D'Assise aux assises, éduquer à la paix

9

Click here to load reader

description

"D'Assise aux assises, éduquer à la paix" (Christian Salenson) Session nationale de l'Enseignement Catholique sur l'enseignement du fait religieux. http://icm.catholique.fr

Transcript of D'Assise aux assises, éduquer à la paix

Page 1: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

1

Enseignement du fait religieux et l’éducation à la paix

Christian Salenson

Directeur ISTR -Marseille

Intro

Cette session nationale sur l’enseignement du fait religieux a pour titre : « Pluralité

religieuse et citoyenneté : éduquer à la paix ». La société est désormais marquée par une

pluralité culturelle et religieuse. C’est un fait. Je le crois porteur de richesses et de belles

promesses mais il constitue l’un des nouveaux défis de la paix.

En quoi l’enseignement du fait religieux participe-t-il d’une éducation à la paix ? Si

l’éducation à la paix n’est pas le seul enjeu de l’enseignement du fait religieux et a contrario si

l’éducation à la paix ne se joue pas exclusivement dans l’enseignement du fait religieux.

enseignement du fait religieux et éducation à la paix ont à voir l’un avec l’autre.

Que veut dire éduquer à la paix ? Nous aurons à nous expliquer sur cette notion et dire

quel est le rôle de l’école dans une éducation à la paix et en particulier comment dans ses

Assises, l’enseignement catholique a voulu promouvoir cette éducation.

J’aurais quatre parties pour aborder la question. Je m’interrogerai d’abord sur la

responsabilité de la République par rapport aux religions et à la paix. Puis je m’arrêterai dans

la relation entre les religions et la paix sur l’engagement de l’Eglise catholique. J’essaierai

alors de dire ce que veut dire éduquer à la paix. Et enfin, en quoi l’enseignement du fait

religieux participe d’une éducation à la paix et à quelles conditions.

I- La République, les religions et la paix.

La République est soucieuse d’une éducation citoyenne. Le thème de la citoyenneté

occupe une grande place. La République est soucieuse d’une éducation à la vie dans la cité et

elle attend de l’école qu’elle soit en charge, pour la part qui lui revient, de ce travail éducatif.

Ce que l’école fait d’ailleurs de multiples façons, aussi bien par l’enseignement que par la vie

dans l’établissement. L’inflation langagière sur la citoyenneté, les discours exhortatifs un brin

ridicule parfois sur les gestes citoyens conseillés, éveillent quelques soupçons. On sait que la

République laïque, à l’instar des religions, est capable de prières, d’imprécations et même sur

certains sujets d’avoir recours aux exorcismes ! A vrai dire, la République n’est pas habituée à

la pluralité culturelle et religieuse. Sur le territoire national jusqu’à une date récente, elle n’a

été en vis-à-vis qu’avec l’Eglise catholique. Elle aurait pu apprendre la pluralité culturelle et

religieuse dans ses Colonies, mais elle a nié autant qu’elle a pu et à son détriment, la place et

la force que représentaient les autres religions, l’islam en particulier1. Devant l’embarras

qu’occasionne cette nouvelle situation, on multiplie le langage de l’intégration que nous

aurons l’occasion au cours de la session d’interroger.

1 La séparation de l’Eglise et de l’état ne s’appliquait pas en Algérie. Sedek Sellam, La France et ses musulmans, un siècle de politique musulmane, 1895-2005, Fayard 2006.

Page 2: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

2

Pourtant il est de la responsabilité de l’Etat de créer les conditions d’une paix sociale

et l’éducation fait partie des moyens pour y parvenir. Nous pourrions développer d’autres

facteurs de paix sociale durable, et en premier lieu la justice sociale. Le fossé se creuse entre

les riches et les pauvres, l’augmentation du chômage et la pauvreté de plus en plus massive

préparent des violences à venir. Mais nous limitons notre réflexion à la gestion de la pluralité

culturelle et religieuse comme l’une des conditions essentielles de la paix. Quelle est la

responsabilité de la république ?

La laïcité

Historiquement

Historiquement l’Etat a dû intervenir dans notre pays pour faire accepter la pluralité de

confessions religieuses au moment de la Réforme quand les confessions n’ont pas été

capables de trouver un modus vivendi et que leurs luttes rendaient la vie sociale impossible2.

L’espace public était gangréné par ce conflit qui portait gravement atteinte à la sécurité des

personnes, au développement économique, à la vie de la société etc. Cette crise inaugurait un

long processus d’autonomie qui devait déboucher, à terme, dans la séparation salutaire des

Eglises et de l’Etat3.

Les régulations des religions

Cette expérience historique montre que la religion à elle seule est incapable de gérer sa

place dans la société. Elle a besoin que le politique intervienne. Les religions ont des

régulations internes fort utiles et essentiellement de trois ordres : la mystique, le prophétisme,

et la théologie. Les mystiques rappellent à la religion qu’elle ne peut prétendre annexer le

divin, les prophètes dénoncent le iatus entre ce que disent les religions dans leurs textes

fondateurs et ce qu’elles en vivent. La théologie introduit de la raison dans tout ce qu’il peut y

avoir d’irrationnel dans le domaine religieux. Mais ces régulations externes ne suffisent pas.

Les mystiques, les prophètes ou les théologiens un jour ou l’autre sont rejetés, tués ou

condamnés comme on le voit dans toutes les religions. Les religions ont besoin que le

politique encadre leur place dans la société. L’histoire du christianisme et l’histoire présente

montre les dégats qu’entraine la confusion des domaines ou l’annexion du politique par la

religion.

La laïcité

En France cette régulation se fait sous le régime de la laïcité. Les français ne sont pas

obligés de croire que la laïcité à la française est le seul régime politique ni le meilleur4. Les

Etats-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne, pour ne prendre que ces trois exemples dans des

démocraties ont d’autres formes politiques de gestion de cette autonomie qui valent la nôtre !

Or la République fait une nouvelle expérience de la laïcité. Le modus vivendi antérieur

est ébranlé par la pluralité religieuse. Désormais l’Etat se trouve en présence de religions

différentes qui n’ont ni les mêmes structures, ni les mêmes fonctionnements que l’Eglise

catholique. Au cours de la session nous reparlerons de la laïcité. Nous assistons à des

2 Edit de Nantes, 13 avril 1598. Révocation le 22 octobre 1685. Edit de Versailles de 1787.

3 Loi du 9 décembre 1905.

4 L’autre pays au monde qui a mis la laïcité dans sa constitution est la Turquie.

Page 3: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

3

phénomènes aussi bizarres que l’ingérence de l’Etat dans la création du comité français du

culte musulman5 ! Ou encore sur la manière dont il faut s’habiller

6 ! On peut craindre des

dérives de la laïcité, lors même que nous reconnaissons et que nous sommes en droit

d’attendre que l’Etat gère la place des religions dans l’espace public7.

La liberté religieuse

La seconde responsabilité de l’Etat est celle de garantir la liberté religieuse. « L’Etat

libéral garantit à chacun l’égale liberté de pratiquer sa religion, mais il ne le fait pas seulement

pour préserver la tranquillité et l’ordre, il le fait aussi pour cette raison normative qu’il doit

protéger la liberté de foi et de conscience de chacun. Pour cette raison même, il ne peut donc

pas exiger de ses citoyens religieux ce qui serait inconciliable avec une existence

authentiquement vécue dans la foi. 8» La liberté religieuse ne se limite pas à la liberté de

conscience. Que serait la liberté de conscience pour quelqu’un qui n’aurait pas le droit

d’exprimer publiquement ce qu’il pense ou ce qu’il croit ? La liberté religieuse garantit la

liberté de culte mais aussi la liberté d’association et de formation. Elle est un droit

fondamental inscrit dans la déclaration des droits de l’homme ainsi que dans la constitution

européenne9. C’est la responsabilité de l’Etat non seulement de permettre la liberté religieuse

mais encore de garantir à tout croyant la possibilité de vivre sa religion « en privé et en

public ». C’est pourquoi, au moment de la séparation, l’Etat a instauré des aumôniers qu’il

rémunère, dans les prisons, les hôpitaux et autrefois dans les lycées10

.

Or il faut réaffirmer aujourd’hui avec force que l’Etat est laïc11

, la société non12

! La

société est plurielle. Or on assiste aujourd’hui à un glissement de la laïcité. Le philosophe

Jürgen Habermas écrit : « La neutralité du pouvoir étatique est inconciliable avec la

généralisation du point de vue laïciste sur le monde… ceux qui partagent une vision laïque ne

peuvent en tirer avantage pour contester par principe aux images religieuses un quelconque

potentiel de vérité, ou contester à leurs concitoyens croyants le droit de contribuer aux débats

publics par des arguments religieux 13

». Les religions ne sont pas du domaine privé ! Ce n’est

pas leur nature ! La spiritualité est personnelle, du domaine de la conscience et donc du

5 Initié par Jean-Pïerre Chevènement, le CFCM a été créé par Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur

et des cultes, en 2003. 6 Loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques.

7 Jean Bauberot, La laïcité falsifiée, Ed. La découverte.

8 Jürgen Habermas, Entre naturalisme et religion, NRF essais, Gallimard, 2008, p. 149. 9 La Convention européenne des droits de l'homme reprend dans son article 9 et en l'amendant, l'article

18 de la Déclaration Universelle : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de

religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de

manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par

le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »

10 « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… pourront toutefois être inscrits ausdits budgets (exercice des cultes) les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assure le libre service des cultes dans les établissements publics tels lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » Art. 2 de la loi de séparation des églises et de l’Etat. 11 « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Art. 2 de la Constitution de 1958. 12 Jean-Pierre Ricard, « Laïcité de l’Etat, laïcité de la société ? » Documentation catholique, n° 2505, février 2013. 13 Jürgen Habermas, Entre naturalisme et religion, NRF essais, Gallimard, 2008, p. 169.

Page 4: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

4

domaine privé mais les religions ont vocation à intervenir dans le domaine public. Elles ne

demandent pas la permission d’ailleurs. On a pu le voir récemment à propos du « mariage

pour tous » avec les prises de positions du grand rabbin Bernheim14

ou les manifestations à

propos du « mariage pour tous ». On notera aussi que tous les croyants d’une même religion

n’ont pas la même opinion. C’est le cas des catholiques à propos du « mariage pour tous ». Il

existe aussi au sein des églises, en droit, une liberté d’opinion. Les catholiques ne sont pas

obligés de suivre l’opinion de l’épiscopat, d’ailleurs diversifiée, sur des questions de société.

Les religions sont nécessaires au débat démocratique. Que serait une démocratie qui

exclurait du débat les croyants ? On s’interroge au contraire aujourd’hui pour se demander si

des démocraties peuvent vivre sans l’apport positif des religions15

. Il est demandé aux

citoyens croyants de reconnaître la neutralité et l’impartialité de l’Etat et aux citoyens laïques

la place des croyants. Il est de la responsabilité de la République d’organiser le débat

démocratique mais elle doit veiller en même temps à ce qu’aucune religion n’impose son

point de vue, même en invoquant la transcendance.

Dans le débat démocratique, chacun accepte que son point de vue soit minoritaire.

Personne ne peut dire qu’il n’y a pas eu de débat quand son point de vue ne triomphe pas. On

peut penser que pour le « mariage pour tous », il y a bien eu débat, y compris dans la rue,

même si une majorité de français est favorable à la loi. Les églises peuvent par contre se

demander si, en leur sein, elles ont instauré le débat.

Pour que les religions apportent une contribution positive à la paix, le rôle de la

République est double. D’une part le politique doit continuer à réguler l’espace public et

d’autre part garantir non seulement la liberté de conscience mais surtout la liberté religieuse,

en privé et en public.

II- Les religions et la paix

Quelle est la responsabilité des religions dans la paix ? On peut souscrire à ce

que dit Hans Kung. Il n’y a pas de paix possible dans le monde sans une paix entre les

religions16

. Au cours de l’histoire, en Europe, la division des chrétiens entre eux, orthodoxes,

protestants, catholiques a contribué à déchirer ces cultures. Certains pensent qu’il n’y a aura

pas réellement de construction européenne sans une unité retrouvée des chrétiens. Faut-il

affirmer pour autant que les religions sont la cause des conflits ? Le XXème

siècle a montré

une capacité à faire la guerre et à anéantir jamais égalée au cours de l’histoire. Or les conflits

ne furent pas inspirés par les religions mais bien par des redoutables idéologies : Nazisme,

stalinisme, si bien que le discours univoque sur les religions fauteurs de guerre doit être

interrogé sur l’idéologie qu’il véhicule. A qui sert ce discours ? Il n’en reste pas moins vrai

que les religions ont une responsabilité et qu’il ne suffit pas qu’elles disent que leurs textes

fondateurs appellent à la paix ou encore de dire comme le pape, à juste titre, que « personne

14

Audition du Grand Rabbin de France auprès de la commission des Lois le 29 novembre sur le projet

déposé le 7 novembre 2012, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n°344).

Cette audition s'est faite dans le cadre d'une table ronde réunissant M. le Grand Rabbin Gilles

Bernheim, Grand Rabbin de France, M. le Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, président

de la Conférence des... 15

Jürgen Habermas : Entre naturalisme et religion, les défis de la démocratie, NRF essais Gallimard,

2008. 16

Hans Kung, Manifeste pour une éthique planétaire, Ed du Cerf, 1995.

Page 5: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

5

ne peut tuer au nom de Dieu »17

. Que font les religions pour gérer à l’intérieur d’elles-mêmes

les factions violentes ou les facteurs de violence ?

Les religions sont porteuses dans leurs textes fondateurs de cette aspiration des

hommes à la paix. Elles ouvrent des chemins singuliers qui ne se limitent pas à l’absence de

conflits entre les hommes mais les conduisent à aller rechercher la paix dans la réconciliation

de chacun avec lui-même, par des méthodes fort variées d’ailleurs selon qu’il s’agit des

religions asiatiques ou des monothéismes abrahamiques. Les religions se reconnaissent une

responsabilité dans la paix du monde mais aussi une responsabilité dans l’éducation à la paix.

Toutes les religions proposent des grandes figures qui furent des hommes et des femmes de

paix : Ghandi, Luther King, ou François d’Assise…

L’esprit d’Assise

Parce qu’il ne peut y avoir de paix dans le monde sans une paix entre les religions,

L’Eglise catholique s’est engagé dans le dialogue interreligieux au moment du concile

Vatican II18

. Elle l’a confirmé depuis en de nombreuses occasions mais en particulier lors des

rencontres d’Assise. La première eut lieu à l’initiative de Jean-Paul II le 27 octobre 1986. A

l’occasion de l’année internationale pour la paix décrétée par l’ONU, le pape invita les

représentants des religions du monde à une journée de prière à Assise. Pour la première fois

dans l’histoire de l’humanité toutes les religions du monde se retrouvaient pour « être

ensemble pour prier » pour la paix. Cette rencontre eût un grand retentissement médiatique et

contribua à accélérer le dialogue entre les religions19

.

En 2002, une nouvelle rencontre eut lieu, cette fois en réponse aux attentats de New-

York du 11 septembre et surtout pour s’opposer à l’administration Bush qui désignait « un axe

du mal » et employait le mot fortement connoté de « croisade » pour tenter de mobiliser

l’opinion publique occidentale dans son idéologie du « choc des cultures »20

et son projet

politique de recomposition du Moyen Orient. Cette rencontre connut un grand succès, marqua

la volonté des religions de ne pas se laisser instrumentaliser. Les représentants religieux de

toutes les religions élaborèrent un décalogue de la paix qui fut envoyé à tous les dirigeants du

monde21

.

Enfin en 2011 à l’occasion du XXVème

anniversaire de la première rencontre d’Assise,

le pape Benoit XVI convoqua une nouvelle rencontre en y apportant une tonalité particulière

par l’invitation d’humanistes, représentés entre autres par la française Julia Kristeva22

. Il

devait insister au cours de sa conférence sur le dialogue interreligieux comme chemin de

purification des religions de toute forme de violence

Ces rencontres dessinent une volonté de dialogue des religions entre elles et de

contribution à l’avènement de la paix. Cet engagement de l’Eglise est donc l’engagement de

17

Jean Paul II, « Message pour la célébration de la journée mondiale de la paix, le 1er janvier 2002 »,

Chemins de dialogue, n° 20, p. 185. 18 Cet engagement solennel s’est exprimé dans la déclaration conciliaire pour les relations avec les religions non-chrétiennes, Nostra aetate. 19

Chemins de dialogue n° 7. 20 Hungtington, Le choc des cultures… 21

Chemins de dialogue, n° 20 22 Sur cette rencontre voir Chemins de dialogue, n° 38, le discours de Julia Kristeva et l’article sur « le développement de l’esprit d’Assise et la contribution de Benoît XVI ».

Page 6: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

6

l’enseignement catholique, en vertu même de son caractère propre. Toutefois cela ne sera

possible que par une éducation à la paix.

III- Que veut dire éduquer à la paix

Que veut dire éduquer à la paix ? La paix ayant diverses dimensions, cette éducation

revêt de multiples aspects. Si du point de vue de la République éduquer à la paix vise

essentiellement un aspect citoyen, du point de vue des religions, éduquer à la paix renvoie à

d’autres dimensions de la personne que son seul comportement social.

François d’Assise

La figure de François d’Assise illustre les flyers de la session23

. A lui seul, François

unifie en sa personne ces divers aspects de la paix. Il fut un homme de paix et il est

aujourd’hui reconnu par tous, dans toutes les religions. Il l’a été en allant voir et discuter avec

le sultan pendant la croisade24

. Il l’a été aussi dans son rapport avec la nature. On connaît le

cantique des créatures ou encore dans les fioretti de François. Incompris par les membres de

la curie romaine, il trouve une consolation en dialoguant avec les oiseaux !25

Il l’a été dans sa

relation homme/femme avec ses amies Claire ou Jacqueline ou encore en ne séparant pas les

frères et les sœurs qui au tout début de l’Ordre pouvaient partager la même table. S’il a été cet

homme de paix ce fut par une paix intérieure, fruit d’une vie réconciliée, jusque dans

l’acceptation que l’œuvre de création de l’ordre des frères mineurs lui soit enlevée et soit

réorientée26

. La figure de François fait comprendre que la paix est un phénomène global qui

saisit l’homme dans toutes ses relations, avec lui-même, avec l’autre sexe, avec l’autre

croyant, avec la nature, et ultimement avec Dieu.

Voilà pourquoi il est légitime de penser qu’une éducation à la paix n’est pas une

simple éducation citoyenne mais une éducation de tout l’être, dans toutes ses dimensions. La

paix n’est pas l’absence de conflits. L’absence de conflits peut être parfois la rude

légitimation de la violence structurelle d’une société donnée. Les diverses dimensions de la

paix interfèrent les unes avec les autres. La paix sociale ne peut se construire sans dialogue

interreligieux et avec les humanismes, sans relations justes et apaisées entre hommes et

femmes, sans relations justes avec l’immigré, sans une relation respectueuse avec la création.

La paix se gagne à ces différents niveaux et ultimement à l’intérieur de soi, dans l’intériorité

d’une histoire assumée.

IV- L’enseignement du FR et la paix

En quoi l’enseignement du fait religieux stricto sensu participe-t-il à l’éducation à la

paix, eu égard au fait que ce n’est ni sa seule fonction, ni même sa fonction première. A

quelles conditions l’enseignement du FR participe à une éducation à la paix ? Je voudrais

évoquer quelques aspects.

La connaissance des religions

23 La représentation est du peintre Arcabas. 24 Gwenolé Jeusset, François et les musulmans, Chemins de dialogue, n° 30, p. 33-46. 25 Fioretti de François d’Assise, Ed. du Cerf, 2002. 26

Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, DDB 2009.

Page 7: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

7

L’enseignement objectif des fondements d’une religion, de son organisation, de ses

croyances, de ses textes fondateurs, de ses principaux rites, de ses fêtes, de ses productions

artistiques et le caractère scientifique de cet enseignement permet d’avoir des données

objectives sur la religion, sur sa propre religion et sur la religion de l’autre. Elle permet de ne

pas confondre les fondements de sa propre religion avec les us et coutumes indûment

considérés parfois comme constitutifs d’une tradition religieuse donnée.

Le fait d’entendre présenter positivement et objectivement la religion de l’autre permet

aussi de relativiser sa propre religion, ne serait-ce qu’en découvrant les liens de dépendance

qui les unissent, du christianisme au judaïsme, de l’islam au judaïsme et au christianisme.

Sans tomber dans le relativisme qui consiste à dire que toutes les religions se valent, ce qui

n’est ni vrai ni possible pour un croyant, toute religion doit être relativisée par rapport à son

objet qui seul est Absolu. Il n’y a d’absolu que Dieu, dit la religion. Il n’y a donc pas de

religion absolue.

La connaissance objective des religions ne se confond pas avec l’enseignement

positiviste de certains manuels qui s’efforcent tellement de ne rien dire du sens qu’ils ne

dispensent plus aucune connaissance. Par ailleurs, il faut dénoncer haut et fort les erreurs

inadmissibles de certains manuels scolaires. Leurs auteurs commettent de grossières erreurs,

confondent les niveaux de langage, ignorent souvent la nature du langage religieux et

présentent les récits mythiques comme des récits historiques. Cette ignorance n’est pas à

l’honneur de leurs auteurs ni de l’éducation nationale qui l’accepte. Pire, elle induit un

fondamentalisme nocif. On enseigne les déplacements d’Abraham comme si on y était ! La

théologie nous a appris heureusement plus de rigueur critique !

Apprendre à lire

Le langage religieux est un langage symbolique. Les anciens savaient interpréter un

texte. Celui qui prend au pied de la lettre Jésus qui marche sur les eaux, ou la fuite en Egypte

de Jésus, Marie, Joseph avec leur âne, s’interdit définitivement d’en comprendre le sens. Il y a

au moins deux sens dans un texte biblique – les anciens en voyaient quatre – un sens littéral

anecdotique - historique ou non mais la plupart du temps cela importe peu ! - et un sens

symbolique.

La sortie d’Egypte ne peut pas être simplement racontée comme une épopée. On

ignore tout d’une présence d’hébreux en Egypte, à tel point que l’historien est en droit de se

demander quel est le fondement de ce récit. A contrario, ce texte est très travaillé jusqu’en sa

littéralité et il est d’une force de sens extraordinaire. Ce texte fondateur du judaïsme et partant

du christianisme a éclairé des générations de croyants. Ce récit a inspiré bien des conquêtes de

liberté, ne serait-ce que la lutte des noirs esclaves et les chants négro spirituals ou aujourd’hui

encore les luttes de libération du XXème

siècle des latino-américains.

La visitation est la rencontre de Marie et d’Elisabeth, sa cousine. Mais ce récit est

aussi celui de la rencontre des deux testaments bibliques, l’ancien représenté par Elisabeth et

le nouveau représenté par Marie, et donc la rencontre du judaïsme et du christianisme. Elle est

aussi le prototype de toute rencontre où ce que porte l’une vient faire écho à ce que porte

l’autre et où chacun est ainsi révélé à lui-même. Les artistes ne s’y sont pas trompés

multipliant sans fin cette scène symbolique en de nombreuses représentations picturales ou

architecturales.

Il en va ainsi de toutes les productions artistiques religieuses. Sur la reproduction

d’une cathédrale, on ne peut se contenter de mettre une flèche indiquant : « portail », comme

dans certains manuels. Il faut dire ce qu’est un portail. Ce n’est pas une simple porte d’entrée.

Elle a une signification symbolique et ne donne pas accès uniquement à un bâtiment mais à un

Page 8: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

8

lieu qui lui-même est symbolique. Les artistes n’auraient pas sculpté avec tant de génie les

portails s’il était agi uniquement de la porte d’entrée d’un bâtiment.

Lire les textes fondateurs

La connaissance de la culture dans laquelle nous vivons exige une connaissance des

textes fondateurs, lesquels ne se limitent pas aux récits de création. Certains textes du

Nouveau testament figurent d‘ailleurs dans les programmes comme la parabole du bon

samaritain par exemple. Mais on pourrait en prendre bien d’autres qui ont marqué la culture

occidentale : le fils prodigue, la nativité, la visite des mages, la crucifixion, certains textes de

l’apocalypse. La connaissance de ces textes est nécessaire pour avoir accès au patrimoine

culturel pictural, littéraire, architectural etc…

L’enjeu de l’apprentissage de lecture est important. Lorsque cet apprentissage n’a pas

lieu, la personne est condamnée à une lecture fondamentaliste. Celui qui n’a pas appris à lire,

à recevoir ces récits pour ce qu’ils sont, des textes sacrés et donc symboliques, interprètera le

récit de la création comme transcription exacte d’un événement passé.

La lecture littérale, fondamentaliste a marqué toute la période moderne, pour les

croyants comme pour ceux qui ne l’étaient pas. La lecture littérale induit le créationnisme

dont on sait qu’il est à nouveau florissant et le fondamentalisme dont on connait les fruits

amers aussi bien dans le christianisme que dans l’islam.

Le rapport à l’histoire

Comment enseigner la shoah ? La question revient régulièrement. Je ne suis pas

enseignant et je n’ai donc pas de conseil pratique à donner, mais cet événement ne peut pas

être isolé d’une longue tradition historique qui remonte au moins au Moyen âge au cours de

laquelle les juifs ont été marginalisés, maltraités, discriminés. La shoah est l’aboutissement

d’une histoire, celle d’un long rejet des juifs au prétexte qu’ils refusaient de se convertir à la

foi chrétienne, et qu’ils se pensaient comme le peuple élu de Dieu ayant la mission de

témoigner du Dieu unique et de porter les commandements. Si on ne comprend pas cette

prétention de foi inscrite dans la foi juive, on ne comprend pas la volonté d’extermination de

ce peuple du nazisme.

La relation au judaïsme est une blessure de notre histoire. Pour cette raison, à la fois

elle n’est pas facile à enseigner et elle est aussi décisive. Elle a partie liée avec le rejet de

toutes les autres formes de l’altérité : les noirs, les femmes, les indiens, les arabes, les Roms

etc. En théologie, le dialogue judéo-chrétien est paradigmatique de toutes autres formes de

dialogue interreligieux.

Il nous semble qu’il faut que l’enseignant ait les moyens de traiter ces questions par

une connaissance approfondie de ses enjeux. Il saura trouver les moyens pédagogiques et

pourra construire des séquences appropriées si on lui fournit les éléments critiques et les

enjeux culturels dont il a besoin pour mesurer ce qui se joue dans telle ou telle lecture de

roman, dans telle approche historique ou dans telle activité programmée pour l‘établissement.

Probablement que ces enjeux apparaissent mieux aussi quand on croise des

expériences positives de relation, de dialogue, comme nous le verrons dans une des

expériences pédagogiques qui sera proposée.

La relation à l’islam elle aussi est lourde historiquement. On comprend que

l’enseignement de ce qui concerne l’islam ne soit pas simple. Mais cet enseignement est

déterminant dans une société dans laquelle la décolonisation n’est pas achevée dans la

Page 9: D'Assise aux assises, éduquer à la paix

9

conscience collective. Dans cette histoire de conflits et d’oppression, pourquoi ne pas faire

valoir aussi ce que l’on doit aux arabes ? Pourquoi ne pas enseigner aussi ces moments où la

rencontre a été féconde comme les écoles de traduction à Bagdad ou chrétiens et musulmans

travaillaient ensemble sur la philosophie d’Aristote ?

Peut-être pourrait-on introduire dans l’enseignement des religions, des éléments

positifs du dialogue interreligieux qui ouvrent un nouvel avenir de rencontre.

Conclusion

Je conclue cet exposé. Je souhaitais montrer dans cette première approche que

l’enseignement du fait religieux ne se limite pas à quelques connaissances mais qu’il porte en

lui de grandes possibilités d’intelligence de la vie en société et de la culture. La difficulté

devant laquelle nous nous trouvons est l’ignorance des religions et de leur impact dans la

sphère publique, de la quasi-totalité des enseignants. On ne peut leur reprocher ! La France de

ce point de vue, à cause de notre histoire conflictuelle entre un laïcisme de combat et un

cléricalisme d’Ancien Régime, a exclu la connaissance des religions de son enseignement

universitaire. Les conséquences sont néfastes, y compris pour l’intelligence du monde.

Nous rencontrons une autre difficulté propre aux établissements catholiques.

L’enseignement du fait religieux a été parfois transformé en un enseignement de la culture

chrétienne ou pire malhonnêtement utilisé comme le cheval de Troie de la catéchèse, ce qui

dénature et la catéchèse et l’enseignement du fait religieux.

Des universitaires, dans une lettre ouverte aux ministres de l’enseignement supérieur

et de l’éducation nationale dénoncent l’absence d’enseignement des religions dans les

départements d’histoire à l’université, en invoquant le fait que les enseignants se trouvent

désemparés face aux élèves. Pour notre part, nous avons modestement créé un DU

d’enseignement des religions qui relève des sciences des religions – d’autres propositions sont

faites pour la théologie - qui connaît un réel succès. Nous avons aussi mis en route un

laboratoire de recherche sur ces questions. Tout cela reste bien modeste. Les chantiers sont

ouverts.

Pourquoi ne pas créer un mouvement plus vaste qui à la fois nous éviterait de tomber

dans quelques ornières identifiables et nous permettrait de donner de la liberté aux

enseignants ?