CHIRURGIE DU RACHIS TRAUMATIQUE : PERTES SANGUINES,...
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N° ACADÉMIE DE PARIS Année 2009
MEMOIRE
pour l’obtention du DES
d’Anesthésiologie-Réanimation Coordonnateur : Mr le Professeur Marc SAMAMA
par
Mr Julien JOSSERAND Présenté et soutenu le 15 octobre 2009
CHIRURGIE DU RACHIS TRAUMATIQUE : PERTES
SANGUINES, DELAI CHIRURGICAL ET AUTRES
FACTEURS DE RISQUE
Travail effectué sous la direction du Dr. Bernard VIGUÉ, CHU Bicêtre
2
CHIRURGIE DU RACHIS TRAUMATIQUE : PERTES
SANGUINES, DELAI CHIRURGICAL ET AUTRES
FACTEURS DE RISQUE
3
TABLE DES MATIERES INTRODUCTION ......................................................................................5
MATERIELS ET METHODES...................................................................9
I. Les Patients.................................................................................................... 9
II. La Prise en charge ....................................................................................... 10
1. A l'arrivée .................................................................................................. 10
2. En peropératoire ....................................................................................... 12
3. En postopératoire...................................................................................... 12
III. Recueil des données.................................................................................... 13
1. Caractéristiques générales des patients et lésions associées.................. 13
2. Caractéristiques du geste chirurgical ........................................................ 14
3. Les bilans entrées – sorties liés à la réanimation du syndrome
hémorragique ..................................................................................................... 14
IV. Le calcul des pertes sanguines péri-opératoires.......................................... 15
V. Analyse statistique ....................................................................................... 16
RESULTATS...........................................................................................18
I. Sélection des patients .................................................................................. 18
II. Caractéristiques globales des patients......................................................... 20
III. Bilan lésionnel .............................................................................................. 21
1. Bilan du traumatisme ................................................................................ 21
2. Bilan du traumatisme rachidien................................................................. 23
3. Gestes associés à la prise en charge avant la chirurgie du rachis ........... 25
4. Bilan sanguin à l’arrivée ............................................................................ 25
4
IV. Evaluation des pertes sanguines en fonction du délai chirurgical................ 26
1. Délai chirurgical : 24 heures...................................................................... 26
2. Délai chirurgical : 8 heures........................................................................ 27
V. Evaluation du saignement : facteurs de risque ............................................ 31
DISCUSSION..........................................................................................32
I. Rappel des principaux résultats ................................................................... 32
II. Limites de notre étude.................................................................................. 33
1. Design de l’étude ...................................................................................... 33
2. Méthodes d’évaluation des pertes sanguines ........................................... 33
III. Population incluse dans notre étude ............................................................ 35
IV. Durée optimale pour la stabilisation chirurgicale des traumatismes du rachis
..................................................................................................................... 36
1. Délai précoce ? ......................................................................................... 36
2. Délai chirurgical et saignement ................................................................. 39
V. Facteurs de risque de saignement et stratégie d’épargne sanguine............ 40
1. Bilan biologique pré-opératoire ................................................................. 40
2. Facteurs de risques liés au geste chirurgical ............................................ 41
3. Stratégies d’épargnes sanguines.............................................................. 42
VI. Evaluation des pertes sanguines dans la littérature..................................... 44
1. Comparaison avec la chirurgie du rachis réglée ....................................... 44
2. Comparaison avec la chirurgie du rachis en urgence ............................... 45
CONCLUSION........................................................................................48
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................49
5
INTRODUCTION Les traumatismes du rachis posent des problèmes de prise en charge aux équipes
de réanimation et de chirurgie à la phase aigue en raison de la gravité fonctionnelle
du pronostic médullaire, de la fréquence des associations lésionnelles, et de la
lourdeur de la chirurgie d'urgence à prévoir1, 2. De fait, les équipes sont souvent
réticentes à la prise en charge de tels patients et il n'est pas rare que les équipes
préhospitalières aient du mal à trouver un centre d'accueil. Or, il apparaît que le
temps avant fixation et décompression chirurgicale du rachis pourrait être un facteur
limitant les graves séquelles de ces patients3, 4.
Les traumatismes du rachis sont fréquents puisqu'il est estimé qu'ils touchent environ
10 000 sujets par an en France, dont 2000 avec une atteinte médullaire2. Les
principales causes de ces traumatismes sont représentées par les accidents de la
voie publique (AVP : 60-70%), les chutes de grande hauteur (20-30%) et les
accidents survenant dans le cadre de la pratique sportive (10-20%)2, 5. Ces causes
expliquent la prédominance de ces traumatismes dans la population masculine (4
hommes pour 1 femme)6, 7 et jeune (incidence maximale entre 20 et 30 ans)6.
Si la mortalité chez ces patients est faible (de 1 à 5% )1, 8, la morbidité est, elle, très
élevée et s’explique par les conséquences de l’atteinte médullaire (dysautonomie
cardio-vasculaire, insuffisance respiratoire aigue, infections urinaires à répétition,
complications de décubitus…). L’existence d’un déficit neurologique provoque un
drame humain, social et économique, au travers du handicap qu’il engendre à long
terme.
Ces énormes difficultés soulignent l'importance des protocoles qui tendent à
diminuer la gravité des lésions dès la prise en charge initiale en instaurant des
recommandations. C'est pourquoi la SFAR (en collaboration avec les sociétés
6
savantes de radiologie, d'orthopédie et de neurochirurgie) a émis des
recommandations en 2003 pour la prise en charge des traumatisés vertébro-
médullaires1.
Les points principaux concernant la phase aigue sont :
La nécessité d’une coordination extra et intra-hospitalière.
L’importance du bilan lésionnel et de l’évaluation neurologique.
Le monitorage précoce et continu de la pression artérielle par voie sanglante
afin de maintenir une pression de perfusion médullaire grâce au contrôle de la
pression artérielle moyenne (PAM autour de 80 mmHg) et l’emploi précoce, si
nécessaire, de vasoconstricteurs (noradrénaline).
L’absence de preuve d’efficacité d’une médullo-protection pharmacologique
(corticoïdes, antagonistes des récepteurs NMDA…).
Et enfin, un a vis d'expert donné à l'intérêt potentiel d'une chirurgie précoce.
Cependant, aucune étude de niveau supérieur à III n’a permis de répondre aux
questions posées dans le cadre de cette conférence de consensus, de telle sorte
que ces recommandations sont toutes de grade D ou E.
Le traitement chirurgical représente un point majeur de la prise en charge des
patients victimes d’un traumatisme vertébro-médullaire. Ses objectifs, même en
l’absence de troubles neurologiques, sont la réduction du déplacement des
structures ostéo-articulaires, la décompression médullaire, la stabilisation
rachidienne et l’obtention d’une hémostase régionale. Cependant, le délai entre
traumatisme et intervention chirurgicale reste un problème important9. Sur ce point,
la conférence de consensus souligne :
7
Aucune intervention du rachis ne doit précédée le traitement des lésions
engageant le pronostic vital.
Délai d’intervention bref (entre 6 à 8 heures après le traumatisme) en cas de
déficit neurologique incomplet ou évolutif.
Délai maximal de 48 heures recommandable en cas de déficit neurologique
complet.
La chirurgie du rachis est une chirurgie à haut risque hémorragique10, 11. Un des
grand facteurs limitant la prise en charge précoce de ces patients est le sentiment
dans la communauté chirurgicale que ce risque hémorragique est beaucoup plus
élevé à la phase aigue3. Les principaux arguments utilisés ne sont pas à négliger :
le patient peut présenter des troubles secondaires de l’hémostase du fait d’un
polytraumatisme associé à un choc hémorragique.
L'hémostase locale autour des zones traumatisées n'est pas faite dans les
heures qui suivent le traumatisme et serait bien meilleure à distance du
traumatisme
l’hyperpression thoracique ou abdominopelvienne potentielle, secondaire au
traumatisme, va retentir sur le drainage veineux médullaire et favoriser le
saignement.
Cependant, la recherche de l’importance de ces arguments dans la littérature est
extrêmement pauvre et nous n'avons pas trouvé d'article étayant ces hypothèses. En
effet, si de nombreuses études ont analysé les pertes sanguines peropératoires pour
des interventions programmées du rachis11-13, peu ont analysé l’importance du risque
hémorragique en fonction du délai opératoire chez les traumatisés vertébro-
médullaires3, 14.
8
L’objectif de ce travail était d’évaluer les pertes sanguines péri-opératoires des
48 premières heures chez les patients présentant un traumatisme rachidien avec ou
sans atteinte médullaire, d’établir s’il existe un lien entre le saignement péri-
opératoire et le délai chirurgical et de tenter de définir les facteurs de risque de
saignement.
9
MATERIELSETMETHODES
Afin de tester notre hypothèse, nous avons réalisé une étude monocentrique (CHU
de Bicêtre) basée sur l’analyse rétrospective des dossiers des patients admis à
Bicêtre dans le cadre d’un traumatisme du rachis associé ou non à une atteinte
médullaire et devant bénéficier d’une chirurgie pour stabilisation des lésions
rachidiennes. La période d’inclusion des dossiers s’étendait de janvier 2004 à
décembre 2008.
I. Les Patients
Les critères d’inclusion étaient donc la présence d’un traumatisme rachidien avec ou
sans lésion médullaire et devant bénéficier d’une prise en charge chirurgicale, chez
des patients accueillis initialement en réanimation chirurgicale.
Les critères d’exclusion étaient les suivants :
Absence d’indication chirurgicale
Décès précoce avant prise en charge chirurgicale
Déficit neurologique secondaire à une myélopathie cervicarthrosique, un canal
lombaire étroit, ou à une atteinte médullaire sans anomalie radiologique
(SCIWORA : Spinal Cord Injury Without Radiographic Abnormality)
Déficit neurologique secondaire à une fracture sur vertèbre pathologique dans
le cadre d’un traumatisme mineur (ostéoporose, métastase osseuse)
Toute prise en charge chirurgicale initiale extérieure au CHU de Bicêtre
Perte des données ne permettant pas l’évaluation des pertes sanguines.
10
II. La Prise en charge
1. A l'arrivée
La prise en charge des patients répondaient aux recommandations émises par la
SFAR sur la prise en charge du polytraumatisé15 et des protocoles internes à
l’Hôpital de Bicêtre16. L’accueil se faisait dans une zone de soins dédiée à cet effet,
avec un personnel entraîné.
Un bilan clinique, biologique et radiologique était immédiatement et
systématiquement réalisé par le réanimateur en charge du patient17. Le bilan
biologique comprend : NFS, Hémostase, Gaz du sang, Ionogramme sanguin et Bilan
hépatique. Le bilan radiologique comprend radiographies pulmonaire, du bassin, et
du rachis cervical de profil ainsi qu'une Fast-échographie et un Doppler transcrânien.
En cas de suspicion d'atteinte médullaire, une évaluation du traumatisme vertébro-
médullaire était réalisée par un chirurgien orthopédique. Celui-ci évaluait l’existence
d’un traumatisme rachidien, la présence ou non d’un niveau lésionnel et d’un déficit
neurologique. Enfin, après obtention d'une stabilité hémodynamique et respiratoire
du patient, un scanner corps-entier était réalisé pour compléter le bilan lésionnel.
La prise en charge thérapeutique initiale était fonction de la stabilité du patient et
répondait aux recommandations de la prise en charge du choc hémorragique18 :
Expansion volémique pour lutter contre l’hypovolémie par cristalloïdes ou
colloïdes
Recours précoce à l’utilisation des catécholamines pour maintenir une
Pression artérielle moyenne ≥ 80mmHg afin d’assurer une pression de
perfusion médullaire normale ou cérébrale en cas de traumatisme crânien
associé.
11
Transfusion de produits sanguins labiles selon les recommandations émises
par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé18-20, les
seuils transfusionnels étant adaptés à la présence d’un éventuel traumatisme
crânien associé :
o Transfusion de Culots globulaires homologues pour maintenir une
hémoglobinémie supérieure à 7-8 g/dL, et 10 g/dL en cas de
traumatisme crânien grave
o Transfusion de Plasma Frais Congelés (PFC), pour maintenir un TP
supérieur à 40% et 60% en cas de traumatisme crânien grave
o Transfusion de Plaquettes pour maintenir un taux de plaquettes
supérieures à 50 000/mm³ et 100 000/mm³ en cas de traumatisme
crânien grave.
o Ces seuils étaient par ailleurs adaptés à la présence d’un choc
hémorragique, afin de prévenir la survenue d’une coagulopathie18.
Lutte contre l’hypothermie, l’acidose
Geste d’hémostase approprié : laparotomie exploratrice, artério-embolisation,
tamponnement
Le cas échéant : sédation, intubation et ventilation
Dans tous les cas, maintien de la neutralité de l’axe rachidien.
Le monitorage du patient comportait au minimum un électrocardioscope, une mesure
de la saturation partielle en O2, la capnographie, une mesure invasive de la pression
artérielle au niveau fémoral. Dans le cas d’un traumatisme crânien grave, un
monitorage de la pression intracrânienne y était associé.
L’indication opératoire rachidienne était posée par le chirurgien orthopédique. Tout
autre geste d’hémostase primait sur la prise en charge du traumatisme vertébro-
12
médullaire, de même que la neuro-réanimation d’un traumatisme crânien grave
associé.
2. En peropératoire
Il n'existe pas de protocole particulier dans le département de Bicêtre pour la prise en
charge peropératoire des rachis traumatiques et celle-ci est à la charge de
l’anesthésiste responsable du patient. Le monitorage du patient était similaire à celui
précédemment décrit. Un réchauffement externe du patient était utilisé. L'installation
choisie était fonction de la voie d’abord chirurgicale. Pendant cette installation, une
attention particulière était prêtée à la protection des yeux et à la préservation des
mouvements thoraciques et du retour veineux cave inférieur. Un antifibrinolytique
pouvait être utilisé : aprotinine jusqu’en 2006, ou acide tranexamique21-24. Les
critères de transfusion étaient les mêmes que ceux précédemment décrits. Le
monitorage de la concentration sanguine d’hémoglobine était réalisé par la mesure
de l’Hemocue® auprès du patient et par la réalisation d’une numération sanguine
complétée d’une hémostase. Un Cell-Saver® était à la disposition de l’équipe en
charge du patient.
La technique chirurgicale était à la discrétion du chirurgien responsable. Un ou
plusieurs redons étaient mis en place à la fermeture.
3. En postopératoire
En postopératoire, le patient était transféré en réanimation.
La surveillance de l’examen neurologique en cas d’atteinte médullaire était
consignée par le réanimateur, le chirurgien orthopédique ou le kinésithérapeute.
13
Le saignement postopératoire était surveillé par l’analyse régulière des redons non
récupérateurs. Leur ablation était effectuée sur prescriptions chirurgicales.
Un bilan biologique postopératoire, comportant une NFS, une hémostase, un
ionogramme sanguin et des gaz du sang était réalisé systématiquement, puis répété
en fonction de la stabilité du patient, ainsi qu’à 48h postopératoire.
La sortie de réanimation se faisait vers le service d’orthopédie. Le patient était par la
suite suivi en consultation par le chirurgien orthopédique.
III. Recueil des données
L’étude rétrospective des dossiers a permis le recueil des données suivantes.
1. Caractéristiques générales des patients et lésions associées
a. Patients :
Démographiques : âge, sexe, poids
Durée de séjour en réanimation et évolution
Traitement pré-opératoire par anticoagulants ou antiagrégants plaquettaires
Score de sévérité : IGSII et ISS
Nature du traumatisme : accident de la voie publique (AVP), chute de grande
hauteur, autre
Présence d’une hypothermie à l'arrivée
b. Bilan lésionnel
Traumatisme rachidien par analyse du compte-rendu radiologique du scanner
initial et de l’examen initial du chirurgien
o Niveau lésionnel précis : cervical, dorsal, lombaire
o Nombre de vertèbres impliquées
14
o Atteinte médullaire ou non
o Caractère complet ou incomplet de l’atteinte médullaire
Bilan lésionnel associé : crâne, thorax, abdomen, bassin et membres par
l’analyse du compte-rendu radiologique du scanner initial
Présence d’un polytraumatisme défini comme l’association de 2 lésions dont
au moins une engage le pronostic vital.
2. Caractéristiques du geste chirurgical
a. Geste chirurgical associé :
Laparotomie d’hémostase
Artério-embolisation
Réduction ostéosynthèse d’une fracture périphérique.
b. Chirurgie du rachis
Temps entre l’accident et la prise en charge chirurgicale en heure
Durée de la chirurgie
Geste chirurgical réalisé :
o Nombre de niveaux
o Voie antérieure ou postérieure
o Laminectomie.
3. Les bilans entrées – sorties liés à la réanimation du syndrome
hémorragique
a. Le bilan peropératoire était consigné
Volume de remplissage total : cristalloïdes et colloïdes
15
Transfusion de produits sanguins labiles : nombre de CG, nombre de PFC et
nombre d’unités plaquettaires
Volume sanguin restitué par le Cell-Saver®
Présence de catécholamines
Administration d’un antifibrinolytique : aprotinine (jusqu’en 2006) ou acide
tranexamique.
b. Le bilan des 48h postopératoire :
Transfusion de produits sanguins labiles : nombre de CG, nombre de PFC et
nombre d’unités plaquettaires
Présence de catécholamines
Saignement mesuré dans les redons.
Les bilans biologiques suivants étaient consignés : bilan d’entrée, bilan pré-
opératoire, bilan postopératoire immédiat et à 48h. Dans chaque bilan biologique
était si possible relevé : le pH, la concentration d’hémoglobine (Hb), l’hématocrite, la
numération de plaquettes, le TP et la concentration de fibrinogène.
IV. Le calcul des pertes sanguines péri-opératoires
Les pertes sanguines péri-opératoires ont été calculées en mL de globules rouges en
100% d’hématocrite, sur une période s’étendant du dernier bilan pré-opératoire
jusqu’à 48h postopératoire selon les formules validées25.
Elles correspondent à la somme des pertes sanguines non compensées et des
pertes sanguines compensées par la transfusion d’érythrocytes.
Les pertes sanguines non compensées (PSgnC) en mL sont :
PSgnC = VST x (Ht(H0) – Ht(H48) ) / 100,
16
Où VST est le volume sanguin total en mL calculé selon la formule suivante
VST = 70 ml/kg (65 ml/kg) x poids chez l’homme (la femme) ; Ht(H0) est
l’hématocrite pré-opératoire et Ht(H48) est l’hématocrite à H48.
Les pertes sanguines compensées PSgC en mL sont :
PSgC = VE restitué + VE transfusé = (volume restitué x 0,55) + (nombre de
culots globulaires x 150),
Où VE restitué est le volume érythrocytaire en mL restitué au patient en cas
de récupération sanguine peropératoire (sachant que l’Ht moyen du sang
restitué par Cell-Saver® est de 55%) et VE transfusé est le volume
érythrocytaire en mL apporté au patient par la transfusion de culots globulaires
(sachant qu’un culot globulaire homologue contient 150mL d’érythrocytes).
La somme des pertes sanguines compensées et non compensées (en mL
d’érythrocytes purs, soit 100% d’hématocrite) était ensuite divisée par 0,3 afin de
convertir le volume érythrocytaire en volume sanguin classique, à 30% d’hématocrite
soit une hémoglobinémie à 10 gr/dL, permettant une meilleure appréciation par le
clinicien des pertes sanguines.
V. Analyse statistique
Le but de l'étude est donc de discuter du risque hémorragique posé par le délai
chirurgical dans les pathologies rachidiennes traumatiques.
Les 2 seuils de définition d’une chirurgie précoce, 1- dans les 24 premières heures
après traumatisme et 2- dans les 8 premières heures, ont été choisis en fonction de
la littérature.
Les patients ont été séparés en 2 groupes en fonction du délai chirurgical avant ou
après 24 heures post-traumatique. Les pertes sanguines des 48 heures de ces 2
17
groupes ont été comparées. L'homogénéité de ces deux groupes est discutée par
rapport à l'ensemble des paramètres recueillis. Les tests utilisés sont soit des tests t
de Student si les valeurs sont paramétriques soit des tests de Mann et Whitney si les
valeurs sont non paramétriques. Des tests Χ2 sont pratiqués pour des variables
nominales. La même analyse est présentée en comparant les patients opérés avant
8 heures et après 8 heures, modifiant ainsi les groupes en fonction du délai
chirurgical.
Par ailleurs, une analyse cherchant à préciser les risques hémorragiques,
indépendamment du délai chirurgical, a été pratiquée. Avec les tests statistiques déjà
présentés, les paramètres recueillis influençant l'ensemble des pertes des 48 heures
sont recherchés en analyse univariée. Pour finir, une analyse multivariée par
régression linéaire multiple pas à pas a été pratiquée avec le délai chirurgical en
heures et les paramètres significatifs retrouvés en analyse univariée.
Les résultats sont présentés en moyenne ± écart type (M±ET) pour les valeurs
continues ou en médiane et 25ème-75ème percentiles (M [IQR, interquartile]) pour les
valeurs non continues. Un p<0,05 a été choisi comme seuil significatif.
18
RESULTATS
I. Sélection des patients
Du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008, 125 patients ont été admis au CHU de
Bicêtre pour suspicion de polytraumatisme associé à au moins une lésion du rachis
nécessitant potentiellement une prise en charge chirurgicale.
Cinquante trois patients n'ont pas été retenus :
24 patients sans indication chirurgicale retenue : contusion médullaire par
arme blanche (n=1), chirurgie orthopédique très à distance du traumatisme
(n=2), traitement orthopédique par halo ou corset (n=14), déficit neurologique
sans atteinte vertébrale (myélopathie cervicarthrosique, hernie discale,
SCIWORA) (n=7) ;
22 décédés avant l’intervention chirurgicale dont les causes sont :
hypertension intracrânienne réfractaire (n= 10), choc hémorragique réfractaire
(n=4), traumatisme cervical haut (n=7) et coma post-anoxique (n=1) ;
2 patients avec fracture du rachis sur vertèbre pathologique (métastase
osseuse) ;
Et, enfin, 5 patients pris en charge initialement dans un autre centre hospitalier
puis transférés à distance sur le CHU de Bicêtre.
Au total, 72 dossiers étaient analysables. Sept d’entre eux ont été exclus pour des
données manquantes dans le dossier (pertes de l’ensemble du dossier, du dossier
d’anesthésie, des pancartes de réanimation).
L'étude comprend donc l'analyse de 65 dossiers. (Figure n°1)
19
Figure 1 : Inclusion des patients dans l’étude
N=125 dossiers correspondant aux critères d’inclusion
24: Absence d’indication chirurgicale 22 : Décès avant chirurgie 2 : Rachis métastatiques 5 : Transferts secondaires sur
Bicêtre
N = 72 dossiers analysables
7 : Pertes de dossier
N = 65 dossiers analysés
20
II. Caractéristiques globales des patients
Parmi les 65 patients, 44 (68%) sont des hommes et 21 (32%) des femmes. L’âge
moyen est de 36 ± 16 ans dont 44 (68%) patients ont un âge inférieur à 40 ans. La
répartition du sexe en fonction de l'âge est représentée figure 2.
Figure 2 : Répartition du sexe par âge. n=65. On voit que les hommes sont largement représentés avant 40 ans puis que le ratio homme – femme s’équilibre.
Les antécédents les plus fréquemment rencontrés sont les antécédents
psychiatriques avec 15 patients suivis pour un trouble psychiatrique grave (état
dépressif majeur et/ou psychose). Pour 13 d’entre eux, le traumatisme faisait suite à
une tentative de suicide par défenestration. Par ailleurs, 6 patients étaient traités par
antiagrégants plaquettaires, 2 par anticoagulants (l’un par antivitamine K, l’autre par
héparine).
Les scores de gravité des patients sont de 23 [15-29] pour l’IGSII et de 25 [16-34]
pour l’ISS.
21
La mortalité en réanimation est de 3 sur 65 (4,5%). Trois décès ont eu lieu au cours
du séjour en réanimation : 2 d'entre eux étaient liés à des limitations thérapeutiques
(1 pour traumatisme crânien grave et 1 pour perte d’autonomie respiratoire chez un
patient présentant une démence pré-existante), le troisième est décédé de
défaillance multiviscérale après polytraumatisme à J7.
La durée moyenne de séjour en réanimation est de 15 jours ± 19 jours, la médiane
de 9 jours [3-22].
III. Bilan lésionnel
1. Bilan du traumatisme
a. Les principales causes du traumatisme sont représentées par :
une chute de grande hauteur pour 37 patients (57%)
un accident de la voie publique pour 23 patients (35%)
une autre cause dans 5 cas (8%).
La figure 3 représente les mécanismes des traumatismes médullaires en fonction du
sexe.
22
Figure 3 : Répartition des mécanismes à l’origine du traumatisme en fonction du sexe. n=65. On constate une proportion élevée d’hommes (jeunes) parmi les accidents de la voie publique et une proportion importante de femmes parmi les défenestrations.
b. Le bilan lésionnel met en évidence (Figure 4):
38 patients (58%) étaient considérés comme polytraumatisés (2 lésions dont
une au moins est vitale)
10 patients (15%) présentaient un traumatisme rachidien isolé
21 traumatismes crâniens (21%) dont 5 graves (6%)
43 traumatismes thoraciques (66%) : fractures de côtes, hémothorax,
pneumothorax, contusions pulmonaires, hémomédiastin
16 traumatismes abdominaux (25%)
12 traumatismes du bassin (19%)
30 traumatismes des membres (46%).
23
Un témoin de la gravité des traumatismes est indiqué par les besoins en
catécholamines :
33 patients (51%) ont été traités pendant les premières 24h par des
catécholamines et 43 (66 %) ont reçus des catécholamines à un quelconque
moment au cours de la prise en charge péri-opératoire. Notons que l’utilisation
des catécholamines contient les chocs mais aussi les contrôles étroits de PAM
recommandés (80 mmHg), en cas d’atteinte médullaire (Figure 4).
Figure 4 : Bilan lésionnel des patients admis pour traumatisme du rachis. n=65 Un patient peut etre représenté plusieurs fois s’il existe plusieurs atteintes. Les lésions associées les plus fréquentes sont les lésions thoraciques.
2. Bilan du traumatisme rachidien
Le niveau des lésions du rachis est :
Cervical pour 16 patients (25%)
24
Dorsal pour 27 patients (41%)
Lombaire pour 22 patients (34%).
Parmi les 65 patients étudiés, 55 (85%) présentaient un déficit neurologique
secondaire au traumatisme rachidien, 28 (43%) un déficit neurologique complet et 27
(42%) un déficit neurologique incomplet. Le détail par niveau lésionnel est représenté
figure 5.
En cas de fracture sur plusieurs niveaux, le niveau de lésion du rachis retenu était
celui responsable du niveau lésionnel en cas de déficit neurologique ou celui de la
vertèbre la plus touchée en l’absence de troubles neurologiques.
On peut remarquer l’importance de l’atteinte des charnières cervico-dorsale et dorso-
lombaire. Par ailleurs, les traumatismes dorsaux ne sont constitués que de lésions
neurologiques, dont principalement des lésions complètes.
Figure 5 : Bilan lésionnel rachidien par niveau. n=65. On remarque la fréquence des lésions des charnières cervicodorsale et dorsolombaire et le nombre élevé des lésions complètes du rachis dorsal
25
3. Gestes associés à la prise en charge avant la chirurgie du rachis
Parmi les patients (figure 6) :
2 (3%) ont bénéficié d’une laparotomie pour hémostase
4 (6%) d’une artério-embolisation (2 artères iliaques et 2 artères lombaires)
9 (14%) d’un drainage thoracique
19 (29%) d’une ostéosynthèse périphérique (dont 6 interventions pour fracture
du fémur). Pour 16 d’entre eux, les interventions pour ostéosynthèse avaient
lieu au décours de la chirurgie du rachis.
Figure 6 : Gestes associés à la prise en charge. n=65
4. Bilan sanguin à l’arrivée
A l’arrivée au déchoquage, les moyennes des concentrations d’hémoglobine (Hb)
étaient de 12,1 ± 2,3 g/dL, des numérations plaquettaires de 231 000 ± 63 000/mm³,
du TP de 78 ± 18%. Quatre patients avaient une Hb inférieure à 8 g/dL. Le pH était
7,34 ± 0,06 et 27 patients présentaient une acidose (pH<7,35). En préopératoire, l’Hb
26
était à 11,6 ± 2,2 g/dL, le TP à 84 ± 16% et les plaquettes à 237 000 ± 106 000/mm³.
Trois patients présentaient une Hb inférieure à 8 g/dL, et 15 une acidose (pH<7,35).
IV. Evaluation des pertes sanguines en fonction du délai
chirurgical
1. Délai chirurgical : 24 heures
Trente-sept patients (57%) ont été opérés du rachis dans les 24h suivant le
traumatisme et vingt-huit (43%) après 24h.
Les caractéristiques démographiques et le bilan lésionnel (lésion associées et
lésions du rachis) sont résumés dans les Tableaux 1 et 2.
Les données peropératoires sont résumées dans le Tableau 3. L’ensemble des
patients bénéficiait d’une ostéosynthèse avec arthrodèse du rachis. Le nombre de
niveaux opérés était de 4 [3-5] dans le premier groupe contre 5 [3-8] dans le
deuxième, p=0,12.
Les bilans biologiques péri-opératoires sont résumés dans le Tableau 4.
L’hémoglobinémie préopératoire différait entre les 2 groupes : 12,2 ± 2,1 g/dL dans le
premier groupe contre 10,9 ± 2,0 g/dL, p=0,01. De même, avec seulement 2 patients
en dessous du seuil de 40%, le TP pré-opératoire est significativement plus faible
avant 24h : TP=80 ± 18% vs 90 ± 13%.
Les caractéristiques du saignement sont données dans le Tableau 5. Dix-sept (46%)
patients ont été transfusés sur la période per- et postopératoire dans le premier
groupe contre 19 (68%) dans le second, p=0,13. Le nombre de culots globulaires
total à J2 était respectivement de 5 [2-6] et 4 [3-6], p=0,78.
27
Les pertes sanguines estimées à J2, en 30% d’hématocrite, ne différaient pas
entre les 2 groupes : 3708 ± 2276 mL chez les patients opérés avant 24h contre
3339 ± 2903 mL chez les patients opérés après 24h, p=0,57.
2. Délai chirurgical : 8 heures
Vingt-sept patients (42%) ont été opérés du rachis dans les 8h suivant le
traumatisme et trente-sept (58%) après 8h.
Les caractéristiques démographiques et le bilan lésionnel (lésion associées et
lésions du rachis) sont résumés dans les Tableaux 1 et 2 respectivement. On
retrouvait de manière significative plus de traumatisés crâniens dans le groupe opéré
après 8h : 3 (11%) avant 8 heures contre 18 (47%), p<0,01 L’ensemble des patients
ne présentant pas d’atteinte médullaire ont été opérés après 8 heures.
Les données peropératoires, les bilans biologiques péri-opératoires et les
caractéristiques du saignement sont résumés dans les Tableaux 3, 4 et 5.
Les données du groupe opéré avant 8 heures comparées au groupe opéré après 8
heures sont comparables à l’analyse faite précédemment avec 24h comme seuil
chirurgical.
Les pertes sanguines estimées à J2, en 30% d’hématocrite ne différaient pas
entre les 2 groupes : 3928 ± 2264 mL chez les patients opérés avant 8h contre
3281 ± 2733 mL chez les patients opérés après 8h, p=0,32.
28
Avant 24h Après 24h p Avant 8h Après 8h p n 37 28 27 38 Sexe M/F 26/11 18/10 NS 20/7 24/14 NS Age, moyenne (±ET), ans
36,2 (±16,3) 36,7 (±16,7) NS 36,6 (±16,5) 36,3 (±16,4) NS
Poids, moyenne (±ET), kg
69,4 (±13,4) 72,0 (±16,0) NS 72 (±14,0) 70 (±15,0) NS
VST moyenne (±ET), mL 4772 (±1017)
4933 (±1170)
NS 4951 (±1060)
4763 (±1101)
NS
IGS II, médiane [IQR] 21 [15-28] 25 [12-33] NS 21 [15-28] 24 [12-32] NS ISS, médiane [IQR] 25 [16-33] 25 [16-36] NS 25 [17-33] 25 [16-34] NS DMS, médiane [IQR], jours
6 [2-14] 12 [4-22] NS 6 [3-14] 11 [3-22] NS
AAP/Anticoagulant n, (%)
5 (13%) 1 (4%) NS 3 (11%) 3 (8%) NS
Tableau 1 : Caractéristiques démographiques des patients, en fonction du délai chirurgical à 24h et à 8h.
Avant 24h Après 24h p Avant 8h Après 8h p n 37 28 27 38
Lésions associées Polytraumatisme, n (%) 20 (54%) 18 (64%) NS 14 (52%) 24 (63%) NS Traumatisme crânien, n (%) 8 (22%) 13 (46%) NS 3 (11%) 18 (47%) 0,01 Traumatisme thoracique, n (%) 23 (62%) 19 (67%) NS 16 (59%) 26 (68%) NS Traumatisme abdomen, n (%) 7 (19%) 9 (32%) NS 6 (22%) 10 (26%) NS Bassin, n (%) 6 (16%) 6 (21%) NS 4 (15%) 8 (21%) NS Traumatisme des membres, n (%)
14 (38%) 16 (57%) NS 10 (37%) 20 (53%) NS
Rachis
Cervical, n (%) 11 (30%) 5 (17%) 8 (30%) 8 (21%) Dorsal, n (%) 13 (35%) 14 (50%) 10 (37%) 17 (45%) Lombaire, n (%) 13 (35%) 9 (32%)
NS
9 (33%) 13 (34%)
NS
Non neurologique, n (%) 3 (8%) 7 (25%) 0 (0%) 10 (26%) Incomplet, n (%) 18 (49%) 9 (32%) 14 (52%) 13 (34%) Complet, n (%) 16 (43%) 12 (42%)
NS
13 (48%) 15 (40%)
0,01
Tableau 2 : Bilan lésionnel par groupes, en fonction du délai chirurgical à 24h et 8h.
29
Avant 24h Après 24h p Avant 8h Après 8h p n 37 28 27 38 Geste associé 12 (32%) 7 (25%) NS 10 (37%) 11(29%) NS Durée, moyenne (±ET), heure 6,3 (±2,3) 6,5 (±2,4) NS 6,5 (±2,6) 6,4 (±2,2) NS Nombre de niveaux, médiane [IQR]
4 [3-5] 5 [3-8] NS 4 [3-5] 5 [3-8] NS
Voie antérieure, n (%) 5 (14%) 6 (21%) NS 5 (19%) 6 (16%) NS Voie postérieure, n (%) 32 (86%) 22 (79%) NS 22 (82%) 32 (84%) NS Laminectomie, n (%) 25 (66%) 12 (43%) NS 19 (70%) 18 (47%) NS Antifibrinolytique, n (%) 10 (27%) 10 (35%) NS 7 (26%) 13 (34%) NS Nombre de CG, médiane [IQR] 3 [2-6] 3 [2-4] NS 3 [2-7] 2 [2-4] NS Cell-saver®, moyenne (±ET), mL 505 (±486) 460 (±725) NS 489 (±452) 483 (±686) NS
Tableau 3 : Données peropératoires par groupes, en fonction du délai chirurgical.
Avant 24h Après 24h p Avant 8h Après 8h p n (% total) 37 (57%) 28 (43%) 27 (42%) 38 (58%) Hb pré-opératoire, moyenne (±ET), g/dL
12,2 (±2,1) 10,9 (±2,0) 0,01 12,4 (2,3) 11,1 (1,9) 0,01
Hb J2, moyenne (±ET), g/dL
8,9 (±1,4) 9,4 (±1,6) NS 9,0 (±1,5) 9,3 (±1,5) NS
TP pré-opératoire, moyenne (±ET), (%)
80 (±18) 90 (±13) 0.02 77 (±20) 89 (±12) 0,01
Plaquettes pré-opératoire, moyenne (±ET), 10^3/mm³
219 (±61) 259 (±143) NS 231(±59) 241 (±129)
NS
Fibrinogène pré-opératoire, moyenne (±ET), g/L
2,3 (±0,7) 5,7 (±1,8) <0,001 2,3 (±0,7) 4,9 (±2,1) <0,001
pH pré-opératoire 7,35 (±0,08) 7,40 (±0,05)
0,02 7,34 (±0,08)
7,39 (±0,06)
0,03
Tableau 4 : Bilans biologiques péri-opératoires par groupes, en fonction du délai chirurgical.
30
Tableau 5 : Evaluation des pertes sanguines par groupes, en fonction du délai chirurgical à 8h et 24h.
Avant 24h Après 24h p Avant 8h Après 8h p n 37 28 27 38 Pertes sanguines à 48h en 30% d’Ht, moyenne (±ET), mL
3708 (±2276)
3339 (±2903)
NS 3928 (±2264)
3281 (±2733)
NS
Nombre de patients transfusés à 48h, n (%)
17 (46%) 19 (68%) NS 12 (44%) 24 (63%) NS
Nombre de CG total à 48h médiane [IQR],
5 [2-6] 4 [3-6] NS 6 [4-9] 4 [2-6] NS
Nombre de CG au bloc, médiane [IQR]
3 [2-6] 3 [2-4] NS 3 [2-7] 2 [2-4] NS
Cell-saver®, moyenne (±ET), mL 505 (±486) 460 (±725) NS 489 (±452) 483 (±686) NS
Redons à 48h, moyenne (±ET), mL
888 (±576) 777 (±739) NS 948 (±614) 764 (±670) NS
Catécholamines péri-opératoires, n (%)
25 (66%) 13 (46%) NS 19 (70%) 19 (50%) NS
31
V. Evaluation du saignement : facteurs de risque
Le saignement des 48 heures postopératoire calculé pour l’ensemble de notre
cohorte était de 3550 ± 2550 mL. Au vu de l’importance de celui-ci et de sa
variabilité, nous avons réalisé une recherche des facteurs contribuant à expliquer ces
données. Les résultats de l’analyse univariée et multivariée sont présentés dans le
tableau 6. Les principaux facteurs de risque identifiables étaient liés d’une part à des
facteurs chirurgicaux (nombre de niveaux à opérer, durée de l’intervention), d’autre
part à la localisation de la lésion (la chirurgie dorsolombaire était plus hémorragique
que cervical). Par ailleurs, l’utilisation des antifibrinolytiques était inversement
corrélée avec les pertes sanguines à 48H.
Variables Analyse Univariée Analyse Multivariée Sexe NS - Age NS - Polytraumatisme p=0,005 NS Lésions thoraciques p=0,04 NS Atteinte médullaire p=0,03 NS Rachis dorsolombaire vs cervical p=0,026 p=0,01 Laminectomie p<0,001 NS Voie postérieure/antérieure p<0,001 NS Nombre de niveaux opérés p<0,0001 p=10⁻⁶ Hémoglobine préopératoire NS - TP pré-opératoire NS - Plaquettes pré-opératoires p=0,025 NS Fibrinogène pré-opératoire NS - pH pré-opératoire NS - Délai traumatisme-chirurgie NS NS Durée d'intervention p<0,0001 p=0,03 Antifibrinolytiques p=0,0025 p=0,02 Tableau 6 : Principaux facteurs de risque de saignement à J2 identifiés en analyse univariée et multivariée. L’analyse multivariée n’a concerné que les facteurs significatifs en univariée auquel a été ajouté le délai traumatisme – chirurgie, principal objet de l’étude.
32
DISCUSSION
I. Rappel des principaux résultats
Le but de cette étude rétrospective était d’étudier les risques hémorragiques de la
chirurgie des rachis traumatiques en fonction du délai chirurgical. Notre étude montre
que ce délai n’influe pas sur l’importance de l’hémorragie des 48 heures per- et
postopératoire. Le saignement moyen mesuré sur les 65 patients étudiés est
important (3550 ± 2550 mL) avec une grande variabilité entre individu (de 101 mL à
12620 mL). Cependant, nous n’avons trouvé aucun lien statistique entre le volume
de l’hémorragie et le délai entre traumatisme et acte chirurgical. La crainte d’une
augmentation de l’hémorragie, parce que le délai chirurgical est court, n’apparaît pas
comme un argument possible dans la réflexion du meilleur moment chirurgical pour
stabiliser un rachis instable.
Par ailleurs, dans cette étude, les facteurs de risque identifiés de cette hémorragie
sont avant tout les facteurs chirurgicaux (nombre de niveaux à opérer, durée de
l’intervention et localisation de la lésion). Même la présence de lésions associées au
traumatisme rachidien n’apparaît pas comme un facteur de risque dans l’analyse
multivariée. Peut-être du fait d’une bonne prise en charge à l’arrivée avec
stabilisation hémodynamique rapide et correction rapide des troubles de
l’hémostase, le seul élément médical significatif en faveur d’une augmentation du
saignement est la présence d’un traitement antifibrinolytique préventif. Ce résultat
apparemment contradictoire démontre de la part de nos collègues, en l’absence de
tout protocole précis dans le service de Bicêtre, soit une utilisation uniquement en
cas d’hémorragie grave soit une évaluation correcte pré-opératoire du risque
hémorragique potentiel.
33
II. Limites de notre étude
1. Design de l’étude
Notre étude présente plusieurs limites. Il s’agit en effet d’une étude rétrospective
dont le recueil et l’analyse des données exposent à des biais. Son caractère
monocentrique limite l’extrapolation de ces résultats à la population générale. En
effet, la prise en charge par une seule équipe tant au niveau de la réanimation que
de la chirurgie limite la portée de ces résultats. De plus, l’existence d’écart-types
larges suggère un risque d’hétérogénéité entre les patients comparés. Par exemple,
il est clair que les chirurgies cervicales se distinguent par un risque moindre par
rapport aux chirurgies dorsales ou lombaires. A posteriori, le mélange de ces
populations semble discutable. Mais, si ce résultat apparaît logique aux chirurgiens
et à la vue de notre étude, il ne figure pas clairement dans la littérature
traumatologique. Enfin, le faible effectif de notre cohorte (n=65) peut être à l’origine
d’un manque de puissance. De ce fait, nos résultats sont à interpréter avec
prudence.
2. Méthodes d’évaluation des pertes sanguines
La formule utilisée pour le calcul des pertes sanguines est validée dans la littérature.
Proposée par Mercuriali25, elle a pour avantage de pouvoir mesurer les pertes
sanguines compensées (transfusion et Cell-saver®) et les pertes sanguines non
compensées qui sont tolérées par les seuils transfusionnels. De plus, elle prend en
compte le saignement postopératoire (hématome du site opératoire, redons) qui n’est
habituellement pas évalué par les autres techniques (volume aspiré et pesée des
compresses). Elle est utilisée depuis par de nombreux auteurs comme base à
34
l’évaluation des pertes sanguines péri-opératoires notamment en chirurgie
orthopédique majeure11, 24, 26 lors de la comparaison de différentes stratégies
d’épargne transfusionnelle ou de la recherche de facteurs de risque d’une chirurgie
hémorragique.
Cependant, quelques limites existent. Cette formule n’a jamais été utilisée pour
l’évaluation des pertes sanguines en chirurgie du rachis chez le polytraumatisé. Dans
le cadre du choc hémorragique chez le polytraumatisé à la phase initiale, il existe
une coagulopathie qui est la conséquence de plusieurs phénomènes : le saignement
actif en lui-même, des phénomènes inflammatoires et immunologiques aigus et une
hémodilution souvent importante secondaire à l’expansion volémique nécessaire
pour maintenir une stabilité hémodynamique18, 27. Cette hémodilution va donc
interférer avec la valeur de l’hématocrite et donc fausser l’estimation des pertes
sanguines. Toutefois, il convient de préciser que la chirurgie du rachis traumatique
dans notre population n’était réalisée qu’après stabilisation hémodynamique du
patient et une fois contrôlées les autres causes possibles d’hémorragie. Pour chaque
patient, la concentration d’hémoglobine choisie comme point de départ du calcul est
la concentration pré-opératoire et non la concentration d’arrivée à l’hôpital. C’est bien
le geste opératoire lui-même et ses conséquences que nous voulons tester. Si
l’hémorragie ou des phénomènes inflammatoires liés à d’autres lésions traumatiques,
interfère avec l’hémorragie liée à la chirurgie du rachis, il est intéressant d’en tenir
compte pour l’interprétation des résultats, sûrement pas de chercher à éliminer ces
phénomènes.
Par ailleurs le delta d’hématocrite observé est la conséquence du saignement lié au
traumatisme du rachis et à sa prise en charge chirurgicale, mais également aux
lésions potentiellement associées ou à un geste chirurgical associé (n=16,
35
ostéosynthèse d’une fracture de jambe le plus souvent). Mais, ces associations
chirurgicales ont toujours lieu dans les 24 heures post-traumatiques, désavantageant
ainsi les groupes «chirurgie précoce» sans que les statistiques n’en témoignent.
Dans cette étude, un intervalle de temps pour le calcul des pertes sanguines de 48h
était retenu entre les 2 mesures de l’hématocrite pré-opératoire et postopératoire.
Classiquement, une durée de 5 jours est plus couramment utilisée. Cependant,
plusieurs études rapportent l’évaluation des pertes sanguines à J2 ou J3 24, 26. Nous
avons choisi un intervalle de 48h afin de réduire la surestimation des pertes liées à
des phénomènes intercurrents (deuxième intervention chirurgicale pour 3 patients
juste après J2), mais également par des difficultés dans le recueil des données
postopératoires (4 patients quittant le service de réanimation après J2 et avant J5
sans bilan biologique par la suite).
III. Population incluse dans notre étude
La population étudiée dans notre étude diffère légèrement de la population décrite
habituellement dans la littérature en cas de traumatisme vertébro-médullaire2, 6. En
effet, elle est plus âgée : moyenne d’âge à 36 ± 16 ans, avec un sex-ratio de 2
hommes pour 1 femme alors que le pic d’incidence se situe habituellement entre 20
et 30 ans et que l’on retrouve plus classiquement un sex-ratio de 4 pour 1 6. Ceci
s'explique très certainement par l'origine plus citadine des patients avec comme
mécanisme principal du traumatisme les chutes de grande hauteur dont les
défenestrations volontaires, mode de suicide plutôt féminin lié à des atteintes
psychiatriques graves, comme le montre la figure 3.
La médiane de l’ISS est mesurée à 25 [16-34] et reflète la gravité des patients inclus.
De plus, 38 (58%) étaient considérés comme polytraumatisés, 57 (86%) présentaient
36
une lésion associée au traumatisme rachidien et 33 (51%) recevaient des
vasopresseurs dès la prise en charge en réanimation.
Le bilan lésionnel rachidien est comparable à ce que l’on retrouve dans la
littérature5,6. On constate une atteinte plus fréquente des charnières cervico-dorsales
et dorsolombaires et l’importance des lésions médullaires complètes associées au
niveau dorsal (figure 5). Toutefois, l’incidence des lésions neurologiques (85%) est
plus importante que dans la population des traumatisés rachidien (20-30%)2, 5 avec
une incidence moindre de lésions cervicales6. Notons, que notre population ne
s’intéresse qu’à des sujets opérés, population dans laquelle l’incidence de l’atteinte
médullaire est généralement plus fréquente.
IV. Durée optimale pour la stabilisation chirurgicale des
traumatismes du rachis
1. Délai précoce ?
Cette question reste au centre des débats depuis de nombreuses années. Des
études anciennes ont retrouvé la survenue de complications tant sur le plan
neurologique, que général dans les jours suivant l’intervention chirurgicale lorsque
celle-ci est précoce28, 29. Ces études ont conduit de nombreuses équipes nord-
américaines à ne plus opérer en urgence.
Il apparaît parfois dans la culture chirurgicale comme inutile d’opérer en urgence les
lésions rachidiennes surtout si elles sont accompagnées d’atteintes médullaires
complètes. Le fatalisme retrouvé dans toutes les situations neurologiques a poussé
les équipes chirurgicales à retarder l’acte chirurgical malgré des arguments
expérimentaux30 d’intérêts dans la décompression de la moelle pour limiter les
phénomènes ischémiques secondaires qui aggravent les lésions31, 32 . Cette
37
littérature expérimentale, issue de celle développée autour du traumatisme crânien,
est renforcée par la crainte de transformer une atteinte incomplète en complète. Ces
réflexions ont permis, en France, un assez large consensus pour une prise en charge
rapide de certains traumatismes rachidiens comme les lésions médullaires
incomplètes ou les rachis cervicaux1. Cependant, les traumatismes de la moelle
dorsale surtout complets gardent une mauvaise réputation et sont rarement opérés
en urgence. La prise de risque notamment hémorragique est très souvent comparée
au faible pourcentage de récupération retrouvé dans cette situation. De fait,
l’hémorragie est significativement supérieure en cas de chirurgie dorsale ou lombaire
à la chirurgie cervicale. Ce sentiment pourrait aussi se justifier si les décès étaient
liés au choc hémorragique peropératoire de ces patients, si d’autres alternatives que
la chirurgie existaient et si le délai entre le traumatisme et la chirurgie intervenait
dans la prise de risque. Dans la littérature les décès sont toujours constatés en très
faible proportion (de 1 à 3%), jamais attribués à un choc hémorragique peropératoire,
mais plutôt aux conséquences de l’atteinte médullaire à plus long terme33. La fixation
du rachis étant toujours recommandée, les risques hémorragiques liés à la précocité
de la chirurgie restent donc le seul argument non vérifié et que notre étude ne
retrouve pas. Par ailleurs, les mêmes arguments expérimentaux restent valables
pour penser que les chances de récupération de ces atteintes complètes, même
faibles, sont, là aussi, liées à une prise en charge rapide et rigoureuse associée à
d’éventuelles décompressions médullaires.
La définition d’un délai chirurgical précoce n’est pas unanime dans la littérature. En
effet, il existe une grande hétérogénéité selon les études dans la notion de délai;
dans une revue de la littérature par Fehlings4 ce « délai précoce » varie entre 8h et
plusieurs semaines. Il est, dans les études les plus récentes34-36, de 8h à 72h.
38
Notons que ces études sont prospectives non randomisées ou rétrospectives, de
faible niveau de preuve (II à III) et de faible effectif pour la plupart. L’interprétation de
leurs résultats reste donc controversée. Il apparaît, cependant, que 24 heures post
traumatique est la définition le plus souvent acceptée pour définir une intervention
précoce du point de vue de la récupération neurologique37. Les recommandations
françaises soulignent qu’un déficit incomplet ou rapidement évolutif est une urgence
chirurgicale et doit bénéficier d’une décompression, puis d’une stabilisation
rachidienne dans les 6 à 8 heures suivant le traumatisme1.
Il existe des arguments pour penser qu’un délai plus précoce encore (<8 heures)
permet de limiter les complications notamment pulmonaires (atélectasies,
pneumopathies et difficultés de sevrage) inhérentes aux traumatismes médullaires
qui accompagnent souvent les lésions rachidiennes33. La position ventrale
prolongée, quelques heures après un traumatisme où les lésions thoraciques sont
fréquentes, joue peut être un rôle propre plus fort que l’acte chirurgical en soi.
Cependant, il est aussi démontré et admis qu’une fixation en urgence (inférieure à
24h) d’une fracture du fémur réduit le risque de complications pulmonaires (SDRA,
embolie graisseuse, pneumopathie) chez les polytraumatisés38. De fait, des
observations similaires ont été réalisées en cas de traumatismes du rachis36, 39, 40.
L’incidence des pneumopathies est réduite de 45% à 35% (p=0,004) au cours du
séjour en réanimation, et la durée de séjour inférieure de 19 ± 17 jours à 14 ±12 jours
(p<0,001) dans le groupe chirurgie précoce (inférieure à 24h)40.
Il est donc licite et intéressant de vérifier les risques hémorragiques pris en tenant
compte de ces 2 seuils (<24 heures et <8 heures) pour délais chirurgicaux.
39
2. Délai chirurgical et saignement
Le risque hémorragique, supposé augmenté en urgence, est l’un des facteurs
principaux opposés par les chirurgiens pour retarder la chirurgie. Les principaux
arguments utilisés ne sont pas négligeables :
Présence de troubles de l’hémostase secondaires au choc hémorragique chez
le polytraumatisé
Diminution du drainage veineux périmédullaire secondaire au traumatisme et
majoré par l’hyperpression thoracique et abdominale lié à l’installation en
décubitus ventral
Quand elle est nécessaire, l’abord par voie antérieure des niveaux thoracique
et lombaire rend l’hémostase beaucoup plus complexe que par voie
postérieure3.
Peu de preuves dans la littérature soutiennent l’hypothèse d’une hémorragie plus
importante en urgence. Deux auteurs, seulement, rapportent les pertes sanguines
peropératoires en chirurgie du rachis en urgence, en fonction du délai chirurgical3, 14.
Ils ne retrouvent, eux aussi, aucune différence significative entre les patients opérés
précocement et les patients opérés tardivement. Dans notre étude, nous n’avons pas
mis en évidence de différence significative pour les seuils de 24 et de 8 heures après
traumatisme et nous ne retrouvons pas de corrélation en analyse uni- ou multivariée
entre délai chirurgical et saignement péri-opératoire. Le délai chirurgical n’apparaît
donc pas dans notre cohorte de patients comme un facteur de risque de saignement
qui tendrait à retarder la chirurgie au dépend d’une potentielle amélioration
neurologique.
Nous avons cherché des évaluations du risque hémorragique en fonction du délai
post-traumatique dans d’autres chirurgies orthopédiques. Cette évaluation est rare.
40
Une seule étude analyse des patients présentant une fracture du col du fémur41. La
population étudiée est différente de la nôtre puisqu’il s’agit en grande majorité de
sujets âgés de plus de 80 ans. Cet auteur ne retrouvait pas de différence de
saignement entre les patients opérés précocement et ceux opérés plus tardivement.
Nous n’avons pas retrouvé d’autres études en chirurgie orthopédique, hors rachis
traumatique, rapportant l’évaluation du saignement en fonction du délai chirurgical.
V. Facteurs de risque de saignement et stratégie d’épargne
sanguine
Les objectifs secondaires de notre étude étaient d’évaluer, en dehors du délai
chirurgical, les autres facteurs de risque de saignement et de transfusion.
1. Bilan biologique pré-opératoire
Nous constatons que l’hémoglobine pré-opératoire des patients opérés plus
tardivement était plus basse que celle des patients opérés précocement. Nous
expliquons ce phénomène par l’existence d’une anémie relative fréquente en
réanimation (inflammation, mais aussi dilution)42, 43. Lenoir11 a montré qu’il s’agissait
d’un facteur de risque indépendant de transfusion en chirurgie du rachis réglée.
Cependant, nous n’avons mis en évidence aucune corrélation entre hémoglobine
pré-opératoire et pertes sanguines chez nos patients traumatisés.
Le pH pré-opératoire différait également entre les patients opérés précocement et les
patients opérés plus tardivement. Nous pensons que cette différence reflète la
gravité initiale des patients et qu’elle tend à disparaître chez les patients opérés
tardivement, du fait de la prise en charge réanimatoire. Dans notre étude cependant,
41
le pH n’apparaît pas comme un facteur de risque de saignement dans l’analyse
univariée et multivariée.
De la même manière, il n’existe pas de corrélation entre le TP pré-opératoire et le
saignement à 48h. De plus, la différence observée entre les groupes en fonction du
délai chirurgical (TP=80 ± 18% vs 90 ± 13%, p=0,02 à 24h et TP=77 ± 20% vs 89 ±
12%, p=0,01 à 8h) ne semble pas avoir de pertinence clinique.
On retrouve également une différence entre les groupes en fonction du délai
chirurgical pour le fibrinogène pré-opératoire. Celui-ci est significativement plus bas
chez les patients opérés précocement par rapport aux patients opérés plus
tardivement (2,3 ± 0,7 g/dL vs 5,7 ± 1,8 g/dL, p<0,001 à 24h et 2,3 ± 0,7 g/dL vs 4,9
± 2,1 g/dL, p<0,001 à 8h). L'augmentation de la concentration du fibrinogène chez
les patients opérés tardivement semble refléter le syndrome inflammatoire post-
traumatique. Pour autant, il n’existe pas de corrélation entre le fibrinogène pré-
opératoire et le saignement dans notre étude.
Enfin, il semble exister une corrélation entre les plaquettes pré-opératoires et le
saignement à 48h en analyse univariée. Cependant, cette corrélation n’est pas très
forte et disparaît par la suite dans l’analyse multivariée.
2. Facteurs de risques liés au geste chirurgical
Nous avons pu mettre en évidence qu’il existait une corrélation entre l’importance du
geste chirurgical (nombre de niveaux, durée de l’intervention, chirurgie du rachis
dorsolombaire versus cervical) et les pertes sanguines à 48 heures.
Ces constatations ont un impact clinique fort. La décision d’une intervention en
urgence, sur un patient stable par ailleurs, doit être prise sur des critères
d’amélioration neurologique et non en fonction du risque hémorragique. Toutefois,
42
lorsqu’il n’existe pas d’urgence neurologique, il peut être préférable d’intervenir avec
les équipes de jour par rapport à la garde au vu de l’importance des pertes
sanguines. Le saignement, dans notre étude, est corrélé avec le niveau lésionnel et
le nombre de vertèbres qui seront fixées. Notons, l’importance pour le réanimateur et
l’anesthésiste de connaître avec précision le bilan lésionnel rachidien afin d’anticiper
le risque hémorragique peropératoire mais également postopératoire. Comme
toujours, le dialogue dans l’équipe médicochirurgicale est fondamental pour mener à
bien le traitement des patients. La connaissance du type de geste et de son
importance est essentielle à la préparation des compensations sanguines (demande
de sang, préparation du Cell-saver®, discussion autour des traitements préventifs,
plus grande attention à l’hémostase pré-opératoire du patient). Par ailleurs, sans lien
avec le délai du traumatisme, les lésions associées (fractures de membres, du
bassin, de côtes) d’un polytraumatisé doivent être prise en compte dans le risque
hémorragique (risque d’inflammation et/ou d’autres localisations hémorragiques).
3. Stratégies d’épargnes sanguines
L’importance du saignement doit nous inciter à établir des stratégies d’épargne
sanguine :
• L’utilisation des antifibrinolytiques en chirurgie du rachis réglée semblent être
efficace dans la réduction du saignement et de la transfusion21, 23. Dans notre
étude, les antifibrinolytiques n’ont été utilisés que chez 20 patients sur 65, et
plus fréquemment lorsque le saignement peropératoire était important.
Toutefois, comme nous l’avons vu, la présence de la significativité dans
l’analyse multivariée comme facteur de plus grand risque hémorragique est lié
aux prescriptions médicales individuelles sans protocole établi dans le service.
43
Nous ne pouvons donc conclure quant à l’effet des antifibrinolytiques dans
notre cohorte. Par ailleurs, même si aucune étude n’a montré l’efficacité de
l’acide tranexamique (seul utilisé à ce jour) en chirurgie du rachis en urgence,
il semble qu’un protocole clair d’utilisation en fonction de la situation (définition
des patients à risque suivant les critères significatifs décrits comme le type de
chirurgie) serait intéressant.
• L’utilisation du Cell-saver® a montré son efficacité dans une étude de
Cavallieri8 en termes d’épargne transfusionnelle en chirurgie du rachis en
urgence. Le Cell-saver® permettait de réduire de 82% à 45% (p<0.001) le
recours à la transfusion sanguine homologue. Dans notre étude, il était utilisé
chez 39 patients (60%). Par ailleurs, chez les patients non transfusés (n=29),
il était utilisé dans 14 cas (48%), ce qui a permis d’éviter une transfusion chez
environ la moitié d’entre eux.
• Les paramètres de la coagulation corrigés à l’arrivée du patient avant tout bloc
opératoire (la grande majorité des patients présente des examens de
coagulation considérés comme normaux en pré-opératoire) n’apparaissent
pas interférer avec le risque de saignement. Des études plus fines ou plus
importantes sont nécessaires pour affirmer que l’attitude de correction des
différents facteurs qui prévaut est bonne. Elle n’apparaît pas, en tous cas,
comme à remettre en cause pour le moment de façon évidente.
44
VI. Evaluation des pertes sanguines dans la littérature
1. Comparaison avec la chirurgie du rachis réglée
Avec un saignement moyen évalué à J2 de 3550 ± 2550 mL, les pertes sanguines
dans notre étude sont importantes et supérieures, en moyenne à celles retrouvées
habituellement dans la littérature médicale. Dans la chirurgie du rachis, elles sont
estimées autour de 1500 à 3000 mL selon les études11, 12, 44. La majorité de ces
études sont réalisées en chirurgie programmée d’une part et ne prennent en compte
que les pertes sanguines estimées peropératoires par le volume sanguin recueilli et
la pesée des compresses. Elles ne prennent généralement pas en compte le
saignement postopératoire. Murrey44 retrouve un saignement moyen de 2342 ±
2131 mL en cas d’ostéotomie transpédiculaire, avec un saignement maximal à
9900 mL. Dans une étude récente publiée par l’équipe de Beaujon11, en chirurgie du
rachis programmé, les auteurs estiment les pertes sanguines avec la même formule,
que nous avons utilisée, proposée par Mercuriali25. Le saignement moyen était de
1280 ± 810 mL dans le groupe patients non-transfusés contre 3400 mL ± 2100 mL
dans le groupe patients transfusés. Plusieurs facteurs de risque de saignement et/ou
de transfusion homologue sont identifiés dans ces différentes études. L’étude de
Lenoir11 identifie quatre paramètres : une hémoglobine préopératoire <12 g/dL, un
âge supérieur à 50 ans, une ostéosynthèse supérieure à 2 niveaux et l’ostéotomie
transpédiculaire. D’autres auteurs retrouvent également la chirurgie carcinologique12
et le surpoids13. L’hémoglobine pré-opératoire diffère entre les groupes de patients
dans notre étude. Cependant, elle n’apparaît pas comme un facteur de risque de
saignement dans notre étude. Comme l’étude de Beaujon11, nous retrouvons le
nombre de niveaux opérés. L’augmentation des pertes hémorragiques que nous
45
retrouvons dans notre étude doit être prise au sérieux puisque les méthodes de
calcul sont comparables. Ceci doit être rapproché de la situation post-traumatique, et
peut être que, contrairement à ce que nous évoquions plus haut dans un cadre de
comparaison de traumatisme à traumatisme, le niveau de l’hémostase perturbée par
la consommation, l’inflammation et la dilution y joue un rôle. Notre étude n’est pas
conçue pour travailler sur ces différences mais il sera important de vérifier ce résultat
et d’essayer d’en comprendre les mécanismes potentiellement corrigeables.
2. Comparaison avec la chirurgie du rachis en urgence
Il n’existe à notre connaissance que deux études publiées3, 14 comparant les pertes
sanguines en chirurgie du rachis en urgence. Ces deux études rétrospectives avaient
pour but d’évaluer les conséquences d’une décompression médullaire urgente du
rachis thoracique par rapport à une décompression plus tardive, en termes de
récupération neurologique, mais également de complications au cours de
l’hospitalisation.
Dans l’étude de Petitjean14, 49 patients polytraumatisés présentaient un traumatisme
thoracique avec atteinte médullaire. Dix patients bénéficiaient d’une chirurgie dans
les 24 heures après le traumatisme et 22 à distance du traumatisme (9 jours en
moyenne). Dans le premier groupe, les pertes sanguines peropératoires étaient
évaluées à 1000 ± 424 mL et dans le second à 1508 ± 800 mL. Cette différence
n’était pas significative.
Dans l’étude de McLain3, 27 patients polytraumatisés et opérés du rachis thoracique
et lombaire étaient répartis en 2 groupes : l’un était opéré dans les 24 premières
heures (n=14), l’autre entre la 24ème et la 72ème après le traumatisme (n=13). L’auteur
rapporte que, les pertes sanguines moyennes étaient plus importantes dans le
46
groupe de patients opérés en urgence (2966 mL) par rapport au groupe de patients
opérés à distance (1877 mL), notamment en cas de chirurgie par voie antérieure
(6812 mL contre 4000 mL). L’une des hypothèses retenues à ce résultat est
l’existence d’hémorragies plus fréquentes secondaires à des lésions des vaisseaux
épiduraux dont l’hémostase est plus difficile par voie antérieure.
Au total, les pertes sanguines évaluées dans notre étude sont supérieures à celles
évaluées en cas de chirurgie en urgence. Mais les méthodes d’évaluation de ces
pertes sont différentes. Ces 2 auteurs3,14 rapportent les pertes sanguines
peropératoires, calculées par la mesure du volume aspiré et la pesée des
compresses. Comme nous l’avons déjà signalé, l’évaluation des pertes sanguines
dans notre étude prend en compte l’ensemble des pertes sanguines à 48h, alors
qu’elles ne sont, le plus souvent, qu’évaluées en peropératoire dans les autres
études, mais également les pertes secondaires aux lésions associées. Ceci peut
expliquer la différence entre nos résultats et les résultats retrouvés dans la littérature.
Si nous appliquons la formule de Mercuriali25 uniquement sur la période
peropératoire en prenant comme delta d’hématocrite, l’hématocrite pré-opératoire et
l’hématocrite postopératoire, nous retrouvons dans notre étude un saignement
moyen à 2542 ± 1938 mL, résultat comparable à celui de McLain3. Cependant, notre
méthode a pour avantage de prendre en compte le saignement postopératoire, plus
fidèle à la compréhension de l’évolution du malade en réanimation.
Dans l’étude de McLain3, la différence de saignement en fonction du délai opératoire
observée et signalée par l’auteur n’était en réalité pas significative. Il apparaît donc
que la chirurgie du rachis traumatique est en soit hémorragique indépendamment du
délai, que les facteurs de saignement sont plus liés à l’importance du traumatisme en
47
lui-même et surtout du geste chirurgical proposé. Ce sont donc ces éléments qui
doivent être pris en compte dans l’évaluation pré-opératoire du risque hémorragique.
48
CONCLUSION Dans cette étude rétrospective, à propos de 65 traumatisés du rachis, nous n’avons
pas mis en évidence de différence entre délai chirurgical et pertes sanguines péri-
opératoires. La décision chirurgicale doit tenir compte de la stabilité et de la gravité
du patient, de l’existence d’un intérêt neurologique à la décompression précoce et
d’une diminution des complications générales notamment pulmonaires en cas de
chirurgie précoce. Quelque que soit le délai entre chirurgie et traumatisme, le
saignement reste majeur et les principaux facteurs de risque identifiés dans notre
étude par l’analyse multivariée sont liés aux facteurs chirurgicaux (nombre de
niveaux à opérer, durée de l’intervention), à la localisation de la lésion (chirurgie
dorsale ou lombaire plus hémorragique que chirurgie cervicale). Ces différents
paramètres sont donc à prendre en compte dans la gestion péri-opératoire de ces
patients. Cette étude pourrait permettre sur Bicêtre de définir un groupe à risque qui
bénéficierait d’une attention plus importante dans la prévention du risque
hémorragique : installation, commande de sang, préparation du Cell-saver®.
Toutefois, notre étude présentant des limites, des études supplémentaires doivent
confirmer ces résultats et rechercher les attitudes et traitements susceptibles de
limiter ces pertes hémorragiques.
49
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