Enseigner et apprendre la circulation du sang : analyse didactique ...

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Enseigner et apprendre la circulation du sang : analyse didactique des pratiques conjointes et identifications de certains de leurs d´ eterminants : trois ´ etudes de cas ` a l’´ ecole ´ el´ ementaire ´ Eliane Pautal To cite this version: ´ Eliane Pautal. Enseigner et apprendre la circulation du sang : analyse didactique des pratiques conjointes et identifications de certains de leurs d´ eterminants : trois ´ etudes de cas ` a l’´ ecole ´ el´ ementaire. Sociologie. Universit´ e Toulouse le Mirail - Toulouse II, 2012. Fran¸cais. . HAL Id: tel-00844031 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00844031 Submitted on 12 Jul 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

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  • Enseigner et apprendre la circulation du sang : analyse

    didactique des pratiques conjointes et identifications de

    certains de leurs determinants : trois etudes de cas a

    lecole elementaire

    Eliane Pautal

    To cite this version:

    Eliane Pautal. Enseigner et apprendre la circulation du sang : analyse didactique des pratiquesconjointes et identifications de certains de leurs determinants : trois etudes de cas a lecoleelementaire. Sociologie. Universite Toulouse le Mirail - Toulouse II, 2012. Francais. .

    HAL Id: tel-00844031

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00844031

    Submitted on 12 Jul 2013

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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    Enseigner et apprendre la circulation du sang : analyse

    didactique des pratiques conjointes et identification de certains

    de leurs dterminants

    Trois tudes de cas lcole lmentaire

    Tome 1

    Rapporteurs :

    Maryline COQUID, Professeure, ENS Lyon

    Grard SENSEVY, Professeur, IUFM de Bretagne

    En vue de lobtention du

    DOCTORAT DE LUNIVERSIT DE TOULOUSE

    Dlivr par :

    Universit Toulouse 2 - Le Mirail (UT 2 Le Mirail)

    Prsente et soutenue par :

    liane PAUTAL le mardi 23 octobre 2012

    ED CLESCO : Sciences de lducation

    Unit de recherche :

    UMR ducation Formation Travail Savoirs (EFTS)

    Autre(s) membre(s) du jury :

    Francia LEUTENEGGER, Professeure, universit de Genve, Prsidente du jury

    Directeur(s) de Thse :

    Patrice VENTURINI, Professeur, universit Toulouse II (Directeur)

    Patricia SCHNEEBERGER, Professeure, universit Bordeaux IV (Co-directrice)

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    Remerciements

    Mes remerciements vont en tout premier lieu ma directrice de thse Patricia

    SCHNEEBERGER et mon directeur Patrice VENTURINI qui mont indiqu

    patiemment la route juste emprunter pour mener bien ce travail.

    Mes remerciements vont galement Maryline COQUID, Francia

    LEUTENNEGGER et Grard SENSEVY qui ont accept de relire mon travail et de

    me faire lhonneur de leur prsence dans mon jury.

    Je tiens remercier luniversit de LIMOGES qui ma laiss lopportunit de

    raliser cette thse dans les meilleures conditions et tout particulirement lIUFM du

    Limousin qui ma fourni les moyens techniques et humains pour enregistrer les

    sances de classe.

    Il mest indispensable de remercier trs sincrement les trois professeurs et les

    lves qui mont accueillie dans leur classe ; sans eux ce travail naurait pas pu se

    faire.

    Mes penses vont aussi tous ceux qui de prs ou de loin ont t une

    ressource, un accompagnement, un soutien au long de ces quatre annes de recherche :

    mes amies et mes amis. Ils ont permis des conversations enrichissantes, des mises

    distance, des remises en question avec un grand professionnalisme, parfois avec

    drlerie et humour, toujours avec gentillesse et comprhension. Je remercie donc les

    collgues de lIUFM qui ont permis des changes fructueux. Je tiens remercier

    chaleureusement les collgues de lUMR EFTS de TOULOUSE avec lesquels jai un

    trs grand plaisir travailler. Enfin, un grand merci celles qui ont accept de me

    loger TOULOUSE ; elles ont t attentives et rconfortantes ... Merci tous.

    Audrey et Quentin

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION ........................................................................................................................... 7

    PARTIE N 1. MATRICE THORIQUE ET CONSTRUCTION DE LA PROBLMATIQUE .............. 11

    CHAPITRE 1. DCRIRE ET COMPRENDRE DES PRATIQUES LAIDE DE LA THORIE DE

    LACTION CONJOINTE EN DIDACTIQUE ET DU RAPPORT AUX SAVOIRS .................................... 13

    1. La TACD, un appareil thorique danalyse des situations didactiques ........................ 13

    2. Le rapport au savoir ; une question multirfrentielle .................................................. 26

    3. Mise en tension TACD et rapport aux savoirs.............................................................. 33

    4. En guise de conclusion : une proposition pour la recherche ........................................ 37

    CHAPITRE 2. PROBLMATIQUE ET DOMAINE DTUDE ........................................................... 41

    1. Problmatique ............................................................................................................... 41

    2. Le choix de la thmatique : la circulation du sang ....................................................... 43

    CHAPITRE 3. LA CIRCULATION DU SANG : LMENTS DE RFRENCES

    PISTMOLOGIQUE, INSTITUTIONNELLE ET DIDACTIQUE ........................................................ 45

    1. La circulation du sang au cycle 3 : positionnement de linstitution ............................. 45

    2. Analyse didactique des prconisations institutionnelles............................................... 48

    3. Des repres pour comprendre les transactions didactiques autour de la

    circulation du sang ............................................................................................................ 66

    4. Conclusion .................................................................................................................... 75

    CHAPITRE 4. CONTEXTUALISATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE ET CHOIX DES

    TUDES DE CAS ...................................................................................................................... 77

    1. Formulation des questions de recherche ....................................................................... 77

    2. Le choix des tudes de cas ............................................................................................ 78

    PARTIE N 2. MTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE .............................................................. 81

    CHAPITRE 1. PRINCIPES GNRAUX DE LA MTHODOLOGIE UTILISE ..................................... 83

    CHAPITRE 2. CONSTRUCTION DES DONNES ........................................................................... 87

    1. Dispositif de recherche ................................................................................................. 87

    2. Les traces recueillies ..................................................................................................... 87

    CHAPITRE 3. TRAITEMENT ET CONDENSATION DES DONNES ................................................. 95

    1. Produire une analyse a priori pour approcher des dterminations professorales ......... 95

    2. Reconstruire des jeux didactiques de la squence ou analyse in situ pour

    dgager des caractristiques ............................................................................................. 96

    3. Infrer des dterminants ct professeur et ct lves.............................................. 100

    CHAPITRE 4. CONCLUSION LARTICULATION OBJETS DE RECHERCHE -

    MTHODOLOGIE ................................................................................................................... 103

  • 6

    PARTIE N 3. LES TRAVAUX EMPIRIQUES : TROIS TUDES DE CAS ..................................... 105

    CHAPITRE 1. LES PRATIQUES CONJOINTES DANS LA CLASSE N1 .......................................... 107

    1. Le contexte de ltude de cas n1 ............................................................................... 107

    2. Analyse a priori des savoirs en jeu............................................................................. 107

    3. Rsultats de ltude in situ dans la classe n1 ............................................................ 130

    CHAPITRE 2. LES PRATIQUES CONJOINTES DANS LA CLASSE N2 .......................................... 167

    1. Le contexte de ltude de cas n2 ............................................................................... 167

    2. Analyse a priori des savoirs en jeu............................................................................. 168

    3. Rsultats de ltude in situ dans la classe n2 ............................................................ 188

    CHAPITRE 3. LES PRATIQUES CONJOINTES DANS LA CLASSE N3 .......................................... 231

    1. Le contexte de ltude de cas n3 ............................................................................... 231

    2. Analyse a priori des savoirs en jeu............................................................................. 231

    3. Rsultats de ltude in situ dans la classe n3 ............................................................ 250

    CHAPITRE 4. SYNTHSE DES PRATIQUES CONJOINTES DANS LES TROIS CLASSES .................. 297

    1. Pratiques conjointes et dterminants dans la classe n1 ............................................ 297

    2. Pratiques conjointes et dterminants dans la classe n2 ............................................. 299

    3. Pratiques conjointes et dterminants dans la classe n3 ............................................. 301

    PARTIE N 4. DISCUSSION DES RSULTATS DE LA RECHERCHE .......................................... 305

    CHAPITRE 1. DISCUSSION DES RSULTATS DES TROIS TUDES DE CAS .................................. 307

    1. Discussion comparative des pratiques dans les trois classes ...................................... 307

    2. Les dterminants professoraux ................................................................................... 317

    3. Des dterminants lves ............................................................................................. 324

    CHAPITRE 2. RETOUR SUR LES CADRES THORIQUE ET MTHODOLOGIQUE .......................... 329

    1. Les conditions mthodologiques de production des rsultats .................................... 329

    2. Retour sur le cadre thorique ...................................................................................... 332

    CONCLUSION .......................................................................................................................... 337

    1. RSUM CONCLUSIF DES CARACTRISTIQUES DES PRATIQUES ..................................... 338

    2. LA COMPLEXIT DES DTERMINANTS DES PRATIQUES .................................................. 340

    3. DTERMINANTS ET FORMATION PROFESSIONNELLE : MISE EN PERSPECTIVE DES

    APPORTS DE LA RECHERCHE ............................................................................................. 343

    4. DES PROLONGEMENTS CETTE RECHERCHE ................................................................. 345

    BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 347

    TABLE DES MATIRES ............................................................................................................ 357

    TABLE DES TABLEAUX ............................................................................................................ 369

    TABLE DES ILLUSTRATIONS ................................................................................................... 370

  • 7

    Introduction

    Les travaux sur les pratiques denseignement et dapprentissage, dans le champ

    des Sciences de lHomme et de la Socit, tmoignent tous de la grande complexit de

    cette activit humaine. Lenjeu de tels travaux scientifiques est de viser une meilleure

    description des pratiques des fins de comprhension (Bru, 2002). La ncessit de ces

    travaux simpose lorsquon tente de comprendre les liens entre des pratiques

    denseignement et des pratiques dapprentissage. Cette ncessit est dautant plus

    grande que lon sinterroge propos de pratiques denseignants polyvalents en

    sciences au niveau de lcole lmentaire en estimant que ces pratiques pourraient

    insuffler (ou non) aux lves le got des sciences. Par ces pratiques, il ne sagit pas de

    faire des lves des scientifiques mais de les engager dans une culture scientifique

    authentique, en leur faisant percevoir des connaissances, des mthodes danalyse et de

    raisonnement ainsi que des valeurs contribuant leur formation de jeune lve dans

    une socit o les connaissances ont un rle de plus en plus important dune manire

    gnrale et o les connaissances scientifiques en particulier ont un impact socital de

    plus en plus fort. En tant que formatrice en sciences de la vie et de la Terre

    denseignantes et denseignants, comprendre les pratiques de ceux-ci autour de savoirs

    scientifiques est une proccupation majeure car entrer dans la complexit de ce qui se

    joue en classe pourrait potentiellement nous aider dans nos actions de formation en

    tentant de prvenir lorigine du dclin dintrt pour les tudes scientifiques

    puisquil est entendu que celle-ci rside en grande partie dans la faon dont les

    sciences sont enseignes dans les coles dans une modlisation essentiellement

    mcaniste de la relation entre enseignement et apprentissage (Rocard et al., 2007, p.

    2).

    En sinscrivant dans ces proccupations actuelles qui concernent lensemble

    des pays europens, la problmatique qui sous-tend nos travaux est didentifier certes

    les contours mais aussi les raisons de pratiques denseignement et dapprentissage qui

    participent dune forme de culture scientifique scolaire dans des classes de lcole

    primaire franaise. Ds lors, pour dfinir ces pratiques dans leurs objets, outils et

    valeurs, les questionnements gnraux que nous cherchons rsoudre explorent

    diffrentes dimensions de celles-ci : quelle est la nature des savoirs produits en

    classe ? Quelle est la place accorde aux lves quand des savoirs scientifiques sont en

    jeu ? Quel est le rle des langages dans ces pratiques en classe ? Quelles valeurs sont

    transmises par ces pratiques ? Ces indicateurs qui parcourent nos questionnements

    participent tous dune forme de caractrisation fine de pratiques denseignement et

    dtude centres sur des savoirs scientifiques, caractrisation dont nous avons besoin

    pour comprendre les enjeux de ce qui se joue en classe.

    Devant la ncessit de comprendre des pratiques dune grande complexit,

    nous posons ensuite la question de savoir quelles sont certaines des raisons qui

    conduisent les acteurs des classes produire tel ou tel type de pratique quand des

    savoirs scientifiques sont en jeu. Sinterroger de cette faon sur les pratiques produites

    dans la classe, cest dune certaine manire tre attentif aux intentions personnelles

    des acteurs didactiques, mais aussi des lments non intentionnels qui les dpassent

    et les influencent, quand ils font des sciences dans lcole daujourdhui.

    Autrement dit, comprendre des pratiques de classe actuelles, cest se donner les

    moyens de rechercher quels sont les processus, intentionnels ou non, qui peuvent

    diriger laction de faire, de telle ou telle faon, quand il sagit denseigner ou

  • 8

    dapprendre des savoirs scientifiques. Cest aussi dune certaine faon poser la

    question de la participation des lves la constitution de cette culture scientifique

    scolaire. Dans cette optique dapprocher quelques unes des dterminations des

    pratiques, les questions qui nous proccupent sont alors : quelles sont les

    connaissances implicites ou explicites qui peuvent rendre raison de tel ou tel

    comportement en classe, de la part de lenseignant, de la part de llve ?

    Ce sont certaines de ces questions que notre travail de recherche tentera

    dapporter des rponses qui, on le pressent, ne peuvent tre simples mais au moins

    aussi complexes que laction humaine laquelle elles se rapportent. Ces questions

    sont formules dans un cadre thorique prcis. Notre tude est situe dans le champ

    des recherches en didactique des sciences de la vie et de la Terre avec une entre

    ternaire incluant des savoirs et des personnes mobilisant le paradigme mergent de

    laction conjointe (Sensevy, 2011). Cherchant expliquer une partie des processus

    dune action humaine particulire, laction didactique, en relation avec un ensemble

    dlments que nous considrons comme lorigine de dterminations de cette action,

    notre tude mobilise la thorie de laction conjointe en didactique (Sensevy et

    Mercier, 2007) autant quelle en propose une ouverture en direction des lves.

    Nous avons souhait dcliner ces questions en interrogeant des pratiques

    autour de savoirs biologiques, ceux de la circulation du sang. Le choix de travailler sur

    la circulation du sang sest impos quand il sest agi de partir la recherche de

    dterminants pouvant expliquer laction ; le sang peut tre source de fantasmes, de

    croyances, de peurs, de dons entre individus quil nous semblait pertinent dinterroger

    quand ce concept est enseign et/ou appris.

    Nous proposons des lments de rponse ces questions en menant une

    analyse qualitative des pratiques partir de trois tudes de cas dans des classes

    ordinaires sur lesquelles nous produisons une analyse ascendante des pratiques

    effectives (Leutenegger, 2000 ; 2008). De cette manire, dune part, nous

    documentons des pratiques dans trois classes de CM2 de lcole lmentaire franaise

    et dautre part nous infrons limportance et la nature de dterminants de laction tant

    du ct du professeur que du cot des lves.

    Larchitecture globale de ce mmoire de recherche prsente quatre grandes

    parties.

    Nous dvelopperons dans une premire grande partie les outils conceptuels

    ncessaires pour mener les analyses didactiques de pratiques conjointes ; dans un

    premier temps, nous livrerons les outils thoriques fournis par la thorie de laction

    conjointe en didactique, puis nous voquerons la notion de rapport aux savoirs des

    acteurs didactiques. Ce premier ensemble constitue la matire pour construire notre

    problmatique de recherche. la suite, des lments de rfrences pistmologique,

    institutionnel et didactique propos de la circulation du sang, ncessaires pour nos

    analyses, seront prsents. Cette premire grande partie sachvera par lexpos des

    questions directrices de nos analyses empiriques.

    Une seconde grande partie de ce mmoire sera entirement consacre la

    prsentation de la mthodologie de la recherche. Nous y justifierons la constitution

    des corpus sur lesquels nous dveloppons les analyses de la partie suivante.

    La troisime partie du mmoire, qui constitue le cur de cette thse, est une

    partie empirique exclusivement rserve lexposition des rsultats de la recherche

  • 9

    dans trois classes diffrentes du cycle 3 de lcole lmentaire (niveau 4 et 5 de

    lcole obligatoire) constituant autant dtudes de cas.

    Nous reviendrons, dans la quatrime et dernire partie de ce document, dans un

    mouvement rflexif, sur les rsultats produits dans la partie empirique pour discuter

    la fois les rsultats et les outils thoriques et mthodologiques ayant permis leur

    production.

    Nous conclurons cet crit de recherche par des perspectives, en termes de

    formation denseignants et de futures recherches, entrevues lissue de cette thse.

  • 10

  • 11

    PARTIE N 1. MATRICE THORIQUE ET CONSTRUCTION DE LA PROBLMATIQUE

    Notre travail consiste en lanalyse des pratiques denseignement et

    dapprentissage autour de savoirs particuliers de la biologie, ceux de la circulation du

    sang, afin de produire des savoirs relatifs la comprhension de ces pratiques, dans

    lcole primaire franaise. La proccupation principale dans ce travail est denvisager

    les interactions entre les acteurs de la situation didactique, dans un processus

    dynamique dagir conjoint, en essayant den infrer des dterminations des fins de

    comprhension.

    La premire partie de ce mmoire pose les lments thoriques dont nous

    avons besoin pour mener les analyses didactiques de la partie 3, selon une

    mthodologie qui sera prsente dans la partie 2 de ce mmoire. Cest donc la

    construction thorique des objets de recherche que nous proposons de suivre dans la

    partie inaugurale de cet crit, architecture de la faon suivante.

    Dans un premier chapitre, nous dveloppons les premiers outils thoriques de

    la thse pour mener les analyses proprement didactiques des pratiques

    denseignement et dapprentissage de la circulation sanguine. Les analyses se faisant

    dans le cadre de la thorie de laction conjointe en didactique (TACD) dveloppe

    par Sensevy et al (Sensevy, Mercier et Schubauer-Loni, 2000 ; Sensevy et Mercier,

    2007, Sensevy, 2011), nous reprenons dans un premier temps les lments essentiels

    de cette thorie en dveloppement. Nous prjugeons rellement fcond de mettre en

    lien la TACD avec la notion de rapport aux savoirs. Cette notion a fait lobjet de

    plusieurs thorisations que nous dveloppons : une dans le champ psychanalytique

    avec les travaux de Beillerot, Blanchard-Laville et Mosconi (1996), une dans le

    champ de la didactique des mathmatiques sous la houlette de Chevallard (1992) et

    une dans le champ des sciences de lducation avec les travaux de Charlot (1997,

    2003) et Charlot, Beautier et Rochex (1992). Nous discutons ensuite ces diffrentes

    approches pour retenir celles qui nous paraissent les plus en lien avec le cadre

    thorique de la TACD de faon proposer un complment au modle danalyse des

    pratiques conjointes intgrant les lves dans ce modle par lintermdiaire de leurs

    dterminants. Ce chapitre participe donc de la construction de la problmatique de

    recherche en articulant deux cadres thoriques que nous pensons fconds pour les

    travaux engags.

    En appui sur ces lments thoriques, nous exposerons dans le second

    chapitre la problmatique de la recherche en lien direct avec le domaine dtude

    relatif la circulation du sang dont nous expliciterons le choix. Une fois pos lenjeu

    de la recherche, centr sur les analyses de pratiques conjointes denseigner et

    dapprendre et leurs dterminations, nous devons nous doter dlments explicatifs

    permettant de produire les analyses les plus pertinentes en regard des savoirs en jeu ;

    cest ce que nous ferons dans le chapitre 3. Nous donnerons dans ce chapitre, des

    rfrences pistmologique, institutionnelle et didactique quant aux savoirs de la

    circulation du sang. Nous fournirons ainsi des lments des programmes relatifs la

    circulation du sang au cycle 3 que nous discuterons dun point de vue didactique,

    notamment concernant les contenus enseigner et les manires de les enseigner.

    Enfin, nous reprendrons des rsultats de travaux en didactique des SVT les obstacles

    pistmologiques relatifs au concept de circulation du sang et nous conclurons sur les

  • 12

    registres explicatifs du vivant ; autant dlments de rfrence indispensables pour

    produire des analyses argumentes, menes dans la partie empirique, afin de

    caractriser les ROS et les pistmologies du professeur et des lves.

    Un court chapitre 4, dans un mouvement de reprise des lments produits tout au long

    des chapitres prcdents, remettra en contexte les questions de recherche et

    expliquera le choix des trois tudes de cas dveloppes dans la partie 3 de ce

    mmoire.

  • 13

    Chapitre 1. DCRIRE ET COMPRENDRE DES PRATIQUES LAIDE DE LA THORIE DE LACTION CONJOINTE EN

    DIDACTIQUE ET DU RAPPORT AUX SAVOIRS

    1. La TACD1, un appareil thorique danalyse des situations didactiques

    Nous souhaitons mener des analyses qui prennent en compte lensemble des

    acteurs du systme didactique en situation de classe ordinaire que nous pourrions

    dfinir de la faon suivante :

    Une classe ordinaire est un lieu didactique denseignement et dapprentissage o

    lobservateur reste, du dbut la fin de la squence denseignement, totalement neutre quant

    aux choix dactions des acteurs observs (Rilhac, 2007, p.159).

    Partant du postulat que les situations denseignement et dapprentissage se

    tissent entre des acteurs et que les savoirs en jeu rsultent de leur action conjointe, il

    nous semble que dans lensemble complexe des travaux sur les pratiques enseignantes,

    cest, lintrieur des analyses didactiques, la thorie de laction didactique conjointe

    qui nous parat la plus pertinente pour mener notre recherche.

    La thorie de laction conjointe du professeur et des lves en didactique

    (TACD) dveloppe par Sensevy et al (Sensevy, Mercier et Schubauer-Loni, 2000 ;

    Sensevy et Mercier, 2007 ; Sensevy, 2011) considre laction humaine comme une

    action dans laquelle lacte de lun constitue la source de lacte de lautre, bas sur

    une smiose rciproque dautrui qui autorise des infrences conjointes permettant

    aux humains de se comprendre (Sensevy, 2011, p. 211). Cette thorie modlise

    lactivit humaine comme un systme organis de jeux didactiques (Sensevy, 2011,

    p. 43) qui, implments un savoir particulier, deviennent des jeux

    dapprentissage eux-mmes caractriss laide de systmes de descripteurs. Ces

    systmes de descripteurs sont organiss autour dune stratification ternaire : le jeu jou

    in situ, la construction du jeu et les dterminants du jeu. Aussi, aprs avoir dfini les

    jeux didactiques, nous envisagerons comment ils sont jous in situ, mais aussi

    comment ils sont construits et enfin quels lments sont susceptibles de les

    dterminer.

    1.1. Les jeux dans la thorie de laction conjointe en didactique

    La TACD propose de considrer laction didactique comme une srie de jeux.

    Dans lensemble des pratiques humaines, ce jeu est bien spcifique, puisquil met en

    prsence un joueur particulier, le Professeur, qui gagne si et seulement si llve

    gagne, cest dire apprend (Sensevy, Maurice, Clanet et Murillo, 2008, p.109). Ces

    jeux didactiques prsentent un certain nombre de caractristiques que lon peut

    rappeler ici :

    Cest un jeu coopratif dans le sens o professeur et lves interagissent

    propos dun objet transactionnel2, le savoir. Laction conjointe est une action

    organiquement cooprative (Sensevy et Mercier, 2007, p.15) et coordonne.

    1 Thorie de laction conjointe en didactique.

  • 14

    Cest un jeu de communication au sens o il sactualise dans des transactions

    mettant en jeu les trois sous-systmes du systme didactique : Professeur, lve et

    Savoir.

    Cest un jeu conditionnel dans le sens o le professeur natteint son objectif

    que si llve apprend (Sensevy, 2008, p. 44). Cet apprentissage exige que llve

    fasse sien un savoir au lieu de simplement le restituer.

    Cest un jeu contraint dans le sens o llve gagne sil joue par lui-

    mme . Cest la clause proprio motu au fondement de la relation didactique (llve

    agit de lui-mme pour apprendre) qui exige du coup une ncessaire rticence

    didactique de la part du professeur : celui-ci ne peut dire ce que llve doit apprendre

    de lui-mme, sinon personne ne gagne au jeu.

    Cest un jeu qui suppose la dvolution (Brousseau, 1998) pour que llve joue

    au jeu et quil accepte de prendre la responsabilit de lapprentissage en jeu, son

    propre compte.

    Cest un jeu paradoxal o le gain de llve (et donc du professeur) est sous la

    responsabilit du professeur : le professeur est la fois juge et partie ce qui

    suppose la tentation de tricher au jeu : ce que Brousseau (1998) a identifi trs tt

    sous la forme des effets Topaze (faire produire une stratgie dite gagnante mme si

    llve napprend pas proprio motu) et Jourdain (dclarer llve gagnant au jeu,

    mais llve na pas appris).

    Un jeu dapprentissage nexiste que dans le cadre du jeu didactique : il est

    spcifi un enjeu de savoir particulier. On peut voir une squence denseignement-

    apprentissage comme une succession de jeux dapprentissage centrs chaque fois

    autour dun nouvel enjeu de savoir dans la classe pour avancer dans lapprentissage.

    Cest le jeu du professeur sur le jeu de llve (Sensevy, 2011, p. 124) ; cest ce que le

    professeur fait faire aux lves et ce que les lves produisent en regard de cette

    action.

    Ce prambule nous a permis de dfinir les jeux dans la thorie de laction

    didactique conjointe du professeur et des lves propose par Sensevy et al. Nous

    avions besoin de ces informations pralables, car une partie du travail engag consiste

    en une dlimitation et une description fine de jeux dans les classes participant la

    recherche des fins danalyses. Venons-en la prsentation de la stratification

    ternaire de la thorie : faire jouer le jeu, construire le jeu et les dterminations du jeu.

    Ce sont ces trois strates que nous prsenterons maintenant afin de situer plus

    prcisment lancrage de nos propres travaux dans ce cadre thorique et notamment la

    place des rapports aux savoirs des acteurs didactiques dans cette stratification ternaire.

    1.2. Faire jouer le jeu ou analyse in situ

    Les jeux en train de se faire sont caractriss laide de trois systmes de

    descripteurs que nous envisageons maintenant : le doublet milieu/contrat, le triplet des

    genses et le quadruplet de caractrisation des jeux. Ce systme de descripteurs est

    indispensable au chercheur pour mener lanalyse du jeu in situ. Cest pour nous loutil

    thorique de lecture des faits se droulant dans la classe.

    2 Dans la TACD, laction didactique est considre comme une transaction dans laquelle lun produit une action en complment de ce que fait lautre, chacun assurant une part de la transaction. Dans nos tudes, lobjet des transactions est le savoir.

  • 15

    Voyons dabord le doublet milieu-contrat de descripteurs qui peut caractriser

    les jeux dapprentissage. Envisageons dans limmdiat le contrat qui lie les partenaires

    de la relation didactique, travers la notion de contrat didactique dveloppe par

    Brousseau (1986).

    1.2.1. La solidarit milieu/contrat

    Un jeu dapprentissage se comprend dans une dialectique milieu/contrat et la

    plupart du temps, les jeux dapprentissage sont perus par les lves dans un mixte

    entre ce qui est compris des attentes du professeur de la part des lves (contrat

    didactique) et aussi ce que llve prend des rtroactions fournies par le milieu

    (Santini, 2010, p. 161).

    1.2.1.1. La notion de contrat didactique

    Le contrat didactique correspond lensemble des comportements du matre

    qui sont attendus de llve et lensemble des comportements de llve qui sont

    attendus du matre (Brousseau, 1980, p. 127). Il repose donc sur les attentes

    rciproques et non formules de chacun des protagonistes de la relation didactique et

    prexiste, sans jamais avoir t discut dans le projet social qui fonde lacte

    denseignement. Pour poursuivre la citation de Brousseau (1980),

    Il3 est la rgle de dcodage de lactivit didactique par laquelle passent les apprentissages

    scolaires. On peut penser qu chaque instant, les activits dun enfant dans un processus

    dpendent du sens quil donne la situation qui lui est propose, et que ce sens dpend

    beaucoup du rsultat des actions rptes du contrat didactique .

    Celui-ci peut donc tre considr comme un systme de rgles du jeu

    immanent telle ou telle situation et dont les implications rciproques sont

    constamment redfinies dans laction. En effet, mme si les rgles sont implicites,

    elles font lobjet dajustements en fonction de la situation et du savoir vis.

    Pour terminer la citation de Brousseau :

    Le contrat didactique se prsente donc comme la trace des exigences habituelles du matre

    (exigences plus ou moins perues) sur une situation particulire. Ce qui est habituel ou

    permanent sarticule plus ou moins bien avec ce qui est spcifique de la connaissance vise ;

    certains contrats didactiques favoriseraient le fonctionnement spcifique des connaissances

    acqurir et dautres non, et certains enfants liraient ou non les intentions didactiques du

    professeur et auraient ou non la possibilit den tirer une formation convenable .

    Depuis la TSD4 de Brousseau, le contrat didactique prcise certaines des

    conditions sous lesquelles un apprentissage devient possible.

    Le contrat didactique comporte donc une forte part dimplicite, de non-formul

    y compris dans ce qui est dit en classe au cours des changes verbaux qui ont lieu

    entre les transactants. Ce dernier point est li une certaine rticence didactique de la

    part du professeur qui ne peut dire llve ce quil doit apprendre mais qui doit

    linciter faire, pour apprendre ; llve doit du coup dcoder ce que le matre ne peut

    pas dire : on dira que les noncs du matre ont une trs forte valence perlocutoire lie

    cet implicite du contrat didactique et la rticence qui lui est attache. Lexistence

    du contrat didactique amne deux caractristiques dj voques. Dune part le

    contrat fonctionne sur un paradoxe (ne pas dire ce que llve doit apprendre) et

    3 Le contrat didactique 4 Thorie des situations didactiques

  • 16

    dautre part le professeur peut tre amen tricher avec les deux effets de contrat

    (Topaze et Jourdain) voqus plus haut.

    La notion de contrat didactique voluera ; ainsi Chevallard, dans une approche

    anthropologique du didactique, replacera le contrat didactique au sein des institutions

    dans lesquelles les savoirs sont mis ltude et lenseignement et, de fait, portera

    laccent sur les droits et les devoirs5 des uns et des autres : le contrat didactique dfinit

    les droits et les devoirs des lves, les droits et les devoirs de lenseignant et, par cette

    division des tches, partage et limite les responsabilits de chacun (Chevallard, 1988).

    Le contrat didactique apparat comme le produit dun mode spcifique de

    communication didactique instaurant un rapport singulier de llve au savoir -

    mathmatique- et la situation didactique (Sarrazy, 1995). Selon Schubauer-Leoni, le

    contrat didactique, pour Chevallard, dfinit divers rapports institutionnels 6. Les

    rapports institutionnels font que le rapport de lenseignant tend sy rduire et que

    celui de llve tend sy conformer (Schubauer-Leoni, 1996, p.163). Ainsi, si dans

    la TSD de Brousseau, le contrat didactique est au service dune tude du

    fonctionnement de la machine didactique , et instaure un systme de normes,

    dhabitudes ou dattentes entre enseignant et lves, Chevallard dans la TAD

    sintresse aux conditions de possibilit de ce fonctionnement (Ibid.) et revisite le

    contrat didactique dans un contexte plus large, celui de linstitution. Ainsi, les lves

    et le professeur noccupent pas des positions symtriques dans la manire

    dapprhender un objet de savoir ; le second sait normalement plus de choses que les

    premiers et a la responsabilit dorganiser des situations denseignement rputes

    favorables aux apprentissages des premiers. Le contrat didactique organise donc bien

    deux rapports diffrents un objet de savoir, deux registres pistmologiques qui

    distinguent le professeur de ses lves (Johsua et Dupin, 1993, p. 251).

    Enfin, des travaux ont explor un fait fondamental et pourtant encore bien

    trop peu tudi en didactique (Sensevy et Mercier, 2007, p.194), il sagit du fait que

    le contrat didactique est diffrentiel (Schubauer-Leoni 1986, Schubauer-Leoni et

    Leutenegger, 2002), comme sont diffrentiels les rapports aux milieux des lves. Il

    ny a donc pas un contrat didactique entre le professeur et les lves mais des contrats

    entre le matre et des lves ou des groupes dlves. Porter le regard sur le rapport au

    savoir des acteurs, cest comprendre une partie des contrats didactiques dans la classe.

    Intimement li la notion de contrat didactique, envisageons dsormais ce que

    peut tre le milieu dans les jeux dapprentissage.

    1.2.1.2. Le milieu didactique dans la TACD

    Llve ne fait pas que prendre des indices de la situation partir du contrat

    didactique, il entretient un systme de relation avec le milieu inhrent la situation.

    Le travail de thorisation didactique autour de la notion de milieu a t

    entrepris, entre autres, par Brousseau, 1990 ; Margolinas, 1998 ; Perrin-Glorian,

    5 Droits et devoirs sentendent ici par rapport une composante institutionnelle que nous serons amene dvelopper un peu plus loin (p. 30). En substance, on peut dire ici que institution sentend dans lacception thorique que lui donne Chevallard dans la Thorie Anthropologique du Didactique, la suite de Mauss, Durkheim et surtout Douglas ; et pour reprendre une note de bas de page de Chevallard (2003) : le mot dinstitution est pris ici en un sens non bureaucratique, proche de lemploi quen fait par exemple lanthropologue Mary Douglas (voir Douglas 1987) . Pour des dveloppements, on peut dors et dj se reporter la p. 30 de cet crit. 6 Les notions de rapports personnels et institutionnels un objet O sont discuts plus loin (p. 30). Pour lessentiel,

    disons ici quun objet O existe sil existe pour au moins une personne X ou une institution I, c'est--dire si au

    moins une personne ou une institution a un rapport cet objet O.

  • 17

    1999 ; Joshua et Flix, 2002 ; Amade-Escot, 2005 ; Orange, 2007 ; Sensevy et

    Mercier, 2007 ; Schubauer-Leoni, 2008 ; Amade-Escot et Venturini, 2009. Nous ne

    pouvons bien videmment prtendre une prsentation exhaustive de tous ces

    travaux, il est cependant ncessaire de revenir sur les principaux mouvements

    desquels ont merges les notions de milieu afin de mieux saisir leur niche thorique,

    cest pourquoi nous nous limiterons convoquer quelques auteurs qui ont permis

    lenrichissement du concept depuis les travaux historiques de Brousseau.

    La notion de milieu chez Brousseau (1986) est dfinie comme milieu

    antagoniste et adidactique en mathmatiques dans le cadre de la thorie des situations

    didactiques et dapprentissage par adaptation. Dans cette thorie le milieu correspond

    tout ce qui agit sur llve et/ou ce sur quoi agit llve. Ce milieu reprsente le volet

    local du milieu li lapprentissage vis. Le milieu cr par lenseignant est la fois

    matriel (les objets observer, des loupes, des manuels ...) et symbolique ou cognitif

    (quelles notions ont t travailles et que lon va devoir rutiliser, les rseaux

    conceptuels sollicits pour apprendre tel savoir) ; le professeur installe les lves dans

    un certain milieu qui va voluer au fil des changes didactiques.

    Dans le cadre de la thorie anthropologique du didactique (TAD), Chevallard

    dveloppera la notion de milieu institutionnel. Pour lui, le milieu est, avec le contrat,

    ncessaire lcologie des systmes didactiques ; il tablit donc une premire

    dialectique milieu/contrat. Selon Chevallard, il existe un pralable au fonctionnement

    didactique et tout projet denseignement, cest un milieu institutionnel qui constitue

    larrire-fond ou lespce de background ncessaire linstauration des transactions

    didactiques qui sactualisent hic et nunc (Sensevy et Mercier, 2007, p. 23), milieu lui-

    mme en mouvement. Le fonctionnement dun systme didactique fait bouger le

    milieu puisque les rapports personnels aux objets denseignement vont se transformer

    au fil du temps didactique (Amade-Escot et Venturini, 2009). Ainsi, le milieu est un

    construit permanent7 .

    En guise de synthse, Sensevy propose dans le cadre de la TACD non pas un

    milieu mais des milieux : un contexte cognitif de laction (quon pourrait voir comme

    lquivalent du versant institutionnel de Chevallard) et un milieu antagoniste (le

    versant local de Brousseau). Cette proposition permet daplanir en partie les difficults

    souleves par Orange (2007) selon lequel un milieu seulement antagoniste nexiste

    jamais en SVT ; il est plutt alors le lieu pour le travail sur le texte des savoirs par

    la classe (Orange, 2007, p. 50). De notre point de vue, celui du cadre thorique

    dune action didactique sous langle de lagir conjoint, nous considrons que le milieu

    est le rsultat dune action conjointe. Laction conjointe du professeur et des lves

    contribue produire et redfinir le milieu de ltude. Et, mme si le milieu

    ncessaire ltude des savoirs relve dun processus de co-construction, il nest

    jamais totalement contrl ni garanti par le dispositif ou la tche dapprentissage. Ce

    processus a t mis en vidence par de nombreuses tudes (Comiti, Grenier et

    Margolinas, 1995 ; Perrin-Glorian et Hersant, 2003 ; Rilhac, 2007). Ce processus de

    co-construction implique bien videmment des aspects lis aux conditions matrielles

    et symboliques structurant les dispositifs proposs aux lves et au-del, ce processus

    est le produit mergent de laction conjointe professeur/lves. De plus, ce processus

    conjoint dans la gense des milieux sappuie, bien sr, sur les lves, et en mme

    temps, produit des phnomnes diffrentiels selon les lves : cest ce que Schubauer-

    Leoni a nomm ds 1986, le contrat didactique diffrentiel avec ses milieux

    7 Nous y reviendrons quand nous aborderons au paragraphe suivant la msogense.

  • 18

    diffrentiels. Assude et Mercier ont eux aussi montr comment professeur et lves

    transforment et crent des milieux diffrentiels qui vont permettre certains lves

    dentrer dans les tches mises ltude par le professeur, alors que pour dautres

    lves ce travail sera inabordable (Assude et Mercier, 2007, p.178). Ainsi, le milieu

    de lenseignant ne recoupe que partiellement celui de chacun des lves. Du coup,

    quelle thorisation donner du milieu dans le cadre de la TADC ?

    Une proposition de thorisation par Amade-Escot et Venturini est en cours et

    tente denvisager les processus en termes de msogense8, selon une approche

    dynamique permettant didentifier des configurations de trajectoires possibles en

    articulant diffrentes chelles de temporalits didactiques (Amade-Escot et Venturini,

    2009). La position thorique du milieu de type institutionnel inclut, selon Amade-

    Escot et Venturini, lactivit dans ses dimensions historique et culturelle comme tant

    au principe des actions observables dans lici et maintenant des squences observes.

    Laction didactique conjointe sintresse beaucoup plus lici et maintenant de

    laction en dcrivant les aspects pragmatiques de la msogense et les processus

    micro-historiques lis aux interactions didactiques. Les thoriciens de laction

    didactique conjointe portent leur attention sur la transposition msogntique

    interne . On est plus dans laspect situationnel et interactionnel. Cest laction qui

    prime. Ainsi lactivit donne paisseur laction et les enseignants mobilisent des

    figures daction canonique contextualises en mme temps que des ajustements

    singuliers en relation avec lvolution locale et situe des interactions didactiques.

    Lactivit sinscrirait dans le temps long de lhistoire collective et de la culture alors

    que le tempo de laction la situe dans lici et maintenant de la situation en cours. Il

    faudrait ainsi sappliquer saisir la dynamique des transformations conjointes selon

    deux chelles (au moins) de temps pour saisir la dimension historico-culturelle de

    lactivit et la dimension actionnelle de lici et maintenant.

    Finalement en poursuivant la pense dAmade-Escot et Venturini,

    Le milieu didactique est un concept tissant les possibles et les ncessaires aller-retour

    entre lici et maintenant de laction conjointe et les substrats historiques, collectifs et

    institutionnels qui en dterminent la dynamique et la pratique concilie la fois la

    dtermination de la conduite et lintentionnalit de laction. (Venturini et Amade-Escot,

    2009, p. 36).

    Ainsi, pour notre part, nous considrerons, la suite dAmade-Escot et

    Venturini (2009) que le milieu envisag dans le cadre de la TACD rsulte dun

    processus dynamique ; le milieu nest pas un donn mais un construit. Il est co-

    construit par le professeur et les lves. Enfin, le milieu est gnralement diffrentiel,

    inscrit dans des chelles temporelles multiples articulant les registres de lactivit et de

    laction didactiques. Ce milieu diffrentiel voqu ici semble faire cho avec ce

    qucrivent Sensevy et al. (Sensevy et al, 2008, p.119):

    Laction conjointe du professeur et des lves produit le milieu des transactions didactiques

    (processus de msogense), mais cette productionest slective : il ne sagit pas dune action

    conjointe entre le professeur et la classe, mais dune action conjointe lective, qui dtermine

    les objets de savoir en transaction sur le fond des potentialits et des capacits dune partie des

    lves de la classe.

    On retrouve ici ce que nous voquions prcdemment avec la notion de contrat

    didactique diffrentiel de Schubauer-Leoni (Schubauer-Leoni, 1986).

    8 Nous proposons dans la section suivante une dfinition plus prcise de ce terme, on peut sy reporter p. 19.

  • 19

    Ce premier point sur le doublet milieu-contrat nous invite examiner un autre

    systme de descripteurs de laction didactique, le triplet solidaire des genses, en

    commenant par ce qui semble tre le descripteur principal, celui de la msogense,

    qui fait lien directement avec ce que nous venons dcrire propos du concept de

    milieu.

    1.2.2. Le triplet des genses

    Si la notion de doublet milieu-contrat tire assez srement son origine des

    travaux broussaldiens, malgr quelques extensions et remaniements dont nous venons

    de discuter, on peut attribuer au triplet des genses une filiation plus chevallardienne.

    1.2.2.1. La msogense

    tymologiquement, la msogense dsigne la gense du milieu et a t

    introduite par Chevallard, (Chevallard, 1992). Le processus didactique, nous lavons

    vu, suppose la cration dun milieu, et aussi son volution ou msogense, dans

    lequel auront lieu les interactions que nous avons dcrites plus haut. Cest sans cesse

    la recherche dun quilibre dans la relation lves-enseignant autour dun enjeu de

    savoir, pour garder ensemble, un accord sur lenjeu denseignement et

    dapprentissage, et lactivit permanente de rgulation de lenseignant, pour maintenir

    les interactions lves/milieu les plus favorables lapprentissage qui tiennent la

    relation didactique. La msogense est aussi ce que Mercier (2002) appelle la

    rfrence dans la classe, et que lon peut dfinir comme un environnement de

    signification partage ou raisonnablement commun ; Schubauer-Leoni quant elle,

    parle de la co-construction dun mesos ou lieu de mdiation, constitu dun systme

    dobjets pour enseigner et pour apprendre. Lanalyse didactique permettra

    dapprcier la co-construction des milieux et des savoirs. Au cours de cette co-

    construction, des transactions se nouent qui constituent des formes particulires

    dinteractions entre les acteurs didactiques. Ces interactions participent de la

    formation et de lvolution des milieux co-construits, afin de tenir ensemble un

    traitement pertinent de ce qui est considr comme tant lenjeu didactique du

    moment. Nous parlons donc bien ici de milieux au pluriel dont nous avons dit

    prcdemment quils pouvaient tre diffrentiels ; la msogense sintresse la

    manire dont ces milieux sont produits.

    La msogense volue de concert avec deux autres descripteurs que sont la

    topognse et la chronogense. Le matre a tout la fois grer le rapport des lves

    lenvironnement didactique (msogense), lavance du temps didactique

    (chronogense), la rpartition des responsabilits dans lavancement du savoir entre

    professeur et lves (topognse), mais cette gestion est sans arrt dstabilise par

    laction conjointe des lves.

    1.2.2.2. La topognse

    Elle renvoie la manire dont se constitue, dynamiquement, le systme de

    places respectives, de lenseignant et de llve, dans la relation didactique et

    notamment pour ce qui est de la responsabilit de lavance du savoir. Ltude des

    interactions didactiques doit aussi se faire laune de la topognse c'est--dire des

    places, y compris physiques, occupes par les lves et le professeur. Il existe en effet

    une gestion particulire des territoires -de lenseignant et des lves- qui

    correspondent un espace la fois physique, cognitif et symbolique. Ainsi, la

    construction de la rfrence va avoir un effet sur la faon dont les lves et

    lenseignant vont voluer chacun dans son territoire respectif tout en uvrant dans

  • 20

    cette espce de zone intermdiaire qui est bien celle de la co-construction dune

    rfrence. (Schubauer-Leoni, 2008) : msogense et topognse sont ici intimement

    tisses.

    Les systmes de places et de territoires occups par les lves et le professeur

    modulent grandement lengagement et les prises de responsabilits des acteurs dans le

    jeu didactique et donc dans lavance du savoir en jeu. Lorsque lenseignant est en

    situation daccompagnement des lves ou de mimtisme (il fait alors semblant de

    ne pas savoir) ou encore de retrait, il peut laisser aux lves un territoire plus large que

    lorsquil doit adopter une position de surplomb par rapport la classe. Dans le premier

    cas, il y a une espce de confiance de lenseignant dans le milieu alors que dans le

    second les rtroactions du milieu sont annihiles par la position surplombante du

    professeur (Schubauer-Leoni, 2008).

    troitement associe la gestion des territoires et lvolution dune rfrence

    commune, envisageons la gestion des temporalits travers la chronogense.

    1.2.2.3. La chronogense

    Le contenu dun jeu dapprentissage volue sans cesse et la chronogense

    recouvre ce qui a trait lavancement des savoirs au cours du temps, dans le systme

    didactique. Le savoir est port ensemble par matre et lves mais ceux-ci nont pas un

    rle quivalent dans lavance du temps didactique (Chevallard, 1991). Celui-ci se

    dcline galement diffrentes chelles. Le professeur dcide, en amont du travail de

    classe, dune certaine chronologie des savoirs travers ce quil nomme sa progression

    annuelle ou par priode. Il dcide de consacrer quelques sances dans une squence

    portant sur tel ensemble de savoir. Il peut dcider que le temps est venu de passer

    telle autre notion et il clture pour cela le temps de lapprentissage en classe. Llve,

    quant lui, peut tre en avance sur le temps didactique, en phase ou en retard ; dans

    un groupe classe, toutes ces configurations sont envisageables. L encore, les grains

    danalyse successifs, du mso didactique au micro didactique, permettront de suivre

    lavance des savoirs dans le systme didactique. A tout moment dans la classe, au

    cours du jeu didactique, lenseignant ralentit, acclre les actions, dclare des

    avances, fait des relances, donne des indices de fin (Schubauer-Leoni, 2008). Le rle

    des lves est identique dans ces mouvements davance ou de recul du temps

    didactique puisquils participent activement au travail de co-construction.

    Ces trois concepts qui permettent de dcrire ce qui se passe dans la classe in

    situ constituent un triplet indissociable de descripteurs du jeu didactique qui agissent

    de concert. Ensemble est dfinit un partage des responsabilits entre le professeur et

    les lves (topognse), ils participent ensemble lavance du temps didactique

    (chronogense) et ngocient la mise en uvre des objets de savoir dans le milieu

    (msogense). Ce triplet sexprime travers quatre lments structuraux

    fondamentaux de la relation didactique : dfinir, rguler, dvoluer, instituer que nous

    allons examiner maintenant.

    1.2.3. Le quadruplet de caractrisation des jeux

    Quatre catgories permettent de caractriser les scnes didactiques en train de

    se jouer conjointement. Examinons maintenant le quadruplet dfinir, rguler, dvoluer

    et institutionnaliser.

  • 21

    1.2.3.1. Dfinir

    Dfinir, cest poser le cadre du jeu didactique, auquel les partenaires sont

    convenus de jouer, avec ses objets constitutifs. La dfinition de la situation par

    lenseignant peut tre faite en rfrant une activit inscrite dans la mmoire

    didactique de la classe. Le jeu peut tre dfini par le matre, en indiquant dans

    lactivit prsente des lves, ce qui peut tre adopt comme rgle constitutive du jeu

    didactique (Sensevy, Mercier et Schubauer-Leoni, 2000). Lorsque le professeur dfinit

    le jeu, il fait en sorte que les lves sachent quelles tches ils sont convoqus et dans

    quels buts ils vont les raliser, bref, quelles sont les rgles du jeu didactique. Ce travail

    de dfinition est articul au processus de dvolution au sens de Brousseau (Schubauer-

    Leoni, 2008) que nous envisageons quelques lignes plus loin.

    1.2.3.2. Rguler

    Rguler renvoie aux interventions de lenseignant quand les lves sont entrs

    dans lactivit cest--dire quils tablissent des relations avec la situation. Le matre

    rgule les rapports que les lves sont en train dtablir la situation. Le professeur

    peut intervenir dans le travail dun groupe pour prciser le statut dune erreur, non pas

    en fonction dune ide quil se serait forge partir du travail des lves, mais plutt

    en fonction de certains principes denseignement qui orientent son action ; il sagit

    aussi dun travail de rgulation. Le professeur fait en sorte dobtenir des lves une

    stratgie gagnante au jeu didactique qui se joue. Il peut ainsi rguler en mettant en

    doute une bonne rponse trop rapidement fournie par un lve pour inciter les autres

    lves poursuivre leur recherche de stratgies gagnantes.

    1.2.3.3. Dvoluer

    Cest Brousseau, en didactique des mathmatiques, qui a mis au jour cette

    technique professorale. Dvoluer, pour lenseignant, consiste faire en sorte que les

    lves prennent la responsabilit de sengager dans lactivit propose. Mme si la

    dvolution est quasi simultane avec la dfinition et la rgulation, elle ne se confond

    pas avec ; la dvolution constitue en fait, un processus qui accompagne, avec plus ou

    moins dintensit, lensemble du travail didactique ; ce processus confie aux lves

    pour un temps la responsabilit de leur apprentissage. La dvolution se fait la classe,

    et va amener une rorganisation du travail collectif des lves, qui acceptent alors que

    le professeur ne transmette pas directement les connaissances quils ont apprendre.

    1.2.3.4. Institutionnaliser

    Brousseau (1986) a mis en vidence ce processus dinstitutionnalisation depuis

    longtemps. On peut concevoir linstitutionnalisation comme

    Une dimension fondamentale dun travail de production dinstitution : le professeur et les

    lves sinstituent comme collectif de pense comptable de leur production de savoir et ils

    sautorisent valuer cette production. Ils identifient des manires de faire, que linstitution

    quils forment reconnat comme lgitime (Sensevy, Mercier et Schubauer-Leoni, 2000,

    p. 271).

    Quand le professeur institutionnalise, il fait en sorte que telle connaissance soit

    considre comme lgitime ou vraie et attendue dans la classe. Linstitutionnalisation

    nest pas systmatiquement relgue en fin de sance denseignement/apprentissage.

    Tout au long du processus de lagir conjoint, lenseignant va grer lincertitude car

    les lves confronts des objets de savoir nouveaux vont tenter de dpasser les

    rsistances que reprsente la tche ou lactivit et donc, lenseignant va devoir grer,

    avec eux, ces incertitudes pour leur permettre de les transformer en connaissances

  • 22

    nouvelles (Schubauer-Leoni, 2008, p. 75). Ces formes dinstitutionnalisation sont

    autant de faons de stabiliser au moins provisoirement un certain tat davancement

    du savoir de la classe.

    Mener une analyse in situ devient un des enjeux fondamentaux de cette thse.

    Cette analyse produira un ensemble de donnes que nous serons amene mettre en

    discussion avec dautres donnes dont nous dirons quelles sont lies aux

    dterminations du jeu.

    Dcrire un jeu, cest pour nous ncessairement dplier la situation entrelace ce jeu, en

    articulant global et local, puisque les dterminations du jeu ne pourront a priori tre

    considres comme appartenant lun ou lautre type (global ou local) (Sensevy, 2008,

    p. 41).

    La prsentation des lments descripteurs de laction in situ tait un travail

    essentiel mener car il alimentera une partie non ngligeable de nos analyses

    empiriques, lanalyse in situ des pratiques effectives. Nous entamons dsormais le

    travail de description de la strate intermdiaire, prvue dans la thorie de laction

    conjointe en didactique ; ltage de construction du jeu.

    1.3. Construire le jeu

    Cette strate de la TACD correspond un travail hors la classe de prparation et

    de choix des tches proposer aux lves lors du travail in situ. Elle sarticule donc

    directement la strate prcdente que nous venons de dcrire et comprend deux

    niveaux de description : lanalyse a priori des savoirs (tels que lenseignant prvoit de

    les mettre en jeu) et la relation que lenseignant entretient avec les savoirs. En tant que

    chercheur, nous procderons une analyse pistmique des savoirs en jeu, ce qui nous

    permettra de comprendre par l-mme, une partie des rapports pistmiques que

    lenseignant entretient avec les savoirs slectionns par lui, pour laction in situ.

    1.3.1. Lanalyse pistmique des savoirs en jeu ou analyse a priori

    Dcrire le jeu in situ ne peut tre suffisant car les grandes lignes de ce qui se

    passe dans laction de la classe se dcident en grande partie dans un autre lieu, dans

    dautres lieux, dans le hors-classe. Comme le prcise Sensevy, si le jeu didactique

    possde une grande part de contingence dans le fonctionnement in situ, (il) reoit son

    architecture fondamentale hors de la classe, dans la prparation des activits

    (Sensevy et Mercier, 2007, p.35). Ainsi, comprendre les situations denseignement et

    dtude ncessite daller regarder de ce ct-l, de faon suffisamment attentive, pour

    mettre au jour le systme de tches dont le professeur fait usage pour un

    enseignement particulier, et cela des grains de temporalit diffrents (Sensevy et

    Mercier, 2007, p.35). Il faut donc aller rechercher par exemple dans les documents

    supports utiliss pour la classe et dans les documents de rfrence mis ltude,

    comment sont actualises les tches pour les lves.

    Lanalyse pistmique des savoirs en jeu dans la classe est un passage oblig

    pour le chercheur ; elle permet de comprendre une partie des tches proposes aux

    lves, sur la base de quels choix faits par lenseignant, destination de quels lves,

    pour rpondre quelles commandes. Bref, travers cette analyse a priori cest

    llucidation dune partie des logiques pistmiques professorales qui est recherche.

    Lanalyse pistmique des savoirs en jeu ou analyse a priori est une production du

    chercheur qui tend modliser ce quoi le professeur engage les lves, dans quelle

    situation il peut les placer au cours du travail de classe, c'est--dire quelles sont ses

  • 23

    conduites lui possibles, quelles sont les conduites possibles des lves (Sensevy et

    Mercier, 2007, p.205). Cette analyse se fait en relation avec les centrations

    pistmiques9 propos du savoir en jeu qui deviennent alors des rgles de mesure sur

    lesquelles situer les possibles, et notamment les choix du professeur actualiss in situ.

    En aucun cas ce ne sera un talon pour valuer laction professorale ou celle des

    lves. Elle ne devient pas instrument de jugement ou de validation dune quelconque

    faon de faire, mais matrice de comparaison pour la comprhension. Lanalyse a

    priori est aussi produite en appui sur une analyse pistmologique plus large du

    concept de circulation sanguine (cf. p. 66).

    Lanalyse pistmique des savoirs en jeu constitue le premier niveau de

    description de la construction du jeu, dans la TACD. Le second niveau fait appel aux

    relations que le professeur entretient avec les savoirs quil enseigne.

    1.3.2. Le rapport aux objets de savoir

    Le rapport que le professeur entretient vis--vis des savoirs quil choisit (plus

    ou moins) de livrer la classe sera, dune certaine faon, cristallis dans les tches

    prcdentes, proposes aux lves. Il sagit de tout un arrire-fond qui permet de

    comprendre les rgulations on line du professeur lors de laction conjointe in situ.

    Comprendre les rapports pistmique et pistmologique du professeur aux savoirs

    virtuellement contenus dans ces tches nous semble un enjeu important pour

    contribuer lucider des pratiques denseignement conjoint (Sensevy et Mercier,

    2007, p. 36).

    Nous ne dveloppons pas plus ici cette notion de rapport aux objets de savoir,

    car cest lenjeu de toute la seconde partie du cadre thorique (p. 26 et suivantes).

    Cependant, nous pouvons prciser, en cohrence avec ce qui est crit un peu plus haut,

    que tout le travail sur les centrations pistmiques prend ici toute sa signification car

    les choix faits par le professeur parmi les multiples possibles traitements des situations

    denseignement nous renseigneront sur son rapport aux objets de savoir, de mme que

    son rapport aux objets de savoir peut nous clairer sur le choix des tches actualises

    in situ. Au final, lanalyse a priori est un outil mthodologique pour le chercheur afin

    de saisir une partie du ROS du professeur.

    Examinons enfin la dernire strate de la TACD : aprs le jeu qui se droule in

    situ et la construction du jeu, voyons maintenant ce qui peut dterminer les jeux.

    1.4. Les dterminations du jeu

    Quand il sagit de faire jouer le jeu et de construire le jeu, on peut dire que ces

    deux actions rfrent des intentions (faire la classe et prparer, au sens trs gnral

    du terme, la classe), sans dailleurs pour autant dire que ces actions sont totalement

    transparentes la conscience (Sensevy et Mercier, 2007). Il est question maintenant

    des dterminants du jeu. Dans le contexte de la TACD, les dterminants font rfrence

    des soubassements, sans doute plus profonds, et plus imbriqus avec des thories

    explicatives plus gnrales aussi. Elles sont runies autour de deux grandes

    dimensions : le caractre adress de laction du professeur et le soubassement

    pistmologique de laction professorale. Les dterminants dans ce contexte dsignent

    ce qui peut documenter laction ; rechercher des dterminants, cest rechercher les

    sources possibles de comportements didactiques pour les comprendre. Les

    9 Cet aspect est dvelopp p. 48.

  • 24

    dterminants peuvent donc tre entendus ici comme des organisateurs, le plus souvent

    implicites, de la pratique des enseignants, c'est--dire ce qui dirige laction.

    1.4.1. Laction adresse du professeur

    On peut dire, avec Sensevy, que laction enseignante se fait en justification

    des cultures et des institutions. Le professeur agit dans des institutions, il est donc

    soumis des assujettissements multiples qui sont, sans doute, rpercuts dans laction

    conjointe de la classe elle-mme. Suivre les programmes ou prendre un certain

    nombre de liberts avec, accepter ou non les injonctions de linspecteur etc., sont

    autant dlments qui peuvent permettre de comprendre aussi ce qui se joue in situ

    (Sensevy et Mercier, 2007, p. 37).

    Laction est adresse aux lves bien sr, mais aussi aux parents, lcole, aux

    collgues, c'est--dire que laction se fait, sous couvert et soutenue par les institutions,

    qui imposent et prconisent dmarche et contenus. On peut imaginer aussi que

    l adressage sera diffrent si lenseignant exerce dans un tablissement sensible,

    dans une cole de centre ville ou un milieu rural par exemple avec des influences

    diffrentes des associations de parents dlves, de lquipe pdagogique en place, etc.

    Un des derniers dterminants du jeu pris en charge par la TACD reste

    examiner ; il concerne lpistmologie du professeur ou plus prcisment, daprs

    Sensevy, lpistmologie pratique du professeur, traduite en acte mais largement

    implicite, que nous envisageons maintenant.

    1.4.2. Lpistmologie pratique du professeur

    Lpistmologie du professeur est, pour Sensevy, tout la fois spontane et

    implicite. En effet, dans le cadre de la TACD, lpistmologie pratique fait rfrence

    des thories plus ou moins implicites que le professeur dveloppe lencontre des

    savoirs en jeu et lencontre de lenseignement de ces savoirs, de lapprentissage des

    savoirs et des difficults supposes des lves.

    Il existe des dterminants gnraux de lactivit du professeur, qui sont le fruit gnral de la

    thorie de la connaissance, en grande partie implicite, que ses conduites semblent rvler, et

    qui semblent pouvoir mieux faire comprendre celles-ci. (Sensevy et Mercier, 2007, p.44).

    Lpistmologie pratique du professeur est donc, pour Sensevy, une thorie de

    la connaissance qui nat de la pratique et qui loriente. Cette pistmologie est

    pratique en ce sens quelle est produite en grande partie pour un savoir donn, par les

    habitudes daction que le professeur a construites lors de son enseignement.

    Lpistmologie pratique ne constitue donc pas une sorte de base de connaissance

    applique. Elle fonctionne plutt comme un tropisme daction qui surdtermine dans une

    certaine mesure le pilotage de la classe. Cette surdtermination nest pas produite par la

    dfinition a priori de formes dactions, mais contraint la manire dont le professeur oriente les

    transactions dans la classe en fonction des quilibres didactiques. (Ibid.)

    Il semble donc, pour Sensevy, que lpistmologie pratique du professeur, soit

    le rsultat en acte denseignement dune dialectique entre des connaissances implicites

    relatives lenseignement et ltude des lves, et des habitudes de mises en uvre de

    ces pratiques denseignement. Selon Sensevy,

    On ne peut comprendre laction professorale sans la relier systmatiquement aux modalits

    concrtes de son exprience son activit cognitive, ses savoirs, ses manires dagir, la

    thorie de la connaissance quil a pu produire se sont construites ds ses premiers pas dans le

    mtier ... (Sensevy et al., 2008, p.110).

  • 25

    On retrouve certaines de ces composantes dans les travaux de Brousseau qui a

    t un des premiers voquer dans ses travaux, une pistmologie du professeur .

    Il parle aussi d pistmologie usage professionnel (Brousseau, 1998). Pour lui,

    lpistmologie dsigne ce quoi le professeur fait implicitement rfrence quant

    larchitecture de la discipline (en loccurrence les mathmatiques), il sagit dune sorte

    de modle construit pour la pratique (Brousseau, 1986). Ces rfrences implicites

    guident de loin laction professorale ; elles sont partages avec la culture de

    lcole , ces rfrences seraient donc communes aux lves, aux parents, aux acteurs

    au sens large de lcole. Dans la poursuite des travaux de Brousseau, Sarrazy10

    pose

    que lpistmologie du professeur est une construction du chercheur pour tenter

    dexpliquer ce que fait le professeur dans la classe. Pour lui, comme pour Brousseau,

    cest une rponse de chercheur- la gestion de lindicible du paradoxe li au contrat

    didactique. Elle se rfre aux deux sens de lpistmologie : la connaissance

    scientifique (ou pistmologie disciplinaire, au sens franais du terme) et lensemble

    des thories implicites relatives la connaissance (au sens plus anglo-saxon du terme).

    Pour dautres auteurs, le terme dpistmologie du professeur est utilis pour

    voquer les reprsentations errones que tend induire la pratique

    denseignant (Artigue, 1990). Perrin-Glorian (1994) dfinit lpistmologie du

    professeur comme une idologie pistmologique des savoirs enseigns et souligne les

    relations entre cette notion et les modes de gestion du contrat didactique dans les

    classes. Pour Amade-Escot, lpistmologie professionnelle ou thorie de la

    connaissance enseigne en jeu dans la pratique constitue un arrire plan pais la

    base de lingniosit pratique des enseignants mais demeure mal connue (Amade-

    Escot, 2001). Elle prcise:

    Lpistmologie professionnelle, comme thorie personnelle propos des contenus

    enseigner, faite de conceptions, de croyances, d'habitudes etc... Ce que Chevallard (1989)

    appelle le rapport personnel au savoir enseigner. Cest donc l'tude des dpendances entre

    la manire dont mergent, voluent et sont travaills les contenus en contexte et la thorie

    sous-jacente qui prside aux ajustements, aux rgulations du professeur, que sattache le

    didacticien lorsquil sintresse lenseignant. Parce quil postule que cette tude est

    susceptible d'apporter des informations permettant de mieux accder l'intelligibilit des

    pratiques (Amade-Escot, 2001, p. 39).

    On retiendra de ces quelques lignes la grande difficult fournir une dfinition

    homogne de lpistmologie, sans doute par ce que le terme lui-mme tente de

    dsigner une aura aux contours flous, cette espce dindicible qui fait la pratique

    de lenseignant. Nous naurons donc pas la prtention dapporter une rponse nouvelle

    cette pineuse question et nous nous limiterons reprer, partir des analyses in

    situ, ce possible dterminant des pratiques et comprendre certains aspects de

    lpistmologie pratique des professeurs ; ce reprage et cette comprhension

    deviennent un des enjeux de la thse.

    Pour conclure cette revue concernant la TACD, revenons sur un des lments

    de celle-ci que nous souhaitons examiner de plus prs, pour situer notre propre travail

    de recherche. Il sagit du rapport aux objets de savoir que la TACD prvoit quant au

    professeur. Examinons si des cadres thoriques interrogent diffremment les rapports

    que le professeur entretient avec les savoirs, examinons aussi si des thorisations

    prennent comme objet dtude le rapport que les lves entretiennent vis--vis des

    savoirs. Cest lenjeu de la partie suivante du cadre thorique.

    10 Nous rsumons ici sa position tenue lors dune confrence de sminaire qui a eu lieu Toulouse le 17/12/2008.

  • 26

    2. Le rapport au savoir ; une question multirfrentielle

    Pour reprendre les propos de Maury et Caillot dans leur ouvrage Rapport au

    savoir et didactiques , la notion de rapport au savoir peut tre clairante en didactique

    car elle se trouve au cur mme du processus denseignement et dapprentissage, et

    cela quel que soit le point de vue que lon adopte (Maury et Caillot, 2003, p.11). En

    effet, la problmatique large du rapport au savoir peut tre examine dans diffrents

    cadres thoriques o sujet et savoir ne tiennent pas exactement la mme position.

    Dans cette section, nous prsentons la notion de rapport au savoir qui a fait

    lobjet de trois thorisations rfrant trois champs dtude, celui de la psychanalyse

    avec lapproche clinique propose par lquipe de Beillerot, celui de la

    microsociologie avec lapproche socio-anthropologique et les travaux pilots par

    Charlot et celui de la didactique travers lapproche anthropologique et les travaux de

    Chevallard.

    2.1. Lapproche clinique dinspiration psychanalytique

    Cest lquipe de J. Beillerot, avec le groupe CREF11

    de luniversit de Paris X

    Nanterre12

    (Beillerot, Blanchard-Laville, Mosconi), qui dveloppe ds 1989 laspect

    psychanalytique dinspiration lacanienne du rapport au savoir. Dans cette approche,

    cest la dimension psychique inconsciente qui est prise en compte dans la constitution

    du rapport au savoir dun sujet ; cette dimension psychique ou intime (qui est premire

    dans la constitution du rapport au savoir) se double dune composante sociale.

    Dans lapproche clinique dinspiration psychanalytique, le rapport au savoir est

    dfini comme un processus par lequel un sujet, partir de savoirs acquis, produit de

    nouveaux savoirs singuliers lui permettant de penser, de transformer et de sentir le

    monde naturel et social (Beillerot, 1994). Lindividu nat dans un monde de savoirs

    constitus ; il va y construire sa propre personnalit et sa propre manire de se

    rapporter aux savoirs existants (Mosconi, 1996). Le rapport au savoir est la fois

    produit et processus. tant processus, il nest jamais fig, il volue tout au long de la

    vie. Dans cette optique, il sagit de comprendre comment lindividu va pouvoir, tout

    en forgeant sa personnalit, constituer sa manire propre de se rapporter aux savoirs

    existants pour produire, en fonction de ceux-ci, sa propre faon de comprendre le

    monde et dagir sur lui. Cest un processus crateur qui fait de tout sujet un auteur de

    savoir (Mosconi, 2008)13

    .

    Cest partir de ce que le sujet sait ou non quil se situe par rapport aux

    savoirs et au fait mme de savoir ou de ne pas savoir. Le rapport au savoir, selon

    Beillerot, est toujours singulier, il se construit en fonction de lhistoire de chaque sujet

    et sinsre dans une dynamique familiale, sociale et historique. Nous trouvons l un

    aspect que nous serons amene rencontrer dans la thorisation socio anthropologique

    et qui ainsi constitue un point de convergence entre ces deux thorisations.

    Le savoir est ici considr comme un objet, au sens psychanalytique du terme,

    cest--dire un support de linvestissement affectif et pulsionnel, soumis en tant que

    tel des projections et des fantasmes. Jai montr que les phnomnes

    11 Centre de Recherche Education et Formation. 12 Actuellement appele Paris-Ouest-Nanterre-La Dfense. 13 Source: confrence donne par Nicole Mosconi en septembre 2008 (Mosconi, 2008), en ligne sur le site consult le 23/10/2010 ladresse http://www.dijon.iufm.fr/IMG/pdf/colloque.pdf

  • 27

    transfrentiels et contre-transfrentiels au sens de la psychanalyse se dployaient

    aussi dans les espaces denseignement (Blanchard-Laville, 2003, p.147). Cette

    auteure parle d empreinte didactique qui est la signature particulire propre

    chaque enseignant dans sa classe et qui est base sur la double dimension du lien

    didactique en situation denseignement, la fois lien relationnel avec les enseigns et

    lien au savoir enseigner, issu de toute lhistoire du rapport au savoir de

    lenseignant (ibid., p.152). Le climat transfrentiel serait instaur par lenseignant et

    les effets contre-transfrentiels seraient rechercher du ct des lves.

    Apprendre est une interactivit entre le sujet apprenant et les savoirs scolaires,

    comme ralits extrieures lui, imposes par linstitution scolaire, reprsentante de

    la socit. Selon Mosconi (2008),

    Quand il apprend, le sujet rencontre quelque chose dinconnu, de non-matrisable et cette

    rencontre peut susciter de langoisse. Si celle-ci est trop forte, le sujet prfrera esquiver la

    relation et renoncer apprendre. Si celle-ci nest pas trop forte, il pourra assumer, sinon

    pleinement, du moins partiellement, ce rapport avec linconnu et engager la rencontre avec le

    savoir apprendre. La manire dont se sont drouls les phnomnes transitionnels de la toute

    petite enfance est dterminante dans cette capacit affronter linconnu avec suffisamment de

    confiance.

    Sur le plan mthodologique, ce type dapproche exige une analyse fine de la

    classe qui est clinique au sens du ressenti psychique lcoute du discours tenu

    par le professeur et au cours du visionnage des images, nous14

    attachant reprer ce

    que nous fait ce discours, au-del du sens des mots prononcs (Blanchard-Laville,

    2003, p.157). Le groupe-classe est lui-mme analys comme un appareil psychique

    propre qui ne se rduit pas la somme des appareils psychiques individuels

    (Blanchard-Laville, 2003).

    Pour conclure au sujet de cette approche, selon Beillerot (1996), toute tude

    qui prendra le rapport au savoir comme notion centrale ne pourra pas saffranchir du

    soubassement psychanalytique et il ny a de sens que du dsir. Le dsir du sujet est

    aussi pris en compte par Charlot dans sa thorie que nous allons envisager dans le

    dveloppement suivant.

    2.2. Lapproche socio-anthropologique

    Lapproche que nous dvelopperons ici est une approche micro sociologique

    rebaptise par Maury et Caillot (2003) approche socio-anthropologique dont

    lancrage principal est celui dun sujet essentiellement humain, social et singulier .

    Cest lquipe ESCOL15

    de luniversit Paris VIII autour de Charlot, Bautier et

    Rochex qui a dvelopp ces travaux. Nous avons dj compris quil y a des points de

    convergence entre cette approche thorique et la prcdente : les sujets ont une

    histoire personnelle inscrite dans un cadre familial et social.

    Selon Bautier et Rochex (1998, p. 34) ou Charlot, Bautier et Rochex (1992,

    p. 29),

    Le rapport au savoir peut-tre dfini comme un rapport des processus (lacte dapprendre),

    des situations dapprentissages et des produits (les savoirs comme comptences acquises et

    14 Lquipe de chercheurs. 15 Lquipe ESCOL (ducation Scolarisation) du dpartement des Sciences de lducation de Paris 8 a t fonde en 1987 par Charlot. Elle est aujourdhui sous la responsabilit dlisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex et fait partie de lquipe daccueil ESSI (ducation Socialisation Subjectivation Institution).

  • 28

    comme objets institutionnels, culturels et sociaux). Il est relation de sens et de valeur :

    lindividu valorise ou dvalorise les savoirs en fonction du sens quil leur confre .

    Analyser le rapport au savoir, cest tudier le sujet confront lobligation

    dapprendre (Charlot, 1997, p. 91) en analysant ses propos, sa conduite, sa situation,

    son histoire. En effet, le sujet dont parle Charlot (id. p. 24) est la fois

    un tre humain dot de dsirs, en relation avec les autres ; un tre social qui volue dans un espace social particulier ; un tre singulier qui interprte et donne un sens personnel son histoire, sa

    position par rapport aux autres et au monde qui lentoure.

    Aussi, le rapport au savoir, qui est relation de sens et de valeur au savoir,

    comporte-t-il plusieurs dimensions, pistmique, identitaire, sociale (id. p. 84-88).

    2.2.1. Dimensions du rapport au savoir ou rapport lapprendre

    Le rapport au savoir, ou rapport lapprendre selon le nologisme form

    par Charlot, a une dimension pistmique dfinie en rfrence la nature de

    lactivit que le sujet met sous les termes apprendre et savoir.

    Ainsi, par exemple, apprendre cela peut tre sapproprier un objet de savoir qui

    existe en tant que tel. Ce savoir est dcontextualis, pensable en lui-mme et sans

    rfrence des situations que lon a vcues (Charlot, 1997, p. 29). Lorsque le sujet,

    qui est alors un Je rflexif , est conscient de stre appropri un tel savoir quil a

    objectiv et quil peut dsigner, le processus pistmique en jeu est un processus

    dobjectivation / dnomination (Charlot, 1997, p. 80). Dans ce cas, le savoir est un

    objet culturel indpendant des personnes et on peut le trouver lcole et dans

    dautres lieux aussi.

    Mais apprendre, ce peut-tre aussi matriser une activit en situation, sans quil

    ny ait de dissociation entre dune part un objet ou un systme de savoir et dautre part

    un sujet pistmique (Charlot, 1997, p. 29). Dans ce cas, le sujet nest plus un Je

    rflexif , cest un Je pris dans laction , lindividu est centr sur la ralisation de la

    tche dont il ne repre par les enjeux de savoir et il sagit alors dun processus

    dimbrication du Je dans la situation (Charlot, 1997, p. 80). Ceci est sans doute

    rapprocher de ce que Bautier appelle une difficult secondariser 16

    (Bautier,

    2006) en rfrence aux travaux de Bakhtine. Ainsi, dans cette figure de lapprendre,

    on (llve ou pourquoi pas, lenseignant aussi dans certains cas) peut tre focalis sur

    la tche accomplir et pas sur sa vise, c'est--dire lobjet central de lapprentissage

    cognitif. Pour accder une attitude de secondarisation il faut au pralable arriver

    constituer le monde des objets scolaires comme un monde dobjets interroger sur

    lesquels on peut exercer alors une activit de pense et un travail spcifique (Bautier,

    Goigoux, 2004).

    Enfin, apprendre peut se comprendre comme le dveloppement de

    comptences relationnelles, matriser ses ractions. Dans ce cas, un travail rflexif

    dajustement de la conduite la situation suppose une distanciation vis--vis de cette

    situation, des autres et de soi-mme et amne une certaine rgulation pouvant aller

    16 Pour des complments sur le processus de secondarisation, voir BAUTIER E., GOIGOUX R. (2004). Difficults dapprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothse relationnelle. Revue franaise de pdagogie, n148, p.89-100.

  • 29

    jusqu lnonc de rgles. On parle alors dun rapport au savoir par distanciation /

    rgulation. Les apprentissages sont plus ici relationnels et affectifs.

    Le rapport au savoir a aussi une dimension identitaire qui correspond la

    faon dont le savoir prend sens par rapport des modles, des attentes, des

    repres identificatoires, la vie que lon veut mener, au mtier que lon veut faire

    (Bautier et Rochex, 1998, p. 34). Certains savoirs pourront tre alors valoriss selon

    quils peuvent servir ou non un projet de vie ou un projet professionnel imagin pour

    le futur.

    Enfin, ces deux dimensions sont modules par une dimension sociale. Le sujet

    dont on tudie le rapport au savoir existe en effet dans une socit et un

    environnement social et familial qui donnent une forme particulire aux dimensions

    pistmiques et identitaires. Les caractristiques familiales, les vnements de la vie

    personnelle ou les accidents biographiques (chmage, dcs, dmnagement,

    maladie...) peuvent expliquer en partie linstauration, lvolution, la modification

    durable dun rapport au savoir. Le rapport lapprendre sinscrit ainsi sur un fond de

    contraintes sociales et familiales extrieures lcole et lui donne ainsi une certaine

    coloration ; les logiques socialisatrices des lves peuvent ne pas tre les mmes que

    les logiques scolaires. La ralit scolaire ne se joue pas seulement sur le terrain

    scolaire, les lves arrivent avec leurs histoires, familiale et scolaire, qui sarticulent

    avec la question scolaire. On peut, nous le croyons, regarder aussi les situations

    didactiques et les jeux se jouer dans la classe, avec ce regard-l, afin de croiser avec

    profit des regards didactiques et sociologiques.

    2.2.2. Rapport aux savoirs

    Si tout individu entretient un certain type de rapport (dominant) avec le

    savoir (c'est--dire avec la question mme de savoir) ... il peut avoir des rapports

    diffrents avec diffrents types de savoir (Charlot, 1997, p. 86). Ce sont les

    rapports aux savoirs (ou aux apprendre ) qui sont alors au centre de la recherche,

    les rapports des savoirs envisags dans leurs spcificits pistmologiques,

    cognitives, didactiques (Charlot, 2003, p. 45). On comprend que cette perspective

    puisse rpondre aux attentes des didacticiens dont les proccupations sont centres sur

    la transmission de savoirs disciplinaires.

    En termes de mthodologie, sapprocher du rapport aux savoirs de llve

    selon Charlot peut se faire avec une mthodologie prouve, celle des entretiens et des

    bilans de savoir (Charlot, Bautier et Rochex, 1992). Cette mthodologie a t

    transpose de nombreux savoirs disciplinaires. Nous indiquons ci-aprs quelques

    rsultats relatifs au rapport aux savoirs dlves et denseignants dans le champ de la

    didactique des sciences et des SVT plus particulirement.

    2.2.3. Des rsultats en didactique des SVT

    Les tudes menes en didactique des sciences ont dj fait lobjet dun

    recensement et dune analyse (Venturini (2006), p.168-199, Venturini et Cappiello

    (2009)). Nous reprendrons de ces travaux ce qui concerne les recherches en didactique

    des sciences de la vie et de la Terre. Ces travaux montrent que les savoirs

    disciplinaires ne sont pas considrs de la mme manire par tous les lves et que la

    manire dont ils les considrent peut tre mise en relation avec lapprentissage qui en

    est fait. Par exemple, les savoirs appris propos de la thorie de lvolution en classe

    de terminale, ou le refus de les apprendre, sont lis aux rapports entretenus par les

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    lves avec ces savoirs de la biologie (Chabchoub, 2000; Bahloul, 2000; Hrairi et

    Coquid, 2002). Ces tudes montrent des interfrences entre les domaines culturels et

    scientifiques ; la mobilisation de registres religieux, scientifique ou composite va

    entraner des attitudes de rejet, dadhsion ou de dchirement vis--vis de la thorie de

    lvolution. Dautres tudes montrent les relations entre apprentissage et rapport aux

    savoirs : lvolution conceptuelle propos du volcanisme (Chartrain et Caillot 1999),

    de la production vgtale par photosynthse ou de la relation s