Deux générations d’élèves en SEGPA à Freyming...
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Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Lorraine
Groupe de Formation C.A.A.P.S.A.I.S. option F
1ère année
Deux générations d’élèves en
SEGPA à Freyming-Merlebach.
Mikaël ALBERT Année 2003.
A. Introduction
Pour un professeur des écoles qui vient tout juste de finir sa formation initiale,
l’attente de la nomination est souvent un moment angoissant. Cette angoisse est d’autant
plus grande qu’il sait qu’il peut être nommé sur des postes relevant de l’« Adaptation et
Intégration Scolaire ».
En effet, il n’y est pas ou peu préparé et le public accueilli dans ces structures a des
besoins éducatifs spécifiques qu’il s’agit de bien cerner afin de mener une action
pédagogique efficace. Pour le professeur des écoles novice, la tâche se complique encore
quand le poste sur lequel il est affecté est un poste en SEGPA.
Il se trouve en face d’un public constitué d’adolescents et ces derniers ajoutent aux
problématiques de la difficulté scolaire, celles inhérentes à cette tranche d’âge.
A cet écueil s’ajoute pour le néo-enseignant, l’immersion dans le monde de la
formation pré-professionnelle, des matières nouvelles telles que la « VSP » (vie sociale et
professionnelle) ou l’ « ISP » (insertion sociale et professionnelle), sans oublier les liaisons
avec le travail des collègues PLP.
Toutes ces épreuves, je les ai vécues quand, pour mon premier poste, j’ai été
nommé à la SEGPA du collège Albert Camus de Freyming-Merlebach (Moselle).
Après un premier trimestre difficile pendant lequel j’ai été confronté à toutes les
difficultés que j’ai mentionnées plus haut et une fois ce « baptême du feu » passé, j’ai
réussi à cerner et à comprendre les besoins et les attentes des élèves dont j’avais la
charge et, grâce à une équipe éducative soudée et compétente, à prendre goût à
l’enseignement adapté. J’ai également pris conscience, en me rendant en visite dans les
entreprises et en redécouvrant ma région natale, de la très forte imprégnation de la
« culture » de la mine. En effet, bien qu’étant né dans le bassin houiller et y ayant passé
toute ma vie jusqu’au départ à l’université, je n’avais jamais réalisé vraiment l’importance
de l’industrie minière dans la vie de tous les jours des personnes qui vivaient dans les
environs de Freyming-Merlebach. C’est le sentiment de cette formidable puissance
industrielle passée et de ses vestiges encore très vivaces qui m’a interrogé sur le rapport
que mes élèves pouvaient avoir, indirectement bien sûr, avec ce passé.
Lorsque j’ai été admis à la formation CAPSAIS, j’ai très vite pensé que cette situation
particulière pouvait faire l’objet d’une réflexion.
Pour réaliser ce projet, ma chance a été de pouvoir compter sur un collègue qui a
passé toute sa carrière d’instituteur spécialisé à la SES / SEGPA de Freyming-Merlebach
et qui m’a proposé son aide et sa connaissance du terrain et des anciens élèves avec 1
lesquels, pour la plupart, il a gardé un contact. J’ai donc ainsi pu rencontrer d’anciens
élèves et enseignants de la SEGPA. De plus, j’ai eu l’occasion de pouvoir concentrer mon
travail sur deux générations d’élèves distinctes :
- une première génération d’élèves qui ont fréquenté la SES au milieu des
années 1970
- une seconde génération qui était en SEGPA à la fin des années 1980.
Une évolution au sein des HBL (Houillères du Bassin de Lorraine) est également à noter
durant cette période.
Je voulais savoir quel était le devenir et le parcours des élèves de SEGPA après leur
sortie du système scolaire. J’avais également envie de voir dans quelle mesure les
perspectives d’avenir des élèves avait évolué entre le début de la SES et la période
actuelle et également, de poser la question pour les anciens élèves de SES/SEGPA de
leur ressenti vis à vis de leur scolarité et plus particulièrement de leur passage en
SES/SEGPA.
Pour éclairer ce travail, je préciserai dans un premier temps les théories en
sociologie de l’éducation qui me semblent convenir particulièrement au cadre de mon
travail puis je présenterai de façon précise la SEGPA de Freyming-Merlebach ainsi que le
contexte dans lequel elle a évolué pendant la période choisie pour mon travail.
Enfin, les entretiens avec les anciens élèves me permettront de faire émerger
quelques idées fortes qui caractérisent à mon sens la spécificité de la SEGPA de
Freyming-Merlebach liée à sa situation.
2
B. Les théories en sociologie de l’éducation sur la mobilité sociale
Pendant toute la période qui a immédiatement suivie la mise en place de l’école
obligatoire pour tous avec les lois Ferry de 1881, l’école a permis quasi automatiquement
l’accès à une position supérieure à celle des parents. C’est en tout cas, le « mythe » qui
survit encore plus d’un siècle après. Pourtant de nombreux travaux universitaires taillent
en pièces cette construction mythique de l’école de la Troisième République. Les plus
célèbres sont sans doutes les travaux de Bourdieu et Passeron qui, dans deux ouvrages1,
remettent ces idées en cause. Raymond Boudon2 a également remis en cause l’idée de
l’école de l’égalité des chances mais en en tirant des conclusions différentes de celles de
Bourdieu et Passeron.
I. Bourdieu et Passeron.
Bourdieu et Passeron envisagent leur travail sur l’inégalité des chances à l’école de
façon holiste : « le tout l’emporte sur les parties ». Il faut donc, pour comprendre le
fonctionnement de l’école, analyser l’ensemble du système scolaire et ne pas se
concentrer sur les individus.
1. Une approche en terme de reproduction sociale
Le premier principe énoncé par les deux sociologues est que l’école est un
instrument de reproduction sociale au service des classes dominantes.
En effet, selon Pierre Bourdieu, de génération en génération, les individus ou les
groupes d'individus cherchent à maintenir ou à améliorer leur position sociale : c'est le
principe de la reproduction sociale.
Par exemple, dans les sociétés traditionnelles, les stratégies matrimoniales permettaient
d'assurer la reproduction sociale en « formatant » le jeune enfant pour le rôle qu’il aurait à
jouer plus tard dans la société.
Dans notre société, c’est le diplôme qui est devenu le passeport indispensable à
l'obtention d'un emploi qualifié. Or l’enseignement traditionnel par les parents seuls ne
1 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, Les Editions de Minuit, 1964 et La Reproduction, Les Editions de Minuit, 1971
3
peut plus suffire pour donner à un jeune les compétences nécessaires pour acquérir
un diplôme et c’est l’école qui se charge de cette formation.
Les stratégies de reproduction doivent alors évoluer puisqu’elles ne peuvent plus
passer uniquement par la cellule familiale. On assiste donc à la mise en place d’une
nouvelle stratégie de reproduction qui va passer par l’école. De fait, si l’école, dans ce
cadre théorique, produit des inégalités, alors elles seront forcément liées au
fonctionnement de l'institution scolaire.
2. des inégalités liées au fonctionnement de l’école
Pour Bourdieu et Passeron, la réussite scolaire des enfants des classes dominantes
ne s'explique pas par leur talent (leur don) mais par leur héritage culturel. Selon les deux
chercheurs, chaque participant au jeu social dispose de ressources, largement léguées
par les parents et ces ressources sont assimilables à des capitaux. Ils distinguent trois
types de capitaux :
- le capital culturel : ce sont les connaissances comme la maîtrise de la langue
(« le choix du mot juste ») et le fait d’apprécier l’expression artistique. Ce capital se
réinvestit majoritairement à l’école et permet une forte plus-value dans les activités
littéraires traditionnelles de l’école (dissertation, commentaires de textes)
- le capital économique : ce sont l’ensemble des ressources matérielles ( le
revenu ainsi que le patrimoine) qui permettent de ne pas être dépendant de façon trop
directe de l’état du marché du travail. Il est clair que pour des personnes de milieux
favorisés, la possibilité de transmettre en héritage à leurs enfants un outil de travail (une
entreprise par exemple) permet de relativiser grandement l’intérêt « vital » de la réussite
scolaire.
- le capital social : ce capital est fonction de l’étendue des relations sociales. Il
est évidemment plus intéressant dans le sens de la progression sociale si on est déjà au
départ dans une catégorie sociale haute puisque le « carnet d’adresses » parental sera
une source éventuelle de possibilités de « placement » pour l’enfant (les relations sociales
étant en général de niveau social équivalent)
Les familles transmettent ainsi à leurs enfants un capital culturel que l'école va
valoriser car les savoir-être et savoir-faire de la classe dominante sont aussi ceux exigés à
l’école (culture libre, langage, mode de raisonnement). Ainsi, l’école en privilégiant des
2 Raymond Boudon, L’Inégalité des Chances, Editions Armand Colin, 1979 4
qualités comme l’expression l’orale ou écrite et la possession d’une culture extra-
scolaire est conforme à la culture dominante. En outre, pour Bourdieu et Passeron, elle ne
fait rien pour permettre à tous les élèves d’acquérir ces compétences mais les exige de
façon implicite dans le travail scolaire.
Qui plus est, l'habitus des enfants des classes dominantes est en affinité avec celui
des enseignants (même valeurs, même goûts culturels) puisque, de par leur formation, ils
appartiennent, au moins au niveau culturel, à ces mêmes classes dominantes. Les
familles transmettent à leurs enfants un capital culturel que l’école valorise alors que les
enfants de la classe dominée connaissent des problèmes d'acculturation (difficultés pour
assimiler une autre culture).
La conséquence est donc que l’école va jouer un rôle très important dans la
reproduction sociale d’une génération à l’autre. Elle ne va pas favoriser l’égalité des
chances mais va renforcer voire justifier les inégalités sociales. Pour Bourdieu et
Passeron, c’est donc la preuve que l’école n'est pas neutre mais que bien au contraire,
c’est une instance de reproduction aux mains de la classe dominante.
La socialisation de la famille est complémentaire de la socialisation scolaire pour les
classes dominantes et opposée pour les classes dominées. C’est ce qui fonde donc toute
la théorie de Bourdieu, les étudiants sont en fait « des héritiers » de la classe dominante.
Mais, en plus le système scolaire « ruse » :
En effet, il donne l’impression de l’égalité des chances, tout en faisant de l’école un
instrument de sélection sociale. Dans ces conditions, les enfants des classes populaires
acceptent leur élimination et la considèrent comme normale. Or les enfants et leur famille
ne maîtrisent pas réellement leur destin scolaire.
La domination d’une classe sociale sur l’autre est donc toujours d’actualité et la différence
ne se fait plus uniquement sur des critères économiques.
3. La lutte contre l'inégalité des chances
Selon Bourdieu, l'école est une instance de reproduction au service des classes
dominantes et tant que l'école traitera de la même manière des enfants aux atouts
différents, elle ne fera que reproduire les inégalités sociales.
Il faut donc, selon lui, traiter différemment les élèves selon l'origine sociale.
L'égalité des chances ne pourra être assurée qu'au prix d'une transformation radicale de
l'école. C’est donc par le biais d’une discrimination positive que Bourdieu voit le remède au 5
problème de l’inégalité des chances. Mais il faut également que les enseignants
changent leurs pratiques pédagogiques en partant du fait que les enfants des classes
dominées souffrent d'un handicap culturel.
Ils doivent également modifier leurs méthodes d'évaluation en n'interrogeant les
élèves que sur ce qu'ils leur ont enseigné et non plus en se référant à une culture
commune qu’ils partageraient avec leurs élèves puisque ce n’est pas le cas pour les
enfants des classes dominées. Les perspectives émises par Bourdieu et Passeron
trouvent une certaine application dans la mise en place des Zones d’Education Prioritaire.
En effet, celles-ci sont mises en place dans des secteurs géographiques qui regroupaient
des populations défavorisées. Elles permettent aux enseignants de travailler avec des
moyens plus importants et des effectifs réduits
II. Raymond Boudon.
Sa théorie sur l’école tourne autour de l’individu social. Elle s’appuie sur
“l’individualisme rationnel”, c’est-à-dire que l’individu détermine ses actions en
connaissance du système pour ces intérêts. Pour Boudon, l’évolution du système éducatif
est le résultat de l’agrégation des décisions individuelles d’actions rationnelles. Les
classes supérieures et moyennes sont plus soucieuses d’investir dans l’école. Pour les
classes populaires, si le rendement n’est pas justifié, on arrête les études. Les “effets
pervers” sont la relation titre/marché qui évolue et varie dans le temps. Boudon dit qu’il
peut y avoir des réductions d’inégalités sociales dans l’école sans qu’il y ait
nécessairement de réduction des inégalités sociales dans la société en général.
Comme Bourdieu, il constate qu'il existe dans notre société une « inégalité des chances »
selon l'origine sociale mais , son explication est différente de celle de Bourdieu.
1. Des inégalités scolaires liées au libre choix des familles
Boudon pose comme principe que l’école est neutre. Il l’affirme comme un postulat
de base de son travail. C’est, on le voit, une différence majeure avec Bourdieu qui
déduisait de ses travaux l’opposé exact. Pour Boudon, les inégalités scolaires ne sont que
le résultat de stratégies individuelles qui sont différentes selon l'origine sociale.
En effet, selon Boudon, l'école est caractérisée par tout un ensemble de points de
bifurcation (choix de la langue, des options au collège, seconde à option, choix des filières
6
en première, choix post-bac : fac ou grandes écoles). Or, à chaque point de
bifurcation, ils existent des stratégies individuelles qui varient selon l'origine sociale.
En effet, les élèves et leur famille comparent les coûts et avantages de leurs choix à
chaque décision.
Boudon définit la notion de coût par différents paramètres : temps perdu, effort
financier consenti, rupture avec la culture du milieu familial, risque d’échec. Il caractérise
la notion d’avantage par le fait d’obtenir un diplôme qui permettra sur le marché du travail
d’obtenir un salaire plus élevé et donc un niveau social plus élevé.
Boudon fait l’hypothèse que tant que les avantages sont supérieurs au coût, on continue
ses études. Or c’est dans cette évaluation du rapport avantage/coût qu’il y a divergence
selon le milieu social d’appartenance.
Les familles issues de milieu modeste surestiment le coût et sous-estiment les avantages
du diplôme alors que c’est le contraire pour les enfants issus de milieu privilégié
En conséquence de quoi, un élève issu d'un milieu modeste choisira plus facilement
de s'arrêter au bac (c'est déjà une réussite par rapport aux parents et son risque d’échec
apparaît potentiellement important dans des études supérieures) ou s’orientera vers des
filières courtes (parce qu’il y a une rentabilité immédiate sur le marché du travail) alors
qu'un élève issu d'un milieu aisé s'arrêtera rarement au niveau bac (parce qu’il y aurait un
coût psychologique trop important de l'arrêt des études).
Ainsi, Boudon explique les inégalités scolaires et donc sociales par les actions, les
stratégies individuelles des familles dans le système scolaire et non pas par le
fonctionnement de l’école.
2. La lutte contre l'inégalité des chances
Pour restaurer l'égalité de chances, Boudon estime qu’il faut combattre les effets
pervers des stratégies individuelles induites par le mauvais calcul du rapport
avantage/coût.
Une solution pourrait être de limiter les choix d'orientation, ce qui aurait pour effet, a
priori, de minimiser l’impact des filières et donc de la hiérarchisation des différentes voies
possibles. Par ce biais, on pourrait réduire les inégalités mais l'école ne serait plus en
adéquation avec les besoins professionnels puisque les différentes filières répondent à
des besoins de formation spécifiques.
7
Une autre voie pour abonder dans le sens de Boudon pourrait être
l'augmentation des bourses (en nombre comme en importance financière), ce qui
permettrait de limiter les coûts des études et donc de diminuer un paramètre essentiel qui
limite l’accès aux études supérieures pour les élèves issus de milieu modeste.
Toutefois, pour Boudon, la démocratisation de l'enseignement ne permet pas
forcément une égalité des chances, car il n'y a pas selon lui « correspondance » entre la
structure sociale et la structure scolaire (répartition des individus par niveau de diplôme).
En effet, si grâce à la démocratisation de l'enseignement (élévation du niveau de
qualification globale pour tous), on compte de plus en plus de diplômés, ça n'est pas pour
autant que les postes qualifiés seront occupés par des enfants issus de milieu modeste.
On risque en effet d'avoir plus de diplômés que de postes qualifiés dans la société
(inadéquation entre la structure sociale et la structure scolaire), si bien que les enfants
favorisés risquent de continuer à occuper les positions sociales élevées (on rejoint ici le
point de vue de Bourdieu sur le capital social qui permet aux enfants des classes aisées
de bénéficier, à diplôme égal, de meilleures opportunités que les enfants de classes
défavorisées), alors que les enfants issus de classes moyennes ou modestes risquent
d'être victimes d'une déqualification de leurs diplômes.
En effet, ils peuvent occuper une position sociale moins haute que ce à quoi ils pourraient
prétendre malgré la possession de diplômes, car le manque de postes qualifiés les
« brideraient ».
En conclusion, je dirai qu’il convient toutefois de noter qu’aucun de ces auteurs ne
fait directement allusion aux jeunes relevant de l’enseignement adapté. Mais il me semble
tout à fait réaliste de considérer que leurs conclusions s’appliquent aux élèves de
SES/SEGPA. Il est à mon avis flagrant que, pour ce type de public, on assiste bien à une
amplification des phénomènes décrits notamment par Bourdieu et Passeron sur le déficit
de capital culturel et également par Raymond Boudon sur le calcul du rapport
avantage/coût. Il est clair que dans une SES/SEGPA située dans un bassin à forte
population ouvrière et avec une population immigrée nombreuse comme c’est le cas à
Freyming-Merlebach, il y a de fortes probabilités que ces théories correspondent à une
réalité de terrain.
8
C. La SES/SEGPA de Freyming-Merlebach et le Bassin Houiller Lorrain
I. Rappel historique général
1. création des SES
En 1959, la réforme Berthoin impose la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. C’est une
petite révolution puisque à partir de ce moment, on va se diriger vers le collège unique.
Cette loi s’applique également aux enfants qui jusque là étaient scolarisés dans les écoles
ou les classes de perfectionnement. Il va donc falloir créer une structure spécifique pour
ces enfants qui sortaient du système scolaire à 14 ans.
La structure créée sera la SES (Section d’Education Spécialisée). Elle est mise en
place en 1967 et devient de fait la quatrième filière du collège (les filières « ordinaires »
étant les filières classique, moderne et technique). En effet, les SES sont annexées aux
collèges, leurs élèves se trouveront dans les mêmes locaux que les collégiens (ce qui
n’est pas le cas à Freyming-Merlebach, le bâtiment prévu pour la SES/SEGPA est
différencié des autres bâtiments)
Une SES est créée pour quatre collèges et dans chaque SES se mettent en place
des ateliers. Il convient de noter que le bassin houiller est particulièrement fourni à ce
moment là en SES (il y a plus qu’une SES pour quatre collèges). En effet, on compte sur
le bassin houiller une vingtaine de collèges pour 9 SES (Les collèges du bassin houiller :
Creutzwald (2), Forbach (2), Saint-Avold (3), Freyming-Merlebach (2), Faulquemont (2),
Hombourg-Haut, Longeville-lès-Saint-Avold, Falck, L’Hôpital, Cocheren, Farébersviller,
Behren-lès-Forbach, Ham-sous-Varsberg, Stiring-Wendel. Les villes soulignées
comprennent une SES/SEGPA intégrée à un de leurs collèges. (A noter que les SES de
Stiring-Wendel et Hombourg-Haut ont été fermées).
La SES du collège Albert Camus de Freyming-Merlebach est créée en 1967. Elle n’a
connu jusqu’à aujourd’hui que trois directeurs différentes, M. Klein en 1967, Mme Richter
(de 1968 à 1993) et Mme Walkowiak (de 1993 à maintenant) avec un intermède de M.
Folschweiller d’un an lors du départ en formation de Mme Richter.
9
2. Le public concerné
Les élèves concernés par ce dispositif sont des élèves clairement repérés, tout au
moins dans les textes :
Ce sont des enfants « déficients intellectuels légers » dont le Q.I. est compris entre 65 et
80 et qui ont plus de 12 ans.
Il faut noter que si la définition est claire, la réalité est plus floue. En effet, Angèle
Richter, directrice de la SES de 1968 à 1993, lors d’un entretien accordé en février 2003,
m’a expliqué comment se déroulait la procédure d’orientation avant 1975. Les enfants
étaient signalés au directeur de la SES par les directeurs d’écoles primaires ou les
instituteurs puis ils étaient testés par les enseignants spécialisés qui proposaient alors une
orientation. D’après Mme Richter, il arrivait souvent que les enfants signalés ne présentent
pas forcément de déficience intellectuelle légère mais qu’on signalait « tous ceux qui
dérangeaient dans les classes ». Pour résumer, d’après l’ancienne directrice, la SES
accueillait « les plus mauvais élèves de l’école primaire ». Toutefois, les résultats des tests
pratiqués sur les enfants signalés étaient soumis à l’inspecteur de circonscription (il n’y
avait pas alors de circonscription AIS) ainsi qu’au médecin scolaire qui gardaient l’autorité
finale sur la décision d’orientation.
Dès 1975, les procédures d’orientation changent avec la création des CDES3. Les
CCSD4 sont également créées et ont pour mission plus spécifique d’orienter les jeunes
ayant l’âge d’être scolarisés en collège. D’après Mme Richter, ces commissions sont
mises en place de suite à Freyming-Merlebach et leur travail est immédiatement effectif.
A partir de ce moment, ce sont les psychologues scolaires, et non plus les
enseignants spécialisés, qui font passer les tests d’évaluation psychométrique.
Toutefois, la définition du public accueilli ne change pas. Ce changement aura
toutefois lieu en 1990 après que la France ait adopté la nomenclature du handicap mise
en place dès 1980 par l’Organisation Mondiale de la Santé. La notion de déficience
intellectuelle légère est revue. On lui substitue celle de retard mental léger (Q.I. compris
entre 50 et 70). Les élèves orientés en SES ne sont plus alors considérés comme
handicapés mais « ayant des difficultés scolaires graves et persistantes ». Les élèves
ayant un retard mental léger peuvent être orientés en SES mais ils sont alors dans le
cadre d’une intégration scolaire régie par une convention d’intégration. Au niveau des
catégories socioprofessionnelles, les données statistiques de la Direction de la
10 3 CDES : Commission Départementale de l’Education Spéciale 4 CCSD : Commission de Circonscription du Second Degré
Programmation et du Développement du Ministère de l’Education Nationale5
permettent d’avoir une idée précise des répartitions des professions des parents.
Ainsi, ce tableau laisse clairement apparaître qu’une part très importante (44,6% des
élèves) des effectifs est occupée par des enfants d’ouvriers. Cette part est supérieure de
dix points à celle qu’on trouve dans le second degré « ordinaire »6. On note également
que la deuxième catégorie, en terme de pourcentage, est celle des enfants dont les
parents n’ont pas d’activités professionnelles (chômeurs ayant déjà travaillés par
exemple). Ces deux catégories fournissent à elles seules, les deux tiers des effectifs des
élèves de SEGPA or ce sont clairement des catégories sociales défavorisées. On retrouve
alors l’hypothèse de Bourdieu, en négatif en quelque sorte, sur la représentation des
catégories sociales dans les différents niveaux d’enseignement. Cette constatation d’ordre
général s’applique évidemment au cas de la SES/SEGPA de Freyming-Merlebach
d’autant que cette ville est placée au cœur d’un bassin industriel particulièrement
important : le Bassin Houiller Lorrain.
5 Note d’information 00-44, Les enseignements généraux et professionnels adaptés du second degré en 1999, Ministère de l’Education Nationale, Direction de la Programmation et du développement, novembre 2000.
11 6 ibid. p.6
II. Le contexte socioéconomique du Bassin Houiller Lorrain.
1. le bassin minier de Freyming-Merlebach
L’histoire de l’Est mosellan est évidemment liée à l’Allemagne (Freyming-Merlebach
est situé à quelques centaines de mètres de la frontière allemande). En effet, c’est en
Sarre (Allemagne) que les premiers gisements de charbon sont découverts au XVème
siècle.
a) les débuts de l’exploitation (1871-1918)
Le grand essor de l’exploitation commence en 1871, après l’annexion de la Moselle,
lorsque avec la révolution industrielle, les besoins en charbon augmentent. C’est une
période de modernisation pendant laquelle trois compagnies privées se partagent les
gisements de l’Est mosellan.
b) l’expansion (1918-1945) Après 1918, la Moselle redevient française et les houillères lorraines sont attribuées aux
propriétaires des mines du Nord et la production reprend. Les compagnies appliquent,
parmi les premières en France, l’organisation scientifique du travail inspirée des doctrines
de Taylor. Mais la crise économique des années 30 et le retour de la Sarre à l’Allemagne
se traduisent par des licenciements et des gels au niveau de l’investissement. Pour des
gains de productivité, on mécanise et on concentre les exploitations.
Lors de la deuxième guerre mondiale, les houillères lorraines sont occupées par les
troupes allemandes, la Moselle redevient un Land (nouvelle annexion).
c) La nationalisation (1946-2005)
Dès la fin de la guerre, toutes les houillères françaises sont nationalisées. En
Lorraine, on crée les Houillères du Bassin de Lorraine (HBL). Les deux premières années
sont consacrées à la reconstruction et au dénoyage des puits. Une fois cette période
achevée, on modernise et on concentre les exploitations (certains puits sont arrêtés tandis
que des puits « concentrés » sont créés). La modernisation s’appuie essentiellement sur
la mécanisation et la sélection des gisements (on abandonne les chantiers qui ne sont pas
mécanisables). 12
Ainsi, en 1959, l’effectif des HBL est de 41 000 personnes, la production est
d’environ quinze millions de tonnes prises sur sept sièges (sept exploitations), ce qui a fait
qu’on a appelé à cette époque la Moselle, le « Texas français ».
De plus, vu le nombre d’employés des HBL sur une surface finalement assez restreinte
(un triangle Falck - Forbach - Faulquemont d’environ 50 kilomètres carrés), on peut
considérer que la quasi-totalité des habitants de ce secteur dépendaient directement ou
indirectement des HBL.
Mais dès 1960 commence la récession du marché charbonnier. Les énergies
concurrentes (pétrole, électricité) se développent et les HBL sont ainsi obligées de se
réorganiser (centralisation des services à Freyming-Merlebach, arrêts de plusieurs
exploitations). On assiste donc à une compression des personnels et on encourage les
anciens personnels à créer des entreprises, ce qui sera fait. Mais il faut noter, que très
souvent, ces entreprises ont, en fait, repris des activités effectuées auparavant par les
HBL en interne et ont donc fait de la sous-traitance (électricité, constructions métalliques,
…) pour l’entreprise-mère, ce qui impliquait finalement un maintien de la dépendance de
tout le tissu industriel local par rapport aux Houillères.
Au moment de la première crise pétrolière en 1973, l’Etat relance la production de
charbon et, fait unique, on rouvre un puits (le puits Sainte-Fontaine à Freyming-
Merlebach). Cette embellie se poursuit dans les années 70 et jusqu’en 1984 (plan de
relance Mitterrand en 1981 qui se traduit par une reprise des embauches).
A partir de 1984, on se dirige à plus ou moins long terme vers l’arrêt des activités car
l’exploitation n’est plus assez rentable (la part du charbon dans la demande énergétique
diminue). Cet arrêt se fait à pas comptés du fait d’une forte résistance des mineurs ainsi
que de toute la population locale (dont on a évoqué la dépendance à l’activité minière).
Pour permettre la cessation d’activité, les HBL vont s’engager alors dans toutes les
initiatives de reconversion pour leurs employés (il n’y aura pas de licenciements
économiques) en mettant en place également des conditions de départ à la retraite très
particulières (le C.C.F.C. : Congé Charbonnier de Fin de Carrière)7.
A présent, la fermeture des deux derniers puits en activité n’est plus qu’une question de
mois : L’unité d’exploitation Merlebach (située sur la commune de Freyming-Merlebach)
est prévue pour la fin 2003 tandis que l’unité d’exploitation de la Houve (située sur la
commune de Creutzwald) doit cesser son activité en 2004.
7 cf. annexe : Conférence de M. PAUL : De l'activité à l'inactivité: les mineurs de charbon dans le processus de fermeture des Houillères du Bassin de Lorraine
13
Les effectifs de ces sites sont en constante diminution (ainsi sur Merlebach, 7500
personnes travaillaient sur l’exploitation en 1960 alors que maintenant un millier de
personnes y travaillent).
Ainsi, la situation économique s’est globalement dégradée sur le bassin houiller depuis
la crise pétrolière (à l’image toutefois du reste du pays) mais il est clair que la structure
globale du tissu industriel (une seule entreprise dominant complètement l’économie locale)
a fait que le choc de la récession a été subi plus durement.
Ainsi, en partant de l’histoire récente des HBL depuis la nationalisation, on peut
discerner quatre périodes :
- L’expansion et la croissance (1946-1960) : les HBL s’imposent comme
l’employeur principal du bassin houiller.
- La récession (1960-1973) : les HBL arrêtent d’embaucher mais encouragent
la reconversion des employés en développant la sous-traitance.
- La relance (1973-1984) : après la crise pétrolière, de nouveaux débouchés
apparaissent et on relance l’embauche.
- L’arrêt des activités (1984-2004) : le charbon français n’étant plus rentable,
on abandonne l’exploitation de façon très progressive (arrêt de l’embauche, mise
en place des procédures de reconversion, instauration du pacte charbonnier).
Partant de ce rappel historique, on peut envisager de regarder de façon plus fine, la
population qui a été accueillie en SES/SEGPA à Freyming-Merlebach pendant les deux
dernières périodes.
III. Quelques données sur la population accueillie en SES/SEGPA à Freyming-Merlebach
Lors du début de mon travail, je suis allé à la SEGPA discuter avec Mme Walkowiak (la
directrice) de la faisabilité de mon projet. Elle m’a alors permis d’accéder à un fichier
manuscrit qui a été tenu par sa devancière, Mme Richter et qu’elle a continué, elle aussi, à
renseigner. Il s’agit d’un fichier nominatif pour chaque enfant ayant été scolarisé à la
SES/SEGPA comprenant des renseignements d’état civil ainsi que la profession des
parents et le devenir à la sortie de la SES/SEGPA sur une ou deux années. On dénombre
dans ce fichier 648 élèves (un rapide calcul permet d’estimer que ce fichier est fiable, qu’il
ne comprend probablement pas trop d’oublis : en divisant le nombre d’élèves par le 14
nombre d’années couvertes, on arrive à une moyenne de 20 élèves par an, ce qui est
cohérent avec la taille de l’établissement)
Les plus anciens élèves mentionnés dans le fichier sont des élèves nés en 1958, c’est à
dire qu’ils sont arrivés (pour certains) en SES en 1970.
Cette découverte a été évidemment une source importante pour mon travail.
Ainsi, son intérêt a été de permettre de me livrer à une rapide analyse des catégories
socioprofessionnelles des parents des élèves ayant fréquenté l’établissement.
En ne jetant même qu’un coup d’œil rapide, on se rend vite compte qu’un employeur
revient très régulièrement, les HBL. On remarque également rapidement qu’il y a plus de
garçons que de filles.
Après décompte précis, on arrive à ce résultat :
HBL Non HBL % HBL Filles 107 166 39,2 Garçons 157 218 41,9 Total 264 384 40,7
L’impression première est donc confirmée par le travail sur les fiches qui rendent bien
compte de la présence très forte d’enfants dont les parents sont employés par les HBL.
Ceci n’a rien de surprenant en soi vues les conditions économiques décrites
précédemment. De plus, si on regarde les catégories socioprofessionnelles des parents,
quel que soit leur employeur, on constate alors qu’une très large majorité des élèves est
issue du milieu ouvrier.
En valeur absolue En pourcentage Parents ouvriers ou assimilés 496 76,5 Autres 152 23,5 Total 648 100
En sachant que les perspectives d’avenir, pour la majorité des élèves de SES/SEGPA,
est un métier d’ouvrier, on fait aisément le constat d’une « reproduction » prédite par
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron mais pour les catégories défavorisées.
15
D. Les entretiens avec les anciens élèves
Pour pouvoir mener à bien mon travail, j’ai eu la chance de bénéficier de l’aide
précieuse d’un collègue de la SES/SEGPA qui a effectué toute sa carrière au collège
Albert Camus en tant qu’enseignant spécialisé, M. Jean-Jacques Weissgerber, qui, bien
que jeune retraité, m’a permis de rencontrer des anciens élèves avec lesquels il avait
gardé quelques contacts. En effet, c’est grâce à lui que nous avons eu des entretiens
aussi francs et que nous avons pu aussi facilement évoquer avec eux les carrières de ces
anciens élèves. La qualité des relations que M. Weissgerber a installé lors de nos
entretiens ont grandement facilité mon travail. Nous avons également abordé, toujours
grâce à la qualité de ces relations, des éléments plus personnels qui donnent un éclairage
particulièrement intéressant sur les vécus et les parcours des personnes interrogées.
Les entretiens sont placés ici dans l’ordre dans lequel nous les avons réalisés.
I. résumés des entretiens
1. Pascal Schoenecker Il est né en 1963 et a fréquenté la SES de 1975 à 1979.
a) La scolarité avant la SES
Pascal a été scolarisé à l’école primaire de Cocheren dans les classes ordinaires.
D’après lui, il a eu l’impression de ne pas avoir eu d’aide particulière : « tu suis en classe
ou tant pis… ». Il évoque également l’impression de ne pas avoir été assez pris en compte
par les enseignants de l’école primaire. Il garde donc le souvenir de s’être ennuyé en
classe.
16
b) L’orientation en SES
Il ne ressent pas d’injustice particulière au fait d’avoir été orienté en SES. Il n’avait
pas d’intérêt pour les matières scolaires et donc il lui semblait logique (et il le lui semble
encore maintenant)d’aller en SES. Le seul problème s’est trouvé dans le fait que, venant
de Cocheren, il aurait dû aller au collège dans cette ville et s’est donc retrouvé séparé de
ses camarades de l’école primaire.
c) La scolarité en SES
Pascal garde de bons souvenirs de son passage en SES. Les enseignants ont un
meilleur contact, sont plus attentifs aux difficultés. Il règne également une bonne ambiance
entre les élèves. Mais le point essentiel pour lui reste le passage aux ateliers (métallerie et
menuiserie) :
En effet, à cette période, les ateliers effectuent des chantiers à l’extérieur et Pascal
se souvient de la satisfaction de faire des « vraies réalisations ». Les stages également lui
permettent de découvrir la réalité du monde du travail : « les stages étaient des moments
où on travaillait vraiment ». De plus nombre de ses stages se font dans l’entreprise
SAREC (entreprise de constructions métalliques) dans laquelle il va commencer sa vie
professionnelle.
d) Après la SES
De 1979 à 1982 : Pascal va travailler pour la SAREC : « je suis sorti de l’école un
mercredi et le jeudi, je travaillais ! »
La SAREC avait un noyau dur d’anciens élève de la SES qui avaient bonne
réputation et donc, son embauche s’est faite facilement.
De 1982 à 2002 : Pascal profite de la relance des embauches aux HBL (plan
Mitterrand) et entre aux Houillères comme mineur de fond, poste qu’il occupera vingt ans
à différents grades (de piqueur à chef de taille).
En 2002, il est mis « au jour » dans la « police des houillères » qui est chargée de la
surveillance des sites et des installations industrielles de l’entreprise.
17
e) Le ressenti
Pascal est père de 3 enfants et se rend compte que le changement du contexte
économique ne permet plus de faire un parcours identique au sien : « il faut des diplômes
et de l’expérience maintenant ! ».
Devant ses enfants qui ont fréquenté le collège A. Camus en section ordinaire, il
éprouve une certaine gêne d’avoir été en SES car il a l’impression d’un changement de
public (des problèmes comportementaux qui n’existaient pas lorsque lui était en SES). Ses
enfants également le charrient lorsqu’ils constatent que Pascal fait des fautes
d’orthographe : « mais où as-tu été à l’école ? ». Il regrette ses lacunes en mathématiques
et en français : il aurait aimé apprendre mieux à l’époque parce qu’il en voit aujourd’hui
l’utilité (il est obligé de rédiger des rapports dans le cadre de son travail !)
2. Malika Aït Ouazzou
Elle est née en 1969 et a été scolarisée en SES de 1981 à 1985.
a) La scolarité avant la SES
Malika évoque très peu de points positifs : on découvre seulement à 9 ans qu’elle
n’est pas lectrice. Elle ne bénéficie pas d’une prise en charge individuelle mais est
« intégrée » au CP pour la lecture, ce qu’elle ressent (sur le moment et a posteriori encore
plus) comme une grosse stigmatisation. Elle estime que son échec scolaire à ce moment
est dû à des problèmes personnels (non précisés) qui l’ont empêchée de se concentrer
sur les apprentissages scolaires. Mais elle pense également que si elle avait été suivie
individuellement (par un psychologue par exemple), elle aurait pu s’en sortir.
b) L’orientation en SES
Malika estime que ce sont ses grosses difficultés en lecture/écriture qui ont conduit à
son orientation. Mais elle pense que ses grands-parents (qui l’ont élevée) n’étaient pas
assez au courant des possibilités de l’orientation. D’après elle, le changement de lieu
(passer de l’école au collège) alors qu’elle était en train d’aborder simplement ses
difficultés en lecture a été très perturbant.
18
c) La scolarité en SES
Malika (très sportive) indique comme points positifs le fait d’« être au collège », c’est
à dire de pouvoir bénéficier de l’UNSS, de suivre un cycle de natation avec la SES. Elle
note aussi qu’on prend mieux en compte ses difficultés et qu’elle bénéficie d’un suivi plus
personnel de la part des enseignants. Les ateliers lui laissent également un bon souvenir
car il y a là possibilité d’un autre type de travail.
Mais elle note quand même qu’elle avait la sensation de ne pas « coller » avec les
autres élèves de la SES qui lui semblaient avoir des troubles autres que relevant
simplement de la grande difficulté scolaire. A posteriori, elle construit une image assez
négative de la SES à cause des autres élèves (« école de fous ») et aussi parce qu’elle a
eu la sensation de ne pas avoir eu les mêmes apprentissages que ses amis qui n’étaient
pas en SES.
Il faut toutefois noter que, vu son intérêt pour le sport, Mme Richter (la directrice)
avait mis en place une intégration de Malika en EPS avec les classes ordinaires du
collège (parce que l’EPS faite par les enseignants de SES n’était pas d’assez haut niveau)
d) Après la SES
De 1985 à 1989 : Malika fait un CAP ETC (employée technique de collectivités) au
Lycée Pierre et Marie Curie à Freyming-Merlebach (à cause de problèmes de santé en 4
ans). Pendant ce temps, elle travaille dans des clubs sportifs en tant qu’animatrice en
danse ou en EPS.
De 1989 à 1994 : Elle est embauchée avec un contrat de TUC (Travail d’Utilité
Collective) au Lycée avec comme projet de se financer une formation en EPS.
De 1994 à 1998 : Elle travaille en tant que vacataire au LP et en parallèle, se forme
(par le biais du GRETA et du CNED) et travaille dans plusieurs clubs et associations
sportives.
De 1998 à 2003 : Elle est embauchée par la commune de Freyming-Merlebach en
tant qu’animatrice sportive et continue à se former en EPS (elle prépare le brevet d’état en
ce moment avec l’ambition de devenir instructrice sportive (formatrice pour les animateurs
sportifs)).
Il faut noter que c’est après avoir éclairci certains problèmes d’ordre psychologique
avec l’aide d’une amie qu’elle estime avoir eu l’esprit libre pour investir les apprentissages.
19
Si cette prise en charge avait eu lieu plus tôt, Malika pense qu’elle n’aurait peut-être
pas eu de problèmes d’apprentissage.
e) Le ressenti
Malika n’a pas de regrets mais le sentiment d’avoir fait un parcours plus long. Elle
ressent comme un changement trop rapide le passage du primaire au collège : elle n’a
pas eu le temps d’installer et de solidifier ses apprentissages fondamentaux.
Dès le collège, elle a un projet fort, financer ses formations en EPS et donc, pour des
raisons financières, elle fait le choix d’un travail purement « alimentaire ». Il faut toutefois
prendre en compte que pour elle, se loger n’est pas un problème puisqu’elle bénéficie d’un
logement HBL (par ses grands-parents).
3. Jean-Luc Festor
Il est né en 1960 et a été scolarisé en SES de 1973 à 1976.
a) La scolarité avant la SES
Jean-Luc a suivi un cursus primaire classique mais il a redoublé deux fois. Il n’a pas
le souvenir d’avoir bénéficié d’une prise en charge particulière. Pour lui, son père étant
décédé et sa mère « trop gentille », c’est le manque de pression parentale qui explique
son échec au primaire.
b) L’orientation en SES
Jean-Luc estime qu’il n’était « pas assez intelligent » pour suivre au collège mais il
pointe aussi son manque de motivation pour le travail scolaire.
c) La scolarité en SES
Il a le souvenir d’une amélioration de ses résultats scolaires : « c’était mieux et un
peu plus facile ». Il remarque surtout les meilleurs contacts avec les enseignants. Les
ateliers également lui laissent de bons souvenirs même s’il estime que ça ne lui pas été
20
utile pour sa vie professionnelle. C’est principalement le fait de pratiquer des activités
manuelles dans les ateliers qui lui ont plu.
d) Après la SES
En juin 1976, dès sa sortie, il va chercher du travail en démarchant avec sa tante
différentes entreprises du secteur. Il est embauché pour le 1er septembre 1976 chez
Meubles Detemple (magasin de meubles) en tant que chauffeur livreur (d’abord livreur en
accompagnement d’un autre employé puis après avoir passé le permis en tant que
chauffeur). Il y reste jusqu’en 1990 puis quitte l’entreprise pour des raisons de santé.
De 1990 à 1992 : II passe deux ans au chômage pour de graves problèmes de
santé.
De 1993 à 1995 : Il retrouve un travail de chauffeur chez Pacciello Transports.
En 1995, Jean-Luc est à nouveau au chômage pendant un an puis de 1996 à 2000 il
travaille dans différentes usines en Allemagne par le biais de l’intérim.
Depuis 2000, il retrouve une place de chauffeur-livreur à Folschviller Transports.
e) le ressenti
Pour Jean-Luc, sa scolarité ne lui inspire aucun regret, à partir du moment où il avait
décidé d’aller chercher du travail, il y est allé sans se soucier du fait qu’il n’avait pas de
diplôme. Il est bien sûr conscient qu’il serait très difficile pour quelqu’un de refaire le même
parcours dans les conditions actuelles.
4. Laura Karas
Elle est née en 1958 et a fréquenté la SES de 1971 à1973.
a) La scolarité avant la SES
Laura suit une scolarité classique à l’école primaire. Elle n’a pas de souvenirs
particuliers, positifs comme négatifs.
21
b) L’orientation en SES
Elle estime qu’elle ne travaillait pas assez à l’école et qu’elle n’avait pas de bons
résultats. Elle n’en conçoit pas de regrets. En effet, à l’époque ses parents lui disaient :
« si tu apprends à l’école c’est bien, sinon, tu iras travailler tout de suite ». Elle reconnaît
toutefois que ses parents ne suivaient pas trop sa scolarité et surtout n’arrivaient pas à lui
expliquer les parties qu’elle ne comprenait pas en classe.
c) La scolarité en SES
Laura a le souvenir d’apprentissages plus concrets, basés sur des « choses
pratiques ». Elle se rappelle aussi que les contacts avec les enseignants étaient bons.
Mais, elle a quitté la SES à la fin de la cinquième pour aller en CET (Collège
d’Enseignement Technique) donc elle n’a pas été aux ateliers.
d) Après la SES
De 1973 à 1975, Laura est scolarisée au CET et dès 1974 elle commence un
apprentissage en vente dans un SUMA (petite supérette d’alimentation). Elle ne finit pas
sa formation (« avec ou sans le CAP, on avait le même salaire ! ») mais est embauchée et
travaille jusqu’en 1980 comme vendeuse.
En 1980, elle a la possibilité d’être engagée en tant que secrétaire de mairie à
Freyming-Merlebach mais n’ayant pas de compétences en dactylo, elle n’est pas retenue.
De 1980 à 1982, elle s’arrête afin d’élever ses enfants.
Puis de 1982 à fin 1983, elle reprend son poste au SUMA et fin 1983, elle va
travailler à l’hypermarché Leclerc comme hôtesse de caisse.
e) Le ressenti
Laura est consciente que les professeurs de la SES comme du CET adaptaient leurs
programmes au niveau des élèves mais elle ne parle pas d’enseignement au rabais pour
autant. Elle se rend compte également dans son travail qu’il serait quasiment impossible
de refaire le même type de parcours qu’elle. En effet, les caissières sont embauchées au
minimum avec un bac : « aujourd’hui, il vaut mieux avoir quelque chose en mains ».
22
5. Dominique Spannagel
Il est né en 1976 et a fréquenté la SEGPA de 1988 à 1992.
a) La scolarité avant la SEGPA
Dominique est scolarisé en classe d’adaptation à l’école Marcel Pagnol de Freyming-
Merlebach. Il se rappelle d’avoir eu de bons contacts avec son enseignant.
b) L’orientation en SEGPA
Dominique ne sait pas précisément pourquoi il a été orienté en SEGPA, il suppose
que c’est parce qu’il n’était « pas assez intelligent ».
c) La scolarité en SEGPA
« C’est trop vite passé ! ». Par cette exclamation, Dominique résume son sentiment
sur les quatre années passées en SEGPA. Il a été bien épaulé par les équipes
d’enseignants. Les ateliers retiennent évidemment son attention : ils lui ont permis
d’acquérir des compétences demandées en entreprise et l’ont familiarisé avec le matériel.
Bref, il ne garde que de bons souvenirs de son passage en SEGPA.
d) Après la SEGPA
A sa sortie en 1992, Dominique rejoint une Formation Intégrée à Saint-Avold dans le
but de passer un CAP de maçonnerie. Il n’avait pas l’intention de « rester à la maison à ne
rien faire ».
Donc de 1992 à 1995, il suit la formation intégrée avec une alternance
cours/entreprise et un contrat d’apprentissage dans une entreprise.
En 1995, il est reçu à l’épreuve pratique du CAP mais échoue dans la partie
théorique.
De décembre 1995 à septembre 1996, il effectue son service militaire à Toul puis se
retrouve 4 mois au chômage.
23
En 1997, Dominique travaille chez Dodo (entreprise de literie) en intérim (c’est
un travail trouvé par une démarche personnelle). Puis, il décide de s’engager dans l’armée
mais démissionne au bout de 6 mois.
A son retour de l’armée, il est embauché en CDD pendant un an et demi à Saarlouis
(Allemagne) dans une entreprise de chocolaterie pour un travail de cariste.
En 1999, il se retrouve au chômage pendant un mois puis travaille en intérim dans
plusieurs entreprises. C’est lors d’un stage d’accès à l’emploi qu’il trouve un travail à
Sarreguemines dans l’entreprise qui fabrique les moteurs de la SMART.
Depuis 2000, Dominique est donc embauché en CDI et gravit tranquillement les
échelons dans son entreprise (opérateur monteur puis opérateur polyvalent).
e) Le ressenti
Dominique a l’impression d’être enfin arrivé à une stabilité professionnelle. Il est
satisfait de son travail et veut progresser dans son entreprise. Il n’a pas de regrets quant à
son passage en SEGPA et pense qu’au contraire, cela lui a servi, notamment grâce aux
ateliers.
6. Gulan Tac
Elle est née en 1974 et a été scolarisée en SEGPA de 1986 à 1990 (1986-1988 :
Farébersviller, 1988-1990 : Freyming-Merlebach)
a) La scolarité avant la SEGPA
Arrivée en France à l’âge de 10 ans en ne sachant pas parler français, pas lire et pas
écrire. Elle effectue 2 ans d’école primaire puis est orientée en SEGPA.
b) L’orientation en SEGPA
C’est pour elle, le problème de la langue qui fait qu’elle a été orientée en SEGPA.
Elle pense que c’était une solution logique puisqu’elle n’aurait pas pu suivre dans une
classe de collège normale. De plus, on ne lui avait pas proposé d’autre solution
d’orientation.
24
c) La scolarité en SEGPA
Gulan se souvient de l’attention particulière des enseignants à son égard. Elle a
beaucoup été aidée et a progressé de façon étonnante en lecture. Elle a l’impression que
les élèves de SEGPA étaient plus « impulsifs » que les élèves du collège mais cela ne l’a
jamais gêné. Au contraire, c’est le regard des élèves « ordinaires » qui lui a renvoyé une
image dépréciée de la SEGPA et ceci principalement à Freyming-Merlebach car la
SEGPA n’est pas dans le même bâtiment que le collège au contraire de Farébersviller.
d) Après la SEGPA
En 1990, Gulan entre en 1ère année de CAP IMH (Industrie de la Maille et de
l’Habillement) au Lycée Pierre et Marie Curie. Mais elle n’a aucun intérêt pour cette
formation et décide de suivre un apprentissage en vente chez un fleuriste (au grand
désarroi de son père qui aurait voulu qu’elle continue ses études). Mais elle nous dit
qu’elle était lucide sur les débouchés et que le « CAP IMH n’aurait pas servi à grand
chose pour trouver du travail ». Elle obtient ainsi son CAP et son BEP en vente mais n’est
pas embauchée par son maître d’apprentissage.
Elle passe alors 6 mois au chômage puis trouve du travail comme caissière dans un
NORMA (supermarché discount) à L’Hôpital.
Après une formation interne, elle devient chef de caisse puis propose sa démission
pour prendre un poste de responsable de magasin LIDL mais cette demande est refusée.
Suite à ça, Gulan est mutée à Farébersviller dans un autre magasin NORMA mais avec
une promotion : elle devient responsable adjoint. Elle attend actuellement qu’un poste de
responsable se libère pour pouvoir l’occuper.
e) Le ressenti Elle ne regrette pas d’avoir été scolarisée en SEGPA mais pense que si elle n’avait pas eu
ce problème de langue, elle aurait pu peut-être faire autre chose dans sa vie (sa petite
sœur est en terminale S). En tant que responsable adjointe de magasin, elle reçoit de
temps à autre des stagiaires de la SEGPA. Elle constate qu’ils ont une image très
dépréciée de leur école, ce qui n’était pas son cas. De par son vécu, elle essaie de faire
25
en sorte que leurs stages soient intéressants mais elle constate que souvent, ces
stages n’apportent pas grand chose aux élèves. De même, elle a l’impression qu’il y a une
grosse différence entre les élèves de SEGPA et les élèves de 3ème d’insertion. Ces
derniers lui semblent plus mûrs alors que les 3ème SEGPA manquent de motivation et de
maturité. Toutefois, elle nuance son propos en reconnaissant que pour certains
adolescents, les stages sont des déclencheurs.
7. Jordan Pfeiffer
Il est né en 1980 et a fréquenté la SEGPA de 1994 à 1996.
a) La scolarité avant la SEGPA
Jordan suit une scolarité normale jusqu’en 5ème de collège. Mais il a du mal à suivre
et il reproche aux enseignants de ne pas l’avoir plus aidé. Il cite notamment un professeur
de mathématiques : « si tu ne suis pas, c’est de ta faute ! ». Mais il donne relativement
peu d’informations sur sa scolarité.
b) L’orientation en SEGPA
Il estime que c’est parce qu’il n’était « pas doué pour l’école » qu’il a été orienté en
SEGPA. Cette décision a été acceptée parce qu’elle semblait logique.
c) La scolarité en SEGPA
Il remarque que les profs sont plus « sympathiques », plus attentionnés que les
professeurs du collège d’origine. Mais il a quand même l’impression d’être dans une école
« bizarre » : il n’a jamais osé dire à ses amis et à certains membres de sa famille qu’il
suivait des cours de cuisine et de couture. Ce sont des cours qui ne l’ont pas intéressé. Il
se souvient de certains camarades qui l’ont « emmerdé ». De façon globale, il revient
assez peu sur son vécu en SEGPA qui semble être occulté.
26
d) Après la SEGPA
Jordan, après être sorti de SEGPA, va « user », pour reprendre ses propres termes,
les différents dispositifs d’insertion de jeunes sans diplômes.
De septembre 1996 à juin 1997, il est suivi par le DAIP (Dispositif d’Aide à l’Insertion
Professionnelle) avec lequel il fait plusieurs stages en entreprise qui ne débouchent sur
rien. Mais il précise à ce moment son projet professionnel : il souhaiterait devenir toiletteur
pour chiens.
De septembre 1997 à juin 1998, c’est la Mission Locale qui lui propose une formation
rémunérée d’accès à l’emploi pendant laquelle il va continuer à faire des stages dans un
salon de toilettage pour chiens. Mais au bout de cette formation, il ne décroche toujours
pas d’embauche donc il décide de revoir son projet professionnel. Il se réoriente alors vers
le nettoyage industriel et en septembre 1998, toujours par le biais de la Mission Locale,
reprend une formation d’accès à l’emploi pendant laquelle ses stages se centrent sur le
nettoyage industriel.
Mais, à nouveau, il ne trouve pas de travail à l’issue de la formation et en septembre
1999, il se retrouve sans solution. Il décide alors, de sa propre initiative d’envoyer des CV
dans différentes entreprises sans que cela n’aboutisse.
Il trouve à ce moment, grâce à la Mission Locale, un stage dans une entreprise qui
l’amène à nouveau à changer son projet : il décide de se former à la soudure.
Il veut donc accéder à une formation AFPA (Association pour la Formation
Professionnelle des Adultes) en soudure mais échoue aux tests d’entrée (QCM). La
Mission Locale lui propose de se remettre à niveau par le biais du GRETA.
En septembre 2000, il se représente aux tests AFPA mais c’est un nouvel échec.
C’est donc un retour à la Mission Locale qui lui propose à ce moment là, une formation
pour obtenir des qualifications en soudure avec une entreprise privée, EFIC. De mars à
juillet 2001, Jordan prépare et obtient une préqualification puis à partir de septembre 2001,
il prépare la qualification qu’il réussit à son deuxième passage en mars 2003. Au moment
de notre entretien (fin avril 2003), Jordan était en attente d’une réponse à une demande
d’embauche en tant que soudeur dans une entreprise de Betting-lès-Saint-Avold.
27
e) Le ressenti
Jordan s’est assez peu livré mais il a globalement un regard assez négatif sur lui
(« je suis nul », « je sais rien faire en réalité »). Sa réussite récente dans ses examens de
soudure semblait lui ouvrir les portes du monde du travail et le remettre dans une
dynamique plus positive. Nous avons également compris, à demi-mots, qu’il avait été le
souffre-douleur, aussi bien en classe que lors de ses stages d’insertion, de ses
camarades. Il avait assez peu d’amis en SEGPA et donc se sentait en décalage avec eux
ses camarades de classe. Le fait qu’il n’ait jamais révélé le contenu de certains ateliers est
également révélateur du sentiment très mitigé à l’égard de la SEGPA.
8. Jérôme Caille-L’Etienne Il est né en 1980 et a été scolarisé en SEGPA de 1992 à 1996.
a) La scolarité avant la SEGPA
Jérôme a fréquenté l’école primaire de la Chapelle à Freyming-Merlebach. Il a été
suivi par le maître d’adaptation au CP pour de gros problèmes de bégaiement mais ce
suivi n’a pas été poursuivi malgré les problèmes de lecture qui ont perturbé sa scolarité
primaire.
b) L’orientation en SEGPA
L’école n’était « pas son truc » et comme les frères et sœurs étaient allés en SEGPA,
il lui semblait logique de suivre cette orientation.
c) La scolarité en SEGPA
Jérôme pense que ce sont les quatre meilleures années de sa scolarité (ce qui n’est
apparemment pas le sentiment de Mme Walkowiak (la directrice) puisqu’il a été
« encouragé » à ne pas prolonger sa scolarité). Un des points principaux est que le
dialogue avec les enseignants était beaucoup plus facile et ce sur des sujets différents de
ce qui était fait en cours. 28
Les ateliers occupent aussi une bonne place dans la mémoire de Jérôme. En
effet, ils permettaient de « travailler autrement qu’assis sur une chaise ». Avec les stages,
ce sont les deux particularités qu’il a principalement retenues parce qu’elles lui ont permis
de trouver des points de réussite à l’école.
d) Après la SEGPA
Son projet, après la 3ème SEGPA, était de devenir couvreur. Son père a son
entreprise mais il ne peut pas prendre d’apprentis. Il part donc faire un apprentissage dans
l’entreprise Arendt. Mais il est déçu car aucun travail sérieux ne lui est proposé (malgré
ses connaissances puisqu’il a travaillé avec son père dès qu’il en avait l’occasion). On ne
confie aucune responsabilité aux apprentis et on ne leur « apprend rien ». Malgré son
envie de laisser tomber, il va jusqu’au bout de son contrat (« forcé » par son père) mais
échoue au CAP en pratique en 1998 car on lui demande une technique qu’il n’a jamais
apprise.
Depuis, il travaille avec son père dans l’entreprise familiale en tant que couvreur
puisque comme il le dit « je ne sais rien faire d’autre ».
e) Le ressenti
Pour Jérôme, la SEGPA fait partie d’un parcours « normal » puisque ses frères et
sœurs y sont passés. Il n’y a donc aucune honte à y être allé. Il y a été à son aise (peut-
être même un peu trop !) et pour lui, comme je l’ai déjà indiqué, ce sont ses quatre
meilleures années. De plus, dans son entreprise, il accueille des stagiaires de la SEGPA
avec lesquels il n’y a jamais eu de problème. Son regard sur eux est le plus souvent
positif : il trouve que ce sont souvent des garçons travailleurs et méticuleux.
II. Les idées fortes.
1. la situation économique
Un constat s’impose d’emblée, on remarque aisément que les plus anciens élèves
(Pascal, Laura et dans une moindre mesure Jean-Luc) ont des parcours relativement
limpides : peu de changement d’emplois ou des changements le plus souvent voulus. En 29
effet, au moment où ils se sont retrouvés sur le marché du travail, la situation
commençait seulement à se dégrader au niveau national mais surtout, en Moselle, les
HBL étaient relancés du fait de la crise pétrolière. Pour ce qui est de Jean-Luc, il faut noter
que le magasin dans lequel il a été employé (Detemple) a pendant longtemps été le seul
magasin de meubles du secteur de Freyming-Merlebach et que son développement a été
facilité parce que les employés des HBL étaient logés par le biais de l’entreprise dans des
cités minières et que le souci pour eux n’était pas de se loger mais d’équiper leur
logement.
Pour les plus jeunes, on remarque que les parcours sont plus touffus (Dominique et
Jordan), avec de nombreux recours à l’intérim et aux stages d’accès à l’emploi. Pour
étayer ce propos, je suis allé me renseigner sur une entreprise, qui entre 1970 et 1982, a
recruté beaucoup d’anciens élèves de la SES/SEGPA, la SAREC. M. Wilmouth, son
directeur du personnel, m’a ainsi expliqué que cette entreprise, née en 1969 après la
première récession des HBL, dépendait alors à 95 % des commandes HBL. Cela
permettait l’emploi pour des tâches répétitives d’ouvriers peu qualifiés mais travailleurs.
Or, aujourd’hui, les commandes HBL ne représentent plus que 15 % du chiffre d’affaire de
l’entreprise. Celle-ci a dû se diversifier et se mettre aux normes de qualité ISO, ce qui ne
permet plus de faire travailler des employés ayant des difficultés à formaliser et à
conceptualiser.
On constate donc, sur cet exemple qui peut sans doute s’appliquer à d’autres
entreprises du secteur, que les débouchés se sont restreints pour les anciens élèves de
SES/SEGPA. C’est ce que semblent indiquer les parcours de Dominique et Jordan. Gulan
a un parcours légèrement semblable à celui de Laura à la différence qu’elle a passé les
diplômes qui lui ont été indispensables pour trouver un emploi. Mais il semble quand
même que son orientation aurait pu être différente car visiblement, elle n’était pas en
difficulté scolaire mais avait un problème dans l’apprentissage de la langue.
Le cas de Malika est sans doute le plus atypique : elle était en grande difficulté
scolaire (gros retard dans l’apprentissage de la lecture) mais ce retard avait une cause
psychologique et cette inhibition a été levée après une thérapie. Du coup, Malika a pu
passer les épreuves écrites pour les différents brevets d’état et rédiger des mémoires
dans le cadre de sa formation. Là, on peut penser qu’un suivi psychologique plus précoce
aurait sans doute permis de ne pas l’orienter en SEGPA, ce dont elle est sincèrement
convaincue. Dans son cas, Jean-Jacques Weissgerber a repris contact avec un collègue
qui avait eu Malika en classe et voici ce qu’il en dit : « mon idée est très simple : la 30
structure crée le besoin. A partir du moment où la structure existe il faut donc remplir
une SES de 96 élèves (précision : à l'époque cela correspondait à 6 classes de 16). On a
fait le forcing pour arriver au taux de remplissage optimum et Malika, qui, visiblement, ne
relevait pas de SES aurait pu - peut-être - être prise en charge différemment dans une
structure ordinaire même si, dans cet exemple, la structure a bien joué son rôle. Mais, dire
que je sors de SES reste encore aujourd'hui difficile. »
Jérôme a lui pu trouver du travail immédiatement dans l’entreprise familiale mais et il
en est conscient, son parcours aurait pu être beaucoup plus tortueux sans cette
opportunité.
Certes, l’échantillon d’anciens élèves est loin d’être totalement représentatif de ce
qu’a pu être une SES/SEGPA pendant plus de trente ans mais il semble quand même que
l’on voit bien la différence entre les deux générations :
- Une génération d’anciens qui ont encore connu la période de plein emploi
générée en grande partie dans le Bassin Houiller par la présence des HBL.
- Une génération de plus jeunes qui se sont retrouvés dans un environnement
nettement moins favorable.
Il est aussi surprenant de constater la désinvolture avec laquelle les anciens sont
sortis de la SES sans être aucunement suivis et ont trouvé un emploi aisément (Pascal
embauché du jour au lendemain, Jean-Luc au bout de quelques visites avec sa tante
directement chez les employeurs, Laura à l’issue d’un apprentissage).
Les jeunes « sortants », eux ont été beaucoup plus accompagnés par les différents
dispositifs mis en œuvre par l’Education Nationale et d’autres partenaires : DAIP, Missions
Locales, Formation intégrée…
2. les enseignants spécialisés Le deuxième constat qui revient chez toutes les personnes interrogées est la qualité
du contact avec les enseignants de la SES/SEGPA. On peut raisonnablement penser vue
l’unanimité sur ce sujet qu’il y a deux hypothèses pour cette réponse :
- Ont-ils été influencés par le fait d’avoir en face d’eux lors des entretiens
deux enseignants spécialisés ?
- Est-ce simplement la réalité ?
31
Je pense qu’on peut répondre « non » sans trop hésiter à la première question.
En effet, ces réponses sont venues de façon spontanée à la question « quelle était pour
vous la différence principale entre la SES/SEGPA et l’enseignement ordinaire (école ou
collège) ? ».On peut supposer, vue la franchise de leurs réponses à d’autres questions
qu’ils ont donc simplement dit la vérité sur ce qu’ils avaient ressenti, que ce soit sur le
moment ou avec plusieurs années de recul.
L’autre caractéristique dominante de leur passé est leur intérêt pour les ateliers. En
effet, il semble que le fait de pouvoir travailler autrement, manuellement, et que cela soit
mis en valeur par l’institution est un facteur de remotivation pour ces élèves « pas doués
pour l’école » ou qui n’étaient « pas faits pour l’école ».
C’est la conjonction de ces deux caractéristiques qui semblent être à la base de la
SEGPA : l’écoute et un travail différent. Les enseignants spécialisés qui ont eu ces
adolescents en charge ont toujours essayé de les mettre au centre de leur « système »8
3. La SES/SEGPA, une école au rabais ?
Tous ces anciens élèves sont bien conscients que ce qui leur a été proposé lors de
leur passage en SES/SEGPA était plus « facile », disons plus adapté à leur niveau. Mais
aucun ne remet en cause ce choix et au contraire, le fait de repartir dans les
apprentissages en réinstallant la confiance en soi a été pour certains un nouveau départ.
Seule Malika dénote un peu mais le fait que, dans son cas, la souplesse de la structure lui
ait permis de se réaliser en EPS avec les autre élèves du collège donne quand même un
point positif à la SES/SEGPA. La structure n’est donc pas évidemment une école au
rabais mais au contraire, une possibilité pour certains adolescents, fâchés avec les
apprentissages, de reprendre pied et de trouver une possibilité de raccrocher le wagon
scolaire.
8 Cf. annexe : article de J.M. Louis, R.L. du 18/05/03
32
E. Conclusion
L’histoire industrielle récente du bassin houiller le laissait présager. Les entretiens
l’ont confirmé, les enfants qui sont passés en SES/SEGPA ont bien eu droit à des
possibilités totalement différentes selon les moments auxquels ils sont sortis du système
scolaire.
Le tissu industriel ancien, qui permettait d’absorber facilement des personnes sans
qualification par le biais d’entreprises à forte demande en main d’œuvre est
progressivement en train de s’éteindre. L’augmentation du niveau de qualification est un
fait tangible et la SEGPA est une réponse à cette hausse avec la création des CAP
rénovés.
De plus, plusieurs fois, ces « anciens » élèves nous ont dit que « ça leur avait fait du
bien » de pouvoir raconter leurs parcours et que ce retour sur le passé leur avait permis
de mieux se rendre compte de leurs réussites.
Mais l’élément essentiel que je retiens, dans le cadre formateur de ce travail, est le
fait que c’est l’attention accordée aux adolescents, le fait de s’intéresser à eux en tant que
personnes et pas uniquement en tant qu’élèves qui doit être le fil directeur de mon action
future en tant qu’enseignant spécialisé. En effet, s’il est un endroit du système scolaire où
on doit pouvoir utiliser la « pédagogie du détour », c’est en SEGPA
33
A. INTRODUCTION 1
B. LES THEORIES EN SOCIOLOGIE DE L’EDUCATION SUR LA MOBILITE SOCIALE 3
I. Bourdieu et Passeron. 3 1. Une approche en terme de reproduction sociale 3 2. des inégalités liées au fonctionnement de l’école 4 3. La lutte contre l'inégalité des chances 5
II. Raymond Boudon. 6 1. Des inégalités scolaires liées au libre choix des familles 6 2. La lutte contre l'inégalité des chances 7
C. LA SES/SEGPA DE FREYMING-MERLEBACH ET LE BASSIN HOUILLER LORRAIN 9
I. Rappel historique général 9 1. création des SES 9 2. Le public concerné 10
II. Le contexte socioéconomique du Bassin Houiller Lorrain. 12 1. le bassin minier de Freyming-Merlebach 12
III. Quelques données sur la population accueillie en SES/SEGPA à Freyming-Merlebach 14
D. LES ENTRETIENS AVEC LES ANCIENS ELEVES 16
I. résumés des entretiens 16 1. Pascal Schoenecker 16 2. Malika Aït Ouazzou 18 3. Jean-Luc Festor 20 4. Laura Karas 21 5. Dominique Spannagel 23 6. Gulan Tac 24 7. Jordan Pfeiffer 26 8. Jérôme Caille-L’Etienne 28
II. Les idées fortes. 29 1. la situation économique 29 2. les enseignants spécialisés 31 3. La SES/SEGPA, une école au rabais ? 32
E. CONCLUSION 33
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Bibliographie :
- Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Les Editions de
Minuit, 1964.
- Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction, Les Editions de
Minuit, 1971.
- Raymond Boudon, L’inégalité des chances, Editions Armand Colin, 1979.
- Robert Schmitz, Le siège de Merlebach, Editions Serpenoise, 2001.
- Elisabeth Fechner, Paroles de mineurs, Editions Calmann-Lévy, 2001.
- Direction de la Programmation et du Développement, Note d’information
00.13 : Les classes d’intégration scolaire et les sections d’enseignement
général et professionnel adapté en1998-1999, Ministère de l’Education
Nationale, mai 2000.
- Direction de la Programmation et du Développement, Note d’information
00.44 : Les enseignements généraux et professionnels adaptés du second
degré en1999, Ministère de l’Education Nationale, novembre 2000.
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Annexes :
I. « Mettre l’enfant au centre du système », Jean-Marc Louis, Le Républicain
Lorrain du 18/05/03.
II. « Malgré sa reconversion industrielle la Lorraine n’a pas retrouvé la
« culture d’ordre » des Houillères », Béatrice Jérome, Le Monde du
29/05/02
III. « De l'activité à l'inactivité: les mineurs de charbon dans le processus de
fermeture des Houillères du Bassin de Lorraine », extrait de la conférence
de Sébastien Paul, doctorant en sociologie à l’Université de Metz, 17/04/02
IV. 2 extraits du Républicain Lorrain du 27/02/03, Claude Di Giacomo
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Annexe 3
Congrès national des sociétés historiques et scientifiques 127ème congrès, Nancy , 2002
Le travail et les hommes
Thème 6: Le travail comme catégorie culturelle Travail et emploi
mercredi 17 avril 2002 - 09:00
Présidence de la séance : M. Patrice MARCILLOUX, directeur des Archives départementales du Pas-de-Calais, membre du CTHS, section Histoire contemporaine et du temps présent
M. Bernard FRIOT, professeur de sociologie à l’Université Paris X – Nanterre
De l’activité à l’inactivité: les mineurs de charbon dans le processus de fermeture des Houillères du Bassin de Lorraine
M. Sébastien PAUL, doctorant en sociologie à l’Université de Metz Épilogue de plus d’une décennie de crise du charbon français, le « pacte charbonnier national », signé en 1994, règle de façon
précise la fin de l’exploitation charbonnière à l’horizon 2005. Situation tout à fait particulière puisqu’elle engage de manière
irréversible la disparition progressive du travail dans les mines de charbon. Ce pacte propose en effet aux mineurs un congé
charbonnier de fin de carrière (CCFC) qui leur permet, s’ils le désirent, de bénéficier d’une dispense d’activité dès 45 ans. La
rencontre avec des mineurs encore en activité ou en congé charbonnier, ainsi qu’avec des représentants syndicaux du Bassin
houiller lorrain permet de préciser les nouvelles manières d’ « être au travail » dans ce contexte et notamment les manières dont
ces mineurs préparent à la fois leur cessation d’activité et la disparition définitive de leur métier.
La reconnaissance de la non-rentabilité du charbon français ouvre sur un processus de gestion raisonnée de la fermeture des
houillères de bassin qui redéfinit particulièrement le passage entre situation de travail et situation de non-travail. Ce passage,
généralement marqué par le départ en retraite, est modifié par le CCFC qui fait partie intégrante de la vie professionnelle des
mineurs. Ceux-ci gardent en effet un statut de salarié- en dispense d’activité- jusqu’au moment de leur pré-retraite. Le congé
charbonnier modifie donc à la fois les situations de travail qui réduisent l’efficience productive au respect strict des consignes de
sécurité et les situations de non-travail qui- bien qu’identiques en certains points à des situations de retraite- font partie intégrante
de la vie active des mineurs de charbon.
Être salarié aux Houillères du Bassin de Lorraine prend dans ce contexte un double sens puisque cela regroupe à la fois les
mineurs en activité et- situation tout à fait originale- les mineurs en cessation d’ activité.
Ce processus de fermeture donne alors au travail, éloigné de tout objectif de production, une connotation doublement négative:
négation de son caractère utilitaire pour les mineurs encore en activité qui découle sur une négation de fait, une disparition du
travail pour les mineurs en congé charbonnier.