citoyennete et transformations sociales en afrique
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ISSN 1840-6130
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Edition coordonnée par :
Roch YAO GNABELI Professeur Titulaire de Sociologie
Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire)
Directeurs de publication : Professeur Albert NOUHOUAYI, Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
Professeur Rémy TREMBLAY, Université de Québec à Montréal (Canada)
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Editorial Roch YAO GNABELI
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Du processus de démocratisation à la crise de citoyenneté et des institutions de socialisation Gbati NAPO 7
Le sens de la citoyenneté dans le contexte de la construction nationale au Cameroun
Louis-Marie KAKDEU 30
Les décideurs politiques, acteurs de la crise so-ciale en Afrique Abib SENE 51
La démasculinisation des cultures de rente ou l’ère d’une nouvelle citoyenneté pour la femme rurale Agni
Prisca Justine EHUI
96
Historisation de la trajectoire développementiste et enjeux des stratégies de réduction de la pau-vreté au Bénin
Ingrid Sonya M. ADJOVI Gauthier BIAOU
Albert TINGBE-AZALOU
117
Sédentarisation des migrants, rapports inter-communautaires et citoyenneté locale en milieu rural ivoirien
Kouadio Baya BOUAKI 81
Résultats du suivi de la mise en œuvre de la stra-tégie de croissance pour la réduction de la pau-vreté (2007-2009) au Bénin et implication des organisations de la société civile
Léchidia Pélagie A. D. de SOUZA
139
Dynamiques des paysages périurbains de la ville de Ziguinchor au Sénégal
Oumar SYPapa SAKHO
164
Spatialité résidentielle et ségrégation territoria-le : Cas des quartiers Gbagba et Sans-loi dans la ville de Bingerville en Côte d’Ivoire.
Akou Don Franck Valéry LOBA
187
Femmes tisserandes à Ouagadougou ou la ré-interprétation d’un savoir-faire artisanal
Marie-Thérèse ARCENS SOME
207
Participation communautaire et gestion des ser-vices de santé : perceptions et stratégies des ac-teurs dans la zone sanitaire de Comè (Bénin)
Roch A. HOUNGNIHIN Albert TINGBE-AZALOU Elisabeth GNANSOUNOU
FOURN
228
Crise de la citoyenneté au Bénin : Analyse des fondements dans un contexte de mutation socia-le
Romaric SAMSON
246
3
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• Albert NOUHOUAYI, Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
• Jean-Claude MANDERSCHEID, Université de Franche-Comté, Besançon (France) ;
• Rémy TREMBLAY , téluq, Université de Québec à Montréal (Canada) ;
• Pierre FONKOUA , Chaire Doctorale UNESCO en Sciences de l’Education à l’Uni-versité de Brazzaville (Congo, Tchad, Yaoundé) & Chaire Unesco des Droits de l’Homme et Culture de la Paix, Université de Kinshasa
• Hounkpati CAPO, Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
• Flavien GBETO, Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
• Gérard SALEM, Université Paris Ouest (France) / IRD-Dakar (Sénégal)
• Roch YAO GNABELI, Université de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire)
• Yvonne GUICHARD-CLAUDIC , Université de Bretagne Occidentale (France)
• Martine GUINARD, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (France) ;
• Abdel Rahamane BABA-MOUSSA, Université de Caen (France) / Université d’A-bomey-Calavi (Bénin) ;
• Bernard COULIBALY, Université de Haute-Alsace de Mulhouse (France)
• Augustin AINAMON, Université d’Abomey-Calavi (Bénin) ;
• Sergiu MISCOIU, Université de Babe�-Bolyai (Roumanie) ;
• Ciprian MIHALI,, Institut Francophone Régional d’Etudes Stratégiques, Université de Babe�-Bolyai (Roumanie) ;
• Boubou Aldiouma SY, Université Gaston Berger (Sénégal) ;
• Emmanuel Komi KOSSI-TITRIKOU, Université de Lomé (Togo) ;
• Emmanuel M. BANYWESIZE, Université de Lubumbashi (RDC) / IIAC-EHESS (France) ;
• Cheikh Samba WADE, Université Gaston Berger (Sénégal) ;
• Richard Lalle LARE, Université de Lomé (Togo) ;
• Csata ZSOMBOR, Université de Babe�-Bolyai (Roumanie) ;
• Ludovic Ouhonyiouè KIBORA, Institut National des Sciences des Sociétés/Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (Burkina Faso) ;
4
• Pascal MILLET, Université de Franche-Comté, Besançon (France) ;
• Andréa CERIANA, Université de Provence Aix-Marseille (France) / Université de Turin (Italie)
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Les Etats africains sont confrontés depuis le début des années 1990 à de multiples défis. Ces
défis sont étroitement liés aux influences conjuguées d’une dynamique internationale de glo-
balisation, de la récurrence des conflits sociopolitiques et d’une démocratisation de la vie
politique encore peu maîtrisée. L’ensemble des enjeux qui en découlent, placent la question
de la citoyenneté au cœur des transformations sociales. Sous ce rapport, ce numéro thémati-
que de la Revue Perspectives & Sociétés est une contribution majeure centrée sur la problé-
matique de la citoyenneté dans un contexte de mutations sociales et de globalisation. Les
contributions publiées ici sont aussi riches que variées. Ce qui permet d’appréhender la ques-
tion à la fois du point de vue de ses différentes facettes phénoménologiques que sous un an-
gle pluridisciplinaire.
Ce numéro contient onze articles dont trois traitent de la problématique du genre et du statut
socio-économique de la femme face à la question de la citoyenneté ; deux portent sur la dy-
namique de la citoyenneté locale en milieu urbain et en milieu rural ; deux traitent des trans-
formations institutionnelles face aux défis de la démocratisation et enfin ; quatre textes
concernent le rôle ou la participation des acteurs (acteurs politiques, société civile, cher-
cheurs notamment).
En effet, l’évolution du statut social, économique et politique de la femme est inséparable de
la question de la citoyenneté, comme l’attestent les défis liés à la participation politique de la
femme et son rôle dans les systèmes économiques modernes. La problématique est abordée
dans ce numéro sous l’angle de la citoyenneté de la femme en milieu rural (le pays agni en
Côte d’Ivoire) et de sa position dans l’économie artisanale urbaine (les femmes tisserandes à
Ouagadougou). De même, les dynamiques des formes d’expression de la citoyenneté au plan
local, complémentaires de l’expression de la citoyenneté au plan national, sont aujourd’hui
reconnues comme des facteurs clés de l’intégration et de la cohésion sociales. Ce volet de la
citoyenneté est abordé à travers la vie communautaire dans les quartiers en milieu urbain
(Bingerville en Côte d’Ivoire) et l’examen des recompositions sociales liées à la sédentarisa-
tion des migrants en milieu rural (zone forestière en Côte d’Ivoire). Par ailleurs, on le sait, le
processus de démocratisation va de pair avec des transformations institutionnelles et la natu-
re de ces transformations fonctionne selon le cas, comme facteur favorable ou contrainte
pour l’expression de la citoyenneté. La question est abordée dans ce numéro du point de vue
du dysfonctionnement des institutions socio-politiques (le cas du Togo) et sous l’angle de la
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problématique de la cohésion nationale (le cas de Cameroun). Enfin, étant donné qu’une ré-
flexion sur la citoyenneté est inséparable d’une prise en compte du rôle des acteurs, quatre
contributions s’intéressent soit au rôle des acteurs politiques dans les crises sociales en Afri-
que, soit à la participation de la société civile (le cas du Bénin), soit à la contribution des
Chercheurs sur la base des formes de collaboration et de réseaux de Centres de recherches.
Sous ces différents rapports, la Revue Perspectives & Sociétés mérite encouragement en cet-
te période d’incertitudes. Que les numéros à venir lui permettent de consolider ses acquis.
Roch YAO GNABELI
Professeur Titulaire de Sociologie
Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan
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Du processus de démocratisation à la crise de citoyenneté et des institutions de socialisation
Docteur Gbati NAPO Maître-Assistant de Sociologie
Université de Lomé au Togo
RESUME
Le présent article s’inscrit dans le champ des études concernant l’éducation et la citoyenneté en Afrique en général et plus particulièrement au Togo. Il met en exergue l’importance de la famille, de l’école, des partis politiques et des médias dans la diffusion des comportements citoyens tout en relevant certains dysfonctionnements auxquels ces institutions font face dans leur rôle d’éducation des citoyens, traduisant une crise de société. L’article a montré que la recrudescence des manifestations d’incivilité, de violence et du non-respect des institutions étatiques et de la chose publique, explique le difficile ancrage de la démocratie. L’objectif de cette contribution n’est pas d’insister sur une quelconque forme d’éducation ni d’adopter une attitude critique ou dénonciatrice d’un modèle éducatif traduisant une crise éducative, mais de tenter d’apporter des explications à partir des faits de société pour montrer l’importance d’une éducation citoyenne dans les démocraties émergentes.
Mots clés : éducation, citoyenneté, crise, démocratie, dysfonctionnement.
ABSTRACT
This paper comes in line with studies concerning education and citizenship in Africa in general and particularly in Togo. It emphasizes the importance of family, school, political parties, and the media in disseminating citizen-based behavior, by pointing out some malfunctions those institutions face while playing their role of educators, which shows a social crisis. The paper has attempted to show that upsurge in demonstrations of incivility, violence, and non-respect of government institutions and public affairs, explains how it is hard for democracy to have a sound basis. This paper does not intend to insist on any particular form of education nor does it adopt a critical or denouncing attitude toward any particular education model to show a crisis in education but does intend to give explanations through social facts in order to show the importance of citizen education in emerging democracies.
Keywords: education, citizenship, crisis, democracy, malfunctioning.
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Introduction
L’évolution de toute société dépend de la vie sociale de ses acteurs. Cette vie est liée aux
savoir-être et savoir-faire de ces acteurs sociaux, qui sont le fruit d’une éducation. Donner une
éducation civique et citoyenne, c’est créer et consolider chez l’individu la citoyenneté qui
requiert un ensemble de compétences, un outillage langagier pour participer à la vie politique
et sociale ; ce qui permet aux membres de la société une préparation à la culture
démocratique, un sens de la participation aux débats et à la formulation des opinions libres.
Cette participation à la vie sociale confère une certaine légitimité aux membres de la société
qui fait d’eux un citoyen.
Celui-ci apprend à participer à la vie sociale, non pas seulement pour déposer un bulletin dans
l’urne afin de désigner les dirigeants, mais aussi pour accomplir ses devoirs et respecter les
lois de manière responsable. Pour construire une nation développée et prospère, l’inculcation
des valeurs morales et citoyennes par le canal de l’éducation civique se révèle indispensable.
Pour Ferréol cité par Baleng-Dodji (2009 : 20), l’éducation recouvre toute activité sociale
visant à transmettre à des individus, l’héritage collectif de la société au sein de laquelle ils
vivent. Cet apprentissage de l’héritage collectif vise la préparation des individus non mûrs à
l’accomplissement de leurs rôles à l’âge adulte.
Au Togo, plusieurs pratiques sont initiées en matière d’éducation à la citoyenneté avec
l’instauration des cours d’éducation civique et morale dans les établissements scolaires, les
campagnes de sensibilisation des organisations de la société civile1, la création des rubriques
consacrées à la citoyenneté dans certains périodiques et médias, etc. De par le passé, des
opérations « Togo propre » ou « Lomé, ville propre » de balayage citoyen des rues étaient
organisées et la présence des agents de santé et d’assainissement avait pour rôle de contrôler
les pratiques hygiéniques de la population et de la protection de l’environnement. Aussi,
l’enseignement des comportements citoyens à travers la famille, le village, la tribu, reposait-il
sur l’autorité des aînés et avait pour mission de conduire les nouvelles générations dans les
différentes phases de leur croissance en leur inculquant les valeurs de solidarité liées au clan,
à la société en général et le respect des coutumes, à partir des contes, des proverbes, des
���������������������������������������� �������������������1 On peut citer entre autres WANEP-TOGO (West African Network for Peace Building) , APEP (association pour la promotion de l’Etat de droit) et autres qui sont des structures de référence au Togo en matière de la culture de l’état de droit, et de l’observance des droits et devoirs des citoyens ont produit plusieurs émissions certaines interactives à travers les médias.
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chants, des danses et la représentation par la sculpture (usage de marionnettes) servant comme
méthodes d’éducation citoyenne.
Malgré ces initiatives et pratiques, des comportements inciviques ont refait surface avec plus
de persistance au début du processus de démocratisation dans les années 1990. Ces incivilités
se caractérisent par le non-respect des feux tricolores, la transformation des lieux publics et
des routes en dépotoirs, la destruction des édifices publics et des biens privés, l’intolérance
politique entre différents acteurs, des affrontements violents entre milices des camps
politiques rivaux, entre partisans de candidats et les forces de l’ordre lors des élections
présidentielles (1998 ; 2003, 2005 et 2010), la destruction volontaire de l’environnement, etc.
Le manque de respect et la mauvaise gestion des biens publics gagnent le peuple togolais
(Amouzou, 2005 : 13-14). Ce qui va à l’encontre des devoirs des citoyens, prescrits par la loi
fondamentale de la République togolaise d’octobre 1992. Celle-ci stipule : « Les biens publics
sont inviolables. Toute personne ou tout agent public doit les respecter scrupuleusement et les
protéger» (Article 46).
Cette recrudescence des comportements inciviques témoigne d’une crise de citoyenneté qui
prévaut depuis l’avènement du processus démocratique à partir des années 1990. Ce processus
a eu pour effet pervers l’abandon progressif du comportement citoyen qu’est le respect de
l’autre et des institutions de l’État. Ainsi, la présente recherche s’attache à montrer la
nécessité d’une éducation citoyenne au Togo, tout en relevant certains dysfonctionnements
constatés au niveau des structures telles que la famille, l’école, les médias, les partis politiques
et la causalité qui existe entre la mauvaise intellection de la notion de démocratie et la crise de
citoyenneté au Togo. A cet effet, l’analyse part d’une série de questions à savoir : quelle
importance revêt l'éducation à la citoyenneté au Togo ? Le citoyen étant le reflet de son pays,
en quoi l’éducation à la citoyenneté se présente t-elle comme une nécessité? Quels sont les
dysfonctionnements constatés au sein des institutions de socialisation ? Quelles sont les
éléments de cette crise de citoyenneté qui entravent le difficile encrage de la démocratie ?
Partant de ces interrogations, pour saisir tout l’intérêt de la présente démarche et comprendre
l’idée autour de laquelle elle s’organise, le présent article a été structuré en trois (3) parties.
D’abord, il importe de faire (i) une analyse portant sur les comportements non conformes aux
valeurs citoyennes, ensuite (ii) d’évoquer les dysfonctionnements constatés au niveau des
institutions de socialisation, enfin (iii) de faire ressortir le lien entre le difficile ancrage de la
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démocratie et crise de citoyenneté. Pour y arriver, la démarche méthodologique suivante a été
adoptée.
Approche méthodologique
Cet article a pour champ d’étude la ville de Lomé, capitale du Togo. La démarche
méthodologique qui sous-tend cette recherche est essentiellement qualitative: l’observation
simple, l’analyse documentaire (journaux, documents d’archives, rapports, ouvrages et
diverses données bibliographiques, mémoires, internet ont été consultés) et des entretiens
individuels ont été réalisés auprès d’une trentaine (30) de personnes des deux sexes et de
différentes catégories socioprofessionnelles choisies de façon aléatoire dont, dix (10) sont
considérées comme personnes-ressources (2 relevant du système éducation, 2 au niveau de la
communication et de la formation civique, 2 auprès des partis politiques, 2 de la société civile
et 2 responsables intervenant au niveau des médias) et vingt (20) autres tirées au hasard au
sein de la population à travers les cinq (5) arrondissements de la ville de Lomé à raison de
quatre (4) personnes par arrondissement.
Dans le cadre de cette analyse, nous formulons l’hypothèse selon laquelle certains
comportements non conformes aux regèles et normes sociales constatés à Lomé auprès de la
population s’expliquent par l’échec du processus démocratique issu de la mauvaise
intellection de la notion de démocratie et qui a conduit aux dysfonctionnements des
institutions de socialisation.
De nombreuses thèses2 expliquent la notion de citoyenneté. Elle ne se définit pas uniquement
d’un point de vue juridique par la possession de la nationalité donnant à un individu la qualité
de citoyen d’un État. Mais, elle semble aujourd’hui davantage se définir par un mode de
comportement civique et une participation active et quotidienne à la vie de la société. Et, c’est
cette dernière définition qui guide cette recherche.
���������������������������������������� �������������������2 Thèse universaliste de la citoyenneté qui met l’accent sur l’unité du corps social, libre association d’individus détachés de toute forme dépendance. L’identité des citoyens se définit exclusivement par le lien politique qui les rattache les uns aux autres, à savoir égalité de droit devant la loi (comme partisan nous pouvons citer Rousseau). Les approches multiculturalismes défendues par les Canadiens et Américains mettent l’accent sur les notions d’identité et de culture.
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I- Mauvaise interprétation des valeurs de la démocratie, l’ignorance des droits et
devoirs : quelle lecture des comportements citoyens à Lomé ?
L’effritement des rapports et la détérioration des liens sociaux conduisent les populations, en
l’occurrence celles des milieux urbains à l’adoption de comportements non conformes aux
valeurs sociales dont la conséquence est l’insécurité sociale, la déstabilisation des institutions
de socialisation et des circuits sociopolitiques de développement. Cette dégradation de la vie
sociale s’observe à différents niveaux.
La perte de la valeur citoyenne réside au cœur des relations sociales qui définissent les
affrontements sociaux au sein de la population. La violence routière entre différents usagers,
l’intolérance sociale, la destruction de certains biens publics et privés lors des manifestations
politiques et sociales qui, au départ sont pacifiques sont autant de preuves d’incivilité chez les
Togolais. Depuis le début des années 1990, le climat politique et social au Togo a connu un
tournant particulier en ce sens que les mouvements sociaux, les marches de protestation
contre certaines décisions ou décrets politiques sont devenus particulièrement violents
(affrontements entre partisans de certains partis politiques ou entre partisans d’un parti
politique et les forces de l’ordre et de sécurité), créant par moment l’insécurité au sein de la
population. De même, la destruction des biens publics lors des manifestations de protestation
tels que : les feux tricolores3 qui assurent la régulation du trafic routier à certains carrefours,
les routes pavées et certaines voitures administratives, la rue qui devient une poubelle pour
certains usagers laissant traîner les emballages et autres objets après usage, le mauvais
entretien des places publiques représentent un aspect de l’ignorance des devoirs. Il ne s’agit
pas ici des hypothèses de recherche mais d’un constat. La ville de Lomé autrefois surnommée
« Lomé la belle » tend à perdre cet attribut. Il est donc nécessaire d’instruire le peuple sur les
principes de la vie citoyenne et « de l’éthique de la responsabilité » (Danioué, 1997 : 127).
Tout se passe comme si les Togolais ont oublié l’appel pressant à travers l’Hymne National
« Togolais viens, bâtissons la cité », qui voudrait faire idéologiquement de tous les citoyens
des partisans de paix et ouvriers de l’avenir de la nation togolaise. L'appartenance politique et
sociale à l'État face à cet appel doit être selon Labelle et Daniel Salée (1999) égalitaire
(personne ne devrait être un citoyen de seconde classe), sacrée (les citoyens doivent être prêts
à poser des gestes suprêmes pour l'État), nationale (ancrée dans une communauté),
démocratique (la participation doit être ouverte et liée à la résidence), unique (chaque
���������������������������������������� �������������������3 Il n’y a pas de données statistiques sur lesquelles on peut fonder un débat
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personne doit appartenir à un seul État) et socialement conséquente (avoir des privilèges et
des obligations ) si l’on veut bâtir la cité et asseoir une citoyenneté responsable auprès de la
population.
Or, l’avènement de la démocratie régit un type de pouvoir politique dans lequel la
souveraineté appartient exclusivement au peuple, c’est-à-dire aux citoyens. Tocqueville,
(1963 : 321), définit la démocratie comme étant le pouvoir du peuple, impliquant la liberté,
l’égalité, la justice, la capacité de dialogue, d’écoute d’autrui, de tolérance, d’acceptation de
droit à la différence et du respect des autres. La citoyenneté est un privilège aux mains du
peuple, dont l’exercice définit la qualité de culture démocratique qui existe dans un État. Et
selon Mayer et Perrineau (cité par Danioué, 1997), « le secret de la richesse de toute nation
n’est guère autre chose que la rigueur intellectuelle et morale de chaque citoyen ».
Cependant, dans les démocraties émergentes comme le Togo, nombreuses sont les couches
sociales qui ont tendance à confondre la démocratie à l’état de nature selon l’expression de
Hobbes. A l'état de nature chacun estime avoir le droit naturel, droit selon lequel chacun peut
faire et agir comme il veut, car disposant de la liberté naturelle. Dans ces conditions, il y a un
danger permanent qui guette les hommes. Et comme le dit Hobbes lui même, il y a dans un tel
état « la guerre de tous contre tous » et « l'homme est un loup pour l'homme ». Il y a donc de
l'insécurité et la vie de l'homme est précaire.
La crise de citoyenneté se constate à travers la faiblesse de la conscience citoyenne et
démocratique qui touche autant aux valeurs les plus élémentaires qu’aux règles de vie en
société. Cette réalité se manifeste par : l’absence, chez bon nombre de citoyens togolais, d’un
émoussement de l’engagement politique. Par exemple, aux élections présidentielles de 1993,
1998, 2003 et 2010, les taux d’abstention sont respectivement de 63,84%, 30,2%, 36,4% et
35,32%. Concernant les législative de 1994, 1999 et 2002, ces taux d’abstention sont
respectivement de 35%, 33,97% et 35,57% (Adjéta, 2011 : 16). Au-delà de ces statistiques, on
peut relever une perte progressive du sens des valeurs traditionnelles de participation à la vie
politique, la faible prise en compte des droits et libertés individuels, soit pour des raisons
sociologiques, culturelles, politiques et économiques, soit par le peu de prégnance, en la
plupart des citoyens des notions de droits et devoirs civiques et politiques (participation à la
vie sociopolitique). La dégradation de l’environnement, la faiblesse de l’autorité parentale au
sein des structures familiales, notamment en ce qui concerne l’éducation et la protection des
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enfants, le manque de conscience professionnelle et le laxisme, le développement de la
corruption et la dégradation des mœurs, la persistance des intolérances routières se réalisent
au quotidien. Des incivilités en période électorale se manifestent par l’absence d’éthique
déontologique constatée dans certaines pratiques journalistiques. Et comme pour corroborer
ce constat une enquêtée (enseignante) révèle lors d’un entretien libre que :
La citoyenneté se trouve aujourd’hui dans un état piteux qui conduit les citoyens à de graves dérapages. Avec l’arrivée d’une nouvelle forme de conduite sociale, une nouvelle façon de gouverner avec les principes démocratiques à partir de 1990, toutes les institutions à charge de l’éducation ont connu une désorganisation profonde avec une confusion totale entre liberté et libertinage.
De plus, l’émergence éphémère des foyers de tension d’origines diverses, par exemple lors
des mouvements des étudiants, ou la grève des syndicats des travailleurs, des revendications
d’ordre politique, des périodes électorales (surtout présidentielles), entrainent une méfiance
entre les citoyens. Ce constat amène Baleng-Dodji (2009 : 06) à dire que depuis l’avènement
de la démocratie compétitive au Togo, toutes « les élections présidentielles ont été
accompagnées de violences et de contestations à des degrés divers et de conséquences
lourdes. Le processus démocratique a eu pour effet pervers l’abandon progressif du
comportement citoyen qu’est le respect de l’autre et des institutions de l’État ».
Un tel sentiment d'insécurité engendre chez les individus des comportements anti-citoyens. La
mauvaise interprétation de la notion de démocratie conduit à des comportements déviants au
sein de la société togolaise. En effet, un mauvais exercice de la citoyenneté constituerait une
entrave à la démocratie, et a contrario, une mauvaise culture démocratique entrainerait sans
nul doute une crise de citoyenneté, d’autant que ces deux notions sont liées (ceci ne signifie
pas que les habitants d’un pays non démocratique non pas le sens de la citoyenneté). Or, la
citoyenneté se mesure par le respect de la loi, des institutions, de la chose publique et du degré
de responsabilité des citoyens dans la société. Avoir un comportement citoyen, c’est respecter
l’État. Le citoyen se reconnaît par son aptitude à respecter les lois prescrites par sa société et
pour cela, il faut permettre à tous les membres de la société d’être citoyen même quand ils
n’ont pas eu la chance d’accéder à l’éducation formelle. Il est alors nécessaire de diversifier
les canaux d’acquisition de la citoyenneté tout au long de la vie. La méconnaissance des
textes par la plupart des citoyens les emmène à poser des actes dont ils ignorent la portée et la
responsabilité. En effet, certains citoyens togolais, dans une ignorance de la loi posent des
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actes de vandalisme en détruisant les infrastructures routières et d’autres biens publics dans le
but de se venger des dirigeants lors de certaines manifestations publiques. Certes les libertés
d’expression et de manifestation sont reconnues au Togo mais, elles n’autorisent pas la
destruction des biens publics et privés.
Autant de maux qui hypothèquent les efforts de développement et l’avancée de la démocratie.
Une des raisons en serait la crise de la culture civique, elle-même moins bien inculquée et
transmise par les instances de socialisation telles la famille, l’école, les médias, l’église, la
mosquée, les partis politiques, les organisations de la société civile, etc. faisant ressortir
certains dysfonctionnements. Tout se passe comme si on assistait à un affaiblissement du
contrôle des institutions, qui, débordées par d'autres priorités, délaissent ces dérapages de
certains citoyens. Et, selon les propos d’un enseignant interrogé, « les manifestations, au lieu
d’être pacifiques, deviennent une confrontation entre les forces de l’ordre et les citoyens. Les
manifestants s’attaquent aux édifices et aux biens publics, perçus comme des attributs de
l’État. Aussi, s’exposent-ils naïvement en contrevenant à la loi».
Or, on sait qu'une norme sociale ou juridique dont la violation est longtemps non réprimée
finit par perdre sa valeur contraignante et donc normative. L’acquisition par l’éducation de la
citoyenneté est le soubassement de la démocratie en ce qu’elle permet aux citoyens de tenir
leur rôle dans leur participation diverse à la gestion de la chose publique et politique. C’est
pourquoi, « Pour durer, un système politique doit former les personnes qui y sont impliquées,
c'est-à-dire, inculquer aux individus les valeurs, les attitudes et les orientations qui leur
permettent de tenir leur rôle, chacun à sa place et au nom de l’éducation » (Danioué 1997 :
125). Car, sans une base solide d’une éducation citoyenne la démocratie est perdue ; mieux
encore sans éducation citoyenne et politique, toute société est perdue. Cette éducation devient
alors une nécessité pour les Togolais afin de restaurer le respect de l’État et de ses institutions
que les citoyens ont voulus et ont choisis et aussi faire évoluer le système démocratique.
L’apport de différentes institutions à une éducation citoyenne au Togo s’avère importante.
Mais, ces différentes institutions ont-elles des moyens nécessaires pour assumer cette
responsabilité ?
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II - Institutions de socialisation et crise de citoyenneté
L’éducation à la citoyenneté est une réalité multidimensionnelle qui s’avère une option
pertinente et nécessaire pour la promotion des valeurs culturelles et civiques au sein de la
population nationale. Pour y parvenir, différents canaux peuvent être intégrés dans ce
processus de formation.
II-1-La cellule familiale : quelle contribution dans l’acquisition des comportements
civiques ?
Il ne serait point abusif d’affirmer que l’éducation doit naître des valeurs traditionnelles.
Pourquoi l’éducation à la citoyenneté au sein de la famille ? La cellule familiale est le lieu par
excellence où l’enfant dès son plus jeune âge apprend à assimiler les règles de vie en société.
C’est dans ce milieu que se forge le système de disposition à partir duquel seront filtrées
toutes les expériences de la vie sociale. De ce fait, Rémond cité par Obin (2000 : 50) affirme
que «devenir citoyen n’est pas spontané ou naturel. Il faut former, construire, éduquer
l’individu pour qu’il devienne citoyen ». L’individu dans la famille se trouve confronté à un
ensemble de mécanismes d’apprentissage social par lesquels il acquiert des connaissances,
des rôles, des devoirs et intériorise des valeurs, des normes, des représentations et des
pratiques responsables à travers l’éducation. Ce milieu de socialisation le soumet à un hexis,
qui dans le sens donné par Bourdieu (1980), est un habitus qui désigne des manières d’être et
d’agir fortement intériorisées ainsi que des règles de conduite apprises qui favorisent par là
même, l’intégration de l’individu dans la société. L’habitus est un héritage social qui désigne
ce que l’on a acquis, mais qui s’est incarné de façon durable dans l’esprit sous forme de
dispositions permanentes. L’habitus citoyen désigne ainsi l’ensemble des qualités morales, de
devoirs civiques considérés comme nécessaires à la bonne marche de la cité, lieu où chaque
personne accepte la règle commune.
La famille étant la cellule de base de l’apprentissage des vertus sociales, il revient aux parents
d’assumer ce devoir à travers la communication, définie comme un processus interactif de
dialogue entre deux individus (parents/enfants) dont le but ultime est de persuader un individu
à adopter un comportement nouveau. Dans cette logique, Koudou Késsié cité par Toudéka
(2008 : 91) affirme que : « les pratiques éducatives qui mettent l’accent sur la discussion, la
confrontation des points de vue et la coopération, sont celles qui réussissent le mieux à
orienter la pensée et le jugement moral de l’enfant vers l’autonomie».
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Il ressort de cette idée que la discussion au sein de la famille entre parents/enfants est
importante. Et, comme le dit cet adage des théoriciens de l’école de Palo Alto4 « plus on se
parle, mieux on se comprend ». La formation aux valeurs, à la culture et à la vie était
l’apanage des familles qui dans leur composition disposaient des outils adaptés pour cette
tâche. Or, de nos jours, des liens de formation se relâchent, des dysfonctionnements
apparaissent au sein des familles qu’elles soient monogames, polygames ou monoparentales.
La communication entre parents et enfants devient faible et est influencée par d’autres
instances de formations telles les médias. Et, comme le souligne une enseignante d’une école
lors d’un entretien libre, «la communication parents enfants devient faible dans les sociétés
actuelles influencée par les médias. Même si les parents discutent avec leurs enfants et leur
parlent des valeurs morales ou citoyennes n’oublions pas que l’apprentissage externe modifie
leurs points de vues».
La cellule familiale influe négativement ou positivement sur l’éducation des jeunes. Les
familles à régime polygamique sont dans la majorité des cas des familles nombreuses dans
lesquelles la complicité de la pauvreté et le relâchement des liens familiaux engendrent une
carence éducative des enfants. Or, il est à noter que ce sont les parents qui sont les premiers
responsables de l’éducation des enfants ainsi que de leur bien être physique, psychologique,
affectif et pourtant ; ces éducateurs semblent absents, préoccupés par le travail et dont
l’absence se fait plus ressentir sur l’éducation des enfants. A cet effet, Rousseau cité par
Guénard5 (2009) précise qu’ :
Un père, quand il engendre et nourrit des enfants ne fait en cela que le tiers de sa tâche. Il doit des hommes à son espèce, il doit à la société des hommes sociaux, il doit des citoyens à l’Etat. Tout homme qui peut payer cette triple dette et ne le fait pas est coupable et plus coupable peut être quand il la paye à demi. Celui qui ne peut remplir les devoirs d’un père n’à point le droit de le devenir.
Le rôle d’une éducation citoyenne au sein de la famille est d’instituer le citoyen à être le
moteur du progrès de la cité, de lui transmettre des connaissances, des savoirs qui puissent
lui permettre d’apprendre à agir et à bien se comporter dans la société. Cette approche relie ���������������������������������������� �������������������4 Palo Alto est un nom d’une petite ville de la banlieue de San Francisco. Cette école est associée à une théorie de la communication humaine et à une démarche thérapeutique inspirée de l’approche systémique. Sa conception de la communication est centrée autour des notions de « système » et d’ « interaction » (Cf. Dictionnaire des Sciences Humaines, 2004 : 625 – 626). 5 Guénard F., 2009, Devenir sociable devenir citoyen, Emile dans le monde, pp. 9-29, article disponible sur http://www.cairn.info/artice.php?
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la citoyenneté au savoir (Rousseau, 1992 ; Condorcet, 1994). Ce savoir garde sa fonction
émancipatrice car, il a du sens pour l’éduqué dans la valorisation des nouveaux repères.
Mais, toutes les connaissances ne sont toujours pas données par la famille car, entre cette
dernière et la société, il y a l’école qui assure une sorte de relais. D’où le rôle
complémentaire de l’école dans l’acquisition des connaissances.
II-2- École et éducation à la citoyenneté : quels responsabilité et enseignement pour les
apprenants ?
De l’analyse des contextes des crises sociopolitiques au sein de la société togolaise, il est
important que l’on s’interroge sur l’apport de l’enseignement ou de l’éducation scolaire à la
formation de la citoyenneté dans le changement des comportements des citoyens. La
citoyenneté est une question qui taraude non seulement les philosophes, sociologues,
psychologues et autres, mais aussi les enseignants. A l’instar de la plupart des pays africains,
le gouvernement togolais, avec la réforme de l’éducation nationale en 1975 promulguée par
l’ordonnance n° 16 du 6 mai de la même année, a élaboré une grille de programmes consacrés
à la formation morale et critique des apprenants du primaire et du collège. Cette réforme
voudrait ainsi que la nouvelle école fasse de l’enfant togolais, une personne saine, un citoyen
ouvert d’esprit, capable de s’adapter aisément à toutes les situations nouvelles, plein
d’initiative et apte à agir sur le milieu pour le transformer. L’éducation étant l’un des axes de
l’apprentissage de la citoyenneté, elle s’inscrit à ce titre au cœur des missions de l’école et
participe résolument à former des citoyens égaux et différents, capables de vivre ensemble
dans des sociétés en réseaux. Elle privilégie la démarche pédagogique dans la durée et
contribue ainsi à faire évoluer les mentalités et les comportements de chacun à travers la
qualité de l’enseignement dans le but de construire un monde plus juste et solidaire.
L’école rassemble toutes les couches sociales en un lieu commun et fournit aux apprenants les
bases de l’écriture, de la lecture et du calcul. Dans le monde scolaire, la relation entre
enseignant et élève représente une occasion d’éveil à la liberté, à la créativité et à l’activité
critique que ne possèdent pas au même niveau les autres institutions telles que la famille et les
médias. Donner une éducation à la citoyenneté à l’école paraît plus que nécessaire. Mais
former un bon citoyen dépend en partie des connaissances transmises par l’enseignant, de la
formation qu’il a reçue et de la qualité de l’enseignement qu’il dispense à l’apprenant et des
contours biens précis des notions de citoyenneté. Mais, les programmes ou curricula éducatifs
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élaborés semble ne plus correspondre aux exigences d’une formation citoyenne dans une
optique démocratique actuelle au Togo.
La formation des citoyens a toujours été une préoccupation du système éducatif togolais.
Aussi dans un passé récent, les questions de citoyenneté faisaient-elles l'objet de trois matières
distinctes : la leçon de morale, l'éducation civique et politique, et la prévention routière. Les
nouveaux programmes en ont fait un seul objet d'enseignement: l’éducation civique et morale
en abrégé ECM. Celle-ci vise la formation de l’homme et du citoyen. Elle développe chez lui
la sensibilité, la volonté, la conscience, le patriotisme, le respect de la personne humaine, le
goût de l’initiative, le sens des responsabilités et de la solidarité. Cette éducation doit être
conçue comme une imprégnation permanente durant toute la vie scolaire et non une
distribution théorique de connaissances supplémentaires.
Cependant, dans la réalité, ces curricula ne sont pas rigoureusement déployés et l'ethos
scolaire n’offre pas les gages d’une culture démocratique. D’où la conclusion d’une
inefficacité qualitative interne de l'enseignement en général au Togo dans la mise en œuvre de
l'éducation à la citoyenneté démocratique. La nécessité des réformes politiques et éducatives
en matière de citoyenneté démocratique s’imposent afin d'œuvrer dans le sens des objectifs du
millénaire pour le développement durable.
L’enfant passe plus de temps à l’école (7h30 à 11h 30 et 15h à 17h pour ceux du primaires ;
7h à 12h et 15h à 17h pour ceux du collège et du lycée) qu’avec ses parents. Le seul lieu où il
peut apprendre à connaître l’autre, à l’accepter avec ses différences, et avoir un apprentissage
plus neutre de la vie, c’est l’école (Danioué, 2001). Elle s’impose comme un cadre capable
d’offrir le temps maximal à la formation civique en regroupant une population hétérogène.
Elle a ainsi pour mission d'instruire et d'éduquer le jeune afin de l'amener à prendre part à la
vie politique, économique, sociale et culturelle de son pays. Ainsi, pour un parent d’élève
interrogé, « l’école doit aider la famille afin de permettre aux apprenants par l’éducation
civique et politique d’être de bons citoyens pour le futur et pour le bien de la société ». Pour
Schnapper (2004 : 156) « l’ordre de l’école est, comme la citoyenneté, impersonnel et formel.
L’éducation scolaire doit former l’enfant à comprendre et à maîtriser l’abstraction de la
société politique ».
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Mais, en observant les comportements de la population à travers certains actes, tout porte à
croire que l’école a faillit à sa mission. Une pareille situation amène à se demander si ce sont
les programmes d’ECM qui ne correspondent pas au profil du citoyen voulu ou ce sont les
apprenants qui ne traduisent pas dans les faits les enseignements reçus. Dans ces conditions,
quelle peut-être la contribution des médias dans l’acquisition des comportements citoyens ?
II-3-: Faiblesse des écrits et des émissions concernant l’éducation à la citoyenneté à
travers les médias
La communication est un processus social qui provoque des changements dans les
connaissances, les attitudes et les comportements des acteurs sociaux ou groupes d’acteurs, en
mettant à leur disposition des informations factuelles et techniques, en facilitant le processus
d’apprentissage. Dans les sociétés actuelles, les médias (presse écrite, la radio, la télévision,
l'Internet) sont de plus en plus présents dans le quotidien de la population et rencontrent un
engouement auprès du public. Ils constituent un tremplin à partir des acteurs qui les animent
pour développer la réflexion et favoriser l’évolution des mentalités et des représentations. Ils
interviennent dans différents aspects de notre vie quotidienne et contribuent selon Schramm
(1964) au développement national en aidant à provoquer des transformations sociales. Ces
modifications reposent essentiellement sur des transformations des attitudes, des convictions,
des techniques et normes sociales.
Les médias influencent les décisions politiques et les choix du consommateur ; promeuvent la
santé et les droits du citoyen, mais peuvent aussi encourager des comportements déviants ou
exemplaires. Ainsi, selon le quotidien national Togo-presse : « Les médias exercent une
grande influence non seulement sur ce que nous pensons, mais aussi sur la manière dont nous
agissons. Ils sont les vecteurs de transmission de point de vue et d’une multiplicité de paroles
permettant à l’exercice de la citoyenneté par la participation de l’esprit critique » (Togo-
presse du 04 Mai 2009). Dans ce cas, ils sont des canaux privilégiés pour divulguer des
informations qui contribuent à la prise de conscience et à un changement de comportement
des citoyens. Cette éducation qui se réfère plus à une socialisation tente de montrer aux
citoyens leurs droits et devoirs, source de citoyenneté. Cependant, cette responsabilité est-elle
accomplie afin d’observer un changement de comportement auprès de la population ? En effet
selon les propos d’un responsable d’une publication de journal privé :
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Les journalistes ont une responsabilité dans l’éducation des masses mais l’incivisme qui prévaut et qui emporte les médias est une crise de la société tout entière et des mœurs. Des autorités politiques qui devraient veiller à ce que la culture civique s’enracine à travers les médias s’appuient sur certains journalistes qu’ils stipendient pour régler des comptes.
Il est évident que la participation des médias à l’instauration d’un comportement citoyen et
responsable au Togo reste mitigée. Dès lors, les médias, notamment la télévision, la radio, la
presse écrite qui constituent un complément dans cette mission qui était dévolue à la famille et
surtout à l’école (et qui l’est encore), à travers les divers programmes de ces canaux
d’information et qui devraient offrir des idées et des messages à la population à travers les
écrits et les émissions sont loin d’atteindre ces objectifs.
La vie publique étant médiatisée de nos jours, une nouvelle forme d’éducation civique
s’impose, car l’une des fonctions des médias est de donner au public une éducation civique,
politique, culturelle et économique afin que ce dernier puisse participer au développement de
son pays. Mais, loin de former le public aux valeurs civiques, force est de constater qu’une
part infime est consacrée aux écrits portant sur la citoyenneté, par rapport aux domaines
politiques, sportifs et commercial (publicité) au niveau de la presse écrite privée (la plus
importante en termes numériques des médias au Togo6) lorsque l’on analyse la Une de ces
journaux. S’agissant des médias audiovisuels (radio, télévision), les émissions à caractère
civique même si elles existent (d’abord insuffisantes et pour une durée d’à peine 15mn
comme c’est le cas du coin du citoyen sur la Télévision Nationale : TVT), ne permettent pas
un débat ou des échanges pour amener le public à s’imprégner plus des valeurs citoyennes,
pouvant susciter un changement de comportement. Or, pour que ces émissions ne restent pas
théoriques ou à sens unique, elles doivent permettre un débat constructif pour la formation du
citoyen. Il est vrai qu’aujourd’hui les citoyens disposent de points de repère dans les médias
pour construire leur identité. Mais ceci ne suffit pas puisqu’il s’agit de cliches souvent
caricaturaux.
���������������������������������������� �������������������6 On dénombre plus de 200 journaux de toutes catégories qui paraissent plus ou moins régulièrement selon les informations collectées sur le terrain auprès de journalistes, HAAC, etc. contre une dizaine de chaines de télévisions et plus d’une vingtaine de stations radios.
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Mis à part cette socialisation primaire qu’assure l’école, renforcée par les médias, une fois
dans la vie active, d’autres partenaires et surtout les partis politiques ont pour rôle d’assurer la
socialisation secondaire de l’adulte qui devient partisan à travers une éducation civique et
politique. Toutefois, l’on se pose la question de savoir si les partis politiques avec leurs
dirigeants parviennent-ils à accomplir cette responsabilité.
II-4- Déficit d’une éducation civique par les partis politiques comme source de la crise
de citoyenneté
Dans un Etat démocratique, les partis politiques constituent aussi d’importants agents de
socialisation. Un parti politique est une association d’Hommes qui professent et défendent la
même doctrine. Cette communauté de valeurs est ainsi le premier critère de distinction de
partis qui se différencient par les idées, doctrines ou programmes qu’ils promeuvent et
défendent. Mais la problématique de la création des partis politiques au Togo comme dans
bien nombre de pays africains ne repose pas sur l’idéologie de laquelle transparaît un projet de
société qui propose un véritable changement social.
La plupart des partis politiques au Togo n’ont pas une idéologie ou elle est à peine perceptible
si elle existe. La réclamation de l’appartenance à un parti par les militants est liée parfois à
l’ethnie ou à d’autres mobiles qu’à l’idéologie. En absence d’idéologie et de projet politique
qui devaient servir de base à la formulation d’une opinion et d’une vision du parti, les
militants sont en manque d’une projection des changements auxquels ils peuvent adhérer.
L’éducation civique et politique aide à approfondir les rouages de la vie nationale. Cela
permet à l’adulte d’exercer sa citoyenneté grâce aux connaissances transmises et
personnalisées dans une recherche d’épanouissement à la fois personnelle et collective à
travers une morale civique. A défaut de cette éducation, minimale soit elle, le recours à la
violence est plus probable que le recours aux jugements raisonnés. Pour justifier cette analyse,
un étudiants en droit renchérit en disant : « au Togo, nous n’avons pas de citoyens ; nous
n’avons que des habitants. Les partis politiques drainent des populations qui sont laissées
pour compte et n’ayant aucune formation ».
Selon les dispositions de l’article 2 alinéa 1 de la charte des partis politiques, « les partis
politiques sont des organisations ayant pour objet de concourir à l’expression de la volonté
politique des citoyens et à leur formation civique ». De plus, la constitution togolaise de 1992
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en son article 8 dispose que : « les partis politiques et les regroupements de partis politiques
ont le devoir de contribuer à l’éducation politique et civique des citoyens, à la consolidation
de la démocratie et à la construction de l’unité nationale ». Au regard de ces deux articles, il
est assigné une responsabilité aux instances politiques en ce qui concerne la formation civique
et politique des citoyens. Cela signifie que les partis politiques ont la responsabilité d’œuvrer
à la formation de leurs militants, spécialement ceux qui n’ont pas la capacité d’appréhender
les valeurs démocratiques et citoyennes. Ils ont la responsabilité de former leurs militants et
sympathisants sur leur mission, vision et programme de société afin d’asseoir une culture
démocratique à la base. Malgré l’existence de ces dispositions, les partis politiques se soucient
moins de ce devoir. Ils rassemblent les militants pour les marches de protestations ou de
soutien, pour les campagnes électorales, pour élire le bureau exécutif sans les sensibiliser sur
la procédure ou les comportements à adopter en démocratie. Ce qui fait dire à un responsable
d’une ONG, observateur de la scène politique togolaise que « les leaders politiques sont en
panne d’inventivité politique face aux problèmes réels qui se posent aux populations. Ils
présentent une carence : celle de l’insuffisance ou de la mauvaise culture politique».
Dans ce cas, la compétition politique devient une course aux élections au cours de laquelle les
militants des différents partis politiques font preuve d’intolérance. Ils cèdent à toutes les
formes de dénigrement, d’intimidation, de violences verbales ou physiques qui se soldent
parfois par des tueries (rapport postélectoral 2010 de l’ONU, faisant cas des morts au Togo).
Ce manque de formation des militants par les partis politiques est dû en partie à la situation
précaire dans laquelle baignent les responsables politiques eux-mêmes. Nombreux sont ces
derniers qui créent des structures politiques sans en mesurer la responsabilité et les
contraintes. Selon les propos d’un interviewé d’une association :
Les leaders des partis politiques sont absents de la vie sociale et c’est à l’approche des élections qu’ils affutent leurs armes pour conquérir l’électorat. Ils se soucient moins de conférer à leurs militants les valeurs citoyennes, de non violence et manquent ainsi à leur devoir d’éducateurs» (Entretien libre).
Et c’est à juste titre que nous paraphrasons Tine (2008) en montrant que le nombre élevé de
partis politiques ne rend pas compte de la qualité de l’enracinement d’une culture civique. Il
revient aux éducateurs de s’éduquer eux-mêmes afin d’être des esprits supérieurs qui
s’affirment à chaque moment, avoir le sens de la responsabilité et l’intérêt de la nation en vue,
avant de représenter une formation politique car, n’est pas leader qui le veut. Ainsi, les partis
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politiques, par leur contribution, doivent « être une école de civisme où l’individu apprend à
devenir un citoyen responsable » (Danioué, 1997 : 130). Cette analyse plurielle de la nécessité
d’une éducation à la citoyenneté à travers certaines institutions, nous conduit à porter un
regard sur la crise de citoyenneté que l’on observe depuis l’instauration de la démocratie au
Togo.
III-Crise de citoyenneté comme difficile consolidation du système démocratique
Le Togo s’est engagé dans un processus d’édification d’État de droit, respectueux des valeurs
démocratiques et des idéaux de Droit de l’Homme à partir des années 1990. Analyser la crise
de citoyenneté à partir du processus de démocratisation au Togo revient à appréhender les
phénomènes ou pratiques d’incivilités selon les différentes formes de manifestations et les
causes qui en découlent. Personne ne naît bon citoyen, aucune nation ne naît démocratique ;
dans les deux cas, il s’agit d’une évolution en perpétuelle mutation.
Dans le contexte du processus de démocratisation du Togo, un des aspects de la manifestation
des incivilités est lié à la manière dont les acteurs politiques animent et observent les règles et
normes de ce processus. Lors des entretiens, un interviewé déclare : « la mauvaise perception
et connaissance du jeu démocratique par la classe politique rend difficile son enracinement ».
Un autre aspect se rapportant aux incivilités au Togo marquant la crise de citoyenneté se
manifeste par l’insuffisance de culture démocratique7 et citoyenne des populations.
Le droit de vote reconnu aux citoyens part de la présomption d’une capacité de délibération
personnelle. Cette capacité n’est pas innée. Elle est construite chez le citoyen ou l’électeur à
travers une éducation civique et citoyenne permanente d’où la fonction d’éducation et de
socialisation dévolue aux instances concernées (famille, école, partis politiques,…). Mais, les
faiblesses qui caractérisent ces institutions constituent une entrave à la consolidation de la
démocratie. Ainsi, en l’absence d’une éducation minimale soit telle, le recours à la violence
est plus probable que le recours au jugement raisonné, mettant en péril les acquis de la
démocratie. Les élections au Togo (surtout présidentielle) présente toujours « le même
paysage. Depuis le processus de démocratisation c’est le même feuilleton, c’est-à-dire le parti
au pouvoir gagne et l’opposition conteste pour des raisons de fraude et de truquage des ���������������������������������������� �������������������7 Le rapport de l’ONU sur l’établissement des faits des élections du 24 avril 2005 au Togo révèle que les télévisions ont montré des images des militaires enlevant de force des urnes des bureaux de vote (Rapport de l’ONU, 2005 : 16).
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résultats» (Entretien libre). La période électorale est une porte ouverte sur des violences de
tous genres avec leurs conséquences. La proclamation des résultats est une occasion de
protestation pour les perdants en réclamant « les vrais résultats » (Entretien libre) et qui
dégénère en violence. Selon le rapport final du Haut Commissaire des Nations Unies aux
Droits de l’Homme, ces violences en 2005 ont fait environ 400 morts et des milliers de
blessés ; 58 morts selon le Mouvement Togolais de Défense des Libertés et des Droits de
l’Homme (MTDLDH) ; 811 morts selon la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH),
de nombreux réfugiés dont 24 000 enregistrés par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR)
sont recensés dans les deux pays voisins, le Bénin et le Ghana (Baleng-Dodji, 2009 : 13). Pour
justifier cette carence de culture démocratique débouchant sur des violences, un responsable
d’une organisation de la société civile s’exprime en ces termes :
La réalité est que certains compatriotes ne savent pas voter utile car, ils n’ont pas reçu de formation. Cela se justifie par le nombre important des bulletins nuls qu’on observe lors des élections. Dès lors qu’un parti politique perd les élections dans son fief, on cri aux fraudes et les appels à manifestation deviennent le mot d’ordre.
Les jeunes représentent une part non négligeable de la population vivant dans une pauvreté, à
la recherche du premier emploi qui tarde à venir. La détérioration des conditions de vie les
pousse à se révolter contre le pouvoir politique (Houndjo, 2009 : 91). Ils sont amenés à défier
les valeurs républicaines et démocratiques, par exemple le refus du respect de l’autorité
publique. Les périodes électorales constituent des moments propices pour ces jeunes de
manifester leurs mécontentements et désaccords à travers les révoltes. Dès lors,
l’enracinement de la démocratie devient difficile dans la mesure où la révolte et l’incivisme
gagnent les citoyens.
L’acceptation mentale de la démocratie par les gouvernants s’observe dans la nature de la
gouvernance qui représente la volonté politique de ces derniers d’œuvrer pour le respect des
lois fondamentales de la République. Mais, les ambitions personnelles ou partisanes prennent
le dessus sur la recherche du bien-être collectif du peuple créant souvent des tensions sociales
entre différents acteurs de la vie politique dont tout porte à croire qu’il est difficile pour les
animateurs de la scène politique de dégager un consensus. Ceci conduit un interviewé de
l’administration à s’exprimer en ces termes :
Imaginer combien de fois les pourparlers ont été organisés pour que la classe politique puisse se comprendre et éviter des crises. Mais, le résultat est toujours le même :
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désaccord, incompréhension, etc. Dans ces conditions, les accords dits globaux ne sont que des parchemins pour tromper le peuple car la crise persiste. Comment voulez vous alors qu’on puisse parler de consolidation de la démocratie dans des conditions où l’on modifie la constitution de la IVe République de 1992 pour s’éterniser au pouvoir.
Ces différentes situations démontrent une insuffisance de culture démocratique de la part de
tous les acteurs sociaux. Le manque de cohésion et de consensus a des impacts négatifs sur le
processus de démocratisation entrainant violences et contestations. Au premier rang de ces
contestations figure la crédibilité des institutions électorales : la cour constitutionnelle, la
commission électorale indépendante, la haute autorité de l’audiovisuel et de la communication
sont des institutions « partisanes et non crédibles, refusant de faire respecter le jeu
démocratique en cautionnant les combines du parti au pouvoir » (Entretien libre). Mais, le
développement durable dont aspirent les sociétés démocratiques se fonde sur le respect des
différentes composantes institutionnelles et humaines. Cet idéal ne saurait être possible sans la
conscience citoyenne qui prône l’esprit collectif. La conscience citoyenne est d’une
importance capitale non seulement pour la vie sociale d’un pays, mais aussi, et surtout dans
une société démocratique, car c’est par elle que s’acquièrent les valeurs, des idées et des
attitudes démocratiques responsables.
La citoyenneté s'apprend au sein de la famille, à l'école, à la mosquée, à l’église, etc. avant de
s'exercer dans la vie de tout citoyen. Ce choix correspond pour l'essentiel à la conception
traditionnelle d'une instruction civique, en tant qu'inculcation de principes à traduire en actes
dans un temps différé plus ou moins lointain, un changement profond de la vision et des
mentalités des citoyens. La valeur primordiale à inculquer c’est d’abord l’acceptation de
l’autre dans une synergie de la construction d’une nation togolaise. La citoyenneté, est la
source du lien social écrit Schnapper (2004 : 11). Les valeurs critiques que sont le sens de la
responsabilité, l’implication dans les affaires publiques, la participation volontaire aux
activités d’intérêt général, la solidarité avec les autres membres de la communauté, l’amour de
la patrie et le respect des lois, constituent les ferments du lien social et de la construction d’un
État de droit, de justice et de paix (Willaine, 2004 : 49). Le civisme implique de meilleurs
rapports sociaux, qui entraînent la cohésion sociale et de ce fait débouchent au développement
et à l’enracinement du système démocratique. C’est ici l’importance de l’information
considérée comme véhicule des connaissances et du savoir et donc capitale à la culture
citoyenne. Tout progrès social est fonction d’une transformation tant dans la mentalité que
dans le comportement. Ceci n’est possible qu’avec le concours de l’information ; « une
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information juste qui apparaît comme un levain de changement social et de renforcement de
la démocratie », renchérit un interviewé. Elle contribue dans les démocraties en construction
comme au Togo, au changement de comportement de la population par l’intériorisation et la
mémorisation des valeurs propagées par le nouveau modèle politique (système démocratique)
et la culture qui en découle, à savoir le respect de la chose publique, privée et la participation
du plus ordinaire des citoyens à la vie sociopolitique. On mesure ainsi combien l’éducation à
la citoyenneté reste une question vive du monde actuel, un principe régulateur à réaffirmer
mais aussi à enrichir et à adapter aux nouveaux contextes. Il est donc tout aussi nécessaire
d'en développer l'apprentissage chez les citoyens si on veut qu'ils orientent leurs conduites
futures, ce qui est précisément le rôle des instances de socialisation. Il faut donc former des
citoyens capables de conduire des affaires économiques, politiques, culturelles, pour un
développement harmonieux de la nation. La citoyenneté apparaît comme un principe
d'inclusion qui intègre dans la même unité politique, la nation démocratique, l'ensemble des
citoyens, malgré et au-delà de leurs différences de race, de religion, de profession, d'âge ou de
région, réunis dans une même communauté de citoyens (Schnapper, op. cit).
Dans les sociétés complexes dont la solidarité organique (Durkheim, 2007) reste
problématique, l’éducation à la citoyenneté apparaît comme un principe régulateur et
intégrateur plus que jamais nécessaire dans le monde moderne à l'épreuve du développement
du lien social. Ce lien permet aux individus qui se réclament de la même communauté de
vivre ensemble. La consolidation de ce lien social relève de la responsabilité de toutes les
institutions à charge de l’éducation de l’individu dans la société. Cette éducation induit
l’imprégnation des valeurs morales et démocratiques. Mais, ces valeurs qui permettent de
connaître les droits et devoirs sont moins respectés et semble absentes chez le citoyen
togolais ; engendrant des difficultés dans l’enracinement de la démocratie. Selon le
responsable d’une organisation d’observation de la démocratie « les causes de la crise de
citoyenneté observé au Togo s’articulent autour de l’insuffisance de culture démocratique, la
mauvaise gestion du passage du parti unique au multipartisme, la mésentente des leaders des
formations politiques sur les règles de jeu». L’avènement d’une culture civique et
démocratique orientée vers la participation au fonctionnement du système politique,
économique, juridique devient une nécessité.
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Discussion
La citoyenneté est l’ensemble des qualités morales, de devoirs civiques considérés comme
nécessaires à la bonne marche de la cité, lieu où chaque personne doit accepter la règle
commune. On distingue trois étapes de la citoyenneté : la citoyenneté civile qui correspond
aux libertés fondamentales (liberté d’expression, égalité devant la loi et le droit de propriété);
la citoyenneté politique fondée sur la participation politique (le droit de vote, le droit
d’éligibilité, le droit d’accéder à certaines fonctions publiques); la citoyenneté sociale qui
résulte de la création de droits socio-économiques (droit à la santé, droit à la protection contre
le chômage, droit syndical, droit à l’éducation, etc.).
Sur le plan méthodologique, cette recherche se doit un certain nombre de limites. D’abord elle
n’a touché qu’une seule ville, Lomé la capitale du Togo avec un échantillon qui ne reflète pas
les vraies statistiques mais, qui nous a permis d’avoir des informations utiles pour l’analyse.
De la diversité des théories et thèses sur la citoyenneté, elle a été analysée dans cette étude sur
l’aspect suivant : la citoyenneté ne se définit pas uniquement d’un point de vue juridique par
la possession de la nationalité donnant à un individu la qualité de citoyen d’un Etat. Mais, elle
semble aujourd’hui davantage se définir par un mode de comportement civique et une
participation active et quotidienne à la vie de la société.
L’analyse des différents aspects abordés dans cet article a permis de comprendre que La
citoyenneté se construit dans la tourmente des relations d'antagonisme qu'entretiennent
nécessairement des individus ou groupes partageant un espace public commun. L'histoire de
la citoyenneté se nourrit des tensions continuelles entre divers groupes sociaux pour
déterminer les critères, normes et conditions d'existence et de participation des individus au
sein de la cité. Les paramètres de la citoyenneté sont intimement liés à la dynamique des
rapports sociaux et des rapports de pouvoir propres à chaque société (Labelle et Daniel Salée
op. cit.).
C’est pourquoi, il importe d’inverser ces tendances négatives et d’installer dans toutes les
couches et catégories de population, un comportement nourri par la culture de la citoyenneté,
des Droits de l’Homme et de la démocratie. Il est alors nécessaire de repenser à un contrat
social (Rousseau, 1992) qui soit respecté par tout citoyen vivant dans la société.
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Conclusion
Si l’utilité et la pertinence du rôle de l’éducation à la citoyenneté en matière de consolidation
de la démocratie et du développement n’est plus à prouver, elle ne doit pas pour autant être
conçue comme un concept fourre-tout et assimilée de façon systématique à toutes les
initiatives visant le changement de comportements. Une réflexion approfondie est donc
nécessaire afin de préciser et de délimiter le rôle, le contenu et les approches idoines de
l’éducation à la citoyenneté au Togo. L’éducation à la citoyenneté doit être envisagée comme
une quête permanente qui suppose au préalable que certaines conditions soient réunies afin
que les différents acteurs sociaux veillent constamment à leur maintien.
L’article a tenté de faire ressortir certains actes d’incivilités et de non respect des textes et lois
régissant le fonctionnement de la démocratie constatés auprès de la population (allant des
gouvernants aux gouvernés) et souligné les faiblesses et l’importance de certaines institutions
telles que la famille, l’école, les médias, les partis politiques dans le cadre de la nécessité
d’une éducation citoyenne pour un développement humain durable. Elle a montré également
que la dégradation, la dégradation de certains biens publics lors des mouvements sociaux,
voire l’absence de civisme observé auprès de certains citoyens surtout dans les grandes villes
du Togo et plus précisément à Lomé est un constat affligeant aujourd’hui. Les actes qualifiés
de civiques tels que le respect de la chose publique et « le savoir vivre ensemble » cèdent
désormais la place à de nouveaux comportements indécents et peu recommandés.
Il revient donc aux institutions scolaires, aux partis politiques, aux gouvernants, aux médias et
aux familles d’être à l’avant-garde de la promotion d’une citoyenneté au nom de laquelle
vivre ensemble deviendrait une convivialité. En ces temps-ci où le Togo s’efforce de rebâtir
sa vie politique, économique et sociale, et d’accorder les droits et les libertés que les citoyens
méritent, il importe de noter que la réussite de cette entreprise de reconstruction du pays
dépendra dans une très grande mesure de la façon dont les principes qui garantissent la
démocratie prendront racine dans les cœurs et les esprits des citoyens. Car l’épanouissement
de la démocratie repose fondamentalement sur la qualité des citoyens. Autrement dit, la
démocratie est une forme d’organisation et de gestion de la vie commune qui ne peut
triompher de sa propre fragilité et durer que si chaque génération a les moyens d’en
comprendre le fonctionnement.
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Le sens de la citoyenneté dans le contexte de la construction
nationale au Cameroun
KAKDEU Louis-Marie, PhD
Centre de Recherche et d’Action pour la Paix (CERAP), Abidjan-Côte d’Ivoire
Résumé
Cet article traite du sens identitaire que l’on donne à la notion de citoyenneté au Cameroun de
nos jours. A l’aide d’une approche empirique et multidisciplinaire qui combine analyse du
discours, sciences politiques et sciences économiques, il présente tour à tour les limites de la
citoyenneté envisagée sur les plans politiques, culturels et ethniques. Il montre que la
nationalité camerounaise des adversaires politiques est privée de certains avantages liés à la
citoyenneté dont les droits politiques, économiques, sociaux ou culturels. Il montre comment
un modèle de citoyenneté se reposant sur le critère fiscal pourrait être plus fonctionnel que le
modèle actuel se reposant sur la parenté nationale. Il se fonde sur quelques exemples tirés du
modèle suisse et discute la primauté politico-administrative que l’on accorde à la politique de
redistribution au Cameroun (équilibre régional).
Mots-clés : Représentation, citoyenneté, identité, construction nationale, fiscalité.
Abstract
This article discusses the sense given to the notion of citizenship in Cameroon today. Using
an empirical and multidisciplinary approach that combines discourse analysis, political
science and economics, the work presents alternately the limits of citizenship envisaged in the
political, cultural and ethnic backgrounds. It shows that the Cameroonian nationality of
political opponents is deprived of certain benefits of citizenship, including political,
economic, social or cultural rights. It shows how a citizenship model based on the fiscal
criterion may be more efficient than the current model based national affiliation. It is based on
some examples from the Swiss model and it discusses the political and administrative primacy
given to the policy of redistribution in Cameroon.
Keywords: Representation, citizenship, identity, nation-building, taxation.
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Introduction
La nationalité peut être définie sur les plans culturel, sociologique, politique ou juridique
(Krulic, 1999 :9). Sur le plan socioculturel, la notion de nationalité renvoie à une identité
collective (croyances, symboles, histoire, territoire, culture, etc.) que les membres d'une
même communauté/nation se donnent (Oommen, 1997 : 19 ; Gracia, 2005 :110). Du point de
vue politique et juridique, la définition de la nationalité qui est pertinente dans le cadre de ce
travail est la preuve légale de l’appartenance à un Etat. Dans les faits, l’Etat est constitué de
citoyens qui respectent ses lois (droits et devoirs) en vue de favoriser une vie harmonieuse et
durable en communauté. Selon la loi N°68-LF-3 du 11 juin 1968 portant code de nationalité
camerounaise, l’attribution de la nationalité camerounaise à titre de nationalité d’origine se
fait dans les limites de la loi en raison de la filiation parentale, de la naissance au Cameroun,
de l’effet du mariage, de l’effet de l’adoption et de l’effet de la naturalisation. La double
nationalité masculine n’est pas admise au Cameroun à ce jour, ce qui signifie que le
Camerounais majeur, à l’exception de la femme, qui acquiert ou conserve volontairement une
nationalité étrangère, perd automatiquement sa nationalité camerounaise. Cette loi prévoit en
son Article 32 que la femme camerounaise qui épouse un étranger conserve sa nationalité
camerounaise, à moins qu’elle ne déclare expressément au moment de la célébration du
mariage et dans les conditions fixées par la loi, répudier cette qualité. Cela signifie qu’il est
possible pour la femme camerounaise d’avoir la nationalité étrangère tout en conservant sa
citoyenneté camerounaise. Cette exception crée de par la loi une différence entre les notions
de nationalité et de citoyenneté au Cameroun bien qu’elle ne soit pas explicitement exprimée.
Cette preuve formelle s’ajoute à la représentation linguistique de la citoyenneté camerounaise
selon laquelle « les gens se dépassent ; les gens s’égalent mais, ne se valent pas ». Aussi, on
entend dire au sujet de la vie publique que « tu n’es rien si tu n’as personne quelque
part [haut placée]». En clair, l’imaginaire populaire dévoile l’existence de l’inégalité de
traitement entre les Camerounais ; il existe des personnes privées de leurs libertés et de leurs
droits politiques, économiques, sociaux ou culturels et qui ne conservent au plan civil que leur
nationalité comme ce fût le cas par exemple dans la relation coloniale avec la France ou la
Belgique sous le code de l’indigénat (Solus, 1927).
A l’heure de la construction nationale, il importe de se poser des questions d’ordre descriptif,
causal et comparatif : Quel est le système de citoyenneté qui est mis en place de nos jours au
Cameroun ? Quels en sont les critères de définition? Quels en sont les conséquences et les
dysfonctionnements observés ? Quel modèle alternatif pourrait être utilisé pour atteindre les
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objectifs de la construction nationale ? Comment un système reposant sur le critère fiscal
pourrait-il être plus fonctionnel que l’actuel qui repose sur la parenté nationale ?
Pour répondre à ces questions, nous adoptons une démarche multidisciplinaire qui intègre
l’analyse du discours, les sciences politiques et les sciences économiques. Nous relevons
l’implicite (Kerbrat-Orecchioni, 2005) qui se dégage des différents discours prononcés sur la
citoyenneté et nous analysons le jeu des acteurs politiques sur le terrain (Knoepfel et al.,
2006) de façon à proposer un sens opérationnel à la notion de la citoyenneté correspondant à
l’environnement cognitif et social du Cameroun. Du point de vue de l’économique publique
(Marshall, 1971 ; Musgrave & Musgrave, 1989), nous abordons la question de la construction
nationale de façon à la rendre viable pour un Etat républicain en voie de démocratisation.
Pour ce faire, nous faisons dans un premier temps l’état des lieux en présentant tour à tour la
conception de la citoyenneté sur le plan politique d’une part et ethnique d’autre part. A ce
modèle réel, mais dysfonctionnel de la citoyenneté, nous préssentons dans un second temps,
un modèle idéal basé sur la fiscalité et susceptible d’être plus fonctionnel dans le contexte de
la construction nationale.
1. La citoyenneté politique au Cameroun
Comme le rapporte aussi Amougou (2011), dans certains milieux politiques camerounais, le
citoyen est considéré comme un sujet électoral dont le politique « détourne du sens du vote»
(Quantin, 2002:6-7) au gré de ses ambitions de conquête ou de conservation du pouvoir (se
faire élire). Dans les faits, l’acteur politique fait croire au citoyen-électeur dans une approche
psychobiologique que s’il ne fait pas un « choix utile [choix du candidat qui sera en mesure
de combler ses besoins]» ou « le seul bon choix »1 alors, il sera un « lasser-pour-compte » en
dépit de son statut de citoyen à part entière.
Le pouvoir du RDPC2 avait même eu à utiliser le slogan suivant : « politics na njangui [le jeu
politique fonctionne comme une tontine : tu me cotises, je te cotise] » en référence à la
promesse implicite de la récompense des citoyens qui feraient allégeance au régime. Le
langage du « njangui » consistait à proposer au citoyen un pacte politique selon lequel « tu
tapes dans mon dos, je tape dans ton ventre » ou mieux « tu me donnes ta voix et je te donne
���������������������������������������� �������������������1 C’était le slogan de campagne du parti RDPC lors des élections présidentielles de 1997. 2 Se dit du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, parti au pouvoir créé en 1985.
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l’action publique en retour, sinon tu n’a rien ». Le Premier ministre Simon Achidi Achu3,
auteur principal du slogan, en témoignait lui-même : « Nous disions aux gens que si vous
donnez vos voix à Paul Biya4, étant donné qu’il gère le pays, il sera à mesure de vous donner
en retour en fonction de vos besoins et des disponibilités du pays »5. L’implicite contenu dans
cette logique est que « celui qui ne gère pas le pays ne peut pas avoir les moyens de répondre
aux aspirations du peuple ».
Dans le contexte d’énonciation, il s’agissait de la Realpolitik et dans cette démarche, comme
le relève Kakdeu (2010a), on note clairement la scission du groupe des citoyens-bénéficiaires
des politiques publiques en deux parties en ce sens qu’on ne promet plus de soutenir que la
portion du peuple qui accepte d’entrer dans ce jeu du réalisme politique. Le citoyen devient le
client des clans politiques qui se vendent au plus offrant ou à tous ceux qui veulent obtenir des
privilèges au sein de la « mangeoire suprême [appareil de l’Etat]» (Taguem Fah (2001). Dans
les cercles du pouvoir, on fait miroiter aux citoyens une rétribution financière, un poste de
nomination ou tout autre « avantage de toute nature prévu par la réglementation en vigueur»6
en cas de leur « forte mobilisation ».
On observe aussi que la répression du citoyen indélicat (opposant) ne se fait plus par terreur
physique comme ce fût le cas dans les premières décennies de la décolonisation mais, par
suppression des avantages liés à sa citoyenneté. Comme il se dit, les relations entre les
politiques et les citoyens ont « l’œil [pour discerner] et les dents [pour croquer] ». On entend
les victimes s’écrier : « Le dehors est ndjindjah7 ! C’est caillou8 ! [Les opportunités sont
fermées] ».
Dans les faits, ce clientélisme politique ne bénéficie qu’à « l’élite prédatrice » appartenant
pour la plupart au « pays organisateur [tribu du Président de la République] » (Atéba Eyéné,
2008). Pour le reste, la masse (citoyen ordinaire) se contente des promesses ou des discours
sensationnels. Dans ce travail, le sensationnel consiste à tenir un discours ou un langage qui
vise à générer « de la violence [pouvoir] ou le miracle [opposition]» en vue de peigner « un ���������������������������������������� �������������������3 Il fut le Premier Ministre de la République du Cameroun du 9 avril 1992 au 19 septembre 1996. 4 Président de la République du Cameroun depuis 1982 et Président national du RDPC. 5 Source : Journal du RDPC, http://journal.rdpcpdm.cm/index2.php?option=com_content&do _pdf=1&id=2016 C’est généralement l’article 2 de tout acte de nomination à un poste de responsabilité au Cameroun. 7 Littéralement, le citoyen utilise la métaphore selon laquelle « lorsqu’on avale la salive de la galère, ça brule la gorge comme le ferait le jus de gingembre. » 8 Le citoyen utilise la métaphore selon laquelle « la vie est dure comme le caillou. »
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visage grotesque sur le monde » et en privant le citoyen «de la possibilité d'examiner les
événements subtils avec de grandes conséquences » (Stephens, 2007:113). Selon Kakdeu
(2010a), le discours politique à destination du citoyen camerounais est caractérisé par trois
types de promesses à savoir : les promesses utopiques à connotation nationaliste9, les
promesses réalistes et populistes10, et les promesses intelligentes à connotation électoraliste11.
En effet, la promesse politique est envisagée comme étant la prise d’un engagement oral ou
écrit à répondre aux attentes des acteurs de la politique publique. Les procédés utilisés sont :
l’effet d’annonce, la prédiction, l’espoir ou l’assurance que « le nécessaire sera fait ». Le
Président Paul Biya12 l’a « actualisé » en ces termes : « Je vous verrai » (Boyomo, 2001). Il
s’agit en effet du mensonge présenté par Duradin (1982) comme un discours sur lequel il a été
appliqué des procédés d’adjonction, de soustraction ou de déformation de l’information.
Au Cameroun, la plupart des discours sensationnels des partis politiques et de la presse
partisane ne sont plus fidèles aux faits et l’utilisation de l’un des procédés ci-dessus vise à
créer des effets électoralistes sur le citoyen. A ce sujet, Kerbrat-Orecchioni (1984 :213) parle
de «discours du Parti, donc de parti pris, discours apologétique et polémique, dont l’enjeu est
de dévaloriser la position discursive de l’adversaire tout en valorisant la sienne».
L’une des conséquences de la conception actuelle de la citoyenneté politique au Cameroun est
la dépendance du peuple supposé pourtant être « une foule qui sait faire foule [libre, unie et
consciente]» (Ngoué, 1997). On observe que les citoyens sont victimes de la manipulation ou
du lavage de cerveau au sens d’Esquerre (2002) ou de Laurens (2003). Par la force du
clientélisme politique, un rapport de pouvoir dominant des hommes politiques les contrôle
psychiquement et fait état de ce qu’ils ne verront jamais leurs conditions de vie s’améliorer
s’ils « ne font pas le jeu du pouvoir». Ainsi, c’est tout logiquement et en adéquation avec la
tendance dominante que ces citoyens abandonnent la morale publique pour vivre dans la
corruption. A ce sujet, on entend dire avec désespoir : « on va faire comment ? Ici dehors
maintenant, il faut manger13 ta part et tu restes tranquille ! Tu penses que c’est toi qui vas
���������������������������������������� �������������������9 Actes de parole à connotation nationaliste qui annoncent la construction d’un monde idéal et qui relèvent des engagements que les autorités politiques prennent alors qu’elles ne peuvent pas respecter. 10 Actes de parole à connotation électoraliste qui communiquent sur le gain mutuel dans l’exercice du pouvoir et qui se fondent sur l’incrimination de l’élite politique, économique et financière. 11 Actes de parole à connotation électoraliste qui se présentent comme un enchaînement discursif actualisé (Boyomo Assala : 2001) intellectuellement et technologiquement correct. 12 Président de la République du Cameroun depuis 1982. 13 Incitation au détournement des deniers publics ou à l’acceptation de la corruption.
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changer quoi ? ». Les citoyens sont victimes au sens de Laurens (2003), d'une force
quasiment irrésistible qui les pousse à faire ou à penser des choses non propices pour le pays,
une force qui finalement conduit à la perte.
Une autre conséquence observable est la perversion du sens de l’engagement politique. On
constate qu’en vue de gagner les élections, les hommes politiques indélicats font une intrusion
opportuniste dans la vie des citoyens et causent « un véritable viol de leur conscience ou de
leur volonté » (Laurens, 2003) de façon à ce que ce ne sont plus eux, les citoyens, qui
expriment leur volonté ou qui agissent, mais c'est la volonté de ces politiques qui est entrée en
eux et qui agit à travers eux (sentiment de possession). On assiste donc, sous la « logique
autoritaire » actuelle (Zambo-Bélinga, 2003), à la « paupérisation » des citoyens (Mveng,
1992) en lieu et place de l’émergence d’une identité politique qui serait propice à la
construction nationale. Dans l’imaginaire populaire, on entend dire que le Président Biya a
plongé le pays dans le « libéralisme alimentaire » en lieu et place du « libéralisme
communautaire » (Biya, 1987) qu’il avait promis.
Comme le présente Wanner et D’Amato (2003) pour le cas des systèmes politiques
occidentaux, une vaste littérature appuie la thèse selon laquelle les droits civiques représentent
un instrument normatif important, qui est aussi source d’égalité et de dignité sociale. De
même, Mveng (1992) soutenait que la condition nécessaire à tout développement en Afrique
est la « libération et la réhabilitation de l’homme dans sa dignité et ses droits
fondamentaux ». La citoyenneté politique au Cameroun aujourd’hui présente cette défaillance.
2. Citoyenneté culturelle et ethnique
2.1. Citoyen autochtone contre citoyen allogène
Dans la Constitution de la République du Cameroun du 18 janvier 1996 amendée le 14 avril
2008, l’Etat proclame que tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs et s’engage à
assurer à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur développement. Paradoxalement,
l'Etat s’engage à préserver les droits des populations autochtones « conformément à la loi ».
Quelle est donc cette loi qui engage tant l’Etat dans sa Constitution nationale ? Y a-t-il au
Cameroun une loi à laquelle l’Etat ne peut se soustraire dans la Constitution ?
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Il faut se plonger dans l’environnement culturel et sociopolitique du Cameroun pour
comprendre une telle position de l’Etat qui doit s’inventer une cohésion entre la protection des
minorités et la préservation des droits des autochtones. Il est difficile de dire qu’il existe des
« peuples autochtones » au sens des conventions internationales au Cameroun. En clair, le
Haut-commissariat des Nations Unies pour des Droits de l'Homme parle des autochtones en
tant que :
«Descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à
l'époque où des groupes de population de cultures ou d'origines ethniques différentes y sont
arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l'occupation, la
colonisation ou d'autres moyens »14.
Avec Martínez Cobo (2003), nous avons la définition plus complète suivante :
« Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par
une continuité historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec les sociétés
précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s’estiment distinctes des autres
segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces
territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles
sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs
territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur
existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs
institutions sociales et à leurs systèmes juridiques. »
Ce concept à connotation primitive importé de façon générique dans la Constitution
camerounaise renvoie dans l’imaginaire populaire, aux « peuples victimes des envahisseurs ou
allogènes [citoyens venus suite à l’exode rural] ». Ainsi, la loi tacite que l’Etat se doit de
respecter en milieu urbain est l’établissement subtil de la distinction entre le « citoyen
autochtone [qui est dans son village]» et le « citoyen allogène [qui est venu d’ailleurs]».
���������������������������������������� �������������������14 Dans Fiche d'information No.9 (Rev.1), Les droits des peuples autochtones, consultable sur le lien suivant : http://www2.ohchr.org/french/about/publications/docs/fs9rev1_fr.htm 10/12/2012
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Pourtant, le même Etat s’engage dans la même Constitution à garantir que « Tout homme a le
droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des prescriptions légales
relatives à l'ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics ». Du point de vue pragmatique, il
faudrait comprendre implicitement par cette disposition que :
« Quiconque s’installe dans une capitale sans admettre la supériorité du droit des
autochtones dans la conduite des affaires de la capitale, se rend coupable de violation des
prescriptions légitimes relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité tribale».
Cette réalité sous-jacente nous renseigne que la lecture du « code » de la citoyenneté est
placée plutôt sous le signe de la légitimité tribale. Ainsi, ce sont des revendications politiques
fortes que l’on observe dans les différents chantiers de la construction nationale. D’ailleurs, au
Titre premier, Article premier, Alinéa 2 de la Constitution, il est stipulé que l’Etat reconnaît et
protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes démocratiques, aux droits de
l’homme et à la loi. La démocratie permet donc de consolider la légitimité tribale.
De façon concrète, bien qu’au même Titre premier, Article premier, Alinéa 2 de la
Constitution, il soit prévu que la République du Cameroun assure l’égalité de tous les citoyens
devant la loi, on observe que chaque citoyen camerounais dispose d’une « fiche de
renseignement [identification]» tacite sur laquelle figurent entre autres son lieu d’origine, son
lieu de naissance et son lieu de résidence. En l’état, un citoyen demeure « allogène [originaire
d’ailleurs] » même s’il est né dans la capitale ou si sa famille y est installée depuis des
générations. Cela signifie que l'origine ethnique colle à la peau du citoyen de générations en
générations, ce qui constitue une contradiction à la volonté politique d'aboutir à l’intégration
nationale, à la non-discrimination entre les ethnies et à la construction nationale.
2.2. L’équilibre régional
On comprend implicitement par ce principe qu’il existe « un ordre de priorité entre les
citoyens camerounais pour des raisons politico-ethniques et historiques ». A titre de rappel,
l’une des complexités de la gestion des pays de l’Afrique Noire reste celle de la multiplicité
des ethnies, des cultures et des langues (Mbuyinga, 1989). Au niveau de l’Etat, cette situation
multiethnique pose un problème de répartition équitable des richesses et des pouvoirs. Du
point de vue de l'économie publique qui étudie les problématiques d'inégalités internes et de
redistribution dans un Etat ou qui étudie les politiques que doit mener un État dans un but de
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développement économique et de bien-être de sa population (Marshall 1971), des auteurs
comme Musgrave & Musgrave (1989) attribuent trois fonctions économiques à l’Etat à
savoir: l’allocation, la redistribution et la stabilisation.
D’abord, dans le cas de l'allocation des ressources ou « affectation », les pouvoirs publics
interviennent pour prendre en charge les biens collectifs, réguler la concurrence et assimiler
les externalités. En d’autres termes, ils favorisent l’allocation des ressources, des biens et
services pour les usages qui génèrent le bénéfice le plus important. Ensuite, dans le cas de la
redistribution ou de la « répartition », l’Etat a pour mission d’influer sur les inégalités. Ces
politiques sont liées à des notions d'équité ou de justice sociale. Enfin, dans le cas de la
régulation ou « stabilisation », l’Etat agit sur la conjoncture et la croissance.
L’équilibre régional pourrait s’inscrire dans la politique de redistribution de l’Etat. Toutefois,
la récupération politique que les acteurs politiques en font au Cameroun génère des effets
paradoxaux. Dans l’imaginaire populaire, on parle mieux de la répartition du « gâteau
national [richesses nationales]»15. Par exemple, un poste de haut-fonctionnaire (Ministre,
Directeur Général) ou de Député n’est généralement plus de la « Nation » mais, du
« village [de la région d’origine]». Dans la fonction publique, la base juridique est l’Article 2
de l’Arrêté N°10467 signé du ministre de la Fonction publique le 04 octobre 1982 et
réactualisé le 20 août 1992, relatif aux quotas des places réservées aux ressortissants des
différentes régions admis aux concours administratifs. Ce texte attribue 5% de places à
l’Adamaoua, 18% à l’Extrême Nord, 7% au Nord, 15% au Centre, 4% à l’Est, 4% au Sud,
13% à l’Ouest, 12% au Littoral, 12% Nord-ouest et 8% au Sud-ouest. Selon cette logique
identitaire, certaines zones sont des « régions sous-scolarisées » qui méritent plus « de
places » même si cela va à l’encontre du principe de la méritocratie susceptible d’engendre
des compétences nécessaires dans les différents chantiers de la construction nationale.
L’équilibre régional sur le plan administratif est-il vraiment efficace dans un contexte de sous-
développement où il faut favoriser la productivité ?
���������������������������������������� �������������������15 Répartition des postes dans l’appareil de l’Etat.
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Dans la pratique des nominations politico-administratives, en cas de victoire électorale
« confortable »16 dans une tribu, les remplacements des acteurs à des postes de responsabilité
se font souvent poste pour poste selon la logique ethnique jusqu’aux prochaines élections.
Cela fait dire que seuls les citoyens « de l’ancien ou du nouveau pays organisateur [axe
nord/sud]» sont qualifiés pour exercer certaines fonctions sous le régime de Paul Biya
indépendamment des exigences d’efficacité et d’efficience dans le contexte de compétitivité
mondiale. C’est le cas des ministères de souveraineté dont la défense et les finances. Aussi,
sans se soucier de la portée économique des actes de nomination, le Président Biya attribue de
façon consécutive certains postes de responsabilité aux citoyens des mêmes tribus de décret
en décret. C’est le cas du portefeuille des domaines attribué régulièrement au Mbam17.
Dans un cas comme dans l’autre, chaque poste attribué à un acteur public est destiné à
récompenser son clan par des « avantages de toute nature prévus par la législation en
vigueur »18. On entend entre autres dire : « le Chef de l’Etat a donné notre poste [mangeoire
populaire] ; il a pensé à nous ! Si nous ne lui rendons pas la monnaie, alors il nous reprendra
ce poste ! ». A cet effet, on festoie entre les siens et on lui fait un « appel du peuple [motion
de soutien demandant au Président de s’éterniser au pouvoir]» en guise de loyauté. Cette
pratique partisane engendre surtout des citoyens tiers-perdants ou lésés des politiques
publiques mises en œuvre (Knoepfel et al. 2006). Cela engendre aussi la gouvernance selon
les logiques « alimentaires » et/ou « identitaires » (Mbembe 1996). On parle de la « politique
du ventre [on vote pour un candidat si l’on a le ventre plein]» (Socpa, 2000 ; Sindjoun 1996).
Au Cameroun, il a été rapporté par wikileaks sans démenti à nos jours que les « nordistes [axe
nord] » disent qu’ils ne concluront « jamais une alliance pour soutenir un pouvoir politique
Bamiléké [axe ouest]»19. Loin de la garantie du droit d’éligibilité du citoyen et de l’exigence
de la construction nationale, on est dans la « logique identitaire » de la légitimité ethnique
selon laquelle le pouvoir appartient à « l’axe nord/sud » et qu’un homme politique
« étranger [à cet axe]» ne pourra jamais arriver au pouvoir quelles que soient ses
compétences (Socpa 2003).
���������������������������������������� �������������������16 Lors des législatives de juillet 2007, le Président de la République, Paul Biya, avait appelé ses militants à lui offrir une « majorité confortable » pour lui permettre de mettre en œuvre son programme politique. 17 Tribu divisée en deux départements administratifs et situé tout au long du fleuve Sanaga. 18 C’est l’interprétation « alimentaire » de l’article 2 de tout acte de nomination qui prévoit les « avantages de toute nature ». 19http://www.cameroon-info.net/stories/0,29362,@,revelations-ahmadou-ali-epingle-par-wikileaks.html, consulté le 04/09/2011.
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Un autre exemple de la force de la légitimité ethnique dans l’interprétation tribale du « code »
de la citoyenneté au Cameroun a été vécu lors de la publication des résultats de la première
édition du concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de Maroua (axe nord). En effet,
les députés « nordistes » avaient menacé de boycotter une session parlementaire et d’écrire au
Président de la République pour lui « rendre compte » de ce que « le septentrion a été lésé »
en ceci que « le jury s'est basé sur le lieu de dépôt des candidatures et non sur les origines
des candidats » en dépit de « son vœu d'offrir une université aux fils du septentrion »20.
Le paradoxe de ce débat politique venait de ce que la Constitution prévoit que la République
du Cameroun est « une et indivisible »21 pourtant, cette réalité ethnique est omniprésente dans
le débat politique où l’on se demande toujours «à qui [quelle ethnie] le tour ? » de gouverner
comme si l’on était dans un régime directorial où chaque ethnie avait droit à un « tour » au
pouvoir « au nom de l’égalité et de la justice ».
Au-delà du secteur public, cette pratique d’équilibre régional est de plus en plus attestée dans
le secteur privé. Dans la lettre N°VTB/06/12/106/2263/een du Grand Chancelier de
l’Université Catholique d’Afrique Centrale, Monseigneur Tonyé Bakot, portant sur les
statistiques des étudiants et des enseignants, adressé au Doyen de la Faculté des sciences
sociales et de gestion, le Révérend père Martin Briba, en juin 2012 et dont la presse s’est
emparée d’une copie, il est écrit qu’au cours du Conseil tenu à Nkolbisson22 du 07 au
09/06/2012, il a été demandé que le Doyen s’explique sur le pourcentage élevé des étudiants
et enseignants ressortissants « d’une seule région à savoir l’Ouest Cameroun » (ethnie
Bamiléké de l’axe ouest). On pouvait lire : « Comment se fait-il qu’une seule région de
l’Ouest compte près de 60% des étudiants à Ekounou23 ? Est-ce parce qu’ils embrassent les
filières scientifiques et commerciales plus que les autres ? » Cette question n’est pas anodine
dans l’environnement culturel africain où il existe un débat politique sur l’existence des
races/ethnies supérieures/inférieures (Lamberton, 1960 ; Weil, 2002) disposant des habilités
scientifiques et/ou commerciales mieux/moins que les autres. L’on observe que les ethnies
sont dressées les unes contre les autres sans fondements scientifiques. L’implicite qui découle
de cette lettre est qu’une partie des citoyens envisage « la justice et l’égalité » au sens de
���������������������������������������� �������������������20 http://www.cameroun-online.com/actualite,actu-7878.html, consulté le 21/03/2011. 21http://www.chr.up.ac.za/chr_old/indigenous/documents/Cameroon/Legislation/La%20Constitution%20de%20la%20Republique%20du%20Cameroun.pdf consulté le 23 mars 2011. 22 Un quartier de la banlieue de Yaoundé, Cameroun, abritant le campus de l’Université Catholique. 23 Quartier de Yaoundé abritant un Campus de l’Université Catholique d’Afrique Centrale.
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« Dieu [Monseigneur l’Archevêque est un apôtre de Dieu]» comme étant synonyme de
l’équilibre de places même « sur les bancs de l’école » indépendamment du nombre des
postulants qui frappent à la porte d’une école.
Enfin, on note que la tradition des élections au Cameroun a montré que les électeurs ont
toujours voté pour « les fils du terroir ». Comme le présente Edmond Dossavi24 pour le cas du
Bénin, ils « n’ont jamais voté pour un homme politique à cause de la richesse de son
programme de société, mais préfèrent toujours placer la confiance à l’homme politique de sa
région ou même de son ethnie ». On comprend que le citoyen-candidat n’a pas un droit
d’éligibilité légitime hors de son ethnie d’origine. On observe la montée de « l’idéologie
identitaire » (Forné, 1994) non propice à l’avancée du chantier de la construction nationale.
Comme approche de solution, certains acteurs appellent au scrutin à deux tours dans l’espoir
que le second tour permettra de lutter contre la configuration ethnique des votes au premier
tour. Mais, à ce modèle dysfonctionnel de la citoyenneté, la conception d’un autre modèle
idéal susceptible d’être plus fonctionnel ne serait pas un apport scientifique de trop.
3. Proposition d’une citoyenneté locale basée sur la fiscalité
Les notions de citoyenneté et de nationalité sont récurrentes dans les théories politiques et
sociologiques depuis la chute du mur de Berlin (Sirinelli, 2003). Elles ont même fait irruption
dans les théories du développement. Pourtant, au Cameroun, comme il ressort de ce travail,
l’obligation de contribuer à l’effort de construction nationale n’est pas une condition
nécessaire pour jouir de ses droits de citoyen dès lors que l’on a une parenté nationale et est
autochtone/originaire d’une localité. Nous proposons dans cette partie, un modèle local de la
citoyenneté camerounaise basée sur la fiscalité et susceptible d’être stratégiquement et
opérationnellement plus efficace. Nous nous inscrivons dans la logique des recherches
appliquées (sciences)25 qui ont pour vocation de contribuer à l’amélioration de la société à
travers la mise en œuvre des théories existantes. En effet, une question mérite d’être posée au ���������������������������������������� �������������������24 Professeur en Sciences politiques à l’Université de Cotonou consultable sur le lien internet http://www.ebeninois.com/Campagne-electorale-au-Benin-14-candidats-pour-un-seul-fauteuil-presidentiel_a4845.html, consulté le 17/03/2011. 25 En recherches théoriques pures, on peut exiger du chercheur qu’il se limite à l’approche analytique mais en recherches appliquées, on ne peut pas attendre des recherches qu’elles manquent d’implications pratiques sur la société comme l’illustrent les travaux d’Esther Duflo, professeure invitée en 2009 au Collège de France pour la chaire Savoirs contre pauvreté. Des chercheurs comme Jacques Moeschler, professeur ordinaire à l’université de Genève, pensent que ce genre de recherches, qui allie travail conceptuel et travail de terrain, est certainement l’une des orientations récentes en sciences humaines et sociales qui aura le plus d’impact sur les sociétés, notamment en voie de développement.
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Cameroun : Quelles sont les mesures à prendre pour offrir les mêmes droits de citoyenneté à
l’ensemble des personnes actives ?
En dehors du Burkina Faso où il peut y avoir une citoyenneté partielle sans nationalité (vote
des étrangers par exemple), la pratique commune dans les autres pays de l’Afrique Noire
Francophone exclut tout contribuable étranger ne possédant pas un passeport national ou
n’ayant pas une parenté nationale. En Côte d’Ivoire, le concept d’ivoirité qui tend à définir la
nationalité/citoyenneté ivoirienne a pris une forte connotation ethnique, religieuse, foncière et
xénophobe. On distinguait les «Ivoiriens de souche », les « Ivoiriens de souche
multiséculaire » et les « Ivoiriens de circonstance » (Diom, 2008 ; Blé Kessé, 2005). En 1998,
la Côte d’Ivoire comptait près d’un tiers d’étrangers et « immigrés travailleurs » qui étaient
des contribuables mais, la loi N°94-642 du 13 décembre 1994 portant Code électoral réservait
les élections aux seuls ivoiriens (contribuables ou non). A l’image de la Côte d’Ivoire, le
contenu de la loi camerounaise portant Code électoral signifie implicitement : « pour le
simple fait que vous êtes autochtones, vous avez le droit de décider même si vous ne
contribuez pas à l’effort de construction ».
Sur le plan empirique, certains pays comme la Suisse, ont donné une importance accrue à
cette question de citoyenneté puisque cela confère aux citoyens des droits politiques
spécifiques et notamment, le droit de décider/voter. Des sociologues comme Giddens (1987)
soutiennent que la citoyenneté ne doit pas être considérée comme la prise de possession d’un
statut qui est fondé sur quelque chose d’économique, mais de social puisque les différents
types de droits citoyens sont gagnés après de longues luttes historiques. La faiblesse de cette
approche est qu’elle accorde la primauté au social sans en fournir les sources de financement :
Comment arrive-t-on à financer le social si l’on ne produit pas ? Dans une société en
développement et en pleine mutation sociale comme le Cameroun, la primauté doit-elle être
donnée à la préservation des liens sociaux et historiques ou aux exigences de la production et
de la croissance? Au Cameroun, l’imaginaire populaire répond de façon très claire : « le
ventre affamé n’a point d’oreille ». En d’autres termes, les citoyens accordent la primauté à la
croissance dans l’espoir que cela contribuera à faire décoller le social. Une autre question
persiste, celle de savoir quel statut attribuer à l’étranger qui contribue régulièrement à la
croissance.
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En puisant dans l’héritage de la révolution française, on se rend compte que dans une société
dévorée par trois ordres (le Clergé, l’Aristocratie et la Bourgeoisie), la fiscalité avait été
retenue par les révolutionnaires comme étant un facteur de justice sociale et d’équité. L’article
14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 précise les droits et
devoirs du citoyen :
« Tous les citoyens ont le droit de constater par eux mêmes ou par leurs représentants, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en
déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
Dans une République, ce sont les recettes fiscales qui permettent de boucler le budget de la
construction nationale. Un citoyen a pour devoirs civiques entre autres le paiement de ses
impôts et le vote. En d’autres termes, ne doit décider que celui qui paie ses impôts. Il est
inadéquat selon cette logique que celui ou celle qui paie ses impôts dans son lieu de résidence
se retrouve en train de décider dans son lieu d’origine en lieu et place des contribuables
enregistrés localement. Au Cameroun, on observe par exemple que les citoyens de la capitale
(appelés par le RDPC « personnalités ressources d’accompagnement ») qui payent leurs
impôts dans une commune de la capitale, vont se faire élire ou voter/décider dans leurs
villages respectifs (lieu d’origine) dans des circonscriptions électorales où ils ne contribuent
pas à la vie publique. Par conséquent, en cas d’élection à un poste de responsabilité, ils
abandonnent leurs circonscriptions respectives pour aller vivre dans la capitale où les
« autochtones » (personnes d’origine) font la restriction de leurs droits de citoyenneté
puisqu’ils sont hors de leurs villages respectifs. Dans l’état fédéral Suisse, ce problème a été
résolu à travers l’adoption de trois niveaux de citoyenneté conformément à l’Article 4 de la
Loi sur la Nationalité (LN), RS 141.0 : le niveau fédéral (nationalité suisse), le niveau
cantonal (droit de citoyenneté cantonal) et le niveau communal (droit de citoyenneté
communal ou origine). Ainsi, selon la Constitution fédérale26, « A la citoyenneté suisse, toute
personne qui possède un droit de cité communal et le droit de cité du canton ». On voit bien
que l’on est d’abord citoyen de sa commune et/ou de son canton avant d’être de la nation.
L’on voit aussi que la diversité culturelle et sociale n’est pas un obstacle spécifique à la
construction nationale telle qu’il faut la combattre. Les gens sont fiers de leurs citoyennetés
locales sans que cela ne mettent en péril leurs nationalités suisses.
���������������������������������������� �������������������26 Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.), RS 101, art. 37 al. 1.
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Cette connaissance empirique peut être utile en Afrique en général et au Cameroun en
particulier. La situation de précarité sociale touche toutes les couches de la population sans
distinction de tribu, de génération ou de genre. Le critère fiscal de la citoyenneté permettrait
de contourner dans ce contexte les concepts d’ethnie et d’autochtonie de manière à ce que ce
soient ceux qui payent leurs impôts, chacun à son niveau, qui décident/votent là où ils payent
ces impôts. Cela permettrait donc que la citoyenneté ne soit plus liée à la parenté nationale
(lieu d’origine) mais, au lieu où l’on paie ses impôts (c’est le lieu de résidence la plupart du
temps sauf qu’on pourrait distinguer par la loi, la résidence principale de la résidence
secondaire). L’avantage ou l’inconvénient serait que ceux qui refusent de payer leurs impôts
n’auraient plus de pouvoir de décision/vote qu’ils aient ou non une parenté nationale, qu’ils
soient autochtones ou allogènes. Ceux qui résident et payent leurs impôts dans une commune
accompliraient leurs devoirs de citoyenneté dans cette commune. Cela signifie que dans un
pays en voie de décentralisation comme le Cameroun, l’individu serait d’abord citoyen d’une
commune, ensuite d’une région avant d’être citoyen national, chaque niveau de décision étant
cosmopolite. En démocratie, cela permettrait de maîtriser le problème de vote/parti
ethnique/communautaire en vigueur de nos jours (Bayart, 1991 ; Le Roy, 1992 ; Webster,
2008).
Le désir de contourner le tribalisme d’Etat est attesté dans les pratiques politiques en Afrique.
Sur le plan empirique, on note que Bédié27 (1999 : 44) disait de façon discutable pour le cas
de la Côte d’Ivoire que : «L’ivoirité concerne en premier les peuples enracinés en Côte
d’Ivoire mais aussi ceux qui y vivent en partageant nos valeurs». Comment fonder la
citoyenneté sur les valeurs culturelles ou politiques sans créer le communautarisme et
l’exclusion ? Le lien traditionnel entre nationalité, parenté et citoyenneté devrait s’estomper
sous l’effet de l’intégration et de la construction nationale. Le citoyen « enraciné »
(autochtone) qui ne partage pas les « valeurs fiscales » de la citoyenneté, s’il en faut une,
devrait être tout aussi amputé de son droit de vote (pouvoir de décision) que l’étranger qui
paie ses impôts dans une autre commune/région/Nation. La conception ethnique/culturelle de
la citoyenneté conduit au bord des questionnements interminables sur les critères de définition
de la parenté : Nom/patronyme ? Lieu de naissance ? Noms des parents ? Si oui, du père ou de
la mère ? Nom du village ? Si oui, du père ou de la mère ?, Lieu du dépôt de dossiers ? Lieu
du siège social ?, etc.
���������������������������������������� �������������������27 Il fût Président de la République au moment de la perversion du concept d’ivoirité en Côte d’Ivoire.
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On observe aussi qu’à chaque fois que le critère de la citoyenneté est basé sur une illusion de
valeur nationale (patriotisme), alors la théorie politique est confrontée à la question de la
signification formelle de l’appartenance à un Etat national. Dans le contexte de la
mondialisation culturelle, quelle mesure permet de définir le patriotisme d’un individu ?
Quelle culture locale doit-elle être érigée en culture nationale ?
Le critère fiscal dans la définition de la citoyenneté a l’avantage d’être pratique. Il permettrait
d’extraire le tribalisme (d’Etat) du paradigme autochtone/allogène. Si un citoyen d’un pays
n’est éligible au niveau municipal/régional que dans sa commune/région de résidence (où il
paie ses impôts au même titre que tout autre citoyen), alors on voit mal comment dans ce
pays, les autochtones et les allogènes vivant dans cette commune/région ne se mobiliseraient
pas ensemble pour revendiquer leur droit de regard sur la gestion des recettes fiscales. On voit
mal aussi comment les leaders des partis politiques qui vivent pour l’essentiel dans les
grandes agglomérations, réussiraient à créer des partis ethniques dont l’encrage est dans leurs
ethnies d’origine hors de la capitale. Ces derniers par exemple seraient obligés de mettre leurs
idées en valeur dans la circonscription où ils payent leurs impôts (lieu de résidence)
indépendamment de leurs lieux d’origine. Dans le modèle décentralisé de la Suisse, il n’est
pas communément admissible qu’un citoyen d’une commune ait le droit de vote dans une
autre commune en dehors des questions d’ordre cantonal ou national. Et ça marche !
L’équation résolue ici est celle de la réussite de la création de l’intégration nationale dans un
contexte où le pluralisme gagne du terrain (Wanner et D’Amato, 2003). La vertu est la
promotion de l’unité dans la différence dans un monde où une dérive politicienne tend à
imposer l’illusion politique de pouvoir neutraliser les différences ethniques/communautaires à
travers le plaidoyer pour « l’homogénéité culturelle »28.
Si l’on rapproche cette approche fiscale du principe de décideur-payeur en vigueur dans
certains pays comme la France, on observe que ce principe signifierait que « celui qui décide
doit payer [financer sa décision]» alors qu’avec le critère fiscal (qui serait plutôt un principe
de payeur-décideur), « celui qui paie déjà [contribuable] aurait le droit de décider ».
Evidemment, il pourrait arriver que dans le principe décideur-payeur, le décideur (citoyen)
n’ait pas les moyens de sa politique (moyens pour financer sa décision). Dans ce sens, il est
compréhensible que le principe décideur-payeur soit dénoncé comme étant préjudiciable pour
���������������������������������������� �������������������28 Les défenseurs de l’homogénéité culturelle plaident soit pour l’assimilation totale des « étrangers » dans la culture d’accueil, soit pour l’exclusion de ces derniers.
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le pauvre. Dans l’approche fiscale, il serait injuste qu’il soit refusé à la personne qui cotise
déjà de prendre part aux décisions de la collectivité qu’il ait un lien de parenté ou non. Cette
approche ouvrirait donc le droit de vote aux étrangers contribuables en application du principe
d’égalité de tous les contribuables devant la loi fiscale.
Comme dans le modèle suisse, l’approche fiscale implique que les communes/régions peuvent
être en concurrence fiscale et que, dans son rôle de redistribution, le gouvernement national
pourrait tout coordonner à travers un système de « péréquation financière » qui permettrait
aux communes/ régions les plus riches de faire un effort supplémentaire de contribution à
l’œuvre de la construction nationale que les communes/régions pauvres. Cela implique aussi
que dans le même sens, l’Etat pourrait prélever dans les communes/régions les plus riches
pour aller investir dans les communes /régions les plus pauvres. En clair, alors que l’équilibre
régional à connotation politico-administrative tel que pratiqué de nos jours au Cameroun
permet de répartir les richesses (postes) avant la production (avant de se soucier de la capacité
des personnes promues à être compétitives sur le marché de la production), la péréquation
financière qui serait un équilibre régional à caractère économique et financier, favoriserait le
partage des fruits de la production (les citoyens compétitifs auraient produit sans restriction de
tribus et l’Etat leur demanderait de faire un effort supplémentaire de solidarité nationale pour
endiguer la pauvreté).
Ce système est appliqué avec succès en Suisse et cela permet d’équilibrer les ressources
financières entre les différents niveaux institutionnels à savoir la Confédération et les cantons
d'une part et le canton et les communes d'autre part. Il décrit non seulement la répartition des
finances, mais également la répartition des tâches et des compétences entre les différents
acteurs. La force du système est aussi que la commune/région n’est pas jugée sur l’axe
ethnique supérieure/ethnie inférieure, axe nord/sud, mais sur l’axe financier c’est-à-dire selon
sa capacité financière/turn-over jugée forte, moyenne ou faible.
Conclusion
Réfléchissant sur la façon par laquelle la notion de la citoyenneté pouvait être conçue pour
faciliter le chantier de la construction nationale au Cameroun, nous sommes arrivé au résultat
selon lequel la logique identitaire et/ou alimentaire en vigueur de nos jours est un frein à la
productivité nationale. A l’heure de la compétitivité, il convient de favoriser la production des
biens et services avant la mise sur pied d’une politique de redistribution (péréquation
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financière). A ce sujet, la citoyenneté locale serait plus fonctionnelle et le critère principal de
sa définition serait la fiscalité.
A la question de savoir si le citoyen pouvait être de nationalité étrangère, nous sommes
arrivés au résultat selon lequel seule la contribution à l’œuvre de construction nationale
devrait déterminer l’attribution de la citoyenneté. Nous avons fait ressortir le fait que la
citoyenneté communale/régionale (droit de résidence locale) n’est pas en contradiction avec la
citoyenneté nationale (nationalité). En clair, le fait d’être de sa tribu n’empêche pas d’être de
la Nation. Il n’y aurait pas de contradiction entre les appartenances tribale, nationale et
étrangère autant le citoyen concerné paie ses impôts. Ainsi, nous recommandons que le
Cameroun repensent profondément son « code » de citoyenneté/nationalité afin d’éviter
d’avoir des citoyens qui s’estiment exclus/frustrés « dans leur propre pays ». Cette
recommandation pourrait être étendue à l’ensemble des 16 pays de l’Afrique Noire
Francophone qui présentent une relative similarité institutionnelle et politico-administrative.
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Les décideurs politiques, acteurs de la crise sociale en Afrique
Abib SENE
Assistant chercheur au département de civilisations du monde anglophones
Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal.
Résumé
Perçu par bien de populations africaines comme étant l’aube de temps nouveaux, l’avènement
des indépendances avait suscité un sentiment de liberté et donc d’espoir pour de lendemains
meilleurs. Des présidents africains élus par des Africains n’ont pas jusqu’ici apporté une
réponse adéquate, des solutions définitives aux handicapes politiques, socio-économiques, qui
obstruent la marche du continent dans le chemin de la démocratie et de la prospérité. En effet,
les réformes agraires dans les pays comme le Kenya et le Zimbabwe sont des maillons
frappants du chapelet d’échecs des hommes politiques africains. un système sanitaire public
défectueux, un taux de chômage qui reste élevé une paupérisation encore écrasante de par son
ampleur et sa présence. La rue devient alors un baromètre de la grogne sociale. Le peuple
africain, malade de ses dirigeants, souffre de l’indécence d’un système politique et
économique passéiste et inadapté aux réalités africaines.
Mots-clés : crise, politique, économie, conflit, Afrique sub-saharienne
Abstract
The advent of independence was, in many African countries regarded as the dawn of better
periods, a ray of hope for people who were bruised by colonial regimes. African presidents
have not, so far, succeeded in giving an adequate answer, definitive solutions to the political
and socio-economic handicaps that hinder the way of democracy and prosperity for the
African continent. In fact, land reforms in countries like Kenya, Zimbabwe are blatant
exponent of the African leaders’ failed agenda. Public health systems are obsolete.
Joblessness rate and the level of poverty become more and more important. As a
consequence, the street becomes a barometer of social discontent. Africans who suffer from
their independences are victim of the devilish indecencies of their leaders, of their political
and economic systems that do not suit to African realities.
Key-words: crisis, politic, economy, conflict, Sub-Saharan Africa
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Introduction
Le thème de la crise sociale en Afrique est plus que jamais d’actualité. Pendant plus de trente
ans, les pays africains font face à l’épineuse question du développement et de la bonne
gouvernance. Des économies en difficulté, des constitutions tripatouillées ou retaillées à la
mesure des ambitions des dirigeants, constituent le décor des réalités socio-politiques dans
beaucoup de pays africains.
La notion de la bonne gouvernance a été vidée de son sens pour apparaître comme un porte-
faix d’indicateurs de népotisme. Certains dirigeants s’éternisent au pouvoir, dépassant parfois
le quart de siècle dans l’exercice de leur fonction. Les exemples du président Camerounais,
Paul Biya (31ans au pouvoir), Robert Gabriel Mugabe (24ans au pouvoir), Denis Sassou
Guesso (29 ans au pouvoir), pour ne citer que ceux-là restent illustratifs quant à la longévité
des hommes d’Etats africains au pouvoir. Une longévité qui ne rime pas forcément avec une
teneur démocratique durant les soutes électorales. Des crises relatives à la succession de ces
hommes d’Etats alimentent très souvent des dissensions politiques et des fissures sociales qui
installent certains pays dans des situations d’instabilité politique. C’est le cas de la Guinée
Conakry après le décès du président Lassana Konté en 2004, du président Eyadema au Togo
en 2005.
Dans les pays où se notent un début d’un processus démocratique, des coups d’Etats
adviennent dès fois et effritent l’espoir des populations de vivre dans des régions stables et
sécurisées. C’est le cas du Mali où un chef d’Etat régulièrement élu (Amadou Toumani
Touré) est destitué par un groupe de sous-officiers le 22 mars 2012. « L’impuissance des
gouvernements à mettre en place, à maintenir et à créer un Etat uni »1 a fait pousser la germe
des conflits tribaux dans des pays comme L’Angola qui est « divisé en trois grandes ethnies
possédant chacune sa base territoriale et son propre parti »2. Dans le domaine économique, la
gestion des ressources publiques souffre d’une politique néopatrimonialiste et découle sur un
sentiment d’injustice généralisée. Des jeunes chômeurs envahissent les rues pour réclamer des
recrutements dans la fonction publique (c’est le cas au Sénégal en février 2013). Des
soulèvements voire des rebellions se créent pour exiger une indépendance ou une autonomie
politique. Ainsi, au Nigeria, une rébellion s’active autour des intérêts du pétrole Bakassi ; au
���������������������������������������� �������������������1 « Partition de l’Afrique selon des critères ethniques » in afriquepluriel.ruwenzori.net/ethnisme.htm (28-11 13 à 01h51mn) 2 Jean François Medar, « la Spécifité des pouvoirs africains » in Pouvoir, n°58, Paris : PUF, 1993, pp11-16.
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Sénégal, en Casamance des forces se rebellent contre le pouvoir central de Dakar pour exiger
une indépendance totale ; au Mali, les Touaregs se disent oubliés par Bamako. Un lien direct
s’effectue alors de facto entre la gouvernance économique et la stabilité sociale en Afrique.
Des penseurs avertis et engagés comme René Dumont, Achille Mbembe, Basile Davidson,
pour ne citer que ceux là, ont respectivement analysé dans Pour l’Afrique, J’accuse, « Pouvoir
et Violence en Afrique post-coloniale», The Blackman’s Burden/ Africa and the Curse of the
nation State, les tréfonds de la crise sociopolitique qui secoue le continent noir depuis les
indépendances. Des démocraties labiles, en passant par des formes de violence cathartiques et
drastiques, ces penseurs ont, en vitupérant le spectacle de certaines formes de violence, touché
du doigt les ombres intimes des régimes politiques des dirigeants africains. Dépossédés de
leurs pouvoirs et de leurs droits fondamentaux, les peuples africains se trouvent piégés dans
les carcans de la servitude et de la pauvreté. Une telle situation politique et sociale met en
surface les arcanes des crises sociales qui ne cessent de plonger l’Afrique dans un état de
vassalité permanent.
Le système politique hérité du colonialisme, est t-il réellement adapté au contexte de besoin
de bonne gouvernance, de démocratie et de développement ? Les acteurs de ce système ne
seraient-ils pas les principaux responsables des crises sociales que traverse l’Afrique sub-
saharienne ? L’appartenance ethnique et les clichés entretenus par des traditions africaines ne
seraient-ils pas des éléments explicatifs des conflits intestinaux en Afrique ? Existe-il un lien
entre l’économie des pays développés et émergents et l’instabilité sociale chronique en
Afrique ? Quelles sont les autres causes de la crise sociale en Afrique ?
Pour trouver des réponses à cette grille d’interrogations, nous comptons nous appuyer sur un
cadre théorique bien défini. En effet, un certain nombre de théories s’articulent parfois dans
l’inadaptation du modèle de l’Etat importé aux structures socio-mentales des sociétés
africaines. Ce faisant, ces théories donnent lieu de voir un centre (puissances occidentales) qui
domine et exploite des périphéries (Tiers-monde), en les maintenant dans un état de sous-
développement continu. Jean François Bayart, Achille Bembé, Axelle Kabou, et Samir Amin
représentent, respectivement, entre autres ces différents courants de pensée. Puisque ce
travail, se veut une analyse des faits politiques et économiques dans des pays sub-sahariens,
nous nous donnons le devoir de rendre audible et lisible ce qui s’occulte sous les politiques
des décideurs en Afrique à partir d’un raisonnement scientifique taillé sur des théories telles
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que le néo-patrimonialisme, des théories du conflit, de la « dépendance » et du système-
monde ».
Le néopatrimonialisme est défini par J.F Médard comme étant « la confusion de la chose
publique et de la chose privée qui est généralisée en Afrique au point qu’on arrive à mettre en
question la notion même de l’Etat, laquelle repose justement sur cette distinction. Le néo-
patrimonialisme a pour résultat de personnaliser les relations politiques et de transformer les
ressources économiques 3 C’est sous cette théorie que certaines notions, sémantiquement
subsidiaires, telles que le népotisme, le clientélisme politico-économique et le tribalisme,
seront regroupées. En effet, notre analyse se propose de mettre en surface des politiques néo-
patrimonialistes des dirigeants africains qui gouvernent leur pays à travers des canevas de
l’appropriation privative des charges et des biens publics. Une telle approche
gouvernementale, mise aux services d’intérêts particuliers, va résulter sur un
disfonctionnement politique et économique dont les conséquences se donnent à lire dans des
conflits militaires et sociaux.
Cela nous amène à convoquer la théorie du conflit pour mieux sous-tendre notre argumentaire
sur les rapports heurtés entre ethnies et autres groupes d’individus différents dans les champs
politiques et sociaux en Afrique. En effet, les réalités d’une politique néo-patrimonialiste
peuvent prendre une tournure passionnelle pour ainsi transformer et réifier ce qui pourrait être
une identité nationale en une pluralité de référents : l’ethnie, la religion, le terroir, la caste, etc.
Chacun de ces référents pouvant imbriquer un potentiel d’une crise identitaire, laquelle peut
mener à la déshérence d’une stabilité sociale. D’où l’importance de combiner, dans cette
étude, les théories du néo- patrimonialisme et du conflit. De plus, la théorie du conflit, telle
qu’elle est soutenue par Ralf Gustav Dahrendorf, est une réalité intégrante dans la marche
politique et économique des sociétés africaines, lesquelles, pour un contrôle des profits et du
pouvoir, s’embrasent souvent à mort. D’ailleurs, il va préciser une définition sur cette pensée
en ces termes :
toute relation entre des ensembles d’individus qui comprend une différence irréductible d’objectif –par exemple dans sa forme la plus générale, le désir de la part des deux parties d’obtenir ce qui n’est accessible qu’à l’une, ou qu’en partie à l’une – sont des relations de
���������������������������������������� �������������������3 Jean François Medar, « la Spécifité des pouvoirs africains » in Pouvoir, n°58, Paris : PUF, 1993, pp11-16.
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conflit social (…) le conflit peut prendre la forme de la guerre civile, mais aussi d’un débat parlementaire, d’une grève ou d’une négociation ordonnée (Ralf Gustav Dahrendorf cité par Weil, 1989 :414).
Ces crises politiques et sociales déterminent les changements d’ordre social dans des pays
comme la Somalie et le Soudant pour ne citer que ceux-là. Des Etats où le passé colonial et
les coutumes se mélangent et se fermentent dans un cocktail de tensions ethniques et tribales,
lesquelles plongent une partie du continent dans des conflits perpétuels.
Les théories précédemment citées peuvent sous-tendre des structures de clientélisme et des
pratiques de corruption faisant foi dans des modèles d’Etats en Afrique subsaharienne. Des
Etats qui, selon J.F Médard, ont « un point commun qui en fait des espèces d’un même genre :
elles reposent toutes sur l’absence des distinctions véritables entre le domaine public et
privé ».4 En fait, la gestion collégiale des affaires étatiques dans certains pays, le peu de
soucis de leurs dirigeants accordé aux droits de l’Homme et au respect des institutions, trouve
son pesant d’or dans leur collaboration avec des puissances étrangères qui, tout en se disant
vouloir veiller au jeu démocratique en Afrique, semblent parfois être muettes devant un
certains nombres d’exactions et de dérives des régimes en place. Le retrait dit juste partiel des
grandes puissances (Clapham 2000) des affaires gouvernementales des Etats africains laisse
entrevoir une connexion du nombril entre l’Afrique indépendante et les ex-puissances
coloniales. Se met alors à dessein un partenariat, une alliance politique qui donne racine à un
dispositif d’une dépendance et d’un système monde.
La théorie de la « dépendance » et du « système-monde » sera évoquée pour renforcer
l’orientation néo-patrimonialiste déjà mentionnée. Cette théorie, qui compte Samir Amin
parmi ses fervents défenseurs, met en surface un système où se note l’existence de deux pôles
que sont le « Centre » (pays industrialisés) qui convoitent pour les besoins de son
développement continu les matières premières de la « Périphérie » (les Etats sous-développés
du « Sud »). Cette relation déséquilibrée entre le « Centre » et le la « Périphérie » profite aux
puissances étrangères y compris les puissances de la Sémi-périphérie (les puissances
émergeantes) dont le développement croisant enferme paradoxalement les pays du Sud,
détenteurs et fournisseurs de matières premières, dans un état de dépendance quotidienne.
���������������������������������������� �������������������4 J.F Médard , « L’Etat sous-développés en Afrique noire : clientélisme politique ou néo-patrimonialisme », centre d’études d’Afrique noire, IEP, Bordeaux, Travaux et Documents, n°1, p.24.
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Dans la veine des apports théoriques de ces différents courants nous avons essayé de faire une
réflexion analytique sur situation actuelle de l’Afrique à travers la place que jouent les
acteurs politiques (bourgeoisie compradores) dans la survivance des crises sociales qui
gangrènent le continent. Si les causes de ces crises peuvent être exogènes, nous pensons
néanmoins qu’une plus grande part revient aux actions que posent ou ne posent pas les élites
dirigeantes au pouvoir.
Un échange de points de vue, sous-tendu par les théories précédemment citées, sur des
expériences diverses en fonction des Etats, pourra aider à mieux cerner les contours des
conflits politiques et sociaux en terre africaine. Pour se faire un plan rigoureux dans sa
démarche sera adopté.
Réfléchir sur une problématique pareille est nécessaire et important en ces jours. En effet, il
nous sera gré, dans ce travail, de mettre en surface, dans un premier temps, les envers et les
revers des options politiques et économiques de certains régimes politiques dans certains Etats
africains post-indépendances. Cela constitue une autre façon d’interroger le rôle des élites
dans les crises qui tirent vers le bas tous les efforts de développement des populations « d’en-
bas ».
Nous nous proposons ensuite, dans un contexte de mal gouvernance, de souligner
l’imbrication entre des logiques d’actions politiques gauchies et des pratiques économiques
peu orthodoxes pour peindre les écueils de « l’égoïsme et du solipsisme » (Bidima, p.16) des
dirigeants africains qui ont fait de la pauvreté et de la précarisation de leurs populations des
moyens de gouvernance.
En outre, il convient de souligner que dans cette étude nous entendons limiter notre réflexion
aux causes des crises sociales en Afrique noire des indépendances à nos jours. Pour se faire,
nous nous proposons de procéder par une recherche documentaire de nature politique,
sociologique, anthropologique et historique pour mieux étayer les arguments que soutiendront
les théories mentionnées ci-dessus .Une approche comparatiste entre pays et époques, entre
données et acteurs sera mise au point afin de souligner les ressemblances, les dissemblances
des origines des crises qui affectent l’Afrique et ses institutions.
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Indépendants pour la plus part depuis les années soixante, les pays africains ont entrepris une
marche sur le sentier du progrès et de la démocratie. Cependant, cette marche se heurte aux
obstacles relatifs à la « démultiplication des conflits à des échelles régionales » (Chaigneau
2002, ERO, Ferme, 2002), au « caractère massif des populations déplacées » (Guichaoua,
2004), à une dévolution du pouvoir par les urnes qui reste encore plus ou moins aléatoire5
dans bien des pays, à un déclenchement complet d’un dynamisme de développement et de
croissance durable. Dans un tel contexte, il convient de situer la responsabilité des décideurs
politiques dans la crise sociale qui découle de ce engrenage politico-économique. Ainsi il sera
important de procéder par une approche dialectique pour mettre en surface les forces et les
faiblesses des systèmes politiques et économiques établis en Afrique Subsaharienne.
1- Une relecture du système politique en Afrique sub-saharienne
Jusqu’au XVIe siècle, l’organisation de bien de sociétés africaines était basée sur des normes
sociales mises en place par les Africains et pour les Africains. La Charte du Mande qui fut
élaborée en 1236 pour gouverner tous les royaumes du Mandé (en Afrique de l’ouest) en est
une illustration. Bien que hiérarchisées, certaines sociétés traditionnelles étaient dirigées par
des Empereurs, ou des Rois (rarement par des Reines). Cependant, l’organisation hiérarchique
du pouvoir et des sociétés n’était aucunement toujours analogue à un despotisme. C’était
l’exemple des Akan au Ghana où « le pouvoir d’un dirigeant découlait du peuple et était
seulement délégué par celui-ci » (Gluckman, 1966). Le roi jouissait rarement des pleins
pouvoirs. Il était souvent assisté par un « gouvernement » composé de conseillers, de
notables, d’hommes religieux, de soldats, etc. le Roi avait l’obligation politique et morale de
prêter une oreille attentive aux préoccupations du peuple quand il était question de parler au
nom du peuple ou de prendre des décisions politiques et/ou économiques allant dans le sens
des intérêts du royaume.
Déjà au quatorzième siècle, dans les cités-Etats des Yoruba, le chef politique (l’Alafin) était
coiffé par l’Ogboni (le sénat) qui contrôlait les pouvoirs essentiels du royaume. En effet, les
systèmes politiques adoptés par les Yoruba au Nigeria, les Haoussa, les Akan au XVIe siècle
avaient favorisé l’émergence de sociétés horizontales, sans classe où tous les segments de la
population jouissaient de la sécurité et du bien-être. Rattray, un éthologiste britannique note
une admonition adressée à un roi Akan lors de la cérémonie de couronnement :
���������������������������������������� �������������������5 Patrick Quantin, « Les Elections en Afrique: entre rejet et institutionnalisation », Centre d’Etude Afrique noire, IPE Bordeaux, p. 1.
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Tell him that
We do not wish for greediness
We do not wish he should curse us
We do not wish that his ears should be hard of hearing
We do not wish that he should call people fools
We do not wish that he should act on his own initiative
We do not wish things done in Kumasi
We do not wish it should ever be said
‘I have no time, I have no time’
We do not wish personal abuse
We do not wish personal violence.6
Cette recommandation émanant du peuple met en surface le rôle important et la place que le
citoyen lambda jouait dans le système politique des sociétés traditionnelles. Cependant, le
système administratif local, ancré dans les valeurs africaines, a été remplacé par des
constitutions de substitution. Dans le but de mieux installer leurs politiques impérialistes, les
colonisateurs s’appuyèrent sur le Christianisme et l’Education scolaire pour jeter un regard
nihiliste sur l’essence des us et coutumes des natifs. Les rois et Empereurs qui dressaient le
spectacle du refus face à l’usurpation de leurs territoires ont été détrônés par les armées du
colon. C’était le cas du roi Béhanzin de Dahomey, du roi du Djolof, Alboury Ndiaye, au
Sénégal. D’autres qui s’étaient soustraits au combat contre l’étranger impérialiste, étaient
subordonnés à la condition de s’imposer une amitié mitoyenne, laquelle faisait d’eux des
collaborateurs isolés de leur peuples.
Les religions traditionnelles ont été ridiculisées, identifiées à des manifestations du diable.
L’apostolat des idées chrétiennes rythmait la stigmatisation du nègre en qui le missionnaire
voyait un barbare, un indigène à civiliser. Cette attitude des colonisateurs n’eut de cesse que
quand elle eût résulté sur l’apostasie et la honte du Noir de s’accepter. Des turbulences
sociales naquirent en conférant surface, corps et dimensions à l’effritement de normes sociales
par lesquelles les natifs conjuguaient l’unité au pluriel. Des royaumes redécoupés, de
nouveaux chefs locaux furent nommés pour donner voix et succès à l’entreprise coloniale.
���������������������������������������� �������������������6 B. Davidson and F.K Buah, A History of West Africa. New York: Anchor Books, 1966 [1965], p. 174.
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Paradoxalement, le même système politique colonial est maintenu dans les Etats africains
indépendants, où la militarisation systématique et inexorable a permis à une poignée
d’individus de réduire en silence la voix discordante des hommes et des femmes qui épousent
des positions politiques différentes de celles des gouvernants.
Cependant, avec les indépendances, le continent africain se trouve « en proue au conflits en
tous genres ».7 Dans son processus démocratique, le continent noir s’exprime dans un besoin
minimum d’ordre et de stabilité pour accompagner le murissement de la conscience
démocratique. Ainsi, la cristallisation d’une pensée conservatrice garantie une certaine
stabilité politique au détriment d’alternances politiques, pouvant déboucher sur des
affrontements sanglants entre populations et des auto proclamations d’opposants politiques
comme présidents, car contestant la victoire de leur adversaires sortant. Les cas du Gabon et
de la RDC en 2012 servent de références pouvant convaincre que la stabilité au sommet de
l’Etat peut éviter des crises de gouvernabilité.
Toutefois, des élites néo-patrimoniales personnalisent la gestion du pouvoir dans des pays
africains qu’ils transforment en « Républiques bannières » au sein desquelles une violence
saisissante est orientée vers des « ennemis » que sont les leaders de partis d’opposition.
L’assassinat du leader politique camerounais Ruben Um Nyobé le 03 Septembre 1958, de
l’opposant Tchadien Outel Bono le 26 Aout 1973, de l’opposant politique congolais, Pierre
Mulele en octobre 1968 restent des exemples illustratifs d’élimination d’acteurs politiques en
Afrique. Et d’entendre l’argument selon laquelle « dans plusieurs pays, les forces de sécurité,
en particulier, ont eu recours à la torture comme moyen de répression envers des opposants
politiques et des dissidents »8, donne à lire une certaine orientation politique sous-tendue par
la répression et la torture.
Les forces de sécurité défendent les intérêts des régimes au pouvoir, en réprimant des
marches, des manifestations publiques organisées par des acteurs qui dénoncent les dérives
des décideurs politiques. De ce fait, elles restent le baromètre de la liberté d’expression de
l’opinion publique dans bien des Etats africains. En des périodes d’instabilités sociales, la
sécurité et le triomphe des dirigeants politiques dépendent du degré de brutalité des forces de
l’ordre à l’endroit des populations. Une idée qu’illustre la répression, par les forces de l’ordre
���������������������������������������� �������������������7 Pierre NZINZI, Stabilité politique et alternance démocratique en Afrique Université Omar Bongo (Gabon) 8 La Torture en Afrique : Le Droit et la Pratique Rapport de la Conférence Régionale. Septembre 2012, p.8
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congolaises, des partisans de l’Union pour la Démocratie et le progrès social (UDPS) lors
d’une marche organisée en octobre 2011, de l’Union Nationale des Etudiants du Burkina
Fasso (UNEB),à la suite du décès de l’élève Justin Zongo dit avoir été torturé par la police,
des étudiants du Centre national de formation des techniciens en agriculture de Ziguinchor au
Sénégal . Ces derniers qui ont effectué une marche de quinze jours sur une distance de 450
km pour réclamer un recrutement dans la fonction publique, ont été pris en partie par les
éléments de la gendarmerie nationale à l’entrée de Dakar le 17 mars 2013.
Obéir sans faire apparaître l’ombre d’un moindre questionnement, est le seul comportement
pouvant être compris et toléré par les régimes autoritaires en place en Afrique. Toute attitude
individualiste qui consiste à pointer un doigt accusateur au système politique dictatorial est
durement réprimée. Les minorités ethniques sont, dans certains pays, la cible facile des
ethnies majoritaires. Le cas des populations noires au Darfour (Soudan), qui souffrent des
exactions des arabes musulmans au Nord, en est un exemple patent.
Les constitutions sont taillées et retaillées dans des pays comme le Nigeria en 1979, au Gabon
en 1997, au Togo en 1993, au Sénégal le Vendredi 15 Mai 2009 (une révision
constitutionnelle a instauré le poste du vice-président) pour légaliser les projets politiques des
gouvernants. Les appareils juridiques sont muselés, les dimensions sacrées de la démocratie et
de la bonne gouvernance ignorées. La légalité constitutionnelle qu’incarnent les pouvoirs
politiques est le miroir qui renvoie au destin tragique des peuples qui se heurtent aux réalités
quotidiennes d’un système néocolonial.
Les inégalités sociales, accentuées par la colonisation et mises à jour par les orientations
politiques des Etats indépendants, restent le décor frappant dans les milieux scolaires. En
outre, la masse paysanne et le prolétariat africains se contemplent dans l’impossibilité d’offrir
à leurs enfants un cadre d’études idéal pour la formation scolaire et universitaire. En effet,
dépourvus d’équipements adéquats, le corps enseignant fait face, dans les établissements
publics, à la platitude des réalités locales de leur métier. Des réalités qui supplantent l’attitude
sans regard des décideurs politiques sur les conditions de formation intellectuelles de
certaines couches sociales de leurs populations. Les taux d’alphabétisation et de scolarité alors
demeurent incongrus parmi les pauvres qui n’arrivent pas à couvrir les frais de scolarité de
leurs enfants envoyés à l’école publique. Par conséquent, les responsabilités politiques et
économiques restent sous le contrôle d’une nouvelle bourgeoisie qui jouit de prérogatives
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d’instruction et de formation professionnelles de qualité à la fois dans les écoles publiques et
privées. Se cristallise alors la notion d’une société atypique dominée par une élite de
privilégiés qui s’impose comme « une catégorie administrative légitime ».9
La reproduction du système politique colonial dans les Etats africains indépendants a entrainé,
dans une certaine mesure, l’inégalité entre les races et les groupes ethniques. Les dirigeants
politiques se considèrent comme des élus de Dieu ; une conception qui pèse sur leurs actes et
paroles. Cela fut le cas du président de l’ex Zaïre, Mobutu Sesse Seko Wasa Banga dont le
fragment du nom (Sesse Seko) signifie « terre éternelle ». Dans son ouvrage sur la vie de
Mobutu, Nguza Karl-I-Bond laisse entendre ceci :
nothing is possible in Zair without Mobutu. He created Zair. He fathered the zairian people. He grew the trees and the plants. He brings rain and good weather. You don’t go to the toilet without the authorization of le Guide. Zairians would be nothing without him. Mobutu has obligations to nobody, but everybody has obligation to him.10
Alors que Mobutu se fait roi dans le Zaïre post indépendant, Jean Bodel Bokassa contrôle le
pouvoir exécutif, législatif et judiciaire avant de s’attribuer le ministère de la défense
nationale, de la justice et de l’intérieur en 1967, le ministère de l’Information en 1968 et celui
de l’Agriculture et de l’Elevage en 1970.11 Des similarités entre les deux modes de
gouvernance des deux hommes politiques se précisent. En effet, ils apparaissent comme les
seules constances dans l’arène politique de leur pays avec leur droit de vie et de mort sur
chaque citoyen. Avec « seventeen wives, a score of mistresses and an official brood of fifty-
five chidren » (Matin Meredith, 2005), Bokassa se proclame Empereur de L’Empire centre-
africain. La cérémonie officielle de son intronisation devra coûter US$22 millions de dollar à
l’Etat centre africain qui ne comptait que 2 millions d’habitants à l’époque. Martin Meredith
illustre cette dépense dispendieuse en ces termes : « the spectacle of Bokassa’s lavish
coronation, costing $22 million, in a country with few government services, huge infant
���������������������������������������� �������������������9 Pascal Bacuez, « Ethnographie dans son contexte : administration coloniale et formation identitaire (Zanzibar) » in Cahier d’études africaines/ le Malentendu colonial. Paris : EHESS, 1998, n° 149, p.116. 10 Nguza Karl-i-Bond cité par Martin Meredith in The State of Africa, a History of fifty years of independence. Johannesburg & Cape Town: Jonathan Ball Publishers, 2005, p.297. 11Rca-beafrica.com/index.php ?option=com_content&view=article&id=111:jean-bedel-bokassa&catid=5:dossiers&itemid=7 01/04/12 à 15h01mn
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mortality, widespread illiteracy, only 260 miles of paved road and in serious economic
difficulty, aroused universal criticism. » (Martin Meredith, 2005)
En effet, des gouvernants africains font montre d’un certain goût de préciosité, allant dans le
sens d’une « privatisation » du bonheur, du bien être qui selon George Lukas, passe par « [l’]
épanouissement individuel [et] l’affirmation d’une conscience de classe » (Lukas, 2001 :447).
De ce fait, les décideurs politiques et les détenteurs des moyens de productions du secteur
privé se donnent le droit du recours à « la violence active (la brutalité physique) et à la
violence passive (brutalité psychologique) (Mbembe, 1991 : 58) sur les masses dont le
dénuement social prend valeur d’évidence dans un machiavélisme d’un système politique
hérité du colonisateur. Les peuples africains sont ainsi déshumanisés par la haine et l’égoïsme
de leurs gouvernants qui triomphent plus par « la barbarie aveugle ou calculée »12 que par les
armes démocratiques et républicaines. Chrétien renchérit :
Les violences qui font l’objet de nos préoccupations actuelles concernent précisément le déchaînement d’antagonismes d’allures irréductibles et dont on voit mal le débouché raisonnable. (…) la liste des points chauds prend la forme d’une litanie nécrologique : Biafra, Zaïre, Sud-Soudan, Ethiopie, Angola, Mozambique, Rwanda, Burundi, Afrique du Sud, Liberia, Somalie… Non pas le tableau de coups d’Etat, mais la violence mise en œuvre au quotidien et impliquant des millions de personnes, avec déjà des centaines de milliers de victimes, martyres des trente années de l’après-indépendance.13
Pour mieux s’arc-bouter au pouvoir, des dirigeants africains planifient des stratégies de
combats dirigés contre toutes formes d’attaques internes ou externes. Les forces de sécurité
apparaissent comme des sentinelles, pas d’un peuple, mais d’une minorité avantagée. Le
continent africain reste miné par des guerres intestines qui retardent ou bloquent son décollage
économique. Des pays comme le Soudan et la Somalie se trouvent confrontés à des conflits
internes qui anéantissent tout espoir de lendemains meilleurs.
���������������������������������������� �������������������12 J. P Chretien, « Violence contemporaine en Afrique» in Politique africaine/Violence et Pouvoir. Paris : Kartala, 1991, p.16. 13 Ibid., PP.17-18.
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Au fait, l’isolement de la région Sud du Soudan par le Nord hérité de la colonisation (les
colons britanniques avaient plus de considérations au Nord où ils investissaient beaucoup de
capitaux dans la culture de du coton) va favoriser la naissance de mouvements rebelles
comme le SPLA (Mouvement de Libération du sud-Soudan) que John Garang va diriger pour
exiger des autorités politiques de Khartoum une autonomie de leur région orpheline des
investissements de développement de l’Etat soudanais. Cette guerre entre le Nord et le Sud va
connaître un dénouement en 2004-2005 avec dans le carnet des archives plus 2 millions14 de
morts et plus de 600.00015 déplacés dans des pays comme l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda et
l’Egypte.
Des cendres de ce conflit, naîtra un autre foyer de tension, cette fois ci attisé plus à l’ouest
dans la région du Darfour. Délaissé par les différents gouvernements qui se sont succédés au
Soudan, le Darfour (La maison des Four), est une périphérie de Khartoum, vaste de
510.000km2 avec une population estimée à 6 millions d’habitants. Situé sur les monts Marrah
et les chaînes volcaniques culminant à 3088m,16 cette région du Soudan connut une baisse de
30% de ces précipitations pendant quarante ans.17 S’en suivit une sécheresse qui provoqua la
mort de 300.00018 personnes. Malgré les immenses ressources pétrolières qu’il renferme, le
Darfour demeure la partie oubliée de la politique économique des dirigeants de l’Etat
soudanais. Les attentes des Fours, des Massalits et des Zaghawas qui peuplent la localité
s’intensifient dans beaucoup de domaines comme la santé, l’éducation, l’alimentation et la
sécurité. La tâche immense qui y échoit le gouvernement de Khartoum et qui consiste à rendre
la dignité humaine à ces populations par l’amélioration de leurs conditions de vie, ne recevra
pas l’expression de la volonté politique du gouvernement de l’Etat.
Ainsi, de 1987 à 1989, des tensions ethniques entre les Fours et Arabes donnèrent naissance à
un conflit qui fera date dans le paysage historique du Soudan. Ces mêmes Arabes qui peuplent
le Nord du pays et qui contrôlent pour l’essentiel l’appareil gouvernemental, vont s’en
prendre également aux Massalits dans leur politique de répression. L’existence des ressources
pétrolières au Sud et à l’Ouest du pays va attiser la convoitise du pouvoir et des puissances
étrangères. La Russie et la Chine qui sont mues par des intérêts énergétiques, se rangent aux
���������������������������������������� �������������������14 fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_au_Darfour 28-04-13 à 16h41mn 15 fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_au_Darfour (28-04-13) à 16h41mn 16 Fr.wikipedia.org/wiki/darfour (30-03-12) à 20h25mn17 Ibid. 18 Ibid.
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côtés des décideurs politiques avec un appui militaire, malgré l’embargo de L’ ONU sur les
armes. De l’autre côté, les différentes forces dites rebelles telles que le Mouvement pour la
Justice et l’Egalité (MJE) et l’Armée Populaire de Libération du Soudan (SPLM) forment un
bloque et reçoivent l’assistance militaire des USA. Entre les deux bloques, se trouve le pétrole
dont l’enjeu de l’exploitation coûtera au Soudan un conflit à partir de 2003 avec plus de
10.00019 morts et 2,720 millions de déplacés. Ainsi au Soudan, le pétrole se définit comme le
combustible d’un conflit dont la résolution va déboucher sur la partition du pays en deux Etats
(Le Soudan et le Sud-Soudan) à la suite d’un référendum en 2011.
Au demeurant, il se donne à lire que le complexe de supériorité raciale combiné à une avidité
de pouvoirs, s’articulent comme un pesant d’importance dans la naissance et la gestion des
conflits au Soudan. Les crises militaires, humanitaires et sociales qu’a subit cette région de
l’Afrique sont principalement dues à un problème de vision politique et économique d’une
classe dirigeante qui s’emble avoir plus de soucis à se maintenir au pouvoir qu’à œuvrer pour
la consolidation d’une nation unie et prospère. D’où ces écueils tranchants sur lesquels
marchent difficilement et parfois même à reculons certains Etats du continent noir.
A côté du Soudan se trouve la Somalie. Mais à la différence du Soudan, la Somalie va
entretenir une ambition de conquête territoriale. Indépendant en juin 1960, la Somalie
demeure l’un des pays les plus instables dans la région Est de l’Afrique. Gouvernée par un
président putschiste (Zyad Barré) de 1969 à 1991, elle connaîtra une guerre fratricide avec
son voisin (l’Ethiopie). Une guerre que le Géneral Zyad engage pour reprendre à l’Ethiopie le
territoire de l’Ogaden dans son but de retracer la grande Somalie. Une ambition politique
nourrit la volonté d’une conquête territoriale qui ne peut que rencontrer la résistance farouche
du pays envahi. Un face-à-face militaire prend forme et s’exprime dans un conflit sanglant
entre les deux Etats.
Accusé de mauvaise gestion des affaires de l’Etat, le général suscite chez ses opposants un
sentiment de révolte qui les pousse à prendre les armes pour le renverser. Le pays sombre
dans le chao et la violence des combats provoque un déplacement massif des populations vers
Djibouti et l’Ethiopie. De ce fait, la réunification encore fragile entre la Somalia italienne et
la Somalie britannique en 1960 se dégrade. C’est dans ce contexte que des élans de cessession
���������������������������������������� �������������������19 fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_au_Darfour (28-04-13 à 16h41mn) 20 fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_au_Darfour (28-04-13 à 16h41mn)
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se sont notés dans l’Etat somalien avec le MNS (le Mouvement National Somalien) qui
s’empare du Somaliland au Nord, le Congrès de la Somalie Unifiée (CSU) qui se réserve le
centre du pays, et le Mouvement Patriotique Somalien (MPS) qui domine le Sud. Le pays se
déchire dans une guerre civile surtout dans les régions du Centre et du Sud où les clans
s’affirment dans une identité locale, ethnique et territoriale. Le tissu social s’ébranle et la
famine s’invite et s’installe d’une manière quasi endémique dans tout le pays. L’opération
Restore Hope menée par les USA sous le couvert de l’ONU en 1992 ne permettra pas de
ramener la paix et la stabilité dans le pays. La Somalie emprunte le chemin de la guerre et par
voie de conséquence celui de la désunion et du sous-développement. A ce point, des
similitudes s’établissent entre le Soudan et la Somalie. Les deux Etats font l’expérience de
guerres civiles qui vont aboutir à un effritement d’une conscience unioniste et unitaire.
Aujourd’hui, la somalie est privée d’un gouvernent central capable d’assurer la sécurité des
citoyens. Le désordre politique, économique et social qui y règne depuis 1991 condamne les
populations dans une spirale de violence quotidienne. L’affirmation des groupes islamiques
dans le champ politique laisse entrevoir une menace terroriste à grande échelle dans la sous-
région avec le phénomène des pirates armés, perpétrant des actes de piratage des bateaux
occidentaux dans le Golfe d’Aden. Le pays est plongé dans une impasse politique. L’Etat de
droit y perd le droit d’exister et le tripatouillage institutionnel émaille le paysage politique du
pays. L’impuissance de l’Etat à imposer un retour à un ordre institutionnel expose les
populations devant les volontés militaires des Shébabs et des autres clans et autres groupes
ethniques. La précarité s’intensifie et la famine, l’insécurité et l’analphabétisme font jour.
En outre, soutenus par les Djandjawides au Soudan, le Front pour la défense de la démocratie
(FDN), le Parti pour le redressement national (PARENA) de l’ancien président Burundais, J.
B Bagaza au Burundi (cf. (Ndarishikanye, 1998)21, les forces de sécurité, dans plusieurs pays
africains, violent, tuent leurs compatriotes au nom de la survie des régimes qu’elles protègent.
Elles sont devenues de véritables machines de guerre pour les natifs. Au Zimbabwe, des
milliers de civils ont été massacrés par l’armée en 2008. Au Soudan, le conflit a fait plus de
200.000 victimes et plus de 2,5 millions de déplacés.22 En Somalie la ténacité du conflit a été
���������������������������������������� �������������������21 Le Président J.B Bagaza a été défait par le Président Ndadaye. Ce dernier fut assassiné le jeudi 21 octobre 1993. Son assassinat plongea le Burundi dans une guerre civile où Hutu et Tutsi s’entretuèrent sauvagement. 80.000 morts, 200.000 déplacés, 600.000 refugiés dans des pays comme le Rwanda, la RDC et la Tanzanie]. Ces chiffres sont tirés du même article de Ndarishikanye. 22 Sara Daniel, Massacre du Darfour : les survivants témoignent, Sara-daniel.com
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mise en relief par I. William Zartman selon qui « ce conflit représente une vieille constance de
l’Afrique (…) ses manifestations varient avec le temps » (Zartman, 1990 : 77).
Ces données tragiques mettent en évidence « le gant de velours usé par la main de fer »
(Ndarishikanye, 1998 : 149) des dirigeants politiques africains. Le mobile principal de ces
conflits est « toujours lié à des enjeux politiques internes »23 les gouvernants font la myopie
sur les problèmes socio-économiques auxquels sont confrontés leurs peuples, en dressant le
spectacle d’une fixité morale antirépublicaine. Chrétien illustre en ces termes : La guerre dans
l’Afrique contemporaine est essentiellement « civile ». La nature du système étatique est donc
au cœur des conflits et on peut en rappeler ici deux aspects fondamentaux, tels qu’ils sont
analysés par exemple dans les ouvrages de J.-F. Bayart ou de A. Mbembe : l’Etat comme lieu
de l’enrichissement (« la gouvernementalité du ventre ») et l’Etat comme monopole de la
vérité (« l’Etat-théologien »).24
Cependant, ces conflits militaires permettent aux chefs de guerre de se mettre au devant de
la scène politique pour ainsi obtenir l’adhésion et l’allégeance de leur communauté. Ils
mettent ainsi en exergue l’importance de leur présence et de leur leadership, en se donnant
à voir sous le manteau de défenseurs de leurs communautés aussi bien en temps de paix
qu’en temps de guerre. Le néopatrimonialisme se consolide dans ces contextes de conflits
et donne une marge à ses acteurs qui font de la politique ethnique un moyen de lutte pour
le pouvoir politique, économique et social. En dehors du système politique, il faut
souligner l’existence d’un système économique dont l’orientation centraliste se révèle
dans toute la lumière de ses crises multidimensionnelles.
1- Un système économique prisonnier du politique
Capitalistes, socialistes ou communistes, les Etats africains ont poursuivi des itinéraires
économiques marqués ça et là par des échecs et des réussites. En effet, dans certains pays
comme le Sénégal les pouvoirs centraux ont cessé de se réserver le droit exclusif de la plupart
des prestations financières et commerciales. Des réformes économiques ont aidé dans la
décentralisation des financements et la gestion des infrastructures éducatives, sanitaires,
sportives, etc. L’économie est, en grande partie, territorialisée pour profiter davantage aux
populations rurales, lesquelles habitent parfois des zones riches en réserves de mines d’or, de
���������������������������������������� �������������������23 J.P Chretien, Op.Cit., p. 19. 24 Ibid.
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diama, etc. En outre, puisque la répartition équitable des richesses nationales favorise un
sentiment de justice sociale et aide à néantiser toute possibilité de soulèvement régionalistes,
le management des biens de l’Etat ne doit aucunement faire l’objet d’une gestion collégiale.
Cela dit, selon qu’il est noté dans plusieurs pays en Afrique, les politiques économiques
mises en œuvre portent des relents d’une « néo-colonisation » adossée par un
néopatrimonialisme dynamique.
Dans l’Afrique précoloniale, la terre était considérée comme le cordon ombilical qui
connectait le monde des vivants à celui des aïeux. Elle était l’épine dorsale des croyances, des
cultures et civilisations de certaines sociétés traditionnelles. La terre, en plus d’être une source
de richesses, était le moyen grâce auquel, par des rituels, l’homme pouvait s’accoler au
monde mystérieux des pouvoirs occultes. Elle portait la marque d’un espace de vie. Elle
symbolisait la mesure de la masculinité et de la noblesse. En un mot, elle était pour beaucoup
d’Africains ce qu’est le commerce pour les juifs, le pétrole pour les arabes du Golfe. Quand
aux colonisateurs blancs, la terre était juste une source de richesse. Ils la considéraient comme
un moyen d’ascendance sociale ; un outil de domination dont le contrôle par une communauté
pouvait garantir sa domination sur un autre peuple. Une telle perception sur la valeur foncière,
justifiait la politique coloniale sur la terre en Afrique, particulièrement au Kenya, en Afrique
du Sud et au Zimbabwe.
Avec l’avènement des indépendances, les Africains attendaient de leurs gouvernements une
redistribution équitable de la terre, la restauration de la dignité noire par une politique
économique orientée vers une prospérité collective. Ils faisaient montre d’une admiration sans
mesure pour leurs nouveaux « messies » dont les souhaits étaient sacrés et les
recommandations considérées comme des commandements. Cependant, la déception a été
brutale. Les nouveaux élus ont manqué l’occasion de donner des réponses satisfaisantes aux
besoins aigus des populations expropriées de leurs terres, lesquelles donnent sens à leur
existence et identités culturelles. Au Zimbabwe, Robert Mugabe a échoué en 2000 à
redistribuer les 95% des terres arables du pays aux paysans et agriculteurs locaux. La crise
politique actuelle n’est d’ailleurs qu’un prolongement de l’épineux problème lié à la question
de la terre dans un pays où 10,2 millions d’hectares étaient, jusqu’en 2000, contrôlés par des
fermiers blancs.25 Ibbo Mandaza nous informe que :
���������������������������������������� �������������������25 Daniel Compagnon, La Prétendue « Réforme agraire » A qui profite le crime ? Commercial Farmers Union.
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Seuls 20%, au plus, des paysans tirent profits des réformes et bien moins que cela en termes
absolu ; d’où les différences sociales et régionales dans les domaines communaux (…) il y’a
une « wulakisation » dans quelques régions du Zimbabwe ; ce qui aggrave la polarisation de
la structure agraire existante puisque les contradictions de la « question agraire » s’accentue
avec les stratégies « minimalistes » de réforme.26 Au Kenya, Jomo Kenyatta et ses
collaborateurs n’avaient pas réussi à réaliser une redistribution complète des terres. Les
combattants MauMau qui avaient fait leur la résistance anti coloniale, étaient dans une
certaine mesure, les laissés-pour-compte dans le partage du pouvoir et des terres cultivables.
Les cultures de rente comme le café, le thé, le sisal, etc. qui étaient introduites par le
colonisateur continuent à asservir le paysan kenyan quotidiennement exposé à la précarité.
Les populations africaines apparaissent alors comme une force de labeur que les politiques
exploitent selon leurs intentions, leurs ambitions. Les paysans et les ouvriers travaillent à
s’épuiser dans des sols improductifs, des fermes agricoles où le salaire reste de loin décent. La
misère se standardise dans le paysannat et le prolétariat, favorisant ainsi la domination des
sociétés africaines indépendantes par une classe de compradores, laquelle réduit la masse
misérable dans un état de dénuement.
L’orientation économique, l’échec d’une bonne répartition des terres ont, dans beaucoup de
pays africains, donné naissance à une classe sociale jouissant d’une vie paradisiaque grâce
aux revenus financiers. Le système économique établi favorise une minorité, en exploitant les
ouvriers et les paysans à des tarifs de famine. Dépouillés de leur humanité, ils leur force de
labeur à l’autel des élites dirigeantes. Dans son analyse sur la situation économique du
continent, Tidiane Diakhité soutient que: « Le continent entame ostensiblement une
dangereuse marche à reculons » (Diakité, 1986 :27).
Toutefois, la diversification des partenaires économiques a permis aux pays africains, à bien
des égards, de fructifier le partenariat bilatérale, et, de fait, en tirer bénéfice. L’émergence de
nouvelles puissances comme le Brésil, l’Inde et la Chine a ouvert aux dirigeants du continent
noir des passerelles d’échanges qui s’effectuent, pour la plus part du temps, dans une logique
équitable. L’exemple du partenariat entre l’Inde et le Sénégal, L’Iran et le Sénégal, illustre
bien ce nouveau élan des Etats africains dans la redéfinition de leurs relations économiques et
commerciales avec les Etats dits développés ou émergents. En effet, depuis le début des
���������������������������������������� �������������������26 Ibbo Mandaza, et al, Zimbabwe/ Economie politique de la transition (1980-1986). Dakar : CODESTRIA, 1991, p. 228.
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années 2000, l’Etat Sénégalais, sous le régime du président Abdoulaye Wade, s’est attelé à
réorienter sa coopération économique avec l’Inde et l’Iran. Ce qui lui permettra de bénéficier
d’une implantation d’usines de montage de véhicules comme SENEBUS des compagnies
TATA et Iran-Auto dans la région de Thiès. L’implantation des ces entreprises automobiles a
permis de créer des centaines d’emplois et de faciliter la disponibilité des bus TATA à bon
marché pour des entreprise locales de transport urbain comme Dakar Dem Dik.
Cependant, cette coopération entre Etats émergents et pays africains ne se fait pas toujours sur
la base d’un commun vouloir sincère de gagnant-gagnant. Avec plus d’un milliard de
personnes à nourrir, la Chine se lit dans un besoin de terres arables qui dépasserait les
capacités agricoles qu’offrent les 120 millions d’hectares de surface cultivables quelle
dispose. Avec une urbanisation et une industrialisation galopantes, la Chine perd de plus en
plus des superficies de ses terres cultivées. En effet, « depuis les années quarante, plus de
6000 villes sont sorties de terres, dont 90 qui comptent aujourd’hui plus d’un million
d’habitants ».27 Les terres réservées à l’agriculture se trouvent égratignées par les exigences
qu’imposent la modernisation et le développement du pays. Déjà en « 2009, 420.000 hectares
de terre seront (…) consacrés à de nouvelles constructions »28. Pour continuer à alimenter son
«économie galopante et à satisfaire en même temps les besoins alimentaires de sa population,
la Chine se tourne vers des pays de l’ex Union Soviétique, d’Amérique Latine, mais
également d’Afrique pour louer ou acheter des terres cultivables.29 Ce qui lui permet de
couvrir les besoins de la consommation interne de produits agricoles sans pour autant mettre
en péril les exportations de son tissu industriel. Ainsi, dans la République Démocratique du
Congo (RDC), le géant des télécommunications ZTE (Zhonxing Telecommunication
Equipment) s’offre plus de 2,8 millions d’hectares de la forêt dense afin d’y exploiter des
palmiers à huile.30
Au Zimbabwe, l’entreprise étatique chinoise (Water and Electric) se paye les droits
d’exploitation de 100.000 hectares31 pour rentabiliser la culture du maïs dans les terres fertiles
de la partie sud du pays. En Tanzanie, c’est la société chinoise CSC (Chongping Seed Corps)
���������������������������������������� �������������������27 China daily reprenant une informaion du Chongping evening news 28 Ibid.29 Ibid. 30 Ibid. 31 Ibid.
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spécialisée dans l’activité rizicole qui rentabilise 300 hectares32 des terres cultivables du dit
pays. Depuis le premier sommet Chine-Afrique en 2006 à Pékin, le gouvernement chinois
s’emploie à mettre en place dix centres agricoles en Afrique. D’où un prolongement de la
dépossession des Africains et de leur asservissement par les puissances étrangères. Les acteurs
politiques africains monnayent le foncier de leur Etat aux puissances allogènes et du coup
s’handicapent davantage à répondre aux attentes de la demande sociale de leurs populations
en terme de besoins alimentaires. Alain Joyeux illustre cette idée comme suit :
la Chine a acheté 30 millions d’hectares de terres dans le monde dont plus de 80% en Afrique. (…).Or nombre de ces pays peinent à nourrir leurs populations. La Chine consolide ainsi la sécurité alimentaire au détriment de celle d’une partie de l’Afrique.33
L’idée du partenariat « gagnant-gagnant », telle quelle est illustrée dans le Livre Blanc sur la
politique de la Chine publié en janvier 2006, ne montre pas encore, d’une manière
incontestable, les avantages déterminants d’un équilibre des gains tirés du partenariat Chine-
Afrique. La Chine, à l’images de certains pays occidentaux, ménage les régimes autoritaires
comme celui d’Omar El Béchir du Soudan au nom d’un du principe de non ingérence pour
« s’ingérer » dans le patrimoine pétrolier, forestier et agricole des pays comme le Soudan,
L’Angola, le Zimbabwe, etc. Alain Joyeux précise :
en 2005 la Chine a refusé de faire pression sur le Soudan (en lien avec la crise au Darfour) en ne votant pas la résolution 1591 qui imposait des sanctions internationales sur le Soudan (..). En ne conditionnant pas son aide à la bonne gouvernance, la Chine ne contribue pas à la démocratisation et à la transparence des gouvernements, y compris lorsque quelques progrès avaient été réalisés sous la pression des Européens.34
En connivence avec des gouvernants africains, la Chine fait de la question environnementale
le cadet de ses préoccupations. La prospection de pétrole par la SINOPEC (société prolifique
���������������������������������������� �������������������32 Ibid.33 Alain Joyeux, « La montée en puissance de la Chine : l’exemple de la ChineAfrique ». Colloque du 30 mars 2011 à Monpellier (France)) p.4. 34 Ibid.
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chinoise) dans un parc protégé de 67.000 km2 au Gabon35 de même que « le projet minier de
Belinga dont l’exploitation est confiée au groupe chinois CMEC pour 20ans devrait intensifier
le braconnage ».36 L’écotourisme de la zone s’en retrouve gravement menacé. S’en suit alors
la perte d’emploies dans le dit secteur, la déstabilisation des habitudes de vie, de culture et de
civilisations des populations indigènes. Ces derniers se regardent alors dans la position de
rebuts et laissent entendre le « cri des « exclus » »37 dans des pays comme le Cameroun où
l’exploitation du bois représente dans le panier des recettes de l’Etat 32,2%, le Congo
Brazzaville 25,6%, et le Gabon 32,3%38. Jean Nke Ndith affirmera à ce titre que : «
l’exploitation de la forêt des terres déchiffrées pour le marché extérieur occupe une place
centrale dans la dégradation agroforestière, en particulier des pygmées ».39
La disparition des hectares forestiers favorise l’érosion et donc l’absence d’un couvert végétal
et occasionne des inondations, des glissements de terrains dans des pays comme Madagascar,
une menace du surpâturage et de l’agriculture intensive. Ce qui aggrave la paupérisation et le
dénuement des populations locales ; lesquelles finissent très souvent par s’exprimer dans des
mouvements de grèves, de révoltes contres les intérêts chinois et contre les politiques de leur
gouvernement. C’est ainsi que se sont notées des manifestations anti-chinoises en Zambie
(2007), à Yaoundé (2009), en Angola, et au Sénégal.
Une analyse des échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine met en vue un
déchaînement de cette puissance émergeante sur les matières premières du continent. Ce
tableau des échanges Chine-Afrique reste illustratif :
���������������������������������������� �������������������35 Voir Economique de l’Ambassade de France à Yaoundé (2008) : la filière bois en Afrique centrale in Fiche synthèse, Avril 2008, www.missioneco.org/cameroun) 36 Voir Economique de l’Ambassade de France à Yaoundé (2008) : la filière bois en Afrique centrale in Fiche synthèse, Avril 2008, www.missioneco.org/cameroun) 37 Jean Godefroy Bidima, Théorie critique et modernité négro-africaine de l’Ecole de Franfort à la Docta spes africana. Paris : Publications de la Sorbonne, 1993, p.18. 38 Ibid. 39 Jean Nke Ndith, « Déforestation au Cameroun : causes, conséquences et solutions » in Alternatives sud, vol 15, 2008, p.155.
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Tableau N°1: Echanges Chine-Afrique
CTCI
3330 2475 2815 6672 2631 1212 6753 6734 2731
Produit
Pétrole Bois tropicaux Minerai de fer Diamants Coton Tabac Laminés à chaud Laminés à froid Pierres pour construction
Montant en Milliards de Dollars
4,85 0,5 0,28 0,27 0,23 0,16 0,14 0,09 0,08
Place de l’Afrique dans les importations chinoises du produit
24 % 33 % 7 % 22 % 20 % 6 % 6 % 2 % 2 %
Source : ITC, PC-TAS (2003)
Les échanges commerciaux entre le pays du soleil levant et le continent noir profitent plus aux
pays « spécialisés dans la production et l’exportation de composants, de biens d’équipement
et de matières premières ».40 Alors que dans les pays comme le Sénégal « engagés dans la
production de bien de consommation, [ils] subissent les effets de la concurrence chinoise »41.
L’ouverture du marché Sénégalais aux produits chinois a entraîné une crise profonde entre
l’Etat, l’UNACOI (Union Nationale des Commerçants et des Industriels du Sénégal) et les
hommes d’affaire chinois. Cette crise va atteindre son sommet en juillet 2004 « avec les
manifestations anti-chinoises organisées dans le quartier chinois et les grèves des propriétaires
de cantine ».42 Les produits locaux tels que les chaussures en cuivres fabriquées par les
artisans de la ville de Ngaye Mékhé (Nord-ouest du Sénégal) sont durement concurrencés par
les produits chinois de qualité moindre et à prix plus abordables. Ce qui ralentit l’essor du
secteur et le développement de la dite localité.
Les marchés des pays africains semblent être « recolonisés » par certaines puissances
développées et ou émergentes. De ce fait, la balance commerciale de bien d’Etats africains
demeure durablement déficitaire. Les produits locaux se retrouvent sans beaucoup de marge
dans les marchés locaux, où les petites et moyennes entreprises en éclosion suffoquent dans la
partie congrue que leur laisse les produits chinois à bon marché. Par voie de conséquence, le
���������������������������������������� �������������������40 Ibid., p.158. 41 Ibid., p.158. 42 Friedrich Ebert Stitung, L’Engagement de la Chine au Sénégal : bilan et perspective, un an après la reprise des relations diplomatiques. Dakar : décembre 2006.
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taux de chômage grimpe, laissant la population jeune s’en prendre aux décideurs politiques à
travers des mouvements sous-tendus par la logique du « Y’a en marre ».43 Et Alain Joyeux
d’ajouter :
si l’on tien au strict solde commercial bilatéral entre la Chine et l’Afrique, il y’a une illusion d’équilibre. (…) en réalité la nature des échanges est totalement déséquilibré : plus de 90% des exportations africaines vers la chine sont des matières premières (le seul pétrole représente 60% de la valeur des exportations africaines vers la Chine) alors que dans l’autre sens, ce sont essentiellement des produits manufacturés, pas seulement de la « pacotille », mais aussi des biens d’équipement à forte valeur ajoutée, d’où le risque bien connu d’une détérioration des termes de l’échange pour l’Afrique.44
Le partenariat économique à sens unique entre les Etats indépendants et ceux de l’Occident a
ouvert le marché africain aux industries occidentales qui exploitent, souvent à leur profit, les
matières premières du continent noir. La conséquence principale qui en découle reste la
morosité des économies africaines devenues dépendantes des aides financières. René Dumont
souligne :
Les Etats du Sahel ont donc perdu totalement leur indépendanceéconomique et politique. L’aide a surtout développé le secteur tertiaire, une économie parasitaire dans les villes. On a ainsi réduit ces pays ruraux à une situation d’assisté (Dumont, 1993 : 49).
La mal gouvernance, en partie, a fait de l’Afrique un continent sous-développé. Les chefs
d’Etats se rivalisent dans une course aux comptes bancaires en abondance, aux châteaux
splendides et aux voitures de luxe. Les aides de l’Occident adressées au développement public
sont, parfois, détournées de leurs objectifs. Les recettes de certains Etats se volatilisent dans le
goût du luxe de ses dirigeants qui souffrent de « la folie des « 3V » : Villa, Voitures,
Voyages » (Dumont, 1993b : 153). L’Afrique est ainsi plongée dans un néocolonialisme
asphyxiant. Les modes de gestions et de gouvernance peu intègres de ses dirigeants politiques
comme Bokassa, Mobutu, etc. restent un obstacle majeur pour le redressement économique du
continent.
���������������������������������������� �������������������43 Le nom d’un puissant mouvement de jeunes qui a combattu le régime de Abdoulaye Wade au Sénégal entre 2010-2012. 44 Alain Joyeux, Op.cit., p.2.
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Par ailleurs, certains responsables politiques africains font recours à la violence illégale et
illégitime pour arriver au pouvoir. Ils s’y installent confortablement et cherchent à jouir
des « agréments » de la société de consommation. A quoi bon le pouvoir s’il n’apporte pas
toutes les richesses de Golconde ? Et Fulbert Youlou commanda en 1961 chez Maxim’s, à
Paris, un repas qu’un avion spécial transporta en pleine brousse (…). Les traditions
africaines d’ostentation, dont l’enjeu est le prestige, se reportent alors, pour l’essentiel, sur
des produits importés dévoreurs de devises (Dumont, 1993b : 149).
Les Etats africains sont en perpétuelle déficit et, c’est aux peuples de faire les frais des
politiques d’ajustements structurelles, des cures d’austérité comme cela fut le cas au Sénégal
de 1990 à 2000. Le déséquilibre des partenariats économiques avec les nations développées,
le néomatrimonialisme et le clientélisme dans la gestion des affaires étatiques demeurent un
goulot d’étranglement pour les populations africaines.
2- Autres causes de la crise
Les schémas économiques basés sur une approche inclusive et exclusive est à la base des
maux qui gangrènent les masses pauvres en Afrique. Ils ont anéanti les structures sociales,
entamé les valeurs morales en brisant « l’ossature des sociétés traditionnelles » (Sartre,
1964 :34). Apparaissent alors d’autres modes de vie, lesquelles compromettent la cohésion
des peuples, en mettant en péril les fondements des principes moraux des populations.
Confrontées à une paupérisation de par sa présence et son ampleur, les sociétés ont tendance à
se révolter contre les régimes nationaux. Le soulèvement populaire réprimé dans le sang au
Zimbabwe en 2008 en est un exemple saillant. Donal Payre le met en évidence:
Mugabe’s forces and hired killers of the ruling party have killed more Blacks than Whites, those who have suffered much under Mugabe’s regime are poor Blacks and not white farmers45.
La crise politique et sociale en Cote D’Ivoire de 2000 à 2011, la révolte sanglante au Kenya
en 2008, le conflit interminable en République Démocratique du Congo, etc. mettent en relief
le refus invincible des dirigeants africains à créer les conditions d’émergence de nations
modernes, libres et démocratiques. La résistance des peuples dans certains pays contre l’idée
���������������������������������������� �������������������45 Donald Payne, representative of Democrats (he is a Black) of New Jersey, influent member of Black Caucus, commenting on the Zimbabwe Democracy and Economic Recovery Bill before the Sub-Comity for Africa of the Chamber of Representatives, November 28th 2001.
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de fatalité du mal politique, comme dans le cas burundais après l’assassinat en 1993 du
président démocratiquement élu –Ndadaye –, laisse apparaître leur ferme volonté de se libérer
des griffes de l’injustice sociale dont ils sont victimes. L’esprit de révolte contre les régimes
totalitaires en Afrique ouvre la voie à une éthique politique qui devrait prendre en compte les
soucis des citoyens lambda, en traçant la frontière entre altruisme et néo-patrimonialisme.
Quand un ordre politique ou social échoue dans la réalisation des attentes d’un peuple, le
recours à la violence légitime apparaît comme une alternative adéquate :
Violence is a personal necessity for the oppressed. When life in society consists of humiliation, one’s only rescue is through rebellion. It is not a strategy consciously devised. It is the deep, instinctive expression of human being denied individuality46.
Tenu à la merci de la précarité le prolétariat se divise en deux groupes. D’une part, ceux qui
s’engagent à lutter contre les systèmes politiques et économiques aliénants, d’autre part, ceux
qui préfèrent se ranger du côté des hommes au pouvoir en vue de bénéficier de traitements
sociaux spécifiques. Cette dernière attitude constitue la graine qui a poussé dans les jeunes
Etats africains et dont les méfaits se font noter dans les domaines politique, économique et
social. John Forge illustre cette idée comme suit: « Belly intellectuals (…) opted to sacrifice
ethics and professionalism for self-interest. In doing so, they succumb to the whims and
caprices of the shroned politicians »47. En portant leur attention sur les résultats politiques et
économiques de l’indépendance du Kenya, David Cook et Michael Okenimkpe concluent:
« Kenyan Uhuru (Independence) itself (is) a giant betrayal of the people who fought for it by
those manipulating it »48.
La lancinante question liée aux frontières et aux tentions ethniques est un souci qui n’a pas
encore, d’une manière ad definitum, trouvé des solutions idoines de la part des autorités
étatiques. 10% de la population mondiale vit en Afrique Sub-saharienne, mais 40% des
���������������������������������������� �������������������46John. W Forge, “Self-determination, Nationalisme, Development and Pan-Africancanism stuck on the Runway: Are Intellectuals to be blamed?” In African Journal of Intellectual Affairs n°1&2, 2003,vol 6, p. 77. 47 John. W Forge, “Self-determination, Nationalisme, Development and Pan-Africancanism stuck on the Runway: Are Intellectuals to be blamed?” In African Journal of Intellectual Affairs n°1&2, 2003,vol 6, p. 77. 48 David Cook & Michael Okenimkpe, Ngugi wa Thiong’o: An Exploration of His Writings. Nairobi: Heinemann, 1997 [1983], p. 76.
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conflits mondiaux sont enregistrés dans la même région.49 Les conflits latents entre le Nigeria
et le Cameroun sur la question du Bakassi, le problème des Massais entre le Kenya et la
Tanzanie, les Touaregs entre le Mali et le Niger,50 etc. nourrissent des soucis permanents et
par conséquent, le besoin, pour les populations locales, de se refugier dans d’autres pays
relativement stables. Ces conflits, parfois, sous-tendus par un esprit ethniciste, clanique, ou
sécessionniste comme c’est le cas des Touaregs avec la Zawad au Mali, sont, à bien des
égards, responsables des 9,2 millions51 d’émigrés africains.
En plus, les différentes politiques d’immigration mises en œuvre dans des pays comme le
Sénégal, la Mauritanie n’ont pas réussi à décourager les jeunes à branler la mer dans des
embarcations de fortune pour aller se faire une place au soleil en Europe. Malgré la rigidité
des mesures juridiques et militaires prises, le nombre de candidats à l’émigration clandestine
atteint de plus en plus des proportions inquiétantes. Aly Tandian explique les raisons :
les grillages de Ceuta ou les barrages électroniques des Canaries ou d’ailleurs ne décourageront pas tous ceux pour qui la galère d’un clandestin en Europe vaut mieux que de croupir dans un village sans espoir dans le Sahel ou la banlieue oubliée d’une mégalopole africaine. Les politiques de développement tant vantées ces dernières années et qui devaient fixer les candidats au départ chez eux ont échoué.52
Par ailleurs, généralement basé sur des considérations ethniques, le partage des responsabilités
dans les sphères politiques ou économiques demeure une approche anti républicaine. « Live
and let live apart »53 « vit à ta manière et laisse les autres vivrent comme ils l’entendent »,
« you fatten yourself or you are fatten upon »54 « prend ta part du gâteau national ou
quelqu’un d’autre l’additionnera au sien » sont des concepts à travers lesquels la morale
décadente des politiques africains est mise en exergue. La gestion peu orthodoxe des deniers
publics a plongé le continent dans une dette exponentielle qui de 1990 à 2000 est passé de
���������������������������������������� �������������������49 Aly Tandian, Maitre Assistant à l’université Gaston Berger de St-louis /Sénégal. Séminaire du Centre de Recherche des Sciences politiques et Sociales (CREPOS) sur le thème “Migration et Mondialisation”. Vendredi 16 Janvier 2009 à l’université Gaston Berger. 50 Dr Aly Tandian, Op. Cit. 51 Dr Aly Tandian, , Op. Cit. 52 Dr Aly Tandian, Op.Cit. 53 Expression employée en Afrique du sud pendant la période apartheid. 54 Expression utilisée par l’écrivain Kenyan, Ngugi wa Thiong’o dans ses écrits surtout dans son roman intitulé Petals of Blood.
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60,6 à 206,1 milliards.55 Parmi les 48 pays les plus pauvres de la planète 3656 sont localisés en
Afrique. Cette extension de la misère est l’un des facteurs principaux qui favorise la fuite des
cerveaux, l’émigration clandestine. Ceux qui n’ont pas la volonté de braver les aventures
d’une vie de misère prennent la revanche de leurs échecs dans la société. Ils se muent en
coupeurs de route, semant la terreur dans les villes. Les femmes tombent dans le piège de
l’argent facile du plus vieux métier du monde. Les conséquences qui en découlent sont
spécifiquement notoires dans le domaine de la santé.
La crise notée dans le secteur de la santé reste profonde. Dans une dizaine de pays africains
15% au moins des adultes sont infectés par le VIH SIDA. 2,45 millions de personnes sont
décédées de causes liées au VIH par rapport à 2,3 millions en 1999. Au Botswana 35,8% des
adultes sont séropositifs. En Afrique du Sud 19,9% en 2000 par rapport à 12,9% en 1998. En
Zambie, 1/7 des adultes est porteur du virus du SIDA. La Cote D’Ivoire fait parti des 15 pays
les plus touchés par la pandémie. Au Nigeria plus de 2,7 millions de personnes vivent avec le
virus de SIDA.57
L’insécurité alimentaire est une ramification des échecs des politiques agricoles. En Afrique
Sub-saharienne, les paysans ne sont pas bien équipés en matériels agricoles. Les intrants, de
même que les semences certifiées ne sont pas toujours disponibles en quantité suffisante. Des
structures bancaires qui peuvent assister les paysans sont quasi inexistantes dans des pays
comme le Sénégal. Les politiques pour la maîtrise de l’eau avec les pluies provoquées au
Sénégal, au Maroc, au Niger, les bassins de retention et la création de lacs artificiels (Sénégal)
n’ont pas encore donné les résultats escomptés. Ainsi, la famine s’installa dans les années
1980-1990 de manière endémique dans des pays comme la Somalie, l’Ethiopie et le
Mozambique (où la situation fut aggravée par la guerre civile). François M. Deng pose un
regard sur la situation de famine au Soudan dans les années 1980 :
La sécheresse qui a sévi de 1983 à 1985 dans l’ouest et dans l’est du Soudan et la famine qui en résulte ont coûté au pays des pertes considérables en vies humaines et profondément désorganisé les populations de ces régions (Deng, 1993 :77).
���������������������������������������� �������������������55 Dr Aly Tandian, Op.Cit. 56 Dr Aly Tandian, Op.Cit. 57 Ces données UNAIDS sont publiées par le département de l’ONU (Avril 2001), DPI/2198.
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Face à la caducité des politiques économiques gouvernementales, les populations sombrent
dans le désarroi et la frustration. Les rues deviennent, par conséquent, les lieux adéquats pour
faire entendre la voix du désespoir et de la révolte. C’est le chao, l’anarchie qui s’en suivent ;
d’où la crise sociale, l’instabilité politique chronique dont souffrent le continent africain. La
crise sociopolitique en Madagascar de Janvier à Mars 2009 demeure édifiante.
Préférant être tués dans les champs de bataille que de mourir de faim, les enfants-soldats
considèrent leur enrôlement dans les milices ou rébellions comme une aubaine dans des pays
comme la République Démocratique du Congo. Ces crises sociales déstabilisent le continent,
compromettant tout espoir pour un futur meilleur. Diakité nous édifie par ces propos :
« Aujourd’hui les espoirs de jadis s’effritent ne laissant subsister à l’horizon aucune lueur
nouvelle » (cf. Diakité, 1986).
Conclusion
Malgré l’indépendance officielle des Etats, l’Afrique est encore gouvernée par les systèmes
politiques et économiques hérités de la colonisation. Les élites politiques s’accrochent
généralement au pouvoir, refusant toutes formes d’alternances démocratiques. Ils contrôlent
les moyens de productions et continuent à exploiter la force ouvrière locale. John. W Forge
dénonce :
The continent’s crisis of society derives from many upsets and conflicts with the root of the problem closely engraved within the social and political institutions within decolonized Africans have lived and tried to survive.58
La couche paysanne reste encore l’une des couches sociales les plus défavorisées dans le
partage du gâteau de l’indépendance pour lequel ils ont vaillamment résisté contre la
colonisation. Les leaders africains ont relancé la coopération politique et économique avec les
anciennes métropoles qui ont fait cadeau à l’Afrique dans une indépendance nominale.
L’émergence de nouvelles puissances économiques comme la Chine a son pesant
d’importance dans le partenariat économique déséquilibré entre le Sud et la Sémi-périphérie.
Ces nouvelles puissances font de l’Afrique une source de matières premières qu’elles
exploitent à travers des accords économiques qui profitent plus aux acteurs politiques qu’aux
���������������������������������������� �������������������58 John. W Forge, Op.Cit., p.72.
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populations locales, lesquelles parfois payent au prix du sang les conflits d’intérêts qui
opposent les pays occidentaux et asiatiques en terres africaines. Les économies de la plus part
des pays africains restent sous l’assistance des puissances occidentales. Les ressources
naturelles exploitées offrent aux élites politiques africaines, dans biens de circonstance, des
existences dorées sur la misère de leurs peuples.
Les pratiques politiques et les orientations économiques mises en exergue dans ce travail
soulignent une certaine tradition, une certaine « grammaire de comportement » qui configure
des régimes postcoloniaux comme des bourgeons axillaires des crises sociales qui font ahaner
les peuples sous un destin cruel. Un culturalisme politique et économique développé à dessein
par des dirigeants africains a forgé une certaine mentalité fataliste et une certaine culture de la
peur chez les populations, lesquelles, en observant la loi de lormeta, s’enferment dans la
misère, et le silence de leurs vœux de démocratie et liberté.
La nature des coopérations militaires de certaines puissances, occidentales avec leurs
« anciennes » colonies en dit long sur la nature des « indépendances » accordées aux pays
africains. En effet, l’Afrique continue de souffrir du « soleil » ardu des « indépendances »
atypiques et métaphoriques. Ch.-G. Wondji souligne que : « l’Afrique des Indépendances
n’est plus l’Afrique ».59 D’où la nécessité d’engager toutes les forces vives du continent dans
l’ultime but de sauver le peuple africain des griffes du néo-patrimonialisme, des conflits
d’intérêts entre puissances occidentales et asiatiques en terres africaine, du clientélisme
politique, de l’ethnicisme et du clanisme qui compromettent toute entreprise d’unité et de
stabilité et de pacification du continent. C’est seulement à travers des nations libres et des
régimes démocratiques que le continent africain rattrapera le véritable processus du
développement et de la prospérité. Après « la guerre et la sécheresse, la paix et le lait »
(Zartman, 1990 :76).
���������������������������������������� �������������������59 Ch- G. Wondji, « Le Contexte historique » in Essai sur Les Soleils des Indépendances. Abidjan : Nouvelles Editions Africaines, p.25.
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Sédentarisation des migrants, rapports intercommunautaires et citoyenneté locale en milieu rural ivoirien
BOUAKI Kouadio Baya Sociologue, Assistant
Université Félix Houphouët-Boigny
Résumé :
En s’appuyant sur les composantes conceptuelles de la citoyenneté formelle, ce texte met en
lumière les formes et enjeux spécifiques de la citoyenneté locale dans la sous-préfecture de
Tiapoum (sud-est). Par le truchement de la sédentarisation des migrants, des transformations
politique, économique, sociale et culturelle ont marqué la vie sociale en milieu rural ivoirien.
Caractérisée par des rapports intercommunautaires de plus en plus ethnicisés, la citoyenneté
locale s’est construite dans les villages en rapport avec les définitions/redéfinitions du statut
de l’étranger en Côte d’Ivoire. La citoyenneté apparaît, dès lors, comme une expression
relationnelle des rapports de domination entre autochtones et migrants sédentarisés. Sous ce
rapport l’appartenance à une communauté politique, la reconnaissance de droits et la
participation politique sont perceptibles à travers le fonctionnement des rapports
intercommunautaires.
Mots clés : sédentarisation, citoyenneté locale, ethnicisation, rapports intercommunautaires
Abstract :
Leaning on the conceptual components of formal citizenship, this paper highlight the specific
forms et stakes of local citizenship in the sub-prefecture of Tiapoum (south-east of Côte
d’Ivoire). Through the foreigner migrants settlement, some political, economic, social and
cultural transformations marked the social life in ivoirian rural aera. Characterised by ethnic
relationship more and more ethnitized, local citizenship is constructed in the villages in link
with the phrasing/rephrasing of the status of stranger in Côte d’Ivoire. Citizenship appears,
from then on, as the related expression of domination relationship between natives and
migrants settled. In this regards, membership in a political community, the recognition of
rights and the political participation are perceptible through the functioning of ethnic
relationship.
Key words : sedentarisation, local citizenship, ethnitizing, ethnic relationship
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Introduction
La sédentarisation des migrants en Côte d’Ivoire, - historiquement rattachée au
développement de l’économie de plantation pendant et après la colonisation -, a contribué
pour une large part aux recompositions économiques, politiques, culturelles et sociales et
continue de moduler les rapports intercommunautaires en milieu rural forestier. Les modalités
de sédentarisation ont initialement inscrit les migrants dans la même position structurelle que
les descendants dans le temps. Car « les gens entrent dans un pays en naissant de parents qui
s’y trouvent déjà, tout autant, et plus souvent encore, qu’en franchissant la frontière » (Walzer
M., 1997). Par le truchement des transformations, les migrants sont parvenus à constituer des
communautés d’appartenance structurellement analogues à celles des couches autochtones des
sociétés d’accueil (Bouaki K., 2010). Consécutivement, une diversité des formes du politique
au plan local villageois (chefs de village, chefs de communauté ethnique, chefs de quartier,
etc.) est apparue, accompagnée d’une hiérarchisation des cadres d’expression du politique. Et
les tensions générées par ces cadres hiérarchisés du politique sont révélatrices de la structure
et du fonctionnement des rapports intercommunautaires en milieu rural ivoirien. Souvent
atténuées ou exacerbées en fonction des enjeux et de certaines reconstructions, ces tensions
intercommunautaires apparaissent comme un analyseur pertinent de la citoyenneté locale et
spécifiquement lorsque les mariages interethniques et d’autres formes d’échanges
(autochtonie, allochtonie) ont contribué à la reconstruction des modalités de l’appartenance.
La question de citoyenneté locale en milieu rural en Côte d’Ivoire et plus largement en
Afrique de l’Ouest n’est pas nouvelle. Elle est abordée abondamment sous l’angle des droits
d’accès aux ressources foncières (Jacob J.-P., 2001, 2007 ; Chauveau J.-P. 2006, Mariatou
K., 2006, Loada, 2006). La notion d’appartenance occupe une place centrale dans l’analyse de
la citoyenneté locale. Cependant, les réflexions sur la citoyenneté locale opèrent de la même
façon que les études sur les rapports entre migrants sédentarisés et autochtones, c’est-à-dire en
focalisant la réflexion sur le foncier, ses mécanismes d’accès, les tensions et conflits générés,
construction/déconstruction du tutorat entre autres (Chauveau J.-P., 2002, 2003 ; Korbéogo
G., 2006 ; Babo A., 2006 ; Bonnet-Bontemps C., 2006 ; Bologo E., 2006). Ce focus de
l’analyse sur le foncier et ses dimensions a conduit à peu explorer, comme le soulignent Jacob
J.-P. et Le Meur P.-Y., (2010) « les implications de la relation entre appartenance et accès aux
ressources foncières en termes de construction politique et de bien commun, autrement dit en
termes de citoyenneté » (p. 6). Or l’observation donne à voir que la structure idéologique des
interactions autochtones/migrants ne se construit plus autour des seules ressources foncières,
surtout dans les premiers fronts pionniers où l’ethnicisation des rapports intercommunautaires
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(Bouaki K., 2010) se jouent plutôt sur le pouvoir politique (Yao Gnabeli R., 2007), la
définition des frontières communautaires, les mariages interethniques. Sur cette base, la
présente contribution entend restituer les recompositions qui se sont opérées par le truchement
de l’installation durable des couches de migrants en précisant les lieux de construction de
l’appartenance et les enjeux de construction de la citoyenneté locale.
D’après Kymlicka W. et Norman W. (1994), la citoyenneté formelle, envisagée dans le cadre
national est définie par trois facteurs : i) l’appartenance à une communauté politique, ii) la
reconnaissance du droit des citoyens à jouir de droits, qu’ils échangent contre des devoirs et
l’acceptation du pouvoir de la communauté d’appartenance à réguler leurs comportements, iii)
la participation politique (ou « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes), qui place dans les
mains du peuple lui-même, au travers des formes d’expression instituées, le droit de dire les
droits dont bénéficiera chacun. Selon Jacob J.-P. et Le Meur P.-Y. (2010), la citoyenneté dans
le cadre des sociétés villageoises qu’ils ont observées met en jeu deux de ces trois
composantes, la question de l’appartenance et celle de la distribution des droits.
L’appartenance opère dans ce cas comme un bien, une ressource qui permet d’accéder à
d’autres ressources (Walzer Y., 1997). Par ailleurs, Thériault J.-P. (1999 : 8) soutient que « la
citoyenneté est … une modalité particulière d’intégration sociale, une manière d’être-
ensemble ».
Sur cette base conceptuelle et au regard de la structure et du fonctionnement des rapports
intercommunautaires en milieu rural, cet article réinterroge le passé colonial de la Côte
d’Ivoire pour dégager les enjeux de l’invention d’une citoyenneté à partir de la structuration
politique des identités collectives. En s’appuyant sur des données historiques, il s’agit
concrètement de ressortir les idéologies et les implications structurelles et symboliques de la
distinction entre citoyens et non-citoyens durant la colonisation. Dans un deuxième temps, le
texte tente de mettre en lumière la façon dont les discours postcoloniaux sur l’intégration ont
constitué le ferment de la recomposition de la citoyenneté au plan local. Enfin, dans la
troisième partie, en s’appuyant sur des villages de la sous-préfecture de Tiapoum (sud-est de
la Côte d’Ivoire), l’article traite de la façon dont les enjeux liés à l’ethnicisation des rapports
intercommunautaires participent à la construction des citoyennetés locales spécifiques.
Contrairement à ce qu’observent Jacob J.-P. et Le Meur P-.Y. (2010), la citoyenneté dans les
villages de la sous-préfecture articule autant l’appartenance à une ou des communautés
politiques, la reconnaissance de droits (d’accès à la terre, au pouvoir, etc.) que la participation
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politique mais à des degrés divers. La citoyenneté locale apparaît, dès lors, comme une
construction relationnelle d’une appartenance ethnique en décomposition/recomposition.
Cette dynamique politique de l’appartenance s’exprime à partir des reformulations de ses
critères et des recompositions des droits politiques au niveau villageois.
L’approche méthodologique s’appuie autant sur des documents portant sur l’histoire des
identités collectives en Côte d’Ivoire que sur une trentaine d’entretiens réalisés dans trois
villages de la sous-préfecture de Tiapoum. En vue de voir les articulations entre le global (vie
politique nationale) et le local (vie sociopolitique villageoise), les données collectées dans les
villages sont mises constamment en relation avec les situations au plan national. En
s’appuyant sur des travaux antérieurs, l’étude a repéré les points d’inflexion les plus
significatifs de la vie politique nationale. Les recompositions de la citoyenneté dans les
villages ont été analysées en rapport avec ces points d’inflexion. Concernant, la citoyenneté
au plan local, la collecte de données a consisté à interroger les constructions de
l’appartenance, de la reconnaissance des droits fonciers et politiques et de la participation
auprès des chefs de communautés (autochtones et allochtones), des conjoints et descendants
de mariages interethniques.
1. Enjeux d’une invention coloniale de la citoyenneté en Côte d’Ivoire
De prime abord, la notion de citoyenneté est quasi-inexistante dans le discours colonial mais
nombre de pratiques coloniales à travers les prescriptions juridiques (citoyenneté normative)
et bien de situations empiriques (citoyenneté factuelle ou idéologique) ont contribué à
construire les catégories coloniales (Etat, colons européens, autochtones, migrants africains,
indigènes). En vue du développement et de la maitrise de la colonie, la citoyenneté politique
coloniale s’est construite en rapport aux prescriptions du régime de l’indigénat. Pour ce faire,
l’Etat colonial a inséré les populations colonisées dans un "cadre citoyen" qui tendait à
uniformiser, au plan civil et politique, les comportements des indigènes. Parallèlement à cette
première distinction entre citoyens et non-citoyens1, l’Etat colonial a procédé à une négation
idéologique des autochtones par opposition aux migrants des autres colonies "descendus" en
vue de l’exploitation économique de la colonie. En suivant Bonnecase V. (2001 : 7), « cette
opposition, tout en reposant largement sur des référents ethniques, s’inscrit dans une
���������������������������������������� �������������������1 A titre illustratif, Ouédraogo D. (2002) indique que « Les droits civils et politiques ont octroyés aux habitants des quatre communes sénégalaises (Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Gorée) en 1848 mais les autres n’ont obtenu ces droits autochtones qu’en 1946 avec la loi-cadre ».
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hiérarchisation des différentes populations en fonction de leur dynamisme économique
supposé ou réel. »
Les performances ethnographiques (Bonnecase V., 2001) de l’Etat colonial se repèrent donc
tout aussi bien à cette manière de rendre fonctionnels certains groupes ethniques, qu’à cette
façon de rendre presque invisibles certains autres, comme s’ils étaient pour l’heure inadéquats
à ses observations et à ses projets (Dozon J.-P., 1989). A rebours et parfois en réponse à ces
rôles distribués et aux significations ethniques déjà cristallisées, – et ce, dans une perspective
globale de l’action coloniale – les interactions entre migrants et autochtones se sont
construites sur des clivages revitalisant les différences occultées2 par le régime de l’indigénat.
Il en résulte une double structuration de la citoyenneté construite dans des termes politiques et
idéologiques opposables. En contexte de sédentarisation, cette double structuration de la
citoyenneté coloniale a constitué le terreau sur lequel se sont constituées les différentes
formes d’ethnicisation des rapports entre migrants et autochtones et dont le prolongement est
observable, de nos jours, dans les rapports entre autochtones et migrants sédentarisés.
Cependant, ces formes coloniales de citoyenneté ont connu des variations notamment
rattachables aux variations des idéologies et discours liés aux constructions des identités
collectives en Côte d’Ivoire (Yao Gnabeli R., 2002).
2. Côte d’Ivoire postcoloniale et les reconstructions de la citoyenneté au plan local
La Côte d’Ivoire, "débarrassée" de la politique coloniale – sur la base de la défense des droits
des indigènes menée par Houphouët-Boigny – encourage la "ruée" vers le sud forestier. Ainsi
en 1960 et 1965, 18 000 travailleurs ont été acheminés du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire.
Avec des orientations économiques basées sur l’économie de plantation et tenant compte de la
lutte pour l’obtention « à l’arrachée » des indépendances, on note une occultation officielle de
la différence entre l’Ivoirien et l’étranger (Yao Gnabeli R., 2002, p. 169). Cette occultation est
soutenue par des discours et des idéologies d’intégration, de cohésion nationale, d’hospitalité
(cf. N’guessan K., 2002). Deux faits politiques significatifs témoignent de la volonté
politique visant à construire une citoyenneté tendant à uniformiser tant l’appartenance, les
droits et la participation politique des étrangers à la vie nationale. Premièrement, au plan
���������������������������������������� �������������������2 L’un des faits marquants de cette occultation renvoie l’une des politiques de l’Etat colonial qui visait à refondre complètement le régime foncier sans tenir compte des règles préexistantes, et surtout celles des autochtones en la matière et généralement reconnue par les migrants. Ce qui ne manqua pas de susciter de vives contestations avec la création, dans les années 1930, la première association de défense des droits des autochtones.
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économique, la politique foncière tend à niveler autochtones et migrants. En effet, le 20 mars
1963, un nouveau code domanial et foncier non promulgué implique une abolition des droits
coutumiers, puisque seule l’immatriculation et, à défaut la mise en valeur donnent droit sur la
terre. Deuxièmement, on retrouve des étrangers dans le bureau politique du Parti
Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). De plus, le droit de vote est accordé aux étrangers
dans les années 1980.
Sur la base de la rhétorique de l’unité nationale et de la vision panafricaniste du premier
président de la Côte d’Ivoire3, les trois aspects de la citoyenneté tels définis par Kymlicka et
Norman (1994) ont été mis en articulation tant pour les autochtones que pour les étrangers. En
effet, par la définition de « la majorité des Ivoiriens comme des allochtones venus des pays
limitrophes » (Yao Gnabeli R., 2002, p. 174), aucune différence politique et civile n’était
admise entre les Ivoiriens et les étrangers. Ainsi l’appartenance à la nation des étrangers s’est
opérée par la négation idéologique de la différence entre autochtones et migrants.
Consécutivement, des droits leur sont reconnus (le droit à la terre, le droits de vote entre
autres). La participation des étrangers à la vie nationale était repérable à travers les
consultations électorales4 et la présence des étrangers dans le bureau politique du PDCI-RDA,
parti unique et dans le gouvernement ivoirien.
Les années 1990 constituent un point d’inflexion dans la construction de la citoyenneté en
Côte d’Ivoire. En effet, la négation de la différence entre Ivoiriens et Africains non ivoiriens
est remplacée par une définition des ivoiriens par l’autochtonie. Ainsi, dans un contexte de
multipartisme et d’intrigues de succession au pouvoir politique national à la place de celui qui
été le principal artisan de l’intégration des étrangers, des recompositions identitaires
s’opèrent. La citoyenneté et les supports idéologiques ayant servi de base sont déconstruites.
Au plan politique, le droit de vote est retiré aux étrangers. Un travail de purification identitaire
dans les instances du gouvernement et des institutions de l’Etat contribue à une revalorisation
de l’autochtonie. Sur fond d’autochtonie, l’adoption de la Constitution de 2000 a fait une
���������������������������������������� �������������������3 Cette vision est soutenue par des discours comme ce qui suit tenu par Houphouët-Boigny : « Accueillant à tous comment ne le serions-nous pas, d’abord à nos frères moins favorisés, qui chez nous donnent autant qu’ils reçoivent, la Côte d’Ivoire saura rester de refuge, de dialogue et d’échange » (Extrait de discours cité N’guessan K., « Le coup d’Etat de décembre 1999 : espoirs et désenchantements » in Vidal et Le Pape (Dir), 2002, Côte d’Ivoire 1999-200, l’année terrible, Paris, Karthala, p. 4. 4 Dozon J.-P. (1997) montre comment la réélection d’Houphouët-Boigny, contestée par son adversaire, a été possible grâce au vote des Africains non-ivoiriens (principalement les Burkinabé), des Baoulé (ethnie à laquelle appartient Houphouët-Boigny) et des ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire.
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vague de débats sur les modalités d’accès à la magistrature suprême et sur l’origine des
parents. Au niveau du foncier, une reformulation de la politique foncière, notamment la loi sur
le domaine rural de 1998, « exproprient » les exploitants non ivoiriens des terres qu’ils
avaient mises en valeur. Ce même code assujettit l’accès de ceux-ci à la terre à la volonté des
propriétaires coutumiers, c’est-à-dire les autochtones. D’un point de vue de l’appartenance,
les non ivoiriens sont « déversés » dans leurs différentes identités d’origine par l’instauration
d’un titre de séjour.
Ces points d’inflexion dans la construction de la citoyenneté, depuis la période coloniale
jusque dans les années 1990, ont conduit à des rapports entre autochtones et migrants
sédentarisés de plus en plus clivés, de plus en plus ethnicisés. Prise dans les convulsions d’une
citoyenneté nationale en mal de construction, la citoyenneté locale en milieu rural ivoirien a
connu des formes spécifiques dont témoignent les travestissements des frontières ethniques.
La réflexion sur la citoyenneté locale en milieu rural devient, dès lors pertinente en rapport
avec les formes d’ethnicisation des rapports intercommunautaires. A partir des cas des
villages de la sous-préfecture de Tiapoum, divers mécanismes politiques d’ethnicisation des
rapports intercommunautaires mettent en relief la construction de la citoyenneté locale
villageoise. Plus précisément, les constructions de la citoyenneté locale sont ici mises en
rapport avec les points d’inflexion relevés dans l’histoire des identités collectives au plan
national.
3. Citoyenneté locale sur fond d’ethnicisation dans les villages de la sous-préfecture de
Tiapoum
Trois principales formes d’ethnicisation des rapports intercommunautaires sont à l’œuvre
dans les villages5 de la sous-préfecture de Tiapoum : i) A N’guiémé, on a le cas de figure où
les communautés de migrants sont symboliquement effacées, rendues moins visibles sur
plusieurs aspects de la vie sociale du village d’accueil. Ici l’étape de l’acquisition des terres
n’est pas franchie par les migrants sédentarisés et ceux-ci sont insérés dans les quartiers ou
occupent les campements rattachés au village. Ce sont les autochtones qui dominent
l’économie villageoise par leurs investissements et par la régulation qu’ils en font ; ii) A
���������������������������������������� �������������������5 Les villages mentionnés ici sont qualitativement significatifs et représentatifs des formes d’ethnicisation des rapports intercommunautaires dans la sous-préfecture de Tiapoum. Le village, sens de Jacob J.-P. et Le Meur P.-Y. (2010) peut être présenté comme « …un système organisé d’accès aux ressources en fonction d’un projet social de grandeur mais aussi d’entretien des institutions politiques locales chargées des fonctions de représentation et de conservation du projet social (chef de terre, chef de village) » (p. 11).
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N’zobenou, des communautés autochtone et allochtone sont parvenues à se penser comme un
seul et même groupe avec un repli des autochtones sur des domaines de la vie sociale
villageoise jugés pertinents à leurs yeux. Dans ce cas, par exemple, la déconstruction du statut
d’étrangers des allochtones se fait par le refus du droit de se doter une chefferie de
communauté au même titre que les autres de migrants sédentarisés. Ici les allochtones sont
démographiquement et économiquement plus importants. Le fait de les construire comme un
même groupe par les autochtones n’zima permet de constituer une majorité sociologique face
autres communautés sédentarisés ; iii) une double autochtonie régit la vie sociale du village de
Frambo. S’appuyant sur une controverse liée à la fondation du village, une première
autochtonie construite par la mise à distance des allochtones senoufo concentre le domaine
politique dans les mains des autochtones n’zima. En réponse, les allochtones senoufo
maintiennent les autres couches de migrants sédentarisés sous leur domination en se rendant
seuls visibles aux yeux des autochtones. Ce "camouflage" des couches sédentarisées
(burkinabé, maliens, et autres migrants islamisés venus du nord de la Côte d’Ivoire) sous
l’appellation Dioula permet aux allochtones de se positionner comme un acteur pertinent dans
la vie sociale de Frambo.
L’appartenance à une ou des communautés politiques se construit généralement par une mise
en jeu des lieux d’origine supposée ou réelle6 des différentes couches de migrants
sédentarisés. Le premier niveau de l’appartenance se fabrique à l’échelle villageoise. A ce
niveau, dans le village de N’guiémé, les migrants sédentarisés sont insérés dans les quartiers
sans pour autant appartenir à une des sept grandes familles autochtones. Leur seul référent de
filiation renvoie à leur lieu d’origine et constitue l’élément de base de leur pratique identitaire.
Aucune communauté politique de migrants - c’est-à-dire dotée d’une chefferie participant du
« gouvernement des hommes » au sens de Arnaldi di Balme L. (2006) - n’est admise. Leur
participation à la vie politique villageoise se fait à travers l’exécution des décisions arrêtées
par la chefferie autochtone. Et ce, d’autant qu’ils ne sont pas admis aux réunions prise de
décision et ne peuvent infléchir ouvertement les décisions prises par la chefferie du village.
���������������������������������������� �������������������6 A Frambo, par exemple, tous les migrants islamisés sont considérés comme étant Dioula. Or, ce groupe lui-même est composé de migrants descendus des pays limitrophes tels que le Burkina Faso, le Mali (les pêcheurs bozo), et ceux des autres groupes issus du Nord de la Côte d’Ivoire (Gur, Malinké, Koyaka, etc.)
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A N’zobenou, par contre, la constitution des communautés de migrants en unités politiques
est autorisée sauf pour les allochtones attié. En effet, on y rencontre des communautés
politiques burkinabé, ghanéenne, malienne, togolaise, béninoise et baoulé. Ces unités
politiques des couches migrantes participent à la vie politique villageoise en termes
d’exécution des décisions prises par la chefferie du village (cotisations, nettoyage des espaces
publics). La chefferie villageoise, principale unité villageoise est animée tant par les
autochtones n’zima que par les allochtones attié. Cependant les allochtones attié, qui par le
passé ont contrôlé politiquement le village sont tenus à distance du pouvoir politique
villageois par les autochtones n’zima. Leur projet de se doter d’une unité politique est
sanctionné par une fin de non-recevoir par les autochtones sous peine de se voir « déverser »
dans la catégorie des étrangers. L’appartenance au village de N’zobenou est acquise pour les
allochtones attié dans la mesure où les autochtones et eux se pensent comme un seul et même
groupe. Ce qui permet aux autochtones n’zima de compenser tout au moins symboliquement
leur déficit démographique.
A Frambo, deux cercles d’appartenance se dessinent pour les migrants sédentarisés. En effet
seuls les autochtones n’zima, démographiquement minoritaires et les allochtones senoufo (qui
se sont dotés d’une majorité démographiquement en maintenant les autres allochtones et
allogènes sous leur domination) sont visibles politiquement. Cette configuration tire son
origine des conflits générés par le fait qu’à un moment donné de l’histoire du village les
allochtones senoufo aient dominé politiquement le village et fait fonctionner les institutions
villageoises. En s’appuyant sur la ressource d’autochtonie, les autochtones n’zima refoulent
les allochtones senoufo loin du pouvoir politique villageois. Ils sont tenus à l’écart du centre
politique de décision par des pratiques que répugnent les allochtones senoufo du fait des
principes islamiques7. En réponse, les allochtones senoufo ont bâti une unité politique solide
rendant moins visibles les autres couches de migrants sédentarisés. Par la même occasion, ils
sont parvenus à faire admettre aux autochtones n’zima la notion « d’identité frambolaise » qui
fait des membres du bloc Dioula des « citoyens » de Frambo. Les résultats obtenus par les
allochtones ont contribué à « domestiquer » les couches de migrants qui sont sous leur
domination8.
���������������������������������������� �������������������7 A chacune des réunions, les autochtones procèdent à des rituels qui nécessitent la consommation de boissons fortement alcoolisées. Ces pratiques ont fini par mettre hors d’état de nuire les allochtones senoufo. 8 Par le passé, au moment où ils dirigeaient politiquement le village, ces allochtones senoufo avaient distribué des terres à ces couches de migrants et pour lesquelles ils tiennent à préserver les acquis.
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Dans un contexte d’ethnicisation où l’appartenance apparaît comme « le bien qui permet
l’accès aux autres biens » (Walzer M., 1997 : 58), comment se distribuent et se préservent ou
non les droits ? Quels sont les droits qui rendent pertinente la construction d’une citoyenneté
locale ? Dans les villages de la sous-préfecture de Tiapoum, le foncier et le politique
constituent les principaux domaines où l’appartenance se joue comme un bien qui donne
accès à d’autres biens. Plusieurs villages de la zone de l’étude sont marqués par la perte du
contrôle du pouvoir politique locale par les autochtones n’zima. Par le truchement du contrôle
politique de certains villages par les autochtones – pour la plupart opéré à travers les effets
induits des mariages interethniques – l’accès à des droits (notamment foncier et politique) a
connu des recompositions et continue de marquer la vie politique locale. En effet, fuyant leur
village à cause des répressions coloniales liées à l’impôt de capitation, les autochtones ont
« offert » la possibilité aux allochtones senoufo, chargé de l’exécution des décisions
coloniales à ce poste frontalier, de faire fonctionner les institutions villageoises des années
1930 aux années 1990. La distribution des droits tant au niveau foncier qu’au niveau politique
s’est faite, pendant cette période, par les seuls allochtones senoufo. Au début des années 1990,
suite au décès du chef d’origine allochtone senoufo d’alors, sur fond de conflit jugulé par les
autorités administratives, les allochtones senoufo ont été évincés du pouvoir politique. Depuis
leur accession au pouvoir politique villageoise, les autochtones n’zima procèdent à une
reformulation des critères d’accès à la ressource politique. Cette reformulation concerne
spécifiquement, les descendants de mariages interethniques (principalement ceux dont le père
est un allochtone senoufo) qui, par la règle de filiation utérine des autochtones eux-mêmes,
peuvent accéder au pouvoir politique villageois. Cependant, les droits fonciers acquis pendant
la même période ne sont pas, pour le moment, remis en question.
Cette propension à redéfinir les critères d’accès au pouvoir politique a conduit les autochtones
n’zima de N’zobenou, ayant perdu le contrôle politique du village, - ici par l’application de la
règle de filiation utérine qui a permis aux allochtones attié de dominer politiquement le
village jusque dans les années 1980 – à éloigner les allochtones attié du pouvoir politique.
L’accès au pouvoir s’est opéré par le mariage interethnique, et qui a été très vite reconstruit
par les allochtones comme un renversement des autochtones du champ politique local. En
contrepartie, des droits leur sont reconnus, notamment la participation aux prises de décision
et la possibilité de les infléchir et la transmission des droits fonciers acquis à leur
descendance. Les autres couches de migrants sédentarisés à N’zobenou n’ont pas accès à ces
droits.
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A N’guiémé, les droits d’accès au foncier ont été, dès les premières heures de la
sédentarisation, refusés aux migrants au point où aucun migrant n’y est propriétaire de terre.
Selon les propos des enquêtés, les discours politiques d’Houphouët-Boigny sur l’intégration,
l’hospitalité et surtout la reconnaissance des droits fonciers à celui qui met la terre en valeur
n’ont pas connu d’écho favorable dans ce village9 dont le nom en langue n’zima signifie
« terre d’accueil et d’hospitalité ». Les mariages interethniques ne sont pas admis dans ce
village. Au plan politique, les migrants sédentarisés ne sont pas autorisés à se constituer en
unités politiques, ils sont plutôt insérés dans des chefferies de quartier, contrôlées par les
autochtones n’zima.
Jusque-là, l’analyse a permis de voir comment la citoyenneté met effectivement en jeu la
question de l’appartenance et celle de la distribution des droits politiques et fonciers. Ainsi, la
participation politique dans des milieux d’interconnaissance au sens de Weber et Beaud se
construit à travers les frontières interethniques. Ces frontières interethniques apparaissent, dès
lors, comme des opérateurs relationnels pour comprendre la construction politique des
ressources (foncière et politique). La participation politique effective des migrants
sédentarisés et des autochtones s’ajuste donc à l’aune de l’ethnicisation des rapports
intercommunautaires, c’est-à-dire des enjeux de construction d’une domination symbolique
et/ou matérielle.
A travers les cas spécifiques des villages de la sous-préfecture de Tiapoum, il apparaît que la
citoyenneté locale s’appuie principalement sur la ressource politique. Autour de cette
ressource, les compétitions d’accès à la citoyenneté locale mais surtout pour se situer au
niveau du pôle dominant en termes de projet politique (citoyenneté normative) ou de modalité
particulière de vivre ensemble (citoyenneté factuelle) (Thériault J.-Y., 1999), s’ordonnent
foncièrement à l’articulation entre autochtonie et allochtonie. La ressource symbolique se
construit donc comme un lieu symbolique de domination. En tant que « bien qui permet
d’accéder à d’autres biens », la ressource politique construit et déconstruit les appartenances
familiales, communautaires et organisent la reformulation des modalités « du vivre
ensemble ». Sous ce rapport, la citoyenneté locale renvoie alors à un système de relation, ici
intercommunautaire dont le contenu idéologique permet d’organiser tant normativement que
d’un point de vue de la praxis au sens bourdieusien du terme la vie sociale locale. La
���������������������������������������� �������������������9 Certains migrants ont simplement quitté le village pour s’installer dans les fronts pionniers favorables à l’acquisition des terres (dans le sud-est ou dans ouest de la Côte d’Ivoire)
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citoyenneté locale, dans les villages de la sous-préfecture de Tiapoum opère, pour ainsi dire,
dans les mêmes termes que l’ethnicisation des rapports intercommunautaires qui y est à
l’œuvre.
Conclusion
L’intérêt de porter une réflexion sur la citoyenneté locale dans un contexte de sédentarisation
marqué par une ethnicisation des rapports intercommunautaires est double. D’une part,
l’analyse menée ici a permis de voir les relations entre le local et le global. En effet, en se
situant sur l’axe temporel, l’on s’aperçoit que les points d’inflexion relevés dans le projet
national de construction de l’unité et la cohésion nationale ont des incidences sur le
fonctionnement des rapports entre autochtones et migrants. On peut donc remarquer que
l’écho que se font les histoires particulières des villages étudiés est saisissable à travers les
reconstructions qui sont faites des rhétoriques et autres discours politiques sur la définition de
la citoyenneté formelle. Par exemple, tandis qu’à N’guiémé les autochtones n’zima se
« méfiaient » de l’octroi des droits fonciers à celui qui met la terre en valeur dans les années
1960, les autochtones n’zima de Frambo, en 1990, procédaient plutôt à la déconstruction du
pouvoir politique villageois « conquis » et conservé par les allochtones senoufo depuis les
années 1930. Par ailleurs, une tendance généralisée à la reformulation des modalités d’accès
au pouvoir politique et aux ressources foncières – qui permettaient aux descendants de
mariages interethniques d’y accéder – participe de la recomposition des formes politiques du
« être ensemble ».
D’autre part, le deuxième intérêt de l’analyse se situe au niveau de la compréhension des
recompositions de la citoyenneté locale à partir des transformations politiques, économiques,
culturelles, idéologiques occasionnées par la sédentarisation des migrants elle-même. Ici, les
enjeux de la citoyenneté locale s’expriment dans les termes de son organisation. Dans cette
perspective, c’est plutôt la capacité politique, ritualisée et légitimée, à décider de la façon dont
les trois composantes de la citoyenneté locale opèrent qui est en jeu. Une hiérarchisation
empirique de ces trois composantes permet de voir comment les formes de positionnement
participent à décapitaliser l’une ou l’autre en fonction des enjeux de fonctionnement des
rapports intercommunautaires. Ainsi, les autochtones n’zima de Frambo ayant reconquis le
pouvoir politique villageois brandissent l’autochtonie liée à la fondation du village pour
distribuer les droits politiques tandis que la reconnaissance des droits fonciers aux couches de
migrants sédentarisés relève des allochtones senoufo. Ainsi les enjeux liés à l’ethnicisation
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des rapports intercommunautaires permettent de voir comment la citoyenneté comme projet
politique (versant normatif) est fragmentée par la façon « d’être ensemble » telle que définie
par Thériault J.-P. (1999). Dans cette perspective, la citoyenneté locale, traduisant les
aptitudes ou inaptitudes structurant les rapports sociaux, se joue davantage dans la
construction idéologique de la domination. Car le politique apparaît comme le lieu
symbolique de la domination des autochtones sur les migrants sédentarisés.
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LA DEMASCULINISATION DES CULTURES DE RENTE OU L’ERE D’UNE NOUVELLE CITOYENNETE POUR LA FEMME RURALE AGNI.
Prisca Justine EHUI Assistante au Département de socioanthropologie
Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (ISAD), Université Félix Houphouët BOYGNY (Abidjan/ Côte d’Ivoire).
RESUME
L’adoption des cultures de café et de cacao, longtemps « conjuguée » au masculin, participe,
aujourd’hui dans sa dimension « féminine», de la déconstruction du rapport traditionnel
homme-femme. La femme rurale agni s’identifie désormais par le renforcement de ses
pouvoirs politique et économique, avec l’accès à la propriété privée portant sur des biens qui
lui étaient autrefois presqu’impossible de posséder. Une situation qui lui permet de s’inscrire
dans une ère nouvelle de citoyenneté lui octroyant de nouveaux droits.
Mots clés : Agni, Citoyenneté, café, cacao, cultures, femme rurale.
ABSTRACT:
The adoption of the cultures of coffee and cocoa «conjugated» to the male, is participating
today in its “feminine” dimension in the destruction of the traditional relationship man-
woman. The rural Agni woman is identified from now on by the strengthening of its political
and economic powers supported by the access to the private property concerning the goods
which were formerly almost impossible to possess. That situation allows her to join a new era
of citizen granting her new rights.
Keywords: Agni, Citizenship, coffee, cocoa, cultures, rural woman.
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Introduction
L’introduction des cultures de rente dans la société agni a contribué progressivement à
l’instauration de nouveaux systèmes de croyances, de valeurs et de pratiques souvent
incompatibles avec la mémoire collective traditionnelle. Au plan agricole, les habitudes
traditionnelles basées essentiellement sur les cultures de subsistances et l’exploitation de l’or
(Kouassi K.A.P., 2008) sont transformées par la présence du café et du cacao. Dans cette
nouvelle ère, la recherche de l’or « essence du pouvoir politique, économique, social, culturel
et cultuel » (Kienon-Kabore T.H., 2005 :30) est presque abandonnée pour la promotion de ces
deux produits agricoles.
Des décennies après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, un véritable bouleversement de la
représentation économique et sociale de l’Agni, est enclenché. La femme, jadis considérée
comme la cadette sociale, inverse progressivement l’ordre des choses en s’auto-octroyant de
nouveaux droits par son accès à la production du café et du cacao longtemps aux mains des
hommes. Désormais, un nouveau mode d’organisation familiale se met en place avec
l’apparition de phénomènes de femme-chef de ménage, femme-chef d’unité de production.
A la lumière des codes référentiels socioéconomique, juridique et socioculturel de la vie de la
famille traditionnelle Agni et les avantages liés à la production du café et du cacao, des
interrogations subsistent : quels sont les nouveaux droits et devoirs de la femme avec son
investissement dans la culture du café et du cacao? Quels sont les effets de son investissement
dans le système économique de rente sur l’organisation fonctionnelle et structurelle de la
famille traditionnelle ?
Avant de présenter les méthodes de l’étude, les résultats et la discussion, il importe d’orienter
la réflexion vers la présence symbolique de la femme Agni dans les cultures de café et de
cacao, les raisons de leur choix comme moyen de promotion et de s’inviter dans le débat sur
la situation de la femme dans la société.
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1- Femme et culture de rente : d’une absence remarquée à une présence symbolique
Face aux besoins accrus de son économie, la France imposa à ses colonies la culture de
certains produits tropicaux (Gaborean F., 2008). En Côte d’Ivoire, l’action pionnière de
Verdier et De Bretignière1 dans la création des premières plantations de café et de cacao en
1880 (Dian B., 1982), permit aux autorités d’accroitre leurs productions après les
indépendances. Jusqu’en 2001 (Ministère de l’Agriculture, 2004), le café et le cacao
occupaient à eux seuls plus de 75% des terres consacrées aux cultures de rente estimées à
61,68% des terres cultivées. A cette même époque, les données statistiques rapportées par
Tenin T.D. (2001) indiquaient que l’activité de la culture de rente était largement dominée
sinon monopolisée par les hommes (95,22%), contre seulement 4,78% de présence féminine.
L’histoire des cultures de café et de cacao en pays Agni ndénié est marquée par la
persévérance du Gouverneur Angoulvant. En effet, face aux résistances2 de la population
locale (Tauxier E., 1932), celui-ci appliquait des méthodes rudes et autoritaires qui ont
conduit le peuple Agni à se consacrer véritablement à ces cultures à partir de 1908 (Vrig G.,
1988). Ce changement de comportement du peuple Agni lié à la réceptivité de l’économie de
plantation s’expliquait selon Devret F.G. (1979), par sa proximité au Ghana, ses pratiques
habituelles en matière d’agriculture, et son mode d’organisation structurelle qui facilitait la
mobilisation de la force de travail et l’utilisation de la main d’œuvre importée.
En 1925, la production du royaume ndénié atteignait les 4.000 tonnes, soit près des 2/3 des
6.279 tonnes de l’exportation de la colonie (Ekanza S.P., 1984). L’augmentation de sa
production a amené à partir de 1970 (Akpenan, 2005), la région à s’inscrire dans la zone de la
boucle de cacao. Deux fils de la circonscription, Messieurs SANSAN Kouao et YAO fils
Pascal, ont obtenu des prix. L’un étant premier lauréat à la Coupe Nationale du Progrès (CNP)
en 1998 et l’autre, lauréat national en 1988. Un troisième du nom de N’GROMA, a obtenu le
deuxième rang au plan national et le premier rang au plan régional.
Cultivés, sur une superficie de 90.799 ha, le café et le cacao représentent respectivement 4,60
% et 54,60% du Produit Intérieur Brut (PIB) agricole du département avec une production de
���������������������������������������� �������������������1 Verdier et De Bretignière sont deux colons français qui ont favorisé l’introduction du café et du cacao en 1880 à Elima (région d’Aboisso) au sud-est de la Côte d’Ivoire. 2 Ces résistances consistaient à faire bouillir les fèves avant de les planter ou à arroser d’eau bouillant les pépinières afin de montrer que ces plantes ne pouvaient s’adapter à la zone.
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411.220 tonnes et un nombre total de 31.463 producteurs soit près de la moitié de la
population agricole qui est de 74.698 (ANADER, 2006)3. Cette production favorise un revenu
de 2.149.350.000 F CFA pour le café et 25.239.490.000 F CFA pour le cacao, soit un total de
27.388.840.000 F CFA sur un PIB agricole total de 46.000.000.000F CFA.
Au fil du temps, la femme rurale Agni s’est intéressée à la culture des deux produits et à
adopté le mouvement. Selon le rapport 2011 de l’Agence Nationale d’Appui au
Développement Rural (ANADER)4, elle représentait 10,94% des producteurs de la zone avec
une superficie de 1400,25 hectares. Dans le seul village de Diangobo situé dans la Sous-
préfecture de Niablé, quatre vingt sept productrices exploitent une superficie de 557,5
hectares soit une moyenne de 6,40 hectares par femme.
2-Culture de café et cacao : une opportunité pour la promotion de la femme rurale
Inscrite dans une approche tridimensionnelle d’ordre spatial, communautaire et institutionnel,
la famille traditionnelle ndénié est une représentation symbolique et sociale du féminin et du
masculin (Ehui P.J., 2010). Au plan spatial, l’habitat est construit selon une vision
idéologique dont la matérialisation distingue l’espace féminin (m’mlanou) de l’espace
masculin (mlésuanou). Au plan communautaire, Perrot C.H. (1980) rapporte que « la femme
forme l’ossature du lignage » (p : 219), puisque son rôle de génitrice permet de dessiner la
grille généalogique de la famille. Dans cette perspective, la femme joue pleinement son rôle
de reproductrice biologique à travers la « théorie du m’mlata»5 qui fait de l’homme un être
sans débouché génétique.
Au niveau institutionnel, plus précisément aux plans politique, économique et juridique, se
présente aussi ce dualisme du genre. Sur le plan politique, le pouvoir familial traditionnel
montre deux acteurs principaux dont l’ahoulokpagni (l’homme le plus âgé) et l’ahoulo bla
kpagni (la femme la plus âgée). Dans l’ordre économique, la force de travail, les moyens de
travail, les facteurs de production et la distribution des biens sont encadrés d’une part, par un
ensemble de valeurs culturales préétablies, et d’autre part par des principes socioculturels qui
���������������������������������������� �������������������3 Archives ANADER : Agence Nationale pour le Développement Rural 4 Ces données ne concernent que les exploitantes ayant bénéficiées de produits phytosanitaires. 5 Cette théorie est une construction ethno-biogénétique qui conçoit la femme dans ses prédispositions naturelles comme étant l’être qui donne la vie. Elle se constitue de trois éléments dont la grossesse, l’accouchement et l’éducation.
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mettaient en évidence le contenu des notions de biens, de propriété6 et de travail ainsi que leur
interdépendance7. Une correspondance qui désigne en arrière-plan le comment, le pourquoi et
le responsable de la gestion pratique de la famille en tant que valeur transcendante.
Dans le contexte précolonial, la vie économique du peuple agni était composée d’activités
agricole et industrielle (Tauxier L., 1932, Perrot C.H., 1982 ; Kouassi K.A.P., 2008). La
production industrielle était constituée de l’exploitation de l’or. D’ailleurs le rapport de
Niangoran-Bouah G. (1978 :127), compare l’importance de ce métal au « rôle que l’homme
joue dans le groupe des mammifères ».
Essentiellement composée de cultures de subsistance, l’activité agricole était réalisée dans un
élan de coopération et de solidarité (Koby A., 1979) avec pour principal objectif
l’autoconsommation (Abdoulaye S., 1981). La réalisation des différentes tâches était
construite selon une interaction complémentaire et harmonieuse entre homme et femme en
raison des représentations culturelle ou culturale prédéfinies (Ehui P.J., 2011). Néanmoins, la
division sexuelle du travail était bien marquée. Elle attribuait à la femme, les travaux les
moins pénibles tout en la consacrant comme la collaboratrice de l’homme (Chombart de
Lauwe P., 1962) .A cela, s’ajoutait son statut d’épouse et de mère qui l’engageait dans ses
rôles de domestique, de reproductrice biologique et sociale. Dans ce rôle de collaboratrice, la
femme était mise en minorité, dans la mesure où les moyens de production, de gestion et de
contrôle des ressources économiques étaient détenus par l’homme, dans ses rôles de chef de
famille, de frère ou de mari. C’est pourquoi, elle ne pouvait bénéficier que d’une allocation
de parcelles (Konate G., 1992) après le défrichement réalisé par l’un au l’autre de ces
hommes. Cette prééminence masculine au niveau foncier était seulement limitée à un « droit
prioritaire » d’accès sous la forme d’un droit d’usus et d’usufruit transmissible selon les
prédispositions coutumières dans la mesure où la terre était un bien collectif.
L’introduction des cultures de café et de cacao dans la société Agni, avec pour conséquence,
le passage d’un modèle économique familial (collectiviste) à un modèle économique
individualiste (économie de marché) (Gaborean F., 2008), a bouleversé les normes culturelles,
���������������������������������������� �������������������6 Dans la famille traditionnelle agni, la propriété privée ou sa ti niqué (qui littéralement signifie « les biens du bout des doigts ») se distingue de la propriété collective (ahoulo ni qué ou ahoulo adjapadiè). Elles se distinguent par le caractère collectif ou individuel du travail. 7 La nature du travail (collectif /personnel) définit l’identité des biens (privé / familial).
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sociales et économiques qui ont traditionnellement conditionné la famille agni. La solidarité
de subsistance cède la place à la concurrence, la polyculture annuelle basée sur l’association
culturale et qui favorisait le processus naturel de la régénération forestière et pédologique est
remplacée par la monoculture pluriannuelle. Cette nouvelle pratique agricole semble interdire
la rétrocession des parcelles dans le domaine familial et favoriser la conquête presque
définitive de l’espace forestier (Devret J.F., 1979).
Face aux avantages pécuniaires (Abdoulaye S., 1981) liées aux cultures de café et de cacao, et
aux « conséquences juridiques justificatives » (Gu-Konu E., 1991) qui découlent du rapport
entre l’action de planter un arbre et celle de posséder la terre (Pélissier P., 1980 ; Hesseling
G., Locoh T., 1997) hommes et femmes, jeunes et vieux élaborent individuellement de
nouvelles stratégies pour occuper des parcelles très souvent dans de rapports conflictuels
(Dian B., 1982). La femme rurale Agni s’étant aussi inscrite dans cette mouvance de
possession de la terre par l’arboriculture, se repositionne socialement au sein de sa
communauté.
3- Au cœur du débat sur la situation de la femme dans la société traditionnelle
Le statut de la femme dans la société traditionnelle africaine n’a cessé d’alimenter les écrits
ethnologiques et d’orienter le contenu des programmes de développement des institutions
locales et internationales.
Les premières littératures ethnologiques du XIXème siècle sur le statut de la femme dans les
sociétés traditionnelles africaines étaient construites en référence à celui de l’homme (Evans-
Pritchard E.E., 1971) ou de celui de la femme occidentale (Fosto Djemo D.J.B., 1982). Dans
l’une ou l’autre des comparaisons, les théoriciens de l’époque voyaient la femme comme un
bien (une marchandise économique, un objet d’échange, un objet sexuel…), une esclave ou
un « animal » qui n’avait que des devoirs. Occupée par les travaux champêtres, domestiques
et ses rôles de reproduction biologique, économique et sociale, elle a été souvent comparée à
un objet d’exploitation économique pour l’homme. A cet titre, la dot est comparée à une
compensation matrimoniale (Terray E., 1969) ou assimilée à un échange de la femme avec
pour corolaire le contrôle des aînés sur les cadets (Meillassoux C., 1960). Cette conception est
réfutée par Kouassignan G.A. (1974), Cavin A.C. (1998) et Bitota M.J. (2003) qui voient en
la dot la preuve matérielle du mariage et de la régularité des relations sociales, la
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manifestation de l’accord entre deux familles et la détermination de la légitimité de la filiation
des enfants issus du mariage.
Depuis quelques années, les résultats de certains travaux s’accordent à démontrer que la
situation de la femme traditionnelle a été mal comprise et sous-estimée. Dans cette nouvelle
conception, certains auteurs soulignent le caractère multiforme de la citoyenneté de la femme
africaine. Dans l’un de ses rapports, Diop F.T. (2012) indique que la femme « est gardienne et
responsable de la perpétuation de l’espèce. C’est elle qui en réalité assure l’effectivité de
l’éducation des enfants pendant que les hommes sont parfois absorbés par les défis de carrière
professionnelle. C’est elle qui le plus souvent répète, soigne et enseigne à l’enfant les valeurs
essentielles de vie en société. Le travail de la mère est donc un travail essentiellement citoyen en
ce sens que c’est elle qui façonne d’une certaine manière l’avenir… L’émergence de l’Afrique
repose sur le courage, les valeurs et la volonté des femmes » (p : 8). Dans la même veine,
Yana S.D. (1997) fait remarquer que malgré la hiérarchie formelle des rôles sexués qui
semblent conférer à la femme une position d’infériorité ; celle-ci a néanmoins des espaces de
pouvoir qui font d’elle un partenaire avec des devoirs et des privilèges8. Ainsi par
anthropomorphisme, un lien étroit est établi entre la fertilité du sol et la fécondité de la femme
dans certaines aires ethnoculturelles.
Dans les sociétés akan, où la femme transmet le pouvoir sans l’exercer (Perrot C.H., 1979), la
capture des dihyé (princesses : sœurs ou mères du roi) lors des conflits inter-tribaux, était de
priver le lignage ennemi d’héritiers et de l’atteindre dans sa capacité de reproduction (Perrot
C.H., 1988). Pendant les périodes critiques, la femme se portait au premier plan et occupait la
place dévolue ordinairement aux hommes. C’est là tout le sens de l’histoire d’Abla Pokou
qui après avoir donné en sacrifice son fils unique pour la traversée du fleuve Comoé avec les
siens, devint par la suite la fondatrice du « royaume » Baoulé (Konan A., 2006 ; Memel-Foté
H., Chauveau J.P. ,1989).
Au regard de ces différentes opinions, il convient de souligner que quoique souvent discrets et
invisibles (Kane F., 2008), les rôles de la femme auprès de l’homme et dans la société, font
d’elle un acteur à la fois à la périphérie et au centre du système familial et social. En outre, ���������������������������������������� �������������������8 S’appuyant sur des exemples locaux, l’auteur met en exergue le droit d’accepter ou de choisir un conjoint, les rituels religieux à caractère féminin lors des disettes, ou des sécheresses, le lien étroit établit entre la fécondité de la femme et la fertilité du sol…Dans la société agni ndénié, la lecture de la grille généalogique pour le choix d’un héritier au sens traditionnel, est un privilège uniquement réservé aux femme.
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s’apparentant à un modèle de démocratie participative, les responsabilités et les obligations de
chacun au sein de la famille traditionnelle visaient la protection de ses membres (Bugain J.,
1988). C’est en cela, le caractère multidimensionnel et multifonctionnel du rôle de la femme
fait d’elle un membre « actif » dont le souci de stabilité, de coopération et du bien-être
familial est plus recherché que l’exercice de l’autorité.
Cependant, dans les années 60, les recherches sur la femme (women’s studies) et le
développement représentèrent les femmes africaines dans leur rôle domestique et reproductif,
en tant que des mères, des êtres vulnérables, pauvres et passives, qui devaient recevoir
l’assistance de la communauté ou d’organismes de protection sociale (Hesseling G., Locoh T.,
1997). Sur cette base, une politique dite « Intégration des Femmes au Développement » (IFD)
construite autour de trois grands points dont la quête d’égalité, l’anti-pauvreté et l’efficacité,
est adoptée dans les années 70. La formule consistait à intégrer les femmes dans le processus
de développement.
Cette politique sera suivie dans les années 80 par l’approche dite « acquisition de pouvoir »
qui est venue renouveler la problématique des années précédentes. Pour ces concepteurs,
l’amélioration de la situation des femmes notamment en Afrique et la promotion de l’égalité
entre les sexes passe nécessairement par la remise en cause des rapports de pouvoir
historiquement et socialement construits entre hommes-femmes (Booth J.G., Protais M.J.,
2000). La femme est alors considérée comme « agent et bénéficiaire » dans tous les secteurs
et à tous les niveaux du processus de développement.
Dans la décennie 90, les initiatives liées aux problèmes de la femme mettent davantage
l’accent sur les problèmes socioéconomiques qui conditionnent le succès des efforts de
développement. De ce fait, la question des droits de l’homme et de la situation juridique de la
femme est mise en évidence avec la proposition du passage d’une intégration simple à une
intégration égalitaire (Booth J.G., Protais M.J., 2000). Dorénavant, les femmes doivent avoir
un statut juridique, un pouvoir, une autorité et un droit d’accès aux ressources comme
l’homme, que ce soit à la maison, dans l’économie ou au sein de la société.
Malgré l’usage de la démarche inductive et participative des initiateurs aux projets de
développement et l’implication des gouvernements en vue de la promotion économique,
juridique et sociale, sa situation reste toujours précaire. La plupart du temps, la femme est
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reléguée au rang de citoyen de seconde zone. Le modèle traditionnel de différenciation
sexuelle en référence à la gestion, à l’usage et au contrôle des ressources productives est
toujours dévolu à l’homme. Les nouveaux construits juridiques qui reconnaissent et
garantissent les droits légaux de la femme, sont souvent peu connus de celle-ci puisqu’elle
représente les deux tiers de la population illettrée dans le monde (Kaudjhis-Offoumou F.,
2011).
Selon Moscovici M. (1960), la lecture de la division des tâches et des responsabilités entre les
sexes et les classes d’âge d’une communauté, transcende la vie matérielle pour s’inscrire dans
le champ du comportement des individus. De ce fait, la réhabilitation socioéconomique et
juridique de la femme en général et plus particulièrement de la femme Agni ne répondrait pas
seulement à des initiatives commanditées de l’extérieur mais plutôt à engagement personnel.
En s’inscrivant dans l’approche endogène du changement social, l’étude met en exergue la
redéfinition du statut socioéconomique et juridique de la femme rurale agni à partir des
stratégies endogènes (Le Roy, 2011) et non exogènes.
Participants, échantillon et instruments de collecte des données.
L’étude a été réalisée à l’Est de la Côte d’Ivoire, dans le royaume ndénié9 , précisément dans
les cantons de Yakassé Féyassé, d’Anuassué, d’Amélékia, de Zaranou et de Niablé. Les
participants se composent d’autorités traditionnelles et de productrices de café et cacao. Les
techniques d’échantillonnage qui ont permis de constituer l’échantillon sur lequel ont porté les
tests empiriques sont l’échantillonnage typique pour le choix des localités villageoises et des
personnes ressources, et l’échantillonnage sur place pour les productrices de café et cacao.
Décrit comme intentionnel ou raisonné (Depelteau F., 2000), l’échantillon typique a permis
d’orienter la sélection des localités visitées et des personnes ressources sur la base de critères
décrits ci-dessous. Quant à l’échantillon sur place, il a consisté à interrogé les femmes
trouvées sur place au moment de notre passage et qui ont accepté de faire partir de notre
population d’enquête.
���������������������������������������� �������������������9 Du point de vu administrative, il s’agit du département d’Abengourou. Il s’agit d’une zone géographique et socioculturelle habitée par un sous-groupe du grand groupe akan résidant en Cote d’Ivoire.
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Pour le choix des villages, quatre critères dont la proportionnalité entre autochtones et
allochtones /allogènes10, la population agricole11, l’activité agricole12 et l’accessibilité des
unités d’enquête13 ont permis de porter notre préférence sur vingt cinq en raison de cinq par
canton. Ce sont :
Canton de Yakassé : Yakassé, Appropronou, Sankadiokro, Zamaka et Padiégnan,
Canton de Zaranou : Zaranou, Bebou, Ebilassokro, Appropron, Apoisso,
Canton de Niablé : Niablé, Abronamoué, Djangobo, Affalikro, Kouakoudramankro,
Canton d’Amélékia : Amélékia, Elinso, Anoubakro, Tahakro, Koitienkro,
Canton d’Anuassué : Anuassué, Satikran, Amangouakro, Kabrankro, Assemanou.
Quant aux personnes ressources, leur choix a porté sur des femmes et des hommes détenteurs
du savoir traditionnel afin de nous entretenir sur le rôle et le statut de la femme dans la famille
traditionnelle Agni dans sa tri-dimension (spatiale, communautaire et institutionnelle). La
taille de notre échantillon est de cent huit (108) individus dont cent deux (102) productrices
et six (6) informateurs clés (trois femmes et trois hommes) sur la tradition agni.
Les techniques de recueil de données sont composées de la documentation et l’entretien. La
documentation est composée des archives et des données statistiques de l’ANADER14
régionale et du Ministère de l’Agriculture. Il a été également administré aux productrices de
café et de cacao pour comprendre leur vie de productrice et les changements qui en
découlent. L’entretien a été utilisé en vue d’obtenir des informations relatives à la femme
dans la tradition Agni auprès de personnes ressources. Quant à l’analyse des données, elle a
été possible grâce à l’analyse de contenu.
���������������������������������������� �������������������10 Ce critère a permis de choisir les localités villageoises dans lesquelles la population autochtone (Agni) est prédominante 11 Il a conduit à visiter les villages dont le nombre de productrices de café et cacao est important. 12 Elle a eu pour but de retenir les villages dans lesquels la culture du café et du cacao sont les plus pratiquées. D’où l’exclusion du canton Béttié qui fait de l’hévéaculture son activité principale. 13 Il s’est agit ici d’éliminer les zones dont l’accès à la population d’enquête est difficile. 14 Agence National pour le Développement Rural.
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Les changements liés à la situation juridique et socioéconomique de la
femme rurale Agni
Les résultats de l’étude portent sur la reconsidération du régime foncier traditionnel,
l’émancipation économique et politique de la femme et la redéfinition des prédispositions
socioculturelles des règles résidentielles.
1-Reconsidération du régime foncier traditionnel
Le régime foncier Agni comporte un ensemble de dispositions pratiques et idéologiques
régissant les relations entre les individus et leurs rapports avec la terre. Dans ce droit rural
coutumier, le concept de propriété et de possession exclusive n’existe pas. Précisant le cadre
des obligations des hommes et des femmes, ainsi que leurs droits d’accès à cette ressource
naturelle, ces coutumes maintenaient et renforçaient la démarcation entre le permis et
l’interdit. Ainsi, l’homme (père, mari, frère) avait une mainmise sur cette ressource puisque la
marge de manœuvre de la femme était très faible, entravée par un accès limité à la terre.
L’emprise colonisatrice française, avec l’introduction de l’agriculture commerciale,
négligeant le caractère primatial du fructus15 et de l’usus16 des ressources foncières, introduit
les cultures pérennes dans les habitudes agricoles des populations locales. De nouveaux
référentiels en contradiction avec le régime foncier traditionnel tel que l’abusus17 font leur
apparition. Désormais, le principe traditionnel selon lequel l’arbre planté est la propriété du
planteur et la terre à la collectivité, est remis en cause pour traduit un lien de dépendance entre
« planter l’arbre » et « posséder la terre ». D’où la naissance du sentiment de posséder des
parcelles de terre chez le paysan par le caféier et le cacaoyer (Youbouet B.C. P-H. ,2005). Par
conséquent, l’implication des femmes dans les cultures pérennes est perçue comme une
deuxième secousse contre le droit coutumier. Car, non seulement ces cultures ont conduit à la
possession pluriannuelle individuelle de la terre mais elles sont sources une fois encore, de
modification du régime foncier qui faisait une restriction du droit de la femme à la propriété
foncière.
Désormais, la femme est propriétaire de grandes surfaces agricoles protégées par des titres
fonciers. Elle a obtenu des droits fonciers lui permettant de sortir de la « privation foncière »,
���������������������������������������� �������������������15 Droit d’usage ou droit d’exploitation accordé par le chef de terre, 16 Droit de bénéficier du fruit de la production à celui qui jouit de l’usus, 17 Droit de l’individu de disposer de la chose dont il est propriétaire,
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du rôle de reproductrice et de collaboratrice (travail moins visible, non rémunéré) pour
s’inscrire dans celui de propriétaire foncier et de productrice (travail rémunéré et perceptible).
Les exemples de Allou Bla possédant 30 hectares de plantation, de Akouassi, 14 hectares ; de
N’guessan Alice et Ama, 13 hectares chacune, de Affoua et Kumanssua, 12 hectares chacune
avec des productions évoluant entre 8,10 et 17,052 tonnes sont la preuve de la présence
féminine dans la gestion et le contrôle des ressources foncières. Parmi les femmes interrogées,
plus de la moitié (56,39%) affirme avoir créé elle-même ou par le canal d’un parent, leurs
exploitations agricoles pendant que 43,61% soutiennent les avoir acquises en héritant d’un
grand parent, du père, de la mère, du mari ou d’un fils. De cette façon, au repositionnement de
la femme dans le tissu socio-juridique par le contrôle des ressources foncières, vient s’ajouter
la possibilité d’hériter d’une personne de sexe opposé (grand parent, père, mari ou fils). Une
pratique qui vient participer au renforcement du statut juridique de la femme et contrarier la
rigidité des principes de masculinité et de féminité18 qui ont longtemps encadré le système
successoral agni Ndénié.
Grâce aux cultures de rente donc, la femme productrice a pu déplacer les frontières sociales et
les pratiques rigides qui découlent de la gestion et du contrôle de la terre jusque là
monopolisés par l’homme. Cela participe de la déconstruction du rapport traditionnel homme-
femme en matière de droit foncier pour une reconstruction « égalitaire » des conditions
d’accès, de la notion de propriété et des avantages qui en découlent.
Dans ce nouveau contexte, la femme productrice est perçue comme un acteur de
développement économique avec pour conséquence l’affaiblissement de l’hégémonie
idéologique qui place l’homme au dessus de la femme. De nouveaux types de rapports basés
sur la reconnaissance de l’usus, du fructus et de l’abusus font leur apparition pour réduire la
distance sociale et juridique établit entre l’homme et la femme.
L’engagement des femmes dans les cultures de rente leur attribue également le droit de
disposer de la totalité de leur revenu et de décider de leur affectation. D’où l’obtention d’un
pouvoir à la fois économique et politique.
���������������������������������������� �������������������18 Dans cette société matrilinéaire, les biens étaient transmis entre les hommes d’une part, et entre les femmes d’autre part.
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2-Emancipation politique et économique de la femme
Grâce à leur force de travail et au soutien de certains parents (père, mari, frère, fils), les
femmes se sont engagées dans un processus de reconnaissance professionnelle, celle de
productrice de café et de cacao. Cette nouvelle activité leur permet de sortir peu à peu des
stéréotypes de l’épouse-ménagère ou de l’épouse-mère. La fonction de producteur de café et
de cacao accroît la légitimité sociale de la femme en lui conférant un capital économique et
culturel plus manifeste.
Au plan économique, grâce à ses deux cultures de rente, la femme détient des droits et des
pouvoirs non négligeables en matière de propriété, de distribution et de redistribution des
biens. Elle s’octroie une autonomie financière qui fait d’elle un acteur du développement au
même titre que l’homme. Dans l’une des localités visitées, en plus de la coopérative
villageoise dénommée CADI (Coopérative Agricole de Diangobo), les femmes ont mis en
place une sous section appelée « bla yê ya » ou « être femme est un mal » dans laquelle, elles
s’occupent elles-mêmes de la pesée de leur récolte. Elles veillent également sur la
comptabilité, les chargements et les livraisons de leur tonnage à la coopérative centrale pour
attendre en retour leur revenu après la vente. L’engagement féminin dans ce contexte est un
signe visible du déplacement des limites sociales imposées aux femmes dans la gestion de la
vie économique de la famille et de la communauté19. Les femmes possèdent de plus en plus
des biens de grande importance, comme des biens immobiliers (65,96%), des véhicules
(3,06%), des comptes bancaires (89,33%) et des engagements à dimension économique non
négligeable tels que la scolarisation d’enfants. Elles sont dès lors des pourvoyeuses
économiques du ménage, dont la vie et la survie ne dépendent que du revenu de leur activité
agricole.
Au plan politique, l’acquisition de bâtis grâce aux revenus agricoles fait de certaines femmes,
la figure centrale de leur concession « familiale ». Se situant au sommet de la hiérarchie
familiale, elles en incarnent l’autorité et le pouvoir. Elles ont en charge leurs fils, petits fils,
frères /sœurs, pères/ mères et manœuvres. C’est le cas d’Ama, qui a en charge douze
manœuvres, hébergés, nourris et rémunérés sous les bases d’un contrat oral. Elle procède
���������������������������������������� �������������������19Lors de notre passage à Djangobo (village de la sous-préfecture de niablié) en 2008, sa vie coopérative se distingue par deux associations. L’une appartenant aux femmes et l’autre aux hommes. Les produits de café et de cacao étaient transportés vers la ville grâce aux camions détenus par la coopérative des femmes. Malheureusement lors de notre retour sur le terrain en 2011, ces camions n’étaient plus fonctionnels.
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également par un financement, la formation supérieure de ces fils, dont l’un est inscrit en
Master I de biosciences et l’autre, en année de BTS20 de communication.
A la question de savoir, qui est le chef de famille? Cette dernière répondit sans hésitation :
« c’est bien moi, j’ai construit de ma propre poche ma maison, j’ai en charge la scolarisation
de mes enfants, c’est moi qui assure les besoins du ménage…c’est bien moi, le chef de
ménage…mon mari vit chez lui et moi, chez moi… ». En référence au discours de cette
enquêtée, la femme rurale Agni, intègre dans son univers social les statuts de chef de ménage,
de producteur et d’employeur. En outre, elle bénéficie d’une mobilité sociale qui la positionne
à différentes échelles (femme-mère, femme-épouse, femme-chef de ménage, femme-
productrice, femme-ménagère, femme-employeur…) de la structure familiale et
communautaire.
L’affirmation politique et économique de la femme rurale ndénié est l’écho de nouvelles
valeurs socioculturelles qui donne de la matière à sa nouvelle identité sociale, démobilisant
ainsi la loi de subordination à l’homme. De ce fait, la caféiculture et la cacaoculture, sont
perçues comme un moyen d’affirmation, de réclamation et de construction d’une nouvelle
identité de la femme rurale. Dorénavant, elle ne constitue plus une main d’œuvre familiale de
la production agricole mais plutôt un chef d’unité économique.
L’indépendance économique et politique de la femme rurale, promotrice de droits de
propriétés privées est à l’origine de la naissance de nouveaux phénomènes en pays Agni
ndénié dont la redéfinition des considérations idéologiques qui encadrent le mode de
résidence de la femme.
3-Bouleversement des considérations socioculturelles du mode de résidence de la femme
Les représentations socioculturelles ndénié qui soutenaient et commandaient le mode
résidentiel de la femme étaient intimement liées à la notion de famille et de mariage. Le mode
d’habitation de la femme était soumis aux principes de patrilocalité et de virilocalité21. Dans
l’un ou l’autre des cas, la fondation d’une résidence était spécifique au genre masculin. Ainsi,
���������������������������������������� �������������������20 Brevet de Technicien Supérieur. 21 La patrilocalité, signifie que la femme est tenue par les coutumes de résider dans la cour paternelle avant, pendant le mariage ou après le divorce. La virilocalité, désigne son habitation dans la résidence de son époux. Il peut s’agir d’une néolocalité ou de la résidence paternelle du mari (cour familiale).
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la légitimation sociale de la cour familiale entretenait des rapports de validité et de sécurité
qu’avec le sexe masculin.
Or, l’adoption des cultures de café et de cacao par ce peuple semble redéfinir les lois
résidentielles. La femme rurale ayant intégré à son rôle de mère et d’épouse, celle de
productrice agricole ; participe grâce à son revenu agricole, à la réalisation et à la
modification de l’espace habité, en construisant elle-même sa résidence qu’elle partage
souvent avec des membres de sa famille. De ce fait, bâtir une habitation n’est plus seulement
un domaine réservé à l’homme mais aussi celui de la gent féminine. La vérification de cette
innovation a conduit dans cette étude à identifier le lieu d’habitation des femmes productrices
interrogées. Comme résultat, 38,64% vivent dans leur propre cour ; 21,59% réside sous le toit
conjugal et 39,77% dans la maison de leur père, mère ou grand parents.
L’habitation personnelle désigne le mode dans lequel, la femme est fondatrice de sa résidence.
Il s’agit donc d’une néolocalité ou l’uxorilocalité (38,64%) qui est liée à la puissance
économique de la propriétaire. Parmi celles soumises à la virilocalité ou à la patrilocalité,
respectivement 21,59% et 39,77% ; 55,81% d’entre elles affirment avoir une construction, un
chantier en construction ou un terrain non bâti. Il ressort de nos investigations que 65 ,96%
des femmes interrogées ont construit ou ont l’intention de construire par l’achat d’un terrain.
La néolocalité ou l’uxorilocalité, bien que représentant 38,64% est un facteur visible qui
contribue à la paralysie des anciennes règles résidentielles en rapport avec la femme. Cette
dynamique qui attribue à cette dernière le droit de construction évoque la résolution de la
question de genre dans l’occupation de l’espace habité et la redéfinition des fondements
socioculturels et philosophiques qui soutiennent son authenticité et son ethnicité. C’est
pourquoi, le café et le cacao se dévoilent comme des supports qualitatifs dans la
désexualisation des fondements liés à la construction d’une habitation et dans l’identification
de la femme comme un acteur de développement dans la conception et la gestion de l’espace
habité.
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De l’appartenance à la participation au jeu d’influence au sein des familles :
de nouveaux droits pour la femme rurale
Les résultats de la présente étude révèlent la nouvelle identité sociale et juridique de la femme
rurale Agni. Investie dans la production du café et du cacao, elle a su obtenir de nouveaux
droits dont la gestion et le contrôle des moyens de production, l’autonomie financière et la
possibilité de se bâtir un toit qui a introduit l’uxorilocalité dans une société où la patrilocalité
et la virilocalité étaient les fondements des règles résidentielles. Sur ce dernier point, la
mobilité géographique de la femme rurale en ce qui concerne son lieu d’habitation est
motivée par le poids de son capital économique et non plus par des considérations
socioculturelles.
En effet, si la femme s’est longtemps faite remarquée par le décorticage, le séchage, le triage
du café et cacao (Clignet R., 1962), elle semble se repositionner aujourd’hui en s’inscrivant
dans le rôle de productrice avec des stratégies endogènes. Son comportement est validé par la
position de Ghorayshi P. (2001) qui soutient que pour son repositionnement social, la femme
fait usage de tactiques individuelles et de stratégies de groupes pour travailler. Dans le cas de
la femme rurale Agni, elle s’appuie sur certaines présences masculines (père, mari, frère, fils)
ou fait usage de main d’œuvre rémunérée et non rémunérée22 pour ce qui est des tactiques
individuelles. Les stratégies de groupe se réalisent à travers la création de coopératives
féminines pour une meilleure gestion et un bon suivi de leurs ventes.
Le contrôle des moyens de production, la force de travail et la détermination de la femme
rurale ont contribué à contourner des pesanteurs socioculturelles et permis de tirer des
avantages pour s’octroyer de nouveaux droits accompagnés de devoirs. Son comportement
symbolise alors une constante négociation au changement social source d'une redéfinition des
règles d'autorité et de partage des ressources locales. La femme se perçoit comme une actrice
à part entière du développement. Sa mobilité sociale est la résultante du passage de sa
situation de simple appartenance à la communauté à celle de participation active, visible et
constructive (Duchastel J., 2002) qui selon Meer S. et Sever C. (2004) commande le jeu
d'interaction et d'influence au sein de la communauté familiale. La femme rurale agni, à la
���������������������������������������� �������������������22 Dans ce contexte, des femmes utilisent des hommes comme mari dans la réalisation de leur plantation pour s’en séparer par la suite. Ce système est appelè “famin yo o bo’o” qui littéralement signifie “utilise moi pour la réalisation de ton champ”.
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lumière des faits, sort du contexte de victimisation et d’infériorisation pour s’inscrire dans un
processus de responsabilisation et d’affirmation.
La réussite d’intégration socioéconomique et le nouveau statut juridique de la femme rurale
par le canal de facteurs endogènes et l’usage de stratégies individuelles et collectives est un
contre exemple des programmes ou projets qui font de l’aide extérieure la pierre angulaire de
tout changement social.
CONCLUSION
L’intégration de la femme dans la production des cultures de café et de cacao apparait comme
un remède pour réparer une injustice sociale. Le rôle de productrice agricole de la femme a
participé à sa mobilité sociale et modifié ses responsabilités familiales et économiques sans
toutefois supprimer les plus «traditionnelles » dont celles de mère et d’épouse. Par son capital
économique, elle a en charge sa famille et participe au développement de sa localité.
L’acquisition du pouvoir politique, matérialisée par la gestion d’un espace habité semble
provoquer la perte du prestige de l’homme en tant que figure emblématique dans la famille
traditionnelle Agni. La possession de grandes surfaces agricoles qui symbolisent
implicitement l’acquisition de propriété foncière et d’habitations personnelles, sont la preuve
de la gestation d’une nouvelle image féminine dont les effets sont ressentis au niveau du cadre
conceptuel du rapport traditionnel homme-femme. L’intégration de la femme dans les
activités agricoles pérennes est à la fois un débouché économique pour celle-ci et un avantage
pour son repositionnement au sein de la famille et de la société Agni. Cependant, deux
questions semblent faire surface : vers quel type de société ce peuple évolue t-il ? Que pense
l’homme de la nouvelle position sociale de la femme ?
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Historisation de la trajectoire développementiste et enjeux des stratégies de réduction de la pauvreté au Bénin
Ingrid Sonya M. ADJOVI Doctorant en Sociologie du Développement, Université d’Abomey-Calavi.
Gauthier BIAOU Agroéconomiste, Maître de Conférences des Universités du CAMES, Enseignant à l’Université d’Abomey-Calavi
Albert TINGBE-AZALOU Sociologue, Maître de Conférences des Universités du CAMES, Enseignant à l’Université d’Abomey-Calavi
RESUMES’il est admis que la pauvreté est une réalité au Bénin, il est aussi évident que l’Etat dans son rôle d’arbitre et de promoteur du développement détermine les orientations stratégiques du pays. C’est ce qui a conduit le Bénin depuis les années 1960, à emprunter plusieurs itinéraires, à faire des détours par d’autres et à finalement opter pour l’approche de la lutte contre la pauvreté. L’intervention en matière de développement met en relation des Etats et des Organisations internationales du Nord et du Sud à travers des appuis techniques et financiers, des programmes/projets dont l’objectif est de réduire la pauvreté dans les pays pauvres. Mais les objectifs stratégiques des documents restituant la stratégie de lutte contre la pauvreté du Bénin convergent-t-ils avec les aspirations des populations ?
Mots-clés : Bénin, Historique, Développement, Pauvreté.
ABSTRACT It is recognized that poverty is a reality in Benin, it is also clear that the state in its role as arbiter and promoter of development determines the strategic way of the country. This is what led Benin since the 1960’s to take through several routes, to make detours and finally opt for the approach of fighting against poverty. In matter of development, intervention connects northern and southern States and international organizations in the through technical and financial support, programs / projects whose objective is to reduce poverty in poor countries. But are the objectives aimed by the global reference framework documents of Benin converge to people aspirations?
Keywords: Benin, History, Development, Poverty.
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Introduction
Au Bénin, la pauvreté est une réalité quotidienne que confirment plusieurs recherches dont les
résultats de l’Enquête Modulaire Intégrée sur les Conditions de Vie des Ménages (EMICoV). En
effet, la proportion de ménages pauvres est estimée respectivement à 52,2 % et à 47,9 % au Bénin
par rapport aux conditions de vie et à la proportion d’actifs des ménages (INSAE/MPDEAP,
2007 : 7). Réalité palpable au Bénin, en Afrique et dans le monde, la pauvreté est selon Ouédraogo
H.et al (1999), dans l’ouvrage collectif intitulé La lutte contre la pauvreté en Afrique
subsaharienne, devenue un des objectifs fondamentaux de l'action internationale et des activités
des organismes des Nations Unies en particulier le PNUD. Ainsi, s’explique l’engouement des
politiques publiques ces dernières années pour la stratégie de réduction de la pauvreté.
Pour ces auteurs, lutter contre la pauvreté, c'est avant tout être capable de circonscrire le concept
de pauvreté. C’est partir de la compréhension de ses causes dans leurs dimensions historique,
économique, sociale, religieuse et culturelle. Appréhender le concept de pauvreté, c’est également
connaître les stratégies opérationnelles de lutte contre ce fléau. La problématique de la lutte contre
la pauvreté a débouché sur la mise en œuvre des Stratégies de Réduction de la Pauvreté lesquelles
ont bénéficié d’une forte mobilisation extérieure en faveur de la lutte contre la pauvreté en
Afrique.
Depuis 2003, le Bénin a fait ce choix stratégique de développement. C’est ce qui a donné lieu à
l’élaboration puis à la mise en œuvre des Objectifs Stratégiques du Développement (OSD) et les
trois générations de stratégies de réduction de la pauvreté. Il s’agit de la Stratégie de Réduction de
la Pauvreté (SRP 2003-2005), de la Stratégie de Croissance pour la Réduction de la
Pauvreté (SCRP 2007-2009), et de la Stratégie de Croissance pour la Réduction de la
Pauvreté (SCRP 2011-2015) (République du Bénin, 2010 : XIII). La deuxième génération des
Objectifs Stratégiques du Développement est actuellement en cours d’élaboration126.
Concept difficile à définir, le développement désigne « un processus qualitatif de transformations
des structures économiques, sociales et mentales qui accompagne et favorise la croissance
économique d’un pays » (Deubel Ph., 2008 :129). Aussi, ce concept « […] et ses corrélats, "sous-
développement", puis "pays en voie de développement" apparaissent dans le cadre du nouvel
"ordre" mondial qui résulte – et des organisations internationales qui sont mises en place à la
���������������������������������������� �������������������126 Selon les cadres de la Direction Générale des Politiques de Développement du Ministère en charge du Développement, en février 2013, le document était encore en élaboration.
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suite – de la seconde guerre mondiale » (Boudon R., 2004 : 168). L’approche par la réduction de
la pauvreté est une option développementiste comme tous les paradigmes et modèles de
développement qui l’ont précédé au Bénin depuis la décennie des indépendances. C’est ainsi que
le pays s’est essayé à plus d’une dizaine de modèles de développement. De quels modèles s’agit-
il ? Une fois le choix stratégique fait, comment l’aide au développement parvient-il aux
populations qui sont censés être les bénéficiaires finaux ? Y-a-t-il convergence entre les objectifs
stratégiques et les aspirations des populations béninoises? Quels sont les enjeux des stratégies de
réduction de la pauvreté au Bénin ?
La présente contribution a pour préoccupation nodale de comprendre les pesanteurs qui rendent
difficile l’entreprise développementiste du Bénin à travers l’analyse de divers paramètres. Il s’agit
de la trajectoire du développement du Bénin, l’acheminement de l’aide au développement,
l’existence ou non d’une convergence entre les aspirations des populations et les objectifs des
documents du cadre global de référence.
Démarche méthodologique
La démarche méthodologique adoptée est comparative en ce sens que les données collectées
proviennent de deux grandes villes du pays : l’une au Nord et l’autre au Sud, Cotonou et Parakou ;
et regroupent plusieurs sources orales et écrites. Deux principales techniques de collecte des
données ont été retenues dans le cadre de cette étude. La première concerne les sources
documentaires. Il s'agit de la technique de synthèse de documents du cadre global de référence. La
collecte des informations des sources orales a été réalisée par entretiens. Ces sources orales sont :
des responsables d’Institutions (ministères, ONG, organisations internationales partenaires au
développement) et les populations actives de ces localités. Certaines sources écrites ont aussi
permis d’accéder aux informations nécessaires à ce travail. La collecte des données (source orale)
a été réalisée par des techniques d’échantillonnage non probabiliste. Le choix des individus
identifiés dans chaque catégorie (acteurs de type institutionnel et populations) s’est opéré selon la
technique d'échantillonnage "boule de neige". Il s'agissait en ce qui concerne chaque catégorie
d’acteurs d’identifier l’enquêté suivant en demandant à quelques informateurs de départ de fournir
des noms et les contacts d'individus pouvant faire partie de l'échantillon. Au total, l’échantillon de
cette étude compte 144 enquêtés.
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Bref aperçu diachronique des modèles de développement du Bénin
Le concept de développement était utilisé par les dirigeants politiques des pays du Nord depuis les
années 1949. C’était notamment le cas du Président américain, Harry Truman, dans son discours
sur l'état de l'Union, où il popularise le mot « développement » en prônant une politique d'aide aux
pays « sous-développés », grâce à l'apport de la connaissance technique des pays industrialisés. Il
affirme que « tous les pays, y compris les États-Unis, bénéficieront largement d'un programme
constructif pour une meilleure utilisation des ressources mondiales humaines et naturelles »127.
Aussi, depuis les indépendances de 1960, les pays comme le Bénin ont entamé la marche vers le
développement. Ce processus a conduit le Bénin à mettre en œuvre une grande diversité de
modèles de développement. C’est ainsi qu’après le modèle libéral, qui réduisait le développement
à sa seule dimension matérielle et économique en l’assimilant à la croissance économique, le
Bénin comme beaucoup d’autres pays du Sud est passé à l’application du modèle marxiste
(Favreau L., 2004 : 3).
Mis en œuvre au Bénin des années 1970 aux années 1980, la planification du développement
considère le sous-développement comme un blocage né de l’intervention des pays occidentaux
dans les pays du Sud. Pour les théoriciens du modèle marxiste, ce processus a commencé depuis la
colonisation et a eu plusieurs conséquences dont la domination technologique, l’inégalité et la
détérioration des termes de l’échange, le surendettement des pays du Sud vis-à-vis des institutions
et Etats du Nord, et enfin, le blocage du processus de développement par les nouvelles couches
dirigeantes du Sud (Favreau L., 2004 : 4). Pour surmonter ces difficultés, il faut planifier le
développement et s’appuyer sur les potentialités endogènes du pays. Il faut que les pays fassent
l’effort de développement par eux-mêmes en accumulant leurs propres ressources (agricoles,
naturelles), utiliser ce surplus pour l’industrialisation. L’Etat doit donc planifier les activités
économiques pour coordonner l’ensemble des secteurs des pays avec le soutien d’une aide
étrangère qui laisse une marge de manœuvre suffisante aux Etats du Sud128.
Cette approche du développement autocentré ou endogène a connu des difficultés dans sa mise en
œuvre et qui l’ont mené à l’échec. Parmi ces difficultés, la transformation de la production
agricole dans des usines importées pièce par pièce. Les coûts élevés du recours aux techniciens et
ingénieurs compétents provenant du Nord, et de l’acquisition des pièces de rechange (Bartoli H.,
1999 : 39). ���������������������������������������� �������������������127 Source Wikipedia 128 Faire jouer la concurrence entre les pays communistes et le reste du monde.
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Suite aux incessants problèmes de faim, de pandémies, de conflits de l’Afrique, la communauté
internationale en général et la Banque Mondiale en particulier ont suggéré aux pays pauvres de
procéder à l’Ajustement Structurel. Ce modèle néolibéral a contribué à la naissance de trois (03)
programmes d’ajustements structurels (PAS I, II, et III) au Bénin entre 1989 et 1999 après le crash
économique observé à la fin des années 1980 (CNDLP/Bénin, 2002 :1).
Ces programmes initiés par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International129 avaient
pour mission : ouvrir les pays du Sud au marché international, privatiser les entreprises de
caractère public et libéraliser les prix et, enfin, réduire les dépenses sociales (Cheaka A. et Nangbé
F., 1998 : 80-85) telles que l’éducation, la santé, l’habitation, et les charges du personnel salarié de
l’Etat. Au Bénin la mise en œuvre de ces PAS a produit entre autre pour effet l’accroissement du
taux de chômage (Pirotte G. et Poncelet M., 2003 : 6).
Le principal reproche fait aux PAS est que ces programmes avaient pour objectif immédiat le
rétablissement des équilibres macroéconomiques et financiers en lieu et place du développement
durable (PNUD Bénin et MECCAGPDPE/Bénin, 2000 : 2). De plus, ils n’ont pas su prendre en
compte l’importante question du cadre institutionnel et politique nécessaire au développement
d’un pays.
En avril 1992, le Bénin a participé à une table ronde avec ses partenaires techniques etfinanciers
dans le but de trouver des financements nécessaires aux réformes économiques entreprises sous
les PAS. C’est suite à cette rencontre que le Programme d’Actions Sociales d’Urgence (PASU) a
vu le jour (Tingbé-Azalou A., 2008 : 66). Le PASU est destiné aux groupes sociaux dits
vulnérables ou menacés par les diverses actions des PAS. Il a pour objectif d’intégrer au marché
du travail d’anciens fonctionnaires "déflatés" sous le PAS et les jeunes diplômés sans emplois et
enfin, de réhabiliter les infrastructures sociales. �e Bénin a opté pour la Dimension Sociale du
Développement en 1994. Cette stratégie est venue corriger les insuffisances des stratégies
antérieures� qui ne prenaient pas assez en considération la dimension humaine et sociale du
développement (Tingbé-Azalou A., 2008 : 66-67). La stratégie de la Dimension Sociale du
Développement est fondée sur les principes de la décentralisation, la subsidiarité, la coordination
des donneurs de capitaux au Bénin et la hiérarchie des interventions relatives à la pauvreté. Ces
dernières années, après la mise en œuvre de la décentralisation, le pays a opté pour les stratégies
de réduction de la pauvreté dont la mise en œuvre se fait au Bénin par des
���������������������������������������� �������������������129Appelé FMI
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stratégies macroéconomiques opératoires�: la SRP 2003-2005, la SCRP 2005-2007, les OSD 2006-
2011 et la SCRP 2011-2015. Pour une meilleure appréhension de l’historicité des modèles de
développement du Bénin, confère annexe.
Les progrès en terme de modernisation réalisés par le Bénin sont énormes, cependant le
développement ne se réduit pas à une occidentalisation. Les acquis seraient plus significatifs si le
pays n’avait pas enchainé en un laps de temps si court (50 ans), une telle diversité d’approches et
de modèles de développement130 . Ces allers-retours en termes de changement d’orientation
développementiste ont produit des pertes en termes de temps et de moyens pour des résultats
moindres que ceux escomptés. Ainsi, l’historisation de la trajectoire développementiste du Bénin
montre les carences du pays par rapport à sa capacité à choisir de façon déterminée un itinéraire de
développement tout en s’y maintenant dans le temps et dans l’espace pour une optimisation des
acquis. Mais quels sont les dysfonctionnements liés au dispositif d’aide au développement du
Bénin ?
Les instruments d’intervention développementiste du Bénin
Les relations entre les populations du Bénin (dont l’Etat, les OSC131 et les collectivités
décentralisées) et les partenaires techniques et financiers (PTF) autour de la problématique du
développement sont historiques comme le montre la première section de ce document. Cependant,
certains dysfonctionnements existent dans les dispositifs d’élaboration des stratégies de
développement au Bénin. Il ressort des entretiens avec des personnes ressources (promoteurs
d’ONG) que bien qu’il existe un cadre national pour la concertation entre l’Etat et les OSC
représentées par les réseaux d’ONG, ce cadre échoue dans la réalisation de sa mission132. Cette
situation est due au manque de communication, car l’information ne circule pas à l’intérieur des
réseaux. Il existe donc des pesanteurs liées à la représentativité des OSC dans les réseaux et
confédérations nationales. Ainsi, bien que les ressources existent parfois, les activités ne sont pas
menées par les OSC qui n’ont pas pu avoir accès à l’information à temps. Un responsable d’ONG
de Parakou affirme que :
���������������������������������������� �������������������130 Les modèles de développement les plus importants ont été identifiés dans l’annexe 131 Organisations de la Société Civile 132 Ces propos ont été recueillis sur le terrain à la suite des entretiens avec des responsables d’ONG de Cotonou et Parakou en 2011.
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« […] ce sont toujours les mêmes qui ont accès aux financements. Tout le monde n’a pas accès à l’information surtout nous qui sommes éloignés de Cotonou. C’est toujours les mêmes qui sont servis et qui font des actions en direction des mêmes cibles habituelles alors que les autres sont là. Ce n’est pas équitable ! Ni pour les ONG, ni pour les populations. Notre ONG n’a jamais pris un rond chez l’Etat béninois. Nous nous sommes toujours débrouillés seuls pour financer nos activités nous-mêmes. Et c’est à cause de cela que nous sommes libres de dire ce que nous pensons ».
Entretien réalisé à Parakou en février 2011.
Il est important de surligner que ce n’est pas une obligation pour l’Etat de financer les ONG ni
pour les ONG de chercher un financement de l’Etat. A cette situation illustrée par cet extrait, on
peut associer la faible implication des populations dans les mécanismes d’élaboration des
documents de stratégie nationale de développement dont la majorité de la population ignore
tout133. Ces informations ramènent encore à la question de la représentativité et du déficit de
communication à la base. La représentativité des OSC et des populations devant participer aux
mécanismes d’élaboration des documents stratégiques au Bénin suit plusieurs configurations : soit,
il s’agit des bénéficiaires directs de l’action envisagée, soit il s’agit des membres de la structure
nationale représentant les bénéficiaires, soit encore ce sont des individus ou des organisations qui
sont identifiés de façon spécifique. L’appui technique et financier des PTF a une grande
importance pour le financement du développement d’un pays. Cet appui prend souvent la forme
des Aides Publiques au Développement (APD).
Ces dernières années, les difficultés de financement du développement du Bénin se sont accrues à
la faveur de la crise financière mondiale. Les impacts de cette dernière sur les pays du Nord ont
provoqué une réduction du volume de l’aide publique au développement (Social Watch, 2010 : 2).
En effet, « Sur la base de l'enquête de l'OCDE au Bénin, 47% des aides sont comptabilisées dans
le budget national comme recettes ou dons. Ce chiffre couvre les aides budgétaires non-ciblées
sur dons et prêts. Ni les aides inscrites dans les budgets-programmes des ministères ni les aides
budgétaires sectorielles ne sont prises en compte au niveau central (manque de circulation de
l'information au niveau du Gouvernement). L'essentiel des efforts concerne la communication
interne dans le Gouvernement entre ministères sectoriels, la Direction Générale du Budget, et les
���������������������������������������� �������������������133 Selon les données de terrain recueillies, 65% des personnes actives de Cotonou et de Parakou enquêtées ignorent le contenu des documents de stratégie nationale. Elles vont même jusqu’à dire qu’elles ne savent pas de quoi il s’agit. Leur niveau de méconnaissance de l’existence de ces documents nationaux de stratégies de développement est si accentué que, sur les 92 personnes interrogées seulement 3 affirment connaître les documents de stratégie de développement du Bénin.
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institutions en charge du suivi des aides ainsi que la clarification des circuits d'information entre
Gouvernement et bailleurs de fond. Les donneurs doivent faire preuve de transparence pour les
aides non alignées aux procédures budgétaires (en fournissant des donnés à temps au
Gouvernement pour régulariser les dépenses a posteriori au niveau du suivi budgétaire) »
(MDEF/SP-CNDLP/Bénin, 2006 : 22).
La figure 1 permet d’avoir un éclairage nouveau sur la dynamique organisationnelle des
interventions en matière de développement au Bénin. Elle décrit comment les PTF et autres
opérateurs de développement du Nord constituent les piliers du développement au Bénin. Ces
organisations fournissent les moyens financiers et techniques dont l’Etat, les communautés et les
OSC ont besoin pour entreprendre des actions en faveur du développement. La mise en place des
interventions en développement s’étale sur plusieurs paliers : international, national,
départemental, communal et individuel. A l’international, les agences d’aide et les PTF des pays
du Nord (tels que le FMI, la BM, les agences des Nations Unies, des ONG ou des Etats) appuient
la réalisation de projets/programmes dans les pays du Sud. Au niveau national, les représentations
des PTF s’entendent avec l’administration centrale et les réseaux nationaux d’ONG sur les
modalités de mise en œuvre d’appuis techniques et financiers pour la réalisation des actions
gouvernementales et l’exécution des projets/programmes.
Durant l’année 1998, l’accent a été mis sur l’approche du développement communautaire (Tingbé-
Azalou A., 2008 : 67). Cette approche de développement à la base s’est assignée comme mission
de satisfaire les besoins prioritaires des populations. Ces stratégies ont renforcé le dispositif déjà
en place pour la décentralisation au Bénin. Renforçant ainsi la position de Bryant C., qui affirme
que la question de l'efficacité de l'élaboration de la politique de développement aux niveaux local
et régional est une préoccupation significative en rapport direct avec la décentralisation. La
planification locale et régionale de l'utilisation rationnelle des ressources peut aussi être comprise
dans cette perspective (Bryant C., 2006 : 6-7). C’est pour cette raison que l’aide transite du niveau
national, au niveau départemental dans le processus de l’intervention. L’administration centrale
délègue son autorité aux Préfectures et aux directions ministérielles opératoires sur le ressort
territorial du département. Au niveau communal, les Mairies et les ONG concernées vont passer à
la mise en œuvre des projets/programmes dont les populations sont les bénéficiaires finaux
(niveau individuel).
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Figure 1 : Stratégies et instruments d’intervention en matière de développement �
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Au regard des informations fournies par cette analyse, il ressort que le dispositif d’acheminement
de l’APD est lourd (niveau national, départemental, communal, individuel) et nécessite le recourt
à de nombreuses intermédiations et divers courtiers au développement. Cette structure présente un
risque élevé qu’à terme, l’aide ne parvienne pas aux bénéficiaires finaux que sont les populations à
la base à cause des charges élevées liées à l’intermédiation. L’analyse du dispositif d’intervention
fait émerger plusieurs freins relatifs à la lourdeur de l’appareil d’acheminement des APD, à la
circulation de l’information, à la représentativité des OSC et des populations lors de l’élaboration
des stratégies et à la difficulté d’atteinte effective de la cible que constitue les populations
bénéficiaires. A ce propos, il est important d’analyser le niveau de convergence qu’il y a entre les
objectifs des stratégies de développement et les aspirations des populations.
I- Des aspirations des populations aux objectifs stratégiques de développement au Bénin
La trajectoire de développement suivie par un pays se détermine en fonction de son identité
culturelle, son histoire, son environnement interne et externe, ses ressources, mais surtout, elle est
déterminée par les hommes qui vivent dans ce pays. La dimension humaine du développement est
capitale. Ce sont les hommes qui aspirent au développement et ce sont eux qui agissent pour
produire les changements souhaités. Le développement ne peut se faire sans un réel changement
social, entendu comme un ensemble de transformations s’effectuant dans le temps et qui affecte
d’une manière durable la structure et le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité
donnée et modifie le cours de son histoire (Rocher G., 1968 : 22). Le choix stratégique de
développement est fonction des aspirations des acteurs sociaux du système. L’acteur social, c’est
l’atome logique de l’analyse sociologique (Boudon R., 2009 : 52). L'acteur social est l’individu
qui agit, c'est « celui qui change son environnement matériel et social, en transformant la division
du travail, les modes de décision, les rapports de domination et les orientations culturelles »
(Farro A., 2000 : 129). Ainsi, « le processus par lequel l’acteur agit en fonction de buts, de
raisons ou d’intentions significatives pour lui est ce que nous appelons la capacité d’agir des
acteurs […]. Les acteurs agissent à l’intérieur d’un système d’action qu’ils contribuent à
construire mais qui, tout en même temps les détermine » (Duperre M., 2004 :14).
Les acteurs identifiés comme intervenants du processus de développement au Bénin sont dotés
d’une identité, de buts ou finalités, ils ont des intérêts qu’ils défendent et en fonction desquels ils
ont des aspirations pour le futur. Les informations collectées auprès des personnes ressources qui
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ont participé aux entretiens individuels ont permis de répondre à la préoccupation soulevée par
cette section. Les aspirations des différentes catégories d’acteurs ont permis de réaliser l’encadré
suivant :
Encadré: Aspirations des acteurs �
- L’atteinte des objectifs des stratégies de développement en cours dans les délais fixés (horizons 2015 et
2025).
- La poursuite des actions initiées dans le cadre de l’amélioration des conditions de vie ;
- L’apport de capitaux pour le financement du développement et leur gestion efficiente ;
- L’accroissement et la diversification de l’appui de l’Etat aux OSC ;
- La définition d’un nouveau cadre de concertation entre les OSC et l’Etat ;
- La définition de nouveaux mécanismes de circulation de l’information ;
- La moralisation et la conscientisation des cadres ;
- La promotion de la participation citoyenne au développement.
Données de terrain, Cotonou et Parakou, 2011
Les divers témoignages recueillis montrent à quel point les populations sont concernées par
l’avenir. Leurs préoccupations sont variées et concernent aussi bien l’emploi, que la modernisation
de leur cadre de vie, la gratuité des charges liées à la formalisation des activités informelles que
leur financement.
Cependant, il est marquant d’observer au regard des aspirations formulées par les populations, que
ces dernières attendent tout de l’Etat. En effet, selon les personnes interrogées, c’est toujours
l’Etat qui doit initier, c’est lui qui doit proposer des solutions aux problèmes, c’est encore lui qui
est cité comme source des dysfonctionnements observés. L’Etat bien qu’étant un acteur clé du
développement, ne saurait à lui seul tout faire. Il faut une synergie de tous les acteurs pour
produire le changement attendu dans l’amélioration des conditions de vie et la réduction de la
pauvreté. Par conséquent, vouloir produire le développement, c’est entreprendre des actions dont
le succès est subordonné à l’existence d’un consensus entre les acteurs impliqués.
Le Gouvernement béninois a, depuis 2003 entamé les Stratégies de Réduction de la Pauvreté.
Depuis une décennie, plusieurs stratégies reflètent les objectifs visés par l’Etat. Mais quels sont
ces objectifs stratégiques ?
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Les stratégies présentées dans l’annexe 1 se situent toutes dans la même logique d’intervention.
En effet, depuis 2000, la priorité des Gouvernements successifs du Bénin est de réduire de façon
significative la pauvreté dans le pays. C’est la raison d’être du DSRP 2003-2005. La SRP 2003-
2005 avait mis un accent particulier sur les secteurs sociaux en misant sur l’accélération de la
croissance continue comme condition nécessaire à la réduction de la pauvreté. Après sa mise en
œuvre, ce programme triennal a pris fin pour donner naissance à une nouvelle stratégie : la
SCRP. L’objectif visé par la SCRP était d’accélérer la croissance économique pour réduire
durablement la pauvreté. La SCRP 2007-2009 constituait le cadre de référence du Gouvernement
en matière de dialogue avec les PTF tout en étant le cadre d’opérationnalisation des Orientations
Stratégiques de Développement (OSD) 2006-2011. La troisième génération des stratégies de
réduction de la pauvreté a démarré en 2011. Cette même année 2011 a vu la fin des OSD. La
SCRP 2011-2015, s’inspire de la vision de long terme décrite dans les « Etudes Nationales de
Perspectives à Long Terme (ENPLT),"Bénin-Alafia 2025" » et s’appuie sur les Orientations
Stratégiques de Développement (OSD) définies par le Gouvernement en 2006. La SCRP 3
opérationnalise ces OSD à travers un cadre programmatique, le Programme d’Actions
Prioritaires (PAP).Toutes ces stratégies répondent au souci de sauvegarder les acquis des
stratégies antérieures tout en assurant leur continuité (annexe 2).
L’éventail des aspirations des acteurs du développement couvre l’essentiel des objectifs visés par
les documents stratégiques dont la synthèse figure dans l’annexe 2. Chaque acteur, qu’il s’agisse
de l’Etat, des PTF, des OSC, des collectivités territoriales décentralisées ou des populations à la
base, s’identifie dans les objectifs stratégiques mis en œuvre dans le pays. Cette comparaison des
objectifs visés par les stratégies de développement et des aspirations des populations montre
qu’il y a concordance. Ainsi, la confrontation des aspirations des acteurs sociaux aux objectifs
des documents stratégiques dessine une tendance majeure qui prouve que l’Etat tient réellement
compte des attentes des acteurs dans les processus d’élaboration des stratégies de
développement.
L’Etat béninois, lors de l’élaboration de son cadre logique de développement, tient non
seulement compte des aspirations des populations, mais également de celles des OSC, des
collectivités territoriales décentralisées et de ses PTF. Ce qui l’amène à vouloir réaliser le futur
dont rêve chacun de ces acteurs, c’est-à-dire qu’il a une attitude proactive. D’où l’appellation de
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proactivité stratégique puisque les stratégies ne sont que des chemins possibles pour réaliser le
rêve des acteurs sociaux impliqués. On peut tirer la conclusion complémentaire selon laquelle,
c’est en tirant leçon de ses expériences passées, que le Bénin a décidé de mettre les populations
au cœur même de ses initiatives en matière de développement. Cependant, certains problèmes
surgissent lors de ces exercices participatifs. Il s’agit notamment de :
- l’atteinte des OMD d’ici à l’horizon 2015 est incertain ;
- l’existence de difficultés et blocages institutionnels préjudiciables à la poursuite des
actions en faveur de l’amélioration des conditions de vie ;
- la mauvaise gouvernance aggravée par l’incivisme et la corruption ;
- les difficultés de représentativité des OSC dans les instances de décision ;
- l’inadéquation du cadre de concertation Etat/OSC avec les exigences en matière de
fluidité de l’information et de l’efficacité des prises de décisions.
Bien que de façon globale, il y ait convergence entre les attentes des acteurs impliqués, la mise
en œuvre du développement est assimilable à une arène dans laquelle plusieurs acteurs
s’affrontent, s’associent, se croisent, etc. dans un jeu relationnel où naissent des coopérations ou
des conflits. Les stratégies de réduction de la pauvreté sont liées à des enjeux qu’il est important
d’identifier. C’est l’objet de la section suivante.
• Les enjeux de la réduction de la pauvreté au Bénin
Dans le cadre d’un changement prévu au Bénin, le tableau suivant renseigne sur les différents
acteurs impliqués dans le processus du développement, leurs attentes et leurs peurs. Grâce aux
entretiens réalisés avec les personnes ressources, il ressort que des actions préventives sont
faites pour minimiser les effets des comportements réactionnels des acteurs. C’est ainsi que se
dégage la grille des enjeux liés à la réduction de la pauvreté au Bénin :
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Tableau I: La grille des enjeux de la réduction de la pauvreté et du développement au Bénin
Etat Mairies OSC PTF Populations
Peu
rs (
pert
es)
-Manque de financement pour la réalisation de ses objectifs.
-Non maîtrise du risque pays lié à la tenue des élections présidentielles en 2011.
-Manque de financement pour la réalisation des objectifs fixés durant le mandat du maire.
-Manque de financement pour la réalisation de leurs objectifs.
-Non atteinte des résultats attendus d’abord à l’horizon 2015, puis à celui de 2025.
-Perturbation du climat social et de la paix dans le pays.
Att
ente
s (g
ains
)
-Recherche des capitaux nécessaires pour financer le développement.
-Augmentation du rythme de réalisation des avancées.
-Plus d’autonomie dans la gestion des affaires communales.
-Augmentation des capitaux pour le financement des activités.
-Un autre cadre de concertation avec l’Etat.
-Plus de financement pour plus de réalisations sur le terrain.
-Atteinte des OMD par le Bénin.
-Mieux-être (dans tous les domaines).
Com
port
emen
ts
prév
isib
les
-Recherche de nouveaux partenaires et la mise en œuvre de la troisième génération des SRP.
-Recherche de nouveaux partenaires et la mise en œuvre des PDC.
-La mise en œuvre des actions en cours.
-Appui-conseil du Bénin en matière de développement.
-La poursuite des activités quotidiennes dans un environnement statique (continuer à mener la vie dans les mêmes conditions).
Act
ions
pré
vent
ives
-Favoriser le dialogue social et valoriser les acquis des stratégies de développement précédentes.
-Favoriser le dialogue avec l’Etat, les OSC et le secteur privé.
Privilégier le dialogue avec l’Etat et recherche de nouveaux partenaires.
--Evaluer le niveau d’avancement dans l’atteinte des objectifs et veiller aux réajustements.
-Participation active aux actions entreprises par les autres acteurs en faveur du développement.
Au regard de ces enjeux, plusieurs défis majeurs se profilent à l’horizon du Bénin qui devra les
surmonter pour amorcer un développement effectivement durable. Il s’agit entre autres de :
- Faire l’effort d’un autofinancement de son développement pour réduire le joug de la
dépendance des APD ;
- Veiller à une prise de responsabilité des élus locaux pour un sursaut citoyen pour le
développement local ;
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- Promouvoir un changement de comportement pour l’implication effective de chaque
béninois dans l’entreprise développementiste du pays ;
- Garantir des conditions de vie décentes aux populations malgré la conjoncture
économique internationale.
Conclusion
Cette réflexion sociologique a pour objet de comprendre à travers divers paramètres les raison
qui expliquent les difficultés du Bénin en matière de stratégie de développement. Ces divers
paramètres sont : la grande diversité des modèles de développement du Bénin, les instruments de
l’intervention internationale en matière de développement et la question de l’existence d’une
synergie entre les objectifs du cadre global de références en matière de développement au Bénin.
L’analyse révèle que le Bénin n’a pas su produire lui-même un modèle de développement mais,
s’est toujours contenté de suivre les courants théoriques en vigueur sur le plan international. Ce
suivisme a conduit le pays à mettre en œuvre plus d’une douzaine de modèles de développement
en cinquante ans. Ces mouvements incessants d’approches différentes expliquent en grande
partie la position de Boudon R. et Bourricaud F. qui pensent que « Mises bout à bout, ces
théories générales du développement apparaissent – premier point qu’il importe de noter –
comme incompatibles entre elles » (Boudon R., 2004 : 170).
Le dispositif d’intervention en développement qui conduit les Etats et organisations
internationales du Nord à apporter des aides techniques et financières aux pays du Sud compte
un grand nombre d’intermédiaires (confère figure 1 ce qui accroît le risque d’une réduction du
flux de l’aide réellement apportée aux bénéficiaires finaux que sont les populations. Ces
dernières années, le Bénin a opté pour les stratégies de réduction de la pauvreté et les
orientations stratégiques de développement. Les objectifs stratégiques de ces documents du cadre
global de référence coïncident avec les aspirations des acteurs clés du développement que sont :
l’Etat, les OSC, les PTF, les collectivités territoriales décentralisées et les populations.
Cependant, l’existence d’une synergie n’empêche pas l’existence de divers enjeux liés à des
problèmes de développement. La résolution de ces problèmes nécessite une intervention sociale.
L’intervention sociale est la volonté de prendre part à une action en cours dans le social, dans
l’intention d’influer sur son déroulement. Ainsi, par essence, ce concept est dynamique et actif.
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Mieux, l’intervention sociale est l’action d’intervenir avec un groupe d’individus afin de tenter
d’influencer la réalité dans laquelle il se trouve. Autour de ces groupes, il y a d’autres groupes,
membres de la même communauté, qui, s’ils sont sensibilisés et se sentent concernés, peuvent
agir : puisqu’ils vivent, eux aussi, dans la même communauté, le même espace ; et que cette
réalité difficile peut aussi devenir la leur. « […] intervenir avec des personnes de tout âge, des
familles, des groupes et des communautés aux prises avec différents problèmes sociaux. Ces
problèmes, liés aux conditions de vie et aux inégalités sociales, se manifestent souvent par la
pauvreté, la perte d’emploi, la violence familiale et conjugale, les difficultés d’adaptation, la
perte d’autonomie, l’isolement, le suicide et la toxicomanie. L’intervention vise à aider ces
personnes, ces familles, ces groupes et ces communautés à répondre adéquatement à leurs
besoins, à promouvoir la défense de leurs droits et à favoriser le changement social » (Cégep de
l’Abitibi-Témiscaminque, 2001 :7). L’intervention sociale n’est pas statique dans le temps. En
effet, comme tout phénomène social et humain, elle obéit aux règles de la dynamique sociale.
Cela ne suppose-t-il pas que les interventions réalisées sont insuffisante par rapport aux besoins
exprimés ? Ou bien est-ce leur modalité de mise en œuvre qui pose problème au Bénin ?
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Références bibliographiques
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ANNEXE :
Annexe 1 : Répertoire des principales stratégies de développement du Bénin Période Stratégie Objectif principal
De 1960 à 1970
Le modèle libéral L’analyse libérale du sous-développement. Selon ce modèle, le sous-développement est considéré comme retard – en partant du principe que le développement se réduit à la croissance économique et doit passer par une succession d’étapes : la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage, le décollage, le progrès vers la maturité et l’ère de la consommation de masse. Dans ce modèle, le sous-développement est l’état des sociétés qui ne seraient pas encore parvenues à l’ère industrielle. Et, pour ce faire, ces pays doivent parvenir à l’urbanisation, l’industrialisation et à l’économie de marché.
De 1970 à 1980
Le modèle de la dépendance ou marxisme
Après la prise du pouvoir par Mathieu Kérékou en 1972, le nom de Dahomey est symboliquement abandonné pour celui de Bénin à partir de 1975, du nom du royaume qui s’était autrefois épanoui au Nigeria voisin. Une nouvelle Constitution, instaurant un régime à parti unique, est promulguée en 1977. La même année, une tentative de coup d’État appuyée par des mercenaires échoue et durcit davantage le régime. L’Etat est placé au cœur des grandes décisions en matière de développement avec l’option de la planification de l’économie et le marxisme.
De 1970 à 1980
Le développement endogène
Pour le développement endogène ou autocentré, il faut que les pays fassent l’effort de développement par eux-mêmes en accumulant leurs propres ressources (agricoles et naturelles), qu’ils utilisent ce surplus pour s’industrialisation et promouvoir leur culture. Cette approche du développement autocentré ou endogène a connu des difficultés dans sa mise en œuvre et qui l’ont menées à l’échec. Parmi ces difficultés, la transformation de la production agricole dans des usines importées pièce par pièce.
De 1989 à 1999
Le néolibéralisme et les Programmes d’ajustement structurel PAS I-II-III
Trois programmes d’ajustement structurels (PAS I, II, et III) furent mis en œuvre au Bénin entre 1989 et 1999 après le crash économique observé à la fin des années 1980. Ces PAS sont des programmes initiés par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International dont la mission était de trois ordres : ouvrir les pays du Sud sur le marché international, privatiser les entreprises de caractère public et libéraliser les prix et, enfin, réduire les dépenses sociales (Cheaka A., 1998) telles que l’éducation, la santé, l’habitation, et les charges du personnel salarié de l’Etat. Dans leur mise en œuvre pratique au Bénin, il s’agissait pour le Fonds Africain de Développement d’accorder trois prêts de 29,5 millions d’unité de compte (UC) qui ont été décaissés entre 1990 et 1996 (Groupe de la Banque Africaine de Développement 2003). Le premier PAS fut mis en place (1989-1991) dans un contexte marqué par un état totalitaire, le deuxième programme (1992-1994) a eu pour principale mission de consolider les acquis du premier programme et de remédier à ses insuffisances. Le troisième PAS (1995-1997) a été adopté dans le contexte de la dévaluation du Franc CFA en janvier 1994 suivie DE la diminution du portefeuille de prêt de la Banque Mondiale.
Avril 1992 Le Programme d’Actions Sociales d’Urgence
Le PASU est destiné aux groupes sociaux vulnérables ou menacés par les diverses actions des PAS. Il a pour objectif d’intégrer au marché du travail d’anciens fonctionnaires "déflatés" sous le PAS et les jeunes diplômés sans emplois et enfin, de réhabiliter les infrastructures sociales.
juin 1994 la Dimension Sociale du Développement
Ce programme complémentaire a fait suite au PASU. Née du courant théorique du Développement Humain Durable, cette stratégie est venue corriger les insuffisances des stratégies antérieures qui ne prenaient pas assez en considération la dimension humaine et sociale du développement (Tingbé-Azalou 2008). Le DSD est fondé sur les principes de la décentralisation, la subsidiarité, la coordination des donneurs de capitaux au Bénin et la hiérarchie des interventions relatives à la pauvreté.
1996 la Déclaration de Politique de Population du Bénin
Le Bénin a adopté le 02 mai 1996 une Déclaration de Politique de Population (DEPOLIPO) visant l’amélioration continue des conditions de vie des populations, structurée autour de 11 axes et comportant 16 objectifs généraux. La DEPOLIPO est le cadre d’orientation du pays en matière de politique de population. C’est un outil qui a permis de vulgariser la politique gouvernementale en matière de population tout en assurant des avancées notables en matière de genre. Les objectifs de la DEPOLIPO sont fondés sur les liens inextricables entre la population, l'environnement et le développement.
1997 le Minimum Social Commun
En s’inspirant des initiatives des autres pays africains en matière de développement communautaire, le Bénin, en 1997, a élaboré le Minimum Social Commun. C’est une stratégie de développement qui fut mise en œuvre lors d’une phase pilote dans différentes municipalités par la création de 100 Unités de Développement Communautaire. Cette intervention était destinée à résoudre les problèmes liés à l’éducation, à l’accès aux soins de santé, à la capacité de générer des revenus et des ressources, à la sécurité alimentaire et à la réhabilitation des routes de campagne.
1998 le Programme de Développement Communautaire
Cette approche de développement à la base s’est assigné comme mission de satisfaire les besoins prioritaires des populations. Il s’agit essentiellement de : l’éducation, la formation, le renforcement des capacités institutionnelles et organisationnelles, la santé, l’hygiène, l’environnement et les infrastructures de développement, l’entrepreneuriat, l’amélioration du cadre institutionnel et législatif des actions communautaires.
1998 le Plan d’Orientation National
Ce plan découle du modèle néolibéral et est essentiellement économique. Adopté en 1998, ce plan avait pour objectif de transformer à moyen et long terme la structure économique du pays à travers son ouverture sur les marchés extérieurs, le renforcement de la concurrence et la lutte contre la pauvreté à travers l’augmentation de la
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croissance économique et celle du revenu par habitant. 2000 Les Etudes
Nationales de Perspective à Long Terme – Bénin 2025 Alafia
Par un exercice de concertation nationale, le Bénin a pu formuler sa vision de développement à long à l’horizon 2025 : « le Bénin est, en 2025, un pays-phare, un pays bien gouverné, uni et de paix, à économie prospère et compétitive, de rayonnement culturel et de bien-être social » (PNUD/ MECCAGPDPE/ Bénin 2000).
2000 La Déclaration du Millénaire – les Objectifs du Millénaire pour le Développement
Cette déclaration définit une vision de développement dans le monde, les Pays en Voie de Développement en particuliers à l’horizon 2015. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement sont une partie de cette Déclaration et sont au nombre de huit (08) objectifs selon les Objectifs du Millénaire pour le Développement.
2002 La Stratégie de Réduction de la Pauvreté 2003-2005
Cette stratégie fut élaborée en 2002 en s’appuyant sur les bonnes pratiques agricoles et la politique nationale en matière de population. Avec le DSRP, le Bénin a pu avoir un point de référence unique pour centrer les diverses politiques nationales et les activités de tous les partenaires au développement en matière de réduction de la pauvreté et d’atteinte des OMD.
2006 La Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté 2007-2009
Ensuite, ce fut l’élaboration du Document de Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté (République du Bénin 2007). Cette nouvelle Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté du Bénin est le fruit d’un exercice participatif qui a associé étroitement, à chacune des étapes, l’Administration publique, les opérateurs économiques et la société civile. Cette stratégie couvre la période allant de 2007 à 2009 et est bâtie autour des axes stratégiques et répartie par secteur et par ministère.
2007 Les Orientations Stratégiques de Développement 2006-2011
Elles présentent les grandes lignes de la vision de développement à moyen terme du Gouvernement : faire du Bénin un pays émergent (PNUD/Bénin 2007) en conciliant les OMD et les objectifs stratégiques du document Bénin 2025 Alafia.
2011 La Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté 2011-2015
C’est la troisième génération des stratégies de réduction de la pauvreté au Bénin. Ce document a été réalisé après une évaluation de la Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté 2007-2009. Son adoption a eu lieu le 16 mars 2011, en Conseil des Ministres au Bénin.
Annexe 2 : Les objectifs stratégiques de la SRP, la SCRP, de la SCRP2 et des OSD SRP SCRP OSD SCRP3
Axe stratégiq
ue 1
Le renforcement du cadre macro-économique à moyen terme : (i) consolidation de la stabilité macro-économique ; (ii) consolidation des sources de la croissance ; (iii) renforcement des infrastructures de base pour des facteurs de production disponibles et à coûts réduits.
Accélération de la croissance : (i) la stabilisation du cadre macroéconomique ; (ii) la dynamisation du secteur privé ; (iii) la diversification de l'économie ; (iv) la promotion de l’intégration régionale.
Reconstruire une Administration au service de l’intérêt général et du développement du secteur privé : (i) la restauration de l’autorité de l’Etat ; (ii) l’accélération des réformes administratives et institutionnelles ; (iii) l’assainissement du système juridique et judiciaire ; (iv) l’accélération de la réforme de l’administration territoriale ; (v) la promotion d’une culture de transparence dans la gestion des affaires.
Accélération durable de la croissance et de la transformation de l’économie : (i) la dynamisation du secteur privé et le développement des entreprises ; (ii) la diversification de l’économie par la promotion de nouvelles filières porteuses pour les exportations ; (iii) la promotion de l’intégration régionale et de l’insertion dans les réseaux mondiaux.
Axe stratégiq
ue 2
Le développement du capital humain et la gestion de l’environnement : (i) éducation ; (ii) alphabétisation ; (iii) santé ; (iv) eau potable ; (v) habitat ; (vi) environnement et assainissement ; (vii) électrification rurale ; (viii) aménagement de pistes de desserte rurales ; (ix) nutrition et sécurité alimentaire.
Développement des infrastructures : (i) les infrastructures de transport ; (ii) l’énergie ; (iii) l’hydraulique et l’assainissement.
Assainir le cadre macroéconomique et maintenir sa stabilité : (i) renforcer la stabilité macroéconomique ; (ii) surveiller l’environnement macroéconomique interne et externe ; (iii) réaliser la transition fiscale et instaurer une fiscalité de développement.
Développement des infrastructures : (i) les infrastructures de transport ; (ii) les infrastructures énergétiques ;(iii) les infrastructures de communication et des technologies de l’information et de la communication ; (iv) les infrastructures hydrauliques et d’assainissement ; (v) le bâtiment et l’urbanisme.
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Axe stratégiq
ue 3
Le renforcement de la gouvernance et des capacités institutionnelles : (i) lutte contre la corruption et renforcement des capacités de gestion et d’absorption des ressources publiques ; (ii) accélération de la réforme administrative ; (iii) accélération de la décentralisation ; (iv) renforcement des systèmes juridique et judiciaire ; (v) consolidation de la démocratie et du dialogue social interne.
Renforcement du capital humain : (i) la promotion d’une éducation de développement ; (ii) le renforcement de la formation professionnelle en adéquation avec les besoins du marché du travail ; (iii) l’amélioration de l’accessibilité et de la qualité des services de santé et de nutrition ; (iv) le renforcement de la protection sociale.
Promouvoir le renouveau économique par la mise en place d’un environnement économique et institutionnel de norme internationale et la diversification de la production, en particulier dans le monde rural : (i) le développement de la production ; (ii) la mise en place d’un environnement des affaires de norme internationale.
Renforcement du capital humain : (i) la maîtrise de la croissance démographique ; (ii) la promotion de l’éducation de développement ; (iii) l’amélioration de l’état sanitaire et nutritionnel de la population ; (iv) la création d’emplois décents ; (v) la réduction des inégalités de genre; (vi) le renforcement de la protection sociale.
Axe stratégiq
ue 4
La promotion de l’emploi durable et le renforcement des capacités des pauvres à participer au processus de décision et de production : (i) promotion du développement communautaire ; (ii) promotion de l’emploi durable et des activités génératrices de revenus ; (iii) protection sociale et promotion du genre ; (iv) développement de la microfinance ; (v) sécurisation des zones vulnérables ; (vi) promotion de pôles de développement.
Promotion de la bonne gouvernance :
(i) l’accélération des réformes administratives ; (ii) le renforcement de l’Etat de droit et des libertés individuelles.
Développer les infrastructures de qualité, nécessaires à l’accroissement des investissements privés :
(i) amélioration des infrastructures de transport ; (ii) amélioration de l’accès à l’eau potable et assainissement ; (iii) renforcement des capacités énergétiques ; (iv) meilleure exploitation des technologies de l’information et de la communication.
Promotion de la qualité de la gouvernance : (i) le renforcement de la qualité de la gestion des finances publiques ; (ii) le renforcement de la gouvernance administrative ; (iii) le renforcement de la gouvernance politique ; (iv) la promotion de la gouvernance statistique ; (v) la promotion de la gouvernance environnementale ; (vi) la promotion de la sécurité et de la paix ; (vii) la promotion des droits humains et le renforcement des capacités juridiques des pauvres.
Axe stratégiq
ue 5
Développement équilibré et durable de l’espace national :
(i) le développement durable des régions et des localités ; (ii) l'émergence des pôles de développement et de croissance ; (iii) l'environnement et le cadre de vie.
Renforcer le capital humain pour améliorer la productivité de l’économie nationale : (i) santé ; (ii) éducation ; (iii) protection des groupes vulnérables et promotion de l’emploi des jeunes.
Développement équilibré et durable de l’espace national : (i) le renforcement du processus de décentralisation et déconcentration ; (ii) la consolidation de l’aménagement du territoire pour une économie régionale et locale dynamique ; (iii) la poursuite de la réforme foncière ; (iv) la promotion des espaces frontaliers ; (v) la gestion de l’environnement et des ressources naturelles et l’amélioration du cadre de vie ; (vi) la gestion des catastrophes et des risques naturels.
Axe stratégiq
ue 6
Assurer un développement équilibré et durable de l’espace national, notamment ledéveloppement à la base : (i) attractivité des espaces ruraux et des villes d’importance moyenne ;
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(ii) consolidation des bases du développement local et régional ; (iii) développement durable ; (iv) espaces frontaliers, sécurité publique et développement.
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Résultats du suivi de la mise en œuvre de la stratégie de croissance pour la réduction de la pauvreté (2007-2009) au Bénin et implication
des organisations de la societe civile
Léchidia Pélagie A. D. de SOUZA Doctorant en thèse unique en sociologie du développement
Université d’Abomey-Calavi
RESUME
Le suivi de la mise en œuvre de la SCRP (2007-2009) a permis de noter que le Bénin a enregistré
sur les trois années un taux de croissance annuel moyen de 4,1%, contre 3,3% pour la période
2003-2005. Toutefois, il demeure en dessous du minimum de 7% requis pour atteindre les
Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Ce suivi est fait, tant par
l’administration publique en collaboration avec les autres acteurs, que par la société civile.
Après un exposé sur le passage des programmes d’ajustement structurel à l’élaboration de la
Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté (SCRP), le présent article analyse les
résultats obtenus du suivi de la mise en œuvre de ladite stratégie ainsi que l’implication de la
société civile à cette démarche.
Concepts clés : Stratégie de croissance – pauvreté – Société civile – développement –
démocratie.
ABSTRACT
The follow-up of the implementation of the SCRP (2007-2009) made it possible for Benin to
record, during three years, over an average growth rate annual of 4,1%, against 3,3% the period
2003-2005. However, it remains below the minimum of 7% necessary to achieve the Goals of
the Millennium for Development (GMD). This follow-up is made, as well by the public
administration in collaboration with the other actors, especially those of the civil society. After
recalling the impact of the structural adjustment program on Strategy Growth Poverty Reduction
(SGPR), this article analyzes the results obtained from the follow-up of the implementation of
the above mentioned strategy as well as the implication of the civil society.
Key words: Growth strategy – poverty – civil Company – development – democracy
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Introduction
Dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique de développement et de réduction de la
pauvreté, le Gouvernement Béninois élabore depuis 2000, une stratégie de réduction de la
pauvreté. La deuxième génération de cette stratégie, initiée sous l’appellation de "Stratégie de
Croissance pour la Réduction de la Pauvreté" a couvert la période 2007-2009.
Pour permettre un meilleur suivi de la mise en œuvre de cette stratégie, il a été retenu une liste
d’indicateurs à partir desquels l’Observatoire du Changement Social (OCS) du ministère en
charge du développement a essayé de mesurer et d’évaluer, chaque année, la performance des
programmes mis en œuvre au cours de la période retenue, en rapportant les niveaux atteints aux
prévisions et aux valeurs de référence. Aussi, a-t-il eu sous la coordination de la Cellule de Suivi
des Programmes Economiques et Financiers (CSPEF) du Ministère de l’Economie et des
Finances, l’élaboration de Rapports d’Avancement (RA) de la mise en œuvre de cette stratégie
ainsi que son évaluation.
Ce processus de suivi intègre une politique de partenariat au profit des OSC ; puisque les actions
de partenariat matérialisent concrètement la participation de toutes les énergies nationales dans le
développement.
1. Note méthodologique
Cette recherche réalisée à Cotonou, est essentiellement qualitative. Deux principales techniques
de collecte des données ont été retenues. La première concerne la revue documentaire. Elle a
permis de faire la synthèse et l’analyse des différents rapports produits dans ce cadre afin d’en
dégager les principaux résultats du suivi de la mise en œuvre de la SCRP. La seconde technique
est la collecte des informations des sources orales. Elle a été réalisée par des entretiens
individuels et de groupes à l’aide des outils tels que le guide d’entretien et le questionnaire.
Quatre groupes d’acteurs ont été interrogés : les responsables des structures s’occupant de la
Stratégie de Réduction de la Pauvreté au niveau étatique, des Organisations de la Société Civile
(OSC), les responsables du ministère s’occupant des questions relatives aux OSC et le secteur
privé. Ce travail s’effectuant sur la base d’une démarche qualitative, il a été procédé à un
échantillon probabiliste qui fait état, à la fin de l’enquête, de 62 acteurs interrogés. Le choix des
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individus identifiés dans chaque catégorie s’est opéré selon la technique de "boule de neige". Il
s'agissait en ce qui concerne chaque catégorie d’acteurs d’identifier l’enquêté suivant en
demandant à quelques informateurs de départ de fournir des noms et les contacts d'individus
pouvant nous fournir des informations. Ces entretiens ont permis de comprendre des différents
acteurs intervenants dans le suivi de la mise en œuvre de la SCRP, ainsi que leur niveau de
participation.
2. Problématique
L’Enquête modulaire intégrée sur les conditions de vie des ménages (EMiCoV 2011) a révélé
que 35,2% des béninois vivent encore en dessous du seuil de pauvreté (monétaire) contre 28% en
2002 (RGPH3). Les catégories sociales les plus touchées par la pauvreté sont : les femmes et les
artisans du monde rural, les agriculteurs sans terre et les habitants des zones enclavées, les
enfants et filles en situation difficile (orphelins, abandonnés, filles-mères, déscolarisées,
domestiques), les jeunes déscolarisés ou sans emploi, les personnes handicapées ou âgées sans
soutien1.
Cette situation constitue une grande préoccupation et interpelle tous les acteurs de
développement. Cependant, l’évaluation2 de la mise en œuvre du DSRP (2003-2005), avant
l’élaboration de la deuxième génération, "Stratégie de Croissance pour la Réduction de la
Pauvreté (SCRP)", a montré, entre autres causes de son insuccès, la faible participation des
citoyens à l’élaboration et à la mise en œuvre de cette stratégie. C’est fort de cela, et aussi pour
répondre aux exigences des institutions ou des accords internationaux que la Société civile a été
impliquée dans l’élaboration de la deuxième génération de la SCRP (2007-2009). Cette dernière
est un document fédérateur des documents de stratégies qui a pris appui sur les documents de
référence tels que les Etudes Nationales de Perspectives à Long Terme, Bénin-2025, Alafia, les
Orientations Stratégiques de Développement (OSD) 2006-2011 du Bénin, les Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD).
���������������������������������������� �������������������1 Commission Nationale pour le Développement et la Lutte contre la Pauvreté, DSRP au Bénin 2003-2005, p.16. 2 Cette évaluation a eu lieu au Centre International de Conférence (CIC) de Cotonou en 2006.
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Par ailleurs, les meilleures stratégies ou politiques de développement élaborées, ne permettront
d’atteindre les objectifs fixés, que si leur mise en œuvre est bien assurée. Autrement dit, les
résultats de ces stratégies sont fonction de l’application qui en est faite. C’est pour cette raison
que chaque année un rapport de suivi de la mise en œuvre de cette stratégie est élaboré. La
nouvelle démarche a permis d’associer l’administration publique, les opérateurs économiques et
la société civile dans ce processus de suivi. Mais toutes les catégories de la société civile n’ont
pu être associées à cette démarche pour diverses raisons. Or, les Organisations de la Société
Civile (OSC) sont censées défendre les intérêts des populations à la base et donc de prendre une
part très active dans le suivi de la mise en œuvre de cette stratégie, pour l’atteinte des objectifs de
réduction de la pauvreté. Car, faut-il le souligner, l’écart entre les résultats attendus de la mise en
œuvre de la SCRP et ceux enregistrés demeure considérable. Au regard de ces constats, il est
nécessaire de procéder au diagnostic du processus de suivi de la mise en œuvre la SCRP et de
s’interroger sur l’implication des OSC dans ce suivi.
3. De l’échec des programmes d'ajustement structurel (PAS) à la SCRP
L'accroissement de la pauvreté est particulièrement sensible en Afrique sub-saharienne et dans
les pays en transition d'Europe et d'Asie centrale. Selon les statistiques de la Banque mondiale,
près de la moitié de la population mondiale vit avec moins de deux dollars par jour, et un
cinquième avec moins d’un dollar par jour, montant considéré, habituellement, comme le seuil
de pauvreté absolue. Dans le cas de l'Afrique sub-saharienne, quarante et sept pour cent (47%) de
la population vivent en dessous de ce dernier seuil.
Cette évolution traduit l'échec des politiques d'ajustement structurel (PAS) ; échec ayant conduit
à la remise en cause du "consensus de Washington" qui les fondait. Après vingt ans d'ajustement
structurel, sous la recommandation des Institutions de Bretton Woods (IBW), aucun succès ne
peut être exhibé. Outre la remise en question des stratégies passées, l'échec des politiques
d'ajustement structurel a une conséquence fâcheuse pour les pays en développement, mais aussi
pour les IBW : la crise de la dette multilatérale. Cette dernière résulte directement de vingt ans de
prêts à moratoire, sans croissance économique. Les institutions financières internationales, et tout
particulièrement la Banque mondiale, se retrouvent en première ligne d'une situation de
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surendettement des pays pauvres, où la composante multilatérale est progressivement devenue
prépondérante.
Face à l'aggravation de la pauvreté dans le monde, à l'échec général des politiques promues par
les IBW et à la crise de la dette qui en résulte, les critiques se sont multipliées à leur égard, avec
une réclamation d’un changement d'orientation. D'un côté, l'opinion publique dans les pays du
nord s'interroge sur l'utilité de continuer à consacrer des efforts financiers aussi conséquents à
l'aide au développement. De l'autre, il s'agit de répondre aux critiques de plus en plus virulentes
de la société civile et des mouvements contestataires, concernant l'action des organisations
internationales. Pour lutter contre ce désenchantement, le thème de la pauvreté est manifestement
porteur, ne serait-ce que dans une optique de solidarité humanitaire.
Pour tenter de rompre avec les pratiques antérieures qui conduisaient à déresponsabiliser les pays
récepteurs de l'aide au développement dans le cadre de l'ajustement structurel, la responsabilité
des pays dans leur propre développement a ensuite été affirmée (déclaration de Monterrey).
Comme l'indique la Banque mondiale, « Une leçon tirée de l'expérience passée est que la
réforme ne réussit généralement pas sans une forte appropriation locale et une approche large,
qui inclut la prise en compte des institutions, la gouvernance et la participation des acteurs »3.
Tirant les enseignements du passé, la nouvelle approche préconise d'établir de nouvelles relations
entre les acteurs, tout en modifiant l'objectif et les modalités d'élaboration des politiques
économiques dans les pays pauvres.
L'évolution de l'aide au développement en faveur de l'aide budgétaire (c'est-à-dire affectée
globalement sans répartition sectorielle), au détriment de l'aide projet traditionnelle, est conforme
à cette approche. Alors que l'aide projet se caractérise par un contrôle strict de l'ensemble de la
chaîne des dépenses, l'aide budgétaire consiste, au contraire, à accorder des financements suivis
seulement d'un contrôle a posteriori et donc, à placer les pays en développement dans le "siège
du conducteur". Cette confiance accrue a, en principe, pour première contrepartie, une plus
grande sélectivité afin d'éviter la dilapidation de l'aide. Autrement dit, il s'agit de réserver en
���������������������������������������� �������������������3 Rapport préparé pour la conférence des Nations Unies sur le financement du développement, organisée à Monterrey début 2002.
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priorité les ressources rares de transferts internationaux là où les conditions de leur efficacité sont
les meilleures, ce qui a aussi pour objectif de répondre aux critiques de plus en plus vives
adressées à l'encontre du manque d'efficacité de l'aide au développement. Une seconde
contrepartie consiste, dans l'impératif, à l'amélioration des dispositifs de suivi/évaluation des
politiques, qui vise d'abord, bien évidemment, à mieux apprécier leur impact, mais aussi, à
mesurer leur efficacité et, par là-même, à vérifier la qualité de l'affectation des financements
extérieurs. La Conférence de Maastricht en juillet 1990 qui a exhorté, avec force, les pays
africains à réaliser des Etudes Nationales de Perspectives à Long Terme (ENPLT, NLTPS en
Anglais), a constitué un tournant décisif dans l’approche de la gestion du développement dans
ces pays. Sa principale conclusion selon laquelle "le développement n’est pas possible, si les
transformations des comportements et des structures socio-démographiques, culturelles et
politiques ne sont pas associées aux mesures purement économiques organisées selon une vision
partagée et inscrite dans le temps"4, a conduit au processus de réalisation des NLTPS (National
long-Term Perspectives Studies) dans les pays africains au sud du Sahara, sous la houlette du
projet régional "Futurs Africains"5.
Par ailleurs, le diagnostic général de la Banque mondiale sur l'échec des stratégies de
développement, et plus particulièrement ses travaux mettant en évidence l'efficacité accrue de
l'aide, lorsqu'elle est dirigée vers des pays bien gérés et engagés dans des réformes (sur lesquels
s'appuient la doctrine de "sélectivité" de l'aide), l'amène à mettre, désormais, plus l'accent sur les
questions de mauvaise gouvernance. Le Rapport de la Banque mondiale sur le développement
2000/2001, consacré à la pauvreté, tendait ainsi, à montrer que les solutions sont à rechercher
dans des réformes des modes de gouvernance et de gestion des politiques des pays concernés.
Or, la Banque mondiale, comme les autres institutions financières multilatérales, ne peut
accorder statutairement de ressources qu'aux Etats. La Banque mondiale se trouve donc devant
une difficulté particulière : lutter contre la pauvreté des citoyens, dont la responsabilité incombe
essentiellement à leurs gouvernants, tout en ayant le droit de n'accorder des ressources qu'à ces
���������������������������������������� �������������������4 MECCAG-PDPE/PNUD, Etudes Nationales de Perspectives à Long Terme, Bénin 2025 : Alafia,PRCIG/NLTPS/BEN 96/001, août 2000, p.1. 5 "Futurs Africains" : Projet Régional mis en place par le PNUD en février 1992 à Abidjan pour soutenir les pays africains au sud du sahara dans la réalisation des études de perspectives à long terme.
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derniers. Pour y remédier, il s'agissait donc à la fois, de préparer un nouveau cadre conceptuel de
développement, un nouvel instrument contractuel de partenariat et un nouvel outil financier.
Le Comprehensive Development Framework (CDF), vaste plan de développement multi-acteurs
présenté sous forme de matrice, s'est imposé pendant une courte période, comme le nouvel
instrument de travail de la Banque mondiale avec les pays pauvres. Presque dans le même temps,
les services de la Banque Mondiale ont développé également et présenté, en septembre 1999,
l'idée d'un cadre stratégique de partenariat centré sur la lutte contre la pauvreté. C'est finalement
cet instrument, le "Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP) ", qui s'imposera
comme le successeur de la Politique de l'Ajustement Structurel. Il est devenu le cadre de
référence principal pour la mobilisation des ressources et la réalisation des programmes publics
de lutte contre la pauvreté, dans plusieurs pays en voie de développement, dont le Bénin. La
pauvreté y demeure un sujet de grandes préoccupations.
En effet, en milieu rural, le Seuil de Pauvreté Global (SPG) qui était établi à 42.075 FCFA par an
par tête en 1994-1995 est passé en 1999/2000 à 51.413 FCFA, soit un accroissement de 22 %.
Sur la base de ces seuils, l'incidence de la pauvreté6 est passée de 25,2 % en 1994-1995 à 33 %
en 1999-2000. En milieu urbain, le SPG est, au cours de la même période, passé de 48.629 FCFA
à 91.705 FCFA, soit un accroissement de 88 %. Cette forte évolution est imputable à
l'importance et aux coûts des besoins non alimentaires (éducation, santé, logement). Malgré le
relèvement de ce seuil, l’incidence de la pauvreté est passée de 28,5 % en 1996 à 23,3 % en
1999. Du point de vue du genre, la proportion des hommes pauvres est supérieure à celles des
femmes pauvres, ces dernières ont une pauvreté plus sévère que celle des hommes. Au-delà des
aspects monétaires de la pauvreté, l’Indice de Pauvreté Humaine pour le Bénin est passé de 50,9
% en 1997 à 45,8 % en 1999. Cette évolution quoique positive demeure insuffisante car, près de
la moitié de la population béninoise continue ainsi de souffrir de pauvreté non monétaire7.
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6 C’est-à-dire que la proportion des individus dont la dépense moyenne est inférieure à ces seuils. 7 Cf. DSRP (2003-2005), Cotonou, décembre 2002, pp 10-13.
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C’est dans ce contexte et suite à l’échec des programmes d'ajustement structurel (PAS), qu’après
la Stratégie de Réduction de la Pauvreté (SRP) intérimaire de l’année 2000, le Bénin a élaboré la
première génération de la SRP pour la période 2003-2005, appelé Document de Stratégie de
Réduction de la Pauvreté (DSRP), puis la deuxième génération, la Stratégie de Croissance pour
la Réduction de la Pauvreté (SCRP) 2007-2009 dont le cadre stratégique a résulté des NLTPS
Bénin-2025, Alafia. La mise en œuvre de ce document est suivie et évaluée.
4. Mécanisme participatif de suivi de la mise en œuvre de la SCRP
Au niveau de l’administration publique, 28 enquêtés sur 32 ont déclaré que le Gouvernement
organise le suivi de l’exécution de la SCRP, soit 87,5%. Pour certains, le suivi se fait par
l’Observatoire du Changement Social (OCS) et la CSPEF, à travers les évaluations alternatives
aussi bien au niveau local que central, en passant par le niveau sectoriel. 24 enquêtés sur 32 (soit
75%) ont affirmé que les OSC participent au suivi de la mise en œuvre de la SCRP. Selon ceux-
ci, cette participation se fait parce que les OSC représentent la couche sociale la plus importante.
De même pour la plupart, cette participation se réalise par le fait pour le Gouvernement
d’associer les OSC dans les différents groupes thématiques à travers lesquelles le travail de suivi
et d’évaluation de la SCRP se fait.
De nos entretiens avec les OSC, il ressort que ces dernières participent au suivi de la mise en
œuvre de la SCRP (16/26, soit 61,5%). Elles y participent pour une meilleure efficacité dans la
réduction de la pauvreté, dans le but que les objectifs fixés soient atteints. Quant au secteur privé,
selon nos enquêtes, aucune structure privée ne participe réellement au suivi de la mise en œuvre
des SRP.
La réalité est que, dans le cas spécifique de l’élaboration des rapports d’avancement des SRP,
lorsque le secteur privé et les OSC sont invités, pour apporter leur contribution, ils ne sont
généralement présents qu’aux séances de prise de contact et d’élaboration du calendrier de
déroulement du travail à accomplir. Alors que ce qui est nécessaire, c’est la participation de tous
les acteurs de développement.
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En outre, la structure de coordination de ces activités, la CSPEF, fait des descentes au niveau
communal, pour présenter le travail fait et à cette occasion, elle recueille les observations des
populations pour l’amélioration du rapport. Cette version du rapport connaît une validation
nationale à laquelle tous les acteurs, au niveau national, sont invités pour son examen. C’est à
cette occasion que les OSC qui n’ont pas pu véritablement participer à l’élaboration du rapport,
apporte leurs contributions sur les informations qu’il contient.
5. Résultats du suivi de la mise en œuvre de la SCRP
5.1 Rapport de suivi des indicateurs de la SCRP
L’Observatoire du Changement Social (OCS) a initié depuis la première génération de la SRP,
(DSRP) l’élaboration et la diffusion d’un rapport annuel sur le Suivi des Indicateurs de la
stratégie. C’est un rapport qui vise à éclairer les populations, les autorités administratives et les
partenaires au développement, aussi bien nationaux qu’internationaux, sur les efforts accomplis
dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie de Réduction de la Pauvreté.
Le rapport 2006 a été consacré à la présentation de la liste des indicateurs de suivi-évaluation de
la SCRP. C’est un rapport qui sert de document de référence pour le suivi-évaluation des
performances des programmes et des acteurs au cours des trois années de la mise en œuvre de la
SCRP. Pour permettre une bonne appréciation des performances, la valeur de référence de
chaque indicateur, de même que les valeurs cibles pour les années 2007, 2008 et 2009 sont
présentées dans la mesure du possible.
L’examen de l’évolution de chacun des indicateurs de suivi de la mise en œuvre du Programme
d’Action Prioritaire (PAP) de la SCRP, se fera suivant les cinq axes stratégiques retenus dans la
SCRP, à savoir : l’accélération de la croissance ; le développement des infrastructures ; le
renforcement du capital humain ; la promotion de la bonne gouvernance ; le développement
équilibré et durable de l’espace national.
L’année 2007 étant la première année de mise en œuvre de la SCRP et du PAP, le rapport 2007
du document de suivi des indicateurs de la SCRP a été consacré à l’évaluation du niveau atteint
en 2007 par les différents indicateurs et à l’analyse des écarts, par rapport aux valeurs cibles
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retenues par les différents acteurs. Le document renseigne sur la situation atteinte et les valeurs
cibles de tous les indicateurs, aussi bien pour le suivi - évaluation sectoriel des programmes, que
pour la stratégie globale de croissance et de réduction de la pauvreté. Les priorités, en matière de
suivi évaluation de la mise en œuvre de la SCRP, dérivent des résultats attendus des différents
programmes retenus au niveau des divers domaines prioritaires des axes stratégiques.
Le rapport de suivi des indicateurs de l’année 2008 est rendu disponible par l’OCS en mai 2009.
En effet, l’objectif principal visé est d’informer les divers acteurs nationaux et internationaux sur
le niveau atteint en 2008 par les différents indicateurs dans la mise en œuvre de la SCRP et du
PAP. De façon spécifique, le rapport renseigne les indicateurs de suivi des cinq axes stratégiques
de la SCRP 2007-2009 retenus par les différents ministères sectoriels. Il analyse également les
causes probables de l’évolution de ces indicateurs et formule des recommandations pour
améliorer davantage les performances nationales.
Les résultats publiés dans l’édition 2010 du Document de Suivi des Indicateurs de la SCRP
2007-2009 permettent non seulement de rapporter les niveaux atteints par les indicateurs aux
cibles prévues pour 2009, mais aussi d’apprécier globalement sur la période 2007-2009, la
performance des différents secteurs dans le cadre de la mise en œuvre du Programme d’Action
Prioritaire (PAP).
Il est donc à noter qu’en 2009, la situation ne s’est guère améliorée. L’accélération de la
croissance qui est l’objectif principal de la SCRP a elle aussi enregistré des contre-performances
par rapport aux deux années précédentes. En effet, bien que la tendance à la hausse du taux
d’inflation enregistrée en 2008 se soit corrigée, l’activité économique a été marquée par une
baisse d’environ 50% du taux de la croissance par rapport à l’année 2008 en s’établissant à 2,7 %
en 2009, enregistrant ainsi son niveau le plus bas depuis huit ans. Le déficit global en
pourcentage du PIB s’est considérablement creusé en passant de -1,4 en 2007 à -3,5% en 2008
pour s’établir à -7,1% en 2009. La masse salariale en pourcentage des recettes fiscales s’est
établie à 45,1% en 2009 contre 35,6% en 2008 et 39,2% en 2007. Ainsi, en 2009 le niveau de ce
ratio dépasse de 10,1 point la norme communautaire fixée dans le cadre de la surveillance
multilatérale entre les huit (8) Etats membres de l’UEMOA. Cependant, il faut noter que dans le
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secteur agricole, certains indicateurs sont en progression par rapport à l’année 2008, il s’agit de
l’accroissement relatif du taux de couverture des besoins alimentaires et nutritionnels, et du taux
de satisfaction des besoins en formation des acteurs du secteur agricole. A cet effet, il est
nécessaire d’accélérer et de soutenir le rythme des efforts dans ce secteur, notamment en mettant
un accent particulier sur la sécurisation et la protection des espaces agricoles.
Au niveau de l’axe du développement des infrastructures, beaucoup d’efforts ont été déployés
par le Gouvernement Béninois de 2007 à 2009, appuyé par les PTF, pour une atteinte des
objectifs en termes : (i) d'aménagement, de réhabilitation, de bitumage des grands axes routiers
des localités du pays (ii) la construction d’ouvrages spécifiques notamment les passages
dénivelés de HOUEYIHO et de STEINMMETZ, l’échangeur de GODOMEY (iii)
d’augmentation de la capacité d’accueil de l’aéroport de Cotonou et de démarrage des travaux de
construction d’un aéroport de classe internationale à TOUROU (iv) d’amélioration des
indicateurs de desserte en eau potable. Pour ce qui concerne l’habitat et la construction, on peut
noter, de 2006 à 2009, la construction de 500 logements économiques, 40 logements sociaux,
115 villas de standing présidentiel. De même, des améliorations ont été notées dans le secteur de
l’énergie et de l’eau. Les valeurs des différents indicateurs sont globalement restées en
progression de 2008 à 2009, de même que sur toute la période de mise en œuvre de la SCRP
(2007-2009).
Pour les secteurs de la santé et de l’éducation, les résultats obtenus sont mitigés. En 2009, les
progrès enregistrés sont faibles comparativement à l’élan de l’évolution des indicateurs au cours
des deux dernières années. Il faut noter cependant que les indicateurs de suivi du sous-secteur de
l’enseignement primaire, même s’ils n’ont pas tous atteint les valeurs cibles, ont connu une
avancée appréciable. Des efforts restent donc à fournir pour atteindre les objectifs de
renforcement du capital humain.
Au niveau de la promotion de la bonne gouvernance, du développement équilibré et durable de
l’espace national, des améliorations ont été enregistrées en ce qui concerne la durée moyenne des
procès civile, de la durée moyenne des détentions préventives, du ratio habitants/magistrats. Le
taux d’occupation des prisons et la distance moyenne à la première juridiction sont restés stables.
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Le taux d’utilisation des ordres de paiement s’est établi à 4,29% enregistrant ainsi une baisse de
plus de 10 points par rapport à 2008. En ce qui concerne le taux d’utilisation des régies d’avance,
il a régulièrement progressé, traduisant un recours de plus en plus fréquent à l’utilisation des
régies d’avance au cours de la période 2007-2009. En effet le taux d’utilisation des régies
d’avance, qui était à 15,97% en 2007 est passé à 20,22% en 2008 pour s’établir à 21,11%. Des
mesures visant à suivre de manière rigoureuse et à limiter l’utilisation de cette procédure doivent
donc être envisagées pour une meilleure gestion des finances publiques. Le délai moyen de
paiement des dépenses publiques, après une nette amélioration de plus de 12 jours de 2006 à
2007, s’est allongé de 5,5 jours en 2008 et de 3,9 jours en 2009. Quant au délai moyen de
passation des marchés publics, la situation s’est globalement améliorée de 2007 à 2009 avec des
réductions de délais.
5.2 Rapports d’avancement de la SCRP
Depuis la première génération de la Stratégie de réduction pour la pauvreté (DSRP : 2003-2005),
chaque année, il est élaboré un Rapport d’Avancement (RA) sous la coordination de la Cellule de
Suivi des Programmes Economiques et Financiers (CSPEF) du Ministère de l’Economie et des
Finances. Le rapport s’inspire de deux principales sources : (i) les rapports de différents Groupes
Thématiques de Rédaction (GTR) et (ii) les informations collectées à travers des documents de
référence tels que le Budget Général de l’Etat, le Budget-Programme, les Projets et Programmes
sectoriels, les rapports de performance, les documents-cadres d’intervention de certains
partenaires au développement, etc.
Dans le cadre du suivi de la mise en œuvre du DSRP 2003-2005, il a été élaboré deux rapports
d’avancement et un rapport d’évaluation à la fin du processus de mise en œuvre. Ces différents
rapports ont permis de relever les insuffisances relatives, tant au contenu du document, qu’au
dispositif mis sur pied pour sa mise en œuvre et pour son suivi-évaluation.
Ainsi, la SCRP tente de consolider les acquis du DSRP et de corriger ses contre-performances en
incluant, outre les étapes habituelles de consultations techniques, administratives et sociales, de
nouvelles phases d’élaboration telles que : l’élaboration des Orientations Stratégiques de
Développement (OSD), la réalisation d’une Enquête Modulaire Intégrée sur les Conditions de
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ménages (EMICOV). Avec la deuxième génération de la SCRP (2007-2009), le RA est basé sur
les indicateurs retenus pour le suivi du Plan d’Actions Prioritaires (PAP) de la SCRP. Tout
comme pour le DSRP, dans le cadre du suivi de la mise en œuvre de la SCRP, il y a eu deux RA
et un rapport d’évaluation.
Nous mettrons particulièrement l’accent sur le RA 2009 de cette deuxième génération de la
SCRP pour la simple raison que c’est le dernier RA de cette stratégie. Le RA 2009 présente
l’état d’avancement de la mise en œuvre de la SCRP et en conséquence du Programme d’Action
Prioritaire (PAP) suivant les cinq axes stratégiques retenus par le Gouvernement.
La mesure de la pauvreté la plus récente se rapporte à l’année 2009. Elle montre que : (i) la
pauvreté monétaire8 touche 35,2% de la population contre 33,3% en 2007 soit une augmentation
de 2 points de pourcentage. Sur la période 2007-2009, la pauvreté monétaire s’est aggravée quel
que soit l’indice considéré. L’incidence s’est accrue de 1,9 point de pourcentage; l’écart de
pauvreté qui représentait 28,5% du seuil de pauvreté en 2007 est passé à 29,7% en 2009 ; en
outre l’indice de sévérité mesurant l’inégalité parmi les pauvres est en hausse passant de 0,040 en
2007 à 0,046 en 2009 (INSAE, EMiCoV-Suivi 2010).
Au niveau du milieu de résidence, la tendance à la hausse est maintenue pour l’incidence de
pauvreté et l’indice de profondeur de la pauvreté. Toutefois, le milieu urbain contraste avec le
milieu rural lorsqu’on considère l’écart de pauvreté et l’indice de sévérité. Avec ces deux
indicateurs, à l’aggravation de la pauvreté en milieu rural s’oppose le recul observé en milieu
urbain. Ceci implique que l’aggravation de la pauvreté au niveau national quel que soit l’indice
utilisé est tirée par la dynamique du phénomène en milieu rural.
���������������������������������������� �������������������8 Le seuil de pauvreté monétaire est la dépense minimale nécessaire à un ménage pour satisfaire les besoins alimentaires et non alimentaires de base. Dans les pays en développement, il est déterminé par la valorisation d’un panier de biens permettant de satisfaire les besoins calorifiques et la structure de consommation disponible. On parle de la pauvreté absolue (1dollar par jour par exemple). Dans les pays développés, le seuil de pauvreté représente une fraction de la moyenne ou de la médiane des dépenses par tête. On parle de la pauvreté relative.
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Toutefois, un tiers des béninois continue de vivre en dessous du minimum vital ; (i) la pauvreté
non monétaire touche 30,8% en 2009 contre 39,7% en 2007 ; (ii) la pauvreté en termes de
conditions de vie touche plus le milieu rural (35%) que le milieu urbain (23%) et (iii) excepté la
pauvreté en terme de conditions de vie, les autres formes de pauvreté sont plus dominantes en
milieu rural.
S’agissant du développement des infrastructures, les principales actions ont concerné les
infrastructures de transport, les infrastructures énergétiques et les infrastructures hydrauliques et
d’assainissement. Concernant le réseau routier, l’indice d’état du réseau routier s’est inscrit en
hausse à 76 en 2009 contre 62 précédemment. Il est toutefois demeuré inferieur à la cible de 81
prévue pour 2009, en raison de l’insuffisance du rythme d’entretien périodique du réseau. Pour
ce qui est de la couverture électrique, le taux national d’électrification est ressorti à 37,0% en
2009 contre 33,7% en 2008. Le taux d’électrification rurale, pour sa part, s’est situe à 3,1% en
2009 contre 2,49% en 2008.
Pour les infrastructures hydrauliques et d’assainissement, les principales réalisations font
apparaitre un taux de desserte en eau potable en milieu rural et semi-urbain de 55,1 % en 2009
contre 49,9% en 2008. En milieu urbain, ce taux est de 56,8% en 2009 contre 53,8% en 2008.
Ces efforts méritent d’être poursuivis et renforcés en vue d’atteindre l’objectif de 67,3% de la
population ayant accès à l’eau potable à l’horizon 2015.
En ce qui concerne le renforcement du capital humain, les actions entreprises en 2009 par le
Gouvernement dans les secteurs de l’éducation et de la santé avec l’appui des Partenaires
Techniques et Financiers ont contribué à une amélioration des indicateurs et donc des
performances de l’axe. Au nombre de ces actions, on peut citer : i) la poursuite de la mesure de
gratuité de l’enseignement maternel et primaire, les mesures spécifiques en faveur des autres
ordres de l’éducation et ii) la gratuité de la césarienne dans le secteur de la santé.
Au niveau de l’enseignement maternel, de 4,5% en 2007, le taux brut de préscolarisation est
passé à 8,04% en 2009. Du côté de l’enseignement primaire, les cibles en termes d’accès et de
couverture ont été atteintes, le taux brut de scolarisation passant de 104% en 2008 à 109% en
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2009, pour une valeur cible de 105%. De même, les objectifs du taux d’admission ont été
régulièrement atteints tant pour l’effectif global (140% en 2009 pour une cible de 119%) que
pour les filles (138% en 2009 pour une cible de 115%). Le ratio élèves/maitre s’est cependant
dégradé de 47,4 à 48,3 de 2008 à 2009, en raison du rythme d’accroissement des effectifs.
S’agissant de l’enseignement secondaire et de la formation technique et professionnelle, les taux
de transition CM2-Sixième et Troisième-Seconde se sont établis respectivement a 78,8% et
43,0%, en progression par a leur cibles (75,0% et 40,0%). De même, le nombre d’appelants en
dernière année de formation Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) est passé de 600
en 2008 à 1469 en 2009, pour une cible de 1.521 personnes. Pour l’enseignement supérieur, il a
été noté une progression des effectifs du public de 46.671 à 60.642 entre 2008 et 2009. En liaison
avec cet accroissement, le ratio étudiants/enseignant s’est dégradé, passant de 51 en 2008 à 65 en
2009. Toutefois, le pourcentage d’enseignants de rang A a progressé, passant de 17,2% à 18,6%
pour une cible fixée à 18,0%.
S’agissant du secteur de la santé, les indicateurs, bien qu’en progression, n’ont dans l’ensemble
pas atteint les cibles fixées. Le taux de fréquentation des services de santé est passé de 45,1% en
2008 à 46,3% en 2009 ; le nombre de zones sanitaires fonctionnelles est demeuré inchangé à 26
en 2009 ; le taux de prévalence au VIH/SIDA pour les femmes enceintes, ressorti stable à 1,8%
en 2009 ; le pourcentage d’enfants de moins de cinq ans dormant sous moustiquaires imprégnées
a progressé de 56% en 2008 à 56,3% en 2009 ; etc. Par contre, le taux d’accouchements assistés
par du personnel médical ou paramédical s’est inscrit en recul à 77,7% en 2009 contre 82,0% en
2008. Toutefois, les nouvelles actions entreprises par le Gouvernement, notamment la gratuite de
la césarienne en 2009, devraient améliorer les résultats au niveau de la sante maternelle et
néonatale.
Au niveau du renforcement de la bonne gouvernance, les actions ont visé l’accélération des
reformes administratives et le renforcement de l’Etat de droit. Au niveau de l’accélération de la
reforme administrative, le taux d’utilisation des Ordres de Paiement (OP), principal indicateur en
matière de la gouvernance financière, a fortement régressé a 4,98% en 2009 contre 12,30 % en
2008. Ce niveau de 4,98% atteint en 2009 est largement inferieur à la cible (8,0%) et provient de
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la décision du Gouvernement de limiter, au strict minimum, le recours aux OP. Le délai moyen
de passation des marchés publics a été en 2009 de 92 jours pour les travaux, 54 jours pour les
fournitures et 62 jours pour les services, marquant une amélioration globale par rapport aux
années antérieures. Concernant le taux d’utilisation des régies d’avances, il s’est établi à 21,11%
en 2009 contre 20,22% en 2008. En outre, il convient de relever la persistance de la faiblesse du
taux d’exécution du budget. En 2009, le taux d’exécution base engagement du budget
d’investissement sur ressources intérieures s’est élevé à 50,08%.
Au niveau du renforcement de l’Etat de droit, les indicateurs de suivi ont affiché des résultats
mitigés. Le taux de dossiers réglés est passé de 31% en 2008 à 28,2% en 2009 ; la durée
moyenne des procès civile est ressortie à 6,66 mois contre 7,67 mois en 2008 ; la durée moyenne
des procès en correctionnel est passée de 8,91 mois à 9,20 mois ; le taux d’occupation des
prisons est passé de 204% en 2008 à 205% en 2009. Au titre du développement équilibré et
durable de l’espace national, les indicateurs suggèrent que les objectifs fixes ont été atteints en
2009.
Au niveau du développement des régions et des localités, le nombre de territoires de
développement constitués est passé de 6 en 2008 à 10 en 2009. Les transferts aux collectivités
locales ont fortement augmente entre 2008 et 2009, passant de 1,9% du Budget General de l’Etat
en 2008 a 3,7% en 2009, grâce au lancement du FADeC (Fonds d’Appui au Développement des
Communes). De même, la part des dépenses d’investissement dans les dépenses totales des
communes est passée de 33,4% en 2008 à 45,6% en 2009. Le rapport des dépenses des
collectivités territoriales dans le total des dépenses du Budget General de l’Etat s’est établi à
8,8% en 2009 contre 5,3% en 2008.
Pour ce qui est de l'environnement et de la gestion des ressources naturelles, le nombre de forêts
ayant bénéficié de plans d’aménagements participatifs s’est établi à 7 en 2009 contre 5 en 2008.
Les superficies reboisées dans le cadre de la gestion des ressources naturelles sont passées de
3.814,86 ha à 7.180,98 ha de 2008 à 2009.
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5.3 Evaluation de la SCRP
L’évaluation de la SCRP est basée sur l’analyse des six critères ci-après : (i) pertinence de
l’action évaluée ; (ii) cohérence entre les éléments constitutifs de l’action évaluée ; (iii)
effectivité des actions conduites ; (iv) efficacité de l’action ; (v) efficience de l’action et (vi)
viabilité. A l’issue de l’évaluation, les constats effectués se résument comme suit :
• faible implication du parlement et des autres institutions de la république au processus ;
• faible implication du secteur privé ;
• faible lien entre la SCRP, PAP et Budget annuel de l’Etat ;
• inexistence de stratégies sectorielles à tous les niveaux ;
• manque de cohérence entre les stratégies sectorielles et la vision de long terme ;
• faible fonctionnement des groupes thématiques sectoriels ;
• absence des variables liées au marché du travail, aux chocs et aux actifs financiers ;
• juxtaposition de programmes sectoriels entrainant une faible synergie, ce qui ne facilite
pas la prise en charge des aspects transversaux (Emploi, Environnement, genre, etc.) ;
• inexistence de cadre logique (axé sur les résultats) pour le PAP ;
• pour l’analyse de la pauvreté (i) approfondir davantage la dimension non monétaire, en
distinguant la pauvreté d’existence et la pauvreté en termes de patrimoine. De même, le
noyau dur de la pauvreté n’est pas mis en évidence ; (ii) prendre en compte le secteur
d’activité des ménages pauvres et vulnérables afin d’élaborer une stratégie sectorielle
pro-pauvre ;
• faible prise en compte de la GAR dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi du
PAP ;
• l’échéance de trois ans paraît très courte pour l’atteinte des résultats annoncés.
Ces nombreuses faiblesses relevées sont à prendre en compte pour un meilleur suivi de la
mise en œuvre de la prochaine génération de la SCRP.
5.4 Rapports alternatifs des organisations de la société civile (OSC)
Au total cinq rapports ont été élaborés, de 2005 à 2009, par les OSC sous la coordination de
Social Watch Bénin, en vue d’analyser le progrès réalisé sur la mise en œuvre des Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD) et la mise en œuvre de la stratégie de réduction de la
pauvreté. Ils ont porté respectivement sur les thèmes ci-après :
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1. Participation de la Société Civile à la revue du Sommet du millénaire au Bénin.
2. Promotion de la croissance économique soutenue et développement du secteur agricole.
3. Communes, Secteur privé, Société Civile, pour un engagement en faveur des OMD au
Bénin.
4. Bonne gouvernance, Recherches scientifiques et innovations endogènes pour la
réalisation des OMD au Bénin.
5. D’abord les gens.
"Eliminer l’extrême pauvreté et la faim", est le premier des Objectifs du millénaire pour le
développement (OMD). Le quatrième rapport indique que généralement au Bénin, la lutte contre
la pauvreté est un leitmotiv dans les discours et programmes de développement. Mais en réalité,
la situation de la pauvreté s’est fortement aggravée, si l’on se réfère aux récentes évaluations et
enquêtes. La cible 1 précise qu’il faut réduire de 50%, la proportion de la population vivant en
dessous du seuil de pauvreté, en faisant passer l’indice de pauvreté à 15%, d’ici à 2015.
Aujourd’hui, il existe un écart entre le niveau actuel de l’indicateur et cet objectif visé d’ici à
2015. Alors que l’incidence de la pauvreté monétaire s’est considérablement aggravée, le niveau
de pauvreté humaine s’est nettement amélioré. Selon le 4ème rapport alternatif des organisations
de la société civile, la réduction de l’extrême pauvreté n’est porteuse de répercussions positives
sur la vie des populations que si elle est soutenue par une croissance durable. Des trois secteurs
d’activités au Bénin, seul le secteur tertiaire contribue pour près de la moitié au Produit intérieur
brut (PIB). En matière de réduction de l’extrême pauvreté et s’agissant de la SRP, le Bénin doit
revoir ses politiques en ce qui concerne le développement du secteur privé, la stabilité de
l’administration publique, la réorientation des objectifs du secteur bancaire commercial, et le
développement des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires. La dynamisation du
secteur privé au Bénin demeure toujours timide, en rapport avec la lenteur dans la mise en œuvre
des réformes structurelles mentionnées plus haut. L’une des contraintes majeures demeure le
coût élevé de l’énergie, notamment électrique.
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6. Analyse des résultats du suivi de la mise en œuvre de la SCRP
De façon globale, les différents rapports élaborés fournissent assez d’informations permettant de
mesurer l'efficacité des programmes de réduction de la pauvreté au Bénin. L’objectif principal
visé par l’élaboration du document de suivi des indicateurs de la SCRP par l’OCS est d’informer
l’opinion publique et les décideurs à divers niveaux, sur le niveau atteint en 2009 par les
différents indicateurs de la Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté et du
Programme d’Actions Prioritaires après trois années de mise en œuvre.
De façon spécifique, le document renseigne sur les indicateurs de suivi des cinq axes stratégiques
de la SCRP 2007–2009 retenus par les différents ministères sectoriels. Il analyse aussi les causes
probables de l’évolution de ces indicateurs et formule des recommandations pour améliorer les
performances nationales. Son élaboration suit une démarche participative.
Par ailleurs, le rapport d’avancement est le document fédérateur de l’ensemble du dispositif de
suivi de l’exécution de la SCRP. En effet, l’engagement des Partenaires Techniques et Financiers
(PTF) à soutenir le Gouvernement béninois dans la mise en œuvre de sa Stratégie de Croissance
pour la Réduction de la Pauvreté (SCRP) est, entre autre, conditionné par un compte rendu
annuel sur la mise en œuvre de la stratégie. Cet accord de compte rendu est principalement
symbolisé par l’élaboration d’un Rapport d’avancement chaque année. Ce dernier traduit la mise
en œuvre et le niveau d’exécution des actions prévues dans la SCRP pour l’année écoulée. A ce
titre le rapport d’avancement donne une vue analytique des progrès réalisés au cours d’une
année, en ce qui concerne les principaux indicateurs de suivi. Il procède d’une approche
participative qui tient compte des critiques des acteurs à divers niveaux, pour la consolidation
des acquis et la définition de nouvelles perspectives d’amélioration des prochaines générations
de document de stratégies.
Cependant, lorsqu’on parcourt le contenu du Rapport d’avancement de la SCRP et du document
du suivi des indicateurs de la SCRP, nous observons que les résultats de suivi sont présentés
suivants les mêmes axes qui sont ceux de la SCRP et les analyses sont pratiquement les mêmes.
A notre avis, le Document de suivi des indicateurs élaboré par l’Observatoire du Changement
Social devrait juste contenir les différents indicateurs de suivi de la SCRP bien renseignés, qui
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devraient servir de base pour les analyses dans le cadre de l’élaboration du rapport d’avancement
de la SCRP coordonné par la CSPEF. Ce faisant, les efforts seraient mieux concentrés sur un seul
rapport fédérateur et mieux vulgarisé, afin que toute la population soit suffisamment informée
des résultats obtenus par ces mesures de l’efficacité des projets/programmes mise en œuvre dans
le cadre de la réduction de la pauvreté au Bénin.
En outre, en plus de participer à l’élaboration des RA, les OSC s’intéressent au progrès réalisés
dans la mise en œuvre des SRP par la mise à disposition des Rapports alternatifs. C’est la preuve
qu’elles ont compris le rôle combien cruciale qu’elles doivent jouer dans le processus de
développement en général, et celui de la lutte contre la pauvreté en particulier. Ces rapports
alternatifs ne suivent pas la même démarche méthodologique que les deux premiers rapports.
Une thématique précise est choisie et développée chaque année pour faire le bilan du progrès
réalisé en matière de réduction de la pauvreté et pour l’atteinte des OMD.
En ce qui concerne l’évaluation faite à la fin de mise en œuvre d’une génération de la SCRP
avant l’élaboration d’une nouvelle génération, elle est une bonne démarche permettant de relever
les insuffisances dans l’élaboration et la mise en œuvre de la génération à terme afin qu’elles
soient suffisamment prises en compte dans le but d’éviter la reproduction des mêmes erreurs.
Ceci contribuerait pour l’atteinte plus efficace des objectifs de développement pour le mieux-être
de la population.
En termes de résultats obtenus, dans l’ensemble, on note une amélioration des indicateurs de
suivi de la SCRP en 2009, malgré les répercussions de la crise économique et financière.
Cependant, des efforts restent à faire pour l’atteinte de l’ensemble des objectifs visés. Il s’agit en
particulier de renforcer les actions pour l’amélioration du climat des affaires et la gouvernance ;
la diversification de l’économie ; l’amélioration de l’entretien routier et l’aménagement des
pistes rurales ; l’assainissement du secteur de l’électricité ; l’efficacité interne du système
éducatif ; l’amélioration de la gouvernance dans le domaine sanitaire ; la mise en œuvre efficace
des projets et programmes dans les secteurs prioritaires, notamment le relèvement des taux
d’exécution du budget.
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Nous voudrions mettre l’accent particulièrement sur l’accélération de la croissance afin de faire
ressortir l’évolution du taux de croissance du PIB de 2001 à 2009. Le graphique ci-après nous en
donne une idée claire.
Graphique 1 : Evolution du taux de croissance du PIB de 2001 à 2009
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L’activité économique au Bénin a continué de se renforcer en 2008, en dépit des effets négatifs
des chocs résultant de la flambée des prix des denrées alimentaires et des produits énergétiques
et de la crise économique mondiale. La croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) réel a atteint 5
% - niveau le plus élevé depuis 2001 - grâce à la bonne tenue de la production agricole, du BTP
et du commerce. Mais avec l’aggravation de ces différentes crises, ce taux est passé à 2,7% en
2009. C’est la preuve nous sommes retournés à la situation observée de 2001 à 2005, où, le taux
de croissance est passé progressivement de 6,2% en 2001 à 2,9 en 2005. Des défis majeurs
subsistent donc et nécessitent davantage d’efforts pour atteindre l’ensemble des objectifs visés. Il
s’agit, entre autres, de l’amélioration du climat des affaires, la diversification de l’économie,
l’amélioration de l’entretien routier et l’aménagement des pistes rurales, l’assainissement du
secteur de l’électricité, l’amélioration de l’efficacité interne du système éducatif, l’amélioration
de la gouvernance dans le domaine sanitaire, l’amélioration de la qualité et du taux d’exécution
des dépenses publiques en particulier dans les secteurs prioritaires. Ces défis nécessitent
d’importants moyens, actuellement hors de portée du budget national, en rapport avec les
répercussions de la crise financière et économique. Ils appellent que les engagements pris les
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Partenaires Techniques et Financiers lors des grands foras (Gleneagles 2005, G8 de Londres
2009 et Assemblées de Printemps du FMI et de la Banque Mondiale 2009, …) soient tenus.
La réduction de 50%, de la proportion de la population béninoise vivant en dessous du seuil de
pauvreté d’ici à 2015 demeure encore un rêve, aussi longtemps que la création de la richesse et la
prospérité partagée ne se matérialiseront pas par l’inversion des tendances de la pauvreté
humaine et monétaire. « Il s’impose donc au Bénin, de définir une nouvelle dimension de la
croissance accélérée de l’économie qui supplante la tendance traditionnelle maintenue jusqu’à ce
jour, tendance qui ne répond plus aux aspirations qu’exigent les OMD» (Social Watch Bénin,
2008).
En effet, au total, sur les trois années de mise en œuvre de la SCRP 2007-2009, un taux de
croissance annuel moyen de 4,1% a été enregistré, contre 3,3% pour la période 2003-2005.
Toutefois, il demeure en dessous du minimum de 7% requis pour atteindre les Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD) et appelle de nombreux défis à relever dans le cadre
de la SCRP de troisième génération.
Conclusion
Le suivi de la mise en œuvre de la Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté est
une réalité au Bénin ; en témoigne les différents rapports présentant les résultats obtenus dans ce
cadre. Mais, il est utile de souligner que de notre point de vue, le suivi de la mise en œuvre de la
SCRP coordonné par le gouvernement à travers les ministères, peut être fait dans un seul et
même creuset de façon participative (en associant tous les acteurs de développement), de
manière à éviter la multiplication des rapports de suivi qui ne contiennent pratiquement que les
mêmes informations. Car le processus participatif est un facteur de renforcement de la
démocratie. De plus le Bénin y gagnerait tant en ressources humaines qu’en ressources
financières mobilisées parallèlement pour atteindre les mêmes objectifs.
Par ailleurs, même si entre les résultats obtenus et ceux attendus il y a un écart considérable, il
est à souligner que le suivi de la mise en œuvre de la SCRP reste une préoccupation tant de
l’administration publique que la Société Civile qui, en plus de participer à l’élaboration des
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Rapports de suivi, coordonnée par l’Etat, produisent des résultats de leur suivi parallèle, à travers
des rapports alternatifs.
Toutefois, malgré les difficultés et imperfections de cette approche participative, il ne fait aucun
doute que cet objectif doit être encouragé, dans la mesure où la plupart des pays engagés dans la
définition et la mise en œuvre de la Stratégie de Réduction de la Pauvreté (SRP), sont des pays
peu démocratiques, où la population a peu d'occasions de s'exprimer. Il serait, bien sûr, naïf de
penser que la SCRP va générer à elle-seule une société civile, lorsqu'elle n'est pas organisée.
Cependant c’est une occasion pour elle de s'exprimer et de faire surgir des problèmes et des
opinions qui, sans cela, n'auraient pu émerger. Mais il faut que les OSC aient les compétences
requises afin de mieux participer à ce processus de suivi de la mise en œuvre de la SCRP. Cela
suppose notamment, de leur part, un investissement qui vise l’amélioration du bien-être de la
population et une capacité critique, et non la poursuite d’objectifs lucratifs ou symboliques de
prestige.
Dans cette perspective, ne serait-il pas nécessaire, voir indispensable de procéder au
renforcement des capacités de toutes les composantes des Organisations de la Société Civile,
dans le cadre de façon globale tant dans l’élaboration des politiques de développement que dans
le suivi de leur mise en œuvre ?
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Références bibliographiques
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Dynamiques des paysages périurbains de la ville de Ziguinchor au Sénégal
Oumar SY1 Maître de conférences en Géographie
Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal
Papa SAKHO2 Maître-assistant en Géographie
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
RESUME : La ville de Ziguinchor est contrainte par le fleuve Casamance et ses affluents à n’évoluer que par le sud. Avec un taux d’accroissement naturel de 4,9% par an, pour 153 608 habitants en 2000, une superficie de 4450 ha s’avère exigüe pour une ville construite à l’horizontale. L’essentiel des villages, jadis théâtres d’opérations militaires et situés au sud de la ville ont leur population à la périphérie de la ville. Pour réparer les injustices ayant entrainé le conflit, l’Etat investit beaucoup dans la région. Il résulte du regain d’intérêt pour la région et la ville en particulier une forte pression foncière. Il ressort de l’étude, une évolution spatiale orientée vers la périphérie sud jadis rurale, ce qui a renforcé les enjeux fonciers et les mutations paysagères ; d’où, pour les autorités politiques, la nécessité d’une ségrégation positive dans la prise en charge des demandes sociales nouvellement exprimées et la mise en œuvre d’un instrument de planification urbaine pour une maîtrise de la dynamique foncière.
Mots clés : enjeux fonciers, périurbanisation, Ziguinchor, paysages ruraux, mutation.
SUMMARY : The city of Ziguinchor is constrained by the Casamance river and its tributaries; thus, it evolves only from the South. Also, with a natural growth rate of 4.9% per year for a population of 153,608 inhabitants in 2000, this 4450 ha area ended up being cramped while the city buildings are positioned horizontally. Most of the villages are facing reinforces strategic military operations in the South of the city leading then the population to stay on the outskirts of the city. In order to overcome the injustices resulting from the conflict, the State is investing in the region. The renewed interest in the region and the city in particular occurs in a context of strong socio-political pressure on the municipality’s lands. The studies indicate, a spatial growth oriented on the Southern periphery that has currently kept its rural traits. Thus, the complexity of land issues explains landscape changes. Therefore, political authorities need to promote a positive discrimination in the management of newly expressed social demands, and implementation of an instrument of urban planning.
Keywords: land issues, urban sprawl, Ziguinchor, rural landscapes, mutation
���������������������������������������� �������������������1 Département de Géographie ; Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE) ; Université Assane Seck, Ziguinchor 2 Département de Géographie ; Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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Introduction
La ville de Ziguinchor connait un essor urbain continu depuis la période coloniale, essor
aujourd’hui accentué principalement par la persistance de la crise de l’économie rurale
casamançaise et plus récemment par la crise politique qui sévit depuis une trentaine d’années. La
périphérie Sud de cette ville est favorable au développement de cultures : pluviales sur plateau et
irriguées dans les dépressions et marigots (riziculture et maraichage). Mais depuis quelques
années, les quartiers au sud constituent les principales destinations des nouveaux arrivants
venant de la ville et des campagnes isolées en quête de parcelles d’habitat.
Au cours des trois dernières décennies, le conflit armé a entraîné en Casamance, un exode de 60
000 à 80 000 personnes (Robin N. et Ndione B., 2006) et l’abandon de près de 231 villages
(Desmarchelier A., 2001). Une bonne partie des personnes déplacées se sont retrouvées dans les
zones sécurisées, notamment dans les quartiers périphériques défavorisés de la ville de
Ziguinchor. L’ONG Association pour la Promotion Rurale de l’Arrondissement de Nyassia
(APRAN) a dénombré en mars 2009, dans la commune de Ziguinchor des populations
originaires de 23 villages avec 995 familles, pour un total de 10 522 personnes (Dieye B., 2009).
A ceux-là, il faut ajouter les Bissau-guinéens rejoignant des parents installés à Ziguinchor depuis
plus d’une vingtaine d’années (Marut J-C., 2010). Le taux d’accroissement de la population de
Kandialang et de Lyndiane est respectivement de 65% et 96% pour la période 2002-2009.
Le recensement de l’ANSD en 2002 évaluait la population urbaine à 155 575 habitants (pour une
estimation de 269 003 en 2009), pour 13097 concessions et 20304 ménages. La diversité des
chiffres pourrait traduire la difficulté de déterminer la taille de la population de la ville de
Ziguinchor, du fait de la mobilité interterritoriale des populations déplacées de l’intérieur : elles
se réfugient en ville lors de la recrudescence de la violence et en période d’accalmie, elles
regagnent leurs villages.
Ainsi, se met progressivement en place, un processus d’intégration urbaine d’espaces
jusqu’alors ruraux dans des quartiers populaires constitués autour du centre de Ziguinchor. Il va
s’en dire que cette recomposition spatiale, certes récente, se fait en défaveur des écosystèmes
ruraux. Plusieurs forces motrices y concourent. Dans les perspectives de développement de cette
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partie de la ville, les autorités municipales prennent peu en compte les dimensions
environnementale et sociale pour contrôler ce processus de périurbanisation.
Quelles sont les dynamiques en cours, les enjeux et acteurs engagés, les conséquences
potentielles de ces dynamiques ? Telles sont, entre autres, les questions auxquelles nous
cherchons la réponse dans cet article, après avoir présenté le terrain et les méthodes qui ont sou
tendu cette étude.
Présentation du terrain et de la méthode de recherche
Pour une population estimée à 381 415 habitants en 2012, les 4 450 ha (ANSD., 2006) du
périmètre communal sont insuffisants pour une capitale régionale dont les espaces constructibles
sont limités par un site fluvial et de nombreux défluents -marigots de Boutoute et de Djibélor,
respectivement à l’est et à l’ouest- et des dépressions saisonnièrement inondées (figure1).
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Devant les contraintes du site, un espace complètement saturé en sus d’une dynamique
démographique soutenue, la périurbanisation ne peut s’effectuer que par le sud où la
compétition foncière entre l’habitat et les autres activités, environnementales notamment, a
attiré notre attention. Pour apprécier les dynamiques paysagères de cette partie de Ziguinchor,
nous avons réalisé des entretiens avec différents acteurs de la ville (chefs de services
régionaux de l’urbanisme, des impôts et domaines, de la planification, des services
municipaux, etc.) pour faire l’état de la question de la périurbanisation et les perspectives de
développement de la ville. Les questionnaires adressés aux chefs de ménages de la périphérie
ont porté sur le profil de l’habitant (sa date d’installation, ses activités, etc.), les motivations et
modes d’acquisition de la parcelle, les mutations observées dans leur quartier, etc.
Nos observations de terrain ont été combinées à des données de télédétection, issues des
survols aériens (voyage Dakar-Ziguinchor-Dakar) et à différentes saisons de l’année. De
même, des images multi-dates (2004 et 2010) de Google Earth ont été traitées pour le choix
de la zone d’étude et de la position de la problématique. Les données présentées ici
proviennent des résultats des entretiens et enquêtes menés, complétées par des résultats
obtenus dans le cadre de travaux universitaires. Ces travaux s’inscrivent donc dans la
continuité de recherches sur le caractère difficilement contrôlable de la dynamique spatiale de
la ville de Ziguinchor et les conséquences potentielles.
Résultats
1 : Une ville aux possibilités d’évolution spatiale orientées vers le sud
La ville de Ziguinchor a connu une évolution spatiale radioconcentrique, à partir des quartiers
Escale et Santhiaba, centre des activités administratives et politiques, commerciales et
industrielles. En 1973, la population de Ziguinchor s’élevait à 70000 habitants, suite à
l’intégration dans la commune des villages de Colobane à l’ouest, de Kandé à l’ouest, de
Kandialang, Grand Yoff et Néma2, des sous quartiers de Néma, de Kénya et de Diabir, tous
au sud de l’agglomération. Aux quartiers populaires viennent s’ajouter des quartiers
émergents (les Boucotte, Diéringho, Néma, …) dans un contexte de pénurie d’espace dans la
commune, obligeant le lotissement de zones non constructibles ou réservées à des
infrastructures publiques. C’est ainsi qu’au cours des années 1990, les quelques rares
lotissements n’ont d’ailleurs concerné que des zones jugées non aedificandi dans le Plan
Directeur d’Urbanisme (PDU) de 1983. Il s’agit des parcelles « non » assainies de Goumel et
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de la cité Biagui II (un sous quartier de Diéfaye) dans d’anciennes rizières au nord-est de la
ville (Sy O. et Sané T., 2011).
Les quartiers périphériques, malgré la persistance de leur aspect rural, de leur éloignement
par rapport au centre-ville et la psychose de l’insécurité, constituent aujourd’hui les
principales destinations des demandeurs de terrain à usage d’habitat ou de location, dans une
moindre mesure. Cette situation s’explique par le coût abordable du foncier dans la périphérie
Sud, d’une part, la cherté des rares terrains nus situés dans les anciens quartiers, d’autre part.
Ainsi, la dynamique urbaine s’oriente inexorablement vers le sud, contrainte par les limites
naturelles du fleuve Casamance et de ses défluents. Cette évolution du front urbain vers le sud
avec la mise en place progressive d’équipements structurants comme l’Université de
Ziguinchor en 2006 se fait en défaveur de la campagne et des terres de la communauté rurale
de Niaguis.
2 : Devant l’avancée du front urbain l’espace agricole recule
Dans la périphérie de Ziguinchor, les différentes mutations paysagères observées sont le
résultat d’un « mal d’espace » dans une ville au site particulièrement contraignant. Ces
mutations sont l’œuvre de plusieurs acteurs ; au total, le développement des établissements
humains fait reculer l’espace agricole.
2.1 : Le périurbain ziguinchorois, un paysage fortement rural
En dehors de Goumel et Biagui II au nord-est, les périphéries urbaines tardent à s’intégrer
physiquement à la ville et gardent un paysage rural. Les activités urbaines comme les
équipements publics n’évoluent pas au même rythme que le processus d’occupation humaine
et par rapport à la demande des populations. Il en est de même pour les services urbains de
base comme l’assainissement et l’évacuation des ordures ménagères (Sall O. et Sy O., 2011).
Ce qui laisse apparaître une certaine ségrégation spatiale entre le centre ville et les anciens
quartiers populaires péricentraux -dans une moindre mesure- et la périphérie.
Malgré l’intégration officielle des quartiers périphériques dans la commune à partir des
années 1970, ils sont demeurés pour l’essentiel des zones de cultures (pluviales sur les
plateaux et rizicoles/maraichers dans les dépressions). Les reliques de grands fromagers, de
palmeraie à la périphérie des rizières témoignent de la splendeur de la verte Casamance
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d’alors. Toujours, quelques vergers alternent avec des plantations d’anacardiers, libérant un
habitat lâche dominé par des constructions traditionnelles.
Nonobstant le lotissement de certains de ces quartiers à la fin des années 1980 et les
meilleures possibilités d’établissements humains qu’ils offrent - par rapport au reste de la
ville-, la course vers les terres de cette partie de la ville n’a commencé qu’au milieu des
années 1990. Ces quartiers restent pourvoyeurs du centre-ville et des quartiers traditionnels en
produits agricoles (fruits et légumes) et un espace de transition avec l’arrière pays. Ces
quartiers jadis, « grenier » de Ziguinchor, deviennent de plus en plus des zones de cultures
maraichères assez lucratives, mais surtout, la principale « réserve foncière » pour les
établissements humains, du fait de ses enjeux fonciers.
2.2 : Du recul des paysages ruraux face aux enjeux fonciers
A la périphérie de Ziguinchor, les dynamiques paysagères observées sont consécutives à
l’évolution des densités de la population et par conséquent du transfert de populations du
centre vers la périphérie et des campagnes vers la périphérie. Aujourd’hui avec les enjeux
fonciers (valorisation du foncier) conjugués au manque d’espaces constructibles dans le pôle
urbain et la cherté des reliques de parcelles à vendre dans la ville, les paysages de la couronne
périurbaine évoluent. Leur régression s’est faite en plusieurs phases.
- La première, très peu perceptible du fait de la faiblesse de la population d’alors et de
l’harmonie qui existait entre les populations et leur environnement, est le fait des premiers
habitants. Ces derniers ont été les premiers à défricher de vastes espaces de cultures pluviales
et à aménager des rizières.
- La deuxième correspond à l’afflux de ruraux -chassés de la campagne par la
sécheresse des années 1970 et douze ans plus tard, par le conflit armé qui continue d’opposer
l’armée régulière au Mouvement Démocratique des Forces de la Casamance (MFDC)-. Ces
désormais néo- citadins concernent aussi des Bissau-guinéens -fuyant l’insécurité consécutive
à la guerre d’indépendance et les incessants coups d’Etat militaires- et des Guinéens échappés
des persécutions du régime de Sékou Touré. Tous ces groupes se sont installés, de préférence,
dans les quartiers émergents (autour du noyau central Escale et Santhiaba), puis
périphériques. A cette vague, la ville n’offrait de possibilité d’insertion que dans l’agriculture
périurbaine (Hesseling, 1985). Pendant cette période, beaucoup de vergers -dont les
propriétaires étaient des fonctionnaires résidant en ville ou des habitants la périphérie même-
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seront aménagés. De ce fait, l’arboriculture se substitue à la forêt mais continue de maintenir
le caractère rural du paysage dans certaines zones.
- La troisième phase, celle des grandes mutations paysagères, coïncide avec les
lotissements de quartiers -ou partie de quartiers- de la périphérie (terrassement et traçage de
voiries et de parcellaires). Ces opérations de lotissement seront suivies progressivement de
constructions de type moderne (maisons en dur avec des tôles ondulées, à terrasse et/ou à
étage) au détriment d’espaces de cultures ou naturels.
Le manque sérieux d’espace dans la commune de Ziguinchor oblige les populations à
s’orienter vers la périphérie, notamment avec le retour de conditions pluviométriques
normales et la récurrence des phénomènes d’inondations dans la plupart des quartiers anciens
(Sy O., Sané T. et Diéye EB, 2012).
La dynamique urbaine de Ziguinchor se manifeste par un redéploiement de la population vers
la périphérie. L’essentiel de cette population vient de la ville (78%) et de la région de
Ziguinchor (11%), mais aussi des régions de l’intérieur et de la sous-région (les deux Guinée
notamment) (Tabl. 1). Et 91% de cette population venant de la ville ne s’y est installée que
depuis 2000. Ainsi, il apparait que la périphérie est d’installation récente : 88% de la
population s’y est installée, il y a moins de 30 ans. Alors qu’avant 1970, la population totale
installée ne représentait que 4% de la population de la ville.
Tabl. 1 : Lieux de provenance et périodes d’installation de la population
Lieux de
provenance/périodes
de la
ville
De la
région
Autres
régions du
Sénégal
De la
sous
région
De
l'extérieur Total (en %)
Avant 1960 1 0 0 0 0 0
1960-1969 6 2 0 0 0 4
1970-1979 9 3 1 3 0 8
1980-1989 25 4 3 2 1 17
1990-1999 31 9 2 1 2 21
Depuis 2000 91 6 4 2 2 50
Total (en %) 78 11 5 4 2
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Les quartiers centraux étant saturés, ces populations aux revenus limités ne pouvaient y
acheter de terrain. C’est dans ce contexte qu’elles se rabattent vers la périphérie où les prix du
loyer comme celui du foncier est plus à leur portée. Cette tendance au retour vers la périphérie
de cette catégorie de population a d’ailleurs été observée au Caire dans les années 1980
(Fanchette S., 1997).
La partie de la population venant des autres régions du Sénégal n’est pas souvent propriétaire.
Elle est constituée essentiellement de fonctionnaires en service dans la ville. Aussi, depuis
quelque temps, on note le retour et l’investissement dans l’immobilier de ressortissants de la
région. Ces derniers sont souvent basés en Europe. Les Peuls originaires de la République de
Guinée semblent définitivement installés et beaucoup parmi les grands commerçants
investissent dans l’immobilier.
Actuellement, la régularisation foncière, les infrastructures et équipements collectifs en cours
de réalisation (routes, université, hôpital, collèges, électrification, etc.) semblent doper les
opérations de « déruralisation » de la périphérie Sud notamment (Fig. 2).
Fig.2 : Sur le site de la coopérative des agents de l’administration jouxtant l’université, les travaux de terrassement sont terminés depuis 2010. Cliché : Sy, 2011.
La situation est d’autant plus grave qu’avec le lotissement en 2005, de ce qui restait du
quartier de Kandialang, la taille des parcelles est passée de 300 à 200 m², menaçant ainsi la
survie des vergers et de beaucoup d’arbres fruitiers situés dans la cour des maisons (Sidibé
M., 2011).
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En définitive, on assiste à Ziguinchor à une périurbanisation dans les deux sens : de la ville et
des zones rurales vers la périphérie. Ce schéma est différent de celui des pays occidentaux où
le phénomène s’effectue de la ville vers la campagne. Différentes forces participent à cette
recomposition du tissu urbain.
3 : Mutations spatiales et facteurs de la dynamique
Plusieurs facteurs expliquent l’urbanisation rapide de la périphérie : prix du foncier, taille des
parcelles, renchérissement du coût de la vie, etc. La présence de l’Etat et de la municipalité
aux côtés des populations ne fait que renforcer les mutations des paysages périurbains.
3.1 : Le prix du foncier, la principale variable
La prolifération des banques -toutes rivalisant avec la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS)
traditionnellement spécialisée dans le prêt immobilier, -augmente les possibilités de
financement des marchés immobiliers. La mobilité résidentielle et l’afflux de fonctionnaires
et de privés dans le cadre de la « reconstruction » de la région (programmes et projets des
ONG) font du marché du logement un placement moins risqué aussi bien pour la Banque que
pour le spéculateur privé.
Devant l’impossibilité de vivre décemment des produits de son agriculture rudement
concurrencée par l’arrière pays, certains producteurs périurbains sont enclins à vendre leur
terre réduite au moment de la restructuration. Peu habitués à avoir en mains et d’un coup, une
certaine somme d’argent, ces ruraux aux portes de la ville ont l’opportunité de toucher d’un
coup, 2 à 3 millions de francs CFA pour une parcelle de 200 à 300 m2, et de retourner dans la
campagne des profondeurs où la taille des parcelles pourrait être plus grande. Souvent, la ville
ne leur offre que très peu de chance d’intégration.
3.2 : La taille des parcelles, un stimulant pour une résidence paisible
D’autres motivations de ces acteurs concernent la taille des parcelles. Pour les fonctionnaires
(non spéculateurs), la recherche d’une maison individuelle avec un jardin, un espace
d’épanouissement pour les enfants, est une tendance lourde. De même, elle est considérée
comme un motif de succès et de réussite sociale.
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La taille de la parcelle est souvent corrélée à la date d’installation. Que ce soit à la périphérie
que dans les anciens quartiers populaires, ceux qui se sont installés les premiers ont des
parcelles de plus de 500m2 de superficie (Fig. 3). Cette situation s’explique par le fait que ces
quartiers -ou certaines de leurs parties- n’avaient pas encore fait l’objet de lotissement.
Fig.3 : Taille des parcelles (m2) dans la périphérie de Ziguinchor selon les occupants (%)
Etant donné la situation périphérique des quartiers et l’insécurité qui y a régné, la taille des
parcelles font 500 m2 de superficie et plus. Jadis, les quartiers de Diabir, Lyndiane et
Kandialang étaient considérés comme des bases arrière pour les combattants du MFDC ; par
conséquent, les spéculateurs fonciers non originaires de la région n’osaient pas s’y aventurer.
Ainsi, le prix du foncier était très abordable.
Plus de la moitié des parcelles (55%) ont 500 m2 ou plus de superficie. Ce taux est de 65 à
Lyndiane, quartiers réputés fiefs des rebelles et encore en partie non lotis (contre 19 et 16
respectivement pour Djibock et Kandialang). A Kandialang, les tailles « hors normes »
s’expliquent par le fait qu’avant le lotissement, certains propriétaires disposaient de vergers.
Ainsi, après la restructuration, ils ont conservé une bonne partie de leur « domaine ». Les
parcelles de petites tailles sont souvent le résultat d’un morcellement de propriété par héritage
ou par la vente d’une partie de la parcelle par l’ayant droit.
La périphérie présente aujourd’hui beaucoup d’atouts pour être attractive : possibilités de
logements moins chers et plus spacieux, habitat individuel avec possibilité de s’aménager un
petit jardin suivant le modèle européen (Chaléard J-L. et Charvet J-P., 2004).
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3.3 : La présence de l’Université augmente la plus-value foncière des quartiers Sud
L’un des facteurs majeurs à l’origine des mutations spatiales observées dans la périphérie Sud
de Ziguinchor est la création à Diabir de l’Ecole de Formation des Instituteurs (EFI) et sa
transformation en une Université en décembre 2006. Cet établissement, érigé à proximité d’un
orphelinat, d’un collège et d’une école élémentaire (ONG Agence des Musulmans d’Afrique)
a contribué au renforcement des infrastructures de la zone et à l’augmentation de la plus-value
foncière de ce secteur, jadis champs d’expérimentation de l’Ecole des Agents Techniques
d’Agriculture (EATA) et de brousse alternant avec des zones de cultures.
En effet, la parcelle de 150 m2 qui coûtait moins de trois cent mille francs CFA avant la
création de l’Université est vendue en 2010 entre trois et cinq millions de F CFA, selon sa
position par rapport à l’Université et à la route de desserte nouvellement construite. Cette
hausse brutale des prix (ils passent de 2000 f CFA/m2 à 20 000 voire 35 000 f CFA/m2)
s’explique par une offre foncière largement en deçà de la demande, notamment avec le
relèvement global du niveau de vie consécutif aux besoins en parcelles exprimés par les
personnels de cette institution. Et depuis, la spéculation foncière est généralement l’œuvre de
grands commerçants établis dans les différents marchés de la ville, mais aussi de
ressortissants bissau-guinéens établis à l’extérieur. Le logement locatif (Fig. 4) connaît
également le même phénomène avec une hausse des loyers.
Dans le lotissement situé en face de l’Université, il est prévu 2 039 parcelles de 300 m², trois
réserves administratives, deux centres sociaux, deux écoles primaires, un Collège
d’Enseignement Moyen, une école arabe, un terrain de jeux, un foyer des jeunes, une église,
deux mosquées, un dispensaire, un marché, onze espaces verts et un verger à conserver. En
2007, les constructions y ont démarré et on dénombre actuellement plus d’une vingtaine de
maisons en chantier ou terminées dans des zones de cultures ; c’est le cas du campus social
des sœurs Franciscaines.
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Fig. 4 : Immeuble locatif sur la route de l’Université et Campus social des sœurs Franciscaines noyé dans la végétation sauvage à Kénya. Clichés : Sy, 2011 et Sidibé, 2010.
En effet, les capacités de logement de l’Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ) étant
très faibles, certains étudiants désireux d’être logés non loin de l’Université, louent des
chambres à Kénya ou à Lyndiane. Les sœurs Franciscaines trouvent ici depuis fin 2010, une
opportunité de mettre en place un campus social, pour louer des chambres à des étudiantes
(30 000F le mois, contre 10 000F dans le campus social de l’UASZ).
3.4 : La municipalité et d’autres acteurs participent aux dynamiques en cours
La municipalité est l’institution chargée de la gestion urbaine et son rôle dans les mutations
spatiales dans la périphérie est à noter. En effet, l’intégration de Kandialang, Kénya, Diabir,
etc. dans la commune de Ziguinchor a changé le statut de ces villages. Le lotissement plus
tard des quartiers et la distribution des parcelles aux populations permettent une régularisation
et une sécurisation foncières pour les occupants.
Certains parmi les premiers habitants ont saisi l’occasion offerte par l’enjeu foncier pour
vendre une partie de leurs terres. L’argent tiré de ces ventes est utilisé pour améliorer l’habitat
existant ou pour construire une nouvelle maison en dur. Des chefs de ménage (20 %) ont eu à
transformer ou à construire une nouvelle maison dans le courant de cette dernière décennie:
c’est le développement de modèles architecturaux de type occidental qui se substituent ceux
locaux (Sidibé M., 2011).
Cette tendance est soutenue par la présence de nouveaux acteurs que sont les émigrés et les
coopératives d’habitat. Symbole de réussite sociale, la construction d’une belle maison est
l’un des soucis majeurs d’un émigré sénégalais. Cette figure du migrant international
«bâtisseur», « promoteur immobilier » s’observe non seulement au Sénégal mais aussi ailleurs
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en Afrique de l’Ouest (Bertrand M., 1999, 2006 et 2009 ; Smith L. et Mazzucato V., 2003), la
figure est très présente dans les discours publics, médiatiques et politiques, ainsi que dans les
milieux scientifiques. En effet, ils construisent des maisons de haut standing qu’ils confient à
un proche parent. Ce dernier se charge de l’entretien de la maison et encaisse le loyer
mensuel.
Dans la ville de Ziguinchor on dénombre vingt quatre coopératives d’habitat parmi lesquelles
celle des émigrés ressortissants de la Casamance en Europe et celle des agents de
l’administration (SOFORAL). Le lotissement de cette dernière se situe à Diabir, sur une
superficie de 10 ha. Il est morcelé en 230 parcelles et les travaux de viabilisation (électricité)
ont démarré depuis fin Novembre 2010. Au Nord-Est de l’Université, la Société Nationale
HLM a démarré les travaux de construction d’une cité résidentielle au cours de l’année 2011.
La Coopérative du Personnel de l’Université de Ziguinchor vient difficilement d’obtenir 1 ha
42a sur l’ancien centre horticole de Kenya, abandonné depuis 1985, du fait de l’insécurité.
Cette superficie est très en deçà des besoins de cette coopérative qui compte 80 membres
(compte non tenu des 34 démissionnaires).
Ces opérations urbaines ont aussi permis une meilleure accessibilité du centre-ville (voies
dégagées dont certaines bitumées) à ces quartiers périphériques. Et pour répondre aux besoins
des populations, la municipalité a procédé à la mise en place d’infrastructures et
d’équipements sociaux - écoles primaires, Collèges d’Enseignement Moyen, parcours sportif,
halles de marché, dispensaires, eau courante, électricité, etc.- notamment à partir de 2000.
Parallèlement, des unités de transformation ont aussi vu le jour : il s’agit de l’unité de
transformation de mangues « Kadjamor » à Kandialang en 2009 et de l’unité de production de
vinaigre de mangue à Kénya en 2010. En définitive, les différents acteurs -Etat, municipalité,
population locale, privés, etc.- ont contribué chacun aux mutations paysagères de la
périphérie sud ; mais cela devrait se faire en fonction des droits et obligations que les règles
d’urbanisme accordent ou imposent à chacun d’eux.
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4: Des perspectives d’évolution de la ville sont possibles
Une autre forme de gestion de la périphérie est possible. Elle passe par l’intégration physique
et fonctionnelle de la périphérie à la ville, le développement du secteur du bâtiment et de
l’immobilier, l’ouverture d’autres fronts d’urbanisation, mais aussi la préservation de
l’environnement, entre autres.
4.1 : Vers un changement du statut de l’occupant pour faciliter l’intégration physique de la
périphérie à la ville en dotant la périphérie de nouvelles infrastructures
Le statut de l’occupant comme le mode d’acquisition de la parcelle d’habitation peuvent être
des indicateurs d’insertion réussie ou non de la périphérie à la ville. En effet, dans cette partie
de la ville de Ziguinchor, 77% des occupants des parcelles se déclarent « propriétaires »
(Fig.5.1).
Et parmi ces « propriétaires », 55% ont acheté leur parcelle d’un attributaire initial donc sont
détenteurs d’un permis administratif d’occuper (Fig.5.2). Il s’avère que les attributaires de
départ -qui ne représentent plus que 13%, plus les héritiers (32%)- sont désormais
minoritaires. Le coût de la vie et les enjeux fonciers ont eu le dessus sur ces détenteurs à
faible revenu. Ce qui pourrait précipiter l’arrimage de la périphérie à la ville, si l’on sait que
les anciens quartiers populaires étaient occupés par la classe moyenne, aujourd’hui à faible
revenu, voire pauvre.
Fig. 5 : Statut de l’occupant (5.1) et mode d’acquisition de la parcelle d’habitation (5.2) (%)
Si au cours des années 1970-80, les propriétaires construisaient et prêtaient à ceux qui ne
pouvaient construire ou laissaient leur terrain nu à ceux qui voulaient les cultiver
gratuitement, depuis 2000, la location, en présence de témoins semble être la règle dans ces
nouveaux quartiers. A Diabir par contre, devant les enjeux fonciers, la population s’est
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accordée à ne plus louer ou vendre de terrain, en attendant le lotissement/restructuration du
quartier. En effet, l’opération de lotissement pourrait entrainer des déplacements/changements
de parcelles et par conséquent, des problèmes que ne pourraient gérer à l’amiable que les
autochtones. Autant de mesures sécuritaires préparant l’intégration des populations de ces
quartiers au tissu urbain.
L’augmentation du standing de vie dans ces quartiers suppose corrélativement une
amélioration de leur niveau d’équipement. C’est un processus en cours, mais loin en phase par
rapport à la dynamique d’installation des établissements humains. En attendant la satisfaction
de leurs demandes/besoins en équipements, les populations de la périphérie se rabattent sur
les infrastructures des quartiers voisins : marché Nguélaw (Boucotte Sud) pour les habitants
de Diabir, marché St-Maure (Boucotte Ouest) pour ceux de Kénya et enfin marché Tilène
pour la population de Kandialang et Djibock.
Des moyens de transport privé (à pieds, vélo, moto, voiture) sont utilisés pour rallier les autres
parties de la ville, du fait que le transport public ne dessert pas encore ces zones. D’ailleurs,
routes, postes de santé, éclairage public, adduction d’eau potable et unités de transformation
des fruits -dans une moindre mesure- sont les demandes les plus récurrentes formulées par les
populations lors de nos enquêtes.
4.2 : Transformer l’habitat pour développer le secteur de l’immobilier
Un des objectifs majeurs des spéculateurs fonciers est de construire des immeubles à usage
locatif, afin de sécuriser leurs investissements. Il en est de même pour certains expatriés,
confrontés à la crise économique -qui sévit dans leur pays d’accueil- et à l’impérieuse
nécessité de nourrir la famille restée au pays, mais aussi de certains fonctionnaires dont la
pension de retraite n’assure plus que la survie.
Ainsi, la plupart des transformations exécutées au niveau des concessions a lieu au cours de
ces dix dernières années. A Djibock par exemple, 45% de la population a transformé son
habitat et les 53% parmi eux, l’on fait au cours de ces 5 dernières années. A Kandialang, sur
les 33% qui ont transformé leur habitat, les 30% l’ont fait au cours de ces 5 dernières années.
Alors qu’à Lyndiane, ces taux sont respectivement de 22% et 18% (Fig. 6).
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Fig. 6 : Pourcentage de ménages ayant transformé leur concession et modifications au cours des 5 dernières années.
Plusieurs motivations expliquent les transformations réalisées dans les concessions :
- améliorer et embellir la construction (carrelage, peinture, etc.) pour attirer des
locataires,
- gérer au mieux l'espace pour pouvoir augmenter le nombre de chambres,
- terminer des travaux entamés alors que le terrain et la location n’avaient pas
beaucoup de valeur marchande comparée à maintenant,
- construire en hauteur pour augmenter le nombre d’appartements et pour régler en
même temps le problème de l'étanchéité, etc.
Avec la restructuration de ces quartiers, certaines maisons étaient concernées, il fallait
les reconstruire dans les nouvelles limites, remblayer suite au passage d'une voie après
lotissement, etc., donc les motivations ne sont pas que commerciales, elles sont aussi
sociales et techniques:
- augmenter des chambres pour la famille qui s’agrandit et qui reçoit souvent des
personnes déplacées du fait du conflit,
- réfectionner des murs effondrés, suite aux dégâts collatéraux des opérations
militaires qui s’y sont déroulées,
- transformer des maisons laissées en héritage en appartements pour que les héritiers
puissent loger leur famille respective,
- transformer des maisons du banco au ciment : le passage de constructions en banco à
celles en ciment est fréquent à Lyndiane où les maisons en banco s’effondrent souvent
du fait de pluies diluviennes, ou mêmes faibles mais de longues durées (Sy O., et al.,
2012).
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En attendant, le prix du loyer continue d’augmenter. A Djibock par exemple, le prix de la
location mensuel d’une maison varie de 10 000 à 65 000F CFA en fonction de la nature de la
construction, la taille et la position de la maison, alors que pour les appartements, il varie
entre 7 000 F CFA et 20 000 F CFA. Le phénomène de location n’y a été observé qu’à partir
des années 2000, avec notamment l’ouverture du Lycée O L Badji. Par contre, à Kandialang,
un appartement peut être loué à 30 000F CFA. La proportion de locataires est de 10% ;
légèrement en deçà de la moyenne (15%), mais relativement plus chère, depuis l’ouverture de
l’Université. A Lyndiane, des populations déplacées comme des étudiants peuvent louer des
appartements -des fois en cours de finition, donc sans eau ni électricité-, à des prix
raisonnables (8 000 à 10 000F CFA/mois).
4.3 : De l’urgence de la mise en œuvre de documents de planification urbaine
La question de la maîtrise de l’étalement urbain se pose avec acuité pour la municipalité, mais
aussi pour l’Etat qui peine à réactualiser le plan Directeur d’Urbanisme (PDU) et en l’absence
d’un Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) dans toute la région de
Ziguinchor. Et pourtant, les tendances -incontrôlables- prises par ce processus doivent obliger
les autorités à anticiper sur leurs impacts sur les conditions d’établissement (santé et
assainissement), la végétation, les écosystèmes des zones humides menacés. D’ailleurs, ces
menaces pourraient concerner la ville elle-même.
Devant l’acuité du problème lié au disponible foncier urbain, les autorités municipales, de
concert avec les services techniques travaillent à la réactualisation du PDU devenu caduc
depuis 2000. Le PDU prévu, devrait intégrer Djibélor à l’Ouest, Baraf, les Mandina
Manjaque, Mankagne et Diola et Bourofaye Diola au Sud et Boutoute, Gouraf, Djifanghor et
Boulom à l’Est (Fig. 1). Cette surface estimée à 4 372 ha, portera ainsi la superficie de la ville
à 8 822 ha environ.
Parallèlement, d’autres grands projets d’urbanisme de l’Etat sont prévus dans la zone de
Kantène, un village de la communauté rurale de Niaguis, séparé de la ville par le marigot de
Kandialang et traversé par le boulevard des 54 m menant à Bissau. Il s’agit des Parcelles
Assainies de Ziguinchor (200 parcelles) et d’une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) de
3000 parcelles. Pour le financement des travaux de bornage et de viabilisation, l’implication
des coopératives d’habitat est nécessaire pour amoindrir les coûts, mais aussi les impacts
environnementaux potentiels.
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4.4 : Des conséquences environnementales de l’occupation de sites non aedificandi
La course vers le foncier s’accompagne généralement de morcellement, de ventes illégales et
d’occupation de zones non aedificandi et d’espaces publics. L’extension du front urbain vers
le sud est allée de paire avec la destruction des meilleures terres à vocation agricole (vallée de
Kandialang) et de vergers. Les conséquences environnementales liées à l’occupation de sites
impropres à l’habitat sont néfastes pour l’écosystème naturel de bas-fond, pour l’économie
locale, mais aussi pour le cadre de vie, notamment la santé des populations (Sy O. et Sané T.,
2011).
Dans les zones nouvellement occupées, la mangrove et les mares saisonnières (Kandialang,
Djibock, etc.) résistent difficilement. Par contre, la palmeraie, une plante culturelle et cultuelle
disparait progressivement, alors que c’est un arbre protecteur et producteur de vin. La
déstructuration du fonctionnement des bas-fonds rizicoles et maraichers entraine la réduction
des possibilités de production des écosystèmes et aggrave la paupérisation de populations que
la ville n’offre pas encore d’opportunités d’emploi. Dans les extensions en vue, des plateaux
alternent avec des dépressions. Si dans la première unité de relief ce sont les problèmes
d’assainissement -propres aux villes du sud- qui pourraient se poser, dans la seconde, ce qui
nous inquiète le plus, c’est la déstructuration des écosystèmes.
Conclusion et perspectives
Depuis les années 1980, les paysages de la périphérie de la ville de Ziguinchor connaissent
des mutations qui se sont accélérées au cours de ces 15 dernières années, du fait de la
saturation de l’espace urbain, de l’accroissement de la rente foncière (prix du foncier, taille
des parcelles, création de l’université de Ziguinchor, etc.) en zone périurbaine. Tous ces
facteurs ont eu pour conséquences, entre autres, la fragilisation du patrimoine paysager et
agricole périurbain. Plusieurs acteurs, dont 78% venant de la ville ont participé à ces
mutations, même si par ailleurs la zone garde encore son caractère rural (friches alternant avec
de nouvelles constructions).
Les perspectives qui s’offrent à la périphérie militent pour une rapide intégration physique de
la zone à la ville : changement du profil de l’occupant (77% de propriétaires et 55%
d’acquéreurs par achat), création, certes timide, d’infrastructures pour rendre fonctionnel
l’espace et l’articuler à la ville-centre, transformation de l’habitat pour développer le secteur
de l’immobilier. Cependant, ces dynamiques doivent être contrôlées, à travers la
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réactualisation et la mise en œuvre d’outils de planification. Ces outils prendraient en charge
les dimensions environnementale et sociale de cette course effrénée vers les ressources de la
périphérie sud de Ziguinchor. Cette course n’épargne pas les zones humides à fort potentiel
écologique et agricole, mais aussi les autochtones à faible revenu devenus néo-citadins, mais
plus paupérisés.
Avec Calvin (2010), nous pensons qu’il faut développer des thématiques intégrant la ville à la
campagne, dans une perspective de développement territorial durable, avec une ville
participant pleinement à la stratégie de protection des milieux naturels. Il apparait clairement
que l’avenir des paysages périurbains de Ziguinchor sous influence urbaine constituera l‘un
des enjeux majeurs de la gouvernance du territoire, pour la prochaine équipe municipale.
Dans les décennies à venir, la périphérie Sud pourrait devenir le second pôle de la ville, avec
le projet de réactualisation du PDU. Nous pensons plus, pour une intégration fonctionnelle
qu’une intégration physique, financièrement difficile à supporter de la part de l’Etat. Dans
cette perspective, l’exemple du new ruralism américain est illustratif (Schmitz S., 2008). Il
s’agira en effet de maintenir ces villages (traditionnels) comme des pôles producteurs,
respectueux de l’environnement et de leurs us et coutumes. Pour le pôle urbain, le cadre et le
niveau de vie (assez élevés) autoriseront l’achat des prestations des pôles ruraux à des prix
rémunérateurs. Cette perspective permettant le maintien d’une agriculture périurbaine
dynamique, prospère et en mesure d’assurer l’autosuffisance alimentaire des deux pôles, est
d’autant plus salutaire que ces paysans ont un fond culturel et cultuel (bois sacrés et rites) qui
s’intègre mal dans un milieu urbain.
Par le passé, l’intégration d’une partie de la communauté rurale de Niaguis à la commune
avait suscité des réticences de la part des populations rurales, une réflexion en matière de
« projet de territoire » n’étant pas faite au préalable dans ce sens. Mais aujourd’hui, la
perspective d’une intercommunalité pourrait être très avantageuse pour les deux collectivités,
à l’image de l’expérience de la Communauté d’agglomération de Montpellier (Jarrige F.,
2004). Au total, il faut arriver à une préservation des ressources et paysages ruraux qui seront
une source de revenus pour les villageois, mais aussi de ravitaillement et d’exutoire contrôlé
pour la ville. Il est à noter que la recherche d’un environnement meilleur avait motivé certains
nouveaux occupants ; or, devant la forte pression sur le foncier et l’environnement, se posera
inéluctablement le problème de la rentabilité de l’agriculture périurbaine et du maintien de
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certains bois à l’état « sauvage » face aux enjeux fonciers. Aussi, faudrait-il, à tout prix,
préserver les écosystèmes de bas-fonds et de mangrove comme « poumons verts et naturels»
et une spécificité de la ville de Ziguinchor. De même, dans le PDU en gestation, les
autorités municipales doivent prendre en charge cette dimension environnementale.
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Remerciements : Nos remerciements vont à Dr Cheikh MS Diop de l’Université Assane Seck
de Ziguinchor pour la relecture, à nos étudiants -Sidibé M, Goudiaby DE, Mendy V, Cissé I,
Preira P, Sambou SCA et Tall ESB- qui ont participé à la collecte des données, mais aussi à
l’Université Assane Seck de Ziguinchor qui a financé en partie cette étude.
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Spatialité résidentielle et ségrégation territoriale : Cas des quartiers Gbagba et Sans-loi dans la ville de Bingerville
en Côte d’Ivoire.
Akou Don Franck Valéry LOBA
Maître-Assistant en Géographie et en Paléoanthropologie, Enseignant-chercheur, UFR des sciences de l’Homme et de la société
Institut de Géographie Tropicale Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody - Abidjan (Côte d’Ivoire)
RESUME
Les dynamiques urbaines dans les pays en voie de développement donnent lieu à des ségrégations sociales identifiables par des formes d’habitat hors norme dits bidonvilles ou quartiers précaires. Il se crée alors dans les paysages des villes des inégalités soutenues par une catégorisation des citoyens en classes spatiales bien marquées. Cette construction de classes est à la base de perturbations de l’ordre social, avec en point de mire une frange importante de citadins qui ne se considèrent pas comme des citoyens à part entière. Le présent article engage la réflexion en prenant appui sur la situation des habitants des quartiers d’habitation précaire de la ville de Bingerville ici Gbagba et Sans loi. Cet espace précaire de Bingerville déployé sur près de 28 hectares, se présente comme un cadre majeur pour l’observation de ces mutations qui ont conduit à la construction d’une citoyenneté abstraite vidée en partie de son contenu social. L’étude révèle qu’une conjugaison de facteurs historiques, géographiques et socioéconomiques est à la base de cette ségrégation qui entretient et fait perdurer la classification des citoyens.
Mots clés : citoyenneté, ségrégation, précarité, Gbagba, Bingerville.
ABSTRACT
Urban dynamics in developing countries lead to social segregation identifiable forms of extraordinary habitat called slums or shantytowns. It then creates landscapes in urban inequality supported by a categorization of citizens spatial classes well marked. This construction of classes is the basis of disturbance of the social order, with focus in a large segment of citizens who do not consider themselves as full-fledged citizens. This article undertakes reflection resting on the situation of people in precarious living quarters of the city of Bingerville. Space precarious Bingerville presents itself as a major framework for the observation of these mutations that led to the construction of abstract citizenship emptied of its social content. The study reveals that a combination of historical, geographical and socio-economic are the basis of the maintenance and segregation perpetuates the classification of citizens.
Keywords: citizenship, segregation, precariousness, Gbagba,Bingerville.
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Introduction
En Côte d’Ivoire, l’urbanisation est un phénomène récent qui a connu un essor particulier au
lendemain de l’indépendance. Dans la société ivoirienne, la ville apparaît comme une entité
nouvelle tant du point de vue administratif, politique, social et démographique (Atta K.,
2000). Le fait urbain marque ainsi une rupture d’avec le mode de vie antérieur à la
colonisation essentiellement rural. On peut aujourd’hui estimer le nombre des villes à plus
d’une centaine alors qu’on en dénombrait moins d’une quinzaine avant 1975 (INS, 1998).
L’urbanisation ivoirienne a ceci de particulier qu’elle se caractérise par une accumulation
rapide de population donnant lieu à des densités urbaines élevées et à des taux de croissance
entrevoyant un doublement du nombre de citadins toutes les deux décennies en moyenne.
Quoique n’ayant les mêmes tailles, ni les mêmes fonctions, la morphologie et la structuration
des villes ivoiriennes sont à un degré moindre les mêmes. Dans presque toutes les villes, la
vétusté et la paupérisation singularisent les paysages. Bien plus, l’accès à la propriété foncière
devient difficile. On a assiste à un rythme effréné à une série d’occupation de sites non
ædificandi qui laisse apparaître dans l’espace une dichotomie sociale et structurelle entre les
différentes composantes des armatures urbaines (Stern R. et White R., 1993).
La ville de Bingerville, seconde capitale de la colonie de Côte d’Ivoire (entre 1900 et 1934)
après Grand-Bassam, appartient au gotha des villes ivoiriennes de la première génération.
Située dans la banlieue Est d’Abidjan à quelques encablures de la commune de Cocody,
Bingerville est une parfaite illustration de cette marginalisation sociale et spatiale générée par
le modèle urbain ivoirien.
Figure 1 : Localisation de la ville de Bingerville et du quartier Gbagba.
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Il s’établit au cours du processus d’urbanisation de la ville, une compétition à la
consommation d’espace entre le légal et l’illégal. Bingerville, c’est donc la cohabitation de
deux espaces antagonistes. Au reste de la ville se distingue dans la partie méridionale, le bloc
« Gabgba - Sans loi » reflet de cet antagonisme socio spatial et de cette « désurbanité ». Ce
quartier est une copie conforme de la réalité sociale caractérisant tous les espaces
d’habitations précaires en Côte d’Ivoire. Pauvreté, vétusté, anarchie et promiscuité essaiment
le paysage. En dépit des efforts consentis avec la politique de communalisation, l’espace est
encore fortement marqué par cette urbanisation à deux vitesses dont il porte les stigmates.
Pourquoi cette situation perdure ? Quels sont les facteurs et déterminants qui entretiennent
cette situation ? L’objectif poursuivi est donc d’expliquer les fondements de la
marginalisation qui particularise l’urbanisation à Bingerville.
Pour ce faire, après une présentation de la méthode de collecte des données, notre réflexion va
s’articuler autour d’une analyse des paramètres historiques, environnementaux,
socioéconomiques et démographiques ayant soutenu le processus d’urbanisation de
Bingerville. Cette approche nous a permis de mettre en exergue les dysfonctionnements socio
spatiaux qui ont vu émerger le bloc « Gbagba-Sans loi ».
Méthode de collecte des données
Nous inspirant des travaux de Casez G. et Domingo J. (1991), de Stern R. et White R. (1993)
et de Yapi-Diahou A., (2003) relatifs aux poches de précarité dans les villes du tiers monde,
nous émettons l’hypothèse selon laquelle la situation de précarité observée à Gbagba et à Sans
loi, est inhérente au contexte historique de la création de la ville, au positionnement du site et
à la nature des relations avec sa voisine Abidjan. Autant de paramètres géo sociologiques qui
ne sont pas à négliger dans la compréhension du problème. L’observation directe de terrain,
la tenue d’entretiens (avec les populations) et la consultation de sources documentaires, ont
été les principaux outils de collecte de données ayant servi dans cette étude.
Les visites sur le site (à raison de deux visites par semaine) se sont déroulées dans la première
quinzaine d’août 2012. Bingerville et ses environs, siège d’intenses mutations socio spatiales
sont l’objet d’une attention particulière de notre part. Cette pratique assidue du terrain nous a
été bénéfique car elle a permis l’actualisation des informations relatives au mode
d’occupation du sol. Equipé d’un plan cadastral et d’un appareil photo numérique, nous avons
arpenté toutes les ruelles du bloc Gbagba-Sans loi dans l’optique de recueillir des
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informations sur la structuration de l’espace, la morphologie, la qualité du bâti et des cadres
de vie. L’aspect accidenté de la topographie a aussi fait l’objet d’une attention particulière.
Nous avons eu à identifier les différentes entités topographiques caractérisant le site et à
appréhender les formes d’activités socioéconomiques qu’elles abritent. La particularité de
l’habitat a nécessité une observation minutieuse des méthodes et pratiques présidant à la
logique de morcellement des lots et des parcelles.
Le contact avec les populations résidentes s’est fait par l’entremise d’une série d’entretien
avec les responsables des communautés. Ainsi nous avons rencontré les responsables des
communautés malienne et burkinabè qui selon INS (1998) représentent plus des 2/3 des
originaires de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest).
Côté ivoirien, nous avons eu à effectuer des entretiens auprès des chefs des communautés
issus des grandes aires ethno culturelles : Akan (Baoulé), Krou (Guéré), Mandé du nord
(Malinké) et Ghur (Sénoufo). La série des entretiens s’est achevée par la rencontre avec les
représentants de la chefferie des villages Ebrié (autochtones) de Santey et d’Adjamé. Dans
chacune des communautés ivoiriennes et étrangères sus-mentionnées, ont été en plus
interviewé des chefs de ménage ayant plus de trente années de présence sur le site. Les
témoignages de ces derniers ont été fort utiles pour la compréhension de certains faits. Les
entretiens ont porté sur la genèse de leur présence sur le site d’une part et d’autre part des
difficultés qui jalonnent leur quotidien, la gestion de leur cadre de vie et la nature des relations
avec la municipalité.
En outre, un questionnaire a été administré à 100 résidents issus de diverses couches
ethniques et socioprofessionnelles relevant du secteur informel. Ces derniers ont été
sélectionnés de façon aléatoire. L’échantillon est équitablement reparti ivoiriens et non
ivoiriens. Du point de vue du genre, il se compose de 60 hommes et 40 femmes. Les individus
sélectionnés présentent un profil de chef de ménage, avec un âge compris entre 18 et 60 ans.
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Tableau 1 : Répartition de la population échantillonnée par sexe age et nationalité
Age Ivoiriens Non
Ivoiriens Total
Hommes 18-30 10 10 20 30-60 20 20 40
Sous-total Hommes 30 30 60
Femmes 18-30 10 13 23 30-60 10 7 17 Sous-total Femmes 20 20 40
Total 50 50 100
Source : nos enquêtes, 2012.
Les informations recueillies sur le terrain ont été complétées et enrichies par l’exploitation de
sources documentaires et cartographiques. A cet effet, ont été mis à contribution le service
technique de la mairie de Bingerville, le BNETD (Bureau National d’Etude Technique et de
Développement), l’INS (Institut National de la Statistique), et des sources en ligne. Les
sources cartographiques du BNETD et du moteur en ligne google earth, nous ont été utiles
quant à la délimitation du champ géographique du site étudié. A ce sujet, nous avons examiné
des cartes de base de la région d’Abidjan et de la ville de Bingerville respectivement au
1/50000 et au 1 /10000. Ces cartes ont été utiles à l’identification des unités topographiques
(tracé de profil topographique) et des aires des lots. Les données fournies par l’INS ont permis
d’identifier le contenu sociodémographique de cette poche de précarité. A défaut
d’estimations récentes, ce sont les données du recensement du 1998 qui ont été sollicitées.
Enfin des sources historiques issues de divers travaux de recherches et d’archives ont été
utiles à la compréhension des faits politiques et culturels qui ont sous tendu le processus de
création de la ville de Bingerville et du quartier Gbagba-Sans loi.
1-Le poids de l’héritage colonial
L’actuel site de la ville de Bingerville était à l’origine un village Atchan (Adjamé-Santey)
situé en bordure de lagune. C’est au début du XXème siècle que la puissance coloniale va
s’intéresser à ce site et ce à cause de l’épidémie de fièvre jaune qui frappa la cité portuaire de
Grand-Bassam alors capitale de la colonie. Située à environ 26 km au nord-ouest de Grand-
Bassam, Adjamé-Santey -relativement proche- semblait offrir le plus de commodité dans
l’optique d’un transfert imminent de la capitale vu l’urgence sanitaire. En effet,
l’administration coloniale avait préféré limiter son choix pour l’emplacement de la nouvelle
capitale à la portion de côte comprise entre l’embouchure de la Comoé et la lagune Ebrié.
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Adjamé-Santey paraissait aux yeux de tous comme le site à emplacement optimal. De plus sa
topographie marquée par des altitudes supérieures à 100 m, faisait de lui un site particulier et
stratégique. Ainsi dès 1900, le ministère des colonies entame le transfert de la capitale avec en
point de mire la viabilisation du site et la construction des édifices devant abriter le siège du
gouvernement. En hommage à Louis-Gustave Binger premier gouverneur de la colonie de
Côte d’Ivoire, cette ville nouvelle sera dès 1900 baptisée Bingerville.
Figure 2 : Plan de la ville de Bingerville au 1/20000 en 1910
(Source : archives coloniales de Grand-Bassam)
Le plateau central, du fait de son sommet tabulaire sera choisi comme l’espace devant abriter
le noyau administratif de la future capitale. Ce positionnement en altitude obéissait à des fins
militaires. En effet, le site ayant été évacué manu militari de ces occupants originels,
l’emplacement en hauteur devait prévenir toute velléité de révolte de la part des Atchan. Les
occupants déguerpis furent réinstallés quelques kilomètres plus bas au nord-ouest et au sud-
est. Ce recasement donnera respectivement naissance aux villages de Akoué-Santey et
d’Adjamé.
Ainsi à l’opposé de la ville blanche qui prenait forme sur les hauteurs de la nouvelle capitale,
une ville indigène s’est développée dans la périphérie sud. Cette ville indigène s’est construite
autour du quartier de Gbagba mitoyen au site du village d’Adjamé dont il tirerait ses racines.
A l’origine, dénommé Babga du nom du génie protecteur de la rivière sacrée (aujourd’hui
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asséchée) qui drainait la plaine fluvio-lagunaire, le bloc Gbagba - Sans loi était le lieu
d’habitation d’une communauté Atchan. Sur ce site, s’étendaient à perte de vue d’importantes
exploitations de café et de cacao initiées par les colons. Pour diverses raisons mystico
religieuses en rapport avec le génie de la rivière, les autochtones Atchan abandonnèrent
progressivement le site. C’est à partir de 1953 que les premières communautés étrangères
commencèrent à s’y installer. S’ouvre ainsi l’ère des vagues d’immigration et de la diversité
ethnoculturelle. Quartier hétéroclite et populaire de l’époque, Gbagba auquel s’ajoutera plus
tard le lotissement dit Sans-loi (appelé initialement Sans-lot), est un espace sociologiquement
constitué d’autochtones et de ressortissants des communautés indigènes de l’Afrique
Occidentale française (AOF). L’une des conséquences de cette mixité urbaine naissante sera
la nouvelle appellation du site. En effet, la dénomination nouvelle « Gbagba » est une
déformation linguistique et tonale de l’appellation initiale « Bagba », qui serait le nom du
génie protecteur du site.
Si la ville « blanche » bâtie au sommet du plateau central a été construite suivant une
architecture métropolitaine, le bloc Gbagba - Sans loi situé en contrebas présente un contenu
architectural différent ayant l’allure d’un village. La structuration de la nouvelle capitale s’est
donc réalisée autour d’une ségrégation résidentielle. Du coup, se forgent deux catégories de
citadins. D’un côté, les citoyens blancs et de l’autre les indigènes. La ville des citoyens, reflet
du modèle colonial abritait tous les services de l’administration coloniale et les logements des
officiels. Quant à la ville nègre échappant quasiment à toute norme, elle est le siège des petits
métiers et le dortoir des indigènes exerçant des fonctions de domestique chez les blancs.
Granotier (1980) indique qu’il découle de cette opposition structurale et paysagère, une
catégorisation des citoyens. Le règne des classes sociales prend alors tout son sens et devient
parfaitement perceptible dans le paysage. La structuration du site de la nouvelle capitale a
donc abouti à une zonalité discriminante créant une fracture sociale et urbanistique dans le
paysage. Cette fracture a été amplifié et facilité par les dispositions naturelles du site marqué
par une topographie accidentée.
2- Un site favorable à « l’exclusion »
La nature et les caractéristiques du site de la partie méridionale de Bingerville où se situe
Gbagba, ne sont pas étrangères à sa fonction et son rôle dans le paysage urbain. Si Gbagba a
pris l’habitude depuis la période coloniale d’abriter les couches défavorisées et vulnérables,
c’est en partie le fait de la dépression aux allures de cuvette qui lui permet d’assumer ce rôle
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de refuge de la misère. Les pentes abruptes qui l’isolent du noyau central de la ville font de
cette poche de précarité un espace coupé de la vraie ville, une cachette pour masquer la
présence d’une pauvreté gênante. La compartimentation du relief en zone de basse et de haute
altitude permet de faire une rapide projection de la hiérarchisation des classes sociales qui
structurent le profil sociodémographique de la ville. La topographie du site se présente ainsi
comme une reproduction de l’échelle sociale : en altitude sur l’interfluve : la ville formelle
abritant l’élite ; en contrebas : une ville spontanée, composée de citoyens de seconde zone.
Dans la majorité des villes du tiers monde, les vallées qui jouxtent les quartiers huppés
servent de refuge pour une certaine catégorie de défavorisés en quête d’un mieux être (Casez
et Domingo, 1991). Le profil du bloc Gbagba – Sans loi n’est donc pas étranger à ce modèle.
La cuvette de Gbagba du fait qu’elle débouche sur une topographie plane assimilable à une
plaine fluvio lagunaire a favorisé l’extension de cette forme d’occupation illégale. Ainsi
depuis 1958, la progression des occupants a été régulière et constante. Le site a été
graduellement occupé depuis les pentes abruptes jusqu’au rivage suivant une orientation nord
– sud.
Figure 3: coupe topographique de la ville de Bingerville
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Photo 1: vue aérienne du bloc Gbagba – Sans loi (Google Earth, 2010)
3- Les paramètres socioéconomiques de l’auto entretien de la précarité
En général dans les pays du tiers monde, la multiplication et la pérennisation des poches de
précarité s’expliquent par la paupérisation grandissante. Les habitations précaires sont
habituellement la manifestation de la vulnérabilité sans cesse croissante des populations (qui y
vivent depuis des générations) mais en plus le signe de l’impuissance des pouvoirs publics
devant cette tragédie (Lacoste, 1984 ; Serrab – Moussannef, 2006). Ces espaces se
particularisent dans le paysage urbain par l’importance et la qualité de leur charge
démographique. Ils sont pour Olevera et al (2002) le refuge d’une masse d’oubliés et de
délaissés des systèmes sociaux. Selon Coutrot et Husson (1993), les populations des zones
d’habitation précaire croissent quatre fois plus vite que celles des quartiers légaux.
3-1 Pression démographique et promiscuité
A Bingerville, le bloc Gbagba - Sans loi et leur extension représente plus de 35% de la
population. Au vu des chiffres des RGPH 1975 et 1998, on peut affirmer que cette population
connaît un doublement toutes les deux décennies à peu près. En associant le quartier
agriculture à Gbagba et ses extensions, nous observons que la ville Bingerville a près de la
moitié de sa population qui vit dans des poches de précarité. L’entassement des populations
dans ces espaces spontanés, résulte d’une croissance naturelle soutenue et de flux migratoires.
Il est le principal indice des avancées de la précarité dans cette ville. L’augmentation
constante de la population dans ces poches de précarité s’explique à la fois par la régularité
des flux d’immigrants et par une natalité très élevée (INS, 1998). La pression sur l’espace
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découlant de cette croissance démographique soutenue a abouti à une consommation rapide
d’espace et l’accaparement parfois illégal de terrains.
Tableau 2 : Répartition de la population de Bingerville selon la typologie de l’habitat.
Nom de quartier
Population
1998 Type d'habitat
Résidentiel 3904 Haut standing
EECI 5244 Haut standing
Blachon 7861 Evolutif
Akoue-santé 1538 Evolutif-village
Harriste 3141 Evolutif-
Traditionnel Agriculture 1606 Précaire
Gbagba et sans loi 7527 Précaire
Gbagba extension 5214 Evolutif et précaire
Source : Nos enquêtes, 2012 -RGPH, 1998.
Au plan économique, la précarité se perçoit à travers le profil socio professionnel des
occupants du site mais surtout par la nature et la qualité des matériaux de construction. A
Gbagba, plus de 4/5 des chefs de ménage exercent une activité informelle du type petit
commerce (vente de beignets, boisson frelatée, gérant d’étals et de cabine téléphonique)
domestique, artisan et tâcheron (INS, 1998). Plus de 2/3 des interrogés durant nos enquêtes
disent avoir des revenus ne leur permettant pas de se loger dans de meilleures conditions. En
moyenne, nos enquêtes ont révélé que le revenu mensuel y était estimé à 28 500 FCFA. Ce
taux est proche de la moyenne nationale évaluée en 2009 à 33000 FCFA (DSRP, 2009).
L’espace est majoritairement parsemé de baraquements construits avec des matériaux de
récupération (banco, terre battue, feuilles de tôles jaunies ou rouillées et les planches usées).
Ces matériaux favorisent la construction de maisons de fortune dont les dimensions
n’obéissent à aucune norme. La facilité de construction de ce type de logis favorise leur
démultiplication dans l’espace. C’est un habitat consommateur d’espace du fait qu’il répond
sans trop de dépenses au besoin d’indépendance de certains membres de ménages voulant
aménager seul loin de la cellule communautaire de base qui les a accueillis. Les quelques
logements construits en dur se singularisent par leur vétusté et leur forme irrégulière parfois
en disharmonie avec le paysage aux alentours.
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Photo 2 et 3 :
Habitations
spontanées à Gbagba
(gauche) et à Sans
loi (droite).
(L’auteur, 2012)
L’occupation anarchique traduit un cycle de vulnérabilité de l’espace et de son contenu mais
dénote en plus d’une mauvaise maîtrise du foncier dans cette partie de la ville (Kouassi,
2010). La municipalité par manque de moyens et parfois de volonté, est très peu efficace et
manque parfois de volonté dans les tentatives de résolution de conflit relative au
morcellement et à la délimitation de parcelles à Gbagba. Cette anarchie qui s’est imposée en
mode de gestion ne facilite pas la matérialisation du projet de structuration et de viabilisation
du site (Koffi Y., 2004).
3-2 La proximité d’Abidjan : les effets d’une périphérie active
La multiplication des opportunités économiques offertes par la capitale économique Abidjan,
va fortement renforcer le pourvoir attractif de Gbagba sur une certaine catégorie d’urbain
appartenant à des couches sociales dites vulnérables (Loba, 2010). L’incidence majeure est le
renforcement de la fonction dortoir de Gbagba. Ce quartier va du fait de contingences
découlant d’un contexte économique peu favorable à l’emploi devenir un lieu de résidence
particulier.
3-2-1 Les impacts de l’économie de l’immobilier
L’ouverture de nombreux chantiers de construction immobilière sur les fronts d’urbanisation
Est et Ouest des communes de Cocody et de Bingerville a permis de mettre en exergue la
production de terrains urbains viabilisés initié depuis le début des années 1980 par les
pouvoirs publics. Ces opérations ont nécessité de gros investissements de la part de l’état, de
promoteurs et de sociétés privées. Le fonctionnement de ces chantiers a nécessité une main
d’œuvre abondante et bon marché (maçons, électriciens, menuisiers, tacherons..) le plus
souvent disponible dans les quartiers environnants. La rapidité de l’extension desdits chantiers
dans la périphérie de Cocody et l’intensité qu’ils vont connaître peu après 2001, constituent
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aux dires des chefs de communautés interviewés un facteur d’animation de la vie urbaine et
d’accroissement de la population résidente de Gbagba. En effet, recrutés ça et là dans tout
Abidjan, ces animateurs de la construction immobilière, présentant majoritairement le même
profil socioéconomique (migrant déscolarisé ou à faible niveau d’instruction) vont de façon
quasi instinctive choisir dans leur grande majorité Gbagba comme résidence secondaire. Les
opportunités qu’offrent Gbagba en matière de logement, leur ont permis de faire des
économies et de rester à proximité de leur chantier, leur lieu de travail. De plus certains
avaient déjà de la famille à Gbagba. Progressivement, Gbagba est devenu un réservoir
d’ouvriers de l’immobilier pour une économie du bâtiment en plein essor dans cette partie de
la banlieue abidjanaise.
3-2-2 Le recrutement du personnel de maison
Dans toutes les capitales africaines, les quartiers résidentiels de moyen et de haut standing
absorbent une frange non négligeable de sans emplois qu’ils transforment en domestiques
(Lacoste Y., 1984). On a à plusieurs reprises observé la création de poches d’habitation
spontanée à proximité de ces zones élitistes (Casez G., et Domingo J., 1991 ; Yapi-Diahou A.,
2003). Cette opportunité d’emploi qu’offre le résidentiel de haut standing, devient depuis
plusieurs décennies le nouveau moteur de l’informel au sud du sahara. Cette réalité n’est pas
étrangère à Gbagba. Plus de 60% des personnes entre 18 et 40 ans qui y ont été interrogés,
affirment avoir déjà exercé comme personnel de maison dans les quartiers huppés de la
commune de Cocody voisine. Pour la plus part, ils occupaient les fonctions de cuisinière
(25%), femme de ménage (20%), boy-cuisinier (30%), chauffeur (10%), vigile, ou veilleur de
nuit (15%). Dans l’ensemble, ils disent avoir établi résidence à Gbagba de façon temporaire
puis définitive du fait de la proximité d’avec leur lieu travail. Avec l’extension rapide des
quartiers de la riviera palmeraie, de ses environs et des deux plateaux nord (Angré, 7ème et
8ème tranche) la demande en personnel de maison a permis à de nombreux résidents de
Gbagba d’avoir du travail mais en plus a aussi contribué à faire migrer de nombreux
abidjanais en direction de Gbagba, parce que ayant eu un travail de domestique pas loin.
3-2-3 Impact de la mobilité et des moyens de transport
Si de nombreux acteurs de la sphère de l’informel ont à un moment donné, opté pour Gbagba
ou Sans-loi comme résidence secondaire c’est certainement du fait des coûts de loyers
relativement bas, mais surtout à cause de son accessibilité géographique. Partant de ce
principe, Gbagba et Sans-loi sont pour eux, une opportunité à saisir. En effet, la ville de
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Bingerville est facilement desservie depuis la commune d’Adajmé (centre commercial de la
ville d’Abidjan) par un imposant et dense réseau de transport en commun communément
appelé gbaka (mini cars). Ce réseau de transport accessible à toutes les bourses est très
sollicité et effectue des liaisons de jour comme de nuit. Ainsi Gbagba de par son contingent
d’ouvrier, de manœuvres et d’employé de maison, est l’origine d’intense mouvement
pendulaire de travail entre Bingerville et Abidjan. La proximité des lieux de travail
précédemment expliqué, renforce la fonction dortoir de cette enclave de précarité.
3-3 L’insertion par les réseaux communautaires
De façon régulière de nouveaux occupants s’installent à Gbagba et à Sans-loi. Pour plus des
2/3 d’entre eux, le bloc Gbagba Sans-loi a été le premier point de chute en Côte d’ivoire ou à
Abidjan. Ces arrivées sont massives et sont encouragées par des réseaux d’insertion
entretenus par les communautés d’immigrés. Ce sont elles qui facilitent l’intégration de ces
nouveaux arrivants pour la plupart des parents ou des amis. La présence très remarquée de
diverses communautés ivoiriennes ainsi que de ressortissants de pays limitrophes renforce
l’aspect cosmopolite du quartier et dénote de la très grande portée de l’aire d’influence du
quartier. A ce sujet, le bloc Gbagba-Sans-loi pourrait être considéré comme une miniature de
la CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest). En attendant le
premier emploi qui garantira leur autonomie, de nombreux migrants jouissent de ce système
d’entraide communautaire qui propose un tutorat avec des coûts réduits pour le logement. Les
loyers accessibles à toutes les bourses ne sont donc pas le fait d’un heureux hasard. Ils
participent pleinement à une stratégie communautaire d’intégration. Bon nombre de
propriétaires y ont développé cette approche ethnique dans ce système de location
particulièrement très attractif. Toute la stratégie d’intégration des nouveaux arrivants réside
dans cette capacité à loger qu’offre Gbagba. Chacune des communautés dispose de parcelles
obtenues à la suite d’accords passés avec les autochtones et/ou la municipalité. Ces lots
facilement exploitables entretiennent la logique tout azimuts de production de logements.
Mais en plus, elles disposent de système de solidarité inspiré de leur us et coutume. Vu la
forte demande en logement, on a parfois l’impression d’assister à une compétition animée par
les différentes communautés quant à l’occupation du sol. Elles s’adonnent à une colonisation
du moindre mètre carré dans un environnement parfois conflictuel. Les chefs de communauté
garant de la gestion des rapports et des équilibres sociaux veillent au bon fonctionnement de
ces mécanismes qu’ils jugent essentiel à la bonne marche de la vie en communauté. Leur
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implication conjuguée à celle des autorités municipales participent un temps soit peu à
résorber les conflits.
En somme, les mécanismes d’intégration déployés par les diverses communautés sont très
anciens et intimement liés à l’histoire de Gbagba et de Sans-loi et ce d’autant plus que
l’immigration y est un phénomène social majeur ayant participé à la construction de la mixité
de cet espace.
3-4 Les impacts d’un clientélisme politique : la confirmation d’une citoyenneté de seconde
zone
L’avènement de la communalisation a introduit dans l’univers politique ivoirien une nouvelle
forme de rapport entre les populations et les administrateurs des villes. A Bingerville, c’est en
1985 que la localité a été érigée en chef-lieu de commune de plein exercice. Le recours aux
principes démocratiques en l’occurrence le suffrage universel dans le choix des autorités
ayant en charge la gestion des villes, a placé les populations au centre de la prise de décision
et va révolutionner les équilibres et les rapports socio politiques dans le paysage urbain. Pour
les populations de Gbagba et de Sans loi, la communalisation a plus été un slogan qu’un
moyen de promotion du développement à l’échelle locale comme le prévoyait le législateur.
En vingt ans de pratique communale, rien de concret selon les populations n’a été réalisé pour
la poche de précarité que constitue Gbagba et Sans loi. A l’arrivée, le quartier se singularise
encore par l’anarchie, l’insalubrité, la multiplication des dépôts sauvages d’ordures
ménagères, et l’insécurité.
Photo 4 et 5 : Eau usée stagnante à proximité d’habitations
Ce milieu est favorable aux gênes, responsable de pathologie vectorielle comme le paludisme
(l’auteur, 2012).
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Les bonnes intentions de restructuration des poches de précarité mentionnées dans les
différents programmes triennaux depuis 1985 sont restées lettres mortes. Les populations se
sentent délaissées et abandonnées des pouvoirs municipaux. Selon les chefs de communauté
qui les représentent au conseil municipal de la ville, les habitants se considèrent comme des
acteurs et otages d’un jeu électoral duquel ils sortent toujours perdants. En effet, passé le
temps des campagnes électorales, ils ne représentent plus rien pour la municipalité. Au fil des
campagnes, les populations tentent de tourner ce jeu à leur avantage. Conscient de ce qu’ils
représentent dans l’électorat, ils usent de divers moyens de pression auprès des autorités afin
d’une part d’ajourner tous les projets de déguerpissement et d’autre part de tirer profit des
initiatives de lotissement entamés par la mairie ces dernières années. De cette situation naît un
immobilisme politique qui satisfait les deux parties : d’un coté le politique, qui se voit rassuré
du soutien de ces électeurs et d’un autre les populations de ces poches de précarité qui se
voient garantir leur « titre » de séjour avec en prime un statut de propriétaire terrien à la clé.
Les politiciens ne voient donc plus la nécessité et l’urgence de répondre aux besoins sociaux
en terme de structuration et d’équipement. Leur incapacité à agir, parfois faute d’imagination
mais le plus souvent faute de moyens financiers est masquée par un clientélisme politique qui
de facto confère un statut de citoyen de seconde zone aux habitants des dits quartiers
précaires. Pour cette catégorie de citoyen, il n’y a pas nécessité à agir dans l’option d’une
restructuration de leur cadre de vie. De plus les rapports avec cette catégorie de citoyens sont
gérés de façons différentes pas la mairie. Il s’établit une sorte de dialogue sur fond ethnique
par l’entremise des chefs de communautés entre les populations de ces quartiers et le maire.
On assiste à une projection de pratiques villageoises dans la gestion de relations sociétales
urbaines.
3-5 Un espace économique dominé par l’informel
La ville de Bingerville est une localité essentiellement administrative. Ses principales
fonctions sont celles de chef-lieu de commune, de sous-préfecture, et de centre scolaire. La
ville abrite en effet un des plus anciens lycées de Cote d’Ivoire : le lycée Jérémie Gnaléga,
ex-lycée garçons. Cette vocation de ville scolaire, Bingerville l’a hérité de la colonisation. Au
plan économique c’est une ville extrêmement dépendante d’Abidjan. Les opportunités
d’emploi y sont quasi inexistantes. Très peu de services y sont implantés et cela se justifie par
la fonction dortoir que le planificateur lui a assignée dans le projet de la Zone
d’aménagement différé Bingerville, Abidjan et Bassam (ZAD-BAB). La ville offre très peu
d’opportunités d’emploi, or elle a une population en constante progression depuis 1975. Le
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bloc Gbagba et Sans-loi, l’un de ces principaux foyers de forte concentration de population
abrite plus de 2/3 des actifs de la ville et est aussi le premier foyer en terme de demande
sociale (INS, 1998 ; DSRP, 2009). En dehors des activités informelles de la périphérie,
Bingerville offre très peu de possibilité de les insérer dans la vie socio professionnelle. Cette
absence de débouchés pour l’emploi pérennise dans une certaine mesure la précarité qui
définit le cadre de vie à Gbagba et Sans-loi.
Nous sommes en présence d’une ville incapable de créer un espace économique propre à elle.
Absorbée par l’exponentielle extension d’Abidjan, Bingerville ne peut que suivre la capitale
économique dans la spirale de paupérisation des masses urbaines qu’elle génère d’où la
persistance des poches de précarité dans tout le district. L’accélération du processus
d’urbanisation de Bingerville observée peu après 1999, va progressivement engendrer une
plus grande concentration de la pauvreté d’où le réflexe pour bon nombre de citadins de se
réfugier à Gbagba en attendant un avenir meilleur (Loba A., 2010). Des situations similaires
sont observées de façon générale au sud du Sahara comme l’atteste Olevera L. et al (2002) et
Serrab-Moussannef C., (2006).
Conclusion
La précarité urbaine qui frappe de plein fouet la majorité des villes au sud du Sahara est avant
tout la manifestation d’une crise structurelle héritée des mécanismes socioéconomiques à la
base de la formation de celles-ci. Cette position défendue par Casez G. et Domingo J., (1991),
se trouve entièrement justifiée au regard de la description du bloc Gbagba – Sans loi. Nous
observons que la réalité urbaine vécue à Gbagba – Sans loi n’est en rien différente des
modèles de ségrégation urbaine connu dans le tiers monde (Coutrot T. et Husson M., 1993).
En ce début de XXIème siècle, la question de la précarité et des ségrégations qui en découlent
est au cœur de la problématique du développement urbain. Notre étude nous conforte quant à
l’actualité de la problématique. Le présent article a mis en relief la combinaison de facteurs
historiques, politiques, sociaux et économiques qui structurent, organisent et entretiennent
cette ségrégation résidentielle. Le paysage de la ville est nettement marqué par cette spatialité
qui instruit sur son faible niveau de développement. Plus du tiers de la population résidente vit
dans cette précarité avancée. Ce zonage tend à institutionnaliser la paupérisation et la
catégorisation des citoyens de la localité. Il se pose un problème d’intégration des populations
à la dynamique de modernisation de la ville de Bingerville.
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En dépit des mesures d’adaption proposées et des efforts consentis depuis plusieurs décennies,
l’observation du paysage urbain de Bingerville nous donnent l’impression d’être au point de
départ. Une question demeure, celle de savoir comment et avec quelles ressources exorciser
cette précarité du paysage urbain ? A cette interrogation, les bailleurs de fonds et les
institutions internationales ayant en charge le financement du développement ont préconisé
que les populations elles mêmes deviennent le centre de décision. A cet effet, ils ont présenté
la décentralisation comme le remède approprié (DCGTx, 1986). Cette forme de gouvernance
initiée en Cote d’Ivoire avec la politique de communalisation a été confronté selon Yapi-
Diahou A., (1990, 2003) et DCGTx, (1993) à l’épineuse question de la mobilisation des
ressources. Cette raison explique en partie l’immobilisme constatée à Gbagba et Sans-loi
quant à la non tenue des promesses électorales relatives à la restructuration et à la viabilisation
du quartier. Se fondant sur l’expérience sud américaine, CEPALC (2005) plaide pour une
nouvelle approche du financement du développement dans le cadre de la lutte contre la
pauvreté urbaine qui nécessiterait la mise en place de politiques sectorielles soutenue par
l’aide internationale. L’idée est certes intéressante, mais expose les états à l’endettement et à
une programmation à court terme des politiques de développement, chose qui relègue au
second plan la planification à long terme véritable gage de progrès. Pour nous, la précarité
étant une problématique structurelle, la meilleure réponse à lui donner est de repenser la
structure de nos économies dans l’optique d’une meilleure redistribution des richesses.
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Femmes tisserandes à Ouagadougou ou la ré-interprétation d’un savoir-faire artisanal
Tisserandes dans le quartier de Cissin au secteur 16 de Ouagadougou Photo MTAS Mai 2010
Marie-Thérèse ARCENS SOME Sociologue
Institut des Sciences des Sociétés (INSS) Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)
Ouagadougou/ Burkina Faso
RESUME
De métier d’hommes, le tissage de pagne en fil coton est passé entre les mains des femmes dans les grandes villes du Burkina Faso. En effet, dans les années 1980, le président de la République Thomas Sankara a mis en place une politique pour la promotion de la femme, ce qui a permis à de nombreuses femmes de bénéficier de formation, notamment en matière de tissage artisanal et d’acquérir des métiers à tisser. La présente étude montre comment les tisserandes de Ouagadougou ont su s’approprier ce savoir-faire et passer de simples ménagères à des professionnelles du pagne tissé. Comment cette transformation sociale a pu se faire dans le temps ? Quelles sont les conséquences d’un tel changement social et économique sur la vie des femmes et de leur famille ? Les résultats auxquels nous sommes parvenus font état d’importants changements sociaux qui se traduisent en partie par des déséquilibres familiaux auxquels les acteurs sociaux (hommes et femmes tisserands) semblent peu adaptés.
Mots clés : changement social, tisserandes, urbain, transformation.
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ABSTRACT
From male profession, the power-loom weaving of loincloth in thread cotton passed in the hands of the women in the big cities of Burkina Faso. Indeed the 1980s, the president of the Republic Thomas Sankara set up a woman promotion policy what allowed many women to benefit from training, in particular regarding craft weaving and to acquire looms. The present study shows how the weavers at Ouagadougou knew how to appropriate this expertise and to move in from simple housewives to professionals of the weaved loincloth. How this social processing was able to be made in the time? What are the consequences of such a social and economic change on the life of the women and their family? The results we reached showed state social upheavals inherent to the passage of the loom of the men towards the women and family imbalance for which neither the men nor the women in urban zones had got ready.
Keywords: social change, weavers, urban, transformation.
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Introduction
En Afrique de l’ouest, le tissage était pratiqué par les hommes. Il s’agit d’un savoir-faire
transmis à travers l’islamisation, au fur et à mesure de son extension sur le territoire africain
(Grosfilley ; 1/2006). Au XIXe siècle, les hommes yarsé (1), premiers commerçants islamisés
sur le territoire burkinabé, ont adopté la technique de tissage utilisée par les (peuples)
nomades, ce métier à tisser ayant l’avantage d’être démontable pour le transport.
Cependant à partir du XXe siècle, une nette évolution se fait sentir, grâce au brassage des
cultures. Le premier changement fondamental concerne le processus d’inversion du genre,
grâce aux missionnaires chrétiens qui développent le tissage dans le milieu féminin
(Grosfilley ; 1/2006). En effet, il faut noter que le métier à tisser, interdit aux femmes en
milieu rural, était en bois et se pratiquait à la verticale, les jambes écartées. Dans les années
1950, les religieuses imaginent et construisent un métier à tisser horizontal à pédales pour les
femmes, qui peuvent l’utiliser assises. Les premières à être formées sont les jeunes filles
fuyant le mariage forcé (Grosfilley ; 1/2006). Dans les années 1970-80, le métier à tisser a été
amélioré avec une structure métallique par les religieux du village de Saaba, situé à une
dizaine de km de la capitale et quelques artisans du fer, qui prirent le relais. Ainsi, des
dizaines de femmes ont pu être formées au tissage soit par les religieuses relayées par des
femmes qu’elles ont elles-mêmes formées. (Grosfilley ; 1/2006).
Une autre évolution concerne l’agencement des couleurs dans le tissage, celui-ci revêtant une
expression culturelle. En effet, on distingue dans plusieurs ethnies (Samo, Bissa, Dagara)
burkinabè un maillage et des rayures institués pour les différents rites de passage : naissances,
mariages, funérailles. Le marché local est restreint et cette forme d’artisanat peine à se
développer en milieu urbain. Cependant sous la période révolutionnaire (1983-1987) conduite
par le président Sankara Thomas et son gouvernement, une politique de promotion du pagne
tissé, première du genre, connue sous l’appellation du ‘Faso dan fani’(2) permet de
vulgariser dans les villes d’Afrique de l’ouest le pagne tissé burkinabé.
Dans les années 1990, avec l’avènement des salons d’artisanat et des défilés de modes, des
stylistes africains se lancent dans une recherche d’amélioration de la qualité et de la couleur
du pagne tissé. Certains commencent à travailler directement avec des tisserandes et
conçoivent un maillage et des couleurs spécifiques, qui deviennent leur marque de fabrique.
Des coopératives se créent et adaptent les motifs à la demande urbaine. Du contexte
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traditionnel et religieux, le pagne tissé passe au modernisme. Le tissage devient une activité
professionnelle féminine grâce à une transformation sociale temporelle et au changement de
mentalité qui s’accélère avec le processus d’urbanisation.
Guy Rocher (1968 :22), défini le changement social comme étant « toutes transformations
observables et vérifiables dans le temps qui affectent d’une manière qui n’est pas que
provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une
collectivité et en modifie le cours de son histoire ». Les évolutionnistes lient le changement
social au progrès. Ils y voient des phases dans son déroulement et un facteur déterminant qui
l’anime. De façon complémentaire, l’approche fonctionnaliste privilégie les causes, qu’elles
soient endogènes ou exogènes, ainsi que l’effet de novation et de diffusion1.
Les transformations d’une société sur une courte période peuvent être observables et
vérifiables à partir des acteurs sociaux qui y sont liées par l’action, comme les tisserandes et
par la réflexion, comme les stylistes couturiers. Rocher G. a pour originalité de montrer dans
ses ouvrages et particulièrement dans « Introduction à la sociologie générale » (1968), que les
petites transformations et innovations qui ont cours dans les sociétés peuvent entrainer à
moyen et long termes des changements sociaux importants, portés par l’urbanisation et la
modernité. En effet, ces deux conditions favorisent, surtout pour les femmes et les jeunes, du
moins en Afrique, l’émergence de leur confiance en soi et de leur créativité. Ces deux aspects
deviennent des créneaux incontournables dans les collectivités, qui expriment des brides de
développement local2.
Ce qui nous interpelle ici particulièrement c’est cette notion de changement social portée par
des dimensions techniques, religieuses, économiques ou politiques. En effet, le religieux a une
dimension d’une grande portée en Afrique, qui est soit contraignante dans le respect strict de
rites et de pratiques (par exemple vestimentaire pour les femmes), soit facteur d’ouverture,
avec la participation à des formations professionnelles comme par exemple la récupération
par les sœurs de Saaba, des filles fuyant le mariage forcé pour leur apprendre la technique de
tissage. Dans une même dynamique, l’on peut retrouver les deux perspectives, pouvant
���������������������������������������� �������������������1 www.abs92.com/documents/boite 2 A côté des aspects liés aux revenus et aux ressources productives, l’accès aux services sociaux, l’exclusion sociale et l’absence de participation des pauvres aux prises de décisions sont aussi mis en exergue par d’autres publications, notamment celles des sciences sociales et humaines (Fall ; 2008). Mettre cette définition de la pauvreté en note de bas de page.
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transporter la technologie dans les confins des sociétés les plus traditionnelles. Cependant, la
construction tant bien que mal des état-nations en Afrique à travers les révolutions politiques
pousse les micros sociétés traditionalistes à s’ouvrir à l’innovation et à « l’idéologie du
changement » pour entrer de plein pied dans la modernité caractéristique des cités urbaines,
qui cautionnent toutes les luttes d’émancipation.
Notre problématique est sous tendue par le questionnement suivant : Quels sont les facteurs
liés à l’évolution de la technique du tissage à Ouagadougou ? Quelles sont les conditions qui
ont ouvert la voie au changement ? Comment le changement social se manifeste dans la vie
des femmes tisserandes ?
Méthodes de collecte de données
Il s’agit d’une étude essentiellement qualitative, dans laquelle nous avons mené des entretiens
semi ouverts avec différents acteurs travaillant directement ou indirectement dans le domaine
du pagne tissé. Les entretiens se sont déroulés au cours des trois premières semaines du mois
de mai 2010. Le chercheur a été secondé par un enquêteur maitrisant la langue mooré, parlé
par les femmes tisserandes. Notre terrain de recherche concerne deux arrondissements (2) de
Ouagadougou.
Nous avons rencontré les tisserandes dans plusieurs quartiers (3) des arrondissements de
Boulmiougou et de Nongr massom. Le choix de ces quartiers a été guidé par le besoin de
rechercher des tisserandes de conditions de vie différentes. En effet, nous avons travaillé avec
six tisserandes dans un quartier urbanisé dans les années 2000 : Rimkieta au secteur 19. Nous
avons également réalisé un entretien avec une femme résidant dans un quartier urbanisé dans
les années 1990 : il s’agit du quartier surnommé « ancien abattoir », intégré dans le quartier
Somgandé au secteur 25. L’une des femmes que nous voulions interviewer dans ce quartier
était en période de deuil et n’avait pas le droit de tisser au moment de l’enquête ; raison pour
laquelle l’échantillon de ce quartier est restreint par rapport à celui de Rimkieta. Nous avons
pris contact avec quatre tisserandes dans un des quartiers urbanisés dans les années 1980, que
l’on ne peut pas définir comme nanti mais où les ménages sont de conditions moyennes :
Cissin au secteur 16. L’ancienneté de l’urbanisation est une caractéristique essentielle de
l’amélioration des conditions de vie des ménages car les individus et les ménages qui vivent
depuis de nombreuses années dans des quartiers anciennement urbanisés, ont intégré les
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normes urbaines en menant des activités professionnelles qui s’adaptent de mieux en mieux
au contexte urbain.
Afin de cerner les circuits de commercialisation des pagnes tissés par les femmes de
Ouagadougou, nous avons réalisé un entretien avec deux commerçants de pagnes tissés (un
homme et une femme) et une styliste qui s’est spécialisée dans la confection du dan fani.
Nous avons élaboré un guide d’entretien pour les 11 femmes tisserandes de notre échantillon,
qui comportait 4 grands volets :
1 l’identification des acteurs,
2 leur formation au tissage,
3 la commercialisation de leurs produits et
4 leur perception de la politique nationale de promotion des produits artisanaux comme
la commercialisation du pagne tissé.
Un guide d’entretien a été utilisé pour la discussion avec les commerçants et la styliste,
présidente d’une coopérative, réunissant des commerçants et des tisserandes. Cinq thèmes ont
été mis en exergue :
1 l’identification des acteurs,
2 leur parcours dans leur profession,
3 leurs critères et exigences dans leur métier de commerçant de pagnes tissés ou de
stylistes,
4 leur circuit d’achat et de commercialisation,
5 leur perception de la promotion sur le plan national des produits artisanaux.
Nous avons mené les entretiens dans l’environnement de travail des personnes interviewées,
qui étaient parfois également leur milieu de vie. Des photos ont été prises sur les différents
sites, qui montrent les différences de conditions de vie et de travail des personnes
interviewées. En effet, sur les tisserandes sont photographiées dans ou à côté de leur domicile,
construit soit à banco dans les quartiers nouvellement lotis, soit en parpaing ou en semi
parpaing dans les quartiers plus urbanisés.
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L’article s’articule en trois parties. La première partie traite du contexte social et économique
défavorable poussant les femmes en particulier vers la capitale. La deuxième partie s’intéresse
aux femmes dans le métier du tissage et à l’évolution de la confection des pagnes tissés, des
matériels et des techniques utilisées. La troisième partie propose une analyse sur une
amélioration des conditions de vie des tisserandes, qui sont entrées dans le métier en tant que
femme au foyer.
1- Un contexte social et économique défavorable
Dès le début des années 1980, l’attention accordée à la lutte contre la pauvreté s’est
particulièrement intensifiée, tant au niveau de l’appréhension globale des enjeux au plan
international, qu’en ce qui concerne les stratégies et programmes nationaux de
développement. En effet, pendant la période de la révolution qu’a connue le pays en 1983, le
gouvernement en place a mis la priorité sur l’accès du Burkina Faso et de ses communautés, à
la modernité. Le pays est reconnu comme étant très pauvre, l’incidence de pauvreté étant
estimée en 2008 à 42.8% (Politique Nationale de Santé ; 2011). La majorité de ses habitants
vit essentiellement de l’agriculture et de l’élevage. Les traditions et coutumes sont pesantes,
particulièrement pour les femmes et les enfants. Le taux d’alphabétisation et d’éducation
scolaire est l’un des plus faibles au monde. En 2010, le taux brut de scolarisation post
primaire et secondaire est de 22,2% ; 29,7% pour le primaire et 10,4% pour le secondaire
(Annuaire statistique de l’enseignement secondaire ; 2009-2010). Même si le Burkina Faso
connait depuis une vingtaine d’années une urbanisation galopante, le niveau d’urbanisation
reste modéré par rapport à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal (42,7% en
1990), La Côte d’Ivoire (48,7%, en 1990), ou le Bénin (37,5%, en 1990)
(www.globenet.org). Aujourd’hui, seulement 23,6% de la population burkinabè vit en milieu
urbain (INSD ; 2008).
La pauvreté n’est généralement jamais définie par elle-même, mais abordée en fonction
d’autres concepts, comme ceux de la croissance, du bien-être, de l’exclusion ou encore de
l’équité. Il se définit généralement que par rapport à un contexte spécifique, qu’il soit
mondial, régional, national ou encore local et individuel. La première approche est surtout
basée sur le concept de pauvreté monétaire, que celle-ci soit mesurée à partir des revenus ou
de la consommation des ménages. La Banque mondiale est partisane de cette approche qu’elle
a développée dans ses publications diverses. Dans le cadre de cette définition, une personne
est donc considérée comme pauvre quand elle ne dispose pas d’un revenu suffisant pour
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satisfaire à un certain niveau de bien-être (Ambapour ; 2006). Ainsi, du point de vue des
revenus ou de la consommation des ménages, une personne est considérée comme pauvre si
son niveau de revenu ou de consommation est inférieur à un seuil de pauvreté prédéfini.
En milieu rural burkinabè, les communautés sont faiblement monétarisées et recherchent
plutôt l’autosuffisance alimentaire (exceptée dans les zones de cultures de rente). De plus en
plus précocement, les enfants apprennent à rechercher ailleurs que dans leur milieu de vie des
ressources financières, au détriment de leur éducation scolaire et de leur santé. L’exode rural
se développe, que ce soit avec le départ du chef de famille, ou des jeunes filles et garçons, en
quête de conditions de vie meilleures. Cependant en ville, les petites activités d’appoint des
femmes, ainsi que les activités sans formation des jeunes et des chefs de famille ne permettent
à la famille que de survivre. La scolarisation de la totalité de la fratrie devient un challenge,
leur alimentation journalière n’est pas assurée et leur santé est laissée à la dérive (Becquey et
Martin-Prével ; 2008). Cependant, le tissage est un métier qui va attirer beaucoup de femmes
et leur permettre d’assurer l’entretien de leur famille.
2- Les facteurs favorables liés à l’évolution du métier de tisserand
La ville permet d’élargir les perspectives des individus et des familles, grâce aux nouvelles
opportunités qui s’offrent particulièrement aux femmes et aux enfants (Stébé ; 2000). Ils ont
une nouvelle vie sociale plus diversifiée et une nouvelle approche de la solidarité et de
l’entraide.
La ville comme facteur d’ouverture et de nouvelle solidarité
En s’installant en milieu urbain, les nouveaux citadins apprennent à dépendre les uns des
autres et développent un système de solidarité tout nouveau, dans la mesure où l’appropriation
des valeurs et des normes citadines ne sont pas encore acquises (Bassand, Kaufmann, Joye ;
2001 : 147). La recherche d’une place dans cette société aux valeurs déstabilisantes, qui ne
s’appuie pas sur l’identité d’une même communauté culturelle, d’une même langue et de
traditions semblables poussent les arrivants à assoir une organisation sociale calquée sur ce
qu’ils connaissent mais qui s’en diffère sous multiples aspects. L’objectif est de permettre la
redistribution monétaire ou de biens matériels nécessaires à la survie, à travers ces réseaux
sociaux de type nouveau. Ainsi, les femmes et les enfants, accroissent leur participation
économique à la vie de la famille (Diaz Olvera ; Plat ; Pochet. 2002) et profitent des
politiques de changement social qui sont plus actives en milieu urbain.
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Le métier de tisserande en est un exemple d’évolution des mœurs permis par les facteurs
politique et social. Au Burkina Faso, le métier de tisserand est généralement pratiqué par les
hommes en milieu rural, jusqu’à la fin des années 1970. Avec l’avènement de la révolution
politique de 1983, les femmes en milieu urbain accèdent à ce métier. Moussa, commerçant de
pagnes tissés parle de son expérience :
« je suis installé à Rood wooko (grand marché de Ouagadougou) depuis 1980. La révolution (1983) nous y a trouvé. En ce temps, les femmes n’étaient pas nombreuses dans le métier. Les hommes tissaient le « petit pagne ». Avant, les hommes n’en faisaient pas en nombre suffisant. Il n’y avait pas beaucoup de villages où on pouvait trouver des tisserands ».
Les tisserandes de notre échantillon ont effectivement appris le métier entre 1990 et 2010.
Certaines sont encore en formation au moment de l’enquête. Une seule femme a apprit le
métier en 1986 et actuellement elle s’est érigée en formatrice pour les nouvelles femmes qui
s’installent dans le quartier Cissin. Comment ces femmes viennent-elles au métier de
tisserande ?
Moussa le commerçant donne son opinion :
« Quand nous avons commencé, les femmes étaient des ménagères. Elles n’exerçaient aucun métier. Elles se sont lancées dans le métier par imitation, l’une de l’autre et se sont rendu compte qu’elles y gagnaient. Beaucoup ont pu ainsi s’offrir des motos et des vélos ».
En effet toutes les femmes de notre échantillon se sont lancées dans ce métier par nécessité,
car elles sont illettrées et sans formation. Arrivées en ville où leur métier d’agricultrice ne
peut leur être d’aucune grande utilité, elles commencent à prospecter les activités qui sont à
leur portée : petit commerce, concassage de cailloux, mendicité, prostitution. Une des femmes
résidant à Rimkieta témoigne :
« Au début de mon mariage, j’ai beaucoup souffert à cause d’un vol de tous les biens de mon mari. Une de mes voisines a proposé de m’aider et m’a apprit le tissage en 1998. C’est ainsi que je m’en suis sortie, petit-à-petit ».
Dans les quartiers défavorisés, la solidarité entre femmes est de mise et dès qu’un créneau
s’offre à l’une, d’autres peuvent en profiter. L’une d’entre elles nous donne son expérience :
« J’ai appris à tisser avec ma voisine. Avant cela, j’allais au bas-fond trier le sable et casser les
graviers pour vendre aux entreprises de construction. Le maire de la commune nous a fait embarquer et comme sanction, ramasser les ordures qui s’entassaient le long des rails. Depuis lors j’ai pu obtenir cette formation ».
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Il en est de même pour les 11 femmes de l’échantillon, aucune n’ayant eu à financer sa
formation. C’aurait été un obstacle insurmontable pour pratiquement toutes.
« Je suis la formatrice. Nous sommes 2 à former les femmes du quartier de façon bénévole. Je me suis installée comme formatrice à Rimkieta depuis 2003, pour aider les femmes du quartier. Nous le faisons gratuitement pour permettre aux femmes de s’occuper de leurs enfants. »
L’information à Rimkieta s’est faite par le bouche à oreille. Par contre à Cissin, l’entrée des femmes dans le métier est quelque peu différente. Elle s’est faite pour quelques unes de mère en fille et pour d’autres par imitation, pour mener une activité lucrative.
«C’est ma mère qui m’a apprit les bases du tissage. Nous sommes 6 femmes de la même famille, 4
coépouses et 2 sœurs qui tissons ». Un autre témoignage d’une tisserande à Cissin : « Nous
nous auto formons entre femmes dans le quartier ». Emilienne installée dans le quartier de Somgandé donne son expérience : « J’ai appris (le métier) avec une femme du quartier qui elle-
même a apprit dans un centre de formation. Pour faire ma teinture, je me réfère à elle ». La formation en teinture est également gratuite.
Dans la ville de Ouagadougou, très peu d’hommes exercent ce métier. On trouve parfois de
jeunes agriculteurs provenant de la région de Bobo Dioulasso qui se mettent à la disposition
de femmes tisserandes. Ils sont généralement de l’ethnie Bobo reconnue pour exceller dans le
tissage de pagnes. Safi, une commerçante de pagnes tissés affirme :
«Je ne travaille avec aucun homme. J’en ai rencontré un vers le château d’eau de « quatr’ yaar » au secteur 30. C’est un Bobo. Ils sont spécialistes du tissage dans leur village. Il tisse avec sa femme ».
Il en est de même pour Moussa le commerçant :
« J’ai des pagnes indigo qui viennent de Tougan et qui sont tissés par les hommes (de l’ethnie) samogo. Ce sont eux qui excellent dans la teinture indigo. Je reçois aussi des pagnes de Téma. Le tissage au fil blanc cassé est fait par beaucoup de villages. Dans les villages, ce sont les hommes qui tissent. La bande mesure entre 10 et 13 cm de large. Les femmes à Ouagadougou tissent des bandes entre 30 et 40 cm de largeur ».
Le tissage de pagnes est devenu dans la capitale un monopole féminin. Un peu partout dans
les quartiers périphériques, de nombreuses femmes en ont fait leur métier. C’est cet artisanat
qui fait également vivre les ferronniers, artisans du fer travaillant dans ces mêmes quartiers. A
partir de 1983, l’évolution de l’ensemble du métier, de la conception, en passant par les
matériels utilisés, aux techniques de tissage et à la commercialisation, a été relativement
rapide au sein de la société urbaine. Plusieurs facteurs ont permis ces changements, qu’ils
soient politiques, économiques ou sociaux.
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L’évolution de la confection, des matériels et des techniques de tissage
Les différences entre le tissage des hommes en milieu rural et celui des femmes à
Ouagadougou continuent d’augmenter. Les hommes dans les campagnes travaillent sur des
métiers à tisser en bois, assis à même le sol (Grosfilley ; 1/2006). Le métier à tisser en bois est
difficile à manier et est inconfortable pour une femme. Une femme, surtout quand elle est
enceinte, ne peut pas utiliser le métier en bois, parce qu’il faut s’assoir sur le sol, les jambes
écartées. Par contre, le métier à tisser métallique se manie assis sur un tabouret et est plus
facile à utiliser que l’ancien métier.
L’ancien métier en bois utilise un fil rudimentaire, travaillé manuellement. Ce fil n’est
proposé que d’une seule couleur, le blanc cassé. Le pagne une fois terminé peut être teint par
trempage dans des décoctions végétales. Par contre avec le nouveau métier à tisser métallique,
les tisserandes utilisent le fil industriel en coton produit par l’entreprise FILSAH (5). Saouda
vit dans le quartier de Cissin. Elle parle de la technique qu’elle utilise :
« Le pagne traditionnel est 100% coton. Les bandes sont moins larges. Elles font 10 cm alors que les bandes modernes font 30 cm. Les nouvelles tisseuses (comme moi) ajoutent au coton du fil synthétique (brillant) ».��
L’arrivée sur le marché du tissage de fils industriels plus solides et mieux colorés, amènent les
tisseuses à développer leur créativité en produisant des pagnes de couleurs variées et de
modèles de dessin diversifiés. Auparavant, les tisserands produisaient uniquement des pagnes
blancs ou de teinture indigo et batik, utilisés au quotidien « entre usage quotidien et
traditionnel » (Grosfilley ; 2006). Waoga, vit dans le quartier de Rimkieta. Elle donne son
opinion sur le fil à tisser :
« Actuellement, les fils sont plus solides Nous faisons des bandes plus larges. Avant le fil était filé par les femmes manuellement ».
Le coton filé manuellement est épais, fragile et rugueux au toucher et ne convient pas aux
nouveaux métiers à tisser en fer forgé. Les pagnes teints avant le tissage sont techniquement
moins sophistiqués que ceux tissés avec des fils teints industriellement. De même, la couleur
du fil teint manuellement est moins stable que celle du fil industriel. Cependant, comme le
décrit Grosfilley (2006), les techniques artisanales utilisées révèlent tout « un savoir-faire
illustrant des spécificités régionales ». Le passage des techniques artisanales de préparation
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du fil de coton à l’utilisation du fil industriel va « promouvoir le savoir-faire des tisserandes »,
développer la filière coton ainsi que l’artisanat (Grosfilley ; idem).
Les tisserandes de Ouagadougou ont élargi les bandes qu’elles tissent, à des fins
commerciales, incitées par le marché et les stylistes devenus grands utilisateurs du Dan fani.
En effet, des couturiers ont fait évoluer le pagne tissé à travers des modèles représentant les
goûts de nombreuses nationalités africaines, ce qui a eu pour effet d’attirer une clientèle
hétéroclite, africaine et occidentale. C’est cette diversification de la clientèle qui a permis une
rupture au niveau de la créativité dans la fabrication des pagnes tissés.
3- Rôle du facteur politique dans la promotion de l’artisanat burkinabè
Dans les années 1980, le politique a joué un rôle essentiel dans la promotion du pagne tissé
burkinabé. Le Comité National de la Révolution (CNR)3 instaure un programme pour
« l’émancipation de la femme burkinabé ». L’Etat crée des institutions qui ont pour but de
valoriser et de promouvoir l’artisanat burkinabé (Ministère de la Promotion de la femme ;
2004 : 75). Les femmes ont désormais la possibilité de s’adonner au métier de tisserandes ;
car auparavant, il s’agissait d’un métier pour les hommes, comme l’explique une des femmes
tisserandes, 45 ans, née à quelques dizaines de km de Ouagadougou et résidant au secteur 19
(Rimkieta) :
« Mon père était tisserand traditionnel au village. Dans nos traditions, une femme ne pouvait pas
toucher au métier à tisser. Elle ne devait même pas passer à côté d’un tisserand ».
Le CNR a donc permis aux femmes d’investir le métier de tissage, dévolu auparavant aux
hommes. Avec l’urbanisation croissante et la transformation des goûts et de la mode
vestimentaire, les tisserandes ont commencé à développer certaines performances en matière
de technique, de teinture et de mélange des coloris. En effet, les créations des tisserandes
s’imprègnent de modernisme, délaissant les techniques et coloris traditionnels qui sont liées à
des valeurs sociales et culturelles. Les pagnes tissés sont de plus en plus recherchées par les
exposants des salons de promotion de l’art burkinabé : SIAO, FESPACO, CITHO (6). Ces
���������������������������������������� �������������������3 Le Comité National de la révolution a été créé par le Président Thomas Sankara en 1983 pour gouverner le pays. C'est le CNR, composé de militaires, qui prenait toutes les décisions sur la destinée du pays, entre autre concernant l’organisation de la capitale en secteurs administratifs, pour réduire le pouvoir des chefs coutumiers dans la ville.
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exposants sont des commerçants, des couturiers ou des artisans qui ont vu le marché du pagne
tissé se développer.
Généralement, les tisserandes n’ont aucune connaissance des techniques de
commercialisation, étant presque toutes illettrées ou faiblement instruites. Rosalie est mère de
7 enfants et réside dans le quartier Rimkieta. Son mari travaille dans une société de
gardiennage et son salaire est insuffisant pour entretenir sa femme et ses sept (7) enfants.
C’est la raison principale qui a conduit Rosalie en 2002, à se faire former au métier de
tisserande proposée par sa voisine. Elle a atteint le niveau de fin d’étude primaire mais ne
s’exprime qu’en mooré, une des langues nationales. Elle propose régulièrement ses produits
aux commerçants d’un marché de quartier :
«Je ne sais pas comment faire pour commercialiser à l’extérieur du Burkina. Je ne bouge pas de mon secteur. Je ne peux que compter sur les commerçants qui vendent mes produits pour me faire connaître hors du Burkina. Le SIAO et FESPACO sont des cadres qui sont trop éloignés de moi. Je me sens dépassée par ce qui s’y passe. Je ne parle pas français pour aller taper à la porte d’une banque. Je n’ose même pas m’en approcher ».
Les tisserandes ne connaissent pas les institutions de promotion artisanale mais comprennent
qu’elles doivent s’en approcher pour en tirer des avantages. Elles recherchent alors le soutien
des hommes, qui sont généralement des commerçants et qui ont les compétences nécessaires
pour vendre leur production dans la sous région africaine.
Dans le quartier Cissin, nous avons rencontré une quinzaine de femmes qui a trouvé les
moyens de pénétrer les circuits modernes de commercialisation du pagne tissé. Certains
hommes du quartier sont en effet installés comme commerçants au marché central ou ailleurs
en ville et vendent les produits de leurs épouses, mères, filles et voisines. Fati, mère de 9
enfants, illettrée, vend ses pagnes à sa coépouse et à son propre fils :
« Ma coépouse et mon fils achètent mes pagnes. Lors des salons, les exposants viennent aussi acheter les pagnes dans le quartier. Mon fils va à Bobo vendre les pagnes au grand marché ».
Saouda également commercialise avec les hommes de sa famille :��
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« Les hommes de ma famille, mon père et mon oncle commercialisent la production familiale. Ils ont des boutiques à Rood wooko, à Gounghin et à la galerie marchande Gourmandise, en face de Rood wooko ».
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Moussa, commerçant et époux d’une tisserande donne son exemple :
« Je n’ai jamais pris de stand au SIAO. Beaucoup d’exposants prennent des pagnes chez moi. J’ai des clients qui viennent d’un peu partout de l’Afrique. Les étrangers africains s’intéressent plus au pagne tissé burkinabé que les nationaux. Ils viennent du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Mali, du Cameroun, un peu du Ghana. Vous voyez, ce paquet doit partir pour la Côte d’Ivoire »����
Ces tisserandes du quartier Cissin qui ont pourtant acquis une notoriété dans leur savoir-faire
grâce aux commerçants de leur quartier n’ont aucune connaissance des circuits de
commercialisation que leurs produits empruntent. Elles ont cependant à leur portée des
commerçants qui vivent de la vente de leurs produits. Leur seul challenge est de produire
encore plus et de proposer de nouveaux modèles sur le marché. Saouda, la plus jeune des
tisserandes que nous avons rencontré à Cissin et qui semble être la plus créative, reconnait
qu’elle n’a aucune idée des destinations de ses produits. Elle connait cependant les goûts de
certains clients qui lui rendent visite. Par exemple, les modèles de prêt-à-porter féminin au
Sénégal sont spécifiques et reconnaissables à partir des couleurs choisies pour le tissage.
Moussa le commerçant nous montre dans sa boutique les choix des clients, selon leur
nationalité. Il n’a pas abandonné le pagne tissé à bande étroite à rayures bleues et blanches car
il est encore très demandé par une certaine catégorie de femmes burkinabè.
Le facteur politique a joué un rôle important dans l’évolution du métier de tisserand, en
l’ouvrant largement aux femmes, notamment celles qui vivaient en milieu urbain, sans
formation professionnelle et donc sans perspective d’une activité lucrative. Grâce à cette
ouverture, les stylistes ont prit le pas et ont fait connaitre le produit hors du Burkina Faso et de
l’Afrique, ce qui a contribué à l’amélioration de la technique du tissage et du matériel
composant le métier à tisser.
Ainsi, le pagne tissé burkinabè a connu une grande diffusion depuis les années 1980, avec une
volonté politique qui s’est affichée et a contribué à une reconnaissance de la technicité des
femmes et de la qualité du pagne proposé. La création d’institutions de promotion de
l’artisanat a amplifié le phénomène. Malgré cela, les femmes restent encore peu confiantes en
leur capacité à s’élever dans l’échelle sociale.
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4- Une amélioration de la condition de vie des femmes tisserandes à Ouagadougou ?
Traditionnellement, les femmes au Burkina Faso mènent une activité d’appoint pour appuyer
leur conjoint dans l’entretien de la famille. Elles apportent une aide au mari, car il est mal vu
et ressenti qu’une femme gagne mieux sa vie que son mari.
Cependant, avec l’urbanisation, les mentalités se transforment et les rôles sociaux des uns et
des autres sont bouleversés. La transformation du métier à tisser, sa vulgarisation à travers
diverses couches sociales et culturelles urbaines, font de cette innovation un catalyseur pour
un processus de changement social touchant d’abord les femmes et ensuite les familles dans
leur ensemble. Ce changement marque petit-à-petit la société urbaine grâce à une volonté
politique dans la création d’institutions de promotion de l’artisanat et au rôle joué par la haute
couture africaine à travers la créativité et l’évolution du design.
Cependant le fléchissement de la rigidité des hiérarchies sociales entre homme et femme
provoqué par ce processus dans l’évolution de la technicité du métier à tisser, marque un
déséquilibre chez les hommes, dans leur entendement de leurs droits et devoirs ainsi que de
leur rôle au sein de leur famille. En effet, les femmes tisserandes supplantent le chef de
famille dans le domaine financier, en pourvoyant aux besoins familiaux.
Le conflit social latent engendré par ce bouleversement au niveau familial n’est pourtant pas
en faveur des femmes, malgré le pouvoir financier qu’elles ont acquis. Les hommes ont fini
par se décharger de l’entretien de la famille sur leurs épouses.
Les tisserandes rencontrées dans le quartier Cissin apprécient le travail qu’elles mènent, car
leurs activités continuent de servir d’appoint pour l’entretien de la famille, dans la mesure où
les chefs de leur famille sont les commerçants de leur production de pagnes tissés. Mais ce
n’est pas le cas pour toutes, certaines étant le pilier de la famille. Kady est née à Tanghin
Dassouri, un village situé à 30 km de Ouagadougou. Elle s’est mariée et a rejoint son époux
dans le quartier Cissin avec lequel elle a eu 4 enfants. Son mari est épileptique et elle fait
vivre la famille avec ce qu’elle gagne grâce à son métier de tisserande. Dès son arrivée à
Cissin, une voisine lui apprend les rudiments du métier en 4 mois, afin qu’elle en tire profit le
plus rapidement possible. Dépourvue de soutien familial comme la plupart de ses voisines, le
peu qu’elle a apprit et qu’elle a du mal à développer lui permet néanmoins de vendre aux
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commerçants du quartier. Elle tisse selon les modèles qui lui sont demandés, n’étant pas
capable de créativité à l’instar de certaines de ses voisines :
« Avec le tissage, j’arrive à m’en sortir. Je nourris mes enfants et parviens à m’occuper de mon mari épileptique ».
Elle vit une situation familiale qui est celle de la majorité des tisserandes de Ouagadougou.
Elle habite une maison construite en banco, alors que certaines de ses voisines sont dans des
maisons en parpaing ou en semi parpaing. Sur les 11 tisserandes interviewées, 2 ont un
conjoint travaillant comme gardiens, 2 ont un mari blanchisseur, 1 est cordonnier, 1
commerçant, 2 sont au chômage, 1 est tailleur dans un marché local. 1 des femmes est veuve
et la plus jeune tisserande travaille avec son oncle et son père qui sont commerçants.
Julienne a quitté son village dès l’âge de 12 ans pour vivre avec son frère et sa belle sœur à
Ouagadougou. Cette dernière l’initie au tissage. Elle se marie à l’âge de 17 ans et a 4 enfants.
Elle vit avec ses enfants, sa coépouse et les enfants de cette dernière, dans une concession
comprenant 3 bâtiments construits en banco. La clôture de la maison est branlante et les
parties en banco qui se sont écroulées ont été remplacées par de la tôle rouillée. Julienne paie
les études de ses enfants, s’occupe de leur santé et de leur habillement. Pour y parvenir, elle se
lève à 4h du matin pour faire du ménage dans un hôpital. Elle rentre chez elle à 9h, se repose
1 à 2 h, avant d’installer son métier à tisser. Elle vend ses pagnes aux tailleurs du marché de
Koulweoghin et a réussi acheter un métier à tisser au centre artisanal féminin de Gounghin :
« Si j’avais plus de moyens, je tisserais plus de pagnes que je proposerais dans les services. Mais je ne peux pas constituer un fonds de roulement. Les matières premières coûtent chers. Les produits de teintures baissent le bénéfice réalisé. Mes bénéfices se limitent à payer la scolarité, l’alimentation et les soins de santé de mes enfants.»
Les femmes du quartier Rimkieta vivent la même précarité que leurs consœurs des autres
quartiers périphériques de Ouagadougou où se pratique le tissage de pagnes. Elles n’ont
aucune formation à part celle qu’elles ont pu acquérir entre elles gratuitement, sans diplôme ni
attestation.
Même si l’amélioration de leur condition de vie n’est pas spectaculaire, elle existe quand
même. Toutes les femmes rencontrées dans l’activité du tissage étaient auparavant sans
activité génératrice de revenu. Une des tisserandes de Rimkieta a expliqué qu’elle allait
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auparavant dans les bas-fonds pour casser des cailloux et tamiser le sable qu’elle vendait aux
entreprises de construction. Ces femmes parviennent avec ce métier à entretenir leur famille,
payer les études de leurs enfants et s’occuper de leur santé. C’est pour elles une évolution
dans leur condition de vie, alors que beaucoup de maris sont sans travail et parfois malades.
Pratiquement toutes les femmes rencontrées dans le cadre de cette enquête vivent dans des
maisons délabrées, construites en banco. L’une des conséquences de cette pauvreté vécue de
façon solidaire est le l’insuffisance d’initiative ou de connaissance de la ville et de ses rouages
pour parvenir à sortir du cercle vicieux du manque.
��������������������« L’analphabétisme est un blocage pour la créativité ». �
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C’est l’opinion de Kady de Cissin. Le manque de connaissances les fragilise et leur ôte toute
confiance en elles. Cela est visible dans leur manière de se présenter, de parler à toute
personne qu’elles estiment différentes d’elles comme par exemple les chercheurs venus leur
rendre visite.
« Le coût des matières premières est élevé. Nous faisons peu de bénéfices dans nos ventes. Le fils à 1600 f cfa le rouleau coûte cher. Il faut 5 paquets pour produire 11 pagnes. Je vends mes pagnes Entre 1100 f cfa et 7500 f cfa pour les plus sophistiqués ». �
Les tisserandes ne sont pas organisées en association ou en coopérative pour mieux faire
connaitre leur savoir-faire et inciter à élever les prix de vente. Aucune n’a également imaginé
qu’en groupe organisé, elles auraient plus de chance de contacter une structure de crédit. En
fait, elles ont besoin d’appui à l’organisation et au renforcement de leurs capacités
institutionnelles. Saouda confectionne des pagnes très prisés grâce à sa créativité. Mais quand
il s’agit de comprendre le fonctionnement des structures de crédit, elle répond : « C’est du domaine
de nos papas ».
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Elle ne se sent tout simplement pas concernée. Pingr Waoga a atteint le niveau collège et vit à
Rimkieta depuis 2001 avec ses deux enfants et son mari blanchisseur. Elle a été formée par sa
belle sœur en 1995 et depuis lors, n’a pas su développer sa petite activité qui lui permet juste
de faire vivre sa famille :
« Je sais qu’il existe des structures qui prêtent de l’argent. Mais je ne sais pas comment ça fonctionne ni comment m’informer ».��
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Il y a deux ans de cela, une association avait contacté ces femmes pour leur proposer un prêt
qui leur permettrait de s’équiper en métier à tisser avec les accessoires. Elles n’ont plus eu de
nouvelles, et n’ont pas cherché à la recontacter. Leur niveau de confiance en elles détermine
leur degré de réactivité face aux opportunités qui se présentent à elles ou aux aléas de la vie
qui deviennent très vite des contraintes insurmontables.
Conclusion
Nous avons voulu montrer comment un progrès technique a bouleversé une société, dans
différents domaines : économique, démographique, social. Le fait de mettre à leur portée le
métier à tisser, a donné l’occasion à des femmes en milieu urbain de se former dans un
nouveau métier qui leur était interdite dans certaines communautés rurales. Des apports
externes ont été nécessaires pour donner un coup de pouce à la transformation sociale qui
s’est opérées dans le temps : il y a eu la prise en main d’abord du religieux qui a permis la
vulgarisation de la technologie, puis la volonté politique qui a mis en exergue le port du
vêtement dan fani. C’est probablement l’occasion qu’ont su saisir les professionnels de la
haute couture africaine pour élever ce savoir-faire local à un niveau international. Les
différents salons de promotion artisanale à Ouagadougou sont un véritable tremplin pour le
tourisme et sont aussi des occasions pour les acteurs directs ou indirects œuvrant autour du
pagne tissé burkinabé pour faire évoluer cette transformation sociale vers de meilleures
conditions de vie des femmes tisserandes et de leur famille. Elles restent peu visibles dans le
contexte général de la promotion du pagne tissé, les stylistes et les commerçants étant en
première ligne. Une meilleure organisation de ces femmes dispersées dans les quartiers
périphériques de la capitale et vivant dans des maisons dépourvues d’eau et d’électricité,
devrait contribuer à donner une nouvelle impulsion au changement social qui a débuté avec
l’arrivée du métier à tisser en Afrique de l’ouest.
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Notes
(1) Les yarsé sont des populations d’origine mandé et musulmanes dans leur grande majorité, spécialisés dans le commerce. Ils ont gardé tout au long de leur histoire un lien particulier avec la société paysanne-guerrière Moaga et une place privilégiée à la cour du Roi, où ils étaient considérés comme les spécialistes religieux et conseillers à la cour. Ils disposaient de plus, du fait de leur fonction de commerçants, d’un poids économique considérable. Informations tirées des livres suivants : *Y. Georges Madiga et Oumarou Nao (sous la direction de). 2003. Burkina Faso, cent ans d’histoire (1895-1995). 2 volumes. Université de Ouagadougou. Département d’histoire. Coll Hommes et sociétés : histoire et géographie. *Sylviane Janin. 2010. Burkina Faso, pays des hommes intègres. Découvertes. 320 P.
(2) Le Faso dan fani est un concept qui a été lancé lors de la révolution de 1983 par le Comité National de Révolution (CNR). L’idée était de promouvoir la filière coton et la production du coton au Burkina Faso.
(3) La ville de Ouagadougou comptait 5 arrondissements jusqu’en 2012. L’arrondissement central, Baskuy comporte une douzaine de secteurs et les 4 autres arrondissements se répartissent les secteurs périphériques. Au total, la ville compte une trentaine de secteurs.
(4) Au moment de la Révolution en 1983, les autorités étatiques ont décidé de revoir le schéma urbain, afin de réduire l’autorité des chefs coutumiers qui régnaient sur les quartiers de la ville. Elles ont ainsi réparti les quartiers dans des secteurs et des arrondissements. La plupart des quartiers ont été morcelés entre les secteurs et parfois les arrondissements.
(5) FILSAH : Société de filature du Sahel
(6) SIAO/FESPACO/ CITO : Salon International de l’artisanat de Ouagadougou/ Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou/ Carrefour International du Théâtre de Ouagadougou.
(7) Batik et bogolan sont des techniques spécifiques de teinture du tissu.
(8) Le métier à tisser est fabriqué en fer forgé par les soudeurs. Selon les soudeurs et leur quartier de résidence, le métier avec la totalité des accessoires varie entre 35 000 (53, 52 euros) et 50 000 F cfa (76, 60 euros). La largeur des bandes peut varier selon les besoins commerciaux. Les fils sont achetés dans les marchés de Ouagadougou, commercialisés par FILSAh, une industrie burkinabé. Les coloris sont diversifiés, ce qui permet de créer différents modèles selon les goûts de chacun. Cela a permis de se conformer aux exigences des créateurs modernes (Pathé O., Martine Somé) et des commerçants étrangers (Mali, Sénégal, Bénin, Togo, Niger).
(9) Dans les marchés, les femmes achètent de la « teinte », 10 fois moins cher que la teinture de qualité, mais qui déteint rapidement au lavage). Cela leur permet de vendre leur pagne tissé moins cher que celles qui commercialisent avec les grands couturiers, et les commerçants exposants. Dans les marchés, les femmes vendent le pagne tissé de 1250 f cfa (1, 60 euros) à des tailleurs qui les teignent avant de les coudre. Quand il s’agit de commandes personnelles, elles peuvent les vendre à 3500 f cfa (5, 25 euros). A ce moment, les bandes sont plus larges et les coloris plus variés sur un seul pagne. Toutes les femmes ont été formées gratuitement, soit sur le tas, soit grâce au « bon voisinage » et à la solidarité d’une voisine, ou une parente (belle sœur, mère). Pour tisser, la plupart loue un métier à tisser à 1500 f cfa (2, 20 euros) par mois. Certaines ont pu en acheter à crédit, en faisant des retraits sur la vente de leurs pagnes commercialisés.
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Références bibliographiques
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Participation communautaire et gestion des services de santé : perceptions et stratégies des acteurs dans la zone sanitaire
de Comè (Bénin).
Roch A. HOUNGNIHIN
Maître-assistant en Anthropologie, Université d’Abomey-Calavi
Albert TINGBE-AZALOU
Maître de conférences en Sociologie, Université d’Abomey-Calavi
Elisabeth GNANSOUNOU FOURN
Maître-assistant en Sociologie, Université d’Abomey-Calavi
RESUME
Au Bénin, la mise en œuvre des réformes issues de la conférence internationale d’Alma Ata sur les Soins de Santé Primaires de 1978 nécessite, aujourd’hui, une réflexion sur la problématique de la participation communautaire, les modalités d’implication des bénéficiaires et les perceptions et pratiques des différentes parties prenantes. Dans ce cadre, une démarche qualitative de type transversal a permis d’enquêter auprès de cinquante personnes de différents profils socioprofessionnels dans la zone sanitaire de Comè, au cours du deuxième semestre 2012. Les résultats révèlent que le mode de désignation des représentants des communautés est un déterminant majeur de leur participation au fonctionnement des services de santé. Par ailleurs, l’interprétation divergente des textes par les différents acteurs est source de conflits de légitimité et d’attributions. Aujourd’hui, les comités de gestion constituent une force sociale incontestable, faisant de la participation un facteur d’amélioration du fonctionnement des centres de santé, même si le contexte qui a présidé à leur mise en place, a évolué, imposant une relecture des dispositions statutaires instituant le bénévolat.
Mots clés : Stratégies - Participation communautaire - Gestion - Services de santé – Comè.
ABSTRACT
In Benin, the implementation of reforms resulting from the Alma-Ata International Conference on Primary Health Care in 1978 requires, today, a reflection on the issue of community participation, the ways of involving beneficiaries and the perceptions and practices of different stakeholders. In this context, a qualitative and transversal approach allowed to survey fifty people from different socio-professional profiles in the health area of Come, during the second half of 2012. The results show that the method of appointment of
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representatives of communities is a major determinant of their participation in the operation of health services. In addition, difference in the interpretation of texts by different actors is a source of conflict of legitimacy and powers. Today, the health committees constitute a distinct social force, making participation a factor to improve the functioning of health centers, even if the context that led to their creation has evolved, requiring a replay of the status establishing volunteering.
Keywords: Strategies - Community participation - Management - Health services - Come.
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Introduction
En 1978, la Conférence Internationale d’Alma Ata (Ex. Union des Républiques Socialistes et
Soviétiques) sur les soins de santé primaires proclamait la participation des acteurs autres que
les professionnels de la santé au développement du secteur sanitaire (Organisation Mondiale
de la Santé, 2003). Reconnaissant le droit et le devoir pour l’individu de prendre part à la
mise en œuvre des soins qui lui sont destinés, cette assise définit la responsabilité des
collectivités et des personnes, en matière de participation au fonctionnement des systèmes de
santé. Ainsi, naquit une forme de démocratisation à la base qui implique la possibilité pour les
membres d’une communauté de se mettre ensemble pour identifier leurs problèmes de santé,
réfléchir sur les solutions appropriées, déterminer des mécanismes d’exécution et organiser le
suivi des actions. La Conférence d’Alma Ata décrit donc la participation comme une
caractéristique déterminante de l’action en santé communautaire.
Fournier P. et Potvin L. (1995) rapportent que depuis lors, les concepts de participation
communautaire et de soins de santé primaires ont fait l’objet de nombreux travaux de
recherche et de débats scientifiques. Pour les uns, ces concepts s’inscrivent dans une vision
holistique de la santé, et toute atteinte à ce principe est inacceptable (Wisner T., 1988 et
Segall M., 1987 cités par Fournier P. et Potvin L., 1995). Tandis que pour d’autres, il s’agit de
concepts trop larges qui ne peuvent s’opérationnaliser qu’au travers d’interventions limitées
(Walsh W. et Warren T., 1979 cité par Fournier P. et Potvin L., 1995). Ces auteurs notent
qu’« une revue des discours, des définitions et des cadres conceptuels de la participation
communautaire appliqués au secteur de la santé laisse apparaître un vide au niveau des
prémisses à la base du concept, générateur de confusions ». Au demeurant, la participation
communautaire « repose sur l’hypothèse que les personnes les plus exposées à la dégradation
de l’environnement socio-économique sont à même d’analyser leurs propres problèmes et de
participer à la recherche et à la mise en œuvre de pratiques nouvelles » (Bantuelle M., Morel
J. et Dargent D., 2000).
En un mot, le concept de participation communautaire est chargé de sens divers. D’une part, il
décrit des paradigmes propres aux populations pauvres ; d’autre part, il est articulé autour des
problèmes de santé des pays en voie de développement ; et parfois encore, il est perçu comme
le fondement d’interventions politiques, etc. Dans maintes situations, les théories mettent en
exergue les écarts entre les représentations et pratiques des acteurs sociaux et la philosophie et
les valeurs que véhicule le concept.
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Dans le domaine particulier de la santé, la participation s’inscrit dans une dimension
utilitariste, en tant qu’un moyen de mobilisation des ressources, en se fondant sur une
politique de promotion de «médicaments essentiels». Cette approche s’appuie sur l’efficacité
thérapeutique, la sécurité et la satisfaction des besoins de santé des populations (Baxerres C.,
2010). Ainsi, se développa une industrie pharmaceutique locale de médicaments génériques
basée sur le «learning by copying».
Mais, de nombreuses difficultés sont apparues dans le processus d’opérationnalisation des
principes d’Alma Ata, en raison notamment de problèmes financiers qui ont conditionné le
degré de soutien technique à la mise en œuvre des réformes. La crise économique des années
1970 et le poids de la dette des pays africains constituaient des contraintes pour les
investissements de l’Etat au profit du secteur sanitaire (Langley P., 1997). « Bien que les
indicateurs de résultats concernant certains programmes de lutte contre la maladie aient été
améliorés, l’impact sur l’équité, l’accès aux soins et la situation sanitaire est limité »
(Organisation Mondiale de la Santé, 2003).
Au Bénin, la mise en œuvre de la déclaration d’Alma Ata est articulée autour du renforcement
de la cession des médicaments à un coût abordable assortie de l’orientation des recettes en
faveur du réapprovisionnement et des frais de fonctionnement sous la responsabilité des
bénéficiaires. Cette option vise à rendre fonctionnel un système de recouvrement des coûts et
à faire des acteurs locaux le fondement même du système de financement des soins. Dans les
centres de santé, elle s’est traduite par la mise en place d’organes de cogestion appelés
« Comités de Gestion des Centres de Santé » (COGES). Les communautés sont ainsi
représentées au sein des instances de gestion de ces centres par des personnes mandatées par
elles. Ainsi, se pose la nécessité pour les bénéficiaires de participer activement aux enjeux
locaux de santé ; les COGES étant censés être des structures de dialogue social et sectoriel
mises en place pour faciliter l’accessibilité des populations aux soins de santé de qualité.
Au niveau national, les contraintes financières liées à l’adoption des principes d’Alma Ata ont
généré un accès limité des populations aux soins de santé, la pénurie des médicaments et
autres matériels de soins, la liquidation des centrales d’achat (Pharmapro et l’Office National
de Pharmacie), engendrant le développement du marché dit illicite de médicaments, la
dégradation de la qualité des prestations et la perte de crédibilité des services de santé auprès
des populations. Concomitamment, les décès infanto-maternels deviennent plus préoccupants.
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Les études sur la mortalité maternelle entre 1992 et 1996 montrent une surmortalité
maternelle des adolescentes de 15 à 19 ans (480 pour 100.000 naissances vivantes) et des
mères de 35 ans et plus (1.541 pour 100.000 naissances vivantes) (Delanne P. et Guingnido
G., 2003).
Aujourd’hui, plus de trois décennies après la Conférence d’Alma Ata, comment les COGES
assument-ils leur fonction de représentation des communautés au sein des instances de gestion
des centres de santé ? Quels sont les enjeux actuels liés à la contribution des acteurs sociaux ?
Dans cette perspective, la zone sanitaire de Comè a été choisie comme cadre de cette étude
qui vise à analyser par « le bas » les modalités de participation des communautés au
fonctionnement des services de santé.
APPROCHE METHODOLOGIQUE
Dispositif et cadre de l’étude
Dans le cadre de cette étude, une démarche qualitative de type transversal a été retenue.
L’analyse qualitative se base sur le postulat selon lequel le sens du phénomène examiné se
trouve davantage dans la nature de ce qui est dit que dans sa répartition quantitative (Mayer
R. et Saint-Jacques M. C., 2000). Cette approche semble appropriée pour l’exploration et la
description des perceptions, stratégies et pratiques des acteurs dans une zone géographique
donnée, sans permettre une généralisation à l’ensemble des régions.
La recherche a été effectuée dans la zone sanitaire de Comè, située au Sud-Ouest du Bénin, à
une quarantaine de kilomètres de Cotonou, la capitale économique du pays. Localisée dans le
département du Mono, cette zone sanitaire se compose administrativement des communes de
Bopa, Comè, Grand-Popo et Houéyogbé.
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Figure 1 : Carte sanitaire de la zone sanitaire de Comè
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D’une superficie de 3.800 km², la zone sanitaire de Comè compte environ 285.597 habitants,
soit une densité de 75,1 habitants au km². Les habitants de moins de 25 ans représentent 63%
de la population. L’espérance de vie est assez limitée : seulement 5,6% de la population
dépassent les 55 ans d’âge (Ministère de la Santé, 2012).
Tableau I : Répartition de la population de la zone sanitaire de Comè selon les catégories
sociales et les groupes d’âges
CommunesPopulations
totalesFemmes 15-49 ans
Enfants 0-11 mois
Enfants 12-36 mois
Zone sanitaire de Comè 285 597 63 781 9 241 27 018 Bopa 82 421 18 405 2 670 7 797 Comè 68 499 15 296 2 219 6 480 Grand-Popo 47 305 10 563 1 533 4 475 Houéyogbé 87 372 19 510 2 831 8 265
Source : Ministère de la Santé, 2012.
Les groupes socioculturels qui composent la zone sanitaire de Comè sont en majorité les
Sahouè (39,9%) et les Kotafon ou Tchi (21,3%). Les Ouatchi et Adja y sont également
présents pour respectivement 8,2% et 8,0% (Institut National de la Statistique et de l’Analyse
Economique, 2012).
La religion traditionnelle est pratiquée par la majorité des acteurs. Ses adeptes adorent de
nombreuses divinités telles que : Awhangan, Agboé, Hunvè et Lègba représentés par des
éléments de la nature. L’identité culturelle repose, entre autres, sur la croyance en un Dieu
suprême, créateur de l’univers, et sur le culte des ancêtres connu sous l’appellation de
« Vodoun ». L’Islam est par contre minoritaire ; il est surtout pratiqué par les immigrés.
Cependant, la plupart des fidèles des « grandes religions » (Christianisme et Islam) continuent
de croire en l’existence des divinités ancestrales (Houngnihin R. et al., 2012).
Sur le plan géographique, la zone sanitaire de Comè jouit d’un climat subéquatorial de
transition, caractérisé par deux saisons de pluie (avril à juin et septembre à novembre) et deux
saisons sèches (juillet à août et décembre à mars). La hauteur des pluies atteint en moyenne
1.025 mm par an. Leur maximum se situe entre juin et octobre. Cette période humide et
pluvieuse, se caractérise par des précipitations assez bien réparties et une transmission
beaucoup plus marquée des maladies infectieuses (Ministère de la Santé, 2012).
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Les principales activités pratiquées sont : l’agriculture, la pêche, l’élevage, la transformation
des produits agricoles, l’artisanat et le commerce. Les femmes se sont spécialisées dans la
promotion du petit élevage, la commercialisation des produits agricoles et les activités
artisanales (Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique, 2004).
Enfin, le profil épidémiologique de la zone sanitaire de Comè est caractérisé par la
prédominance des affections endémo-épidémiques dont le paludisme et les infections
respiratoires aigües qui demeurent les deux premières causes de consultation, quelque soit la
tranche d’âges.
Tableau II : Motifs de consultation (en %) dans la zone sanitaire de Comè de 2008 à 2011
Affections Années
2008 2009 2010 2011
Paludisme 38,71 41,24 41,40 42,34
Infections respiratoires aigües 16,75 13,46 13,91 14,35
Autres affections gastro-intestinales 9,75 9,88 10,05 10,36
Autres traumatismes 4,14 3,55 3,87 3,35
Anémie 1,29 3,17 2,92 2,78
Hypertension artérielle 2,73 2,38 2,57 2,60
Accident de circulation 2,53 1,97 2,42 2,50
Diarrhée fébrile - 1,51 1,55 1,58
Affections dermatologiques 1,79 1,34 1,57 1,52
Diarrhées avec déshydratation 2,25 1,22 1,26 1,29
Source: Zone sanitaire de Comè, 2011
Collecte des données
Les travaux de terrain ont circonscrit trois arrondissements au niveau de chacune des quatre
communes de la zone sanitaire de Comè. Ainsi, il a été effectué un tirage aléatoire simple de
ces arrondissements dont un central, un péricentral et un éloigné du chef-lieu de la commune.
La base de sondage pour cette opération est la liste de tous les arrondissements. Au niveau de
chaque arrondissement, un village a été retenu par tirage aléatoire simple. L’étude a donc
couvert douze arrondissements et douze villages.
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Tableau III : Sites d’investigation de l’étude
Communes Arrondissements Villages Bopa Bopa Doguia
Lobogo Lobogo centre
Gbakpodji Ahloumè
Comè Comè Djakoté
Oumako Oumako centre
Oudèmè-Pédah Kpétékan
Grand-Popo Grand-Popo Hêvè
Gbéhoué Adimado
Djanglanmè Tolèbèkpa
Houéyogbé Houéyogbé Tohon
Dahè Kpassakanmè
Honhoué Togbonou
L’étude s’est intéressée à cinquante personnes identifiées de façon raisonnée et réparties en
trois catégories socioprofessionnelles à savoir : (i) dix agents de santé à travers une analyse
institutionnelle des pratiques et des activités, (ii) trente représentants et membres de la
communauté pour examiner leur degré de motivation et leurs intérêts rationnels et (iii) dix
personnes ressources de diverses origines (élus locaux, sages, notables, tradipraticiens, etc.).
Cet effectif des enquêtés a été retenu au seuil de saturation des informations recherchées.
L’enquête s’est déroulée au cours du deuxième semestre 2012. Le recueil d’information
auprès des différents acteurs s’est fait au moyen d’entrevues individuelles semi-structurées et
de discussions de groupe. L’entrevue personnelle en face-à-face a été privilégiée, en raison du
fait qu’elle permet de clarifier les réponses, d’obtenir des réactions spontanées et de contrôler
l’ordre des questions (Pineault R., 1995). La discussion de groupe est, quant à elle, une
technique efficace pour explorer des thématiques peu connues ou pour récolter des opinions
(Bender D. E. et Ewbank D., 1994). Elle a permis de rassembler des personnes de même
milieu ou ayant des expériences semblables pour discuter des thématiques proposées,
notamment la fonctionnalité et la viabilité des COGES, les modalités de participation des
communautés en référence aux normes et standards en vigueur, etc. La représentativité des
membres des COGES, le rôle perçu et les relations que ces membres entretiennent avec les
agents de santé ont été également examinés.
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Traitement et analyse des données
Les entretiens individuels et les discussions de groupe ont été enregistrés sur des supports
magnétiques de type moderne. Leur transcription sous la forme de verbatims a été réalisée en
langue française. Le traitement a été fait selon la méthode d’analyse de contenu qui vise à
découvrir la signification du message présent dans le discours des participants (Nadeau M. A.,
1988).
RESULTATS
Les résultats présentés se rapportent au fondement de la participation communautaire, aux
modalités de désignation des membres des COGES et de fonctionnement des organes de
cogestion.
Genèse et fondement de la participation communautaire
Dès les années 1980, le Bénin a entrepris des recherches sur les problématiques liées à la
participation communautaire, notamment la mise en place d’un système de recouvrement des
coûts et de financement des soins de santé primaires (CREDESA/SSP, 1993). Le Projet de
Développement de la Santé de Pahou (PDSP), devenu le Centre de Recherche pour le
Développement et la Santé (CREDESA) en 1989 assurait la mise en œuvre de cette initiative.
L’expérience des projets de coopération multilatérale (tel que le Projet Bénino-Allemand des
Soins de Santé Primaires) en matière d’organisation des structures à base communautaire, de
recouvrement des coûts et de promotion de la participation active des populations à la gestion
des services de santé, est à souligner également (CREDESA/SSP, 1993).
En référence aux principes définis par la Conférence Internationale d’Alma Ata, toutes les
formations sanitaires du Bénin sont autorisées à vendre des médicaments essentiels et à
retenir en leur sein les recettes. Cette disposition est consacrée par les décrets n° 88-001 du 7
janvier 1988 et n° 88-068 du 18 novembre 1988 portant modalités des prix publics des
médicaments et produits pharmaceutiques. Les populations sont associées au processus de
gestion financière, à travers leurs représentants dûment mandatés. C’est le début de la
généralisation du « financement communautaire ».
De ce fait, à partir de 1990, de nouveaux textes (notamment le décret 90-346 du 14 novembre
1990 portant création, attributions et fonctionnement des Comités de Cogestion des Centres
de Santé) donnent aux COGES des pouvoirs plus étendus et limitent ceux des responsables
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des formations sanitaires. Conformément auxdits textes, le COGES a pour attributions de
contribuer à la mobilisation des ressources et de participer à la gestion du centre de santé à
travers les initiatives suivantes : planification des activités, information et sensibilisation de la
population, élaboration et approbation du budget, gestion financière et matérielle, gestion des
médicaments essentiels, gestion des conflits entre population et agents de santé, etc. Créé dans
chaque aire sanitaire, le COGES est composé de neuf membres dont le responsable du centre
de santé et la responsable de la maternité qui sont des membres à titre consultatif.
Mode de désignation et représentativité des membres des COGES
Dans la zone sanitaire de Comè, le mode de désignation des membres des COGES est un
déterminant majeur de la participation communautaire au fonctionnement des centres de
santé. En effet, un modèle uniforme de choix des membres des organes de cogestion n’est pas
appliqué, malgré les dispositions du règlement intérieur qui régit le fonctionnement de ces
organes et qui recommande une élection à travers le suffrage universel direct. Globalement,
deux modes de désignation des représentants de la communauté ont été répertoriés : d’une
part, l’élection par l’assemblée générale regroupant sur la place du village central, au marché
ou au centre de santé d’arrondissement, toute la population, du moins les acteurs intéressés et
ayant répondu à l’appel du crieur public ; et d’autre part, le choix de représentants par
l’assemblée générale de délégués mandatés par les villages.
De ce fait, le premier mode de choix des membres des COGES présente l’inconvénient
d’exclure, dans la plupart des cas, les délégués des autres villages en dehors de ceux du chef-
lieu de l’arrondissement. La difficile mobilisation de ces acteurs est l’un des aspects les plus
visibles de leur marginalisation. Le second mode de désignation pose, quant à lui, le problème
de la représentativité des délégués venus des villages. Généralement, le choix de ces derniers
est assuré par le chef du village, favorisant ainsi l’émergence d’acteurs de profils
socioprofessionnels standardisés se référant à la sénilité, l’obédience politique, la
consanguinité ou l’appartenance ethnique.
« Pour être écouté, il faut être d’un certain âge ; il faut être sage et influent ; c’est-à-dire que, si vous parlez à un groupe, il faut qu’on vous écoute » (Chef de village).
« [(...) Le truc n’a pas d’avantages. Pourtant, les gens disent : « il faut que j’aie mon frère dedans ; il faut que j’aie quelqu’un de mon parti politique dedans ». Vous savez,
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pour le faire, il suffit de battre campagne pendant trois jours. Si quelqu’un qui est lettré propose des choses comme ça aux paysans, ça passe vite. »] (Agent de santé).
Ces discours mettent en exergue les enjeux liés à la désignation des membres des
COGES et par-delà à la participation communautaire. Cependant, plusieurs dispensateurs de
soins développent des approches critiques, en insistant sur l’apparition de mécanismes
discriminatoires favorables à l’émergence d’acteurs scolarisés. Ce point de vue est
différemment apprécié par les populations qui préfèrent des représentants pouvant
« comprendre facilement ce qui se passe en haut ».
Profils et trajectoires socioprofessionnels des membres des COGES
Les premiers membres des COGES ont été installés en 1996 dans l’ensemble des zones
sanitaires du Bénin. Le renouvellement de ces organes a été opéré successivement en 2000,
2005 et 2010, consacrant l’avènement d’acteurs de plus en plus instruits et jeunes. Deux
profils socioprofessionnels majeurs se dégagent des COGES dans la zone sanitaire de Comè :
d’un côté, le personnel de l’administration publique (enseignants, agents du développement
rural, agents de santé, etc. encore en fonction ou à la retraite) et de l’autre, les déscolarisés et
les diplômés sans emploi.
La maîtrise du code normatif de transcription du Français, langue de travail au Bénin, est une
condition sine qua non liée à la fonction du membre de COGES. Cette perception se fonde sur
l’argument que le rôle de celui-ci consiste à « contrôler » l’agent de santé.
Tableau IV : Profils socioprofessionnels des membres des COGES dans la zone sanitaire de
Comè.
Profils des trois premiers responsables des COGES Effectifs Pourcentage Personnel de l’administration publique (enseignants, agents de santé, agents du développement rural, etc.) 45 70,3
Déscolarisés et diplômés sans emplois 14 21,9
Autres (agriculteurs, éleveurs et autres corps de métiers) 05 7,8
Total 64 100
Source : Enquête de terrain, zone sanitaire de Comè, 2012
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«Ce ne sont que des lettrés. Est-ce que le paysan va quitter son champ pour aller au centre de santé ? Si vous ne comprenez pas Français, comment pouvez-vous savoir ce qui se passe. Toi, trésorier, tu as à faire à un comptable, tu dois être instruit. Le secrétaire qui doit enregistrer l’entrée et la sortie des médicaments qui ne se fait pas dans la langue nationale ; le Président qui va signer les chèques, il faut qu’il voie clair dans ce qu’on lui présente. » (Président de COGES).
Ces profils socioprofessionnels des membres des COGES influencent les mécanismes de
gestion des ressources et les rapports avec le personnel de santé.
Conflit de légitimité et d’attributions entre les COGES et les agents de santé
De l’avis des agents de santé, des populations et des membres des COGES, deux attributions
majeures émergent de la fonction exercée par les COGES. La première fonction est relative au
contrôle de la gestion, notamment des médicaments et des recettes des centres de santé ; elle
est légitimée par un souci de transparence.
« (…) Il s’agit de suivre la gestion du centre de santé et d’en rendre compte à la population ; on a dit comité de gestion (…) » (Membre COGES).
Le contrôle de la gestion des médicaments se fait au moyen d’inventaires périodiques et de
supervisions financières effectués sur l’état de la caisse et les factures. La seconde attribution
des membres des COGES porte sur la sensibilisation des populations à participer au
fonctionnement du centre de santé. Cette fonction devrait permettre d’accroître la
fréquentation des formations sanitaires et favoriser un ratissage des zones d’accès difficile ou
dans lesquelles des réticences sont observées vis-à-vis des activités de santé (vaccinations
infantiles, consultations prénatales, accouchements assistés par des agents qualifiés, etc.).
A ces deux attributions, s’ajoutent subsidiairement la « défense » des intérêts des
communautés, le règlement des conflits généralement fréquents entre agents de santé et
populations, l’identification des indigents et le recouvrement des créances dues au centre de
santé par de tierces personnes.
Les rivalités observées au niveau local sont révélatrices de la perception et de l’interprétation
divergentes de ces attributions par les différents acteurs. D’un côté, on retrouve les agents de
santé qui dénoncent, à travers les pratiques des COGES, un « excès de zèle », une tendance à
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l’immixtion dans des « affaires professionnelles » telles que : la consultation des malades, la
prescription des médicaments, etc.
« (…) Pourquoi veulent-ils comprendre tout ce qui se passe dans la maison, alors que leurs tâches devraient se limiter à la sensibilisation des populations à fréquenter les formations sanitaires » (Agent de santé).
De l’autre côté, se positionnent les membres des COGES qui se targuent d’œuvrer pour la
réduction des pratiques peu orthodoxes développées par les agents de santé, telles que : le
détournement des recettes, le rançonnement des malades, la cession parallèle des
médicaments, le mauvais accueil, les absences intempestives au poste, etc.
« (…) La vente illicite des produits pharmaceutiques ; c’est une lutte quotidienne que nous menons. Les agents de santé savent que c’est formellement interdit. Lorsque nous les surprenons avec les sacs remplis de produits, nous saisissons ces produits que nous utilisons pour traiter gratuitement les malades. L’infirmer est donc ainsi sanctionné (…) ».
Ce conflit de légitimité et d’attributions entre les membres des COGES et le personnel de
santé est parfois exacerbé par une interprétation plus exigeante de la responsabilité des
premiers en matière de sécurisation des fonds publics.
« (...) Aujourd’hui, s’il y a un détournement des fonds, les gens du village ne vont pas s’attaquer directement à l’infirmier. On va dire que ce sont les fils du village, membres du COGES qui ont organisé ça. C’est pourquoi, chaque semaine, je contrôle le commis ».
Au total, on pourra se demander si la participation communautaire à travers les COGES,
constitue un atout ou une contrainte pour une gestion adéquate des services de santé. On
pourra également se demander si les représentants des populations bénéficiaires suppléent
efficacement les structures étatiques chargées d’assumer les fonctions de supervision et de
contrôle dans les formations sanitaires. A l’analyse, on constate aujourd’hui que les membres
des COGES constituent une force sociale incontestable, faisant de la participation
communautaire un facteur d’amélioration du fonctionnement des services de santé.
La question du bénévolat attaché à la fonction de membre de COGES
Dans la zone sanitaire de Comè, comme dans toutes les aires sanitaires du Bénin, les membres
des COGES exécutent des tâches volontaires et non rémunérées. Ce bénévolat attaché à leur
fonction est un autre facteur de dysfonctionnement de la cogestion. Il est, en effet, un
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instrument de démotivation des membres des organes de gestion en référence aux différentes
tâches qui leur incombent dans le fonctionnement des services de santé. Aussi, le contexte
socio-économique qui a présidé la mise en place du modèle actuel de la participation
communautaire à travers les COGES, a-t-il évolué, depuis la Conférence d’Alma-Ata. En
cours depuis la fin des années 1980 au Bénin, cette conjoncture impose, aujourd’hui, une
nouvelle lecture des dispositions statutaires instituant le bénévolat qui ne motive plus les
acteurs.
« (…) La philanthropie n’est plus de ce monde. En attendant donc de trouver une rémunération mensuelle à ces volontaires, on doit commencer par intéresser les COGES. Ils ont vu quelques millions dans les caisses. Il s’agit maintenant de leur imposer leur rôle de mobilisation sociale pour avoir davantage de moyens dans les comptes. Aujourd’hui, on ne peut pas encore en faire des salariés. » (Responsable sanitaire).
Une fonction rémunératrice au même titre que l’agent de santé qui perçoit un salaire mensuel
fonde la motivation première des acteurs destinés à être membres des COGES, même si ceux-
ci clament leur patriotisme et leur bonne foi. La légitimité de cette rémunération est attestée
par le fait qu’ils « abandonnent leurs occupations professionnelles pour se consacrer au bien-
être de la population ».
A l’opposée, se dessine une autre tendance, plus nuancée, qui soutient que la rémunération
des COGES peut être source de conflits et de luttes plus âpres entre les candidats potentiels et
peut aussi occulter le choix de représentants crédibles. Les membres des COGES apprécient à
juste titre la capacité du financement communautaire à supporter leur rémunération.
Maîtrisant les recettes et les charges récurrentes des centres de santé, ils reconnaissent qu’un
salaire mensuel ne saurait leur être alloué, compte tenu des recettes enregistrées, des dépenses
effectuées et du taux de fréquentation actuel des formations sanitaires.
« (…) Si on veut nous rémunérer, les structures ne peuvent pas fonctionner. Nous avons en charge certains salaires et des besoins énormes. Le centre ne pourra pas le faire. On peut parler de dédommagement à l’occasion des missions pour nous permettre de bien travailler » (Membre de COGES).
A titre illustratif, la zone sanitaire de Comè a réalisé, en 2011, des recettes issues du
financement communautaire évaluées à environ 164,07 millions de francs CFA dont 124,74
millions de francs CFA (soit plus de 76%) sur la cession de médicaments et consommables
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médicaux. Pour la même période, les dépenses effectuées s’élèvent à environ 155,47 millions
de francs CFA dont 83,06 millions de francs CFA au profit des médicaments et
consommables médicaux (soit environ 53,4%) et 27,11 millions de francs CFA au profit du
personnel (soit environ 17,4%) (Ministère de la Santé, 2012). Pour un solde d’environ 8,6
millions de francs CFA en 2011 pour trente-quatre formations sanitaires publiques, comment
pourra-t-on rémunérer environ 306 membres de COGES ?
Sans présumer de son degré, l’intéressement financier des membres des COGES pourrait
avoir un effet positif sur le fonctionnement des services de santé. On devra envisager des
modèles de financement alternatifs ou la réduction d’autres dépenses, surtout en personnel
que l’Etat central pourra désormais assumer.
CONCLUSION
La Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé établie en 1948, précise qu’«une
opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance
capitale pour l’amélioration de la santé des populations ». Mais, ce n’est qu’au cours des
années 1960 et 1970 que l’importance pratique de la participation communautaire à des
projets sanitaires a commencé à faire l’objet d’attention. Les initiatives mises en œuvre dans
certaines régions du Guatemala, du Niger et de la République-Unie de Tanzanie ont apporté la
preuve qu’une participation accrue de la population pouvait se traduire par une amélioration
de la santé des populations.
Le présent article contribue à examiner les fondements de la participation communautaire à la
gestion des services de santé dans la zone sanitaire de Comè. Une meilleure perspective de la
situation suppose l’établissement de priorités programmatiques qui intègrent les représentants
des bénéficiaires aux activités multiformes menées en vue d’améliorer leur santé. Cette option
devra permettre de rompre avec les stratégies de décentralisation actuellement en cours qui
génèrent des formes de marginalisation des communautés et qui sont un handicap à la gestion
durable des ressources disponibles (Egbe S., 1997 et Vabi M. B., 1998). Car, «alors même
que l’on prône partout la participation, les populations locales disposent de moins en moins de
contrôle sur l’accès à leurs ressources » (Lassagne A., 2005).
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Crise de la citoyenneté au Bénin : Analyse des fondements dans un contexte de mutation sociale
Romaric SAMSON
Master-recherche en Economie Publique et Statistique Appliquée Assistant de recherche à Institut de Recherche Empirique en Economie Politique
(IREEP)
RESUME
Cet article prend position au regard de la situation actuelle de la participation électorale et citoyenne. Avec un taux de participation électorale très erratique, le Bénin, semble avoir une démocratie actuellement aux prises avec une importante chute de la citoyenneté. Réfléchir sur cette chute fait déboucher immanquablement sur l’analyse de la «crise de la citoyenneté». Ce papier à donc pour objectif d’analyser les fondements d’une telle manifestation et de dégager les caractéristiques des citoyens enclins à une crise de la citoyenneté dans un contexte de profonde et perpétuelle transformation sociale. Les données de la quatrième édition des enquêtes du réseau Afrobaromètre (2008) utilsées, étalissent que les citoyens enclins à une crise de la citoyenneté affichent une plus forte préférence pour les affaires publiques, le multipartisme mais, ne montre aucun effet significatif quant à la préférence pour la démocratie.
Mots clés: Crise - citoyenneté - transformation sociale
ABSTRACT
This article takes position regarding the current situation of the electoral and civic participation. With a turnout very erratic, Benin seems to have a democracy now struggling with a significant drop of citizenship. Reflecting on this fact lead inevitably to an analysis of the "crisis of citizenship". Therefore this paper aims to analyze the foundations of such an event and identify the characteristics of people prone to a crisis of citizenship in a context of profound social and perpetual transformation. Data from the fourth edition of the Afrobarometer surveys (2008), establish that citizens inclined to a citizenship crisis have a higher preference for public affairs, multiparty, but shows no significant effect on preference for democracy.
Keywords: Crisis - citizenship –social transformation
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Introduction
Depuis la fin des années 1980, avec la libéralisation économique qui n’a épargné aucun de ces
Etats, l'Afrique, est traversée par un mouvement sans précédent de remise en cause des
systèmes et pratiques politiques établis depuis la décolonisation (LÔ Gourmo A., 2003). Dans
presque tous les pays, les systèmes politiques sont en voie de "démocratisation" (Oswald K. &
Damase S., 2008). Elle se traduit en particulier par la reconnaissance sans restriction des
partis politiques et une meilleure prise en compte des droits d’association et de circulation1.
La démocratie est alors devenue une « norme » recherchée par tous et certains pays jouent un
rôle d’avant-garde dans cette dynamique. Elle a enregistré d’énormes succès en Afrique
occidentale notamment la massification des populations à participer à diverses échéances
électorale, aux associations de partis ou de manifestations politiques alors qu’ils étaient
longtemps tenues à l'écart de la vie publique. En général, le niveau et l'intensité de leur
participation expriment leur degré élevé d'attachement à la démocratie et leur aspiration au
pluralisme, à la transparence, à la justice et à la contribution à la gestion des affaires publiques
et enfin, le sens de la construction de la citoyenneté’’ (LÔ Gourmo A., 2003). C’est l’ère de la
participation forte et active des citoyens aux affaires politiques mais, cette participation se
heurte de plus en plus et identiquement à des obstacles politiques ou civils. L’un des obstacles
majeurs de la démocratie en Afrique est qu’elle ne réalise pas toujours les aspirations des
citoyens (Oswald K. & Damase S., 2008). Or la non satisfaction des aspirations politiques,
économiques ou sociales des citoyens peut être source d’instabilité et de désintéressément à la
vie publique. En effet, ils peuvent soutenir des soulèvements populaires, des agitations
politiques (syndical ou d’association de groupe), faire des pétitions, des manifestations, des
grèves ou même, s’abstenir d’exprimer leur droite civique le plus absolue: le vote aux
élections. On assiste ainsi, à un renouvellement de la participation politique traditionnelle ou
originelle. Ce renouveau se traduit par un déclin ou un recul de la participation politique et
électorale et par voie de conséquence, un recul de l’exercice de la citoyenneté. Ainsi, selon
Soudan(2007), la participation électorale au législatives du 22 Juillet 2007 au Mali n'était que
de l'ordre de 10% dans la capitale Bamako. Au Bénin, les résultats de CENA (2006) révèle à
l’issue des élections présidentielles que sur 4 023 118 inscrits, 81.15% ont participé au
premier tour contre 67.46% au second tour, soit une baisse d’environ 14% de la participation
���������������������������������������� �������������������1 On lira avec intérêt : CEA/PNUD, Progrès en matière de bonne gouvernance depuis le Sommet mondial pour le développement social: l.expérience de l’Afrique centrale et de l’Ouest, Burkina Faso, Conférence de suivi du Sommet mondial pour le développement social pour les régions de l’Afrique centrale et de l’Ouest, 28-30 septembre 1999.
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au vote. Selon cette même source, on assiste à un taux d’abstention de 26.13% aux scrutins
présidentiels de 2001(premier et deuxième tour).
Il est de ce fait établi que le droit de vote constituant la base de la démocratie représentative
évolue vers une perte de valeur. Inquiet de voir la légitimité des élus politiques et, par suite, le
modèle démocratique de nos Etats saper par l’ampleur de la faible participation électorale ou
la montée de l’abstentionnisme, les politistes et les chercheurs académiques tentent
d’expliquer ce phénomène, maîtriser son ampleur et lui trouver un nom. Dans ce sens, la
situation est qualifiée de «crise de la citoyenneté» plutôt que de renouvellement du
comportement électorale. Tel est le contexte dans lequel s’inscrit la présente étude.
On s’attache d’abord aux éléments méthodologiques de collecte de données exploitées dans
cette étude. Viennent ensuite de façon alternative les théories avancées dans la littérature pour
justifier la crise de la citoyenneté et un état des lieux de cette thèse dans le cas du Bénin.
Enfin, une troisième partie qui présentera les résultats de cette étude.
Elément de méthodologie de collecte de données et d’échantillonnage
Les données que nous utilisons dans le cadre de cette étude sont issues des enquêtes
Afrobaromètre (round 4) réalisées au Bénin par l’Institut de Recherche Empirique en
Economie Politique (IREEP-Bénin). Afrobaromètre est un projet de recherche indépendant
qui collecte et dissémine à travers une série d'enquêtes comparatives des informations
concernant l'opinion des Africains sur la démocratie, la gouvernance, les réformes
économiques, la société civile et la qualité de vie. Basées sur des échantillons à
représentativité nationale, elles permettent d’analyser la perception de la gouvernance et la
participation citoyenne aux affaires publiques par les citoyens africains.
La méthodologie d’échantillonnage utilisée par les enquêtes Afrobaromètre part donc de
l’hypothèse de la représentativité de tous les citoyens en âge de voter dans un pays, c’est-à-
dire que, l'échantillon Afrobaromètre est de type aléatoire, par groupage, stratifié en zone
rurale et urbaine afin de donner à chaque citoyen adulte une chance égale et connue d’être
retenu pour être pris en compte dans l'échantillon d’étude. Le choix de cette méthodologie se
justifie par le fait qu’elle garantit une estimation sans biais des opinons de la population en
âge de voter des résultats. Cet objectif est cependant, atteint qu’en appliquant strictement des
méthodes de sélection aléatoire à chaque étape de l’échantillonnage et ce, avec une probabilité
proportionnelle à la taille de la population. Avec comme base d’échantillonnage les données
du recensement national le plus récent et, tirant des unités d'échantillonnage
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géographiquement définies, de taille décroissante à chaque degré, un échantillon de 1200
individus à travers les 12 départements et 69 des 77 communes que compte le pays, a été
constitué. La phase de terrain a été constituée des interviews personnalisées pour obtenir des
informations venant de répondants individuels. Au cours de l'interview individuelle,
l'enquêteur se rend dans un ménage sélectionné au hasard pour interviewer une personne tout
aussi sélectionnée au hasard au sein de ce ménage. L'enquêteur pose au répondant une série de
questions en entretien direct de type face-à-face, dans la langue de choix de celui-ci. Au cours
de cette interview, après les informations générales sur la zone de l’enquête et les questions
attitudinales et démographiques centrales, les thématiques suivant sont abordés : la
participation citoyenne, la perception et la satisfaction de la gouvernance et de la démocratie,
la connaissance des lois et quelques questions spécifiques sur la réalité existant dans chaque
pays.
Par ailleurs, dans le cadre de cet article, cette perspective méthodologie d’échantillonnage et
de collecte de données a été complétée par une analyse statistique et une analyse
économétrique dont la spécification est présentée plus loin.
Revue de littérature sur la crise de la citoyenneté
Il existe une foisonnante littérature sur l'étude de la démocratie et des comportements
politiques en général, traitant essentiellement les orientations des choix électoraux et la
participation politique des citoyens. Mais rares sont celles qui traitent singulièrement la
question de crise de la citoyenneté à travers le phénomène récurrent d’abstentionnisme aux
élections, aux manifestations et à la participation politique à l’ère actuelle de la globalisation
traduite par une profonde transformation des sociétés comme point d’encrage de l’avenir
démocratique de nos sociétés actuelles. Cependant, nous avons eu à exploiter un certain
nombre d'ouvrages spécialisés sur l'étude de la science politique et la sociologie ou le
comportement électorale. Le but de cette partie est de présenter ceux ayant évoqué la crise de
la citoyenneté comme expression pure et simple d’une abstention de l’expression de la
citoyenneté dans un contexte d’expansion et d’harmonisation des liens d’interdépendance
entre les nations, les activités humaines, les systèmes politiques, les échanges de biens, de
main d’œuvre, de connaissances technologiques et de vie sociale à l’échelle mondiale.
Participer à la politique consiste á "faire acte politique" en espérant que cela aura un effet sur
une collectivité donnée, depuis les échelons les plus locaux de la politique jusqu'á la sphère
nationale ou internationale. Considéré comme un indicateur de la santé d'une démocratie
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(Fieldhouse et al., 2007 ; Anne M., 2008), le niveau de participation aux élections en Europe
occidentale, dans les grandes démocraties américaines et même aussi en Afrique a une
tendance générale à la baisse (Aarts et Wessels 2005; Blais et Rubenson 2007; Franklin et al.
2004). Cela a conduit à craindre que la légitimité démocratique peut diminuer à mesure que
les élections sont de moins en moins considérées comme le «lien institutionnel» (Topf 1995a)
entre les citoyens et les Etats et que la participation politique connaît un coup.
Bréchon (2003), lors d’une étude faite avec le panel électoral de 2002 sur la participation des
français à la politique et aux élections en particulier trouve que le sens du vote est entrain de
changer et que la crise de la représentation politique est bien réelle. Pour cet auteur, en
France, la force de l'obligation de vote s'est altérée ; le vote est aujourd'hui davantage perçu
comme un droit que l'on exerce si l’on en saisit l'intérêt. Il se rationalise et s'individualise: ce
qui fait à la fois sa grandeur mais aussi sa fragilité.
Dans le même ordre d’idée, Muriel (2005) conclue que le désintéressement des français pour
la politique est aujourd’hui récurrent dans les discours des hommes politiques. Selon cet
auteur, c’est notamment à partir de l’observation des taux de la participation électorale que les
dirigeants politiques annoncent l’avènement d’une crise de la citoyenneté et corroborent la
thèse selon laquelle les français ne s’intéressent plus à la politique. Par ailleurs, à l’issue de
ces travaux, il conclut que la thèse d’un désintérêt croissant des français pour la collectivité
est en outre renforcée par l’observation de la même tendance dans la sphère syndicale. Ainsi,
le taux de syndicalisation, qui rapporte le nombre de salariés syndiqués à l’ensemble des
salariés, exprimé en pourcentage, permettant en effet de mesurer objectivement la propension
des Français à prendre leur vie en main et à agir collectivement est nettement en baisse entre
1949 et 1989. En outre, Muriel, prolongeant ces travaux en arrive à la conclusion qu’il existe
deux autres données qui sont prises en compte pour analyser le degré de participation des
français à la vie politique: il s’agit du nombre de journées de grève par an et du niveau de
mobilisation atteint lors des manifestions. En effet, la participation des citoyens aux différents
mouvements sociaux tend à diminuer (cf annexe A).
Ainsi, sans être exhaustif, la littérature que nous avions survolée identifie quelques indicateurs
servant à alimenter la thèse d’une «crise de la citoyenneté». Il s’agit du taux de
syndicalisation, taux de pénétration des partis politiques, taux d’adhésion aux associations à
caractère politique, nombre de journées de grèves par an, niveau de la mobilisation dans les
manifestations, les marches de protestation et enfin l’indicateur du «moral».
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Au delà des pays d'Europe Occidentale, les grandes démocraties comme les Etats-Unis
d'Amérique, ont également connu le problème. En 1956, le taux d'abstention a atteint jusqu'à
46% lors des présidentielle2.
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La faible mobilisation électorale et par conséquent la crise de la citoyenneté n’est pas
seulement l’apanage des pays développés. Le phénomène est également constaté dans les
pays en développement qui jadis avaient connu des années électorales (Nimaga, 2007).
En termes d'illustration, ces chiffres font beaucoup réfléchir: les taux d'abstention relevés lors
des dernières législatives au Cameroun et au Mali (du 22 Juillet 2007) ont atteint
respectivement 70% à Douala et jusqu'à 90% à Bamako (Jeune Afrique, 2007). Le
phénomène a été également constaté lors des législatives congolaises du 24 Juin 2007, où le
taux de participation a été beaucoup plus faible qu'annoncé 60%. Le Sénégal, qui constitue
l'un des pays phares de la démocratie en Afrique, a connu pour sa part le plus faible taux de
participation de son histoire politique lors des élections législatives du 03 Juin 2007 où seuls
34,75% des inscrits ont glissé leur bulletin dans l'urne après une forte participation à la
présidentielle du 25 Février 2007. Ce fort taux d'abstention peut s'expliquer surtout par le fait
que les principaux partis d'opposition ont appelé à boycotter le scrutin du 03 Juin 2007
(Nimaga, 2007).
La crise de la participation citoyenne semble également s'emparer des électeurs des Pays
Anglophones, particulièrement aux élections législatives, comme le montre les 41% de
participation relevés lors des législatives de Janvier 2007 en Gambie. Un taux qui fut
cependant plus élevé (58,58%) pour la réélection du Président Yahya JAMMEH en
Septembre 2006.
Les explications sociales et politiques de ces comportements d’abstention sont nombreuses et
non exclusives.. Le comportement abstentionniste est souvent aussi considéré comme le reflet
d’un défaut d’intégration sociale. Dans ce sens, Alain Lancelot considère dans un ouvrage
pionnier sur l’abstention électorale que « l’abstentionnisme doit être considéré plutôt comme
une norme culturelle conditionnée par des rapports sociaux. La participation électorale
apparaît au total comme une dimension secondaire de la participation sociale. Elle procède
d’un facteur général qui est le degré d’intégration à la collectivité»3. Dans le sillage d’auteurs
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2 W.P. NELON et W. AARON, L'élection présidentielle aux Etats-Unis, Paris, Nouveaux Horizons, 10ème Éd. P 419
3Alain Lancelot, L’Abstentionnisme électoral en France, 1968.
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tels que Pierre Bourdieu4 (utilisant les sans réponses dans les sondages comme indicateur du
rapport au politique) ou Daniel Gaxie5, l’abstention est souvent appréhendée comme
l’extériorisation d’un sentiment subjectif d’incompétence à comprendre les débats et enjeux
des différentes élections politiques. Cependant les déterminants sociaux d’une abstention
structurelle n’épuisent pas les explications mobilisables du phénomène abstentionniste. Il
existe par ailleurs une abstention conjoncturelle liée à des modalités politiques. Ainsi, plus le
citoyen se sent « dépassé » par le niveau de l’élection concernée et la complexité des enjeux
qu’elles traitent (exemple des élections européennes), plus le taux de participation sera faible
(élections alors considérées comme étant de « second rang »). De même, la fréquence des
élections et leur multiplication (exemple de la Suisse avec de nombreux référendums) «
démobilisent » les électeurs.
En somme, en matière de sociologie électorale, il existe, deux approches d'analyse du
comportement électoral qui s'opposent. L'une, la plus ancienne insiste sur les variables
lourdes telles que le poids des communautés d'appartenance. Selon cette approche, le vote
serait un comportement individuel mais réglé par les normes collectives (N. Mayer et P.
Perrineau, 1992).La seconde approche, la plus récente, s'appuie sur une analyse économique
des choix électoraux et prévoyant la naissance d'un nouvel électeur rationnel« homo politicus»
(L. Blondiaux, 1996). Et, cette littérature, non moins exhaustive nous permet de conclure que
divers facteurs influencent la crise de la citoyenneté. Il convient à cet effet de rappeler le
constat qu’en plus de cette fâcheuse destruction de la citoyenneté, la société vit présentement
une période de profondes mutations socioéconomiques. L’électorat plus âgé voyage
davantage et jouit généralement des conditions de retraite plus confortable que les
prédécesseurs. Les jeunes, bombardé d’informations, sont branchés aux nouvelles
technologies de l’information et sont confrontés à un monde du travail très compétitif où un
seul diplômé d’études post secondaire n’est souvent plus suffisant. Les étudiants planifient
leur carrière sur un horizon beaucoup plus large et se déplacent davantage qu’auparavant. La
population en générale est mieux informée d’une part, mais elle subit, d’autre part, les effets
de la désinformation causée par une hypermédiatisation influençant l’arène politique et le
choix des électeurs (McCombs & M.Shaw, 1972).
���������������������������������������� �������������������4 Pierre Bourdieu, La Distinction, 1979 5 Daniel Gaxie, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation démocratique, 1978.
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Etat des lieux sur la « crise de la citoyenneté» au Bénin
Après dix sept années de régime dirigé par une élite militaire prônant le monolithisme
politique, le Bénin a opéré un passage à la démocratie à partir de 1990. La crise économique
et socio-politique des années 1985 a entraîné des mouvements populaires de revendication
démocratique (Gbado 1991 ; Banégas 2003 ; Noudjènoumè 1999). Ceux-ci n’ont pu prendre
fin qu’avec l´organisation d’une conférence nationale des forces vives, une sorte de palabre
socio-politique (Eboussi Boulanga, 1993 : 147) qui a permis au pays de se réconcilier avec
lui-même par le consensus (Kohnert et Preuss 1992 ; Heilbrunn 1993 ; Adamon 1995) et de
jeter les bases d’un Etat de droit démocratique.
Pris dans ce contexte, le pouvoir n’est plus a priori exclusivement aux mains d´une élite
militaire ni des seuls akowé (intellectuels)6 encore moins d´une catégorie sociale privilégiée.
Le jeu électoral n’est plus fermé. La compétition politique devient ouverte voire très ouverte. Il
y a comme un «basculement équilibré» dans l´accessibilité à la gestion des affaires politiques;
la société civile est de plus en plus évoquée comme force susceptible de réduire l’influence des
Etats issue des indépendances.
La dynamique d’action de la société civile est devenue si forte que, les institutions étatiques et
les partenaires au développement ont dû s’intéresser de près à leurs activités. En effet, dès
1996, le Président Kérékou a ajouté aux attributions du ministère en charge des relations avec
les institutions de l’État, l’attribution de «relations avec la société civile» Badet(2010). En
cette époque, la société civile, regroupée en réseaux, a organisé dans toutes les localités des
séances de collecte des aspirations des populations à la base. Ces aspirations ont été
compilées sous la forme de propositions de la société civile, lesquelles ont été prises en
compte dans le cadre des travaux des groupes.
La période démocratique est ainsi ouvre avec une lueur d’espoir caractérisée entre autre par
une sursyndicalisation du corps enseignants et le dialogue sociale (Banégas 2003, Granoux
2007). Les syndicats œuvrent pour la formation professionnelle et éducative de leurs
adhérents à travers les séminaires, journées de réflexion, des stages aussi bien à l’intérieur
qu’à l’extérieur du pays. S’agissant du dialogue social, même s’il existe des élections pour
désigner les centrales syndicales les plus représentatives dans le secteur public, comme dans
le secteur privé, l’État essaye de dialoguer avec toutes les centrales syndicales. Mais le constat
est que très régulièrement, notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou des
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6 Pour une discussion du terme akowé ou évolué, lire Banégas (2003).
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finances, de nombreuses grèves paralysent les services publics et démontrent que le dialogue
social est en panne au Bénin. Le droit de vote des citoyens a connu une forte politisation et
désormais contrôlé par une Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) alors que
les conditions favorisant un bon déroulement des élections, à savoir les libertés de pensée,
d’opinion, d’expression, de presse, d’association, de réunion et de manifestation sont
consacrées par les dispositions (aux articles 23 et 24) de la cour constitutionnelle. A partir de
ce moment, la participation aux élections au Bénin est conditionnée à l’inscription sur une
liste électorale pour les citoyens béninois âgés de 18 ans et jouissants des droits civils et
politiques7. Au lendemain du processus démocratique, les élections au Bénin recevaient
plusieurs observateurs internationaux à chaque cycle électoral. Les missions internationales
d’observation des élections arrivent désormais en nombres de moins en moins importants
avec les cycles plus récents des élections. A cela s’ajoute aujourd’hui la crise de la
citoyenneté traduite par une baisse appréciable de la participation des citoyens aux scrutins,
aux manifestations et associations politiques. En effet les premier et deuxième tours des
élections présidentielles offrent l’illustration la plus frappante de ce phénomène: oscillant en
moyenne autour de 80% au premier tour de 1996 à 2011, le taux de participation chute au
second tour aux alentours de 70% en 1996, descend jusqu’à 54% en 2001 avant de remonter
vers 60% en 2006(CENA, 2011). Les élections législatives ont quant à elles connu une baisse
progressive de l’expression de la citoyenneté à travers les urnes. D’environ 76% en 1995, le
taux de participation citoyenne s’est situé à 59%. Ce déclin de la citoyenneté au Bénin est-elle
«épisodique» ou annonce t-elle le début d’une abstention chronique que l’on qualifie dès lors
de «crise de la citoyenneté»? Cette question est à l’origine de la présente recherche.
Face à ce questionnement, il ressort que la société dans laquelle habitent et se côtoient les
potentiels électeurs n’a pas eu un profile stable dans le temps. Les facteurs politico-socio-
économique, conjoncturelle et de plus en plus structurelle traduisant les transformations
sociales se sont jalonnés et ont affecté dans une certaine mesure l’exercice de la citoyenneté.
En effet, l'unanimité sur la loi du marché, la globalisation économique, l'émergence de
pratiques et d'institutions démocratiques, l’émergence d’une société planétaire de
l’information, la prise en compte de la société civile, l’expression de plus en plus tonitruante
de revendications locales et communautaires en contre-pieds de la mondialisation, sont autant
de facteurs qui, ajoutés aux effets des processus de décentralisation initiés dans nombres de
pays depuis quelques années façonnent le secteur et la gestion publics et imposent de plus en
plus aux exécutifs d'apporter des solutions aux besoins des populations. Ces transformations ���������������������������������������� �������������������7 Loi90-034 du 31 décembre 1990 portant règles générales pour les élections du Président de la République et des membres de l’Assemblée nationale.
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intègrent les politiques menées dans le cadre des programmes d'ajustement structurel (PAS)
qui ont conduit à un recentrage de l'Etat sur ses fonctions régaliennes et conséquemment à un
redimensionnement de l'Administration publique par rapport à ce nouveau périmètre de l'Etat.
Dès lors, les campagnes électorales, le clientélisme et bien d’autres formes démocratiques
favorisent l’expérimentation de nouveaux modes de gouvernance et stimulent l’apparition de
nouvelles formes de citoyenneté (Nicollet L., 1994). Dans les pays en développement, et
particulièrement au Bénin, l’explosion de la croissance urbaine et les mouvements migratoires
accélèrent les transformations radicales en œuvre dans la société. Ces mutations fulgurantes
affectent les comportements collectifs autant qu’individuels et, des nouvelles citoyennetés se
construisent qu’il est devenu urgent de cerner et de comprendre pour mieux pouvoir les
accompagner.
Pour apporter notre contribution à cette thèse, nous s’inscrivons le phénomène dans un
contexte de profonde métamorphose sociale. Ainsi la question qui motive la présente
recherche est désormais de savoir les fondements sociaux qui entretiennent la destruction de
la citoyenneté au Bénin. Autrement dit, notre réflexion, en vue d’une reconstruction de la
citoyenneté au Bénin s’attachera de répondre à la question suivante: Quels sont les
fondements de la crise de la citoyenneté dans un contexte de profond et perpétuel changement
social?
L’objectif de la présente étude est d’Analyser les fondements de la crise de la citoyenneté dans
un contexte de transformation sociale au Bénin afin d’élucider les décideurs politiques face
aux enjeux de leur politique de société et mettre en lumière les opportunités devant servir à la
construction d’une démocratie représentative, une bonne gouvernance et le maintien des
citoyens dans le jeu politique.
Spécification du modèle d’analyse
Dans cette étude, nous nous inspirons des travaux antérieurs sur la participation politique et
électorale. Nous procéderons à une série d’analyse bi variée et multi variée sur les variables
socio démographique et politique qui entrent en ligne de compte des modèles économétriques.
A l’issu de cette étape, suivra une analyse de régression logistique multinomiale expliquant la
crise de la citoyenneté afin d’en identifier les fondements d’une telle thèse dans un contexte
de mutations sociale. En ces termes, il sera question de spécifier la probabilité d’apparition de
l’événement «Abstention à participer aux manifestations politiques ou aux marches de
protestation» pour un individu i. � i [1, N] on observe si un certain évènement s’est réalisé et
l’on note yi la variable codée associée à cet évènement.
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On pose,
yi =
On aura à définir la probabilité de survenue de l’événement qui n’est rien d’autre que
l’espérance mathématique de la variable codée yi :
Pr (yi = 1|xi) = F (xi�) = et Pr (yi = 0) =1 - Pr (yi = 1)
Où i = 1,…, N et la fonction F(.) désigne une fonction de répartition.
Variables de l’étude
La crise de la citoyenneté traduite par une abstention à participer aux manifestations ou aux
marches de protestation par les citoyens est mesurée ici par une variable dichotomique. C’est
la variable d’intérêt de notre étude. Elle prend la valeur 1 si l’individu n’a pas participé aux
manifestations ou marches de protestation et 0 s’il répond par «oui» avoir participé aux
manifestations ou marches de protestions au cours de l’année précédent l’enquête.
Deux catégories de variables explicatives sont utilisées dans la spécification du modèle
d’analyse. Il s’agit d’une catégorie de variables socio démographiques qui prend en compte le
niveau d’éducation du citoyen, la pauvreté vécue8 par le citoyen, son ethnicité, sa religion et
son âge, son milieu de résidence et sa profession.
L’indice de pauvreté social (ivp) a été construit à base des questions relatives à l’expérience de
pauvreté et se fonde sur l’approche de Bratton (2006). Ces questions visent principalement 5
besoins essentiels : la nourriture (MN), l’eau saine (ME), les soins de santé(MS), le
combustible de cuisine (MC) et les revenus monétaires (MA) sur l’année écoulée. Elle sert de
proxy du niveau de pauvreté du citoyen. Cet indice correspond pour chaque individu à la
moyenne de ces 5 besoins mesurés par Afrobaromètre.
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���������������������������������������� �������������������8 L’indice de pauvreté vécue qui a été construit, est celui proposé par Bratton (2006) pour mesurer la pauvreté en Afrique. Voir Bratton (2006) pour plus de précisions. Les mêmes questions (Afrobaromètre round1) qu’il avait exploitées dans la construction de l’indice sont présentes dans le round4.
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La seconde catégorie de co-variables, susceptible de faire naître et maintenir la crise de la
citoyenneté est relative à la vie politique et la perception de la démocratie selon le citoyen.
Ainsi cette catégorie se décompose en : perception du niveau de la politique, de la démocratie,
le degré de confiance (à ces proches, aux inconnus et à ses concitoyens), le degré de confiance
aux institutions, le choix pour le multipartisme et l’appartenance à un groupe communautaire.
Qualité des données
L’utilisation de la base de données Afrobaromètre dans ce travail se justifie par la mise à
disposition par celle-ci, d’informations relatives aux concepts que nous voulons mesurer.
C’est le cas de la participation aux élections, aux manifestations ou encore aux marches de
protestations, etc. Par ailleurs, le respect des règles d’échantillonnage (précision) et de
l’organisation de l’enquête (formation des enquêteurs, formulation compréhensive des
questions, etc.) permettent de minimiser les erreurs. Pour nous assurer que les données
relatives aux 1200 individus considérées dans cette étude sont de qualité acceptable, nous
avons procédé à l’évaluation de la qualité des données. En effet, nous avions évalué les ‘’non
réponses’’ et, considérant les valeurs manquantes sur certaines variables indépendantes, étant
donnée les valeurs manquantes sur certaines variables indépendantes, nous avions procédé à
l’élimination de 145 observations et la taille définitive de la base dans nos estimations est de
1055 observations.
Analyse des résultats
Les travaux sur la crise de la citoyenneté à travers l’abstention à la participation politique
portent sur les caractéristiques socio-économiques et l’opinion des abstentionnistes ou des
votants sur la politique, la démocratie et la situation économique du pays.
Les croisements entre les facteurs socio démographiques et la variable proxy de la crise de la
citoyenneté que nous avions utilisé dans cette étude n’ont été significatif que pour
l’employabilité du citoyen, son niveau d’éducation et l’indice de pauvreté vécue (voir annexe
D). De même le croisement avec certaines variables sur le degré de confiance a révélé des
effets statistiquement valables. En effet, le graphique ci-dessous révèle qu’environ 83%
(bande en rouge) des citoyens béninois se sont abstenus de participer aux manifestations ou
aux marches de protestation durant l’année écoulée. Ce constat est d’autant plus fort chez les
citoyens n’ont scolarisés ou qui le sont seulement du niveau des classes du primaire. Il s’en
suit que plus un citoyen est instruit mieux il ne s’abstient pas pour une telle participation.
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Nous pouvons dès lors dire que la crise de la citoyenneté est entretenue selon le niveau
d’instruction. C’est-à-dire que plus les citoyens sont instruits dans une Nation moins la
citoyenneté connaîtraient un recul en ce qui concerne la participation aux manifestations.
Figure : Abstention à participer aux manifestations selon le niveau d’éducation
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Source : Afrobaromètre round 4 et nos propres calculs
L’approche quantitative empruntée à l’analyse multinomiale utilisée dans cette étude pour
l’analyse de la régression a permis d’obtenir des résultats conforment à ceux rencontrés dans
la littérature. Ainsi donc le tableau ci-dessous indique la valeur du coefficient beta ; valeur
plus facile à interpréter et équivalente à des odd-ratio. Le niveau de significativité issu de nos
estimations et présenté dans ce même tableau permettra de confirmer ou d’infirmer un facteur
comme étant un fondement de la crise de la citoyenneté dans le contexte de la métamorphose
de l’environnement social béninois.
Les résultats présentés dans le tableau indiquent sans ambiguïté que sur certains sujets,
l’abstentionnisme à participer à une manifestation ou une marche de protestation à caractère
politique semble être entretenu par un certain nombre de fondements socio démographique et
relatif à l’opinion du citoyen sur la démocratisation, la politisation et le degré de confiance
aussi bien aux institutions à charge qu’aux autres compatriotes.
Tout d’abord, on peut constater que les abstentionnistes, bien qu’affichant une plus forte
préférence pour les affaires publiques, le multipartisme et les élections, ne montrent aucun
effet significatif quant à la préférence pour la démocratie. Cela voudra dire qu’un tel citoyen
serait fortement influencé par les effets plus ou moins acceptable de l’exercice de la
démocratie par les pouvoirs en place au niveau gouvernemental et communal. Ces citoyens
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sont majoritairement de genre masculin et sont significativement plus enclin à entretenir la
crise de la citoyenneté. Mais, dans le même temps, ces citoyens ne se caractérisent pas par
leur niveau de confiance au conseil communal, à leur proche ou encore au comité électoral
(CENA).
Modèle Abstention à participer aux manifestations/marches de protestations
Intérêt pour les affaires publiques (1=Oui) -0.535** Confiance aux gens connus
Pas du tout confiance (référence) Juste un peu confiance -0.536*
Partiellement confiance -0.987*** Très grande confiance -0.533
Confiance autres Béninois Pas du tout confiance (référence)
Juste un peu confiance 0.334 Partiellement confiance 0.540
Très grande confiance -0.248
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Préférence pour les élections (1=Oui) 0.394* Préférence pour le Multipartisme (1=Oui) -0.473* Préférence de la démocratie (1=Oui) 0.230 Age -0.00657 Confiance aux institutions
Confiance au coseil communal -0.0839 Confiance à la commision électorale -0.0876 Confiance aux proches 0.126
Milieu de résidence Urbain (Référence)
Rural -0.225 Etre proche d'un parti politique -0.218 Conditions économique du pays 0.0222 genre (1=Homme) -0.370** Emploi
N'a pas d'emploi et ne cherche pas (Référence) N'a pas d'emploi et cherche 0.429**
Emploi à temps partiel -1.047*** Emploi à plein temps -0.157
Education Pas scolarisé (Référence)
Primaire -0.235 Secondaire -0.585**
Universitaire et plus -0.907** Indice de pauvreté vécue
Mieux nantis (Référence) Pauvre occasionnel 0.447
Pauvre 0.170 Très pauvre 0.189
Indigent -0.912* Constant 3.001***
Observations 1055 Pseudo R2 0,0991
Courbe ROC (critère c) 0,7199
Source : Afrobaromètre round 4 et nos propres calculs. *Significativité à 10%; **Significativité à 5%; ***Significativité à 1%
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Il ressort de la lecture de ce tableau que l’âge et le milieu de résidence ne semblent avoir
aucun lien statistiquement significatif avec l’abstention à participation à ce type d’action
collective. Ainsi donc, au vue de ce résultat, la thèse de la crise de la citoyenneté n’est
aucunement fondée sur ces deux facteurs démographiques.
Par ailleurs, ces résultats font état d’un lien significatif entre le phénomène de la «crise de la
citoyenneté» mesuré par l’abstention à participer aux manifestations ou aux marches de
protestation et la confiance aux gens que les citoyens connaissent. En effet, les coefficients
négatifs et significatifs (à 10% et 1%) de cette variable traduisent le fait que le niveau de
confiance diminue avec le recul de la citoyenneté. Autrement dit, lorsqu’un citoyen fait de
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plus en plus partiellement confiance aux gens qu’il a connu moins il s’abstient à participation
aux manifestations et marches de protestation.
Mesurer en termes de degré d’implication aux manifestations d’ordre politique, nous
constatons que le fait pour un citoyen d’être chômeur ou d’avoir un emploi précaire ou en
plein temps influence son intérêt à participer aux marches et manifestation tout comme le
niveau de l’éducation et le degré de pauvreté vécue par le citoyen. Toutes ces variables ont
des liens statistiquement significatifs. En définitive, il va s’en dire que le profile d’un citoyen
susceptible de développer un recul ou un refus ou peut-être un renouvellement de sa
citoyenneté incorpore le niveau de pauvreté du citoyen, son éducation et le degré de confiance
aux personnes qu’il connaît, ajouté à ceux identifiés plus haut.�
Conclusion
Réfléchir sur la citoyenneté a débouché immanquablement sur l’analyse de la «crise de la
citoyenneté». La perspective diachronique adoptée dans la littérature, a permis de constater
que cette question semble se poser et se reposer, sous des formulations différentes, depuis
quelques années au Bénin comme ailleurs.
Dans cette contribution, nous nous sommes proposé d’analyser les fondements qui
entretiennent une crise de la citoyenneté dans le contexte béninois en proie aux mutations
sociales depuis plus d’une décennie. Pour ce faire, nous avions mesuré la crise par un refus
ou une abstention à participer à une manifestation ou marche de protestation à caractère
politique parmi la pléthore d’indicateurs soulevés dans la littérature pour analyser cette thèse
aussi bien dans les développées que ceux en développement.
L’analyse empirique fait à partir d’un modèle de régression logistique précédée d’un
diagnostic statistique vient entériner les résultats des travaux antérieurs trouvés dans la
littérature. Pour ce qui est de cette étude, avec sa particularité axée sur sa méthode, nous
avions trouvé que les fondements clés de la crise de la citoyenneté sont relatifs aux facteurs
socio économiques et le sens de la politique et de la démocratie pour le citoyen. Ainsi le profil
du citoyen qui présentera une crise de la citoyenneté est celui d’un individu de genre
masculin, moins instruit, ayant un emploi à temps partiel et qui fait partiellement confiance
aux gens qu’il connaît. Par ailleurs, il opte fortement pour les affaires publiques, le
multipartisme et les élections mais, ne montre aucun intérêt significatif pour la démocratie du
fait des gouvernants et élus locaux.
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L’analyse empirique ici, s’est intéressée uniquement aux données collectées bien après les
élections mais incorpore l’année précédant une élection. Il serait intéressant de prendre aussi
en compte les issues immédiatement après une période électorale afin de couvrir au delà
d’une manifestation ou d’une marche de protestation.
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role of individual and contextual characteristics, Congrès AFSP 2009, 20pp.
Annexes
A. Article “La sinistrose à la française inquiète les politiques”, Le Monde, 19 Janvier 2005
B. Qualité de la régression logistique . lfit Logistic model for manifest, goodness-of-fit test number of observations = 1055 number of covariate patterns = 1055 Pearson chi2 (1026) = 1049.65 Prob > chi2 = 0.2970
. lroc Logistic model for manifest number of observations = 1055 area under ROC curve = 0.7199
C. Graphe du modèle général de la crise de citoyenneté au Bénin (Abstention à participer aux manifestations ou marches de protestation)
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0.0
00
.25
0.5
00
.75
1.0
0S
ensitiv
ity
0.00 0.25 0.50 0.75 1.001 - Specificity
Area under ROC curve = 0.7199
D. Croisement de la variable d’intérêt avec quelques variables d’étude
Abstention à participer aux manifestions/marches de protestations
Pearson chi 2 Prob significativité
Education 14,298 0,003 ** Préférence aux élections 7,9982 0,005 ** Préférence à la démocratie 0,0322 0,858 ns Multipartisme 2,9904 0,084 * Intérêt aux affaiares publiques 14,3173 0,000 *** Confiance au conseil communal 9,1315 0,058 * Confiance CENA 21,6775 0,000 *** Appartient à un parti politique 9,3189 0,002 **
*Significativité à 10%; **Significativité à 5%; ***Significativité à 1%;(ns)non significatif
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Editorial 5
Du processus de démocratisation à la crise de citoyenneté et des institutions de socialisation 7
Le sens de la citoyenneté dans le contexte de la construction nationale au Cameroun 30
Les décideurs politiques, acteurs de la crise sociale en Afrique 51
Sédentarisation des migrants, rapports intercommunautaires et citoyenneté locale en milieu rural ivoirien
81
La démasculinisation des cultures de rente ou l’ère d’une nouvelle citoyenneté pour la femme rura-le Agni
96
Historisation de la trajectoire développementiste et enjeux des stratégies de réduction de la pauvreté au Bénin
117
Résultats du suivi de la mise en œuvre de la stratégie de croissance pour la réduction de la pauvreté (2007-2009) au Bénin et implication des organisations de la société civile
139
Dynamiques des paysages périurbains de la ville de Ziguinchor au Sénégal 164
Spatialité résidentielle et ségrégation territoriale : Cas des quartiers Gbagba et Sans-loi dans la ville de Bingerville en Côte d’Ivoire.
187
Femmes tisserandes à Ouagadougou ou la ré-interprétation d’un savoir-faire artisanal 207
Participation communautaire et gestion des services de santé : perceptions et stratégies des acteurs dans la zone sanitaire de Comè (Bénin)
228
Crise de la citoyenneté au Bénin : Analyse des fondements dans un contexte de mutation sociale 246
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