Emmanuel Combe : La politique de concurrence : un atout pour notre industrie
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Emmanuel COMBE
LA POLITIQUE DECONCURRENCE :UN ATOUT POUR
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La Fondation pour linnovation politique
est un think tank libral, progressiste et europen.
Prsident : Nicolas Bazire
Vice Prsident : Grgoire Chertok
Directeur gnral : Dominique Reyni
Prsidente du conseil scientifique et dvaluation : Laurence Parisot
La Fondation pour linnovation politique publie la prsente note
dans le cadre de ses travaux sur la croissance conomique.
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RSUM
Alors que la France connat depuis quinze ans un dclin marqu de sa
comptitivit, la politique de concurrence est parfois pointe du doigt,
accuse de sacrifier notre industrie sur lautel du pouvoir dachat et de
lintrt des consommateurs. Cette thse sduisante apparat pourtant peu
fonde empiriquement.
En premier lieu, la politique de la concurrence vite que certaines entreprises
soient victimes des pratiques anticoncurrentielles de la part dautres
entreprises. Il est par ailleurs rare que la Commission europenne bloqueaujourdhui les projets de fusion, tandis que les sanctions antitrust, si
elles ont fortement augment depuis les annes 2000, ne paraissent pas
disproportionnes, au regard de limpratif de dissuasion et de ce qui se
pratique dans dautres pays dvelopps.
En second lieu, la politique de concurrence stimule la productivit et
linnovation des entreprises ; elle facilite galement le dveloppement de
nouveaux champions industriels, qui sont la cl de la croissance de demain :en ce sens, la politique antitrust sapparente une politique doffre et de
comptitivit.
En troisime lieu, la politique de concurrence nest pas un obstacle une
politique industrielle ambitieuse et peut mme en devenir un levier puissant :
cibler des secteurs davenir nexclut pas de mettre les entreprises en
concurrence entre elles, comme le dmontre lexemple japonais. En ralit,
ce dont souffre lindustrie europenne aujourdhui ce nest pas tant dune
politique de la concurrence trop forte que dune politique industrielle tropfaible. Il serait donc contre-productif, au motif que lEurope ne fait pas assez
de politique industrielle, de dshabiller la politique de concurrence. Nous
risquerions de perdre sur les deux tableaux.
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Alors que la France connat depuis le dbut des annes 2000 un dclin
marqu de sa comptitivit industrielle, nombre darguments plus oumoins fonds ont t mobiliss pour lexpliquer : cot du travail trop
lev, faible niveau de gamme de notre production 1, concurrence suppose
dloyale des pays mergents Parmi les thses invoques, il en est une
qui est venue rcemment sur le devant de la scne : le primat de la politique
de concurrence europenne, qui sacrifierait notre industrie sur lautel du
pouvoir dachat et briderait les champions europens dans la comptition
mondiale.
Ainsi, en 2013, le rapport de MM. Jean-Louis Beffa et Gerhard Crommeintitul Comptitivit et croissance en Europeappelait un rquilibrage
de la politique de concurrence afin de mieux prendre en compte
lenvironnement international, qui connat de profonds bouleversements 2.
Un an auparavant, le rapport Gallois, Pacte pour la comptitivit de
lindustrie franaise, estimait galement que la politique de la concurrence
doit tre davantage mise au service de lindustrie europenne et de sa
comptitivit , aprs avoir donn la priorit au consommateur parrapport au producteur3.
1. Voir notamment Emmanuel Combe et Jean-Louis Mucchielli, La Comptitivit par la qualit : http://www.fondapol.org/etude/combe-mucchielli-la-competitivite-par-la-qualite/, note de la Fondation pour linnovationpolitique, octobre 2011.
2. http://fr.slideshare.net/lesechos2/rapport-beffacromme-sur-la-comptitivit-et-la-croissance-en-europe, p. 5.
3. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000591/0000.pdf, p. 49.
LA POLITIQUE DE CONCURRENCE :UN ATOUT POUR NOTRE INDUSTRIE
Emmanuel COMBEProfesseur des Universits, Professeur affili ESCP Europe,
Vice-Prsident de lAutorit de la concurrence
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Dans la prsente note, nous voudrions montrer que la politique de
concurrence, loin dtre un obstacle la comptitivit de nos entreprises,
en constitue en ralit un levier prcieux en stimulant loffre, linnovation,
la productivit et, in fine, lemploi. Plus fondamentalement, nous voulons
montrer que la concurrence doit tre aujourdhui apprhende comme uningrdient fondamental permettant de btir un cosystme fond sur lentre
de nouvelles entreprises et lclosion de nouveaux modles conomiques.
Certes, la concurrence et la politique de concurrence nont pas rponse
tout et nont pas vocation se substituer dautres initiatives publiques
telles que la politique industrielle, mais, linverse, il serait contre-productif,
au motif que lEurope na pas de politique industrielle, de dshabiller la
politique de concurrence. vrai dire, ce dont souffre lEurope aujourdhui,cest moins dune politique de la concurrence trop forte que dune politique
industrielle trop faible, quelle que soit lacception que lon donne cette
seconde notion.
Plus prcisment, nous dveloppons douze arguments en faveur du maintien
dune politique de la concurrence affirme, arguments tays chacun par une
approche empirique :
Argument 1.La politique de concurrence, en luttant contre les cartels etles abus de position dominante, ne dfend pas seulement lintrt des
consommateurs : elle vite aussi que les entreprises soient victimes de
pratiques anticoncurrentielles manant dautres entreprises.
Argument 2.Loin de se focaliser sur le seul intrt des consommateurs, laconcurrence et la politique de la concurrence participent aussi dune politique
de loffre qui dope la productivit et lactivit conomique. lheure o
le gouvernement Valls souhaite engager une rforme des professionsrglementes, il est important de rappeler que limpact dune ouverture ne
se rduirait pas aux seuls gains de pouvoir dachat mais inclurait aussi une
dynamisation de la croissance et une diversification de loffre.
Argument 3.La politique de concurrence, en stimulant la croissance, exerceun effet positif sur lemploi, mais elle conduit aussi des raffectations
demplois entre entreprises, secteurs dactivit et pays. Les raffectations
demplois sont dautant moins douloureuses que les salaris auront t
prpars en amont la mobilit, notamment au travers dune formationprofessionnelle efficace, ce qui nest pas le cas pour linstant en France.
Argument 4.La politique de contrle des concentrations de la Commissioneuropenne bloque aujourdhui trs rarement les projets de fusion-acquisition
et nempche pas la constitution de champions europens.
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UNE POLITIQUE EN FAVEUR DES PRODUCTEURS
Une critique parfois adresse la politique de concurrence est quelle serait
tourne dabord, sinon exclusivement, vers lintrt des seuls consommateurs.
Ainsi se ferait-elle indirectement au dtriment des producteurs et de lemploi.Cette vision sappuie sur lide dune opposition irrductible entre lintrt
des consommateurs et celui des entreprises et de leurs salaris : par une sorte
de ruse de la raison, le consommateur qui tire son Caddie le week-end serait
ainsi devenu son propre ennemi, lui qui est aussi un salari la semaine. Mais
cette vision, dapparence sduisante, ne rsiste gure lpreuve des faits :
lexamen concret de la pratique des autorits de concurrence tout comme les
tudes des conomistes amnent conclure que la politique de concurrencenest pas rductible une politique consumriste et quelle nest lennemi
ni de lemploi ni des entreprises.
Les entreprises, premires victimes des pratiques anticoncurrentielles
Qui sont les premires victimes des pratiques anticoncurrentielles contre
lesquelles luttent les autorits antitrust ? Contrairement une ide rpandue,
ce sont le plus souvent des entreprises, dont la comptitivit se voit altre
par le maintien de prix artificiellement levs ou par un accs restreint aumarch. En protgeant la concurrence, la politique antitrust vite ainsi que
des entreprises soient victimes dautres entreprises, notamment dentreprises
extra-europennes voluant en Europe.
Ceci est particulirement vrai pour les abus de position dominante, dont
lobjet premier est bien dexclure du march un concurrent (souvent de plus
petite taille, mais peru comme une menace parce quil est plus agile ou
plus innovant) ou encore dempcher quil ne se dveloppe selon ses propresmrites. En luttant contre les abus de position dominante, la politique de la
concurrence permet des entreprises naissantes, en devenir et qui contribuent
au renouvellement du tissu productif, dexploiter pleinement leur potentiel.
Elle participe ainsi au dveloppement de nouveaux marchs et aux emplois
de demain.
Cest galement vrai pour les pratiques de cartel, dont la majorit se forme sur
des marchs de produits intermdiaires et dont les clients sont principalement
des entreprises : ciment, verre, acier, etc. Ainsi, au niveau franais, uneentente dans le domaine de la distribution de commodits chimiques
a t sanctionne en 2013. Les commodits chimiques sont utilises dans
des secteurs tels que lagro-alimentaire, lautomobile, lindustrie textile, la
fabrication de peinture : la pratique dentente a donc affect de nombreuses
entreprises, grands groupes industriels comme PME.
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Certes, il arrive quun cartel porte sur des produits achets directement par des
consommateurs finaux, comme lillustrent certaines affaires rcentes en France
(farines, tlphonie mobile, lessives) ; il arrive galement que lentreprise
victime du cartel reporte une partie du surprix sur le consommateur final, qui
devient alors une victime collatrale. Mais il nen demeure pas moins que lamajorit des cartels affecte dabord des entreprises, notamment des PME qui
reprsentent 90 % du tissu productif franais.
Ainsi, au niveau communautaire, une tude empirique dEmmanuel Combe
et Constance Monnier 4(2012) sur 111 cartels dtects et condamns par la
Commission europenne au cours de la priode 1969-2009 montre que plus
des deux tiers des cartels ont pris place dans des secteurs tels que la mtallurgie,
la chimie, la fabrication de machines et dquipements ou les matriaux (voirtableau 1) qui sont des inputs utiliss par dautres industries. Si lon retient
les dix plus grosses amendes infliges par la Commission jusquen 2013, le
constat est le mme : seuls deux cartels (les crans LCD et les installations
de salles de bain) ont affect de manire directe les consommateurs finaux.
Tableau 1 : Rpartition sectorielle des cartels dtects en Europe
Secteurs Nombre de cas en %
Mtallurgie et produits minraux non mtalliques 18 16
Fabrication de machines et quipements 13 12
Industries du papier, carton, caoutchouc et plastique 12 11
Textile, construction 5 5
Industrie chimiquedont : industrie chimique de base industrie pharmaceutique autres produits chimiques
31
13811
29
12710
Services (commerce, services financiers et transports) 18 16
Produits alimentaires, boissons et tabac 13 12
Total 111 100
Source : Emmanuel Combe et Constance Monnier, Les cartels en Europe, une analyseempirique , Revue franaise dconomie, vol. XXVII, no2, 2012, p.7
Argument 1. La politique de concurrence, en luttant contre les cartels etles abus de position dominante, ne dfend pas seulement lintrt desconsommateurs : elle vite aussi que les entreprises soient victimes depratiques anticoncurrentielles manant dautres entreprises.
4. Emmanuel Combe et Constance Monnier, Les cartels en Europe, une analyse empirique , Revue franaisedconomie, vol. XXVII, no2, 2012, p. 187-226.
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Une politique de loffre qui stimule la productivit
La politique de la concurrence a certes pour effet dviter que les prix
soient artificiellement levs, ce qui profite directement ou indirectement
aux consommateurs et leur pouvoir dachat. Pour autant, elle nestpas rductible une politique de demande : elle constitue galement une
politique qui vient dynamiser loffre.
Pour bien apprhender ce second aspect moins connu de la politique de
concurrence, il est ncessaire de revenir la nature mme de la concurrence.
La concurrence se dfinit comme un processus permanent de rivalit entre
les entreprises, qui vite le maintien ou la cration de rentes infondes, et
rcompense les entreprises les plus mritantes. La concurrence a donc pour
effet dliminer les surprix injustifis mais galement daccrotre la diversitdes produits en incitant les entreprises se diffrencier et explorer des niches
de march donc des gisements potentiels de croissance. La concurrence
exerce galement un effet positif sur la productivit des facteurs, au travers
de deux canaux :
elle joue le rle d aiguillon auprs des entreprises installes, en incitant
en permanence les managers donner le meilleur deux-mmes pour
conserver leur part de march et crotre ;
elle permet lentre sur le march de nouveaux acteurs, qui disposent de
modles conomiques plus efficaces ( limage du low cost dans larien)
et incitent les business model existants se remettre en question et se
renouveler.
De nombreuses tudes empiriques confirment lexistence dune relation
positive et forte entre concurrence et productivit au niveau sectoriel,
quelle que soit la manire de mesurer lintensit de la concurrence (nombre
dentreprises, parts de march, hauteur des barrires lentre). Ainsi,dans une tude sur lindustrie nord-amricaine dextraction de minerai de
fer, James Schmitz 5montre que louverture la concurrence trangre au
dbut des annes 1980 a conduit les oprateurs amricains raliser de trs
forts gains de productivit, afin de rsister aux importations brsiliennes
(voir figure 1 page 13). Un rsultat similaire est obtenu dans les travaux sur
limpact de louverture la concurrence de secteurs rglements, limage de
ltude de Kira Fabrizio 6sur llectricit aux tats-Unis.
5. James A. Schmitz, What Determines Productivity? Lessons from the Dramatic Recovery of the U.S. andCanadian Iron-Ore Industries Following Their Early 1980s Crisis , Journal of Political Economy, vol. 113, no3,
juin 2005, p. 582-625.
6. Kira R. Fabrizio, Nancy L. Rose et Catherine D. Wolframn, Do Markets Reduce Costs? Assessing the Impactof Regulatory Restructuring on US Electric Generation Efficiency , American Economic Review, vol. 97, no4,septembre 2007, p. 1250-1277.
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Figure 1 :volution de la productivit du travail dans le minerai de fer aux tats-Unis(1970-1995)
Source : James A. Schmitz, What Determines Productivity? Lessons from the DramaticRecovery of the U.S. and Canadian Iron-Ore Industries Following Their Early 1980s Crisis ,Journalof Political Economy, vol. 113, no3, juin 2005.
2.5
2.0
1.5
1.0
0.5
0
1970 1975 1980 1985 1990 1995
Production
United States
Labor Productivity(Output per hour)
1980=1
De mme, au niveau macroconomique, les travaux empiriques concluent
quun renforcement de la concurrence exerce un effet favorable sur la
productivit dans les secteurs o lintensit concurrentielle est limite au
dpart : ainsi, une tude de la direction gnrale du Trsor et de la Politiqueconomique7portant sur un chantillon de onze pays de lOCDE et une
vingtaine de secteurs aboutit une relation dcroissante dans le secteur
des services entre le markup8et le taux de croissance de la productivit. Ce
type de rsultat, bien tabli par la littrature conomique, conduit dailleurs
certaines organisations internationales, comme lOCDE, recommander
au gouvernement franais dengager des rformes structurelles et
proconcurrentielles sur le march des biens et services notamment des
professions rglementes afin dy dynamiser la croissance. Lenjeu ici est
moins de redonner du pouvoir dachat aux consommateurs que damliorer
la comptitivit de notre industrie, qui utilise intensment les services dans
son processus de production.
Ce lien troit entre concurrence et productivit se retrouve-t-il au niveau
de la politique de concurrence ? En effet, si la concurrence est favorable
la productivit, il devrait galement exister une relation positive entrela vigueur de la politique de concurrence et la productivit. Une tude
7. Concurrence et gains de productivit : analyse sectorielle dans les pays de lOCDE , Trsor-co, no 51,fvrier 2009 (https://www.tresor.economie.gouv.fr/file/326894).
8. Le markupse dfinit comme le ratio entre le prix de vente et le cot marginal. Il constitue une mesure indi-recte du degr de concurrence dans un secteur.
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empirique rcente mene par Paolo Buccirossi 9et son quipe vient confirmer
cette intuition. Aprs avoir construit un indicateur composite de vigueur
de la politique de concurrence dans douze pays de lOCDE, les auteurs
mettent en relation cet indicateur avec les gains de productivit observs
dans vingt-deux industries au cours de la priode 1995-2005, et observentque les gains sont dautant plus marqus que le pays dispose dune politique
de concurrence forte : la politique de concurrence est donc bien lallie de la
productivit.
Politique de la concurrence efficace
Maintien de la rivalit entre entreprises
Gain de productivit
Croissance conomique
Argument 2. Loin de se focaliser sur le seul intrt des consommateurs, laconcurrence et la politique de la concurrence participent aussi dune politiquede loffre qui dope la productivit et lactivit conomique. lheure ole gouvernement Valls souhaite engager une rforme des professions
rglementes, il est important de rappeler que limpact dune ouverture nese rduirait pas aux seuls gains de pouvoir dachat mais inclurait aussi unedynamisation de la croissance et une diversification de loffre.
9. Paolo Buccirossi et al., Competition Policy and Productivity Growth: An Empirical Assessment , THE Reviewof Economics and Statistics, vol. 95, no4, octobre 2013, p. 1324-1336.
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Une politique qui nest pas lennemi de lemploi
Il est frquent dentendre que la concurrence et indirectement la politique de
concurrence exercerait un impact ngatif sur le niveau de lemploi : ce que
les consommateurs gagneraient en baisse des prix se paierait, en ralit, par
des licenciements. Selon cette prsentation des choses, comme la concurrence
entrane des baisses de prix, de marges et de gains de productivit, les
entreprises installes ragissent en diminuant leurs effectifs. Cette ide, fort
rpandue, nest pourtant confirme ni par les tudes empiriques, ni par le
raisonnement conomique.
Que montrent les tudes empiriques sur ce sujet ?
En premier lieu, les mesures qui restreignent durablement la concurrence
exercent, terme, un effet ngatif sur lemploi. Il suffit, par exemple, de relire
les travaux sur limpact des lois Royer-Raffarin dans le commerce de dtail :
selon Marianne Bertrand et Francis Kramarz, en labsence dautorisation
dimplantation, lemploi dans le commerce de dtail aurait t de 7 15 %
plus lev, soit entre 112 000 et 240 000 emplois supplmentaires 10. De leur
ct, Philippe Askenazy et Katia Weidenfeld estiment quentre 50 000 et
100 000 postes net ont t perdus en dix ans, suite la seule loi Raffarin11.
Au niveau du commerce international, limpact sur lemploi des restrictionsdimportations a fait galement lobjet de plusieurs tudes empiriques. titre
dexemple, Gary Hufbauer et Ben Goodrich montrent que les limitations
dimportation dacier dcides en 2001 aux tats-Unis ont certes permis de
sauvegarder 3 500 emplois au sein des grands conglomrats de la sidrurgie,
mais ont conduit dans le mme temps, en augmentant les prix, dtruire
quatre douze fois plus demplois chez les entreprises clientes, soit entre
12 000 et 43 000 emplois12!
En second lieu, les expriences douverture la concurrence de secteursrguls montrent que le volume de lemploi tend en rgle gnrale,
augmenter aprs louverture. Il suffit de voir ce qui sest pass en France
dans le transport routier de marchandises suite la libralisation de 1986 :
le niveau de lemploi est pass de 200 000 en 1986, plus de 350 000
la fin des annes 1990. De mme, au niveau europen, la libralisation du
transport arien aprs 1993 a conduit lentre de compagnies low cost et
de forts gains de productivit (de lordre de 40 50 %), ce qui aurait d se10. Marianne Bertrand et Francis Kramarz, Does Entry Regulation Hinder Job Creation? Evidence from theFrench Retail Industry , The Quarterly Journal of Economics, vol. 117, no4, juillet 2000, p. 1369-1413.
11. Philippe Askenazy et Katia Weidenfeld, Les Soldes de la loi Raffarin. Le contrle du grand commerce alimen-taire, Paris, ditions Rue dUlm, 2007.
12. Gary C. Hufbauer et Ben Goodrich, Steel Protection and Job Dislocation, Washington, Institute forInternational Economics, 12 fvrier 2003 (http://www.citac.info/study/job_dislocation.html).
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traduire par une forte baisse du niveau de lemploi. Or, on constate que ce
dernier est rest assez stable aux alentours de 420 000 emplois et a mme
t lgrement orient la hausse sur la priode 1998-2007, selon une tude
de la Commission europenne 13.
Ces rsultats empiriques nont vrai dire rien de trs surprenant au regardde lanalyse conomique. Si la concurrence, notamment lorsquelle se traduit
par lentre doprateurs plus efficaces, peut entraner dans un premier
temps des destructions demplois au sein des entreprises installes, lanalyse
conomique invite ne pas sarrter ce seul effet et prendre en compte
trois autres effets :
leffet demande : lorsquun nouvel oprateur entre sur le march en baissant
les prix, la demande sur le march va augmenter (en fonction de llasticitprix), ce qui va soutenir lemploi et contrebalancer en partie leffet direct
chez les nouveaux entrants, mais galement chez les entreprises installes, si
celles-ci prennent le train en marche et se renouvellent. Le cas de larien
est, cet gard, symptomatique : les baisses de prix engendres par larrive
des low cost ont conduit une vritable explosion de la demande sur
certaines lignes. De mme, lentre de Free Mobile sest traduite par une forte
dynamique des volumes, que ce soit en nombre dabonns (+ 1,8 million en
2012) ou de consommation (+ 11 % pour la voix, + 28 % pour les SMS,+ 70 % pour la data en 2012) ;
leffet de rallocation intrasectorielle : une partie des emplois dtruits chez
les insidersest transfre vers les nouveaux entrants ;
leffet de rallocation intersectorielle : la baisse des prix va amliorer le
pouvoir dachat des mnages, qui vont alors engager de nouvelles dpenses
et stimuler lemploi dans dautres secteurs. Par exemple, selon une tude
dODIT France, lessor de larien en France au cours des annes 2000aurait conduit la cration de plus de 100 000 emplois dans les rgions,
principalement dans les mtiers du tourisme (htellerie, restauration, etc.)14.
Le dbat sur la concurrence et lemploi a rcemment resurgi en France,
loccasion de lentre de Free Mobile sur le march en 2012. Bruno Deffains
estime que larrive de Free Mobile a entran une baisse totale du chiffre
daffaires de 6,5 milliards deuros dans le secteur des mobiles, conduisant
des destructions demplois en cascade : chez les oprateurs (10 600 emplois),
mais aussi chez les partenaires de premier rang (35 200 emplois) et,indirectement, dans lconomie, par le biais dun effet multiplicateur (15 800
13. Commission europenne, Impact Assessment of the Single Aviation Market on Employment and WorkingConditions for the Period 1997-2007, Commission Staf Working Document, Bruxelles, 26 avril 2010.
14. ODIT France, Transport arien et dveloppement touristique, 2008.
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emplois). En prenant en compte les emplois crs par laugmentation de la
qualit des rseaux et les emplois dtruits par la dlocalisation, Deffains
aboutit un solde ngatif de lordre de 60 000 emplois 15. Cette approche
ne prend toutefois pas en compte leffet de demande induite par le gain de
pouvoir dachat ralis par les consommateurs.Augustin Landier et Davis Thesmar estiment cet impact macroconomique
de lentre de Free Mobile sur la base dune baisse des prix des forfaits de
10 % et obtiennent un gain annuel de pouvoir dachat de lordre de 1,7
milliard deuros 16. Les auteurs analysent limpact de ce gain de pouvoir
dachat sur lemploi dans les autres secteurs, laide de deux modles
macroconomiques :
un modle keynsien de demande17
, dans lequel le gain de pouvoir dachatsapparente un choc positif sur la consommation des mnages, choc qui va
se diffuser ensuite dans lensemble des secteurs de lconomie franaise pour
aboutir la cration de 17 000 emplois ;
un modle doffre, qui est plus pertinent sur le long terme : lentre de Free
Mobile, en diminuant les prix, rend lconomie franaise plus comptitive,
ce qui se traduit par une augmentation de loffre, qui cre plus de 30 000
emplois dans lensemble des secteurs.
Au-del de ces deux tudes empiriques et du cas franais, on peut constaterquaux tats-Unis la forte concentration du march mobile autour de
deux principaux acteurs (ATT et Verizon) se traduit non seulement par un
prix lev des forfaits (comparativement la France) et une faible qualit
de service, mais galement par un dclin assez marqu de lemploi dans le
secteur : 27 % en dix ans, contre 11 % en France sur la mme priode.
Afin dapprcier les effets de la concurrence sur lemploi, il est donc
ncessaire de prendre en compte lensemble des effets indirects, conduisantnotamment les consommateurs reporter les gains de pouvoir dachat vers
dautres secteurs.
Faut-il en conclure pour autant que la concurrence nexerce aucun effet ngatif
sur lemploi ? Srement pas. La concurrence, en dplaant continuellement
les parts de march entre entreprises, cre une certaine instabilit de lemploi
et entrane une rallocation frquente des postes entre entreprises dun mme
15. Bruno Deffains, Choc sur le march des communications mobiles : limpact sur lemploi , document derecherche Erms/Universit Paris 2, avril 2012.
16. Augustin Landier et David Thesmar, LImpact macroconomique de lattribution de la quatrime licencemobile , document de travail, 25 novembre 2012 (http://www-gremaq.univ-tlse1.fr/perso/landier/pdfs/FreeComplete5.pdf). Ce gain de pouvoir dachat provient la fois de lconomie ralise par les clients qui ontrejoint Free, mais galement par lconomie ralise par les clients doprateurs concurrents, contraints debaisser leurs prix.
17. Le modle tient compte dun taux dpargne (fix 14 %) et du fait quune partie de la consommation vapartir en importations.
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secteur, entre secteurs dactivit, et entre rgions. Mais cet impact ngatif de
la concurrence sur lemploi nest pas une fatalit : il peut tre attnu ds
lors que les salaris ont t prpars en amont aux mutations de lemploi.
Les bons leviers consistent miser sur la formation initiale et continue pour
favoriser les reconversions, dvelopper une vritable flexi-scurit qui protge les personnes plus que les emplois, favoriser la fluidit sur le
march de limmobilier, etc. La concurrence sur le march des biens nest
donc acceptable socialement qu partir du moment o elle saccompagne
dune protection la fois forte et incitative sur le march du travail. Nous
voyons ici, la forte complmentarit entre la concurrence sur le march des
biens et dautres politiques conomiques et sociales.
Argument 3. La politique de concurrence, en stimulant la croissance, exerceun effet positif sur lemploi, mais elle conduit aussi des raffectationsdemplois entre entreprises, secteurs dactivit et pays. Les raffectationsdemplois sont dautant moins douloureuses que les salaris auront tprpars en amont la mobilit, notamment au travers dune formationprofessionnelle efficace, ce qui nest pas le cas pour linstant en France.
Une politique en faveur de tous les championsLa politique de la concurrence est parfois accuse dempcher la constitution
de grands groupes europens, notamment cause dun contrle des
concentrations jug trop tatillon . Nous voudrions montrer que cet
argument nest gure fond empiriquement et que la politique de concurrence
permet, en ralit, aux anciens champions de se renouveler et doprer des
consolidations, mais galement de nouveaux champions dmerger. La
politique de concurrence prsente lavantage de soutenir tous les champions,ceux dhier comme ceux de demain.
Une politique trop svre en matire de concentrations ?
Dans un monde globalis, il est fondamental que les entreprises europennes
puissent disposer dune taille critique suffisante afin de faire jeu gal avec
leurs concurrents trangers, que ce soit en termes de cot de production
ou de capacit daccs des marchs gographiques denvergure, limage
des pays mergents. La croissance externe, par sa rapidit, constitue cetgard, un outil prcieux la disposition des entreprises europennes. Mais
les oprations de fusion-acquisition sont galement susceptibles daltrer
la concurrence, en faisant monter les prix ou en rduisant la varit des
produits ; cest pourquoi elles sont soumises lapprobation pralable des
autorits de concurrence, au travers du contrle des concentrations.
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cet gard, la Commission europenne est parfois accuse dtre trop svre
dans son contrle et de brider la constitution de champions europens
de taille mondiale. Il est vrai quau cours de la priode 1990-2002, la
Commission na pas hsit bloquer dix-huit projets de concentration : par
exemple, linterdiction de la fusion Schneider-Legrand en 1999 a donn lesentiment dun interventionnisme excessif, et ce dautant que cette dcision
a t annule par le Tribunal de premire instance en 2002 18.
Mais la situation a grandement chang depuis dix ans : en effet, au cours
de la priode 2003-2013, sur 3 278 oprations de concentration notifies
la Commission europenne, six projets ont t interdits, soit seulement
0,18 % du total des notifications (voir tableau 2 page 20). Ces interdictions,
intervenues pour moiti dans le transport arien de passagers19
, nont pasdonn lieu des controverses semblables celles dil y a quinze ans. Si lon
considre que les retraits de notification ont t motivs par la crainte dun
rejet et quon les prend en compte, le constat ne change gure : 2,4 % des
projets ont t bloqus ou dcourags. A contrario, on peut relever que 92 %
des oprations ont t acceptes par la Commission europenne sans aucune
condition, et 5,6 % avec des engagements manant des entreprises. Au vu de
ces statistiques, il parat donc difficile de parler aujourdhui dune rigueur
excessive de la Commission en matire de contrle des concentrations.On peut noter en revanche que la Commission a contrl de nombreux
projets de concentration initis par des entreprises non europennes mais qui
taient susceptibles daltrer la concurrence sur le march europen. Ainsi,
en juin 2013, la Commission a soumis conditions le projet de fusion entre
American Airlines et US Airways, deux compagnies ariennes amricaines
qui voluent sur le sol europen, afin de prserver une certaine concurrence
sur plusieurs routes transatlantiques au dpart de Londres.
18. Ainsi que deux autres dcisions en matire de concentration : First Choice/Airtours et TetraLaval/Sidel.
19. EDP/GDP (2004), Ryanair/Aer Lingus (2007), Olympic Airways/Aegean (2011), NYSE Euronext/DeutscheBorse (2012), TNT/UPS (2013) et Ryanair/Aer Lingus (2013).
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Tableau 2 : Dcisions de la Commission europenne en matire de concentrations
Anne 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Nombre decas notifis 211 247 313 356 402 347 259 274 309 283 277
Autorisationsansconditions
205 222 278 327 373 316 225 254 303 255 254
Autorisationavecengagements
17 16 18 19 22 24 16 16 6 15 13
Interdiction 0 1 0 0 1 0 0 0 1 1 2
Retrait denotification
0 5 9 9 7 13 8 4 10 5 1
Source : site : http://ec.europa.eu/competition/mergers/statistics.pdf
Au niveau franais, il est galement difficile de soutenir que le contrle des
concentrations constitue un frein au regroupement dentreprises. En effet, si
lon prend la priode post-NRE (2001) et qui se termine avec la cration de
lAutorit de la concurrence en 2009, 50 oprations sur 987 ont donn lieu
des engagements, soit un taux dintervention de 5 %. De mme, au cours de
la priode 2009-2013, 34 dcisions de concentration sur 832 ont fait lobjetdune autorisation sous rserve dengagements des entreprises, soit un taux
dintervention de 4 %. Quant aux dcisions dinterdiction pure et simple, la
dernire opration bloque remonte lanne 2000, avec linterdiction
par le ministre de lconomie du rachat dactifs de Benckiser par Sara Lee.
cet gard, on peut noter que la situation franaise contraste avec
celle qui prvaut en Allemagne, o le Bundeskartellamt se rvle plus
interventionniste : au cours de la priode 1999-2012, pas moins de 58oprations de concentration ont t interdites. Pour autant, lAllemagne
dispose de grands champions industriels mondiaux et dun tissu dense et
dynamique de grosses PME.
Argument 4. La politique de contrle des concentrations de la Commissioneuropenne bloque aujourdhui trs rarement les projets de fusion-acquisitionet nempche pas la constitution de champions europens.
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Une politique favorable tous les champions
La politique industrielle a longtemps revtu en Europe, et tout particulirement
en France, la forme dune politique cible sur des secteurs ou des entreprises :
il sagissait pour les pouvoirs publics de slectionner quelques secteursjugs prioritaires et de favoriser le dveloppement dentreprises qui en
deviendront les leaders. Cette politique a connu plusieurs succs retentissants
dans les annes 1970, notamment en Europe avec Airbus, dans un contexte
de rattrapage technologique de lEurope par rapport aux tats-Unis : lenjeu
tait moins de dfricher de nouveaux secteurs ou de nouveaux marchs
que de combler notre retard dans un secteur dj existant (par exemple, la
construction davions gros porteurs dans le cas dAirbus). Mais le contexte
conomique et technologique a radicalement chang depuis trente ans et
invite sinterroger sur la pertinence des politiques sectorielles et cibles :
lEurope a opr son rattrapage et se situe prsent sur ce que les
conomistes nomment la frontire technologique : lenjeu aujourdhui
est moins dimiter des technologies dj existantes que de favoriser la
naissance de technologies et de marchs qui nexistent pas encore. Or il
est difficile pour les pouvoirs publics de connatre ex anteles secteurs qui
seront porteurs demain et de les soutenir par des politiques trop ciblessans courir le risque de se tromper. Il est donc plus pertinent de mener des
politiques horizontales et gnriques plutt que verticales ;
linnovation nest plus lapanage de quelques secteurs de haute
technologie mais peut merger et se diffuser dans tous les secteurs
dactivit. vrai dire, il ny a pas de secteurs dpasss mais simplement des
technologies et des produits dpasss. Lexemple de la firme franaise SEB
en est lillustration : au sein dun secteur dit traditionnel , SEB a russi
dynamiser son offre par le biais de nombreuses innovations de produits ; linnovation nest plus rductible la recherche-dveloppement et une
dimension uniquement technologique, mais elle est susceptible dmerger
sous des formes trs diverses, limage des innovations dusage ou de
modle conomique. Lexemple de lentre du low cost arien est cet gard
symptomatique : il sagit bien dune vritable innovation commerciale et
organisationnelle, qui ne relve pourtant pas de la sphre de la technologie
proprement dite mais qui a boulevers la manire de faire du transportarien sur le segment du court/moyen-courrier. Les politiques industrielles
traditionnelles, plus volontiers tournes vers la composante technologique
de linnovation, risquent de laisser de ct ces innovations organisationnelles
et commerciales ;
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la littrature empirique montre que la croissance dun secteur est aussi
porte par lentre de nouvelles entreprises qui lancent des innovations de
rupture et exploitent de nouveaux gisements de productivit. Lentre de
nouvelles firmes exerce, en retour, un effet de contestabilit sur les firmes
installes, en les incitant devenir plus productives et renouveler leur
business model : Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta
montrent ainsi que plus le taux de renouvellement des entreprises est lev
dans un secteur, plus la productivit des entreprises installes est forte (figure
2)20.
Figure 2 : La relation entre productivit des firmes installes et taux de renouvellementdes entreprises (par secteurs et par pays)
Source :Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta, Microeconomic Evidence ofCreative Destruction in Industrial and Developing Countries , dcembre 2004, p. 43.
1.5
1.0
0.5
0.0
-0.5
-1.0
0.0 0.5 1.0 1.5
Note: Excluding Brazil and Venezuela. Outliers Excluded.
Incum
ben
ts
Pro
duc
tiv
ity
Grow
th
Firm Turnover Rate(f)
Correlation Coefficient: 0.3349***
Lentre sur le march et lessor rapide de nouvelles entreprises constituentdonc un enjeu tout aussi important pour le dynamisme conomique que
la croissance des grandes entreprises. Tel un organisme vivant, la vie dun
secteur nest pas un long fleuve tranquille mais sapparente davantage un
processus permanent de renouvellement, avec des rallocations dactivits et
demplois entre entreprises installes, mais aussi en direction des nouveaux
entrants.
Or force est de constater quen Europe, tout particulirement en France,les leaders daujourdhui sont souvent les leaders dhier : dans le domaine
dInternet par exemple, o sont les Google, Facebook, Amazon et autres
20. Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta, Microeconomic Evidence of Creative Destructionin Industrial and Developing Countries , document de travail, dcembre 2004 (http://elibrary.worldbank.org/doi/book/10.1596/1813-9450-3464).
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Yahoo europens ? Une analyse de la pyramide des ges des leaders vient
confirmer ce constat : elle comprend en Europe assez peu de champions ns
aprs 1950, comparativement au cas amricain (voir figure 3).
40 20 0 20 40
Figure 3 :Pyramides des ges des entreprises leaders en Europe et aux tats-Unis
Source : Thomas Philippon et Nicolas Vron, Financing Europes Fast Movers, Bruegel Policy Brief,janvier 2008.
Horizontal bars show the number of companies in each age category
Date of creation
Before 1775
1776 - 1800
1801 - 1825
1826 - 1850
1851 - 1875
1876 - 1900
1901 - 1925
1926 - 1950
1951 - 1975
1976 - 2000
United States Europe
Pourtant, la France se caractrise par un fort taux de renouvellement des
firmes, avec un taux dentre et de sortie similaire celui observ dans les
autres pays de lOCDE ; le problme est donc moins celui de la cration
dentreprises que celui de leur croissance rapide et forte. Ainsi, ltude deBartelsman, Haltiwanger et Scarpetta montre que les entreprises qui ont
survcu, ont vu leur taille tre multiplie par 60 aux tats-Unis en lespace
de sept ans, par 40 au Royaume-Uni, par 30 en Italie tandis que leur taille
est reste constante en France (voir figure 4 page 24).
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Source :Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta, Microeconomic Evidence ofCreative Destruction in Industrial and Developing Countries , dcembre 2004, p. 27.
Figure 4 :Taille des firmes survivantes en fonction de leur ge
Finlan
d
WestG
erm
any
Slov
enia
Portu
gal
Colom
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Arge
ntin
a
Fran
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Ne
therlan
ds USA
Italy
Chile
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Esto
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Hung
ary
Mexic
o
Latvia
160
140
120
100
80
60
40
20
0
-20
age=2 age=4 age=7
Lenjeu dune politique industrielle aujourdhui nest donc plus seulement
de conforter nos champions existants, en leur permettant datteindre une
taille critique au niveau mondial, mais dtre aussi en mesure den crer de
nouveaux. Ces nouveaux champions ne se dcrtent pas lavance ; ils se
construisent deux-mmes, sur la base dun terreau favorable. cet gard, lapolitique de concurrence peut jouer un rle primordial :
en luttant contre les abus de position dominante et en contrlant les
concentrations, la politique de concurrence favorise lentre et lessor de
nouveaux acteurs sur le march. En effet, lorsquune entreprise en position
dominante commet un abus, lobjet mme de son abus est bien de limiter
la croissance voire de compromettre lexistence dune firme de petite
taille mais menaante. De mme, en matire de concentration, une entreprisedominante peut dcider de racheter une start-up, non pas pour en dvelopper
le potentiel mais pour lempcher de lancer sur le march une innovation qui
viendrait remettre en cause sa position tablie ;
en ne ciblant aucun secteur en particulier, la politique de concurrence
constitue une politique gnrique qui sadresse lensemble des acteurs du
march : elle court donc moins le risque de se tromper ; elle est galement
moins sujette au risque de capture du rgulateur par les entreprises
installes. En effet, la politique industrielle nchappe pas au risque defavoriser dans ses choix les entreprises disposant dj dune forte visibilit
mdiatique, dune capacit mieux profiter des effets daubaine et dun
rseau dinfluence important auprs des pouvoirs publics. A contrario,
les secteurs naissants et en devenir, composs pour lessentiel de start-up,
disposent dun accs moins ais la dcision publique.
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On peut toutefois objecter cette neutralit de la politique de concurrence
quil est justement du ressort des pouvoirs publics de cibler et de promouvoir
certains secteurs industriels, au nom de considrations qui ne relvent pas
ncessairement dune stricte logique conomique. Par exemple, lobjectif de
lutte contre le rchauffement climatique peut conduire un gouvernement vouloir privilgier, par une politique industrielle cible, le dveloppement
de technologies propres , que ce soit dans lautomobile ou les nouveaux
matriaux. Mais, mme dans ce cas de figure, la concurrence peut jouer un rle
utile : dans un article rcent, Philippe Aghion et son quipe montrent ainsi que
les politiques de ciblage sectoriel savrent dautant plus efficaces que le secteur
est concurrentiel ou que le ciblage porte sur un grand nombre dentreprises
qui vont devenir concurrentes21
. Les auteurs testent cette hypothse sur unchantillon dentreprises chinoises au cours de la priode 1998-2007, et
trouvent une relation positive entre les gains de productivit et des mesures
de soutien lindustrie lorsque ces dernires sont alloues des secteurs trs
concurrentiels ou renforcent la concurrence dans un secteur. Loin de sopposer,
concurrence et politique industrielle apparaissent ici comme complmentaires.
Argument 5. En luttant contre les ententes et abus de position dominante, la
politique de concurrence permet lentre de nouveaux acteurs sur le marchqui contribuent renouveler le tissu productif et stimulent la productivitdes firmes installes.
Une politique favorable linnovation
Il est parfois affirm quune concurrence trop forte sur le march vient limiter
les capacits dinnovation des entreprises, en contractant leurs marges : le gainen termes de prix bas serait alors compens terme par un manque dincitation
innover. Sur cette question, la position des conomistes apparat contraste
depuis toujours et, de manire schmatique, deux thses sopposent :
dans la ligne des travaux de Kenneth Arrow, la concurrence et les faibles
marges qui en rsultent sont propices linnovation en incitant les entreprises
se diffrencier pour chapper la tyrannie des prix bas . linverse,
les situations de faible concurrence seraient dfavorables linnovation,
dans la mesure o lentreprise dominante bnficie dj dune rente desituation ; autrement dit, une entreprise en situation de monopole a peu
intrt innover, puisquelle risque de se remplacer elle-mme (ce quArrow
dnomme l effet de laurier ) ;
21. Philippe Aghion et al., Industrial Policy and Competition , document de travail, 24 avril 2012 (http://scholar.harvard.edu/files/aghion/files/industrial_policy_and_competition.pdf).
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dans la ligne des travaux de Joseph Schumpeter, les situations de monopole
et de pouvoir de march sont perues comme propices linnovation, en
permettant aux entreprises de disposer de ressources internes pour financer
leur effort de R&D, lequel est difficile financer en externe.
Philippe Aghion et son quipe tentent de concilier ces deux thses, enmettant en vidence une relation en U invers , entre innovation et degr
de concurrence, linnovation tant mesure par les citations de brevet (voir
figure 5) 22. Les situations de forte concentration industrielle apparaissent
dfavorables linnovation, tout comme les situations de trs forte
concurrence. Il existerait ainsi une sorte d optimum de concurrence du
point de vue de lincitation innover.
Ce constat empirique mitig doit-il pour autant nous conduire conclureque la politique de concurrence nest pas un bon vecteur dinnovation ?
Figure 5 : La relation entre innovation et concurrence
20
15
10
5
0
.85 .9 .95
1 - Lerner
Citationweighted
patents
Source :Philippe Aghion et al., Competition and Innovation: an Inverted-U Relationship , TheQuarterly Journal of Economics, vol. 120, no2, mai 2005, p.706.
En ralit, ce que montre ltude de Philippe Aghion, cest quune trop forte
concentration nuit linnovation. Or lobjectif mme de la politique de
concurrence nest pas de rguler le niveau de concurrence lorsque celle-ci est
dj significative, mais dempcher que des situations de position dominante
se renforcent, soit loccasion dun mouvement de concentration industrielle,soit dans le cas dun abus de position dominante. De mme, la lutte contre
les cartels vise empcher quun secteur concurrentiel se transforme en une
situation proche du monopole.
22. Philippe Aghion et al., Competition and Innovation: an Inverted-U Relationship , The Quarterly Journal ofEconomics,vol. 120, no2, mai 2005, p. 701-728.
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linverse, sur des marchs trs concurrentiels, rien nempche que
les firmes fusionnent entre elles ou cooprent en R&D. Rappelons,
cet gard, que les textes europens voient dun il assez favorable la
coopration technologique entre concurrents. Le rglement n 1217/2010
de la Commission europenne du 14 dcembre 2010 mentionne ainsi quelUnion europenne doit encourager les entreprises, y compris les petites et
moyennes entreprises, dans leurs efforts de recherche et de dveloppement
technologique de haute qualit, et soutenir leurs efforts de coopration .
Pour ce faire, les textes communautaires, et plus particulirement larticle 101
du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (TFUE), noncent,
depuis le trait de Rome, un principe fort et constant : toute entente qui a
des effets anticoncurrentiels peut toujours tre sauve si les entreprisesdmontrent que cette entente contribue au progrs conomique . Ce
principe sest appliqu de nombreuses reprises. Ainsi en 1999, lorsque
General Electric (associ au franais Snecma) et Pratt & Whitney dcident
de crer ensemble la socit Engine Alliance pour dvelopper le moteur du
futur A380, la Commission europenne donne son feu vert lopration, en
dpit dune forte concentration du march des motoristes autour de trois
acteurs, au motif que cette entente permettra aux deux socits de mettre
au point un moteur de trs haute technicit, en moins de temps et pourmoins dargent quil nen aurait fallu autrement .
Pour autant, si la politique de concurrence ne constitue pas un obstacle
linnovation, elle ne saurait constituer elle seule lalpha et lomga dune
politique technologique. Elle na pas vocation remplacer les instruments
usuels que sont les grands programmes de recherche, les incitations fiscales
de type Crdit dimpt recherche (CIR), le renforcement des brevets, les
politiques de comptitivit, etc. En dautres termes, lenjeu aujourdhui nestpas de mettre en sommeil la politique de concurrence, mais de doter lEurope
dune vritable politique industrielle, la hauteur des dfis de linnovation,
comme le soulignent les rapports Gallois et Beffa-Cromme.
Argument 6. La politique de concurrence constitue un aiguillon pourlinnovation des entreprises en les incitant en permanence se renouveler.Elle reconnat pleinement le rle de linnovation, notamment en autorisant
sous conditions les ententes technologiques entre concurrents. De surcrot,la politique de concurrence nexclut pas la mise en place de politiquestechnologiques ambitieuses.
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La concurrence comme politique industrielle : le cas japonais
Les partisans dune politique industrielle cible font souvent rfrence au
cas du Japon, qui est parvenu, en un temps trs court (1950-1990) et sous
limpulsion du ministre de lconomie japonais (MITI), se hisser parmi
les grandes nations industrielles et technologiques. En ralit, une analyse
minutieuse du miracle japonais montre que ce succs rsulte dabord de
lintense concurrence qui rgne sur le march intrieur du pays, comme lont
expliqu Michael Porter et Mariko Sakakibara dans un article clbre 23. Les
auteurs distinguent deux types dindustrie dans ce pays :
celles qui ont russi simposer lexportation et se caractrisent par
un niveau lev de productivit et dinnovation, limage de lautomobile,
des produits lectroniques ou de la robotique. Ces industries font face une forte concurrence interne et un faible interventionnisme industriel et
protectionniste. Le cas de lautomobile est cet gard rvlateur : dans les
annes 1960, le MITI a tent en vain de consolider lindustrie japonaise
autour de trois groupes, dont chacun se serait spcialis sur un type de
vhicule, mais les entreprises ont refus cette politique interventionniste et
une concurrence redoutable sest alors dveloppe, avec lentre de nouveaux
comptiteurs comme Honda, Subaru ou Mazda ;
celles qui ne sont pas parvenues simposer linternational et sont restes
pour lessentiel, confines lintrieur du territoire japonais avec de faibles
niveaux de productivit, limage de laronautique, des dtergents, de la
chimie, du logiciel (hors jeux vido), de la banque et des tlcommunications.
Ces secteurs se caractrisent par des restrictions lentre, une intervention
frquente du gouvernement et un faible nombre de concurrents.
lissue de leur analyse factuelle, les auteurs parviennent une conclusion
sans appel : In fact, those industries in which competition was restricted tobe those where Japan was not successful internationally. In the internationally
successful industries, internal competition in Japan was invariably fierce 24.
23. Michael E. Porter et Mariko Sakakibara, Competition in Japan ,Journal of Economic Perspectives, vol. 18,no1, hiver 2004, p. 27-50.
24. Ibid., p. 28.
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Tableau 3 : Industrie : les deux Japon (1950-1990)
Secteurs Situation du secteurau Japon en 1998
Caractristiques du secteur(concurrence, rle du gouvernement)
Aronautique civile 1 % des exportationsmondiales. Faible concurrence entre les constructeursdavions et de moteurs ; systme de licence.
Chimie 6 % des exportationsmondiales.
Intervention gouvernementale sur les capacitsde production ; ptrochimie : entre sur lemarch soumise autorisation, nombreuxcartels de rcession dans les annes 1970.
Dtergents Aucune prsenceinternationale.Forte implantationsur le marchdomestique.
Concurrence limite 2 entreprises (Kao, Lion) ;restrictions linvestissement tranger et prix derevente imposs jusquaux annes 1970.
Logiciels Aucune firmejaponaise dans letop 20 mondial.
Concurrence faible entre les diteurs sur lemarch domestique (sauf jeux vido) ; forteintervention du MITI.
Jeux vido Leader mondial lexportation.
Trs forte concurrence sur le marchdomestique : plus de 500 dveloppeurs (pourle compte de Sony) ; aucune interventiongouvernementale.
Automobiles Leader mondial lexportation
9 constructeurs sur le march japonais ;tentative infructueuse dinterventiongouvernementale (consolidation du secteur).
Pneus pour camionset bus
Position de leader lexportation, avecles tats-Unis.
Concurrence interne forte entre 5 entreprisesjaponaises ; cartel de rcession en 1965.
Camras Domination lexportation(80 % du marchmondial).
15 concurrents japonais en 1987 et 13 en 1997 ;forte turbulence des parts de march entreacteurs, signe dune forte concurrence.
Sauce soja Leader mondial lexportation.
Intense concurrence locale : plus de2 500 producteurs ; aucune interventiongouvernementale.
Source : partir de larticle de Michael E. Porter et Mariko Sakakibara, Competition in Japan ,Journal of Economic Perspectives, vol. 18, no 1, hiver 2004, p. 27-50.
Argument 7. Lexprience du Japon et de sa politique industrielle volontaristedmontre que les industries japonaises ayant russi simposer au niveaumondial sont celles qui taient aussi soumises une intense concurrence sur
leur march domestique.
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Une politique de sanction excessive ?
Depuis le dbut des annes 2000, le montant des sanctions infliges par la
Commission europenne lencontre des cartels a fortement augment (voir
figure 6). Cette hausse est la consquence directe dun changement de cap initi
par Mario Monti et poursuivi par ses successeurs (Neelie Kroes, puis JoaqunAlmunia). Pour autant, doit-on considrer que la Commission a franchi la
ligne rouge et est passe du ct de la surdissuasion, handicapant ainsi la
comptitivit des entreprises ? De mme, alors que la crise conomique fait
rage, ne doit-on pas considrer que les sanctions antitrust doivent sadapter
la situation financire des entreprises, sous peine de les acculer la faillite ?
Ne faut-il pas galement autoriser les cartels de crise ? Cest ces trois
questions que nous proposons dapporter des rponses empiriques.
540 293
3,463
8,8179,414
Figure 6 : Lvolution du montant des sanctions en matire de cartels (1990-2014)
Source :site : http://ec.europa.eu/competition/cartels/statistics/statistics.pdf
10,000
9,000
8,000
7,000
6,000
5,000
4,000
3,000
2,000
1,000
0
Amountinmillions
1990 - 1994 1995 - 1999 2000 - 2004 2005 - 2009 2010 - 2014
Surdissuasion ou svrit accrue ?
Rappelons demble quune sanction dite leve doit toujours tre
mise en regard du dommage (potentiel ou rel) que la pratique a elle-
mme caus lconomie dans son ensemble : dommage lev, sanction
leve. En particulier, on a parfois tendance sous-estimer lampleur relle
du dommage, notamment lorsquune pratique de cartel se traduit par unehausse de prix limite mais affectant un trs grand nombre de clients.
Il peut tre intressant destimer ex postle degr de svrit de la Commission,
en partant dune approche conomique de la sanction :
afin de dissuader les entreprises denfreindre les rgles de concurrence, le
montant de la sanction devrait tre au moins confiscatoire, pour que le profit
net retir de linfraction soit nul ;
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dans la mesure o tous les cartels ne sont pas dtects, le montant de la
sanction devrait intgrer cette faible probabilit de dtection.
Dans cette perspective, la sanction optimale serait gale au gain illicite
divis par la probabilit de dtection. Par exemple, si le gain illicite est de
10 millions deuros et la probabilit de 20 %, la sanction optimale devraitatteindre 50 millions deuros. En pratique, le calcul du gain illicite et de la
probabilit de dtection savre complexe compte tenu de la multiplicit des
paramtres qui entrent en jeu et de la difficult de les estimer. Pour autant,
plusieurs auteurs se sont livrs ces dernires annes cet exercice, sans
nanmoins parvenir un consensus.
Ainsi, Emmanuel Combe et Constance Monnier ont compar les sanctions
infliges par la Commission europenne 64 cartels au cours de la priode1969-2009 avec leur propre estimation des sanctions optimales 25. Le
gain illicite a t recalcul pour chaque cartel sur la base de paramtres
conomiques estims (hausse du prix, lasticit de la demande, niveau de
marge) ou observs (dure de vie du cartel). Les auteurs constatent que, dans
la moiti des cas, le montant de la sanction savre infrieur lestimation
du gain illicite la plus favorable aux entreprises. Ils intgrent galement, le
fait que tous les cartels ne sont pas dtects, en retenant une probabilitde 15 %. Dans ce second cas de figure, lcart entre les sanctions infliges
et les sanctions optimales apparat encore plus marqu : 1 amende sur
64 apparat surdissuasive . Combe et Monnier en concluent que si la
Commission est certes devenue plus svre au cours du temps, elle na pas
franchi pour autant aujourdhui la ligne rouge de la surdissuasion : treplus
svre ne signifie pas ncessairement tre tropsvre.
Ces rsultats ont toutefois t contests par Marie-Laure Allain, Marcel Boyer
et Jean-Pierre Ponsard qui mettent notamment en avant la surestimation du surprix inflig par les cartels, pour conclure que le niveau des sanctions
en Europe est suffisamment dissuasif, voire mme excessif26.
Argument 8. Si la politique antitrust inflige parfois des sanctions levesaux entreprises, ces sanctions sont la condition dune dissuasion efficace despratiques illicites car elles garantissent le maintien dune concurrence par les
mrites, favorable la croissance.
25. Emmanuel Combe et Constance Monnier, Fines Against Hard Core Cartels in Europe: the Myth of OverEnforcement , The Antitrust Bulletin, vol. 56, no 2, t 2011, p. 235-275 ; Quelle est lampleur de la sous-dissuasion des cartels en Europe ? Complments sur nos rsultats , Concurrences, no1-2013, janvier 2013,p. 16-37
26. Marie-Laure Allain, Marcel Boyer et Jean-Pierre Ponsard, The determination of optimal fines in cartelcases: theory and practice , Concurrences, n 4-2011, dcembre 2011, p. 32-40.
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tats-Unis/Europe : qui est le plus svre ?
Afin de souligner le suppos excs de zle de la Commission europenne,
il est parfois fait rfrence au cas amricain, en mobilisant largument selon
lequel les autorits antitrust outre-Atlantique seraient moins svres que
leurs homologues europens. Il est vrai que lon constate une progressionmoins forte du montant des sanctions antitrust aux tats-Unis au cours des
annes 2000 (figure 7), ainsi quune stabilisation du niveau des sanctions
imposes par le dpartement de la Justice aprs 2007 ( lexception de
lanne 2009) : entre 500 et 700 millions de dollars chaque anne, alors
mme que le nombre dinvestigations est en constante progression.
Figure 7 : volution des sanctions antitrust aux tats-Unis et en Europe
Source : John Connor, confrence Antitrust fines : what is the right amount ? , organise par la revueConcurrences, 2012.
40
30
20
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0
ECtotal $22.6 billion
UStotal $10.7 billion
1990
2000
1991
2001
1995
2005
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2009
2010
2011
1993
2003
1997
2007
1992
2002
1996
2006
1994
2004
1998
2008
Pour autant, la comparaison des sanctions entre lEurope et les tats-
Unis mrite dtre affine. En premier lieu, dans le cas des grands cartels
internationaux condamns rcemment la fois aux tats-Unis et en Europe,
le niveau des sanctions antitrust apparat plus lev du ct amricain. Si
lon suppose que les marchs affects ont t de mme taille et le dommage
caus au march similaire, on obtient les chiffres suivants : 1,4 milliard de
dollars pour le cartel des tubes cathodiques (contre 648 millions deuros
en Europe) ; 1,7 milliard de dollars pour le cartel du fret arien (contre
799 millions deuros), et 729 millions de dollars pour le cartel des DRAM(contre 331 millions deuros).
Deuximement, les cartels de grande dimension font systmatiquement
lobjet de poursuites pnales aux tats-Unis. Toute comparaison, pour
tre pertinente, doit donc prendre en compte cette tendance marque la
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criminalisation des cartels qui nexiste pas ou trs peu, en Europe 27.
Noublions pas, en effet, quaux tats-Unis les sanctions pnales sont
devenues lourdes : le plafond de sanction lencontre des individus en cas
de violation du Sherman Antitrust Acta mme t accru depuis 2004, 1
million de dollars et 10 ans de prison. La justice amricaine a galementlargi le champ de la responsabilit pnale en nhsitant plus demander
lextradition de dirigeants trangers : ce jour, on compte 40 cadres non
amricains qui ont effectu des peines de prison aux tats-Unis dans des
affaires de cartels internationaux ! Au cours de la seule priode 2010-2011,
le nombre total de jours de prison pour cartel sest lev 18 295, avec des
peines moyennes de 24 mois.
En troisime lieu, aux tats-Unis, les entreprises poursuivies par les autoritsantitrust doivent systmatiquement affronter les demandes en rparation de
leurs victimes, qui peuvent entreprendre des class action et sappuyer sur
le mcanisme redoutable des triples dommages , consistant rclamer
trois fois le dommage subi. Si lintervention publique des autorits antitrust
est dune nature juridique diffrente des actions prives en rparation, il
nen demeure pas moins quil est possible dadditionner les montants pays
au titre des rparations avec les sanctions antitrust : le systme amricain
apparat alors beaucoup plus svre que son homologue europen (voirfigure 8).
Figure 8 : volution du montant des sanctions antitrust et des rparations aux Etats-Uniset en Europe
Source : John Connor, confrence Antitrust fines : what is the right amount ? , organise parla revue Concurrences, 2012.
50
40
30
20
10
0
UStotal $49 billion
ECtotal $34 billion
1990
2000
1991
2001
1995
2005
1999
2009
2010
2011
1993
2003
1997
2007
1992
2002
1996
2006
1994
2004
1998
2008
27. Dans le cas du Royaume-Uni, leffectivit des sanctions pnales, introduites en 2002, reste ce jour trslimite : une seule condamnation des peines de prison ferme a t prononce en 2008.
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Il est vrai que la mise en place prochaine de mcanismes daction de groupe
dans les pays dEurope ( limage de la France) pourrait faire craindre un
alignement progressif sur le systme amricain. Il est toutefois peu probable
que lon assiste une explosion des montants de rparation semblable
celui observ aux tats-Unis. En effet, afin dviter les drives du modleamricain, certains mcanismes comme les triples dommages nauront
pas cours en Europe.
Plus encore, il nexiste ce jour aucun consensus scientifique dmontrant
que les actions de groupe exerceraient un impact ngatif sur la comptitivit
de lconomie, y compris dans le cas extrme des tats-Unis. Ainsi,
ltude souvent cite du cabinet Towers Perrin 28, qui value le montant des
rparations 2 % du PIB amricain, ninforme en rien sur les pertes de bien-tre que subirait lconomie amricaine du fait de ces actions collectives. Une
tude empirique mene pour le compte de la Commission europenne en
2008 sur limpact des actions collectives existantes en Europe conclut de son
ct : There is no evidence indicating an impact of the existing collective
redress mechanisms on the competitive position of EU firms in comparison
with their non-EU rivals 29.
On peut cet gard, noter quaucune tude ne montre pour linstant queles Pays-Bas et le Royaume-Uni, qui disposent dun systme dactions
collectives, ont connu une perte de comptitivit de leur conomie du fait de
lintroduction de ces nouvelles dispositions juridiques.
Argument 9. La politique antitrust amricaine nest pas moins svre quecelle mene en Europe, ds lors que sont prises en compte les sanctions
pnales et les actions en rparation.
Antitrust : faut-il lever le pied en priode de crise ?
Alors que lEurope connat une priode de faible croissance conomique et
de profondes restructurations industrielles, plusieurs voix se sont leves en
faveur dun assouplissement de la politique antitrust.
Un premier discours en appelle la modration dans la politique de
sanctions, arguant du fait que de fortes amendes ne feraient quaccrotre
28. Cabinet Towers Perrin, 2008 Update on U.S. Tort Cost Trends, 2008 (http://www.fljustice.org/docs/Towers2008study.pdf).
29. Commission europenne, Evaluation of the Effectiveness and Efficiency of Collective Redress Mechanismsin the European Union. Final report, 2008, p. 12.
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les difficults financires auxquelles les entreprises sont confrontes du fait
de la rcession. Il serait en effet paradoxal que les autorits antitrust, au
travers de sanctions trop leves par rapport aux capacits de paiement
des entreprises, acculent ces dernires la faillite, ce qui aurait pour effet
de rduire lintensit de la concurrence sur le march. Pour autant, lesautorits antitrust mconnaissent-elles la situation financire des entreprises
lorsquelles dterminent le montant des sanctions ? Non. En effet, au niveau
communautaire, les lignes directrices pour le calcul des amendes (2006)
prvoient que, dans des circonstances exceptionnelles, la Commission
puisse rduire la sanction dune entreprise si cette dernire lui fournit des
lments suffisamment clairs et objectifs dmontrant que cette amende est
susceptible de mettre irrmdiablement en danger la viabilit conomiquede lentreprise concerne , au-del de la seule constatation dune situation
financire dfavorable ou dficitaire . De mme, dans le cas franais, le
communiqu sur le calcul des sanctions (2011) stipule quune entreprise peut
demander le bnfice dune rduction de sanction, charge elle de justifier
lexistence de difficults financires particulires au moment de la dcision.
Il est galement possible en France, au stade du paiement de la sanction,
quune entreprise puisse bnficier dun chelonnement ou dun moratoire.
Ces principes ont-ils trouv sappliquer au cours de la priode rcente ? loccasion de plusieurs dcisions, la Commission na pas hsit diminuer,
parfois trs fortement, le montant de la sanction inflige une entreprise
pour tenir compte de sa situation financire critique (voir tableau 4 page
36). Le cas le plus emblmatique est sans doute celui du cartel des tubes
cathodiques, o lun des participants, la firme franaise Technicolor, a
bnfici dune rduction damende de 85 %, portant sa sanction de 219
millions deuros 38 millions.
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Tableau 4 : Rductions de sanction au titre de la capacit payer
Cartel Sanction totale(en millionseuros)
Rduction de sanctionsobtenue par certainesentreprises au titre de la
capacit payerCartel des tubes cathodiques (2012) 1 400 85 % 1 entreprise
(Technicolor)
Cartel des quincailleries de fentre (2012) 86 45 % 1 entreprise
Cartel des installations sanitaires de salles de bain(2010)
622 25 % 2 entreprises et50 % 3 entreprises
Cartel de lacier de prcontrainte (2010) 269 25 %, 50 %, 75 % 3entreprises
Cartel des producteurs de phosphate (2010) 175 70 % 1 entreprise
Cartel des dmnagements internationaux (2008) 32,7 70 % 1 entreprise
De mme en France dans plusieurs affaires rcentes, lAutorit de la
concurrence a accord des rductions de sanctions, parfois substantielles,
des entreprises ayant fait la preuve de leur fragilit financire. titre
dexemple, nous pouvons citer la rduction de 80 % octroye GAD dans
lentente sur le porc breton (2013) ou encore la rduction de 35 % pour les
Grands Moulins de Strasbourg dans le cartel des farines (2012).
Argument 10. Les sanctions infliges par les autorits antitrust aux entreprisestiennent compte de leur capacit payer et peuvent donc tre rduites si lesentreprises dmontrent lexistence de difficults financires particulires.
A contrario, demander que les sanctions ne soient pas leur juste niveau au
seul motif de la crise conomique cest dire, en creux, que lon accepte que lespratiques anticoncurrentielles perdurent ou fleurissent durant ces priodes.
Il faut alors dmontrer quune conomie dans laquelle prosprent cartels
et autres abus de march est une conomie qui prpare mieux lavenir, le
rebond, la sortie de crise, quune conomie qui mise sur les vertus de la
concurrence. Il nexiste pas ce jour dtude empirique qui dmontre cela.
En revanche, plusieurs tudes ont t menes sur les consquences de la mise
en sommeil des lois antitrust durant la Grande Dpression aux tats-Unis,
et les rsultats sont clairs : ces mesures ont prolong la rcession. Rappelonsen effet que lobjectif affich du National Industrial Recovery Act(NIRA)
de 1933 tait de soutenir le niveau des prix et des salaires en acceptant que
les entreprises limitent la concurrence entre elles, en contrepartie de hausses
de salaires ngocies avec les syndicats. Le Code of Fair Competitionmettait
ainsi purement et simplement entre parenthses les lois antitrust : ds 1934,
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plus de 500 industries lavaient accept, sengageant dans des pratiques
de prix de revente imposs, de prix minimum et de cartels. Bien que le
NIRA ait t dclar inconstitutionnel par la Cour suprme en 1935, les
autorits antitrust ont continu aprs cette date fermer les yeux sur
les pratiques de collusion, et ce jusquen 1939. Quel bilan peut-on dresserrtrospectivement de cette politique ? Harold Cole et Lee Ohanian ont
mesur limpact du NIRA 30 sur la persistance de la crise conomique au
cours de la priode 1933-1939 31en comparant la situation observe (data)
celle qui aurait prvalu si lconomie amricaine tait reste concurrentielle
(competitive model). Ils concluent que plus de la moiti de lcart entre la
production observe et la production simule sexplique par la cartellisation
de lconomie et les hausses de salaires qui en ont rsult (voir figure 9). Diten dautres termes, loin de faciliter la sortie de crise, le NIRA na fait que la
prolonger en retardant les ajustements ncessaires.
Figure 9 : volution de la production observe et simule aux tats-Unis
110
100
90
80
70
60
50
Competitive Model
Cartel Model
Data
1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940
Year
Indices
Source :Harold E. Cole et Lee E. Ohanian, New Deal Policies and the Persistence of the Great Depression:a General Equilibrium Analysis ,Journal of Political Economy, vol. 112, no4, aot 2004, p. 809.
Argument 11. Lexprience amricaine de mise en sommeil de lantitrustdurant le New Deal montre que cette politique na fait que prolonger ladure de la crise, en retardant les restructurations.
30. Harold E. Cole et Lee E. Ohanian, New Deal Policies and the Persistence of the Great Depression: a GeneralEquilibrium Analysis ,Journal of Political Economy,vol. 112, no4, aot 2004, p. 779-816.
31. Rappelons que le PIB par tte (en valeur relle), qui tait infrieur de 39 % par rapport son trend en 1933,tait encore infrieur de 27 % en 1939.
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Un second discours milite pour que les autorits antitrust adaptent leur grille
de lecture au contexte de crise, notamment en permettant la constitution
de cartels de crise . Certains conomistes vont mme jusqu demander
la ractivation du trait instituant la Communaut europenne du charbon
et de lacier (CECA) et de son article 58, lequel autorisait, en cas de crise
manifeste dans la sidrurgie, linstauration de quotas de production par
entreprise32.
Rappelons quun cartel de crise consiste, pour des firmes concurrentes,
se coordonner entre elles, en priode de faible demande, dans le but de
rduire leurs surcapacits. Les cartels de crise prennent souvent place dans
lindustrie lourde, marque par lampleur des cots fixes : ces derniersncessitent dassurer un niveau de production minimal dans chaque usine,
afin datteindre le seuil de rentabilit. Plutt que dassainir le march au
travers dun jeu non coopratif de guerre des prix et de faillite de certains
acteurs, le cartel de crise organise la diminution concerte des capacits entre
acteurs.
Dun point de vue thorique, un cartel de crise exerce deux effets contraires
sur le niveau des prix :
il permet de rationaliser la production en fermant les units les moinsrentables et en concentrant la production dans celles qui sont les plus efficaces,
ce qui permet dviter une hausse des cots unitaires et donc des prix ;
il saccompagne dune rpartition des quantits entre concurrents sous la
forme de quotas, voire dune fixation des prix en commun, ce qui a pour
effet de figer toute concurrence lintrieur du secteur.
Limpact final dun cartel de crise sur le niveau prix est donc indtermin : tout
est affaire de cas par cas. cet gard, lhistoire conomique nous enseigneque les cartels de crise peuvent parfois se rvler bnfiques pour lconomie.
Ainsi, face la rcession de la fin du XIXe sicle en Allemagne, lindustrie
sidrurgique sest largement cartellise. Selon Janice Rye Kinghorn, cette
politique a eu pour effet de stabiliser la demande et de rduire les prix 33.
Mais pour que les cartels de crise puissent tre bnfiques pour lconomie,
encore faut-il que les gains defficacit soient dmontrs et suffisants. cet
gard, lapproche europenne est particulirement claire : il nest pas exclu,
en thorie, quune entente qui organise la rpartition des capacits puisse
32. Voir par exemple Christian Stoffaes, Mittal et les cartels de lacier , La Tribune, 4 janvier 2013.
33. Janice Rye Kinghorn, Kartells and Cartel Theory: Evidence from Early 20th Century German Coal, Iron, andSteel Industries , The Cliometric Society, 2010 (http://cliometrics.org/conferences/ASSA/Jan_96/kinghorn.shtml).
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tre sauve par la Commission europenne au titre de sa contribution
au progrs conomique 34 , mais il appartient aux entreprises dexpliquer
la ralit et lampleur des gains defficacit gnrs par le cartel de crise,
ainsi que leur caractre ncessaire et proportionn. Il existe en effet dautres
solutions, moins restrictives de concurrence, pour parvenir restructurerun secteur en proie des surcapacits : par exemple, les entreprises peuvent
procder des fusions pour atteindre la taille critique.
Si ces conditions ne sont pas cumulativement runies, alors un cartel de crise
sera simplement considr comme un cartel, cest--dire une restriction de
concurrence par objet, tombant logiquement sous le coup de la prohibition35.
Argument 12. Si les cartels de crise peuvent tre un moyen de rationaliserles capacits de production, il appartient aux entreprises de dmontrer que cescartels sont ncessaires et proportionns pour raliser des gains defficacit.
CONCLUSION
La prsente note a voulu dmontrer que la politique de concurrence, loindtre un obstacle la comptitivit de nos entreprises, en constitue en ralit
un levier prcieux, en stimulant linnovation et la productivit. Plus encore,
en fixant des rgles du jeu qui simposent tous les acteurs, la politique
de concurrence redonne aux pouvoirs publics un rle central et renouvel
dans le pilotage dune conomie de march : celui dun arbitre qui encadre
le jeu concurrentiel, qui prvient et sanctionne les abus de march, afin de
permettre aux entreprises les plus mritantes de valoriser pleinement leurs
atouts (prix bas, produits innovants).Certes, la politique de concurrence ne saurait, elle seule, se substituer
une politique industrielle ambitieuse. linverse, il serait contre-productif,
au motif que lEurope ne fait pas assez de politique industrielle, de
dshabiller la politique de concurrence. Les deux politiques sont en ralit
complmentaires. vrai dire, ce dont souffre lEurope aujourdhui, cest
moins dune politique de la concurrence trop forte que dune politique
industrielle trop faible.Nous avons jusquici laiss de ct un argument plus institutionnel
quconomique mais fondamental : pourquoi lEurope simposerait elle-
34. Comme le prvoit le paragraphe 3 de larticle 101 du TFUE.
35. Comme la rappel la Cour de justice dans laffaire du buf irlandais en 2008.
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mme des rgles de concurrence, alors que ses partenaires extra-europens,
au premier rang desquels les pays mergents, ne se les appliquent pas eux-
mmes ? Pourquoi ne pas attendre lavnement dune politique mondiale de
concurrence avant de nous contraindre nous-mmes ? Cet argument est en
effet sduisant, mais il se heurte plusieurs critiques.En premier lieu, nous avons montr que la politique de concurrence,
en stimulant la productivit et en favorisant le renouvellement du tissu
productif, tait un vecteur de croissance et demplois pour lEurope. En
mettant en sommeil la politique de concurrence, nous nous priverions nous-
mmes dun ingrdient de croissance et de comptitivit.
En deuxime lieu, noublions pas que la politique de concurrence europenne
porte sur lensemble des entreprises prsentes sur le sol europen, quelle quesoit leur nationalit. La politique de concurrence nous protge donc aussi
contre les agissements anticoncurrentiels de firmes extra-europennes, pour
peu que la Commission europenne puisse accder aux preuves de leurs
pratiques. Par exemple, si des firmes non europennes mettent en place
un cartel en Europe au dtriment des consommateurs et des entreprises
europennes, la Commission dispose de la comptence pour les poursuivre
et les condamner. Tel est bien le cas du cartel des tubes cathodiques, qui a vu
la Commission europenne condamner en 2012, outre Philips et Technicolor,des entreprises japonaises et corennes. De manire symtrique, les firmes
europennes, lorsquelles voluent hors dEurope, ne sont pas soumises aux
rgles europennes de concurrence.
En dernier lieu, plutt que de sen remettre la naissance improbable dune
politique de la concurrence mondiale, il parat plus judicieux dinciter nos
partenaires des pays mergents poursuivre et renforcer leurs efforts en
matire de politique de concurrence. Nomb