De Galula à Petraeus - L'héritage français dans la pensée américaine de la contre-insurrection

download De Galula à Petraeus - L'héritage français dans la pensée américaine de la contre-insurrection

of 70

Transcript of De Galula à Petraeus - L'héritage français dans la pensée américaine de la contre-insurrection

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    1/70

    1

    1

    DE GALULA A PETRAEUSLHERITAGE FRANAIS DANS LA PENSEE

    AMERICAINE DE LA CONTRE-INSURRECTION

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    2/70

    CDEF / DREX / B.RCH - BP 53 - 00445 ARMESPNIA : 821 753 52 08 - Tl. : 01 44 42 52 08- Fax : 01 44 42 44 29 - www.cdef.terre.defense.gouv.fr

    courriel :[email protected]

    DE GALULA A PETRAEUSLHERITAGE FRANAIS DANS LA DOCTRINE AMERICAINE DE CONTRE-

    INSURRECTION

    Couverture : portrait stylis de David Galula (en haut gauche) et Roger Trinquier (en bas droite).Tir de : http://stalner-galerie.blogspot.com

    Cette tude a t ralise sous la direction du bureau recherche par le LTN (R) BertrandVALEYRE et Alexandre GUERIN, charg dtudes au CDEF.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    3/70

    Sommaire

    3

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION ................................................................................................. 5

    PREMIERE PARTIE DES PENSEES FRANAISES DE LA CONTRE-REBELLION ..... 8

    CHAPITRE IROGERTRINQUIER ET DAVID GALULA, DEUX PRATICIENS DE LA CONTRE-INSURRECTION .. 9

    1.1 La Guerre Moderne selon Roger Trinquier .................................................................................... 9

    1.2 Contre-insurrection, thorie et pratique , par David Galula .......................................................... 12

    CHAPITRE IIDE TRINQUIER A GALULA, ENTRE APPORTS RECIPROQUES ET CONTRADICTIONS ............. 16

    2.1 Des divergences de fond significatives ............................................................................................... 16

    2.2 Des convergences videntes .............................................................................................................. 18

    2.3 Des penses davantage complmentaires quopposes ....................................................................... 21

    DEUXIEME PARTIE UNE PENSEE FRANAISE REDECOUVERTE........................ 23

    CHAPITRE IUNE PENSEE FRANAISE INFLUENTE OUTRE-ATLANTIQUE .................................................. 24

    1.1 Une doctrine rpute dans les milieux militaires ................................................................................ 24

    1.2 Une doctrine cohrente, des rfrences videntes .............................................................................. 25

    CHAPITRE IILES NOUVEAUX PENSEURS DE LA CONTRE-INSURRECTION ................................................ 27

    2.1 David Kilcullen, la COIN lchelle de la compagnie ................................................................. 27

    2.2 David Petraeus, le Gnral de la dernire chance lpreuve de lIrak ....................................... 32

    TROISIEME PARTIE UNE NOUVELLE PENSEE INSPIREE DU PASSE ................ 35

    CHAPITRE IUNE PRISE DE CONSCIENCE NECESSAIRE............................................................................. 36

    1.1 Gense dune nouvelle doctrine : du FM 3-24 au surge en Irak .................................................... 36

    1.2 Les principes de base de la doctrine de contre-insurrection amricaine ............................................. 37

    1.3 La doctrine amricaine au contact du terrain .................................................................................... 41

    CHAPITRE IILES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA NOUVELLE PENSEE AMERICAINE .......................... 45

    2.1 Lindispensable corrlation entre actions civiles et militaires ............................................................ 45

    2.2 La guerre asymtrique, une guerre longue ......................................................................................... 46

    2.3 La facult dadaptation des forces et des esprits, un atout dcisif ....................................................... 48

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    4/70

    Sommaire

    4

    CONCLUSION .................................................................................................... 50

    ANNEXES .......................................................................................................... 56

    ANNEXE 1DES PENSEURS ORIGINAUX DE LA CONTRE-INSURRECTION.................................................... 57

    ANNEXE 2LINFLEXION DES CONCEPTS STRATEGIQUES AMERICAINS DE 2001 A 2008, SUITE AUX LEONSDE LAFGHANISTAN ET DE LIRAK............................................................................................................ 61

    BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................... 63

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    5/70

    Introduction

    5

    INTRODUCTION

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    6/70

    Introduction

    6

    Le gnral David Howell Petraeus est ce jour le plus haut grad et penseur militaire nord-amricainqui se soit appliqu reconsidrer les fondements doctrinaux de la guerre antisubversive pour les

    rhabiliter et en tirer une doctrine. On parle ainsi de doctrine Petraeus . Les anglo-saxons prfrentcependant le terme contre-insurrection ( COunter-INsurgency , abrge par les Amricains en COIN ).

    Confronts lenlisement de leurs troupes en Afghanistan et en Irak, faute doptions appropries pourjuguler des insurrections que les terroristes internationalistes dAl Qada entendent par ailleurs jumelerau jihad global, les stratges amricains ont redcouvert grce au gnral Petraeus les thories de laguerre rvolutionnaire et de la lutte antisubversive. Cette dernire, labore par les puissancescoloniales en butte aux insurrections communistes et nationalistes, ntait plus enseigne dans lesacadmies militaires occidentales. La contre-insurrection tait devenue un concept prim ou en toutcas trs priphrique laction militairestricto sensu.

    Loccultation dont la doctrine contre-insurrectionnelle a t lobjet dans les cercles dirigeantsamricains au cours des dcennies passes sexplique par le traumatisme de la sale guerre du Vit-Nam. Malgr lampleur des moyens politiques et militaires engags, larme amricaine na pas connudavantage de succs que les Franais la fin de leurs oprations de maintien de lordre en 1954 enIndochine et en 1962 en Algrie. Pis, la guerre antisubversive a t assimile, par un large public, unrecours systmatique la politique de la terre brle1, au mensonge institutionnalis et la torture. Surces thtres, les forces conventionnelles ont enregistr des succs tactiques qui nont cependant pas putre exploits et nont pas dbouch sur les victoires politiques attendues. De plus, la rcupration decertains enseignements de base de la COIN par les dictatures latino-amricaines dans les annes 1970et 1980 des fins de rpression interne, en a acclr le discrdit.

    Cest cette version dure de la COIN, essentiellement coercitive, que professaient au dbut des

    annes 2000 dune manire plus ou moins assume certains intellectuels lpoque bien introduits Washington. Assimilant le salafisme jihadiste dAl Qada un mal absolu complice de rgimesennemis, lAmrique en guerre contre la terreur a choisi de frapper fort. Ds le dbut des oprations Libert immuable en 2001 et Libert pour lIrak en 2003, ladministration Bush sest applique punir les terroristes et rprimer les insurrections naissantes par des bombardements, des oprationsspciales et par le recours aux procds les plus brutaux de COIN. La dcouverte des centres dedtention de Guantanamo (enclave nord-amricaine Cuba) et de Bagram (base arienne au nord deKaboul), la rvlation des abus commis par des gardiens amricains dans le pnitencier irakiendAbou Ghraib ont profondment branl les opinions publiques occidentales et accru le sentimentanti-occidental dans le monde arabe.

    Depuis 2006, lexpression guerre globale contre la terreur , assimile laction de ladministrationBush aprs les attentats du 11 septembre 2001, apparat de moins en moins pertinente aux expertsfamiliers des nombreux autres aspects de la COIN.Cette dernire ne se rsume pas la mise enplace de techniques coercitives ou dun rgime dexception caractre permanent. Les avocats

    1La terre brle dsigne ici les oprations visant rendre les zones lacunaires invivables pour les insurgs,notamment en dtruisant ou en dplaant les vivres et les populations. Cela revient dtruire ou confisquer lesrcoltes et rassembler les populations rurales dans des camps fortifis pour les surveiller et les protger.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    7/70

    Introduction

    7

    dune stratgie plus inclusive du terrain humain 2 prfrent la notion rductrice de guerre contrela terreur celle de guerre longue ou de contre-insurrection globale face au jihadisme 3.

    La notorit dont jouit aux tats-Unis le spcialiste franais David Galula et laudience de soncontinuateur australien David Kilcullen tmoignent dun relregain dintrt pour une variante dela contre-insurrection qui intgre davantage les facteurs culturels, politiques, conomiques etsociaux. Le gnral amricain David Petraeus est devenu un fervent partisan de ladaptation de cettepense aux thtres irakien et afghan.

    Les conceptions nourries de rfrences communes quont dveloppes ces trois David opposs au Goliath de la bureaucratie et des conformismes permettent de cerner les spcificits des conflitsasymtriques par rapport aux guerres conventionnelles. Dans ceux-l, la victoire sobtient par unsavant dosage de rpression et de sduction, et non uniquement par une coercition de forces.

    Tardivement admise et avant mme dtre transpose en Irak puis en Afghanistan, la thse quevhiculait la thorie devenue classique de David Galula est elle-mme hrite des marchaux Gallieni(1849-1916) et Lyautey (1854-1934). Elle doit tre rvalue la lumire du double phnomne demondialisation et de rvolution de linformation.

    Les dbats qui ont agit les socits occidentales et leurs reprsentations nationales appeles consentir ou non au dploiement de contingents militaires en Afghanistan ou en Irak montrentcombien les aspects martiaux de la COIN veillent toujours des craintes de drive ou denlisement.Laversion pour le sang jointe une trop grande confiance en leur supriorit militaro-technologiquedissuadent encore les Amricains, et plus largement les Occidentaux, de rechercher lengagementrapproch au sein des populations, contre des ennemis (insurgs, terroristes) fortement motivs et

    voluant comme les poissons dans leau de la fable maoste. Ces rticences sont autant de freinspsychologiques lapplication de mthodes prouves de contre-insurrection.

    Cette tude vise identifier les concepts et les penseurs qui furent les thoriciens et les inspirateurs dela contre-insurrection, en loccurrence les officiers franais Trinquier et Galula, puis mettre envidence la filiation entre ces prcurseurs et leurs hritiers intellectuels. Enfin, elle tudie galementles principaux aspects de la nouvelle doctrine amricaine de contre-insurrection issue de ces rflexionset les obstacles sa mise en uvre avec succs.

    2Selon les propres mots du gnral David Petraeus, en introduction de sa confrence aux stagiaires de la 16 mepromotion du Collge Interarmes de Dfense, Paris, le 25 septembre 2008.

    3Lexpression global counter-insurgency a t popularise par le chercheur Bruce Hoffman, spcialiste desconflits irrguliers la Georgetown University, ancien de la RAND Corporation, le think tankle plus impliqu,depuis les annes 1960 dans ces questions de doctrine.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    8/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    8

    PREMIERE PARTIE

    DES PENSEES FRANAISES DE LA

    CONTRE-INSURRECTION

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    9/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    9

    Chapitre I Roger Trinquier et David Galula, deux praticiens de lacontre-insurrection

    1.1 La Guerre Moderne selon Roger Trinquier

    La pense de Trinquier sinscrit dans le cadre de la guerre froide. Pour lui, la subversion et leterrorisme sont des armes que lURSS emploie afin de conqurir des territoires sans risquer laguerre totale. Lobjectif est dy tablir des rgimes ses ordres en contrlant non plus leterritoire, mais la population. Contre de telles armes, les armes traditionnelles et les lois ordinairesdes dmocraties sont impuissantes. Il faut donc les adapter. Dune part, les forces armes doiventapprendre combattre les organisations terroristes au service de la subversion. Dautre part, les loisordinaires doivent tre suspendues et remplaces par la loi martiale4. Enfin, larme doit jouir depouvoirs tendus pour lutter contre le terrorisme, car elle est responsable de la dfense de la Nationcontre cette nouvelle menace. De telles mesures ne doivent tre quexceptionnelles et limites dans ladure. Cependant, le temps ncessaire pour mettre fin une insurrection donne dans les faits uncaractre permanent ces mesures. Enfin, la recommandation de dclarer ltat dexception ds les premiers symptmes de linsurrection repose sur une apprciation trs subjective et laisse la porteouverte linstauration dune dictature5.

    Linstauration dune lgislation dexception vise neutraliser laction psychologique insurge, et identifier lennemi intrieur. Ce faisant, elle permet la fois de frapper lennemi (par des interdictionset des arrestations) et davoir le champ libre pour la suite des oprations. Les oprations de quadrillageet de bouclage visent quant elles restaurer lordre et la paix civile. Une fois cette dernire revenue,ces dispositions exceptionnelles doivent tre leves.

    Les mesures nonces dans la Guerre Moderne sont essentiellement coercitives. Laction sociale nesert qu soulager les populations civiles prouves par les conflits. Ceci tient la conception delinsurrection comme un phnomne essentiellement exogne. Pour Trinquier, la subversion trouvesa cause fondamentale dans laction dun pays tiers. Les facteurs internes (tels que la stabilit desinstitutions et lexistence de tensions internes) favorisent la subversion mais ne la provoquent pas.Il nest pas fait mention dans la doctrine de la possibilit de procder des rformes dordrepolitique pour dissocier la population de linsurrection, dans la mesure o cette dernire ne luiapporte (pour lessentiel) son soutien que contrainte et force. Rtablir la scurit suffit restaurerla loyaut des populations lgard du gouvernement tabli. Laspect politique nest pas abordpar Trinquier dans la Guerre Moderne6.

    4Trinquier mentionne principalement des mesures de contrle et dinterdiction. Celles-ci doivent sappliquer auxmdias et les partis politiques subventionns par le pays ennemi (lURSS), ou critiquant laction des forcesarmes.

    5Trinquier reconnat lui-mme les risques inhrents cette mthode, et les besoins dun contrle (sans prciser saforme), ainsi que la difficult distinguer la subversion de lopposition politique, lgitime en dmocratie.

    6Sil est relativement ignor dans la doctrine, le facteur politique semble avoir t pris en compte pendant laguerre dAlgrie. La proposition faite aux Algriens en 1959 par le gnral De Gaulle de se prononcer pour lafrancisation, lautonomie ou lindpendance a contribu fragmenter linsurrection et a permis la mise enplace dune campagne dintoxication qui a entran de sanglantes purges au sein du FLN.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    10/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    10

    - Une rflexion militaire : les trois phases dune opration antisubversive

    Louvrage de Roger Trinquier, La Guerre Moderne, porte la marque de son exprience en Algrie et,dans une moindre mesure, en Indochine. Ses rfrences en termes de modles insurrectionnels sontdonc limites.

    Son exprience de terrain lamne nanmoins proposer une mthode pour venir bout de lappareil politico-militaire de linsurrection qui contrle les populations dans un secteur donn. Elle sedcompose en trois phases distinctes visant traiter successivement7 les zones urbaines, lescampagnes habites, puis les sanctuaires de la gurilla. Le contexte de mise en uvre de ce procdsinspire trs largement de lAlgrie (divisions territoriales, caractristiques physiques du terrain etstructure de lorganisation adverse).

    - Phase 1 : traitement des zones urbaines

    Cette phase doit, idalement, avoir lieu peu aprs ledclenchement des hostilits par les insurgs. cestade, dsorganise par le terrorisme, la force publique est replie sur des points stratgiques(villes, croisements et axes tenir cote que cote pour viter lasphyxie complte du pays). Lapremire action doit donc avoir lieu dans ces zones.Les forces de lordre, renforces par larme,procdent au bouclage des villes. Pratiquement, celarevient les rendre hermtiques (si besoin au moyende fortifications), nautorisant que quelques sorties,

    faciles contrler. La concentration de la populationrend en effet possible son contrle par des effectifsrelativement rduits.

    Une fois la ville coupe de lextrieur, les forces de lordre procdent son dcoupage (en quartiers,lots, groupes de maisons et foyers) pour recenser puis contrler les rsidents. Un responsable estnomm pour chaque sous-ensemble et des documents didentification sont remis lensemble deshabitants. Paralllement, le dplacement des personnes et laccueil dtrangers font lobjet de rapports.Enfin, on met en place un rationnement et un contrle de la circulation des biens afin dempcher lagurilla de se ravitailler en ville. Ce contrle des populations vise les faire participer leur propredfense, empche la rapparition des insurgs dans les zones nettoyes, et libre des troupes pour lestapes suivantes de la lutte antisubversive.

    Lors du bouclage de la ville, les forces de lordre procdent galement un interrogatoire gnralis.Cela permet didentifier les lments subalternes de lorganisation subversive, pour enfin remonter jusqu la tte. La population connat les lments de base de lorganisation (principalement lescollecteurs de fonds), mais ne les dnonce que lorsquelle est persuade quil ny aura pas dereprsailles. Les rafles et les interrogatoires massifs permettent ainsi dassurer la scurit des

    7Trinquier prne une opration de la plus grande envergure possible, mais reste conscient que la disponibilit deseffectifs dtermine lampleur de la zone traiter.

    Mise en place du contrle de la population. Les soldatsrecensent les habitants et numrotent les btiments.

    Source : www.djelfa.org

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    11/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    11

    informateurs, car linsurg ne peut identifier qui la dnonc. Ainsi, en remontant rapidement lesfilires, il est possible de dmanteler lappareil politique dont se sert linsurrection pour contrler les

    populations.Une fois la ville sous contrle, lappareil ennemi dtruit et lorganisation des populationsfonctionnelle, il est possible de passer ltape suivante : la rduction de linsurrection dans lescampagnes habites.

    - Phase 2 : traitement des campagnes habites :

    Les zones urbaines permettent linsurrection de seravitailler et de faire parler delle en perptrant desattentats spectaculaires rpercuts par les mdias.Cependant, les campagnes habites revtent une

    importance capitale pour la gurilla. Cest iciquelle manuvre, que transite le ravitaillement destination des sanctuaires et quelle recueille parle biais de la population des renseignements surles mouvements de troupes. La destruction delorganisation insurge dans cette zone est donc unsrieux coup port ladversaire, mais elle demeure problmatique en raison de lparpillement de lapopulation.

    Dans un premier temps, les forces de lordre appliquent aux villages les mmes mesures que dans lesvilles (bouclage, contrle de la population et des mouvements, interrogatoire gnral et dmantlement

    de lorganisation insurge). Cependant, elles procdent galement au regroupement de la populationdans des villages fortifis avant de la protger et de la contrler. Enfin, les forces armes sassurentque linsurrection ne peut plus se ravitailler dans la campagne (en dtruisant les btiments et endplaant les stocks de nourriture vers les villes, o ils seront protgs et contrls).

    Une fois les campagnes vides, les forces armes procdent lanantissement de lorganisationmilitaire de linsurrection. Les units sont divises entre une composante statique (charge du bouclage et du quadrillage) et une autre mobile (en ralit des units statiques rapidementmobilisables et dployables sur demande). Le bouclage consiste en un maillage serr dembuscades8 etdoit couvrir une zone tendue. Il en va de mme pour le quadrillage. Tout dabord concentres, demanire ne jamais se trouver en infriorit face une bande, les troupes se dispersent peu peu (mesure que la gurilla saffaiblit), tendant des embuscades de plus en plus nombreuses et impliquantchacune de moins en moins deffectifs. Lopration prend fin une fois la prsence insurgeentirement limine dans les campagnes habites.

    8Pour maximiser les chances daccrocher les bandes armes, les embuscades doivent de prfrence tre tenduespendant la nuit et au petit matin, quand les gurilleros tentent de rejoindre les sanctuaires ou de se ravitailler.

    Le ratissage des campagnes. Les soldats arrtentou regroupent la population des zones lacunaires.

    Source : www.djefla.org

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    12/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    12

    - Phase 3 : lanantissement de la gurilla dans ses sanctuaires

    La 3me

    phase vise la destruction des bases arrire dela gurilla pour mettre dfinitivement un terme linsurrection. En raison de la force de ladversairedans ces zones, il faut disposer de troupes dlite ennombre suffisant. Le mode opratoire diffre peu decelui employ lors de la phase 2. Cependant, lesanctuaire tant gnralement situ dans une zonedifficile daccs pour les forces rgulires9, lemploides hlicoptres et de laviation est indispensable10.

    Ces trois phases peuvent tre simultanes si leseffectifs le permettent, mais il est plus probable

    quelles soient successives. En effet, maintenir un dispositif de protection en surface11 exige sur leterrain des effectifs consquents, avant que la population ne soit organise et apte assurer sa protection par elle-mme avec un minimum deconcours extrieur. Cependant, chaque rgion pacifie permet de dgager des troupes pour loprationsuivante. La situation doit donc thoriquement samliorer avec le temps.

    1.2 Contre-insurrection, thorie et pratique , par David Galula

    Louvrage de Galula diffre de celui de Trinquier. Counterinsurgency : theory and practice sattache mener une rflexion sur la nature, les forces et les faiblesses de linsurg et de son opposant

    dans plusieurs cas de figure. Galula identifie ainsi les pr-requis du succs dune insurrection de lafaon suivante :

    La cause de linsurg : ce dernier doit puiser ses revendications dans des problmes (perus ou rels)du pays. De plus, ces revendications doivent lui permettre de rallier le maximum de mcontents. Lacause peut donc voluer et son importance dcrotre mesure que la lutte sintensifie.

    Un rgime politique faible : ces faiblesses offrent des facilits linsurrection. Les problmesinternes qui favorisent la dissension et lrosion du consensus national, la rsolution plus ou moinsforte du pouvoir mater linsurrection (influence par la stabilit des institutions) et son manque desavoir-faire en matire de lutte antisubversive sont autant de facteurs qui affaiblissent le pouvoir. Ledegr de contrle de la population et le fonctionnement de lappareil administratif (effectifs, efficacit

    et loyaut de la police, des forces armes et des administrations civiles) affectent aussi les chances durgime de sortir victorieux dune guerre subversive.

    9Pour Trinquier, les zones-refuge de la gurilla doivent obliger les forces rgulires ne pas utiliser leursmatriels lourds et combattre pieds, rduisant considrablement sa supriorit sur les gurilleros.

    10Pour plus dinformations : Alexandre KINNEN, ALAT et stabilisation, le cas de lAlgrie, Cahier de larecherche doctrinale, www.cdef.terre.defense.gouv.fr, 2007.

    11Tenir les points stratgiques et les grands centres de population pour viter que la gurilla ne sy implante tropprofondment.

    Des fantassins menant une opration hliporte.Source : www.djefla.org

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    13/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    13

    Une situation de crise : en affaiblissant le pouvoir, une crise, quelle que soit sa nature (endogne ouexogne, accidentelle ou dlibrment provoque), peut donner le signal du dbut dune insurrection

    violente, dans la mesure o elle ouvre une fentre dopportunit potentiellement unique la rbellion.Le soutien extrieur : lexistence dune frontire plus ou moins longue et dun soutien extrieur larbellion affectent les chances de succs de cette dernire. Il peut tre moral, politique, mais galementmatriel, technique, voire militaire (intervention directe).

    Les caractristiques gographiques et conomiques : la gographie physique (relief, climat) ethumaine (distribution de la population), ainsi que la structure conomique (agraire ou industrielle)influencent lissue de la guerre subversive.

    Galula analyse ensuite les deux stratgies mises en uvre par un insurg pour semparer du pouvoir :

    Le schma orthodoxe sinspire largement de lexemple chinois. Aprs avoir fond un partiregroupant les soutiens fiables de linsurrection, cette dernire doit faire du parti le leader dun frontuni derrire une cause mobilisatrice, sans quil ne fusionne avec une autre force. Aprs un long travailde noyautage et dendoctrinement des masses, linsurg se lance dans la gurilla, laquelle succdeune guerre de mouvement, puis une campagne danantissement, qui clt la monte en puissance delinsurrection et scelle sa victoire par la prise du pouvoir. Parce quil commence par une phaselgaliste, ce type dinsurrection nest possible que dans un pays o lopposition politique esttolre.

    Le schma bourgeois-nationaliste est plus proche de lexemple algrien o la phase denoyautage et dendoctrinement est remplace par une phase de terrorisme (dabord aveugle puis dirigplus prcisment contre les reprsentants de ltat). Une fois la population coupe de ladministration,

    elle est prte tre prise en main par linsurg qui peut par la suite organiser la gurilla et rejoindre leschma orthodoxe.

    Galula prconise de dbarrasser le pays des rebelles zone par zone12, en procdant par tapescomme suit :

    1re tape :Lanantissement ou la dispersion du gros des forces insurrectionnelles sobtiennent dans unpremier temps par des oprations impliquant une importante concentration de forces dans la zone traiter. Aprs le choc liminaire, il sagit dviter le regroupement des insurgs tout en les forant combattre. Dans cette phase militaire, les dommages causs la population autochtone sont nombreux.Aussi faut-il indemniser aussitt les victimes de dgts collatraux, de manire ne pas se mettre dos tous les habitants de la zone considre. Les forces armes doivent sassurer, sinon de lappui, aumoins de la neutralit de la population civile.

    12La doctrine colombienne de contre-rbellion, ou action intgrale , est une bonne illustration de ladaptationde la pense de Galula la situation contemporaine. Pour plus de dtails, Lcl. CARIO,LAction intgrale ou larcupration sociale du territoire en Colombie, Cahier de la recherche doctrinale,www.cdef.terre.defense.gouv.fr, 2008.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    14/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    14

    2me tape :Le dploiement dunits statiques en nombre suffisant pour scuriser le terrain reconquis vise

    viter le retour en force des insurgs que des units mobiles continuent de traquer. Il faut forcer lapopulation choisir son camp, limpliquer dans le retour lordre par des travaux dintrt gnral(les infrastructures rhabilites pouvant aussi bnficier de futures oprations militaires) ou desactions civiques. Procder des regroupements de populations pour faire concider la zone dactionpolitico-administrative et la zone dopration militaire se rvle parfois contre-productif. La slectiondes officiers ou sous-officiers qui seront appels traiter avec les habitants savre cruciale dans cettephase.

    3me tape :Ltablissement de contacts avec la population, dont on sassurera le contrle des mouvementsavant den rechercher le concours actif, implique laffermissement de lautorit et la runion desuffisamment de renseignements pour sassurer de la loyaut des uns et des autres. La population doit

    tre isole de la gurilla. Pour se justifier du devoir de travailler avec les contre-insurgs, les civilssont soumis des recensements obligatoires, des couvre-feux et des rquisitions (sous peinedamendes), autant dalibis qui seront opposables aux sollicitations des insurgs. La population doit sesentir protge par la multiplication des patrouilles. ce stade, la communication oprationnellefonctionne plein rgime pour gagner les curs et les esprits.

    4me tapeLradication de lorganisation politique clandestine des insurgs a lieu lors de la phase suivante.Grce aux renseignements recueillis, la purge doit tre rapide et prcise pour ne pas gnrer desympathie envers les militants arrts lors des oprations de police. Lindulgence est recommandeenvers les repentis afin de susciter dautres dfections et de soulager lappareil judiciaire et carcral,qui autrement risque lengorgement

    5me tape :Des lections libres vont permettre de dsigner des autorits locales provisoires. Cest la partie la plus constructive des oprations de contre-insurrection : la participation active de la populationautochtone tant au combat contre les insurgs encore actifs, qu la mise en place des institutionssusceptibles de combler ses besoins, est escompte. Il faut laisser des leaders (jeunes de prfrence)merger. cette occasion, les femmes sont appeles smanciper. La gurilla ne peut plus prtendreavoir prise sur le sort des populations qui sadministrent dsormais librement.

    6me tape :Tester les capacits des leaders locaux seffectue en leur confiant des tches concrtes etvalorisantes telles que la gestion dune circonscription ou dun projet socio-conomique, la mise surpied dune unit dautodfense, ou le recueil de renseignements. Les tides et les incomptents doiventtre carts. Il faut protger les leaders confirms des reprsailles toujours possibles des insurgs sans pour autant verser dans le paternalisme, apporter ces dirigeants en herbe le soutien logistique etfinancier indispensable lexcution de leur mission locale.

    7me tape :Il faut runir dans un mme parti lchelle rgionale ou nationale les leaders retenus.Il sagit soit de les faire adhrer un mouvement dj existant, soit de crer un nouveau mouvementau sein duquel ils complteront leur formation politique. Linsatisfaction des attentes du peuple, voire

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    15/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    15

    la cause imprieuse sur laquelle linsurrection avait tabl pour soulever le pays, nont plus de raisondtre si des reprsentants dbattent ensemble et adoptent les mesures que la situation exige.

    8me tape :Le ralliement ou la rduction dfinitive des lments restant de la gurilla sont obtenusdans la phase finale militaire qui achve la contre-insurrection. Le noyau dur des insurgs doittre mis hors dtat de nuire avec lappui rsolu de la population par lanantissement ou langociation (la paix des braves ). Omettre cette tape prsente le risque de voirlinsurrection renatre brve chance, dautant plus que les lments subsistants sont alorstrs endurcis par les preuves traverses.

    gauche, tract franais incitant la populationcivile algrienne dnoncer les membres duFLN. droite, tract britannique distribu enMalaisie, incitant les insurgs rejoindre les

    bases militaires en profitant de la nuit ensuivant les signaux limuneux mis par elles.

    Source : fond priv

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    16/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    16

    Chapitre II De Trinquier Galula, entre apports rciproques etcontradictions

    2.1 Des divergences de fond significatives

    La principale diffrence entre les deux auteurs tient lanalyse que chacun fait des origines delinsurrection et des moyens mettre en uvre pour venir bout des insurgs.

    2.1.1 Les origines de linsurrection :

    - Pour Roger Trinquier, lorigine de la subversion estessentiellement exogne. Les facteurs endognes (la

    faiblesse des institutions, les disparits socio-conomiques,et les tensions ethniques) facilitent simplement la tche desinsurgs. Ne pouvant sans risque se lancer dans une guerreconventionnelle contre les pays du bloc occidental, lURSSet ses satellites utilisent la guerre subversive pour semparerde pays entiers en y implantant des gouvernements sonservice. La subversion est donc susceptible de survenirnimporte o, plus particulirement dans les paysdmocratiques nayant pas mis en place de mcanismesappropris de prvention. Pour faire basculer un pays dansle camp sovitique en contrlant sa population, les insurgsont recours la terreur.

    - Pour David Galula, les facteurs endognes sontprdominants et dterminent lmergence delinsurrection. Laide trangre affecte grandement seschances de succs, sans toutefois tre indispensable sanaissance. Dans le contexte de la guerre froide, Galulaadmet cependant que les insurrections peuvent treutilises par les Sovitiques pour en vincer lesOccidentaux du Tiers-monde et sy implanter durablement. Les insurgs mettent profitlexistence de problmes internes (marginalisation dune partie de la population, misre) pourrallier le plus de mcontents possible autour dune cause choisie cet effet et dont ils se fontles dfenseurs.

    2.1.2 Les moyens de la lutte

    2.1.2.1 Les mesures dune contre-insurrection russie :

    - Pour Trinquier, face cette guerre moderne , la parade consiste essentiellement renforcer les mesures de surveillancepour identifier et neutraliser le plus tt possible lesagents subversifs. Il nest pas fait mention de rformes densemble pour diviser lesinsurgs. Lorganisation des populations imagine par Trinquier obit un strict principehirarchique. Il nest pas question de reprsentants, mais de responsables qui sassurent

    Andre Jdanov, chef du Kominformqui prit la place du Komintern

    aprs la seconde guerre mondiale.Cet organisme tait charg de

    coordonner laction des diffrentspartis communistes nationaux.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    17/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    17

    que la population prenne en main sa propre dfense. Ltat jouit dune lgitimit a priori,uniquement mise mal par linscurit dont les insurgs sont responsables. Il suffit

    donc de restaurer la scurit, y compris par des mesures drastiques (quadrillage urbainet regroupement dans des villages-postes), qui ne risquent cependant pas de retournerune population soulage dtre dbarrasse des insurgs.

    - Pour Galula, il fautdes solutions politiques un conflit politique13. Les mesures mettre enplace pour rduire une insurrection sont la fois dordre scuritaire (rduction des maquis,contrle des populations) et politique (favoriser lmergence de leaders locaux, satisfaire unerevendication juge lgitime par la majorit de la population). Galula estime que rtablir lascurit doit tre le pralable toute rforme, mais dconseille cependant les mesures

    propre saliner la population, comme les dplacements forcs.

    2.1.2.2 Le rle de larme dans la lutte antisubversive :

    - Pour Trinquier, la fonction premire delarme est la dfense du territoirenational. La subversion tant une armede guerre utilise par une puissancetrangre, il revient larme delutter contre elle. Trinquier prconiselogiquement loctroi de pouvoirstendus aux forces armes pendant ladure des troubles, mme si laction psychologique adverse accuse enconsquence le Pouvoir dtre de

    nature dictatoriale.

    - Pour Galula, les forces armes sont un outil parmi dautres entre les mains du pouvoirpolitique. Il est essentiel que ce dernier reste aux commandes de la lutte contre-insurrectionnelle. Mme dans le cas extrme o, dbord, il doit en appeler larme pourexercer des pouvoirs tendus14, les apparences du contrle civil doivent tre maintenues tout prix pour viter de donner des arguments la propagande adverse.

    2.1.2.3 Agir sur lopinion publique :

    Les deux auteurs abordent le thme, mais sans lui accorder la mme importance.

    - Pour Trinquier, cette question est fondamentale. Laction psychologique revt pour linsurgune importance capitale, dans la mesure o elle permet dempcher un adversaireinsuffisamment rsolu de mettre en place les mthodes mme de venir bout de

    13La solution ce conflit dont lenjeu est la conqute du pouvoir.14Situation o, en loccurrence, ladministration nest soit plus en mesure dassurer ses fonctions, soit

    compltement noyaute par les insurgs.

    Dfil du 9me RCP Philippevile en 1961.

    Source : appeles.au.9.RCP.free.fr

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    18/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    18

    linsurrection15. Le soutien de lopinion apparat ds lors comme primordial si lon veutremporter une guerre asymtrique.

    - Galula sintresse davantage la population du thtre des oprations qu lopinion de larrire .

    2.1.2.4 La description de lorganisation territoriale des insurgs :

    Les deux mthodes de classement qui suivent sont diffrentes mais pas incompatibles.

    - Trinquier parle de villes, de campagnes habites et de zones refuge. Si cette classification peutrecouper celle de Galula (les zones blanches tant les villes, les zones roses celles descampagnes habites et les zones rouges tant les zones refuge), elle peut aussi sy superposer.

    - Galula parle de zones blanches, roses et rouges,la couleur traduisant la force de linsurrectiondans une rgion (une zone blanche est une rgion o linsurg est peu actif, alors quil est au

    contraire trs prsent dans les zones rouges) ce qui le cantonne lchelon stratgique. Eneffet, une zone rouge peut tout fait contenir des villes, des campagnes habites, etdes marais ou des montagnes inaccessibles servant de sanctuaires.

    2.2 Des convergences videntes

    La comparaison de Counterinsurgency, theory and practice et deLa Guerre Moderne met en videncecertaines convergences plusieurs niveaux. David Galula et Roger Trinquier ont des constatssimilaires quant aux mthodes de linsurg et au recrutement de ses cadres.

    Nature et caractristiques de la guerre rvolutionnaire : Linsurrection vise la conqute du

    pouvoir (autrement dit le contrle de la population, du territoire et des ressources) par des moyens nonconventionnels (distincts dune offensive militaire classique consacre par le choc de deux armes), la plupart du temps en dehors de la lgalit16. Linsurg rejette demble les lois du pouvoir quilconteste et celles encadrant les conflits arms. Il sappuie sur une petite lite de cadres,gnralement recruts dans les milieux tudiants. Le rapport de forces joue au dpart en sadfaveur, mais il peut compter sur sa fluidit, cest dire sa capacit se fondre dans la populationpour se dissimuler, mais aussi inscrire dans un premier temps son action dans le cadre lgal et donc la rendre intouchable, du moins dans les pays tolrant le pluralisme politique. Ceci lui permet deconserver linitiative, en choisissant quand et o dmarrer la phase dinsurrection violente (terrorismeet gurilla). En raison du chaos quelle provoque pour un faible cot, linsurrection estparticulirement attractive aussi bien pour des individus ambitieux, que pour des tats cherchant frapper leurs adversaires sans risquer une guerre ouverte dvastatrice.

    Les facteurs dune insurrection russie : Mme si la direction de linsurrection est en exil, lapopulation que linsurg souhaite rallier doit pouvoir sidentifier lui . Les cadres de contact(commissaires politiques, collecteurs de fonds, etc.) doivent tre recruts parmi elle. De plus,linsurrection sappuie sur lexistence de problmes et tensions internes au pays pour recruter des

    15Par exemple, en montant une campagne de presse dnonant lemploi de la force arme et linstauration de laloi martiale pour lutter contre linsurrection.

    16Dans la mesure o linsurg dclare vouloir renverser le rgime politique en vigueur, ce dernier prend desmesures pour se dfendre.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    19/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    19

    partisans17. Par ailleurs, plus la population est disperse, mieux les autorits peuvent la contrler.Enfin, lexistence de zones frontalires (en particulier avec un tat voisin favorable linsurrection)

    est un atout important pour la victoire de la gurilla.La doctrine de linsurrection : Constitue pour une part dune lite de cadres organise et discipline,linsurrection agit sous limpulsion de cette minorit active. Cependant, elle doit imprativementprserver son intgrit idologique face aux dviances potentielles des commandants de terrain troppopulaires. Ces derniers doivent tre ramens la raison ou limins. Le parti de linsurrection doitmobiliser les masses grce une idologie puissante, ou le plus souvent par la contrainte18. Une foislappareil du parti et son organisation politico-militaire de contrle des populations en place, lamonte en puissance de linsurrection peut dbuter :

    - Une phase prliminaire de terrorisme vise dabord faire connatre linsurg la population, puis la couper de ladministration en ciblant ses relais traditionnels (petitsfonctionnaires et notables locaux)19.

    - Une phase de gurilla doit permettre linsurrection de constituer ses sanctuaires. Cesderniers doivent tre implants dans des zones difficiles daccs et au relief accident, o ellejouit demble dun important soutien populaire. Dans la mesure du possible, ces sanctuairesdoivent tre limitrophes une frontire internationale de manire permettre un paystiers dapporter son aide matrielle.

    - Une phase de guerre de mouvement concide avec la monte en puissance de linsurrection.Linsurrection se structure alors en force rgulire. Elle lance des attaques contre larmegouvernementale, sans toutefois pouvoir lcraser.

    - Une dernire phase au cours de laquelle linsurrection crase les forces militaires deltat en place et sempare du pouvoir.

    Les mesures pralables au dclenchement de linsurrection violente :

    Avant le dclenchement de la phase violente de linsurrection, il est possible de prendre des mesures mme dempcher son clatement ou de rduire ses chances de succs. Il sagit ici de mesures quedoit prendre le pouvoir civil. Elles ne font donc pas partie de celles nonces dans le cadre de lacampagne de contre-insurrection. Parmi ces mesures, on inclut :

    - le renforcement de lappareil politique et lemprise de ladministration sur la population,- ladaptation du systme judiciaire aux ncessits de la lutte antisubversive,- la mise en dtention des chefs de mouvements subversifs,- linfiltration des mouvements subversifs pour anticiper leurs actions, et ventuellement les

    faire imploser.

    17Il est possible pour un insurg qui dispose dune excellente machine de propagande de crer lillusion dunproblme. Galula donne comme exemple la Chine, o les communistes ont dnonc lappropriation des terrespar les fodaux comme responsable de larriration. Dans les faits, la majorit des terres tait regroupe en petites exploitations possdes par des paysans. Ils ont ainsi pu conserver leur lgitimit auprs des paysansmalgr la disparition du problme rel quils avaient admirablement su exploiter (loccupation japonaise).

    18 Cela est sutrout vrai aprs le dbut de linsurrection, quand la guerre civile polarise la socit et force les civils prendre parti pour lun des deux camps.

    19 Trinquier admet cependant que le Viet-Minh nest pas pass par cette phase dattentats spectaculaires. De sonct, Galula prcise que cette mthode est une variante, permettant de gagner du temps. Mais plus risque carelle peut entraner une raction froce des pouvoirs publics et aliner la population.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    20/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    20

    Ces mesures sont parfois difficiles mettre en place, particulirement lorsque lurgence nest pasmanifeste pour lopinion, et quand le processus lgislatif de temps de paix ralentit considrablement

    ou empche compltement laction des pouvoirs publics ou ladaptation des normes judiciaires.

    La guerre rvolutionnaire chaude :Au dbut des hostilits, ladministration est en gnral dsorganise et dsoriente par les mthodesquemploient les insurgs. La fluidit de la gurilla au sein des populations empche en effet touteriposte conventionnelle efficace. Paralllement, la furtivit des insurgs empche les forcesgouvernementales de retourner leurs propres mthodes contre eux. Il est en effet difficile de tendre desembuscades lennemi alors que lon ignore o il se trouve. Cette asymtrie doit tre compense duct des forces de lordre par la supriorit du renseignement qui requiert le soutien despopulations. Pour cela, il faut sappuyer sur une minorit agissante favorable aux autorits

    lgales. Elle nmerge quune fois assure quelle ne sera pas la cible de reprsailles des insurgs.Avec un effet boule-de-neige, lensemble de la population doit finir par apporter son soutien auxautorits, y compris les anciens insurgs retourns en change de la clmence des forces de lordre.Paralllement, il ne peut y avoir de contre-insurrection efficace sans la mise en place dun tatdexception adapt au traitement de la menace.

    La participation des forces armes la lutte antisubversive :La participation des forces armes la contre-insurrection, en renfort des forces de lordre, estindispensable malgr le bnfice que peut en retirer la propagande insurge20. Larme doitdtruire lappareil militaire des insurgs puis lappareil politico-militaire qui contrle les populationsafin de ramener la scurit. Tout au long des oprations, elle doit adapter son format et ses modesopratoires aux missions.

    - Les forces ddies la contre-insurrectiondoivent se composer dunits statiques etde rserves rapidement mobilisables etprojetables sur demande.

    - en raison des besoins de la contre-insurrection, certaines units doivent trereconverties. Les personnels affects aumaniement des matriels lourds sontparticulirement concerns. En effet, lemilieu o voluent les insurgs (zonespeuples et terrain accident) se prte mal lemploi de matriels lourds et lemploidune puissance de feu dvastatrice. Lesservants des pices dartillerie ou dautresmatriels sont ainsi mieux employs commefantassins que dans leur spcialit dorigine.

    20 Les insurgs peuvent accrotre leur lgitimit en dnonant la nature fasciste dun gouvernement qui utiliselarme contre ses propres citoyens.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    21/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    21

    2.3 Des penses davantage complmentaires quopposes

    La principale diffrence entre les deux auteurs tient ce queTrinquier se place demble dansun cadre tactique particulier et nglige lanalyse stratgique. Linsurrection est systmatiquementdcrite comme le parti de ltranger, qui rgne sur la population par la terreur et agit exclusivement au profit du camp sovitique. Il nenvisage pas la possibilit dune insurrection bien implante carbrandissant des revendications lgitimes aux yeux des populations locales. Il se focalise donc sur lesmesures de contrle des populations visant rtablir la scurit.

    David Galula, sans carter le scnario de Trinquier, le relativise par rapport dautres possibilits. Ilanalyse le phnomne insurrectionnel (dans quel environnement gographique et humain a-t-il lieu ?quels sont les facteurs internes et externes qui affectent les deux parties en prsence ? etc.). Cela

    permet de dterminer les mesures prendre et les moyens dployer en vue dobtenir leffet finalrecherch21.

    Lapport de Galula se manifeste dans lanalyse des caractristiques de linsurrection et des facteursqui influent sur son succs. Elle sinscrit dans une vision stratgique du phnomne insurg.

    - Galula cherche tout dabord caractriser lenvironnement dans lequel volue la subversion,afin de dceler les lments augmentant ses chances de victoire. Il sintresse notamment lacause de linsurg (est-elle mobilisatrice ?), au rgime politique (dispose-t-il des moyensdtouffer la rbellion dans luf ou est-il affaibli et impuissant ?), ainsi quaux conditionsgographiques, conomiques et climatiques.

    - Il sintresse ensuite la nature et la stratgie de linsurrection. Si comme Trinquier, il pense que lessentiel des insurrections sinscrit dans la ligne idologique du marxisme, il

    admet que le processus de prise du pouvoir peut varier. Il distingue un schma orthodoxe(maoste qui mise sur un long travail dendoctrinement des masses paysannes, dalliances decirconstances et de monte en puissance progressive) et un schma bourgeois-nationaliste (qui inclut le terrorisme pour gagner du temps). Il est possible que certaines phasesdisparaissent suivant les conditions et la stratgie de linsurg : celui-ci peut ainsi parvenirau pouvoir sans lutte arme, par le simple noyautage et grce un patient travail depropagande, si besoin couronn par un coup de force22.

    Aprs avoir identifi les caractristiques de linsurg, Galula sintresse aux mthodes employerpour le dfaire. Il propose ainsi un schma en huit phases tout en gardant lesprit que ce dernier nestpas fig : si lordre dans lequel les mesures doivent tre mises en place est invariable, les mesures

    21 Par exemple, cela peut aller de loctroi de lindpendance (pour dnier sa cause linsurg) une stratgiedusure (faire durer le conflit jusqu ce que la population lasse de la guerre ne souhaite plus quun retour lapaix, quelquen soit le prix).

    22 Cest lexemple du Coup de Prague en 1948. Nanmoins, Galula admet que le passage par la lutte arme est leplus probable. Dune part, le pouvoir en place ne se laisse pas abattre sans ragir. Dautre part, les preuves dela lutte arme permettent au Parti de sendurcir, de se structurer et de polariser la socit entre amis et ennemis(qui seront neutraliss une fois le pouvoir saisi).

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    22/70

    Premire partie Des penses franaises de la contre-rbellion

    22

    en elles-mmes peuvent varier, voir disparatre suivant la situation23. Par ailleurs, Galula inclutdans son schma des lments politiques :

    - La dsignation, gnralement par des lections libres, de leaders locaux fiables et lgitimesauprs de la population, afin de stabiliser durablement la situation.

    - Des mthodes de coordination entre acteurs civils et militaires de la contre-insurrection.

    Enfin, la typologie qui tablit des zones touches par linsurrection (blanc, rose, rouge), sadaptemieux lchelon stratgique que tactique.

    Roger Trinquier se place, lui, dans un cadre stratgique donn, celui dune insurrection fomentedepuis lextrieur. Faisant lconomie dune analyse pousse au niveau stratgique, sa pense nendemeure cependant pas moins riche au niveau tactique.

    Trinquier se place demble dans une situation donne, celle de lAlgrie de 1954 1961, quilgnralise. Pour lui, les insurrections se caractrisent par un insurg aux ordres dune puissancetrangre, qui contrle la population par la terreur. Dans cette situation, il suffit de restaurer lascurit en dtruisant lappareil politico-militaire insurg. Une fois la scurit rtablie, il ny a paslieu de conduire de rforme politique denvergure car la lgitimit du pouvoir en place nest a prioripas conteste.

    Trinquier commet une erreur en gnralisant le modle algrien et en estimant que ladversairena aucun ancrage rel dans la population. Cependant, certaines mthodes quil prne peuventtout fait trouver leur place dans le processus dcrit par Galula :

    - Les mthodes de contrle des populations de Trinquier peuvent tre adoptes. Les phases 3et 4 dcrites par Galula doivent en effet donner lieu la mise en place de mesures imposes et

    parfois drastiques visant contrler et protger la population.- Les mthodes de quadrillage visant anantir les forces militaires de linsurrection, ainsi

    que certaines recommandations (rpartition entre units statiques et mobiles, aromobilit,quipement) peuvent trouver leur place leur place dans les phases de destruction de lappareilpolitico-militaire insurg tel que les dcrit Galula.

    23 Par exemple, la phase 1 ne sera pas la mme suivant que lon sattaque une gurilla encore peu structure ou une force quasi-rgulire comme le Hezbollah.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    23/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    23

    DEUXIEME PARTIE

    UNE PENSEE FRANAISE

    REDECOUVERTE

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    24/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    24

    Chapitre I Une pense influente outre-atlantique

    1.1 Une doctrine rpute dans les milieux militai res

    La mobilisation des masses est au cur des guerres irrgulires quelles quen soient ses formes :gurilla (tactique militaire de harclement ponctuel), insurrection (soulvement visant au renversementdun rgime), terrorisme (summum de laction politique violente). Les huit tapes de David Galula, lesvingt-huit articles de David Kilcullen et les quatorze observations de David Petraeus visent fournir des contre-insurgs les meilleurs conseils pour remporter ce type de conflit asymtrique o desrebelles leur disputent le soutien du peuple. Ces auteurs puisent dans des rfrentiels communs ayantvaleur de classiques pour le lectorat anglo-saxon.

    Pour les spcialistes amricains des guerres irrgulires, David Galula est un classique dont on

    redcouvre limportance. Son ouvrage Counterinsurgency Warfare, Theory and Practice a t republien 2005 chez Hailer Publishing. David Kilcullen et David Petraeus le citent volontiers dans leurscontributions respectives, compulses dans les tats-majors. Ahmed S. Hashim, dans son livreInsurgency and Counter-Insurgency in Irak(2006), fait lloge de ce thoricien franais par trop sous-estim, dont les crits redeviennent dactualit 24. Certains voient mme en lui le Clausewitz de la contre-insurrection .

    En dpit de cette gloire posthume, le lieutenant-colonel Galula est largement inconnu de sescompatriotes. En compagnie de Maurice Prestat, Lucien Poirier, Jacques Hogard, Andr Souyris, Jean Nmo, Charles Lacheroy et Roger Trinquier, il a fait partie de l cole franaise de contre-insurrection, dont la doctrine sest exporte aux tats-Unis dans les annes 1960. Roger Trinquier, le plus mdiatique de ces thoriciens, tait convaincu que dans la guerre moderne , le droit desconflits arms tait un concept dpass et quil ne fallait pas rencler utiliser les mthodes delennemi ( combattre le feu par le feu ).

    Ces rflexions inspires par la guerre dIndochine furent utiliss lors de la guerre dAlgrie,aboutissant des succs tactiques mais aussi des drives blmables qui ne purent enrayer unefrustrante impasse politique, comme les Amricains en firent lamre exprience au Vit-Nam. Deuxans aprs lindpendance de lAlgrie, les recommandations de David Galula en matire de contre-insurrection (comprise comme un investissement dmocratique) allaient dans un tout autre sens quecelles tendant vers linstauration dun tat dexception permanent quavaient de facto dfenduesRoger Trinquier25.

    Les mauvais souvenirs de la dcolonisation, conjugus au fait que David Galula ait rdig ses thsesdirectement en anglais, aux tats-Unis, expliquent sans doute le relatif oubli dans lequel ce thoricien

    24 David Galula, the much under-appreciated French counter-insurgency theorist, whose writings are makinga comeback . Ahmed S. Hashim, professeur dtudes stratgiques lUS Naval War College, a t entrenovembre 2003 et septembre 2005 conseiller du commandement amricain en Irak, dont il a dress un bilansans concession de la stratgie, conduite pendant trois ans. Il a rejoint lquipe du gnral Petraeus en 2007.

    25 Les ouvrages Pacification in Algeria, 1956-1958, de David Galula, et Modern Warfare, de Roger Trinquier,ont t republis tous les deux en 2006 aux tats-Unis, le premier avec une prface de Bruce Hoffman, lesecond avec un avant-propos du no-conservateur Eliot Cohen, avec le parrainage de la RAND Corporation.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    25/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    25

    si apprci aux tats-Unis tait tomb en France. La pertinence des propos de David Galula nacependant pas chapp au spcialiste des conflits irrguliers quest Grard Chaliand, qui le cite dans la

    bibliographie commente accompagnant la premire dition de Stratgies de la gurilla (1979), lementionne dansLAmrique en guerre, Irak-Afghanistan (2007) et lui accorde, ainsi qu Kilcullen etPetraeus, la place quil mrite dansLes Guerres irrgulires. Gurillas et terrorismes (XXme -XXImesicles) (2008).

    Si les ides forces de David Galula, le classique indmodable , de David Kilcullen, le nouveauMcNamara26 coopt par les cercles dirigeants de Washington, et de David Petraeus, le gnral dela dernire chance , sont aussi apprcies de la communaut stratgique amricaine, cest parcequelles bousculent les a priori conservateurs et quelles ont t conues par des esprits pragmatiqueset originaux. Rien chez eux ne dnote lobsession du complot international qui serait lorigine desinsurrections.

    La RAND Corporation, think tank traditionnellement proche de lestablishment et des milieux dedfense, a contribu, depuis 2005, la redcouverte des ides de David Galula. Elle appelle leurenrichissement par de nouveaux talents. Mais cest la Military Review, revue du Combined ArmsCenter de Fort Leavenworth, qui, aprs 2006, a le plus popularis les principes de la COIN revisitsparces officiers qui savent crire aussi bien quils savent se battre27.

    1.2 Une doctrine cohrente, des rfrences videntes

    L o Galula, Kilcullen et Petraeus discourent de gurilla ou dinsurrection, dautres avant eux ont parl de petites guerres 28, doprations militaires de basses intensit 29, de guerrervolutionnaire 30 ou de guerre moderne que tout oppose aux guerres intertatiques et

    conventionnelles31

    .

    26 A linstar du brillant et controvers Robert Strange McNamara (secrtaire la Dfense des prsidentsKennedy et Johnson, prsident de la Banque Mondiale de 1969 1981), inventeur de la doctrine de la ripostegradue qui modifia la stratgie nuclaire amricaine, David Kilcullen, fort de son statut de Chief Strategistin the Office of the Coordinator for Counterterrorism auprs de Hank Crumpton, donne le ton et suscite ledbat.

    27 Louvrage de David Galula a t traduit et est disponible en franais aux ditions Economica, sous le titre Contre-insurrection, thorie et pratique . (2008)

    28Small Wars, Their Principles and Practice (1896, rdit en 1996) est le titre du livre de Charles E. Caldwell,Major Generalbritannique qui prit part aux guerres afghanes et la guerre des Boers (fin du XIX me et dbut

    du XXme

    sicle). Lexpressionpetite guerre est apparue au XVIIIme

    sicle ; le termegurilla sappliquant plusparticulirement la rsistance espagnole contre les troupes de la Grande Arme.29Low-Intensity Operations, Subversion, Insurgency and Peace Keeping(1971) est le titre du livre de Frank

    Kitson, Major Generalbritannique qui eut une exprience concrte des guerres irrgulires en Malaisie (casdtude privilgi des Anglo-Saxons), au Kenya, Chypre, Oman et Aden.

    30Revolutionary War in World Strategy (1945-1969), publi en 1970, est un des trois ouvrages fondamentaux deRobert Thompson, officier britannique qui participa la rduction de linsurrection communiste en Malaisie.Thoricien remarqu, spcialiste de la guerre rvolutionnaire maoste, il a t en matire de contre-insurrection,le conseiller au Vit-Nam des prsidents Kennedy, Johnson et Nixon.

    31 Les 28 articles de Kilcullen sont un hommage assum aux 27 articles de T.E Lawrence (dit LawrencedArabie), quil publia en 1917 dans lArab bulletin, et qui condensent son exprience de la gurilla aux cts

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    26/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    26

    Source :Wikipdia

    Afin de mieux apprhender le phnomne, ces thoriciens ont eu accs aux textes doctrinaux de MaoZedong, Ernesto Che Guevara et Vo Nguyen Giap, stratges de la guerre du peuple . David Galula

    avait eu une exprience directe de la guerre de partisans en Chine (1927-1949), en Grce (1945-1950),en Indochine (1948-1954) et en Malaisie (1948-1960), avant de prendre part la pacification enAlgrie (1954-1962). David Kilcullen a beaucoup rflchi sur la contre-insurrection partir de casindonsiens divergents quant leur issue (dfaite de la rbellion du Dar-ul-Islam Java, victoire desindpendantistes Timor). Il a fait du maintien de lordre en zone de tension ( Chypre et Bougainville) et instruit des commandos (en Asie du sud, au Royaume-Uni, au Moyen-Orient). Lui etDavid Petraeus ont tudi les errements des engagements amricains au Vit-Nam (1965-1975), enAfghanistan (depuis 2001) et en Irak (depuis 2003).

    Pour cette autre forme de guerre asymtrique quest le terrorisme en particulier celui dinspirationislamiste , un mme effort de conceptualisation existe, relanc aux tats-Unis aprs les attentats du11 septembre 2001. En 2006, le Combating Terrorism Center(CTC) de lAcadmie de West Point a

    sollicit les services duniversitaires pour dresser une cartographie de la mouvance jihadiste(Militant Ideology Atlas) et nourrir les dbats de sa revue interne, The CTC Sentinel. Pour sa part,David Kilcullen reconnat sa dette intellectuelle envers Eric Hoffer, auteur de The True Believer(unetude sur le fanatisme), Philip Selznik, auteur de The Organizational Weapon: A Study of BolshevikStrategy and Tactics (sur la subversion), Olivier Roy, auteur de Globalized Islam (traduction de LIslam mondialis, sur la nouvelle identit des fondamentalistes musulmans) et Marc Sageman,auteur de Understanding Terror Networks (un essai de profilage des terroristes islamistes).

    Enfin, au nombre des rfrences obliges, David Kilcullen avoue partager la fascination de sonauditoire pour deux uvres cinmatographiques illustrant tragiquement les alas des conflitsirrguliers au XXme sicle : The Battle of Algiers (La Bataille dAlger, 1966, ci-dessous gauche),film polmique de Gillo Pontecorvo32, et Black Hawk Down ( La Chute du Faucon noir, 2002, ci-

    dessous droite), film de Ridley Scott, qui conte comment deux quipages dhlicoptres abattus etleurs sauveteurs furent pris au pige des milices somaliennes Mogadiscio en 1993.

    des arabes en lutte contre lEmpire ottoman. Voir aussi sur www.cdef.terre.defense.gouv.fr la fiche de larecherche doctrinale T.E Lawrence ans the mind of an insurgentdu LCL Jrme CARIO, dcembre 2006.

    32Tourn en 1965 avec Yacef Saadi dans son propre rle par Gillo Pontecorvo, La Bataille dAlgerfut longtempsinterdite de projection en France. Ce film dnonait la pratique de la torture pendant les oprations de ratissagede la Casbah dAlger conduites par les parachutistes franais en 1957, tout en laissant entendre que son usagetait systmatis. Conu comme un plaidoyer contre la torture, ce film finit paradoxalement par tre projetdans les centres de formation la contre-insurrection en Iran et en Amrique Latine, dont certains enseignaientla torture.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    27/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    27

    Chapitre II Les nouveaux penseurs de la contre-insurrection

    2.1 David Kilcullen, la COIN lchelle de la compagnie

    Officier australien, David Kilcullen sintresse au thme de la contre-insurrection dans les annes199033. Ses travaux sur plusieurs insurrections en Asie du Sud-est le font remarquer par legouvernement australien, puis par Paul Wolfowitz qui fait appel son expertise. Tenant de la notionde guerre longue , il runit dans unvade-mecum de 28 articles les fondamentaux de la contre-insurrection lchelle de la compagnie.Ces recommandations, parues dans la Military Review(mai-juin 2006) sont marques par lhritage de la pense de Galula. Elles intriorisent le faitque la population est le centre de gravit dune guerre asymtrique. Kilcullen se rattache lapense de Galula en mettant laccent sur limportance du terrain humain et une approche globale de lacontre-insurrection.

    1- Connatre son territoire. Il sagit pour le commandant de compagnie de connatre aussibien la gographie physique et humaine que lhistoire de la zone de dploiement. Bnficierdes observations et si possible dun briefing de lunit dploye prcdemment est trs utilemais assez rare. Dans tous les cas, rien ne remplace de solides connaissances personnellessur la zone de dploiement. Ces connaissances doivent tre partages par les subordonnssous peine dchec.

    2- Diagnostiquer le problme. La guerre insurrectionnelle est essentiellement une comptitionentre forces rgulires et insurgs pour parvenir mobiliser la population au profit dun campou de lautre. Pour ce faire, les forces rgulires doivent connatre le maximum sur les

    insurgs : qui sont-ils, quest-ce qui les anime, comment mobilisent-ils les soutiens, etc. Le premier diagnostic slabore par des changes avec les subordonns. Il faut aussi garder lesprit quune bonne partie de ses succs vient des erreurs des forces de lordre et dugouvernement. En raison de la ractivit accrue quexige ce type de conflit, les subordonnsdoivent tre capables de prendre rapidement les bonnes dcisions et doivent donc connatre lesintentions du commandant.

    3- Sorganiser pour recueillir les renseignements. Il faut dtacher les lments les plusbrillants de la compagnie dans la section de reconnaissance plutt que dans les sections decombat. Le commandant de compagnie y perd en puissance de feu, mais y gagne en vieshumaines. Renseignement et oprations sont complmentaires. Dune part, le renseignement provient dabord des oprations et non du quartier gnral (cest pourquoi disposer de

    linguistes plutt que de conseillers en renseignement est souvent utile). Dautre part, si tuerlinsurg est facile, le dbusquer est beaucoup plus complexe et impossible sans lapportdu renseignement.

    4- Sorganiser pour mener des oprations en partenariat avec dautres institutions. Lesuccs des oprations de contre-insurrection implique de collaborer avec des acteurs divers(gouvernementaux ou non, nationaux ou transnationaux) dont le commandant de compagniena pas forcment le contrle. Ce sont les organismes de stabilisation et de dveloppement

    33 Voir bibliographie.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    28/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    28

    qui rtablissent finalement les conditions dun retour la normalit. Il est donc ncessaireque certains lments soient sensibiliss au contact avec de tels organes. Enfin, il ne faut pas

    oublier que les armes et les protections balistiques impressionnent les civils, tandis que lesdiffrences culturelles entravent la communication. Cela rend le contact plus difficile. Ilfaut apprendre parler aux locaux sans les effrayer ni les choquer.

    5- Voyager lger tout en renforant sa chane de soutien logistique . Il faut pouvoir prendrelinsurg de vitesse, ce qui implique de ne pas se surcharger en armes et quipements pesants.Mais il faut galement pouvoir compter sur un soutien en cas dengagement. Paralllement, letrain logistique doit tre renforc car il constitue une cible de choix pour les insurgs.

    6- Dnicher un conseiller politico-culturel. Ce dernier doit tre polyglotte et vers dans lesintrigues locales. Il doit sortir des rangs. Il ne faut pas que la fonction soit tenue par lecommandant de compagnie ou son conseiller renseignement. La tche de ce dernier est de

    chercher comprendre lenvironnement, celle du conseiller politico-culturel est de lui donnerforme.

    7- Entraner les cadres subalternes, puis leur faire confiance. Les batailles sont gagnes ouperdues en un instant. Les commandants des petites units, convenablement briefs, doiventtre en mesure de ragir instantanment de leur propre chef.

    8- La comptence prime sur le grade. Une centaine de soldats bien arms courra lchec sousla conduite dun chef mdiocre, l ou une poigne dhommes russiront sous la conduite dunofficier comptent.

    9- Avoir un plan tactique. Il faut avoir une ide de la manire dont la partie va se jouer lors la

    phase finale de planification. Pendant celle-ci, le commandant de compagnie doit sereprsenter lenchanement des oprations (tablissement de sa domination sur la zone,construction de rseaux relationnels, marginalisation de lennemi) par lesquelles il remplirases objectifs. En cas dincident dans le droulement du plan, le commandant de compagniedoit tre capable de repartir de ltape prcdente. Comme le diagnostic initial, le plan tactiquesimple et adaptable aura t discut avec les subordonns.

    10-Etre prsent.Sillonner pied chaque localitde jour comme de nuit permet daffirmer sonemprise sur la zone, de pouvoir intervenir quandsurvient un incident et de se rapprocher de lapopulation beaucoup mieux quen rsidant dansune base loigne et hermtique. Les troupesdoivent se dplacer au contact despopulations pieds et non dans des vhiculessurprotgs car cela brise la confiance deshabitants. Pour dvelopper son rseau, lecommandant doit se montrer visage dcouvert.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    29/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    29

    11-viter de ragir de manire disproportionne la premire impression, mais attendreconfirmation des faits lorsquun incident se produit. Cela permet de conserver lestime des

    locaux. Se fier aux conseils dun homme de confiance pris dans la population aidera garderson sang-froid.

    12-Prparer la relve ds le premier jour. Mme si cela est fastidieux, le commandant decompagnie doit tenir un journal de marche qui aidera son successeur poursuivre la missionen entretenant la mmoire collective des oprations au sein de lunit.

    13-Construire des rseaux de confiance. Il faut gagner les curs (persuader la populationquelle a tout gagner au succs des forces gouvernementales) et les esprits (faire comprendreque les forces rgulires sont les plus fortes, que toute rsistance est futile et quelles sontcapables dassurer la scurit). Peu importe de se faire aimer, il faut persuader la

    population que son intrt rside dans la coopration. Une fois bien implants, les rseauxde confiance stendent et isolent linsurg de la population. Afin de gagner les curs et lesesprits, il est ncessaire de clairement identifier les besoins de la population pour pouvoir yrpondre, et de nouer des contacts avec lensemble des acteurs significatifs sur la zone dedploiement.

    14-Commencer par le plus facile. Il faut sintresser aux relations extrieures dune localit donton a gagn la confiance si lon veut obtenir des rsultats aussi positifs dans les villages voisinsavec lesquels elle commerce.

    15-Rechercher des succs prcoces. Remporter une victoire mme symbolique permet de prendre linitiative et doit tre prioritaire. Mais plutt que de sortir triomphant dune

    escarmouche avec un ennemi qui prfre viter le combat, il vaut mieux satisfaire unerevendication ancienne (politique, administrative ou conomique) de la population locale.Rgler un problme trop longtemps en suspens permet de garder linitiative et de rallier dessoutiens durables.

    16-Conduire des patrouilles dissuasives. Cela dcourage lennemi dattaquer et rassure lapopulation. Ce peut tre loccasion de dployer en tous points de la zone des escouades quelinsurg tiendra pour des objectifs ngligeables, ou mme de monter des quipes mixtes( blue-green ) civilo-militaires. Dune faon gnrale, un tiers ou deux tiers des effectifs dela compagnie doivent tre constamment en patrouille, de jour comme de nuit.

    17-Se prparer aux revers. En contre-insurrection, il nest pas rare de se tromper de cible, decommettre des erreurs, de devoir revenir la phase antrieure du plan. Certaines sectionsopreront mieux que dautres, il faut donc laisser une certaine marge dapprciation aux chefsdunits lmentaires

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    30/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    30

    18-Se souvenir de lexistence dune opinion publiquemondiale. Les mdias internationaux lui rapportent

    les faits et gestes de chaque unit engage. Lecommandant de compagnie doit donc soigner sesrelations avec les journalistes. Les mdias sont unatout pour linsurg comme pour le contre-insurgsils savent les utiliser. Ce dernier sen servira pourdiffuser son message et enrichir ses connaissancessur la zone de dploiement en frquentant lesjournalistes de terrain.

    19-Employer les femmes, se mfier des enfants. La plupart des insurgs sont des hommes mais,dans les socits traditionnelles (surtout musulmanes), les femmes sont influentes dans lesrseaux relationnels quil faut gagner la cause de la contre-insurrection. Frayer avec des

    enfants peut se rvler trs dangereux : ils sapprochent des convois sans veiller la mfiance,et peuvent tre ou punis ou utiliss par les insurgs.

    20-Faire rgulirement linventaire. Il faut disposer de statistiques sur lefficacit de son actionmilitaire (comme le dcompte des pertes chez lennemi), mais cela na de sens que conjugu une batterie dindicateurs qui font remonter au commandant dunit des lmentsdapprciation sur le nombre de combats o lennemi a pris linitiative, la fiabilit destmoignages apports sur les insurgs par la population, lascension sociale des notables amis,ou encore le volume de lactivit conomique. La tendance qui sen dgagera tmoignera desprogrs enregistrs par la contre-insurrection dans le secteur.

    21-Exploiter un rcit individuel. Le commandant de compagnie peut faonner une histoire qui

    donne sens sa prsence et son action, et se servir de leaders traditionnels ou dindividusmdiatiques pour le diffuser. Le rcit lgitimant peut tre fabriqu en haut lieu, ou mme segreffer des traditions locales, dont seront expurgs les lments exploitables par la causeennemie. La mise en valeur des ralisations devra beaucoup au rseau dj constitu.

    22-Les forces de scurit locales (arme, police) doivent tre reproduites sur le modle decelles de lennemi, et non au format de la grande unit de contre-insurrection. Aprsaccord de sa hirarchie, le commandant de compagnie trouvera intrt parrainer et entranerdes units de suppltifs bien encadres et contrles qui lui permettront de harcelerladversaire tout en confortant lesprit dautodfense au sein de la population de son secteur.

    23-Poursuivre une action civilo-militaire. La contre-insurrection est un travail social arm .Protger la population, identifier un un ses besoins, amliorer ses conditions de vie,permettent de mobiliser la socit et dy consolider des rseaux relationnels. Cette phase sedroule en partenariat avec les reprsentants des autres instances ou administrationsconcernes. Il faut assurer la scurit de leurs volontaires et fonctionnaires tout en crant unenvironnement leur permettant doprer.

    24-Les petits projets valent mieux que les grands. Les projets trop ambitieux, prtendumenttransposables dune rgion une autre au mpris des conditions locales doivent tre carts auprofit de projets peu coteux et soutenables dans la dure.

    Un enfant tenant une photo figurant laprofanation dun corps Abou Grahib.

    Source : libertesinternet.files.word ress.com

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    31/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    31

    25-Combattre la stratgie de lennemi et non ses forces. Lorsque linsurg aux abois sefforce

    par des actions violentes de reconqurir son audience entame auprs des masses, il faut viterune confrontation meurtrire qui risque de faire perdre le bnfice du travail de mobilisationde la population et opposer aux manuvres de lennemi les acquis de la pacification.

    26-Construire sa propre solution, nattaquer lennemi que lorsquil se prsente comme tel. Lapproche que le commandant de compagnie a favorise jusqu prsent visait davantage sparer lennemi de son environnement, en le privant de ses soutiens dans la population, quchercher la confrontation avec ce dernier. Vient le moment o il peut tre judicieux dengocier le ralliement des insurgs au nom dune politique de rconciliation qui sera bienvue par lopinion. Une dfection est meilleure quune reddition ; une reddition est meilleurequune capture ; une capture est meilleure quune mise mort.

    27-Garder secret son plan de retrait. Cela permet de faire en sorte que les allis locauxdemeurent fidles car ils ne se sentiront pas abandonns. De mme, ne pas donner de date deretrait fixe dmoralise linsurg, qui sent quil devra mener le combat indfiniment.

    28-Quoi que lon fasse, garder linitiative. Il faut enfermer lennemi dans une posture ractive.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    32/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    32

    2.2 David Petraeus, le gnral de la dernire chance lpreuve de lIrak

    David Petraeus participe lopration Iraqifreedom la tte de la 101me division aroporte, puisse voit confier la responsabilit de la rgion de Mossoul. Parvenant stabiliser cette zone tout engagnant le respect des lites locales, il supervise par la suite, au Centre dtudes interarmes, lardaction du manuel FM 3-24. Ds 2006, il dtaille sa stratgie de stabilisation en 14 points. CommeKilcullen, Petraeus insiste sur limportance de gagner lappui de la population civile au travers demoyen coercitifs (rtablissement de la scurit) et non coercitifs (tisser des liens et des rseauxavec les civils sur le thtre).

    1- Ne pas essayer de faire soi-mme ce quon peut faire effectuer par autrui est une maximelgue par Lawrence dArabie. Dans le contexte de lIrak en 2006, surtout depuis que le pays

    a recouvr sa pleine souverainet (juin 2004) et procd des lections gnrales (30 janvier2005), ceci vaut habilitation pour les Irakiens sauto-administrer avec assistance amricaine.Le pays compte des classes moyennes duques, de jeunes entrepreneurs, des cadres militaireset des leaders de talent qui connaissent la situation et qui il faut faire confiance.

    2- Agir promptement, car toute arme de libration a une dure limite au del delaquelle elle se transforme en arme doccupation. Demble, une course contre lamontre est engage. Les Irakiens, vivent dans limpatience que leurs attentes soientsatisfaites sans quils soient davantage redevables des trangers de la prcarit deleur condition. Il incombe aux Amricains dindemniser les dommages causs pendantles phases de combat (sans oublier les dgts collatraux), de rtablir au plus vite les

    services publics (de leau et de llectricit) et de commencer le processus dereconstruction.

    3- Largent est le nerf de la guerre. Il est plus important que les munitions lorsquilsagit de reconstruire un pays. Encore convient-il den user promptement etefficacement, par le canal dorganismes qualifis. Les fonds du Commanders

    Emergency Reconstruction Program (CERP) furent utilement employs quantit demicro-projets de dveloppement en Irak au printemps et lt 2003. Valid etconsolid lautomne 2003, le concept a t copi en Afghanistan. Un programmecomme le CERP doit se voir accorder une grande flexibilit de gestion, afin desadapter lapparition de nouveaux besoins. En 2005, les missions de formation et

    dquipement des forces irakiennes de scurit ont t finances sur ce mode.

    4- Augmenter le nombre des bnficiaires de la reconstruction est essentiel ausuccs de la contre-insurrection. Plus les Irakiens, y compris les sunnites, se sentirontimpliqus dans la russite du nouvel Irak, plus larme amricaine sera conforte danssa mission de pacification. La 101me Division aroporte en a montr lexemple dansla rgion de Mossoul.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    33/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    33

    5- Calculer le rapport cot/avantage avant chaque opration met labri desdconvenues. Rien nest plus regrettable que dalimenter la cause ennemie cause

    dactions inappropries. Llimination sans contrecoup fcheux des fils de SaddamHussein (Ouda et Qoussa) ou les arrestations dopposants conduites Mossoul, ontt russies parce quelles ont t des oprations bien values et prpares.

    6- Le renseignement est la cl du succs. Il nest pas de rpression ni de contre-insurrection victorieuses sans de bons renseignements obtenus de sources humaines,dont le recueil, le recoupement et linterprtation sont toujours ardus.

    7- Tout le monde doit faire de la reconstruction dinstitutions nationales. Souvent, lepersonnel des affaires civiles ne suffit pas la tche. Il convient de lui dtacher, ainsiquaux autorits locales, des correspondants provenant de diffrentes armes ou

    services (gnie, matriel, transmissions, police aux armes, service des essences,service de sant, service des affaires juridiques et jusqu laumnerie militaire). Cestainsi que des lments dtachs de la 101me Division aroporte ont pu mener bienles travaux de rhabilitation de lUniversit de Mossoul.

    8- Participer la refonte dinstitutions, non seulement dunits militaires, vaut pourtous les chelons. Cette observation est directement lie au problme rencontr par lecommandement amricain lorsquil sest agi de reconstituer les forces irakiennes descurit (arme et police). Sans ministres pour les encadrer, ni centres de formation

    pour les slectionner et les entraner, ni argent pour les payer, il y avait peu de chanceque les nouvelles units soient oprationnelles. Lassistance militaire amricaine y a

    pourvu.

    9- Avoir conscience des donnes culturelles de base dmultiplie les capacits dagir surson environnement. Lenvironnement est humain avant dtre gographique. Le senscommun autant que les ncessits oprationnelles imposent de comprendre unesocit, son histoire, sa religion, sa culture, avant de prtendre y intervenir afin deconforter les institutions politiques et conomiques que les insurgs combattent. Le

    peuple est dautant plus enclin cooprer quil est sensible cet effortdacclimatation. Dans larme amricaine, ceux qui ont le mieux russi sattacher lesfaveurs de la population sont prcisment ceux qui avaient appris, sur le tas, intgrerdes lments de culture Irakienne et matriser des rudiments de la langue arabe.

    10-En contre-insurrection, il faut aller plus loin que les seules oprations cintiquespour lemporter. Lobjectif est dinstaurer un climat de confiance politique de nature diminuer le soutien des populations aux insurgs et discrditer la cause que ceux-cidfendent. Ceci est dune plus grande acuit dans les rgions dominante arabesunnite, qui servent encore de sanctuaires la rbellion. Dans le cadre dfini, leffort

    portera aussi bien sur lconomie, lducation, les services publics, que sur

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    34/70

    Deuxime partie Une pense franaise redcouverte

    34

    lenvironnement rgional. Le plan de campagne mont en 2005 avec lambassade destats-Unis Bagdad, sinspirait dj de cette ncessit daction politique.

    11-Le succs final dpend des leaders locaux. Les leaders denvergure nationale doiventtre invits dsarmer leurs milices, travailler ensemble, proposer des initiatives mme de satisfaire les revendications de ceux qui se sentent encore des laisss pourcompte. Les ministres doivent tre incits lintgrit et la bonne gouvernance. Lesgouverneurs provinciaux doivent rsister la tentation duser de leur pouvoir desfins personnelles. Les membres des forces de scurit doivent rester hors du champ

    politique et opposer leur neutralit aux loyauts politiques, ethniques ou tribales.

    12-Le commandant de compagnie ne doit jamais oublier le rle vital des lieutenantset caporaux. Il est indispensable que les cadres subalternes soient briefs avant leur

    dploiement sur zone. Une fois en oprations, il convient de rduire les cas o ilsauraient prendre trop vite des dcisions arbitraires. Une garde mal assure de pointsde contrle ( check points ) prsente souvent ce genre de danger (risque douverturedu feu intempestive pour forcer un vhicule suspect sarrter).

    13-Il ny a pas dautre option possible que la flexibilit et la capacit dadaptationdes chefs. En Irak, de jeunes soldats qui avaient reu peu dentranement et deformation ont dmontr beaucoup dinitiative, de dtermination et de courage.

    14-Un chef na pas de tche plus importante que celle qui consiste donner le ton. Silnimpulse pas son niveau le volet politique de la contre-insurrection, les subordonns ne se

    sentiront pas autant impliqus. Ainsi, des cadres subalternes de la 101me

    Division aroportentaient pas convaincus de la ncessit de sortir de lapproche strictement militaire. Dans uncontexte o les erreurs, les frustrations et les pertes saccumulent, le chef doit aussi veiller aurappel des principes thiques qui accompagnent les rgles dengagement. Rien nest plusdestructeur que des mauvais traitements infligs la population et aux prisonniers.

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    35/70

    Troisime partie Une nouvelle pense inspire du pass

    35

    TROISIEME PARTIE

    UNE NOUVELLE PENSEE INSPIREE DU

    PASSE

  • 8/14/2019 De Galula Petraeus - L'hritage franais dans la pense amricaine de la contre-insurrection

    36/70

    Troisime partie Une nouvelle pense inspire du pass

    36

    Chapitre I Une prise de conscience ncessaire

    1.1 Gense dune nouvelle doct rine : du FM 3-24 au su rge enIrak

    Pendant les mois quil a pass la tte du Centre dtudes interarmes de Fort Leavenworth, le gnralPetraeus a jou un rlet dcisif dans llaboration dun ambitieux manuel de contre-insurrection.Commun larme de Terre amricaine et aux Marines, sa publication a t rvle le 15 dcembre2006, peu avant la rvision de stratgie officiellement dbut le 25 septembre 2006 et qui a dbouchen 2007 sur le Surge avalis par le prsident Bush et appliqu par le gnral en Irak.

    Le Manuel de contre-insurrection a reu une double immatriculation :FM 3-

    24 pour larme de Terre et MCWP 3-33.5 pour les Marines. Il comprend220 pages et huit chapitres o abondent les analyses historiques, lesrecommandations pratiques, les typologies dengagement, les lignes deconduite des oprations ( lines of opera