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Les Sacri fi ces de l’amour ÉDITIONS DU BOUCHER Les Malheurs de l’inconstance CLAUDE-JOSEPH DORAT

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Les Sacrifices de lamourDITIONS DU BOUCHERLes Malheurs de linconstanceCLAUDE-JOSEPH DORATCONTRAT DE LICENCE DITIONS DU BOUCHERLe fichier PDF qui vous est propos est protg par les lois sur les copyrights & reste la proprit de la SARL Le Boucher diteur. Le fichier PDF est dnomm livre numrique dans les paragraphes qui suivent.Vous tes autoris : utiliser le livre numrique des fins personnelles.Vous ne pouvez en aucun cas : vendre ou diffuser des copies de tout ou partie du livre numrique, exploiter tout ou partie du livre numrique dans un but commercial ; modier les codes sources ou crer un produit driv du livre numrique.NOTE DE LDITEURLes textes reproduits sont : celui de ldition de 1772 publie Amsterdam pour les Sacrifices de l amour ; celui de ldition de 1775 publie Neuchtelpour les Malheurs de l inconstance.Dans les deux cas, & afin de faciliter la lecture de ces romans, lorthographe, la ponctuation & la typographie ont t modernises. 2006 ditions du Bouchersite internet : www.leboucher.com courriel : [email protected] conception & ralisation : Georges Colletcouverture : ibidemISBN : 2-84824-074-1Les Sacrifices de lamour AVERTISSEMENT! 4 "Avertissement de lauteurJe nai pu faire rimprimer ces Lettres aussitt que je laurais voulu,de sorte quil sen est rpandu des ditions furtives, pleines de contre-sens, de transpositions & de fautes intolrables. Celle que je prsenteau public, est au moins trs soigne. On ny trouvera presque point deLettres o je naie fait des changements. Le tutoiement de madame deSenanges & du chevalier avait dplu; je lai supprim.Quant au caractre de mon hrone, jai cru devoir le conserver telque je lavais conu dabord. La critique quon en a faite prouve sin-gulirementquelpointnosmurssontdpraves.Onacrilinvraisemblance,parcequunefemme,malgrsapassion,respecteses liens, est fidle ses devoirs, se dfend dune faiblesse; & lon mareprochdtreromanesquelexcs,parcequejemesuisavisdepeindre un caractre honnte. Il serait possible, au reste, de disculpermadame de Senanges, & de ne la point rendre tout fait responsablede sa vertu. Cette femme si extraordinaire nest-elle pas enchane parlescirconstances?Elleestenleve&miseaucouvent,aumoment,peut-tre, o elle allait recouvrer, en se rendant, la bienveillance demes lecteurs.Ilesttrangequonnepuisseplussupposerunersistancedesix mois, sans scandaliser la moiti deParis. Je demande pardon delavoiros,&demtrepermisuneproductiondunsimauvaisexemple.Une belle dame, connue par une foule daventures, & qui na pointle tort de faire languir ses amants, disait, aprs avoir lu ces Lettres :Quelle bgueule que cette madame de Senanges! elle mest anti-pathique.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 5 "Cette expression de murs ma bien plus rjoui que net fait unloge, & peut-tre elle en est un.JenejustifieraipointletondemadamedErcy.Sijevoulaisnommermesmodles,onverraitquejesuisloindelexagration.Dailleurslescritiquesnemefontplusrien.Jenaiprouvdesiinjustes, de si malhonntes, & de si bassement insolentes, que la tran-quillit du mpris me prserve jamais des impatiences de lamour-propre & de la duperie des rponses.Le discours qui prcdait cet ouvrage ntait quune esquisse rapide&peuapprofondie.Danscettedition,jelintituleAvant-propos;&, comme jai eu le temps de le rendre plus court, il vaudra peut-tremieux.AVANT-PROPOS! 6 "Avant-proposCe ne serait peut-tre pas une entreprise indigne dun homme de got,de jeter un coup dil sur les variations arrives dans le genre de nosRomans,&demarquer,ensuivantcettechaneintressante,lesnuancesducaractrenational,lesaltrationsquilasouffertes,lesinfluences respectives des murs sur les crits, des crits sur les murs,les progrs, les rvolutions & la dcadence de notre galanterie.Aprs ces sicles presque fabuleux dhrosme & de chevalerie, pen-dant lesquels lamour tait plutt une extase religieuse, quun dlireprofane,&unesuperstition,quunsentiment,onverraitclorecesvolumineuses archives, o figurent des caractres sans vraisemblance,o lhrone fait assaut desprit avec tout ce qui se prsente, tandis quelehros,plusimbcileencorequevaleureux,secroitobligdeconqurir quelques provinces, avant de baiser la main de sa matresse.Endescendantverscestempsoleshommes&lesfemmessevoient de plus prs, se respectent moins, & jouissent davantage, maistoujours sous le voile de la dcence, dernier vestige de lancien culte;le roman acquerrait de la vie, de lintrt & de la vrit. On se repo-serait sur desintriguesmoins compliques;onapplaudirait lafai-blesseauxprisesaveclasduction,auxdouleursdelarsistance,livresse de la dfaite, surtout ces repentirs touchants, dont il est sidoux davoir triompher.Enfin arriveraient ces jours daisance dans les murs, & de boule-versementdanslesprincipes,odeshommes,lgammentvicieux,trompent&sonttromps,nattaquentlesfemmesquepourobtenir,silslepeuvent,ledroitdelesmpriser,&sontencelammeplusmprisables quelles. Cest alors quil faudrait avoir recours aux fastesLES SACRIFICES DE LAMOUR! 7 "des Hamiltons, & surtout au code ingnieux du philosophe charmant qui nous devons le Sopha, les garements du cur 1 & Tanza, dece juste apprciateur du sicle, de ce peintre profond de la frivolit,qui sest mnag des vues sur tous les boudoirs, qui semble y avoir sur-pris la volupt savante de la prude, les soupirs distraits de la coquette,& livresse de ces dames, qui ont au moins autant de promptitude dansles sensations, que de dlicatesse dans les sentiments.Ce rapprochement dpoques pourrait devenir curieux, & dvelop-per en partie lhistoire si imparfaite du cur humain; mais ce plan memnerait trop loin, & serait presque la matire dun ouvrage. Je mecontenteraidequelquesrflexions,semessansordre,surlegenredans lequel je messaie aujourdhui.Nousavonsunefoulederomanssatyriques,lgers,galantsoulicencieux;maisquilenestpeuolesmurssoientpeintes,&lespassions en mouvement, o lhomme se retrouve tel quil est dans lanature! Humilis par la disette de ces tableaux intressants & vastes,nous avons eu recours nos voisins, plutt par un got de mode, quepar un vritable attrait. Il est certain quils lemportent de beaucoupsur nous dans les peintures fortes; il y a dans le caractre des Anglais,je ne sais quelle sve nergique, qui se communique leurs crits. Lescompositionssontlarges&grandes,quandlaliberttaillelespinceaux; & tel homme serait tout dans une rpublique, qui nest rienailleurs.Les productions dun citoyen de Londres se ressentent quelquefoisde leffort dutravail,incompatible avecles grces;mais,laconvul-sion passe, leffet se dveloppe & reste. Nos ouvrages sont pour la plu-part des espces de miniatures, o le pointill domine. Quattendre decet enfantillage lgant ? Il teint limagination & glace la sensibilit.Pourarracherlanaturequelques-unsdesessecrets,ilfauttrenourri de mditations, de recueillements solitaires, de lenthousiasmedu bien & de cette mlancolie, qui marque dune empreinte augustetoutes les ides qui en manent. Voil ce qui distingue les crivainsanglais. Ils fouillent dans les profondeurs de lme; nous jouons sanscesse autour de sa superficie : ils prennent la passion sur le fait, nouslexprimons par rminiscence : ils excutent daprs des physionomies1. Cf. Les garements du cur & de lesprit, Crbillon fils, ditions du Boucher,Paris, 2002 (NdE).AVANT-PROPOS! 8 "distinctes& varies,nousesquissonsdaprsdesmasquesquiseres-semblent.On les a plusieurs fois accuss de sappesantir sur les dtails; maisces dtailsmmes sontle secret dugnie. Les observateurs britanni-quesnengligentrien,quandilsagitdeltudedelhomme;ilssavent que le physique est le flambeau du moral : un Anglais qui meregarde, me juge; tel Franais me frquente longtemps, sans me con-natre. Lun a le coup dil attentif & sr; celui de lautre est vague &indtermin.Cestdureposdelme,delesprit&dessenssurlesdiffrentsobjets, que naissent ces prtendues inutilits, dont les romans de nosvoisins sont remplis; elles leur servent prparer les grands effets, & graduer les impressions : dans les ntres, le peintre parat presque tou-jours,ilveuttrelafoistoussespersonnages.Cenestplusuneaction qui se passe, cest une singerie qui me choque & mattriste. forcedevouloirpolirchaquepartie,nousfaisonsunsquelettedelensemble. Nous ressemblons ces artificiers ingnieux, qui dirigentsavammentdblouissantestincelles;lAnglaisestlemineurcon-somm, qui se cache dans les entrailles de la terre, y exerce son art sou-terrain, & ntonne quau moment de lexplosion.Ce qui nous rend surtout trs ridicules, cest la manie de paratre ceque nous ne sommes pas. Les insulaires, dont nous nous croyons lesmules, naissent penseurs; nous tchons de le devenir; & lors mmeque nous y russissons, leffort se fait apercevoir1. Cest le cas de nouscomparerauxnouveauxparvenus.Lamaladressedeleurfastefaitdeviner leur origine.Dansleparalllequejeviensdbaucher,ontrouvera,jecrois,quelle est la cause de la supriorit des romans anglais sur les ntres.Dailleurs, ce genre est discrdit parmi nous, par la foule des mauvaisouvragesquilaoccasionns.Ilssontordinairementlefruitduneimagination incontinente, dune corruption qui dborde & se rpand.Le roman, tel quil doit tre conu, est une des plus belles productionsde lesprit humain, parce quil en est une des plus utiles : il lemportemme sur lhistoire, ce quil ne serait pas difficile de prouver.1. Ilestplusieursexceptionsennotrefaveur;maisellesnedtruisentpasmonsenti-ment, que je soumets dailleurs des esprits plus clairs. En France, quelques particuliersdonnent le ton; en Angleterre, cest la nation qui pense.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 9 "Lhistoirenestleplussouventquuntableaumonotonedevicessansgrandeur,defaiblessessansintrt ;quunecollectiondefaits,piquants pour la curiosit seulement, & en pure perte pour la morale.Le roman, quand il est bien fait, est pris dans le systme actuel de lasocitolonvit ;ilest,osonsledire,lhistoireusuelle,lhistoireutile, celle du moment.Lebutmoraldeceluiquonvalire,estdeprouver,dunct,quune femme qui aime, peut remplir tous les devoirs qui contrarientsapassion,&nentrequeplusintressante;delautre,quilnyapointdesacrificequecettefemmenepuisseobtenirdelhommeleplus amoureux, sil est vraiment digne dtre aim.Jai tch de distinguer autant quil ma t possible, le style de mesdiffrents personnages. Quand lamante sexprime comme lamant, nilun ni lautre nattache. Les hommes, en crivant, ont plus de viva-cit, peut-tre plus dlan, les femmes plus de sensibilit, de mollesse& dabandon; elles puisent tout dans leur me.Je nai point charg ces Lettres dincidents romanesques. Jai mis enjeudescaractres&despassions.Lapeinturedesmurssuffitlesprit, & tout est vnement pour le cur. Que de nuances! Que dervolutions! Quelle instabilit dans le mme sentiment! Malheur celui qui, pour crire, en est toujours rduit imaginer! Il parle sou-vent une langue trangre; & lon est bientt las de lentendre.Je ne me suispointastreintfairesuivrelesrponses.Jaicraintlordrefastidieuxdecettemarche.Jenaimepasplusleslivrestropmthodiques, quelesjardinstropaligns.Quelquefoismonhronerpond une Lettre quon na point vue, & laisse sans rplique cellequon vient de lire. On se plat franchir les intermdiaires, surtoutdans un sujet o limagination peut si aisment y suppler.Je nai pas non plus coup lintrt (quel quil soit) par ces Lettrespisodiques&fastueusementraisonnes,quiforcentlelecteurladiscussion, quand il voudrait ne se livrer quau sentiment.Cequejosemepromettre,cestquesijenetrouvepointgrcedevantquelquescritiquessvres,jeseraiconsolparcesjugesplusindulgents, qui cherchent moins dans un ouvrage les grces de lexcu-tion, que lesprit gnral qui la dict.Premire partieCLAUDE-JOSEPH DORAT! 11 "Lettre premireLe chevalier au baron de ***Que je vous porte envie, mon cher baron! Quoique vous soyezencoredanslgeolonnerenoncerien,vousavezquittParis, pour vivre dans vos terres : vous prfrez son tumulte ladouceur dune retraite philosophique & tranquille. Cest l quevotremeslve,quellesefortifiecontrelesbesoinsfacticesqui dsolent les socits : car tout me prouve que lhomme socialest puni par les gots mmes dont il avait espr ses plaisirs. Vousvoilhorsdelatourmente.Vousnavezpointdeliens(jenexcepte ceux de lamiti), qui mettent votre repos la merci desautres.Unefortuneconsidrablenevousrenddpendantdeshommes que par le bien que vous aimez leur faire. Vos vassauxsont heureux. Vous animez le travail : lindustrie nat de lencou-ragement que vous lui donnez. La fertilit des campagnes est leluxedevotredomaine,&votrebonheurest,pourainsidire,rflchidanstouslestresquivousenvironnent.Quellerianteperspective!Maisplusmesyeuxmyportent,pluslescircons-tances men cartent. Le calme na jamais t si loin de moi.Quallez-vouspenserenlisantmalettre!Est-celletondemon ge? Que voulez-vous? Mon style prend la teinte de monme : cette me, si ardente, est triste, mlancolique, & nen estpas moins agite.Ilyasixansquejesuisentrdanslemonde.Lardeurdemavancer,ungotvifpourleplaisir,leffervescencedelajeu-nesse, une imagination brlante, mont jusquici rpandu hors deLES SACRIFICES DE LAMOUR! 12 "moi. Dans lge o jai paru, tout plat, tout enivre; les souvenirsdupasssontdoux,leprsenttransporte;onvoitlavenirenbeau; la tte fermente, le cur sallume, on vit dans un mondeenchant. Heureux temps o lon jouit pour jouir encore, o leslueurs dune raison momentane ne montrent que les agrmentsde la vie, sans en clairer les cueils! Mon ami, je sors des jardinsdArmide, le dsert tait au bout.Necroyezpointencoreunefoisquecettatsoitdelalan-gueur :cestaucontrairelinquitudevaguedunemeavertiedun plaisir nouveau.Je nai point me plaindre de la fortune. Jai un rgiment; jeplais une des femmes de la Cour dont on vante le plus lesprit &la figure : son crdit augmente de jour en jour; ma position faitdes jaloux & ne me rend point heureux. Vous lavouerai-je? Cestcette mme femme dont le zle ma t si utile, & qui dailleurspossdetouslescharmes,touteslessductions;cestelleenpartiequiestlacausedemonchagrin.Vouslavezrencontrequelquefois :ilestimpossiblederunirplusdavantagesext-rieurs & de moyens dtre aimable. Elle a pour plaire des secretsqui ne sont qu elle. Elle est belle, & lon serait tent de len dis-penser. Elle a tant de grce, que sa beaut lui devient presquinu-tile.Maishlas!toutcelanestquelamagiedumoment.Lecaractre est celui de tous les jours; le sien est lger, superficiel,altier. Sa tte la trompe sur les mouvements de son cur : Dieusait ce qui rsulte de ce faux calcul. Elle est jalouse avec hauteur,exigeante sans tendresse, capricieuse, un excs que je peindraismal, & le caprice est presque toujours chez les femmes en pro-portion de leur froideur. Il est en elles, je limagine au moins, uneespce de rvolte contre la nature; elles se vengent de ntre passensibles,&nouspunissentdenepasrussirleurcreruncur.LamarquisedErcyjointtouscesdfautsuneambitiondmesure qui la subordonne en quelque sorte toutes les varia-tions du crdit. Son me, osons le dire, est gte par lintrigue,par ce besoin de briller, le poison des vertus douces, des plaisirsvrais & de toute flicit.Vous voyez que je ne laime plus, puisque je la juge. De l lesides sombres qui semparent de moi. Je lui ai les plus grandesobligations,&,aveccellesdesonge,voussavezquonneCLAUDE-JOSEPH DORAT! 13 "sacquitte que par lamour. De jour en jour le mien steint; maisilsemblequemareconnaissanceaugmentemesurequildiminue. Daprs ce que je vous confie, je suis trop honnte pourntrepastrsmalheureux.Jenaipasenvisagunseulinstantque, si je blesse son amour-propre, je mexpose sa vengeance;je ne me souviens que de ses bonts passes : elles laissent dansmon me des traces profondes. Je pleure la perte dune illusionquimevoilaitcequimedtache.Jauraisvoululagarderjusquauderniersoupir,&pouvoirtransformertoujoursenvertus les dfauts de ma bienfaitrice.Plaignez-moi,baron;plaignez-moi :lemalestsansremde.Jaide moi-mme la fatalit qui mentrane vers cette ingratitudequejemereproche.Jaimeunautreobjet.Jailedoubletour-mentdunamourquiexpire&dunepassionquivanatre.Lembarrasdequitterunefemme,lacraintedenepasplaireune autre, la satit de tout ce qui nest pas elle, le combat desprincipes contre les sentiments, voil ce que jprouve, ce qui medsespre; & cette situation est peut-tre lpoque la plus int-ressantedemavie,parledegrdimportancequejattacheaunouveau penchant qui moccupe. Vous connaissez celle qui en estlobjet. Que dis-je? Vous lavez toujours estime. Je me rappelleavec dlice les loges que vous men faisiez autrefois. Ils me sem-blaient outrs; que je les trouve faibles aujourdhui ! Aprs toutceque jeviensde dire,ai-je besoin de vousnommer lavicom-tesse de Senanges? Cest elle, oui, cest elle qui va me fixer pourjamais.Il y a deux mois environ, que je me trouvai chez la princessede ***. Lassemble tait nombreuse, en femmes surtout. Quel-ques-unestaientjolies,toutescroyaientltre,pasunenemesemblaitintressante.OnannonamadamedeSenanges.Comme jen avais beaucoup entendu parler, & que je la rencon-trais pour la premire fois, je me flicitai en secret de loccasionqui soffrait de la connatre. peine fut-elle entre, les regards setournrent vers elle, ceux des hommes pour ladmirer, ceux desdames dans une autre intention. Aprs lexamen le plus curieux&leplussrieusementprolong,nepouvantsedissimulerdescharmesquifrappaienttouslesyeux,ellesnefurentplusma-tressesdeleurdpit,&lelaissrentclaterdansleurspropos,dans leurs gestes, leurs questions, leurs rponses ou laffectationLES SACRIFICES DE LAMOUR! 14 "de leur silence. La princesse elle-mme qui nest plus dans lgedesprtentions,trouvaitquemadamedeSenangestaitvrai-ment trop jolie ce jour-l, & que lon ne tombe pas ainsi dans uncercledefemmespourlesclipsertoutes,lheurequellesypensent le moins. Je maperus de la conjuration, & neus gardedentrecomplice.Laconversationlanguissait.Elleneserveillait que par ces tristes monosyllabes qui annoncent lennui.Madame de Senanges commenait se dconcerter. Ses beauxyeux erraient de toutes parts avec un embarras quelle ne se don-nait pas la peine de cacher; elle semblait implorer une indulgencedont elle a si peu besoin. Je vins son secours; je mis lentretiensur les vnements qui occupaient alors la socit. Je noublieraijamaisleregardquellemejeta,commepourmeremercierdemonadresse.Sonmeytaittoutentire,&lamodestiequilaccompagnait,nenlevaitriensonexpression :ceregardmeperdit. Madame de Senanges fut charmante tout le temps de savisite. Elle parla avec cette ngligence que vous lui connaissez, &le son de sa voix pntrait jusqu mon cur. Il lui chappa unefoule de traits spirituels que je fis valoir pour les autres & que jerecueillispourmoi.Ellesevengeadecesdamesenlesfaisantoublier,&ramenaparsagaietdoucequelques-unesdecellesquelle avait aigries par sa figure.Aprscetriomphe,auqueljtaisravidavoircontribu,ellesortit, & je la suivis, par une de ces imprudences dont on ne serend pas compte, & que jai regarde depuis comme lindiscr-tion dun cur qui ne mappartenait dj plus.Depuis ce moment, limage de madame de Senanges mtaittoujours prsente. La chercher au bal, au spectacle, ny regarderquelle, tre sans cesse son passage, ctaient l mes seuls plai-sirs. Plus de courses, de soupers; plus de ces tournes fatigantesque lon nomme visites, & que je suis tent de nommer prsentuncommercedennuisentredesespritsfroids&descursdsuvrs.Commetoutchangeauxyeuxdesamants!Lamourfaitununiverspourlesmesquisentent.Cestcetunivers-lquejhabite. Au milieu de la foule, je suis seul.Sixsemainesstaientcoulesdepuisnotrepremireentrevue.Jenepouvaisplussouffrirdenelavoirquedansleslieuxotoutlemondeva.Jabhorrelesregardspublics;ilmeCLAUDE-JOSEPH DORAT! 15 "semble quils profanent ce que jaime. Enfin jappris que le vieuxduc ** mon parent, allait souvent chez elle, & quil tait depuislongtemps au nombre de ses plus intimes amis : je le priai de myprsenter. Il me promit den parler, me tint parole, obtint ce queje dsirais avec tant dardeur, & my mena quelques jours aprs.Voil o jen suis, mon cher baron; je la vois deux ou trois foisparsemaine.Quelesautresjourssonttristes!Jejouisdesaconversation,jemenivredamourauprsdelle.Jenaipasencore os me dcouvrir. Rien ne perce dans mes discours : ellena pas lair dentendre mes regards; mais je la vois, je suis heu-reux.Je vous ouvre mon cur; je vous expose sa situation, pnibledunct,inquitedelautre.Jemejettedanslesbrasdelamiti. Vous le savez, mon ami, je ne vous ai jamais rien cach.Pour prix de ma confiance, parlez-moi de madame de Senanges,& surtout ne me conseillez jamais de renoncer mon sentiment.Une autre grce que je vous demande, cest de lui crire & deJe ne sais ce que je dis; mais vous tes indulgent, nest-ce pas? &dailleurs les amants ne sont-ils pas des tres privilgis qui londoittoutpardonner?Vousaveztli,vousltesencoreavecmadame de Senanges, vous avez mille dtails me mander; toussont intressants pour moi.Concevez-vouslesbruitsquonfaitcourirsurcettefemmecharmante?Est-ilvraiquelle soitcoquette? Est-il vraiNon,non. Je ne crois rien de ce dont on laccuse. Les femmes sup-rieures sont envies, calomnies : ne cherchez point me dsa-buser.Jenecrois,baron,qumonamitipourvous&monamour pour elle.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 16 "BilletDu chevalier de Versenai madame de SenangesJe vous envoie, madame, les anecdotes de la cour de ***; ce livremritevotreattention.Leshrosdunecourgalante&polie,serontsansdoutedevotregot.Voustrouverezdanscetouvrage,desamantsvrais&desfemmessensibles;vousnecroyez pas aux uns, vous craignez de ressembler aux autres. Puis-siez-vous ne pas penser toujours de mme!CLAUDE-JOSEPH DORAT! 17 "Lettre IIDu chevalier madame de SenangesAh! vous avez beau dire : vous avez beau condamner lamitileshommesquivousconnaissent;tousnevousobirontpas.Lorsquon runit aux attraits qui enivrent, les qualits qui atta-chent, il faut sattendre un sentiment plus vif, surtout ne senpas dfier : cest votre terme favori, & il ne vous chappe pas uneexpressionquemoncurneretienne.Quevosprjugssontcruels!Quilssontpeufonds!Sachezvousjugermieux;ilsseront bientt vanouis.Ehquoi !madame,siquelquunvousaimait,commevousmritez de ltre, quoi ! Jamais lexcs, ni la vrit de sa passionne pourrait vous inspirer de la confiance? Vous feriez lamant leplus tendre linjure de ne lui croire que de ladresse, & il faudrait,avantdarrivervotreme,quildissipttouslesombragesdevotreimagination?NimporteJemexposetout;mmevotrecolre :cestsurmoiquedoiventtombervossoupons.Oui,monsortaujourdhuidpenddevous;&,quelquaffreuxquilpuissetre,jesuistropheureuxquilendpende.Sicetaveu vous dplat, il faut men punir. Parlez-moi avec la navetde votre caractre; dsesprez-moi sans piti. Il me restera tou-joursuneconsolation,celledidoltrerunobjetcharmant,denourrirensilenceunsentimentqueriennepeutchanger,&davoir vous sacrifier tout le bonheur de ma vie.Du moment que je vous ai vue, madame, jai senti le dsir devousconnatre;jenevousaipaspluttconnue,quetouteslesLES SACRIFICES DE LAMOUR! 18 "autresfemmesontdisparupourmoi.Sivouscondamnezmonamour, vous ne pourrez attaquer les motifs qui lont fait natre. Jene vous parlerai point de vos agrments personnels Eh! qui enrunitplusquevous?Cestvotremequimadcid,&jemestimerais bien peu, si je savais rsister un charme de cettenature.Unautre,madame,vousdemanderaitpardondunpareilaveu : moi, je mexcuse de lavoir diffr. Tout attachement vrai adesdroits,sinonauretour,dumoinslindulgencedecellequonaime;&ilnyaquedepetitesmesquirougissentdavouer ce quil est glorieux de sentir. Encore une fois, ne crai-gnez point de maffliger : je mattends tout Mais, de grce,nemaffligezquelemoinsquilserapossibleJenaipas,jecrois, besoin de signer, pour tre reconnu.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 19 "Lettre IIIDe madame de Senanges au chevalierVous me demandez, monsieur, de ne vous affliger que le moinspossible, & vous maffligez, vous! quand je le croyais mon ami,quandcetteidefaisaitmonbonheur,ilnestNimporte!Jevous rends justice; vous tes honnte, sans doute, & plus quunautre : mais lamour ne men fait pas moins une peur affreuse :eh! comment ne lui pas prfrer lamiti? Son charme est pur, ilnedoitrienlillusion,netientpointaucaprice;lestimeenforme les liens, le temps les resserre, jamais aucun remords nentrouble la douceur; car enfin on ne nous permet pas daimer, nous autres femmes. Lusage na point dtruit le prjug; malgrlexempleilsubsistedansnoscurs,sansdouteplaindre,lorsque nous lui sacrifions notre penchant; srement mprises,alors quil nous entrane, nous sommes condamnes tre cou-pablesouinfortunes.Voillesortdesfemmes,&onlescroitheureuses! Elles quon attaque si souvent par air, quon soumetsans reconnaissance, quon calomnie si lgrement! Elles qui ont craindre, en aimant, non seulement linconstance, lindiscrtiondun seul, mais encore le blme de tous! Croyez pourtant que jesais faire des diffrences, & que japprcie tout ce que vous valez.Madfiancenestpasdsobligeante;elleneroulequesurunseularticle :jeseraisbienfchedelaperdre;ft-elleinjuste,elleestncessaire.Rflchissez-y;votrege,vosliaisons,lesLES SACRIFICES DE LAMOUR! 20 "circonstances o je me trouve, tout devait vous dfendre un sen-timent pour moi ; tout semblait au moins devoir vous en interdirelaveu.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 21 "Lettre IVDu chevalier madame de SenangesEh bien! madame, je vais donc me faire une tude de dissiper, aumoins,vosprventions;&,quandvotredfianceauradisparu,vousconviendrezquellentaitpaslennemilepluscruelquejeusse combattre.Quoiquilensoit,jenepuismerepentir.Laveuquimestchappestunejouissancepourmoncur;ilmedonneaumoinsdesdroitsvotreamiti,&toutsentimentquipartdevotre me, ne peut tre indiffrent la mienne. Jai connu quel-ques femmes; presque toutes aimaient mieux inspirer des dsirsque de lamour. Vous seule avez rempli lide que je me suis faitede ltre avec qui je voudrais passer ma vie; vous seule avez tout;& il semble que, dans vous, les grces aient pris plaisir parer lavertu. Combien je veux vous aimer! Combien, hlas! je voudraisvous plaire! Je veux, au moins, que vous disiez un jour; pourquoinai-je pu mattacher lui ? Peut-tre il et fait mon bonheur, &jtais sre de faire le sien.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 22 "Lettre VDu chevalier madame de SenangesSi vos beaux yeux se sont ouverts trop tt, refermez-les. La rp-tition du nouvel Opra-Comique na point lieu. Les acteurs sontmalades, les rles ne sont point sus, lauteur se plaint; moi, je medsespre;&vous,madame,vousallezvousrendormir.Votrevoyageest-iltoujoursfixdemain?Vouspartez,pourhuitjours! Que de sicles! Votre socit a pour moi un charme inex-primable, & je nenvisage quavec le plus vif regret le temps devotreabsence.Sivouspouviezlireaufonddemoncur,&savoir quel point il vous est dvou, vous me pardonneriez dessentimentsaussipursquelmeclestequijendoislhom-mage; ils feront mon malheur; sans doute; mais il est impossibleque vous men fassiez des crimes. Que de choses, propos dunerptition dOpra-Comique! Je ne sais plus ce que je dis; jene sais trop ce que je deviendrai : mais ce que je sais merveille,cest que je ne cesserai jamais de vous aimer.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 23 "Lettre VIDe madame de Senanges au chevalierDu Chteau de ***Je mne ici une vie bien sage. Je me couche de bonne heure; jejouepeu;jemenfermepourlire :nousavonsbeaucoupdemonde; nous avons, hlas! un certain monsieur, dont je vous aiparl; il est plus mtaphysique que jamais; il disserte, tort & travers, tant que la journe dure. Je lcoute, quand je peux : je lecomprends rarement. Je ne le contrarie point; sa poitrine est plusforte que la mienne; il prend ma faiblesse pour de la docilit; ilest assez content de moi. La position du lieu que jhabite est fortagrable,surtoutcelledunpavillondlicieux,quelarivireborde, & o nous allons prendre lair, comme sil ne faisait pasfroid. Malgr tout cela, je reviendrai Paris avec plaisir. Les prin-tempsnesontplusquedeshiversprolongs.Millegrcesdestrois lettres que vous mavez crites. propos, la duchesse de ***, dont le chteau est voisin de lamaison o je suis, est venue nous voir hier : elle nous a amen lespersonnes qui taient chez elle. La marquise dErcy, avec qui, dit-on, vous tes extrmement bien, en tait. Lentretien est tombsurvous;vousdeveztrecontent,monsieur,trscontentdelintrt avec lequel elle en a parl. Jai cru vous plaire, en ne vousle laissant pas ignorer. Il y a toute apparence que vous obtiendrezla place quelle sollicite pour vous la Cour. Je vous en fais, mescompliments,ainsiquedevotreconstance :elleaugmentelabonne opinion que javais de cette dame, & lestime que jai pourvous.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 24 "Lettre VIIDu chevalier madame de SenangesSi jtais extrmement bien avec la marquise dErcy, comme vousavez lair de le croire, madame, je naurais point risqu, prs devous,unaveuquinepouvaitchapperqulamourleplustendre, & le plus rsolu tous les sacrifices. Je ne vous dissimu-leraipointlegottrsvifquejaieupourelle :vousnignorezpas, non plus, les services quelle ma rendus. Le got est pass; ilne reste que la reconnaissance; & votre cur nest point fait pourdsapprouver ce qui honore le mien. Croyez, madame, que monmetaitlibre,lorsquejaiosvousloffrir.Cestmaintenantquelle est enchane, & quelle lest pour toujours. Quils taientfaibles,lesnudsquimontretenujusquici !Quejelesairompus avec joie! Je finirai par har tout ce qui nest point vous.Que ne suis-je assez heureux, pour que vous mimposiez des lois!Avecquellepromptitude&queltransportvousseriezobie!Maishlas!vousnemordonnezrien;&cestfroidementquevoussouponnezuncur,ovousstesallumerunepassion,dont jaime jusquaux tourments. Il est pur, ce cur, puisquil est vous; il est digne de recevoir votre image, votre image adore,qui clipse tout, laquelle rien ne peut se mler, & quon profa-nerait, en la comparant. Je vous idoltre. Jamais sympathie plusdouce,niplusforte,naemportuntreversunautre.Aucombledumalheur,vousmeverrezchrirlelienquimauradchir, me complaire dans mes larmes, & vous offrir ce doulou-reuxhommage,leseulpeut-trequevousvoudrezaccepterCLAUDE-JOSEPH DORAT! 25 "De grce, fermez loreille aux propos, aux conjectures du public;elles seront fausses, toutes les fois quelles attaqueront mon hon-ntet. Dtestez avec moi les murs dun monde perscuteur &cruel, o la vertu est toujours juge dsavantageusement, parceque cest toujours la corruption qui la juge Vous tes mon me,ma vie, mon univers. Je pourrais tre bien plus aimable; mais ilest impossible daimer mieux. Encore un coup, disposez de moi,servez-vousdevotreempire;ayezdesvolonts,descapricesmme; je mettrai mon bonheur les satisfaire. Un billet de deuxlignes,unregard,unmotdevousmlveaucombledelaflicit; & si vous menlevez tout, jusqu lespoir de vous flchir,aumoinsnemterez-vousjamaiscettemlancoliedouce,quinat dun mal dont on adore la cause.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 26 "Lettre VIIIDu baron au chevalierQuand votre me souffre, mon cher chevalier, vous avez raisondelpancherdanslamienne.Quoiquelexpriencemaitaguerricontredecertainesfaiblesses,jeconnaisleslarmesquelles cotent, je plains les maux qui en rsultent. Je hais cesphilosophes chagrins qui croient sapprocher de la perfection, mesure quils sendurcissent; je pense, moi, quils sen loignentpar cette cruelle apathie, cet gosme rvoltant, qui brise les liensde la socit & en dtruit tous les rapports.Jaitournentoussensdansletourbillonovoustes :jeconnaisletourmentdtrepressentreunedoubleintrigue;dobirtanttsoncur,tanttauprocdquilecontrarie,davoir filer une rupture, une intrigue nouer, & deux amours-propresdefemmesmenerdefront.Cestforcedavoirprouv le malaise qui nat de ces combats, la satit des jouis-sances,lacrisedesinfidlits,quejaiappellaraisonmonsecours. Je me suis lass dtre esclave; jai voulu tre homme; jele suis, & je ne date, pour men arroger le titre, que du momento jen ai ressaisi les privilges.Je me compare un voyageur, qui aprs avoir err longtempsdans le creux dune valle aride & brlante, respirerait enfin lairfrais & libre des montagnes.Mon pauvre chevalier, vous tes encore au fond de la valle; jevous domine, & cest pour vous tre utile. Lil de lamiti voussuitdansceddaleolefilchappechaqueinstant.SielleCLAUDE-JOSEPH DORAT! 27 "nclairepastoujours,elleconsoleaumoins.Mesyeuxsontouverts;jaiarrachlebandeauquilescouvrait;maisjelereprends pour essuyer les larmes de mon ami.Souvenez-vous de la conversation que jeus avec vous, quandje vis natre votre liaison avec la marquise dErcy : jai prvu cequi vous arrive. Elle a un rang la Cour, des entours brillants, unefigure quon cite, un crdit quelle a prouv; en un mot, commevous dites vous autres, elle est sur le grand trottoir. Tout cela taitfait pour dranger une jeune tte. votre ge, on est plus vainque sensible. On se livre ce qui flatte; on est amus, le premiermois;languissant,lesecond;ennuy,letroisime,&lonfinitpar briser avec scandale lidole quon stait faite par vanit.Lemoyenquevouspuissiezaimerlongtempsunefemmeabsorbedansles calculsde lintrigue, lesincertitudes des pro-jets,&quiremplitlesvidesdelambitionparlemangedelacoquetterie! La marquise dErcy est ce quon appelle une femmedaffaires.Cestdanscesiclesurtoutquesestmultipliecetteespce dintrigantes, qui ont leur cabinet dtude, ainsi que leurboudoir; qui raisonnent, dcident, se jettent corps perdu dansla politique, & rvent essentiellement, en faisant des nuds, auxabus de ladministration.Ovoustes-vousembarqu,moncherchevalier!Quellematressevousaviezchoisie!Jevousblmedelavoirprise,&non de la quitter. Vous vous exagrez votre ingratitude. Dieuneplaisequejevousconseilleunprocdmmequivoque!Mais,croyez-moi,lareconnaissancenecondamnepasauxangoissesduneternellefidlit.Lamourestunemaniredesacquitter qui suse trop vite. Lindpendance de ce sentiment lerend incompatible avec le joug des bienfaits. La marquise dErcyvous a fait avoir un rgiment, procur une existence la Cour;ellevousaprn,prsentpartout :vousluitesredevabledequelquesdmarchesfortbienjusque-l!Maisellevousapris,affich,tourment;vousavezapportdanscetteliaisonunefigure charmante, de lesprit, un nom & de la jeunesse. Vous voilquitte.Enfin,toutenadmirantdesscrupulesquinepeuventnatrequedansunemedlicate,jeneveuxpointquevoussoyez victime dun excs dhrosme. Votre me est noble, hon-nte, sensible, mais elleest neuve, ardente & faible, on peut lacorrompre,&lamarquisedErcyenesttrscapable :jecrainsLES SACRIFICES DE LAMOUR! 28 "linfluencedesoncaractresurlevtre;jecrainsquesonl-gance perverse ne vous gagne; &, dt-elle tre Premier ministre& vous prendre pour adjoint, je dois vous arracher, sil est pos-sible,sesdangereuxartifices.Ilnyapointdeprincipesdontune femme adroite ne vienne bout.Quil est craindre, ltre enchanteur & perfide, qui abuse desmoments sacrs de la jouissance & du bonheur, pour inviter auvice quil rend aimable, & endort la vertu, aux accents mme dela volupt!Venons madame de Senanges : oui, sans doute, je la connais,cestvousdirequejelestime. Sonamitipourmoiestundessouvenirs doux & purs qui me suivent dans ma solitude. Vous medemandezdesdtails;jeconsensvousendonner;viendrontaprslesconseilsquejevousdois,autantpourellequepourvous;carvousmintressezlun&lautreaummedegr :nevousimpatientezpas,lisezmalettreavecattention,&surtoutfaites-en votre profit.MadamedeSenangesestfilledumarquisde***,militairedistingu, qui, rest veuf de bonne heure, sappliqua tout entierausoindesonducation;illaimaitavectendresse,maisilneconsulta pas assez son got, dans ltablissement quil lui fit faire.SduitparlerangduvicomtedeSenanges,ilcombattitforte-ment la rpugnance de sa fille, tmoigna le dsir de la vaincre, &malheureusementyrussit.Ilneprvoyaitpointlessuitesfunestes dune pareille union, les larmes quelle allait coter, lesmaux trop certains qui natraient de ces nuds mal assortis; il enfutlapremirevictime.Ilsereprochabienttlinfortunedesafille, dtesta labus de son autorit, & mourut de chagrin, deuxans aprs le mariage quil avait souhait si ardemment. Puisse-t-ilservir dexemple ces pres cruels ou inconsidrs, qui, arms deleursdroits,forcentlinclinationdeleursfilles,lestranentauxautels comme des esclaves, & justifient davance tous les dsor-dres o elles se plongent; ils en sont les premiers artisans.La fille du marquis navait pas quatorze ans, quand elle pousaM. deSenanges,quienavaitdjcinquante-cinq.Commeilpasselamoitidesaviedanssongouvernement,vousnavezpeut-tre pas eu loccasion de le voir & de le connatre.Cestunhommedunetailleextraordinaire.Safigureestimposante & dure; son ton imprieux & brusque; quand il prie,CLAUDE-JOSEPH DORAT! 29 "on dirait quil commande. Le peu dattention quil a toujours misdans le choix de ses matresses, a fortifi en lui le mpris raisonnquilapourlesfemmes;ilcroitquelavertuesttrangrecesexe, & quavec lui il faut tre dupe ou tyran. Ce systme atroce,joint au penchant naturel, a dvelopp dans son cur la jalousiela plus injuste dans son principe, la plus affreuse dans ses effets.Jenevouspeindraipointtouteslesscneshorriblesquelleaoccasionnes, & dont madame de Senanges ma fait le rcit. Pei-gnez-vous une jeune femme honnte & timide, au pouvoir dunvieux despote, qui la mprise & ne lenvisage jamais quavec cesyeux dont on effraie les coupables quon cherche pntrer. Il nelui chappait pas un mot qui ne ft mal interprt, un regard quine ft suspect; son silence tait le recueillement dune me quiveut tromper. Parlait-elle? Ctait une sduction quelle essayait,& dont elle voulait sarmer contre lui. Le barbare! Il tyrannisaitjusqu son sommeil, il veillait ct delle, avec la ple inqui-tudedusoupon,pourtcherdesurprendre,danssesrves,quelques sentiments cachs, qui pussent servir sa rage, de pr-texte ou daliment.Telle fut sa vie de sept annes : pendant cet intervalle, elle napas cess dtre un modle de douceur, de dcence & de mod-ration. On la privait mme de ses larmes; tout retombait & pesaitsursoncur.Nimporte,ellesedfendaitjusquaumurmure;elle croyait, force de bons procds, adoucir le tigre auquel elletait unie. Vain espoir! Il acqurait un degr de fureur chaquevertu nouvelle quil dcouvrait dans sa charmante compagne.Lasseenfindtremaltraite,avilie,piedanslesheuresmmedesonrepos,elleserfugiadanslamaisondeM. deValois son oncle, chez lequel elle loge encore aujourdhui. Cestde l quelle implora, & quelle obtint une sparation, laquelleM. deSenangesconsentit,jenesaisparquelsmotifs.Elleluiproposa daller dans un couvent, ou de rester chez le respectableM. de Valois. Il lui permit le dernier asile, & lui assura une pen-sionassezmodique,quelleacceptaavectransport :ctaitlegage de sa libert.Depuis cette poque, Senanges a presque toujours vcu dansson gouvernement; mais il fait, de temps en temps Paris, quel-ques voyages secrets, pour observer les dmarches de sa femme,&senivrersansquellelesache,duplaisirdelavoir;carceLES SACRIFICES DE LAMOUR! 30 "forcenaime!Ilestpunidesajalousie,parlesfureursdesonamour;onmammeassurquilbrledeserconcilieravecelle. Quel trange contraste dans le cur de lhomme!Telle est, mon ami, la position actuelle de la femme que vousaimez, & laquelle, si jai quelques droits sur votre cur, vousallez renoncer pour toujours; oui, pour toujours.Voustesjeune;ungotvifpeutavoir,vosyeux,touslescaractres dune passion; la tromper, vous tromper vous-mme,vousperdretousdeux;&puisnallezpasvousmettredanslatte,quevousayezentreprisuneconqutefacile.MadamedeSenanges est aguerrie contre lamour, par tout ce quelle a souf-fert, & par ses propres rflexions. Elle fut trop longtemps assu-jettie,pournepastrouverlebonheurdanslecharmedelindpendance. Les horribles liens quelle a trans sept ans, ontlaissdanssonmeuneimpressiondecrainte,quilavertitdenen plus prendre de nouveaux; elle respire, elle est libre, elle estheureuse.sesyeux,leschoseslesplusindiffrentesdeviennentdesplaisirs.Lesspectaclesquelleembellit,lesftesquelleanime,leshommagesquelleattire,toutluiplat,toutlenchante :elleaimemieuxtreamusequattendrie,distraitequintresse.Durantsalongueservitude,sonmenesestpointaigrie,ellesestarme.Unecoquetteriedinstinctplusquedeprojet,lasauve de sa sensibilit qui serait extrme, ou plutt, cette coquet-terie nest quune sensibilit dguise, qui nosant se concentrersur un seul, se rpand sur diffrents objets, & devient flatteusepour plusieurs, sans tre dangereuse pour elle.Unefemmetendrenejouitquedesonamour :cellequinaime point, rencontre un trophe chaque pas; elle est plus envaleur, parce quelle est moins proccupe; elle jouit de tout & nerisquerien.Lecurestbiendfendu,tantquilrestesouslagarde de lamour-propre.Ne pensez pas, au reste, que lme de madame de Senanges sebornecesfrivolesamusements.Elleluirenddunct,cequelle lui enlve de lautre. La bienfaisance, qui est sapassionfavorite, lui fournit sans cesse des plaisirs aussi purs que la sourcedont ils manent. Lostentation ne se mle jamais au dsir quellea dtre utile; elle fait le bien, par la seule impulsion de sa nature,CLAUDE-JOSEPH DORAT! 31 "& prfre son approbation secrte lorgueil dtre loue par lamultitude.Tel est, mon ami, ltre estimable dont vous croyez troubler lerepos&renverserlesrsolutions.Cessezdevouslivrerdesides aussi follesqueprsomptueuses; vous chouerez, je vousen avertis; vous tes aimable, sduisant, amoureux peut-tre; vosagrments,vosgrces,votreamour,toutcelanepourravousservir auprs de madame de Senanges. Cest une me honnte,prouveparlemalheur,&quinestheureusequeparloublidlicieux & profond des gots qui vous tourdissent, ou, si vouslaimez mieux, des sentiments qui vous occupent.Ainsi, je vous conseille de ny plus songer, daprs la certitudeojesuis,quevousnerussirezpas,&jevousleconseilleraisdavantageencore,sijepouvaiscroirevotresuccs.Nevouspressez point de crier au paradoxe.Quelsreprochesaffreux,ternels&mrits,nevousferiez-vous pas, si, aprs lavoir rendue sensible, vous cessiez un jour deltre! Qui, vous, vous chevalier, vous pourriez porter le troubledans un cur paisible, arracher au bonheur une femme respec-table,quifutmalheureusesilongtemps,lasduirepourlaperdre,lexposertoutesleshorreursdunabandonquiseraitsuivi de sa mort, & ne pourrait tre expi que par la vtre!Maisneperonspointdansunavenirsitriste.Danscemoment-ci,tes-vouslibre?Croyez-vousquemadamedErcyvouslaisseallersansclat,&quesonorgueilcompromisnerclame point le cur qui lui chappe? Je suppose que madamede Senanges vous coute. Dans quel labyrinthe vous jetez-vous?Je connais votre facilit; les cris de la marquise vous en impose-ront,vousserezrappelparlesouvenirdesesbienfaitspr-tendus, vous voudrez conserver celle que vous naimez pas, voustromperez celle que vous aimez; vous serez faux, malhonnte &malheureux.Jeromprai,toutfait,aveclamarquise,mallez-vousdire :vous le promettez & ne le tiendrez pas; vous vous rcriez, je vouscrois.Vous voil le plus tendre, le plus fidle des amants. Madamede Senanges nen sera pas moins la plus infortune des femmes.Lilperant&jalouxdesonmariclaireravosdmarches,dvoileravossecrets,saisiraloccasiondunevengeancejuri-LES SACRIFICES DE LAMOUR! 32 "dique;&vouspleurerez,enlarmesdesang,lapertedevotrematresse, son dshonneur, & linutilit des conseils de votre ami.Armez-vousdefermet.PlusvousaimezmadamedeSenanges, plus vous devez la fuir : cest un effort digne de vous,&dontvousvousapplaudirezunjour.Jeneveuxpointquelafemmequimestlapluschre,soitmalheureuseparlhommeque jaime le plus. Voyez-la moins, attendez que votre amour sechange en amiti, & vous jouirez alors, avec dlices, dun senti-mentdautantplusflatteur,quilseraleprixduntriomphepnible, & le garant dun cur courageux. Je vous embrasse.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 33 "Lettre IXDu chevalier au baronIl nest plus temps, baron, mon secret mest chapp. Jaimais, jelaidit,&jaimedavantage.cartezlatristelumiredelexp-rience. Je me plais dans mon aveuglement, dans mon dlire; laraisonnypeutrien.Srdtremalheureux,srdeltretou-jours, je nen serais pas moins affermi dans mon sentiment; quedis-je? Il ny a de vrais malheurs craindre, que quand lamourest faible. Lexcs de la passion fait tout supporter; la mienne neconnatniconseils,nifrein.Jenesaissilespressentimentsdemon cur me trompent; mais lavenir ne meffraie pas. Quoi quevousdisiez,madamedeSenangespeutdevenirsensible.Sijamais! Ah! Dieu! avec cet espoir, il nest rien que je ne sur-monte. Cher baron, jai besoin dune me o je puisse dposermespeines,mesplaisirs,mescraintes&mesesprances.Jaichoisi la vtre, & jai bien choisi. Je vous dirai tout, ne me plai-gnezpas,jaimetrop,pournepasmriterlenvie.Lamour,audegr o je le ressens, est la perfection de lhumanit.Quelleestbelle,madamedeSenanges!Quelleme!jenepuis prononcer son nom, sans une motion, un trouble, un fr-missementuniversel.Cenomrpondmoncur.Ah!baron,votre calme ne vaut pas mon dsordre; je le prfre tout, & silon moffrait une suite de longs jours paisibles & sereins, ou unseul de bonheur, cest--dire, un seul o je serais aim, je nauraisplus quun jour vivre.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 34 "Lettre XDe la marquise dErcy au chevalierDu Chteau de ***Savez-vousbien,chevalier,quevousdevenezunhommeinsoutenable? Dhonneur, je suis fort mcontente de vous. Voilquinze jours que je suis ici, & que vous restez, vous, dans votreennuyeux Paris, comme si rien ne vous rappelait ailleurs. Mais jenai garde de vous en faire des reproches. Les querelles mexc-dent, les bouderies sont misrables. Venez, quand vous voudrez,&necroyezpasquejefassersonnerleschosdestendresregretsdevotreabsence.Jenesuispasbergre,commevoussavez, & si je ltais, jaurais toute la coquetterie quon peut avoirauvillage.Luniversestici :laduchesseydonnedesftescontinuelles; toutes les femmes y sont arranges, il ny a que moi,quonabandonneimpitoyablement,&quiailecouragedenrireNousavonslaPrsidente,quijouelAgns,baisselesyeux,rougittantquelleveut.Cequilyadesingulier,cestquaveccettepudeur&cettepetitedcontenancenave,ellechangedamantstouslesjours.Hiersouper,onluidemandaune chanson, il fallut la prier pendant des sicles; elle fit toutessesmines,secachasoussaserviette,dployasesgrcesenfan-tines, & finit par nous chanter, avec toute lingnuit convenable,les paroles les plus scandaleuses du monde. La baronne de ***nousestarrive,ilyaquelquesjours,escortedesonternelpoux, qui a lair de rouler quand il marche, & qui, quand il a fait,tout en roulant, le tour du parterre, se rcrie sur lutilit de lexer-cice, & le plaisir de vivre la campagne! Oh! la bonne histoireCLAUDE-JOSEPH DORAT! 35 "que jai vous conter! Le lendemain de leur arrive, on chassa lesanglier.Poursuividetoutesparts,&prsdtreforcparleschiens,ilslanadanslenceintedestineauxcalchesdesdames, & vint heurter, sans mnagement, celle o se trouvait labaronne.Ellejetadescrisexcrables,svanouitouenfitsem-blant, & se permit toutes les simagres dune frayeur, dont per-sonne ne fut la dupe. Mais ce nest pas l le plus plaisant. Le soir,quandonfutrassembldanslesalon,tandisquelespartiessedisposaient,legrosbaronsavisadesapprocherdelle,commeelle avait le dos tourn. Ne voil-t-il pas que linsupportable cra-ture renouvelle la scne du matin, & simagine quelle voit encorele sanglier? Nous avions beau lui dire, que ctait son mari : ellesobstinaittoujoursleprendrepourlagrossebte;&jevousavouerai, moi, quau fond du cur, je lui savais quelque gr de lamprise. Pour comble dinfortunes, il nous est tomb sur les brasune manire de petit seigneur, qui pense tre profond, parce quilna jamais pudevenir lger :cethommeala maniedesvers;ilcroit aux siens; linfortun fait de la prose sans le savoir! Il vousdbite dun ton de lgislateur, les grands principes de la sduc-tion, mprise les femmes, & tranche du philosophe.Joubliais un descendant du pasteur Cladon, qui a son teint,sa fadeur, & sefforce davoir son me. Il brle respectueusementpour des divinits subalternes, dont il est fier de baiser la main.Son culte est divertissant : il se croit le sacrificateur, lorsquil estla victime. Quand il parle, on sourit de piti, & il se figure quecest du plaisir de lentendre : toujours content de lui, rarementdesautres,illespersifle,ilsenflattedumoins;onsaperoitquil le voudrait, on le lui rend Il ne sen doute pas; plus simple,il aurait peut-tre de lesprit; mais il ne serait pas si amusant.Voil,chevalier,letableauvraidesoriginauxquimerjouis-sent ici ; mais ce coup dil superficiel & rapide ne mempchepasdesongerauxgravesobjetsquimoccupent.Jefaismesdpchestouslesmatins,&jeremueltat,dufonddemoncabinet de toilette. Jai des intelligences dans tous les bureaux; ilny a point de ministre qui ne connaisse mon criture; point decommis qui ne la respecte. Je propose des ides, on les contrarie;je les discute, elles passent; & en demandant toujours, jobtiensquelquefois mme ce que je nai pas demand.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 36 "Nous attendons M. de ***. Vous connaissez linfluence quil asur les affaires. Je dois avoir un travail avec lui, & vous ny serezpoint oubli. Mais, vous tes charmant! Tandis que je me tour-mentepour voustreutile,vous tes,vous, dunescuritquejadmire!Rveillez-vous,silvousplat :dhonneur,vousavezune dlicatesse ridicule, une probit cruellement gothique! Pourmoi,jenestimepasassezmonsicle,pourprendretantdemesures avec lui. Jetez un moment les yeux sur le tableau de lasocit; vous verrez que lintrt personnel est tout, & vos prin-cipesgigantesques,rien.Onestintriguant,ambitieux,exclusif;onnapointdecesconsciencestimores,quivousarrtentmoiti chemin, & vous empchent daller au grand. De la philo-sophie, chevalier, de la philosophie! Elle tend les ides hors deslimitesvulgaires,lvecesscrupulesmeurtriersquiretardentlamarche, anantissent les ressources, & vous mettent un homme cent pieds sous terre. Devant elle, les prjugs disparaissent, ainsiquetoutescespetitesvertusdeconventionauxquellesonnecroitplus.Vousnesavezdoncpasque,danscesicledelumires, on a renouvel la morale? Soyez de votre temps : danslenaufragepublic,saisissezvotredbris,commeunautre;regardez encore une fois, & vous rougirez dtre timide. Que demdiocres usurpent les places qui appartiennent au gnie! Quedenainssurdespidestaux!Entrezdanslacarrire,neft-ceque par indignation, & pour enlever la sottise ce qui nest dqulesprit&auxtalents.LafureurmegagneJemetuevousprcher,&vousnenprofitezpas.Voustesdsesprant!TchezdequittervotreParis,&devenirnousvoir.Jaitropdamour-propre, pour vous croire infidle, & trop de franchise,pour vous rpondre de ne pas ltre, si vous vous conduisez tou-joursaveccettenonchalance.Faitesvosrflexions,&nemelaissez pas le temps de faire les miennes; je suis terrible, quand jerflchis.propos,nousavonstdernirementfaireunevisite,auchteau de ***. Il y avait quelques femmes, qui ne valent pas lapeinedtrecites,sicenestpourtantlavicomtessedeSenanges.Leshommesquenousavionsmensenraffolaientjusquau scandale; ils prtendent quelle est de la plus jolie figuredumonde;jenaipointvucela.Ilssoutiennentque,danslaconversation,illuiestchappune foule detraitsspirituels;jeCLAUDE-JOSEPH DORAT! 37 "nen ai rien entendu. Il se peut, qu la rigueur, cette femme ait,danssapersonne,quelquesdtailsassezpassables;maisjenepuis me faire son ensemble; il est gauche, faire horreur! & jeparie quelle croit avoir des grces; on devrait bien la dsabuser.Chargez-vous de ce soin, chevalier, si vous la rencontrez jamaisLa rencontrez-vous? Non, jimagine quelle va fort peu; elle nestpoint prsente, & je ne crois pas quelle prtende ltre : cest cequonappelleuneexistencefortquivoque.Informez-vous-en,jevousprie;&,sivoustrouvezquelquoccasiondelhumilier,pourlamourdemoi,nelalaissezpointchapper;ilfautfairejustice. Adieu.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 38 "Lettre XIDe madame de Senanges au chevalierJesuisfidlemaparole;lavoil,monsieur,cetteheureusemadame de Lambert, qui avait de la raison sans effort, & qui enconseille son sexe. Lisez-la, mais lisez-la bien; & vous verrez, silesfemmesdoiventaimer,&sileshommesmritentunsenti-ment,legrandnombre,dumoins?Jesaisquilyadesexcep-tions; le danger serait de les appliquer; & madame Lambert, parexemple, net pas approuv cela. Quelle me elle avait reue dela nature! Rien ne lui cotait srement. Je lai lue, avant de mecoucher, quoique je vous eusse promis de nen rien faire. Je nesais point mentir; oui, je lai lue, & peut-tre que je ferais bien dela garder.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 39 "Lettre XIIDe madame de Senanges au chevalierJe rentre dans le moment, monsieur, plus fatigue quamuse detoutcequejaifaitaujourdhui.Jemesuislevepresquedebonne heure; jai dn au couvent, soup la campagne; puis untristeWist!&unpartenairequitaitmchant,maisbienmchant!Jejouemal,moi,jesuisdistraite,&cemonsieurnentend pas cela, il dit quil faut songer son jeu; il faisait unbruit, un vacarme! Il comptait toutes mes fautes; oh! il avait delouvrage. Cet homme est svre; je vous en rponds. Jai pour-tant respect son ge, autant que si jtais ne Lacdmone; caril est vieux comme le temps, & triste comme celui daujourdhui.Enfin,mevoil,&jereoisvotrebillet;cestparlerdechosesplus agrables. Je suis bien au-dessous de vos louanges, & cepen-dant, il est des instants o je trouve quelles mgalent tout, nonpar lopinion que jai de moi, mais uniquement par celle que jaide mon pangyriste. Ces instants damour-propre sont courts; larflexion me ramne au vrai. Vous tes honnte, indulgent, peut-treprvenu&votresuffrage,toutprcieuxquilmest,nemempchepasdesentircequimemanque.Oui,jemerendsjustice,&jyaidumrite.Ilestdifficiledesedfendredesloges, quand cest vous qui les donnez.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 40 "Lettre XIIIDu chevalier madame de SenangesJe reois votre second billet, qui mannonce que je ne pourrai pasvous voir aujourdhui. Il ne me reste donc que le plaisir de causeravec vous, & jy consacre ma soire.JelatiensenfincettemadameLambertsivante,cettepdante ternelle, qui rige lindiffrence en dogme, qui ne sen-tant rien, voudrait anantir le sentiment dans les autres : qui criecontre lamour, parce quelle ne linspirait pas, & nous prche laraison, parce quapparemment on nen voulait point la sienne!Vous ne laurez de longtemps, votre Rgente dinsensibilit. Jenbrlerai tous les jours un feuillet, en lhonneur du Dieu quelle asimaltrait,&quevousabjurezpourelle.quelproposcettefemme-l sest-elle avise dcrire? Que je lui en veux! Je ne suisplus tonn de la svrit de votre morale, de la cruaut de vosprincipes; cest de ceux de madame Lambert, que votre cur estarm & toutes les nuits, hlas! vous mettiez vos armes sous votrechevet,poureffarouchersansdoutejusquauxrvesquipou-vaientvousretracerlesdlicesduntendreattachement.Mais,quedis-je!Jeseraistropheureux,sivousnedeviezvosforcesqu une lecture, dont, la longue, on pourrait dtruire limpres-sion?Votremenabesoinquedelle-mme,quandellesaguerrit contre moi. Les moralistes ont beau dire : la nature nadonnauxfemmesquecequilfautdecourage,pourrsisterquelque temps; elles nen ont jamais assez, pour se vaincre tout fait, lorsquelles chrissent le penchant quelles ont combattre.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 41 "Si vous tiez sensible, je vous rendrais votre volume, & je ne lecraindrais pas. Jen suis trop sr, votre raison nest que de lindif-frenceJeneprononcepascemot,sansdcouvrirtouteltenduedemoninfortune.Jevouslerpte,madame;voustes lobjet unique & sacr des affections de mon me. Je ne puisrespirer,penser,agirqueparvous;ilnevouschappepasunregard qui naille mon cur, pas une parole qui ne sy grave, pasunevolontquinedeviennelaplusdoucedesloispourmonamour.Oui,sansdoute;oui,jetiendraimapromesse;jeseraitoutcequevousvoulezquejesois,cest--dire,bienmalheu-reux.Mapassionatropdedlicatesse,pourquelestransportsquelle fait natre ne conservent pas le mme caractre. Les pri-vations de mon cur sont des jouissances pour le vtre; je me lesimpose toutes, & je serai pay des efforts cruels de lobissance,par le plaisir davoir obi.Rien nest gal lagitation que jprouve & je vous avoueraiquil se mle mes alarmes le plaisir le plus vif que jaie jamaissenti, celui de me savoir susceptible de cette mme passion, quime rduira peut-tre au dsespoir. Ne rebutez point lexpressiondunattachementaussivrai.Avantquevosbeauxyeuxsoientferms par lesommeil, reposez-les, avecquelquintrt, sur malettre,quelquelonguequellepuissevousparatre.Interrogezvotre me, laissez-y pntrer la voix du plus tendre amour; quilveille dans votre cur, tandis que vous dormirez; quil en chasse,sil est possible, la crainte, la dfiance, tous les monstres enfin quile gardent, lassigent, & mempchent den approcher.Demain,madame,quedevenez-vous?&quedeviendrai-je?Je ne puis finir ma lettre Que de temps coul sans vous voir!La tte me tourne. Ayez piti de moi, & pardonnez le dsordrede mes sentiments en faveur de leur vivacit.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 42 "Lettre XIVDu chevalier madame de SenangesQuellelettre,&quelcharmant procd!Vous saviez que votreabsence mallait faire passer un jour bien triste, vous avez trouvlemoyendelembellir,dumoinsdemelerendresupportable.Voil de ces miracles qui nappartiennent quaux mes dlicates.Plus je lis dans la vtre, plus jy trouve de perfections qui chap-pentmalgrvousauvoiledelamodestie,&donnentbiendelorgueil celui qui sait les dcouvrir. Votre cur sest ouvert moi ; vous mavez marqu de la confiance Tout mon amour estpay.Je pense comme M. de Valois : une femme ne peut tre heu-reuse sans lestime des autres, sans la paix du cur & la pratiquede ses devoirs. Mais un attachement honnte nexclut ni le repos,ni la considration, ni lamour des biensances; il suppose mmetout cela, puisquil ne va jamais sans la vertu. Telle est ma morale,&srementlavtre.Votreraisonvousladguise,maisneladtruit pas. Oui, croyez-le, madame, linstinct confus dune mesensible,estpluspuissantsurlaconduite,quetouteslesrflexions. On applaudit cette importune raison, quon ne suitpas. On blme ce que le cur veut, & on lexcute.Voil ce qui arrive tout le monde, & ce qui ne vous arriverapoint; hlas! jen suis bien sr. Nimporte, aujourdhui je ne meplainsderien :vousavezsumerendreheureux,endpitdevotre absence Ah! ne me parlez plus de raison, un seul de vosregards dtruit tous les conseils que vous donnez.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 43 "Lettre XVDe madame de Senanges au chevalierVousmavezpromis,monsieur,quevoussongeriezfairelesdmarchesncessairespourlaplacedeMetiendrez-vousparole? Votre ngligence sur vos intrts mafflige. Vous ne vousmontrezpas assezlaCour; &lonnerussitdansce pays-l,que par la constance & limportunit. Les protecteurs sy endor-ment bien vite, quand on na pas le soin de les rveiller; & sou-vent les amis de la veille ny sont plus ceux du lendemain. Vousavez des concurrents dangereux, non par la solidit de leurs pr-tentions,maisparlachaleurdeleursdmarches;lamdiocritest toujours active, le mrite toujours paresseux. Irons-nous voirla pice nouvelle? La jouera-t-on demain? Aurez-vous la bontdevouseninformer?Bon.Unechoseimportante,unemisreensuite,voillesfemmes!Commelescontrairessesuccdentdansleurtte!Quelquefoisdesphilosophes;dautresfoisdesenfants.Tourtour,solides,inconsquentes,lgres&rfl-chies! De la justesse par instinct, de la franchise par caractre, deladissimulationparprincipes;frivoles,parcequellessontmalleves; ignorantes, parce quon ne leur apprend rien; faibles enapparence, & plus courageuses que vous dans les grandes occa-sions; trs portes sinstruire, quoiquon ne leur tienne compteque de leurs grces; tantt sacrifiant le plaisir ltude; & puis,passantdunelecturegrave,larrangementdunpompon!Nest-cepasainsiquellessontfaites?quilafaute?Maissi,malgr tous nos dfauts, les hommes sont nos pieds; sils sontLES SACRIFICES DE LAMOUR! 44 "rachets, ces dfauts, par de grandes vertus; si la science est dou-teuse, & le sentiment sr, nous navons rien vous envier, ni rien regretter. Enfin, dites-en ce quil vous plaira. Plus de rgularitdanslesdtailsneformeraitpeut-trepasdesensemblesaussipiquants, ne ft-ce que par les contrastes. Quelle lettre! Commeelle vous ennuiera! Je naime point moraliser, & je ne sais pour-quoijemenavise.Vousmaveztrouveaujourdhuibiensrieuse Hlas! oui, je ltais Adieu, monsieur.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 45 "Lettre XVIDu chevalier madame de SenangesOserais-je vous demander, madame, pourquoi vous dites tant demal des femmes? Il est singulier que jaie les dfendre contrevous. Je leur trouve, moi, une philosophie charmante, une pru-dence toute preuve; du calme dans le cur Tant de couragepourcombattrecequellesinspirent!Ah!quenotreraisonestfolle! & que leur folie est sense! Elles jouent avec les passionsqui nous tourmentent, nous font croire tout ce quelles veulent,ne veulent rien croire de nous, & nous dsesprent en attendantquellesnousoublient.Nousavonsjurtousdeuxdefairedesportraits, mais il fallait bien que je dfendisse les femmes. Vousprouvez quil en est de parfaites.Allons,madame,jeferaiquelquesdmarches,puisquevouslexigez; je serais coupable, en ne vous obissant pas. Dieu! quilme sera doux de me dire : je nagis que par ses ordres, si je dsireleshonneurs,cestpourlesmettresespieds;ellepuremonamour-propre, en le subordonnant mon amour!Oui, tout ce qui nest pas vous me devient tranger. Quest-ce,hlas! que la gloire, quand le cur est vide, isol par lorgueil, &quon ne jouit point de cette gloire, dans le sein dun objet aim?Lambitionnestqueleddommagementdestresfroids.Nayant ni vertus qui les invitent se recueillir, ni sentiments quiles y forcent, il leur faut des erreurs qui les jettent au-dehors, &les enlvent eux.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 46 "Jesuisbienreconnaissantdelintrtquevousdaignezprendre moi ; puisque lamiti fait penser & crire avec tant dedlicatesse,ilfautencorelaremercier,nepointseplaindre,&adorerlmegnreusequirenfermetouslessentiments,horscelui qui en est la perfection.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 47 "Lettre XVIIDe madame de Senanges au chevalierVousdfendezsibienlesfemmes,quejenepuismerefuservousenmarquermareconnaissance.Quenotreraisonestfolle,dites-vous!&queleurfolieestsense!Lemagnifiqueloge!Ilpeint merveille la modestie de votre sexe; jobserverai cepen-dant,sivouslevoulezbien,queceshommessivantsbrillentplus par le raisonnement que par la raison. Ils analysent ce quenous pratiquons; ils ont imagin des lois assez injustes, & nousles jugeons, mme en nous y soumettant; ils sont nos esclaves ounostyrans,&nousleursamies;ilsonttrouvpluscommodedtre des despotes que des modles, & de commander nousqu leurs passions. Enfin ces tres faibles (je parle comme eux),quilsdchirent,quilstrompent,quilsddaignent,quilsado-rent,lemportentsurleursmatres,parcetattrait,suprieuraupouvoir.Oui,toutusurpquestleleur,nousnedaignonspasbriser nos chanes, nous avons & le courage, & peut-tre lorgueilde les porter. Quils sen fassent un triomphe; rgner sur nous-mmes, voil le ntre. Rgner sur soi ! Ah! que cela est bien dit,&quonseraitheureusedyrgnertoujours!Quejeplainslespersonnes,dontlescombatsnefontsouventquaccrotrecequellesvoudraientdtruire!Ah!plaignez-lesavecmoi,monsieur!Lobjetquiplat,quelquevrai,quelquhonntequilsoit, nen est pas moins susceptible de changer. Plus son amourest vif, & plus on doit craindre quil ne saffaiblisse, si cest un desmalheursdelhumanit,deselasserdubienquonaleplusLES SACRIFICES DE LAMOUR! 48 "fortementdsir,silnapluslesmmescharmesauxyeuxdecelui qui le possde; si Eh! mon Dieu, que de si ! Je ne voulaisque mettre les femmes au-dessus des hommes; o cette fantaisiema-t-elle conduite?CLAUDE-JOSEPH DORAT! 49 "Lettre XVIIIDu chevalier madame de SenangesEh! de quoi les hommes sont-ils coupables? Je ne les dfendraipastous.Mais,silenestun,unseul,qui,encommenantdaimer, se soit jur daimer toujours, qui souffre avec une sortede volupt, plutt que de dplaire ce quil aime, ne mavouerez-vous point que celui-l mrite une exception? Eh bien, madame,ilexiste,&vousntespas,sansdoute,vousenapercevoir.Mais, hlas! vous voyez tout, & ntes sensible rien Jentendsde ce qui tient lamour. Rgner sur vous-mme, voil le triomphequivousflatte!Pourquoidonccetteguerreaffligeantedupr-jugcontrelebonheur?Lamourleplusvif,dites-vous,peutsaffaiblir. Ah! ce nest pas quand on vous aime. Il serait impos-sible avec vous dchapper la sduction, & que la constance nedevnt pas la source des plus grands plaisirs. Pour moi, madame,je mabandonne vous; vous ferez le sort de ma vie. Je ne rai-sonne point, je sens vivement; je vous aime avec excs, je ne vousvoisjamaissansvousaimerdavantage;&jeprfrelestour-ments que vous me donnez, aubonheur que je tiendraisduneautre.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 50 "Lettre XIXDe madame de Senanges au chevalierVous voulezaller en Angleterre;vous voulezme quitter! Com-bien mon amiti est plus tendre que votre amour! Combien je lehais cet amour! Il rend injuste & mme cruel ; nest-ce pas ltre,que de vouloir priver ses amis de soi ? Ah! si vous ne maviez passouhait aujourdhui ltat le plus obscur, que jaurais mauvaiseopinion de vous! Mais vous lavez si dlicatement motiv ce sou-hait, il peint si bien votre me, que la mienne est partage entre lareconnaissance la plus vraie, & une colre toute aussi juste contrecette fantaisie anglaise qui vous a pris, hier, dites-vous. Hier, eh!pourquoi ? Parce que je vois des gens sur lesquels il me sembleque le public ne saurait avoir dides. Je ne vous en expliqueraipaslaraison;jenemenrendspascompte,jemtourdissurbeaucoup de choses. Ah! je ne cours pas encore assez. Vous par-liez tantt dobscurit : oui, souvent, elle est un bien. Sommes-nous donc si fortunes? On observe nos moindres dmarches; &sinousvoulionsnevivrequepourunseulobjet,lepourrions-nous? De tristes visites, dennuyeux & grands soupers, des par-ties de plaisir, o lon nen a point, qui ne satisfont point lme,qui y laissent un vide affreux; voil le bonheur des femmes, voilce dont on les croit toutes enivres. Heureuses quand cette viedissipesuffitleurcur!quandelleslamnentpargot,&non par systme, non pour se prserver dun attachement dontelles craignent lexcs, les peines, les remords ou la publicit! CLAUDE-JOSEPH DORAT! 51 "Nai-je pas le malheur daller ***, je nai pas os refuser; jaicraint,jai rflchi, jaiditoui ; &vous croirezquecetarrange-mentmenchante.Eh!bien,tantmieux,croyez-leBonsoir,monsieurLES SACRIFICES DE LAMOUR! 52 "Lettre XXDu chevalier madame de SenangesAh!madame,quejesuisheureux!Voicilapremirefaveurque je reois de vous; mais elle est bien douce, bien sentie. Quoi !Jevousinspirequelquintrt?Quoi !Monloignementseraitdouloureux votre amiti! Je ne songe plus au voyage de Lon-dres. Moi, vous quitter & mettre les mers entre nous! Moi qui nepeux souffrir dtre spar de vous, pendant un jour seulement,qui voudrais vivre vos pieds, qui mourrais cent fois dans votreabsence. Je cherchais une femme qui pt me fixer, je lai trouve;je ne dsire plus rien. Le seul reproche que jaie vous faire, cestdattirer trop les yeux. Oui, oui, je le rpte, je voudrais que vousfussiez moins brillante, jaurais moins dalarmes, parce que votreme,cettemesibelle,vousappartiendraitdavantage;jenauraispasvousdisputertouslesvux,tousleshom-mages, aux distractions de toute espce. Lclat des charmes nuitquelquefois la solidit des sentiments. Lamour-propre amuse,ddommage de la perte des vrais plaisirs, de ceux dont la sourceest dans le cur, de ceux qui sont faits pour vous. Mais quel tristeddommagement!Queparlez-vousdecraintes,deremords?Que craint-on, quand on est belle & adore? Quels remordspeuvent natre dun penchant dlicat, honnte & vrai ? Votre meseffarouchetropaisment.Sivousaimiezjamais,vousseriezheureuse, vous le seriez toujours.Pourmoi,jesuisaucombledemesvux;votrelettremaenivr de joie, & le ravissement o elle ma laiss, nuit lexpres-sion de ma reconnaissance.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 53 "Lettre XXIDe madame de Senanges au chevalierJe ne suis plus surprise, monsieur, que vous mayez quitte tanttsibrusquement,niquevousvoussoyezrefusaudsirquejavais de passer avec vous le reste de la soire. Non, rien pr-sentnesauraitmtonner.Desengagementsplusanciens,pluschers,lesseulspeut-trequivousintressent,vousappelaientailleurs; & moi, qui en ignorais la force, je voulais Je croyaisJe ne veux, je ne crois plus rien. Jai appris bien des choses, danslamaisonojaisoup :onaparldevotreconstance,&ceserait une vertu, si, le cur rempli dun objet, vous naviez pascherch troubler la tranquillit dun autre. Quand je disais dumaldeshommes,sivoussaviezquelledistancejemettaisentreux&vous!ciel,jemetrompais!Jenelauraisjamaisimagin. Que mimporte aprs tout? Ah! que je suis heureusede ne connatre que lamiti!LES SACRIFICES DE LAMOUR! 54 "Lettre XXIIDu baron madame de SenangesSi je vous cris rarement, ma belle amie, cest par discrtion, bienplus que par ngligence. Quaurait vous mander un solitaire quicultive ses champs, & ne sait plus trop comment va ce monde-ci ?Maistoutrustiquequejevousparaisse,croyezquejesongevous,&toujoursavecattendrissement.Onpeutperdredevueles personnes qui ne sont que jolies; on noublie jamais celles quisont aimables, vous tes lun & lautre; je me le rappelle mer-veille, & le solitaire se laisse, de temps en temps, gagner par lessouvenirsdelhommedumonde.Jemlevotreidelimagedune matine bien frache, dun jour serein; en un mot, tousles objets riants que me prsentent les scnes varies de la cam-pagne. Vous tes toujours pour quelque chose dans la foule desbeauts qui me sont offertes par la nature.Les loges dun habitant de la campagne sont simples commeelle. Eh bien! ils nen sont peut-tre que plus piquants pour vous.Lodeurquisexhaledesprairies,vautmieuxquecesparfumscomposs&vaporeux,quienivrentlessens,lesaccablent,&finissent par les mousser.Le bon M. de Valois me donne de temps en temps de vos nou-velles. Je sais par lui que vous tes toujours libre, toujours raison-nable, cest--dire toujours heureuse. Ah! conservez longtemps,nabandonnezjamaiscesystmedindpendance,quevousdevez vos malheurs, autant qu vos rflexions. Ne vous laissezpoint sduire aux hommages, ils masquent des perfidies. JouissezCLAUDE-JOSEPH DORAT! 55 "devotrebeaut,respirezlencens;maisprenezgardequilnevous entte. Avec la sensibilit que je vous connais, vous seriezperdue,sivouscessiezdtreindiffrente.Jenesuispointunpdantquiproreenfaveurdesprjugs;jesuislamileplustendre, & cest votre cause que je plaide.Croyez-moi, jobserve dans le silence des passions & des petitsintrtsquellesmultiplient;jobservebien.Votreposition,latrempedevotreme,cellemmedevotreesprit,toutvousdfenddevouslier.Voschanesseraientlgresdabord,leurpoids se ferait sentir avec le temps.Au reste, quest-il besoin de vous armer contre lamour? Leshommes, tels quils sont aujourdhui, font votre sret bien plusque mes conseils, & peut-tre que vos principes. Quels hommes!Quelleracedgnre!Commeilssontvains,inconsidrs,orgueilleux sans lvation, cruels sans nergie! Ils ne tiennent pasmme au caractre de la nation, par cette effervescence de cou-rage,quautrefoisilfallaitrprimer,&quenvainvoudrait-onaiguillonneraujourdhui. Ilsnefont plus,dans lefeude la jeu-nesse,decesfautesbrillantesquipromettentdesvertuspourlgemr.Leurmesendortdanslevice,serveilledansledcouragement,&secorrompttoutfaitparlexemple.Lemoyen de rencontrer, dans ce tourbillon mprisable, un tre quisoitdignedutitredamant,quisacheestimercequilaime,&senflammerpourcequilestime!Maissi,parhasard,ilsentrouvait un qui et sauv son me de la contagion, qui attachtles regards par le mlange des agrments & des qualits Ah!dfiez-vous surtoutde celui-l :cest le sentimentqueje crainspour vous; lhomme qui peut en inspirer le plus, est celui dontvous devez vous garder davantage. Dans lamant le plus honnte,lachaleurdelapassion,savritmmenengarantitpointladure.Ladiffrencequejefaisdeluiauxautres,cestquilpleure son illusion, cest quil regrette ce quil abandonne, cestquilaimeencore,mmeenlequittant,lobjetquinelenivreplus. Eh! quest-ce quun procd, pour une me vertueuse, dontla vie est lamour, & qui sest lie par ses sacrifices? Que font leslarmes dun ingrat qui nessuie pas celles quil fait couler? Quesignifieunecommisrationstrilepourunefemmequonrendmalheureuse, aprs lavoir accoutume une sorte didoltrie, audlire du sentiment, & lorgueil de navoir point de rivales!LES SACRIFICES DE LAMOUR! 56 "Ce tableau nest que trop fidle, & je suis sr de limpressionquilferasurvous.Cestdanslescurstelsquelevtre,quelamour sapprofondit, & fait ses plus affreux ravages; il glisse surles mes corrompues. Les femmes aiment, proportion de leurhonntet; combien ce que je dis est menaant pour vous!Croyez-moi, nous ne valons pas les risques dun attachement.Dailleurs, la nature nest nulle part si contrariante, que dans cequi regarde lunion des deux sexes; les hommes aiment mieux,avant;lesfemmes,aprs;commentvoulez-vousquetoutcelasaccorde?Amusez-vous;faiteslesdlicesdelasocit,&dominez sans jamais vous laisser dominer vous-mme. Adieu, mabelle amie, vous avez prouv des malheurs ncessaires & forcs,nen ayez point qui soient de votre choix : ce sont les seuls pourlesquels il ny ait pas de consolation.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 57 "BilletDu chevalier madame de SenangesJai pass chez vous, hier, dans lespoir de vous faire ma cour : onmaditquevoustiezsortie :ilmasemblpourtantquelavoiture du marquis *** tait votre porte. Cest sans doute unemprisedevosgens;quejeleurenveux!Ilsmontprivduplaisirdevousvoir;jesprequejeseraiplusheureuxaujour-dhui.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 58 "Autre billet du chevalierVoilhuitjours de suiteque jemeprsentevotreporte,sanspouvoirvousrencontrer,tandisquelemarquisPardonnezmontroubleCiel !quelavenirjenvisage!Pourriez-vous?MaisnonCependantvousmefuyez!VousnerpondezpasmmemeslettresQuellefroideur!Quelddain! Lai-je mrit?CLAUDE-JOSEPH DORAT! 59 "Autre billet du chevalierJoublieunmomenttoutemoninfortune,pournemoccuperque de vos intrts. Apprenez, madame, les bruits qui courent &qui mindignent. On dit que le marquis Je mourrai avant de lecroire;maislepublic,cetinexorablepublic!Imposez-luisilence, mnagez votre gloire, &, sil le faut, ajoutez mon mal-heur. Le marquis! Il aurait su vous plaire! Lui ! Vous ignorezpeut-tre Ah! connaissez-le tout entier; voici une lettre quil acrite, il y a quelques mois, & dont lui-mme a donn des copies;ainsijeneletrahispoint.Vousyverrezlopinionquiladesfemmes, vous verrez son systme de sclratesse avec elles, vousverrez enfin sil devait mme vous approcher.Copie de la lettre du marquis de *** au chevalier de ***Es-tufou,chevalier,avectessermons,quetuqualifiesdeconseils, & ton intolrance sur tout ce qui regarde la galanterie?Tu veux que lon soupire toujours, quon ne trompe jamais, quonsoitdebonnefoi,&avecqui ?Aveclesfemmes!Pauvrechevalier! De la bonne foi, avec des tres, dont lessence est lemange,&quiestimentlamour,bienplusparlesrusesquilsuggre, que par les jouissances quil donne! Tu vas te rejeter surlesexceptions;jycroirai,situlexiges;mais,queveux-tu?Jenen ai jamais rencontr.LES SACRIFICES DE LAMOUR! 60 "Quant au plaisir de changer, tu ne las point assez approfondi,moncher,pourlediscuteravecmoi.Leplusvolageest,sanscontredit, le plus philosophe, & cette philosophie, par exemple,est merveilleusement adopte par ce sexe charmant, dont tu es letendre apologiste.Une sauvage, abandonne limpulsion de la nature, changepoursatisfaireauxlubiesdesontemprament.Unefemmepolice, pour tcher de sen faire un. Lune obit ce quelle a,lautrecherchecequellenapas :toutesdeuxvontaummebut,ontlesmmesprincipes,&emploientlesmmesmoyens,comme les plus srs dans tous les cas. Il ny a point de caractre qui linconstance ne russisse. La coquette change par systme :ellealairdemultipliersescharmes,enmultipliantsesado-rateurs; la prude, par quit : elle simpose extrieurement tantde privations, quil est juste que son intrieur nen souffre pas;rienaumondenestplusexigeantquelintrieurduneprude.Les tourdies y trouvent leur compte; ce sont toujours quelquesbluettesdebonheurquellesattrapentencourant.Lesfemmesvoluptueuses, & je pourrais te citer ce quil y a de mieux dans cegenre, mont jur dans des quarts dheure dpanchement, que lephysique y gagnait, & que la volupt ny perdait pas.Tu vois que je mappuie dautorits respectables; & dailleurs,jaisurcelaunepratiquesoutenuequicompltelvidencedemesraisonnements.Voildonclesfemmesdcidesvolages.Pourquoidiableveux-tuquenousnelesoyonspas?Cesenti-ment romanesque, dont tu me parles, quand il est port un cer-tain excs, est, en quelque sorte, le nant de lme; il teint sonfeu que tu prtends quil concentre; il lendort, lui te le mouve-ment, la vie, & je ne connais que linfidlit, qui puisse rtablir lacirculation.Encoreest-ildescursdsesprssurlesquelsellene peut rien.Eh! que devient lhonntet, vas-tu me dire? Tout ce quellepeut,chevalier :tuverrasquilesttrshonntedemourirdennui, de tenir un lien qui pse, de se piquer dun hrosmebourgeois, & de sabrutir par dlicatesse. Ne connais-tu rien depluslourdporter,quunechaneoleprocdvousretient,quand le plaisir vous appelle dans une autre? La vie est un clair,ilfautquenosgotsluiressemblent,quilssoientbrillants&rapides comme elle. Tu as peut-tre rencontr quelquefois dansCLAUDE-JOSEPH DORAT! 61 "la socit, de ces couples soi-disant amoureux & arrangs depuisdes sicles, qui, en secret, excds lun de lautre, se gardent, parostentation,&pourdonnerunvernisdemursleurcom-merce?Neconviendras-tupointquecesprtendustraitsdunamour exemplaire, sont rvoltants pour un homme un peu pro-fond, & qui a rflchi sur la porte du cur humain?Je voudrais quil y et peine de bannissement, pour tous ceuxquisaimeraientplusdevingtjoursdesuite.Jemedfiedesfemmes trop tendres, & dissertant perte de vue sur les charmesduneuniondurable,surlassortimentdesmes,&ceslieuxcommuns de la vieille galanterie. Ces raisonneuses-l sont quel-quefois plus perfides que dautres. Vivent les folles! Les tholo-giennes, enfait de sentiment, sont au cur,cequest aupalaisdun buveur, de leau bien clarifie : on est, avec elles, dsaltr sitristement!Onlanguitdansleursbras,&lonasoifdautrechose.Toiqui,jelespre,noussoutiendrasbienttquilestmons-trueux dtre infidle, sais-tu quil faut ltre, pour lintrt mmedesfemmesquonaime?Ayezunematresse,querienninquite, que rien nalarme, sre de vos hommages, convaincuede votre sentiment; elle en accepte les preuves avec tranquillit,cest--dire sans reconnaissance. Une femme tranquille ne tardepas tre froide. Sa scurit devient prsomption, elle se fie sescharmes,regardelamourcommeunedette,croitlamanttropheureuxquandilsacquitte.Vousluitescher,sivousvoulez;mais, vous cessez dtre piquant : elle-mme ne fait plus de frais,elle est aimable, quand elle peut, pense toujours ltre assez, sereposedetoutsurvotreivresse,&finitparperdrelasienne.Donnez-luiunerivale;toutserveille&seranime :sahainepour celle qui lui ravit votre cur, met en action lamour quelle apourvous;vousredevenezintressant,lesinsomniescommen-cent, viennent ensuite les billets du matin. On semporte, on sedsespre, on pleure, & lon sembellit en pleurant. Pour mettrecesdamestoutfaitdansleurjour,ilestdobligationdelestourmenter; leur esprit y gagne, leur me aussi. Les femmes quit-tes sont surprises elles-mmes des ressorts de leur imagination;ellesfontplus,centfois,pourrameneruninfidle,quellesnavaient fait pour le sduire; & je ne les trouve vraiment aima-bles, que quand elles sont trs malheureuses. Quen arrive-t-il ?LES SACRIFICES DE LAMOUR! 62 "Lesconsolateurssurviennent,onlescoute,onsefamiliariseavec leurs propositions : on y cde, & ce sont des effets qui ren-trent :lecommerceva,lesdsuvrsytrouventleurcompte,tout le monde est content.Dailleurs, une femme quon force faire un nouveau choix,doit conserver une reconnaissance ternelle lamant qui lui pro-curelecharmeinexprimabledelavengeance.Mamoraleestbonne, je ten rponds; je change par indulgence pour moi, & pargard pour les autres. Il ne mest jamais arriv de me reposer plusduninstantsurunemmeimpression.Quand,parhasard,jevais au spectacle, jy apporte toujours trois ou quatre intentionsqui moccupent, mexercent & me tiennent en haleine; jy bravecelle que jai eue, je lorgne celle que je veux avoir, & jinquitecelle que jai. Voil les entractes remplis. Ce mouvement ternelfixe les yeux sur moi ; les unes me prnent, les autres me dchi-rent, toutes me citent, &, dans le vrai, celles qui ne mont pas eu,ne connaissent pas encore toutes leurs ressources.Une de mes folies, moi, cest de faire faire aux femmes, deschoses extraordinaires; il ny en a pas, quen les prenant dans uncertainsens,onnamneaudernierpriodedelextravagance;&, quand il sagit de se distinguer par quelque bonne singularit,les plus rserves deviennent intrpides.Jai,depuisquinzejours(celacommencetremr),unepetite femme qui na que le souffle. Cest lindividu le plus frleque je connaisse; il semble quon va la briser quand on la touche.Son caractre a lair dtre aussi faible, que son physique est dli,dlicat & fragile; elle a peur de tout, ne va point au spectacle, depeurdesreculades;craintleColise(oilnevapersonne),causedelafoule.Ehbien!cettefemmesicraintive,sipeuaguerrie,aeulecouragedemeprendre;elleaceluidemegarder,&elleauraceluidemeplanterl,sijenelagagnedevitesse. Mais ce nest rien encore; je vais te conter, son sujet,une anecdote curieuse qui pourra servir lhistoire raisonne &philosophique des femmes de ce sicle.Lidole en question savise daimer perdument la musique. Jeluifisnatre,unsoir,lafantaisiedesenivrerdesdlicesdelamour, au son des instruments les plus voluptueux, placs unecertaine distance, pour toutes sortes de raisons. La voil folle decette ide, toutes les nuits elle ne rve qu lexcution du projet.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 63 "Nousprenonsjour,&nouschoisissonsexprs,afindavoirdesdifficultsvaincre,celuiquienoffraitdavantage.Elletaitprie un grand souper, chez la jeune duchesse de ***; son maridevait en tre. Comment se tirer de l? Je le rpte, dans les joursdaction,riennesttel,quelesfemmestimides;ellesfontdesprodigesdevaleur.Onmitdabordladuchessedanslaconfi-dence. Il sagissait de tromper un mari ; tout devient facile alors.On sert, on annonce, on se met table. Ne voil-t-il pas que monhrone joue les convulsions, lvanouissement. Tous les convivesse lvent & cherchent lasecourir.Lintelligente duchessesenempare, laconduitdans sonappartement, lafait sortir par uneissue secrtement pratique pour son usage, & lui confie la clefduneporte,parlaquelleonpouvaitsvaderencasdebesoin.Aprs cette expdition, elle revient, rassure tout le monde, cer-tifiequelamaladeestcouche,&sadressantaumari :soyeztranquille, dit-elle, je vous renverrai demain votre femme dans lemeilleur tat.Tu vois dici la jolie plerine, ensevelie sous son coqueluchon,emprisonnedansdepetitesmulesbientroites,exposetoutes les gaiets nocturnes des aimables libertins qui voyagent cette heure dans Paris, trembler, frmir, chanceler chaque pas,&,detransesentranses,sacheminerversmademeure.Jelattendais lentre de la rue o je loge; japerois la voyageuse,& la recueille enfin plus morte que vive. Elle me suit sous de lon-gues galeries fort obscures (car on avoir discrtement teint leslumires), & je la conduis avec des prcautions tout fait magi-ques,jusqulintrieurdemonappartement.Lavoluptelle-mme avait pris soin de le dcorer. Le jeu des lumires, multiplipar le reflet des glaces, le choix des peintures les plus analoguesau moment, tout semblait y inviter au plaisir. Elle ne vit rien detout cela. peine fut-elle entre, quelle se laissa tomber sur laplus molle, la plus sensuelle & la plus employe des ottomanes,o,pendantplusduneheure,ellerestasansmouvement.Centait pas l mon compte.Mesclarinetscommencrentjouer;ilslatirrentdesalthargie.Ellereconnut&compritmerveillecesignaldesgrands vnements de la soire. Javais recommand que les pre-miersairsfussentbiensourds,bienlents,&interrompusparintervalle,afindenepasbranlertropttdesorganesaffaiblisLES SACRIFICES DE LAMOUR! 64 "par la fatigue. Ses sens se remirent, par degrs, lunisson, & heu-reusement pour moi, reprirent leur activit.Aprs ce prlude, le souper sort de dessous le parquet, sur unetable couverte de fleurs, & claire par des girandoles. Tu tima-gines bien que jamais souper ne fut plus dlicat, ni plus irritant.Tant quil dura, la musique fut vive, gaie, ptulante, quelquefoismmeunpeubachique;elleseradoucitpeupeu,&nousindiqua le moment dentrer dans le boudoir. Jaime bien mieux tepeindre le triomphe, que de ten dcrire le lieu. Mon orchestre,alors,partcommeunclair.Unemusiqueanime,rapide,expressive,figurelachaleur,lavivacit,&lintressanterpti-tion des premires caresses.Cecalmepassionnquileursuccde,cettelangueur,cerecueillementdelme,olildtaillecequelaboucheadvor, ces moments o lon jouit mieux, parce quon est moinspressdejouir,sontimitsparcetteharmoniedouce,languis-sante, entrecoupe, qui ressemble des soupirs. Enfin, de trans-ports en transports, dextases en extases, je parvins lasser mesmusiciens.Mabelle&nonchalantematresseleurdemandaitencorequelquesairs,&mauraitvolontierschargdelaccom-pagnement; mais laurore qui commenait paratre, vint larra-cher son ivresse. Je la reconduisis chez son amie, & pendant lechemin,ellemavouanavementquejamaisconcertnelavaittant amuse. Le lendemain, on la renvoya son bent dpoux.Ce quil y a de rjouissant, cest quelle contraignit cet imbcile-ldcrireladuchesse,pourlaremercierduservicequelleluiavoir rendu, & des soins tout particuliers quelle avait eus de safemme.Tutimaginesbienquececoupdclatfinitlintrigue.Ilestimpossible, quaprs cette soire, madame de *** fasse quelquechose de saillant. Jen ai tir, je crois, tout le parti possible, & je larendsdegrandcurlasocit.Avoue,chevalier,quenmilleans, ton raffinement de sensibilit ne te donnerait pas des plaisirsaussi vifs, aussi piquants, & surtout aussi neufs.Adieu, jai t bien aise de tinitier une fois, dans des mystresinconnusauxamantsvulgaires.Cettelettreestuneespcedecodequejecomptepublierunjour,pourlencouragementdesdames&linstructiondeshommes.Ilfautbienclairersonsicle, & mriter le beau titre de citoyen.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 65 "Lettre XXIIIDe la marquise dErcy au chevalierOh!Lexcellentedcouverte!Necraignezrien,chevalier!Jeserai discrte; je respecterai le motif de votre sjour Paris, & lesecret devosamours. Vousvoildoncinfidle? Jenenvoulaisrien croire, plus par bonne opinion de moi, que par confiance envous. Mais ce quil y ade tout fait amusant,cest que ce soitmadamedeSenangesquevousmedonniezpourrivale!Vousavez d bien rire de ma dernire lettre. Je madresse lamant decette femme, pour lui confier tout le mal que jen pense; cest sonchevalier,quejechargedepunirsonpetitorgueil.Dansquelpige vous mavez conduite! Avouez que le tour est leste. Je nevous croyais point de cette force-l. Je suis votre dupe; cest untriomphe,jevousenavertis;lesdupescommemoisontrares.Javais pens que, de nous deux, ctait moi, qui aurais lesprit detromper la premire; vous mavez prvenue, & cela me donne ungrandrespectpourvous.Vousvousattendiezpeut-trequejallaisclaterenreproches!Nonpas,silvousplat;jenesuispas perscutante, de mon naturel, je prends les choses plus gaie-ment.Dailleurs,desobjetstropgravesmoccupent,pourquejaieletempsdejouerundsespoirenrgle;jenaipasdeuxminutesdonnercequonappelleundpitamoureux.Cesang-froid,sansdoute,estpiquantpourvous;maisilestcom-mode pour moi ; &, au terme o nous en sommes, il est juste quenous nous mettions tous deux fort notre aise. Vous vous ima-ginezbienque,danslabandoncruelovousmelaissez,jeneLES SACRIFICES DE LAMOUR! 66 "tarderai point trouver des consolateurs. Comme je suis encoreinfiniment jeune, que je ne tombe pas tout fait des nues, & que,sanstrebellecommemadamedeSenanges,jesuis,dit-on,dune figure assez passable, je ne malarme point sur mon sort, &je suis console de votre crime (car les femmes prtendent, je nesais trop pourquoi, que linfidlit en est un), jen suis console,dis-je, par la facilit de la vengeance.Cependant,commeunrestedintrtmeparleencorepourvous,jedoisvousavertircharitablement,decequunodieuxpublic dbite sur le compte de votre nouvelle conqute. On nelui dispute point sa jeunesse; elle en a toute la gaucherie, & lonaurait tort de la chicaner sur cet article; mais on lui reproche dentrerienmoinsque nave,& davoir la rage de fairelenfant.On prtend que rien, si ce nest son me, nest plus artificiel queson teint. Au reste, ce sont des mystres de toilette, dans lesquelsil ne nous sied pas de pntrer. On me soutenait, lautre jour, &jen tais furieuse, que sa douceur nest que de lhypocrisie, quesoncaractretientlemilieuentrelaprude&lacoquette(tou-jours en y ajoutant la nuance de la fausset), que, trs incessam-ment, son cur deviendra banal ; & quenfin tout son esprit estcomposderminiscences.Pardon,chevalier!Mais,commelamour est aveugle, & que tous ceux quil blesse ne voient guremieux que lui, jai cru devoir vous fournir quelques lumires surlobjet de votre idoltrie; je suis sre que vous men saurez bongr. Levez un coin du bandeau, vous verrez, peut-tre, ce que lapassion vous cache.propos,onprtendquemadamedeSenangesveutvousassujettirauxchimresdunamourpurementspculatif.Vousvoil dclar Sylphe; je vous en flicite. Mais gare les Gnomes,chevalier!Ilsprofitentdecertainsmoments,&madamedeSenanges, que lon calomnie toujours, a, dit-on, plusieurs de cesmoments-l dans la journe.Jevousennuie,&jeneconoispasmoi-mme,pourquoijevous ai crit une si longue lettre. Ce ntait pas mon intention; jenevoulaisquevousclairersurlecomptedemadamedeSenanges, & vous tranquilliser sur le mien. Adieu, chevalier.CLAUDE-JOSEPH DORAT! 67 "Lettre XXIVDu chevalier madame dErcyVotre sang-froid ne me pique point, madame; mais il me console-raitsiquelquechosepouvaitconsolerunhommehonnte,davoir rompre le premier, des nuds auxquels il a d quelquesintervallesdebonheur.Lironiesoutenuedevotrelettre,meprouve combien votre me est matresse delle-mme, & le peudimportancequelleattachaitmonsentiment :jevois,parlamanire dont vous y renoncez, le principe secret de mon incons-tance. Votre froideur a commenc mon crime, les circonstanceslachvent,votretonlejustifie.Jeneseraipointfauxencher-chant pallier mes torts.Jesuisreconnaissant,jeleseraitoujours,delavivacitque,souvent malgr moi, vous avez mise me servir; je ne prononcevotrenomquavecattendrissement.Dovientdoncsuis-jeinfidle?Est-cevotrefaute,est-celamienne?Ah!jelesens,votre caractre ne pouvai