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Communication au III ème Colloque international de la recherche féministe francophone (Toulouse, 17-22 septembre 2002). Communicación a la plenaria Femmes et mondialisation. Publié dans : Bisilliat, Jeanne (dir.) 2003. Regards de femmes sur la globalisation. Approches critiques. Paris : Karthala. pp 75-112. Egalement publié en espagnol dans la revue Desacatos, México (CIESAS), 2003. Femmes, féminisme et “développement” : une analyse critique des politiques des institutions internationales Jules Falquet Le terme de “développement” constitue un raccourci ou un euphémisme pour parler de l’organisation internationale de la production, du commerce et de la consommation. De fait, les orientations du développement sont le fruit d’un rapport de forces complexe et d’une lutte multiforme entre différents secteurs aux intérêts contradictoires. Une analyse en termes de rapports sociaux fait apparaître trois grandes oppositions, que l’on pourrait rattacher à l’exploitation de classe, raciste et de sexe. En effet, on peut considérer que le “développement” est le fruit de l’évolution historique de rapports capital/travail au sein de chaque société. Simultanément, le développement est aussi le produit d’un système de relations internationales marquées par la colonisation et l’impérialisme, les rapports de forces Ouest-Est et surtout Nord-Sud. Une troisième perspective —trop souvent négligée— montre finalement le développement comme le résultat de l’évolution des rapports sociaux de sexe et de la division sexuelle du travail. Ici cependant, tout en gardant à l’esprit cette première grille de lecture en termes de rapports sociaux, nous analyserons plutôt

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Communication au III ème Colloque international de la recherche féministe francophone (Toulouse, 17-22 septembre 2002). Communicación a la plenaria Femmes et mondialisation.

Publié dans : Bisilliat, Jeanne (dir.) 2003. Regards de femmes sur la globalisation. Approches critiques. Paris : Karthala. pp 75-112.

Egalement publié en espagnol dans la revue Desacatos, México (CIESAS), 2003.

Femmes, féminisme et “développement” : une analyse critique des politiques des institutions internationales

Jules Falquet

Le terme de “développement” constitue un raccourci ou un euphémisme pour parler de l’organisation internationale de la production, du commerce et de la consommation. De fait, les orientations du développement sont le fruit d’un rapport de forces complexe et d’une lutte multiforme entre différents secteurs aux intérêts contradictoires. Une analyse en termes de rapports sociaux fait apparaître trois grandes oppositions, que l’on pourrait rattacher à l’exploitation de classe, raciste et de sexe. En effet, on peut considérer que le “développement” est le fruit de l’évolution historique de rapports capital/travail au sein de chaque société. Simultanément, le développement est aussi le produit d’un système de relations internationales marquées par la colonisation et l’impérialisme, les rapports de forces Ouest-Est et surtout Nord-Sud. Une troisième perspective —trop souvent négligée— montre finalement le développement comme le résultat de l’évolution des rapports sociaux de sexe et de la division sexuelle du travail. Ici cependant, tout en gardant à l’esprit cette première grille de lecture en termes de rapports sociaux, nous analyserons plutôt les dynamiques créées par les principaux acteurs socio-politiques et institutionnels du développement.

Nous distinguerons ici quatre grands acteurs, ou groupes d’intérêts, qui se recoupent éventuellement et tentent d’imposer leurs propres vues. D’abord, les Etats nationaux, qui se regroupent en blocs mais luttent dans un cadre de plus en plus unipolaire dominé par les Etats-Unis. Ensuite, le secteur privé, clairement capitaliste et orienté vers le profit, où l’on trouve en particulier une poignée de multinationales de plus en plus gigantesques, souvent liées au complexe militaro-industriel (1). En troisième lieu, la population, qui s’exprime à travers une série de mouvements sociaux, d’organisations syndicales et sectorielles et aujourd’hui d’ONGs qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler la “société civile (2)”. Enfin, tentant de se situer au-dessus de la mêlée et de se poser en arbitre, apparaissent un ensemble d’institutions internationales créées par le système de Bretton Woods, principalement l’ONU et ses satellites spécialisés, dont le FMI et la Banque mondiale.

L’interpénétration croissante des discours et des pratiques des institutions internationales d’une part, et d’autre part de ceux des mouvements sociaux et des ONGs —en particulier de femmes et féministes—, fera l’objet de cet article. Plus précisément, nous nous

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demanderons dans quelle mesure il n’existe pas une récupération par les instances internationales du travail et de la légitimité du mouvement des femmes et féministe, pour imposer un développement “consensuel”, qui est en réalité diamétralement opposé tant aux intérêts des femmes qu’aux analyses radicalement tranformatrices du féminisme. Pour ce faire, nous nous appuierons sur une série de réflexions et de recherches que nous avons effectuées depuis 1992, sur les mouvements sociaux latino-américains, sur le “genre » dans les politiques européennes de développement et sur la question des femmes dans le « développement durable ». Nous reprendrons également à ce sujet un certain nombre de réflexions d’une partie du mouvement féministe latino-américain et des Caraïbes, qui débat très activement de son “ONGisation » et de son institutionnalisation depuis sa VIème rencontre continentale de 1993 au Salvador.

Nous nous demanderons dans une première partie comment l’ONU a réussi à se constituer face à la « société civile »  en un acteur central et incontournable, qui prépare une sorte de « bonne gouvernance » mondiale « participative » qu’on pourrait aussi lire comme une savante neutralisation des mouvements sociaux. Ainsi, nous verrons en premier lieu comment, à travers la problématique du « développement durable », l’ONU a réussi à se poser en « bienfaitrice responsable » de l’humanité. Nous examinerons ensuite comment, par rapport aux femmes, l’ONU a su se présenter en « alliée », mais aussi comment elle a su dans une certaine mesure récupérer leur mouvement pour le rendre fonctionnel dans le système. Enfin, nous analyserons plus en détail le fonctionnement de la « gouvernance mondiale » de l’ONU et sa manière de faire participer la population autour des priorités qu’elle définit, à travers l’exemple du tourisme.

Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur d’autres institutions internationales avec lesquelles travaille l’ONU, en particulier la Banque mondiale, le FMI et l’Agence internationale pour le développement (AID). Nous verrons comment celles-ci pèsent dans la définition du « nouvel ordre mondial du développement », dominé par les intérêts occidentaux et plus particulièrement nord-américains. Nous évoquerons d’abord la conception environnementale de la Banque mondiale et trois exemples de projets de « développement » en Amérique latine. Nous aborderons ensuite la question des politiques internationales de population, leur philosophie et leur pratique, qui attaque directement les femmes du Sud. Enfin, nous nous pencherons sur le développement des politiques de micro-crédit pour les femmes, qui illustre de manière particulièrement frappante les connivences entre différentes organisations internationales au détriment des femmes.

L’influence de l’ONU : construction d’une « gouvernance » mondiale ou neutralisation des mouvements sociaux?

Rappelons d’emblée le caractère dialectique et complexe des phénomènes : certes, l’ONU dispose d’une stratégie à long terme et de moyens considérables pour arriver à ses fins, et c’est ce dont nous parlerons. Cependant, les mouvements sociaux et les ONGs possèdent une importante marge d’autonomie d’action et élaborent activement des stratégies propres, qu’une autre perspective pourrait souligner. Par ailleurs, il s’agit d’une analyse à très grands traits. Ce que l’on désigne ici sous le nom d’ONGs recouvre un ensemble de réalités très diverses, sans compter que leur positionnement politique a considérablement changé avec le temps. De même, nous abordons l’ONU comme un tout, alors qu’il s’agit d’un système gigantesque qui affronte bien évidemment d’énormes contradictions internes. Cet article se

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propose seulement d’ouvrir le débat, en espérant que la réflexion soit poursuivie et approfondie.

La lente émergence de la notion de « développement durable » et la constitution de l’ONU en « protectrice » de l’environnement

L’ONU travaille activement depuis déjà plus de trente ans sur les rapports entre le développement et l’environnement, officialisant peu à peu la notion de « développement durable ». Bien qu’elle ait agi en partie sous la pression des mouvements sociaux (écologiste et féministe principalement) et dans un contexte international qui imposait de toutes façons des changements, nous verrons ici comment l’ONU a réussi à « prendre la main » dans le domaine de la « défense » de l’environnement contre les « intérêts égoïstes » qui la menacent, et à capitaliser une indéniable sympathie-légitimité en ce domaine.

Les années 70, inaugurées par la réflexion critique d’Ester Boserup (1970) sur le rôle des paysannes du Sud, voient naître l’intérêt de l’ONU pour de nouveaux paradigmes en matière de développement. En effet, dès 1972, l’ONU organise à Stockholm une première conférence internationale sur « l’environnement humain », c’est-à-dire sur les rapports qui unissent le développement humain et la protection de l’environnement. Cette première conférence est suivie d’efforts dans deux grandes voies éminemment complémentaires. D’un côté, l’ONU alimente une réflexion permanente sur le développement, elle finance et réalise un ensemble d’actions concrètes sur le terrain. De l’autre, elle s’impose comme l’organisatrice de grandes conférences décennales sur l’environnement et le développement, dont la plus populaire a sans conteste été celle de Rio (Sommet de la Terre, 1992), qui doit être suivie pendant l’été 2002 par une Conférence de Rio+10, qui se tiendra à Johannesburg.

Parallèlement à la conférence de Stockholm (1972), apparaît le Rapport Meadows sur « Les limites de la croissance », commandité par le Club de Rome. A une époque où la croissance est vue comme une évolution exponentielle permise par le « progrès » et la maîtrise technologique, ce rapport signale que la rareté des ressources naturelles essentielles (eau, terre, sources d’énergie) constituera forcément à courte échéance un obstacle majeur à la poursuite du développement. Dans ce contexte, et avec le subit renchérissement du prix du pétrole et le développement de forts mouvements révolutionnaires et sociaux, en particulier féministes et écologistes, on assiste durant la décennie à une profonde remise en cause des paradigmes dominants concernant l’intégration des femmes et de l’environnement dans le développement, qui se poursuit au cours des années 80 (3).

Dans le cadre de ses activités de suivi de la conférence de Stockholm, l’ONU suscite en 1983 la formation d’une Commission mondiale pour l’environnement et le développement humain, symboliquement présidée par une femme, la Norvégienne Gro Harlem Bruntland. En 1987, celle-ci rend son rapport, intitulé « Notre futur commun », que l’Assemblée générale de l’ONU reprend à son compte comme nouveau paradigme du développement. Ce rapport est le premier à définir la nécessité du « développement durable », comme « un développement qui résoud les besoins du présent sans compromettre la possibilité des futures générations de résoudre les leurs » (WCED, 1987). Bien que plus de 70 acceptions différentes du terme soient apparues depuis, cette définition —somme toute assez vague— est celle qui prévaut jusqu’à aujourd’hui dans la plupart des institutions internationales, parmi lesquelles le Fonds des Nations unies pour les activités de population (FNUAP), le Club de Rome, l’Organisation mondiale pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), ou le Programme des Nations unies pour

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l’environnement (PNUE). Par ailleurs, le rapport Bruntland a le mérite d’établir clairement les liens entre pauvreté, inégalités sociales et détérioration de l’environnement, en montrant comment le mécanisme de la dette extérieure oblige les pays du Sud à surexploiter leurs ressources et à réduire leurs dépenses sociales. A ses accents progressistes, propres à susciter une vaste adhésion, le rapport ajoute une critique notable à l’industrie militaire, qui s’approprie des ressources « qui pourraient être utilisées de manière plus productive pour diminuer les menaces sur la sécurité causées par les conflits environnementaux et les ressentiments crées par la généralisation de la pauvreté » (idem).

Quand en 1992 se tient le sommet suivant de l’ONU, organisé à Rio et présenté comme le « Sommet de la terre (4) », le contexte est favorable à ce que l’ONU apparaisse comme la seule instance réellement préoccupée de manière « neutre » par la survie de l’humanité, qui se découvre à cette époque gravement menacée par le réchauffement de la planète, provoqué par l’effet de serre et la détérioration de la couche d’ozone. L’ONU se propose alors d’établir un Agenda pour le XXI ème siècle (plus prosaïquement Agenda 21), prenant symboliquement les rênes du destin planétaire, avec l’approbation tacite de « l’opinion publique ». De fait, l’ONU n’a pas lésiné pour promouvoir une importante participation de la « société civile ». Par exemple, en ce qui concerne les femmes —l’association se fait « spontanément » avec la protection de la « Nature »—, un organisme du système-ONU, en l’occurrence le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), a monté dès 1991 une conférence préparatoire des femmes. Co-invitée par l’Assemblée globale femmes et environnement, la Conférence de Miami réunit plus de 1.500 femmes et féministes membres d’ONGs environnementalistes, qui élaborent leur propre programme d’action, l’Agenda 21 des femmes. De sorte que pendant la conférence des ONGs parallèle à la conférence des gouvernements de Rio, les femmes participent avec enthousiasme : leur tente, « Planeta fêmea », est sans conteste la plus importante et la mieux organisée (Femmes et changements, 2001). C’est pour beaucoup l’occasion de mettre en pratique, avec une habileté consommée, diverses stratégies de lobbying pour faire avancer leurs revendications. A l’issue de Rio, les propositions des femmes sont en partie reflétées dans la Déclaration des ONGs, et surtout dans l’Agenda 21 issu de la Conférence des Etats, dont le chapitre 24 en particulier concerne spécifiquement « l’action globale pour les femmes vers le développement durable et équitable » (Hemmati & Seliger, 2001).

Depuis, l’ONU a poursuivi avec zèle ses activités en faveur du développement durable et de la mise en pratique de la « Déclaration de Rio ». Pendant toute la période, elle a organisé une série d’autres conférences, elles aussi décennales, sur un ensemble de thèmes (femmes, population, habitat, sécurité alimentaire, entre autres) qui ont contribué chacune à leur manière à la définition actuelle du développement durable. La conception qui prévaut aujourd’hui est que le développement durable, en plus d’être nécessairement enraciné dans le « local », doit s’appuyer sur trois piliers : économique, environnemental et social. Autrement dit, pour être durable, le développement doit se baser sur une certaine « rationalité » économique, doit prendre en compte la situation environnementale et doit inclure « l’équité sociale », notamment en termes de « genre ». Surtout, il doit être « participatif », pour jouir d’une véritable légitimité et permettre une « bonne gouvernance » mondiale. Ce nouveau paradigme, repris par le FMI et la Banque mondiale et lié à la nouvelle réalité du monde unipolaire, reflète l’idéal d’une sorte d’administration globale sous l’égide des institutions internationales. Pour la gestion du système, et en particulier du « développement », dans le cadre de la mondialisation et de la globalisation, l’ONU joue un rôle central. Et de fait, c’est elle qui organise le prochain rendez-vous central en la matière, en l’occurrence la Conférence de Johannesburg sur le « développement durable ». Prévue pour

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l’été 2002, en forme de bilan dix ans après la celle de Rio, cette conférence concerne très directement les femmes.

Quand l’ONU parraine les femmes

En parallèle à ses activités concernant l’environnement, l’ONU s’est aussi intéressée spécifiquement aux femmes, créant progressivement un système complexe et toujours plus incontournable d’espaces internationaux de débat et de « participation », dont le point culminant sont les conférences mondiales sur la Femme. On évoquera ici quelques aspects de l’influence croissante —idéologique et pratique— de l’ONU sur le mouvement des femmes et la réflexion féministe.

Dès 1975, l’ONU organise une « décennie de la Femme », inaugurée par une conférence internationale à Mexico (5), suivie d’une conférence intermédiaire à échéance de cinq ans réalisée à Copenhague, et close par une Troisième conférence tenue à Nairobi en 1985. La Quatrième conférence mondiale de la femme, qui a lieu à Pékin en 1995, couronne un deuxième cycle de dix ans et une période d’intense activité onusienne à propos d’autres thèmes qui intéressent de très près les femmes : le développement durable, à Rio en 1992, évoqué ci-dessus, les droits de la personne, à Vienne en 1993, et les questions de population, au Caire, en 1994. Au cours de cette dernière conférence notamment, face à l’union de différents Etats catholiques et musulmans contre le droit des femmes à disposer de leur corps, l’ONU réussit à apparaître comme principal allié « protecteur » des femmes. Enfin, pour évaluer les résultats de la mise en œuvre de la « Plate-forme de Pékin », une évaluation quinquennale, baptisée « Pékin+5 », a eu lieu en 2000 à New York. Toutes ces conférences sont assorties de réunions de préparation et de suivi qui forment un calendrier serré d’activités internationales auxquelles la « société civile » est vivement invitée à participer (Hematti & Seliger, 2001).

Certaines analystes, parmi lesquelles de nombreuses féministes aussi bien du Nord que du Sud, jugent éminemment positives la Plate-forme et les stratégies d’action issues de Pékin, et célèbrent comme une victoire du féminisme le fait d’avoir réussi à introduire la « perspective de genre » jusque dans « l’agenda » de l’ONU. Le fait est que dans de nombreux pays, des ministères ou secrétariats d’Etat féminins ont été créées dans le cadre de l’application des engagements pris à Pékin, un peu partout dans le monde on a assisté à des changements législatifs en faveur des femmes et dans de nombreuses instances nationales et internationales, d’importants —quoiqu’insuffisants— budgets ont été dégagés pour promouvoir « l’équité de genre ». Pour beaucoup de féministes, la Plate-forme de Pékin constitue désormais un outil indispensable qui oriente leurs revendications. Selon leur perspective, elle est l’heureux résultat de leurs stratégies de lobbying qui ont permis l’adoption du paradigme du mainstreaming, terme vague aux contenus multiples qu’on peut résumer par l’inclusion de la « perspective de genre » dans l’ensemble des problématiques, et en particulier dans tout ce qui se réfère au développement et à sa durabilité.

Cependant, le phénomène le plus intéressant à observer, est la façon dont l’ONU a réussi peu à peu à absorber les activités des organisations de femmes dans ses propres conférences. En effet, en 1975, à Mexico, certaines féministes avaient réalisé un ensemble d’actions en dehors de la conférence, notamment pour dénoncer celle-ci comme une tentative de récupération de leur mouvement. Au contraire, en 1995, le Forum des ONGs était organisé par l’ONU elle-même, et suscitait une exceptionnelle participation des femmes et du

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mouvement féministe à l’échelle mondiale, avec pour principal objectif de se faire entendre précisément par l’ONU et les gouvernements.

On retrouve dans les autres conférences de l’ONU ce même phénomène, cependant la Conférence de Pékin illustre particulièrement bien la mise en place du dispositif « participatif » de l’ONU. En effet, à cette occasion il apparut de manière complètement explicite que l’ONU chapeautait simultanément les deux événements : la Conférence officielle des gouvernement et le Forum parallèle des ONGs, en définissant soigneusement les mécanismes destinés à intégrer et séparer les deux. Le Forum des ONGs avait lieu plusieurs jours avant la Conférence et à quarante kilomètres de celle-ci. Afin d’éviter toute interférence incontrôlée entre les deux réunions, le seul canal de communication officiel prévu était un bref compte-rendu à la Conférence gouvernementale de la présidente du Forum des ONGs —désignée d’avance par l’ONU. De surcoît, le gros du travail était réalisé en amont, par le biais d’un long processus préparatoire. L’ONU souhaitait ainsi faire en sorte que dans chaque pays, les ONGs (féministes, de femmes et mixtes) se rapprochent du gouvernement en place, afin d’établir si possible un seul rapport sur la situation des femmes et une seule série de recommandations. Il était même prévu de faire inclure —de manière assez arbitraire— des représentant-e-s d’ONGs dans les délégations gouvernementales. Ce système favorisait à la fois la perte d’autonomie du mouvement face aux Etats respectifs et la minorisation des positions féministes, noyées dans un consensus large avec les positions gouvernementales et celles d’ONGs non-féministes également appellées à se prononcer. De plus, l’ONU avait clairement défini d’avance les thèmes qui devaient être évoqués dans les rapports, région par région, en prenant soin d’indiquer les possibles sources d’information et le type d’indicateurs, principalement quantitatifs, qu’elle souhaitait voir utiliser (Más alla de Beijin, 1994). Enfin, l’ONU, à travers diverses instances, mettait d’importants financements à disposition des ONGs ou de consultantes particulières —généralement issues du mouvement féministe— pour l’élaboration de ces rapports et pour permettre à des femmes du monde entier de se rendre à Pékin.

Le débat des féministes latino-américaines et des Caraïbes sur l’institutionnalisation ou ONGisation de leur mouvement —qui commence lors de leur VIème rencontre continentale de 1993 au Salvador, en plein processus de préparation de Pékin, et se poursuit avec vigueur une fois éteints les feux de la conférence de l’ONU lors de leur rencontre suivante au Chili, en 1996— permet de mieux saisir les effets de cette politique (Falquet, 1998). La rencontre du Chili constitue en quelque sorte le point culminant de la critique portée par le courant « féministe autonome (6) » qui se poursuit cependant, quoiqu’avec moins de passion, lors de la VIII ème rencontre de 1999 en République Dominicaine (7) (Falquet, 1999). Le fait est qu’à l’heure actuelle, et malgré des différences de pays à pays, le mouvement féministe semble devenu un vaste champ d’ONGs professionnalisées —organisées en réseaux spécialisés et dépendant étroitement de financements extérieurs—, de centres de recherches universitaires ou para-universitaires, d’instances gouvernementales et de consultantes « expertes », qui travaillent de concert dans la « perspective de genre ». Simultanément, la vie quotidienne des femmes (alimentation, éducation, santé, logement, travail, etc) empire de manière dramatique sous les effets de la mondialisation néolibérale-capitaliste.

En regroupant les réflexions critiques du courant « autonome » de ces dernières années (Pisano, 1996, 2001 ; Bedregal et Al., 1993 ; Mujeres Creando, 1999 ; Cañas, 2001), on peut résumer l’analyse comme suit. D’abord, l’inflation des financements internationaux pour les questions « de genre » a fomenté d’une part une série de luttes sororicides entre groupes et

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personnes pour l’accès à ces ressources, et d’autre part la concentration du pouvoir et la réduction du mouvement à un nombre réduit de grands centres et de puissantes ONGs qui captent la majeure partie de ces financements. Simultanément, pour obtenir ces fonds, les groupes doivent faire preuve de leur « compétence » et se professionnalisent de manière accélérée, recrutant comptables et expertes « en genre » au détriment d’une militance politique choisie et volontaire. Le mouvement se transforme en somme d’organisations qui se cristallisent en institutions de plus en plus bureaucratisées, donnant lieu au phénomène de « l’ONGisation ». Il se rapproche des institutions gouvernementales, de l’institution universitaire et des institutions internationales, tandis que sa composante utopiste ou radicale est marginalisée. Il s’agit de proposer et non plus de rêver et moins encore de se plaindre. Pour une plus grande efficacité, les ONGs se regroupent en réseaux internationaux spécialisés, perdant en bonne partie leur ancrage local et leur travail quotidien pour se concentrer sur la participation aux événements internationaux. La proposition féministe globale se parcellise en une série de thèmes fragmentaires déconnectés les uns des autres. La volonté de transformer totalement le système se mue en une série de revendications d’aménagements et d’améliorations partielles, en une liste de propositions législatives abstraites et de mini-projets locaux destinés à répondre à l’urgence de la misère des femmes. On observe le même phénomène quand on constate comment apparaissent et évoluent peu à peu les « thèmes » du féminisme régional, qui se transforment par vagues au rythme des conférences de l’ONU et des priorités de financement des agences de coopération internationales du Nord. Il en va ainsi de thèmes vedettes depuis le début des années 90 comme le « pouvoir local » des femmes et leur participation politique : le pouvoir était précisément l’un des deux thèmes principaux que devaient aborder les rapports préparatoires de la Pékin de la région latino-américaine et des Caraïbes. L’intitulé même des thèmes varie selon le bon vouloir des agences financières, chaque année, les priorités changent : environnement, droits de la personnes, habitat. Pour atteindre un semblant de consensus dans les déclarations internationales et répondre aux attentes des sources de financement, la lutte pour l’avortement libre et gratuit devient effort pour la maternité volontaire, la remise en cause de l’hétérosexualité comme système devient bataille pour la tolérance des multiples « préférences sexuelles ». Enfin, la succession effrénée de conférences et de réunions de l’ONU aux quatre coins de la planète absorbe le temps et l’énergie des femmes et des groupes féministes, et provoque chaque fois des dépenses considérables que seul le financement extérieur permet d’affronter. Apparaît une sorte d’élite féministe qui se rend à la plupart des conférences et se transforme facilement en « expertes du genre », percevant souvent des honoraires très attractifs et particulièrement bienvenus face à la crise de l’emploi dans la région, tandis que la militance « de rue » diminue et que les femmes du commun s’éloignent du mouvement.

En conclusion, l’analyse féministe autonome latino-américaine et des Caraïbes dénonce la dépolitisation du mouvement et sa perte d’autonomie conceptuelle et organisationnelle —et par conséquent de radicalité et de potentialité transformatrice. C’est ce qui ressortait récemment encore de la Première rencontre méso-américaine d’études de genre, organisée par la Faculté latino américaine de sciences sociales (FLACSO) en août 2001 au Guatemala. Rassemblant près de 800 femmes, dont de nombreuses féministes actives dans le débat sur l’autonomie, cette rencontre tout à fait universitaire a paradoxalement servi de caisse de résonnance aux critiques des « autonomes ». En effet, les débats sur le thème : « le « genre » est-il une manière de dépolitiser le féminisme ? », animés notamment par une « autonome » de renom, la féministe chilienne Margarita Pisano, ont suscité une participation enthousiaste (Falquet, à paraître). La cause de cette dépolitisation ? Pour une bonne partie, la dépendance financière par rapport aux institutions de coopération du Nord —fondations

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privées, officines ministérielles, et bien évidemment parmi les grands bailleurs de fonds, l’ONU et ses satellites, le FMI et la Banque mondiale (quant à l’argent reçu à travers les gouvernements locaux, il a presque toujours cette même origine et est assorti des mêmes orientations).

Les mécanismes de la participation et la création « d’agenda » : le cas du tourisme

La question du tourisme est d’une importance bien plus considérable qu’il ne pourrait y paraître. D’abord, parce qu’avec la création de « zones franches » et d’usines d’assemblage, il s’agit pratiquement de la seule alternative de « développement » laissée aux pays appauvris par la globalisation (en dehors de la migration et du narco-trafic). Non seulement le tourisme suppose généralement l’éviction des populations locales et la perte de terres cultivées, mais il représente aussi l’intrusion, généralement brutale, de l’économie monétaire et d’autres us et coutumes, en même temps que la folklorisation des cultures autochtones —dont les femmes soufrent tout particulièrement (8). Pour les femmes, le tourisme amène très peu de bénéfices : elles ne sont généralement ni investisseuses, ni bénéficiaires des meilleurs emplois crées. Tout au plus accèdent-elles à quelques travaux de service de basse catégorie et mal rémunérés (guide touristique, hôtesses, femmes de ménage dans les grands hôtels). Plus souvent qu’à leur tour, elles doivent essuyer la violence sexuelle des touristes de sexe masculin et constituent un appât central des plages ensoleillées, vantées par des publicités où le sexisme le dispute au racisme —la promotion du tourisme à Cuba ou en République Dominicaine en constituant des exemples particulièrement saisissants. La montée des prix provoquée par le tourisme, l’appauvrissement que suppose le fait d’être privées de leurs ressources traditionnelles et l’incitation active des touristes provoque presque inévitablement le développement de la prostitution, d’abord in situ, puis ensuite éventuellement par le biais de la migration.

C’est pourquoi nous analyserons ici avec un intérêt particulier la manière dont l’ONU promeut le développement du tourisme. On vient de voir dans le cas des femmes, comment l’ONU suscitait la participation de la « société civile », en s’appuyant sur les ONGs et en les renforçant par rapport au mouvement social, ainsi que les conséquences qui en découlent pour le mouvement féministe latino-américain et des Caraïbes. La question du tourisme nous permettra ici de voir comment la stratégie de l’ONU envers les ONGs lui permet de créer ex-nihilo des thèmes et des priorités. En d’autres termes, comment l’ONU fabrique et oriente « l’agenda » international du « développement » vers des activités particulièrement préjudiciables aux femmes.

L’ONU promeut depuis longtemps déjà le rapprochement et la participation des ONGs à ses propres structures. On trouve une description enthousiaste de cet effort dans un manuel destiné à promouvoir la participation des femmes à la conférence de Johannesburg, intitulé “The stakeholder toolkit”, édité par Minu Hemmati et Kerstin Seliger, respectivement consultante indépendante et “interne” du Forum des Nations unies pour le développement (UNED) (Hemmati & Seliger, 2001). L’instrument principal de cette politique est l’ECOSOC, ou Conseil économique et social de l’ONU. Depuis 1968, les ONGs qui le désirent peuvent y solliciter un statut consultatif, de même qu’auprès d’autres instances de moindre rang du système onusien (FAO, OIT etc.). Cependant, la grande ouverture aux ONGs date de 1996, quand l’ONU décide de créer un nouveau statut consultatif, plus souple, et surtout quand, forte de l’expérience acquise par l’ECOSOC, elle se propose d’examiner la question de la participation des ONGs dans toutes les aires de travail de l’ONU (9) (Hemmati & Seliger,

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2001). Un sous-groupe ad-hoc d’ONGs est formé pour étudier la question et faire des propositions. Parallèlement, depuis 1996, à la demande du Forum de l’UNED, les ONGs accréditées à l’ONU ont obtenu un espace de « dialogue » —et non des moindres car il concerne le développement— lors des réunions de la Commission pour le développement durable (CSD) de l’ONU (10).

Mais c’est la mise en pratique concrète de ces dispositions qui en révèle pleinement la portée : le premier véritable “dialogue”sur le “développement durable” a lieu en 1998 sur le thème de… l’industrie. Le langage avec lequel l’expérience est décrite vaut la peine d’être rapporté : « … deux éléments ont augmenté les probabilités de succès. D’abord, le fait que la Chambre internationale du commerce siégeait comme membre du Comité des ONGs de la CSD (11) et était donc parfaitement au courant des préparatifs des ONGs. Ensuite, le fait que des rapports extrêmement serrés se sont établis entre un certain nombre de personnes représentantes des ONGs et les représentants de l’industrie. Ceci a permis qu’existe un niveau de confiance qui a contrebalancé toute gêne qui aurait pu être occasionnée par les membres les plus extrêmes de chaque secteur. » (Hemmati & Seliger, 2001). On voit ici que la Chambre internationale du commerce participe, curieusement, aux réunions des ONGs, et comment la « fraternisation » entre des secteurs à priori plutôt adverses (ici les ONGs et l’industrie) est à la fois moyen et but de ce dialogue fomenté par l’ONU.

Fort de ce succès, en 1999, le nouveau Bureau de la CSD, présidé par le ministre de l’environnement de Nouvelle Zélande, lance le dialogue sur le thème du tourisme : « [Il] décida que seraient impliqués quatre « groupes majeurs » cette année : les ONGs (coordonnées par le Comité des ONGs de la CSD), le commerce et l’industrie (Word travel, le Conseil du tourisme et l’Association internationale des hôtels et des restaurants), les syndicats (la Confédération internationale des syndicats libres) et les autorités locales (le Conseil international pour les initiatives environnementales locales). » (Hemmati & Seliger, 2001). On constate que, derrière le terme de « groupes majeurs », ce sont seulement certaines structures des ONGs et des autres secteurs —et pas nécessairement les plus progressistes— qui sont invitées à dialoguer, sans qu’on sache bien pourquoi elles sont considérées comme représentatives. Le document poursuit : « Le thème du tourisme était problématique pour les ONGs, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un chapitre de l’Agenda 21 [Agenda pour le 21 ème

siècle, adopté à Rio]. Le Comité des ONGs de la CSD, qui ne possédait pas de Caucus travaillant sur la question, réalisa une action massive de recherche et convocation vers les ONGs travaillant la question du tourisme. Elle réalisa un envoi de courrier à plus de 300 organisations. » C’est ainsi que, même si les ONGs ne travaillent pas sur un thème, l’ONU se charge de les inciter à le faire, selon ses propres priorités. Et voilà pourquoi le tourisme devient une des priorités du « développement ». Tourisme « durable », certes, mais ce terme possède des contours très flous. Quand on en observe le contenu concret, reflété notamment par les politiques de coopération des Etats du Nord, le panorama se fait plus net. La politique de coopération espagnole vers le continent américain en constitue un exemple révélateur (12). Au Guatemala, par exemple, où son action est particulièrement forte, la coopération espagnole promeut notamment deux grands axes de travail : les femmes et le tourisme. Concernant les femmes, l’Espagne appuie la création d’une sorte de Secrétariat des femmes, calqué sur le modèle de son propre Instituto de la mujer, et impulse une série de formations sur le « genre » (AFED, 2000). Pour ce qui est du deuxième axe, elle finance la formation de la population locale, notamment indienne, aux professions et surtout aux petits métiers du tourisme, tout en restaurant, à ses frais, de nombreuses églises et bâtiments de l’époque coloniale, pendant que les entreprises privées espagnoles investissent dans les infrastructures hôtelières du pays. Nous aurons l’occasion de revenir plus bas sur la question du tourisme en Amérique latine,

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imbriquée dans d’autres projets de « développement », en particulier dans les régions indiennes.

Pour conclure cette première partie de la réflexion, on constate que l’ONU est parvenue à se constituer en acteur central qui détermine les orientations théoriques et des actions pratiques de « développement ». On pourrait lire ce processus comme la victoire des mouvements sociaux, qui auraient peu à peu réussi à faire incorporer leurs préoccupations aux politiques internationales de l’ONU, ou comme une sorte d’alliance des secteurs les plus « raisonnables » pour le bien du plus grand nombre. Au centre de cette logique, on trouve les femmes. Elles sont les premières affectées par la pauvreté et la détérioration de l’environnement que ce « développement » implique, elles sont aussi celles qui réalisent une grande partie des propositions concrètes de solutions ou d’alternatives. Leur grande soif de participation, leur responsabilité envers les générations futures, leur sens pratique et leur immense capacité de travailler à des coûts défiant toute concurrence, constituent en tout cas une disposition sociale que l’ONU n’entend pas laisser perdre. De plus, sa manière de rapprocher les femmes de ses projets est aussi une manière de neutraliser les voix les plus critiques, dont beaucoup viennent du mouvement féministe, en les plaçant au pied du mur : l’heure est officiellement aux voix « propositives » et « réalistes ».

Certes, le processus de transformation des mouvements sociaux en ONGs possède ses logiques internes. Cependant, il est intéressant de voir comment il est aussi le résultat d’une politique délibérée de l’ONU pour susciter des « partenaires », une « société civile » —bien moins menaçante qu’un mouvement social, politique ou révolutionnaire— qui puisse l’aider dans la mission qu’elle s’est fixée. Dans cette mise en place d’une administration mondiale globale, on assiste à une bureaucratisation généralisée qui rapproche l’énorme administration onusienne et le tissu associatif, dans une inégale association. Les ONGs deviennent peu à peu des « sous-traitantes » pleines de créativité et de savoir-faire, et peu onéreuses (13), qui exécutent, expérimentent et renouvellent sans cesse les politiques internationales de l’ONU. De cette manière, l’ONU recueille un ensemble considérable d’informations sur la situation, les groupes et les mouvements de chaque pays, les problématiques et les alternatives envisageables. Les données statistiques et politiques qu’elle fait ainsi remonter pour mieux les traiter selon ses propres perspectives lui fournissent à la fois une information précieuse et la possibilité de re-transmettre ces informations sous une forme qui lui convient, afin de « créer l’opinion (14) ».

Quel développement préparent les institutions internationales ?

On a vu comment l’ONU entend et fomente la « participation » de la population mondiale au développement à travers les ONGs. Reste maintenant à insérer cette réflexion dans un contexte plus global : celui de la mondialisation néolibérale —dont certains anlystes, comme James Petras, n’hésitent pas à affirmer qu’il s’agit ni plus ni moins que de l’impérialisme le plus traditionnel (Petras, 2001). Pour ce qui est de la « neutralité » de l’ONU, rappelons qu’en 1999, les Etats-Unis fournissaient 1,170 millions de dollars à son budget, soit la première contribution et 5,5 fois plus que le deuxième contributeur (l’Ukraine), 13 fois plus que le troisième (la Fédération russe) et 49 fois plus que la France (Hemmati & Seliger, 2001). Rappelons également que l’ONU fait partie du même système de Bretton Woods dont sont issus le FMI et la Banque mondiale, dont le rôle dans la mise en place de ce

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nouvel ordre mondial n’est plus à démontrer. D’une certaine manière, et malgré les contradictions qui les opposent éventuellement, on peut considérer qu’il s’agit d’un système unique sous l’égide des Etats-Unis et du G-7, dont l’ONU serait le visage souriant, et le FMI et la Banque mondiale les figures impitoyables qui imposent le « développement » néolibéral. Voyons plus en détail comment se combinent leurs actions et leurs conséquences pour les femmes.

Conceptions environnementales de la Banque mondiale, éco-tourisme et biodiversité

S’il est vrai que le FMI et la Banque mondiale se sont unies aux voix qui prônent aujourd’hui le « développement durable », le fait est qu’il existe des manière très différentes de le concevoir. Arrêtons-nous ici sur la conception environnementale de la Banque mondiale et sur les projets de « développement » néolibéraux.

On peut distinguer cinq grandes conceptions des rapports entre développement et environnement (Comisión ambiental metropolitana, 2000). La plus ancienne, ironiquement commune au capitalisme sauvage et au socialisme planifié, est issue du siècle des Lumières : l’économie de frontière considère que la “nature” existe pour que les êtres humains en tirent parti, en la modifiant et en la manipulant à leur guise. La « nature sauvage », souvent assimilée “au féminin” et opposée à la culture, doit être maîtrisée et constitue un « vide » dans lequel entreposer, par exemple, les déchets et résidus de l’activité économique et de consommation. L’écologie économique apparaît pour « réparer » les dommages qui résultent de cette première approche et poser des limites aux activités « dangereuses » pour l’environnement. Elle rend visible la valeur économique d’un certain nombre de services liés à l’environnement, et montre que la détérioration de l’environnement est un résultat direct du processus de production. Le paradigme de l’administration des ressources pose un jalon supplémentaire en affirmant que les ressources naturelles sont la base matérielle du développement actuel et futur : pour le dire en termes très actuels, la perte de la biodiversité hypothèque les possibilités de croissance. Dans cette perspective, la création par exemple de parcs naturels permet de constituer des réserves de ressources génétiques, en même temps qu’elle aide à réguler le climat. Plutôt que d’imposer des « technologies propres », ce paradigme introduit la notion de « pollueur-payeur », comme une manière d’incorporer aux logiques économiques les coûts sociaux de la détérioration de l’environnement. Il s’agit alors d’inclure à la fois les ressources biophysiques et tous les types de capital (humain, financier et d’infrastructure), non seulement dans les comptabilités nationales, les décisions d’investissement et les calculs de productivité, mais surtout dans le politiques de planification et de développement.

A ces trois perspectives qui se contentent d’aménager l’organisation capitaliste de la production, s’opposent deux conceptions profondément différentes. L’éco-développement propose de restructurer les rapports entre les êtres humains et la nature, en rendant les activités humaines compatibles avec les écosystèmes. Le développement devient alors une manière d’administrer ces nouvelles relations entre l’environnement et la population. L’analyse en termes de systèmes économiques fermés fait place à une analyse en termes d’économie biophysique, ouverte. Il s’agit aussi de prévenir la pollution sous ses différentes formes et de réorienter le développement vers une plus grande intégration des politiques économiques, sociales et écologiques. Enfin, l’écologie profonde souligne les aspects spirituels et sociaux des rapports avec la nature. Elle propose une démocratie participative assortie d’égalité sociale, de liberté, d’équité, de féminisme, de pacifisme et de préservation de la vie « naturelle ». Elle conçoit les êtres humains comme faisant partie de la nature et

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souligne l’importance du contrôle démographique autonome. Elle promeut également la diversité, tant biologique que culturelle, et une économie qui ne soit pas seulement orientée vers la croissance mais vers une meilleure distribution des richesses, en combinant l’utilisation de technologies de faible impact écologique et de technologies traditionnelles. On peut adjoindre à ce courant l’écologie radicale ou libertaire de Bookchin (Bookchin, 1989) et l’écologie féministe, qui inclut à son tour diverses tendances du Sud et du Nord (Vásquez García, 1998 ; Shiva & Mies, 1998).

On aura compris que le débat actuel au sein des institutions internationales se pose principalement entre la troisième et la quatrième conception : loin de toute conception « écoféministe », ce que le FMI et la Banque mondiale appellent « éco-développement » ou « développement durable » consiste en réalité plutôt en un programme de « meilleure » administration des ressources, comme l’explique l’économiste mexicaine Laura Frade (Frade, 1999). En effet, il s’agit surtout de donner un nouveau souffle au capitalisme, sous le label de « capitalisme vert ». Par exemple, FMI et Banque mondiale promeuvent la création de « réserves naturelles », notamment par le biais des échanges de « dette contre Nature ». Cependant, quand on y regarde de plus près, ces réserves, quand elles passent sous le contrôle des pays du Nord, prennent l’apparence double d’un « jardin d’éden » préservé dans lequel développer l’ « écotourisme », pour lequel la demande occidentale va croissant, et de vaste « banques de germoplasme » in situ, que les industries agroalimentaire, pharmaceutique et militaire étudient avec intérêt afin de breveter pour leur propre compte la biodiversité et d’en extraire la matière première pour développer à leur profit une série d’organismes génétiquement modifiés (OGMs). Le développement de patentes sur le vivant, en particulier sur les semences, a des conséquences directes pour les femmes. En effet, par manque de moyens financiers pour acheter leurs semences sur le marché, ce sont généralement les paysannes, plus que les paysans, qui ont recours aux graines « maison », qu’elles sélectionnent de leur propre récolte année après année et échangent hors du circuit capitaliste. Ainsi, d’une part, ce sont les connaissances accumulées non seulement par les communautés paysannes, mais plus particulièrement par les femmes, qui sont ainsi expropriées par les multinationales. Et d’autre part, ce sont les femmes qui auront le plus de mal à acheter les nouvelles semences et à avoir accès aux intrants nécessaires, qui seront de plus en plus coûteux (Femmes et Changements, 2001). Par ailleurs, les « réserves » de biodiversité sont le plus souvent établies dans les territoires de populations autochtones. Or mêmequand les communautés sont associées à d’éventuels projets de développement concommittants, les femmes sont généralement laissées de côté. Bien souvent, les populations sont tout simplement expulsées, ce qui représente une série de problèmes particulièrement graves pour les femmes, dont on sait qu’elles sont généralement les plus attachées à leur « foyer (15) ».

On peut donner trois exemples de la conception du « développement » de la Banque mondiale pour l’Amérique latine. D’abord, le village de Tepoztlán, près de la ville de Mexico : il s’agit d’une zone indienne-paysanne, haut lieu de spiritualité Nahuatl, convertie depuis près de 50 ans en parc naturel protégé, et qui abrite une grande biodiversité. Le plus récent projet de « développement » de la zone, promue par un conglomérat d’investisseurs nationaux et étrangers, prévoyait d’y implanter un club de golf et un complexe résidentiel de luxe. En d’autres termes, il s’agissait de développer les loisirs « verts » de la population la plus riche au détriment des familles indiennes et paysannes, de leur production agricole et de leurs traditions religieuses. La mobilisation exemplaire de la population est parvenue à faire capoter le projet (Julien, 1995). Autre réserve naturelle « de la biosphère », la zone des Montes azules, dans le Chiapas, qui est précisément le centre du soulèvement indien zapatiste commencé en 1994, juste au moment où entrait en vigueur le Traité de libre échange avec les

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Etats-Unis et le Canada. Il s’agit d’une zone de forêt tropicale d’une immense richesse génétique, et qui plus est, emplie de pétrole de la meilleure qualité (arabian light). On ne compte plus les recherches qui ont été menées, officiellement ou clandestinement, pour « récupérer » les connaissances traditionnelles (indiennes) sur l’usage des plantes, tandis que les grandes compagnies pétrolières étrangères, Elf en tête, attendent avec impatience de pouvoir s’implanter dans la région, dès que la résistance indienne aura été vaincue. Jusqu’à présent, quand l’armée a tenté d’installer ses campements dans les villages, ce sont les femmes qui ont repoussé les soldats, à mains nues. Mais depuis huit ans, l’armée fédérale a ouvert un vaste réseau de routes dans la forêt, préparant l’infrastructure pour l’exploitation pétrolière mais aussi pour le néo-tourisme (chlorophylle et splendides ruines Mayas feront ses délices) que le gouvernement prétend développer dans la zone, sur les conseils de la Banque mondiale. Actuellement, trente-cinq experts de cette institution réalisent justement un diagnostic dans les Etats du Chiapas, Oaxaca et Guerrero, trois Etats où s’ancrent les principaux groupes de guérilla du pays. Selon l’un des experts interviewés, « l’existence de ces groupes n’a rien à voir avec [notre présence]. Notre travail est étranger au politique. Il s’agit de voir ce que l’on peut faire pour combattre la pauvreté. » (Mariscal, 2002).

Enfin, et de manière beaucoup plus globale, il est intéressant d’analyser le Plan Puebla Panama (PPP), méga-projet de développement pour le sud du Mexique et l’Amérique centrale, promu notamment par les Etats-Unis et la Banque interaméricaine de développement (BID) (Morita, 2001 ; CRASCR, 2001). Lancé dans toute la région au printemps 2001, le PPP s’articule au Plan Colombie, étendu et amplifié en Plan Andin, qui possède les mêmes parrains, et qui combine un volet anti-drogue, un volet militaire et un volet de « développement ». Le PPP vise officiellement à réduire la pauvreté en offrant du travail à la population des six Etats « sous-développés » du sud du Mexique et d’Amérique centrale. Il s’agit en réalité de mettre en coupe réglée toute la région, fondamentalement indienne et paysanne, qui constitue un formidable réservoir de biodiversité, de terres fertiles et riches en eau, particulièrement important quand on sait qu’une sécheresse sans précédent menace le sud des Etats-Unis et le nord du Mexique. Un vaste programme de recherche sur les populations indiennes de la zone, qui inclut l’étude de l’usage traditionnel des plantes de la région, est financé depuis quelques années par la Banque mondiale. Certaines personnes s’inquiètent même de ce que la population indienne « est très intéressante génétiquement pour la recherche, car leur génome est très pur. N’importe quel laboratoire peut venir et réaliser une série d’activités, officiellement pour leur apporter une meilleure couverture de santé, et emmener leur génome pour le reproduire ou le patenter. » (Avilés, 2002). Le PPP prévoit également la construction d’un dense réseau d’infrastructures de transports (autoroutes, voies ferrées et ports), et éventuellement du fameux « canal sec » destiné à remplacer le canal de Panamá, pour transporter rapidement les marchandises vers le continent asiatique, principal marché du 21ème siècle. Simultanément, ces marchandises pourraient être produites à bas prix dans la région même, où le Plan prévoit d’implanter une nouvelle frange de « zones franches », qui permettrait de maintenir sur place la population et d’éviter sa migration vers le Nord. Enfin, le tourisme le long de la « Route Maya », finalement pacifiée, pourrait prendre son envol. Pour les femmes, en particulier indiennes, le PPP ne semble rien augurer de bon : on a vu que le développement du tourisme les affecte tout spécialement. Quant à la création d’emplois dans les entreprises d’assemblage, qui recrutent principalement des femmes, il a été largement prouvé dans le monde entier qu’il s’agit d’emplois notoirement sous-payés et non qualifiants, sans aucun droit du travail, et de surcroît généralement très nocifs pour la santé. Le système des zones franches évoque une sorte de deuxième « révolution industrielle » plus brutale encore, qui cherche à faire entrer sur le marché du travail les dernières populations,

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autochtones notamment, qui y avaient échappé, en réduisant à néant leurs cultures et ses bases matérielles, en particulier la terre.

Politiques de population : qui contrôle la fécondité des femmes ?

Le Conseil de population, crée en 1950 par le milliardaire Rockfeller, est un des premiers à présenter le concept de « surpopulation » comme une menace pour le développement, concept repris dès 1962 par l’ONU qui le déclare « problème mondial numéro un ». En 1969, c’est le président de la Banque mondiale, Mac Namara, qui suggère de centraliser les politiques de population de l’ONU : apparaît alors le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) (Ströbl, 1992). En 1972, la conférence de Stockholm laisse entendre que l’augmentation de la population mondiale produit un impact négatif sur l’environnement. En 1973, George Bush, alors représentant des Etats-Unis auprès des Nations unies, déclare : « aujourd’hui, on ne peut plus dire que le problème de la croissance de la population soit une question privée. Il requiert l’attention des dirigeants nationaux et internationaux » (Hume, 1993). A l’initiative des pays industrialisés, l’ONU organise sa Première conférence mondiale sur la population, en 1974, à Bucarest. En 1975, la Conférence de Mexico sur la femme ne manque pas de faire le lien entre instruction des femmes, pratiques matrimoniales et comportements de fécondité (16). Or, alors qu’à Bucarest, la plupart des pays du Sud s’opposent aux plans de l’ONU en matière de politiques de population, les considérant comme un reflet des intérêts de l’impérialisme nord-américain, en 1984, lors de la deuxième conférence de l’ONU sur la population, à Mexico, ils se sont presque tous convaincus de la nécessité de réduire leur croissance démographique (Más allá de Beijin, 1994). Lors de la Conférence suivante, en 1994 au Caire, l’ONU réussit même à se poser en grande alliée des femmes face aux intégrismes catholique et islamique, en défendant leur accès à la contraception. Mais s’agit-il vraiment de « libérer » les femmes ou simplement de réduire leur « dangereuse » fécondité ?

Quand on y regarde de plus près, la démarche généreuse, ou pour le moins favorable aux femmes, de l’ONU, largement épaulée par la Banque mondiale et le FMI, change de visage. En effet, la notion protéiforme de « surpopulation », largement critiquée par les féministes du Sud, recouvre une théorie raciste, sexiste et profondément perverse, qui présente les femmes latinas, indiennes, noires, arabes et asiatiques comme « trop prolifiques » et par là coupables de leur propre pauvreté, responsables de la faim dans le monde et de la pression sur l’environnement. La féministe allemande Ingrid Ströbl, qui a payé ses réflexions de la prison, a dénoncé vigoureusement les politiques internationales de population comme une « sélection» eugéniste qui passe en premier lieu par la mise en coupe réglée des corps des femmes autorisées ou non à se reproduire (Ströbl, 1992). Même s’il a été largement démontré que le problème environnemental majeur de la planète réside dans les schémas de production et de consommation des pays riches, qui, comme le souligne l’éco-féministe Maria Mies (Mies, 1992), avec 20% de la population mondiale, consomment 85% des ressources et produisent 80% des déchets polluants, de fait, plus qu’éliminer la pauvreté, il semble s’agir d’éliminer les pauvres. Pour cela, les politiques de contrôle de la fécondité des femmes constituent un enjeu majeur.

Or d’où viennent ces politiques ? Certes, le mouvement féministe, qui dans le monde entier fait de l’accès des femmes au contrôle de leur fécondité une de ses priorités, peut se sentir en quelque sorte appuyé par des instances comme le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), qui a repris une partie de son discours. Cependant, l’instance principale

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qui travaille actuellement dans ce domaine est l’Agence internationale pour le développement (AID, ou USAID, agence de coopération du gouvernement nord-américain). Les (auto)attributions de l’AID en matière de contraception sont immenses (AID, 1990 ; Más allá de Beijin, 1994). D’abord, l’AID finance la recherche internationale, en se concentrant sur les contraceptifs peu chers et de longue durée destinés à contenir la fécondité des femmes pauvres du Sud, depuis le Norplant qui dure cinq ans, jusqu’au « vaccin contraceptif », qui serait permanent et équivaudrait à la stérilisation mécanique (17). Ensuite, l’AID finance la traduction et la publication dans des dizaines de langues des résultats de ses recherches expérimentales « grandeur nature » sur les femmes du Sud, et la distribution de ces publications, en particulier auprès des « décideurs », notamment gouvernementaux. L’AID promeut également la formation d’unités de recherche démographiques dans chaque pays, fournissant les ordinateurs, les programmes et la formation correspondante en statistiques démographiques. Par ailleurs, l’AID centralise les commandes de contraceptifs à l’échelle nationale et parfois régionale, et a confié la question de leur transport et stockage à une entreprise appelée « Matrix international ». Enfin, l’AID forme le personnel de santé publique de nombreux pays et lui fournit les contraceptifs qu’elle juge bons afin qu’il les diffuse parmi les femmes. Il arrive même que l’AID fournisse aussi les pharmacies privées, comme au Salvador par exemple, où n’existe pratiquement qu’une seule marque de contraceptif hormonal. De sorte qu’en matière de contraception, la seule chose dont l’AID ne se charge pas est la production, qui est majoritairement le fait de laboratoires nord-américains et européens.

Pourtant, les agissements concrets de l’AID sur le continent latino-américain et aux Caraïbes ont été stigmatisés à de nombreuses reprises (Cuenca, 1992 ; Rosa, 1993). Fréquemment accusée d’être une espèce de paravent de la CIA dans une région où l’influence nord-américaine a souvent pris un tour brutal, l’AID a aussi été dénoncée à de nombreuses reprises pour fomenter la stérilisation forcée des femmes, et tout particulièrement des femmes noires et indiennes. Cependant, le point le plus frappant de tout cela est que c’est précisément l’AID que l’ONU avait chargée de coordonner les préparatifs du Forum des ONGs de la conférence de Pékin pour la région latino-américaine et des Caraïbes. Et, alors que les préparatifs de Pékin sont déjà commencés, en novembre 1993, durant la VIème rencontre féministe LAC, seules deux Brésiliennes font connaître publiquement leur indignation face à cette intervention de l’AID dans leur mouvement (Falquet, 1994). Il s’agit précisément d’un des déclencheurs de la polémique sur l’institutionnalisation qui traverse le mouvement féministe de la région depuis les années 90, et que nous avons évoquée plus haut (18).

Femmes, micro-crédit et néolibéralisme

Pour terminer, le considérable développement des politiques de micro-crédits pour les femmes achève d’illustrer la collusion entre les intérêts privés, le FMI, la Banque mondiale, l’ONU et l’AID, dans une même perspective néolibérale éminemment préjudiciable aux femmes. Or il est inquiétant de voir combien d’organisations féministes et de femmes se battent précisément pour développer ces micro-crédits.

Si le mécanisme de la dette comme un facteur d’aggravation des inégalités entre Sud et Nord a été abondamment dénoncé, les politiques de micro-crédits pour les femmes pauvres font actuellement en revanche l’objet d’un engouement sans précédent. Or il ne s’agit pas d’autre chose que du droit, ou du « devoir » des femmes à s’endetter, en même temps que d’une manière de faire entrer dans les circuits bancaires du Nord les immenses « gisements

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d’épargne », souvent organisés par les femmes, qui existent dans le Sud. Il s’agit de « mobiliser cette épargne, de la faire servir au financement de l’économie, de l’orienter vers les projets […] les plus rentables. » (Lelart, Lespes, 1985).

Nous nous appuierons ici sur le passionnant travail de la féministe belge Hedwige Peemans Poullet sur la Grameen bank, fondée en 1983 au Bangladesh par Mohammad Yunus, professeur d’économie diplômé aux Etats-Unis, et qui constitue le principal modèle des initiatives de « micro-crédit » pour les femmes (Peemans Poullet, 2000). Elle explique comment « le projet de lutter contre la « paupérisation » en endettant tous les pauvres (traduction en langage bancaire : en leur donnant accès au crédit) fait l’objet d’une promotion sans précédent. Outre l’aide fournie dès le début par la Banque centrale du Bangladesh, Yunus a pu compter, en 1981-1982, sur un fonds de 80.000 dollars octroyé par la Fondation Ford et sur 3,4 millions de dollars octroyés par le Fonds international de développement agricole des Nations unies (FIDA). Mais le soutien idéologique est encore plus considérable. Le président Clinton considère qu’il faudrait octroyer le prix Nobel au fondateur de la Grameen bank, celle-ci a bénéficié, en Belgique (1993) du Prix international roi Baudoin pour le développement, elle a reçu la plus haute distinction de l’UNESCO et bien d’autres encore… [le président Clinton] a annoncé que le gouvernement américain s’engageait [à promouvoir le micro-crédit] notamment par le biais de l’USAID. […] La Banque mondiale et le FMI soutiennent activement toutes les initiatives du type Grameen bank. ». ONU, FMI, Banque mondiale et AID : nous retrouvons bien ici tous les « bienfaiteurs » des femmes, unis derrière Washington, où avait lieu, en 1997, le Sommet du micro-crédit, présidé notamment par Hillary Clinton.

Elle poursuit : « l’essentiel de l’offensive idéologique a été menée du côté des organisations de femmes. En mai 1995, en vue de la IVème conférence mondiale sur les femmes, le rapport du PNUD consacrait la plus grande partie de son dossier à dénoncer les inégalités et discriminations dont les femmes sont victimes [… et] affirmait que si les femmes sont « restées » si pauvres, c’est qu’elles ne sont pas assez endettées. […] En fait, le thème n’est pas nouveau. Il était déjà présent à Nairobi, en 1985. Depuis lors, il a été développé de manière de plus en plus systématique, notamment par l’INSTRAW (Institut international de recherche et de formation des Nations unies pour la promotion de la femme) qui a diffusé les recherches sur ce sujet et organisé des séminaires. En 1989, la Banque mondiale a crée un groupe de travail sur les femmes et le crédit. » Tant et si bien qu’après Pékin : « ce n’était plus l’appauvrissement spécifique des femmes (conséquence des politiques d’ajustement structurel découlant précisément de l’endettement des Etats ou conséquence des privatisations des terres agricoles découlant de la mondialisation) qui faisait désormais l’objet du scandale majeur mais bien le fait que des coutumes patriarcales discriminatoires ou des exigences bancaires inadaptées empêchent les femmes pauvres de jouir de l’égalité face à l’endettement. »

Or, suivant l’analyse de Peemans Poullet, il faut d’abord remarquer que dans de

nombreux pays, les femmes organisent entre elles toutes sortes de formes d’emprunts et de prêts et ne sont donc pas des victimes passives attendant d’être sauvées par les banques. Ensuite, s’il n’est pas certain que les femmes s’enrichissent grâce au micro-crédit, il est net en revanche qu’au Bangladesh par exemple, « les femmes pauvres fournissent un travail rémunéré à plus de 11.000 employés de la Grameen bank, dont la grande majorité, surtout parmi les cadres, sont des hommes. Alors qu’à la base, les femmes, comme présidentes de groupes, font en partie du travail bénévole. » Quant aux intérêts des prêts exigés par la Grameen bank, ils sont de 20%, c’est-à-dire supérieurs à ce qui est demandé par les banques

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normales, et largement supérieur au taux zéro qui préside à la circulation monétaire informelle dans la plupart des systèmes traditionnels. Or précisément, les initiatives du type de la Grameen bank ont pour but principal de capter pour le marché l’immense « trésor caché » que constituent ces systèmes économiques traditionnels, largement tributaires des femmes.

Peemans Poullet rappelle par ailleurs que les systèmes de protection sociale européens ont été construits depuis le XIXème siècle sur des modèles mutualistes, qui, un peu comme les systèmes traditionnels actuels du Sud, n’impliquent ni épargne individuelle, ni taux d’intérêts. Le projet de Yunus, exactement inverse, s’en prend directement à la protection sociale par le biais du crédit à taux d’intérêt : « Selon une étude faite sur les emprunteurs, si 25% des emprunteurs restent pauvres, c’est pour des raisons de santé. Donc Yunus a lancé des assurances santé, retraite, éducation… […] Yunus veut remplacer la protection sociale par des mécanismes de marché. Pour réaliser cela, il a ciblé les femmes pauvres des pays les plus pauvres. » Et comme elle le souligne : « Les entreprises de Yunus ne s’arrêtent pas là. Entreprises de pisciculture, de télécommunications : au Bangladesh, Yunus est au premier rang pour les opérations de privatisation des biens et services publics. » On voit ici encore comment les programmes « d’aide aux femmes » soutenus par des institutions comme l’ONU se combinent harmonieusement avec les politiques prônées par le FMI et la Banque mondiale.

Peemans Poullet conclut avec une clarté méridienne : « Il y a quelques années, la problématique de la paupérisation des femmes était une question centrale pour les féministes alors que les femmes faisaient peu l’objet des préoccupations des ONGs. Aujourd’hui, beaucoup d’ONG se préoccupent des femmes mais la pauvreté de celles-ci n’est pas analysée comme un processus, c’est-à-dire comme le résultat d’un rapport de genre et d’un rapport capital/travail. […] Les opérateurs de micro-crédits présentent la pauvreté des femmes comme un « état de nature » et leur propre intervention comme une passerelle vers un « état de culture » où les femmes, qu’il faudrait continuellement « encadrer, former, initier », auraient finalement prise sur leur destin. Or, la réalité est exactement inverse. Les pays en développement et les femmes populaires de ces pays sont « rendues pauvres » par les programmes d’ajustement structurel et la sauvagerie de la globalisation. Elles sont maintenant amenées à payer, éventuellement en s’endettant, des biens dont elles disposaient « naturellement » ou des services qui étaient ou devraient être accessibles gratuitement à l’ensemble de la population. » Par exemple, dans le domaine de la santé, au lieu d’ouvrir des hôpitaux gratuits, les autorités préfèrent privatiser les système de santé et prêter aux femmes des sommes microscopiques pour monter des projets « productifs » balayés à la première difficulté, mais leur permettant de dégager quelque argent… qui sera englouti immédiatement dans l’achat de médicaments pour leurs enfants. Par ce mécanisme, les femmes doivent affronter un surcroît de travail, doublé d’un appauvrissement quasi systématique, tandis que les cliniques et les laboratoires pharmaceutiques prospèrent proportionnellement.

Ainsi, on constate que derrière le but affiché « d’aider » les femmes, les plus appauvries par le modèle de développement dominant, le micro-crédit, présenté comme une panacée par le FMI, la Banque mondiale et l’ONU, non seulement ne produit pas l’effet escompté, mais au contraire appauvrit les femmes et permet le renforcement du modèle néolibéral qui leur est si préjudiciable. Le micro-endettement des femmes fait en quelque sorte d’une pierre deux coups : il permet de poursuivre la mise en coupe réglée du Sud et l’enrichissement du Nord, tout en aggravant la situation des femmes et en détournant l’attention des origines réelles de leur oppression-exploitation. Par un véritable phénomène de « Novlangue » généralisé, toutes les réalités s’inversent : les affameurs deviennent les

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rédempteurs et les armes du système néolibéral, raciste et patriarcal, apparaissent comme autant de mains charitables tendues vers les femmes pauvres du Sud.

Après ce panorama rapide d’un certain nombre de stratégies et d’actions en matière de développement menées par les institutions internationales qui nous gouvernent, que pouvons-nous conclure ?

D’abord, à propos de l’ONU, nous avons vu comment elle était parvenue à s’imposer comme une instance centrale des politiques de développement ou de gestion de la planète, légitime et même souvent perçue comme « bienveillante » et « sage ». Elle apparaît comme la principale source de formation de concepts et d’élaboration de stratégies, grâce à un système qu’elle a mis en place et qui lui permet de récupérer le travail (pratique et conceptuel) des mouvement sociaux, transformés en ONGs de gestion. Derrière les mécanismes de « participation » de la « société civile », se dessine plutôt une subtile dénaturalisation des propositions alternatives, en particulier portées par le féminisme. L’ONU crée ainsi progressivement une pensée et une action de plus en plus unifiée ou unique, qui prétend substituer la planification et l’administration paisible du statu-quo à la recherche d’alternatives réelles. Pourtant, plus l’ONU travaille au développement, plus la situation empire, en particulier pour les pays « en voie de développement » et pour les femmes qui y sont nées.

Ensuite, quand on replace l’action de l’ONU dans son contexte, qui est l’action d’autres institutions du même système international, en particulier le FMI, la Banque mondiale et l’AID, on comprend mieux les causes de cet échec à améliorer, ou plus encore à transformer, la situation des femmes —en particulier de celles qui se trouvent placées à l’intersection de l’exploitation de sexe, de classe et de « race » et qui constituent le gros bataillon des personnes condamnées par le modèle néolibéral global dominant. Que ce soit en termes d’environnement, de politiques de population ou de micro-crédits pour les femmes, le « développement » préconisé par ces institutions internationales, et qui recueille l’adhésion d’une partie du mouvement féministe, est un véritable désastre pour la plupart des femmes dans le monde. Or les politiques de l’ONU ne sont pas un « rattrapage » de la brutalité des politiques néolibérales, mais bel et bien un élément central de la mise en place du nouvel ordre mondial, intimement lié aux agissements de la Banque mondiale, du FMI et de l’AID. Ironiquement, la légitimité de ces politiques internationales repose en grande partie sur l’image que l’ONU a réussi à se donner, notamment comme protectrice de « La Femme » et de « La Nature » totalement mythifiées, et sur la participation de la « société civile », en particulier des femmes, à ce processus. Devant l’accablant résultat de ce système international, n’est-il pas temps, comme femmes et plus encore peut-être comme féministes, de lui retirer une fois pour toutes notre appui et de l’affronter comme un de nos principaux ennemis?

Notes :

1. Cette présentation simplifie évidemment un panorama bien plus complexe. Notamment, il faudrait, pour être plus réaliste, ajouter quelque part les décideurs de l’économie « souterraine » : mafia de la drogue, des armes et de la prostitution, avec

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les milliards de la corruption « blanchis » dans les paradis fiscaux. Mais la question dépasse largement le cadre de cet article.

2. Le concept de « société civile » possède les acceptations les plus variées, depuis un usage « fourre-tout » et dépolitisé, jusqu’à un sens contestaire. Nous ne pouvons ici en faire une analyse critique détaillée. Cependant, il est certain qu’il faudrait se pencher avec beaucoup plus d’attention sur les rapports entre ONGs et mouvement sociaux, entre ONGs, syndicats et partis, et d’une manière générale sur les « nouvelles » formes d’expression et d’organisation de la population. Par ailleurs, l’histoire de l’évolution des ONGs et les importantes différences qui existent dans cet univers, au sein de chaque pays et au plan international, mériteraient une réflexion à part entière.

3. En ce qui concerne les débats généraux sur les femmes et le développement, largement analysés ailleurs, et en particulier la successive adoption des paradigmes “”femmes dans le développement” (WID), “femmes et développement” (WAD), “femmes, environnement et développement” (WED) et enfin “genre et développement” (GAD), nous recommandons la présentation synthétique qu’en fait la revue belge Chronique féministe, ainsi que le recueil de textes de Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur (Bisilliat & Verschuur, 2000; Degarve, 2000).

4. Son intitulé exact est : Conférence sur l’environnement et le développement.

5. Dont est issue en particulier le fameux document de la Convention pour l’élimination de la discrimination contre les femmes (CEDAW) de 1979.

6. Sans cesser de participer aux rencontres féministes latino-américaines et des Caraïbes, le courant “féministe autonome”, apparu avec clarté après la VII ème rencontre, au Chili en 1996, a réalisé deux rencontres spécifiques, en 1998 en Bolivie et en 2001 en Uruguay, afin d’approfondir ses positions.

7. La région latino-américaine et des Caraïbes possède une longue tradition de rencontres continentales organisées de manière autonome par le mouvement, depuis 1981, et qui permettent notamment de faire le point sur l’état du féminisme et ses stratégies. Le débat sur “l’autonomie” du mouvement, un des axes récurrents de questionnements internes, s’est déplacé de l’autonomie face aux partis politiques à la questions du financement et de l’influence idéologique du Nord et/ou des institutions internationales.

8. Le rôle des femmes dans la reproduction culturelle est variable selon les lieux et les époques. On verra à ce sujet les travaux de Nicole Claude Mathieu sur la division sexuelle du travail “culturel” (Mathieu, 1991). Cependant, elles sont généralement obligées socialement à “préserver” la culture du groupe, tandis que les hommes bénéficient en premier des aspects “positifs” des contacts : ils sont généralement les premiers à avoir accès aux moyens de transport, aux emplois, aux revenus etc… Souvent, les femmes qui voudraient leur emboîter le pas sont sanctionnées, ce qui augmente la « brèche » entre les sexes. Ce point mériterait évidemment un développement qui va au-delà des possibilités de ce travail.

9. Il existait à l’origine deux statuts consultatifs seulement (catégories I et II), avec une procédure d’admission assez lourde. En plus de la création d’un troisième statut en

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1996, la décision 1996/297 prévoit que l’Assemblée générale de l’ONU examine la question de la participation des ONGs dans tous les domaines de son activité.

10. On notera cependant qu’existent différentes instances chargées du développement à l’ONU, et la CSD n’est que l’une d’entre elles, qu’on pourrait dire “pilote” et dont le futur n’est pas assuré.

11. “Steering comittee” des ONGs selon sa désignation officielle.

12. On verra plus particulièrement les brochures d’évaluation des actions de coopération du gouvernement espagnol, réalisée par pays par le Ministère des Affaires Etrangères, notamment : Fortalecimiento municipal en Flores, Guatemala (39 pp), Programa de cooperación hispano-peruano (46 pp), Programa de subvenciones y ayudas a ONGD en Haití, República Dominicana y Filipinas (59 pp).

13. Une analyse des conditions de travail dans les ONGs, que nous ne pouvons faire ici, ferait apparaître les graves manquements au droit du travail qui prévalent presque partout, justifiées par le caractère soi-disant “militant” du travail, d’un côté, et de l’autre, la rétribution démesurée de certaines personnes, qui frise la tentative de corruption.

14. Dans cet ordre d’idées, comme le fait remarquer le nord-américain James Petras dans sa critique de l’impérialisme mondial, de fait, aujourd’hui, même les critiques les plus féroces de la Banque mondiale et du FMI utilisent dans leurs argumentaires … les chiffres du FMI et de la Banque mondiale (Petras, 2001).

15. Nous ne pouvons ici détailler ce point, mais le fait est que par socialisation —et non par nature—, les femmes sont généralement celles qui souffrent le plus de tout déplacement, car elles sont à la fois responsables du maintien du tissu social et familial, et de la gestion des ressources de proximité : les obliger à quitter leur environnement aj des conséquences plus profondes que pour les hommes.

16. Une des conditions posées par les Etats-Unis pour signer avec le Mexique le Traité de libre échange qui les unit depuis 1994, était précisément la réduction de la fécondité des Mexicaines.

17. Rappelons que la stérilisation n’est pas une forme de contraception mais une pratique définitive qui appartient à un autre registre —surtout quand elle est forcée ou réalisée sans le consentement pleinement informé de la personne.

18. Bien entendu, d’autres débats et clivages existente dans le mouvement féministe de la région. Pour une analyse de la période comprise entre la Ière et la Vème rencontre féministe Latino-américaine et des Caraïbes, on verra par exemple l’intéressant article de synthèse de Saporta Sternbach et Al. (Saporta Sternbach et Al., 1992).

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