CAHIERS DE L’ÉDIQ...Un atelier interculturel de l’imaginaire avec un groupe interculturel de...
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CAHIERS DE L’ÉDIQ 2016, Vol. 3 No 1
Frontières et médiations
Sous la direction de
Colette Boucher Jacqueline Breugnot
Lucille Guilbert
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L’ÉDIQL’équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec estsubventionnéeparleFondsderechercheduQuébec-Sociétéetculture(FRQ-SC).
LESCAHIERSDEL’ÉDIQ
DirectionLucilleGuilbert,ethnologie,Départementdesscienceshistoriques,UniversitéLaval
RichardWalling,co-responsablepartenairedel’ÉDIQ,LesPartenairescommunautairesJefferyHale
Comitédedirectionetderédaction:Lesmembresréguliersdel’ÉDIQStéphanieArsenault,responsabledel’ÉDIQ,professeureagrégée,Écoledeservicesocial,UniversitéLaval
NicoleGallant,INRS–UrbanisationCultureSociété
LucilleGuilbert,ethnologie,Départementdesscienceshistoriques,UniversitéLaval
AlineLechaume,ministèredel’EmploietdelaSolidaritésociale,Centred’étudesurlapauvretéetl’exclusion
MichelRacine,Départementdesrelationsindustrielles,UniversitéLaval
MarièveL’abbé,CégepdeSainte-Foy
RichardWalling,LesPartenairescommunautairesJefferyHale
ComitéscientifiqueStéphanieArsenault,PhD,Écoledeservicesocial,UniversitéLaval
NicoleGallant,PhD,INRS–UrbanisationCultureSociété
LucilleGuilbert,PhD,ethnologie,Départementdesscienceshistoriques,UniversitéLaval
AlineLechaume,PhD,ministèredel’EmploietdelaSolidaritésociale,Centred’étudesurlapauvretéetl’exclusion
MichelRacine,PhD,Départementdesrelationsindustrielles,UniversitéLaval
ÉditionColetteBoucher,PhD,Départementdesscienceshistoriques
ClaudiaPrévost,doctorante,Départementdesscienceshistoriques
CAHIERSDEl’ÉDIQestlarevuedel’équipederechercheenpartenariatsurladiversitéculturelleetl’immigrationdanslarégion de Québec. Cette équipe interdisciplinaire et intersectorielle regroupe des établissements universitaires, des
institutionsdegouvernance,desorganismesetdesservicesdepremièreligne.Elles’intéresseauxquestionsd’insertion
durableetdemobilitéexaminéesàlalumièredesnotionsdetransition,dequalitédevieetdesentimentd’appartenanceà
lacollectivitédansleslocalitésendehorsdesgrandscentres.Elletientcomptedesancrageshistoriquesdesdynamiques
locales,desprojetsetdesréalisationsdesnouveauxarrivantsainsiquedesgouvernancesetdesmédiationsculturelles,
socialesetpolitiques.
Fondésen2008,LesCahiersdel’ÉDIQétaientalorsuninstrumentdeliaisonréservéauxmembresdel’ÉDIQ.Enmai2011,l’ÉDIQ inaugurait une série, imprimée et en ligne (http://www.ediq.ulaval.ca/publications/cahiers-de-lediq/) qui
s’adresseàun largepubliccomposédechercheurs,depraticiens,dedécideurs,d’immigrantsrécents,desmembresdes
minoritésculturellesetdelapopulationhôte.Certainssontdavantageconsacrésauxactivitésrécursivesdontlesateliers
interculturels de l’ÉDIQ, les Séminaires de l’ÉDIQ, les Forums de l’ÉDIQ et présentent des textes et des présentations
«powerpoint»selonleprincipe«lecheminsefaitenmarchant»,commelediraitAntonioMachado:«Caminantenohay
camino, se hace camino al andar». D’autres numéros thématiques exposent des perspectives théoriques et
méthodologiquessuruneproblématiquespécifiqueetd’actualité;lestextesdesauteursdecesnumérosfontl’objetd’une
évaluationscientifiqueparlespairs.
Cahiersdel’ÉDIQ,2016,volume3,numéro1FrontièresetmédiationsNuméroréalisépar:ColetteBoucher,JacquelineBreugnotetLucilleGuilbert
Conceptiongraphiquedelacouverture:CentredesservicespédagogiquesettechnologiquesdelaFacultédesLettres—
ServicesAPTI,ClaudiaPrévostetLucilleGuilbert
2016ÉDIQ
Dépôtlégal–BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébec,2016
Dépôtlégal–BibliothèquenationaleduCanada,2016
ISSN1925-8526(Imprimé)
ISSN1925-8534(Enligne)
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Frontièresetmédiations
SousladirectiondeColetteBoucher,JacquelineBreugnotetLucilleGuilbert
Tabledesmatières
IntroductionLafrontièrecommepointderuptureouespacedemédiation
ColetteBoucher,JacquelineBreugnot,LucilleGuilbert 5
Frontières
Évaluerlescompétencescommunicativesencontexteplurilingueetpluriculturel
JacquelineBreugnotetThierryDudreuilh 13
Frontièresorganisationnellesetsoutienauximmigrants:lecasdelarégiondeQuébec
MichelRacineetCatherinePlasse-Ferland 23
Mouvancedesfrontièresethniquesetreligieusesdanslesorganismesd’assistance
anglophonesdelarégiondeQuébec:AnalysehistoriqueduSaintBrigid’sHomeetduLadies’ProtestantHome PatrickDonovan 33
L'accessibilitéauxservicesdesantéetservicessociauxpourlapopulationanglophone
delarégiondeQuébec:illustrationdefrontièrelinguistiqueetculturelle
LouisHanrahan,RichardWallingetAnnabelleCloutier 57
Laperceptionémotionnelledel’allemandlangueseconde
pardesadolescentsprimo-arrivants
SarahBerzins 67
Entretravailsocialderue,stigmatisationetprescriptionintégrative:
Frontièresettensions
VincentArtisonetHenriVieille-Grosjean 73
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MédiationsculturellesCommentl’amitiéseprésente-t-elledansuncontexteinclusifetintégrateur?
Unatelierintercultureldel’imaginaireavecungroupeintercultureldejeunes
duprogrammeSpecialNeedsActivitiesandCommunityServices(SNACS)àQuébec
AnnikaEndres 85
Latraductionoulacommunicationinterculturelle
N.Kamala 97
Lamédiationculturelleàtraverslestraductionsfrançaisesetfrancophones
desœuvreslittérairesindiennes
KiranChaudhry 107
L’interprèteenmilieusocialdanslarégiondeQuébec:
unpossiblemédiateurinterculturel
KarineMorissette 117
Lepersonnagedel’interprètedanslesrécitslittéraires,sonrôledemédiateur
entredesuniversdeparoledistincts
ColetteBoucher 133
Lesécrivainsmigrants,desmédiateursentredesmémoires
CarmenMataBarreiro 141
Compterendu:JacquelineBreugnot,Communiquerenmilieumilitaireinternational.Enquêtedeterrainàl’Eurocorps,Paris,Éditionsdesarchivescontemporaines,2014,136pages.[CollectionPLIDPluralitédeslanguesetdesidentitésetDidactique)
MartinDauphinais 149
Présentationdesauteurs 158
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Introduction
Lafrontièrecommepointderuptureouespacedemédiation
ColetteBoucher,JacquelineBreugnotetLucilleGuilbert
Lesfrontièresexistent.Qu’ellessoientdenaturegéographique,nationale,culturelle,socialeou
linguistique,ellesagissentsurlesgroupes,surlessociétés,maissurtoutsurlesindividus.Elles
peuvent représenter des ruptures,mais, et c’est ce qui ressort de cet ouvrage collectif, elles
sontaussideslieuxderencontre,detransformation,decréationetdemédiation.
Cecollectifproposeuneréflexionautourdelanotionde«frontières». Ilouvresur lepartage
des connaissances et desmodèles d’intervention avec des organismes desmilieux associatifs
travaillant avec des populations diversifiées en Allemagne, en France et au Québec, puis se
penche sur des illustrations de lamédiation culturelle à travers l’interprétariat, la littérature
transculturelle et la traduction littéraire. Les textes présentés proviennent pour la plupart du
symposiumFrontières,tenuenvisioconférencele10mars2014,réaliségrâceàlacollaborationde l’ÉDIQ,Université Laval et de l’Université Koblenz-Landau, oudu symposiumMédiation etapprochescoopératives:Construireensembledessociétéspluralistes,organiséparl’ÉDIQdansle cadre du XIVème congrès international de l’Association Internationale pour la Recherche
Interculturelle,endécembre2013,auMaroc.
L’établissement d’une frontière comporte toujours une part de subjectivité et d’émotivité
qu’elle soit volontaire, voire volontariste dans la création des frontières géopolitiques
(l’étymologiedumotfrançaisfrontière,aumoyenâge,provientdefrontetsignifielesarmées
qui s’affrontent) ou qu’elle soit vécue tout en s’ignorant, par habitude, par prêt-à-penser. La
frontière trace une démarcation, des contours, des identités, elle sépare,mais aussi elle est
interface,elleunit,ellemarqueunecontinuitédansunedifférenciation.Soitelleoppose,soit
elle donne sens dans une continuité et une complémentarité, ou plutôt, c’est par la
différenciationmêmequ’ellefaitsens.
Les frontières évoluent au fil des événements et des rencontres. La mondialisation,
l’immédiateté,ladiversitédessourcesd’informationetleurlibreaccèstransformentleslieuxet
lesmodesderégulationtraditionnels.Lemondemoderneest letableaud’uneredéfinitiondu
rapportentrel’Étatetlesacteurssociaux.
Lesfrontièresentrecesdifférentsacteurs,tantauniveaudesrôles,desresponsabilitésquedes
communications évoluent constamment. Ces changements entraînent la naissance et le
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développement de mouvements sociaux et la construction de nouveaux espaces de
convergence culturelle, mais aussi une érosion des frontières, comme l’observent, dans leur
article,MichelRacineetCatherinePlasse-Ferland.PatrickDonovan,poursapart,sepenchesur
l’évolutionde ces frontièresen lienavecdesdynamiquesethnoreligieuses changeantes.Pour
lui, qui s’intéresse à la communauté anglophonede la Ville deQuébec dans une perspective
historique,lesfrontièressemeuventdansletemps,tantentrelacommunautéanglophoneetla
majoritélinguistiquefrancophone,qu’auseinmêmedelacommunautéanglophone.
Toutefois,c’estavanttoutlesindividusquelesfrontièresatteignent.Ellestouchentlesindividus
dansleurviequotidienne,dansleuridentité,dansleurbien-êtreetdansleurfaçond’interagir
lesunsaveclesautres.Etc’estsouventavecl’engagementdesindividus,parfoissoutenuspar
les organisations, que les frontières peuvent devenir des lieux de convergence. Dans ce
contexte,lapersonneimmigrante,confrontéeàdesbarrièresdetousordres,estsouventcelleà
quiondemanded’incarner lacohérenced’identités,devaleurs,de langages inhérentsàdeux
groupes d’appartenance différents et, parfois, apparemment incompatibles. En contribuant à
transformer des espaces de rupture en espaces de rencontre, ceux-ci deviennent des
médiateursculturels,auquotidien,dansleurvieintimecommedansleuractionsociale.
Il est question, ici, de médiation en tant que création de lien et en tant que vecteur de
changement.Ilimportedelepréciserafinqueletermenesoitpasconfonduaveclamédiation
au sens de médiateur cherchant une forme de légitimité professionnelle ou de médiation
culturelle comme stratégie de mise en marché et de promotion d’organismes à vocation
culturelle.
Ici, la personneest au centreduprocessusdemédiation, prisedansune tension créatriceet
dialogiqueentresonenvironnementetsondiscourscréateur.Lamédiationconsidéréedecette
façondevientaussiunprocessusd’émancipationetdeparticipationdetous lessujetscomme
l’observent Vincent Artison et Henri Vieille-Grosjean à travers le regard et le récit d’un
travailleurderueagissantenmilieuurbainmulticulturel.Pourleurpart,JacquelineBreugnotet
Thierry Dudreuilh, s’intéressant, notamment, à l’intégration des connaissances issues de la
neurobiologie dans l’analyse des transactions entre les individus, considèrent le dialogue
interculturelcommeundialogueinterneoùl’identitédel’individusepartageentrelapartinnée
et lapartacquisede lui-même.Enfin, comme lementionneKarineMorissette,cequiestà la
baseduprocessusdemédiationdemeurel’importanceduliensocial.
Lamédiationpeuts’effectueràtraversdesinterventionsindividuellesouenpetitsgroupes.Afin
de comprendre comment sedéveloppe l’amitiédansungroupehétérogène,AnnikaEndresa
utiliséledispositifdel’atelierintercultureldel’imaginaire(AII)avecungroupemulticulturelet
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plurilingue de jeunes qui partageaient des activités dans le soit le programme parascolaire
québécois Special Needs Activities and Community Services (SNAQ). L’AII est un dispositif de
médiation interculturelle axé sur la parole, l’écoute, l’échange et le récit, ainsi que sur la
médiation des expériences et des réalités des participants à travers des objets symboliques.
Endresapuobserverlacréationdelienauseindecegroupe,enmêmetempsqueladiminution
des asymétries existantes du fait des frontières sociales et des compétences linguistiques
différentes.
La médiation culturelle et interculturelle s’applique aussi aux barrières linguistiques, tentant
d’unirdesgroupesenprésenceetd’atténuerdesinégalitéssociales.LouisHanrahan,Annabelle
Cloutier etRichardWalling s’intéressent à l’accessibilité aux servicesde santéet aux services
sociaux pour la population anglophone de la région deQuébec. Ils rappellent qu’il existe un
écartdesantéentrelesgroupeslinguistiquesmajoritairesetminoritaireslié,entreautres,àla
difficulté, pour les personnes de groupes linguistiquesminoritaires, d’obtenir des soins dans
leur langue maternelle. Pour ces auteurs, les solutions à ces situations se trouvent dans la
compréhensionmutuelle, lesajustementscontinuels,etl’innovation,lesquelsfontappelàdes
alliances entre les groupes majoritaires et minoritaires. Si de telles tensions linguistiques
existentauseindegroupeslinguistiquesétablisdepuislongtempsenunpaysetpartageantune
histoirecommune,onpeut imaginer les incompréhensionset lesdifficultésdedévelopperun
sentimentd’appartenancepourdespersonnesimmigrantesquiarriventdansunesociétédont
ilsneconnaissentpaslalangue.Ilssontauxprisesavecunelangueétrangèrequidoitpasserau
statutdelangueseconde,etcommel’exprimeSarahBerzins,àceluide«languedeconfort».La
barrière linguistique est perçue, par les adolescents récemment immigrés en Allemagne que
Berzinsarencontrés,commeleprincipalobstacleàleurintégrationscolaire.Questionnésparla
chercheuse, ces jeunes ont dit souhaiter que les enseignants soient mieux formés à
l’interculturel et qu’un systèmedeparrainageentre élèves soit instauré. Cela révèleundésir
d’inclusion chez ces jeunes tout enmettant enévidence l’importancedes enseignants et des
pairscommemédiateurs.
Les frontières linguistiques se conjuguent souvent à des frontières culturelles ou
institutionnelles. Dans le compte rendu qu’il fait de l’ouvrage de Jacqueline Breugnot
Communiquer en milieu minoritaire international. Enquête de terrain à l’Eurocorps, MartinDauphinais fait ressortir cet ensemble de barrières qu’a dû affronter Breugnot: frontières
culturelles et linguistiques, alors que l’Eurocorps regroupe des militaires de cinq payss’exprimant en au moins trois langues, mais aussi frontière institutionnelle, puisque la
chercheuseaétéconfrontéeà ladifficile rencontreentre la cultureuniversitaireet la culture
militaire, qui est une culture que Dauphinais décrit comme une culture de secret, dans un
univers fortementhiérarchisé.Onconstatequ’enrédigeantcecompterendu,Dauphinaisagit
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commeinterprètedulivredeBreugnot.Ilagitcommemédiateurpuisqu’ilprésentesavisiondu
livre à partir de sa posture d’étudiant universitaire et de membre des Forces armées
canadiennesl’ayantplacéenpositiond’interculturalitéàdifférentesreprises.
Par ailleurs, en situation d’interculturalité et de frontières linguistiques, un des médiateurs
majeursestl’interprètelinguistique.KarineMorissetteabordel’interprétariatcommeespacede
médiation interculturelle mettant en présence l’interprète, l’immigrant et l’intervenant en
immigration. Dans ce processus, l’interprète doit tenir compte des références culturelles de
chaquepartie,incluantlessiennes.Celaexigeuneconnaissancefinedecescontextesdelapart
del’interprète.
C’est par le personnage de l’interprète que nous aborderons le lien entre la littérature et la
médiationculturelle.Cepersonnage,l’interprètelinguistique,estsouventmisenscènedansles
romansdeMarie-CélieAgnant, auteurequébécoise d’originehaïtienne, elle-même interprète
auprès de personnes immigrantes à Montréal. Colette Boucher décrit la spirale qui relie les
personnages et les sociétés décrits dans les romans, l’écrivaine, elle-même interprète, et les
lecteurs. Puis, comme l’explique Carmen Mata-Barreiro, par son statut d’écrivaine
interculturelleou«migrante», laromancièreréconciliedesmémoires:cellesdes immigrants,
celles desmembresde la communautéd’accueil, celles desdifférentes générations.De cette
façon, les œuvres de littérature migrante deviennent des ponts culturels, susceptibles
d’ébranler«l’indifférencedecertainsdécideursoumembresdenossociétésparrapportàdes
hommesetdesfemmesquifuientdesréalitéssocialeshostilesouquitiennentàconstruireun
mondemeilleurpoureuxetleursfamilles».
Lelivreinformesursonauteur,surlespersonnagesmisenscèneetleursunivers,demêmeque
sur tous ceux qui contribuent à sa création et à sa diffusion, notamment, les traducteurs. Le
traducteureffectueunemédiationentrel’écrivain,tentantdesaisirsonintention,lasociétéou
la communauté dépeinte par cet écrivain, et les lecteurs à qui est destinée l’œuvre traduite.
Selon Kiran Chaudhry, le travail du traducteur donne lieu à une nouvelle œuvre, ou à une
«transcréation». Cette création est faite dans une langue intermédiaire, une langue
reconstruite à partir de celle des lecteurs à qui l’œuvre traduite est destinée; elle est aussi
imprégnéedesparticularitésdelalanguedanslaquelleletexteaétéécrit.Afindes’assurerde
niveler les frontières linguistiques et culturelles existant entre l’auteur et ces lecteurs, le
traducteurfaitappelàdesexplicationscomplémentaires.Iltentedeguiderlelecteur.PourN.
Kamala,laquestionseposealorsdesavoirqui,del’auteuroudutraducteur,doitapporterces
explications. Que doit expliciter le traducteur, tout en continuant à protéger la volonté de
l’auteur?
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Onleconstate,pourKamalacommepourChaudhry,letraducteurlittérairefaitbeaucoupplus
quetraduiredestextes,ilcréeunlangageintermédiaireetildéveloppeunezonedemédiation
quirespecteral’auteur,lasociétéqu’ildépeint,letraducteuretleslecteurs.
Enfin,qu’ils’agissedespersonneseninteraction,descommunautés,desinstitutions,desobjets
demédiation,lesfrontièresexistent,ellesdivisent,maisellespeuventaussidevenirdeslieuxde
partageetdeconcertationetmeneràlacréationdenouveauxespacesculturelsetsociaux.
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Frontières
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Évaluerlescompétencescommunicativesencontexteplurilingueetpluriculturel
JacquelineBreugnot
UniversitätKoblenz-Landau,Allemagne
ThierryDudreuilh
EuroMediationInstitut,Suisse
IntroductionLescompétencesinterculturellesfontpartiedenombreuxcursusdeformation,notamment,la
gestiondesressourceshumaines,l’enseignementetletravailsocial…Lesformationsdequalité
existent,biensûr,maislacertificationdescompétencesacquisescontinuedeposerproblème,
fauted’outilsd’évaluationadaptés,etce,d’autantplusque,depuislesaccordsdeBologne1,les
pratiquesuniversitaireslaissentpeudeplaceàl’auto-évaluationetàl’évaluationinformelle.
ÀpartirdedeuxtypesdecoursinscritsdanslecursusdeRomanistikdel’UniversitédeKoblenz-
Landau,nousverronscommentdesétudesdecasconçuesd’aprèsdesévénementsréelssont
susceptibles de répondre aux besoins de fiabilité d’une évaluation universitaire en tenant
comptedelapartiethéorique,maisincluantaussiunedimensionpratiqued’intervention.
LesélémentsconstituantlacompétenceinterculturelleToutes les formations à la communicationen contexteplurilingueet pluriculturel nemettent
pas l’accent de lamêmemanière sur les différentes composantes. Nous pouvons cependant
considérer que la plupart incluent les compétences suivantes: une écoute de qualité, une
aptitudeànepasconsidérerlesdysfonctionnementsd’originelinguistiqueetculturelle(DOLC)
commeinéluctables,unecapacitéàtransposerlesconnaissancesissuesdelaneurobiologieet
del’analysedestransactions,unebonnepratiquedel’abandondujugement,lerenoncementà
la recherche d’une solution, le respect des idiorythmes et l’habileté à formuler des mini-
synthèsesàbonescient.
1 Dans l’université humboldtienne allemande, chaque étudiant portait une large responsabilité quant à lapertinencedesaformationetpouvaitchoisirlescoursauxquelsilassistaitnonseulementenfonctiondesesgoûts
goûts,maisaussidesesbesoins.
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Notre approche ayant fait l’objet de publications spécifiques, nous n’en donnons ici qu’un
aperçudestinéàcontextualiser lecorpusde référence.Leséléments laconstituantsesituent
danslesperspectivessuivantes:
Letravailsurl’écoutereposesurl’approcheRogerienne.Ellepositionnel’écoutantdanslamise
en retrait de soi, dans un centrage sur la personne écoutée en reconnaissant son état
émotionneletensedécentrantprogressivementduproblème.
Lesconnaissancesissuesdelaneurobiologie,susceptiblesdefairecomprendredansunregistre
scientifique les fonctionnementshumainsensituationdestress, sontunélément limité,mais
essentieldansuneperspectived’apprentissageplurisensoriel.Nousnousréféronspourcefaire
auxtravauxd’HenriLaboritetdesessuccesseurs2.
L’aptitude à ne pas considérer les dysfonctionnements d’origine linguistique et culturelle
comme inéluctables s’inscrit dans une expérimentation d’alternatives selon les techniques
d’AugustoBoal(2007)etunerecherchesystématiquedutiersexcluévoquéparPaulWatzlawick
(1988).L’analysedestransactionsobservéesoutranscritespermetdethéoriseretdeconstituer
lesconditionsd’untransfertdesconnaissancesacquisessurdessituationsfutures.
Le respect des idiorythmes, dont l’importance a été mise en évidence par le collectif de La
Borde3comme constituant primordial de la singularité de chacun, appartient sans doute aux
2Danscecourantdelarechercheayantnourrilaconnaissancedelaneurobiologieducomportement,ilfautciter,
entre autres, Pierre Karli, Maurice Auroux, Jean-Didier Vincent, Marc Jeannerod, Jean Decety, António Rosa
Damásio,3Le collectifde laCliniquedeLaBorde, crééepar JeanOuryen1953prèsdeBloisa révolutionné lapsychiatrie
institutionnelleenFrance.Mêlanthumanisme,attentioncliniqueetouverturedanslapriseenchargedelafolie,
cetteapprochechaleureusedelamaladieoùlepatientresteavanttoutunepersonnes’exercedansunlieuunique
de soinsetd’attention,enpleinenature,en régimede semi-libertéetengestioncollective, sans signedistinctif
entresoignantsetpatients.
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compétenceslesmoinsévidentesàacquérirtoutenétantunedispositionfondamentaledansle
travailencontextepluriculturel.
La pratique de la médiation intégrative donne les moyens techniques et précise le
positionnement«moral»desactants.
Ces outils se conçoivent dans le cadre d’une attitudefondée sur l’empathie, l’acceptation
inconditionnellede la réalitéde l’autreet la congruence, l’authenticitéavec soi et les autres,
laquelledevantêtremanifestéed’unemanièreadéquateàlasituationetauxautrespourêtre
accueillie—qualitéetcompétencesonticiindissociables.
Cesoutilsmettentl’accentsurlaprimautédulienentrelespersonnesparrapportàl’objetdu
conflit. Leur degré de complexité est très variable. L’un d’entre eux consiste simplement à
élargir le vocabulaire émotionnel dont nous disposons afin que l’expression puisse être plus
nuancée et plus précise. Mais ce travail sur le vocabulaire entraîne, de facto, une réflexion
égalementplusnuancéeetplusprécise sur laperceptiondenospropresémotions. L’accèsà
nos propres émotions est l’une des capacités qui va permettre de sortir du jugement.
L’entraînementàsortirdujugementpeuts’instaurerendehorsduritueldelamédiation(même
sicerituelpermetdes’entraîneràl’utilisationdesdifférentsoutilsdansuneformeralentieet
«sécurisée») lors d’exercices d’écoute active où l’on apprend à être présent à l’autre, à
reformuler cequi a étéperçude l’état internede l’autre, àdonner sonpropre ressenti pour
produireuneffetmiroir, sans jamais se focaliser sur le sujetduconflit, en renonçantà toute
interprétationourecherchedesolution4.
Laconstitutiond’uncorpusNous présenterons ici les situations de médiation parce qu’elles proposent par essence une
confrontation à la diversité et permettent d’illustrer clairement notre propos. Le corpus
comprend également des enregistrements de théâtre-Forum et un travail d’analyse des
transactions.
Extrait1:Nouvelle-Calédonie,médiationparlespairsUnecourdecollègeà l’heurede larécréation:discussions,poursuites, jeuxdeballon.Etpuis
tout va très vite: un cercle intéressé vient de se former autour de Léo et Daniel qui ont
commencéàs’empoigner,prêtsàsebattre.
4 L’approchedemédiationquenousavonsretenuesesituedansuneperspectiveprochedel’ACProgerienne.
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Attirésparlegroupequiexcitelesdeuxadversaires,desjeunesélèvesde4eportantbadgede
médiateurs,s’interposentetproposentleuraide:«Çatournemallà!Voulez-vousquel’onvous
aide ou préférez-vous que nous appelions le surveillant? Nous sommes lesmédiateurs cette
semaine.»
Danielacceptetoutdesuite.
Léoestplusréticent,maisiln’enestpasàsapremièrebagarreetlapropositiondefaireappeler
unsurveillantestunargumentconvaincant.
Lesspectateursdéçuss’éloignent.
Les quatre jeunes (deux médiants, deux médiateurs) se retrouvent dans la petite salle de
médiationaucalmeetàl’abridesyeuxindiscrets,aveclaprésenced’unformateuradultedans
lefonddelasalle.
Dans un premier temps, les médiateurs vont laisser la parole successivement aux deux
adversairesenleurdemandantdenepass’interrompre.Puisilsreformulentenlesrésumantles
faitsénoncésparchacundesmédiantsetlesémotionsassociéesqu’ilsontperçues,enévitant
deposerdesquestionspourensavoirplus.Sansjugementetdanslabienveillance.
Chacundesélèvesdonnesaversiondelabagarreetdelamanièredontelleacommencé:
-Léoestnouveauaucollège,ilarrivedemétropole,élèvede6e,iladéjàétérackettédansleprimaire.Il
aapprisàsedéfendre.
-Danielredoublesa5e,c’estunbagarreur,ilauneréputationàdéfendre.
Loindescopains,lesgarçonsvonts’expliquer:LéoetDanielsesontliésd’amitiédèslarentrée,
ilsavaientpris l’habitudedejouerensembleauballonà larécréation.Aufildessemaines, les
deuxgarçonssesontéloignés,carLéonevoulaitplusprêtersonballon, jusqu’aumomentoù
Danielavoululuiprendredeforce.
Enaccompagnant lemouvement intérieurdechacun, lesmédiateursontpuallerunpeuplus
loinetdécouvrirquechacunétaitsousemprise,lefameuxconformismedegroupe5,fréquentà
l’adolescence:
-Léo,jeune«Zoreille»,étaitsousl’emprisedesplusgrandsquiluidisaientdenepasprêterleballonà
Danielparcequecelui-ciétaitKanak,doncétiquetévoleur.
-Desoncôté,Danielétaitégalementsousl’influencedesplusgrandsquiluiintimaientl’ordredenepas
joueraveclepetitblanc,filsdegendarmedesurcroît,doncétiquetéraciste.
5 Illustrépar l’expériencedeSolomonAschetMuzaferSherif,puisparMortonDeutsch,HaroldBenjaminGerard,LuxLamarche,HerbertKelman,Jacques-PhilippeLeyens.
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DialoguesetQuestions
…/…Audébutdelarencontre,lesmédiantssontinvitésàprésentercequ’ilsontvécu,àtourderôle(c’estl’équivalentdelaphasedelaTheoriadanslatragédieclassique):MédiateurM1:Alors,pourcommencerquiest-cequiveutparler?AllezLéo,va-z-y,commentest-cequeças’estpassé?Daniel:Ben,Léoetmoion jouaitensembleauballonet iladit:«Rend-moimonballon!»,commesijevoulaisluivoler
(QUESTION1:Quepensez-vousdecetteentréeenmatièreduM1?)
(RÉPONSEATTENDUE:Aulieuderesterneutre,M1proposeàLéodecommencer.)
(QUESTION2:Quelleestlaconséquencedecetteentréeenmatière?)
(RÉPONSE ATTENDUE: Daniel se précipite pour commencer, ce qui montre soit que le
médiateur n’avait pas prêté attention à l’urgence pour Daniel, soit que ce dernier a voulu
compenseroumettreuntermeimmédiatementàunrisqued’alliancedeM1avecLéo.Cequi
n’estpasbonpourl’imagedeM1danssonrôle).
…/…
Puisundesmédiateursfaitunrésumédecequ’ilsontentendu,delapartdel’un,etdelapart
de l’autre,etrend laparoleauxmédiants,quipeuventdésormaisconverserentreeuxoupar
l’intermédiairedesmédiateurs(phasedelaCrisis).
…/…(Après10minutesdedébat)
Léo:Nonj’aipasditça,maisjevoulaispasqu’illegardeàlafindelarécré.Daniel:Benvousvoyez,ilditquejesuisunvoleur.Léo:Non,c’estpasmoiquil’aidit;c’estlesgrands.M2:Léo,laisseparlerDaniel.
(QUESTION1:Quepensez-vousdecetteinterventiondeM2?)
RÉPONSEATTENDUE: Cette fois, c’estM2 qui semble se faire le défenseur deDaniel, ce qui
n’estpasbonpoursonimagedeneutralitédemédiateur.Parailleurs,obligerunmédiantàse
taireetàécouter l’autreesttoutàfaitcontreproductif.Eneffet, lorsqu’unepersonneestaux
prisesavecuneémotiondecolère—quipermetdemobilisersonénergiepourdéfendreson
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territoire, sa vérité, sa parole— lui interdire de se défendre correspond à une menace
supplémentairepoursonnoyauamygdalienquigèresoninstinctdeconservationetinterprète
toute menace comme une menace de mort, réelle, virtuelle, fantasmée ou symbolique. Ce
bourgeonnement situé au cœur de son paléo-cortex entendra «laisse-toi faire, laisse-le te
tuer!»,cequiestinsupportable.Ilyatoutesleschancesquesaviolenceverbaleredouble,qu’il
envienneauxmains,qu’ilquittelapièceouqu’ilsemuredanslesilence—selonles3F,Flight,
Fight,Freeze—fuir,lutterous’inhiber,convaincudenepaspouvoirsefaireentendre.
…/…
Plustardpendantlamême2ème
phase(Crisis)Daniel:Moijeveuxcontinueràêtresonami…maiss’ilmeprendpourunvoleur…M1:C’estunpeucommeuneamitiébrisée.
QUESTION 1: Cette intervention de M1 vous paraît-elle adaptée? Aurait-elle pu être mieux
formulée,etsioui,comment?
RÉPONSE ATTENDUE: L’idée est bonne; le «miroir» permet à Daniel, sans recherche de
consolationouderéassurance,demesurerl’ampleurdelaperteetderéagir;saréactionsera
ainsi facilitée,maisnonpas induiteniencoremoinsdirigée.Néanmoins, la formulationparaît
maladroite.Sansdouteaurait-ilétéplushabiledeproposer:«Qu’est-cequ’unamipourtoi?»
puis,aprèsavoirécoutélaréponsedeDaniel,poserlamêmequestionàLéo:«Etpourtoi,Léo,
qu’est-cequ’unami?»(ou«qu’est-ceque l’amitié?»). Ilestprobablequechacunrépondraà
peuprès lamêmechosedoncsereconnaitradans laréponsedel’autre,cequi lesamèneraà
remettre aux commandes ce qui est essentiel pour eux, leurs besoins, leurs valeurs, et de
commenceràcomprendrelesensdecequileurestarrivé.
La médiation a finalement permis la libération des emprises et la réconciliation des deux
copains.Elleaaussiévitéquelasituationnedégénèrepourlecollège.
Extrait2:Paris,médiationdutravailentresalariées(cadreetcollaboratrice)
OuahibaestbénévoledansunPAD(appellationofficielleduMinistèredelaJusticepourPoint
d’Accès auDroit), une association spécialiséequi accueille desmères isolées, le plus souvent
immigrées, leur fournit soutienet conseils et les oriente vers les services aptes à répondre à
leursattentes.Ouahiba,mèredetroisenfants,esttitulaired’unMaster;elleestd’originearabe.
Fatoumata, elle, est salariée de cette association; plus ancienne que Ouahiba, qu’elle a
accompagnée dans ses débuts de bénévole, elle garde une forme d’ascendant sur elle.
Fatoumataestautodidacte;elleestoriginaireduMalietappartientàl’ethniepeule.
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Ouahiba se plaint que Fatoumata la méprise, tour à tour la maltraite ou la harcèle. Elle lui
enlèvedesdossiers,signeàsaplacedesrapportsqu’elleapourtantrédigés,luijettelesdossiers
sur le bureau, lui dit à peine «Bonjour», ne la laisse pas s’occuper des mamans d’origine
marocaine,mais lui confie plutôt desmamans dont elle ne parle pas la langue, semblant se
réserverlesautresmamansmaghrébinesalorsquelleneparlepasarabe,etc.
FatoumataseplaintqueOuahibaesthautaine,distante,méprisante,secroitsupérieure,alors
qu’elleluiatoutappris;qu’ellen’estpasreconnaissanteetencore,qu’ellenerespectepasses
consignesetqu’elleveutn’enfairequ’àsatête,etc.
Lamédiation,conduiteparunmédiateurprofessionnel,etdeuxmédiateursstagiaires,dontune
psychologueexpérimentée,apermisàchacunedeprendreconsciencedelasituationdel’autre,
parcertainsaspectspassiéloignésdelasienne,chacune«immigrée»danssonpaysnatal—
toutes deux sont nées en France—et deprendre lamesurede la souffrance engendréepar
leurscomportements:
-Pourlasalariée,Fatoumata:lebesoindeserassureretdeconfortersapositiondesalariéeetdetuteur
faceàunebénévoleplusdiplôméeetpluscompétenteendroitquireprésentaitàsesyeuxunemenace
pour son propre poste et pour sa position hiérarchique de chef imposée dans l’ordre social par son
appartenanceàl’ethniepeule6.
-Pourlabénévole,Ouahiba:l’affirmationdesescompétencesendroitplaçaitsacollèguesalariéedans
unepositiond’inférioritéetlamettaiteninsécuritéprofessionnelle.Trèslibredesontempsetpouvant
sepermettredetravaillerbénévolementplusieursheurespar jour,Ouahibaaréaliséquecelasuscitait
envieet/oususpicion.Letout,alorsmêmequeOuahiban’avaitaucuneintentiondedevenirsalariéeun
jour;unpointquin’avaitjamaisétéexprimé,carl’idéededemanderfaisaitpeuràFatoumatatandisque
cepointn’avaitaucuneimportancepourOuahiba,quinevoyaitlàqu’uneoccupationdestinéeàveniren
aideàses«sœurs».
Bénéficeenapparencesecondaire,lamédiationasurtoutétéunerévélationdecequesignifiait
l’exilpourchacuned’entreelles.Demême,ellesontlonguementéchangésurcetteexpérience
bi-univoquedeviepartagée,et sur le sensque toutes lesdeuxdonnaientà cette«mission»
d’aiderleurs«sœurs»;c’estàpartirdecedernierpointqueleurcheminementlesaconduites
verslaréconciliationbienplusquegrâceautravailsurlesujetduconflitlui-même.C’estdansle
registredesvaleurs(Noos)etnondumatérielquelesdeuxmédiantesontpuseretrouver.
DialoguesetQuestions
…/…(pendantledébatdelaphase2,Crisis)
Fatoumata: Non,Madame Bzazou, je t’avais dit que c’est Aminata qui devait la recevoir,quandelleauraitterminéavecMadameDiallo.
6LesPeuls,peupledecommerçantsimplantésdansl’ouestafricain,duSaharaàlacôteatlantique,sontconsidérés
commel’ethniedominanteetsedoiventd’assumerlesresponsabilitésquiendécoulentvis-à-visdesautres.
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Ouahiba:Etpourquoi?Tupeuxm’expliquer?Fatoumata:Jen’airienàt’expliquer;c’estmontravaildefairelagrilledeplanning.M1:Ouahiba,jetesensblesséeparletondeFatoumata.
QUESTION: Que pensez-vous de cette intervention de M1? Expliquez les raisons de votre
opinion?
(RÉPONSE ATTENDUE: L’idée est bonne; le signe de reconnaissance est juste. Néanmoins, le
médiateurM1auraitdus’arrêterà«jetesensblessée»etlaisserensuspenscequipeutavoir
blessé Ouahiba. Pour trois raisons: d’une part parce qu’en donnant la précision du ton,M1
sembleindiquerquelui-mêmejugeletonblessantet,partant,sortdesondevoirdeneutralité;
d’autrepartparcequ’ilrisqued’enfermerOuahibadansuneréponsetoutefaite;cepeutêtre
aussibien le tonque lasubordination imposéeouencore l’interdictiond’uneexplication,etc.
qui l’a blessée; enfin parce que les interventions ponctuelles d’unmédiateur (en dehors des
synthèsesrégulières)doiventrestercomprisesdansl’empanmnésique(2secondesfaceàune
personneencrise:peur,colère,tristesse,joie—voiresurprise,dégout,honte,etc.)afindene
pas perturber le rythme intérieur, l’idiorythme, du médiant, en le coupant de ses émotions
(Sôma) et le projetant brutalement dans le mental (Psyché), ce qui l’amènerait
immanquablementàchercheràrenforcersapositionenutilisantsonintelligencecognitivepour
consolidersonargumentation.
…/…
M2(immédiatementaprèssoncollègue):Tutesensexclue?Ouahiba: Oui, enfin… plutôt tenue à l’écart, comme si je ne faisais pas partie de l’équipe,commesiellenevoulaitpasdemoi.
QUESTION: Que pensez-vous de cette intervention de M2? Expliquez les raisons de votre
opinion?
RÉPONSEATTENDUE:L’idéedeM2d’unsuivisursonpartenaireestbonne;cettejeunefemme
d’origine maghrébine peut se sentir exclue par ses deux collègues originaires d’Afrique sub-
saharienne. Le qualificatif suffisamment fort permet à Ouahiba de lui préférer desmots qui
minimisentlesentimentd’exclusionetdepréciseravecsespropresmots,quiveulentdireàpeu
près la même chose, mais en montant progressivement en puissance, sans critique initiale
violenteà l’égarddeFatoumata, cequi rendsesmotsplusacceptables.Parailleurs,onverra
plus loin que la longueur de son intervention lui permet d’être entendue de Fatoumata;
entendue, cela signifiequeFatoumatava ressentirenelle,enmiroir, lesémotionsquedécrit
Ouahiba.LajustesseetlabrièvetédusignedereconnaissanceenvoyéparlemédiateurM2ont
ainsipermisdefairebaisserleniveaudeconflictualitéetd’ouvrirlavoieverslareconnaissance
etlacompréhensionmutuelle.
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…/…
Ouahiba:Pourmoi,c’estimportantcetengagement,lefaitdepouvoiraidermessœurs…M2àFatoumata:Vousentendezcequ’elledit?
QUESTION: Que pensez-vous de cette intervention de M2? Expliquez les raisons de votre
opinion?
RÉPONSEATTENDUE:EndemandantàFatoumatasielleabienentenducequ’aditOuahiba,
M2sortdesaneutralitéetsefaitobjectivementleporte-parolevoirel’alliédeOuahiba.Celaa
toutes les chancesd’aboutir àunepositiondéfensivedeFatoumataqui voudradéfendre son
bondroit,renforcersapositiondureetretarderd’autantlemouvementintérieurd’ouvertureà
laparoledel’autre.SanscomptersapertedeconfianceenverslemédiateurM2.L’intervention
peutaussisemblerinfantiliserOuahibaetrisquerdeladéresponsabiliseroudelapriverd’une
partdesonautonomie.Elleestd’autantplusinutilequeleterme«aidermessœurs»employé
par Ouahiba est assez fort pour frapper l’esprit de Fatoumata et réveiller en elle une valeur
similaire. M2 aurait pu simplement se contenter de répéter en écho sur un ton à demi-
interrogatif «vos sœurs?», en regardant Ouahiba pour l’amener à développer ce qu’elle
entendaitparlàetqueFatoumatan’auraitpasmanquéderecevoirfavorablement.
Conclusion
Commelemontrentcesdeuxextraits,ilestpossiblededévelopperdesmodesd’évaluationdes
compétencesinterculturellesdemanièrestructuréeetprécise,aussibiendansuneperspective
formativequesommative,oumêmeenvued’uneauto-évaluation. Lesquestionsélaboréesà
partirdetranscriptionsdemédiationouàpartird’enregistrementsaudioouvidéodeséquences
authentiques ou jouées dans le cadre d’un théâtre-forum permettent de rendre compte des
compétences d’empathie, de décryptage des interactions et des aptitudes à trouver les
comportementsadéquatesfaceauxdysfonctionnementsd’origine linguistiqueouculturelle.À
terme,cetteformed’évaluation,adaptableauxformationsmisesenplacedanslesdifférentes
universités, devrait assurer une qualité de compétences fiables et par làmême un corps de
professionnelsefficacesdansleurpratique.
Bibliographie
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Dudreuilh,Thierry.2007.Transformerleconflitparlamédiationintégrative,unexempleenex-
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Watzlawick, Paul. 1988. Comment réussir à échouer. (Chapitre 4). Paris, Éditions du Seuil.Traduitdel’Anglais:Ultra-Solutions–Howtofailmostsuccessfull
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Frontièresorganisationnellesetsoutienauximmigrants:lecasdelarégiondeQuébec
MichelRacine
UniversitéLaval,Canada
CatherinePlasse-Ferland
ConférencerégionaledesélusdelaCapitale-Nationale7,Canada
AuQuébec,commepartoutailleursauCanada,legouvernementagitcommelecoordonnateur
central du soutien à l’intégration des personnes immigrantes. Les gouvernements des deux
paliers, provincial et fédéral, ne sont toutefois pas exempts d’une tendancede fond agissant
partout en Occident, celle de soumettre la fonction exécutive de l’État à des modifications
structurellesimportantes.Selonl’OCDE(Cournèdeetal.,2013),autantauCanadaquedansles
payseuropéens, lesgouvernementsfontl’objetdepressions,avecdesvariantesdediscoursà
gaucheetàdroite,pourdeveniràlafoisplusmincesetplusfortsafindediminuerl’importance
deleurponctionfinancièreetrendrelesservicesattendusparlasociété.
Cesrestructurationsprennentdesformesdifférentes.Ungroupederechercheeuropéen,HIRESPublic(2011),parledequatrecatégories,nonexclusives,derestructurations:
• Diminutiondeseffectifs(attrition)• Réorganisationstructurelle• Sous-traitance/externalisation• Changementdeculturesorganisationnelles/professionnelles
Dans ce contexte, au Canada comme auQuébec, la politique d’immigration garde toute son
importance, sans doute parce qu’elle répond à des finalités économiques, dumoins dans le
discours gouvernemental? D’ailleurs, parmi les trois grandes catégories dans lesquelles se
classentlesimmigrantsaupays,lapremièreenimportanceestlacatégoriedited’immigration
économique.Celledesréfugiés,quis’avèrelaréponsehumanitaireauxgrandsdéplacementsde
populationsecouantlesrégionsvulnérablesdumonde,diminueenimportancedepuisquelques
années.Entrelesdeux,ontrouvelacatégorieditederéunificationfamiliale,quirépondàune
doublefinalité,humanitaire(c’est-à-direfairevenirdesparentsvieillissants,desprochesdansle
besoin), mais aussi économique (c’est-à-dire accueillir un conjoint aux compétences
recherchées,desenfantssusceptiblesdedevenirunemain-d’œuvrequalifiée).
7Aumomentdelarédactiondecetarticle,CatherinePlasse-FerlandtravaillaitàlaConférencerégionaledesélus
delaCapitale-Nationale.Depuis2015,elleœuvreàl’agencededéveloppementéconomiqueQuébecInternational.
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Lapolitiqued’immigrationduCanada,etpartantduQuébec,estfoncièrementsélective(Bade
et al., 2011); un pays séparé géographiquement des grands bassins mondiaux d’émigration8
peutsepermettrecetypedepolitique.PrécisonsqueleQuébec,àlasuited’uneséried’accords
passés avec le gouvernement fédéral9, détient la maîtrise de la sélection des personnes
immigrantes. Ajoutons que le gouvernement québécois dégage des budgets relativement
importants pour voir à l’intégration de ces personnes dans la société. Toutefois, demanière
absolue,lesbudgetsallouésduministèredel’Immigration10ontconnu,etconnaissenttoujours,
desbaisses,cequisetraduitpardesmodificationsdanslaprestationdeservicesauxpersonnes
immigrantesetunereconfigurationdesfrontièresd’interventiondeceministère,enpartenariat
avecd’autresorganismes.
Nous étudierons dans ce texte trois zones de reconfiguration que connaît le soutien à
l’immigrationauQuébec:l’apprentissagedufrançaispourlesnon-francophones(francisation);
l’accueiletl’installationdesnouveauxarrivants;laconcertationdansunerégionparticulièredu
Québec,celleditedelaCapitale-Nationale,avecensoncentrelaVilledeQuébec.
L’apprentissagedufrançais
LeQuébecaune seule langueofficielle, le français.Ainsi, àdes finsd’intégration sociale,des
services de francisation (à comprendre d’apprentissage de la langue française) sont offerts à
toutepersonneimmigranteadmiseauQuébecetayantbesoind’apprendrelefrançaisoud’en
parfaire la connaissance. La transformation de ces services depuis les dernières décennies
constitue un bon exemple de déplacement des frontières organisationnelles. Avant 2000, le
ministère de l’Immigration s’occupait en son seul sein de l’intégration sociale des personnes
immigrantes,ycomprisdeleurapprentissagedufrançais.Aujourd’hui,ceserviceestofferten
«partenariat», un terme clé, avecdesétablissementsdepartout auQuébecetmême situés
ailleursdanslemonde(CCE,2013).
De 1975 à 2000, le ministère de l’Immigration du Québec a pris entièrement en charge la
francisationdesimmigrantsgrâceàdesétablissementsrelevantdesaseuleresponsabilité, les
centresd’orientationetdeformationdesimmigrants(COFI).Onyoffraitpourl’essentieldela
formationdebaseenfrançais,maisaussiquelquescourspermettantd’accéderàuneformation
qualifiante–parexemple,infirmièreousecrétaire(ArchambaultetCorbeil,1982).
8LadeviseduCanada,D’unocéanàl’autre,évoquel’étenduedecesséparations.
9Le plus décisif étant sans doute l’Accord Gagnon-Tremblay–McDougall, de son nom officiel Accord Canada-Québecrelatifàl’immigrationetàl’admissiontemporairedesaubains,adoptéen1991.10Àdesfinsdesimplification,nousutilisonsladénominationministèredel’Immigration,quiachangédenomaufil
des ans, passant de MICC (ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles) à MIDI (ministère de
l’Immigration,delaDiversitéetdel’Inclusion)durantladernièredécennie.
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Autournantdel’an2000,lesCOFIontgraduellementlaisséplaceàlaformationoffertechezles
partenaires (CCE, 2013) que sont les organismes communautaires et les établissements
d’enseignement: commissions scolaires, qui dispensent la formation primaire et secondaire;
cégeps, qui offrent la formation de niveau collégiale; universités. Si la justification de cette
décision comportait une composante financière, elle se fondait aussi sur d’autres raisons
pertinentes.L’immigrationdevenaitàcetteépoquebeaucoupplusscolariséeetlesbesoinsplus
diversifiésquantauxniveauxdemaîtrisedu françaisetd’intégration socioprofessionnelle.De
plus,lesdécideursontalorsvulanécessitéderomprel’isolementdesnouveauxarrivantsavec
lasociété:lalangueeneffetnes’apprendpasenvaseclos.
Depuis, leMinistère a aussi établi despartenariats afindepermettre auxdemandeurs, avant
mêmed’émigrerversleQuébec,d’apprendrelefrançais.Cetteopportunitépermetdebonifier
leurcandidature,puisqueleniveaudemaîtrisedufrançaisestl’undescritèresdesélectiondes
immigrants de la catégorie économique. Ainsi, plus d’une centaine d’organisations peuvent
dispensercetteformationàl’étranger,principalementlesAlliancesfrançaises(CCE,2013).Ilest
aussi possible désormais de suivre des cours en ligne (voir le site
www.francisationenligne.gouv.qc.ca).
Donc, le recours au partenariat a permis au ministère de l’Immigration de repousser les
frontièresdel’exercicedel’unedesesprincipalesresponsabilités,lafrancisationdespersonnes
immigrantes. Le Ministère n’est plus en ce domaine prestataire de services, mais voit
dorénavantàleurfinancementetàleurévaluation.
L’accueiletl’installation
Lorsqu’une personne immigrante, une fois admise, arrive au pays, elle franchit un seuil
importantdanssavie,sacarrière,lemilieusocialoùelleévoluera.Leministèredel’Immigration
accompagnecepassage,sousdesformesquiontvariéaufildesans.
Ilyadixans,l’accueildetoutimmigrantfrancophoneauQuébec(résidantpermanent)sefaisait
danslesbureauxduMinistèrepardupersonnelassignéàcettefonction–lesnon-francophones
étaient, et sont toujours, dirigés vers le programme de francisation. Durant deux semaines
intensives,lepersonnelaidaitlesnouveauxarrivantsà:obtenirleursdocumentsessentiels,tel
quelacarted’assurancesocialeet lacarted’assurancemaladie,ouvriruncomptedebanque,
obtenir une place en garderie, s’inscrire à un établissement d’éducation, obtenir l’allocation
pourenfants.LesfonctionnairesduMinistèreoffraientaussidurantcettepériodedesséances
d’informationsurlasociétéquébécoiseetsurlarecherched’emploi.
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Vers 2009, le ministère de l’Immigration a décidé de tenir seulement une semaine de ce
programmed’accueildanssesbureaux(premièresdémarchesd’installationet informationsur
le Québec, toujours offert par du personnel désigné), pour externaliser l’offre de la séance
«S’adapter aumonde du travail québécois», d’une durée d’une semaine. Dans la région de
Québec, après un processus d’appel d’offres, c’est l’organisme Option-travail/Carrefourjeunesse emploi qui a obtenu cemandat. LeMinistère fournit le contenu de la séance et lefinancementse faiten fonctiondunombredeparticipants.Cette restructurationdesservices
n’enétaitalorsqu’àsesdébuts.
En2011,unautreorganismegouvernemental,Emploi-Québec,décided’offrirunprogrammede
suividerecherched’emploidestinéauxpersonnesimmigrantes.Ilnes’agissaitpasd’obligerle
nouvel arrivant à occuper un emploi, mais plutôt de s’enquérir de sa situation sur le plan
professionnel,puisdeluiproposeraubesoindesressourcesetdel’information.Onobserveun
arrimageentredeuxorganesdugouvernementenvuedefavoriserl’intégrationprofessionnelle
despersonnesimmigrantes,dontl’unestdavantageliéaumondedel’économieetdisposed’un
financementimportant,Emploi-Québec.
En 2012, le ministère de l’Immigration du Québec se retire de toute prestation directe de
servicesauprèsdesnouveauxarrivantsfrancophones:
• Il externalise la séance de premières démarches d’installation. À Québec, leprocessusd’appeld’offresestremportéparunorganismecommunautaire,leCentremultiethnique, spécialisédans l’accueil de réfugiés. Le contenude la formationestfourni par leMinistère et le financement se fait selon lemêmeprincipe– selon le
nombredepersonnesprésentes.
• Une nouvelle séance externalisée d’une semaine est offerte sur l’intégration enmilieudetravail,autitrepassablementdirectif:«Objectif intégration».ÀQuébec,
le mandat est obtenu par Option-travail/Carrefour Jeunesse emploi, situé à unendroit différent du Centre multiethnique– ce qui occasionne des déplacementspourlespersonnesimmigrantesnouvellementarrivées.Demême,c’estleMinistère
qui fournit le contenude la formationet le financement varie selon le nombrede
personnesprésentes.Laséancesetermineavecunesortedeséance«buffet»,où
plusieurs organismes d’aide à l’emploi viennent présenter leur offre de services.
Certains organismes y offrent un programme spécifiquement pour les personnes
immigrantes– par exemple, les ingénieurs, les professionnels des technologies de
l’information. D’autres y présentent des services destinés à l’ensemble de la
population,incluantlespersonnesimmigrantes.
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• Iln’yaplusformellementdeséanced’informationsurleQuébec.Ceretraittraduitlerôle de plus en plus important que joue Internet pour obtenir de l’information.
D’ailleurs,cesconnaissancessontcenséesavoirétéévaluéesavantl’émigration.
Donc,depuisunedizained’années,onassisteenmatièred’accueildespersonnesimmigrantesà
unereconfigurationdesservices.Les frontièresd’interventionduMinistèreontétédéplacées
demanièredéterminante.Ellessesontarc-boutéesavecunautreorganismegouvernemental
auxpoches réputéesplusprofondesetauxviséesd’interventiondifférentes, Emploi-Québec.
Plusieurs partenaires interviennent désormais en son nom. LeMinistère n’a donc plus aucun
représentantàsonemploiintervenantdirectementauprèsdesnouveauxarrivants.
Lefacteurtechnologiqueestcertesàprendreencompte:Internetpermetauxdemandeursde
préparer leur projet d’immigration. Il devient donc moins nécessaire d’offrir des séances
d’informationselonuneformuleunique.
Unereconfigurationdesservicesquisuscitedesquestions
Néanmoins, cette reconfiguration des frontières organisationnelles soulève trois séries de
questions fondamentales. La première peut se formuler comme suit: quel sens prend cette
nouvelleformuled’accueilchezlesnouveauxarrivants?Quelleestlalégitimitédesservicesaux
yeux des personnes immigrantes? Prenons le cas d’un Européen francophone qui vient de
s’installeràQuébec:jusqu’àquelpointsesentira-t-ilconcernéparuneinvitationàseprésenter
au Centre multiethnique? La réception à cette invitation pourrait se révéler différentecomparativementàuneconvocationofficielleàseprésenteràunbureaudugouvernementdu
Québec.
Ladeuxièmesériedequestionspermetderevenirauxrecherchesfaitessurlanouvellegestion
publique:commentlagestiondesressourceshumainesexercéedanscesorganisationsinflue-t-
ellesurlaprestationdeservices?Danslesorganismescommunautaires,ilarrivequecesoitdes
personnesemployéesàforfaitquioffrentcesséancesd’accueil.Unesélectionpeusoucieusede
lapartdecertainsorganismesmandatairesmèneparfoisà retenirà cette findes immigrants
récentsn’ayantpasunemaîtrisecomplètedufrançais.Commentlaformationrésultantdecette
décision peut-elle être interprétée par les nouveaux arrivants? Il s’agit bien de choisir un
représentantde la sociétéd’accueil, chargéde souhaiter labienvenueen sonnometd’offrir
uneinformationdequalitéàdespersonnesquiaspirentàrefaireleurvieauQuébec.Deplus,
commentsecomparentlesconditionsdetravaildesdispensateursdeformation,avantetaprès
la réorganisation (en ce qui concerne la rémunération, les possibilités de mettre à jour
rapidement ses connaissances, d’évaluer la qualité du travail, etc.)? Si des recherches sur
l’ensemble de la fonction publique québécoise nous disent que les conditions de travail des
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fonctionnaires sont difficiles à la suite de nombreuses initiatives de réorganisations, il y a de
forts risques que, dans les organismes mandataires, financés au nombre de personnes
desservies,laréalitérimeavecprécarité.
Enfin, la troisièmesériedequestionsamèneàréfléchirsur leplanorganisationnel:comment
reconfigurerdesfrontièresquiontbougénonplusseulementàl’intérieuraugouvernementdu
Québec,mais qui s’étendent à tout un réseaud’intervenants ayant pourmission d’offrir une
prestation de services qui se veut coordonnée? Plus concrètement, qui fait les frais de la
coordinationdecettenouvelleprestationetdelarestructurationdelaprestationdeservices?
L’exemple d’un regroupement visant à concerter les organisations actives en matière
d’immigrationdansunerégionduQuébecvientillustrercettenouvelledonne.
LaTabledeconcertation
En 2007, la création de la Table régionale de concertation en immigration de la Capitale-
Nationale (région de Québec), répondait à un constat clair: les organismes prestataires de
servicesauxpersonnes immigrantes travaillaient«ensilo»,demanière isolée,et se faisaient
parlefaitmêmecompétition.LaTabledeconcertationestdoncmisesurpiedsousl’impulsion
de quelques-uns de ces organismes et avec le soutien de la Conférence régionale des élus
(organisme de développement régional gouverné par lesmaires et préfets de la région). Les
butsétaientdemaximiser les ressourcesallouéesen immigrationetde tendreversuneoffre
intégrée, soit un continuum de services régional, dans lequel idéalement, chaque organisme
auraitsaplace.
Unepremièreententefinancièreestdoncconclueavecdesministèresetorganismespublics11.
Lors de cette première phase, le financement est accordé de manière à favoriser la
collaboration: plus un projet a de collaborateurs, plus le pourcentage du projet financé
augmente.Cettepremièreétape,menéesurtroisans,apermisdefavoriserlacommunication
etlamiseenplaced’initiativesconjointes.
Déjà, à l’amorcede ladeuxièmeétape, leniveaud’engagementdesmembresde la Tablede
concertation est très important, tant dans le taux de participation aux activités que dans la
participation aux divers projets et comités. En outre, plusieurs secteurs sont représentés,
comme l’employabilité, la santé et l’éducation. La deuxième entente financière, conclue de
2010à2012,n’acettefoisqu’uneannéedemiseenœuvre.Ilfautdoncrapidementmettreen
placedesinitiativesdecollaborationquirépondentàdesbesoinsidentifiésparl’ensembledes
11Ministèredel’ImmigrationetdesCommunautésculturelles,ministèredel’EmploietdelaSolidaritésociale,Ville
deQuébec,Conseilrégionaldespartenairesdumarchédutravail,ForumjeunesseetCRÉ.
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acteurs.Cesontdesjournéesdetravailcollaboratifquipermettentdeciblercesenjeuxetcinq
grands projets collectifs voient le jour. Plusieurs organismes collaborent sur lamise en place
d’un même projet et un d’entre eux est coordonnateur. Les membres de la Table de
concertation travaillent alors dans une optique de développement. Des exemples du travail
réalisé: service d’aide à l’emploi pour les travailleurs temporaires, campagne régionale de
sensibilisation à l’immigration, création d’un service d’agent de milieu interculturel, mise en
valeurdel’entrepreneuriatimmigrant.
Lorsdelatroisièmeétape,uneententefinancièreestconcluepour5ans,soitde2013à2018.
Cette perspective réjouit les organismes dumilieu qui souhaitaient travailler sur plus qu’une
seuleannéededéploiementdeprojets,afindemaximiserleseffortsetlesimpacts.Lorsd’une
planificationstratégiquecollective,sontalorsdéterminésquatrepôlesd’interventionprincipaux
surlesquelslesmembressouhaitenttravailler:
• LamobilisationetlaconcertationdesacteursdelaTable• Lasensibilisationàl’immigration12• L’attractionetlapromotiondetravailleursimmigrantsqualifiésdanslarégion• L’intégrationsocialeetéconomiquedespersonnesimmigrantessurleterritoire
Laconcertationestbieninstallée,laconnaissancemutuelledesorganismesetdeleursmandats
augmente et les actions verront deux années de déploiement. La préoccupation pour la
réalisationd’uncontinuumdeservicesrégionalestgrandissantechezlemilieuetdesjournées
de travail collaboratif y sont consacrées, ayant pour résultat la création d’un continuum en
ligne. À noter ici que le ministère de l’Immigration est le principal ministère impliqué dans
l’ententeetqu’unconseillerenpartenariatbaséàladirectionrégionaleduMinistèreestattitré
à participer à la concertation. Le financement, s’il vient de différents ministères, est donc
consacréàlaréalisationd’unensembledeprojets,sousl’égided’uneententerégionale,fruitde
laconcertationdesmembresdelaTable.
Malgré tout cet exercice réalisé à l’échelle de la région de Québec, le 5 novembre 2014, le
nouveau gouvernement libéral signe, avec les représentants des villes et municipalités, une
nouvelleententesur lagouvernancerégionale.Cettenouvellegouvernanceprévoit l’abolition
des Conférences régionales des élus et le transfert de leurs responsabilités auxmunicipalités
régionales de comté (MRC). Au même moment, soit en novembre 2014, est annoncée la
fermeturedesdirectionsrégionalesduministèredel’Immigration.
12Àtitred’illustration,onpenseàl’initiative«Dumondeàconnaître»,unecampagnedesensibilisationquiviseà
montrer le côté positif de l’immigration dans la région de Québec; voir le site http://dumondeaconnaitre.com
(consultéenoctobre2015).
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Depuis quelques années déjà, les organismes participant à la Table étaient entrés dans une
dynamique de gestion par projets– comparativement à une gestion par services. Face à
l’annonce de l’abolition de l’instance ayant le mandat de la concertation régionale et au
rapatriement des activités régionales duministère de l’Immigration versMontréal, la Table a
décidé de poursuivre ses actions, pour le bien de la prestation de services aux personnes
immigrantes.Maisl’enjeudufinancementreliéàunetelleconcertationresteentier.Comment
restercollaborateurs,alorsque lacompétitions’exercepourainsidirenaturellementdansun
contextederessourceslimitées?
De plus, un changement du paradigme de concertation vers un paradigme de co-
développement s’opère. Il faut désormais justifier la pertinence économique de chacune des
rencontres, celles-ci donnant lieu à des formations et des prises de décisions, plutôt qu’au
simplepartaged’information.L’aspectdudéveloppements’entrouveaussiaffecté.Comment
développerdansuncontextederessourceslimitées,alorsquelesbesoinsaugmententavecle
nombredePI,quelesfinancementsbaissentetquelessalairesdesintervenantsconstituentdes
dépensesinadmissiblespourlaplupartdesfinancements?Laquestiondeladiversificationdes
sources de financement revient encore ici. Certains organismes visant même les entreprises
privées comme clientèle et sourcede financement, ce qui risquededétourner l’attentionde
catégoriesdepersonnesplusvulnérables,dontlesréfugiés.
Conclusion
Le soutien institutionnalisé aux immigrants a changé au cours des dernières décennies au
Québec, ce qui n’est pas étranger aux changements relatifs aux catégories de personnes
immigrantesaccueilliesdurantcettepériode.Naguèreresponsabledetouslesservicesrendus
aux immigrants vulnérables et peuqualifiés, leministère de l’Immigration est passé au fil du
tempsdeseuloccupantd’unvasteterritoireàpropriétairecédantdesparcellesàdesgroupes
responsables de «clientèles» (c’est le terme courant, à connotation économique) plus
segmentées. Les frontièresétaientalorsétablies clairement, refletdemandats formaliséspar
lesfonctionnairesmêmesduMinistère.L’exempledelaTabledeconcertationrégionalemontre
quecetteorganisationgouvernementaleconsentnonseulementà l’abaissementdesclôtures,
mais à l’occupation commune des lieux, ses représentants en devenant pour ainsi dire des
visiteurs.
Sicedélestagederesponsabilitéspermetl’expressiond’initiativeslocalesetpertinentes,voire
faire surgir l’exaltation de l’autogestion dans un regroupement tissé serré, il importe de
demeurer prudent devant l’enjeu émergent du flou généré par cette redéfinition de
l’interventiondel’Étatenmatièred’immigration.Cederniern’estplusprestatairedeservices.
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Cette nouvelle absence ne ferait-elle pas se dresser une autre frontière à ne pas franchir,
puisque menant à une désorientation, voire une désorganisation du réseau de soutien à
l’immigration? Pourtant, ce ne sont pas les enjeux qui manquent pour inciter à orienter les
effortsenmatièred’intégrationdespersonnesimmigrantes: lamaîtrisedelalanguefrançaise
et leur intégration au marché de l’emploi comptent parmi les plus importants. Quel rôle
renouveléjoueral’Étatpouryrépondre?
Bibliographie
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Mouvancedesfrontièresethniquesetreligieusesdanslesorganismesd’assistanceanglophonesdelarégiondeQuébec:
AnalysehistoriqueduSaintBrigid’sHomeetduLadies’ProtestantHome1
PatrickDonovan
UniversitéLaval,Canada
IntroductionBienquelavilledeQuébecsoitindéniablementfrancophonedenosjours,iln’enapastoujours
été ainsi. En 1860, 42,8% de la population est anglophone (Census, 1863: 42)2. Cela estdifficilement imaginable dans le contexte actuel où seulement 1,93%de la population est de
languematernelleanglaise(StatistiqueCanada,2012:siteinternet)3.
L’immigrationmassive d’anglophones au XIXe siècle a un impact indéniable sur les structures
d’assistanceàQuébec.Laplupartdecesimmigrantsarriventsansemploiniréseausocialdans
la ville. Ils s’appuient d’abord sur les structures d’assistance adaptées du système colonial
français et catholique, puis ensuite celles introduites par les communautés anglophones en
place.Parmi lesnombreusesinstitutionsd’assistancefondéespar lesanglophonesdeQuébec,
leSaintBrigid’sHomeetleLadies’ProtestantHomeontlaissédesmarquesindélébiles.
L’objectif de cet article est d’observer, à travers l’émergence et l’évolution de ces deux
organismes,comment lesfrontièresethniquesetreligieuses,quisontporeusesetmouvantes,
setransformentetd’identifierlesdynamiquesassociéesàcesdéveloppementsdanslaville.La
population anglophone de Québec n’a jamais été et n’est toujours pas homogène. Elle est
divisée en sous-groupes reflétant des origines ethniques et des appartenances religieuses
différentes. La frontière la plus étanche se trouve entre protestants et catholiques,
particulièremententre1850et1970.Cesfrontièresontdesimpactssurlastructureduréseau
institutionnel.
1Cette recherche est effectuée dans le cadre du projet «Ancrages historiques et évolution des organismes et
associationsd’assistanceauxjeunesetauxfamillesanglophonesdanslarégiondeQuébec»,sousladirectionde
JohanneDaigle,RichardWallingetLucilleGuilbert.2Lerapportde1861necompilepaslesdonnéesselonlalanguematernelle; j’aidonccalculélaproportiondela
populationdelavilled’origineanglaise,irlandaise,écossaise,américaine,anglo-canadienneetanglo-normande.31,93%de lapopulation s’estditde languematernelleanglaisedans la villedeQuébec lorsdu recensementde
2011.
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Documentationrelativeauxdeuxorganismesétudiés
Il existeunedocumentationabondantesur l’histoireduLadies’ProtestantHome.Les sources
archivistiques les plus importantes se retrouvent dans le fonds d’archives P556 conservé au
centred’archivesBAnQàQuébec.Ilcontientenvirondeuxmètresdedocumentsdansdix-neuf
boites.Celainclutlesrèglementsdel’organisme,lesprocès-verbauxde1858à1984,lamajorité
des rapports annuels entre 1860 et 1989, les registres d’admission comprenant des
informationsdétailléessurchaquerésidentainsiqueplusieursfichiersdecorrespondance.Àcet
important fonds s’ajoute les collections du Quebec Diocesan Archives portant sur les foyers
anglicansàQuébec,lesquellespermettentdemieuxsaisirlastructureduréseauprotestant.
En contraste, les sources archivistiques pour le Saint Brigid’s Home sont éparpillées et
comportent d’importantes lacunes. Une copie des «Annales de l’Asile Ste Brigitte», un
scrapbook de notesmanuscrites et de coupures de journaux couvrant les années 1877-1944,rédigépar lesSœursde la charitédeQuébec,est conservéparmi lesarchivesde l’organisme
IrishHeritageQuebec.Lasuite(1944-1973)setrouveàHalifaxdanslesarchivesdesSistersof
Charity-Halifax et n’a pu être consultée. Il faut préciser que le récit des premières années
d’existence de l’organisme dans ces «annales» a été composé plusieurs décennies après la
fondation.Ilcomporteplusieurserreurs,malheureusementreproduitesdanstouteslesétudes
subséquentes. Cela est évident en consultant le fonds St. Bridget’s Asylum (P925) qui existe
depuis 2009 au centre d’archives BAnQ à Québec ; ce fonds est composé uniquement d'un
cahiermanuscritdesvisitesetdesinspectionsfaitesàcetasileentre1856et1865.Deplus,le
Fonds Société de Saint-Vincent de Paul deQuébec (P437) témoigne de l’existence d’un asile
Saint Bridget’s bien avant la date supposée de fondation notée dans les autres sources
archivistiques. Ilaégalementétépossiblederetracer lesrapportsannuelspour laplupartdes
années entre 1859-1873, publiés dans le journal montréalais True Witness and CatholicChronicle.Cesrapportsannuelspermettentd’apporterplusieurscorrectifs,toutefois,ceuxpourles années qui suivent n’ont pas été retrouvés. Cette lacune limite l’investigationpuisque les
Annales couvrant cettepériodeportent surtout sur lesmesseset la viequotidienneau foyer
plutôt que sur les états financiers et la gouvernance. Les registres d’admission couvrant les
années 1856 à 1967, fort utiles pour connaître la composition des résidents, sont conservés
dans les bureauxdu SaintBrigid’sHome,demêmequequelques scrapbooks, photos, procèsverbaux récents et autres documents épars. La société historique Irish Heritage Quebec
conserve également dans ses collections plusieurs fichiers liés à l’organisme, notamment des
centaines de photos et des documents datant des années 1960 et 1970; une documentation
témoignant des changements apportés par la Révolution tranquille. Enfin, des documents
concernantcetteinstitutionsetrouventégalementdanslesarchivesdelaparoisseSaint-Patrick
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àQuébec,dont lesprocèsverbauxde laSaintBridget’sAsylumAssociation(1859-1860,1870-
1906).Ceux-cin’ontpuêtreconsultésàcejour.
Endépitdes limitesesquissées, l’ensembledecettedocumentationdepremièremainpermet
de tracerunportrait clair, tantdudéveloppementdes institutionspharesdans le champdes
servicessociauxquedesdynamiquesethniquesetreligieusesdéployéesenmilieuanglophone
danslavilledeQuébecetce,delaconquêtebritanniquede1759audébutdesannées1970.
OriginesdesservicessociauxenmilieuanglophoneàQuébec,1759-1860
La conquête britannique de 1759 change peu de choses dans le paysage de l’assistance à
Québec.Dans cette villede7000à8000habitants, les réseaux familiaux suffisentencore, en
grandepartie,àlademande.Pourlereste,lesbritanniquesfinancentlesstructurescatholiques
existantes. Il s’agit de l’Hôpital Général, mis en place à l’époque de la Nouvelle France, qui
accueilleunmélangedepersonnesâgées,d’enfantsabandonnés,d’infirmes,deprostituéeset
autres marginaux (Fecteau, 1989: 36-38; Vallières, 2008: 317-318, 401, 495). L’État
subventionneégalementl’Hôtel-Dieu,quiaccueillelesenfantsabandonnéesentre1801et1845
(Rousseau, 1989: 176), dont une part importante d’enfants d’origine anglophone (Census ofCanada, 1873, Vol. V: 353)4. Ces institutions sont administrées par les Augustines, ordrereligieux catholique originaire de France. Les congrégations anglicanes et presbytériennes
détiennent également un poor fund pour venir en aide aux fidèles dans le besoin (Reisner,1995:156;Rioux,1987:164-167).
Cettestructured’assistanceestdifférentedecellequiexisteailleursdansl’Empirebritanniqueà
l’époque.LesautoritésreligieusessontaupremierplanàQuébec,toutcommeenFrance.Par
contre, le système britannique découle des Poor Laws du XVIe siècle, par lesquelles l’Étatdélèguelagestiondel’assistanceàdeséliteslocaleslaïques(Fecteau,1989:28-33).
Ce n’est qu’au XIXe siècle que les anglophones de Québec commencent à transformer le
paysage de l’assistance. De nouvelles institutions voient le jour pour répondre aux besoins
croissantsengendrésparlescinqfacteurssuivants:
• Immigration:arrivéemassivedebritanniquesetd’irlandaisàpartirdesannées1820;• Épidémies:denombreusesépidémiesdecholéraetdetyphusentre1832et1854;• Incendies:unedizained’incendiesmajeuresentre1836et1886,certainsdétruisantdes
quartiersentiers;
4Lors du recensement de 1871, Mgr Tanguay note dans son relevé des naissances illégitimes dans la ville de
Québecentre1771à1870qu’«unelargeproportionparvientdesautrespartiesdupaysetuneproportionnotable
despaysétrangers».
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• Industrialisation:larévolutionindustrielleeffritelesanciensréseauxd’entraidecentréssurlenoyaufamilial;
• Guerres : la guerre de 1812 est à l’origine du premier véritable foyer àQuébec pourveuvesetenfants, l’AsilemilitaireduCanada, fondéen1815 (CanadaMilitaryAsylum,1858:3-4).
Dans le premier tiers du XIXe siècle, il existe un esprit de collaboration entre les groupes
ethnoreligieux de Québec. La Société compatissante des dames de Québec (Female
CompassionateSociety),fondéeen1820,distribuedel’aideauxpauvresdetoutesconfessions,
sonrèglementobligeantmêmelamixitéethniqueauseinduconseild’administration:«Sixof
the directoresses shall be Canadian, and six English ladies» (Female Compassionate Society,1822:13).LaQuebecLadies’BenevolentSociety,fondéeen1838,distribuel’aide«withoutany
distinctionofnameornation»(ThirdAnnualReport,1841:4).L’acteurleplusimportantdanslepaysagedel’assistanceàcetteépoqueestprobablementlaSociétédesémigrésdeQuébec,
fondéeen1819,quiaidedesmilliersdemigrantsdetoutesoriginesgraceàunsoutienfinancier
publicmassif5.Danslesannées1840,cettesociétédisparaitraetsonroleseraprisenchargepar
dessociétéspatriotiquesfondéessurdesbasesethniques(avecunfinancementnettementplus
modesteà leurdisposition), soit la SaintAndrew’sSocietypour lesAnglaisetGallois, la Saint
Andrew’sSocietypourlesÉcossais,laSaintPatrick’sSocietypourlesIrlandais,etc.
Ce même esprit de collaboration entre groupes ethnoreligieux est moins présent dans les
résidencespourorphelinsetpersonnesâgéesfondéesàcetteépoque(voirtableauci-dessous).
Toussontfondéesselondeslignesconfessionellesàl’exceptiondel’AsilemilitaireduCanada.
5La Société des émigrés reçoit jusqu’à 900 livres canadiennes par année, soit le quart des taxes perçues aux
migrants qui arrivent à Québec. Le nombre de personnes aidées par les orphelinats et organismes d’entraide
anglophonessecompteendizainesouencentainesparannée,mais laSociétédesémigrésrejointunneuvième
des migrants, soit 16 884 personnes entre 1832-1839, dont plusieurs enfants (Quebec Emigrant Society, 1832;Minutesofevidence,79-87;AlmanachdeQuébec,1833:151).
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Renforcementdesfrontièresethnoreligieuses
L’esprit multiconfessionnel qui anime plusieurs œuvres charitables au début du XIXe siècle
disparaitavec le temps.CelaneseproduitpasuniquementàQuébec,niuniquementdans le
secteurdelacharité,maiscorrespondàdestendancesplusgénéralesretrouvéesdansplusieurs
villesdel’AmériqueduNord.
Cedurcissementdesfrontièresethnoreligieusesseproduitdedeuxfaçons:
• Diminutiondecollaborationsentrecatholiquesetprotestantscauséeparunemontéede l’influence et de la pratique religieuses. L’Église catholique majoritaire réussit àimposer un certain contrôle social au Québec entre 1830 et 1880 à travers sa
dominationdusystèmescolaireconfessionnelducôtédescatholiques,lamiseenplace
d’associations, lapriseencharged’organismesdecharitéet le lancementdejournaux.
Ce renouveau religieux est attribuable à des facteurs internationaux (montée de
l’ultramontanisme)etàdesfacteurslocaux(echecdesrébellionsde1837-1838portées
par une élite républicaine). Il existe une situation semblable, en parallèle, du côté
protestantaveclamontéedel’évangélismeetlesrevivals,quiviennentredynamiserlavie religieuseeten rehausser lespratiques.L’influenced’uncatholicismeconservateur
encourageaussiuneplusgrandesolidaritéentreProtestants,quicraignentl’ingérence
del’Églisedansl’État(Hardy,1999:151-155;Ferretti,1999:55-57;Malouin,1996:25);
• Dimunution de collaborations entre catholiques anglophones et francophones à lasuitedeschangementsamenéspar la famine irlandaise.Lafamineprovoquel’arrivéed’unemassed’irlando-catholiquesdans lesvillesà la findesannées1840.L’arrivéede
milliersdepauvresfaitmonterlestensionsetencourageladiscriminationdansplusieurs
villes, contribuant à la construction d’un bastion irlando-catholique plus insulaire et
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méfiant(Meagher,2005:58).Lafamineencourageégalementunnationalismeirlando-
catholique anti-britannique, ce qui rehausse les frontières ethnoreligieuses. Les
francophones,pourleurpart,voientl’Églisecatholiquedeplusenpluscommeunmoyen
de preserver leur langue face à l’influence de l’anglais et sont donc moins enclins à
chercherlacollaborationaveclesIrlandais(Trigger,2001:568).
Trois communautés aux frontières plus solides émergent de ces changements sociaux : la
majorité francophone catholique, une communauté anglophone catholique importante
(dominéeparlesirlandais)etuneminoritéanglophoneprotestante.
Ces mutations de frontières ethnoreligieuses sont reflétées dans le paysage de l’assistance.
Aucunenouvelleassociationnetentedefranchirlafrontière«catholique-protestante»dansla
deuxièmemoitiéduXIXesiècle.Lesanciennesassociationsmulticonfessionnellesdisparaissent.
La fondationdu Ladies’ ProtestantHomemarque l’arrivéedupremier foyer àQuébecouvert
non seulement aux anglicans mais à l’ensemble des protestants, favorisant davantage de
solidaritéentreprotestantstoutenrehaussantlafrontièrecatholique-protestante.Lafrontière
anglophone-francophonedevientégalementplusprononcée:lacollaborationinterlinguistique
quiexistaitdans les foyers fondéspar laSociétécharitabledesdamescatholiquesdeQuébec
disparaitpeuaprèsquelesanglophonesaientfondéleurproprefoyer,leSaintBridget’sAsylum.
Aucoursdesannées1860,leLadies’ProtestantHomeetleSaintBridget’sAsylumdeviennent
lesdeux institutions charitablespharesdes anglophonesdeQuébec, leurs territoiresd’action
étant délimités par le clivage catholique-protestant. Les trois foyers anglicans jouent un
moindrerôle;leurtailles’avèreêtreplusmodeste,leursclientèlesciblesplusrestreintesetils
disparaitrontavant la finde laRévolution tranquille6.Examinonsdoncplusattentivementces
deuxorganismesafindemieuxsaisirlesdynamiquesethniquesetreligieusesquis’yproduisent.
DébutsduSaintBrigid’sHome(SaintBridget’sAsylum)7
LespublicationsrécentessurleSaintBrigid’sHomelaissententendrequelefoyerfutfondéen
décembre1856,maislesarchivesdelaSociétéSaint-VincentdePaulfontressortirunedatede
fondationantérieure.Danslesannées1840,«theReverendMr.McMahonputapooroldand
6Enexaminantlesrapportsannuelsdesdifférentsorganismes,j’aiconstatéqu’ilyaenmoyenneunevingtainede
residentsdanschacundestroisfoyersdel’Égliseanglicaneetcenombredemeurerelativementstableaucoursdes
années.AuLadies’ProtestantHome, ilyaenmoyennede30à50résidentsparannée.QuantauSaintBridget’s
Asylum(SaintBrigid’sHome),lesagrandissementssuccessifsfontgrimperlenombred’unevingtainederésidentsà
prèsde200enmoyennedanslesannées1940.7AudébutduXX
esiècle,SaintBridget’sAsylumdeviendraleSaintBrigid’sHome,l’orthographeirlandaise«Brigid»
remplaçantl’orthographeanglaise«Bridget».Lesdeuxnomsseronttoutefoisutilisés.
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infirmwidowunderthecareofMrs.D'arcy-Sincethen,severalothershavebeenatdifferent
timesplacedinthesamehouse...8».Labasededonnéesnumériséedurecensementde1851
note effectivement une veuve « Darcy » habitant avec sa famille et trois autres veuves
catholiquesirlandaisessurlarueNouvelleduquartierSaint-Jean-Baptiste9.
Audébutde1853,lepèreNelligantransfèrelagestiondecepetitfoyer,quiportaitdéjàlenom
deSaintBridget’sAsylum,auconseilparticulierSaint-PatricedelaSociétéSaint-VincentdePaul
(SSVP).LaSSVPestunorganisme laïc,masculinetcatholiquequiacommeobjectifdevisiter,
d'aideretde réconforter lespauvreset les infirmes.L’organismeasonsiègesocialenFrance
maisexistedansplusieurspaysanglophones.Fondéen1846àQuébec,ildeviendrarapidement
l’organismecharitableleplusimportantdelaville.Legroupeestorganiséensuccursalesquasi-
indépendantes,appelées«conférences»,souventliéesàdesparoisses(Lemoine,2001:29-36).
Anglophonesetfrancophonestravaillentdanslesmêmesconférencesaudébut,mais«comme
laplupart[desanglophones]n'entendentpaslefrançais,nousavonsbientôtcomprisquenous
nepouvionsopérerefficacementaveceux»(SociétédeSaint-ViencentdePaul,1867:13).Des
conférencesséparées«irlandaises»sontcrééesen1848,puisunconseilparticulierpourgérer
le touten1850 (SociétédeSaint-VincentdePaul, 1867: 37).Ces changements fonten sorte
que les conférences anglophones interagissent peu avec les conférences francophones après
1850,àl’exceptionducongrèsannuel.
La SSVP se consacre à la gestiondu foyer pendant trois ans. À cette époque, l’asile accueille
uniquement des veuvesmais la société offre de l’aide extérieure aux orphelins. Au début de
1856ilnerestequedeuxveuves,quisonttransféréeschezlessœursgrises,soitlesSœursdela
charitédeQuébec(SCQ),le22janvier1856.Lesraisonspourlafermeturedel’asilenesontpas
préciséesdanslesarchives.
SaintBridget’s renaitdansunautreendroitet sousunautremodèledegestionà la finde la
même année, attirant une clientèle plus nombreuse et variée. Le foyer déménage dansplusieurspetitesmaisonsdelarueSaint-Stanislaspendantlesdeuxprochainesannées,avantde
s’établirpourdebonaucoindelaGrande-Alléeetdel’avenueDeSalaberryen1858.Desajouts
successifssegreffentsurcesiteaucoursdusièclesuivant, incluant lesécoleset l’égliseSaint
Patrick, transformant l’ilot en cœur institutionnel de la communauté irlandaise de Québec
(Donovan,2012:4-8).
8 Lesdocumentsd’archivesdufondsP437àBAnQ-Québecsecontredisentconcernantl’annéedefondation.Le«ReportonSaintBridget'sAsylum1853»,4 juillet1854(boite76)donne1842commeannéedefondationtandis
queleReportofthe«WidowandOrphanAsylumSaintLouisSuburbsQuebecunderthesuperintendanceofSaint
Patrick'sSocietySt.VincentdePaul»,January1856(boite31)mentionnel’année1849.9LarueNouvelleportemaintenantlenomderueSaint-Patrick.
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DébutsduLadies’ProtestantHome
L’histoireduLadies’ProtestantHomecommenceaveclafondationduLadies’ProtestantRelief
Societyen1855.Pendantquatreans,cetteassociationdistribuedel’aidematériellesousforme
denourriture,devêtementsoudeboisdechauffageauxdomestiquesfémininesetauxjeunes
immigrantes. En 1859, l’association fonde le Ladies’ Protestant Home dans le quartier Saint-
Jean-Baptiste au 15 Coteau Street (rue Lavigueur)10. La résidence déménage dans un nouvel
édificesurlaGrandeAlléeen1863etyresterajusqu’à1989(DonovanetHayes,2010:7-10).
Avant l’ouvertureduLadies’ProtestantHome, tous les foyersnon-catholiquesàQuébec sont
contrôléspar l’Égliseanglicaneetcelle-ci souhaiteconserversamainmisesur le secteurde la
charité. En 1860, le recteur de la cathédrale anglicane propose une fusion entre le Ladies’
ProtestantHomeet le FinlayAsylumafinde créerune institution conjointegéréepar l’Église
anglicane mais ouverte à tous les protestants. Cette proposition est rejetée par le Ladies’