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Cartographie Multidates de la Végétation
Alpine, Mont Jacques-Cartier : Rapport
final
Par Jean-Luc Pilote
Soumis à la Société Géographique Royale du Canada le 26
février 2010
Introduction
Dans un contexte de réchauffement climatique global appréhendé à la suite de l’augmentation
anthropique de la concentration des gaz à effet de serre, le réchauffement climatique récent aura
un impact sur la structure des communautés végétales et sur sa composition, ce qui engendrera
une redistribution des espèces (Beniston, 1994). L’environnement en milieu montagneux est très
sensible aux changements climatiques (Grabherr, 1994; Körner, 1999) et aura comme
conséquences un accroissement du stress sur ses communautés végétales. Ces changements
peuvent inciter une faible biodiversité des communautés et réduire leur résistance aux
perturbations (Beniston, 1994). La température de l’air au sol à l’est du Québec a augmenté de
près de 0,5 K entre 1960 et 2003 (Yagouti et al., 2006). Le scénario actuel face à cette tendance
laisse croire que l’augmentation de la température annuelle moyenne serait de l’ordre de 3,5 K à
4 K dans la région gaspésienne et par conséquent, une augmentation moyenne annuelle des
précipitations de 5 à 10%, 10 à 20% pour la saison hivernale d’ici la fin du 21e siècle (IPCC,
2007).
Cette étude donne suite au travail effectué par Fortin et Pilote (2009) à l’été 2007, qui
avait comme objectif de cartographier 4 zones prédéterminées. La connaissance est limitée sur le
dynamisme des espèces face aux changements environnementaux, les effets potentiels des
changements climatiques sont souvent projetés utilisant des modèles basés sur les corrélations
entre la distribution actuelle et le climat (Guisan et al., 2000). Comme indiqué par Fortin et
Pilote (2009), en présence d’un fort gradient vertical, les caractéristiques spatiales peuvent
changer rapidement sur une courte distance horizontale. L’objectif de ce travail n’est pas de
modéliser, mais d’évaluer les changements de la distribution du couvert végétal entre 1975 et
2004 sur l’ensemble du mont Jacques-Cartier, y compris le mont Dos de Baleine. Si des
changements sont observés, quels sont les facteurs principaux responsables à la modification du
couvert végétal.
Site à l’étude
Afin d’arriver à faire une comparaison de la structure de la végétation d’un secteur en particulier,
il était important d’utiliser un secteur d’étude déjà documenté (Boudreau, 1981). Le mont
Jacques-Cartier représente bien le type d’environnement alpin et subalpin de la région avec son
point culminant à 1268 m d’altitude. Il est le plus haut sommet du Québec méridional et fait
partie des Monts McGerrigles qui sont localisés immédiatement à l’est des Chic-Chocs. Il
n’existe pas une grande variation d’élévation lorsqu’on s’éloigne du sommet, puisque la
montagne est constituée d’un plateau couvrant une bonne superficie d’environ 80 km² (figure 1).
Figure 1. La péninsule gaspésienne est située au centre-est du Québec. Le mont
Jacques-Cartier culmine à 1268 m et est situé au centre-nord de la Gaspésie.
Le mont Jacques-Cartier est composé de roche granitique au nord et nord-ouest du relief,
puis de roches hybrides, soit de monzonite et de granodiorite qui datent tous du Dévonien
(Slivitzky et al., 1991). Cette formation fait partie du plus gros complexe de roches intrusives et
hybrides de la péninsule gaspésienne (Boudreau, 1981). Le massif au complet fait environ 100
km2. Au pied, à l’est du massif on retrouve une auréole d’altération métamorphique de 1,5 à 3
km de largeur (Boudreau, 1981). Quant à sa géologie de surface, on retrouve à grande majorité
des champs de bloc, fractionné par cryoclastie avec des secteurs où la végétation a pu pousser
avec un sol qui a su combler les matrices selon la capacité d’accumuler les sédiments transportés
par le vent et par érosion superficielle.
Méthodes
Deux séries de photographies aériennes ont été utilisées, soit 1975 et 2004 afin d’évaluer la
modification de la distribution de la couverture végétale entre cette période sur la majeure partie
du plateau. Ces séries ont été choisie en raison de leur échelle adéquate pour faire
l’interprétation, c’est-à-dire à une échelle de 1 :15 000 ainsi pour leur qualité photographique
(journée ensoleillée). Les photographies aériennes ont été rectifié (et par défaut géoréférencées)
Coordonnées
Points Y (Northing) X (Easting) Z (Elevation, m) Description
1
5430237,7
284332,827
1275,446
Fondation d’un bâtiment.
En haut à droite du bloc qui se
trouve au sud-ouest de la
fondation
2
5429231,56
284574,258
1035,078
Pointe au nord-est du lac.
Lac au sud-est du mont J-C
3
5430234,93
284958,476
1186,556
Sud du buisson sur le versant est
du mont J-C
4
5431280,93
285236,694
1241,523
Roche sur le mont Dos de Baleine
5 5431730,14
284601,762
1151,416
Intersection au sentier qui mène au
Lac à René
6
5431653,63
284461,144
1129,19
Pointe nord du Lac à René
Tableau 1. Liste des points de contrôles sur le mont Jacques-Cartier.
par la compagnie Groupe Alta à partir d’un DEM et de points de contrôles (tableau 1; figure 2)
pris avec un GPS à haute précision, afin de prendre en considération le facteur d’altitude et ainsi
de minimiser les marges d’erreurs (inférieur à 60 cm au sol).
Les orthophotographies sont tous monochromes (numériser par Groupe Alta à 1600 ppi)
et trois classes ont été définies (tableau 2) à partir des première interprétations (avant la
cartographie). Provencher et Dubois (2007) suggèrent qu’il est préférable d’utiliser des photos
Figure 2. Localisation des points de contrôles sur le mont Jacques-Cartie pris à
l’été 2008.
aériennes en couleur lorsqu’un inventaire de la végétation est nécessaire. Étant donnée la couleur
des photos disponibles, il n’était pas possible de distinguer plus de classes, et s’il eut été le cas, il
aurait été nécessaire de faire un inventaire détaillé sur le terrain incluant un échantillonnage afin
d’énumérer l’inventaire végétal sur le mont Jacques-Cartier. Ainsi, ce travail à déjà été fait par
Boudreau (1981) pour le même site d’étude. De plus, d’autres séries de photos (1948; 1970;
1973; 1986; 1992; 1994) existent pour la région, mais la qualité ou le type d’image de ceux-ci ne
correspondaient pas aux critères établis (infrarouge, neige au sol, couverture nuageuse, etc.). Le
tableau 2 résume les communautés végétales les plus communes qui sont toutes situées dans la
toundra alpine.
Une fois les classes déterminées et que la rectification à été faite à partir de points de contrôles
précis sur le terrain (i.e. ± 10mm) sur chacune des séries, nous pouvions commencer la
cartographie des classes (figure 3) à partir du logiciel MapInfoTM
(version 9.2).
Tableau 2. Description des classes végétales
Résultats et discussion
Parmi les différentes possibilités de modifications du couvert végétal en milieu montagneux, la
transgression de la limite des arbres était initialement proposée, mais aucune observation n’a été
relevée. Les autres types de modifications sont; la densification, la colonisation de nouvelles
Figure 3. Comparaison de la cartographie des classes pour la série de 1975 et de 2004.
L’encadré rouge est agrandi à la figure 4.
1975 2004
espèces, la migration et l’augmentation de la taille des espèces (Tape et al., 2006). Nos résultats
montrent clairement le phénomène de nouvelle colonisation et la densification (figures 3 et 4).
Les résultats dérivés de la cartographie des différentes classes végétales basées sur la
photo-interprétation sont énumérés au tableau 3. Trois tendances sont observées à partir des
données : une quasi-stabilité de la classe herbacée, une augmentation relative de la superficie de
Figure 4. Exemple de la modification de la couverture végétale de l’encadré rouge à la figure 3.
Tableau 3. Résultats de la superficie des classes obtenus à partir de la cartographie.
la classe arbustive de presque 5 % (+0,13% par année) et une diminution de 1,5 % (-0,04 % par
année) pour la classe rocheuse.
Tape et al. (2006) ont observé dans les environnements arctiques que l’augmentation de
la température moyenne hivernale et l’épaisseur neigeuse contribuent favorablement à la
colonisation végétale ainsi qu’à l’expansion. Cette situation peut être applicable au type
d’environnement (tempéré) tel que le mont Jacques-Cartier, tout en considérant quelques
paramètres différents (les cycles de gel-dégel plus fréquents, pluie sur neige, etc.).
Parmi les facteurs restrictifs potentiels, la prédominance du couvert rocheuse reflète sur
le faible apport en nutriments du sol et que le sol est absent ou bien ou mal drainer, à l’exception
de quelques dépressions. Un autre facteur restrictif est la présence d’un pergélisol près du
sommet du mont Jacques-Cartier (Gray et Brown, 1979). Ces quelques exemples de facteurs
restrictifs posent toutes un obstacle à la végétation d’élargir leur couverture ou bien de
transgresser à des altitudes plus élevées.
Tel que mentionné plus haut, la présence d’une couverture neigeuse plus importante dans
cette région pourrait représenter un facteur d’isolation favorable au taux de survie des plantes
dans des environnements hostile. Le plateau est exposé au vent et la neige qui est redistribuée sur
le versant dos au vent dominant (nord-ouest) peut accumuler une épaisse couche de neige.
Le climat dans la région de la Gaspésie n’est pas clair (Yagouti et al., 2006). La plupart
des stations météorologiques sont situées sur la côte à basse altitude de la péninsule et ne sont
pas représentatifs du milieu montagneux. La seule station qui semble être la plus représentative
de la région centrale de la Gaspésie (située dans les terres à une élévation de 358 m), indique une
légère augmentation des températures minimales et maximales hivernales (min : +1°C; max :
+1,5°C) et printanières (min : +1°C; max : +0,5°C) pour la période entre 1960 et 2003 (Yagouti
et al., 2006). Cette légère augmentation de la température peut être favorable à l’expansion de la
végétation présumant des conditions édaphiques stables.
Conclusions
Le travail effectué basé sur deux séries de photographies aériennes (1975 et 2004) avait comme
objectif d’estimer la modification de la couverture végétale sur le mont Jacques-Cartier
possiblement en réponse aux effets du réchauffement climatique dans la région. Les résultats
obtenus sont à prendre avec précaution et d’autres analyses sur la méthode de classification de la
végétation et sur les tendances climatiques sont nécessaires. Par contre, ce projet d’été représente
une première tentative à estimer la modification de la couverture végétale en milieu montagneux
dans la région. La principale conclusion de ce projet est que de nouvelles colonisations et
densifications des ilots de végétations ont eu lieu sur le plateau du mont Jacques-Cartier entre
1975 et 2004. Les conditions édaphiques et le relief sont moins susceptibles de changer
prochainement comparativement aux paramètres climatiques.
Références
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