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Écriture et écritures
La langue, l’image, le quotidien
Londres, British Library, Add 27210, fol. 9r (det) Amiens, Bm, ms 108, fol. 39v
La journée d’études de la section hébraïque de l’IRHT propose d’aborder les enjeux de la recherche menée au
sein de son équipe. Il s’agit de mettre en évidence la place, et parfois la centralité de l’hébreu et de son étude
dans plusieurs domaines de recherche relevant des disciplines pratiquées à l’Institut de Recherche et d’Histoire
des Textes : la paléographie, la codicologie, la philologie et l’iconographie, qui participent toutes à l’étude des
textes et de leur transmission à l’époque médiévale. Ces spécialités s’entendent dans l’interdisciplinarité, la
condition préalable de nos travaux dont le but ultime est la connaissance intrinsèque des textes et du contexte qui
les a portés.
L’élément exotique que représente l’écriture hébraïque ne saurait tromper ceux qui connaissent l’ancrage de la
présence juive dans l’œkoumène, durant l’antiquité, le Moyen Âge et jusqu’à l’époque moderne. Aussi, le but de
cette journée thématique est-il de souligner l’enracinement profond de l’usage des caractères hébreux dans le
monde occidental à travers l’activité des scribes et enlumineurs juifs qui ont respiré le même air artistique et
esthétique que leurs collègues chrétiens, et de mettre en valeur les articulations plurielles des rapports entre juifs
et chrétiens, au Moyen Âge et à la Renaissance, dans les pays européens.
Cette journée d’études, conviant des scientifiques français et étrangers, permettra d’approfondir les voies déjà
explorées et d’envisager de nouvelles pistes de recherche. Le programme débutera par la présentation d’un cas
concret qui mobilisera les différentes expertises de la section hébraïque dans le seul but de répondre à une
question apparemment anodine : comment Caïn tua-t-il son frère Abel ? Le récit biblique est avare de détails sur
ce point, mais la littérature exégétique et l’iconographie offrent plusieurs alternatives : une mâchoire d’âne, un
bâton, etc.
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Bible d’Albe, Casa de Alba, Madrid, Palacio de Liria, fol. 29v
Dans la Bible d’Albe (Castille, XVe s.), Caïn tue Abel en le mordant sauvagement à la gorge. Pour identifier un
ou plusieurs appuis textuels qui expliqueraient cette représentation, il a paru nécessaire de sonder diverses
sources littéraires : l’exégèse juive (en particulier, le Midrash) contient une partie de la solution, mais l’élément
décisif, la morsure, n’apparaît que dans la tradition cabalistique, et plus particulièrement dans plusieurs passages
du Zohar (XIIIe siècle). Or, curieusement, un relief chrétien de Tolède (Castille, fin du XIVe s.) représente Caïn
mordant Abel au cou pour le tuer. Est-il possible que des sources textuelles chrétiennes aient influencé le
sculpteur de ce relief et l’enlumineur de la Bible d’Albe ?
Ce qui émergera à la fin de la présentation c’est, de toute évidence, la nécessité d’étudier les signes et les textes
qui circulaient au Moyen âge avec un regard multidisciplinaire et interdisciplinaire. Les spécialistes de la
tradition hébraïque savent qu’ils ont besoin de l’expertise de leurs collègues non-hébraïsants, de même qu’ils
peuvent à leur tour les aider dans la recherche de la solution à leurs propres énigmes qui se révéleront être les
mêmes si le procédé interdisciplinaire montre toute sa force heuristique. L’enracinement de l’hébreu dans la
culture occidentale n’est pas seulement une donnée élémentaire mais aussi le résultat d’une étrange passion, faite
d’attraction et de répulsion réciproques, de désir et de crainte à la fois. En retracer l’histoire revient à révéler de
façon expérimentale, la psychologie historique qui se cache sous les faux semblants de l’idéologie.
I. La langue
La session dédiée à la thématique de l’intérêt chrétien pour l’hébreu se propose d’évaluer, grâce à des études
exemplaires, le degré de diffusion de la connaissance de la langue hébraïque et de la familiarité avec son écriture
dans les différents milieux chrétiens de l’Europe médiévale et humaniste. Une étude particulière sera consacrée à
l’usage de l’hébreu dans les écritures hébraïques monumentales dans la peinture, la sculpture et l’architecture, en
particulier en Italie au début de la Renaissance.
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USA, Cincinnati Art Museum, Andrea Mantegna, « Sibylle et Prophète » (ou « Esther et Mordekai »?).
Le cas tout particulier de l’usage d’un verset des Psaumes sur la façade d’un palais à Bologne (Academia
Hermathena, Palazzo Bocchi, Bologne) sera mis en exergue. Il permettra de montrer d’une façon très concrète
les enjeux et les connaissances préalables nécessaires au déchiffrement de ce type d’écriture publique qui
risquent, pour être trop évidente, de devenir invisible aux chercheurs comme aux passants. Il est de notre
intention d’inviter à la journée thématique des experts pour illustrer des aspects peu connus de la diffusion de
l’hébreu entre Moyen Âge et Renaissance.
II. Le texte et l’image
Cette session traitera de la pénétration des sources littéraires juives dans la conception d’images chrétiennes de la
Bible. Centrées autour de la polémique judéo-chrétienne et de l’Élection, elles serviront d’appui à la
démonstration. La proximité du traitement ou sa différence, l’examen des sources littéraires qui sous-tendent les
images etc. relèvent de choix idéologiques qui permettront de cerner les points d’accord et de rupture entre les
religions monothéistes et de repérer des syncrétismes y compris avec le paganisme.
Doura Europos, Moïse sauvé des eaux, Synagogue, Mur ouest de la salle de prière
Nous tenterons d’identifier les emprunts réciproques afin de mieux comprendre la circulation des textes et
l’adaptation des sources littéraires qui ont servi à l’élaboration d’images dans d’autres contextes : par exemple, la
représentation du mal dans la kabbale ou les textes de magie …
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Paris, Alliance Israélite Universelle, VI C6, « Les anges protecteurs des enfants contre Lilith »
III. Le quotidien
Cette session s’intéressera aux formes d’appropriation d’éléments du vernaculaire dans des textes hébreux de
genres différents (droit juif, exégèse, linguistique, rituel de prières). Ces termes ou expressions qui attestent
d’usages locaux, décrits par ailleurs, sont révélateurs du degré d’intégration des juifs à leur milieu.
Hambourg, Staadbibliothek, Miscellanae, cod heb 337, fol. 75v, Italie, Padoue 1477
S’il n’est plus nécessaire de démontrer que les juifs ont participé à la vie économique et intellectuelle des pays
où ils vivaient, les traces linguistiques qui témoignent des échanges quotidiens qu’ils avaient avec leurs voisins
chrétiens restent cependant peu nombreuses. On citera en particulier la réappropriation d’expressions
vernaculaires pour traduire des concepts halakhiques et dans le domaine philosophique, le phénomène de calque
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qui est particulièrement saillant. Ces éléments sont autant d’indices de la participation des Juifs à la dynamique
de la culture locale environnante.
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