ© de la façon dont allaient les chose

front. Comment diable une armĂ©e de ce genre pourrait-elle gagner la guerre ? C’étae tout le monde disait alors, mais cette remarque, pour ĂȘtre juste, n’en Ă©tait pas mraisonnable. Car, Ă©tant donnĂ© les circonstances, il n’était pas possible que les missent sensiblement meilleures qu’elles n’étaient. Une armĂ©e moderne, mĂ©canisĂ©ergit pas de terre, et si le gouvernement avait attendu d’avoir Ă  sa disposition des troen entraĂźnĂ©es, Franco n’eĂ»t jamais rencontrĂ© de rĂ©sistance. Par la suite, il devin

ode de dĂ©nigrer les milices et de prĂ©tendre que les imperfections, qui Ă©taient dueanque d’entraĂźnement et d’armes, Ă©taient la consĂ©quence du systĂšme Ă©galitaire. En

contingent des milices nouvellement mis sur pied Ă©tait bien une bande indiscipln pas parce que les officiers appelaient les simples soldats « camarades », mais pe toute troupe non aguerrie est toujours  une bande indisciplinĂ©e. Dans la pratiq

scipline de type dĂ©mocratico-rĂ©volutionnaire est plus sĂ»re qu’on ne pourrait crans une armĂ©e prolĂ©tarienne, la discipline est, par principe, obtenue par consentemlontaire. Elle est fondĂ©e sur le loyalisme de classe, tandis que la discipline d’une a

urgeoise de conscrits est fondĂ©e, en derniĂšre analyse, sur la crainte. (L’armĂ©e popui remplaça les milices Ă©tait Ă  mi-chemin entre ces deux types.) Dans les miliceeĂ»t pas supportĂ© un seul instant le rudoiement et les injures qui sont monnaie courns une armĂ©e ordinaire. Les habituelles punitions militaires demeuraient en viguais on n’y recourait que dans le cas de fautes trĂšs graves. Quand un homme refobĂ©ir Ă  un ordre, vous ne le punissiez pas sur-le-champ ; vous faisiez d’abord appel

nom de la camaraderie. Les gens cyniques, sans expĂ©rience du maniementmmes, diront aussitĂŽt que ce n’est pas possible que cela « marche » jamais ; mait, Ă  la longue cela «marche ». Avec le temps la discipline mĂȘme des pires conting

milices s’amĂ©liora Ă  vue d’Ɠil. En janvier la tĂąche de maintenir Ă  la hauteuruzaine de recrues inaguerries faillit me donner des cheveux blancs. En mai, jndant quelque temps fonction de lieutenant Ă  la tĂȘte d’une trentaine d’hom

nglais et Espagnols. Nous avions tous plusieurs mois de front et je n’ai jamais rencomoindre difficultĂ© Ă  faire exĂ©cuter un ordre ou Ă  trouver des volontaires pourssion pĂ©rilleuse. La discipline « rĂ©volutionnaire » dĂ©coule de la conscience politiqfait d’avoir compris pourquoi  il faut obĂ©ir aux ordres ; pour que cela se gĂ©nĂ©rali

ut du temps, mais il en faut aussi pour transformer un homme en automate Ă  forc

faire faire l’exercice dans la cour de quartier. Les journalistes qui se gaussĂšrenstĂšme des milices ont le plus souvent oubliĂ© que les milices eurent Ă  tenir le fndant que l’armĂ©e populaire s’entraĂźnait Ă  l’arriĂšre. Et c’est un hommage Ă  rendreliditĂ© de la discipline « rĂ©volutionnaire » que de constater que les milices demeurĂšr le champ de bataille. Car jusqu’en juin 1937 il n’y eut pour les y retenir que yalisme de classe. Il Ă©tait possible de fusiller des dĂ©serteurs individuels – il y en rfois de fusillĂ©s – mais si un millier d’hommes eussent d’un commun accord dĂ©ciditter le front Ă  la fois, il ne se trouvait aucune force pour les en empĂȘcher. Une arconscrits dans les mĂȘmes conditions – en l’absence d’une police militaire – eĂ»t fos milices, elles, tinrent le front et Dieu sait pourtant qu’elles remportĂšrent pe

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ctoires ; mĂȘme les dĂ©sertions individuelles furent rares. En quatre ou cinq mois danlices du P.O.U.M. je n’ai entendu parler que de quatre dĂ©serteurs, et encore est-il Ă Ăšs certain que deux d’entre eux Ă©taient des espions qui s’étaient enrĂŽlĂ©s pour recus informations. Au dĂ©but, l’état Ă©vident de confusion, le manque gĂ©n

entraĂźnement, le fait d’avoir souvent Ă  discuter cinq minutes avant d’obtenir l’exĂ©cuun ordre, me consternaient et me mettaient en fureur. Ma façon de concevoir les chait celle de l’armĂ©e britannique et, Ă©videmment, les milices espagnoles diffĂ©rtrĂȘmement de l’armĂ©e britannique. Mais, Ă  tenir compte des circonstances, elles se

vĂ©lĂ©es des troupes meilleures qu’on n’était en droit d’attendre.Pendant ce temps-lĂ , la grande question c’était le bois Ă  brĂ»ler – toujours le b

Ă»ler. Durant toute cette pĂ©riode il n’est probablement pas une page de mon joutime qui ne parle du bois Ă  brĂ»ler – ou plutĂŽt du manque de bois Ă  brĂ»ler. Nous Ă©ttre deux et trois mille pieds au-dessus du niveau de la mer, en plein hiver, et le

ait indescriptible. La tempĂ©rature n’était pas exceptionnellement basse, plus d’unene gela mĂȘme pas, et souvent un soleil hivernal brillait pendant une heure velieu du jour ; et mĂȘme si le thermomĂštre disait qu’il ne faisait pas froid, nous, n

ions bel et bien froid, je vous assure. TantĂŽt d’aigres coups de vent vous arrachatre casquette et vous Ă©bouriffaient, tantĂŽt des brouillards se rĂ©pandaient dananchĂ©e comme un liquide et vous pĂ©nĂ©traient jusqu’à la moelle ; il plequemment, et il suffisait d’un quart d’heure de pluie pour rendre la situa

supportable. La mince couche de terre qui recouvrait le calcaire se transforpidement en glu glissante, et comme il fallait toujours marcher sur une pente, il possible de garder l’équilibre. Par les nuits sombres il m’est souvent arrivĂ© de tome demi-douzaine de fois sur vingt mĂštres, et c’était dangereux parce que cela signe de la boue enrayait la platine de votre fusil. Durant des jours et des jours, vĂȘtem

ttes, couvertures et fusils demeuraient enduits de boue. J’avais apportĂ© autantements chauds que j’en pouvais porter, mais beaucoup d’hommes Ă©taient terriblemu vĂȘtus. Pour toute la garnison, une centaine d’hommes environ, il n’y avait que dpotes que devaient se passer les sentinelles, et la plupart des hommes n’avaient quule couverture. Une nuit oĂč l’on gelait, je dressai dans mon journal intime une listetements dont j’étais revĂȘtu. Cela prĂ©sente l’intĂ©rĂȘt de montrer quel amas de vĂȘtemcorps humain est capable de transporter. J’avais sur moi un tricot et un caleçon Ă©

e chemise de flanelle, deux pull-overs, une veste de lainage, une en cuir, une culot

lours Ă  cĂŽtes, des bandes molletiĂšres, d’épaisses chaussettes, des bottes, un trenchnforcĂ©, un cache-nez, des gants de cuir fourrĂ©s et une casquette en laine. Et je ssonnais pas moins comme gelĂ©e de viande. Je suis, il est vrai, singuliĂšrement senfroid.

Le bois Ă  brĂ»ler Ă©tait la seule chose qui importĂąt rĂ©ellement. La question, au bois Ă  brĂ»ler, c’était que, pratiquement, on ne pouvait pas s’en procurer parce qu’avait pas. Notre triste montagne, mĂȘme Ă  la meilleure saison, n’offrait guĂšr

gétation, et des mois durant elle avait été parcourue en tous sens par des miliansis, si bien que depuis longtemps tout ce qui était un peu plus gros que le doigt aé brûlé. Tout le temps que nous ne passions pas à manger, à dormir, à monter la g

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ĂȘtre de corvĂ©e, nous le passions dans la vallĂ©e, en arriĂšre de notre position, cherche de combustible. Dans tous mes souvenirs de ce temps-lĂ , je nous regringolant ou grimpant Ă  quatre pattes des pentes presque verticales dont le calcaints de scie mettait nos bottes en piĂšces, et fondant comme des oiseaux de proie suus minuscules brindilles. Trois hommes, aprĂšs deux heures de recherches, parvenapporter assez de combustible pour entretenir pendant une heure un maigre feu d

ardeur que nous apportions Ă  notre chasse au bois nous transformait toutanistes. Nous classions, selon leur valeur comme combustibles, toutes les plante

ussaient sur ce versant : il y avait les bruyĂšres et les herbes diverses qui Ă©taient bour faire prendre le feu mais qui se consumaient en quelques minutes ; le romuvage et de tout petits genĂȘts Ă©pineux qui consentaient Ă  brĂ»ler une fois que le feuen pris ; un chĂȘne rabougri, plus petit qu’un groseillier, qui Ă©tait pratiquemcombustible. Il y avait une sorte de roseau dessĂ©chĂ© qui Ă©tait parfait pour allumu, mais il ne croissait qu’au sommet d’une hauteur Ă  notre gauche, et pour y arrivlait essuyer le feu de l’ennemi. Si les mitrailleurs fascistes vous apercevaient, iinaient pas Ă  vous envoyer pour vous tout seul une caisse de munitions. GĂ©nĂ©ralem

visaient trop haut et les balles passaient au-dessus de votre tĂȘte en chantant cos oiseaux, mais parfois cependant elles crĂ©pitaient et faisaient voler le calcaire en Ă©ut prĂšs de vous de façon inquiĂ©tante, et alors vous vous flanquiez le visage contre tus n’en continuiez pas moins Ă  aller cueillir des roseaux ; rien ne comptait Ă  cĂŽtis Ă  brĂ»ler.

ComparĂ©es au froid, les autres incommoditĂ©s semblaient insignifiaaturellement nous Ă©tions tout le temps sales. Notre eau, de mĂȘme que nos vivres, rvenait Ă  dos de mulets d’Alcubierre, et la part de chacun se montait environ Ă  unr jour. C’était une eau infecte, Ă  peine plus transparente que du lait. En princip

vait la rĂ©server toute pour la boisson, mais j’en resquillais toujours une pleine gamur ma toilette du matin. Je me lavais un jour et me rasais le lendemain ; il n’y a

mais assez d’eau pour faire les deux le mĂȘme jour. La position puait abominableme’extĂ©rieur de l’enceinte, Ă  l’entour de la barricade, il y avait partout des dĂ©jectrtains miliciens avaient pris l’habitude de se soulager dans la tranchĂ©e mĂȘme, cgoĂ»tante alors qu’il nous fallait aller et venir dans l’obscuritĂ©. Mais la saletĂ© ne m

mais un tourment. On fait trop d’embarras au sujet de la saletĂ©. C’est Ă©tonnant coms’habitue vite Ă  se passer de mouchoir ou Ă  manger dans la gamelle qui sert Ă©galem

e laver. Et aprĂšs un ou deux jours l’on ne trouve plus dur de dormir tout habillĂ©. Npouvions naturellement pas ĂŽter nos vĂȘtements, ni surtout nos bottes, la nuit ; il fre prĂȘt Ă  sortir sur-le-champ en cas d’attaque. En quatre-vingts nuits je ne meshabillĂ© que trois fois, mais je m’arrangeais pour enlever mes vĂȘtements danurnĂ©e de temps Ă  autre. Il faisait alors encore trop froid pour qu’il y eĂ»t des poux, rats et les souris pullulaient. J’ai souvent entendu dire qu’on ne trouve pas e

ĂȘme lieu rats et souris ; mais si, lorsqu’il y a assez Ă  manger pour les deux espĂšces. Ă€ d’autres Ă©gards nous n’étions pas mal lotis. La nourriture Ă©tait assez bonn

us avions du vin en abondance. Les cigarettes nous Ă©taient distribuĂ©es Ă  raison quet par jour, les allumettes tous les deux jours, et il y avait mĂȘme une distributio

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ugies. C’étaient des bougies trĂšs minces, comme celles du gĂąteau de NoĂ«l ; pposions-nous qu’elles provenaient du pillage d’églises. Chaque abri en recevait uces par jour, ce qui donnait environ vingt minutes de lumiĂšre. À cette Ă©poque il core possible d’acheter des bougies et j’en avais apportĂ© plusieurs livres avec moisuite la privation d’allumettes et de bougies nous fut un supplice. On ne se rendmpte de l’importance de ces choses tant qu’on n’en a pas Ă©tĂ© privĂ©. Pendant une anuit, par exemple, alors que chacun dans l’abri est en train de chercher Ă  quatre p

n fusil en marchant sur le visage de son voisin, avoir la possibilité de battre le bri

ut devenir une question de vie ou de mort. Chaque milicien possĂ©dait un briqumadou et plusieurs mĂštres de mĂšche jaune. AprĂšs son fusil c’était ce qu’il possĂ©daus important. Les briquets Ă  amadou prĂ©sentaient le grand avantage de pouvoirttus en plein vent mais, brĂ»lant sans flamme, on ne pouvait s’en servir pour allume

u. Au plus fort de la disette d’allumettes, le seul moyen que nous avions de faire je flamme, c’était de retirer la balle d’une cartouche et de faire exploser la corditntact du briquet Ă  amadou.

C’était une vie singuliĂšre que nous vivions – une singuliĂšre façon d’ĂȘtre en guer

peut appeler cela la guerre. Tous les miliciens sans exception lançaient des brocntre l’inaction et continuellement demandaient Ă  cor et Ă  cri qu’on leur dĂźt pour qson on ne nous permettait pas d’attaquer. Mais il Ă©tait on ne peut plus clair qu

ngtemps encore il n’y aurait aucune bataille, Ă  moins que l’ennemi ne commeorges Kopp, lors de ses tournĂ©es d’inspection pĂ©riodiques, nous parlait sans amba

Ce n’est pas une guerre, disait-il souvent, c’est un opĂ©ra-bouffe avec morts. » Àre, l’état de stagnation sur le front d’Aragon avait des causes politiques dont j’ignout Ă  cette Ă©poque ; mais les difficultĂ©s d’ordre purement militaire – sans parleanque de rĂ©serves en hommes – sautaient aux yeux de tous.

Tout d’abord il y avait la nature du pays. Le front, le nĂŽtre et celui des fascinsistait en des positions trĂšs fortes naturellement, qui n’étaient en gĂ©nĂ©ral accesse d’un cĂŽtĂ©. Il suffit de creuser quelques tranchĂ©es pour rendre de telles pprenables par l’infanterie, Ă  moins que celle-ci ne soit en nombre accablant. Dans nsition ou dans la plupart de celles qui nous environnaient, une douzaine d’homec deux mitrailleuses auraient pu tenir Ă  distance un bataillon. PerchĂ©s sur les sommme nous l’étions, nous eussions fait de magnifiques cibles pour l’artillerie, mais ait pas d’artillerie. Parfois je contemplais le paysage alentour et me prenais Ă  dĂ©sir

! avec quelle passion ! – deux bons canons. On aurait pu dĂ©truire les positionnnemi l’une aprĂšs l’autre aussi facilement que l’on Ă©crase des noix avec un marais de notre cĂŽtĂ© il n’y avait absolument pas de canons. Les fascistes, eux, trouvoyen de temps Ă  autre d’amener un ou deux canons de Saragosse et de lĂącher quelus, si peu qu’ils ne parvinrent jamais Ă  rectifier leur tir et les obus s’en allaient tomns les ravins dĂ©serts sans faire aucun mal. En face de mitrailleuses, lorsqu’on n’a

artillerie, on n’a le choix qu’entre trois solutions : se terrer Ă  distance respectabsons Ă  quatre cents mĂštres –, ou avancer Ă  dĂ©couvert et se faire massacrer, ou enre des attaques de nuit de faible envergure qui ne changeront rien Ă  la situanĂ©rale. En fait, on se trouve en face de l’alternative : stagnation ou suicide.

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Et en outre il y avait le manque total de toute espĂšce de matĂ©riel de guerreagine difficilement Ă  quel point les milices Ă©taient mal armĂ©es Ă  cette Ă©poquimporte quel bataillon scolaire d’un grand Ă©tablissement d’enseignement secondai

ngleterre ressemble bien davantage Ă  une armĂ©e moderne. La mauvaise qualitĂ© demes Ă©tait si effarante que cela vaut la peine d’en parler en dĂ©tail.

Dans ce secteur du front il n’y avait pour toute artillerie que quatre mortiers ulement quinze coups Ă  tirer pour chacun. Naturellement on ne les tirait pas, ils Ă©ten trop prĂ©cieux, et l’on gardait les mortiers Ă  Alcubierre. Il y avait des mitraille

ns la proportion d’une pour cinquante hommes environ ; elles Ă©taient assez vieais d’une prĂ©cision approximative jusqu’à trois ou quatre cents mĂštres. En dehora nous n’avions que des fusils, dont la plupart Ă©taient de la ferraille. Il y en ava

rvice trois types. D’abord le long Mauser : les fusils de ce type-lĂ  dataient raremenoins de vingt ans, leurs hausses Ă©taient Ă  peu prĂšs aussi utilisables qu’un indicateuesse cassĂ©, et le rayage de la plupart d’entre eux Ă©tait irrĂ©mĂ©diablement corrodĂ©sil sur dix environ Ă©tait acceptable, cependant. Puis il y avait le Mauser courtousqueton, arme de cavalerie en rĂ©alitĂ©. Ceux-ci Ă©taient plus apprĂ©ciĂ©s que les au

rce qu’ils Ă©taient plus lĂ©gers Ă  porter et moins encombrants dans la tranchĂ©e, et arce qu’ils Ă©taient relativement rĂ©cents et avaient l’air de bien fonctionner. En fait ouvait Ă  peu prĂšs pas s’en servir : ils Ă©taient constituĂ©s de piĂšces dĂ©tachĂ©es dĂ©pareillcun fusil n’avait sa propre culasse et les trois quarts d’entre eux s’enrayaient au bo

nq coups. Il y avait enfin quelques Winchesters. Avec ces derniers il Ă©tait agrĂ©aber, mais leur tir Ă©tait tout Ă  fait dĂ©rĂ©glĂ©, et comme ils Ă©taient armĂ©s de cartouches argeurs, on ne pouvait tirer qu’un coup Ă  la fois. Les munitions Ă©taient si raresaque homme, Ă  son arrivĂ©e au front, ne touchait que cinquante cartouches doupart Ă©taient extrĂȘmement mauvaises. Les cartouches de fabrication espagnole Ă©t

utes sans exception faites de douilles récupérées et rechargées, et elles auraientnrayer les meilleurs fusils. Les cartouches mexicaines étaient meilleures, auss

servait-on pour les mitrailleuses. Les meilleures de toutes Ă©taient les munitionbrication allemande, mais comme elles nous Ă©taient fournies uniquement paisonniers et les dĂ©serteurs, nous n’en avions pas beaucoup. Je gardais toujours danche un chargeur de cartouches allemandes ou mexicaines pour m’en servir en cauation critique. Mais, en fait, quand cela arrivait, je tirais rarement un coup de vais bien trop peur de voir ce sale engin s’enrayer et j’avais trop souci de me rĂ©serv

ssibilitĂ© de faire Ă  coup sĂ»r partir une balle.Nous n’avions ni casques ni baĂŻonnettes, presque pas de pistolets ou de revolves plus d’une bombe par groupe de cinq Ă  dix hommes. La bombe employĂ©e Ă  oque Ă©tait une terrible chose connue sous le nom de « bombe de la F.A.I. », p’elle avait Ă©tĂ© fabriquĂ©e par les anarchistes dans les premiers jours de la guerre.

ait faite sur le mĂȘme principe que la grenade Mills, mais le levier Ă©tait maintenu bn par une goupille, mais par un bout de cordon. Il fallait rompre le cordon et barrasser de la bombe au plus vite. L’on disait de ces bombes qu’elles Ă©tmpartiales » : elles tuaient l’homme sur qui on les lançait et l’homme qui les lançy avait plusieurs autres types de bombes, plus primitives encore, mais peut-ĂȘtre un

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oins dangereuses – pour le lanceur, j’entends. Ce ne fut qu’à la fin mars que je vismbe valant la peine d’ĂȘtre lancĂ©e.

Et en dehors des armes, il y avait Ă©galement pĂ©nurie d’autres choses de moiportance mais tout de mĂȘme nĂ©cessaires Ă  la guerre. Nous n’avions, par exemplrtes ni plans ; le relevĂ© topographique de l’Espagne n’avait jamais Ă©tĂ© complĂštemt, et les seules cartes dĂ©taillĂ©es de cette rĂ©gion Ă©taient les vieilles cartes militaires

aient presque toutes en la possession des fascistes. Nous n’avions ni tĂ©lĂ©mĂštrengues-vues, ni pĂ©riscopes de tranchĂ©e, ni jumelles (Ă  part quelques-unes qui Ă©taie

opriĂ©tĂ© personnelle de miliciens), ni fusĂ©es ou Ă©toiles Ă©clairantes, ni cisailles, ni oarmurier, et mĂȘme presque pas de matĂ©riel de nettoyage. Les Espagnols semblavoir jamais entendu parler d’écouvillons d’aucune sorte et ils restĂšrent lĂ , Ă  regaut surpris, lorsque je me mis Ă  en fabriquer un. Quand vous vouliez faire nettoyer vsil, vous l’apportiez au sergent qui possĂ©dait une longue baguette de fusil en laquelle Ă©tant invariablement tordue Ă©gratignait le rayage. On n’avait mĂȘme pas d’huiaissage pour fusil ; on se servait d’huile d’olive quand on pouvait en trouver ; Ă  diveprises j’ai graissĂ© mon fusil avec de la vaseline, avec du cold cream, et mĂȘme ave

as de jambon. Et de plus, on n’avait ni falots ni lampes Ă©lectriques de poche – Ă  oque il n’y avait, je crois, pas une seule lampe Ă©lectrique de poche dans tout ncteur de front, et il fallait aller jusqu’à Barcelone pour trouver Ă  en acheter, et enn sans difficultĂ©s.

Et tandis que le temps passait et que parmi les collines crĂ©pitaient des coups dĂ©s au petit bonheur, j’en vins Ă  me demander avec un scepticisme croissanriverait jamais rien qui mĂźt un peu de vie, ou plutĂŽt de mort, dans cette guerre de bĂ©tait contre la pneumonie que nous luttions, non contre des hommes. QuandanchĂ©es sont sĂ©parĂ©es par une distance de plus de cinq cents mĂštres, si quelqu’u

uchĂ©, c’est pur hasard. Naturellement il y avait des blessĂ©s, mais le plus grand nomentre eux s’étaient blessĂ©s eux-mĂȘmes. Si j’ai bonne mĂ©moire, les cinq premiers blee je vis en Espagne l’avaient Ă©tĂ© par nos propres armes – je ne veux pas libĂ©rĂ©ment, mais par accident ou Ă©tourderie. Nos fusils trop usĂ©s Ă©taient en eux-mĂȘdanger. Certains de ces fusils avaient la vilaine habitude de laisser le coup partir stapait la crosse par terre ; j’ai vu un homme se faire ainsi traverser la main d’une bdans le noir, les recrues non aguerries Ă©taient toujours en train de se

utuellement dessus. Un soir, alors que le crépuscule tombait à peine, une sentinelle

r moi de vingt mĂštres, mais elle me manqua d’un mĂštre. Dieu sait combien de foila vie au manque d’adresse au tir des Espagnols ! Une autre fois j’étais partrouille dans le brouillard et j’avais pris soin, auparavant, d’avertir le commandanrde. Mais en revenant je butai contre un buisson, la sentinelle alarmĂ©e se mit Ă  e les fascistes arrivaient, et j’eus le plaisir d’entendre le commandant de garde dordre Ă  tous d’ouvrir un feu continu dans ma direction. Naturellement je deme

endu à terre et les balles passùrent au-dessus de moi sans me faire la moiratignure. Il n’y a rien qui puisse convaincre un Espagnol, tout au moins un jpagnol, que les armes à feu sont dangereuses. Une autre fois, assez longtemps atais en train de photographier un groupe de mitrailleurs avec leur mitrailleuse qui

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intĂ©e dans ma direction.« Surtout ne tirez pas, dis-je Ă  demi par plaisanterie, tout en mettant au point.— Oh ! non, pas de danger qu’on tire ! »L’instant d’aprĂšs il y eut un terrible rugissement et un flot de balles passa en tro

prĂšs de mon visage que j’eus la joue toute piquĂ©e par des grains de cordite. Ce n’s Ă©tĂ© fait exprĂšs, mais les mitrailleurs trouvĂšrent que c’était une bonne plaisanturtant, peu de jours auparavant, ils avaient vu un muletier tuĂ© accidentellement palĂ©guĂ© politique qui, en faisant l’imbĂ©cile avec un pistolet automatique, lui avait

nq balles dans les poumons.L’emploi dans l’armĂ©e, Ă  cette Ă©poque, de mots de passe difficiles Ă©tait encore

tre source de dangers. Il s’agissait de ces fastidieux mots de passe doubles, oĂč ilpondre Ă  un mot par un autre. D’ordinaire ils Ă©taient de caractĂšre exaltanvolutionnaire, comme Cultura â€“ progreso, ou Seremos – invencibles, et il Ă©tait soupossible de parvenir Ă  faire que les sentinelles illettrĂ©es se souviennent de ces ur intellectuels. Je me rappelle qu’une nuit le mot de passe Ă©tait Catalunya  – hequ’un gars de la campagne Ă  face de lune, nommĂ© Jaime Domenech, vint,

mbarrassĂ©, me demander de lui expliquer :« Heroica â€“ qu’est-ce que ça veut dire heroica ? »Je lui rĂ©pondis que cela voulait dire la mĂȘme chose que valiente. Un peu plus

revenant Ă  la tranchĂ©e dans l’obscuritĂ©, il trĂ©bucha et la sentinelle l’interpella :« Alto ! Catalunya !— Valiente ! » hurla Jaime, persuadĂ© qu’il disait ce qu’il fallait.Bing !Mais la sentinelle le manqua. Dans cette guerre, on eĂ»t dit que c’était toujours Ă 

anquerait l’autre, dĂšs que c’était humainement possible.

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IV 

J’étais depuis trois semaines sur le front quand un contingent de vingt Ă  trmmes, envoyĂ© d’Angleterre par l’I.L.P., arriva Ă  Alcubierre ; afin de grouper tou

nglais du secteur, on nous envoya, Williams et moi, les rejoindre. Notre nousition se trouvait au Monte Oscuro, de plusieurs kilomùtres plus à l’ouest et en vu

ragosse.La position Ă©tait perchĂ©e sur une sorte de colline calcaire en dos d’ñne, et les aaient creusĂ©s horizontalement dans l’à-pic, comme des nids d’hirondelles de rivagnfonçaient dans le sol sur d’énormes distances, on n’y voyait goutte Ă  l’intĂ©rieur

aient si bas de plafond qu’on ne pouvait mĂȘme pas s’y tenir agenouillĂ©, quant Ă  s’y bout, inutile d’en parler. Sur les pics Ă  notre gauche il y avait deux autres positionO.U.M., dont l’une attirait tous les hommes du secteur parce que s’y trouvaient mmes qui faisaient la cuisine. Ces femmes n’étaient pas belles Ă  proprement paais il n’en fut pas moins nĂ©cessaire de consigner la position aux hommes des au

mpagnies. À cinq cents mĂštres sur notre droite se trouvait un poste du P.S.U.C., ude de la route d’Alcubierre, Ă  l’endroit prĂ©cis oĂč elle changeait de propriĂ©taire. Lapouvait suivre des yeux, grĂące Ă  leurs phares, nos camions de ravitaillement dans

ajet sinueux depuis Alcubierre, et en mĂȘme temps ceux des fascistes venanragosse. On pouvait voir Saragosse elle-mĂȘme, un grĂȘle chapelet de lumiĂšre, telblots Ă©clairĂ©s d’un navire, Ă  douze milles vers le sud-ouest. Les trouvernementales la contemplaient de cette distance depuis aoĂ»t 1936, et Ă  l’htuelle elles la contemplent toujours.

Nous Ă©tions, nous autres, Ă  peu prĂšs une trentaine, y compris un Espagnol (Rabeau-frĂšre de Williams), et une douzaine de mitrailleurs espagnols. À Ă©vitablement, un ou deux flĂ©aux – car, tout le monde le sait, la guerre atticaille –, les Anglais formaient une troupe d’une exceptionnelle qualitĂ©, ysiquement que moralement. Peut-ĂȘtre le meilleur de nous Ă©tait-il Bob Smillie tit-fils du fameux leader des ouvriers mineurs – qui, plus tard, devait trouver lence une mort sinistre et dĂ©nuĂ©e de sens. Que les Anglais et les Espagnols se so

ujours bien entendus ensemble, malgrĂ© les difficultĂ©s qu’entraĂźnait le fait de nerler la mĂȘme langue, en dit long en faveur du caractĂšre espagnol. Tous les Espagno

que nous dĂ©couvrĂźmes, connaissaient deux locutions anglaises. L’une Ă©tait : «by  », l’autre Ă©tait un mot dont les prostituĂ©es de Barcelone se servaient dans lpports avec les marins anglais, mais les typographes se refuseraient Ă  l’imprimer,ains.

Rien ne se passait, ici non plus, tout le long du front : seulement le claquemenlles perdues et, mais trĂšs rarement, le fracas d’un mortier fasciste qui nous facourir dans la tranchĂ©e la plus Ă©levĂ©e pour voir sur quelle colline les obus Ă©clataennemi Ă©tait ici un peu plus prĂšs de nous, peut-ĂȘtre Ă  deux ou trois cents mĂštres.

sition la plus proche Ă©tait exactement en face de la nĂŽtre, et les meurtriĂšres du nitrailleuse ne cessaient de nous induire Ă  gaspiller des cartouches. Les fasciste

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nnaient rarement la peine de tirer des coups de fusil, mais envoyaient avec prĂ©cs rafales de balles de mitrailleuse sur tout homme qui s’exposait. NĂ©anmoins il se pen dix jours, ou mĂȘme plus, avant que nous eussions un blessĂ©. Les troupes en facus Ă©taient des Espagnols, mais, Ă  en croire les dĂ©serteurs, il y avait parmi eux quelus-officiers allemands. Quelque temps auparavant il y avait eu lĂ  aussi des Mauruvres diables, comme ils avaient dĂ» souffrir du froid ! – car dans le no man’s landait un cadavre de Maure qui constituait l’une des curiositĂ©s de l’endroit. À un kilomdeux sur notre gauche le front prĂ©sentait une solution de continuitĂ© et il y avai

ntier de campagne, enfoncĂ© et absolument couvert, qui n’appartenait ni aux fascistnous. Mais eux et nous avions l’habitude d’y aller patrouiller en plein jour ; comm

boy-scout, c’était assez amusant, encore que je n’aie jamais vu une patrouille fasrisquer Ă  moins de plusieurs centaines de mĂštres. En rampant un bon bout de ter le ventre on pouvait faire une partie du chemin en traversant le front fascistĂȘme on pouvait voir la ferme, battant pavillon monarchiste, qui servait de quanĂ©ral aux fascistes de la rĂ©gion. Parfois nous lĂąchions sur elle une volĂ©e de coupsil, puis filions nous mettre Ă  l’abri avant que les mitrailleurs aient eu le temps de

pĂ©rer. J’espĂšre que nous avons brisĂ© quelques vitres, mais c’était Ă  plus de huit cĂštres, et avec des fusils comme les nĂŽtres on ne pouvait ĂȘtre sĂ»r de toucher Ă  stance mĂȘme une maison.

GĂ©nĂ©ralement le temps Ă©tait clair et froid ; parfois ensoleillĂ© vers midi, ujours froid. Çà et lĂ , Ă  travers la terre des pentes, des crocus sauvages et desrdaient leurs becs verts ; il Ă©tait Ă©vident que le printemps venait, mais il venait

ntement. Les nuits Ă©taient plus glaciales que jamais. Lorsque nous Ă©tions relevĂ©rde au petit jour, nous raclions, rassemblions tout ce qui restait du feu de la cuisius tenions au milieu des braises ; c’était mauvais pour les bottes, mais rudement

ur les pieds. Mais il y avait des matins oĂč voir poindre le jour parmi les cimes vesque la peine d’ĂȘtre hors de son lit Ă  des heures impies. Je hais les montagnes, m

point de vue spectaculaire. Mais parfois, lorsque sur notre arriĂšre les mmmençaient Ă  se dessiner sur le ciel blanchissant de l’aube, que les premiĂšres mieurs dorĂ©es comme des Ă©pĂ©es fendaient la nuit, puis que la clartĂ© allait croissant ets mers de nuages carminĂ©s s’étendaient au loin sur des distances inconcevables, ai, le spectacle valait la peine d’ĂȘtre contemplĂ©, mĂȘme si l’on avait Ă©tĂ© debout touit et si l’on avait les jambes, des genoux aux pieds, engourdies de froid et si l’on Ă©ta

ain de maussadement se dire qu’il n’y avait pas d’espoir de recevoir rien Ă  manger acore trois bonnes heures. J’ai vu le lever du jour durant cette campagne plus soue pendant toute ma vie passĂ©e – et que, je l’espĂšre bien, pendant tout le reste de m

venir.Nous Ă©tions Ă  court d’hommes ici, ce qui signifiait des factions plus longue

vantage de corvĂ©es. Je commençais Ă  souffrir un peu de la privation de sommeil quĂ©vitable mĂȘme dans la plus calme des guerres. IndĂ©pendamment des tours de gars patrouilles, il y avait constamment des alertes de nuit, et de toute maniĂšre il n’esssible de bien dormir dans un de ces sales trous dans la terre quand les pieds vous

al de froid ! Pendant mes trois ou quatre premiers mois sur le front, je ne pense

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oir passĂ© plus d’une douzaine de fois vingt-quatre heures sans dormir ; maivanche je n’ai certainement pas eu douze nuits de sommeil ininterrompu. Vingente heures de sommeil au total par semaine Ă©taient la quantitĂ© normale. Le rĂ©sĂ©tait pas si fĂącheux qu’on pourrait le croire : on s’alourdissait beaucoup et on core plus de mal Ă  grimper et descendre les pentes montagneuses, mais on se seen et l’on Ă©tait constamment affamĂ© – et bon Dieu, Ă  quel point ! Toute nourriture raissait bonne, mĂȘme les sempiternels haricots qu’en Espagne on finit par ne uvoir sentir ! Notre eau, le peu que nous en recevions, venait de plusieurs kilomĂšt

s de mulets ou de petits Ăąnes martyrs. Je ne sais pour quelle raison les payagonais traitent bien leurs mulets, mais abominablement leurs Ăąnes. Lorsqu’unfusait d’avancer, c’était la pratique courante de lui donner des coups de pied dansticules. On ne nous distribuait plus de bougies et les allumettes se faisaient rarespagnols nous apprirent Ă  fabriquer des lampes Ă  huile d’olive avec une boĂźte dencentrĂ© vide, un chargeur et un morceau de chiffon. Quand, par hasard, on avait unhuile d’olive, on obtenait avec tout cela, au milieu de la fumĂ©e, une flamme vacillviron quatre fois moins Ă©clairante que celle d’une bougie, tout juste assez pour

rmettre de trouver Ă  cĂŽtĂ© de vous votre fusil.Il ne semblait y avoir aucun espoir d’un combat vĂ©ritable. À notre dĂ©part du Mcero, j’avais comptĂ© mes cartouches et m’étais aperçu qu’en presque trois semain

avais tirĂ© que trois coups de feu. Tuer un homme demande, dit-on, un millier de bae compte-lĂ  j’en avais pour vingt ans Ă  tuer mon premier fasciste. Au Monte Oscur

onts Ă©taient plus rapprochĂ©s et l’on tirait plus souvent, mais j’ai tout lieu de croiren’ai jamais touchĂ© personne. En fait, sur ce front, et durant cette pĂ©riode de la guerritable arme n’était pas le fusil, mais le porte-voix. Faute de pouvoir tuer l’ennemdressait Ă  lui en criant. Cette façon de faire la guerre est si extraordinaire qu’elle m

e explication.Chaque fois que les fronts Ă©taient suffisamment rapprochĂ©s pour ĂȘtre Ă  portĂ©

ix, il y avait toujours grand Ă©change de cris de tranchĂ©e Ă  tranchĂ©e. Les nĂŽtres criaiFascistas-maricones ! » Les fascistes : « Viva España ! Viva  Franco ! », ou, quanvaient qu’il y avait en face d’eux des Anglais : « HĂ© ! les Anglais ! Retournez chez vous n’avons pas besoin d’étrangers ici ! » Du cĂŽtĂ© gouvernemental, dans les milicertis, la propagande criĂ©e pour miner le moral de l’ennemi s’était forgĂ© sa techn

ans toute position qui s’y prĂȘtait, on dĂ©signait pour cette tĂąche, parmi les mitraill

bituellement, des hommes que l’on munissait d’un porte-voix. En gĂ©nĂ©ral ils clame harangue prĂ©parĂ©e Ă  l’avance, tout animĂ©e de sentiments rĂ©volutionnaires,pliquait aux soldats fascistes qu’ils n’étaient que les mercenaires du capitalternational, qu’ils Ă©taient en train de se battre contre leur propre classe, etc., et quessait de passer de notre cĂŽtĂ©. Et tout cela Ă©tait rĂ©pĂ©tĂ© mille et mille fois, parmmes qui se relayaient ; parfois mĂȘme cette propagande se poursuivait durant preute la nuit. Il est Ă  peu prĂšs certain qu’elle Ă©tait efficace ; tout le monde s’accordair l’une des causes de l’arrivĂ©e par petits groupes de dĂ©serteurs fascistes. Et, Ă  y flĂ©chir, quand un pauvre diable de sentinelle – trĂšs probablement un socialiste oarcho-syndicaliste qu’on a enrĂŽlĂ© contre son grĂ© – grelotte Ă  son poste et qu’il en

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tentir sans trĂȘve dans l’obscuritĂ© le slogan : « Ne te bats pas contre ta propre classa peut fort bien faire impression sur lui. Cela pouvait changer pour lui les chose

ut au tout, quant au fait de savoir quelle Ă©tait la vĂ©ritable dĂ©sertion. Évidemment çon d’agir ne concorde guĂšre avec la conception anglaise de la guerre. J’avoue que jupĂ©fait et scandalisĂ© la premiĂšre fois que je la vis en Ɠuvre. En voilĂ  une idĂ©e d’ess

convertir son ennemi au lieu de lui tirer dessus ! À prĂ©sent, je pense qu’à tous povue c’était une manƓuvre lĂ©gitime. Dans l’ordinaire guerre de tranchĂ©es, lorsqu’os d’artillerie il est extrĂȘmement difficile d’infliger des pertes Ă  l’adversaire sans en

ut autant. Si l’on parvient Ă  rendre indisponibles un certain nombre d’hommeovoquant leur dĂ©sertion, c’est toujours cela de gagnĂ© ; et en fait les dĂ©serteurs sontles que les cadavres, parce qu’ils peuvent fournir des informations. Mais au dĂ©butus jeta tous dans la consternation : il nous semblait, Ă  voir cela, que les Espagnoenaient pas cette guerre, leur guerre, assez au sĂ©rieux. L’homme chargĂ© dopagande criĂ©e au poste du P.S.U.C., plus bas Ă  notre droite, Ă©tait passĂ© maĂźtre et. Parfois, au lieu de clamer des slogans rĂ©volutionnaires, il racontait tout bonnemx fascistes que nous Ă©tions bien mieux nourris qu’eux. Dans son compte rendu

tions gouvernementales il avait tendance Ă  ĂȘtre un peu imaginatif : « Des tarurrĂ©es ! » Et l’on entendait sa voix retentir en Ă©chos dans la vallĂ©e dĂ©serte : « Nnons justement de nous asseoir pour beurrer copieusement nos tartines. Ah licieuses tranches de pain beurrĂ©es ! » Je suis sĂ»r que, tout comme nous, il n’avaitde beurre depuis des semaines ou des mois, mais, dans la nuit glaciale, cette Ă©vocatartines beurrĂ©es faisait probablement venir l’eau Ă  la bouche Ă  plus d’un fasciste

e la faisait bien venir, Ă  moi qui savais qu’il mentait !Un jour, en fĂ©vrier, nous vĂźmes un avion fasciste approcher. Comme d’habitud

a une mitrailleuse à découvert, on la pointa vers le ciel et nous nous couchùmes

r le dos pour bien viser. Nos positions isolĂ©es ne valaient pas la peine mbardement et, en gĂ©nĂ©ral, les rares avions fascistes qui passaient par lĂ  faisaientour pour Ă©viter le feu des mitrailleuses. Cette fois-lĂ  l’avion vint droit au-dessuus – trop haut pour que nous songions Ă  tirer sur lui, et il en tomba non des bom

ais des choses d’un blanc Ă©clatant qui n’en finissaient pas de tournoyer dans uelques-unes vinrent avec un frĂ©missement d’ailes atterrir dans notre posiĂ©taient des exemplaires d’un journal fasciste, le Heraldo de AragĂłn, annonçant la Malaga.

Cette nuit-lĂ  il y eut une sorte d’attaque avortĂ©e des fascistes. J’allais justemeneuter, Ă  demi mort de sommeil, quand une violente rafale de balles passa au-dessus tĂȘtes et quelqu’un dans l’abri cria : « Ils attaquent ! » Je saisis mon fusil et je grimn sans glissades, Ă  mon poste qui se trouvait au sommet de la position, derriĂštrailleuse. L’obscuritĂ© Ă©tait totale et le tintamarre infernal. Cinq mitrailleuses, je pus arrosaient, et il y eut une sĂ©rie de lourdes explosions produites par des grenades fascistes lançaient sur leur propre parapet de la maniĂšre la plus stupide. Il faisaitire. En bas dans la vallĂ©e, sur notre gauche, je voyais les lueurs verdĂątres des coup

u, lĂ  oĂč un petit groupe de fascistes, probablement une patrouille, Ă©tait en ntervenir. Les balles volaient autour de nous dans les tĂ©nĂšbres, crac-zip-crac ! Quel

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us passĂšrent en sifflant, mais il n’en tomba aucun prĂšs de nous et (comme Ă  l’ordinns cette guerre) la plupart d’entre eux n’explosĂšrent pas. Tout de mĂȘme je passae moment lorsqu’une autre mitrailleuse ouvrit le feu du sommet de la colline sur n

riĂšre – en rĂ©alitĂ© c’en Ă©tait une qu’on avait montĂ©e lĂ  pour nous soutenir, mais soment nous pĂ»mes nous croire encerclĂ©s. L’instant d’aprĂšs, notre mitrailleuse s’enmme cela ne manquait jamais d’arriver avec ces mauvaises cartouches, et n’y voutte nous ne pouvions retrouver la baguette de fusil Ă©garĂ©e. Manifestement il n’y us rien d’autre Ă  faire que se croiser les bras et se laisser tirer dessus. Les mitrail

pagnols dĂ©daignĂšrent de se mettre Ă  l’abri, s’exposĂšrent mĂȘme dĂ©libĂ©rĂ©ment, et jenc en faire autant. Si peu importante qu’elle ait Ă©tĂ©, cette affaire m’a cepenaucoup appris. C’était la premiĂšre fois que je me trouvais Ă  proprement parler sou, et Ă  mon humiliation je dĂ©couvris que j’étais terriblement effrayĂ©. On Ă©prujours la mĂȘme chose, je l’ai remarquĂ©, sous un bombardement violent : ce n’estnt d’ĂȘtre touchĂ© que l’on a peur, on a peur parce qu’on ne sait pas oĂč  l’on sera toun ne cesse de se demander oĂč le projectile va au juste pincer, et cela donne au corpstier une trĂšs dĂ©sagrĂ©able sensibilitĂ©.

 Au bout d’une heure ou deux la fusillade ralentit et s’éteignit. Nous n’avion’un homme de touchĂ©. Les fascistes avaient fait avancer deux mitrailleuses dans an’s land , mais ils s’étaient tenus Ă  distance prudente et n’avaient Ă  aucun momntĂ© de prendre d’assaut notre parapet. En rĂ©alitĂ©, ce n’était pas une vĂ©ritable atta

avaient simplement voulu, en gaspillant des cartouches, faire joyeusement du ur cĂ©lĂ©brer la chute de Malaga. L’intĂ©rĂȘt principal de cette affaire, ce fuapprendre Ă  lire les nouvelles de la guerre dans les journaux d’un Ɠil plus incrĂ©dou deux jours plus tard les journaux et la radio donnĂšrent des comptes rendus d

fensive de grande envergure avec cavalerie et tanks (sur un versant Ă  pic !) qui ava

agnifiquement repoussĂ©e par les hĂ©roĂŻques Anglais !Quand les fascistes nous avaient annoncĂ© la chute de Malaga, nous n’y avions

u, mais le lendemain des bruits plus convaincants coururent et je crois que c’est uux jours plus tard que la nouvelle fut officiellement reconnue vraie. Peu Ă  peu tounteuse histoire transpira : on s’était retirĂ© de la ville sans tirer un coup de fecharnement des Italiens s’était portĂ© non sur les troupes, qui Ă©taient parties, maimalheureuse population civile, et certains de ses habitants qui fuyaient avaienursuivis et mitraillĂ©s sur plus d’une centaine de kilomĂštres. Ces nouvelles firent pa

froid sur tout le front car, quelle qu’ait Ă©tĂ© la vĂ©ritĂ©, tous dans les milices pensĂše la perte de Malaga Ă©tait due Ă  la trahison. C’était la premiĂšre fois que j’entenrler de trahison ou de dĂ©saccord quant aux buts poursuivis. Cela suscita dans prit le premier doute, vague encore, au sujet de cette guerre dans laquelle, jusqu’aloavait semblĂ© qu’il Ă©tait si magnifiquement simple de voir qui Ă©tait dans son droitns son tort.

 Vers la mi-fĂ©vrier nous quittĂąmes le Monte Oscuro pour aller, avec touteoupes du P.O.U.M. de ce secteur, renforcer l’armĂ©e qui assiĂ©geait Huesca. Ce fuyage d’une cinquantaine de kilomĂštres, en camions, Ă  travers la plaine hivernale o

gnes taillĂ©es ne bourgeonnaient pas encore et oĂč les pampres de l’orge d’h

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mmençaient tout juste Ă  surgir entre les mottes de terre. À quatre kilomĂštres deuvelles tranchĂ©es brillait Huesca, minuscule et claire comme une citĂ© de maisonupĂ©es. Quelques mois auparavant, aprĂšs la prise de Sietamo, le gĂ©nĂ©ral comman troupes gouvernementales avait dit gaiement : « Demain, nous prendrons le c

uesca. » Il apparut qu’il s’était trompĂ©. Il y avait eu des attaques sanglantes, mais latomba pas, et « Demain, nous prendrons le cafĂ© Ă  Huesca » Ă©tait devenue

aisanterie courante dans toute l’armĂ©e. Si jamais je retourne en Espagne, je me fervoir d’aller prendre une tasse de cafĂ© Ă  Huesca.

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 V 

Dans le secteur Ă  l’est de Huesca, jusque fort avant en mars il ne se passa rienu prĂšs littĂ©ralement rien. Nous Ă©tions Ă  douze cents mĂštres de l’ennemi. Lorsqait refoulĂ© les fascistes dans Huesca, les troupes de l’armĂ©e rĂ©publicaine qui tentte partie du front avaient avancĂ© sans excĂšs de zĂšle, aussi notre premiĂšre

ssinait-elle une sorte de poche. Par la suite il faudrait bien se porter en avant endroit – ce ne serait pas un boulot facile sous le feu de l’ennemi –, mais pour l’inus faisions comme si l’ennemi n’existait pas ; notre unique prĂ©occupation Ă©tait d’aaud et suffisamment Ă  manger.

Pendant ce temps, c’était la routine de tous les jours – de toutes les nuits surto tĂąches ordinaires. Être en faction, aller en patrouille, creuser ; la boue, la pluie

ameurs aiguĂ«s du vent, parfois la neige. Ce n’est que dans le courant d’avril que les nvinrent sensiblement moins froides. Ici en haut, sur ce plateau, les journĂ©es de mssemblaient beaucoup Ă  celles d’un mois de mars d’Angleterre : un ciel bleu lumi

des vents hargneux. L’orge d’hiver avait un pied de haut, des boutons pourprermaient sur les cerisiers (le front, ici, traversait des vergers abandonnĂ©s et des jartagers), et en cherchant dans les fossĂ©s, on trouvait des violettes et une espĂšc

cinthe sauvage, parente pauvre de la jacinthe des prĂ©s. ImmĂ©diatement Ă  l’arriĂšront, coulait un merveilleux cours d’eau, vert, bouillonnant ; c’était la premiĂšrempide que je voyais depuis mon arrivĂ©e au front. Un jour, je m’armai de rĂ©solutioe glissai dans la riviĂšre : mon premier bain depuis six semaines. Ce fut ce qu’on peler un bain-Ă©clair car cette eau provenait en majeure partie de la fonte des neig

tempĂ©rature n’était guĂšre au-dessus de celle du point de congĂ©lation.Et il ne se passait rien, jamais rien. Les Anglais avaient pris l’habitude de dire quĂ©tait pas une guerre, mais une pantomime avec effusion de sang. Nous n’étions ine sous le feu direct des fascistes. Le seul danger, c’étaient les balles perdues qut que le front s’inflĂ©chissait en avant de chaque cĂŽtĂ©, venaient de plusieurs directus ceux qui furent blessĂ©s Ă  cette Ă©poque, le furent par des balles perdues. Arinton reçut une mystĂ©rieuse balle qui lui fracassa l’épaule gauche et lui estropia le bfinitivement, je le crains. Il y avait un peu de tir Ă  obus, mais il Ă©tait extraordinairemefficace. Au vrai, nous considĂ©rions le sifflement aigu et le fracas d’explosion des

mme une distraction innocente. Les fascistes n’envoyaient jamais leurs obus sur nrapet. À quelques centaines de mĂštres en arriĂšre de nous il y avait une maisompagne, appelĂ©e La Granja et comprenant de vastes dĂ©pendances de ferme,rvaient de magasin, de quartier-gĂ©nĂ©ral et de cuisine pour tout le secteur. C’était aison que les artilleurs fascistes tĂąchaient d’atteindre, mais ils en Ă©taient distantnq ou six kilomĂštres et jamais ils ne pointaient assez juste pour faire plus que briseres et Ă©corcher les murs. Vous n’étiez en danger que si le dĂ©but du tir vous surprprochant de la route ; alors les obus tombaient tout autour de vous dans les cha

n acquérait presque instantanément une curieuse aptitude à reconnaßtre au son à qstance de soi un obus allait éclater. Les obus que les fascistes tiraient à cette ép

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aient vraiment bien mauvais. Ils Ă©taient de cent cinquante millimĂštres et poueusaient des cratĂšres de seulement six pieds de large sur quatre de profondeur ; eoins un obus sur quatre n’explosait pas. D’oĂč, naturellement, des contes romanes

sabotage dans les usines fascistes et d’obus non Ă©clatĂ©s dans lesquels, au lieu darge, on aurait trouvĂ© un chiffon de papier portant : « Front rouge » ; mais je n’mais vu un seul. La vĂ©ritĂ©, c’est que ces obus Ă©taient de bien trop vieilles munitions

mes camarades ramassa un coiffage de fusĂ©e en cuivre qui portait une date, et c17 ! Les canons fascistes Ă©taient de la mĂȘme fabrication et du mĂȘme calibre qu

tres, et souvent l’on remettait en Ă©tat les obus non Ă©clatĂ©s et on en faisait renvoi pax fascistes. Il y avait, racontait-on, un vieil obus, gratifiĂ© d’un surnom,otidiennement faisait ainsi l’aller-retour sans jamais Ă©clater.

La nuit, on envoyait gĂ©nĂ©ralement dans le no man’s land   de petites patrouillucher dans les fossĂ©s prĂšs des premiĂšres lignes fascistes pour Ă©couter les bruits (apclairon, coups de klaxon d’auto, etc.) susceptibles de nous renseigner sur l’activitĂ©

uesca. Il y avait de constantes allĂ©es et venues de troupes fascistes et, jusqu’à un ceint, on pouvait se faire une idĂ©e de leur importance d’aprĂšs les comptes rendus d

trouilles. En particulier, on nous recommandait toujours, si nous entendionoches de l’église sonner, de le signaler. Les fascistes, Ă  ce qu’on disait, entendujours la messe avant d’aller au feu. Au milieu des champs et des vergers il y avaittes aux murs de boue abandonnĂ©es qu’on pouvait explorer sans danger Ă  la l

une allumette, une fois qu’on avait bouchĂ© les fenĂȘtres. Parfois on tombait sur un bĂ©cieux, une hache par exemple, ou un bidon fasciste (qui, Ă©tant meilleur que les nĂŽait trĂšs recherchĂ©). On pouvait tout aussi bien explorer en plein jour, mais alors preut le temps Ă  quatre pattes. Cela faisait une impression bizarre de ramper ainsi ps champs fertiles et dĂ©serts oĂč tout travail s’était arrĂȘtĂ© juste Ă  l’époque des rĂ©coltes

avait pas fait la moisson. Les vignes non taillĂ©es serpentaient sur le sol ; les Ă©piaĂŻs encore sur pied Ă©taient devenus durs comme pierre, les betteraves fourragĂšres etteraves Ă  sucre s’étaient transformĂ©es, par hypertrophie, en d’énormes maneuses. Comme les paysans durent maudire l’une et l’autre armĂ©e ! Parfois on envos dĂ©tachements ramasser des pommes de terre dans le no man’s land . À un kilomdemi environ sur notre droite, lĂ  oĂč les fronts Ă©taient le plus rapprochĂ©s, il y avarrĂ© de pommes de terre qui Ă©tait frĂ©quentĂ© Ă  la fois par les fascistes et par nous. Noions de jour, eux de nuit seulement, car le carrĂ© se trouvait sous le feu de

trailleuses. Une nuit, Ă  notre grande contrariĂ©tĂ©, ils y vinrent en nombre et nettoyĂšcarrĂ© de toutes ses pommes de terre. Nous dĂ©couvrĂźmes un autre carrĂ© un peu n, mais en un endroit qui n’offrait aucun couvert, aussi Ă©tait-ce couchĂ©s Ă  plat ve’il fallait arracher les pommes de terre – une corvĂ©e Ă©puisante ! Si l’on Ă©tait repĂ©rĂ© mitrailleurs fascistes, il fallait s’aplatir comme un rat qui se tortille pour passer e porte, tandis qu’à peu de mĂštres derriĂšre soi les mottes de terre Ă©taient hachĂ©es balles. Mais en ce temps-lĂ  on trouvait que ça en valait la peine : les pommes de tfaisaient trĂšs rares. Si l’on parvenait Ă  en avoir un plein sac, il Ă©tait possible, ertant Ă  la cuisine, de le troquer contre un plein bidon de cafĂ©.

Et il ne se passait toujours rien, il ne semblait pas devoir jamais rien se pa

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Quand donc attaquerons-nous ? Pourquoi n’attaquons-nous pas ? », telles Ă©taienestions qu’on entendait jour et nuit poser et par les Anglais et par les Espagnols. QrĂ©flĂ©chit Ă  ce que se battre signifie, cela paraĂźt singulier que des soldats souhaite

ttre, et pourtant il est indubitable qu’ils le souhaitent. Dans la guerre de tranchĂ©es ois choses dont tous les soldats ont grande envie : un combat, davantage de cigarette permission hebdomadaire. Nous Ă©tions alors un peu mieux armĂ©s qu’auparaaque homme avait cent cinquante cartouches au lieu de cinquante, et peu Ă  peus distribuait des baĂŻonnettes, des casques d’acier et quelques bombes. Constamm

bruit courait qu’on se battrait prochainement, et j’ai depuis pensĂ© qu’on dtentionnellement le faire courir, pour maintenir le moral des troupes. Point nsoin d’ĂȘtre versĂ© dans l’art militaire pour comprendre que l’engagement principurrait avoir lieu de ce cĂŽtĂ© de Huesca, tout au moins Ă  l’heure actuelle. Le patĂ©gique, c’était la route menant Ă  Jaca, du cĂŽtĂ© tout Ă  fait opposĂ©. Un peu plus

rsque les anarchistes dĂ©clenchĂšrent leur offensive sur la route de Jaca, notre tĂącus fut de livrer des attaques de diversion, afin d’obliger les fascistes Ă  retirer

oupes de l’autre cĂŽtĂ©.

Pendant tout ce temps, six semaines environ, il n’y eut qu’un seul combat tre secteur : l’attaque, par la cavalerie de choc, du manicomio, asile d’aliĂ©nĂ©s dĂ©saftransformĂ© par les fascistes en forteresse. Il y avait plusieurs centaines de rĂ©fuemands qui faisaient la guerre avec le P.O.U.M. Ils Ă©taient organisĂ©s en un bataĂ©cial, qu’on appelait le batallĂłn de choque  ; du point de vue militaire, ils Ă©taient ut autre niveau que le reste des milices ; je dirais qu’ils Ă©taient plus vĂ©ritablemldats que tous ceux que j’ai vus en Espagne, si l’on fait exception des gardes d’assa

certaines troupes des Brigades internationales. L’attaque fut bousillĂ©e, cohabitude ! Combien, dans cette guerre, y eut-il d’opĂ©rations du cĂŽtĂ© gouvernementa

le furent pas, je me le demande ! Le bataillon de choc prit d’assaut le manicomio, troupes de je ne sais plus quelle milice, qui avaient reçu mission de le soutenmparant d’une hauteur voisine qui commandait le manicomio, eurent un g

Ă©compte. Le capitaine qui Ă©tait Ă  leur tĂȘte Ă©tait un de ces officiers de l’armĂ©e rĂ©gulun loyalisme douteux, que le gouvernement s’obstinait Ă  employer. Soit paouvement de peur, soit par trahison, il alerta les fascistes en lançant une bombe ’ils Ă©taient Ă  deux cents mĂštres. Je suis bien aise de pouvoir dire que ses hommĂ©diatement le tuĂšrent net. Mais l’attaque-surprise ne fut pas une surprise, e

liciens furent fauchĂ©s par un feu nourri et chassĂ©s de la hauteur, et Ă  la tombĂ©e it le bataillon de choc dut abandonner le manicomio. Toute la nuit les ambulancivirent Ă  la file sur l’abominable route qui descend vers Sietamo, achevant les gressĂ©s Ă  force de les cahoter.

Nous Ă©tions tous, Ă  prĂ©sent, pleins de poux ; bien qu’il fĂźt encore froid, il fapendant assez chaud pour cela. J’ai acquis une large expĂ©rience personnelle de to sortes de parasites du corps et, comme pure saloperie, je n’ai pas rencontrĂ© mieuxpou. D’autres insectes, les moustiques par exemple, vous font bien plus mal, maioins ne sont pas une vermine Ă  demeure sur vous. Le pou de l’homme ressemble aun minuscule homard, et c’est surtout dans votre pantalon qu’il Ă©lit domicile. À m

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brĂ»ler tous vos vĂȘtements, il n’existe pas de moyen connu de s’en dĂ©barrasser Danutures de votre pantalon il dĂ©pose ses Ɠufs d’un blanc brillant, semblables nuscules grains de riz, qui Ă©closent et fondent leurs propres familles avec une cĂ©lrrifiante. Je crois que les pacifistes gagneraient Ă  illustrer leurs brochureotographies agrandies de poux. Ma foi, la voilĂ  bien la guerre dans toute sa splendla guerre tous  les soldats sont pleins de poux, du moins dĂšs qu’il fait suffisammaud. Les hommes qui ont combattu Ă  Verdun, Ă  Waterloo, Ă  Flodden, Ă  Senlac,ermopyles, tous sans exception avaient des poux grouillant sur leurs testicules. N

mpĂȘchions, jusqu’à un certain point, les bestioles d’augmenter en nombre en griurs lentes et en nous baignant aussi souvent que nous pouvions l’endurer. Les puls ont pu m’amener Ă  entrer dans l’eau glaciale de cette riviĂšre.

On commençait Ă  manquer de tout – de bottes, de vĂȘtements, de tabac, de savonugies, d’allumettes, d’huile d’olive. Nos uniformes s’en allaient en lambeauaucoup d’hommes n’avaient pas de bottes, rien que des espadrilles Ă  semelles de c

ans tous les coins on tombait sur des amas de bottes hors d’usage. Une fois nous aalimenter le feu d’un abri pendant deux jours presque exclusivement avec des bo

n’est pas mauvais comme combustible. Dans l’intervalle ma femme Ă©tait arrivrcelone et m’envoyait rĂ©guliĂšrement du thĂ©, du chocolat, et mĂȘme des cigares lorsavait moyen de s’en procurer ; mais mĂȘme Ă  Barcelone on commençait Ă  manqueut, et particuliĂšrement de tabac. Le thĂ© Ă©tait une aubaine, mais nous n’avions pas dpresque pas de sucre. D’Angleterre on ne cessait d’envoyer des colis aux hommentingent, mais ces colis ne nous parvenaient jamais ; vivres, vĂȘtements, cigarettut Ă©tait ou bien refusĂ© Ă  la poste, ou bien confisquĂ© en France. Chose assez curieusule firme qui rĂ©ussit Ă  faire parvenir Ă  ma femme des paquets de thĂ© – et mĂȘme,s, exception mĂ©morable, une boĂźte de biscuits – fut The Army and Navy Stores. Pa

eille Army and Navy ! Elle s’acquitta noblement de son devoir, mais peut-ĂȘtre eĂ»trouvĂ© plus de satisfaction Ă  voir ses marchandises prendre le chemin du camanco. Le pire, c’était le manque de tabac. Dans les premiers temps on nous stribuĂ© un paquet de cigarettes par jour, ensuite ce ne fut plus que huit cigarettesur, puis cinq. Finalement il y eut dix mortels jours pendant lesquels on ne stribua pas de tabac du tout. Pour la premiĂšre fois, en Espagne, je vis ce que l’onaque jour Ă  Londres : des gens ramassant des mĂ©gots.

 Vers la fin de mars je me fis Ă  la main une plaie qui s’envenima ; il dev

cessaire d’y donner un coup de bistouri et de porter le bras en Ă©charpe. Il me fer dans un hĂŽpital, mais ça ne valait pas la peine de m’envoyer Ă  Sietamo pouressure si insignifiante ; je restai donc dans un prĂ©tendu hĂŽpital, Ă  Monflorite, qui mplement un centre d’évacuation des blessĂ©s. Je sĂ©journai lĂ  dix jours, une partimps au lit. Les practicantes  (les infirmiers) me volĂšrent autant dire tous les objeleur que je possĂ©dais, y compris mon appareil photographique et toutes mes photo

ont tout le monde volait, c’était la consĂ©quence inĂ©vitable de la pĂ©nurie ; marsonnel des hĂŽpitaux damait le pion Ă  tous. Plus tard, lorsque je fus hospitalrcelone, un AmĂ©ricain, volontaire des Brigades internationales, venu sur un bateau

t torpillĂ© par un sous-marin italien, me raconta qu’il avait Ă©tĂ© transportĂ© Ă  terre b

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qu’en le hissant dans la voiture d’ambulance les brancardiers lui avaient fauchontre-bracelet.

Tandis que je portais le bras en Ă©charpe, je passai plusieurs jours sereins Ă lader dans la rĂ©gion. Monflorite Ă©tait, comme les autres bourgades, un fouilliaisons de pierre et de torchis, avec d’étroites ruelles tortueuses qui, Ă  force d’avoirattĂ©es par les camions, finissaient par offrir l’aspect des cratĂšres de la lune. L’éait Ă©tĂ© sĂ©rieusement maltraitĂ©e et servait de magasin militaire. Dans tout le voisinay avait que deux fermes tant soit peu grandes, la Torre Lorenzo et la Torre FabiĂĄ

ulement deux maisons d’habitation rĂ©ellement vastes, demeures, certainementopriĂ©taires fonciers qui rĂ©gentaient autrefois la contrĂ©e et dont les huttes misĂ©ras paysans reflĂ©taient la richesse. ImmĂ©diatement aprĂšs avoir franchi la riviĂšre, Ăšs du front, il y avait une grande minoterie avec, y attenant, une maison de campala paraissait scandaleux de voir se rouiller, inutilisĂ©es, les Ă©normes machines coĂ»tearracher, pour servir de bois Ă  brĂ»ler, les trĂ©mies. À quelque temps de lĂ , pour fou

bois Ă  brĂ»ler des troupes plus en arriĂšre du front, on envoya en camionstachements piller mĂ©thodiquement l’endroit. Ils dĂ©molissaient le plancher d’une p

y faisant Ă©clater une grenade Ă  main. Il est fort possible que La Granja, dont ions fait notre magasin et notre cuisine, ait Ă©tĂ© autrefois un couvent. Elle compremmenses cours et communs couvrant un demi-hectare ou davantage, avec des Ă©cuur trente ou quarante chevaux. Les maisons de campagne, dans cette partispagne, n’offrent pas d’intĂ©rĂȘt architectural, mais les fermes qui en dĂ©penden

erres blanchies Ă  la chaux, avec des arcs plein cintre et de splendides poutres dent des bĂątiments empreints de grandeur, construits d’aprĂšs un plan qui n’a parier depuis des siĂšcles. Parfois il vous venait un sentiment de sympathie inavouĂ© ex-propriĂ©taires fascistes, Ă  voir de quelle maniĂšre les miliciens traitaien

meures dont ils s’étaient emparĂ©s. Dans La Granja, toute piĂšce dont on ne se ses avait Ă©tĂ© transformĂ©e en latrines – en une sorte d’effroyable lieu de carnage oĂč l’oyait plus que meubles brisĂ©s et dĂ©jections. Le plancher de la petite chapelle aux mrcĂ©s de trous d’obus disparaissait sous une couche d’excrĂ©ments Ă©paisse de plusuces. Dans la grande cour, oĂč les cuisiniers distribuaient Ă  la louche les rationsait de quoi ĂȘtre Ă©cƓurĂ© en voyant toutes les immondices, boĂźtes de fer rouillĂ©, bottin de mulets, aliments avariĂ©s, qui jonchaient le sol. C’était le cas ou jamaianter le vieux refrain militaire :

  Il y a des rats, des rats, Des rats aussi gros que des chats, Dans le magasin de l’officier de dĂ©tail ! Ceux de La Granja Ă©taient rĂ©ellement aussi gros, ou il s’en fallait de peu, que

ats ; grosses bĂȘtes bouffies qui se dandinaient sur des lits de fumier, si impude’elles ne s’enfuyaient mĂȘme pas Ă  votre approche, Ă  moins que vous ne leur tssus.

C’était bien le printemps, enfin ! Le ciel Ă©tait d’un bleu plus tendre ; l’air

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udain d’une douceur dĂ©licieuse. Les grenouilles s’appariaient bruyamment danssĂ©s. Autour de l’abreuvoir pour les mulets du village, je dĂ©couvris d’exquises peenouilles, de la dimension d’un penny et d’un vert si brillant que l’herbe nouvprĂšs, paraissait terne. Les petits campagnards s’en allaient, munis de seaux, Ă  la chx escargots qu’ils faisaient griller vifs sur des plaques de fer. AussitĂŽt qu’il mmencĂ© Ă  faire meilleur, les paysans Ă©taient sortis pour les labours de printemps

gne typique de l’extrĂȘme imprĂ©cision que revĂȘt la rĂ©volution agraire espagnole, c’esne pus jamais me rendre compte de façon certaine si la terre, dans cette rĂ©gion,

Ă© collectivisĂ©e ou si, simplement, les paysans se l’étaient partagĂ©e entre eux. J’ai ’en principe elle Ă©tait collectivisĂ©e, puisqu’on Ă©tait en territoire du P.O.U.M. etarchistes. En tout cas, les propriĂ©taires Ă©taient partis, on Ă©tait en train de cultiveamps, et les gens paraissaient satisfaits. De la bienveillance que nous tĂ©moignaienysans, je m’étonne encore. À certains des plus vieux d’entre eux la guerre draĂźtre dĂ©nuĂ©e de sens ; ce qu’il y avait d’évident, c’était qu’elle Ă©tait cause de privattoutes sortes et de la vie triste et morne que tout le monde menait. Du reste, mĂȘm

s temps meilleurs, les paysans détestent avoir des troupes cantonnées chez eu

anmoins ils se montraient invariablement amicaux – rĂ©flĂ©chissant, je suppose, ur insupportables que nous fussions Ă  d’autres Ă©gards, nous ne nous en dressionsoins comme un rempart entre eux et leurs ex-maĂźtres. La guerre civile crĂ©e d’étrauations. Huesca se trouvait Ă  moins de cinq milles de lĂ  ; c’était la ville de marchs gens ; tous y avaient des parents ; durant toute leur vie, chaque semaine, ils Ă©taĂ©s y vendre leurs volailles et leurs lĂ©gumes. Et voici que depuis huit mois ils en Ă©tparĂ©s par une infranchissable barriĂšre de fils de fer barbelĂ©s et de mitrailleuses. Paa leur sortait de la mĂ©moire. Je parlais un jour Ă  une vieille femme qui transportaices petites lampes en fer dans lesquelles les Espagnols brĂ»lent de l’huile d’olive.

is-je en acheter une semblable ? demandai-je. — À Huesca », me rĂ©pondit-elle flĂ©chir, puis nous nous mĂźmes tous deux Ă  rire. Les jeunes filles du village Ă©taienlendides crĂ©atures, Ă©clatantes de vie, aux cheveux d’un noir de jais, Ă  la dĂ©malancĂ©e ; avec cela une façon de se comporter loyale, comme d’homme Ă  homme, direct de la rĂ©volution probablement.

Des hommes, vĂȘtus de chemises bleues en loques et de pantalons de velours ntes, coiffĂ©s de chapeaux de paille Ă  larges bords, en train de labourer les chaarchaient derriĂšre des attelages de mulets dont les oreilles battaient au rythme des

avaient de bien mauvaises charrues qui ne faisaient qu’ameublir superficiellemel, sans pouvoir y creuser quelque chose qui mĂ©ritĂąt le nom de sillon. Tous lstruments d’agriculture Ă©taient dĂ©plorablement archaĂŻques, car tout Ă©tait commr le prix Ă©levĂ© du mĂ©tal. On raccommodait un soc brisĂ©, par exemple, et occommodait Ă  nouveau, et tant de fois qu’il finissait par n’ĂȘtre plus qu’un assemb

morceaux. Les rĂąteaux et les fourches Ă©taient en bois. Les bĂȘches, chez ces gensssĂ©daient rarement des souliers, Ă©taient chose inconnue ; pour creuser, ils avaientue grossiĂšre comme celles dont on se sert en Inde. Il y avait aussi une sorte de hi vous ramenait tout droit Ă  la fin de l’ñge de pierre. De la dimension environ d

ble de cuisine, elle était faite de planches jointes les unes aux autres et mortaisée

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ntaines de trous ; et dans chacun de ces trous Ă©tait coincĂ© un Ă©clat de silex qu’on tenu de la forme souhaitĂ©e en s’y prenant exactement comme les hommeenaient il y a dix mille ans. Je me souviens du sentiment presque d’horreur qui s’

mparĂ© de moi lorsque j’étais pour la premiĂšre fois tombĂ© sur un de ces instrumenntĂ©rieur d’une hutte abandonnĂ©e, dans le no man’s land.  Cela me rendit maladee de penser Ă  la somme de travail qu’avait dĂ» exiger la fabrication d’une telle chosemisĂšre Ă  ce point profonde qui faisait employer le silex au lieu de l’acier. J’ai de

rs ressenti plus de sympathie Ă  l’égard de l’industrialisme. Cependant il y avait da

lage deux tracteurs agricoles modernes, saisis sans doute sur le domaine de queand propriétaire foncier.

Une ou deux fois j’allai en me promenant jusqu’au petit cimetiĂšre entourĂ© de mi se trouvait Ă  environ un mille du village. Les morts du front Ă©taient en gĂ©n

ansportĂ©s Ă  Sietamo ; il n’y avait lĂ  que les morts du village. Il diffĂ©rait singuliĂšremun cimetiĂšre anglais. Ici, aucune piĂ©tĂ© envers les morts ! Des buissons et une hmmune avaient tout envahi et des ossements humains Ă©taient Ă©parpillĂ©s partout. qui Ă©tait vĂ©ritablement surprenant, c’était l’absence Ă  peu prĂšs absolue d’inscript

igieuses sur les pierres tombales, bien que celles-ci datassent toutes d’avanvolution. Une seule fois, je crois, je vis le « Priez pour l’ñme d’untel » qui est cour les tombes catholiques. La plupart des inscriptions Ă©taient tout simplement profĂ©brant en de risibles poĂšmes les vertus des dĂ©funts. Une tombe peut-ĂȘtre sur quat

nq portait une petite croix ou une allusion de pure forme au ciel, et en gĂ©nĂ©ral elle Ă© plus ou moins grattĂ©e par le ciseau d’un athĂ©e zĂ©lĂ©.

Il me parut que les gens, dans cette partie de l’Espagne, sont authentiquemnuĂ©s de sentiment religieux – j’entends de sentiment religieux au sens classique. Crieuse, pas une seule fois au cours de mon sĂ©jour en Espagne je n’ai vu quelqu’u

gner ; il eĂ»t Ă©tĂ© pourtant plausible qu’un tel geste fĂ»t devenu machinal, rĂ©volution.

Évidemment l’Église espagnole sera un jour restaurĂ©e (comme dit le proverbeit et les JĂ©suites reviennent toujours), mais il n’est pas douteux qu’elle s’effo

rsque la rĂ©volution Ă©clata, et sa faillite fut telle qu’il serait inconcevable que mĂȘmoribonde Église d’Angleterre en connĂ»t une semblable dans des circonstaalogues.

 Aux yeux du peuple espagnol, tout au moins en Catalogne et en Aragon, l’Église

rement et simplement une entreprise d’escroquerie. Il est possible que larĂ©tienne ait Ă©tĂ© remplacĂ©e dans une certaine mesure par l’anarchisme dont l’influt largement rĂ©pandue et qui a incontestablement quelque chose de religieux.

Le jour mĂȘme oĂč je revins de l’hĂŽpital, on nous fit avancer afin d’établir la premne lĂ  oĂč il Ă©tait logique qu’elle fĂ»t, Ă  un kilomĂštre environ plus en avant, le long tit cours d’eau qui coulait parallĂšlement au front fasciste dont il Ă©tait distant de nts mĂštres. Ce mouvement eĂ»t dĂ» ĂȘtre mis Ă  exĂ©cution des mois auparavant. S’il usquement lieu Ă  prĂ©sent, c’est que les anarchistes attaquaient du cĂŽtĂ© de la rouca et qu’en avançant de notre cĂŽtĂ© nous obligions les fascistes Ă  diviser leurs troupe

Nous passĂąmes de soixante Ă  soixante-dix heures sans dormir, aussi mes souve

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mbrent-ils dans une sorte de brouillard, ou plutĂŽt ils se prĂ©sentent discontinus, coe suite d’images : la corvĂ©e d’écoute dans le no man’s land , Ă  une centaine de mĂštrCasa Francesa, ferme fortifiĂ©e qui faisait partie de la premiĂšre ligne fasciste. ures Ă  rester dans un affreux marĂ©cage, dans une eau sentant le roseau oĂč nos cfonçaient de plus en plus profond : l’odeur des roseaux, le froid qui engourdit

oiles fixes dans le ciel noir, les rauques coassements des grenouilles. On Ă©tait en avpendant je me souviens de cette nuit comme de la plus froide que j’aie connupagne. À cent mĂštres seulement en arriĂšre de nous les Ă©quipes de terrassiers Ă©taien

ein travail, mais, à part le chƓur des grenouilles, rien ne trouait le silence. Une ss, au cours de la nuit, j’entendis un bruit – celui bien connu que fait un sac de t

rsqu’on l’aplatit Ă  la pelle. C’est curieux comme, une fois de temps Ă  autrepagnols peuvent rĂ©aliser des prouesses en matiĂšre d’organisation ! L’opĂ©ration tiĂšre avait Ă©tĂ© magnifiquement concertĂ©e. En sept heures, Ă  une distance de la premne fasciste variant entre cent cinquante et trois cents mĂštres, six cents homeusĂšrent une tranchĂ©e et construisirent un parapet sur douze cents mĂštres, et toutencieusement, au point que les fascistes n’entendirent rien et qu’il n’y eut, au cou

nuit, qu’un homme de touchĂ©. Il y en eut davantage le lendemain, naturellementait assignĂ© Ă  chaque homme sa tĂąche, mĂȘme aux plantons de la cuisine qu’on erprise, une fois le travail achevĂ©, de voir soudain arriver avec des seaux deditionnĂ© d’eau-de-vie.

Et puis le lever du jour et les fascistes découvrant brusquement que nous étionnous semblait que la masse carrée et blanche de la Casa Francesa, bien que distanux cents mÚtres, nous dominait de tout prÚs et que les mitrailleuses des fenrnies de sacs de sable du dernier étage étaient braquées sur notre tranchée. Nstions tous à la regarder, nous demandant comment il se faisait que les fasciste

us avaient pas vus. Et soudain un dĂ©ferlement rageur de balles, et tout le monde der Ă  genoux et de se mettre frĂ©nĂ©tiquement Ă  creuser, afin de rendre la tranchĂ©e ofonde et d’y amĂ©nager par excavation de petits abris latĂ©raux. Portant encore le brharpe, il ne m’était pas possible de creuser et je passai la plus grande partie de urnĂ©e Ă  lire un roman policier : La Disparition de l’Usurier, tel Ă©tait le titre. Je nuviens pas de l’intrigue, mais je retrouve avec une parfaite nettetĂ© les sensationsprouvai Ă  ĂȘtre assis lĂ  en train de le lire : sous moi la glaise un peu humide du fontranchĂ©e, le dĂ©placement continuel de mes jambes pour laisser passer des homme

hĂątaient, courbĂ©s, le crac-crac-crac des balles Ă  un ou deux pieds au-dessus de ma omas Parker reçut une balle qui lui traversa le haut de la cuisse, manquant de bienlui dĂ©cerner, disait-il, un « D.S.O. »{2 } auquel il ne tenait guĂšre. Il y eut, sur tou

ngueur du front, des morts et des blessĂ©s, mais ce ne fut rien en comparaison de ceĂ»t Ă©tĂ© si les fascistes nous avaient surpris la nuit pendant que nous nous portionant. MĂȘme encore Ă  ce moment ils eussent pu nous massacrer s’ils avaient nitiative de faire amener quelques mortiers. Ce fut une tĂąche malaisĂ©e de ramenerrriĂšre les blessĂ©s par l’étroite tranchĂ©e bondĂ©e d’hommes. Je vis rĂąler un pauvre diculotte noire de sang, renversĂ© Ă  bas de sa civiĂšre, agonisant. Il fallait porter les bler un long parcours, un kilomĂštre ou plus, car, mĂȘme lorsqu’il existait une route

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itures d’ambulance ne venaient jamais trĂšs prĂšs des premiĂšres lignes. Quand elleprochaient trop, les fascistes avaient la manie de les canonner – ce qui Ă©tait du stifiable, car personne dans la guerre moderne ne se fait scrupule d’employer

mbulance pour transporter des munitions.Et puis, la nuit suivante, l’attente, dans la Torre Fabián, de l’attaque don

ntrordre fut donnĂ© au dernier moment par sans-fil. Dans la grange oĂč nous attendy avait, par terre, sous une mince couche de menue paille, une Ă©paisse li

ossements – ossements humains et ossements de vaches mĂȘlĂ©s – et l’endroit

festĂ© de rats. Ces immondes bĂȘtes sortaient du sol en foule, il en grouillait partout. une chose entre toutes dont j’ai horreur, c’est bien qu’un rat me trotte dessus bscuritĂ©. J’eus en tout cas la satisfaction d’en atteindre un d’un bon coup de poingnvoya en l’air.

Et puis l’attente, Ă  cinquante ou soixante mĂštres du parapet fasciste, du signssaut. Une longue ligne d’hommes tapis dans un fossĂ© d’irrigation, avec les baĂŻonni Ă©mergent et le blanc des yeux qui luit dans le noir. Kopp et Benjamin accroupetorriĂšre nous, Ă  cĂŽtĂ© d’un homme portant, attachĂ© aux Ă©paules par une courroie, un p

cepteur de T.S.F. À l’horizon, du cĂŽtĂ© de l’ouest, les Ă©clairs roses des coups de civis Ă  intervalles de quelques secondes d’énormes explosions. Et puis un pip-pip-pT.S.F. et l’ordre transmis en chuchotant de nous tirer de lĂ  pendant qu’il en Ă©tait enmps – ce que nous fĂźmes, mais pas assez promptement. Douze pauvres gosses des JUnion des Jeunesses du P.O.U.M., correspondant aux J.S.U. du P.S.U.C.), qui avĂ© postĂ©s Ă  environ quarante mĂštres seulement des fascistes, furent surpris par l’au

purent s’échapper. Tout le jour, sans autre protection que des touffes d’herberent rester lĂ , les fascistes leur tirant dessus chaque fois qu’ils bougeaient. À la tomla nuit sept d’entre eux Ă©taient morts, les cinq autres parvinrent alors Ă  s’enfui

mpant dans l’obscuritĂ©.Puis, durant des jours d’affilĂ©e, on entendit chaque matin le bruit des atta

rĂ©es par les anarchistes de l’autre cĂŽtĂ© de Huesca. Toujours le mĂȘme bruit, usquement, Ă  un moment quelconque avant le point du jour, le fracas d’ouvertuusieurs vingtaines de bombes explosant simultanĂ©ment – mĂȘme Ă  des kilomĂštrestance, un fracas infernal et qui dĂ©chirait l’air –, et ensuite le grondement continu

massif de fusils et de mitrailleuses, lourd roulement ressemblant curieusement ulement de tambours. Peu Ă  peu la fusillade gagnait de proche en proche toute

nes de retranchement qui encerclaient Huesca, et sortant en trĂ©buchant de nos us nous ruions dans la tranchĂ©e, pour nous affaler contre le parapet oĂč meurions Ă  somnoler, tandis qu’au-dessus de nos tĂȘtes tout Ă©tait balayĂ© par unsordonnĂ© et sans but.

Durant le jour les canons tonnaient par Ă -coups. La Torre FabiĂĄn, devenue nisine, fut en partie dĂ©truite par les obus. Ce qui est drĂŽle c’est que, lorsque servez Ă  distance prudente un tir d’artillerie, vous souhaitez toujours que le canoneigne le but, mĂȘme si celui-ci renferme votre dĂ©jeuner et quelques-uns de

marades. Les fascistes pointaient bien ce matin-lĂ  ; peut-ĂȘtre y avait-il Ă  l’Ɠuvretilleurs allemands. Ils encadrĂšrent parfaitement la Torre FabiĂĄn : un obus au-delĂ 

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deçà, et puis wuizz-boum ! Les chevrons du comble qui Ă©clatent et sautent en l’airaque d’uralite qui tombe en vol planĂ© comme une carte Ă  jouer qu’on a projetĂ©e diquenaude. Par l’obus suivant, le coin d’un bĂątiment fut tranchĂ© de façon aussi e s’il eĂ»t Ă©tĂ© coupĂ© au couteau par un gĂ©ant. Mais les cuisiniers n’en servirent

oins le dĂźner Ă  l’heure – exploit mĂ©morable ! Au fur et Ă  mesure que les jours passaient, les canons que nous ne pouvions

ais que nous entendions commençaient chacun à prendre pour nous une personnstincte. Il y avait les deux batteries de canons russes de 75 mm qui tiraient de tout

arriĂšre de nous, et qui, je ne sais pourquoi, Ă©voquaient dans mon esprit l’image os homme en train de frapper une balle de golf. C’étaient les premiers canons rue je voyais – ou, plutĂŽt, que j’entendais. Leur trajectoire Ă©tait basse et leur tirpide, aussi entendait-on presque simultanĂ©ment l’explosion de la gargoussflement et l’éclatement de l’obus. En arriĂšre de Monflorite il y avait deux trĂšs nons qui ne tiraient que quelques coups par jour ; leur grondement Ă©tait profonurd comme l’aboiement au loin de monstres enchaĂźnĂ©s. LĂ -haut, Ă  Mont-Ararteresse mĂ©diĂ©vale prise d’assaut l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente par les troupes gouvernemen

Ă©tait, paraĂźt-il, la premiĂšre fois dans son histoire qu’elle l’avait Ă©tĂ©) et qui gardaits accĂšs Ă  Huesca, se trouvait une piĂšce d’artillerie lourde qui devait remonter loin XIXe siĂšcle. Ses gros obus passaient si lentement en sifflant que vous Ă©tiez certaiuvoir courir Ă  cĂŽtĂ© d’eux sans vous laisser distancer. On ne peut mieux compareruit qu’avec celui que fait un homme roulant Ă  bicyclette tout en sifflant. Les mortieanchĂ©e, pour petits qu’ils fussent, Ă©taient les plus dĂ©sagrĂ©ables Ă  entendre. Leurs nt en fait des sortes de torpilles Ă  ailettes, de la forme de ces flĂ©chettes qu’on lance jeux de bistrots, et Ă  peu prĂšs de la dimension d’une bouteille d’un litre ; ils faisapartant, un fracas du diable, mĂ©tallique, comme celui de quelque monstrueuse sp

acier cendreux que l’on ferait voler en Ă©clats sur une enclume. Parfois nos avssaient tomber des torpilles aĂ©riennes dont l’épouvantable rugissement rĂ©percutĂ©cho faisait vibrer le sol mĂȘme Ă  deux kilomĂštres de distance. En Ă©clatant, les obusnons fascistes antiaĂ©riens parsemaient le ciel de taches blanches semblables aux pages d’une mauvaise aquarelle, mais je n’en ai jamais vu s’épanouir Ă  moins llier de mĂštres d’un avion. Quand un avion pique de haut pour se servir dtrailleuse, le bruit, d’en bas, ressemble Ă  un battement d’ailes.

Dans notre secteur il ne se passait pas grand-chose. À deux cents mùtres sur n

oite, lĂ  oĂč les fascistes se trouvaient sur une Ă©minence de terrain plus Ă©levĂ©e, nardeurs descendirent quelques-uns de nos camarades. À deux cents mĂštres sur nuche, au pont sur la riviĂšre, une sorte de duel se poursuivait entre les mortiers fascles hommes qui Ă©taient en train de construire une barricade en bĂ©ton en travernt. Ces satanĂ©s petits obus arrivaient en sifflant, bing-crac, bing-crac !, faisancarme doublement diabolique quand ils atterrissaient sur la route asphaltĂ©e. À Ăštres de lĂ , vous Ă©tiez en parfaite sĂ©curitĂ© et pouviez contempler Ă  votre aislonnes de terre et de fumĂ©e noire qui jaillissaient comme des arbres magiquesuvres diables autour du pont passaient une bonne partie de la journĂ©e Ă  se rĂ©funs les petits abris qu’ils avaient creusĂ©s au flanc de la tranchĂ©e. Mais il y eut moin

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rtes qu’on aurait pu s’y attendre, et la barricade continua de s’élever rĂ©guliĂšrementur de deux pieds d’épaisseur, avec des embrasures pour deux mitrailleuses et un non de campagne. Pour armer le bĂ©ton on devait se servir de vieux chĂąlits, le seul fut croire, qu’on pĂ»t trouver pour cela.

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 VI

Un aprĂšs-midi, Benjamin nous dit qu’il avait besoin de quinze volontaires. L’attla redoute fasciste, qui avait Ă©tĂ© dĂ©commandĂ©e l’autre fois, devait avoir lieu cette J’huilai mes dix cartouches mexicaines, ternis ma baĂŻonnette (car rien de tel qu

ïonnette qui brille pour vous faire repérer) et empaquetai une miche de pain,

uces de saucisse rouge et un cigare que ma femme m’avait envoyĂ© de Barcelone etgardais depuis longtemps en rĂ©serve. On nous distribua des bombes, trois Ă  chacuuvernement espagnol Ă©tait enfin parvenu Ă  en fabriquer de convenables. D’aprincipe des grenades de Mills, mais avec deux goupilles de sĂ»retĂ© au lieu d’une. Unee celles-ci Ă©taient arrachĂ©es, il s’écoulait un intervalle de sept secondes axplosion de la bombe. Leur principal inconvĂ©nient tenait Ă  ce que l’une des goupait trĂšs dure Ă  arracher, tandis que l’autre avait beaucoup de jeu : de sorte que l’on choix entre ou ne pas toucher aux goupilles avant le moment critique et risquer duvoir alors enlever la dure Ă  temps, ou retirer celle-ci Ă  l’avance et, dĂšs lors,

nstamment sur le gril avec cette bombe dans la poche qui pouvait exploser Ă  stant. Mais du moins c’était une petite bombe commode Ă  lancer.

Un peu avant minuit nous descendĂźmes tous les quinze, sous la conduitnjamin, Ă  la Torre FabiĂĄn. Depuis le dĂ©but de la soirĂ©e il pleuvait Ă  verse. Les forrigation dĂ©bordaient, et chaque fois qu’en faisant un faux pas l’on dĂ©gringolait n d’eux, on avait de l’eau jusqu’à la taille. Dans la nuit noire et sous les rafales de passĂ©s dans la cour de la ferme, indistincts, des hommes attendaient. Kopp rangua, d’abord en espagnol, puis en anglais, et nous expliqua le plan de l’attaqu

ne fasciste, en cet endroit, faisait un coude comme un L, et le parapet que nous devaquer Ă©tait situĂ© sur une Ă©lĂ©vation de terrain Ă  l’angle du L. Une trentaine d’entre nmoitiĂ© Anglais, la moitiĂ© Espagnols, devaient, sous le commandement de Jorge Rtre chef de bataillon (un bataillon, dans les milices, comptait Ă  peu prĂšs quatre cmmes), et de Benjamin, aller en rampant couper le barbelĂ© fasciste. Jorge lanceraemiĂšre bombe comme signal ; tous, alors, nous en enverrions une volĂ©e, refouler fascistes du parapet dont nous nous emparerions avant qu’ils n’aient pu se ress

multanĂ©ment, soixante-dix hommes des troupes de choc donneraient l’assaut sition fasciste voisine, qui se trouvait Ă  deux cents mĂštres Ă  droite de la premiĂš

iĂ©e Ă  elle par un boyau. Afin que nous ne risquions pas de nous tirer mutuellemssus dans l’obscuritĂ©, nous porterions des brassards blancs. Mais juste Ă  ce momenanton vint dire qu’il n’y avait pas de brassards blancs. On entendit dans le noir uneggĂ©rer sur un ton plaintif : « Ne pourrait-on s’arranger pour que ce soient les fasci en portent ? »

Il restait une ou deux heures Ă  tirer. Dans la grange situĂ©e au-dessus de l’écuulets, les obus avaient fait de tels dĂ©gĂąts qu’on n’y pouvait aller et venir sans lum

moitié du plancher ayant été arrachée par un feu plongeant, on courait le danger d

ute de vingt pieds sur les pierres d’en bas. L’un de nous trouva un pic et, s’en sermme d’un levier, dĂ©gagea du plancher une latte fendue ; en quelques minutes

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mes allumĂ© un feu et nos vĂȘtements trempĂ©s se mirent Ă  fumer. Un autre camartit de sa poche un jeu de cartes. Le bruit – un de ces mystĂ©rieux bruits tmosphĂšre de la guerre engendre fatalement – courut qu’on allait nous distribuefĂ© chaud arrosĂ© d’eau-de-vie. AussitĂŽt, tous de descendre Ă  la queue leu patiemment, l’escalier Ă  demi effondrĂ©, et de faire le tour de la cour sombrmandant çà et lĂ  oĂč il fallait aller pour trouver ce cafĂ©. HĂ©las ! on ne nous distribuacafĂ©. Au lieu de cela, on nous rassembla, nous fit mettre en file indienne, et Jor

njamin foncÚrent dans les ténÚbres avec nous tous à leur suite.

Il continuait Ă  pleuvoir et il faisait toujours trĂšs noir, mais le vent Ă©tait tombĂ©.ue sans nom. Les sentiers Ă  travers les champs de betteraves n’étaient plus quccession de mottes de terre, aussi glissantes que mĂąt de cocagne, entoummenses flaques. Bien avant d’ĂȘtre arrivĂ©s Ă  l’endroit oĂč nous devions quitter nopre parapet, nous Ă©tions tous tombĂ©s plusieurs fois et nos fusils Ă©taient tout couvboue. Au parapet une petite poignĂ©e d’hommes, notre rĂ©serve, Ă©taient en attente, e le mĂ©decin et une rangĂ©e de civiĂšres. Nous nous faufilĂąmes Ă  travers la brĂšchrapet et pataugeĂąmes dans un autre fossĂ© d’irrigation. Bruits d’éclaboussemen

rgouillis. Encore une fois dans l’eau jusqu’à la taille, et de la boue grassusĂ©abonde s’infiltrant dans les bottes. Sur l’herbe, en dehors, Jorge attendait que ssions tous passĂ©. Puis, presque pliĂ© en deux, il commença d’avancer lentemenmpant. Le parapet fasciste Ă©tait Ă  cent cinquante mĂštres environ. Notre seule chancrvenir, c’était de ne faire aucun bruit.

J’étais en tĂȘte avec Jorge et Benjamin. PliĂ©s en deux, mais la tĂȘte levĂ©e, mpions dans une obscuritĂ© presque absolue, en allant de plus en plus lentement. Nions le visage doucement battu par la pluie. Quand je regardais en arriĂšre, je disting hommes les plus proches de moi : un groupe de formes bossues, semblabl

Ă©normes champignons noirs, qui avançaient en glissant lentement. Mais chaquee je redressais la tĂȘte, Benjamin, qui Ă©tait coude Ă  coude avec moi, me murmhĂ©mentement Ă  l’oreille : « To keep ze head down ! To keep ze head down ! Â» (« GtĂȘte baissĂ©e ! Garde la tĂȘte baissĂ©e ! »). J’aurais pu lui dire qu’il n’avait pas besoin faire. Je savais par expĂ©rience que par nuit noire il n’est pas possible de voimme Ă  vingt pas. Ce qui importait bien davantage, c’était d’avancer silencieusemen

mais ils venaient à nous entendre, nous serions fichus. Il leur suffirait d’arrosenùbres devant eux avec leurs mitrailleuses et il ne nous resterait pas d’autre altern

e fuir ou nous laisser massacrer.Mais sur ce terrain dĂ©trempĂ© il Ă©tait presque impossible de se mouvoir sans bn avait beau faire, les pieds collaient Ă  la boue et Ă  chaque pas en avant que l’on fa

entendait flop-flop, flop-flop. Et pour comble de malchance le vent Ă©tait tomalgrĂ© la pluie, c’était une nuit trĂšs calme. Les sons devaient porter loin. Il y eustant terrible lorsque, ayant heurtĂ© du pied un bidon, je m’imaginai que suromĂštres Ă  la ronde tous les fascistes avaient dĂ» entendre. Mais non, pas un bruitcoup de fusil en rĂ©ponse, aucun mouvement dans les lignes fascistes. Nous avancrampant de plus en plus lentement. Je ne puis vous donner une idĂ©e de l’intensi

on dĂ©sir d’arriver. Simplement d’arriver assez prĂšs pour pouvoir lancer les bom

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ant qu’ils ne nous aient entendu approcher. En un tel moment, on n’a mĂȘme pas pulement une furieuse envie dĂ©sespĂ©rĂ©e de franchir l’intervalle de terrain. J’ai Ă©practement la mĂȘme chose en chassant Ă  l’affĂ»t un animal sauvage, le mĂȘme drturant d’ĂȘtre Ă  portĂ©e, la mĂȘme certitude comme en un rĂȘve que ce sera impossiblmme la distance s’étirait ! Je connaissais bien le terrain, il n’y avait que cent cinquĂštres Ă  franchir, mais ces cent cinquante-lĂ  nous faisaient l’effet de plus de milmper Ă  cette allure on se rend compte, comme une fourmi pourrait le fairensidĂ©rables inĂ©galitĂ©s de terrain : ici, ce magnifique carrĂ© d’herbe souple ; lĂ , ce m

urbier et ces hauts roseaux bruissants qu’il faut Ă©viter, et ce tas de pierres qui lĂšve presque tout espoir, tant il paraĂźt impossible de pouvoir le franchir sans fairuit.

Nous rampions depuis une Ă©ternitĂ©, me semblait-il, et je commençais Ă  croireus nous Ă©tions trompĂ©s de direction. Mais voici que sur le fond noir de la vinrent faiblement visibles les grĂȘles lignes parallĂšles de quelque chose de plus core. C’était le barbelĂ© extĂ©rieur. (Les fascistes en avaient Ă©tabli deux rĂ©seaux.) Jgenouilla, fouilla dans sa poche. C’était lui qui avait notre unique pince coup

ep ! Snep ! Avec prĂ©caution nous soulevĂąmes et Ă©cartĂąmes la partie pendante. NendĂźmes que les hommes en arriĂšre de nous nous eussent rejoints. Il nous sem’ils faisaient un bruit Ă©pouvantable. Nous devions ĂȘtre Ă  prĂ©sent Ă  cinquante mĂštrerapet fasciste. Nous nous remĂźmes Ă  avancer, courbĂ©s en deux. À pas de loupaissant le pied aussi doucement qu’un chat lorsqu’il s’approche d’un trou de souis un arrĂȘt pour Ă©couter, puis un autre pas. Une fois je relevai la tĂȘte ; en silnjamin m’appliqua sa paume sur la nuque et avec violence la courba vers le sovais que le barbelĂ© fasciste n’était qu’à vingt mĂštres Ă  peine du parapet. Il me paraivraisemblable que trente hommes pussent y parvenir sans qu’on les entendĂźt. Le

ul de notre respiration devait suffire Ă  nous trahir. Et pourtant, nous y parvĂźnmes. Nuvions Ă  prĂ©sent distinguer le parapet fasciste ; sombre, sa ligne de faĂźte s’estompadressait devant nous, semblant nous dominer de haut. De nouveau Jorge s’agenou

uilla dans ses poches. Snep ! Snep ! Pas moyen de cisailler ça sans bruit.C’était bien le rĂ©seau intĂ©rieur. Nous nous glissĂąmes au travers Ă  quatre pattes e

u plus rapidement. Si nous avions à présent le temps de nous déployer, tout irait rge et Benjamin se mirent à ramper vers la droite. Mais les hommes en arriÚre

aient disséminés, avaient à se ranger en une seule file pour passer par la brÚche ét

atiquée dans le barbelé et, juste à ce moment, du parapet fasciste partit un éclair, une détonation. La sentinelle avait fini par nous entendre. Jorge se mit en équilibrgenou et balança son bras comme un joueur de boules. Sa bombe alla éclater que

rt au-delĂ  du parapet. InstantanĂ©ment, beaucoup plus rapidement qu’on ne l’eĂ»ssible, se dĂ©clencha, du parapet fasciste, un feu roulant de dix ou vingt fusils. Somute, ils nous attendaient. Un bref instant on pouvait voir les sacs de terre dans la lafarde. Nos hommes, restĂ©s trop en arriĂšre, lançaient leurs bombes et quelques-unles-ci tombĂšrent en deçà du parapet. Chaque meurtriĂšre semblait lancer des dardmme. C’est une chose qu’on dĂ©teste toujours de se trouver sous le feu de l’ennemi noir – on a l’impression d’ĂȘtre personnellement visĂ© par chaque Ă©clair de cou

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sil –, mais le pire, c’étaient encore les bombes. On ne peut en concevoir l’horreur’on n’en a pas vu une Ă©clater Ă  proximitĂ© de soi, et la nuit ; durant le jour il n’y a q

acas de l’explosion, dans l’obscuritĂ© il s’y ajoute l’aveuglante clartĂ© rouge. Je m’étaiserre dĂšs la premiĂšre dĂ©charge ; je restai tout ce temps couchĂ© sur le flanc dans la

uante, Ă  lutter furieusement avec la goupille d’une bombe ; cette sacrĂ©e goupillulait  pas sortir. Finalement je me rendis compte que je la tordais dans le mauvais sla sortis, me redressai sur les genoux, lançai la bombe avec force et me rejetai Ă  tbombe Ă©clata vers la droite, Ă  l’extĂ©rieur du parapet ; la peur m’avait fait mal viser.

oment prĂ©cis, une autre bombe Ă©clata en plein devant moi, si prĂšs que je sentaleur de l’explosion. Je m’aplatis autant que je pus, enfouissant si violemment age dans la boue que je me fis mal au cou et crus ĂȘtre blessĂ©. À travers le frntendis derriĂšre moi la voix d’un Anglais dire calmement : « Je suis touchĂ©. » De fambe avait autour de moi blessĂ© plusieurs hommes, m’épargnant. Je me remis Ă  gelançai ma seconde bombe. J’ai oubliĂ© oĂč celle-ci Ă©clata.

Les fascistes tiraient, les nĂŽtres, derriĂšre nous, tiraient, et j’avais parfaitemnscience d’ĂȘtre au milieu. Je sentis le souffle d’une dĂ©charge et compris que j

rriĂšre moi un homme faisait feu. Je me dressai sur mes pieds et lui criai : « Nenc pas sur moi, bougre d’idiot ! » À ce moment je vis que Benjamin, qui Ă©tait Ă  diinze mĂštres de moi sur ma droite, me faisait des signes avec le bras. Je couruoindre. Il fallait pour cela traverser la zone sous le feu des meurtriĂšres et jeuviens qu’en la franchissant je me collai la main gauche sur la joue – geste stupidest ! comme si une balle pouvait ĂȘtre arrĂȘtĂ©e par une main ! – mais j’avais en hore blessure Ă  la figure. Benjamin se tenait sur un genou et, le visage empreint dtisfaction diabolique, tirait avec son pistolet automatique en visant les Ă©clairs. Jait tombĂ© blessĂ© Ă  la premiĂšre dĂ©charge et gisait quelque part, invisible

agenouillai Ă  cĂŽtĂ© de Benjamin et, aprĂšs en avoir arrachĂ© la goupille, lançaioisiĂšme bombe. Ah ! pas de doute cette fois-ci ! Ce fut bien Ă  l’intĂ©rieur du parapetbombe Ă©clata, dans l’angle, juste Ă  cĂŽtĂ© du nid de la mitrailleuse.

Le tir des fascistes sembla trĂšs brusquement s’ĂȘtre ralenti. Benjamin bondit sueds et cria : « En avant ! Chargez ! » Nous nous Ă©lançùmes sur la pente raide en hauquelle se dressait le parapet. Je dis « Ă©lançùmes », mais « gravĂźmes lourdement » sus juste ; le fait est qu’on ne peut se mouvoir lestement quand on est trempĂ©, cou

boue de la tĂȘte aux pieds et avec cela alourdi par le poids d’un gros fusil, d

ĂŻonnette et de cent cinquante cartouches. Je ne mettais pas en doute qu’il y eĂ»mmet, m’attendant, un fasciste. De si prĂšs, s’il tirait, il ne pourrait pas me manqurtant, je ne sais pourquoi, pas un instant je ne m’attendis Ă  ce qu’il tirĂąt, mais bqu’il tĂąchĂąt de m’avoir Ă  la baĂŻonnette. Il me semblait dĂ©jĂ  sentir par avance le chos baĂŻonnettes se croisant, et je me demandais laquelle, de la sienne ou de la mierait la plus rĂ©sistante. Mais il n’y avait pas de fasciste Ă  m’attendre au sommet. Avegue sentiment de soulagement je m’aperçus que le parapet Ă©tait trĂšs bas et que lesterre offraient une bonne assiette pour le pied. En gĂ©nĂ©ral ils sont difficiles Ă  fran

l’intĂ©rieur, tout avait Ă©tĂ© mis en miettes, un peu partout des poutres et de graaques d’uralite gisaient Ă  terre dans un dĂ©sordre chaotique... Nos bombes av

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moli les baraquements et les cagnas. Pas une Ăąme visible. Pensant qu’ils devaienir aux aguets, cachĂ©s quelque part sous terre, je criai en anglais (Ă  ce moment-arrivais plus Ă  me souvenir d’un seul mot espagnol) : « Sortez de lĂ  ! Rendez-vouucune rĂ©ponse. Mais, un instant plus tard, un homme, silhouette sombre dans le dur, sauta par-dessus le toit d’un baraquement effondrĂ© et fila vers la gaucheĂ©lançai Ă  sa poursuite en donnant en pure perte dans le noir des coups de baĂŻonnmme je contournais le coin de ce baraquement je vis un homme – je ne sais si c’éta

ĂȘme que celui que j’avais vu prĂ©cĂ©demment – s’enfuir par le boyau qui menait Ă  l’a

sition fasciste. Je ne devais pas ĂȘtre bien loin de lui, car je le voyais trĂšs nettemenait nu-tĂȘte et paraissait n’avoir sur lui qu’une couverture qu’il tenait serrĂ©e autous Ă©paules. Si je m’étais mis Ă  tirer, j’eusse pu le transformer en passoire. Mais de cre nous ne canardions les nĂŽtres, ordre nous avait Ă©tĂ© donnĂ© de n’employer, unee nous serions Ă  l’intĂ©rieur du parapet, que nos baĂŻonnettes ; et, du reste, l’idĂ©e de m’effleura mĂȘme pas. Au lieu de cela ma pensĂ©e fit un bond de vingt ans en arriĂšrevis notre moniteur de boxe au collĂšge me montrant par une vivante pantommment il avait, avec sa baĂŻonnette, embrochĂ© un Turc aux Dardanelles. Je saisis

sil par la poignĂ©e de la crosse et je portai une botte au dos de l’homme. Il s’en falluu que je ne l’atteignisse. Une nouvelle botte ; trop courte encore. Et nous fĂźmes un chemin en continuant, lui de se ruer dans le boyau, et moi de courir sur le rem

rùs lui, en cherchant d’en haut à lui piquer les omoplates, sans jamais y parvenir tot. Quand j’y repense, c’est pour moi un souvenir comique, mais j’imagine que pou

doit ĂȘtre moins comique.Naturellement, connaissant le terrain beaucoup mieux que moi, il eut vite fa

Ă©chapper. De retour Ă  la position, je la trouvai pleine d’hommes et de vacarme. Le la fusillade avait quelque peu diminuĂ©. Les fascistes nous arrosaient toujours sur

tĂ©s d’un feu nourri, mais il venait de plus loin Ă  prĂ©sent. Nous les avomentanĂ©ment refoulĂ©s. Je me souviens d’avoir pris le ton d’un oracle pour dNous pouvons tenir ici une demi-heure, mais pas plus. » Pourquoi dis-je une dure, je l’ignore. En regardant par-dessus le parapet, Ă  droite, on voyait d’innombraairs verdĂątres poignarder les tĂ©nĂšbres ; mais c’étaient des coups de fusil tirĂ©s loius, Ă  cent ou deux cents mĂštres. Nous avions pour tĂąche Ă  prĂ©sent de fouillsition et de faire butin de tout ce qui en valait la peine. Benjamin et quelques au

aient dĂ©jĂ  en train de chercher Ă  quatre pattes dans les dĂ©combres d’un g

raquement ou abri situĂ© au centre de la position. Benjamin avançait en chancrmi les ruines du toit, tirant avec effort par sa poignĂ©e en corde une caissunitions, et plein d’une joyeuse agitation.

« Camarades ! Des munitions ! Il y en a en abondance, ici !— Nous n’avons pas besoin de munitions, dit une voix, c’est de fusils que nous a

soin. »C’était vrai. La moitiĂ© de nos fusils, s’étant enrayĂ©s Ă  cause de la boue, Ă©ta

utilisables. Ils pouvaient se nettoyer, mais dans l’obscuritĂ© il est dangereux d’enun fusil la culasse mobile : on la pose quelque part Ă  terre et ensuite on ne peut pltrouver. J’avais une minuscule lampe Ă©lectrique de poche que ma femme avai

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heter Ă  Barcelone, mais c’était tout ce que nous possĂ©dions Ă  nous tous en famiĂšre. Quelques hommes qui avaient des fusils en bon Ă©tat se mirent Ă  tirailler daniĂšre dĂ©cousue dans la direction des lointains Ă©clairs. Personne n’osait tirer pidement ; mĂȘme les meilleurs de nos fusils avaient une disposition Ă  s’enrayerauffaient trop. Nous Ă©tions seize environ Ă  l’intĂ©rieur du parapet, en comptant uux blessĂ©s. Un certain nombre de blessĂ©s, Anglais et Espagnols, gisaient Ă  l’extĂ©rtrick O’Hara, un Irlandais de Belfast qui avait un peu la pratique des premiers sonner, pansait les blessĂ©s, faisant la navette pour venir chercher des paquet

nsements, et, naturellement, chaque fois qu’il revenait vers le parapet on lui ssus, bien qu’il hurlĂąt sur un ton indignĂ© « P.O.U.M. ! »

Nous commençùmes Ă  inspecter la position. Il y avait çà et lĂ  plusieurs mortsaient mais je ne m’arrĂȘtai pas Ă  les examiner. Ce que je cherchais c’était la mitraillndant tout le temps que nous avions passĂ© Ă  plat ventre Ă  l’extĂ©rieur du parape

avais cessĂ© de me demander vaguement pourquoi donc elle ne tirait pas. Je projetsceau lumineux de ma lampe Ă©lectrique Ă  l’intĂ©rieur du nid de mitrailleuse. Crception ! La mitrailleuse n’y Ă©tait pas. Le trĂ©pied, plusieurs caisses de munitions e

Ăšces dĂ©tachĂ©es se trouvaient encore lĂ , mais la mitrailleuse, elle, avait disparuvaient l’avoir dĂ©vissĂ©e et emportĂ©e dĂšs la premiĂšre alerte. Sans doute n’avaient-il’exĂ©cuter des ordres, mais c’était stupide et lĂąche d’avoir fait cela, car s’ils avaient lplace la mitrailleuse, il leur eĂ»t Ă©tĂ© parfaitement possible de nous massacrer jusq

rnier. Nous Ă©tions furieux. Nous avions Ă  cƓur de nous emparer d’une mitrailleuseNous furetĂąmes dans tous les coins, mais ne trouvĂąmes que des choses n’a

Ăšre de valeur. Çà et lĂ  traĂźnaient, en quantitĂ©, des bombes fascistes – un type de bossablement infĂ©rieur, que l’on faisait exploser en tirant un cordon – et j’en misire dans ma poche comme souvenirs. On ne pouvait pas ne pas ĂȘtre frappĂ© p

nuement et la misĂšre des cagnas fascistes. Le fouillis de vĂȘtements de rechangeres, de victuailles, de petits objets personnels que l’on voyait dans nos propres caĂ©tait complĂštement absent ; ces pauvres conscrits non payĂ©s semblaient ne poss

e des couvertures et quelques quignons de pain mal cuit. Tout Ă  fait Ă  l’extrĂ©mitĂ© sition se trouvait un petit abri qui Ă©tait construit en partie au-dessus du sol et po

une minuscule fenĂȘtre. Nous projetĂąmes le faisceau de lumiĂšre de la torche Ă©lectriqavers la fenĂȘtre et aussitĂŽt nous poussĂąmes un hourra. Il y avait, appuyĂ© contre le ns un Ă©tui en cuir, un objet cylindrique de quatre pieds de haut et de six pouce

amĂštre. De toute Ă©vidence le canon de la mitrailleuse ! PrĂ©cipitamment nous fĂźmur de la cagna, cherchant la porte, et nous entrĂąmes pour dĂ©couvrir que l’objet enfens l’étui de cuir n’était pas une mitrailleuse, mais quelque chose qui, dans notre arpourvue de matĂ©riel de campagne, Ă©tait encore plus prĂ©cieux. C’était une Ă©nongue-vue, dont le pouvoir de grossissement devait probablement ĂȘtre au moinixante ou soixante-dix fois, avec un pied pliant. C’est bien simple, une longuemblable, il n’en existait pas sur le front de notre cĂŽtĂ© et on en avait un trĂšs gsoin. Nous la portĂąmes dehors en triomphe et l’appuyĂąmes contre le parapet, ntention de l’emporter plus tard.

 Ă€ ce moment prĂ©cis, quelqu’un cria que les fascistes Ă©taient en train de nous ce

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est certain que le fracas de la fusillade Ă©tait devenu beaucoup plus intense. Maiute Ă©vidence, les fascistes n’allaient pas contre-attaquer de la droite, ce qui les aligĂ©s Ă  traverser le no man’s land   et Ă  donner l’assaut Ă  leur propre parapet. aient le moindre bon sens, ils allaient nous tomber dessus en nous prenant Ă  reverntournant les abris, je me rendis de l’autre cĂŽtĂ©. La position avait Ă  peu prĂšs la foun fer Ă  cheval, les abris Ă©tant au centre, si bien que nous Ă©tions couverts sur la gar un autre parapet. De cette direction venait un feu nourri, mais ce n’était pas ce qait de grave. Le point faible Ă©tait tout Ă  fait de face, lĂ  oĂč il n’existait aucune protec

n flot de balles passaient juste au-dessus de nos tĂȘtes. Elles devaient venir de l’asition fasciste, de la plus Ă©loignĂ©e ; il Ă©tait manifeste que les troupes de choc au boumpte ne l’avaient pas conquise. Entre-temps le fracas Ă©tait devenu assourdisĂ©tait le grondement ininterrompu, comme un roulement de tambours, d’une fusiassive, que je n’avais eu jusqu’alors l’occasion d’entendre que d’une certaine distaur la premiĂšre fois, je me trouvais en plein milieu. Entre-temps la fusillade turellement gagnĂ© tout le long de la ligne de feu, sur des kilomĂštres Ă  l’entour. Douompson, avec un bras blessĂ© ballant dont il ne pouvait plus se servir, Ă©tait ap

ntre le parapet et faisait feu d’une seule main dans la direction des Ă©clairs. Un homnt le propre fusil s’était enrayĂ© lui rechargeait le sien.Nous Ă©tions quatre ou cinq de ce cĂŽtĂ©-ci de la position. Ce qu’il nous fallait

utait aux yeux. Il fallait retirer les sacs de terre du parapet de front et construirerricade en travers de l’ouverture non protĂ©gĂ©e du fer Ă  cheval. Et il fallait faire ur l’heure les balles passaient au-dessus de nous, mais Ă  tout instant l’ennemi pou

minuer la hauteur de son tir ; et Ă  en juger d’aprĂšs les Ă©clairs, nous devions avoir cous cent ou deux cents hommes. Nous nous mĂźmes Ă  dĂ©gager les sacs de terre,

ansporter Ă  vingt mĂštres de lĂ  et Ă  les empiler Ă  la va-comme-je-te-pousse. Quelle

sogne ! C’étaient de grands sacs de terre, pesant chacun un quintal, et l’on n’avaiop de toute sa force pour les Ă©branler ; et puis la toile de sac moisie se fendait et la tmide vous tombait dessus en cascade, vous dĂ©goulinait dans le cou et le long des me souviens que j’éprouvais une profonde horreur de tout : du chaos, de l’obscuritpouvantable vacarme, des allĂ©es et venues dans la boue en manquant de tomberands efforts Ă  dĂ©ployer en luttant avec ces sacs de terre sur le point de crever – et dr-dessus le marchĂ©, tout le temps encombrĂ© par mon fusil que je n’osais poseainte de le perdre. J’en arrivai mĂȘme Ă  crier Ă  un camarade, tandis que nous avanc

chancelant, un sac de terre entre nous deux : « Et voilĂ  la guerre ! Une fooperie, hein ? » Soudain nous vĂźmes de hautes silhouettes sauter Ă  la file par-dessrapet de front. Lorsqu’elles furent plus prĂšs de nous, nous pĂ»mes voir qu’rtaient l’uniforme des troupes de choc, et nous poussĂąmes des hourras, croyanttaient des renforts. Mais ils n’étaient que quatre : trois Allemands et un Espa

ous apprĂźmes par la suite ce qui Ă©tait arrivĂ© aux hommes des troupes de choc. Innaissaient pas le terrain et dans l’obscuritĂ© ils n’avaient pas Ă©tĂ© menĂ©s au bon endtaient trouvĂ©s pris dans le barbelĂ© fasciste, et beaucoup d’entre eux y avaient Ă©tĂ© s quatre-lĂ , s’étant Ă©garĂ©s, n’avaient pas suivi le reste de la troupe, heureusement x ! Les Allemands ne parlaient pas un mot d’anglais, de français ou d’espagnol

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us. Difficilement et avec force gestes, nous leur expliquĂąmes ce que nous Ă©tions en faire et nous les persuadĂąmes de nous aider Ă  construire la barricade.

Les fascistes avaient fini par amener une mitrailleuse. Elle Ă©tait visible, ragmme un pĂ©tard, Ă  cent ou deux cents mĂštres de nous ; sans arrĂȘt les balles passa-dessus de nos tĂȘtes avec un crĂ©pitement Ă  donner le frisson. Nous eĂ»mes bientĂŽtplace assez de sacs pour constituer un garde-corps bas derriĂšre lequel les quel

mmes se trouvant de ce cĂŽtĂ© de la position purent se coucher et tirer Je me tinoux derriĂšre eux. Un obus de mortier passa en sifflant et alla Ă©clater quelque part no man’s land.  C’était lĂ  un nouveau danger, mais il leur faudrait bien quelnutes pour rectifier leur tir. Maintenant que nous avions fini de nous battre ave

audits sacs de terre, tout cela Ă©tait en un sens assez amusant : le fracas, l’obscupproche des Ă©clairs, et nos hommes, en rĂ©ponse, les prenant pour cibles. On ĂȘme le temps de rĂ©flĂ©chir un peu. Je me suis demandĂ©, il m’en souvient, si j’avais pj’ai tranchĂ© par la nĂ©gative. À l’extĂ©rieur de la position, oĂč probablement j’avais c

danger moindre, je m’étais senti Ă  demi malade de peur. Soudain on entenduveau crier que les fascistes Ă©taient en train de nous encercler. Cette fois, il n’y

s de doute, les Ă©clairs Ă©taient beaucoup plus proches. J’en vis jaillir un Ă  vingt mĂštine. Il Ă©tait clair qu’ils s’ouvraient un chemin et arrivaient par le boyau. À vingt mÚétaient Ă  bonne distance pour lancer des bombes ; nous Ă©tions lĂ  huit ou neuf se uns contre les autres et une seule bombe bien placĂ©e suffirait Ă  nous rĂ©duire touettes. Bob Smillie, du sang coulant d’une petite blessure au visage, se redr

vement sur un genou et jeta une bombe. Nous nous fĂźmes tout petits, attenxplosion. Tandis qu’elle fendait l’air, l’amorce fusa en rougeoyant, mais la boexplosa pas. (Au moins une sur quatre de ces bombes ratait.) Il ne me restait plumbes, exceptĂ© les fascistes, dont je connaissais mal le fonctionnement. En cria

mandai aux autres si quelqu’un avait encore une bombe en rĂ©serve. Douglas Moylepoche et m’en passa une. Je la lançai et me jetai visage contre terre. Par un de

ups de chance comme il n’en arrive environ qu’une fois par an, j’avais rĂ©ussi Ă  envbombe exactement lĂ  oĂč j’avais vu jaillir l’éclair d’un coup de fusil. Il y eut d’abo

acas de l’explosion et puis, tout de suite, une clameur atroce : des hurlements etmissements. Nous en avions toujours touchĂ© un ; j’ignore s’il en mourut, mais cun doute il Ă©tait griĂšvement blessĂ©. Pauvre diable ! Pauvre diable ! J’éproguement de la peine en l’entendant crier de douleur. Mais au mĂȘme instant, Ă  la f

eur des coups de feu, je vis ou crus voir une silhouette debout prĂšs de l’endroit nait de jaillir un Ă©clair. Je levai vivement mon fusil et lĂąchai la dĂ©tente. De nouvearlement. Mais je crois que c’était toujours l’effet de la bombe. Nous lançùmes en

usieurs bombes. Les éclairs que nous vßmes ensuite étaient beaucoup plus éloignnt mÚtres ou plus. Ainsi donc nous les avions repoussés, tout au momentanément.

 Alors nous nous mĂźmes tous Ă  jurer Ă  qui mieux mieux, demandant pourantre l’on ne nous avait pas envoyĂ© de renforts. Avec un fusil-mitrailleur, ou avec vmmes armĂ©s de fusils en bon Ă©tat, nous pourrions tenir lĂ  contre un bataillon.

oment, Paddy Donovan, qui Ă©tait commandant en second et que Benjamin avait en

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’arriĂšre chercher des ordres, escalada le parapet de front.« HĂ© ! Sortez tous de lĂ  ! Ordre de nous replier immĂ©diatement !— Hein ?— Ordre de se replier ! Sortez de lĂ  !— Mais pourquoi ?— C’est un ordre ! Retour Ă  nos lignes, et en vitesse ! »DĂ©jĂ  les hommes Ă©taient en train de franchir le parapet de front. Quelques

entre eux s’escrimaient à faire passer par-dessus une pesante caisse de munition

ngeai soudain Ă  la longue-vue que j’avais laissĂ©e appuyĂ©e contre le parapet de l’atĂ© de la position. Mais Ă  ce moment je vis les quatre hommes des troupes de choc, ute exĂ©cutant des ordres mystĂ©rieux qu’on leur avait prĂ©cĂ©demment donnĂ©s, parturant dans le boyau. Il menait Ă  l’autre position fasciste, et donc – s’ils allaient jus– Ă  la mort certaine pour eux. DĂ©jĂ  ils se fondaient dans l’obscuritĂ©. Je courus ax en cherchant Ă  me rappeler quel est le mot espagnol pour dire « revenezalement je criai : « AtrĂĄs !  AtrĂĄs ! » Peut-ĂȘtre que ça disait bien ce que je voulais

Espagnol comprit et fit rebrousser chemin aux autres. Paddy attendait au parapet.

« Allons ! Grouillez-vous un peu !— Mais la longue-vue !— Je m’en fous de la longue-vue ! Benjamin attend Ă  l’extĂ©rieur ! »Nous sortĂźmes de la position en escaladant le parapet. Paddy maintint Ă©car

rbelĂ© pour m’aider Ă  passer. AussitĂŽt que nous eĂ»mes quittĂ© l’abri du parapet fascus nous trouvĂąmes sous une fusillade infernale ; les balles semblaient arriver sur tous les cĂŽtĂ©s Ă  la fois. Une bonne part d’entre elles, j’en suis persuadĂ©, nous Ă©ta

voyĂ©es par les nĂŽtres, car tout le long du front tout le monde tirait. Dans querection qu’on s’engageĂąt, une averse de balles en venait. Nous Ă©tions menĂ©s de-ci d

ns le noir, comme un troupeau de moutons. Et par surcroĂźt nous traĂźnions avec noisse de munitions conquise (une de ces caisses qui contiennent mille sept nquante balles et pĂšsent environ cinquante kilos), ainsi qu’une caisse de bombusieurs fusils fascistes. En l’espace de quelques minutes, bien que les deux parapessent pas Ă  plus de deux cents mĂštres l’un de l’autre et que la plupart d’entre nnussent le terrain, nous nous trouvĂąmes complĂštement Ă©garĂ©s. Nous avancionsard dans un champ boueux en glissant Ă  chaque pas, ne sachant plus qu’une chst qu’on nous tirait dessus des deux cĂŽtĂ©s. Il n’y avait pas de lune pour nous gu

ais il commençait Ă  faire moins noir. Nos lignes Ă©taient situĂ©es Ă  l’est de Huescaoposai de rester oĂč nous Ă©tions jusqu’à ce que les premiĂšres lueurs de l’aube rmissent de savoir oĂč Ă©tait l’est et oĂč Ă©tait l’ouest ; mais les autres s’y opposĂšrent. NilĂ  donc repartis Ă  glisser, changeant de direction Ă  plusieurs reprises et nous relaur charrier la caisse de munitions. Enfin nous vĂźmes se dessiner confusĂ©ment deus la ligne basse et plate d’un parapet. Ce pouvait ĂȘtre le nĂŽtre, mais ce pouvait ssi bien ĂȘtre celui des fascistes ; aucun de nous n’avait d’idĂ©e prĂ©cise Ă  ce snjamin rampa sur le ventre Ă  travers de hautes et blanchĂątres herbes folles et, lors

t à vingt mÚtres à peu prÚs du parapet, il se hasarda à pousser un qui-vive. LP.O.U.M. ! » lui répondit. Nous sautùmes sur nos pieds, retrouvùmes notre chem

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ng du parapet, pataugeĂąmes une fois de plus dans le fossĂ© d’irrigation – clapotemenrgouillis – et nous fĂ»mes hors de danger.

 Ă€ l’intĂ©rieur du parapet Kopp attendait avec quelques Espagnols. Le mĂ©decin eancardiers Ă©taient partis. Tous les blessĂ©s avaient Ă©tĂ© ramenĂ©s, Ă  ce qu’il paraissxception de Jorge et d’un de nos hommes, du nom de Hiddlestone, qui Ă©taient disppp faisait les cent pas, trĂšs pĂąle. Jusqu’aux bourrelets de graisse de sa nuque

aient pĂąles ; il ne prĂȘtait aucune attention aux balles qui, passant au-dessus du pars, crĂ©pitaient au niveau de sa tĂȘte. Nous Ă©tions, pour la plupart d’entre nous, assi

s talons, Ă  l’abri derriĂšre le parapet. Kopp marmottait : « Jorge ! Coño ! Jorge !is en anglais : « If Jorge is gone it is terreeble, terreeble ! » Jorge Ă©tait sonrsonnel et l’un de ses meilleurs officiers. Brusquement il se tourna vers noumanda cinq volontaires, deux Anglais et trois Espagnols, pour aller Ă  la recherchesparus. Moyle et moi, ainsi que trois Espagnols, nous nous proposĂąmes.

Nous Ă©tions dĂ©jĂ  Ă  l’extĂ©rieur de nos lignes lorsque les Espagnols murmurĂšrentmmençait Ă  faire dangereusement jour. C’était tout Ă  fait vrai ; le ciel deveguement bleu. Un effrayant tapage de voix animĂ©es nous parvint de la redoute fasc

anifestement ils avaient rĂ©occupĂ© l’endroit en beaucoup plus grand nom’auparavant. Nous Ă©tions Ă  soixante ou soixante-dix mĂštres du parapet quand ils duus voir ou nous entendre, car ils nous envoyĂšrent une bonne rafale qui nous fit er visage contre terre. L’un d’eux lança une bombe par-dessus le parapet – signe cepanique. Nous demeurions allongĂ©s dans l’herbe, attendant l’occasion favorabl

us remettre en route, quand nous entendĂźmes ou crĂ»mes entendre – je suis perse ce fut pure imagination, mais Ă  ce moment-lĂ  il nous sembla que c’était parfaitem

el – que les voix des fascistes se rapprochaient. Ils avaient quittĂ© leur parapet et ivaient. « Sauve-toi », hurlai-je Ă  Moyle, et je sautai sur mes pieds. Et, bontĂ© div

mme j’ai couru ! Un peu plus tĂŽt, cette nuit-lĂ , j’avais pensĂ© qu’on ne peut pas coand on est trempĂ© de la tĂȘte aux pieds et alourdi par le poids d’un fusil ertouches ; j’apprenais Ă  prĂ©sent que l’on peut toujours courir quand on croit avoir ousses une cinquantaine ou une centaine d’hommes armĂ©s. Mais si je pouvais coe, d’autres pouvaient courir encore plus vite. Dans ma fuite, je fus dĂ©passĂ© Ă  ture par quelque chose qu’on aurait pu prendre pour un essaim d’étoiles filaĂ©taient les trois Espagnols qui, prĂ©cĂ©demment, avaient Ă©tĂ© en tĂȘte. Ils se retrouvĂšretre propre parapet avant d’avoir pu s’arrĂȘter et que j’aie pu les rattraper. La vĂ©ritĂ©

e nous avions les nerfs Ă  bout. Mais, sachant que dans le demi-jour un homme ĂȘtre pas vu lĂ  oĂč cinq le sont sĂ»rement, je repartis seul. Je rĂ©ussis Ă  atteindre le batĂ©rieur et fouillai le terrain du mieux que je pus – ce qui n’est pas beaucoup dire, ce fallait rester Ă  plat ventre. Ne trouvant trace nulle part ni de Jorge ni de Hiddlesrebroussai chemin, toujours en rampant. Nous apprĂźmes par la suite que Jorgddlestone avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© conduits plus tĂŽt au poste de secours. Jorge Ă©tait lĂ©gĂšrem

essĂ© Ă  l’épaule ; Hiddlestone avait Ă©tĂ© affreusement blessĂ© : une balle lui avait labbras gauche sur toute sa longueur, brisant l’os en plusieurs endroits, et tandis ait Ă  terre, rĂ©duit Ă  l’impuissance, une bombe avait Ă©clatĂ© prĂšs de lui, lui infligcore d’autres blessures sur le reste du corps. Je suis heureux de pouvoir dire qu’il

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abli. Il m’a racontĂ© plus tard que, pour regagner nos lignes, il avait parcouru une pstance en glissant sur le dos, puis il s’était cramponnĂ© Ă  un Espagnol blessĂ© eidant mutuellement, ils avaient rĂ©ussi Ă  rentrer.

Il faisait maintenant tout Ă  fait jour. Tout le long du front, sur des kilomĂštntour, des coups de feu dĂ©sordonnĂ©s et vides de sens tonnaient, comme la pluientinue Ă  tomber aprĂšs un orage. Je revois l’aspect de dĂ©solation de tout, le sol fang peupliers Ă©plorĂ©s, l’eau jaune dans les bas-fonds de la tranchĂ©e ; et les visagesmmes, Ă©puisĂ©s, non rasĂ©s, balafrĂ©s de boue et noircis de fumĂ©e jusqu’aux y

rsque je rentrai dans ma cagna, les trois hommes avec qui je la partageais Ă©taientongĂ©s dans un profond sommeil. Ils s’étaient laissĂ©s tomber Ă  terre encore tout Ă©quserrant contre eux leur fusil boueux. À l’intĂ©rieur de l’abri comme au dehors tout prĂ©gnĂ© d’humiditĂ©. En cherchant bien, je parvins Ă  rassembler assez de brind

ches pour faire un tout petit feu. Puis je fumai le cigare que j’avais gardĂ© en rĂ©seri, chose Ă©tonnante, ne s’était pas brisĂ© au cours de cette nuit.

Nous apprĂźmes aprĂšs coup, comme il en va de ces choses, que l’engagement avasuccĂšs. Ç’avait Ă©tĂ© un raid pour obliger les fascistes Ă  retirer des troupes de l’autre

Huesca, oĂč les anarchistes attaquaient Ă  nouveau. J’avais Ă©valuĂ© Ă  cent ou deux cmmes les forces que les fascistes avaient jetĂ©es dans la contre-attaque maiserteur nous a dit, un peu plus tard, qu’elles avaient Ă©tĂ© de six cents hommesentait trĂšs probablement – les dĂ©serteurs, pour des raisons Ă©videntes, cherchaiensinuer dans les bonnes grĂąces. C’était bien dommage d’avoir dĂ» abandonner la lone ! Lorsque j’y songe, la perte de cette magnifique piĂšce de butin me taqjourd’hui encore.

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 VII

Il commença Ă  faire chaud dans la journĂ©e, et les nuits elles-mĂȘmes Ă©taient ades. Sur un arbre hachĂ© par les balles, en face de notre parapet, des bouquets touffurises se formaient. Se baigner dans la riviĂšre cessa d’ĂȘtre une torture, devint presquaisir. Des rosiers sauvages, aux fleurs roses grandes comme des soucoupes, s’égaill

rmi les trous d’obus, autour de la Torre FabiĂĄn. À l’arriĂšre du front on rencontraiysans qui portaient des roses passĂ©es derriĂšre les oreilles. Le soir, munis de rets vallaient chasser la caille. Vous Ă©tendiez le filet sur les pointes des herbes, vous

uchiez par terre et imitiez le cri de la caille femelle. AussitĂŽt toute caille mĂąle Ă  povoix accourait vers vous et quand elle Ă©tait sous le filet, vous lui jetiez une pierre

ffrayer : alors elle prenait brusquement son essor et s’empĂȘtrait dans le filet. Oenait donc Ă©videmment que des cailles mĂąles – ce qui me heurtait commeustice.

Il y avait Ă  prĂ©sent, tout Ă  cĂŽtĂ© de nous sur le front, une section d’Andalous. J

is pas trĂšs bien comment il se faisait qu’ils se trouvassent sur ce front. L’explicaurante, c’était qu’ils s’étaient cavalĂ©s de Malaga Ă  une allure telle qu’ils avaient os’arrĂȘter Ă  Valence. Bien entendu, cette explication Ă©tait celle donnĂ©e par les Catai faisaient profession de regarder de haut les Andalous, de les considĂ©rer commece de demi-sauvages. AssurĂ©ment les Andalous Ă©taient trĂšs ignorants. TrĂšs peu d’ex – si tant est qu’il y en eĂ»t – savaient lire, et ils paraissaient ne pas mĂȘme savoule chose qu’en Espagne chacun sait parfaitement : Ă  quel parti politiquepartenaient. Ils se prenaient pour des anarchistes, mais sans en ĂȘtre tout Ă  fait s

ut-ĂȘtre, aprĂšs tout, Ă©taient-ils communistes. C’étaient des hommes noueux, ayaurnure de paysans – peut-ĂȘtre bien Ă©taient-ils bergers ou ouvriers agricolesvaies –, et les soleils fĂ©roces du Sud avaient donnĂ© Ă  leurs visages une colora

ncĂ©e. Ils nous Ă©taient trĂšs utiles, car ils possĂ©daient une dextĂ©ritĂ© extraordinauler des cigarettes avec le tabac espagnol dessĂ©chĂ©. On avait cessĂ© de nous distris cigarettes, mais Ă  Monflorite il Ă©tait de temps Ă  autre possible d’acheter des paqtabac de la plus basse qualitĂ©, fort semblables d’apparence et de texture Ă  de la p

chĂ©e. Il avait un arĂŽme assez agrĂ©able, mais il Ă©tait si sec que, mĂȘme lorsque vous ussi Ă  faire une cigarette, il quittait les rangs en vous laissant entre les doigt

indre vide avant que vous ayez pu tirer une bouffée. Mais les Andalous, eux, avaieic pour rouler des cigarettes parfaites, et une technique spéciale pour en replierds aux extrémités.

Deux Anglais, frappĂ©s d’insolation, ne s’en relevĂšrent pas. De cette pĂ©riode uvenirs les plus caractĂ©ristiques, ce sont l’ardeur du soleil de midi et, dans notre lmi-nus, avec les sacs de terre, le supplice endurĂ© par nos Ă©paules dĂ©jĂ  mises Ă  vif paups de soleil ; et l’état pouilleux de nos vĂȘtements et de nos bottes qui s’en allatĂ©ralement en lambeaux ; et nos dĂ©bats avec le mulet qui apportait notre ravitaillem

qui ne faisait pas attention aux coups de fusil, mais prenait la fuite dĂšs qu’éclatair un shrapnel ; et les moustiques (qui venaient d’entrer en activitĂ©) et les rats

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aient un flĂ©au public et dĂ©voraient jusqu’à nos ceinturons de cuir et nos cartouchine se passait rien ; juste, de temps Ă  autre, un homme blessĂ© par la balle d’un t

olĂ©, et le sporadique tir d’artillerie, et les raids aĂ©riens sur Huesca. Maintenant qubres avaient toutes leurs feuilles, nous avions construit des plates-formes de canarmblables aux machans  indiens, dans les peupliers en bordure de la ligne de feuutre cĂŽtĂ© de Huesca il n’y avait pour ainsi dire plus d’attaques. Les anarchistes avabi de lourdes pertes et n’avaient pas rĂ©ussi Ă  couper complĂštement la route de Jacaient bien parvenus Ă  s’ancrer de chaque cĂŽtĂ© et assez prĂšs pour tenir la route

ĂȘme sous le feu de leurs mitrailleuses et la rendre impraticable, mais la solutiontinuitĂ© avait un kilomĂštre de large et les fascistes avaient construit une route entee sorte d’énorme tranchĂ©e qui permettait Ă  un certain nombre de camions de faivette. Les dĂ©serteurs disaient qu’il y avait dans Huesca beaucoup de munitions,

Ăšs peu de vivres. Mais il Ă©tait manifeste que la ville n’avait pas l’intention de capitult probablement Ă©tĂ© impossible de la prendre avec les quinze mille hommes mal ari Ă©taient disponibles. Plus tard, en juin, le gouvernement amena des troupes du fMadrid et concentra sur Huesca trente mille hommes avec un nombre considĂ©r

avions, mais la ville ne capitula toujours pas.Quand nous partĂźmes en permission, cela faisait cent quinze jours que j’étais sont, et Ă  l’époque il me sembla que cette pĂ©riode avait Ă©tĂ© la plus vaine de toute ma

m’étais engagĂ© dans les milices pour combattre le fascisme, et jusqu’à prĂ©senavais presque pas combattu, m’étais bornĂ© Ă  exister comme une sorte d’objet pans rien faire en retour de ma nourriture, si ce n’est souffrir du froid et du manqummeil. Peut-ĂȘtre est-ce le sort de la plupart des soldats dans la plupart des gueais aujourd’hui qu’il m’est possible de considĂ©rer cette pĂ©riode avec un recul suffine regrette pas, somme toute, de l’avoir vĂ©cue. Bien sĂ»r, je voudrais avoir pu serv

uvernement espagnol un peu plus efficacement ; mais d’un point de vue personnel int de vue de ma propre Ă©volution – ces trois ou quatre premiers mois passĂ©s s

ont furent moins inutiles que je ne le crus alors. Ils formĂšrent dans ma vie une nterrĂšgne, entiĂšrement diffĂ©rent de tout ce qui avait prĂ©cĂ©dĂ© et peut-ĂȘtre de tout ct Ă  venir, et ils m’ont appris des choses que je n’aurais pu apprendre d’aucune aaniĂšre.

Le point capital, c’est le fait d’avoir Ă©tĂ© tout ce temps-lĂ  isolĂ© – car au front l’onesque complĂštement isolĂ© du reste du monde : mĂȘme de ce qui se passait Ă  Barce

n ne pouvait avoir qu’une vague idĂ©e – et parmi des gens que l’on pouvait, en gros ns trop se tromper, qualifier de rĂ©volutionnaires. Et ceci tenait au systĂšme des mii, sur le front d’Aragon, ne subit aucune modification fondamentale jusqu’en juin 1s milices ouvriĂšres, du fait qu’elles Ă©taient levĂ©es sur la base des syndicatmposĂ©es, chacune, d’hommes ayant Ă  peu de chose prĂšs les mĂȘmes opinions politiqrent pour consĂ©quence de canaliser vers une seule mĂȘme portion du territoire toe le pays comptait de sentiments les plus rĂ©volutionnaires. J’étais tombĂ© plus ou mr hasard dans la seule communautĂ© de quelque importance de l’Europe occidentalconscience de classe et le refus d’avoir confiance dans le capitalisme fussentitudes plus courantes que leurs contraires. Ici sur ces hauteurs, en Aragon, l’o

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raissait alors si vaine et sans Ă©vĂ©nement, j’attache Ă  prĂ©sent une grande importale diffĂšre tellement de tout le reste de ma vie que dĂ©jĂ  elle a revĂȘtu ce carachantĂ© qui n’appartient, d’ordinaire, qu’aux souvenirs plus anciens. C’était, suoment, une sale histoire Ă  vivre, mais mon esprit y trouve Ă  prĂ©sent beaucoup Ă  broissĂ©-je vous avoir fait comprendre l’atmosphĂšre de ce temps ! J’espĂšre y ĂȘtre parvpeu, dans les premiers chapitres de ce livre. Elle est toute liĂ©e dans mon esprit au l’hiver, aux uniformes en loques des miliciens, aux visages ovales des Espagnol

potement de morse des mitrailleuses, aux relents d’urine et de pain moisi, au

étain des ragoûts de fÚves versés dans des gamelles non lavées et engloutis à la hùteTout de cette période est demeuré dans mon souvenir avec une netteté singuliÚr

vis par la pensĂ©e des incidents qui pouvaient paraĂźtre trop insignifiants pour valoine qu’on s’en souvĂźnt. Me revoici dans la cagna du Monte Pocero, sur la saillilcaire qui me tenait lieu de lit, et le jeune RamĂłn, son nez aplati entre mes omoplnfle. Je remonte en trĂ©buchant la tranchĂ©e fangeuse, Ă  travers le brouillard qui enrtour de moi ses tourbillons de vapeur froide. J’escalade une crevasse Ă  flanontagne et, arrivĂ© Ă  mi-hauteur, tout en tĂąchant de ne pas perdre l’équilibre, je dĂ©

us mes efforts pour arracher de terre une racine de romarin sauvage. Cependant quut, par-dessus ma tĂȘte, sifflent quelques balles perdues. Je suis couchĂ© par terre, cmilieu de petits sapins en contrebas et Ă  l’ouest du Monte Oscuro, en compagnipp, de Bob Edwards et de trois Espagnols. Des fascistes sont en train de gravir Ă  lamme des fourmis, la hauteur grise, dĂ©nudĂ©e, qui se trouve sur notre droite. DeĂšs en face de nous, venant des lignes fascistes, une sonnerie de clairon retentit. Kpte mon regard et, d’un geste d’écolier, fait un pied de nez au son. Je suis dans la uillĂ©e de La Granja, parmi la foule des hommes qui se bousculent, leur gamelle d’éa main, autour du chaudron de ragoĂ»t. Le gros cuistot harassĂ© les Ă©carte avec la lou

une table, tout prĂšs, un homme barbu, porteur d’un Ă©norme pistolet automatachĂ© par une courroie au ceinturon, coupe les pains en cinq morceaux. DerriĂšree voix Ă  l’accent faubourien de Londres (la voix de Bill Chambers avec qui je meerellĂ© amĂšrement et qui fut par la suite tuĂ© Ă  l’extĂ©rieur de Huesca) chante :

  Il y a des rats, des rats, Des rats aussi gros que des chats, Dans le...

 Un obus arrive avec un sifflement dĂ©chirant. Des enfants de quinze ans se jeage contre terre. Le cuistot disparaĂźt derriĂšre le chaudron. Chacun se relĂšve naud, tandis que l’obus plonge et Ă©clate cent mĂštres plus loin. Je fais les cent png du cordon de sentinelles dissimulĂ©es sous les rameaux sombres des peupliers. DfossĂ© extĂ©rieur dĂ©bordant, les rats barbotent en faisant autant de bruit que des louors que commencent Ă  poindre derriĂšre nous les premiĂšres lueurs jaunes d’ourore, la sentinelle andalouse, emmitouflĂ©e dans sa capote, se met Ă  chanter. Eut entendre par-delĂ  le no man’s land , Ă  cent ou deux cents mĂštres de nountinelle fasciste chanter aussi.

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 VIII

De Mandalay, en Haute-Birmanie, on peut aller par train Ă  Maymyo, la princation de montagne de la province, au bord du plateau de Chan. C’est une dexpĂ©rience. On est, au dĂ©part, dans l’atmosphĂšre caractĂ©ristique d’une ville orientleil ardent, palmiers poussiĂ©reux, odeurs de poisson, d’épices et d’ail, fruits mo

mides des tropiques, pullulement d’ĂȘtres humains aux visages basanĂ©s – et l’onlement accoutumĂ© Ă  cette atmosphĂšre qu’on l’emporte avec soi tout entiĂšre, pour re, dans le compartiment de chemin de fer. Mentalement on est encore Ă  Mandand le train s’arrĂȘte Ă  Maymyo, Ă  quatre mille pieds au-dessus du niveau de la meici qu’en descendant du train, on entre de plain-pied dans un univers diffĂ©bitement l’on respire un air frais et pur qui pourrait ĂȘtre celui de l’Angleterrrtout autour de soi on voit de l’herbe verte, des fougĂšres, des sapins, etontagnardes aux joues roses qui vendent des paniers de fraises.

Mon retour Ă  Barcelone, aprĂšs trois mois et demi de front, me rappela cela. Ce f

ĂȘme brusque et saisissant changement d’atmosphĂšre. Dans le train, durant tout le tsqu’à Barcelone, l’atmosphĂšre du front persista ; faite de saletĂ©, de vacarme, d’inconvĂȘtements en loques, de privations, de camaraderie et d’égalitĂ©. Le train, dĂ©jĂ  rempliciens au dĂ©part de Barbastro, fut envahi Ă  chaque arrĂȘt par toujours plus de payss paysans encombrĂ©s de bottes de lĂ©gumes, de volailles terrifiĂ©es qu’ils transporte en bas, et de sacs qui, sur le sol, dĂ©crivaient des boucles et se tortillaient et qcouvrit pleins de lapins vivants – et pour finir, d’un trĂšs important troupeaoutons qu’on enfourna dans les compartiments en coinçant les bĂȘtes dans tou

paces vides. Les miliciens s’égosillaient Ă  chanter des chants rĂ©volutionnairesuvraient le ferraillement du train, et ils envoyaient des baisers ou agitaientouchoirs rouge et noir chaque fois qu’ils voyaient une jolie fille le long de la voie fees bouteilles de vin et d’anis, l’infecte liqueur aragonaise, circulaient de main en ms outres espagnoles en peau de bouc permettaient de faire gicler un jet de vin droit bouche de son ami d’un bout Ă  l’autre d’un compartiment de chemin de fer, ceargnait beaucoup de dĂ©rangement. À cĂŽtĂ© de moi un gars de quinze ans, aux yeux nsait des rĂ©cits sensationnels et, j’en jurerais, complĂštement faux, de ses proploits sur le front Ă  deux vieux paysans aux visages parcheminĂ©s qui l’écouta

uche bĂ©e. BientĂŽt les paysans dĂ©firent leurs paquets et nous offrirent un vin violauant. Nous Ă©tions tous profondĂ©ment heureux, plus heureux que je ne puis l’expriais lorsque le train, aprĂšs avoir traversĂ© Sabadell, roula dans Barcelone, nous ouvĂąmes soudain dans une atmosphĂšre qui nous Ă©tait, Ă  nous et Ă  ceux de notre sorine moins Ă©trangĂšre et hostile que si c’eĂ»t Ă©tĂ© Paris ou Londres.

Tous ceux qui firent deux voyages, Ă  quelques mois d’intervalle, Ă  Barcelone duguerre ont fait la remarque qu’il s’y Ă©tait opĂ©rĂ© d’extraordinaires changementsose curieuse, qu’ils y fussent venus d’abord en aoĂ»t et de nouveau en janvier

mme moi, en dĂ©cembre, puis en avril, ce fut la mĂȘme constatation qui s’imposa Ă  avoir, que l’atmosphĂšre rĂ©volutionnaire avait disparu. À quiconque s’était trouvĂ©

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Ă»t, alors que le sang Ă©tait Ă  peine sec dans les rues et que les milices Ă©taient logĂ©es hĂŽtels de premier ordre, Barcelone en dĂ©cembre ne pouvait que parbourgeoise » ; Ă  moi, nouvellement arrivĂ© d’Angleterre, elle faisait l’effet d’une olĂ©tarienne et dĂ©passant mĂȘme, Ă  cet Ă©gard, tout ce que j’avais imaginĂ© possibĂ©sent les choses Ă©taient revenues en arriĂšre. Barcelone Ă©tait Ă  nouveau une dinaire, un peu dans la gĂȘne et un peu Ă©raflĂ©e par la guerre, mais sans nul stĂ©rieur de la prĂ©dominance de la classe ouvriĂšre.

Le changement d’aspect des foules Ă©tait saisissant. L’uniforme des milices e

opettes bleues avaient presque disparu ; tout le monde semblait porter les Ă©lĂ©gmplets d’étĂ© qui sont la spĂ©cialitĂ© des tailleurs espagnols. On voyait partoutmmes gras Ă  l’air florissant, des femmes habillĂ©es avec recherche et des automosantes. (Il me parut qu’il n’y en avait toujours pas de privĂ©es : nĂ©anmoins il suff

mblait-il, d’ĂȘtre une personnalitĂ© marquante pour avoir Ă  sa disposition tomobile.) La ville regorgeait d’officiers de l’armĂ©e populaire rĂ©cemment crĂ©Ă©e,

homme qui commençait Ă  peine d’exister Ă  l’époque oĂč j’avais quittĂ© BarcearmĂ©e populaire comptait un officier pour dix hommes. Un certain nombre de

ficiers avaient servi dans les milices et avaient Ă©tĂ© rappelĂ©s du front pour recevoirstruction technique, mais la majoritĂ© d’entre eux Ă©taient des jeunes gens qui aveux aimĂ© aller Ă  l’École de guerre que s’engager dans les milices. Ils n’avaient pas

urs hommes des rapports tout Ă  fait du genre de ceux qui existent dans une arurgeoise, mais il y avait une nette diffĂ©rence sociale, qui se traduisait parffĂ©rence de solde et d’uniforme. Les hommes portaient une sorte de grossiĂšre salopune, les officiers un Ă©lĂ©gant uniforme kaki, cintrĂ© comme l’uniforme d’officiermĂ©e britannique, mais avec plus d’exagĂ©ration. Je ne pense pas qu’il y en eĂ»t px plus d’un sur vingt qui eĂ»t dĂ©jĂ  Ă©tĂ© au front ; n’empĂȘche que tous portaient, att

r une courroie au ceinturon, un pistolet automatique ; nous, au front, nous ne pouvaucun prix nous en procurer. Tandis que nous fendions la foule en remontant la ruaperçus que les gens braquaient les yeux sur nos dehors crasseux. Bien sĂ»r, comus les hommes qui ont passĂ© plusieurs mois au front, nous n’étions pas beaux Ă  voissemblais, je m’en rendais compte, Ă  un Ă©pouvantail. Ma veste de cuir Ă©taimbeaux, ma casquette de laine n’avait plus de forme et me glissait continuellemen

Ɠil, de mes bottes il ne restait plus guĂšre que les empeignes distendues. Et nous Ă©tus plus ou moins dans cet Ă©tat, et par surcroĂźt sales et pas rasĂ©s ; il n’y avait donc

Ă©tonnant Ă  ce que les gens Ă©carquillassent les yeux. Mais j’en Ă©tais un peu dĂ©monta me fit sentir qu’il avait dĂ» se passer un certain nombre de choses singuliĂšres au cs trois derniers mois.

Durant les quelques jours suivants, je vis Ă  d’innombrables indices que ma prempression n’avait pas Ă©tĂ© fausse. Un profond changement s’était produit. Deux nnaient le ton Ă  tout le reste. D’une part, les gens – la population civile –ntĂ©ressaient plus beaucoup Ă  la guerre ; d’autre part, l’habituelle division de la soriches et en pauvres, en classe supĂ©rieure et classe infĂ©rieure s’affirmait de nouvea

L’indiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale Ă  l’égard de la guerre Ă©tait de nature Ă  surprendre Ɠurer passablement. Elle scandalisait ceux qui arrivaient Ă  Barcelone venant de Ma

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mĂȘme de Valence. En partie elle tenait Ă  ce que Barcelone Ă©tait Ă©loignĂ©e du vĂ©ritamp de bataille ; j’ai remarquĂ© un mois plus tard qu’il en allait de mĂȘme Ă  Tarragla vie d’une plage Ă  la mode continuait Ă  peu prĂšs telle qu’en temps ordinaire. M

ait significatif que par toute l’Espagne l’engagement volontaire fĂ»t en baisse denvier environ. En Catalogne, en fĂ©vrier, la premiĂšre grande campagne de propagur l’armĂ©e populaire avait soulevĂ© une vague d’enthousiasme, mais sans beaucroĂźtre le recrutement. On n’était en guerre que depuis quelque six mois lorsquuvernement fut obligĂ© de recourir Ă  la conscription, chose qui n’a rien de surpre

ns une guerre avec l’étranger, mais qui paraĂźt une anomalie dans une guerre civile. cun doute cela tenait Ă  ce que les espoirs rĂ©volutionnaires par lesquels la guerre mmencĂ© avaient Ă©tĂ© déçus. Si les membres des syndicats, qui se constituĂšrenlices et repoussĂšrent les fascistes jusqu’à Saragosse dans les quelques prem

maines de la guerre, s’étaient comportĂ©s ainsi, c’était dans une large mesure p’ils croyaient se battre pour la prise du pouvoir par la classe ouvriĂšre ; mais il deveplus en plus Ă©vident que la prise du pouvoir par la classe ouvriĂšre Ă©tait une c

rdue, et l’on ne pouvait blĂąmer la masse du peuple, et particuliĂšrement le prolĂ©t

s villes (Ă  qui incombe, dans toute guerre, civile ou Ă©trangĂšre, de fournir les hommoupe) de faire montre d’une certaine indiffĂ©rence. Personne ne souhaitait perderre, mais Ă  la majoritĂ© des gens, il tardait surtout qu’elle fĂ»t finie. On sentait cel’on allĂąt. Partout on Ă©tait accueilli par la mĂȘme remarque de pure forme : « Ah ! erre... c’est affreux, n’est-ce pas ? Quand donc finira-t-elle ? » Les gens politiquemnscients, eux, Ă©taient infiniment plus au courant de la guerre d’exterminaciproque entre anarchistes et communistes que du combat contre Franco. Pouasse du peuple, la disette Ă©tait le plus important. « Le front », on en Ă©tait venunser comme Ă  un lointain lieu mythique oĂč les jeunes hommes disparaissaient et

bien ils ne revenaient pas, ou bien ils revenaient au bout de trois ou quatre moirgent plein les poches. (Un milicien recevait habituellement l’arriĂ©rĂ© de soldoment oĂč il partait en permission.) On n’avait pas d’égards particuliers pour les bleĂȘme pour ceux qui sautillaient en s’aidant de bĂ©quilles. Ce n’était plus Ă  la mode dns les milices. Les magasins, qui sont toujours les baromĂštres du goĂ»t publinotaient clairement. Lors de mon premier passage Ă  Barcelone, ils Ă©taient, ceuvres et minables, mais s’étaient spĂ©cialisĂ©s dans l’équipement des miliciens. Bonpolice, blousons Ă  fermeture Éclair, ceinturons et baudriers, couteaux de ch

dons, Ă©tuis Ă  revolver Ă©taient en montre Ă  toutes les devantures. À prĂ©sent les magaient, de façon marquĂ©e, plus de chic, mais la guerre avait Ă©tĂ© relĂ©guĂ©e au second pmme je m’en rendis compte un peu plus tard, en achetant mon fourniment avan

partir au front, il Ă©tait trĂšs difficile de se procurer certaines des choses dont on ablement besoin au front.

Pendant ce temps-lĂ  se poursuivait une propagande systĂ©matique contre les miparti et en faveur de l’armĂ©e populaire. La situation Ă©tait ici plutĂŽt singuliĂšre. De

vrier, toutes les forces armĂ©es avaient, thĂ©oriquement, Ă©tĂ© incorporĂ©es Ă  l’apulaire et les milices Ă©taient, sur le papier, rĂ©organisĂ©es sur le principe de l’arpulaire, avec Ă©chelle diffĂ©rentielle de soldes, nomination officielle aux grade

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ssant par les cadres, etc. Les divisions Ă©taient formĂ©es de « brigades mixtes »aient censĂ©es se composer en partie de troupes de l’armĂ©e populaire et en partilices. Mais les seuls changements qui avaient Ă©tĂ© effectivement opĂ©rĂ©s Ă©taientangements de noms. Par exemple, les troupes du P.O.U.M., qu’on appelait auparadivision LĂ©nine, devenaient Ă  prĂ©sent la 29e division. Comme, jusqu’en juin, trĂšs pe

oupes de l’armĂ©e populaire gagnĂšrent le front d’Aragon, les milices purent conseur structure distincte et leur caractĂšre particulier. Mais sur tous les murs les agentuvernement avaient peint au pochoir : « Il nous faut une armĂ©e populaire », et

dio et dans la presse communiste on ne cessait de brocarder, et parfois de façonnimeuse, les milices, qu’on reprĂ©sentait comme mal aguerries, indisciplinĂ©es, ermĂ©e populaire, elle, Ă©tait toujours dĂ©peinte comme Ă©tant « hĂ©roĂŻque ». On eĂ»t dit,oire presque toute cette propagande, qu’il y avait quelque chose de dĂ©shonorant Ă rti au front comme volontaire et quelque chose de louable Ă  avoir attendu d’ĂȘtre enr la conscription. N’empĂȘche que pendant tout ce temps c’étaient les milices

naient le front, cependant que l’armĂ©e populaire s’aguerrissait Ă  l’arriĂšre, mais c’étfait dont les journaux Ă©taient tenus de parler le moins possible. On ne faisait

filer dans les rues de la ville, tambours battants et drapeaux dĂ©ployĂ©s, les dĂ©tachemmilices retournant au front. On les escamotait en les faisant partir furtivementain ou par camions, Ă  cinq heures du matin. Dans le mĂȘme moment, on commençvoyer au front quelques rares dĂ©tachements de l’armĂ©e populaire ; et eux, comme guĂšre, Ă©taient promenĂ©s Ă  travers toute la ville en grande pompe ; mais mĂȘme euxite de l’attiĂ©dissement gĂ©nĂ©ral de l’intĂ©rĂȘt pris Ă  la guerre, Ă©taient accueillis ativement peu d’enthousiasme. Le fait que les troupes des milices Ă©taient Ă©galemr le papier, troupes de l’armĂ©e populaire, Ă©tait habilement exploitĂ© dans la propagr la presse. Rien de louable n’arrivait qui ne fĂ»t automatiquement portĂ© Ă  l’act

rmĂ©e populaire, tandis que toute faute, c’était aux milices qu’on la faisait endossriva parfois Ă  une mĂȘme troupe de recevoir des fĂ©licitations en sa qualitĂ© d’unitrmĂ©e populaire et des reproches en sa qualitĂ© d’unitĂ© des milices.

Mais, en dehors de cela, il y avait un changement saisissant dans l’atmospciale – ce qu’il est difficile de comprendre si l’on n’a pas soi-mĂȘme vĂ©cu tout rsque j’étais arrivĂ© pour la premiĂšre fois Ă  Barcelone, j’avais cru que c’était une villn’existait guĂšre de distinctions de classe ni de grandes diffĂ©rences de richesse. C’en, en tout cas, ce qu’elle avait l’air d’ĂȘtre. Les vĂȘtements « chics » y Ă©taient dev

e exception, personne ne faisait de courbettes ni n’acceptait de pourboire ; les garrestaurant, les bouquetiĂšres, les cireurs de bottes vous regardaient bien en face et pelaient « camarade ». Je n’avais pas saisi qu’il y avait lĂ  surtout un mĂ©lange d’espocamouflage. La classe ouvriĂšre croyait en une rĂ©volution qui avait Ă©tĂ© commencĂ©e

mais consolidée, et les bourgeois étaient apeurés et se travestissaient momentanémouvriers. Dans les premiers mois de la révolution, il doit bien y avoir eu plus

lliers de personnes qui, de propos dĂ©libĂ©rĂ©, revĂȘtirent des salopettes et clamĂšrenots d’ordre rĂ©volutionnaires, histoire de sauver leur peau. À prĂ©sent, tout reventat normal. Les restaurants et les hĂŽtels Ă©lĂ©gants Ă©taient remplis de gens richesvoraient des repas coĂ»tant cher, tandis que la population ouvriĂšre se trouvait de

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e hausse considĂ©rable du prix des denrĂ©es alimentaires, sans recevoir augmentation de salaire y correspondant. En plus de la chertĂ© de tout, il y riodiquement pĂ©nurie de ceci ou de cela, ce dont, naturellement, le pauvre souujours plus que le riche. Les restaurants et les hĂŽtels semblaient n’avoir guĂšrfficultĂ© Ă  se procurer tout ce qu’ils voulaient ; mais, dans les quartiers ouvrierseues pour le pain, l’huile d’olive et les autres choses de premiĂšre nĂ©cessitĂ© Ă©t

ngues de plusieurs centaines de mĂštres. NaguĂšre, dans Barcelone, j’avais Ă©tĂ© frappbsence de mendiants ; ils Ă©taient lĂ©gion Ă  prĂ©sent. À la porte des charcuteries, en

s Ramblas, on voyait continuellement des bandes d’enfants pieds nus qui restaienendre que quelqu’un sortĂźt, et alors ils se pressaient autour en demandant Ă  grandss bribes de nourriture. En parlant, on n’employait plus les formrĂ©volutionnaires ». Il Ă©tait rare, Ă  prĂ©sent, d’ĂȘtre tutoyĂ© et appelĂ© « camarade » paconnus ; l’habitude Ă©tait revenue de dire Señor  et Usted.  Buenos  dĂ­as  commençmplacer Salud. Les garçons de restaurant avaient rĂ©intĂ©grĂ© leurs chemises empesĂ©e chefs de rayon courbaient l’échine comme Ă  l’accoutumĂ©e. Nous entrĂąmes, ma femmoi, dans une bonneterie sur les Ramblas, pour acheter quelques paires de ba

ndeur s’inclina en se frottant les mains, de ce geste qui leur Ă©tait habituel il y a vingente ans, mais qu’on ne leur voit plus faire de nos jours, mĂȘme en Angleterre. De ftournĂ©e et Ă  la dĂ©robĂ©e, on en revenait Ă  l’usage du pourboire. L’ordre avait Ă©tĂ© dx patrouilles d’ouvriers de se dissoudre, et de nouveau l’on voyait dans les ruerces de police d’avant-guerre. Il en rĂ©sultait, entre autres choses, que les music-ha bordels de premiĂšre classe, dont beaucoup avaient Ă©tĂ© fermĂ©s par les patrou

ouvriers, avaient immĂ©diatement rouvert{3 }. Ce qui se passait Ă  propos du manqubac offrait un exemple de peu d’importance mais significatif de la maniĂšre dont ait Ă  prĂ©sent orientĂ© pour avantager les classes riches. Pour la masse du peuple il Ă©t

possible de se procurer du tabac que l’on vendait dans les rues des cigarettes bourlamelles de bois de rĂ©glisse. J’en ai fait l’essai, une seule fois. (Beaucoup de gen

saient l’essai une fois, mais pas deux.) Franco occupait les Canaries, oĂč est cultivĂ©tabac espagnol. Donc, du cĂŽtĂ© gouvernemental, on ne disposait plus que des stockbac existant avant la guerre. Ils s’écoulaient si rapidement que les dĂ©bits de touvraient plus qu’une fois par semaine ; aprĂšs avoir fait la queue pendant deux boures, on pouvait, si l’on avait de la chance, arriver Ă  obtenir un paquet de tabac de arts d’once{4 }. En principe le gouvernement interdisait l’achat de tabac Ă  l’étran

rce que c’était diminuer les rĂ©serves d’or, qu’il fallait absolument garder pour les acarmes et de choses de premiĂšre nĂ©cessitĂ©. Dans la pratique il y avait une fournguliĂšre de cigarettes Ă©trangĂšres de contrebande des marques les plus chĂšres, des Lrike par exemple, qui offraient aux mercantis une occasion magnifique de bĂ©nĂ©cessifs. On pouvait acheter les cigarettes de contrebande au vu et au su de tous dantels chics et Ă  peine moins ouvertement dans les rues, Ă  condition de pouvoir payequet dix pesetas (un jour de solde de milicien). La contrebande se faisant Ă  l’intens gens riches, on fermait les yeux sur elle. Si vous aviez suffisamment d’argent, iait rien que vous ne pussiez vous procurer en n’importe quelle quantitĂ©, Ă  l’exceprfois du pain qui Ă©tait rationnĂ© de façon assez stricte. Cette exposition au grand jou

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ntraste de la richesse et de la pauvretĂ© eĂ»t Ă©tĂ© impossible quelques mois aupararsque la classe ouvriĂšre Ă©tait encore, ou semblait ĂȘtre, au pouvoir. Mais ce sanquer Ă  l’impartialitĂ© que d’imputer cela uniquement au fait que le pouvoir politait passĂ© en d’autres mains. Cela tenait aussi en partie Ă  la sĂ©curitĂ© dans laquellvait Ă  Barcelone, oĂč il n’y avait presque rien, Ă  part un raid aĂ©rien de temps Ă  autre, re penser Ă  la guerre. Tous ceux qui s’étaient trouvĂ©s Ă  Madrid disaient que lĂ -basait tout autrement. À Madrid, le danger commun contraignait les gens de preutes catĂ©gories Ă  un certain sentiment de camaraderie. Un homme, l’air bien nourr

ain de manger des cailles tandis que des enfants mendient du pain est un specvoltant, mais vous avez moins de chances de voir cela en un endroit oĂč l’on ennner le canon.

Un jour ou deux aprĂšs les combats de rues, je me rappelle ĂȘtre passĂ© dans l’uneus belles rues et de m’ĂȘtre trouvĂ© devant une confiserie dont la devanture Ă©tait pleintisseries et de bonbons de la qualitĂ© la plus raffinĂ©e, Ă  des prix renversants. Un magns le genre de ceux que l’on voit dans Bond Street ou rue de la Paix. Et je me souv

avoir éprouvé un sentiment de vague horreur et de stupéfaction en voyant q

uvait encore gaspiller l’argent Ă  de telles choses dans un pays frappĂ© par la guerfamĂ©. Mais Dieu me prĂ©serve d’affecter, pour ma part, une quelconque supĂ©riorrĂšs avoir manquĂ© de confort durant plusieurs mois, j’avais un dĂ©sir voracurriture convenable et de vin, de cocktails, de cigarettes amĂ©ricaines, et le restvoue m’en ĂȘtre mis jusque-lĂ  de toutes les superfluitĂ©s agrĂ©ables que j’eus les mome payer. Durant cette premiĂšre semaine, avant que le peuple ne descendĂźt da

e, j’eus plusieurs prĂ©occupations qui agissaient l’une sur l’autre de façon curieuseemier lieu, comme je l’ai dit, j’étais occupĂ© Ă  me rendre la vie le plus agrĂ©able poss

n second lieu, Ă  trop manger et trop boire, ma santĂ© s’en trouva toute cette semain

elque peu dĂ©rangĂ©e. Je me sentais patraque, me mettais au lit pour une demi-joue levais, refaisais un repas trop copieux, et me sentais de nouveau malade. D’autre tais en pourparlers, clandestinement, pour acheter un revolver. J’avais grande eun revolver – dans une guerre de tranchĂ©es il est beaucoup plus utile d’avoivolver qu’un fusil – mais il Ă©tait trĂšs difficile de s’en procurer. Le gouvernemenstribuait aux agents de police et aux officiers de l’armĂ©e populaire, mais se refusaitrer aux milices ; on ne pouvait en acheter, illĂ©galement, que dans les maga

andestins des anarchistes. Aprùs toutes sortes de façons et d’embarras, un

archiste s’arrangea pour me faire avoir un tout petit pistolet automatique, une auvaise arme, inutilisable Ă  plus de cinq mĂštres ; mais ça valait mieux que rien du , en plus de tout cela, je prenais des mesures prĂ©paratoires pour quitter les miliceO.U.M. et entrer dans quelque autre unitĂ© oĂč je recevrais l’assurance d’ĂȘtre envoyfront de Madrid.

J’avais dit Ă  tout le monde, depuis longtemps dĂ©jĂ , que j’allais quitter le P.O.U.Mn’avais tenu compte que de mes prĂ©fĂ©rences personnelles, j’eusse choisi de rejoi anarchistes. Devenir membre de la C.N.T. permettait d’entrer dans les milices

A.I., mais on m’avait dit qu’il Ă©tait plus probable que la F.A.I. m’envoyĂąt Ă  Terueladrid. Si je voulais aller Ă  Madrid, c’était dans les Brigades internationales qu’i

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lait entrer, et pour cela j’avais Ă  obtenir la recommandation d’un membre du mmuniste. Je dĂ©nichai un ami communiste qui faisait partie du service de spagnol, et je lui expliquai mon cas. Il parut trĂšs dĂ©sireux de faire de moi une recrue demanda de persuader, si possible, quelques-uns des autres Anglais I.L.P. deivre. Si j’avais Ă©tĂ© en meilleure santĂ©, il est probable que j’aurais donnĂ© mon adhĂ©ance tenante. Il est difficile de dire aujourd’hui quelle diffĂ©rence cela eĂ»t fait. J’eĂšs bien pu ĂȘtre envoyĂ© Ă  Albacete avant le dĂ©clenchement des troubles de Barcelns ce cas, n’ayant pas vu de prĂšs les combats de rues, j’en aurais peut-ĂȘtre ten

rsion officielle pour vĂ©ridique. Par ailleurs, si j’avais Ă©tĂ© Ă  Barcelone, duranoubles, sous les ordres des communistes mais n’en conservant pas moins un sentimrsonnel de loyalisme Ă  l’égard de mes camarades du P.O.U.M., je me serais trouvĂ© e impasse. Mais j’avais droit Ă  encore une semaine de permission et j’avais le plusir de rĂ©tablir ma santĂ© avant de retourner au front. Et puis – un dĂ©tail du genrux qui dĂ©cident toujours d’une destinĂ©e – il me fallait attendre que le bottier ait pubriquer une paire neuve de chaussures de marche. (L’armĂ©e espagnole tout enayant pu arriver Ă  m’en prĂ©senter d’une pointure assez grande pour m’aller.

pondis donc Ă  mon ami communiste que je remettais Ă  un peu plus tard de prendrspositions dĂ©finitives. En attendant j’avais besoin de repos. Je m’étais mĂȘme mis enaller avec ma femme passer deux ou trois jours au bord de la mer. En voilĂ  une idmme s’il ne suffisait pas de l’atmosphĂšre politique pour me faire comprendre qu

Ă©tait pas chose faisable par le temps qui courait !Car sous l’aspect extĂ©rieur de la ville, sous ses dehors contrastĂ©s de luxe e

uvretĂ© grandissante, et sous l’apparente gaietĂ© de ses rues, avec leurs Ă©talages de flbariolage de leurs drapeaux et des affiches de propagande, et leur animation, couvafreux sentiment de rivalitĂ© et de haine politiques. Il n’y avait pas Ă  s’y mĂ©prendre.

ns de toutes nuances disaient, envahis par un mauvais pressentiment : « Il ne varder Ă  y avoir de la casse. » Le danger Ă©tait patent et facile Ă  comprendre. Il rĂ©sidait ntagonisme entre ceux qui voulaient faire progresser la rĂ©volution et ceux qui voulnrayer ou l’empĂȘcher – autrement dit, dans l’antagonisme entre anarchistemmunistes. Politiquement, il n’y avait plus Ă  prĂ©sent d’autre pouvoir que celuS.U.C. et de ses alliĂ©s libĂ©raux. Mais en face de ce pouvoir il y avait la force irrĂ©soluembres de la C.N.T., moins bien armĂ©s et sachant moins bien ce qu’ils voulaienturs adversaires, mais puissants par leur nombre et par leur prĂ©dominance

usieurs industries-clefs. Avec une telle dĂ©marcation des forces, il Ă©tait fatal qu’il ynflit. Du point de vue des membres de la GĂ©nĂ©ralitĂ© soumise Ă  l’influence dirigeantS.U.C., la premiĂšre chose Ă  faire, nĂ©cessairement, pour consolider leur position, c

dĂ©sarmer les ouvriers de la C.N.T. Comme je l’ai dĂ©jĂ  fait observer, la mesure ur dissoudre les milices de partis Ă©tait au fond une manƓuvre Ă  cette

multanĂ©ment on avait remis en activitĂ© les forces de police armĂ©es d’avant-gurdes civils et autres, et on Ă©tait en train de les renforcer et de les armer puissammla ne pouvait avoir qu’une seule signification. Les gardes civils, en particulier, Ă©te force de gendarmerie du type europĂ©en courant qui, depuis bientĂŽt un siĂšcle, av

rvi de gardes du corps à la classe possédante. Sur ces entrefaites, on avait rendu un

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on lequel toutes les armes dĂ©tenues par des particuliers devraient ĂȘtre livaturellement cet ordre Ă©tait restĂ© lettre morte ; il Ă©tait clair qu’on ne pourrait preurs armes aux anarchistes que par la force. Pendant tout ce temps le bruit couujours de façon vague et contradictoire par suite de la censure des journaux, qu’unrtout en Catalogne des petits conflits Ă©clataient. En plusieurs endroits les forcelice armĂ©es avaient attaquĂ© les forteresses des anarchistes. À PuigcerdĂ , Ă  la fron

ançaise, on envoya une troupe de carabiniers s’emparer du bureau de la douanequel les anarchistes avaient eu jusque-là la haute main, et Antonio Martín

archiste connu, fut tuĂ©. Des incidents analogues s’étaient produits Ă  Figueras eois, Ă  Tarragone. Dans Barcelone, il y avait eu, Ă  en croire des renseignements office sĂ©rie de bagarres dans les faubourgs ouvriers. Des membres de la C.N.T. et de l’Upuis quelque temps s’entre-assassinaient ; Ă  plusieurs reprises les meurtres avaienivis de funĂ©railles colossales, provocantes, organisĂ©es dans l’intention bien dĂ©libattiser les haines politiques. Peu de temps auparavant, un membre de la C.N.T. avasassinĂ©, et c’est par centaines de mille que la C.N.T. avait suivi son enterrement. À lavril, juste au moment de mon arrivĂ©e Ă  Barcelone, Roldan Cortada, membre Ă©mi

l’U.G.T., fut assassinĂ©, probablement par quelqu’un de la C.N.T. Le gouvernenna l’ordre Ă  tous les magasins de fermer et organisa un immense cortĂšge funrmĂ© en grande partie des troupes de l’armĂ©e populaire, qui, en un point donnĂ©, mit ures Ă  dĂ©filer. De la fenĂȘtre de l’hĂŽtel je le regardai passer sans enthousiasme. Il sax yeux que ces prĂ©tendues funĂ©railles Ă©taient tout bonnement un dĂ©ploiemenrces ; il suffirait d’un rien pour qu’il y ait effusion de sang. Cette mĂȘme nuit nous fĂ»veillĂ©s, ma femme et moi, par le bruit d’une fusillade venant de la place de Catalognt ou deux cents mĂštres de lĂ . Nous apprĂźmes le lendemain que c’était un membre N.T. qui avait Ă©tĂ© supprimĂ©, probablement par quelqu’un de l’U.G.T. Bien entend

ait tout Ă  fait possible que tous ces meurtres eussent Ă©tĂ© commis par des agovocateurs. On peut aussitĂŽt apprĂ©cier l’attitude de la presse capitaliste Ă©trangĂšrce des dissensions communo-anarchistes en remarquant qu’elle fit du tapage autoueurtre de Roldan Cortada, mais passa sous silence le meurtre en rĂ©ponse.

Le 1er  mai approchait et il Ă©tait question d’une manifestation monstre Ă  laqendraient part Ă  la fois la C.N.T. et l’U.G.T. Les leaders de la C.N.T., plus modĂ©rĂ©saucoup de leurs sectateurs, travaillaient depuis longtemps en vue d’une rĂ©conciliec l’U.G.T. ; c’était mĂȘme le mot d’ordre de leur politique que d’essayer de forme

ul grand bloc des deux centrales syndicales. L’idĂ©e Ă©tait de faire dĂ©filer ensembN.T. et l’U.G.T., qui feraient ainsi montre de leur solidaritĂ©. Mais au dernier momeanifestation fut dĂ©commandĂ©e. Il Ă©tait trop Ă©vident qu’elle n’amĂšnerait quegarres. C’est ainsi qu’il ne se passa rien le 1er  mai. Quel drĂŽle d’état de chorcelone, la ville soi-disant rĂ©volutionnaire par excellence, fut probablement la sle de l’Europe non-fasciste oĂč il n’y eut pas de commĂ©morations ce jour-lĂ . voue que j’en fus plutĂŽt soulagĂ©. On pensait que le contingent de l’I.L.P. allait darcher, dans le cortĂšge, avec le groupe du P.O.U.M., et tout le monde s’attendait Ă  sse. C’était bien la derniĂšre chose Ă  laquelle j’aspirais que d’ĂȘtre mĂȘlĂ© Ă  quelque absmbat de rues ! Être en train de dĂ©filer derriĂšre des drapeaux rouges sur lesquels

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scrits des mots d’ordre exaltants, et ĂȘtre descendu par quelqu’un de totalement incoi vous tire dessus au fusil-mitrailleur d’une fenĂȘtre d’un dernier Ă©tage – cidĂ©ment, ça n’est pas ma conception d’une façon utile de mourir.

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IX

 Vers midi, le 3 mai, un ami qui traversait le hall de l’hĂŽtel me dit en passant : « une espĂšce d’émeute au bureau central des tĂ©lĂ©phones, Ă  ce que j’ai entendu dire.sais pourquoi, sur le moment, je ne prĂȘtai pas attention Ă  ces mots.

Cet aprĂšs-midi-lĂ , entre trois et quatre, j’avais descendu la moitiĂ© des Ram

rsque j’entendis plusieurs coups de feu derriĂšre moi. Je fis demi-tour et vis quelunes gens, le fusil Ă  la main et, au cou, le foulard rouge et noir des anarchisteufiler dans une rue transversale qui partait des Ramblas vers le nord. Ils Ă©tanifestement en train d’échanger des coups de feu avec quelqu’un postĂ© dans une hur octogonale – une Ă©glise, je pense – qui commandait la rue transversale. Je pestantanĂ©ment : « Ça y est, ça commence ! » Mais je n’éprouvai pas grande surprisepuis des jours et des jours tout le monde s’attendait Ă  tout moment Ă  ce que « mmençùt. Je compris bien que je devais immĂ©diatement retourner Ă  l’hĂŽtel voiĂ©tait rien arrivĂ© Ă  ma femme. Mais le groupe d’anarchistes aux abords de la

ansversale refoulaient les gens en leur criant de ne pas traverser la ligne de feuuveaux coups claquÚrent. La rue était balayée par les balles tirées de la tour et

ule de gens saisis de panique descendirent prĂ©cipitamment les Ramblas pour s’éloilieu de la fusillade ; d’un bout Ă  l’autre de la rue on entendait le claquement

bliers de tĂŽle que les commerçants abaissaient aux devantures. Je vis deux officiermĂ©e populaire battre prudemment en retraite d’arbre en arbre, la main sur volver. Devant moi, la foule s’engouffrait dans une station de mĂ©tro au milieumblas pour se mettre Ă  l’abri. Je dĂ©cidai aussitĂŽt de ne pas les suivre. C’était risqu

meurer bloquĂ© sous terre pendant des heures. Ă€ ce moment, un mĂ©decin amĂ©ricain qui s’était trouvĂ© avec nous au front vint Ă courant et me saisit par le bras. Il Ă©tait surexcitĂ©.

« Allons, venez ! Il nous faut gagner l’hĂŽtel FalcĂłn. » (L’hĂŽtel FalcĂłn Ă©tait une spension de famille dont le P.O.U.M. avait pris les frais d’entretien Ă  sa charge e

scendaient surtout des miliciens en permission.) « Les camarades du P.O.U.M. vonunir. La bagarre est déclenchée. Nous devons nous serrer les coudes. »

« Mais de quoi diable s’agit-il au juste ? » demandai-je.Le docteur m’entraĂźnait dĂ©jĂ  en me remorquant par le bras. Il Ă©tait bien

rexcitĂ© pour pouvoir faire un exposĂ© trĂšs clair de la situation. Il ressortait de ses pa’il s’était trouvĂ© sur la place de Catalogne au moment oĂč plusieurs camions remplrdes civils armĂ©s Ă©taient venus s’arrĂȘter devant le Central tĂ©lĂ©phonique, dont la plus employĂ©s appartenaient Ă  la C.N.T. Les gardes civils avaient brusquement attais quelques anarchistes Ă©taient survenus et il y avait eu une Ă©chauffourĂ©e gĂ©nĂ©ralnclus de tout cela que l’« espĂšce d’émeute » du matin avait eu pour cause l’exigrmulĂ©e par le gouvernement de se faire remettre le Central tĂ©lĂ©phonique, et le ’on y avait naturellement opposĂ©.

Comme nous descendions la rue, un camion qui filait Ă  toute vitesse nous croiait bondĂ© d’anarchistes, le fusil Ă  la main. Sur le devant, un jeune homme Ă©tait allon

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at ventre sur une pile de matelas, derriĂšre une petite mitrailleuse. Quand rivĂąmes Ă  l’hĂŽtel FalcĂłn, une foule de gens grouillait dans le hall ; la confusion la mplĂšte rĂ©gnait, personne ne paraissait savoir ce qu’on attendait de nous, et persoĂ©tait armĂ©, Ă  l’exception de la poignĂ©e d’hommes des troupes de choc qui formaierde habituelle du local. Je traversai la rue pour me rendre au comitĂ© local du P.O.UuĂ© presque en face. En haut, dans la salle oĂč habituellement les miliciens venucher leur solde, grouillait aussi une masse de gens. Un homme d’une trentannĂ©es, grand, pĂąle, assez beau, en vĂȘtements civils, s’efforçait de rĂ©tablir l’ord

stribuait les ceinturons et les cartouchiĂšres qui Ă©taient entassĂ©s dans un coin. Imblait pas jusqu’à maintenant y avoir de fusils. Le docteur avait disparu – je crois avait dĂ©jĂ  eu des blessĂ©s et qu’on avait rĂ©clamĂ© des mĂ©decins –, mais il Ă©tait arrivtre Anglais. BientĂŽt, l’homme de haute taille et quelques autres commencĂšrent Ă  s

un arriĂšre-bureau des brassĂ©es de fusils et les firent passer Ă  la ronde. Comme ons, l’autre Anglais et moi, quelque peu suspects, en tant qu’étrangers, perso

abord, ne voulut nous donner un fusil. Mais sur ces entrefaites, arriva un milicienvais connu sur le front et qui me reconnut ; on nous donna alors, encore qu’un p

ntrecƓur, des fusils et un petit nombre de chargeurs.On entendait au loin le bruit d’une fusillade, et les rues Ă©taient absolument dĂ©seut le monde disait qu’il Ă©tait Ă  prĂ©sent impossible de remonter les Ramblas. Les ga

vils s’étaient emparĂ©s de maisons admirablement situĂ©es pour constituer des positminantes, et de lĂ  ils tiraient sur tous ceux qui passaient. J’aurais risquĂ© le coup gagner mon hĂŽtel, mais le bruit courait que le comitĂ© local allait probablementaquĂ© d’un instant Ă  l’autre et qu’il valait mieux que nous restions lĂ . Partout da

cal, sur les marches de l’escalier, et dehors sur le trottoir, de petits groupes de ationnaient, qui parlaient avec agitation. Personne ne paraissait se faire une idĂ©e

aire de ce qui se passait. Tout ce que je pus apprendre, c’est que les gardes civils avaaquĂ© le Central tĂ©lĂ©phonique et s’étaient emparĂ©s de plusieurs points stratĂ©giques dominaient d’autres locaux appartenant aux ouvriers. L’impression gĂ©nĂ©rale Ă©tait gardes civils « en avaient » aprĂšs la C.N.T. et la classe ouvriĂšre en gĂ©nĂ©ral. C’est un

gne de remarque que, Ă  ce moment-lĂ , personne ne semblait incrimineuvernement. Les classes pauvres de Barcelone regardaient les gardes civils commrtes de Black and Tans{5}  et l’on paraissait considĂ©rer comme chose Ă©tablie qaient attaquĂ© de leur propre initiative. Lorsque je sus de quoi il retournait, je me s

oralement plus Ă  l’aise. La question Ă©tait suffisamment claire. D’un cĂŽtĂ© la C.N.Tutre cĂŽtĂ© la police. Je n’ai pas un amour particulier pour l’« ouvrier » idĂ©alisĂ© tel qreprĂ©sente l’esprit bourgeois du communiste, mais quand je vois un vĂ©ritable ouchair et en os en conflit avec son ennemi naturel, l’agent de police, je n’ai pas beso

e demander de quel cĂŽtĂ© je suis.Un bon bout de temps s’écoula et il semblait ne rien se passer dans notre coin,

ut de la ville. Il ne me vint pas Ă  l’idĂ©e que je pouvais tĂ©lĂ©phoner Ă  mon hĂŽtel voir si ma femme Ă©tait saine et sauve ; je tenais pour admis que le Central tĂ©lĂ©phonait cessĂ© de fonctionner – alors qu’en rĂ©alitĂ© il ne fut hors de service que durant ures. On pouvait Ă©valuer Ă  environ trois cents le nombre des personnes qu

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ouvaient dans les deux locaux : c’étaient surtout des gens de la classe la plus pauvrees mal frĂ©quentĂ©es en bas de la ville, aux alentours des quais ; il y avait quantitmmes parmi eux, certaines portant sur leurs bras des bĂ©bĂ©s, et une foule de prçons dĂ©guenillĂ©s. Je me figure que beaucoup d’entre eux n’avaient pas la moition de ce qui se passait et que tout simplement ils avaient couru se rĂ©fugier dan

caux du P.O.U.M. Il s’y trouvait aussi pas mal de miliciens en permission et quelrangers. Pour autant qu’il me fĂ»t possible d’en juger, il n’y avait guĂšre quixantaine de fusils Ă  rĂ©partir entre nous tous. Le bureau en haut Ă©tait continuellem

siĂ©gĂ© par une foule de gens qui rĂ©clamaient des fusils et Ă  qui on rĂ©pondait qu’il stait plus. Parmi les miliciens, de tout jeunes gars qui semblaient se croire en pique rĂŽdaient çà et lĂ , tĂąchant de soutirer des fusils Ă  ceux qui en avaient, ou de lesucher. L’un d’eux ne tarda pas Ă  s’emparer du mien par une ruse habile et Ă  ausclipser avec. Je me retrouvai donc sans arme, Ă  l’exception de mon tout petit pistomatique pour lequel je ne possĂ©dais qu’un chargeur de cartouches.

Il commençait Ă  faire nuit, la faim me gagnait et il ne paraissait pas y avoir queose Ă  manger Ă  l’hĂŽtel FalcĂłn. Nous sortĂźmes Ă  la dĂ©robĂ©e, mon ami et moi, pour

ner Ă  son hĂŽtel qui Ă©tait situĂ© non loin de lĂ . Les rues Ă©taient plongĂ©es dansscuritĂ© totale ; pas un bruit, pas une Ăąme ; les tabliers de tĂŽle Ă©taient baissĂ©s Ă  to devantures de magasins, mais on n’avait pas encore construit de barricades. Oaucoup d’histoires avant de nous laisser entrer dans l’hĂŽtel ; la porte en Ă©tait fermf et la barre mise. À notre retour, j’appris que le Central tĂ©lĂ©phonique fonctionnait

e rendis dans le bureau d’en haut oĂč il y avait un appareil pour donner un couĂ©phone Ă  ma femme. DĂ©tail bien caractĂ©ristique, il n’y avait aucun annuaireĂ©phones dans le local, et je ne connaissais pas le numĂ©ro de l’hĂŽtel Continental ; ae heure environ de recherches de piĂšce en piĂšce, je dĂ©couvris un livret-guide qu

urnit le numĂ©ro. Je ne pus prendre contact avec ma femme, mais je parvins Ă  ahn McNair, le reprĂ©sentant de l’I.L.P. Ă  Barcelone. Il me dit que tout allait bien,rsonne n’avait Ă©tĂ© tuĂ©, et me demanda si, de notre cĂŽtĂ©, tout le monde Ă©tait sain et

comitĂ© local. Je lui dis que nous irions tout Ă  fait bien si nous avions quelgarettes. Ce n’était de ma part qu’une plaisanterie ; toujours est-il qu’une demi-hus tard nous vĂźmes McNair apparaĂźtre avec deux paquets de Lucky Strike. Il frontĂ© les rues oĂč il faisait noir comme dans un four, et oĂč des patrouilles d’anarchr deux fois l’avaient arrĂȘtĂ© et, le pistolet braquĂ© sur lui, avaient examinĂ© ses papier

oublierai pas ce petit acte d’hĂ©roĂŻsme. Les cigarettes nous firent rudement plaisir.On avait placĂ© des gardes armĂ©s Ă  la plupart des fenĂȘtres, et en bas, dans la ruetit groupe d’hommes des troupes de choc arrĂȘtaient et interrogeaient les rares pass

n car de patrouille anarchiste s’arrĂȘta, tout hĂ©rissĂ© d’armes. À cĂŽtĂ© du chauffeur,lendide jeune fille brune d’environ dix-huit ans berçait sur ses genoux une mitrailngtemps j’errai Ă  l’aventure dans le local, vaste bĂątiment plein de coins et de recnt il Ă©tait impossible d’apprendre la topographie. C’était partout l’habituel gĂąchiseubles brisĂ©s et les chiffons de papier qui semblaient ĂȘtre les produits inĂ©vitables volution. Partout des gens qui dormaient ; sur un divan dĂ©moli, dans un couloir, uvres femmes du quartier des quais ronflaient paisiblement. Ce bĂątiment avait Ă©t

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usic-hall avant que le P.O.U.M. l’eĂ»t repris. Des scĂšnes Ă©taient demeurĂ©es dressĂ©es usieurs des salles ; sur l’une d’elles il y avait un piano Ă  queue abandonnĂ©. FinalemdĂ©couvris ce que je cherchais : le magasin d’armes. J’ignorais comment les chaient tourner et j’avais grand besoin d’une arme. J’avais si souvent entendu direus les partis rivaux, P.S.U.C., P.O.U.M. et C.N.T.-F.A.I. amassaient tous pareillemenmes dans Barcelone, que je ne pouvais croire que deux des principaux locauxO.U.M. ne continssent que les cinquante ou soixante fusils que j’avais vus. La piĂšcrvait de magasin d’armes n’était pas gardĂ©e et la porte en Ă©tait peu solide ; il ne nou

s difficile, Ă  mon ami et Ă  moi, de l’ouvrir en exerçant une pression sur elle. Une fntĂ©rieur, nous nous aperçûmes que ce que l’on nous avait rĂ©pondu Ă©tait la vĂȘme : il n’y avait rĂ©ellement plus d’armes. Tout ce que nous trouvĂąmes, ce fut envux douzaines de fusils de petit calibre, d’un modĂšle qui n’était plus en usagelques fusils de chasse, et pas la moindre cartouche pour aucun d’eux. Je montreau demander s’il ne restait pas de balles de pistolet : ils n’en avaient pas. Toutus avions quelques caisses de bombes que l’un des cars de patrouille anarchistes ait apportĂ©es. Je mis deux bombes dans ma cartouchiĂšre. Elles Ă©taient d’un type

ossier, s’allumaient en en frottant le haut avec une espĂšce d’allumette, et Ă©taientjettes Ă  exploser de leur propre initiative.De tous cĂŽtĂ©s, des gens Ă©taient Ă©talĂ©s par terre, endormis. Dans une piĂšce, un

eurait et pleurait, sans discontinuer. Bien qu’on fĂ»t en mai, la nuit commençait Ă oide. Devant l’une des scĂšnes de music-hall les rideaux pendaient encore. J’ember un en le fendant avec mon couteau, m’enroulai dedans et dormis deux heun sommeil troublĂ©, je m’en souviens, par la pensĂ©e de ces sacrĂ©es bombes qui Ă©taen fichues de m’envoyer en l’air si jamais je venais Ă  rouler sur elles d’une façon unop appuyĂ©e. À trois heures du matin le bel homme de haute taille qui paraissait avo

mmandement me rĂ©veilla, me donna un fusil et me plaça en faction Ă  l’unenĂȘtres. Il me dit que Salas, le chef de la police responsable de l’attaque du buntral, avait Ă©tĂ© mis en Ă©tat d’arrestation. (En rĂ©alitĂ©, comme nous l’apprĂźmes plus avait seulement Ă©tĂ© rĂ©voquĂ©. Tout de mĂȘme, ces nouvelles vinrent confi

mpression gĂ©nĂ©rale que les gardes civils avaient agi sans ordres.) DĂšs l’aube, les gbas, se mirent Ă  construire deux barricades, l’une Ă  l’extĂ©rieur du comitĂ© local, l’au

xtĂ©rieur de l’hĂŽtel FalcĂłn. Les rues de Barcelone sont pavĂ©es de galets carrĂ©s quels il est facile de construire un mur, et sous les galets il y a une sorte de caillo

i convient parfaitement pour remplir les sacs de protection. La construction derricades fut un spectacle Ă©trange et admirable. J’aurais bien donnĂ© quelque chose uvoir le photographier ! Avec cette espĂšce d’énergie passionnĂ©e que les Espagploient lorsqu’ils sont tout Ă  fait dĂ©cidĂ©s Ă  se mettre Ă  exĂ©cuter n’importe quel tras hommes, des femmes, de tout petits enfants, en longues rangĂ©es, arrachaienvĂ©s ; certains les charriaient dans une voiture Ă  bras que l’on avait dĂ©nichĂ©e quert, tandis que d’autres faisaient la navette en chancelant sous le poids de lourds sailloux. Sur le seuil du comitĂ© local, une jeune fille, une Juive allemande, portanntalons de milicien dont la garniture de boutons des genoux lui arrivait exactemenevilles, les regardait en souriant. Au bout de deux heures les barricades s’élevaie

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uteur de tĂȘte, des guetteurs armĂ©s de fusils Ă©taient postĂ©s aux meurtriĂšres et, derne des barricades, un feu flambait et des hommes faisaient frire des Ɠufs.

On m’avait de nouveau repris mon fusil, et il ne paraissait pas y avoir rien d’utre. Nous dĂ©cidĂąmes, l’autre Anglais et moi, de rentrer Ă  l’hĂŽtel Continentaltendait au loin le bruit de pas mal de fusillades, mais pas du cĂŽtĂ© des Rammblait-il. En passant nous entrĂąmes dans les Halles. TrĂšs peu d’étals avaient ouveĂ©taient assiĂ©gĂ©s par une foule de gens des quartiers ouvriers au sud des Ramblas

oment mĂȘme oĂč nous entrĂąmes, un coup de feu claqua violemment au deh

elques panneaux de la verriĂšre du toit volĂšrent en Ă©clats, et la foule se rua verrties de derriĂšre. Quelques Ă©tals restĂšrent cependant ouverts, et nous pĂ»mes bacun une tasse de cafĂ© et acheter un morceau triangulaire de fromage de chĂšvre qurrai dans ma cartouchiĂšre Ă  cĂŽtĂ© de mes bombes. Quelques jours plus tard, je fus ureux d’avoir ce morceau de fromage.

 Au coin de la rue oĂč, la veille, j’avais vu des anarchistes commencer Ă  tirer, s’élaintenant une barricade. L’homme qui se tenait derriĂšre (j’étais, moi, de l’autre cĂŽrue) me cria de prendre garde. De la tour de l’église, les gardes civils faisaient feu

stinction sur tous ceux qui passaient. Je m’arrĂȘtai un instant, puis franchis en couspace Ă  dĂ©couvert. Effectivement, une balle passa en sifflant prĂšs de sagrĂ©ablement prĂšs. Quand je fus aux abords du siĂšge du comitĂ© exĂ©cutif du P.O.Uais encore de l’autre cĂŽtĂ© de l’avenue, de nouveaux cris d’avertissement me furessĂ©s par quelques hommes des troupes de choc qui se tenaient dans l’encadremeporte – cris d’avertissement dont, sur le moment, je ne compris pas le sens. Il y s arbres et un kiosque Ă  journaux entre le siĂšge et moi (les avenues de ce genrepagne, ont un large trottoir central) et il ne m’était pas possible de voir ce qontraient. Je parvins au Continental, m’assurai que tout allait bien, me lavai le visa

tournai au siĂšge du comitĂ© exĂ©cutif du P.O.U.M. (qui se trouvait Ă  cent mĂštres plusns l’avenue) pour demander quels Ă©taient les ordres. Dans l’intervalle, le grondemdivers points, des tirs de fusils et de mitrailleuses Ă©tait devenu presque comparab

acas d’une bataille. Je venais juste de trouver Kopp et j’étais en train de lui demande nous Ă©tions censĂ©s faire quand retentirent en bas, dans la rue, une sĂ©rie d’explosrayantes. Le fracas fut si violent que je fus persuadĂ© qu’on nous tirait dessus avenon de campagne. En rĂ©alitĂ©, il ne s’agissait que de grenades Ă  main, qui font le doleur bruit habituel lorsqu’elles explosent parmi des bĂątiments de pierre. Kopp alla

nĂȘtre jeter un coup d’Ɠil dehors, redressa sa canne derriĂšre son dos, dit : « Allons nndre compte », et descendit l’escalier comme s’il allait se balader, l’air dĂ©tachĂ© comn habitude, moi le suivant. Juste un peu en retrait de l’encadrement de la porteoupe d’hommes des troupes de choc faisaient rouler des bombes sur la chaumme s’ils jouaient aux quilles. Les bombes Ă©clataient vingt mĂštres plus loin en fafracas effroyable, Ă  briser le tympan, auquel se mĂȘlaient les claquements des coup

sil. Au milieu de l’avenue, de derriĂšre le kiosque Ă  journaux, une tĂȘte – c’était laun milicien amĂ©ricain que je connaissais bien – surgissait, qui avait exactementune noix de coco Ă  un stand de foire. Ce fut seulement aprĂšs coup que je compris cpassait au juste. Dans la maison voisine du siĂšge du P.O.U.M. il y avait un cafĂ© ave

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tel au-dessus, appelĂ© le cafĂ© Moka. La veille, vingt ou trente gardes civils armĂ©s avnĂ©trĂ© dans le cafĂ©, puis, sitĂŽt le dĂ©clenchement des troubles, ils s’étaient brusquemndus maĂźtres de toute la maison et s’y Ă©taient barricadĂ©s. Il y avait lieu de croire qaient reçu l’ordre de s’emparer du cafĂ©, Ă  titre de mesure prĂ©alable Ă  l’attaque ultĂ©rs locaux du P.O.U.M. De bonne heure le matin, ils avaient tentĂ© une sortie, des cfeu avaient Ă©tĂ© Ă©changĂ©s et un homme des troupes de choc avait Ă©tĂ© griĂšvement bun garde civil tuĂ©. Les gardes civils avaient refluĂ© dans le cafĂ©, mais lorsqu’ils avl’AmĂ©ricain descendre l’avenue ils avaient ouvert le feu sur lui, bien qu’il ne fĂ»

mĂ©. L’AmĂ©ricain s’était jetĂ© derriĂšre le kiosque pour se mettre Ă  l’abri, et les homs troupes de choc lançaient des bombes pour faire rentrer Ă  nouveau les gardes cns la maison.

Il suffit à Kopp d’un coup d’Ɠil pour saisir la situation ; il continua d’avancer earriùre un Allemand roux des troupes de choc qui venait juste d’arracher la goupil

retĂ© d’une bombe avec ses dents. Il cria Ă  tout le monde de ne pas rester sur le seuireculer, et nous dit en plusieurs langues qu’il fallait absolument Ă©viter une effusio

ng. Puis il sortit et s’avança sur la chaussĂ©e, sous les yeux des gardes civils, r

tensiblement son pistolet et le posa par terre. Deux officiers espagnols des mient de mĂȘme, et tous trois s’avancĂšrent lentement vers l’encadrement de la porte ordes civils se pressaient. Cela, on m’aurait donnĂ© vingt livres que je ne l’aurais pas s’avançaient, dĂ©sarmĂ©s, vers des hommes qui avaient perdu la tĂȘte et qui avaient

ain des fusils chargĂ©s. Un garde civil, en manches de chemise et blĂȘme de peur, sr le trottoir pour parlementer avec Kopp. Il ne cessait de montrer du doigt itation deux bombes non Ă©clatĂ©es qui gisaient sur la chaussĂ©e. Kopp revint vers us dire qu’il valait mieux faire exploser ces bombes. À demeurer lĂ , elles constituadanger pour tous ceux qui passaient. Un homme des troupes de choc tira un cou

sil sur l’une des bombes et la fit Ă©clater, puis fit feu sur l’autre, mais la manqua. Jmandai de me passer son fusil, m’agenouillai et tirai sur la seconde bombe. Je reg

avoir Ă  dire que, moi aussi, je la manquai. C’est le seul coup de feu que j’ai tirĂ© du troubles. La chaussĂ©e Ă©tait jonchĂ©e de dĂ©bris de verre provenant de l’enseigne du

oka et deux autos qui Ă©taient garĂ©es Ă  l’extĂ©rieur – l’une d’elles Ă©tait l’auto officielpp – avaient Ă©tĂ© criblĂ©es de balles et avaient eu leur pare-brise pulvĂ©risĂ© par l’explos bombes.

Kopp m’emmena de nouveau en haut et m’exposa la situation. Nous dev

fendre les locaux du P.O.U.M. s’ils Ă©taient attaquĂ©s, mais d’aprĂšs les instrucvoyĂ©es par les leaders du P.O.U.M. il nous fallait rester sur la dĂ©fensive et negager la lutte s’il Ă©tait possible de l’éviter. Exactement en face de nous il y ava

nĂ©ma, appelĂ© le Poliorama, au-dessus duquel se trouvait un musĂ©e, et tout Ă  farnier Ă©tage, dominant de haut le niveau gĂ©nĂ©ral des toits, un petit observatoire ux dĂŽmes jumeaux. Les dĂŽmes commandaient la rue et il suffisait donc de quelmmes postĂ©s lĂ -haut avec des fusils pour empĂȘcher toute attaque contre le siĂšg

O.U.M. Les concierges du cinĂ©ma Ă©taient membres de la C.N.T. et nous laisseraient venir. Quant aux gardes civils dans le cafĂ© Moka, on n’aurait pas d’ennuis avec eux

avaient pas envie de se battre et se laisseraient volontiers persuader qu’il faut que

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monde vive. Kopp rĂ©pĂ©ta que nous avions l’ordre de ne pas tirer Ă  moins qu’on ne Ăąt dessus ou que nos locaux fussent attaquĂ©s. Je compris, sans qu’il en soufflĂąt e les leaders du P.O.U.M. Ă©taient furieux d’ĂȘtre entraĂźnĂ©s dans cette histoire, aient le sentiment qu’ils devaient faire cause commune avec la C.N.T.

On avait dĂ©jĂ  placĂ© des sentinelles dans l’observatoire. Les trois jours et nivants, je les ai passĂ©s sur le toit du Poliorama que je ne quittais que durant les cooments oĂč je faisais un saut jusqu’à mon hĂŽtel pour les repas. Je ne courus anger, je n’eus rien de pire Ă  souffrir que la faim et l’ennui, et pourtant ce fut l’une

riodes les plus insupportables de ma vie tout entiĂšre. Je crois que l’on ne peut gvre de moments qui Ă©cƓurent et dĂ©sillusionnent plus et martyrisent les nerfs davane ces affreux jours de guerre de rues.

Je demeurais lĂ , assis sur le toit, et l’absurditĂ© de tout cela me rempliĂ©tonnement.

Des petites fenĂȘtres de l’observatoire on avait vue sur des kilomĂštres Ă  la ronnnombrables perspectives de hauts immeubles Ă©lancĂ©s, de dĂŽmes de verre e

ntastiques toits ondulĂ©s de tuiles d’un vert brillant Ă  reflets cuivrĂ©s ; Ă  l’e

ntillement de la haute mer – c’était la premiĂšre fois que je voyais la mer depuis rivĂ©e en Espagne. Et cette Ă©norme ville d’un million d’habitants Ă©tait plongĂ©e dansrte d’inertie pleine de sourde violence, dans un cauchemar de bruit sans mouvems rues inondĂ©es de soleil Ă©taient absolument dĂ©sertes. Nulle autre manifestation de les rafales de balles venant des barricades et des fenĂȘtres protĂ©gĂ©es par des sac

rre. Pas un vĂ©hicule ne circulait dans les rues ; çà et lĂ  le long des Ramblasamways Ă©taient demeurĂ©s immobilisĂ©s Ă  l’endroit oĂč le conducteur avait sautĂ© Ă rsque les combats avaient commencĂ©. Et tout le temps ce vacarme infernal, donlliers de bĂątiments en pierre renvoyaient les Ă©chos, continuait sans fin telle

mpĂȘte de pluie tropicale, tantĂŽt s’affaiblissant au point qu’on n’entendait plus qures coups de feu espacĂ©s, et tantĂŽt se ranimant jusqu’à devenir une fusilsourdissante, mais ne s’arrĂȘtant jamais tant que durait le jour, et Ă  l’nctuellement recommençant.

Que diable se passait-il ? Qui se battait et contre qui ? Et qui avait le dessus ? qu’il Ă©tait bien difficile de dĂ©couvrir au dĂ©but. Les habitants de Barcelone ont tellemabitude des combats de rues, et connaissent si bien la topographie locale, qu’ils sar une sorte d’instinct quel parti politique occupera telle et telle rue et tel e

meuble. Mais un Ă©tranger, trop dĂ©savantagĂ©, s’y perd. En regardant de l’observatoie rendais compte que les Ramblas, avenue qui est l’une des principales artĂšres dle, constituaient une ligne de dĂ©marcation. À droite de cette ligne, les quartiers ouvaient unanimement anarchistes ; Ă  gauche, un combat confus Ă©tait en train de se lns les ruelles tortueuses, mais sur cette partie de la ville le P.S.U.C. et les gardes caient plus ou moins la haute main. Tout au bout des Ramblas, de notre cĂŽtĂ©, autouplace de Catalogne, la situation Ă©tait si compliquĂ©e qu’elle eĂ»t Ă©tĂ© tout Ă 

ntelligible si chaque bĂątiment n’avait pas arborĂ© un pavillon de parti. Le principal prepĂšre, ici. Ă©tait l’hĂŽtel ColĂłn, quartier gĂ©nĂ©ral du P.S.U.C., qui dominait la plac

talogne. À une fenĂȘtre prĂšs de l’avant-dernier O de l’énorme « HĂŽtel ColĂłn » qui s’

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r la façade, ils avaient placĂ© une mitrailleuse qui pouvait balayer la place aveceurtriĂšre efficacitĂ©. À cent mĂštres Ă  notre droite, un peu plus bas sur les RamblaS.U., Union des Jeunesses du P.S.U.C. (correspondant Ă  l’Union des Jeunemmunistes en Angleterre), occupaient un grand entrepĂŽt dont les fenĂȘtres latĂ©rotĂ©gĂ©es par des sacs de terre, faisaient face Ă  notre observatoire. Ils avaient amenapeau rouge et hissĂ© le drapeau national catalan. Sur le Central tĂ©lĂ©phonique, poinpart de toute l’affaire, le drapeau national catalan et le drapeau anarchiste flottte Ă  cĂŽte. On avait dĂ», lĂ , s’arrĂȘter Ă  quelque compromis provisoire, car le Ce

nctionnait sans interruption et de ce bĂątiment on ne tirait aucun coup de feu.Dans notre coin, c’était singuliĂšrement calme. Les gardes civils, dans le cafĂ© M

aient baissĂ© les rideaux de fer et s’étaient fait une barricade en empilant les tables eaises du cafĂ©. Un peu plus tard, une demi-douzaine d’entre eux montĂšrent sur le toce de nous, et y construisirent avec des matelas une autre barricade, au-dessuquelle ils firent flotter un drapeau national catalan. Mais il Ă©tait visible qu’ils n’avcune envie d’entamer un combat. Kopp avait conclu avec eux un accord prĂ©cis : s’iaient pas sur nous, nous ne tirerions pas sur eux. Il Ă©tait maintenant devenu tout

mi avec eux et avait Ă©tĂ© plusieurs fois leur rendre visite dans le cafĂ© Moka. Les gavils avaient naturellement fait main basse sur tout ce qu’il y avait dans le cafĂ© pouboire, et ils firent cadeau Ă  Kopp de quinze bouteilles de biĂšre. En retour, Kopp

ait bel et bien donnĂ© un de nos fusils pour en remplacer un qu’ils avaient, ilvaient comment, perdu la veille. N’empĂȘche que l’on Ă©prouvait tout de mĂȘme une dmpression Ă  ĂȘtre assis sur ce toit. TantĂŽt j’en avais tout bonnement par-dessus latoute cette histoire, je ne prĂȘtais aucune attention au vacarme infernal et passais

ures Ă  lire une collection de livres des Éditions Penguin que, par bonheur, j’ahetĂ©s quelques jours auparavant ; tantĂŽt j’avais pleinement conscience de la prĂ©sen

nquante mĂštres de moi, d’hommes armĂ©s qui m’épiaient. C’était un peu commvais Ă©tĂ© Ă  nouveau dans les tranchĂ©es. Plusieurs fois je me surpris Ă  dire, par la forabitude, les « fascistes », en parlant des gardes civils. En gĂ©nĂ©ral, nous Ă©tionviron, lĂ -haut. Deux hommes Ă©taient placĂ©s de garde dans chacune des deux toubservatoire, tandis que les autres restaient assis en dessous sur le toit de plomb, tre abri qu’un garde-fou de pierre. Je me rendais nettement compte qu’à tout ins gardes civils pouvaient recevoir par tĂ©lĂ©phone l’ordre d’ouvrir le feu. Ils Ă©taient

mbĂ©s d’accord de nous prĂ©venir auparavant, mais rien ne nous assurait q

ndraient leur promesse. Une seule fois, du reste, on put croire que le conflclenchait. L’un des gardes civils en face de nous s’agenouilla et se mit Ă  tirer, apr la barricade. J’étais en faction dans l’observatoire Ă  ce moment-lĂ . Je braquai sil sur lui en criant :

« HĂ© ! Ne tirez pas sur nous !— Quoi ?— Ne tirez pas sur nous, ou nous tirerons aussi.— Non, non ! Ce n’est pas sur vous que je tirais. Regardez lĂ , en bas ! » Avec son fusil il me montrait quelque chose dans la direction de la rue transver

bout de notre immeuble. Effectivement je vis un jeune homme en salopette bleu

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sil dans les mains, qui Ă©tait en train de se dĂ©filer Ă  l’angle de la maison, et il Ă©tait vi’il venait de tirer un coup de feu sur les gardes civils du toit.

« C’est sur lui que je tirais. Il a tirĂ© le premier. (Je crois que c’était vrai.) Navons pas envie de vous tuer. Nous sommes des travailleurs, nous aussi, tout cous ! »

Il me fit le salut antifasciste, que je lui rendis.Je lui criai :« Est-ce qu’il vous reste encore de la biĂšre ?

— Non, il n’y en a plus. »Ce mĂȘme jour, sans motif apparent, un homme, dans le local des J.S.U. un peu

s dans l’avenue, leva soudain son fusil et me tira dessus au moment oĂč je me penca fenĂȘtre. Peut-ĂȘtre faisais-je une cible trop tentante. Je ne tirai pas en rĂ©ponse. ’il ne fĂ»t qu’à cent mĂštres de moi, sa balle passa si loin du but qu’elle n’effleura ms le toit de l’observatoire. Comme Ă  l’ordinaire la qualitĂ© du tir des Espagnols me sa

n me tira plusieurs fois dessus de ce local.Et ce diabolique tintamarre qui continuait indéfiniment ! Mais, autant que

uvais juger d’aprĂšs ce que je voyais et entendais, la lutte se bornait Ă  ĂȘtre dĂ©fensiveux cĂŽtĂ©s. Les gens restaient simplement dans leurs locaux ou derriĂšre leurs barricamaintenaient un feu roulant contre les gens d’en face. À un demi-mille de

viron, il y avait une rue oĂč les principaux bureaux de la C.N.T. et de l’U.G.T. se faisesque exactement face ; il venait de cette direction un vacarme d’une interrifiante. J’ai passĂ© dans cette rue le lendemain du jour oĂč le combat prit fin ; les vs devantures Ă©taient percĂ©es comme des cribles. (La plupart des commerçantrcelone avaient collĂ© des bandes de papier entrecroisĂ©es sur leurs vitres, ausslaient-elles pas en Ă©clats lorsqu’une balle les frappait.) Parfois le crĂ©pitement des ti

sils et de mitrailleuses Ă©tait ponctuĂ© par l’éclatement de grenades Ă  main. Et Ă  de ltervalles, peut-ĂȘtre une douzaine de fois en tout, il y eut de formidables explosionsr le moment, je n’arrivai pas Ă  m’expliquer ; au bruit on eĂ»t dit des explosionmbes aĂ©riennes, mais c’était impossible car nulle part on n’apercevait d’avion. On par la suite – et il est trĂšs possible que cela soit vrai – que des agents provocatsaient sauter des explosifs en quantitĂ©s massives, afin d’augmenter le vacarme nique gĂ©nĂ©rale. Il n’y eut cependant pas de tir d’artillerie. J’étais toujours Ă  tereille avec la crainte d’en entendre, car si les canons se mettaient de la partie,

udrait dire que l’affaire se corsait (l’artillerie est le facteur dĂ©terminant dans la gurues). AprĂšs coup il y eut des contes Ă  dormir debout dans les journaux Ă  propotteries de canons qui auraient tirĂ© dans les rues, mais personne ne put montretiment qui eĂ»t Ă©tĂ© atteint par un obus. En tout cas, le son du canon est facilemconnaissable pour qui est accoutumĂ© Ă  l’entendre.

Presque dĂšs le dĂ©but les vivres commencĂšrent Ă  manquer. Avec difficultĂ© etveur de la nuit (car les gardes civils continuaient Ă  canarder ceux qui passaient sumblas), de l’hĂŽtel FalcĂłn, on apportait Ă  manger pour les quinze ou vingt milicientrouvaient au siĂšge de l’exĂ©cutif du P.O.U.M., mais il y avait tout juste assez pourmonde, aussi allions-nous, le plus grand nombre possible d’entre nous, mang

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ĂŽtel Continental. Le Continental avait Ă©tĂ© « collectivisĂ© » par la GĂ©nĂ©ralitĂ© et mme la plupart des hĂŽtels, par la C.N.T. ou l’U.G.T. ; et il Ă©tait, de ce fait, consmme terrain neutre. Les troubles n’eurent pas plus tĂŽt commencĂ© que l’hĂŽtel s’empaquer de gens qui formaient un assemblage trĂšs surprenant. Il y avait lĂ  des journalrangers, des suspects politiques de toutes nuances, un aviateur amĂ©ricain au servicuvernement, plusieurs agents communistes (un gros Russe, entre autres, Ă  enaçant, que l’on disait ĂȘtre agent du GuĂ©pĂ©ou, que l’on surnommait Charlie Chai portait, attachĂ©s Ă  la ceinture, un revolver et une petite bombe bien fourbie), quel

milles espagnoles aisĂ©es dont les sympathies paraissaient aller aux fascistes, deuois blessĂ©s de la Brigade internationale, un groupe de conducteurs de poids lourdaient Ă©tĂ© immobilisĂ©s Ă  Barcelone par le dĂ©clenchement des troubles au moment oaient ramener en France quelques gros camions avec un chargement d’oranges, e

certain nombre d’officiers de l’armĂ©e populaire. L’armĂ©e populaire, dans semble, resta neutre durant toute la lutte ; quelques soldats s’échappĂšrent biensernes pour y prendre part, mais Ă  titre individuel. Le mardi matin, j’en vis deuxrricades du P.O.U.M. Au dĂ©but, avant que le manque de vivres ne devĂźnt aigu et qu

urnaux ne se fussent mis Ă  attiser les haines politiques, on avait tendance Ă  considute l’affaire comme une plaisanterie. Des choses comme ça, Ă  Barcelone il en arraque annĂ©e, disaient les gens. Georges Tioli, journaliste italien et l’un de nos gr

mis, rentra le pantalon trempĂ© de sang. Il Ă©tait sorti pour voir ce qui se passait, et ta’il Ă©tait en train de panser un blessĂ© qui gisait sur le trottoir, quelqu’un, comme paait lancĂ© sur lui une grenade ; par bonheur, celle-ci ne l’avait pas gravement atteine souviens qu’il fit la remarque qu’à Barcelone on devrait numĂ©roter les pavĂ©s ;argnerait tellement de peine pour la construction et la dĂ©molition des barricades ! e souviens de ces deux hommes de la Brigade internationale que je trouvai as

attendre dans ma chambre d’hĂŽtel alors que j’y arrivais fatiguĂ©, affamĂ© et sale ae nuit de faction. Leur attitude fut celle d’une totale neutralitĂ©. S’ils avaient

ellement des hommes de parti, ils m’eussent, je suppose, pressĂ© de changer de camĂȘme ligotĂ© et enlevĂ© les bombes dont mes poches Ă©taient bourrĂ©es ; au lieu de celcontentĂšrent de me plaindre d’avoir Ă  passer ma permission Ă  monter la garde sut. Ces mots peignent bien l’attitude gĂ©nĂ©rale : « Ce n’est qu’une querelle entrarchistes et la police, c’est sans importance. » En dĂ©pit de l’extension du combat embre des blessĂ©s et des morts, je crois que cette opinion Ă©tait plus proche de la v

e la version officielle prĂ©sentant l’affaire comme un soulĂšvement prĂ©mĂ©ditĂ©.C’est vers le mercredi (5 mai) qu’un changement sembla s’opĂ©rer. Les rues, avedeaux de fer des devantures baissĂ©s, prĂ©sentaient un aspect lugubre. Çà et lĂ  de rĂ©tons, forcĂ©s de sortir pour telle ou telle raison, se glissaient en rasant les murs, ags mouchoirs blancs, et, en un endroit, au milieu des Ramblas, oĂč l’on Ă©tait Ă  l’abrlles, quelques hommes criaient les journaux dans le dĂ©sert. Le mardi, Solidar

brera, le journal anarchiste, avait qualifiĂ© l’attaque du Central tĂ©lĂ©phonique d’« odiovocation » (ou si ce ne sont pas lĂ  les termes, c’en est l’idĂ©e), mais le mercreangea de ton et commença de conjurer tout le monde de reprendre le travail.

aders anarchistes firent transmettre partout ce mĂȘme message. Le bureau de La Ba

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journal du P.O.U.M., qui n’était pas dĂ©fendu, avait Ă©tĂ©, Ă  peu prĂšs en mĂȘme tempsCentral tĂ©lĂ©phonique, attaquĂ© et occupĂ© par les gardes civils ; mais le journal n’es moins imprimĂ© dans un autre local et l’on put en distribuer quelques exemplairhortait tout le monde Ă  rester aux barricades. Les gens demeuraient l’esprit indĂ©cdemandaient avec inquiĂ©tude comment diable tout cela allait finir. Je doute

elqu’un ait quittĂ© les barricades Ă  ce moment-lĂ , mais tout le monde Ă©tait las de te absurde qui, de toute Ă©vidence, ne pouvait mener Ă  rien, personne ne souhaitair tourner en guerre civile en grand, ce qui risquerait d’avoir pour consĂ©quence la p

la guerre contre Franco. Cette crainte, je l’entendis exprimer de tous cĂŽtĂ©s. À ce qs comprendre d’aprĂšs ce que les gens dirent sur le moment, la masse des membreC.N.T. voulaient, et avaient voulu dĂšs le dĂ©but, deux choses seulement : qu’on remuveau entre leurs mains le Central tĂ©lĂ©phonique, et qu’on dĂ©sarmĂąt les gardes ce l’on avait en haine. Si la GĂ©nĂ©ralitĂ© leur eĂ»t fait cette double promesse, ainsi que mettre un terme Ă  la spĂ©culation sur les vivres, il n’est pas douteux qu’en l’espac

ux heures les barricades auraient Ă©tĂ© dĂ©molies. Mais il Ă©tait visible que la GĂ©nĂ©ravait pas l’intention de cĂ©der. Et il courait de vilains bruits. On disait qu

uvernement de Valence envoyait six mille hommes occuper Barcelone, et que lle miliciens des troupes du P.O.U.M. et des anarchistes avaient quittĂ© le front d’Arur s’opposer Ă  eux. Seul le premier de ces bruits Ă©tait vrai. En regardant attentivemhaut de la tour de l’observatoire, nous vĂźmes les formes basses et grises de bĂątimguerre cerner de prĂšs le port. Douglas Moyle, qui avait Ă©tĂ© marin, dit que ça avait

ĂȘtre des contre-torpilleurs britanniques. Et, en effet, c’étaient bien des corpilleurs britanniques, mais nous n’en eĂ»mes la confirmation que par la suite.

Ce soir-lĂ , nous entendĂźmes dire que sur la place d’Espagne quatre cents gavils s’étaient rendus et avaient remis leurs armes aux anarchistes ; il y eut a

vulgation, de façon imprĂ©cise, de la nouvelle que la C.N.T. avait le dessus danubourgs, principalement dans les quartiers ouvriers. Nous semblions en passe dinqueurs. Mais ce mĂȘme soir Kopp m’envoya chercher et, le visage grave, me diton les informations qu’il venait de recevoir, le gouvernement Ă©tait sur le poin

ettre le P.O.U.M. hors la loi et de lui dĂ©clarer la guerre. Cette nouvelle me donnup. Pour la premiĂšre fois j’entrevis l’interprĂ©tation qui serait probablement dorĂšs coup de cette affaire. ConfusĂ©ment je prĂ©vis qu’une fois la lutte terminĂ©e on fomber toute la responsabilitĂ© sur le P.O.U.M., qui Ă©tait le parti le plus faible et, par

plus indiquĂ© Ă  prendre comme bouc Ă©missaire. Et en attendant, c’en Ă©tait fini, tre coin, de la neutralitĂ©. Si le gouvernement nous dĂ©clarait la guerre, nous n’aurs d’autre alternative que de nous dĂ©fendre. Et ici, au siĂšge du comitĂ© exĂ©cutif, uvions ĂȘtre certains que les gardes civils d’à cĂŽtĂ© recevraient l’ordre de nous attaq

otre seule chance de salut Ă©tait de les attaquer les premiers. Kopp Ă©tait au tĂ©lĂ©phoendre les ordres ; si l’on nous apprenait de façon catĂ©gorique que le P.O.U.M. Ă©taitrs la loi, il nous faudrait prendre immĂ©diatement des mesures pour occuper le oka.

Je me rappelle quelle interminable soirĂ©e de cauchemar nous passĂąmes Ă  fortre local. Nous fermĂąmes Ă  clef le rideau de fer abaissĂ© devant l’entrĂ©e principal

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rriĂšre, nous construisĂźmes une barricade avec des dalles de pierre laissĂ©es pavriers qui Ă©taient en train de faire quelques rĂ©parations juste au moment oĂč

oubles avaient commencĂ©. Nous inspectĂąmes notre stock d’armes. En comptant lesils qui Ă©taient en face, sur le toit du Poliorama, nous avions vingt et un fusils, donfectueux, environ cinquante cartouches pour chacun d’eux, et quelques douzainembes ; rien d’autre Ă  part cela, que quelques pistolets et revolvers. Une douz

hommes, des Allemands pour la plupart, s’étaient offerts comme volontaires aquer le cafĂ© Moka, s’il nous fallait en venir lĂ . Nous attaquerions par le

turellement, en pleine nuit, pour les prendre Ă  l’improviste ; ils Ă©taient plus nombrais notre moral Ă©tait meilleur, et certainement nous parviendrions Ă  emporter la passaut, mais il y aurait des morts. Nous n’avions pas de vivres dans notre local, elques tablettes de chocolat, et le bruit avait couru qu’« ils » allaient nous couper ersonne ne savait qui, au juste, ce « ils » dĂ©signait C’était peut-ĂȘtre le gouvernemi avait la haute main sur les usines de distribution d’eau, ou peut-ĂȘtre la C.rsonne ne savait.) Nous passĂąmes beaucoup de temps Ă  remplir toutes les cuvns les lavabos, tous les seaux que nous pĂ»mes trouver, et finalement les qu

uteilles Ă  biĂšre, vides Ă  prĂ©sent, que les gardes civils avaient donnĂ©es Ă  Kopp.J’étais d’une humeur Ă©pouvantable, et vannĂ© d’avoir passĂ© quelque soixante hepeu prĂšs sans dormir. On Ă©tait maintenant Ă  une heure avancĂ©e de la nuit. En basmmes dormaient, Ă©tendus par terre derriĂšre la barricade. En haut, il y avait une pambre garnie d’un divan, dont nous avions l’intention de faire un poste de secours,e, est-il besoin de le dire, nous nous aperçûmes qu’il n’y avait ni teinture d’iodndes de pansement dans le local. Ma femme avait quittĂ© l’hĂŽtel pour venir oindre, pour le cas oĂč nous aurions besoin d’une infirmiĂšre. Je m’étendis sur le drouvant le dĂ©sir de goĂ»ter une demi-heure de repos avant l’attaque du cafĂ© Mok

urs de laquelle il Ă©tait Ă  prĂ©sumer que je serais tuĂ©. Je me souviens de la sensatione insupportable que j’éprouvai du fait de mon pistolet qui, attachĂ© Ă  mon ceintue rentrait dans les reins. Et la chose suivante dont je me souvienne c’est de mveillĂ© en sursaut, pour trouver ma femme debout Ă  cĂŽtĂ© de moi. Il faisait grand jo

s’était rien passĂ©, le gouvernement n’avait pas dĂ©clarĂ© la guerre au P.O.U.M., avait pas Ă©tĂ© coupĂ©e et, si l’on faisait abstraction de quelques fusillades par-ci pns les rues, tout Ă©tait comme Ă  l’ordinaire. Ma femme me dit qu’elle ne s’était pas scƓur de me rĂ©veiller et avait dormi dans un fauteuil, dans l’une des chambres s

vant.L’aprĂšs-midi il y eut une sorte d’armistice. Le bruit de la fusillade s’éteignit pu, et soudain, comme par un coup de thĂ©Ăątre, les rues s’emplirent de monde. Quelagasins commencĂšrent Ă  relever leurs tabliers de tĂŽle et une foule Ă©norme envaharchĂ©, rĂ©clamant des denrĂ©es et se pressant autour des Ă©tals d’alimentation, bien qssent Ă  peu prĂšs vides. Il est Ă  remarquer, cependant, que les tramwaycommencĂšrent pas Ă  circuler. Les gardes civils Ă©taient toujours derriĂšre leurs barricns le cafĂ© Moka ; ni l’un ni l’autre camp n’évacua les locaux fortifiĂ©s. Tout le murait çà et lĂ  aux alentours, cherchant Ă  acheter des vivres. Et de tous cĂŽtĂ©tendait poser la mĂȘme question anxieuse : « Pensez-vous que ça soit fini ? Pensez-

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e ça va recommencer ? » À « ça », au conflit, on y songeait Ă  prĂ©sent comme Ă  une calamitĂ© naturelle, comme Ă  un cyclone ou Ă  un tremblement de terre, qui

appait tous pareillement et qu’il n’était pas en notre pouvoir d’empĂȘcher.ectivement, presque tout de suite – je crois qu’en rĂ©alitĂ© il doit y avoir eu une trĂȘv

usieurs heures, mais ces heures nous firent l’effet de minutes – le claquement souun coup de feu, comme une rafale de pluie en juin, provoqua un sauve-qui-peut gĂ©n tabliers de tĂŽle des magasins retombĂšrent avec un bruit sec, les rues se vidĂšmme par enchantement, les barricades se garnirent d’hommes ; « ça »

commencé.Je regagnai mon poste sur le toit avec un profond dégoût et une fureur concen

uand on est en train de prendre part Ă  des Ă©vĂ©nements tels que ceux-ci, je suppose qt en train, dans une modeste mesure, de faire de l’histoire, et l’on devrait, en tstice, avoir l’impression d’ĂȘtre un personnage historique. Mais non, on ne l’a jamrce qu’à de tels moments, les dĂ©tails d’ordre physique l’emportent toujouraucoup sur tout le reste. Pendant toute la durĂ©e des troubles, il ne m’est pas arrivĂ©ule fois de faire l’« analyse » exacte de la situation, comme le faisaient avec

aisance les journalistes Ă  des centaines de kilomĂštres de lĂ . Ce Ă  quoi je songrtout, ce n’était pas au juste et Ă  l’injuste dans cette dĂ©plorable lutte d’exterminaciproque, mais tout bonnement au manque de confort et Ă  l’ennui d’ĂȘtre assis joit sur ce toit que je ne pouvais plus voir, et Ă  la faim toujours grandissante, car aunous n’avait fait un vrai repas depuis le lundi. Et la pensĂ©e ne me quittait pas qu’i

udrait repartir sur le front aussitĂŽt qu’on en aurait fini avec cette histoire. Il y avaoi vous rendre furieux. Je venais de passer cent quinze jours au front et j’étais revercelone affamĂ© d’un peu de repos et de confort ; et voilĂ  qu’il me fallait passer

mps assis sur un toit, en face des gardes civils, aussi embĂȘtĂ©s que moi, qui, de temp

mps, m’adressaient de la main un salut en m’assurant qu’ils Ă©taient, eux aussitravailleurs » (une façon de me dire qu’ils espĂ©raient que je ne les tuerais pas), ’ils n’hĂ©siteraient pas Ă  faire feu sur moi si on leur en donnait l’ordre. C’était peutl’histoire, mais on n’en avait pas l’impression. On aurait plutĂŽt dit une mauv

riode sur le front, comme lorsque les effectifs Ă©taient trop faibles et qu’il fallait assnombre anormal d’heures de faction ; au lieu de faire acte d’hĂ©roĂŻsme, on

mplement à rester à son poste, malade d’ennui, tombant de sommeil, et se ficerdument de savoir de quoi il retournait.

 Ă€ l’intĂ©rieur de l’hĂŽtel, dans cette cohue de gens si diffĂ©rents entre eux, et doupart n’avaient pas osĂ© mettre le nez dehors, une abominable atmosphĂšre de suspait grandi. Diverses personnes Ă©taient atteintes de l’idĂ©e fixe de l’espionnage ssaient dans tous les coins pour vous murmurer Ă  l’oreille que tous les autres Ă©ts espions, qui des communistes, qui des trotskystes, ou des anarchistes, ou de Dieui encore. Le gros agent russe retenait dans les encoignures, l’un aprĂšs l’autre, tou

fugiĂ©s Ă©trangers pour leur expliquer de façon plausible que tout cela Ă©tait un comarchiste. Je l’observais, non sans intĂ©rĂȘt, car c’était la premiĂšre fois qu’il m’était dvoir quelqu’un dont le mĂ©tier Ă©tait de rĂ©pandre des mensonges – si l’on fait excep

s journalistes, bien entendu. Il y avait quelque chose de repoussant dans cette par

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la vie d’un hĂŽtel chic se poursuivant derriĂšre des fenĂȘtres aux volets clos, danĂ©pitement des coups de feu. La salle Ă  manger sur le devant avait Ă©tĂ© abandonnĂ©e a’une balle, entrant par la fenĂȘtre, eut Ă©raflĂ© un pilier, et les hĂŽtes s’entassaieĂ©sent dans une petite salle un peu sombre sur le derriĂšre, oĂč il n’y avait jamais assebles pour tout le monde. Les garçons Ă©taient en plus petit nombre qu’en termal – certains Ă©tant membres de la C.N.T. avaient rĂ©pondu au mot d’ordre de la gnĂ©rale – et ils avaient momentanĂ©ment renoncĂ© Ă  porter leurs chemises empeais les repas Ă©taient toujours servis avec une affectation de cĂ©rĂ©monie. Or, il n’y

ur ainsi dire rien Ă  manger. Ce jeudi soir, le plat de rĂ©sistance du dĂźner consista enule sardine pour chacun. L’hĂŽtel n’avait pu avoir de pain depuis plusieurs jours et lĂȘme commençait Ă  manquer, au point qu’on nous en faisait boire du plus en plus vdes prix de plus en plus Ă©levĂ©s. Ce manque de vivres dura encore plusieurs jours apr des troubles. Trois jours de suite, je m’en souviens, nous avons dĂ©jeunĂ© le matin

mme et moi, d’un petit morceau de fromage de chĂšvre, sans pain ni rien Ă  boireule chose qu’on avait en abondance, c’étaient des oranges. Les conducteurs de camançais en apportaient des leurs en quantitĂ© Ă  l’hĂŽtel. Ils formaient un groupe d’as

de ; ils avaient avec eux quelques filles espagnoles trĂšs voyantes, et un Ă©nortefaix en blouse noire. En tout autre temps, le petit poseur de gĂ©rant d’hĂŽtel auraison mieux pour les mettre mal Ă  l’aise, et mĂȘme leur aurait refusĂ© l’entrĂ©

tablissement, mais pour l’instant ils jouissaient de la popularitĂ© gĂ©nĂ©rale parce quntraire de nous tous, ils avaient leurs provisions personnelles de pain et tout le merchait Ă  les taper.

Je passai cette derniĂšre nuit sur le toit, et le lendemain la lutte eut vraimentarriver Ă  son terme. Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de coups de feu tirĂ©s ce j

le vendredi. Personne ne paraissait savoir de façon certaine si les troupes de Val

aient rĂ©ellement en train de venir ; elles arrivĂšrent prĂ©cisĂ©ment ce mĂȘme soiruvernement diffusait des messages mi-apaisants, mi-menaçants, demandant Ă  chrentrer chez soi et disant que, passĂ© une certaine heure, quiconque serait tr

rteur d’une arme serait arrĂȘtĂ©. On ne prĂȘta guĂšre attention aux communicationuvernement, mais partout les gens disparurent des barricades. Je suis persuadĂ© qson en fut surtout le manque de vivres. De tous cĂŽtĂ©s l’on entendait faire

marque : « Nous n’avons plus rien Ă  manger, il faut bien que nous retournionavail. » En revanche, les gardes civils, eux, purent rester Ă  leur poste, Ă©tant assurĂ©

cevoir du ravitaillement tant qu’il y aurait quelque chose Ă  manger dans la aprĂšs-midi, les rues avaient presque repris leur aspect normal, abstraction faiterricades dĂ©sertĂ©es mais toujours debout ; la foule se pressait sur les Ramblasagasins Ă©taient presque tous ouverts, et – le plus rassurant de tout – les tramsaient demeurĂ©s si longtemps immobilisĂ©s, comme bloquĂ©s dans un embouteilbranlĂšrent brusquement et recommencĂšrent Ă  fonctionner. Les gardes ccupaient toujours le cafĂ© Moka et n’avaient pas dĂ©moli leurs barricades, mais certentre eux portĂšrent des chaises dehors et s’assirent sur le trottoir, leur fusil en tras genoux. J’adressai Ă  l’un d’eux, en passant, un clin d’Ɠil, et reçus en rĂ©ponse un urire qui n’avait rien d’inamical ; il faut dire qu’il m’avait reconnu. Au-dessu

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ntral tĂ©lĂ©phonique le drapeau anarchiste avait Ă©tĂ© amenĂ© et seul le drapeau catttait maintenant. Cela signifiait que dĂ©cidĂ©ment les ouvriers Ă©taient battusmpris – mais, du fait de mon ignorance en politique, pas si clairement que je l’e– que lorsque le gouvernement se sentirait plus sĂ»r de lui, il y aurait des reprĂ©sa

ais, sur le moment, cet aspect de la situation me laissa indiffĂ©rent. Tout ce qussentais, c’était un profond soulagement de ne plus entendre ce maudit fracas dsillade, de pouvoir acheter quelque chose Ă  manger et goĂ»ter un peu de repos eanquillitĂ© avant de retourner au front.

Ce dut ĂȘtre tard dans la soirĂ©e que les troupes de Valence firent leur entrĂ©e dale. C’étaient les gardes d’assaut, formation analogue Ă  celle des gardes civils etrabiniers (autrement dit, essentiellement destinĂ©e aux opĂ©rations de police) et trĂ©lite de la RĂ©publique. Tout Ă  coup ils furent lĂ , comme sortis de terre ; on en vit patrouiller dans les rues par groupes de dix, des hommes grands, en uniforme gri

eu, avec de longs fusils en bandouliĂšre, et un fusil mitrailleur par groupe. En attenus avions une difficile opĂ©ration Ă  mener Ă  bien. Les six fusils dont nous nous Ă©trvis pour monter la garde dans les tours de l’observatoire y Ă©taient demeurĂ©s et, c

e coĂ»te, il nous fallait les rapporter dans le local du P.O.U.M. La question Ă©tait dere traverser la rue. Ils faisaient partie du stock d’armes rĂ©glementaire du local, mamener dans la rue, c’était contrevenir Ă  l’ordre du gouvernement, et si l’on nous attr

ec ces fusils dans les mains, nous serions sĂ»rement arrĂȘtĂ©s et, qui pis est, les fraient confisquĂ©s. N’ayant que vingt et un fusils pour le local, nous ne pouvions frir le luxe d’en perdre six. AprĂšs avoir longtemps dĂ©battu la meilleure façonocĂ©der, nous commençùmes, un tout jeune Espagnol Ă  cheveux roux et moi-mĂȘme,sser clandestinement. Il Ă©tait assez facile d’éviter les patrouilles des gardes d’assaunger, c’était les gardes civils du cafĂ© Moka, qui tous savaient fort bien que nous av

s fusils dans l’observatoire et pourraient donner l’éveil s’ils nous voyaientansporter. Nous nous dĂ©shabillĂąmes tous deux en partie et nous nous passĂąmpaule gauche, en bandouliĂšre, un fusil, de maniĂšre Ă  en avoir la crosse sous l’aissecanon enfilĂ© dans la jambe du pantalon. Ce qui Ă©tait fĂącheux c’est que c’étaient de lausers. MĂȘme un homme aussi grand que moi ne peut porter un long Mauser dambe de son pantalon sans en ĂȘtre gĂȘnĂ©. Nous en eĂ»mes du mal pour, la jambe gamplĂštement raide, descendre l’escalier en colimaçon de l’observatoire ! Une fois dae, nous nous aperçûmes qu’il n’y avait moyen d’avancer qu’avec une extrĂȘme len

e lenteur qui permĂźt de ne pas flĂ©chir les genoux. À l’extĂ©rieur du cinĂ©ma, je vioupe de gens qui m’observaient avec un grand intĂ©rĂȘt tandis que je me traĂźnais Ă  partue. Je me suis souvent demandĂ© ce qu’ils purent bien s’imaginer que j’avais.tais blessĂ© de guerre, peut-ĂȘtre. En tout cas, nous parvĂźnmes Ă  passer clandestinemus les fusils sans incident.

Le lendemain l’on vit des gardes d’assaut partout, arpenter les rues en conquĂ©rn’était pas douteux que le gouvernement se livrait lĂ  purement et simplement ploiement de forces destinĂ© Ă  intimider la population qui, il le savait d’avancesisterait pas ; s’il avait eu la moindre crainte rĂ©elle de nouvelles Ă©meutes, insignĂ© les gardes d’assaut dans les casernes au lieu de les faire s’éparpiller par p

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oupes dans les rues. C’étaient des troupes splendides, de beaucoup les meilleures eĂ»t Ă©tĂ© donnĂ© de voir jusque-lĂ  en Espagne, et j’avais beau me dire qu’elles Ă©tans un sens, « l’ennemi », je ne pouvais m’empĂȘcher de prendre plaisir Ă  les regaais c’était avec une sorte d’ébahissement que je les dĂ©taillais tandis qu’ils dĂ©ambulaĂ©tais habituĂ© aux milices en loques et Ă  peine armĂ©es du front d’Aragon, et j’asqu’alors ignorĂ© que la RĂ©publique possĂ©dĂąt de telles troupes. C’étaient, physiquems hommes triĂ©s sur le volet, mais ce n’était pas tant cela, que leur armementĂ©tonnait. Ils avaient tous des fusils tout neufs du type connu sous le nom de «

sse » (ces fusils Ă©taient envoyĂ©s en Espagne par l’U.R.S.S., mais fabriquĂ©s, je croimĂ©rique). J’en ai examinĂ© un. Il Ă©tait loin d’ĂȘtre parfait, mais combien meilleur qufreux vieux tromblons que nous avions au front ! En outre, les gardes d’assaut avacun un pistolet automatique, et un fusil mitrailleur pour dix hommes. Nous, au fus avions une mitrailleuse pour environ cinquante hommes, et quant aux pistolex revolvers, nous ne pouvions nous en procurer qu’illĂ©galement. À la vĂ©ritĂ©, bien ql’eusse pas remarquĂ© jusqu’alors, il en Ă©tait ainsi partout. Les gardes civils e

rabiniers, qui n’étaient nullement destinĂ©s au front, Ă©taient beaucoup mieux arm

comparablement mieux vĂȘtus que nous. J’ai idĂ©e qu’il en va de mĂȘme dans touteerres, que toujours existe le mĂȘme contraste entre la police bien astiquĂ©e de l’arriĂš soldats loqueteux du front. Dans l’ensemble, les gardes d’assaut s’entendirent

en avec la population au bout d’un jour ou deux. Le premier jour il y eut quelctions parce que certains gardes d’assaut – agissant par ordre, j’imaginmmencĂšrent Ă  se livrer Ă  des provocations. Ils montaient en bande dans les truillaient les voyageurs et, s’ils trouvaient dans leurs poches des cartes de membre N.T., ils les dĂ©chiraient et les piĂ©tinaient. Il en rĂ©sulta quelques bagarres avecarchistes armĂ©s ; et il y eut un ou deux morts. TrĂšs vite, cependant, les gardes d’as

andonnĂšrent leurs airs de conquĂ©rants et les rapports avec eux devinrent plus amicest Ă  remarquer qu’au bout d’un jour ou deux la plupart d’entre eux avaient levĂ©

une fille.Les combats de Barcelone avaient fourni au gouvernement de Valence le prét

puis longtemps souhaitĂ©, d’assujettir davantage Ă  son autoritĂ© la Catalogne. Les mivriĂšres allaient ĂȘtre dissoutes et seraient Ă  nouveau rĂ©parties dans l’armĂ©e populdrapeau de la RĂ©publique espagnole flottait partout sur Barcelone – c’était la prems, je crois, que je le voyais ailleurs qu’au-dessus d’une tranchĂ©e fasciste. Dan

artiers ouvriers on Ă©tait en train de dĂ©molir les barricades, d’une façon aagmentaire du reste, car on a autrement plus vite fait de construire une barricade qumettre en place les pavĂ©s. Le P.S.U.C. eut la permission de laisser debout les barricl’extĂ©rieur de ses locaux, et en fait elles y demeurĂšrent dressĂ©es jusqu’en juin.rdes civils occupaient toujours les points stratĂ©giques. On procĂ©da Ă  de grandes saarmes dans les locaux fortifiĂ©s de la C.N.T., mais je suis persuadĂ© que beaucoup d’ahappĂšrent Ă  la saisie. La Batalla continuait Ă  paraĂźtre, mais Ă©tait censurĂ©e au point

premiÚre page était presque entiÚrement blanche. Les journaux du P.S.U.Cbissaient pas la censure et publiaient des articles incendiaires réclamant la suppresP.O.U.M. Le P.O.U.M. était dénoncé comme une organisation fasciste déguisée e

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ents du P.S.U.C. rĂ©pandaient partout dans la ville un dessin caricatural qui reprĂ©seP.O.U.M. sous les traits de quelqu’un qui, en ĂŽtant un masque dĂ©corĂ© du marteau faucille, dĂ©couvrait un visage hideux de fou furieux marquĂ© de la croix gammĂ©e. Il ident que le choix de la version officielle des troubles de Barcelone Ă©tait dĂ©jĂ  arrĂȘtĂ©vaient ĂȘtre prĂ©sentĂ©s comme un soulĂšvement de la « cinquiĂšme colonne » fasmentĂ© uniquement par le P.O.U.M.

 Ă€ l’intĂ©rieur de l’hĂŽtel, l’horrible atmosphĂšre de suspicion et de haine Ă©tait devcore pire, Ă  prĂ©sent que les combats avaient pris fin. En face des accusations lancĂ©

tĂ© et d’autre, il Ă©tait impossible de rester neutre. Le service des Postes fonctionnuveau, les journaux communistes de l’étranger recommençaient Ă  arriver et faiseuve, dans leurs comptes rendus des troubles de Barcelone, non seulement d’un vioprit de parti, mais naturellement aussi d’une inexactitude inouĂŻe dans la prĂ©sentas faits. Je pense que certains communistes qui se trouvaient sur les lieux, ayant vi s’était rĂ©ellement passĂ©, furent consternĂ©s en voyant ainsi travestir les Ă©vĂ©nem

ais naturellement il leur fallait se solidariser avec leur propre parti. Notre mmuniste entra une fois encore en communication avec moi pour me demander

voulais pas ĂȘtre mutĂ© dans la Brigade internationale.Je m’en montrai assez surpris :« Comment ! Mais vos journaux prĂ©tendent que je suis un fasciste, lui rĂ©pond

serais sĂ»rement suspect du point de vue politique, venant du P.O.U.M. !— Oh ! c’est sans importance ! AprĂšs tout vous n’avez fait qu’exĂ©cuter des ordresJe dus lui dire qu’aprĂšs ce qui venait de se passer, il ne m’était plus possibl

oindre aucune unitĂ© dirigĂ©e par les communistes. Que, tĂŽt ou tard, ce serait ris’on se servĂźt de moi contre la classe ouvriĂšre espagnole. On ne pouvait savoir quaterait Ă  nouveau le conflit, et si je devais, en des circonstances de ce genre, me s

mon fusil, je voulais que ce fĂ»t aux cĂŽtĂ©s de la classe ouvriĂšre et non contre elle. Ila rĂ©ponse de façon parfaite. Mais dĂ©sormais ce n’était plus du tout la mmosphĂšre. Il ne vous Ă©tait plus possible, comme auparavant, de « diffĂ©rer Ă  l’amiabde n’en pas moins aller ensuite boire un coup avec quelqu’un qui Ă©tait censĂ©ment vversaire du point de vue politique. Il y eut quelques vilaines altercations dans le sl’hĂŽtel. Cependant que les geĂŽles Ă©taient pleines et archi-pleines. Les combats une

rminĂ©s, les anarchistes avaient, naturellement, relĂąchĂ© leurs prisonniers, mairdes civils, eux, n’avaient pas relĂąchĂ© les leurs, et la plupart de ceux-ci furent jetĂ©

ison et y demeurĂšrent sans jugement, des mois durant dans plusieurs cas. Coujours, la police ayant l’habitude de faire un gĂąchis, des gens absolument Ă©trangersĂ©nements furent arrĂȘtĂ©s. J’ai dĂ©jĂ  parlĂ© de Douglas Thompson qui avait Ă©tĂ© blessbut d’avril ; nous l’avions ensuite perdu de vue, comme cela arrivait gĂ©nĂ©ralemrsqu’un homme Ă©tait Ă©vacuĂ©, les blessĂ©s Ă©tant soumis Ă  de frĂ©quents changemhĂŽpitaux. En fait il avait Ă©tĂ© Ă©vacuĂ© sur l’hĂŽpital de Tarragone, puis renvoyĂ© Ă  Barcepeu prĂšs au moment oĂč commencĂšrent les troubles. Le mardi matin je le rencons la rue, tout effarĂ© d’entendre Ă©clater de tous cĂŽtĂ©s des fusillades. Il me poestion que tout le monde posait :

« Mais que diable se passe-t-il ? »

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Je lui expliquai tant bien que mal. Thompson dit aussitĂŽt :« Je ne vais pas me mĂȘler de tout cela. Mon bras n’est pas encore guĂ©ri. Je

tourner à mon hÎtel et y rester. »Il rentra à son hÎtel, mais malheureusement (combien il importe, dans la guer

es, de bien connaĂźtre la gĂ©ographie politique locale !) cet hĂŽtel Ă©tait situĂ© dans la pla ville sous la domination des gardes civils. Il y eut une descente dans l’hĂŽt

ompson fut arrĂȘtĂ©, jetĂ© en prison et gardĂ© huit jours dans une cellule si bondĂ©e de e personne n’avait la place de s’y coucher. Il y eut beaucoup de cas semblables

mbreux Ă©trangers aux antĂ©cĂ©dents politiques douteux passaient leur temps Ă  fulice sur leur trace, et ils vivaient dans la crainte constante d’une dĂ©nonciation. C

re encore pour les Italiens et les Allemands, qui n’avaient pas de passeports et Ă©tanĂ©ralement recherchĂ©s par les agents secrets du gouvernement de leur propre pls Ă©taient arrĂȘtĂ©s, ils Ă©taient exposĂ©s Ă  ĂȘtre expulsĂ©s, refoulĂ©s en France, ce qui risq

entraĂźner leur renvoi en Italie ou en Allemagne, oĂč Dieu sait quelles horreurendaient. Une ou deux femmes Ă©trangĂšres rĂ©gularisĂšrent Ă  la hĂąte leur situatioĂ©pousant » des Espagnols. Une jeune Allemande qui n’avait pas de papiers du

pista la police en se faisant passer durant plusieurs jours pour la maĂźtresse mme. Je revois l’expression de honte et de dĂ©tresse que prit le visage de cette pafant quand le hasard me fit me heurter Ă  elle juste au moment oĂč elle sortait dambre Ă  coucher de cet homme ; bien entendu, elle n’était pas sa maĂźtresse, maisnsait que certainement je croyais qu’elle l’était. Et l’on avait tout le temps le sentimominable qu’on allait peut-ĂȘtre ĂȘtre dĂ©noncĂ© Ă  la police secrĂšte par quelqusqu’alors votre ami. Le long cauchemar des troubles, le fracas, la privation de nourrde sommeil, le mĂ©lange de tension et d’ennui Ă  rester assis sur le toit en me demand’une minute Ă  l’autre je n’allais pas ĂȘtre tuĂ© ou obligĂ© de tuer, m’avaient mis les n

vif. J’en Ă©tais arrivĂ© au point de saisir mon revolver dĂšs que j’entendais une porte bsamedi matin une fusillade Ă©clata brusquement au-dehors et tout le monde se m

er : « VoilĂ  que ça recommence ! » Je me prĂ©cipitai dans la rue : ce n’étaient querdes d’assaut en train de tuer un chien enragĂ©. Aucun de ceux qui se sont trouvrcelone Ă  ce moment-lĂ  ou durant les quelques mois suivants ne pourra oublier

mosphĂšre abominable engendrĂ©e par la peur, le soupçon, la haine, la vue des journsurĂ©s, les prisons bondĂ©es, les queues qui n’en finissaient pas aux portes des magalimentation et les bandes d’hommes armĂ©s rĂŽdant par la ville.

J’ai essayĂ© de donner quelque idĂ©e de ce que l’on Ă©prouvait Ă  se trouver mĂȘlĂ©oubles de Barcelone, mais je doute d’avoir rĂ©ussi Ă  faire comprendre toute l’étrangette pĂ©riode. L’une des choses que je trouve gravĂ©es dans ma mĂ©moire quand jeporte Ă  ce temps-lĂ , ce sont les rencontres fortuites que l’on faisait alors, les bruserçus que l’on avait de non-combattants pour qui toute l’affaire n’était que vacanuĂ© de signification. Je me souviens d’une femme Ă©lĂ©gante que je vis flĂąner sumblas, un sac Ă  provisions au bras et tenant en laisse un caniche blanc, tandis qu

sillade faisait rage une ou deux rues plus loin. On peut se demander si elle Ă©tait soucet homme Ă  qui je vis prendre ses jambes Ă  son cou pour traverser la plac

talogne complÚtement déserte, en brandissant un mouchoir blanc dans chaque m

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ce groupe important de gens, tous vĂȘtus de noir, qui essayĂšrent pendant prĂšs dure de traverser la place de Catalogne sans jamais y parvenir. Chaque fois qontraient le bout du nez au coin de la rue transversale, les mitrailleurs du P.S.U.C., ĂŽtel ColĂłn, ouvraient le feu sur eux et les faisaient reculer ; je me demande pourreste, car il Ă©tait visible que ces gens n’étaient pas armĂ©s. J’ai pensĂ© depuis qu

vait ĂȘtre un cortĂšge funĂšbre. Et ce petit homme qui servait de gardien au musĂ©essus du Poliorama et qui paraissait considĂ©rer toute l’affaire comme une excelcasion d’avoir de la compagnie. Il Ă©tait si content que des Anglais vinssent le voir

nglais Ă©taient si simpĂĄticos, disait-il. Il exprimait l’espoir que nous reviendrionndre visite aprĂšs les troubles ; en fait j’y suis allĂ©. Et cet autre petit homme qui s’abns l’encadrement d’une porte et qui hochait la tĂȘte d’un air ravi en entendant le b

enfer de la fusillade sur la place de Catalogne et qui disait (sur le mĂȘme ton qu’il eû’il faisait beau) : « Nous revoilĂ  au 19 juillet ! » Et les vendeurs dans le magasittier qui Ă©tait en train de me faire des chaussures de marche. J’y suis allĂ© avan

oubles, aprĂšs que tout fut fini, et quelques minutes durant le bref armistice du 5 Ă©tait un magasin cher, dont les vendeurs appartenaient Ă  l’U.G.T., et peut-ĂȘtr

S.U.C. (en tout cas politiquement de l’autre bord), et savaient que je servais daO.U.M. Pourtant leur attitude fut celle de l’indiffĂ©rence absolue. « Ah ! c’est alheureux tout cela, n’est-ce pas ? Et ça ne vaut rien pour les affaires ! Quel male ça ne cesse pas ! Comme s’il n’y avait pas au front assez de sang versĂ© ! » et ainite. Sans doute qu’il y eut des quantitĂ©s de gens, peut-ĂȘtre la majeure partiebitants de Barcelone, pour qui toute l’affaire ne prĂ©senta pas la moindre lueur d’intpas plus d’intĂ©rĂȘt que n’en aurait suscitĂ© en eux un bombardement aĂ©rien.

Dans ce chapitre, j’ai relatĂ© uniquement ce que j’ai vu et senti par moi-mĂȘme. Jopose, dans un chapitre en appendice, placĂ© Ă  la fin de ce livre, d’examiner les ch

us un angle plus large – d’essayer de mon mieux de dĂ©terminer ce qui s’est rĂ©ellemssĂ© et quelles en ont Ă©tĂ© les consĂ©quences, la part du juste et de l’injuste en tout celi fut le responsable, s’il y en eut un. On a tirĂ© un tel parti, politiquement, des trouBarcelone, qu’il importe de se faire une opinion saine Ă  ce sujet. On a dĂ©jĂ  Ă©cr

ssus tant et plus, de quoi remplir plusieurs livres, et je ne crois pas exagérer en de ces écrits sont pour la plupart mensongers. Presque tous les comptes rendu

urnaux publiĂ©s Ă  l’époque ont Ă©tĂ© forgĂ©s de loin par des journalistes, et ils Ă©taientulement inexacts quant aux faits, mais Ă  dessein fallacieux. Comme d’habitude

avait laissĂ© parvenir jusqu’au grand public qu’un seul son de cloche. Comme tous i se sont trouvĂ©s Ă  Barcelone Ă  cette Ă©poque, je ne vis que ce qui se passa dans in, mais j’en ai vu et entendu suffisamment pour ĂȘtre en mesure de rĂ©futer unmbre des mensonges qui ont Ă©tĂ© mis en circulation.

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X

Ce dut ĂȘtre trois jours aprĂšs la fin des troubles de Barcelone que nous remontĂąfront. AprĂšs les combats – et plus spĂ©cialement aprĂšs la pluie d’injures dan

urnaux – il Ă©tait difficile, en pensant Ă  la guerre, d’avoir encore tout Ă  fait le mĂȘmeesprit naĂŻvement idĂ©aliste qu’auparavant. Je pense qu’il est impossible que personn

passer plus de quelques semaines en Espagne sans ĂȘtre dĂ©sillusionnĂ©. Le souvenivint de ce correspondant de journal rencontrĂ© le jour mĂȘme de mon arrivĂ©e Ă  Barcequi m’avait dit : « Cette guerre est une supercherie, comme toute autre guerre ! » Cflexion m’avait profondĂ©ment choquĂ©, et Ă  cette Ă©poque-lĂ  (en dĂ©cembre) je ne croi’elle Ă©tait juste ; mĂȘme alors, en mai, elle ne l’était pas, mais elle commençaitvenir. La vĂ©ritĂ©, c’est que toute guerre subit de mois en mois une sorte de dĂ©gradaogressive, parce que tout simplement des choses telles que la libertĂ© individuelle etesse vĂ©ridique ne sont pas compatibles avec le rendement, l’efficacitĂ© militaires.

On pouvait dĂ©jĂ  faire quelques conjectures sur l’avenir. Il Ă©tait facile de prĂ©voir

gouvernement Caballero tomberait et serait remplacĂ© par un gouvernement ploite dans lequel l’influence communiste serait plus forte (c’est ce qui arriva unux semaines plus tard), gouvernement qui s’appliquerait Ă  briser une fois pour toutissance des syndicats. Et pour ce qui est de la situation ultĂ©rieure – une fois Frttu – mĂȘme en laissant de cĂŽtĂ© les vastes problĂšmes posĂ©s par la rĂ©organisatiospagne, la perspective n’était pas attrayante. Quant aux boniments des journaux re croire que tout ceci Ă©tait une « guerre pour la dĂ©mocratie », simple bourrag

Ăąne. Personne de sensĂ© ne s’imaginait qu’il y aurait aucun espoir de dĂ©mocratie, m

sens oĂč nous l’entendons en Angleterre et en France, dans un pays aussi diviuisĂ© que le serait l’Espagne une fois la guerre terminĂ©e. Il y aurait fatalementctature, et il Ă©tait clair que l’occasion favorable d’une dictature de la classe ouvriĂšressĂ©e. Autrement dit, les choses, dans l’ensemble, Ă©volueraient dans le sens d’une elconque de fascisme, auquel, sans doute, on donnerait un nom plus poli et qui serce qu’on Ă©tait en Espagne, plus humain et moins effectif que les variĂ©tĂ©s italienemande. Les seules alternatives Ă©taient une dictature infiniment pire avec Francoe, ou (chose toujours possible) que l’Espagne, une fois la guerre terminĂ©e, se tro

orcelée, soit selon des frontiÚres naturelles, soit en zones économiques.

Quelque issue qu’on envisageĂąt, c’était une perspective attristante. Mais nsuivait pas que cela ne valĂ»t pas la peine de combattre pour le gouvernementre le fascisme sans fard et plus accentuĂ© de Franco et de Hitler. Quels que pusre les dĂ©fauts du gouvernement de l’aprĂšs-guerre, il y avait une chose certaine : e le rĂ©gime de Franco serait pire. Pour les ouvriers – le prolĂ©tariat urbain – peuta ne ferait-il, en fin de compte, que trĂšs peu de diffĂ©rence que l’un ou l’autre gag

ais l’Espagne est avant tout un pays agricole et les paysans seraient sĂ»rement avantr la victoire du gouvernement. Quelques-unes au moins des terres sa

meureraient en leur possession et, dans ce cas, il y aurait aussi une rĂ©partition de tns le territoire prĂ©cĂ©demment occupĂ© par Franco, et l’on ne rĂ©tablirait probablem

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s le servage de fait qui existait dans certaines parties de l’Espagne. Le gouvernemaĂźtre du pays Ă  la fin de la guerre serait, en tout cas, anticlĂ©rical et antifĂ©odal. Il fhec Ă  l’Église, au moins pour un temps, et moderniserait le pays – construiraitutes, par exemple, et encouragerait l’instruction et la salubritĂ© publique ; pas maoses dans ce sens avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© faites mĂȘme en pleine guerre. Franco, au contrur autant qu’il ne fĂ»t pas simplement le fantoche de l’Italie et de l’Allemagne, Ă©tax grands propriĂ©taires terriens fĂ©odaux et soutenait la rĂ©action clĂ©ricale et militaeine de prĂ©jugĂ©s Ă©touffants. Le Front populaire Ă©tait peut-ĂȘtre bien une superch

ais Franco était sûrement, lui, un anachronisme. Seuls les millionnaires et les manesques pouvaient souhaiter son triomphe.

En outre, il y avait la question du prestige international du fascisme qui, depuou deux, n’avait cessĂ© de me hanter Ă  la façon d’un cauchemar. Depuis 1930

scistes avaient partout eu le dessus ; il Ă©tait temps qu’ils reçussent une raclĂ©e, etportait, presque, qui la leur donnerait. Si nous parvenions Ă  repousser Ă  la mer Frses mercenaires Ă©trangers, il en pourrait rĂ©sulter une immense amĂ©lioration dauation mondiale, mĂȘme si l’Espagne, elle, devait sortir de lĂ  Ă©touffĂ©e sous une dict

avec tous les meilleurs de ses hommes en prison. Rien que pour cela dĂ©jĂ , il valaine de gagner la guerre.C’était ainsi que je voyais les choses Ă  cette Ă©poque. Je dois dire qu’aujourd’h

ns le gouvernement NegrĂ­n en beaucoup plus haute estime que je ne le faisaioment oĂč il prit le pouvoir. Il a soutenu une lutte difficile avec un courage splendimontrĂ© plus de tolĂ©rance politique que personne n’en attendait. Mais je continoire que – Ă  moins que l’Espagne ne se scinde, ce qui aurait d’imprĂ©visnsĂ©quences – le gouvernement de l’aprĂšs-guerre aura forcĂ©ment tendance Ă  sciste. Encore une fois, je donne cette opinion pour ce qu’elle vaut, et court le ri

e le temps me traite comme il a traité la plupart des prophÚtes.Juste à notre arrivée au front nous apprßmes que Bob Smillie, qui rentrai

ngleterre, avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© Ă  la frontiĂšre, emmenĂ© Ă  Valence et jetĂ© en prison. Smillie Espagne depuis le mois d’octobre. Il avait travaillĂ© durant plusieurs mois dan

reaux du P.O.U.M., puis s’était engagĂ© dans les milices Ă  l’arrivĂ©e des autres meml’I.L.P., Ă©tant bien entendu qu’il ferait trois mois de front avant de rentre

ngleterre pour participer Ă  une tournĂ©e de propagande. Ce n’est qu’au bout d’un cemps que nous pĂ»mes dĂ©couvrir le motif de son arrestation. On le gardait incomuni

u secret), si bien que personne, pas mĂȘme un avocat, ne pouvait le voir. En Espagexiste pas – en tout cas, pas dans la pratique – d’habeas corpus, et vous pouvezrdĂ© en prison durant des mois d’affilĂ©e sans mĂȘme ĂȘtre inculpĂ©, a fortiori  sans pjugement. Finalement nous apprĂźmes, grĂące Ă  un prisonnier relĂąchĂ©, que Smillie

Ă© arrĂȘtĂ© pour « port d’armes ». Les « armes » en question Ă©taient, je me trouvavoir, deux grenades Ă  main d’un type grossier utilisĂ© au dĂ©but de la guerre, que Sm

mportait en Angleterre, ainsi que quelques Ă©clats d’obus et d’autres souvenirs, pouontrer au cours de ses confĂ©rences. Les charges et les amorces en avaient Ă©tĂ© retis grenades n’étaient plus que de simples cylindres d’acier parfaitement inoffensiait Ă©vident que ce n’était lĂ  qu’un prĂ©texte et qu’on avait arrĂȘtĂ© Smillie Ă  cause d

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pports bien connus avec le P.O.U.M. Les troubles de Barcelone venaient justendre fin et les autoritĂ©s Ă©taient, Ă  ce moment-lĂ , extrĂȘmement soucieuses de ne lartir d’Espagne personne qui fĂ»t en mesure de dĂ©mentir la version officielle. Aquait-on d’ĂȘtre arrĂȘtĂ© Ă  la frontiĂšre sous des prĂ©textes plus ou moins futiles. Il estssible qu’on n’ait d’abord eu l’intention que de retenir Bob Smillie quelques julement. L’ennui, en Espagne, c’est qu’une fois que vous ĂȘtes en prison, en gĂ©nus y restez, qu’il soit ou non question de passer en jugement.

Nous étions toujours à Huesca, mais on nous avait postés plus à droite, en face

doute fasciste dont, quelques semaines auparavant, nous nous Ă©tions pour un mommparĂ©s. Je faisais maintenant fonction de teniente (ce qui correspond, je crois, au g

sous-lieutenant dans l’armĂ©e britannique) ; j’avais sous mon commandemententaine d’hommes, Anglais et Espagnols. On m’avait proposĂ© pour la nominatioade d’officier de l’active, mais l’obtenir c’était une autre histoire. Peu de teparavant encore, les officiers des milices refusaient de recevoir un grade officiela signifiait un supplĂ©ment de solde et Ă©tait en contradiction avec les prin

alitaires des milices ; mais ils Ă©taient Ă  prĂ©sent obligĂ©s d’accepter. La nominatio

njamin au grade de capitaine avait dĂ©jĂ  paru Ă  l’Officiel, et Kopp Ă©tait en passe dmmĂ© chef de bataillon. Le gouvernement ne pouvait Ă©videmment pas se passerficiers des milices, mais Ă  aucun il ne confĂ©rait de grade supĂ©rieur Ă  celui de chetaillon, probablement afin de rĂ©server les grades plus Ă©levĂ©s aux officiers de l’arguliĂšre et aux nouveaux officiers sortant de l’École de guerre. Par suite, il y avait tre division, la 29e, et sĂ»rement dans beaucoup d’autres, un curieux Ă©tat de chovisoire : le commandant de la division, les commandants des brigades etmmandants des bataillons avaient tous le mĂȘme grade, celui de chef de bataillon.

Il ne se passait pas grand-chose au front. La bataille engagée aux alentours

ute de Jaca s’était apaisĂ©e et ne reprit que vers la mi-juin. Dans notre positioincipal ennui, c’étaient les canardeurs. Les tranchĂ©es fascistes Ă©taient Ă  plus de nquante mĂštres, mais elles Ă©taient situĂ©es plus haut que les nĂŽtres et mmandaient sur deux cĂŽtĂ©s, notre front formant un saillant en angle droit. Le coiillant Ă©tait un endroit dangereux dont il avait toujours fallu payer le passage parorts et des blessĂ©s. De temps Ă  autre les fascistes nous tiraient dessus avec des grenfusil ou d’autres engins analogues. Elles faisaient un fracas Ă©pouvantable et Ă©topres Ă  vous faire perdre votre sang-froid parce qu’on ne les entendait pas arriv

mps pour pouvoir esquiver, mais elles ne reprĂ©sentaient pas un grand danger : le ’elles creusaient dans le sol avait un diamĂštre pas plus grand que celui d’un tubaleur des nuits Ă©tait agrĂ©able, mais durant le jour elle se faisait ardente, les moustivenaient un flĂ©au et, en dĂ©pit des vĂȘtements propres rapportĂ©s de Barcelone, mes presque aussitĂŽt pleins de poux. À l’extĂ©rieur, dans les vergers abandonnĂ©s dan’s land , les cerises blanchissaient sur les arbres. Il y eut deux jours de prrentielles, les cagnas furent inondĂ©es, le parapet se tassa d’un pied. Il fallut ensser encore bien des journĂ©es Ă  creuser et rejeter hors de la tranchĂ©e l’argile gluec les misĂ©rables bĂȘches espagnoles qui n’ont pas de manche et qui se tordent cos cuillĂšres d’étain.

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On nous avait promis un mortier de tranchĂ©e pour la compagnie ; je l’attendais patience. La nuit, comme toujours, nous allions en patrouille, mais c’était ngereux qu’auparavant parce qu’il y avait dans les tranchĂ©es fascistes beaucoup

hommes et parce qu’ils Ă©taient devenus plus vigilants ; ils avaient Ă©parpillĂ© des biut contre leur parapet, Ă  l’extĂ©rieur, et dĂšs qu’ils entendaient un tintement mĂ©tall

arrosaient avec les mitrailleuses. Dans la journĂ©e nous les canardions du no mnd.  En rampant une centaine de mĂštres, on pouvait gagner un fossĂ© que de harbes dissimulaient et qui commandait une brĂšche dans le parapet fasciste. Nous av

abli un support Ă  fusil dans ce fossĂ©. Si l’on avait la patience d’attendre assez longtefinissait gĂ©nĂ©ralement par voir une silhouette kaki franchir rapidement la brĂšche

Ă© plusieurs fois. J’ignore si j’ai jamais touchĂ© quelqu’un – c’est peu probable ; jeĂšs mauvais tireur, au fusil. Mais c’était assez amusant, les fascistes ne savaient pas naient les coups, et j’étais persuadĂ© que j’en aurais un tĂŽt ou tard. Mais « ce frpent qui creva{6 }  », c’est moi qui fus touchĂ© par un tireur fasciste. Cela faisaitzaine de jours que j’étais de retour au front lorsque cela arriva. L’ensemblepressions et sensations que l’on Ă©prouve, lorsqu’on est atteint par une balle offr

ntĂ©rĂȘt et je crois que cela vaut la peine d’ĂȘtre dĂ©crit en dĂ©tail.Ce fut Ă  l’angle du parapet, Ă  cinq heures du matin. C’était toujours lĂ  une hngereuse parce que nous avions le lever du jour dans le dos, et si notre tĂȘte venpasser du parapet, elle se profilait trĂšs nettement sur le ciel. J’étais en train de px sentinelles en vue de la relĂšve de la garde. Soudain, au beau milieu d’une phrasntis... c’est trĂšs difficile Ă  dĂ©crire ce que je sentis, bien que j’en conserve un souvĂšs vif et trĂšs net.

GĂ©nĂ©ralement parlant, j’eus l’impression d’ĂȘtre au centre  d’une explosion. Imbla y avoir tout autour de moi un grand claquement et un Ă©clair aveuglant,

ssentis une secousse terrible – pas une douleur, seulement une violente commomme celle que l’on reçoit d’une borne Ă©lectrique, et en mĂȘme temps la sensation dblesse extrĂȘme, le sentiment de m’ĂȘtre ratatinĂ© sous le coup, d’avoir Ă©tĂ© rĂ©duit Ă  s sacs de terre en face de moi s’enfuirent Ă  l’infini. J’imagine que l’on doit Ă©prouvu prĂšs la mĂȘme chose lorsqu’on est foudroyĂ©. Je compris immĂ©diatement que j’uchĂ©, mais Ă  cause du claquement et de l’éclair je crus que c’était un fusil tout prĂšoi dont le coup, parti accidentellement, m’avait atteint. Tout cela se passa en beauoins d’une seconde. L’instant d’aprĂšs mes genoux flĂ©chirent et me voilĂ  tomba

nnant violemment de la tĂȘte contre le sol, mais, Ă  mon soulagement, sans que celmal. Je me sentais engourdi, hĂ©bĂ©tĂ©, j’avais conscience d’ĂȘtre griĂšvement blessĂ©, ne ressentais aucune douleur, au sens courant du mot.

La sentinelle amĂ©ricaine Ă  qui j’étais en train de parler s’était prĂ©cipitĂ©e vers mSapristi ! Êtes-vous touchĂ© ? » Des hommes firent cercle autour de moi. On fit unhistoires comme d’habitude : « Aidez-le Ă  se relever ! OĂč est-il blessĂ© ? Ouvrez-lemise ! » etc. L’AmĂ©ricain demanda un couteau pour fendre ma chemise. Je savaisen avait un dans ma poche et m’efforçai de le sortir, mais je m’aperçus que mon oit Ă©tait paralysĂ©. Ne souffrant pas, j’en ressentis une vague satisfaction. VoilĂ  qure plaisir Ă  ma femme, pensai-je ; elle qui Ă©tait toujours Ă  souhaiter que je fusse bl

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ur que cela m’évitĂąt d’ĂȘtre tuĂ© quand viendrait l’heure du grand combat. C’est aulement que j’en vins Ă  me demander oĂč j’avais Ă©tĂ© touchĂ© et Ă  quel point c’était grne m’était pas possible de rien sentir, mais j’avais conscience que la balle m’avait frr-devant. Lorsque je voulus parler, je m’aperçus que je n’avais pas de voix, que juvais faire entendre qu’un faible couic ; cependant Ă  la seconde tentative je parvmander oĂč j’étais blessĂ©. À la gorge, me rĂ©pondit-on. Harry Webb, notre brancarait apportĂ© une bande de pansement et une de ces petites bouteilles d’alcool qu’on stribuait pour nos paquets individuels de pansement. Quand on me souleva, un flo

ng jaillit de ma bouche, et j’entendis un Espagnol derriĂšre moi dire que la balle m’aversĂ© le cou de part en part. RĂ©pandu sur ma blessure, l’alcool, qui en temps ordineĂ»t cuit comme le diable, me procura une sensation de fraĂźcheur agrĂ©able.

On m’étendit Ă  nouveau tandis que quelqu’un allait chercher une civiĂšre. DĂšs qs que la balle m’avait traversĂ© le cou de part en part, je considĂ©rai comme chose Ă©te j’étais un homme mort. Je n’avais jamais entendu dire d’un homme ou d’un an’ayant attrapĂ© une balle en plein milieu du cou il y eĂ»t survĂ©cu. Le sang coulait gouutte de la commissure de mes lĂšvres. « Ça y est ! c’est l’artĂšre », pensai-je. Je

mandai combien de temps on pouvait encore durer avec l’artĂšre carotide tranchĂ©e minutes, vraisemblablement. Tout se brouillait. Il doit bien s’ĂȘtre Ă©coulĂ© deux minviron durant lesquelles je fus persuadĂ© que j’étais tuĂ©. Et cela aussi est intĂ©ressantux dire qu’il est intĂ©ressant de savoir quelles seraient vos pensĂ©es en un tel moma premiĂšre pensĂ©e, assez conventionnellement, fut pour ma femme. Ma seconde pet une violente colĂšre d’avoir Ă  quitter ce monde qui, tout compte fait, me convieen. J’eus le temps de sentir cela trĂšs vivement. La stupiditĂ© de cet accident me renrieux. Que c’était absurde ! Être supprimĂ©, et pas mĂȘme dans une bataille, mais danal coin de tranchĂ©e, Ă  cause d’un instant d’inattention ! J’ai songĂ©, aussi, Ă  l’ho

i avait tirĂ© sur moi, me suis demandĂ© comment il Ă©tait, si c’était un Espagnol oranger, s’il savait qu’il m’avait eu, et ainsi de suite... Il ne me fut pas possible d’éproon Ă©gard le moindre ressentiment. Je me dis que puisqu’il Ă©tait fasciste, je l’euss

je l’avais pu, mais s’il avait Ă©tĂ© fait prisonnier et amenĂ© devant moi Ă  cet instant ml’aurais tout simplement fĂ©licitĂ© d’ĂȘtre bon tireur. Mais peut-ĂȘtre bien que si l’o

ellement en train de mourir, on a des pensĂ©es toutes diffĂ©rentes.On venait juste de m’étendre sur la civiĂšre quand mon bras droit paralysĂ© red

nsible et commença à me faire bigrement mal. Sur le moment, je me figurai qu

vais me l’ĂȘtre cassĂ© en tombant ; d’autre part, la douleur me rassura, car je savais sensations ne deviennent pas plus aiguĂ«s quand on est mourant. Je commençais ntir plus normal et Ă  ĂȘtre navrĂ© pour les quatre pauvres diables qui transpiraiessaient, la civiĂšre sur l’épaule. Il y avait un mille et demi jusqu’à l’ambulance, earche trĂšs pĂ©nible par des sentiers pleins de bosses et glissants. Je savais quelle suĂ©enait, pour avoir moi-mĂȘme aidĂ© Ă  transporter un blessĂ© un ou deux jours auparavs feuilles des peupliers argentĂ©s qui, par endroits, bordaient nos tranchĂ©es, me frĂŽlvisage au passage ; je songeais qu’il faisait bon vivre dans un monde oĂč poussaienupliers argentĂ©s. Mais la douleur dans mon bras ne cessait pas d’ĂȘtre diaboliquerçant tour Ă  tour Ă  jurer, puis Ă  me retenir autant que possible de jurer, parce

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aque fois que je respirais trop fort, une mousse de sang me sortait de la bouche.Le docteur rebanda ma blessure, me fit une piqĂ»re de morphine et m’évacua

etamo. Les hĂŽpitaux de Sietamo n’étaient que des baraquements en bois hĂątivemnstruits, oĂč d’ordinaire les blessĂ©s n’étaient gardĂ©s que quelques heures en attenĂȘtre dirigĂ©s sur Barbastro ou LĂ©rida. J’étais hĂ©bĂ©tĂ© par la morphine, mais je soufcore beaucoup, quasiment incapable de bouger et avalant constamment du sang

ait caractĂ©ristique des mĂ©thodes d’un hĂŽpital espagnol : alors que j’étais dans cet infirmiĂšres inexpĂ©rimentĂ©es essayĂšrent de faire descendre de force dans ma gor

pas rĂ©glementaire de l’hĂŽpital – un repas comme pour quatre, composĂ© de soƓufs, de ragoĂ»t trĂšs gras, etc., et elles parurent toutes surprises que je ne m’y prĂȘts. Je demandai une cigarette, mais on Ă©tait justement dans une pĂ©riode oĂč le tanquait et il n’y avait pas une seule cigarette dans l’endroit. Ne tardĂšrent pparaĂźtre Ă  mon chevet deux camarades qui avaient obtenu la permission de quitt

ont quelques heures.« Salut ! Tu es encore de ce monde, hein ? À la bonne heure ! Nous voulon

ontre et ton revolver, et ta lampe électrique. Et ton couteau, si tu en as un. »

Et ils s’éclipsĂšrent en emportant tout ce que je possĂ©dais de transportable. Cabitude chaque fois qu’un homme Ă©tait blessĂ© : tout ce qu’il avait Ă©tait aussitĂŽt rĂ©pjuste raison, car, au front, des choses telles que montres, revolvers, etc., Ă©taĂ©cieuses, et si elles s’en allaient avec le fourbi d’un blessĂ©, on pouvait ĂȘtre sĂ»r quraient volĂ©es quelque part en cours de route.

 Vers le soir, il Ă©tait arrivĂ©, un Ă  un, suffisamment de blessĂ©s et de malades mplir quelques voitures d’ambulance et l’on nous expĂ©dia Ă  Barbastro. Quel voyageait accoutumĂ© de dire que dans cette guerre l’on pouvait s’en tirer si l’on Ă©tait bx extrĂ©mitĂ©s, mais que l’on mourait toujours d’une blessure au ventre. Je compren

Ă©sent pourquoi. Personne en danger d’hĂ©morragie interne ne pouvait survivre Ă omĂštres de cahotage sur ces routes empierrĂ©es en cailloutis, qui avaient Ă©tĂ© dĂ©fonr le passage des lourds camions et n’avaient jamais Ă©tĂ© rĂ©parĂ©es depuis le dĂ©but erre. Et pan ! et vlan ! et patatras ! les heurts se succĂ©daient comme une volĂ©ups ! Cela me ramenait au temps de ma petite enfance et Ă  cet affreux supplice nomMontagnes russes » Ă  l’Exposition de White City. On avait oubliĂ© de nous attaches civiĂšres. J’avais assez de force dans mon bras gauche pour me cramponner, maiuvre malheureux fut culbutĂ© au sol et dut souffrir mort et passion. Un autre

uvait marcher et qui Ă©tait assis dans un coin de la voiture d’ambulance, la souilla tvomissant. L’hĂŽpital, Ă  Barbastro, Ă©tait archi-comble, les lits si rapprochĂ©s qu’iuchaient presque. Le lendemain matin, on embarqua un certain nombre d’entre ns un train sanitaire Ă  destination de LĂ©rida.

Je suis restĂ© Ă  LĂ©rida cinq ou six jours. C’était un grand hĂŽpital oĂč se trouvaĂȘlĂ©s au petit bonheur malades du front, blessĂ©s et malades civils ordinaires. Danle, quelques hommes avaient d’horribles blessures. Dans le lit voisin du mie

ouvait un jeune homme aux cheveux trĂšs noirs, qui souffrait de je ne sais qaladie et Ă  qui on faisait prendre un mĂ©dicament qui rendait son urine aussi vertemeraude. Son urinal constituait l’une des curiositĂ©s de la salle. Un commu

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llandais parlant anglais, ayant entendu dire qu’il y avait un Anglais dans l’hĂŽpital,e voir, se montra trĂšs amical et m’apporta des journaux anglais. Il avaitfreusement blessĂ© au cours des combats d’octobre ; il Ă©tait parvenu tant bien que mhabituer Ă  l’hĂŽpital de LĂ©rida et avait Ă©pousĂ© une des infirmiĂšres. Par suite dessure, l’une de ses jambes s’était atrophiĂ©e au point de n’ĂȘtre pas plus grosse que as. Deux miliciens en permission, dont j’avais fait la rencontre pendant ma premmaine au front, vinrent voir un ami blessĂ© et me reconnurent. C’étaient des gaminx-huit ans environ. Ils restĂšrent plantĂ©s Ă  cĂŽtĂ© de mon lit, tout gauches, s’efforçan

ouver quelque chose Ă  dire et n’y parvenant pas ; alors, pour me faire comprendre dtre maniĂšre qu’ils Ă©taient navrĂ©s que je sois blessĂ©, brusquement ils sortirent de ches tout le tabac qu’ils avaient, me le donnĂšrent et s’enfuirent avant que j’aie p

ur redonner. Que cela Ă©tait bien espagnol ! Je me rendis compte peu aprĂšs qu’ouvait acheter de tabac nulle part en ville, et que ce qu’ils m’avaient donnĂ© c’étation d’une semaine.

 Au bout de quelques jours je fus en Ă©tat de me lever et de me promener, le braharpe. Je ne sais pourquoi il me faisait beaucoup plus mal lorsqu’il pendait. Je souf

ssi beaucoup, pour le moment, de douleurs internes, suites du mal que je m’étaistombant, et j’avais presque complĂštement perdu la voix, mais pas un seul instaai souffert de ma blessure par balle elle-mĂȘme. Il paraĂźt en ĂȘtre gĂ©nĂ©ralement ainsup violent d’une balle produit une anesthĂ©sie locale ; un Ă©clat d’obus ou de bombe

des bords dĂ©chiquetĂ©s et frappe habituellement avec moins de force, doit provoqueruffrance infernale. Dans les terrains de l’hĂŽpital il y avait un jardin agrĂ©ablemprenait un bassin oĂč nageaient des poissons rouges et quelques petits poissons s noirĂątre : des ablettes, je crois. Je restais assis Ă  les observer durant des heure

aniĂšre dont les choses se passaient Ă  LĂ©rida me donnait un aperçu de l’organisa

un hĂŽpital sur le front d’Aragon ; j’ignore s’il en allait de mĂȘme sur les autres fronrtains Ă©gards, c’étaient de trĂšs bons hĂŽpitaux. Les mĂ©decins Ă©taient des hompables, et il semblait ne pas y avoir insuffisance de produits pharmaceutiques eatĂ©riel d’équipement sanitaire. Mais il y avait deux graves dĂ©fauts qui furent causeis sĂ»r, que des centaines ou des milliers d’hommes sont morts, qu’on eĂ»t pu sauver

Il y avait d’abord le fait que tous les hĂŽpitaux Ă  proximitĂ© de la premiĂšre lrvaient plus ou moins de centres d’évacuation des blessĂ©s. Aussi n’y recevait-on pains d’un vĂ©ritable traitement, Ă  moins d’ĂȘtre trop gravement blessĂ© pour

ansportable. En principe, la plupart des blessĂ©s Ă©taient directement envoyĂ©s Ă  BarceĂ  Tarragone, mais, par suite du manque de moyens de transport, ils mettaient souit ou dix jours pour y parvenir. On les faisait poireauter Ă  Sietamo, Barbastro, Monrida, et dans bien d’autres endroits encore, et pendant tout ce temps-lĂ  ils ne recevcun soin appropriĂ© Ă  leur Ă©tat, c’est tout juste si parfois on leur renouvelait nsement. On emmaillotait des hommes ayant d’affreuses blessures par Ă©clats d’os os brisĂ©s, etc., dans une sorte de revĂȘtement fait de bandes de pansement et de pParis ; on Ă©crivait au crayon, sur le dessus, une description de la blessure, et en

nĂ©rale on n’enlevait ce revĂȘtement qu’à l’arrivĂ©e Ă  Barcelone ou Ă  Tarragone, dix jus tard. Il Ă©tait Ă  peu prĂšs impossible de faire examiner sa blessure en cours de ro

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docteurs, trop peu nombreux, ne pouvaient suffire Ă  tout le travail et ils ne faisae passer rapidement prĂšs de votre lit en vous disant : « Mais oui, mais oui, on ignera Ă  Barcelone. » Constamment le bruit courait qu’un train sanitaire partirait rcelone mañana. L’autre dĂ©faut Ă©tait le manque d’infirmiĂšres capables. Apparemm

n’existait pas en Espagne d’infirmiĂšres diplĂŽmĂ©es, peut-ĂȘtre parce qu’avant la gueravail Ă©tait fait surtout par des religieuses. Je n’ai aucun sujet de plainte contrfirmiĂšres espagnoles, elles m’ont toujours traitĂ© avec la plus grande gentillesse, mest pas douteux qu’elles Ă©taient d’une dĂ©sastreuse ignorance. Toutes savaient comm

endre une température et quelques-unes savaient faire un pansement, mais à cernait leur compétence. Il en résultait que des hommes trop malades pour se su

aient souvent honteusement nĂ©gligĂ©s. Ces infirmiĂšres laissaient facilement un hoster constipĂ© toute une semaine, et rarement elles lavaient ceux qui Ă©taient trop faur se laver eux-mĂȘmes. Je revois un pauvre diable avec un bras cassĂ© me dire qu’ilstĂ© trois semaines sans avoir le visage lavĂ©. Elles laissaient mĂȘme les lits sans les usieurs jours de suite. La nourriture Ă©tait trĂšs bonne dans tous les hĂŽpitaux – nne, Ă  la vĂ©ritĂ©. Plus encore en Espagne que partout ailleurs, il semble ĂȘtre de trad

gaver les malades. À LĂ©rida les repas Ă©taient terrifiants. Le petit dĂ©jeuner, verures du matin, se composait d’une soupe, d’une omelette, de ragoĂ»t, de pain, deanc et de cafĂ© ; et le dĂ©jeuner Ă©tait encore plus copieux – cela Ă  un moment oĂč laande partie de la population civile Ă©tait sĂ©rieusement sous-alimentĂ©e. Une alimentgĂšre, c’est une chose que les Espagnols paraissent ne pas admettre. Ils donnentalades la mĂȘme nourriture qu’aux bien-portants – toujours cette mĂȘme cuisine rasse, oĂč tout baigne dans l’huile d’olive.

Un matin, on annonça qu’on allait envoyer le jour mĂȘme les hommes de ma sarcelone. Je me dĂ©brouillai pour envoyer Ă  ma femme un tĂ©lĂ©gramme lui annon

on arrivĂ©e, et aussitĂŽt aprĂšs on nous entassa dans des autobus et l’on nous menare. C’est seulement au moment oĂč dĂ©jĂ  le train commençait Ă  rouler que l’infirmieus accompagnait laissa incidemment Ă©chapper qu’au demeurant ce n’était prcelone que nous allions, mais Ă  Tarragone. Je suppose que le mĂ©canicien avait ch

avis. « VoilĂ  bien l’Espagne ! » pensai-je. Mais ce qui fut trĂšs espagnol, aussi, c’est qnsentirent Ă  arrĂȘter le train pour me donner le temps d’envoyer un autre tĂ©lĂ©gramce qui fut plus espagnol encore, c’est que ce tĂ©lĂ©gramme n’arriva jamais Ă  destinati

On nous avait mis dans des compartiments de troisiĂšme classe ordinaire

nquettes de bois, et pourtant beaucoup d’entre nous Ă©taient gravement blessĂ©ittaient le lit ce matin-lĂ  pour la premiĂšre fois. Il ne fallut pas longtemps pour qualeur et le cahotage aidant, la moitiĂ© des hommes s’évanouissent et que plusieussent Ă  vomir sur le plancher. L’infirmier se faufilait parmi ces formes Ă©talĂ©es paqui avaient l’air de cadavres, portant une grande outre en peau de bouc pleine d’il faisait gicler par-ci par-lĂ  dans une bouche. C’était une eau infecte ; je me souvcore de son goĂ»t ! Nous entrĂąmes dans Tarragone au coucher du soleil. La voie fe

ngeait le rivage, Ă  un jet de pierre de la mer. Tandis que notre train pĂ©nĂ©trait dare, un autre train militaire rempli d’hommes des Brigades internationales en sortagroupe de gens, sur le pont, leur faisait des gestes d’adieu. C’était un train trĂšs l

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ein Ă  craquer d’hommes et transportant, attachĂ©s sur des trucks, des canonmpagne auxquels se cramponnaient encore des grappes d’hommes. Dans mon souvt restĂ©e particuliĂšrement vive la vision de ce train passant dans la lumiĂšre dorĂ©ir ; les portiĂšres dĂ©filant, toutes garnies de visages bruns, souriants ; les longs caclinĂ©s ; les foulards Ă©carlates flottant – tout cela nous croisant et s’éloignant dannt glissement, et se dĂ©tachant sur la mer couleur de turquoise.

« Extranjeros â€“ des Ă©trangers – dit quelqu’un. Ce sont des Italiens... » Visiblement c’étaient des Italiens : il n’y a qu’eux pour se grouper

toresquement ou rendre Ă  la foule son salut avec autant de grĂące – une grĂącealtĂ©rait en rien le fait que la moitiĂ© d’entre eux tenaient, relevĂ©es en l’air, des boute

vin et buvaient Ă  mĂȘme. Nous apprĂźmes par la suite que c’était lĂ  une partieoupes qui avaient remportĂ© la grande victoire de Guadalajara en mars ; ces homaient Ă©tĂ© en permission et on les dirigeait Ă  prĂ©sent sur le front d’Aragon. Je crainse la plupart d’entre eux n’aient Ă©tĂ© tuĂ©s Ă  Huesca, Ă  peine quelques semaines plus ux d’entre nous qui se sentaient assez bien pour pouvoir se tenir debout avaient g portiĂšres pour acclamer au passage les Italiens. Une bĂ©quille fut agitĂ©e en dehors

mpartiment, des bras emmaillotĂ©s de pansements firent le salut rouge. On eĂ»t dbleau allĂ©gorique de la guerre, ces deux trains se croisant, l’un avec sa charge d’homais glissant fiĂšrement vers le front, l’autre ramenant lentement des estropiĂ©s – etempĂȘchait pas les cƓurs de bondir comme toujours Ă  la vue des canons sur les trui faisait renaĂźtre le sentiment pernicieux, dont il est si difficile de se dĂ©faire, querre, en dĂ©pit de tout, est bien chose glorieuse.

C’était un trĂšs grand hĂŽpital que celui de Tarragone et il Ă©tait rempli de blessĂ©us les fronts. Quelles blessures on voyait lĂ  ! On y avait une façon d’en soigner certai Ă©tait, je suppose, en conformitĂ© avec la plus rĂ©cente pratique mĂ©dicale, mais

frait un spectacle particuliĂšrement horrible. Elle consistait Ă  laisser la blesmplĂštement Ă  dĂ©couvert et sans pansement, mais protĂ©gĂ©e des mouches par une gvelopper le beurre tendue sur des fils de fer. À travers la gaze on pouvait voir la guge d’une blessure Ă  demi cicatrisĂ©e. Il y avait un homme, blessĂ© Ă  la figure etrge, dont la tĂȘte Ă©tait enfermĂ©e dans une sorte de heaume sphĂ©rique de gavelopper le beurre ; il avait la bouche obturĂ©e et il respirait au moyen d’un petit hĂ© entre ses lĂšvres. Pauvre diable, il avait l’air si seul, tandis qu’il errait çà et lĂ , gardant Ă  travers sa cage de gaze et ne pouvant pas parler ! Je suis restĂ© Ă  Tarra

ois ou quatre jours. Mes forces me revenaient et un jour, en allant trĂšs lentemenrvins Ă  descendre jusqu’à la plage. Quelle drĂŽle d’impression cela faisait de voir lun bord de mer se poursuivre presque telle qu’en temps normal, les cafĂ©s Ă©lĂ©ganng de la promenade, et la bourgeoisie bien en chair de l’endroit se baigner et s’exp

soleil sur des chaises longues, tout comme s’il n’y avait pas eu une guerre Ă  moinsllier de kilomĂštres. Toujours est-il que j’arrivai juste pour voir un baigneur se noyee l’on eĂ»t cru impossible dans cette mer peu profonde et tiĂšde.

Enfin, huit ou neuf jours aprĂšs mon dĂ©part du front, on examina ma blessure. Ddispensaire oĂč les blessĂ©s nouvellement arrivĂ©s Ă©taient examinĂ©s, les docteurs artrĂšs grands ciseaux s’attaquaient aux cuirasses de plĂątre dans lesquelles des hom

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ant les cĂŽtes, les clavicules, etc., brisĂ©es, avaient Ă©tĂ© emballĂ©s aux centres d’évacuatrriĂšre immĂ©diat des premiĂšres lignes ; de l’encolure de l’énorme cuirasse informyait sortir un visage, anxieux, sale, hĂ©rissĂ© de barbe d’une semaine. Le mĂ©decin, umme plein d’entrain, paraissant la trentaine, me fit asseoir sur une chaise, me sai

ngue avec un morceau de gaze rugueuse, me la tira en dehors tant qu’il put, dirigeantĂ©rieur de ma gorge un miroir de dentiste et me dit de dire : « Eh ! » AprĂšs antinuĂ© Ă  tirer jusqu’à ce que j’eusse la langue en sang et des larmes pleins les yeue dit que j’avais une corde vocale paralysĂ©e.

« Quand retrouverai-je la voix ? demandai-je.— La voix ? Oh ! vous ne la retrouverez jamais », rĂ©pondit-il gaiement.Cependant il se trompait, comme le prouva la suite. Pendant deux mois enviro

pus guĂšre Ă©mettre qu’un murmure, mais ensuite ma voix redevint normale et dçon assez soudaine, l’autre corde vocale s’étant mise Ă  « compenser ». La douleuon bras Ă©tait due Ă  ce que la balle avait traversĂ© un faisceau de nerfs dans la nuĂ©tait une douleur lancinante comme une nĂ©vralgie et dont je souffris sans rĂ©pit du

mois environ, tout particuliĂšrement la nuit, aussi ne pouvais-je que bien peu dor

avais aussi les doigts de la main droite Ă  demi paralysĂ©s. À prĂ©sent encore, cinq rĂšs, mon index reste gourd ; drĂŽle de consĂ©quence pour une blessure au cou !Ma blessure Ă©tant une maniĂšre de curiositĂ©, plusieurs mĂ©decins l’examinĂšrent

rce claquements de langue et que suerte ! que suerte !  L’un d’eux me dĂ©clara toritĂ© que la balle avait manquĂ© l’artĂšre d’« un millimĂštre ». Comment il savait ç

gnore ! Aucun de ceux que j’ai rencontrĂ©s Ă  cette Ă©poque – docteurs, infirmiacticantes ou patients – jamais n’a manquĂ© de m’assurer qu’un homme qui a eu leaversĂ© d’une balle et qui y survit est le plus veinard des ĂȘtres. Je ne pouvais m’empĂȘ

penser que c’eĂ»t Ă©tĂ© encore plus de veine de n’avoir pas Ă©tĂ© blessĂ© du tout.

 

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XI

 Ă€ Barcelone, durant toutes les derniĂšres semaines que j’y ai passĂ©es, on sentait ir quelque chose d’insolite et de sinistre – atmosphĂšre de suspicion, de pncertitude et de haine voilĂ©e. Les troubles de mai avaient des consĂ©queextirpables. Avec la chute du gouvernement Caballero, les communistes Ă©ta

ttement arrivĂ©s au pouvoir ; la charge de l’ordre intĂ©rieur Ă©tait Ă  prĂ©sent aux mainnistres communistes et il ne faisait de doute pour personne qu’ils Ă©craseraient laux politiques dĂšs que la moindre occasion leur en serait fournie. Il ne se passaitcore – personnellement je ne me reprĂ©sentais mĂȘme pas du tout ce qui allasser – et cependant l’on avait continuellement le sentiment vague d’un dannscience d’une menace. ForcĂ©ment on avait, dans une telle atmosphĂšre, l’impresĂȘtre un conspirateur, si peu qu’on le fĂ»t en rĂ©alitĂ©. Il semblait qu’on passĂąt toutmps Ă  s’entretenir Ă  voix basse avec quelqu’un dans les coins des cafĂ©s, emandant si cette personne Ă  une table voisine Ă©tait un espion de la police.

Il courait, par suite de la censure des journaux, toutes sortes de bruits alarmlui, entre autres, que le gouvernement NegrĂ­n-Prieto projetait de terminer la guerrcompromis. J’inclinais alors Ă  le croire, car les fascistes Ă©taient en train de ce

lbao et visiblement le gouvernement ne faisait rien pour sauver cette ville. On dĂ©plen partout des drapeaux basques, de jeunes quĂȘteuses faisaient tinter des troncs cafĂ©s et il y avait les habituelles Ă©missions au sujet des « dĂ©fenseurs hĂ©roĂŻques », Basques n’obtenaient aucun secours vĂ©ritable. On Ă©tait tentĂ© de croire quuvernement menait double jeu. Sur ce point je me trompais absolument

Ă©nements ultĂ©rieurs l’ont prouvĂ© ; toutefois il semble qu’on eĂ»t probablemenuver Bilbao en dĂ©ployant un peu plus d’énergie. Une offensive sur le front d’AraĂȘme non couronnĂ©e de succĂšs, eĂ»t forcĂ© Franco Ă  dĂ©tourner une partie de son armle gouvernement ne donna l’ordre d’attaquer que lorsqu’il Ă©tait dĂ©jĂ  bien trop tardt, Ă  peu prĂšs au moment oĂč Bilbao tomba. La C.N.T. diffusa largement un traccommandait : « Tenez-vous sur vos gardes », en laissant entendre que « certain paisant par lĂ  allusion aux communistes) complotait un coup d’État. Un autre sentimiversellement rĂ©pandu Ă©tait la crainte que la Catalogne ne se trouvĂąt sur le point dvahie. Quelque temps auparavant, en remontant au front, j’avais vu les puiss

vrages de dĂ©fense que l’on construisait Ă  pas mal de kilomĂštres en arriĂšreemiĂšres lignes, et les nouveaux abris contre les bombes que l’on creusait tout autourcelone. Les alertes de raids aĂ©riens et maritimes Ă©taient frĂ©quentes, fausses le uvent, mais le cri strident des sirĂšnes plongeait chaque fois la ville pour des heureite dans l’obscuritĂ© et les gens peureux s’engouffraient dans les caves. La police s espions partout. Les prisons Ă©taient encore bondĂ©es de dĂ©tenus dont l’arrestamontait aux troubles de mai, et elles continuaient Ă  en absorber d’autres – toujturellement des anarchistes et des membres du P.O.U.M. – qui disparaissaient, pa

deux Ă  la fois. Personne, pour autant qu’on pĂ»t s’en rendre compte, ne passait jajugement, ni mĂȘme n’était inculpĂ© – pas mĂȘme accusĂ© de quelque chose d’aussi p

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e d’ĂȘtre « trotskyste » ; on Ă©tait tout bonnement jetĂ© et gardĂ© en prison, habituellemcomunicado.  Bob Smillie Ă©tait toujours incarcĂ©rĂ© Ă  Valence. Nous ne pĂ»mes prendre, si ce n’est que ni le dĂ©lĂ©guĂ© local de l’I.L.P. ni l’avocat engagĂ© n’avaiermission de le voir. On emprisonnait de plus en plus d’étrangers des Brigternationales et des autres milices. En gĂ©nĂ©ral ils Ă©taient arrĂȘtĂ©s en tant que dĂ©sertĂ©tait un trait caractĂ©ristique de l’état de choses que personne Ă  prĂ©sent ne savait rtitude s’il fallait considĂ©rer un milicien comme un volontaire ou comme un sogulier. Quelques mois plus tĂŽt, Ă  tout homme s’enrĂŽlant dans les milices on avai

’étant un volontaire il pourrait toujours, s’il le dĂ©sirait, obtenir son certificamobilisation Ă  chaque fois que ce serait pour lui le moment de partir en permissiouvernement semblait maintenant avoir changĂ© d’avis et considĂ©rer un milicien com

soldat rĂ©gulier que l’on portait dĂ©serteur s’il essayait de rentrer dans son putefois personne n’avait de certitude Ă  ce sujet. Dans certains secteurs du frontoritĂ©s continuaient Ă  dĂ©livrer des certificats de dĂ©mobilisation. À la frontiĂšre, tantreconnaissait la validitĂ©, et tantĂŽt non. Dans ce dernier cas, c’était la prison su

amp. Le nombre des « déserteurs » étrangers finit par se chiffrer par centaines, ma

upart furent rapatriĂ©s quand on Ă©leva des protestations Ă  leur sujet dans leurs pays.Des bandes de gardes d’assaut armĂ©s rĂŽdaient partout dans les rues, les gardes cupaient toujours les cafĂ©s et d’autres immeubles en des points stratĂ©giques, eand nombre des locaux du P.S.U.C. avaient encore leur protection de sacs de terurs barricades. En diffĂ©rents points de la ville on avait postĂ© des gardes civils erabiniers pour arrĂȘter les passants et examiner leurs papiers. Tout le mondecommanda de bien me garder de montrer ma carte de milicien du P.O.U.M., de ne se mon passeport et mon billet d’hĂŽpital. Laisser savoir qu’on avait servi danlices du P.O.U.M. suffisait Ă  vous mettre en danger. Les miliciens du P.O.U.M., ble

en permission, Ă©taient l’objet de brimades mesquines – ils rencontraient, par exems difficultĂ©s pour toucher leur solde. La  Batalla paraissait toujours, mais Ă©tait censpoint de friser l’inexistence ; Solidaridad   et les autres journaux anarchistes Ă©t

alement soumis Ă  de larges coupures. D’aprĂšs un nouveau rĂšglement, les pansurĂ©es des journaux ne devaient pas ĂȘtre laissĂ©es en blanc, mais comblĂ©es autres « papiers », aussi Ă©tait-il souvent impossible de savoir si quelque chose avaiupĂ©.

En ce qui concerne le manque de vivres, qui a sévi de façon variable durant to

urs de la guerre, on Ă©tait alors Ă  l’un des pires moments. Le pain Ă©tait rare, et le mer Ă©tait falsifiĂ© avec du riz ; celui que les soldats recevaient Ă  la caserne ominable, on aurait dit du mastic. Il n’y avait que trĂšs peu de lait et de sucre, Ă  peu s de tabac, Ă  part les si coĂ»teuses cigarettes de contrebande. Le manque d’huile d’ont les Espagnols font une demi-douzaine d’emplois diffĂ©rents, se faisait sentir de f

guĂ«. Les queues de femmes pour l’achat d’huile d’olive Ă©taient placĂ©es sourveillance de gardes civils montĂ©s, qui s’amusaient parfois Ă  faire entrer Ă  recu

urs chevaux dans la queue en tĂąchant de les faire marcher sur les pieds des femmestre petit dĂ©sagrĂ©ment, c’était le manque de menue monnaie. On avait retirĂ© dculation les piĂšces d’argent sans y avoir encore substituĂ© de monnaie nouvelle, si

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’il n’y avait rien entre la piĂšce de dix centimes et le billet de deux pesetas et demius les billets au-dessous de dix pesetas Ă©taient trĂšs rares. Pour les gens les plus paua reprĂ©sentait une aggravation de la disette. Une femme ne possĂ©dant qu’un bill

x pesetas risquait, lorsque enfin, aprĂšs avoir fait la queue pendant des heurxtĂ©rieur de l’épicerie, son tour arrivait, de ne pouvoir rien acheter du tout, parcepicier n’avait pas de monnaie et qu’elle ne pouvait se permettre de dĂ©penser d’un dix pesetas.

Il n’est pas facile de faire comprendre l’atmosphĂšre de cauchemar de cette Ă©po

nquiĂ©tude trĂšs singuliĂšre causĂ©e par les bruits qui couraient et se contredisaient les autres, par la censure des journaux et la prĂ©sence constante d’hommes armĂ©s. Il s facile d’en donner l’idĂ©e exacte parce que, pour le moment, ce qu’il y a de capital e telle atmosphĂšre n’existe pas en Angleterre. En Angleterre l’intolĂ©rance polit

est pas considĂ©rĂ©e comme chose admise. Il existe bien une certaine persĂ©culitique : si j’étais ouvrier mineur, je ne m’empresserais pas de faire savoir Ă  mon pae je suis communiste : mais le « bon membre du parti », le gangster-gramophone litique continentale, y est encore une raretĂ©, et l’intention de « liquider »

« Ă©liminer » quiconque vient Ă  n’ĂȘtre pas du mĂȘme avis que vous n’y paraĂźt pas enose naturelle. Cela ne paraissait que chose trop naturelle Ă  Barcelone ! Du moment « stalinistes » dominaient il allait de soi que tout « trotskyste » Ă©tait en dang

advint somme toute pas ce que tout le monde craignait : un nouveau dĂ©clenchemenguerre des rues dont, comme prĂ©cĂ©demment, l’on rendrait responsables le P.O.U.M anarchistes. Par moments, je me surprenais Ă  tendre l’oreille pour Ă©couter si

entendait pas les premiers coups de feu. On eĂ»t dit que quelque monstrueux ealfaisant planait sur la ville. Tout le monde sentait cela et en faisait la rĂ©flexionrmes curieusement semblables : « Oh ! l’atmosphĂšre de cette ville – c’est effroya

n se croirait dans un asile d’aliĂ©nĂ©s ! » Mais peut-ĂȘtre ne devrais-je pas dire toonde.  Certains visiteurs anglais qui parcoururent hĂątivement l’Espagne, d’hĂŽtetel, paraissent n’avoir pas remarquĂ© qu’il y avait quelque chose qui clochait tmosphĂšre gĂ©nĂ©rale. La duchesse d’Atholl Ă©crit ( Sunday Express, 17 octobre 1937) :

« J’ai Ă©tĂ© Ă  Valence, Ă  Madrid et Ă  Barcelone... dans ces trois villes un ordre pagnait, sans aucun dĂ©ploiement de force. Tous les hĂŽtels oĂč j’ai sĂ©journĂ© Ă©taientulement « normaux », mais extrĂȘmement confortables, si l’on passe sur le manquurre et de cafĂ©. »

C’est une particularitĂ© des voyageurs anglais de ne pas vraiment croire Ă  l’existquelque chose en dehors des grands hĂŽtels. J’espĂšre qu’on a trouvĂ© un peu de beur la duchesse d’Atholl.

J’étais au sanatorium MaurĂ­n, l’un des sanatoriums dirigĂ©s par le P.O.U.M. Il uĂ© dans la banlieue, prĂšs du Tibidabo, ce mont de configuration Ă©trange qui s’éruptement aux confins de Barcelone et du sommet duquel, selon la tradition, Srait montrĂ© Ă  JĂ©sus les royaumes de la terre (d’oĂč son nom). La maison, qui paravant appartenu Ă  quelque riche bourgeois, avait Ă©tĂ© saisie au moment dvolution ; la plupart des hommes qui se trouvaient lĂ , ou bien avaient Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©ont pour maladie, ou bien avaient quelque blessure – amputation d’un membre

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emple – qui les avait rendus dĂ©finitivement inaptes. Il y avait dĂ©jĂ  dans ce sanatousieurs Anglais : Williams, avec sa jambe abĂźmĂ©e, et Stafford Cottman, un jmme de dix-huit ans qui, prĂ©sumĂ© tuberculeux, avait Ă©tĂ© renvoyĂ© des tranchĂ©ethur Clinton dont le bras gauche brisĂ© Ă©tait encore attachĂ© avec une courroie sur us encombrants trucs mĂ©talliques, surnommĂ©s aĂ©roplanes, qui Ă©taient en usage danpitaux espagnols. Ma femme continuait de loger Ă  l’hĂŽtel Continental et gĂ©nĂ©ralemme rendais Ă  Barcelone dans la journĂ©e. Le matin j’allais Ă  l’hĂŽpital gĂ©nĂ©ral subi

aitement Ă©lectrique pour mon bras. DrĂŽle de traitement : une suite de secou

ectriques, donnant une sensation de picotements, qui imprimaient aux divers gromuscles un mouvement de saccade – mais cela paraissait me faire du bien

trouvai l’usage de mes doigts et la douleur s’attĂ©nua quelque peu. Nous avions ux dĂ©cidĂ© que ce que nous avions de mieux Ă  faire, c’était de rentrer en Angleterus tĂŽt possible. J’étais extrĂȘmement faible, j’avais, semblait-il, perdu la voix poun, et les mĂ©decins me disaient qu’en mettant les choses au mieux j’en avais usieurs mois avant d’ĂȘtre de nouveau apte au combat. Il me fallait me mettre tĂŽt ougagner un peu d’argent et Ă  quoi cela rimait-il de rester en Espagne, en bouche inut

anger des rations dont d’autres avaient besoin. Mais mes motifs Ă©taient suroĂŻstes. Je n’en pouvais plus, j’éprouvais un dĂ©sir intense de m’en aller loin de tout cn de cette horrible atmosphĂšre de suspicion et de haine politiques, de ces rues ple

hommes armĂ©s, des bombardements aĂ©riens, des tranchĂ©es, des mitrailleuses,ams grinçants, du thĂ© sans lait, de la cuisine Ă  l’huile, de la privation de cigarettes –

presque tout ce que j’avais appris Ă  associer Ă  l’idĂ©e de l’Espagne.Les docteurs de l’hĂŽpital gĂ©nĂ©ral m’avaient dĂ©clarĂ© inapte, mais pour obtenir

rtificat de dĂ©mobilisation, je devais passer devant un conseil de santĂ© dans l’unpitaux proches du front, et aller ensuite Ă  Sietamo faire viser mes papiers au qua

nĂ©ral des milices du P.O.U.M. Kopp venait juste d’arriver du front, plein d’exultationait de prendre part Ă  un combat et disait que Huesca Ă©tait sur le point d’ĂȘtre pfin. Le gouvernement avait fait venir des troupes du front de Madrid et opĂ©rancentration de trente mille hommes et d’un trĂšs grand nombre d’avions. Les Itale j’avais vus Ă  Tarragone alors qu’ils remontaient au front, avaient livrĂ© une attaquroute de Jaca, mais avaient eu beaucoup de morts et de blessĂ©s et perdu deux ta

Ă©anmoins la ville ne pouvait manquer de tomber bientĂŽt, disait Kopp. (HĂ©las ! elmba pas. L’offensive fut un effroyable gĂąchis et n’aboutit Ă  rien, si ce n’est Ă  une o

mensonges dans les journaux.) En attendant, Kopp avait Ă  se rendre Ă  Valence e entrevue au ministĂšre de la Guerre. Il avait une lettre du gĂ©nĂ©ral Pozasmmandait alors l’armĂ©e de l’Est – l’habituelle lettre d’introduction dĂ©peignant Kmme une personne « de toute confiance » et le recommandant pour une affectaĂ©ciale dans le GĂ©nie (Kopp avait Ă©tĂ© ingĂ©nieur dans la vie civile). Il partit pour ValmĂȘme jour que je partis pour Sietamo, le 15 juin.

Je ne fus de retour à Barcelone que cinq jours plus tard. Notre camion beignit Sietamo vers minuit, et nous ne fûmes pas plus tÎt arrivés au quartier génér

O.U.M. que, avant mĂȘme de prendre nos noms, on nous fit nous aligner et on se mus distribuer des fusils et des cartouches. L’attaque semblait ĂȘtre dĂ©clenchĂ©e et

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ait probablement appeler des troupes de rĂ©serve d’un moment Ă  l’autre. J’avais let d’hĂŽpital dans ma poche, mais je ne pouvais guĂšre refuser de me joindre aux au

me pieutai par terre, avec une cartouchiĂšre pour oreiller, et dans un Ă©tansternation profonde. Par suite de ma blessure, j’avais pour le moment les traquĂ©s – je pense que c’est ce qui arrive d’ordinaire en pareil cas – et la perspective trouver de nouveau sous le feu m’effrayait terriblement. Mais comme toujours il

peu de mañana, en fin de compte on ne nous appela pas, et le lendemain matontrai mon billet d’hĂŽpital et dĂšs lors m’occupai d’obtenir mon certifica

mobilisation. Ce qui exigea toute une sĂ©rie de voyages embrouillĂ©s et fatigants. Comhabitude on Ă©tait renvoyĂ© comme un volant d’hĂŽpital en hĂŽpital – pour moi cetamo, Barbastro, MonzĂłn, puis retour Ă  Sietamo pour faire viser mon certificat, e fois de plus en route pour s’éloigner du front, en passant par Barbastro et LĂ©ridaa alors que la convergence des troupes sur Huesca avait accaparĂ© tous les moyen

ansport et avait tout dĂ©sorganisĂ©. Je me souviens d’avoir dormi dans des endprĂ©vus – une fois dans un lit d’hĂŽpital, mais d’autres fois dans un fossĂ©, sur un

Ăšs Ă©troit d’oĂč je tombai au milieu de la nuit, et enfin, Ă  Barbastro, dans une sorte d’

nuit municipal. DĂšs qu’on s’éloignait de la ligne de chemin de fer, il n’y avaitautre moyen de voyager que de sauter dans un camion de rencontre. Il fallait attebord de la route durant des heures, trois ou quatre heures de suite parfois

mpagnie de groupes de paysans maussades, chargĂ©s de canards et de lapins, en favain de grands signes Ă  chaque camion qui passait. Quand finalement on tombaicamion qui ne regorgeĂąt pas d’hommes, de miches de pain et de caisses de munitĂ©tait rossĂ© et mis en bouillie par le cahotement sur ces mauvaises routes. Ja

cun cheval ne m’avait fait sauter aussi haut que ces camions. Le seul moyen pour squ’au bout du voyage, c’était de se serrer les uns contre les autres et de se crampo

uns aux autres. À ma grande humiliation, je m’aperçus que j’étais encore trop fur grimper dans un camion sans ĂȘtre aidĂ©.

Je dormis une nuit Ă  l’hĂŽpital de MonzĂłn, oĂč je venais pour ĂȘtre examinĂ© pnseil de santĂ©. Dans le lit voisin du mien, il y avait un garde d’assaut blessĂ© au-del’Ɠil gauche. Il se montra amical et m’offrit des cigarettes. Je dis : « À Barcelone, us serions tirĂ©s mutuellement dessus », et cela nous fit rire. C’était curieux comez tous l’état d’esprit semblait changer dĂšs qu’on se trouvait Ă  proximitĂ© des premnes. Toutes ou presque toutes les mauvaises haines entre membres de partis politi

ffĂ©rents disparaissaient comme par enchantement. De tout le temps que j’ai passont je ne me rappelle pas qu’aucun membre du P.S.U.C. m’ait une seule fois tĂ©mol’hostilitĂ© parce que j’étais du P.O.U.M. Ce genre de choses, c’était bon dans Barcedans d’autres villes encore plus Ă©loignĂ©es du thĂ©Ăątre de la guerre. Il y avait un g

mbre de gardes d’assaut dans Sietamo. Ils y avaient Ă©tĂ© envoyĂ©s de Barcelone endre part Ă  l’attaque sur Huesca. Les gardes d’assaut Ă©taient un corps qui, Ă  l’oriĂ©tait pas destinĂ© Ă  ĂȘtre envoyĂ© sur le front, et beaucoup d’entre eux ne s’étaient enmais trouvĂ©s auparavant sous le feu de l’ennemi. À Barcelone ils Ă©taient les maĂźtrerue, mais ici ils Ă©taient des quintos  (des « bleus ») et devenaient copains avecfants de quinze ans des milices qui, eux, Ă©taient sur le front depuis des mois. À l’hĂŽ

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MonzĂłn, le docteur respecta l’habituel programme : il tira sur ma langue, regarda a gorge Ă  l’aide d’un petit miroir, et m’assura sur le mĂȘme ton joyeux que les autresne retrouverais jamais la voix, puis il me signa mon certificat. Tandis que j’attenur ĂȘtre examinĂ©, il y avait en cours, Ă  l’intĂ©rieur du dispensaire, une terrible opĂ©rans anesthĂ©sique – pourquoi sans anesthĂ©sique, je l’ignore. Hurlement de douleurlement de douleur, cela n’en finissait pas, et lorsqu’à mon tour j’entrai dans la saldes chaises jetĂ©es de cĂŽtĂ© et d’autre, et sur le parquet des flaques de sang et d’urin

Les détails de ce dernier voyage se détachent dans mon souvenir avec une étonn

ttetĂ©. J’étais dans une tout autre disposition, beaucoup plus en humeur d’observern’avais Ă©tĂ© depuis des mois. J’avais mon certificat de dĂ©mobilisation sur lequel avaposĂ© le sceau de la 29e division, et un certificat du docteur me dĂ©clarant « bon Ă  ri

Ă©tais libre de rentrer en Angleterre ; dĂšs lors je me sentais capable, pour la premiĂšreut-ĂȘtre, de regarder attentivement l’Espagne. J’avais une journĂ©e Ă  passer Ă  Barbr il n’y avait qu’un train par jour. Je n’avais fait, naguĂšre, que jeter de rapides cƓil sur Barbastro, ce n’avait Ă©tĂ© pour moi qu’un coin de la guerre – un endroit ueux, froid, rempli de camions assourdissants et de troupes miteuses. Il me parai

rangement diffĂ©rent Ă  prĂ©sent. En y flĂąnant Ă  l’aventure, je m’aperçus de l’existencarmantes rues tortueuses, de vieux ponts de pierre, de dĂ©bits de vin avec de grandsintants de la hauteur d’un homme, et de mystĂ©rieux ateliers Ă  demi souterrains oĂčmmes fabriquaient des roues de voiture, des poignards, des cuillers de bois ettres en peau de bouc. Je m’arrĂȘtai Ă  regarder un homme fabriquer une outre couvris avec un vif intĂ©rĂȘt une chose que j’avais jusqu’alors ignorĂ©e, c’est que l’oncĂŽtĂ© poils de la peau Ă  l’intĂ©rieur et qu’on laisse le poil, si bien que ce que l’on boalitĂ©, c’est de l’infusion de poils de bouc. J’avais bu Ă  des outres des mois durant en ĂȘtre jamais avisĂ©. Et sur les derriĂšres de la ville, coulait une riviĂšre peu profon

rt jade ; il s’en Ă©levait perpendiculairement une falaise rocheuse, avec des habitanstruites dans le roc, de telle sorte que de la fenĂȘtre de votre chambre Ă  coucher uviez cracher directement dans l’eau Ă  vingt pieds au-dessous. D’innombrables pig

geaient dans les anfractuositĂ©s de la falaise. Et Ă  LĂ©rida, sur les corniches de vieaisons tombant en ruine, des milliers et des milliers d’hirondelles avaient bĂąti lds ; Ă  quelque distance, le dessin de cette croĂ»te de nids offrait l’aspect d’un mounĂ© Ă  l’excĂšs de l’époque rococo. C’est curieux Ă  quel point durant presque lerniers mois je n’avais pas eu d’yeux pour de telles choses ! Depuis que j’avais

piers de dĂ©mobilisation dans la poche, je me sentais redevenu un ĂȘtre humain, eu un touriste aussi. Pour la premiĂšre fois Ă  peu prĂšs j’avais le sentiment dellement en Espagne, dans le pays que j’avais toute ma vie souhaitĂ© visiter. Danlmes petites rues Ă©cartĂ©es de LĂ©rida et de Barbastro, il me sembla saisir une vgitive, une sorte de rumeur lointaine de cette Espagne que chacun porte dansagination : blanches sierras, chevriers, cachots de l’inquisition, palais maures, n

Ă©ories de mules serpentant, oliviers cendreux et bosquets de citronniers, jeunes mantilles noires, vins de Malaga et d’Alicante, cathĂ©drales, cardinaux, course

ureaux, bohĂ©miennes, sĂ©rĂ©nades – bref, l’Espagne. De toute l’Europe c’était le payait le plus hantĂ© mon imagination. Quel dommage que lorsque j’avais enfin pu y v

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it Ă©tĂ© pour n’y voir que ce coin du nord-est, dans le bouleversement d’une gueresque uniquement en hiver.

Il Ă©tait tard lorsque j’arrivai Ă  Barcelone, et il n’y avait pas de taxis. C’était inessayer de gagner le sanatorium MaurĂ­n qui Ă©tait situĂ© tout Ă  fait Ă  l’extĂ©rieur le ; je me dirigeai donc vers l’hĂŽtel Continental, en m’arrĂȘtant en cours de route ner. Je me souviens d’avoir eu une conversation avec un garçon trĂšs paternel Ă  pr

pichets de chĂȘne, cerclĂ©s de cuivre, dans lesquels on servait le vin. Je lui disimerais bien en acheter un service pour le rapporter en Angleterre. Le garçon

pondit d’un ton plein de sympathie : « Oui, n’est-ce pas, ils sont beaux ? possible d’en acheter Ă  prĂ©sent. Personne n’en fabrique plus – personne ne fabr

us rien. Ah ! cette guerre – c’est lamentable ! » Nous tombĂąmes d’accord que erre Ă©tait une chose lamentable. Une fois de plus je me fis l’effet d’un touristerçon me questionna aimablement : Avais-je aimĂ© l’Espagne ? Reviendrais-jpagne ? Oh ! Oui, je reviendrais en Espagne. Le caractĂšre temps-de-paix de nversation s’est gravĂ© dans ma mĂ©moire, Ă  cause de ce qui l’a immĂ©diatement suivi

Lorsque j’arrivai Ă  l’hĂŽtel, ma femme Ă©tait assise dans le salon. Elle se leva et v

a rencontre d’un air si dĂ©gagĂ© que j’en fus frappĂ© ; puis elle me passa un bras autouu et, tout en souriant tendrement Ă  l’intention de la galerie, me murmura Ă  l’oreille« Va-t’en !— Comment ?— Va-t’en d’ici tout de suite !— Comment ?— Ne reste pas ici ! Il faut vite t’en aller !— Tu dis ? Pourquoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »Elle me tenait par le bras et dĂ©jĂ  m’entraĂźnait vers l’escalier. À mi-chemi

scendant, nous croisĂąmes un Français – je tairai son nom car, bien qu’il n’eĂ»t aun avec le P.O.U.M., il s’est montrĂ© un vĂ©ritable ami pour nous dans le malheur. Enyant, l’expression de son visage se fit soucieuse :

« Écoutez donc ! Il ne faut pas que vous entriez ici. Sortez vite d’ici et allez cher avant qu’ils n’aient alertĂ© la police. »

Et voilĂ  qu’au bas de l’escalier un employĂ© de l’hĂŽtel, qui Ă©tait membre du P.O.l’insu de la direction, j’imagine), sortit furtivement de l’ascenseur pour venir memauvais anglais de m’en aller. Mais je ne saisissais toujours pas ce qui Ă©tait arrivĂ©

« Mais que diable veut donc dire tout cela ? demandai-je dĂšs que nous fĂ»mes sottoir.— Tu n’as pas appris ?— Non. Appris quoi ? Je n’ai rien appris.— Le P.O.U.M. a Ă©tĂ© supprimĂ©. Ils ont saisi tous les locaux. En fait tout le mond

prison. Et l’on dit qu’ils commencent dĂ©jĂ  Ă  fusiller. »C’était donc cela ! Il nous fallait trouver quelque endroit oĂč pouvoir parler. Tou

ands cafĂ©s sur les Ramblas Ă©taient infestĂ©s de police, mais nous dĂ©couvrĂźmes unanquille dans une rue Ă©cartĂ©e. Ma femme me raconta ce qui s’était passĂ© pendant sence.

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Le 15 juin la police avait brusquement arrĂȘtĂ© AndrĂ©s Nin dans son bureau, ĂȘme soir avait fait irruption Ă  l’hĂŽtel FalcĂłn et arrĂȘtĂ© toutes les personnes quouvaient, des miliciens en permission pour la plupart. L’endroit avait Ă©tĂ© sur-le-chnverti en prison qui, en un rien de temps, regorgea de prisonniers de toutes sortendemain le P.O.U.M. avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© organisation illĂ©gale et tous ses burerairies, sanatoriums, centres de Secours rouge, etc., avaient Ă©tĂ© saisis. Et pendan

mps la police arrĂȘtait tous ceux sur qui elle pouvait mettre la main qui Ă©taient comme ayant quelque chose Ă  voir avec le P.O.U.M. En l’espace d’un jour ou deux

arante membres du comitĂ© exĂ©cutif furent tous, ou presque tous, incarcĂ©rĂ©s. Peut-se cachant, un ou deux d’entre eux avaient-ils rĂ©ussi Ă  Ă©chapper ; mais la police adprocĂ©dĂ© (qu’on ne s’est pas fait faute de largement employer des deux cĂŽtĂ©s dans

erre) qui consistait, quand un homme disparaissait, Ă  arrĂȘter sa femme comme otay avait aucun moyen de savoir combien de personnes avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es. Ma feait entendu dire qu’il y en avait eu environ quatre cents rien qu’à Barcelone. J’ai densĂ© que dĂ©jĂ  Ă  cette date il devait y en avoir eu davantage. Et l’on avait opĂ©rrestations les plus imprĂ©vues. Dans certains cas la police avait mĂȘme Ă©tĂ© jusqu’à

s hĂŽpitaux des miliciens blessĂ©s.Tout cela Ă©tait de nature Ă  jeter dans une profonde consternation. À quoi diablemait-il ? Je pouvais comprendre, de leur part, la suppression du P.O.U.M., mais Ă 

a leur servait-il d’arrĂȘter les gens ? Sans motif, autant qu’il Ă©tait possible de s’en rempte. Manifestement la suppression du P.O.U.M. Ă©tait avec effet rĂ©troactif : le P.O.ant Ă  prĂ©sent illĂ©gal, c’était enfreindre la loi que d’y avoir auparavant appartmme d’habitude, les personnes arrĂȘtĂ©es le furent sans avoir Ă©tĂ© inculpĂ©es.

empĂȘchait pas les journaux communistes de Valence de lancer de façon flamboye histoire de « complot fasciste » monstre, avec communication par radio

nnemi, documents signĂ©s Ă  l’encre sympathique, etc. Je parlerai de cela plus en dĂ©tfin de ce livre{7 }. Fait significatif, ce n’est que dans les journaux de Valence qu’on lparaĂźtre. Je ne crois pas me tromper en disant qu’il n’y eut pas un mot Ă  ce sujet, opos de la suppression du P.O.U.M., dans aucun journal, communiste, anarchistpublicain, de Barcelone. Ce n’est pas par un journal espagnol que nous apprĂźmture exacte des accusations portĂ©es contre les leaders du P.O.U.M., mais pa

urnaux anglais qui parvinrent Ă  Barcelone un ou deux jours plus tard. Ce que nouuvions pas savoir Ă  ce moment-lĂ , c’est que le gouvernement n’était pas responsab

ccusation de trahison et d’espionnage, et que des membres du gouvernement allr la suite la repousser. Nous ne savions vaguement qu’une seule chose, c’est qcusait les leaders du P.O.U.M., et nous tous aussi probablement, d’ĂȘtre Ă  la soldescistes. Et dĂ©jĂ  partout le bruit courait que des gens Ă©taient secrĂštement fusillĂ©s prisons. À ce sujet, il y a eu pas mal d’exagĂ©rations, mais il est certain qu’il y a eutenus fusillĂ©s, et il ne fait guĂšre de doute que ce fut le cas pour Nin. AprĂšsrestation, Nin fut transfĂ©rĂ© Ă  Valence et de lĂ  Ă  Madrid, et dĂšs le 21 juin on srcelone, de façon vague d’abord, qu’il avait Ă©tĂ© fusillĂ©. Plus tard la nouvelle se prĂ©n avait Ă©tĂ© fusillĂ© en prison par la police secrĂšte, et son corps jetĂ© dans la rue. On ttte histoire de diffĂ©rentes sources, en particulier de Federica Montseny, ex-membr

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uvernement. Depuis lors, on n’a jamais jusqu’ici entendu dire que Nin fĂ»t viuand, un peu plus tard, les dĂ©lĂ©guĂ©s de plusieurs pays posĂšrent des questions Ă jet aux membres du gouvernement, ceux-ci tergiversĂšrent et tout ce qu’ils consentdire, ce fut que Nin avait disparu et qu’ils ignoraient absolument oĂč il Ă©tait. Certurnaux publiĂšrent un rĂ©cit selon lequel Nin se serait enfui en territoire fasciste. Aueuve ne fut fournie Ă  l’appui, et Irujo, ministre de la Justice, dĂ©clara par la suitegence de presse « Espagne » avait falsifiĂ© son communiquĂ© officiel {8 }. D’ailleurs, en improbable qu’on eĂ»t laissĂ© s’échapper un prisonnier politique de l’importanc

n. À moins qu’un jour dans l’avenir on ne le retrouve vivant, je crois que la supposi s’impose est qu’il a Ă©tĂ© assassinĂ© en prison.

Et ça n’en finissait pas, ces arrestations, cela dura des mois, tant et si bien qumbre des dĂ©tenus politiques, sans compter les fascistes, finit par s’élever Ă  des mil

ne chose Ă  remarquer, ce fut l’autonomie des policiers de bas rang. Un grand nomarrestations furent reconnues pour illĂ©gales, mais diverses personnes dont la relaxaait Ă©tĂ© ordonnĂ©e par le chef de la police furent derechef arrĂȘtĂ©es Ă  la porte de la prlevĂ©es et incarcĂ©rĂ©es dans des « prisons clandestines ». Un cas typique, ce fut celu

urt Landau et de sa femme. Ils furent arrĂȘtĂ©s vers le 17 juin et immĂ©diatement Ladisparut ». Cinq mois plus tard sa femme Ă©tait toujours en prison, n’avait pas Ă©tĂ© jn’avait aucune nouvelle de son mari. Elle annonça son intention de faire la grĂšve m ; le ministre de la Justice lui fit alors savoir que son mari Ă©tait mort. Peu de terĂšs elle fut relĂąchĂ©e, mais pour ĂȘtre presque immĂ©diatement rĂ©-arrĂȘtĂ©e et Ă  nouĂ©e en prison. Ce qui vaut aussi d’ĂȘtre remarquĂ©, c’est l’indiffĂ©rence absolue dont feuve les policiers, au dĂ©but en tout cas, quant aux rĂ©percussions de tous ordresurs actes pouvaient avoir sur la guerre. Ils n’hĂ©sitĂšrent pas Ă  arrĂȘter, sans en amandĂ© auparavant l’autorisation, des officiers occupant des postes milit

portants. Vers la fin juin, JosĂ© Rovira, le gĂ©nĂ©ral commandant la 29e division, fut aelque part prĂšs du front par une Ă©quipe de policiers envoyĂ©s de Barcelone. Ses homvoyĂšrent une dĂ©lĂ©gation au ministĂšre de la Guerre pour protester. Et l’on dĂ©couvrile ministĂšre de la Guerre, ni Ortega, le chef de la police, n’avaient mĂȘme Ă©tĂ© infol’arrestation de Rovira. De toute l’affaire, le dĂ©tail que je peux le moins digĂ©rer, ’il ne soit peut-ĂȘtre pas de grande importance, c’est le fait qu’on ait laissĂ© les troupe

ont dans l’ignorance totale de ce qui Ă©tait en train de se passer. Comme vous l’avemoi ni personne au front n’avions rien su de la suppression du P.O.U.M. Tou

artiers gĂ©nĂ©raux des milices du P.O.U.M., ses centres de Secours rouge, nctionnaient comme Ă  l’ordinaire, et le 20 juin encore et jusqu’à LĂ©rida, Ă  omĂštres Ă  peine de Barcelone, personne ne savait rien des Ă©vĂ©nements. Les jourBarcelone n’en soufflĂšrent pas mot (ceux de Valence qui lançaient les hist

espionnage ne parvenaient pas sur le front d’Aragon), et il est hors de doute que sirĂȘta tous les miliciens en permission Ă  Barcelone, ce fut pour les empĂȘcher de remoligne porteurs de ces nouvelles. Le dĂ©tachement avec lequel j’étais retournĂ© au frojuin doit avoir Ă©tĂ© le dernier Ă  partir. Je ne suis pas encore arrivĂ© Ă  compre

mment la chose put ĂȘtre tenue secrĂšte, car enfin les camions de ravitaillement, etres, faisaient toujours la navette ; mais il n’y a pas de doute, elle fut bel et bien t

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crĂšte, et, comme je l’ai depuis appris de la bouche de beaucoup d’autres, les hommeont n’entendirent parler de rien encore pendant plusieurs jours. La raison de toutt suffisamment claire. L’offensive sur Huesca venait d’ĂȘtre dĂ©clenchĂ©e, les miliceO.U.M. formaient encore une unitĂ© Ă  part, et l’on craignit probablement que sliciens venaient Ă  apprendre ce qui Ă©tait arrivĂ©, ils ne refusassent de combattre. ritĂ©, il ne se passa rien de tel quand la nouvelle fut connue. Dans l’intervalle il doir eu un grand nombre d’hommes qui furent tuĂ©s sans avoir jamais su queurnaux, Ă  l’arriĂšre, les traitaient de fascistes. C’est lĂ  le genre de choses qu’on a du m

rdonner. Je sais bien que c’était une tactique courante de laisser ignorer aux troupeauvaises nouvelles, et peut-ĂȘtre qu’en gĂ©nĂ©ral on a en cela raison. Mais c’était tout aose d’envoyer des hommes au combat, et de ne pas mĂȘme leur dire que derriĂšres on Ă©tait en train de supprimer leur parti, d’accuser leurs chefs de trahison et de prison leurs parents et leurs amis.

Ma femme commença de me raconter ce qui Ă©tait arrivĂ© Ă  nos diffĂ©rents artains parmi les Anglais et les autres Ă©trangers avaient pu franchir la frontilliams et Stafford Cottman n’avaient pas Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s lors de la descente de police

sanatorium MaurĂ­n et se tenaient cachĂ©s quelque part dans la ville. C’était le cas aJohn McNair, qui Ă©tait allĂ© en France et Ă©tait revenu en Espagne aprĂšs la misĂ©galitĂ© du P.O.U.M. – acte tĂ©mĂ©raire, mais il ne s’était pas senti le cƓur de rester Ă  lndis que ses camarades Ă©taient en danger. Mais pour tous les autres amis, cntienne : « Ils ont « eu » un tel et un tel », « ils ont « eu » un tel et un tel »raissaient avoir « eu » presque tout le monde. Je pensai tomber de mon hauprenant qu’ils avaient Ă©galement « eu » Georges Kopp.

« Comment ! Kopp ? Je le croyais Ă  Valence ? »J’appris que Kopp Ă©tait revenu Ă  Barcelone ; il Ă©tait porteur d’une lettre du mini

la Guerre au colonel commandant les opĂ©rations du GĂ©nie sur le front est. Il saen sĂ»r, que le P.O.U.M. avait Ă©tĂ© supprimĂ©, mais probablement ne lui Ă©tait-il pas vedĂ©e que la police pĂ»t ĂȘtre assez absurde pour l’arrĂȘter alors qu’il Ă©tait en route poont avec une mission militaire urgente Ă  remplir. Il Ă©tait venu faire un tour Ă  l’hntinental pour reprendre ses valises ; ma femme Ă©tait Ă  ce moment-lĂ  sortie, et les l’hĂŽtel s’étaient arrangĂ©s pour le retenir sous un prĂ©texte quelconque tandis q

pelaient la police. J’avoue que j’eus un accĂšs de colĂšre lorsque j’appris l’arrestatiopp. Il Ă©tait mon ami personnel, j’avais servi sous ses ordres pendant des moi

Ă©tais trouvĂ© sous le feu de l’ennemi avec lui et je connaissais son histoire. C’étamme qui avait tout sacrifiĂ© – famille, nationalitĂ©, situation – tout simplement nir en Espagne combattre contre le fascisme. En quittant la Belgique sans autorisen s’engageant dans une armĂ©e Ă©trangĂšre alors qu’il Ă©tait dans l’armĂ©e belge de rĂ©s

auparavant, en ayant aidĂ© Ă  fabriquer illĂ©galement des munitions pouuvernement espagnol, il s’était amassĂ© bon nombre d’annĂ©es d’emprisonneme

mais il revenait dans son propre pays. Depuis octobre 1936 il Ă©tait sur le front oĂčmple milicien, il Ă©tait devenu chef de bataillon, avait pris part Ă  je ne sais combiembats et avait Ă©tĂ© blessĂ© une fois. Pendant les troubles de mai, comme j’en avairsonnellement tĂ©moin, il avait empĂȘchĂ© un combat local et avait ainsi probablem

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uvĂ© une dizaine ou une vingtaine de vies. Et en retour, tout ce qu’ils savaient ftait de le jeter en prison ! C’est perdre son temps que de se mettre en colĂšre, ma

alignitĂ© stupide de choses de ce genre met la patience Ă  rude Ă©preuve.Ils n’avaient pas « eu » ma femme. Elle Ă©tait pourtant restĂ©e Ă  l’hĂŽtel Contine

ais la police n’avait pas fait mine de l’arrĂȘter. Il sautait aux yeux qu’on voulait la rvir d’appeau. Mais, deux nuits auparavant, au petit jour, six policiers en civil avt irruption dans notre chambre d’hĂŽtel et avaient perquisitionnĂ©. Ils avaient

squ’au moindre morceau de papier en notre possession, à l’exception, heureusemen

s passeports et de notre carnet de chĂšques. Ils avaient emportĂ© mes journaux intius nos livres, toutes les coupures de presse accumulĂ©es depuis des mois (je meuvent demandĂ© de quelle utilitĂ© elles avaient bien pu leur ĂȘtre), tous mes souvenierre et toutes nos lettres. (Entre parenthĂšses, ils ont emportĂ© quantitĂ© de lettresvais reçues de mes lecteurs. Je n’avais pas rĂ©pondu Ă  certaines d’entre elles et jeidemment pas les adresses. Si quelqu’un, qui m’a Ă©crit au sujet de mon dernier liva pas reçu de rĂ©ponse, vient Ă  lire ces derniĂšres lignes, qu’il veuille bien y trouvercuses.) J’appris par la suite que la police s’était Ă©galement emparĂ©e des affaires

vais laissĂ©es au sanatorium MaurĂ­n, allant jusqu’à emporter un paquet de linge ut-ĂȘtre s’est-elle imaginĂ© que des messages pouvaient y avoir Ă©tĂ© Ă©crits Ă  l’empathique.

Il Ă©tait Ă©vident qu’il y aurait moins de danger pour ma femme Ă  rester Ă  l’hĂŽtel,moins momentanĂ©ment. Si elle tentait de disparaĂźtre, ils seraient immĂ©diatement

ousses. Quant à moi, il me fallait me cacher sans plus tarder. Cela me révoltait. En ces innombrables arrestations, je ne parvenais pas à croire que je courais un da

elconque. Tout cela me semblait par trop absurde. C’était ce mĂȘme refus de prendrieux des attaques ineptes qui avait conduit Kopp en prison. Je ne cessais de rĂ©pĂ©

Mais pour quelle raison trouverait-on nĂ©cessaire de m’arrĂȘter ? Qu’avais-je fait ? Ă©tais mĂȘme pas membre du P.O.U.M. Oui, j’avais portĂ© les armes durant les troublai, mais comme l’avaient fait, disons, quarante ou cinquante mille autres. En ovais rudement besoin d’une bonne nuit de sommeil. J’avais envie de courir le risqretourner Ă  l’hĂŽtel. Mais ma femme ne voulut pas en entendre parler. Patiemmentexpliqua la situation. Peu importait ce que j’avais ou n’avais pas fait. Il ne s’agissai

une rafle de criminels ; il s’agissait d’un rĂ©gime de terreur. Je n’étais coupable d’ate prĂ©cis, mais j’étais coupable de « trotskysme ». Le fait d’avoir servi dans les m

P.O.U.M. Ă©tait Ă  lui seul amplement suffisant Ă  me mener en prison. Il Ă©tait vainse cramponner Ă  la notion anglaise qu’on est en sĂ©curitĂ© aussi longtemps qspecte la loi. Dans la pratique la loi Ă©tait ce qui plaisait Ă  la police qu’elle fĂ»t. La sose Ă  faire Ă©tait de me terrer et de ne pas laisser savoir que j’avais eu quelque rape ce fĂ»t avec le P.O.U.M. Nous fĂźmes la revue des papiers que contenaient mes poa femme me fit dĂ©chirer ma carte de milicien, qui portait « P.O.U.M. » Ă©crit en ractĂšres, ainsi que la photo d’un groupe de miliciens avec un drapeau du P.O.U.rriĂšre-plan ; c’étaient des choses de ce genre qui vous faisaient arrĂȘter Ă  prĂ©senlait cependant que je garde mes papiers de dĂ©mobilisation. MĂȘme eux Ă©taiennger, car ils portaient le sceau de la 29e division et les policiers sauraient probablem

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e la 29e  division, c’était le P.O.U.M. ; mais sans eux je risquais d’ĂȘtre arrĂȘtĂ© comserteur.

Ce Ă  quoi il nous fallait penser, c’était Ă  sortir d’Espagne. Cela n’avait pas le mmun de rester ici avec la certitude d’ĂȘtre tĂŽt ou tard emprisonnĂ©. À vrai dire, ux, nous eussions bien aimĂ© rester, simplement pour voir ce qui allait arriver. Mangeai que les prisons espagnoles devaient ĂȘtre de vraies pouilleries (en fait, elles Ă©tcore pires que je ne les imaginais) et qu’une fois en prison on ne savait jamais qen sortirait, et que j’étais en mauvaise santĂ©, sans parler de ma douleur au bras. I

nvenu que nous nous rencontrerions le lendemain au consulat britannique, oĂč devssi aller Cottman et McNair. Cela nous prendrait probablement deux jours pour ettre en rĂšgle nos passeports. Avant de quitter l’Espagne, on avait Ă  les faire timbreois endroits diffĂ©rents : par le chef de la police, par le consul français et par les autotalanes du service de l’immigration. Le dangereux, c’était le chef de la poturellement. Mais peut-ĂȘtre le consul britannique pourrait-il s’arranger de mani

avoir pas Ă  rĂ©vĂ©ler mes rapports avec le P.O.U.M. Évidemment il devait bien existerte des Ă©trangers suspects de « trotskysme », et trĂšs probablement nos nom

ouvaient-ils, mais avec de la chance nous parviendrions peut-ĂȘtre Ă  la frontiĂšre avate. Car on pouvait compter sur pas mal de dĂ©sordre et de mañana.  Heureusemtait l’Espagne, et non l’Allemagne. La police secrĂšte espagnole participait de l’esprGestapo, mais ne possĂ©dait guĂšre sa compĂ©tence.

Nous nous sĂ©parĂąmes donc. Ma femme retourna Ă  l’hĂŽtel et moi je me mis Ă  ns l’obscuritĂ©, en quĂȘte d’un endroit oĂč pouvoir dormir. J’étais, il m’en souvient, deauvaise humeur et excĂ©dĂ©. J’avais tellement dĂ©sirĂ© une nuit dans un lit ! Je n’alle part oĂč aller, ne connaissais aucune maison oĂč pouvoir chercher refuge

O.U.M. n’avait pratiquement pas d’organisation clandestine. Ses leaders s’ét

rement toujours rendus compte que, trĂšs probablement, le parti serait supprimĂ© ; mais ils ne s’étaient attendus Ă  une chasse Ă  la sorciĂšre de cette sorte et aussi Ă©ten

s’y Ă©taient, en vĂ©ritĂ©, si peu attendus que jusqu’au jour mĂȘme de la suppressioO.U.M. ils avaient poursuivi les travaux d’amĂ©nagement des locaux du P.O.U.M. (etres choses, ils faisaient construire un cinĂ©ma dans l’immeuble du comitĂ© exĂ©cutifait Ă©tĂ© auparavant une banque). Aussi le P.O.U.M. Ă©tait-il dĂ©pourvu des lieux de renus et des cachettes que tout parti rĂ©volutionnaire devrait, cela va de soi, possĂ©der. it combien de gens dont la maison avait reçu la visite de la police dormirent dans la

tte nuit-lĂ . Je venais de passer cinq jours en voyages fatigants et pendant lesqvais dormi dans des endroits impossibles, mon bras me faisait diablement souffrilĂ  maintenant que ces imbĂ©ciles me donnaient la chasse et qu’il allait encore farmir par terre ! À cela, Ă  peu prĂšs, se bornaient mes pensĂ©es. Je ne me livrais Ă  aus rĂ©flexions politiques tout indiquĂ©es. Ça ne m’arrive jamais pendant que les chnt en train de se passer. Il semble en aller toujours de mĂȘme chaque fois que je prrt Ă  la guerre ou Ă  la politique : je n’ai jamais conscience de rien d’autre qu

nconfort physique et de mon dĂ©sir profond que prenne fin au plus vite toute audite absurditĂ©. AprĂšs coup il m’est possible de saisir la signification des Ă©vĂ©nemais tant qu’ils sont en train de se produire, je ne fais que souhaiter d’ĂȘtre en deho

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ait ignoble, peut-ĂȘtre.J’avais marchĂ© longtemps et me trouvai non loin de l’hĂŽpital gĂ©nĂ©ral. Je cherc

coin oĂč pouvoir m’étendre et oĂč la police ne viendrait pas fourrer son nez poumander mes papiers. J’essayai d’un abri contre raids aĂ©riens, mais, creusĂ© de

aĂźche date, il ruisselait d’humiditĂ©. Je pĂ©nĂ©trai alors dans les ruines d’une Ă©gliseait Ă©tĂ© incendiĂ©e Ă  la rĂ©volution et dont il ne restait que les murs. Ce n’était plus qurcasse : quatre murs sans toit entourant un amas de dĂ©combres. En tĂątonnant dami-obscuritĂ©, je finis par trouver une sorte de cavitĂ© dans laquelle je pus me cou

es blocs de maçonnerie brisĂ©s, ce n’est guĂšre moelleux comme couche. ureusement c’était une nuit chaude et je parvins Ă  dormir quelques heures.

 

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XII

Le pis de tout, lorsqu’on est recherchĂ© par la police dans une ville comme Barcest que tout ouvre si tard. Quand on dort Ă  la belle Ă©toile, on s’éveille toujours Ă  l’aaucun des cafĂ©s de Barcelone n’ouvre guĂšre avant neuf heures. J’avais des heuendre avant de pouvoir boire une tasse de cafĂ© et me faire raser. Qu’il me p

range, chez le coiffeur, de voir encore au mur l’affiche anarchiste exposant les raila prohibition des pourboires ! « La RĂ©volution a rompu nos chaĂźnes », disait l’affavais envie de dire aux coiffeurs qu’ils retrouveraient bientĂŽt leurs chaĂźnes s’ilsenaient garde.

Je me remis à errer dans le centre de la ville. Au-dessus des immeubles du P.O. drapeaux rouges avaient été arrachés et à leur place flottaient des drap

publicains, et des groupes de gardes civils tiraient leur flemme dans l’encadrement rte. Au centre du Secours rouge, au coin de la place de Catalogne, les policiers s’ét

musés à briser la plupart des vitres. On avait vidé de leurs livres les librairie

O.U.M., et collĂ© sur un panneau d’affichage, un peu plus bas sur les Ramblas, un dearge contre le P.O.U.M. – celui qui reprĂ©sentait un visage fasciste se dissimurriĂšre un masque. Tout Ă  fait au bas des Ramblas, prĂšs du quai, je tombai su

ngulier spectacle : une rangĂ©e de miliciens, encore en loques boueuses du front, vaucrus de fatigue, sur les chaises placĂ©es lĂ  pour les cireurs de bottes. Je savais quaient – je reconnus l’un d’eux, en fait. C’étaient des miliciens du P.O.U.M. qui Ă©trivĂ©s la veille du front, pour trouver le parti supprimĂ©, et qui avaient dĂ» passer lans les rues parce que la police avait fait des descentes dans leurs maisons. Tout mil

P.O.U.M. qui revint Ă  Barcelone Ă  cette date-lĂ  eut le choix entre immĂ©diatemecher ou ĂȘtre immĂ©diatement jetĂ© en prison : rĂ©ception qui manque d’agrĂ©ment aois ou quatre mois de front !

C’était une situation bizarre que celle oĂč nous nous trouvions ! La nuit, nous Ă©ts fugitifs traquĂ©s, mais dans la journĂ©e nous pouvions mener une vie presque normute maison connue pour donner asile Ă  des adhĂ©rents du P.O.U.M. Ă©tait – ou ens risquait d’ĂȘtre – placĂ©e sous surveillance, et il Ă©tait impossible d’aller dans un hĂŽtns une pension de famille, parce qu’il avait Ă©tĂ© ordonnĂ© par dĂ©cret Ă  tout tenan

hĂŽtel d’informer immĂ©diatement la police de l’arrivĂ©e de tout nouveau cl

utrement dit, il fallait passer la nuit dehors. Dans la journĂ©e, en revanche, dans unel’importance de Barcelone, on Ă©tait relativement en sĂ©curitĂ©. Les rues fourmillaien

rdes civils, de gardes d’assaut, de carabiniers et de policiers ordinaires, sans parleeu sait combien d’espions en civil ; mais ils ne pouvaient arrĂȘter tous les passants,us prĂ©sentiez une apparence normale, vous pouviez espĂ©rer passer inaperçu. Mlait Ă©viter de rĂŽder aux environs des locaux du P.O.U.M. et d’aller dans les cafĂ©s ostaurants dont les garçons vous connaissaient de vue. Je passai beaucoup de tempur-lĂ  et le suivant, Ă  prendre un bain dans l’un des Ă©tablissements de bains. L

Ă©tait venue que c’était lĂ  un excellent moyen de passer le temps tout en me tenant vue. Malheureusement quantitĂ© de gens eurent la mĂȘme idĂ©e et quelques jours

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rd – j’avais alors dĂ©jĂ  quittĂ© Barcelone – la police fit une descente dans l’un de ces bblics et arrĂȘta un grand nombre de « trotskystes » dans l’habit du pĂšre Adam.

 Ă€ mi-chemin, en remontant les Ramblas, je me trouvai nez Ă  nez avec l’unessĂ©s du sanatorium MaurĂ­n. Nous Ă©changeĂąmes l’espĂšce de clin d’Ɠil impercepe les gens Ă©changeaient Ă  cette Ă©poque et, sans avoir l’air de rien, nous rangeĂąmes pour nous retrouver un peu plus loin dans un cafĂ©. Il avait Ă©chaprrestation lors de la descente de police dans le MaurĂ­n, mais il Ă©tait maintenant, co autres, Ă  la rue. Et en bras de chemise – il avait dĂ» fuir sans sa veste – et sans arg

me raconta qu’un garde civil avait arrachĂ© du mur le grand portrait peint de Maurvait dĂ©truit Ă  coups de pied. MaurĂ­n (l’un des fondateurs du P.O.U.M.) Ă©tait prisons fascistes et Ă  cette Ă©poque-lĂ  on croyait qu’il avait Ă©tĂ© fusillĂ© par eux.

Je rencontrai ma femme au consulat britannique Ă  dix heures. McNair et CottrivĂšrent peu aprĂšs. La premiĂšre chose qu’ils m’apprirent, ce fut que Bob Smillie ort. Il Ă©tait mort en prison Ă  Valence – de quoi, personne ne le savait exactemenait Ă©tĂ© immĂ©diatement enterrĂ© et le dĂ©lĂ©guĂ© local de l’I.L.P. n’avait pas obutorisation de voir son corps.

Naturellement je supposai aussitĂŽt qu’il avait Ă©tĂ© fusillĂ©. C’est ce que tout le mut Ă  l’époque, mais j’ai depuis pensĂ© que j’étais peut-ĂȘtre dans l’erreur. Un peu rd, on donna officiellement pour cause de sa mort une crise d’appendicite et prĂźmes par la suite, de la bouche d’un autre prisonnier qui avait Ă©tĂ© relĂąchĂ©, qu’il

en vrai que Smillie avait Ă©tĂ© malade en prison. Peut-ĂȘtre donc que l’histoirppendicite Ă©tait rĂ©elle. Le refus opposĂ© Ă  Murray de lui laisser voir sa dĂ©pouille pore dĂ» Ă  une pure malveillance. Mais j’ai tout de mĂȘme ceci Ă  dire : Bob Smillie n’e vingt-deux ans, et il Ă©tait physiquement l’un des hommes les plus vigoureux que

mais vus. De tous les Anglais et Espagnols que j’ai connus, il avait Ă©tĂ© le seul, je cro

sser trois mois dans les tranchĂ©es sans un jour de maladie. Quand ils sont aussi rtants que cela, les gens, en gĂ©nĂ©ral, ne meurent pas de l’appendicite, s’ils nvenablement soignĂ©s. Mais quand on a vu ce qu’étaient les prisons espagnoles isons de fortune que l’on utilisait pour les prisonniers politiques – on se rend coms chances qu’avait un malade d’y recevoir des soins appropriĂ©s Ă  son Ă©tat. Ces prisne peut plus justement les comparer qu’aux cachots des chĂąteaux du Moyen Âge

ngleterre, il faudrait remonter au XVIIIe  siĂšcle pour retrouver rien de comparablens Ă©taient parquĂ©s dans de petites piĂšces oĂč ils n’avaient qu’à peine la plac

tendre, et souvent on les enfermait dans des caves ou dans d’autres lieux obscurs.s’agissait pas lĂ  d’une mesure provisoire – on peut citer des cas de dĂ©tenus qui, duatre ou cinq mois, ne virent Ă  peu prĂšs pas la lumiĂšre du jour. Et la nourriture

fecte et insuffisante : deux assiettes de soupe et deux morceaux de pain par juelques mois plus tard, cependant, il paraĂźt y avoir eu quelque amĂ©lioration danurriture.) Je n’exagĂšre pas ; demandez Ă  n’importe quel suspect politique ayan

mprisonnĂ© en Espagne. Les descriptions qui m’ont Ă©tĂ© faites des prisons espagnoviennent d’un grand nombre de sources sĂ©parĂ©es, et s’accordent toutes trop bien ees pour pouvoir ĂȘtre mises en doute ; du reste, j’ai moi-mĂȘme pu jeter quelques c

Ɠil dans une prison espagnole. Et un autre ami anglais, qui fut empris

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Ă©rieurement, Ă©crit que les souvenirs de son propre emprisonnement « rendent leSmillie plus facile Ă  comprendre ». La mort de Smillie n’est pas une chose qu

isse aisĂ©ment pardonner. VoilĂ  un jeune homme bien douĂ© et courageux, qui a rensa carriĂšre Ă  l’universitĂ© de Glasgow pour venir combattre le fascisme et qui, con ai Ă©tĂ© moi-mĂȘme tĂ©moin, a rempli tout son devoir au front avec une bonne voloncourage sans dĂ©faillance ; et tout ce qu’ils ont su faire de lui, ce fut de le jeter en p

de le laisser mourir comme une bĂȘte abandonnĂ©e. Je sais qu’au milieu d’une grannglante guerre il ne sied pas de faire trop d’histoire au sujet d’une mort individu

ne bombe d’avion qui tombe dans une rue frĂ©quentĂ©e cause plus de souffrancesute une suite de persĂ©cutions politiques. Mais ce qui rĂ©volte dans une mort cole-lĂ , c’est son extrĂȘme manque d’à-propos. Être tuĂ© dans la bataille – trĂšs bien, coi chacun s’attend ; mais ĂȘtre jetĂ© en prison, non pas mĂȘme pour quelque faginaire, mais uniquement par l’effet d’une malveillance stupide et aveugle, et yssĂ© Ă  mourir dans l’abandon, c’est tout autre chose ! Je ne vois pas comment des ce genre – car le cas de Smillie n’est pas exceptionnel – peuvent rapprocher si peusoit de la victoire.

Nous allĂąmes, ma femme et moi, faire visite Ă  Kopp ce mĂȘme aprĂšs-midi. Il rmis de venir voir les dĂ©tenus qui n’étaient pas gardĂ©s incomunicados ; mais il nidemment pas prudent d’y aller plus d’une ou deux fois. La police guettait les gentraient et sortaient et, si vous alliez voir trop souvent les prisonniers, vous vous clamme ami des « trotskystes » et gĂ©nĂ©ralement finissiez vous-mĂȘme en prison. CrivĂ© dĂ©jĂ  Ă  bon nombre de gens.

Kopp n’était pas incomunicado et nous obtĂźnmes sans difficultĂ© l’autorisation ir. Au moment oĂč, venant de franchir les portes d’acier, on nous faisait pĂ©nĂ©trer daison, un milicien espagnol, que j’avais connu au front, en sortait entre deux ga

vils. Nos regards se croisĂšrent : une fois de plus l’imperceptible clin d’Ɠil. Et la premrsonne que nous vĂźmes Ă  l’intĂ©rieur fut un milicien amĂ©ricain qui, peu de jparavant, Ă©tait parti pour rentrer chez lui. Ses papiers Ă©taient en rĂšgle, mais on neait pas moins arrĂȘtĂ© Ă  la frontiĂšre, probablement parce qu’il portait encore des culvelours Ă  cĂŽtes, ce qui permettait de l’identifier comme milicien. Nous passĂąmes l

tĂ© de l’autre comme si nous avions Ă©tĂ© complĂštement Ă©trangers l’un Ă  l’autre. Ce felque chose d’affreux. Je l’avais connu pendant des mois, j’avais partagĂ© une cagna, il avait aidĂ© Ă  me porter quand on m’avait ramenĂ© blessĂ© du front ; mais on ne po

n faire d’autre. Les gardiens en uniforme bleu Ă©taient partout Ă  Ă©pier. Il nous eĂ»al de reconnaĂźtre trop de monde.Cette prĂ©tendue prison Ă©tait en rĂ©alitĂ© le rez-de-chaussĂ©e d’un magasin. Dans

Ăšces, mesurant chacune vingt pieds carrĂ©s environ, serrĂ©es les unes contre les aue centaine de personnes Ă©taient parquĂ©es. L’aspect de ce lieu Ă©tait tel qu’on l’eĂ»

ut droit sorti d’une illustration du Recueil des causes cĂ©lĂšbres au XVIII e siĂšcle, avetĂ© et son odeur de renfermĂ©, son enchevĂȘtrement de corps humains, son absenc

eubles (il n’y avait que le sol de pierre nue, un banc et quelques couvertures en loqson jour fuligineux, car les tabliers de tĂŽle ondulĂ©e des vitrines avaient Ă©tĂ© baissĂ©s murs encrassĂ©s des mots d’ordre rĂ©volutionnaires, Visca   P.O.U.M. !  Viv

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voluciĂłn !, etc., avaient Ă©tĂ© griffonnĂ©s. Cet endroit servait de dĂ©pĂŽt pour les prisonlitiques depuis des mois. Le tapage des voix Ă©tait assourdissant. C’était l’heure dite et l’endroit Ă©tait Ă  tel point bondĂ© de gens qu’on avait du mal Ă  s’y mouvoir. Pre

us ces gens appartenaient aux couches les plus pauvres de la classe ouvriĂšre. On vs femmes dĂ©baller de misĂ©rables paquets de provisions qu’elles avaient apportĂ©s

urs hommes emprisonnĂ©s. Il y avait plusieurs blessĂ©s du sanatorium MaurĂ­n parmisonniers. Deux d’entre eux Ă©taient amputĂ©s d’une jambe. L’un des deux avai

mené à la prison sans sa béquille et était obligé de sautiller sur un pied. Il y avait a

jeune garçon de douze ans au plus ; ils arrĂȘtaient donc mĂȘme les enfants, il faoire. Il rĂ©gnait en cet endroit la puanteur Ă©cƓurante de tout lieu oĂč une foule de geouvent entassĂ©s sans amĂ©nagement sanitaire appropriĂ©.

Kopp, en jouant des coudes, se fraya un passage jusqu’à nous. Il avait le mage poupin au teint frais que d’habitude, et dans ce lieu infect il avait su garder prn uniforme et avait mĂȘme trouvĂ© moyen de se raser. Il y avait parmi les prisonniertre officier en uniforme de l’armĂ©e populaire. Lui et Kopp se firent le salut mili

rsqu’ils se croisùrent cependant qu’ils luttaient pour se frayer un passage. Ce gest

ne sais quoi de pathĂ©tique. Le moral de Kopp semblait excellent. « Eh bien ! je sup’on va tous nous fusiller », dit-il gaiement. Au mot « fusiller », je me stĂ©rieurement frĂ©mir. Il n’y avait pas longtemps qu’une balle s’était ouvert un chns mon propre corps et la sensation en Ă©tait encore trop fraĂźche dans mon souveni

a rien d’agrĂ©able d’imaginer cela arrivant Ă  quelqu’un que l’on connaĂźt bien. oment-lĂ  j’étais persuadĂ© que tous les principaux membres du P.O.U.M., et Kopp x, seraient fusillĂ©s. La premiĂšre nouvelle de la mort de Nin venait juste de filtrus savions que l’on accusait le P.O.U.M. de trahison et d’espionnage. Tout semnoncer un procĂšs monstre montĂ© de toutes piĂšces, suivi du massacre des ca

trotskystes ». C’est une chose terrible de voir votre ami en prison et de vous spuissant Ă  le secourir. Car on ne pouvait rien faire ; mĂȘme pas faire appel aux autolges, puisqu’en venant ici Kopp avait enfreint la loi de son propre pays. Ce fumme qui dut parler presque tout le temps ; car avec mon filet de voix aiguĂ« je n’arrs Ă  me faire entendre au milieu de tout ce vacarme. Kopp nous parla des amis tait faits parmi les autres prisonniers et parmi les gardiens ; certains de ceux-ci Ă©tabraves garçons, mais il y en avait d’autres qui insultaient et frappaient les prisonn plus craintifs ; il nous parla aussi de la nourriture qui n’était que de la « lavasse

chons ». Heureusement nous avions pensĂ© Ă  apporter un paquet de victuailles et as cigarettes. Puis Kopp se mit Ă  nous parler des papiers qu’on lui avait enlevĂ©oment de son arrestation, et au nombre desquels se trouvait la lettre du ministĂšre uerre adressĂ©e au colonel commandant les opĂ©rations du GĂ©nie dans l’armĂ©e de l’Eslice s’en Ă©tait emparĂ©e et avait refusĂ© de la rendre, et l’on disait qu’elle traĂźnĂ©sent dans le bureau du chef de la police. Cela pourrait changer les choses du touut si on la retrouvait.

Je compris aussitĂŽt de quelle importance cela pourrait ĂȘtre. Une lettre officieltte nature, contenant la recommandation du ministre de la Guerre et du gĂ©nĂ©ral Pablirait le loyalisme de Kopp. Mais le difficile Ă©tait de prouver l’existence de la lettr

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e venait Ă  ĂȘtre ouverte dans le bureau du chef de la police, on pouvait ĂȘtre sĂ»relque indicateur de la police la dĂ©truirait. Il n’y avait qu’une seule personneurrait peut-ĂȘtre obtenir qu’on la rende, et c’était l’officier Ă  qui elle Ă©tait adressĂ©e. Kait dĂ©jĂ  pensĂ© Ă  cela et avait Ă©crit une lettre qu’il me demanda de sortir clandestinemla prison et de mettre Ă  la poste. Mais il Ă©tait Ă©videmment plus rapide et plus sĂ»r dpersonne. Laissant ma femme avec Kopp, je me hĂątai de sortir et, aprĂšs

ngtemps cherché un taxi, en trouvai enfin un. Je savais que tout était une questionutes. Il était alors cinq heures et demie environ, le colonel devait probablem

itter son bureau Ă  six heures, et d’ici au lendemain la lettre pouvait aller Dieu s– ĂȘtre dĂ©chirĂ©e peut-ĂȘtre, ou Ă©garĂ©e dans le fouillis des documents qui deva

ntasser au fur et Ă  mesure qu’on arrĂȘtait suspect aprĂšs suspect. Le bureau du colonouvait dans le service du ministĂšre de la Guerre, prĂšs du quai. Comme je gravissaiste les marches, le garde d’assaut de faction Ă  la porte me barra le passage de sa loĂŻonnette et dit : « Papiers ! » Je lui montrai mon certificat de dĂ©mobilisasiblement il ne savait pas lire et me laissa passer, impressionnĂ© par le vague mys « papiers ». À l’intĂ©rieur, c’était, autour d’une cour centrale, une immense gar

mpliquĂ©e avec des centaines de bureaux par Ă©tage ; et, comme on Ă©tait en Esparsonne ne savait le moins du monde oĂč pouvait bien se trouver le bureau querchais. Je ne cessais de rĂ©pĂ©ter : El coronel... jefe de ingenieros. EjĂ©rcito de Este ns souriaient et haussaient avec grĂące les Ă©paules. Chacun de ceux qui avaientinion m’envoya dans une direction diffĂ©rente : en haut de cet escalier-lĂ , en baui-ci, le long d’interminables couloirs qui soudain finissaient en culs-de-sac. E

mps passait. J’avais la trĂšs singuliĂšre impression de me dĂ©battre en plein cauchemtte course prĂ©cipitĂ©e en montant et en descendant tous ces escaliers, les allĂ©enues de ces gens mystĂ©rieux, ces coups d’Ɠil jetĂ©s par des portes ouvertes dans

reaux chaotiques, avec des paperasses Ă©talĂ©es partout et des machines Ă  Ă©quetant ; et cette fuite du temps et tout cela qui dĂ©cidait peut-ĂȘtre d’une vie...

Pourtant j’arrivai Ă  temps et, Ă  ma lĂ©gĂšre surprise, n’eus pas de peine Ă  obtenirdience. Je ne vis pas le colonel ; mais son aide de camp ou secrĂ©taire, un petit offet, en Ă©lĂ©gant uniforme, aux grands yeux qui louchaient, vint s’entretenir avecns l’antichambre. Je me mis Ă  lui dĂ©biter mon histoire. J’étais venu au nom de pĂ©rieur, le chef de bataillon Georges Kopp, qui, en route pour le front avec une misgente, avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par erreur. La lettre adressĂ©e au colonel... Ă©tait de na

nfidentielle et devait ĂȘtre retrouvĂ©e sans dĂ©lai. J’avais servi sous les ordres de Kndant des mois, c’était un officier au caractĂšre le plus noble, son arrestation ne poure que le fait d’une erreur, la police avait dĂ» le confondre avec quelqu’un d’autre, etvenais sans cesse sur l’urgence de la mission de Kopp, sentant bien que c’était le prt. Mais tout cela devait paraĂźtre une bien bizarre histoire, dans mon mauvais espai, aux moments dĂ©cisifs, retombait dans le français. Qui pis est, ma voix m’esque immĂ©diatement lĂąchĂ©, et ce n’était qu’au prix du plus violent effort que j’arrĂ©mettre une sorte de coassement. Et j’avais tout le temps peur qu’elle me mamplĂštement et que le petit officier se lasse d’essayer de me comprendre. Je meuvent demandĂ© ce qu’il avait bien pu s’imaginer au sujet de ma voix – s’il m’avai

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e, ou simplement affligĂ© d’une conscience pas tranquille.NĂ©anmoins il m’écouta patiemment, hocha la tĂȘte un grand nombre de fois et d

n assentiment avec circonspection Ă  ce que je lui dis. Oui, il semblait qu’il devait y erreur. Mais certainement, c’était une chose Ă  Ă©claircir. Mañana...  Je protestai.

s mañana ! C’était urgent. Kopp aurait dĂ©jĂ  dĂ» ĂȘtre sur le front. De nouveau l’ofrut ĂȘtre du mĂȘme avis que moi. Puis vint la question que je redoutais :

« Ce commandant Kopp, dans quelle unitĂ© servait-il ? »Le mot terrible avait Ă  ĂȘtre dit :

« Dans les milices du P.O.U.M.— Du P.O.U.M. ! »Je voudrais pouvoir vous donner une idĂ©e du ton scandalisĂ© et alarmĂ© de sa vo

us faut vous rappeler ce que le P.O.U.M. passait pour ĂȘtre Ă  cette Ă©poque-lĂ . On Ă©taus fort de la terreur panique de l’espionnage ; et probablement tous les publicains crurent-ils, l’espace d’un jour ou deux, que le P.O.U.M. Ă©tait une vganisation d’espionnage Ă  la solde de l’Allemagne. Avoir Ă  faire une telle rĂ©ponse ficier de l’armĂ©e populaire, c’était comme d’entrer au Cercle de la cavalerie tout de

rÚs la panique causée par « La Lettre rouge »{9 }

 en s’y prĂ©sentant comme commun ses yeux noirs il me dĂ©visageait de biais. Il y eut un long silence, puis il dit lentem« Et vous dites que vous Ă©tiez avec lui au front. Alors vous serviez, vous aussi,

milices du P.O.U.M. ?— Oui. »Il fit demi-tour et s’engouffra dans le bureau du colonel. J’entendis les Ă©clats d

nversation animĂ©e. « Tout est fichu », pensai-je. Nous ne pourrions jamais ravotre de Kopp. Et en outre j’avais Ă©tĂ© amenĂ© Ă  avouer que j’étais moi-mĂȘme danO.U.M., et sans aucun doute ils allaient tĂ©lĂ©phoner Ă  la police et me faire arr

mplement pour mettre un « trotskyste » de plus dans le sac. L’instant d’apendant, l’officier rĂ©apparut, mettant son kĂ©pi, et d’un geste ferme me fit signe ivre. Nous nous rendions au bureau du chef de la police. C’était loin, Ă  vingt minued. Le petit officier marchait avec raideur devant moi, d’un pas de militaire. NĂ©changeĂąmes pas un seul mot durant tout le trajet. Lorsque nous arrivĂąmes au bu

chef de la police, une foule de gredins du plus redoutable aspect, visiblemdicateurs de police, mouchards et espions de tout acabit, fainĂ©antaient Ă  l’extĂ©rieurords de la porte. Le petit officier entra. Il y eut une longue conversation enflammĂ©e

tendait s’élever des voix furieuses, on pouvait se reprĂ©senter les gestes violentsussements d’épaules, les coups assenĂ©s sur la table. Manifestement la police refusandre la lettre. À la fin, cependant, l’officier ressortit, tout rouge, mais tenant une lveloppe officielle. C’était la lettre de Kopp. Nous avions remportĂ© une petite victoi, en l’occurrence, n’apporta pas le moindre changement au sort de Kopp. La lettrlivrĂ©e en temps utile, mais les supĂ©rieurs militaires de Kopp ne purent rien pour leprison.

L’officier me promit que la lettre serait dĂ©livrĂ©e Ă  son destinataire. Mais, et Kos-je. Ne pouvions-nous obtenir qu’il fĂ»t relĂąchĂ© ? Il haussa les Ă©paules. Ça, c’étaittre histoire. Ils ne savaient pas pourquoi l’on avait arrĂȘtĂ© Kopp. Il put seulemen

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omettre que serait faite l’enquĂȘte qui s’imposait. Il n’y avait plus rien Ă  dire, il mps de nous quitter. Nous nous saluĂąmes d’une lĂ©gĂšre inclination. Et alors il se pe chose inattendue et Ă©mouvante. Le petit officier hĂ©sita un instant, puis il fit unrs moi et me serra la main.

Je ne sais pas si je suis parvenu Ă  faire sentir combien profondĂ©ment ce gestucha. Cela paraĂźt peu de chose, mais ce n’était pas peu de chose. Il vous faut prĂ©senter les sentiments dont on Ă©tait animĂ© Ă  cette date – l’horrible atmosphĂšrspicion et de haine, les mensonges, les mille bruits qui couraient partout, les plac

ant sur les panneaux Ă  affiches que moi et mes semblables nous Ă©tions des espscistes. Et il faut aussi se rappeler que nous nous trouvions alors Ă  l’extĂ©rieur du bu

chef de police, devant cette sale bande de mouchards et d’agents provocateurs, etacun d’eux pouvait savoir que j’étais « recherchĂ© » par la police. Ce geste, c’était coserrer publiquement la main d’un Allemand pendant la Grande Guerre. Je supposequelque maniĂšre il Ă©tait arrivĂ© Ă  la conclusion que je n’étais pas un espion fascist

alitĂ© ; n’empĂȘche que cette poignĂ©e de main, ce fut beau de sa part.J’ai racontĂ© ce petit fait, si futile qu’il puisse paraĂźtre, parce qu’il est en que

rte caractĂ©ristique de l’Espagne – de ces Ă©clats de grandeur d’ñme que vous pouvezs Espagnols, dans les pires circonstances. J’ai de l’Espagne les plus pĂ©nibles souveais j’ai bien peu de mauvais souvenirs des Espagnols. Seulement deux fois jeuviens d’avoir Ă©tĂ© sĂ©rieusement en colĂšre contre un Espagnol, et encore, quand jporte en arriĂšre, je crois que dans les deux cas j’avais tort moi-mĂȘme. Ils ont nteste une gĂ©nĂ©rositĂ©, une noblesse d’une qualitĂ© qui n’est pas exactement ducle. C’est ce qui permet d’espĂ©rer qu’en Espagne, mĂȘme le fascisme pourrait pree forme relativement moins autoritaire et plus supportable. Peu d’Espagnols possĂš odieuses capacitĂ©s et l’esprit de suite qu’exige un État totalitaire moderne. On ava

e curieuse petite illustration de ce fait, quelques nuits auparavant, lorsque la pait venue perquisitionner dans la chambre de ma femme. En fait, cette perquisait Ă©tĂ© une chose trĂšs intĂ©ressante Ă  observer, et j’eusse aimĂ© y assister, mais il est ute prĂ©fĂ©rable que je n’aie pas Ă©tĂ© prĂ©sent, car je n’aurais peut-ĂȘtre pas pu demelme.

La police mena la perquisition dans le style, aisément reconnaissable, du Guéde la Gestapo. Au petit jour, on donna de grands coups dans la porte, et six hom

trÚrent et immédiatement se postÚrent en différents points de la chambre, selon

structions prĂ©alablement donnĂ©es. Puis ils fouillĂšrent de fond en comble les Ăšces (il y avait une salle de bains attenante) avec une inimaginable conscience. Ils fsonner les murs, soulevĂšrent les paillassons, examinĂšrent le plancher, palpĂšrendeaux, explorĂšrent sous la baignoire et le radiateur ; vidĂšrent tous les tiroirs elises, tĂątĂšrent et regardĂšrent Ă  contre-jour tous les vĂȘtements. Ils confisquĂšrent toupiers, y compris ceux du contenu de la corbeille Ă  papier, et tous nos livres par-dessarchĂ©. Un dĂ©lire de dĂ©fiance les prit quand ils dĂ©couvrirent que nous possĂ©dionemplaire de la traduction française du Mein  Kampf  de Hitler. Si ç’avait Ă©tĂ© le seul ouvĂ© chez nous, c’en Ă©tait fait de nous. Car il tombe sous le sens que quelqu’un qein  Kampf  doit ĂȘtre un fasciste. Mais aussitĂŽt aprĂšs ils tombĂšrent sur un exemplair

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brochure de Staline (Comment liquider les trotskystes et autres fourbes), ce qussura quelque peu. Dans un tiroir il y avait un certain nombre de paquets de papgarettes. Ils dĂ©firent chaque paquet et l’examinĂšrent feuille par feuille, au cas queessages s’y trouvassent Ă©crits. Pour venir Ă  bout de leur tĂąche, ils s’affairĂšrent ndant prĂšs de deux heures. Or, de tout ce temps, pas une seule fois ils ne fouillĂšre

Ma femme resta couchĂ©e tout le temps ; il Ă©tait Ă©vident qu’il aurait pu y avoirmi-douzaine de fusils mitrailleurs cachĂ©s sous le matelas, sans parler de toutebliothĂšque d’écrits trotskystes sous l’oreiller. Et cependant ces dĂ©tectives ne firen

e seule fois le geste de toucher au lit, ni mĂȘme ne regardĂšrent jamais dessous. Jis croire que ce soit lĂ  une pratique courante de la routine du GuĂ©pĂ©ou. Il fauppeler que la police Ă©tait alors presque entiĂšrement sous le contrĂŽle des communis hommes Ă©taient probablement eux-mĂȘmes membres du parti communiste. Maaient aussi Espagnols, et faire sortir une femme de son lit, c’était un peu trop mander. D’un tacite accord ils renoncĂšrent Ă  cette partie-lĂ  du travail, le rendant in tout entier.

Cette nuit-lĂ , McNair, Cottman et moi, nous dormĂźmes au milieu des hautes he

bordure d’un lotissement abandonnĂ©. C’était une nuit froide pour la saison et aucuus ne put beaucoup dormir. Je me souviens des longues et mornes heures Ă  traĂźnant de pouvoir prendre une tasse de cafĂ©. Pour la premiĂšre fois depuis que j’étrcelone, j’allai jeter un coup d’Ɠil sur la cathĂ©drale ; c’est une cathĂ©drale modernn des plus hideux monuments du monde. Elle a quatre flĂšches crĂ©nelĂ©es quiactement la forme de bouteilles de vin du Rhin. À la diffĂ©rence de la plupart des aulises de Barcelone, elle n’avait pas Ă©tĂ© endommagĂ©e pendant la rĂ©volution ; elle Ă© Ă©pargnĂ©e Ă  cause de sa « valeur artistique », disaient les gens. Je trouve quarchistes ont fait preuve de bien mauvais goĂ»t en ne la faisant pas sauter alors qu’i

aient l’occasion, et en se contentant de suspendre entre ses flĂšches une banniĂšre rnoire. Cet aprĂšs-midi-lĂ , nous allĂąmes, ma femme et moi, voir Kopp pour la derns. Nous ne pouvions rien faire pour lui, absolument rien, qu’aller lui dire au revosser de l’argent Ă  des amis espagnols qui lui porteraient des provisions et des cigareais quelque temps plus tard, il fut mis incomunicado et il devint impossible de lui rvenir mĂȘme des vivres. Ce soir-lĂ , en descendant les Ramblas, nous passĂąmes decafĂ© Moka que les gardes civils occupaient toujours en nombre. CĂ©dant Ă  pulsion, j’entrai et parlai Ă  deux d’entre eux qui Ă©taient accoudĂ©s au comptoir, le

ssĂ© en bandouliĂšre sur l’épaule. Je leur demandai s’ils savaient quels Ă©taient ceuurs camarades qui s’étaient trouvĂ©s lĂ  en faction au moment des troubles de mai. Ivaient pas, et, avec le vague habituel des Espagnols, ne savaient mĂȘme pas ce nvenait de faire pour les retrouver. Je leur dis que mon ami Georges Kopp Ă©taison et passerait peut-ĂȘtre en jugement pour quelque chose qui avait trait aux troumai ; que les hommes qui Ă©taient postĂ©s dans le cafĂ© Ă  cette Ă©poque savaient qu’il

rĂȘtĂ© le combat et sauvĂ© quelques-unes de leurs vies ; qu’il serait de leur devoir d’allmoigner. L’un des deux hommes Ă  qui je parlais Ă©tait un lourdaud maussadearrĂȘtait pas de secouer la tĂȘte parce qu’avec le bruit de la circulation il avait du mtendre ma voix. Mais l’autre Ă©tait diffĂ©rent. Il rĂ©pondit qu’il avait entendu certain

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s camarades parler du geste d’initiative de Kopp ; Kopp Ă©tait buen chico (un chic tais dĂ©jĂ  mĂȘme Ă  ce moment-lĂ  je compris que tout cela Ă©tait vain. Si Kopp venait japasser en jugement, ce serait, comme dans tous les procĂšs de ce genre, avecmoignages truquĂ©s. S’il a Ă©tĂ© fusillĂ© (et c’est le plus probable, j’en ai peur), ce seran Ă©pitaphe : le buen chico de ce pauvre garde civil qui faisait partie d’un sale systais avait gardĂ© en lui suffisamment d’un ĂȘtre humain pour savoir reconnaĂźtre une tion quand il en voyait une.

C’était une existence extraordinaire, insensĂ©e, que nous menions. La nuit,

ons des criminels, et dans la journĂ©e de riches touristes anglais – ou du moins sions semblant de l’ĂȘtre. MĂȘme aprĂšs avoir passĂ© la nuit Ă  la belle Ă©toile,

erveilleux comme il suffit de se faire raser, de prendre un bain et de faire donneup de cirage Ă  ses chaussures pour avoir tout de suite une autre allure. Le prudeĂ©sent, c’était de paraĂźtre le plus bourgeois possible. Nous frĂ©quentions les bartiers oĂč l’on ne nous connaissait pas de vue, nous allions dans des restaurants cnous nous montrions trĂšs anglais avec les garçons. Pour la premiĂšre fois de ma v

e surpris Ă  Ă©crire des choses sur les murs. Les couloirs de plusieurs restaurants

rtent des Visca P.O.U.M. !  Ă©crits en aussi grandes lettres qu’il me fut possiblndant tout ce temps-lĂ , tout en me tenant cachĂ© avec technique, je n’arrivaisaiment Ă  me sentir en danger. Tout cela me paraissait trop absurde. J’ndĂ©racinable conviction anglaise qu’« ils » ne peuvent pas vous arrĂȘter Ă  moinsus n’ayez enfreint la loi. C’est la plus dangereuse des convictions Ă  avoir en tempgrom politique ! On avait lancĂ© un mandat d’arrĂȘt contre McNair et il y avait de graances pour que le reste d’entre nous fĂ»t aussi sur la liste. Arrestations, descentelice, perquisitions continuaient sans arrĂȘt ; en fait, tous ceux que nous connaissioxception de ceux qui Ă©taient encore au front, Ă©taient Ă  cette heure en prison. La p

ait mĂȘme jusqu’à monter Ă  bord des bateaux français qui, parfois, recueillaientfugiĂ©s, et Ă  s’y saisir de gens suspectĂ©s de « trotskysme ».

GrĂące Ă  l’obligeance du consul de Grande-Bretagne – quelle semaine extĂ©nuanit avoir eue ! – nous Ă©tions parvenus Ă  avoir en rĂšgle nos passeports. Le plus tĂŽt nrtirions, le mieux cela vaudrait. Il y avait un train qui devait partir pour Port-Bou Ă ures et demie du soir ; on pouvait donc normalement s’attendre Ă  ce qu’il parte it heures et demie. Il fut convenu que ma femme commanderait Ă  l’avance un taxi,

rait ses valises, rĂ©glerait sa note et quitterait l’hĂŽtel au tout dernier moment. Car s

nnait l’éveil aux gens de l’hĂŽtel, ils feraient sĂ»rement chercher la police. Je me rengare vers sept heures, pour m’apercevoir que le train Ă©tait dĂ©jĂ  parti – il Ă©tait papt heures moins dix. Le mĂ©canicien avait changĂ© d’avis, comme d’habiteureusement nous pĂ»mes prĂ©venir ma femme Ă  temps. Il y avait un autre trainne heure, le lendemain matin. McNair, Cottman et moi, nous allĂąmes dĂźner dantit restaurant prĂšs de la gare et, en posant prudemment des questions, couvrĂźmes que le patron du restaurant Ă©tait un membre de la C.N.T. et dansspositions amicales Ă  notre Ă©gard. Il nous loua une chambre Ă  trois lits et ouavertir la police. C’était la premiĂšre fois depuis cinq nuits qu’il m’était possible dvĂȘtir pour dormir.

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Le lendemain matin ma femme rĂ©ussit Ă  se glisser hors de l’hĂŽtel. Le train pec Ă  peu prĂšs une heure de retard. J’occupai ce temps Ă  Ă©crire une longue lettrnistre de la Guerre exposant le cas de Kopp, disant qu’il Ă©tait hors de doute qu’il

Ă© arrĂȘtĂ© par erreur, qu’on avait un urgent besoin de lui au front, que d’innombrarsonnes pouvaient affirmer sous serment qu’il ne s’était rendu coupable d’auute, etc. Je me demande si quelqu’un a jamais lu cette lettre, Ă©crite sur des feurachĂ©es Ă  mon carnet de notes, d’une Ă©criture vacillante (mes doigts Ă©taient encorrtie paralysĂ©s) et dans un espagnol encore plus vacillant. En tout cas, ni cette lett

n d’autre n’eut d’effet. À la date oĂč j’écris ceci, six mois aprĂšs ces Ă©vĂ©nements, Kil n’a pas Ă©tĂ© fusillĂ©) est toujours en prison, sans avoir ni passĂ© en jugement nculpĂ©. Au dĂ©but nous reçûmes de lui deux ou trois lettres que des prisonniers relĂąaient passĂ©es clandestinement et mises Ă  la poste en France. Elles racontaient toutĂȘme histoire : emprisonnement dans d’infects cachots obscurs, nourriture mauvaisuffisante, Ă©tat sĂ©rieux de maladie dĂ» aux conditions d’emprisonnement et refuins mĂ©dicaux. J’ai eu confirmation de tout cela par diffĂ©rentes autres sources, pa

nglais et des Français. Plus récemment Kopp a disparu dans une de ces « pri

andestines » avec lesquelles il est impossible d’avoir aucune sorte de communican cas est celui de vingtaines ou de centaines d’étrangers et de qui sait combielliers d’Espagnols.

Enfin la frontiĂšre fut franchie sans incident. Notre train avait des premiĂšre claswagon-restaurant, le premier que je voyais en Espagne. Jusque dans ces der

mps les trains de Catalogne n’avaient eu qu’une seule classe. Deux dĂ©tectives vinre un tour dans le train pour prendre le nom des Ă©trangers, mais, quand ils nous vns le wagon-restaurant, ils parurent convaincus que nous Ă©tions des gens respectaĂ©tait Ă©trange comme tout avait changĂ© ! Il y avait de cela seulement six mois, Ă  l’ép

les anarchistes Ă©taient encore au pouvoir, c’était d’avoir l’air d’un prolĂ©taire qui ndait respectable. Durant le trajet de Perpignan Ă  CerbĂšre, un voyageur de commançais m’avait dit sur un ton solennel : « Vous ne devez pas entrer en Espagne mme cela. Enlevez votre col et votre cravate. Ils vous les arracheront Ă  BarceloneagĂ©rait, mais enfin cela montrait quelle idĂ©e on se faisait de la Catalogne. Et,

ontiĂšre, les gardes anarchistes avaient fait faire demi-tour Ă  un Français Ă©lĂ©gammtu et Ă  sa femme, pour l’unique raison, je crois, qu’ils avaient l’air trop bourgeoĂ©sent c’était le contraire : avoir l’air bourgeois Ă©tait l’unique salut. Au bureau

sseports on regarda si nos noms ne se trouvaient pas sur la liste des suspects, Ăące Ă  l’incapacitĂ© professionnelle de la police, ils n’y Ă©taient pas, pas mĂȘme celucNair. On nous fouilla des pieds Ă  la tĂȘte, mais nous n’avions sur nous rienmpromettant, Ă  l’exception de mes papiers de dĂ©mobilisation, et les carabiniersus fouillĂšrent ne savaient pas que la 29e  division, c’était le P.O.U.M. Ainsi donc ssĂąmes entre les mailles du filet, et aprĂšs juste six mois d’intervalle je foulai Ă  nousol français. Les seuls souvenirs d’Espagne qui me restaient Ă©taient une outre en bouc et une de ces toutes petites lampes en fer dans lesquelles les paysans arago

Ă»lent de l’huile d’olive – lampes qui ont exactement la forme des lampes en terre nt se servaient les Romains il y a deux mille ans – que j’avais ramassĂ©e dans que

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asure en ruine et qui, je ne sais comment, s’était logĂ©e dans mes bagages.En fin de compte il apparut que nous Ă©tions partis juste Ă  temps. Le tout pre

urnal que nous vĂźmes annonçait l’arrestation pour espionnage de McNair. Les autopagnoles s’étaient un peu trop pressĂ©es de l’annoncer. Heureusement qurotskysme » n’est pas un cas qui justifie l’extradition.

Je me demande quel est le premier acte qu’il sied d’accomplir quand, arrivant ys en guerre, on met pied sur une terre en paix. Moi, je me prĂ©cipitai dans un bureabac et achetai autant de cigares et de cigarettes que mes poches en purent contenir.

us allĂąmes au buffet boire une tasse de thĂ©, le premier thĂ© avec du lait frais bu deen des mois. Il me fallut plusieurs jours avant de m’habituer Ă  l’idĂ©e qu’on poheter des cigarettes chaque fois qu’on en avait envie. Je m’attendais toujours un pouver le bureau de tabac fermĂ© et, Ă  la devanture, la rĂ©barbative pancarte :  Nobaco.

McNair et Cottman continuaient sur Paris. Ma femme et moi nous quittñmain à Banyuls, la premiùre station sur la ligne, sentant le besoin d’un repos. Noumes pas trùs bien reçus à Banyuls quand on sut que nous venions de Barcelone.

antitĂ©s de fois je me trouvai entraĂźnĂ© au mĂȘme Ă©change de propos : « Vous vEspagne ? De quel cĂŽtĂ© combattiez-vous ? Du cĂŽtĂ© du gouvernement ? Oh ! » – et froid marquĂ©. La petite ville semblait fermement pro-Franco, sans doute Ă  cause

pagnols fascistes qui Ă©taient venus s’y rĂ©fugier. Le garçon du cafĂ© que je frĂ©queait Espagnol et franquiste, aussi me jetait-il des regards de mĂ©pris en me servant Ă©ritif. Il en allait tout autrement Ă  Perpignan qui en tenait obstinĂ©ment pourtisans du gouvernement et oĂč les diverses factions cabalaient les unes contrtres presque autant qu’à Barcelone. Il y avait un cafĂ© oĂč le mot « P.O.U.M. » ocurait aussitĂŽt des amis français et les sourires du garçon.

Nous restĂąmes, je crois, trois jours Ă  Banyuls. Trois jours Ă©trangement tourmeans cette calme ville de pĂȘcheurs, loin des bombes, des mitrailleuses, des queues limentation, de la propagande et de l’intrigue, nous aurions dĂ» nous sofondĂ©ment soulagĂ©s et heureux. Mais non, absolument pas. Le souvenir de tout ceus avions vu en Espagne revenait fondre sur nous, de façon beaucoup plus ’auparavant. Sans trĂȘve nous pensions Ă  l’Espagne, nous en parlions, nous en rĂȘv

epuis de nombreux mois nous nous Ă©tions promis, lorsque nous « serions sEspagne », d’aller quelque part au bord de la MĂ©diterranĂ©e nous reposer quelque te

peut-ĂȘtre pĂȘcher un peu ; mais voici qu’à prĂ©sent que nous y Ă©tions, nous n’éprouve dĂ©sappointement et ennui. Il ne faisait pas chaud, un vent persistant soufflait, laait maussade et agitĂ©e, et sur le pourtour du port une Ă©cume de cendres, de boutge et d’entrailles de poissons venait battre les pierres. Ça peut paraĂźtre de la folie, dont nous avions l’un et l’autre envie, c’était de retourner en Espagne. Bien que

eĂ»t Ă©tĂ© d’aucune utilitĂ© pour personne et mĂȘme eĂ»t pu ĂȘtre trĂšs nuisible, oui, tous us regrettions de n’ĂȘtre pas demeurĂ©s lĂ -bas pour y ĂȘtre emprisonnĂ©s avec les aucrains de n’avoir su vous donner qu’une bien faible idĂ©e de tout ce que ces mois paEspagne reprĂ©sentent pour moi. J’ai racontĂ© quelques Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs,

mment communiquer l’impression qu’ils m’ont laissĂ©e ! Tout pour moi est Ă©troitem

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ĂȘlĂ© Ă  des visions, des odeurs, des sons, que les mots sont impuissants Ă  rendre : l’os tranchĂ©es, les levers du jour sur des horizons immenses dans les montagne

aquement glacĂ© des balles, le rugissement et la lueur des bombes ; la pure et frmiĂšre des matins Ă  Barcelone, et le bruit des bottes dans les cours de quartiercembre, au temps oĂč les gens croyaient encore Ă  la rĂ©volution ; et les queues aux ps magasins d’alimentation, et les drapeaux rouge et noir, et les visages des milicpagnols ; surtout les visages des miliciens – d’hommes que j’ai connus au front ent Ă  prĂ©sent dispersĂ©s et Dieu sait oĂč, les uns tuĂ©s dans la bataille, d’autres mu

rtains en prison ; la plupart d’entre eux, je l’espĂšre, encore sains et saufs. Bonne cheux tous ! J’espĂšre qu’ils gagneront leur guerre et chasseront d’Espagne tourangers, les Allemands, les Russes et les Italiens. Cette guerre, Ă  laquelle j’ai prisrt si inefficace, m’a laissĂ© des souvenirs qui sont pour la plupart de mauvais souvecependant je ne puis souhaiter ne pas en avoir Ă©tĂ©. Quand on a eu un aperçu sastre tel que celui-ci – car, quelle qu’en soit l’issue, cette guerre d’Espagne, de taniĂšre, se trouvera avoir Ă©tĂ© un Ă©pouvantable dĂ©sastre, sans mĂȘme parler du massdes souffrances physiques –, il n’en rĂ©sulte pas forcĂ©ment de la dĂ©sillusion e

nisme. Il est assez curieux que dans son ensemble cette expĂ©rience m’ait laissĂ© uns seulement non diminuĂ©e, mais accrue, dans la dignitĂ© des ĂȘtres humains. Et j’ese le rĂ©cit que j’en ai fait n’induit pas trop en erreur. Je crois que devant un Ă©vĂ©nemmme celui-lĂ , personne n’est, ne peut ĂȘtre, absolument vĂ©ridique. Il est difarriver Ă  une certitude Ă  propos de quelque fait que ce soit, Ă  moins d’en avoir Ă©tĂ©ĂȘme le tĂ©moin oculaire, et, consciemment ou inconsciemment, chacun Ă©crit en partu cas oĂč je ne vous l’aurais pas dĂ©jĂ  dit prĂ©cĂ©demment au cours de ce livre, je vais re Ă  prĂ©sent ceci : mĂ©fiez-vous de ma partialitĂ©, des erreurs sur les faits que j’ammettre, et de la dĂ©formation qu’entraĂźne forcĂ©ment le fait de n’avoir vu qu’un

s Ă©vĂ©nements. Et mĂ©fiez-vous exactement des mĂȘmes choses en lisant n’importe tre livre sur la guerre d’Espagne.

Parce que nous avions le sentiment que nous avions le devoir de faire queose, alors qu’en rĂ©alitĂ© il n’y avait rien que nous pussions faire, nous partĂźmenyuls plus tĂŽt que nous n’en avions d’abord eu l’intention. À chaque kilomĂštre quesait vers le nord, la France devenait plus verte et plus douce. Adieu les montagnes e

gnes ; nous allions revoir les prairies et les ormes. Lorsque j’avais traversĂ© Paris enndant en Espagne, il m’avait paru dĂ©chu et morne, tout diffĂ©rent du Paris que j’a

nnu huit ans auparavant, au temps oĂč la vie Ă©tait bon marchĂ© et oĂč l’on n’entendairler de Hitler. La moitiĂ© des cafĂ©s que j’avais frĂ©quentĂ©s Ă©taient fermĂ©s, fautentĂšle, et tout le monde Ă©tait obsĂ©dĂ© par le coĂ»t Ă©levĂ© de la vie et la crainte de la guaintenant, aprĂšs la pauvre Espagne, mĂȘme Paris paraissait gai et prospĂšrexposition battait son plein ; mais nous pĂ»mes Ă©viter de la visiter.

Et puis ce fut l’Angleterre – l’Angleterre du Sud, probablement le plus onctysage du monde. Il est difficile, quand vous faites ce trajet, particuliĂšrement qus vous remettez paisiblement du mal de mer, le derriĂšre flattĂ© par les coussinluche d’un compartiment de train-paquebot, de croire que rĂ©ellement il se pelque chose quelque part. Des tremblements de terre au Japon, des famines en C

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s rĂ©volutions au Mexique ? Ne vous en faites pas ; le lait sera sur le seuil demain mNew Statesman  paraĂźtra vendredi. Les villes industrielles Ă©taient loin, salissur

mĂ©e et de misĂšre rendue invisible par la courbure de la terre. Ici, c’était toujAngleterre que j’avais connue dans mon enfance : des talus de voie ferrĂ©e enfouis

xubĂ©rance des fleurs sauvages, des prairies profondes oĂč de grands et luisants cheoutent et mĂ©ditent, de lents cours d’eau frangĂ©s de saules, les vertes rondeursmes, les pieds-d’alouette dans les jardins des villas – et puis ce fut la morne immeisible des environs de Londres, les berges du fleuve boueux, les rues familiĂšres

fiches parlant de matches de cricket et de noces royales, les hommes en chapeau m pigeons de Trafalgar Square, les autobus rouges, les agents de police bleus – tout

ongĂ© dans le profond, profond, profond sommeil d’Angleterre, dont parfois j’ai peurus ne nous rĂ©veillions qu’arrachĂ©s Ă  lui par le rugissement des bombes.

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 APPENDICE I 

LES DISSENSIONS ENTRE LES PARTIS POLITIQUES  Au dĂ©but, je n’avais tenu aucun compte du cĂŽtĂ© politique de la guerre, et ce n

e vers le mois de fĂ©vrier qu’il commença de s’imposer Ă  mon attention. Si les horrla politique partisane ne vous intĂ©ressent pas, ne lisez pas ce qui suit, je vous en

est prĂ©cisĂ©ment pour vous permettre de ne pas le lire que je me suis efforcncentrer toute la substance politique de ce rĂ©cit dans ces deux Appendices. Mautre part, il serait tout Ă  fait impossible d’écrire sur la guerre d’Espagne en s’en teun point de vue exclusivement militaire. Car ce fut avant tout une guerre polit

ucun de ses Ă©pisodes, tout au moins pendant la premiĂšre annĂ©e, n’est intelligible elque connaissance de la lutte intestine des partis qui se poursuivait Ă  l’arriĂšre du uvernemental.

 Ă€ mon arrivĂ©e en Espagne, et durant un certain temps ensuite, non seulement intĂ©ressais pas Ă  la situation politique, mais je l’ignorais. Je savais qu’on Ă©ta

erre, mais je ne me doutais pas de la nature de cette guerre. Si vous m’aviez demurquoi je m’étais engagĂ© dans les milices, je vous aurais rĂ©pondu : « Pour combatt

scisme », et si vous m’aviez demandĂ© pour quoi je me battais, je vous aurais rĂ©ponPour maintenir le respect de l’humain ». J’avais acceptĂ© la version  News Chronw Statesman  de la guerre : dĂ©fense de la civilisation contre l’explosion de la

rieuse d’une armĂ©e de colonels Blimp{10}  Ă  la solde de Hitler. L’atmosphĂšrrcelone m’avait profondĂ©ment sĂ©duit, mais je n’avais fait aucun effort poumprendre. Quant au kalĂ©idoscope des partis politiques et des syndicats, avec

tidieuses appellations : P.S.U.C. – P.O.U.M. – F.A.I. – C.N.T. – U.G.T. – J.C.I. – J.SI.T., il m’exaspĂ©rait tout simplement. L’on eĂ»t dit, Ă  premiĂšre vue, que l’Espuffrait d’une Ă©pidĂ©mie d’initiales. Je savais que je servais dans quelque choseppelait P.O.U.M. (si je m’étais engagĂ© dans les milices du P.O.U.M., c’était simplemrce que j’étais venu en Espagne avec un laissez-passer de l’I.L.P.), mais je ne me rens compte qu’il y avait de graves diffĂ©rences entre les partis politiques. Quand, au Mcero, on me montra la position sur notre gauche en me disant : « Ceux-lĂ , ce soncialistes » (voulant dire par lĂ  : des membres du P.S.U.C.), je rĂ©torquai, tout Ă©tonMais, ne sommes-nous pas tous des socialistes ? » Et je trouvais idiot que des gen

battaient pour l’existence formassent plusieurs partis sĂ©parĂ©s. Pourquoi donc nenoncer une bonne fois pour toutes Ă  ces niaiseries politiques et ne pas nous occclusivement de gagner la guerre ? telle Ă©tait de façon constante ma maniĂšre de Ă©tait, bien entendu, la maniĂšre de voir « antifasciste » rĂ©putĂ©e juste et propagĂ©e e par les journaux anglais, dans le but principalement d’empĂȘcher les gens de saiture rĂ©elle de la lutte. Mais en Espagne, tout particuliĂšrement en Catalogne, c’étaitaniĂšre de voir que personne ne pouvait indĂ©finiment conserver et ne conseracun, bien qu’à contrecƓur, prenait parti tĂŽt ou tard. Car mĂȘme si quelqu’un n

uciait pas des partis politiques et de leurs « lignes » contradictoires, il n’était queident que son propre sort ne s’y trouvait pas moins engagĂ©. En tant que milicie

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ait un soldat contre Franco, mais on Ă©tait aussi un pion dans la gigantesque lutte quraient deux thĂ©ories politiques. Quand, Ă  flanc de montagne, j’allais Ă  la recherchis Ă  brĂ»ler en me demandant si rĂ©ellement c’était lĂ  une guerre ou si le News Chrovait inventĂ©e ; quand j’évitais les mitrailleuses communistes pendant les Ă©meutercelone ; quand finalement je me suis enfui d’Espagne avec la police Ă  mes trouss

ut cela m’est arrivĂ© trĂšs prĂ©cisĂ©ment de cette maniĂšre parce que je servais danlices du P.O.U.M. et non dans le P.S.U.C. Tant est grande la diffĂ©rence entre deuxnitiales !

Pour comprendre la dĂ©marcation des partis politiques du cĂŽtĂ© gouvernementut se rappeler de quelle maniĂšre la guerre avait commencĂ©. Au moment oĂč la lutclencha, le 18 juillet, il est probable que tout antifasciste en Europe sentimissement d’espoir. Car ici enfin, manifestement, une dĂ©mocratie affro

avement le fascisme ! Depuis des annĂ©es, les pays soi-disant dĂ©mocratiques avdĂ© devant le fascisme, Ă  chaque pas. On avait permis aux Japonais de faire ce qulaient en Mandchourie. Hitler Ă©tait parvenu au pouvoir et s’était mis Ă  massacreversaires politiques de toutes nuances. Mussolini avait bombardĂ© les Abyssinie

nquante-trois nations (si je ne me trompe) s’étaient contentĂ©es de faire un pieux taa cantonade. Mais voici que, lorsque Franco tentait de renverser un gouvernemodĂ©rĂ©ment de gauche, le peuple espagnol, contre toute attente, s’était dressĂ© contrsemblait que ce fĂ»t – et c’était peut-ĂȘtre – le renversement de la marĂ©e.

Mais il y avait plusieurs points qui Ă©chappĂšrent Ă  l’attention gĂ©nĂ©rale. En preu, Franco n’était pas exactement comparable Ă  Hitler ou Ă  Mussolini. Sa rĂ©bellion e mutinerie militaire Ă©paulĂ©e par l’aristocratie et l’Église, et, Ă  tout prendre, fubut surtout, une tentative non tant pour imposer le fascisme que pour restaurgime fĂ©odal – ce qui signifiait que Franco devait donc avoir contre lui non seuleme

asse ouvriĂšre, mais aussi diverses couches de la bourgeoisie libĂ©rale, celles-lĂ  mĂȘi sont le soutien du fascisme quand il se propose sous une forme plus moderne. Et quelque chose de plus important encore : la classe ouvriĂšre espagnole ne rĂ©sista panco au nom de la « dĂ©mocratie » et du statu quo, comme il est concevable que norions en Angleterre ; sa rĂ©sistance s’accompagna – on pourrait presque dire qu’ellte – d’une insurrection rĂ©volutionnaire caractĂ©risĂ©e. Les paysans saisirent la terrendicats saisirent beaucoup d’usines et la plus grande partie des moyens de transp

dĂ©truisit des Ă©glises et les prĂȘtres furent chassĂ©s et tuĂ©s. Le Daily Mail ,

plaudissements du clergé catholique, put représenter Franco comme un patlivrant son pays de hordes de « rouges » démoniaques.Pendant les tout premiers mois de la guerre, le véritable adversaire de Franco, c

t pas tant le gouvernement que les syndicats. DĂšs que la rĂ©bellion Ă©clata, les ouvbains organisĂ©s rĂ©pondirent par l’appel Ă  la grĂšve gĂ©nĂ©rale, puis rĂ©clamĂšrent tinrent de haute lutte – les armes des arsenaux nationaux. S’ils n’avaientontanĂ©ment agi, et avec plus ou moins d’indĂ©pendance, on est en droit de pensermais Franco n’aurait rencontrĂ© de rĂ©sistance. Il ne peut Ă©videmment pas y avoirtitude Ă  ce sujet. Mais il y a tout au moins lieu de le penser. Le gouvernement n’n fait, ou si peu de chose, pour prĂ©venir la rĂ©bellion qui Ă©tait depuis longtemps prĂ©

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quand celle-ci Ă©clata, son attitude fut toute d’hĂ©sitation et de faiblesse, au pointspagne connut en un seul jour trois premiers ministres{ 11}. En outre, la seule mei pouvait sauver la situation dans l’immĂ©diat, l’armement des ouvriers, ne fut prisentrecƓur et sous la pression de l’impĂ©rieuse volontĂ© populaire qui la demandands cris. Les armes furent distribuĂ©es, et dans les grandes villes de l’est de l’Esp fascistes furent vaincus, grĂące Ă  l’effort extraordinaire dĂ©ployĂ© principalement p

asse ouvriĂšre, aidĂ©e par certaines des forces armĂ©es (gardes d’assaut, etc.) demeuĂšles. C’était lĂ  le genre d’effort que probablement seuls peuvent accomplir des

nvaincus qu’ils se battent pour quelque chose de mieux que le statu quo.  Danvers centres de la rĂ©bellion, on pense que trois mille personnes moururent en unur dans les combats de rues. Hommes et femmes, armĂ©s seulement de rouleaunamite, franchirent, dans leur Ă©lan, les places Ă  dĂ©couvert et prirent d’assauttiments de pierre occupĂ©s par des soldats exercĂ©s et armĂ©s de mitrailleuses. Les nidtrailleuses que les fascistes avaient placĂ©s en des points stratĂ©giques furent Ă©crasĂ©s taxis qui se ruĂšrent sur eux Ă  cent Ă  l’heure. MĂȘme si l’on n’avait pas du tout entrler de la saisie des terres par les paysans ni de l’établissement de soviets locau

autres mesures rĂ©volutionnaires, il serait difficile de croire que les anarchistes ecialistes, qui Ă©taient l’ñme et le nerf de la rĂ©sistance, accomplissaient de tels expur sauvegarder la dĂ©mocratie capitaliste qui ne reprĂ©sentait rien de plus Ă  leurs yrtout Ă  ceux des anarchistes, qu’un appareil centralisĂ© d’escroquerie !

Cependant les ouvriers avaient en main des armes, et Ă  ce stade des Ă©vĂ©nemengardĂšrent bien de les rendre. (On a calculĂ© que mĂȘme un an plus tard les anar

ndicalistes Ă©taient encore en possession de 30 000 fusils.) En beaucoup d’endroitysans saisirent les domaines des grands propriĂ©taires fonciers pro-fascistes. TouocĂ©dant Ă  la collectivisation de l’industrie et des transports, on tenta d’établi

uvernement ouvrier rudimentaire au moyen de comités locaux, de patrououvriers remplaçant les anciennes forces de police pro-capitalistes, et de miouvriers levées sur la base des syndicats, etc. Naturellement le processus ne futiforme et il fut plus accentué en Catalogne que partout ailleurs. Il y eut des région institutions du gouvernement local demeurÚrent à peu prÚs sans changemen

autres oĂč elles coexistĂšrent avec les comitĂ©s rĂ©volutionnaires. Dans quelques locas communes anarchistes indĂ©pendantes s’organisĂšrent, dont certaines restĂšrenercice pendant un an environ, jusqu’au moment oĂč le gouvernement les supprima

violence. En Catalogne, pendant les tout premiers mois, la plus grande partiuvoir effectif Ă©tait aux mains des anarcho-syndicalistes qui contrĂŽlaient la plupardustries de base. Ce qui avait eu lieu en Espagne, en rĂ©alitĂ©, ce n’était pas simpleme guerre civile, mais le commencement d’une rĂ©volution. C’est ce fait-lĂ  que la prtifasciste Ă  l’étranger avait pris tout spĂ©cialement Ă  tĂąche de camoufler. Elle trĂ©ci l’évĂ©nement aux limites d’une lutte « fascisme contre dĂ©mocratie » et en ssimulĂ©, autant que possible, l’aspect rĂ©volutionnaire. En Angleterre, oĂč la pressus centralisĂ©e et le public plus facilement abusĂ© que partout ailleurs, deux versulement de la guerre d’Espagne avaient pu ĂȘtre publiĂ©es : la version de la droite squelle il s’agissait de patriotes chrĂ©tiens luttant contre des bolcheviks dĂ©gouttant

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ng ; et la version de la gauche selon laquelle il s’agissait de rĂ©publicains bien Ă©primant une rĂ©bellion militaire. La vĂ©ritĂ© intermĂ©diaire a Ă©tĂ© soigneusemssimulĂ©e.

Il y eut diverses raisons Ă  cela. En premier lieu, la presse pro-fasciste rĂ©paneffroyables et mensongers rĂ©cits d’atrocitĂ©s, et des propagandistes bien intentiomaginĂšrent certainement rendre service au gouvernement espagnol en niantspagne fĂ»t devenue « rouge ». Mais la raison principale Ă©tait la suivante : Ă  l’exceps petits groupements rĂ©volutionnaires qui existent dans tous les pays, le monde e

ait rĂ©solu Ă  empĂȘcher la rĂ©volution en Espagne. Notamment le parti communiste, Russie soviĂ©tique derriĂšre lui, s’était jetĂ© de tout son poids Ă  l’encontre de la rĂ©voluĂ©tait la thĂšse communiste que, au stade actuel, faire la rĂ©volution serait fatal et qt Ă  atteindre en Espagne ne devait pas ĂȘtre le pouvoir ouvrier, mais la dĂ©mocurgeoise. Il est Ă  peine besoin de souligner pourquoi ce fut cette ligne-lĂ  qu’adalement l’opinion capitaliste « libĂ©rale ». Un Ă©norme capital Ă©tranger Ă©tait invespagne. La Compagnie des Transports de Barcelone, par exemple, reprĂ©sentaitllions de livres de capital anglais ; or les syndicats avaient saisi tous les transpor

talogne. Si la rĂ©volution se poursuivait, il n’y aurait pas de dĂ©dommagement, ouu ; si la rĂ©publique capitaliste prĂ©valait, il n’y aurait pas Ă  craindre pourvestissements Ă©trangers. Et puisqu’il fallait Ă©craser la rĂ©volution, cela simplifiandement les choses de prĂ©tendre qu’il n’y avait pas eu de rĂ©volution. De cette ma

pourrait dissimuler la signification vĂ©ritable de chaque incident ; prĂ©senter ansfert de pouvoir des syndicats au gouvernement central comme une Ă©tape nĂ©cesns la rĂ©organisation militaire. Il en rĂ©sulta une situation curieuse Ă  l’extrĂȘme.

Espagne peu de gens saisirent qu’il y avait une rĂ©volution ; en Espagne personne utait. MĂȘme les journaux du P.S.U.C., contrĂŽlĂ©es par les communistes et plus ou m

nus de faire une politique antirĂ©volutionnaire, parlaient de « notre glorivolution ». Et pendant ce temps la presse communiste dans les pays Ă©trangers clar tous les tons qu’il n’y avait nulle part signe de rĂ©volution, affirmait alternativeme la saisie des usines, l’organisation des comitĂ©s ouvriers, etc., n’avaient pas eu lie’elles avaient eu lieu, mais Ă©taient « sans signification politique ». Selon le  Dorker  (du 6 aoĂ»t 1936), ceux qui disaient que le peuple espagnol se battait pouvolution sociale, ou pour quelque chose d’autre que la dĂ©mocratie bourgeoise, Ă©t

« franches canailles qui mentaient ». En revanche, Juan Lopez, membre

uvernement de Valence, dĂ©clara en fĂ©vrier 1937 que « le peuple espagnol versaitng, non pour la RĂ©publique dĂ©mocratique et sa constitution sur le papier, mais poe rĂ©volution ». Ainsi, au nombre des « franches canailles qui mentaient » se trouvanc des membres du gouvernement mĂȘme pour lequel nous recevions l’ordre de ttre ! Certains des journaux Ă©trangers antifascistes s’abaissĂšrent mĂȘme jusqensonge pitoyable de prĂ©tendre qu’on n’attaquait les Ă©glises que lorsqu’elles serva

forteresses aux fascistes. En rĂ©alitĂ© les Ă©glises furent saccagĂ©es partout, commste, parce qu’on avait parfaitement bien compris que l’Église espagnole Ă©tait ptĂ©grante dans la combine capitaliste. En l’espace de six mois en Espagne, je n’ai vuux Ă©glises intactes, et jusqu’aux environs de juillet 1937 aucune Ă©glise, Ă  l’exceptio

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ux ou trois temples protestants de Madrid, ne reçut l’autorisation de rouvrir eĂ©brer les offices.

Mais, somme toute, il ne s’est agi que d’un commencement de rĂ©volution, deachevĂ©. MĂȘme au moment oĂč les ouvriers, en Catalogne Ă  coup sĂ»r et peut-ĂȘtre aillrent le pouvoir de le faire, ils ne supprimĂšrent pas, ni ne changĂšrent complĂštemeuvernement. Évidemment ça leur Ă©tait difficile, Ă  l’heure oĂč Franco Ă©tait en

enfoncer la porte, et tandis qu’ils avaient Ă  leurs cĂŽtĂ©s des couches de la coyenne. Le pays Ă©tait dans un Ă©tat transitoire susceptible soit de se dĂ©velopper da

ns du socialisme, soit de redevenir une rĂ©publique capitaliste ordinaire. Les payaient en possession de la plus grande partie de la terre et il Ă©tait probable qu’inserveraient, Ă  moins que Franco ne triomphĂąt. Toutes les grandes industries avĂ© collectivisĂ©es et, en dĂ©finitive, ou elles le demeureraient ou le capitalisme sntroduit, suivant que tel ou tel groupement prendrait le pouvoir. Dans les prem

mps, et le gouvernement central et la GĂ©nĂ©ralitĂ© de Catalogne (le gouvernement catdemi autonome) pouvaient nettement ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme reprĂ©sentant la cvriĂšre. Le gouvernement avait Ă  sa tĂȘte Caballero, socialiste de l’aile gauche,

mprenait des ministres qui reprĂ©sentaient l’U.G.T. (la centrale syndicale socialiste)N.T. (la centrale contrĂŽlĂ©e par les anarchistes). La GĂ©nĂ©ralitĂ© de Catalogne futmps, remplacĂ©e en fait par un comitĂ© de DĂ©fense antifasciste{12}, formĂ© en majrtie de dĂ©lĂ©guĂ©s des syndicats. Par la suite, ce comitĂ© de DĂ©fense fut dissous nĂ©ralitĂ© reconstituĂ©e de maniĂšre Ă  reprĂ©senter les centrales syndicales et les diffĂ©rrtis de gauche. Mais toutes les fois qu’ultĂ©rieurement l’on rebattit les cuvernementales, il en rĂ©sulta une Ă©volution vers la droite. D’abord ce fut le P.O.i fut chassĂ© de la GĂ©nĂ©ralitĂ© ; six mois plus tard Caballero fut remplacĂ© par Necialiste de l’aile droite ; peu de temps aprĂšs, la C.N.T. fut Ă©liminĂ©e du gouvernem

alement, un an aprĂšs le dĂ©but de la guerre et de la rĂ©volution, il restaiuvernement composĂ© entiĂšrement de socialistes de l’aile droite, de libĂ©raux emmunistes.

Le glissement gĂ©nĂ©ral vers la droite date Ă  peu prĂšs d’octobre-novembre 1936oment oĂč l’U.R.S.S. commença de fournir des armes au gouvernement et oĂč le poummença Ă  passer des anarchistes aux communistes. La Russie et le Mexique excecun pays n’avait eu assez de respect humain pour venir au secours du gouvernempagnol, et comme le Mexique, pour des raisons Ă©videntes, ne pouvait fournir des a

grande quantitĂ©, les Russes Ă©taient donc en situation de dicter leurs conditions. Out guĂšre douter qu’elles furent, en substance : « EmpĂȘchez la rĂ©volution, ou aurez pas d’armes », et que le premier coup portĂ© aux Ă©lĂ©ments rĂ©volutionnaviction du P.O.U.M. de la GĂ©nĂ©ralitĂ© de Catalogne, le fut sur les ordres de l’U.R.S.SniĂ© qu’aucune pression directe ait Ă©tĂ© exercĂ©e par le gouvernement russe, maestion est de peu d’importance, car on peut considĂ©rer comme exĂ©cuteurs dlitique russe les partis communistes de tous les pays, et l’on ne nie pas que c’

nstigation du parti communiste que fut menĂ©e l’action contre le P.O.U.M. d’abord,ntre les anarchistes et contre la fraction Caballero des socialistes, et, en gĂ©nĂ©ral, coute politique rĂ©volutionnaire. À partir du moment oĂč l’U.R.S.S. commença d’interv

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triomphe du parti communiste fut assurĂ©. En premier lieu, la gratitude envers la Rur les envois d’armes et le fait que le parti communiste, surtout depuis l’arrivĂ©eigades internationales, paraissait capable de gagner la guerre, accrunsidĂ©rablement le prestige du parti communiste. En second lieu, les armes ruaient fournies par l’intermĂ©diaire du parti communiste et des partis alliĂ©s, qui fais

sorte que le moins d’armes possible allñt à leurs adversaires politiques {13}

oisiÚme lieu, se déclarer pour une politique non révolutionnaire donnait mmunistes la possibilité de rassembler tous ceux que les extrémistes av

ouvantĂ©s. Il leur Ă©tait facile, par exemple, de rallier les paysans les plus riches sse de l’opposition Ă  la politique de collectivisation des anarchistes. Les effectifs du mmuniste s’accrurent Ă©normĂ©ment, et cela dans une large mesure par l’affluencns des classes moyennes : boutiquiers, fonctionnaires, officiers de l’armĂ©e, payĂ©s, etc. La guerre fut essentiellement une lutte triangulaire. Il fallait continuerttre contre Franco, mais simultanĂ©ment le gouvernement poursuivait un autre conquĂ©rir tout le pouvoir que pouvaient encore dĂ©tenir les syndicats. Cela fut faie suite de menus changements – une politique de coups d’épingle, comme quelq

dit – et, dans l’ensemble, trĂšs intelligemment. Il n’y eut pas de mouvement covolutionnaire gĂ©nĂ©ral et sautant aux yeux, et jusqu’en mai 1937 il fut rarement beemployer la force. On pouvait toujours mater les ouvriers par le moyen d’un argumi se laisse aisĂ©ment deviner tant il va de soi : « Il faut que vous fassiez ceci, et cela,

ste, ou sinon nous perdrons la guerre. » Et chaque fois, inutile de le dire, il se tre ce qu’exigeaient les nĂ©cessitĂ©s militaires c’était l’abandon d’une parcelle de ce quvriers avaient conquis pour eux-mĂȘmes en 1936. Mais l’argument portait toujrce que perdre la guerre Ă©tait bien la derniĂšre chose que voulussent tous les pvolutionnaires : la perte de la guerre, c’était la dĂ©mocratie et la rĂ©volution, le social

l’anarchisme devenant des mots vides de sens. Les anarchistes, seul volutionnaire suffisamment nombreux pour exercer un rĂŽle important, furent amender point aprĂšs point. On mit obstacle au progrĂšs de la collectivisation, on se dĂ©bars comitĂ©s locaux, on supprima les patrouilles d’ouvriers et l’on remit en exercicrces de police d’avant-guerre, largement renforcĂ©es et puissamment armĂ©es ; everses industries de base qui avaient Ă©tĂ© sous le contrĂŽle des syndicats passĂšrent sorection du gouvernement (la saisie du Central tĂ©lĂ©phonique de Barcelone, qui a rigine des troubles de mai, fut un des Ă©pisodes de ce processus) ; enfin le

portant de tout, les milices ouvriĂšres levĂ©es sur la base des syndicats fuaduellement dissoutes et rĂ©parties dans la nouvelle armĂ©e populaire, armĂ©e «litique » de conception semi-bourgeoise, comportant des diffĂ©rences de soldes,ste privilĂ©giĂ©e d’officiers, etc. Étant donnĂ© les circonstances Ă  cette date, ce fut vraimle pas dĂ©cisif ; il fut franchi en Catalogne plus tard que partout ailleurs parce que cque les partis rĂ©volutionnaires Ă©taient les plus forts. Il Ă©tait Ă©vident que la s

rantie que les ouvriers pouvaient avoir de conserver leurs conquĂȘtes, c’était de gaelques-unes des forces armĂ©es sous leur propre direction. Comme pour le reste, nom des exigences militaires que la dissolution des milices fut ordonnĂ©e, et persnia qu’une totale rĂ©organisation militaire fĂ»t nĂ©cessaire. Il eĂ»t Ă©tĂ© tout Ă  fait poss

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pendant, de rĂ©organiser les milices, de les rendre plus aptes Ă  leur tĂąche, tout essant sous le contrĂŽle direct des syndicats ; mais, Ă  la vĂ©ritĂ©, ce changement avait incipal but d’empĂȘcher les anarchistes d’avoir leur propre armĂ©e. Et puis, l’emocratique des milices en faisait des terrains propices Ă  la croissance des ivolutionnaires. Les communistes ne l’ignoraient pas et ils ne cessaient d’invecrement contre le principe, dĂ©fendu par le P.O.U.M. et les anarchistes, de la solde Ă©ur tous, sans distinction de grades. Ce fut une « bourgeoisification » gĂ©nĂ©rale quu, une destruction dĂ©libĂ©rĂ©e de l’esprit Ă©galitaire des tout premiers mois d

volution. Tout cela fut si rapide que ceux qui firent deux voyages successifs en Espquelques mois d’intervalle se sont demandĂ©s s’ils avaient bien visitĂ© le mĂȘme paysi, superficiellement et pour un court laps de temps, avait paru ĂȘtre un État prolĂ©tamĂ©tamorphosait Ă  vue d’Ɠil en RĂ©publique bourgeoise ordinaire avec l’habit

vision en riches et en pauvres. À l’automne de 1937, le « socialiste » NegrĂ­n dĂ©clara discours public : « Nous respectons la propriĂ©tĂ© privĂ©e », et tels membres des C

i, suspects de sympathies fascistes, avaient dĂ» s’enfuir du pays au dĂ©but de la guvinrent en Espagne.

Tout le processus est facile Ă  comprendre si l’on se rappelle qu’il dĂ©coullliance temporaire Ă  laquelle le bourgeois et l’ouvrier se voient contraints pascisme, sous certaines de ses formes. Cette alliance, connue sous le nom de Fpulaire, est essentiellement une alliance d’ennemis, et il semble bien qu’elle ne pu

mais se terminer autrement que par l’un des partenaires avalant l’autre. Le seul attendu dans la situation espagnole – et qui, hors d’Espagne, a Ă©tĂ© cnnombrables malentendus – c’est que, parmi les partis du cĂŽtĂ© gouvernementammunistes ne se trouvaient pas Ă  l’extrĂȘme gauche, mais Ă  l’extrĂȘme droite. Rieailleurs qui dĂ»t surprendre, puisque la tactique du parti communiste dans les au

ys, particuliÚrement en France, a clairement montré que le communisme officielre tenu, actuellement en tout cas, pour une force antirévolutionnaire. Danssemble, la politique du Komintern est actuellement subordonnée (chose excus

ant donnĂ© la situation mondiale) Ă  la dĂ©fense de l’U.R.S.S., dĂ©fense qui repose sustĂšme d’alliances militaires. En particulier, l’U.R.S.S. est alliĂ©e avec la France, pitaliste et impĂ©rialiste. Cette alliance ne peut ĂȘtre utile Ă  la Russie que si le capitalançais est fort ; la politique communiste en France a donc eu Ă  devtirĂ©volutionnaire. Et cela signifie, non seulement que les communistes français dĂ©f

prĂ©sent derriĂšre le drapeau tricolore en chantant La Marseillaise, mais aussi, ce quaucoup plus important, qu’ils ont eu Ă  cesser toute agitation effective dans les coloançaises. Il y a moins de trois ans de cela, Thorez, le secrĂ©taire du parti commuançais, dĂ©clarait que les ouvriers français ne se laisseraient plus jamais refaire, qu’o amĂšnerait pas Ă  se battre Ă  nouveau contre leurs camarades allemands {14}. Ijourd’hui l’un des patriotes les plus forts en gueule de France. La clef de la conduitrti communiste dans chaque pays est donnĂ©e par les rapports d’ordre militistants ou possibles, de ce pays avec l’U.R.S.S. En Angleterre, par exemple, l’attitudcore incertaine ; de lĂ  vient que le parti communiste se montre encore hostiluvernement national et qu’il est censĂ© s’opposer au rĂ©armement. Mais que la Gra

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etagne en vienne Ă  contracter avec l’U.R.S.S. une alliance ou un accord militaire, emmunistes anglais, tout comme les communistes français, n’auront plus alors le cĂȘtre autre chose que bons patriotes et impĂ©rialistes ; il y a des signes avant-coureua dĂ©jĂ . En Espagne, la « ligne » communiste fut, sans aucun doute, influencĂ©e pt que la France, alliĂ©e de la Russie, serait Ă©nergiquement opposĂ©e Ă  un voisi

volutionnaire et remuerait ciel et terre pour empĂȘcher l’affranchissement du Mpagnol. Le Daily Mail , avec ses contes de rĂ©volution rouge financĂ©e par Moscoompait de façon encore plus extravagante que d’habitude. En rĂ©alitĂ© ce furen

mmunistes, plus que tous les autres, qui empĂȘchĂšrent la rĂ©volution en Espagne. Eu plus tard, quand les forces de l’aile droite furent pleinement au pouvoirmmunistes se montrĂšrent rĂ©solus Ă  aller beaucoup plus loin que les libĂ©raux darsĂ©cution des leaders rĂ©volutionnaires{15}.

J’ai tentĂ© d’esquisser la marche gĂ©nĂ©rale de la rĂ©volution espagnole pendaemiĂšre annĂ©e parce que cela permet de mieux comprendre la situation Ă  un momnnĂ©. Mais je n’entends pas suggĂ©rer que, en fĂ©vrier, je professais toutes les opinlitiques qu’implique ce que je viens de dire. D’abord, les Ă©vĂ©nements qui m’éclairĂš

mieux n’étaient pas encore survenus, et, de toute maniĂšre, mes sympathies, Ă  certards, s’orientaient tout autrement qu’elles ne font aujourd’hui. Cela venait en partque le cĂŽtĂ© politique de la guerre m’ennuyait et de ce que, spontanĂ©men

insurgeais contre le point de vue que j’entendais le plus souvent exposer – c’est-Ă ui du P.O.U.M. et de l’I.L.P. Les Anglais parmi lesquels je me trouvais Ă©taient po

upart membres de l’I.L.P., quelques-uns Ă©taient membres du P.C. ; presque ssĂ©daient une Ă©ducation politique bien supĂ©rieure Ă  la mienne. Pendant de lonmaines de suite, durant la morne pĂ©riode oĂč rien ne se passait autour de Huesca, jis trouvĂ© au sein d’une discussion politique qui ne finissait pour ainsi dire jam

rtout, dans les granges puantes et pleines de vents coulis des fermes oĂč l’on geait, dans l’obscuritĂ© Ă©touffante des abris souterrains, derriĂšre le parapet pendanures glaciales du milieu de la nuit, le dĂ©bat au sujet des « lignes » contradictoirertis se poursuivait sans fin. Parmi les Espagnols c’était la mĂȘme chose, et la plupar

urnaux que nous lisions faisaient la plus grande place aux dissensions partisanes. Ilu ĂȘtre sourd ou imbĂ©cile pour ne pas se faire quelque idĂ©e de ce que soutenait chrti.

Du point de vue de l’idĂ©ologie politique, trois partis seulement comptaient

S.U.C., le P.O.U.M. et la C.N.T.-F.A.I. (inexactement appelĂ©e : les anarchistesrlerai du P.S.U.C. en premier lieu, comme Ă©tant le plus important ; ce fut le partalement triompha, et, mĂȘme dĂ©jĂ  Ă  cette Ă©poque, visiblement il prĂ©dominait.

Il est nĂ©cessaire d’expliquer que parler de la « ligne » du P.S.U.C., c’est parler enla «ligne » du parti communiste. Le P.S.U.C. ( Partido Socialista Unificad

taluña) était le parti socialiste de Catalogne ; il avait été formé au début de la gur la fusion de différents partis marxistes, dont le parti communiste catalan ; m

ait Ă  prĂ©sent totalement dirigĂ© par les communistes et affiliĂ© Ă  la Troisternationale. Ailleurs en Espagne, l’unification entre socialistes et communistes n’s formellement eu lieu ; mais on pouvait partout considĂ©rer comme identiques le p

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vue communiste et celui de l’aile droite des socialistes. GĂ©nĂ©ralement parlanS.U.C. Ă©tait l’organe politique de l’U.G.T. (UniĂłn General de Trabajadores), la cenndicale socialiste. Le nombre des membres de ces syndicats atteignait alors, pour tspagne, un million et demi. Ils comprenaient plusieurs sections de travail

anuels, mais depuis le dĂ©but de la guerre ils s’étaient augmentĂ©s de membres asse moyenne qui avaient affluĂ© en grand nombre, car, aux premiers jours drĂ©volution », des gens de toutes sortes avaient jugĂ© opportun d’adhĂ©rer soit Ă  l’U.it Ă  la C.N.T. Les deux centrales syndicales se chevauchaient, mais des deux c’éta

N.T. qui avait plus prĂ©cisĂ©ment le caractĂšre d’une organisation de la classe ouvriĂšrS.U.C. Ă©tait donc un parti Ă  demi des ouvriers et Ă  demi de la petite bourgeoiutiquiers, fonctionnaires, paysans aisĂ©s.

La « ligne » du P.S.U.C., qui fut prĂȘchĂ©e dans le monde entier par la prmmuniste et pro-communiste, Ă©tait en gros la suivante :

« Actuellement, une seule chose importe : gagner la guerre ; sans victoire danerre, tout le reste est sans signification. Ce n’est donc pas le moment de parler de ogresser la rĂ©volution. Nous ne pouvons nous permettre, ni de nous aliĂ©ner les pay

les contraignant Ă  la collectivisation, ni d’effaroucher les classes moyennesmbattent Ă  nos cĂŽtĂ©s Et surtout, par souci de l’effet utile, nous devons en finir avaos rĂ©volutionnaire. Nous devons avoir un gouvernement central fort Ă  la placemitĂ©s locaux, et il nous faut une armĂ©e convenablement entraĂźnĂ©e et totalemlitarisĂ©e sous un commandement unifiĂ©. Se cramponner Ă  des parcelles de pouvrier et rĂ©pĂ©ter comme un perroquet des phrases rĂ©volutionnaires, c’est menertion non seulement vaine, non seulement gĂȘnante, mais contre-rĂ©volutionnaire, canduit Ă  des divisions qui peuvent ĂȘtre utilisĂ©es contre nous par les fascistes. En ase de la guerre nous ne nous battons pas pour la dictature du prolĂ©tariat, nous

ttons pour la dĂ©mocratie parlementaire. Quiconque tente de transformer la guvile en rĂ©volution sociale fait le jeu des fascistes, et, par le fait sinon par l’intention

traßtre. »La « ligne » du P.O.U.M. différait de celle du P.S.U.C. sur tous les points,

turellement, sur celui de l’importance de gagner la guerre. Le P.O.U.M. ( Partido ObUnificaciĂłn  Marxista) Ă©tait l’un de ces partis communistes dissidents que l’on

paraĂźtre en beaucoup de pays au cours de ces derniĂšres annĂ©es, par suite de l’oppos« stalinisme », c’est-Ă -dire au changement rĂ©el ou apparent, de la polit

mmuniste. Il Ă©tait composĂ© en partie d’ex-communistes et en partie d’un ancien pBloc ouvrier et paysan. NumĂ©riquement, c’était un petit parti {16}, n’ayant gnfluence en dehors de la Catalogne, et dont l’importance tenait surtout Ă  ce nfermait une proportion extraordinairement Ă©levĂ©e de membres trĂšs conscilitiquement parlant. En Catalogne, sa principale place forte Ă©tait LĂ©rida. IprĂ©sentait aucune centrale syndicale. Les miliciens du P.O.U.M. Ă©taient pour la pluembres de la C.N.T., mais les vĂ©ritables membres du parti appartenaient en gĂ©nĂ©

U.G.T. Ce n’était cependant que dans la C.N.T. que le P.O.U.M. exerçait quefluence. La « ligne » du P.O.U.M. Ă©tait en gros la suivante :

« C’est une absurditĂ© de prĂ©tendre s’opposer au fascisme au moyen d

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dĂ©mocratie » bourgeoise. « DĂ©mocratie » bourgeoise, ce n’est lĂ  qu’un autre nom dcapitalisme, tout comme fascisme ; se battre contre le fascisme au nom d

dĂ©mocratie » revient Ă  se battre contre une forme du capitalisme au nom d’une auts formes, susceptible Ă  tout instant de se transformer en la premiĂšre. Le seul paendre en face du fascisme, c’est le pouvoir ouvrier. Si vous vous proposez n’impel autre but plus restreint, ou vous tendrez la victoire Ă  Franco, ou, au mieux, sserez le fascisme entrer par la porte de derriĂšre. D’ici la prise de pouvoir, les ouvivent se cramponner Ă  tout ce qu’ils ont conquis ; s’ils cĂšdent sur quoi que ce so

uvernement semi-bourgeois, ils peuvent s’attendre Ă  ĂȘtre trompĂ©s. Ils doivent ga milices ouvriĂšres et les forces de police ouvriĂšre constituĂ©es telles qu’elles le

tuellement, et s’opposer Ă  toute tentative pour les « bourgeoisifier ». Si les ouvrierminent pas les forces armĂ©es, les forces armĂ©es domineront les ouvriers. La guerrevolution ne doivent pas ĂȘtre sĂ©parĂ©es. »

Le point de vue anarchiste est moins facile Ă  dĂ©finir. Ou plutĂŽt le teanarchiste » est abusivement appliquĂ© Ă  une multitude de gens d’opinions trĂšs varĂ©norme fĂ©dĂ©ration de syndicats formant la C.N.T. (ConfederaciĂłn Nacional

abajo), avec ses quelque deux millions de membres, avait pour organe politiquA.I. ( FederaciĂłn Anarquista IbĂ©rica), la vĂ©ritable organisation anarchiste. Mais mmembres de la F.A.I., encore qu’imprĂ©gnĂ©s, comme peut-ĂȘtre le sont la plupart

pagnols, de l’idĂ©ologie anarchiste, n’étaient pas forcĂ©ment tous des anarchistes, auplus pur du mot. Et particuliĂšrement depuis le dĂ©but de la guerre, ils avaient Ă©vns le sens du socialisme ordinaire, ayant Ă©tĂ© forcĂ©s par les circonstances Ă  participdministration en entrant dans le gouvernement. NĂ©anmoins ils diffĂ©rndamentalement des communistes au point que, pour eux comme pour le P.O.U.Mt visĂ© Ă©tait le pouvoir ouvrier et non la dĂ©mocratie parlementaire. Ils adoptaient le

ordre du P.O.U.M. : « La guerre et la rĂ©volution ne doivent pas ĂȘtre sĂ©parĂ©es », maontraient Ă  ce sujet moins dogmatiques. Voici, en gros, ce que voulait la C.N.T.-F.A.IntrĂŽle direct exercĂ© sur chaque industrie (par exemple transports, industrie te

c.) par les ouvriers y appartenant. 2) Gouvernement au moyen de comitĂ©s locausistance Ă  toutes les formes de rĂ©gime autoritaire centralisĂ©. 3) HostilitĂ© mpromis Ă  l’égard de la bourgeoisie et de l’Église. Ce dernier point, le moins purtant, Ă©tait le plus important. Les anarchistes Ă©taient Ă  l’opposĂ© de la majeure ps soi-disant rĂ©volutionnaires : si leur politique Ă©tait assez vague, leur haine du priv

de l’injustice Ă©tait d’une intransigeante sincĂ©ritĂ©. IdĂ©ologiquement, communismarchisme sont aux antipodes l’un de l’autre. Pour la pratique – c’est-Ă -dire quantrme de sociĂ©tĂ© souhaitĂ©e – il n’y avait entre eux qu’une diffĂ©rence d’accent, Ă©conciliable : les communistes mettent toujours l’accent sur le centralismfficacitĂ©, les anarchistes sur la libertĂ© et l’égalitĂ©. L’anarchisme a des racines profoEspagne, et il est probable qu’il survivra au communisme lorsqu’elle ne sera plus

nfluence russe. Pendant les deux premiers mois de la guerre, c’étaient les anarchius que tous les autres, qui avaient sauvĂ© la situation, et longtemps encore ensuitlices anarchistes, en dĂ©pit de leur indiscipline, furent sans conteste les meillmbattants d’entre les forces purement espagnoles. À partir environ de fĂ©vrier 193

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ut, dans une certaine mesure, parler en bloc des anarchistes et du P.O.U.M. Sarchistes, le P.O.U.M. et l’aile gauche des socialistes avaient eu le bon sens de ss le dĂ©but et d’imposer une politique rĂ©aliste, l’histoire de la guerre eĂ»t pu ffĂ©rente. Mais en cette pĂ©riode du dĂ©but, oĂč les partis rĂ©volutionnaires semblaient

succĂšs entre leurs mains, c’était impossible. Entre anarchistes et socialanciennes jalousies subsistaient, et le P.O.U.M., en tant que marxiste, Ă©tait sceptiqgard de l’anarchisme, cependant que du pur point de vue anarchiste, le « trotskysmP.O.U.M. n’était guĂšre prĂ©fĂ©rable au « stalinisme » des communistes. NĂ©anmoin

ctique communiste eut pour effet de rapprocher ces deux partis. Ce fut surtoustinct de solidaritĂ© Ă  l’égard de la C.N.T. qui dĂ©termina le P.O.U.M. Ă  prendre partsastreux combats de mai Ă  Barcelone, et, plus tard, lors de la suppression du P.O.U anarchistes furent les seuls Ă  oser Ă©lever la voix pour le dĂ©fendre.

Donc, gĂ©nĂ©ralement parlant, la dĂ©marcation des forces Ă©tait la suivante : d’un C.N.T.-F.A.I., le P.O.U.M. et une fraction des socialistes, tenants du pouvoir ouvrierutre, l’aile droite des socialistes, les libĂ©raux et les communistes, tenants uvernement centralisĂ© et d’une armĂ©e militarisĂ©e.

On saisit aisĂ©ment pourquoi, Ă  cette Ă©poque, je prĂ©fĂ©rais le point de vue commucelui du P.O.U.M. Les communistes avaient une politique pratique prĂ©cise, nettemeilleure du point de vue du bon sens, d’un bon sens qui ne regardait que quelques avant. Et certainement la politique au jour le jour du P.O.U.M., sa propagande, etc

us mauvaise qu’on ne saurait le dire ; il faut bien croire qu’elle l’a Ă©tĂ©, sans cela il eĂ»lier un beaucoup plus grand nombre de partisans. Ce qui me confirmait alors dans inion, c’était que les communistes – du moins Ă  ce qu’il me semblait – poursuivativement la guerre, tandis que nous et les anarchistes n’agissions guĂšre. Cmpression gĂ©nĂ©rale en ce temps-lĂ . Les communistes avaient obtenu le pouvo

gement augmentĂ© le nombre de leurs partisans, en partie parce qu’ils avaient fait ax classes moyennes contre les rĂ©volutionnaires, et en partie parce qu’ils Ă©taienuls Ă  paraĂźtre capables de gagner la guerre. Les armes russes et la magnifique dĂ©fMadrid par des troupes presque toutes sous contrĂŽle communiste, avaient fait d hĂ©ros de l’Espagne. Comme on l’a dit, chaque avion russe qui passait au-dessus dees faisait de la propagande communiste. Le purisme rĂ©volutionnaire du P.O.U.M.,e j’en reconnusse la valeur logique, me semblait assez vain. AprĂšs tout, la seule ci importait, c’était de gagner la guerre.

En attendant, l’infernale querelle entre les partis se poursuivait sans trĂȘve danurnaux, par les tracts, sur les affiches, dans les livres – partout. À cette Ă©poqueurnaux qu’il me fut le plus souvent donnĂ© de lire c’étaient ceux du P.O.U.M., La  BaAdelante, et leurs critiques continuelles Ă  l’égard du P.S.U.C. « contre-rĂ©volutionnae produisaient l’effet d’un pĂ©dantisme ennuyeux. Quand, plus tard, j’ai Ă©tudiĂ© de Ăšs la presse des communistes et du P.S.U.C., je me suis aperçu que le P.O.U.M. Ă©taitjet autant dire irrĂ©prochable, en comparaison de ses adversaires. Sans compter qussibilitĂ©s de propagande Ă©taient beaucoup moins grandes. À la diffĂ©rence mmunistes, il n’avait pied dans aucune presse Ă  l’étranger, et en Espagne il Ă©taitsavantagĂ©, parce que la censure de la presse Ă©tait presque entiĂšrement tenu

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bordination par les communistes, ce qui signifiait que les journaux du P.O.quaient d’ĂȘtre supprimĂ©s ou condamnĂ©s Ă  une amende s’ils imprimaient quelque cprĂ©judiciable aux communistes. Il faut dire aussi, Ă  l’honneur du P.O.U.M., que sprivait pas de prĂȘcher interminablement sur le sujet de la rĂ©volution et de citer LĂ©nauseam, il ne se permettait gĂ©nĂ©ralement pas de diffamations personnelles. Et

livrait à la polémique seulement dans les articles de ses journaux. Ses grandes afficouleurs, destinées à un plus large public (les affiches ont une grande importanc

pagne, Ă  cause du nombre considĂ©rable d’illettrĂ©s), ne contenaient pas d’atta

ntre les partis rivaux, mais Ă©taient simplement antifascistes et rĂ©volutionnaires daniĂšre abstraite ; et de mĂȘme les chansons que chantaient les miliciens. Les attas communistes, c’était tout autre chose. Je parlerai de certaines d’entre elles

Appendice II. Je ne veux donner ici qu’une brùve indication sur la maniùre donmmunistes menaient leurs attaques.

 Ă€ l’examiner superficiellement, le dĂ©saccord entre les communistes et le P.O.ait un dĂ©saccord de tactique. Le P.O.U.M. Ă©tait pour la rĂ©volution immĂ©diatemmunistes non. Selon eux, le plus tard elle aurait lieu, le mieux cela vaudrait. Il y

aucoup Ă  dire sur l’une et l’autre position. En outre, les communistes prĂ©tendaientpolitique du P.O.U.M. divisait et affaiblissait les forces gouvernementalempromettait le succĂšs de la guerre, et Ă  ce sujet aussi, bien qu’en dĂ©finitive je nes de cet avis, on pourrait longuement discuter. Mais c’est Ă  prĂ©sent qu’interviectique particuliĂšre des communistes. D’abord en tĂątant le terrain avec prĂ©caution,entĂŽt sans plus aucune retenue, les communistes se mirent Ă  affirmer que le P.O.visait les forces du gouvernement non par erreur de jugement, mais de propos dĂ©li

dĂ©clarĂšrent que le P.O.U.M. n’était rien de moins qu’une bande de fascistes dĂ©guissolde de Franco et de Hitler, faisant sciemment le jeu de la cause fasciste en pouss

e politique pseudo-rĂ©volutionnaire. Le P.O.U.M. Ă©tait une organisation « trotskyste« cinquiĂšme colonne de Franco ». Cela impliquait que des milliers de gens de la cvriĂšre, y compris huit ou dix mille soldats en train de se geler dans les tranchĂ©eemiĂšre ligne, et des centaines d’étrangers venus en Espagne pour combattre le fasc

ayant souvent sacrifiĂ© pour cela famille, situation et nationalitĂ© n’étaient queaĂźtres Ă  la solde de l’ennemi. Et cette histoire fut rĂ©pandue dans toute l’Espagne paraffiches, et autres, et rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  satiĂ©tĂ© dans la presse communiste et pro-communistonde entier. Je pourrais remplir une demi-douzaine de livres avec des citations, s’i

aisait d’en faire collection. Ainsi donc, voilĂ  ce que nous Ă©tions aux dires des communistes : des trotskystesscistes, des traĂźtres, des assassins, des lĂąches, des espions, etc. J’avoue qu’il y avaoi ne pas ĂȘtre charmĂ©, surtout lorsqu’on pensait en particulier Ă  certains de ceuxi de telles accusations Ă©taient portĂ©es. Imaginez tout l’odieux de voir un jeune Espaquinze ans ramenĂ© du front sur une civiĂšre, de voir, Ă©mergeant des couverturesage exsangue, hĂ©bĂ©tĂ©, et de penser que des messieurs tirĂ©s Ă  quatre Ă©pingles sondres et Ă  Paris, tranquillement en train d’écrire des brochures pour prouver qutit gars est un fasciste dĂ©guisĂ©. L’un des traits les plus abominables de la guerre, e toute la propagande de guerre, les hurlements et les mensonges et la haine, tout

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t invariablement l’Ɠuvre de gens qui ne se battent pas. Les miliciens du P.S.U.C. qunnus au front, les communistes des Brigades internationales qu’il m’est arrivncontrer, ne m’ont jamais, ni les uns ni les autres, appelĂ© trotskyste ou traĂźtressaient cela aux journalistes de l’arriĂšre. Tous ceux qui Ă©crivaient des brochures cous, et disaient de nous des infamies dans les journaux, restaient chez eux bien Ă  l’tout au plus s’aventuraient-ils dans les salles de rĂ©daction de Valence, Ă  des centakilomĂštres des balles et de la boue. Et, mis Ă  part les libelles de la querelle entre p

ut l’insĂ©parable de la guerre, – chauvinisme agressif, Ă©loquence de carrefour, b

prĂ©ciation de l’ennemi – tout cela, ceux qui s’en chargeaient Ă©taient, comme toujs non-combattants, et certains d’entre eux eussent prĂ©fĂ©rĂ© faire cent kilomĂštreurant plutĂŽt que de se battre. L’un des plus tristes effets de cette guerre pour moi, capprendre que la presse de gauche est tout aussi fausse et malhonnĂȘte que celloite{ 1 7 }. J’ai le ferme sentiment que de notre cĂŽtĂ© – du cĂŽtĂ© gouvernemental – erre est diffĂ©rente des guerres ordinaires, impĂ©rialistes ; mais on ne le devin

mais, d’aprĂšs le caractĂšre de la propagande de guerre. La lutte Ă©tait Ă  peine dĂ©clen’instantanĂ©ment journaux de droite et de gauche plongĂšrent Ă  qui mieux mieux da

ĂȘme puisard d’insultes. Nous nous souvenons tous des en-tĂȘtes du Daily Mail   : «uges crucifient les religieuses », tandis qu’à en croire le Daily Worker, la LĂ©rangĂšre de Franco Ă©tait « composĂ©e d’assassins, de pratiquants de la traite des blan

droguĂ©s et du rebut de tous les pays europĂ©ens ». Encore en octobre 1937, leatesman nous entretenait d’histoires de fascistes se faisant une barricade avec les cenfants vivants (ce qu’il y a bien de plus incommode comme barricade !), tandis Arthur Bryant dĂ©clarait que « scier les jambes d’un commerçant conservateur »

chose courante » en Espagne loyaliste. Ce ne sont jamais des combattants, ceuxrivent des sottises de ce genre ; peut-ĂȘtre croient-ils que le fait de les Ă©crire est pou

succĂ©danĂ© de combat ! C’est la mĂȘme chose dans toutes les guerres : les soldattent, les journalistes mĂšnent grand bruit, et jamais aucun grand patriote ne vieoximitĂ© d’une tranchĂ©e de premiĂšre ligne, si ce n’est en rapide tournĂ©e de propaga

m’est parfois un rĂ©confort de penser que les progrĂšs de l’aviation sont en traianger les conditions de la guerre. Peut-ĂȘtre la prochaine grande guerre nous rĂ©servlle un spectacle sans prĂ©cĂ©dent dans l’Histoire : un chauvin trouĂ© par une balle.

Par tout son cÎté journalistique, cette guerre était une escroquerie comme toutetres guerres. Mais avec cette différence que, tandis que les journalistes réser

bituellement leurs invectives les plus meurtriĂšres Ă  l’ennemi, dans ce cas-ci, au furesure que le temps passait, les communistes et le P.O.U.M. en venaient, en Ă©crivaettre dans leurs attaques rĂ©ciproques plus d’ñpretĂ© qu’à l’égard des fascistes. Pourtatte Ă©poque, je ne pouvais encore me rĂ©soudre Ă  prendre tout cela vraiment au sĂ©rtte inimitiĂ© entre partis m’ennuyait, m’écƓurait mĂȘme, mais je n’y voyais qamaillis domestique. Je ne croyais pas qu’elle tĂ»t de nature Ă  rien changer, ni qu’il s divergences de politiques rĂ©ellement inconciliables. Je me rendais compte qummunistes et les libĂ©raux se refusaient Ă  laisser progresser la rĂ©volution ; je nendais pas compte qu’ils pouvaient ĂȘtre capables de la faire rĂ©gresser.

Il y avait Ă  cela une bonne raison. Pendant tout ce temps-lĂ  j’étais au front, e

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ont l’atmosphĂšre sociale et politique ne changea pas. J’avais quittĂ© Barcelone au djanvier et je ne suis allĂ© en permission que fin avril ; durant toute cette pĂ©riode

ĂȘme plus longtemps encore – dans la bande du secteur d’Aragon tenue par les tros anarchistes et du P.O.U.M., les conditions restĂšrent les mĂȘmes, extĂ©rieurementmoins. L’atmosphĂšre rĂ©volutionnaire demeura telle que je l’avais connue au dĂ©bu

nĂ©ral et le simple soldat, le paysan et le milicien continuaient Ă  s’aborder en Ă©gaux,uchaient la mĂȘme solde, Ă©taient vĂȘtus et nourris de mĂȘme, s’appelaient « camaradse tutoyaient. Il n’y avait pas de classe de patrons ni de classe de domestiques, i

ait plus de mendiants, de prostituĂ©es, d’hommes de loi, de prĂȘtres, de lĂ©cheurttes, plus de saluts militaires obligatoires. Je respirais l’air de l’égalitĂ©, et j’étais aĂŻf pour m’imaginer qu’il en allait de mĂȘme dans toute l’Espagne gouvernementalme rendais pas compte que, plus ou moins par hasard, je m’étais trouvĂ© isolĂ© da

action la plus rĂ©volutionnaire de la classe ouvriĂšre espagnole. Aussi, quand mes camarades mieux instruits de la politique me disaient que

tte guerre on ne pouvait pas prendre une attitude purement militaire, que le choix tre rĂ©volution et fascisme, j’étais portĂ© Ă  me moquer d’eux. Somme toute, j’accepta

int de vue communiste qui se rĂ©duisait Ă  ceci : « Nous ne pouvons pas parlevolution avant d’avoir gagnĂ© la guerre », et non le point de vue du P.O.U.M. qduisait Ă  ceci : « Nous devons avancer si nous ne voulons pas revenir en arriĂšrsque, par la suite, j’ai estimĂ© que le P.O.U.M. avait raison, ou, en tout cas, davanson que les communistes, ce ne fut pas tout Ă  fait en me plaçant sur le terrain d

Ă©orie. Sur le papier, le raisonnement des communistes tenait debout ; le hic, c’étaiturs agissements rĂ©els ne permettaient pas de croire qu’ils le proposaient de bonn

mot d’ordre si souvent rĂ©pĂ©tĂ© : « la guerre d’abord, la rĂ©volution aprĂšs », pouvait re pieusement tenu pour article de foi par le milicien moyen du P.S.U.C., cel

uvant penser en toute bonne foi que la rĂ©volution pourrait se poursuivre une foerre terminĂ©e, ce mot d’ordre n’en Ă©tait pas moins de la poudre jetĂ©e aux yeux. oi travaillaient les communistes, ce n’était pas Ă  ajourner la rĂ©volution espag

squ’à un moment plus propice, mais Ă  prendre toutes dispositions pour qu’elle mais lieu. Cela devenait de plus en plus Ă©vident au fur et Ă  mesure que le temps pase de plus en plus le pouvoir Ă©tait arrachĂ© des mains de la classe ouvriĂšre, et que deplus de rĂ©volutionnaires de toutes nuances Ă©taient jetĂ©s en prison. Tout se faisa

m de la nĂ©cessitĂ© militaire, parce que c’était lĂ  un prĂ©texte pour ainsi dire « tout fa

i permettait de ramener les ouvriers en arriĂšre, d’une position avantageuse Ă sition d’oĂč, la guerre finie, il leur serait impossible d’opposer de la rĂ©sistance ntroduction du capitalisme. Comprenez bien, je vous en prie, qu’en parlant ains

est pas contre les communistes de la base, et encore moins contre les milliermmunistes qui moururent hĂ©roĂŻquement pour la dĂ©fense de Madrid, que j’en ai. n’était pas eux qui dirigeaient la politique de leur parti. Quant aux communistes

acĂ©s, comment croire qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient !Restait tout de mĂȘme qu’il valait la peine de gagner la guerre, mĂȘme si la rĂ©volu

vait ĂȘtre perdue. Mais en dernier lieu et Ă  la longue j’en vins Ă  douter que la politmmuniste menĂąt Ă  la victoire. Il semble que peu de gens aient rĂ©flĂ©chi qu’il conv

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appliquer Ă  chacune des diffĂ©rentes phases de la guerre une politique diffĂ©renpropriĂ©e. Vraisemblablement les anarchistes ont sauvĂ© la situation pendant les emiers mois, mais ils Ă©taient incapables, au-delĂ  d’un certain point, d’une rĂ©sistganisĂ©e. Vraisemblablement les communistes ont sauvĂ© la situation d’octobcembre, mais quant Ă  gagner complĂštement la guerre, c’était une tout autre histo

n Angleterre, la politique de guerre des communistes a Ă©tĂ© acceptĂ©e sans discusrce qu’on n’a autorisĂ© la publication que de bien peu de critiques Ă  son endroit, et pe sa ligne gĂ©nĂ©rale – en finir avec le chaos rĂ©volutionnaire, accĂ©lĂ©rer la produc

litariser l’armĂ©e – faisait l’effet d’ĂȘtre rĂ©aliste et efficace. Il vaut donc d’en soulignblesse inhĂ©rente.

 Afin d’entraver toute tendance rĂ©volutionnaire et de rendre la guerre mblable que possible Ă  une guerre ordinaire, il leur fallut forcĂ©ment laisser se pes occasions stratĂ©giques qui existaient. J’ai dĂ©crit notre armement, ou plutĂŽt nanque d’armement, sur le front d’Aragon. Il ne fait guĂšre de doute que les communtinrent dĂ©libĂ©rĂ©ment les armes de crainte qu’il n’en allĂąt trop aux mains des anarchi, ultĂ©rieurement, s’en serviraient pour atteindre un but rĂ©volutionnaire

nsĂ©quence la grande offensive d’Aragon qui eĂ»t obligĂ© Franco Ă  se retirer de Bilbaut-ĂȘtre de Madrid, ne fut jamais dĂ©clenchĂ©e. Mais cela Ă©tait, relativement, demportance. Ce qui fut beaucoup plus grave, c’est qu’une fois la guerre rĂ©trĂ©cie

mites d’une « guerre pour la dĂ©mocratie », il devenait impossible de faire aucun ar une vaste Ă©chelle Ă  l’aide de la classe ouvriĂšre des autres pays. Si nous regardonts en face, il nous faut avouer que la classe ouvriĂšre mondiale a considĂ©rĂ© la gu

Espagne avec dĂ©tachement. À titre individuel, des dizaines de milliers d’hommes nus combattre, mais les dizaines de millions qui Ă©taient derriĂšre eux restĂšdiffĂ©rents. On a calculĂ© que durant la premiĂšre annĂ©e de la guerre, pour l’ensembl

uple anglais, il a Ă©tĂ© souscrit aux divers fonds de l’« Aide Ă  l’Espagne » pour env0 000 livres – moitiĂ© moins, vraisemblablement, que ce qui a Ă©tĂ© dĂ©pensĂ© en une smaine Ă  aller au cinĂ©ma. C’est par l’action Ă©conomique – grĂšves et boycottages – ouvriers, dans les pays dĂ©mocratiques, eussent pu aider efficacement leurs camar

pagnols. Mais rien dans ce sens ne fut mĂȘme tentĂ©. Partout les leaders travaillistmmunistes dĂ©clarĂšrent qu’il n’y fallait pas songer ; et ils avaient Ă©videmment rassi longtemps qu’ils criaient Ă©galement de toutes leurs forces que l’Espagne « rou

était pas « rouge ».

Depuis 1914-1918, cela sonne sinistrement : « guerre pour la dĂ©mocratie ».nĂ©es durant, les communistes venaient eux-mĂȘmes d’enseigner dans tous les payslitants ouvriers que « dĂ©mocratie » n’était qu’un nom poli donnĂ© au capitalimmencer par dire : « La dĂ©mocratie est une escroquerie », et venir dire mainten

Battez-vous pour la dĂ©mocratie », ce n’est pas une bonne tactique. Si, ayant derriĂšremmense prestige de la Russie soviĂ©tique, ils avaient fait appel aux ouvriers de touys, non pas au nom de l’« Espagne dĂ©mocratique », mais au nom de l’« Espvolutionnaire », comment croire qu’ils n’eussent pas Ă©tĂ© entendus ?

Mais ce qu’il y eut encore de plus grave, c’est qu’avec cette politique volutionnaire, il Ă©tait difficile, sinon impossible, de frapper Ă  l’arriĂšre de Franco. À

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1937, Franco tenait sous sa domination une population plus importante quuvernement – beaucoup plus importante, si l’on compte les colonies –, et cela avecectifs militaires Ă  peu prĂšs Ă©quivalents. Comme tout le monde le sait, si l’on apulation hostile dans le dos, il est impossible de maintenir l’armĂ©e sur le chamtaille Ă  moins d’avoir une autre armĂ©e tout aussi nombreuse pour garder les voiemmunication, empĂȘcher les sabotages, etc. Il est donc clair qu’il ne se produirriĂšre de Franco aucun vĂ©ritable mouvement populaire. Il n’était cependantoyable que sur son territoire le peuple, les ouvriers des villes et les paysans les

uvres en tout cas, aimaient et voulaient Franco ; seulement, à chacun des glissemgouvernement vers la droite, les raisons de le préférer devenaient moins évide

est irrĂ©futable, le cas du Maroc suffit Ă  le montrer. Pourquoi n’y eut-il paulĂšvement au Maroc ? Franco tentait d’y Ă©tablir une dictature odieuse, et les Mauraient rĂ©ellement prĂ©fĂ©rĂ© au gouvernement de Front populaire ! La vĂ©ritĂ© manifst qu’aucun effort ne fut tentĂ© pour fomenter un soulĂšvement au Maroc, car c’eĂ»

effer une rĂ©alisation rĂ©volutionnaire sur la guerre. La premiĂšre chose qu’il eĂ»t re pour convaincre les Maures de la bonne foi du gouvernement, c’était procl

ssitĂŽt la libĂ©ration du Maroc. Et nous pouvons imaginer si c’eĂ»t Ă©tĂ© agrĂ©able ance ! La meilleure occasion stratĂ©gique de la guerre fut donc nĂ©gligĂ©e dans le poir d’apaiser le capitalisme français et britannique. La politique communiste teute Ă  restreindre la guerre Ă  la mesure d’une guerre ordinaire, non rĂ©volutionnerre pour laquelle le gouvernement se trouvait sĂ©rieusement handicapĂ©. Car une gucette sorte exige d’ĂȘtre gagnĂ©e par des moyens matĂ©riels ; autrement dit, en fi

mpte, par une fourniture illimitĂ©e d’armes ; or, le principal fournisseur d’armeuvernement, l’U.R.S.S., Ă©tait, gĂ©ographiquement, trĂšs dĂ©savantagĂ© par rapport Ă  l’IĂ  l’Allemagne. Peut-ĂȘtre le mot d’ordre du P.O.U.M. et des anarchistes, « la guerre

volution ne doivent pas ĂȘtre sĂ©parĂ©es », Ă©tait-il moins le fait d’un songe-creux qu’il raissait tout d’abord.

J’ai indiquĂ© mes raisons de penser que la politique antirĂ©volutionnairemmunistes Ă©tait une erreur ; mais, dans la mesure mĂȘme oĂč de cette politique dĂ©ssue de la guerre, je souhaite ardemment de me tromper. Oui, puissĂ©-je me tromr quelque voie qu’elle soit obtenue, je souhaite la victoire dans cette guerre. Il turellement pas possible de prĂ©dire actuellement ce qui arrivera. Il est de l’ordreoses possibles que le gouvernement opĂšre de nouveau une conversion vers la gau

e les Maures se soulĂšvent de leur propre initiative, que l’Angleterre dĂ©cide d’achettrait de l’Italie, que la guerre soit gagnĂ©e par des moyens uniquement militairmment savoir ! J’ai exprimĂ© mon opinion ; le temps se chargera de montrer jusel point j’étais dans la vĂ©ritĂ© ou dans l’erreur.

Mais en fĂ©vrier 1937 je ne voyais pas les choses tout Ă  fait sous ce jour. J’alade d’inaction sur le front d’Aragon, et j’avais conscience surtout de n’avoir pasffisamment part au combat. Je songeais souvent Ă  cette affiche de recrutemercelone qui interrogeait les passants d’une maniĂšre accusatrice : « Qu’avez-vousus, pour la dĂ©mocratie ? » et je sentais que tout ce que j’aurais pu rĂ©pondre, c’é

J’ai touchĂ© mes rations. » En m’engageant dans les milices je m’étais promis de tue

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sciste – aprĂšs tout, si seulement chacun de nous en tuait un, la race en seraiteinte – et je n’en avais encore tuĂ© aucun, c’est Ă  peine si j’en avais eu l’occasionturellement, je souhaitais d’aller Ă  Madrid. Personne dans l’armĂ©e, quelle que fĂ»tinion politique, qui ne souhaitĂąt d’ĂȘtre sur le front de Madrid. Pour cela il sobablement nĂ©cessaire de passer dans les Brigades internationales, car le P.O.avait Ă  prĂ©sent que trĂšs peu de troupes Ă  Madrid et les anarchistes moins qu’au dĂ©b

Pour le moment, naturellement, je devais rester lĂ  oĂč j’étais sur le front, nnonçai Ă  tous mon intention, lorsque nous irions en permission, de demander Ă 

utĂ©, si possible, dans les Brigades internationales. Ce serait me placer sous la dires communistes. Aussi plusieurs de mes camarades essayĂšrent de m’en dissuader, rsonne ne tenta d’intervenir. C’est une justice Ă  rendre que de dire qu’on ne faĂšre la chasse Ă  l’hĂ©rĂ©tique dans le P.O.U.M., trop peu peut-ĂȘtre, Ă©tant donnĂ©constances ; Ă  condition de n’ĂȘtre pas pro-fasciste, personne n’était inquiĂ©tĂ© utenir des opinions hĂ©tĂ©rodoxes. J’ai passĂ© une bonne partie de mon temps danlices Ă  critiquer Ă©nergiquement la « ligne » du P.O.U.M. sans que cela m’ait jausĂ© d’ennuis. On n’exerçait mĂȘme pas de pression d’aucune sorte sur quelqu’un po

re devenir membre politique du parti ; ce qu’étaient pourtant, je crois, la plupartliciens. Je n’ai, quant Ă  moi, jamais adhĂ©rĂ© au parti – j’en ai d’ailleurs Ă©prouvgret plus tard, lors de la suppression du P.O.U.M.

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 APPENDICE II 

CE QUE FURENT LES TROUBLES DE MAI À BARCELONE Si la controverse politique ne vous intĂ©resse pas, non plus que cette foule de p

sous-partis aux noms embrouillants (à peu prÚs comme ceux des généraux danserre chinoise), alors, je vous en prie, dispensez-vous de lire ce qui va suivre.

pugne d’avoir Ă  entrer dans tous les dĂ©tails de la polĂ©mique entre les partis ; mme si l’on plongeait dans un puisard d’aisances. Mais il est nĂ©cessaire d’essĂ©tablir la vĂ©ritĂ©, dans toute la mesure du possible. Cette sordide bagarre dans unentaine a plus d’importance qu’il ne pourrait sembler Ă  premiĂšre vue.

Il ne sera jamais possible de donner un compte rendu des combats de Barcesolument exact et impartial, parce que les documents nĂ©cessaires font dĂ©faut.storiens futurs n’auront rien sur quoi s’appuyer, Ă  part une masse d’écritopagande et d’attaques partisanes. J’ai moi-mĂȘme peu de donnĂ©es, en dehors de cei vu de mes propres yeux et de ce que m’ont appris d’autres tĂ©moins oculaires q

ois dignes de foi. Il m’est cependant possible de rĂ©futer quelques-uns des menso plus flagrants et d’aider Ă  tirer les choses au clair.

PremiÚrement, que se passa-t-il réellement ?Depuis un certain temps déjà la situation était tendue dans toute la Catalogne

nseignĂ© le lecteur (dans l’Appendice I) sur le conflit entre les communistes earchistes. Aux environs de mai 1937 les choses en Ă©taient arrivĂ©es au point qu’une i

olente paraissait inĂ©vitable. La cause directe de la friction fut l’ordre donnĂ© puvernement de rendre toutes les armes privĂ©es, dans le temps mĂȘme oĂč il dĂ©cid

Ă©ation d’une force de police « non politique » et puissamment armĂ©e, dont devrre exclus les membres des syndicats. Tout le monde comprit clairement la significatelles mesures et que, de toute Ă©vidence, le prochain coup consisterait Ă  pre

ssession de quelques-unes des industries de base contrĂŽlĂ©es par la C.N.T. Ajoutez Ă ressentiment accumulĂ© dans la classe ouvriĂšre du fait du contraste croissanhesse et de pauvretĂ©, et le vague sentiment gĂ©nĂ©ral que la rĂ©volution avait Ă©tĂ© sabaucoup de gens furent agrĂ©ablement surpris que le 1er mai se fĂ»t passĂ© sans Ă©me3 mai, le gouvernement dĂ©cida de prendre possession du Central tĂ©lĂ©phonique do

nctionnement avait été assuré depuis le début de la guerre principalement par

availleurs membres de la C.N.T. ; on allĂ©gua qu’il marchait mal et que mmunications officielles Ă©taient interceptĂ©es. Salas, le chef de la police (en passa-t-il ou non ses instructions ?) envoya trois camions de gardes civils armĂ©s sCentral, tandis que des policiers Ă©galement armĂ©s, mais en civil, faisaient dĂ©gagees avoisinantes. À peu prĂšs Ă  la mĂȘme heure, des dĂ©tachements de gardes cmparĂšrent d’autres immeubles situĂ©s en des points stratĂ©giques. Quelle qu’ait pu

ntention vĂ©ritable, tout le monde crut que c’était lĂ  le signal d’une attaque gĂ©nĂ©raC.N.T. par les gardes civils et le P.S.U.C. (communistes et socialistes). Le bruit co

ns toute la ville qu’on attaquait les locaux de la classe ouvriĂšre, des anarchistes ascendirent dans la rue, le travail s’arrĂȘta et la lutte s’engagea immĂ©diatement. C

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it-lĂ  et le lendemain matin l’on construisit par toute la ville des barricades, et la lutursuivit sans trĂȘve jusqu’au matin du 6 mai. Toutefois ce fut une lutte, de pa

autre, surtout dĂ©fensive. Des locaux furent assiĂ©gĂ©s, mais, autant que je sache, aucut pris d’assaut et l’on n’employa pas d’artillerie. En gros, les forces de la C.N.T., A.I. et du P.O.U.M. tenaient les faubourgs ouvriers tandis que les forces de pmĂ©es et le P.S.U.C. tenaient la partie centrale et rĂ©sidentielle de la ville. Le 6 mai il

armistice, mais on ne tarda pas à reprendre la lutte, probablement à causentatives prématurées de gardes civils pour désarmer les ouvriers de la C.N.T

ndemain matin, cependant, les gens commencĂšrent Ă  quitter les barricades deopre mouvement. À peu prĂšs jusqu’à la nuit du 5 mai, la C.N.T. avait eu le dessus eand nombre de gardes civils s’étaient rendus. Mais il n’y avait ni direction gĂ©nceptĂ©e, ni plan bien dĂ©terminĂ© – Ă  la vĂ©ritĂ©, autant qu’on en pouvait juger, pas de

tout, seulement une vague rĂ©solution de rĂ©sistance aux gardes civils. Les leaficiels de la C.N.T. se joignirent Ă  ceux de l’U.G.T. pour demander instamment Ă  toonde de reprendre le travail ; une chose primait tout : les vivres allaient manquer. telles conditions, personne n’était suffisamment sĂ»r de l’issue pour continuer la l

ans l’aprĂšs-midi du 7 mai la situation Ă©tait presque normale. Ce soir-lĂ , six mille gaassaut, envoyĂ©s par mer de Valence, arrivĂšrent pour rĂ©primer le soulĂšvementuvernement donna l’ordre de rendre toutes les armes, Ă  l’exception de celles dĂ©ter les forces rĂ©guliĂšres, et durant les quelques jours suivants un grand nombre d’arent saisies. D’aprĂšs l’évaluation officielle, il y aurait eu au cours des combats qunts morts et un millier de blessĂ©s. Quatre cents morts, c’est peut-ĂȘtre une exagĂ©raais, comme il n’y a pas moyen de vĂ©rifier, il faut bien accepter ce nombre pour exact

DeuxiĂšmement, quelles furent les consĂ©quences des troubles ?Évidemment, il est impossible de rien avancer avec certitude Ă  ce sujet. Au

euve n’existe que les troubles eurent un effet direct sur le cours de la guerre, massent-ils prolongĂ©s seulement quelques jours de plus, ils n’auraient pu manquer oir. Ils servirent de prĂ©texte Ă  placer la Catalogne sous l’autoritĂ© directe de Valenter la dissolution des milices et Ă  supprimer le P.O.U.M., et indubitablement ils onssi pour quelque chose dans le renversement du ministĂšre Caballero. Toutefois uvons ĂȘtre assurĂ©s que tout cela aurait eu lieu de toute maniĂšre. La question rĂ©ellsavoir si les travailleurs de la C.N.T. qui descendirent dans la rue ont gagnĂ© ou per

sister en cette circonstance. Ce n’est de ma part que simple conjecture, mais je p

’ils ont gagnĂ© plus qu’ils n’ont perdu. La saisie du Central tĂ©lĂ©phonique ne fut qisode dans tout un processus. Depuis l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente on avait manƓuvrĂ© tirer graduellement aux syndicats leur pouvoir direct, et un mouvement continansfert se poursuivait pour passer du contrĂŽle de la classe ouvriĂšre Ă  un conntralisĂ© conduisant Ă  un capitalisme d’État, ou, chose possible, Ă  une rĂ©introductiopitalisme privĂ©. Le fait qu’il y ait eu alors rĂ©sistance a probablement ralenti l’évolun an aprĂšs le dĂ©clenchement de la guerre les ouvriers de Catalogne avaient perduande partie de leur pouvoir, mais ils Ă©taient encore dans une situation relativemvorable. Elle eĂ»t pu l’ĂȘtre moins, s’ils s’étaient montrĂ©s disposĂ©s Ă  subir passivemute espĂšce de provocation. Il est des cas oĂč il vaut mieux ĂȘtre vaincu aprĂšs avoir

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e de ne pas lutter du tout.TroisiĂšmement, quel dessein – Ă  supposer qu’il y en eĂ»t un – cachait cette Ă©me

est-il agi d’une sorte de coup d’État ou de tentative rĂ©volutionnaire ? Et le but Ă©tĂ©cisĂ©ment de renverser le gouvernement ? Et cela fut-il concertĂ© d’avance ?

 Ă€ mon avis, la lutte fut concertĂ©e d’avance en ce sens seulement que tout le mttendait Ă  ce qu’il y en eĂ»t une. Mais rien ne montra qu’il y eĂ»t un plan arrĂȘtĂ©, ni tĂ© ni de l’autre. Du cĂŽtĂ© des anarchistes, presque certainement l’action fut spontar elle fut l’affaire surtout des simples membres. Les gens du peuple descendirent

rue et leurs leaders politiques suivirent Ă  contrecƓur, ou ne suivirent pas du toutuls mĂȘme Ă  parler en rĂ©volutionnaires, ce furent les Amis de Durruti, petit groupemtrĂ©miste faisant partie de la F.A.I., et le P.O.U.M. Mais je le rĂ©pĂšte, ils ne faisaientivre, ils ne menaient pas. Les Amis de Durruti diffusĂšrent une sorte de volutionnaire, mais seulement le 5 mai ; on ne peut donc prĂ©tendre que ce tract rigine des troubles, qui s’étaient dĂ©clenchĂ©s d’eux-mĂȘmes deux jours auparavant

aders officiels de la C.N.T. dĂ©savouĂšrent dĂšs le dĂ©but toute l’affaire. Il y avait Ă  celas raisons. D’abord, du fait que la C.N.T. Ă©tait toujours reprĂ©sentĂ©e dan

uvernement et dans la GĂ©nĂ©ralitĂ©, on pouvait ĂȘtre sĂ»r que ses leaders se montrerus conservateurs que leurs partisans. En second lieu, le but principal des leaders N.T. Ă©tait de parvenir Ă  une alliance avec l’U.G.T. ; or la lutte ne pouvait manĂ©largir le fossĂ© entre la C.N.T. et l’U.G.T., tout au moins pour un temps. En troisu – mais ceci on ne l’a gĂ©nĂ©ralement pas su au moment –, les leaders anarchaignirent, si les choses allaient au-delĂ  d’un certain point et si les ouvriers s’empara

la ville, comme ils Ă©taient peut-ĂȘtre en mesure de le faire le 5 mai, qu’il se prode intervention Ă©trangĂšre. Un croiseur et deux torpilleurs britanniques avaient cerrt, et sans aucun doute il y avait d’autres navires de guerre non loin. Les jour

glais rĂ©vĂ©lĂšrent que ces navires se dirigeaient sur Barcelone « pour protĂ©ger les intitanniques », mais en fait ils s’abstinrent de faire quoi que ce soit : ils ne dĂ©barquĂšs d’hommes et ne recueillirent Ă  bord aucun rĂ©fugiĂ©. Il ne peut pas y avoir de certie sujet, mais il Ă©tait pour le moins probable, parce que dans la nature des choses, quvernement britannique, qui n’avait pas remuĂ© le petit doigt pour sauver de Franuvernement espagnol, ne manquerait pas d’intervenir Ă  temps pour le sauver dopre classe ouvriĂšre.

Les leaders du P.O.U.M. ne désavouÚrent pas la résistance ; en fait ils incitÚ

urs partisans Ă  rester sur les barricades et mĂȘme donnĂšrent leur approbation (dantalla  du 6 mai) au tract extrĂ©miste diffusĂ© par les Amis de Durruti. Il demeureande incertitude au sujet de ce tract dont aujourd’hui personne ne semble en mesuoduire un exemplaire. Dans certains journaux Ă©trangers on en parla comme daffiche incendiaire » dont tous les murs de la ville furent « tapissĂ©s ». Il n’yrtainement pas d’affiche de ce genre. À force de recoupements j’ai pu dĂ©terminer qact rĂ©clamait : 1) la formation d’un conseil rĂ©volutionnaire (junte) ; 2) l’exĂ©cutioux qui Ă©taient responsables de l’attaque du Central tĂ©lĂ©phonique ; 3) le dĂ©sarmems gardes civils. On ne sait pas non plus trĂšs prĂ©cisĂ©ment jusqu’à quel point  La Ba

prima son accord avec le tract. Personnellement, je n’ai vu ni le tract ni La Batalla 

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ur-lĂ . Le seul prospectus que j’aie vu pendant les troubles fut celui qui fut tirĂ© paut petit groupement de trotskystes (« bolcheviks-lĂ©ninistes ») le 4 mai, et qui se bodire : « Tout le monde aux barricades, grĂšve gĂ©nĂ©rale dans toutes les industries, ns les industries de guerre ». Autrement dit, il rĂ©clamait que l’on fĂźt ce que l’on jĂ  en train de faire. Mais en rĂ©alitĂ© les leaders du P.O.U.M. eurent une attitude pl

hĂ©sitation. Ils n’avaient jamais Ă©tĂ© pour une insurrection tant que ne serait pas gaguerre contre Franco ; mais d’autre part, les ouvriers Ă©tant descendus dans la rue

aders du P.O.U.M. adoptÚrent, de façon assez pédantesque, la ligne de conduite mar

i veut que, lorsque les ouvriers descendent dans la rue, ce soit le devoir des pvolutionnaires d’ĂȘtre Ă  leurs cĂŽtĂ©s. De lĂ  vient que, tout en lançant des mots d’ovolutionnaires, sur « le rĂ©veil de l’esprit du 19 juillet », etc., ils firent tout leur posur limiter l’action des ouvriers Ă  la dĂ©fensive. Ils ne donnĂšrent jamais, par exemrdre d’attaquer aucun local ; ils commandĂšrent simplement Ă  leurs partisans de r

gilants et (comme je l’ai indiquĂ© dans le chapitre IX) d’éviter autant que possiber. La Batalla  Ă©galement publia des instructions d’aprĂšs lesquelles il n’était permcune troupe de quitter le front{18}. Autant qu’on en peut juger, je dirai qu

sponsabilitĂ© du P.O.U.M. se borne Ă  avoir engagĂ© tout le monde Ă  rester surricades, et probablement Ă  avoir persuadĂ© un certain nombre de gens d’y resterngtemps qu’ils ne l’eussent fait sans cela. Ceux qui furent en contact personnel aveaders du P.O.U.M. Ă  cette date (je ne le fus pas moi-mĂȘme) m’ont dit qu’à la vĂ©ritĂ© cĂ©taient consternĂ©s par toute l’affaire, mais qu’ils avaient le sentiment qu’ils devaieendre part. AprĂšs coup, naturellement, on tira comme toujours parti de tout litiquement. Gorkin, l’un des leaders du P.O.U.M., alla mĂȘme jusqu’à parler, un

us tard, des « jours glorieux de mai ». Du point de vue de la propagande, cela a peutĂ© une bonne chose ; il est certain que les effectifs du P.O.U.M. s’accrurent durant ce

temps qui s’écoula entre les Ă©vĂ©nements de mai et sa suppression. Mais au poine tactique, ce fut probablement une erreur d’appuyer le tract des Amis de Durruti, oupement trĂšs restreint et normalement hostile au P.O.U.M. Vu la surexcitanĂ©rale et tout ce que l’on disait dans l’un et l’autre camp, ce tract ne voulait rien dirus, en rĂ©alitĂ©, que « restez aux barricades » ; mais en semblant l’approuver, tandislidaridad Obrera, le journal anarchiste, le dĂ©savouait, les leaders du P.O.

cilitĂšrent la tĂąche Ă  la presse communiste pour prĂ©tendre par la suite que les trouaient Ă©tĂ© une sorte d’insurrection fomentĂ©e uniquement par le P.O.U.M. Toutefois

uvons ĂȘtre persuadĂ©s que la presse communiste aurait, de toute maniĂšre, trouvĂ© mle prĂ©tendre. Ce n’était rien en comparaison des accusations qui furent lancĂ©eant et aprĂšs, sur de plus faibles apparences. Les leaders de la C.N.T. ne gagnĂšrenand chose par leur attitude plus prudente ; on les loua de leur loyalisme, mais, dĂšsccasion s’en prĂ©senta, on les Ă©vinça du gouvernement et de la GĂ©nĂ©ralitĂ©.

 Autant qu’on en peut juger d’aprĂšs ce que disaient les gens sur le moment, il n’lle part un vĂ©ritable dessein rĂ©volutionnaire. On trouvait derriĂšre les barricades susimples travailleurs de la C.N.T. et, parmi eux, probablement quelques travailleu

U.G.T. ; et ce qu’ils cherchaient ce n’était pas Ă  renverser le gouvernement, msister Ă  ce qu’ils considĂ©raient, Ă  tort ou Ă  raison, comme une attaque de la polic

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t une action essentiellement dĂ©fensive que la leur et je doute fort qu’on soit en drodĂ©peindre, ainsi que l’ont fait presque tous les journaux Ă©trangers, comme

nsurrection ». Car une « insurrection » implique une action agressive et un plan prplus exactement parler, ce fut une Ă©meute – une Ă©meute trĂšs sanglante parce que deux camps on avait des armes Ă  feu en main et qu’on Ă©tait disposĂ© Ă  s’en servir.

Mais sur le chapitre des intentions, que faut-il penser de l’autre camp ? S’il ne s agi d’un coup d’État anarchiste, s’est-il agi peut-ĂȘtre d’un coup d’État communi

un effort concertĂ© pour Ă©craser d’un seul coup le pouvoir de la C.N.T. ?

Je ne le crois pas, bien que certains faits pourraient amener Ă  pareil soupçon. gnificatif que quelque chose de tout Ă  fait semblable (la saisie du Central tĂ©lĂ©phonr la police armĂ©e agissant d’aprĂšs des ordres reçus de Barcelone) se soit prodrragone deux jours plus tard. Et Ă  Barcelone le raid sur le Central tĂ©lĂ©phonique ns un acte isolĂ©. En diffĂ©rentes parties de la ville des dĂ©tachements de gardes civils embres du P.S.U.C. s’emparĂšrent de locaux situĂ©s en des points stratĂ©giques, sactement juste avant le dĂ©clenchement des troubles, en tout cas avec une surprenomptitude. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cela s’est passĂ© en Espagn

n en Angleterre. Barcelone est une ville ayant dans son histoire un long passerres de rues. En de tels endroits les choses vont vite, les factions sont tonstituĂ©es, chacun connaĂźt la gĂ©ographie politique locale, et dĂšs que partent les premups de feu les gens sont aussitĂŽt en place presque comme dans des exerciceuvetage. Probablement les responsables de la saisie du Central tĂ©lĂ©phonttendaient-ils Ă  des troubles – quoique peut-ĂȘtre pas sur une Ă©chelle si vaste aient-ils pris des dispositions pour y faire face. Mais il ne s’ensuit pas qu’ils projetae attaque gĂ©nĂ©rale contre la C.N.T. Pour deux raisons, je ne crois pas que d’aucunait fait des prĂ©paratifs en vue d’une lutte gĂ©nĂ©ralisĂ©e :

1) Aucun des deux camps n’avait amenĂ© de troupes Ă  Barcelone auparavanmbat se livra seulement entre ceux qui Ă©taient dĂ©jĂ  prĂ©cĂ©demment Ă  Barcelonrtout entre les civils et la police.

2) Les vivres manquĂšrent presque immĂ©diatement. Or tous ceux qui ont servpagne savent que l’unique activitĂ© de guerre Ă  laquelle les Espagnols exceellement est le ravitaillement de leurs troupes. Il est fort improbable que si l’unversaires avait envisagĂ© une ou deux semaines de guerre de rues et une grĂšve gĂ©nĂ©

n’eĂ»t pas auparavant constituĂ© des rĂ©serves de vivres.

 Venons-en enfin Ă  la question du juste et de l’injuste en cette affaire.On a fait un terrible raffut dans la presse Ă  l’étranger, mais, comme d’habitudeul son de cloche a pu se faire entendre. Si bien que les troubles de Barcelone onĂ©sentĂ©s comme une insurrection des anarchistes et des trotskystes dĂ©loyauxpoignardaient le gouvernement espagnol dans le dos », et ainsi de suite. Ce qui s’ssĂ© n’était pas tout Ă  fait aussi simple que cela. Il est hors de doute que, lorsque

es en guerre avec votre ennemi mortel, il est prĂ©fĂ©rable de ne pas commencer par ttre entre vous dans votre propre camp ; mais il convient de ne pas oublier qu’ilre deux pour une querelle et que les gens ne se mettent pas Ă  construire des barricns que l’on se soit livrĂ© Ă  leur Ă©gard Ă  des actes qu’ils considĂšrent comme

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ovocation.La source des troubles, ce fut l’ordre donnĂ© par le gouvernement aux anarchiste

ndre leurs armes. Ce qui, dans la presse anglaise traduit en termes anglais, donna avait un extrĂȘme besoin d’armes sur le front d’Aragon oĂč l’on ne pouvait pa

voyer parce que les anarchistes mauvais patriotes les retenaient Ă  l’arriĂšre. PrĂ©sensi les choses c’est feindre d’ignorer l’état rĂ©el des choses en Espagne. Tout le mvait que les anarchistes et le P.S.U.C., les uns aussi bien que les autres, amassaienmes ; et quand les troubles Ă©clatĂšrent Ă  Barcelone, cela devint encore plus manife

ns l’un et l’autre camp on exhiba des armes en abondance. Les anarchistes savaienen que mĂȘme s’ils consentaient, pour leur propre part, Ă  rendre leurs armes, le P.S.parti politiquement le plus puissant en Catalogne, n’en conserverait pas moins, lunnes ; et c’est en effet ce qui se passa, lorsque les combats eurent pris finendant, dans les rues l’on voyait des quantitĂ©s d’armes, qui eussent Ă©tĂ© les bienver le front d’Aragon, et qui Ă©taient retenues Ă  l’arriĂšre pour les forces de la police «litique ». Et sous tout cela il y avait l’inconciliable diffĂ©rend entre communistarchistes, qui devait fatalement conduire, tĂŽt ou tard, Ă  quelque conflit. Depuis le d

la guerre le parti communiste espagnol s’était Ă©normĂ©ment accru en nombre et caparĂ© la majeure partie du pouvoir politique ; de plus, des milliers de communrangers Ă©taient venus en Espagne et bon nombre d’entre eux dĂ©claraient ouvertemur intention de « liquider » l’anarchisme aussitĂŽt qu’on aurait gagnĂ© la guerre coanco. Dans de telles circonstances l’on pouvait difficilement s’attendre Ă  ce quarchistes rendissent les armes dont ils avaient pris possession dans l’étĂ© de 1936.

La saisie du Central tĂ©lĂ©phonique ne fut que l’étincelle qui mit le feu Ă  une boi n’attendait que cela pour exploser. On peut tout juste admettre que les responsamaginĂšrent peut-ĂȘtre qu’il n’en rĂ©sulterait pas d’émeute. Companys, le prĂ©si

talan, aurait dĂ©clarĂ© en riant, peu de jours auparavant, que les anarchcaisseraient tout{19}. Mais ce n’était assurĂ©ment pas un acte sage. Depuis des moihauffourĂ©es sanglantes entre communistes et anarchistes se succĂ©daient. La CataloparticuliĂšrement Barcelone, Ă©tait dans un Ă©tat de tension qui avait dĂ©jĂ  donnĂ© lieu garres dans les rues, Ă  des assassinats, etc. Et voilĂ  que soudain le bruit courut ute la ville que des hommes armĂ©s Ă©taient en train d’attaquer les locaux donvriers s’étaient emparĂ©s au cours des combats de juillet et Ă  la possession desqueachaient une grande importance sentimentale. Il faut se rappeler que les gardes c

Ă©taient pas aimĂ©s de la population ouvriĂšre. Depuis des gĂ©nĂ©rations la guardia ut simplement Ă©tĂ© un apanage du grand propriĂ©taire terrien et du patron ; et les gavils Ă©taient doublement haĂŻs parce qu’on soupçonnait, et fort justement, ntiments antifascistes d’ĂȘtre des plus douteux{20}. Il est probable que ce quscendre le peuple dans la rue dans les premiĂšres heures, ce fut une Ă©motion tmblable Ă  celle qui l’avait poussĂ© Ă  rĂ©sister aux gĂ©nĂ©raux rebelles au dĂ©but de la guen sĂ»r, on peut soutenir que les travailleurs de la C.N.T. eussent dĂ» remettre le CeĂ©phonique sans protester. Sur ce sujet l’opinion de chacun dĂ©pend de la position face de la question gouvernement centralisĂ© ou contrĂŽle ouvrier ? On pourrait ar

ec plus de pertinence : « Oui, la C.N.T. avait trÚs probablement une excuse. Mais,

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mĂȘme, l’on Ă©tait en guerre et ils n’avaient pas le droit d’entamer une lutte Ă  l’arriĂšront. » LĂ , je suis parfaitement d’accord. Tout dĂ©sordre intĂ©rieur dut probablement anco. Mais qu’est-ce qui, au fait, dĂ©clencha la lutte ? Que le gouvernement ait en le droit de saisir le Central tĂ©lĂ©phonique, il n’en reste pas moins vrai, et c’e

mportant, qu’étant donnĂ© les circonstances c’était une mesure qui devait fatalemclencher le conflit. C’était un acte de provocation, un geste qui signifiait en rĂ©aliti Ă©tait vraisemblablement accompli pour signifier : « C’en est fini de votre pouvst nous, Ă  prĂ©sent, qui sommes les maĂźtres ». Il n’y avait pas de bon sens Ă  s’attend

tre chose qu’à de la rĂ©sistance. Si l’on garde un souci d’équitĂ©, on ne peut pas ne pndre compte que la faute n’était pas – ne pouvait pas ĂȘtre, dans une affaire de rte – toute du mĂȘme cĂŽtĂ©. Si l’on a communĂ©ment acceptĂ© une version des Ă©vĂ©nemi ne fait Ă©tat que d’un seul son de cloche, c’est tout simplement que les p

volutionnaires espagnols n’ont pas pied dans la presse Ă©trangĂšre. Dans la prglaise, en particulier, il vous faudrait longtemps chercher avant de dĂ©couvrir, mporte quelle pĂ©riode de la guerre, quelque allusion favorable aux anarchpagnols. Ils ont Ă©tĂ© systĂ©matiquement dĂ©nigrĂ©s et, je le sais par ma propre expĂ©rien

t presque impossible d’obtenir l’impression d’un Ă©crit pour leur dĂ©fense.J’ai tĂąchĂ© de parler des troubles de Barcelone objectivement, mais, Ă©videmmrsonne ne peut ĂȘtre absolument objectif Ă  propos d’une question de ce genre. Onatiquement obligĂ© de prendre parti, et il doit apparaĂźtre assez clairement de quel cĂŽis. En outre, je dois inĂ©vitablement avoir commis des erreurs sur les faits, ulement dans cet Appendice, mais en d’autres parties de ce rĂ©cit. Il est trĂšs diffĂ©crire avec exactitude sur la guerre d’Espagne, car l’on manque de documents qui sotre chose que de la propagande. Je mets donc en garde tous mes lecteurs contrrtialitĂ© et contre mes erreurs. Toutefois j’ai fait tout mon possible pour ĂȘtre honnĂȘt

n verra que mon compte rendu diffĂšre totalement de celui qu’a donnĂ© la prrangĂšre, spĂ©cialement la presse communiste. Il est nĂ©cessaire d’examiner la vermmuniste parce qu’elle a Ă©tĂ© publiĂ©e dans le monde entier, parce qu’elle n’a pas cpuis d’ĂȘtre trĂšs frĂ©quemment complĂ©tĂ©e, et parce qu’elle est probablement la nĂ©ralement acceptĂ©e.

Dans la presse communiste et pro-communiste, toute la responsabilitĂ© des trouBarcelone fut rejetĂ©e sur le P.O.U.M. L’affaire fut prĂ©sentĂ©e non comme une Ă©m

ontanée, mais comme une insurrection préméditée et préparée contre

uvernement, et fomentĂ©e uniquement par le P.O.U.M. avec l’aide d’un petit nom« incontrĂŽlables » abusĂ©s. Qui plus est, ce fut finalement un complot fasciste, mĂ©cution d’aprĂšs des ordres fascistes, et destinĂ© Ă  dĂ©clencher Ă  l’arriĂšre une guerre cĂ  paralyser ainsi le gouvernement. Le P.O.U.M. Ă©tait la « cinquiĂšme colonn

anco » – une organisation « trotskyste » travaillant en accord avec les fascistes. SDaily Worker du 11 mai :

 Â« Les agents allemands et italiens qui affluĂšrent Ă  Barcelone, sous prĂ©text

prĂ©parer » le fameux « congrĂšs de la IV e  Internationale », n’avaient qu’une sande tĂąche. À savoir :

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« Ils devaient – avec le concours des trotskystes de l’endroit – prĂ©pareovoquant dĂ©sordres et effusions de sang un Ă©tat de choses tel qu’il permĂźt lemands et aux Italiens de dĂ©clarer qu’il leur Ă©tait « impossible d’exercer le conval des cĂŽtes catalanes du fait des troubles rĂ©gnant Ă  Barcelone », et par consĂ©q’il leur Ă©tait « impossible de faire autrement que de dĂ©barquer des trouprcelone ».

« Autrement dit, ce qu’ils prĂ©paraient c’était une situation pouvant servir de prĂ©x gouvernements allemand et italien Ă  faire dĂ©barquer tout Ă  fait ouvertement su

tes catalanes des troupes de terre ou de l’infanterie de marine, en dĂ©clarant qu’ils saient que « pour rĂ©tablir l’ordre »...

« Pour cela, les gouvernements allemand et italien avaient un instrument toutl’espĂšce, l’organisation trotskyste connue sous le nom de P.O.U.M.

« Le P.O.U.M., agissant avec le concours d’élĂ©ments criminels bien connus et rtain nombre de fourvoyĂ©s appartenant aux organisations anarchistes, conçut le ganisa et mena l’attaque sur l’arriĂšre, de façon Ă  la faire exactement coĂŻncider ttaque sur le front Ă  Bilbao », etc.

 Dans la suite de l’article, les troubles de Barcelone deviennent l’« attaquO.U.M. » et, dans un autre article de ce mĂȘme numĂ©ro de journal, on affirme que «

P.O.U.M. indiscutablement qu’il faut imputer la responsabilitĂ© du sang verstalogne ». Inprecor du 29 mai dĂ©clare que les barricades Ă©levĂ©es Ă  Barcelone le fuuniquement par des membres du P.O.U.M., organisĂ©s par ce parti en vue de che ».

Je pourrais faire encore un grand nombre de citations, mais tout celaffisamment clair : le P.O.U.M. Ă©tait entiĂšrement responsable et le P.O.U.M. agi

aprùs les ordres des fascistes. Je donnerai tout à l’heure encore quelques traitsmptes rendus parus dans la presse communiste ; on verra qu’ils se contredisent ex à tel point qu’ils en perdent absolument toute valeur. Mais il convient aupara

attirer l’attention sur plusieurs raisons a priori  qui font que la version des troubleai, insurrection fasciste menĂ©e par le P.O.U.M., est autant dire incroyable :

1) Le P.O.U.M. n’avait ni l’importance numĂ©rique ni l’influence nĂ©cessaire ovoquer des dĂ©sordres d’une telle ampleur. Encore moins avait-il le pouvoir d’ordogrĂšve gĂ©nĂ©rale. Le P.O.U.M. Ă©tait une organisation politique sans base vĂ©ritable

syndicats et il n’eĂ»t guĂšre Ă©tĂ© plus capable d’organiser une grĂšve Ă  Barcelone sons par exemple, le parti communiste anglais le serait de dĂ©clencher la grĂšve gĂ©nGlasgow. Comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, les leaders du P.O.U.M. ont pu par leur attintribuer quelque peu Ă  prolonger la lutte ; mais, mĂȘme l’eussent-ils voulu qauraient pas pu en ĂȘtre les promoteurs.

2) Le prĂ©tendu complot fasciste se fonde sur une simple affirmation, que touts dĂ©mentent. On nous dit que le plan Ă©tait de permettre aux gouvernements allemitalien de dĂ©barquer des troupes en Catalogne : mais aucun transport de troemand ou italien n’approcha de la cĂŽte. Quant au « congrĂšs de la IV e Internationaaux « agents allemands et italiens », c’est un pur mythe ! Autant que je sache, il n’

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ĂȘme jamais Ă©tĂ© question d’un congrĂšs de la IV e Internationale. On avait fait vaguemprojet d’un congrĂšs du P.O.U.M. et de ses partis-frĂšres (I.L.P. anglais, S.A.P. allem

c.) ; on en avait approximativement fixĂ© l’époque dans le courant de juillet – deux us tard – et pas un seul dĂ©lĂ©guĂ© n’était encore arrivĂ©. Les « agents allemandliens » n’ont pas d’existence en dehors des colonnes du Daily Worker. Tous ceuxt passĂ© la frontiĂšre Ă  cette Ă©poque savent qu’il n’était pas si facile que cela d’« affluEspagne, et pas plus facile, du reste, d’en sortir.

3) Il ne se passa rien, ni Ă  LĂ©rida, la principale place forte du P.O.U.M., ni s

ont. Il saute aux yeux que si les leaders du P.O.U.M. avaient voulu aider les fascisteraient donnĂ© l’ordre Ă  leurs milices de quitter le front et de laisser les fascistes pails ne firent ni ne suggĂ©rĂšrent rien de semblable. Et on ne ramena pas d’homme

ont les jours prĂ©cĂ©dents, quoiqu’il eĂ»t Ă©tĂ© assez facile de faire revenir clandestinemrcelone, sous divers prĂ©textes, disons un ou deux milliers de miliciens. Et il n’ycune tentative, mĂȘme indirecte, de sabotage du front : aucun arrĂȘt dans les transpvivres, de munitions, etc. Je puis l’affirmer, car j’ai, par la suite, fait une enquĂȘte

jet. Et enfin surtout, une insurrection concertĂ©e, du genre de celle que l’on nous p

t nécessité des mois de préparation, une propagande subversive dans les milices, etl signe, nul bruit de tout cela. Le fait que les milices au front ne prirent aucune pinsurrection » devrait paraßtre, à lui seul, concluant. Si le P.O.U.M. avait réellem

Ă©parĂ© un coup d’État, il est inconcevable qu’il ne se fĂ»t pas servi des dix milliers envhommes armĂ©s qui constituaient la seule force qu’il eĂ»t.

De ce qui prĂ©cĂšde il ressort assez clairement que la thĂšse communiste dnsurrection » du P.O.U.M. selon des ordres fascistes repose sur moins que rien. Jecore vous communiquer quelques extraits de la presse communiste. Les comndus communistes de l’incident-point de dĂ©part, de l’attaque du Central tĂ©lĂ©phon

nt de nature Ă  ouvrir les yeux ; ils ne s’accordent entre eux sur aucun point sauui de rejeter toute la responsabilitĂ© sur les adversaires politiques. Il est Ă  remare dans les journaux communistes anglais, la responsabilitĂ© a d’abord Ă©tĂ© rejetĂ©e suarchistes, et seulement plus tard sur le P.O.U.M. Il y a une raison bien Ă©vidente Ă  ut le monde en Angleterre n’a pas entendu parler de « trotskysme », tandis que trsonne de langue anglaise frissonne au mot « anarchiste ». Qu’on fasse donc d’avoir que ce sont les anarchistes qui sont impliquĂ©s dans cette affaire et l’atmosphÚévention souhaitĂ©e sera crĂ©Ă©e ; aprĂšs quoi il ne restera plus qu’à tranquillement

sser la responsabilitĂ© sur le dos des « trotskystes » ! Le Daily Worker  du 6mmence ainsi : Â« Une bande d’anarchistes minoritaires a, au cours des journĂ©es de lundi et m

isi et tenté de conserver le bureau central des téléphones et télégraphes, et ils se s à tirer des coups de feu dans les rues. »

 Rien de tel pour commencer qu’un renversement des rĂŽles ! Les gardes c

aquent un local occupĂ© par la C.N.T., et voilĂ  que c’est la C.N.T. que l’on reprĂ©smme donnant l’assaut Ă  son propre local – s’attaquant elle-mĂȘme en fait ! D’autre

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Daily Worker du 11 mai dĂ©clare : Â« Le ministre de la SĂ©curitĂ© publique, Aiguade, Catalan de gauche, et le commis

nĂ©ral Ă  l’Ordre public, Rodrigue Salas, des socialistes unifiĂ©s, envoyĂšrent la pmĂ©e de la RĂ©publique au Central tĂ©lĂ©phonique pour en dĂ©sarmer les emplembres pour la plupart des syndicats de la C.N.T. »

  VoilĂ  qui ne semble pas s’accorder trĂšs bien avec la prĂ©cĂ©dente affirmati

anmoins le Daily Worker ne fit pas paraĂźtre la moindre insertion pour reconnaĂźtretait trompĂ© la premiĂšre fois. Le Daily Worker du 11 mai affirme que les tracts des ADurruti, qui furent dĂ©savouĂ©s par la C.N.T., parurent les 4 et 5 mai, durant les com

precor (22 mai) dĂ©clare qu’ils parurent le 3 mai, avant  les combats, et ajoute que, Ă©sence de ces faits » (la parution de diffĂ©rents tracts) :

 Â« La police, avec Ă  sa tĂȘte le prĂ©fet de police en personne, occupa le Ce

Ă©phonique au cours de l’aprĂšs-midi du 3 mai. Des coups de feu furent tirĂ©s sur la p

ns l’exercice de ses fonctions. Ce fut le signal pour les provocateurs qui se mirent Ă r toute la ville pour dĂ©clencher des Ă©chauffourĂ©es. » Et voici ce que dit Inprecor du 29 mai : Â« À trois heures de l’aprĂšs-midi le commissaire Ă  la SĂ©curitĂ© publique, le cama

las, se rendit au Central téléphonique qui avait été occupé la nuit précédentenquante membres du P.O.U.M. et divers éléments incontrÎlables. »

 

 VoilĂ  qui paraĂźt plutĂŽt curieux ! L’occupation du Central tĂ©lĂ©phonique par cinquembres du P.O.U.M. est ce que l’on peut appeler un dĂ©tail pittoresque et on se sendu Ă  ce que quelqu’un l’eĂ»t remarquĂ© au moment mĂȘme. Or il apparaĂźt qu’on ncouvert que trois ou quatre semaines plus tard ! Dans un autre numĂ©ro d’Inpreco

nquante membres du P.O.U.M. deviennent cinquante miliciens du P.O.U.M. Il sfficile de rassembler Ă  propos d’un mĂȘme fait plus de contradictions que ntiennent ces quelques courts extraits. Une fois ce sont les membres de la C.N.Taquent le Central, une autre fois ce sont eux qui y sont attaquĂ©s ; tour Ă  tou

Ă©tend qu’un tract paraĂźt avant la saisie du Central tĂ©lĂ©phonique et qu’il est causle-ci, ou qu’il paraĂźt aprĂšs cette saisie et qu’il en est la consĂ©quence ; tantĂŽcupants du Central sont des membres de la C.N.T., et tantĂŽt ce sont des membreO.U.M. – et ainsi de suite. Et dans un numĂ©ro ultĂ©rieur du  Daily Worker  (celuuin), M. J.-R. Campbell nous informe que le gouvernement n’a fait saisir le CeĂ©phonique que parce qu’on avait dĂ©jĂ  Ă©levĂ© des barricades !

Faute de place, je n’ai fait ici Ă©tat que des comptes rendus se rapportant Ă  uncident, mais les mĂȘmes contradictions entre les rĂ©cits se retrouvent Ă  travers touesse communiste. En outre maintes relations de faits sont de toute Ă©videncestoires inventĂ©es Ă  plaisir. Voici, par exemple, ce que rapporte le Daily Worker (7

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qui aurait Ă©tĂ© dit Ă  l’ambassade d’Espagne Ă  Paris : Â« L’un des traits les plus significatifs du soulĂšvement fut qu’au balcon de plus

aisons de Barcelone on fit flotter le vieux drapeau monarchiste, dans la convirtainement que les agents du soulĂšvement s’étaient rendus maĂźtres de la situation.

 Le Daily Worker a trĂšs probablement reproduit en toute bonne foi cette dĂ©clara

ais ceux qui, à l’ambassade d’Espagne, en sont les auteurs ne peuvent qu’avoir m

libĂ©rĂ©ment. On ne me fera pas croire qu’aucun Espagnol puisse ĂȘtre aussi maurant de la situation intĂ©rieure ! Un drapeau monarchiste Ă  Barcelone ! Mais c’eĂ»seule chose capable d’unir en un rien de temps les factions rivales ! MĂȘme

mmunistes sur place n’ont dĂ» pouvoir s’empĂȘcher de sourire en lisant cela ! Et il emĂȘme pour les rĂ©cits publiĂ©s dans les divers journaux communistes au sujet des ant le P.O.U.M. est censĂ© s’ĂȘtre servi pendant l’« insurrection ». Ne peuvent y croireux qui ont tout ignorĂ© des faits rĂ©els. Dans le Daily Worker  du 17 mai, M. Ftcairn dĂ©clare :

 Â« Ils se servirent effectivement de toutes sortes d’armes pour leur attentat. De ce depuis des mois ils volaient et cachaient, et mĂȘme de tanks qu’ils volĂšrent dansernes tout au dĂ©but de l’insurrection. Il est Ă©vident que des vingtaines de mitrailleplusieurs milliers de fusils sont encore en leur possession. »

  Inprecor du 29 mai dĂ©clare Ă©galement : Â« Le 3 mai le P.O.U.M. avait Ă  sa disposition quelques douzaines de mitrailleus

usieurs milliers de fusils... Sur la place d’Espagne, les trotskystes mirent en actiontteries de canons de 75 qui Ă©taient destinĂ©es au front d’Aragon et que les miaient soigneusement cachĂ©es sur place dans leurs locaux. »

 M. Pitcairn ne nous dit pas comment et quand il devint Ă©vident que le P.O.

ssĂ©dait des vingtaines de mitrailleuses et plusieurs milliers de fusils. J’ai fanombrement des armes que contenaient trois des principaux locaux du P.O.U.Mviron quatre-vingt fusils, quelques bombes, aucune mitrailleuse, autrement dit,

ste ce qui Ă©tait nĂ©cessaire pour armer les gardes qu’à cette Ă©poque tous les plitiques plaçaient dans leurs locaux. Il paraĂźt curieux que, ensuite, lorsque le P.O.t Ă©tĂ© supprimĂ© et tous ses locaux saisis, ces milliers d’armes n’aient jamaiscouvertes, en particulier les tanks et les canons qui ne sont pas prĂ©cisĂ©ment le genroses qui se peuvent cacher dans une cheminĂ©e ! Mais ce qui est rĂ©vĂ©lateur danux dĂ©clarations ci-dessus, c’est la totale ignorance des conditions locales dont moignent. Selon M. Pitcairn, le P.O.U.M. vola des tanks « dans les casernes ». Il ne pas dans quelles casernes. Les miliciens du P.O.U.M. qui se trouvaient Ă  Barceloativement en petit nombre Ă  cette Ă©poque, car l’on avait cessĂ© de recruter directemur les milices de partis – partageaient la caserne LĂ©nine avec des troupes de l’ar

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pulaire considĂ©rablement plus nombreuses. M. Pitcairn nous demande de croirensĂ©quent, que le P.O.U.M. fut, pour voler ces tanks, de connivence avec l’arpulaire ! MĂȘme remarque au sujet des « locaux » dans lesquels furent cachĂ©snons de 75. Aucune indication pour nous apprendre oĂč se trouvaient ces locauxmbreux journaux ont parlĂ© de ces batteries de canons qui auraient Ă©tĂ© mises en acr la place d’Espagne, mais je crois que nous pouvons dire avec certitude qu’elles nmais existĂ©. Comme je l’ai dĂ©jĂ  relatĂ©, je n’ai entendu moi-mĂȘme aucun tir d’artilrant les troubles, et pourtant je n’étais guĂšre qu’à un mille de la place d’Espa

uelques jours plus tard j’ai examinĂ© la place d’Espagne et n’ai pu trouver sur aumeuble la moindre trace d’éclats d’obus. Et un tĂ©moin oculaire qui Ă©tait danisinage pendant toute la durĂ©e des troubles dĂ©clare formellement qu’on n’y a jamaraĂźtre aucun canon. (Soit dit en passant, cette histoire de canons volĂ©s pourrait oir eu pour auteur le consul gĂ©nĂ©ral russe, Antonov-Ovseenko. C’est lui, en tout cascommuniqua Ă  un journaliste anglais bien connu qui, ensuite, la rĂ©pĂ©ta en toute b

dans un hebdomadaire. Depuis, Antonov-Ovseenko a Ă©tĂ© « Ă©purĂ© ». Dans qesure cela porte atteinte Ă  sa crĂ©dibilitĂ©, je ne sais.) La vĂ©ritĂ©, bien entendu, c’est

s contes Ă  propos de tanks, canons de campagne et le reste ont Ă©tĂ© inventĂ©s pousoins de la cause, car sinon il eĂ»t Ă©tĂ© bien difficile de concilier dans la version offics Ă©vĂ©nements l’ampleur des troubles de Barcelone avec la faiblesse numĂ©riquO.U.M. Or, s’il Ă©tait nĂ©cessaire de crier bien haut que le P.O.U.M. Ă©tait entiĂšremsponsable des troubles, il Ă©tait non moins nĂ©cessaire de crier non moins haut que c

parti insignifiant, sans base, et, selon Inprecor, « ne comptant que quelques mimembres ». Le seul espoir de rendre croyables Ă  la fois les deux assertions c’éta

Ă©tendre que le P.O.U.M. possĂ©dait tout l’armement d’une armĂ©e moderne motorisĂ©Il est impossible, quand on parcourt tous les comptes rendus dans la pr

mmuniste, de ne pas s’apercevoir qu’ils ont Ă©tĂ© sciemment fabriquĂ©s Ă  l’adresse blic ignorant des faits, et qu’ils n’ont d’autre but que de crĂ©er une prĂ©vention. De lĂ emple, des affirmations telles que celles de M. Pitcairn qui, dans le Daily Workemai, prĂ©tend que l’« insurrection » fut rĂ©primĂ©e par l’armĂ©e populaire. L’intentionst de donner Ă  l’étranger l’impression que la Catalogne tout entiĂšre

goureusement dressĂ©e contre les « trotskystes ». En rĂ©alitĂ©, l’armĂ©e populaire utre pendant toute la durĂ©e des troubles ; tout le monde Ă  Barcelone le savait et ifficile de croire que M. Pitcairn a Ă©tĂ© le seul Ă  ne pas le savoir. De lĂ  aussi, dans la p

mmuniste, les tours de passe-passe avec les statistiques des tuĂ©s et des blessĂ©s, dat de donner une idĂ©e exagĂ©rĂ©e de l’échelle des dĂ©sordres. À en croire Diaz, le secrĂ©nĂ©ral du parti communiste espagnol, que la presse communiste cite abondammenmbre des morts aurait Ă©tĂ© de neuf cents et celui des blessĂ©s de deux mille cinq clon le ministre de la Propagande, un Catalan, il y eut (et il n’est guĂšre probable us-Ă©value) quatre cents morts et mille cinq cents blessĂ©s. Le parti communiste domise et ajoute encore quelques centaines Ă  tout hasard.

Les journaux capitalistes Ă  l’étranger rejetĂšrent en gĂ©nĂ©ral la responsabilitĂ©oubles sur les anarchistes ; quelques-uns cependant adoptĂšrent la « lignmmuniste. L’un de ceux-ci fut le journal anglais  News Chronicle, don

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rrespondant, M. John Langdon Davies, se trouvait Ă  Barcelone Ă  l’époque. Voicitraits de son article :

 UNE SÉDITION TROTSKYSTE

 Â« ... Non, il ne s’est pas agi d’un soulĂšvement anarchiste ; mais bien d’un  pu

ureusement dĂ©jouĂ©, du P.O.U.M. « trotskyste » ayant pour agents d’exĂ©cutionganisations qu’il contrĂŽle : les Amis de Durruti et la Jeunesse libertaire... La trag

mmença le lundi aprĂšs-midi, lorsque le gouvernement envoya de la police armĂ©ntral tĂ©lĂ©phonique pour en dĂ©sarmer les employĂ©s, hommes pour la plupart dN.T. De graves irrĂ©gularitĂ©s dans le service y faisaient depuis un certain temps scanne grande foule se rassembla Ă  l’extĂ©rieur du Central, sur la place d’Espagne, cepene les hommes de la C.N.T. rĂ©sistaient, se retirant d’étage en Ă©tage jusqu’en hau

mmeuble... Ce n’était qu’un obscur incident, mais le bruit courut que le gouvernemait sur pied contre les anarchistes. Les rues se remplirent d’hommes armĂ©s... mbĂ©e de la nuit, tous les centres ouvriers et tous les immeubles du gouvernem

aient barricadĂ©s, et Ă  dix heures les premiers coups de feu Ă©clatĂšrent, et les premmbulances commencĂšrent Ă  sillonner les rues en se frayant passage Ă  coups de sirĂšube la fusillade avait gagnĂ© tout Barcelone. Vers la fin du jour, et alors que le noms morts dĂ©passait la centaine, on commença Ă  saisir ce qui se passait. La Carchiste et l’U.G.T. socialiste n’étaient pas prĂ©cisĂ©ment, au sens techniquexpression, « descendues dans la rue ». Tant qu’elles restĂšrent derriĂšre les barrices s’en tinrent Ă  une attitude d’attente vigilante, attitude qui n’excluait pas le droer sur tout passant armĂ©... Les fusillades qui se dĂ©clenchaient un peu partout fumanquablement aggravĂ©es par des pacos â€“ des individus isolĂ©s, cachĂ©s, des fasciste

nĂ©ral, qui tiraient du haut des toits sans viser rien en particulier, mais dans leaccroĂźtre autant qu’ils le pouvaient la panique gĂ©nĂ©rale. Mais le mercredi soirmmença Ă  comprendre quels Ă©taient les instigateurs de cette sĂ©dition. Tous les maient Ă©tĂ© tapissĂ©s d’une affiche incendiaire, appelant Ă  la rĂ©volution immĂ©diaclamant l’exĂ©cution des chefs rĂ©publicains et socialistes. Elle portait la signatureAmis de Durruti ». Le jeudi matin le quotidien anarchiste nia toute connivence drt au sujet de cette affiche, dĂ©clarant n’en avoir pas eu connaissance et la dĂ©sapproais La Batalla, le journal du P.O.U.M., en reproduisit le texte, avec force Ă©loges. A

rcelone, la premiĂšre ville d’Espagne, fut jetĂ©e au carnage par des agents provocateurvant de cette organisation subversive ! »Tout cela ne s’accorde guĂšre avec les versions communistes que j’ai prĂ©cĂ©demm

Ă©es, mais on va voir que mĂȘme en ne considĂ©rant que ce texte, on y trouventradictions. L’affaire est tout d’abord dĂ©peinte comme une « sĂ©dition trotskyste »,Ă©sentĂ©e comme rĂ©sultant du raid sur le Central tĂ©lĂ©phonique et de la croyance gĂ©nĂ©e le gouvernement « Ă©tait sur pied contre les anarchistes ». La ville se couvrrricades et derriĂšre ces barricades se trouvent Ă  la fois la C.N.T. et l’U.G.T. ; deux jrĂšs paraĂźt l’affiche incendiaire (un tract en rĂ©alitĂ©), et l’on y veut voir par implicatiint de dĂ©part de toute l’affaire – un effet prĂ©cĂ©dant la cause, quoi ! Mais voici, en fa

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Ă©sentation erronĂ©e des faits, quelque chose de trĂšs grave : M. Langdon Davies parlmis de Durruti et des Jeunesses libertaires comme d’« organisations contrĂŽlĂ©es » pO.U.M. Or elles Ă©taient, l’une et l’autre, des organisations anarchistes et n’avcun lien avec le P.O.U.M. Les Jeunesses libertaires, c’était, au sein des anarchi

Union des Jeunes ; elle Ă©tait aux anarchistes ce qu’étaient, par exemple, au P.S.U.CS.U. Quant aux Amis de Durruti, c’était un petit groupement Ă  l’intĂ©rieur de la F.A.i Ă©tait gĂ©nĂ©ralement animĂ© Ă  l’égard du P.O.U.M. d’une Ăąpre hostilitĂ©. Je n’ai jamaentendu dire que personne fĂźt Ă  la fois partie des deux organisations. Il ne serait g

us faux de prĂ©tendre qu’en Angleterre l’Union socialiste est une organisacontrĂŽlĂ©e » par le parti libĂ©ral ! Est-ce qu’il y a lĂ  de la part de M. Langdon Danorance ? Dans ce cas, il eĂ»t au moins dĂ» faire preuve d’un peu plus de prudencordant ce sujet trĂšs complexe.

Je n’accuse pas M. Langdon Davies de mauvaise foi ; mais, il ne s’en cache pitta Barcelone aussitĂŽt aprĂšs la fin des troubles, c’est-Ă -dire prĂ©cisĂ©ment au momen

eĂ»t pu commencer une enquĂȘte sĂ©rieuse ; et Ă  travers tout son rĂ©cit il apparaĂźt de fdiscutable qu’il a acceptĂ© la version officielle d’une « sĂ©dition trotskyste »

ffisante vĂ©rification. Cela crĂšve les yeux, mĂȘme en s’en tenant au passage que j’ai À la tombĂ©e de la nuit les barricades Ă©taient Ă©levĂ©es », dit-il, et « Ă  dix heures emiers coups de feu Ă©clatent. VoilĂ  ce que n’eĂ»t certes pu dire un tĂ©moin oculaaprĂšs cela, nous devrions en conclure que c’est l’habitude d’attendre que son adver

construit des barricades pour commencer Ă  lui tirer dessus. De ce passage on rmpression qu’il s’est Ă©coulĂ© quelques heures entre le moment oĂč l’on a Ă©levrricades et le dĂ©but de la fusillade – alors que, naturellement, c’est l’inverse qui u. J’ai Ă©tĂ© tĂ©moin avec beaucoup d’autres des premiers coups de feu Ă©changĂ©s, c’étanne heure dans l’aprĂšs-midi. Et de mĂȘme pour ce qui est de ces « individus isol

des fascistes en gĂ©nĂ©ral » qui tiraient du haut des toits, M. Langdon Davies ne nous comment il put savoir que ces hommes Ă©taient des fascistes. Il est probable qu’is grimpĂ© sur les toits pour le leur demander. Tout simplement il a rĂ©pĂ©tĂ© ce qu’on, et, comme cela cadre avec la version officielle, il ne le met pas en doute. À vrai dirbut de son article, une allusion imprudente au ministre de la Propagande trahit s sources probables de la plupart de ses informations. En Espagne les journalrangers furent immanquablement manƓuvrĂ©s par le ministĂšre de la Propagandeurrait pourtant croire que le nom mĂȘme de ce ministĂšre devrait suffire Ă  re

Ă©fiant. Il va sans dire que le ministĂšre de la Propagande Ă©tait aussi dĂ©signĂ© pour fous informations objectives sur les troubles de Barcelone que, disons, le dĂ©funt rson aurait pu l’ĂȘtre pour donner un compte rendu objectif du soulĂšvement de Du1916.

J’ai indiquĂ© quelles raisons l’on a de ne pouvoir prendre au sĂ©rieux la vermmuniste des troubles de Barcelone. Je dois en outre ajouter quelque chose au sujccusation gĂ©nĂ©rale portĂ©e contre le P.O.U.M. d’ĂȘtre une organisation fasciste secrsolde de Franco et de Hitler.

Cette accusation a été mille et mille fois répétée dans la presse communiste, surpartir du début de 1937. Cela faisait partie de la chasse mondiale que le

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mmuniste officiel menait contre le « trotskysme », dont le P.O.U.M., Ă  l’en croire, nsĂ© ĂȘtre le reprĂ©sentant en Espagne. Le « trotskysme », selon Frente Rojo  (le joummuniste de Valence), « n’est pas une doctrine politique. Le trotskysme estganisation capitaliste officielle, une bande de terroristes fascistes s’occupant de crde sabotages contre le peuple ». Le P.O.U.M. Ă©tait une organisation alliĂ©e aux fascfaisant partie de la « cinquiĂšme colonne de Franco ». Ce qui est Ă  remarquer d

but, c’est qu’aucune preuve ne fut jamais fournie Ă  l’appui de cette accusation ; ontenta d’affirmer la chose sur un ton d’autoritĂ©. Et l’attaque fut menĂ©e tant qu’on p

ups de diffamations personnelles, et avec une totale insouciance des rĂ©percussionsa pourrait avoir sur le cours de la guerre. Beaucoup d’écrivains communraissent avoir estimĂ© sans importance, comparĂ©e Ă  la tĂąche de diffamer le P.O.U.M

ahison de secrets militaires. Dans un numĂ©ro de fĂ©vrier du  Daily Worker, par exempermit Ă  un Ă©crivain (Winifred Bates) de dĂ©clarer que le P.O.U.M. n’avait, dans

cteur au front, pas mĂȘme la moitiĂ© des troupes qu’il prĂ©tendait avoir. Ce qui n’étaiai ; mais vraisemblablement cet Ă©crivain croyait dire vrai. Elle-mĂȘme et le  Daily Wot donc de leur plein grĂ© publiĂ© cette dĂ©claration, sachant que ce faisant ils passaie

nnemi l’une des plus importantes informations qui peuvent ĂȘtre communiquĂ©es poyen d’un journal. Dans le New Republic, M. Ralph Bates dĂ©clara que les troupeO.U.M. « jouaient au football avec les fascistes dans le no man’s land  Â», et cela emps oĂč, en fait, les troupes du P.O.U.M. subissaient de lourdes pertes,rsonnellement j’eus un grand nombre d’amis tuĂ©s et blessĂ©s. Et puis il y eut ce deurieux, que l’on fit circuler partout, d’abord Ă  Madrid, puis plus tard Ă  Barcelone

prĂ©sentait le P.O.U.M. sous l’aspect d’un homme qui, ĂŽtant un masque dĂ©corarteau et de la faucille, dĂ©couvre un visage marquĂ© de la croix gammĂ©e. Suvernement n’avait pas Ă©tĂ© en rĂ©alitĂ© dominĂ© par les communistes, il n’aurait ja

rmis que l’on fĂźt circuler une chose de ce genre en temps de guerre. C’était polibĂ©rĂ©ment un coup au moral non seulement des milices du P.O.U.M., mais Ă  celuutes les troupes qui venaient Ă  s’en trouver voisines ; car cela est peu propre Ă  do

courage que d’apprendre que les hommes qui sont Ă  cĂŽtĂ© de vous sur le front sonaĂźtres. Je ne crois pas, il est vrai, que les injures qu’on leur prodigua Ă  l’armoralisĂšrent vraiment les milices du P.O.U.M. Mais ce qui est certain, c’est quaient calculĂ©es pour les dĂ©moraliser et que l’on doit tenir ceux qui en furent les autur des gens qui ont fait passer l’animositĂ© politique avant le souci de l’u

tifasciste.L’accusation portĂ©e contre le P.O.U.M. revenait Ă  dire ceci : qu’un groupemenusieurs vingtaines de milliers de personnes, appartenant presque toutes Ă  la cvriĂšre, et en outre de nombreux auxiliaires et sympathisants Ă©trangers, pour la plufugiĂ©s de pays fascistes, et enfin des milliers de miliciens, Ă©taient puremenmplement une vaste organisation d’espionnage Ă  la solde des fascistes. Ça n’avait pns commun et l’histoire passĂ©e du P.O.U.M. suffisait Ă  rendre la chose incroyableaders du P.O.U.M. avaient tous derriĂšre eux un passĂ© rĂ©volutionnaire. Certains avis part au soulĂšvement de 1934 et la plupart d’entre eux avaient Ă©tĂ© emprisonnĂ©s urs activitĂ©s socialistes sous le gouvernement Lerroux ou sous la monarchie. En 193

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ader du P.O.U.M. Ă  cette Ă©poque, JoaquĂ­n MaurĂ­n, avait Ă©tĂ© l’un des dĂ©putĂ©s qui,rtĂšs, avertirent de la rĂ©bellion imminente de Franco. Peu de temps aprĂšclenchement de la guerre, il fut fait prisonnier par les fascistes alors qu’il te

organiser la rĂ©sistance Ă  l’arriĂšre de Franco. Quand la rĂ©bellion Ă©clata, le P.O.U.M. rĂŽle marquant dans la rĂ©sistance, et Ă  Madrid, en particulier, un grand nombre d

embres furent tuĂ©s dans les combats de rues. Il fut l’un des premiers groupemenrmer des colonnes de miliciens en Catalogne et Ă  Madrid. Comment serait-il posexpliquer tout cela comme les actes d’un parti Ă  la solde des fascistes ! Un parti

lde des fascistes eĂ»t tout simplement rejoint l’autre camp.Et il n’y eut aucun signe d’activitĂ©s pro-fascistes durant la guerre. On pou

utenir – mais en dĂ©finitive je ne suis pas de cet avis – qu’en rĂ©clamant avec insiste politique plus rĂ©volutionnaire le P.O.U.M. divisait les forces du gouverneme

dait les fascistes ; je pense que n’importe quel gouvernement de type rĂ©formiste sndĂ© Ă  considĂ©rer un parti tel que le P.O.U.M. comme une peste. Mais il s’agit lĂ  detre chose que de trahison ! Il n’y a pas moyen d’expliquer pourquoi, si le P.O.U.M.ellement un groupement fasciste, ses milices restĂšrent loyales. VoilĂ  huit ou dix m

mmes tenant d’importants secteurs du front dans les conditions terribles de l’h36-1937. Beaucoup d’entre eux restĂšrent dans les tranchĂ©es quatre ou cinq affilĂ©e. On n’arrive pas Ă  comprendre pourquoi ils ne quittĂšrent pas tout bonnemeont ou ne passĂšrent pas Ă  l’ennemi. Il fut toujours en leur pouvoir de le faire,rtains moments cela eĂ»t pu avoir une consĂ©quence dĂ©cisive. Cependant ils continuĂše battre ; bien plus, ce fut aprĂšs la suppression du P.O.U.M. en tant que parti politalors que chacun avait encore le souvenir tout frais de cet Ă©vĂ©nement, que les milicn encore rĂ©parties dans l’armĂ©e populaire – prirent part Ă  l’offensive meurtriĂšre Ă Huesca dans laquelle, en un jour ou deux, plusieurs milliers d’hommes trouvĂšre

ort. On se serait pour le moins attendu Ă  des fraternisations avec l’ennemi et ntinuelles dĂ©sertions. Or, comme je l’ai dĂ©jĂ  indiquĂ©, celles-ci furent en nomceptionnellement faible. Et on se serait aussi attendu Ă  une propagande pro-fascis« dĂ©faitisme », etc. Cependant, rien de tout cela ne se produisit. Il doit Ă©videmm

oir eu dans le P.O.U.M. des espions fascistes et des agents provocateurs ; il y en ns tous les partis de gauche, mais rien n’autorise à penser qu’il y en ait eu davanns le P.O.U.M. qu’ailleurs.

Il est vrai que, dans certaines de ses attaques, la presse communiste a dit, avec a

mauvaise grĂące, que seuls les leaders du P.O.U.M. Ă©taient Ă  la solde des fascistes, simples membres. Mais ce n’était lĂ  qu’une tentative pour dĂ©tacher de leurs dirigemembres du P.O.U.M. La nature mĂȘme de l’accusation impliquait la participatio

us au complot. Celle des simples membres et des miliciens aussi bien que celleaders ; car, de toute Ă©vidence, si Nin, Gorkin et les autres dirigeants du P.O.U.M. Ă©tellement Ă  la solde des fascistes, il Ă©tait plus que probable que leurs partisansaient en contact avec eux, devaient ĂȘtre les premiers Ă  le savoir, plutĂŽt queurnalistes de Londres, de Paris ou de New York. Et, en tout cas, au moment dppression du P.O.U.M., la police clandestine contrĂŽlĂ©e par les communistes nformĂ©ment Ă  l’hypothĂšse que tous fussent pareillement coupables, et elle arrĂȘta

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ux, ayant quelque lien avec le P.O.U.M., sur qui elle put mettre la main, y compressés, les infirmiÚres, les femmes des membres du P.O.U.M. et, dans quelques cafants.

Finalement, les 15 et 16 juin, le P.O.U.M. fut supprimĂ© et proclamĂ© organisaĂ©gale. Ce fut l’un des premiers actes du gouvernement NegrĂ­n qui prit le pouvoai. Une fois le comitĂ© exĂ©cutif du P.O.U.M. jetĂ© en prison, la presse commubriqua ce qui fut donnĂ© comme Ă©tant la dĂ©couverte d’un complot fasciste monndant un temps la presse communiste du monde entier publia de façon flamboy

s communications du genre de celle-ci ( Daily Worker du 21 juin), rĂ©sumĂ© sommaiusieurs journaux communistes espagnols :

 LES TROTSKYSTES ESPAGNOLS CONSPIRENT  AVEC FRANCO

 Â« À la suite de l’arrestation d’un grand nombre de dirigeants trotskystes Ă  Barce

ailleurs... on a appris Ă  la fin de la semaine les dĂ©tails d’une des plus abominafaires d’espionnage qui se soient jamais vues en temps de guerre, et eu rĂ©vĂ©lation

us vile trahison trotskyste jusqu’à ce jour... Les documents qui sont en la possessiopolice, ainsi que les aveux complets de pas moins de deux cents personnes miseat d’arrestation, prouvent, » etc.

 Ce que « prouvaient » ces rĂ©vĂ©lations, c’était que les leaders du P.O.

mmuniquaient par radio au gĂ©nĂ©ral Franco des secrets militaires, qu’ils Ă©taienpports avec Berlin et agissaient en collaboration avec l’organisation fasciste clandeMadrid. On donnait en outre des dĂ©tails sensationnels sur des messages secrets Ă©crncre sympathique et sur un mystĂ©rieux document signĂ© de la lettre N (mise pour

sait-on), etc.Et finalement tout cela se rĂ©duit Ă  ceci : six mois aprĂšs l’évĂ©nement, au momen

cris ces pages, la plupart des leaders du P.O.U.M. sont toujours en prison, mais nmais passĂ© en jugement, et les accusations d’avoir communiquĂ© par radio avec Frac., n’ont mĂȘme jamais Ă©tĂ© officiellement formulĂ©es. S’ils avaient Ă©tĂ© vĂ©ritablemupables d’espionnage, ils eussent Ă©tĂ© jugĂ©s et fusillĂ©s en l’espace d’une semmme tant d’espions fascistes l’avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ©. Mais on ne produisit jamais la moieuve ; il n’y eut jamais que les affirmations, non confirmĂ©es, de la presse commun

uant aux « deux cents aveux complets » qui, s’ils avaient existĂ©, eussent sunvaincre tout le monde, on n’en a jamais plus entendu parler. Ce fut, en vĂ©ritĂ©, nts produits de l’imagination de quelqu’un !

Qui plus est, la plupart des membres du gouvernement espagnol se sont refusouter foi aux accusations portĂ©es contre le P.O.U.M. RĂ©cemment le Cabinet ononcĂ© par cinq voix contre deux en faveur de l’élargissement des prisonnlitiques antifascistes ; les deux voix opposĂ©es Ă©tant celles des ministres communi

n aoĂ»t, une dĂ©lĂ©gation internationale conduite par James Maxton, membrerlement, se rendit en Espagne pour enquĂȘter au sujet des accusations lancĂ©es cont

O.U.M. et de la disparition d’AndrĂ©s Nin. Prieto, ministre de la DĂ©fense nationale, I

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nistre de la Justice, Zugazagoitia, ministre de l’intĂ©rieur, Ortega y Gasset, procunĂ©ral, Prat GarcĂ­a, et d’autres encore, rĂ©pondirent tous qu’ils se refusaient absolumcroire que les leaders du P.O.U.M. fussent coupables d’espionnage. Irujo ajouta ait parcouru le dossier de l’affaire, qu’aucune desdites preuves ne supportait l’exaque le document que l’on prĂ©tendait avoir Ă©tĂ© signĂ© par Nin Ă©tait « sans valeurtrement dit, un faux. Personnellement Prieto tenait les leaders du P.O.U.M sponsables des troubles de mai Ă  Barcelone, mais Ă©cartait l’idĂ©e qu’ils fussentpions fascistes. « Ce qui est trĂšs grave, ajouta-t-il, c’est que l’arrestation des leader

O.U.M. n’a pas Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e par le gouvernement, c’est de sa propre autoritĂ© que la pprocĂ©dĂ© Ă  ces arrestations. Les responsables ne sont pas ceux qui sont Ă  la tĂȘte lice, mais leur entourage que, selon leur tactique habituelle, les communistesyautĂ©. » Et il cita d’autres cas d’arrestations illĂ©gales par la police. Irujo, de mclara que la police Ă©tait devenue « quasi indĂ©pendante » et qu’elle Ă©tait en rĂ©alitĂ©

contrĂŽle d’élĂ©ments communistes Ă©trangers. Prieto, Ă  mots couverts, ffisamment clairs, fit comprendre Ă  la dĂ©lĂ©gation que le gouvernement ne pouvarmettre de mĂ©contenter le parti communiste au moment oĂč les Russes fourniss

s armes. Quand une autre dĂ©lĂ©gation, conduite par John McGovern, membrrlement, alla en Espagne en dĂ©cembre, elle reçut la mĂȘme rĂ©ponse, et Zugazagoitnistre de l’intĂ©rieur, donna Ă  entendre la mĂȘme chose, en termes plus nets enc

Nous avons reçu l’aide de la Russie et nous avons dĂ» permettre certains actes quus plaisaient pas. » À titre d’exemple de cette autonomie de la police, voici un fnnaĂźtre : mĂȘme en montrant un ordre signĂ© du directeur des prisons et du ministJustice, McGovern et les autres ne purent obtenir de pĂ©nĂ©trer dans une des « pri

andestines » entretenues Ă  Barcelone par le parti communiste{21}.Je crois que cela suffit, qu’à prĂ©sent l’affaire est claire. L’accusation d’espion

ncĂ©e contre le P.O.U.M. n’a jamais eu d’autre fondement que les articles parus daesse communiste et que l’activitĂ© dĂ©ployĂ©e par la police secrĂšte aux ordresmmunistes. Les dirigeants du P.O.U.M. et des centaines ou des milliers de lrtisans sont toujours en prison et depuis six mois la presse communiste n’a cessclamer l’exĂ©cution des « traĂźtres ». Mais NegrĂ­n et les autres n’ont pas cĂ©dĂ© etfusĂ© d’organiser une tuerie en masse de « trotskystes ». Vu la pression qu’on a exer eux, cela leur fait grand honneur. Et en face de toutes les dĂ©clarations que j’assus rapportĂ©es, il devient trĂšs difficile de croire que le P.O.U.M. Ă©tait rĂ©ellement

ganisation fasciste d’espionnage, Ă  moins de croire du mĂȘme coup que MaxcGovern, Prieto, Irujo, Zugazagoitia et les autres sont tous Ă  la solde des fascistes. Venons-en enfin Ă  l’accusation de « trotskysme » portĂ©e contre le P.O.U.M

odigue Ă  prĂ©sent ce terme avec de plus en plus de facilitĂ© et il est employĂ© daniĂšre qui est extrĂȘmement trompeuse, et qui souvent vise Ă  tromper. Cela vaut doine de prendre le temps de le dĂ©finir. On emploie le terme trotskyste pour signifier oses distinctes :

1) Quelqu’un qui, comme Trotsky, prĂ©conise la « rĂ©volution mondiale » et quntre le « socialisme dans un seul pays ». En termes moins prĂ©cis : un rĂ©volutionntrĂ©miste.

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2) Un membre de l’organisation effective dont Trotsky est le dirigeant.3) Un fasciste dĂ©guisĂ© se donnant pour un rĂ©volutionnaire, et dont l’action con

écialement à faire du sabotage en U.R.S.S., mais, en général, à diviser et minerces de gauche.

 Au sens 1) le P.O.U.M. peut probablement ĂȘtre considĂ©rĂ© comme trotskyste. mme l’I.L.P. d’Angleterre, le S.A.P. d’Allemagne, la gauche rĂ©volutionnaire du cialiste de France, etc. Mais le P.O.U.M. n’avait aucun lien ni avec Trotsky ni rganisation trotskyste (« bolchevik-lĂ©niniste »).

Quand la guerre Ă©clata, les trotskystes Ă©trangers qui vinrent en Espagne (au nomquinze Ă  vingt) militĂšrent d’abord avec le P.O.U.M., parce que c’était le parti le

pprochĂ© de leur propre point de vue, mais sans en devenir membres ; par la otsky ordonna Ă  ses partisans d’attaquer la politique du P.O.U.M. qui, alors, Ă©purreaux des trotskystes qui s’y trouvaient, mais quelques-uns cependant restĂšrent milices. Nin, qui devint le leader du P.O.U.M. aprĂšs que MaurĂ­n eĂ»t Ă©tĂ© fait prisonr les fascistes, avait Ă©tĂ© dans le temps secrĂ©taire de Trotsky, mais il y avait plusinĂ©es qu’il l’avait quittĂ© ; il avait ensuite formĂ© le P.O.U.M. par le fusionnemen

vers communistes oppositionnels avec un parti déjà existant, le Bloc ouvrier et payfait que Nin avait autrefois fréquenté Trotsky fut exploité par la presse commuur démontrer que le P.O.U.M. était en réalité trotskyste. En employant un argumette sorte, on pourrait démontrer que le parti communiste anglais est en réalitéganisation fasciste parce que M. John Strachey a dans le temps fréquenté Sir Ososley !

 Au sens 2) – le seul qui soit tout Ă  fait prĂ©cis – le P.O.U.M. n’était certainemenotskyste. Il importe d’établir cette distinction, parce que les communistes sont pous grand nombre persuadĂ©s qu’un trotskyste au sens 2 est immanquablemen

otskyste au sens 3 – autrement dit, que l’organisation trotskyste tout entiĂšre n’est qste appareil d’espionnage fasciste. Le mot trotskysme n’attira l’attention du publicpoque des procĂšs de sabotage en Russie ; aussi qualifier quelqu’un de trotskvient, ou peu s’en faut, Ă  le qualifier d’assassin, d’agent provocateur, etc. Mais en mmps quiconque critique la politique communiste d’un point de vue de gauche couque d’ĂȘtre traitĂ© de trotskyste. Mais alors, soutient-on que quiconque proxtrĂ©misme rĂ©volutionnaire est Ă  la solde des fascistes ?

Dans la pratique, tantĂŽt on le soutient, et tantĂŽt non, suivant que cela est ou

portun Ă©tant donnĂ© la situation locale. Lorsque Maxton alla en Espagne avelĂ©gation dont j’ai parlĂ© prĂ©cĂ©demment, Verdad ,  Frente Rojo  et d’autres jourmmunistes espagnols le traitĂšrent immĂ©diatement de « trotskyste-fasciste », d’es

la Gestapo, etc. Mais les communistes anglais se gardĂšrent bien de rĂ©pĂ©ter cusation. Dans la presse communiste anglaise, Maxton devint seulement un « enactionnaire de la classe ouvriĂšre », ce qui est d’un vague commode. Et cela ponne raison que plusieurs leçons cuisantes ont inspirĂ© Ă  la presse communiste ange crainte salutaire de la loi sur la diffamation ! Le fait que cette accusation ne fu

pĂ©tĂ©e dans le pays oĂč l’on eĂ»t pu avoir Ă  en prouver le bien-fondĂ© est un suffisant sa faussetĂ©.

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Peut-ĂȘtre trouvera-t-on que j’ai parlĂ© des accusations portĂ©es contre le P.O.U.M.nguement qu’il n’était nĂ©cessaire. ComparĂ©e aux grandes souffrances d’une guvile, cette sorte de querelle intestine entre partis, avec ses injustices inĂ©vitables eusses accusations, peut paraĂźtre sans importance. Mais en rĂ©alitĂ© elle ne l’est paois que les Ă©crits diffamatoires et les campagnes de presse de ce genre, et la touresprit que cela dĂ©note, sont de nature Ă  faire le plus grand tort Ă  la cause antifascist

Quiconque a donnĂ© un instant d’attention Ă  la question sait que cette tactiquemmunistes Ă  l’égard des opposants politiques, qui consiste Ă  utiliser des accusat

rgĂ©es de toutes piĂšces, n’est pas une nouveautĂ©. Aujourd’hui, le mot-clĂ©trotskyste-fasciste » ; il Ă©tait hier « social-fasciste ». Il y a Ă  peine six ou sept ansands procĂšs d’État russes « prouvaient » que les dirigeants de la IIe  Internationampris, par exemple, LĂ©on Blum et des membres Ă©minents du parti travailliste angrdissaient un complot monstre en vue de l’invasion militaire de l’U.R.S.S. Ce

empĂȘche pas aujourd’hui les communistes français de ne pas demander mieuxavoir LĂ©on Blum pour leader, et les communistes anglais de remuer ciel et terre trer dans le parti travailliste. Je doute que le jeu en vaille la chandelle, mĂȘme d’un p

vue sectaire. Tandis qu’on ne peut douter de la haine et de la dissension qu’engeccusation de « trotskysme-fascisme ». Partout on lance les membres du mmuniste dans une absurde chasse Ă  l’hĂ©rĂ©tique contre les « trotskystes » etmĂšne ainsi les partis du type du P.O.U.M. Ă  la position dĂ©plorablement stĂ©rile de nus que des partis anticommunistes. DĂ©jĂ  s’annonce une dangereuse scission daouvement ouvrier mondial. Quelques Ă©crits diffamatoires de plus contre des sociali l’ont Ă©tĂ© toute leur vie, quelques coups montĂ©s de plus du genre des accusat

ncĂ©es contre le P.O.U.M., et ce sera la scission sans possibilitĂ©s de rĂ©conciliationul espoir est de maintenir la controverse politique sur un plan oĂč une discus

profondie est possible. Entre les communistes et ceux qui sont, ou se targuent dus Ă  gauche qu’eux, il y a une diffĂ©rence rĂ©elle. Les communistes soutiennent queut battre le fascisme en s’alliant avec des fractions de la classe capitaliste (cela s’apont populaire) ; leurs opposants soutiennent que cette manƓuvre n’aboutit qu’à foufascisme de nouveaux terrains oĂč croĂźtre. La question avait Ă  ĂȘtre posĂ©e ; car prend

auvaise voie peut nous valoir des siĂšcles de demi-esclavage. Mais tant qu’en garguments on ne saura que crier « Trotsky-fasciste », la discussion ne peut mĂȘmemmencer. Il me serait impossible, par exemple, d’examiner la question des droits e

rts dans les troubles de Barcelone avec un membre du parti communiste, p’aucun communiste – j’entends communiste « bien-pensant » – ne pourrait adme j’ai prĂ©sentĂ© un compte rendu vĂ©ridique des faits. S’il suivait consciencieusemeigne » de son parti, il aurait le devoir de me dĂ©clarer que je mens, ou, au mieux, q

e suis lamentablement fourvoyĂ©, et que quiconque a seulement jetĂ© un coup d’Ɠi en-tĂȘtes du Daily Worker  Ă  mille kilomĂštres du thĂ©Ăątre des Ă©vĂ©nements sait me moi ce qui s’est passĂ© Ă  Barcelone. Dans de telles conditions, il n’y a pas de discusssible, le minimum d’accord indispensable ne peut ĂȘtre obtenu. Quel but poursudisant que des hommes comme Maxton sont Ă  la solde des fascistes ? Uniquemui de rendre impossible toute discussion sĂ©rieuse. C’est comme si au milieu

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urnoi d’échecs l’un des compĂ©titeurs se mettait soudain Ă  crier que l’autre est coupcrime d’incendie ou de bigamie. Le point qui est vĂ©ritablement en litige reste inabdiffamation ne tranche pas la question.

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otes______________

Cf. Appendice I et Appendice II.Jeu de mots intraduisible en français : Le « D.S.O. » ( Distinguished Service Ordere mĂ©daille dont on ne dĂ©core que les officiers de l’armĂ©e et de la marine britanniq

ais les soldats ont donnĂ© aux initiales D, S, O, une autre signification : «  Dickie

f », et lorsque quelqu’un a le sexe emportĂ© par un obus, ils disent qu’il a reçD.S.O. »Les patrouilles d’ouvriers auraient, dit-on, fait fermer 75 % des bordels.Une once Ă©gale 28,35 g.Police militaire crĂ©Ă©e en Irlande par le gouvernement britannique Ă  la fin de la Gr

uerre et qui Ă©tait connue pour ses cruautĂ©s.Textuellement : « The dog it was that died », c’est-Ă -dire : « Ce fut le chien

ourut » ; Ă  cette citation tirĂ©e d’un poĂšme de Goldsmith (un chien mordit un hom

ais l’homme survĂ©cut et ce fut le chien qui mourut), fait exactement pendanançais l’épigramme de Voltaire sur FrĂ©ron.Voir Appendice II.Voir les rapports sur la dĂ©lĂ©gation Maxton auxquels je me reporte Ă  la fin de ce

ppendice II).Au temps du premier gouvernement socialiste, en 1924, les journaux conservat

glais avaient publiĂ© une lettre de Zinoviev Ă  Ramsay Mac Donald d’aprĂšs laquemblait que Mac Donald prĂźt ses ordres chez les Russes. On appelait cette lettre «d Letter  », « La Lettre rouge ». Il est Ă  peu prĂšs certain que cette lettre avai

sifiĂ©e par la police secrĂšte, mais Ă  cette Ă©poque-lĂ  on avait grand peur des bolchevisa avait provoquĂ© la chute du gouvernement, et les conservateurs Ă©taient revenuuvoir.}  Le « Colonel Blimp » est un type caricatural familier aux lecteurs de l’ Eveandard  : ancien militaire qui a longtemps servi aux Indes, il symbolise tout ce qu’stupide et de rĂ©actionnaire dans les classes moyennes de l’Angleterre.

} Quiroga, Barrios et Giral. Les deux premiers refusĂšrent de distribuer des armesndicats.}

  ComitĂ© central des milices antifascistes : le nombre des dĂ©lĂ©guĂ©s Ă©tait pour chganisation proportionnĂ© au nombre des membres. Les syndicats Ă©taient reprĂ©sentĂ©uf dĂ©lĂ©guĂ©s, les partis libĂ©raux catalans par trois, et les diffĂ©rents partis marxO.U.M. Communiste, etc.) par deux.

} C’est pourquoi il y avait si peu d’armes russes sur le front d’Aragon, oĂč les troaient en majeure partie anarchistes. Jusqu’en 1937 — Ă  l’exception de quelques avi Ă©taient peut-ĂȘtre russes, mais ce n’est mĂȘme pas sĂ»r — je n’ai vu qu’une arme ruseul et unique fusil-mitrailleur.

} Ă€ la chambre des dĂ©putĂ©s, mars 1935.}  Pour le meilleur exposĂ© de l’effet rĂ©ciproque de cette lutte entre les partis du

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uvernemental, voir The Spanish Cockpit   de Franz Borkenau. Parmi les livres suerre d’Espagne qui ont jusqu’ici paru, c’est de beaucoup celui qui est Ă©crit avec lecompĂ©tence.

} Quant au nombre de membres du P.O.U.M., voici les chiffres donnĂ©s : en juillet 1000 ; en dĂ©cembre 1936, 70 000 ; en juin 1937, 40 000. Mais ce sont lĂ  les chi

nnĂ©s par le P.O.U.M. ; une estimation hostile les diviserait probablement par quatrule chose que l’on puisse dire avec certitude au sujet des effectifs des partis politipagnols, c’est que chaque parti majorait les siens.} Je voudrais faire exception pour le Manchester Guardian. Pour Ă©crire ce livre, j’arcourir les collections d’un bon nombre de journaux anglais. De tous nos plus gr

urnaux, seul le Manchester Guardian m’a laissĂ© un respect accru pour son honnĂȘte}  Dans un rĂ©cent numĂ©ro, Inprecor  affirme le contraire : il prĂ©tend que La Banna aux troupes du P.O.U.M. l’ordre de quitter le front ! Il est facile d’éclaircir ce po

n’y a qu’à se reporter Ă  La Batalla de la date en question.}  New Statesman (14 mai).} Au dĂ©but de la guerre, les gardes civils s’étaient partout rangĂ©s du cĂŽtĂ© du plus

ans la suite, en plusieurs occasions, Ă  Santander, par exemple, les gardes civilndroit passĂšrent en masse aux fascistes}  Pour les comptes rendus au sujet des deux dĂ©lĂ©gations, voir Le Popuseptembre), La flĂšche  (18 septembre), le « Rapport sur la dĂ©lĂ©gation de Maxto

bliĂ© par Independent News  (219, rue Saint-Denis, Paris) et la brochure de McGo