Entrelacs 330 6 l Arbre Et La Pierre

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 Entrelacs 6 (2007) L’Arbre ................. ................. ..................................................... ................. .................. ................. ..................................................... ................. .................. ................. .................. ................. ......... Suzanne Liandrat L ’arbre et la pierr e ................. ................. ..................................................... ................. .................. ................. ..................................................... ................. .................. ................. .................. ................. ......... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document.  T oute autre reproduction est interdite sau f accord préalable de l'éditeur, en d ehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS , UP, UAPV). ................. ................. ..................................................... ................. .................. ................. ..................................................... ................. .................. ................. .................. ................. ......... Référence électronique Suzanne Liandrat, « L’arbre et la pierre », Entrelacs [En ligne], 6 | 2007, mis en ligne le 01 août 2012, consulté le 28 mai 2015. URL : http://entrelacs.revues.org/330 Éditeur : Téraèdre http://entrelacs.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://entrelacs.revues.org/330 Document généré automatiquement le 28 mai 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier.  T ous droits réservés

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  • Entrelacs6 (2007)LArbre

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    Suzanne Liandrat

    Larbre et la pierre................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

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    Rfrence lectroniqueSuzanne Liandrat, Larbre et la pierre, Entrelacs [En ligne], 6|2007, mis en ligne le 01 aot 2012, consult le 28mai 2015. URL: http://entrelacs.revues.org/330

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    Suzanne Liandrat

    Larbre et la pierrePagination de ldition papier : p. 97-101

    1 Luchino Visconti nest pas un cinaste du paysage et larbre est peu prsent dans sonuvre. Les rares apparitions du motif attirent lattention car elles dpendent de la mise enscne viscontienne. Si le cinaste est rput pour avoir imagin des histoires de familles endcomposition, o larbre peut concider avec une figuration symbolique de la gnalogiecomme le montrent les premiers exemples que jai retenus, on peut douter que cette mtaphoreprouve soit utilise pour elle-mme car elle ne mettrait pas suffisamment en jeu le processusde dcomposition. Lorsque Gilles Deleuze avance le concept de limage-cristal , il considreque chez Visconti on est en prsence dun cristal en dcomposition auquel sajoute larvlation que quelque chose vient trop tard1. Par un jeu dalliance de contraires, la miseen scne viscontienne du motif de larbre entre dans une configuration dune plus grandecomplexit ds lors que le vgtal se voit associ un devenir pierre. Si comme le souligneDeleuze, Visconti na pas, ds le dbut de son uvre, la matrise des lments qui caractrisentsa pense cratrice, on ne stonnera pas que le motif de larbre ne trouve sa pleine dimensionesthtique qu travers un parcours discrtement rcurrent et non chronologique.

    2 Une image de larbre apparat dans Le Gupard (1963) o le Prince Salina (Burt Lancaster)doit affronter un tournant historique dimportance avec le dbarquement de Garibaldi enSicile. Toute lancienne aristocratie se trouve soumise aux pratiques de la nouvelle bourgeoisiemontante et doit pactiser avec elle comme le prouve laccord que le Prince donne au mariagede son neveu Tancrde (Alain Delon) avec la belle et riche Angelique (Claudia Cardinale),fille du nouveau maire. Lunion est dcide au cours dune partie de chasse matinale du Princeaccompagn de son matre-chien, Don Ciccio (Serge Reggiani). Lors dune halte sous unvieil olivier en pleine campagne, la discussion porte sur les origines plbiennes de la familledAngelique, dans une opposition radicale avec la ligne du Prince. Suscitant lemportement etla verve du fidle Don Ciccio, la contradiction sexprime limage par le moyen du vnrableft se dtachant sur le fond de terre sicilienne tout en illustrant la possibilit que la vieillearistocratie y puise de nouvelles forces.

    3 En 1947, Visconti tourne non loin de Catane, La Terre tremble, une histoire de pcheursemprunte pour une large part au roman de Giovanni Verga, Les Malavoglia. Cest le surnomdonn par antiphrase, dans le plus pur style populaire sicilien, la famille Valastro parcequelle subit avec courage des malheurs divers. Elle habite ce que le roman appelle la maisondu nflier. Sans nul doute, cette mention dsigne un esprit de tnacit face aux mauvaiscoups du sort bien limage du grand arbre fich au centre de la cour de la pauvre demeurede pcheurs. Visconti ne sintresse gure la reprsentation de cette ide. Si le nom de lamaison est mentionn au dbut du film par la voix off de commentaire qui occupe la bande-son,cest peine si lors dune vue sur lenclos, dans laube encore obscure, on aperoit quelquesramures. Les murs de pierre lemportent sur la reprsentation du vgtal. A la diffrence deVerga voulant, par le moyen de larbre qui tient bon, montrer la permanence cyclique des

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    vnements qui font et dfont la petite communaut et la rendent aussi immuable que lanature dont elle dpend et sur laquelle elle se modle, Visconti illustre une autre relation aumonde. La part de lhomme y est plus dcisive jusque dans ses erreurs. Ntoni Valastro tentecourageusement de sopposer aux grossistes qui exploitent la misre des pcheurs mais, restseul dans son entreprise par manque de solidarit des plus pauvres, il choue par un mauvaiscalcul et doit se soumettre. Si Verga calquait sa temporalit fataliste sur celle de la natureet de la mer en leurs grandes phases rptitives, Visconti inscrit pour sa part son film dansle contexte dune Aprs-guerre dont la question politique nest pas absente2 (le nom presqueeffac de Mussolini transparat sur un mur du local des grossistes dans lultime squence).A ce temps historique dans lequel le cinaste semble ainsi inscrire son drame, se juxtaposenanmoins un temps mythique qui nest cependant ni un archasme ni un ornement culturelmais participe du discours du film. En effet, sa mditation fait de Ntoni un Ulysse affrontantles Cyclopes en la personne des grossistes. Mais celui-ci ne disposant pas, la diffrence duhros mythique, de lesprit de ruse, la mtis grecque3 (qui dfinit, entre autres, Ulysse comme yinsistent lenvi les pithtes homriques), il ne peut triompher de ceux quil affronte. Ignorantles pouvoirs du courbe et du dtour, Ntoni ne peut quassister lchec de son entreprisedemeure par trop frontale. Le sous-entendu homrique est command par la lgende localequi fait des faraglioni, les rochers dresss dans la baie du port, la consquence de la prsence,sous lEtna, des Cyclopes qui nhsitent pas craser leurs ennemis au moyen de blocs depierre. Ainsi la vision de Visconti ne requiert pas la prsence du nflier qui dirait une formede tnacit autant que de rsignation face des difficults naturelles vcues par la famille,mais fait davantage rfrence la duret de laffrontement avec les puissants en multipliantlimage des rochers dont ils peuvent user mtaphoriquement pour craser la rvolte de Ntoni.Les faraglioni visibles dans la baie, notamment, reviennent plusieurs reprises dans le filmy compris sous forme de photographies dans le local des mareyeurs. Visconti a fait du nomde Cyclopes leur enseigne et il a invent, en outre, ces personnages de grossistes qui sontabsents du roman.

    4 Cest en effet le rapport avec la pierre qui inflchit significativement la pense de larbre chezVisconti comme lexpose galement la scne o Sandra et son frre se retrouvent dans le palaisfamilial, dans un autre film.

    5 En tournant Vaghe stelle dellorsa (Sandra, 1965), Visconti sinspire la fois du site fourni parla cit toscane de Volterra et du cadre offert par le roman de DAnnunzio (Forse che si forse cheno). Il situe certaines scnes dans le palais historique de lillustre famille Inghirami. Ce palais,dj dcrit par DAnnunzio, contient en son jardin un chne multi centenaire. Visconti place aupied de larbre la rencontre du frre, Gianni, et de la sur, Sandra. Ils sont, dans lAprs-guerre,les rejetons dune ligne dvaste (le pre, un savant juif, est mort Auschwitz), et larbretutlaire qui prside leurs retrouvailles motives par une question dhritage, est fortementsecou cette nuit-l.

    6 Le vent souffle, en effet, dans ce jardin nocturne et fait jouer lombre et la lumire. Lesbranches agites trouvent leur pendant dans le mouvement qui anime le voile recouvrant lastatue du pre qui sera dcouverte le lendemain au cours de la crmonie la mmoire dudisparu. Il se produit dabord un confusion entre la silhouette de la statue voile et celle dela jeune femme enveloppe dun chle blanc avant que le vent ne dfasse les apparences desjeunes gens, torde les cheveux et les toffes, affecte les gestes dembrassement dun troubleinattendu. Cest limage dune gnalogie mise mal en des temps (le rcit est contemporaindu film) o il ny a gure de sens tre hritiers dune vieille famille et de son palais sinon gnrer des sentiments de repli quelque peu incestueux. Au tourment passionn qui assailletoute la famille de Sandra linstar dune nouvelle Electre, succdera la ptrification dont lamtamorphose sachve dans la scne finale o la statue du pre est dvoile sous lombragedu grand chne tandis que retentit la prire du rabbin (prire en hbreu qui parle du jardindAbraham puis en italien qui voque le retour la poussire selon la double configuration dela mditation viscontienne). Un mme remuement dtoffes et de branches font sunir larbreet la pierre en un mouvement mtamorphique.

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    7 Dans ladmirable ouverture du Gupard triomphe ce tremblement des apparences. Le filmdbute sur des frondaisons abondantes au-dessus dune large grille, puis cest un ensemblede vues alternes darbres et de statues composant le parc au fond duquel se dtache, au boutdune alle rectiligne, la faade de la Villa du prince Salina. Ces plans sont accompagns parles mesures dun adagio dune symphonie crite par Nino Rota. La musique enveloppante,le soleil, la terre ocre, la blancheur de la pierre, la vgtation se conjuguent dans une visionclatante. Dans le roman homonyme de Giuseppe Tomasi di Lampedusa dont le film estladaptation, on ne trouve nulle trace de statues de pierre ni de minral. La description delcrivain confre en effet un tout autre aspect au parc: charg de lourds parfums dus lafloraison des tubreuses, il y rgne une sensation dhumidit pourrissante. A rebours de cettevision, Visconti a privilgi le sec, lrosion et le poudreux, comme en tmoignent les plansde statues de pierre rodes parmi la vgtation. Dans cette composition grandiose, on dcleune vision de larbre quelque peu inattendue lorsque les mouvements ascendants de camrasur la vgtation senchanent avec lapparition des ttes de statues qui semblent en constituerla cime en un prolongement paradoxal qui tient lieu de mtamorphose.

    8 Visconti oppose lorganisation verticale qui illustre exemplairement la gnalogie dunegrande famille, un autre agencement o trouvent place lusure minrale et le devenirpoussire. Il propose une union contradictoire de ce qui dsigne la ligne et dfinit la Maison ausens aristocratique, avec ce qui sboule, se ruine et seffrite comme la roche. La pierre sculpteest assurment plus viscontienne que larbre car son rection se double dune imperceptibledcomposition. Ce rythme naturel est plus sourd puisquil se donne comme le clivage temporelpropre au minral (il a voir avec la pense du trop tard analyse par Gilles Deleuze). Cettevolution singulire se joue travers les mouvements de camra qui suggrent une sorte dedlitage. En effet, contrairement une interprtation htive, nous navanons pas franchementvers la Villa malgr la prsence de lalle centrale qui dsigne cette possibilit refuse. Viscontichoisit de procder par lents balayages latraux ascendants ou par panoramiques transversaux,au besoin corrigs par un zoom arrire, alternant avec des plans fixes. La distance qui diminuele doit ainsi, nous invite-t-on peut-tre penser, non tant une traverse de lespace qu cettedcoupe progressive de strates dans lpaisseur du temps. Si bien que la Villa qui barre toujourslhorizon visible redoublant la chane de montagne qui ferme la profondeur du champ, estbien la seule perspective minrale offerte. Lorsque le gnrique introductif sachve, limagementale quil aura ainsi gnre est celle l-mme illustre par la faade du palais dont nousavons vu deux plans successifs plus rapprochs: une architecture ancienne aux murs caillsqui tombent, couche aprs couche, au rythme lent qui a fait discrtement se relever les stores4

    des fentres. Il sagit de faire advenir une matire-effritement quun regard ordinaire ne sauraitpercevoir, alors que la camra peut latteindre au moyen dun travail quasi gologique demontage. La pierre prolifre non seulement par la prsence visible des statues rodes ou dela Villa abme, mais par ce sourd effondrement qui affecte, en retour, la vgtation qui luiest associe.

    9 La mtaphore gnalogique de larbre tendant, des racines au fate, ses ramifications dansle temps, est contrarie par le processus de montage adopt qui, linstar dune rosionuniverselle, imprime un devenir minral toute la figuration. La ruine dune famille dontle film se fait lcho chappe la figure de la disparition quillustre le roman au moyen dematires putrides lodeur enttante. Si le devenir poussire nest pas habituel la pensede larbre, en unissant nanmoins les deux termes de ce chiasme, Visconti nous invite unemditation o le modle de larbre, sous leffet de la pierre, fait appel au thme de la Vanit laquelle sadjoint une corrosion annonce dans les termes de LEcclsiaste. Sous la profusionvisuelle et sonore de cette somptueuse ouverture se devinent alors, autre retournement, lascheresse et la drliction dun austre memento mori. La scne finale de Sandra commelouverture du Gupard culminent dans la rcitation des prires, et tout particulirement celledu rosaire quon entend la fin du gnrique du Gupard, qui suppose dgrener le chapelet.

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    Notes

    1 Gilles Deleuze, Limage-temps, Les cristaux de temps, Editions de Minuit, 1985, p.124-128.2 A lorigine , ce film qui montre la condition des pcheurs siciliens, est une commande du PCI.3 Voir sur ce point ce que Marcel Dtienne et Jean-Pierre Vernant appellent une catgorie delintelligence in Les Ruses de lintelligence, La mtis des Grecs, Flammarion, 1974.4 Dans Kalidoscope, Jean-Louis Leutrat est le premier avoir relev ce dtail que les stores de la faadede la Villa noccupent pas les mmes positions au fil des plans. Il indique que nous ne sommes pasinstalls dans un temps unique (celui dune histoire qui va commencer, ft-elle celle du dbarquementde Garibaldi), mais que nous sommes bien devant une image-temps. Presses Universitaires de Lyon,1988, p.62.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Suzanne Liandrat, Larbre et la pierre, Entrelacs [En ligne], 6|2007, mis en ligne le 01 aot 2012,consult le 28 mai 2015. URL: http://entrelacs.revues.org/330

    Rfrence papier

    Suzanne Liandrat, Larbre et la pierre, Entrelacs, 6|2007, 97-101.

    propos de lauteur

    Suzanne LiandratProfesseur,Universit de Lille III

    Droits dauteur

    Tous droits rservs