UNE LISTE DE ROIS DE LA IV* DYNASTIE

DANS L'OUDI HAMMAMAT par Etienne DRIOTON

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UNE LISTE DE ROIS DE LA IV* DYNASTIE

DANS L'OUDI HAMMAMAT par Etienne DRIOTON

Au printemps de 1949, M. Fernand Debono, envoy en mission dans l'Oudi Hammmt, qui relie Qna la Mer Rouge, dcouvrit dans la montagne, quelque distance de la valle principale, une inscription rupestre (fig. I et 2) dont voici la copie :

Aucune autre inscription ne se trouvait dans les parages, si ce n'est une petite stle biface, date de l'an IV I?) de Sbe-khotep IV (I) , qui fut rapporte au Muse du Caire.

Ce texte est tout entier de la mme main. Il a reu du temps une patine uniforme. Son authenticit est indiscutable.

La premire question rsoudre son sujet est celle de sa datation. L'importance lui attribuer en dpend.

Fig. 2

Fig. I

Son pigraphie prsente comme particularits la position

verticale du /vwwv , le retournement du ^ et la valeur

de nb attribue au mme ^ retourn.

La position verticale donne M W A est caractristique

de la XIT dynastie. Elle se rencontre par exemple cinq fois sur la stle C I du Louvre (2), qui date de l'an XXIV d'Amnemms I, et une fois sur la stle 17 du Muse de Leyde (3). On ne la retrouve aprs cela qu'isolment l'poque sate (4), sans doute par recherche d'archasme.

Le retournement du o (fig. 3, 4 bis) et la valeur de nb

Fig. 3

attribue au signe dans cette position sont frquents sur les scarabes partir de la 'XVIII 0 dynastie. Mais l'tude de ces graphies fantaisistes n'a pas encore t pousse fond. Peut tre trouve-t-on une influence de la seconde, au Moyen Empire, dans l'criture un peu anormale de Coffln Texts I I I , 260 c,

= Id. 265 b, o le

signe est plus petit qu'un nb, mais un peu plus gros qu'un /.

Si l'on ajoute que la graphie \J\ , marque l'int-rieur par une seule ligne verticale, se rencontre dans l'inscrip-tion n 81 de l'Oudi Hmmmt (5), qui date d'Amnemms I I I ,

et que la forme (Q) , de rc, dans les cartouches, apparat

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sous la XII* dynastie et disparat la fin du Moyen Empire (6), on concluera que le graffito publi ici remonte au Moyen Empire, trs probablement la XII* dynastie.

La seconde partie de cette inscription est une liste de petits fonctionnaires. Les signes en sont tracs de faon assez maladroite. Deux d'entre eux sont donns sous leur forme en criture hiratique, ce qui est, l'Oudi Hammmt, une par-ticularit pigraphique des inscriptions du Moyen Empire releve par M. Montet (7) :

En voici la transcription en hiroglyphes normaux et la traduction :

nby Pi h Nzvrtzv,

" Le fondeur de Ptah Nounou ".

Il s'agit ici du mot f^l j ()I|N?==J] " fondeur " , auquel, dans les titres, le nom d'un dieu se trouve souvent accol

(Wb I I , 241, 3). Des quipes de fondeurs F^ ^ | ( | 0 ) ou

( I I ) , sont mentionnes dans certaines inscrip-

tion de l'Oudi Hammmt. C'tait sans doute parce qu'on y venait chercher, non seulement de la pierre bekhen, mais aussi de l'or.

Le nom propre, crit ici en bref

est attest pour le Moyen Empire (12). Il est vrai que c'est comme nom de femme, mais on sait qu' cette poque surtout, nombreux sont les noms propres communs aux deux sexes (13).

6

1 -

(8)

(9)

" Le porteur Hetep-iou ".

nby Pth Hmv> " Le fon-

deur de Ptah, Khenou ".

Ce dernier nom propre est srement le

attest comme nom d'homme pour l'Ancien et le Moyen Empire"41.

4 -

rmny n hpzvt nzo ht Rmny, " Le porteur des transports (?) de bois (?) u

Remeny ".

Hhzut doit, semble-t-il, tre interprt V^Y \Wb I I I , X o (D 0 C 0

68, 12), " voyages ", mot attest au Moyen Empire sous la

forme X dans une variante des Coffin Texts" 5 1 . Que ce

mot soit prendre ici au pluriel, cela dcoule de l'emploi

de o , substitu, comme cela arrive parfois" 6 1 l'adjectif nt

du fminin pluriel. L'orthographe pour ^ \ , avec

un O lgrement dform qui le fait ressembler un

uf Q , se trouve employe au Moyen Empire"7'. Il s'agis-sait sans doute ici des bois de manoeuvre ncessaires pour l'extraction et pour le charroi des blocs de pierre. Dans toute expdition de ce genre, leur transport devait faire l'objet d'un train spcial, avec ses convoyeurs et ses dbardeurs. Par une

7

2

3

3 rmny Htp-izv,

curieuse concidence, le membre de ce personnel qui a laiss son inscription ici s'appelait Rmny, " Le Porteur ". C'est du reste un nom connu, pour les deux sexes, au Moyen et au Nouvel Empire"8'. Le fondeur de Ptah mentionn prcdemment, Khenou, portait un nom analogue qui, d'aprs le signe-mot qui sert l'crire, voulait dire " Le Porteur de besace ".

* *

Ainsi date sans doute possible, par ses signatures, du Moyen Empire, cette liste partielle de rois de la IV e Dynastie prend une grande importance en raison de son antiquit rela-tive. En effet les listes royales jusqu' prsent connues ne remontent qu'au Nouvel Empire.

L'numration commence par les noms de Chops, Rad-jedef (19) et Chphrn, dont les rgnes constituent une s-quence historiquement bien tablie. Mais elle se poursuit par l'introduction de deux personnages, Hordjedef et Bioufr, dont on connaissait l'existence, mais sans avoir aucun indice qu'ils eussent jamais t rois.

Tous les deux, d'aprs le Papyrus Westcar (20) taient f i l s de Chops. Leurs mastabas ont t retrouvs par Reisner dans la ncropole de Gza. Celui de Hordjedef contenait un sarcophage inachev et toute la dcoration de sa chapelle funraire avait t rase au ciseau, comme si ce prince avait eu une fin subite et t poursuivi jusque dans la mort par la perscution d'un ennemi (21).

Quoiqu'il en soit cette apparition de deux noms inatten-dus, immdiatement aprs celui de Chphrn, dans une nu-mration de souverains de la IV e Dynastie, voque les diffi-cults que les historiens ont rencontres jusqu' prsent pour tablir la liste des derniers rois de cette dynastie. Le Papyrus de T u r i n offre une lacune de quatre noms entre Chphrn et Ouserkaf, le fondateur de la V e Dynastie (22). Une fois resti-tus Mycrinus et Chepseskaf, il reste encore deux noms y placer. La liste d'Abydos, qui n'est qu'un abrg, porte sim-plement pour cette poque la squence : Chphrn, Myc-rinus, Chepseskaf. La liste de Sakkarah est mutile cet endroit et elle ne saurait tre d'aucune utilit. En ce qui con-cerne les listes grecques, Manthon donne pour la fin de la IV e Dynastie : Souphis, Menkrs, Rhatoss, Bikhris, Seber-krs et Tamphthys ; Eratosthne numre : Raousis, Biours, Saphis I, Saphis I I et Moskhrs (23).

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Reisner (24), en examinant de nouveau la question tout en tenant compte des dcouvertes archologiques et des possi-bilits qu'elles suggrent, dclarait en 1931 sa prfrence personnelle pour la combinaison suivante :

Sneferuw 24 ans Chops 23 Radedef 8 Chphrn de 29 23 x-l de 0 5 x-2 de 0 1 Mycrinus 18 Shepseskcf 4 x-3 2

ce qui revenait en somme intercaler entre Chphrn et Mycrinus deux souverains pris aux listes grecques. Reisner mettait l'hypothse que x-l pourrait tre le Bikhris de Manthon, x-2 son Sberkhrs et x-3 son Tamphthys.

La liste de l'Oudi Hammmt vient l'appui de la thorie de Reisner, puisqu'elle place deux rois nouveaux im-mdiatement aprs Chphrn. Elle fait aussi la lumire sur ce que l'on pensait au Moyen Empire de ces rois, dont les documents grecs n'ont transmis, des places variables dans leurs listes, que des noms dforms. C'taient tous les deux, comme Chphrn, des f i l s de Chops. Hordjedef (25) doit correspondre au Rhatoss (26) de Manthon et au Raousis d'Eratosthne, puisque Bioufr se reconnat aisment dans le Bikhris de Manthon et surtout dans le Biours d'Eratos-thne. Ce qui permettrait de remplir de la faon suivante la liste de succession propose par Reisner :

Sneferuw Chops Radjedef Chphrn Hordjedef Bioufr Mycrinus Shepseskaf ( = Sberkhrs) Tamphthys

Tant qu'il aurait survcu des f i l s de Chops pour acc-der au trne, la succession se serait faite parmi eux, en ligne collatrale. Ce n'aurait t qu'aprs la disparition du der-

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nier d'entre eux, Bioufr, que la ligne de Chphrn aurait pris le pouvoir avec Mycrinus.

Dans quel dessein des fonctionnaires de l'poque du Moyen Empire, venus pour exploiter une carrire dans ces parages loigns de l'Oudi Hammmt, ont-ils laiss, avec leurs noms, cette liste partielle de rois de la IV e Dynastie qui avaient rgn au bas mot sept sicles avant eux ?

Les titres de deux de ces gens dnoncent assez leur origine. Attachs au service de Ptah, c'taient des memphites, venus chercher des matriaux ou de l'or pour le grand tem-ple de leur matre Memphis.

Memphis, premire capitale de l'Egypte unifie, qui devait rester jusqu' la fondation d'Alexandrie la cit la plus populeuse du royaume, ne dut jamais accepter sans aigreur sa dchance du rang de mtropole au bnfice de Thbes. N'ayant plus dans le prsent de rois elle dont elle pt tirer gloire, elle se rfugia dans l'orgueil de son pass. C'est cer-tainement le sentiment qui a inspir le graffito dont nous venons de nous occuper. Au milieu des innombrables inscrip-tions rupestres qui se rclamaient alors l'envi des souve-rains du jour, des Amnemms et des Ssostris, le petit groupe memphite envoy l'Oudi Hammmt a entendu terniser le souvenir de son passage sous le patronage du plus illustre des rois de son histoire, le lgendaire Chops, en lui associant ses quatre f i l s qui, selon l'opinion qu'on avait alors, avaient successivement occup le trne aprs lui. C'est ce que voulait sans doute exprimer l'unique nszu-bhr dl *nh (27) dt, attribu au seul Chops, et le fait que les cartouches de ses f i l s et successeurs se trouvent souds en chane avec le sien.

(1) Cf. Chronique d'Egypte, Bruxelles, n" 50, juillet 1950, p. 239. (2) PIERRET, Recueil d'inscriptions indites du Muse Egyptien du

Louvre, II , Paris 1878, p. 27-28. GAYET, Muse du Louvre, Stles de la Xll dynastie, Paris 1886, pl. 1.

(3) BOESER, Beschreibung der aegyptischen Sammlung des niederln-dischen Reichsmuseum der Altertmer in Leiden, II , Stelen, Haag 1909, pl. XVI .

(4) Par exemple NEWBERRY, Funerary Statuettes and Model Sarco-phagl, Catalogue gnral des Antiquits gyptiennes du Muse du Caire, n " 46.530-48.575, Le Caire 1930-1737, p. 251, n 47.853.

{4 bis) Scarabode indit du Muse du Caire, collection Fouad I . Copie de M. Alan Rowe.

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(5) COUYAT-MONTE , Les inscriptions hiroglyphiques et hiratiques du Oudi liammmt, Le Caire 1912, p. 63 et pl. XVI I I .

(6) Voir par exemple les cartouches de Ssostris III et de Sbeiiem-saf I sur les bus-reliefs du Moyen Empire exhums . Mdamoud, RIS-SON DE LA ROQUE, Rapport sur les fouilles de Mdamoud (1929), Le Caire 1930, pl. IV, VI I , X et X I . Id. (1930), Le Caire 1931, pl. VII .

(7) COUYAT-MONTET, op. cit., p. 16 . (8) Papyrus Prisse, MOLLEiR, Hieratische Palographie, I, o. I, n 15. (9) Papyrus Prisse, Ibid., p. 9, n 101. (10) COUYAT-MONTET, op. cit., p. 66, n" 87, ligne 17. (11) Ibid., p. 86, n 123 b, ligne 4. '12) HANKE, Die gyptischen Personennamen, I, Glckstadt 1935,

n. 206, n" 9. (13) Id., n. 3. (14) Id., p. 270, n" 4. (15) DE BUCK, The Egyptien Coffin Texls, I, Chicago 1935, n. 94 b,

var. B 12 Ca. (16) LFEBVRE, Grammaire de l'gyptien classique. Le Caire 1940,

n. 80, 145. (17) Cf. par exemple GRDSELOFF, Le bois cachet officiel des

Gouverneurs, Annales du Service des Antiquits de l'Egypte, LI (1951). p. 153-157.

(18) RANKE, Die gyptischen Personennamen, I, Glckstadt 1935, p. 222, n o s 14 et 15.

(19) Sur la lecture la plus ancienne des noms de cette structure, modi-fie au cours des temps, RANKE, op. ci!., II , p: 257-258.

(20) LFEBVRE, Romans et contes gyptiens, Paris 1949, p. 77 et 80. (21) REISNER, Mycrinus, Cambridge 1931, n. 241. (22) FARINA, //, Papiro dei Re restaurato, Home 1938, n. 27-28. L'au-

teur a inscrit d'emble Mycrinus dans cette lacune, immdiatement aprs Chp'hrn, avec cette justification (p. 291) : Tutto le liste egiziane e greche sonno d'accordo nel far succedere a Hawefre il re Menkowre ed e fantastico assurdo, non porlo quindi alla linea 13. C'est d'un jugement un peu trop rapido. MEYER, Chronologie gyptienne, trad. Moret, Parie 1912, p. 194, estimait cinq noms la lacune qui spare Chphrn d'Ou-serkaf. Mais il est vident, d'aprs la pl. I II de FARINA, op cit., que cet auteur a ou raison de la rduire quatre.

(23) Of. MiEYER, op. cit., tableau faisant face la page 196. (24) REISNER, Mycrinus, Cambridge 1931, p. 243 et 246. (25) Le disque solaire qui commence ici son cartouche avait t trac

par inadvertance. Lie lapicide l'a annul par des stries. (26) Rhatoss, autant qu'on peut raisonner sur des noms aussi arbi-

trairement dforms par les copistes, correspond plutt a. Radjedef qu' Hordiedef. Mais il est pcssible que, de mme que Chops et' Chphrn sont devenus chez Manthon Souphis T et Souphis I I . une liste grecque perdue ait fait de Radjedef et de Hordjedef Rhatoss I et Rhatoss II .

(27) En criture inverse, par inadvertance.

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UNE LISTE DE ROIS DE LA IV* DYNASTIE DANS L'OUDI HAMMAMATFig. IFig. 2Fig. 3